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Full text of "Histoire universelle de Jacques-Auguste de Thou : depuis 1543. jusqu'en 1607. Traduite sur l'édition latine de Londres .."

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HISTOIRE 


DE 


J  A  C  Q  U  E-A  U  G  U  S  T  E 

DE    THOU 


TOME     ÛV  I  N  Z  I EME. 


HISTOIRE 

UNIVERSELLE 

DE 

JACQUE-AUGUSTE 

DE    THOU> 

Depuis  1543.  jufquen  1607. 

TRADUITE  SUR  L'EDITION  LATINE  DE  LONDRES. 

TOME    QJJ  I  N  Z  I  E  M  E. 


1607. 


1610. 


A    LONDRES. 


M.    D  ce.    XXXI  V. 


SOMMAIRES 

DES     LIVRES 

Contenus  dans  la  Suite  de  THiftoire  de  Jac.  Aug.  de  Thou; 

SOMMAIRE     DU     LIVRE      I. 

Echerche  des  Financiers,   Maiffance  du  duc  d'Or-  Henri 
leans.  Jieiinion  des  Domaines  du  I{oi  a  la  Couronne,       ^ 
Thefe  en  faveur  du  pouvoir  du  Pape  fur  le  temporel  des 
Princes  j  condamnée  far  le  Parlement.  Privilège  de  la  Fier^ 
te  conteflê,  affaire  de  l'évêcjue  de  Senlis  contre  f on  chapitre, 
Edit  au  fujet  du  Senatus^Confulte  Velleien,   Morts  du 


Chancelier  Bellievre  _,  du  cardinal  Baronius  0'  de  Charles  x6o%. 
cardinal  de  Lorraine.  Voyage  des  François  en  Canada, 
Aiort  du  duc  de  Montpenfier.  F.tahliffement  des  Je  fuites 
dans  le  Bearn.  Naijjance  du  duc  d'j^njou.  Adort  de  Hen- 
ri de  Jojeufe  Capucin.  Négociation  avec  le  duc  de  Savoje, 
Propofitions  que  l'EfpagneJait  au  I{oi ,  qui  les  rejette.  Les 
ducs  de  Segni  CT  de  Santo-Gemini  reçoivent  le  collier  de 
t Ordre  du  S.  Efprit.  jimhaffade  extraordinaire  du  duc  de 
JVevers  à  Rjome.  Hifloire  du  faux  Borghefe.  Débordement 
de  la  Loire,  Afort  de  M.  Rapin.  Ereéliondu  duché  de  Fron- 
fac.  Création  de  la  charge  de  Grand  Vojer.  Edit  en  faveur 
des  Genevois.   ConJîruÛion  du  Pont-au  Change  à  Paris, 

SOMMAIRE     DU     LIVRE     II. 

NEgociat ton  pour  la  trêve  entre  lEfpagne  ^  les  Pro-  ■""■"■-"'■'"! 
vinces  Unies,   Conclufîon  de  la  trêve.   Les  Etats    i  6  o  ^. 
accordent  la  liberté  de  confcience  aux  Catholiques  ^  à  la 
prière  du  Roi.  Invention  des  Lunettes  d'aproche.  Morts  de 
Tome  XP\  a 


SOMMAIRES 

•Jofeph  Scaliger  ç^  de  Charte  de  l'Efclufe,  Etahliffement 
T  V  ^  ^*  Frères  de  la  Charité  a  Paris,  Union  des  comte:^^  d'An-  . 
î  6  0  9  "V^fgne  c3r  de  Clermont  à  la  Couronne,  Banqueroutier  puni» 
Edit  contre  les  duels,  Adariages  du  f  rince  de  Condé  ç^  du 
■duc de  Vendôme.  On  cenfure  a  R^ome  l Hiftoire  du  Prefident 
de  Thou ,  ^  t Arrêt  du  Parlement  rendu  contre  Jean 
ChaJIeL  Suite  du  uojage  des  François  en  Canada, 

• 

SOMMAIRE     DULIVRE     III. 

.-  ^%  ^  Ort  du  duc  de  Juliers,   Conteflations  au  fujet  de 

^6  10.  j^ J^  fa  fucceffion.  Ligue  de  la  France  avec  les  Princes 
d'Allemagne  ,  trétcndans  a  lafuccejjîon  de  Juliers,  Adou- 
démens  de  t  Empereur  pour  fe  mettre  en  pojjeffon  de  ces 
états.  Alliance  du  Roi  avec  le  duc  de  Savoy e,  Retraite  du 
prince  de  Condé,  AfanifeJIe  de  ce  Prince,  Le  Roi  Je  difpofe 
À  faire  la  guère  en  Italie  (^  en  Allemagne,  Sermon  indij- 
cret  d'un  Jefuitc.  Sacre  de  la  Reine,  AJfaJJïnat  de  Henri 
I V,  Conduite  du  Parlement  en  cette  occafion.  Le  meurtrier 
du  Roi  efl  interrogé.  Lit  de  Jufiice,  Difpute  des  Cardin 
naux  ^  des  Pairs  pour  le  rang.  Difcours  de  la  Reine  ^  du 
Roi  j  du  Chancelier  &  du  Premier  Prefident,  La  Reine 
ej}  dêcUrée  Reç^ente.  Ouverture  du  corps  du  feu  Roi.  Son 
^œur  ej}  porté  à  la  Flèche,  Procès  de  Ravaillac,  Arrêt  ren- 
du contre  lui.  Son  fupplice.  Jugement  du  Public  au  fujei 
du  Procès  de  Ravaillac.  Conjeélures  fur  la  caufe  du  meurtre 
de  Henri  I V,  Avis  du  Prefident  de  Thou,  Arrefi  du 
Parlement  pour  la  fureté  de  la  perfonne  de  nos  Rois.  Le 
Livre  de  Mariana  de  Régis  InftiiUEione  eft  condamné  ZT 
hrulé par  la  main  du  houreau,  Ohfeciues  du  Roi.  Contejla- 
tion  entre  les  Prélats  (^  le  Parlement  j  pour  le  pas  dans  la 
marche  du  convoj.  SUITE 


SUITE 


D  E 


LHISTOIRE 


D  E 


JACQUES    AUGUSTE 

DE    THOU 

PAR     NICOLAS      RIGAULT. 


gj^=^5jga««^Bii   I  II  I  ■ 


L  I  F  R  E      PREMIER. 


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ENRI  IV.  avoit  heiireufement  étonfré  par 

f  tc.n  courage  les  fadions,qne  les  intrigues  ^t;-  u  ^  m  r  i 


^  c-ii:es  des  i  rinces  étrangers  av oient  excitées 

,  dans  le  Royaume  ^  &  la  France  joùiiToit  par 

w  ç^'i'/"^  f_^l  *<J^^^  d'une  paix  profonde.  Mais  ce  Prince  nour- 

W^^fe^^sf  ^'^  ^^"^  ^^  tumulte  de  la  guerre,  croyoit  même 


IV. 


au  milieu  des  doticeurs  du  repos ,  qu'il  n'y  avoit  pas  de  gloire- 
qui  pût  égaler  la  gloire  militaire  >  qui  l'avoit  élevé  au-de(lus  des 
Tome  Xf^,  A^ 


2  SUITE     DE     L*  HISTOIRE 

~  plus  grands  Capitaines.  Ayant  donc  réfolu  d'afllirer  par  la  force 


Henri  des  armes  la  tranquillité  de  fes  Etats ,  qui  étoit  le  fruit  de  fes 
1 V.        vidoires ,  il  avoir  chargé  quelques  années  auparavant  Maximi- 
I  507.     lien  de  Bethune  duc  de  Sully ,  de  fournir  Tarfenal  de  Paris  de 
toutes  les  chofes  néceffaires  à  la  guerre.  Ce  Miniftre  qui  joi- 
gnoit  à  beaucoup  de  vigilance  une  extrême  dureté,  le  fervoit  en- 
core utilement ,  pour  amafler  de  grandes  fommes  d'argent ,  afin 
de  pouvoir  mettre  fur  pié  des  troupes,  lorfqu'il  en  auroit  befoin. 
Recherche      Dans  CCS  vûës  le  duc  de  Sully  travailloit  tous  les  ans  à  rem- 

ciers.  plir  les  cofFres  du  Roi  j&  l'on  imaginoit  chaque  jour,  pour  éta- 

blir de  nouveaux  impôts,  des  fyftêmes  dont  l'injuftice  deshono- 
roit  le  gouvernement.  Parmi  tous  ces  moyens  il  s'en  trouva 
quelques-uns  d'aflfez  juftes  ;  la  recherche  qu'on  fit  de  ceux  qui 
avoient  manié  les  finances ,  fut  de  ce  nombre.  Ces  hommes 
avoient  jufqu'alors  éludé  par  leur  crédit,  la  force  des  loix  portées 
contre  le  péculat ,  ou  ils  avoient  corrompu  les  Juges  à  force 
d'argent  ;  ils  avoient  même  obtenu  des  lettres  d'abolition ,  dans 
lefquelles  néanmoins  le  crime  de  faux  étoit  excepté  en  termes 
exprès. 

Dans  ces  circonftances ,  le  Roi,  par  un  Edit  donné  au  com- 
mencement de  l'année  i6oj ,  &  enregiftré  le  dernier  jour 
de  Mars,  établit  une  Chambre  de  Jufticeî(nom  injurieux  à 
tous  les  autres  Tribunaux  )  ôc  nomma  des  Commiflaires  pour 
recevoir  les  accufations  contre  les  Financiers,  afin  de  punir 
fuivant  les  Loix ,  tous  ceux  qui  feroient  convaincus  d'avoir 
commis  des  exadions ,  fous  des  ordres ,  ou  fous  des  noms  fup- 
pofésj  en  faifant  de  faux  ou  de  doubles  emplois  dans  la  red- 
dition de  leurs  comptes ,  ou  en  niant  qu'ils  eulTent  reçu  les 
deniers  publics.  Le  Roi  n'ignorant  pas  que  ces  fortes  de  gens 
embrouillent  toujours  leurs  affaires ,  pour  en  dérober  la  con- 
noilfance ,  fe  fervit  de  ce  moyen ,  afin  de  découvrir  plus  aifé- 
ment  leurs  eoncufllons  :,il  promit  dans  cet  Edit  l'impunité  à 
leurs  complices  &  à  leurs  Commis ,  qui  viendroient  les  pre- 
miers déclarer  les  coupables  5  il  la  promit  auffi  à  ceux  qui  s'ac- 
cuferoient  eux-mêmes,  avant  d'être  dénoncés,  &  qui  refti- 
tueroient  ce  qu'ils  avoient  volé.  Les  autres  délateurs  dévoient 
avoir  pour  récompenfe  la  fixiéme  partie  des  amendes,  qui  fe- 
roient portées  contre  ceux  qu'ils  auroient  dénoncés. 

Cet  Edit  ayant  été  publié  ,  on  en  dcnoncja  quelques-uns  j 


D  E    J.    A.   D  E   T  H  O  U,  L  I  V.  I.  5 

d^aiitres  furent  arrêtés.  On  en  condamna  par  contumace  deux  .„„,,_,,^^  \ 

à  être  pendus  en  effigie  j  la  plupart  furent  faiiis  de  frayeur ,  & 

le  trouble  fe  répandit  dans  un  grand  nombre  de  maifons  de  la  "  ^  ^  ^  ^ 

première  diftindion,  que  l'amour  des  richefles  avoir  engagées       ^^-  j 

à  s'unir  avec  les  coupables  par  des  alliances,  ou  par  d'autres     ^^^7\  i 

liens.  Tous  ceux  qui  étoient  amis  des  Juges,  ou  qui  avoient  du     .  ] 

crédit  auprès  d'eux ,  demandèrent  qu'on  fursît  les  procédures.  ] 

Ils  firent  prefTer  le  Roi  par  les  Grands ,  &  par  les  Dames  de 

fa  Cour,  qui  avoient  alors  beaucoup  d'empire  fur  fon  efprit,  j 

de  permettre  qu'on  accommodât  l'affaire  î  le  Roi  fe  rendit  à  1 

leurs  follicitaiions,  &  fe  contenta  d'un  million  de  livres,  dé-  1 

dommagement  bien  médiocre  pour  les  grandes   exadions  i 

qu'on  avoit  exercées.  Ces  deniers  ayant  été  portés  dans  les 

coffres  du  Roi ,   on  arrêta  le  cours  de  la  procédure  contre 

tous  les  accufés  ;  &  par  un  Edit  du  8  de  Septembre  on  abolit 

ce  Tribunal  odieux,  fous  prétexte  que  ces  pourfuites  deshono- 

reroient  les  principales  familles  des  plus  grandes  villes  du 

Royaume  5  comme  fi  le  crime  étoit  moins  honteux  que  le  fup'- 

plice. 

Sur  ces  entrefaites,  la  Reine  accoucha  le  i  ^  Avril  à  Fontaine- 
bleau d'un  Prince,qui  flit  appelle  le  duc  d'Orleans,titre  qu'on  a 
coutume  de  donner  au  fécond  fils  du  Roi,  depuis  que  les  aînés 
portent  le  nom  deDauphin.Dès  qu'on  eut  appris  cette  nouvelle 
dans  la  Capitale  ,  tous  les  Ordres  de  la  ville  en  rendirent  de  fo- 
iemnelles  adions  de  grâces  à  Dieu ,  &  le  peuple  fit  éclater  fa 
joye ,  en  allumant  des  feux  dans  toutes  les  rues  :  le  Roi  vit  avec 
beaucoup  de  plaifir  la  Couronne  aflïïrée  dans  fa  Maifon  par  la 
naiflance  de  ce  fécond  Prince. 

Peu  de  tems  après,  il  réunit  à  la  Couronne  tous  les  biens  qu'il    Réunîon  âes 
poflédoitatitredefîef,  lorfqu'il  monta  fur  le  Thrône,  &  qui  Ro^'^f^"^'^^" 
ne  dépendoient  pas  du  Royaume  de  Navarre  5  &  déclara  qu'ils  ronne.^    °^' 
feroient  déformais  unis  à  la  Couronne.  Cet  Edit  eût  été  inutile 
dans  toute  autre  circonftance ,  puifque  par  la  condition  des 
fiefs,  ou  par  une  loi  du  Royaume ,  auffitôt  après  la  mort  du  Roi, 
tous  les  biens  particuliers  de  fon  fucceffeur  font  dévolus  à  la 
Couronne.  Mais  Henri  avoir  au  commencement  de  fon  règne 
donné  un  Edit ,  qui  ordonnoit  que  fes  domaines  feroient  dif- 
tingués  «5c  féparés  du  refte  du  Royaume  :  il  n'avoit  pu ,  après 
pluûeurs  juflions  réitérées  ^  engager  le  Parlement  de  Paris  à 

A  ij 


"4  S  U  1  T  E  D  E  r  H  I  S  T  O  I  R  E 

l'enregiftrer.  Celui  de  Touloufe  y  avoit  enfin  confentî.  Lô 
Roi  alléguoit  pour  raifon  de  cette  déclaration  ,  fes  dettes ,  Se 
H  E  N  R  I  2^  tendrefle  qu'il  avoit  pour  la  PrincefTe  Catherine  fa  fœur  uni- 
^^*  que. 
X  6  oj,  Jacque  de  la  Guefle  Procureur  général ,  s'étoit  toujours  op- 
poîe  à  i'Edit  de  réparation  ;  mais  la  naiflance  de  deux  Princes,, 
&  le  décès  de  la  fœur  du  Roi,  morte  trois  ans  auparavant  fans 
poftérité  (  dont  l'intérêt  avoit  engagé  le  Roi  à  prefler  fî  vive- 
ment l'enregiftrement  de  cet  Edit  )  lui  fournifîant  une  occafion 
favorable  de  parler  de  nouveau  de  cette  affaire ,  il  la  remit  fur 
le  tapis,  &  demanda  qu'on  pefàt  avec  attention  les  moyens  de 
fa  requête  d'oppofition.  Ses  principales  raifons  étoient,  que 
cette  féparation  diminuoit  la  fplendeur  de  la  Couronne ,  que 
les  plus  grands  Rois  av oient  augmentée  dans  les  fiécles  paffés , 
par  une  conduite  toute  oppofée ,  &  digne  de  fervir  de  modèle 
à  leurs  fuccefleurs  :  Que  Sa  Majefté  en  fuccédant  à  la  Couron- 
ne, avoit  contradé,  pour  ainfi  dire,  avec  elle  une  commu- 
nauté de  biens,  femblable  à  celle  que  le  Sacrement  de  maria- 
ge met  entre  les  perfonnes  qu'il  unit  enfemble  :  Qu'ayant  reçu 
d'elle  en  dot ,  pour  ainfî  dire ,  tous  les  droits  du  Royaume ,  il 
étoit  jufte ,  &  même  glorieux  à  ce  Prince ,  que  fes  biens  & 
tous  fes  domaines  fuflent  cenfés  faire  partie  du  Royaume ,  fut 
fent  confondus  avec  toutes  fes  autres  dépendances ,  &  annoblis 
par  cette  réunion,  laquelle  ne  porteroit  aucun  préjudice  à  fes 
créanciers,  qui  auroient  en  fa  perfonne  un  débiteur  Roi  de 
France  &  de  Navarre  :  Que  la  mort  de  fa  fœur  ne  lui  laiflaiit 
plus  d'héritier  de  fes  biens  patrimoniaux ,  rien  ne  devoir  lui 
être  plus  agréable ,  fur  tout  ayant  des  enfans ,  que  d'augmenter 
le  Royaume. 

Le  Roi  fe  rendit  à  ces  raifons ,  &  réfoîut  enfin ,  comme  nous 
Tavons  dit,  de  donner  une  Déclaration,  qui  fauf les  droits  de 
fes  créanciers,  révoquoit  les  lettres  de  féparation,  &  caflbic 
les  Arrêts  des  Parlemens  qui  les  avoient  confirmés.  Cet  Edit 
fut  enregifiré  le  27  d'Août  au  Parlement,  avec  une  approba- 
tion univerfelle,  &  enfuite  dans  toutes  les  autres  Cours  fouve- 
raines.  Le  dernier  jour  du  même  mois  le  Roi,  qui  avoit  beau- 
coup de  tendrefle  pour  les  enfans  qu'il  avoit  eus  de  fes  maîtref- 
fes,  fit  enregiftrer  des  Lettres  patentes ,  par  lefquelles  il  décla- 
loit  que  le  duché  de  Vendôme ,  qu'il  avoit  donné  au  Prince 


DE  J.   A.  DE  T  H  O  U,  L  I  v.   I.  y 

Cefar ,  fils  de  Gabrielle  d'Eftrées ,  n'étoit  pas  compris  dans  le 
précédent  Edit  d'union. 

On  trouve  dans  les  regiftres  du  parlement  de  Paris  un  évé- 
nement peu  confidérable ,  fi  Ton  n'envifage  que  la  perfonne 
qui  l'occafionnaj  mais  d'aflez  grande  importance ,  à  confiderer 
la  chofe  en  elle-même.  Ce  fait  regarde  &  les  droits  du  Royau- 
me, &  ceux  de  l'Eglife  que  nous  foûtenons  être  dans  le 
Royaume. 

George  Creighton  Ecoflbis  de  nation ,  après  avoir  long-tems    Thefe  en  fa- 
enfeigné  la  Grammaire  dans  l'Univerfité  de  Paris ,  fut  nommé  veur  du  pou- 
Profefleur  de  Rhétorique  au  Collège  Royal,  âgé  de  près  de  r°'f  "^"^'"'^^ 
loixante  ans  :  mais  ne  le  contentant  pas  de  cette  place ,  il  bri-  rel  des  Pnn- 
gua  une  Chaire  de  Profeffeur  en  droit  Canon,  &  fit  félon  la  ccs,condam- 
coûtume ,  une  Thefe  qu'il  dédia  au  cardinal  du  Perron.  Dans  kment.  ^ 
fes  pofitions  il  fe  trouva  deux  chofes  dignes  de  cenfure.  Il  di- 
foit  que  le  Pape  feul  avoit  l'autorité  fuprême  de  la  fucceffion 
Apoftohque,  &  la  Jurifdidion  pour  le  fpirituel  fur  tous  les 
Chrétiens  :  Qu'il  avoit  aufli  une  puifiànce  temporelle  fur  le  pa- 
trimoine de  l'Eglife  :  Que  le  Pape  &  le  Roi ,  quoique  fournis 
eux-mêmes  aux  loix,  pouvoient  en  difpenfer  leurs  fujets  ;  Que 
l'autorité  du  Pape  étoitfupérieure  à  celle  des  Conciles  ;  &  celle 
du  Roi  au-defliis  des  Etats  généraux.  Une  autre  de  fes  propo- 
fitions  étoit ,  que  la  feule  peiifée  faifoit  quelquefois  encourir 
l'excommunication  :  Que  la  faute  d'un  feul  particulier  attiroit 
fouvent  une  jufte  excommunication  fur  une  famille ,  &  mê- 
me fur  une  ville  entière. 

Les  gens  du  Roi  ayant  eu  connoiflance  de  ces  propofitions.ne 
crurent  pas  devoir  garder  le  filence.  Ils  s'apperçurent  que  fous 
des  termes  captieux,  Creighton  enveloppoit  une  dodrine  con- 
traire à  l'ancienne  difcipline  de  l'Eglife,  à  la  paix,  &à  lâcha- 
nte Chrétienne ,  &  que  par  un  artifice  criminel  il  confondoit 
le  pouvoir  Apoftolique  avec  la  puiflance  Royale ,  quoique  ces 
deux  chofes  fufTent  entièrement  différentes.  Le  Parlement  ap- 
prouva leur  cenfure ,  &  ayant  décrété  Creighton ,  les  Gens  du 
Roi  (  )  lui  firent  une  vive  réprimande,  &  lui  défendirent  de  fou- 
tenir  fa  Thefe.  Celui-ci  ayant  demandé  le  lendemain  qu'après 
avoir  rayé  la  propofition,  qui  mettoit  le  Pape  au-delTus  du 

(i)  Procuration'! s  RcgiA  tns  viri.  II  n'y  avoit  alors  (jue  deux  Avocats  généraux  &  le 
Procureur  gén^ralj 

A  iij 


a  .^  U  î  t  E  D  E   L*  HISTOIRE 

Concile ,  on  lui  permît  de  foûtenir  le  refte ,  les  Gens  du  Roî 

ne  jugèrent  pas  à  propos  de  lui  accorder  fa  demande;  ils  en 

Henri  pj;i]:ent  même  occafion  d'enjoindre  aux  ProfelTeurs  en  droit , 

^  ^'      qu'ils  euiTent  à  prendre  garde  à  l'avenir  que  perfonne  n'eût  la 

I  007.    témérité  de  foûtenir  de  pareils  fentimens. 

Le  Parlement  rendit  un  Arrêt  en  conformité  le  20  de  De-  " 
cembre.  Les  Profefleurs  &  Creighton  ayant  été  mandés,  Har- 
lay  premier  Préfident  leur  dit  avec  févérité ,  que  la  Cour  leur 
défendoit  de  mettre  en  difpute  aucunes  propofitions  fur  ces 
fortes  de  matières.  L'âge  de  Creighton  que  fon  habileté  met- 
toit  au-delTus  des  Grammairiens  ordinaires ,  &  les  prières  de 
plufieurs  membres  du  Parlement ,  qu'il  avoit  dirigés  dans  leurs 
études ,  furent  caufe  qu'on  ne  pafla  pas  outre  à  fon  égard. 
Affaire  du       il  Y  ^ut  cette  année  au  grand  Confeil  une  affaire  qui  fit  beau- 
Privilège  de  coup  de  btuit.  Jacquc  de  Thou  parle  dans  fes  annales  de  la 
^  ^'^"^^        fable  du  Dragon  de  Rouen,  &  du  Privilège  qu'on  dit  avoir 
été  accordé  fous  le  règne  de  Dagobert  à  S.  Oûen,  après  la  m.ort 
de  S.  Romain.  Guillaume  Pehu  de  la  Mothe  alléguoit  ce  pri- 
vilège pour  éviter  la  punition  d'un  meurtre,  dans  lequel  il  avoit 
trempé  avec  le  marquis  d'Alegre  (') ,  qui  étant  allé  faluer  feize 
ans  auparavant  François  de  Montmorenci  du  Hallot ,  l'avoit 
inhumainement  alfalTuié  en  l'embraflant.  L'Archevêque  &  le 
Chapitre  de  Rouen  demandoient  que  Pehu  fût  renvoyé,  par- 
ce qu'autrement  on  donneroit  atteinte  aux  droits  de  leur  Eglife. 
Ils  ajoûtoient  que  le  coupable  ayant  eu  leurs  fuffrages ,  avoit 
levé  folemnellement  la  Fierté  {^)  5  qu'ayant  expié  fon  crime  de 
cette  manière ,  il  n'étoit  plus  permis  de  faire  aucunes  pour- 
fuites  contre  lui. 

Denis  Bouthillier  célèbre  Avocat ,  parla  pour  la  veuve  de 
du  Hallot,  &  foûtint  que  tout  ce  qu'on  difoit  de  ce  Dragon  fi 
terrible,  de  la  délivrance  d'un  criminel  à  cette  occafion,  &  de 
la  conceffion  du  privilège  faite  à  S.  Oùen ,  n'étoit  qu'une  fable: 
Que  des  Juges  zélés  pour  la  pureté  de  nôtre  Religion,  ne  dé- 
voient pas  fouffrir  qu'on  donnât  pour  un  miracle  certain  «5c 
avéré ,  une  fidion ,  dont  tous  les  Ecrivains  depuis  Dagobert, 
qui  regnoitil  y  a  mille  ans,  ne  font  aucune  mention  ;  &  que 
fous  prétexte  de  dévotion ,  on  dérobât  des  fcélérats  à  la  jufte 

(i)Chriftophlc. 

(i)  Nom  qu'on  a  donné  à  la  ChâfTe  de  S.  Romain* 


D  E  J.  A.   D  E  T  H  O  U,  L  I  V.  L  *j 

rigueur  des  loix  :  Que  les  titres  fur  lefquels  ce  prétendu  privi-  ^ 
lége  étoit  appuyé ,  n  étoient  pas  fort  anciens ,  n'ayant  été  ac-  ~ 
cordés  aux  habitans  de  Rouen  que  fous  le  règne  de  Louis  XII;  ^  ?J  ^ 
Qu'il  n^étoit  pas  étonnant  que  des  gens,  qui  couvroient  leur  ^. 
ambition  du  voile  de  la  pieté,  eufient  furpris  la  religion  des  ^  *^^^' 
Miniilres  de  ce  bon  Roi ,  qui  étoit  alors  occupé  à  faire  la  guer- 
re 5  d'ailleurs  dans  un  tems,  où  la  France  étoit  plongée  dans  les 
ténèbres  d'une  profonde  ignorance  :  Qu'il  y  auroit  de  la  folie, 
aujourd'hui  que  ces  ténèbres  étoient  diffipées ,  à  fe  faire  illu^ 
iion  fur  ce  fait,  dont  il  étoit  aifé  de  découvrir  la  fauÛeté^  en 
confultant  les  chroniques  d'Adon  &  de  Sigebert,  où  l'on  voit 
que  le  roi  Dagobert  eft  mort  trois  ans  avant  S.  Romain  :  Que 
par  un  abus  intolérable  qui  fe  perpétuoit ,  les  afîafïînats  prémé- 
dités, lepoifon,  l'adultère,  le  parricide,  le  viol,  &  d'autres 
crimes  énormes ,  demeuroient  impunis  à  l'abri  de  ce  privi- 
lège ,  qui  fans  s'arrêter  à  la  fable  qu'on  lui  donnoit  pour  fon- 
dement ,  avoit  pu  être  toléré  ,  en  confidération  de  l'Evêque, 
pour  des  homicides  involontaires  :  Qu'il  s'étendoit  même  in- 
diftindemenf  fur  les  coupables  &  les  complices.  Il  ajouta  que 
les  habitans  de  Rouen  ayant  indifcrétement  prefîe  le  Roi  en 
1 5*9 7.  de  leur  accorder  des  lettres  de  confirmation  de  ce  pri- 
vilège ,  ce  Prince  éclairé  avoit  ordonné  qu'il  n' auroit  point  lieu 
dans  la  fuite  pour  les  criminels  de  leze-Majefté  divine  &  hu- 
maine, les  faux-monnoyeurs,  les  aflaflins,  &  le  viol  :  Que 
Pehu  lui-même  n'avoitpas  fi  fort  compté  fur  ce  privilège ,  qu'il 
n'eût  eu  la  précaution  d'obtenir  des  lettres  d'abolition  dans 
cette  affaire ,  dont  la  connoiflance  avoit  été  renvoyée  aux  Ju- 
ges ,  qui  dévoient  examiner  les  chofes  avec  toute  l'équité  dont 
ils  étoient  capables  :  Que  le  fleur  du  Hallot  étant  Lieutenant 
général  de  Normandie ,  le  meurtre  de  fa  performe  commis 
dans  cette  Province  emportoit  avec  lui  le  crime  de  leze-Ma- 
jefté  :  Que  le  Confeil  du  Roi  Tavoit  ainfi  décidé  ;  décifîon  que 
le  Parlement  de  Rouen  avoit  confirmée  par  un  Arrêt  :  Qu'on 
avoit  déjà  fait  mourir  deux  complices  du  crime  de  i'accufé  : 
a  Héfiterez-vous,  Meffieurs,  ajouta  Bouthillier,  à  prononcer 
?»  contre  un  criminel  déjà  tant  de  fois  condamné  ?  LailTerez- 
»  vous  vivre  plus  long-tems  un  cruel  affaflin,  dont  l'haleine 
OD  empoifonnée  corrompt,  pourainfi  dire  ,  l'air  que  nous  ref- 
»  pirons  fous  cet  heureux  règne  f  » 


s  s  UITEDEL*  HISTOIRE 

Jacqiie  Foullé  Avocat  du  Roi  au  grand  Confeil ,  ayant  alors 

__  ^-^i^i^p^Yole ,  fe moqua  de  la  fable  du  Dragon,  &  s'oppofa 

H  E  N  R  I  ^  j^  demande  des  habitans  de  Rouen.   Il  dit  que  la  faufleté 

.   ■*•  ^*        de  cette  hiftoire  étant  avérée,  il  falloir  annuller  les  Edits  de 

'I  007.     Louis  XIÎ.  &  de  fes  Succeffeurs,  qui  avoient  été  furpris  fur 

un  faux  expofé.  Il  ajouta  qu'il  ne  manqueroit  pas  d'en  parler  à 

Sa  Majefté,  de  concert  avec  fes  collègues  :  Qu'en  attendant  il 

demandoit  ade  de  fon  oppfition  :  Qu'au  refte  Pehu   étant; 

atteint  &  convaincu  de  crime  de  leze-Majeilé,  le  privilège 

ne  pouvoir  avoir  lieu  à  fon  égard  5  &  que  par  conféquent  rien 

n'empêchoit  qu'on  n'infcruisît  fon  procès  en  la  manière  accou- 

tiimée. 

Les  Juges  ayant  été  aux  opinions ,  donnèrent  ade  à  l'Avo- 
cat du  Roi  de  fon  oppofition ,  &  ordonnèrent  un  délibéré. 
L'affaire  ayant  été  agitée  dans  une  féance  le  24  de  Décembre, 
l'intervention  des  habitans  de  Rouen  fut  déclarée  mal  fondée  ; 
&  la  Corn*  ordonna  qu'il  feroit  procédé  à  l'inftrudion  du  pro- 
cès de  Pehu  dansles  régies  ordinaires.  Deux  ans  après,  intervint 
Arrêt  définitif  du  grand  Confeil ,  qui  faifant  grâce  de  la  vie 
au  criminel ,  en  confidération  des  lettres  d'abolition  qu'il  avoic 
obtenues,  le  condamnoit  à  ne  paroître  de  neuf  années  à  la 
Cour,  &  dans  toute  l'étendue  de  la  Normandie,  &  confif- 
quoit  une  partie  de  fes  biens. 

Après  le  jugement  de  cette  affaire,  on  écrivit  pour  &  con- 
tre l'hiftoire  du  Dragon  5  les  uns  la  traitoient  de  fable ,  les 
autres  la  prétendoient  fondée  fur  un  miracle  inconteftable.  Il 
parut  à  cette  occafion  une  vie  de  S.  Romain ,  écrite  quatre 
cens  ans  auparavant ,  &  tirée  du  livre  indiqué  par  Jacque  de 
Thou.  L'auteiu'  de  cette  hiftoire  rapporte  à  la  vérité  les  mira- 
cles du  faint  Evêque  j  mais  il  ne  parle  en  aucune  manière  du 
Dragon ,  du  criminel ,  ni  du  privilège  î  on  eut  même  la  cu- 
riolîté  d'examiner  les  bréviaires  de  l'Eglife  de  Rouen ,  qui  n'en 
font  aucune  mention  5  mais  on  trouve  dans  tous  ces  livres  qu'y 
ayant  eu  du  tems  de  S.  Romain  une  inondation ,  qui  fut  fur  le 
point  de  fubmerger  la  ville,le  faint  Prélat  plein  de  confiance  & 
de  foi ,  avoit  commandé  aux  eaux ,  après  une  fervente  prière, 
de  rentrer  dans  leur  lit  j  qu'elles  obéirent  à  fa  voix ,  ôç  ne  fe 
débordèrent  plus  dans  la  fuite. 

Lçs  gens  éclairés  çonjedurerent  que  ce  fait  avoit  donné 

lieu 


DE  J.  A.  DE  TROU,   Lrv.  T.  p 

lieu  à  la  fable  ,  &  que  les  Poètes  ayant  célèbre  ce  miracle  avec 
la  liberté  qu'ils  fe  donnent  d'embellir  toutes  chofes,  avoient 
donné  à  ce  débordement  le  nom  de  Dragon ,  que  les  habi-  "  e  n  r  t 
tans   du  pais  appellent  aujourd'hui  Gargouille^  terme  qui  îî-        ^^• 
gnifie  inondation  :  Qu'enfin  tous  cesfaits  prodigieux  d'une  hy-     ^  ^  ^  7».  , 
dre  terrible  ,  d'un  Dragon  traîné  avec  une  étole,  d'un  criminel 
délivré  pour  dompter  ce  monftre ,  &  du  privilège  accordé  par 
le  roi  Dagobert,  n'étoient  que  l'ouvrage   de  l'imagination 
échauffée  des  Poètes ,  qui  s'exercèrent  fur  ce  fujet.  Cependant 
tous  ces  prétendus  prodiges  font  fi  profondement  graves  dans' 
l'efprit  du  petit  peuple ,  qu'il  faudroit  un  autre  S.  Romain  pour 
en  effacer  les  traces. 

Les  regiftres  du  même  Tribunal  contiennent  des  monumens  ,  AiTairc  de 
en  faveur  des  libertés  de  l'Eglife  Gallicane.  Il  eft  néceffaire  de  senUs'^concre 
ïeprendre  l'hiftoire  de  plus  loin ,  pour  éclaircir  ce  fait.  L'année  Ton  chapitre, 
précédente  Guillaume  Roze  évéque  de  Senlis  étoit  entré  en 
procès  avec  les  Chanoines  de  fa  Cathédrale ,  qui  prétendoient 
avoir  droit  de  donner  des  démiffoires  aux  Chanoines  de  leur 
Lglife ,  qui  prenoient  les  Ordres  dans  d'autres  Diocèfes.  L'E-. 
vêque  foutenoit  defoncôté  que  ce  droit  n'appartenoit  qu'à  lui. 
On  lui  oppofoit  une  poffefllon  &  une  prefcription  de  tems  im- 
mémorial. L'Avocat  àQS  Chanoines  ayant  fait  un  mémoire ,  y 
rapporta  les  anciens  ufages  de  l'Eglifej  il  dit  qu'il  y  avoit  eu  autre- 
fois  des  Presbytéres.oumaifons  dans  lefquelles  plufieurs  Prêtres 
demem-oient  enfemble ,  &  faifoient  avec  l'Evêque,  qui  étoit 
le  chef  du  Presbitére  ,  toutes  les  fondions  Paftorales  :  Qu'ik 
avoient  même  table ,  même  autorité,  même  jurifdidion,  àc 
même  dignité  dans  l'Eglife  :  Que  c'étoit  ain(î  que  S.  Paul  de- 
meurant avec  plufieurs  Prêtres  avoit  ordonné  Timothée,  au- 
quel tous  les  Prêtres  avoient  impofé  les  mains  avec  l'Apôtre  : 
Que  les  Conciles  de  Carthage,  d'Antioche  ,  &  les  anciens 
Conciles  n'avoient  point  connu  d'autre  difcipHne  :  Que  c'étoit 
auffi  le  fentinient  de  S.  Jérôme ,  ce  fçavant  Père  de  l'Eglife  : 
Mais  qu  enliTite  pour  contenir  dans  les  bornes  cette  efpece  de 
focieté  léonine ,  il  avoit  fallu  partager  la  jurifdidion  commu-' 
ne  :  Que  les  chofes  avoient  alors  été  partagées,  la  jurifdidion 
&  les  biens  divifés ,  de  manière  que  l'on  voyoit  dans  pliifieurs 
Eglifes  un  Chapitre,  qui  étoit  autrefois  le  Confeil  de  i'Evequc, 
indépendant,  avec  une  jurifdidion  à  part ,  auiH  ancienne  quç 
Tems  XF,  B 


jo  StriTE  DE  L'HISTOIRE 

celle  derEvêquèmême  :  Qu'ainfi  les  Chanoines  de  Senlis  ne 

Henri  f^^^'^^^^f  qu'tifer  de  leur  droit ,  en  donnant ,  même  pendant 

jy^        que  le  Siège  étoit  rempli,  des  démiffoires  à  leurs  collègues  , 

j  607,     comme  ils  avoient  droit  d'en  donner  à  tous  les  Clercs  fans  dif- 

tindion  pendant  fa  vacance. 

L'Evêque  de  Senlis  n'ayant  pu  lire  ce  mémoire  fans  colère  , 
préfenta  une  requête  au  Chancelier,&  au  Confeil  privé  du  Roi, 
par  laquelle  il  demanda  la  permiflTion  de  faire  examiner  le  mé- 
moire en  queftion  par  des  Dodeurs  de  Sorbonne.  On  n'eut 
aucun  égard  à  fa  requête  î  &  Ton  regarda  comme  une  chofe 
d'un  exemple  dangereux  ,  de  porter  devant  des  Juges  ecclé^ 
fiaftiques ,  un  mémoire  écrit  dans  une  affaire  dont  une  jurifdic- 
tion  Royale  étoit  faille.  Ainfî  on  lui  rendit  fa  requête  fans  la  ré- 
pondre j  manière  douce  de  lui  faire  comprendre  ce  qu'on  en 
penfoit. 
L'Evêque  de      -^^^  Chanoines  ayant  gagné  leur  procès  au  grand  Confeil  le 
Senlis dénon-  20  dc  Mars  de  l'année   1606.  leur  Avocat  ne  penfoit  à  rien 
bl'^d^'^S"^'  ^^"^oii^s  qu'à  l'affaire  que  lui  fafcita  l'Evêque  de  Senlis,  irrité 
gé  le  mémoi-  Contre  lui.  Ce  Prélat  ofa  le  dénoncer  aux  Evêques  affemblés  à 
redei'Avocat  Paris,  dans  le  Couvcntdes  Auguftins ,  pour  recevoir  les  corn- 
orties,  p^^^  jg  Jean  Caftille ,  receveur  général  du  Clergé.  Cette  dé- 
nonciation étoit  aufli  injufte  ,  que  téméraire  :  car  l'Evêque  ne 
pouvoir  ignorer  qu'il  étoit  contre  nos  ufages  &  nos  droits,  de 
porter  devant  des  Evêques  une  affaire  décidée  par  une  Cour 
fouveiraine  :  les  Evêques  n'avoient  point  été  commis  pour  l'e- 
xaminer, &  le  Roi  ne  leur  avoir  point  permis  de  s'allembler 
pour  de  pareilles  difcuiïlons.  Il  parut  néanmoins  le  23  d'Avrii 
ime  fentence  ou  cenfure ,  en  forme  d'ade  de  cette  aifemblée, 
^ui  contenoit  en  abrégé  le  mémoire  des  Chanoines ,  dans  le- 
quel on  avoir  ajouté ,  retranché,  &  changé  les  termes  ;  elle  le 
dèclaroit contraire  au  droit  divin,  &  à  l'ancienne  difcipline, 
&  le  taxoit  de  fauffeté ,  d'hèrèfie ,  &  d'impiété.  Les  Agens  du 
Clergé  eurent  ordre  d'enregiftrer  cette  fentence. 
f..  L'Avocat  auteur  du  mémoire,  qui  apprit  que  TEvêque  de 
Senlis  répandoit  dans  le  public  des  copies  de  cette  cenfure , 
ne  voulant  pas  qu'on  pût  lui  reprocher  d'avoir  abandonné  fa 
propre  caufe,  en  porta  fes  plaintes  au  Tribunal  qui  avoit  jugé 
fur  le  fonds  de  l'affaire.  Il  dit  qu'il  avoit  reçu  un  outrage  fan- 
glant,  auquel  il  ne  devoit  pas  s'attendre  delà  part  d'un  Evêquei 


E  N   R 


DB  J.  A.  DE  THDU,  Lîv.  î.  ii 

Qu'on  débitoit  un  libelle  injurieux  contre  lui ,  fous  le  tkre  de 
cenfure  :  Qu'on  l'avoir  condamné ,  fans  l'entendre ,  &  fans  lui  n  _ 
lailVer  les  moyens  de  fe  défendre  :  Qu'il  n'y  avoir  rien  dans  fon        j  y 
mémoire  ,  qui  ne  fut  conforme  à  la  difcipline  de  la  primitive     j  601* 
Eglife  >  mais  qu'on  l'avoit  altéré  &  mutilé  :  Qu'ainii  l'Evcque 
étoit  doublement  coupable,  &  pour  avoir  déchiré  fa  réputation, 
èc  pour  l'avoir  calomnié. 

L'Evêque  ayant  été  aiïigné ,  poiu*  être  oui ,  fît  tous  fes  efforts  L'Evcque  ic 
pour  engager  les  Chanoines  à  défavoiier  le  mémoire  de  leur  ^^^^^  ^^  f'^' 
Avocat ,  ôc.  a  en  demander  la  condamnation  :  mais  n  ayant  uui  au  grand 
pu  rien  obtenir  d'eux ,  il  ne  jugea  pas  à  propos  de  comparoitre  ;  Confcil ,  &  la 
c'eft  poiu'quoi  il  fut  condamné  par  contumace  le  22  de  De-  Evêq"e!  cft 
cembre  ;  la  fentence  des  Evêques  déclarée  nulle  &  abuiîve,  déclarée  nul- 
avec  irijondion  de  la  biffer  &  de  la  rayer  dans  les  regiftres  oà  ^^^  abuive, 
elle  avoir  été  inférée  ;  &  en  outre  expreffes  défenfes  à  Guillau- 
me Roze ,  &  à  tous  autres  de  s'en  fervir ,  fous  peine  de  faux. 

Quelques  jours  avant  ce  jugement,  les  Agens  du  Clergé 
étoient  allé  trouver  le  Chancelier,  pour  faire  ceffer  les  pour- 
fuites  5  ils  dirent  qu'ils  étoient  prêts  à  remettre,  en  fa  préfence  , 
&  devant  le  Préfident  du  grand  Confeil ,  entre  les  mains  du 
demandeiu',  l'original  de  cette  cenfure  :  Qu'ils  déclareroient 
qu'elle  n'étoit  point  l'ouvrage  de  l'affemblée  des  Evêques. 
Mais  l'Avocat  des  Chanoines  ne  fe  contentant  pas  de  cette  fa- 
tisfadion ,  &  voulant  avoir  un  Arrêt  autentique  en  fa  faveur , 
on  fut  obligé  de  fuivre  le  cours  ordinaire  de  la  procédure. 

L'injuftice  s'introduit  fouvent  dans  le  droit  à  la  faveiu-  de  la      Affaire  Ju 
juftice ,  comme  l'impiété  fe  gliffe  quelquefois  dans  la  Religion  Senatus-Coi> 
fous  le  voile  de  la  pieté.  Le  Senatus-Confulte  Velleien ,  qili  ^"^'^^  e'ieica. 
a  été  fait  autrefois ,  pour  régler  tout  ce  qui  regarde  les  obliga- 
,  tions  que  les  femmes  pourroientcontrader ,  en  fe  donnant  pour 
cautions ,  leur  interdit  en  cette  qualité  toute  adion,  foit  en  de- 
mandant, foit  en  défendant.  Ce  règlement  fi  fage ,  eu  égard 
à  la  foibleffe  de  ce  fexe ,  commença  dans  la  fuite  à  n'être  plus 
obfervé ,  fous  prétexte  qu'il  faifoit  naître  des  difficultés  &  des 
embarras  dans  les  affaires  ;  on  le  négligea  d'abord  dans  les 
tranfports  de  dettes ,  &dans  les  tutelles  5  on  n'y  eut  bientôt 
plus  d'égard  ,  dans  toute  forte   de   fide-juffions  ,  en  ftipu- 
lant  la  claufe  ,  de  renoncer  au   bénéfice   du  Senatus-Con- 
-fulte  Velleien.  Cette  pratique  frauduleufe,  qui  étoit  déjà  ca 

B  ij 


woj  w.vs>yrj^9^ii'i9cassi 


12  SUITE  DE  L'HISTOIRE 

lîfage  du  tcms  des  Jiirifconfultes  Grecs ,  comme  on  peut  le  voir 
par  les  Bafiliques,  fut  connue  des  Romains ,  qui  l'ont  tranfmife 
^  J^  ^  ^  aux  François.  Nos  Praticiens  l'avoient  répandue  dans  toutes  les 
Jurifdidions  du  Royaume,  ou  elle  avoit  donné  lieu  à  deux 
"^  grands  inconvéniens  :  car  les  femmes ,  à  la  faveur  de  ce  Sena- 

tus-Confulte ,  renonçoient  à  leurs  engagemens  aulTi  facilement, 
qu'elles  les  avoient  contradés.  La  mauvaife  foi  ou  la  négli- 
gence des  Notaires  &  des  Tabellions,  qui  n'inféroient ,  oii  n'ex» 
pliquoient  par  la  formule  de  renonciation  au  bénéfice  du  Se- 
natus-Confulte  Velleien  (  quoiqu'au  fond  cette  renonciation  fut 
inutile  )  ruinoit  la  fureté  des  contrats  5  &  les  Juges  livrés  à  des 
fcrupules  frivoles  n'ofoient  la  rétablir.  Enfin  tous  les  Sièges  du 
Royaume  n'étant  occupés  qu'à  juger  de  ces  fortes  d'affaires,  on 
ouvrit  enfin  les  yeux ,  &  on  reconnut  l'abus  qui  s'étoit  intro- 
duit fous  le  nom  même  de  la  Juftice.  Le  Parlement  enregiftra 
le  23  de  Mai  un  Edit,  qui  défendoit  de  faire  mention  du  Sena- 
tus  -  Confulte  Velleïen  dans  les  obligations  des  femmes  ? 
ordonnant  qu'à  l'avenir  telles  obligations  feroient  bonnes  &  var 
.labiés ,  fans  toutesfois  donner  atteinte  aux  chofes  précédem- 
mentjugées. 

Pomponne  de  BelUevre  Chancelier  de  France,  mourut  à  Pa- 

l'ev^"ch^ance'  ^^^  ^^^^  ^^^  ^ë^  ^^^^  avaucé  le  5  de  Septembre  ;  il  fçut  avant  fa 
lier  de  France,  mort  par  qui  fa  place  devoir  être  remplie.  Nicolas  Brulart  de 
Silleri,  qui  avoit  été  fait  vice-Chancelier  deux  ans  auparavant^ 
devoir,  fuivant  une  claufe  de  fes  Lettres  patentes,  être  revê- 
tu de  cette  dignité ,  auffitôt  après  la  mort  de  Pomponne.  Ce 
dernier  eut  la  confolation  de  lailler  un  fils  digne  de  lui  par  fes 
vertus,  qui  avoit  cpoufé  la  fille  de  Silleri. 
Mort  da  Ce  n'eft  pas  la  coutume  que  nos  Rois  rendent  les  derniers 
Carainai  Ba-  dcvoirs  aux  Cardinaux  de  l'Egliie  Romaine  ,  fur  tout  lorfqu'ils 
font  étrangers.  Cependant  le  Roi  fit  faire  un  fervice  dans  la 
Cathédrale  de  Paris  pour  le  cardinal  Baronius ,  comme  on 
avoit  fait  tout  récemment  pour  le  cardinal  Toletj  ce  fut  eix^ 
confidération  des  fervices  qu'on  dit  que  ces  deux  Cardinaux 
avoient  rendus  au  Roi ,  en  travaillant  avec  ardeur  à  lui  rendre 
le  Pape  favorable  après  fon  abjuration.  Baronius  ctoit  d'une 
.honnête  famille  deSora  dans  la  Campagne  de  Rome.  Ayant 
-achevé  fes  premières  études ,  il  s'appliqua  à  celle  de  l'Hliloire 
Lcciéiîafiique ,  6c  publia  unMartyroioge  avec  des  notes  trcsr 


ro-niii?,  ,S;  [on 
éloge. 


DE  J.  A.  DE  THOU,  Liv.  T.  19 

içavantes.  Enfuite  pour  donner  des  armes  à  l'Eglife  Romahiô 
contre  les  Centiiriateurs  de  Magdebourg ,  il  compofa  fes  an- 
nales Eccléfiaftiques  ,  après  avoir  confulté  avec  beaucoup  de 
foin  les  Hiftoriens  originaux ,  qu'il  tranfcrit  fouvent  mot  pour 
mot.  Dans  tout  le  corps  de  cet  ouvrage ,  il  s'efforce  de  prou- 
ver que  le  Pape  a  droit  de  commander  fouverainement  à  tou- 
tes les  Eglifes ,  &  à  toutes  les  Puiflances  du  monde  entier ,  en 
qualité  de  Vicaire  de  Dieu  fur  la  terre  j  &  en  vertu  d'un  pou- 
voir donné  par  Jefus-Chrift  à  S.  Pierre.  Baronius  fut  humble , 
&  vécut  dans  le  Cardinalat ,  comme  un  limple  particulier ,  fans 
fe  laiffer  aveugler  par  l'ambition ,  &  par  le  déiir  de  dominer.  A 
la  mort  du  Pape  Clément  VIIÏ.  les  Cardinaux  partagés  en  diffé- 
rentes fa£l:ions,  ayant  enfin ,  après  de  grands  mouvemensdans 
le  Conclave ,  jette  les  yeux  (ur  Baronius ,  il  refufa  conftam- 
ment  de  fe  laiffer  conduire  à  l'Autel ,  ou  à  la  Chaire  d'adora- 
tion, vers  laquelle  on  l'entraînoit  déjà.  Il  mourut  âgé  de  foi- 
xante-netff  ans.  On  trouva  dans  fes  papiers  fecrets  un  écrit ,  où 
il  marquoit  qu'il  avoir  compofé  lQS  annales  Eccléiiaftiques  de- 
puis fon  année  climatérique ,  jufqu'à  l'an  ï6oj.  au-deffous  il 
avoir  marqué  l'année  6p  ,  que  Dieu  lui  avoir  fait  connoî- 
tre  en  fonge  devoir  être  fa  dernière  années  révélation  dont  il 
avoit  fait  part  à  fes  amis  les  plus  incimes.  Il  mourut  dans  une 
grande  tranquillité ,  confervant  jufqu'au  dernier  foupir  toute  îa 
vigueur  de  fon  efprit ,  &  toutes  les  forces  de  fon  corps  ;  à  la 
réferve  de  fon  eftomach ,  qui  ne  pouvoir  plus  digérer ,  &  qui 
lui  caufoit  de  grandes  douleurs.  Ce  mal  qui  l'avoir  rendu  très- 
foible  depuis  plus  d'un  an ,  lui  f.ùfoit  trouver  du  dégoût  dans 
les  alimens  néceffaires  à  la  vie.  Les  Cardinaux  affilièrent  à  fes 
funérailles  en  robe  violette.    Son  corps  fut   mis   dans   un 
coffre  de  cèdre  ,  couvert  d'un  cercueil  de  plomb  revêtu  de 
bois  defapin,  &  dépofé  dans  l'Eglife  de  fainte  Marie  in  P^aîli^ 
cella  j  il  y  eut  à  l'es  obféques  un  grand  concours  du  peuple 
attiré  par  la  curiofité,  &  par  le  défir  de  toucher  les  reliques 
d'un  homme  mort  en  odeiu-  de  fainteté. 

Cette  même  année  le  cardinal  Cliarle  de  Lorraine,  fils  de 
Charle  duc  de  Lorraine ,  &  petit-fils  de  Henri  II.  roi  de  France 
par  la  princeffe  Claude ,  ceffa  de  vivre ,  ou  plutôt  de  fouffirir. 
Il  poffédoit  deux  Evêchés  à  la  fois  ,  celui  de  Mets ,  &  celui  de 
Strasbourg-,  fardeau  que  les  plus  forts  ne  fe  feroient  pas  crû 

Biij 


He  n  r 

IV. 

I  5  0  7. 

-14  SUITB  DE  L'HISTOIPvE 

'Capables  de  porter  dans  les  premiers  tems  de  TEglife. 
Henri       ^^  ^^  ^^^^  P^^  inutile  à  la  poftérité  de  rapporter  ici  un  nou- 
j  Y        -veau  voyage  des  François  en  Canada ,  d'où  ils  revinrent  cet- 
I  (5o  7.     ^^  année.  Du  Mont  ayant  abandonné  i'ifle  de  fainte  Croix  l'an- 
née précédente ,  &  tranfporté  fa  Colonie  à  Port-Royal ,  où  il 
Voyage  es  £        établillcment ,  avoit  eu  foin  à  fon  retour  en  France  ,  de 

rrançnis  en  ^ 

Canada.         ffc  munir  de  toutes  les  chofes  néceffaires  pour  l'agrandilTement 
>de  fa  peuplade.  Il  embarqua  cinquante  hommes  fur  un  vaifleau, 
.pour  aller  retrouver  ceux  qu'il  avoit  laifTés  en  Canada,  fuivant 
îa  promeffe  qu'il  leur    en  avoit  faite.    Gn  mit  à  la  tête  de 
l'entreprife   Poutrincour  lieutenant  de  du   Mont  ,  qui  après 
-avoir  été  long-tems  retenu  par  les  vents  contraires ,  mouilla  en- 
fin le  27  d'Août  au  Port-Royal  ;  d'où  Pongravé  &  Cham- 
iplain  lalîes  de  l'attendre,  &  défefperans  d'avoir  du  fecours, 
>    -etoient  partis  le  quatre  pour  retourner  en  France.  Poutrincour 
•foupçonnant  ce  qui  étoit  arrivé ,  avoit  envoyé  devant  lui  Rai- 
leau  dans  une  chaloupe,  pour  les  ramener.  Son  arrivée  rem- 
*  -plit  de  joye  Pongravé  ,    qui  fit  auilltôt  route    du   côté   de 

Port-Royal ,  où  il  s'aboucha  avec  Poutrincour.  Ils  arrêtèrent 
■enfemble ,  que  la  faifon  étant  trop  avancée ,  pour  pénétter  dans 
*  les  terres,  il  falloir  en  attendant  éprouver  la  bonté  du  terroir , 

en  femant  des  grains ,  &  parcourir  le  pais  aux  environs  pour 
jdécouvrir  les  avantages  qui  pourroient  s'y  rencontrer.  Poutrin- 
cour vifita  l'iile  de  fainte  Croix ,  où  du  Mont  avoit  fait  hiverner 
fon  équipage  5  &  il  vit  qu'il  y  avoit  eu  cette  année  une  grande 
abondance  de  bled ,  &  de  légumes. 

Secondon  &  Meffamoùet  Sauvages  ,  qu'on  avoit  connus 
^ans  les  voyages  précédents ,  montèrent  dans  la  chaloupe  de 
Poutrincour.  Etant  arrivés  à  Chovacoùet ,  ils  faluerent  One- 
mechin  &  Marchin ,  qui  revenoient  de  couper  les  bleds.  Ils  fe 
firent  des  prefens  réciproques.  Meflàmoûet  domia  à  Oneme^ 
chin  des  chaudrons ,  des  haches,  &  des  couteaux,  dont  Pou- 
trincour lui  avoit  fait  prefent.  Onemechin  lui  donna  de  fon 
côté  des  citrouilles,  du  bled  d'inde,  &  des  fèves  duBrcill. 
Après  avoir  navigé  une  lieuë ,  ils  découvrirent  une  terre, 
.qui  outre  un  grand  nombre  de  noyers  &  de  chênes ,  portoit 
-beaucoup  de  raifins ,  de  pois ,  &  de  citrouilles.  Ayant  pris  terre, 
ils  comptèrent jufqu'à  deux  cens  Sauvages,  qui  ne  différent 
ides  animaux  brutes,  qu'en  ce  qu'ils  reconnoilTent  un  Roi, 


DE  J.  A.  DE  TPIOU,  Liv.  I.  i^ 

qu'ils  appellent  Quiouhamenec.    Ce  barbare  s'avança  tran-  . 
quillement  vers  les  nôtres  pour  les  confidérer ,  ayant  avec  lui  h  ^  j.i  »  , 
Cohovepech  roi  d'un  peuple  voilin.  On  les  reçut  avec  beau-       t  y 
coup  de  civilité.  Le  lendemain.les  Sauvages  parurent  en  grand     ,  ^    * 
nombre,  armés  d'arcs  &  de  flèches.  Les  nôtres  croyant  d'à-  -' 

bord  qu'ils  étoient  venus  dans  le  deflein  de  les  attaquer ,  fe 
raflùrerent  enfuite ,  en  voyant  que  les  ruifleaux  dont  la  prairie 
ctoit  entrecoupée,  les  empêchoient  de  venir  à  eux.  Les  Sau^ 
vages  ne  les  laiiTerent  pas  long-tems  dans  l'inquiétude ,  car 
ayant  fait  un  monceau  de  leurs  armes  ,  ils  fe  mirent  à  danfer 
au  tour ,  comme  pour  témoigner  leur  joye.  Poutrincour  foup- 
çonnant  de  l'artifice  dans  cette  conduite ,  prit  avec  lui  huit  ar- 
quebulîers ,  ôc  s'alla  cacher  derrière  un  bois.  Les  Sauvages 
s' étant  apperçus  qu'on  leur  drelToit  des  embûches ,  firent  bon- 
ne contenance  ,  &  ne  fe  retirèrent  dans  leurs  cabanes ,  qu'a- 
près avoir  achevé  leurs  danfes. 

Ce  pais  n'eft  pas  inculte.  Les  habitans  coupent  les  arbres; 
ôc  brûlent  les  branches  entaflees  fur  les  troncs ,  qu'ils  arrachent 
ainfi  peu  à  peu.  La  terre  étant  échauffée  &  préparée  de  cette 
forte,  ils  y  jettent  des  femences  j  il  y  a  de  très-beaux  pâturages, 
&  le  port  eft  très-  fur  5  ce  qui  lui  a  fait  domier  par  les  François 
le  nom  de  Beauport. 

Le  dernier  jour  de  Septembre  Poutrincour  leva  l'anchre,  & 
ayant  doublé  le  Cap  de  S.  Louis ,  il  mit  à  la  voile  pour  le  Cap 
blanc.  Les  vents  l'obligèrent  de  jetter  l'anchre  à  cinq  lieues 
en  deçà  du  Cap  blanc,  où  il  arriva  à  la  faveur  d'un  bon  vent, 
&  de-là  il  fe  rendit  à  Malebarre.  Enfuite  ayant  avancé  fix  lieues^ 
il  fit  jetter  l'anchre  près  du  rivage  j  le  lendemain  il  navigea 
cinq  lieues  vers  le  Nord ,  &  alla  échouer  fur  des  bancs  de  fa- 
ble près  d'un  Cap ,  à  qui  le  danger,  qu'on  courut  de  faire  nau- 
frage ,  fit  donner  le  nom  de  Cap  Batturier. 

Le  jour  fuivant  il  alla  mouiller  au  Port  Fortuné ,  ou  fes  com- 
pagnons avoient  eu  le  malheur  de  périr.  Les  terres  font  fott 
cultivées  en  cet  endroit ,  &  les  coteaux  plantés  de  vignes  ; 
mais  les  habitans  s'appliquent  principalement  à  la  culture  du 
plat  pais.  Ils  font  d'une  couleur  brune ,  &  ne  fe  couvrent  que 
les  parties  naturelles  avec  des  feuilles  &  des  peaux,  étant  nuds 
du  refte  du  corps.  Ils  treflent  artiftement  leurs  cheveux  avec 
des  plumes  6c  de  petits  fi:uits.  Leurs  armes  font  l'arc,  les  flèches. 


Bm.-LB'jJjiJWJBrJWCT- 


Henri 


rd:  SUITE  DE  L'HISTOIRE  " 

ôc  une  maiïlië  noûeufe.  Tous  égaux  dans  la  paix,  ils  n'ont  de 
Rois  que  pendant  la  guerre  3  aucun  d'eux  ne  poflede  déterre 
que  ce  qu'il  en  faut,  pour  fournir  à  fa  fubliftance  ;  ils  bâtiifentfé- 
parémentau  bout  de  chaque  champ,  des  cabanes  aÛez  grandes, 
1007.  d'une  figure  ronde ,  &  couvertes  de  nattes.  Dans  ces  cabanes 
il  n'y  a  qu'un  ,  ou  deux  lits  placés  fur  des  pieux  élevés  à  un  pied 
de  terre.  Leur  nourriture  eft  du  bled  d'inde ,  qu'ils  gardent 
ainfi  pendant  l'hyver  ;  ils  le  couvrent  de  feuilles  fêches,  &  l'en- 
terrent enfuite  dans  des  monceaux  de  fable  qu'ils  font  fur  le 
penchant  des  collines.  La  mer  ell  fort  poifibnneufe  fur  leurs 
côtes ,  &il  y  a  une  grande  quantité  de  marfoùins,  qui  donnent 
îa  chalTe  jour  &  nuit  aux  petits  poiflbns.  Le  nombre  des  co- 
quillages &des  huitres  y  eft  infini  ;  ils  ont  beaucoup  d'oifeaux, 
&  l'on  trouve  dans  leur  païs  toutes  les  chofes  nécellàires  à  la 
vie. 

Tandis  que  les  François  parcouroient  le  païs,  les  Sauvages 
foupçonnerent  qu'ils  n'étoient  venus  que  pour  leur  faire  la 
guerre.  Dans  le  deflein  de  les  prévenir,  ils  abbatirent  leurs 
cabanes ,  firent  cacher  leurs  femmes  &  leurs  enfans  dans  les 
bois,  &  mirent  en  fureté  leurs  vivres,  &  tous  leurs  meubles ,. 
pour  être  plus  en  état  d'attaquer  &  de  fc  défendre.  Poutrincoiu* 
voyant  que  tous  cqs  mouvemens  fe  faifoient  contre  lui ,  donna 
ordre  à  fon  équipage  de  fe  retirer  promptement  à  bord  j  mais 
quelques-uns  n'écoutant  point  fes  ordres,  s'arrêtèrent  jufques 
bien  avant  dans  la  nuit  fous  un  pavillon ,  où  ils  furent  percés  de 
flèches  par  les  Sauvages  qui  furvinrent  ;  ils  portèrent  ainfi  la 
peine  de  leur  témérité.  Poutrincour  éveillé  au  bruit ,  defcendit 
à  terre  le  plus  promptement  qu'il  fut  poftlble,  pour  venger  la 
mort  de  fes  gens  ;  mais  les  Sauvages  fe  retirèrent  avec 
une  vitefte  incroyable  dans  le  lieu  de  leiu-  retraite ,  dont  ils 
connoiffoient  les  détours ,  &  que  les  étrangers  ne  pouvoient 
pénétrer. 

Les  François  quittèrent  ce  port  malheureux ,  6c  firent  voile 
vers  Narambegue.  Ils  remarquèrent  en  paflant  l'ifle  des  Monts 
déferts ,  le  Cap  de  Corneille ,  &  plufieurs  autres  ifles  entre 
Quinibequi  &  Narambegue.  Enfin  le  14  de  Novembre  ^  leur 
vaifteau  vint  mouiller  à  Port  Royal.  Peu  de  tems  après  j  arri- 
i^'crent  au  même  endroit  dans  leurs  canots ,  quelques  Sauvages 
de  Narembegue ,  fous  la  conduitç  d'Ovagimou.    Ce  Sauvage 

çtoit 


E   N   R  t 


DE  J.  A.  DE  THOU,  Lrv.  I.  17 

ctoit  fort  uni  avec  Beflabes  chef  de  la  rivière  de  Narambegiie,  ^« 
qui  lui  avoir  donné  le  corps  d'un  certain  Panounia  tué  dans  „ 
une  embulcade  par  les  Almouchiquois.  Ils  alloient  enterrer  ce       y  ^ 
Sauvage.    Après  l'avoir  expofé ,  ils  fe  noircirent  le  vifage ,       "      * 
pleurèrent  au  tour  du  mort ,  en  jettant  des  cris  affreux  ,  &  brû.-  '  "^ 

îerent  fur  le  rivage  deux  chiens ,  &  tout  ce  qui  avoit  apparte- 
nu à  Panounia ,  avec  beaucoup  de  tabac.  Le  cadavre  fut  en- 
fuite  porté  dans  une  cabane  j  ils  l'enveloppèrent  d'une  couver-- 
ture  que  les  François  leur  avoient  donnée,  &  lui  mirent  fur  la 
tête  un  tiffu  de  plumes ,  &  des  braflelets  de  différentes  couleurs; 
dans  cet  équipage  ils  le  mirent  à  genoux  entre  deux  perches, 
&  lui  en  pafferent  une  troiiiéme  fous  les  bras,  pour  le  foûtenir; 
les  femmes  célébrèrent  ces  funérailles  par  des  cris  lamentables. 
Pendant  cetems-là,  Mabretou  roi  de  ce  païs  animoit  les  af- 
fiftans  par  un  difcours  très-vif,  à  venger  la  mort  de  Panounia  ; 
après  quoi  ils  emportèrent  le  mort  dans  une  autre  cabane ,  6c 
l'ayant  une  féconde  fois  purifié  par  la  fumée  du  tabac,  ils  l'en- 
veloppèrent avec  foin  dans  une  peau  de  bœuf,  pour  le  con- 
ferver  jufqu'à  ce  que  les  parens  fe  fulfent  aflemblés  en  plus 
grand  nombre,  afin  que  le  frère  du  mort,  qui  étoit  fon  plus 
proche  parent,  reçût  plus  de  prefens ,  félon  la  coutume  de 
ces  Sauvages  en  pareille  occafion. 

Poutrincour  pafla  l!hy ver  dans  cet  endroit?  &  de  peur  que 
i'oifiveté  ne  fut  pernicieufe  à  fes  foldats ,  il  les  employa  à  cul- 
tiver des  jardins  î  leur  fit  alligner  &  nétoyer  le  chemin  qui  con« 
duit  à  la  rivière ,  conftruire  des  moulins  à  eau  ,  &  les  occupa 
à  la  chalfe  des  bêtes  &  des  oifeaux.  L'expérience  leur  apprit 
qu'il  étoit  inutile  de  fenier  les  menus  grains  avant  le  mois  de 
Mai. 

Au  commencement  de  Juin ,  les  Sauvages  ligués  contre  • 
les  Almouchiquois ,  partirent  fous  la  conduite  de  Cafmou  & 
de  Mabretou  j  tuèrent  Onemechin  &  Marchin ,  &  perdirent 
leur  Général  dans  le  combat.  Les  nôtres  ne  firent  rien  de  mé- 
morable le  refte  de  cette  année ,  ils  ne  penfoient  qu'à  leur  re- 
tour en  France.  Le  1 1  d'Août  Champlain  &  fes  compagnons 
partirent  de  Port-Royal ,  en  rangeant  la  côte  jufqu'à  Camp- 
feau  ;  de-là  ayant  commencé  à  faire  voile  vers  la  France  le 
quatrième  de  Septembre ,  ils  arrivèrent  à  S.  Malo  le  dernier 
d^  £C  mois. 

Tome  XK  C 


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IV, 

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jg  SUITE  DE  L'HISTOIRE 

La  triftefle  fe  répandit  à  la  Cour  au  commencement  de  cette 
année  i(5^o8.  parce  qu'on  défefpera  dès  lors  de  la  vie  de  Henri 
de  Bourbon  duc  de  Montpenfier  j  les  médecins  n'ayant  pu  ve- 
nir à  bout  de  guérir  la  bleffure  qu'il  avoir  reçue  au  liège  de 
Dreux.  Ce  Prince  en  ayant  été  incommodé  pendant  1 4  ans,avoit 
Mort  du  duc  donné  de  tems  en  tems  quelques  efpérances  de  guérifon  ;  mais 
^cr.   ^"^^^"^  le  pus  qui  découloit  continuellement  de  fa  mâchoire  inférieu- 
re.ayant  gâté  les  parties  nobles,  il  devint  extrêmement  fec  & 
maigre  j  ce  qui  lui  fit  juger  à  lui-même  qu'il  n'avoir  plus  que 
peu  de  tems  à  vivre.  Un  avoir  de  fa  femme  Henriette  Catherine 
de  Joyeufe ,  qu'une  fille  âgée  de  deux  ans ,  que  le  Roi  vouloit 
marier  au  duc  d'Orléans  fon  fils ,  qui  n'avoir  pas  encore  un  an. 
Sa  Majefté  voulant  donner  au  duc  de  Montpenfier ,  qui  ne  pou- 
voir pas  vivre  long-tems,  la  confolation  de  voir  ce  mariage  af- 
fûré,  en  anxtant  les  articles  du  contrat ,  il  le  fit  dreiler  &  figner 
îe  lendemain.  Le  Roi  lui-même ,  la  Reine ,  le  duc  &  la  duchef- 
fe  deMontpenfier ,  Marguerite  de  Valois,  les  Princes  du  Sang , 
&  plufieurs  Seigneurs  alTifterent  à  cette  cérémonie. 

Le  13  de  Février,  le  duc  de  Montpenfier  fit  unteftamenr 
olographe,  par  lequel,  en  cas  que  la  Princefie  fa  fille  vînt  à 
décéder  fans  enfans,il  donnoit  le  duché  de  Montpenfier,  le 
Dauphiné  d'Auvergne  ,  le  pais  de  Combrailles ,  Cluïs ,  Thiern, 
ouThiers,  &  Mont-aigu  en  Combrailles ,  à  la  Duchefie  fon 
cpoufe  5  Dombes ,  le  Beaujolois,  fes  autres  Châteaux,  &  domai- 
nes, au  duc  d'Orléans,  au  défaut  duquel  il  fubftitua  le  Dau- 
phin, &  les  autres  enfans  du  Roi.  Le  lendemain  il  donna  par 
donation  entre  vifs ,  le  duché  de  faint  Fargeau^  &  tous  fes  au- 
tres biens  au  duc  d'Orléans,  à  l'exception  de  ceux  qu'il  avoit 
donnés  à  fa  femme  5  ajoutant  dans  la  donation ,  qu'en  cas  que 
ce  Prince  vînt  à  mourir  fans  enfans,  le  Dauphin  &  fes  enfuis 
prendroient  fa  place ,  &  à  leur  défaut,  les  autres  enfans  du  Roi 
&  de  la  reine  Marie. 

Ayant  ainfi  donné  ordre  à  fes  affaires ,  ce  Prince  recomman- 
dable  par  l'allemblage  de  toutes  les  vertus,  mourut  le  27  de 
Février,  emportant  avec  lui  dans  le  tombeau  les  regrets  de  tous 
les  gens  de  bien.  Le  Roi  pleura  la  perte  de  ce  grand  homme^ 
à  qui  l'Etat  Ôc  lui-même  avoient  de  très-grandes  obligations, 
La  douleur  de  fa  mort  fut  générale  à  la  Cour  ;  &  fes  funérailles 
ayant  été  faites  à  Nôtre-Dame^  avec  prefque  autant  de  magnj- 


DE  J.  A.  DE  THOU,  Liv.  L  ï^ 

ficence  que  celles  de  nos  Rois,  les  Officiers  de  fa  maifon  .^...«.^.^ 
tranfporterent  fon  corps  à  Champigny  en  Poitou ,  où  il  fiit  in-  ~ 
humé  dans  le  tombeau  de  fes  ancêtres.  li  e  n  r  i 

Sur  ces  entrefaites ,  les  Tefuites  s'introduifirent  dans  le  Bearn,  * 

au  pied  des  Pyrénées.  Le  Roi  avoit  pofledé  ce  païs ,  comme  fes     ' 
ancêtres,  à  titre  de  Principauté  fouveraine,  dans  le  tems  qu'il  Etabiiffmer.t 
Ti'étoit  encore  que  Roi  de  Navarre.  Les  habitans  du  Beam,  dansicBe"ra. 
Calviniftes  pour  la  plûpart,ne  laiflbient  point  exercer  publique- 
ment leur  Religion  aux  Catholiques.  Les  Sièges  fubalternes 
feflbrtiilbient ,   comme  aujourd'hui ,  à  Pau ,  où  il  y  avoit  une 
Cour  fouveraine.  (*)  Henri  en  montant  fur  le  Thrône  ,  avoit 
comme  réuni  le  Bearn  à  la  Couronne ,  &  il  avoit  ordonne  par 
un  Edit  publié  à  Nantes ,  que  dans  toutes  les  Provinces  du 
Royaume,  où  les  Calviniftes  feroient  en  plus  grand  nombre 
que  les  Cathohques,  l'exercice  de  la  Religion  de  ces  derniers 
feroit  rétabli;  deforte  qu'ils  poiuToient  rebâtir  leurs  Eglifes, 
prêcher ,  ôc  célébrer  les  faints  Myftéres. 

Les  Bearnois  ne  reRiferent  pas  de  fe  conformer  à  cet  Edit  j 
ilsfe  montrèrent  même  tout  prêts  à  recevoir  lesEcclélîaftiques, 
à  l'exception  des  Jefuites,  qui  étoient  (  difoient  fur  tout  les 
Calviniftes  )  des  émiflaires  de  la  fadion  Efpagnole  ,  des  gens 
dévorés  d'ambition,  auteurs  d'une  Théologie  équivoque  6c 
capticufe  î  enfin  des  perturbateurs  du  repos  public.  Le  Parle- 
ment de  Pau  ayant  député  deux  perfonnes  de  fon  Corps  vers  Sa 
Majefté ,  pour  lui  repréfenter  qu'il  étoit  utile ,  &  même  né- 
ceflaire ,  pour  éloigner  les  troubles  &  les  féditions ,  de  ne  pas 
permettre  aux  Jefuites  de  venir  en  Bearn ,  où  ils  étoient  extrê- 
mement haïs;  le  Roi  leur  fit  réponfe  que  ce  qu'ils  demandoient, 
étoit  en  leur  pouvoir ,  &  qu'il  laiflbit  la  Cour  maîtrefle  de  faire 
ce  qu'elle  jugeroit  à  propos. 

Ces  députés  ayant  rapporté  la  réponfe  du  Roi  le  28  d'Odo- 
bre  de  l'année  1 5: 9p.  on  rendit  un  Arrêt ,  portant  défenfes  aux 
Jefuites  de  faire  aucune  fondion  Eccléfiaftique  dans  toute  l'é- 
tendue du  Bearn,  6c  d'y  établir  leur  domicile.  On  y  avertiflbit 
aufti  les  Evêques ,  ôc  autres  que  ce  foin  regardoit ,  de  veiller 
à  ce  qu'il  ne  fut  rien  fait  contre  la  teneur  de  l'Arrêt. 

Les  Evêques  ne  voyoient  qu'avec  beaucoup  de  chagrin , 
les  biens  de  l'Eglife  entre  les  mains  des  Sedaires,  qui  avoient 

(î)  Elle  a  été  cri'zéecnPjrle.Tieriten  IÎ99.  • 

Cij 


V, 


IIBiiJi,M»auniBln  l/XA.  JliaB 


4io  SUITE  DE  L'HISTOIRE 

une  longue  prefcription  à  leur  oppofer.  Il  n'y  avoit  point  d'ef- 
Henri  pérance  de  rentrer  dans  ces  biens ,  à  moins  que  la  face  des  cho- 
i  V,        îes  ne  vînt  à  changer.  On  ne  pouvoit  fe  flater  de  voir  jamais  ar- 
1  6ot^.     river  ce  changement,  fi  les  Catholiques  ne  l'emportoientfur  les 
Calviniftes  par  le  nombre  ;  &  les  Jefuites,  comme  ces  Pères  l'a- 
voient  fait  entendre  à  plufieurs  Evêques ,  étoient  les  plus  pro- 
pres à  procurer  cette  augmentation.  Le  Roi  accorda  enfin  aux 
importunités  de  l'Evêque  d'Oleron,  un  Edit  du  20  de  Février, 
qui  cafiant  l'Arrêt  du  Parlement  de  Pau,  permettoit  auxjefui" 
tes  d'entrer  en  Bearn  ,   pour   y  faire  toutes  les  fondions 
Eccléfiaftiques  dans  les  deux  Diocéfes  du  Bearn ,  avec  la  per- 
milfion  des  Evêques ,  comme  tous  les  autres  Religieux. 
Miiflance  du       Le  Roi  alla  fur  la  fin  de  l'hy  ver  à  Fontainebleau ,  où  il  avoit 
duc  d'Anjou.    ^^-^  envoyé  la  Reine ,  qui  étoit  fur  le  point  de  faire  fes  cou- 
ches. Le  terme  de  fa  grofleffe  étant  expiré ,  elle  mit  au  monde 
un  troifiéme  Prince ,  nommé  d'abord  le  duc  d'Anjou,  qu'on  a 
dans  la  fuite  appelle  Gafton.   Ce  Prince  naquit  le  2<5  d'Avril. 
Joinville  met  à  pareil  jour  la  naiflance  de  faint  Louis ,  chef  de 
la  maifon  de  Bourbon.  L'heureufe  naiflance  du  duc  d'Anjou 
fut  un  foulagement  à  la  douleur  qu'avoir  caufé  la  mort  du  duG 
de  Montpenfier ,  dont  la  veuve  fept  mois  après ,  eut  encore  à 
pleurer  la  perte  de  Henri  de  Joyeufe  fon  père. 
Mort  de  Ce  Scigncur  qui  étoit  de  la  première  diftindion ,  s'étant  dé^ 

fî.yTuVe  Ca-     goûté  dcs  honucuts  &  dcs  plaifirs  de  la  Cour ,  avoit  quitté  le 
fucin.  monde  pour  fe  faire  Capucine  nom  qu'on  a  donné  à  ceux  des 

Religieux  de  faint  François ,  qui  avoient  embrafle  une  vie  plus 
auftére,  à  caufe  de  la  grandeur  extraordinaire  de  leurs  Capu- 
chons. Oi\  l'avoir  vu  plufieurs  fois  revêtu  de  l'habit  de  l'Ordre, 
couvert  du  cilice ,  les  pieds  nuds ,  célébrer  les  faints  Myftéres", 
&  prêcher  même  avec  applaudiflement.  Après  avoir  vécu  plur 
fleurs  années  dans  cette  grande  ferveur,  il  voulut  fe  rendre  à-, 
Rome,  afin  d'y  ménageries  intérêts  de  l'Ordre?  mais  à  peine 
avoit-il  traverfé  les  Alpes,  qu'une  fièvre  violente  l'emporta  le 
2.6  ait  Septembre.  Son  corps  ayant  été  rapporté  à  Paris,  les  Ga- 
.   .      pucins  l'enterrèrent  dans  leur  Couvent, 
avec'^ie  duc  de       Pendant  que  le  Roi  étoit  à  Fontainebleau,  on  y  tint  fecrete- 
suvGje.  ment  Confeil ,  pour  porter  la  guerre  hors  du  Royaume.  Le 

Roi  en  étoit  vivement  follicité.  D'ailleurs  outre  les  avantagea 
qu'on  pouvoit  en  efpérer,  il  y  avoit  encore  de  juftes  motifs  de 


DE  J.  A.  DE  THOU,  Liv.  I.  c^i 

l'entreprendre.  Le  duc  de  Savoye  ,  Prince  remuant  ^  indi- 
gné de  voir  avec  quel  orgueil  PedroEnriquezd'Azevedo  corn-  PI  ri  NR  I 
te  deFuentes^  gouvernoit  le  Milanez,,  preflbit  les  François^        IV. 
qui  en  avoient  été  les  maîtres ,  de  s'en  remettre  en  polTefiion ,      i  5  o  8. 
&  de  tirer  vengeance  des  Efpagnols.  Ce  Prince  avoir  traité  dé 
cette  affaire  l'année  précédente  fuccefllvement  avec  les  Cardi- 
naux de  Joyeufe  &  du  Perron^  lorfqu'ils  paiTerent  par  Turin, 
en  revenant  de  Rome  &  de  Venife.  Il  les  avoit  engagés  d'en 
parler  au  Roi  j  il  avoit  même  fait  partir  Gafpar  Purpurat  colo- 
nel deFinfanterie  de  Savoye  j  avec  des  inftructions  ^  pour  ex- 
pliquer au  Roi  les  moyens  de  commencer  l'entreprife. 

Purpurat  avoit  ordre  de  dire  à  ce  Prince  ,  que  le  Duc  livre- 
roit  un  partage  fur  fes  terres  aux  troupes  Françoifes,  pour  en- 
trer dans  le  Milanez  :  Quil  avoit  à  fa  dévotion  les  principaux  de 
cette  Province ,  ennemis  jurés  du  comte  de  Fuentes  :  Qu'il  lui 
feroit  facile  de  les  mettre  dans  les  intérêts  du  Roi,  auquel  il 
joindroit  lui-même  fes  forces  :  Qu'il  demandoit ,  afin  de  tirer 
■quelque  avantage  de  cette  expédition,  qu'auflitôt  après  laprife 
de  Milan,  le  Roi  lui  rendît  la  Brefle,  le  Bugey ,  le  Val-Romey, 
&  le  Bailliage  de  Gex  :  Qu'il  abandonnât  la  protedion  de  Ge- 
nève, &  qu'il  confentît  à  la  réunion  de  ce  pais  au  duché  de 
Savoye  :  Que  le  Roi  lui  permît  aufil  d'attaquer  la  Franche- 
Comté,  &  lui  donnât  promelfe  de  renforcer  fes  troupes,  s'il 
en  étoit  befoin  :  Qu'on  arrêtât  le  mariage  de  la  Princeffe  fa  fille 
avec  le  Dauphin  ,  ou  du  moins  celui  de  la  fille  du  Roi  avec  lé 
Prince  de  Piémont  fon  fils,  comme  un  gage  de  l'alliance  qu'il 
alloit  contrader  avec  la  France.  Telles  furent  à  peu  près  les 
propodtions  que  le  duc  de  Savoye  ,  &  le  duc  de  Nemours  à 
fa  foliicitation ,  firent  à  Villeroi  dans  les  lettres  qu'ils  lui  écrivi- 
rent fur  ce  fu  jet.  ' 

Le  duc  de  Nemours  qui  étoit  de  la  maifon  de  Savoye ,  s'é- 
toit  rendu  à  Turin,  pour  afTifter  à  la  célébration  du  mariage  des 
filles  du  duc  de  Savoye ,  avec  les  ducs  de  Mantouë  &  de  Mo- 
dene.  Ceux  qui  étoient  portés  en  France  à  féconder  les  vues  du 
duc  de  Savoye,  faifoient  efpérer  qu'on  en  retireroit  des  avan- 
tages confidérables.  Ils  difoient ,  pour  appuyer  leurfentiment  : 
Que  la  France  étant  remplie  d'une  grande  quantité  de  Noblefle, 
elle  étoit  expofée  à  fe  voir  déchirer  par  des  fadtions ,  fi  on  ne 
tenoit  fes  forces  en  haleine  5  comme  un  athlète  trop  bien  nour* 

C  iij, 


a.2  S  U  î  T  E  D  E  L*  H  I  S  T  O  î  PvE 

ri ,  étolt  fujet  à  des  maladies  dangereufes ,  lorfqu'il  rcftoit  dans 
i'inadion  :  Que  fi  elle  n'avoit  point  d'affaires  au  dehors ,  elle 
Henri  tourneroit  fes  armes  contre  fon  propre  fein  :  Qu'au  refte  elle  ne 
^  ^ '  manqueroit  pas  d'ennemis  :  Que  le  roi  d'Efpagne  refuferoit  im- 
1008.  manquablemcnt  de  prêter  l'oreille  aux  propoiitions  qu'on  lui 
feroit  de  retirer  le  Comté  d'Artois  ,  en  lui  payant  les  fommes 
pour  lefquelles  on  le  lui  avoit  engagé  :  Que  ce  Prince  fe  feroit 
un  fcrupule  de  reftituer  la  Navarre  injuftement  envahie ,  le 
Royaume  de  Naples,  le  Mikmez,  Gènes,  &  d'autres  pais  qui 
appartenoient  autrefois  à  nos  Rois  :  Qu'il  avoit  ajouté  de 
nouvelles  injures  aux  anciens  outrages  que  la  France  avoit  re- 
çus de  l'Efpagne  :  Que  tout  récemment  on  venoit  d'y  violer  le 
droit  des  gens  dans  la  perfonne  de  Silly  comte  de  la  Rochepor, 
ambafladeur  de  France  :  Que  les  Ffpagnols  avoient  féduit  de- 
puis peu  Biron  par  d'artifieieufes  intrigues ,  &  venoient  de  dé- 
couvrir leurs  difpofîtions  à  l'égard  des  François ,  par  la  tentative 
qu'ils  avoient  faite  fur  Marfeille  :  Que  toutes  ces  raifons  dé- 
voient engager  le  Roi  à  faifir  l'occalion,  &  à  profiter  des  con- 
feiis  du  duc  de  Savoye  :  Que  l'année  avoit  été  ftérile  dans  le 
Milanez  :  Qu'on  y  déteftoit  la  dureté  du  comte  de  Fuentes  ;  & 
qu'enfin  rien  ne  s'oppoferoit  aux  efforts  d'un  Roi  conquérant, 
qui  redemandercroit  les  armes  à  la  main ,  des  Etats  ufurpés  fur 
fes  prédéceffeurs. 

Le  Pvoi  répondit  à  l'Envoyé  du  duc  de  Savoye  :  Qu'il  loûoit 
le  courage  de  fon  maître,  &  qu'il faifoit  beaucoup  de  cas  de 
fon  alliance ,  qui  pouvoit  lui  être  avantageufe  dans  plufieurs 
grandes  entreprifes  :  Qu'il  recevoir  fes  oftires  avec  beaucoup 
de  joye  :  Que  pour  ce  qui  regardoit  Genève,  il  ne  devoir  pas 
attendre  de  lui  qu'il  donnât  la  moindre  atteinte  à  la  parole 
qu'il  avoit  donnée  aux  habitans  de  cette  ville  :  Qu'il  feroit  avec 
grand  plaifir  le  mariage  de  fa  fille  avec  le  prince  de  Piémont, 
après  laréCilTite  de  l'expédition  qu'on  lui  propofoitj  mais  qu'il 
falloir  fçavoir  avant  tout  j  quelles  forces  pouvoit  avoir  le  duc 
de  Savoye ,  pour  exécuter  ce  projet?  fur  quels  fecours  ce  Prin- 
ce pouvoit  compter?  quelles  alfùrances  il  avoit  de  l'affedion 
desMilanois5  ce  que  penferoient  les  peuples  voifins  à  cette 
occafion  5  &  fur  tout  comment  fe  termineroient  les  difficultés 
de  la  trêve  des  Païs-bas,  qui  s'augmentoienttous  les  jours  j  par- 
Ce  que  11  la  guerre  s'y  renouvelloit,  le  roi  d'Efpagne  ne  man- 


I  ^  o  8. 


DE  J.  A.  DE  THOU,  L  i  v.  I.  23 

quei'ckpas  d'y  envoyer  fes  meilleures  troupes  :  Qu  enfinilétoit  ««,.«,„„^ 
ncceflaire  de  fçavoir  ce  que  deviendroient  les  troupes  Efpa-  ^ 
gnôles  y  qui  étoient  en  Savoye  &  dans  le  Milanez  ,  &  de  quel  ^  ?^  ^ 
côté  tourneroit  la  flotte ,  qui  venoit  de  quitter  les  côtes  d'Ef-     _^\ 
pagne. 

Le  colonel  Purpurat  ayant  été  renvoyé  avec  cette  réponfe  , 
André  Cochefilet  de  Vaucelas ,  allié  du  duc  de  Sully,  fut  en- 
voyé vers  le  duc  de  Savoye,  pour  le  complimenter  fur  le  ma- 
riage des  Princefles  avec  les  ducs  de  Mantouë  6c  de  Modene. 
Il  étoit  outre  cela  chargé  d'inftrudions  fecretes  ,  qu'il  ne 
devoit  communiquer  qu'au  duc  de  Nemours.  Il  avoir  ordre, 
après  avoir  témoigné  une  grande  bienveillance  de  la  part  du 
P.oi  à  ce  Prince ,  de  traiter  en  particulier  avec  lui  fur  ce  qu'il 
avoit  écrit  à  Villeroi ,  &  de  l'aflïïrer  que  fes  lettres  avoient  fait 
beaucoup  de  plailîr  au  Roi ,  qui  n'avoit  pas  jugé  à  propos  de 
jrien  réfoudre,  avant  la  conclufion  de  l'affaire  des  Païs-Bas. 

Vaucelas  s'acquitta  de  fa  commiffion  ^  &  repréfenta  au  duc 
de  Nemours ,  que  les  Provinces-Unies  ayant  déjà  obtenu  la 
Souveraineté ,  prétendoient  encore  fe  conferver  la  liberté  de 
la  navigation  aux  Indes  Orientales,  finon  qu'elles  préféreroient 
la  guerre  à  la  paix.  Il  ajouta  que  les  Archiducs  avoient  envoyé 
en  Efpagne  le  Cordelier  Jean  de  Ney  ^  pour  fçavoir  les  inten- 
tions de  Pliilippe  ;  qu'ainfi  la  paix  &  la  guerre  étoient  encore 
incertaines  :  Que  fi  les  Provinces-Unies  prenoient  ce  dernier 
partie  les  Efpagnols  ne  manqueroient  pas  de  fe  rendre  dans  les 
Païs-Bas  :  Qu'il  arriveroit  de-là  que  les  autres  Princes,  aufquels' 
la  puilîance  de  cette  Nation  iiére  &  entreprenante  étoit  fuf- 
pede ,  contens  d'être  délivrés  de  leurs  craintes  préfentes  ,  ôc 
de  jouir  de  la  paix  j  ne  voudroient  pas  s'engager  dans  une  en- 
treprife,  dont  l'événement  étoit  douteux:  Que  fi  d'un  autre 
côté  on  prolongeoit  la  trêve,  les  forces  de  l'Efpagne  réunies 
enfemble  j  leur  donneroient  de  la  jaloufie ,  &  les  difpoferoient 
aifément  par  la  crainte  du  péril  ^  à  prêter  l'oreille  à  ceux  qui 
leur  confeilleroicnt  la  guerre  :  Qu'ainfi  il  étoit  à  propos  de  ne 
rien  précipiter,  pour  ne  pas  être  obligé  de  laifler  traîner  de^ 
projets,  aufquels  on  fe  feroittrop  prefie  de  fe  prêter  5  &  de  peuï 
que  le  tems  nelesdécouvrît^  ou  ne  vînt  à  rallentir  l'ardeur  d^s 
confédérés  :  Qu'outre  cela  le  Roi  avoir  des  foupçons  aflez  bien 
fondés  de  la  fincérité  des  démarches  que  faifoit  le  duc  de  Sa.- 


24     .  SUITE  DE  L'HISTOIRE 

voye  :  Qu'il  étoit  en  bonne  intelligence  avec  le  roi  d'Efpagne, 
H  E  N  R  I  ^"^  ''ivoit  approuvé  le  mariage  des  deux  Princefles  fes  filles ,  ôc 
j  y^        qui  donnoit  au  Duc  de  grandes  marques  d'alFedion  :  Que  par 
1  6oS      ^^  ii'^oy  en  leur  amitié  j  qui  avoir  paru  refroidie ,  s' étoit  ranimée  : 
Que  le  Duc  avoir  donné  toute  fa  confiance  à  Baretio  j,  homme 
tout  dévoué  aux  Efpagnols^  &  pour  qui  il  n'avoir  rien  de  ca- 
ché. Vaucelas  avoir  eu  ordre  de  ne  communiquer  toutes  ces 
chofes  qu'au  feul  duc  de  Nemours  ^  donr  la  fidélité  étoit  re- 
connue 5  &  de  confier  à  fa  prudence  le  foin  de  manier  adroite- 
ment cette  affaire  j  fans  rien  précipiter. 
Piopofuions       Pendant  que  ces  affaires  fe  traitoient  a  Pontainebleau  ^  foit 
que  l'Efpagne  qyg  [q  j-qj  d'Efpaguc  cn  eût  eu  vent^  foit  qu'il  fe  défiât  du  gé- 
nie inquiet  du  duc  de  Savoye ,  il  envoya  en  France  un  Ambaf- 
fadeur  extraordinaire ,  fuivi  d'un  corrége  nombreux  &  magni- 
fique. Pierre  de  Tolède ,  Grand  d'Efpagne  ,  fut  chargé  de 
cette  grande  ambalfade.  Ce  Seigneur  étoit  allié  à  la  reine  Ma- 
rie ^  petite-fille  du  Grand  duc  Corne  de  Medicis,  qui  avoit 
époufé  Eleonore  de  la  maifon  de  Tolède.  Son  ambafiade  rou- 
ioit  uniquement  fur  deux  points  ;  il  avoit  ordre  de  propofer 
le  mariage  de  l'Infante  avec  le  Dauphin  ;  &  d'offrir  pour  la 
dot  de  la  PrinceiVe ,  tous  les  droits  de  la  Maifon  d'Aimiche 
fur  les  Païs-bas. 

Le  roi  d'Efpagne  fe  procuroit  par-là  de  grands  avantages 
pour  le  prefent  ;  car  en  faifant  efpérer  aux  François  de  faire 
un  jour  cette  alliance  ^  lorfque  les  Parties  auroient  atteint  l'âge 
requis  par  les  loixj  il  ôtoit  ^  en  attendant ,  aux  Provinces-Unies, 
la  protedion  du  Roi ,  qui  étoit  leur  appui  le  plus  ferme  5  il  éloi- 
gnoir  encore  par  ce  moyen  la  nécefllté  d'accorder  la  paix  à 
des  peuples  fiers  d'avoir  fecoûé  le  joug  d'une  légitime  do- 
mination h  néceffité  qui  étoit  un  coup  mortel  à  l'orgueil  Ef- 
pagnol.  Outre  cela,  il  venoit  à  bout  ^  en  adouciflant  les  Fran- 
çois par  l'efpérance  d'une  nouvelle  alliance  ,  de  rendre  inu- 
tiles toutes  les  pratiques  fecretes  du  duc  de  Savoye. 

Cette  politique  rafinée  des  Efpagnols,  déplut  au  Roi  j  qui 
d'un  côté  ne  voulant  pas  tromper  ceux  qui  avoient  de  la 
confiance  en  lui,  jugea  d'un  autre  que  ce  feroit  luie  tache 
à  fa  gloire  ^  &  à  celle  du  nom  François ,  de  fe  ranger ,  en 
vue  d\m  mariage ,  du  côté  de  l'Efpagne  ^  dans  une  afïaire 
r^mif^  à  fon  arbitrage.  D'ailleurs  la  vicillitude  des  chofes 

humaines 


j 

Henri: 

, 

IV. 

I  (JoS: 

j 

D  E  jr.  A.   D  E  T  H  Ô  U;  L  r  v.  I.  rij 

liiimaines  lui  fit  confidérer  que  l'âgé  du  Prince  &  de  Ja  Prin" 
cefTe  devant  néceiTairement  différer  cette  alliance ,  il  ne  fal- 
loit  pas  abandonner  le  préfent  ^  pour  un  avenir  incertain. 

Le  Miniftre  Efpagnol  n'ayant  pu  réùlTir  de  ce  côté-là , 
prefTa  le  Roi  de  fe  fervir  de  fon  crédit  auprès  des  Etats, 
pour  les  engager  à  ne  demander  dans  les  conditions  de  paix> 
que  des  chofes  qui  ne  deshonoraffent  pas  le  roi  d'Efpagne. 
Il  lui  repréfenta  que  le  Préfident  Jeannin  j  fon  ambafladeur 
au  Congrès  à  la  Haye^  étoit  maître  de  la  négociation  5  il  fe 
plaignit  même  de  l'affedion  marquée  des  François  pour  les 
Etats ,  ajoutant  qu'il  feroit  plus  à  propos  de  la  témoigner  à 
un  grand  Roi,  par  une  alliance  ferme  &  durable.  Ces  dé- 
marches 6c  ces  plaintes  ont  fait  conjedurer  à  plufieurs ,  que 
tout  le  but  de  cette  fuperbe  ambaflade ,  n'étoit  que  de  faire  \ 

foupçonner  aux  Etats  que  les  François  s'étoient  réconciliés  i 

avec  les  Efpagnols,  en  faveur  du  mariage  propofé. 

Le  Roi  ne  fut  point  ébranlé  par  les  raifons  de  l'AmbafTa-    LeRoîre'et-  i 

deur  ;  <5c  ne  démentit  point ,  dans  tout  le  cours  de  cette  ne-  ^^  les  propo- 
gociation ,  le  caradére  d'un  Roi  très-chrétien  ,  qui  ne  devoit  pal°|ois  "    '  ' 

chercher  que  le  repos  &  la  tranquillité  publique  î  ceft  pour-     '^  \ 

quoi  le  Préfident  Jeannin  étant  revenu  de  la  Haye,  il  l'y  ren-  1 

voya  avec  de  plus  amples  pouvoirs  ,  afin  d'employer  tous  \ 

fes  foins  à  conclure  la  paix ,  ou  du  moins  à  procurer  une  lon- 
gue trêve.  Pendant  ce  tems-là,  Pierre  de  Tolède  s'acquittoit  i 
(des  ordres  du  roi  d'Efpagne  auprès  des  Archiducs ,  qui  de  ' 
leur  côté  rejettoient  fur  la  lenteur  Efpagnole  le  long  féjoui:  i 
en  Efpagne  du  Cordelier  de  Ney  ,  dont  les  Etats  n'atten-  \ 
doient  prefque  plus  le  retour. 

Le   tems  de  l'ambaflade  de  Rome  étant  prêt  d'expirer;      yq^a^'^^T  ^ 

Charle  de  Neufville  fieur  d'Allincourt  ,  avant  de  céder  fa  5^  Efpri?  eft  \ 

place  à  Savary  marquis  de  Brèves,  eut  occafîon  de  fe  trou-  donné  à  deux  • 

,ver  dans  une  cérémonie  brillante.  Alexandre  Sforce  duc  de  fraîm"^^  ^'  \ 

Segni  ,  comte  de  Santafiore ,  &  Jean  Antoine  Orfino  duc  I 

de  Santo  Gemini,  tous  deux  de  la  première  Nobleffe  de  Ro-  ' 

me ,  frappés  de  la  grandeur  Françoife ,  avoient  demandé  com-  ! 

me  une  grâce,  que  le  Roi  voulût  bien  leur  donner  le  Col- 
lier de  l'Ordre  du  S.  Efprit,  dont  les  marques  de  diftindion  | 
font  un  Collier  de  fleurs  de  lys  &  de  flammes  d'or  entre-  ■ 
Jafiees,  &  un  cordon  bleu  de  foye,  au  bout  defquelspend                              \ 


H 

E  N   R  I 

IV. 

j 

do  8, 

^6  5  U  I  TE    P  E    VU  I  S  T  O  I  R  E 

une  Colombe  d'or  éployée  en  forme  de  croix,  qui  fe  porte  auflî 
brodée  en  argent  fur  le  côté  gauche  d'un  manteau  couleur 
de  feu.  Cet  Ordre  a  été  inftitué  par  Henri  III.  qui  aimoit  la 
pompe. 

,  Le  Koi  étoit  dans  le  deiTein  de  contenter  ces  deux  Sei- 
gneurs? mais  les  ftatuts  de  l'Ordre,  qui  en  excluoient  les 
étrangers ,  s'y  oppofoient.  Ainlî  il  fallut  que  le  Pape  relevât 
le  Roi  du  ferment  qu'il  avoit  fait  de  les  garder.  D'Allin- 
court  fut  chargé  de  donner  pour  le  Roi  le  Collier  aux  deux 
Ducs,  qui  fe  préfenterent  le  14  de  Mars  au  jour  marqué, 
pour  accompagner  l'Ambafladeur  Franqois  à  l'Eglife  de  faint 
Louis,  où  les  François  s'aflemblent  d'ordinaire,  &  qui  pa- 
rut U'ès-propre  à  la  cérémonie. 

Dès  qu'on  eut  averti  l'Ambaffadeur  que  tout  étoit  prêt  j  il 
vint  accompagné  des  deux  Candidats ,  &  de  plus  de  cinq 
cens  Gentilshommes  François  &  Italiens ,  précédés  de  tam-' 
bours  &  de  trompettes ,  d'une  troupe  de  Coureurs  du  Pape, 
&  d'une  compagnie  de  Suifles,  tous  habillés  de  foye.  Les 
cardinaux  Colonne,  Aquaviva,  de  Givri ,  Delfino',  Bévila- 
qua,  Tofco,  Gaetano ,  Cefîs,  &  Pio,  fe  trouvèrent  à  l'E- 
glife de  faint  Louis.  On  avoit  mis  les  armes  de  France  fur  la 
porte  de  cette  Eglife ,  qui  étoit  tendue  de  tapilTeries  femées 
de  fleurs  de  lys  j  &  l'on  y  avoit  drelTé  un  Thrône  devant  le- 
quel j  quoiqu'il  fut  vuide,  tout  le  monde  faifoit  en  paffant 
une  inclination  ,  comme  fi  le  Roi  très-chrétien  y  eût  été 
aflls. 

Montorio  évêque  de  Caftro-novo ,  ayant  officié  en  habits 
Pontificaux,  d'Allincourt  alla  prendre  place  à  côté  de  l'Au- 
tel  ,  où  les  ducs  de  Segni  &  de  Santo  Gemini  furent  con- 
duits j  ils  prêtèrent  le  ferment  de  l'Ordre  l'un  après  l'autre , 
&  le  fignerentî  enfuite  d'Allincourt  leur  ayant  donné  le  Col- 
lier, il  les  fit  Chevahersj  &  leur  donna  l'accolade.   Ce  fut 
la  première  fois    que    l'Ordre   du  faint  Efprit    paflà  chez 
les  étrangers.  La  magnificence  de  cette  cérémonie  frappa  tel- 
lement les  Romains,  qu'on  difoit  que  les  François  av oient 
AmbafTade  P^^^  Rome  d'une  manière  très-agréable, 
cxtraordinai-       D'Allincourt  étant  revenu  en  France  ,  le  duc  de  Nevers 
NcvcriTRo-  ^^  envoyé  en  ambalfade  extraordinaire  à  Rome,  pour  porterie 
me,  compliment  d'obédience  au  nouveau  Pape ,  qui  avoit  pris  le 


D  E   J.    A.    DE    T  H  O  U,  L  1  v*.    î.  2^ 

nom  de  Paul  V.  On  lui  fit  de  grands  honneurs  fur  fon  pafîage 
dans  toutes  les  villes  d'Italie.  Les  ducs  de  Segni  &  de  San- 
to  Gemini,  qui  venoient  d'être  faits  Chevaliers  de  l'Ordre  n  r-j 

du  faint  Efprit ,  le  prince  Peretti ,  le  feigneur  Vidor  neveu 
de  fa  Sainteté  ,  ôc  plufieurs  Gentilshommes  Romains,  vin-  ï<^o  §•! 
rent  au-devant  de  lui,  jufqu'à  fix' milles  de  Rome.  Il  ren- 
contra à  Ponte-molle  les  cardinaux  Gallo,  Delfiiio,  Bevila- 
qua,  &  Serafino ,  qui  le  conduifirent  à  l'hôtel  de  François 
Savary  de  Brèves,  ambafladeur  ordinaire  de  France.  Après 
s'y  être  repofé  pendant  quelque  tems,  il  alla  à  l'audience  du 
Pape,  qui  le  reçut  alTis  fur  un  Thrône,  &  il  baifa les  pieds 
de  fa  Sainteté. 

Sept  jours  après,  le  26  de  Novembre  ,  il  fortit  de  la  ville 
dans  un  carolle  fermé  avec  le  marquis  de  Brèves,  &  fe  re- 
tira au  Palais  de  Léon  Strozzi,  à  un  mille  de  Rome.  Ce 
fut  en  cet  endroit  qu'il  prit  le  caradére  d' AmbaffadeLu:  j  il 
y  reçut  les  vifites  &  les  complmiens  des  Cardinaux  affis  fur 
un  Thrône  magnifique ,  ayant  à  fes  côtés  le  duc  de  Segni ,  les 
marquis  de  la  Rovere ,  Palavicino  ,  &  Malatefla.  Il  s'y  trouva 
aulTi  un  grand  nombre  d'Evêques  &  d'Abbés.  Jean  Baptifte 
Borghefe  frère  de  fa  Sainteté ,  fe  rendit  à  ce  Palais ,  fuivi  des 
Seigneurs  Romains,  &  des  Gentilshommes  les  plus  qualifiés 
de  la  ville  ^  pour  accompagner  l' Ambafladeur  dans  fon  en- 
trée ,  qui  fut  des  plus  éclatantes.  Six  Trompettes  &  cent  Che- 
vaux-légers du  Pape  ouvroient  la  marche  j  venoit  enfuite 
le  bagage  de  l'Ambafladeur  porté  par  trente-quatre  mulets 
couverts  d'étoffes  de  foye  brochées  d'or;  leurs  fers  étoient 
d'argent,  aufTi  bien  que  les  crochets  qui  ferv oient  à  retenir 
les  balots  liés  de  cordons  d'or  &  de  foye.  Tous  les  Cardi- 
naux paroifToient  enfuite  montés  fur  des  mules  couvertes  de 
pourpre  ,  fuivis  des  cent  Suiffes  de  la  garde  du  Pape  ,  de 
douze  Tambours  à  cheval,  &  de  quatre  Trompettes.  Après 
eux  marchoient  les  douze  gardes  ^e  l'Ambafladeur,  &  au- 
tant de  Pages  J  avec  cent  trente  Gentilshommes  François, 
qui  s'étoient  mis  à  Marfeille  à  fa  fuite.  Derrière  eux  venoit 
îe  frère  de  fa  Sainteté,  devant  qui"  deux  Suifles  portoient 
deux  grandes  épées.  Enfin  l' Ambafladeur  paroiffoit,  monté 
fur  un  cheval  de  prix,  précédé  du  grand  Ecuyer  du  Pape^ 
^  de  deux  Maures,   qui  menoient  deux  chevaux  blancs. 

D  ij 


^S  su  ÏTE  DE  L'HIST  O  I  RE 

L'Ambafîadeur  avok  à  fes  côtés  les  Patriarches  de  Jerufa- 

H  ENR  I  ^^^  ^  d'Alexandrie.  Le  marquis  de  Brèves  marchoit  après, 

jy        au  milieu  de  plufieurs  Archevêques;  &  une  foule  d'Abbés? 

j  ^qQ      montés  fur  des  mulets  richement  caparaçonnés,  fermoient  la 

marche  de  l'ambaflade,  qui  entra  dans  Rome  par  la  porte 

Angélique. 

Le  Pape  vit  pafler  cette  pompe  de  la  fenêtre  de  fon  Pa- 
lais. Lorfqu'elle  flit  arrivée  à  la  Bafilique  de  S.  Pierre,  le 
canon  retentit  de  tous  côtés  dans  la  ville ,  en  figne  de  joye. 
L'ambafladeur  d'Efpagne  s'étoit  mis  avec  le  cardinal  Lapata 
fur  un  balcon ,  pour  voir  pafler  ce  nombreux  cortège.  Enfin 
le  duc  de  Nevers  fut  conduit  au  Palais  de  Rucellay ,  qu'on 
lui  avoit  préparé,  tendu  de  fuperbes  tapilTeries,  &  magnifi- 
quement meublé.  Les  tables  y  furent  fervies  avec  beaucoup 
de  délicateffe. 

Deux  jours  après  Borghefe  fe  rendit  au  palais  de  l'Ambal^ 
fadeur  j  pour  l'accompagner  au  Vatican  ^  où  il  dcvoit  aller 
faire  à  fa  Sainteté  le  compliment  d'obédience.  Chacun  prit 
fon  rang  dans  l'ordre  qu'on  avoit  obfervé  trois  jours  aupa- 
ravant, excepté  que  F AmbafTadeur  ^  &  les  François  qui  ï'a- 
compagnoient,  avoient  changé  d'habits.  Ses  domefliques  por- 
toient  une  livrée  de  foye  noire  brodée  d'or;  l'habillement 
du  duc  de  Nevers  étoit  parfemé  d'une  grande  quantité  de 
diamans  d'un  éclat  ébloQiflant.  Il  montoit  un  cheval  blanc , 
dont  les  fers ,  les  éperons ,  les  étriers ,  &  le  harnois  étoient 


or. 


Etant  entré  dans  le  palais  du  Vatican  ^  il  fut  conduit  par 
les  deux  Patriaiches  dans  la  Sale  Royale ,  où  le  faint  Père 
ctoit  aflis  fur  un  Thrône ,  au  tour  duquel  il  y  avoit  un  grand 
nombre  de  Cardinaux.  Alors  le  duc  de  Nevers  ayant  baifé 
les  pieds  de  fa  Sainteté,  fuivant  la  coutume  ,  lui  préfentales 
lettres  du  Roi.  Le  Maître  des  cérémonies  fit  enfuite  alleoir 
l'AmbaiTadeur,  avec  le  marquis  de  Brèves.  Maurice  BrefTius 
expliqua  alors  le  fujet  de  l'ambaffade  dans  im  difcours  La^ 
tin^  qu'il  finit  par  de  g'-andes  félicitations  ^  &  de  vives  pro- 
teftations  de  refpeft  de  la  part  du  Roi  envers  fa  Sainteté, 
Strozzi  ayant  répondu  pour  le  Pape  ^  le  duc  de  Nevers  alla 
une  féconde  fois  rendre  fes  hommages  à  Dieu ,  en  fe  prof- 
ternant  aux  pieds  de  fon  Vicaire.  Sa  Sainteté  congédia  enfuite 


DE    J.    A.    D  E   T  H  O  U ,  L  I  V.  I.         !2p 

raffemblée  ,  &  fe  retira  d'un   pas  grave  dans  fa  chambre ,  

fiiivi  de  r AmbalTadcur ,  qui  portoit  la  queue  de  fa  robe  de  ^t 
pourpre.  Ce  Seigneur  ayant  achevé  fon  ambaflade,  partit       .,, 
de  Rome  ,  après  y  avoir  féjourné  quelques  jours ,  qu'il  paiTa  *   , 

dans  les  feftins. 

Pendant  que  les  François ,  fous  des  apparences  de  triom-  Hiftoîrc  da 
phe,  donnoient  à  Rome  des  marques  d'une  fervile  dépen-  faux  Borghc- 
dance  j  Paul  V.  vengeoit  à  Paris ,  par  la  main  du  Roi  mê-  ^^• 
me ,  l'affront  qu'on  avoit  fait  à  fa  Maifon.  Barthelemi  Lan- 
cefque  de  Sienne ,  fourbe  accompli ,  homme  de  petite  taille, 
qui  n  avoit  pas  l'air  aflez  relevé  pour  en  impofer  ^  commen- 
çant à  être  trop  connu  dans  l'Italie  ,  qu'il  avoit  parcourue 
toute  entière  ,  fe  rendit  en  France.  Il  amufa  d'abord  le  peu- 
ple par  de  grandes  promefles^  comme  font  tous  les  char- 
latansj  vendant  des  remèdes  inconnus  pour  des  maladies  itu 
véterées.  Il  fe  vantoit  d'avoir  l'art  de  faire  retrouver  ce  qu'on 
avoit  perdu  j  &  de  découvrir  les  trcfors  cachés.  Ayant  ga- 
gné beaucoup  d'argent  par  ces  moyens  j  il  loua  une  maifon 
à  Paris  î  il  fit  répandre  bientôt  dans  les  jeux  publics j  &  au- 
tres endroits  ^  par  Paul  T Arena  &  Julien  Lafci  ,  confidens 
&  complices  de  fa  fourberie,  des  bruits  fourds,  qu'il  étoit 
arrivé  dans  cette  ville  un  neveu  du  Pape,  appelle  Barthe- 
lemi Borghefe ,  qui  aimoit  la  bonne  chère  &  la  dépenfe  ; 
pour  laquelle  on  lui  faifoit  toucher  de  Rome  de  grandes 
fommes  d'argent  à  Paris.. 

Lancefque  pour  faire  réûflir  fes  deiïeins,  prit  le  nom  de 
Borghefe ,  &  fe  donna  pour  le  neveu  du  Pape.  Sa  magnificen- 
ce j  fes  habits,  fes  difcours,  fa  fuite  éblouirent  facilement 
le  peuple.  Ce  fourbe  joua  fi  bien  fon  perfonnage  ,  qu'il  y 
eut  des  gens  aflez  crédules ,  pour  lui  prêter  confidérablemenr. 
Il  acheta  bientôt  un  équipage  ,  des  chevaux  ,  prit  des  do- 
meftiques,  &  mena  fi  parfaitement  la  vie  d'un  jeune  homme 
de  qualité  qui  fe  ruine  par  fes  proflifions ,  qu'il  s' étoit  déjà 
fait  connoître  des  gens  de  condition ,  aufquels  il  donnoit  mê- 
me à  manger. 

Le  Nonce  du  Pape  ne  pouvant  fouffrir  que  cet  impof- 
teur  y  abufant  de  la  créduUté  du  peuple ,  deshonorât  plus 
long-tems  le  nom  qu'il  s'étoit  donné  j  obtint  du  Roi  la  per- 
niifïïon  de  le  faire  arrêter^  avec  ceux  qui  étoientles  complices 

Piij 


^o  s  UITEDEL'  HISTOIRE 

de  fa  fourberie.  Il  fut  mis  en  prifon,  d'où,  voyant  que  fou 
affaire  étoit  défefpérée ,  il  écrivit  au  Roi  &  à  la  Reine ,  affii- 
Henri  rant  leurs  Majeftés  qu'il  étoit  Barthelemi  Borghefe?  il  de^ 
I  V.  manda  qu'on  fufpendît  les  pourfuites  contre  lui  3  jufqu'à  cq 
j  (^  0  8,  que  le  Pape  eût  fait  réponfe  à  fes  lettres.  Il  en  écrivit  deùx> 
&  même  trois  dans  le  même  ftile ,  aulll  impertinentes  ,  qu'el- 
les étoient  remplies  d'impudence.  Le  Pape  irrité  de  l'effron^ 
terie  de  ce  miferable,  ne  celTa  de  faire  agir  le  Nonce  au- 
près du  Roi ,  que  les  Commiifaires  nommés  pour  juger  cet- 
te affaire,  n' enflent  condamné  le  faux  Borghefe  à  faire  amen- 
de honorable  devant  l'Eglife  de  Nôtre-Dame,  &  l'hôtel  du 
Nonce  ,  pour  être  enfuite  conduit  au  fupplice ,  pendu ,  & 
jette  dans  le  feu.  L'Arena  fut  condamné  aux  galères  ,  ôc 
Lafci  qui  étoit  Dominicain,  à  demander  pardon,  en  préfen- 
ce  des  Juges ,  d'avoir  fréquenté  des  fcélérats ,  &  répandu  de 
faux  bruits.  Il  fut  enfuite  enfermé  pour  le  refte  de  fes  jours 
dans  un  Couvent  de  fon  Ordre. 

L'hyver  fut  extrêmement  rigoureux  cette  année  ;  les  ca- 
Grand  dé-  j^ofles  &  Ics  voitutcs  pafloientfur  la  Seine ,  dont  la  glace  étoit 
la  Loire.         ^Atz  forte  pour  les  loutenir.  La  Loire  s  étant  dégelée ,  fit  des 
ravages  étonnans ,  les  levées  furent  rompues ,  les  bleds  arra- 
chés ,  le  bétail  &  les  troupeaux  noyés ,  les  arbres  déracinés , 
les  maifons  détruites,  &  les  ponts  emportés. 

Le  premier  jour  de  Février  ,  Nicolas  Rapin  ,  natif  de  Fon- 
lu  °fl  ^^^^^'  tenay-le-Comte  en  Poitou ,  grand-Prevôt  de  la  Connétablie, 
mourut  âgé  de  foixante-huit  ans  &  quelques  mois.  Il  avoit 
l'efprit  fi  agréable ,  que  les  gens  de  goût  difoient  de  lui ,  qu'il 
étoit  le  feul  qui    eût  le  talent  de  bien  rendre  en  François 
les  bons  mots  des  anciens  Poètes.  On  peut  ajouter  qu'il  s'eft 
fort  diftingué  entre  ceux  qui  ont  eflayé  de  marier  les  grad- 
ées de  la  Poëfie ,  avec  la  barbarie  &  la  rudelfe  de  nôtre  lan- 
gage vulgaire ,  fi  toutefois  il  eft  polTible  d'acquérir  quelque 
gloire  en  ce  genre. 
Ercftîon  du       Le  1 8  de  Février ,  le  Parlement  confirma  par  Arrêt  les 
duché  de       Lettres  patentes,  par  lefquelles  le  Roi  érigeoit  en  Duché- 
Fronfac,         Pairie ,  le  Marquifat  de  Fronfac  ,  en  faveur  de  François  d'Or- 
léans comte  de  S.  Paul ,  à  qui  fa  femme  l'avoit.  apporté  ea 
mariage.  Cette  dignité  devoit  paffer  à  fon  fils  Eleonor ,  &  à  fes 
enfans  de  l'un  &  de  l'autre  fexe  fans  diftindion, 


DE  J.  A.  DE  THOU,  Liv.  I.  ^ï 

Le    14  de  Mars  ,    le  Parlement  enregiftra  les  lettres  de  e???»^»^^^™^^ 
création  de  grand-Voyer  de  France,  charge  que  le  duc  de  j.j  ^  ^.^  ^^ 
Sully  s'étoit  fait  donner  par  le  Roi  dès  Tannée  i^pp.    Les        jy 
Voyers  particuliers  exerçoient  auparavant  cette  charge ,  cha-     j  ^    g 
cun  dans  leurs  villes ,  ou  dans  la  banlieue ,  mais  la  plupart, 
foit  par  faveur ,  foit  par  avarice ,  négligeoient  le  devoir  de  j  Création  de 
leur  charge  j  enforte  que  l'on  voyoit  par  tout  les  rues  défi-  grand^  voj ec 
gurées  par  des  bornes,  des  auvents,   &  des  faillies.  Cette  deFiai.œ. 
raifon  fit  que  le  duc  de  Sully  perfuada  aifément  au  Roi,  qui 
aimoit  les  bâtimens,  de  donner  cet  Edit.  Si  ce  Seigneur  en 
a  tiré  quelques  avantages ,  il  a  d'un  autre  côté  beaucoup  con- 
tribué à  l'ornement  des  villes. 

Le  deuxième  de  Juillet  on  enregiftra  au  Parlement  des 
Lettres  patentes  du  Roi ,  qui  confervoit  à  la  terre  de  Mont- 
penfier  le  titre  de  Duché-Pairie,  en  faveur  de  la  princefîe 
Marie,  fille  du  feu  duc  de  Montpenfier,  des  enfans  qu'elle 
auroit,  &  de  la  Duchefle  douairière  fa  mère ,  avec  les  con^ 
dirions  portées  au  teftament  du  Duc  fon  père. 

Le  1 5  du  même  mois  fut  enregiftré  un  Edit ,  qui  défen-     E^if  ç^  f^. 
doit  aux  Procureurs  fifcaux  de  s'emparer,  pour  le  Roi,  par  veur  des  Ct- 
droit  d'aubaine ,  des  biens  des  Genevois  qui  viendroient  à  "^^°'^' 
mourir  en  France  ;  ce  qui  feroit  auffi  obfervé  à  l'égard  des 
François  qui  décéderoient  à  Genève. 

Le  huitième  d'Août,  le  Parlement  ratifia  la  permifiion,  J!^':"''',^^"/* 
que  le  Roi  avoir  accordée  à  Charle  Marchant ,  autrefois  au  change" 
Marchand  de  bois  de  charpente ,  &  alors  Commandant  des 
trois  cens  Archers  du  guet  de  la  ville  de  Paris,  de  conf^ 
truire  un  pont,  Ôc  de  bâtir  defllis  des  deux  côtés,  des  mai- 
fons,  depuis  le  grand  Châtelet ,  jufqu'à  la  tour  de  l'horloge 
du  Palais. 

Fin  du  premier  Livre, 


J5  S  U  I  T  I   D  1  L'  H  I  S  T  0  ï  R  I 


LITRE      D  E  V  X  I  K  M  E. 

LE  commencement  de  l'année  fuivante  vit  enfin  termi- 
ner par  une  trêve ,  la  guerre  des  Païs-Bas  i  affaire  im- 
IV.        portante,  dont  divers  obftacle's  av oient  jufqu' alors  fufpendu 
I  6"  G  p.     la  conclufion.  (i)  Henri  IV.  eut  tant  de   part  au  fuccès  de 
Négociation  ccttc  négociation  par  fa  prudence  &  par  fon  crédit ,  qu'on 
pour  la  trêve  peut  regarder  la  trêve  dont  il  s'agit,  comme  une  affaire  qui 
sne&iesPro-  conccme  la  France.  Ce  Prince  avoir  fouhaitéque  fes  alliés, 
vinccs- Unies,  qui  l'avoicnt  fecoutu  de  troupes  &  d'argent  dans  les  occa- 
fions ,  fuiîent  compris  dans  le  traité  de  paix  conclu  à  Ver- 
yins  ,  entre  la  France  &  l'Efpagne.  Il  avoir  même  preffé  vi- 
vement la  reine  Elifabeth',  fon  ancienne  amie,   dont  l'al- 
liance lui  avoit  été  fi  avantageufe,  d'accéder  à  ce  traité.  Les 
conditions  propofées  par  le  roi  d'Efpagne ,  fembloient  aflez 
raifonnables  j  mais  cette  PrincelTe  comptoit  peu  fur  la  bonne 
foi  de  Philippe.  Henri  vouloir  procurer  aux  Provinces-Unies 
une  paix  folide  &  durable  ;  mais  on  ne  put  jamais  engager 
Philippe ,  aigri  contre  les  Hollandois,  à  traiter  avec  des  peu- 
ples qu'il  fe  flatoit  de  fubjuguer  aifément,   dès  que  la  paix 
qu'il  devoir  faire  avec  la  France ,  les  auroit  privés  de  nos 
fecours.  Les  Etats  de  leur  côté  avoient  beaucoup  d'éloigné- 
ment  pour  une  paix ,  qui  les  mettroit  dans  le  moindre  pé- 
ril de  rentrer  fous  la  domination  Efpagnole  j  ils  étoient  d'ail- 
leurs fortifiés  dahs  la  réfolution  de  ne  point  traiter  avec  l'Ef- 
pagne 3  par  la  reine  Elifabeth ,  qui  promettoit  de  leur  four- 
nir tous  les  fecours  néceflaires  ,  &  de  n'entrer  jamais  dans 
aucime  négociation  de  paix  fans  leur  participation. 

La  paix  s'étoit  conclue  à  Vervins ,  fans  que  le  roi  de  France 
fe  fut  engagé  à  rien  qui  pût  porter  préjudice  aux  Hollandois, 
à  quoi  certainement  il  n  auroit  jamais  pu  fe  réfoudre.  Il  fut  feu- 
lement ftipulé  qu'il  ne  leur  donneroit  aucun  fecours  î  cepen- 
dant lorfqu'il  figna  le  traité,  &  qu'il  fit  ferment  d'en  obfer- 
yer  les  conditions ,  il  mit  à  cet  article  une  claufe ,  par  la- 
quelle il  dit  qu'il  n'entendoit  pas  s'engager  à  ne  point  payer 

(i)  V.  la  ftn  du  Livre  CXXXVIIL  de  l'Hiftoire  du  Préfident  de  Thou. 

aux 


DE  J.  A.  DE  THOtJ,  Liv.  îï.  ^f 

aux  Etats  les  fommcs  qu'ils  lui  avoient  pi'Ctcesî  iî  agit  de 
bonne  foi  dans  l'exécution  du  traité ,  &  ne  fit  dans  la  fuite  w,  ^ 

rien  autre  chofe  en  leur  faveur,  que  de  tâcher  de  leur  pro-       yy^ 
curer  la  paix  à  des  conditions  les  plus  favorables  qu'il  feroit        ^ 
poffible.    Mais  ce  Prince  d'un  efprit  pénétrant  ,  s'appcrçut  ^^' 

bientôt  qu'on  le  joûoitj  les  complots  du  maréchal  de  Bi- 
ron,  féduit  par  les  intrigues  des  Efpagnols  ,  lui  firent  entre- 
voir que  Philippe  excitoit  fourdement  les  François  à  la  ré- 
volte. C'eft  pourquoi  après  avoir  heureufement  étouïS  la  dan- 
gereufe  confpiration  de  ce  Seigneur ,  il  crut  devoir  prendre 
d'autres  mefures ,  &  donna  ouvertement  aux  Etats  de  fi  puif- 
fans  fecours ,  que  l'Efpagne  défcfpéra  tout  à  fait  du  fuccès 
de  la  guerre ,  ou  n'en  attendit  que  de  foibles  avantages. 

Ce  changement  fut  caufe  que  les  Efpagnols  commencè- 
rent à  parler  de  paix  j  ils  répandirent  d'abord  des  bruits  con- 
fus à  ce  fujet ,  &  parlèrent  de  traiter  avec  les  Etats  Gêné- 
ratix,  comme  avec  des  peuples  libres.  Ces  ouvertures  de 
paix  dévoient  être  d'autant  plus  agréables  à  des  gens  lalfés 
d'une  fi  longue  guerre ,  qu'elle  devoir  avoir  tous  les  avan- 
tages d'une  vidoire  complette.  On  preflentit  d'abord  les 
difpofitions  de  quelques-uns,  principalement  du  prince  d'O- 
range, de  Guillaume  de  Nalîàufon  parent,  &  de  Barneveld. 
On  fit  enfuite  entrer  les  Syndics  des  Provinces-Unies  dans 
cette  négociation,  &  l'on  réfolut  d'avoir ime  çntre vue  avec 
les  députés  das  Archiducs.  Mais  avant  de  s'aflembler,  oa 
jugea  à  propos  d'envoyer  des  Ambaffadeurs  au  roi  de  Fran- 
ce, &  à  Jacque  roi  d'Angleterre,  qui  venoit  de  fuccéderà 
Elizabeth ,  afin  de  les  informer  des  réfolutions  des  Etats.  Henri, 
outre  Elie  de  la  Place  de  Rufly ,  qui  avoit  fuccédé  à  Buzanva! 
dans  l'emploi  d'ambaiïadeur  ordinaire  de  France  à  la  Haye,y  en- 
voya en  qualité  d'ambafladeur  extraordinaire  le  prélîdent  Jean- 
nin,  l'un  des  principaux  membres  de  fon  Confeil  privé.  Le 
roi  d'Angleterre  joignit  aufii  au  chevalier  Winwood,  mi  Am- 
baffadeur  extraordinaire,  qui  fut  le  chevalier  Richard  Spen- 
cer. Ces  deux  Rois  vouloient  travailler  de  concert  à  pro- 
curer à  leurs  aUiés  une  paix  avantageufe ,  ou  du  moins  em- 
pêcher qu'on  ne  les  trompât  ,  fous  des  apparences  de  paix 
Ôc  de  liberté. 

Les  Etats  honorés  de  l'éclat  de  cette  ambafTade ,  &  foûtenus 
Tome  XK  E 


54  SUITE  DE  rHISTOlRB 

j.  de  la  préfence  &  de  l'habileté  des  Ambafladeiirs ,  jugèrent 

à  propos ,  pour  affàrer  davantage  la  foi  des  traités  ,  de  faire 
EN  «RI  j^j^g  étroite  alliance  avec  les  deux  Rois,  &  de  les  engager 
à  fe  rendre  garans  de  la  paix ,  qu'on  alloit  conclure  avec  les 
•■*•  ■^'  Efpagnols.  Ayant  fait  entendre  aux  Anibafladeurs  qu'ils  le 
fouhaitoient  avec  ardeur  ,  les  François  n'en  parurent  point 
éloignés  ;  mais  les  Anglois  s'excuferent  fous  divers  prétextes^ 
de  conclure  cette  alliance  5  &  traînèrent  la  chofe  en  longueur. 
Les  Etats  fatigués  de  ces  délais  prefferent  nos  AmbafTadeurs 
de  traiter  avec  eux ,  fans  attendre  la  conclufion  de  la  paix 
avec  les  Efpagnols  j  ils  difoient  que  ce  traité  feroit  la  gloire 
ôc  le  foûtien  de  leur  République,  &  qu'ils  ne  doutoientpas 
que  les  Anglois  ne  confentiiTent  facilement  à  y  accéder  , 
aufîitôt  qu'il  feroit  arrêté. 

On  figna  donc  le  23  de  Janvier  des  articles,  par  lefquels 
le  Roi  prenoit  les  Provinces-Unies  fous  fa  protedion ,  pro- 
mettant de  travailler  fincérement  à  leur  procurer  la  paix  à 
des  conditions  avantageufes  ?  de  leur  donner  dix  mille  hom- 
mes d'infanterie ,  en  cas  que  la  paix  fut  violée ,  &  que  l'in- 
fxadeur  reflifât  de  faire  fatisfadion.  Il  s'engagea  à  leur  en- 
voyer même>  s'ilétoit  nécefiaire,  eu  cependant  égard  à  l'é- 
tat de  fes  affaires ,  de  plus  puiflans  fecours  de  troupes ,  dont 
les  frais  lui  feroient  rembourfés  après  la  guerre,  s'ils  fe 
montoient  au-defllis  de  ceux  qu'exigeoit  le  fecours  des  dix 
mille  hommes.  Les  Etats  de  leur  côté  s'obligèrent  à  donner 
au  Roi,  s'il  en  avoit  befoin ,  envers  &  contre  quelques  Prin- 
ces que  ce  fut ,  un  fecours  de  cinq  mille  hommes  de  pied 
à  leurs  dépens ,  ou  une  flotte  équivalente  ,  6c  même  de  plus 
grands  fecours,  aux  mêmes  conditions  dont  on  étoit  con- 
venu, par  rapport  aux  troupes  du  Roi. 

Les  Etats  tranfigerent  d'abord  le  2(5  de  Juin  avec  les  An- 
glois, pour  les  fommes  qu'ils  en  avqient  empruntées  î  peu 
de  tems  après,  ils  conclurent  avec  eux  un  traité ,  qui  devoir 
avoir  lieu,  fi  la  paix  fe  faifoit;  il  contenoit  les  mêmes  con- 
ditions que  le  précédent  traité  avec  la  France ,  excepté  que 
les  fecours  promis  de  part  &  d'autre ,  n'étoient  pas  fi  coa- 
fidérables  de  moitié. 

Pendant  qu'on  travailloit  aux  préliminaires  de  la  paix ,  plu- 
(içurs  perfonnes  publioient  dans  les  Provinces-Unies,que  cette 


DE  J.  A.  DE  THOU,  Liv.  IL  sf' 

négociation  n'étoit  qu'un  artifice  des  Efpagnols  ;   Que  leurs  -^^^^^^ 

viiës,  en  offrant  la  liberté  &  la  paix,  ne  tendoientqu'àdivifer 

par  des  motifs  d'intérêts  particuliers,  des  Provinces  jafqu'alors  "  ^  NRt 

unies,  pour  foûtenir  contre  eux  la  guerre.  On  répandoit  fourde-  ,, 

ment  des  bruits  injurieux  fur  le  compte  de  ceux  qui  étoient     ^  ^o  q.- 

d'un  avis  contraire.  On  les  accufoit  de  trahir  la  République , 

réduits  par  les  largefl'es  des  Efpagnols  5  ou  d'embrafler  une 

ombre  de  paix ,  en  fc  laiflant  aveugler  par  la  pafTion  qu'ils 

avoient  de  voir  la  fin  de  la  guerre.  On  difoit  par  tout  que 

fous  le  nomflateur  de  liberté  ,  on  préparoit  au  peuple  de  fu- 

nèfles  chaînes. 

La  crainte  de  ces  maux',  &  les  intrigues  de  quelques  perfori-  - 
nés ,  qui  trouvoient  plus  d'avantages  dans  la  guerre  que  dans  ' 
la  paix,  furent  furie  point  dedivifer  les  Provinces-Unies.On  al-- 
léguoit  de  fortes  raifons  de  part  &  d'autre.  Ceux  qui  vouloient 
h  paix,  foûtenoient  qu'on  n'étoit  plus  en  état  de  continuer^ 
la  guerre,  qui  depuis  quarante  ans  avoit  abbattu  les  forces - 
des  Etats  Généraux  :  Que  leurs  finances,  qui  font  le  nerf  de  la 
guerre,  étoient  entièrement  épuifées  :  Que  leur  crédit  étoit 
ruiné  :  Que  les  Princes  leurs  alliés  fe  laflbient  de  fournir  des  ^ 

fecours  :  Que  le  roi  de  la  Grande  Bretagne  avoir  réfolu  de 
ne  plus  faire  aucune  dépenle  en  leur  faveur  :  Que  le  roi 
de  France  étoit  à  la  vérité  aflez  puiffantpour  le  faire  5  mais 
qu'il  ne  voudroit  pas  lui  feul  fupporter  tout  le  poids  de  la 
guerre.  »  A  quoi  d'ailleurs ,  ajoûtoient-ils ,  nous  ferviront  de 
:»plus  grands  fecours  de  la  part  des  deux  Rois,  finon  à  diffé-' 
^  rer  nôtre  perte,puifque  nous  fommes  toujours  menacés  d'une 
»  ruine  prochaine,  &  que  nous  n'avons  aucune  efpérance  de 
*  nous  en  garantir  entièrement  .^  Car  Ci  les  deux  Rois  vouloient' 
35  réunir  leurs  armes ,  ils  auroient  fans  doute  plus  de  forces , 
£»>  qu'il  n'en  faudroit  pour  chaiïer  lesEfpagnols ,  même  des  Païs- 
jj  Bas  qu'ils  occupent ,  &  d'où  ils  font  perpétuellement  des 
39  courfes  dans  le  voifinage.  Mais  preiTés  plus  d'une  fois  d'unir 
»  leurs  forces ,  ils  ont  toujours  refufé  de  le  faire  5  ils  ont  pré- 
=y  féré  la  tranquilhté  de  leurs  Etats  aux  intérêts  d'iui  peuple 
»  étranger ,  &  aux  hazards  d'une  guerre  périlleufe.  Leur  in- 
30  telligence  n'eft  pas  outre  cela  fi  bien  affermie ,  qu'après  la 
»  vidoire  ils  puffcnt  s'accorder  fur  le  partage  des  conquêtes ;- 
?  aucun  d'eux  fans  doiite  n'abandonnera  tous  les  fruits  de  U 

E  ij 


3<^  SUITE  DE  L'HISTOIRE 

30  vidoke  à  l'autre  j  tous  deux  au  contraire  croiront  qu'il  cft 
y>  de  leur  intérêt  de  donner ,  à  frais  communs ,  de  foibles  fe- 
H  E  N  R  I  j,  cours  aux  Etats,  afin  de  les  mettre  en  état  de  fe  foûtenir  plus 
I  '  •        »  long-tems  contre  les  Efpagnols.  Mais  n'eft-ce  pas  une  fitua- 
*  ^  c>  5>.     3^  ^Iqyi  bien  fàcheufe  de  voir  dépendre  nos  forces  des  caprices 
y>  d'autrui  î  On  nous  offre  des  conditions  aufli  avantageules  , 
3>  que  nous  pouvons  les  fouhaiter  ;  une  vidoire  pleine  &  en- 
3)  tiere  ne  pourroit  nous  faire  efpérer  une  paix  plus  glorieufe> 
30  les  Archiducs  tant  en  leur  nom ,  qu'en  celui  du  roi  d'Efpa- 
*  gne ,  font  prêts  de  reconnoître  la  liberté  des  Provinces-Unies, 
30  &  la  Souveraineté  des  Etats  Généraux.  Enfin  les  Rois ,  dont 
»  nous  avons  éprouvé  l'amitié ,  nous  confeillent  d'accepter  cet- 
a>  te  paix ,  èc  s'offrent  d'en  être  les  garans.  Nous  refte-t'il  quel- 
«  que  fujet  de  crainte  après  une  telle  promeffe  ?  » 

Ceux  au  contraire  qui  vouloient  la  guerre ,  foupconnoient 
de  la  fraude  &  de  Fartifice  dans  toutes  ces  promeffes  ?  ils  di- 
foient  qu'il  n'étoit  pas  vraifemblable ,   qu'un  Roi  fi  puiffant, 
&  une  Nation  li  fiére ,  qui  avoit  formé  le  projet  chimérique 
de  la  Monarchie  univerfelle  ,  vouluffent  confentir  à  un  traité, 
qui  leur   attireroit  le  mépris  des  autres  Princes ,  donneroit 
atteinte  à  la  réputation  de  leurs  Généraux,  feroit  voir  lafoi- 
bleffe  de  leurs  troupes ,  &  ne  pourroit  qu'avilir  la  gloire  du 
i)om  Efpagnol  h  motifs   qui  dévoient  détourner  le  roi  d'Ef- 
pagne  de  conclure  la  paix.    Ils  ajoûtoient  que  la  puiffance 
des  Provinces-Unies  s'étoit  augmentée  dans  les  guerres  pré- 
cédentes :  Que  les  villes  s'étoient  peuplées  &  enrichies  :  Que 
les  impôts  mis  à  l'occafion  de  la  guerre ,  &  qui  avoient  fufïi 
à  des  dépenfes  Ci  confidérables ,  ne  fubfifteroient  plus ,  dès 
qu'elle  feroit  finie  :  Qu'on  feroit  toujours  néanmoins  dans  la 
néceffité  de  faire  les  mêmes  dépenfes ,  puifqu'il  faudroit  con- 
ferver  des  garnifons  dans  les  villes ,  qui  par  la  nature  des 
lieux  font  toutes  places  frontières  :  Qu'il  étoità  craindre  que 
la  paix  &  l'oifiveté  ne  troublaffent  l'union ,  que  le  péril  com- 
mun, &  le  foin  de  fe  défendre  ,  avoient  toujours  mainte- 
nuë  parmi  eux  ;  &  que  le  relâchement ,  que  la  fécurité  eau- 
fée  par  la  paix    alloit   introduire   dans  la  difcipline,  ne  fît 
bientôt  reparoitre  les  inimitiés,  les  jaloufies,  &  les  haines > 
Toit  des  particuliers,  foit  des  villes,  foit  des  Provinces;  mou- 
yemens  que   la   guerre   avoit  plutôt    affoupis    qu'étouffes 


DE  J.  A.  DE  THOU,  Liv.  II.  57 

entièrement.  Siu'  tout  qu'il  failoit  appréhender  que  la  dif-  - 
corde  ne  vînt  à  renverfer  leur  Republique.  Ils  difoient  en-  H  e  k  r  î 
core  que  leurs  principales  forces  confiftant  dans  le  commerce        I  V. 
&  dans  la  navigation,  par  l'habileté  de  leurs  pilotes  &  l'a-      1600. 
drefle  de  leurs  matelots,  toutes  ces  forces  feroient  ruinées, 
dès  qu'il  n'y  auroit  plus  d'occafion  de  les  entretenir  par  des 
combats  de  mer  :  Qu'elles  paiieroient  aux  Erpagnois,  qui 
étoient  toujours  à  portée  d'exercer  leur  induftrie ,  éc  d'atta- 
quer les  vaiffeaux  des  autres  Nations  :  Que  par  le  grand  nom- 
bre de  leurs  matelots ,  de  leurs  navires ,  &  de  leurs  Ofîiciers 
de  mer,  &  par  l'étendue  de  leur  commerce,  il  leur  feroit 
aîfé  de  ruiner  entièrement  celui  des  Hollandoisj  &  qu'ils  le 
feroient  fans  fcrupule ,  parce  qu'ils  ne  manqueroient  pas-  de 
donner  à  cette  perfidie  le  nom  de  fage  politique  ,  de  droits 
fouverains ,  ôc  de  jufte  vengeance  contre  des  peuples  re- 
belles. 

Telles  étoient  les  raifons  alléguées  de  part  &  d'autre  dans 
l'aflemblée  des  Etats.  On  femoit  dans  toutes  les  villes  parmi 
le  peuple  des  libelles ,  dans  lefquels  on  profcrivoit  prefque 
ceux  qui  penfoient  diiîéremment.  On  en  vint  jufqu'à  foup- 
^onner  les  Ambafladeurs  des  deux  Rois,  &  les  deux  Rois 
eux-mêmes  j  foupçon  qui  fut  augmenté  par  l'arrivée  en  France 
de  Pierre  de  Tolède,  ambadadeur  d'Efpagne  auprès  de  Henri, 
pour  renouveller  l'alliance  des  deux  Couronnes.  L'ambaila- 
de  de  Ferdinand  de  Giron  en  Angleterre  pour  le  même 
fujet,  donna  lieu  aufli  auxfoupçons  des  Etats,  par  rapport  au 
roi  Jacque. 

Maurice  prince  d'Orange,  étoit  à  la  tête  de  ceux  qui  re- 
jettoient  la  paix  à  quelques  conditions  qu'on  voulût  la  leur 
donner.  Ce  Prince  illuftre  par  les  fervices  que  fon  père 
avoir  rendus  à  la  République  ,  &  par  fes  propres  ex- 
ploits, avoit  tout  ce  qui  étoit  néceffaire  pour  faire  un  grand 
Capitaine ,  le  courage ,  la  prudence  ,  &  le  bonheur.  Fier  de 
ces  qualités,  que  la  paix  alloit  rendre  inutiles,  il  difoit,  de 
fâifoiî  publier  dans  des  écrits ,  que  les  offres  des  Efpagnols 
croient  autant  de  pièges  tendus  à  la  liberté  des  Provinces- 
Unies,  &  des  artifices  dangereux  ,  dont  il  failoit  fe  défier. 
Il  avoit  mis  dans  fon  parti  bien  des  gens  qui  aimoient  la  pa- 
trie 3  ôc  s'il  avoit  voulu  le  foûtenir  par  la  force  des  armeSj 

E  iij 


5S  SUITEDEL*HISTOIB.E 

tous  les  Officiers  &  les  foldats ,  qui  ne  demandolent  que 
^  la  guerre ,  fe  ieroient  fans  doute  rangés  de  fon  côté.  Déjà 

E  N  R.  I  ^^j^^  quelques  provinces,  pluiieurs  villes,  &  la  Zélande  en- 
tière ,  fe  déclaroient  pour  ce  parti.  Les  principaux  négocians 
^  0  0 p.  q^g  jg  commerce  des  Indes  enrichiflbit  beaucoup  ,  &  qui 
font  fort  accrédités  dans  les  Provinces-Unies ,  le  foûtenoient 
hautement.  Mais  le  plus  grand  obftacle  à  la  paix,  étoit  la 
haine  invétérée  des  Hollandois  pourlesEfpagnolsj  animofité 
que  les  artifices  cruels,  dont  ces  derniers  fe  fervent  pour 
tirer  vengeance  de  leurs  ennemis ,  avoir  fait  naître  dans  les 
efprits.  Tout  cela  retardoit  extrêmement  le  fuccès  de  la  né- 
gociation j  on  aiu'oit  perdu  toute  efpérance  d'en  retirer  au- 
cun fruit ,  (î  ceux  qui  jugeoient  la  paix  néceflaire  à  leur  pa- 
trie ,  appuyés  de  l'autorité ,  de  la  prudence ,  &  de  la  fermeté 
des  Ambafladeurs,n' enflent  engagé  les  autres ,  prefque  mal- 
gré eux,  à  fuivre  leurs  avis. 

Il  furvint  encore  de  nouvelles  difficultés.  La  plupart  fou- 
haitoient  une  paix  entière,  &  ne  vouloient  pas  entendre 
parler  de  trêve ,  les  Efpagnols  au  contraire  ne  défiroient  qu'une 
trêve ,  &  tâchoient  d'éloigner  la  paix.  Enfin  par  le  confeil  ; 
ôc  par  les  follicitations  des  AmbalTadeurs ,  on  commença  à 
traiter  des  conditions  d'ime  trêve.  Le  préfident  Jeannin  chef 
de  l'ambarfade  de  France  dicta  la  forme ,  dans  laquelle  on 
devoir  dreilcr  le  traité ,  qui  étoit  :  Que  les  Archiducs  décla- 
raftent  qu'ils  traitoient  avec  les  Provinces-Unies ,  comme  avec 
des  peuples  libres.  Il  naiflbit  à  chaque  inftant  des  obftacles. 
Les  Archiducs  demandoient  comme  un  préliminaire ,  que 
l'exercice  public  de  la  Religion  Catholique  fut  permis  dans 
toute  l'étendue  des  Provinces-Unies  ;  les  ambafludeurs  Fran- 
çois appuy oient  fortement  cette  demande,  tandis  que  les  Ca- 
tholiques du  paï's  diflhnuloient  prudemment  leurs  défîrs  à 
ce  fujet.  Les  députés  des  Etats,  foûtenus  des  ambafladeurs 
d'Angleterre ,  fe  dcfendoient  hautement  de  foufcrire  à  cette 
condition.  Ils  s'écrièrent  dans  l'aflemblée ,  que  c'étoit  leur 
demander  qu'ils  accordaflent  à  leur  ennemi  le  moyen  de  s'in- 
troduire au  cœur  de  leurs  Provinces  :  Qu'on  portoit  par  ce 
moyen  des  coups  dangereux  à  cette  liberté ,  pour  laquelle 
ils  avoient  facrifié  leurs  biens  &  leurs  vies  :  Que  c°étoit  fap- 
per  par  les  fondeniens  leur  République  naiffante.  Enfin  les 


DE  J.  A.  DE  THOU,  Liv.  IL  39 

chofcs  en  vinrent  au  point  que  les  plus  prndens  jugercjit  quil 
faudroit  abandonner  la  négociation ,  fi  l'on  perfiftoit  à  vou-  „ 
loir  obtenir  le  libre  exercice  de  la  Religion  Catholique.  Ainiî        '  ^ 
les  aaens  des  Archiducs  tarent  contraints  de  fe   défifter  de 
cette  demande.  A  l'égard  des  ambafladeurs  de  France ,  les  - 

principaux  membres  des  Provinces-Unies  leur  promirent  de 
les  contenter  fiu-  ce  fujet,  après  la  conclufion  de  la  trêve, 
autant  que  la  fureté  publique  pourroît  le  permettre. 

Il  s'éleva  enfuite  dans  le  congrès  une  conteftation  aufli  vive 
que  la  première ,  au  fujet  de  la  liberté  des  Etats  ,•  &  de  la 
Souveraineté  de  leurs  Provinces.  Ils  vouloient  exprimer  ce 
qui  concernoit  ces  deux  articles  en  termes  fi  faftueux ,  qu'il 
lembloit  qu'outre  leur  propre  fureté ,  &  celle  de  leurs  def- 
cendans,  ils  avoient  encore  en  vûë  de  faire  fentir  à  l'Efpa- 
gne  toute  la  honte  qu'elle  s'étoit  attirée  dans  cette  guerre , 
dont  l'événement  lui  étoit  fi  défavantageux.  Les  Efpagnols 
étoient  bien  éloignés  de  plier  en  cette  occafiouj  ils  vou- 
loient au  contraire  drefTer  ces  articles ,  de  manière  qu'on  y  ap- 
perçùt  encore  des  traces  de  leur  ancienne  pofTelllon  ;  ils  ne 
refufoient  pas  de  reconnoître  la  liberté  des  Provinces-Unies , 
mais  ils  prétendoient  s'exprimer  fur  cela  en  termes  fi  équi- 
voques &  fi  captieux ,  qu'ils  faifoient  entendre  que  l'on  n'a- 
voit  accordé  cette  liberté ,  que  comme  une  grâce ,  dans  le 
deflein  de  pouvoir  dire  im  jour  qu'elle  étoit  expirée  avec 
la  trêve,  lorfqu'il  s'en  préfenteroit  une  occafion  favorable. 

La  haine  fe  réveilla  de  part  ôc  d'autre  avec  encore  plus  de 
fureur.  On  répandit  parmi  le  peuple  jaloux  de  fa  liberté ,  des 
écrits  contenant  les  motifs  que  j'ai  rapportés  ci-deflus ,  pour 
empêcher  la  conclufion  de  la  trêve.  Mais  le  préfident  Jean- 
nin  réfuta  ces  raifons  avec  beaucoup  de  force.  Il  dit  que  les  / 
iEtats  dévoient  fe  contenter  que  i'Efpagne  les  reconnût  li- 
bres dans  la  forme  propofée  au  commencement  du  Congrès, 
&  fous  la  garantie  de  deux  puifians  Monarques  :  Qu'on  vou- 
îoit  exiger  inutilement  des  Efpagnols,  qu'ils  marquaffent  ex- 
preffément  qu'ils  reconnoifîbient  les  Etats  libres  pour  tou- 
jours :  Que  la  feule  expreffion  de  liberté  fufïifoit  pour  la  fi- 
gnifier  pleine ,  entière ,  &  indéfinie  :  Que  n'étant  ni  une  con- 
ceiïlon ,  ni  une  grâce ,  mais  un  droit  légitime ,  acquis  par  la 
force  des  armes  juftement  prifes  par  des  peuples ,  pour  ven- 


40  SUITE  DE  L'HISTOIRE 

^  ger  leurs  injures,  &  confirmé  par  une  longue  poffefllon,  il 
n'étoit  pas  néceîlaire  d'employer  une  formule  de  reconnoif- 
^^  ^  ^  fance  plus  exprelTe  &  plus  pofitive  :  Que  toutes  ces  forma- 
'  lités  paroîu-oient  encore  plus  inutiles ,  fi  l'on  faifoit  attention 
"^  ^^*  que  par  une  loi  fondamentale  de  tous  les  Royaumes,  les 
Princes  ne  pouvoient  au  préjudice  de  leurs  fuccefleurs ,  dé- 
membrer aucune  partie  de  leurs  Etats ,  ou  les  aliéner  par 
aucun  traité  :  Qu'ainfi  quoique  le  roi  d'Efpagne ,  ou  les  Ar- 
chiducs cédaflcnt  pour  toujours  leurs  droits  fur  les  Provin- 
ces-Unies ,  fuppofé  qu'ils  y  en  euilent  encore  ,  ces  préten- 
dus droits  ne  pafleroient  pas  moins  dans  toute  leur  force  aux 
fuccefleurs  de  ces  Princes  :  Que  la  fureté  de  ces  fortes  d'af- 
faires n'étoit  pas  tant  fondée  fur  la  foi  des  traités ,  que  fur 
le  bonheur  des  armes  :  Qu'une  trêve  faite  par  un  Roi  avec 
des  peuples  autrefois  fujets  de  fa  Couronne ,  après  de  lon- 
gues &  de  fanglantes  guerres ,  fe  changeoit  enfin  en  une  paix 
tacitement  confentie  par  le  Prince ,  parce  qu'il  étoit  plus  fa- 
cile à  un  Souverain  de  fupporter  la  perte,  qu'il  pouvoit  fc 
diffimuler  en  quelque  façon ,  que  de  s'en  voir  arracher  l'a- 
veu :  Que  c'étoit  ainfi  que  les  Suifles  ayant  pris  autrefois  les 
armes,  pour  s'affranchir  de  la  tyranie  des  gouverneurs  Im- 
périaux ,  avoient  enfin ,  après  une  longue  guerre  ,  établi  leur 
République,  à  la  faveur  d'une  trêve  moins  honorable ,  que 
celle  qu'on  propofoit  aujourd'hui. 

Il  ajouta  que  les  Etats  pouvoient  efpérer  les  mêmes  avan- 
tages dans  une  affaire  fi  fembiable  :  Qu'à  la  vérité  la  trêve 
avoit  fes  dangers  ;  mais  que  la  guerre  en  feroit  naître  de  plus 
certains,  &  en  plus  grand  nombre  :  Qu'on  pouvoit  parer  les 
périls  de  la  trêve  par  la  prudence ,  la  vigilance  ,  &  avec  les 
forces  des  Etats.  Mais  que  dans  la  fituation  préfente  des  Pro- 
vinces-Unies,  il  n'y  avoit  pas  moyen  d'éviter  les  dangers  de 
la  guerre ,  ni  de  les  furmonter  fans  des  fecours  étrangers. 
Il  leur  dit  encore ,  pour  les  engager  à  ne  pas  balancer  plus 
long  tems  ,  qu'ils  pouvoient  compter  fur  la  parole  &  la 
religion  des  Archiducs ,  ce  qui  feroit  la  fiiretê  de  la  trêve: 
Que  c'étoit  à  leur  follicitation  que  le  roi  d'Efpagne  s'étoit 
déterminé  à  traiter  avec  les  Etats  Généraux  :  Que  le  crédit 
des  Rois  leurs  aUiés  feroit  d'un  grand  poids  pour  l'obferva- 
tion  du  traité  :  Qu'ils  dévoient  donc  fe  déterminer,  parce 

que 


DE    J.    A.    DE    THOU.Liv.II.  41 

que  s'ils  laiiïbient  une  fois  cchapper  l'occafion  favorable  qui 
fe  préfentoit ,  ils  la  chercheroient  inutilement  dans  la  fuite.  Henri 
Ce  fut  ainfi  que ,  par  le  confeil  de  nos  Ambaffadeurs ,  l'article        IV. 
de  la  liberté  fut  conçu  dans  une   funple  énonciation  de   la      i5oj?. 
chofe  5  &  l'on  palTa  aux  autres  articles. 

La  navigation  aux  Indes  fouffrit  de  grandes  difficultés.  Les 
Efpagnols ,  féconds  en  chimères ,  ne  voulant  pas  que  la  con- 
ceflion  de  la  Souveraineté ,  qu'ils  ne  prétendoient  céder  que 
comme  une  grâce  aur  Provinces-Unies ,  fût  entièrement  gra- 
tuite ,  demandoient  en  dédommagement ,  que  les  Etats  con- 
fentillent  à  ne  point  commercer  aux  Indes.  Ils  alléguoient  pour 
raifons,  que  ces  pays  ayant  été  découverts  par  les  Efpagnols , 
qui  en  étoient  les  maîtres  depuis  long-temps  ,  avec  l'agré- 
ment du  iaint  fiége ,  ils  en  avoient  acquis  la  propriété  par  cette 
poflefllon. 

Les  Etats  rejetterent  cette  condition  avec  opiniâtreté  5  ils 
dirent  qu'ils  étoient  libres ,  malgré  les  Efpagnols  ,  &  par  un 
droit   qui  étoit  propre  aux  Provinces-Unies  :  Quainfi  ils  ne 
confentiroient  jamais  à  fe  priver  des  avantages  de  la  fociété 
civile  :  Qu'entre  tous  les  bienfaits  de  la''  nature ,  dont  Dieu 
ctoit  Fauteur ,  un  des  plus  confidérables  étoit  de  réunir ,  à  la 
faveur  des  vents ,  les  nations  des  différentes  parties  de  l'U- 
nivers: Que  ces  vents  foufflant  de  tous  les  endroits  du  mon- 
de ,  c'étoit  une  marque  que  tous  les  peuples  de  la  terre  pou- 
voient  aller  les  uns  chez  les  autres  :  Que  la  mer  étant  com- 
mune à  tous  les  hommes  par  le  droit  des  gens,  elle  ne  pou- 
voit  être  acquife  en  fouverainté  ,  ni  en  vertu  de  la  coutu- 
me ,  ni  par  la  prefcription  :  Qu'il  feroit  contre  toute  raifon  de 
dire  que   ce  vafte  Océan  faifoit  partie  d'un  feul  roïaume, 
qui  n' étoit  pas  d'ailleurs  d'une  Ci  grande  étendue  :  Que  les 
Efpagnols  s'attribuoient fauffement la  découverte  des  Indes, 
qui  avoient  été  connues  de  tous  les  commerçans  un  peu  har- 
dis ,  depuis  tant  de  fiécles  :  Que  l'autorité  du  Pape ,  malgré  la 
puillance  temporelle ,  qu'il  prétend  avoir  fur  la  terre  entière  , 
(  puilfance  que  les  gens  les  plus  éclairés  lui  refufent,  )  ne  de- 
voir pas  prévaloir  au  droit  confiant  &  invariable  de  la  nature 
^  des  gens  :  Que  la  longue  poffeffion  des  Efpagnols  n'ayant 
aucun  fondement ,  elle  ne  devoit  être  regardée  que  comme 
une  longue  ufurpation. 


4^  SUITE  DE  L'HISTOIRE 

■»aMi^.uM..«iLg>»  Ils  ajoutèrent  qu'elle  n  avoit  pas  été  fî  continue ,  qu'elle 
Henri  n'eût  été  depuis  cent  ans  troublée  par  les  François  &  les  An- 
IV.  g^^is  *  Q^^^  ^  c'étoit  avec  juftice  qu'on  attaquoit  les  nations 
260^.  qui  interdifoient le  commerce  de  leur  pays  aux  autres  peu- 
pies  ,  la  guerre  étoit  encore  plus  jufte  contre  des  hommes , 
qui  fofçoietit  un  ^ays  qui  ne  leur  appartenoit  en  aucune  ma- 
nière j  à  ne  commercer  qu'avec  eux ,  &  qui  enfermoient  l'en- 
trée pour  y  exercer  une  criante  monopole  à  l'égard  du  refte 
du  monde  :  Qu'il  étoit  contre  la  raifon  &  contre  la  bienféance 
de  vouloir  ôter  la  liberté  d'aller  ôcde  commercer  dans  un  pays, 
à  des  .gens  avec  qui  on  fouhaitoit  d'ailleurs  conclure  une 
trêve,  ou  la  paix  îcom.me  fi  c'étoient  des  bannis  :  Qu'enfin, 
les  Efpagnols  fe  montroient  à  découvert  :  Qu'ils  n'avoient  fi 
facilement  accordé  aux  Etats  la  Souveraineté ,  avec  des  titres 
de  des  marques  de  grandeur ,  que  pour  les  priver  de  la  chofe , 
qui  conftituë  la  liberté ,  &  qui  en  eft  comme  le  fceau. 

Ils  difoient  encore  qu'on  appercevoit  aifément  le  but  de 
cette  politique  Efpagnole ,  qui  ne  tendoit  qu'à  rendre  inu- 
tile ,  &  méprifable  à  les  voifins ,  une  nation  qui  fe  verroit  ren- 
fermée dans  les  bornes  étroites  de  fon  pais ,  où  elle  feroit  con- 
tinuellement dans  une  extrême  diiètte  :  Nation  d'ailleurs  puif- 
^.nte  fur  la  mer ,  formidable  à  l'Efpagne  fur  l'Océan  &  dans 
les  Indes ,  &  par  conféquent  utile  à  toutes  les  autres  nations  : 
Que  les  Efpagnols  fe  -reflbuvinflent  qu'ils  avoient  à  traiter 
avec  de;  peuples  libres  ,  qui  vouloient  le  faire  librement , 
Que  la  rélblution  des  Etats  étoit  prife  :  Que  fi  l'Efpagne  refu- 
foit  d'y  foufcrire ,  il  falloir  recommencer  la  guerre. 

Ce  fut  ainfi  que  les  députés  des  Etats  parlèrent  en  faveur  de 
la  liberté  de  leurs  provinces.  Hugues  Grotius ,  qui  étoit  avo- 
cat des  Etats ,  &  dont  nous  auroîïs  occaficn  de  parler  dans 
la  fuite ,  a  écrit  fur  cette  matière  un  petit  ouvrage  ingénieux , 
intitulé  :  Mare  Lberum.  ïl  y  rapporte  les  fentimens  des  théolo- 
giens à  ce  fujet ,  d'Ahbnfe  de  Caftro  ,  de  Gabriel  Vafquez  , 
tous  deux  Efpagnols ,  &  du  cardinal  Thomas  Cajetan.  Il  fe  fert 
de  leur  décifion ,  pour  montrer  la  folie  de  ceux  qui  préten- 
dent qu'il  n'y  a  que  les  Efpagnols  qui  ayent  droit  de  commer- 
cer aux  Indes ,  ou  qu'ils  ont  pu  dépouiller  les  princes  Indiens 
de  leurs  Etats. 

Ces  conteûaticns  faifant  défefpcrer  de  conclure  la  txéve  3, 


DE  J.  A.  DE  THOU,Liv.n.  45 

tant  que  l'Efpagne  s'obilineroit  à  refufer  aux  Etats  la  liberté  = 


de  la  navigation  ôc  du  commerce  des  Indes ,  les  Archiducs  Henri 
envolèrent  en  Efpagne  le  Cordelier  Ney ,  (  i)  l'un  de  leurs  dé-  I V. 
putes  au  Congrès,  pour  expofer  de  vive  voix  à  Philippe ,  les  1  ^o> 
difficultés  que  ce  refus  faifoit  naître.  Cet  agent  ayant  été 
retenu  pendant  un  an  par  ce  Prince ,  dont  la  lenteur  étoit 
extrême ,  fuivant  l'ufage  des  Efpagiiols ,  rapporta  enfin  la  ré- 
ponfe  du  Roi.  Peu  de  jours  après  fon  arrivée ,  les  ambaiîa- 
deurs  des  deux  rois  de  France  &  d'Angleterre ,  qui  difcu- 
toient  les  intérêts  des  deux  partis ,  fe  rendirent  à  Anvers ,  ou 
ils  eurent  quelques  conférences  enfemble.  Les  Archiducs 
promettoient  au  nom  du  roi  d'Efpagne ,  qu'on  ne  trouble- 
roit  en  aucune  manière  les  Etats  dans  le  commerce  des  In- 
des ,  ajoutant  que  Philippe ,  pour  de  certaines  raifons ,  qu'il 
importoit  peu  aux  Etats  de  connoitre ,  ne  vouloit  pas  qu'il  fut: 
fait  mention  des  Indes  dans  les  articles  de  la  trêve ,  &  qu'il 
n'y  avoir  que  ces  motifs  particuliers ,  qui  lui  avoient  fait  pren- 
dre cette  réfolution. 

Les  Etats  de  leur  côté  difoient  que  plus  on  faifoit  de  diffi- 
cultés, pour  ne  pas  inférer  ce  point  dans  le  traité ,  plus  il  étoit 
iiéceffaire  de  l'y  exprimer  clairement.  Ils  ne  voulurent  ja- 
mais rien  relâcher  fur  cet  article  ;  mais  on  trouva  un  moïen , 
pour  accorder  le  différend.  Ce  fat  de  mettre  dans  le  traité , 
■qu'ils  confcn toient  à  la  trêve  ,  à  condition  qu'ils  auroient  la 
liberté  de  commercer  par  tout  où  bon  leur  fembleroit.  Les 
agens  des  Archiducs ,  au  nom  du  roi  d'Efpagne ,  dévoient  re- 
connoître  que  cet  article  regardoit  le  commerce  des  Indes. 
Les  Ambaffadeurs  des  rois  promirent  de  fe  rendre  garans 
en  bonne  forme,  que  tout  ce  qui  concernoit  le  commerce 
<ies  Indes,  feroit  obfervé  auiu  régulièrement,  que  fi  on  eâ 
ctoit  convenu  expreffément  par  écrit;  &  que  fi  l'on  donnoit 
atteinte  à  la  foi  du  traité ,  leurs  maîtres  envoyeroient  des  fe- 
cours  aux  Etats.  Cette  expédient  ayant  eu  l'approbation  des  ^3  Xj-éve  eii 
deux  partis  ,  le  traité  fut  enfin  conclu  &  figné ,  &  les  ambafla-  coxi«è  catre 
deurs  fixèrent  le  temps  de  la  trêve  à  Pefpace  de  douze  an-  \fj^^,l  % 

nées.  néraux. 

Les  Archiducs  avoient  demandé ,  que  l'on  permît  aux  vaif- 
feaux  marchands ,  qui  moùilleroient  fur  les  côtes  de  Zelande , 

(i)  Jcati  de  Neyea  CpmraifTaire  général  de  l'Ordre  de  Sain:  Iraajois  aux  Pays-Bas», 

Eij 


44  SUITE  DE  L'HISTOIRE 

de  remonter  TEfcaut  jufqu  à  Anvers ,  pour  y  vendre  leurs 
H  E  N  R  I  marchandifes  j  mais  les  Zelandois  ne  voulurent  jamais  rien 
1 V.  relâcher  d'un  droit  fi  avantageux  à  leur  Province  ,  quoique 
2  6o$.  les  députés  des  autres  Provinces  y  confentillent  ,  &  que  les 
ambailàdeurs  fuffent  d'avis  de  contenter  les  Archiducs.  Cette 
affaire  n'aïant  pu  fe  terminer ,  on  la  remit  à  un  autre  temps , 
après  la  publication  de  la  trêve  ,  dans  Fefpérance  que  la  dou- 
ceur de  la  paix  concilieroit  les  efprits  de  part  &  d'autre.  Ce 
fut  le  moïen  dont  on  fe  fervit  pour  lever  les  autres  difficul- 
tés :,  qui  fe  rcncontroient  dans  la  plupart  des  articles  ;  on  con- 
vint que  toutes  indécifes  qu'elles  étoient  ,  elles  n'empêche- 
roient  pas  la  conclufion  de  la  trêve  •■>  ainfi  n'y  ayant  plus  d'ob- 
ftacle ,  le  traité  fut  dreffé  le  neuvième  d'Avril  &  les  PaBa 
conventa  fe  trouvèrent  au  nombre  de  trente-huit  articles ,  lef- 
quels  furent  lignés  par  le  préfident  Jeannin,  &  Eiie  de  la  Place 
de  Ruily,ambaifadeurs  de  France  j  &  par  les  chevaliers  Richard 
Spencer ,  &  Rodolphe  Winwood ,  ambafiadeurs  d'Angleterre. 
Après  eux  lignèrent  Ambroife  Spinola  marquis  de  Venafra, 
le  prélident  Richardot  ,  Jean  Mancicidor  fécretaire  de  Sa 
Ivlajeité  Catholique ,  le  père  Jean  Ney ,  &  Louis  Verreycken , 
(  I  )  agens  des  Archiducs  Albert  &  Ifabelle ,  tant  pour  ces 
Princes  que  pour  le  roi  d'Efpagne.  Guillaume  Louis ,  comte 
de  Naifau  (  2  ) ,  Walraven  de  Brederode  -  Vianen ,  Corneille 
de  Gendt  (  3  ) ,  Jean  Barneveldt  (  4) ,  Jacques  de  Maldereau 
(  ^  ) ,  Gérard  de  Renelfe  {6),  Gellius  Hillema  (  7  ) ,  Jean 
Sloëth(8),  &  Abel  Coenders(_9  )  fignerent  pour  les  Etats, 
dont  ils  étoient  agens. 

La  trêve  ayant  été  pubhée  le  même  jour ^  le  peuple  fit  écla- 
ter fa  joye  5  le  bruit  des  clairons,  des  trompettes  &:  de  l'artil- 
lerie ^  annonça  l'heureufe  fin  de  la  guerre.  Les  ambafiadeurs 
de  France  obtinrent  en  même  temps  qu'on  ne  changeroit  rien 
à  la  Religion  dans. quelques  bourgs  du  Brabant^qui  apparte- 
noient  aux  Etats ,  &  qu'on  n'y  introduiroit  point  d'autre  culte, 
que  la  religion  Catholique ,  qui  y  avoit  toujours  été  en  ufage. 


^1)  Ilétbit  Auû'encîer. 

(,z  )  Gouverneur  de  Frifc. 

\  3  }  Vicomte  &  Juge  de  Nimsgup. 

(4)  Jean  à'Oldcn'Barnevcldc,  G^rde 
^n  grand  !  e;au  d .  Hollande  &  àz  Wtft- 
Prifç, 


(  5  ■)  Tremier  PréiîdcDt  au  Conftil  de 
Zclande. 

(6  )  De  Vander  Aa. 

(  7  )Confcillcr  dcfrife, 
(8)DcSallick. 


DE  J.  A.  DE  THOU,  Liv. II.  45 

Les  Etats  &  le  prince   d'Orange  promirent ,  feulement  de 
bouche,  d'obferver  la  parole  qu'ils  en  avoient  donnée.  Nos  Henri 
Ambafladeurs  drelTerent  un  écrit  qu'ils  fignerent ,  par  lequel        I  V. 
le  Roi  promettoit  de  fon  côté,    d'employer  les  plus  fortes      iCo<}. 
inftances,  pour  engager  les  Etats  à  remédier  à  ce  qui  pourroit 
arriver  de  contraire  à  leur  promeffe  fur  ce  fujet. 

Cette  grande  affaire  ayant  été  terminée ,  les  ambafladeurs 
des  deux  rois  de  France  &  d'Angleterre  furent  priés  de  ve- 
nir à  la  Haye ,  pour  confirmer  la  foi  du  traité ,  ligné  au  nom 
du  roi  d'Efpagne  &  des  Archiducs.  Ces  minifîres  s'y  étant 
rendus,  on  drefla  le  17  de  Juin  l'ade  de  garantie,  à  peu 
près  dans  ces  termes  :  Qu'on  ne  dérogeoit  point  aux  con- 
ventions faites  l'année  précédente  entre  les  deux  Rois  &  les 
Etats  h  qu'au  contraire  ,  elles  feroicnt  auiîi  inviolablement 
obfervées  ,  que  fî  elles  étoient  expreflement  renouvellées  : 
Qu'en  cas  que  le  roi  d'Efpagne  ou  les  Archiducs  violaflent  la 
trêve,  qu'ils  empêchaflent ,  ou fouffrilTent  que  l'on  empêchât 
la  liberté  du  commerce  aux  Indes ,  par  rapport  aux  Etats ,  ou 
.autres,  qui  font,  ou  feront  leurs  aifociés ,  les  deux  Roiss'en- 
gageoient  à  leur  envoyer  les  fecours  mentionnés  au  traité: 
Que  les  Provinces-Unies  ne  pourr oient ,  durant  la  trêve ,  trai- 
ter en  aucune  manière  avec  le  roi  d'Efpagne  j  ni  avec  les  Ar- 
chiducs ,  fans  l'avis  ou  le  confentement  des  deux  Rois ,  qui  de 
ieiu-  côté  n'entreroient  en  aucune  négociation  au  defavantage 
des  Etats  Généraux. 

Après  qu'on  eut  réglé  toutes  ces  chofes ,  le  préfident  Jean-     Le  Roi  en» 
nin  parla  de  la  Religion.  Il  dit  qu'il  y  avoit  encore  un  point,  f  ^^^j.^'^j^'''*," 
que  le  Roi  fon  maître  fouhaitoit  avec  beaucoup  d'ardeur  qu'on  liberté  dcccn- 
lui  accordât  :  Qu'il  demandoit  qu'on  permît  aux  Catholiques  Science  aux 
foumis  aux  Etats  de  profefler  la  Rehgion  de  leurs  pères  :  Que     ^  ^^  ''^^^"' 
ce  Prince ,  qui  étoit  Catholique  ,  fouhaitoit  qu'on  donnât  à 
ceux  qui  profellbient  fa  rehgion  dans  les  Provinces-Unies  ,  la 
permiflion  qu'il  avoit  accordée  aux  Fran<^ois  qui  fuivoient  la 
rehgion  des  Etats  :  Que  Sa  Majefté  lui  avoit  ordonné  de  ne 
parler  de  cette  affaire  qu'après  la  conclufion  de  la  trêve ,  afin 
que  ce  qu'ils  accorderoient  aux  Catholiques^  en  fa  confidéra- 
tion,  fut  cenfé  avoir  été  accordé  librement  &  fans  contrainte  : 
Qu'il  ne  s'étoit  déterminé  à  leur  faire  cette  demande  qu'en  vûë 
du  grand  nombre  de  Cathohques  répandus  dans  les  Provinces- 

Eiij 


^6  SUITE  DE  L'HISTOIRE 

-  Unies  :  Que  ce  feroit  traiter  inhumainement  ces  membres  de 
H  EN  R  ï  la  République ,  qui  avoient  fupporté  courageufement  avec  les 
I  V,        autres  les  malheurs  d'une  longue  guerre ,  que  de  les  empêcher 
1  6  c  p.     de  jouir  de  la  paix  &  des  avantages  d'une  liberté  ^  qui  devoit 
être  le  fruit  de  leurs  travaux ,  &  d'en  jouir  dans  le  fein  de 
leur  patrie  ,  pour  laquelle  ils  avoient  tant  de  fois  expofé  leur 
vie  dans  les  combats  :  Car  comment ,  ajouta-t'il ,  goûteroient- 
îls  les  douceurs  de  la  paix ,  &  feroient-ils  ufage  de  leur  li- 
berté ^  fi  le  feul  exercice  de  leur  Religion  les  rendoit  coupa- 
bles de  trahifon  envers  l'Etat .'' 

»  Vous  fqavez ,  continua  le  Préfident ,  quels  troubles  peut 

»  enfanter  la  privation  de  liberté  en  fait  de  Religion  ?  N'eft-ce 

35  pas  cette  dureté  des  Efpagnols  qui  vous  a  mis  contre  eux  les 

w  armes  à  la  main  ?  Voïez  couler  les  larmes  d'une  multitude 

»  de  citoyens ,  qui  fouffrent  avec  patience  le  changement  de 

30  domination  j  mais  qui  brûlent  en  lecret  du  defir  de  profef- 

»  fer  leur  Religion  :  Voilà  le  motif  des  prières  qu'ils  vous  font 

»par  ma  voix  5  ne  les  pouffez  point  dans  le  défefpoir  :  N'eft-il 

3»  pas  plus  glorieux  de  fe  laifler  fléchir  par  les  larmes ,  que  â!ê* 

=0  tre  obligé  de  céder  à  la  force  f  Eil-il  néceilaire  de  vous  re- 

39  tracer  l'image  des  guerres  fanglantes ,  que  la  privation  de 

»  la  liberté  de  confcience  a  malheureufement  alliuiiées  dans  la 

»  Chrétienté  ?  Vous  ne  pouvez  ignorer  que  cette  dure  con- 

ta  trainte  a  toujours  été  la  fource  des  plus  grands  malheurs.  Oui, 

?>  c'eft  par  ces  ^vénemens  tragiques ,  que  Dieu  a  voulu  faire 

=?>  connoître,  que  les  différends  de  religion  ne  s'appaifent,  ni  par 

»  la  guerre ,  ni  par  les  fupplices  5  mais  plutôt  en  obtenant  de  la 

»  bonté  divine ,  par  des  œuvres  de  charité  les  uns  envers  les 

>î  autres  ,  qu'elle  éclaire  les  Princes  &  les  autres  hommes  char^ 

30  gés  de  la  conduite  des  peuples ,  pour  chercher  de  concert 

»  avec  le  Père  commun  des  Fidèles,  les  remèdes  que  les  faints 

»  Pères  nous  ont  enfeignés  pour  ces  fortes  de  maux.  En  atten^ 

30  dant  cet  heureux  temps ^  le  Roi  mon  maître ,  faifant  obfer- 

33  ver  l'Edit  en  faveur  des  Proteftans  François ,  entretient  l'u- 

X  nion  entre-eux  &  les  Catholiques ,  dans  les  mêmes  villes , 

35  &  fouvent  fous  le  même  toît.  Sa  Majefté  a  trouvé  par  cette 

M  conduite  le  moyen  de  calmer  les  efprits,  que  la  guerre  a  voit 

»  aigris.  Ses  foins  ont  eu  le  fuccès  qu'il  s'en  étoit  propofé  :  Les 

^  plus  éclairés  d'entre  les  deux  Partis  ne  défirent  rien  avec  plii5 


D  E  J.  A.  DE  THOU,  Liv.  IL  47 

a»  d'ardeur ,  que  de  fe  voir  réunis  dans  la  même  communion 
»  &  de  n'avoir  plus  aucun  fujet  de  haine  &  de  fcandale.  »     ,, 

Le  Prciîdent  ajouta  que  comme  cet  expédient  avoit  réùfll       ^  ^  ^^  ^ 
au  Roj,  Sa  Majefté  leur  confeilloit,  comme  à  fes  amis  & 
fes  alliés ,  de  s'en  fervir  ,  furtout  ayant  des  raifons  en  particu-     i  <5  o  Pa- 
lier de  fe  déterminer  à  fuivre  un  avis  fi  ialutaire  :  Que  le  Roi 
avoit  bien  plus  de  droit  de  défendre  dans  fon  Royaume  l'e- 
xercice d'une  autre  Religion ,  que  celle  qu'il  y  avoit  trou- 
vée établie  à  fon  avènement  à  la  Couronne ,  &  qu'il  avoit 
confirmée  lui-même ,  que  les  Etats  n'en  avoient  pour  prof- 
crire  une  Religion  reçue  &  pratiquée  dans  leurs  Provinces, 
iong-tems  avant  que  la  leur  y  fut  introduite  :  Que  Sa  Majefté  ne 
feroit  qu'ufer  de  fes  droits ,  en  ne  foufrrant  dars  la  France  que 
la  Religion  qu'il  profeflbit  5  mais  que  ce  Prince  étoit  tropTage, 
pour  mettre  le  Royaume  en  danger,  en  exerçant  fes  droits 
à  k  rigueur,  au  lieu  de  prendre  des  voies  douces  &  con- 
formes à  fa  clémence  :  Que  la  république  de  Hollande  étant 
compofée  de  membres  de  l'une  &  de  l'autre  Religion ,  qui 
avoient  tous  enfemble  contribué  unanimement  de  leurs  for- 
ces, de  leur  courage,  &  de  leurs  richeffes,  pour  affiirer  la 
liberté  commune ,  il  y  auroit  de  l'injuftice  de  la  part  des  Ré- 
formés ,  qui  font  en  plus  grand  nombre ,  de  fe  prévaloir  de 
cet  avantage ,  pour  interdire  à  leurs  compatriotes  l'exercice 
d'une  Religion  ,    qui   leur  étoit  plus  chère  que  la  liberté  ; 
Qu'outre  ces  raifons ,  les  Etats  avoient  encore  de  puiffans 
motifs  de  fe  laifïer  fléchir  en  faveur  des  Catholiques:  Que 
leur  refijfcr  la  liberté  de  confcience,  c' étoit  donner  l'exem- 
ple aux  princes  Catholiques  de  fermer  l'oreille  aux  prières 
des  Proteftans  :  Que  les  Etats  dévoient  prendre  garde  de 
faire  revivre  par  leur  inflexibilité  le  fyftéme  de  ceux  ,  qui 
croyent  qu'il  eft  permis  de  contraindre  par  la  voie  des  ar- 
mes, les  foibles  à  embraffer  la  Religion  du  plus  fort  :  Que 
ce  fentiment  odieux  avoit  poufle  des  Souverains  à  mettre  le 
fer  à  la  main  à  des  peuples  entiers  ^  pour  s'égorger  inhumai- 
nement les  uns  &  les  autres  :  Qu'au  refte  on  pouvoir  en  tou- 
te fureté  accorder  la  liberté  de  confcience  à  des  concitoyen?, 
d'un  zélé  reconnu ,  qui  avoient  partagé  les  périls  de  la  guerre , 
qui  Iong-tems  privés  de  cette  liberté j  en  avoient  rejette  la 
faute  fur  le  malheur  des  tems  ^  plutôt  que  fur  le  Gouverne- 


mass^s^BBSSSŒEzs 


4S  S  U I  T  E  D  E  L'  H  I  S  T  O I R  E 

ment ,  &  avoient  mieux  aimé  cacher  la  douleur  qu'ils  en  ref- 
Henri  ^"^i^^^oient ,  que  de  déranger  l'harmonie  de  la  République  par 
jy         le  moindre  murmure,  dans  l'efpérance  néanmoins  de  joiiirun 

1  60  Q.     ^^^^^  ^^  ^^  ^^^^  avec  les  autres,  après  avoir  partagé  les  mal- 
heurs de  la  guerre. 

03  Si  leur  attente  étoit  trompée ,  ajoûta-t-il ,  il  en  arrive- 
»  roit ,  ou  qu'emportés  par  un  zélé  indifcret ,  ils  auroient  re- 
»  cours  à  la  force  ^  pour  tirer  raifon  de  la  violence  qu'on 
M  exerceroit  à  leur  égard,  ou  qu'ils  abandonneroient  peu  à 
31  peu  leur  Religion  ^  mettroient  Dieu  en  oubli  ^  &  fe  plon- 
»  geroient  dans  l'impiété ,  plus  pernicieufe  à  la  République , 
31  que  toute  forte  de  fuperftitions  :  car  le  fuperftitieux  eft  toû- 
31  jours  dans  la  craintes  &  après  s'être  mis  à  couvert  des  châ- 
»  timens  des  hommes  ^  il  croit  toujours  ne  pouvoir  fe  fouf- 
»  traire  à  la  vengeance  divine ,  qui  lui  caufe  de  plus  gran- 
di des  frayeurs.  Pénétré  de  cette  crainte  falutaire ,  il  obéît  aux 
»  loix,  &  ne  fe  livre  pas  fi  aifément  au  crime  qu'un  fcélé- 
33  rat ,  qui  fans  crainte  &  fans  efpérance  après  la  mort ,  ne  re- 
»  garde  comme  criminel  &  honteux ,  que  ce  qu'il  ne  peut 
31  dérober  aux  yeux  de  la  juftice  humaine,  ou  ce  qui  peut  lui 
:•  attirer  des  châtimens.  » 

31  Ces  raifons  j  pourfuivit-il  j  doivent  fuffire  aux  Etats  j  pour 
31  les  engager  à  contenter  les  Catholiques.  Le  Roi  ayant  bien 
33  prévît  que  fa  demande  trouveroit  de  Toppofition ,  n'a  pas 
31  voulu  mettre  le  trouble  dans  la  République  5  c'eft  pour 
31  cela  qu'il  a  jugé  à  propos  de  reftraindre  fa  prière  en  fa- 
»  veur  des  Catholiques  ;  Sa  Majefcé  ne  demande  pas  qu'on 
31  leur  accorde  la  hberté  de  profefler  publiquement  leur  Re- 
31  ligion ,  mais  qu'on  leur  permette  feulement  de  le  faire  en 
31  particulier  dans  leurs  maifons,  fans  les  inquiéter  fur  ce  fu- 
31  jet.  Si  les  Etats  jugent  cette  tolérance  préjudiciable  à  la 
31  République ,  le  Roi  confent  qu'on  prenne  de  juftes  mefu- 
31  res ,  poiu'  obvier  à  tous  les  inconvéniens ,  qui  pourroient 
31  arriver  à  cette  occaiion.  » 

Il  ajouta  qu'on  pouvoit,  par  exemple ,  exiger  de  tout  Ec- 
cléfiaftique,  avant  de  lui  permettre  de  s'établir  dans  les  ter- 
res de  la  République,  qu'il  déclarât  fon  nom  ôc  fon  domi- 
cile ,  &  qu'il  donnât  une  perfonne  de  fa  connoiilance ,  qui 
répondît  de  fesmoeiu-s  &z  dç  fa  fidélité  :  Que  cette  indulgence 

de§ 


ti*u!a«.4!Ua!saïVîii3a 


DE  J.  A.  DE  THOU,  Liv.  ïL  '^f, 

des  Etats,   qui   ne  pouvoit   entraîner  rien  de  funefre,  fe- 
roit  regardée  par  les  Catholiques ,  comme  une  grâce  llgnalée,  ^ 
qui  les  lieroit  plus  fortement  à  la  République  :  Que  le  Roi  de  ^  ^^  ^  '^ 
fbn  coté  auroit  de  grandes  obligations  aux  Etats,  &leurfçau-  ' 

roit  bon  gré  de  fuivre  prudemment  le  fage  confeii  qu'il  leur  *  ^.^' 
donnoit:  Que  files  Etats  perfilloient  à  retlifer  à  leurs  citoyens 
une  demande  fr'jufte,  il  croiroit  toujours  qu'ils  auroient  lieu 
d'appréhender  quelque  chofe  de  fâcheux  :  Qu'il  confeilloit  ce- 
pendant aux  Catholiques ,  quelle  que  pût  être  la  réfolution  des 
Etats,  de  fouffrir  en  patience,  &  de  confpirer  de  tout  leur 
pouvoir  à  conferver  la  paix  :  Que  s'ils  venoient  à  remuer , 
il  jugeoit  plus  à  propos  de  les  punir,  que  de  les  traiter  fa- 
vorablement. 

Le  préhdent  Jeannin  ayant  parlé  avec  beaucoup  de  force, 
fit  écrire  ce  qu'il  avoit  dit,  pour  donner  aux  Etats  le  moyen 
d'y  faire  plus  d'attention.  Les  Etats  comprirent  que  le  Roi  n'a- 
voit  fait,  que  ce  que  fa  Religion  &  fa  gloire  exigeoient  de  lui. 
Les  députés  des  Provinces ,  qui  furent  priés  de  dire  leurs  avis, 
répondirent  que  la  chofe  méritoit  de  férieufes  rétiexions.  La 
plupart  dirent  qu'on  ne  pouvoit  publier  une  loi  en  faveur 
des  Catholiques  j  fans  expofer  la  République  à  un  péril  évi- 
dent. Quelques-uns  furent  d'avis  d'ufer  de  tolérance,  allé- 
guant pour  raifon  qu'on  ne  pouvoit  refufer  avec  bienféance 
cette  grâce ,  aux  prières  d'un  grand  Roi  leur  allié ,  &  à  la  fi- 
déhté  de  leurs  compatriotes ,  qui  avoient  partagé  les  périls 
de  la  guerre  avec  les  Proteftans.  Il  eft  certain  que  les  Xia- 
giftrats  eurent  égard  au  fentiment  de  ces  derniers  ,  &  que 
dans  la  plupart  des  lieux  ils  relâchèrent  beaucoup  de  leur 
févérité  envers  les  Catholiques. 

Ce  ne  fut  pas  feulement  en  cette  occafion  que  le  préfi- 
dent  Jeannin  fit  paroître  une  habileté  confommée  j  fa  pru- 
dence éclata  dans  tout  le  cours  de  la  négociation.  Les  inf- 
trudions  des  miniftres  Efpagnols ,  qui  furent  laidees  par  ha- 
zard ,  ou  plutôt  à  deflein  à  la  Haye ,  dans  la  maifon  où  lo- 
geoit  le  préfident  Richardot,  &  qui  ftirent  enfuite  répandues 
dans  le  public,  à  l'occafion  de  l'interruption  des  conféren- 
ces ,  caufée  par  le  retardement  du  Père  Ney ,  font  ime  preuve 
certaine  de  la  dextérité  de  ce  Minjftre  :  Caries  Archiducs  re- 
commandoient  dans  ces  inilrudions  à  Richardot  &  à  leur^ 
Tome  }{V^  G 


fo  SUITE    DE    L' HISTOIRE 

autres  députés  de  faire  tous  leurs  efforts  pour  fe  concilier  la 
Ken  ri  bienveillance  &  l'amitié  de  ce  fage  négociateur. 
■    X  V.  Après  avoir  parlé  de  la  trêve  des  Pays-Bas  ,  comme  d'un 

I  5  op.     ouvrage  de  la  France,  je  vais  rapporter  ici  l'invention  d'un 
inftrument   utile  ,   pour  robfervation  des  objets  éloignés. 
Jes  Lunettes  Nous  dcvons  aux  Plamaus  cette  invention  j  qui  fut  bien-tôt 
d'approche,     portée  en  France ,  ôc  pratiquée  par  nos  ouvriers.  L'inftrument 
dont  il  s'agit  eft  compofé  d'un  tuyau   aux  deux  extrémités 
duquel  il  y  a  deux  verres  bien  nets ,  tous  deux  plats  d'un 
côté  5  mais  de  l'autre ,  Tun  eft  convexe ,  le  fécond  eft  con- 
cave. On  approche  de  l'œil  ce  dernier  ,  qui  recevant  (  i  ) 
les  efpeces  des  objets  grolTies  par  le  convexe ,  fur  lequel  les 
plus  éloignées  fe  peignent,  les  fait  paffer  dans  l'œil ,  de  ma- 
nière que  l'on  peut  facilement  diftinguer  de  loin  les  traits 
d'une  perfonne ,  &  les  caradéres  de  l'écriture. 

Cet  inftrument  ayant  été  apporté  en  Italie ,  Galilée  Gali- 
lei ,  Gentilhomme  Florentin ,  fit  fur  ce  modèle  une  Lunet- 
te d'approche  pour  fon  ufage  ,  avec  tant  de  foin ,  qu'elle  fai- 
foit  paroître  les  objets  cent  fois  plus  grands ,  &  trente  fois 
plus  proches,  que  fi  on  les  voyoit  fimplement  des  yeux.  Il 
découvrit  dans  la  Lime  d'autres  taches ,  que  celles  qu'on  y 
avoit  vues  de  tout tems 5 elles  étoientplus  petitesque  les  ancien- 
nes ,  mais  en  fi  grand  nombre ,  que  la  face  la  plus  éclairée 
de  la  Lune  en  étoit ,  pour  ainfi-dire ,  toute  couverte.  Il  corn- 
pofa  un  livre ,  où  il  prétendit  que  le  corps  de  cet  aftre  n'é- 
toit ,  ni  parfaitement  rond,  ni  fluide,  mais  raboteux  en  diffé- 
rens  endroits  ,  &  inégal  ^  tantôt  par  des  hauteurs  femblables 
à  des  montagnes ,  tantôt  par  de  profondes  vallées. 

Il  avança  aufll  que  la  voie  ladée  n'étoit  autre  chofe  qu'une 
quantité  innombrable  d'étoiles.  Ce  fameux  Aftronome  dé- 
couvrit les  quatre  fatellites  de  Jupiter  :  découverte  qui  éton- 
na le  monde  fçavant.  Ces  Planètes  font  difpofées  à  diftan- 
ces ,  tantôt  égales ,  tantôt  inégales ,  fuivant  une  ligne  droite , 
paralelle  à  l'Ecliptique  5  leurs  diredions  &c  leurs  rétrograda?* 
tions  fuivent  les  dire dions  &  les  rétrogradations  de  Jupiter. 
Preuve  certaine,  qu'outre  les  fept  planètes  connues,  il  y  a 

(  1  )  Rigault  explique  ici  cet  effet  de  la  Dioptrique ,  félon  les  idées  de  la  vieille 
philofophie. 


DE  J.  A.  D  É  THOU,  Liv.  IL  jr 

au-dfeflbus  du  Ciel  des  étoiles  fixes ,  encore  d'autres  aftres  * 

qu'on  ne  peut  appercevoir   qu'avec  le  Telefcope.  Galilée  Henri 
appellâ  j  Cofmiques  ou  de  Aledicis ,  ces  nouvelles  planètes ,  du        j  y 
nom  de  Cofme  II.  de  la  maifon  de  Medicis,  grand  duc  de     ^  côo» 
Tofcane  j  auquel  il  dédia  fon  livre  des  Obfervations. 

Cette  découverte  fît  beaucoup  d'honneur  à  Galilée  ,  niaU 
gré  tout  ce  que  put  lui  oppofer  Kepler,  dans  une  diflerta- 
tion  qu'il  publia  l'année  fuivante.  Il  prétendit  que  la  lunette 
d'approche  n'étoit  pas  une  fî  grande  nouveauté  ;  &  que  Jean- 
Eaptide  Porta  Napolitain  en  avoit  eu  le  fecret  :  Que  Pitha- 
gore  &  Plutarque  avoient  déjà  expliqué  la  caufe  des  taches 
de  la  Lune:  Qu'à  l'égard  des  nouvelles  planètes,  on  pou- 
voit  foupçonner  Galilée  d'avoir  cru  voir  ce  qu'il  n'avoit  pa? 
vu.  Appuyé  de  l'autorité  du  fqavant  Kepler  ,  François  Si- 
tius ,  quoique  Florentin ,  n'a  pas  balancé  à  ôter  du  Ciel  ces 
nouvelles  planètes   de  Medicis  ,   qui  n'étoient  ,  félon  lui, 
que  l'effet  de  la  réfradion  des  rayons  de  Jupiter  à  travers 
l'atmofphére.  Il   prétendoit  que  cette  réfradion  faifoit  pa- 
roître  ces  planètes  ,  par  le  moyen  du    verre  lenticulaire  , 
qui  y  aidoit  encore  :  Qu'ainfi  ce  n'étoit  qu'une  imagination , 
&  qu'ils  n'exifloient  pas  plus  que  les  Parelies  (  i  )  &  les  Pa- 
rafelenes.  Malgré  tout  ce  qu'on  oppofa  à  Galilée  ^  Simon  Ma- 
rins de  Guntzenhaufen  alîura  férieufement  quatre  ans  après, 
qu'obrervant  en  Allemagne  avec  la  Lunette  d'approche  la 
planète  de  Jupiter ,  à  peu  près  dans  le  même  temps  que 
Galilée  l'obfervoit  en  Italie ,  il  avoit  fiiit  la  même  découverte 
autour  de  cet  aftre.  Ils  ne  diffèrent  entre  eux  qu'en  ce  que 
l'Allemand  dit ,  que  ces  nouvelles  planètes  ne  font  pas  tou- 
jours dans  la  ligne  droite ,  tirée  par  le  centre  de  Jupiter ,  pa- 
rallelle  à  l'Ecliptique ,  mais  tantôt  au  Nord  &  tantôt  au  Midi. 
Il  ajoute  ,  que   charmé  de  cette  découverte ,  il  avoit  ob- 
fervè  pendant  plufieurs  nuits  les  mouvemens  ,  &  les  difian- 
ces  de  ces  nouveauîc  aftres.  Après  leur  avoir  affigné  un  cer- 
cle  fuivant  fes  obfervations ,  il  publia  un  livre  intitulé  :  Mun- 
dm  Jovtalis  ,  dans  lequel  il  s'accorde  avec  Galilée.  Il  y  dit 
encore  que  la  Lunette  d'approche  lui  a  fait  voir  que  toutes 
les  étoiles  ôc  les  planètes  étincellent,  à  l'exception  de  la  Lune; 

(  t)  Les  Parelies  font  les  images  du  Soleil,  qui  fe  peignent  dans  un  nuage.  Les 
Parafelencs  font  les  images  de  la  Lune. 

Gij 


fn  /'  SUÎTE  DE  L'HISTOIRE 

&  qae  les  planètes  &  les  autres  grandes  étoiles  font  parfai-» 
tement  rondes.  Enfin ,  il  parle  d'étoiles  que  Galilée  n'a  point 
Henri  découvertes.  Il  efl  étonnant  que  les  hommes  étant  aufli  eu- 

lieux  qu'ils  le  font^  y  ayant  d'ailleurs  tant  de  chofes  à  obfer- 
3  oop.     ygj.  ^j^j^^  Iq  çjgj^  Qj^  j^'^-j.  p^5  ^^jj.  jiifqLi'jcj  pii^s  c[e  décou- 
vertes, avec  un  infiniment  d'une  fi  grande  utilité. 
Mort  &  éîo-       Jofeph  Scaliger ,  qui  s'étoit  acquis  une  fî  grande  réputation 
oe  de  Joftph  daus  le  moudc  entier  par  fa  profonde  littérature  en  tout  genre, 
i^cjihger.        mourut  cette  année  dans  les  Païs-Bas  âgé  de  foixante-neuf 
ans.  Ce  fçavant  homme,  qui  étoit  le  dixième  des  enfans  de 
fa  mère,  étoit  refté  feul  de  quatre  frères  qu'il  avoir  eus.  Il 
étoit    de   la  ville  d'Agen  ,   fils   de  Jule  Scaliger,  (  t  )  mé- 
decin ,  qui  s'efl  rendu  célèbre  par  fon  habileté  dans  toutes 
les  fciences.  Le  père  &  le  fils  eurent  des  talens ,  qui  leur 
étoient  fi  propres  à  chacun  d'eux  en  particulier ,  qu'on  ne 
peut  les  comparer  enfemble.    Nicolas  le  Fevre  a  dit  d'eux3 
que  perfonne  n' étoit  jamais  parvenu  au  point  de  ces  deux 
grands  hommes  dans  les  fciences.  Outre  les  talens  de  l'ef- 
prit ,  ils  avoient  une  grande  probité ,  &  ils  vécurent  tous  deux 
avec  beaucoup  d'honneur.    On  leur  a  reproché  de  s'être  laif- 
fés  trop  emporter  dans  leurs  écrits-  à  la  pafïïon  de  critiquer 
avec  hardiefle  ;  mais  la  poftérité  plus  équitable  leur  rendra 
plus  de  juftice  3  elle  regardera  en   eux  l'exercice  du  talent 
de  la  critique ,  comme  une  efpece  de  droit  de  fouveraineté  ^ 
qui  leur  étoit  acquis  dans  la  république  des  Lettres ,  &  non 
comme  une  tyrannie  infuportable.    Ils  n'ont  écrit  que  pour 
ceux  qui  ont  déjà  des  Lettres ,  &  non  pour  ceux  qui  ne  com- 
mencent qu'à  fe  livrer  à  l'étude.  Plufîeurs  contemporains  de 
ces   grands  hommes  fe  font  élevés  contre  leur  mérite.   Jo- 
feph  a  été  plus  en  bute  aux  traits  de  l'envie  ,  que  fon  père  > 
mais  l'ignorance  ou  la  jaloufie  ftu-ent  les  fources  de  ces  ini- 
mitiés. Scaliger  le  père  s'étant  fait  defcendre  de  l'ancienne: 
maifon  délia  Scala  des  princes  de  Vérone ,  fon  fils  fe  crut 
obligé  de  foûtenir  cette  généalogie.  Les  perfonnes  de  bon 
Cens  n'approuvèrent  pas  cette   vanité ,  &  jugèrent  qu'il  étoit 
fort  inutile  de  rechercher  fi  ces  deux  fçavans  tiroient  leur 
origine  des  princes  de  Vérone ,  parce  qu'ils  avoient  l'un  Ôc 
Tautre   rendu  leur  nom  li  célèbre;,  que  la  maifon  de  ces 
(ij  Ou  de  l'Efcaie. 


DE  J.  A.  DE  THOU,  L  i  v.  II.  n 

Princes   devoit  être   ttcs -honorée  d'avoir  de  pareils   def- 
cendans.  Jofeph  mourut  à  Leyde,   où  il  s'ctoit  rendu  à.  la  j^  ^^  ^,  ^  ^ 
prière  des  Etats,  qui  av oient  demandé  cette  grâce  au  Roi.       j  y^ 
•Les  Diredeurs   de  l'Univerfité ,  &  les  Confuls  de  la  ville     ^  ^  ^*  , 
élevèrent  fur  fon  tombeau  un  monument  de  leur  reconnoif- 

fance. 

Oueîque  tems  après,  Charle  de  î'Eclufe  du  païs d'Artois ,  _.,    ^^°"  ^^ 

v.^^  ,A/i  •  ïri/r        Cliarlc  de 

mourut  aufli  à  Leyde,  âge  de  quatre-vingts  ans.  Maigre  ion  rEiciufeo» 
grand  âge ,  les  fatigues  de  fes  voyages  j  plutôt  que  les  an-  Ciufus. 
nées,  le  mirent  dans  le  tombeau.  Nous  avons  de  lui  une 
Hiftoire  naturelle  des  pais  étrangers. 

La  Reine  obtint  du  Roi  des  Lettres  patentes,  en  faveur 
de  Jean  Boneile  vicaire  de  Jean  de  Dieu,  Pondateur  des  in^ittîtlen 
Religieux  de  la  Charité  établis  à  Rome ,  &  dans  plufieurs  des  i  rcres  de 
villes  d'Italie.  Elles  donnoient  à  Boneile  la  permiiTion  de  ^^  Chancéo 
bâtir  dans  Paris,  ou  dans  les  fauxbourgs  un,  hôpital  &  d'y 
demeurer.  Le  Parlement  enregiilra  ces  Lettres ,  avec  la  clau- 
fe  que  Boneile  &  fes  Religieux  feroient  foûmis  à  la  jurifdi* 
6lion  des  Magiftrats ,  &  de  l'Ordinaire.  Cette  maifon  s'en- 
tretient des  aumônes ,  qui  font  employées  à  foulager  les  ma^ 
lades  qu'on  y  retire.  Les  Religieux  fe  partagent  les  différens 
.emplois  ;  les  ims  vont  à  la  quête  en  ville  5  les  autres  con- 
folent  par  de  pieufes  exhortations  les  malades  qu'on  a  reçus 
.dans  cet  hôpital  ••>  quelques-uns  en  ont  foin ,  &  travaillent  à 
leiu'  guérifon.  Enfin  il  y  en  a  qui  donnent  la  fépulture  aux 
morts.  Cette  inftitution  qui  nous  vient  des  étrangers  ^  fera 
toujours  très-louable ,  tant  qu'on  fera  un  bon  ufage  des  pieu- 
.fes  libéralités  de  nos  ancêtres,  "defdnée s  au  foulagement  des 
malades. 

Le  10  d'Avril,  la  reine  Marguerite  donna  au  Dauphin;     Union  des 
comme  à  l'héritier  de  la  Couronne ,  les  comtés  d'Auvergne  comtés  d'.-^u- 
&  de  Clermont  y  la  baronie  de  la  Tour ,  tous  fes  droits  pa-  Couronne. 
ternels  &  maternels  fur  l'Auvergne ,  &  far  tous  autres  Do- 
maines ,  foit  dans  le  Royaimie ,  foit  hors  du  Royaume.  Le 
chancelier  Nicolas  Bruflart  de  Sillery ,  &  MaximiUen  de  Be- 
thune  duc  de  Sully ,  reçurent  au  nom  du  Dauphin  cette  do- 
nation ,  faite  à  condition  que  tous  ces  biens  feroient  unis  à 
la  Couronne,  ôc  au  Domaine;,  fans  pouvoir  jamais  en  être 
féparés, 

G  m 


J4  S  U  I T  E  D  E  L'  H  I S  T  O  î  IlE 

Au  commencement  de  Juin ,  on  jugea  une  affaire  qui  fît 
Henri  ^^^^  ^^  bruit  a  Paris.  Guillaume  Pingre  ayant  fait  la  ban- 
j  y^       que  long-tems  dans  cette  ville ,  fans  avoir  donné  le  moin- 
I  60  Q,     ^^^  ^^i^^  d^  plainte  à  perfonne ,  prit  enfin  le  parti  d'emporter 
^  fes  effets  &  fes  papiers ,  après  avoir  emprunté  de  grandes  fom- 

ticrpuni.  mes  d  argent  a  mterets.  Ses  créanciers  ayant  appris  quil  s  e- 
toit  retiré  à  Valenciennes  en  Hainault,  le  firent  arrêter  par 
le  Prévôt  de  la:  Maréchauflee  de  Senlis ,  avec  la  permilTion 
des  Archiducs.  Pingre  ayant  été  ramené  à  Paris,  avoua  fa 
mauvaife  foi ,  &  fut  condamné  aux  galères  perpétuelles ,  & 
à  être  promené  ignominieufement  dans  les  rues  de  Paris, 
comme  un  criminel  que  l'on  conduit  au  fupplice.  Enfuitc 
t)n  jugea  à  propos,  afin  d'empêcher  ces  banqueroutes  frau- 
duleufes,  de  donner  un  Edit,  portant  que  tous  Banquiers, 
qui  fe  trouveroient  dans  le  cas ,  feroient  punis  comme  des 
voleurs  publics. 
Edit contre  Le  Roi  fit  enregiftrer  dans  le  même  mois,  avec  une  ap- 
les  Duels.  probatioii  univerfelle  ,  un  Edit  contre  les  Cartels ,  qu'on  ap- 
pelle vulgairement  Duels,  parce  que  la  chofe  fe  pafle  en- 
tre deux  perronnes.  Les  François  confervoient  cette  coutu- 
me  établie  par  la  Loy  Salique  ,  comme  un  ufage  des  temps 
des  Héros  j  ufage  cependant  plus  horrible  que  les  coutu- 
mes que  Theodoric  roi  des  Goths  abolit  à  la  perfuafion  de 
Cafiiodore  ,  &  qui  ne  convenoient  qu'aux  bêtes.  Gonde- 
baut  roi  de  Bourgogne,  &  les  auteurs  de  la  loy  Salique  les 
rétablirent  malheureufement  quelques  fiécles  après. 

Il  étoit  palfé  en  coutume ,  lorfque  les  preuves  par  témoins 
n'étoient  pas  certaines  ,  &  qu'on  ne  pouvoit  pas  s'en  rap- 
porter au  ferment  dans  une  affaire ,  d'en  remettre  le  juge- 
ment à  la  décifion  des  armes.  Les  Parties ,  qui  n'étoient  pas 
en  état  de  combattre  par  elles-mêmes,  étoient obligées  de 
donner  une  perfonne  pour  le  faire  à  leur  place.  Celui  dont 
le  combattant  étoit  vaincu  perdoit  fon  procès.  Telle  fut  la 
pratique  de  notre  Nation  ,  avant  que  le  droit  Romain  eût 
adouci  fa  férocité  ,  dont  il  refta  néanmoins  encore  long- 
temps après  des  traces,  comme  on  peut  le  voir  parce  que 
difent  Avitus  évêque  de  Vienne,  &  Agobard  archevêque 
de  Lion ,  dont  les  plaintes ,  fur  cet  abus ,  ont  été  inférées  dans 
le  fécond  concile  de  Valence ,  du  confentement  des  Pères 


liflM  UiA'4^  7-Wi-vy3Lr^'V>Vn 


DE    J.    A.    DE   T  H  O  U,  L  I  V.  IL  yj 

de  cette  rcfped-able  Aflemblée.  Cependant  on  voit  par  les 

lettres  d'Ives  de  Chartres  ,  que  quoiqu'il  fut  habile  Jurif-  ^j 
confuke  ,  il  renvoya  au  comte  de  Chartres  des  affaires  à  dé-       jy^ 
cider  par  le  fort  des  armes  5  Sentiment  condamnable  dans       ^ 
un  Chrétien^   mais  bien  davantage  dans  un  Evêque  ,  tel  "' 

qu'Ives  de  Chartres  ,  qui  s'étoit  ailleurs  exphqué  fur  ce  fujet 
très-clairement,  en  écrivant  à  Jean  éveque  d'Orléans.  Il  lui 
avoir  expreffément  dit  que  les  Eccléfiauiques  ne  dévoient 
point  porter  de  ces  fortes  de  jugemens. 

Cette  coutume  barbare  avoir  jette  de  fi  profondes  raci' 
nés  dans  l'efprit  des  gens  de  guerre ,  même  fous  le  régne 
des  meilleurs  Princes ,  que  toute  profcrite  qu'elle  avoit  été 
par  Saint  Louis ,  elle  ne  fut  pas  moins  en  vigueur  fous  le 
régne  de  Philippe  le  Bel  fon  petit-fils.  Ce  Prince  ayant  d'a- 
bord défendu  de  la  fuivre  ,  fous  peine  de  crime  de  leze^ 
majefté,  il  la  rétablit  bien-tôt  par  un  Edit  contraire,  &rap- 
pella  les  loix,  les  formalités  &  les  fermens  d'ufage  en  cette 
occafion.  Le  combat  n'avoit  lieu  ,   que  lorfque  ces  quatre 
conditions  fe  rencontroient.  Il  falloit  d'abord  que  le  crime 
fut  conftaté  j  enfuite  qu'il  méritât  la  mort  jcntroifiémelieu, 
que  les  preuves  écrites  ou  teftimoniales  ne  fuflent  pas  fuf- 
fifantes  ,  pour  convaincre  l'accufé  ;  enfim ,  qu'il  y  eût  des  in- 
dices afiez  forts  pour  fonder  l'accufation.  Le  Roi  donnoit 
jour  aux  parties  pour  difputer  s'il  y  avoit  lieu  ou  non  à  la 
voie  des  armes.  Des  Avocats  de  part  &  d'autre  agitoient 
la  queftion  ;  le  demandeur  engageoit  l'affaire  ,  en  jettant  aux 
pieds  des  Juges  un  gand ,   ou  quelque  autre   chofe ,  pour 
marquer  qu'il  appelloit  en  Juftice  celui  dont  il  fe  plaignoit. 
Si  l'accufé  s'avoùoit  coupable ,  il  fubiflbit  les  peines  de  la 
Loi  ;  au  contraire  ,  s'il  foutenoit   que  l'accufation  étoit  fans 
fondement ,  &  faufle ,  il  ramafîbit  le  gand  de  fon  accufateur , 
&  promettoit  de  fe  trouver  au  combat.  Le  Roi  ou  le  Juge 
ayant  examiné  fi  le  combat  pouvoit  être  ordonné ,  marquoit 
le  jour,  l'heure  &  le  champ  5  les  deux  combattansdonnoient 
des  orages ,  &  faifoient  tous  les  préparatifs  néceflaires  ^  d'ar- 
mes &  de  chevaux  ;  il  leur  étoit  même  permis  d'amener 
des  amis  pour  fe  fervir  de  leur  confeil.   L'un  &  l'autre  fe 
rendoient  au  jour  marqué ,  fous  des  tentes  dreflees  de  cha- 
que côté  dans  une  plaine.  Le  Roi  ou  le  Juge  du  champ^  • 


H 

E   N  R 

IV. 

; 

6"o^_. 

Y^  s  U  I  T  E  D  E  L'  H  I  s  T  O  I  R  E 

s'y  trouv oient  pour  décider.  Les  Gardes  du  champ  menoîent 
i'accufateur  vers  un  trône  magnifiquement  paré ,  fur  lequel 
étoit  le  livre  des  Evangiles  6c  un  Crucifix.  Le  combattant 
s' étant  mis  à  genoux ,  un  Prêtre  l'exhortoit  à  ne  rien  imputer 
à  fon  ennemi ,  qui  ne  fut  vrai ,  &  à  craindre  les  jugemens 
de  Dieu  ,  plus  que  ceux  des  hommes  j  enfuite  le  Juge  du 
champ  prenoit  les  mains  de  l'accufateur  j  dont  il  mcttoit 
la  droite  fur  les  Evangiles,  &  la  gauche  fur  le  Crucifix:  En- 
fin ,  il  prononçoit  à  haute  voix  le  ferment  fuivant  la  formule 
ordinaire  dans  ces  fortes  q  occalions  ;  &  le  fuppliant  le  répé- 
toit  à  voix  claire  6c  diftinde.  Après  cette  cérémonie  on  le  rc- 
menoit  à  fa  tente. 

•  L'accufé  s'approchoit  à  fon  tour  du  trône  ^  où  il  protef- 
toit  de  fon  innocence  avec  les  mêmes  formalités  5  ils  ve- 
noient  une  féconde  fois  auprès  du  trône  ,  l'un  après  l'autre , 
pour  y  faire  les  mêmes  fermens  5  enfin  il  s'y  rendoient  la  troi" 
fiéme  fois  l'un  &  l'autre ,  conjointement  &  à  pas  égaux.  Le 
•Prêtre  les  avertillbit  avec  grand  foin  de  ne  point  tenter  Dieu 
par  un  parjure  ;  il  les  exhortoit ,  s'ils  fe  fentoient  coupables 
l'un  ou  l'autre ,  à  implorer  la  clémence  du  Roi  ou  du  Ju- 
ge,  plutôt  que  de  s' expofer  à  la  vengeance  divine.  S'ils  per^ 
iiiloient  dans  leur  réfokuion ,  ils  retournoient  à  leurs  tentes, 
ôc  s'y  étant  repofés  quelque  tems,im  Héraut  les  appelloit  au 
combat  à  haute  voix ,  du  milieu  du  champ  defliné  à  com- 
battre, lis  déchiroient  aulîltQt  leurs  tentes,  &  paroiifoient  aux 
yeux  des  afllilans. 

Le  Juge  du  champ  jettoit  en  même  tems  de  deffus  un 
çchafaut  im  gand ,  c'étoit  le  lignai  du  combat ,  qui  commen- 
jçoit  alors  avec  beaucoup  d'ardeur,  &  ne  finilibit  que  lorf- 
qu'un  d'eux  fe  rendoit ,  ou  tomboit  hors  des  barrières.  Le 
vainqueur  arrachoit  alors  les  armes  au  vaincu ,  coupoit  les 
courroyes  de  foncafque ,  &  les  jettoit  dans  le  champ  j  celui-ci 
foit  qu'il  refpirât  encore ,  foit  qu'il  fût  mort ,  reftoit  à  la  dif- 
crétion  du  Roi  ou  du  Juge  ;  le  vainqueur  gardoit  les  ota- 
ges ,  jufqu  au  payement  de  l'amende  portée  contre  le  cou- 
pable ;  fes  autres  biens  étoient  confifqués. 

C'eft  ainfi  que  dans  ces  tems  de  barbarie,  on  cherchoit' 
à  découvrir  la  vérité  par  ces  moyens  fanglans ,  &  que  la  juf-r 
ticç  fe  rendoit  par  l'homicide.  La  Nobleife  de  nos  jours  no 


D  E   J.    A.    D  E    T  H  O  U ,  L  1 V.    î  I.  fj 

fe  contentant  pas  de  cette  efpece  de  folie,  a  poiilîe  les  cho- 
fes  JLifqu'à  la  fureur  j  elle  fe  fait  des  fujets  de  la  plus  vive  Henri 
animoiîté  de  caufes  très-legéres ,  pour  lefqueiles  on  ne  peut  j  y 
même  avoir  d'adion  en  juftice.  Si  l'offenfe  eft  de  nature  à  iô'o'o."' 
être  portée  devant  les  Juges,  on  fe  croiroit  deshonoré  d'en 
exiger  une  fatisfadion  par  une  autre  voie  que  par  celle  des 
armes ,  qiû  eft  la  manière  dont  la  juftice  fe  rend  parmi  les 
voleurs  j  ainfi  fans  être  retenus  ni  par  les  LoLx:,  ni  par  la  Re- 
ligion, un  mari  à  l'infçu  de  fa  femme,  un  père  à  Tinfçu  de 
fes  enfans  j  les  enfans  à  l'infi^u  de  leurs  parens ,  vont  s' expo- 
fer  à  un  péril  évident  5  &  ce  qu'on  aura  de  la  peine  à  croire, 
ils  fe  font  féconder  par  un  ou  deux  amis,  qui  fe  battent  fou- 
vent  fans  fujet  contre  des  inconnus ,  quelquefois  contre  leurs 
meilleurs  amis ,  avec  qui  ils  n'ont  rien  d'ailleurs  à  démêler. 
Ennemis  fans  fujet  ^  ils  s'expofent  de  gayeté  de  cœur  à  ver- 
fer  leur  fang ,  &  à  perdre  la  vie  pour  rien. 

Cette  folie,  ou  plutôt  cette  efpece  de  frénefie ,  s'honore 
du  nom  de  courage  ■>  on  en  eft  même  venu  jufqu'à  regarder 
comme  le  comble  de  la  gloire ,  de  s'être  trouvé  dans  Toc- 
cafion.  Infenfés .'  Ils  ignorent  que  le  véritable  honneur  ne 
confiftc  pas  à  méprifer  la  mort  (  mépris  qu'une  férocité  na- 
turelle met  quelquefois  dans  les  âmes  les  plus  viles  )  mais  à 
îa  méprifer ,  quand  elle  peut,  &  doit  être  méprifée.  Ils  ne 
font  point  réflexion  que  des  Chrétiens  ne  doivent  jamais  la 
chercher,  lorfqu'ils  foulent  aux  pieds  par  cette  démarche 
les  devoirs  de  la  Religion  &  de  la  Charité. 

Ces  fortes  de  combats  avoient  tellement  affoibli  la  No- 
blefie  pendant  la  paix ,  qu'il  n'y  avoit  prefque  point  de  fa- 
mille ,  qui  n'eût  à  fe  reprocher  d'avoir  verfé  le  fang  de  quel- 
qu'un de  fes  proches.  Le  Roi  pour  remédier  à  ces  défor- 
dresj  avoir  donné  fept  ans  auparavant  un  Edit,  par  lequel  il 
déclaroit  coupables  de  leze-majefté  les  aggrelleurs ,  prenant 
fur  lui  tout  ce  qu'on  pourroit  imputer  à  ceux  qui  refuferoient  le 
cartel.  La  Nobleife^  connoiflant  la  facilité  du  Roi>  donna 
bien-tôt  atteinte  à  cette  Loi ,  que  les  petits  violèrent  à  l'e- 
xemple des  grands.  On  en  vint  même  jufqu'à  confidérer  beau- 
coup à  la  Cour  le  duellifte  le  plus  furieux  ôc  le  plus  hardio 

Le  Roi  informé  que  ces  fortes  de  combats  avoient  plus 
foit  périr  de  Noblefte  au  fein  de  la  paix,  que  la  guerre  ci- 
TomeXK  H 


58  S  U  I  T  E  D  E   L'  H  I  S  T  O  I  R  E 

vile  n'en  avoit  enlevé,  fe  repentit  de  fon  trop  d'indulgence, 

H  E  N  R  I  &  donna  un  Edit  plus  févére  que  les  précédens ,  par  lequel 

I V.       il  fit  défenfe  d'appelier  en  duel  5  ordonnant  que  dans  ce  cas 

^  60^.     on  donneroit  des  Gardes  à  celui  qui  feroit  appelle  5  que  fi  l'of- 

fenfe  étoit  fi  grande,  qu  on  n'en  pût  tirer  fatisfaâ:ion  que  par 

la  voie  des  armes,  il  falloit  porter  fa  plainte  devant  le  Roij 

devant  le  Connétable  ,  les  Maréchaux   de  France,  ou  les 

Gouverneurs  des  Provinces; le  Roi  promettoit  en  ce  cas  de 

donner  par  lui-même  ,  ou  par  fes  Officiers,  la  permilTionde 

le  battre. 

L'Edit  portoit  encore  que  celui  qui  en  appelleroit  un  au- 
tre ,  ou  qui  accepteroit  le  cartel ,  feroit  dégradé  de  noblefle , 
avec  confifcation  de  la  moitié  de  fes  biens ,  &  feroit  de  plus 
condamné  à  une  prifon  perpétuelle ,  ou  puni  d'un  fupplice 
iionteux.  Sa  Majefté  s'obligea  par  un  ferment  redoutable ,  à 
ne  jamais  accorder  de  grâce  à  ceux    qui  violeroient  cette 
nouvelle  Loi  ;  de  les  pourfuivre  fans  ceile  ,  fans  leur  pardon- 
ner jamais ,  pas  même  à  la  follicitation  de  la  Reine.  Cet  Edit 
fut  enregiftré  le  2<;r  de  Juin.  Il  eft  à  remarquer  qu'il  étoit  con- 
<çû  en  termes  enveloppés,  obfcurs  &peu  fcans  à  la  Majefté 
Royale  5  ils  fembloient  faire  entendre ,   qu'il  y  avoit  quel- 
quefois des  offenfes  &  des  affronts  ^  dont  on  tiroit  mieux 
vengeance  par  les  voies  de  fait  y  que  par  celles  de  la  Juf- 
tice  ;  ce  qui  ne  peut  néanmoins   arriver ,  qu'au  mépris  des 
Loix ,  aufquelles  toute  forte  de  violence  donne  toujours  une 
dangereufe  atteinte. 
Mariage  de       Pendant  que  le   Roi  travailloit  à  régler  le  dedans    du 
?ôm^e*^^Ivec  ï^oy^ume ,  il  fit  dcux  mariages  illuftres  j  l'un  du  prince  de 
FrançoVe  de  Condé  avcc  Charlotte-Marguerite,  fille  du  Connétable  de 
Lorraine.       Montmorenci  ,  qui  fiit  la  caufe  des  troubles  dont  nous  allons 
parler  ;  l'autre  du  duc  de  Vendôme   fon  fils  naturel  qu'il 
avoit  eu  de  Gabrielle  d'Eftrées,  avec  Françoife  de  Lorraine , 
fille  &  unique  héritière  du  duc  de  Mercœur.  Les  accords 
de  cette  dernière  alliance  avoient  été  faits  dix  ans  aupara- 
vant ;  &  on  avoit  remis  la  célébration  du  mariage  jufqu'à  ce 
que  le  Prince  &  la  Princeffe  euffent  atteint  l'âge  nubile.  Le 
Roi  ayant  confirmé  le    contrat  dix    ans  après  ,  mit^   du 
confentement  de  Marie  de  Luxembourg,  duchefte  doùai- 
ïiere  de  Mercoeux^  1500000  livres  de  dédit.  La  ducheflc 


D  E  J.  A.   D  E  T  H  O  U,   L  I V.  1 1.  ^9 

donna  à  fa  fille  une  toilette^  des  diamans  &  des  perles  edi- 

niées    270000  livres  qu'elle  défendit  d'aliéner  ,  &  qu'elle  Henri 

déclara  être  un  propre  j  qui  devoir  aller  aux  héritiers  de  fa       I  V. 

fille.  idopJ 

La  terre  de  Ventadour  n'avoir  été  érigée  en  Duché-Pai- 
rie en  faveur  d'Anne  de  Levis  de  Ventadour  ,  qu'à  con- 
dition qu'elle  feroit  réunie  à  la  Couronne ,  au  défaut  de  mâ- 
les dans  fa  maifon  j  cette  condition  lui  paroiflant  U'op  dure  -, 
il  fe  fervit  de  tout  fon  crédit  pour  faire  abroger  cette  Loi. 
Les  lettres  Patentes  qu'il  obtint  fur  ce  fujet,  furent  enre- 
giftrées  le  30  de  Juin  au  Parlement.  La  Reine  accoucha  à 
Paris  le  2(5  de  Novembre  d'une  troifiéme  Princcife  ,  qui  fut 
nommée  cinq  ans  après  dans  le  (upplément  des  cérémonies 
du  Baptême  Henriette-Marie ,  par  Elifabeth  de  France  fa 
fœur  aînée ,  &  par  le  cardinal  de  la  Rochefoucault. 

A  Rome ,  quelques  Cenfeurs  fadieux  condamnèrent  l'hif-    Cenfuré  dé 
ftoire  de  Jacques-Augufte   de    Thou,  l'arrêt  du  Parlement  ^Hin:ohe"'de 
contre  le  parricide  Jean  Chaftel  ^  &  les  fept  traités  de  Mariana.  m.  de  Thou. 
Ce  feroit  faire  tort  à  la  prudence   &  à  l'équité  du  Pape ,  de 
croire  qu'il  eut  prêté  fon  nom  à  cette  cenfure.  Car  pour  ce 
qui  concerne  l'hiftoire  du  préfident  de  Thou,  nous  avons 
des  lettres  du  cardinal  Davy  du  Perron  à  ce  grand  Magiftrat , 
où  il  paroît  que  du  Perron  lui-même  ,  les  cardinaux  Aqua- 
viva ,  Vifconti ,    Sforce  ,  &  d'autres  cardinaux  d'un  efprit 
éminent ,  ont  approuvé  cet  ouvrage  ,  à  caufe  de  fa  beauté , 
&  des  avantages  que  le  public  pouvoit  en  retirer.  Du  Per- 
ron écrit  à  l'auteur  que  Paul  V.  avoir  dit  à  ceux  qui  deman- 
doient  la  permiffion  de  le  cenfurer ,  de  prendre  garde  qu'on 
ne  pût  leur  reprocher  de  n'avoir  pas  compris  Pexcellence  de 
l'ouvrage ,  &  les  bonnes  intentions  de  l'auteur. 

Les  cenfeurs  Romains  trouvèrent  mauvais  queTarrét  du  Cenfure  con= 
Parlement  eût  condamné  le  fentiment  de  Jean  Chaftel ,  qui  parlement .' 
avoit  foutenu  qu'on  ne  pouvoit  pas  dire  ,  que  le  Roi  après  contre   Jeaa 
avoir  fait  abjuration  entre  les  mains  des  Evêques ,  qui  l'a-,  ^^'^^''^^• 
voient  reconcilié  à  l'Eglife ,  y  fut  véritablement  réuni ,  avant 
d'avoir  reçu  l'abfolution  de  fa  Sainteté.  Cependant  l'année 
fuivante ,  les  cenfeurs  ayant  renouvelle  leur  cenfures ,  firent 
-imprimer  im  nouvel  Index ,  où  l'on  fuppri^na  la  cenfure  de 
l'arrêt  du  Parlement, 

H  ij 


He  N  R 

IV. 

^609, 

Cendire  con 

tre  Mariana. 

françoiies. 


¥0  SUITE    D  E   L'  H  I  S  T  O  I  R  E 

A  regard  de  Mariana ,  les  plus  éclairés  diftinguent  le  mo- 
tif du  prétexte ,  qui  fut  j  félon  eux ,  que  dans  fon  traité  de 
l'Immortalité  j  il  foûtient  le  fentiment  de  la  fociété  des  Je- 
fuites ,  dont  il  étoit  membre;,  contre  celui  des  Dominicains , 
touchant  la  grâce  efficace  ;  difcution  qu'on  prétendoit  qui 
ne  lui  étoit  pas  permife  ,  tandis  que  l'affaire  étoit  pen- 
dante au  mbunal  du  làint  Siège.  Ils  ajoutent  que  le  vérita- 
ble motif  de  cette  cenfure  fut  d'avoir  foutenu  contre  le  fen- 
timent de  Baronius  ^  que  Saint  Jacques  le  majeur  étoit  venu 
en  Efpagne  5  comme  fi  c'étoit  un  crime  de  n'être  pas  du  fen- 
timent de  ce  Cardinal  ,  qui  a  prétendu  établir  la  puiflance 
Monarchique  àes  fouverains  Pontifes.  Je  vais  pafler  de  ces- 
affaires,  qui  font,  pour  ainlî-dire ,  du  dedans  du  Royaumes 
à  ce  qui  regarde  nos  colonies. 
Affaires  des  Champlain  étant  revenu  en  France ,  après  trois  ans  de  fé- 
Colonies  jour  daus  le  Canada  où  il  s'étoit  établi ,  du  Mont  qui  étoit  le 
fondateur  de  la  Colonie,  conjedura  par  ce  qu'on  avoir 
déjà  fait  en  ce  pays,  &  par  certaines  découvertes  ,  que  fon 
entreprife  pouvoir  avoir  d'heureux  fuccès  dans  la  fuite,  fr 
on  faifoit  un  fécond  armement ,  &  fî  on  afluroit  cet  établif- 
fement  par  de  nouveaux  fecours.  Ce  projet  digne  d'un  fi 
brave  homme  devoir  être  appuyé  par  un  Roi  jaloux  de 
Fhonneur  du  nom  François  s  mais  tout  ce  qu'on  fit  en  fa» 
veur  de  du  Mont,  fut  de  donner  un  éditj  qui  défendoit  à 
qui  que  ce  fut  défaire  cette  année,  fans  fa  permifTion ,  com- 
merce d'aucune  marchandife ,  &  fur-tout  de  I?elleterie  en  Ca- 
nada j  ainfi  il  fut  envoyé  dans  ce  pays  comme  un  Négociant j, 
&  non  comme  le  Chef  d'une  colonie  Françoife.  Du  Mont 
ayant  fait  équiper  deux  vaiffeaux  ,  nomma  pour  fes  lieute- 
nans  Champlain  &  Pongravé.  Ce  dernier  devoir  porter  en 
Canada  des  marchandifes  ,  &  en  rapporter  d'autres  ;  & 
Champlain  avoir  ordre  d'y  bâtir  des  forts  pour  y  paffer  l'hi- 
ver. 

Pongravé  partit  de  Honfieur  le  cinq  d'Avril,  &  Champlain 
le  1 3  du  même  mois.  Celui-ci  ayant  doublé  le  cap  Breton , 
les  ifles  de  Saint  Paul  ^  de  Percé  &  de  Gafpé ,  aborda  le  trois 
de  Juin  à  Tadouflac  ,  où  Pongravé  étoit  arrivé  quelques 
jours  auparavant.  A  l'embouchure  du  fleuve  Saguenay  ,  eft 
wn  petit  port  en  forme  d'anfe ,  que  l'impétuofité  de  là  marée , 


DE  J.  A.  DE  THOU,  Liv.  II.  d'i 

la  violence  des  vents ,  &  la  rigueur  du  froid  rendent  dan-  ^^^^^mf^^a 
gereux  5  la  mer  y  entre  par  deux  pointes ,  dont  l'une  qui  eft  f|  ^  ^j  ^^ 
vers  le  Sud-Oueil ,  s'appelle.  Pointe  Saint  Mathieu ,  ou  Poin-       j  y^ 
te  aux  Aloùctes.  Le  danger  qu'on  courut  à  l'autre ,  qui  fait     i  (j  qq^ 
ùice  au  Nord^Oueft ,  l'a  fait  nommer  Pointe  de  tous  les  dia- 
bles. Le  pays  eftmontueux,  à  l'exception  de  quelques  plaines 
fablonneufes ,  où  il  croît  desfapins  &  des  bouleaux.  Le  lit  de 
ce  fleuve  eft  par  tout  d'une  extrême  largeur ,  qui  eft  d'une 
demie  lieuë  en  quelques  endroits;  il  a  jufqu'à  trois,  6cquel^ 
quefois  quatre  cens  brafles  de  profondeur. 
-'    Champlain  rapporte  qu'il  apprit  qu'en  navigeant  fur  cette 
îiviere ,  contre  le  vent  de  Nord-Oûeft ,  on  rencontroit  envi- 
ron à  cinquante  lieues  de  Tadouflac  une  chute  d'eau,  quife 
l^récipite  du  haut  d'un  rocher  trcs-élevé;  qu'enfuite,  il  s'en 
préfentoit  huit  oc  dix  autres  encore  après  un  jour  de  naviga- 
tion; Que  pour  remédier  à  ces  inconvéniens,  on  faifoit  de 
-petits  canots  d'écorces  de  Bouleau ,  fi  légers  ,  que  chaque 
Sauvage  pouvoit  porter  le  fien  fur  fes  épaules ,  en  montant 
fur  les  hauteurs  :  Qu'enfuite  on  voguoit  pendant  trois  jours 
fur  im  lac ,  à  la  tête  duquel  il  y  avoit  trois  embouchures  d'un 
fleuve  :  Que  le  païs  étoit  habité  en  cet  endroit  par  des  Sau- 
vages vagabons  comme  les  bêtes,  qui  commerçoient  avec 
ceux  de  Tadouifac ,  dont  ils  recevoient  en  échange  de  leurs 
peaux  de  Caftors ,  de  Loups  &  de  Martes ,  les  marchandifes 
que  ceux-ci  tiroient  des  François  :  Qu'on  voyoit  au-delà  de 
ce  païs  de  vailes  côtes  de  l'Océan,  qui  entre  dans  les  terres 
du  côté  du  Septentrion.   Champlain  voyant  que  le  defleiri 
qu'il  avoit  de  naviger  fur  le  Saguenay  ,  n' étoit  pas  du  goût 
des  Sauvages  fes  alliés ,  l'abandonna.  S'étant  enfùite  avancé 
vers  le  Sud ,  fur  le  bord  feptentriorial  de  la  rivière  de  Saint 
Laurent  5  il  doubla  Pifle  aux  Lièvres ,  les  caps  Dauphin  &  de 
i^ Aigle  ,  l'ille  aux  Coudriers  &  le  cap  de  Tourmente  ;  il  ar- 
riva enfin  à  fifle  d'Orléans ,  &  de-là  le  trois  de  Juillet  à-Qae- 
bec ,  environ  à  trente  Ueuës  de  Tadouflac. 

Depuis  le  cap  de  Tourmente  ^  qui  efl:  à  l'embouchure  de 
îa  rivière  Saint  Laurent ,  les  eaux  commencent  à  fe  déchar- 
ger des  feîs  de  la  marée ,  qui  s'y  mêle.  Le  moindre  vent  la 
ikit  enfler  en  cet  endroit  d'une  manière  extraordinaire.  Ses' 
bords  &  le  païs  aux  environs  font  très-propres  à  être  habités, 

H  iij 


'62  s  U  I  T  E    D  E    U  H  I  s  T  O  î  R  E 

.^.^^«^^  îl  y  a  autour  de  i'iiîe  d'Orléans  d'autres  ifles  plus  petites ,  trè?- 

H      N  R  I  ^^^^^^^^  ^  très-agréables  j  l'ille  d'Orléans  a  (ix  lieues  de  long 

^     ^     &  une  demie  de  large.  Du  côté  du  Septentrion,  des  bois 

,,^^'    charmans    &  de  riantes  prairies  s'offrent  à  la  vûë; l'abord 

de  cet  ifle  eft  difHcile  &  dangereux  ,  à  caufe  de  plufleur^ 

écuëils  qui  fe  trouvent  dans  cette  rivière. 

Champlain  ayant  parcouru  le  païs  de  Québec ,  trouva  un 
bois  épais  de  vieux  noyers ,  fort  commode  pour  y  faire  une 
habitation  5  il  donna  ordre  de  préparer  les  infl-rumens  nécef- 
faires  pour  bâtir ,  ou  pour  cultiver  la  terre  ;  il  s'appliqua  lui-» 
même  à  connoître  le  génie  des  Sauvages  de  Tadouflac, 
Ses  découvertes  font  allez  çurieufes ,  pour  tenir  leur  place 
dans  ces  mémoires. 

Ces  Sauvages  font  dociles  ,  mais  perfides  6c  menteurs; 
lorfqu'il  s'agit  de  fe  venger.  Chacun  invoque  à  fa  manière , 
fans  culte  extérieur ,  un  Dieu ,  tel  qu'il  le  conçoit.  Ils  ont 
des  devins  appelles  Pillotois  (  i  ) ,  qui  habitent  dans  les  fo- 
rêts ;  ils  croyent  que  ces  devins  s'entretiennent  avec  la  Di- 
vinité 5  la  crédulité  de  ces  Sauvages  les  fait  obéir  aveuglé- 
ment aux  avis  de  ces  impofteurs  érigés  en  oracles.  Ils  ajou- 
tent foi  aux  fongeSj  &  fe  laiflent  fouvent  troubler  par  ces 
effets  du  fommeil.  Ils  ont  une  mâle  vigueur  dans  un  corps 
bien  formé,  &  fe  couvrent  de  peaux.  Vers  le  milieu  de 
Septembre ,  ils  bâtiflent  des  cabanes  fur  le  bord  de  l'eau , 
pour  faire  la  pêche  des  anguilles  5  ils  font  provifion  de  cette 
efpece  de  poifibn,  fans  fe  mettre  en  peine  de,  garder  d'au- 
tres vivres ,  quoiqu'ils  foient  grands  mangeurs.  Lorfque  les' 
anguilles  viennent  à  leur  manquer ,  ils  fe  nourriiïent  comme 
ils  peuvent,  du  gibier  qu'il  prennent  à  la  chafle,  au  milieu 
des  neiges  les  plus  hautes.  Ils  vivent  encore  de  coquillages 
qu'ils  trouvent  fur  les  rochers. 

Ils  ont  inventé  un  moyen  pour  marcher  fur  la  neige  en 
fureté  i  ils  prennent  des  cercles  de  bois  de  trois  pieds  de 
diamètre  ?  ils  entrelacent  des  cordes  dans  le  cercle  en  for- 
me de  raquettes ,  &  fe  les  attachent  aux  pieds.  Ainfî  la  gran- 
deur de  leur  pas  les  foûtient  fur  la  neige ,  lorfqu'elle  eft  un 
peu  refferrée  par  la  gelée.  Les  femmes  n'ont  de  défagréable 
i|ue  la  couleur  olivâtre ,  dont  elles  fe  teignent  la  peau.  Les 

(i)  Fillotofti,  L'éditeur  Anglois  traduit ,  Filatois. 


DE  J.  A.  DE  THOU,  Liv.  îî.  (T^ 

filles  vers  l'âge  de  quinze  ans  accordent  leurs  faveurs  à  au- 
tant de  jeunes  gens  qu'il  leur  plaît;  enfuite  elles  choifidcnt  Henri 
un  mari  à  l'épreuve ,  &  ne  violent  jamais  impunément  la  foi        i  V. 
qu'elles  lui  ont  donnée,  car  les  maris  fe  vengent  avec  beau-      160^» 
coup  de  rigueur ,  de  l'infidélité  de  leurs  époufes.  Il  ell  libre 
de  quitter  les  femmes  qui  font  ftériles. 

Ces  Sauvages  ont  des  cérémonies  pour  enterrer  leurs  mortsj 
ils  jettent  dans  une  fofle  des  flèches  j  des  arcs ,  des  javelots, 
des  habits ,  &  autres  chofes  de  cette  efpece ,  fur  lefquelles 
on  dépofe  le  cadavre ,  que  l'on  couvre  de  terre.  On  élevé 
enfuite  fur  le  tombeau  un  amas  de  bois,  au  milieu  duquel' 
on  dreffe  un  poteau,  dont  l'extrémité  eft  rougie.  Us  croyent 
l'immortalité  de  l'ame ,  &  qu'ils  vont  après  la  mort  retrou- 
ver en  d'autres  pais  leurs  parens ,  &  leurs  amis  déjà  morts.- 
On  chante  trois  fois  l'année  des  Hymnes  fur  le  tombeau  des 
braves  de  la  nation,  on  danfe  autour,  &  l'on  y  fait  des  re- 
pas. Ces  peuples  font  ennemis  jurés  des  Iroquois  avec  lef- 
quels  ils  font  toujours  en  guerre  ;  la  perfidie  de  ces  derniers, 
qui  leur  ont  fait  des  injures  atroces,  fous  le  voile  de  l'ami- 
tié ,  eft  la  fource  de  la  haine  de  ces  Sauvages. 

Ils  prefToient  nos  François  de  leur  donner  du  fecours, 
|)0ur  exterminer  leurs  ennemis ,  qu'ils  dévoient  attaquer  à 
l'entrée  du  printems  j  mais  Champlain  n'étoit  pas  en  état  de  les 
fecourir.  Car  de  vingt-huit  foldats  qui  compofoient  fa  troupe  , 
il  y  en  avoit  eu  dix-huit  que  des  maladies ,  à  ce  qu'on  croit, 
particulières  à  ce  païSj  avoient  attaqués.  Depuis  le  mois  de 
Février,  jufques  vers  le  milieu  du  mois  d'Avril,  il  en  étoit 
mort  dix ,  &  cinq  autres  de  la  diflenterie ,  fans  avoir  été  fu- 
jets  à  aucune  maladie  dans  le  refte  de  Tannée.  Pongravé  étant 
retourné  en  France  ^  il  remit  entre  les  mains  de  du  Mont  quel- 
ques foldats  de  Champlain ,  accufés  d'avoir  confpiré  contre 
lui,  &  contre  les  autres  Lieutenans  de  du  Mont  ,  au  port 
de  Tadouilac ,  à  la  folUcitation  de  quelques  Corfaires  Gaf- 
cons.  S'étant  acquitté  de  fa  commifllon  ^  il  revint  à  TadouiTac> 
avec  un  équipage  peu  nombreux^  mais  en  bon  état. 

Champlain  ayant  reçu  ce  renfort ,  promit  à  fes  alliés  de 
les  féconder  contre  les  Iroquois;  il  avoit  delTein  de  vifiter 
ce  pais ,  dont  on  lui  vantoit  la  fertilité  ;  ayant  donc  fiiit  un 
détachement  de  vingt  hommes  choifîs  dans  fa  troupe ,  ôc  dans 


'6^  SUITE  DE  ^HISTOIRE      s 

celle  de  Pongravé  j  il  partit  le  huitième  de  Juin  du  port  de 
Québec  dans  une  chaloupe,  fuivie  des  canots  des  Sauvages. 
Il  remonta  la  rivière  de  faint  Laurent ,  qui  devenoit  de  mo- 
ment à  autre  plus  agréable  j  excepté  qu'il  falloir  toujours  fon- 
der avec  un  croc,  afin  de  iie  pas  donner  dans  les  ccuëils 
de  cette  rivière  ,  où  des  ruiileaux  fans  nombre ,  qui  ne  peu^ 
vent  porter  que  des  canots,  viennent  fe  jetter^  après  avoir 
long-tems  ferpenté  dans  les  prairies  des  environs. 

Au-delUis  de  la  pointe  de  fainte  Croix ,  &  de  la  rivière 
lainte  Marie,  les  nôtres  apperçurent  dans  l'ide  faint  Eloi  ; 
qui  eft  à  vingt-quatre  lieues  de  Québec ,  plufieurs  cabanes. 
Les  Ochateguins  &  les  Algoumequins  font  proches  voifins 
des  Iroquois.Iroquet  &  Ochateguin ,  chefs  de  ces  habitations , 
vinrent  trouver  Champlain  ;  leur  fuite  gardoit  un  profond  il- 
lence^  tandis  qu'il  faifoit  rellbuvenir  le  général  François  de 
la  promefle  qu'il  avoit  faite  depuis  dix  Lunes  (  car  c'eft 
ainfî  qu'ils  comptent  \ç  tems  )  au  fils  d'Iroquet  de  leur 
donner  du  fecours  contre  un  ennemi,  qui  devenoit plus  in- 
folent  de  jour  en  jour.  Ils  lui  dirent  qu'ils  n'étoient  venus 
que  pour  le  prier  de  tenir  fa  parole  5  que  s'il  leur  accordojt 
ce  qu'ils  demandoient  ,  ils  le  faifoient  maîtjre  de  tout  ce 
qui  leur  appartenoit. 

Champlain  fit  réponfe  à  ces  Sauvages  qu'il  n'avoir  point 
oublié  fes  promefles ,  &  qu'il  feroit  pour  eux  plus  qu'il  ne 
s'y  étoit  engagé  5  que  fon  arrivée  avec  ceux  de  Tadouflac, 
étoit  une  preuve  de  fa  bonne  volonté  à  leur  égard  5  qu'ils 
n  avoient  quk  le  mener  à  l'ennemi ,  &  qu  enfuite  ils  n'au- 
roient  pas  lieu  de  fe  repentir  d'avoir  fait  alliance  avec  lui. 
Alors  les  Sauvages  jetterent  de  grands  cris  de  joye,  &dan- 
ferent  félon  leur  coutume ;.  ils  s'approchèrent  des  nôtres^ 
regardant  avec  furprife  leurs  armes  &  leurs  habits ,  qu'ils  n'a- 
voient  point  vus  jufqu'alors ,  &  qui  leur  paroiflbient  defcendus 
du  ciel. 

Champlain  continua  fa  route ,  fuivi  de  trois  cens  Sauva- 
ges armés  d'arcs  &  de  flèches.  Après  quelques  jours  de  che- 
min, ils  arrivèrent  au  lac  de  Petrac,  abondant  en  poiiîbn, 
&  enfuite  à  des  ides  d'une  extrcme  fertilité.  Sur  les  bords 
de  la  rivière  des  deux  côtés ,  on  découvroit  au  loin  de  gran- 
des forêts ,  de  valles  prairies ,  5c  des  plaines  à  perte  de  vûë. 

S'ctant 


Henri 
IV. 


DE  J.  A.  DE  THOU,  Liv.  II.  €^ 

^-.S'étant  avances  aii-de-là  de  ces  ides,   ils  s'arrêtèrent  deux 
jours  à  l'embouchure  de  la   rivière   des   Iroquois   pour  la 
chafle  des  bêtes  &  des  oifeaux ,  &  pour  la  pêche.  Les  Sau- 
vages mirent  d^s  provifions  &  des  raflaichidemens  dans  leurs        ^ 
canots.  A  quinze  lieues  de  là ,  on  donna  dans  un  courant  fi  ^* 

rapide ,  qu'il  fut  impoillble  de  le  remonter  à  force  de  rames 
.&  de  crocs;  c'eft  pourquoi  Champlain  ayant  laifle  du  mon- 
de à  la  garde  de  fa  chaloupe ,  defcendit  à  terre  avec  les  Sau- 
vages, qui  portoient  les  canots  fur  leurs  épaules  ;  ils  arrivè- 
rent enfin  au-deflus  du  courant,  &  remirent  à  l'eau  leurs  ca- 
nots, où  ils  rentrèrent. 

Trois  jours  après  ,  on  entra  dans  un  lac  très-large ,  femé  de 
plufîeurs  ifles  charmantes.  C'eft  là  que  commence  le  païs 
-des  Iroquois.  Il  eft  fi  fertile,  &  fi  riant,  qu'il  fait  naître  l'en- 
vie de  s'y  établir.  Ce  lac  eft  fort  poiftbnneux  ;  on  y  pêche 
entre  autres  un  p-oiffon  appelle  le  Cofarou ,  aflez  femblable 
à  nôtre  brochet  ;  il  s'en  trouve  qui  ont  jufqu'à  dix  pieds  de 
long.  Les  écailles  de  ce  poiflbn  font  très-dures  ;  il  aie  groiiin 
d'un  porc ,  &  deux  rangs  de  dents.  Cet  animal  qui  dévore 
les  autres  poiflbns,  eft  outre  cela  fi  rufé,  qu'il  attrape  fou- 
vent  des  oifeaux  :  voici  la  manière  dont  il  fe  fert  pour  les 
attirer.  Il  fe  couche  entre  des  joncs ,  levé  fa  tête ,  &  en- 
trouvre fa  gueule  ;  les  oifeaux  qui  le  prennent  pour  un  tronc 
d'arbre,  viennent  fe  percher  deflus ,  il  la  referme  alors,  &; 
dévore  les  oifeaux. 

Champlain  &  les  Sauvages  ayant  continué  de  naviger  fur 
ce  lac,  ne  marchoient  qu'avec  beaucoup  de  précaution, 
parce  qu'ils  approchoient  des  ennemis  5  on  ne  marchoit  que 
pendant  la  nuit  ;  pendant  le  jour  on  fe  repofoit  au  fond  des 
bois.  Les  Sauvages  avoient  recours  pendant  ce  tems-là  à  leurs 
Oracles.  Ils  dreflent  une  cabane  j  fur  laquelle  on  met  une 
couverture  de  plufieurs  pièces  ;  on  plante  de  petits  pieux 
tout  au  tour;  enfuite  le  Pillotois  ou  Oftemoy  y  entre  tout 
nud,  fe  profterne  la  face  contre  terre,  murmure  entre  fes 
dents  quelques  mots  au  hazard,  fe  levé,  s'agite,  &  fe  tour- 
mente de  manière ,  qu'il  eft  bientôt  en  fueur.  Les  Sauvages 
aftis  au  tour  de  lui,  l'interrogent  fur  l'événement  de  la  guerre; 
fes  réponfes  font  des  oracles  pour  ces  hommes  fuperftitieux. 
Api"ès  cette  cérémonie,  b  Chef  alTemble  (es  troupes,  trace 

Tome  XV>  I 


'66  SUITE  DE  L'HISTOIRE 

ai-iimi  iiwiB  fous  leurs  yeux  le  plan  du  combat ,  en  mettant  en  terre  au- 
Henri  tant  de  petits  bâtons  qu'il  a  de  foldats ,  &  leur  marque  à 
I V.        chacun  leur  pofte.  Ils  confidcrent  attentivement  l'ordre  des 
i6op.     rangs,  ôc  fe  rangent  eux-mêmes,  pour  voir  s'ils  l'ont  bien 
compris  î  enfuite  lorfqu'on  les  mené  à  l'ennemi ,  ils  fuivent 
l'ordre  avec  la  dernière  exaditude.  Le  29  de  Juillet  les  nô- 
tres fe  glifîant  en  filence  à  la  faveur  de  la  nuit  ,  au  travers 
du  lac ,  l'armée  des  Iroquois  parut  en  préfence  ;  les  Sauvages 
jetterent  de  grands  cris  de  part  &  d'autre.  Champlain  pafla 
la  nuit  fur  le  lac ,  dans  les  canots  qu'on  avoit  liés  enfem- 
ble. 

Les  canots  s'étant  approchés  du  rivage ,  les  ennemis  firent 
un  grand  abatis  d'arbres ,  dont  ils  fe  fortifièrent  en  diligence. 
A  la  pointe  du  jour ,  Champlain  ayant  fait  attacher  fes  ca- 
nots à  une  perche  en  travers,  mit  fes  foldats  à  terre.  Les 
Sauvages  nos  alliés  s'étant  avancés  dans  l'ordre  qu'on  leur 
avoit  prefcrit  la  veille ,  firent  cacher  Champlain  derrière  eux, 
afin  de  jetter  une  plus  grande  terreur  parmi  les  ennemis , 
en  le  faifant  paroître  à  l'improvifte.    Ils  n€  furent  pas  trom- 
pés  dans  leur  attente  î  l'ennemi  fortit  de  fes  retranchemens 
au  nombre   de  deux  cens  hommes ,  commandés  par  trois 
Généraux ,  fur  la  tête  defquels  fiottoient  des  aigrettes  de  plu- 
me, ils  avoient  une  efpece  de  cuirafle  de  plufieurs  morceaux 
d'écorce ,  unis  enfemble  avec  du  coton.  Nos  alliés  s'étant 
avancés  jufqu'à  la  portée  du  trait,  les  rangs  s'ouvrirent,  & 
Champlain  parut  couvert  d'un  cafque  &  d'une  cuiraffe  bril- 
lante. L'ennemi  frappé   de  la  nouveauté  de  ce  fpedacle  > 
s'arrête,   &  refte  immobile,  mais  raffùrés  bientôt,  ils  s'ap- 
prêtoient  à  nous  lancer  une  grêle  de  flèches ,  quand  Cham- 
plain tirant  fur  eux  un  coup  de  moufquet ,  chargé  de  quatre^ 
baies,  tua  deux  Généraux,  &  blefia  dangereufement le troi- 
lîéme.  Des  foldats  cachés  dans  le  bois ,  par  l'ordre  de  Cham- 
plain, pour  tomber  fur  les  flancs  de  l'ennemi  dans  la  cha- 
leur du  combat ,  tirèrent  un  fécond  coup  de  moufquet  5  les 
Iroquois  déjà  effrayés  à  la  vue  de  leurs  Chefs  renverfés  tout 
d'un  coup,  par  une  machine,  d'où  fortoit  à  grand  bruit  du 
feu  &  de  la  fumée,  prirent  la  fuite  à  ce  fécond  coup.  La: 
plupart  avant  de  gagner  leurs  retraites  dans  les  bois ,  furent 
taillés  en  pièces  par  nos  Sauvages.  On  fit  quelques  prifonniers^r- 


DE  J.  A.  DE  THOU,  Liv.  IL  '€i 

qui   expirèrent  au   milieu   des    plus    cruels   fupplices  ;    il  ■     ' 

n'en  échapa  qu'un  petit  nombre.   Nos  Sauvages  attachèrent  H  e  n  r  iî 
à  leurs  canots  les  têtes  des  vaincus ,  pour  les  porter  à  leurs       I V. 
femmes  ,  qui  dévoient  s'en  faire,  félon  la  coutume,  une  et     i^o^* 
pece  de  jouet.  Après  cette  expédition,  Champlain  retour^ 
na  à  Québec  ,  &  de-là  à  Tadouffac ,  après  avoir  mis  dans  le 
Eort  de  Québec  le  capitaine  Pierre  Chauvin  de  Dieppe.  Il 
mit  enfuite  à  la  voile  le  premier  Septembre,  &:  viatmouili 
1er  à  Honfleur  le  13  du  mois  d'Odobre. 


Tm  du  deuxième  Livre,, 


1) 


^^8  SUITE  DE  rniSTOIRE 


ggSËHBWEiapagaaMaaaja 


L 


L  I  F  K  E     T  K  O  I  S  I  E'  M  E, 

E  Roi  apprit  prefqii'en  même  tems  à  Pontainebleau ,  k 
Henri   |    ^  conclufion  de  la  trêve  des  Païs-Bas ,  &  la  mort  de  Jean« 
-*-^*        Guillaume  duc  de  Juliers,   qu'une  maladie  contradée  par 
I  0  op.    jgj  fatigues  de  la  chafle  venoient  d'emporter  en  peu  de  jours. 
Mort  du  dwc  La  fucceffion  de  ce  Prince  devoir  néceflairement  caufer  de 
liejuliers.      grands  troubles.    Outre  le  duché  de  Juliers,    elle  compre- 
noit  les  duchés  de  Cleves  &  de  Bergh  ,  les  comtés  de  la 
Marck,  de   Raveftein ,  &  de  Ravensboiirg,  tous  fiefs  mou- 
vans  de  l'Empire ,  fitués  entre  la  Meufe  &  le  Wefer ,  &  con- 
tigus  aux  terres   de   plufieurs  Princes ,  mais  fur  tout  à  cel- 
les des  Archiducs  fouverains  des  Païs-Bas ,  &  à  celles  des  Hol- 
landois.    Ces  Etats  formoient  une   vafte  étendue  de  pais  $ 
Tony  comptoit  de  grandes  villes  bien  peuplées,  d'une  fitua- 
tion  avantageufe ,   &  dont  te  terroir  étoit  extrêmement  fer- 
tile.   Les  Empereurs  avoient  autrefois  uni  tous  cqs  fiefs,  à 
condition  qu'on  ne  les  défuniroit  jamais  j  &  que  fi  le  duc  de 
Juliers  venoit  à  mourir  fans  enfans  mâles,  ces  fiefs  palTeroient 
aux  filles,  &à  leur  défaut,  aux  enfans  mâles  qu'elles  auroient 
laiifés. 
Conteftation       Suivant  cette  difpofition,  la  mort  du  duc  Jean-Guillaume, 
aufujet  delà  décédé  fans  enfans  mâles ,  fit  naître  une  grande  conteftation, 
uc^c  lion.      p^^j.  {ç^yQjj.  ^  q^^j  ^^  fucceffion  appartenoit  de  droit.  Il  avoir 

eu  quatre  fœurs  ;  Marie-Eleonore  l'aînée ,  qui  avoir  époufé 
Albert-Erederic  de  Brandebourg  due  de  Pruflfe ,  étoit  morte 
l'année  précédente  5  la  princefle  Anne ,  qui  étoit  la  fecon= 
de,  avoit  été  mariée  à  Philippe-Louis  de  Bavière,  comte 
Palatin  de  Neubourg  j  Jean  comte  Palatin ,  duc  de  Deux» 
Ponts ,  frère  de  ce  dernier ,  avoit  époufé  la  troifiéme ,  appel- 
iée  Magdclaine  5  la  princefle  Sibille ,  qui  étoit  la  dernière  y. 
avoit  été  mariée  à  Charle  d'Autriche  marquis  de  Burgaw, 
fils  de  Ferdinand  archiduc  d'Autriche.  Anne  fille  de  la  prin- 
ceife  Marie-Eleonore ,  &  par  conféquent  nièce  du  feu  Duc , 
prétendoit  repréfenter  fa  mère  5  elle  foûtint  en  cette  qua- 
lité ,  que  la  fucceffion  de  Juliers  appartenoit ,  en  conféquence 


DE  J.  A.  DE  THOU,Liv.îIL 

d^s  Edits  Impériaux ,  à  fon  fils  Erneft  marquis  de  Brande- 
bourg.  La  Douairière  Palatine  de  Neubourg ,  s'oppofoit  à  fj  j,  jj  j^  ^ 
fes  prétentions  en  foveur  de  Wolfang- Guillaume  de   Neu-       jy^ 
bourg  fon  fils,  difant  que  la  fucceflion  d'im  fi-ere  regardoit     j^Jo  o; 
plutôt  fa  fœur,  que  fa  nièce;  que  l'une  étoit  plus  habile  à 
lliccéder  que  l'autre,  qui  étoit  plus  éloignée  d'un  degré  que 
la  première ,  &  que  la  repréfentation  ne  pouvoit  avoir  lieu 
dans  le  cas  préfent*   Le  duc  de  Deux-Ponts ,  &  le  marquis  de 
Burgaw  s'appuyoient  de  leur  côté  fur  les  décrets  des  Empe- 
reurs, qui  appelloient  à   la  fucceffion  de  Juliers  toutes  les 
filles  qui  furvivroient  à  leur  père.  Ils  difoient  qu'ayant  épou- 
fé  les  deux  dernières  filles   du  duc  Guillaume  père  du  feit 
Duc ,  elles  avoient  droit  à  fa  fucceflion. 

D\m  autre  côté,  Charle  de  Cleves  duc  de  Nevcrs,  & 
Robert  de  la  Marck  comte  de  Maulevrier  yfe  prétendoient, 
au  mépris  de  l'Edit  Impérial  d'union,  héritiers,  l'un  du  du- 
ché de  Cleves,  &  l'autre  du  comté  de  la  Marck,  étant  les 
feuls  qui  portaflent  le  nom  &  les  armes  de  la  maifon  du  feu 
Duc.  Les  princes  de  Saxe  repréfentoient  que  les  biens  de 
la  fucceflioii  de  Juliers,  étoient  des  fiefs  de  l'Empire,  qui 
ne  pouvoient  tomber  en  quenouille  -,  que  l'Empereur  Fre-" 
deric  en  ayant  fait  une  concefllon  à  Albert  duc  de  Saxe, 
de  quelque  manière  qu'ils  vinifent  à  vaquer  après  la  mort 
du  duc  Guillaume;  &  cette  concefllon  ayant  été  confirmée 
par  l'empereur  Maximilien,  en  faveur  d'Albert  lui-même, 
êc  de  fes  defcendans  mâles ,  elle  devoit  avoir  lieu  dans  les 
circonftances  préfentes,  puifque  le  duc  de  Juliers  étoit  mort 
fans  enfans ,  &  qu'il  ne  pouvoit  y  avoir  de  prefcription  con- 
tre elle.  Mais  on  leur  oppofoit  les  termes  mêmes  de  l'Edit 
de  Frédéric  &  de  fes  fuccelleurs,  en  leur  faifant  voir  que 
ni  Juliers ,  ni  les  autres  fiefs  de  la  fucceflion  n'étoient  point 
appelles  fiefs  mafculins  dans  ces  Edits ,  &  qu'aucun  prince 
de  la  maifon  de  Saxe  n'avoit  fuccédé  au  duc  Guillaume ,  dont 
la  fucceflion  étoit  échue  au  contraire  à  la  princefle  Marie 
fa  fille,  femme  de  Jean  duc  de  Cleves,  &  ayeule  du  der- 
nier Duc;  qu'en  conféquence  des  droits  de  cette  Princefle , 
ces  fiefs  avoient  été  pendant  plus  de  cent  ans  dans  la  mai- 
fon du  duc  Guillaume ,  fans  que  les  ducs  de  Saxe ,  qui  ne 
pouvoient  fignorer,  s'y  fuflenr  oppofés  en  aucune  manières 

liij 


■^tuMMiirnun  iimwM 


7^  S  U  I T  H  D  E  L'  HI  S T  OI R  E 

»  d'ailleurs   qu'une  longue  pofleiïion  fîxoit  un  droit  litigieux; 

H  E  N  R  I  &  Çtoit  plus  forte  que  toutes  les  raifons  fpécieufes  que  l'on 

I  V.       pouvoir  apporter.     Les  droits  des  autres  prétendans  étoient 

î  6q$*    combattus  par  d'autres  moyens  qu'il  n'eft  pas  nécelTaire  de 

rapporter  ici. 

1.QS  parties  jugèrent  à  propos  d'avoir  plutôt  recours  aux 
armes ,  qu'aux  voies  d'accommodement  &  d'arbitrage.  Car 
quel  moyen  d'agir  autrement  dans  une  affaire ,  où  l'une  des 
parties  s'empare  de  la  chofe  conteftée  ?  L'Empereur  préten- 
doit  que  par  un  droit  de  l'Empire ,  la  décifion  de  cette  af- 
faire le  regardoit ,  &  il  vouloit  fe  faire  féqueûre  des  fiefs , 
en  attendant  que  le  différend  fut  terminé.  Ses  prétentions 
avoient  quelque  fondement  5  mais  il  y  avoir  de  grands  fu- 
jets  de  le  foupçonner  d'avoir  deifein  de  faire  durer  toujours 
la  conteftation,  ou  de  s'adjuger  à  lui-même  les  fiefs  dont  il 
s'agiifoit. 

Ces  jufles  craintes  allarmerent  le  marquis  de  Brandebourg, 
&:  le  prince  de  Neubourg,  dont  les  droits  à  la  fuccefîlon 
de  Juliers  paroiiToient  les  mieux  fondés.  Ils  s'unirent  donc 
enfemble,  &  fe  virent  à  Dortmund,  de  l'avis,  &  à  la  folli- 
citation  du  Landgrave  de  Hefle.  Ils  convinrent  dans  cette 
entrevue  j  de  remettre  l'examen  de  leurs  droits  entre  les 
mains  d'amis  communs ,  pour  les  difcuter  dans  un  tems  plus 
favorable ,  au  lieu  de  fe  les  difputer  les  armes  à  la  main , 
fans  préjudice  toutefois  é^s  droits  des  autres  prétendans  & 
de  ceux  de  l'Empereur.  Ils  fe  rendirent  enfuite  à  Dufleldorp 
au-de-là  du  Rhin,  ville  capitale  du  duché  de  Bergh,  pour 
le  mettre  en  poûefîlon  des  fiefs  en  queilion. 

On  y  tenoit  alors  une  aftemblée  pour  régler  les  affaires  de 
la  fuccefTion  de  Juliers.  Ayant  été  reçus  dans  cette  ville ,  ils 
s'emparèrent  du  gouvernement ,  &  prirent  le  titre  de  Prin- 
ces poUeiTeurs ,  du  confentement  de  la  plupart  des  Magif- 
trats,  &  des  plus  confidérables  de  Taflcmblée.  Mais  il  ne  leur 
fut  pas  fi  facile  de  fe  mettre  en  poflefTion  des  domaines  fi- 
tués  en  deçà  du  Rhin.  Pendant  que  les  Etats  fe  tenoient  à- 
Duffeldorp,  des  fadieux  dévoues  à  l'Empereur,  s'étoient  fai- 
jûs  en  fecret  de  Juliers ,  où  la  Cour  de  Vienne  avoit  auili- 
tôt  envoyé Leopold  d'Autriche  ,  en  quahté  de  gouverneur; 
svec  ordre  de  régir  au  nom  de  l'Empereur,  toutes  les  dé- 
pcndariccs  de  ce  Duché. 


DE  J.  A.  DE  THOU,  Liv.  ÎIÎ.  71 

Leopold  en  vertu  des  pouvoirs  étendus  que  l'Empereur  _ 
îui  avoit  confiés,  donna  un  Edit,  par  lequel  il  défendoitde  ^  ^  ^^  ^ 
favorifer  le  parti  des  Princes,  ou  de  leur  prêter  le  ferment,       jy 
Ibus  peine  pour  les  gens  du  païs ,  de  la  confifcation  de  leurs     .y-    ' 
biens ,  &  de  la  vie  poiu*  tous  les  autres.  Ce  Prince  commen-  '-' 

ça  à  fe  comporter  en  apparence ,  avec  beaucoup  d'ordre  & 
de  modération/  Mais  pendant  ce  tems-là,  il  faifoit  foUici- 
ter  les  garnifons  j  s'emparoit  des  Places  mal  gardées ,  les  four- 
nillbit  de  vivres ,  d'armes  &  de  foldats.  Leopold  ne  trouvant 
pas  une  égale  facilité  par  tout ,  en  informa  l'Empereur ,  qui 
donna  un  nouveau  décret  plus  fort  que  le  premier.  Il  y  dé- 
elaroit  criminels  de  leze-Majefté  les  deux  Princes ,  avec  or- 
dre aux  Magiftrats,  aux  Officiers  militaires  ,  &  aux  foldats 
de  les  abandonner,  fous  peine  d'être  profcritsî  ce  que  les 
Allemands  appellent  être  mis  au  ban  de  l'Empire. 

Après  cette  démarche  de  la  Cour  de  Vienne,  on  fe  pré- 
para de  part  &  d'autre  ouvertement  à  la  guerre.  L'Empereur 
&  les  princes  de  la  maifon  d'Autriche  furent  inquiets  fur  la 
manière  dont  la  France  prendroit  cette  affaire.  Ils  ne  dou- 
toient  pas  que  l'événement  ne  dut  être  favorable  à  ceux  dont 
cetiie  Couronne  embrafferoit  le  parti.  C'eft  pourquoi  les  Ar- 
chiducs de  Flandres,  comme  les  plus  voifuis  de  la  France,  & 
par  politefle ,  envoyèrent  vers  le  Roi  Jean  Richardot ,  qui  fut 
bientôt  fuivi  du  comte  de  Hohen-ZoUernambafladeurde  fa 
Majefté  Impériale.  Ces  deux  Miniftres  repréfenterent  à  Henri, 
que  Leopold  ne  s'étoit  mis  en  poflejGTion  de  Juliers ,  que  pour 
régir,  fuivant  les  droits  de  l'Empereur  fur  les  fiefs  de  l'Em- 
pire ,  les  biens  du  feu  Duc ,  en  attendant  que  l'on  eût  déci- 
dé à  qui  la  fucceffion  litigieufe  de  ces  Etats  devoit  écheoir, 
&  que  l'Empereur  n'avoir  point  eu  dedein  de  toucher  aux 
droits  d'aucun  des  prétendans. 

Elenri  étoit  trop  éclairé  pour  fe  laiffer  éblouir  par  ces  rai- 
fons.  Il  connoiiToit  toute  l'ambition  de  la  maifon  d'Autri- 
che ,  qui  ne  cherchoit  qu'à  s'agrandir ,  &  dont  la  puifTance 
croit  fi  juftement  odieufe  à  tous  les  Souverains.  Ces  difpofi- 
tions  du  Roi  n'empêchèrent  pas  les  deux  AmbalTadeurs  d'ex- 
pofer  le  fujet  de  leur  ambaffade,  en  préfence  du  prélident 
Jeannin,  qui  étoit,  pour  ainfi  dire,  juge  dans  cette  grande 
affaire.  Les  comtes  de  Solms ,  ôc  les  ambaffadeurs  des  Princes 


72  SUITE  DE  L'HISTOIRE 

poffelleurs ,  défendirent  aulTi  leurs  droits  en  préfence  de  ce 
~  "  Prciident  j  ils  le  conjurèrent  d'engager  le  Roi  à  leur  donner 

^  î'^  ^  ^  du  fecours  contre  la  violence  que  l'Empereur  exerçoit  fur 
*        les  héritages  de  fes  vafîaux ,  fous  prétexte  d'une  néceflité  ima- 
^  gli^^ii^s  d'établir  un  féqueftrej  ajoutant  qu'aucun  des  préten- 

dans  à  la  fucceffion ,  ne  s'oppofoit  à  ce  qui  avoit  été  arrêté 
à  Dortmund  :  Que  les  parties  étant  d'accord  en  ce  point ,  il 
iie  pouvoir  y  avoir  lieu  au  féqueftre  :  Qu'après  la  mort  du 
duc  Jean-Guillaume ,  les  Princes  n'étoient  point  entrés  dans 
fes  Etats  par  force  ou  par  artifice,  mais  ouvertement,  &du 
confentement  des  peuples ,  qui  avoient  fait  éclater  beaucoup 
de  joie  à  leur  arrivée  :  Qu'enfin  la  fuccelTion  de  Juliers  n'a^ 
voit  été  troublée ,  que  par  l'archiduc  Leopold  ,  dont  la  re- 
traite rétabliroit  auffitôt  le  calme  &  la  tranquillité. 

Il  y  avoit  long-tems  que  le  Roi  avoit  formé  le  deffein  d'at- 
E  J''!"^!^^^  taquer  la  maifon  d'Autriche  en  Italie  &  en  Allemagne.  Il 

rrancs    avec         a  .  >^ 

les  Princes      s'étoit  détermine  à  tirer  vengeance  des  outrages  que  la  Fran^ 
poflefleurs  de  ^^  ^^  ^^^j^.  j-gç^g^  &  i\  youloit  abaiffer  une  puiiîance  ,  qui 

ne  cherchoit  qu'à  s'accroître  toujours  de  plus  en  plus.  Tous 
les  Princes  fouhaitoient  avec  ardeur  de  lui  voir  entamer 
cette  grande  entreprife.  Le  duc  de  Savoye  avoit  déjà  fait 
des  ouvertures  au  fujet  de  la  guerre  d'Italie ,  comme  nous 
l'avons  vu  plus  haut.  La  reconnoiflance  &  les  engagemens 
de  Henri  lui  parloient  en  faveur  des  princes  Allemands ,  à 
qui  la  France  avoit  de  fi  grandes  obligations  5  car  les  princes 
des  maifons  de  Brandebourg  &  de  Bavière  avoient  envoyé 
de  puifians  fecours  au  Roi  dans  les  dernières  guerres, 
pour  réfifter  aux  efforts  de  la  maifon  d'Autriche. 

Le  Roi  plein  de  reconnoiflance,  répondit  donc  que  le 
péril  de  fes  alliés  étoit  le  fien ,  &  promit  à  leurs  Ambafla- 
deurs  du  fecours.  Il  fit  aufii-tôt  défiler  quelques  troupes  fur 
la  frontière  de  Champagne ,  &  répandit  le  bruit  qu  il  pren- 
droit  le  parti  des  deux  Princes.  La  maifon  d'Autriche  ne  s'ou- 
blia pas  de  fon  côté  5  elle  faifoit  dire  fous  main  aux  Priiir 
ces,  que  les  François  n avoient  d'autre  but,  que  de  s'enri- 
chir du  pillage  de' la  fucceffion  de  Juliers,  fans  s'embaraf- 
fer  de  les  fecourir  5  &  que  fous  ombre  d'alliance  ils  fe  ren- 
droient  maîtres  de  leurs  biens.  Ce  fut  l'artifice  qu'elle  mit 
en  oeuvre  dans  le  duché  de  Juliers.  Elle    faifoit  courir  le 

briût 


DE   J.    A.    DE   THOU,Liv.  IIL  7^ 

bruit  en  d'autres  endroits ,  que  les  Princes  ne  f<çavoient  à 
quoi  fe  déterminer ,  &  n'étoient  pas  d'accord  entre  eux  :  Que  H  e  n  a  is^. 
l'un  avoir  déjà  fait  fa  paix  avec  l'Empereur ,  &  que  l'autre        I V. 
alloit  être  abandonné  de  fes  partifans ,  qui  ne  vouloient  pas       1 5op, 
encourir  la  difgrace  de  Sa  Majefté  Impériale.  Plufieurs  don- 
nèrent dans  le  piège. 

.  Le  Roi  s'apperçut  du  réfroidiflement  des  Princes  &  de 
leurs  foupçons  ,  voyant  d'ailleurs  que  par  la  longueur  des 
négociations,  &  par  cette  lenteur  fi  ordinaire  aux  Allemands, 
&  qui  avoir  déjà  coûté  à  ces  Princes  le  duché  de  Juliers , 
on  avoir  perdu  le  temps  d'agir,  il  cefla  de  prefler  les  fe- 
cours  avec  la  même  ardeur,  pour  ne  pas  fortifier  par  fes 
cmprellemens  les  bruits  artificieux ,  que  la  maifon  d'Autri- 
che faifoit  femer  en  Allemagne.  Il  craignoit  d'ailleurs  que 
les  Princes  ne  fçuffent  pas  profiter  des  fecours  qu'il  leur  don- 
neroit  ,  &  que  l'événement  de  la  guerre  ne  fut  également 
honteux  &  funefte. 

Le  comte  de  Vaubecour  &  Bongars  avoient  déjà  fuccef- 
fivement  informé  le  Roi  de  l'état  des  forces  des  Princes  & 
de  leurs  dirpofitions.  Jean  Hotman  de  Villiers,  envoyé  de^ 
puis  peu  vers  eux ,  en  avoir  aufîi  écrit  quelque  chofe ,  Geor- 
ge &  Frédéric  comtes  de  Solms ,  &  Hippolite  Collifius  am- 
bafladeurs  de  ces  Princes  avoient  laiffé  paroitre  leurs  dé- 
fiances, &  fur-tout  Chriftiern  prince  d'Anhalt.  Cependant, 
pour  s'afllirer  d'avantage  jufqu'à  quel  point  on  pouvoit 
compter  fur  ces  Princes,  &  à  quelles  conditions  on  pouvoit 
fe  joindre  à  eux ,  le  Roi  fit  partir  Bongars  avec  Sainte  Ca- 
therine pour  examiner  les  chofes  de  plus  près.  Ces  deux 
Miniftres  écrivirent  à  Sa  Majefté  que  l'éclat  de  fon  nom 
avoir  détruit  toutes  les  manœuvres  des  Autrichiens  :  Que 
les  Princes  ,  guéris  de  la  défiance  qu'on  avoir  voulu  leur 
infpircr  des  fecours  de  la  France ,  avoienr  enfin  pris  des  ré- 
folutions  pleines  de  vigueur  :  Qu'un  grand  nombre  de  Prin- 
ces de  PEmpire  s'étoient  joints  à  eux  :  Que  les  villes  de 
Strasbourg ,  de  Nuremberg  Se  d'Ulm ,  alloient  envoyer  des 
députés  à  Hall  en  Suabe ,  où  fe  trouveroient  aufTi  les  élec- 
teurs Palatin  &  de  Brandebourg  &  d'autres  Princes  Allet 
mands. 

iCes  nouvelles  ranimèrent  J'ardeur  du  Roi  j  il  fe  prépara 
Tome  XF.  »  K 


74  SUITE  DE  L'HISTOIÏIE 

'****"***^  à  envoyer  aux  Princes  confédérés  des  fecours  plus  confidé- 
Henri  râbles,  qu'il  ne  leur  avoir  promis  d'abord.  Afin  de  donner 
I  V.       plus  de  poids  à  la  négociation ,  il  fit  partir  Jean  de  Thumeri 
j(^o^.     de  Boiffife  poiu:  aiïifter  à  l'Aflemblée ,  en  qualité  d'ambaf- 
fadeur  de  France.  Ce  miniftre  fe  rendit  donc  à  Hall ,  où  les 
Eledeurs,  les  Princes  &  les  Villes  confédérées  firent  avec 
lui  un  traité  ;  dont  les  conditions  furent ,  que  le  Roi  four- 
niroit   autant  de   troupes  ,  d'artillerie ,  &  de  munitions  de 
guerre ,  que  les  Princes  pofîefleurs ,  &  leurs  alliés  en  met- 
troient  fur  pié.  Les  Princes  s'engagèrent  à  avoir  quatre  mille 
hommes  d'infanterie ,  douze  cens  chevaux ,  quinze  pièces  de 
gros  canon ,  &  fix  de  campagne.  Les  Alliés  promirent  de 
donner  auflfi  quatre  mille   hommes  de  pié  ,    &  mille  che- 
vaux ,  partie  dans  le  milieu  du  mois  de  Mars  prochain ,  & 
le  refte  vers  le  milieu  d'Avril  î  &  de  ne  point  pofer  les  ar- 
mes, malgré  toutes  les  menaces  &  les  éditsde  PEmpereur, 
tant  que  le  bien  de  la  fucceffion  le  demanderoit. 

L'ambaiïadeur  François  ayant  dit  par  manière  de  raillerie  ^ 
que  les  princes  d'Autriche  ne  manqueroient  pas  d'infulter 
la  fi-ontiére ,  fous  prétexte  que  Pon  donnoit  atteinte  à  la  paix 
de  Vervins,  en  envoyant  des  fecours  aux  confédérés  ;  on  lui 
fit  réponfe  férieufement ,  que  l'Empereur  ayant  pris  injufte- 
ment  les  armes  contre  les  eledeurs  de  Brandebourg  &  Pa- 
latin compris  dans  ce  traité,  il  l'avoit  violé  le  premier  : 
Qu'ainfi  le  Roi  pouvoir  légitimement  leur  donner  des  fe* 
cours  :  Qu'au  refte ,  fi  l'Efpagne  entreprenoit  fur  la  France , 
le  Roi  avoit  affez  de  forces  pour  repoufler  l'ennemi  :  Que 
cependant  à  tout  hafard ,  on  offroit  de  lui  envoyer  alors  qua- 
ne  mille  hommes  de  pié  &  mille  chevaux.  BoilTife  promit  de 
fon  côté  aux  princes  &  à  leurs  alliés ,  que  fi  la  maifon  d'Au- 
triche les  inquiétoit  à  l'occafion  de  la  ligue  de  Hall ,  le  Roi 
leur  fourniroit  huit  mille  fantaffins,  &  deux  mille  hommes 
de  Cavalerie.  Il  ajouta  que  le  Roi  fouhaitoit  ardemment 
qu'on  accordât  le  libre  exercice  de  la  Religion  aux  Catho- 
liques des  duchés  de  Juhers ,  de  Cleves  &  de  leur  dépen- 
dances 5  qu'enfin,  il  exigeoit  des  confédérés ,  qu^ils  ne  fedé- 
partilfent  point  de  l'alliance  fans  le  confulter,  ni  malgré  lui, 
pour  quelque  raifon  que  ce  pût  être. 

Après  qu'on  eût  fatisfait  à  ces  demandes ,  l'Ambailadeur 


DE    J.    A.    DE    THOU,Liy.nL  7^ 

figna  les  Pa5}a  conventa  ;  enfuite  Jean  comte  Palatin  du  Rhin ,  ; 

duc  de  Deux-Ponts ,  au  nom   de  Frédéric  fon  frère  élec-  Henri 
teur  Palatin;  Philippe-Louis  de  Neubourg ,  comte  Palatin  di4        lY. 
Rhin  ;  Jean  comte  Palatin  ;  Jean  Frédéric  marquis  de  Bade  i     i  5q^, 
Joachim-Erneft  marquis  de  Brandebourg ,  pour  lui  &  pour 
fon  frère  ,  marquis  de  Brandebourg-Culmbach  ;  Jean-Fre- 
deric  duc   de  Wirtemberg  ;  Chriftiern  prince  d'Anhalt  ;  & 
Wolfang-Guillaumc  comte  Palatin  du  Rhin ,  fignerent  pareil- 
îement  le  traité. 

Le  duc  de  Wirtemberg  fît  inférer  dans  le  traité,  qu'en  cas  d'ir* 
ruption  de  la  part  des  ennemis ,  dans  le  comté  de  MonibeUard^ 
qui  faifoit  partie  de  fes  Etats ,  &  dont  il  alloit  être  nécelîaire- 
ment  obligé  de  s'éloigner ,  le  Roi  fe  chargeoit  d'en  prendre  la 
défenfe.  Henri  le  promit  j  mais  il  excepta  toutefois  les  fiefs 
relevans  du  comte  de  Bourgogne  (i).  Par-là  il  fut  bien  aife 
de  faire  connoître  qu'en  aidant  les  Princes  confédérés  de  fes 
fecours ,  fon  intention  n'étoit  pas  de  rompre  avec  l'Efpagne. 
L'AmbafTadeur  dépêcha  un  courier  pour  apporter  une  copie 
du  traité  au  Roi ,  qui  le  ratifia  le  vingt-quatre  de  Février. 

Boiiîlfe  eut  ordre  d'avertir  -les  princes  confédérés  qu'ils 
ne  feroient  jamais  en  fureté,  tandis  que  l'Empire  feroit  dans 
la  maifon  d'Autriche  5  &  qu'il  feroit  difficile  de  l'en  faire 
fortir,  tant  que  le  roi  d'Efpagne  &  les  archiducs  de  Flan- 
dres  feroient  en  poireffion  d'un  grand  nombre  de  places^ 
par  le  moyen  defquelles  ils  tenoient  tous  les  Eledeurs  en 
bride  ,  &  d'où  ils  feroient  toujours  à  portée  d'entrer  dans 
ies  duchés  de  Juliers  &  de  Cleves,  &  furies  terres  des  con- 
fédérés &  de  leurs  alliés,  en  haine  de  la'^-ligue  qu'ils  ve- 
noient  de  conclure  pour  fe  maintenir  les  uns  &  les  autres  : 
Que  ceux  d'entre  eux  qui  avoient  droit  d'éledion  prilfent 
de  jufles  mefures  ,  pour  faire  pafTcr  l'Empire  dans  une  autre 
maifon  :  Que  le  Roi,  pour  les  aider  dans  ce  projet,  avoit 
des  forces  capables  de  réduire  dès  le  commencement  de 
ia  guerre ,  à  l'occafion  du  différend  de  Juliers ,  les  villes 
que  le  roi  d'Efpagne  &  les  Archiducs  poffédoient  fur  la 
Meufe:  Qu'il  feroit  agir  les  Hollandois  ,  s'il  en  étoit  befoin, 
èc  mettroit  le  roi  d'Angleterre  dans  les  intérêts  des  prin- 
ces poffeffeurs  ,   malgré  fon  alliance  avec  le  duc  de  Saxe, 

(i  )  Ccil-à-dire  iïi  foi  d*E(l>agne ,  auquel  Henri  ne  voaloit  point  déclarer  la  guerre. 

Kij 


7<?  SUITE  DE  L'HISTOIRE 

Le  duc  de  Saxe  &  l'Eledeurdece  nom  prétendoient  avoir 
Henri  ^^^^^  ^  ^^  fucceffion  de  Juliers ,  ils  avoient  été  aflfez  crédules 
j  y^  pour  confentir  au  fequeftre  j  mais  ayant  apperçu  dans  la  fuite 
s6oQ,  que  l'Empereur  n'avoir  pris  ce  moyen,  que  pour  dépouiller 
les  prétendans  de  leur  héritage ,  ils  paroiflbient  difpofés  à  fe 
dédire ,  &  à  remettre  leurs  droits  à  l'arbitrage  du  roi  de  Fran- 
ce, à  l'exemple  des  Princes  poflefTeurs.  Ils  avoient  même  dé- 
jà envoyé  des  ambafladeurs  en  France  &  en  Angleterre. 

Tandis  que  Boiffife  s'acquittoit  des  ordres  du  Roi ,  l'Em^ 
pereur  ,  les  éledeurs  Eccléfiaftiques ,  &  les  autres  princes 
Catholiques  de  l'Empire  ,  fournilïbient  à  l'archiduc  Leopold 
autant  de  troupes  qu'ils  pouvoient.  Le  roi  d'Efpagne ,  qui  les 
payoit,  ufoit  de  diffimulation  avec  la  France.  Après  avoir 
vivement  follicité  l'Empereur  contre  les  confédérés  ^  il  fit 
faire  par  fes  ambafladeurs  de  très-fortes  inftances  auprès  du 
Roi ,  pour  l'engager  à  fe  défifter  de  la  médiation  qu'il  avoit 
acceptée  dans  l'affaire  de  Juliers ,  lui  promettant  de  ne  s'en 
point  mêler ,  au  cas  que  le  Roi  voulût  bien  le  contenter  fur 
cet  article.  Henri  voyant  quel  étoit  le  but  de  toutes  ces  ma- 
nœuvres ,  répondit  aux  miniftres  Efpagnols  :  «  Dites  à  votre 
»  maître  que  je  ne  fuis  pas  homme  à  reculer  en  fi  beau  che- 
ro  min,  ni  à  nier  que  j'aye  agi  :  Que  je  n'ignore  pas  fes  def- 
?o  feins  j  ceux  de  l'Empereur  &  des  Archiducs  :  Qu'enfin  ,  je 
w  fuis  réfolu  d'appuyer  les  droits  des  princes  mes  alliés. 

D'un  autre  côté ,  le  duc  de  Savoye  renouvelloit  les  propo- 
fitions  qu'il  avoit  faites  l'année  précédente  ,  de  marier  fon  fils 
aune  fille  du  roi,  &  de  porter  la  guerre  en  Itahe.  Le  Roi 
avoit  effedivemcnt  deflein  de  donner  la  princefle  Elifabeth 
fa  fille  aînée  au  prince  de  Piémont  j  il  avoit  même  déclaré  fes 
intentions  fur  cefujet  au  fieur  de  Jacob ,  ambafladeur  de  Sa- 
voye  à  fa  cour  ;  mais  il  vouloir  que  cette  alliance  engageât  à 
la  couronne  de  France  les  autres  enfans  du  Duc.  Henri  avoit 
beaucoup  d'intérêt  à  conclure  cette  affaire.  Le  roi  d'Efpagne, 
de  fon  côté ,  vouloir  donner  une  de  fes  filles  au  prince  de 
Piémont ,  pour  fe  venger  du  refiis ,  qu'il  avoit  efluyé  en  pro  - 
pofant  le  mariage  de  l'Infante  avec  le  Dauphin.  Dans  la  vûë 
d'empêcher  le  duc  de  Savoye  de  s'allier  avec  nous,  il  cher- 
choit  à  s'attacher  le  prince  Philibert,  fécond  fils  du  Duc  par 
toutes  fortes  de  moyeiis.  Il  avoit  même  déjà  donné  rarchevê- 


DE  j.  A.  DE  THOU,  Liv.  III.  77 

ehé  de  Montréal  au  cardinal  de  Savoye ,  troifiéme  fils  de  ce 

Prince.  Henri 

Le  Roi  informé  de  toutes  ces  tentatives ,  depccha  Bullion  *  j  y  ^ 
l'un  des  membres  du  Confeil  privé  ,  vers  le  duc  de  Savoye ,  i  60  p: 
pour  l'avertir  de  ne  point  partager  fa  famille  entre  deux  puif- 
fans  Rois ,  fouvent  en  guerre  l'un  avec  l'autre.  L'AmbafTa-  r^j  ^^^^  1, 
deur  lui  repréfenta  :  Que  les  Etats  de  fon  fucceffeur  feroient  daz  de  Sa- 
bien  plus  en  fureté  ,  fi  tous  les  Princes  de  fa  maifon  s'en  te-  "^°y^* 
noient  à  l'alliance  d'un  feul  des  deux  Rois  :  Que  ces  raifons 
dévoient  le  déterminer  à  donner  fes  enfans  à  la  couronne  de 
France ,  plutôt  que  de  les  envoyer  en  otage ,  ou  en  capti- 
vité chez  les  Efpagnols  qu'on  alloit  attaquer.  Le  duc  de  Sa- 
voye fe  rendit  à  ces  avis ,  pour  ne  fe  point  faire  foapçonner 
par  des  incertitudes ,  de  vouloir  fe  partager  entre  deux  grands 
Monarques,  dans  la  vue  d'avoir  des  moyens  de  faire  fa  paix 
avec  eux  ^  toutes  les  fois  qu'il  les  auroit  ofFenfés  l'un  ou  l'autre. 
Cette  double  alliance ,  quoique  alTez  prudente  ,  étant  la 
marque  d'un  efprit  fiotant ,  eût  fait  voir  le  peu  de  fond  qu'il 
y  auroit  eu  à  faire  fur  les  offres  du  duc  de  Savoye ,  d'attaquer 
le  roi  d'Efpagne  en  Italie,  en  conféquence  du  mariage  de 
la  princefTe  Elifabeth  avec  le  prince  de  Piémont.  Ainfi  en 
arrêtant  ce  mariage ,  le  duc  promit  au  Roi  de  ne  point  en- 
gager fes  enfans  à  d'autres  couronnes.  La  dot  de  la  princeffe 
fut  aufll  confidérable ,  que  l'avoir  été  celle  que  Henri  II.  avoit 
donnée  à  Madame  Elifabeth  fa  fille.  Le  duc  de  Savoye  afll- 
gna  un  douaire ,  tel  que  Philippe  (  i  )  l'avoir  afllgné  en  fa- 
veur d'Elifabeth ,  ou  Philibert ,  père  du  duc  régnant  en  faveur 
de  Marguerite ,  fille  de  François  I.  Henri,  defoncôté,  s'en- 
gagea à  donner  des  bénéfices ,  des  dignités  &  de^ran^s  em- 
plois aux  enfans  du  Duc  ,  &  en  attendant  leur  aillgna  des 
penfions.  Celle  de  Philibert  fut  de  cent  cinquante  mille  li- 
vres de  notre  monnoye.  Le  Cardinal  en  eut  une  de  foixante 
mille ,  &  le  prince  Thomas  de  quatre-vingt-dix  mille  li- 
vres. Tels  furent  les  points  dont  on  convint  le  treize  de  No- 
vembre à  Turin  par  le  miniftére  de  Bullion.  Le  Roi  ratifia 
ce  traité  à  Paris  le  vingt-huit  de  Décembre  fuivant  ^  atten- 
dant, pour  figner  le  contrat  de  mariage  ,  que  le  duc  de  Ne- 
mours, le  marquis  de  Lullin,  Jacob  6c  le  colonel  Purpurat 

f  1}  Philippe  II.  roi  d'Efpagne, 

Kiij 


7S  SUITE  DH  L'HISTOIRE 

t'*"" -  que  le  Ducdevoit  envoyer  au  premier  jour  en  qualité  de 

Henri  procureurs ,  pour  conclure  cette  affaire ,  fulTent  arrivés. 
I V.  Pendant  ce  temps-là ,  le  Roi  donna  de  nouveaux  ordres  à 

,1  5  0  p.     Lefdiguieres  &  à  Bullion  pour  faire  les  préparatifs  de  la  guerre 
d'Italie.  Ils  furent  chargés  d'aflûrer  le  duc  de  Savoye ,  que 
le  Roi  avoir  levé  ime  armée  nombreufe,  pour  marcher  au 
fecours  des  prétendans  à  la  fuccelTion  de  Juliers ,  contre  les 
princes  d'Autriche  :  Qu'on  étoit   bien   éloigné  dans    cette 
guerre  de  vouloir  nuire  à  la  Religion  ^  comme  le  publioient 
les  Efpagnols  :  Que  tout  le  but  de  cette  expédition  étoit  de 
délivrer  le  duché  de  Juliers  de  l'oppreffion  de  Leopold  ^  qui 
s'en  étoit  faifi  fans  la  moindre  apparence  de  droit ,  &  d'afTùrer 
la  liberté  des  Etats  des  autres  Princes  confédérés ,  fuivant  les 
loix  de  l'Empire  :  Que  11  le  roi  d'Efpagne  attaquojt  le  Duc  par 
jaloufie  de  fa  nouvelle  alliance  avec  la  cour  de  France,  ou 
fous  tout  autre  prétexte  j  le  Roi  pourfuivroit  par  la  voie  des 
armes,  pour  lui-même ,  ou  pour  fes  alliés,  enfin  par  toutes 
fortes  de  moïens ,  la  vengeance  de  l'injure  faite  à  fon  allié, 
comme  fi  cette  injure  s'adrefibit  à  lui-même  :  Qu'il  ne  fouf- 
fi:iroit  pas  qu'on  pût  dire  que  l'alliance  de  la  France  eut  été 
défavantageufe ,  ou  même  inutile  au  duc  de  Savoye  :  Que 
ne  doutant  pas  que  le  roi  d'Efpagne  ne  fit  à  cette  occafion 
des  hodilités  fur  la  frontière  de  Savoye ,  qui  confinoit  aux 
terres  de  fa  dépendance  ,  il  falloir  prévenir  le  danger  :  Qu'ainfi 
il  étoit  d'avis  de  porter  la  guerre  dans  le  Milanez ,  comme 
le  Duc  le  propofoit  :  Qu'il  lui  fourniroit  de  puiflans  fecours 
pour  cette  expédition  :  Qu'ayant  déjà  mis  à  part  cent  vingt 
mille  écus  pour  les  frais  de  la  guerre  ^  il  en  avoit  confié  le 
foin  à  Lefdigueres ,  qui  devoir  lever  des  troupes ,  la  plupart 
Catholiques  :  Qu'au  refte  ,  s'il  commandoit  des  foldats  Pro- 
teftans  comme  lui ,  le  Roi  avoit  pris  de  juftes  mefures ,  pour 
les  empêcher  de  fcandalifer  les  Catholiques ,  ou  de  leur  faire 
aucun  tort  :  Que  le  luccès  de  l'entreprife  dépendoit  de  la 
préfence  de  Lefdiguieres  :  Que  quoique  la  France  dût  four- 
nir prefque  toutes  les  troupes  dans  cette  guerre  ,  le  Roi  con- 
fentoit  cependant  à  abandonner  fans  réferve  au  Duc  toutes 
fes  conquêtes  dans  le  Milanez ,  à  l'exception  des  places  qu'oa 
feroit  obligé,  (  afin  d'entretenir  la  paix  dans  le  voifinage  )  de 
donner  aux  Vénitiens,  aux  Grifons  &;  autres,  qui  fe  join- 


DE   J,   A.   D  E   T  H  OU,  Ltv.  ni.  7p 

droient  à  nous  :  Qu'il  étoit  bien  certain  qu'ils  envoïeroient 

des  renforts  à  l'armée  royale ,  dès  la  première  nouvelle  de  H  e  n  R  i  i 
quelque  heureux  fuccès.  Mais  que  l'armée  ne  pafleroit  pas        \  V. 
les  monts,  avant  qu'on  eût  pourvu  à  fa  fureté,  de  m-aniére     i  ^op,; 
qu'elle  ne  dépendît   pas   entièrement  de    la   foi  d'autrui: 

Qu'ainfi  le  Roi  confidérant  l'inflabilité  des  chofes  humaines ,  \ 

fouhaitoit  que  le  Duc  remît  entre  les  mains  de  quelques  of-  i 

ficiers  François  Catholiques  la  ville  de  Pignerol,  afin  d'avoir  ' 
à  tout  hafard  une  retraite  alTùrée  en  ce  pays. 

Lefdiguieres  &  BuUion  avoient  ordre  de  preflentir  le  duc  i 

de  Savoye ,  pour  fçavoir  fi  ce  Prince ,  après  la  conquête  du  \ 

Milanez  j  fi  pleine  &  Ç\  entière  ,  que  les  peuples  n'ofallent ,  \ 

ou  ne  puflent  refufer  d'obéir  au  vainqueur ,  pourroit  confen-  i 

tir  à  céder  à  la  France  le  duché  de  Savoye  poiu-  les  frais  de  i 

la  guerre  5  ou  fi  cela  fouffroit  de  trop  grandes  difficultés,  de  \ 

voir  s'il  voudroit  recevoir  garnifon  Françoife  dans  Montme-  ■ 

lian.  Ils  renouvellérent  les  aflurances  du  mariage  de  Mada-  i 
me  de  France  avec  le  prince  de  Piémont ,  qui  avoit  fouhaité 

que  cette  Princefle  paflat  en  Savoye.  Le  Duc  avoit  deman-  ; 
dé  en  même  temps  le  titre  de  duc  de  Chartres   pour  fon                            ^     \ 

fécond  fils.  On  fit  entendre  au  prince  de  Piémont,  que  l'air  i 

natal  de  la  France  conviendroit  mieux  à  la  famé  de  Mada-  ^ 
me  Elifabeth ,  en  attendant  qu'elle  eût  atteint  l'âge  nubile  : 

Que  cependant  on  pouvoit  toujours  célébrer  les  fiançailles  \ 

d'avance.  A  l'égard  du  prince  Philibert,  le  Roi  lui  accorda  \ 
le  titre  de  duc  de  Chartres. 

Lefdiguieres  ayant  reçu  fes  inftrudions ,  avertit  le  Roi  qu'i!  \ 

étoit  inutile  de  demander  la  ville  de  Pignerol,  dont  il  étoit  \ 
facile  de  fe  faifir  au  befoin  :  Qu'il  feroit  beaucoup  plus  avan-        ' 
tageux  de  demander  quelques  places  fur  le  Tefin  &  fur  le 

Po  ,  afin  d'avoir  un  paflage  &  une  retraite  à  tout  événement  :  \ 

Lefdiguieres  &  Bullion   s'acquittèrent   au  relie  avec  beau-  ; 

coup  d'ardeur  &  de  zélé  de  tout  ce  qui  leur  avoit  été  re-  I 

commandé.  i 

Le  Roi  prefibit  avec  ardeur  la  guerre  d'Allemagne  &  d'î-    Retraîfc  du  j 

talie  5  il  y  étoit  porté  par  le  refientiment  de  l'injure  ,  que  l'Ef-  ^^JJJJJf^^  *^^       ^  i 

|)agne  venoit  de  lui  faire  tout  récemment ,  en  donnant  re-  j 

traite  à  Milan  au  prince  de  Condé ,  premier  Prince  du  fang,  j 

Henri  de  Bourbon  Condé  avoit  époufé  depuis  quelques  mois  j 


So  SUITE  DE  L'HISTOIRE  ' 

.        Charlotte-Marguerite  de  Montmorenci ,  danie  d'une  grande 
H  -  N  R  I  t)eauté.  La  galanterie  regnoit  alors  à  la  Cour  j  ainli  le  Prince 
jy         n'eut  pas  de  peine  à  fe  perfuader  ,  fur-tout  dans  un  âge, 
1  ^o'o      ^"-  ^'^^^  ^^^^^  ^^^^   facilement,  qu'on  lui   raviroit  bien-tôt 
le  cœur  de  fa  nouvelle    époufe.   Cette   crainte  faifoit  tant 
d'imprefTion  fur  fon  efprit ,  qu'il  s'imaginoit  déjà  voir  arriver 
des  lettres  galantes  de  la  part  d'un  amant ,  auquel  il  ne  pour- 
roit  demander  raifon  de  fon  procédé  ,  &  lui  voir  mettre 
en  ufage  toutes  les  rufes ,  &  les  plus  fines  pratiques  de  l'a- 
mour ,  pour   féduire  fa  femme.  Il  s'effrayoit  de  l'idée  qu  il 
allpit  être  la  fable  &  le  mépris  de  la  Cour.  Né  fier  ^  il  n' avoir 
jamais  pu  fe  plier  ni  à  la  diiïimulation ,  ni  à  la  patience.  Ou- 
tre cela  le  duc  de  Sully,  furintendant  des  Finances,  avoit 
parlé  de  lui  avec  mépris  ,  &  l'avoir  traité  avec  beaucoup  de 
hauteur  '■>  &  cela  en  quelque  façon  de  l'aveu  du  Roi. 

Cette  conduite  du  Surintendant  avoit  prefque  mis  au  dé- 
fefpoir  ce  jeune  Prince.  Il  ne  confulta  donc  que  fa  jaloufie 
6c  fes chagrins,  pour  prendre  un  parti,  qui  approchoit aiTez 
du  défefpoir  5  ce  fut  de  retirer  de  la  Cour  fa  femme  ,  dont  la 
beauté  étoit  la  funefte  fource  des  malheurs  qu'il  appréhen- 
doit ,  &  de  forrir  du  Royaume  avec  elle.  Il  crut  trouver  une 
retraite  afturée  pour  lui  &  pour  fa  femme  auprès  du  prince 
d'Orange  fon  beau-frere  à  Bruxelles ,  où  fon  féjour  ne  pou- 
voit  être  fufped  au  Roi.  Etant  donc  allé  de  Paris  à  Moret  i 
^  ayant  difpofé  fa  femme  à  le  fuivre  ,  il  monta  deux  jours 
après  en  carofTe ,  marcha  pendant  la  nuit ,  &  fortit  de  France 
à  l'infçu  du  Roi.  Il  s'arrêta  d'abord  à  Chaftillon ,  enfuite  à 
Landrecy,  ville  gippartenante  aux  archiducs  fouverains  des 
Pays-Bas. 

Le  Roi  ayant  appris  fa  fuite ,  entra  dans  une  grande  co- 
lère 5  il  fit  venir  Jacque-Augufte  de  Thou ,  ami  particulier 
du  prince  de  Condé ,  &  lui  demanda  s'il  ne  fçavoit  rien  d'un 
départ  fi  précipité ,  &  fi  le  Fevre  qui  avoir  été  chargé  de  l'é- 
ducation du  prince  de  Condé,  n'en  avoit  pas  quelque  con- 
noiflance,  &  ce  qu'ils  en  penfoient  l'un  &  l'autre.  De  Thou 
protefta  qu'il  étoit  aufll  furpris  que  Sa  M.^efté,  n'en  fça- 
chant  pas  plus  qu'elle  fur  ce  fujet  :  Que  cependant  il  ne 
croyoit  pas  que  le  Prince  eût  de  mauvaifes  intentions  :  Qu'il 
n'çtoit  ^llé  à  Bruxelles,  c^ue  pour  s'y  retirer  auprès  du  prince 

d'Orange 


DE  J.  A.  DE  THOU,  Liv.  lîl;  8r 

d'Orange  ,    fans  deflein  de   donner  le  moindre  fujet  de  ..  ',  '  '^  '  '  's 
chagrin  à  Sa  Majefté ,  ni  de  rien  faire  qui  ne  convînt  à  un  Prin-  Henri 
ce  du  Sang  :  Qu^on  s'étoit  ii  peu  attendu  à  fon  départ  dans       I V. 
là  maifon ,  que  le  Fevre  ne  ceflbit  de  pleurer  l'abfence  du     iC  i o^ 
Prince.  Le  Roi  qui  fçavoit  que  le  Fevre  étoit  borgne  ,  vou- 
lant cacher  fa  colère  fous  une  raillerie ,  dit  à  de  Thou  j  qu'il 
étoit  bien  fur  que  quelques  larmes  que  le  Fevre  eût  verfées, 
il  n'avoit  pleuré  que  d'un  œil  ;  enfuite  il  renvoya  de  Thou. 
Dans  le  tems  que  le  prince  de  Condé  paflbit  en  Brabant, 
les  Archiducs  furpris  de   l'arrivée  fubite  d'un  tel  hôte,  & 
ignorant  les  motifs  de  fon  départ,  lui  envoyèrent  de  Croy 
duc  d'Arfchot ,  pour  lui  dire  de  fortir  dans  trois  jours  de 
defîlis  leurs  terres.  Le  Prince  prit  le  chemin  de  Cologne , 
aprèsavoir  envoyé  fon  époufe  à  Bruxelles  au  prince  d'Orange. 

Quelque  tems  après,  Spinola  par  politeflc,  ou  plutôt  par 
ordre  de  la  Cour  d'Efpagne ,  fit  un  accueil  des  plus  gracieux 
au  prince  de  Condé ,  &  le  combla  d'honnêtetés.  Il  obtint 
même  pour  lui  des  Archiducs,  la  permiffion  d'aller  à  Bru- 
xelles, où  il  lui  donna  un  grand  repas,  qui  coûta  trois  mille 
écus  d'or.  Cette  conduite  de  Spinola,  jetta  le  Prince  dans 
de  nouveaux  embarras  ^  &  augmenta  fon  crime  dans  i'efprit 
du  Roi.  Annibal  d'Eftrées  marquis  de  Cœuvres ,  ambafladeur 
de  France  à  Bruxelles,  redemanda  le  Prince  aux  Archiducs, 
&  en  même  tems  promit  au  Prince  de  la  part  du  Roi  ,  le 
pardon  de  fa  faute ,  &  de  le  rétablir  dans  fes  bonnes  grâces. 
Les  Archiducs  répondirent  qu'on  ne  pouvoir  pas  violer  la 
parole  donnée  au  prince  de  Condé ,  mais  qu'ils  lui  confeil- 
îeroient  volontiers  d'accepter  la  grâce  que  le  Roi  lui  offroit. 
Ils  n'en  firent  que  le  femblant. 

Le  Prince  ayant  demandé  de  plus  grandes  fûretés ,  le  mar- 
<iuis  de  Cœuvres  alla  le  trouver  avec  Brulart  de  Berny,  Phi- 
lippe de  Longueval  de  Manicamp ,  &  Charles  de  l' Aubef-     • 
pine  de  Préaux,  &  lui  commanda  de  la  part  du  Roi,  de  re- 
venir en  France ,  fous  peine  de  crime  de  leze-Majefté.  Le 
Prince  ayant  demandé  cet  ordre  par  écrit ,  fit  réponfe  qu'il 
.obéïroit  toujours  avec  beaucoup  de  foûmifllon  aux  ordres  du 
Roi ,  &  qu'il  retourneroit  dans  le  Royaume  j  dès  qu'il  auroit 
lieu  de  fe  fiater  d'y  trouver  de  la  fareté  pour  lui  &  pour  fes 
Officiers  :  Qu'en  attendant  il  fuppiioit  Sa  Majefté  de  recevoir 
Tom^  XF.  L 


$2  SUITE    DE    r  HISTOIRE 

•  fes  excufes,  ôc  de  lui  permettre  de  protefter  de  nullité  con* 

Zj  tre  tout  ce  qui  feroit  fait  dans  la  fuite  à  fon  préjudice. 

T  V  ^  ^       Il  chargea  un  Notaire  de  préfenter  fa  réponfe  par  écrit  à 

^    '       rAmballadeur ,  qui  la  reçut ,  fans  prendre  garde  à  ce  qu'on 

'^  ■'-    ^*     lui  donnoit  ;   mais  ayant  jette  les  yeux  fur  la  fignature  du 

Prince,  il  fit  rappeller  le  Notaire,  &  tirant  ion  épce ,  il  le 

força  de  reporter  ce  papier  à  celui  qui  le  lui  avoit  donné. 

Le  Marquis  de  Cœuvres  étoit  l'ennemi  juré  du  Prince  5  ôc 

c'étoit  un  bruit  commun  à  Bruxelles,  qu'il  n'y  étoit  venu, 

que  pour  enlever  le  Prince ,  ou  fon  époufe.  Mais  tes  plus  péné- 

trans  regardèrent  ce  bruit  comme  une  manœuvre  des  Efpa- 

gnols,  pour  s'attacher  davantage  le   Prince,  en   l'aigriflant 

contre  le  Marquis. 

Le  départ  précipité  du  Prince,  ne  fit  que  confirmer  l'in^ 
certitude  de  ces  différentes  opinions.   Car   fix   mois  après  3 
ayant  reçu  mille  doublons  d'Efpagne,  &  s' étant  fait  fuivre  par 
Louis  d'Aloigny  marquis  de  Pvochefort,  Claude  Enoch  de 
Virei ,  &  de  Fritima ,  qui  avoit  été  autrefois  à  Spinola ,  il  for- 
tit  de  Bruxelles,  traverfa  l'Allemagne  en  habit  déguifé,  &  fe 
rendit  à  Milan  avec  ces  trois  Oiïiciers  ,  dont  le  dernier  lui 
fervoi?  de  guide  &  de  truchement.  Il  avoit  laiffé  la  Princelfe  à 
la  garde  des  Archiducs. 
M    if  fie  du       Enfuite  voulant  juftifier  fa  retraite,  il  répandit  en  France 
prince  de        un  maiiifefte ,  où  il  alléguoit  pour  fes  ràifons ,  qu'il  n  avoit 
Coadés  pu  voir,  &  fouffrir  plus  long-tems  que  le  duc  de  Sully  fou- 

lât aux  pieds,  à  l'infçu  du  Roi,  les^  droits  du  Royaume  5  trai- 
tât les  Princes  avec  une  hauteur  infupportable  ;  caflat  à  fon 
gré  les  Arrêts  du  Parlement  j  fit  gémir  les  peuples  fous  le  poids 
des  impôts  les  plus  crians  ;  qu'il  proftituât  ce  qu'il  y  avoit  de 
plus  facré  à  des  gens  indignes  j  &  qu'il  vendît  aux  plus  vils 
acheteurs  les  dignités  &  les  emplois  :  Qu'enfin  il  s'étoit  lafle 
d'être  le  témoin  de  la  tyrannie  exercée  fur  la  maifon  Royale, 
par  unEcofTois,  né  dans  l'obfcurité ,  qui  devoit  les  commen- 
cemens  de  fa  fortune  à  la  maifon  de  Condé.  Ce  manifefte 
fut  bien  reçu  du  peuple,  toujours  avide  de  nouveautés > 
mais  les  gens  de  bon  fens  voyant  le  Royaume  florillant ,  Ôc 
le  Roi  fur  le  point  de  tenter  de  grandes  entreprifes,  trouvè- 
rent cet  écrit  ridicule ,  quoique  vrai  en  partie. 

Le  3  I  de  Mars  ^  le  comte  de  Fuentes  reçut  le  Prince  à 


D  E   J.   A.   D  E  T  H  O  U,  L  I  v.  HT.       65 

Milan,  avec  de  grands  honneurs.  Il  fe  répandit  auffitôt  dans 
cette  ville  un  faux  bruit ,  que  la  tête  du  Prince  avoir  été  mife  Henri 
à  deux   cens  mille  écus.    Il  eut  fur  le  champ  des  gardes  à       j  y 
pied  &  à  cheval ,  foit  pour  obferver  fes  démarches ,  foit  pour     iC  lo^ 
la  fureté.    On  lui  remit  bientôt  des  lettres  remplies  d'hon- 
nêtetés de  la  part  du  roi  d'Efpagne ,  &  d'autres  du  duc  de 
Lerme,  pleines  d'oftentation  &  de  promefTes  flateufes.  Le 
but  de  toute  cette  conduite  des  Efpagnols^  étoit  de  noircir 
davantage  le  Prince  dans   l'efprit  du  Roi  5  perfuadés  qu'un 
Prince  tel  que  lui  n'étoit  pas  à  méprifer  j  ils  s'imaginoient 
avoir  en  fa  perfonne  de  quoi  balancer  les  chofes  par  rapport 
au  duc  de  Savoye. 

Ils  firent  dire  au  Roi ,  qu'ils  prieroient  le  prince  de  Con-^ 
dé  de  fe  retirer  des  Etats  du  roi  d'Efpagne ,  s'il  vouloir  de 
fon  côté  renoncer  à  l'alliance  du  duc  de  Savoye.  Mais  Henri 
fidèle  à  fa  parole ,  crut  qu'il  feroit  plus  noble  de  tirer  ven-^ 
geance  de  la  fuite  du  Prince  par  l'alliance  du  duc  de  Sa- 
voye j  c'eft  pourquoi  il  écrivit  auffitôt  à  Lefdiguieres  &  à 
Builion ,  d'avertir  le  Duc  de  mettre  au  plutôt  fes  troupes  en 
campagne ,  l'armée  Françoife  devant  les  aller  joindre  au  pre- 
mier jour,  &  de  lui  recommander  d'avoir  les  yeux  fur  la 
conduite  des  Efpagnols  à  l'égard  du  prince  de  Condé. 

Il  eût  été  à  fouhaiter  pour  ce  dernier  qu'il  fe  fut  retiré 
plutôt  à  Rome ,  qu'à  Milan ,  ou  qu'il  eût  eu  encore  la  li- 
berté de  le  faire.  On  jugea  à  propos  d'éprouver  s'il  n'y  au- 
xoit  pas  moyen  d'adoucir  fon  efprit  ,  en  lui  faifant  efpérer 
<ie  rentrer  dans  les  bonnes  grâces  de  Sa  Majefté.  Guillaume 
Fouquet  de  la  Varemie ,  chargea  de  cette  commiffion  Ezechiel 
Ribera,  médecin  qui  avoir  été  dans  la  maifon  de  ce  Prince. 
Ribera  paflà  de  Turin,  où  il  étoit  auprès  de  Buliion,  à  Mi- 
lan. Ayant  ébranlé  le  prince  de  Condé  par  de  grandes  eC 
pcrances,  il  feignit  d'aller  à  Rome,  pour  examiner  déplus 
près  ce  qu'on  y  difoit  de  la  retraite  du  Prince ,  &  lui  pro- 
mit de  revenir  au  premier  jour.  Ayant  au  contraire  repris  le 
chemin  de  Turin ,  &  repaffé  en  France ,  il  devint  fufped  au 
Prince ,  qui  apprit  fon  voyage. 

On  fut  d'avis  de  le  faire  tenter  une  féconde  fois  par  Guil- 
laume de  Noizet  abbé  d' Aumale  ,  qui ,  quoique  parent  de 
3uliion,  n'en  étoit  pas  moins  bien  avec  le  Prince.  Noizet 

Lij 


$4  S  U  I  T  E  D  E  U  H  I  S  T  O  I  R  E 

— i»,»!;!-.—  envoyé  à  Milan ,  pria  le  marquis  de  Brèves ,  ambaiTadeur  de 
Henri  France  à  Rome ,  de  lui  donner  permiffion  de  faluer  le  prin- 
j  y^        ce  de  Candé  à  Milan ,  en  retournant  en  France.  Ayant  ob- 
I  ^  I  o*     ^^^^^  ^^   ^^^'^^  demandoit ,  il  fe  rendit  dans  cette  ville ,  où 
il  eut    une  entrevue  fecrete  avec  le  Prince  qui  l'interrogea 
fur  ce   qu'on  difoit  à  Rome  de  fon  départ.  Noizet  lui  en 
ayant  rendu  compte,  ajouta,  que  le  zélé  qu'il  avoit  pour 
(a  perfonne,  lui  faifoit  fouhaiter,  qu'il  voulût  bien  faire  de 
férieufes  réflexions  fur  la  manière,   dont  il  avoit  pafle  chez 
les  ennemis  de  la  France ,   pour  à&s  foupçons   frivoles ,  ôc 
de  légers  mécontentemens  :  Qu'il  auroit  été  plus  fur  3  &  plus 
honorable  pour  lui  de  fe  jetter  entre  les  bras  du  Père  com- 
mun des  Fidèles ,  que  Jefus-Chrift  ce  Dieu  de  paix  &  d'u- 
nion  avoit  fait  fon  Vicaire  en  terre ,  &  par  le  moyen  du- 
quel il  fe  feroit  aifément  réconcilié  avec  le  Roi. 

Le  Prince  lui  découvrit  alors  le  vrai  motif  de  fon  voyage. 
Il  lui  dit  qu'il  s'étoit  laiflé  aller  à  des  craintes  capables  d'é- 
branler  les  plus  fermes  courages  :  Qu'au  refte  il  n'étoit  en- 
tré dans  aucune  négociation  avec  l'Efpagne ,  &  n' avoit  ja- 
mais révoqué  en  doute  la  fucceffion  du  Royaume  :  Qu'il  ne 
fçavoit  que  trop  qu'il  y  avoit  des  gens ,  qui  voulant  le  voir 
pour  jamais  banni  de  France ,  mettoient  tout  en  œuvre  pour 
aigrir  le  Roi  contre  lui  :  Qu'on  avoit  envoyé  à  Bruxelles  le 
marquis  de  Cœuvres  fon  plus  grand  ennemi  :  Que  tout  autre 
que  ce  Miniflre  n'auroit  pas  manqué  de  le  remettre  en  grâ- 
ce avec  Sa  Majeilé  :  Qu'il  auroit  volontiers  remis  fes  intérêts 
entre  les  mains  du  fouverain  Pontife  :  Qu'il  étoit  même  en* 
core  prêta  le  faire ,  mais  qu'il  ne  devoir ,  &  ne  pouvoit  prendre 
aucun  parti ,  fans  la  participation  du  roi  d'Efpagne,  qui  l'avoit 
pris  fous  fa  protedion.  Il  donna  de  grandes  marques  d'amitié 
à  Noizet,  &  le  renvoya  avec  beaucoup  de  politefîe. 

Il  le  fit  revenir  le  lendemain ,  après  avoir  parlé  au  comte 
de  Fuentesî  &  il  lui  dit  que  ce  Gouverneur  n' avoit  point 
d'éloignement  pour  fon  voyage  de  Rome,  mais  qu'il  étoit 
bon  de  fçavoir  de  quelle  manière,  &  à  quelles  conditions 
ilpourroit  y  aller.  »  Il  m'a  dit,  ajouta  le  Prince,  que  ceux 
»  qui  croyoient  que  le  Pape  avoit  beaucoup  à  cœur  mes  in- 
3>  térêts,  fe  trompoient  lourdement:  Que  Sa  Sainteté  n'agif^ 
a?,  foit  que  par  les  imjprelTions  de  la  Cour  de  France ,  dont 


DE  J.  A.  DE  THOU,  Liv.  IIL  8/ 

i  elle  achetoit  par  fes  condefcendances  la  feveur  pour  fa  mai-  ''^' 

J9  fon  :  Qu'elle  étoit  irritée  contre  le  roi  d'Efpagne  3  qui  ve-  H  e  n  ri 

^  noit  d'accorder  fa  protedion  au  cardinal  Aldobrandin ,  l'en-       I V. 

»  nemi  juré  des  Borghefes,  &  qui  combloit  de  biens  &  d'hon-     1610* 

»  neurs  tous  les  Aldobrandins  dans  le  Royaume  de  Naples: 

»  Qu'il  fçavoit  certainement  que  le  Nonce  en  France  vou- 

^  lant  obtenir  le  Chapeau  >  à  la  recommandation  du  Roi , 

»  n'avoit  écrit  au  Pape  aufujet  de  ma  retraite,  que  fuivant 

»  les  difpofitions  préfentes  de  Sa  Majéilé  :  Qu'ainfi  il  n'étoit 

»  pas  douteux  que  Sa  Sainteté  ne  taxât  mes  démarches  d'im- 

3»  prudence  &  de  légèreté  :  Que  je  ne  devois  pas  attendre  des 

»  confeils  de  vigueur  d'un  Pape,  qui  s'étoit  lâchement  laiffé 

3>  dompter  par  les  Vénitiens  :  Que  fi  ce  Pontife  avoit  un  peu 

»  de  cette  grandeur  d'ame  tant  admirée  dans  Sixte  V.  il  au- 

30  roit  déjà  lancé  les  foudres  de  l'Eglife  fur  un  Roi  qui  pre- 

»  noit  en  main  les  intérêts  des  princes  Luthériens  prétendans 

»  à  la  fuccelïion  de  Juliers  :  Qu'enfin  je  ne  ferois  pas  en  fii- 

»  reté  dans  Rome  ,  au  milieu  de  dix  mille  François ,  frappés 

■9  du  bruit  qui  s'eft  répandu  que  ma  tête  eft  à  prix.  » 

Pendant  que  le  comte  de  Fuentes  délibéroit  s'il  écrirok 
lui-même  en  faveur  du  Prince,  ou  s'il  lui  laifleroit  le  foin  de 
.parler  pour  lui-même,  &  qu'il  étoit  dans  l'incertitude  fi  le 
roi  d'Efpagne  ne  recommanderoit  pas  au  fouverain Pontife, 
un  Prince  qu'il  avoit  pris  fous  fa  protedion ,  la  nouvelle  ar- 
riva que  l'alliance  entre  la  France  &  la  Savoye  étoit  con- 
clue; que  le  traité  pour  la  guerre  d'Italie  venoit  d'être  fignéj 
&  que  l'armée  s'avan<^oit  fous  les  ordres  de  Lefdiguieres. 
Noizet  fentit  bien  alors  qu'il  ne  feroit  plus  que  de  vaines 
tentatives  auprès  du  Prince.  Ainfi  l'ayant  prié  de  vouloir  bien 
le  renvoyer,  le  Prince  lui  donna  une  lettre  écrite  en  Efpa- 
gnol  pour  fa  Sainteté.  Il  s'excufoit  dans  cette  lettre  de  ce 
qu'il  n  alloit  point  à  Rome  ,  ajoutant  qu'il  n'avoit  quitté  fa 
France ,  que  pour  mettre  à  couvert  les  droits  les  plus  fa- 
crés  du  mariage  5  que  s'étant  jette  entre  les  bras  du  roi  d'Ef- 
pagne ,  c' étoit  à  ce  Prince  à  décider  quels  étoient  fes  véri- 
tables intérêts.  Noizet  lui  dit  alors  en  colère  :  »  Monfeigneur, 
»  ce  n'eft  pas  vous,  c'eft  le  comte  de  Fuentes  qui  parle.» 
Le  Prince  lui  répartit:»  J'en  conviens;  mais  ne  fuis-je  pas 
»dans  des  circonftances ,  où  je  fuis  obligé  de  ne  parler  que 

L  iij 


26  SUITE  DE  L'HISTOIRE 

»  d'après  lui  ?  «  Enfuite  il  prefla  Noizet  de  porter  fa  lettre  ; 
dont  celui-ci  refufa  abfolument  de  fe  charger,  en  difant  qu'il 

Henri  ^^  refteroit  pas  plus  long-tems  à  Milan.  Le  comte  de  Fuen^ 
IV*        tes  l'ayant  prié  d'attendre  quelques  heures,  il  partit  fur  des 
Il  ^  I  g;     chevaux  qu  il  avoir  fecrétement  fait  préparer. 

Cependant  le  Roi  fe  difpofoit  à  faire  la  guerre  en  deux 
endroits.  Il  avoit  confié  l'expédition  d'Italie  à  Lefdiguieres, 
fous  les  ordres  du  duc  de  Savoy e,  &  s'étoit  réfervé  le  con> 
mandement  de  l'armée  d'Allemagne  >  où  il  vouloir  aller  en 
perfonne.  Il  donna  pour  un  tems  la  régence  du  Royaume  à 
la  Reine,  qui  lui  demanda  à  cette  occafîon  d'être  facrée 
reine  de  France  avant  fon  départ.  Henri  lui  accorda  fa  de- 
mande d'autant  plus  volontiers ,  qu'il  avoit  entendu  des  cho- 
fes  qui  lui  avoient  extrêmement  déplu.  Gontheri  de  la  Com- 
pagnie des  Loyolites,  prêchant  en  fa  préfence  dans  l'Eglife 
de  S.  Gervais,  &  s' emportant  contre  les  Hérétiques  devant 
un  auditoire  nombreux,  compofé  des  Grands  &  du  peuple; 
Sermon  in-  avoit  dit  que  Sa  Majefté  n'affùreroit  jamais  le  repos  de  l'Etat, 

f^^^^  '^'""  ^^^^^^  glorieux  de  fes  travaux  &  de  fon  bonheur ,  qu'en  extermi- 
nantceux  qui  difoient  hautement  que  le  Pape  étoit  l' Antechrift. 
»  Car ,  ajoûtoit  le  Jefuite ,  il  fuit  néceflairement  de  ces  princi- 
y>  pes  que  vôtre  mariage  avec  Marie  de  Medicis  eft  nul  ou  fau?^ 
\  »  ayant  été  fait  par  le  pouvoir  &  l'autorité  du  Pape  Clément, 
»  qui  étant  félon  eux,  l'Antechrift,  n'a  dans  l'Eglife  qu'une 
«faufle  puiflance,  ou  plutôt  n'en  a  aucune.  »  Ce  raifonne- 
ment  auiTi  abfurde  qu'impudent ,  ne  tendoit  qu'à  replonger 
î'Etat  dans  les  troubles  d'une  guerre  civile  j  en  animant  le 
^oi  contre  les  Proteftans  ,  &  à  le  détourner  de  faire  la 
guerre  à  l'Efpagne.  Le  Roi  qui  en  avoit  fenti  tout  le  venin, 
en  fit  une  vive  réprimande  au  Prédicateur  infolent  ,  &  il 
perfifla  courageufement  dans  fes  réfolutions. 

Henri  prêt  à  marcher  en  Allemagne ,  voulant  rendre  la 
Sacre  de  la  p^ej^e,  dont  il  avoit  eu  plufieurs  enfans,  plus  refpedable 
aux  François  en  fon  abfence ,  la  fit  facrer  &  couronner  fé- 
lon la  coutume ,  avec  beaucoup  de  pompe ,  dans  l'Eglife  de 
S.  Denis  le  13  de  Mai.  Le  cardinal  de  Joyeufe  y  célébra 
les  SS.  Myftéres ,  affifté  des  cardinaux  de  Gondy ,  de  Sour- 
dis,  &  du  Perron,  &  d'un  grand  nombre  d'Evêques.  Le 
pauphin,  la  princeife  Elifabeth  fa  fœur,  Marguerite  de  Valois, 


i 


DE  J.  A.  DE  THOU,  Lîv.  III;  g^  I 

'&  d'autres  Princeffes   conduifirent  la  Reine  à  l'Autel ,  oii  ^^^1^^,^^ 

s'étant  mife  à  genoux ,  elle  fat  facrée  par  le  cardinal  de  Joy eufe,  ~                           i 

qui  lui  mit  la  Couronne  fur  la  tête ,  en  faifant  des  vœux  pour  "  ^  n  r  i                ^ 

la  profpérité  de  fa  perfonne,  Ôc  pour  celle  du  Royaume  j  en-  ^^*                   "  ' 

fuite  on  jetta  des  médailles  au  peuple  ,  au  bruit  des  trom-  ^  o  i  o^                  i 

pertes.  Un  côte  de  fes  médailles  repréfentoit  la  Reine;  on  \ 

voyoit  fur  le  revers  une  Couronne  furmontée  de  lauriers,  . 

de  palmes,  &  de  branches  d'olivier,  avec  cette  légende:  \ 

S^eciili  félicitas.  Le  Roi  regarda  cette  pompe  de  deOlis  un  i 

théâtre  ;  mais  tdus  ces  fpedacles  qui  occupoient  agréable-  .  \ 

ment  Ïqs  yeux,  ne  l'empêchoient  pas  de  penfer  à  l'exécu-  ! 
tion  des  projets  qu'il  avoit  formés. 

Le  rendez-vous  des  troupes  étoit  à  Moufon  pour  le  com-  Grande  èrir                ; 

mencement  du  mois.   Le  Roi  avoit  déjà  écrit  à  l'archiduc  "^P"^^*^^                    j 

Albert,  pour  lui  demander  paflage  fur  fes  terres;  mais  ne  '                           ] 

l'ayant  pu  obtenir,  il  réfolut  de  fe  l'ouvrir  à  la  pointe  de  j 

l'épée.  Nos  troupes  filoient  déjà  vers  la  frontière ,  &  l'Eu-  ■ 

rope  attentive  avoit  les  yeux  fur  cette  entreprife  des  Fran-  ' 

cois,  &  fur  le  grand  Roi  qui  les  alloit  commander.  L'évé-  ^ 

nement  de  la  guerre  ne  pouvoit  manquer  d'être  fatal  à  nos  ■ 

ennemis;  lorfqu'un  faux  zélé  de  Religion  animant  un  mifé-  ] 

rable  à  la  perte  du  Roi ,  interrompit  fes  glorieux  projets.  lî  ; 
eft  honteux  de  le  dire  ;  mais  la  chofe  parle  d'elle-même  : 

c'eft  la  Religion  qui  a  produit  plufieurs  de  ces  infâmes  par-  i 

ricides  dans  la  France.  j 

Depuis  près  de  cent  ans ,  il  s'eft  élevé  dans  le  Royaume  j 

deux  partis  de  différente  Religion,  qui  ne  fe  fouvenant  plus  ^ 

de  la  charité  Chrétienne ,  fe  font  mutuellement  déchirés  fous  | 

les  noms  odieux  de  Papilles  &  de  Calviniftes.  Ces  derniers  | 

fe  font  appeller  Réformés,  &  les  autres  Catholiques.  Les  Cal-  | 
vinifies  ôtent  toute  autorité  au  Pape,  qui  fe  l'attribue  pleine 

&  entière..   Il  y  a  des  fuperllitieux  qui  en  font  venus  au  point  i 

d'avoir  plus  de  foi  au  Pape,  qu'en  Jefus-Chrifl.    Les  Réfor-  ! 

mes  alTùrant  que  Févêque  de  Rome  efl  l'Antechrill ,  détrui-  ; 

fent  fans  balancer ,  l'autorité  de  l'ancienne  Eglife  &  du  Pa-  j 

pe.  L'un  &  l'autre  parti  voulant  établir  fes  fentimens ,  trou-  ; 

blent  l'Etat ,  au  mépris  de  la  Majeflé  Royale.  Leur  acharne-  *                   i 
ment  à  les  foùtenir  ,  eft  fi  grand ,   &  leur  aveuglement  fi 

plein  de  fureur,  que  ne  pouvant  fouffrir  ceux  qui  veulent  ' 


ÈÉ  S  U  î  T  E  D  E   r  H  î  S  T  O  I  R  E 

'  la  paix,  ils  s'élèvent  hautement  contre  les  Rois  d'une  autre 
Henri  religion ,  que  la  leur ,  comme  fi  ces  Princes  étoient  des  ty-, 
I V.  rans. 
j  6 1  o.  Le  parti  Catholique  étant  le  plus  fort  fous  les  régnes  pré- 
cédens ,  faifoit  fentir  toute  fa  fupériorité  au  parti  le  plus  foi- 
ble.  Le  Roi,  dont  le  courage  avoir -répandu  la  terreur  de  fon 
nom  chez  les  étrangers ,  &  dans  tout  le  royaume ,  auroit 
pu  détruire  l'un  &  l'autre  parti ,  en  rétabliflant  l'ancienne  dif- 
cipline  de  l'Eglil'e  Gallicane  î  mais  il  s'étoit  contenté  de  les 
contenir  dans  les  bornes  qu'il  leur  prefcrivit  à  tous  les  deux, 
La  bonne  intelligence  ,  qui  régnoit  entre  le  Pape  &  lui , 
l'empêchoit  de  rien  craindre  de  la  part  des  Catholiques.  Il 
avoir  fait  agréer  fes  deffeins  à  Paul  V.  de  manière  que  c€  pa* 
pe  reconnoifToit  hautement  qu'il  ne  s'agiflbit  point  du  tout  de 
îa  Religion  dans  les  deux  expéditions  du  Roi.  Sans  fe  met- 
tre en  peine  des  ni'Urmures  des  Efpagnols,  le  faint  Père  ne 
prenoit  aucun  parti  dans  l'incertitude  des  événemens.  Dans 
la  fuite,  fuivant  le  génie  de  la  cour  de  Rome  ,  le  Pontife 
fe  fer  oit  peut-être  déclaré  pour  le  parti  le  plus  fort. 

Malgré  toute  la  modération  de  Paul  V.  la  dangereufe  fac- 
£k.ïow  des  Catholiqu:es  zélés  s'augmentoit  tous  les  jours; 
on  répandoit  fourdement  des  plaintes  parmi  le  peuple  ?  on 
difoit  que  la  religian  Catholique  alloit  être  détruite  :  Que 
le  Roi ,  à  la  follicitation  des  hérétiques ,  étoît  fur  le  point  de 
faire  la  guerre  à  l'Empereur  ^  &  aux  autres  princes  Catholi- 
ques de  l'Empire  :  Que  Lefdiguieres  entroit  à  la  tête  d'une 
armée  de  Sedaires  en  Italie ,  qui  eft  le  centre  de  la  foi  Ca- 
tholique. On  épouvantoit  les  peuples  par  la  crainte  de  ces 
maux.  Ces  fortes  de  faux  bruits  font  ordinairement  tant  d'im- 
prelTion  fur  Fefprit  d'une  populace  infenfée ,  qu'elle  fe  livre 
toute  entière  ,  &  prodigue  tous  fes  biens  à  des  chefs  de 
parti ,  rebelles  à  leurs  fouverains  5  &  que  dans  plufieurs  mil- 
liers de  ces  furieux ,  il  fe  trouve  quelquefois  deux  ou  trois 
miférables ,  qui  ennuyés  de  la  vie ,  &  fortifiés  dans  leurs  fu- 
iieftes  delleins  par  l'idée  de  contribuer  à  la  confervation  du 
vrai  culte ,  bravent  la  crainte  des  plus  affreux  fupplices ,  & 
regardent  le  meurtre  des  Rois  comme  une  adion  méritoire, 
.qui  doit  les  couvrir  d'une  gloire  immortelle. 

Après  le  couronnement  de  la  Reine ,  il  ne  lui  reftoit  plus 

^qu'à 


DE   J.  A.   DE   T  HO  U,   Liv.  IIL  gp 

qu'à  faire  fon  entrée  dans  Paris ,  fuivant  la  coutume;  ^Le  i6 
du  mois  de  May,  jour  deftinéàcette  pompe,  s'approchoit ;  Henri 
le  peuple  s'empreflbit  à  orner  la  ville  de  tableaux,  de  lia-  jy^ 
tues ,  de  colonnes ,  d'infcriptions.  Tout  commençoit  à  reten-  i  5  i  of 
tir  de  ralleerrefTe  publique.  Les  ouvriers  fe  plaiernoient  que 
le  temps  leur  manquoit  ymais  le  roi  brûlant  de  le  rendre  a  fa-iiné. 
l'armée ,  ne  voulut  pas  différer  cette  pompe.  Il  fortit  du  Lou- 
vre le  1 4  à  quatre  heures  du  foir ,  ôc  ayant  renvoie  fes  Gardes , 
î\  fît  avancer  fon  carolTe ,  qui  étoit  ouvert  de  tous  côtés ,  afin 
de  voir  les  travaux ,  &  d'être  le  témoin  de  l'ardeur  des  ou-^ 
vrieis.  Il  étoit  dans  le  fond ,  ayant  à  fa  droite  le  duc  d'Ef- 
pernon  5  les  maréchaux  de  Lavardin  &  de  Roqueîaure  étoient 
à  la  portière  droite  5  le  duc  de  Montbazon  &  le  marquis  de 
la  Force  à  la  gauche  ',  Dupleflls  de  Liancourt  &  Chabot 
marquis  de  Mirebaux  étoient  fur  le  devant ,  vis-à-vis  de  Sa 
Majefté.  Un  homme  qui  avoit  remarqué  le  peu  de  fuite 
du  Roi ,  épia  le  moment  d'accomplir  l'horrible  deiîein  qu'il 
avoit  formé.  Il  fuivit  depuis  le  Louvre  le  carofle  ,  qui  fut 
.arrêté  au  milieu  de  la  rue  de  la  Feronncrie  par  un  embarras 
de  charettes.  Dans  cet  inftant  fi  fatal  à  la  France  ,  raflafiin  fai- 
llflant  l'occafion  j  donna  deux  coups  de  couteau  au  Roi; 
^ui  fe  panchoit  du  côté  de  Lavardin  pour  lui  parler.  Le 
premier  coup  n'ayant  pas  pénétré  ,  ce  monftre  exécrable 
tentant  fon  poignard  arrêté  par  une  côte ,  donna  un  fécond 
coup  ,  avant  que  le  Roy  pût  s'écrier.  Le  fang  fortit  alors  en 
fi  grande  abondance  de  la  blefîiire ,  &  en  même  temps  par 
la  bouche ,  que  ce  Prince  perdit  tout  d'un  coup  connoif- 
fance.  ■  "' 

Aucun  des  Seigneurs  qui  étoient  dans  le  caroffe  n' avoit 
apperçu  l'aflaffin ,  mais  ils  virent  tomber  le  Pvoi.  Ils  fe  jet- 
terent  avec  précipitation  hors  du  carofle ,  6c  crièrent  qu'on 
fe  faisît  du  meurtrier.  Ce  fcélérat  étonné  de  la  grandeur  de 
fon  crime  ,  reftoit  immobile ,  fans  fonger  ,  ni  à  prendre  la 
Riite ,  ni  à  jetter  le  poignard ,  qui  le  faifoit  reconnoître.  Le 
peuple  étant  accouru  en  foule  ^  on  faifit  le  coupable ,  tenant 
encore  à  fa  main  fon  couteau  tout  dégoûtant  de  fang.  Le  duc 
d'Efpernon  &  les  autres  feigneurs  voyant  que  cet  accident 
caufoit  un  grand  tumulte  ,  dirent  que  le  Roi  n' étoit  que  bief- 
jTéj-^  qu'il  relpiroit  encore  7 ce  -qui  rendit  pendant  quelques 
Tome  XV,  M. 


5>o  S  U  1  T  E    D  B   L'  H  I  S  T  O  1  R  E 

temps  la  mort  du  Roi  incertaine  dans  cette  grande  ville ,  où 
Henri  Ton  ne  s'attendoit  pas  à  un  fi  grand  malheur.  Les  feigneurs 
I V.        retournèrent  dans  le  même  caroffe  au  Louvre ,  &  fe  firent 
1^10,     fuivre  par  les  Gardes  ,  qui  ne  {cachant  d'abord  ,  où  mener 
l'aflàiTm,  le  firent  entrer  à  l'hôtel  de  Retz  près  du  Louvre, 
en  attendant  qu'on  put  le  livrer  au  Grand  Prévôt  de  l'Hô- 
tel. 

Dès  que  cette  funcfle  nouvelle  fe  fut  répandue ,  la  joye 
du  peuple  fe  changea  au(li-tôt  en  triflefle.  On  n'entendoit 
par  tout  que  fanglots  &  que  gémiffemens  ,  tout  étoit  dans  la 
confternation  au  Louvre.  Le  Chancellier  de  Sillery  fit  auffi- 
tôt  chercher  le  Dauphin ,  &  le  conduifit  à  la  Reine ,  à  qui 
l'on  donnoit  encore  quelque  efpérance  de  la  vie  du  Roi. 
Cette  Princefie  étant  fortie  de  fa  chambre ,  regardoit  de  tous 
côtés  avec  inquiétude ,  lorfque  le  Chancelier  couvrant  de  fon 
corps  le  Dauphin  qui  marchoit  derrière  lui,  fe  préfenta  à 
elle  5  la  Reine  avertie  de  fon  malheur  par  le  concours  extra- 
ordinaire de  monde  :,  s'écria  qu'elle  voyoit  bien  que  le  Roi 
étoit  mort.  Le  Chancelier  s' étant  alors  un  peu  retiré ,  lailîa  pa- 
roître  le  Dauphin,&  dit  à  la  Reine.  ^  Pardonnez-moi,  Madame, 
*>  voilà  le  Roi  vivant.  »  Enfuite  pénétré  des  cris  de  cette  Prin- 
ceffe  ,  il  l'exhorta  à  rentrer  dans  fon  appartement ,  &  lui  dit 
qu'il  falloit  s'armer  de  courage ,  plutôt  que  verfer  des  lar- 
mes. »  Vous  perdez  un  grand  Roi ,  Madame^  ajouta  Sillery  5 
»  pleurez-le  dans  le  fond  du  cœur ,  votre  douleur  eft  jufte  5 
3)  mais  fouvenez  vous  que  vous  êtes  mère  d'un  jeune  Roi , 
9>  dont  vous  devez  gouverner  le  Royaume  ;  ce  qui  demande 
»  de  la  fermeté  &  de  la  prudence. 

On  jugea  à  propos  de  faire  retirer  les  autres  enfans  de 
Erance  dans  un  appartement  avec  quelques  perfonnes,  pour 
les  garder.  On  fit  aufil-tôt  venir  au  Louvre  les  Gouverneurs 
des  Provinces ,  qui  étoient  la  plupart  à  Paris  î  pour  prêter  le 
ferment  de  fidélité  au  nouveau  Roi,  &  pour  fe  rendre  en- 
fuite  à  leurs  gouvernemens  en  diligence.  Le  duc  d'Efper- 
non  colonel  de  l'infanterie  Franc oife  avoit  diftribué  dans  les 
principaux  endroits  de  la  Ville  des  foldats  aux  Gardes  ;  les 
Echevins  eurent  ordre  de  garder  les  portes,  &  de  marcher 
à  cheval  dans  les  rues ,  avec  les  magiftrats  de  la  Ville ,  & 
de  commander  aux  Colonels  des  quartiers  de  pofter  des 


DE  X  A.  DU  THOU^rLîv.  lîl?            ^t  J 

corps  de  gardes  à  tout  événement  pendant  la  nuit.                   ^^^ — *— ^--  , 

Le  Parlement  tcnoit  ce  jour-là  l'audience  de  relevée  dans  Henri  i 

le  convent  des  Auguftins ,  où  il  s'aûembloit,  parce  que  le        I  V.  i 
Palais  étoit  embaraiTé  des  préparatifs  pour  la  cérémonie  qui      i  6  i  o» 
devoit  fe  faire  dans  deux  jours.  Le  Bret  avocat  général  réfu- 

moit  une  caufe ,  que  les  Avocats  avoient  déjà  plaidée  de  i 

part  &  d'autre  5  &  le  préfident  Potier  tenoit  l'audience.  On  j 

entendit  auffi-tôt  un  bruit  extraordinaire  parmi  les  Avocats  i 

qui  fortoient  &  rentroient ,  &  qui  parloient  entre  eux ,  de  j 

forte  que  le  Préfident  n'entendoit  prefque  plus  la  voix  de  le  ' 

Bret.  Servin,  autre  avocat  général  ^  arriva  en  même  tempj.  î 
La  triftelTe  peinte  fur  fon  vifage,  annonça  d'abord  qu'il  ap- 

portoit  de  fâcheufes  nouvelles.  Le  Préfident  ayant  fait  faire  j 

filence ,  le  Bret  acheva  fon  difcours ,  &  les  Confeiliers  ayant  ! 

été  aux  opinions,  on  ordonna  un  délibéré.  Servin  demanda  ! 

alors  qu'on  levât  l'audience  5  les  Confeiliers  s'étant  retirés  dans  ' 

une  falle  voifine ,  il  leur  dit  qu'un  gentilhomme  venoit  de  ■ 

lui  apprendre  que  le  Roi  avoit  été  dangereufement  blefle  \ 

dans  fon  carofle.  \ 

Cependant  le  bruit  fe  répandit  que  le  Roi  étoit  mort.  Le 
duc  d'Efpernon  ayant  fait  venir  au  Louvre  les  foldats  aux 
gardes  ,  répandus  dans  les  fauxbourgs ,  les  pofta  fur  le  pont-  ! 
neuf,  &  devant  la  porte  des  Auguftins,  avec  tant  de  dili-  i 
gence ,   que  cela  n'auroit  pu  fe  faire  plus  à  temps ,  quand  on  ' 
auroit  prévu  la  chofe.                                                                                    -^  \ 
Cependant  la  Reine  fit  avertir  par  Dolé ,  procureur  de  fon  ) 
domaine  ,  le  premier  préfident  de  Harlay  de  fe  rendre  au  '\ 
Parlement ,  pour  faire  ce  qui  feroit  néceffaire  dans  une  fi 
importante  conjondure.  Ce  Magiftrat,    malgré  la  violence  j 
d'une  goûte,  qui  l'obligeoit  à  garder  le  lit,  plus  touché  des  | 
maux  de  l'Etat,  que  fenfible  à  fes  propres  douleurs  ,  fe  fit  ] 
porter  au  Parlement  ;  &  manda  les  Confeiliers ,  qui  fe  rendi-  ] 
rent  auprès  de  lui  en  aflez  grand  nombre ,  eu  égard  à  la  conf-  ^ 
ternation  publique.  On  jugea  à  propos  d'envoyer  le  Bret  &  j 
Servin  au  Louvre,  pour  être  plus  certains  de  ce  qui  fepaf-  : 
foit.  Pendant  qu'ils  s'acquittoient  de  leur  dépuration ,  le  Par- 
lement gardoit  un  morne  filence ,  qui  n' étoit  interrompu  que  ] 
par  de  profonds  foupirs.  ■ 
-    Les  députés  étant  revenus,  rapportèrent  les  larmes  aux  ; 

M  n  ,; 


^i  SUITE   DE   L'HÎ  S  T  O  î  RE 

yeux,  qu ils  av oient  va  la  Reine  mêler  fes  larmes  aux  pleurs 

H  E  N  R I  ^^  ^^^  ^^^  '  (  Q^^i  n'avoir  guéres  plus  de  neuf  ans  )  &  le  corps 

jy.       du  Roi  fans  vie  étendu  fur  un  lit.  Les  larmes,  les  fanglots^, 

j  (5  1  o.     l^s  gémiiTemens  firent  alors  éclater  la  douleur  de  la  compa- 

^     ,  .      ,    gnie.  Servin  prit  enfuite  la  parole  &  dit  :  Qu'il  falloit  délibé- 

Conduite  du   o  r  •         i      i         /  i      tp.  r  i?         •  r 

parksncxit.  rer  au  lujet  de  la  régence  du  Royaume ,  luivant  1  ancien  ula- 
ge  de  la  nation  :  Que  la  Reine  demandoit  qu'on  y  procédât 
fans  délai ,  parce  que  les  chofes  preflbient  ,  &  qu'il  falloit 
(donner  des  ordres  aux  Gouverneurs  des  Provinces ,  de  peus 
que  le  bruit  du  déplorable  afialTinat  du  Roi  ne  fit  naître  des 
troubles  5  Que  le  Chancelier ,  qu'ils  avoient  vu  près  de  la 
perfonne  du  Roi  avec  les  Grands  de  l'Etat ,  leur  avoit  dit ,  que 
fuivant  d'anciens  mémoires ,  &  fuivant  les  regilires  du  Par- 
lement ,  la  régence  du  Royaume  &  la  tutelle  du  jeune  Roi 
appartenoient  de  droit  à  la  Reine  mère  :  Qu'eux  mêmes,  qui 
ctoient  les  gens  du  Roy  ,  penfoient  comme  le  Chancelier 
fur  ce  fujet  :  Qu'ainlî  ils  requéroient  que  la  Cour  confirmât 
leurs  conclurions  par  fon  autorité.  Les  Avocats  généraux  s'é- 
tant  retirés ,  le  premier  Préfident  parla  avec  beaucoup  de 
force  fur  l'importance  de  l'affaire  preffante  dont  il  s'agilToit, 
-&  alla  aux  opinions. 

Pendant  ce  temps-là,  le  duc  d'Efpernon  entra  dans  la 
falle  de  l'aflemblée ,  fans  manteau ,  &  tenant  à  la  main  fon 
cpée  dans  le  foureaujil  s'approcha  du  préfident  de  Harlay, 
qui  le  pria  de  prendre  féance  en  qualité  de  Pair  de  France. 
Le  Duc  lui  répondit  qu'il  n'étoit  venu  que  pour  le  prier  d'ufer 
de  diligence ,  parce  que  la  Reine  étoit  dans  l'impatience  de 
fc^avoir  la  réfoiution  du  Parlement.  Il  fit  beaucoup  d'excufes 
au  Préfident  d'être  entré  fi  brufquement ,  &  fe  retira  par  oh 
il  étoit  venu.  Le  duc  de  Guife  entra  un  moment  après  par 
la  même  porte ,  habillé  de  même ,  &  prit  féance  au  deffus 
du  doyen  des  Confeillers.  Il  dit  qu'il  n'étoit  venu  que  pour 
offrir  ks  fervices  au  Roi ,  à  la  Reine ,  &  au  Parlement.  Le 
préfident  de  Harlay  lui  répondit  :  ^  Vous  donnez  une  preuve 
»  de  votre  reconnoiflance.  Ce  que  vous  avez  reçu  de  vos  an- 
»  cêtres ,  exige  que  vous  ne  foyez  pas  ingrat  envers  le  Roi 
M  &  la  Reine.  Les  regiftres  du  Parlement  feront  un  témoi- 
»gnage  à  la  pofterité  de  l'adion  que  vous  venez  de  faire  j 
»  la  f  rance  a  droit  d'exiger  de  vous  que  vous  donniez  dans  la 


DE  J.  A.   DE  T  H  OU,  Liv.  lîl.  Jf 

>> Province  commife  à  vos  foins,  des   preuves  de  ce  que  

»  vous  promettez.  Prenez  donc  de  juftesmefures,  pour  qu'il  u  ^  ^^ 
»  ne  s'y  pafle  rien  de  contraire  au  bien  du  Roïaume.  »  Le  duc        -r  y 
de  Guife  ayant  reparti  qu'il  y  avoir  déjà  pourvu,  &  que  fon        <  i 
lieutenant  étoit  parti  pour  s'y  rendre  en  diligence,  il  ajouta 
que  la  Reine  fouhaitoit  avec  ardeur  d'apprendre  le  réfultat 
de  leur  aflemblée.  Le  Préfident  l'aflura  qu'on  alloit  envoyer 
des  députés  au  Louvre ,  pour  en  informer  Sa  Majefté.  Alors 
le  Duc  fe  retira. 

Aullî-tôt  le  Parlement  donna ,  du  confentement  de  tous 
les  membres  de  l'aflemblée  ,  un  arrêt ,  qui  déféroit  fans  ré^ 
ferve  la  régence  du  Royaume  &  la  tutelle  du  Roi  à  la  Rei- 
ne mère  pendant  la  minorité  de  Sa  Majefté.  Les  préfidens 
Potier  &  de  Thou  allèrent  en  diligence  avec  quatre  des 
premiers  confeillers ,  &  avec  les  Avocats  généraux  en  infor- 
mer cette  Princefte.  Sur  ces  entrefaites  Jacques  de  la  Guefle 
.procureur  général ,  quoique  dangereufement  malade ,  fe  fit 
porter  dans  une  chaife  à  la  porte  de  la  chambre  5  &  ayant  fait 
demander  par  un  huiifier  la  permiifion  de  fe  faire  porter  ainfi 
dans  la  chambre ,  n'étant  pas  en  état  de  marcher ,  pour  y  en- 
trer ,  il  obtint  ce  qu'il  demandoit.  Il  dit  à  la  Cour  :  Que  n'ayaiu 
appris  qu'alors  ,  par  un  zélé  déplacé  de  fes  domeftiques  , 
.la  trille  nouvelle  du  malheur  arrivé  au  Roi,  &  ce  que  fes 
collègues  avoient  fait ,  il  étoit  au  défefpoir  de  n'avoir  pas  été 
préfent  à  la  ledure  de  l'arrêt  du  Parlement  :  Qu'il  étoit  venu 
pour  fe  le  faire  lire  pg^  le  Greffier ,  &  pour  faire  le  du  de  fa 
charge.  Le  premier  Préfident  lui  accorda  fa  demande ,  &  fit 
lire  une  féconde  fois  le  nouvel  arrêt.  Le  Procureur  Géné- 
ral après  cette  ledure  fe  retira  au  Parquet ,  pour  y  attendre  le 
retour  des  autres  Gens  du  Roi ,  qui  revinrent  fur  les  fept 
heures  du  foir. 

Ils  dirent,  que  la  Reine  faifoit  de  grands  remercimens  à  îa 
Cour ,  de  fa  diligence ,  &  de  fa  fidélité  dans  de  fi  cruelles 
circonllances  :  Qu'elle  prioit  la  Compagnie  d'attendre  les  or- 
dres qu'elle  alloit  leur  envoyer,  dès  qu'elle  auroit  pris  fa  ré- 
folation ,  par  rapport  à  l'affaire  qu'elle  méditoit.  Tout  le  mon- 
de étant  refté,  il  s'écoula  une  heure  entière  fans  qu'on  ap- 
portât aucune  nouvelle.  Comm.e  la  nuit  approchoit ,  le  pre- 
mier Préfident  propofa  d'envoyer  un  fécretaire  de  la  Cour , 


^^  SUITE    DE    L'  H  ï  S  T  O  î  R  ^ 

^^^  pour  recevoir  les  ordres   de  Sa  Majeftéîmais  cet  Officiel' 
H  F,  N  R  I  ayant  appris  en  allant  au  Louvre,  que  Claude  de  Builion  ve- 
IV.        noitdela  part  de  la  Reine,  il  revint  fur  fespas. 
1610,         Builion  fe  rendit  au  Parlement  ;  &  ayant  remercié  une 
féconde  fois  les  magiftrats  au  nom  de  la  Reine  j  il  dit ,  qu'on 
avoit  confeilléà  SaMajefté  d'amener  fon  fils  le  lendemain , 
pour  tenir  fon  Lit  de  juftice ,  accompagné  des  Princes  «5c  des 
Seigneurs  :  Qu'elle  prioit  les  Confeiilers  de  s'y  trouver  en 
grand  nombre  ,  afin  de  confirmer  avec  toute  lafolemnité  pofll- 
ble  l'arrêt  qu'on  venoit  de  rendre.  Le  premier  Préfident  répon- 
dit pour  fa  Compagnie ,  qu'on  exécuteroitles  ordres  de  la  Rei- 
ne ,  puifquelle  avoir  pris  cette  réfolution.  Builion  fe  retira  ^  ôc 
l'on  réfolut  de  fe  trouver  le  lendemain  au  Parlement  en  robes 
rouges  5  puis  on  fe  retira. 
le  meuftrer       Pendant  cc  temps-là,  ceux  qui  étoient  auprès  de  la  Reine 
du  Roi  eft  :n-  j^g^^Q^-^^  ^  propos  d'intctrogcr  l'allafiln  pour  découvrir  fes  com- 
^'  °^^'         plices.  Le  préfident  Jeannin ,  Builion  &  Antoine  de  Lome- 
nie  furent  chargés  de  cette  commifilon.  Ce  miférable  ayant 
été  interrogé  fur  fon  nom  &  fa  patrie ,  répondit  qu'il  s'appel- 
loit  François  Ravaillac  ;  qu'il  étoit  âgé  de  trente-deux  ans, 
natif  d'Angoulême ,  maître  d'école  de  profeîTion,  &  qu'il  s'oc- 
cupoit  à  élever  les  enfans  dans  la  religion  Catholique  ,  Apof- 
tolique  &  Romaine  :  Qu'il  étoit  depuis  quinze  jours  à  Pa- 
ris :  Que  le  Roi  n'avoir  fait  aucun  tort ,  ni  à  lui,  ni  aux  fiens  : 
Qu'il  étoit  cependant  venu  dans  l'intention  de  le  tuer  :  Qu'il 
n'avoir  été  poufle  à  commettre  cette  a^ion ,  que  par  une  ten- 
tation du   diable  j  fans  y  être  follicité  par  perfonne  :  Qu'il 
avoir  bleffé  le  Roi  avec  un  couteau  j  qu'il  avoit  pris  dans  un 
cabaret  à  cette  intention  :  Qu'il  étoit  venu  auparavant  à  Pa- 
ris ,  non  dans  le  deflein  de  tuer  le  Roi  j  mais  pour  l'enga- 
ger à  déclarer  la  guerre  aux  Hérétiques. 

Le  préfident  Jeannin  lui  ayant  demandé  d'où  lui  étoit  ve-i 
nu  ce  deffein  5  il  répondit ,  que  cela  n  étoit  pas  de  la  com- 
pétence de  fon  tribunal,  &  qu'il  ne  le  déclareroit  qu'à  un 
Prêtre  fous  le  fceau  de  la  confefilon.  On  avoit  trouvé  dans 
une  de  fes  poches  des  vers  françois,  faits  pour  confoler  un 
homme  condamné  à  la  mort ,  tandis  qu'on  le  conduit  au  fup- 
plice.  On  les  lui  préfenta  î  il  lesreconnut ,  &  dit ,  Qu'il  n'en 
4tQlt  pas  l'auteur  j  (Qu'ils  n  avoient  pas  même  été  faits  pour  lui  i 


DE   J.    A.   DE   T  H  OU,  Liv.    IIÎ.         p^ 

Qii\in  bourgeois  d'Angoulcme  les  ayant  compofés  à  Pocca- 
fion  du  malheur  d'une  perfonnc  fluiflement  accufée  d'un  meur-  H  e  n  r  i 
tre  ,  &  que  le  coupable  même  avoir  fait  mettre  en  prifon ,        1 V. 
les  lui  avoir  montrés,  comme  à  un  homme  qui  paflbitpour     1610. 
faire  des  vers   en  langue  vulgaire  ,   afin  d'en  dire  fon  fen- 
timent.  Ses  gardes  indignés  de  voir  fon  obftination  à  fe  taire 
fur  fes  complices ,  lui  ferrèrent  le  pouce  fous  le  chien  d'une 
arquebufe ,  avec  tant  de  violence ,  que  la  chair  en  fut  em- 
portée, &  l'os  rompu;  mais  ce  fut  inutilement ,  ils  n'arrachè- 
rent de  lui  que  des  gémiiTemens.    Les  Parifiens  firent  la  garde 
pendant  la  nuit  dans  la  ville,  que  l'abbattement  &  la  conf* 
ternation  ,  plutôt  que  le  fommeil ,  tenoient  dans  une  efpéce 
de  tranquillité. 

Le  lendemain ,  les  membres  du  Parlement  fe  rendirent  en  1^;^  ae  Juftj- 
grand  nombre,  &  en  robes  rouges,  aux  Auguftins.  Lesévê-  ce. 
ques  de  Beauvais ,  de  Châlons ,  &  de  Noyon  Pairs  de  France, 
y  vinrent  aiiffi  ;  car  le  Parlement  étoit  autrefois  la  Cour  des 
Pairs.  Tous  s'alTirent  fur  les  fiéges  d'en  bas,  comme  c'eft  la 
coutume  toutes  les  fois  qu'on  ne  plaide  point.  Le  Lit  de  juftice 
ctoit  dreflé  dans  les  hauts  fiéges.  En  attendant  l'arrivée  du 
Roi ,  Jean  Courtin  fit  fon  rapport  pour  admettre  Louis  de 
Lorraine  entre  les  Pairs  Eccléfiaftiques ,  à  caufe  de  l'arche- 
vêché de  Rheims,  que  le  feu  Roi  venoit  de  lui  donner.  Il 
n'étoit  encore  que  Soudiacre ,  n'avoir  pas  vingt-cinq  ans ,  & 
par  conféquent  il  lui  manquoit  l'âge  compétent  ,  foit  pour 
la  Prêtrife ,  foit  pour  l'Epifcopat ,  foit  pour  la  Pairie  ;  mais 
la  grandeur  de  fa  naiflance  fuppléa  à  tous  ces  défauts ,  &  dans 
h.  confternation  ou  l'on  étoit  alors ,  on  ne  rappella  pas  les 
régies  de  l'ancienne  difcipline ,  qu'on  avoir  fi  long-tems  ou- 
bUées,  Ainfi  perfonne  ne  s'oppofa  à  fa  demande  ;  &  ayant 
prêté  le  ferment  accoutumé  en  pareille  occafion,  il  pritféan- 
cc  au-deflus  de  l'évêque  de  Beauvais. 

L'alfemblée  s'étant  grofiTie  de  manière  qu'on  croit  déjà  â 
l'étroit  fur  les  fiéges  d'en  bas,  on  commença  à  prendre  ceux 
d'en  haut ,  qui  étoient  vuides  aux  deux  côtés  du  Lit  de  ')u.£~ 
tice.  Les  Pairs  Eccléfiaftiques  balançant  à  fe  placer  à  la  droite 
ou  à  la  gauche ,  demandèrent  l'avis  des  Préfidens ,  qui  leur 
répondirent  que  c'étoit  à  la  gauche  qu'ils  dévoient  s'aiTeoir^ 
attendu  que  la  droite  étoit  réfervée  aux  Princes  du  Sang ,  Ôc 


r)'6  S  U  î  T  E   D  E  L' H I  S  T  O  I R  E 

aux  Grands  du  Royaume.    Cela  ne  les  empêcha,  pas  de  fe 
H  E  N  Pv  I  P^^ccr  à  la  droite ,  où  i'évêque  de  Paris  Henri  de  Gondy  vint 
jy^        le  mettre  à  leur  exemple.  Le  connétable  de  Montmorenci 
■ï  6  10      demanda  auill  quelle  étoitla  place  du  Connétable.  Les  Pré- 
(îdens  lui  ayant  dit  qu'il  ne  pouvoit  prendre  féance  au-def- 
fus  des  Pairs  Eccléfiaftiques ,  cette  réponfe  les  enfia  d'un  nou- 
vel orgueil?  c'eft  pourquoi  ils  fe  ferrèrent  davantage,  pour 
s'adurer  des  places   qu'ils  occupoient  ,   fous  prétexte  qu'ils 
étoient ,  &  en  vertu  des  droits  de  la  Religion ,  &  par  la  qua- 
lité de  leurs  Pairies ,  les  premiers  Confeiilers  du  Roya.ime , 
les  Confeiilers  légitimes  &  néceflàires  de  l'Etat.  Pendant  cette 
conteftation,  le  Connétable  alla  prendre  place  dans  les  hauts 
fiéges ,  au-deffous  de  I'évêque  de  Paris. 
•  ^  On  vit  arriver  enfuite  les  cardinaux  de  Joyeufe ,  de  Gon- 

<5rdmaux  &  ^Y '  ^^  Sourdis ,  &  du  Perron,  qui  fe  placèrent  à  la  gauche, 
des  Pairs  pour  Lc  Chancelier  vint  après  eux  en  robe  de  fatin  noir,  fuivi 
lerangaiiPai-  f^Q^  Maîtres  â.QS  Requêtes.  Deux  des  principaux  Confeiilers 
étoient  allés  le  recevoir  à  la  porte  de  la  falle  5  il  fe  mit  fur 
le  fiége  des  Préfidens ,  au-delfus  du  premier  Préfident.  Ayant 
été  informé  des  prétentions  des  Pairs  Eccléfiaftiques ,  il  con- 
fulta  là-deiTus  les  Préfidens ,  &  fit  dire  aux  Pairs  Eccléfiafli- 
ques  de  fe  retirer  à  la  gauche  au-deffous  des  Cardinaux. 
C'eft  ainfi  que  la  dignité  faftueufe  de  la  pourpre  Romaine 
éclipfa  jufques  dans  la  Cour  des  Pairs  de  France ,  &  dans 
un  Lit  de  juftice,  l'ancienne  dignité  de  ces  derniers.  Ceux-ci 
ne  s' étant  pas  rendus  à  cet  avertiiTement ,  on  contefta  avec 
beaucoup  de  chaleur.Dans  le  tems  qu'ils  paroiffoient  devoir 
céder ,  le  Connétable ,  par  une  foibleile  honteufe ,  palTa  à  la 
gauche,  où  étoient  les  Cardinaux,  &  prit  la  dernière  place. 
On  apprit  alors  que  le  Roi  &  la  Reine  arrivoient.  AulTi- 
tôt  le  fécond  &  le  troifiéme  Préfident ,  &  quatre  des  prin- 
paux  Confeiilers  allèrent  recevoir  leurs  Majeflés  à  la  porte 
de  fEglife  des  Auguftins.  Enfin  le  Roi  &  la  Reine ,  fuivis  des 
Princes  &  des  Ducs  &  Pairs  Laïcs  ,  entrèrent  dans  la  Salle , 
précédés  des  députés  du  Parlement.  Les  Dames  de  qualité 
entrèrent  même,  contre  l'ufage,  &  fe  tinrent  debout  au  mi- 
iieu  des  fiéges.  Alors  les  Pairs  Ecclèfiaftiques  ayant  eu  ordre 
de  pafler  à  la  gauche,  fe  mirent  au-deflbus  des  Cardinaux^  après 
les  Pairs  s'afEt  I'évêque  de  Paris,  dont  la  place  avoit  été 

autrefois 


DE  J.  A.  DE  THOU,  Liv.  lîl.  97 

autrefois  au-defllis  du  Doyen  des  Confeillers.  Ce  changement 

fît  comprendre  au  Connétable,  qu'il  lui  falloit  abandonner  ~ 

celle  qu'il  s'étoit  Mté  de  prendre  mal  à  propos.  ri  e  n  r  i 

Le  Roi  prit  féance  dans  fon  Lit  de  juftice.  L'habillement  , 

de  Sa  Majefté  étoit  violet,  qui  elHa  couleur  de  deuil  de  nos  ^  ^  ^  o. 
Rois.  La  Reine  couverte  d'un  voile  noir  flotant ,  s'aflit  à  la  Dercrlptioa 
droite  du  Roi,  avec  François  de  Bourbon  prince  de  Conti  &  fj"^^"  " 
Louis  de  Bourbon  duc  d'Anguien,fils  de  Charles  comte  de 
Soiifons,  âgé  d'un  peu  plus  de  quatre  ans.  On  voyoit  après 
eux  Charles  de  Lorraine  duc  de  Guife,  le  connétable  de  Mont- 
morenci ,  le  duc  d'Efpernon,  Hercule  de  Rohan  duc  de  Mont- 
bazon,  le  duc  de  Sully  5  les  maréchaux  de  Briilac ,  de  La- 
vardin  ,  &  de  Bois-Dauphin.  A  la  gauche  paroiflbient  les  qua- 
tre Cardinaux,  dont  nous  avons  parlé,  les  trois  Pairs  Ecclé- 
fïaftiques ,  &  l'évêque  de  Paris.  Charles  de  Lorraine  duc  d'Ei- 
bœuf  étoit  aux  pieds  du  Roi,  faifant  l'office  de  grand-Cham- 
bellan pour  le  duc  de  Mayenne ,  qui  étoit  malade.  Au-def^ 
fous  du  duc  d'Elbœuf,  Jacques  d'Aumont  baron  de  Chap- 
pes,  prévôt  de  Paris,  étoit  placé  fur  un  careau.  Alors  leChance- 
lier  s'afllt  au-defTous  du  Roi  dans  une  chaife  à  bras ,  couverte 
de  l'extrémité  du  tapis  de  velours  du  Lit  de  juftice.  Gille  de 
Souvré  gouverneur  du  Roi,  étoit  debout  à  côté  deSaMa^ 
jefté. 

Après  qu'on  eut  fait  filence ,  la  Reine  ayant  entrouvert  ^.r  , 
le  voile  qui  la  couvroit  ,  parla  ainii  :  »  Meflieurs  ,  puil-  la  Reine. 
»  qu'il  a  plu  à  Dieu  de  nous  enlever  nôtre  Roi  par  un 
»  accident  fi  trifte ,  pour  vous ,  pour  moi ,  pour  l'Etat  »  (  les 
gémilTemens  &  les  fanglots  lui  ayant  coupé  la  parole ,  elle  fe 
remit  un  peu,  &  continua.  )  «  J'ai  amené  mon  fils  ici,  pour 
»  vous  engager  à  prendre  de  fa  perfonne  le  foin  qu'exigent 
»  de  vous  vôtre  dignité ,  la  mémoire  du  feu  Roi ,  vôtre  pa- 
»  trie ,  vos  propres  intérêts.  Je  fouhaite  que  vous  l'aidiez  de 
»  vos  confeils  dans  le  gouvernement  du  Royaume  5  je  vous 
3>  conjure  de  les  lui  donner  avec  une  parfaite  fincérité.  « 

Ses  fanglots  ayant  interrompu  cent  fois  ce  peu  de  paroles, 
elle  defcendit  aux  fiéges  d^en  bas  pour  fe  retirer.  La  plupart 
approuvèrent  cette  démarche  5  mais  la  Reine  changea  bien- 
tôt de  penfée ,  fur  ce  qu'on  lui  repréfenta  qu'il  étoit  impof- 
iible  d'écarter  la  foule ,  &  que  la  loi  Salique  n'étoit  pas  plus 
TQmeXK  N 


5>8  SUITE  DE  L'HISTOIRE 

-  violée  par  fa  préfence  à  côté  de  fonfils,  qui  conimençoitfon 
H  E  N  RI  régne,  que  par  l'Arrêt  du  Parlement,  en  vertu  duquel  elle 
I V.        avoit  pris  en  main  la  régence  du  Royaume  ,  &  la  tutelle  du 
I  5  I  0.     Roi.  Ces  raifons  la  déterminèrent  à  reprendre  fa  place.  Châ- 
teaunenf  &  Concini  lui  donnèrent  donc  le  bras  pour  remon- 
ter vers  le  Roi. 
Difcours  eu       Après  que  la  Reine  fe  fut  affife ,  le  bruit  n'étant  pas  en- 
^^'^'  core  bien  appaifé  ^  le  Roi  commença  à  prononcer  un  petit 

difcours  qu'on  lui  avoit  appris.»  MelTieurs,  dit-il,  fuccédant 
y>  dans  un  âge  tendre  au  Roi  mon  père ,  je  fuis  venu  en  mon 
j5  Parlement,  par  le  confeil  de  la  Reine  ma  mere^  afin  de 
33  prendre  vos  confeils  falutaires   pour  le  gouvernem.ent  de 
»  mon  Royaume.   J'efpére  fuivre,  avec  la  faveur  du  ciel, 
»  l'exemple   du  grand  Prince  qui   m'a  donné  la  vie.    Dans 
«cette  confiance,  je  veuxfçavoir  ce  que  vous  penfez  fur  ce 
30  que  mon  Chancelier  va  vous  expliquer  pour  moi. 
^.-        ,        Alors  le  Chancelier  fit  un  difcours  convenable  au  tems.  Il 
Chancelier,    dit  que  la  Reine  avoit  prudemment  amené  le  Roi  au  Parlement 
pour  lui  faire  commencer  fon  régne  fous  d'heureux  aufpices  , 
dans  le  fanduaire  même  de  la  Juftice  :  Que  l'efpérance  d'être 
gouvernés  par  un  Roi  ami  de  l'équité,  devoit  adoucir  la  dou- 
leur des  François ,  puifqu'un  Roi  jufle  eft  le  plus  ferme  ap- 
pui d'un  Etat  :  Qu'il  ne  manquoit  à  Sa  Majefl-é  que  l'âge  & 
l'expérience ,  aufquelsla  Reine  fuppléroit  aifez  par  fa  prudence 
confommée  :  Que  le  feu  Roi  avoit  voulu  que  cette  PrincefTe 
aiTiRât  aux  plus  importantes  délibérations,  afin  de  la  former 
au  maniement  des  affaires  :  Que  plufieurs  pouvoient  fe  rap- 
peller  que  ce  grand  Prince ,  que  la  penfée  de  la  mort  n'é- 
branla jamais  ,  avoit  fouvent  dit  qu'il  mourroit  tranquile , 
parce  qu'il  laifTeroit  une  Reine  habile  à  la  tête  des  affaires  : 
Que  plufieurs  de  nos  Rois  avoient  confié  la  régence  du  Royau- 
me,  &  la  tutelle  de  leurs  enfans  aux  Reines  leurs  époufes  j 
par  leurs  Edits  &  par  leurs  teflamens  :  Que  la  volonté  du 
grand  Monarque  que  la  France  pleuroit ,  tant  de  fois  mani- 
feftée ,  devoit  avoir  plus  de  force  qu'un  teftament ,  &  que 
toutes  fortes  d'Edits  :  Qu'il  falloit  que  les  fentimens  fe  réû~ 
niffent  fur  ce  point,  qui  étoir  de  nature  à  ne  point  fouffrk 
de  délai ,  fans  i-n  péril  évident. 

Le  Chancelier  ne  parla   en   aucune   manière  dans  Xbn 


DE  J.  A.  DE  THOU,  Liv.  IIÎ.  99 

difcoLirs  de  l'Arrêt  de  la  veille  ;  &  mit  la  choie  en  délibéra- 
tion, comme  lî  elle  n'eût  point  encore  été  entamée,  faifant  H  e  n  rj  Î 
entendre  par  fon  lilence  fur  cet  Arrêt ,  que  l'autorité  du  Par-  i  y.  i 
lement  n'étoit  pas  fufiifante  dans  la  caufe  de  l'Etat,  en  l'ab-  1610,  ■ 
fence  des  Princes  du  Sang  &  des  Pairs,  C'eft  pourquoi  ayant  1 
ainfî  propofé  l'affaire  dont  il  s'agi-ffoit,  il  alla  par  ordre  aux  ' 
opinions.  Le  premier  Préfident  de  Harîay  fe  leva ,  avec  les  \ 
autres  Préiîdens  fes  collègues  ,  &  mit  un  genou  en  terre  ,  ■ 
jufqu'à  ce  que  le  Roi  leur  eût  ordonné  par  la  bouche  de  fon  ! 
ChanceUer  de  fe  relever.                                                            -  | 

Le  premier  Préfident  parla  plutôt  en  Rhéteur,  qu'en  Ma-  Difcoars  da 
giftrat.  Il  dit  que  le  peuple ,  qui  étoit  dans  la  joye  du  Sacre  P^^"^^'^'^  ^''^^'  j 
de  la  Reine,  qui  s'occupoit  à  louer  les  vertus  de  Henri,  *  1 
ôc  qui  faifoit  des  vœux  pour  le  fuccès  de  fes  armes,  étoit  j 
maintenant  abattu  &  confierné  par  la  douleur  du  funefte  ac- 
cident^ qui  venoit  de  lui  enlever  fon  Roi  :  Que  la  Capi-  : 
taie  privée  de  la  lumière  de  ce  Soleil  éclatant ,  lorfqu'il  étoit  1 
dans  toute  fa  force ,  ne  pouvoir  être  mieux  éclairée ,  &  ,  pour  j 
ainfi  dire  ranimée^  que  par  la  préfence  du  nouveau  Roi ,  la  1 
vivante  image  &  le  digne  fuccefleur  de  fon  père  :  Que  c'é- 
toit  un  préfage  certain  du  bonheur  de  fon  régne  ,  que  ce  Prin- 
ce fût  le  treizième  du  nom  de  Louis ,  qui  tenoit  fon  Lit  de 
Juftice ,  comme  on  pouvoit  le  voir  dans  cette  Salle ,  par  les  \ 
armoiries  de  Louis  XIL  appelle  le  père  du  peuple ,  à  caufe  - 
•  de  fon  amour  pour  fes  fujets:  Qu'on  fe  rappelloit  avec  plai-  j 
fir  le  fouvenir  de  S.  Louis  &  de  Louis  X.  dont  les  mino-  ; 
rites  avoient  été  heureufement  gouvernées  par  les  reines  Blan-  ' 
che  &  Marguerite  :  Que  fur  leur  exemple  on  pouvoit  confier  ^ 
la  régence  du  Royaume  à  la  reine  Marie,  quiavoit  déjà  fait  ] 
éclater  tant  de  vertus  royales.  Il  ajouta  que  le  peuple  fe-  ; 
roit  charmé  qu'on  fît  frapper  de  la  monnoye ,  avec  cette  lé-  ^ 
gende  ;  Maria  Medicea  fecuritas  rei  G  allie  a ,  comme  celle  I 
qui  avoit  été  frappée  en  l'honneur  d'Helene  femme  de  Con-  \ 
fiance.  Enfuite  il  exhorta  le  Roi  à  foûtenir  toujours  l'auto-  i 
rite  des  Magiftrats  ;  parce  que  les  Loix  &  la  Juftice  étoient  ! 
le  véritable  appui  de  la  Majefté  Royale.  Enfin  comme  fi  le  \ 
Parlement  eût  prêté  le  ferment  de  fidélité  au  nouveau  Roi»  i 
ce  Magiftrat  invediva  contre  les  rebelles  &  les  fadieux,  ôc  | 
fit  des  voeux  pour  la  fureté  du  Roi  6c  de  la  Reine. 

N  ij        •  ^,      i 


BsamiagBsaKrm: 


me 


100  SUITE  DE  L'HISTOIRE 

Après  ce  difcours,  le  Chancelier  monta  vers  le  Roi  &  la 
Henri  ^^i"^»  &  de-là  defcendit  aux  Préfidens ,  pour  avoir  leurs  avi5. 
j  Y        Enfuite  il  alla  vers  les  Princes,  les  Ducs-Pairs,  &  les  Mare- 
1610     ^^^^^^  ^^  France  dans  les  hauts  fiéges  ;  d'où  il  tourna  à  la 
gauche ,  &  de-là  defcendit  aux  fiéges  d'en  bas.  Il  s'adrelfa 
la  Reine  3'abord  aux  Confeillers  d'Etat,  &  du  Confeil  privé  ^  enfuite 
ciaréeRéocn-  ^"^  Maîtrcs  dcsRequêtcs,  &  aux  principaux  Confeillers  du 
teduRoyau-  Parlement,  dont  il  recueillie  les  voix.  Il  dit  que  la  foule  des 
iiiTiftans  l'empêchoit  d'aller  aux  autres  Confeillers  j  que  d'ail- 
leurs il  avoir  déjà  affez  de  fuffrages  qui  fe  réunilToient  en  ce 
point  :  Que  le  Roi  féant  en  fon  Lit  de  juftice  ,  avoit ,  de  l'avis 
des  Princes,  Prélats,  Ducs-Pairs  de  France,  des  Seigneurs, 
&  de  fon  Parlement,  confié,  fuivant  la  teneur  de  l'Arrêt  de 
la  veille,  la  tutelle  de  fa  perfonne,  &  la  régence  du  Royau- 
me à  la  Reine  fa  mère.  Le  Chancelier  fe  remit  dans  fa  chaife  > 
mais  comme  Ci  on  l'eût  averti,   ou  qu'il  fe  fut  reflbuvenu 
d'avoir  oublié   im  des  Ordres  de  l'Etat,  en  prenant  les  fu^ 
frages ,  il  différa  de  prononcer  le  réfultat  de  Falfemblée ,  & 
ordonna  de  la  part  du  Roi  qu'on  ouvrît  les  portes  au  peuple, 
qui  fe  précipita  dans  la  Salle  en  foule ,  &  que  les  Gens  du 
Roi  fuilent  oûis. 

L'affemblée  ayant  alors  fait  filence ,  Servin  fît  un  difcours 
aflez  mal  en  ordre ,  pour  déplorer  la  perte  de  la  France  par 
ia  mort  du  feu  Roi.  Enfuite  il  fit  l'éloge  de  fon  fuccefleur. 
Il  exhorta  le  jeime  Roi  à  imiter  la  conduite  de  l'empereur 
Alexandre  à  l'égard  de  Mammée  ,  &  à  ne  rien  faire  que  par 
les  confeils  de  fa  mère ,  qui  étoit  affife  à  côté  de  lui ,  com- 
me autrefois  Bethfabée  auprès  de  Salomon.  Il  lui  recomman- 
da d'avoir  toujours  beaucoup  d'égards  pour  fon  Parlement, 
où  il  avoit  pris  le  nom  de  Roi.  Enfin  il  demanda  que  l' Ar- 
rêt du  Parlement,  qui  donnoit  le  gouvernement  de  l'Etat  à  la 
Reine  mère,  fut  pubhé  dans  cette  augufte  afiemblée,  &  de 
là  envoyé  à  toutes  les  Cours  fouveraines  du  Royaume  pour 
l'enregiftrer.  Servin  ayant  fait  fa  réquifition,  le  Chancelier 
alla  de  nouveau  aux  opinions,  foit  férieufement ,  foitpour 
qu'on  ne  pût  lui  rien  reprocher^  &  prononça  j  mais  il  ne  fit 
aucune  mention  de  l'Arrêt  de  la  veille.  Le  premier  Préfident 
de  Harlay  l'en  ayant  averti  en  particulier,  il  dit  qu'il  l'avoit  ou- 
blié ,  &  ajouta  ea  fignant  :  Comme  il  eft  porté  dans  les  regijlrn 
de  la  Cour, 


D  E  J.  A.  DE  THOU,  Liv.  III.  loi 

La  Reine  ayant  été  déclarée  régente  de  cette  manière , 


i'aflemblée  fe  fépara.  Le  Roi  retourna  au  Louvre  ,  au  milieu  Henri 
d'une  foule  de  peuple ,  qui  crioit  :  f^tve  le  Roi.  Cependant        I V. 
les  Chirurgiens  ayant   ouvert  le  corps  du  feu  Roi,,  en  pré-     1610: 
fence  des  Médecins ,  afin   de  découvrir  comment  il  avoit    on  ouvre  la 
pu  expirer  fi  promptement,  trouvèrent  le  côté  gauche  delà  corps  du  feu 
poitrine  percé  de  deux  coups,  dont  l'un  n'avoit  fait  qu'ef-  ^^'* 
fleurer  la  peau ,  ayant  été  foûtenu  par  la  féconde  côte.  L'au- 
tre coup ,  au-deflbus  du  premier  entre  la  cinquième  &  fi^ 
xiéme  côte ,  étoit  entré  fi  avant  dans  la  poitrine ,  qu'il  per- 
<^oit  le  lobe  gauche  du  poulmon  ,  &  coupoit  l'aorte  ,  &c  l'ar- 
tère veineufe  qui  portent  le  fang  du  cœur  aux  poulmons.  Ils 
dirent  que  c'étoit  ce  fécond  coup  qui  avoit  ôté  la  vie  au 
Roi ,  qui  étoit  d'ailleurs  d'une  conftitution  à  vivre  long-tems. 
En  effet  il  n'étoit  expiré  fi  promptement,  que  parce  que  ces 
deux  vaifleaux  qui  font  la  fource  de  la  vie ,  &  qui  portent 
la  nourriture  dans  tous  les  membres ,  &  vivifient  tout  le  corps, 
étant  une  fois  rompus ,  le  fang  en  fort  en  fi  grande  abon- 
dance ,  qu'il  eft  impofllble  de  l'arrêter. 

Pendant  qu'on  féparoit  les  entrailles  du  corps  pour  l'em-    Les  JeCmtei 
baumer,  la  Varenne  &  le  Père  Coton  firent  reffouvenir  la  cœuraTiiol 
Reine  de  la  promefle  que  le  feu  Roi ,  &  elle-même  avoient  pour  leur  E- 
faite  aux  Jefuites  de  la  Flèche  en  Anjou,  dans  le  tems  de  gjJ^^delaFkt^ 
la  confécration  de  leur  Eglife ,  de  leur  confier  le  cœur  de 
ce  Prince  après  fa  mort.   La  Reine  fe  rendit  aifément  à  la 
demande  qu'ils  lui  firent ,  en  vertu  de  fa  promefle.  Le  Roi 
ne  leur  avoit  promis  cette  faveur,  qu'à  condition  que  ceux 
qui  feroient  choifis  pour  porter  fon  cœur,  marcheroient  à  pied 
depuis  le  Louvre  jufqu'à  la  Pleche  5  mais  on  négligea  d'ob- 
ferver  cette  condition.  Un  grand  nombre  de  Jefuites  en  fur- 
plis,  de  la  maifon  de  S.  Louis,  rue  S.  Antoine,  vinrent  au 
Louvre  dans  descarofles,  que  la  Varenne  leur  avoit  prêtés; 
ils  avoient   à  leur  tête  le  Père  Barthelemi  Jacquinot.    Ces 
Pères   étant   entrés  dans  la  chambre  du  feu  Roi ,  le  prince 
de  Conti,  pénétré  de  refped  pour  cet  angufte  refte  du  grand 
Henri,  &  verfant  des  larmes  en  abondance,  remit  entre  les 
mains  du  Père  Jacquinot  le  cœur  du  Roi ,  qu'on  avoit  en- 
fermé dans  un  cœur  d'argent;  il  le  lui  préfenta  fur  un  carreau. 
Jacquinot  chargé  de  ce  précieux  dépôt,  monta  avec  quatre 

N  ii  j 


1^2  SUITE  DE  L' HISTOIRE 

Jefuites,  &  deux  Gentilshommes  ordinaires  ,  qui  portoient 

Henri  des  flambeaux,  dans  le  carofle,  où  le  Roi  avoir  été  ailafli- 

,iy.       né  la  veille;  les  autres  Jefuites  retournèrent  à  leur  maifon 

j  6  lo,     dans  les  carofTes  qui  les  avoient  amenés.  Tous  faifoient  pa^ 

„  i  roître  fur  leur  vifage  une  triiielTe  profonde. 

Quelques  jours  après,  le  Père  Arnaud  provincial  des  Je- 
fuites de  France,  ayant  pris  la  place  du  Père  Jacquinot,  fe 
chargea  de  porter  le  cœur  du  Roi  à  la  Flèche.  Il  fit  le  voya- 
ge en  carofle ,  accompagné  du  duc  de  Montbazon  &  de  la 
Varenne.  On  faifoit  des  prières  pour  le  Roi  dans  toutes  les 
Eglifes  fur  le  chemin,  &  les  peuples  accouroient  en  foule 
pour  arrofer  de  leurs  larmes  les  rcftes  de  ce  bon  Prince. 
Les  Jefuites  de  la  Flèche,  les  Magiftrats,  ôc  tous  les  Ordres 
de  la  ville  ,  vinrent  les  recevoir  aux  portes.  Alors  le  Père  Ar- 
naud étant  defcendu  de  carofle ,  marcha  précédé  de  douze 
Gardes  du  Roi;  deux  autres  Gardeslui  foûtenoient  les  bras^ 
qui  tomboient  de  fatigue ,  d'avoir  porté  fi  long-tems  le  cœur 
du  Roi ,  quoiqu'il  ne  fût  pas  d'un  grand  poids.  On  verfa  de 
part  &  d'autre   beaucoup  de  larmes  ;  &  il  ne  manqua  rien 

-  au  fpedacle.  Enfin  on  arriva  à  l'Eglife  ,  où  il  y  eut  beaucoup 

de  larmes  répandues  ,  lorfqu'on  prononça  fon  éloge  funèbre. 
Après  la  célébration  des  SS.  Myftéres ,  on  dépofa  le  cœur 
du  Roi  dans  un  caveau  ;  (i)  un  fervice  annuel  fut  établi  pour 
le  repos  de  fon  ame  ;  (i)  enfuite  on  cria  :  f'^ive  le  roi  Louis, 
Prccas  de       Le  1 7  du  mois  de  Mai ,  Ravaillac  ayant  été  conduit  de- 

Ravaillac.  vant  les  préfidens  de  Harlay  &  Potier,  Courtin  &  Boiiin  Con- 
feillers  en  la  Cour,  il  répéta  tout  ce  qu'il  avoit  dit  au  pré- 
fident  Jeannin  ;  ajoutant  qu'il  étoit  entré  quelques  années  au- 
paravant chez  les  Feùillans ,  pour  être  frère  convers  :  Qu'ayant 
été  renvoyé,  àcaufe  des  noires  idées,  &  des  vifions  quil'a- 
gitoient,  il  avoit  poftulé  pour  êtfe  reçu  parmi  les  frères  Je- 
fuites, appelles  coadjuteurs  temporels;  mais  qu'on  l'avoit  re- 
fufé ,  parce  que  la  Société  ne  recevoir  jamais  perfonne  qui 
eût  été  dans  un  autre  Ordre  :  Qu'cnfuite  ayant  été  tourmenté 
plufieurs  fois  de  vifions ,   il   étoit  venu  deux  fois  à  Paris , 

(t)  II  eft  aujourd'hui  place  dans  la  nef  à  \  (1)  Ce  fervice  fe  célèbre  tous  les 

"droite  en  haut,  contre  la  muraille.   De  t  ans  ,&  on  y  prononce  toujours  l'élo- 

Tautre  côté  à  gauche,  eft  celui  de  Marie  1  gc funèbre  cte  Henri  IV. 
;dc  Medicis, 


DE  J.  A.  DE  THOU,  Liv.III.  toj 

d'abord  dans  le  defîein  de  perfuader  au  Roi  de  chercher  les 
moïens  de  ramener  les  Hérétiques  à  la  religion  Catholique  :  Henri 
Qu'il  avoir  découvert  ce  deflein  au  père  d'Aubigny  Jefuite,  IV. 
au  curé  de  faim  Se  vérin,  &  au  père  de  Sainte  Marie-Mag-  i  <j  i  o^ 
delaine  Feuillant  :  Qu'il  avoir  raconté  au  père  d'Aubigny 
toutes  les  apparitions  qu'il  avoit  eues  en  fonge ,  &  pendant 
ie  jour  :  Qu'il  avoit  vu  de  la  fumée  de  fouffre  &  d'encens , 
des  hofties  plus  larges  les  unes  que  les  autres ,  &  entendu 
fonner  des  trompettes ,  comme  dans  un  combat  :  Qu'enfuite 
il  lui  avoit  montré  un  petit  couteau  y  fur  lequel  étoient  gra- 
vés un  cœur  &  une  croix  :  Qu'il  avoit  dit  à  ce  Jéfuite ,  qu'il 
falloit  que  le  cœur  du  Roi  fût  animé  contre  les  Hérétiques, 
pour  leur  faire  la  guerre  :  Que  le  père  d'Aubigny  lui  avoit  ré- 
pondu que  tout  cela  n'étoit  que  vidons  &  rêveries  5  qu'il 
falloit  prier  Dieu  fans  ceffe  pour  en  être  délivré  i  qu'au  relie  il 
pouvoir  chercher  l'occafion  de  parler  au  Roi  par  le  moïen 
de  quelque  feigneur  de  la  Cour. 

Ravaillac  dit  que  le  Jefuite  l'ayant  renvoyé  avec  cette 
réponfe ,  il  ne  l'avoit  pas  revîi  depuis  :  Qu'enfuite  il  avoit 
cherché  plufieurs  fois  les  moyens  de  parler  au  Roi ,  ce  qui 
lui  avoit  toujours  été  refufé  :  Que  s'étant  adreifé  une  fois  à 
ce  Prince  même  dans  fon  carolle  en  termes  fupplians ,  on 
l'avoit  chaÛe  à  coups  de  canne  :  Qu'après  cela  il  étoit  re- 
tourné à  Angoulême  ,  où  il  avoit  formé  la  réfolution  de  tuer 
le  Roi ,  fur-tout  parce  qu'il  ne  chaflbit  pas  les  Hérétiques  de 
France,  &  qu'on  difoit  qu'il  ne  vouloit  pas  punir  les  auteurs 
d'une  conjuration  contre  les  Catholiques  j  &  qu'il  avoit  def- 
fein  de  tranfporter  le  faint  Siège  à  Paris  j  ce  qui  étoit  faire  la 
guerre  à  Dieu,  parce  que  la  véritable  converfion  de  cette 
propofition  :  Dieu  ejî  Pontife  eft  celle-ci  :  Le  Pontife  ejî  Dieu. 

Il  ajouta  qu'il  étoit  revenu  tout  plein  de  cette  idée  à  Pa- 
lis :  Qu'avant  de  fe  rendre  en  cette  ville ,  il  s'étoit  confefle 
à  un  Prêtre ,  dont  il  dit  ne  fçavoir  le  nom  ,  d'avoir  eu  la  pen- 
fée  de  tuer  quelqu'un ,  fans  fpécifier  perfonne  en  particu- 
lier ;  que  cette  déteftable  penfée  lui  étant  revenue  à  l'efprit , 
il  n'avoit  pas  voulu  faire  fes  Pâques;  qu'il  n'avoir  ofé  fe  dé- 
couvrir plus  ouvertement  à  un  confefTeur,  de  crainte  qu'en 
vue  de  la  fureté  publique  ,  il  ne  vînt  à  révéler  fa  corfefTion , 
&:  qu'on  ne  le  punît  de  la  fimple  penfée  ,  comme  s'il  eût 


ro4  SUITE  DE  L'HISTOIRS 

■  commis  le  crime:  Qu'étant  revenu  à  Paris,  il  avoir  pris  danj 

H  E  N  R  I  ^^^  cabaret,  à  deffein  d'exécuter  fon  projet  ,  un  couteau, 
IV.  ^^'^^  avoit  porté  quelques  jours  dans  fa  poche  :  Qu'enfuite , 
I  5  I  o.  ^y^^"^*^  changé  tout  à  coup  ,  il  avoit  repris  le  chemin  de  fon 
pays ,  &  cafîe  la  pointe  de  fon  couteau  à  une  charette  près 
des  jardins  de  Chantelou  5  mais  que  peu  de  jours  après ,  par 
une  cruelle  fatalité ,  ayant  été  dans  le  fauxbourg  d'Etampes 
faire  fa  prière  devant  une  ftatuè  de  Jefus-Chrift  flagellé  ^  il 
avoit  été  tourmenté  de  nouveau  par  la  déteftable  penfée  de 
tuer  le  Roi  :  Qu'il  avoit  aiguifé  fon  couteau  fur  une  pierre , 
réfolu  d'exécuter  fon  projet  ^  auffi-tôr  après  le  couronnement 
de  la  Reine  j  parce  que  fi  la  mort  du  Roi  caufoit  des  trou- 
bles ,  il  y  auroit  alors  moins  de  danger.  Il  ajouta  qu'il  n'a- 
voit  ni  connoiflances ,  ni  amis  à  Paris ,  à  la  réferve  de  quel- 
ques Jacobins  de  fon  pays ,  dont  il  fréquentoit  FEglife. 

Le  premier  Préfident  fit  préfenter  à  Ravaillac  le  couteau 
dont  il  avoit  aflalTiné  le  Roi.  Ce  fcélérat  le  reconnut ,  &  de- 
manda un  papier  qu'il  avoit  fur  lui ,  lorfqu'il  commit  fon 
parricide.  Les  armes  de  France  étoient  peintes  fur  ce  papier, 
entre  deux  Lions ,  dont  l'un  portoit  une  clef,  &  l'autre  une 
épée  5  il  le  reconnut ,  &  dit  qu'il  l'avoit  apporté  d'Angoulê- 
me  i  après  avoir  repris  le  deflein  de  tuer  le  Roi ,  en  enten- 
dant dire  dans  la  maifon  d'un  certain  Beliard  que  le  Roi  avoit 
répondu  au  Nonce ,  qtii  fe  plaignoit  de  ce  qu'on  portoit  la 
guerre  en  Italie ,  &  qui  le  menaçoit  de  l'excommunication  : 
Que  file  pape  ofoit  faire  la  moindre  chofe  contre  la  ma- 
jefté  du  nom  Franc^ois ,  il  lui  ôteroit  tout  ce  que  le  Saint  Siège 
tenoit  de  la  pieté  &  de  la  libéralité  des  Rois  de  France  fes 
prédécefleurs  :  Que  ces  difcours  l'avoient  extrêmement  ani- 
mé contre  le  Roy  :  Qu'il  avoit  écrit  au-delfus  de  la  tête  des 
lions  dans  ce  papier  les  deux  vers  François  qu'on  y  voyoit, 

'  &  dont  voici  le  fens  :  Nefouffrez  pas  qu^onfajfe  aucun  outra- 

ge à  votre  divin  nom  en  votre  préfence. 

Enfuite  le  premier  Préfident  lui  fît  apporter  un  reliquaire , 
fait  en  forme  de  cœur  ^  que  Ravaillac  reconnut  auffi  j  ajou- 
tant qu'il  lui  avoit  été  donné  par  Gujllebaut  ^  chanoine  d'An- 
goulême  :  Qu'il  y  avoit  dedans  un  morceau  de  la  vraïe  Croix , 
&  le  nom  de  Jefus  ;  Qu'il  avoit  été  béni  parles  Capucins ,  & 
gu'il  l'avoit  potté  comme  un  prefervatif  contre  les  fièvres. 

Ce 


DE  J.  A.  DE  TPÎOU,  Liv.  lîl.  loy 

Ce  reliquaire  ayant  été  découru ,  &  le  morceau  de  la  vraïe 

Croix  ne  s'y  trouvant  point,  Ravaillac  s'écria  que  l'impoIlLire  Henri 

retomberoit  lur  les  impofteurs ,  &  non  fur  lui.  Il  reconnut  en-       I  V. 

core  un  autre  papier ,  où  le  nom  (Je  Jefus  étoit  écrit  trois     i  6 1  o. 

fois. 

Ayant  été  ramené  le  lendemain  devant  les  Commiflaires ,  ^ 

fes  réponfes  furent  conformes  à  l'interrogatoire  de  la  veille  ; 
îl  perliiia  toujours  à  dire  que  perfonne  ne  l'avoir  fuborné  ; 
qu'il  n'elpéreroit  pas  en  la  miféricorde  de  Dieu ,  s'il  cachoit 
fes  complices.  On  lui  confronta  le  même  joiu'  le  père  d'Au- 
bigny  5  il  le  reconnut ,  &  foutint  toujours  qu'il  avoir  eu  avec 
iui  l'entretien  qu'il  avoit  rapporté.  D' Aubigny ,  de  fon  côté  , 
nia  conftamment  qu'il  lui  eut  jamais  parlé. 

Le  lendemain ,  ayant  encore  comparu  devant  fes  juges , 
on  le  prella  par  la  miféricorde  de  Dieu ,  s'il  efpéroit  encore 
en  elle ,  de  déclarer  fes  complices.  Il  perfévéra  à  dire  qu'il 
n'en  avoit  point  5  qu'il  n' avoit  été  féduit,  ni  par  fraude,  ni 
par  aucuns  artifices  ,  mais  feulement  par  la  croïauce  où  il 
étoit,  que  le  Roi  alloit  faire  la  guerre  au  Pape.  Le  premier 
Prélident  lui  ayant  dit  j  que  du  moins  il  avoit  dû  abandon- 
ner fon  deilein  le  jour  de  Pâques  j  Ravaillac  répondit,  que 
c'étoit  ce  jour-là  même  qu'il  étoit  forti  d'Angoulême  pouï 
l'accomplir  5  &  qu'il  s'étoit  abftenu  par  cette  raifon  de  com- 
munier :  Qu'ayant  néanmoins  fait  dire  ime  meile  en  fon  in- 
tention ,  il  y  avoit  aiTifté  :  Que  fa  mère  s'y  étoit  approchée 
de  la  fainte  table ,  à  laquelle  il  croyoit  avoir  participé  ,  fi- 
non  réellement,  du  moins  en  efprit,  en  vertu  de  la  com- 
munion des  Fidèles  ,  comme  il  comptoit  avoir  part  à  toutes 
les  prières  &  à  tous  les  facrifîces  qui  fe  faifoient  aduellement 
dans  l'églife  Catholique ,  Apoftolique  &  Romaine ,  dont  il 
fe  flatoit  d'être  membre  en  Jefus-Chrift.  Il  ajouta  qif  il  prioit 
la  très-fainte  Vierge  ,  les  Apôtres  faim  Pierre  &  faint  Paul , 
&  fur-tout  faint  François ,  faint  Bernard ,  &  tous  les  Saints , 
d'intercéder  pour  lui  auprès  de  Nôtre-Seigneur  j  qu'il  ne  dé- 
fefpéroit  pas  de  communiquer  aux  mérites  de  fa  pafiion ,  ôc 
aux  autres  grâces ,  dont  le  Fils  de  Dieu  avoit  confié  la  dif- 
penfation  à  la  puillance  Apoftolique  ,  endifant  :  Tu  es  Pierre , 
p'  fur  cette  pierre  je  bâtirai  mon  Eglife. 

1.QS  Juges  voyant  qu'on  n' avoit  pu  dans  fes  interrogatoii 
Tome  XK  Q 


10^  SUITE  DE  L'HISTOIRE 

res  tirer  aucun  aveu ,  par  rapport  aux  complices ,  le  firent  appli-* 

t  r  quer  à  la  queflion ,  qui  ne  fut  pas  capable  de  lui  rien  faire  avouer 

jY         C'eft  pourquoi  le  27  de  May  cet  exécrable  aflafTin  fut  dé- 

^  *        claré  coupable  de  leze-majefté  divine  &  humaine,  par  arrêt 

portant  que  la  maifon  où  il  étoit  né  feroit  rafée  de  fond  en 

Arrêt  contre  comble  :  Oue  le  père  &  la  mère  de   ce  malheureux  forti- 

roient  du  Royaume  >  &  que  les  proches ,  &  ceux  qui  portoient 

fon  nom ,  en  prendroient  un  autre. 

Avant  de  le  mener  au  fupplice ,  les  Juges  furent  d'avis 
de  l'appliquer  une  féconde  fois  à  la  queftion ,  où  il  n'avoiia 
rien ,  quoi  quelle  fut  des  plus  violentes  5  car  on  enfon<^a  trois 
coins  entre  les  ais,  qui  lui  ferroient  les  jambes  i  la  douleur 
fut  fi  vive  ,  qu'elle  le  mit  tout  en  fueiir,  &  le  fit  évanouir  7 
on  le  relâcha  donc ,  &  l'ayant  fait  revenir  à  lui  avec  de  l'eau 
fraîche ,  on  le  conduifit  dans  la  chapelle  de  la  prifon  ,  où 
ayant  été  enchaîné  à  l'endroit  ordinaire,  on  lui  apporta  à 
manger. 

Les  dodeurs  Filefac  &  Gamache  vinrent  le  confoler  ;  ils 
l'exhortèrent  à  ne  pas  laitier  la  Juftice  &  la  France  former  des 
foupçons  fur  plufieurs  perfonnes  j  ils  lui  repréfenterent  qu'il 
ne  devoit  pas  s'opiniâtrer  à  celer  les  complices  d'une  conf» 
pirarion  fi  noire  &  fi  dangéreufe  à  l'Etat.  Ce  fcélérat  s' étant 
confefié  ,  les  Dodeurs  firent  venir  le  greffier  du  Parlement , 
&  protégèrent  en  fa  préfence,  que  le  coupable  avoit  de- 
mandé lui-même  qu'on  révélât  la  confefïlon  qu'il  venoit  de 
faire ,  pour  obtenir  rabfolution.  Ils  dirent  que  Ravaillac  leur 
avoit  afluré  qu'il  étoit  feul  coupable  :  Que  perfonne  ne  l'a- 
voit  ni  foihcité  ,  ni  engagé  à  ce  crime  j  qu'il  n'avoir  eu  aucun 
comphce  de  fon  delTein ,  au-delà  de  ce  qu'il  avoit  déclaré 
en  préfence  de  fes  Juges  5  &  qu'il  ne  croiroit  pas  pouvoir  être 
îauvé,  s'il  mentoit  en  aucune  manière,  ou  s'il  cachoit  b 
moindre  chofe. 
Suj>pi;ce  de  C'eft  pourquoi  ,  fuivant  l'Arrêt  rendu  contre  lui ,  il  fut 
Ravaillac.  conduit  dans  un  tombereau  devant  l'églife  de  Notre-Dame  , 
nud  en  chemife ,  la  torche  au  poing ,  pour  y  demander  par-v 
don  à  Dieu  ^  au  Roy,  &  au  Parlement  de  fon  exécrable  par- 
ricide. Ayant  enfuiteété  mené  à  la  Grève,  on  lui  brdlaavec 
du  fouffre  la  main  qui  avoit  tenu  le  couteau ,  dont  il  avoit 
poignardé  le  Roy  j  on  lui  tenailla  les  mamelles,  les  bias. 


-     0 
DE   J.    A.    DE    T  H  O  IT,  Liv.  III.        107 

les  cuiffes  &  les  jambes.  Les  bourreaux  verfcrent  daiis  fes 
playes  du  plomb  fondu ,  de  l'huile  bouillante ,  de  la  cire ,  H  e  n  r  i 
&  du  fouffre  enflammes.  Partout,  fur  le  padage  de  ce  fcé-       IV. 
lérat ,  le  peuple  en  fureur  i'auroit  mis  en  pièces ,  Ci  les  ar-      i  (j"  i  o, 
cliers  n'en  eulfent  empêché,  en  prcfentant  la  pointe  de  leur 
épée  aux  plus  animés.  Leur  furie  s'exhala  en  injures  &  en  ma- 
iédidions.  Les  Dodeurs  ayant ,  félon  la  coutume ,  commencé 
la  prière ,  on  les  interrompit  par  un  torrent  d'exécrations  qu'on 
vomit  contre  ce  monftre.  Le  greffier  en  prit  occafion  de  l'ex- 
horter à  découvrir  fes  complices ,  pour  appaifer  la  fureur  du 
peuple,  qui  lui  refufoit  toute  compalfion,  dernière  rellburcc 
des  malheureux. 

Ravaillac  répondit  toujours  qu'il  n'avoit  point  de  compli- 
ces 5  c'eft  pourquoi  il  fut  tiré  à  quatre  chevaux  pendant  une 
heure  5  &  ayant  enfin  rendu  le  dernier  foupir ,  fes  membres 
furent  partagés  en  quatre  parties.  L'Arrêt  portoit  qu'ils  fe- 
roient  brûlés  j  &  les  cendres  jettées  au  veny  mais  le  peuple 
ne  trouvant  pas  le  fupplice  aflez  grand  pour  un  crime  fî 
énorme  &fi  noir,  fejettafur  les  bourreaux  ,  leur  arracha  ces 
membres  fanglans  ,  les  traîna  dans  les  rues ,  &  les  brûla  avec 
les  derniers  tranfports  d'une  extrême  flireur.  Il  vomit  les  plus 
horribles  imprécations  fur  ces  reftes  affreux  du  monftre  ,  qui 
venoit  d'ôter  un  (1  bon  Prince  à  la  France.  A  force  de  traî- 
ner ces  membres  déchirés,  de  frapper  defllis,  &de  les  met- 
tre en  pièces,  il  n'en  refta  rien  pourjetter  au  feu. 

Cet  horrible  attentat ,  &  le  filence  opiniâtre  que  les  tour-  Jugemens  d\î 
mens  les  plus  cruels  ne  purent  faire  rompre  à  ce  miférable ,  •  ^^  ^^^  m"  ces 
donnèrent  beaucoup  à  penfer  à  bien  des  gens ,  furtout  à  ceux  de  Ravaillac, 
qui  fe  repréfentoient  qu'il  avoit  pu  fe  trouver  dans  la  ca- 
pitale ,  au  milieu  d'un  peuple  fi  zélé  pour  fon  Roi ,  un  Çcé- 
lèrat  allez  hardi ,  pour  aflaffiner  de  lui-même ,  fans  y  être  fol- 
îicité  par  perfonne,  un  Prince  aimé  de  fes  fujets,  craint  au- 
dehors,  &  dont  la  vie  étoit  fi  chère  &  û  utile  à  la  Prance. 
On  crut  qu'il  y  avoit  eu  de  la  négligence  des  Juges,  qui  à  caufe 
des  différens  mal  éteints  &  récens  de  quelques  Grands  avec  le 
Roi ,  craignirent  de  découvrir  des  cbofes  ,  qui  leur  auroient 
fait  des  ennemis.  Car  pourquoi  ne  pas  faire  venir  d'Angou- 
lême  les  perfonnes ,  que  Ravaillac  difoit  avoir  connues ,  ou 
avoir  été  fes  amis,  dans  le  temps  qu'il  partit  pour  exécutet 

O  i  j 


H 

E   N    R  I 

IV. 

.  i3 

6"  I  0. 

loS  SUITE    DE   L'HISTOIRE 

fon  deiTein ,  comme  Beiiard  &  Breteau  ?  Pourquoi  ne  lui  con- 
fronter pas  fa  mère ,  au  fçû  de  laquelle  il  ctoit  parti  de  fon 
pais,  ôcs'étoit  abftenu  d'approcher  de  la  fainte  table? Pour- 
quoi ne  le  confronter  pas  avec  le  curé  de  faint  Severin  ôc 
le  Feuillant  j  dontilavoit  parlé,  &  n'appeller  que  le  Jéfuite 
d'Aubigny ,  puifqu'il  eft  certain  que  le  moindre  indice  fuf- 
fit  quelquefois  pour  découvrir  entièrement  la  vérité/ Qu'elle 
raifon  avoit  -  on  de  défendre  au  criminel  de  parler  à  des  per- 
fonnes  d'une  certaine  condition,  tandis  qu'on  le  laiflbit  par- 
ler librement  à  tous  ceux  qui  voulurent  le  voir  pendant 
prefque  tout  le  temps  de  fa  prifon ,  qui  dura  treize  jours. 
Conjcaurcs       Les  plus  éclairés  du  Parlement  penferent ,  que  les  partifans 
^u  Jeurt^^dc  ^^^  Efpagnols  (  tels  qu'on  en  voit  plufieurs  en  France  ,  dans 
Hcmi.   '       les  couvens  des  Moines  de  certains  Ordres ,  qui  ont  pris  naif- 
fance  en  Italie  )  ayant  remarqué  dans  le  tribunal  de  la  con- 
feffion,  la  difpofition  de  ce  miférable  au  fanatifme,  avoient 
achevé  de  lui  troubler  Tefprit,  &  l'avoient  fait  épouvanter 
chaque  jour  par  leurs  émiifaires ,  en  lui  infinnant  que  le  but 
des  expéditions  militaires  du  Roi ,  éroit  de  fecourir  les  Pro- 
teftans  d'Allemagne  contre  les  Catholiques,  &  d'abandon- 
ner ritalie  au  pillage  des  foidats  de  Lefdiguieres ,  qui  la  plu- 
part étoient  Calviniftes  :  Qu'on  lui  avoit  fait  entendre  que 
tous  ces  malheurs^  qui  menaiçoient  la  Religion  &  le  faint 
Siège  ,  ne  dépendoient  que  de  la  vie  d'un   feul  homme. 
Peut-être  même  ces  Moines  étoient-ils  aflez  imbéciles ,  pour 
croire  que  ce  qu'ils  lui  difoient  étoit  vrai.  On  ajoûtoit  que 
Ravailîac ,  déjà  plein  d'un  zélé  faux  &  indifcret ,  avoit  pu  fe 
laider  féduire  par  ces  artifices ,  &  fe  déterminer  à  une  adion  , 
qui  lui  paroiflbit  méritoire ,  en  s'expofant  à  perdre  le  peu  de 
vie  qui  lui  reftoit,  &  qu'il  traînoit  peut-être  dans  la  mifére. 

Les  obfervations  qu'on  fit  alors ,  donnent  aflez  de  vrai- 
femblance  à  ces  conjedures  ;  car  quelques  délateurs  mouru- 
rent en  ce  temps-là,  &  il  y  eut  des  indices,  que  leur  mort 
n'avoit  pas  été  naturelle.  D'ailleurs  on  apprit  par  des  lettres 
écrites  de  Bruxelles ,  d'Anvers  ,  de  Malines  &  de  Bois-le- 
Duc  ,  que  le  bruit  du  meurtre  du  Roi  avoit  couru  avant  le 
15"  du  mois  de  May.  Ce  fut  ce  même  mois  que  le  Roi  fat 
tué ,  après  avoir  écrit  aux  Archiducs ,  qu'il  étoit  fur  le  point 
de  joindre  l'armée. 


DE  J.  A.  DE   tHOU,  Liv.  III.       ïop 

Parmi  les  principaux   qui  étoient  de  ce  fentiment,  Jac- 
ques-Augufte  de  Thoufut  d'avis,  que  punqu  il  paroillbit  par  Henri 
les  aveux  du  meurtrier,  qu'il  n'avoir  formé  une  Ci  déteftable        j  y^ 
réiblution ,  que  par  un  efprit  de  fuperftition  ;  que  d'ailleurs     i  ^  i  o; 
ce  zélé  faux  &  aveugle  s'augmentoit  tous  les  jours  ;  que  l^s    .  .   ,      , 
dcfenfeurs  des  opinions  ultramontaines  publioient  des  livres  fident  de 
remplis  de  dogmes  pernicieux ,  tendans  à  perfuader  au  peu-  '^^^°"' 
pie  fimple  &  crédule ,  que  les  Royaumes  &  les  Rois  ne  fub- 
îiftoient  6c  ne  tomboient ,  qu'autant  qu'ils  méritoient  la  fa- 
veur ,  ou  la  haine  de  la  cour  de  Rome:  Que  chaque  lu  jet, 
quel  qu'il  fut  ^  pouvoit  &  devoit  tuer  un  tiran ,  non-feulement 
à  force  ouverte ,  mais  encore  en  lui  dreflant  des  embûches  ; 
&que  les  Princes  qui  refufoient  de  fuivre  les  vues  toutes  Ef- 
pagnoles  des  Papes ,  étoient  des  tirans  :  Que  puifqu'on  don- 
noit  aux  fimples  cqs  dangereufes  erreurs  pour  des  articles 
de  foi  ;  que  les  Evêques*  eux-mêmes  ,  aveuglés  par   le  défir 
d'obtenir  un  jour  la  pourpre  Romaine,  fermoient  les  yeux  à 
de  il  grands  abus  j  il  étoit  à  propos  que  le  Parlement  ordon- 
nât par  un  arrêt  aux  dodeurs  de  Sorbonne ,  d'examiner  ce 
qui  étoit  de  droit  divin ,  &  ce  qui  étoit  l'ouvrage  de  la  ma- 
lice des  hommes  dans  cette  matière  ;  afin  de  donner  une 
décifion  propre  à  détromper  le  vulgaire  de  ces  fuperftitieu- 
fes  idées ,  qui  font  les  plus  féduifantes  en  apparence  :  Que 
ces  Dodeiu-s  dévoient  le  faire  d'autant  plus   volontiers  Ôc 
plus  fûrement ,  que  les  profefTeurs  en  Théologie  de  cette  mai- 
fon  avoient  condamné  deux  cens  ans  auparavant  les  mêmes  ^ 

dogmes  du  confentement  de  cent  quarante  Dodedrsj  déci- 
fion que  le  concile  de  Confiance  avoir  adoptée  dans  la 
fuite.  »  Si  on  avoit  ainfi  traité  ces  dogmes  (  ajoûtoit  de  Thou) 
»  lorfqu'ils  n' avoient  point  encore  produit  de  funeftes  effets? 
»  que  ne  doit-on  pas  faire  contre  eux ,  depuis  qu'ils  ont  enfanté 
»  des  monflres  femblables  aux  Clemens ,  aux  Barrières ,  aux 
3>  Chaflels  &  aux  Ravaillacs  ?  Avec  quelle  ardeur  ne  doit- 
3"  on  pas  les  condamner ,  après  qu'ils  ont  pouffé  tant  de  fcé- 
»  lérats  à  attenter  à  la  vie  de  nos  Rois  depuis  vingt  ans  ? 

Cet  avis  du  préfident  de  Thou  ne  fut  d'abord  écouté  Arrêt  du  Par- 
que de  quelques  Confeiliers.  La  plupart  accoutumés  à  exa-  'em-.t  pour 
miner  des  procès  pour  gagner  des  épices ,  ne  s'embarraflbient  îj^/'j.''^^^  '^^  la 
guéres  de  faire  des   réglèmens  pour  la  fureté    de    leurs  nos  Rois, 

Ojij 


lia  SUITE  DE  L'HISTOIRE 

—  defcendans.  Après  avoir  néanmoins  condamné  le  coupable 
He  N  R  I  à  d'affreux  tourmens,  ils  failirent  avec  vivacité  ce  qu'ils  n'a- 
I  V.       voient  pas  d'abord  jugé  digne  de  leur  attention  5  ils  ajouté- 
ï  510.     rent  feulement  qu'il   falloit  énoncer  dans  l'arrêt  ce  qui  re- 
gardoit  le  parricide ,  féparément  de  ce  qui  concernoit  le  dé- 
cret de  la  Sorbonne  &  du  Concile.  Le  préfident  de  Thou  n'au- 
roit  pas  opiné  d'une  autre  manière. 

C'eft  pourquoi  le  lendemain  le  Doyen  &  les  Syndics  de  la 
Sorbonne  ayant  été  mandés,  le  premier  Prélident  leur  parla 
fortement ,  pour  renouveller  le  décret  du  concile  de  ConC- 
tance  5  &  leur  ordonna  de  rapporter  à  leurs  confrères  ce  qu'il 
leur  avoir  dit.  Ils  obéirent  en  diligence  5  &  ayant  fait  ledure 
de  l'arrêt  du  Parlement  aux  D odeurs  aflemblés ,  on  décida 
tout  d'une  voix  ,  que  les  anciens  dodeiu's  de  Sorbonne 
avoient  fagement  défendu  de  foûtenir  cette  propofition  :  // 
ejî  permis  de  tuer  un  tiran  :  Que  cela'  étoit  contraire  à  la  foi  : 
Que  les  Pères  dans  la  primitive  Eglife  avoient  eu  recours  à 
la  fuite ,  ou  à  la  patience ,  contre  les  perfécutions  des  tirans 
les  plus  impies ,  &  n  avoient  attenté  fur  leur  vie  ,  ni  fecré- 
tement  ,  ni  à  force  ouverte.  On  ajoûtoit ,  que  recevoir 
cette  propofition  générale ,  c'étoit  introduire  la  fraude ,  l'im- 
piété ,  la  perfidie ,  &  le  menfonge  ;  étant  libre  aux  fadieux 
de  penfer ,  ou  de  juger  du  Prince  à  leur  gré  :  Que  fi  le  cri- 
me fe  couvroit  du  voile  de  la  Religion ,  les  funples  aveu- 
glés par  des  idées  fuperftitieufes  fe  porteroient  à  d'odieufes 
extrémités  :  Que  les  louanges  que  Jean  Gerfon ,  ce  profond 
théologien ,  donne  au  décret  de  la  Sorbonne ,  &  à  l'appro- 
bation du  concile  de  Conftance,  l'un  de  l'an  141 3  ,  <Sc  l'au- 
tre dé  141  ^  où  l'on  taxe  d'héréfieles  auteurs  de  cette  doc- 
trine damnable  ,  font  juftes  &  raifonnables  :  Qu'ainfi  la  Sor- 
bonne affemblée  regardoit  comme  des  ennemis  de  la  fociété 
Chrétienne,  ceux  qui  la  deshonoroient  par  de  fi  infâmes 
erreurs. 

L'ancienne  dodrine  ayant  été  renouvellée  par  im  décret; 
on  arrêta,  que  tous  Dodeurs  &  étudians  en  Théologie,  fe- 
roient  ferment  tous  les  ans  de  tâcher  fans  relâche ,  foit  dans 
la  Chaire ,  foit  dans  leurs  écrits ,  ou  par  leurs  exhortations 
particuUéres ,  de  perfuader  aux  Fidèles ,  qu'il  n  étoit  permis 
%  perlbnne ,  fous  cjuelque  prétexte  que  ce  pût  être ,  d'atten- 


DE   J.   A.   DE   T  HOU,  Liv.  III.         itt 

ter  à  la  vie  d'un  Prince ,  ou  de  toute  autre  PuifTance  ;  dé- 
clarant calomniateur  de  la  dodrine  Chrétienne ,  impie  &  hé-  H  e  n  r  i 
rétique ,  quiconque  penferoit ,  enfeigneroit  ,   ou  écriroit  le        I V. 
contraire.  i^io. 

Edmond  Richer  alors  Syndic,  ayant  apporté  au  Parlement    ^    , 

11  11  j         j      1      ^  11  Condamna- 

le  décret  de  la  Sorbonne ,  eut  ordre  de  la  Cour  de  le  re-  tioi  du  livre 
mettre  aux  Gens  du  Roi.  Ce  Dodeur  infmua  en  même  tems  «leMamna. 
que  l'on  faifoit  lire  au  public  des  ouvrages  de  Jean  Maria- 
na,  de  Clarus  Bonarfcius,  ou  plutôt  de  Charles  Scribanius, 
ôc  d'Emmanuel  Sa  Jefuites^  ouvrages  pleins  de  cette  doc^ 
trine  impie,  dont  le  meurtre  &  le  poifon  étoient  les  fruits 
odieux.  Il  infifta  principalement  furie  livre  de  Mariana,  in- 
titulé:!)^ Régis  inftitutionc,  dans  lequel  ce  Théologien  loue 
beaucoup  l'aflaffin  de  Henri  III.  &  déprime  l'autorité  du  dé- 
cret approuvé  par  le  concile  de  Conftance  ,  comme  ne 
l'ayant  pas  été  par  le  Pape.  Les  Gens  du  Roi  indignés  de  la 
fcéiératelfe  de  cet  écrivain,  demandèrent,  en  requérant  que 
le  décret  de  la  Sorbonne  fût  enregiftré ,  que  l'on  condam- 
nât l'ouvrage  de  c^t  Efpagnol  à  être  brûlé  par  la  main  du 
boureau. 

Quelques  membres  du  Parlement ,  foit  par  inclination  pour 
la  Société ,  foit  par  (implicite ,  s'étendirent  en  cette  occa- 
fîon  fur  les  louange*  des  Jcfuites,  &  furent  d'avis  de  ména- 
ger la  réputation  de  ces  Pères ,  à  qui ,  difoient-ils  ^  la  Reli- 
gion &  les  Lettres  avoient  de  grandes  obligations.  D'autres 
appréhendoient  d'attirer  par  cette  démarche  la  colère  du  Pa- 
pe. Il  y  en  eut  enfin  qui  dirent  que  le  décret  de  la  Sorbon- 
ne étoit  défedueux ,  en  ce  qu'il  avoit  été  fait  fans  confulter 
i'évêque  de  Paris.  Antoine  Seguier  l'un  des  Préfidens  ^  dit 
finement ,  qu'il  falloit  examiner  fi  l'Arrêt  du  Parlement  au  fu- 
jet  du  décret  en  queftion,  dont  il  n'attaquoit  pas  la  validité, 
avoit  pu  être  légitimement  rendu.  Alors  il  propofa,  pour 
développer  fa  penfée  en  faveur  de  l'aptorité  Epifcopale ,  la 
plupart  des  raifons,  dont  l'ambition  du  Clergé  s' appuyoit  de  , 
jour  en  jour.  Mais  le  plus  grand  nombre  ayant  dit  que  la 
fureté  de  l'Etat  &  du  Prince  devoir  être  pour  eux  une  loi 
fuprême  j  &  qu'on  ne  pouvoir ,  fans  fe  rendre  coupables ,  dif- 
(Imuler  une  dodrine  fi  pernicieufe  &  fi  erronée ,  ils  entraî- 
ncrem  toute  la  Compagnie. 


Hegis 
tione 


112  SUITE  DE  L'HISTOIRE 

La  honte  réiinit  à  cet  avis  prédominant  tous  ceux  qui  s'en 

H  E  N  R  I  ^'^^^^^"^^  d'abord  éloignés;  on  ufa  feulement  du  ménagement 

T^y        de  ne  point  qualifier  Mariana  ni  dejefuite,i^  d'EipagnoL 

,  ^\  Q      L'Arrêt  rendu  en  conféquence  fut  enregiftré  le  huitième  du 

mois  de  Juin.  Le  livre  condamné  fut  lacéré  &  hrûlé  par  la 

Son  livre  de  main  du  boureau  dans  le  parvis  de  Nôtre-Dame.  Exprefles 

^  '  cft  brûlé  inhibitions  furent  faites  à  tous  Libraires  de  vendre  ce  livrer 

par  la  main  &  défenfes ,  fous  peine  de  crime  de  leze-Majefté,  de  rien 

oureau.    £^|j.g  ^  ^^^.^  ^  ^^^  enfeigner  de  contraire  à  la  dodrine  du  décret 

de  la  Sorbonne. 

C'eft  la  coutume  de  ne  célébrer  les  funérailles  de  nos 
Obfequesdu  "^q^^  ^  q^g  quarante  jours  après  leur  mort.  Ce  tems  eft  em- 
ployé à  faire  les  préparatifs  de  la  pompe  funèbre.  Pendant 
ces  quarante  jours,  on  met  furie  cercueil  de  plomb,  où  le 
corps  du  Roi  eft  enfermé ,  une  image  de  cire ,  qui  repré- 
fente  le  Prince ,  comme  s'il  étoit  vivant.  On  place  en  cet  en- 
droit le  fauteuil  du  Roi ,  &  on  fert  fa  table  aux  heures  du 
repas  à  l'ordinaire.  Les  Ofnciers  font  les  mêmes  fondions 
que  du  vivant  du  Roi  ;  la  table  eft  deile|vie  enfuite ,  &  les 
mets  fe  diftribuent  aux  pauvres.  Des  Prêtres  jour  &  nuit, 
aflis  autour  du  cercueil ,  récitent  l'Office  poiu*  les  morts.  Ce 
terme  étant  expiré  le  25:  de  Juin,  le  jeune  Roi  prit  l'habit 
de  deuil  de  cérémonie  à  l'hôtel  de  Longueville ,  d'où  il  fe 
rendit  au  Louvre,  accompagné  des  Princes  du  Sang,  des 
autres  Princes,  &  d'iuie  foule  de  Courtifans.  Il  y  jetta  fur 
ie  cercueil  de  l'eau-benite  ,  qui  lui  fut  préfentée  par  un 
Prêtre. 

Le  lendemain,  Guillaume  Pot  fieur  de  Rhodes,  grand- 
Maître  des  cérémonies,  avertit  le  Parlement  ^  &  Jes  autres 
Ordres,  que  les  funérailles  du  Roi  fe  feroient  un  tel  jour, 
&  l'invita  de  la  part  de  la  Reine  de  s'y  trouver  en  grand 
nombre.  Le  premier  Prélident  de  Harlay  répondit  à  de  Rhodes, 
les  larmes  aux  yeux ,  que  le  Parlement  s'emprefleroit  à  rendre 
à  la  mémoire  d'un  11  grand  Prince ,  tous  les  honneurs  qui 
lui  étoient  dûs.  Enfuite  vingt-quatre  Hérauts  anoncerent ,  en 
fonnant  des  clochettes,  la  pompe  funèbre  de  très-haut ,  très- 
puiftant,  &  très-excellent  prince  Henri  le  Grand ,  roi  de  Fran- 
ce &  de  Navarre ,  très-chrétien  ,  irès-augufte ,  très-invincible, 
incomparable  par  fa  magnanimité,  6c  par  fa  clémence.  Le 

furnom 


DE  J.  A.  DE  THOU,  L  i  v.  I  ï  I.  "rfj 

fiirnom   de    Grand   demeura  enfuite   à  ce  Prince.  b^«»^b«w«™. 

Le  28  de  Juin,  le  Parlement  en  deuil ,  partit  de  la  Cour  Henri 
du  Palais,  pour  fe  rendre  au  Louvre  ,  où  il  jetta  de  l'eau  jy^ 
bénite  fur  le  cercueil ,  aufli  bien  que  tous  les  autres  Ordres,  i  5  i  o. 
Le  lendemain,  environ  une  heure  après  midi,  le  Parlement 
revint  en  robes  rouges ,  précédé  de  fes  HuiiTiers  en  deuil. 
Il  s'arrêta  dans  la  falle  du  Confeil,  en  attendant  qu'on  eût 
apporté  l'image  du  Roi  en  cire ,  qui  repréfentoit  le  Roi  dans 
toute  fa  majefté,  comme  s'il  croit  vivant.Le  Parlement  étoir  en 
robes  rouges,tandisque  tous  les  autres  Ordres  étoient  en  deuil, 
parce  qu'il  repréfente  la  JuRice ,  qui  n'eft  pas  même  interrom- 
pue par  la  mort  du  Roi.  Les  Ordres  militaires  de  la  ville,  les  Ju- 
rifdidions  fubalternes ,  les  Religieux,  le  corps  de  l'Univerlité 
marchoient  à  la  tête  de  la  pompe  funèbre  ^  fuivis  des  Gentils- 
hommes fer  vans ,  qui  portoient  les  armoiries  &  les  autres  mar- 
ques d'honneur,  Venoient  enfuite  plufîeurs  Evêques,  le  Non- 
ce du  Pape ,  les  Ambafladeurs  des  Cours  étrangères ,  deux 
Cardinaux  ,  les  Précepteurs  du  Roi  régnant,  &  le  grand- 
Ecuyer.  ParoilToit  enfin  l'image  du  feu  Roi  dans  une  litière 
ouverte  ,  portée  félon  l'ancien  ufage  par  les  portefaix  du  gre- 
iiier  à  fel.  Le  Parlement  environnoit  la  litière ,  derrière  la- 
quelle on  voyoit  les  Princes  du  Sang  en  deuil,  les  autres 
Princes ,  les  Chevaliers  de  l'Ordre  du  Roi ,  cent  Gentils- 
hommes, &  enfin  les  Gardes  du  corps. 

Henry  de  Gondy  évêque  de  Paris ,  &  Charle  Miron  évê-  Contcftation 

,  ,  .        pour  le  pas 

•que  d'Angers ,  qui  faifoit  les  fondions  de  Grand- Aumônier  dans  la  mar- 
-pour  le  cardinal  du  Perron ,    quittèrent  le  cercueil ,  auprès  ^^?  d"  con- 
duquel  leur  miniftére,  &  l'ordre  des  funérailles  dévoient  les 
retenir,  pour  fe  mêler,  quoique  en  deuil,  parmi  les  mem- 
bres du  Parlement ,  qui  étoient  en  robes  rouges.  Miron  étoit  ' 
mal  intentionné  pour  le  Parlement.    Ces  Prélats  ayant  refufé 
de   fe   retirer,  après  en  avoir  été  avertis,  le  Parlement  & 
toute  la  pompe  funèbre  s'arrêtèrent.  Ils  fe  défendoient  de  quit- 
ter une  place  qu'ils  difoient  n'avoir  prife  que  par  l'ordre  du 
M^îtte  des  cérémonies.  Celui-ci  ayant  été  appelle,  envoya 
un  Héraut  de  l'Ordredu  S.  Efprit ,  pour  apporter  la  relation  des 
funérailles  de  Henri  II.  qui  avoir  été  publiée  par  le  Héraut 
d'armes,  homme grofTier &  fans  lettres. 

Cette  relation  portoit  que  l'èvêque  de  Paris  &  le  grand- 
Tome  XK  V 


iï4  SUITE  DE  L'HISTOIRE 

Aamônier  avoient  eu  leur  place  auprès  de  la  l'effigie  du  Roi; 
H  E  j^  R  I  Les  regiftres  du  Parlement  difoient  le  contraire,  &  fur  tout  en 
j  Y^       pariant  de  la  pompe  funèbre  de  Charles  IX.  D'ailleurs  on  voyoit 
j  6  I  o,     ^^^^  le  peu  de  foi  que  méritoit  cette  relation ,  qui  ne  marquoit 
ni  dans  quel  rang  de  la  Pompe  funèbre  étoit  le  corps  du  Roi, 
dont  elle  rapportoit  les  funérailles,  ni  même  que  l'image  de  cire 
fut  placée  furie  cercueil ,  fi  ce  n'eftlorfqu'elle  dit  que  le  corps 
fut  dépofé  dans  l'Eglife  de  Nôtre-Dame.  Charles  de  Bourbon 
comte  de  Soldons,  grand-Maître  de  la  maifon  du  Roi,  ac- 
courut au  bruit  de  la  conteitation ,  qu'il  ne  voulut  pas  déci- 
der ;  ce  n'eft  pas  qu'il  ne    connût  bien  le   droit   du  Parle-» 
ment,  mais  il  craignoit  d'oiFenfer  les  parties. 

La  nuit  étoit  fur  le  point  d'arriver,  lorfqu' on  difpiitoit  eiv- 
core  dans  la  cour  du  Louvre  j  &  le  ferein  commença  à  in- 
commoder plufieurs  perfonnes.  Ainfi  la  pompe  funèbre  fe 
mit  en  marche ,  fans  que  la  chofe  ivit  terminée.  Cependant 
les  Evêques  n'étoient  pas  entièrement  en  poflefîion  de  la 
place  qu'ils  vouloient  prendre.  Car  le  Greffier  &  les  Huit 
iîers  du  Parlement  reftoient  avec  opiniâtreté  aux  pieds  de 
l'image  du  Roi.  Enfin  on  arriva  à  Nôtre -Dame,  où  le 
corps  du  Roi  fut  dépofé.  On  fit  les  prières  accoutumées ,  6c 
chacun  fe  retira  jufqu'au  lendemain,  jour  auquel  les  funé^ 
railles  fi.irent  remifes. 

Le  Parlement  s'alTembla  le  jour  fuivaiit ,  pour  examiner 
le  fujet  de  la  conteftation  de  la  veille.  On  confulta  les  re- 
giftres,  le  livre  de  Jean  du  Tillet,  ancien  greffier  au  Parle* 
ment ,  qui  connoiflbit  parfaitement  ces  fortes  d'ufages  >  & 
tous  les  anciens  mémoires.  Tous  ces  monumens  s'accordoient 
en  ce  point;  fçavoir,  que  l'Evêque  de  Paris  étoit  le  Curé  du 
Roi ,  d'où  il  réfultoit  qu'il  étoit  du  devoir  de  ce  Prélat  d'ad- 
miniftrer  les  chofes  faintes  au  Roi  j  qu'ainfi  il  devoit  inhumer 
le  corps  du  Prince ,  &  par  conféquent  fuivre  immédiatement 
le  cercueil ,  &  non  l'image  en  cire  ,  qui  ne  contient  pas  la 
dépouille  mortelle  du  Roi ,  mais  qui  le  repréfente  au  con- 
traire dans  toute  fa  majefté ,  comme  le  chef  de  la  Juftice  : 
Que  fî  le  Parlement  environnoit  cette  image,  couvert  de 
robes  rouges ,  ce  n'étoit  pas  pour  fe  faire  honneur,  mais  pour 
repréfenter  le  Roi  dans  toute  fa  fplendeur  :  Qu'autrefois  l'ima- 
ge étoit  placée  fur  le  cercueil  j  ce  qui  pouvoit  être  caufe 


DE    J.    A.    DE    THOU,  Lfv.  m.  ir; 

ique  la  place  de  l'Evêque  avoit  été  marquce  aux  pieds  de 

cette  5  image  mais  que  dans  la  fuite  far  l'obfervation   qu'on  H  e  n  r 

fit  qu'il  ne  convenoit  pas  que  le  fujet  des  obféques  fut  deilcus        I V. 

l'image  ,  qui  repréfentoit  le  Roi  comme  vivant  ,   oh  avoit     1610. 

féparé  le  corps  d'avec  l'image  ,  &  l'Evêque  d'avec  le  Par- 

îement. 

C'eft  pourquoi  on  réfolut  de  fe  conformer  aux  ufages  pré- 
fens,  &  d'afllgner  à  chacun  le  devoir  qu'il  avoit  à  remplir. 
Il  fut  donc  arrêté  que  l'Evêque  devoir  inhumer  |e  corps, 
&  fîue  le  Parlement  devoit  environner  l'image  de  la  Jufti- 
ce  vivante  de  Sa  Majefté.  En  conféquence  on  fit  avertir  l'E- 
vêque de  Paris ,  de  ne  plus  s'opiniâtrer  à  troubler  l'ordre  de 
îa*  pompe  funèbre  par  une  affedation  déplacée.  Endiite  le 
Parlement  alla  à  Nôtre-Dame,  pour  entendre  l'oraifon  fu- 
nèbre de  Henri ,  qui  fut  prononcée  par  PhiHppe  Cofpean 
nommé  depuis  peu  à  Pévêché  d'Aire.  L'Evêque  de  Paris  ayant 
reçu  l'avertiflement  du  Parlement,  en  demanda  copie,  com- 
me font  tous  ceux  qui  veulent  gagner  du  temps,  fous  prétexte 
qu'il  ne  vouloit  faire  fa  réponfe  que  par  écrit. 

Pendant  ce  tems-là,  le  duc  d'Efpernon,  qui  étoit  allié  de 
très-près  à  ce  Prélat,  fier  de  fon  crédit  à  la  Cour,  &  d'un 
efprit  turbulent,  qui  ne  foufifroit  qu'à  regret  une  domination 
légitime ,  obféda  la  Reine  ,  &  l'engagea  à  donner  le  defîbus 
au  Parlement  dans  cette  affaire ,  en  exagérant  à  cette  Prin-  " 
ceffe  le  refped  dû  à  la  dignité  Epifcopale.  Le  Chancelier 
ne  fut  pas  fâché  de  cette  mortification  d'un  Corps ,  qui  de- 
voir veiller  fur  fes  démarches.  La  Reine  qui  étoit  facile , 
appuya  l'opiniâtreté  des  Evêques,  fans  entendre  le  Parlement. 
Le  duc  d'Efpernon  faifant  inftance ,  pour  que  cette  décifion 
en  faveur  de  l'Evêque  fut  rédigée  par  écrit ,  &  qu'elle  fût  fi- 
gnée,  comme  émanée  du  Confeil  du  Roi,  le  Chancelier  par 
une  adreiTe ,  qui  fut  enfuite  d'un  grand  ufage ,  jugea  plus  à 
propos  de  mettre  la  chofe  fur  le  compte  de  la  Reine ,  en 
faifant  ordonner  en  fon  nom  par  le  comte  de  Solfions  à  l'E- 
vêque de  Paris,  de  fe  tenir  auprès  de  l'image.  - 

L'heure  de  la  pompe  funèbre  approchant ,  le  Parlement 
fe  rangea  autour  de  la  litière  du  Roi.  Les  Evêques  de  Paris 
&  d'Angers  s'appuïant  fur  l'ordre  qu'ils  attendoient  ,  aufll 
fiers  que  s'ils  euilent  remporté  une  victoire  fur  les  ennemis^ 


ïi^  SUITE  DE  L'HISTOIRE 

I         I   m  fe  placèrent  à  toute  force  aux  pieds  de  l'image ,  difaiit  hau-< 
Henri  ^^^"^^^^^  qu'ils  avoient  fur  eux  l'arrêt  du  Confeil  du  Roi.  Le 
jY         Parlement  qui  f<çav oit  le  contraire  fot  indigné  de  voir  qu'on 
j  5  I  o.     ^^^^  ^^  fervir  du  nom  du  Roi  même,  pour  donner  atteinte  à 
la  majeftc  du  Roi.  On  marcha  cependant  5  &  les  huifliers 
qui  étoient  en  affez  grand  nombre ,  criant  qu'on  leur  fit  pla- 
ce, les  Evêques  furent  fi  ouvertement  repoulfés  ,  qu'ils  apprê- 
toient  déjà  à  rire  aux  fpedateurs.  Alors  s'étant  arrêtés  j  tout 
îe  Parlement  s'arrêta  aufil. 

Cependant  le  duc  d'Efpernon  avoit  expliqué  l'ordre  de  la 
Reine  au  comte  de  Soiffons.  Ce  Prince  fier  &  impérieux  étoit 
irrité  contre  le  Parlement ,  de  ce  qu'il  avoit  fans  fa  partici- 
pation accordé  la  régence  à  la  Reine  mère ,  dans  un  temps 
qu'il  n'étoitque  peu  éloigné  de  Paris.  Ainfi  faififlant  avec  feu 
l'occafion  de  faire  éclater  fon  reffentiment ,  il  vint  à  la  tête 
d'une  compagnie  des  Gardes  ,  &  parla  très-rudement  aux 
membres  du  Parlement.  Il  dit  que  les  Evêques  dévoient  être 
aux  pieds  de  l'image  du  Roi  :  Que  tels  étoient  les  ordres  de 
la  Reine.  Quelqu'un  ayant  répliqué  que  le  Parlement  ne  croi-^ 
roit  jamais  que  la  Reine  les  eût  condamnés  fans  les  enten- 
dre j  le  Comte  repartit  vivement:  »  Eh  bien,  fçachez  que  c'efl: 
»  une  chofe  décidée ,  &  qu'on  n'y  changera  rien.  «  Le  Parle- 
ment ne  s'en  étant  pas  ébranlé  davantage ,  le  Comte  tout 
bouillant  de  colère,  dit  qu'il  y  alloit  de  la  tête  d'exécuter 
les  ordres  du  Roi ,  tels  qu'ils  étoient ,  ôc  qu'il  falloit  obéir  fans 
délai.  En  même  temps  il  donna  ordre  à  ceux  de  fa  fuite  d'ac- 
complir les  ordres  de  Sa  Majefté.  S'étant  aufll-tôt  approchés  ^ 
ils  fe  faifirent  de  Paul  Scaron  confeiller. 

Le  Parlement ,  fans  s'opiniâtrer  davantage ,  fe  retira ,  à  la 
réferve  d'Antoine  Seguier,  qui  étoit  depuis  long-temps  ami 
du  duc  d'Efpernon.  Tout  le  refte  protefta  de  la  violence 
qu'on  leur  faifoit.  Un  des  membres  du  Parlement  dit  dans 
la  foule ,  qu'il  viendroit  un  temps ,  où  les  regiftres  du  Par- 
lement feroient  reflbuvenir  de  l'outrage  qu'on  leur  faifoit 
alors.  Le  Comte  s'échauffant  de  plus  en  plus  à  ces  paroles , 
en  chercha  l'auteur  avec  des  yeux  menaçans  5  mais  perfonne 
ne  le  découvrit;  s'étant  néanmoins  im  peu  radouci ^  un  au- 
tre Confeiller  lui  dit  poliment  :  ^  Monlieur  le  Comte  ;  vous 
»  vengerez  un  jour  vous-même  l'injure  faite  au  Parlement* 


:t  î):E.  J.    a.    de   THOU^Liv.ÏIL  117 

=*  &  quand  vous  aurez  examiné  le  droit  dont  il  s'agit,  vous 
''  conviendrez  de  l'injuftice  qu'il  y  a  de  nous  faire  un  fem-  rr 
*  blable  traitement.  »  Le  Comte  entièrement  calmé  ^  répartit  :        t  v 
^Je  refpede  fort  l'autorité  du  Parlement ,  &  jefouhaite  de        ^    *  , 
3^  le  lui  prouver  j  mais  que  voulez-vous.. que  je  faffefje  fuis 
»  obligé  d'exécuter  les  ordres  du  Roi>A  :^'! 
.-;    Les  Confeillers  ayant  confuîté  entre  eux^  jugèrent ^  que 
la  démarche  qu'ils  feroient  en  fe  retirant  tout-à-fait,  feroii: 
de  mauvais  augure ,  pour  le  régne  du  nouveau  Roi,  &  pou- 
voit  augmenter  le  péril  oùfe  trouvoit  l'Etat,  ébranlé  parle 
fort  imprévu  du  grand  Prince  ,  qui  faifoit  couler  leurs  lar- 
mes :  Qu'il  étoit  donc  plus  à  propos  de  plier  ,  après  avoir  fuf- 
fifamment  fait  voir  que  robéilfance  qu'on  éxigeoit  d'eux  étoit 
injufte,  que   de  donner  nn  exemple  de  rébellion  aux  fac- 
tieux par  une  fermeté  déplacée.  C'eft  pourquoi  s' étant  rap- 
prochés de  la  litière  du  Roi ,  ils  continuèrent  à  marcher.  Les 
Evêques  ne  confervoient  qu'à  peine  la  place  qu'ils  avpient 
ufurpée ,  ôc  étoient  fort  fâchés  de  voir  qu'on  les  preiToit  ex- 
trêmement, enforte   qu'on  leur  faifoit  prefque  perdre  leur 
place. 

Cependant  la  pompe  funèbre  s'avançoit  versfaint  Denis  î 
lieu  de  la  fépulture  de  nos  Rois.  On  étoit  déjà  arrivé  au  faux- 
bourg  faint  Lazare,  &  l'on  s'étoit  arrêté  pour  dire  les  priè- 
res d'ufage,  qui  dévoient  être  faites  par  l'Evêque  ,  fuivantce 
qui  fe  pratique  dans  les  funérailles  des  Rois.  On  chercha 
l'évêque  de  Paris ,  &  à  fon  défaut  le  Grand  Aiunonier.  L'un 
&  l'autre  obfdnès  à  fe  tenir  auprès  de  l'image,  ne  fe  trou- 
vèrent point  où  leur  préfence  étoit  nèceffaire.  Il  arriva  en- 
core une  chofe ,  qui  ne  leur  fit  point  honneur  à  tous  les  deux. 
Les  rehgieux  de  l'abbaye  de  faint  Denis ,  qui  dévoient ,  fui- 
vant  la  coutume ,  venir  au  devant  du  corps ,  pour  le  rece- 
voir des  mains  de  l'Evêque ,  qui  atteftoit  que  le  défunt  avoir 
vécu  dans  la  rehgion  chrétienne ,  s'étant  avancés  5  l'Evêque 
n'étant  point  auprès  du  cercueil,  ne  put,  ni  leur  remettre  le 
corps ,  ni  leur  donner  les  affùrances  ufitées  en  pareil  cas.  Il 
fallut  que  Louis  de  l'Hôpital  de  Vitri ,  capitaine  des  Gardes 
du  Corps  prît  la  place  de  l'Evêque  :  Les  Rehgieux  portèrent 
le  corps  dans  leur  Egîifc ,  où  le  cardinal  de  Joyeufe  alliftaune 
parue  de  ia  nuit  à  l'office  des  morts. 


H 

E   N  R 

I 

^ 

6 1  0, 

ïiS  "^  S'  U  ï  T  E  DE  L'  H  I  S  T  O  I  H  E 

Le  lendemain ,  tous  ceux  qui  compofoient  la  pompe  fu- 
nèbre revinrent  ,  pour  rendre  les  derniers  devoirs  au  Roi. 
L'Evêque  d'Angers  prononça  fon  oraifon  funèbre ,  &  le  Car- 
dinal de  Joyeufe  -officia  en  habits  pontificaux.  Les  Gentils- 
hommes ordinaires  defcendirent  le  cercueil  dans  le  caveau  > 
enfuite  le  Parlement  &  les  autres  Ordres  furent  conduits  dans 
ime  fale ,  où  l'on  avoit  drelTé  trois  tables.  La  première  étoit 
deftinée  pour  le  comte  de  Soifîbns  y  &  pour  les  Grands  au- 
deflbus  des  Princes ,  que  l'on  recevoir  à  part.  La  féconde  croit 
poutjle  Parlement  5  la  dernière  pour  lés  Maîtres  des  Requêtes 
&  autres.  Après  lé  repas ,  les  muficiens  du  Comte  chantèrent 
ie  centième  pfeaume.  Le  grand  Aumônier  faifoit  autrefois, 
la  prière  avant  &  après  le  repas  à  la  table  du  Parlement ,  & 
îe  grand  Maître  de  la  maifon  du  Roi  y  caflbit  fon  bâton ,  pour 
marquer  que  les  fondions  de  fa  charge  ètoient  finies  par  la 
mort  &  l'inhumation  du  Roi  •-,  enfuite  il  reprenoit  un  autre  bâ- 
ton ,  &  faifoit  commander  par  un  Héraut  qu'on  criât  ,vive  ie 
'Rdu'  Telle  ètoit  la  pratique  de  nos  ancêtres  qui  croy oient  par- 
la honorer  la  Majeftç  royale  5  mais  cela  ne  fut  point  obfervé 
en  cette  occafion  5  ainfî  chacun  fe  retira  avec  im  vif  reflenti- 
ment  des  atteintes  qu'on  avoit  données  à  leur  dignité. 


f  I  N, 


.'  .^:a  2ai^  coiT  /'  '  ihidyi 


PIECES 

CONCERNANT 

LA   PERSONNE 

E  T 

LES  OUVRAGES 

D  E 

JACQUES-AUGUSTE 

DE    T  H  O  U- 


TameXl^ 


«JL  <i.  u^  b^  <A  v^  ci.  (A  v2.  ci.  <A  ^^  <^  ti.  c^  <^  <^  ti.  '  c^  «A  c&  c^  <^  (^  <^  J^  .A  lA  ;i.  ii.  <^  >> 

JUGEMENS 

; 
PORTES 

A  LA  COUR  DE  ROME, 

SUR  L'HISTOIRE 

D  E 

J  AC  Q^U  ES   AUGUSTE 
DE     T  H  O  U. 


Lettre  de  Ad,  de  Thou ,  a  M.  Dupuy  (0  en  t  Hôtel  d^ 
Monfeigneur  le  Cardinal  de  ^oyeufe  à  Rome, 


Monsieur, 


Jl  '  A  Y  reçu  la  voftre  du  2$  du  pafTé  ,  dont    i,-,ipnmé  fm 


^"ciW^^I  j'ay  efté  fort  aife  pour  connoiftre  par  icelie  le  Manafcm. 

T    9i  I  ^^^^^  convalefcence ,  laquelle  je  fupplie  Nof- 

'&ÉI  tre  Seigneur  vous  vouloir  accroiftre.  Je  ne 

faudray  par  la  première  à  en  remercier  tres- 

humblement  Monfeigneur  le  Cardinal ,  pour 


îa  bonne  affiftance  que  j'ay  fçu  qu'il  vous  a  fait  rendre.  Je 
vous  envoyé  la  lifte  des  livres  que  je  defire  recouvrer  ;  >e 


(  I  )  Chriftophe  Dupuy  ,  frère  aîné  de 
Pierre  &  Jacque  Di^juy  ;  il  étoit  pour 
lors  auprès  du  Catdinai  de  Joycufc  qu'il 


avoir  fiiivi  à  Rome  ,  en  qualité  de 
Pretonotaire.  Il  mourut  Prieur  des 
Chartreux  dans  cette  ville  en  1654» 


110  PIECES  CONCERNANT  L'HISTÔIÊ^E 

les  defire  avoir  en  blanc ,  s'il  eft  polTible  ,  ou  bien  nets  èc 
gueres  rongnes.  Mandez-moi  par  le  premier  ordinaire  le  prix, 
sfin  de  vous  faire  tenir  l'argent.  Je  baife  les  mains  à  Mon- 
sieur Olivier ,  &  le  fupplie  de  vous  alTifter  au  recouvrement 
d'iceux.  Je  crois  que  Monfeigneur  le  Cardinal  aura  reçu 
mon  Hiftoire  ,  &  qu'il  en  aura  baillé  un  exemplaire  à  Mon- 
feigneur le  .Cardinal  d'Oflat.  Je  ne  doute  point  qu'elle  ne 
foit  foigneufemcnt  examinée,  voire  ujque  ad  calumniam.  Je 
vous  prie  de  recueillir  diligemment  ce  que  en  apprendrez, 
&  me  le  faire  f(çavoir ,  plus  grand  plaiiir  ne  me  fçauriez  vous 
faire.  Monfieur  Coquelei  en  a  envoyé  un  exemplaire  au  Sei- 
gneur Prachetta,  duquel  je  vous  prie  auiTi  fçavoir  l'avis,  & 
le  faire  fouvenir  des  éloges ,  auquels  j'ajoûteray  Aldus  Ma- 
nuccius  qui  eft  mort  au  lieu  où  vous  êtes,  depuis  peu  d'années. 
Je  délire  aulTi  que  faftiez  recouvrer  un  livre  fait  par  Con- 
lalvo  Ponce  de  Léon  contre  l'Abfolution, imprimé  à  Rome 
I5'p2.  ou  1JP3.  que  j'ay  veu  ici.  Je  crois  que  Ton  l'aura 
depuis  fupprimé,  &  pour  ce  vous  conviendra  aider  de  vos 
amis  pour  le  recouvrement  d'icelui.  J'avois  fuppIié  Monfei- 
gneur le  Cardinal  d'Oflat,  pour  avoir  le  Conclave  du  Pape 
à  prefent  heureufement  féant.  Je  vous  prie  l'aller  faluer  de 
ma  part ,  fans  toutesfois  luy  parler  dudit  Conclave ,  s'il  ne 
vous  en  parle  le  premier,  &  prendre  garde  à  ce  qu'il  vous 
dira  de  mon  Hiftoire.  Je  penfe  bien  qu'il  m'en  efcrira,  mais 
je  feray  bien  aife  de  fçavoir  d'ailleurs  ce  qu'il  vous  en  pourra 
dire  en  privé.  Efcrivez  moy  fouvent  &  des  Lettres  &  des 
affaires  ;  «5c  faites  eftat  de  moy  en  tout  ce  que  penferez  que 
je  feray  bon  à  vous  fervir.  Je  fupplie  N.  S.  Monfieur ,  vous 
donner  en  parfaite  faute  fa  grâce. 

De  Paris  ce  24.  Voftre  iîncerement  affedionné 

Janvier  i<5o^,  Coulni  &  Serviteur 

J.  A.  De  Thou. 

Servez  vous  de  la  faveur  de  Monfeigneur  le  Cardinal 
d'Ofiat  pour  le  recouvrement  du  premier  Volume  des 
Conciles  Grecs,  &  n'oubliez  à  tirer  de  l'Efpagnol ,  6c 
d'autres ,  tout  ce  que  pourrez  ponj:  les  Eloges. 

A  Alonjîeuf 


\ 

DE  J.  A.  D  E  THOU.  ^  121  ; 

! 

Lettre  de  M.  le  Cardwal  de  Joyeufe ,  à  M.  de  Thou ,  Préfident  '■ 

en  la  Cour  de  Parlement  j  à  Paris,  ; 


MONSIEUR.  Je  vous  fuis  infiiiiment  obligé  de  la  fa-  imprîmée  <ut 
veur  qu'il  vous  a  pieu  me  faire,  de  m' envoyer  vof-  ^^  Manufcm, 
tre  Livre;  &  vous  en  remercie  avec  toute  l'affedion  qu'il 
m'efl:  pofllble.  Je  n'ay  peu  encores  fatisfaire  à  l'extrefme  dé- 
fit que  j'ay  de  le  lire  entièrement  j  car  ce  gentilhomme  des 
miens,  à  qui  il  avoir  eftc  baillé,  n'en  ayant  peu  apporter 
qu'un  feul  exemplaire  j  je  n'ay  pas  voulu  plus  long-temps 
différer  à  le  monftrer  à  Monfieur  le  Cardinal  d'Oflat,  qui 
ne  l'a  poind  encores  relafchc.  Je  ne  prefame  poin6t  d'cftre 
capable  de  juger  d'une  telle  oeuvre  :  neantmoins  je  ne  lait 
feray  pas  de  vous  dire  ,  qu'en  ce  peu  que  j'en  ay  veu,  il 
me  femble  avoir  eu  aflèz  de  moyen  de  recognoiftre  un  fça- 
voir,  jugement,  &  éloquence  digne  d'un  tel  fubjed,  & 
d'un  tel  Autheur.  Aufîl  ne  pouvoit-on  attendre  autre  chofe 
de  vous ,  qui  eftes  aujourd'huy  l'ornement  &  la  limiiere  des 
bonnes  Lettres.  N'y  pouvant  donc  contribuer  autre  chofe , 
je  n'y  apporteray  que  le  vœu  ,  qu'il  puifle  eftre  reçu  de 
tous  avec  tant  d'honneur  que  mérite  voftre  finguliere  do- 
ctrine &  vertu,  &  que  je  vous  rendray  toute  ma  vie  ,  avec 
une  entière  affeftion  à  vous  faire  fervice.  En  laquelle  je- 
prieray  Dieu ,  Monfieur ,  vous  donner  en  bonne  fanté  lon- 
gue &  heureufe  vie. 

De  Rome  le  2;      Voftre  très  affeâiionné  allié  à  vous  fervîj( 
de  Janvier  160^,  Le  Cardinal  de  Joyeuse. 


Lettre  de  M,  de  Thou ,  à  Monfeignettr  le  Cardinal  de  Joyeufe. 

^ 

MONSEIGNEUR.  J'ay  reçu  celle  qu'il  vous  a  pieu  imprîmée int 
m'efcrire  du  2j  du  paffé.  J'attens  fur  ce  que  j'ay  pris  ie  Manufçrit» 
la  ndidiefle  de  vous  eiïvoyer,  voftre  jugement  &  cenfure; 
&  celle  auftl  de  Monfeigneur  le  Cardinal  d'Oifat.  L'œuvre; 
Tome  XK  Q 


122  PIECES  CONCERNANT  UHISTOIRE 

eft  fait  il  y  a  dix  ans ,  &  a  efté  imprimé  à  diverfes  fois,  moy 
eftant  occupé  tant  en  ce  qui  fuit ,  qu'en  autres  charges  pu-^ 
bliques  y  qui  ne  me  donnoient  gueres  de  loilîr  de  revoir  ce 
qu€J'avois  efcritj  bien  vous  peus  je  aifeurer ,  qu'il  n'y  a  rien 
qui  ne  foit  fidèlement  tiré  &  extrait  des  Livres  du  temps  ^ 
&  la  plus  part ,  pour  ce  qui  regarde  l'Italie  ,  des  Italiens  mef- 
iiies,  que  je  garde  foigneufement  pour  me  défendre  con- 
tre la  calomnie  dont  je  fensj  desja  ici  la  pointure.  Je  ne  veus 
pas  nier ,  que  le  ftile  fra|ie:&  libre ,  tel  que  mon  naturel  eft, 
aliéné  de  toute  diflimulatioii ,  comme  aufli  de  toute  haine  & 
partialité ,  le  peut  reflentir  du  temps  auquel  a  été  efcrite  cefte 
première  partie;  &  qu'encores  que  j'y  aye  beaucoup  apporté 
dès  lors  de  tempérament,  pour  adoucir  l'aigreur  des  efprits 
merveilleufement  envenimés  au  temps  de  ces  premiers  re- 
muements ;  toutesfois  il  en  peut  encores  refter  beaucoup  & 
plus  qu'il  ne  feroit  befoing ,  mais  cet  œuvre  n'eft  efcrit  pour 
faire  un  accord  &  reconciliation  entre  les  partis,  ains  pour 
reprefenter  hiftoriquement,  c'eft  à  dire  ,  avec  la  vérité,  con> 
me  les  chofes  font  paflees.  Je  ne  refufe  neantmoins  voftre 
cenfure,  &  celle  de  Monfeigneur  le  Cardinal  d'OfTat,  &de 
tous  autres  juges  équitables  de  ce  mien  travail,  qui  eft  plus 
grand  que  l'on  ne  pourroit  croire ,  attendu  mefmement  les 
occupations  continuelles,  parmi  lefquelles  je  l'ay  pourfuivi 
fi  avant,  que  je  l'ay  conduit  jufques  à  l'an  155?^.  Il  y  a  deux 
end  oits  que  jen'ay  eu  loifir  de  confiderer  qu'après  l'œuvre 
du  tout  imprimé  :  l'un  fur  la  fin  du  quatriefme  livre ,  &  l'au- 
tre fur  le  commencement  du  fuivant,  que  je  voudrois  en 
eftre  retranchés ,  &  de.  cette  heure  ce  qui  y  eft  did  &  ef- 
èrit  mdîâfum  &  non  fcriptum  volo ,  touchant  les  Papes  Paul 
III.  &  Jules  lîl.  Car  encores  que  cela  foir  pris  des  eicrits  lors 
divulgués  en  Italie ,  toutesfois  je  reconnois  que  la  mémoire 
en  doit  eftre  fobrement  rafraifchie ,  pour  la  révérence  du  Saint 
Siège,  en  laquelle  j'ay  tousjours  vefcu  &  veux  mourir,  ef- 
timant  que  les  mœurs  ne  nous  doivent  jamais  empefcher  de 
reftiie  i'obeilîance  que  nous  y  devons  pour  la  dodrine  &la 
difcipline.  Cela  (oit  dit,  s'il  vous  plaift ^  non  feulement  pour  ces 
deux  lieux,  mais  pour  autres  aufli,  il  aucuns  fe  trouvent.  J'ef- 
fere  en  la  prQchaiae  édition ,  qui  eft  ja  fur  la  prefte,  fatisfaire 


D  E  J.  sa;  D  E  THiaU.  '    .    .          ^25  j 

à  ce  que  Ton  pourroit  rcquciir  encèîia,  &  ieray  biaivaifiè  ^ 

cependant  d'eftre  adverti  s'il  y  a  autre  choie  que  l'on  defire  ] 

de  moy.  Je  &c.  1 

-    FeVr.  i<5d4.  •  !•  A.  De  Thou. 

! 

Lettre  de  M.  de  Thou  à  Monfieur  Dupuy  y  à  Rome.  i 

On  SIEUR.    Depuis  vous  avoir  efcrit  j'ay  reçu  une  imprimée  fur  i 

lettre  de  Monfeigneur  le  Cardinal  du  2<;   du'paffc,  ^'  Manufcrit.  ^ 

4)ar  laquelle  il  me  remercie  de  mon  livre.  Je  penfois  que  le  j 

gentilhomme  qui  s'en  eftoit  chargé ,  euft  porté  les  deux  exem-  1 

plaires  que  je  luy  avois  baillé ,  mais  il  en  a  lailTé  un  en  cette  ' 

ville  5  tellement  que  celuy  que  Monfeigneiu:  le  Cardinal  a  re-  ; 

eu ,  eftant  entre  les  mains  de  Monfeigneur  le  Cardinal d'Oflat,  \ 

il  ne  l'a  encore  pu  voir.  Je  ne  doute  point  que  l'on  n'y  re-  ' 
trouve  fort  à  redire  par  delà ,  principalement  es  endroits  où 
je  parle  des  Papes  Jules  II,  Paul  III,  &  Jules  III ,  fur  la  fin 
du  quatriefme  livre  ,  &  au  commencement  du  fuivant ,  & 

auffi  de  la  Légation  du  Cardinal  Caraffe ,  &  où  il  eft  fait  men-  I 

tion  de  Monfieur  Charles  Du  Moulin.  Mais  j'ay  efcrit  en  Fran-  j 

ce ,  &  durant  les  troubles.  Je  vous  prie  de  recueillir  foigneu-  ■ 

fement  ce  que  vous  enoirez  dire  5  afin  que  s'il  y  a  chofe  en  '■ 
quoy  je  puilTe  fatisfaire ,  la  vérité  &  la  dignité  de  la  France 

fùre ,  aux  efprits  de  delà ,  je  m'efforce  de  leur  donner  conten-  i 

tement  en  la  prochaine  édition  qui  fe  commence  desja.  Vous  ; 

en  pourrez  beaucoup  prendre  du  Seigneur  Frachetta ,  auquel  i 

Monfieur  Coquelei  en  a  envoie  un  exemplaire.  Je  crois  qu'il  ^ 

n'y  a  que  ces  deux  à  Rome  ;  fi  d'aventure  Monfieur  le  Nonce  ' 

qui  eft  par  deçà  n'en  a  envoyé  quelqu' autre.  J'attens  en  gran-'  ' 
de  dévotion  fur  ce  de  vos  Lettres,  &  vous  prie  de  m'efcrire 

diligemment:  Je  ne  fçai  fi  Meffeigneurs  les  Cardinaux  de  \ 

Joyeufe  &  D'OiTat  me  voudront  efcrire  ce  qu'ils  en  penfent.  -; 

S'ils  n'en  veulent  prendre  la  peine,  chargez  vous  en,  &  me  " 

faites  entendre  leurs  avis.  Il  y  en  a  bien  d'autres  ,  qui  pour  ^ 
autres  refpeds  m'ont  voulu  abimer  par  deçà  :  mais  fa  Ma- 
jefie  ma  défendu  jufquesicy,  &  par  Tapprobation  publique                   <h. 
qu'elle  a  faite  de  l'œuvre,  a  fait   cefler  les  clameurs  dç 

ij  .        i 


Ï24       PIECES  CONCERNANT   L'HISTOIRE 

"beaucoup  de  malveuillans.  Je  vous  prie  derechef  de  m'efcrlré 
foigneufement ,  &  fur  cela ,  &  faire  refponfe  à  mes  dernières. 
Je  fupplie  en  cet  endroit  N.  S,  vous  donner  en  famé  fa  grâce. 

De  Paris  ce  25*   '  Voflre  plus  affedionné  Coufin 

Février  1 60^,  à  vous  faire  fervice  , 

J.  A.  De  T  ho  u. 


Lettre  de  M.  de  Thon ,  à  Monfieur  Du  Puy  ^  à  Rome, 

Imprimée  fur  "A    /T  ONS I E  UR.  J'ay  rcçu la  voftre  du  5)  du  pafle  ce  jour-. 

le  Manufcrît.  J[  V  J[^  d'hui  troifiefme  Avril  :  depuis  la  datte  de  la  voftre  eft 
arrivée  la  nouvelle  de  la  mort  de  Monfeigneur  le  Cardinal 
D'Oflat,  laquelle  a  fort  troublé  cette  Cour:  S.  M.  en  a  porté 
un  grand  regret  ^  comme  ayant  perdu  un  fervitenr  &  minif- 
tre  très  digne  j  &  de  grande  authorité  au  lieu  où  il  eftoir.  En 
mon  particulier ,  j'ay  perdu  un  amy  fingulier  ;  avec  luy  j'ay 
perdu  l'efperance  du  Tome  des  Conciles  Grecs ,  que  je  vous 
prie  de  recouvrer  d'ailleurs ,  enfemble  le  livre  de  Confalvo 
Ponce  &  les  autres ,  à  votre  commodité ,  &  me  mander  le 
prix  afin  que  je  le  vous  envoie  incontinent.  Quant  à  noftre 
Hiftoire ,  j'ay  bien  eftimé  qu'elle  ne  plairoit  à  tout  le  monde  ; 
mais  qui  ne  fait  que  v évitas  odium  parit  ?  Et  toutesfois  c'eft  la 
première  loi  del'Hiftoire,  non  feulement  de  dire  la  vérité, 
mais  d'ofer  la  dire  hardiment.  Quant  au  particulier  du  lieu 
qui  regarde  la  Pragmatique  desEfpagnoîs,  je  l'ay  pris  deGuic- 
ciardini ,  &  ay  eftimé  qu'il  devoir  eftre  remarqué  par  un  Fran- 
;<^ois;  afin  que  ce  que  Ton  a  blafmé  en  nous ,  quand  nous  avons 
eu  recours  en  la  necelTité  à  ce  remède ,  ne  nous  charge  de  Ci 
grande  envie  envers  le  Saint  Siège ,  comme  Ton  a  voulu 
faire  5  &  que  l'on  fçache  ,  que  les  Efpagnols  ont  en  pareil  cas 
pratiqué  ce  mefhie  moyen.  Quant  à  l'autre  lieu  migravit  ad 
melïorem  vitam ,  je  ne  me  fouviens  pas  de  l'avoir  dit  de  Sec- 
taires manifeftes  ,  &  faifant  profeftlon  de  la  Théologie  :  peut 
eftre  que  cela  fe  pourra  trouver  eftre  dit  de  quelque  Alle- 
mand excellent  es  autres  Sciences,  &  qui  par  avanture  eftoit 

r  Proteftant  5  ce  que  je  n'ay  fçû  ni  confideré,  lorfque  j'ay  ainfi 

parlé  de  fon  decés.  D'ailleurs  la  charité  Chreftienne  nous  oblige 


D  É    J.    A.   t)  E    T  H  O  U.  i2f 

d'dTperer  mefme  de  ceux  qui  ne  font  herefiarques ,  &  qui  nés 
de  pères  Sedaires  penfent ,  en  tant  de  lieux  où  ce  mal  a  pris 
pied ,  ea  leur  erreur  faire  leur  falut.  Je  n'en  parle  en  Théo- 
logien ,  ains  en  homme  qui  a  compaflion  de  l'homme  ,  &  qui 
par  les  loix  du  temps  &  du  royaume  eft  obligé  à  vivre  avec  les 
hommes.  Je  fuis  bien  marri  que  cet  œuvre ,  qui  eft  fait  pour 
les  eftrangers ,  trouve  fi  mauvais  accueil  par  delà  j  mais  pour 
plaire  aux  uns  trop  fervilement ,  il  ne  faut  violer  les  loix  de 
1  Hiftoire ,  &  defplaire  à  tous  les  autres.  Aulîl  crois  je  qu'il  fe 
verra  peu  d'exemplaires  par  delà.  Car  fi  Monfieuu  le  Nonce 
n'y  en  a  envoyé ,  j'eftime  qu'il  n'y  en  a  aucun  autte  que  celuy 
que  j'ay  envoie  à  Monfeigneur  le  Cardinal  de  Joyeufe ,  &  un 
autre  que  Monfieur  de  Coquelei  a  envoie  au  Seigneur  Fra- 
chetta ,  duquel  m'efcrivez.  Je  vous  prie  vous  enquérir  dif- 
crettement  que  feront  devenu  ces  exemplaires.  D'ailleurs  il 
n'y  en  a  plus  par  deçà,  &  travaille-t-on  desja  à  la  féconde 
édition  5  de  laquelle  je  ne  faudray  à  vous  envoier  la  première 
partie ,  qui  fera  en  plus  commode  forme  î  c'eft  à  dire  en  S'"^»  ; 
&  crois  que  dans  un  mois  elle  fera  achevée.  Il  y  aura  quel-- 
que  chofe  de  changé ,  ou  pluftoft  adouci  •■>  car  de  dire  autre- 
ment les  chofes  qu'elles  ne  font ,  ou  dilTimuler  lafchement  la 
vérité,  j'en  ferois  confcience ,  auiïi  bien  que  ceux  qui  en  fe- 
ront de  relire  mon  livre.  Je  vous  prie ,  pour  finir ,  baifer  très 
humblement  les  mains  de  ma  part  à  Monfeigneur  le  Cardinal 
de  Joyeufe,  En  cet  endroit  je  fupphe  N.  S.  Monfieur  ,  vous 
donner  en  fanté  fa  Sfrace. 


Monsieur,  efcrivez  moi  je  vous  prie  diligemment  à  toutes 
-  les  occafions ,  &  principalement  des  divers  jugemcns  que 
l'on  fera  de  mon  livre.  Je  ne  crains  point  que  librement  on 
me  dife  la  vérité  j  &  ferois  grandement  blafmabîe  j  fi  je  n^en- 
durois  patiemment  que  l'on  parle  librement  de  moy  ;  puif- 
que  je  veux  que  l'on  endure  que  je  parle  librement  des  au- 
tres ,  pourvu  que  ce  foit  avec  vérité  &  fans  aigreur. 


De  Paris  ce  3  Voftre  plus  affedionné  Coufin  ^ 

Avril  I  (50^.  à  vous  faire  fervice  :,  | 

A.  De  Thou,  i 


■126       PIECES   CONCERNANT  L'HISTOIRE 

Lettre  de  M.  de  Thou  à  Monfteur  Du  Puy  ,  à  Rcme,, 

'  '  r  T\/f^NsiEUR.  Je  n'ay  voulu  laifîer  partir  ce  gentilhom?' 
kSôufcrir  l^i  i^"^^^^i^s  luy  donner  ce  mot  pour  vous,  qui  ne  fera, 
ajoutant  à  ma  dernière  que  pour  vous  prier  d'avoir  fouve- 
nancede  ce  que  je  vousefcris,  &  m'efcrire  à  loifir  lesjuge- 
mens  divers  qui  fe  font  par  delà.  J'ay  refpondu  à  ce  que  m'a- 
vez efcrit,  comme  je  feray  à  tout  ce  que  m'efcrirez.  Il  n'ell 
pofllble  de  contenter  en  tels  fujets  ,  &  au  temps  où  nous  vi- 
vons ,  tous  les  humeurs  &  efprits  du  fiecle.  Je  m'eftbrceray 
neantmoins  de  me  juftifier  de  ce  dont  l'on  me  voudra  noter. 
Dieu  veuille  que  ceux  qui  jugeront  de  ce  mien  travail ,  y  ap- 
portent pareille  candeur  &  fmcerité  que  j'ay  fait  en  efcrivanr. 
Ma  confcience,  qui  m'eft  un  grand  tefmoin  devant  Dieu  <Sc 
devant  les  hommes  ,  me  dit  que  je  n'y  ay  rien  apporté ,  hors 
ce  qui  touche  l'honneur  &  la  liberté  de  ce  Royaum^e ,  en  in- 
tention d'offenfer  ni  blefîer  autrui.  En  cela  je  m'alîure  &  me 
confirme  à  efcouter  &  endurer  patiemment  tout  ce  que  Ton 
dira  &  fera  contre  ,  c'eft  à  dire  contre  la  vérité.  La  féconde 
édition  pourra  fatisfaire  à  quelques  uns  à  certains  endroits  ; 
ce  que  je  vous  efcris  pour  vous  fervir  &  en  ufer  difcrette- 
ment ,  ne  voulant  que  l'on  penfe  que  pour  crainte  ou  autre 
refped  je  change  rien  au  gré  des  vivans  ,  attendant  plutoft 
grâce  &  loyer  de  la  pofterité  pour  ce  mien  travail ,  que  de 
ceux  qui  difpenfent  aujourd'hui  les  grâces.  Ce  gentilhomme 
me  donne  efperance  de  pouvoir  recouvrer  le  Conclave  der- 
nier 5  aidez  vous  de  luy,  &  l'en  faites  relîbuvenir.  Si  aulfipar 
la  faveur  de  Monfeigneur  le  Cardinal  vous  pouvez  recouvrer 
le  premier  Tome  des  Conciles  Grecs ,  je  vous  prie  le  mettre 
avec  les  autres  dont  m'avez  donné  efperance  ,  &  me  faire 
fcavoir  par  le  premier  le  prix.  Efcrivez  moy  fouvent  ;  je  ne  fau^ 
dray  à  vous  faire  refponfe.  Je  fupplie  Noftre  Seigneur ,  Mon-? 
fieur ,  vous  donner  en  fanté  fa  grâce. 

De  Paris  ce  9  En  hafte 

Avril  I  (5o4.  Voftre  humble  &  affedionné 

Couiin  à  vous  fervir , 
J.   A.  De  Thou, 


DE  J.  A.  DE  THOU.  127 

Lettre  de  M,  le  Cardinal  de  Joyeufe  à  Monfieur  De  Thou. 

o  N  s  I  E  u  R.  Je  vous  remercie  de  l'honneur  que  vous  Imprimée  fur 
__  me  faites  de  délirer  mon  jugement  fur  votre  Hiftoire.  ^^  Manuicm. 
Je  vous  ay  desja  efcrit  ce  qu'il  me  fembloit  pouvoir  jugeî 
par  quelques  feuillets  que  j'en  avoispûlire,  m'eftant  defai- 
iy  de  l'exemplaire  qu'il  vous  pleuft  m'envoyer  pour  l'amour 
de  feu  Monf  le  Cardinal  d'Oflat,  qui  le  lifoit  avec  grande 
attention.  Depuis  fon  decez,  je  l'ay  retiré  &  le  lis  tous  les 
jours ,  y  employant  le  loifir  que  me  lailTent  les  occupations 
qui  me  fontfurvenuës  fur  mon  départ,  lequel  me  fera  aufll 
différer  à  vous  entretenir  jufques  alors  que  j'auray  le  bien  de 
vous  voir ,  qui  fera  bien-toft  ,  comme  j'efpere ,  avec  la  grâ- 
ce de  Dieu ,  puifqu  il  a  pieu  au  Roi  me  donner  le  congé  de 
retourner  en  France.  Cependant  je  vous  diray  feulement  que 
je  ne  puis  que  me  conformer  à  voftre  advis ,  &  louer  gran- 
dément  la  réfolution  qu'avez  prife  de  fupprimer  en  la  féconde 
édition  les  deux  pailages  que  vous  m'avez  cottez  en  voftre 
lettre  ,  &  jug^  cette  féconde  penfée  digne  de  votre  prudence 
&  pieté ,  eftant  fondée  comme  vous  dites  fur  la  révérence  du 
Saint  Siège  ,  fur  laquelle  &  quelques  autres  peints  qui  font  en 
mefme  confidération ,  je  veux  aufli  efperer  qu'en  cette  reveue 
&  féconde  édition  vous  tafcherez  à  donner  la  fatisfadion  qui 
fe  peut  defner  ;  comme  je  laifle  à  juger  à  voftre  mefme  pru- 
dence ,  combien  cette  procédure  eft  non  feulement  religieu- 
fe  ,  mais  encore  utile  au  bien  &  repos  de  l'Eglife  &  de  l'Eftat, 
&  à  voftre  réputation  mefmes  ;  pour  l'acroiffement  de  laquelle 
tous  vos  ferviteurs  ont  à  defirer  que  voftre  livre  puifte  eftre 
par  tout  receu  &  leu  avec  toute  liberté,  &  que  vous  receuil- 
liez  d'un  fi  grand  &  il  digne  ouvrage,  l'honneur  que  vous  y 
avez  mérité,  duquel  je  feray  tousjours  a.  ftl  jaloux  comme 
defireux  de  vous  faire  fervice  ,  &  d'aufti  bon  cœur  que  je  prie 
Dieu ,  Monfieur ,  vous  donner  en  parfaite  fanté  longue  &  heu- 
reufe  vie.  De  Rome  ce  4  de  May  1 60^, 

Voftre  très  affedionné  allié  à  vous  fervir , 

Le  Cardinal  de  Joyeuse; 


i2S        PIECES    .CONCERNANT    L'HISTOIRE 
Lettre  de  M.  de  Thou  j  à  Monsieur  Du  Puy  3  à  Rome» 


Imprimée  fat   1^   >|r  q  n  s  i  £  u  R.  Si  tofc  quc  j'ay  recû  la  voftre  du  1 8  du 
ie  Manuicrit.     \\/ 1  ^^^^^  j^  ^^^^^  ^,^^^j^ ^^-y -j.  ^  ^ous  faire  refponfe.  J'eulie 


M 

deilré  que  le  libraire  qui  a  porté  mon  Hiftoire  à  Rome ,  fe  6-îft 
chargé  d'autres  marchandites  :  car  je  me  dourois  bien  qu  elle 
ne  feroit  au  gouft  de  cefte  Cour  j  auffi  a-t-elle  efié  efcrite  en 
temps  que  nos  affaires  admettoient  plus  de  liberté  que  l'on 
ne  peut  endurer  là  ,  &  qu'il  eftoit  neceffaire  de  maintenir 
îors  par  deçà ,  pour  défendre  la  juftice  de  noftre  caufe  j  la- 
quelle enfin  Dieu,  contre  toute  efperance  ,  voire  toute  puil- 
fance  humaine ,  a  juftifiée  &  eilablie.  Cela  devroit  rendre  plus 
équitables  ceux  qui  la  veulent  cenfurer.  Celafoitdit  en  gêne- 
rai. En  particulier ,  l'on  s'offenfe  de  ce  qui  eft  efcrit  du  Con- 
clave de  Jules  III.  fur  ce  je  vous  prie  de  prendre  garde  que 
l'on  ne  s'arrefte  à  la  première  édition  in  folio ,  de  laquelle  il 
y  eufl  peu  d'exemplaires  imprimés  en  mon  abfence ,  ou  oc- 
cupé ailleurs  5  tellement  que  je  ne  pus  vafquer  à  les  revoir , 
&  que  ce  qui  fuft  lors  imprimé  dudit  Conclave,  eftoit  en  la 
copie  tracé  j  mais  les  libraires  ne  iaiûerent  de  le  mettre  :  & 
pour  preuve  de  cela  vous  prendrez  garde  ,  qu'en  la  féconde 
édition  il  n'"y  a  un  feul  mot  dudit  Conclave ,  ains feulement  eft 
fait  mention  de  l'indigne  choix  qui  fut  fait  du  Cardinal  de 
Monte ,  chofe  trop  notoire ,  non  feulement  à  Rome ,  mais  par 
tout  le  monde  pour  pouvoir  eftre  obmife.  Cela  fervira  d'aver- 
tiffement  à  celui  qui  a  charge  de  revoir  le  livre ,  de  diftinguer 
les  deux  éditions ,  &  s'attacher  feulement  à  la  féconde.  Quant 
à  la  Préface ,  elle  a  efté  faite  pour  tout  l'œuvrej  6c  pour  ce  que 
je  fçavois  que  la  façon  modérée,  dont  je  parlois  des  Protef- 
tans ,  feroit  mal  interprétée  d'aucuns ,  je  me  fuis  eftendu  ,  dès 
le  commencement  fur  ce  fuj  et  pour  m'excuferj  &  rendre  rai- 
fon  de  tout  l'œuvre ,  &  de  ce  que  je  m'eftois  propofé  en  ice- 
luy ,  fans  attendre  davantage.  D'autant  que  je  n'efperois  faire 
autre  Préface  fur  tout  le  reftc.  Vous  pourrez  avertir  de  cecy 
Monfeigneur  le  Cardinal  Séraphin  ,  auquel  j'efcris  poiu-  le  re- 
mercier de  tant  d'honneur  qu'il  luy  a  plu  de  me  faire  de  pren- 
dre en  protection  ma  caufe.  Il  ne  l'eufl  pu  faire  pour  perfonne 

cjui 


DE  J,   A.    DE    THOU.  isp 

qui  honore  plus  fes  mérites  ôc  fa  candeur.  Puifque  par  delà , 
comme  vous  m'efcrivez ,  l'on  met  en  confidération  la  qualité 
&  les  alliances  de  ceux  contre  lefquels  l'on  veut  procéder  j  je 
vous  prie  de  n'oublier  de  mettre  en  avant,  comme  de  vous 
mefme ,  l'eftroite  alliance  que  j'ay  avec  Monfeigneur  le  Car- 
dinal de  Joyeufe,  laquelle  va  jufques  à  Monfeigneur  le  Duc 
de  Montpenfier,  lequel  fe  fentiroit  grandement  offenfé  de 
l'oflfenfe  que  je  pourrois  recevoir  en  cet  endroit.  Ajoutez  à 
Monfieur  de  Montpenlier  ,  MelTieurs  de  Luxembourg,  Mon- 
iîeur  le  Conneflable ,  qui  font  en  pareil  degré  ,  &  Monfei- 
gneur le  Prince  de  Condé ,  à  caufe  de  Madame  fa  mère.  Fai- 
tes encore  mettre  en  confidération,  que  ceux  delà  maifon 
de  Bourbon  tiennent  cette  Hiftoire  comme  faite  ,  pour  mon- 
trer la  juftice  de  leur  caufe ,  contre  ceux  qui  ont  voulu  en- 
treprendre contre  eux  &  leur  maifon  pour  le  palle  :  tellement 
que  fi  l'on  luy  donne  quelque  atteinte  ,  ils  eftimeront  l'injure 
faite  à  eux  ,  &  que  ceux  qui  s'en  font  plaint  à  tort  par  deçà  , 
&  n'ont  rien  obtenu,  auront  fait  faire  par  Rome,  par  lesfup- 
ports  &  faveurs  qu'ils  y  ont,tout  ce  qui  s'en  enfuivra.  Ce  qui  re- 
nouvellera les  playes  anciennes ,  &  fera  croire  à  ceux  de  Bour- 
bon que  leurs  ennemis  ont  plus  de  crédit  à  Rome  qu'eux.  Je 
laiiTe  cela  à  ménager  à  voftre  prudence.  Pour  moy  je  ne  trou- 
veray  mauvais  que  l'on  en  retranche  ce  que  l'on  voudra ,  & 
que  l'on  fade  réimprimer  le  livre  par  de-là  ainfi  retranché  j 
pourveu  que  l'on  n'y  ajoute  rien,  &  que  cefoit  fans  note  de 
l'autheur.  Mais  s'il  eft  poiTible  il  faudra  tenir  la  chofe  en  lon- 
gueur ,  afin  que  la  féconde  partie  qui  pourra  eftre  achevée 
dans  trois  mois ,  &  qui  les  contentera  davantage ,  au  moins 
les  oiFenfera  moins ,  puiile  cependant  aller  jufques  à  eux ,  & 
paiTer  par  le  mefme  expédient  qui  fera  pris.  J'ay  grand  regret 
que  j'aye  elle  contraint  de  mettre  en  lumière  mon  Hiftoire  , 
puifque  ce  que  j'avois  fait  pour  la  publier ,  par  le  malheur  du 
temps  &  des  diverfes  fortunes,  me  tourne  à  fi  grande  envie. 
Je  dis  contraint ,  parce  qu'il  y  avoit  une  copie  en  Allemagne  , 
qui  avoit  efté  faite  à  mon  defçû ,  &  qui  avoit  efté  portée  fort 
incorrede  &c  brouillée  ,  &  que  l'on  me  menaçoit  de  faire  im- 
primer fi  je  n'eufle  prévenu.  Ce  que  je  defire  que  fâche  Mon- 
feigneur le  Cardinal  Séraphin,  ôc  fur  tout  que  Ton  prenne 
Tome  Xr,  ^ 


13P         HECTS  CONCERNANT   L'HîSTOIRË 

garde  qu'il  y  a  beaucoup  de  chofes  changées  en  la  féconde 
édition ,  comme  le  lieu  que  }e  vous  ay  ja  marqué  ;  à  laquelle 
il  fe  faudra  tenir  fans  s'arrefter  à  la  première.  Pour  les  livres 
que  vous  m'avez  fait  tranfcrire ,  je  trouve  bien  que  preniez 
la  voye  de  Francfort  à  la  première  foire.  Je  vous  prie  de  m'ef- 
crire  fur  tout  diligemment.  Je  voudrois  fort  eftre  délivré  de 
cette  moleftie ,  laquelle  enfin  n'apportera  rien  que  de  faf- 
cheux  difcours ,  fi  faifaire  n'eft  conduite  fecrettement  &  mo- 
dérément. Je  remets  le  tout  à  l'équité  de  Monfeigneur  le  Car- 
dinal Séraphin  ,  &  à  fa  prudence.  Vous  fcavez  combien  je 
fuis  aliéné  &  éloigné  de  toute  vanité ,  &  comme  peu  je  re- 
cherche ces  fumées.  Mais  puifqu'il  faut  mettre  toute  pierre 
en  oeuvre ,  je  vous  prie  n'obmettre  ce  moyen ,  comme  ve- 
nant de  vous  &  non  de  moy.  Je  ne  fçay  comment  je  pour- 
ray  envoyer  un  de  mes  livres  au  Seigneur  Vialard  ;  il  y  en 
doit  avoir  par  delà  ^  &  le  pouvez  aider  du  voftre ,  en  atten- 
dant que  je  trouve  la  commodité  de  luy  en  envoyer.  J'avois 
xecù  auparavant  voftre  dernière  deux  des  voftres  du  20  Sep- 
tembre &  4  Cdobre ,  avec  les  Eloges  y  inclus ,  aufquelles  je 
n'ay  fait  refponfe ,  parce  que  j'eftois  lors  malade ,  &  ne  com- 
mence que  depuis  peu  de  jours  à  me  lever  du  lit,  oùj'ay 
efté  attaché  près  d'un  mois.  Je  n'y  feray  maintenant  autre  ref- 
ponfe ,  finon  pour  le  regard  de  ce  que  defiriez  fçavoir ,  s'il  y 
avoir  point  aujourd'huy  aucun  en  France  de  la  Maifon  de 
Cantelme  de  laquelle  eftleDuc  de  Popoli  au  Royaume  de 
Naples.  Je  vous  diray  que  quant  à  la  connoiflànce  que  j'ay 
des  bonnes  Maifons  de  France ,  rien  ne  me  vient  en  mémoire 
enquoyje  puiffe  fatisfaire  au  defir  du  Seigneur  Vialard  pour 
ce  regard.  Et  ne  me  fiant  en  moy  feul,  je  me  fuis  désja  in- 
formé de  plufieurs  qui  ont  connoiflànce  des  Provinces  plus 
efloignées  de  ce  Royaume  ,  defquels  je  n'ay  pu  rien  appren- 
dre jufques  à  huy.  Je  m'en  informeray  encore  ,  mais  je  doute 
d'en  pouvoir  avoir  plus  grande  certitude ,  &  crois  qu'il  n'y  a 
plus  de  familles  aujourd'huy  de  ce  nom.  A  tant  je  finiray  la 
prefente,  vous  priant  de  m'efcrire  diligemment  à  toutes  les 
occafions ,  &  faire  efvanouir ,  s'il  eft  poffible ,  cette  pourfuitte 
inrempeftive.  Car  elle  ne  peut  apporter ,  pour  ceux  meûriC 
qui  la  font,  aucun  contentement:  au  contraires  je  prévois 


DE  J.  A.  DE  THOU;  13^^ 

qu'il  en  peut  arriver  chofe  à  laquelle  ilspoiirroient  avoir  regref. 
Je  fupplie  N.  S.  Monûeur  j  vous  donner  en  fanté  fa  grâce. 

De  Paris  ce  14*  Voflre  humble  ferviteur  &  Coafin , 

Novembre.  J.   A.  D  e  ThoiT. 

Lettre  de  Ad.  de  Thon  à  Aîonficur  Dupuy ,  à  Rome. 

o  N  s  î  E  UR.  J'ay  reçu  la  voftre  du  10  du  paffé.  Je  vous  imprîmcç  Thc 
remercie  de  la  peine  qu'avez  prife  pour  les  relations ,  le  Manufcrit, 
éc  vous  prie  de  continuer  ^  &  me  mander  ce  qu'il  vous  coûte 
pour  cayer  5  &  n'en  faites  difficulté,  car  autrement  je  ferois 
difficulté  de  vous  employer  fi  librement.  Je  vous  prie  aulîî 
de  vous  reffouvenir  des  Eloges ,  &  principalement  de  G. 
Faernus  :  je  crois  qu'en  pourrez  avoir  nouvelles  chez  Mon- 
feigneur  le  Cardinal  Borromce  j  car  il  eft  mort  en  la  famille  de 
fon  oncle.  Je  me  fens  fort  honoré  de  ce  qu'il  a  plu  à  Monfei- 
gneur  le  Cardinal  Seraphinrecevoir  de  bonne  grâce  ce  que 
lui  avez  prefenté.  Je  me  promets  de  fon  équité  &  candeur 
plus  que  de  tous  ceux  qui  euifent  pu  prendre  la  peine  de  ju- 
ger de  ce  labeur,  que  j'ay  donné  au  public^  non  fans  avoir 
prévu  que  je  courois  fortune  d'encourir  l'envie  &  du  dedans 
&  du  dehors  ;  mais  on  ne  peut  fervir  à  la  poderité  &  plaire  au 
temps  prefent  tout  enfemble.  Si  l'ambition  ôc  autres  defirs 
qui  chatouillent  l'efprit  des  hommes  m'y  enflent  pouiîc  ,  je 
ne  fuis  li  rudique ,  ni  iî  imprudent ,  que  je  n'aye  bien  yagi 
que  ce  n'eftoit  le  moyen  d'efpererplus  grand  avancement  au 
monde  d'aujourd'huy  ;  mais  il  y  a  long-temps ,  que  je  vois 
au  deifousdemoy  ce  que  .je  vois  devant  moy,  &  que  j'ay 
dit  adieu  à  l'efperance  &  à  la  fortune.  Ilconfiderera,  s'illuy 
plaid,  en  quel  temps,  &  de  quel  temps  j'ay  efcrit.  J'ay  efté 
tousjours  François  &  ferviteur  des  Rois,  &  de  ceux  de  U 
Maifon  Royale  5  &  non  jamais  penfionaire ,  ni  partifan  d'au- 
tres. Tout  ce  qui  leur  a  elle  contraire  ,  a  efté  contraire  à  moa 
atTedion.  Avec  perte  de  mes  biens  &  au  hazard  de  ma  vie  je 
les  ay  fuivis  aux  armées ,  &  par  tout  ailleurs ,  durant  ces  cala- 
miteufes  guerres.  Je  n'ay  pourtant  rien  donné  à  la  grâce  ni 
à  la  haine  en  efcrivant  l'Hiftoire ,  mais  j'ay  osé  plus  librement 
dire  la  vérité  ,  ôc  enconfcrver  la  mémoire  à  lapofterité ,  qu'un 

H  ij 


132         PIECES    CONCERNANT  L'HISTOIRE 
autre  en  craignant  l'envie ,  aut  obnoxius  ,  n'euft  voulu  faire^ 
Je  ne  doute  point  que  par  delà  je  ne  femble  à  beaucoup 
avoir  trop  librement ,  voire  hardiment  efcrit  en  certaines  cho- 
fes  î  mais  il  a  efté  befoin  que  plulieurs  par  deçà  ayent  eu  cette 
mefme  hardiefîe,  &  mefmes  fentimentsde  l'eftat,  pour  con- 
ferver  i'eftat,  &  aider  à  le  preferve^  du  péril  où  ceux  qui  nous 
eftoient  contraires  l'avoient  mis.  Dieu  enfin  a  jugé  le  diffé- 
rent j  &  la  juftice  de  la  caufe  qui  commença  à  eftre  connue 
dés  lors ,  c'eft  à  dire ,  il  y  a  45  ans ,  a  efté  décidée  &  connue 
par  l'heiireux  fuccés  qu'il  a  pieu  à  Dieu  donner  à  ceux  qui 
ont  fuivi  Tordre  &  les  loix  du  Royaume.  Monfeigneur  le  Car- 
dinal mettra  cela  en  confideration ,  s'il  luy  plaift ,  auquel  (î 
je  n'eufle  craint  d'eftre  importun ,   j'euffe  volontiers  efcrit. 
J'attendray  une  autre  occafion ,  après  qu'il  aura  pris  la  peine 
de  perdre  quelques  heures  en  la  ledure  de  noftre  Hiftoire , 
&  que  j'auray  fçû  de  vous  comme  il  aura  pris  les  raifons  y 
inférées  ;  lefquelles  je  vous  prie  luy  faire  entendre,  mefmes 
s'il  eft  befoin  luy  montrer  ma  lettre ,  ou  luy  en  bailler  un  ex- 
trait. J'attendray  fur  ce  voftre  refponfe.  Si  vous  pouvez  par 
fa  faveur  avoir  les  deux  Tomes  des  Conciles  Grecs ,  je  vous 
prie  auffi  l'en  fupplier  humblement  de  ma  part,  car  j'entends 
que  Ton  a  refolu  depuis  l'arrivée  de  Monfeigneur   le  Cardi- 
nal du  Perron  qu'ils  feront  publiés.  Si  vous  ne  pouvez  rien 
obtenir  par  cette  voye  ,  je  vous  prie  y  employer  la  faveur 
de  Monfeigneur  le  Cardinal  du  Perron  ,  &  l'en  fupplier  très 
humblement  de  ma  part.  Vous  pourriez  me  les  faire  tenir  en 
cette  foire  de  Pafques  par  la  voye  de  Francfort.  Je  vous  prie 
de  baifer  très  humblement  les  mains  à  Monfeigneur  le  Cardi- 
nal, auquel  par  importunité  de  mon  Cordelier  j'avois  efcrit. 
Vousm'excuferez  envers  luy  fi  je  ne  luy  efcris,  me  remet- 
tant au  Sieur  de  la  Feuillée  qui  fait  ici  fes  affaires ,  &  avec 
lequel  je  confère  fouvent ,  &  fais  entendre  ce  que  j'eftime 
luy  devoir  eftre  efcrit.  Je  ne  la  vous  feray  plus  longue ,   & 
attendant  fur  ce  refponfe  de  vous,  je  fupplierai  N.  S.  Mon- 
fieur,  vous  donner  enfanté  fa  grâce. 

De  Paris  ce  10  Voftre  plus  affedionné  Coufin 

Février  1^05,  à  vous  faire  fervice , 

J.  A.  De  Thou. 


D  E   J.   A.  D  É  t  H  O  U,  1x3 j 

Lettre  de  M.  de  Thon  à  M.  Dupuy ,  à  Rome, 

Mo  N  s  I E  u  Ri  J'ay  reçu  la  voftre  du  8  de  May ,  Se  croîs  imprimée  ftir 
que  depuis  icelle  efcrite  vous  en  avez  reçu  d'autres  de   ^ 
nioy ,  defquelles  j'attends  la  refponfe.  Cependant  je  refpon- 
dray  à  la  voftre  ,  &  vous  diray  que  j'ai  efté  infiniment  aife  que 
Monfeigneur  le  Cardinal  Séraphin  ait  pris  de  bonne  part  ce 
que  luy  avez  reprefenté  pour  moy.  Je  délire  fort  fçavôir  quel 
jugement  il  fera  de  ce  qu'il  n'a  encore  vu ,  &  principalement 
de  la  Préface  ,  car  du  furplus  il  faut  plus  de  loifir  que  fes 
grandes  occupations  par  avanture  ne  lui  permettront  5  joint 
que  c'eft  chofe  qui  ne  mérite  qu'il  y  perde  fes  meilleures  heu- 
res. Et  pour  parler  ingénument,  je  le  délire  plus  pour  moy, 
que  pour  luy  :  car  ce  ne  lui  fera  que  corvée  &  moleftie  de  fe 
pener  en  une  ledure  fi  inutile  pour  fon  regard  j  mais  ce  me 
fera  le  contentement  le  plus  grand  3  &  honneur  tout  enfem- 
ble ,  d'avoir  pour  juge  celuy  dont  j'ay  tousjours  eftimé  la  can- 
deur &  probité ,  rares  vertus  en  ce  fiecle.  Je  fuis  fon  très  hum- 
ble ferviteur ,  &  me  referve  à  luy  efcrire  lorfque  je  fçauray 
que  pour  l'amour  de  moy  il  aura  defrobé  quelques  heures  à 
fes  plus  ferieufes  occupations.  La  féconde  partie  s'eftendra  juf- 
qu'à  la  bataille  de  Lepanto  ,  c'eft  à  dire,  jufqu'en  l'an  lyyr. 
de  laquelle  encore  qu  elle  s'imprime ,  &  malgré  moi ,  je  fuf- 
pendray  la  publication  jufqu'à  ce  que  je  reçoive  fur  celle-cî 
de  vos  nouvelles.  Plus  avant  il  ne  m' eft  permis  palTer,  quant 
à  la  publication ,  à  caufe  que  la  mémoire  des  chofes  eft  trop 
recente,&  la  foi  de  l'Hiftoire  ne  peut  compatir  avec  les  mœurs 
de  ceux  qui  font  encore  pour  la  plufpart  vivans.  Il  fuffira  de 
l'avoir  efcrite  ,  comme  j'ay  fait  jufqu'en  l'an  1601:  celafere- 
fervera  pour  la  pofterité,  &  ne  verra  la  lumière  pour  cette 
heure.  Je  defire  fort  fçavoir  l'année  &  le  lieu  du  decés  &  l'âge 
lors  d'icelui  de  Gabriel  Faernus  :  car  il  me  fafclie  fort  de  le 
îaiifer  palfer  fans  éloge  &  honorable  mention  en  mon  Hiftoire, 
Par  avanture  quen   devifant  avec  Monfeigneur  le.  Cardinal 
Séraphin  vou^  en  poiurrez  apprendre  quelque  chofe  j  car  il  doit 
l'avoir  connu  ,  s'eftant  tousjours  fort  deledé  en  bonnes  lettres ^ 
&  ayant  chéri  ceux  qui  les  ont  illuftrées,  comme  on  ne  peut 
nier  que  laernus  n'y  ait  beaucoup  contribué.  Je  n'ay  reçu 

Riij 


>5^       PIECES    CONCERNANT    rHISTOîRË 

qu'une  lettre  de  vous  depuis  voftre  partement,  &  celle  à  la^' 
quelle  je  fais  prefentement  refponfe  j  encore  ne  l'ay  je  reçue 
que  du  jour  d'hier.  Je  crois  que  les  autres  que  me  pourrez 
avoir  efcrites  ,  feront  demeurées  par  les  chemins.  Mademoi- 
feile  voilre  mère  en  a  eflé  en  peine ,  à  laquelle  vous  devez 
prendre  garde  de  donner  contentement ,  &  croire  que  c'ell 
une  grande  pieté  de  fuivre  fes  vœux  &  bons  enfeignemens. 
La  lettre  qu'avez  efcrite  à  votre  frère  la  met,  &  tous  vos  amis, 
en  plus  grand  foupçon  qu'ils  n'elloient  auparavant.  Regardez 
bien  aux  infpirarions  dont  faites  mention ,  fi  elles  viennent  difr 
ciel ,  devant  que  vous  y  laifTiez  emporter.  Je  n'ay  pu  denier 
cet  office  aux  voftres  qui  m'en  ont  prié  ,  ni  à  moy.mefme  ,  & 
ay  eflimé  eftre  de  mon  devoir  de  vous  donner  cet  avertifle- 
ment.  Vous  y  penferez  à  loifir  ^  &  vous  en  confeillerez  avec 
Dieu.  La  Bible  (  i  )  h,h^oi').Xa'T{oy  dont  m^efcrivezjfera  un  œuvre 
digne  du  lieu  dont  il  fort.  Dieu  veuille  continuer  cette  fainte 
infpiration ,  afin  qu'en  fuite  des  Conciles  Grecs ,  nous  puifibns 
avoir  tous  les  Pères  Grecs  ,  comme  Origene,  S.  Cyrille,  S, 
Grégoire  de  NylTe  ,  &  autres.  Cette  depenfe  eft  vrayement 
digne  du  Saint  Siège.  J'attendray,  puifque  vous  me  le  faites 
ainii  eîJ3erer  j  le  premier  Tome  des  Conciles  Grecs,  &  je  vous 
prie  d'en  refraifchir  la  mémoire  à  Monfeigneur  le  Cardinal 
du  Perron,  auquel  je  baife  très  humblement  les  mains.  Je  vous 
prie  auill faire  regarder ,  fi  pourrez  recouvrer  les  Evangiles, 
&  l'Epidre  ad  Romanes  en  Langue  Ethiopique  imprimée  à 
Rome  il  y  a  long  temps  in  4'^»,  6c  me  les  envoyer  ,  car  ce  li- 
vre défaut  à  ma  curiolité.  Le  furplus  que  je  vous  avois  recom- 
mandé, je  Tattendray  par  le  retour  de  Monfieur  l'Ambaffa- 
deur.  Je  vous  prie,  pour  faire  fin,  m'efcrire  fouvent,  &  me 
fliire  part  des  nouvelles  de  àeh.  En  cet  endroit  je  fupplieray 
N.  S,  Moniîeur ,  vous  donner  en  parfaite  fanté  fa  grâce. 

De  Paris ,  vigile  de  Vofcre  plus  affedionné  Confia 

S.  Pierre  160^,  &ferviteur, 

J.  A>  D  E   T  K  o  V, 

■  (iJEnonzeIsngucs, 


DE   l   A.   DE    THOIT.  i^f 

Lettre  de  A4,  de  Thon  à  Monfiettr  Dupiy ,  à  Rome, 

MONSIEUR.  J'ay  reçu  la  voflre  du  2  5  du  pafTé  :  je  vous  • ,  ' ,  r  ' 
remercie  des  Eloges  que  m'avez  envoyé ,  &  fuis  bien  ic  Matiuraft. 
ayfe  qu'ayez  trouvé  cette  addreffe  pour  en  avoir  d'autres. 
Mais  je  defirerois  eftre  afiuré  au  vray  de  l'année  du  à^cés.  Je 
crains  que  ceux  que  m'avez  envoyé  ne  foyent  du  tout  certains. 
Je  ne  laifleray  de  les  employer,  &  principalement  celuy  de 
Jo,  Bapt.  Benetti ,  &  d'autant  plus  volontiers  que  je  n'enpeus 
parler  qu'avec  honorable  mention  du  gentiLhomme  qui  lei 
vous  a  donné,  auquel  je  baife  très  humblement  les  mains'i 
&  le  fupplie  m'honorer  familièrement  de  fes  lettres.  Je  ne  fe- 
ray  parefleux  de  luy  efcrire.  Je  defire  fort  entendre  les  dif- 
ficultés lefquelles  on  veut  n\Q  communiquer ,  &  principale- 
ment fi  c'eftfurmon  Hiftoire  :  car  je  ne  doute  pas  qu'il  n'y 
ait  beaucoup  à  redire ,  &  prendray  tousjours  de  bonne  part 
d'efrre  averti,  comme  je  Fay  efté  ja  d'Angleterre  &  d'Alle- 
magne ,  pourveu  que  ce  foit  fans  convice ,  &  avec  la  mefme 
candeur  que  j'ay  efcrit ,  laquelle  fi  elle  ne  plaift  à  tous ,  ne  doit 
eftre  trouvée  fi  mauvaife ,  que  pour  le  bien  l'on  me  doive 
rendre  le  mal.  Vous  avez  par  delà  McfTienrs  les  Cardinaux 
Séraphin  &  du  Perron,  qui  peuvent  l'avoir  lue  ,  aufquels 
vous  pourrez  adrcfler  ,  fi  vous  apprenez  que  le  Maitre  du 
Palais  veuille  palier  plus  avant  que  la  liberté  permife  es  Hif- 
toires  ne  peut  foufrir.  Pour  moy  ^  je  fuis  refolu  de  tout  endu- 
rer &  diffimuler  ;  mais  fi  l'on  outrepaffe  par  delà  les  bornes 
delà  charitable  admonition ,  qui  fera  tousjours  bien  prife,je 
ne  veux  pas  promettre  ni  garentir  qu'il  ne  s'en  trouve  qui 
avec  une  meilleure  plume  que  la  mienne ,  voudront  venger 
l'injure  qui  me  fera  feite  ,  au  grand  regret  par  avanture  de  ceux 
qui  auront  commencé  j  bien  vous  puis-je  aûlirer,  que  ce  fera 
avec  le  mien  extrefme ,  qui  ne  defire  rien  tant  que  le  repos , 
&  qui  n'ay  ni  par  haine  ,  ni  par  ambition  entrepris  ce  labo- 
rieux œuvre.  Si  vous  voyez  Monfieur  d' Abain  vous  luy  en 
pourrez  parler ,  &  luy  dire  que  j'ay  grand  regret ,  que  Mon- 
fieur de  la  Rochepozai  fon  frère  &  Madame  fa  mère  ne  fe 
foientpû  accommoder  avec  Madame  de  Schomberg  &  qu'el- 
le ait  efté  contrainte  par  rextreime  neceftlté  ,  comme  elle 


X3^       PIECES    CONCERNANT   L'HÎSTOIHE 

dit ,  &  comme  il  eft  vraifemblable  ,  d'avoir  recours  aux  ex-^ 
treimes  remèdes.  Vous  Taflurerez  que  je  fuis  fon  ferviteur , 
5c  que  j'apporteray  en  cette  affaire  tout  ce  que  porterois  pour 
toute  fa  maifon.  Les  exemplaires  qui  ont  efté  portés  par  delà 
peuvent  eftre  retirés  fans  en  faire  plus  grand  bruit  :  c'eft  le 
meilleur  expédient ,  car  je  me  doute  bien  que  la  liberté  Fran- 
<^oife  ne  fera  agréable  à  cette  Cour.  Comme  j'ay  en  horreur 
la  detredation ,  auffi  peu  fuis-je  propre  à  flater  j  &  vous  fçavez 
quels  font  les  temps  d'aujourd'huy  j  auxquels,  fi  jamais  ,  le 
proverbe  ancien  a  lieu  obfequmm  amicos  &c.  Je  donneray  en 
cela  meilleur  confeil  à  autruy ,  que  je  ne  le  fçaurois  prendre 
pour  moy.  Dieu  qui  eft  fcrutateur  de  nos  cœurs,  rendra  à  cha* 
cun  félon  fa  droite  intention.  Je  donneray  ordre  pour  faire 
bailler  à  Mademoifelle  voftre  mère  ce  que  m'efcrivez.  Je  vous 
feray  encore  reffouvenir  des  Evangiles  en  Abifiîn  in  4^^^  inv 
primés  du  temps  du  Pape  Léon  X.  curante  Petro  Mthiope ,  &  de 
i'eloge  de  Faernus  qui  doit  eftre  decedé  à  Rome  devant  l'an- 
née ij  70.  Je  ne  la  vous  feray  plus  longue ,  linon  pour  fupplier 
le  tout  puiflant ,  Monfieur ,  qu'il  lui  plaife  vous  donner  ea 
fanté  fa  grâce. 

De  Villebon  ce  20  Voftre  plus  affedionnç 

Septembre  1^0 5".  Coufin  &  ferviteur , 

J.  A.  De  T h o u. 


Lettre  de  M.  de  Thou  à  M.  Dupuy  j  à  Rome. 

Imprimée  fur  TV  ^  O  N  S I E  U  R.  Je  VOUS  cfcrivls  dernièrement  en  hafte  de 
h  Manufcrjt.  j[  y  J^  Villebon ,  d'autant  que  vous  difiez  attendre  fur  ce  que 
m'efcriviez  la  refponfe.  Depuis  j'ay  penfc  de  vous  faire  en- 
core celle-cy,  &  vous  prier  de  voir  Meftleurs  les  Cardinaux 
Séraphin  &  du  Perron,  Ôcleurbaifer  les  mains  de  ma  part> 
€n  leur  faifant  entendre  la  confequence  de  cette  affaire ,  & 
que  11  l'on  pafîe  outre  il  y  auroit  danger  que  l'on  fit  Hvre  fur 
livre  ;  ce  qui  feroit  à  mon  grand  regret ,  mais  je  n'en  feray  le 
maiftre.  L'Hiftoire  doit  eftre  libre ,  6c  en  oftant  cette  liberté 
i'on  la  fera  prendre  plus  grande  à  beaucoup  qu'ils  ne  vou^ 
droicnt  ni  devroient.  Si  le  livre  n'çft  au  gguft  commun  du 

lien 


D  E    J.    A.    D  E    T  H  O  U.  157 

lieu  011  vous  eftes,  cela  fe  peut  diffimuler,  &  fiiffira  de  retirer 
le  peu  d'exemplaires  qui  y  ont  efté  portés.  Je  defirerois  que' 
le  libraire  fe  futl  chargé  de  marchandifes  plus  agréables ,  auf- 
lî  n'a-ce  efté  mon  deiir  que  le  livre  y  fuft  porté  par  les  librai- 
res ,  ains  feulement  envoyé  pour  eftre  vu  par  les  plus  prudens 
&  les  plus  équitables  &  entendus  en  nos  affaires.  Je  ne  fçai 
quel  jugement  en  fait  Monfeigneur  le  Cardinal  Séraphin.  Car 
je  crois  depuis  le  temps  que  m'avez  fait  entendre  ce  que  luy 
avoit  plu  vous  en  dire  ,  il  aura  pu  perdre  quelques  heures  en 
ia  ledure.  Je  deiire  fort  le  fçavoir  5  faites  moy ,  s'il  vous  plaid, 
cet  office.  J'ay  donné  ordre  pour  ce  que  m'avez  efcnt.  Je 
crois  que  Mademoifelle  voilre  mère  vous  aura  fait  tenir  l'ar- 
gent. En  cet  endroit  je  vous  diray  qu'elle  eft  fort  en  peine 
de  voftre  refolution,  &  deHreroit  que  vous  euiTiez  bienpenfé 
devant  que  la  prendre.  L'on  a  trouvé  mauvais,  que  vous  ayez 
caché  la  volonté  que  vous  aviez  de  demeurer  par  delà  à 
ceux  qui  vous  pouvoient  donner  confeil ,  &  defquels  vous  le 
deviez  prendre.  Je  vous  en  efcrivis  davantage  par  la  précé- 
dente de  ma  dernière  ,  (iir  qupy  ne  m'avez  fait  refponfe.  Ce 
que  vous  délirerez  que  je  faiTe  entendre  à  Zviademoirellevodre 
niere ,  me  le  faifant  privement  fçavoir ,  je  ne  faudray  à  vous 
rendre  en  cela ,  comme  en  toute  autre  chofe ,  ce  que  je  dois 
à  ceux  que  j'aime  comme  vous.  Vosraifons  feront  telles  par 
avanture,  qu'elle  &  moy  nous  en  fentirons  fatisfaits.  Vous 
devez  ce  contentement  à  voftre  mère  de  luy  rendre  compte 
de  vos  actions ,  principalement  quand  il  y  va  de  prendre  un 
confeil  pour  toute  voftre  vie.  Efcrivez  moy  familieremenE 
fur  ce  fujet,  &  croyez  que  je  deiire  tant  voflre  bien  &  avan- 
cement, que  par  tout  où  je  pourray  penfer  que  le  puifllez 
trouver,  je  vous  y  aideray  plutoft  de  ce  que  je  pourray,  que 
je  ne  vous  en  deftourneray  j  &  ne  croyez ,  je  vous  prie  ,  que 
j'apporte  en  cela  aucun  préjugé  ou  paiïîon.  Je  vous  dcfira 
bien  là,  &  mieux  icy  ,  mais  par  tout  je  vous  délire  bienj 
&  pourveu  que  vous  nous  falTiez.  connoiftre  que  vous  puiiliez 
efperer  certainement  par-delà  telle  fortune  &  contentement , 
que  nous  fécondions  vos  vœux  ôc  les  favorisons  de  tous  nos 
moyens.  C'eft  ce  que  je  vous  ay  penfé  devoir  efcrire  fur  ce 
propos  ,  dont  je  vous  prie  de  me  faire  refponfe,  afin  de  pou- 
voir donner  quelque  contentement  à  Mademoifelle  voftrç 
Tome  yj<  S 


138       PIECES  CONCERNANT  L'HISTOIRE 

mère.  Je  vous  prie  aiifli  derechef  avoir  fouvenance  de  moft 
affaire ,  &  d'entretenir  le  gentilhomme  duquel  m'avez  efcrit, 
&  faireàce  qu'ilm'efcrive.  En  cet  endroit  je  fupplie  noftre 
Seigneur,  Monlîeur ,  vous  donner  en  parfaite  famé  fa  grâce. 

De  Paris  ce  4  Voftre  humble  &  affedionné 

Odobre  160$,  Coufin  ôcferviteur, 

J.  A.  De  T h 0 u. 


Lettre  de  AI.  De  Tlwu  3  à  M.  Dupuy ,  à  Rome* 

Imprimée  fur  li  yC  o  NSI  EUR.  J'ay  reçû  la  voftrc  du  jour  de  Touflaints 
kManufcnt.  J^yJ^  dernier, je  crois  cependant  que  vous  aurez  reçu  les 
miennes  refponfives  aux  vofcres  précédentes,  avec  celles  que 
j'efcrivois  à  Monfeigneur  le  Cardinal  Séraphin.  J'attends  fur 
ce  voftre  refponfe  ;  car  je  crois  avoir  fatisfait  en  partie  à  ce 
que  m'efcriviez  ,  &  fait  des  ouvertures  qui  feront  trouvées  rai- 
fonnables  5  après  lefquelles  fi  on  pafte  outre  ,  je  fuis  délibéré 
de  me  foncier  auffi  peu  de  ce  qui  s'en  enfuivra,  que  je  me 
fuis  montré  équitable  pour  éviter  une  injufte  cenfure.  Sur 
tout  je  vous  prie  de  prendre  garde  ,  comme  je  vous  ay  efcrit, 
aux  deux  éditions.  Car  l'on  connoiftrapar  la  conferencc,que  ce 
que  les  imprimeurs  avoient  par  mefgarde  mis  en  la  première , 
encore  qu'il  fuft  tracé  en  la  copie ,  a  efté  corrigé  en  la  féconde. 
J'attends  fur  ce  voftre  refponfe  en  bonne  dévotion,  pourfça- 
voir  fi  mes  raifons ,  &  comment  elles  auront  efté  receues.  Le 
mal  vient  d'icy^  &  eft  porté  par  ceux  de  l'Ordre  de  celuy 
qui  eft  chargé  de  l'affaire  ^  lefquels  n'en  ofant  parler  par  deçà , 
à  l'inftigation  d'autres  grands  que  fçavez ,  font  jouer  le  jeu 
par  delà  :  mais  j'efpere  que  fi  les  volontés  fe  trouvent  mal 
difpofées  ,  la  prudence  du  monde  qui  règne  aujourd'huy  ap- 
portera quelque  modération ,  &  empefchera  que  la  chofe  ne 
pafte  fi  avant.  Dieu  en  ordonnera  comme  il  lui  plaira ,  lequel 
j'appelle  à  tefmoin  de  la  fincerité  de  mon  cœur  ^  &  de  la  can- 
deur que  j'ay  apporté  5  n'ayant  autre  but  que  fa  gloire ,  à  laquelle 
il  appartient  que  les  chofes  paOees  foient  fidellement  trani^ 
miles  à  la  poftcrité  fans  haine  &  fans  amitié.  Quant  à  Monfieur 
Vialard  duquel  vous  m'avez  auffi  envoyé  les  lettres  3  je  vous 


DE  J.    A.   DE   T  HOU.  15^ 

prie  luy  baifer  les  mains  de  ma  part,  &  le  remercier  de  l'avis  i 

qu'il  m'a  donné ,  qui  n'eft  gueres  efloigné  de  ce  que  je  vous  ; 

avois  efcrit  par  mes  dernières.  Je  luy  avois  efcrit ,  &  vous  prie                     ,  ^ 

de  me  tenir  pour  excufé  envers  luy ,  fi  je  ne  luy  efcris  prefen-  ; 

tement  5  la  hafte  du  courrier  m'en  empefche.  J'attends  tous-  J 

jours  les  chofes  :  je  fuis  bien  aile  de  ce  que  m'avez  efcrit  pour  1 

voftre  particulier  j  vous  ne  pouviez  vous  en  ouvrir  à  perfonne  '• 
qui  prît  mieux  vos  raifons^  &  defirâtplus  vous  aider  &  fer- 

vir  comme  je  feray  en  ce  que  m'efcrivez  pour  le  St.  Jean  en-  ' 
vers  Monfeigneur  le  Cardinal  de  Joyeufe ,  &  vous  rendray  en                             ^     ] 

cela  l'office  que  pourriez  defirer  de  perfonne  qui  vous  aime  ! 

ôc  eft  prefte  d'embrafler  tout  ce  qui  fera  de  voftre  contente-  ; 
ment  &  avancement.  Efcrivez  moy  fouvent ,  &  me  faites  part 

des  efcrits  de  par  delà  aux  occafions.  Je  fupplie  N.  S.  Mou-  i 

ûeur ,  vous  donner  en  fanté  fa  grâce.  j 


De  Paris  ce  25?.  No-  Voftre  humble  ferviteur 

vembre  i5o;.  &  Coufin, 

J.  A.  De  Thou. 


Lettre  de  M.  De  Thou  y  à  M.  Dupuy  ^  à  Rome, 

Monsieur.  Je  crois  que  depuis  les  voftres  dernières  r  ^'  i  r. 
r    •         J  o  I  /^-/  /r         11        Imprimée  fuf 

eicritesdu  ly  &  2p  dupafle,  vous  aurez  reçu  celles  kManufcrit^ 

que  je  vous  ay  efcrites ,  enfemble  l'enclofe  addreflante  à  Mon- 
feigneur le  Cardinal  Seraphin.dont  j'attends  refponfe  en  bonne 
dévotion.  Cependant  Monfieur  l'Ambaftadeur  a  efcrit  au  Roy 
qu'il  avoit  parle  à  Sa  Sainteté  pour  tenir  la  chofe  en  furfeance; 
ce  que  Sa  Sainteté  luy  a  accordé  fort  volontiers.  Le  Roy  en 
efcrira  à  cette  mefme  fin ,  ôc  même  à  Monfeigneur  le  Cardi- 
nal Séraphin ,  pour  luy  tefmoigner  qu'il  a  fort  agréable  ce  qui  a 
efté  fait  par  luy  en  cette  affaire.  Je  fuis  marri  que  la  malignité 
fourde  d'aucuns,  qui  vient  de  deçà  mefme ,  ait  efté  la  caufe  de 
faire  un  fi  grand  bruit  de  peu  de  chofe,  laquelle  difTmiulée  fc 
fuft  efvanouie ,  &  eftant  remuée  donnera  plus  de  crédit  au  li- 
vre qu'il  n'euft  eu  fans  cela.  Ce  dont  l'on  s'offenfe  eft  peu  de 
chofe ,  &  pecuhere  feulement  au  lieu  ou  vous  eftes  :  car  par 
tout  ailleurs  l'on  n'eu  fera  tant  de  cas.  La  confequence  du 

Sij 


■1 


I4Ô-,     PIECES  ■  CONCERNANT   L'HISTOIRE 

bruit,  comme  je  vous  ay  efcrit,  va  loing,  &  touche  à  ceux 
que  je  crois  que  Ton  ne  veut  maintenant  offenfer  j  j'entends 
ceux  de  la  niaifon  de  Bourbon ,  qui  eftimeront  que  l'on  veut 
•faire  une  querelle  d'Allemand  au  livre  pour  fujet  léger  &  re- 
■cherché,  pour  par  ce  moyen  eftoufFer  ce  qui  blelîe  les  fadions 
en  ce  Royaume,  lefquelles  ne  s' oferoient  plaindre ,  les  chofes 
eftant  paiiibles ,  &  attendant  un  trouble  empruntent  le  man- 
teau de  la  Religion ,  comme  autrefois  ,  pour  combattre  & 
cîeftruire  ce  qui  fait  contre  eux.  Je  vous  prie  de  pefer  cette 
conlideration ,  &  le  faire  entendre  à  Monfeigneur  le  Cardinal 
Séraphin ,  auquel  je  ne  fçaurois  exprimer  combien  je  me  fens 
redevable.  Ce  que  je peus maintenant,  c'eftprotefter  devant 
Dieu  &les  hommes,  que  je  fuis  fon  très  humble  ferviteur, 
ôc  acquis  par  un  fmguher  bienfaid  ^  que  j'eftime  d'autant  plus 
grand  que  fans  favoir  mérité  de  luy ,  non  requis,  ne  fupplic ,  il 
luy  a  plu  fi  franchement  &  libéralement  me  rendre  ce  bon  of- 
fice. Dieu  m'a  fait  une  grande  grâce  que  la  vérité  &  la  can- 
deur que  j'ay  eu  pour  mire ,  &  dont  j'ay  ufé  en  tout  cet  œu- 
vre ,  a  trouvé  une  telle  protedion  en  luy.  Je  n'en  perdray  ja- 
mais la  mémoire  ;  &  fi  je  ne  puis  rien  autrement  pour  fon  fer- 
vice  ,  la  pofterité  fçaura  que  je  ne  fuis  point  ingrat.  Je  vous 
remercie  dufoing  que  vous  avez  des  Eloges  :  fur  tout  je  de- 
fire  fçavoir  le  jour ,  &  le  lieu  du  decés  5  car  fans  cela  je  ne 
puis  faire  mention  de  ceux  dont  je  defire  honorer  la  mémoire. 
Je  fuis  marri  que  voftre  avertifiement  pour  St.  Jean  de  La- 
tran  eft  venu  fi  tard.  Je  l'avois  desja  fcû  de  Monfeigneur  le 
Cardinal  de  Joyeufe  5  lequel  fans  cela  eftoit  difpofé  à  vous 
aider  de  fa  faveur  &  recommandation.  Au  furplus ,  je  crains 
fort  que  Mademoifelle  voftre  mère  ne  puilfe  s'eftendre  da- 
vantage que  jufques  à  ce  qu'elle  vous  a  promis ,  encore  qu'elle 
ait  bonne  volonté.  Vous  fçavez  la  charge  qu'elle  a ,  neant- 
moins  elle  montre  de  vouloir  faire  tout  ce  qu'elle  pourra.  Je 
ne  vous  la  feray  plus  longue ,  attendant  la  refponfe  à  mes  der- 
nières ,  &  fupplieray  feulement  le  tout-puiflant,  Monfieur ,  qu'il 
vous  donne  enfanté  fa  grâce. 

De  Paris  ce  2p  Voflre  plus  affedioiiné  Coufîii 

Décembre  1^05".  &  ferviteur, 

J.  A,  De  Thou. 


DE    J.    A.   DE    T  HO  U.  141 

MonHenr  Vialard  trouvera  icy ,  s'il  loy  plaift ,  mes  humbles  re- 
commandations à  fes  bonnes  grâces.  Je  le  Tupplie  de  con- 
tinuer les  bons  offices. 


Lettre  de  M.  De  Thou  à  M,  Dupuy  y  à  Rome.  , 

o  N  s  I E  u  R.  J'ay  reçu  deux  des  voftres ,  l'une  fort  vieil-  i„iprîmée  Cnt 
le  du  1 3  Décembre  de  l'an  pafie  ,  &  l'autre  du  onze  du  le  Manufcrit. 
nTois  n'agueres  efchû,  enfemble  les  Notes  de  A.  C.  (i)  Elles 
font  dignes  de  celuy  tel  que  me  le  defcrivez ,  &  par  le  juge- 
ment de  celuy  aulfi  dénommé  en  voftre  lettre.  Vous  m'efcri- 
viez  par  vos  précédentes  que  l'on  ne  touclieroit  à  la  Préface, 
feulement  que  l'on  eftimoit  que  prématurément  fe  faifoit  en 
rcelle  mention  de  l'edit  de  pacification ,  d'autant  que  le  temps 
n'eiloit  encore  venu  en  cette  première  partie  d'en  parler  5  à 
quoy  je  vous  refponds,  que  la  Préface  eftoit  faite  pour  tout 
F  œuvre ,  &  pour  excufer  d'autres  chofes  que  je  prevoyois  que 
dés  cette  première  partie  l'on  pourroit  reprendre  j  comme  les 
Eloges  des  honimes  de  Lettres ,  &  principalement  des  Alle- 
mands ,  defquels  la  plus  grande  part  font  Protellants  :  mais  ce 
n'eft  ce  que  je  recommande  en  eux  ,  ains  feulement  l'érudi- 
tion es  autres  Lettres ,  oubienfi  j'ay  parlé  honorablement  d'au- 


(i)  Antoine  Garracioli,  Clerc  rcgii- 
licr  :  Ce  fur  lui  qui  fur  chargé  à  Rome 
de  drcffer  la  cenfure  des  Hiftoires  de 
M.  De  Thou.  Il  examina  les  dix-luiir 
premiers  livres  fur  l'édition  des  Droiiarts 
in  cct.tvo  ^  i  vol.  &  fit  un  dépouillement 
de  tous  les  endroits  qui  lui  parurent  di- 
gnes de  cenfure  ;  enfuite  il  donna  Ton 
avis  ,  conçu  en  ces  termes. 

*  Au  refte ,  voicy  ce  que  je  penfe  du 
>ï  Livre  &  de  fon  Auteur.  Je  juge  que  le 
»  Livre  doit  être  défendu  &  fupprimc  ; 
»  car  s'il  falloir  en  ôter  tout  ce  qui  eft 
»  mauvais,  il  y  auroit  un  fi  grand  vui- 
»  de  dans  l'Hiftoire  ,  qu'on  ne  pourroit 
y>  plus  y  trouver  un  fens  parfait ,  &  dès- 
»3  lors  le  Livre  deviendroit  inutile.  A  l'é- 
wgardde  l'Auteur,  la  haine  implaca- 
«ble  qu'il  fait  paroître  en  toute  occa- 
M  Cxon  contre  le  Saint  Siège ,  &  les 
*3  fouverains  Pontifes ,  ne  permet  pas  de 
t»  douter  qu'il  ne  foit  Calvinille  j  &  en 


^  Traduit  du 
Latin    fur    le 


"Cette  qualité  ildoît  être  mis  au  nom- 
«  bre  des  hérétiques  de  la  première  clafle. 

Après  avoir  ainH  donné  Ton  avis  fur 
le  premier  volume,  il  le  donne  fur  le 
fécond  en  cette  manière. 

ï5  Je  porte  de  ce  fécond  vohime  le 
M  même  jugement  que  j'ay  porté  du  pre- 
«  mier.  Dans  celuy-ci  rÀutenr  critique 
M !a  Conduite  du  Concile  de  Trente,  & 
»»  en  méiîie  temps  qu'il  blâme  les  fbti- 
>3verains  Pontifes,  il  fe  répond  en  Manufcrit, 
33  loiiangcs  fur  les  Hérétiques  ,  &  loiic 
>3  en  particulier  le  Prince  de  Cor:dé ,  le 
33  Roi  de  Navarre  ,  le  Connétable  dé 
»  Montmotency  qui  ont  été  en  France 
J3!es  auteurs  à(:s  troubles,  &lesprinci- 
îspaux  fauteurs  de  l'héré/îe.  Cependant 
33  il  fera  néceP.aire  de  confûlter  MM.  du 
33  Perron  &  du  Henry  ,  qui  connoiflent , 
»  à  ce  que  je  crois,  l'Auteur,  &  qui  diront 
33  s'il  eft  à  propos  de  le  mettre  au  rang 
J3  ^Qs  Hérétiques  de  la  première  clafie. 

Siij 


ï42       PIECES    CONCERNANT  L*HîSTOIRE 

cuns  Théologiens  ,  comme  Melandhon^  dont  l'on  s'offcnfe 
tant ,  c'a  eftc  pour  remarquer  fa  modération ,  telle  que  les 
Catholiques  mefmes  l'on  reconnu  propre  pour  une  conféren- 
ce &  reconciliation  lors ,  fî  nos  péchez  n'euflent  empefchc 
un  fî  grand  bien.  Quoyque  j'en  aye  dit,  je  ne  l'ay  dit  que  des 
ades ,  &  félon  l'hiftoire  du  temps.  Voila  donc  l'occafion  pour 
laquelle  j'ay  des  le  commencement  jette  ces  préparatoires 
en  ma  Préface  :  laquelle ,  quoy  que  vous  m'ayez  efcrit ,  j'ay 
tousjours  penfc  que  l'on  trouveroit  mauvaife  par  delà  5  mais 
que  les  plus  prudents  pour  cette  heure  le  diflimuleroient  ; 
que  cela  feulement  feroit  caufe  qu'es  autres  chofes,  lefquel- 
les  aifément  pouvoient  eftre  paffées,  &  l'euffent  efté  fans  cela, 
l'onfe  rendroit  plus  fevere  >  ce  que  j'ay  fort  bien  apperçu 
par  les  Notes  du  bon  P.  lefquelles  font  pour  la  plufpart  ridi- 
cules ;  mais  je  vois  bien  que  l'on  luy  a  laifle  toucher  là  où  il 
fait  mal  aux  autres  qui  ne  parlent  point  encore  ,  c'eft  à  dire  , 
qui  attendent  avec  grand  defîr  que  pour  le  fujet  de  la  Reli- 
gion nous  revenions  encore  aux  mains  &  aux  confufions  paf- 
fées. Il  eft  bien  aifé  à  ceux  qui  font  loing  du  péril  de  pronon- 
cer fi  hardiment  en  telles  chofes,  &  blafmer  ceux  qui  em- 
braflent  le  repos  ,  &  le  veulent  perfuader  à  leurs  concitoyens, 
ït  cependant  où  eft  la  charité  ?  n'a-t-on  pas  de  pitié  de  40 
années  paffées  pleines  de  continuelles  miferes  ?  n'a-t-on  point 
d'horreur  de  la  perte  des  Pays-Bas  advenue  par  cette  obftina- 
tion  forcenée  f  Nous  pouvons  eftre  icy  bons  Catholiques  6c 
obeiflans  ,  quant  à  la  dodrine ,  au  Saint  Siège  ,  fans  tenir 
cette  fanglante  propofition ,  qu'il  faille  par  la  force  &  par  les 
armes  eftablir  la  Religion.  Voila  pourquoy  je  ne  merepentiray 
jamais  d'en  avoir  dit,  en  la  place  où  je  fuis,  ce  que  j'en  ay 
tousjours  dit  5  moins  de  ce  que  j'en  ay  efcrit.  D'une  chofe 
fuis-je  fort  marri ,  que  cela  feul  foit  caufe  que  mon  livre  ait 
efté  examiné  iî  exadement,  &  jufques  à  calomnie. 

Je  baife  très-humblement  les  mains  à  Monfeigneur  le  Car- 
dinal du  Perron,  pour  la  bonne  volonté  que  m'efcrivez  qu'il 
monftre  avoir  en  cette  aft'aire ,  ^c  pour  le  fincere  jugement 
«ju'il  fait  de  moy  &  de  mon  livre,  llmeconnoift,  &  a  porté 
tefmoignage  ailleurs  de  moy  que  j'aime  la  vérité ,  &  que  ma 
parole  &  mes  mœurs  ne  fe  dcfmentent  point.  Derechef  je 
lui  baife  les  mains ,  ôç  le  prie  de  pvendrç  en  fa  protection 


DE  J.  A.  DE  T  HOU,  145 

cette  caufe^  qui  n'ef!-  point  mienne  du  tout,  mais  qui  re- 
garde la  France  ,  &  le  repos  d'icelle  ^  je  n'ofe  dire  aufli  l'hon- 
neur du  nom  François?  ce  que  je  n'ajoute  par  prefomption, 
ou  eilime  que  je  fafle  de  mon  oeuvre  j  que  je  prife  beaucoup 
moins  que  ceux  qui  i'aiûaillent  par  tant  d'endroits,  &  luy  don- 
nent crédit  aux  defpens  du  repos  de  mon  efprit  5  ains  d'au- 
tant que  je  crois  que  je  ne  puis  en  cela  recevoir  injure  ,  qui 
ne  redonde  fur  toute  la  France.  Ce  propos  feroit  long 
qui  s'y  voudroit  eftendre.  Je  fuis  refolu  d'attendre  tout  ce 
que  l'on  voudra  en  ordonner ,  avec  une  patience  Chrétien- 
ne ,  &  ennemie  de  toute  divifion ,  mais  qui  ne  cédera  qu'à 
la  raifon.  L'on  y  doit  regarder  plus  d'une  fois  devant  que 
rien  précipiter ,  de  peur  que  les  plus  haflés  ne  fe  repentent 
à  loifir.  Quant  à  Monfeigneur  le  Cardinal  Séraphin ,  je  ne 
fcaurois  aflez  remercier  fa  bonté  &  fa  candeur  en  mon  en- 
droit  :  qu'il  me  commande  ,  qu'il  taille  &  rongne^  je  recevray 
tout  bien  de  fa  part;  il  m'a  tant  obligé  ,  que  je  ne  feray  jamais 
ingrat  de  l'honneur  que  j'ay  reçu  de  luy ,  le  fuppliant  très  hum- 
blement de  vouloir  continuer  en  cette  bonne  volonté.  Je 
ne  fçay  s'il  me  fera  cette  faveur  de  m'efcrire:il  me  fufîit 
qu'il  m'aime  &  me  conferve  en  fes  bonnes  grâces.  J'ay  mis 
les  Notes  es  mains  du  bon  homme  P.  M.  qui  en  a  ja  vé- 
rifié une  partie  &  s'en  mocque ,  &  dit  que  c'eft  autre  chofe 
d'efcrire  au  lieu  d'où  font  venues  les  Notes,  &  principale- 
ment en  l'Hiftoire  ,  &  autre  chofe  d'efcrire  la  vérité  des  cho- 
fes  paiTées  en  France ,  &  au  loing.  Car  il  faut  donner  quel- 
que chofe  à  la  liberté  des  pays  ;  laquelle  11  l'on  veut  du  tout 
ofcer,  l'on  aigrit  pluftoft  les  efprits  que  l'on  ne  les  contient 
en  devoir.  Il  eft  fort  offenfé  de  Agobardus  ^  &  à  peine  s'en 
taira  - 1  -  il  ;  il  faut  eftre  plus  équitable  qui  veut  retenir  les 
généreux  efprits.  J'ay  reçu  l'Eloge  de  Sebadien  Corradus , 
dont  je  vous  remercie.  J'attends  celui  de  R.  Amafccus  &  de 
Pompilius  fon  fils  ,  afin  qu'ils  foient  mis  chacun  en  fon  lieu 
&  année  :  je  les  avois  inférés ,  mais  non  en  leur  lieu ,  aimant 
mieux  faillir  en  cela,  que  taire  leur  nom;  en  quoy  l'on  peut 
remarquer  avec  quelle  candeur  &  diligence ,  j'ay  recherché 
d'honorer  tous  ceux  qui  ont  contribué  à  la  reftauration  des 
Lettres.  Si  les  Italiens  &  les  Efpagnols  me  fuilent  venus  aniTi 
facilement  en  mains  ^  que  les  AUemans  plus  foigneux  d'ef- 


144  PIECES  CONCERNANT  L'HISTOIRE 

crire  telles  chofes^  l'on  eiift  connu  ^  que  l'affedion  que  Ton 
dit  à  tort  que  je  porte  aux  Allemans,  n'euft  preponderé  à 
celle  que  j'ay  aux  autres  nations  î  une  defqueiles  m'a  coufté 
plus  de  temps  &  d'eftude  à  fçavoir ,  que  dix  des  autres.  Et 
toutesfois  l'on  trouvera  par  expérience  que  j'en  ay  ramalle  C\ 
bon  nombre ,  que  les  Italiens  &  les  Efpagnols  n'auront  (  quant 
à  ce  )  qu'à  envier  aux  autres.  J'ay  reçu  toutes  celles  que  m'a- 
vez efcrites ,  fans  qu'il  s'en  foit  perdu  aucune  ,  &  les  ay  gar-^ 
dées  difcrette ment  fans  les  communiquer  à  perfonne.  Efcri^ 
vez  moy  confidemment  fur  cette  adurance  j  comme  je  vous 
faits.  Je  baife  les  mains  à  Monfieur  d'Abain  ,  &  ay  regret 
extrefme  à  l'infortime  deMonlieur  de  la  Rochepozay  Ion  frère, 
La  maladie ,  dont  il  eft  affligé  ne  fe  guérit ,  comme  j'ay 
dit  plufieurs  fois  à  Madame  fa  merç  ^  par  paroles  ni  par  pro- 
cès, il  faut  voir  des  eifeds  :  tout  le  temps  quife  perd  &  con- 
fume  autrement,  ne  fert  qu'à  avancer  la  ruine  des  maifons 
de  part  &  d'autre.  Il  e(t  befoing  qu'il  en  efcrive  3  ii  l'on  ne 
commence  à  dédier  la  bourfe ,  l'on  ne  s'aquittera  jamais.  Vous 
luy  pourrez  communiquer  cet  article.  Si  le  feigne ik  Vialard 
voit  la  prefcnte  ,  il  y  trouvera  mes  affedionnées  recomman- 
dations à  fes  bonnes  grâces.  Je  fuDplie  en  cet  endroit  N.  S^ 
Monfieur,  vous  donner  en  parfaite  fauté  fa  grâce. 

Le  12  FevricE  Voftre  plus  affedionné  Coufin 

ï6o6,  &  fer  vite  ur, 

J.  A.  De  T h o Us 

Si  vous  connoiffez  quelque  Efpagnol,  je  vous  prie  de  fçat 
voir  par  lui  le  joiu-  du  decés  &  l'âge  de  Francifcus  Sa^ 
linas  ProfeiTeur  en  Mufique  à  Salamanca.  Il  doit  eilrq 
mort  depuis  l'an  1580.  Les  Pères  Jefuites  le  ppurron^ 
fçavoir. 

Lettre  de  M.  Dç  Thon  j  à  AL  Dupuy ,  à  Rome, 

Imprimée  fur   '^  /f  O  N  S I E  u  R  >  J'ay  reçu  deux  de  vos  lettres  en  mefmq 


im*r;mec  lur       m     /|   W  JN  b  I  E  U  K  >    J  iiy    ICÇU   ueUX    QC    VOS   letUCb  CH  lllfimy 

kxManuiçm.  j^^^  J^  jour  du  dixiefme  de  Février,  &  du  11  de  Février.  Je 
ne  vous  fçaurois  aflez  remercier  du  foin  &  affedion  que  por- 
tez à  ce  qui  me  touche.   Djeu  m'a  fufcitç  nouveaux  defen- 

fcurSj 


DE    J.    A.    DE    T  H  O  U,  14; 

leurs ,  &  enfin  la  haine ,  l'envie  &  l'acerbité  commencent 
à  céder  à  la  raifon ,  à  l'équité ,  &  à  la  douceur.  Dieu  qui  eft 
juge  de  l'intérieur ,  qui  m'eft  tefmoin  que  j'ay  efcrit  fans  hai- 
ne &  fans  grâce,  m'a  fait  ce  bien  de  faire  reconnoiftre  par 
le  temps  la  candeur  &  ingénuité  de  laquelle  toutes  mes  ac- 
tions ont  tousjours  été  accompagnées.  C'eft  ce  qui  a  fait  em- 
bralTer  ma  caufe  à  Monfeigneur  le  Cardinal  du  Perron  5  car 
il  me  connoift  mieux  que  je  ne  me  connois  moy-même.  Le 
tefmoignage  qu'il  a  rendu  de  moy  fera  enfin  trouvé  vérita- 
ble ,  dont  je  vous  prie  le  remercier  très-humblement  de  ma 
part  y  attendant  qu'à  loifir  je  lui  en  rende  grâces  par  lettres, 
ia  hafle  du  porteur  ne  m'en  donnant  prefentement  le  moyen. 
Je  vousfupplie  aufll  baifer  très  humblement  les  mains  à  Mon^) 
feigneur  le  Cardinal  Sforza ,  &  lui  dire  que  ce  peu  que  j'ay 
d'induftrie ,  je  le  confacre  &  voue  à  l'honneur  de  fa  famille. 
Sa  courtoifie  m'y  oblige ,  puifque  devant  que  d'avoir  reçu 
la  fevorable  offi:e  de  fes  bonnes  grâces ,  j'ay  efté  fi  heureux 
que  ce  que  j'ay  efcrit^  luy  a  apporté  contentement.  Il  ne  doit 
douter  maintenant  que  je  ne  recherche  toutes  les  occafions 
en  pareil  fujet  de  luy  rendre  le  fervice  qu'il  peut  attendre 
d'un  homme  de  bien,  &  qui  honore  la  vertu,  mefme  en 
ceux  qu'il  n'a  l'honneur  de  connoiftre.  Je  vous  prie  l'en  aC- 
furer  en  attendant  que  je  prenne  la  commodité  de  luy  ef- 
crire.  Je  ne  fçay  s'il  fera  befoing  que  ce  foit  en  Latin  ou  en 
François  j  vous  le  pouvez  fçavoir  des  fiens;  je  prendray  le 
choix  des  deux ,  fuivant  ce  que  me  manderez.  Je  vous  re- 
mercie de  l'Eloge  de  Romulus  Amafaeus  :  j'attends  les  autres 
à  loifir,  comme  de  Hannibal  Cruceius,  &c.  Si  vous  voyez 
par  occafion  Monfeigneur  le  Cardinal  de  Vifconti ,  vous  luy  ■ 
pourrez   baifer  les  mains  de  ma  part,  &  le  remercier  très^,; 
humblement  de  l'honorable  tefmoignage  qu'il  luy  a  pieu  ren-  • 
dre  de  moy  •■>  &  l'affeurer  que  la  mefme  vérité  qu'il  recon- 
noift  es  chofes  du  Levant ,  je  l'ay  recherchée  (5c  embrafTée 
es  chofes  d'Allemagne,  &  en  nos  guerres  civiles,  fanshai-j[ 
ne  ny  amitié.  Si  Monfeigneur  le  Cardinal  Sforza  a  quelquesr 
Mémoires  qui  puiflènt  fervir  à  illuftrer  fa  famille,  pour  les,> 
années  qui  fuivent,  il  ne  peut  les  commettre  à  perfonne  quij> 
defire  plus  à  les  employer  en  lieu  apparent ,  pour  en  confer-  { 
y^r  la  niemoire  à  la  pofterité.    Il  ne  fera  befoing  des  orl,-,^ 
Tome  XK  T^ 


i^'6  PIECES   CONCERNANT  L'HISTOIRE 

ginaux ,  qui  doivent  demeurer  par  devers  lui  5  ains  des  co* 
pies  feulement.  Je  délire  fort  fçavoir  la  fuite  de  ceux  de  fon 
nom  depuis  cinquante  ans  en  çà,  afin  que  je  voye  s'il  eft 
fils  du  Comte  Scipion  qui  fut  envoyé  General  en  ïrance  du 
temps  de  Pie  V.  J'ay  connu  le  Cardinal  fon  frère  qui  vivoit 
lorfque  j'eftois  à  Rome  il  y  a  33  ans,  au  temps  de  Grégoire 
XIII.  Depuis  il  y  en  a  eu  un  autre  de  la  mefme  famille, 
qui  entretenoit  eilroite  amitié  par  lettres  avec  Monfeigneur 
le  Cardinal  de  Bourbon  dernier  decedé ,  auprès  duquel  j'.ef- 
îois  lors.  Vous  me  faites  beaucoup  de  bien  de  m'acquerir' 
de  tels  amis.  J'approuve  fort  l'avis  de  Monfeigneur  le  Car- 
dinal Sforza  de  tirer  cette  affaire  de  la  Congrégation /&  s'il 
eft  pofTible  ,  la  commettre  à  Meffeigneurs  Séraphin  &  du  Per- 
ron. Je  baife  très  humblement  les  mains  à  Monfeigneur  le 
Cardinal  Séraphin  ,  &  vous  fupplie  de  luy  dire  que  je  fuis 
fon  très  obligé  ferviteur,  &  luy  defire  fanté  &  très  longue 
vie.  Je  fupplie  en  cet  endroit  N.  S.  Moniieur,  vous  don- 
ner en  parfaite  fanté  fa  grâce.    • 

De  Paris  ce  18  Votre  humble  ferviteur 

Mars  1606,  .  &  coufin  , 

J.  A.  De  T h  o  u. 


Lettre  de  M.  de  Thou^  à  Monjieur  Dupuy  ^  à  Rome. 

Imprimée  fur  1\  >T  G  N  S  I  E  U  R.  J'ay  rcçu  voftre  dernière  du  20  Mars: 
k  Manufcri^^  |  V J[  je  fuis  en  peine  que  n'ayez  plufloft  reçu  toutes  cel- 
les que  je  vous  ay  efcrites  depuis  la  dernière  du  mois  de 
Décembre ,  qui  eftoient  refponfives  à  toutes  celles  que  m'a- 
vez efcrites  depuis ,  &  dont  vous  faites  mention  par  celle  du 
2.0  du  palTé.  Je  crois  que  maintenant  vous  les  aurez  reçues, 
&  connoiftrez  que  je  n  ay  jamais  tardé  deux  jours  après  la 
réception  des  voftres  à  y  faire  refponfe  bien  particuUere.  J'ay 
fatisfait  pour  Meffeigneurs  les  Cardinaux  Sforza  &  Vifconti, 
defquels  je  prends  à  grand  heur  &  honneur  le  tefmoignage 
qu'il  leur  a  pieu  porter  de  mon  labeur.  Je  n'ay  encore  pris 
le  temps  d'efcrire  à  Monfeigneur  le  Cardinal  Sforza ,  atten- 
daiK  refponfe  de  celle  que  je  vous  ay  efcrite:  cependant  je 


DE  J.  A.  DE  THOU.  147 

vous  fiipplie  luy  confirmer  ma  très  humble  dévotion  &  fin- 
cere  affedion  à  fon  fervice,  ôcluy  dire  que  je  prendrayen 
Singulière  faveur,  qu'il  lui  plaife  faire  copier  les  Mémoires 
defquels  il  me  fait  oftre  j  Taflurant  qu'il  ne  les  peut  commettre 
à  perfonne  qui  en  ferve  plus  fidellement  le  public ,  &  avec 
plus  de  reconnoiflance  de  fes  mérites  &  de  toute  fon  illuf- 
tre  famille.  Pour  tout  le  fervice  que  je  luy  ay  voué,  je  ne 
îuy  demande  autre  grâce ,  finon  qu'il  me  défende  de  la  ca- 
lomnie ,  &  protège  mon  innocente  liberté ,  qui  ne  tend  qu'à 
conferver  la   vérité  des  chofes  mémorables  pour  les  tranf. 
mettre  incorruptiblement  fans  haine  &  fans  amitié  à  lapof- 
terité.   Je  vous  fupplie  aufil  de  baifer  très  humblement  le-s 
mains  à  Monfeigneur  le  Cardinal  du  Perron,  &  l'aflurer  de 
mon  fervice.  Je  n'ay  pu  encore  lui  efcrire  à  loillr  comme 
je  defire.    Je  defirerois  qu'il  lui  plûft  de  faire  ce  que  vous 
avoir  confeillé  Monfeigneur  le  Cardinal  Sforza,  c'eft  à  dire 
d'obtenir  de  Sa  Sainteté  que  la  chofe  fuft  tirée  de  la  Con- 
grégation ,  &  la  remettre  à  luy  6c  à  Monfeigneur  le  Cardinal 
Séraphin ,  auquel  aulTi  je  baife   très  humblement  les  mains. 
Mais  que  me  dites  vous  pour  le  fécond  &  troiiiefme  Tomes  l 
ell  il  pofTible  qu'ils  foient  defirés  par  delà  z'  ou  que  je  doive 
defirer  qu'ils  y  foient  vus  ?  fî  c'eftoit  à  recommencer ,  je  ne 
mettrois  ni  moi  ni  mes  amis  en  peine.  Je  crois  que  je  vous 
ay  dit,  ou  efcrit,  que  par  force  j'avois  donné  au  public  ce 
qui  en  eftoit  imprimés  d'autant  qu'il  y  en  avoit  une  Copie 
en  Allemagne  à  moy  defrobée  ab  amanuenfi  Germano  incor- 
re^è  ,  &  que  je  craignois  que  l'on  y  imprimai!.  Cette  mefme 
crainte  a  efté  caufe  que  l'impreflfion  en  a  efté  continuée  icy 
jufquesà  1J72,  c'eft  à  dire,  jufquesà  un  mots  après  la  Saint 
Barthélémy  :  car  plus  avant  il  n'eft  loifible  de  palier ,  encore 
que  j'aye  depuis  peu  de  jours  achevé  tout  l'œuvre  6c  con- 
duit jufqu  en  i  ^o  i ,  c'eft  à  dire ,  la  naiftancc  de  Monfeigneur 
le  Dauphins  époque  mémorable  pour  noftre  repos,   &  de 
toute  la  Chrétienté,  qui  ne  peut  eftre  en  paix,  la  France  eftant 
en  trouble.  Je  doute  fort  que  cette  féconde  partie  n'excite 
nouvelles  tempeftes  fur  ma  tefte ,  tant  s^en  faut  que  je  defirë 
qu'elle  pafte  les  monts.  J'attendray  fur  ce  encore  de  vos  nour 
velles  :  aufti  bien  n  eft  ce  chofe  prefte  jufques  à  la  foire  de 
Septembre  prochaine.  Je  baife  les  mains  à  Monfieur  Vialard| 

Tij 


I4S  PIECES  CONCERNANT  L'HÎSTOÎRE 

5c  vous  prie  de  veiller  pour  les  Eloges,  Ôcpour  les  Mémoi- 
res de  Monfeigneur  le  Cardinal  Sforza ,  s'il  me  continue  cette 
bonne  volonté.  Je  finiray  en  cet  endroit ,  &  fupplieray  N,; 
S.  Monfieur,  vous  donner  en  fanté  la  grâce. 

De  Paris  ce  1 2  Voftre  humble  ferviteur 

Avril  1606,  &  coufin, 

J.  A.  De  Thou. 


Lettre  de  M,  deThou^  à  Monfeigneur  le  Cardinal  Sforza^ 

ic^Manufcrit!  TV^Onseigneur.  La  réputation  de  vos  vertus ,  &  le 
J^  V  JL  nom  que  vous  avez  acquis  en  cette  grande  Cour  pour 
favourifer  les  Lettres  &  perfonnes  lettrées  ,  eftoit  fufïifant 
pour  attirer  tous  ceux  qui  aiment  la  vertu  &  les  Lettres  à  vous 
honorer  &  fervir  j  mais  moy  finguherement ,  qui  ay  trou- 
vé il  favorable  accueil  en  vos  bonnes  grâces  fans  les  avoir 
méritées  par  aucun  fervice ,  &  en  chofe  en  laquelle  mon  in- 
nocence s'eftoit  trouvée  affaillie  de  tant  de  calomnies  & 
malveuillances.  Je  n'attribue  cela  à  aucune  chofe  qui  foit  en 
moy  ou  provienne  de  moy ,  reconnoiflànt  aflez  mon  infir- 
mité naturelle  &  défauts  très  remarquables  ;  mais  à  celuyqui 
eft  fcrutateur  de  nos  cœurs Jequel  fqachant  ma  droite  &  fîncere 
intention,  car  c'eft  tout  ce  que  j'yay  apporté  du  mien,  m'a 
fufcité  en  lieu  efloigné  un  fi  grand  &  puiflant  fupport  que 
le  voftre  j  &  a  retenu  foit  la  violence ,  foit  la  précipitation  de 
ceux,  qui  fans  connoiflance  de  caufe,  au  premier  mouve- 
ment vouloient  condamner  ce  que  le  temps  leur  a  desja  en 
partie  juftifié,  &  leur  fera  enfin  connoiftre  avec  la  grâce  de 
Dieu,  en  laquelle  ;e  me  confie,  eftre  fort  efloigné  de  ce 
que  l'on  s'eftoit  perfuadé  du  commencement.  Quand  je  me 
fuis  mis  à  efcrire  l'Hiftoire  de  ce  temps,  bien  que  je  n'igno- 
Tois  que  la  complaifance  concilie  les  amis,  &  la  vérité  en- 
gendre la  haine,  toutesfois  je  ne  penfois  trouver  les  juge- 
mens  fi  peu  équitables  &  les  oreilles  ào-s  lefteurs  i\  violen- 
tes. Les  diffentions  civiles  excitées  pour  la  plupart  au  fiecle 
paffé  pour  la  Religion ,  eft  un  fubjed  efpineux ,  &  comme 
un  feu  cafché  fous  des  cendres  fur  lefquelles  iî  fait  dangereux 


D  E  j.  A.  D  E  T  H  O  U.  14^? 

cheminer;  mais  je  penfois  avoir  farisfait  à  tout  cela  en  la  Pré- 
face ,  laquelle  je  n'avois  mife  au  devant  de  l'œuvre  pour  or- 
nement accouftumé  ,  comme  plufieurs  font ,  ains  pour  excufe 
neceflaire  contre  les  calomnies  &  obtredations ,  que  je  pre- 
voyois  fe  préparer  contre  moy  î  &  crois  que  li  elle  eft  dili- 
gemment &  equitablement  leuë   &  examinée ,  elle  conten- 
tera en  partie  les  plus  rigides  cenfeurs.  Ma  vie  refpondra  du 
refte,  laquelle  eft  (  telle  que  mes  efcrits)  franche  &  ouverte3 
&  expofée  au  public.    J'ay  efcrit  fans  grâce   &  inimitié  des 
perfonnes,  j'attefte  Dieu,  je  n'ay  amour  ni  haine  qu'envers 
la  vertu  &  contre  le  vice.  On  ne  fçauroit  rendre  aux  bons 
&  vertueux  l'honneur  qui  leur  eft  deub ,  fmon  par  compa- 
raifon  en  deteftant  les  vicieux.  Je  n'ay  entrepris  de  faire  des 
Panégyriques,  moins   des  Philippiques ,  &  ne  me  fuis  ac- 
commodé au  temps  prefent  pour  avoir  le  gre  des  grands  & 
defguifer  la  vérité  des  chofes  à  la  pofterité ,  à  laquelle  j'ay 
plus  d'efgard  qu'à  tout  ce  que  je  pouvois  efperer  ou  crain-» 
dre  des  vivants.  Je  ne  demande  autre  grâce  ny  recompenfe 
pour  tant  de  travail  &  peine  que  j'ay  fouffert  durant  douze 
années  continuelles  entre  les  affaires  publiques  qui  m'occu- 
pent journellement ,  en  efcrivant  Cette   Hiftoire  j  finon  que 
ma  franchife  &  liberté  &  candeur  foient  bien  interprétées , 
&  que  par  mes  adions  ordinaires  j  l'on  juge  fincerementde 
l'intérieur  de  mes  intentions.  La  principale  loy  de  l'Hiftoire 
eft  non  feulement  dire  la  vérité,  mais  delà  dire  hardiment: 
oftez  cette  liberté  que  je  fçai  que  l'on  blafme  en  moy ,  vous 
lui  crevez  les  yeux  ,  vous  la  decharnez ,   vous  lui  oftez  la 
vie  :  &  pleuft  à  Dieu  que  l'on  peuft  voir  tout  d'un  afped  tous 
les  livres,  les  mémoires,  Ôc  les  papiers  fecrets  dont  j'aycom- 
pofé  ce  corps  !  l'on  connoiftroit  avec  quel  tempérament  j'ay 
addouci ,  modéré,  equitablement  interprété ,  &  benignement 
excufé  l'aigreur,  la  violence,  la  paiïion,  Tinfedarion  des  ef- 
crits de  ceux  qui  ont  traité  de  ces  chofes  devant  moy.  C'eft 
autre  chofe  de  traiter  des  affaires,  &  d'efcrire  l'Hiftoire:  en 
l'un  il  fe   faut  retenir  &  ne   dire  que  ce  qui  eft  neceflaire 
prefentement  au  fubjed  ;  bien  fouvent  pallier  &  excufer  ce 
qui  autrement  meritoit  reprehenfion.  Quand  je  me  fuis  trou- 
vé en  telles  rencontres ,  je   n'ay  rien  fait  ni  did  qui  portât 
préjudice  à  mon  maiftre  :  ce  font  chofes  ordinairement  fe- 

Tiij 


j;o  PIECES  CONCERNANT  L'HISTOIflE 

crettes  6c  momentanées.  L'Hiftoire  au  contraire  eft  chofe  pu- 
blique, &  qui  doit  fervir  non  feulement  à  ceux  qui  font ,  mais 
auffi  qui  feront.  Je  fçay  aulll  que  l'on  requiert  en  moy  une 
plus  ouverte  deteftation  de  nos  adverfaires  en  la  Religion  j 
en  quoy  je  penfe  auill  avoir  fatisfait  par  ma  Préface.  J'ad- 
joufteray ,  que  les  ioixibus  lefquelles  nous  vivons  aujourd'hui 
ne  permettent  de  parler  autrement,  &  que  puifque  l'expé- 
rience nous  a  appris  que  les  armes  font  funeftes  au  faid  de 
la  Religion,  il  faut  l'aider  des  arts  de  paix,  pour  parvenir  à 
cefte  reconciliation  tant  defirée  de  tous  les  bons.  D'ailleurs 
en  mon  particulier,  ayant  efté  employé  par  fa  Majefté  en  ces 
affaires,  comme  vous  pourra  tefmoigner  Monfeigneur  le  Car- 
dinal du  Perron ,  il  ne  m'eftoit  feant  de  monftrer  plus  d'ai- 
greur en  mes  efcrits  contre  eux,  que  fa  Majefté  par  m,a  bouche 
ne  leur  en  avoit  tefmoigné.  Vous  m'excuferez ,  Monfeigneur, 
il  pour  la  première  fois  que  j'ay  l'honneur  de  vous  efcrire 
je  vous  parie  Ci  librement.  Je  ne  puis  contraindre  mon  na- 
turel j  ôc  l'aflèurance  que  M.  Dupuy  me  donne  par  les  Tien- 
nes que  vous  n'aurez  mes  lettres  defagreables ,  m'a  fait  pren- 
dre ceftc  hardieife.  Je  penfe  plaider  ma  caufe  devant  vous, 
^  loue  Dieu  que  devant  un  tel  juge  je  fois  appelle  5  juge  de 
qui ,  foit  pour  la  fplendeur  de  la  famille ,  foit  pour  l'expé- 
rience deschofesj  l'équité,  la  reditude  du  jugement  jointe 
avec  une  fmguliere  érudition,  j'efpere  tout  fupport  &  faveur 
en  une  H  jufte  caufe.  Il  y  a  douze  ans  &  plus  que  j'ay  tra- 
vaillé à  ceft  œuvre ,  entre  les  aftaires  publiques  qui  m'occu- 
pent journellement  :  je  me  fuis  desrobé  le  temps  pour  pro- 
fiter à  la  pofterité.  L'ambition  ne  m'a  poufle  à  cela,  &  pré- 
voyant l'envie  que  j'attirerois  fur  moy ,  j'euflè  volontiers  fjp- 
primé  mon  nom  j  s'il  euft  été  loifible  :  mais  craignant  que  ce- 
la euft  rendu  la  chofe  fufpede  ,  j'ay  mieux  aimé  facrifier  mon 
nom  <5c  nia  fortune  tout  enfemble ,  que  de  faire  rien  en  ce- 
la qui  euft  peu  diminuer  la  foy  &  la  créance  de  l'Hiftoire, 
puis  qu'elle  eftoit  faite  pour  fervir  au  public  j  en  quoy  je 
penfe  pluftoft  mériter  pitié  que  reprehenfion.  Et  toutesfois 
je  ne  fuis  fi  ferme,  que  je  ne  foye  preft  de  recevoir  meil- 
leur confeil  que  celuy  que  j'ay  peu  prendre  de  moy-mefme, 
&  de  mes  amis  de  deçàî  voire  fubir  le  jugement  de  tous 
candides  cenfeurs,  comme  le  voftre,  Monfeigneur,  lequel 


r>E  J.  A.  DE   THOU;  î;r 

je  fiiîvray  non  feulement  en  cela ,  mais  en  toutes  autres  cho- 
fes  qui  me  viendront  commandées  de  voftre  part.  La  fécon- 
de partie  fera  achevée  dans  peu  de  mois,  que  je  ne  faudray 
à  vous  faire  voir  incontinente  vous  fuppliant  très  humble- 
ment d'en  prendre  la  protedion  comme  de  la  première.  Je 
vous  avois  aifez  d'obligation  de  m'avoir  fait  entendre  la  bon- 
ne volonté  que  me  portez,  fans  adjouder  nouveau  comble,- 
que  vous  me  communiqueriez  volontiers  les  Mémoires  que 
vous  avez,  pouvant  fervir  à  l'hiftoire.  Je  prend  à  grande 
faveur  que  m'eftimiez  digne  de  celle  grâce,  &  je  la  reçois 
comme  la  première  avec  très  affectionnée  dévotion  de  vous 
fervir;  ce  que  je  penfe  faire  en  fervant  au  public ^  puifque 
les  aftions  de  tous  ceux  de  voftre  très  illuftre  famille  y  font 
conjointes.  M.  Dupuy,  qui  vous  rendra  celle-cy,  vous  fera 
entendre  plus  particulièrement  ce  que  je  peus  délirer  en  cela 
fans  abufer  de  voftre  bonté.  Il  m'eft  conjoint  de  proche  pa- 
rente,  &  tel  que  j'eftime  que  vous  ne  le  jugerez  indigne 
de  voftre  faveur  &  afllftance  es  occurrences  qui  fe  pourront 
prefenter.  Les  bons  offices  qu'il  recevra  de  vous,  je  lesre- 
puteray  faids  à  moy-mefme,  &  les  mettray  avec  les  autres 
obligations  que  je  vous  ay  pour  vous  rendre  à  l'avenir  très 
humble  fervice.  En  ceft  endroit,  je  fupphe  le  tout-puilfant, 
Monfeigneur,  vous  donner  en  parfaite  famé  l'heureux  ac- 
compliftement  de  tous  vos  faints  defirs,  avec  la  grâce. 

De  Paris  ce  i       Voftre  très  humble  &  obeifTant  fervitenr  ; 
May  1606.  J.  A.  De  T  h  o  u. 


Lettre  de  M.  De  Thou  à  Monfieur  Dupuy ,  à  Rome, 

O  N  s  I  E  u  R.  Je  reçus  hier  au  foir  la  voftre  du  5:  du  Imprimée  î«f 
paffé,  &  y  fais  prefentement  refponfe  à  la  hafte  ;  &  ^^  ^^^a^^i^cm. 
pour  ce  que  me  faites  entendre  que  Monfeigneur  le  Cardi- 
nal Sforza  auroit  agréable  que  je  luy  efcrivifle ,  &  que  cela 
vous  pourroit  concilier  quelque  faveur  envers  luy  ^  je  luy  ef- 
cris  par  cette  voye  :  mais  je  crains  pour  la  hafte  ,  car  jen'ay 
eu  qu'une 'heure  pour  luy  efcrire,  que  ma  lettre  fe  trouve 


rj5  PIECES  CONCERNANT  L'HISTOIRE 

doublement  mal  efcrite,  §c  pour  refcriture,  &  pour  le  fu-' 
jet.  Vous  fuppléerez  à  l'un ,  &  vous  offrirez  à  la  luy  lire  >  de 
l'autre ,  il  l'excufera  par  fa  bonté  ,  s'il  luy  plaift.  J'ay  efcrit 
en  François  n'ayant  reçu  refponfe  de  vous  fur  ce  que  je  de- 
firois ,  fçavoir ,  s'il  auroit  agréable  que  l'on  luy  efcrivît  en 
François  ou  en  Latin.  Depuis  j'ay  fçû  qu'il  entend  fort  bien 
noftre  langue  ;  c'eft  pourquoy  fans  attendre  davantage  je  luy 
ay  efcrit.  Je  fuis  (î  prelle  que  je  n'ay  loifir  d'efcrire  àMon- 
feigneur  le  Cardinal  du  Perron  :  je  vous  fupplie  luy  baifer 
très  humblement  les  mains  de  ma  part ,  &  aufli  à  Monfei- 
gneur  le  Cardinal  Séraphin,  cui gramlor  ob  profperam  vale- 
tudinem  recuperatam.  Dieu  la  luy  conferve  long-tems  pour, 
le  public ,  &  pour  fes  ferviteurs ,  au  nombre  defquels  je  m'in- 
fère. J'attends  les  Eloges  de  Romulus  Amafaeus ,  d'Hanibal 
Çruceius ,  Fr.  Salinas ,  Gab.  Faërnus ,  &  des  autres.  Je  les  ay 
recouvrés  d'ailleurs ,  &  toutesfois  les  voftres  feront  tousjours 
bien  venus.  J'attendray  à  cette  foire  les  Mémoires  que  m'a- 
vez fait  tranfcrire  :  fi  ce  ne  peut  eftre  pour  celle-cy ,  ce  fera 
pour  là  prochaine.  Pour  ceux  de  Monfeigneur  le  Cardinal 
Sforza ,  il  faudra  le  fupplier  les  faire  copier ,  fuivant  ce  que 
j<s  vous  ay  ja  efcrit  :  car  il  faut  que  les  originaux  lui  de- 
meurent. Je  vous  fupplie  de  fçavoir  particulièrement  de  luy, 
s'il  deiîre  quelque  chofe  de  moy  en  quoy  je  foye  bon  Sc 
il  me  juge  utile  à  le  fervir.  Car  je  me  fens  fort  fon  obligé. 
Il  trouvera  que  j'ay  fait ,  comme  je  devois,  honorable  men- 
tion de  Monfieur  le  Comte  de  Santa  Fiore ,  fon  père  ou  fon 
oiicle.  Prenez  pccafion  fur  la  lettre  que  je  luy  ay  efcriçe  de 
vous  familiarifer  davantage  avec  luy,  &  luy  donner  toute  af- 
feurance  de  mon  fervice.  La  féconde  Partie  ne  fera  prefte 
qu'à  la  foire  de  Septembre  prochain ,  &  ne  faudray  auflltoft 
à  vous  en  faire  tenir  lix  exemplaires  par  la  voye  de  Franc- 
fort j  fi  je  n'en  trouve  d'autre  plus  prompte  entre  cy  &  là. 
Je  defirerois  fort  fçavoir  les  lieux  que  l'on  defire  eftre  oftés, 
&  qu'ils  fuflent  particulièrement  cottes.  Je  me  remets  à  vous 
de  ce  que  m'efcrivez  pour  avoir  la  permiftlon  conditionnée, 
pourveu  qu'il  ne  fe  fafte  rien  en  cela  qui  puifte  noter.  Vous 
en  prendrés  l'advis  de  Meileigneurs  les  Cardinaux  nos  amis 
&:  bons  Seigneurs^  &  m'efcrirez  à  voftre  loifir  fur  tout.  En 

ceft 


DE   J.    A.    D  E    T  H  O  U. 

ceft  endroit  je  fiipplie  N.  S.  Monfieur,  vous  donner  en  fanté 
fa  grâce. 

De  Paris  ce  2  Voftre  humble  couGn  &  ferviteur; 

May  1606.  J.  A.  De  Thou» 

M.  Vialard  trouvera  ici  mes  très  affedionnées  recom- 
mandations à  fes  bonnes  grâces. 

Lettre  de  M,  Ds  Thou  à  Monfteur  Dupuy ,  à  Rome. 

MONSIEUR.  J'ay  reçu  vodre  dernière  du  1 6  du  pafTé,  Imprimée  C^i 
n'ayant  fait  refponfe  à  la  précédente ,  d'autant  qu'il   ^     ^^^  *""'^' 
me  icnibloit  qu'il  n'y  avoit  rien  qui  preiïaft.     Si  je  l'eufTe 
pluftoft  reçue  ,   j'eulTe   efcrit  en  Latin  à  Monfeigneur  le 
Cardinal  Sforza  ;  mais  voyant  que  defiriez  que  je  m'acquitalTe 
de  ce  devoir  plus  promptement ,  &  m' ayant  efté  dit  par  de- 
çà qu'il  entendoit  le  François ,  devant  que  d'attendre  voftre 
refponfe,  je  m'avançay.    Vous  m'en  excuferez  envers  luy, 
s'il  vous  plaift ,  &  fçaurez  s'il  aura  plus  agréable  dorefnavant 
que  je  luy  efcrive  en  Latin.  Je  vous  fupplie  baifer  les  mains 
à  Monfeigneur  le  Cardinal  Séraphin ,  &  lui  dire ,  qu'auffitoft 
que  la  féconde  Partie  fera  achevée ,  qui  fera  en  deux  mois 
au  plus  tard,  je  ne  faudray  à  la  luy  envoyer.  J'efcris  à  Mon- 
feigneur  le  Cardinal  du  Perron  5  vous  luy  prefenterez  la  let- 
tre ^  &  le  fupplierez  d'avoir  cette  affaire  pour  recommandée.' 
Quoyque  vous  m'efcriviez,  je  doute  fort,  que  la  féconde 
foit  mieux  receuë  que  la  première.    Vous  connoiftrez  que 
d'induftrie  j'ay  obmis  tout  ce   qui  regarde  la  procédure  du 
Concile  de  Trente ,  de  peur  d'offenfer  ;  l'hiftoire  en  eft  faite, 
tii'ée  des   Ades   que  j'ay  eu  du  feu  Monfieur   Bourdin  Se- 
crétaire d'Eftat ,  qui  avoit  lors  la  charge  d'Italie.  Elle  fe  pour- 
ra inférer  une  autre  fois,  ou  imprimer  à  part.  Puifque  j'ay 
eu  la  patience  d'achever ,  avec  autant  de  peine  &  fi  ingrate, 
Toeuvre ,  il  faut  m'armer  de  la  mefme  patience  pour  en  fouf- 
frir  les  divers  jugements.  Dieu  qui  eft  par  deffus  tout  ce  qui 
s'en   peut  dire,  fçait  mon  intérieur,  ôc  que  le  feul  amour 
de  fa  gloire,  qui  fe  conferve  par  la  vérité  des  efcrits ,  m'a 
fait  entreprendre  ce  que  j'ay  efcrit  :  Si  fallo ,  numquam  propi- 
fimn  eum  habeam.  L'on  nous  promet  icy.que  Mcnfeigneuç 
TqmeKK  Y 


,j4  HE€ES  CONCERNANT  L'HISTOIRE 

ie  Cardinal  Vifconti  doit  eltre  envoyé  par  Sa  Sainteté  pouf 
le  Baptême  :  fi  cela  eft ,  je  lui  feray  le  prefent  de  la  fécon- 
de partie,  pmfqu'il  liiy  a  plâ de  faire  fi  équitable  jugement 
de  la  première.    Je  vous  recommande  les  Eloges  dont  je 
vous  refraichiray  ici  la  mémoire,  y  ajoutant  quelques  autres, 
liannibal  Cruceius ,  Hier.  Eerrarius ,  qui  in  Philippicas  fcrip- 
Jttj  Léon  Malafpina  Flor.  qui  in  Epift,  ad  Atticumy  comment  a- 
riam  edidit  y  Gabriel  Faërnus,  Fr.  Salinas,  Andréas  Striceco 
qui  fragmenta  Ciceronis  colkgit.  J'ay  recouvré  les  Eloges  de 
Covarruvias  &  de  Hornecus.  Je  ne  fçay  lî  Dominicus  Maf- 
farius  Vicentino  viendra  dedans  mon  temps  :  il  a  efcrit  fur 
Pline  en  la  partie  des  Poiflbns ,  &  de  Ponderibus  &  Alenfuris. 
Je  vous  prie  vous  en  enquérir.  Je  fuis  en  peine  pour  vous 
faire  tenir  nos  Poëmes ,  &  attends  que  je  vous  envoyé  noftrc 
féconde  partie  par  la  voye  de  Francfort  &  Venife ,  fi  vous 
ne  m'en  enfeignés  une  autre.  Je  ne  me  foucierois  desiraix, 
pourveu  qu'elle  fuft  feure  &  prompte.  Je  vous  prie  aulTi  de 
refraifchir  la  mémoire  dts  Conciles  Grecs  à  Monfeigneur  le 
Cardinal  du  Perron ,  &  luy  propofer ,  en  luy  prefentant  ma 
lettre ,  l'expédient  de  Monfeigneur  le  Cardinal  Sforza.  J'ay 
veu  ici  les  avis  du  Confiftoire  touchant  le  Monitoire.    Il  y 
en  a  qui  s'eftonnent  fort  de  l'application  de  ce  paffage ,  oc* 
cide  &  manduca  y  qui  n'a  jamais  eflé,  &  ne  peut  eftre  tiré  en 
ce  fens.  Mais  je  laiiTe  cela  à  d'autres  qui  le  fçauront  bien  rele- 
ver. Monfieur ,  je  fupplie  N.  S.  vous  donner  en  famé  fa  grâce. 

De  Paris  ce  12  Voftre  humble  ferviteur  &  Coufin, 

Juin  1606.  J.  A.  De  Thou. 

Extrait  d'une  Lettre'  de  M.  Pierre  Dupuy ,  â  M,  Jofeph  Jujîe 

de  la  Seal  a  du  20  Aday  1606. 

TîrécîcsE'f/-  TT     ^HiSTOiRE  de  Monfieur  de  Thou  ne  fera  pas  fitoft 
à  M.    Lu  l_j  achevée  :1e  volume  quil  nous  donne  de  nouveau  va 
sw^8.i6i-s  jufques  au  tems  de  la  St.  Barthélémy ,  exclud.  Il  a  retranché 
ï^èr^^i'        tout  le  Concile  de  Trente,  qui  ef\  fort  grand  dommage  :  il 
ponrroit  bien  foire  feul  un  jufte  volume.  H  dit  là  les  veritez 
qui  ne  fe  peuvent  endurer  maintenant ,  principalement  à  Ro- 
me, où  fon  livreafaiiiy  d' eftre  cenfuré,  n'euft  été  quelques 


DE    J.    A.    DE   THOU.  î;^ 

amîs  Cardinaux  qu'y  a  eu.  Mon  frère  qui  eft  furie  lien  luy  ^ 
fort  (eivy  en  cefte  atFaire,  ôc  luy  efcrit  fort  fouvent.  Le  Car- 
dinal Séraphin  François  a  rompu  le  coup  deux  ou  trois  fois. 
Je  ne  fçay  fi  ce  dernier  volume  fera  tant  parler  que  le  pre^. 
mier ,  qui  luy  a  donné  beaucoup  de  peine.  Il  y  a  un  Minifn 
tre  à  Genève  qui  fe  mefle  de  tourner ,  qui  a  voulu  mettre 
en  François  cefte  Hiftoire,  mais  le  coup  a  edé  rompu. 


Lettre  de  Monfieur  Cafaubon ,  à  Monfieur  Goitlart. 

O  N  s  I  E  UR.  J'ay  efté  chargé  de  Monfieur  le  Prcfident  ip,nnmée  r 
de  Thou  de  vous  prier  de  fa  jpart  vous  oppofer  à  ceux  le  Manufcrit. 
qui  par  delà,  comme  on  tient  ^ar  deçà,  veulent  mettre  eu 
François  fon  Hiftoire.  Ledit  Sieur  defire  pour  piufieurs  eau- 
fes  grandes ,  que  pour  encore  fon  livre  ne  foit  traduit ,  ou 
pour  le  moins  qu'il  ne  foit  imprimé  fans  qu'il  Tait  veu,  ôc 
à  ces  fins  a  obtenu  (i)  defenfe  d'en  imprimer  en  France  au- 


NOT.  (i  )  Cette  defenfe  fut  obtenue 
en  160/.  ^  imprimée  pour  la  première 
fois  à  la  fin  du  cinquante-jeptiéme  Itvre 
de  fon  Hifioire  de  l'Edition  de  Drouart  in 
folio  de  la  ?néme  année  1607.  La  voici. 

HENRY  par  la  grâce  de  Dieu  Roy 
de  France  &  de  Navarre  :  A  nos 
Bailiifs,  Senefchaux,  Prevofts,  Juges, 
ou  leurs  Lieutenans ,  &  à  tous  nos  autres 
Jufticiers&  officiers  qu'il  appartiendra  , 
Salut.  Nous  avons  cy  devant  permis  & 
accordé  à  noftre  amé  &  féal  Confciller 
en  nos  Confeiis  d'Eftat  &  privé  .  &  Prc- 
fident en  noftre  Cour  de  Parlement  de 
Paris  le  fîeur  de  Thou  ,  faire  imprimer 
l'hiftoire  en  Latin  par  hiy  compofce  des 
chofes  advenues  de  noftre  temps  ,  avec 
inhibitions  &  deffenfês  très  exprefics  à 
tous  Imprimeurs ,  Marchands  Libraires, 
autres  que  celuy  ou  ceux  qui  auront  de 
luy  pouvoir  &  permifTion ,  de  s'entre- 
mettre d'imprimer  lefdits  livres  :  neant- 
moins  ledit  (îeur  de  Thou  (eroit  adverty 
iq'.i'au  préjudice  defdites  deffenfês  aucuns 
Imprimeurs  &  Libraires  de  ceftuy  noftre 
Royaume  fcvouJroient  ingérer  de  ven- 
dre &  débiter  lefdits  livres ,  imprimez 
hors  noftre  Royaume ,  certes  &  feigaeu- 


rîes  hors  de  noftre  obcyflance  ,  mefme 
les  faire  traduire  en  François .  où  il  s'y 
pourroit  commettre  grandes  fautes  &  er- 
reurs contre  l'intention  de  i'Autheur, 
principalement  en  laverfion  Francoife. 
A  CES  Causes  ,  defirant  luy  pourvoir  & 
empcfcher  en  tant  qu'à  nous  cft  ,  qu'en 
une  œuvre  entreprinfe  pour  l'utilité  pu- 
blique ,  par  l'imprudence  d'aucuns  parti- 
culiers ,  il  ne  s'y  commette  des  faufletcr 
&  erreurs  au  dommage  du  public  ,  Nous 
voulons ,  vous  mandons ,  &  à  chacun  de 
▼ous  en  droid  foy,  C^  comme  à  luy  appar- 
tiendra, enjoignons  faire  réitérer  de  par 
nous  les  deffenfês  à  tous  qu'il  appartien- 
dra dans  vos  refforts  &  jurifdiâions  d'im- 
primer, vendre  &  diftribuer  lefdits  livres, 
autres  que  ceux  qui  feront  imprimez, 
dans  ceftuy  noftre  Royaame,  &  par  ce- 
luy ou  ceux  qui  ont  &  auront  pouvoir 
dudit  fieurdeThou,  ny  les  faire  mettre 
en  François  fans  Ion  fceu  Se  permiflton  , 
fur  peine  de  confîfcation  defdits  livres  & 
d'arpcnde  arbitraire.  Donné  à  Paris  le 
vingt-deuxiefme  jour  de  Janvier,  l'an 
de  grâce  mil  fîx  cens  fept,  &  de  noftre 
règne  le  dix-huitiefiTic. 

Par  le  Roy  en  fon  Confeil , 

Signé  ,  P  II  R  R  o  "^^ 

yij 


j^6       PIECES   CONCERNANT  ^HISTOIRE 

CLine  verfion,  ou  d'y  en  vendre  aucune  imprimée  ailleurs. 
11  ne  fçait  ni  moy  aulTi  qui  eft  l'autheur  de  cette  verfion , 
feulement  il  a  elle  adverti  par  quelqu'un  que  mon  Seigneur 
de  Candale  la  faifoit  imprimer ,  ou  vouloit  faire  imprimer , 
&  que  en  f^aviez  quelque  chofe  5  ce  qui  l'a  occafionné  de 
vous  prier  par  moy  que  apportalTiez ,  s'il  vous  plaift ,  voftre 
crédit  à  ce  que  cela  n'advienne  :  veu  mefmes  qu'il  y  en  a 
une  nouvelle  édition  fur  la  preiTe  tantoft  achevée ,  augmen- 
tée de  la  moitié  autant.  Je  vous  prie  donc  de  donner  audit 
Sieiu:  ce  contentement,  que  pour  plufieurs  caufes  il  defire 
obtenir  de  vous,  &  de  tous  ceux  qui  par  delà  voudroient 
reimprimer  fon  œuvre  à  fon  defçû,  foit  en  Prançois ,  foit  en 
Latin.  Si  je  vous  avois  dit  ce  qui  principalement  le  meut  à 
s'oppofer  à  cela,  vous  trouveriez  bonne  fa  refolution.  Je  de- 
fîrerois  bien  que  mes  affaires  ne  me  contraignifTent  point 
d'aller  par  delà,  fur  tout  pour  ne  perdre  tant  de  temps  que 
les  voyages  font  confumer  fans  aucun  fruits  mais  fi  je  fuis 
contraint  de  ce  faire,  je  me  confole  que  j'auray  le  bien  de 
vous  voir,  &  difcourir  avec  vous  de  plufieurs  chofes  ,  fi  Dieu 
le  veut.  Je  fuis  après  à  une  édition  de  Polybe ,  grand  & 
excellent  autheur ,  comme  vous  favez  trop  mieux  :  je  me  fuis 
enfin  laifle  perfuader  de  le  mettre  en  Latin ,  puifque  jufqu'à 
prefentj  on  ne  l'a  veu  que  à  travers  de  bien  efpaiiTes  nues. 
J'ay  aufïï  illuftré  grandement  ce  qui  eft  de  l'art  militaire  an- 
cien ,  en  quoi  Polybe  &  Caefar  n'ont  point  d'efgaux.  Ce  fera 
mon  travail  pour  encore  un  an  ou  deux  ,  fi  Dieu  m'en 
fait  la  grâce ,  car  l'œuvre  eft  grand  &  très  difficile ,  &  je  de- 
fire ne  m'en  acquitter  de  legier.   Tenez  moy^  Monfieur, 

à  Paris  ce  27  Jan-  Voftre  très  humble  ferviteur. 

vier  id'o^.  Is.'C  a  s  a  u  b  o  n^ 

Au  dos  eft  efcrit  :  y^  Monfieur  Goulart  fidek  Pajîear  de 
l'Eglife  de  Dieu, 

Lettre  de  M.  k  Cardinal  Sforze,  à  M.  De  Thou. 

S?pn"Vur7é  T'^Ytou}ours  cu ,  Mouficur ,  une  véritable    eftime  pour 

Manufcrit,      J  VOUS,  fondée  fur  votre  mérite  &  vos  vertus,  auxquelles 

on  ne  peut  s'empêcher  de  rendre  jiiftice.  Je  vous  en  aurois 


Î)E  J.  A.  DE  THOU.  157 

donné  volontiers  des  marques ,  il  l'occafion  s'en  étoit  prefen- 
fée ,  comme  je  l'ai  defiré  &  le  délirerai  toujours.  Je  vous 
écris  cette  Lettre  pour  vous  aiîlirer  de  mes  fentimens  à  votre 
égard,  &  vous  remercier  de  la  bonté  que  vous  avez  eue 3 
non-feulement  de  faire  une  mention  honorable  de  ma  famille 
dans  votre  Hiftoire  ,  mais  encore  de  parler  de  moi  en  parti- 
culier ,  dans  la  Lettre  que  vous  avez  écrite  à  Monfeigneuf 
del  Pozzo,  que  j'ai  lue  avec  beaucoup  de  plaifir.  J'en  prens 
toujours  un  très-grand  à  lire  l'Hiftoire  5  mes  occupations  ne 
me  permettant  pas  d'écrire  moi-même ,  comme  mon  incli- 
nation m'y  porteroit.  Si  jamais  j'en  ay  le  loifir ,  comme  je  fais 
beaucoup  de  cas  de  tout  ce  qui  part  de  votre  plume ,  j'aurai 
quelquefois  recours  à  vous.  A  l'égard  de  ce  qui  concerne 
ma  famille,  je  ne  puis  vous  rien  dire  de  particulier.  LeCo- 
rio ,  Paul  Jove  &  Guichardin ,  ont  parlé  aflez  au  long  de 
mes  ancêtres  &  des  affaires  auxquelles  ils  ont  eu  part,  tandis 
qu'ils  ont  été  en  pollefTion  du  duché  de  Milan.  Depuis  qu'ils 
en  ont  été  dépoiiillés  ,  tous  les  Ecrivains  Italiens ,  foit  ceux 
qui  ont  écrit  des  hiftoires  générales ,  foit  ceux  qui  en  ont  écrit 
de  particulières ,  (  de  ce  nombre  eft  l'Adriani ,  qui  n'eft  pas 
un  auteur  fort  eftimé  parmi  nous ,  )  ont  dit  tout  ce  qui  pou- 
voit  regarder  le  Comte  de  Santa-Piore  mon  père  ,  &  le  Car- 
dinal fon  frère.  Je  fais  aduellement  travailler  à  la  vie  de  mon 
père  en  latin,que  je  prendrai  la  liberté  de  vous  envoyer  pour  vc- 
riiîer  les  faits  qui  ont  une  liaifon  avec  les  affaires  de  France.  Vous 
verrez  au  refte ,  qu'à  peu  de  chofe  près,  &  feulement  par  rap- 
port à  des  dérails  peu  importans ,  tout  s'accorde  avec  ce  que 
vous  en  avez  écrit.  Mais  je  ne  veux  pas  que  l'ouvrage  paroiffe 
en  public,  avant  que  vous  l'ayez  vu,  &  que  vous  lui  ayez 
donné  votre  approbation.  Le  Cardinal  Alexandre  Sforze  , 
dont  vous  faites  mention  étoit  mon  oncle ,  &  frère  de  mon 
père.  C'efi:  apparemment  celui  qui  étoit  fi  ami  du  vieux  Cardi- 
nal de  Bourbon  :  car  je  me  fouviens  que  c'eft  moi  qui  dans  ma 
jcuneile  ai  eu  des  affaires  à  traiter  avec  le  jeune  Cardinal  de 
Bourbon, &  que  j'ai  été  avec  lui  en  commerce  de  Lettres.  Vous 
pouvez  en  être  affùré.  Je  vous  prie  de  compter  toujours  fur  la 
difpofition  où  je  fuis  devons  obliger  dans  toutes  les  occafions, 
comme  je  fuis  perfuadé  que  de  votre  côté ,  vous  vous  inje- 

V  iij 


î 


) 


PIECES  CONCERNANT  L^ÎSTOIRE 


reliez  infiniment  à  tout  ce  qui  me  regarde.  Je  fuis,  MoniîciLif  ; 

De  Pvome,  le  dernier        Voftre  très-affedionnéferviteur; 
jour  de  Mai  1 606,  Le  Cardinal  S  f  o  r z  k. 

Lettre  de  M.  DeThou,àM.  Dupuy ,  à  Rome, 

imprimée'fur  T\  /T  Onsieur.  J'ay reçu  la  voftre  du  2p  du  paffé ,  enfem- 
ie  Manufcrit.  J^  V^  ble  ccllc  de  Monfeigncur  le  Cardinal  Sforza ,  à  laquel- 
le je  ne  feray  refponfe  qu'en  lui  envoyant  noftre  féconde  par- 
tie, laquelle  je  crains  que  ne  foitaufli  mal  receue  que  la  pre- 
mière. Pour  cette  heure  il  fuffira  que  preniez  la  peine  de  lu.y 
baifer  les  mains  de  ma  part ,  &  Tafleuriez  de  mon  très  humble 
fervice.  Vous  aurez  reçu  maintenant  celle  que  je  vous  efcrivis 
dernièrement,  avec  celle  que  j'addreflay  à  Monfeigneur  le 
Cardinal  du  Perron.  Après  que  j'auray  reçu  fur  icelle  voftre 
refponfe^  je  ne  faudray  à  lui  faire  une  recharge  conformé- 
ment à  ce  que  Mademoifelie  voftre  mère  m'a  dit  que  déli- 
riez. Cependant  vous  le  pourrez  fupplier  de  ma  part ,  de  faire 
Tofiice  que  Monfeigneur  le  Cardinal  Sforza  trouve  bon  eftre 
fait.  Il  eft  bien  difficile  de  dire  la  vérité ,  comme  la  loy  de 
l'Hiftoire  le  requiert  &  qu  elle  eft  prefcrite  par  Polybe ,  &  pou- 
voir plaire  aux  Grands.  C'eft  un  grand  malheur  aujourd'huy , 
qu'il  faille  faire  banqueroute  à  fa  confcience ,  ou  defplaire  à 
ceux  que  chacun  defire  avoir  pour  amis  ;  &  qu'il  ne  fe  trouve 
point  de  moyen  en  cela.  Mais  il  y  a  une  puiftance  plus  grande 
que  tout  ce  que  nous  voyons  ,  qui  nous  fera  un  jour  raifon  à 
tous.  C'eft  là  où  il  faut  que  les  bons  afpirent ,  &  mettent  toute 
leur  gloire  &  efperance  fur  cette  rcfolution.  Après  avoir  baifc 
très  humblement  les  mains  à  Monfeigneur  le  Cardinal  Séra- 
phin, je  fupplieray  N.  S.  Monfieur,  vous  donner  en  fanté  fa 
grâce. 

De  Paris  ce  21  Voftre  humble  ferviteue 

Juillet  i6q6.  &  Coufin , 

J.  A.  De  Thou, 


t)Ë  J.  A.  DT  tHOU.  1^^ 

Lettre  de  AI.  De  Thoit ,  à  Monfeigneur  le  Cardinal  du 

Perron ,  à  Rome, 

MONSEIGNEUR.  Quand  je  n'aurois  autre  fujet  de  vous  i^prin^ée  fur 
efcrire ,  les  bons  offices  que  Monfieur  Du  Puy  m'a  fait  le  M^nufcrU* 
entendre  que  m'avez  rendu  en  chofe  qui  regarde  plus  le  pu- 
blic &  la  France  que  mon  particulier  ,  m'y  obligent.  Je  vous 
remercie  très  humblement  du  tefmoignage  qu  il  vous  a  plu 
rendre  de  moy^  ôcla  vraye  &  jufte  raifon  qu'il  vous  a  plu  aufll 
apporter  de  ce  que  je  parle  fi  modérément  d'aucuns  dont  le 
nom  ne  peut  eftre  entendu  qu'avec  offenfe  au  lieu  où  vous 
elles.  Il  y  a  différence  de  la  Religion  ,  &  de  la  Dodrine  hors 
la  Religion.  J'ay  loué  l'un ,  &  pafle  légèrement  l'autre ,  de 
peur  de  violer  les  loix  fous  lefquelies  nous  vivons  en  paix , 
lefquelles  11  tous  font  obligés  de  garder ,  &  plus  ceux  qui  ont 
efté  employés  à  les  faire.  Vous  me  connoiilez  d'ailleurs ,  Ôc 
ma  franchife  &  fincerité.  Le  trop  grand  amour  delà  vérité, 
duquel  il  vous  a  plu  particuHerement  rendre  fi  honorable  tef- 
moignage par  cfcrit ,  me  peut  avoir  concihé  cette  haine  5  mais 
j'efpere  en  votre  faveur  &  bonté ,  que  ce  que  la  necefïité  de 
l'œuvre  par  moi  entrepris  a  exprimé  de  moy,  ne  diminuera 
en  rien  la  bonne  opinion  que  vous  avez  toujours  eu  de  moi. 
Je  vousfupplie  donc  de  continuer  en  vos  bons  offices,  & 
me  tenir  pour  ce  que  je  vous  fuis  &  de  tout  ce  qui  vous  tou- 
che ,  c'eft  à  dire ,  Monfeigneur, 

De  Paris  ce  12  VoUre  très  humble  &  trcs 

Juin  i6q6,  affedionné  ferviteur. 

De  Thou. 

Lettre  de  Monfeigneur  le  Cardinal  du  Perron  j  à  M.  De  Thou. 


M 


O  N  s  I  E  u  R.  Te  ne  puis  que  je  ne  me  fente  fort  oblige,  7'^^  f  ^^  ^^' 
a  1  occafion  qui  ma  donne  iujet  de  vous  lervir,  au  cardinal  du 


laid  de  voftre  Livre  j  puifque  les  remerciménts  qu'il  vous  a  p^^rr*?", Paris,  , 

pieu  m'en  rendre  par  voftre  lettre  ,  font  fi  honorables  qu'ils  ^q^.^^^^'  ^'  i 

méritent  eux-mefines  mille  remerciménts.  J'ay  toute  ma  vie  ^ 

autant  prifé  &  eftimé  vos  vertus,  que  perfonne  du  monde:  \ 

mais  cefte  mienne  ellime  :  g^ue  jepenfoisefoe  au  comble  5c  \ 


r6o         PIECES   CONCERNANT  L'HISTOIRE 

à  la  cime  de  fa  perfedion,  a  elle  encore  beaucoup  augmen- 
tée ,  par  le  luftre  que  j'ay  recogneu  que  vo3  efcrits  apportent 
à  noftre  fiecle.  C'eft  pourquoi  j'ay  cru  devoir  d'autant  plus  ay- 
der  à  procurer  que  le  public  en  joùilTe  pleinement  &  univcr- 
fellement.  Ils  font  grandement  honorez  par  tout  :  mais  j'ofe- 
ray  dire,  ôc  le  diray  véritablement,  qu'ils  le  font  plus  en  Ita^ 
lie,  de  ceux  qui  les  ont  veus,  qu'en  aucun  autre  lieu  de  l'Eu- 
rope. Meflfieurs  les  Cardinaux  Aquaviva  ,  Vifconti,  Sforfe, 
^  autres  de  ce  Collège ,  qui  ont  l'efprit  eflevé  par  deffus  la 
portée  ordinaire  des  hommes ,  ne  fe  peuvent  lafler  de  les  louée 
&  célébrer ,  &  de  les  mettre  au  premier  rang,  après  Sallufte, 
Tacite  ,&  autres  anciennes  lumières  de  l'Hiftoire  Latine.  Et 
pourtant  avez-vous  grand  intereft  que  le  vol  de  leur  gloire 
ne  foit  point  raccourcy,  &  que  les  copies  s'en  diftribuent  li- 
brement en  cefte  Province,qui  eft  le  plus  refonnant  &  refplen-» 
diflant  théâtre  du  monde ,  &  où  ils  font  receus  &  defirez  avec 
tant  d'applaudiiTement.  C'eft  chofe  qui  fe  fera  fans  beaucoup 
de  mutation.  J'en  ay  parlé  par  diverfes  fois  au  Pape ,  lui  repre^ 
Tentant  le  mérite  de  l'œuvre ,  &  la  condition  du  temps  où  il  a 
çfté  efcrit ,  à  fçavoir ,  durant  les  derniers  troubles  ,  pendant  lef- 
quels  ceux  qui  aimoient  la  confervation  de  l'Eftat ,  Ôc  en  ap- 
prehendoient  la  ruine ,  qui  eftoit  toute  proche  &  imminente , 
tendoient  pluftoft  à  maintenir  en  union  les  efprits  qui  affec- 
tionnoient  la  défenfe  commune  de  leur  patrie,  qu'aies  aigrir 
&divif:r  par  toucher  lors  feverement  les  ulcères  de  la  Reli? 
gion.  Sa  Saindeté  m'a  monftré  d'en  faire  le  cas  qu'il  convient; 
ôc  de  deiîrer  que  l'on  y  procède  avec  toute  la  douceur ,  refpect 
&  difcretion ,  dont  font  dignes  les  vertus  ôc  qualitez  de  l'œu- 
vre ôc  de  l'Autheur ,  de  manière  que  je  crois  que  l'une  des 
bonnes  fortunes  de  voftre  livre  aura  efté  ce  peu  d'oppofition  , 
qu'il  a  trouvée  au  commencement  ;  d'autant  que  ceft  obftacle 
aura fervy  à  le  faire  voir ,  ePdmer  ,  &  admirer  par  deçà,  &à 
faire  délirer,  comme  l'on  fait  avec  impatience,  que  le  troi- 
(lefme  tome  forte  bientoft  en  lumière.  Ce  vous  doit  eftre  un 
doux  fruid  de  voftre  peine ,  d'eftre  loué  par  tout.  Mais  fi  Ale- 
jcandre  cheriilbit  fes  travaux ,  pourl'efperance  qu'il  avoir  d'eftre 
particulièrement  loué  des  Athéniens  ;  d'autant   plus  devez 
vous  recevoir  de  contentement ,  d'eftre  loué  des  efprits  d'I- 
talie, cj[ui  pour  l'ordinaire,  en  la  partie  du  jugement,  empor- 
.  tent 


DE    J.     A.    D  E   T  H  O  Û.  i^r 

tcnt  la  palme  par  defïlis  tous  les  autres.  Je  m'en  rejouys  avec 
vous ,  &  prie  Dieu ,  Monfieur ,  qu'il  vous  ayt  en  fa  fainde  ôc 
cligne  garde. 

De  Rome  ce  1 2  Voftre  affectionné  ferviteur , 

Juillet  ido^.  J.  Cardinal  Du  Perron. 

Lettre  de  M.  De  Thon ,  à  M.  Dupuy  j  à  Rome. 

O  N  s  I  EU  R.  Je  n'ay  fait  refponfe  à  la  voftre  dernière  imprimée  fur 
du  25)  Juin ,  avec  laquelle  m'avez  envoyé  les  Eloges  le  Manufcrit. 
d'Efpagne ,  attendant  la  lettre  de  Monfeigneur  le  Cardinal  du 
Perron,  qui  m'aefté  gardée  fort  long  temps  ,  enfin  je  l'ay  re- 
çue feulement  devant  hier.  Je  ne  luy  efcriray  que  lorfqueje 
luy  enverray  la  féconde  partie.  Cependant  je  vous  prie  le  voir, 
ôc  lui  baifer  très  humblement  les  mains  de  ma  part ,  le  remer- 
ciant de  la  lettre  qu'il  m'a  efcrite ,  en  laquelle  il  adjoute  à  ceux 
qui  m'aviez  averti  qui  me  faifoient  l'honneur  de  ne  desfavo- 
rifer  mon  travail ,  le  Cardinal  Aquaviva.  Je  loue  Dieu  fi  en 
un  œuvre  entrepris  pour  le  public  je  n'ay  pu  plaire  à  tous ,  au 
moins  que  je  n'aye  defplû  à  ceux  defquels  la  grandeur  d'efprit 
conjointe  à  la  fplendeur  delà  race,  peuvent  mieux  juger  de 
telles  chofes ,  que  le  commun  des  efprits  eflevés  en  bas  lieux , 
quelque  érudition  que  par  eilude  ils  ayent  acquife  j  c'eft  à 
ceux-là  que  j'appelleray  ,  quand  les  autres  me  condamneront. 
Mais  la  pofterité  en  donnera  le  jugement  définitif  Ce  m'eft 
aflez  que  maintenant  je  puiffe  defcliner  l'envie  &  la  haine  pu- 
blique. Quand  j'cfcriray  à  Monfeigneur  le  Cardinal  du  Per- 
ron, je  ne  faudray  à  l'office  que  Mademoifelle  voftre  mère 
m'a  fait  entendre  que  déliriez  de  moy.  Je  vous  prie  de  faluer 
de  ma  part  Monfeigneur  le  Cardinal  Séraphin.  Je  n'ay  reçu 
aucunes  lettres  de  luy.  J'aime  mieux  fes  bons  effets  que  j'ay 
efprouvé  ,  &  defquels  je  ne  perdray  jamais  la  mémoire  ,  que 
les  belles  &  honneftes  lettres  des  autres.  Il  peut  craindre  que 
fes  lettres  ne  fuftent  veues ,  &  que  s'en  fervant  par  deçà ,  cela 
luy  pût  nuire  par  delà.  Comme  je  dis  librement,  ôcefcrisce 
quejepenfe,  ainfi  fuis-je  religieux  fecretaire  de  ce  qui  m'eft 
efcrii,  &  commis  à  ma  foy  par  ceux  qui  me  font  l'honneur  de 
411' aimer.  Peu  de  pcrfonnes  vôyent  les  lettres  qui  viennent  de 
Tome  XK  X 


i62        PIECES    CONCERNANT    L'HISTOIRE 

voftre  part,  lefqaelles  je  garde  pour  ma  confolation  &conten?- 
tement  particulier  :  non  pour  en  faire  monftre,  comme  plu- 
lieurs  font  indifcrettement  ,  &  par  oftentation.  Je  fuis  fort 
aliéné  de  telles  vanités.  S'il  vient  à  propos ,  vous  l'en  pourrez 
affûter  5  car  je  crois  que  c'eft  cela  qui  le  rerient  de  m'efcrire. 
Je  vous  remercie  des  Eloges  d'Efpagne.  J'ay  fçù  d'ailleurs  le 
.  jour  du  decés  d' Alvariis  Gomecius.  Vous  trouverez  icy  le  nom 
de  quelques  autres  Italiens ,  defquels  je  vous  prie  vous  enqué- 
rir à  voftre  loifir.  J'ay  achevé  tout  l'œuvre ,    lequel  arrive  à 
cxx  Livres ,  mais  vous  n'en  verrez  prefentement  que  l  i .  Je 
crains  fort  que  cette  dernière  partie  ne  m'excite  nouvelle  en- 
vie. Toutesfois  j'efpere  en  l'équité  de  mes  bons  SeigneiKS 
amis ,  qui  défendront  mon  innocence  5  ils  en  feront  les  pre- 
miers juges.  Je  vous  envoyeray  fept  exemplaires  en  blanc,, 
car  la  relieure  peferoit  trop  :  il  y  a  en  aura  cinq  pour  Meiiei- 
gneurs  les  Cardinaux  Aquaviva,  Vifconti ,  Sforza ,  Séraphin , 
&  du  Perron  5  deux  pour  vous ,  à  la  charge  d'en  faire  part  au 
Seigneur  Vialard.  J'en  chargeray  Monfieur  l'Huillier ,  lequel 
vous  les  fera  tenir  à  la  première  commodité  ;  car  par  la  voye 
de  Francfort  &  de  Venife  l'attente  euft  efté  trop  longue.  Faites 
moy  part  fouvent  de  vos  nouvelles.  En  cet  endroit  je  fupplie 
N.  S.  Monfieiu* ,  vous  donner  en  fanté  fa  grâce. 

De  Paris  ce  1 4  Voflre  humble  ferviteur  &  Coufin  ^ 

Aouft  ido^j.  J.  A.  De  T  HOU., 

Lettre  de  M.  de  Thou  ^  à  Monfieur  Ditptty  y  à  Rome, 

MONSIEUR.  J'ay  reçu  la  voftre  du  20  Septembre  avec 
l'enclofe,  ieulement  le  10  duprefenr.  Je  fais  refponfe 
au  Seigneur  Mutio  Ricceri.  Il  y  aura  un  exemplaire  pour  luy 
avec  ceux  que  recevrez  par  la  voye  du  Sieur  l'Huillier ,  mais 
je  ne  fçay  quand  ce  pourra  eftre  •■>  car  le  paquet  de  tant  de  livres 
eft  gros  &  pefant.  J'ay  aufll  reçu  le  livre  de  Scriptoribus  Fioren- 
tinis  que  j'avois  desja  par  la  voie  de  Monfieur  d' Abain ,  lequel 
a  publié  icy  avant  que  d'aller  en  Poidou  mille  invedives  con- 
tre mon  Hiftoire ,  &  dit  qu'il  ne  fera  enfin  en  la  puiilance  de 
Sa  Saindeté  d'empefcher  qu'elle  ne  foit  cenfurée  par  delà.  Si 
je  le  vois  au  retour ,  je  lui  demunderay,  pro  jure  ami  ci  ti<ff  y  s'il 


DE  J.  A.  DE  THOU.  16^ 

parle  de  lui-même  ou  par  la  bouche  d'autruy^  &  de  qui.  Quant 
à  ce  que  me  mandez  du  Sieur  Claudio  Maretti  pour  le  voyage 
du  Pape  Clément  à  Barcelone ,  je  ne  vous  peus  maintenant 
dire  au  vray  qiw  autkore  je  l'ay  efcrit ,  parce  que  je  n  ay  le  loi- 
fir  de  feuilleter  mes  livres ,  &  revoir  mes  mémoires  5  mais  je 
crois  que  s'il  prend  la  peine^il  le  trouvera  dans  Guicciardin.  J'y 
verray  de  plus  près,  cùmper  negotia  licebiu  Je  baile  très  hum- 
blement les  mains  à  Monfeigneur  le  Cardinal  du  Perron,  & 
fuis  de  plus  en  plusfon  oblige.  Encore  que  je  ne  me  foucie  d'un 
tel  pédant  (  i  )  que  "celuy  dont  m'efcrivez,  duquel  j'ay  veu 
i'infame  Commentaire  in  Priapei a,  toutes^ois  je  ferois  bien  aife 
defirant  le  repos ,  n  eilre  abboyé  de  tels  chiens  enragés.  Il  eft 
gagé ,  comme  vous  m'efcrivez ,  &  de  ceux  que  fçavcz  ,  pour 
offenfer  tous  les  gens  de  bien.  Celuy  mentionné  au  commen- 
ment  de  celle-cy  qui  retourne  bientoft  par  delà ,  eft  fon  pa- 
tron ,  &  penfe-t-on  que  c'eft  luy  qui  le  lance  contre  fon  ancien 
précepteur  5  ingratitude  punifiàble  :  &  puis ,  que  fert  pour  l'a- 
vancement des  Lettres  ex  û^ua genre prcgnaîus  fn  ille  literato- 
rum  jirinceps  ?  On.  ne  fçait  que  dire  à  fes  livres,  l'on  s'attache 
à  fon  nom.  Je  crois  qu'il  aura  fort  apprefté  à  parler  &  à  efcrire 
par  fon  Eufebe.  Je  devrois  avoir  part  à  l'envie,  quand  l'on 
verra  mon  nom  au  front  du  livre  ;  mais  il  fe  fçaura  bien  def- 
fendre  tout  feul,  fans  qu'il  foit  befoin  que  je  lui  ferve  ou  fois 
appelle  pour  fécond. 

Baifez  les  mains  de  ma  part  à  Monfeigneur  le  Cardinal  Sé- 
raphin ,  l'adeurant  de  mon  très-aftedionné  fervice.  Je  crois  que 
quand  vous  avez  efcrit  celle  à  laquelle  je  fais  refponfe  ,  vous 
n'aviez  encore  reçu  les  dernières  que  j'avois  efcrites  devant 
que  partir  pour  Perigord  ,  tant  à  Monfeigneur  le  Cardinal  Sfor- 
za  ,  qu'à  Monfeigneur  le  Cardinal  du  Perron,  auquel  je  n'ay 
obmis  l'office  que  déliriez  de  moy.  Vous  les  aurez  reçeues 
depuis.  J'ay  depuis  la  voltre  receue ,  reçu  une  autre  du  Sei- 
gneur Cardinal  Sforza  par  la  voye  de  Monfieur  l'Ambafla- 
xieur,  à  laquelle  je  fais  prefentement  refponfe.  Vous  la  luy  pre- 
Tenterez  j  s'il  vous  plaitt,  &  l'afllirerez  qu'au  pluiloft  que  je 
pourray ,  je  feray  tenir  l'exemplaire  de  la  féconde  partie.  L'on 
parle  icy  que  Monfeigneur  le  Cardinal  du  Perron  veut  chan- 
ger d'air  5  faites  en  forte  devant  fon  partement  que  cette  affaire 

(i)  C'eft  Scioppius. 


Xij 


16-4        PIECES    CONCERNANT    L'HISTOIRE 

foit  mife  en  teleftat,  que  les  brouillons  ne  puillent  la  traver- 
fer.  J'efpere  blentoil  recevoir  lettres  de  vous  plus  récentes  que 
les  dernières.  Je  me  garderay  la  vous  faire  plus  longue ,  linon 
pour  fupplier  N.  S.  Monfieur ,  vous  donner  en  famé  fa  grâce. 

DeParisceij^  Voftre  humble  Coufin 

Décembre  i(j G (!».  àvousfervir. 

De  T  h  o  ir. 

Extrait  d'une  Lettre  de  M.  Duptty  à  M.  Jofeph  Jujîe  de  la 
Scala  3  du  11  Janvier  i6oj. 

Tiré  des  E/>i/"-  T      A  première  partie  de  FHiftoire  de  Monfieur  deThoua 

très  ^^''Y^-f^/   I ^  eu  mille  traverfes  à  Rome  de  s'efchapper  de  la  cenfure  ? 

scaL,  impri-  mon  frère  y  afervy  Monfieur  de  Thou  comme  fon  debvoir  l'y 
niées  à  Har-  obligeoit.  Monfieur  le  Cardinal  du  Perron ,  avec  lequel  il  eft 
8^.^i7z\.  pa*"  maintenant ,  a  monftré  combien  il  eftoit  amy  de  Monfieur 
09'  &  3 10.     de  Thou  &  qu'il  Taffedionnoit  grandement ,  ayant  commandé 
à  ce  Schoppius  de  fe  taire ,  voulant  au  livre  qu'il  a  faid  contre 
vous ,  efcrire  contre  ledid  Seigneur  Prefident  fur  ce  qu'il  loue 
en  fon  Hiftoire  plufieurs  grands   perfonnages,  comme  Ph. 
Melanchton ,  Monfieur  Cafaubon  &  autres.  .  .  .  Les  Cardi- 
naux Sforzeôc  Séraphin  ontaufii  fort  défendu  ce  livre  :  cefte 
féconde  partie  renouvellera  la  querelle. 

Lettre  de  Monfei^neur  leCardinalSforze  à  M.DeThou. 

Traduit  de  C?  ^  ^^  "^  VOUS  ai  pas  plutôt  exprimé  ma  reconnoiffance  s 
l'Italien  fur  le  j^  Monfieur^  de  l'amitié  que  vous  me  témoignez  dans  votre 
î^anucru.  ^g^niere  Lettre,  je  vous  prie  d'être  perfuadé  que  je  n'en  ai 
pas  été  pour  cela  moins  touché.  J'ai  été  jufqu'ici  occupé  par 
des  voïages  &  par  d'autres  affaires.  Aujourd'hui  que  je  fuis 
plus  libre ,  je  vous  rends  toutes  les  adions  de  grâces  polfibles 
à^s  obligations  que  je  vous  ai ,  &  que  je  tâcherai  de  recon- 
noître,  quand  l'occafion  s'en  prefentera.  J'ay  déjà  eu  l'hon- 
neur de  vous  marquer  :,  il  y  a  quelque-temps ,  le  defir  que  j'a^ 
vois  de  vous  être  utile ,  &  le  cas  que  je  fais  de  vos  avis  par 
rapport  à  la  vie  de  mon  père ,  fur-tout  à  l'égard  des  affaires  qui 
regardent  la  France ,  vous  priant  d'avoir  la  bonté  de  jetter  les 


DE  J.  A.  DE  THOU.  1^5- 

yeux  fur  cet  ouvrage,  "oc  d'en  vérifier  les  faits,  dans  ce  qui 
regarde  les  affaires  de  votre  roïaume  5  étant  réfoîu  de  ne  lui 
point  laiffer  voirie  jour  ^  que  vous  lui  ayez  donné  votre  ap- 
probation. J'aurois  une  longue  réponfe  à  faire  à  votre  lettre 
toute  pleine  de  fagelTe.  (i)  Mais  comme  je  ne  le  pourrois faire, 
fans  repeter  les  mêmes  chofes  que  vous  avez  dites ,  afin  de 
confirmer  la  vérité  de  tout  ce  que  j'avance,  je  mécontente- 
rai feulement  de  vous  reprefenter  qu'il  a  été  toujours  impoill- 
ble  d'échapper  aux  calomnies  des  méchans  5  &  que  comme 
fouvent  la  vertu  d'un  feul  homme  a  triomphé  des  eftbrts  de 
la  multitude ,  on  doit  aufii  fe  confoler ,  en  fongeant  que  la 
vérité  accompagnée  de  la  vertu ,  devient  à  la  fin  une  femence 
qui  produit  le  repos  Ôc  la  tranquillité  de  l'ame.  Je  fuis  j  Monfieur^ 

De  Rome  le  i  o  Votre  très-afïedlionné  ferviteur , 

Novembre  1  d'à 6".  Le  Cardinal  Sforze. 

Lettre  de  M.  de  Thou ,  à  Monfieur  Dupuy ,  à  Rome, 

MONSIEUR.  J'ay  reçu  la  voftre  du  2 1  Février.  Je  n'ay  imprimée  fur 
reçu  la  refponfe  du  Seigneur  Mutio  Ricceri  mentionée  le  ManufcEic 
en  icelle.  Je  ne  fçais  fi  Monfeigneur  le  Cardinal  Séraphin  au- 
ra reçu  la  féconde  partie  ^  qui  luy  avoit  efté  envoyée  par  Mon- 
fieur  Ribier ,  Conîeiller  en  cette  Cour.  J'en  avois  configné  un 
exemplaire  es  mains  de  Monfieur  Prevoftat  pour  Monfeigneur 
le  Cardinal  du  Perron  5  mais  il  me  le  rendit  le  jour  devant 
que  partir  ,  &  ne  s'en  voulufl  charger.  J'avois  auffi  chargé 
Baptifie  d'un  autre  pour  Monfeigneur  le  Cardinal  Sforza,  le- 
quel l'emporta  j  mais  à  ce  que  je  voispar  la  voftre,  il  n'a  efté 
rendu ,  dont  je  fuis  très  marry  î  ce  que  je  vou^  efcris  pour  vous 
tefmoigner ,  que  j'ay  fait  en  cela  ce  que  j'ay  pu  faire.  J'en  ay 
fait  mettre  un  autre  depuis  es  mains  de  Monfieur  du  Perron 
pour  le  faire  tenir  à  Monfeigneur  fon  frère.  Je  ne  fçais  fi  la 
fortune  de  ce  dernier  aura  efté  meilleure  que  des  premiers.  Si 
Sonnius  envoyé  des  livres  à  Rome  je  feray  mettre  quelques 
exemplaires  en  fes  baies.  L'on  fe  pourra,  en  ce  temps ,  &  nom- 
mément parde-là,  ofFenfer  de  l'Arreft  deXanquerel,  lequel 
je  n'ay  pu  obmettre  en  fon  année  ,  eftant  un  monument  me- 

(i)  Du  i.May  1^06.^  V.  cy-defliis ,  pag.  148, 

Xii] 


■^66         PIECES  CONCERNANT   L'HISTOIRE 

morable  de  nos  libertés  &  franchifes  ,  duquel  l'exemple  a 
eftc  renouvelle  depuis  dix  ans ,  mefmes  en  cette  mefme  Cour , 
&  l'année  mefme  que  fa  Majefté  reçut  la  benedidion  du  S. 
Père,  par  un  Arreft  exécuté  avec  la  mefme  cérémonie  en  la 
Sorbonnepar  M.  le  Prelîdent  Forget.  Hors  cela,  l'on  n'aura 
occafion  de  fe  plaindre ,  comme  je  crois ,  finon  que  je  femble 
parler  trop  modérément  des  Proteftans.  Mais  j'efcris  en  France, 
ôc  penfe  m'en  eftre  allez  excufé  en  la  Préface 5  laquelle,  com- 
me je  vous  ay  efcrit  cy-devant ,  n'eftoit  faite  pour  la  feule  pre- 
mière partie  ,  mais  pour  tout  l'œuvre.  Je  vous  fupplie  de  bai- 
fer  les  mains  à  tous  mes  bons  Seigneurs  &  amis  que  j'ay  en. 
cette  Cour ,  &  les  fupplier  de  ma  part  d'embrafler  la  défenfe, 
de  ma  candeur  &  de  mon  innocence.  Quand  à  ce  que  m'ef- 
crivez  du  Seigneur  Claudio  Maretti,je  ne  me  fouviens  plus 
de  quel  lieu  de  Guicciardin  vous  entendez ,  fi  ce  n'eil:  de  ce- 
luy  auquel  il  parle  de  certains  Edits  Pragmatiques  faits  par  l'Em- 
pereur en  Efpagne  contre  l'authorité  du  Siège  Apoftolique. 
Le  lieu  eft  au  livre  xvri ,  qui  eft  l'un  des  ajoutés  en  la  féconde 
édition  en  la  page  6.  de  celle  de  Gab.  Gioiito  de  Venife ,  de 
l'an  i^6p.  Il  y  a  un  autre  lieu ,  où  je  dis  que  le  Prince  d'Oran- 
ge chef  de  l'entreprife  de  Florence  deteiioit  en  cela  la  cupi- 
dité du  pape.  Il  eft  pris  du  xix  Livre  page  i  j  i  de  la  mefme 
édition  de  Gioiito.  Quant  à  Scioppius ,  il  le  faut  lailîer  abboyer, 
c'eft  un  clabaud  importiui ,  il  aura  fa  fureur  pour  peine.  Puif- 
qu'il  s'eil  voulu  addrefler  aux  Pères  Jefuites,  blallnant  leur 
difcipline  en  rinfdtution  de  la  jeunelle ,  il  peut  bien  efcrire 
contre  ceux  aufquels  il  n'eft  obligé  d'aucun  refped  :  fon  Com- 
mentaire fur  les  Priapées  montre  allez  quel  il  eft  au  dedans  & 
au  dehors.  Au  refte ,  le  fecret  en  cela  que  délirez  fera  gardé. 
Je  crois  que  vous  aurez  maintenant  l'Eufebe  tant  attendu.  Mon 
nom  qui  eft  au  devant  me  conciliera  nouvelle  envie.  Je  vou- 
drois  que  les  mots  Vohijïani  Annales  n'y  fuftent  point  5  mais  il 
eft  difficile  de  retenir  la  plume  ^  l'efprit  de  l'Authcur  5  je  fuis 
trop  loing  de  luy  pour  avoir  pouvoir  fur  luy  en  telles  chofes. 
Cela  vous  foit  dit  pour  mefnager  difcrettement  envers  ceux 
que  verrez  à  propos.  Le  Seigneur  Vialard  m'a  efcrit ^  je  luy 
fais  refponfe.  S'il  vous  met  en  main  des  Mémoires  pour  la 
Tranfilvanie  &  la  Pologne ,  vous  me  les  ferez  tenir  à  la  com- 
modité. Vous  l'en  ferez  fouve.nir.,  s'il  vous  plaift.  Je  n'ay  en- 


DE    J.    A.    DE    THOU.                      rf.'j  \ 

core  reçu  ceux  que  m'avez  fait  tranfcrire  par  delà  ,  pourveu  \ 

qu'ils  ne  foient  perdus  ou  égarés  par  les  chemins ,  il  n'y  aura  -\ 
grande  perte  à  l'attente  \  car  il  n'y  a  rien  qui  preiie.  Je  baife  très 

humblement  leî  mains  à  Monfeigneur  le  Cardinal  du  Perron ,  ' 

&fuis  Ton  très  humble  lerviteur.  N.  S.  Monlieur ,  vous  ait  en  \ 

fa  fainte  garde.  i 

De  Paris  ce  i                 Voftre  humble  Coufin  &  ferviteur ,  ' 
Avril  1 507.                                                       D  E  T  H  o  u. 

,1 

Lettre  de  M.  de  Thou  à  Monfieur  Duptty ,  à  Rome, 

O  N  s  I E  u  R.  Je  ne  fçay  fi  depuis  que  je  vous  ay  efcrit,  j^p^i,,,^^  ^„j.  \ 

noftre  féconde  partie  fera  arrivée  jufques  au  lieu  où  le  Manufcrit.  ; 

vous  elles  :  je  ne  defire  tant  qu'elle  foit  venue  par  delà ,  car  je  ,' 

prévois  qu'elle  y  trouvera  plus  d'obtredateurs  que  de  fauteurs  ;  ] 

comme  je  crains  qu'elle  y  foit  portée,  puifqu'elle  eft  publi-  i 

que ,  après  que  Monfeigneur  le  Cardinal  du  Perron  &  vous  n'y  ! 

ferez  plus.  Mais  il  faut  remettre  cela  à  la  bonté  de  Dieu ,  qui  ; 

l'a  jufques  ici  protégée  &  défendue  contre  toutes  les  traverfes  ! 

&  calomnies  que  les  ennemis  de  la  vérité  luy  avoyent  oppofc.  j 

Je  fuis  retourné  en  grâce  par  deqà  envers  plufieurs  qui  s'en  i 

fentoient  offenfez ,  &  le  chef  de  la  famille  a  pris  la  peine  de  ' 
me  venir  vifiter  fur  l'occalion  d'une  affaire ,  me  dilànt  qu'il 

eftoit  bien  aife  d'avoir  eu  fu jet  de  me  voir.  Cela  fçû  par  delà  ; 

pourra  empefcher  ceux  qui  courent  fus  volontiers  à  ceux  -' 

qu  ils  voyent  déjà  pourfuivis  par  d'autres.  Je  crois  aufli  que  ■ 

n'aurez  oubhé  de  refraifchir  la  mémoire  de  ceux  à  qui  Pautheur  j 

&  l'œuvre  touchent.  Car  ce  font  chofes  que  l'on  met  en  con-  I 

fideration  en  ce  théâtre  de  prudence.  Il  fe  faut  aider  de  ces  ; 
moyens ,  puifque  la  vérité  &  l'innocence  ne  font  aiijourd'huy 

fuffifantes  pour  la  défenfe  des  bons.  Confervez  moy  en  la  ' 

bonne  grâce  de  Monfeigneur  îe  Cardinal  Séraphin  ,  &  bai-  s 

fez  les  mains  de  ma  part  à  Monfeigneur  le  Cardinal  Sforza.  i 

J'"ay  envoyé  deux  exemplaires  par  diverfes  voyes  pour  luy ,  &  ; 

le  malheur  a  voulu  que  ni  l'un  ni  l'autre  ne  font  arrivez  à  bon  j 
port.  Ce  m'eft  un  extrefme  regret,  &  me  confolerois  de  la 

perte  de  tous  les  autres,  fij'avois  pu  fatisfaire  à  fon  defir.  Je  ■■ 
fuis  fon  très  humble  ferviteiu'.  Je  n  ay  encore  reçu  les  Memoi-- 


ifTS       PIECES    CONCERKTANT   L'HISTOIRE 

res  que  m'avez  fait  tranfcrire  ,  bien  m'a-t-on  dit  qu'ils  font  en 
cette  ville.  Je  vous  prie ^  iî  avez  la  lifte  des  traités  y  compris, 
me  l'envoyer  ;  car  celle  que  m'avez  envoyée  s'eft  perdue. 

Si  noftre  Hiftoire  d'avanture  arrive  avant  voftre  partement; 
vous  prendrez  garde  au  fait  de  Tanquerel  lib.  xxviii  :  car  je  crois 
que  ceft  exemple  fera  fort  mal  reçu.  Sur  la  fin  de  la  page  ,  le 
lieu  n'a  efté  imprimé  comme  je  l'avois  mis,  erroremà  Bonifa- 
cïo  o5lavo  inveâum  y  5zc.  il  faut  lire  errorem  Bonifacii  oéfavi 
îemporibus  invectum  3  &  pofi  ejusmortem  ,àcc.\\  eftoit  ainii  ef- 
crit  en  ma  minute ,  mais  ou  celui  qui  a  tranfcrit ,  moy  abfent, 
ou  l'imprimeur  &  corredeur  ont  fait  cette  faute.  Je  vous  re- 
commande encore  les  Eloges  de  Gabriel  Faernus,  Andréas, 
Baccius  ,  Francifcus  Turrianus  Jefuite ,  Hercules  Ciofanusqui 
^  fait  des  Notes  fur  Ovide. 

Comme  j'achevois  celle-cy ,  j'ay  reçu  la  voftre  du  p  du 
pafie.  Je  baife  les  mains  au  Seigneur  Vialard,  &  le  remercie 
de  fes  Mémoires.  J'ay  regret  extrefme  que  noftre  Hiftoire  n'ayt 
pLi  arriver  à  bon  port ,  non  pour  defîr  que  j'aye  qu'elle  foit  ve- 
nue par  delà,  car  j'ay  tousjours  bien  penfé  qu'elle  n'y  feroit 
bien  receue;  mais  pour  ce  que  quand  elle  n'y  euft  efté  en- 
voyée de  ma  part,  elle  y  euft  pu  enfin  eftre  portée  d'autre, 
&  plus  mal  traitée  qu'y  eftant  introduite  par  mes  amis.  La  vé^- 
rité  n'a  gueres  d'amis  aujourdhuy,  il  faut  prendre  patience; 
la  pofterité  en  jugera.  Toutes  les  cenfures  ne  peuveut  donner 
ni  ofter  la  vie  aux  livres,  quand  il  n'y  va  point  de  la  Doélrinc^ 
s'il  ne  plaift  au  Seigneur  des  fiecles.  Ce  qui  n  eft  bon  mainte- 
nant ,  fera  meilleur  en  un  autre  temps.  Tout  eft  fujet  au  chan- 
gement :  il  n'y  a  que  la  parole  du  Seigneur  qui  demeure  éter- 
nellement. Ceft  trop  prefcher.  Je  baife  très  humblement  les 
mains  à  mes  bons  Seigneurs  Meifeigneurs  les  Cardinaux  Sfor^ 
za ,  Séraphin ,  &  du  Perron  ,  &  je  fuis  leur  tr^s  humble  fervi- 
teur.  Monfeigneur  le  Cardinal  Sforza  içait  mieux  ce  qui  peut 
fervir  à  mon  Hiftoire  que  moy-mefme.  Tout  ce  qui  vient  en 
mon  temps  m'eft  utile  j  c'eft  à  dire  ,  depuis  ly^^.  jufques  en 
1601.  voire  idoy.  Car  il  m'a  pris  envie  de  continuer  jufqu'à 
cette  grande  époque  qui  nous  promet  la  paix  univerfelle  en 
l'Europe ,  11  Fafiiiire  des  Pais-Bas  fe  difpofe  à  la  paix ,  comme 
je  n'en  doute  nullement,  quoyqu'il  fe  dife  &  efcrive  au  con- 
traire. Si  noftre  Hiftoirç  ne  peut  arrj\  er  avant  le  partement  de 

Monfeigneur 


DE    J.    A.    DE   T  HO^  U.  16^ 

Monfeignciir  le  Cardinal  du  Perron,  je  vous  fupplie  de  faire 
en  forte  qu'il  difpofe  leschofes  par  delà ,  à  ce  qu'il  ne  s'innove 
rien  en  fon  abfence ,  fans  qu'il  en  foit  adverti.  Je  ne  la  vous 
peus  faire  plus  longue  :  je  fuis ,  Monfieur , 

De  Paris  ce  1 1  Voftre  humble  Coufîn  &  ferviteur; 

Juin  1 507.  D  E  T  H  o  u. 

Lettre  de  M.  de  Thou  à  Monfeigneur  le  Cardinal  du  Perron. 

MONSEIGNEUR.  Te  n'av  point  de  paroles  fufïifantes  }^vj}mét  M 
V   vv       •  ■  r  .le  Manufcrit, 

pour  exprimer  1  obligation  que  je  vous  lens  avoir , 

pour  avoir  voulu  de  telle  afFedion  prendre  ma  caufe  contre 
ceux  qui  efchauffoient  l'affaire  fur  des  mémoires  envoyés  de 
ce  lieu  :  je  laifle  à  voftre  prudence  à  examiner  avec  quelle 
charité  &  intention  î  je  crois  que  vous  en  pouvez  fentir  quel- 
que chofe  par  delà  en  voftre  particulier.  Mon  innocence  & 
ma  confçience  me  confolent,  &  me  fortifient  contre  tous 
ces  artifices ,  appuyées  fur  la  bonne  volonté  de  ceux  qui  me 
eonnoiflent  au  dedans  comme  vous.  Je  reconnois  que  le  temps 
auquel  j'ay  efcrit ,  ôc  ma  liberté  naturelle ,  me  peuvent  avoir 
quelquefois  emporté ,  mais  fans  haine ,  dont  j'appelle  Dieu 
à  tefmoin,  Ôc  moins  avec  mefpris  de  ce  que  je  dois  véné- 
rer. Vous  fçavez  que  je  n'ay  jamais  vacillé  en  la  Religion  de 
mes  Pères  j  c'eftàdire,  en  la  Catholique,  en  laquelle  je  veux 
vivre  &  mourir  :  mais  j'ay  parlé  librement  de  ceux  qui  fe  fer- 
voient  de  la  Religion  pour  en  faire  une  cape  à  l'Efpagnole, 
&  couvrir  leur  ambition.  Je  ne  pouvois  louer  les  vertus  fans 
noter  par  reflexion  les  vices.  Je  n'ay  touché  par  cela ,  ni  en^ 
tendu  en  rien  toucher  la  révérence  du  lieu  2c  des  perfoniies ,  . 
Non  locafed  mores  fcripis  vexavi. 

Scepjtiis  Aîifonios  3  aâaque  Rorna  rea  eft. 

Celui  de  qui  cela  a  efté  efcrit,  a  efté  toléré  à  Rome,  & 
ce  grand  Empereur  qui  a  donné  fon  nom  héréditaire  à  tous 
fes  fucce fleurs, l'a  enduré^  encore  que  particulièrement  il  Teuft 
defchiré ,  aufli  bien  que  Catulle  j  mais  je  ne  voudrois  me  fer- 
vir  de  ceft  exemple  pour  m'excufer,  non  plus  que  mon  in- 
tention n'a  efté  de  l'imiter.  Je  ne  me  fuis  jamais  propofé 
TomeXK  _  X 


170       PIECES    CONCERNANT   r HISTOIRE 

<5[uede  dire  la  vérité  fans  haine  &  fans  amitié,  &  toutesfois 
d'autant  que  je  dois  plus  à  autruy  qu'à  moy-mefme ,  je  ne 
refufe  d'eûre  admonef^é ,  &  recevoir  les  avertiflements  qu'il 
vous  plaira  en  particulier  me  donuer,  afin  qu'avec  ce  peu 
de  mutation  que  vous  dites ,  l'œuvre  puifle  eftre  leu  par  tout. 
Cependant  j'ay  pris  la  hardiefle  de  vous  envoyer  quelques 
exemplaires  de  la  féconde  partie ,  pour  les  faire  voir  à  qui 
de  Mefleigneurs  les  Cardinaux  vous  trouverez  à  propos.  Le 
tout  palTera  par  le  mefme  jugement,  s'il  vous  plaift.  Il  s'y 
pourra  trouver  quelques  particularités  touchant  nos  droits, 
qui  pourront  defplaire  :  &  toutesfois  efcrivant  l'Hiftoire  du 
temps,  je  n'ay  pu  obmettre  ces  chofes  publiques,  comme 
la  condemnation  contre  Tanquerel ,  dont  les  Ades  font  non 
feulement  es  Archives  de  la  Cour ,  mais  d'abondant  impri- 
més. Vous  qui  eftes  né  François ,  ôc  avez  tousjours  fuivi  le 
parti  François ,  excuferez  aifément  cela  j  mais  je  crains  fort 
que  ceux  qui  ignorent  nos  droits  &  nos  libertés ,  ne  le  pren- 
nent de  fi  bonne  part  j  c'eft  pourquoy  j'implore  derechef  vof- 
tre  prudence  &  voftre  protedion  en  ce  fait,  &  femblables, 
vous  fuppliant  de  croire ,  que  comme  jen'ayrien  efcritpour 
flater,  auiïl  n'ay-je  eu  intention  de  blefler  ni  offenfer  per- 
fonne.  Il  faut  donner  quelque  chofe  à  ceux  qui  efcrivent  de- 
çà les  monts,  puifque  ceux  qui  font  delà,  &  au  milieu  de 
l'Italie,  femblent  aujourd'huy  fe  vouloir  attribuer  pareille  li- 
berté 5  &  neantmoins  après  tout  cela  je  protefte  d'obeiflan- 
ce,  à  laquelle  je  me  rangeray  tousjours  foufmis,  &  fuivray 
très  volontiers  les  bons  confeils  qui  me  feront  donnés  de  vof- 
tre part.  Cependant  que  l'occafion  fe  prefente ,  en  laquelle 
je  vous  puifle  faire  connoiftre  par  efl:et  combien  je  me  fens 
voftre  obligé,  je  fupplieray  très  humblement  N.  S,  Monfei- 
gneur ,  vous  donner  en  parfaite  fanté  fa  grâce. 

De  Paris  ce  22     Voftre  très  humble  &  obeiflant  ferviteur; 
(i)Aouft  1(^07.  De  Thou. 

Monfeigneur,  celle-cy  vous  fera  rendue  par  MonfieurDu- 
puy,  lequel  j'entcnd  eftre  maintenant  en  voftre  famille.  Je 

NOT.  (ij  II  y  a  fans  doute  faute  ?  j  au  commencement  de  la  fuivante  à_  M. 
cette  date  ;  car  il  paroît  que  c'cft  icy  I  Dupuy  ,  cjui  eô  du  dernier  Juillet 
ift  Lcure  doni  M.  de  Ihou  fait  mention  I     1607, 


D  E    J.    A.    D  E    T  H  O  U.  lyr 

l'eftime  bien  heureux  de  cette  faveur ,  ôc  participe  à  l'obli- 
gation  qu'il  vous  en  a,  comme  ni'eftant  fi  proche  comme 
il  eft.  J'efpere  que  vous  aurez  contentement  de  fon  lervice, 
ôc  vous  fupplie  très  humblement  de  l'avoir  pour  recommandé. 

Lettre  de  Monfieur  de  Thou ,  à  Monjieur  Ditpuy ,  à  Rome, 

MONSIEUR.  J*ay  reçu  voftre  dernière  en  laquelle  îniprîmcc  fur 
vous  avez  obmis  la  date.  J'efcris  à  Monfeigneur  le  ie  Manufait, 
Cardinal  du  Perron  5  vous  luy  prefenterez  la  lettre.  Elle  eft 
conforme  à  ce  que  defîrez  &  pour  moy  &  pour  vous.  Je 
feray  bien  aife  qu'il  ne  fe  remue  rien  par  delà  qui  puifle 
troubler  mon  repos ,  mais  j'ay  plus  appréhendé  cela  autrefois 
que  maintenant.  L'on  fera  bien  de  ne  faire  rien  en  cette  af- 
faire precipitemment,  dont  Ton  foit  contraint  puis  après  de 
fe  repentir  à  loifir.  Vous  ferez  entendre  là  à  Monfeigneur  le 
Cardinal  le  fait  de  Tanquerel  j  car  je  luy  en  touche  un  mot 
par  ma  lettre ,  par  laquelle  vous  connoiftrez  ce  qui  s' eft  fait 
pour  vous  faire  tenir  les  livres.  Monfeigneur  le  Cardinal  Sé- 
raphin en  a  un  ;  les  autres  je  ne  fçay  fi  les  pourrez  recevoir 
devant  voftre  partement.  Voyez  cependant  Monfeigneur  le 
Cardinal  Sforza ,  &  luy  baifez  les  mains  de  ma  part ,  le  fup- 
pliant  me  continuer  fa  bonne  volonté  &  bons  offices.  Je  re- 
cevray  les  Mémoires  qu'il  luy  a  pieu  m' envoyer,  avec  l'hon- 
neur &  dévotion  à  fon  illuftre  famille ,  telle  que  je  dois.  J'ay 
enfin  reçu  les  papiers  qu'avez  confié  au  Sieur  de  Méfie  ;  je 
craignois  que  la  trop  longue  garde  les  efgaraft  :  s'il  y  en  a 
quelques  autres  à  voftre  commodité  &  loifir ,  autrement  ne 
vous  en  mettez  en  peine  :  ce  n'eft  avec  moy  qu'il  faut  comp- 
ter ;  je  vous  dois ,  &  veus  devoir  aftez  d'ailleurs.  Vous  voyez 
comme  j'ufe  librement  de  vous.  J'ay  reçu  ce  que  m'avez 
envoyé  du  Seigneur  Vialard,  auquel  je  baife  les  mains.  Je 
vous  recommande  les  Eloges,  &  fur  tout  de  Hier.  Colomna, 
auquel  j'ajoufteray  M.  Antonio  Scaino  de  Salo ,  qui  a  efcrit 
fur  Ariftote.  Je  ne  vous  la  feray  plus  longue ,  feulement  je 
fuppUeray  N.  S.  Monfieur,  qu'il  vous  ait  en  fa  fainte  garde. 

De  Paris  ce  dernier  Yoftre  humble  &  affedionné 

Juillet   lôo-j^  Coufin  à  vous fervir , 

J.  A.  D  E  T  H  o  u, 
Yij 


!i7^         PIECES  CONCERNANT  L'HISTOIRE 

Lettre  de  Monjîeur  de  Thou,  à  Monfeigneur  le  Cardinal 

du  Perron, 

îfnprimée  fur  T14^0nseigneur.  L'homieur  quC  VOUS  m'avcz  fait 
h  Manufcnt.  j[  V^i  d'avoir  agréable  ce  qui  vient  de  moy ,  m'a  fait  dé- 
lirer &  rechercher  tous  moyens  pour  vous  faire  voir ,  devant 
que  partiiTiez  du  lieu  oii  vous  elles ,  la  féconde  partie  de  noftre 
Hiftoire.  J'en  ay  mis  en  chemin  par  diverfes  voyes  plufieurs 
exemplaires,  qui  n'ont  pu  arriver  jufques  à  vous.  Enfin  j'en- 
tend  que  celuy  qui  a  été  envoyé  à  Monfeigneur  le  Cardi- 
nal Séraphin  a  eu  meilleure  fortune  que  les  autres.  Derniè- 
rement j'en  conlignay  icy  deux  exemplaires  es  mains  d'un 
Libraire  de  Milan  envoyé  avec  un  homme  de  lettres  par  Mon- 
feigneur le  Cardinal  Borromée,  qui  me  promit  les  vous  faire 
tenir  feurement  j  mais  je  ne  fçay  fi  avant  voftre  partement. 
Ce  que  je  vous  efcris ,  pour  vous  tefmoigner  le  devoir  que 
j'ay  fait  pour  m' acquitter  en  cela  de  mon  devoir ,  &  pour 
vous  fupplier  de  me  continuer  la  mefme  bonté  que  vous 
m'avez  tousjours  monftrée.  Ceux  qui  veulent  ofter  de  tout 
l'honnefte  &  légitime  liberté  ,  pourroient  par  un  contraire 
effet  irriter  la  licence  effrénée  de  parler  ôcd'efcrire,  que  je 
n'ay  jamais  approuvée.  Vous  eftes  au  lieu  &  au  théâtre  de 
la  prudence  civile ,  où  Ton  peut  &  doit  mettre  cet  incon- 
vénient en  confideration.  Pour  moy,  je  n'en  viendray  ja- 
mais là,  eflant  délibéré  de  patienter,  endurer,  fouffrir  pluf- 
tofl  que  de  faire  ou  de  dire  rien  qui  foit  indigne  de  ma  fran- 
chife  &  de  ma  modération.  Je  me  fuis  dit  cette  loy  dés  le 
commencement ,  attendant  de  la  pofterité  la  condamnation 
ou  l'approbation  de  mon  travail.  Cependant  je  me  confole 
en  ma  canfcience,  &  dis  fou  vent  après  Horace  : 

Tamen  me 

Cum  magnis  vixîjfe  invita  fatebitur  nfque 

Invidia  ■■>  &  fragili  quarens  illidere  dentem  ;, 

Offendet  folido  : 
4c  ce  qui  fuit  j  j'adjoute  aufll , 

Nift  quid  tUj  doéle  Perone  3  ^ 

Dijfentis, 
Vous  en  ordonnerez  par  voflre  prudence  &  bonté,  pouî 


DE  J.  A.  DE  THOU.  ij^ 

îè  pouvoir  que  vous  avez  &  fur  l'œuvre  &  fur  FAutheur.  Voi- 
là pour  mon  regard  j  mais  vous  fçavez  qu'il  y  a  aujourd'huy 
des  efprits  de  loifir ,  qui  fans  eftre  priés  ni  invités  par  ceux 
qui  y  ont  le  principal  intereft ,  entreprennent  d'efcrire  &  dé- 
fendre les  caufes  des  autres.  C'eft  ce  qui  eft  à  craindre  en 
ce  fubjed ,  &  que  j'appréhende  fur  tout.  J'attend  de  vous  en 
cela  un  bon  office  envers  ceux  qui  peuvent ,  devant  voftre 
partement  ;  afin  qu'en  voftre  abfence  il  ne  foit  rien  précipité^ 
dont  les  uns  &  les  autres  après  ayent  occafion  de  fe  repen- 
tir. L'honneur  que  vous  avez  fait  à  Monfieur  Dupuy ,  qui 
m'eft  fi  proche,  n'eftfait  à  luy  feul  :  j'y  prend  part  pour  vous' 
en  rendre  très  humbles  fervices  par  tout  où  j'en  auray  le 
moyen.  Il  vous  en  fera  entendre  davantage ,  &  mefme  des 
particularités  qui  regardent  cette  féconde  partie ,  qui  n'a  en- 
core efté  veuë,  afin  que  l'on  ne  s'en  offenfc  tant  qu'il  eft  à 
craindre,  àl'occafion  de  la  mémoire  récente  du  trouble  de  Ve- 
nife.  Je  ne  vous  ennuyeray  davantage ,  &  en  cet  endroit  je 
fupplieray  très  humblement  N.  S.  Monfeigneur,  vous  don- 
ner en  parfaite  famé  longue  ôcheureufe  vie. 

De  Paris  ce  dernier  Voflre  très  humble  & 

Juillet  1^07.  obeiffant  ferviteur. 

De  Thou. 

Lettre  de  M*  le  Cardinal  du  Perron  ^  à  M.  de  Thon. 

MONSIEUR.  Je  re(;us  ^  il  y  a  quelques  mois ,  une  fé- 
conde lettre,  que  vous  me  fiftes  l'honneur  de  m'ef-  J'^^/Ies^^- 
1  11  j.  ,  1       t>^4'^des  du 

crire ,  par  laquelle  vous  me  mandiez  que  vous  m  envoyez  le  cardinal   du 
dernier  tome  de  voftre  Hiftoire.  Cela  fuft  caufe  que  je  dif~  ^y ^" ,  ^'^/^ri- 
feray  à  y  faire  refponfe,  attendant  que  le  prefent  dont  elle  in  fat.  1615! 
eftoit  fuivie  fuft  arrivé,  afin  de  vous  pouvoir  remercier  de  P-^j?- 
Tune  &  de  l'autre  grâce  tout  enfemble  j  &  vous  donner  par 
mefme  moyen  l'avis  qu'il  vous  plaifoit  me  demander  fur  le 
dernier  enfantement  de  voftre  belle  plume.  Mais  enfin  après 
avoir  attendu  plufieurs  mois ,  j'ay  appris  que  le  Courier  Va- 
lerio,  qui  m'apport oit  le  livre  que  vous  m'aviez  deftiné  ,  tom- 
ba en. un  foffé  plein  d'eau,  où  il  fe  penfa  noyer,  &  y  per- 
dit,  ougafta  plufieurs  paquets,  &  entre  autres  le  livre  dont 

Yiij 


ï74       PIECES  CONCERNANT  L'HISTOIRE 

îi  eftoit  charge.  Cela  il  ne  me  l'ofa  dire ,  de  peur  de  me  met- 
tre en  cholerej  craignant  que  cefte  faute  ne  m'empefchât  de 
îuy  donner  quelque  argent,  que  je  luy  avois  promis  à  fon 
retour  de  France.  Mais  je  l'ay  fçii  depuis ,  &  me  fuis  refo- 
iu  de  vous  en  rendre  compte ,  comme  je  fay  par  ce  mot 
d'efcritî  afin  que  vous  n'imputiez  pas,  s'il  vous  plaift,  mon 
îong  fîlence  àparefie.  J'efpere  en  bref,  avec  l'ayde  de  Dieu, 
avoir  le  bien  de  jouir  en  prefence  de  voftre  converfation , 
&  de  vos  efcrits.  Ceft  efpoir  me  fera  abbreger  ma  lettre  » 
pour  vous  dire  que  je  fuis,  Monfieur, 

De  Rome  ce  6  Voftre  très  affedionné  ferviteur; 

Aouft  i^oy.  J.  Cardinal  du  Perron. 

Lettre  de  M.  le  Cardinal  Frédéric  Borromée,  à  M,  de  Thon» 

Traduite  du  T  ' A  V  o  I S  déjà  l'honneur  de  vous  connoître  depuis  quel- 
M^inufcrk.  ^  3  ^^^^  années ,  Monfieur ,  par  votre  Hiftoire ,  dont  le  (leur 
Olgiati  (i)  m'a  remis  un  exemplaire  de  votre  part.  Le  bien  qu'il 
m'a  dit  de  vous ,  a  encore  augmenté  mon  eftime  ,  6c  vous  avez 
entièrement  gagné  mon  cœur.  Le  prefent  que  vous  m'avez 
fait  de  votre  livre  m'a  été  très  agréable ,  &  je  vous  en  rends 
mille  grâces.  J'ay  des  témoins  de  mes  fentimens  à  votre 
égard.  On  n'oublira  jamais  l'obligation  que  vous  a  la  Biblio- 
thèque Ambroiiiene.  Si  je  puis  vous  eftre  utile  en  quelque 
chofe,  je  vous  prie  de  compter  fur  moy  fans  referve.  Dieu 
vous  conferve  en  famé ,  Monfieur^  &  vous  accorde  fa  grâce, 

A  Milan  le  2  j  Voftre  très  aft'edionné , 

d'Aouft  idoy.  Frédéric  Cardinal  Borrome'e 

Lettre  de  M.  le  Cardinal  Séraphin ,  à  M.  de  Thon. 

Imprimée  fur  ^  ^  O  N  S I  E  u  R.   Ma  longue  indifpofitiou ,  caufée  de  la 

le  Manuictir.  j^V  j[  goute ,  a  fait  que  je  ne  vous  ay  peu  efcrire  comme 

je  delirois ,  pour  vous  tefmoigner  tousjours  &  de  parole  ôc 

de   faid  combien  j'eftime  vos  rares  vertus  &  mérites.  Au 

refte  j'ay  leu  le  premier  tome  de  voftre  Hiftoire ,  laquelle 

(i)    Antoine  Olgiati  Bibliothécaire  de  la  Bibliothèque  Ambroifiene. 


DE  J.  A.  DE  THOU.  17^ 

me  pîaift  merveilieuiement  5  &  pour  dire  en  peu  de  paroles, 
c'eft  un  œuvre  digne  de  vous,  c'eft  à  dire  d'un  efprit  grand 
&  relevé.  Monlleur  Dupuy  qui  s'eft  montré  diligent  au  pof- 
iible  en  tout  ce  qui  vous  touche ,  &  n'a  laifTé  aucune  occa- 
fion  où  il  s'agit  de  voftre  fervice ,  vous  dira  plus  particuliè- 
rement ce  que  j'en  penfe  &  juge.  Je  n'ay  encore  leu  Taultre 
volume,  pour  ce  que  tout  auffitoft  que  je  le  receus,  il  me 
le  fallut  prefter  à  certains  Seigneurs  Cardinaulx,  qui  me  le 
demandèrent  avec  paillon  &  importunité ,  tellement  que  je 
ne  Pay  peu  retirer. jufques  à  maintenant.  Je  ne  doute  poin^t 
qu'il  ne  foit  frère  germain  de  l'aultre ,  &  s'il  eft  loyfible  de 
changer  tant  foit  peu  le  didum  de  Socrates  du  Livre  d'He- 
raclite, ce  que  fay  leu  effi  fort  bon,  &  encore  comme  je  penfe  .^ 
ce  que  je  naypas  leu  :  toutesfois  je  m'acquitteray  de  mon  de- 
voir au  pluftoft,  &  je  vous  en  eferiray,  vous  alTeurant  que 
je  ne  manqueray  vous  fervir  en  toutes  occurrences,  &  fe- 
ray  en  tout  ce  qui  vous  appartiendra  &  dans  la  Congréga- 
tion &  hors  d'icelle ,  comme  un  homme  de  bien  &  amy  doibt 
faire,  &  comme  11  vous-mefme  ciliés  prefent.  Vous  le  cognoii^ 
très  par  les  effeds^  qui  font  marques  trop  plus  afîeurées  que  les 
paroles.  Sur  ce  je  vous  baife  humblement  les  mains ,  priant 
Dieu ,  Monlleur ,  vous  donner  en  fanté  longue  &  heureufe 
vie  au  bien  du  public, 

A  Rome  le  p  Voflre  très  affedioné  ferviteiirj 

Sept.  1^)07.  Le  Cardinal  Séraphin^ 

Lettre  de  Jacque  Segmer  3  à  lac.  Aug,  de  Thou. 

MONSIEUR,  M.  Chriftophle  Dupuy  qui  eft  votre  pa-    ttzMté  In 
rent,&  mon  ami,  &  que  fon  mérite  me  rend  très  Latin  far  le 
cher,  m'a  fouvent  prelîe  d'avoir  l'honneur  de  vous  écrire,  ^^^"'*^J^*^' 
quand  ce  ne  feroit  que  pour  vous  témoigner  l'eftime  que  j'ai 
pour  votre  vertu  éminente  &  pour  votre  profonde  érudition. 
La  timidité  m'a  empêché  de  le  faire  jufques  ici  ;  aujourd'hui 
je  me  fens  poufle,   par  je  ne  fçai  quel  génie  j  à  fuivre  le 
confeil  de  ce  jeune  homme ,  &  à  vous  écrire  librement  ce 
qui  me  viendroit  dans  l'efprit.  J'aurai  d'abord  l'honneur  de 
Xm\s  dire,  que  tout  le  monde  parle  de  votre  Hiiloire.  Tous 


t7<?  PIECES    CONCERNAKT  L'HISTOIRE 

ceux  qui  font  un  peu  verfés  dans  les  lettres ,  en  font  un  grand 
cas ,  &  la  regardent  comme  un  ouvrage  écrit  avec  beaucoup 
d'élégance,  d'exaditude,  &  de  fidélité.  Nous  avons  ici  une 
guerre  continuelle  à  foûtenir  à  ce  fujet  avec  les  plus  fottes 
gens  du  monde ,  à  qui  tout  ce  qui  eft  bien  écrit  en  Latin,  paroit 
fufped  d'irréligion  :  ces  ftupides  perfonnages  n'eftiment ,  &  ne 
vantent  qu'un  certain  nombre  de  livres  très  méprifables, 
vrayes  Annales  Volufiennes  (i).  Pardonnez-moi ,  fi  je  vous  par- 
lé librement,  conformément  à  mon  naturel  &  à  mon  édu- 
cation. Je  ne  puis  penfer  à  cette  efpece  d'hommes ,  fans  me 
mettre  en  colère.  Cependant  parce  qu'ils  font  riches,  ils  croient 
qu'il  n'y  a  qu'eux  de  fenfez  &  de  raifonnables.  Mais ,  pour 
dire  la  vérité,  ils  n'ont  pas  plus  de  jugement  &  de  raifon, 
que  des  enfans  de  deux  ans.  Notre  ami  M.  Dupuy  pourra 
vous  en  dire  davantage  au  fujet  de  cette  vile  fequele ,  qu'il 
mené  toujours  rudement,  lorfqu'il  entend  ces  ignorans  aboyer 
contre  votre  livre.  J'eus  dernièrement  une  grande  contef* 
tation  avec  Scioppius ,  qui  fe  croit  très-fçavant ,  mais  qui  à 
mon  avis  eft  un  homme  très-préfomptueux  &  très-orgueilleux  : 
il  cenfuroit  certains  vers  que  vous  avez  faits.  Je  crois  qu'il 
en  avoir  lu  la  critique  dans  le  livre  de  Delrio.  Cet  homme 
qui  ne  parle  que  de  la  morale  Stoïque ,  femble  n'avoir  en 
vue  que  de  décrier  Scaliger,  Cafaubon,  &  tous  les  gens  de 
bien.  Mais  j'apprens  qu'il  y  a  quelques  perfonnes  puiftantes, 
qui  ont  réfolu  de  lui  couper  le  nez ,  s'il  ne  prend  garde  à 
lui.  Pour  moi,  fans  me  piquer  d'être  Stoïcien,  je  tâcherai 
toujours,  autant  qu'il  me  fera  permis,  de  fermer  la  bouche 
à  ces  fortes  de  gens ,  toutes  les  fois  qu'ils  voudront  parler 
mal  de  vous ,  &  des  autres  f<çavans  du  premier  ordre.  Je  fe- 
rai auffi  enfbrte  auprès  du  Cardinal  Séraphin,  qui  vous  efti- 
me  infiniment,  &  que  je  ne  puis,  fans  ingratitude,  m' empê- 
cher de  regarder  comme  mon  père,  que  ces  gens-là  n'en- 
treprennent rien.  Je  fçai  néanmoins  que  vous  les  craignez 
moins  que  vous  ne  les  méprifez.  Adieu ,  Dieu  vous  conferve 
en  fanté. 

A  Rome  le  ii  Septembre  i^'oy. 

(i)   Allufion  au  Vers  de  Catulle  j  Annules  Voluji  ^  caçata  charta. 


Lettre 


DE   J.  A.   DE   THOU.  177 

Lettre  de  M.  le  Cardinal  Frédéric  Borromée  à  M.  de  Thon 

VO  u  s  n'avez  pas  befoin  ,  Monfieui: ,  de  chercher  des    ^    1  ■     , 
TT-A-  iirrA-  /i-  Iraduite  du 

protedeurs  pour  votre  Hiltoire ,  elle  le  loutient  aflez  Latin  fur  le 

par  elle-même.  Elle  eft  y  pour  ainfi  dire ,  inattaquable  •■>  vos  ^lanufcrk. 
ennemis  ou  vos  envieux  font  forcés  de  fe  taire.  S'il  eft  né- 
cellaire  néanmoins,  j'aurai  foin  de  vous  faire  connoître  com- 
bien je  m'intereile  à  votre  réputation.  J'aime  non  feulement 
votre  efprit  &  votre  littérature  ,  qui  n'eft  pas  commune ,  mais 
encore  votre  probité ,  votre  pieté ,  &  vos  autres  belles  qua- 
lités ,  dont  plufieurs  parlent  avec  beaucoup  d'eftime.  Soyez 
donc  perfuadé  que  je  vous  fuis  très-attaché,  ôc  que  j'aurai 
toujours  à  cœur  tout  ce  qui  intereffera  votre  gloire.  Je  fuis, 
Monfieur, 

A  Milan  le  4  Votre  très-affedionné, 

de  Mars  i(jo8.  Prederic  Cardinal  Borrome'e. 

Lettre  de  AL  de  Thon  ,  à  M.  le  Cardinal  Sforze. 

P  R  e's  avoir  attendu  par  adventure  trop  long  tems  l'oc-  imprimée  fur 
\  cafion  de  vous  efcrire  &  vous  envoyer  le  refte  de  ce  ^^  Manufcrir. 
qui  a  efté  imprimé  de  mon  Hiftoire ,  j'ay  enfin  ufé  de  celle 
du  prefent  porteur ,  que  vous  pouvés  connoiftre  comme  ayant 
quelque  charge  par  delà,  &  lequel  je  vous  fupp  lie  avoir  pour 
recommandé  s'il  a  befoing  de  voftre  faveur,  &  vous  fervir 
de  luy  quand  il  vous  plaira  de  m'honorer  de  vos  comman- 
dements. J'ay  appréhendé  que  ce  refte  du  Roy  Charles  fuft 
moins  bien  reçu  au  lieu  ou  vous  eftes,  pour  le  fubjed  des 
confufions  qui  s'y  voyent  :  mais  il  doit  eftre  pardonné  à  ceux 
qui  en  ont  fenti  fi  long  tems  depuis ,  &  en  fentent  encores 
le  mal,  d'en  parler  plus  librement;  mal,  qui  ne  fe  peut  gué- 
rir que  par  une  longue  fuite  d'années  en  paix,  &  parleref- 
tabliffement  inviolable  de  la  foy  publique.  Je  n'en  diray  rien 
davantage ,  encores  que  j'y  fois  obligé ,  &  pour  la  juftifica- 
tion  de  ce  que  j'en  ay  efcrit ,  &  poiîr  avoir  été  employé  par 
S.  M.  au  traidé  de  i'Edit  dernier  qui  s'eft  fliit  pour  ce  regard, 
encores  que  pour  éviter  l'envie  j'eulTe  faid  tout  mon  polîi- 
ble  pour  en  eftre  excufé.  Vous ,  Monfeigneur ,  qui  jugés  plus 
Terne  XV.  Z 


178  PIECES  CONCERNANT  L'HISTOIRE 

fincerement  de  telles  affaires ,  que  ceux  qui  font  nourris  en: 
la  poudre  des  livres ,  me  ferés  s'il  vous  plaifl  en  cela  pro- 
tedeur,  &  empefcherés  par  voftre  bonté,  ja  de  moy  expé- 
rimentée ,  que  l'innocence  ne  foit  opprimée  de  la  calomnie, 
ôc  ferez  que  la  liberté  demeure  à  ceux  qui  font  obligés  de 
dire  la  vérité.  Si  je  connois  que  ces  derniers  livres  ne  vous 
ayent  efté  defagreables ,  j'y  adjouteray  encores  xx  1 1 1  autres  li- 
vres, qui  vont  jufques  à  l'année  i5'84inclufe,  ôc  jufquesau 
commencement  de  nos  guerres  &  confufions  enragées,  qui 
ont ,  peu  s'en  a  fallu ,  renverfé  ceft  Eilat.  Là  il  faudra  arrefter 
le  cours  de  l'impreiTion,  &  garder  les  xlv  livres  qui  reftent 
&  pourfuivent  l'Hiftoire  jufques  à  l'année  1601  ,  ja  du  tout 
achevées  il  y  a  trois  ans ,  pour  un  meilleur  temps ,  auquel 
il  foit  plus  libre  de  penfer  ce  que  l'on  veut,  &  d'efcrire  ce 
que  l'on  pente.  Cependant  je  vous  fupplieray  me  continuer 
la  faveur  de  vos  bonnes  grâces ,  &  m'honorer  tousjours  de 
vos  commandements,  comme  celuy  qui  délire  à  jamais  de- 
meurer. 

De  Paris  ce  14.     Voftre  très  humble  &  obeilTant  ferviteur^ 
_  *  Juillet  1^08.  J.  A.  De   Thou. 

Lettre  de  M.  le  Cardinal  Sforze ,    à  M.  de  Thou, 

TrrJiiite  «îe  ^  'E  T  o  I  S ,  Monfieur ,  dans  une  impatience  extrême  de  lire 
l'icaiicnfurle  |  le  relie  de  votre  Hiiloire,  lorfque  j'ay  reçu  votre  lettre^ 
&  en  même  temps  ce  que  vous  avez  fait  imprimer  depuis 
peu  de  cet  ouvrage.  Je  ne  fçaurois  vous  bien  exprimer  ma 
farisfadion ,  qu'en  vous  afturant  qu'elle  égale  l'eftime  qu'on 
doit  avoir  pour  im  travail  aufTi  recommandable  que  le  vo- 
tre. Je  fuis  en  mon  particuher  très-feniible  à  l'honneur  que 
vous  m'avez  fait.  Si  jamais  il  prenoit  envie  à  quelqu'un  de 
vous  attaquer  (  je  crois  vous  avoir  donné  des  preuves  de  mon 
zélé  )  je  ne  ferai  pas  moins  vif  à  prendre  votre  défenfe.  Vous 
ne  devez  cependant  rien  craindre  5  la  vérité  &  la  fermeté 
avec  laquelle  vous  l'établirez,  peut-elle  mériter  autre  chofe 
que  des  louanges? Je  rendrai  volontiers  tous  les  bons  offi- 
ces qui  peuvent  dépendre  de  moi,  à  la  perfonne  qui  m'a 
remis  de  votre  part  la  féconde  partie  de  votre  ouvrage,  6c 


Ivlanufcnt. 


DE    J.    A.  D  E    T  HO  U.  lyp 

je  le  ferai  d'autant  plus  volontiers,  que  je  n'ai  pu  encore  trou- 
ver l'occalion  de  vous  fervir  en  particulier,  &  dans  des  af- 
faires de  quelque  importance.  Peut-être  s'en  prefentera-t-il 
quelqu'une  dans  la  fuite  qui  me  mettra  en  ctat  de  vous  faire 
connoître  combien  je  fuis^  Monfieur, 

De  Rome  le   lo  Votre  bien  affedionné 

Septembre  i6oS,  le  Cardinal  Sforze. 

Edit  dt4-  Maître  du  facré  Palais ,  portant  défenfes  de  pla- 
ceurs Livres. 

A  ledure  des  livres  dangereux  étant  une  occafion  de  Traduit  de 

__^'  fcandale,  &  la  fource  d'une  infinité  de  maux  j  &  recon-  l'Italien  fur  le 

noiilant  cependant  qu'il  s'en  répand  tous  les  jours  de  nou-  ^rnndexRo- 

veaux  dans  le  public,  qui  portent  ce  caradere.  Nous  F.  Louis  main ,  impri- 

Yftella  de  Valence  de  l'Ordre  des  Frères  Prêcheurs,  noti-  """  ^  f^,^''"^ 

r  ^  1  ,-   1     1  1  .  i  ■  -^   t.  }667.  roi.    p. 

nous  a  tous  les  ndeies ,  que  depuis  notre   dernier  Edit  pu-  loj. 
blié  le  feptiéme  de  Septembre  de  la  prefente  année  lô'o^!. 
nous  avons  défendu,  &  fufpendu  refpedivement  la  ledurc 
à-QS  livres  fuivans. 

De  Potefiaîe  Papce ,  an  &  quatenus  in  Reges  &  Principes 
fectilares  jus  &  imperium  habeat ,  Gulielmi  Barclaii  /.  C.  liber 
poj} humus  ^  anno  160^. 

Tortura  Torti ,  five  ad  Mat  ha  i  Torti  Ubrum  refponjio  )  qui  mt- 
per  edîtus  contra  Apokgiam  fereniffimi  potentijfimique  Principis 
Jacob i  Dei  gratid,  Adagna  Britannia ,  Francise  '&  Hiberniae 
Régis  y  projuramentofidelitatis.  Londtni  excudebat  Robertus  Bar- 
•kerus  anno  160^. 

Jacob i  Augujîi  Thuani  HiJIori/e. 

Barlaami  Monachi  de  Principatu  Papa ,  Joanne  Luydo  inter- 
prète. 

yindiciiS  contraTyrannos yfive  de  Principis  in  populum 3  po- 
pulique  in  Principem  légitima  poteflate ,  Stephano  J-unio  Bruu 
Celfo  autlore.  Edinburgi  anno  15"  7p. 

De  Pnncipum  (  qmbus  elecîio  Imperatoris  in  Germania  ccm~ 
mendata  ejî)  origine  feu  infiitutiQne  j  liber  unit  s  Simcnis  Schar- 

Zij 


iSo        PIECES    CONCERNANT   L'HISTOIRE 

du.  Argent  or  at  i ,  impenfts  Lazari  Zetneri  Bibliopola  id'oS. 

Oratio  M.  Antonii  Arnalài  Advocati  in  Parlamento  Pari- 
fienfi  &c.  habita  ^  &  ^  îdus  Julias.  Ce  Plaidoyé  eil  prohi- 
bé ,  de  même  que  les  opufcules  qui  s'y  trouvent  joints  5  fça- 
voir?  Arrejîttm  contra  Joannem  Caflellum  Scholajîicum  j  & 
Joannis  PaJJeratii  Prafatiuncula  in  difputationem  de  Ridicu- 
lis.   Lugduni  Batavorum  ex    officina   Ludovici  Elzevirii  anno 

Outre  les  livres  ci-defTus  ,  qui  font  généralement  défen- 
dus ,  la  leâ:ure  de  celui  intitulé^  Joannis  Alariana  è  Societate 
Jefu  traâatus  feptem.  Colonia  Agrippino"  fumptibus  Antonii 
Pierati  anno   \6o^.  demeure  fufpenduë. 

A  ces  caufes ,  de  l'ordre  &  par  commiflîon  àQS  Illuftrif- 
fimes  &  Reverendiflfimes  Seigneurs  les  Cardinaux  de  la  fa- 
crée  Congrégation  de  la  fainte  Inquifition  univerfeile  de  Ro- 
me, nous  ordonnons,  &  enjoignons  à  tous  Libraires,  &  au- 
tres perfonnes  de  quelque  qualité  &  condition  qu'ils  foyent, 
qu'ils  ayent  à  remettre  à  notre  office  de  la  fainte  Inquifition 
tous  &  chacuns  les  livres  fpecifiés  ci-deilus ,  qu'ils  pourroient 
avoir  en  leur  pofleffion  ;  pour  la  ville  de  Rome,  dans  le  ter- 
me de  dix  jours,  à  compter  de  la  publication  des  prefcntes, 
&  à  l'égard  6.QS  autres  villes  &  lieux  de  quelque  Royaume  , 
nation  &  peuple  que  ce  foit,  dans  le  terme  de  dix  jours, 
après  qu'on  aura  eu  connoiflançe  de  la  prefente  défenfe,psr 
quelque  moyen  &  en  quelque  manière  qu'elle  y  foit  parve- 
nue 5  autremenr ,  outre  l'offenfe  qu'ils  commettront  envers 
Dieu,  qu'ils  fcachent  qu'ils  encoureront  ipfo  faôlo  l'excom- 
munication majeure  lat^  fententia.  Et  s'il  vient  à  notre  con- 
noifiànce  que  quelqu'un  ait  contrevenu  au  prefent  Edit ,  il 
fera  procédé  contre  lui  fuivant  la  rigueur  des  facrés  Canons 
&  des  règles  de  V Index  Romain ,  &  en  ufant  d'autres  peines 
arbitraires.  La  prefente  défenle  ne  s'étendant  pas  feulement 
fur  les  livres  ci-deflus  nommés ,  mais  comprenant  encore  les 
mêmes  livres  qui  feroient  imprimés  en  autre  langue,  dans  un 
autre  temps  &  dans  un  autre  lieu  que  ceux  défignés  ci-deffus. 
Voulant  qu'aux  copies  imprimées  du  prefent  Edit^  fcellées 
du  fceau  de  quelque  perfonnc  conitituée  en  dignité  Ecclé- 
fiaflique  j  foi  foit  ajoutée  comme  à  l'original.  En  foi  de  quoi  &c. 


DE   J,   A.    DE    THOU.  i8i 

Donné  à  Rome  dans  le  Palais  Apoftolique  le  5?  Nor\^em- 
bre  i6op, 

Fr.  Louis  Ystella  Abattre 
du f acre  Palais  ApOjlolique. 

Etienne  Spada  Subftitut 
pour  Paul  Spada  Notaire. 

Le  fnfdit  Edit  a  été  publié  &  affiché  aux  portes  de  l'Eglife 
(du  Prince  des  Apôtres  ^  &  dans  les  autres  lieux  ordinaires 
&  accoutumés  de  cette  ville  de  Rome ,  le  quatorzième  jour 
de  Novembre  i6o().  par  moi  Dom.  de  Rubeis  Curfeur  de 
N.  S.  P.le  Pape. 

Chrifiophle  Fund.  Maître  des  Curfeî4rs. 

■A  Rome^  de  l'Imprimerie  de  la  Chambre  Apoftolique  1 6'oj?;. 

Lettre  du  Père  Richeome  Jefuite  ^  à  M.  de  TJiou, 


O  N  s  1 E  u  R.  Ayant  efté  adverti  par  les  noftres  qui  font  imprimée  Cm  ' 

à  Paris ,  d'un    certain  rapport  qu'on  vous  avoir  faict  ^^'  Manufl-rir, 
de  nous  touchant  le  jugement  de  voftre  Hiftoire ,  j'ay  pen—  ^ 

fé  que  mon  devoir  me  donnoit  droid  &  contraint  de  vous  \ 

efclaircir  de  la  vérité  pour  voftre  contentement  &  nofrre  deC-  i 

charge,  &  vous  afteurer  que  perfonne  de  nous  n'a  ni  pro-  ! 

curé  ni  penfé  de  procurer  aucune  cenfure  de  voftre  œuvre, 
&  que  ce  qu'on  en  a  faid  ,  a  été  à  noftre  defceu  ,  auftl  bien  ■ 

que  la  cenfure  contre  l'Arreft  de  Chaftel,  que  nous  avons  • 

ignorées  jufques  à  ce  que  Monfieur  de  Brèves  l'euft-  fait  ac-  ■ 

commoder  j    de  laquelle  toutesfois   on   nous  avoit  chargé  5  ■  i 

tant  eft  importune  l'animofité  de  nos  adverfaires  à  nous  met- 
tre aux  rangs  en  toute  mauvaife  lice ,  afin  de  nous  rendre  \ 
odieux  à  chacun.  Ainfi  de  fraiiche  datte  &  fraifche  men-  I 
fonge,on  a  efcrit  par  delà  que  nous  avions  fait  cenfurer  la- 
Refponfe  du  fieur  Coeffeteau  au  Roy  d'Angleterre,  qui  eft  j 
doublement  contre  la  vérité;  car  nous  ne  l'avons  point iàid,  i 
&  de  plus  avons  empefché  de  le  faire  :  mais  il  n'y  a  mal  au  I 
monde  que  les  Jefuites  ne  faiTent  à  l'opinion  de  ceux  qui  ; 
nous  font  trop  mauvais.  Pour  voftre  jregard ,  Monlieur,  je  i 
yous  fupplie  de  tenir  comme  chofe  certaine  que  nous  deli-                                 ' 

Z  iij 


1^2  PIECES    CONCERNANT  L'HISTOIRE 

rons  que  vos  œuvres  ayent  cours  &  crédit  félon  leur  mé- 
rite, non  feulement  en  France,  mais  par  tout  l'univers  pour 
l'honneur  de  la  France ,  &  efperons  que  noftre  defir  fera  fa- 
cilement accomblé  par  volb-e  prudence ,  qui  pourra  fage- 
ment  donner  l'efponge  &  la  lime  à  ce  qui  aura  pu  offenfer, 
&  s'advifera  tous] ours  de  tenir  bon  lacaufede  Dieu,  &  dé- 
fendre à  tout  rencontre  l'honneur  de  fon  Eglife ,  ne  donnant 
à  oerfonne  caufe  légitime  de  mordre  &  mefdire.  Vous  au- 
rez reconipenfe  de  cet  office  devant  Dieu  &  de  l'honneur 
devant  les  hommes ,  &  nous  &  toute  la  France  aurons  la 
joye  de  voftre  honneur ,  &  avec  les  peuples  eftrangers  le 
profit  de  ce  noble  corps  d'Hiftoire ,  &  la  pofterité  vous  bé- 
nira à  jamais.  Monfieur,  nous  vous  defirons  affedeufement 
ce  bien  &  d'autres  beaucoup  plus  grands ,  non  feulement  pour 
le  rang  que  vous  tenez  entre  les  premiers  Officiers  &  co- 
lonnes de  voftre  Eilat  &  Monarchie  ,  mais  .aiiffi  pour  la  glo- 
rieufe  mémoire  de  feu  M.  de  Thou  voilre  très  honoré  Père, 
qui  Fan  i<;6^  feant  premier  Prefident  en  cette  Cour  fouve- 
raine>  embraûa  oc  fouftint  noilre  droit  en  vray  père  &  pi- 
lieu  de  jultice  contre  pliiheiirs  &  puiilants  adverfaires,  &  s'af- 
feurant  cette  Compagnie  d'un  éternel  bienfaid: ,  l'obligea  de 
prier  Dieu  pour  luy  &  pour  tous  ceux  qui  luy  appartiennent ,  ôc 
vous  honorer  &  fervir  qui  êtes  fon  image.  Nous  vous  ho- 
norons auffi  pour  vos  mérites ,  &  vous  fer\  irons  d'un  cœur 
franc,  quand  il  vous  plaira  d'en  faire  l'eday  :  &  fi  en  mon 
particulier  je  vous  piùs  eftre  utile  en  quelque  choie ,  je  m'of- 
fre à  vous  avec  i'eftenduë  de  toutes  mes  forces  grandes  & 
petites.  Vous  avez  depuis  peu  de  jours  icy  Monfieur  Ribere 
Dodeur  Médecin,  qui  vous  eft  très  affeâ:ionnc  ferviteur, 
&  le  tefmoignage  qu'il  m'a  donné  de  voftre  vertu  &  des  dé- 
votions de  Madame ,  a  renforcé  cefte  ancienne  aftedion  en- 
vers vous  pour  me  faire  prier  Dieu  pour  voftre  profperitc , 
&  de  ceux  que  vous  aimez ,  jufques  à  ce  que  avec  les  priè- 
res je  puiife  rendre  mon  très  humble  fervice  5  vous  fuppliant, 
Monfieur,  de  croire  que  tant  qre  je  vivray  à  Rome  ou  ail- 
leurs, vous  y  aurez  un  très  humble  &  affectionné  ferviteur. 
Je  vous  baife  très  humblement  les  mains. 

De  Rome  ce  22  Voftre  très  humble  &  très 

Juin  1(5 10.  aifedionné  ferviteur ,  Richeome. 


DE  J.  A.  DE  THOU,  iS^ 

Lettre  de  Al.  Ribere  j  à  M.  de  Thou, 

O  N  s  I  E  u  R.  M'eftant  trouvé  trois  ou  quatre  fois  en  imprimée  fu? 

occafion  de  parler  de  voftre  Hiftoire  avec  le  R.  P.  ^^  Manufcrit. 
Richeome  alTiliant  Jefuite ,  &  luy  ayant  amplement  fait  en- 
tendre voftre  bonne  intention,  je  puis  dire  en  vérité  avoir 
cogneu  en  ce  Père  un  grand  defir  de  vous  obliger ,  &  vou- 
droit  trouver  quelque  moyen  de  corriger  &  modérer  ce  qui 
s'eft  pafle  à  Rome  dernièrement  fur  ce  fubjed.  Je  luy  ay 
dit  &  au  Père  Laurin  combien  il  eftoit  à  propos  pour  le  bien 
de  la  Chreftienté ,  &  pour  leur  Religion  en  particulier ,  de  . 
n'irriter  pas  fi  facilement  un  perfonnage  de  voftre  qualité , 
que  tout  le  monde  a  en  telle  eftime ,  &  qui  a  lî  bien  mé- 
rité du  public.  Ces  Pères  aileurent  qu'ils  nefe  font  aucunement 
meftés  de  cefte  cenfure,  &  s'oftrent  d'employer  tout  leur 
pouvoir  po1.u'  la  faire  cafter  :  ce  qu'ils  fe  promettent  de  pou- 
voir faire.  Si  vous  avez  agréable ,  Monfieur ,  de  m'efcrire 
fur  ce  fubjed  voftre  volonté ,  &  comment  vous  voudriez  per- 
mettre qu'on  retranchaft  quelque  chî)fe  ,  je  tafcherois  à  vous 
fervir  ici,  pendant  que  j'y  fuis:  ce  que  je  deftrerois  de  tout 
mon  cœur.  Le  Père  Richeome  me  dit  vous  en  avoir  efcrit, 
vous  fuppliant  trouver  bon  le  zèle  que  j'ay  à  voftre  fervice, 
y  étant  en  tant  de  façons  obligé.  Je  ne  vous  efcriray  les  nou- 
velles de  Rome ,  tous  les  jours  on  forge  de  nouvelles  men- 
fongesj  les  Efpagnols  font  en  grande  apprehenfion  de  ce 
qu'en  France  contre  leur  efpoir  on  s'y  gouverne  bien,  crai- 
gnant infiniment  que  M.  de  Lefdiguieres  n'entre  en  Italie. 
Priant  Dieu ,  Monfieur ,  vous  donner  &  à  Madame  &  Mef- 
iieurs  vos  enfants  en  fanté  longue  &  heiu"eufe  vie. 

De  Pvome  ce  25  Votre  humble  &  très  obeiiïant 

Juin  161Q.  ferviteur,  R  I  B  E  R  E. 

Lettre  de  M.  le  Cardinal  de  la  Rochefoucault  j  à  M,  de  Thou, 

^  yfONSiEUR.  Le  defir  que  j'ay  tousjours  eu  de  vous  ^      .   ,   ^ 

I  \/ 1  ^   r       •  1  ji-  n_  •  '  J        TmDrîince  fur 

X  V  1^  telmoigner  par  quelque  eftect  ce  que  je  vous  ay  de-  i^  ivianuialc. 

claré  de  bouche  de  mon  aftedion,  m'a  fait  rechercher  les 


ig^  PIECES  CONCERNANT  L'HISTOIRE 

moyens  de  vous  fervir  en  l'occafion  de  ce  qui  fe  traite  icy 
fur  le  fujet  de  voflre  Hiftoire.  Mefmes  depuis  qu'ayant  ap- 
pris voftre  intention  par  une  voftre  lettre  que  le  Père  Ri- 
cheome  m'a  fait  voir  ,  j'ay  creu  que  le  defir  que  j'ay  recon- 
nu au  Pape  de  vous  donner  du  contentement ,  pourront  avoir 
plus  facile  fuccès.  Monfieur  le  Cardinal  Bellarmin  &  quel- 
ques autres  prendront  la  peine  de  voir  s'il  s'y  pourra  trou- 
ver l'expédient  qu'ils  recherchent  volontiers  fur  la  pro- 
pcfition  que  je  leur  en  ay  faite  ^  &  devant  à  fa  Saindeté  ; 
&  m'eilant  chargé  d'en  faire  l'eflayj  je  l'ay  desja  bien  avancé. 
Cependant  on  m'a  promis  &  afîeuré  qu'il  ne  s'eftoit  rien  pu- 
blié, ny  ne  feroit  cy-après  du  jugement  advenu  fur  ladite 
Kidoire ,  qu'après  l'avis  que  je  vous  en  auray  donné ,  qui  fe- 
xa  le  plufuoft  que  je  pourray ,  avec  fouhait  de  quelque  plus 
agréable  rencontre  pour  voRre  fervice.  Confervez  moy,  s'il 
vous  plaift,  voilre  ancienne  bienveuillance,  &  obligez  en 
ufant  du  pouvoir  que  vous  avez  en  mon  endroit."  Je  fapplie 
noftre  Seigneur  qu'il  luy  plaife  vous  donner,  Monfieur ,  au- 
tant de  contentement  que  vous  en  fouhaite 

A  Rome  le  13  Voftre  très  aiTeftionné 

Odob.  161  G.  à  vous  faire  fervice , 

Jr.  Cardinal  de  la  Rochefoucault. 

Lettre  du  même  Cardinal ,  à  M.  de  Thon. 

Imprimée  fur  Ti  /fO  NSI  EUR.  Je  VOUS  cnvoyc  le  livre  Arabie  que  je 
Je  Maaufcrit.  j  V  £  garde  il  y  a  long  tems ,  avec  quelques  autres  desquels 
Monfieur  de  Villenoce  s'eii:  voulu  charger.  L'édition  des 
Conciles  s'cil  différée  jufques  vers  Pafques,  auquel  tems  je 
vous  en  garderay  ce  qui  fera  preft,  ou  le  tout,  excepté  le 
premier  que  votis  ^vez.  J'ay  baillé  voftre  Hiftoire  au  Sieur 
de  Creil  pour  eflayer  de  la  réduire  en  eftat  qu'elle  puiffe 
aller  par  tout  { le  tout  de  voftre  gré  &  confentement  )  fifon 
aage  &  fréquentes  indifpofitions  le  luy  permettent.  Pleuft  à 
Dieu  qu'il  fe  prefentaft  meilleur  fujet,  &  à  moy  plus  de  pou- 
voir de  vous  faire  connoiftre  l'affedion  que  j'ay  de  vous  fer- 
\h\  &  me  continuer  vofire   bienveuillance  /  Je  le  fupplie 

qu'il 


t 


DE    J.    A.    D  E    TH  O  U,  iSy 

cjù'il  luy  plaife  vous  odroyer ,  Monfieur ,  l'heur  que  vous  fou^ 
haite 

A  Rome  le  2p  Votre  très  aftedionné  à  vous  fervir  ; 

Janvier  (i)         Fr.  Cardinal  de  la  Rochefoucault. 

Lettre  du  même  Cardinal  ^  à  Ai.  De  Thou. 

MONSIEUR.  Le  Sieur  Ribere  m' ayant  fait  voir  ce  que  Imprimée  lïic 
vous  luy  efcrivez  fur  le  fubjet  de  celle  que  j'ay  re-  ^^  Manufcrit. 
ceuë,  je  l'ay  jugé  à  propos  pour  vous  faire  voir  ce  que  l'on 
voudroit  eftre  changé  ou  ofté.  Ce  jugement  n'a  efté  fait  à 
la  hafte ,  &  dés  le  commencement  que  je  vis  celles  que  vous 
aviez  efcrites  au  Père  Richeome ,  que  fur  les  huit  livres  pre- 
miers que  j'ay  fait  bailler  audit  Sieur  Ribere  ,  &  peut  fervic 
de  préjugé  pour  tout  le  refte ,  ce  peu  de  difcours  que  j'ay 
eu  avec  luy  y  apportera  quelque  clarté  :  le  tout  avec  le  plai- 
fir  de  ma  part  de  faire  effay  fi  je  vous  y  pourray  fervir  à  vof- 
tre  contentement,  &  avec  celuy  que  je  recevray  en  toutes 
ocçafions  de  me  pouvoir  employer  en  chofe  qui  vous  foit 
agréable.  Je  n'ay  encore  receu  celuy  que  l'on  m'a  dit  que 
vous  aviez  pris  la  peine  de  m'envoyer;  il  fera  le  bien  ve« 
nu.  J'eflayeray  de  recouvrer  celuy  que  ledit  Sieur  Ribere 
m'a  fait  voir  que  vous  defiriez ,  en  ayant  elle  vendu  deux 
depuis  peu  au  lieu  que  je  luy  avois  enfeigné,  avec  efpe- 
rance  que  l'on  me  donne  de  l'un.  Je  me  promets,  s'il  vous 
plaift,  la  continuation  de  voftre  bienveuillance  fur  la  feule 
afleurance  que  je  vous  prie  de  prendre  de  ma  bonne  volonté; 
&  fupplie  noftre  Seigneur  qu'il  luy  plaife  vous  odroyer.  Mon* 
fleur,  l'heur  que  vous  fouhaite, 

A  Rome  le  2 1     Voftre  très  affedionné  à  vous  faire  fervice  ; 
de  Mars.  Fr.    Cardinal  de  la  Rochefoucault^ 

Lettre  du  mime  Cardinal ,  à  M.  de  Thou, 

O  N  s  I  E  u  r.  J'ay  reçu  depuis  deux  jours  les  livres  qu'il  imprimée  Cxxt 
_      ^  vous  a  pieu  m'envoyer ,  defquels  je  vous  remercie  de  ^^  Manufcrk, 
tres"  bon  cœur.    Je  vous  envoyay  par  le  Sieur  Ribere  ,  qui 
partit  d'icy  il  y  a  quelque  temps  j  quelques  cahyers  fur  le  lu- 
}ct  que  luy-mefme  vous  dira.  Depuis  fon  départ  j'ay  recou.- 

NOT.  (1)  S:îns  date   d'année. 

Tome  XVf  A^ 


iS6      PIECES    CONCERNANT  L'HISTOIRE 

vré  un  nouveau  Teftament  en  Ethiopien ,  qu'il  m'avoit  dit 
qu'eufliez  bi€n  defiré  d'avoir.  Je  le  vous  envoyeray  par  la 
commodité  du  retour  de  Mr.  de  Barrault,  que  j'efpere  eftre 
bientoft,  eftant  l'expédition  qu'il  pourfuit  icy  de  fon  Evefché 
en  bon  chemin.  Cependant  s'il  fe  prefente  icy  quelque  meil- 
leure occafion  pour  voftrefervice,  je  tiendray  à  honneur  d'y 
eftre  pour  vous  employé ,  comme  perfonne  qui  defire  fe  con- 
ferver,  Monfieur, 

Voftre  très  affedionné  à  vous  fervir  ; 

(l)  pR.    CARDI.NAL    DE    LA    ROCHEEOUCAULT, 

Il  y  a  icy  un  volume  in  folio  du  nouveau  Teftament  en 
'Arabie ,  avec  latradudion  interlineaire  Latine.  S'il  vous  plaift, 
je  vous  Tenvoyeray  avec  l'autre ,  &  en  attendant  voftre  ref- 
ponfe  :  la  hafte  ne  m'a  permis  de  vous  faire  la  lettre  entière 
de  ma  main. 

Lettre  du  même  Cardinal  j  à  M.  de  Thoul 

Imprimée  fur  Ti  vCOnsieur.  J'ay  enfin  reçu  l'œuvre  de  vos  Hiftoî- 
ie  Manufcnt.  J^y  J^res  par  les  mains  du  Seigneur  Rocelaie  ,  de  quoy  je 
me  fens  obligé  de  vous  faire  le  remerciement  qui  fe  peut 
par  efcrit .  avec  defir  qu'il  fe  prefente  occafion  de  plus  di- 
gne reconnoiflance  du  contentement  &  honneur  que  je  ref- 
fens  de  tout  ce  qui  vient  de  voftre  part.  J'attends ,  comme 
je  vous  ay  mandé ,  le  départ  de  Monfieur  de  Bazas  ,  pour 
vous  envoyer  les  quatre  Evangeliftes  en  Ethiopien,  &  voftre 
refponfe  fur  celuy  qui  eft  en  Arabie ,  s'il  fe  trouve  encore 
entre  les  mains  de  celuy  qui  Favoit ,  comme  il  me  l'a  pro- 
mis ,  &  toutes  fortes  de  fubjets  de  vous  faire  connoiftre  mon 
affedion  à  voftre  fervice.  Je  fupplie  N.  S.  qu'il  luy  plaife  vous 
odroyer ,  Monfieur ,  autant  d'heur  que  vous  en  délire. 

A  Rome  le  2 5  Voftre  très  affedionné 

de  May.  à  vous  faire  fervice , 

Fr.  Cardinal  de  la  Rochefoucault, 

Lettre  du  même  Cardinal  3  à  M.  de  Thon. 

împnméefur   ^W /S  Ons.ieur.  Depuis  la  voftre  du  feptiéme  de  May; 
le  Manufcrit.   ^^ \^  j'en  ay  reçu  une  du  Sieur  Ribere  du  23  de  Paris, 

Mot,  (ij  Sans  date. 


D  E  J.  A.  DE  THOU.  187 

qui  vous  aura  reprefenté  ce  que  nous  traitafmes  icy  fur  le  fu^ 
jet  de  voftre  Hilîoire.  J'attends  quelque  bonne  ouverture, 
pour  mettre  en  plus  de  liberté  un  (1  bel  œuvre,  &  vous 
faire  connoiftre  le  refped  que  l'on  porte  ici  au  rang  &  aux 
mérites  de  l'autheur.  Je  me  fuis  enquis  de  l'édition  de  la  Bible 
Polyglotte,  mefme  du  P.  Lorigny  Jefuite  François  fort  verfé 
en  cette  matière,  qui  ne  m'en  a  rien  fçeu  apprendre,  & 
croit  n'y  avoir  rien  imprimé  fous  ce  titre  que  la  Bible  Royale 
d'Anvers.  Bien  a-t-on  imprimé  une  Bible  à  Venife  avecquç 
ee  titre  Latin ,  Biblia  vulgat.  edit,  tranjl.  ex  Hebrceo ,  tranjlau  > 
Kom.  ex  Septitag.  &  Chald.  paraphr.  tranjîat.  congejîa.  Mais  il 
n'y  a  que  du  Latin.  Quant  au  deuxième  tome  dQs  Conciles, 
il  eft  iniprimé ,  mais  la  publication  en  eft  différée  jufques  à 
la  fin  du  mois  d'Aouft  prochain,  auquel  temps  on  aura  les 
quatre  entiers,  &  le  cinquième  à  la  fin  de  Novembre.  Sui- 
vant ce  que  vous  m'en  manderez,  je  vous  les  envoyeray. 
Et  ne  faites  point,  s'il  vous  plaiil:,  de  doute  que  toutes  for- 
tes d'occafions  de  vous  fervir  &  tefmoigner  mon  affedion, 
ne  foient  reçues  de  moy  avec  l'honneur  que  je  porte,  &  le 
defir  que  j'ay  de  la  confervation  de  voftre  bienveuillance. 
Je  fupplie  noftre  Seigneur  qu'il  luy  plaife  vous  odroycr ,  Mon- 
iieur,  l'heur  qu^e  vous  fouhaite 

A  Rome  le  23     Voftre  très  aflfedionné  à  vous  faire  fervice, 
de  Juin.  Fr.  Cardinal  de  la  Rochefoucault, 

Lettre  du  mime  Cardinal ,  à  M.  de  Thou. 

MONSIEUR.    Je  vous  ay  tefmoigné  par  plulîeurs  let-  imprimée  C^ 
très ,  &  de  bouche  au  Sieur  Ribere  pour  vous  le  rap^  ^«  l^anufcnt» 
porter,  le  cas  que  l'on  fait  icy  de  voftre  qualité  &  mérites,  '      -     g^.rs; 
&  le  defir  de  vous  le  faire  connoiftre  fur  le  fujet  duquel  vous 
m'efcrivez.  Pour  moy  j'y  fuis  porté  par  tant  de  confiderations, 
que  j'aurois  jufte  crainte  d'eftre  tenu  pour  fufped  en  cette 
matière  ^  fi  je  ne  jugeois  ceux  qui  y  peuvent,  conjoints  avec 
moy  en  ce  deflein.  J'attends  avec  impatience  l'aide  qui  s'y 
pourra  apporter  d'ailleurs  fur  l'ouverture  faite  de  voftre  part> 
&  aucunement  acheminée  en  l'eflay  qui  vous  en  a  efté  en- 
voyé. Sur  la  plainte  que  vous  faites  de  la  forme  de  la  cen- 
fure  qui  vous  femble  indéfinie,  ^  pluftoft  contre  la  per- 

M  ij 


•i88  PIECES  CONCERNANT  L'HISTOIRE 

fonne  que  contre  vos  Livres  ,  après  m'eftre  ^ffez  foigneufè- 
Bient  informé  de  ceux  qui  manient  telles  affaires,  j'ay  efté 
affeuré  qu'autre  cenfure  n'a  efté  faite  qui  vous  touche  qu'en 
lui  feuillet  imprimé,  intitulé  Editto  del Maejîro  del  SacroPa- 
lazzo  {  i)j  où.  font  ces  mots,  Jacobi  Thuani  Hijîoride  :  lequel 
feuillet  ne  fe  vend  point,  eft  feulement  affiché  à  la  porte  du 
Palais  ,  &  eft  renouvelle  de  temps  en  temps  avec  addition  de 
livres  nouvellement  cenfurez^  &  que  de  ces  feuillets  j  au  bout 
de  quelques  années,  quand  on  imprime  l'Index  des  livres 
deffendus,  on  en  prend  ceux  que  l'on  juge  pour  inférer  avi- 
dit  Index  :  que  voftre  Hiftoire  n'a  efté  inférée  en  aucun  In- 
dex, ny  fait  mention  d'icelle  en  autre  lieu  ny  autres  termes 
que  les  fufdits.  Quant  audit  feuillet ,  c'eft  chofe  non  perma- 
nente ,  Ôc  qui  ne  tombe  en  main  que  de  ceux  qui  font  icy, 
àc  de  peu.  Il  y  auroit  plus  de  confideratîon  en  l'édition  nou- 
velle de  l'Index ,  à  quoy  j'efpere  qu'il  fera  pourvu ,  &  il  y 
a  long  tems  que  je  m'y  fuis  employé,  comme  je  feray  avec 
affedion  &  obligation  en  tout  ce  qui  vous  touchera,  «Scfup- 
plie  noftre  Seigneur  qu'il  luyplaife  vous  odroyer,  Monfieur, 
Theur  que  vous  fouhaite 

A  Rome  le  21         Voftre  très  affedionné  à  vous  fervir; 
Juillet  Fr.  Cardinal  de  la  Rochefoucault. 

Lettre  du  Père  Richeome  Jèfuite  3  à  M.  de  Thou, 

Imprimée  fur  TV  /f  O  N  S  lE  u  R.  Comme  je  me  remettois  fur  pied  d'une 
le  Manufcrit.  |^V^ petite  maladie^  qui  m'a  tenu  environ  un  mois,  & 
que  j'efperois  de  vous  efcrire  ce  qu'on  auroit  fait  pour  vous 
touchant  l'affaire  que  vous  fçavez ,  eft  venu  l'Arreft  du  Par- 
lement contre  le  Cardinal  Bellarmin,  qui  a  fort  rejoui  les 
ennemis  de  la  France ,  cuidans  avoir  un  fort  jufte  prétexte 
pour  maltraiter  &  mal  parler  de  cette  Cour,  &  troubler  le 
repos  public ,  &  aittant  mefcontente  les  François  qui  n'atten- 
doient  pas  en  un  tel  tems  une  telle  faillie ,  mefme  contre 
ce  Prélat  très  amy  de  la  France  ,  &  qui  particulièrement  s'ef- 
toit  employé  pour  vous  d' affedion  :  n'ayant  fon  livre  rien  qui 
n'ait  efté  plufieurs  fois  imprimé  tant  à  Paris  qu'ailleurs  par  la 

NOT.  (ï)  Cet  Edit  eft  rapporté  ci-dcûus,  pag.  i7i|. 


DE  J.  A.  DE  THOU.  igj? 

Trance ,  <Sc  ayant  parlé  il  modeftement  de  la  Puiilancc  du  Pa- 
pe, qu'il  ne  tint  pas  à  plufieurs  ennemis  de  noftre  Ordre  que 
Sixte  V.  ne  fit  cenfurer  fon  livre  fur  ce  point,  comme  n'y 
ayant  pas  afîez  did.  Je  crois ,  Monfîeur  ,  que  fî  vous  l'aviez: 
leu ,  que  vous  n'auriez  trouvé  autre  doctrine  que  celle  de 
l'Eglife  &  des  faints  Conciles ,  tant  de  ceux  qui  ont  été  te- 
nus en  France  qu'ailleurs-,  qui  parlent  de  ce  fubjed.  Vous 
auriez  veu  aulli  les  Dodeiirs  qu'il  allègue  de  toutes  Na- 
tions ;  &  je  me  perfuade  que  vous  n'auriez  pas  tiré  de  cette 
dodrine  des  conclufions  fi  pernicieufes  &  fi  fanglantes  con- 
tre l'Eilat  &  la  perfonne  des  Rois,  comme  did  l'Arreft.  Je 
fuis  très  marri  de  ce  coup  j  &  voudrois  pour  bonne  chofe 
qu'il  n'euft  pas  efté  donné ,  pour  la  crainte  que  j'ay  que  ce 
ne  foit  la  femence  de  quelque  fchifme,  &  que  cette  Cour 
que  j'honore  n'en  rapporte  autant  de  blafme  que  la  répu- 
tation du  Cardinal  &  fa  dodrine  eil  célèbre  par  tout.  Quel- 
ques-uns ont  did ,  qu'on  l'a  ainfi  traité  à  caufe  qu'il  elt  Je- 
fuite,  veu  qu'il  y  a  des  autheurs  qui  fe  vendent  à  Paris, 
comme  par  tout,  qui  en  difent  plus  que  luy  fans  comparai- 
fon,  contre  lefquels  on  ne  dit  rien.  Si  le  rapport  eft  vray, 
je  ne  m'en  donne  pas  de  peine.  Je  fuis  marri  feulement  que 
tout  le  mal  qu'on  nous  vient  faire,  tombe  pluftoft  fur  le  pu- 
blic que  fur  nous ,  &  que  les  fervices  que  nous  defirons  em- 
ployer pour  noftre  patrie  foyent  retardés  par  l'animofité  de 
quelques-uns.  On  a  efcrit  de  par  delà  que  vous  aviez  pro- 
curé un  Arreft  contre  ce  bon  Cardinal,  ofFenfé  de  la  cen- 
fure  de  voftre  Hiftoire.  Je  ne  le  crois  point ,  vous  efrimant 
feigneur  de  vertu  &  de  confcience  ^  &  qui  ne  voudroit  pour 
fon  particulier  nuire  à  la  caufe  publique ,  &  en  ay  dit  ma 
créance  au  Cardinal ,  &  fupplié  de  croire  que  vous  n'eftiez 
point  caufe  de  cet  Arreft.  Nos  Pères  de  Paris  m'efcrivent 
que  Peftabliflèment  du  Collège  eft  retardé,  &  je  le  crois. 
Noftre  Père  General  aufii  ne  veut  point  qu'on  infifte  plus  à 
cette  pourfuitej  nous  fçavons  que  l'Univerfité  fe  paflera  fa- 
cilement de  nos  travaux,  &  l'on  voit  aftez  que  nous  n'aurons 
faute  d'autres  lieux  pour  les  y  employer.  Les  gens  de  bien 
nous  fçauront  gré  du  defir  que  nous  avons  monftré  de  fer- 
vir  en  particulier  cefte  noble  ville ,  où  noftre  Compagnie  a 
pris  fa  première  naiffance?  &  ^i  furpkis  nous  tafcherons  de 

Aa  iij 


ipo  PIECES  CONCERNANT  L'HISTOIRE 

prendre  en  patience  le  mal  qu'on  did  de  nous,  &  que  l'on  nous 
veut  faire,  fi  on  le  fait.  Je  vous  ay  efcrit  cecy  ,  Monfieur  , 
en  confidence  ,  invité  &  pouflc  de  l'opinion  que  j'ay  de  voftre 
vertu  '•>  ôc  voftre  prudence  voit  ce  qui  eft  néceflaire  pour  ob- 
vier aux  maux  à  venir.  Noltre  Père  General  &  tous  tant  que 
nous  fommes ,  auront  foin  de  mettre  la  paix  par  tout.  Je  vous 
ferviray  en  particulier  de  très  bon  cœur ,  &  verray  lî  ce  qui 
eftoit  commencé  fe  pourra  remettre  à  bien,  que  j'eftime- 
rois  le  meilleur  que  vous  employaillez  quelques  Do(^eurs  par 
delà ,  qui  vous  advifaflent  de  ce  qu'ils  eftimeroient  devoir 
eftre  limé  en  celle  Hiftoire.  Cela  vous  feroit  plus  honorable , 
&  crois  que  par  deçà  feroit  mieux  venu.  Je  vous  baife  trés-hum- 
blementles  mains  ,  &  pour  bonnes  eftrennesdu  nouvel  An, 
je  vousfouhaite  les  bénédidions  du  ciel  &;  de  la  terre,&  à  toute 
voftre  famille. 

De  Rome  le  2  Par  voftre  très  humble  &  obeilTant 

Janvier  I ^11.  fervireur,  Richeome. 

Extrait  du  Mercure  François  ^  Tome  Lfag.  ^16.  édition  de 

Paris j  idii.So. 

sn\  E  Cardinal  Bellarmin,  qui  eftoit  à  Rome  &  premier 
9>i\  j  dc^l'Inquifition  ,  fut  un  des  principaux  à  pourfuivre  une 
»  cenhU'e  de  livres  ;  &  n'oublia  à  y  faire  mettre  tout  ce  q\i/  , 

30  avoit  efté  faid  contre  les  Jefuites  '■>  dont  l'Edit  en  fut  publié  \è  , 
93neufiefme  Novembre  de  cefte  année  (  160^.)  &  contenoit 

»  les  livres  fuivans.  »  Voyez-en  la  lijîe  dans  PEdit  du  Maître  du 
Sacré  Palais ,  cy-dejfus  pag.  17p. 

»  Cefte  Cenfure  adonné  depuisTubjet  à  beaucoup  de  per- 
33  fonnes  de  parler  :  on  en  a  fait  diverfes  plaintes  en  France , 
X  &  efcrit  qu'il  la  falloit  lacérer  à  caufe  de  l' Arreft  contre  Jean 
i^  Chafteî,  qui  y  eftoit  inféré  :  Arreft  digne  d'eftre  regravé  en 
»  lettrés  d'or  à  la  pofterité ,  pour  donner  crainte  à  telsAflaf- 

31  fins.  Bref,  c'eft  vouloir  faire  aveugle  toute  la  France.  Le 
03  grand  mal  qui  eft  depuis  advenu  par  tels  maudits  aflaflins, 
»  faid  gémir  tous  les  François  de  la  perte  de  leur  grand  Roy.  « 
Voyez  fur  ce  fuj  et  la  fuite  de  P  Hiftoire  de  M,  De  Tiwu  far  AU 
Rigauit  i  livre  IL  pag.  5p. 


JUGE  M  E  NS 

PO  R  T  É  s 

A  LA  COUR  DE  FRANCE, 

SUR  L'HISTOIRE 

D  E 

J  A  C  Q^U  ES   AUGUSTE 
DE     T  H  O  U. 

Lettre  du  Roy  Henry  IV.  à  Jacques-Augujle  De  Thou,  (i) 

MONSIEUR  le  Préfident.  J'ay  receu  tant  de  preuves  Imprimée  f\xt 
de  voftre  affedion  à  mon  fervice ,  &  en  ay  eu  tant  de  ^^  ^^""fc'^"- 
contentement ,  que  je  ne  veux  différer  plus  long-tems 
à  vous  tefmoigner  le  reflentiment  que  j'en  ay ,  &  l'eftime  que  je 
fais  de  vous  y  de  voftre  capacité ,  intégrité ,  &  preud'hommie , 
qui  font  des  parties  fi  recommandabies  en  ce  temps  mefme- 
ment  corrompu  parla  malice  des  fiecles palTez.  Que  defirant 
d'orefenavant  le  faire  reconnoifire  à  tout  le  monae  ,  comme 
je  le  reconnois,  &  pour  cette  occafionvous  approcher  de  moy 
&  me  fervir  de  vous  en  mes  plus  importantes  affaires,  je  vous 
ay  fait  expédier  un  Brevet  de  Confeiller  en  mon  confeil  d'E- 
ftat  &  Finances ,  que  je  vous  envoyé  j  d'autant  que  je  veux  & 
entends  qu'à  l'avenir  vous  vous  trouviez  &  afllftiez  en  tous 


0)  Quoique  dans  cette  Lettre  &  dans 
la  fiiivante  il  ne  foit  point  fait  mention 
de  rHiftoire  de  M.  De  Thou ,  on  a  ce- 
pendant jugé  à  propos  de  les  donner , 


pour  fervir  de  preuve  de  l'eftime  &  de  Ja 
confideration  particulière  que  le  R07 
Henry  IV.  avoit  pour  l'Auteur  ,  avant 
même  la  publication  de  fon  Hifto.jrc, 


■•iSi±  PIECES  CONCERNANT  L'HÏSTOÎRE 

mes  confeils  ,  où  je  me  promets  que  je  ne  feray  fervy  de  voÙ5 
avec  moindre  fïdelitc  &  afFedion  que  je  l'ay  tousjours  efté  juf- 
quesicy,  «3c  que  j'en  efpere  la  continuation  ,  comme  vous 
devez  attendre  de  moy  tous  les  tefmoignages  d'un  bon 
iiiaiftre  &  qui  vous  aime ,  comme  les  effets  le  vous  feront  re- 
connoiftre.  Je  vous  ay  cy-devant  efcrit  pour  retirer  des  mains 
du  neveu  du  feu  Sieur  Abbé  de  Bellebranche  la  Libraire 
de  la  feue  Reyne  mère  du  Roy  Monfeigneur ,  ce  que  je  vous 
prie  &  commande  encore  un  coup  de  faire ,  fi  ja  ne  l'avez  fait  î 
comme  chofe  que  je  defire  &  affedionne  &  veux ,  afin  que 
rien  ne  s'en  efgare ,  &  que  vous  lafafiiez  mettre  avec  la  mien- 
ne. Adieu  ,  Monfieur  le  Préfident.  Ce  ^  Novembre ,  à 
Monceaux  iy^8. 

Henry,' 

Lettre  du  Roy  Henry  IV.  à  Jacques- Augure  De  Thou, 

Imprimée  fur 

le  Manufcrit.  TW  M  O  N  S I  E  u  R  le  Préfident.  Avant  que  vous  m'euffiez  ef- 
X^A  ^^^^'  ^^  ^^  perfonne  du  monde  m'eufl:  parlé  pour 
vous ,  fi-toft  que  j'eus  nouvelles  de  la  mort  de  l'Evefque  de 
Chartres  voftre  oncle  ^  je  me  fouvins  de  la  referve  que  je  vous 
avois  accordée  de  F  Abbaye  de  Bellefontaine  par  fa  mort.  Ce 
font  là  des  tefmoignages  de  la  mémoire  que  j'ay  de  vos  fervi- 
ces  ;  comme  auffi  le  Brevet  que  je  vous  ay  envoyé  pour  eftre 
de  mon  Confeil  ordinaire ,  fur  Taffeurance  que  j'ay  tousjours 
eue  de  voftre  fidélité  &  affedion  î  laquelle  fera  que  Foccafioa 
s'offrant  encore  de  la  reconnoiftre  à  favenir ,  vous  m'y  trou- 
verezaufii  difpofé  que  de  bon  cœur  je  prie  Dieu  qu'il  vous 
ait,  Monfieur  le  Préfident,  en  fa  garde.  Ce  lo.  Novembre^ 
à  Monceaux,  (i)  Henry. 

Lettre  âlfaac  Cafaubon  à  Jujïe  Lipfe, 

Yraduîtc  du  f^^  ^  ^'^  Imprimé  qu'un  petit  nombre  d'exemplaires  de 
Latin,& tirée  \^^  l'Hiftoire  de  M.  le  Préfident  de  Thou.  L'intention  de 
As  SyUogc  ,  pAuteur  a  été  moins  de  rendre  fon  ouvrage  public  par  cette 
iiin/ir.  fcrift,  eaition ,  que  de  le  prelentcr  au  Roi  ,  afin   que  ba  Majeite 

LeUét    172.7. 

4°.to.i.pag.        (i)  Cette  Lettre  cft  fans  datte,  mais    j    dans  cette  année  que  mourut  Nicolas  De 

179.  elle  doit  être  de  iji^S.  puif^ue  ce  f^t    |   Thou  Evéque  de  Chartres. 

jugeât 


DE   J.    A.    DE   THOU.  1^5 

jugeât  s'il  devoit  le  cefler  ou  le  continuer ,  &  décidât  de  fon 
fort.  Car  ce  n'eft  par  aucun  motif  d'ambition  que  ce  grand 
homme  a  entrepris  cette  Hiftoire.  C'a  été  en  quelque  forte 
pour  fonder  le  goût  du  Public ,  qu'il  a  fait  imprimer  à  fes  frais 
■un  petit  nombre  d'exemplaires  de  fon  Livre.  Mais  le  grand 
Prince  à  qui  il  a  eu  l'honneur  de  l'offrir,  lui  aïant  promis  fon 
appui  &  fa  protedion  j  f  Ouvrage  a  été  mis  une  féconde  fois 
fous  la  prefle.  Dès  que  cette  édition  fera  achevée ,  on  aura  foin 
de  vous  l'envoyer  5  M.  De  Thou  m'a  chargé  de  vous  le  man- 
der. Je  crois  que  vous  avez  entendu  parler  des  difcours  que  plu- 
lieurs  perfonnes  ont  tenus ,  dès  que  l'ouvrage  a  paru.  Pouvons 
nous  encore  douter  que  notre  fiécle  ne  haïiTe  la  vérité  ,  plus 
qu'on  ne  l'a  jamais  haïe  f  Ceux  qui  ont  murmuré  le  plus,  font 
ceux-là  même  qui  penfent  comme  l'Auteur  j  par  rapport  à 
l'affaire  de  la  Religion.  J'aurois  honte  de  vous  dire  jufqu'où  a 
été  la  fureur  de  quelques-uns.  Cependant  aucun  n'a  été  Ifez  im- 
pudent pour  déclamer  ouvertement  contre  l'Ouvrage. 

A  Paris  j  le  2 1  de  Mars  160^.  Isaac  Çasaubon. 

Extrait  d^une  Lettre  de  Henry  IV,  à  Monfieur  de  Bethune  fon 
Ambajfadeur  à  Rome  j  du  ^  May  1 60^. 

Ua  n  d  le  Nonce  m'a  parlé  &  fait  plainte  du  livre  du  Pré-  Imprimée  fut 
fident  de  Thou,  il  a  cogneu  le  deplaiiir  que  j'en  ay  receu,  ^^  Manufcnc 

&  comme  j'ay  commandé  le  cours  ^  la  vente  d'iceluy ,  qui  a 

elle  faite. 

Extrait  d'une  Lettre  de  M.  J.  Gillot  à  M.  Jof.  de  la  Se  al  a, 
de  Paris  le  ^o  Mars.  (  i  ) 

Î^  yf"  Onsieur  le  Prefîdent  de  Thou  a  eu  de  grands af-  Tiré  des £&?/- 
_  V  i  faults  pour  fon  hvre.  Tantoft  l'on  le  vouloit  défendre  ^^"^'"""^fi^ 
tout  à  faid,  tantoft  cenfurer  ,  tantoft  reformer  ;  les  Grands  scaia    i6i+. 
offenfez  de  la  liberté,  &  peut-eftre  de  la  vérité.  Le  Roy  a  8°.  pag.  410. 
voulu  que  l'on  luy  en  aye  tourné  la  Préface  ou  l'Epiftre ,  qui 
s'adrefteà  luy.  Tandem  quiefcit  &  me  femble  un  peu  enrepos. 
Et  de  fàid,  on  le  r'amprime  en  autre  marge,  car  il  n'y  en  a  plus 
Aqs  premiers. 

(i)  Snn?  date  f^'année. 

Tome  XV.  B  b 


j<?4       PIECES   CONCERNANT  L'HÎSTOIM 

Extrait  d'une  Lettre  de  M.  Vertimien  à  M.  Jof.  de  la  Sfala  ^ 
de  Poitiers  le  i^Juin  ido^. 


TittAc^-Ep'jf-  T\  /F  Onsieur  le  Threforier  Sainde  Marthe  me  compta 


très  Franfoifs  J  u  ^  CCS  deoiiers  jouYS ,  quc  Ic  Roy  avoit  pris  un  fmgulier 
tc^â  1614.  S.  P^"^^^^'  ^^^  fubjed  de  i'Epiftre  dédicatoire  de  l'Hiftoire  de  Fran-^ 
pag.  35J.       ce  de  Monfietir  de  Thou,  &  luy  avoit  commandé  la  faire 

traduire  en  François  &  puis  l'imprimer  ;  ce  qui  a  efté  ja  faid  par 

le  fiis  du  deffund  Hottoman  Jurifconfuite. 

Extrait  d'une  Lettre  de  M.  Pierre  Dupuy ,  à  M.  Jof,  de  h 
Scala ,  de  Paris  le  ip  Novembre  i6o^.. 


Tiré  <ie?  ^if-  1\  M  Onsieur  le  Prefideut  de  Thou ,  outre  les  XVÎIL 
très  Frar^oi/es^  IVI  Hvrcs  de  fou  Hiftoirc ,  a  baillé  à  l'imprimeur  huid  li- 
^scaUicl^.t  vres  qui  fuivent.  Je  voudrois  qu'il  lui  euft  prins  envie   de 
pag.  1 60.        nous  donner  le  refte  qu'il  a  faid  juiques  à  l'année  M.  D. 
XCVII.  ou  plus.  Il  m'adid  qu'il  n'en  fera  plus  que  jufques  à 
la  naifîance  de  Monfeigneur  le  Dauphin  ,  qui  eft  en  l'an 
M.  DC.  C'eft  un  œuvre  ,  à  ce  que  j'ay  ouy  dire ,  qui  eft  ad- 
mirable ;  &toutesfois  il  ne  manque  d'avoir  ici  beaucoup  de 
mefdifances  &  calomnies  j  tant  de  la  part  des  Jelliites  que 
d'autres  telles  fortes  de  gens  qui  ne  méritent  pas  le  lire, 
moins  de  le  voir,  &  moins  encores  d'en  ofer  parler.  Il  me 
monftra  ^  ilyapeu  de  jours,  une  infigne  n>efdiiance.  Il  did 
donc  au  commencement  du  livre  III.  que  Flenry  Roy  d'An- 
gleterre fe  déclara  chef  de  fon  Eglife  ,  &  Efifcopos ,  inquit , 
ferè  bonos  &  doBos  ordinavit.  Les  Jefuites  &  aultres  telles 
gens  n'ont  pas  trouvé  cela  bon.  Or  il  a  trouvé  dans  Sande- 
rus  quiaefcrit  de  Statu  Ecclejîce  Anglica ,  ledid  livre  eft  im- 
primé à  Rome ,  lorfqu'il  parie  de  ces  Evefques ,  il  les  appelle 
minime  malos.  Vous  voyez  donc ,  Monfieur ,  en  quelle  peine 
font  ceux  qui  veulent  maintenant  efcrire  j  car  fi  l'on  n'efcrit  à 
leur  gré  &  félon  leur  volonté ,  l'on  oit  incontinent  cenfure , 
&  efpluchent  defi  prés  qu'ils  prennent  garde  jufques  aux  mots. 


D  E  J.    A.    DE   T  H  O  U.  ipj 

Lettre  as  M.  De  Thou  )  à  M.  le  Comte  de  Beaumont , 
AmhaffadeuY  en  Angleterre. 

O  N  s  î  E  u  R.  Vous  recevrez  celle-cy  par  les  mains  de  Imprimée  fur 
Moniieur  de  Sainte  Marthe ,  fils  de  Monfieur  le  Lieu-  le  MaRufcm. 
tenant  General  de  Poidou  ,  &  nepveu  de  Monfieur  de  Sainte 
Marthe  que  cognoillez ,  6c  duquel  les  vertus  &  érudition  font 
cogneues  de  tous  ceux  qui  aiment  la  vertu  &  lés  Lettres.  lia 
defiré  c^Çi  adrefle  &  celle  recommendation  de  moy,  s'en  al- 
lant par  delà  avec  un  (  i  )  bon  homme  qui  repaffe  après  cin- 
quante ans  la  mer ,  pour  aller  faluer  le  fils  de  fa  bonne  Maif- 
treile.  Vous  les  aurez ,  s'il  vous  plaift ,  tous  deux  pour  recom- 
mandez. Je  vous  envoyeray  bien-toftfix  exemplaires  de  mon 
Hiftoire  réimprimée ,  pour  en  ufer  &  les  diftribuer  ainfy  que 
verrez  eilre  à  faire.  Je  ne  defireplus  que  ce  foit  en  mon  nom> 
&  que  l'on  croye  que  je  l'aye  faid  réimprimer  5  comme  la  ve-« 
rite  eftquece  n'eft  moy  ny  à  ma  pourfuite  que  cela  fe  faid, 
ains  pour  empefcher  que  les  Allemans,  qui  impriment  tout, 
.n'entreprinffent  de  la  réimprimer.  Les  molefties  que  j'en  ay 
receu ,  &  le  peu  de  gré  que  l'on  m'en  f:ait ,  me  font  aifé- 
ment  perdre  toute  l'envie  que  j'aurois  d'advancer  im  œuvre 
pour  le  fubjed  utile  au  public  ,  &  auquel  par  ma  fidélité  &  di- 
ligence je  pouvois  apporter  quelque  chofe.  Mais  j'ay  cogneu 
à  mes  defpens ,  que  le  loyer  de  ceux  qui  embrailent  la  vérité 
eft  la  haine  des  Grands ,  qui  veulent  par  tout  eftre  flattez  5  tel- 
lement que  fi  après  les  avoir  louez  où  ils  ont  mérité ,  l'on  vient 
à  les  defcouvrir  &  furprendre  en  quelque  faulte ,  comme  il 
ne  peut  arriver. que  ceux  qui  font  expofez  à  la  veue  de  tout 
le  monde  &  employez  aux  charges  publiques  ne  chancellent 
quelques  foisj  ils  s'aigriûent  &  mettent  en  oubly  tout  le 
refte;  &  en  arrive  ce  que  dit  le  proverbe ,  que  pour  im  verre 
caiîé  l'on  perd  dix  ans  de  bon  fervice.  Contre  tout  cela  je 
.me  confole  en  ma  confcience ,  &  efpere  de  la  pofterité ,  en 
defpit  de  l'envie ,  ce  que  la  mahgnité  de  ce  fiecle  me  dé- 
nie. Cela  me  gardera  de  plus  rien  hafarder  au  public ,  jufques 
à  ce  que  je  me  voye  alTeuré  de  garand.  Mais  allez  pour  ce 
fubjed.  Voftre  paix  apprefle  icy  à  difcpurir^  &  aurez  fceu 

(i)  BIackw.'ood. 

Bbii 


j^6         PIECES   CONCEP.NANT  L'HÏSTOIRE 

que  l'on  a  délibéré  il  l'on  uferoit  de  i'occafion.  Celuy  qui  peuir 
le  plus  y  poulie  tant  qu'il  peut ,  &  avec  de  puiàantes  raifcns  : 
mais  l'amour  de  l'aife ,  &  ceux  que  connoiflez  qui  ont  at- 
taché noftre  feureté  delà  les  Monts  ,  fçavent  il  dextrement 
manier  &  menafger  ceile  inclination,  qu'ils  nous  feront  en- 
fin perdre  l'occallon.  Dieu  veuille  que  le  mal  que  par  ce 
moyen  fe  pouiTeroit  au  dehors ,  ne  rentre  au  dedans ,  &  ex- 
cite une  plus  pernicieufe  guerre  que  celle  que  nous  monf- 
trons  tant  craindre. 

A  Paris  ce  3.  Sep-  Voilre  &c. 

tembre  160^.  Jacques- Auguste  De  Thov*. 

Extrait  d'une  Lettre  de  M.  de  Villeroy  à  M,  de  Beîhune  y 
Ambaffaàeur  de  France  à  Rome. 

Imprimé  fur  ¥  E  croy  que  M.  le  Preildent  de  Thou  eft  marri  d'avoir  pu- 
le  Manufcric.  |  ^jj^  fon  livre  ,  &  qu'il  ne  s'y  engageroit  il  avant  s'il  elioit' 
à  recommencer:  mais  il  faut  manier  ce  fait  doucement  pour 
y  apporter  quelque  remède ,  qui  ne  peut  eilre  autre ,  à  mon 
avis  j  que  d'en  empefcher  la  reimpreifion ,  car  pour  l'amen- 
der &  corriger  ,  il  faudroit  changer  une  grande  partie  d'ice- 
îuy  5  chofe  difficile  de  faire.  Je  luy  en  ay  parlé  par  le  com- 
mandement de  fa  Majefté.  Il  m'a  aifuré  qu'il  fera  le  premier 
à  tenir  la  main  qu'il  foit  enfeveli ,  &  qu'il  ne  s'en  parle  plus  5 
non  qu'il  eilime  avoir  failli  à  l'Hiftoire  ,  ne  qu'il  fe  veuille 
defdire  de  fes  opinions  en  ce  qui  concerne  la  Religion  5  mais 
parce  qu'il  ne  veut  faire  chofe  qui  defagrée  à  fa  Majeité  j  ôc 
porte  préjudice  à  fon  fervice. 

Lettre  de  Jacqiies-Augufie  de  Thou  à  Pierre  Jeannin  ,  Premier 
Prefident  du  Parlement  de  Bourgogne. 

Traduite  du    |  "\  A  N  S  la  dernière  vifite ,  que  l'amitié  &  les  liaifons  j  que 
Xatin ,  &  tirée    |  Js  y Qtre  charfifc  &  la  mienne  mettent  entre  nous  ^  vous  en- 

^u  Recueil  de     ^^—^  ^  o  ^    \  r  •     J'    rr  ••       /    \ 

fiéces  hiftori-  gagèrent  a  me  rendre ,  après  le  refus  que  je  venois  a  eiiuier  (  i  )^ 

^ues  c^  curier- 

/W.impriméà        0)  Onavoit  refuféà  DeThouIa  char-         frère,  &  on  lui  avait  prcRré  Verdun  » 
Delfti7i7.2.  ge  de  Premier  Prefident  du  Parlement        Premier  Prefident  du  Parlement  de  Toit- 
vol.  in-i2.        de  Paris,  vacante  par  la  dérniHlon  du        loufe. 
Premier  Prefident  de  Harlay  fon  beau- 


DE  J.  A.  DE  THOU.  15)7 

Vous  me  parlâtes  le  premier  de  cette  affaire  ,  ce  qui  me  don- 
na occafion  de  vous  entretenir  à  ce  fujet  5  après  quoi  je  vous 
dis  que  nous  avions  aflfez  inutilement  parle  de  cette  ma- 
tière j  que  c'étoit  une  chofe  faite  j  qu'il  n'y  falloit  plus  p enfer  j 
ce  qui  ne  vous  empêcha  pas  de  continuer  de  m'en  entrete- 
nir. Vous  fçavez  qu'après  m'être  lui  peu  échauffé  au  commen- 
cement ,  j'eus  allez  d'empire  (ur  moy  pour  calmer  mes  pre- 
miers mouvemens,  afin  d'être  plus  en  état  devons  écouter. 
Enfin  après  un  long  entretien  à  ce  fujet  /:que  nous  eûmes  en 
nous  promenant,  vous  vous  retirâtes,  danslapenfée  que  vos 
avis  m'avoient  tranquillifc ,  &  que  j'étois  prêt  à  vivre  comme 
auparavant.  Je  ne  fus  pasfurpris  de  vous  voir  dans  cette  idée  > 
car  j'obtins  alors  de  moy  de  ne  laiÛ'er  échapper  aucun  mot 
qui  marquât  de  l'altération ,  ou  du  reûentiment  contre  qui 
que  ce  fut  5  je  fçavois  trop  bien  que  ce  n'étoit  pas  le  temps 
de  contefter  5  ma  douleur  étoit  encore  trop  vive  ;  j'avois  ré- 
folu  de  luy  donner  de  juftes  bornes,  &  de  prendre  le  confeil 
de  mes  amis ,  avant  que  de  rien  déterminer  au  fujet  de  mes 
affaires,  &  fur  le  genre  de  vie  que  je  devqis  fuivre  à  l'ave- 
nir. Vous  voyés  par  là  que  je  fuis  encore  aujourd'huy  incer- 
tain fur  ce  que  je  dois  faire.  En  effet ,  je  ne  fçay  fi  je  reparoî- 
trai  au  Palais  ôcàla  Cour,  ou  fi  en  fuivantmes  inclinations, 
qui  m'ont  toujours  éloigné  des  intrigues ,  &  du  féjour  dange- 
reux delà  Cour,  je  dois  entièrement  abandonner  les  affaires 
&  me  retirer. 

Etant  allé  ces  dernières  fêtes  de  Pâques,  contre  ma  cou- 
tume, â  la  campagne,  afin  d'éviter  des  vifîtes  importunes ,  que 
cette  affaire  n'auroit  pas  manqué  de  m' attirer,  je  patlai  ce 
temps  dans  des  exercices  de  pieté ,  qui  ont  remis  la  tranquil- 
lité dans  mon  ame.  Après  avoir  imploré  d'abord  l'alllftance 
du  Ciel ,  comme  on  doit  le  faire  en  toutes  chofes ,  j'ay  ré- 
fléchi mûrement  au  parti  que  j'avois  à  prendre  en  cette  oc- 
cafion, afin  d'éviter  deux  écCieils  également  dangereux  :  car 
je  ne  voulois  pas  qu^on  pût  me  reprocher  d'avoir  trop  écouté 
mon  reflentiment ,  ni  qu'on  m'accufât  d'avoir  fait  quelque 
chofe,  qui  ne  répondît  pas  à  ma  vie  pafîee,  &  fift  tort  à  ma- 
dignité.  Je  jettay  alors  fur  le  papier  fans  ordre  tout  ce  qui  me 
vint  dans  i'efprit,  pour  m' affermir  dans  ma  réiolution,  com- 
me fi  je  me  fufle  trouvé  dans  un  entretien  particulier  avec 

Bbiij 


îpS       PIECES    CONCERNAISTT  t'HîSTOIRE 

vous:  je  vous  l'envoyay  aufll-tôt  ,  comme  à  un  juge  équita* 
ble ,  ôc  au  feul  arbitre  des  juftes  fujets  de  plaintes  que  je  crois 
avoir  :  mon  delïein  étoit  d'avoir  des  avis  prudens  &  finceres 
fur  la  conduite  ,  qu'un  homme  d'honneur  ,  &  qui  a  des  fenti- 
inens ,  devoit  tenir  dans  une  pareille  conjondure, 

L'Etat  fouffre  plus  que  moy  de  l'injuftice  qu'on  m'a  faite  'y 
voilà  ce  qui  me  rend  l'injure  plus  fenfible.  Je  puis  dire  que 
le  zélé  avec  lequel  j'ai  manié  jufquicy  les  affaires  publiques , 
eft  fi  grand ,  que  les  malheurs  du  Royaume  m'ont  toujours 
touché  plus  vivement  que  les  miens  :  Ceux  qui  me  connoif- 
fent  fçavent  affez,  que  fans  avarice,  comme  fans  ambition, 
je  néglige  mes  propres  affaires  :  ainfi  je  fouhaite  qu'on  ne  con- 
fidere  pas  tant  par  rapport  à  moy  ,  que  par  rapport  à  l'Etat , 
l'injuftice  dont  je  me  plains  :  S'il  eft  poftlble  de  féparer  ma 
caufe  de  celle  de  la  republique,  j'y  confensjje  fuis  prêt  à 
me  taire. 

Sans  parler  des  honneurs  dont  mes  ancêtres  ont  été  revê- 
tus ,  mon  père  &  mon  ayeul  ont  tenu  un  rang  diftingué  dans 
la  robe  ,  où  ils  ont  bien  fervi  l'Etat  ;  ôc  les  premières  char-" 
ges  ont  été  remplies  par  mes  ayeux  maternels  :  l'éducation  que 
j'ay  reçue  de  mon  père  ne  tendoit  qu'à  m'infpirer  de  n'a-, 
voir  jamais  d'autre  but  que  le  bien  du  Royaume.  Etant  en- 
tré dans  la  magiftrature  avec  ces  difpofitions  ,  j'ay  recher- 
ché l'amitié  des  Seigneurs  animez  du  même  efprit  :  je  n'ay 
rien  oublié  de  ce  qui  pouvoir  contribuer  en  particuher  ou. 
^n  gênerai  au  bien  public  î  enfuite  l'âge  m' ayant  domié  plus 
d'autorité  dans  la  place  que  j'occupois,  je  fus  connu  de  mes 
maîtres,  après  m'être  heure ufementfoutenu  dans  des  .temps 
orageux ,  &  Ci  funeftes  à  plufieurs  particuUers  j  je  demeurai 
fidèle  à  Henry  II I.  dans  le  temps  que  prefque  tout  leRoïaii- 
me  s'étoit  foulevé  contre  lui.  Je  le  fuivis  avec  peu  de  per- 
fonnes-,  lorfqu'il  fut  obligé  de  fortir  de  Paris  :  Ce  Prince  m'en- 
voya d'abord  porter  fes  ordres  aux  Gouverneurs  &  aux  Ma- 
giiirats  des  villes  de  Normandie  ^  l'une  des  plus  confidéra- 
bies  Provinces  du  Royaume  5  enfuite  les  troubles  s'étant  un 
peu  calmés.  Sa  Majefté  me  fit  l'honneur  de  me  donner  une 
piace^dans  fon  Confeil  Privé.  II. s'eft  fervi  de  moi  depuis  ce 
-temps-là.  J'eus  ordre,  lorfque  la  guerre  fe  ralluma  avec  plus 
■é^  fureur  ,  d'aller  en  Allemagne  avec  Gafpard  de  Schonv 


D  E   J.    A.    D  E    T  H  O  U.  i^^^ 

berg.  Comte  de  Naiiteûil,  dont  le  zcle  pour  nos  Rois  voiis- 
eft  connu,  &  avec  quij'avois  dès-lors  d'étroites  liaifons.  Ce 
Seigneur  étoit  chargé  de  conduire  l'armée  auxiliaire.  Pendant 
qu'ji  s'occuperoit  du  foin  de  faire  des  levées,  &  de  prépa- 
rer tout  pour  fe  mettre  en  marche ,  je  devois  me  rendre  à  la 
Cour  de  fEmpereur  &  auprès  des  Princes  d'Allemagne  , 
afin  de  le  foula^er  dans  les  affaires  qui  augmentoient  de  jour 
en  jour. 

Le  Comte  de  Nanteiiil  ayant  fait  un  voyage  à  Florence  , 
pour  trouver  de  l'argent,  j'appris  à  Venife  la  trifte  nouvelle 
de  rallaHinat  du  Roi  Henry  III.  Je  reliai  quelques  jours- 
dans  cette  ville  avec  le  Cardinal  de  Joyeufe ,  qui  voyant 
que  l'interdit  jette  fur  ce  Prince  fubfiftoit  toujours,  avoit 
quitté  Rome  5  j'y  trouvai  auiïl  Arnauld  d'Olfat  mon  ami. 
intime ,  qui  depuis  a  été  créé  Cardinal.  Schomberg  ayant  en- 
fin repris  le  chemin  d'Allemagne  ,  j'allay  en  Suifle ,  où  je 
m'arrêtai  quelques  temps  à  Soleure  auprès  de  l'Ambafladeur 
de  France  vers  les  Cantons  :  c'étoit  Nicolas  Brulart  de  Silie- 
ry ,  qui.  eft  depuis  monté  au  faîte  des  honneurs  de  la  Magif- 
trature  (  i  ) ,  ce  que  Budée  notre  ami  commun  appelle  le 
folftice  de  la  robe.  Il  me  donna  un  palfeport ,  &  je  revins  en 
France  avec  quelques  colonels  Suifles  :  j'allai  trouver  le  nou- 
veau Roi  à  Chateaudun,  après  la  prife  des  fauxbourgs  de  Pa- 
ris 5  je  lui  rendis  compte  de  l'état  des  affaires  d'Allemagne 
ÔL  d'ItaUe  depuis  les  derniers  troubles. 

J'ay  demeuré  cinq  ans  à  la  fuite  de  Sa  Majefté  dans  fon 
camp ,  à  la  réferve  de  quelque  temps  ^  que  par  fon  ordre  j'ay 
paîîé  à  Tours ,  où  le  Parlement  fiegeoit  alors ,  ou  bien  que 
j'ay  employé  à  des  négociations  dans  d'autres  Provinces.  En- 
fin après  la  cérémonie  de  fon  facre  ,  qui  fe  fit  à  Chartres  par 
les  mains  de  Nicolas  de  Thou  mon  oncle  ,  Evêque  de  cette 
ville  ,  &  après  la  rédudion  de  Paris  qui  fuivit  de  près ,  je  ren- 
trai dans  ma  maifon ,  ôcjef.is  enfin  rendu  à  mes  livres  j  trop 
heureux  après  être  demeure  inviolablement  attaché  au  Roi  ^ 
de  pouvoir  jouir  des  douceurs  de  la  paix ,  au  milieu  des  en- 
nemis de  cette  paix ,  qui  avoient  porté  les  armes  contre  leur 
Patrie  ! 

Je  me  fîattois  que  Sa  Majefté  ie  fouvenant  des  cinq  années 

0)  Il  fut  fait  Chancelier. 


2C0         PIECES  CONCERNANT  L'HISTOIRE 

que  j'avois  paiTées  dans  fon  camp,  penferoit quelque  jour  à 
moi.  Je  me  trouvois  alors  fort  mal  à  mon  aife  j  mon  bien  avoir 
été  pillé  pendant  la  guerre  j  d'ailleurs  j'avois  été  obligé  de 
£iire  toute  ma  dépenfe  fans  rien  recevoir  du  Prince  pen- 
dant ces  cinq  années.  Sa  iMajeflé  difoit  fouvent  que  j'étois 
bien  différent  des  autres  5  que  je  ne  me  plaignois  point  de 
la  perte  de  mes  biens,  tandis  que  les  autres  profitant  du  mal- 
heur des  temps,  parloient  continuellement  des  pertes  qu'ils 
-avoient  faites.  Cet  éloge  flateur  a  été  toute  la  récompenfe 
de  ces  cinq  ans  de  fervices.  Le  Roi  changea  à  mon  égard 
avec  fa  fortune.  J'ai  appris  à  mes  dépens  que  rien  n'eft  plus 
fragile  que  la  faveur  des  Princes  5  que  la  première  chofe 
qu'ils  font  dans  la  profperité  eft  d'oublier  le  paiïe ,  &  de  pren- 
dre pour  une  efpcce  de  reproche  ,  le  fouvenir  que  leur!  en 
rappelle  la  vue  de  ceux  qui  leur  ont  été  attachez  dans  leui; 
mauvaife  fortune. 

Vous  me  demanderez  peut-être ,  à  quoi  bon  tout  ce  dé- 
tail. J'ay  voulu  vous  faire  voir  qu'une  trifte  fatalité  m'a  fait 
fi  mal  récompenfer  de  ceux  à  qui  j'ay  voué  mes  fervices, 
dans  des  circonftances  critiques.  Ainfi  deux  ans  s'écoulèrent , 
fans  qu'il  fut  feulement  quellion  de  moi  :  on  ne  s'en  reifou-' 
vint  que  lorfque  les  Proteftans  de  France  préfenterent  à  con- 
tre-temps au  Roi  ,  qui  alTiegeoit  la  Père  en  Picardie  ,  une 
requête ,  pour  fe  plaindre  de  ce  qu'on  les  avoir  trompez  par 
les  Edits  précedens.  Sa  Majefté  jetta  alors  les  yeux  fur  moi, 
-pour  couper  court  de  bonne  heure  à  leurs  plaintes  ,  &  je  fus 
chargé  d'amples  pouvoirs.  Monfieur  de  Villeroy  fçaitqueje 
me  défendis  d'abord  d'accepter  cette  commillion  ;  je  pré- 
voyois  dès  ce  temps-là  combien  elle  devoit  me  faire  d'en* 
nemis.  Cependant  m'étant  rendu  en  Bretagne  avec  le  Comte 
de  Nanteùil  pour  en  calmer  les  troubles  ;  &  ayant  fait  dé- 
puter vers  les  Proteftans  Emeri  de  Vie  &  Sofrey  de  Cali-.' 
gnon,  je  reçus  de  nouveaux  ordres  du  Roi  au  fujetde  cette 
affaire ,  qui  m'occupa  deux  ans  entiers. 

J'avois  employé  les  quatres  années  précédentes  à  écrire 
mon  Hiftoire  ,  dont  je  crois  devoir  dire  ici  deux  mots  ,  puif- 
quelle  eft  (  à  ce  que  j'en  pius  juger  par  les  reproches  qu'on 
me  fait  )  une  des  caufes  du  refus  que  j'ay  eiPuïé.  Sçachaiit 
-que  je  n'ctois  pas  né  pour  moi  feul,  mais  pour  ma  patrie  ôc 

pour 


DE  J.   A,  D  E  THOU.  sot 

■ftour  mes  amis ,  fentant  d'ailleurs  quel  plaifir  me  faifoit  la  lec- 
ture de  l'Hiftoire  ,  ôc  dans  la  peiil'ée  que  les  préceptes  & 
les  exemples  contribuem  à  régler  la  vie ,  &  à  la  rendre  heu- 
reufejjecrus  me  faire  honneur  ôc  fervir  la  République,  en 
écrivant  l'Hiftoire  de  notre  temps,  à  commencer  où  Paul 
Jove  a  fini.  Plein  de  cette  idée  dès  ma  plus  tendre  jeuneffe  , 
je  n'ay  rien  négligé  dans  mes  voyages ,  dans  le  barreau ,  dans 
mes  Ambaflades ,  dans  les  négociations  où  j'ay  eu  part ,  pour 
préparer  mes  matériaux ,  afin  de  les  trouver  fous  ma  main , 
dans  un  temps  plus  favorable.  J'ay  cherché  de  tous  cotez  ce 
qu'il  y  avoit  d'hiiloires  imprimées  5  j'ay  fait  copier  pour  mon 
ufage  celles  qui  ne  l'avoient  pas  été.  J'ay  feuilleté  tous  les 
Journaux  de  nos  Généraux  d'armée  ,  &  tous  les  ades  de  nos 
AmbalTadeurs ,  j'ay  fouillé  dans  les  cabinets  des  Secrétaires 
d'Etat.  Enfin ,  je  mefuis  mis  au  fait  des  affaires ,  par  la  couver- 
fation  des  hommes  illuftres ,  qui  ont  fervi  l'Etat  avant  moi. 
J'ay  appris  d'eux  à  difcerner  le  vrai  d'avec  le  faux ,  dans  les 
faits  défigurez  par  les  écrits  de  differens  partis  ,  &  par  les 
bruits  pubhcs.  L'autorité  de  ces  grands  hommes  m'a  guidé  dans 
mes  recherches.  Je  puis  mettre  au  nombre  de  ces  perfon- 
nés  éclairées  Paul  de  Foix  de  Carman ,  Guy  Faut  de  Pibrac , 
Philippe  Hurault  de  Chiverny  mon  beau-frere ,  &  Gafpard 
de  Schomberg  ,  tous  recommandables  par  leur  probité,  6c 
d'une  habileté  confommée  dans  les  affaires. 

Après  tous  ces  préparatifs ,  je  me  fuis  mis  à  écrire  l'Hiftoire; 
lorfque  la  guerre  civile  n'étoit  pas  encore  éteinte.  Dieu  qui 
m'a  infpiré  le  deffein  decompofer  un  ouvrage  fi  pénible,  ôc 
donné  des  forces  pour  l'exécuter  au  milieu  des  troubles,  & 
malgré  mes  occupations ,  m'efl  témoin  que  j'ay  écrit  avec 
la  dernière  exaditude  ôc  fans  partialité  ,  ôc  que  je  n'ay 
eu  en  viië  que  fa  gloire ,  ôc  l'utilité  publique.  J'avouerai  que 
j'ay  beaucoup  d'écrivains  au-deffus  de  moi  dans  ce  genre, 
par  la  beauté  du  ftile  ,  par  la  pureté  du  langage ,  par*  la  net- 
teté dudifcours,  par  la  folidité  des  penféesjmais  je  ne  leur 
cède  en  rien  du  côté  de  l'exaditude  ôc  des  recherches.  Je 
vous  en  fais  juge,  Monfieur ,  vous  ôc  la  pofterité. 

Mon  Hiftoire  étoit  déjà  avancée  lorfque  j'appris  d' Allema^ 
gnc  que  lapremierejpartie  alloit  au  premier  jour  paroitre  à  moi^ 
ïnLu,  fi  je  n'y  mettois  Qrdre,  Va  Allemand  en  avoit  fait  une, 

Tû/7Σ  XK  Ç  Ç 


202  PIECES  CONCERNANT  UHISTOIRE 
copie,  en  travaillant  fous  moi.  Voïant  combien  il  m'étok 
important  de  parer  ce  coup  ,  je  fis  agir  mes  amis,  pour  reti- 
rer cet  exemplaire  ?  mais  il  n'étoit  plus  temps  :  il  y  avoit  toute 
apparence  que  les  curieux  en  avoient  multiplié  les  copies.  Je 
pris  donc  le  parti  de  publier  moi-même  mon  Hiftoire.  Ce 
n'a  pas  été  un  motif  de  vaine  gloire ,  qui  me  l'a  fait  donner 
fous  mon  nom.  Je  fouhaiterois,  fi  cela  eût  été  polfible^que  mon 
nom  n'eût  jamais  paru  à  la  tête  de  cet  ouvrage  5  mais  j'ay  mieux 
aimé  m'expofer  à  perdre  la  faveur  de  la  Cour  ,  mes  biens 
dans  le  Royaume  j  &  ma  réputation  chez  les  Etrangers ,  que 
de  foufFrir  que  par  un  trait  de  timidité  ,  ce  que  j'avois  écrit 
pour  l'utilité  publique,  &  pour  conferver  le  fouvenir  des 
évenemens,  ne  trouvât  point  créance  dans  l'efprit  de  mes 
contemporains  &  de  la  pofterité. 

•  Je  n'ignorois  pas  quelle  foule  d'ennemis  alloit  s'élever  con- 
tre moi.  Les  chofes  ont  même  été  plus  loin  que  mes  craintes  : 
car  après  la  publication  delà  première  partie,  jufqu'oû  n'a- 
t-on  pas  porté  le  déchaînement ,  foitpar  jaloufie ,  foit  par  efprit 
de  parti  f  Vous  fçavez  qu'on  a  indifpofé  contre  moi  ^  par  d'in- 
dignes calomnies ,  de  certaines perfonnes  de  la  Cour  (i) ,  qui 
ne  voyent  clair  dans  ces  fortes  de  chofes  que  par  les  yeux  d' au- 
trui. L'affaire  a  été  auffi-tôt  portée  à  Rome.  Après  y  avoir 
noirci  l'Hiftorien ,  on  n'a  pas  eu  de  peine  à  engager  des  cen- 
feurs  chagrins  (2)  à  donner  un  mauvais  fens  à  tout  ce  que 
j'ay  écrit  &  fait ,  &  à  condamner  en  entier ,  fans  garder  les 
formes  ordinaires  ,  mais  feulement  fur  un  préjugé  de  ma  per- 
fonne  ,un  ouvrage,  dontils  avoientàpeine  lûle  tiers.  (3)Toute 
cette  manœuvre  a  été  conduite,à  la  follicitation  de  certains  nou- 
veaux Théologiens ,  quifoumettenttout  à  leur  tribunal.  Ilsfe 
flatoient  dès-lors  qu'on  rappelleroit  un  jour  cette  cenfure , 
îorfqu'il  s'agiroit  de  me  placer  dans  le  pofte ,  où  les  gens  de 
bien  me  fouhaitoient.  Le  Roi  prit  d'abord  ma  défenfe ,  Iorf- 
qu'il vit  les  courtifans  déchaînez  contre  moi  ;  mais  le  temps 
ayant  paru  calmer  leur  haine ,  Sa  Majefté  fe  laiffa  enfuite 
gagner  par  leurs  artifices. 


C  I  )  Il  entend  fur-tout  Villeroi  Se- 
crétaire d'Etat. 

i  1  )  Cenfures  d'Antoine  Carracciolî , 
Clerc  Régulier,  &  deGalpard  Sciop- 
fius. 


(  3  )  Lorfqu'on  cenfura  à  Rome  fbn 
Hil^oire  ,  il  en  avoit  paru  d'autres  édi- 
tions ,  augmentées  &  corrigées.  Les 
Cenfeurs  s'attachèrent  à  la  première 
édition. 


DE    J.   A.    DE    THOU.  205- 

On  n'apprit  pas  plutôt  à  Rome  que  Sa  Majefté  fe  réftoi- 
dilToit  peu  à  peu  à  mon  cgard,  qu'on  y  fongea  à  me  por- 
ter le  dernier  coup ,  après  la  mort  des  Cardinaux  d'Oiîat  & 
Séraphin,  avec  qui  j'avois  eu  d'étroites  liailons,  &  après  le 
départ  de  l'illuftre  du  Perron.  Il  eût  été  facile  d'aller  au  de- 
vant 5  il  ne  falloit  que  faire  fentir  au  Roi  d'un  feul  mot,  que 
cette  affaire  le  touchoit  de  près ,  aufli  bien  que  l'honneur  du 
Royaume  :  mais  il  n'y  eut  pas  un  feul  de  ceux  qui  l'appro- 
choient,  qui  voulût  s'en  charger.  Je  ne  pouvois  compter 
fur  l'appuy  de  perfonne  à  la  Cour,  qui  étoit  alors  divifée 
par  les  fadions  :  cependant  comme  le  décret  alloit  être  lâché 
à  Rome,  Monfîeur  de  Villeroy  manda  à  Chateauneufj  qu'il 
écriroit  au  nom  de  Sa  Majefté  au  Cardinal  Séraphin,  qui 
vivoit  encore ,  pour  lui  recommander  cette  affaire.  Chateau- 
neuf  me  rafllira  par  ces  nouvelles,  %  je  crus  n'avoir  rien  à 
craindre  pour  le  prefent  :  mais  Monfîeur  de  Villeroy  n'écri- 
vit point. 

Quelque  tems  après  Monfîeur  de  Sillery  m' ayant  rapporté 
par  ordre  du  Roi  des  chofes  fàcheufes ,  qu'on  avoir  dites  à 
Sa  Majefté ,  &  me  laiffant  comprendre  qu'il  n'avoir  rien  dit 
pour  ma  défenfe,  je  vis  bien  qu'il  ne  m' avoir  pas  rendu  le 
fervice,  que  j'attendois  d'un  homme  que  j'avois  regardé  juf- 
qu alors  comme  un  ami.  Je  ne  pus  me  contenir;  je  m'em- 
portai avec  aigreur  contre  l'ingratitude  dufiécle,  je  me  plai- 
gnis de  mon  fort  j  je  dis  même  alfez  hautement  que  fi  j'étois 
né  fujet  du  Roi  d'Efpagne ,  il  m'accorderoit  l'appuy ,  qu'on 
me  refufoit  en  France.  Je  fus  furpris  de  la  froideur  dédai- 
gneufe  du  ChanceUer ,  ou  de  fa  prudence  timide  î  il  falloit 
ctre  en  effet  bien  dédaigneux ,  pour  n'avoir  pas  feulement 
lu  la  préface  d'un  livre ,  qui  faifoit  alors  tant  de  bruit  dans 
le  monde ,  &  dont  je  lui  avois  fait  prefent.  S'il  l'avoit  lûë  , 
il  y  auroit  trouvé  de  quoi  me  défendre.  Mais  en  fuppofant 
qu'il  l'avoit  lûë ,  pourquoi  ne  prenoit-il  pas  mon  parti  ?  Il 
écouta  trop  la  politique ,  en  refufant  d'employer  fon  crédit 
à  la  défenfe  d'un  ami ,  dans  une  affaire  qui  intereflbit  l'Etat, 
Abandonné  en  France ,  je  fuccombai  facilement  à  Rome.  Les: 
deux  motifs  de  ma  condamnadon  furent ,  que  j'avois  travaillé 
à  l'Edit  de  Nantes  en  faveur  des  Proteftans ,  &  que  j'avois 
eu  la  hardiefle  de  défendre  les  droits  du  Royaume  dans  moi> 

Ccij 


!204       PIECES    CONCERNANT   rmSTOîRË 

Hiftoire  ;  liberté  toujours  odieufe  à  la  Cour  de  Rome. 

Cette  difgrace  n'empêcha  pas  la  Reine  de  m'employer  à 
l'ordinaire  >  elle  fit  même  entendre  à  Monfieur  de  Harlay, 
qui  Favoit  fait  reiîbuvenir  des  fervices  de  mon  père ,  qu'el- 
le me  procureroit  un  jour  la  place  de  premier  Prelident  ; 
elle  m'en  fit  affùrer  pkifîeurs  fois  par  le  moyen  de  fon  Tré- 
forier,  quime  voyoit  fecrettement,  pour  ne  pas  donner  lieu 
aux  foupçons  du  Roi^  qui  étoit  naturellement  défiant.  Je  ne 
répondis  rien  à  tant  de  marques  de  bonté,  finonque  Sa  Ma- 
jefté  voulût  bien  ni  avoir  -pour  recommandé  '■,  qu'elle  difposât 
ies  chofes  félon  fa  prudence ,  dans  une  affaire  qui  la  regar- 
doit,  aulfi  bien  que  l'Etat.  Le  Duc  de  Bouillon ,  la  Comteffe 
de  Saulx ,  &  plufieurs  autres  perfonnes ,  dont  il  feroit  trop 
îong  de  rapporter  les  noms,  m'afïurerent  la  même  chofe  de 
fa  part.  Cette  Princelfoftut  même  la  bonté  de  me  faire  aver- 
tir ôiQS  mauvais  offices  ^  qu'on  nous  rendoit  à  Moîifieur  de 
Harlay  &  à  moi  auprès  du  Roi  ;  elle  fit  dire  en  même  temps 
à  mes  ennemis ,  par  Monfieur  de  Gefvres ,  qu'ils  enflent  à 
fe  taire ,  leur  faifant  entendre  que  leur  conduite  lui  déplai- 
foitî  jufques  là  qu'elle  les  mena<ça  de  fa  colère,  s'ils  conti- 
nuoient  a  me  défervir. 

Sur  ces  entrefaites,  le  Roi  fut  malheureufement  ailafTmé. 
Confternés  de  ce  coup  imprévu,  nous  déclarâmes  dans  le 
Parlement  la  Reine ,  régente  du  Royaume  ,  perfuadés  que 
ie  falut  de  l'Etat,  &  la  conjondure  des  temps  l'exigeoienr. 
Xe  Parlement  opina  à  ce  fujet  avec  une  parfaite  unanimité,&  fit 
paroître  beaucoup  de  fermeté.  Nous  donnâmes  les  premiers 
notre  fuffrage  ,  Monfieur  de  Harlay,  &  moi:,  avec  toute 
la  joye  qui  nous  étoit  permife  dans  de  fi  trifles  circonftances. 
Quatre  jours  après ,  étant  allé  rendre  mes  devoirs  à  la  Reine, 
elle  me  renvoya  avec  mille  marques  de  bonté.  Pour  moi 
qui  ne  fouhaitois  pas  tant  la  place  de  premier  Prefident ,  que 
de  m'en  rendre  digne ,  6c  de  donner  des  preuves  de  ma  fi- 
délité &  de  mon  zélé  pour  l'Etat  j  je  n'importunai  pas  da- 
vantage Sa  Majefté,  &  je  me  repofai  entièrement  fur  les  in- 
tentions favorables  qu'elle  m'avoit  témoignées.  Je  regardai 
îe  choix  que  je  me  flattois  qu'elle  feroit  de  moi,  comme 
un  honneur,  &  comme  une  grâce  capable  de  me  dédommages: 
de  toutes  les  fatigues  d'un  fi  pénible  emploi.  Mais  cette  Prin- 


t)E  J.  A.  DE  THOU.  5o? 

tefTe  en  a  agi  à  mon  égard  comme  le  feu  Roi.  Je  vais  tâ^ 
cher  de  découvrir  la  caufe  de  ce  changement. 

On  me  reproche  l'amitié  du  Prince  de  Condé ,  &  l'ap^- 
puy  dont  il  m'a  conftamment  honoré  dans  cette  affaire. 
Avoués  que  je  fuis  bien  malheureux,  qu'amis  ôc  ennemis, 
tout  me  nuife  en  cette  occafion.  Cependant  cette  amitié, 
qui  m'eft  reprochée ,  n'a  eu  d'autre  motif  que  l'intérêt  de 
TEtatj  elle  s'eft  accrue  dans  le  fein  de  la  paix.  Henri  IV. 
au  milieu  de  fes  victoires,  après  la  prife  de  Paris,  étant ,  pouc 
ainlî  dire,  dans  le  célibat,  ne  penfant  pas  même  encore  fé- 
rieufement  à  fe  marier,  comme  les  gens  de  bien  le  fouhai- 
toient,  manquoit  d'héritiers  pour  alTùrer  le  repos  de  l'Etat. 
Schomberg,  à  la  follicitation  de  Claude  de  la  Trimoûille, 
oncle  du  Prince  de  Condé,  &  à  la  mienne,  confeilla  au 
Roi  de  faire  venir  auprès  de  lui  ce  jeune  Prince ,  alors  âgé 
de  fept  ans,  qui  étoit  avec  fa  mère  à  S.  Jean  d'Angely  en 
Xaintonge,  où  fon  père  étoit  mort.  Le  but  de  cette  démar- 
che étoit  d'accoutumer  les  François  à  regarder  ce  Prince , 
dont  l'âge  ne  pouvoit d'ailleurs  être  fufped  au  Roi,  comme 
l'héritier  de  la  Couronne,  en  cas  que  Sa  Majefté  vînt  à 
mourir  fans  laiiTer  d'enfans  mâles. 

Jean  de  Vivonne  Marquis  de  Pifani,  homme  refpeâiable  paf 
fon  rang  &  par  fes  vertus ,  fut  envoyé  ,  après  l'heureufe  ex- 
pédition de  Franche-Comté,  pour  retirer  le  Prince  de  Con- 
dé des  mains  des  Proteftans ,  avec  ordre  de  l'am.ener  à  la 
Cour.  Il  fut  fait  Gouverneur  de  ce  Prince ,  qui  eut ,  à  notre 
recommandation,  pour  précepteur  Nicolas  le  Fevre,  homme 
d'une  grande  pureté  de  mœurs  ,  &  très-eftimable  par  fa 
pieté  &  fa  littérature.  Le  Roi  combla  dans  la  fuite  le  Prince 
de  tant  de  bienfaits,que fa  dignité  &  fon  état  furent  abfolument 
fixés.  Celui  qui  a  été  le  mobile  de  toutes  ces  chofes ,  pour 
le  h(ien  de  l'Etat,  doit-il  être  fufpeâ:,  pour  s'être  attiré  par 
ce  moyen  l'amitié  du  Prince  de  Condé ,  qui  croit  lui  en  de- 
voir quelque  reconnoiffance  ?  Outre  cela  les  derniers  fervi- 
ces  qui  ont  ferré  les  nœuds  de  cette  amitié ,  ont  été  des  fer- 
vices  rendus  à  la  Reine.  Mais  comme  ce  font  des  fecrets^ 
qu'il  importe  encore  plus  à  Sa  Majeflé  qu'à  moi  de  cacher 
pour  le  prefent,  je  ne  m'expliquerai  pas  davantage  fur  ce 
fujet.  Je  veux  feulement  qu  elle  me  foit  témoin  que  je  n'ay 

Ce  iij 


2c5       PIECES  CONCERNANT  L'HîSTOÎPvE 

rien  fait  fecretement  pendant  tout  ce  temps-là ,  que  de  fon 
aveu,  &  par  fes  ordres. 

Lorfque  le  Prince  de  Condé  fut  revenu  des  Pays-Bas ,  que 
n  ay~je  pas  fait  pour  le  reconcilier  avec  la  Reine ,  &  pour 
îe  porter  à  lui  complaire  dans  la  vue  du  bien  public  ?  Tout 
le  monde  le  fçait,  &  Sa  Majefté  ne  l'ignore  pas  :il  ne  s'a- 
giQbit  alors  ni  de  moi,  ni  de  la  charge  de  premier  PreH- 
dent,  qu'on  m'avoit  promife.  Bien  éloigné  de  vouloir  que 
ma  caufe  fut  mêlée  avec  les  prétentions  de  ce  Prince ,  je  m'op- 
pofai  long-tems  au  deflein  qu'il  avoit  de  me  comprendre  dans 
fes  demandes  :  cependant  il  le  fit.  Ayant  terminé  fon  affaire 
moi-même  avec  la  Reine,  je  ne  voulus  jamais  qu'il  fut  fait, 
aucune  mention  de  moi  dans  l'accommodement  :  je  me  fla- 
tois  que  fa  Majefté  feroit  frappée  de  ma  modération  ,  qui 
me  portoit  à  choifir  de  tenir  plutôt  d'elle  ce  bienfait  com- 
me une  grâce  (  ainli  que  je  le  témoignai  publiquement  )  que 
Il  je  l'euffe  forcée  à  me  l'accorder  comme  une  condi- 
tion, dans  une  affaire  fi  épineufe?  ce  qui  m'étoit  très-facile. 
Mais  je  m'apperçois  qu'on  n'a  plus  d'égard  à  la  modération 
&  à  la  fidélité  5  il  n'y  a  plus  de  recompenfe  à  la  Cour  que 
pour  l'artifice  &  le  menfonge  î  on  ne  s'y  foûtient  plus  que 
par  une  improbité  effrontée.  En  fongeant  à  me  retirer,  ce 
mot  de  Juvenal ,  cjuiâfaciam  Remue  ?  mentiri  nefciOj  m'eft  cent 
fois  venu  à  la  mémoire. 

Après  qu'on  eut  terminé  l'affaire  du  Prince  de  Condé ,  qui 
fufpendoit  ,difoit-on,  les  defleins  de  ceux  qui  gouvernoient 
fous  la  Reine ,  ôc  les  délibérations  férieufes  de  fon  Confeil, 
au  lieu  de  payer,  comme  on  le  devoir,  mes  foins  dans  cette 
négociation  ,  je  me  vis  aufiitot  maltraité.  Car  quoique  la 
Reine  fut  bien  fiàre  que  j'avois  eu  plus  d'égard  à  fa  dignité 
&  au  repos  de  l'Etat  y  qu'à  la  faveur  du  Prince ,  mes  enne- 
mis ,  fâchés  de  voir  qu'ils  ne  pouvoient  me  faire  foupconner 
de  ce  côté-là ,  s'aviferent  de  me  noircir  d'iui  nouveau  crime 
auprès  de  fa  Majefté. 

Le  Parlement  donna  alors  un  Arrêt  fulminant  contre  le 
livre  du  Cardinal  Bellarmin  (i)  :  on  faifit  cette  occafion ,  ôc 

(t)  Sur  la  puifTance  du  Pape.  L'auteur    .    qui  eft  aujourd'hui /îfflée  dans  toute rEu? 
y  donne  au  Pape  un  pouvoir  indired  fur    j    rope ,  excepté  a  la  Cour  de  Rome, 
le  temporel  des  Rois.  Opinion  abfutdc ,   1 


D  E    J.    A.   D  E   T  H  O  U.  207 

quoique  je  n'euffe  aucune  part  à  l'Arrêt,  puifque  je  n'y  avois 
pas  aiïîfté ,  il  y  eut  cependant  des  gens  aflez  malfaifans ,  pour 
faire  courir  le  bruit  à  Rome ,  que  j'étois  l'auteur  de  ces  mou- 
vemens  j  que  l'Arrêt  n'avoit  été  donné  que  fur  mes  avis ,  dans 
la  réfolution  où  l'on  me  fuppofoit ,  de  chercher  les  moyens 
de  me  venger  du  décret  porté  contre  mon  ouvrage,  (i)  Les 
partifans  de  mon  compétiteur  (2)  n'eurent  pas  honte  d'in- 
venter ces  bruits  calomnieux.  Sentant  bien  qu'ils  étoient  in- 
férieurs dans  la  concurrence  par  toute  forte  de  côtés,  ils  fe 
flaterent  au  moins  de  l'emporter  par  la  calomnie  fur  moi, 
qui  ne  m'attendois  à  rien  moins,  qui  ne  f<çavois  pas  y  ré- 
pondre par  d'autres  calomnies,  6c  qui  ne  pouvois  pourtant 
les  endurer. 

Quoyque  Monfieur  de  Villeroi  ait  écrit  à  ce  fujet ,  au  nom 
du  Roi  &  de  la  Reine  ,  à  Monfieur  de  Brèves  Amballadeur 
de  France  à  Rome  j  &  que  le  Nonce  m'ait  afluré  qu'il  en 
avoit  fait  autant  ,  cependant  la  Reine  inquiète  fur  l'événe- 
ment,  &  fe  rebutant  à  la  vue  des  difficultés,  craignant  d'ail- 
leurs d'avoir  d'autres  affaires  de  cette  efpece  à  démêler  avec 
la  Cour  de  Rome  ,  fit  retomber  fur  moi  la  haine ,  que  M.  de 
Harlay  s'étoit  attirée  de  la  part  de  fa  Majefté,  par  une  grande 
fermeté  à  défendre  les  droits  de  la  Couronne.  Mes  ennemis  qui 
m'avoient  déjà  rendu  fufped,à  caufe  de  ma  liaifon  avec  ce  Ma- 
giftrat,  &  de  la  conformité  de  nos  fentimens  dans  les  déli» 
bérations,  faifirent  cette  occafion,  pour  perfuader  à  la  Reine 
qui  les  écouta  fans  peine ,  qu'elle  ne  verroit  jamais  la  fin  de 
ces  fortes  d'affaires ,  fi  j'étois  une  fois  à  la  tête  du  Parlement. 
Quelque  grofiiere  que  fat  cette  calomnie,  elle  produifit  néan- 
moins tout  l'effet  qu'en  efperoient  mes  ennemis. 

Dans  le  même  temps ,  ceux  qui  m'avoient  fait  un  crime  de 
l'amitié  du  Prince  de  Condé  auprès  de  la  Reine ,  remarquant 
que  le  Prince  s'étoit  refroidi  à  mon  égard,  parce  que  je  ne 
plioispas  toujours  fous  fes  volontés,  pouffèrent  cette  Princeffe, 
qui  balançoit  encore ,  à  nommer  un  autre  que  moi  à  la  place 
de  premier  Prefident,  en  faifant  entendre  à  fa  Majefté  que 


(  i)  On  prcterdoit  que  le  CardinalBcI- 
larmin  ,  qui  étoit  un  des  principaux  de 
rinquifition  ,  avoit  paru  le  plus  ardent 
pour  la  condamnation  du  livre  de  M.  de 


Thou.  Le  Mercure  François  de  ce  tems- 
là  le  dit  expreflement. 

(2)  Nicolas  de  Verdun  PreaierPreH- 
dcnt  du  Parlement  de  TcuJoufe. 


2o8        PIECES    CONCERNANT   L'HÎSTOÎRE 

îe  refus  qu'on  me  feroit  eflliyer ,  ne  toiicheroit  pas  beaucoup 
le  Prince  de  Coudé. 

Voilà  les  artifices  dont  on  s'eft  fervi  pour  me  chafler  en 
quelque  forte  du  Parlement,  &pourm'6ter  toute  efperance 
du  côté  de  la  Cour.  Si  cette  injure  ne  touchoit  que  moi, 
j'y  ferois  moins  fenfible ,  mais  elle  regarde  aufli  l'Etat.  Car 
enfin  on  n'a  pu  fans  la  dernière  ingratitude ,  refufer  à  un  hjon- 
nête  homme ,  qui  a  rendu  des  fervices  confîderables  au  Roi 
&  au  Royaume,  &  qui  avoit  donné  à  la  Reine  tant  de  preu- 
ves de  fa  fidélité ,  une  dignité  qui  lui  étoit  promife ,  &  qui 
d'ailleurs  étoit  due  à  fes  travaux.  Tout  le  monde  doit  ref- 
fentir  cette  injuflice  comme  moi  j  ainfi  vous  voyez  que, 
mon  injure  eft  celle  de  l'Etat.  Elle  efl  devenue  plus  grande 
par  le  parallèle  de  celui  qu'on  m'a  préféré.  C'efI:  im  homme 
nouveau,  avant  qui  plulieurs,  qui  me  cédoient  volontiers 
cette  place,  dévoient  paffer?  un  homme  qui,  potir  ne  rieii 
dire  de  plus,  eft  inconnu  à  la  Reine;  un  homme,  dont  la 
faveur  eft  fondée  fur  l'injure  d'autrui ,  &  fur  la  chaleur  de. 
l'amitié  indifcrete  de  quelques  perfonnes  ;  im  homme  enfin  qui 
m'a  fuppîanté  par  un  trafic  honteux^  après  mille^  délais  dont 
on  m'a  amufé. 

Mais  fi  l'on  étoit  dans  le  deffein  de  me  refufer  cette  place  ; 
pourquoi  ne  pas  me  le  déclarer  d'abord  f  Uaftiont  eût  été 
moins  dur  à  digérer.  Moi  qui  n'ay  fait  agir  perfonne  à  la 
Cour,  qui  ay  remercié  les  Seigneurs  qui  s'otTroient  à  foliici- 
ter  en  ma  faveur,  &  qui  ay  laifte  tout  à  la  difpofition  de  la 
Reine ,  ay-je  mérité  qu'on  me  jouât  fi  cruellement  ?  Eft-ce 
là  la  recompenfe  de  ma  modération,  &  de  la  probité,  qui 
a  toujours  été  la  régie  de  ma  conduite  ?  Je  ne  fuis  pas  hom- 
me à  préférer  la  noblefte  ,  les  grandes  alliances ,  ôc  l'amitié  des 
Grands  à  la  vertu  >  cependant  je  ne  crois  pas  me  rendre  ridicu^ 
îe  aux  yeux  des  perfonnes  fenfées,  en  difant  qu'on  devoit  avoir 
égard  à  tous  ces  avantages,  qui  d'ailleurs  n'étoient  pas  fans 
îe  dernier.  Car  il  n'eft  pas  douteux  que  fi  le  mérite  d'un  hom- 
me de  robe  eft  relevé  par  fa  naiflànce ,  fa  dignité  en  devient 
plus  refpedable  :  que  fon  autorité  fi  nécelTaire  potir  agir,  s'aug- 
mente par  là  ,  &  que  la  vertu  fi  eftimable  par  elle-même , 
reçoit  un  nouveau  iuftre  de  ces  ornemens  qui  la  parent.  LaMa- 
^iftrature  demande  une  fortune  honnête,  un  train  modefte,  dç 

la 


DE  J.  A.  DE  T H O a  2op 

la  gravité  fans  fafte.  Une  fierté  au-defîus  de  la  naiffance,  une 
dcpenfe  excédant  les  revenus ,  l'envie  effrénée  de  dominer, 
ne  conviennent  point  dans  cette  condition.  Qu'eft-ce  que  ces 
emprunts  exhorbitans  faits ,  à  ce  qu'on  dit ,  pour  le  trafic  hon- 
teux y  dont  j'ai  déjà  parlé  ?  Je  ne  fçai  fî  la  chofe  eft  vraye , 
ou  non  5  je  fçai  feulement  qu'on  ne  peut  le  dire  fans  révol- 
ter le  public.  Je  crois  qu'il  faut  non  feulement  qu'un  Ma- 
giflrat  foit  irréprochable  dans  fa  perfonne  ,  mais  encore  qu'on 
ne  puiiîe  rien  reprocher  à  fa  famille.  Je  ne  puis  fouffrir  qu'il 
foit  joueur  &  débauché.  Voilà  ce  qui  fait  que  l'injure  que 
-j'ay  reçue  eft  celle  de  l'Etat.  Ne  croyez  pas  que  le  chagrin 
me  failè  parler  '■>  je  ne  fuis  pas  de  ces  hommes  fuperbes ,  qui  ne 
fçauroient  voir  perfonne  au-deflus  d'eux.  J'ai  fouffert  jufqu'ici 
fans  murmurer ,  qu'on  me  préférât  d'autres  Magiftrats ,  tels  que 
Jean  Forget,  homme  d'un  mérite  diftingué ,  que  depuis  peu 
la  mort  a  enlevé,  pour  mon  malheur  &  potu-  celui  de  l'Etat* 
Je  n'aurois  pas  non  plus  trouvé  mauvais  qu'on  m'eut  préféré 
Nicolas  Potier ,  Antoine  Seguier  ,  Edouard  Mole ,  Magiftrats 
refpedables  &  fuis  reproche.  Enfin  je  me  vois  aujourd'hui 
contraint  de  fortir  d'un  lieu^  où  je  ne  fuis  plus  ce  que  j'ay 
été ,  &  où  je  ne  fuis  pas  ce  que  je  devrois  être. 

Je  ferai  mieux,  dites-vous,  à  la  Cour,  où  vous  voulez 
m'entraîner^comme  fî  je  ne  fçavois  pas  que  tout  n'y  efl  que  va-  . 
nité  &  chimère  (i).  Voulez-vous  que ,  comme  l'Ixiondela 
fable ,  je  n'embraflè  qu'un  nuage  ?  Loin  de  moi  tous  ces  vains 
phantômes .' Je  cherche  une  vertu  folide,  qui  ne  fe  laifTe 
|3oint  tromper ,  &  ne  trompe  point  5  qui  aime  la  vérité ,  & 
qui  détcfle  le  menfonge.  Voudriez-vous  qu'un  homme ,  qui 
toute  fa  vie  n'a  fait  autre  chofe  que  refpecter  les  loi x,  opi- 
ner à  fon  rang,  donner  audience,  fuivre  les  régies  de  la  pro- 
bité, &  l'ordre  en  toutes  chofeSj  allât  aujourd'hui  fe  con- 
traindre, jufquà  ne  parler  plus  qu'au  gré  de  la  faveur,  jus- 
qu'à obferver  les  moindres  moiivemens  des  autres,  flater, 
feindre  de  la  joye  ou  de  la  triftelfe ,  &  agir  autrement  qu'il 
nevoudroit  ?  Enfin  prétendez-vous  que  je  pafle  le  refte  de 
mes  jours  dans  le  fein  du  menfonge,  de  la  difllmulation , 
de  la  perfidie  &  de  l'artifice  ?  Dieu  ,  fans  que  je  lui  aye  de- 

tO  L'auteur  dit ,  §lnb  me  vocas  ?  ad  chyriuras ,  phercydas ,  Harppas,  Strygas ,  Me- 
Jufas  ? 

Tome  XV,  Dd 


^10  PIECES  CONCERNANT  L'HISTOIRE 

mandé  cette  grâce ,  m'a  accordé  jufqu'ici  une  affez  longue 
vie  5  il  a  voulu ,  qu'ayant  reçu  une  éducation  noble ,  je  quit- 
taflfe  la  douceur  d'un  loifir  honnête ,  pour  pafler  une  partie  de 
ma  vieillefle  dans  un  honteux  efclavage  à  la  Cour.  Mais  de 
quoi  fuis-je  capable  ?  Je  connois  mes  forces,  mon  génie,  mes 
inclinations  :  en  un  mot,  je  me  connois  moi-même,  ce  que 
bien  peu  fçavent  faire.  Si  j'étois  venu  dans  des  temps  plus 
favorables ,  peut-être  aurois-je  été  propre  aux  négociations  j 
aujourd'hui  je  ne  me  fens  pas  en  état  de  fupporter  la  calom- 
nie, la  haine  des  grands,  la  décadence  journalière  de  la  fa- 
veur,  que  fçais-je  enfin  ,  mille  autres  chagrins  qu'il  faut  dévo- 
rer à  la  Cour  ,  quand  on  eft  honnête  homme.  L'on  vient  de  me 
faire,  dites-vous ,  l'un  des  trois  Confeillers  d'Etat  au  Confeil  des 
Finances.  Vous  me  demandez  avec  étonnement ,  fi  je  fais  peu 
de  cas  d'une  place  (i  fort  recherchée  ,  même  de  gens  qui  pré- 
fument beaucoup  de  leur  mérite  &  de  leurs  ferviccs  ?  Mais  on 
fongeoit  déjà  à  me  donner  l'exclufion  de  la  charge  de  Premier 
Préfident,  quand  on  me  nomma  pour  cette  place.  Je  m'excu- 
fai  de  l'accepter ,  regardant  un  tel  bienfait  comme  des  pré- 
fens  d'ennemis ,  qui  font  de  faux  préfens.  (  i  ) 

Cependant  j'obéis  aux  ordres  de  la  Reine,  pour  ne  pas 
donner  occafion  à  mes  ennemis  de  me  faire  un  crime  de  mon 
refus  auprès  de  Sa  Majefté.  Entre-nous,  pourquoi  me  confier 
i'adminiftration  des  Einances  ii  je  fuis  fufped  pour  tout  autre 
emploi  ?  Je  ferai  donc  réduit  à  paifer  ma  vie  à  faire  des  comp- 
tes,  &  à  mourir  dans  cet  exercice  ?  Auroit-on  jamais  cru  que 
de  Thou ,  nourri  dès  l'enfance  dans  l'étude  des  Lettres,  lui 
que  les  Courtifans ,  dans  les  ruelles ,  appelloient  par  raillerie  le 
Philofophe ,  nom  honorable  ,  dut  dans  un  âge  avancé ,  pafler 
des  nobles  fondions  de  la  Magiftrature  à  un  métier  de  Finan- 
cier ?  Telle  eft  ma  fituation ,  que  ce  qui  eft  regardé  comme 
une  recompenfe  &  un  grand  honneur  pour  d'aiures,  ne  fert 
qu'à  m'himiilier  &  à  m' avilir. 

Enfin  je  le  répète ,  le  chemin  des  honneurs  eft  déformais 
fermé  poiu'  moi  à  la  Cour ,  comme  il  l'eft  dans  le  Parlement. 
La  Reine  a  les  mêmes  raifons  de  m'éloigner  de  la  faveur , 
qu  elle  a  eues  pour  me  refufer  la  place  que  je  demandois.  Elle 
eft  prévenue  contre  moi ,  par  certaines  gens  à  qui  notre  im- 

(i)  M.  de  Thou  fe  fcrt  en  cet  endroit  de  cette  exprefllon  Greque  ,  i^J?^"  »S«D^a  è&^cc. 


DE    J.    A.    DE   T  HO   U.  air 

prudence  ou  notre  lâcheté  laifTent  renouveller  dans  le  Roïau- 
me  le  nom  odieux  defadion,  &refufcicent,pourain(i-dire, 
les  partis  dangereux  des  politiques  &  deszelez.  Leur  but, 
après  avoir  divifé  les  Catholiques,  eft  d'élever  aux  honneurs 
les  féditieux  qui  leur  font  dévoués  î  de  rendre  fufpeds  les 
gens  de  bien  qui  aiment  la  paix ,  &  de  les  obliger  à  mener 
une  vie  privée.  Perfonne  n'a  le  pouvoir  qu'ils  ont  à  la  Cour 
&  dans  les  Villes?  les  Gouvernemens,  les  Lieutenances  de 
Roi,  les  Charges  de  judicature  &  toutes  les  faveurs  de  la 
Cour  fe  donnent  à  leur  feule  recommandation.  Perfonne  à 
préfent ,  quelque  foit  fon  attachement  à  la  reHgion  Catholi- 
que ,  n'eft  tranquille  &  en  fureté  à  l'abri  de  fon  innocence,  <5c 
n'a  part  aux  emplois ,  s'il  ne  prend  parti.  Il  ne  peut  s'élever 
autrement  que  par  la  brigue  des  zelez. 

Je  fçay  que  Monfieur  de  Villeroy  m'a  juré  plufieurs  fois 
que  ni  le  Pape ,  ni  le  Nonce,  ni  aucun  de  ceux  dont  je  viens 
de  parler  ,  n'étoient  entrez  pour  rien  dans  mon  affaire  :  Qu'il 
vouloir  que  lui  &  tous  ceux  qui  ont  part  au  Gouvernement  de 
la  Régence ,  fuiîent  regardez  de  moi  &  de  tous  ceux  qui  n'a- 
voient  en  vue  que  le  bien  de  l'Etat ,  comme  des  fcelérats , 
des  infâmes ,  &  des  ennemis  du  nom  François ,  (î  l'on  trouvoit 
que  l'on  eût  eu  le  moindre  égard  à  la  recommandaricn  d'au- 
cun parti  dans  le  choix  des  Magiftrats.  Cependant  lorfque  j'ay 
voulu  approfondir  lachofe,  je  n'ay  pu  en  tirer  d'autre  rai- 
fon ,  ni  moi-même  en  trouver  une  autre  que  celle  que  j'ay 
dite.  Je  veux  bien  néanmoins  le  croire  fur  l'afflirance  d'un  tel 
perfonnage  ;  mais  ceux  qui  ont  un  intérêt  pubhc  de  bien 
penfer  de  ces  fortes  de  chofes,  ont  de  la  peine  à  fe  le  per- 
fuader  ;  car  on  dit  communément ,  en  confequence  du  refus 
que  j'ay  elTuyé,  &  du  choix  de  mon  concurrent  ^  qu'on  tra- 
vaille ouvertement  à  donner  toute  l'autorité  aux  zelez  ,  &  à 
écarter  des  emplois  j  ceux  qu'on  appelle  politiques  :  Que  par 
cette  raifon ,  après  la  retraite  de  Monfieur  de  Harlay ,  &  l'in- 
digne refus  dont  je  me  plains,  l'affaire  des  nouveaux  Théo- 
logiens (  I  )  qui  avoir  été  fufpenduë  en  leur  faveur ,  lorfque 
l'Univerfité  de  Paris  fe  porta  partie  contre  eux ,  étant  aujour-^ 
d'hui  il  bien  appuyée  à  la  Cour ,  fe  pourfjivoit  à  leur  avan- 
tage :  qu'on  parle  déjà  par  tout  de  la  pubhcation  du  concile 

[i]  C'ell-à-dire,  des  Jefuites. 

.       Ddij 


212 


PIECES    CONCERNANT  L'HISTOIRE 


de  Trente ,  qui  fera  d'un  grand  poids ,  pour  établir  l'auto- 
rité du  Pape  dans  le  Royaume  (  fur  tout  pendant  la  minorité 
du  Roi  )  &  pour  diminuer  l'autorité  royale  :  Que  c'étoit  par 
ces  fouterrains  que  le  Royaume  avoir  été  ébranlé ,  &  enfin 
renverfé  fous  le  règne  de  Henry  III.  qui  forcé  d  abandonner 
la  capitale  de  fes  Etats,  prit  le  parti  du  défefpoir,  à  la  vue 
des  complots  de  fes  fujets  rebelles ,  &  périt  enfin  par  la  main 
d'un  infâme  aflailni  :  Qu'on  s'étoit  fervi  des  mêmes  artifices 
&  de  pareilles  armes ,  pour  attaquer  Henry  IV.  légitime  hé- 
ritier de  la  Couronne  :  Que  ce  Prince  qui  a  mérité  le  furnoni 
de  Grand ,  après  avoir  calmé  les  troubles  de  la  France  &  s'ê- 
tre rendu  formidable  à  toute  l'Europe ,  n'avoir  pu  empêcher 
par  toutes  fes  vidoires  qu'on  ne  rafialîmât  lui-même  ,  &  qu'il 
ne  reftât  encore  après  fa  mort  des  gens ,  qui  n'ont  point  chan- 
^gé  de  fentiment ,  lors  même  que  les  temps  font  changés ,  & 
qui  ne  ceflent  de  jetter  des  femences  de  divifion  pour  trou- 
bler le  repos  de  l'Etat. 

Vous  n'ignorez  pas  que  tout  cela  fe  dit.  Si  ces  bruits  ne 
font  pas  fans  fondement ,  vous  comprenez  que  cela  ne  me  re- 
garde pas  en  particulier  ,  mais  toute  la  République ,  qui  ne 
peut  être  long-temps  en  fîireté  dans  ces  circonftances.  Si- 
ces  bruits  font  faux,  comme  je  le  fouhaite,  &  même  com- 
me je  me  le  perfuade ,  cependant  comme  on  les  répand,  6c 
qu'ils  trouvent  créance  dans  l'efprit  de  plufieurs  perfonnes, 
n'avoùerez-vous  pas  que  ceux  qui  ont  confeillé  à  la  Reine  de 
me  préférer  un  inconnu,  pendant  que  tout  le  monde  eût  ap- 
plaudi au  choix  qu'elle  eût  fait  de  ma  perfonne ,  ont  com- 
mis une  grande  faute  ? 

Le  parallèle  de  mon  concurrent  avec  moi,  ou  la  haine^ 
qu'on  a  conçue  pour  lui ,  a  fait  naître  de  funefles  foupçons  (  i), 
dont  l'imprefiion  eft  fi  forte  dans  les  efprits,  qu'ils  n'en  peu- 
vent être  effacez  que  par  la  ruine  entière  de  l'Etat.  Il  eft  aifé 
de  juger  par-là  que  l'injure  qu'on  m'a  faite  eft  tellement  liée 
à  celle  de  l'Etat  ,  qu'elles  font  abfoliiment  inféparables.  Du 
moins,  fi  la  Reine,  après  im  traitement  fi  indigne  m'eût  don- 
né en  pubhc,  ou  autrement,  quelques  marques  de  bienveil- 
lance ,  cela  m'eût  confolé.  Je  pouvois  pallier  devant  mes  amis 

(i  )  Nicolas  de  VerJun  fe  comporta    |    dans  fa  charge,  &  fit  paroître  beaucoup 
néanmoins  avec   beaucoup  d'honneur    i    de  fermeté.  '  V.  le  Valîlr. 


DE  J.  A.  DE  THOU.  213 

ïin  affront  j  qu'on  peint  chaque  jour  avec  des  couleurs  plus 
odieufes  5  j'aurois  quelque  efpérance  de  dilTiper  les  foupçons 
que  les  fadieux  ont  donné  de  moi  à  Sa  Majefté  &  à  d'autres 
peribnnes  5  mais  voyant  qu'on  ne  m'a  payé  que  deparoies,  après 
une  injuftice  de  cette  nature  ,  &  que  rien  ne  flate  mes  efpé- 
rances ,  ni  pour  le  préfent  ni  pour  l'avenir ,  il  ne  me  refte  plus 
qu'à  dire  adieu  à  la  fortune ,  Spes  &fortuna  vakte  y  vos  alias 
j)ofthachidificate  animas. {i)  Le  feul  parti  que  j'ai  à  prendre  eft  de 
mener  déformais  une  vie  privée ,  puifqu'on  me  croit  inutile  ou 
fufped  par  rapport  aux  emplois  publics ,  &  avant  que  la  vi^il- 
kfiefe  foit  appefantie  fur  moi,  de  chercherim  fur  azile  dans" 
tétude  ,  que  j'ay  quittée  dans  ma  jeunelfe ,  pour  fervir  l'Etat. 
Voilà  mes  raifonsjettées  furie  papier  fans  ordre,  comme 
liia  douleur  me  la  pu  permettre  j  je  verfe  mes  chagrins  dans  le 
fein  d'un  ami  tendre  :  Examinés  avec  les  yeux  de  l'amitié  & 
de  la  prudence  tous  ces  motifs.  Déterminez  vons-même  ce 
que  je  dois  faire  dans  la  fuite  ;  car  j'ay  réfolu  de  m'en  rappor- 
ter plutôt  à  vosconfeils  &  à  ceux  de  mes  amis,  qu'à  mes  pro- 
pres idées  y  afin  d'avoir  du  moins  la  confolation  de  pouvoir 
dire  que  jen'ayrien  fait,  que  guidé  par  vos  lumières  &  par- 
celles des  perfonnes  qui  me  font  attachées,  s'il  m'arrive  d'é- 
prouver une  troifîéme  fois  l'inconftance  de  la  fortune ,  qui  m'a 
il  fouvent  pourfuivi  avec  tant  d'opiniâtreté.  Je  ne  veux  rien 
entreprendre  par  moi-même  ,  de  peur  que  fi  je  venois 
à  échouer  ^  on  ne  me  crût  digne  de  mon  malheur,  pour  avoir 
ofé  m'expofer  une  troilléme  fois  dans  un  temps  fi  orageux. 
Adieu,  Monfieiu-,  foit  que  j'exerce  mon  emploi  à  la  Cour 
avec  vous,  foit  que  des  raifons  particulières  me  retienneAt' 
dans  ma  maifon ,  confervez-moi  toujours  votre  amitié. 

De  Villebon  le  dernier  X  A.  D  e  T  h  o  lv- 

jour  de  Mars  1611. 

Lettre  de  Monfeigneur  le  Cardinal  de  Joyeufe,  à  Monfieur  le 

Prefident  de  Thou, 


M 


O  N  s  r  E  u  R.  Ayant  appris  depuis  mon  defpart  de  la  Jj.,q^j,^^  ^  ç 


Cour  le  fuccés  de  l'affaire  dont  nous  avons  fouvent  leManufoiï, 

s  à  qui  vc 

D  d  iij 


(i)  C'eft-à-dire  ;  Adieu  efpérance  &  fortune  j  cherchez  en  d'autres  à  qui  vous  faf- 
i)€Z.  déformais  illuiîon. 


21^       PIECES    CONCERNANT   rHîSTOIRÏÏ 

parlé ,  j'en  ay  le  reflentiment  ôc  defplaifir  pareil  à  raffediolt 
que  j'ay  tousjours  eue  à  voftre  particulier  contentement ,  ôc 
au  bien  que  je  m'en  promettois  pour  le  public.  Mais  puis- 
qu'il a  pieu  à  Dieu  en  difpofer  ainlî ,  ce  n'eft  pas  à  vous  qui! 
faut  apprendre  comme  nous  devons  nous  conformer  à  fa  vo- 
lonté ,  &  ne  perdre  point  courage  de  fervir  le  public ,  lequel 
connoiftra  tousjours  par  vos  juftes  &  fages  deportemens  qu'il 
y  a  plus  perdu  que  vous ,  qui  avez  été  porté  à  cette  affaire 
plus  par  le  delîr  d'autruy,  que  par  voftre  propre  mouvement 
ou  intérêt  particulier.  Les  exemples  fî  fréquents  de  tant  d'ex- 
cellens  perfonnages  ,  qui  ont  efté  exclus  des  charges  aufquel- 
les  leurs  mérites  les  appelloient ,  &  la  façon  dont  ils  fe  font 
comportez  en  tels  accidens,  il  les  faut  prendre  de  vous.  C'eft 
pourquoy  je  ne  feray  que  vous  alfeurer  de  la  continuation 
de  mon  affedion  particulière  à  vous  honorer  &  fervir ,  n'ayant 
point  voulu  m' engager  plus  avant  en  mon  voyage  ,  fans  vous 
en  rafraifchir  la  mémoire,  &  vous  tefmoigner  le  defir  que 
j'ay  de  mériter  la  confervation  de  vos  bonnes  grâces ,  auf- 
quelles  je  me  recommande  d'auffi  bon  cœur  que  je  prie  Dieu , 
Monfieur,  vous  donner  longue  &  heureufe  vie. 

De  Marfeille  le  25  Voftre  très  affedionné  Coufîiî 

Avril   16 II,  à  vous  fervir. 

Le  Cardinal  de  Joyeuse, 

Lettre  d'Ifaac  Cafauhoriy  à  Jac.  Aug,  deThou, 

Tradiiîte  du   TV  ^  O  N  S I E  u  R.    Quoique  l'attachement  que  f  ay  pour  xo-. 
Latin,  &  tirée    X  ▼  A^^^  pcrfomie  y  m'ait  fait  reflentir  très-vivement  l'in- 
tm.  \f^^câ-  juflice  qu'on  vous  a  faite  ,  en  vous  refufant  une  dignité  qui 
jAub.  Ad  Rot,  étoit  due  à  vos  fervices,  &  à  laquelle   la  voix  de  tous  les 
470^.  p.jsi-  gçj-j5  (J[g  \)iQn  vous  élevoit,  après  néanmoins  y  avoir  fait  une 
mûre  réflexion ,  j'ai  penfé  que  ce  refus  vous  étoit  très-avan- 
tageux ,  &  que ,  comme  dit  un  ancien ,  la  fortune  nous  vou- 
loit  quelquefois  plus  de  bien  que  nous  ne  nous  en  voulions 
nous-mêmes.  J'avoue  qu'il  eft  fâcheux  de  fe  voir  déchu  de 
fes  efperances  ,  fur  tout  lorfqu'on  ne  s'eft  point  flatté  par  une 
lotte  préfomption,  mais  qu'on  s'eft  fondé  fur  fes  fervices ,  6c 
fur  les  promelfes  réitérées  de  ceux  qui  ont  le  pouvoir  de  ne 


D  E    J.    A.    D  E    T  H  O  U.  21^ 

pas  manquer  de  parole  à  un  homme  refpedable  par  fa  di- 
gnité &  par  fon  mérite  perfonnel.  Vous  n'ignorez  pas,  Mon- 
iteur ,  que  tel  eft  le  fort  des  chofes  humaines ,  que  fouvent 
elles  tournent  autrement  que  nous  ne  l'avons  prévu ,  &  que 
nous  n'avions  pii  même  le  prévoir ,  &  que  nous  fommes  en 
cela  les  dupes  de  notre  prudence  &  de  nos  vues  les  plus 
fùres.  C'eft  ce  qui  arrive  tous  les  jours  dans  les  affaires  de 
la  vie ,  &  fur  tout  par  rapport  aux  honneurs ,  dont  les  Cour- 
tifans,  qui  gouvernent  ordinairement  les  Princes,  difpofent 
bien  plus  abfolument  que  les  Princes  mêmes.  Ainfi  comme 
perfonne  ne  doit  être  étonné ,  fur  tout  aujourd'hui ,  de  voir 
un  goujat,  un  marmiton,  &  même  im  M.  (1)  &un  Archim. 
élevez  à  une  très-haute  fortune ,  jufqu'à  être  Gouverneur  de 
Provinces  î  on  ne  doit  pas  non  plus  être  furpris  que  la  porte 
des  honneurs  foit  fermée  aux  gens  de  bien  Ôc  aux  fcavans, 
&  que  ce  qui  leur  étoit  dû ,  foit  accordé  à  des  hommes  in- 
dignes. Pourquoi  nous  plaindre  ?  De  quoi  fommes-nous  fur- 
pris  ?  Nous  ne  fommes  au  monde  que  pour  voir  ces  défor- 
dres ,  qui  fe  renouvelleront  fans  celle ,  &  aufquels  on  ne  pour- 
ra jamais  remédier.  Croyez-moi ,  Monfieur ,  fupportons  avec 
patience  ce  qui  eft  inévitable  ?  mais  en  même  tems  admirons 
en  cela  la  Providence  divine,  comme  il  eftjufte.  Quoique 
tout  paroifte  ici  bas  gouverné  par  une  fortune  aveugle ,  c'eft . 
Dieu  néanmoins  qui  conduit  toutj  il  a  prévu  tout  ce  qui  ar- 
rive ,  &  il  l'a  réfolu  dans  fa  fagefle  profonde  &  éternelle. 
Nous  ne  devons  donc  pas  tellement  nous  élever  contre  les 
pratiques  pernicieufes  des  méchans ,  que  nous  ne  nous  con- 
formions à  la  volonté  fuprême  de  celui  qui  fait  tout  pour  le 
plus  grand  bien ,  &  que  nous  n'adorions  fes  jugemens  im- 
pénétrables. Vous,  Monfieiu-,  à  qui  le  Ciel  a  donné  en  par- 
tage tant  de  rares  qualitez  (  biens  ineftimables  que  l'on  ne 
peut  vous  enlever  )  fi  fans  avoir  égard  aux  intérêts  de  la  Répu- 
blique ,  vous  ne  faites  attention  qu'à  vos  intérêts  particuliers , 
&  au  goût  que  vous  avez  pour  1  étude  ,  vous  verrez ,  fi  je 
ne  me  trompe  ,  que  vous  avez  plus  fujet  de  vous  réjouir 
que  de  vous  aftliger  de  la  conduite  qu'on  a  tenue  à  votre 
égard.  Si  vous  aviez  été  revêtu  de  la  charge  dont  il  s'agit  3 
eulfiez-vous  eu  un  moment  de  repos  &  de  loifîr  f  Cette  ef- 

(i)  Il  y  a  dans  le  Latin ,  Lenonem  ,  vel  etiam  Archilmonem, 


2.l6 


PIECES  CONCERNANT  LMSTOIHE 

pece'de  gens  qui  vous  hait  mortellement,  à  caufe  de  votre 
pietc,  de  votre  probité,  &  de  votre  amour  pour  la  vérité, 
n'aurojt-elle  pas  fait  tous  fes  efforts  pour  vous  chagriner  & 
vous  tourmenter  dans  cette  place  f  Vous  auroient-ils  laifféla 
liberté  de  faire  votre  charge ,  fuivant  votre  confcience ,  eux 
qui  ont  formé  le  delfein ,  à  quelque  prix  que  ce  foit ,  de  per- 
dre tous  ceux  qui  s'oppofent  à  leurs  déteftables projets?  J'en 
parle  même  avec  d'autant  plus  d'affùrance ,  que  j'ai  lu  nou- 
vellement plufieurs  de  leurs  livres,  infedés  d'une  dodrine 
infernale.  Je  me  rappelle  avec  horreur  les  blafphemes  que 
j'ai  lus  ,  blafphemes  que  l'on  donne  dans  ces  ouvrages ,  com- 
me des  dogmes  de  foi.  Leur  audace  &  letu:  fureur ,  encou- 
ragées par  le  fuccès,  s'accroident  chaque  jour.  C'eft  cette 
dodrine  impie  qui  nous  a  enlevé  depuis  peu  un  grand  Roi  (  i  ), 
Elle  a  trouvé  néanmoins  des  protedeurs  dans  cette  même 
ville,  ou  cet  exécrable  meurtre  a  été  commis.  Ceux  qui  gou- 
vernent en  Prance,  condamnent  pour  la  forme  le  livre  du 
Jefuite  Mariana  5  &  cependant  ils  foûtiennent,  ils  juâifient,  ils 
louent  les  autres  gens  de  cette  efpece,  qui  enfeignent  pu- 
bliquement à  être  parjure,  traître,  rebelle,  &  parricide.  O 
tems,  ô  mœurs  !  Un  honnête  homme  peut-il  fouhaiter  d'être 
à.  la  tête  d\m  corps  qui  eft  forcé  de  fouffrir  &  de  diffimuler 
-ces  abominations .?  On  dit  que  Platon  avoit  coutume  de  ré- 
:pondre  ainfi  à  ceux  qui  lui  reprochoient  de  ne  fe  point  mê- 
ler des  affaires  de  la  Republique.  »  J'ai  pris  cette  réfolution, 
»  difoit-il,  depuis  que  j'ai  vu  que  la  RépubHque  fe  gouver- 
x  noit  par  des  maximes  que  je  ne  puis  goûter ,  &  qui  font 
25  contraires  à  mes  principes.  ^  En  etfet  le  moyen  de  lutter 
éternellement  contre  un  torrent  impétueux  ,  en  danger 
d'être  tôt  ou  tard  entraîné  ?  Je  vous  prierois,  Monfîeur,  de 
,vous  rappeller  ces  maximes  &  ces  exemples,  fi,  comme  il 
eft  arrivé  à  plufieurs  grands  hommes,  vous  aviez  entièrement 
renoncé  au  foin  des  affaires  publiques.  Mais  à  quoi  bon  tout 
ce  que  j'ai  l'honneur  de  vous  écrire .?  Si  ce  qu'on  me  dit  eft 
vrai ,  vous  n'avez  été  abbaifle  que  pour  être  plus  élevé  (2) , 


(i)  Henri  IV.  afTaffiné  par  un  mife- 
rable,  à  qui  certains  Moines  avoient 
tourné  la  tétc  dans  le  ConfeAlonal.  V. 
IcSuppl.  deRigault,  Liv.  III. 


(2)  II  entend  fans  cloute  cette  admi- 
niilration  des  Finances ,  qui  fut  donnée 
à  de  Thou,  comme  pour  le  dédommager. 


DE  J.   A.    DE    TH  ou.  217 

&  vos  aflfakes  font  en  meilleur  état ,  que  fi  elles  euûent  tour- 
né autrement,  je  le  fouhaite,  &  je  prie  Dieu  que  celafoit; 
Depuis  quatre  jours  j'ai  reçu  vos  deux  lettres.  J'en  ai  en- 
voyé une  au  Roi,  avec  une  lettre  de  ma  part,  où  je  lui  ai 
peint  votre  probité.  Le  Chevalier  Cotton  continue  de  tra- 
vailler  aux  mémoires  qui  vous  doivent  être  envoyez.  Je  ne 
vous  manderai  rien  aujourd'hui  fur  ce  qui  me  concerne  en 
particulier  5  ma  femme  que  vous  verrez ,  s'il  plaît  à  Dieu , 
bientôt  à  Paris,  aura  l'honneur  de  vous  en  entretenir.  A 
Londres  le  21  d'Avril  1611. 

Lettre  de  Jacques  Augujîe  de  Thon ,  à  Ifaac  Cafaubon. 

MONSIEUR.  J'ay  receu  la  voftre  du  20  du  paffé.  Je  imprimée  fur 
ne  fçaurois  vous  allez  remercier  du  conjoye  &  reiïen-  ^^  Manufcnç. 
timent  que  vous  monftrez  par  icelle  à  voir  ce  qui  me  tou- 
che. Si  ce  refus  ne  regardoit  que  mon  injure  privée ,  &  ne 
s'eftendoit  jufques  au  public ,  je  n'en  eulfe  receu  fi  grand  def- 
plaifir  que  j'ai  fait.  Vous  me  connoilTez  aliéné  d'ambition  & 
d'avarice ,  plus  porté  au  repos  qu'au  travail  d'une  fi  pénible 
charge,  joint  les  raifons  defduites  fi  élégamment  par  voftre 
Lettre,  laquelle  je  confefTe  en  cette  douleur  publique, m'a 
plus  apporté  de  confolation ,  que  toutes  les  fumées  &  offres 
labiales,  que  nous  difons  vulgairement,  de  tous  nos  Cour- 
tifans.  Car  je  ne  fuis  homme  qui  me  repaiffe  de  ventueufes 
efperances.  Si  l'on  me  veut  permettre  de  me  retirer ,  &  vi- 
vre privé  chez  moy,  hors  d'injures ,  l'on  ne  me  fçauroit  don- 
ner recompenfe  qui  me  puifle  tant  contenter.  Enfin  je  fuis 
lefolu  de  fuivre  celuy  ,  qui  par  voyes  infcrutables  aux 
hommes,  conduit  les  affaires  des  hommes,  &  gouverne  tout 
l'univers.  Je  fuis  icy  en  ma  maifon ,  me  préparant  à  cet  hon- 
nefte  loifir  avec  tout  contentement,  finon  en  tant  que  je  fuis 
privé  de  voftre  douce  &  erudite  compagnie ,  qui  me  fait  vous 
liipplier  de  toute  affedion  de  m'efcrire  à  toutes  occafions  & 
bien  au  long.  Car  vos  plus  longues  Lettres  me  font  les  plus 
agréables.  Le  bon  homme  Monfieur  le  Febvre  eft  malade 
avec  péril.  Quelle  afflidion  à  moy  ,  en  l'eftat  où  je  me  retrou- 
ve maintenant,  s'il  plaifoit  à  Dieu  nous  l'ofter,  vous  ab- 
fent  !  Je  me  penferois  merveilleufement  deflaifle  :  mais  il 
taut  remettre  le  tout  à  la  bonté  &:  providence  du  tout*, 
Tq  me  XK  Lç 


2i8  PIECES  CONCERNANT  UHISTOIRE 

puiflant  ,  lequel   ne    deflailTe  jamais   les  Tiens. 

J'attends  ce  qu'il  plaira  au  fereniiTime  Roy  de  la  Grande 
Bretagne  de  m'envoyer,  &  par  voftre  advis  feray  tout  ce  que 
je  pourray  pour  donner  contentement  à  S.  M.  J'auray  auffi 
foin  de  ce  qui  vous  touche.  Je  crois  que  voftre  nepveu  vous 
aura  mandé  que  j'ay  retiré  les  clefs ,  d'autant  que  l'on  m'a- 
voit  averti  de  la  Cour^  qu'il  y  avoir  des  importuns  aprez , 
que  j'ay  deftourné  par  ce  moyen.  Vous  retrouverez  tout  en 
fon  eftat  priftin,  quand  vous  ferez  pour  revenir,  &  devez  par 
toutes  les  voftres  qu'efcrivez  aux  uns  &  aux  autres,  princi- 
palement à  nos  Grands  de  Cour,  donner  efperance  de  voftre 
retour ,  afin  que  reteniez  par  ce  moyen  ce  qu'avez  laifle  icy. 
Commandez  moy ,  &  vous  fervez  de  moy.    Ma  femme  vous 
baife  les  mains.  J'efpere  que  nous   verrons   bientoft  Made- 
moifelle  voftre  femme  en  bonne  fanté.  Je  fupplie  en  cet  en- 
droit noftre  Seigneur,  Monsieur,  vous  donner  en  fanté  fa  grâce. 

De  Vtllebon  ce  7  Voftre  bien  humble  &  très 

Mai  1(5 II  affedionné  ferviteur.  De  Thou. 

Lettre  de  Monfeigneur  le  Cardinal  de  Joyeufe ,  à  Al,  le  Prejl- 

dent  de  Thou, 

împnméefur  TiyTONSiEUR.  La  comioiflance  que  l'on  a  de  voftre 
le  Manufcrk.  j[  V  |^  vertu ,  fera  tousjours  juger  avec  quelle  intention  vous 
avez  defiré  les  charges ,  &  les  moyens  que  vous  avez  tenus 
pour  y  parvenir  j  lefquels  étant  efloignez  de  ceux  qui  font 
les  plus  pratiquez  en  ce  fiecle ,  on  déplorera  pluftoft  le  mal- 
heur public  que  l'on  blafmera  vos  defportemens ,  defquels 
il  me  femble  que  vos  amis  ont  avecque  vous  autant  de  fu- 
jet  d'eftre  contens  que  fi  les  affaires  euftent  eu  un  bon  fuc- 
cés ,  fingulierement  de  la  refolution  que  vous  prenez  de  ne 
vous  efloigner  point  des  aftaires  5  lefquelles  encore  qu'elles 
foient  auffi  efpineufes ,  que  le  repos  feroit  doux  à  une  per- 
fonne  qui  en  fiçauroit  fi  bien  ufer  comme  vous ,  j'efpere  néan- 
moins que  le  contentement  que  vous  recevrez  de  fervir 
au  public  par  vos  travaux ,  mais  plus  encore  par  l'exemple  de 
voftre  intégrité  &  innocence ,  recompenfera  la  douceur  de 
la  vie  privée.  Quelque  refolution  que  vous  y  preniez ,  je 
vous  prierai  de  croire  que  je  correfpondray  à  voftre  amitié 
avec  la  mefine  fmcerité  ôc  entière  affedion  que  j'ay  tousjours 


DE    J.    A.   DE    T  HO  U                  2ï<?  i 

eue  à  vous  honorer  &  fervir  ,  &  à  mériter  la  confervation  ; 
de  vos  bonnes  grâces,  auxquelles  je  me  recommande  d'aulll 

bon  cœur,  que  je  prie  Dieu,  Monfieur,  vous  donner  longue  ! 

&  heureufe  vie.  j 

De  Rome  ce  24-                      Voftre  très  affedionné  Coufin  ' 

Juin  i^ii                                                       à  vous  fervir,  < 

LE    Cardinal  de  Joyeuse,  i 

\ 

Lettre  écrite  par  Monfeigneur  le  Cardmal   de  Joyeufe  à  Mori'  \ 
Jienr  &•  à  Madame  de  Thou  j  quelques  heures  avant  que  ds 

mourir.  i 

MONSIEUR  &  Madame.  Comme  durant  ma  vie  je  n'ay  imprimée  fuc  1 

rien  tant  chery  &  honoré  que  vous ,  la  quittant  je  vous  ^<^  Manufcm*  ' 

en  ay  voulu  donner  encore  ce  dernier  tefmoignage ,  &  vous  j 

apporter  de  plus  parniy  le  defplaifir  que  je  fçay  que  vous  ref-  ' 
fentirez  de  mon  deceds ,  cette  particulière  confolation ,  que 

ayant  pieu  à  Dieu  m'affifter  de  fa  divine  bonté ,  il  m'a  don-  -{ 

né  le  loifir  de  le  reconnoiftre ,  &  me  jetter  aiLx  pieds  de  fa  : 

mifericorde,   pour  luy  confefler  mes  fautes,  &  luy  en  de-      ^  j 

mander  très  humble  pardon.    Tellement  qu'ayant  fait  tout  \ 
ce  que  j'ay  peu  penfer  eftre  du  bien  &  falut  de  mon  ame , 
je  parts  de  ce  monde  avec  beaucoup  de  contentement,  ayant 
receu  les  facrements  de  la  làinde  Eglife ,  &  m'eftant  refigné 
entièrement  entre  les  mains  de  Dieu ,  avec  beaucoup  d'ef- 

perance  que  j'ay  qu'il  me  recevra  en  fon  paradis.  J'eulTe  bien  \ 

déliré  avant  que  mourir  d'avoir  cet  honneur  &  cette  fatis-  \ 

fadion  de  vous  voir ,  pour  vous  donner  &  à  Mademoifelle  \ 
&  à   Meffieurs  vos  enfans  la  fainde  benedidion  de  N.  S.' 

Mais  m'en  voyant  hors  de  moyen,  j'ay  prié  le  R.  Père  de  \ 

Lingendes  Redeur  des  Jefuites  de  cette  ville ,  entre  les  mains                    \  | 

duquel  j'ay  remis  ma  confcience,  de  la  recevoir  de  voftre  ' 

part,  &  il  m'a  promis  de  la  vous  rendre  de  la  mienne  ,  priant  \ 

Dieu  qu'elle  vous  apporte  toute  forte  de  bien  &  de  profperité.  | 

Et  bien  qu'ayant  la  connoiffance  que  j'ay  de  voftre  bon  naturel,  ' 

je  foye  alfeuré  qu'il  foit  inutile  de  vous  recommander  l'amour  \ 

&  la  crainte  de  Dieu,  &  de  vivre  tousjours  en  la  mefme  | 

amitié  &  bonne  intelligence  que  vous  avez  fait  jufques  à  pre-  { 

fent,  il  eft-ce  que  j'ay  penfé  que  vous  prendriez  en  bonne  \ 

part  que  je  vous  en  conjure  pour  l'amour  de  Dieu  ^  ôcpout  \ 

Ee  jj 


s:2ô         PIECES    CONCERNANT  L'HISTOIRE 
celle  que  vous  m'avez  tousjours  fait  l'honneur  de  me  tefmoî-i 
gner  >  après  quoy  il  me  femble  que  vous  ne  devez  rien  tant 
avoir  devant  les  yeux  que  le  fervice  de  leurs  Majeftés ,  vous 
exhortant  &  vous  fuppliant,  autant  que  je  dois,  &  qu'il  eft 
en  ma  puiflance,  de  ne  vous  en  départir  jamais  pour  quel- 
que confideration  que  ce  foit.  Quant  à  ce  qui  eft  de  mon 
Teftamentôc  de  ma  dernière  difpofition,  je  vous  fupplie  très 
îiumblement  de  l'avoir  agréable,  &  la  mettre  à  exécution  le 
pluftoft  que  vous  pourrez  ;  &  outre  le  particulier  foin  que  j'ay 
eu  de  mes  ferviteurs  que  vous  y  trouverez  nommez,  je  de- 
fire  que  vous  leur  fafllez  le  bien  de  les  aflifter  de  voftre  fa- 
veur, &  que  vous  les  ayez  tousjours  en  voftre  proteûion. 
Vous  voulant  bien  de  plus  recommander  particulièrement  les 
Protonotaires  qui  font  en  mon  fervice,  afin  que  fuivant  les 
bons  &  agréables  fervices  qu'ils  m'ont  rendus,  ilvousplaife 
leur  defpartir  ce  qui  eft  de  voftre  audorité  aux  occafions  qu'ils 
en  auront  befoing  ,  &  à  tous  mes  autres  domeftiques.  La  par- 
ticulière affedion  que  j'ay  tousjours  reconnu  que  le  fîeur  d' Or- 
fan  a  portée  à  tous  ceux  de  noftre  maifon ,  &  principalement 
encore  à  moy,  fait  que  je  vous  fupplie  très  volontiers  de  luy 
faire  l'honneur  de  l'aimer  &  de  l'avoir  en  voftre  protedion  : 
laquelle  je  vous  demande  encore  pour  le  Sieur  de  Conco- 
celles,  qui  eft  un  fort  honnefte  gentilhomme  du  Vivarais, 
lequel  ayant  trouvé  tousjours  porté  de  beaucoup  d'affedion  en 
mon  endroit ,  ôc.eftant  perfonne  qui  vous  peut  rendre  fervice, 
je  vous  prie  de  l'aimer  &  le  protéger  en  ce  qu'il  vous  en  re- 
querra. J'adjoufteray  encore  à  ces  deux  le  feigneur  Angelo  Ba- 
doaro ,  qui  eft  un  gentilhomme  Vénitien ,  que  vous  avez  veu 
Ambaftadeur  à  Paris 5  lequel  ayant  tousjours  fort  aimé  ,  je  l'ay 
jugé  digne  d'eftre  protégé  de  vous  en  {es  affaires  ,  pour  eftre 
homme  de  confideration  &  de  beaucoup  de  mérite.  Refte  main- 
tenant que  je  vous  demande  très  inftamment,  comme,  je  fais, 
les  derniers  offices  qu'on  doit  efpercr  des  parens  &  amis  qui  ref- 
tent  en  ce  monde ,  qui  eft  de  faire  prier  Dieu  pour  le  falut  de 
mon  ame  5  &  vous  diîant  adieu  pour  la  dernière  fois  ,  je  le  fup- 
plieray  qu'il  vous  donne ,  Monfieur  &  Madame  toute  forte  de 
bien  &  de  profperité ,  &  fa  fainte  grâce. 

D'Avignon  ce  25  Voftre  très  himible  ferviteur; 

D'Aouftidij,  Le  Cardinal  de  Joyeuse. 


DE  J.  A.  DE  THOU.  221^ 


JUGEMENT 

D  E 

JACQUES  PREMIER 

ROI    DE  LA   GRANDE  BRETAGNE. 

SUR  L'HISTOIRE 


DE  i 


J  A  C  QJJ  ES   AUGUSTE 
DE     THOU. 


Lettre  de  Jacques-Augufte  de  Thou,  à  Jacques  premier  ^  Roi  de 

la  Grande  Bretagne. 

SIRE.  Vous  ferez  peut-ctre  furpris  de  la  hardiefle  que    Traduite  Jii 
je  prens ,  de  vous  détourner  de  vos  grandes  occupa-  Latin  fur  le 
tions  ,  n'ayant  pas  l'honneur  d'être  connu  de  votre  Ma-  ^anufcm. 
jefté  j  mais  le  bruit  de  vos  vertus ,  dont  l'éclat  eft  auiïî 
vif  que  celui  d'un  folejl  levant  (  i  )  j  l'amitié  qui  vous  lie 
avec  mon  Roi ,  l'étroite  alliance  de  l'Angleterre  avec  la  Fran- 
ce ,  votre  amour  pour  les  lettres  ,  &  pour  ceux  qui  les  culti- 
vent, m'ont  fait  prendre  la  liberté  d'approcher  de  votre  au- 
gufte  trône.  J'ofeme  flater  que  vous  voudrez  bien  recevoir 
avec  cette  bonté  j  que  vous  témoignez  à  tout  le  monde ,  ce 
fruit  de  mes  travaux ,  tel  qu'il  eft.  J'ai  prié  M.  le  Comte  de 
Beaumont ,  mon  parent ,  Ambafladeur  de  France  en  votre. 

(i)  Jacques  I.  n'étoit  fur  le  trône  que  depuis  neuf  mois. 

E  e  ij  j 


2^2  PIECES  CONCEPvNANT  L'HISTOIRE 

Cour  ,  de  vouloir  bien  preTenter  mon  livre  à  votre  Ma- 
jeû.é.  Je  ne  fais  pas  cette  démarche  fans  la  participation  du 
Roi  mon  maître  j  qui  m'a  confeillé  &  même  ordonné  de  vous 
(Envoyer  mon  ouvrage.  Sa  Majefté  a  ajouté ,  que  j'aurois  du 
vous  dédier  une  Hiftoire  de  cette  importance ,  lî  je  ne  la  lui 
avois  pas  dédiée  à  elle-même. 

Votre  Majefté  y  trouvera  un  grand  nombre  de  belles  ac- 
tions des  François  &  des  Anglois  j  mais  elle  y  en  verra  un  plus 
grand  nombre  de  mauvaifes.  J'y  ay  inféré  plufieurs  exemples 
des  fages  préceptes,  que  vous  avez  tracés  dans  votre  livre 
d'or  (i)  ;  ouvrage  qui  paflera  à  la  dernière  pofterité.  Je  n'en 
dirai  pas  d'avantage  au  fujet  du  mien. Vous  examinerez  le  refte 
avec  la  prudence  &  la  pénétration  que  vous  pofledez  aufuprê- 
me  degré.  Je  prie  la  divine  bonté  de  conferver  long- temps 
notre  grand  Monarque  ,  &  votre  Majefté ,  pour  le  bonheur  de 
la  France  ,  de  la  Grande  Bretagne  &  du  monde  Chrétien.  Je 
îa  conjure  d'infpirer  à  vosMajeftezla  volontés  le  defirhu- 
cere  de  travailler  de  concert  à  la  paix  de  l'Eglife  ,  comme  il 
lui  a  plu  de  refterrer  les  nœuds  de  votre  alliance  réciproque  par 
des  fervices  mutuels,  afin  que  vos  Majeftez  ne  paroiflent  pas 
avoir  eu  plus  en  vue  d'aftlirer  leurs  frontières  par  la  paix ,  que 
l'augmentation  de  la  gloire  de  Dieu.  Daignez  m'honorer  , 
Sire,  de  cette  bienveillance ,  que  vous  accordez  à  tous  ceux 
qui  ont  pour  vous  des  fentimens  d'amour  ôc  de  vénération. 

A  Paris,  le  3 1  Décembre  1^03. 

Lettre  de  Chrifîophle  de  Harlay ,  Comte  de  Beaumont ,  j^mbaffa-' 
deur  de  Fr-ance  en  Angleterre ,  à  Jacques-Augujîe  deThou. 

Im^imée  fur  TV  JT  Q  N  S  I  E  u  R.  J'ay  prefenté  voftre  lettre ,  avec  voftre 
j[  V  X  livre  au  Roy ,  qui  en  a  faid  une  telle  eftime  en  ma 
préfence ,  &  depuis  en  public  en  a  parlé  il  dignement ,  que 
certes  vous  avez  occafion  d'en  eftre  fort  content,  &  de  vous 
confoler  &  fortifier  par  fon  tefmoignage  contre  l'envie  &  la 
calomnie  ,  defquelles  j'entends  que  vous  eftes  aflailli  de  beau- 
coup d'endroits.  Il  m'a  promis  de  refpondre  à  voftre  lettre , 
dont  le  ftile  lui  a  pieu  extrêmement.  Il  a  leu  celle  que  vous 

(\)\TXl\t\.\\LBi!iJiliconDorony  z'tH-l-^iiQ  ,  prcfent  royal. 


DE  J.  A.  DE  THOU;  û^l  | 

faites  à  fa  Majefté,  &  m'a  dit  que  c'eftoit  une  des  belles  pie-  '       ! 

ces  qu'il  eut  jamais  vues  en  toute  l'antiquité  5  &  certes  tant  j 

plus  que  je  la  lis,  tant  plus  je  l'admire.  Magnum  opus  ctggref-  ' 

fus  es ,  aufli  digne  de  la  liberté  de  voftre  courage  3  qu'indigne  \ 

en  eil:  la  iërvitude  du  fiecle  oti  nous  femmes.  Je  penfe  que  1 

vous  ferez  bien  pour  quelque  temps  de  furfeoir  à  imprimer  S 

jufques  à  l'année  xcîcar  je  craindrois  que  vous  ne  pulliésre-  j 

lifter  aux  oppofitions  de  ceux  qui  ont  regret  de  voir  leurs  pc-  | 

res  notés.  Ce  prince  envoyé  dans  peu  de  jours  un  gentilhom-  \ 
me  vifiter  laMajefté,  fur  la  mort  de  Madame  de  Bar.  Si  je 

puis,  je  feray  qu'il  vous  ira  remercier  enfon  nom,  &  vous  J 
portera  de  fes  lettres  :  &  fur  cela ,  après  vous  avoir  baifé  très 

humblement  les  mains ,  je  prieray  Dieu ,  Monfieur ,  qu'il  vous  '■ 

donne  en  fanté  heureufe  &  longue  vie.  1 

1 
'\ 

De  Londres  ce  10  Voftre  très  humble  Neveu 

MarsiC^o^f..  &  Serviteur^  De  Harlay.  " 

Lettre  de  Jacques  I.  Roy  de  la  Grande  Bretagne ,  à  Jacques^  ] 

Augujîe  de  Thou.  ^ 

MONSIEUR  le  Prefident.  Nous  vous  remercions  très  imprimée  fut  | 

affedueufement  des  lettres  que  nous  avez  efcrites ,  &  ^^  Mamifcrk,  j 

du  livre  que  nous  avez  envoyé ,  drefle  par  voftre  labeur  ;  tant  ^ 

par  l'offerte  de  celuy-cy ,  comme  par  le  tefmoignage  de  cel- 
les-là. Vous  nous  faites  paroître  le  refped  &  la  bonne  vo-  ; 
lonté  que  vous  nous  portez ,  lefquels  nous  recueillons  &  re-  ; 
cognoiflbns  de  pareille  affedion  ;  &  prenons  en  très  bonne                                  i 
part  l'exhortation  que  d'un  cœur  rond  nous  avez  voulu  faire                                  1 
d'embraffer  &  nous  employer  à  l'union  de  l'Eglife ,  par  l'é-                                  : 
clairciflement  &  compofition  des  différents  qui  régnent  en  la 
Religion.  A  quoi  nous  vous  pouvons  affeurcr  que  nous  fom-                                 ) 
mes  &  ferons  toujours  de  noftre  part  non  feulement  difpo-                                 i 
fés ,  mais  tres-affedionnés  >  &  apporterons  en  toute  occafion                                 \ 
à  une  fi  bonne  œuvre  tout  ce  qui  dépendra  de  nous  :  n'ayans 
jamais ,  Dieu  merci,  efté  d'humeur  fedaire ,  ni  reftifs  au  bien                                  ■ 
de  la  Chreftienté  h  &  defirerions  que  tous  princes  &  poten-                                  ; 
tats  fuffent  touchés  d'une  mefme  inclination  &  defir  en  ceft                                  i. 
endroit  que  nous  fommes,pour  acheminer  ôc  mener  une  œuvre                                 ; 


Z2^        PIECES    CONCERNANT  L'HISTOIRE 

fi  digne  &  importante  à  quelque  bonne  conclufion ,  au  fou- 
las ôc  repos  univerfel  de  la  Chreftienté  5  &  convertir  unanime- 
ment nos  différents  contre  l'ennemi  commun.  Pour  voftre  li- 
vre ,  bien  que  nous  n'ayons  pas  eu  le  loifir  de  le  reconnoiftre 
encores  qu'à  demi  j  &  bien  légèrement ,  nous  y  avons  toutes- 
fois  allez  recognu  votre  fuffifance  ,  &  y  avons  goufté  du  plai- 
fir  &  contentement ,  tant  pour  l'amour  du  ftile  que  de  la  ma- 
tière ,  ainfi  que  Monfieur  rAmbalTadeur  vous  pourra  tefmoi-- 
gner ,  auquel  nous  avons  ingenuement  déclaré  fur  la  ledure 
d'iceluy ,  le  jugement  que  nous  en  faifions  :  &  n'y  a  rien  qui 
nous  ait  plus  contenté  que  de  vous  y  recognoiftre  i\  fidèle  ob- 
fervateur  de  ce  que  vous  recommandez  par  vos  lettres  ^  d'a- 
voir banni  de  vos  efcrits  toute  partialité ,  qui  eft  le  vice  mor- 
tel &  trop  fréquent  de  l'Hiftoire.  Ce  qui  nous  croilfant  l'en- 
vie de  voir  le  rcfte  &  fuite  de  ce  bel  œuvre  de  mefme  fabri- 
que ,  félon  la  promeffe  que  vous  faites  de  vous  vouloir  enga- 
ger en  celle  peine ,  nous  vous  prions  &  fommons  aufii  d'ad- 
joufter  &  parfaire  ce  contentement  à  la  curiofité  de  vos  amis  ; 
&  de  croire,  Monfieur  le  Prefident ,  que  perfonne  ne  fera  plus 
defireux ,  &  difpofé  à  honorei:  &  recognoiftre  vos  vertus  & 
vos  mérites ,  que  fera 

A  noftre  Palais  de  Weftmeftre  Voftre  affedionné 

le^i^ie  Mars  idoj.  amy,  Jacques  R, 


Lettre  de  JacqueS'Augufte  de  Thon  à  Guillaume  Camden, 
Traduite  du   X  £  yous  remercie,  Monfieur,  de  la  bonté  avec  laquelle 

Latm  &  tirée     1  ■>  jir-z-i^  ■         -,    r  ■ 

du  Recueil  Jt  VOUS  m  avcz  reuQu  le  iervice  iignaie ,  que  je  n  olois  me 
des  lettres  de  flatcr  quc  VOUS  accordcriés  à  ma  prière.  Il  m' eft  d'autant  plus 
néau^PubHc  f^nfiblc  que  vous  l'avez  fait  à  la  feule  recommandation 
par  Thomas  de  Monfieur  de  Lifle  mon  intime  ami.  En  effet,  méritai-je 
dres  16^1^°"'  que  VOUS  intctrompiés  pour  moi  vos  occupations  férieufes  f  Je 
pag.  68.  puis  donc  me  fiater  que  vous  avez  bien  voulu  donner  quel- 
ques momens  à  la  leâ:ure  de  mes  ouvrages  5  &  que  vous 
m'avez  honoré  de  votre  attention,  fans  me  connpître:  Votre  po- 
liteffe,  &  ces  marques  de  bonté  que  vous  m'avez  données,  vont 
me  rendre  importun  :  J'ofe  donc  vous  demander  une  grace,qu'il 


DE   J.   A.   DE   THOU.  ^2; 

efl:  en  votre  pouvoir  de  m'accorder  ■>  c'eft  de  me  donner  des 
éclairciflemens  fur  les  affaires  d'Ecoife ,  comme  vous  m'en 
avez  envoyé  fur  celles  d'Angleterre.  Je  crains  d'avoir  bron- 
ché dans  cet  endroit  de  l'Hiftoire.  Aidez-moi  de  vos  lu- 
mières pour  écrire  j  fans  blefler  perfonne ,  mais  fans  blelTer 
aufli  la  vérité ,  ce  qui  s'eft  palle  en  EcofTe  dans  Tannée  1 5*  66. 
car  on  imprime  aduellement  cette  partie  de  mon  Hiftoire. 
Je  fuis  embaraflé  fur  ce  fujet^  &  ce  n'eft  pas  fans  raifon. 
D'autres  endroits  de  mon  ouvrage  m'ont  fait  un  grand  nom- 
bre d'ennemis  en  France.  Je  ferois  fâché  de  m'expofer  à  me 
faire  taxer  d'imprudence  dans  votre  ifle,  ou  qu'on  put  me 
reprocher  d'avoir  donné  de  juftes  fujets  de  plaintes  à  votre 
Roi,  qui  m'a  fait  l'honneur  de  m'écrire,  en  m'exhortant  à 
continuer  d'expofer  les  faits  avec  la  même  candeur,  ôc  la  même 
fidélité  que  je  l'ai  fait  jufqu'à  l'année  1^66. 

J'entends  dire  tous  les  jours  que  Buchanan  a  écrit  avec 
trop  de  fiel  &  d'amertume ,  &  que  le  difciple  eft  très-irritc 
contre  le  maître  (i).  Cependant  on  ne  peut ,  fans  fe  couvrir 
de  honte ,  pafler  fous  filence  ce  qui  eft  arrivé.  Ecrivez-moi , 
je  vous  prie  j  ne  me  refufez  pas  un  confeil  auffi  néceflaire 
que  celui  que  je  vous  demande,  &  dont  j'ay  tout  le  befoia 
poiTible.  Je  vous  entendrai  à  demi  rnot ,  fans  vous  expliquer 
trop  ouvertement.  Vos  avis  feront  des  ordres  pour  moi.  Vous 
verrez  par  la  dernière  édition  de  ce  qui  a  déjà  été  im- 
primé, que  je  me  régie,  comme  je  le  dois,  fur  vos  con- 
feils. 

J'avouerai  que  je  n'ai  aucune  connoifiance  des  affaires 
d'Irlande.  Je  n'ai  encore  vu.  perfonne  qui  en  ait  été  le  té^ 
moin  oculaire ,  ou  qui  en  ait  entendu  parler  :  vous  fçavez 
qu'on  n'a  pas  beaucoup  écrit  fur  cette  matière.  Je  n'ai  pii 
m'en  inftruire  que  dans  Stanishurflus ,  dans  les  cartes  d'Irlande 
nouvellement  publiées,  &  dans  ce  que  vous  en  dites  dans 
votre  ouvrage  immortel,  intitulé  Britannia. 

Je  n'ai  point  vu  d'hiftoire  de  la  dernière  guerre  d'Ir- 
lande ;  je  ne  fçache  pas  même  qu'on  l'ait  écrite  5  je  fouhai^ 
terois  que  vous  m'apprifllez  ce  que  vous  en  fçavez ,  &  que 
vous  voulufTiez  bien  m'indiquer  ceux  des  Hiftoriens  de  vo-^ 
tre  nation^  qui  pourroient  m'inftruire,  fur  tout  au  fujet  du 

(i  )  Buchanan  avoit  été  précepteur  de  Jacques  I- 

Tome  XV^  Ff 


■^i6  PIECES  CONCERNANT  L'HISTOIRE 

Comte  deTir-Oen,  qui  a  fait  la  guerre  contre  l'Angleterre. 
Je  (crois  ravi  de  connoître  fa  maifon ,  fon  origine ,  fon  ca- 
radere ,  fes  mœurs  ,  &  de  quelles  forces  il  étoit  appuyé  ,  pour 
former  le  deflein  de  fe  révolter  contre  la  Reine  Elifabethj 
&  enfin  à  quelles  conditions  cette  affaire  fut  terminée. 

Je  fuis  bien  fâché  que  perfonne  n'ait  écrit  jufqu'à  prefent 
dans  votre  Ifle  l'Hiftoire  de  cette  grande  Reine.  Soyez  per- 
fuadé  que  je  l'aurois  déjà  fait,  fi  je  m'étoisfentiaffez  de  for- 
ces pour  un  fi  noble  deffein,  fi  j'en  avois  eu  le  loifir,  ôc 
affez  de  connoiflance  du  fond  de  vos  affaires ,  &  fi  l'on  m'eût 
fourni  de  bons  mémoires.  Mais  je  crains  que  vous  ne  re- 
gardiez comme  un  trait  de  vanité ,  ce  qui  n'eft  qu'un  effet 
de  mon  zélé.  Je  n'aurois  ofé  me  promettre  d'acquérir  de  la 
gloire  par  cet  ouvrage  5  je  ne  l'aurois  que  fouhaité. 

Que  direz-vous  de  la  familiarité  avec  laquelle  j'en  ufe  avec 
vous  ?  Mais  aufli  pourquoi  êtes-vous  fi  bon  à  mon  égard  ?  Je 
fuis  de  mon  côté  tout  à  votre  fervice.  Adieu,  Monfieur, 
je  vous  prie  de  m'aimer  toujours ,  ce  que  je  regarderai  com- 
me un  bien  particulier  ;  &  de  m'en  affurer  fouvent  par  vos 
lettres.  Adieu  une  féconde  fois. 

A  Paris  le  10  de  Février  i(5'o;.         J.  A.  De  Thou, 
Lettre  de  Guillaume  Camden  à  Jac.  Aug,  de  Thou» 


Tra(3uite  du 
Latin  fur  le 
Manufcrit. 


TE  fuis  très-faché ,  Monfieur ,  que  votre  lettre  en  date  du 
10  de  Février,  &  celle  de  Monfieur  de  l'Ifle  ne  m'ayent 
été  remifes,  je  ne  fçay  par  quel  accident,  que  le  13  d'Avril 
Ce  contretemps  vient  fort  mal  à  propos.  Car  outre  que 
vous  pouvez  m'accufer  de  négligence  dans  le  temps  que  je 
n'en  fuis  point  coupable  ;  que  d'ailleurs  je  ne  fouhaité  rien 
tant  que  de  répondre  à  votre  amitié ,  je  pouvois  vous  fatis- 
faire  aifément  le  mois  dernier ,  au  lieu  que  je  fuis  aduelle- 
ment  accablé  d'affaires.  Cependant  mon  zélé  m'a  fait  trou- 
ver du  temps  pour  vous  écrire.  Je  ne  vois  pas  de  quelle 
utilité  je  pourrois  vous  être  par  rapport  aux  affaires  d'Ecoffe^, 
déjà  écrites.  Cependant  je  vais  faire  mon  poffible  pour  vous 
contenter. 

H  y  a  de  grandes  précautions  à  prendre  en  écrivant  ce 


DE  J.  A.  DE  THOU.  227 

qui  s'efl:  pafle  en  1^66.  entre  le  Comte  de  Mufray,  HamiU 
ton,  la  Reine  ,  le  Roi ,  &  les  rébelles.  Il  faut  prendre  un  juf- 
te  milieu ,  pour  ne  point  s'égarer. 

Jacque  Comte  de  Murray ,  frère  naturel  de  la  Reine ,  & 
Hamilton  Duc  de  Chatellerault ,  avoient  deflein  de  s'empa- 
rer de  la  Couronne.    Le  dernier  prétendoit  qu'elle  lui  ap- 
partenoit  par  droit  héréditaire ,  du  chef  de  fon  ayeule ,  fille 
de  Jacque  II.  Roi  d'Ecofle.  Le  Comte  n'avoit  pour  lui  que 
fon  grand  courage  5  il  appuyoit   néanmoins  fes   prétentions 
de  je  ne  fçai  quelle  promelle  de  mariage ,  qu'il  y  avoit  eu , 
difoit-il ,  eu  entre  fon  père  &  fa  mère.  Il  fe  flatoit  d'ailleurs, 
à  la  faveur  de  la  Religion  Réformée ,  de  couvrir  le  défaut 
de  fa  nailîànce  ,   par  fes  grandes   qualités,  &  par  la  force 
de  fes  partifans.  Ces  deux  Seigneurs  n'eulTent  pas  été  fâchés 
de  voir  mourir  la  Reine,  à  fon  retour  de  France.  L'un  ôc 
Tautre,  pleins  de  ces  idées  ambitieufes,  firent  leurs  efforts, 
pour  empêcher  cette  Princefle  de  palTer  à  un  fécond  ma- 
riage ,  fur  tout  le  Comte  de  Murray ,   dont  les  manœuvres 
dirigées  par  Buchanan,  obligèrent  dans  la  fuite  la  Reine  à 
abdiquer  la  Couronne,  &  à  s'exiler  de  fa  patrie.  Notre  Roi 
appelle  Buchanan  Parchifoujflet  de  la  rébellion.  Soyez  donc 
bien  averti  que  cet  agent  du  frère  naturel  de  la  Reine  a  fait 
contre  elle  des  libelles  amers  &  calomnieux.  Ainfi  ne  croyez 
pas  légèrement,  fans  de  mûres  réflexions,  cet  écrivain  partial, 
fur  ce  qui  concerne  le  Comte  de  Murray  &  la  Reine.  Vous 
pourrez  juger  par-là  quelle  foi  vous  devez  ajouter  au  refte 
de  fon  Hifloire. 

La  Reine  j  jeune  encore  &  novice  dans  l'art  de  régner; 
s'oublia  dans  la  profpérité.  Le  Roi  jeune ,  fans  expérience , 
crédule ,  &  plus  léger  que  le  vent ,  ne  fçavoit  ni  prendre 
des  mefures ,  ni  profiter  des  bons  avis,  ni  placer  fa  confi- 
dence. Ce  fut  la  fourcede  fa  difgrace  dans  l'efprit  de  la  Rei- 
ne. Les  fadieux  luy  dreflerent  mille  embûches ,  &  le  firent 
enfin  fuccomber.  La  Reine  Elifabeth  demeura  tranquille  fpec- 
tatrice  de  ces  funeftes  événemens.  Elle  plaignit  même  la 
Reine  d'Ecoffe  ;  mais  elle  ne  fut  pas  auiïi  touchée  de  fes 
malheurs ,  qu'elle  auroit  pu  l'être.  Marie  Stuartl'avoit  bleffée, 
en  prenant  le  titre  &  les  armes  de  Reine  d'Angleterre, 
D'ailleurs  les  Catholiques  Romains  de  notre  Ifle  avoient  mis 

Ef  ij 


V 


22  8  PIECES  CONCERNANT  L'HISTOIRE 

toute  leur  efperance  en  elle.  Je  ne  vous  dis  qu'un  mot  de 
toutes  ces  chofes ,  que  les  plus  éclairés  &  les  plus  fages  d'en- 
tre nous  croient  les  plus  conformes  à  la  vérité  :  vous  en  jugerés 
.vous-même. 

Je  fuis  peut-être  plus  en  état  de  vous  donner  des  lumières 
fur  les  affaires  d'Irlande  :  je  les  ai  fuivies  d'allés  près,  &  j'efpere 
avec  le  fecours  du  Ciel  vous  contenter  au  premier  jour  :  en 
attendant  ,  fî  vous  n'avés  pas  encore  conduit  votre  Ou- 
vrage jufqu'en  1^66.  vous  pourrez  ajouter  une  révolte  arrivée 
en  Irlande  &  enfuite  cette  dernière  du  comte  de  Tir-Oen , 
qui  eft  bien  plus  confiderable.  Voilà  quels  en  furent  les  com- 
raencemens  j  afin  de  remonter  à  la  fource  des  chofes. 

Vers  l'an  14^2.  lesmaifons  de  Lancaftre,&  d'Yorck  étant  en 
guerre  j  Richard  duc  d'York,  à  qui  la  comté  d'Ultonie,  partie  la 
plus  feptentrionale  de  l'Irlande ,  appartenoit  par  droit  hérédi- 
taire, &  dont  les  ayeux,  qui  avoient  pris  le  flirnom  de  Mortmer, 
ôc  de  Bourg ,  avoient  polledé  paifiblement  pendant  quelques 
fiécles  cette  Province ,  en  tira  les  garnifons  Angloifes  qu'il  y 
avoit ,  pour  fortifier  fon  parti  en  Angleterre.  Alors  la  maifon 
d'O-Neal,  qui  defcenddes  anciens  rois  d'Ultonie  ,  s'empara 
de  cette  Province  j  comme  étant  abandonnée ,  &  en  ufurpa  la 
Souveraineté  fous  le  nom  d'O-Neal. 

Conus  Bacco  O-Neal ,  (  i  )  le  plus  riche ,  &  le  plus  accrédité 
de  cette  maifon ,  vint  en  Angleterre  en  1 5*42.  prêter  le  ferment 
de  fidélité  à  Henri  VIII.  que  les  états  d'Irlande  venoient  de 
déclarer  roi  de  leur  Ifle  ,  auffi-bien  que  fes  fucceiîeurs  ,  les 
rois  d'Angleterre  n' avoient  jufqu'alors  porté  que  le  titre  de 
feigneurs  d'Irlande.  Henri  donna  à  Bacco  le  titre  de  comte 
de  Tir-Oen ,  &  nommément  à  Mathieu  fon  fils  aîné  ,  qui  fut 
fait  en  même  temps  baron  de  Dunganon  ,  ôc  à  tous  fes  hoirs 
nez ,  &  à  naître  en  légitime  mariage. 

Le  fécond  fils  de  Bacco  nommé  Jean  ,  que  les  îriandois 
appellent  Shan  ,  conçut  un  violent  dépit  de  l'honneur  ,  qu'on 
venoit  d'afllirer  à  Mathieu  ,  qu'il  étoit  réfolu  de  ne  point  re- 
connoître  pour  fon  frère  ;  il  n' étoit ,  difoit-il  ,  que  le  fils  d'un 
Forgeron  de  la  ville  de  Dundalke  ,  dont  la  femme  avoit  été 
maîtreffe  de  Conus  Bacco  fon  père  ,  ajoutant  que  pîufieurs 
feigneurs  de  la  maifon  d'O-Neal  ne  fouffriroient  jaiiiais  que 

(i)  C'eft-à-dire  feîgneur  d'Uitoniç, 


D  E  J.  A.  DE  THOU.  22p 

Mathieu  fuccedàt  à  Bacco.  Enfin  il  tua  fon  frère  à  la  chafle  ,  ôc 
dreffa  des  embûches  à  fon  père ,  que  la  douleur  que  lui  caufa  la 
mort  de  fonfilsjointe  à  fon  grand  âge,  mit  bien-tôt  au  tombeau. 
Hugue  ,  à  prefent  comte  de  Tir-Oen  ,  fils  de  Mathieu  ,  eft 
celui  qui  s'eft  révolté  contre  la  reine  Elifabeth.  Jean  O-Neal 
après  la  mort  de  fon  firere  &  de  fon  père ,  s'empara  de  fa  fuccef- 
lîon  ,  fans  fonger  à  fe  défaire  de  Hugue  encore  enfant  , 
fiils  de  fon  firere  aîné  :  il  fe  déclara  publiquement  O-Neal  ,  Ôc 
fous  ce  titre  fe  rendit  maître  abfolu  de  l'U Ironie.  Il  mit  les 
feigneurs  &  les  peuples  dans  fon  parti  par  des  carelTes  &  des 
violences.  Il  tailla  en  pièces  les  Ecofibis  des  ides  Hebudes  (i) 
qui  avoient  fait  une  defcente  dans  cette  partie  de  l'Irlande 
pour  la  ravager.  Ce  fuccès  lui  fit  oublier  la  fidehté  qu'il  devoir 
à  la  reine  d'Angleterre. 

Henri  Sydney  alors  viceroi  d'Irlande  demanda  à  Jean 
O-Neal ,  de  quel  droit  il  avoit  exclus  le  jeune  Hugue  de  la 
fucceifiondefonayeul.  Il  répondit  que  Mathieu  père  de  cet 
Hugue  étoit ,  ou  le  fils  d'un  Forgeron ,  ou  tout  au  plus  le  bâ- 
tard de  Bacco  :  Que  pour  lui  il  étoit  né  en  légitime  mariage  : 
Que  fon  père  n'avoir  pu  fe  donner  un  fuccefleur  ,  fans  le  con- 
fentement  des  feigneurs  ,  &  des  peuples  d'Ultonie  :  Qu'ainfi 
les  lettres  patentes  de  Henri  VIII.  fcellées  du  grand  Sceau 
d'Angleterre ,  n' avoient  pii  inftituer  Mathieu  héritier  de  fon 
père  :  Que  même  elles  étoient  nulles  par  une  loi  des  Anglois  ; 
parce  que  douze  perfonnes  n'avoient  pas  attefté  avec  ferment 
qu'il  étoit  le  véritable  héritier  de  fon  père  :  Que  fuppofé  même 
que  Mathieu  fut  iilu  d'un  mariage  légitime  ,  il  y  avoit  une  loi 
en  Irlande  ,  appellée  la  loi  Tarn/tria ,  qui  ordonne  de  préférer  le 
plus  proche  parent ,  d'un  âge  mur ,  à  un  jeune  homme  qui  n'au- 
roit  pas  vingt-un  ans ,  &  dont  le  père  feroit  mort  avant  l'aïeul  : 
Qu'enfin  (  &  cette  dernière  raifon  devoir  être  fuflBfante  )  il 
avoit  été  élu  O-Neal  ,  c'eft-à-dire  feigneur  d'Ultonie  ,  d'un 
confentement  unanime  des  peuples  ,  èc  fuivant  toutes  les  rè- 
gles :  Que  par  confequent  fon  éledion  n' avoit  pas  befoin  d'être 
confirmée  par  la  reine  d'Angleterre. 

Le  Viceroi  lui  dit  qu'il  feroit  fon  rapport  en  détail  de  ces 
raifons  à  la  cour  d'Angleterre ,  fur  la  juftice  de  laquelle  il  pou- 

fi)  Ccfontlcslfles  Wefternes  ou  Occidentales  de  l'EcofTe  i  les  Anciens  les 
appeiioient  Ifles  Hébrides. 

Ffuj 


2SO        PIECES  CONCERNANT  L'HISTOIRE 

voit  fe  repofer  dans  la  dccifion  de  cette  affaire  :  en  attendant ,  il 
l'exhorta  à  demeurer  fidèle.  Jean  promit  tout  au  Viceroi  :  mais 
il  donna  bien-tôt  des  preuves  de  légèreté.  Dès  qu'il  eut  com- 
mencé à  affeder  la  Roïauté  ,  il  fe  fit  une  garde  de  fept  cens 
hommes ,  leva  des  milices ,  &  fe  mit  en  état  de  pouvoir  ailem- 
bler  mille  chevaux ,  &  quatre  mille  hommes  d'infanterie.  Fier 
de  cQS  forces  ,  il  brûla  &  mit  tout  au  pillage  aux  environs  ,  fe 
mocqua  des  propofitions  de  paix ,  qu'on  lui  fit  faire ,  &  alTiegea 
Dundalke  ,  où  il  y  avoir  garnifon  Angloife  j  mais  il  fut  repoulfé 
avec  une  grande  perte  des  fiens. 

Le  Viceroi  leva  des  troupes  pour  s'oppofer  au  Comte  6c  fit 
partir  le  colonel  Edouard  Randolphe  fur  un  vaifleau,  pour 
faire  un  defcente  dans  l'Ultonie  ultérieure,  &  prendre  l'ennemi 
par  derrière  ;  ce  qu'on  a  eu  l'imprudence  de  négliger  long- 
temps dans  la  dernière  guerre  contre  le  comte  de  Tir-Oen. 
Randolphe  aïant  campé  à  Londonderi  fur  les  bords  du  Lac 
Foile,  il  empêcha  par  ce  moïen  les  rebelles  de  continuer  leurs 
ravages.  Jean  accourut  avec  l'élite  de  ks  troupes  ,  pour  délo- 
ger ces  nouveaux  venus  de  leur  pofte.  Randolphe  lui  livra 
bataille  ,  le  mit  en  fuite  ,  &  lui  tua  beaucoup  de  monde  j  mais 
ce  brave  Colonel  périt  en  combattant.  La  vidoire  ne  coûta 
que  peu  de  monde  aux  Anglois. 

Edouard  de  faint  Lo  prit  la  place  de  Randolphe.  Ce  nou- 
veau General  fatigua  long-temps  les  rébelles  j  mais  le  feu  aïant 
pris  par  hazard  à  fon  camp ,  confuma  toutes  les  munitions  de 
guerre  ôc  de  bouche.  Alors  l'infanterie  s'étant  mife  fur  des  bar- 
ques avec  fes  bagages ,  la  cavalerie  fit  une  marche  de  quatre 
jours  au  travers  des  ennemis ,  &  s'ouvrit  à  la  pointe  de  î'épée 
un  chemin  jufqu  au  Viceroi.  Les  rebelles  en  furent  fi  épou- 
tés ,  qu'ils  n'oférent  plus  fe  montrer  que  de  loin.  Un  grand 
nombre,  laiTé  de  la  tirannie  &  de  la  guerre,  fe  foumit  dans  cette 
firayeur  ;  de  forte  que  la  plus  grande  partie  de  l'Ultonie  rentra 
deflors  dans  le  devoir.  Cela  n'empêcha  pas  le  rebelle  Shan  de 
ravager  les  bourgs ,  de  défoler  la  campagne  ,  &  d'y  exercer 
des  cruautés  inouies  :  il  eut  même  l'alfurance  d'aller  mettre 
une  féconde  fois  le  fiége  devant  Dundalke,d'oLiilfut  obligé  de 
fe  retirer ,  après  avoir  perdu  un  grand  nombre  de  foldats. 

Enfin  fe  voïant  prcfque  abandonné  des  fiens  ,  &  fes  troupes 
fe  trouvant  ruinées ,  il  commenta  à  perdre  coeur  ,  6c  réfolut 


DE   J.    A.    DE   THOU.    *  231 

d'aller  fe  jetter  aux  pieds  du  Viceroi ,  la  corde  au  cou ,  pour  i 

lui  demander  fa  grâce  &  la  vie.  Mais  quelques-uns  des  liens  ^  ] 

lui  ayant  confeillcde  demander,  avant  d'en  venir  àceshon-  .  \ 

teufes  extrémités,  du  fecours  aux  EcolTois  des  ifles  Hebudes\  \ 

qui  étoient  alors  à  Clane-Boy ,  il  alla  les  trouver ,  accompagné  : 

des  principaux  de  fon  parti ,  &  de  la  femme  d'O-Donell  qu'il  i 

avoit  enlevée  à  fon  mari.  Il  fut  bien  reçu  de  Gilliam  Bufco  \ 

6c  d'Alexandre  O^ée  y  chefs  des  Ecolfois ,  qui  lui  donnèrent  \ 
un  repas.  Ils  eurent  une  querelle  à  table ,  &  les  deux  Ecoffois 

brûlant  du  defîr  de  venger  la  mort,  l'un  de  fon  père  ôcTau-  ' 
tre  de  fes  proches,  tués  tous  deux  par  Shan  dans  un  combat ,  ils 

fe  jetterent  fur  lui  ôc  le  maffacrerent  avec  prefque  toute  fa  fui-  ; 

te.  Cette  cataftrophe  arriva  au  mois  de  Juin  de  l'année  i  ^  6j.  -\ 

Voilà  de  quelle  manière  la  paix  fut  rendue  à  cette  Province ,  ; 

après  cinq  ans  de  troubles.  ; 

Vous  verrez ,  s'il  eft  à  propos  de  faire  entrer  ces  faits  dans  ' 

votre  Hiftoire  ,  finon  vous  connoîtrez  du  moins  par  ce  mor-  ,\ 

ceau  l'origine  &  la  maifon  du  Comte  de  Tir-Oen  ;  il  n'y  a  que  ,  ! 

moi  qui  puifle  vous  donner  des  mémoires  de  cette  rébellion ,  ; 

perfonne  ne  l'ayant  écrite  jufqu'ici.  Je   vous  en  envoyerai  < 

bien-tôt  les  principaux  faits.  Soyez  perfuadé  que  perfonne  ; 
n'eft  plus  touché  que  moi  de  votre  mérite.  J'ofe  vous  prier  de 

faluer  de  ma  part  Monfieur  de  l'Ifle  ,  à  qui  mes  affaires  ne  me  i 

permettent  pas  d'écrire  à  préfent.  A  Londres  le  i  <5  Avril  3  ) 

(vieux  ftile)  i<5oj.  \ 


Lettre  de  Guillatime  Camden  à  Jacques-Augufle  de  Thou. 

MONSIEUR.  On  a  laiffé  pour  moi  chez  mon  voifin ,  Traduite  du 
fur  la  fin  du  mois  de  Juin ,  pendant  que  par  hafard  Maôufcrit,  ^^ 
j'étois  abfent,  deux  tomes  de  la  première  partie  de  votre 
Hiftoire.  Le  papier  en  eft  plus  grand  &  plus  beau  que  celui 
de  l'édition,  qu'on  vend  communément.  Je  les  ay  trouvés 
bien  reliez ,  avec  une  adrefte  françoife  pour  moi.  J'ay  été  fur- 
pris  de  ne  voir  aucune  lettre  î  ce  qui  m'a  mis  dans  l'incerti- 
tude d'où  pouvoit  me  venir  ce  préfent.  J'y  ai  rêvé  long-temps  s 
j'ai  couru  chés  tous  les  Libraires  François  établis  à  Londres  , 
fans  rien  découvrir  de  ce  que  je  cherchois.  Ainfi  j'ay  jette 
les  yeux  auftl-tôt  fur  vous.  De  quelque  part  que  ces  livres  me 


232         PIECES   CONCERNANT  L'HISTOIRE 

foient  venus,  je  vous  en  remercie ,  puifqu'ils  font  de  vous* 
ôc  le  fruit  de  votre  efprit  &  de  vos  veilles.  Il  a  pu  fe  faire 
que  les  lettres  qui  les  accompagnoient  fe  foient  perdues 
en  chemin.  Je  crains  qu'il  n'en  foit  arrivé  autant  à  celles,  que 
je  vous  ay  écrites  l'année  précédente  5  car  je  n'ay  reçu  ,  foit 
par  la  négligence,  foit  par  l'indifpoiîtion  de  Monfieur  Fon- 
taines >  votre  lettre  en  datte  du  10  Février,  que  le  13  d'Avril. 
J'y  fis  aulFi-tot  réponfe  par  le  Courrier.  Je  vous  faifois  im  dé- 
tail ailes  ample  des  affaires  d'EcoQe  &  d'Irlande  jufqu'en  l'an- 
née 1^66.  Je  ne  fçay  11  ma  lettre  vous  aura  été  rendue ,  n'aïant 
point  reçu  de  vos  nouvelles  depuis  plus  d'un  an.  Si  je  la  croïois 
perdue ,  &  que  le  contenu  pût  vous  être  de  quelque  utilité ,  i! 
feroitaifé  de  réparer  ce  petit  malheur  ^  en  vous  écrivant  une 
féconde  fois  la  même  chofe.  Nous  attendons  avec  impatien- 
ce le  refte  de  votre  Hifloire  ,  qu'on  dit  achevé.  Adieu,  Mon- 
fieur ,  je  vous  prie  de  faluer  Monfieur  de  l'Ifle  pour  moi. 

Si  je  ne  craignois  d'abufer  de  votre  bonté ,  je  vous  prierois 
de  faire  mes  complimens  à  Monfieur  de  BoilTife  (i) ,  autrefois 
Amballadeur  de  France  à  la  Cour  de  la  Reine  Elifabeth.  Je 
n'oublierai  jamais  les  bontés  qu'il  a  eues  pour  moi ,  &  l'ami- 
tié dont  il  m'a  honoré.  A  Londres  le  i  de  Juillet  1 606, 

Lettre  de  M.  de  Thott ,  à  Guillaume  Camden, 

Traduîtedu  T^  T  Onsieur.  Après  avoir  été  long-temps  fans  vous 
latin  fur  le  Iv  I  écrire ,  je  vous  envoyé  le  fécond  tome  de  mon  Hif- 
Manufcnr.  ^^.^^  ^^^^^  ^^^^^  ^^.^.^  excufe  de  ma  négligence  ,  ou  pour  l'ef- 
facer. Je  crains  bien  de  n'avoir  pas  gardé  par  tout  dans  l'af- 
faire d'Ecofle  le  temperamment  que  vous  m'aviez  confeillé  de 
prendre.  Si  j'eulfe  pu  paifer  fous  filence  des  faits ,  qui  font  dans 
k  bouche  de  tout  le  monde  ,  je  l'aurois  fait  tres-volontiers  , 
&  je  ne  ferois  pas  réduit  aujourd'hui  à  demander  qu'on  ne 
m'en  fçache  pas  mauvais  gré  en  Angleterre.  Mais  à  moins  de 
m'écarter  du  devoir  que  je  m'étoisprefcrit,  j'ay  dû  éviter  au- 
tant la  honte  de  difilmulerdesfaits,  que  de  dire  des  faufletés; 
Je  ne  fçay,  puifqu'on  a  été  obligé  de  rapporter  ces  chofes; 
comment  on  auroit  pu  les  écrire  autrement.  Cen'eft  pas  être 
Hiftorien  ,  que  de  fe  fonder  fur  de  fimples  foupçons ,  pour 
rejetter  fur  autrui  la  faute  d'une  adion  commife  fous  les  yeux 

(1)  Jean  de  Thumcry  Sieur  de  BoilTife^ 


DE  J.  A.  DE  THOU.  233 

du  Public.  C'eft  faire  fervir  la  calomnie  à  la  juftificatîon  d'un 
coupable  endanger.  Ceiai'eroit  peut-être  pardonnable  au  cou- 
pable même ,  ou  à  un  Avocat  dans  une  caufe  douteufe  :  car  en- 
fin tout  moïen  de  fe  retirer  d'affaire  eft  permis.  Mais  un  homme 
qui  fait  profeffion  de  dire  la  vérité ,  ne  peut  charger  une  per- 
fonne  d'un  crime  ,  pour  en  difculper  une  autre  ;  la  cliofe  parle 
d'elle-même.  Peut-on  fuppofer  ^  comme  plufieurs  le  difent , 
que  le  Comte  de  Murray  ait  poufle  l'ambition ,  jufqu'à  vou- 
loir s'emparer  de  la  Couronne  ?  Cette  fuppoiition  eft  contrai- 
re à  ce  que  m'ont  aiîuré  tous  les  Ecoflbis  à  qui  j'ay  pu  m'en 
informer ,  gens  dignes  de  foi ,  &  plufieurs  même  qui  haiffent 
ce  Seigneur ,  à  caufe  de  la  diverlité  de  Religion.  Ils  m'ont 
tous  dit  qu'on  ne  pouvoit  lui  reprocher  que  fonaverfion  pour 
la  religion  CathoHque;  qu'au  refte,  fans  ambition ,  fans  ava- 
rice ,  ,bien  éloigné  de  nuire  à  perfonne  ,il  étoit  vertueux ,  po- 
li ,  libéral  &  de  bonnes  mœurs  :  Que  ceux  qui  fe  déchaî- 
noient  aujourd'hui  contre  fa  mémoire  avec  tant  de  fureur, 
ne  feroient  pas  fur  le  trône ,  s'il  ne  les  eût  pas  défendus. 

Mais  je  veux,  que  foulant  aux  pieds  toutes  les  loix  divi- 
nes &  humaines,  il  ait  formé  le  coupable  deffein  dont  on 
l'accufe.  Qui  pourra  me  dire,  quels  complices  il  avoit  dans 
c-e  projet^  lur  quels  moyens  ,  fur  quels  fecours  il  comptoit 
pour  l'exécuter  ?  D'abord  il  eft  conftant  qu'il  n'y  a  jamais  eu 
d'ennemis  plus  animez  Fun  contre  l'autre ,  que  le  Comte  de 
Murray  &  Botwel.  S'imaginera-t-on  après  cela  que  des  efprits 
aufti  aigris  fe  foient  réconciliés ,  pour  concerter  une  confpira- 
tion  contre  le  Roy,  &  qu'ils euffent pu  compter  de  part  &  d'au- 
tre fur  le  fecret  néceflaire  dans  une  affaire  fi  délicate  ?  Pour- 
ra-t-on  croire  que  le  Comte  de  Murray,  dans  les  difpofitions 
où  il  étoit  pour  Botwel ,  ait  pu  confeiller  à  fa  fœur ,  après  la 
mort  du  Roy ,  d'époufer  l'afiaffin  de  ce  Prince  ,  ou  que  la 
Reine  fut  aftes  aveugle ,  pour  faire ,  à  la  follicitation  de  fcn 
frère ,  un  mariage  qui  la  déshonnoroit ,  &  qui  étoit  fi  dange- 
reux pour  elle  ?  Enfin  ,  quelles  raifons  aiu-oient  engagé  le 
Comte  de  Murray  à  fe  retirer  de  lui-même  en  France,  fi  fa 
préfence  eût  pu  lui  faire  efpérer  de  profiter  de  cçs  troubles  ? 
Pourquoi,  lorfqu'il  eut  été  rappelle,  s'eft-il  comporté  dans  le 
gouvernement  de  l'Etat  avec  tant  ée  fidélité  ,  pendant  la 
minorité  du  Roy  ?  Quels  motifs  i'auroient  engagé  à  mettre 
Tome  XV,  G  g 


534         PIECES  CONCERNANT   L'HISTOIRE 

ce  Prince,  encore  enfant,  à  couvert  des  entreprifes  des  Ha- 
miltons ,  s'il  ei\t  eu  deflein  de  monter  fur  le  trône  ?  Car  enfin 
il  eutétémoins  dangereux  &  moins  odieux  de  difputer  la  Cou- 
ronne aux  Hamiltons  rebelles  &  traîtres  à  leur  Roy  ,  fuppofé 
qu'ils  fuffent  venus  à  bout  de  leur  deflein,  que  de  perdre 
le  fils  de  fa  fœur  ,  qui  lui  en  avoir  confié  la  tutelle ,  qu'il  te- 
noit  auflTi  des  Etats  du  Royaume.  Enfin  ,  il  eft  aifé  de  compren- 
dre  la  caufe  de  la  confpiration  formée  contre  le  Comte  de 
Murray  par  les  Hamiltons ,  qui  afpiroient  à  la  Souveraineté. 
N'efl:-il  pas  évident  que  c'eft  le  défefpoir  de  réùflir ,  tant  qu'ils 
auroient  en  tête  un  homme  fi  zélé  pour  le  jeune  Roy  &  pour 
le  bien  de  l'Etat  ? 

D'un  autre  côté ,  fouvenez-vousque  la  Reine,  avant  l'aflàf- 
finat  du  Roy,  avoit  avec  Botwel  des  liaifons,  quibleflbient 
la  bienféance.  Rappellez-vous  la  haine  qu'elle  fit  éclater  pour 
ce  Prince,  après  la  mort  de  Riz,  &  le  mépris  qu'elle  lui  té- 
moigna 5  la  précipitation  avec  laquelle  la  Reine ,  après  la 
mort  du  Roy ,  fit  déclarer  Botwel  innocent  d'un  crime ,  dont 
il  étoit  chargé  par  la  voix  publique ,  qui  ne  fe  bornoit  pas  à 
de  fimples  foupçons  ;  enfuite  le  honteux  divorce  de  ce 
Seigneur  ,  qui  répudia  fa  femme ,  qui  étoit  de  la  maifon  de 
Gordon ,  pour  faire  un  mariage ,  qui  le  couvroit  d'infamie. 
En  effet ,  peut-on  s'empêcher  de  rire  de  ce  rapt  prétendu ,  ou 
plutôt  ne  pas  conclure  de  ce  que  nous  venons  de  rapporter , 
que  Marie  y  Reine  d'un  courage  élevé  ,  n'aïu'oit  jamais  con- 
fenti  à  cette  alliance  honteufe  ,  fi  elle  n'eût  été  aveuglée  par 
la  paflfion  ?  Sans  cela  fe  feroit-elle  mife  en  peine  de  donner 
avec  tant  d'adrefle  des  couleurs  à  cette  démarche ,  dans  les 
lettres  qu'elle  écrivit  à  la  Cour  de  France  à  ce  fujet  \ 

Mais  ceci  foit  dit  entre  nous.  Je  n'ay  eu  deflein  ni  dans  ma 
lettre  ,  ni  dans  mon  ouvrage ,  d'accufer  ou  de  défendre  per- 
fonne.  Je  n'ay  prétendu  ni  ofl:enfer ,  ni  médire.  Vous  verrez 
par  la  ledure  de  mon  livre  ,  que  j'ay  adouci  par  des  ter- 
mes mefurés  ,  ce  que  d'autres  ont  écrit  avec  amertume. 
J'ay  pour  garants  plufieurs  Ecoflbis  ,  témoins  oculaires  des 
faits  ;  ils  m'ont  guidé  dans  la  foi  que  je  devois  ajouter  à 
Buchanan.  Au  refte ,  je  n'ay  jamais  eu  defleinj,(5cje  nel'ay 
point  encore,  de  trahi! la  vérité  en  faveur  de  perfonnej  ainfi 
je  vous  prie  inflamment,  par  notre  amitié,  de  vous  fouvenir 


DE    J.    A.    DE    T  HO  U,  235' 

des  raifons  que  je  viens  d'expofer ,  toutes  les  fois  que  l'on 
parlera  de  moi  &  de  ma  fidélité  hiftorique  à  la  Cour  d'Angle- 
terre ,  &  parmi  vos  amis.  Faites  entendre  à  tout  le  monde 
que  je  n'ay  rapporté  cqs  faits  que  par  la  néceffité  du  devoir 
que  je  me  fuis  impofé  :  Que  d'ailleurs  je  fuis  tout  dévoué  à 
la  gloire  de  la  Nation  Britannique  :  Que  j'aurois  fouhaité  de 
tout  mon  cœur  pouvoir  enfevelir  ces  faits  dans  l'oubli ,  s'ils 
n'euflent  pas  été  connus  de  l'Europe  &  déjà  publiés  par  d'autres 
plumes.  Je  vous  fuis  obligé  du  fragment  concernant  les  affaires 
d'Irlande.  Il  a  trouvé  fa  place  dans  mon  Hiftoire.  Puifque  vous 
avez  eu  affés  de  bonté ,  fans  attendre  que  je  vous  en  priafle , 
poiu'  me  rendre  ce  fervice,  je  ne  ferai  point  difficulté  de  vous 
demander  le  récit  détaillé  de  ces  événemens.  Ecrivez-moi,com- 
me  vous  avez  fait ,  autant  que  pourra  vous  le  permettre  votre 
Brnarin/a,  que  nous  attendons  avec  impatience.  Adieu  mon 
cher  ami ,  confervez  moi  votre  amitié.  A  Paris  le  3  r  Juillet 
1606. 

Lettre  de  Jac.  Aug.  de  Thon .  à  Henri  de  Saville. 

I  c'eft  pour  la  première  fois,  Monfieur,  que  j'ay  l'hon-  Traduite  du 
neur  de  vous  écrire,  ne  croyez  pas,  je  vous  prie  j  que  i[fj|jjj,fçj"j,  ^^ 
ce  foit  un  effet  de  ma  négligence,  ou  que  je  nefafle  pas  de 
votre  amitié  tout  le  cas  que  je  dois.  Des  occupations  fati- 
guantes &  continuelles  font  caufe  que  je  ne  vous  ai  pas  écrit 
plutôt.  Je  ne  voulois  pas  d'ailleurs  le  faire,  fans  accompa- 
gner ma  lettre  d'im  préfent  que  je  vous  deftinois.  Recevez 
donc  le  fécond  tome  de  mon  Hiftoire ,  qui  contient  tout  ce 
qui  eft  arrivé  dans  notre  fiécle ,  ou  plutôt  dans  le  fiécle  pafTé , 
depuis  l'an  1^60.  jufqu'à  l'an  ï$']2.  Je  crains  qu'il  n'y 
ait  bien  des  chofes  qui  déplaifent  à  plufieiu-s  perfonnes  ^  & 
fur  tout  à  celles  à  qui  je  fouhaiterois  extrêmement  de  me  ren- 
dre agréable.  Vous  fçavez  ce  qui  s'eft  paffé  en  Ecofle  dans 
ce  temps-là.  Si  votre  grande  Reine  Elifabeth  vivoit  encore, 
on  pourroit  peut-être ,  fans  rien  craindre ,  écrire  fur  ces  af- 
faires avec  la  liberté  qui  convient  à  l'Hiftoire.  Comme  cette 
PrincefTe  n'eft  plus ,  votre  ami  appréhende  beaucoup  qu'on 
ne  rende  pas  juftice  à  fa  bonne  foi.  Le  Ledeur  doit  recon- 
noître  que  j*ai  eu ,  par  rapport  à  ces  affaires ,  toute  la  nio- 

Gg  ij 


2s6       PIECES    CONCERNANT   L'HISTOIRE 

dération  &  toute  la  retenue ,  que  la  vérité  pouvoit  me  per- 
mettre, &  que  je  me  fuis  fervi  des  expreflions  les  plus  me- 
furées ,  pour  dire  des  chofes  ,  qui  ont  été  dites  bien  plus  du? 
rement  par  des  témoins  oculaires,  dont  le  témoignage  s'eft 
trouvé  très-vrai ,  après  les  recherches  exades  qu'ont  fait  des 
perfonnes  hors  de  tout  foupçon.  J'ai  cru  que  ma  confcience 
ne  me  permettoit  pas  de  diftlmuler  des  faits  publics  &  au- 
tentiques,  ni  de  juftifier  le  crime  aux  dépens  de  l'innocen- 
ce. Je  ne  fuis  pas  néanmoins  aifez  attaché  à  mes  idées ,  que 
je  ne  fois  difpofé  à  réformer  ce  que  j'ay  écrit ,  fur  l'avis  de 
ceux  à  qui  j'ai  réfolu  de  me  fier  plutôt  qu'à  moi-même ,  par 
rapport  à  ces  affaires.  Qu'ils  m'inftruifent ,  &  qu'ils  me  mar- 
quent le  chemin  que  je  dois  fuivre.  Comme  ils  ont  recon- 
nu jufqu'ici  ma  candeur  &  ma  iincérité,  ils  connoîtront 
auiîi  ma  modération.  La  bonté  que  vous  avez  d'honorer  mon 
ouvrage  de  votre  approbation ,  comme  le  Comte  de  Beau^ 
mont  me  Pa  fait  fçavoir,  m'engage  à  vous  prier  inftamment 
de  répandre,  par  vous-même  &  par  vos  amis,  à  votre  Cour, 
&  par  tout  ailleurs  où  il  fera  néceffaire ,  que  je  fuis  dans  ces, 
difpofitions.  (  Le  rejle  de  la  Lettre  ejl  plein  de  lacunes  )  <&  ns: 
forme  aucun  fens.  )  A  Paris  le  27  de  Juillet  1606^ 

Lettre  de  Henri  de  Saville  à  Jac,  Aug.  de  ThoUo 

Traduite  du  (T^  E  u  X  qui  connoilTent  la  candeur  avec  laqi^eile  vous 
Latin  fur  le  %^^  écrivez,  Monfieur,  ne  doiTtentpas  que  toutes  les  par- 
Manufcnt.  ^j^^  j^  votre  Hiftoire  ne  foient  écrites  avec  toute  la  modé- 
ration &  toute  la  fagefle  qui  conviennent.  Mais  vous  fçayez, 
comme  tout  le  monde,  qu'écrire  l'Hiftoire  de  fon  tems,  c^eft 
s'expofer  à  déplaire  à  bien  des  gens.  J'ai  déjà  eu  l'honneur 
de  vous  le  mander  au  fujet  du  premier  volume  de  votre  Hif- 
toire :  à  l'égard  du  fécond ,  je  n'ai  pas  cru  qu'il  fut  nécef- 
faire de  m'informer  avec  beaucoup  d'empreflement  de  ce 
que  nos  Seigneurs  en  penfoient,  de  peur  d'aigrir  un  mal  qu'il 
m'étoit  impofîible  de  guérir.  Il  y  a  des  playes  qu'on  rouvre, 
pour  peu  qu'on  y  touche.  Vous  qui  êtes  prudent^  vous  fça- 
vez  qu'il  y  a  des  perfonnes  délicates,  auprès  defquelles  il 
faut  mieux  fe  taire  fur  certaines  chofes ,  que  de  les  vouloir 
juflifier.  Soyez  néamiioins  perfuadé ,  qu'autant  que  j'ai  pu  k 


DE    J.    A.    DE    T  H  O  U,  :S37 

découvrir,  on  nett  point  ici  en  colère  contre  vous,  ôc  que 
vous  y  joiiillez  encore  de  toute  la  faveur  que  votre  premier 
volume  vous  a  procurée.  Je  ne  vous  parle  point  des  perfonnes 
qui  lifent  votre  livre  fans  paffion ,  &  qui  n'ont  aucun  inté- 
rêt d'aimer  ou  de  haïr.  Tous  ceux-là  conviennent  que  notre 
fiécle  n'a  produit  aucun  ouvrage  plus  utile  ,  mieux  écrit ,  & 
où  il  y  eût  plus  de  vérité.  Je  hâterai  autant  qu'il  me  fera 
poffible ,  l'édition  de  S.  Chryfoftome ,  ouvrage  de  longue 
haleine ,  &  où  il  y  a  bien  des  difficultés.  Il  feroit  néanmoins 
déjà  fini ,  (î  vos  Imprimeurs  m'avoient  voulu  accorder  leurs 
caraderes  (i),  &  il  votre  Roi  ne  les  avoit  pas  refufez  au  no- 
tre ,  qui  les  lui  a  fait  demander  par  fon  Ambafladeur.  Mais 
je  furmonterai  ces  difficultés,  comme  je  pourrai.  Vous  ap- 
prendrez au  moins  bientôt ,  quelle  eft  ma  reilburce.  Je  vous 
rends  mille  adions  de  grâces ,  &  la  poftérité  peut-être  vous 
en  fera  très-redevable,  d'avoir  bien  voulu  ouvrir  votre  Bi- 
bliothèque à  ceux  qui  vous  ont  demandé  cette  grâce  pour 
moi ,  &  de  leur  avoir  procuré  le  MS.  de  S.  Grégoire  de  Ma* 
ziance ,  de  M.  de  Bilîi. 

J'ai  vécu  familièrement  en  i5'8i.  à  Breflaw  avec  André 
Dudith;  nous  étions  logés  l'un  près  de  l'autre,  &nous  man- 
geâmes prefque  toujours  enfemble  durant  fix  mois ,  enforte 
que  j'étois  fans  ceffe  avec  lui.  Je  vis,  j'entendis,  &  j'obfer- 
vai  alors  plufieurs  chofes  5  mais  je  n'avois  pas  en  ce  tems-là 
deiTein  de  faire  paffer  ces  chofes  à  la  pollerité,  ni  d'en  faire 
part  à  ceux  qui  voudroient  un  jour  les  écrire.  Ainfi  ce  que 
je  vous  en  dirai  ne  fera  pas  très-exad ,  étant  obligé  de  rap- 
peller  des  idées ,  qui  n'ont  jamais  été  fort  profondément  gra? 
vées  dans  ma  mémoire.  Dudith^  qui  eft  à  mon  gré  le  plus 
grand  homme  de  tous  ceux  que  j'ai  connus  dans  le  cours 
de  mes  voyages,  naquit  le  $  de  Février  1^3.  en  Hongrie 
dans  la  ville  de  Bude ,  ou  aux  environs ,  autant  que  je  puis 
m'en  fouvenir.  Il  étoit  noble  du  côté  de  fon  père  &  de  fa 
mère  5  carfi  je  m'en  fouvicns  bien ,  fa  mère  étoit  de  la  maifon 
des  Sbardelati ,  nobles  Vénitiens  5  &  il  eft  certain  que  Dudith 
porta  durant  quelque  tems  le  furnom  Sbardelati.  Ses  parens 
ayant  été  dépouillés  de  tous  leurs  biens  parles  Turcs,  on  le 
fit  étudier  dès  fon  enfance  ,  &  comme  on  le  deftinoit  à  fEtat 

(i/Lss  caraâeres  Grecs  de  Paris ,  qui  étoient  uès-eiHmés  dans  toute  l'Europe,  • 

Cg  iij 


23  s  PIECES  CONCERNANT  L'HISTOIRE 

Ecclcfiaftique  ,  on  obtint  pour  lui  la  Prévôté  des  Ther^ 
mes  de  Bude.  Revêtu  de  ce  Bénéfice,  il  fe  rendit  en  Italie 
pour  y  étudier  5  il  y  fit  connoifTance  avec  Sigonius  ,  Manuce, 
&  Robortel ,  &  furtout  avec  Jean  Vincent  Pinelli ,  &  fe  ren- 
dit fort  agréable  à  ces  fçavans.  Il  s'appliqua  tellement  à  l'é- 
tude de  l'Eloquence,  que,  comme  il  me  l'a  dit  lui-même, 
il  tranfcrivit  deux  fois  de  fa  main  tous  les  ouvrages  de  Ci- 
ceron.  Etienne  Bathori ,  qui  fut  dans  la  fuite  Roi  de  Pologne, 
fe  trouva  avec  lui  à  Padouë ,  &  ce  fut  là  qu'ils  commencè- 
rent à  concevoir  l'un  pour  l'autre  un  peu  de  haine ,  qui  s'au- 
gmenta beaucoup  dans  la  fuite ,  à  mefure  qu'ils  avancèrent 
en  âge.  Enfuite  le  Cardinal  Poole  étant  parti  pour  l'Angle- 
terre, il  le  fuivit,  &  demeura  chez  lui  à  Londres.  Poole 
avoir  beaucoup  d'égards  pour  Dudith ,  qui  dans  la  fuite  tra- 
duisit en  Latin j  &à  fon  ordinaire  d'un  ftilefort  élégant,  la 
vie  de  ce  Cardinal  écrite  parPriuli.  Il  quitta  l'Angleterre,  & 
vint  à  Paris ,  oii  il  étudia  la  Langue  Grecque  fous  le  fçavant 
Caninius,  avec  quelques  Gentilshommes  d'Italie.  Il  apprit 
cette  Langue  auffi  parfaitement  que  la  Langue  Latine.  Dudith 
alla  enfuite  trouver  l'Empereur  Charles  V.  en  Flandre.  Ce 
Prince ,  qui  avoir  un  grand  jugement ,  le  recommanda  for- 
tement à  fon  frère  Ferdinand,  qui,  je  crois,  étoit  déjà  dé- 
figné  Empereur,  &  qui  devoir  partir  pour  l'Allemagne.  Il 
poffeda  les  bonnes  grâces  de  Ferdinand  jufqu'à  lafin  de  fes 
jours  j  &  fut  fon  favori  &  fon  confident.  Ferdinand  lui  don- 
na l'Evêché  de  Tinne,  &,  fije  ne  me  trompe,  le  nomma 
vice-Chancelier  de  Hongrie ,  Nicolas  Olahus  Archevêque 
de  Strigonie  &  Chancelier  ^  étant  alors  fort  vieux.  Ferdinand 
l'envoya  enfuite  au  Concile  de  Trente,  en  qualité  de  dé- 

Î>uté  des  Prélats  &  du  Clergé  de  Hongrie.  Il  prononça  dans 
e  Concile  quelques  difcours  éloquens ,  que  je  crois  que  vous 
avez  vus,  au  fujet  de  l'ufage  de  la  Coupe ,  &  un  autre,  fin- 
ie mariage  des  Prêtres ,  qui ,  je  crois,  n'a  point  été  publié.  Car 
fon  maître  lui  avoir  recommandé  ces  deux  points  dans  fcs 
inftrudions.  Quant  au  premier,  il  obtint  quelque  chofe  des 
Pères  du  Concile  5  mais  il  fut  refufé  par  rapport  à  l'autre.  Il 
fut  néanmoins  admis  dans  les  conférences  les  plus  fecretes 
des  Prélats  &  des  Légats  du  Pape;  &  jufqu'àlafin  du  Con- 
cile ,  il  fut  confideré  &  aimé  de  tous  ceux  qui  compofoient 


DE   J.    A.    DE   T  HOU.  239 

cette  aiTembiée.  Il  retourna  enfuite  à  la  Cour  de  Ferdinand 
qui  mourut  peu  de  tems  après,  iSc  il  fut  fait  Evêque  de  Cinq- 
Eglifes.  Il  fut  autant  ôc  même  plus  en  faveur  auprès  de  Ma- 
ximilien ,  qui  le  chargea  de  plufieurs  ambaiiades ,  dont  il  s'ac- 
quitta avec  fuccès.  Il  fut  enfin  envoyé  en  Pologne  vers  le 
Roi  Sigifmond  Auguile.  Ce  fut  là ,  que  foit  par  perfuafion  , 
foit  par  quelqu'autre  caufe  ,  il  renonça  à  fon  caradere 
d'Ambalîadeur^  &  à  la  Religion  Romaine.  Il  demeura  en 
Pologne  (  ce  qui  eft  étonnant  )  fans  perdre  les  bonnes  grâ- 
ces de  fon  maître,  qui  continua  toujours  de  faimer.  Peu  de 
tems  après  il  époufa  une  Demoifelle  de  la  fuite  de  la 
Reine,  &  étant  devenu  veuf,  il  fe  maria  à  la  fœur  desSbo- 
ruski  frères.  Il  eut  des  enfans  de  fes  deux  femmes. 

Cependant  le  Pape  traitant  fon  changement  d'apoftafie  dé- 
clarée ,  &  Dudith  n'ayant  point  comparu  à  Rome  ,  où  il  avoit 
été  cité ,  il  fut  condamné  &  brûlé  en  effigie.  Il  ne  contenta 
pas  beaucoup  les  Réformés^  comme  il  paroît  parles  lettres 
que  Beze  &  lui  écrivirent  Tim  contre  l'autre ,  quoique  Du- 
dith ait  toujours  jufqu'à  la  fin  cultivé  l'amitié  de  Beze.  Mal- 
gré les  remontrances  du  Nonce  Apoftolique,  Maximilien 
eut  toujours  commerce ,  &  même  des  entretiens  avec  lui. 
Dudith,  après  avoir  demeuré  quelques  années  en  Pologne, 
&  y  avoir  vécu  d'abord  dans  le  grand  monde ,  enfuite  dans 
la  folitude  de  Pafcow ,  vendit  fes  biens ,  emporta  fes  meu- 
bles, &  fe  retira  à  Breflaw,  capitale  de  Sileiie ,  &  dépen- 
dante de  la  maifon  d'Autriche.  Là  il  fe  Uvra  entièrement  aux 
Frinc  es  de  cette  maifon ,  &  vécut  avec  éclat  (  je  ne  fçai  com- 
ment )  quoiqu'il  n'eût  pour  tout  revenu  que  l'intérêt  de  plu- 
fieurs milliers  d'écus  d'or  qu'il  avoit  prêtez  à  l'Empereur  Ro- 
dolphe. Dans  fa  retraite  de  Pafcow ,  &  dans  fon  féjour  à  Bref-* 
iaw  ,  les  Princes  d'Autriche  le  chargèrent  de  plufieurs  né- 
gociations importantes.  Il  fut  envoyé  en  qualité  d'Ambaifa- 
deur,  &  en  quelque  forte  de  Plenipotentaire,  vers  les  Etats 
de  Pologne,  dans  le  tems  de  ces  deux  Diètes,  où  les  Prin- 
ces Autrichiens  furent  rejettez,  &  où  l'on  élut  pour  Roi  Ba- 
thori  &  le  Roi  de  Suéde. 

Il  mourut  à  Breflaw^  au  commencement  de  Pannée  i  ^  8p. 
d'une  légère  attaque  d'apoplexie,  à  l'âge  de  j (J ans  accom- 
plis. Ce  fut  un  homme  d'un  mérite  rare^  fameux  pour  fon 


240        PIECES   CONCERNANt  L'HISTOIRE 

éloquence ,  très-habile  négociateur ,  &  verfé  dans  toutes  les 
fciences,  où  peu  l'égalèrent,  &  oii  perfonne  ne  le  furpafla. 
Il  poiiedoit  parfaitement  Ariftote  &  Platon ,  &  fçavoit  très- 
bien  la  Philorophie  de  l'Ecole ,  &  la  Théologie.  Il  avoit 
beaucoup  de  goût  6c  d'ardeur  pour  les  Mathématiques  ;  mais 
il  n'y  réùillt  pas ,  comme  dans  tout  le  relie.  Il  s'étoit  d'abord 
fort  adonné  à  l'aftrologie  judiciaire,  6c  il  me  montra  lui- 
même  écrit  de  fa  main  le  Tetrabiblos  de  Ptolomée ,  avec  la 
paraphrafe  de  Proclus  vis-à-vis  h  mais  ayant  dans  la  fuite  connu 
ia  vanité  de  cette  fcience  chimérique ,  il  la  méprifa.  Il  y  a  quel- 
ques écrits  de  lui  fur  cette  matière  ,  publiez  contre  des  Alle- 
mands i  au  fujet  des  Comètes.  Il  étoit  d'une  haute  taille ,  &  un 
peu  maigre  ;  il  mangeoit  peu ,  &  durant  toute  fa  vie  il  ne  but 
jamais  ni  de  vin ,  ni  de  bière.  Il  étudioit  nuit  &  jour  5  &  1  é- 
tude  fut  fa  feule  paiîion  :  modéré  fur  tout  le  refte,  il  s'y  li- 
vra avec  excès.  Perfonne  n'eut  jamais  plus  de  candeur  &. 
de  franchife.  Il  joignoit  à  la  gravité  une  douceur  &  une  po- 
litede  extrême ,  &  il  aUioit  beaucoup  de  fimplicité  à  beau- 
coup de  prudence.  Il  laillà  en  mourant  une  femme  &  des 
enfans  de  deux  lits.  Le  dernier  de  mes  frères  fut  prefentà 
fa  mort;  fi  ce  frerc  vivoit  encore,  vous  auriez  des  informa- 
tions plus  amples  &  plus  fùres  au  fujet  de  Dudith.  Je  vous 
renvoyé  aux  fçavans  Pvcdinger  &  Jacques  Monave  de  Bref- 
iaw  ,  &  au  Jurifconfulte  Wacker  ,  qui  eft  aujourd'hui  fort 
en  faveur  auprès  de  l'Empereur  Rodolfe.  Je  ne  fçai  s'ils  vi- 
vent encore.  Ils  furent  extrêmement  liez  avec  lui  jufqu'àla 
fin  de  fa  vie.  Je  vous  confeille  de  vous  adrefler  à  eux; 
vous  en  apprendrez  bien  plus  de  particularités,  &  ils  vous 
en  inftruiront  avec  plus  de  certitude  que  je  ne  puis  le  faire. 
Ce  que  je  vous  mande  efl  peu  de  chofe ,  &  n'eft  pas  fort  fur. 
J'ajouterai  que  Dudith  traduifit  en  Latin,  &  pubHa  le  petit 
traité  de  Denys  d'Halicarnafle  fur  fHiftoire  de  Thucidide  , 
&  compofa  encore  quelques  autres  ouvrages  5  il  ne  vou- 
lut pas  pour  certaines  raifons  publier  plufieurs  de  fes  écrits. 
Voilà  tout  ce  que  je  puis  vous  mandera  ce  fujet.  J'ai  plu- 
tôt cherché  à  vous  fatisfaire  qu'à  me  fatisfajre  moi-même.  Car 
je  f(çai  que  ce  que  je  vous  écris  par  rapport  à  ce  grand  homme, 
ne  répond  pas  à  l'idée  que  vous  en  avez,  &  eft  fort  au-dcf- 
fousde  fon  rare  mérite.  Je  me  flatte  que  vous  me  pardonnerez 

aifément 


DE  J.  A.  DE  THOU.  241 

aifément,  fî  je  me  fuis  trompé  dans  ce  que  je  vous  mande; 
&  que  vous  m'excuferez  aufll  d'avoir  tant  tardé  à  vous  faire 
réponfe.  Adieu ,  Monfieur ,  comptez-moi  toujours  au  nom- 
bre de  vos  partifans  &  de  vos  admirateurs.  Trouvez  bon 
je  vous  prie,  que  je  falue  Monfieur  Hotman  mon  ami ,  qui 
m'a  fait  tenir  votre  lettre.  A  Londres  le  dernier  jour  de  No- 
^^embre  idoy. 

Lettre  de  Guillaume  Camdenj  à  Jac.  y^ug.  de  Thou'. 

O  NSI  EUR.  Je  vous  demande  pardon  d'avoir  été  fî  ^^^^^^  rûr^  le  \ 

_      _  long-tems  fans  vous  écrire;  car  il  eft  difficile  que  je  Manufcrit.    "  \ 

puifle  excufer  ce  long  filence.  J'avoue  que  j'ai  manqué  aux  ; 

devoirs  de  l'amitié ,  après  en  avoir  reçu  mille  marques  de  ! 

votre  part.  Blâmez-moi ,  malgré  l'aveu  que  je  vous  fais  de  ma  1 

négligence.  Je  vous  conjure,  vous  qui  êtes  Préiident  au  Par-  ] 

lement,  je  vous  conjure,  dis-je,  fuivant  une   ancienne  for-  1 

mulcj  par  vos  genoux,  ou  par  votre  génie,  de  me  pardon-  ; 

lier  en  homme  fage  une  adion  qui  ne  l'eft  pas.  Je  ne  cher-  | 

cherai  point  d'excufes  à  ma  faute ,  quoique  j'aye  eu  beau- 
coup d'affaires,  parce  que  j'ay  eu  auffi  quelques  momens 
de  loifîr.  Je  pourroism'excufer  fur  une  forte  timidité.  Je  ref- 
femble  à  unhomme ,  qui  étant  depuis  long-tems  débiteur ,  s'eft  - 

difpenfé  de  répondre  à  Taffignation ,  &  n'a  point  ofé  compa-  ; 

roître.  Mais  à  prefent  que  ma  Chorographie  de  la  Grande 
Bretagne  a  paru  pour  la  féconde  fois,confiderablement  augmen-  ! 

tée ,  &  enrichie  de  cartes  Géographiques  qui  lui  donnent  un  ; 

nouveau  luftre  ,  je  n'employerai  point  d'autre  médiateur  que  .' 

mon  livre  pour  faire  ma  paix  avec  vous.  Ayez  donc  la  bonté  | 

d'accepter  cet  ouvrage  tel  qu'il  eft ,  avec  cette  lettre.  Je  vous 
demande  une  grâce  pour  mon  livre  :  donnez  lui  une  place  dans  , 

votre  Bibliothèque.,  vous  qui  avez  enrichi  la  mienne  d'une  \ 

Hiftoire  écrite  avec  tant  de  fageffe.  Vous  jugerez  avec  les  j 

i'ravans,  qui  paflent  aifément  fur  des  fautes  que  l'envie  ne  '\ 

fçauroit  pardonner ,  fi  j'ai  rempli  mon  projet.  Je  n'ai  parlé  que  \ 

très-legérem.ent  de  l'Ecoffe ,  que  je  ne  connois  que  fort  impar-  j 

faitement.  D'ailleurs  je  n'ai  pas  voulu  dérober  ce  travail  au.  ! 

zélé  &  aux  foins   des  Ecrivains  du  pays,  fçachant  par  expé-  | 

xience  qu'il  falloit,  pour  que  mon  ouvrage  pût  être  agréable 
Tome  XV,  H  h 


242       PIECES    CONCERNANT  L'HISTOIRE 

aux  Ecoflbis,  mettre  ce  Royaume  au-defîus  de  l'Angleterre^ 
dont  le  climat  &  la  fertilité  l'emportent  fur  le  climat  &  la 
fertilité  de  l'Ecoffe ,  ou  du  moins ,  qu'il  auroit  fallu  mettre 
ces  deux  Royaumes  en  parallèle.  Ma  defcription  de  l'Irlan- 
de eft  beaucoup  plus  étendue ,  parce  qu'aucune  confidération 
ne  m'a  retenu  par  rapport  à  ce  pays,   fournis  depuis  long- 
tems  à  l'Angleterre ,  &  qui  d'ailleurs  nous  eft  plus  connu.  J'ai 
tiré  la  dernière  révolte  du  Comte  de  Tir-Oen  des  regiftres 
du  Confeil  Royal.  Vous  la  trouverez  ci-jointe.  Ainfi  vous  au-> 
rez  ce  que  vous  fouhaitez  depuis  fî  long-tems.  Puiftiez-vous 
reconnoître  votre  ftile  dans  ce  genre  d'écrire ,  où  j'ai  tâché  de 
vous  imiter ,  après  avoir  fait  mon  poflible  pour  me  former  l'ef- 
prit  &  le  goût  par  une  ledure  continuelle  de  votre  Hiftoire. 
Vous  avez  écrit  avec  toute, la  prudence  polTible  les  affai- 
res d'Ecofle ,  &  fans  bleiler  perfonne.  Cependant  le  Roi  Jac- 
que,  qui  haït  fort  Buchanan,  accufe  le  Comte  de  Murray 
d'être  la  fource  &  le  premier  mobile  des  malheurs  de  la  Reine 
fa  mère.  On  dit  qu'il  tient  cela  de  ceux  qui  ont  été  dans  le  - 
fecret  des  affaires  de  ce  temps-là.  J'apprens  qu'il  confeille  à . 
une  perfonne  d'écrire  l'hiftoire  de  cette  Princefte  5  mais  je 
ne  crois  pas  qu'il  la  donne  au  Public.  Votre  fidélité  n'a  pas 
befoin  ici  de  défenfeurs  j  au  contraire  tout  le  monde  admire 
votre  candeur  &  votre  iincerité ,  que  la  différence  de  Reli- 
gion n'a  pu  altérer.  La  folidité  de  votre  ouvrage  a  détruit 
même  les  calomnies  ridicules  &  les  efforts  injurieux  de  cer- 
taines gens.  Continuez  donc  comme  vous  avez  commencé  5 
faites  admirer  à  notre  fiécle  &  à  la  pofterité  votre  probité  & 
votre  impartialité.  Si  je  ne  vous  ai  pas  fervi  dans  la  féconde 
partie  de  votre  Hiftoire ,  comme  dans  la  première ,  le  foin 
que  vous  avez  eu  de  vous  inftruire  à  fond  de  nos  affaires  en 
eft  caufe.  Cependant  vous  corrigerez ,  fi  vous  le  jugez  à  pro- 
pos ,  quelques  fautes  légères  qui  fe  font  gUflees  dans  les  noms 
propres  de  nos  Anglois.  (i)  Adieu,  Monfieur,  comptez  tou- 
jours fur  mon  zèle  à  publier  les  louanges  que  vous  méritez.  A. 
Londres  le  22  de  Novembre  idoy. 


_  (i)  Cette  lettre  étoitacccmp-^gnée  de 
divcrfcs  corrcdions  d  Camdcii ,  Cur  les 
premiers  volumes  de  i  Hiftoire  de  M.  de 
Thou.  Mais  comme  ce  judicieux  écri- 
vain en  a  fait  ufagc ,  &  que  ces  fautes  qui 


lui  étoicnt  échappées  dans  les  premières 
éditions  (le  fon  Hiftoire,  ne  font  point 
dans  l'édition  fur  laquelle  a  été  faite  la 
traduétion  ,  il  paru  inutile  de  rapporter 
ici  CCS  correâions. 


V 


DE   J.  À.   DE   THOU.  243    , 

Lettre  de  Jacques-Augujîe  de  Thou  à  Guillaume  Camden. 

O  u  s  recevrez  cette  lettre  ,  Monfieur,  par  le  canal  de    Tra  duîte  du 


^  M.  Bongars,  mon  ami  intime ,  dont  le  départ  inopiné  Latin,  &  tirée 
jpour  l'Angleterre  eft  caufe  que  je  ne  puis  répondre  fort  au  camd.^'^u- 
long  à  votre  lettre  du  mois  de  Novembre  dernier.  Elle  m'a  lusir.  'viro- 
d'aiileurs  été  rendue  un  peu  tard;  ce  que  je  vous  dis  pour  ''"'^-  •^«'"'^•P- 
m'excufer  de  ne  vous  avoir  pas  écrit  plutôt.  Je  vous  rends 
grâces  àts  remarques  que  vous  m'avez  envoyées  fur  mon 
Hilloire.  Elles  me  font  voir  que  vous  ne  dédaignez  pas  d'em- 
ployer du  temps  à  la  lire  j  vous  qui  avez  tant  d'autres  occu- 
pations plus  importantes.  Pour  ce  qui  regarde  la  pierre  des 
Indes  j  je  vous  fuis  bien  obligé  de  la  bonté  que  vous  avez  de 
me  donner  des  avis  à  ce  fujet.  Je  prendrai  toujours  en  bon- 
ne part  ceux  que  vous  me  donnerez  de  cette  manière.  J'a- 
V'ois  déjà  obfervé  dans  le  paflage  de  Fernel ,  que  vous  m'in- 
diquez, ce  que  vous  avez  remarqué,  comme  vous  le  pour- 
rez voir  par  la  troifiéme  édition  de  la  première  partie  de  mon 
livre ,  publiée  il  y  a  un  an ,  dans  laquelle  l'endroit  dont  il  s'a- 
git a  été  retranché.  J'ai  fçu  depuis ,  que  la  lettre  dont  j'avois 
tiré  cette  defcription  avoit  été  écrite  du  camp  même ,  dans 
le  temps  que  notre  armée  étoit  campée  près  de  Bologne, par 
Pépin ,  à  la  follicitation  de  Fernel ,  alors  premier  médecin  du 
Roi  ;  &  que  c'étoit  un  piège  qu'on  avoit  voulu  tendre  à  Mi- 
zalde ,  qui  dans  ce  temps-là  compofoit  fon  ouvrage ,  (^f  of- 
cultis  naturce  7viracHlis ,  &  qui ,  à  ce  que  prétendoit  Fernel , 
adoptoitfans  dilcernement  toutes  fortes  de  contes  populai- 
res, ôclesinféroit  dans  fon  ouvrage.  Cependant  Mizaide  ne 
donna  pas  dans  le  panneau';  car  on  ne  voit  rien  de  pareil  dans 
fes  écrits. 

Je  viens  maintenant  à  votre  Britannia  {i) ,  qui  efl:  au-defTus 
de  tous  les  éloges ,  &  où  l'on  ne  peut  affez  admirer  l'exacli- 
tude ,  le  jugement  &c  la  bonne  foi  qui  y  régnent.  Perfonnc 
ne  vous  a  jamais  furpalîe  en  ce  genre ,  par  rapport  à  ces  for- 
tes de  matières.  J'ai  fait  beaucoup  de  progrès  dans  la  con- 
noiiïance  des  affaires  d'Irlande ,  &  je  fens  que  j'en  ferai  en- 
core ,  Il  jamais  les  derniers  livres  que  j'ai  compofez  paroif- 
fent  au  jour  ;  mais  je  crains  bien  que  l'iniquité  des  temps , 

(1)  Grand  ouvrage  de  Camden. 

Hhij 


^44       PIECES    CONCERNANT   L'HISTOIRE 
ou  plutôt  des  hommes ,  qui  gouvernent  aujourd'hui  toute 
l'Europe,  ne  m'empêche  de  les  publier.  Plût  à  Dieu  que 
vous  eufllez  écrit  les  affaires  d'Angleterre ,  &  tout  ce  qui  re- 
garde la  Grande  Bretagne ,  avec  la  même  fimplicité  &  la 
même  précifion.  Alors,  à  votre  exemple ,  j'aurois  ,par  rapport 
aux  affaires  d'Ecoflè ,  fuivi  le  temperamment  que  bien   des 
gens  trouveront  que  je  devois  garder,  &  je  n'aurois  pas  dé- 
plu à  vos  Puiffances  5  ce  que  je  voulois  éviter,  s'il  étoit  polTi* 
ble.  Mais  n'ayant  point  d'autre  auteur  fur  ces  matières  que  Bu^ 
chanan ,  j'ai  été  obhgé  d'avoir  recours  à  des  perfonnes  nul- 
lement prévenues  en  faveur  de  la  Religion  Proteftante  ,  pour 
m'inftruire  plus  furement  au  fujet  des  troubles  arrivez  en  ce 
pays-là.  Je  me  fuis  abftenu  de  toutes  fortes  d'invedives.  Mal- 
gré cela ,  je  crains  bien  que  ceux  qui  haiffent  fi  fort  Bucha- 
nan  ne  foient  bleifez  du  fimple  récit  que-  j'ai  fait  du  meurtre 
du  Roi  d'Ecode.  Les  perfonnes  puiffantes  doivent  faire  ré- 
flexion ,  que  s'ils  croyent  que  tout  leur  eft  permis  ,  il  eft  aufll 
permis  à  tout  le  monde  de  parler  &  d'écrire  librement  fur 
leurs  difcours  &  leurs  adions.  Des  lettres  de  Lazare  Schw-endi 
&  de  Jean  Craton  qui  avoient  beaucoup  de  crédit  auprès  de 
Maximilien  II.  ayant  été  interceptées  pas  Augufte  Eledeur 
de  Saxe ,  &  montrées  à  cet  Empereur ,  qui  y  vit  la  liberté  avec 
laquelle  ces  deux  Seigneurs  parloient  de  lui  &  de  toute  fa 
Cour  ,  ce  Prince ,  après  avoir  mûrement  réfléchi  fur  ce  qu'el- 
les contenoient ,  fit  cette  belle  réponfe.  Notre  fiécle  &  nos 
defcendans  penfent  &  parlent  fur  notre  compte ,  comme  nous  les 
faifons  penfer  &  parler  par  notre  conduite.  C'efl  une  pénible 
entreprife  &  im  travail  bien  defagréable  que   d'écrire  l'Hif- 
toire ,  &  de  vouloir  y  être  toujours  fidèle  à  la  vérité.  Les 
loix  de  l'Hiftoire  obligent  ,  non-feulement  à  ne  rien  dire 
que  de  vrai  5  mais  encore  à  dire  tout  ce  qui  efl  vrai.  Mais 
vous  fçavez  cela  mieux  que  moi.  Je  vous  remercie  du  pré- 
fent  que  vous  avez  eu  la  bonté  de  m'envoyer.  La  nouvelle  édi- 
tion de  mon  Hiiioire  eft  fous  la  preffe.  Elle  fera  augmentée 
de  vingt-trois  livres  ,  enforte  qu'elle  eu  contiendra  quatre- 
vingt.  Les  autres  quarante-trois,  oui  reftent  à  faire  ,  deman- 
dent d'autres  temp'^  (3r.  d'autres  mœurs.  Adieu  ^  continuez  de 
m'aimer  &  écrivez  moi,  fi  votre  loifir  vous  le  permet,   A 
Paris  le  13    Avril  ido8.  (  nouveau  ftiie.  ) 


D  E    J.    A.   D  E   T  H  O  a  2^^ 

Lettre  d^Ifaac  Cafaubon ,  à  Jacques-Augufie  de  Thou, 

MONSIEUR.  J'ay  communiqué  au  SérénifTîme  Roy  de 
la  Grande  Bretagne  la  lettre  que  vous  m'avez  fait  Thon-  l-^Jj^  "f^J  '/^ 
neur  de  m'écrire  dernièrement.  Je  fouhaitois  depuis  long-tems  Manufcnt. 
avec  ardeur  ^  que  fa  Majefté  pût  connoître  dans  quels  fenti- 
mens  vous  êtes  à  fon  égard  ^  &  qu'elle  fcût  le  refped  &  la  vé- 
nération que  vous  inipirent  pour  elle  fes  grandes  qualitez  ^ 
fa  vafte  littérature  ,  ôc  fes  connoifiances  univerfelles.   Bien 
ailuré  de  vos  difpolitions  à  ce  fajet  ,  je  n'ay  pas  manqué,, 
depuis   que  je  fuis  à  la  Cour  d'Angleterre,  toutes  les  fois 
que    la   converfation  tomboit  fur  vous  ,   d'aifurer  le  Roy, 
qu'il  n'y  avoit  perfonne  plus  pénéî:ré  que  vous  d'admiration 
pourfa.  Majeilé,  &  qui  lui  donnât  plus  volontiers  les  éloges 
qui  lui  font  dûs.  Vous  voyez  par-là  que  rien  ne  pouvoir  me 
faire  un  plus  grand  plaifîr,  &  venir  plus  à  propos,  que  votre 
lettre.  Vous  m'y  donnez  de  nouvelles  aiïurances  de  votre  dé- 
vouement à  fa  Majefté.  Vous  me  demandez  que  je  l'en  alTurer 
une  féconde  fois  de  votre  part.  Ce  Prince  ,  qui  aime  ]a  vérité, 
a  été  charmé  de  votre  amour  pour  elle  5  amour  dont  vous  don- 
nez allez  de  marques  dans  votre  lettre.  La  candeur,  dont  vous 
faites  profelTion  en  écrivant,  la  docilité  que  vous  montrez  à 
changer  &  à  corriger ,  fur  des  pièces  plus  exactes ,  ce  que  vous 
avez  puifé  dans  des  mémoires  infidèles,  ont  fait  beaucoup  de 
plaifir  à  fa  Majefté.  Ces  fentimens  font  dignes  de  vous ,  Mon- 
fieur ,  qui  avez  toujours  préféré  la  vérité  à  toutes  chofes ,  dans 
votre  conduite,<5c  particulièrement  dans  votre  Hiftoire.  Le  Roi, 
qui  d'ailleurs  a  pour  vous  toute  l'eftime  poftible ,  eft  très-faché 
qu'avec  âtQS  intentions  11  droites ,  trompé  par  certaines  gens  y 
vous  vous  foyez  écarté  de  la  vérité,  fur  le  compte  de  la  Reine 
Marie  de  glorieufe  mémoire ,  fa  mère  7  que  vous  foïez  entré 
fur  cela  dans  un  détail  circonftancié ,  &  rapporté  des  chofes 
dont  fa  Majefté  connoît  toute  la  faufteté.  Elle  fçait  qu'elles 
n'ont  été  inventées  que  par  des dijets rebelles,  qui  font  con- 
nus pour  tels  dans  toute  l'Ecofle,  qui  ont  cherché  tous  les 
moyens   de  nuire  à  cette  Princefle  pendant  fa  vie ,  &  qui 
n'ont  employé  leur  efprit ,  leurs  foins  3  leur  adrefle ,  leurs  tra- 
yaux ,  qu'à  perdre  cette  Reine  infortunée  ^  dont  le  fort  dé- 

Hhiij 


2.^6       PIECES  CONCERNANT  L'HISTOIRE 

plorable  doit  toucher  tous  les  gens  de  bien.  Car  auffi-tôt  que 
rEcoflc  fut  déchirée  par  les  fedions ,  il  n'eft  pas  croïable ., 
(  on  ne  peut  même  le  raconter  fans  horreur  )  avec  quelle  fu- 
reur le  parti  oppofé  à  la  Reine  fe  déchaîna  contre  elle  &  con- 
tre fes  partifans.  Cet  emportement  a  été  jufqu'à  la  rage.  Mais 
que  fert  d'en  parler  ?  Il  y  a  eu  des  gens ,  dans  le  temps  de  ces 
troubles ,  qui  ont  pouffé  les  chofes  Jufqu'à  fe  faire  un  devoir  de 
Religion ,  de  rabaiffer  la  Majefté  Royale ,  de  dépouiller  une 
Reine  de  fes  Etats,  de  déchirer  fa  réputation ,  &  enfin  d'atten- 
ter aux  jours  d'une  Princeffe  digne  d'un  fort  plus  heureux.  Le 
Roy ,  qui  par  la  douceur  de  fes  mœurs  ,  mérite  à  jufle  titre  le 
furnom  de  tres-boriy  raconte  aflez  fouvent  plufieurs  traits  d'une 
cruauté  inoùie  ,  &  des  faits  furprenans  ,  arrivez  dans  ces 
tems  de  confufion.  Je  vous  aflure  que  j'en  ai  appris  d'avanta- 
ge ^  &  même  des  choies  plus  frappantes^  de  gens  très-dignes 
de  foi,  qui  malgré  leur  attachement  à  la  réforme  établie  en 
Ecoffe ,  ne  fe  rellbuviennent  qu'avec  horreur  des  fureurs  de 
ces  fadieux. 

Pour  peu  qu'on  ait  lu  les  écrits  de  George  Buchanan ,  cé- 
lèbre dans  la  littérature  ,  mais  meilleur  Poète  que  bon  fujet , 
on  eft  forcé  de  convenir  qu'il  a  époufé  le  parti  des  rebelles,  ôc 
qu'il  a  rendu  de  très-mauvais  offices  à  la  Reine  fa  maitreiîe , 
&  à  la  Majedé  royale.  Son  livre  feul  du  Royaume  d'Ecoffe  dé- 
couvre  allez  fes  fentimens.  Un  bon  citoyen ,  un  fujet  iîdcle 
&  zélé  pour  fes  Souverains ,  ne  peut  lire  cet  ouvrage  fans  in- 
dignation ,  &  fans  en  détefter  l'auteur.  Tous  les  gens  de  bien 
prétendent  aujourd'hui  avec  raifon ,  qu'on  doit  regarder  com- 
me les  auteurs  de  tant  d'attentats  fur  la  perfonne  de  differens 
Princes ,  non-feulement  les  aflafïins  mêmes,  mais  encore  ceux 
dont  la  dodrine  pernicieufe  les  enhardit  au  crime  ^  &  les 
ralfure  par  l'apparence  d'une  faufle  juftice. 

Après  cela  que  peut-on  penfer  de  Buchanan ,  &  de  quelques 
autres  auteurs  Ecoflbis,  qui  décident  hardiment  ^  en  termes 
précis,  qu'il  faut  punir  du  derniej  fupplice ,  ou  afTalTmer  les  Sou- 
verains légitimes  ,  qu'ils  appellent  des  tyrans  ?  Je  vous  avoue 
que  je  ne  fçaurois  rapporter  ces  déteftables  fentimens ,  fans  fré- 
mir d'horreur.  Le  Roi  fe  plaint  que  Buchanan  ait  écrit  fon 
Hifloire  dans  ces  funedes  difpofitions.  Il  ne  faut  qu'ouvrir 
fon  livre ,  pour  s' encon vaincre.  Ainfi  vous  ne  devez  pas  être    ' 


DE    J.    A.   D  E    T  HO  U.  247 

Furprls  que  Sa  Majefté  foit  fâchée  que  vous  ayez  parlé  de  la 
Reine  fa  mère  fur  la  foi  de  cet  Hiftorien,  que  vous  avez  fuivi 
avec  trop  d'exaditude ,  &  que  vous  ayez  copié  les  calomnies 
de  ce  fuj et  ingrat.  Ne  croyez  pas  jMonfieur^  que  le  Roi  de- 
mande pour  cela  qu'en  fa  faveur  vous  vous  écartiez  le  moins 
du  monde  de  la  vérité  ;  il  exige  de  vous  feulement  ,  &  il  a 
droit  de  l'exiger  de  tout  Hiftorien  ,  que  vous  ne  tranfmetriez 
point  à  la  pofterité ,  comme  des  réalitez ,  l'ouvrage  de  la  perfi- 
die de  quelques  rébelles.  Enfin ,  ii  les  Princes  ont  fait  des  fautes 
qu'il  importe  peu  à  la  pofterité  de  connoître  ,  je  ne  crois  pas 
qu^il  y  ait  aucune  loi  de  l'Hiftoire ,  qui  oblige  un  Ecrivain  à  les 
rapporter.  Ce  n'eft  point  en  cela  que  confifte  l'amour  de  la 
vérité  5  il  n'y  a  dans  ces  fortes  de  traits  que  de  la  malignité  ,  & 
de  l'aigreur.  On  n'a  qu'à  lire  Buchanan  &  d'autres  Hiftoriens 
nial-intentionez  pour  la  Reine  ,  fi  on  veut  avoir  un  exemple 
éclatant  de  cette  malignité.  Mais  ne  peut-on  écrire  avec  mo- 
dération fur  le  compte  des  Souverains  ?  Qu'y  a  t'il  de  plus 
ordinaire  que  de  dire  ,  que  c'eft  une  fuite  de  la  condition  hu- 
maine ,  de  faire  des  fautes  ?  Les  Rois  &  tous  les  Grands  font 
hommes  comme  nous  5  &  des  hommes  foibles,plus  expofez  que 
les  autres  à  être  vaincus  par  les  paiïlons.  N'eft-il  pas  plus  jufte 
(  du  moins  je  le  penfe  ainfi  )  de  les  plaindre  ^  en  bons  &  fidèles 
fujets  ,  que  de  prendre  plaifir  à  les  décrier  ,  s'il  leur  arrive  de 
fuccomber  au  mal  par  leur  propre  foiblefle ,  ou  de  s'égarer  par 
ia  faute  de  leurs  favoris? 

Je  ne  parle  pas  ici  de  ces  adions  ,  qu'un  Hiftorien  eft  obligé 
en  honnête  homme  d'écrire  ,  &  au  récit  defquelies  la  gloire 
de  Dieu  eft  intereftee  :  les  rebelles  d'Ecofle  ont  été  bien 
éloignés  de  cette  fage  modération.  Soigneux  de  rechercher 
tout  ce  qu'ils  jugeoient  propre  à  noircir  la  mémoire  de  leur 
malheureufe  Reine  ,  ils  ont  enféveli  dans  un  coupable  fi- 
lence  les  adions  glorieufes  qui  ont  illuftré  fon  régne.  Voit-on 
un  feul  de  ces  calomniateurs  odieux  ,  qui  faftent  mention 
du  bonheur  de  fon  gouvernement  pendant  quelques  années  ^ 
après  fon  retour  de  France  en  Ecofle  f  Où  font  les  louan- 
ges qu'on  lui  a  données  fur  ce  fujet? 

Le  Roi  pour  réfuter  toutes  ces  fauftetés  injurieufes  ,  ou 
plutôt  pour  les  détruire  ,  a  jugé  à  propos  de  faire  travailler 
à  de  bons  mémoires  de  la  vie  de  fa  mère  ,  &  de  vous  les 


S48         PIECES  CONŒRÎ^ANT  L'HISTOIRE 

envoyer  :  Sa  Majcfté  ie  flate  que  vous  vous  ferez  un  plaî- 
fir  de  difcerner  le  vray  d'avec  le  faux  ,  le  certain  d'avec  l'in- 
certain, &  la  réalité  d'avec  le  menfonge.  Elle  efpere  que  vous 
fuivrez  fes  intentions ,  &  même  elle  l'exige  de  vous.  Il  y  a 
dans  cette  ville  un  homme  de  condition  (i)  qui  joint  à  une 
parfaite  connoiiîance  de  l'antiquité  une  grande  étude  de 
l'Hiftoire ,  foit  ancienne  foît  moderne  ;  il  s'eft  inftruit  de  celle 
des  reines  Elifabeth ,  &  Marie ,  par  des  monumens  publics ,  ôc 
par  les  lettres  de  ces  deux  Princefles  :  il  difpofe  les  faits ,  par 
ordre  du  Roi ,  qui  n'ayant  lui-même  perfonne  au  defllis  de  lui 
dans  la  connoiiîance  de  l'Hiiloire  ,  examine  le  tout  avec  beau- 
coup de  foin  ,  &  pefe  mûrement  les  chofes  dans  la  balance 
de  la  vérité.  Sa  Majefté  fe  prépare  à  vous  faire  tenir  ces  mé- 
moires au  premier  jour,  dans  le  deflein  que  vous  fubftituïez 
des  faits  certains  aux  calomnies  qui  vous  ont  été  fournies  par 
d'infidèles  fujets.  N'appréhendez  pas  d'effuyer  des  repro- 
ches de  légèreté  de  la  part  des  honnêtes  gens  :  au  contraire 
ce  fera  pour  vous  un  honneur  auprès  des  perfonnes  fages  ôc 
équitables ,  d'avoir  embraffé  la  vérité  ,  aulTi-tôt  qu'elle  s'eft 
offerte  à  vos  yeux ,  &  de  l'avoir ,  pour  ainfi  dire ,  revendiquée 
comme  votre  propre  bien ,  félon  l'exprefTion  du  Philofophe. 
Xe  Roi  croit  qu'il  lèra  à  propos  ,  d'apprendre  aux  ledeurs, 
dans  la  première  édition ,  que  vous  ferez  de  votre  hidoire , 
après  avoir  corrigé  ce  qui  concerne  la  reine  Marie  ,  quels  mé- 
moires vous  aviez  fuivis  d'abord,  &  fur  quels  autres  vous  aurez 
réformé  cet  endroit  de  votre  ouvrage.  Vous  n'attendrez  pas 
long-temps  les  mémoires  qu'on  vous  promet  :  ils  feront  entre 
vos  mains  quelques  jours  après  les  fêtes  de  Pâques  :  car  le  Roi 
prefTe  extrêmement  cette  affaire  ,  qu'il  a  fort  à  cœur.  Adieu , 
Monfieur  :  je  puis  vous  appeller  avec  juftice  le  père  de  l'HiT- 
toire  moderne.  A  Londres  le  2,^  de  Février  1 61 1. 

I^ettre  d'Ifaac  Cafauhon  à  Jacques  Augufie  de  Thou, 

Traduite  du  *?i    /f  O  N  S  IE  u  R.  Vous  m'avcz  fait  grand  plaifir  ,  &  vous 

J^/îanufcrit.   ^    i^A  ^^^"^  ^gi  prudemment ,  en  m'envoyant  deux  lettres  : 

vous  avez  deviné  jufte,  en  penfant  que  j'en  montrerois  une 

-au  Roi.  C'eft  pourquoi  je  vous  demande  de  ne  vous  poinc 

(0  -Le  chevalier  Robert  Cotton. 

faire 


DE    J.    A.    DE   T  H  O  U.  249 

faire  de  peine  d'entreprendre  ce  travail  ;  je  ferai  toujours  dif- 
pofé  à  faire  ce  que  vous  fouhaiterez  de  moi.  Je  montrerai  tou- 
jours au  Roi  ce  que  j'écrirai  par  fon  ordre  5  car  je  veux  &  je 
dois  lui  être  fidèle.  J'ai  été  très  chagrin  de  voir  l'extrême  in- 
dignation ,  que  la  féconde  ledure  de  votre  Hiftoire  lui  a  caufé; 
il  n'a  pu  voir  fans  colère  ,  que  Buchanan  fut  par-tout  votre 
guide.  Le  Roi ,  &  tous  les  EcofTois  qui  connoiilent  cet  Ecri- 
vain ,  aflurent  que  fa  coupable  haine  pour  la  reine  Marie 
avoir  une  caufe  très-iegere.  Vous  n'ignorez  pas  que  fon  Hif- 
toire eft  défendue  en  EcolTe  5  ainfi  le  Roi  eft  indigné  qu'un 
homme  auffi  grave  que  vous ,  &  fi  ami  de  la  vérité  ,  n'ait  pas 
foupçonné  la  bonne  foi  de  cet  Ecrivain  injufte  :  j'ai  dit  cent 
fois  à  Sa  Majefté ,  que  vous  aviez  confulté  là-deiTus  pliifieurs 
Ecoffois  de  toute  efpece  :  le  Roi  m'a  répondu  que  ce  font 
tous  des  traîtres ,  qu'il  regarde  comme  de  vrais  ennemis  de  fa 
maifon. 

Peut-on  n'être  pas  touché  des  fentimens  de  tendrefle  d'un 
fi  bon  Prince  pour  une  mère  infortimée  ?  Pour  moi  je  puisa 
peine  retenir  mes  larmes,  lorfque  je  me  reprefente  le  déplo- 
rable fort  de  cette  grande  Reine  ,  qui  fuccomba  fous  les  arti- 
fices d'un  petit  nombre  de  fcelerats  ,  &  qui  finit  fa  vie  fur  un 
échatfaut.  La  reine  Elifabeth  d'heureufe  mémoire  a  toujours 
eujhorreur  de  cette  cruauté  :  cependant  comme  li  des  malheurs 
fi  dignes  de  compalTion  n'euffent  pas  dû  en  trouver  dans  le. 
cœur  du  Roi ,  il  y  a  eu  des  gens ,  qui  ont  eu  la  malice  de  dire 
à  Sa  Majeflé  ,  que  c'étoit  une  chofe  honteufe  pour  elle  ,  que 
votre  Hifloire  eut  été  condamnée  à  Rome  j  comme  contraire 
à  la  réputation  de  la  reine  Marie  ,  &  qu'elle  eût  néanmoins  un 
libre  cours  dans  fes  Etats.  J'ai  appris  cette  particularité  de  la 
bouche  de  Monfieur  l'évêque  de  Londres ,  qui ,  comme  votrç 
ami  intime ,  a  fenti  tout  le  venin  de  ces  paroles.  Il  ajouta  en 
me  les  rapportant  :  Ces  Gens  de  bien  &  ces  Pères  vénérables  s^em- 
ùaraffent  bien  de  cela.  Vous  verrez  facilement  ce  que  vous  au- 
rez à  faire,  à  la  ledure  de  cette  lettre  ,  que  je  vous  écris  par 
l'ordre  du  Roi,  dans  les  termes  dont  il  s'efV  fervi  en  me  pariant, 
-  Je  ne  fçai  quels  remercimens  vous  faire  ,  Monfieur  ,  de 
toutes  vos  bontés  pour  moi  5  ma  reconnoiflance  efl  au-de-là  de 
toute  exprefîion.  Je  fuis  très-perfuadé  qu'il  n'y  a  rjen  de  fî 
difficile  que  vous  ne  foyez  difpofé  à  faire  en  ma  faveur.  Je 
Tome  KK  \  \ 


2^0        PIECES    CONCERNANT    L'HISTOIRE 

fuis  redevable  à  vous  feul ,  &  à  Monfieur  le  cardinal  du  Perroft] 
qu'on  n'ait  point  touché  au  peu  de  bien  que  je  poffede  en 
France ,  &  aux  bienfaits  que  je  tiens  de  la  Reine.  Je  puis  dire 
devant  Dieu  ,  que  je  partis  de  France  dans  le  deffein  d'y  reve- 
nir deux  mois  après  j  je  fouhaitois  avec  ardeur  de  connoître 
par  moi-même  la  forme  de  l'Eglife  Anglicane  ,  &  d'avoir 
quelques  entretiens  avec  les  fçavans  perfonnages  qui  la  gou- 
vernent. Je  ne  me  repentirai  jamais  de  cette  démarche  :  j'ai 
trouvé  des  hommes  refpedables  par  leur  dodrine  ,  par  leur 
pieté ,  par  leur  amour  pour  l'union.  Je  pafTe  beaucoup  de  temps 
avec  eux ,  &  je  ranime  par  de  faintes  penfées  mes  tiédeurs,  fruit 
de  mes  péchés.  Je  puis  manifefter  en  ces  lieux  mon  zèle  pour 
la  vérité  des  premiers  temps ,  détefter  en  liberté  la  folie  de 
ceux  qui  adoptent  ,  par  rapport  à  la  religion^  ce  qui  eft 
contraire  à  ce  qu'ont  établi  les  faints  Pères.  Je  puis  faire  écla- 
ter ici  toute  l'indignation  que  je  reffens  à  la  vue  de  la  tyrannie, 
que  des  furieux  exercent  dans  l'Eglife  ;  j'entens  ceux  qui 
depuis  peu  ont  parlé  de  moi  dans  leurs  écrits,  &  m'ont  adroi- 
tement fait  pafler  pour  fauflaire.  J'efpere  effacer  bien-tôt  , 
avec  la  grâce  de  Dieu,  cette  tache ,  &  faire  approuver  à  vous 
&  à  tous  les  gens  de  bien  l'apologie  que  j'ai  dellein  de  publier 
fur  ce  fujet.  Je  me  flate  de  ne  rien  dire  pour  ma  juftification  , 
qui  puiffe  irriter  la  Reine  (  i  )  contre  moi.  J'ai  prié  Monfieur  de 
îa  Boderie  ,  homme  d'une  prudence  &  d'une  probité  parfaite  , 
d'aflurer  tout  le  monde  que  je  fuis  &  ferai  toujours  fidèle  fujet 
du  Roi ,  &  de  la  Reine.  Je  fouhaite  aufll ,  Monfieur ,  que  vous 
en  fo-yez  très-perfuadé. 

Puifque  la  Reine  me  permet  de  demeurer  un  an  ou  ëeiix 
en  Angleterre,  je  ferois  ravi  d'avoir  mes  livres  &  mes  re- 
cueils, pour  ne  pas  perdre  mon  temps.  J'ai  chargé  mon 
ami  Chabané  de  vous  demander  confeil  là-deiîus ,  &  d'agir 
en  conféquence.  Il  feroit  peut-être  plus  à  propos  d'attendre 
le  retour  de  ma  femme ,  qui  fouhaite  d'arranger  une  fois  mes 
affaires,  fuivant  l'avis  de  mes  amis,  &  fur  tout  parvoscon- 
feils.  Que  la  divine  bonté  vous  conferve  en  fanté ,  avec  Ma- 
dame la  Préfidente  &  Meffieurs  vos  enfans.  Adieu.  A  Lon- 
dres le  24  de  Février  16^11. 

(i)  Marie  de  Mcdicis  Reine  de  France^ 


DE  J.   A.    DE    THOU.  nfi 

Lettre  de  Jac.  Aug.  de  Thou ,  à  Ifaac  Cafaubon. 

MONSIEUR.  J'ai  receu  la  voftre  du  24  dupafîe.  Vous  imprimée  Cut 
m'avez  aifément  perfuadé  de  faire  le  contenu  en  icelle  le  Manufcnt, 
au  contentement  de  S.  M.  car  j'y  eftois  fort  difpofé.  Il  ne 
doit  s'efmouvoir ,  fi  n'ayant  autre  Hiftoire  de  ces  triftes  &  mi- 
ferables  accidens ,  qui  en  perfonnes  fi  illuftres  ne  peuvent 
eftre  tenus  fecrets  &  cachés ,  que  celle  de  celuy  dont  il  fe 
tient  fi  grièvement  offenfé  5  &  les  autres  n'en  ayant  parlé  que 
confufément ,  fans  expliquer  les  caufes  particulières  ,  j'ay  fui- 
vy  celuy  qui  les  avoit  plus  particularifées  :  en  quoy  ,  s^il  lu/ 
plaift  y  prendre  de  prés  garde ,  il  trouvera  que  j'ai  beaucoup, 
&  tant  que  j'ay  pu ,  adoucy  les  chofes  ^  &  remis  à  la  foy 
de  celuy  duquel  je  les  empruntois,  les  plus  grieves.  Je  fuis 
aufTi  bien  aife  que  vous  vous  foyez  fouvenu  de  luy  reprefenter , 
qu'en  la  grandeur  terrible  de  ces  accidens ,  me  trouvant  per- 
plex,  j'ay  communiqué  &  pris  le  confeil  d'aucims  Ecoflbis 
anciens,  qui  s'eftoient  trouvez  en  ces  entrefaites^  mefmement 
des  Catholiques,  eftimant  leur  foy  en  ce  fubjed  moins  fuf- 
pede. 

S.  M.  peut  connoiftre  par  cela ,  quelle  religion  ,  &  mode- 
ration  j'ay  apporté  à  cette  partie  d'Hiftoire ,  ayant  tousjours 
craint  &  appréhendé  qu'elle  ne  s'en  fentît  ofFenfée.  Mais  puif- 
que  Dieu  a  voulu  qu'elle  ait  pris  le  confeil  que  m'efcrivez,  qui 
eft  de  m'envoyer  de  meilleures  &  plus  certaines  inftrudions 
de  ces  chofes,  que  celles  que  j'ay  fuivy>  les  ayant  receues, 
il  connoiftra  que  n'ayant  eu  autre  but  en  tout  mon  travail , 
que  d'efcrire  les  chofes  au  vray  &  fans  haine  ny  grâce ,  Ci-^ 
toft  que  cette  vérité,  que  j'ay  par  tout  cherchée  ,  me  fera 
reprefentée ,  je  l'embrafleray ,  &  laifleray  le  faux  &  incertain 
pour  le  vray  &  l'atfeuré.  Mon  Hiftoire  a  efté  expofée  au 
public  du  commencement,  non  tant  comme  un  œuvre  du 
tout  achevé,  ains  pour  recevoir  en  un  fi  grand  œuvre  les  ju« 
gemens  de  plufieurs,  &  fuivaht  iceux  corriger,  augmenter, 
changer,  remettre  ce  qui  s'y  trouveroit  avoir  de  défaut  par 
omiiTion  ou  mauvaife  information  des  chofes.  De  cela  pou- 
vez-vous  afîeurer  S.  M.  &  qu'il  n'y  a  perfonne  aujourd'hui 
qui  favorife  plus  fa  gloire ,  ôc  tout  ce  qui  luy  touche ,  que  moyj 

li  ij 


a<;2  PIECES    CONCERNANT  L'HISTOIRE 

comme  je  defire  luy  tefmoigner  entoures  les occafions,  qu'il 
peut  attendre  d'un  bon  François,  &  amateur  de  la  vérité,  & 
de  fon  nom.  Je  fuis  fon  très  humble  &  très  obeiflant  ferviteur. 
Je  fupplie  en  cet  endroit  noftre  Seigneur ,  Moniîeur,  vous 
donner  en  parfaite  fanté  fa  grâce. 

Le  22  Mars  Voftre  très  humble  &  très  afFedionné 

i(5ii.  ferviteur.  De  Thou, 

Lettre  de  Jac.  Aug.  de  Thon,  a  Ifaac  Cafaubon. 

Imprimée  fur  Ik  /^On  SIEUR.  J'ay  reccu  le  15  du  prefent  les  Memoi- 
ie  Manufcm.  J^Vj^res  que  m'avez  envoyé  delà  part  du ferenifllme  Roy 
de  la  Grande  Bretagne.  J'eufle  defiré  les  avoir  pu  avoir  ,  lors- 
que premièrement  je  me  mis  à  efcrire  les  chofes  de  lxvii 
ôc  Lxviïi  :  mais  eftant  deftitué  de  toutes  autres  Hiftoires ,  hor- 
mis celle  qui  les  a  efcrit  avec  tant  d'aigreur ,  tout  ce  que  je 
pus,  ce  fuft  de  les  adoucir  le  plus  que  je  pouvois,  n'ayant 
autre  conduide  neantmoins  en  cela,  que  la  mefme  Hiftoire. 
Vous  eftes  tefmoin  combien  j'ay  fué  &  d'efprit  &  de  corps 
fur  ce  fubjed,  prévoyant  ce  qui  en  eft  arrive.  Je  vous  enay 
parlé  fouvent,  &  vous  ay  did  comme  je  m'eftois  travaillé 
de  fçavoir  la  vérité  des  chofes  par  les  Efcoflbis  Catholiques^ 
qui  à  caufe  de  la  Religion  eftoient  icy  réfugiez.  Je  ne  pou- 
vois faire  autre  chofe.  J'ay  fouvent  deiiré  que  tout  cela  fe 
pût  pafler  par  le  filence  ;  mais  les  morts  des  Grands ,  &  les 
changemens  qui  en  arrivent  aux  Eftats ,  ne  permettent  que 
fi  grandes  chofes  paflent  par  la  loy  de  l'oubliance. 

Je  prendray  le  loifir  de  revoir  ce  que  j'ay  efcrit,  &  l'ac- 
commoder autant  que  je  pourray  ,  fuivant  les  Mémoires.  Mais 
j'ay  befoin  de  ce  qui  s'eft  paiTé  depuis  l'an  lxxii  ,  jufques 
où  vont  les  Mémoires  que  m'avez  envoyé  :  au  moins  jufques 
à  la  mort  indigne  mais  genereufe  de  la  Reine  Marie ,  &  la 
jnort  aufli  du  Comte  de  Morton.  Car  entre  ce  temps  font 
arrivées  plufieurs  chofes  en  EfcolTe ,  qui  peuvent  fervir  à 
ce  que  l'on  délire  de  moy  ;  en  quoy  je  n'obmettray  rie»  de 
ce  qu'on  peut  attendre  d'im  homme  de  bien,  &  qui  n'a  re- 
cherché en  tout  ce  grand  travail  que  la  gloire  de  la  vérité. 
C'eft  pourquoy  je  vous  prie  de  faire  que  le  furplus  me  fok 


DE  J.  A.  DE  THOU.  2;^  ] 

envoyé  le  pluftoft  que  faire  fe  pourra.   Car  les  affaires  font  -i 
cnchaifnées ,  &  faut  voir  la  fuite  fur  un  mefme  afped ,  pour 

en  faire  plus  alTeuré  &  certain  jugement.  Quand  j'auray  le  i 

tout ,  je  Içauray  bien  faire  mon  profit  des  particularitez ,  pour  : 

ians  foupçon  de  faveur  faire  paroiftre  la  vérité  telle  que  l'on  \ 

délire.  Cela  s'entend  mieux  par  ceux  qui  ont  le  jugement  ex-  i 

perimenté  en  telles  affaires ,  qu'il  ne  fe  peut  exprimer  pau  ' 
Lettres. 

Continuez  moy  tousjours  en  voftre  bonne  fouvenance ,  Ôc  ' 
me  faites  fouvent  part  de  vos  nouvelles.  Tout  ce  qui  vous                             -    j 

touche  m'eft  cher,  &  me  touche  de  plus  prez  qu'à  aulcun  I 

de  cette  Cour.  Je  croy  que  vous  le  croyez  auffi  j  mais  j'aime  \ 

mieux  que  le  connoilllez  par  les  effets  que  par  les  paroles.  ■ 

En  cet  endroit  je  fupplie  noftre  Seigneur,  Monfieur,  vous  ] 

donner  en  fanté  fa  grâce.  I 

De  Paris  ce  17        Voilre  bien  humble  &  très  affeclionné 

Juin  16 II.  ferviteur^DE  Thou.  ; 

i 

Lettre  dUfaac  Cafauhon,  à  Jac.  Aug.  de  Thou. 

\ 

LE  Roi  a  appris  avec  beaucoup  de  joye ,  que  vous  avez  ^'^^^^^^-  ^^ 

reçu  les  Mémoires  qu'il  vous  a  envoyez.  Il  m'a  corn-  du  SjiUge  e-  \ 

mandé  de  nouveau  de  vous  aflurer  que  ce  qui  eft  contenu  /'"^-  ^/-  ^^;  \ 

dans  ces  Mémoires  ,  eft  la  vérité  pure.  Sa   Majefté  compte  llj\     ^  *  ^*  | 

vous  faire  tenir  le  refte  au  premier  jour.  A  Londres  le  11  de            "  \ 

Juillet  i5ii.  (  Vieux  ftyle.  )  \ 


Lettre  à'ifaac  Cafaubon  y  à  Jac.  Aug.  de  Thotî. 

O  N  s  I  E  u  R.  Je  ne  faifois  que  d'achever  la  lettre  ci-  L^j^rf^u?  le 
^  ^  inclufe ,  quand  on  vint  m'avertit  que  le  Roi  vous  en-  Manufcrit, 
voyoit  la  féconde  partie  de  l'Hiftoire ,  à  laquelle  on  a  tra- 
vaillé depuis  peu.  Je  n'ai  pu  la  hre  ;  mais  je  fliis  bien  fur  que 
îe  Roi ,  qui  eft  aufTi  habile  que  perfonne  dans  cette  matière^ 
a  tout  lu,  tout  examiné,  &  corrigé  tout.  Ainfi  s'il  peut  y 
avoir  quelque  certitude  dans  les  chofes  humaines,  vous  ave^ 
un  guide  que  vous  pouvez  fuivrc ,  fans  craindre  de* vous  éga- 
rer. Le  Roi  fouhaite  que  vous  revoyez  votre  Hiftoire  ,  &: 

li  iij 


25-4       PIECES    CONCERNANT  L'HISTOIRE 

que  vous  y  réformiez  ce  qui  a  befoin  d'être  changé.  Au  refte 
S.  M.  qui  aime  la  vérité  par-defllis  tout ,  ne  demande  point 
que  vous  l'altériez  le  moins  du  monde ,  en  fa  confidération. 
Mais  auffi  a-t'elle  droit  d'exiger  que  vous  vous  en  rapportiez 
plutôt  à  elle  qu'à  desfujets  rebelles,  en  ce  qui  concerne  les 
troubles  de  fes  Etats.  Vous  obligerez  beaucoup  Sa  Majefté 
de  l'informer  par  mon  canal  de  ce  que  vous  aurez  defîein 
de  faire.  Confervez-vous  en  bonne  fanté  avec  Madame  la 
Prefidente  ,  &  Meflieurs  vos  enfans  j  &  honorez-moi  toujours 
de  votre  amitié. 

A  Londres  le  3  i  Votre  très  humble  ferviteur , 

Décembre  i^ii.  Is.  Casaubon. 

Lettre  du  même  au  même. 

Traduite  du  "T  TOus  avez ,  Monfieur,  le  fécond  tome  des  Mémoires 


du'^s"//f"T      V     du  Chevalier  Cotton.  Le  Roi  compte  que  vous  y  trou- 


_ , V 

fift.  ^if^  ca-  verez  de  bonnes  chofes  pour  votre  Hiftoire.  Il  m'a  chargé 
(aub.  Kot.^.  (Je  vous  prier  de  fa  part,  de  vous  fier  abfolument  à  ces  Mé- 
moires ,  qu'il  a  lus ,  examinés ,  &  jugés  dignes  de  foi.  Vous 
aurez  donc  la  bonté  d'en  tirer,  fuivantla  jufte  demande  de 
Sa  Majefté,  tout  ce  qui  pourra  contribuer  à  la  fidélité  & 
à  l'augmentation  de  votre  Hiftoire.  A  Londres  le  premier 
jour  de  l'année  \6\2.  (  Vieux  ftyle.  ) 

Leme  d'Jfaac  Cafaubon  ^  à  Jac.  Aug.  de  Thou. 
.     T\   /MONSIEUR.  Lorfque  je  penfe,  comme  je  fais  fouvent,  à 

Iradiute  du|%/i  il^  -c 

latin, &  tirée  X  ▼  X^^*"^^^^  ^^^  Dontcs  que  VOUS  avcz  cues ,  &  que  vous  avez 
du  Syiiogc  E-  encore  tous  les  jours  pour  moi ,  je  reconnois  mon  infuffifan- 
fauL  Rot^T  ^^^  ^  je  fens  bien  que  je  ne  puis  vous  exprimer,  félon  mes 
4ÎÎ.  defirs,  toute  la  reconnoiflance  de  tant  de  bienfaits.  N'eft-ce 

pas  vous  qui  m'avez  fait  connoître  dans  le  monde  ?  Chaque  jour 
eft  marqué  par  de  nouvelles  obligations.  J'étois  inconnu  à  Ge- 
nève, ville  peu  propre  àfe  faire  un  nom.  Vous  avez  le  premier 
penfé  à  me  èiire  venir  en  France ,  afin  que  ma  réputation  qui  ne 
commençoit,  pour  ainfi  dire ,  qu'à  éclorre ,  pût  s'accroître  fous 
im  ciel  plus  favorable.  Vous  n'eûtes  pas  plutôt  communique 


DE  J.  A.  DETHOU.  2^^ 

votre  deffein  à  Philippe  Canaye ,  à  qui  j'ay  de  grandes  obli- 
gations ,   qu'il  n'oublia  rien  pour  me  faire  venir  en  France. 
J'étois  content  de  mon  fort ,  en  me  voyant  établi  dans  un 
aflez  bel  endroit  de  ma  patrie  5  mais  vous  ne  vous  en  êtes 
pas  tenu  là.    Vous  m'avez  encore  voulu  faire  briller  fur  le 
plus  beau  théâtre  du  monde.    Que  dirai-je  de  plus  ?  Vous 
n'avez  pas  difcontinué  vos  bons  offices ,  que  vous  ne  m'ayez 
fait  palier  de  Montpellier  à  Paris ,  par  le  moyen  de  Monfieur 
de  Vie.  Vous  avez  fait  pour  moi  ce  qui  ne  me  feroit  jamais 
tombé  dans  la  penfée.  Vous  m'avez  mis  dans  les  bonnes  grâ- 
ces d'un  grand  Roi.  Je  fuis  donc  venu  fous  les  aufpices  de 
Sa  Majefté ,  &  je  me  fuis  mis  avec  ma  famille  fous  votre  pro- 
teftion.  Depuis  ce  tems-là  votre  bourfe  m'a  toujours  été  ou- 
verte. Vous  m'avez  obligé ,  &  j'ai  toujours  reflenti  les  effets 
de  votre  bonté  pour  moi.  Cette  generofité  eft  digne  d'un 
homme  tel  que  vous.  Mais  que  vous  paroifTiez  prendre  mes 
intérêts  avec  plus  de  chaleur  en  mon  abfence ,  que  lorfque 
j'avois  le  bonheur  de  vivre  dans  le  même  lieu  que  vous, 
cela  efl  encore  plus  grand.  Je  ne  vous  rappellerai  point  ici 
les  bontés  que  vous  avez  eues  prefque  tous  les  jours  pour 
ma  famille,  &  pour  moi,  après  mon  départ.  Mais  puis-je  fans 
rougir,  penfer  au  bon  office  que  vous  m'avez  rendu,  en  fai- 
faut  relTouvenir  de  moi  MoiiTieur  le  Chancelier ,  &  en  mé- 
nageant mes  intérêts  ?  Efl-il  poffible  qu'un  homme  de  votre 
rang  &  de   votre  dignité  veuille  bien  s'embarafler  de  mes 
affaires  j  &  ne  dédaigne  pas  de  prendre  foin  de  ma  fortune? 
Mon  devoir  m'obligeoit  à  écrire  à  Monfieur  le  Chancelier, 
ôc  à  le  prier  de  fe  fouvenir  de  moi.    Je  n'ai  fait  ni  l'un  ni 
l'autre  5  je  n'en  ai  pas  même  eu  la  penfée ,  ce  qui  eft  une 
extrême  groffiereté  de  ma  part.   Mais  Monfieur  vous  avez 
bien  voulu  fuppléer  à  ce  que  j'ai  manqué  de  faire.  Vous 
avez  foUicité  pour  moi  une  penfion ,  que  vous  ne  deman- 
deriez pas  pour  vous-même.  Je  jouirai  donc  cette  année  des 
libéralités  du  Roi ,  qui  répareront  le  malheur  de  mes  affai- 
res.  A  Londres  le  premier  de  Mars  1 5i 2.  (  nouveau  fty le.) 


■Q.{6  PîEŒS   CONCERNANT  L'HISTOIRE 

Lettre  d'Ifaac  Cafatibon  j  à  JacqueS'Augufte  de  Thou. 
Tradfite  du    Tk  yf  Q  N  S  I  E  u  R.  Le  Roi  m'ordonna  ces  jours  paffez  de  le 

latin    fur    le      i\/l  r  •       r  •  ^       ^  i    • 

^lanufcrît.  '^'^-*' venir  trouver  ,  pour  me  taire  Içavoir  ce  qu  on  lui 
avoir  mandé  de  Paris.  L'Anglois  (i) ,  qui  depuis  peu  vous  a 
remis  les  dix  livres  des  mémoires  du  Chevalier  Cotton ,  a  écrit 
aufll-tôt  une  lettre  à  ce  Chevalier  ^  où  il  lui  mande  ce  qui 
fuit.  Que  vous  n'avez  réfoîu  de  donner  une  nouvelle  édition 
corrigée  de  votre  Hiftoire ,  que  dans  je  ne  fçai  combien  d'an- 
nées ,  parce  qu'il  y  avoit  encore  un  grand  nombre  d'exem- 
plaires des  premières  éditions  dans  le  magafin  de  votre  Li- 
braire :  Que  d'ailleurs  vous  trouviez  dans  les  mémoires  j  que 
le  Roi  vous  avoit  envoyez ,  bien  des  chofes  qui  vous  paroif- 
Ibient  fufpedes  :  Qu'il  y  avoit  un  Ecoflbis ,  nommé  Colvil,  qui 
les  revoquoit  en  doute  pour  la  plupart ,  &  que  vous  aviez 
beaucoup  de  foi  en  cet  EcofTois  :  Que  fi  le  Roi  vouloit  abfo- 
lument  que  vous  reformafîlez  ce  que  vous  aviez  écrit ,  &  que 
vous  fuivilTiez  les  Mémoires  du  Chevalier  Cotton,  vous  de- 
mandiez que  fa  Majefté  vous  l'ordonnât  expreflcment  par  un 
écrit  figné  de  fa  main.  Cet  Anglois  ajoùtoit ,  que  l'on  ne  pou- 
voit  vous  perfuader  que  le  Comte  de  Murray ,  dont  il  eft  fi 
fort  parlé  dans  les  affaires  d'Ecofle ,  ne  fut  pas  un  homme  fage 
&  vertueux ,  &  un  fujet  fidèle ,  tel  que  vous  l'avez  dépeint. 

Le  Roi,  après  m'avoir  fait  part  de  ces  chofes  qu'on  lui  avoit 
mandées  ,  ajouta  qu'il  étoit  bien  furpris  que  vous  eulliez 
ainfi  changé  de  fentiment  :  Qu  il  avoit  fait  compofer  les  Mé- 
moires qui  vous  avoient  été  envoyez ,  parce  que  vous  aviez 
paru  le  fouhaiter ,  &  difpofé  à  corriger  les  fautes  que  vous 
aviez  faites  >  lorfqu'on  vous  auroit  inftruit  de  la  vérité  des 
faits.  Sa  Majefté  me  dit  alors  de  me  fouvenir  que  je  l'avois 
îtlTuré,  foit  en  mon  nomj,  foit  de  votre  part,  que  telles  étoient 
vos  difpofitions.  Elle  eft  fur-tout  étonnée  que  vous  donniez 
plus  de  créance  à  un  petit  nombre  de  fujets  rebelles,  à  des 
traîtres  profcrits  &  expatriez  3  que  vous  n'avez  d'égard  à  fon 
témoignage  &  à  celui  de  tout  le  Royaume  d'Ecoffe.  Je  ne 
veux ,  pourfuivit-elle ,  qu'on  donne  pour  vrai,  que  ce  qui  eft 

(i)Lefîeur  Jean  Pory.  On  verra  dans  la  fuite  coa^ment  il  fejuûihc  dans  uneicttrc 
écrite  au  Chevalier  Cotton. 

tenu 


DE  J.  A.  DE  THOU.  2^7 

tenu  pour  certain  cft  inconteilable  par  tous  les  Ecoiïbls ,  gens 
de  bien  &  fidèles  fujets.  Le  Roi  ajouta  qu'il  n'avoit  pas  d'a- 
bord condamné  le  Livre  de  Buchanan  &  autres  pareils  ou- 
vrages h  mais  que  dans  fa  jeuneiTe  ,  lorfqu'il  avoir  environ  qua- 
torze ou  quinze  ans  ,  le  livre  avoit  été  condamné,  comme  at- 
tentatoire à  la  Majefté  Royale  j  par  un  ade  du  Parlement 
d'EcofTe.  Qu'auffi ,  ni  FHiftoire  de  Buchanan ,  ni  les  autres 
Livres  de  cette  efpece    n'avoient  point   été   imprimez    en 
Ecoiîe.  A  Fégard  de  la  foi  que  vous  aviez  au  témoignage 
de  Colville  &  d'autres  gens  de  cette  efpece  ,  ennemis  décla- 
rez de  la  Reine  fa  mère,  fa  Majefté  me  dit  qu'elle  en  étoit 
indignée ,  &  qu'elle  regardoit  comme  une  injure  atroce  faite 
à  lui-même^  qu'un  homme  de  votre  caradere,  qui  faifoit 
profeifion  d'aimer  la  vérité ,  prît  un  parti  fi  peu  raifonnable. 
Le  jugement  que  le  Roi  porte  de  Murray  &  de  fon  carac- 
tère n'eft  point  fondé  fur  de  vains  bruits  populaires,  ou  fur  de 
frivoles  conjedures,  mais  fur  des  faits  dont  il  connoît  mieux 
la  vérité  que  qui  que  ce  foit.  Il  me  dit  qu'il  avoit  examiné  tous 
les  ades  publics  avec  tout  le  foin  polTible ,  &  qu'il  n'avoit 
rien  négligé  pour  découvrir  la  vérité.  Enfin  fa  Majefté  m'or- 
donna  de  vous  mander  ce  qu'elle  me  faifoit  l'honneur  de  me 
'dire,  &  de  vous  déclarer  que  fi  vous  étiez  réfolude  ne  point 
tenir  la  parole  que  vous  lui  aviez  donnée ,  &  de  lui  refufer  ce 
qu'il  exigeoit  de  vous  avec  tant  de  juftice,  il  feroit  publier 
lui-même  l'hiftoire  véritable  de  ce  qui  s'étoit  pafle  en  ce  tems- 
là  en  Ecofle  5  &  qu'en  vengeant  l'honneur  de  fa  mère ,  il  vous 
demanderoit  publiquement  raifon  de  l'aftront  que  vous  lui 
aviez  fait  à  lui-même  :  Qu'il  ne  prendroit  néanmoins  ce  parti 
qu'à  l'extrémité  &  malgré  lui ,  ayant  de  l'amitié  pour  vous ,  & 
eftimant  beaucoup  vos  vertus.  En  effet,  plufieurs  perfonnes 
l'on  entendu  fouvent  faire  votre  éloge. 

Pour  moi ,  je  n'ai  pas  manqué  de  protefter  à  fa  Majefté  que 
cet  Anglois,  dont  il  tenoitla  lettre  en  me  parlant,  m'étoit 
fufped,  &  que  je  ne  pouvois  ajouter  foi  à  ce  qu'il  difoit  : 
Que  j'aimois  mieux  m'en  tenir  à  ce  que  m'avoit  aflliré  un 
homme  de  votre  caradere,  dont  jeconnoiftbis  la  probité  & 
la  fagefle  :  Que  cet  Anglois  pouvoit  n'avoir  pas  compris  votre 
penfée ,  ou  qu'il  avoit  mal  interprété  vos  paroles  :  Que  peut- 
ctxe  il  lui  en  étoit  échappé  mal-à-propos  quelqu'une ,  qui  avoit 
Tome  XV.  Kk 


2^8  PIECES  CONCERNANT  L'HISTOIRE 

été  caufe  que  vous  l'aviez  un  peu  mal  reçu  5  qu'il  fe  pouvoir 
faire  que  cette  traralTerie  vînt  de  là. 

Enfin  je  fuppliai  fa  Majefté  de  vouloir  bien ,  avant  de  chan- 
ger à  votre  égard,  vous  permettre,  après  que  vous  auriez  re- 
çu la  lettre  que  j'allois  vous  écrire  à  ce  fujet,  d'expofer  la 
vérité  de  ce  qui  s'étoit  paflc  entre  vous  &  l' Ang'ois ,  &  le  dé- 
tail de  ce  que  vous  lui  aviez  dit  :  Que  j'étoisfûr,  &  que  je  pou- 
vois  en  afllirerfa  Majefté ,  que  vous  lui  donneriez  une  pleine 
&  entière  fatisfadion.  Qu'à  l'égard  des  exemplaires  des  autres 
éditions  qui  reftoient  chez  votre  Libraire,  &qui  retardoient 
la  nouvelle  édition,  c'étoit  un  léger  obftacle,  parce  qu'en 
publiant  votre  ouvrage ,  vous  ne  fongiez  ni  à  femer  ,  ni  à  re- 
cueillir: Que  c'étoit  l'affaire  du  Libraire  &  non  la  vôtre,  & 
que  le  gain  ou  la  perte  ne  conccinoit  que  lui  fcul  :  Qu'au 
refte ,  on  ne  le  pouvoir  contraindre  avec  jullice  de  fe  faire 
tort  à  lui-même.  Le  Roi  goûta  ma  réponfe  &  parut  fatisfait 
de  ces  raifons.  Sa  Majeft-é  attend  avec  impatience  ce  que 
vous  répondrez.  Comme  je  fuis  perfuadé  que  vous  ne  répon- 
drez rien  que  de  raifonnable  ,  je  ne  doute  point  auiïi  que 
ce  Prince ,  qui  eft  très-équitable ,  ne  foit  content  de  ce  que 
vous  écrirez.  Je  vous  prie  de  ne  pas  tarder  à  le  faire ,  dès  que 
vous  en  aurez  le  loifir ,  &  de  mander  inceflamment  dans  quel- 
les difpofitions  vous  êtes.  Adieu,  Monfieur,  je  fuis,  6cc.  A 
Londres  le  27  Février  1612. 

Lettre  de  Jacques-Âugujîe  de  Thou  à  Ifaac  Cafaubon,. 

Imprimée  fur  TV/f  ^NSiEUR.  J'ay  reccu  Celle  que  m'avez  efcrit  du 
le  Manufcrir.^  J  V^l  xxviT.  du  palle.  L'Anglois  mentionné  en  la  voftre 
n'a  pas  fait  entendre  de  bonne  foy  ,  foit  faute  d'intelligence  , 
ou  autrement,  au  Seigneur  Cotton  ce  que  je  luy  ay  dit.  Car 
s'il  l'euft  fait,  le  féréniflime  Roy  de  la  Grande  Bretagne 
n'eufl  eu  fubjed  de  vous  dire  ce  qu'il  vous  a  chargé  de  m'ef- 
crire.  Car  cet  Anglois  m'eftant  venu  trouver ,  aprcz  plufieurs 
propos  que  nous  eufmes  enfemble  fort  familièrement  ,  la 
concluflon  fut ,  car  je  ne  me  fou  viens  bonnement  dufurplus, 
que  pour  le  defir  extrefme  que  j'avois  de  faire  que  fa  Majetté 
fuft  contente  de  moy ,  je  le  priois  de  faire  entendre  au  Sei- 
gneur Cotton  ,  que  l'on  ni'euft  fait  un  fmgulier  plailir  de  me 


DE  J.  A.  DE  THOU.  2^^ 

■pfefcnre  nommément  ce  que  l'on  vouloir  eftre  ofté ,  changé 
&  adjoufté  fur  ce  fubjed  en  mon  Hiftoire  :  non  que  j'aye  de- 
firé  ou  exige  ,  comme  vous  m'efcrivez  qu'il  a  fait  entendre , 
que  de  cela  me  fuft  efcrit  ny  commandé  par  fa  Majefté ,  à 
quoy  je  n'ay  jamais  penfé  ;  ains  feulement  j'ay  defîré  parmi 
les  occupations  que  j'ay ,  qui  ne  me  permettent  de  vaquer 
maintenant  à  celle  eftude  comme  autrefois ,  que  je  fulfe  en 
cela  foulage  &  inftruit  de  façon  ,  que  je  ne  peufle  tomber  de- 
rechef en  l'inconvénient  où  je  me  vois  maintenant  précipité 
contre  ma  volonté.  Car  vous  m'eftes  tefmoin ,  comme  j'ay 
tousjours  dès  le  commencement  craint ,  qu'en  ce  pafTage  je 
ne  peutTe  fatisfaire  à  mon  defir  au  contentement  de  fa  Ma- 
jefté  5  &  n'y  a  chofe  qui  m'ait  tant  travaillé  i'efprit  en  toute 
mon  Hiftoire ,  que  ce  feul  poind. 

Quant  à  ce  que  vous  m'efcrivez  touchant  FEdition  future  J 
cela  a  efté  aulîy  peu  fidellement  rapporté  que  le  refte.  Car 
comme  il  me  demandai!  je faifois réimprimer  mon  Hiftoire, 
je  luy  refpondis  que  le  Libraire  à  qui  j'avois  baillé  le  privilè- 
ge, à  mon  jugement  ne  fe  laifteroit  perfuader  de  la  réimpri- 
mer li-toft,  &  qu'il  y  auroit  affez  de  loifir  entre  cy  &  là  de 
faire  la  corredion  &  mutation  que  l'on  defiroit.  Quant  à  ce 
que  je  luy  dis  de  Colville,  ce  n'eftoit  en  intention  qu'il  le 
fift  entendre  par  delàj  &  ne  fuft  autre  chofe,  que  defireux 
de  fçavoir  d'un  homme  j  qui  ne  devoir  vrayfemblablement 
favorifer  la  mémoire  du  Comte  de  Murrei ,  à  caufe  de  la 
haine  de  la  Religion ,  s'il  étoit  foubçonné  en  Ecofle  d'avoir 
participé  au  parricide,  jelepriay  de  me  dire  ce  qu'il  en fça- 
voit,  &  je  crois  quedeflorsje  vous  le  dis.  Cela  ne  méritoit 
<d'eftre  r efcrit  à  fa  Majefté.  Enfin ,  je  fuis  en  la  mefme  volonté 
que  j'ay  tousjours  efté,  de  faire  tout  ce  que  je  pourray  pour 
îe  contentement  de  fa  Majefté,  &  pour  le  mieux  faire  ,  j'ay 
defiré,  non  feulement  d'eftre  fourni  de  Mémoires  par  ledit 
Seigneur  Cotton ,  mais  aufly ,  afin  de  n'y  retourner  à  deux 
fois,  que  l'on  me  prefcrivît  particuUere ment  &  fort  diftinde- 
ment  comme  l'on  vouloit  que  le  tout  fuft  efcrit.  Car  il  y  a 
grand  intereft  ,  comme  vous  fçavez,  en  quels  termes,  en 
quel  ordre,  &  avec  quel  jugement  on  efcrit.  Il  m'eft  befoin 
-en  cela  d'eftre  conduid  &  aidé.  C'eft  ce  que  j'ay  dit  &  redit 
à  l' Anglois ,  lequel  ne  l'a  ou  bien  entendu  ou  fidellement 
rapporté.  K  k  ij 


Imprimée  fur 
le  Manufcrit. 


260  PIECES  CONCERNANT  L'HISTOIRE" 

Cela  me  fait  vous  prier  de  remonftrer  au  féréniiTmie  Roy 
de  la  Grande  Bretagne  ,  que  quaud  fa  Majefté  me  voudra  faire 
entendre  quelque  chofe  de  fa  part ,  ou  qu'elle  voudra  fçavoir 
quelque  chofe  de  moy  ,  qu'elle  fe  ferve  de  vous ,  &  adjoufte 
pluftoft  foy  à  ce  qui  luy  fera  dit  par  vous ,  qu'à  tout  autre  rap- 
port qui  luy  pourra  eftre  faid.  Voilà  ce  que  je  vous  peus  ref- 
pondre  fur  ce  fubjed ,  bien  fafché  que  ma  bonne  volonté  aift 
efté  fi  mal  interprétée  &  reçue  par  fa  Majefté,  que  fur  tous  les 
Princes  de  Chrétienté  j'honore  &  affedionne  comme  je  dois^ 
hiy  ayant  voué  tout  le  fervice  qu'il  peut  attendre  d'un  hom= 
me  de  bien.  En  cet  endroit  je  fupplieray  trés-humblement 
noftre  Seigneur ,  Monfieur ,  vous  donner  en  fanté  fa  grâce. 

De  Paris  en  hafte       Voftre  bien  humble  &  très  afFedionné 
ce  15  Mars  1612..  ferviteur.  De  Thou. 

Lettre  de  Jacques-Augujîe  de  Thou  à  Ifaac  Cafaubon. 

O  N  s  I  E  u  R.  Je  vous  fais  ce  mot  en  hafte.  Vous  pour- 
rez faire  voir  la  Lettre  que  je  vous  efcris;  elle  fervirat 
pour  vous  defgager  de  voftre  parole.  Je  n'ay  jamais  penfé  ny 
dit  ce  que  l'on  a  fait  entendre  :  finon  en  la  façon  portée  par 
icelle.  Cela  me  rendra  plus  caut  de  ne  m'ouvrir  dores-en- 
avant  fi  franchement ,  principalement  à  perfonnes  inconnues. 
S'il  avoir  envie  d'efcrire  ce  qu'il  croit  que  je  luy  ay  dit ,  il  me 
devoir  monftrer  (a  lettre  devant  que  l'envoyer ,  afin  que  je 
vifle  s'il  avoit  bien  pris  mon  fens  :  mais  il  l'a  rapporté  comme 
s'il  euft  eu  intention  me  venant  voir ,  de  capter  mes  paroles 
pour  me  calomnier.  Mais  que  peut  attendre  autre  chofe  un 
François  d'un  Anglois  ?  J'efcris  à  vous.  Penfez-y  bien  avant 
que  de  vous  engager  davantage.  Toutes  chofes  font  encore 
entières  pour  vous  par  deçà  :  J'y  penfe  &  veille  tant  que  je 
puis.  Vous  m'en  remerciez  trop ,  je  ne  me  peus  en  cela  con- 
tenter. Auftl  tout  ce  que  j'y  fens  ne  peut  arriver  ni  efgaler  à 
voftre  mérite.  Aimez-moy ,  6c  me  confervez  toujours  en  vos 
bonnes  grâces. 

J'ay  receu  avec  la  voftre  une  Lettre  de  M.  de  Gourdon.  Je 
n'ay  eu  loifir  de  luy  refpondre  :  je  vous  fupplie  de  me  teniï 
excufé  envers  luy.  Je  feray  voir  le  lieu  du  Concile  de  Florence 


Traduite  fur 


DE    J.    A.    DE    THOU.  261 

qu^il  defire  ,  &  à  la  premierre  occafion  donneray  ordre  qu'il 
foit  en  cela  fatisfair. 

Votre  travail  fur  les  Annales  eft  fort  attendu  ,  &  fera  très 
bien  receu.  Mais  je  ne  fçay  fi  vous  le  pourrez  fi  toft  avancer , 
comme  votre  nepveu  m'a  dit  que  vous  efperez.  L'œuvre 
Groiftra  en  le  ramaflant  de  vos  Mémoires.  De  peregrinatiGne 
Elienft  cum  erh  otium.  Ne  vous  pourroit-il  point  prendre  envie 
pour  prémices  de  ce  grand  œuvre,  d'achever  ce  que  vous- 
aviez  commencé  pour  la  caufe  des  Vénitiens  ?  Vous  y  pen- 
ferez. 

Comme  je  penfois  vous  efcrire  plus  au  long ,  l'on  m'eft  ve- 
nu avertir  que  le  paquet  fe  fermoir ,  dans  lequel  la  prefente 
fe  trouvera  enclofe.  Noftre  Seigneur  foit  avec  vous.  De  Pa- 
ris ce  16  Mars  1612, 

Lettre  de  Jean  Pory  au  Chevalier  Cotton.  (i) 

O  N  s  I E  u  R.  Il  me  feroit  également  mal-féant  &  inuti- 
_   le  de  faire  des  reproches  à  une  perfonne  de  votre  mé- 
rite ,  au  fujet  d'une  affaire  qui  eft  préfentement  fans  remède  :  rorîgin'af 
cependant  j'ai  ejrande  raifon  de  déplorer  mon  fort,  en  ce  que  Anglois ,  qui 

,     S^  '       P    ..  .  ^    .   ,     .  J  '  eft  dans  la  Bi- 

les Lettres  particulières  que  je  vous  ai  écrites  ont  donne  occa-  biiotheque' 

fion  à  un  Prince  auifi  grand  &  auffi  gracieux  que  notre  haut  Cottonienc. 
&  puiflant  Souverain ,  de  s'irriter  contre  ce  Monfieur  à  qui  j'é- 
tois  chargé  de  remettre  une  partie  de  l'Hiftoire  de  la  Reine 
Elifabeth.  Et  ce  qui  m'afflige  le  plus ,  c'eft  d'avoir  été  furpris- 
par  les  plaintes  de  M.  de  Thou,  qui  m'ont  été  faites  par  la 
bouche  de  Mylord  Ambaffadeurj  avant  que  d'avoir  fçû  de 
vous,  foit  par  Lettres  ou  autrement,  fi  vous  aviez  commu- 
niqué quelque  chofe  du  contenu  de  mes  Lettres  à  fa  Majefté  ^ 
ou  non ,  &  comment  cela  avoit  été  reçu* 

On  blâme  dans  ces  Lettres  deux  chofes ,  qu'on  croit  avoir 
donné  lieu  à  l'indignation  de  fa  Majefté.  La  première  j  c'eft. 
que  j'ai  dit  purement  &  fimplement ,  que  M.  de  Thou  n'étoit 
pas  porté  à  faire  réimprimer  fon  Hiftoire  d'un  an  ,  &  que  ,  par- 
confequent ,  il  n'infereroit  point  jufqu'à  ce  temps-là  celle  de 
fa  Majefté.  La  caufe  de  ce  délai ,  (  qui  juftifiera  en  quelque- 
manière  M.  de  Thou)  je  la  marquai,  fi  ma  mémoire  ne  me 
txompe  pas ,  dans  une  de  mes  Lettres ,  difant  qu'elle  venoit 

(ij  On  a  employé  la  tradufSion  de  l'Edueur  Anglois  de  l'Hiltoire  -^e  M.  de  Thou.- 

Kkiij 


X  \ 
I 


2^2        PIECES  CONCEB.NANT  L'HISTOIRE 

de  la  répugnance  qu'avoit  l'Imprimeur  à  faire  une  nouvelle 
cdition  ,  avant  qu'il  fe  fut  défait  de  celle  dont  il  étoit  encore 
chargé.  La  féconde  chofe  dont  on  me  blâme,  c'eft  d'avoir 
allure  que  M.  de  Thou  ne  vouloir  inférer  que  les  paiTages  que 
fa  Majefté  lui  ordonneroit  précifément  d'inférer.  Pour  me  dif-* 
culper ,  il  faut  que  je  vous  dife  que  ce  Monfieur ,  autant  que 
j'ai  pu  le  comprendre ,  ne  jugeant  pas  à  propos  d'inférer  le 
corps  entier  de  cette  Hiftoire  d'Angleterre  dans  la  fienne, 
fouhaitoit  que  fa  Majefté  lui  fiftfçavoir  quelles  claufes  ou  paC 
fages  elle  vouloir  particulièrement  qu'il  inférât  ro?/Wf m  x'fr^/y^ 
&  qu'il  fe  conformeroit  abfolument  au  bon  plaiHr  de  fa  Ma- 
jefté. 

Voilà  ce  que  j'avois  à  dire  fur  la  double  cenfure  qu'on  faic 
de  mes  Lettres.  Pour  ce  qui  eft  du  corps  &  de  la  fubftance 
de  ces  Lettres  ,  je  protefte  ,  comme  je  fuis  Chrétien,  qu'au- 
tant que  mon  foible  jugement  &  ma  fragile  mémoire  a  pu 
me  conduire ,  j'y  ai  dit  très  fîncerement  la  vérité.  J'avoue 
<iue  je  ne  refîemble  pas  tellement  aux  Prophètes  &  aux  Apô- 
tres infpirez  d'enhaut ,  que  je  if  aye  pu  mal  comprendre  ou  in- 
conlidérement  mal  rapporter  quelque  expreflion  dont  il  s' eft: 
fervij  ou  quelque  circonftance  qu'il  a  marquée,  (car  nous 
parlions  une  Langue  dans  laquelle  il  écrit  d'une  manière  qui 
lui  a  aquis  un  aplaudiflement  univerfel ,  mais  qu'il  ne  parle  pas 
avec  tant  de  clarté  &  de  promptitude  j)  cependant  je  ne  fau* 
rois  m'empêcher  d'être  furpris  qu'en  rendant  compte  d'une 
affaire  pour  laquelle  j'avois  tant  d'égards ,  j'aye  tellement  dé- 
généré de  f  opinion  qu'on  a  eu  de  moi ,  que  de  n'avoir  pas  été 
capable  de  rapporter  fidellement  une  chofe  qui  m'a  été  fi 
fouvcnt  répétée.  Et  fi  le  zèle  &  l'affedion  loyale  que  je  dois 
avoir  pour  le  fuccès  des  très-juftes  &  nobles  defirs  de  fa  Ma- 
jefté, adûm'obhger  ou  non  de  faire  favoir,  aufll  bien  que 
j'ai  pu ,  la  certitude  de  ce  qui  pouvoit  les  avancer  ou  les  re- 
tarder, c'eft  ce  que  je  laiile  au  jugement  de  tout  honnête 
iiomme. 

Cependant  il  me  fieroit  fort  mal  de  contefter  avec  une 
perfonne  de  la  quaUté  &  de  la  fagefte  du  Prefident  de  Thou. 
S'il  dit  que  je  me  fuis  trompé ,  il  doit  être ,  fans  doute  ,  le  meil- 
leur interprète  de  fa  penféej  &  il  conviendra  en  toute  humi- 
lité de  lui  demander  pardon.  Ce  defaftre  me  caufe  d'autant 


DE    J.    A.   DE    T  H  O  U;  26^- 

plus  de  douleur,  que  j'étois  fort  éloigné  de  croire  que  vous 
vouluHiez  informer  fa  Majefté  d'aucun  rapport  défobligeant, 
qui  pouvoir  fe  trouver  dans  aucune  de  mes  Lettres  particu- 
lières; mais  plutôt,  comme  je  vous  en  avois  prié  inftamment, 
que  vous  vous  fonderiez  fur  ce  que  M.  de  Thou  écriroit  à 
M.  Cafaubon.  Eh  bienîpuifque  le  pafle  nefe  peut  rappeller, 
fouffrez  que  je  vous  demande  une  grâce,  laquelle  aprez  tou- 
tes les  peines  que  j'ay  prifes,je  crois  avoir  droit  de  deman- 
der 5  c'eft  d'avoir  la  bonté  de  m'écrire  ce  que  vous  penfez 
de  cette  affaire ,  &  par  là  vous  m'encouragerez  à  continuer 
de  vous  rendre  tous  les  bons  offices  dont  je  fuis  capable,  (5c 
à  toujours  être  Votre,  &c. 

Lettre  d'IJaac  Cafaubon  ^  à  Jacques-Augujle  de  Thotf. 

J'AI  reçuj  Monfieur  ,  deux  de  vos  lettres  à  la  fois.  Le  ^l\^^^^^:^''^ 
Roi  en  a  lu  une,  &  me  l'a  fait  rendre.  Depuis  j'ai  eu  fou-  du  SyiUgê  e- 
vent  l'honneur  de  voir  fa  Majefté,  &  de  m'entretenir  long-  ^^-  ^f-  ^^' 
tems  avec  elle.  Ce  bon  Prince  s'étoit  Ci  fort  échauffé  à  la  le-  "^^  '  ^'  '' 
dure  des  livres ,  que  Vorftius  vient  de  publier ,  que  la  con- 
verfation  n'a  roulé  que  fur  ce  fujet.    Le  Roi  a  jugé  à  propos 
de  faire  imprimer  la  lettre  écrite  au  Cardinal  du  Perron ,  après 
l'obligation,  où  ce  dernier  s'eft  trouvé  de  donner  la  fienne 
au  public.  Sa  Majefté  ayant  vu  un  libelle  infâme  de  Pelle- 
tier ,  m'a  chargé  de  traiter  ce  miferable ,   comme  il  le  mé- 
rite. Ainfi  j'ai  mis  une  Préface  à  la  tête  de  cette  lettre.  A. 
Londres  le  i^  d'Avril  1612.  (  nouveau  ftile.  ) 

Lettre  de  Jac.  Aug,  de  Thou ,  à  Jfaac  Cafaubon, 

MONSIEUR.  J'ay  receu  la  voftre  du  1 8  du  pafte ,  en-  j„^p^;„^.^  ^^ 
femble  ce  qui  y  eftoit  enclos.  Vous  avez  traité  ce  ma-  le  Manufcriï, 
raut  comme  il  meritoit,  bien  qu'il  fut  indigne  de  recevoir 
ces  coups  de  bafton  de  voftre  main.  C'eft  ce  que  je  lui  en- 
vie. Au  furplus,  il  a  ce  qui  luy  faut. 

J'attendois  fur  la  lettre  que  je  vous  ay  efcrite ,  quelque  ref- 
ponfe  de  S.  M.  qui  adoucît  les  rigoureufes  paroles  que  m'a- 
viez fait  entendre  de  fa  part.  Elledevoit  être  mieux  informée 
de  la  vérité ,  devant  que  s'aigrir  de  telle  façon  contre  un  hom- 


2^4  PIECES  CONCERNANT  L'HISTOIRE 

me  de  bien  &  plein  de  candeur ,  par  fon  tefmoignagc  meC 
me.  Le  fubjed  que  m'efcrivez  kiy  occupant  l'efprit ,  j'atten- 
dray  en  patience  fur  ce  fa  refponfe  :  cependant  je  vous  prie  que 
cela  n'empefche  que  je  n'aye  le  refte  des  Mémoires  que  pour- 
fuit  Monfieur  Cotton.  Je  me  fuis  grandement  aidé  de  ce  qu'il 
m'a  ja  envoyé ,  &  defire  fort  avoir  le  furplus.  Je  luy  baife 
les  mains  de  toute  affedion. 

M.  Juftel  vous  monftrera  quelques  mauvais  Vers  que  j'ay 
fait.  Si  qui  s  tamen  hcec  quoque ,  fi  qui  s  captus  mnore  leget.  Je 
les  fais  pour  me  divertir,  car  je  vois  bien  fouvent des cho- 
fes  que  je  ne  voudrois  voir.  J'attendois  aulTi  refponfe  de  vous 
fur  ce  que  je  vous  avois  efcrit  par  le  commandement  de  M, 
le  Chancelier.  Je  vous  prie  d'y  penfer ,  &  me  faire  refponfe 
telle  que  je  luy  puifle  montrer,  car  il  m'en  prefle  tous  les 
jours. 

Ce  qui  s'eft  paûe  pour  le  regard  duD.  Riez,  defplaiticy 
à  beaucoup  de  gens  de  bien,  comme  à  vous.  Il  y  a  des  con- 
fiderations  du  temps ,  qui  nous  font  fouvent  écarter  du  grand 
chemin.  Quanta  moy,  je  vivray  tousjours  à  l'ancienne  Gau- 
loife ,  &  garderay  la  liberté  que  j'ay  apprife  de  mon  père  , 
nonobftant  toutes  les  calomnies  &  charitez  de  Cour ,  contre 
lefquelles  je  me  fuis  endurci,  me  confolant,  &  contentant 
en  ma  confcience.  Au  refte,  je  fuis  très  aife  de  ce  que  m'ef- 
crivez, que  vous  eftes  tel  en  Angleterre  que  vous  eftiez  en 
France^  &  que  vous  gardiez  la  mefme  modération  en  vos 
dits  &  efcrits  que  par  le  pafle,  bien  que  Pon  craigne  icy, 
&  non  fans  fubjed ,  qu'à  la  longue ,  6c  infenfiblement  vous 
engagiez  contre  voftre  vœu  à  la  volonté  d'autruyjfur  quoy 
je  vous  prie  de  confiderer  le  lieu  où  vous  eftes ,  &  les  chan- 
gemens  qui  peuvent  arriver ,  &  pour  ce  de  penfer  tousjours 
à  l'avenir ,  &  ne  vous  priver  par  vos  adions  prefentes ,  de  la 
retraite  &  feureté  future. 

Vous  me  ferez,  s'il  vous  plaîft,  refponfe  fur  ces  points > 
6c  cependant  je  fupplieray  de  tout  mon  cœur  noftre  Seigneur, 
Monfieur,  vous  donner  en  fanté  fa  grâce.  Ma  femme  vous 
baife ,  &  à  Mademoifelle  voftre  femme  ,  les  mains. 

De  Paris  ce  8  Voftre  bien  humble  6c  très  affedionné 

May  I  (5 1 2.  ferviteur ,  P  e  J  h  o  .u. 

Lettre 


DE  J.  A.  DE  THOU.  2^; 

Lettre  dlfaac  Cafaubon ,  à  lac.  Aug.  de  Thon. 

JE  vous   mandois    dans   ma  dernière   lettre   que  le  Roi,    traduite  du 
après  la  ledure  de  celle  où  vous  marquiez  que  vous  vou-  I  t;n,  &  tirée 
liez  le  fatisfaire  ,  avoir  été  fi  fort  frappé  d'un  certain  livre  nou-    ÎJ^  "^ cifAub. 
veau  de  VorftiuSj  qu'il  n'avoit  ceffé  de  m'en  parler  pendant  p.4^5- 
plufieurs  jours.  Enfin  il  m'a  ordonné  de  vous  alïurer  que  vo- 
tre lettre  lui  avoir  fait  tout  le  plaifir  pofTible ,  &  qu'il  étoit 
très-content  de  vous.  Il  eft  fâché  qu'on  lui  ait  donné  occafion 
de  foupçonner  votre  extrême  intégrité,  &  votre  zélé  poun 
fa  gloire.  Il  dit  qu'il  comprend  parfaitement  que  l'Anglois; 
qui  eft  la  caufe  de  ces  foupçons ,  a  écouté  vos  paroles ,  fans 
prendre  votre  penfée.  Sa  Majefté  vous  exhorte  à  continuer 
dans  ces  bonnes  intentions  à  fon  égard.  Ce  n'eft  pas  qu'elle 
croye  qu'il  foit  néceflaire  de  vous  en  prier  5  mais  elle  veut 
vous  montrer  par-là  que  rien  ne  lui  fait  plus  de  plaifir ,  que 
les  fentimens  ^ue  vous  avez  pour  elle.    Perfonne  if  a  mieux 
connu  vos  folides  vertus ,  par  la  ledure  de  votre  ouvrage , 
que  ce  grand  Prince.  Perfonne  aufti  ne  vous  eftime  davan^ 
tage.  A  Londres  le  11  de  Mai.  (  nouveau  ftile.  ) 

Lettre  de  Jac,  Aug.  de  Thott ,  à  IJaac  Cafaubon, 

O  N  s  I E  u  R.  J'ay  à  refpondre  à  deux  de  vos  Lettres  imprîmcc  fûf 
du  3  &  du  i;  de  ce  mois,  par  lefquelles  je  connois,  ^^  Manufcrk. 
&  avec  indicible  contentement,  que  le  Roi  de  la  Grande, 
Bretagne  a  efté  mieux  informé  par  vous  de  mon  intention 
droite  &  aftedion  très  humble  à  fon  fervicc ,  prenant  de  bon- 
ne part  mes  raifons,  qu'il  n'avoit  été  par  l'Anglois,  mauvais 
interprète  de  mes  paroles.    Dont  je  vous  remercie  de  toute 
affection ,  &  vous  fupplie  me  conferver  tousjours  en  fes  bon- 
nes grâces,  &  faire  que  le  refte  de  la ferenilîune  Royne  Eli- 
fabeth  me  foit  envoyé  :  car  ce  que  j'en  ai  ne  vient  que  juf- 
ques  à  l'an  lxxxii.  du  fiecle  pafle. 

Au  furplus,  je  loue  voftre  entreprife  (  i  ),  m'alTurant  que  vous 
garderez  la  modération  que  vous  m'efcrivez ,  &  que  vous 
ne  donnerez  fubjed  à  aucun  de  fe  plaindre  de  vous ,  fuion 

(l)  Animad'verpoJies  inAmnUs  BaroNti. 

Tome  XF',  J^\ 


^66  PIFXES  CONCERNANT  L'HISTOIRE 

à  ceux  qui  approuvent  en  eux  la  dodrine  que  tous  les  bons 
doivent  deteller,  duquel  nombre  il  y  en  a  parmi  nous  plus 
qui  font  bonne  mine ,  qu'il  ne  feroit  à  defirer.  Mais  il  faut 
remettre  cela  à  la  bonté  de  Dieu;  qui  fçaura  bien  en  fon 
temps  arracher  le  mafque  à  tous  ces  hypocrites.  Cependant  il 
fe  faut  armer  de  patience ,  &  adorer  en  filence  les  imperfcru- 
tables  jugemens  de  Dieu,  avec  certaine  croyance  que  tout 
ce  qui  luy  plaift  ordonner  de  nous ,  eft  juftement  ordonné 
pour  fa  gloire  &  noftre  falut. 

Vous  aurez  depuis  la  voftre  efcrite,  receu  Lettres  de  vof- 
tre  fils,  qui  vous  auront  mis  hors  de  la  peine  que  vous  don- 
noit  fa  négligence.  Il  m'a  afleuré  vous  avoir  efcrit  à  toutes 
les  occafions.  J'ai  fait  la  mefme  plainte  à  voftre  nepveu ,  le- 
quel doit  avoir  receu  le  premier  quartier  de  voftre  penfion. 
J'aurai  foin  pour  le  refte. 

Je  pafTe  à  voftre  féconde ,  que  je  ne  receus  que  devant 
hier,  par  laquelle  vous  me  confirmez  que  le  Roi  de  la  Gran- 
de Bretagne  a  eu  agréable  ce  que  luy  avez  dit  de  ma  part. 
Je  crois  que  M.  de  Bouillon  m'aura  rendu  le  mefme  office  en- 
vers S.  M.  Je  l'en  avois  fupplié  devant  que  j'eufte  receu  les 
voftres.  Au  furplus,  je  vous  peux  afleurer  que  M.  le  Chan- 
celier me  parle  fouvent  de  vous ,  &  m'a  chargé  encore  de- 
puis peu  de  vous  faire  entendre  que  la  Royne  vous  doit  rappeî- 
1er  à  cet  Automne  prochain.  Vous  vous  fouviendrez ,  s'il  vous 
plaift j  de  ce  que  je  vous  efcrivis  par  ma  première,  faifant 
mention  de  ce  qu'il  m'avoit  dit  fur  ce  fubjed.  Je  vous  prie 
à  voftre  loifir  m'y  faire  refponfe  plus  particulière ,  &  telle  que 
je  la  luy  puifte  monftrer.  Car  il  me  prefle  fouvent  de  vous 
en  refcrire. 

Au  refte ,  j'ay  regret  à  la  peine  en  laquelle  vous  vous  trouvez 
pour  n'avoir  vos  Livres.  Je  penfois  qu'eulfiez  defîré  les  plus 
neceffaires,  &  ceux  defquels  vous  ne  vous  pouviez  pafler^ 
n'ayant  befoin  par  delà  de  ceux  qu'y  pouviez  recouvrer.  Il 
faut  trouver  moyen  de  fuppléer  à  ce  défaut.  S'il  eft  befoin, 
nous  vous  envoyerons  ceux  qu'avez  laiflez  icy.  Mais  je  crois 
qu'il  fera  plus  à  propos  de  furfeoir  encore  ,  principalement 
maintenant  que  l'on  vous  veut  rappeller.  Car  l'on  a  creu  juf- 
ques  icy  qu'eftiez  difpofé  à  retourner ,  quand  vous  en  rece- 
vriez commandement  de  S.  M.  ôc  je  i'ay  ainfi  dit  par  tout  : 


DE  J.  A.  DE  THOU.  2^7 

êc  fi  fur  ce  point  vous  retirez  vos  Livres,  il  eft  à  craindre 
que  cela  foit  interprété  autrement  que  vous  ne  devez  défi- 
rer.  Efcrivez  moy  de  façon  que  j'aye  quelque  chofe  que  je 
puifle  monftrer  à  celuy  qui  me  demande  de  vos  nouvelles 
fi  fouvent.  Ma  femme  vous  baife  les  mains ,  ôc  à  Madamoi- 
felle  voftre  femme  ;  &  je  fupplie  très  humblement  noilre  Sei- 
gneur ,  Monfieur ,  vous  donner  en  fanté  fa  grâce. 

De  Paris  ce  27        Voftre  bien  humble  &  très  afFedionné 
May  1612.  ferviteur,DE  Thou. 

Lettre  d'IJaac  Cafaubon ,  à  Jacques  Augufie  de  Thon. 

JE  crois ,  Monfieur,  que  vous  avez  reçu  une  partie  de  l'Hif-    Traduite  du 
toire  qui  vous  avoit  été  promife.    Le  Roi  l'a  fait  écrire  Latin,  &  tirée 
fur  du  grand  papier ,  &  vous  l'a   envoyée  par  M.  de  Vitri,   f"  Syihge  e- 
avec  une  lettre  de  ma  part,  raites-nous  Içavoir ,  je  vous  prie,  Rot. p.  ^70, 
fi  vous  avez  reçu  ce  Manufcrit  en  bon  état.  Le  foin  que  Sa 
Majefté  a  pris  de  faire  compofer  un  ouvrage  fi  confidera- 
ble,  au  fujet  de  votre  Hiftoire,  peut  vous  faire  comprendre 
le  cas  qu'elle  en  fait.  Toutes  vos  lettres  me  font  connoître 
votre  dévouement  à  ce  Prince.  Sçachez  que  vos  fentimens 
à  fon  égard  lui  font  très-agreables.    J'ai  été  furpris  de  la  ré-  \ 

folution  qu'on  a  prife  en  France  de  m'y  faire  revenir.  Si  011  j 

ne  m'y  rappelle ,  que  pour  que  j'y  fois  fous  la  puifTance  de  ] 

certaines  perfonnes  mal  intentionnées,  aucun  de  mes  amis  ! 

ne  me  confeillera  de  quitter  un  pays  où  je  fuis  fi  honoré ,  j 

pour  me  remettre  entre  leurs  mains.    A  Londres  le  20  de  ' 

Juin  1612.  ,  \ 

I 
Lettre  de  Jac.  Aug.  de  Thou  j  à  Jfaac  Cafaubcn. 

MONSIEUR.  J'ay  receu  la  voftre  du  23  du  prefent,com-  Imprimée  {ni 
me  vous  comptez  au  lieu  où  vous  êtes.  Les  précédentes      ^^anuicnt, 
ont  efté  perdues  :  ce  que  je  vous  efcris ,  afin  que  s'il  y  avoit 
quelque  chofe  particulière  qu'il  fût  neceflaire  pour  vous   ou 
pour  moy  que  je  fceulTe  ,  vous  m'en  fafilez  une  recharge. 

Je  fuis  bien  aife  que  le  Roy  de  la  Grande  Bretagne  foit 
cfclaircy  de  ce  dont  l'Infulaire  l'avoit  mal  informé.  Vous  m'ea 

Llii 


2(?8  PIECES  CONCERNANT  L'HISTOIRE 
aviez  ja  donné  afleurance  par  celles  que  m'avez  efcrit  cy- 
devant;  &  M.  de  Bouillon  me  l'a  ainfi  confirmé.  Je  délire 
avoir  le  refte  des  Mémoires  de  M.  Cotton  j  pour  pouvoir 
fatisfaire  à  la  volonté  de  S.  M.  Je  vous  prie  de  l'en  foUici- 
ter,  &  fçavoir  de  luy  le  contenu  en  un  Mémoire  que  le  Sieur 
Juitel  vous  doit  avoir  donné  de  ma  part. 

Au  furplus,  j'ay  fait  entendre  à  M.  le  Chancelier  le  furplus 
porté  par  la  voftre,  par  extrait,  n'eftimant  qu'il  dût  voir  le 
total.  Il  avoit  ja  oui  parler  de  voftre  travail  furies  Annales, 
&  me  dit  qu'il  euft  deiiré  que  ne  vous  fuiïiez  engagé  fi  avant. 
Je  me  fouviens  dés  le  commencement  que  me  fiftes  enten^ 
dre  en  cela  voftre  deffein  ;  je  vous  efcrivis  que  fi  l'œuvre  de 
foy  recommandable  fe  pouvoir  publier  fans  y  mettre  voftre 
nom ,  mieux  en  feroit  pour  vous ,  &  mefme  pour  le  public, 
pour  plufieurs  refpeds,  defquels  la  dedudion  feroit  longue. 
Il  m'ajoufta  que  cela  n'empefcheroit  que  ne  fuffiez  tousjours 
bien  venu ,  &  qu'il  doutoit  que  cette  entreprife  ne  vous  re- 
tînt plus  long  tems  par  delà  qu'il  ne  voudroit.  Je  le  ver- 
ray  fouvent,  &  fuivantceque  m'efcrivez,  je  l'entretiendray 
en  la  bonne  volonté  qu'il  vous  porte.  Cependant  nous  lait 
ferons  couler  cette  année ,  &  gagnerons  la  prochaine.  Aimez 
moi ,  &  me  confervez  en  voftre  bonne  fouvenance ,  &  quand 
vous  pourrez,  efcrivez  moy.  Ma  femme  &  moy  vous  bai- 
fons  les  mains,  &  fupplions  très  humblement  noftre  Seigneur, 
Monfieur,  vous  donner  en  famé  fa  grâce,  &  à  Madamoifelle 
voftre  femme. 

De  Fontainebleau      Voftre  bien  humble  &  très  affedionné 
ce  20  Juin  16"  12.  ferviteur.  De  Thou. 

Lettre  d'Ifaac  Cafaubon,  à  Jac.  Aug.  de  Thou. 

Traduite  du  T  E  VOUS  ai  mandé ,  Monfieur ,  que  le  Chevalier  Cotton  étoit 
du^îT/zt^rr  -f  occupé  à  compofer  fonHiftoircj  Sa  Majefté  m' ayant  dit 
pift.  cafaub.  dernièrement  qu'il  étoità  Londres,  je  l'ay  été  trouver,  pour 
p.  474.  obéir  à  vos  ordres.    Il  m'a  répondu  qu'il  s'appliquoit  entiè- 

rement à  achever  l'Hiftoire  qu'il  avoit  commencée.  Il  la  com- 
pofe  en  Angiois  y  &  Camden  la  traduit  en  Anglois.  A  Lon- 
dres le  premier  de  Juillet  1612. 


DE    J.   A.   DE   THOU,  2^p 

Lettre  de  Guillaume  Camden  à  Jac.  Aug,  de  Thou, 

J' A  I  appris  avec  beaucoup  de  joye ,  par  votre  lettre  à  Mon-  Traduite  dû 
fieuu  Carrcw  notre  ami  commun,  que  vous  penfez  enco-  latin  fur  le 
re  à  la  potlerité ,  &  à  lui  laiiler  un  monument  j  c'eft-à-dire^  Manufcm. 
que  vous  continuez  votre  Hiftoire ,  &  que  vous  avez  réfo- 
lu  de  la  conduire  jufqu'au  jour  qui  termina  la  vie  de  Henri 
IV.  votre  Roi.  Quelques-uns  m' av oient  dit,  qu'élevé  aux 
plus  grands  emplois  de  la  République,  &  d'ailleurs  dégoûté 
d'écrire,  non  par  lacenfure  de  Rome,  mais  par  la  haine  de 
certaines  gens  qui  ne  peuvent  fouffrir  la  vérité,  vous  aviez  aban- 
donné le  dellein  de  continuer  votre  ouvrage.  C'eftauffi  ce  qui 
a  été  caufe  que  j'ai  différé  à  vous  écrire.  Mais  comme  vous 
marquez  dans  votre  lettre,  que  plufieurs  vous  excitent  à  ache- 
ver votre  Hiftoire,  mais  que  peu  vous  communiquent  leurs 
lumières,  &  vous  découvrent  vos  fautes,  vous  me  pardon- 
nerez fi  Famour  que  j'ai  pour  vous  &  pour  la  vérité ,  m'en- 
gage à  vous  faire  voir  quelques  petites  méprifes(i) ,  en  ma- 
tière de  Chorographie ,  oii  vous  a  fait  tomber  celui  que  vous 
avez  pris  pour  guide ,  ou  qui  font  peut-être  échappées  à  vo- 
tre Imprimeur. 

Au  lieu  de  Siuna  (a) ,  mettez  Seni;e  ou  Seni ,  ou  plutôt     (a)  Ed.  de 
Shanonî.  Car  ceux  du  pays  difent  Shanon.  Londres,  Liv. 

,         ,.  ,y  \r-;-  7\  •  ■    r   \     T  ■      ■    •      I->^x.  tom.  Ill, 

Au  lieu  de  Juxtà  Limbncum  [b) ,  corrigez ,  înjra  Ltmiri-  p.  762. 

mm.  Car  la  rivière  fe  décharge  dans  la  mer  à  environ  foi-  ^^)  ^^^^^ 
xante  milles  au-de(lbus  de  Limerik. 

Aiilieu  dQ  100  milliarihis in longiîudmem  {c),  conïgQZ  ^00  (c)  Ed.  de 

in  longiîudinem,  Londres,  Liv. 

Au  lÏQvi  de  Randanicorum  montium,  mettez  Brendanicorum.  ixljp.  yoo.'"' 
Car  c'eft  ainii  qu'il  y  a  dans  les  exemplaires  MS.  de  Giral- 
di,  à  moins  que  vous  ne  veuiiliez  retrancher  de  votre  def- 
cription  tout  ce  qui  eft  depuis  ces  montagnes,  jufqu'au  Cap 
de  la  Colombe.  La  pofition  de  ces  lieux  n'étant  pas  fort  con^ 
nue,  ainfi  que  le  pays  qui  s'étend  depuis  Dublin,  jufqu'aux 
collines  de  S.  Patrice  3  &  qui  efc  au-dedans  des  terres ,  &  non 

(i)    M.  de  Thou  a  profite  de  ces  cor-    1    Londres,   que  nous  avons  fuivie  pouJ) 
reâ:ions  de  Camden.  Les  mêmes  fautes    j    notre  tradu(^tion. 
ne  fe  trouvent  dIhs  dans  l'édition  de    I 

Ll  uj 


27Ô  PIECES  CONCERNANT  L'HISTOIRE 

le  long  de  la  mer.  C'eft  à  vous  de  voir  fi  vous  ne  ferez  pas 
mieux  de  vous  contenter  de  mefurer  cette  ifle  ,  comme  tout 
le  monde  fait,  en  lui  donnant  300  milles  de  longueur,  ôc 
150  de  largeur.  NeufSuffragans,  conigQz,  douze  Evêchez,  Lan- 
genia j  lifez^  Lagenia.  12  Ccmtezj  corrigez,  7  Comtez.  Au 
lieu  à'Armacana^  mettez,  Armachde.  Connaâia  ad  occafum 
metropolis  Teutmonia,  corrigez  ^  Connachtia  ad  occafum  j  in  ea 
métropoles  Thuama,  La  Teutmonie  eft  un  territoire ,  &  non 
une  ville  Auchiepifcopale.  în  Umbilico  five  Media,  Leberi , 
ftve  Cilari  &  Drogàcs  fiti  funt  3  corrigez ,  Midia ,  qua  &  Me- 
dia diôla,  in  medio  fit  a  eft.  In  ea  Laberus  antiques  memoria , 
hodie  Kill-lair ,  ut  creditur ,  in  ipfo  infulœ  umbilico  j  &  Trimma. 
(a)  V.àit.  de  Juxtà  Limricum  excenfione  facid  (a),  corrigez,  ad  Sha~ 
Londres,  Liv.  j^yji  oflium  in  Kivria.  Ibid.  effacez ,  Scoto.  Ce  Jacque  Giral- 
p,  jéo!'"*  *  clii"^  étoit  Irlandois  de  la  maifon  de  Defmon.  Il  y  a  encore 
quelques  autres  fautes,  qui  regardent  les  noms  propres,  & 
qui  viennent  fans  doute  de  la  négligence  des  Imprimeurs.  On 
pourra  les  corriger  fur  les  Mémoires  de  M.  le  Chevalier  Cotton, 
qui  vous  furent  deftinez  un  an  après  la  première  édition  de 
votre  ouvrage,  &qui,  comme  je  l'apprens  avec  plaifir,  vous 
ont  été  remis..  Car  j'avois  oui  dire  que  vous  n'aviez  reçu  au- 
paravant que  quelques  extraits ,  qu'on  en  avoit  faits  par  l'or- 
dre du  Roi ,  au  fujet  des  affaires  d'Ecolle.  Vous  pouvez  me 
croire.  En  l'année  i$9^'  je  commençai  l'ouvrage,  à  la  perfaa- 
fion  de  Cecil  Burghley  Threforier  d'Angleterre ,  qui  voulut 
bien  m'ouvrir  fes  armoires  ;  &  quoique  tout  fût  rangé  par 
années,  il  y  avoit  néanmoins  beaucoup  de  confufion 5  ce  qui 
concernoit  le  Fifc,  &  autres  chofes  pareilles,  étoit  mêlé  avec 
ce  qui  regardoit  l'Hidoire.  J'en  tirai  néanmoins  beaucoup  de 
chofes.  J'eus  recours  aulU  à  mes  porte-feuilles ,  ou  il  y  avoit 
beaucoup  d'obfervations ,  non  feulement  par  rapport  aux  an- 
tiquités, que  j'ai  toujours  beaucoup  aimées,  mais  encore  par 
rapport  aux  affaires  modernes.  J'ai  recueilli  tout  ce  que  j'avois 
■  vu  &  entendu.  J'ai  ramaffé  de  côté  &  d'autre  tous  les  Edits. 

J'ai  parcouru  les  actes  des  Parlemens ,  &  j'ai  appris  beaucoup 
de  chofes  de  la  bouche  de  ceux  qui  étoient  à  la  tcte  des  af- 
faires, ou  qui  y  avoient  eu  part.  J'ai  tiré  beaucoup  plus  de 
lumières  encore  de  la  Bibliothèque  de  M.  Cotton ,  qui  a  fçu 
recueillir   avec  beaucoup  de  foin,  <3c  à  grands  frais >  les 


DE  J.  A.  DE  THOU,  271  ] 

monumens  de  l'antiquité  &  de  l'Hiftoire  ^  les  a£l:cs  originaux 
des  Aiiiballadeurs ,  leurs  inftrudions ,  leurs  lettres ,  &  autres  j 
choies  pareilles.  Muni  de  tous  ces  fecours,  j'ai  commencé  î 
à  écrire  les  Annales  du  règne  d'Elifabeth ,  que  j'avois  réfo- 
lu  de  faire  imprimer  en  Allemagne,  fans  nom  d'auteur,  6c  j 
de  vous  dédier  ,  afin  que  vous  en  piifllcz  tirer  ce  qui  vous  ■ 
conviendroit.  Dans  le  tems  que  je  compofois  cet  ouvrage,  &  ] 
avant  que  je  l'eufle  achevé,  le  Comte  de  Northampton  vint  i 
me  trouver,  pour  me  prier  de  le  donner  au  Chevalier  Cot- 
ton  ,  qui  le  communiqueroit  au  Roi ,  qui  fouhaitoit  que  Mon-  1 
lieur  Cotton  le  lût.  J'obéis,  je  remis  au  Chevalier  tout  ce  \ 
que  j'avois  écrit,  fans  l'avoir  relu  ni  corrigé,  &je  le  lui  aban-  j 
donnai ,  pour  en  faire  ce  qu'il  lui  plairoit.  Il  ne  pouvoir  être  ! 
mieux  qu'entre  les  mains  d'un  homme ,  qui  m'avoit  fourni  tant  ,' 
de  matériaux,  fur  tout  par  rapport  aux  affaires  d'Ecofle.  Je  i 
ne  fonge  plus  maintenant  à  acquérir  de  la  gloire.  Après  avoir  1 
travaillé  toute  ma  vie,  aujourd'hui  que  je  fuis  fexagenaire,  j 
je  veux  penfer  à  mon  falut,  &  jouir  de  ma  vie  paflee.  J'ai  ^ 
acquis  de  l'expérience ,  &  je  connois  les  mœurs  de  ce  fiécle? 
mais  non  auffi  bien  que  vous.  Je  me  fouviens  de  ce  qu'a  dit  ■ 
votre  Ecrivain  d'Auvergne,  &  vous  avez  éprouvé  la  vérité  de  ,; 
cette  fentence.  Commencer  une  Hiftoire ,  c'eft  exciter  l'en-  ; 
vie 5  la  continuer,  c'eft  avoir  bien  dé  la  peines  la  finir,  c'eft  i 
fe  faire  bien  des  ennemis.  Au  refte  j'aurois  voulu  avoir  mis  i 
la  dernière  main  à  cet  ouvrage ,  avant  que  vous  l'eufliez  reçu. 
Dans  un  exemplaire  que  je  vis  dernièrement ,  je  trouvai  beau- 
coup de  mutilations  &  de  défeduofités ,  &  certains  mots  | 
effacez  par  l'audace  du  Copifte.  Le  Roi  vous  a  fait  fçavoir  j 
i'ufage  auquel  ces  Mémoires  font  deftinez.  Je  fçai  que  vous  ] 
ne  les  inférerez  pas  entièrement  dans  votre  Hiftoire ,  &  vous  i 
en  omettrez  une  grande  partie ,  qui  n'intereftè  que  ceux  de  ; 
notre  pays.  En  quelque  lieu  que  l'ouvrage  voye  le  jour,  je  ; 
fais  pour  eux  le  vœu  que  les  parens  faifoient  autrefois  pour 
leurs  enfans  qu'ils  expofoient:  je  fouhaite  qu'ils  vivent.  Mais  i 
je  vous  dis  ceci  en  fecret.  Adieu,  Monfieur,  je  fuis  ôcc.  A 
Weftminfter  le  10  d'Août  1^12. 


^ 


■272         PUCES  CONCERNANT  UmSTOIRE 

Lettre  de  George  Carew  à  Jacques-Augujîe  de  Thon 

MONSIEUR.  Vous  m'avez  témoigné  que  vous  défiriez 
fçavoir,  fi  Monfieur  Wotton ,  cy-devant  ambafladeur 
Manufcrit.  '     d'Angleterre  auprès  de  la  République  de  Venife   ,   auroit 
quelques  mémoires  finguliers  fur  le  différend  qui  s'éleva  dans 
îe  temps  de  fon  Ambaflade  entre  le  Pape  &  cette  Républi- 
que ,  &  s'il  voudroit  vous  les  communiquer.  Vous  m'avez 
demandé  en  même  temps  des  mémoires  fur  les  affaires  de 
Dannemark  ,  &  de  Suéde  •■>  &c  c'eft  pour  être  plus  en   état 
de  vous  rendre   un   compte  exact   fur    ces  deux   articles  ,, 
que  j'ai  différé  fi  long-temps  à  faire  réponfe  à  la  lettre  obli- 
geante que  vous  m'avez  fait  Fhonneur  de   m'écrire.    Quoi- 
que je  me  fois  donné  bien  des  mouvemens  ,   j'ai  eu  affez 
de  peine  à  joindre  M.  Wotton  ,  mais  enfin  j'en  fuis  venu  à 
bout.  J'ai  appris  de  lui  ,  qu'il  avoir  raffemblé  beaucoup  de 
chofes  concernant  la  querelle  du  Pape  &  des  Vénitiens  5  il 
eil  occupé  ,  à  ce  qu'il  me  dit ,  à  mettre  tout  cela  en  ordre  , 
dans  le  deflein  de  le  faire  imprimer  &  de  le  donner  au  pu- 
blic fous  fon  nom.  Il  doit  incefiamment  vous  écrire  fur  ce 
fujet.  A  l'égard  de  ce  qui  regarde  le  Dannemark  &  la  Suéde  , 
je  n'y  ai  euaucimcpart ,  je  n'ai  même  pris  aucun  intérêt  aux 
affaires  de  ces  deux  Pvoyaumes  ,  depuis  FAmbalfade    dans 
laquelle  j'ai  été  employé  fous  le  régne  d'Elifabeth   d'heu- 
reufe  mémoire,  en  l'année  155)8.  Je  vous  ai  laille  entre  les 
mains,  dans  le  temps  de  mon  féjour  à  Paris,  un  Journal  de 
tout  ce  qui  s'eft  pafle  dans  cette  année-là  entre  Sigifmond 
roi  de  Pologne  de  Charles  fon  oncle.  En  cas  que  vous  l'ayez 
égaré  ,  je  vous  en  ferai  tenir  ,  fi  vous  le  jugez  à  propos  , 
une  nouvelle  copie.  Ceux  qui  depuis  ce  temps-là  ,  ont  été 
chargez  des  affaires  du  Roi  mon  maître  dans  ces  Pays-là  , 
font  des  Ecoflbis,  avec  lefquels  je  n'ai ,  poiu-  ainfi  dire ,  aucune 
iiaifon.  J'ai  reçu  la  nouvelle  Edition  de  votre  Hiftoire  que  vous 
m'avez  envoyée.  Je  vous  en  fais  mille  remercimens.  Je  vous 
demande  en  grâce  de  vouloir  bien  m'envoïer  avec  la  même 
bonté  tout  ce  que  vous  ferez  paroître  dans  la  fuite.  Vous  me 
trouverez  de  mon  côté  toujours  prêt  à  exécuter  avec  plai- 
fir  ôc  avec  tout  le  zèle  poUlble  les  ordres  dont  vous  me 

chargerez 


DE   J.    A.    DE    T  HOU.  27^ 

chargerez.  Je  prie  Dieu  qu'il  vous  comble  de  profperités  , 
ôc  qu'il  couronne  vos  vertus.  A  Londres  le  3 .  Odobre  1^12. 

Lettre  d'IJaac  Cafaubon  à  Jac.  ^ug.  de  Thoit, 

MONSIEUR.  J'ai  été  pour  voir  Monfieur  Camden  ;  Tfaduite  du 
qui  demeure  à  luie  lieuë  de  chez  moi ,  &  je  ne  l'ai  Latin  &  tkéc 
point  trouvé.  Je  ne  doute  point  que  Monfieur  Cotton,  qui  cafLboni^î', 
a  lu  votre  lettre  ^  n'ait  conféré  avec  lui  fur  tout  ce  qui  vous  ^06. 
regarde.  Il  m'a  dit  plufieurs  fois  ,  &  je  me  fouviens  de  vous 
l'avoir  mandé  ,  que  Q  vous  lui  vouliez  bien  faire  l'honneur 
de  lui  écrire  ,  &  de  vous  ouvrir  à  lui  ,  il  feroit  enforte  de 
vous  donner  des  marques  réelles  de  fon  eftime.  Je  vous 
confeille  donc  de  lui  écrire.  C'eft  un  homme  vertueux  , 
lincere  &  vraiment  noble.  Monfieur  Camden  fera  fans  dou- 
te  tout  ce  qui  dépendra  de  lui  >  car  il  fait  grand  cas  de  vous. 
J'ai  été  chez  Monfieur  Wotton  pour  lui  porter  moi-même  la 
lettre  que  vous  m'avez  fait  tenir  pour  lui.  Il  demeure  auflî 
loin  que  Monfieur  Cotton.  J'ai  perdu  ma  peine  ,  &  je  ne 
l'ai  point  trouvé  ,  quoique  j'aie  été  deux  fois  le  chercher. 
J'ai  donc  pris  le  parti  de  lui  écrire  ,  pour  le  prier  de  me 
donner  une  heure  ,  parce  que  je  fouhaittois  avoir  un  entre- 
tien avec  lui.  J'attens  fa  réponfe  depuis  plufieurs  jours  : 
mais  pour  vous  dire  la  vérité ,  je  n'en  attens  rien.  Je  ne  puis 
comprendre  les  manières  des  Anglois.  Tous  ceux  que  je 
connoiflbis  avant  de  venir  en  ce  Pays-ci  ,  ne  me  connoif- 
fent  plus  ;  je  fuis  pour  eux  étranger  &  barbare.  Aucun  ne  me 
dit  un  mot ,  &  fi  je  veux  leur  parler  ,  ils  ne  m'honorent  pas 
d'une  fyllabe  5  je  n'y  entends  rien.  Ce  Monfieur  Henri  Wotton, 
homme  très-fçavant ,  a  vécu  avec  moi  à  Genève  il  y  a  vingt 
ans  5  &  depuis  ce  temps-là  nous  avons  entretenu  un  com- 
merce de  lettres.  Etant  tous  deux  venus  à  Londres  ,  lui  de 
Venife  ,  &  moi  de  France  ,  il  a  cefie  de  me  connoître  ;  il 
n'a  fait  aucune  réponfe  à  ma  lettre  ,  &  je  ne  fçai  s'il  en  fera. 
Je  ne  négligerai  rien  ,  pour  exécuter  les  ordres  dont  vous 
m'avez  chargé.  A  Londres  le  ç.  de  Novembre  (  nouveau 
ftyle  )  I  (5 1 2.  P.  S.  Monfieur  Wotton  m'a  écrit.  Voici  les  paro- 
les de  fa  lettre,  fay  là  ce  que  ma  écrit  Monfieur  le  Prefident  de 
"Thou.  Ce  qui  rn  empêche  de  lui  accorder  ce  quil  me  demande ,  efi  quç^ 
nous  avons  l'un  &  l'autre  le  même  dejpini 

Tome  XK  Mm 


Imprimée  (ur 
le  Manufcrit. 


^74        PIECES    CONCERNANT    L'HISTOIRE 

Lettre  de  Jac.  Aug.  de  Thou  à  Ifaac  Cafaubon. 

O  N  s  I E  u  R.  J'ai  receu  la  voftre  du  p  ciu  pafle  ,  par 
laquelle  vous  faites  refponfe  à  trois  de  mes  précéden- 
tes. Je  vous  remercie  de  l'office  que  m'avez  rendu  envers  M. 
Cotton.  Ce  que  je  defire  de  luy  ,  eft  qu'il  luy  plaife  m' envoyer 
le  relie  qu'il  a  fait  de  la  continuation  de  l'Hiiloire  de  la  feue 

Royne  Elifabeth  j  car  il  m'en  a  ja  envoyé  jufques  à  l'an Je 

lui  demande  la  mefme  grâce  pour  le  furplus  :  car  je  défère  beau- 
coup  à  ce  qui  vient  de  lui  ,  &  ay  desja  fait  grandement  mon 
profit ,  en  revoyant  mes  Hiftoires ^  de  ce  qu'il  m'a  envoyé.  Je 
luy  efcriray  à  la  première  commodité  5  mais  j'ay  fi  peu  de  loifir 
.6c  fi  interrompu ,  qu'à  peine  puis-je  defrober  ce  peu  de  temps 
pour  vous  efcrire.  Et  qui  pis  eft  ,  ce  ne  font  mes  elludes  qui 
m'occupent  tant.l'efprit ,  mais  affaires  fafcheufes  &  non  agréa- 
bles à  mon  âge  y  &  mon  naturel  amateur  du  repos  &  de  la  fran- 
chife ,  que  je  ne  trouve  pas  par  tout  où  je  fuis.  Cela  foit  dit  en  • 
paflant. 

Pour  M.  WottoUj  je  voisbienque  ce  que  je  penfois  puifer 
dans  la  fource  de  Venife  ,  il  le  faudra  attendre  des  vaifleaux. 
Anglois  j  l'eau  en  fera  plus  méfiée  &  par  avanture  troublée.  Je 
penfois  élire  fccouru  de  cette  part  ••>  mais  je  vois  bien  qu'il  n'en 
faut  rien  efperer.  Cependant  je  penfe  reconnoiftre  par  la 
voftrcj  que  vous  commencez  à  connoidre  les  efprits  du  lieu  où. 
vous  vivez.  Souvenez  vous  de  feu  (  i  )  M.  de  la  Scala ,  &  de  ce 
qu'il  vous  a  efcrir  &  refcrit  3  ôc  penfez  à  l'avenir. 

M.  le  Chancelier  m'a  encore  parlé  de  vous  depuis  peu  de 
jours,  &  monllré  eftre  en  la  mefme  volonté,  en  laquelle  je  l'en- 
tretiens tant  que  je  peus.  Vous  devez  de  voftre  part  ne  vous 
efioigner  tant  par  le  temps  de  voftre  retour ,  qu'enfin  le  ravife- 
ment  foit  tardif 
Jean  Pory.  Q^iant  à  celuy  "^  qui  m'a  voulu  cy-devant  par  fon  impruden- 
ce, ou  pluftoft  malice  ,  brouiller  par  delà  ,  je  nefçay  qu'il  peut 
avoir  eibrit  de  nouveau  de  moy  j  bien  vous  dirai-je ,  que  depuis 
ce  temps- là  je  ne  l'ay  veu ,  ny  ouï  parler  de  luy  ,  &  ne  f(;ay  s'il 


(0  Scaliger  avoit  prédit  à  Cafaubon  ,  i  tion  ,  qu: 
qu'iKcrtpentiroir,  mais  trop  tard  ,  d'à-  1  invcteréi 
Voir  pris  un  étabiiliement  chez  une  na-    >-   Epiji,  Jo 


tion  ,  qui  portoit  dans  le  cœur  une  haine 
e  contre  les  François.   V.  Sjllog, 
'.fijî,  yof.  Scalig-  pag.  141, 


DE   J.    A.    DE    T  H  O  U.  -75- 

cft  en  cette  ville.  Je  m'enquerreray  ,  &  le  feray  avertir  par 
M.  rAmbailadeur ,  de  prendre  garde  à  ce  qu'il  efcrit  ,  &  ne 
faire  rien  mal  à  propos. 

Pour  voftre  oeuvre  ,  je  ne  doute  que  n'y  apportiez  la  mefme 
modération  en  efcrivant ,  que  vous  faites  en  tout  ce  qui  vient 
de  vous  5  mais  la  chofe  mefme  offenfera ,  &  y  aura  toujours  à 
redire  au  gré  de  ceux  qui  font  prévenus  à  ce  fubjedt ,  ou  par 
raifon  d'Ellat ,  ou  autrement.  Vous  devez  tousjours  tefmoi- 
gner  que  vous  eftes  tout  preft  pour  revenir  ,  quand  vous  ferez 
commandé  de  ce  faire  ;  &  je  donneray  ordre  cependant  que 
vos  eftats  &  appointemens  vous  feront  continuez.J'y  veilleray 
comme  je  dois. 

Vous  aurez  fceu  ce  qui  a  elle  fait  du  livre  de  M.  Maftor ,  le« 
quel  a  efté  brullé  publiquement  par  la  main  du  bourreau  ,  par 
Arreft  du  Parlement.  C'eil  la  refponfe  que  meritoit  ce  livre 
fcelerat ,  qui  a  enduré  la  peine  deuë  à  fon  audeur. 

Le  deuil  que  Ton  a  porté  par  delà  de  la  mort  du  Prince  de 
Galles ,  eil  venu  jufques  ici  3  au  temps  que  nous  defplorions 
celle  de  M.  le  Comte  de  Soiflbns ,  en  laquelle  la  France  à  fait 
une  très  grande  perte.  Vous  avez  aulfi  fceu  l'heureufe  fin  du  bon 
homme  M.  le  Fevre,  duquel  l'ame  foit  en  benedidion.  Il  vivoit 
en  grande  expedation  de  voftre  œuvre  :  maintenant  il  voit 
tranquillement  ce  que  nous  voulons  fembler  chercher,  avec  de 
fi  inutiles  difputes,  &  ambitieufes  non  moins  qu'animeufescon' 
tentions ,  c'eft  à  dire  ,  la  vérité. 

Confervez  moy  tousjours  en  vos  bonnes  grâces  &  fouve- 
nance  5  &  (i  vous  voyez  que  l'on  me  veuille  prefter  quelques 
charitez  par  delà ,  veillez-y ,  pour  en  deftourner  les  premiers 
coups.  Vous  ne  pouvez  rendre  ce  bon  office  à  perfonne  qui 
mérite  moins  d'eftre  traité  de  cette  façon ,  &  qui  vous  honore 
plus  que  moy.  En  cet  endroit  je  fupplie  très  humblement 
îioftre  Seigneur,  Monfieur^  vous  donner,  &  à  Madamoifelle 
voftre  femme  &  toute  voftre  famille,  en  fanté  fa  grâce. 

De  Paris  ce  22  Voftre  très  humble  &  très  affedionné 

Décembre  16"  12.  Serviteur  De  Thoia 


Mmij 


^iC      PIECES    CONCERNANT   L'HISTOIRE 


Imprimée  fur 
le  -ManHfcrit. 


Lettre  de  Jac.  ^ug.  de  Thon  à  Ifaac  Cafaubon. 

MONSIEUR.  J'ay  receu  la  voftre  du  premier  de  ce 
mois  :  vous  femblez  craindre  fur  la  fin ,  &  vous  en  vou- 
lez excufer,  de  m'efcrirefi  familièrement  &  fi  au  long.  Je  pren- 
drois  à  injure  fi  depuis  le  temps  que  nous  avons  connoirfance 
l'un  de  l'autre ,  j'avois  fi  peu  profité  en  voftre  amitié  de  n'avoir 
acquis  cette  privante  avec  vous,&  vous  ne  la  preniez  avec  moy. 
Quant  à  vos  Lettres  ,  les  plus  longues  font  tousjours  les  plus 
agréables,  &  vous  fupplie  de  ne  vous  ennuyer  non  plus  de 
m'efcrire  à  toutes  occafions ,  que  vous  voyez  que  je  n'en  perds 
aucune  de  vous  refcrire.  Je  loue  Dieu  qu'aprez  les  morts  des 
Grands  deçà  &  delà  avenues  depuis  quelques  mois ,  les  chofes 
foient  fi  paifibles.  Dieu  veille  pour  la  defenfe  de  ces  deux 
Couronnes ,  auquel  remettant  ce  qiù  regarde  le  bien  public  , 
je  viens  à  ce  qui  touche  le  voftre  particulier. 

(i)  L'œuvre  par  vous  encommencé  croift ,  à  ce  que  je  vois , 
fus  l'enclume  :  aufti  eft  ce  un  fubjed  divers  &  copieux ,  &  plein 
de  belles  recherches.  Le  pluftoft  que  vous  en  pourez  mettre 
ia  première  Partie  dehors  fera  le  meilleur ,  tant  pour  retenir  la 
mauvaife  émulation ,  afin  que  je  ne  dife  pis,  de  celuy  (2)  qui 
vous  veut  prévenir ,  que  faire  preuve  par  cet  eftay  du  jugement 
public  qui  fe  pourra  faire  du  refte.  Cela  aufli  fervira  pour  vous 
refoudre  pour  voftre  retour  :  cependant  ,  comme  je  vous  ay 
efcrit ,  nous  ferons  continuer  vos  appointemens  pour  cette  an- 
née ,  fur  l'afleurance  que  je  donne  qu'à  ces  Pafques  vous  dif- 
poferez  vos  affaires  pour  voftre  retour. 

M.  le  Cardinal  du  Perron  travaille  fort  à  fa  Refponfe  :  fi  elle 
fort  bien  toft ,  dont  je  doute  fort ,  cela  vous  reculera  •■>  mais  auftl 
nous  prendrons  fur  ce  fubjed  occafion  d'excufe ,  &  ferons  que 
le  Cardinal  interviendra  à  cette  occafion  pour  vous.  Quant  à 
M.  Wotton ,  je  vois  bien  qu'il  ne  faut  rien  efperer  de  cefte  part. 
Jedefireroisfortavoirlereftede  M.  Cotton  ,  jufques  au  dcceds 
de  la  fereniflime  Pvoyne  Ehfabeth  ,  &  il  m'obligera  grande- 
ment s'il  me  l'envoyé ,  comme  il  a  fait  le  précèdent  jufques  en 
Tan  1 5  52.  (3)  Je  vous  fuppdie  luy  baifer  les  mains  de  ma  part  ^ 


(\)  Critique  des  Annales  de  Baronius, 
^ui  parut  à  Londres  en  1614. 

(1)  Richard  Montagut  évéque  de  Bath 


&  de  Wells  ,  auteur  du  livre  ,  AnakBn 
exercitationum  'Ecclefiajl.  Londini    1612. 

(3)  Ou  plutôt  1581.  Y.  la  lettre  fuivante 


D  E  J.  A.  DE  THOU.  27-7 

&  à  M.  Camden.  Nous  attendons  le  S.  Jean  Chryfoftome 
de  (  I  )  celuy  qui  parle  fi  dignement  du  non  jamais  aflez  loué 
Scaliger»  En  ceft  endroit  ma  femme  vous  baife  les  mains ,  &  à 
Madamoifelle  voftre  femme  ,  &  fupplions  tous  deux  noftre 
Seigneur ,  Monlieur ,  vous  donner  en  fanté  fa  grâce. 

De  Paris  ce  2^  Voftre  bien  humble  Se  très  afFedionné 

Janvier  1 513.  Serviteur  De  Thou, 

Lettre  de  Jac.  Aug.  de  Thou  a  Guillaume  Camden. 

PARDONNE  z-moi ,  Monfieur ,  fi  j'ay  tardé  à  répondre  à    Traduite  du 
votre   dernière  lettre.  J'ai  plufieurs  fois  prié  Monfieur  Y^^J^ii^  "'^^ 
Cafaubon  ,  dans  celles  que  je  lui  ai  écrites  ,  de  vous  faire  camd.  &  a- 
mes  excufes  ,  attendant  î'occafion  de  pouvoir  vous  remer-  ^"■^^-  '^^'■^'"• 
cier  à loifir  de  toutes  vos  bontés  à  mon  égard.  J'ai  toujours    *"  '^*'^^' 
eu  naturellement  beaucoup  d'averfion  pour  ce  qui  s'appelle 
affaires  5  cependant  je  ne  fçai  par  quelle  deftinée  ,   je  m'y 
fuis  trouvé  plongé  malgré  moi  ,  ce   qui  me  fait   oublier  la 
plupart  de  mes  devoirs ,  ou  m'en  acquitter  lentement  &  avec 
négligence.   Cette  ardeur  de  continuer  mon  ouvrage ,  fur  la- 
quelle vous  me  faites  compliment  ,  a  été  depuis  bien  rallen- 
tie  par  plufieurs  circonftances  défagreables.    Je  mets  de  ce 
nombre  les  difcours  tenus  en  Angleterre  ,  au  fujet  de  mon 
Hiftoire ,  &  de  ma  perfonne  -,  difcours  qui  me  conviennent 
Il  peu  ,  &  qui  ont  néanmoins  refroidi  à   mon   égard   votre 
bon  Prince.  Ce  que  vous  ajoutez  dans  vos  dernières  lettres 
nïa  aufîi  fort  découragé.  Outre  cela   j'ai  été  très-affligé   de 
la  mort  précipitée  de  Monfieur  George  Carew  ,  dont  l'amitié 
me  faifoit  honneur  ,  &  fur  qui  je  comptois  ,  foit  par  rapport 
aux  fecours  qu'il  m'auroit  donnez  pour  mon  Hiftoire   ,  foit 
par  rapport  aux  calomnies  répandues  à  mon  fujet  à  la  Cour 
d'Angleterre  j  qu'il  auroit  pu  dilTiper  aifément.  Je  me  flattois 
auffi  que  je  trouverois  quelques  fecours  de  la  part  de  Monfieur 
Wotton  ,  ci-devant  votre  Ambaftadeur  à  Venife.  Il  y  a  fix 
ans  que  le  R.  P.  Paul  mit  par  écrit  à  ma  prière  l'hiftoire  du 


(i)  Henri  Saviîl ,  qui ,  au  rapport  de 
Cafaubon,  difoiî  de  Jofeph  Scaliger,  à  qui 
yonlçit  i'catendre,  que  e'étoit  un  Gram- 


mairien étourdi  ,un  Philofophe  infenle  , 
un  Mathématicien  furieux  ,  &  du  lefte 
moins  que  rien. 

M  m  iij 


2  78        PIECES  CONCERNANT  L'HISTOIRE 

différend  de  cette  République  avec  le  Pape  ,  affaire  où  îî 
avoit  eu  beaucoup  de  part.  Ayant  compofé  cet  ouvrage  pour 
moi ,  &  pour  me  le  faire  tenir  ,  mais  craignant  qu'il  ne  fut 
perdu  en  chemin ,  il  l'avoit  confié  à  Venife  à  Monfieur  Wotton 
&  l'avoit  enfuite  prié  dans  une  lettre  de  me  le  communiquer. 
J'ai  écrit  auffi  moi-même  à  Monfieur  Wotton  ,  mais  inuti-. 
iement.  Car  après  de  longs  délais  ,  Monfieur  Cafaubon  qui 
lui  a  rendu  ma  lettre  ,  n'en  a  point  eu  d'autre  réponfe  ,  finon 
qu'il  travailloit  lui-même  au  même  ouvrage  :  il  n'a  pas  eu  le 
loifir  apparemment  de  m'honorer  d'une  lettre.  Si  ce  qu'il 
dit  eft  vrai ,  à  la  bonne  heure  ;  nous  attendrons  l'ouvrage  ôc 
nous  en  profiterons.  A  l'égard  des  mémoires  de  Monfieur 
le  Chevalier  Cotton  ,  vous  fçaurez  qu'ils  m'ont  été  envoyez 
deux  fois  ,  par  l'ordre  du  ferenifTime  roi  de  la  Grande  Bre- 
tagne. Ces  mémoires  vont  jufqu'à  l'année  1^82.  mais  pouc 
,ce  qui  eft  au  delà  ,  &  ce  qui  refte  jufqu'à  la  mort  de  la  reine 
Elifabeth ,  on  ne  ane  l'a  point  envoyé.  Celui  qui  m'a  remis 
ces  mémoires  ,  me  l'avoit  néanmoins  fait  efperer  ,  &  je  le 
fouhaitois  avec  ardeur.  Je  ne  fçavois  pas  alors  que  vous  aviez 
la  principale  part  à  ces  mémoires  ,  &  je  vous  fuis  bien  oblige 
de  fhonneur  &  du  plaifir  qu'on  a  voulu  me  faire.  Plût  à 
Dieu  que  cela  eût  eu  fon  effet ,  &  que  la  circonfiance  que 
vous  me  mandez  n'eût  pas  produit  un  changement  fâcheux. 
Cependant  j'ai  fait  ufage  de  ces  mémoires  ,  pour  faire  des 
corredions  ,  des  additions  ,  &  mettre  plus  d'ordre  chrono- 
logique dans  plufieurs  endroits  de  mon  Hiftoire  ,  comme 
vous  verrez  dans  la  première  Edition  qui  paroîtra.  Je  ferai 
la  même  chofe  par  rapport  au  refte  ,  fi  Monfieur  Cotton  veut 
bien  en  votre  confideration  continuer  de  m' éclairer  ,  comme 
il  a  fait  cy-devant.  Je  le  fouhaite  d'autant  plus ,  que  je  fçai 
maintenant  que  vous  avez  mis  la  main  à  cet  ouvrage  ,  c'eft- 
à-dire  qu'il  eft  écrit  avec  tout  le  foin  &  la  fidélité  pofilbles , 
quoique  le  Copifte  y  ait  fait  des  fautes.  Ce  que  vous  avez 
jobfervé  ,  je  l'ai  obfervé  aufii  5  mais  je  me  fuis  bien  gardé 
d'imputer  ces  fautes  à  l'Auteur ,  que  je  ne  connoiflbis  pas  alors , 
&  que  je  croyois  être  un  autre  que  vous.  Il  ne  me  refte  plus 
..qu'à  vous  prier  encore  une  fois  de  m'excufer  ^  fi  j'ai  tant  tardé 
à  vous  répondre  ,  &  d'être  perfuadé  que  vous  n'avez  jamais 
obligé  perfonne,  qui  foit  plus  reconnoiflant  ôc  plus  difpofé 


DE    J.    A.    DE    THOU.  27^ 

î  profiter  des  occafions  de  vous  témoigner  fa  gratitude  .Adieu 
mon  cher  Monfieur  ,  continuez  ,  je  vous  prie  ^  de  m' aider 
dans  mon  entreprife  ^  autant  que  vous  le  pourrez  .De  mon 
Château  de  Viibon  dans  les  fêtes  de  Pâque  1^15. 

Lettre  de  Guillaume  Camden ,  à  Jac.  Aug.  de  Thoit. 

JE  profite  de  Foccafion  que  m'offre  Monfieur  le  Baron  Carew,  /^^.'^'^"'^^  ^^* 
qui  écrit  à  Meffieurs  de  Sainte  Marthe ,  avec  lefqueîs  il  a  un  Manufcrit. 
grand  commerce  de  lettres,  par  rapport  aux  généalogies.  Mon- 
fieur Carew  m'a  demandé  poliment  fi  jen'avois  pas  quelques 
lettres  à  envoyer  en  France.  J'ai  faifi  avec  ardeur  l'occafion 
à  laquelle  je  ne  m'attendois  pas,  pour  vous  écrire  à  la  hâte, 
&  pour  vous  remercier  des  bontés  que  vous  me  témoignez 
dans  votre  dernière  lettre,  &  en  même  tems  pour  vous  faire 
compliment  fur  votre  amour  confiant  pour  la  vérité ,  &  fur 
cette  fermeté  que  vous  faites  paroître  dans  l'orage.  Vous 
m'avez  appris  le  premier  le  changement  de  SaMajefté  à  vo- 
tre égard,  &  la réîblution  qu'elle  a  prife 5  ce  qui  m'a  fait  beau- 
coup de  peine.  J'ai  rencontré  un  EcofTois-François ,  &  un  ou 
deux  autres  EcofTois  ennemis  de  Buchanan ,  qui  étoient  fort 
irritez  contre  vous.  Dernièrement  ayant  preffé  Monfieur  Cor- 
ton  de  vous  envoyer  les  Annales  qu'il  avoir  commencées, 
il  me  répondit  nettement  j  que  Sa  Majefié  ne  le  jugeoitpas 
à  propos.  Je  fuis  étonné  que  Monfieur  Wotton  ne  vous  faffe 
point  tenir  l'ouvrage  du  P.  Paul.  J'ai  de  la  peine  à  me  per- 
■fuader  qu'un  homme ,  qui  eft  toujours  à  la  Cour ,  &  qui  ne 
penfe  qu'à  fa  fortune,  entreprenne  l'Hiftoire  dont  il  s'agir. 
Je  crois  que  vous  avez  reçu  ce  que  Monfieur  George 'Carew 
a  obfervé  au  fujet  des  affaires  de  Pologne  &  de  Suéde.  Je 
fçai  qu'il  avoit  fait  copier  fes  obfervations  ,  pour  vous  les  en- 
voyer. Adieu,  Monfieur  5  foyez  perfuadé  d'une  éternelle  ami- 
tié de  ma  part.  Du  Palais  de  Weftminfter  le  17  Juillet  1 515, 

Lettre  de  Jac»  Aug.  de  Thou ,  à  îfaac  Cafaubon. 

On  SI  EUR.   T'av  reçu  la  voftre  du  8  du  pafle.  Vous  _     .   ,  .- 
n'aurez  jamais  faute  de  fubjed  pour  vous  juftement  \q  Manufcrk. 
indigner,  fi  une  fois  pour  toutes  vous  ne  vous  refolvez  de 


28o       PIECES   CONCERNANT  L'HISTOIRE 

genereufement  merprifer  tous  ces  abboyeurs  à  la  lune.  Ce 
Candroi  dernier  ne  vous  doit  pas  plus  efmouvoir  que  ce  Peau- 
cier.  Negligez-les,  &  vous  appaiferez  leur  rage.  Ils  ont  ou 
penfent  avoir  gagné  fur  vous  ce  qu'ils  prétendent,  quand  ils 
vous  ont  molefté,  &  que  montrez  en  avoir  fentiment.  Je  loue 
voftre  délibération  de  n'y  faire  refponfe.  Demeurez  conftant 
en  voftre  refolution. 

Je  laide  ce  difcours,  pour  vous  dire  que  M.  le  Chance- 
lier me  dit  dernièrement ,  que  le  temps  que  vous  avez  de- 
mandé ,  eft  expiré ,  &  qu'il  étoit  temps  de  penfer  à  votre  re- 
tour. Je  lui  fis  refponfe  que  ce  terme  avoit  été  donné  &  pro- 
longé jufques  à  Pafques  dernières ,  que  depuis  ce  temps  je 
n'avois  reçu  Lettres  de  vous ,  quoy  que  ne  faudrois  à  vous 
faire  entendre  fa  volonté.  Vous  adviferez  à  m'efcrire ,  en  forte 
que  je  luy  puifle  donner  fatisfadion  fur  ce  fujed.  Par  mef- 
me  moyen  vous  me  ferez  fçavoir ,  s'il  vous  plaift ,  en  quel 
eftat  eft  voftre  oeuvre,  6c  en  quel  temps  nous  devons  l'ef- 
perer.  Ce  fera  la  crife  de  voftre  affaire.  La  refponfe  de  M, 
le  Cardinal  du  Perron  tire  de  long.  Manum  de  tabula.  Jq 
ne  fçaurois  que  vous  en  mander. 

J'ay  reçu  cy-devant  une  Lettre  très  honnefte  de  M.  Cam^ 
.  den.  Je  vous  avois  prié  de  m'excufer  envers  luy ,  fi  je  ne  luy 
avois  Cl  toft  fait  refponfe  j  vous  la  trouverez  dans  ce  paquet  : 
je  vous  prie  la  luy  bailler,  &  l'accompagner  des  mefmes  ex- 
cufes  3  ôc  toutes  les  honneftes  paroles  que  fçaurez  mieux  que 
je  ne  le  peux  defirer.  Quant  à  M.  Cotton,  je  vous  fupplie 
aulTi  l'entretenir  en  cette  mefme  bonne  volonté.  Car  pour  M. 
Wptton,  je  vois  bien  qu'il  ne  s'y  faut  plus  attendre. 

Je  vous  prie  de  m'efcrire  au  pluftot,  &  oublier  tout  ce 
qui  vous  fafche,  &  qu'induftrieufement  l'on  fait  pour  vous 
fafcher ,  fans  vous  y  arrefter  davantage.  En  cet  endroit  je 
fupplie  très  humblement  noftre  Seigneur,  Monfîeur,  vous 
donner  en  fanté  fa  grâce. 

De  Paris  ce  20  Voftre  très  humble  &  très  affedionnc 

Avril  i(^ij.  ferviteur,  De  Thou^ 


Çomm 


DÉ  J.  A.  DE  THOU.  231 

Comme  ici  j  &  en  ■pÏHJleuTS  lettres  précédentes  )  il  ejî-  parlé  peu 
^vantageujement  au  Chevalier   Henri   Wottcn  ,  on  lui  doit  la 
juflice  de  rapporter  ce  ûtion  trouve  à  ce  pAJet  dans  les  lettres  de' 
Fra-Paolo. 

Al'cgard  de  l'affaire  qui  concerne  M.  de  Thou,  elles'eft  Traduit  dcl'i- 
paffée  ainfi.  Le  P.  Paul  avant  fait  connoître  au  Seis^neur  ^f^^^"»  Si  tiré 

am,i  envie  qu  il  avoitd  envoier  les  Mémoires  a  M.  de  Thou,  Tra-Pao'oSar- 
comme  une  chofe  qui  pourroit  faire  honneur  à  la  Républi-  /''  f^  ^'^"<"' 
que ,  &  lui  ayant  demandé  fon  avis  fur  cela ,  Nani  lui  ré-  jiol  ^1^11,?^' 
pondit,   que   ce  n'étoit  pas  une  chofe  à  confeiller,  mais  à  i^7î-  in  12. 
faire  5  que  fi  on  l'en  chargeoit ,  il  s'en  acquitteroit  volontiers.  P'  ■^°°' 
Le  P.  Paul  fuivit  fon  confeil.Mais  depuis  le  Seigneur  Nani,  foit 
par  un  fcrupule  qui  lui  vint  à  l'efprit,  foit  parce  qu'il  propofa  l'af- 
faire au  Collège ,  prit  la  réfolution  de  furfeoir  l'exécution  de 
ce  qu'il  avoit  promis.  Il  ne  porta  donc  point  en  France  l'ou- 
vrage du  P.  Paul ,  qui  fut  obligé  de  ne  prendre  alors  fur  cela 
aucune  autre  réfolution.  Voilà  ce  qui  s'efl:  paffé 

Maintenant  je  fouhaite  que  M.  de  Thou,  &  M.  de  l'Ifle 
foient  fatisfaits.  J'ai  trouvé  un  expédient,  quij  je  crois,  fera 
aifé,  &  qui  ne  commettra  point  le  P.  Paul. 

.  Il  y  avoit  en  cette  ville ,  à  la  fuite  de  M.  Wotton  Ambaf- 
fadeur  d'Angleterre ,  un  Miniftre  de  fa  Religion ,  perfonnage 
fingulier  (i),  qui  ayant  lu  les  Mémoires  du  P,  Paul,  le  pria 
de  lui  permettre  d'en  prendre  une  copie.  Le  Père  y  confentit  à 
la  fiuj  pourvu  que  ce  ne  fut  point  en  Italien,  comme  ils  , 
etoient,  mais  en  Anglois.  Il  avoit  fes  raifons  pour  le  vouloir 
ainfi.  Il  croyoit  qu'il  le  pouvoir  faire  de  cette  manière ,  Ôc 
non  autrement. 

On  écrivit  enfuite  à  ce  Miniftre ,  d'en  faire  part  à  M.  de 
Thou.  Il  fera  facile  de  s'informer  de  M.  Wotton^  du  Ueii 
où  il  eft.  Je  crois  que  M.  de  Thou  fera  content,  &  le  P. 
Paul  ne  fera  point  compromis.  L'ouvrage  eft  long,  6c  ne 
contient  pas  moins  qu'une  main  de  papier. 

Il  feroit  inutile  de  s'adrefler  à  la  perfonne  (2)  que  vous  me    ihid.  />,  57g. 
nommez ,  qui  eft  à  prefent  ici.  Ce  n'eft  pas  elle  qui  a  cette  tra- 

(i)  Ce  MJniflreot!  Chapelain  du  Chevalier  V/otton.fenommoit  Guillaume Bedc If, 
(i)  Le  Chr\?]\ç:  Wotton. 

Tome  XK  Nn 


Imprimée  fut 
le  Manufcric. 


282       PIECES    CONCERNANT   L'HISTOIRE 

dudion,  mais  Ion  Chapelain  (i) ,  qui  n'eft  plus  chez  lui.  S'il 
vous  en  fouvient,  je  lui  en  ai  écrit,  &  je  vous  ai  envoyé  ma  lettre. 

Lettre  de   Jac,  Aug,  de  Thou ,  à  Ifaac  Cafaubon, 

MONSIEUR.  Ilya  long  temps  que  je  recherchois  l'oc- 
cafion  de  vous  efcrire  ,  &  faire  refponfe  à  deux  de  vos 
Lettres  d'Avril  &  May  dernier  ;  mais  j'ay  efté  indifpofé  de- 
puis, &  Madamoifelle  voftre  femme,  par  les  mains  de  laquel- 
le j'avois  reçu  la  première  des  voftres ,  a  été  abfente  &  in- 
difpofée  elle  mefme  5  qui  a  été  caufe  que  j'ai  différé  jufqu  a 
ce  jour  de  vous  efcrire ,  auquel  ayant  trouvé  la  commodité 
de  ceux  qui  vous  rendront  la  prefente ,  fans  attendre  que  j'euf- 
fe  conféré  avec  Madamoifelle  voftre  femme  j  pour  fçavoir 
quelle  refponfe  elle  avoir  eu  de  M.  de  Villeroy,  je  n'ai  vou- 
lu faiUir  à  mon  devoir.  Je  crois  qu'elle  vous  aura  efcrit  les 
propos  que  nous  eûmes  enfemble  à  fon  arrivée ,  &  que  je 
vous  repeteray  encore  par  celle-cy,  ne  voyant  point  qu'il  y 
ait  lieu  de  changer  le  confeil  que  je  luy  donnay  lors ,  qui  eft 
en  fomme ,  que  fi  vous  eftes  en  liberté ,  c'eft  à  dire ,  qu  iî 
vousfoit  libre  de  venir  par  deçà,  fans  obligation  de  publier 
voftre  livre  tant  attendu ,  &  redouté  de  part  &  d'autre ,  qu'en 
ce  cas  vous  difpofiez  de  venir  par  deçà  au  pluftoft ,  &  obéir 
à  la  volonté  de  S.  M.  qui  vous  doit  rappeller ,  &  ce  fans  dé- 
layer davantage,  finon,  &  que  vousfoyez  obligé  de  publier 
voftre  livre ,  qu'au  pluftoft  vous  le  fafliez  mettre  fous  la  prefle, 
&  imprimé  qu'il  fera ,  devant  que  revenir  par  deçà,  l'envoyer 
incontinent,  afin  que  félon  la  réception  d'iceluy,  vous  &  vos 
amis  puiflent  faire  jugement  quelle  réception  vous  pouvez 
efperer  en  France  aprez  votre  retour.  Depuis  luy  avoir  don- 


{\)  Guillaume  Bedell  qui  traduifoit  ac- 
tuellement en  Latin  ces  Mémoires  du  P. 
Paul,  qu'il  ne  publia  qu'en  1626.  fous 
ce  ûttf.lnterdtBi  Veneti  Hifioria.  Dans  la 
dédicace  au  Roi  Charles  I.  il  dit  :  «  Lorf- 
S3  que  j'crois  à  Venife,  le  P.  Paul  me  fit 
»  part  de  fes  Mémoires,  au  fujet  du  diffe- 
wrend  de  la  République  avec  le  Pape 
w  Paul  V.  mais  à  condition  que  je  ne  les 
M  copierois  point.  Car  il  fcavoit  par  ex- 
«;>éricnce  ce  que  c'étoit  qii'JrriterlaCour 
»  de  Rome,  s'étant  vu  attaqué  en  plein 
»  jour ,  dans  le  fein  de  fa  patrie  ,  &  per- 


»  ce  de  coups  par  les  émillaircs  de  cette 
»  Cour  ,  pour  avoir  défendu  la  liberté  & 
js  les  droits  de  la  République  ,  &  de  tous 
«les  Princes.  Ainfi  tant  qu'il  a  vécu, 
33  cette  Hiftoire  n'a  point  vu  le  jour. 
»3  Mais  depuis  fa  mort ,  elle  eft  publique. 
ïs  Elle  a  paru  l'année  dernière ,  non  feu- 
jslemcnt  en  Langue  vulgaire  ,  mais  en- 
ï3  core  en  François.  Je  l'oHre  aujourd'hui 
ao  en  Latin  à  V.'  M.  &c.  »  fCet  extrait 
de  la  dédicace  de  G.  Bedell  au  Roi  Char- 
les L  eft  traduit  duLatiu.  j 


DE    J.    A.   DE    T  HO  U.  ':tBs 

né  ce  confeil,  pour  le  vous  faire  entendre,  je  n'ay  rien  veu 
ni  appris,  qui  me  doive  faire  changer  d'avis. 

Par  voftre  féconde  du  mois  de  May,  j'apprends  que  vous 
deviez  aller  à  Oxford  .-je  defire  fçavoir  quel  a  efté  le  fuccez 
de  voftre  voyage ,  &  fi  vous  avez  efté  contraint  par  honneur 
de  mettre  voftre  livre  fous  la  prefte  depuis  voftre  retour  d'Ox- 
ford. J'attends  fur  cela  de  vos  nouvelles,  &  quelle  refolu- 
tion  vous  avez  pris  pour  voftre  retour  en  France.  Quand  fur 
ce  vous  m'aurez  fait  refponfe ,  je  m'alTeureray  de  nouveau 
de  ce  que  je  vous  ay  cy-devant  efcrit  de  la  part  de  Monfieur 
le  Chancelier. 

Si  M.  Grotius  eft  encore  par  delà ,  je  vous  fupplie  le  faluer 
de  ma  part,  &  luy  tefmoigner  combien  je  l'eftime,  comme 
je  dois.  Vous  me  faites  defirer  de  voir  fes  Commentaires  5 
il  ne  peut  les  communiquer  à  perfonne  qui  les  prife  plus  que 
moy ,  qui  ay  eu  tousjours  très  cher  tout  ce  qui  vient  de  fi 
bon  lieu.  Je  vous  fupplie  auflî  de  faire  office  envers  M.  Cot- 
ton  pour  fes  Mémoires ,  &  le  prier  de  m'aider  de  ce  qui  ref- 
te  jufques  au  temps  qu'il  a  continué. 

Vous  faites  bien  de  ne  vous  offenfer  davantage  du  Can- 
drol.  Telles  gens  mal  meus ,  &  pouflez  non  d'efprit  de  cha- 
rité ,  mais  de  rancune  &  de  vangeance ,  ne  font  dignes  de 
voftre  ire.  Ils  feront  fort  trompez  de  leur  efperance ,  fi  vous 
monftrez  les  négliger.  Je  ne  vous  efcris  fur  ce  point  fans  caufe. 

Tenez  moi  tousjours  en  voftre  bonne  fouvenance ,  &  vous 
fervez  de  moy  comme  de  celuy  qui  vous  eft  afteurement 
acquis.  En  cet  endroit  je  fupplie  très  humblement  noftre 
Seigneur,  Monfieur,  vous  donner  en  fanté  fa  grâce. 

De  Villebon  ce       Voftre  bien  humble  &  très  aifedionné 
II  Aouft  i<:>i3.  ferviteur.  De  Thou. 

P.  S.  Je  ne  vous  efcris  rien  de  voftre  Lettre  à  M.  le  Car- 
dinal du  Perron  ;  vicit  fpem  &  expeBationem  :  il  eft  aprez  à  y 
refpondre.  Il  eft  bon  qu'elle  ne  foit  encore  veuë ,  car  tous 
n'en  feroient  également  leur  profit.  Je  vous  en  diray  davan- 
tage à  la  première  commodité.  J'ay  reçu  les  dix  années  fui- 
vantes  &  jufques  en  1^82.  de  la  Vie  de  la  Royne  Elifabeth; 
j'attends  le  refte.  Sur  cela  aufli  je  vous  efcriray  plus  ample- 


ment. 


é. 


Nn  ij 


28-t  PIECES  CONCERNANT  L'HISTORE 

Lettre  de  Jac,  Aug,  de  Thon ,  à  Ifaac  Cafaubon, 

Imprimée  fur  T\^  ^  O  N  S I  E  u  R.  Je  refponds  àtrois  des  voftres  par  celle-cy5 
li  Manufcrit.  J^  V  J.la  première  du  i  j  d'Odobre,  la  féconde  du  2  ^  du  mef- 
nie  mois,  &  la  dernière  du  10  du  mois  pafle.  Par  la  pre- 
mière vous  me  donniez  efperance  que  nous  pourrions  voir 
les  premières  pièces  de  voftre  œuvre,  devant  que  le  tout 
fut  achevé:  mais  vous  m'oftez  cette  efperance  par  la  fécon- 
de, &  vous  remettez  à  quand  tout  l'œuvre  fera  imprimé» 
qui  me  fait  defirer  infiniment  que  cela  foit  au  pluftoft.  Le 
fubjcâ;  eft  tel  qu'il  fera  difficile  que  vous  puiiîiez  plaire  à 
tous  les  ledeurs  ,  les  efprits  étant  aujourd'huy  comme  tous 
prévenus  &  préoccupez  d'autres  opinions  que  n'eftoientnos 
Pères.  C'eft  le  fîecle. 

Je  fuis  en  peine  pour  l'indifpofîtion  de  Madamoifelle  vo- 
tre femme ,  &  autres  fafcheries  domeftiques  dont  m'efcrivez. 
Dieu  qui  regarde  tousjours  les  fiens,  vous  donnera  en  cela 
ce  qui  vous  eftneceflaire.  Je  fuis  bien  aife  qu'ayez  veu  R. 
Sculterus  :  s'il  eft  encore  par  delà ,  je  vous  fupplie  de  le  faire 
fouvenir  de  ce  qu'il  m'a  promis  &  à  vous.  Cela  me  fervira 
,  pour ,  en  revoyant  mon  Hiftoire ,  y  corriger  &  augmenter  les 

chofes  de  ces  pays  loingtains ,  efquelies  je  ne  peux  que  bien 
fouvent  faillir,  &  qui  m' eft  pardonnable. 

M.  Camden  a  pris  la  peine  de  corriger ,  voire  jufques  à 
i'ortographe ,  tout  ce  qui  touche  la  Grande  Bretagne,  &ies 
çhofes  de  l'Irlande  j  &  ce  avec  une  grande  humanité ,  dont 
je  luy  ay  une  grande  obligation.  Non  fie  Meurfius  duquel 
vous  m'avez  envoyé  la  lettre  avec  voftre  dernière  dupafle  :  ©ar 
à  chaque  ligne  il  m'accufe  d'ignorance,  d'ineptie,  d'^viç-o/vio'/a 
&  telles  femblables  paroles.  Il  en  pouvoir  ufer  de  plus  dou- 
ces, &  mefmement  efcrivant  à  vous,  qu'il  fçait  m'eftre  in- 
time amy.  Dieu  veuille  que  je  n'aye  fait  en  tout  mon  œu- 
vre de  plus  grandes  fautes  que  celles  qu'il  a  remarquées  ,  qui 
font  la  plufpart  de  l'efcriture  &  de  l'impreirion  es  noms  pro- 
pres ,  efquels  il  eft  facile  de  faiUir.  Je  ne  laifteray  de  faire 
mon  profit  de  fes  reprehenfions  j  &  ft  luy  efcrivez  ,  je  feray 
i)ien  aife  que  l'invitiez  à  examiner  le  refte ,  fans  faire  femblant 
^ue  j'aye  trouvé  un  peu  trop  afpres  fes  corredions, 


DE  J.  A.  DE  THOU.  ^8; 

Ma  femme  vous  baife  les  mains  &  à  Madamoifelle  voftre  | 

femme ,  &  en  cet  endroit  je  fupplie  très  humblement  noftre  j 

Seigneur ,  Monfieur ,  vous  donner  à  tous  deux  &  à  toute  voftre  j 

famille  en  fanté  fa  grâce.  i 

De  Paris  ce  lo  Voftre  bien  humble  &  très  affedionné 

Décembre  1(^15.                             ferviteur,DE  Thou,  \ 

F.  S.  Si  vous  voyez  par  occafion  m.  Cotton,  je  vous  prie 

lui  baifer  les  mains  de  ma  part ,  Ôc  le  faire  fouvenir  de  la  pro-  ■ 

meife  qu'il  vous  a  faite  pour  le  refte  des  Mémoires  jufques  au  ; 
dcceds  de  la  Royne  Elifabeth,  &  dont  M.  l' Ambafîadeur  qui 

eft  icy  m'a  donné  efpérance. 

] 

Lettre  de  Jacques  Augiifie  de  Thon  à  Ifaac  Cafaubon.  '     ■  ] 

MONSIEUR.  J'ay  reçu  deux  des  voftres ,  &  toutes  deux  Imprî^^e  ftrf  j 

lu  m.ois  pafte.  je  refpondray  à  la  dernière ,  qui  eft  de    ^    a  u  n  .  | 

la  iiu  uudit  mois.  Celles  que  je  vous  avois  efcrit  devant  la                     '  , 

réception  d'icelle,  &  que  je  crois  que  vous  avez  cependant  1 
receuës,  vous  doivent  avoir  mis  hors  de  la  peine  en  laquelle 

vous  eftiez  pour  ce  que  m'aviez  envoyé.  Le  tout  m'a  efté  fi-  j 

deilement  rendu ,  comme  je  vous  ay  efcrit  :  nous  attendons  | 

le  refte  avec  extrefme  defir  ^  ce  que  nous  avons  veu  nous  en  | 
a  augmenté  l'envie.  Les  deux  chefs  obmis  en  la  dernière 

Exercitation  de  la  Tranfubftantiation  &  Sacrifice,  attendront  ^ 

leur  temps  &  Heu ,  &  paftera  plus  doucement  cette  première  : 

Edition  fans  la  diflertationd'iceux.  i 

J'envoye  à  M.  Camden  par  cette  voye ,  qui  eft  de  M.  l'Am-  ; 
bafladeur  qui  s'en  va  par  delà  pour  un  bon  effet,  ce  qui  s'efl: 

imprimé  de  nouveau  de  noftre  Hiftoire ,  plein  de  fautes ,  dont  ' 

il  me  defplaift ,  &  dont  je  vous  prie  faire  les  excufes.  J'y  ay  j 

inféré  ce  que  j'ay  appris  depuis  la  première  Edition ,  touchant  | 

les  affaires  d'Angleterre  &  d'Irlande  ,  fuivant  les  Mémoires  \ 

que  m'a  envoyé  M.  Cottcn ,  auquel  je  baife  les  mains  très  hum-  j 

blement ,  &  fouhaite  pleine  &  entière  guérifon.  M.  Camdeiî  ] 

prendra  la  peine  ,  s'il  luy  plaift ,  de  pafler  la  veuë  deftlis ,  ôc  - 

m'advertir  avec  fon  humanité  &  diligence  accouftumée  des  ; 

fautes  y  furvenuës.  Je  m'eftonne  de  l'imperfedion  que  m*ef-  ; 

çrivez.  Drouart  a  grand  tort ,  à  qui  je  m'en  eftois  confié.  Vous  \ 

Nnii]  i 


28<^  PIECES  CONCERNANT  L'HISTOIRE 

n'oublierez  les  Mémoires  de  M.  Cotton  jufques  au  deceds  de 
la  Royne  Elifabeth.  M.  Camden  en  eft ,  comme  j'entends ,  le 
principal  auteur.  Si  cela  eft ,  nous  les  pourrions  avoir  par  luy- 
mefme.  La  voye  de  M.  l' AmbalFadeur ,  qui  doit  revenir ,  j'en- 
tens  M.  Edmond ,  fera  fort  à  propos.  Il  m'a  promis  d'en  avoir 
foin. 

Je  vous  ay  fait  entendre  ce  que  l'on  defîre  de  vous  par  deçà  ; 
j'attends  fur  ce  voftre  refponfe ,  &  telle  que  je  la  puifle  monf-^ 
trer  à  M.  le  Chancelier.  Cependant  je  feray  ce  que  je  pourray 
pour  vous  faire  continuer  fur  i'Eftat ,  &  ne  doute  point  que  fi 
vous  refolvez  de  venir  icy  à  ces  Pafques ,  que  vous  n'y  foyez 
continué  avec  etfet.  Confervez-moy  tousjours  en  voftre  ami- 
tié qui  m'eft  très  chère.  En  cet  endroit  je  fupplie  très  humble- 
ment noftre  Seigneur ,  Monfieur  ,  vous  donner  en  famé  fa 
grâce. 

De  Paris  ce  pénultième       Voftre  bien  humble  &  très  afFec- 
de  Janvier  i  (5"  1 4.  tionné  ferviteur ,  D  e  T  h  o  u. 

Lettre  d'Ifaac  Cafaubon  à  Jacques-Aitgujle  de  Thon. 

MONSIEUR.  J'ai  reçu  depuis  peu  de  jours  la  lettre  que 
vous  m'avez  fait  l'honneur  de  m'écrire  le  3  o  de  Jan- 
Manufcrit.  vier.  J'avois  domié  la  veille  un  paquet  pour  vous  ,  rempli 
de  lettres,  à  Monfieur  l'Ambafladeur.  Comme  je  fçai  qu'il 
vous  a  été  rendu ,  je  ne  vous  en  entretiendrai  point.  Je  vous 
ai  écrit  dernièrement  ce  que  M.  Cotton  m'a  dit  5  fçavoir ,  que 
le  Roi  trouvoit  quelque  chofc  à  reprendre  dans  la  nouvelle 
partie  de  votre  Hiftoire ,  &  que  fa  Majefté  lui  avoir  dit  qu'elle 
m'en  parleroit.  J'ai  eu  l'honneur  de  voir  le  Roi  plufieurs 
fois  ces  jours  paftez  ,  &  il  m'a  entretenu  de  bien  des  chofes , 
fans  me  dire  rien  au  fujet  de  votre  ouvrage.  Je  parlerai  à 
MelTieurs  Cotton  &  Camden ,  afin  que  vous  ayez  au  premier 
jour  ce  que  vous  fouhaitez. 

Je  vous  ai  mandé  dernièrement  que  mon  ouvrage  étolt 
achevé  5  mais  différentes  occupations,  m'ont  empêché  de 
m'appliquer  à  écrire  les  Prolégomènes.  Dès  que  le  livre  fera 
imprimé ,  je  ne  manquerai  pas  de  vous  l'envoyer ,  afin  que 
vous  ayez  la  bonté  de  me  faire  fçavoir,  fi  vous  le  trouvez 
bon,  ce  que  vous  voulez  que  jefolïe. 


Traduite  du 


D  E  J.  A.  D  E  T  H  O  U.  287 

J'ai  va  ces  jours-ci  le  grand  ouvrage  de  Coeffeteau.  Je 
loiie  le  grand  travail  de  l'Auteur  •■>  mais  la  vérité  y  manque. 
Tout  cet  ouvrage  tend  à  foumettre  les  Rois  à  la  puilTance  Pa- 
pale. Il  loue  également  les  bonnes  &  les  mauvaifes  adions 
dQS  Papes.  Il  difllmule  ou  excufe  leur  rapacité  ,  qui  furpafle 
tout  ce  qu'on  peut  imaginer.  Ce  ne  font  qu'erreurs  &  fauffetez, 
par  rapport  à  Grégoire  IX.  Il  accufe  Mathieu  Paris ,  &c.  Il 
prétend  après  Baronius  &  Bellarmin,que  les  Hérétiques  qui  ont 
donné  l'édition  de  cet  auteur  l'ont  altéré?  rnais  lui  &  eux  men- 
tent. J'ay  dans  mon  cabinet  l'exemplaire  de  Matthieu  Paris, 
que  ce  Moine  donna  à  fon  Abbaye ,  &  qui  appartient  aujour- 
d'hui à  la  bibliothèque  du  Roi.  J'ay  lu  aufli  j  dans  la  bibliothè- 
que de  Monfieur  Cotton ,  les  vies  que  ce  Moine  a  compofées 
des  Abbez  de  S.  Albans.  Dans  ce  dernier  ouvrage,  il  décla- 
me de  la  même  manière  contre  les  fourberies ,  les  rapines , 
&  les  crimes  horribles  des  Papes.  Le  même  Monfieur  Cot- 
ton poilede  une  Hiftoire  abrégée  de  cette  Abbaye  ,  où 
Matthieu  Paris  parle  avec  encore  plus  d'énergie  de  la  ty- 
ranie  Romaine ,  que  dans  les  éditions  qui  ont  paru.  Ces 
deux  Manufcrits  font  fur  du  parchemin ,  qui  eft  du  temps  que 
cet  Auteur  vivoit,  ou  à  peu  près.  Quelle  impudence  donc 
de  vouloir  excufer  les  crimes  des  Papes,  ou  d'accufer  les 
Proteftans  d'impoRure  fur  cet  article  .'  J'en  parlerai  dans  mes 
Prolégomènes.  Je  fçai  quel  en  fera  le  fort ,  fi  la  vérité  fait 
des  ennemis.  Mais  je  vous  amufe. 

Adieu ,  Monfieur ,  vivez  toujours  heureux,  avec  Madame 
de  Thou,  &  Meiïieurs  vos  enfans.  Ma  femme  joint  fes  vœux 
aux  miens  ,&  vous  préfente  à  tous  fes  refpeds.  Je  ne  penfe 
plus  qu'à  la  France ,  depuis  l'efpérance  que  j'ay  de  partir  bien- 
tôt pour  ce  pays-là.  Dieu  le  veuille.  Adieu  encore  une  fois. 

Lettre  de  Jacqîi€S-At4gufie  de  Thou  à  Jfaac  Cafmtbon. 

MONSIEUR.  J'ay  fait  refponfe  à  la  voftre  du  2.6  du  imprimée  fur 
pafle ,  que  j'ay  rcceuë  avec  le  feuillet  dernier  de  voftre  le  Manufcrk. 
œuvre.  Nous  attendrons  les  Préfaces ,  qui  en  retardent  la  pu- 
blication ,  avec  impatience ,  afin  que  par  le  jugement  &  ré- 
ception que  l'on  en  fera ,  nous  puilTions  voir  plus  clair  en  la 
xéfolution  de  vos  affaires.  Ce  que  je  vous  ay  efcrit  pour  voilre 


û8S         PIECES   CONCERNANT  L'HISTOIRE 

acheminement  par  deçà,  je  l'ayfait  par  commandement  de 
M.  le  Chancelier ,  qui  tefmoigne  vous  vouloir  du  bien ,  & 
affedionner  ce  qui  vous  touche.  Voflre  longue  abfence  don- 
ne fujet  de  parler  à  aucuns  ;  je  vous  laiiîe  à  penfer  de  quel  ef^ 
prit  ils  font  pouiTez ,  &  oftent  la  liberté  aux  autres  qui  vous 
favorifent.  L'on  tenoit  que  voilre  oeuvre  feroir  du  tout  ache- 
vé pour  tout  ce  mois  :  c'eft  pourquoi  l'on  vous  avoir  préfini 
le  terme  mentionné  en  la  mienne,  eftimant  que  desjavoftre 
œuvre  ayant  efté  veu  de  pluheurs ,  comme  il  fera ,  &  de 
ceux  qui  y  veulent  apprendre ,  &  de  ceux  qui  y  veulent  re- 
prendre, le  jugement  en  feroit  desja  fait  &  donné  quand  vous 
viendriez  par  deçà.  S'il  ne  peut  li-toft,  l'on  pourra  différer 
jufques  à  quelques  mois. 

Pour  M.  Cotton ,  j'ay  prié  M.  l'Ambafladeur ,  qui  eft  main^ 
tenant  par-delà ,  d'impetrer  du  Roy  de  la  Grande  Bretagne , 
qu'il  m'envoye  le  furplus  defes  Mémoires ,  dequoy  je  vous 
fupplie  le  vouloir  foliiciter,  &  en  parler  avec  M.  l'Ambalfa- 
deur  5  j'entends  M.  Edmond.  Ce  mal  avifé ,  que  vous  fcavez , 
qui  efcrit  fi  imprudemment  par  delà ,  eft  caufe  de  ce  mal- 
entendu. Je  penfois  que  ce  que  je  vous  avois  efcrit  depuis  , 
&  que  M.  de  Bouillon  en  avoit  dit  au  Roy,  euft  effacé  ces 
mauvaifes  impreffions  :  mais  à  ce  que  je  vois,  cela  dure  en- 
core ,  &  vous  fupplie  partant  de  prendre  occafion  d'en  repar- 
ler à  fa  Majefté.  Je  vous  peux  aflurer  que  j'ay  fait  fort  mon 
profit  de  ce  qui  m'a  ell:é  ja  envoyé ,  &  j'ay  inféré  chacune 
pièce  en  fon  lieu  ,  comme  il  fe  verra  par  la  première  Edition , 
laquelle  fi  elle  a  efté  retardée  jufques  icy ,  le  retardement  ve- 
nant de  la  pareffe  &  avarice  des  Libraires ,  ne  me  doit  attirer 
l'indignation  d'un  fi  grand  Prince  ,  que  j'honore ,  &  à  la  gloi- 
re duquel  &  grandeur  je  favorife  de  tout  mon  cœur.  Faites 
donc,  s'il  eft  pofllble,  que  le  refte  me  foit  envoyé^  &vous 
fervez  de  M.  Camden  en  cette  pourfuitte ,  auquel  je  baife 
les  mains ,  n'ayant  receu  la  Lettre  qu'il  m'a  efcrite  de  Juil- 
let dernier ,  que  depuis  trois  ou  quatre  jours.  Je  baife  auflî 
les  mains  à  M.  Cotton ,  &  le  fupplie  m'obliger  de  cette  grâce. 
J'ay  envoyé  à  M. Camden  le  dixième  tome  de  nos  Hiftoires/or- 
ma  1 1^.  J'attends  de  luy  fa  dihgence  accouftumée  in  Britan" 
nicis  :  vous  l'en  ferez  fouvenir. 

Ayant  efcrit  cette  Lettre  jufques  en  cet  endroit ,  j'ay  veu 

M.  le 


DE    J.    A.   D  E  T  H  Ô  U.  28i> 

M.  le  Chancelier ,  &  luy  ay  monftré  le  dernier  feuillet  de 
voftre  œuvre.  Il  defîre  que  vous  y  ayez  gardé  telle  modé- 
ration ,  qu'il  puifTe  eftre  leu  de  tous.  Il  m'a  donné  alTeurance 
de  la  continuation  de  voftre  penfion  5  mais  il  vous  fomme  de 
voftre  promeffe  pour  voftre  retour ,  dont  il  femble  que  me 
donniez  efpérance  plus  certaine  par  voftre  dernière  fans  dat- 
te j  qui  me  fut  hier  au  foir  rendue ,  aprez  avoir  efcrit  ce  que 
deftus.  Je  crois  qu'elle  eft  du  17  du  prefent  5  car  celle  de  M. 
de  Bifpeaus ,  que  j'ay  receu  par  la  mefme  voye ,  eft  de  cette 
datte.  Paricelle  vous  vousoifenfez  &  juftement  de  ce  que  l'on 
dit  que  le  Matthaeus  Paris  a  efté  corrompu.  Il  feroit  à  defirer 
que  la  petite  Hiftoire,  &  celle  des  Abbés  de  S.  Albans  fuft: 
imprimée  ;,  &  le  devez  dire  au  Roy.  Mais  ce  que  vous  ad- 
jouftez ,  que  vous  traiterez  de  cela  en  vos  Prolégomènes ,  je 
ne  fçay  fi  c'eft  le  lieu ,  &  defirerois  que  cet  œuvre  tant  de- 
lire  d'un  chafcun  peuft  fortir  tout  entier ,  fans  par  occafton 
y  rien  mefler  de  ce  qui  regarde  les  temps  fubfequens  ,  ôc 
puifle  donner  prife  à  ceux  qui  la  cherchent.  C'eft  ce  que  de- 
fîre Monfieur  le  Chancelier  j  &  que  je  remets  à  voftre  pru- 
dence. 

J'ay  fait  la  prefente  à  deux  fois.  Confervez-moy  en  voftre 
bonne  fouvenance.  Je  fupplie  très  humblement  noftre  Sei-» 
gneur,  Monfieur,  vous  donner  enfanté  fa  grâce. 

De  Paris  ce  24.  Voftre  bien  humble  &  très  aftedionné 

Février  i(5i^.  .  ferviteur.  De  Thou. 

REMARQ^UE, 

On  ne  trouve  point  cîe  Lettres  de  Monfîenr  de  Thon  à  Cafanbon  ,  ni  de 
ce  dernier  à  Monfieur  de  Thou  ,  depuis  ce  temps  ,  jufqu'à  la  mort  de 
Cafaubon ,  arrivée  le  premier  de  Juillet  1614.  Nous  allons  rapportée 
préfenteraenr  quelques  notes  fur  l'endroit  de  l'Hiftoire  de  Monfieur 
de  Thou  ,  où  il  eft  parlé  des  affaires  d'Ecofle.  Ces  remarques  font  ti- 
rées du  Supplément  au  Recueil  des  Letttcs  de  Camden  ,  pag.  5  5^.  & 
fuivantes.  Elles  fe  trouvent  en  Original  écrites  de  la  main  de  Cafaubon, 
dans  la  Bibl-otheque  Cortonienne.  Monfieur  Thomas  Smith  affure  dans 
la  vie  du  Chevalier  Rob.rt  Corton  ,  pag.  17.  que  le  Roi  Jacques  les 
avoit  lui  même  didées  à  Cafaubon. 

Tome  XK  ..  O  o 


0.S0       PIECES    CONCERNANT   L'HISTOIRE 

Note i  fur  les  Evénemens ,  concernant  les  affaires  d^EcoJfe,  rap" 

portez  dans  le  cinquième  volume  de  PHijloire  de  Jacques- 

y^ugafce  de  Thou.  Traduites  du  Latin. 

Tom.  V.  Lîv.  T   Y  E  N  R  Y  étant  venu  d^y^ngleterre  en  EcoJJe ,  avec  la  permif- 
xxxvii.  p.  I.  Jj  jlon  de  la  Reine  Elifabeth ,  &c.  On  lit  plulienrs  fois ,  dans 
ce  récit ,  que  la  Reine  Elifabeth   avoit  confenti  au  mariage 
de  ce  Seigneur  avec  la  Reine  Marie.  Rien  n'eft  plus  faux. 
Voici  la  vérité  du  fait.  Cette  affaire  fut  entamée ,  conduite , 
&  même  terminée  à  l'infcû  d'Elifabeth ,  par  les  fages  confeils 
de  l'ayeule  du  Roi  Jacques.  Les  affaires  d'Angleterre  étoient 
alors  fur  un  pied  ^  &  on  y  penfoit  de  manière ,  que  la  Reine 
^  les  Seigneurs  Anglois,  regardoient  comme  un  bien  pour 
l'Angleterre,  que  la  Reine  d'Ecoife  ne  laifsât  point  d'enfans. 
Ainfi  toutes  leurs  vues  fe  terminoient  à  cette  perfpedive.  Il 
y  a  nombre  de  preuves  certaines ,  que  ce  mariage  fut  fait  à 
î'infcû  d'Elifabeth  5  car  elle  fit  mettre  à  la  Tour  de  Londres 
i'ayeule    du  Roy  Jacques,  à  la  première  nouvelle    qu'elle 
en  eut ,  &  elle  n'oublia  rien  pour  empêcher  cette  aUiance. 
Ainfi   ce   qu'on  dit  fi  fouvent  du  confentement  de  cette 
Reine,  eftfaux. 
Pag.  1. 1.  II.       David  Riz   empêchoit  la  Reine  d"" aller  aujfi  vite  dans  cette  af- 
faire,  quelle  auroit  defiré.  Le  Roi  ne  fçaitpas  pourquoi  on  at- 
tribue de  l'impatience  à  la  Reine  en  cet  endroit.  Car  s'il  y 
eut  de  la  précipitation  dans  ce  mariage ,  ce  fut  pour  de  juftes 
caufes.   Il  y  avoit  fujet  de  craindre  que  la  Reine  d'Angle- 
terre ne  s'y  oppofât.  A  l'égard  de  ce  qu'on  dit,  avec  tant  d'af- 
feûation  de  ce  joueur  de  Luth,  (i)  fils  d'un  homme  de  la  mê- 
me profeffion  ,  fa  Majefté  ne  voit  aucune  nécefiîté  de  l'avoir 
écrit  en  cet  endroit.  D'ailleurs  elle  efi:  fure  que  tout  ce  qu'on 
raconte  de  cet  Italien  eft  le  plus  fouvent  faux ,  &  de  purs  men- 
fonges.  Ce  qu'on  avance  de  fa  puifiance  &  de  fon  crédit  eft 
encore  faux ,  auffi-bien  que  les  calomnies  qu'on  lui  attribue 
contre  les  gens  de  bien.  MdÀs  il  avoit  j  dites-vous,  encouru  la 
haine  publique.  Sans  doute.  Mais  ce  Public  ,  qui  le  haïffoit,  n'é- 
toit  autre  que  les  ennemis  de  la  Reine ,  qui  empoifonnoient 
toutes  fes  paroles  &  toutes  fes  adions. 

(i]  David  Riz. 


DE    J.    A.    DE    T  H  O  U.  api 

Il f ai f oit  entendre  à  ce  jeune  F  rince  crédule ,  &c.  Comment  cela  p  ,  jj,,  j  ^^ 
fe  peut-il  ?  Le  Comte  de  Lenox  étoit  venu  dans  le  deilein  d'e- 
xécuter ce  qui  fut  réellement  conclu.  La  Reine  conçut  de 
l'amour  à  (aviië,  &  peu  de  temps  après  le  mariage  fut  con- 
fommé. 

Le  Comte  de  Aiurray  j  qui  n  étoit  ni  flatteur ,  ni  dijfimulé.  Sa  ibid.  IjV.  i^ 
Majefté  allure  que  ceux  qui  prodiguent  de  fi  grands  éloges  à 
ce  Comte ,  fe  trompent  groffierement ,  &  qu'elle  fçait  exacte- 
ment  la  vérité  de  tout  ce  qui  eft  arrivé  ;  vérité  à  laquelle  on 
ne  peut  être  fidèle ,  qu'en  faifant  le  portrait  du  Comte  de 
Murray ,  avec  des  couleurs  entièrement  différentes  de  celles, 
dont  on  l'a  peint  jufqu'à  préfent  à  fon  avantage.  Je  fçay ,  &  je 
mereflbuviens  bien,  Monfieur,  que  vous  m'avez  dit,  lorf- 
qiie  nous  nous  fommes  entretenus  du  Comte  de  Murray  ^  que 
Yous  aviez  fait  tout  votre  polTible ,  pour  découvrir  par  une  re- 
cherche fcrupuleufe  la  vérité  de  ces  faits,  &  que  plufieurs 
perfonnes  que  vous  aviez  confultées  fur  ce  fujet  ,  ne  vous 
avoient  répondu  que  ce  que  vous  avez  écrit.  Pardonnez-moi , 
fi  j'ajoute  plus  de  foi  à  un  Prince  refpedable  ,  que  je  connois 
certainement  pour  un  fidèle  partifan  de  la  vérité,  qu'à  plu- 
fieurs particuliers  féditieux,  aveuglez  par  un  zèle  •  indifcret  ^ 
&  prêts  à  tout  entreprendre,  par  efprit  de  fadion  contre  leurs 
Souverains. 

Henry  &  Riz  dévoient  lui  faire  une  querelle  ,  &c.  Le  Roi   ibîd.  lîg.  3  S', 
allure  que  toute  cette  Hilloire  eft  fauile.  Cependant  Bûcha- 
nan  la  donne  pour  vraye.  Balancerez-vous,  entre  l'un  Ôc  l'au- 
tre ? 

//  arriva  un  Amhaffadeur  $  Angleterre.  Il  eft  fait  mention   p.  4.  lîg.  it; 
en  cet  endroit  de  deux  Ambaftades  de  la  part  de  la  Reine 
-d'Angleterre.  Le  Roi  allure  que  celle  qu'on  met  la  première , 
n'a  jamais  été. 

Qjtoique  le  Comte  de  Murray  ne  defapprouvât  pas  ce  mariage,   -p,  6.  lîg.  10. 
Au  contraire  il  s'y  oppofa  avec  beaucoup  de  chaleur,  &  n'ou- 
blia rien  pour  l'empêcher. 

On  agita  alors  avec  une  extrême  liberté  cette  quejîion,  érc.  Il   Ibid.  lîg.  14, 
•peut  fe  faire,  que  parmi  des  fujets  rebelles,  il  fe  foit  trouvé 
des  gens  aifez  animez  pour  agiter  cette  queftion  ;  mais  il  n'en 
fut  parlé ,  ni  par  les  Grands  du  Royaume ,  ni  dans  les  Etats 
légitimement  aifemblez, 

Ooij 


'  -1 


àpi  PIECES    CONCERNANT  L'HISTOTRÏ 

.     ..^  La  fuperjlition  fut  encore  un  pîijfant  motif  pour  faire  hâter 

fon  mariage  3  &  enfuite  ^  pour  faire  voir  quon  ajout  oit  foi  aux 
p.  7-  l«g.  4.  prédictions,  &c.  Le  Roi  fe  plaint  beaucoup  de  ceux  ,  qui  les  pre- 
miers ont  écrit  cette  fable.  C'eft,  je  crois  .Buchanan ,  homme 
acharné  contre  la  Reine  ,  &  qui  n  a  inventé  un  tel  conte , 
que  pour  faire  croire  ,  que  c'étoit  par  de  criminelles  intrigues , 
que  le  père  &  la  mère  du  Roi  Jacques  avoient  été  engagez 
à  s'unir  enfemble  par  les  liens  du  mariage,  &  pour  in(inuer 
qu'on  ne  devoir  rien  attendre  que  de  funefte  d'un  mariage 
contradé  fous  de  Ci  mauvais  aufpices.  Mais  Buchanan  fuit  ici 
fa  paillon.  Difons  ^  au  contraire ,  que  puifqu'il  eft  forti  de  ce 
mariage  un  fi  grand  Prince ,  d'une  probité  &  d'une  pieté  ra- 
res,  il  faut  avouer  que  cette  alliance  s'ell  faite  par  une  fe- 
crete  difpofition  de  la  Providence  ,  fans  laquelle  rien  ne 
réiiiTit.' 

p.  é.Ug.  27.  Les  bruits  quon  faifoit  courir  de  ia  mort  à' EÎifaheth  ,  &&, 
Ceux  qui  étoient  alors  préfens ,  &  qui  avoient  part  à  cette  af- 
faire ,  ne  rapportent  rien  de  femblable. 

Ibid.  lig.  31.  Mais  Riz  acheva  de  déterminer  la  Reine ,  qui  hrûloit  par  elle- 
msme  d'impatience.  La  Reine  eft  encore  ici  accufée  d'impa- 
tience pour  ce  mariage  ;  &  Riz  ^  dont  il  eft  parlé  plus  haut ,  eft 
encore  fur  le  tapis  en  cet  endroit. 

Pag.  8.  \\o.  6.  Les  Hamiltons  foutenoient  quilny  avoit  point  de  paixfoUdeà 
efperer ,  que  par  la  mort  du  Roi  &  de  la  Reine.  Ceux  qui  poffe* 
dent  l'Hiftoire  de  ce  temps-là ,  nient  abfolument  qu'aucun  de 
cette  maifon  ait  jamais  propofé  une  chofe  de  cette  nature. 
p.  7.  lig.  3 1.  La  plupart  des  Seigneurs  ne  voulurent  point  affijler  à  ces  noces. 
La  vérité  eft  ici  bien  défigurée.  Ceux  qu'on  dit  être  abfens , 
étoient  des  rebelles  j  qui  ayant  déjà  pris  les  armes ,  pour  s'op- 
pofer  à  ce  mariage ,  &  n'ayant  point  ofé  attendre  l'armée 
royale  ,  s'é soient  honteufement  fauvez  en  Angleterre. 

Pag.  8.  lig.  j.       Comme  ils  étoie?it  incommodez  par  la  Citadelie ,  d^r. 

Pag.  9.  lig.  5.       Aiaxwall y  homme  vigilant  3  ôc  enfuite.  AJais  Riz  y  ayant 

Ibid.  lig.  3^.  fait  plus  d'attention,&c.  On  nie  que  Riz  ait  jamais  été  aflez  avant 
dans  la  faveur  de  la  Reine  pour  pouvoir  faire  cela ,  ou  que 
la  Reine  ait  jamais  fait  venir  des  troupes  Italiennes  en  Ecofle. 
Cela  eft  auffi  faux  que  ce  qu'on  lit  quelques  lignes  au-delfous, 
qu'auftl-tôt  après  fon  maria^,:,  elle  fe  repentit  de  l'avoir  con- 
tradé. Ceux  qui  vivoient  d?.ns  ce  temps-ià ,  aliurent  que  le 


DE  J.  A.  DE  THOU.  z^j  \ 

%oY  Se  la  Reine  ont  vécu  dans  une  grande  union  ,  durant  \ 

quelque-temps^  après  leur  mariage.  1 

Car  Henry  ayant  été  proclamé  Roi  le  jour  de /on  mariage  j  p.  lo.  irg.i£i  ; 

'ô"c.  Voilà  le  fait  tel  qu'il  eft.  La  Reine  permit  d'abord  à  Ton  ] 

mari  de  figner  les  ades  publics  avant  elle.  Elle  laifla  même  j 
durer  long-temps  cet   ufage ,  par  pure  indulgence  ,   car  le 

Royaume  lui  appartenoit.  Mais  s'étant  brouillé  avec  le  Roi  j 

fon  mari ,  elle  lui  ôta  cette  prérogative  j  &  depuis  ce  temps-  | 

là ,  on  obferva  le  droit  commun.  Pourquoi  les  rebelles  ont-  ; 
ils  fait  un  crime  de  cela  à  la  Reine  ?  Marie ,  Reine  d'Angle- 
terre, n'a-t-elle  pas  toujours  figné  avant  fon  mari  (i)  ?  Le  Roi 
Jacques  a  des  lettres  des  Archiducs ,  qui  ne  font  pas  autre- 
ment lignées.    Ce  qu'on  dit  de  la  fignature  d'un  îeul  pour 

les  deux,  eft  un  conte.  A  l'égard  de  ce  qu'on  ajoiTteaufujet;  ; 

dufceau  de  fer,  quoique  d'ufage  en  Ecoffe ,  cela  eft  cepen-  j 
dant  contraire  aux  Loix ,  qui  ordonnent  qu'on  ne  s'en  fervi- 

ra  point ,  qu'après  y  avoir  été  autorifé  par  un  Ade  du  Parle-  i 
ment  ^  tel  que  celui  qui  fut  fait  quand  la  Providence  divine 

fit  pafler  le  Roi  d'Ecofle  fur  le  thrône  d'Angleterre.  | 

Elle  dépouilla    en  quelque  forte  Henri  de  fa  dignité.  Ceux  P.  lo.  Ilg,  ij;  : 

qui  fçavent  ces  faits  ,,aflurent  qu'elle  n'eft  eft  jamais  venu  à  ! 

ces  extrémitez.  i 

Elle  admit  Riz  à  manger  tous  les  jours  a  fa  table.  Suppofé  que  ce  Tom.  v.  Uv;  '. 

fait  fut  vraijon  pourroit  dire  que  la  Reine  avoir  apporté  de  Fran-  ^}"  P^"'  ^^7.  j 

ce  cette  facilité.  Les  plus  grands  Rois  admettent  quelquefois  *  i 

les  favoris  à  leur  table ,  lorfqu'ils  veulent  fe  décharger  du  i 

poids  delà  Majefté  royale.  Cependant  les  EcoîTois,  qui  vi-  \ 

voient  alors,  nient  le  fait ,  &  rapportent  ainfî  l'origine  de  cet-  \ 

te  calomnie.  Les  Rois  d'Angleterre  &  d'Ecofle  fe  font  fer-  \ 
vir,  lorfqu'ils  mangent  à  leur  petit  couvert,  par  les  officiers 

qui  les  approchent  de  plus  près.  Ceux-ci  mangent  debout  un  ' 
peu  des  mets  qu'on  a  défervis ,  &  portez  au  bufet ,  ou  fur  une 

autre  table  drefîee  dans  la  fale,   &  fe  rafraîchiflfent  ainfî  à  la  ; 

hâte.  On  dit  que  Riz  en  ufoit  ainfî  quelquefois^  fuivant  la  j 

coutume.  Voilà  ce  qui  a  fait  tant  crier.  Le  refte  eft  faux.  Il  '' 

n'eft  pas  plu^  vrai  que  la  Reine,  comme  on  le  dit  enfuiteg,  i 

allât  fou  vent  chez  Riz.  ! 

Elle  voulut  même  lui  donner  droit  de  voix  &  defuffrage  dans  IblJ.  p.  23 .?,  ' 

V  i)  Cailex ,  Auteur  Anglois ,  prétend  ie  contraire.  ^^*  ^°  .' 

O  o  iij 


ri?4  PIECES    CONCERNANT  L'HISTOIRE 

le  Confeil.  On  répond  à  cela ,  que  la  Reine  n'y  a  jamais  penfé. 
A  regard  de  ce  qui  fuit,  ^ue  la  Reine  ne  put  jamais  obtenir 
par  pneres  j  encore  moins  par  menaces  ,&c  Ce  fait  eft ,  non-feu- 
lement écrit  avec  faufleté  par  Buchanan  ,  au  rapport  des 
Ecoilbis,  qui  ont  vécu  de  ce  temps-là  ,  mais  encore  eft 
avancé  fans  réflexion.  Les  Rois  n'ont  pas  coutume,  quand 
ils  veulent  gratifier  un  Miniftre,  de  traiter  avec  leurs  fujets 
par  la  voie  des  prières,  pour  les  engager  à  leur  céder  leurs 
biens.  Cette  demande  feroit  injufte  ;  &  les  Rois  ont  d'autres 
moyens  de  recompenfer  leurs  fidèles  ferviteurs. 

Ibîd.  lîg.  i8.  Dont  il avoit  la  clef .  Cen'eftpas  la  coutume  des  Rois,  & 
ce  ne  l'a  pas  été  de  celui-ci. 

Ibid.  %  19'  Il  frappa  ,  &  perfonne  ne  répondit.  Ce  récit  eft  différent  dans 
la  bouche  de  ceux  qui  difent  la  vérité. 

Ibid.  Hg.  19.  ^^  communiqua  fon  dejjein  à  Matthieu  Comte  de  Lenox  fon 
père.  Il  eft  certain  que  Matthieu  fut  toujours  éloigné  pendant 
ce  temps-là ,  de  dix  &  quinze  milles  de  la  Cour  :  Il  n  eft  pas 
moins  conftant  que  le  Roi  ne  lui  a  Jamais  communiqué  fes 
defteins. 

Lettre  de  Guillaume  Camdemy  à  Jean  Gruter. 

QUOIQUE  je  fois  vieux  &  infirme ,  &  prefque  aveugle , 
je  ne  puis  m'empêcher  de  donner  des  marques  de 
Maniifcrit.  mon  iouvenir  à  mon  cher  Gruter  ,  &  de  le  faluer  à  cette 
foire  par  Billi ,  à  moins  qu'il  ne  parte  plutôt  qu'on  ne  croit. 
Je  ne  veux  pas  fur  la  fin  de  mes  jours  manquer  aux  devoirs 
de  l'amitié.  Comment  vous  portez-vous  donc  ,  mon  cher 
Gruter  ?  Comment  fupportez-vous  le  fardeau  que  vous  vous 
êtes  impofé  ?  Je  vous  prie  d'avoir  bien  foin  de  votre  fanté^ 
dans  cette  anjiée ,  qui  a  été  fi  funefte  aux  gens  de  lettres. 
Car  j'ay  oui-dire  que  vous  aviez  perdu  Marquard  Freher 
&  Marc  Welfer  ,  deux  grandes  lumières  de  l'Allemagne, 
&  de  la  République  des  Lettres.  Chez  nous  le  grand  Cafau- 
bon,  qui,  comme  je  puis  en  être  témoin ,  vous  aimoit  beau- 
coup ,  a  rendu  fon  ame  pure  &  célefte  à  Dieu ,  au  mois  de 
Juin  dernier.  { I  )  Il  a  été  inhumé  à  Weftminfter,  &  fon  corps 

rO  Suivant  rinfcrîption  defôn  tombeau ,  il  eft  mort  le  premier  de  Juillet  1^14, 


DE   J.    A.    DE    THOU;  sp^ 

a  été  porté  par  des  Dodeurs  en  Théologie ,  le  convoi  étant 
accompagné  de  cinq  Evêques.  Quelque  temps  auparavant 
nous  avons  perdu  Henri  Howard  y  Comte  de  Northampton  , 
le  plus  fçavant  de  tous  les  Seigneurs.  îbimits  omnes.  Je  fou- 
haite  de  fçavoir ,  qui  efc  celui  qui  a  ofé  en  Allemagne  publier 
un  ouvrage  injurieux  contre  M.  de  Thou.  N'eft-ce  pas  Gret- 
zerfll  me  paroîtau  moins  que  c'eft  un  Jefuite.  Il  eftaiféde 
voir  à  prefent  ce  que  doit  attendre  quiconque  écrit  l'Hiftoire 
de  notre  fiécle ,  où  il  règne  tant  de  padlons  différentes.  Il 
eft  obligé  de  reconnoître  la  vérité  de  ce  qu'Apollinaire  a 
dit ,  que  la  compofition  d'une  Hiftcire  étoit  un  travail  péni- 
ble ;  qui  aboutiflbit  à  fe  faire  des  ennemis.  Je  continuerai 
néanmoins  ce  que  j'ai  commencé ,  &  je  ne  manquerai  pas  à 
notre  illuftre  Reine  Elifabeth.  Je  vous  confulterai  fur  l'im- 
preffion  de  l'ouvrage  en  Allemagne,  &  vous  me  direz  celui 
qui  convient.  Adieu,  mon  cher  Gruter,  votre  ami  Camden 
vous  embrafle.  Le  lo  d'Août  i6i^. 

Ferai-je  paroître  mon  ouvrage  en  entier ,  ou  feulement  par 
parties  ?. 

Lettre  de  Guillaume  Camàen,  à  Jac.  ylug.  de  Thou. 
'  A  I  reçu ,  Monfieur  ,  depuis  peu  la  Lettre  que  vous  m'a-    Tr^^^uite  du 

/     .'        c    1     1        ,  J  ■      V  ^-  •  ^2tin   fur    le 

vez  écrite  ,  &  le  lendemam  que  je  1  eus  reçue ,  un  jeune  Manufak. 
gentilhomme,  qui  eft  Monfieur  Lingelsheim,  me  remit  vos 
deux  poèmes  de  fYladis  &  du  Scorpion, qui  font  dignes  d'Ap-  , 
poUon  «Se  des  Mufes.  Je  vous  en  fais  mes  remercimens.  En 
revanche  ,  recevez  mes  Annales  d'Angleterre  ,  fous  le  règne 
d'Ehfabeth ,  jufqu'à  l'année  lySp.  Elles  fortent  de  dellbus  la 
preffe,  fa  Majelié  ayant  voulu  qu'elles  fufîent  imprimées^  à 
quoi  je  ne  m'attendois  pas  fi-tôt.  Elle  aiTare  que  le  relie  tar- 
dera peu.  Je  ne  puis  deviner  par  le  confeil  de  qui  cela  s'eft 
feit ,  (i  ce  n  eft  par  le  votre ,  ou  du  moins  par  rapport  à  vous. 
Mais  je  prévois  que  ces  malheureufes  herbes  qui  ont  crues  dans 
votre  champ ,  où  vous  avez  tâché  de  femer  toujours  la  véri- 
té ,  croîtront  aufti  dans  le  mien  ^  &  ce  fera  le  même  fumier 
de  ces  Guefpes  qui  fera  poufter  ces  herbes.  Il  faut  prendre 
patience.  Nous  vivons  dans  un  fiecle  ennemi  de  la  vérité 
&;  de  la  modération  3  mais  la  bonne  confcience  ne  craint  rien. 


2.^6         PIECES  CONCERNANT  L'HISTOIRE 

Ayons  plus  d'égard  pour  elle  que  pour  la  gloire.  Je  ne  doute 
point,  que  lorfque  leur  premier  feu  fera  pafle  ,  leur  fureur  ne 
te  ralientiiïè ,  &  que  leurs  éguillons  ne  s'émouflent.  Quoi- 
qu'il en  foit,  marchons  toujours  d'un  pas  ferme  dans  notre 
chemin ,  &  oppofons  aux  traits  de  la  calomnie  le  bouclier  de 
la  patience.  Ne  craignons  que  Dieu  feul ,  dont  j'implore  le 
fecours  pour  vous  &  pour  votre  famille ,  le  priant  de  vous  con- 
ferver  en  fanté.  Adieu,  Monfieur.  Je  vois  que  je  fuis  né  fous 
la  même  conftellation  que  vous ,  c'eft-à-dire ,  fous  le  Scor- 
pion, &je  puis  m'appliquer  vos  deux  vers. 

Hic  mihinataltS)  quartaqueper  yEthera  parte 
Surgebat ,  vit  a  mm  primas  hauftmus  auras. 
J*ai  cependant  un  ou  deux  ans  plus  que  vous  5  mais  de  quoi 
vous  entretiens-je.  Pardonnez  à  la  vieillelfe  babillarde.  A  Lon- 
dres le  1 1.  de  Juin  161^, 

Lettre  de  Jacques-Augufie  de  Thou  y  à  Guillaume  Camden. 

Traduite  du  ¥' Al  trouvé  fort  courte ,  Monfieur,  votre  lettre  du  11  du 
dS/o'-.  ^J!i/.  J  ^"^'^^is  paffé ,  quoique  vous  vous  y  difiez  babillard.  Je  l'ai 
caînd^&  il-  trouvée  pleine  d'agrément ,  de  candeur ,  &  de  magnanimité  ; 
luHr.  viro-  •  ^^^.    caufé  uuc  joic  infinie  ,  mais  non  telle  qu'eft  la  joie 

453.  de  ceux  qui  du  rivage  contemplent  un   vaiileau  battu  par 

la  tempête.  Ce  n'eft  pas  le  malheur  d'autruy  qui  leur  fait  plai- 
fir  5  mais  ils  en  ont  à  penfer  qu'ils  font  exempts  du  péril  où 
ies  autres  font  engagez.  Nous  navigeons  l'un  &  l'autre  fur  la 
même  mer.  Nous  fonimes  dans  un  danger  égal  :  nous  avons 
à  luter  contre  les  mêmes  vents  &  contre  les  mêmes  tempê- 
tes. Nous  fommes  menacez  des  mêmes  écueûils.  C'eft  une 
eonfolation  pour  les  malheureux  d'avoir  des  compagnons  de 
leur  infortune.  Mais  pourquoi  croirai-je  que  nous  fommes 
malheureux  l'un  &  l'autre?  Ne  trouvons-nous  pas  dans  notre 
philofophie  des  fecours  fuffifans^  pour  foutenir  ,  pour  repouiler 
même  les  efforts  de  nos  ennemis  &  des  motifs  puiffants  de  conf- 
tance  &  de  courage  ?  C'eft  ce  que  j'ai  exprimé  autrefois  dans 
mon  Poëme  de  Job.  Prévoyant  dès-lors  que  jeferois  un  jour 
en  proie  à  la  malignité  d'un  liécle  ingrat ,  j'eus  foin  de  m' ar- 
mer contre  tout  ce  qui  pourroit  m'arriver,  &  contre  ces 
Guefpes  importunes ,  dont  vous  parlez  dans  votre  lettre.  Le 

temps 


D  E  J.  A.  D  E  T  H  O  U.  2^7 

temps  eft  enfin  venu  de  mettre,  l'un  &  l'autre ,  en  ufage  les 
maximes  de  la  Philofophie  ,  en  nous  vengeant  des  injures  par 
le  mépris,  &  en  appellant  au  jugement  delà  pofterité,   C'eft 
elle  &  non  le  fiécle  prefent ,  qu'ont  toujours  eu  en  vûë  ceux 
qui  fe  font  appliquez  à  écrire  l'Hiftoire  avec  fidélité ,  &  pour 
l'utilité  du  public.  Continuez  donc  ;  &  que  l'afpedde  la  conl- 
tellation  fous  laquelle  nous  fommes  nez,  nous  foit  à  tous 
deux  un  fujet  de   confolation  5  puifque  Dieu  a  permis  que 
nous  eulTions  la  même  étoile ,  quoique  nez  l'un  &  l'autre  en 
différentes  années.  Faites  en  forte  que  je  ret^oive  bien-tôt  tout 
ce  qui  fuit  juiqu'à  la  mort  de  la  Reine  d'Elifabeth ,  comme,  j'ai 
reçu  ce  que  vous  avez  eu  la  bonté  de  m' envoyer  ;  &  fî  cela  fe 
peut ,  joignez-y  les  commencemens  du  règne  de  votre  Séré- 
nilTmie  Roi ,  jufqu'à  l'année  1610.  que  nous  avons  perdu  notre 
grand  Henri.  Car  lî  Dieu  m'accorde  des  jours  &  du  loilir,  j'ai 
réfolu  de  conduire  mon  Hiftoire  jufqu'à  cette  année ,  &  de  finir 
mon  ouvrage  avec  la  vie  de  ce  Prince,  à  qui  le  monde  chrétien 
eft  fi  redevable.  La  connoifTance  de  vos  affaires  qui  font  liées 
avec  les  nôtres  ,  me  fera  très-utile  ,  &  contribuera  beaucoup  à 
l'ornement  de  mon  Hiftoire.  Je  fçai  que  vous  vous  appliquez 
fans  relâche  à  ces  chofes ,  &  que  vous  employez  tous  vos  foins 
à  fauver  de  l'oubli  les  événemens  arrivez  dans  la  Grande  Bre- 
tagne. Si  le  maître  dont  vous  dépendez  ne  leur  permet  pas  de 
voir  fi-tôtlejour,  vous  pouvez  au  moins  en  faire  part  à  vos 
amis ,  pour  en  profiter ,  &  les  employer  daii^  leurs  ouvrages 
avec  la  même  fidélité ,  pour  la  gloire  de  ce  Prince.  Je  vous 
en  prie  inflamment.  Adieu ,  portez- vous  bien ,  travaillez  avec 
courage ,  aimez-moi.  A  Paris  le  1 5  Juillet  16 1^. 


Tome  XK  P  p 


25)8 

J  U  G  E  M  E  N 

DES    SCAVANS, 

SUR  L'HISTOIRE 

D  E 

J  A  C  OU  ES    AUGUSTE 

DE    T  H  O  U^ 


Lettre  de  Frédéric  (i)  Comte  Palatin  du  Rhin,  Grand  Maître 
d^ Hôtel,  &  Eleâeur  du  Saint  Empire  Romain ,  Duc  de  Ba- 
vière,  &c, 

'A  Jacques- Augujle  de  Thou ,  Confeiller  d^Etat  du  Roi  très-Chré^ 
tien  i  &  Préjident  à  Mortier. 

*T  J  \   J     ir  ^  vous  ai  une  nouvelle  obligation,   Monfieur,  du  pré- 

Traduite  a^       m     ^  ^  •  i      r  i       ^   •       j  n 

Latin  fur  le  i  lent  que  VOUS  me  faites  pour  la  leconde  fois  de  voitre 
Manufcnt.  H  Hiftoire  ,  qui  fera  un  des  plus  grands  ornemens  de  ma 
J  bibliothèque^  Vous  avez  obligé  ,  non-feulement  vos 
contemporains,  mais  encore  toute  la  poiterité^,  par  cet  ou- 
vrage utile,  qui  paflera  à  nos  derniers  neveux ,  &  leur  tranf- 
mettra  la  vérité  que  vous  avez  mis,  avec  une  heureufe  liberté 
dans  un  jour  éclatant ,  &  que  vous  avez  vengée  de  fes  oppref^ 
leurs ,  dont  l'efprit  de  fadion  &  les  paillons  diverfes  l'avoient 
jufqu'alors  corrompue  &  défigurée.  Mais  vous  nous  devez 
le  bien-fait  tout  entier ,  &  aucun  égard  ne  doit  vous  détour^ 

^)  Frédéric IV.  Eiedeur  Palatin,  ne  en  1574.  &  mort  en  1610. 


PIECES  COHC.  L'HIST.  DE  J.  A.  DE  THOU.     2pi>  ; 

ner  d'achever  ce  que  vous  avez  i\  heureufemeiit  commencé.  i 

C'eft  un  monument  prccieux  dcftinc  au  temple  de  l'immor-  \ 

talitc.  Pour  moi,  je  vous  rends  mille  adions  de  grâces  en  mon  : 

nom,  &  au  nom  de  tout  le  Public.  Lorfque  l'occalion  s'of-  j 

frira  ,  je  tâcherai  de  vous  témoigner  l'affedion  &  l'amitié  que  : 

j'ai  pour  vous.  Adieu ,  Monlîeur.  i 

Donné  à  Heidelberg  le                       P  rederic  Eîedeur  j 

10  Décembre  1  d'à 6".                                         Palatin,  &c.  ; 

j 

Lettre  de  Philippe  Canaye ,  Sieur  de  Frefnes  j  y^mhajfadeur  de  \ 

France  à  f^enife ,  à  Jacques-Augujle  de  Thou,  \ 

i 

O  N  s  I E  u  R.  Vous  m'honorez  &  obligez  trop  de  m'a-  Imprimée  fur  < 
voir  voulu  faire  part  de  voftre  excellente  &  immor-   ^    lanuait. 
telle  Hiftoire  ,  laquelle  je  receus  vendredi  par  le  fieur  Chan- 
celier Duodo  ,  &  aufll-toft  envoyay  au  R.  Fra-Paolo  celle  que 

que  luy  donnés.  Mais  j'entens  que  le  fieur  Vincent  Gradenigo  : 
€ft  mort  à  Confrantinople  il  y  a  quelques  années  j  &  fi  vous  i 
trouvez  bon  que  ce  foit  la  bibliothèque  de  cette  Seigneurie,  ; 
j'eftime ,  Monfieur ,  que  ce  lieu  feroit  convenable  au  prefent,  ' 
&  qu'il  y  feroit  honorablement  receu.  J'en  attendray  vôtre  ; 
ordonnance.  Je  loue  Dieu  de  tout  mon  cœur  qu'en  un  fiécle  j 
il  corrompu  de  pafllons  &  adulations^  la  vérité  ait  trouvé  une  i 
bouche  exempte  de  cette  contagion.  Le  commun  des  ad-  .  \ 
vocaceaux  ignorans ,  penfent  d'avoir  bien  plaidé  quand  ils  ont  \ 
bien  criaillé  &vomi  force  injures  contre  leur  partie,  le  jurif-  .\ 
confulte  propofe  le  fait  au  vray  en  bons  termes  clairement.  Je  •  \ 
n  entreprendray  point  de  dire  mon  advis  d'une  fi  haulte  en-  | 
treprinfe  ,  mais  fi  fuis-je  afleuré  que  ceux  qui  aiment  la  véri-  ,  \ 
té  ,  la  pureté  de  la  didion ,  la  grâce  d'un  ftyle  vrayement  Ro-  '. 
main ,  vous  mettront  en  la  clalfe  des  plus  rares  Hiftoriens.  ; 
Ceux  au  contraire  qui  font  nourris  en  la  captivité ,  ou  accouf-  i 
tumés  de  n'oQir que  ce  qui  leur  plaift ,  vous  noteront,  com- 
me tous  bons  auteurs,  de  leur  pedantefque  cenfure.  Ainfi  ; 
fuis-je  afleuré  que  l'avez  preveu ,  eftant  impofllble  de  fatis-  i 
faire  à  une  confcience  candide  comme  la  voftre ,  fans  def-  S 
plaire  à  quelqu'un-  Mais  la  vérité  appuyée  de  votre  intégrité  ; 
iors  de  tout  reproche  ^  &  de  l'abry  d'un  bon  Pvov ,  eft  un  bon  ■ 

pp  ij  J 


300  PIËŒS  CONCERNAî^T  L'HISTOIRE 

garant.  Etpeut-eftre  que  ce  refpeâ;  les  fera  taire,  fi  ce  n'eft 
que  ceux  d'entr'eux  qui  auront  tant  foit  peu  de  nez ,  reconnoî- 
tront  que  vous  renverfés  pour  jamais  les  machines  qu'ils  ad- 
dreflbyent  pour  conftraindre  S.  M.  à  recevoir  ce  dont  il  s'eft 
toujours  exempté.  C'eft  à  mon  advis  ce  qui  leur  cuira  le  plus. 
Il  y  aura  aulTi  des  particuliers ,  &  des  plus  grands ,  à  qui  voftre 
rigide  vérité  derplaira.  Mais  il  n'eftoitpasraifonnable  de  pré- 
férer leur  faveur  d'un  jour ,  à  la  grâce  que  vous  acquerrez  en- 
vers tout  le  genre  humain  &  tous  les  liecles  à  venir.  Or  ayant 
eu  cette  génerofité  de  ne  rien  efpoufer  que  le  vray ,  il  me  iem- 
ble ,  Monfieur ,  que  rien  ne  vous   obligeoit  en  parlant  des 
François  d'ufer  quelquefois  de  ces  mots,  noflri 3  nohifcum ^ 
&c.  lefquels   peuvent   donner   quelque  foupçon  qu'un  au- 
theur  veuille  favorifer  à  ceux  du  nombre  defquels  il  fe  met. 
Car  encore  qu'il  ne  foit  raifonnable  de  celer  fa  patrie ,  fi 
n'eft-il  pas  auiïi  befoin  de  l'inculquer  par  tout.  Excufez ,  Mon^ 
fieur,  ma  liberté,  &  reconnoiffés  à  cet  efchantillon  que  fî 
j'eufle  pu  appercevoir  quelque  autre  chofe  ,  je  ne  le  vous 
eufle  pas  celé.  Je  n'en  ay  pîi  encores  courir  que  les  fept  pre^ 
miers  livres.  Je  croi  que  Dieu  a  choiû  voftre   main  pour 
manier  les  clianereux  ulcères  de  nos  divifions ,  tant  en  l'E- 
glife  qu'en  l'Eftat,  aigries  par  les  dernières  gueres,  quoi  qu'il 
démange  encore  bien  fort  5  pourveu  que  Dieu  continue  la 
fanté  une  vingtaine  d'années  à  S.  M.  comme  il  nous  en  don- 
ne efperance.  Quant  aux  autres ,  je  croy  que  toute  bonne 
ame  confeftera  qu'ils  requerroyent  d'autres  cures  que  celles 
qui  y  ont  efté  appliquées  jufques  icy  '■>  mais  quelle  efperance  que 
le  monde  en  foit  capable  ?  Et  faut -il  faire  difficulté  de  le  fau- 
ver  dans  l'arche,  parce  qu'il  y  a  tant  de  beftes  immondes  ?  Les 
plaintesdoncfont  juftes,  lesgémilTements,  le  delir  de  refor- 
mation au  chef  principalement,  &  à  proportion  aux  membres , 
.ne  fe  peuvent  arracher  d'un  cœur  vrayment  totiché  de  pieté. 
Mais  les  autheurs  du  fchifme  font  inexcufables  j  &  ceux  qui  y 
croupiflent  ne  petivent  avoir  nulle  certitude  enleurconfcien- 
ce  ,  que  celle  mefme  dontfe  vantent  le  plus  ceux  qu'ils  recon- 
noiflentpoLir  les  plus  abominables  hérétiques.  Lamifficm  du 
fils  de  Dieu  eft  la  chofe  la  plus  vifiblq,  &  laplusperdurable 
qni  foit  au  monde.  Tout  ce  qui  le  baftit  hors  de-là  ,  font 
grotefques.  Voilà,  Monfieur,  le  fondement  de  ma  réfalution 


DE  J.  A.  DE  THOU.  30? 

&  la  bafe  du  repos  que  Dieu  m'a  donné  5  lequel  j'entreprens 
tant  plus  volontiers  de  vous  defcouvrir ,  qu'il  me  femble  que 
vous  ayiés  vrayment  Dieu  devant  les  yeux ,  &  non  les  hom- 
mes. Si  je  me  fuis  trompé,  ufés  particulièrement  envers  votre 
ferviteur  de  la  liberté  dont  vous  ufés  envers  tout  le  genre  hu- 
main. Si  vous  approuvés  ce  que  fay  faid ;  pour  Dieu,  Mon- 
fieur ,  gagnés  M.  Cafaubon  ^  qui  vous  eft  tant  redevable ,  & 
qui  a  tant  de  preuves  de  voftre  amitié.  Ce  n'eft  point  tant  la 
pitié  que  j'ay  de  fa  famille ,  qu'il  vous  laiffera  dans  peu  de 
temps  fur  les  bras,  qui  me  meut,  que  la  companion  que  j'ay 
de  l'avoir  reconnu  en  ce  point  principal^aufTi  mal  fondé  qu'hom- 
me avec  qui  j'aye  jamais  oiii  parler  de  religion  j  &  de  voir 
qu'à  faute  de  vouloir  confelîer  une  vérité  irréprochable  ,  il 
refufe  de  fe  mettre  à  fon  aife  &  tous  les  fiens ,  &  rendre  fon 
nom  autant  illuftre  comme  fon  érudition.  Or  la  vérité  irré- 
prochable &  à  laquelle  il  ne  peut  contredire  valablement , 
c'eft  que  l'Eglife  Romaine ,  toute   corrompue ,  toute  cada- 
vre qu'elle  eft,  c'eftFEglife  Catholique;  &  FEglife  Hugue- 
notte  ,  toute  jeune,  toute  reformée  qu'elle  eft ,  ne  peut  eftre 
i'Eglife,  &  n'en  a  non  plus  de  marques  que  celles  des  Ariens 
&  Anabaptiftes.  Je  croy ,  Monfieur ,  que  fi  vous  prenez  la 
peine  de  le  mettre  fur  la  fellette  entre  vous  &  luy,  &  le 
faire  refpondre  catégoriquement  fur  ce  point  ,  vous  aurez 
compaftion  de  le  voir  emporté  par  la  force  d'une  mauvaife 
nourriture ,  fans  raifon  quelconque  digne  de  luy.  La  charité 
dont  je  l'embraffe  fait  que  je  ne  me  puis  retenir  de  vous  refup- 
plier,  Monfieur  ,  au  nom  de  noftre  Seigneur  Jefus-Chrid,  de 
vouloir  entreprendre  ce  bon  œuvre  ,  impoftlble  à  toute  autre 
main  qu'à  la  voftre.  Le  bon  perfonnage  s'imagine  que  Catho- 
lique &  Papifte  foit  tout  un  5  s'il  eftoit  du  Pregade  de  Venife 
il  perdroit  bien-toft  cette  opinion.  Il  ne  fçait  que  c'eft  de  là 
liberté,  du  repos,  de  l'aftiirance  dont  joiiit  le  vray  Catholi- 
que, lequel  voit  les  abus  auflî  bien  à  moins  que  le  fchifma- 
tique  5  mais  il  connoift  auffi  la  vérité ,  qui  eft  la  colonne  de 
ceft  éternel  édifice,  ôcrefpede  la  charité,  laquelle  le  Schi^ 
matique  a  perdue  cuidant  avoir  trouvé  la  vérité;  dont  néan- 
moins il  eft  tellement  convaincu ,  qu'il  faut  eftre  plus  qu'a- 
veugle qui  veut  plus  fouftenir  cette  prétendue  Reformation,. 
Je  prie  Dieu,  Monfieur,  quivoidôc  fcait  de  quel  efprit  je 

E  p  iij. 


3C2        PIECES    CONCERNANT  L'HTSTOmE 

fuis  pouifé  à  vous  tant  ennuyer  de  ce  propos,  de  vous  don- 
ner le  moyen  d'achever  voftre  héroïque  labeur ,  &  le  voir 
univerfeliement  receu  comme  il  mérite ,  &  vous  donner  en 
fanté ,  Moniieur ,  très  heureufe  &  longue  vie. 

De  Venife  ce  roMars,  i6o^. 
Excufez  la  hafte ,  s'il  vous  plaift. 

Voftre  très  humble  &  très  affe(flionné 
ferviteur.  De  Fresnes  Canaye. 

Era-Paolo  remet  à  vous  efcrire  par  le  prochain ,  n'y  ayant 
commodité  prefentement. 

Lettre  de  Guillaume  du  Vair  j  premier  Préftdent  au  Parlement  de 
Provence ,  &  depuis  Garde  des  Sceaux  de  France  3  à  Jacques 
Augujîe  de  Thou^ 

Imprîmce  fur  ^  /f  ^  ^  S I E  u  R.  Monfieur  le  Pebvre  m'a  envoyé  le  prè- 
le Manufcrit.  J^  V  J^^  mier  tome  de  voftre  Hiftoire ,  comme  en  ayant  char- 
ge de  vous.  Je  tiens  fi  chère  l'amitié,  dont  il  vous  a  pieu 
de  tout  tems  m'honorer,  que  je  ne  puisque  je  n'eftime  ou- 
tre  toute  mefure  les  rares  fruids  de  voftre  excellent  efprit. 
Je  n'ay  pfi  encore  finon  jetter  l'œil  deflus^  &  comme  en 
pallant ,  oii  j'ay  neantmoins  lecogneu  cefte  vraye  &  vigou- 
i'eufe  vertu,  qui  vous  a  animé  tout  voftre  âge  aux  belles  & 
genereufes  adions ,  quafi  par  deflus  ce  que  l'on  croyoit  pof- 
fible  en  un  fiecie  Ci  corrompu.  Je  me  referve  d'en  faire  une 
.eftude  aftlduë  tout  cet  efté,  afin  qu'ayant  penfé  jufques  au 
fonds ,  j'aye  encore ,  &  plus  d'occafion  de  vous  remercier  du 
contentement  que  j'en  recevray ,  &  plus  de  jugement  à  re- 
•cognoiftre  ce  qui  y  eft  de  plus  louable.  Nos  affaires  font  icy 
tousjours  de  même  façon,  fans  qu'il  y  ait  rien  d'aflez  fignalé 
pour  entretenir  nos  amis.  Les  chofes,  grâces  à  Dieu,  y  font 
fort  efioignées  des  bruits  que  j'ay  fçeu  qu'on  a  fait  courir  par 
-delà  depuis  quelques  jours  :  l'Efpagne  fe  prépare  en  apparen- 
ce pour  l'entreprife  d'Alger.  Je  vous  fupplie  me  confcrver 
tousjours  l'honneur  de  vos  bonnes  grâces  :,  &  me  croire  à  ja- 
mais ,  Monfieur , 

D'Aix  ce  1 1  Mars  Voftre  très  humble  &  obeiflant 

ï  60.^.  ferviteur ,  G.  d  u  Vair* 


DE   J.   A.   D  E    T  HO  U.  505 

Extrait  d'une  Lettre  de  Jacques-Augulie  de  Thou  3  à  Jofepk 

Scaliger, 

MONSIEUR.  La  dernière  que  j'ay  receu  de  vous  eft    ^j^^  ^^  ^^^ 
du  XXIX  de  Septembre  dernier  5  &  ay  attendu  jufques  ceuildesE;^/- 
icy  à  vous  efcrire ,  efperant  de  jour  à  aultre  que  nos  Impri-  ^^esvrmfoifet 

r         •  11  J        JT  Q  '  '^     r.    '^    M.     de    U 

nieiu-s  uieroient  de  plus  grande  diligence,  ocquenvousel-  scaU^.-^^i. 
crivant  je  vous  envoyerois  la  première  partie  de  mon  Hif-  * 

toire  :  cela  m'a  fait  différer  jufques  à  huy.  Vous  recevrez  donc 
avec  celle-cy  trois  exemplaires  d'icelie,  pour  difpofer  d'iceux 
à  voftre  volonté.  Si  voftre  loifir  vous  permet  de  jetter  les 
yeux  deflus ,  je  vous  fupplie  me  mander  voftre  advis ,  &  m'ad^ 
monefter  librement ,  comme  vous  avez  tousjours  faid ,  de 
mes  fautes ,  lefquelles  je  mcttray  peine  de  corriger  en  la  pre- 
mière édition.  Je  crains  que  le  nombre  en  foit  fi  grand  qu'il 
vouseftonne,  &  deftourne  de  ce  bon  office  î  mais  je  fçay 
aufll  que  vous  m'aimez ,  &  fur  cette  confiance  je  ne  crains 
point  de  vous  en  fupplier.  Je  croy  que  maintenant  vos  Impri- 
meurs auront  commencé  à  travailler  à  voftre  Eufebe,  leur 
diligence  n'acconfuivra  jamais  le  deiir  que  nous  avons  de  le 
voir,  pour  le  grand  fruid  que  chafcun  en  efpere,  &  l'hon- 
neur que  j'en  attends,  que  j'eftime  plus  que  tous  les  hon- 
neurs que  je  peus  penfer  avoir  mérité  de  mes  fervices.  Dieu 
vous  conferve  voftre  fanté,  pour  pouvoir  achever  non  feule- 
ment ceft  oeuvre ,  mais  aufli  autres  qui  ferviront  de  rempart 
contre  la  barbarie  preiente  2c  à  venir.   A  Paris  le  -^  Janvier 

Lettre  de  Jofeph  Scaliger ,  à  lac.  Aug,  de  Thou. 

MONSIEUR.  Je  vous  remercie  très  humblement  des  imprimée  fur 
trois  exemplaires  de  voftre  Hiftoire  qu'il  vous  a  pieu  '^  Manufcrit. 
m'envoyer.  J'ay  en  premier  lieu  attentivement  leu  voftre  Pré- 
face ,  laquelle  m'a  ravi,  tant  par  fon  pur  langage  ,  que  par 
Thonnefte  hardieife  dont  elle  uîe.  Ceft  un  difcours  digne  d'un 
Sénateur,  d'un  amateur  de  vérité,  &  d'un  généreux  Hiftorien.. 
Je  ns  laifteray  jamais  ceft  œuvre  que  je  ne  le  life  totalement. 
J'y  ay  vea  l'honorable-  tefmoignage ,  qu'il  vous  a  pieu  faire,  de 


/       „! 


3D4         PIECES  CONCERNANT  L'HISTOIRE 

mon  bon  père ,  qui  eftant  digne  de  louange  ^  ne  pouvoit  eftre 
nîieux  loué  que  de  vous.  De  moy ,  duquel  vous  aufli  don- 
nez un  tefmoignage  tel  que  fçauroit  délirer  un  plus  habile 
que  moy,  je  ne  diray  aultre  chofe  ,  (inon  que  le  ledeur 
dira  que  le  mérite  du  père,  &  l'amitié  de  l'Hiftorien  envers 
le  fils,  a  cfmeu  l'hiftorien  à  louer  «5c  le  père  &  le  fils.  Je 
vous  remercie  très  humblement,  Mondeur,  ôc  au  nom  de 
mon  père  &  au  mien.  Voftre  ftile  eft  bon  Latin,  net,  «5c  com- 
me ime  naïve  beaulté  fans  fard.  L'argument  eft  gentil ,  com- 
prenant tout  ce  qui  s'eft  faid  en  tous  les  endroids  de  noftre 
cognoiflance ,  tant  de  ce  qui  concerne  les  armes ,  que  ce  qui 
touche  les  Lettres,  comme  a  faid  Diodorus Siculus ,  la  perte 
des  livres  duquel  eft  une  perte  de  toute  l'antiquité.  Ce  que 
j'ay  peu  lire  de  voftre  œuvre  en  fi  peu  de  temps  me  faid 
deiirer  la  fuite ,  jufques  en  ces  dernières  années.  Il  nous  le 
fault  doncques  donner.  Nos  Flamans  ne  tarderont  gueres  à 
traduire  en  leur  langue  ce  que  vous  aurez  donné,  &  d'au- 
tant plus  defireront  le  refte,  lequel  il  fauldra  donner,  s'il 
vous  plaift.  Noftre  Eufebe  eft  fur  la  prefte.  On  y  befogne  aflez 
diligemment  félon  la  portée  des  ouvriers  de  ce  pays  »  mais 
l'œuvre  eft  longue.  Elle  vous  eft  deuë ,  &  vous  fera  gardée. 
Vous  m'excuferez  ,  fî  je  vous  importune  de  faire  tenir  à  Aix 
.en  Provence ,  la  lettre  cy-enclofe.  Car  je  ne  trouve  aulcun 
moyen  de  la  faire  tenir,  fi  ce  n'eft  par  le  graveur  Bagauris, 
qui  m'envoya  les  empreintes  des  Médailles.  Je  fays  l'importun, 
je  vous  en  demande  pardon.  Je  prierai  Dieu ,  Mo.nlieur ,  vous 
maintenir  en  fa^arde. 

De  Leyden  en  Hollande  Voftre  très  humble  &  très 

cexjiLMars,  i6q^.  obeiffant  ferviteur^ 

Joseph   della   Scala, 

Lettre  de  Jofeph  Scaîiger  à  Jac.  Aug,  de  Thott. 
'    >  r     II/ÎOnsieur.  Le  justement  que  j'ay  faid  de  voftre  Hif- 

Imprimee  wr      !  \  / 1        .  i  ri  \  ni 

Iç  îvianufcrit-  K^'  .1.  toire  ,  ne  proceae  pasieuiement  de  cefte bonne  vo- 
lonté «5c  affedion  que  je  fuis  tenu  vous  porter  ,  ains  d'un 
advis  duquel  ii  j'eftois  deftitué  je  ferois  un  homme  hé- 
bété ôc  peu  pratjç  en  telles  chofes,  dont  j'ay^  quelque  ufage 

par 


DE  J.   A.    DE    THOU.  507 

par  la  grâce  de  Dieu.  Tous  les  bons  entendemens  en  font 
mefme  rapport  que  moy.  J'ay  fi  bien  affriandé  quelques  doc- 
tes de  ce  pays  de  la  ledure  de  ce  livre,  qu'il  a  fallu  que  je 
l'aye  prefté,  non-feulement  à  eux>  ainsà  d'aultres ,  à  qui  ils 
ont  faid  fefte  de  voitre  labeur.  Car  en  cefte  ville  du  com- 
mencement il  n'y  avoit  que  mon  exemplaire.  Entre  aultres 
le  bon  homme  Monfieur  Clufius  Ta  tout  leu ,  &  y  a  remarqué 
quelque  cliofe ,  comme  moy  aufli  ^  qu'il  fauldra  changer  en 
cefte  édition  féconde ,  qui  eft  maintenant  fur  la  preffe.  En- 
cores  que  ce  foit  peu  de  chofe  j  neantmoins  il  ne  fault  rien 
iiiefprifer  ,  quand  ce  ne  feroit  que  pour  le  regard  des  ca- 
lomniateurs. Oultre  ce  qu'en  l'Hiftoire  la  moindre  varicté  eft 
réputée  à  erreur.  Je  vous  remercie   tres-humblement  de  la 
faveur  qu'il  vous  a  pieu  prefter  à  Monfieur  l'Abbé,  qui  eft  un 
jeune  homme,  qui  vous  peut  fervir  à  vos  eftudes.  Car  il  tranf- 
crit  fort  diligemment  &  fîdellement ,  foit  Grec ,  foit  Latin  : 
pour  fes  mœurs  aufll  il  eft  digne  d'eftre  aimé.  Il  fault  que 
voftre  fécond  Tome  d'Hiftoire  accompagne  le  premier.  Laif- 
fez  parler  les  ignorans  &  les  malins  j  ils  ne  fçavent  que  japper , 
&  non  pas  mordre.  Vous  avez  obligé  à  vous  la  pofterité  d'un 
fi  bel  oeuvre  ,  &  fi  grand  entre  tant  d'occupations.  Certes 
-ce  labeur  eft  digne  d'un  tel  Sénateur  que  vous,  fi  bien  qua- 
lifié &  d'intégrité  de  vie  &  de  dodrine.  On  ne  vous  peuft 
ofter  cela.  J'ay  à  la  fin  impetré  que  mon  Eufebe  feroit  pour- 
fuivi  à  deux  prefles  5  &  cefte  fepmaine  on  procédera  à  la  fé- 
conde, s'il  plaift  à  Dieu ,  lequel  je  prieray  vous  maintenir  en 
fa  garde.  Monfieur  , 

De  Leyden  en  Hollande  ^  Voftre  très  humble  &  très 

cexx.  Juin  i(^o-j.  obeiflant  ferviteur, 

Joseph  della  Scala, 

Lettre  de  Jujîe  Lipfe  à  Ifaac  Cafaubon,  (i) 

J'A  I  appris  que  l'Hiftoire  du  Préfident  de  Thou  paroift  î  Traduite  du 
&  cette  nouvelle  qui  m'a  été  confirmée,  m'a  fait  naître  a^ ""ivr^ind- 
un  grand  defir  de  la  voir  :  pour  donner  à  cet  ami  les  loûan-  tnlhEpiji.pH' 
ges  que  ion  ouvrage  ne  peut  manquer  de  mériter.  A  Louvain  i^^j^^^^Vn- 
le  1 2  de  Février  i  ^04.  bud,  ' 

(i)  L.'  réponf  ;  4-  Cafaubon  à  cette  Lettre  eft  ci-deflus ,  pag.  151. 

Tome  XF,  Q  q 


^o6       PIECES    CONCERNANT   L'HISTOIRE 

Lettre  de  Jtijîe  Lipfe  à  JacqHes-Augufle  de  T/wh^ 

Traduite  dn  TV  Jf  Onsieur.  J'ai  enfin  reçu  hier  au  foir  la  Lettre ,  que 
latin  fur  le  J^V  X  ^'^^^  m'avez  écrite  depuis  long-temps  ;  mais  je  n'ai 

lanufcnt.  ^^^  encore  reçu  voftre  Hiftoire ,  qui  cependant  eft  arrivée  à 
bon  port  à  Anvers,  comme  je  l'apprens.  Je  vous  avouerai 
que  je  l'ay  déjà  lue  ,  il  y  a  alTez  long-temps ,  ne  pouvant  ré^ 
fifter  à  l'envie ,  que  j'en  avois.  Je  n'ay  rien  à  vous  dire  de  plus 
que  ce  que  vous  pouvez  vous  dire  à  vous-même.  Le  travail, 
l'arrangement  des  faits ,  le  ftile  ,  tout  en  eft  digne  d'éloge. 
Ce  font  ces  chofes ,  fans  doute ,  qui  vous  ont  attiré  des  en- 
vieux. Je  fouhaiterois  en  même  temps  que  la  liberté  avec 
laquelle  vous  avez  écrit ,  &  qui  n'eft  pas  du  goût  du  (iecle 
prefent,  ne  vous  eût  pas  tant  fait  d'ennemis.  Je  vous  con- 
feille  de  corriger  ce  qui  paroît  trop  hardi  ;  vous  le  pouvez , 
{i  pourtant  vous  faites  quelque  cas  du  confeil  d'un  ami.  Je 
ne  puis  m'expliquer  plus  clairement  fur  cet  article.  Je  n'i- 
gnore pas  que  vous  fçavez  ce  qui  a  révolté  les  efprits.  Si  j'euiTe 
été  auprès  de  vous  avant  que  l'édition  parût ,  je  vous  aurois 
dit  ,  ce  que  je  vous  dis  aujourd'hui  5  mais  il  eft  encore  temps. 
Il  ne  faut  que  changer  ces  hardieffes^  pour  bien  faire  rece- 
voir votre  ouvrage.  Je  crois  que  vous  avez  appris  la  mort 
de  notre  cher  Douza,  l'un  de  mes  plus  anciens  amis.  Je  traî- 
ne moi-même  ma  vie  dans  une  langueur  continuelle.  Adieu , 
Monfieur ,  aimez^moi  toujours.  A  Louvain  le  7  de  Novem- 
bre 1 60^. 

Extrait  d'une  lettre  de  Jac.  Aug,  de  Thou  à  Jofeph  Scaliger. 

Tiré  du  Re-  l^T  ^^^  attendons    tousjours  icy  voftre  grand   œuvras; 
ceuiides  Let-  J^  ^   Icqucl  ^  commc  j'cutcns ,  s'avaucc  fort  5  ce  ne  fera  ja- 

T'M!'Te'''ù  l'^^^is  ^1  ^^^  ^^^'^^  ^^  déliré.  Celui  de  Bazas  eft  ja  achevé  ,  mais 
Scau.  impri.  on  le  retient  tant  que  l'on  peut  ,  &  ne  fçay  pourquoy  ,  car 
me  a  Hardcr-  ^^  j  fçavent  JLwer  de  telles  chofes  ,  fcavent  aufti  com- 

wyckp.  501.  ^        -i  °       j    r        •       c-        n.  T 

bien  peu  il  vous  peut  deiervir.  Si  toft  que  i  on  en  pourra 
recouvrer  l'on  vous  en  donnera  la  veue.  Quant  à  moy  ,  entre 
l'envie  ,  la  haine  des  grands  ^  les  obtredations  ,  &  ce  qui 
me  divertit  davantage  ,  les  continuelles  occupations  fort  ahe^ 
nés  des  livres  ,  je  pomfuis  tousjours  l'œuvre  encommencé^ 


DE   J.    A.    DE   THOU.  307 

&  Pay  desja  conduid  jufques  en  l'an  mdxcvi  ,  délibéré  de 
le  pourfuivre  jufqiies  à  la  fin  du  fiecle  ,  &  à  la  paix  de  Sa- 
voye  ,  qui  me  fembie  eftre  un  Epoque  remarquable.  Preffé 
de  l'inftance  que  m' avoir  fait  Monfieur  de  Cafaubon  ,  qui 
en  avoir  efté  requis  par  Letrres  ,  j'avois  efcrit  à    Monfieut* 
Lipfîus  ,  &  envoyé  un  exemplaire  ,  &  fembloit  qu'il  en  fuft 
fort  deiireux  3  comme  de  chofe  non  veuc.  Il  m'a  efcrit  de- 
puis peu  de  jours ,  &  me  faid  cognoiftre  qu'il  l'avoit  ja  leue  , 
&  qu'elle  luydefplait  fort,  &  que  la  liberté  de  laquelle  j'ay 
efcrit  ne  convient  à  ce  fiecle.  Je  ne  fçay  fi  je  luy  dois  faire 
refponfe  :  il  a  fort  changé  depuis  qu'il  a  changé  Leyden  à 
Louvain.  Je  fuis  le  mefme  que  j'eltois  ,  &  feray  ,  s'il  plaift 
à  Dieu  ,  tousjours  preft  de  corriger  ce  que  j'ay  mal  efcrit. 
Il  m'exhorte  fort  à  cefte  corredion  ,  mais  il  ne  dit  pas  en 
quoy  5  tellement  que  je  ne  fuis  pas  pour  recevoir  ce  confeil , 
lequel  il  dit  me  donner  comme  amy  ;  adjouftant  qu'il  eft  fort 
marry  ,  que  devant  l'édition  il  ne  m'en  a   pu  advertir.    Je 
croy  qu'il  me  renvoyé  à  l'Inquifition  ,  à  laquelle  il  eft  diffi- 
cile que  la  liberté  Françoife  fe  puifle  aflubjeder.  Il  merite- 
roit  une  plus  verte  refponfe  que  je  ne  luy  peux  faire.  Ay- 
niez  moy  tousjours ,  &  je  mefpriferay  aifément  telles  cenfures. 
De  Paris  le  20  Janvier  160^. 

Extrait  d^une  Lettre  d'Ifaac  Cafaubon  à  Jufie  Lipfe. 

P.S.  W  E  Grand  de  Thou  m'a  chargé  de  vous  faire  mille  Traduit  du 
I  j  complimens  de  fa  part.  Comme  ami  commun  je  Y^^^h^e^^E^ 
vous  prie  de  ne  point  publier  la  lettre  que  vous  lui  avez  écrite ,  pift.vir.uutfi. 
de  peur  qu'elle  ne  porte  quelque  préjudice  à  fon  Hiftoire.  A  ^"*''"-  '<"«•  «• 
Paris  le  30  Avril  1(^0 j.  ^  ^'^^^^ 

Lettre  de  Jofeph  Scaliger  ,  à  Jac.  Aug,  de  Thou. 

MONSIEUR.  Je  viens  de  recevoir  la  voftre  du  xx  Jan-  imprimée  firr 
vier  palTé  :  il  n'y  a  pas  long  temps  que  je  vous  ay  e(^  leManwTcriç, 
crit  &  ne  doubre  nullement  que  vous  n'ayez  maintenant  ma 
lettre.  Je  m'eftime  très  heiireux  de    l'honneur   qu'il   vous 
plaift  me  faire  ,  que   de  prendre  la  peine  de  m'efcrire  en 
y  us  grandes  occupations.  J'ai  reçeu  enfemble  avec  la  voftre 


3o8  PIECES  CONCERNANT  L'HISTOIRE 

le  Chronicon  de  feu.  Monfieur  de  Bazas^où  ledit  Sieur  a  em- 
ployé une  merveilleufe  diligence,  &  peut-eftre  quelquefois 
trop  grande ,  à  caufe  qu'il  s'amufe  par  trop  à  reprefenter  la 
variété  des  manufcripts  là  où  il  n'eft  point  de  befoin.  Toutes* 
fois  je  défère  beaucoup àfon  édition ,  en  laquelle  il  s'eft  porté 
fort  rudement,  &  ce  que  je  loue  le  plus,  fort  modeO:emem,fans 
felaifler  efchapper  aulcun  mot  qui  puifle  offenfer  perfonne  :  ce 
qui  eft  fort  rare  en  ce  fiécle ,  &  mefmement  es  hommes  Eccle< 
fiaftiques ,  es  efcrits  defquels  hypothefis  eft  ^aoyp  .  ,. ,  maledicen- 
tia  ir^  ov.  Mais  les  éditions  de  nos  Eufebes  font  bien  différen- 
tes l'une  de  l'autr-e  ,  &  ce  en  beaucoup  de  manières.  On  pour- 
fuit  toujours  la  noilre  un  peu  plus  diligemment  qu'auparavant. 
Mais  ce  n'eft  pas  pour  en  voir  fi  toft  la  fin.  Nous  employons 
tout  ce  que  nous  pouvons  pour  embellir  cet  œuvre  ,  &  avoir 
ceft  honneur,  que  de  luy  donner  la  lumière  foubs  voftre  nom. 
J'adjoute  à  mes  Notes  Canones  Ifagogicos,  qui  feront  l'ame  de 
cefte  édition ,  &  dont  j'efpere  que  les  gens  de  bien  en  rece- 
vront du  finiid ,  &  du  contentement.  Je  remonftre  bien  à  Cla- 
vius  fon  ignorance ,  fa  ftupiditc  &  orgueil ,  qui  a  gafté  l'année 
Grégorienne,  &  laiifé  fi  pleine  de  refveries  &  follies  que  je 
m'eftonne  que  tant  d'yeux  ne  s'en  advifent.  Tant  eft  grande 
la  brutalité  de  ceux  qui  fe  vantent  de  favoir  quelque  chofe  l 
Pour  le  moins  ils  dévoient  advifer  de  l'abfurdité  qu'on  com- 
met cefte  année  160^,  en  la  célébration  de  la  Pafque  ,  qui  de- 
voit  tomber  au  jour  qu'ils  ont  célébré  Pafques  fleuries.  Il  eft 
incroyable  la  grande  ignorance  &  barbarie  de  ceux  qui  ont 
cette  affaire  en  maniement,  qu'ils  s'en  foyent  acquîtes  fi  pau- 
vrement, avec  une  telle  marque  d'ignorance,  que  tout  le 
monde  en  fera  eftonné  ,  quand  on  le  lira  en  nos  demonftra- 
tions.  Pourquoy  vous  vous  pouvez  affeurer ,  que  noftre  Eu- 
febe,maispluftoft  voftre,  fera  un  trefor  de  merveilles  de  la 
dodrine  chronologique  ;  laquelle  j'ay  affranchi  de  la  tyrannie 
des  prefomptifs,  de  la  profanation  des  ignorans ,  &  de  la  fyco- 
phantie  des  mefdifans.  Nous  ne  faifons  point  de  fcrupute  de 
dire  que  toute  cette  matière  eft  noftre,  en  laquelle  nul  n^  a 
encores  rien  veu  3  non  que  j'aye  plus  d'entendement  qu'un 
autre ,  mais  d'autant  que  j'ai  pris  cette  matière  à  cœur  :  ce  que 
je  n'ay  pu  perfuader  aux  aukres  d'^en  faire  autant.  Mais  il  faut 
eftre  fourpi  d'aukres  moyens  ^  que  ne  font  ceux  que  ce  monftre 


DE  J.  A.  DE  THOU.  3op 

d'ignorance  Clavius  y  a  apporte ,  lequel  G  on  ofte  hors  de  fon 
Euclide ,  il  n'y  a  enfant  fi  nouveau  qu'il  fe  trouvera.  Certes  , 
je  puis  dire  qu'on  verra  en  noftre  édition  ce  qu'on  n'a  encores 
veu.  Je  ne  le  dis  qu'à  vous ,  Monfieur ,  qui  me  cognoiflez. 
Car  quant  aux  autres ,  j'aime  mieux  qu'ils  le  cognoiflent  par 
l'œuvre,  que  par  afleurance  que  j'enpuifle  faire  de  bouche. 
Vous  faites  bien  de  pourfuivre  voftre  Hiftoire ,  qui  eft  fi  bien 
venue  j  fi  chérie  ,  &  louée  des  dodes  &  gens  de  bien ,  fur  tout 
le  proëme  qui  eft  l'éloge  de  vous  mefme  ,  le  tefmoignage  de 
voftre  probité ,  le  monument  de  votre  fçayoir ,  &  de  la  prati- 
que que  vous  vous  êtes  acquis  es  affaires  du  monde,  pour  les 
publier  en  ce  beau  Théâtre  du  monde  qui  eft  voftre  Hiftoire. 
Celui  *  qui  vous  a  repris  fur  la  liberté  dudit  proëme  parle  en  ef-  >*  ju^g  UpC^, 
clave  des  Loyolites  ,  tel  qu'il  eft  :  qui  eft  devenu  fi  idiot  que  la 
plufpart  de  ceux  qui  l'eflevoient  jufques  au  ciel,fe  mocquent 
de  luy  &  commencent  à  dire  S'h  vrcu^s'^  ot  yëf>ovhA.{i)  Il  ne 
ne  s' eft  pas  contenté  de  s'eftre  efchaffaudé  de  ce  ridicule  (  2  ) 
efcrit  des  miracles ,  qu'il  en  a  efcrit  un  (  3  )  aultre  fur  mefme 
fujet.  Il  n'y  a  différence  que  du  lieu  &  des  miracles.  Je  ne 
doubte  nullement  qu'à  Rome  il  n'y  ait  des  renards  qui  fe 
mocquent  de  l'imbécillité  de  ceft  efprit ,  de  s'eftre  tant  abaiffé 
que  d'efcrire  ce  que  les  plus  bigots  de  qualité  n'oferoient  avoir 
efcrit.  Vous  ne  devez ,  fauf  votre  meilleur  advis  ,  luy  faire 
refponfe ,  car  il  ne  le  mérite  poind.  Je  ne  refte  de  luy  efciire 
nonobftantfon  idioterie ,  d'autant  que  je  fuis  conftant  en  ami- 
tié. Mais  j'abufe  de  votre  patience  fans  avoir  efgard  à  vos  oc- 
cupations. Je  prieray  doncques  Dieu,  Monfieur,  vous  main- 
tenir en  fa  garde. 

De  Leyden  le  8  Avril,  qui  Voftre  très  humble  &tres 

de  voit  eftre  Vendredi  devant  obeiffant  ferviteur , 

Quafimodo  ido;.  Joseph  della  Scala, 


t'i;C'eft-à-dire,  les   Vieillards   font 
doublement  enfans. 

(2)  Ds  Biva  Virgine  Hallenfi. 

(?)  De  jyiva,  Virgine  Sichemenfi. 
^  Lipfe  après  avoir  fait  un  volume  en- 
tier des  Miracles  de    Nôtre-Dame  de 
Hall,  lui  dédia  faplame,  furquoi  Sca- 
Jiger  fit  ces  vers. 


foft  cpus  explicitum  quod  tôt  mîracuîa 
narrât, 
Pennam  Lipjiades  hanc  tibi ,    Vtrgo , 
dîcat, 
Nil  pottiit  le'vius  pennâ  tihi ,  Virgo ,  die  are. 
Ni  forte  elî  levius  qmd   tibi  fcripfis 
opi}, 

Q  q  m 


510        PIECES  CONCERNANT  L'HISTOÎP.E 

V écrit  fuivant  3  qui  paroît  être  une  Lettre ,  quoi  qdelle  ne  foit 
adrejjee  à  perfbnne,  ni  même  fignée  y  s^efi  trouvé  entre  les  Ma- 
nufcrits  de  Monfieur  de  Thou.  Jean  Henri  Boclerus  qui  av oit 
déjà  donné  au  Public  ladite  Lettre ,  dans  fes  Commentaires 

fur  Tacite  )  imprimés  à  Strajhourg,  in-S^.en  i66^.page  6^0. 

prétend  quelle  a  été  écrite  par  Scipion  Gentili ,  à  Jacques  Bon^ 

gars  de  la  Boderie. 

J'Ar  été  dernièrement  à  Ausbonrg  &  à  Miinick.  En  pa(~ 
fant  par  cqs  villes,  j'ai  trouvé  plufieurs  chofes  qui  m'ont 
Manufcd'c.  ^"^  fait  beaucoup  de  plaifir  5  fur-tout ,  j'ai  été  charmé  de  la  poli- 
teife  de  Marc  Velfer  ,  &  de  fon  érudition,  qui  m'a  extrê- 
mement frappé  dans  les  converfations  ,  que  j'ai  eues  avec 
lui  :  il  n'y  a  qu'une  chofe ,  qui  m'a  fait  beaucoup  de  peine  5 
<^'a  été  fes  fentimens  au  fujet  de  PHiftoire  de  votre  de  Thou , 
ou  plutôt  du  nôtre.  Il  me  parut  en  penfer  défavantageufe- 
ment  j  il  en  parla  même  avec  aigreur  :  il  ne  put  cependant  me 
dire  précifément  ce  qu'il  trouvoit  à  reprendre  dans  cette  Hiftoi- 
re:  il  me  dit  feulement  en  gros,  que  cet  Hiftorien  étoit  trop 
favorable  à  la  France,  au  préjudice  des  Allemands,  ôc  qu'il 
avoir  rabaiffé  les  belles  adions  ,  &  les  grandes  qualitez  de 
l'Empereur  Charle-Quint.  Je  me  fuis  recrié  fur  cette  accu- 
fation  j  car  je  ne  me  fouviens  pas  d'avoir  lu  aucun  Hifto- 
rien, qui  ait  donné  de  plus  magnifiques  éloges,  &  avec  tant 
de  zélé  à  aucun  homme ,  ou  à  aucun  Capitaine  que  Monfieur 
de  Thou  en  donne  à  Charles  V.  à  chaque  ligne  de  fon  Hi- 
floire ,  où  il  parle  de  cet  Empereur  :  Je  puis  dire  qu  e  je' 
l'ai  lue  très-fou  vent.  Enfuite  tombant  fur  la  religion,  il  ajouta 
que  l'Hiftoire  de  Monfieur  de  Thou ,  faifoit  plus  de  tort  à  la 
Religion  Catholique ,  que  celle  de  Sleïdan ,  à  laquelle  on 
ajoute  moins  de  foi  ,  à  caufe  de  la  haine  qu'il  fait  paroître 
pour  l'Eglife  Romaine.  Qu'il  étoit  étonnant  que  notre  Hi- 
ftorien, écrivant  dans  un  pais  Catholique ,  où  il  étoit  revêtu 
d'une  grande  dignité,  qui  exige  de  la  prudence  &  de  la  gravité^ 
eut  fi  fouvent  loué  les  Proteftans  avec  une  efpece  d'affedation , 
&eùt  paru  même  prendre  en  main  leur  déienfe ,  lorfqu'il  s'a^ 
giflbit  d'en  porter  fon  jugement.  Je  lui  repréfentai  les  devoirs 
d'un  Hiftorien  ,  ôc  lui  dis  que  Monfieur  de  Thou  étoit  ^Q,. 


DE   J.   A.   DE   THOU.  311 

jécrivain  libre  &  fidèle  à  la  vérité.  Il  me  repartit  vivement  : 
»  Que  votre  Hiftorien  fe  manifefte  bien ,  dans  la  mort  d'An- 
3t>  ne  Dubourg.  Il  ne  peut  s'empêcher  de  laifler  échapper  à 
7>  fon  fujet  des  exclamations  prefque  tragiques  ,  &  des  gé- 
miflemens.  »  Il  me  dit  plufieurs  chofes  dans  ce  goût  ,  au 
fujet  de  Monfieur  de  Thou,  &  de  Monfieur  délia  Scala.(i) 
Il  n'eft  pas  néceflaire  de  vous  les  rapporter  j  d'ailleurs ,  cela 
me  feroit  de  la  peine  ,  car  ce  ne  fut  que  malgré  moi  que 
je  les  entendis.  Il  me  dit  encore  ,  que  le  duc  de  Bavière 
avoir  autrefois  envoyé ,  je  ne  fçais  quels  ordres  violens  con* 
tre  Monfieur  de  Thou  ,  à  Odavien  Fugger,  pour  les  don- 
ner au  Maréchal  de  Bois-dauphin,  amballadeur  de  France 
à  la  diète  d'Ausbourg,  afin  de  tirer  vengeance  de  certains 
vers ,  que  cet  auteur  étoit  accufé  d'avoir  faits  contre  le  Duc* 
Je  l'aflurai  que  je  n'avois  jamais  vu  ces  vers.  (2)  Au  refte , 
Monfieur  Velfer  eft  le  meilleur  homme  du  monde.  Je  ne 
vois  prefque  perfonne  en  Allemagne  ,  qui  l'égale  dans  le 
genre  de  litteratiire  qu'il  a  embrafle.  Lingelsheim  votre  ami 
&  le  mien,  vous  dira  plufieurs  chofes  à  mon  fujet,  &  au  fujet 
de  ceux  qui  avoient  à  mon  infcu ,  formé  le  defTein  de  m'atti- 
rer  à  Rome.  Si  cependant  la  chofe  vous  paroît  mériter  qu'on 
vous  en  entretienne.  Je  n'ai  pas  laiffé  d'en  avoir  du  chagrin, 
à  caufe  des  plaintes  &  des  bruits  excitez  à  cette  occafîon. 

Lettre  de  Charles  de  rEchife ,  ou  Clufius ,  Afedecm  &  ProfeJ^ 
feiir  en  Botanique  dans  PUniverftté  de  Leïde  j  à  Jacques* 

Augujie  de  Thou. 

MONSIEUR.  Je  ne  vous  fçaurois  affez  remercier  du  imprimée  fur 
beau  préfent  qu'il  vous  a  pieu  me  faire  du  fécond  to-  ie  Manufcrk. 
lîie  de  voftre  Hifioria  nojîri  temporis  ^  laquelle  j'ay  légèrement 
parcourue  ,  n'ayant  eu  la  patience  d'attendre  qu'elle  fuft  re- 
liée.Depuis  je  l'ay  baillée  au  relieur ,  afin  de  la  pouvoir  lire  plus 
à  loyfir  &  à  mon  ayfe.  Je  ne  fçay  en  quelle  façon  je  pourray 
recognoiftre  le  plaifir  que  m'avez  faid  ,  n'ayant  rien  pour 
vous  envoyer  en  recompenfe  :  toutesfois  je  regarderay  fi  avec 
le  temps  je  vous  pourray  gratifier  en  quelque  chofe.  En  lifant 
legeremeiK  ce  qui  s'eft  palle  l'an  15  (54.  j'ay  obfervé  que  vous 

(i)  Jofeph  Scaliger. 

,{*)  On  nefçait  abfolumentce  que  e'cd  que  cette  pièce  devers. 


31^       PIECES  CONCErvNAN''T  L'HISTOIRE 

avez  eftc  mal  informé  de  la  façon  de  la  mort  de  Wefalius  ;  le- 
quel partit  d'Efpagne  pour  faire  fon  voyage  de  Jerufalem , 
quafi  en  même  temps  comme  j'y  entray.  Il  en  fortit  par  Per- 
pignan ,  ôc  j'y  entray  par  Guipufcoa  &  Vittoria.  Je  vous  ad- 
vertiray  avec  plus  de  loifir  comme  fon  dit  voyage  s'eft  pafle , 
l'ayant  entendu  partie  en  Madrit  à  la  cour  du  Roy  d'Efpagne, 
partie  l'année  enfuivante  à  Bruxelles  à  mon  retour  d'Efpagne. 
Je  vous  advertiray  pareillement  de  la  diligence  de  G.  Ron- 
delet ,  comme  celuy  qui  l'ay  cogneu  fort  familièrement ,  ayant 
demeuré  deux  ans  entiers  en  fa  maifon  avec  le  D.  Laurent  Jou- 
bert  à  Montpellier.  Mais  pour  le  prefent  je  n'ay  loifir  de  vous 
efcrire  plus  particulièrement ,  à  caufe  que  M.  de  la  Scale  m'a 
faict  advertir  par  fonferviteur,  quel!  je  voulois  vous  efcrire, 
il  falloir  que  luy  envoyaffe  ma  lettre  encore  à  ce  foir.  Par- 
quoy  remettant  le  tout  jufques  à  une  autre  fois ,  je  prieray 
Dieu  qu'il  vous  donne ,  Monfieur ,  longue  &  heureufe  vie , 
afin  que  puifllez  achever  voftre  Hiftoire  à  la  gloire  de  fon 
nom  &  profit  public  >  &  demeureray  tousjours. 

Leidencexxviii  Jan-  Voftre  très  affedionné  ferviteur 

vier  1^07.  Ç.  de  l'Ecluse. 

Notes  de  Charles  de  PEclufefur  l'Hijîoire  de  lac,  Aug.  de  Thou, 
Traduites  du  Latin  fur  le  Manufcrit. 

Tom.  I.  Liv.  f^  Ontre  le  Roy  de  Dannemarck ,    beau-frere  de  PEmpe- 

ïv.p,  156.       \^^^Yeur.  Je  ne  crois  pas  que  le  Roi  de  Dannemarck  ,  qui 

regnoit  alors  j  eût  aucune  alliance  avec  l'Empereur.  C'eft 

plutôt  fon  prédéceffeur  Chriftiern  ayeul  maternel  de  Charles 

Duc  de  Lorraine  :  car  il  avoit  époufé  une  fœur  de  l'Empereuir 

Charles. 

îbici.  Uy.  V.       Sleidan  conje6fure  que  cette  lettre  efi  fuppofée.   Ce  n'eft   pas 

pag.  518.        f^j^g  raifon.  Car  en  i$^2>.  m'étant  rendu  au  commencement 

du  Printemps  à  Marpourg ,  dans  le  pays  de  Hefle ,  pour  y 

prendre  les  leçons  de  Jean  Oldendorp  ,  qui  expliquoit  le  titre 

de  Petit,  hered.  je  ne  remarquai  aucun  changement  dans  les 

cérémonies  Eccléfiaftiques  ^  reçues  par  la  Confefllon  d'Aut 

bourg.   Seulement  les  Miniftres  avant  le  Prêche ,  ou  lur  le 

point  de  célçbrej:  la  Cçne ,  mettoient  un  furplis  à  caufe  de 

la 


DE  J.  A.  DE  THOU,  31^ 

la  publication  de  P Intérim ,  après  avoir  averti  les  fidèles  de 

n'être  point  fcandalifez  de  cette  cérémonie.  L'année  fuivan- 

te  j'allai  à  Wittemberg  ,  pour  entendre  Melancthon  ^   &  je  * 

retournai  à  Marpourg  ,  vers  le  commencement  de  l'année 

1 5*  ^o.  André  Hiperius  Flamand ,  me  logea  quinze  jours  chez 

lui  j  &  je  ne  trouvai  rien  de  changé  dans  la  Religion. 

François  Erafte.  Il  faut  lire  François  de  Erafib.  Il  avoit  été  Tom.  n.  Ur. 
premier  Secrétaire  de  Philippe  Second  ,  &  étoit  fort  en  faveur  ^^  P*  ^^s. 
auprès  de  ce  Prince  ,   pendant  mon  féjoiu'  en  Efpagne.   li 
avoit  une  très-belle  femme  ;  plufieurs  m'ont  aifuré  que  c'é- 
toit  la  véritable  caufe  de  fon  crédit. 

Je  crois  que  Munfter  eft  mort  à  Bafle  &  non  pas  à  Hei-  Tom.  n.  Lit. 
delberg.  (i)  Il  faifoit  fa  demeure  à  Bafle  :  du  moins  je  l'y  ^^•?'^^7' 
faluai  en  15*^0.  en  allant  de  Francfort  à  Montpellier,  avec 
Pierre  Lotichius  Secundus  ,  mon  intime  ami ,  &  le  meilleur 
Poète  d'Allemagne. 

u^yant  vu  P ouvrage  que  Rondelet  avoit  compofé  fur  les  Me-  Tom.  n.Iîv 
moires  de  Guillaume  Pelijfierj  &c.  Rien  n'eft  plus  faux ,  car  xm.p,  447.. 
je  puis  être  témoin  de  l'exaditude  de  Rondelet  à  écrire 
THiftoire  à^s  Poiflbns ,  ayant  demeuré  deux  ans  entiers ,  & 
même  plus ,  avec  lui.  Il  a  fait  en  ma  préfence  la  difledion  de 
plufieurs  poiiTons  ,  pour  en  obferver  les  parties  internes, 
afin  d'être  plus  en  état  d'écrire  leur  Hiftoire ,  &  de  le  faire 
plus  parfaitement.  J'allois  moi-même  fur  le  bord  de  la  mer, 
far-tout  lorfqu'elle  avoit  été  agitée ,  pour  voir  fi  je  ne  trou- 
verois  point,  dans  ce  qu'elle  jette  fur  le  rivage,  quelque  cho-» 
fe ,  qui  pût  être  de  quelque  utilité  à  mon  ami  pour  fon  ou- 
vrage,  comme  des  coquillages,  des  orties  de  mer ,  des  che- 
vaux &  des  lièvres  marins ,  &  d'autres  chofes  de  cette  ef- 
pece,  que  je  lui  apportois.  Il  eft  vrai  que  les  quatre  pre- 
miers livres ,  qui  font  fans  figures  de  poiflbns  3  étoient  déjà 
faits  quand  je  vins  le  trouver.  Je  ne  nie  pas  même  qu'il  ne  fut 
grand  ami  de  Peliffier ,  qui  étoit  fon  compère.  Ce  dernier , 
peu  de  temps  avant  mon  arrivée  à  Montpellier,  avoit  été  mis 
en  prifon  (  i)  aux  grands  jours  tenus  à  Montpellier,  &  menéprifon" 

(z)  Ceci  eft  en  François  dansTorigi- 


(i)  C'étoit  une  faute  qui  étoit  échap- 
pée à  Mon/ieur  de  Thou  ,  mais  qui  a  été 
corrigée  '^ans   les  dernières  cditions. 

TomeXK  Rr 


nal  latin.  ^ 


^14  PIECES  CONCERNANT  L'HISTOTRE 

vier  à  Beaucaire  j  où  il  étoît  encore  détenu  quand  je  partis  dtfdij 
Jïdonîpellier. 

0  PelilTier  a  pu  être  d'un  grand  fecours  à  Rondelet ,  parce 

que  files  pefcheurs prenoient  quelque  poilTon extraordinaire, 
ils  étoient  obligez  de  l'envoyer  à  l'Evêque.  Peliiïier  alors  en 
liberté ,  les  envoyoit  à  Rondelet ,  àcaufedes  liaifons  d'amitié 
qu'ils  av oient  enfemble.  Mais  je  puis  affurer  avec  certitude 
que  ce  dernier  n'a  pas  compoié  fon  Hiftoire  fur  les  obferva- 
tions  de  l'autre. 

Tom.  V.  lîv.       Ce  qu'on  dit  de  Rondelet  en  cet  autre  endrolt,ne  lui  fait  pa? 

xxxvni.  pag.  i^Qj^i^gLif^  C'q^  fans  doute  à  la  perfuafion  de  quelque  jaloux 
de  fa  réputation.  Le  trait  pourroit  bien  être  parti  des  mains 
d'Honoré  Caftelan ,  qui  de  ma  connoiflance ,  pendant  qu'il 
étoit  Profefleur  à  Montpellier,  avoir  eu  de  grands  diffé- 
rends avec  Rondelet.  A  la  vérité  Caftelan  l'emportoit  fur 
fon  adverfaire  par  une  grande  facilité  de  s'exprimer  fur  le 
champ  ;  mais  celui-ci  avoir  plus  d'érudition.  Nous  ne  pouvions 
allez  admirer  la  vivacité  de  fon  efprit.  Je  l'ai  vu  moi-même 
ordonner  des  remèdes  dans  un  même  inftant  pour  deux  ma- 
ladies différentes ,  &  dont  la  cure  l'étoit  aulfi.  Laurent  Jou- 
bert  écrivoit  fon  ordonnance  pour  l'un  des  malades,  tandis 
que  'j'écrivois  d'un  autre  côté  ce  qu'il  ordonnoit  pour  Fau^ 
tre.  Je  ne  fçaurois  parler  alfez  dignement  de  fa  mémoire, 
qui  étoit  merveilleufe. 

Tom.  IV.  Lîv:       Jacques  qui  fefaifoit  appeller  Defpote  deSamos.  &c.  J'ai  bien 

"^I"''  ^^'^'  ^^5  chofes  à  dire  au  fujet  de  cet  homme  ,  que  j'ai  connu 
à  Montpellier.  Il  s'appelloit  Jacques  de  Marchett'i  ,  du 
moins  c'eft  le  nom  que  je  lui  entendis  prononcer  ,  lorf- 
qu'il  fe  fit  infcrire  fur  la  matricule  des  écoles  de  médecine. 
Il  fe  difoit  tantôt  de  Sicile,  tantôt  Defpote  de  Samos.  La 
plupart  le  croyoient  fils  d'une  courtifane  de  MelÏÏne  en  Si- 
cile. Il  étoit  bien  pris  dans  fa  taille  ,  &  d'un  tempérament 
robufte.  Il  fçavoit  le  Grec  vulgaire,  l'Italien,  le  Latin  ,  & 
le  François.  Il  lia  amitié  avec  un  gentilhomme  de  Montpel- 
lier ,  qui  avoir  une  belle  femme ,  nommée  Gillete  d'André. 
Le  Defpote  la  voyoit  fecretement  pendant  la  nuit.  Les  pa- 
ïens du  mari  ayant  été  informez  de  ces  rendez -vous ,  atten- 
dirent le  galant ,  &  le  bleflèrent  en  fortant  de  chez  la  belle 


XXV 

ï 


DE  J.  A.  DE  T  H  OU,  3ij 

Gilîete.  Le  blefle  intenta  procès  le  lendemain  aux  parens 
du  mari  ,  &  les  fit  condamner  en  une  amande.  Dans  l'an- 
née de  mon  arrivée  à  Montpellier ,  le  mari  de  Gillete  eut 
une  querelle  avec  un  certain  Baron, Chevalier  de  Malthe, 
qui  lui  pafla  fon  épée  au  travers  du  corps.  Il  en  mourut 
quelques  jours  après ,  ne  laiffant  qu'un  fils  âgé  de  deux  ou 
trois  ans.  Quelques  femaines  après  fa  mort  ,  ce  Jacques  ; 
qu'on  appelloit  vulgairement  à  Montpellier  Le  Grec  ,  alla 
demeurer  chez  la  Veuve  3  &  vécut  en  grande  liaifon  avec 
elle.  Jacques  étant  tombé  malade ,  elle  lui  découvrit  la  crain- 
te qu'elle  avoit ,  que  s'il  venoit  à  mourir ,  la  familiarité  qu'ils 
avoient  eue  enfemble  y  ne  fift  tort  à  fa  réputation.  Elle  le 
prefla  de  mettre  fon  honneur  à  couvert  en  l'éppufant,  &  fit 
venir  un  Prêtre  pour  les  marier.  Le  nouveau  marié  revenu 
en  fanté,  ayant  remarqué  un  jour  que  le  fils  de  fa  femme 
fe  divertiflbit  dans  fa  chambre,  en  fe  fufpendant  à  une  gran^ 
de  armoire ,  qui  fervoit  de  garderobe ,  il  la  fouleva  par  der* 
ricre ,  afin  que  l'enfant  venant  à  jouer ,  félon  fa  coutume  j 
entraînât  l'armoire ,  &  en  fut  écrafé  5  ce  qui  arriva  comme 
le  Grec  l'avoir  prévu.  Sa  femme  &  lui  ,  parurent  inconfo- 
lables  en  public  de  la  mort  de  cet  enfant. 

Après  la  prife  de  Mets  par  Henri  fécond  ,  le  duc  de 
Guife  s'étant  chargé  de  défendre  cette  ville  contre  l'empe- 
reur Charles  V.  prefque  toute  la  noblelle  de  Languedoc  fe 
rendit  dans  cette  place.  Il  fe  trouva  parmi  eux  un  jeune 
homme  de  Montpellier ,  qui ,  je  crois ,  s'appelloit  Saint  Ht- 
lari.  Jacques  fe  difant  toujours  Defpote  de  Samos ,  fe  joi- 
gnit à  Saint  Hilari ,  après  avoir  laifTé  fa  femme  chez  P^on- 
delet ,  dans  la  maifon  de  qui  il  avoit  pris  un  appartement 
deux  mois  auparavant.  Mais  à  peine  y  avoit-il  trois  femaines 
d'écoulées  depuis  le  départ  du  Defpote ,  que  Rondelet  obli- 
gea cette  femme  de  fortir  de  fa  maifon ,  parce  qu'elle  rece- 
voit  trop  de  vilites  d'hommes.  Elle  loua  donc  un  logement 
dans  un  quartier  affez  peu  fréquenté,  afin  de  recevoir  avec 
plus  de  liberté  ceux  qui  voudroient  venir  la  voir.  Après  la 
levée  du  Siège  de  Mets  ,  Jacques  au  lieu  de  retourner 
à  Montpellier ,  fui  vit  la  Cour  à  Saint  Germain.  Saint  Kavi 
Confeiller  aux  Généraux  de  Montpellier  ^  (i)  &  un  autre  dé-; 

(  i)  C'cft-à-dire ,  Confeillej:  à  la  Cour  des  Aides  &  Chambre  des  Comptes. 

Bs  r  ij. 


^iS       PIECES   CONCERNANT   L'HISTOIRE 

puté  de  Gevaudan  ,  fe  rendirent  à  la  Cour  pour  des  affai- 
res publiques.  Ils  fe  logèrent  dans  un  Bourg  fur  le  bord  de 
la  Seine ,  au-deifous  de  Saint  Germain ,  d'où  ils  alloient  tous 
les  jours  au  Château.  Jacques  avoir  eu  vent  de  la  galante- 
rie de  fa  femme  ;  il  foupçonna  Saint-Ravi  d'avoir  eu  quel- 
ques liaifons  avec  elle  :  c'eil  pourquoi  il  lui  drefla  des  em- 
bûches. Un  jour  que  les  deux  députez  defcendoient  enfem- 
hle  le  coteau ,  en  converfant ,  il  prit  envie  à  Saint-Ravi  de 
piller  :  Il  fe  retira  donc  à  côté  du  coteau  ,  tandis  que  fon 
compagnon  s'avançoit  au  petit  pas  :  Jacques  qui  les  avoir 
fuivis ,  faififfant  l'occafion  ,  donna  deux  coups  de  fabre  fur 
la  tête  à  Saint-Ravi  ,  qui  en  fut  terraffé.  Le  compagnon  de 
ce  dernier ,  effrayé  des  cris  du  bleffé  ^  fe  mit  à  courir  avec 
précipitation^  jufqu'à  ce  qu'il  fut  arrivé  à  fon  auberge j tout 
hors  d'haleine.  Le  meurtrier  rentra  fur  le  champ  à  Saint 
Germain  ,  &  fe  cacha  dans  la  maifon  du  Ringrave.  Saint- 
Ravi  fut  porté  dans  fon  auberge  ,  où  il  mourut  quelques 
momens  après. 

Le  bruit  de  cet  affaffinat  s'étant  répandu ,  le  Roi  en  fit  cher- 
cher l'auteur  ,  &  fit  défenfes  par  un  édit  févere  de  lui  donner 
retraite.  Le  Ringrave  ne  voulant  pas  s'attirer  la  colère  du  Roi , 
fit  fauver  fecretement  le  coupable,  qui  fe  retira  en  Flandres.  On 
voit  par  l'hiftoire  du  Siège  de  Renti  qu'il  a  écrite ,  qu'il  y  avoit 
fervi  dans  les  troupes  de  Charles-Quint.  L'Empereur  l'ayant 
fait  Comte  Palatin ,  titre  qui  lui  donnoit  le  pouvoir  de  faire 
des  Maîtres  ès-arts  ôc  des  Dodeurs,  il  obtint  à  ce  fujet  des 
lettres  patentes ,  qu'on  m'a  dit  qu'il  laiffa  enfuite  à  Plantin  pour 
gage  d'argent  prêté  :  je  ne  fçai  s'il  les  a  retirées  dans  la  fuite. 
Il  parcourut  les  univerfitez  d'Allemagne ,  où  il  fit  quelques 
Dodeurs  pour  dePargent.  Enfuite  ayant  fait  connoillance  à 
Wittemberg ,  avec  des  Hongrois  &  des  Polonois  j  il  apprit 
beaucoup  de  particularitez  des  affaires  de  Valachie.  Bien 
înftruit  de  ces  chofes  ,  il  fe  donna  hardiment  pour  être  de 
la  maifon  des  Vaivodes  de  ce  pays.  Il  fe  mit  à  la  tête  de 
quelques  garnifons  Allemandes  qui  étoient  en  Hongrie  ,  & 
entra  en  Valachie ,  où  la  nobleffe  le  falua  Vaivode.  Il  fe  fe- 
roit  confervé  cette  principauté  (  comme  Pierre  Rouffel  de 
Bourgogne,  gouverneur  de  Tockay,  me  l'a  affuréàlaCour 
de  Vienne,)  s'il  n'eut  pas  renvoyé  fes  Allemands  :  mais  la 


D  E    J.    A.   D  E    T  HO  U.  317 

nobleffe  de  Valachie  Ibupçonnant  le  Defpote  de  fourberie  , 
commença  à  le  flater ,  &  à  lui  perfuader  que  les  troubles  de  fes 
Etats  étant  calmez ,  il  pouvoit  vivre  tranquillement ,  fans  avoir 
bcfoin  d'une  garde  étrangereV^  qui  étoit  à  charge  à  la  pro- 
vince. Trompé  par  ces  difcours ,  le  crédule  Vaivode  renvoya 
fe§  Ailemands  contre  l'avis  de  Rouflel ,  qui  lui  difoit  de  fe 
défier  des  Valaques ,  dont  la  légèreté  lui  étoit  connue.  Il  fe 
repentit  trop  tard  de  n'avoir  pas  fuivi  un  fi  fage  confeil. 
Enfin  ,  voyant  qu'il  falloir  périr  ,  il  voulut  du  moins  périr 
avec  une  certaine  majefté  ,  foutenuë  d'une  noble  aflurance. 
C'eft  pourquoi  s'étant  revêtu  de  fes  plus  riches  habits  ,  il 
s'avança  vers  fes  afiàiTins ,  la  couronne  fur  la  tête  &  le  fceptre 
à  la  main  j  il  fut  tué  fur  le  champ.  C'eft  ainli  que  Rouflel 
m'a  raconté  fa  mort. 

Clnfms  ajoute  à  ce  que  Monfieur  de  Thou  a  ait  ,  au  fujet  Tom.  rr.  LîVo 
d'André  Wefal.  Wefal  en  qualité  de  médecin  du  Roi,  ^''^''^^-  P^§- 
fuivit  Philippe  fécond  lorfqu'il  quitta  les  Païs-Bas  ;  mais  il 
ne  put  jamais  s'accoutumer  aux  mœurs  des  Efpagnols ,  &  à 
leur  génie  î  c'eft  pourquoi  il  le  laiiTa  aller  à  la  mélancoUe* 
Il  feroit  retourné  volontiers  dans  fa  patrie  ,  fi  le  Roi  avoit 
voulu  lui  en  donner  la  permifllon.  Ne  reftant  donc  que  mal- 
gré lui  en  Efpagne ,  il  tomba  dans  une  maladie ,  dont  il  ne 
guérit  que  très-difficilement.  Enfuite  il  fit  de  nouvelles  in- 
ftances  au  Roi  ,  pour  obtenir  la  permilTion  de  fe  retirer  ^ 
fous  prétexte  d'un  vœu  qu'il  avoit  fait  d'aller  à  Jerufaleni, 
s'il  revenoit  en  fanté  ,  ajoutant  qu'il  fouhaiteroit  accomplir  ^ 
fon  vœu ,  fous  le  bon  plaifir  du  Roi.  Non-feulement  il  ob- 
tint ce  qu'il  demandoit  5  mais  il  eut  encore  un  paflcport  pour 
fortir  du  Royaume ,  afin  que  les  Commis  de  la  Douane  ne  Fin* 
quiétaflent  point  fur  la  frontière.  La  fomme  d'argent  qu'il 
portoit  pour  les  frais  de  fon  voyage  y  étoit  exprefîemenf 
marquée.  Ils  fe  mirent  fa  femme  &  lui  avec  leurs  bagages 
dans  une  voiture  Flamande.  A  leur  arrivée  à  Perpignan,  (  car 
il  avoit  envie  d'aller  à  Venife ,  pour  fe  rendre  de-là  à  Jerufa- 
îem ,  )  il  prit  le  parti  d'envoyer  fa  femme  en  Languedoc  ,  pour 
fe  rendre  enfuite  aux  Pays-Bas ,  en  traverfant  la  France  :  ce  fut 
au  printemps  en  i  j  6à^,  Dans  le  même-temps,  au  mois  d'Avril, 
je  partis  en  pofte  de  Bruxelles  ,  pour  me  rendre  en  Efpa- 
gne, ôc  ayant  traverfé  la  France  &.  la  Bifcaye ,  j'arrivai  à  Ma- 

Rriij 


3iS  PIECES  CONCEUNANT  L'HISTOIRE 

drid ,  où  j'appris  toutes  ces  particularitez  de  Charles  Tifenau 
chef  du  Confeil  des  Pays-Bas  à  Madrid.  Il  me  dit  encore  que 
Wefal  avant  fon  départ  ,  avoir  prêté  à  de  jeunes  feigneurs 
Flamands,  qui  étoient  à  la  Cour,  de  l'argent  à  gros  intérêt, 
dont  il  devoit  être  rembourfé  dans  les  Pays-Bas ,  à  fon  retour 
de  Jerufalem  5  que  Monfieur  de  Selle  frère  de  Norkerme , 
&  qui  époufa  dans  la  fuite  la  fille  de  Tifenau,  avoit  emprunté 
deux  mille  écus  d'or  de  ce  médecin.  Quoi  qu'il  en  foit ,  We- 
fal étant  arrivé  fur  les  frontières  d'Efpagne ,  eut  une  affaire 
avec  les  Commis  de  la  Douane  à  Perpignan.  Les  fermiers 
des  impôts  ont  fur  la  frontière  ,  dans  chaque  Roïaume  de 
îa  Monarchie  Efpagnole ,  des  Commis  qui  ont  coumme  d'in- 
quiéter les  voyageurs  étrangers ,  à  moins  qu'on  ne  leur  falîô 
quelque  libéralité.  Wefal  comptant  fur  fon  pafleport,  ne  voulut 
rien  donner.  Les  Commis  pour  le  fatiguer  lui  demandèrent 
à  voir  fes  paquets ,  afin  de  s'affurer  qu'ils  ne  contenoient  que 
ce  que  portoit  fon  pafleport.  Wefal  pour  avoir  raifon  dé 
cette  injure  ,  leur  fit  un  procès  qui  dura  quinze  jours.  Ori 
croit  qu'il  lui  en  coûta  cinquante  écus  d'or  j  il  en  eut  été 
quitte  pour  un ,  ou  deux  tout  au  plus  ,  &  eut  ainli  conten- 
té ces  harpies  ,  fans  s'expofer  à  leurs  recherches ,  &  n'eut  pas 
perdu  tant  de  temps.  Mais  il  étoit  fort  avare  ,  ôc  ce  fut  encore 
fon  avarice  qui  fut  caufe  de  fa  mort,  comme  je  Pai  appris 
à  Madrid  au  mois  d'Avril  de  l'année  i$6^.  à  mon  retour  de 
Portugal ,  d'Andaloufîe ,  &  des  Royaumes  de  Grenade ,  & 
de  Valence.  Après  avoir  accompli  fon  vœu ,  Wefal  s'étoit 
embarqué  pour  repafler  en  Europe  ,  où  il  croyoit  arriver 
bien-tôt.  Il  ne  prit  pas  affezde  vivres,  &  ils  lui  manquèrent? 
le  paflage  fe  trouvant  plus  long  qu'il  ne  l'avoit  penfé.  Il  ne 
fe  découvrit  point ,  de  peur  de  fe  faire  mocquer  5  mais  un 
gentilhomme  Allemand  ,  paflager  dans  le  même  vaifleau  , 
s'en  étant  apperçu ,  lui  donna  libéralement  de  quoi  fubfifter  i 
fes  forces  étoient  déjà  fi  affoiblies ,  qu'il  mourut  peu  de  temps 
après-,  dans  l'Iile  de  Zante,  où  le  vaifleau  alla  mouiller.  Les 
paflagers  lui  rendirent  les  derniers  devoirs  dans  cet  endroit. 
Voilà  ce  que  j'ai  appris  à  Bruxelles  au  mois  de  May  fui- 
vant,  à  mon  retour  d'Efpagne.  La  veuve  de  Wefal  époufa 
peu  de  temps  après ,  un  gentilhomme  appelle  Vandernoot. 
Monjtear  Dupuy  ^  dans  l'exemplaire  qui  efl  dans  la  bibliothc* 


DE    J.   A.    DE   THOU.  31^ 

^ue  de  Alonfieur  Guillaume  LloydEvêque  de  If^orchejler ,  ajoute 
à  cette  note  de  rEclufe  cette  autre  remarque  ,  tirée  de  Melchior 
Adam,  llubert  Languet  ,  dont  Monlieur  de  Thou  parie  avec 
beaucoup  d'éloge  au  foixante  &  quatrième  livre  de  fon  Hif- 
toire ,  rapporte  une  autre  caufe  du  voyage  de  Wefal  en  Pa- 
leftine.  Il  s'en  explique  ainiî  dans  une  lettre  à  G.  Peucer. 
^'  On  dit  que  Wefal  eft  mort.  Vous  avez  fans  doute  appris 
»  qu'il  avoir  entreprit  le  voyage  de  Jerufalem.  On  m'a 
»  écrit  d'Efpagne  la  caufe  de  fon  voyage ,  qui  eft  tout-à- 
»  fait  furprenante.  Il  fut  chargé  de  traiter  un  Seigneur  Efpa- 
ï'gnol  d'une  maladie.  Croyant  que  fon  malade  étoit  mort ,  & 
>'  qu'il  n'avûit  pas  allez  connu  la  caufe  de  fon  mal ,  il  de- 
to  manda  aux  parens  du  mort  la  permiffion  de  l'ouvrir.  Les 
*>  parens  y  ayant  confenti ,  Wefal  trouva  le  cœur  encore  pal- 
10  pitant.  Il  fut  accufé  par  les  parens  d'avoir  tué  le  malade. 
*>  Non  contens  de  cela  ils  le  déférèrent  encore  comme  un  im- 
•^  pie  ,  àTlnquifition,  où  ils  efperoient  qu'il  feroit  plus  rigou- 
«^  reufement  puni.  En  examinant  le  meurtre,  dont  on  l'accu- 
»  foit ,  on  ne  put  excufer  une  pareille  erreur  dans  un  Médecin 
»  auffi  habile  3  aind  l'Inquifition  vouloit  abfolument  l'en  punir. 
«»  Le  Roi  eut  beaucoup  de  peine  à  le  fauver.  Il  y  employa 
m>  fon  autorité  ,  ou  plutôt  fes  inftances  auprès  des  Inquifiteurs. 
»  Enfin ,  on  accorda  à  fa  prière ,  &  à  celle  de  toute  la  Cour  la 
t»  grâce  de  Wefal,  à  condition  qu'il  iroit  en  pénitence  à  Jeru- 
w  falem  ôcau  Mont  Sinaï.  »  Voilà  ce  qu'en  dit  Melchior  Adam 
dans  la  vie  des  Médecins  Allemands. 

Accompagné  de  Lamoral  Comte  d'Egmont  3   &c.    Cela   ne  Tom.  v,  Lir. 
peut  être  vrai  ;  car  il  avoit  quitté  l'Efpagne   avant  qu'Eli-  ^^^xvm.p* 
fabeth  fe    préparât  à   aller   à  Bayonne.   Je   ne    partis   que     * 
quelques  femaines  après  lui.  Pour  moi  je  féjournai  quelque 
temps  à  Medina-del-Campo  ,  enfuite  à  Valladolid  ,   pour 
voir  l'entrée  de  la  Reine  dans  cqs  Villes.    Cette   PrincefTe 
s'étant  arrêtée  à  ValladoUd  ,  je  pris  le  parti   d'aller   à   Bur- 
:gos  ,  où  je  vis  aufii  les  préparatifs  de    réception   qu'on   y 
faifoit  :  mais  fans  attendre  l'arrivée  de  la  Reine  ,  je  retour- 
nai en  pofte  dans  ma  patrie.  Le  Roi  Charles  étoit  alors  au 
Montmarfan.  Je  fus  obligé  en  fortant  de  Bayonne  de  paiTer 
par-là  ,  parce  que  tous  les  chevaux  de  pofte  avoient  ordre 
de  s'y  tendre. 


320        PIECES   CONCERNANT  L'HISTOIRE 

Sur  la  fin  de  l'été  en  i^^^.  Marguerite  d'Autriche  DucheC* 
fe  de  Parme  ,  gouvernante  des  Pays-Bas  ,  envoya  par  mer 
Pierre  Erneft  Comte  de  Mansfeld  avec  fa  femme  j  fœur  de 
Philippe  de  Montmorency  à  Lisbone  ,  pour  conduire  en 
Flandres  la  Princefle  Marie  petite  fille  d'Emmanuel  roi  de 
Portugal  ,  qui  étoit  fiancée  à  fon  fils  Alexandre  Farnefe. 
Le  Comte  revint  l'année  fuivante  avec  la  Princefle  ,  &  fes 
officiers.  Il  y  avoir  à  fa  fuite  im  Evêque  fi  imbécile ,  qu'un 
Seigneur  appelle  Jean  d'Hallevvin  de  Sweveghen  qui  étoit 
de  la  Cour  de  la  Gouvernante  ,  l'ayant  falué  en  Latin,  & 
félicité  de  fon  heureux  voyage  ,  il  lui  demanda  en  Efpagnol 
Sois  Clerigo  ,  êtes-vous  Prêtre  ?  parce  qu'il  lui  voyoit  une 
longue  robe  noire  ,  qui  étoit  le  deuil  de  fa  femme  morte 
depuis  quelque  temps.  Ce  bon  Evêque  s'imaginoit  qu'on  ne 
pouvoit  parler  Latin  ,  fans  être  Ecclefiafl:ique. 
Tom.  V.  iiv.  Je  crois  que  Monfieur  de  Thou ,  en  rapportant  les  cir- 
xtni  p.  433.  confiances  de  la  mort  de  Dom  Carlos  fils  de  Philippe  1 1. 
a  parlé  trop  favorablement  en  faveur  du  père  de  ce  jeune 
Prince  ,  trompé  fans  doute  par  l'architeâie  François  (i)  fur 
la  foi  duquel  il  écrivoit.  Je  ne  défavouerai  pas  que  le  beau 
naturel  ,  qui  faifoit  fi  bien  efperer  de  Dom  Carlos  ,  n'ait 
cté  altéré  par  l'accident  qui  lui  arriva  à  Alcala  ,  en  y  fai- 
faut  fes  études  dans  le  palais  bâti  par  le  cardinal  Ximenes 
archevêque  de  Tolède  ,  &  reftaurateur  de  cette  univerfité, 
JJc  Prince  demeuroit  au  premier  étage  avec  fes  officiers  > 
le  rez  de  chauflee  étoit  occupé  par  une  Comtefie ,  qui  étoit 
veuve.  Je  me  fouviens  que  derrière  ce  palais  il  y  avoit  un 
verger ,  planté  de  myrtes  d'Andaloufie  à  feuilles  larges ,  dont 
\qs  arbres  étoient  difpofez  en  quinconce  5  &  je  remarquerai  en 
pallant ,  que  c'eft  le  premier  endroit,  oit  j'aie  vu  de  cette  efpe- 
ce  d'arbres,  La  Comtefle,  dont  je  viens  de  parler,  avoit  parmi 
fes  femmes  une  jeune  fille  afiez  belle  ,  dont  le  Prince  de- 
vint amoureux.  En  cherchant  les  moyens  de  la  voir  en  fe- 
cret  ,  il  découvrit  en  un  coin  derrière  la  tapiflerie  de  fa 
chambre  un  efcalier  dérobé  ,  par  où  il  pouvoit  defcendre 
dans  l'appartement  d'enbas.  Cette  découverte  lui  parut  très- 
propre  à  venir  à  bout  de  fon  deilein  •■>  c'efi:  pourquoi  l'ayant 
communiqué  à  un  de  fes  Menins  ,  il  voulut  defcendre  une 

rO  Nommé  Louis  de  Foix,  qui  a  donné,  à  ce  qu  on  prétend,  les  dclTcins  de  l'Efcurial. 

Jiui^ 


DE  J,   A.  DE   T  HOU.  521 

tiiût  fans  lumière  par  cet  efcalier.  Mais  le  pied  venant  à  lui 
manquer  dès  le  premier  degré,  il  tomba  du  haut  en  bas, 
&  alla  fe  caiïer  la  tête  contre  le  mur  voilin  de  la  porte 
d'enbas  de  l'efcalier.  On  accourut  auffi-tôt  au  bruit,  &  on 
emporta  le  Prince  qui  étoit  fans  connoilTance.  J'appris  qu'il 
avoir  long-temps  été  en  danger  de  mourir  de  cette  blefîu- 
re.  Dans  mon  voyage  d'Efpagne  ,  étant  allé  en  1^6^.  au 
commencement  de  Septembre  à  Alcala  ,  j'eus  la  curiofité 
de  voir  ce  palais  ,  où  l'on  me  montra  le  mur  qui  eil  près 
de  la  porte  du  bas  de  cet  efcalier  ,  encore  teint  de  fang. 
Perfonne  n'ignoroit  que  cet  accident  avoit  extrêmement  af- 
foibli  le  tempérament  de  Doni  Carlos.  En  effet  lorfque  je  vis 
ce  Prince  à  la  Cour ,  fon  tein  étoit  encore  pâle  ,  il  étoit  mê- 
me livide  après  tant  d'années.  Il  y  avoit  des  gens  qui  ofoient 
adurer  que  les  Médecins  étoient  en  doute  ,  s'il  n'étoit  pas 
impullfant  ,  ce  qui  avoit  fait  agir  les  Efpagnols  à  Rome  , 
pour  obtenir  du  Pape  la  permiifion  de  lui  faire  époufer  la 
Prince He  Jeanne  fa  tante  ,  veuve  du  Prince  de  Portugal  , 
qui  n'étoit  pas  trop  éloignée  de  ce  mariage.  Mais  ce  jeune 
Prince  avoit  de  l'inclination  pour  Elifabeth  de  France  fille 
de  Henri  1 1.  Philippe  fon  père  lui  enleva  cette  Princeife  en 
l'époufant  lui-même ,  fuivant  un  article  de  la  paix  qu'il  fît  avec 
la  France  en  i^jp.  Il  eft  certain  que  Dom  Carlos  conferva 
toujours  de  l'inclination  pour  fa  belle-mere  ,  il  paroiflbit  l'ai- 
mer comme  fa  propre  mère  5  c'eft  ce  que  j'ai  vu  dans  mon 
féjour  en  Efpagne.  On  fit  efperer  à  ce  Prince  dans  le  mê- 
me temps ,  de  lui  donner  en  mariage  l'Archiducheffe  An- 
ne fille  de  l'Empereur  Maximilien  1 1.  On  lui  envoya  même  le 
portrait  de  cette  Princeife  :  cette  fatale  peinture  alluma  encore 
des  feux  dans  le  cœur  de  Philippe  1 1.  Je  fis  connoiffance  à 
Madrid  avec  un  jeune  graveur  Milanois  (i)  très-habile  dans 
fon  art  ,  &  que  Dom  Carlos  aimoit  beaucoup  :  il  me  don- 
na un  portrait  de  ce  Prince  en  plomb  ,  que  j'ai  encore  j 
cette  image  étoit  une  empreinte  du  portrait  du  Prince  que  cet 
artifte  avoit  gravé  en  creux  fur  un  diamant.  Il  m'aflura  que  Dom 
Carlos  avoit  réfolu  d'envoyer  ce  diamant  monté  en  or  à  la 
Princede  Anne  ,  comme  un  gage  de  fon  amour.  Le  même 

(i)  II  fe  nommoit  Ciemcnt  Biragc.  V.  Faoh   Lcmax^ao  ,  Idea  liel  teynfto  dell^ 
^htiira.  pxg.  151. 

Tom;  XK  S  f 


-i4 


522         PIECES  CONCERNANT  L'HISTOIRÎ, 

graveur  avoir  gravé  fur  un  autre  diamant  de  la  même  grandeut 
que  le  premier ,  les  armes  du  Prince  ,  pour  fervir  de  cachet. 
Au  commencement  des  troubles  des  Pays-Bas  ,  le  Roi 
d'Efpagne  ayant  formé  le  deflein  d'y  envoyer  le  Duc  d'x\l- 
be ,  Dom  Carlos  ,  pour  le  prévenir  ,  réfolut  de  s'y  rendre 
en  pofte,  à  l'inf^û  du  Roi  ,  avec  le  Duc  d'Infatafgo.  Mais 
Dom  Juan  d'Autriche  y  qui  étoit  entré  dans  ce  projet  ,  le 
découvrit  au  Roi  ,  qui  fit  mettre  le  Duc  en  prifon  ,  d'où 
il  ne  fortit  qu'après  la  mort  du  Prince.  Cependant  on  don- 
na des  gardes  à  Dom  Carlos  pour  épier  fes  démarches.  Le 
Prince  fut  outré  de  cette  conduite  du  Roi  à  fon   égard  : 
peut-être  laifla-t'il  échaper  des  paroles  indifcretes  ,  qui  mar-- 
quoient  les  difpofitions ,  oii  il  fe  trouvoit ,  &  qui  firent  pren- 
dre la  réfolution  de  fe  défaire  de  lui.  L'amour  de  Phihppe 
pour  la  Princeiîe  Anne  ,  fut  une  nouvelle  raifon  de  perdre 
Dom  Carlos.  Phihppe  ne   pouvoit   Fépoufer  avec  honneur; 
du  vivant  de  fon  fils;  &  fans  fouler  aux  pieds  la  religion  ,^ 
du  vivant  de  la  Reine  Elifabeth  de  France.  Ce  nouvel  amour 
du  Roi  fut  peut-être  le  plus  preflant  motif  de  faire  périr  cet- 
te Princeiîe.  Enfuite  après  la  mort  de  la  Reine  Anne  d'Au- 
triche ,  comme  fi  Philippe  n'eût  pas  déjà   été   aflez    crimi- 
nel d'avoir  contradé  un  mariage  inceftueux  ,  il  eut  le  front 
de  faire  propofer  à  Ehfabeth,  fœur  de  fa  dernière  femme  j 
&  veuve  de  Charles  I X.  Roi  de  France   ,    de  l'époufer. 
L'Impératrice  mère  de  cette  Reine  ,  &  les  Jefuites  la  pref» 
ferent  de  confentir  à  cette  alliance  ,  en  lui  faifant   efperer 
que  le  Pape  accorderoit  facilement  une  difpenfe  ';  mais  cet- 
te fage  Princefle  ayant  un  femblable  mariage  en  horreur, 
refufa  conftamment  de  fe  rendre  à  ces  follicitations.  Cette  rai- 
fon l'engagea,  après  avoir  quitté  Prague,  de  n'accompagner 
que  jufqu'a  Vienne  l'Imperatice  qui  devoit  aller  en  Efpagne  , 
&  qui  eût  fouhaité  qu'elle  eût  fait  le  voyage  avec  elle.  Elle  loua 
un  palais  dans  cette  Ville ,  ou  elle  demeura  jufqu'à  famort. 

Je  me  fouviens  que  j'eus  un  entretien  fur  la  mort  de  Dom 
Carlos,  l'année  même  qu'elle  arriva,  avec  Juhen  Romero 
mon  ami ,  &  avec  quelques  Officiers  de  fon  régiment  ,  donfe- 
la  moitié  étoit  alors  à  Malines ,  011  je  demeurois  ,  avant  que 
l'Empereur  Maximilien  m'eût  fait  venir  auprès  de  lui ,  &  l'au- 
tre moitié  compofée  de  cinq  compagnies  étoit  à  Bruxelles  au- 


T>1  l  A.  DETHOU.  -  323  : 

près  'du  Duc  d'Albe  5  je  n'appris  alors  rien  de  femblable  à    ^  J 

ce  qui  a  été  rapporté  par  l'architede  François  j  ils  me  dirent  ] 

feulement  que  le  Prince  &  la  Reine  avoient  été  emportez  [ 
par  la  fièvre  -,  mais  ce  n'étoit  qu'un  prétexte  ,  pour  couvrir 

la  cruauté  du  Roi  d'Efpagne.  Ils  avoient  coutume  de  dire  du  l 

Marquis  de  Bergh ,  &  de  Montmorency  baron  de  Montigni  :  • 
MuTto  de  una  calentura[ï)  y  &  j'ajoutois,  de  Efpa^a.  Cepen- 
dant le  PiéiidentViglius,  fur  la  foi  de  ceux  qui  étoient  à  la  Couj: 

d'Efpagne,  a  appliqué  à  Dom  Carlos  ce  vers  d'Ovide.  i 

FilàiS  ante  d/em  patrios  inquirit  in  annos,  \ 

Parce  que  les  lettres  numérales  de  ce  vers ,  marquent  l'an-  « 

née  de  la  mort  de  ce  jeune  Prince.  ' 

Lorfque  j'étoisà  Grenade,  les  Morifques  qui  étoient  en-  Tom.Vi.tiV<t  i 
core  dans  ce  pays  avoient  confervé  leur  langue  &  leurs  coutu-  xlyih.  p.  72.:  ! 
mes ,  en  payant  pour  cela  im  tribut  au  Pvoi.  Ayant  fait  connoiC-  -• 
fance  avec  leur  Iman  ou  Curé ,  qui  étoit  Efpagnol ,  afin  d'avoir  ] 
par  fon  moyen  la  facilité  d'examiner  leurs  ufages ,  il  me  mena  j 
•dans  deux  endroits,  où  l'on  célebroit  un  mariage.  Les  hom- 
mes chantoient  dans  une  faleenleur  langue,  y  joùoient  de  i 
la  Guitare ,  &  d'autres  inftrumens.    Les  femmes  accompa-  ! 
gnoient  la  mariée  dans  une  chambre  plus  grande  que  celle  des                      ,          .     j 
hommes  ;  à  ceux-ci  il  n'étoit  pas  permis  d'y  entrer.  Elles  s'en-  ] 
tretenoient  fur  différentes  chofes.  Je  fuivis  le  Curé,  quia feul  * 
la  permiillon  d'entrer  dans  l'aflemblée  des  femmes.  Il  les  pré-  i 
vint  en  leur  langue,  &  leur  dit  de  n'être  point  fcandalifées  de  | 
voir  venir  un  homme  avec  lui  5  que  j'étois  un  étranger ,  qui 
voyageoit  pour  mon  plai(îr,  &  pour  connoître  les  mœurs  des 
différentes  Provinces  de  l'Efpagne.  Ceci  fe  paiïa  après  le  dî- 
-né.   Avant  midi  j'avois  vu  les  cérémonies  qu'ils  pratiquent  en  ; 
fe  mariant.  Je  fus  obligé  de  quitter  le  grand  chemin  en  for- 
tant  de  Grenade,  à  caufe  de  quelques  voleurs  Maures   qui  I 
avoient  leur  retraite  dans  les  montagnes  voifines ,  d'où  ils  ve-  j 
noient   attaquer  les  voyageurs.    Ayant  paifé  par  Afnolloz ,  ] 
Guadix ,  Baça ,  Lorca  connue  des  anciens  fous  le  nom  à'Elio-  j 
crotay  j'arrivai  à  Murcie ,  anciennement  Murgis ,  où  fe  termi-  j 
namon  voyage.  Les  Efpagnols  appellent  A^/w// le  fleuve  Gf«-  Ibid.  p.  77'i  i 
Wilim ,  appelle  autrefois  Singlis.  ; 

(ij  Cefl-à-cIIre  ,  ileft  mort  delà  Eévre. 

Sfij 


314  PIECES  CONCERNANT  L'HISTORE 

., . ,       j       11  faut  lire  Faffardo  ôc  non  Fajardo.  Faffardo  eft  le  nom  de  k 
'  famille  de  Vêlez. 

Voyageant  en  Angleterre  en  1571.  dans  le  temps  que  le 
ïi!l'.]'ol'''  I^uc  de  Nortfolc  fut  arrêté  &  mis  à  la  Tour  de  Londres  5  je 
partis  de  Kingfton ,  éloigné  d'un  mille  d'Angleterre  d'Hamp- 
toncourt,  maifon  royale,  pour  aller  à  Nonfuch  ,  afin  de  voir 
ce  Château ,  dont  on  me  difoit  de  11  belles  chofes.  Il  a  été 
bâti  par  Henri  VIII.  &  enfuite  vendu ,  après  la  mort  du  Roi 
Edouard ,  par  la  Reine  Marie  au  Comte  d' Arondel ,  qui  l'a , 
dit-on ,  beaucoup  embelli.  Les  domeftiques  de  ce  Seigneur 
me  dirent  qu'ils  ne  pouvoient  me  lailfer  entrer  dans  le  châ- 
teau ,  parce  que  le  Comte  y  étoit.  Ils  me  firent  beaucoup  de 
politefles ,  &  me  montrèrent  les  jardins.  Je  retournai  le  même 
jour  à  Kingfton ,  où  je  paflai  la  nuit.  De  là  j'allai  à  Pvichemont, 
autre  maifon  royale,  oui  j'appris  la  prifon  du  duc  de  Norfok 
&  le  commandement  que  le  Comte  d'Arondel ,  gendre  de 
ce  Seigneur  avoir  eu  de  ne  point  fortir  de  fon  château ,  fur  le 
foupçon  que  la  Reine  eut ,  qu'il  étoit  entré  dans  le  parti  de 
fon  beau-pere.  Il  y  a  toute  apparence  que  ce  fut  la  caufe  pour 
laquelle  on  ne  me  laifta  pas  voir  le  château  de  Nonfuch. 

Extrait  d'une  Lettre  de  Jacques  Augufie  de  Thou ,  à  Jofeph  de  la 

Scala  ou  Scaliger. 

TîréduKe-  T\^  Onsieur.  J'ay  receu  deux  lettres  de   vous^  l'une 
ceuiidesEpj/-    Wl  du  IV.  Febvricr ,  l'autre  duxxii.  du  prefent,  avec  les 

très  Francoijes     ••'*.  iii/'i- 

À  M.  de  u  Mémoires  de  Monlieur  de  lEclufe^  dont  je  vous  remercie 
SfW^p.sop.  tres-humblement  &de  toute  aftedion,  &  d'aultant  plus  qu'il 
vous  a  pieu  prendre  la  peine  de  les  efcrire  de  voftre  main  ,  en 
quoy  je  recognoy ,  non  feulement  l'élégance  de  voftre  efcri- 
ture  ,  mais  aufli  voftre  ftyle  ,  dont  je  me  ferviray  à  propos,  en 
la  première  édition  de  noftre  Hiftoire ,  laquelle  fe  commen- 
cera incontinent  après  cefte  fefte ,  in  1 2° ,  afin  qu'on  ne  la  con- 
trefafle  en  Allemagne,  où  ils  brouillent  tout.  De  Paris  Ie_io 
Avril  i5o7. 

Lettre  de  Jofeph  de  la  Scala  ou  Scaliger ,  à  Jac.  Aug.  de  Thou, 

IrÛZ^iàl  T\  /T  Onsi  EUR.  Je  vous  envoyé  une  lettre  de  M.  de  l'E- 
i  V|  clufe.  Je  lis  tousjours  dans  voftre  Hiftoire ,  non  feule^ 
ment  pour  l'amour  de  vous ,  mais  auiTi  pour  le  plaijûr  que  j'y 


DE  J.  A.  DE  TKOU,  525' 

prends ,  tant  à  caufe  de  la  variété  des  chofes  y  contenues,  que 
de  la  beauté  du  ftyle.  Il  y  a  quelque  chofe  qu'il  me  femble 
devoir  eftre  corrigé ,  comme  l'année  de  la  mort  de  David 
Rizzi  en  Ecofie,  ôc  la  naiflànce  de  Jacques  à  prefent  régnant,, 
qui  fuftl'an  i$66.  comme  je  puis  tefmoigner,  quienladitte 
année  eftois  en  Ecofle  avec  les  MeirieursdeRochepozay,ôc 
vis  tout  l'appareil  de  la  tragédie.  Et  en  voftre  livre  cela  eft 
rapporté  à  l'année  précédente  ly^;.  Le  pauvre  Miniftre  Ta- 
chard  ,  natif  de  Montauban ,-  fuft  pendu ,  non  à  Ramies ,  mais 
à  Touloufe ,  la  veille  de  la  Magdeleine ,  pour  avoir  prefché 
en  ville  non  contenue  au  nombre  de  celles  efqueîles  il  eftoit 
permis  de  prefcher  par  l'Edit  du  Roy.  Son  innocence  &  in- 
tégrité de  vie  eftoit  fi  bien  connue ,  que  tout  Miniftre  qu'il 
eftoit ,  il  fut  regretté  mefme  des  plus  feditieux  de  Touloufe. 
Viret  eftoit  d'Orbe ,  &  non  de  Laufanne.  LePréfidial  de  Car- 
caftbne  dés  l'an  i  j  7 1 .  jufques  à  préfent ,  eft  en  la  ville  haulte, 
&  non  en  la  bafle  ,  &  penfe  qu'il  y  a  toujours  efté.  Pour  le 
moins  audit  an  if?!.  je  fuis  tefmoin  qu'il  y  eftoit  5  &  les 
confeillers  qui  demeuroient  en  la  bafle  ville ,  alloient  à  che- 
val ou  fur  mulets  à  la  haulte.  Peut-eftre  que  pour  quelque  in- 
cident vous  l'aurez  veu  en  ladite  bafle  ville. 

J'aimerois  mieux  dire  Ekfis ,  comme  les  annales  de  plus 
que  Dccans,  que  B/œJt s  ^  qui  eft  corrompu  de  l'ancien  nom. 

Albia  CadurcoYum.  Faut  changer  Divonce  Cadurcorum.  Le 
bon  ip^t£ï  OÛavio  Pamagatho  que  j'ay  connu  l'appelloit  ainfi, 
comme  les  autres  moines,  nonpom*  fpeciale  confideration. 
Je  l'ay  connu  &  vilîté.  Trimethus  non  eft  Nicofta.  Nam  Trime^ 
îhi  appellatio  adhuc  manet.  Declinandum  Tpi/Ae'^aô  T^t^iJ^v^  j 
Ces  petites  chofes  ne  valent  pas  le  parler,  n'eftoit  la  jalou- 
fie ,  ou  pluftoft  mefchanceté  de  ceux  qui  fe  méfient  des  Let- 
tres en  ce  maudit  fiecle ,  qui  feroient  bien  un  gros  livre  de 
ce  que  defllis ,  comme  font  les  ^coxaUp ct*Joi  Loiolitce.  Je  priera- 
Dieu  ,  Monfieur  j  vous  maintenir  en  fa  fainte  garde. 

DeLeyden^i  Avril  K^oTi  Jos.  Delescalf, 


SfUj 


Tiré  du  Re- 
ceiiil  des  Epif- 


S26        PIECES  CONCERNANT  L'HISTOIRE 

Extrait  cPme  Lettre  de  Jac.  Aug.  deThoUi  à  Jofeph  Scaligetl 

O  N  s  I E  u  R.  J'ay  receu  la  voftre  du  xxi  du  pafTé ,  pa? 
■r     ^  '  ^  laquelle  je  cognoy  qu'il  vous  plaift  perdre  quelques 

très  Francoies  ,^        "**         lin.  J  xitl    •  i  •  V. 

h  M.  de  U  heures  en  la  ledure  de  nos  Hiftoires,  dont  je  vous  fuis  ex- 
ScaU,  p.  |io.  tremenient  obligé;  après  infinies  autres  obligations  que  je  vouS 
.  ay  j  &  defquelles  je  n'efpere  jamais  me  pouvoir  acquitter.  Ce 
que  vous  &  Monfieur  de  l'Eclufe  m'efcrivez  de  Tannée  de  la 
mort  du  Roy  Henry  d'EcofTe ,  me  met  en  peine,  d'autant 
plus  que  deflors  que  j'efcrivis  ce  qui  en  eft  imprimé ,  ce  fcru- 
puleme  vint  en  l'efprit,  que  l'année  n'eftoit  celle  que  j'ay 
mife ,  &  que  j'ay  neantmoins  trouvé  telle  en  Buchanan.  J'en 
ay  contefté  fort  avec  des  EcofTois  qui  eftoyent  lors  au  pays; 
lefquels  toutesfois  m'ont  confirmé  que  la  mort  advint  en  l'an- 
née 1 5*  6f.  au  mois  de  Febvrier ,  que  l'on  compte  encores  en 
Angleterre  66  ;  car ,  comme  vous  fçavez ,  l'année  à  eux  (  je  ne 
-  fçay  fi  aulîl  en  Ecofle  )  commence  au  jour  de  l'Annonciation 
feulement ,  &  lors  mefmes  nous  ne  comptions  Tannée  qu'après 
Pafques,  &  encores  que  Tordonnance  de  Monfieur  de  THof- 
pital  fuft  dés  Tan  i  ;  (^4.  &  publiée  deflors  en  la  Chambre  des 
Comptes ,  fi  eft  ce  que  n'ayant  efté  publiée  es  Parlements , 
qu'après  Taflemblée  de  Moulins  en  Tan  i5'6'(5.  aufti  elle  n'euft 
lieu  qu'en  cefte  année  :  cela  peut  avoir  donné  lieu  à  ce  qui 
eft  dit  de  la  mort  de  David  Rizzi,  que  j'ay  mis  aufil  félon  Bu- 
chanan. Du  furplus  de  vos  bons  advertiftemcns  je  feray  fort 
bien  mon  profit ,  comme  de  Divona  Cadurcorum.  De  Paris  le 
20  May  1^07. 

Lettre  dUfaac  Cafaubon ,  à  Jean  de  Meurs  ow  Meurfms. 

Traduite  du  T'Ai  reçu ,  Monfieur  ^  la  Lettre  que  vous  m'écrivez  au  fu« 
Latin,  &  tirée    I  j^j.  de  Monfieur  le  Préfident  de  Thou.  Vous  lui  avez  fait 

du  Sylloge  E-  T^    '  j       1    -r  î    •  /    N   1  -1 

pifi.  cafaub.    Dcaucoup  QC  plaifir ,  en  lui  envoyant  vos  remarques ,  (  i  )  dont  u 
p.  548. 

cependant  avoit  agi  avec  un  peu  trop 
a'aigreiir  dans  fa  critique,  &  Monfieur  de 
Thou  ne  put  s'empêcher  de  s'en  plaindre 
à  Cafaubon  ,  dans  ia  Lettre  c^u'il  lui  écri- 
vit le  10  Décembre  1613.  Voyez  ci- 
deflus,  p.  184. 


(1)  On  n'a  pas  jugé  à  propos  de  rap- 
porter ces  remarques  ,  qui  ue  confîftcnt 
prefque  toutes  ,  que  dans  des  noms  de 
lieux  ou  de  perfonnes  que  Monfieur  de 
Thou  avoit  altérez  dans  la  première  édi- 
tion de  Ton  Hiftoire ,  &  qu'il  a  reformées 
depuis  fur  les  avis  de  Meurfius.  Celui- ci 


Ï)E   J.    A.    D  E    T  H  O  U.  327' 

iera  fon  profit.  Il  m'a  fouvent  dit  que  quelques  foins  que  lui 
ait  coûté  fon  ouvrage ,  il  ne  doutoit  pas  qu'il  ne  fe  fût  trompé 
fouvent  dans  les  affaires  étrangères.  Je  fuis  témoin  de  la  do- 
cilité avec  laquelle  il  a  toujours  reçu  les  avis  de  ceux  qui 
ont  bien  voulu  lui  en  donner.  Ainfi  je  ne  doute  pas  qu'il  ne 
foit  charmé  de  votre  attention.  Quand  publierez-vous  votre 
Hiftoire  ?  Je  brûle  de  lire  ce  que  vous  dites  que  vous  avez 
écrit  du  duc  d'Albe.  Je  fouhaite  que  ceux,  qui  n'ont  pas  eu 
horreur  de  commettre  de  iî  noires  barbaries ,  rougiffent  du 
moins  en  leslifant.  A  Londres  le  12  de  Novembre  161^. 

Lettre  cPIJaac  Cafauhon  à  Jean  de  Meurs  y  Frofejfcur  en  Hifioire  ^  ^ 

de  l'Univerfité  de  Leyde, . 

J'AI  communique  à  Monfieur  de  Thou  (i)  les  notes  que    Traduite  da 
vous  avez  faites  fur  fon  Hiftoire.  Je  me  flate  que  vous  ne  Latin,  &  tirée 
m'en  fcaurez  pas  mauvais  gré  :  il  m'a  dit  qu'il  vous  avoir  de  t^a^^^i^^f  5' 
grandes  obligations,  &  vous  remercioit.  Il  vous  prie  d  acné-  p.  jn» 
ver  ce  que  vous  avez  commencé ,  pourvu  que  cela  ne  vous 
fafle  point  de  peine.  Je  vous  en  prie  aulTi  très-inftamment.  A 
Londres  le  27  Février  1(5"  14. 


Lettre  de  Jean  de  Meurs  à  Ifaac  Cafaubon,^^ 

MONSIEUR.  Votre  lettre  m'a  fait  beaucoup  de  plai-=     Traduite  da> 
fir.  Je  n'en  ai  pas  moins  reflenti  en  apprenant  que  i-atin  for  le 
Monfieur  de  Thou  avoir  bien  reçu  mes  remarques  fur  fon  Hif-  ^'^^""^"^'^* 
toire.  Je  n'attendois  pas  moins  de  fa  politeffe  &  de  fa  can- 
deur 5  mais  je  fuis  furpris  qu'il  ne  m'ait  point  fait  réponfe.  Ce- 
pendant j'avois  quelque  intérêt  à  ce  qu'il  voulût  bien  le  faire» 
Je  le  priois  dans  ma  lettre  de  me  faire  copier  par  fon  fécre- 
taire  quelque  chofe ,  qui  manque  à  une  page  de  mon  exem- 
plaire de  VHiftoria  Laufiaca  de  Palladius,  parce  que  cette 
lacune  m'empêche  de  donner  l'édition  de  cet  ouvrage  au 
public.  Vous  voyez  par  là  que  j'ai  fujet  de  fouhaiter  une  ré- 
ponfe.  Je  vous  prie  d'engager  Monfieur  de  Thou  à  me  faire 


(i)  Ces  deux  Scavans  ajoutent  dans 
leurs  lettres  ,  au  nom  de  Monfieur  de 
Thouj  celui  de  ttmu  ,  qui  en  Grec  veut 


dire  Tout,  par  alliifion  à  fon  nom  di 
Thou.  C'eft  une  dotftc  pointe.  - 


^2^        PIECES  CONCERNANT  L'HISTOIRE 

ce  plaifir ,  vous  m'obligerez  beaucoup.  Adieu ,  Monfîeur.  A» 
Leyde  le  8  de  Mars  i<5i^. 

Lettre  d'Ijaac  Cafauhon  à  Jean  de  Meurs, 

Traduite  ii\  "^  /f  O  N  S  i  E  u  R.  Je  n'aurois  pas  tardé  fi  long-temps  à  ré« 
latin  fur  ie  |  V  I  poiidre  à  votre  dernière,  fi  je  n'eufle  été  incommo- 
'  ^'^"'^^  •  (^é.  Je  fuis  étonné  que  vous  vous  plaigniez  de  ce  que  Monfieur 
de  Thou  ne  vous  ait  point  écrit.  Vous  croyez  fans  doute  que 
vous  avez  joint  une  lettre  pour  lui  aux  fçavantes  notes  que 
vous  m'avez  envoyées.  Vous  vous  trompez  aflurément  ,  fi 
vous  êtes  dans  cette  idée  j  car  je  ne  reçus  alors  de  votre  part 
qu'une  lettre  qui  contenoit  les  notes  en  queftion ,  que  j'en- 
voyai à  Monfieur  de  Thou.  Si  vous  avez  fait  une  autre  lettre  > 
elle  ne  m'a  pas  été  rendue.  Ainfi  Monfieur  de  Thou  n'a  ja- 
mais eu  connoiflance  de  Cje  que  vous  lui  demandez.  Je  ne 
vous  alTurerai  cependant  pas  bien  certainement  qu  il  n'en  fut 
point  parlé  dans  votre  lettre^  que  je  lui  fis  tenir  alors.  Je  ne 
•crois  pas  y  avoir  rien  vu  de  femblable.  A  l'égard  de  ce  grand 
homme  ,  il  m'a  prié  îrès-inftamment  de  vous  remercier  de  fa 
part ,  &  de  vous  ailurer  que  vos  remarques  lui  ont  fait  beau* 
coup  de  plaifir.  A  Londres  le  25  Avril  1 5i^. 

Lettre  de  Jac.  Aiig.  de  Thou  à  George   Michel  Lingehheim  > 
€onfeiller  d;  PEle6hur  Palatin  ,  a  Heidelherg. 

^   ,  .     ,     Ti   yff  O  N  S I E  u  R.   Te  n€  fcaurois  vous  exprimer  toute  la 

Traduite  du     r\/i    ...  .,.''-,,.*  ^  ^      i     . 

latin  (ur  le  IVl.  joie  que  j  ai  relîentie,  en  apprenant  par  votre  ietne, 
Manufcrit.  qQÎ  nfa  été  rendue  par  Monfieur  Bongars ,  que  mon  prefent 
vous  a  été  agréable.  J'ai  reçu  une  grande  confolation ,  en 
voyant  qu'un  homme  aufll  équitable ,  &  aufil  judicieux  que 
vous,  approuve  ce  qui  eft  tous  les  jours  l'objet  des  critiques 
de  mes  ennemis  en  tous  Ueux.  Car  quoique  ma  confcience 
me  rendît  témoignage  de  n'avoir  jamais  écrit  avec  partialité, 
je  ne  laifibis  pas  cependant  d'avoir  du  chagrin  de  me  voir 
taxer  d'imprudence  par  nos  courtifans  François ,  gens  bien  c^.- 
pables  de  juger,  &  par  d'autres  gens  à  peu  près  aufil  éclairez. 
J'ai ,  difent-ils ,  foulevé  les  Grands  par  une  liberté  trop  gran- 
de, 6c  qui  ne  convenoit  point  à  ma  fituation.  Ils  ajoutent  qu'il 

étoit 


D  E  J.  A.  DE  THOU.  329 

etoit  de  mon  intérêt  &  du  bien  de  l'Etat ,  à  caufe  de  la  charge 
dont  je  fuis  revêtu ,  de  ne  point  m'attirer  leur  inimitié.  Je  n'ai 
qu'un  mot  à  leur  répondre.  Je  n'ai  pas  feulement  écrit  pour 
mes  contemporains  ,  mais  encore ,  &  principalement  pour  la 
pofteritc ,  dont  je  préfère  le  fuffrage  à  la  honte  de  flater  les  vi- 
ces de  mon  fiécle.  Je  n'ai  rien  à  me  reprocher ,  fi  ce  n'eft  d'a- 
voir entrepris,  étant  dans  la  Magiftrature  ,  d'écrire  l'Hiftoire  du 
temps  préfent.  Mais  je  n'ai  jamais  lu ,  ni  entendu  dire ,  qu'il  fût 
défendu  d'écrire  l'Hiftoire  à  un  homme,  qui  avoitune  charge 
dans  l'Etat.  Peut-être  ceux  qui  font  plus  de  cas  d'une  politi- 
que adroite ,  fi  fort  d'ufage  aujourd'hui  dans  les  cours  des 
Princes,  (Scdans  les  négociations,  que  de  la  droituie  de  con- 
fcience ,  qui  peut  feule  nous  rendre  heureux ,  m'accuferont 
d'imprudence.  Ils  diront  que  je  me  fuis  fait  par  ma  fincerité  ^ 
une  foule  d'ennemis ,  &  fort  peu  d'amis.  Preuve  éclatante 
qu'il  y  a  bien  peu  de  perfonnes  qui  ne  tremblent  au  redou- 
table nom  de  la  vérité ,  &  qui  ne  frémilTent  à  la  vue  d'un 
ami  fincere.  Mais  j'appelle  Dieu  à  témoin  de  mon  innocen- 
ce. Je  me  repofe  dans  l'attente  delà  jufte  vengeance  des  in- 
jures qu'on  me  fait.  Cette  penfée,  &  le  témoignage  de  mes 
amis  3  font  en  fecret  toute  ma  confolation.  J'ai  reçu  dans  mes 
peines  beaucoup  de  foulagement  de  vos  fages  avis ,  &  de 
la  manière    obligeante  avec  laquelle   vous  me  demandez 
mon  amitié,  dans  le  temps  que  jefouhaitoisla  vôtre  de  tout 
mon  cœur.  Je  crois  que  le  plus  grand  plaifir ,  dont  on  puifle 
jouir  fur  la  terre ,  eft  de  goûter  les  douceurs  d'un  commer- 
ce d'amitié.  J'ai  donc  réfolu  de  profiter,  puifque  vous  me 
l'ordonnez  ,  des  avantages  de  celle  qu'une  occafion  honnête  a 
fait  naître  entre  nous.  Ainfi  je  vous  demande  en  grâce  de 
me  dire  fincerement  ce  que  vous  trouverez  de  repréhenfi- 
ble  dans  mon  livre,  ou  je  ne  doute  pas  qu'il  n'y  ait  bien  des 
fautes.  Je  fuis  perfuadé  qu'il  m'en  eft  bien  échappé  dans  les 
affaires  d'Allemagne  ,  de  Hongrie ,  &  des  pays  les  plus  fep- 
tentrionaux,  parce  que  jen'enétois  pas  inftruit  parfaitement. 
Je  voudrois  pouvoir  vous  envoyer  l'Hiftoire  entière  avant  de 
la  donner  au  PubUc  j  mais  l'ouvrage  eft  de  trop  longue  ha- 
leine. D'ailleurs  je  n'en  ai  qu'un  exemplaire,  qu'il  ne  feroit 
pas  fur  d'expofer  aux  rifques  d'un  envoi.  Si  les  Imprimeurs 
avancent  affez  pour  cela,  vous  aurez  à  la  foire  prochaine  les 
Tome  XK  T  t 


350  PIECES  CONCERNAîsfT  L'HISTOIRE 

vingt  livres  fuivans,  qui  vont  jufquau  commencement  de 
l'année  1572.  Je  n'irai  pas  plus  loin  5  la  malice  de  plufieurs 
perfonnes ,  &  l'ingratitude  du  fiécle  me  le  défendent.  J'ai  con- 
duit mon  Hiftoire  jufqu'en  155) y.  dans  le  deffein  d'aller  juf- 
qu'en  1602.  mais  tout  cela  eft  dans  mon  cabinet,  &  y  de- 
meurera jufqu' après  ma  mort ,  à  moins  que  Dieu  ne  change 
les  temps,  ou  mes  réfolutions  j  mais  je  vous  arrête  trop  long- 
temps. Je  vous  prie  de  faluer  de  ma  part  Monfieur  Marquard 
Freher  que  j'aime  &  que  j'honore ,  &  à  qui  j'ai  envoyé  un 
exemplaire  de  mon  Hiftoire.  Confervez-moi  votre  amitié.  A 
Paris  le  13  de  Mars  1(^05. 

Lettre  de  Jac.  ^ug.  de  Thon ,  à  George-Michel  Lingelsheim, 

Traduite  du  X  7"Ous  avez  enfin,  Monfieur,  la  féconde  partie  démon 
Latin  fur  le      y     Hiftoirc ,  que  vous  m'avez  écrit ,  qu'on  attendoit  avec 
Manufcnt.      ^^^^  d'impatience  en  Allemagne  j  mais  je  crains  bien  que 
votre  attente  ne  foit  trompée ,  &  que  mon  livre  n'irrite  vos 
defirs ,  bien  loin  de  les  contenter.  J'ai  enfin  achevé ,  le  der- 
nier mois  d'Avril,  cet  ouvrage  divifé  en  cent  vingt-fix  livres , 
commencé  il  y  a  douze  ans  &  demi.  Délivré  à  prefent  du  péni- 
ble travail  de  la  compofition ,  tant  de  fois  interrompu  par  les 
affaires ,  j'ai  réfolu  d'employer  tout  le  temps,  que  je  pourrai 
dérober  au  public ,  à  revoir  mon  Hiftoire  5  ce  que  je  n'ai  pu 
faire  encore.  J'implore  donc  le  fecours  de  tous  les  gens  de 
lettres ,  je  les  prie  de  m'aider  de  leurs  avis  &  de  leurs  lu- 
mières 5  dans  un  ouvrage  entrepris  pour  l'utilité  publique.  Je 
m' adrefte  fur-tout  à  vous,  Monfieur,  qui  m'avez  donné  plus  de 
^  marques  d'amitié,  que  je  ne  méritois.  Parlez-moi  à  cœur  ou- 
vert j  dites-moi  ce  que  vous  en  penfez ,  parce  que  je  veux 
donner  une  féconde  Edition  plus  correde ,  &  plus  travaillée 
que  la  première.  Je  n'ai  encore  rien  déterminé  au  fujet  du 
refte  de  l'ouvrage.  Si  vous  croyez  qu'il  puifte  être  utile  au 
public ,  il  feroit  fâcheux  de  le  laifler  dans  l'obfcurité  ;  mais 
ai.ffi  d'un  autre  côté,  il  ne  peutparoître  en  entier,  eu  égard 
au  temps ,  fans  exciter  contre  moi  des  orages ,  &  m' attirer 
l'envie  des  courtifans ,  contre  laquelle  je  ne  fçaurois  tenir. 
Je  crois  aufti  qu'il  vaudroit  mieux  le  fupprimer  que  de  le 
àonner  mutilé  ,  &  en  partie.  La  place  que  j'occupe  m'oi 


DE  J.  A.  DE  THOU.  531 

blige  à  rendre  raifon  à  bien  des  gens  de  plufieurs  cliofes,  .■ 

clont  je  m'embaraflTerois  fort  peu  dans  une  condition  privée.  l 

Ainfi  mes  amis  ne  doivent  pas  me  fçavoir  mauvais  gré  ^  fi  j 

je  ne  les  contente  pas  en  ce  point.  Les  grands  font  trop  dé-  "  j 

iicats  pour  que  je  puille  leur  plaire  en  difant  la  vérité.  Ce- 
pendant il  vaut  mieux  qu'ils  ne  me  veuillent  point  de  mal,  \ 
que  de  les  avoir  pour  ennemis  5  &  cela  à  caufe  de  ma  charge , 
fans  aucun  motif  de  poffeder  la  faveur,  dont  je  n'ai  jamais 
été  l'efclave.  Si  vous  aviez  en  Allemagne  quelque  copifte  , 
qui  fçût  palTablement  le  latin ,  &  qui  écrivît  bien ,  ce  qui  nous 
manque  ici ,  je  lui  ferois  copier  très-volontiers  les  foixante- 
dix  livres  qui  refient  ,  &  j'envoyerois  mon  exemplaire  à 
Monfieur  Bongars,afin  de  le  faire  lire  à  mes  amis,  &  fur- 
tout  à  vous ,  Monfieur  ,  pour  fçavoir  ce  que  vous  en  pen- 
feriez.  Je  fouhaiterois  qu'on  n'en  fit  point  de  copie  ,  ou 
qu'on  n'imprimât  point  cet  ouvrage ,  fans  ma  participation  j 
mais  ces  chofes  ne  font  pas  allez  importantes ,  pour  abufer 
davantage  de  votre  temps.  Si  vous  avez  des  nouvelles  cer- 
taines des  affaires  d'Allemagne  du  côté  du  Nord ,  &  de  la 
Tranfylvanie ,  je  vous  conjure  par  notre  amitié  de  m'en  faire 
part,  car  je  n'en  ai  rien  appris  ici  que  par  le  Mercure  qui  a 
paru  dans  chaque  foire  de  Francfort.  Adieu ,  Monfieur,  aimez- 
moi  toujours.  De  Villebon  le  18.  Août  1606. 


Lettre  de  George-Michel  Lingehheim ,  à  Jac.  Aug.  de  Thou, 

MONSIEUR.  J'ay  reçu  votre  magnifique  prefent.  La  Traduite  du 
politeffe  &  la  bonté  ,  dont  votre  lettre  eft  remplie ,  Latin  fur  k 
m'ont  comblé  de  joie.  La  première  partie  de  votre  Hifloi- 
re  ,•  qui  eft  ce  qui  a  paru  de  meilleur  ,  &  de  plus  parfait 
dans  ce  fiécle ,  m' avoir  fait  un  plaifir  fenfible.  Je  goûtois 
d'avance  celui  que  je  me  promettois  de  la  ledure  du  refte. 
Je  me  flatois  d'une  entière  fatisfadion  ,  lorfque  les  fentimens  - 

que  vous  me  témoignez  dans  votre  lettre  ont  redoublé  ma 
joie,  fur-tout  en  apprenant  que  l'ouvrage  étoit  achevé.  Quel- 
les raifons  vous  engagent  à  fupprimer  ce  précieux  refte  .'  Celles 
que  vous  m'avez  apportées  m'ont  pleinement  fatisfait.  Ne 
vous  fufïit-il  pas  en  effet  que  la  pofterité  jouifTe  de  ce  tréfor  .^, 
Mais  quels  remercimens  ne  vous  dois-je  pas  f  Vous  m-e  promtet- 

Tt  ij 


552         PIECES  CONCERNANT  L'HISTOIRE 

tez  de  me  faire  part  d'un  fi  grand  bien ,  avant  de  le  donner  au 
public.  Je  fuis  tout  à  vous ,  ordonnez ,  il  n'y  a  rien  que  je 
ne  fafle  pour  vous  obéir. 

Comme  je  fouhaite  avec  ardeur  ,  de  jouir  au  plutôt  du 
bonheur  que  vous  me  faites  efperer  ,  j'ai  cherché  ce  que 
vous  me  demandez.  Il  y  a  ici  parmi  les  étudians  un  jeune 
homme  appelle  Ciriacus  Herdefllanus,  parent  du  fameux  ju- 
rifconfulte  de  Nuremberg ,  qui  porte  le  même  nom.  Il  s'of- 
fre avec  beaucoup  d'ardeur  à  copier  les  foixante-dix  livres , 
dont  vous  m'avez  parlé.  Il  a  de  la  littérature  &  de  la  poli- 
tefle.  Je  lui  ai  fait  écrire  cette  lettre ,  afin  que  vous  voyez 
qu'il  écrit  lifiblement.  Sa  droiture,  fes  mœurs ,  fon  attention , 
fa  modeftie ,  &  fon  application  aux  beaux  arts  ,  doivent  lui 
attirer  la  protedion  des  gens  de  bien  j  &  il  mérite  par  ces 
bonnes  qualitez  que  vous  le  receviez  dans  votre  maifon  , 
pour  faire  ce  que  vous  fouhaitez.  Si  vous  êtes  content  de 
fon  écriture ,  &  que  vous  vouliez  bien  me  marquer  quand 
il  faudra  vous  l'envoyer  ,  je  le  ferai  partir  fur  le  champ. 
J'aurai  foin  de  recueillir  les  nouvelles  les  plus  interefTantes 
des  affaires  d'Allemagne  ,  &  de  Tranfylvanie.  Le  bruit  que 
la  paix  efl:  faite  avec  la  Hongrie  ,  &  qu'on  pourra  faire  quel- 
que accommodement  avec  les  Turcs ,  fe  confirme.  Lorfque 
j'aurai  quelque  chofe  de  plus  certain ,  je  vous  en  informerai. 
Je  vous  prie ,  Monfieur  ,  de  me  compter  parmi  vos  fervi- 
teurs,  &  parmi  ceux  qui  vous  honorent,  &vous  refpedent 
le  plus.  Je  ferai  tous  mes  efforts  pour  mériter  votre  ami- 
tié. Que  Dieu  vous  conferve  à  notre  fiécle ,  dont  vous  fai-, 
tes  l'ornement.  A  Heildeberg  le  5  i  Odobre  1606.. 

Lettre  de  Geerge- Michel  Lingehheim  3  à  lac,  Aug.  de  Thon» 

i^Jûn^Tt  1"  ^  /T  O  N  S I  E  u R.  Ayant  obtenu  ces  jours  paffez  de  Jean 
M^anufair.  1  V|  PretoriuSjce  vieillard  vénérable  ^  célèbre  mathéma- 
ticien &  Profeffeur  à  Al  torff ,  qu'il  me  communiquât  quel- 
ques lettres  de  l'admirable  André  Dudith,  j'ai  cru  que  vous 
ne  feriez  pas  fâché  que  je  vous  envoyalfe  copie  de  la  der- 
nière. Ce  n'eft  pas  à  caufe  du  fujet  qui  roule  fur  certaines 
queftions  ;  mais  parce  qu'il  y  a  quelques  lignes  affez  curieu- 
Us  écrites  de  fa  main  j  fur-tout,  ce  grand  homme  ayant  coUr 


DE  J.  A.  DE  THOU.  555 

tume  de  faire  voir  de  plusieurs  manières  la  vanité  de  Taftro- 
logie  judiciaire.  Outre  plufieurs  autres  chofes  fur  ce  fujet, 
j'ai  une  lettre  de  lui  adrelTée  à  Tadée  Haggefîus  médecin 
de  l'Empereur ,  qui  eft  un  témoignage  de  fes  fentimens  fur 
cette  matière.  Cependant  l'événement  confirma  ce  qu'il  avoir 
remarqué  qui  devoir  lui  arriver ,  fuivant  les  opérations  aftro- 
iogiques ,  qu'il  avoit  faites  pour  lui-même.  Car  il  mourut  deux 
jours  après  avoir  écrit  ces  lettres  ,  comme  Vous  pouvez  le 
voir  par  la  lettre  de  Thomas  Savill ,  que  j'ai  auiïi  copiée.  Ce 
dernier  étoit  frère  puifné  de  Henri  Savill ,  cet  homme  illuftre , 
qui  vit  encore  ,  &  qui  s'eft  fait  un  fi  grand  nom  parmi  les 
fçavans.  Il  avoit  embraffé  le  même  genre  d'étude  que  fon 
frère  5  mais  à  peine  étoit-il  de  retour  en  Angleterre  ,  qu'il  y 
mourut  dans  la  fleur  de  fon  âge.  Il  étoit  moins  âgé  que  fon 
aîné  de  quinze  années.  J'aurois  mauvaife  grâce  fi  je  man- 
quois  à  vous  remercier  des  complimens,  que  vous  m'avez 
fait  faire  par  Monfieur  Bongars ,  le  meilleur  de  tous  les  hom- 
mes. Je  ne  fuis  pas  moins  fenfible  à  ceux  que  vous  avez 
mis  pour  moi  dans  la  lettre  ,  que  vous  avez  écrite  à  mon 
ami  Gruter.  Vous  m'avez  comblé  de  joie  en  m' apprenant 
que  vous  continuiez  d'achever  votre  Hifl:oire  immortelle. 
Vous  obligez  par-là  de  plus  en  plus  les  gens  de  bien  ,  ôc 
les  amis  de  la  vérité.  Vous  ajoutez  aux  éloges  qui  vous  font 
dus ,  celui  que  mérite  la  fermeté ,  qui  vous  fait  négliger  la 
haine  des  grands ,  &  vous  encourage  à  pourfuivre  le  loua- 
ble projet,  que  vous  avez  formé.  Laiffez  murmurer  le  petit 
nombre  vendu  à  la  paflion  d' autrui.  La  vérité  agréable  à 
Dieu  &  aux  gens  de  bien ,  triomphera  des  vains  murmures 
de  ces  vils  efclaves.  Je  vous  fouhaite  une  longue  vie  & 
vine  fanté  parfaite.  Adieu ,  Monfieur  :  Méprifez  toujours  l'en- 
vie ,  comme  vous  le  faites.  A  Heildeberg  le  28  Avril 
160J. 

Lettre  de  Jac.  Aug.  de  Thou  3  à  George-Michel  Lingeilshem, 

O  N  s  I E  u  R.  Vous  aurez  à  la  prochaine  foire  le  refte    Traduite  é\i 
du  règne  de  Charles  I  X.  qui  ne  fe  trouve  pas  dans  Latin  fur  le 
la  dernière  édition  5  car  j'ai  tellement  divifé  l'ouvrage ,  que     ^""  ^"^' 
ciiaque  partie  contient  le  règne  d'un  Roi.  Ainfi  dans  la  pre^ 

Jtiij 


334  PIECES  CONCERNANT  L'HISTOIRE 
Tniere  édition  qu'on  fera  de  ce  qui  a  déjà  été  imprimé  ,  îa 
féconde  partie  commencera  au  vingt-troifiéme  livre  ,  où 
commence  le  règne  de  François  1 1.  Cette  partie  a  d'abord 
été  confondue  avec  la  première  ,  parce  que  le  règne  de  ce 
Prince  ,  qui  eft  fort  court  ,  ne  contient  que  quatre  livres. 
La  troifiéme  partie  compofée  de  trente-un  livres  du  règne 
de  Charles  I  X.  paroîtra  enfuite.  Je  donnerai  après  cela  les 
vingt-trois  livres  fuivans  ,  qui  appartiennent  à  la  quatrième 
partie  h  c'eft  l'Hiftoire  des  évenemens  arrivez  fous  le  règne 
de  Henri  III.  jufqu'en  1584.  Enfin,  fi  la  malignité  du  fié- 
cle  ,  &  la  jaloufie  de  mes  ennemis  me  le  permettent  ,  & 
que  l'animofité  des  grands  s'appaife  ,  je  prendrai  des  mefu- 
r.es  ,  pour  donner  le  refte  de  mon  Hiftoire  ,  pourvu  qu'elle 
puiflè  être  utile  au  public.  Je  veux  contenter  les  gens  de 
bien  ,  en  apportant  autant  d' exactitude  &  de  foin  à  faire 
imprimer  mon  ouvrage ,  que  j'en  ai  mis  à  le  compofer.  Je 
vous  écris  à  ce  fujet  ,  Monfieur  ,  afin  de  vous  apprendre 
ma  réfolution  là  delfus  h  je  crois  devoir  ces  égards  à  votre 
bonne  volonté  pour  moi.  D'ailleurs  je  fuis  bien  aife  de  vous 
faire  voir  qu'il  eft  inutile  de  copier  les  livres  en  queftion, 
comme  je  vous  le  difois  dans  ma  dernière  lettre. 

Vous  me  mandiez  dans  la  votre  du  31.  d'Odobre  ,  que 
Ciriacus  Herdeffianus ,  jeune  homme  d'une  grande  politelfe , 
de  bonnes  mœurs  ,  &  plein  d'érudition  s'étoit  offert  avec 
joie  à  faire  cette  copie.  Je  dois  le  remercier  avant  tout  , 
de  fa  bonne  volonté  ,  &  me  réjouir  avec  lui  de  ce  que  je 
lui  ai  épargné  le  travail  pénible  &  dégoûtant  de  tranfcrire 
mon  ouvrage.  Je  ne  doute  pas  qu'il  ne  puifTe  faire  un  meil- 
leur ufage  de  fon  temps  ,  je  ne  voudrois  pas  employer  à 
copier  l'ouvrage  d'autrui  une  perfonne  en  état  de  travailler 
par  lui-même. 

Je  vais  répondre  à  votre  lettre  dattée  du  28.  d'Avril  à 
Heidelberg.  Je  fuis  charmé  que  vous  m'aïez  fait  naître  Foc* 
cafion  de  parler  dans  mon  Hiftoire  d'un  homme  au  deftlis 
de  tout  éloge.  Je  reflens  un  vrai  plaifir  ,  &  je  fuis  mon 
penchant ,  lorfque  je  puis  tranfmettre  à  la  pofterité  les  noms 
à.QS  hommes  ,  que  je  crois  dignes  de  l'eftime  publique.  J'ofe 
me  flater  qu'on  m'en  fçait  dès  à  prefent  quelque  gré.  Je  n'i- 
gnore pas  que  cela  m'a  fait  auiïi  un  grand  nombre  d'enne- 


DE  J.  A.  DE  THOU.  ssf 

rnîs  ,  fur-tout  a,  Rome  ,  &  parmi  ces  nouveaux  cenfeurs , 
qui  foumettent  tout  à  leur  tribunal.  Vous  pouvez  avoir  vu 
de  certaines  lettres  écrites  contre  moi  fur  ce  fujet  j  T'auteur 
n'y  juge  pas  fevorablement  de  ma  perfonne  ,  &  de  ma  can- 
deur.  Des  juges  plus  équitables  que  lui  décideront  entre 
l'un  ôc  l'autre,  &  la  pofterité  me  rendra  juftice ,  lorfque  l'envie 
fera  étouffée.  Mais  ni  lui  ,  ni  fes  femblables  ne  viendront  ja- 
mais à  bout  par  leurs  cris ,  &  leur  acharnement  contre  les 
gens  de  lettres  ,  de  changer  mon  caradere  ,  &  de  me  fai- 
re  repentir  de  ma  modération.  Content  de  prendre  Dieu  pouï 
arbitre  entre  eux  &  moi  ,  je  ne  relèverai  ni  leurs  injures  , 
ni  leurs  mépris.  Ce  que  je  vous  dis  ici  n'eft  que  pour  vous. 
Je  ferois  fâché  que  cela  tranfpirât  ,  &  donnât  occafion  de 
troubler  mon  repos  à  des  gens ,  qui  faififfent  tout  ce  qui  fe 
préfente  ,  pour  m'inquieter. 

A  l'égard  de  Dudith  ,  j'ai  ajouté  à  fon  éloge  ,  que  j'a- 
vois  déjà  fait  depuis  long-temps  fur  le  bruit  de  fa  réputation, 
&  fur  les  lettres  de  Thomas  Savill  ,  qui  m'avoient  été  don- 
nées par  Monfieur  Bongars  ,  ce  que  j'ai  trouvé  dans  celles 
de  Jean  Pretorius  ,  ce  Içavant  ,  &  vénérable  vieillard.  Je 
vous  envoyé  cet  éloge  (i)  parce  que  je  ne  fuis  pas  encore 
déterminé  à  faire  imprimer  l'année  lySp.  où  il  doit  être  pla- 
cé. J'y  ai  joint  l'éloge  de  François  Salinas  Efpagnol  ;  vous 
pourrez  juger  par-là ,  auiïi  bien  que  tous  les  honnêtes  gens , 
que  je  penfe  bien  fur  le  compte  des  Elpagnols  ,  quoiqu'on 
me  reproche  le  contraire.  Il  manque  quelque  chofe  à  l'éloge 
de  Dudith  ,  comme  vous  pourrez  le  voir.  Je  vous  prie  de 
m'aider  à  l'achever  ,  je  fouhaiterois  que  vous  me  donnafTiez- 
de  plus  grands  éclaircifîemens  fur  le  nom  de  fa  femme ,  fur  la 
famille  &  le  nom  de  fon  père  ,  fur  le  nom  de  fes  enfans ,  &  leur 
caradere ,  &  que  vous  m'inftruifiez  plus  particulièrement  de 
ce  qui  regarde  fon  mariage  ,  (es  affaires  domeftiques  ,  &  fes 
études  :  vous  pouvez  fçavoir  cela  par  vous-même,  ou  par  d'au- 
tres. Pretorius  eft  plus  en  eftat  que  perfonne ,  de  vous  appren- 
dre toutes  ces  chofes ,  fi  vous  les  ignorez.  D'ailleurs  vous  n'ê- 
tes pas  fi  éloigné  de  Breftaw  que  vous  ne  puifllez  vous  en  in- 
former à  la  veuve  de  Dudith ,  fi  elle  eft  encore  au  monde  5  ou 

(i)  Cet  éloge  de  Dudith  fe  trouve  à  la  fin  du  96.  livre  ,  &  celui  de  Salinas  à  la  fin 
^u>»>).  livre. 


55^       PIECES  CONCERNANT  L'HISTOIRE 

à  fes  enfans ,  par  le  moyen  de  vos  amis.  J'apprens  qu'il  y  a 
plufieurs  lettres  de  ce  grand  homme ,  la  plupart  écrites  fur 
<1qs  matières  interelTantes  ,  &  qui  font  répandues  en  Alle- 
magne. Je  crois  qu'il  eft  important ,  non-feulement  de  les  re- 
cueillir, mais  encore  de  les  donner  bien-tôt  au  public,  pour 
l'honneur  de  leur  fçavant  auteur  ,  &  pour  l'utilité  de  la  Répu^ 
blique  des  Lettres.  Vous  me  ferez  plaifir  de  me  communi- 
quer ce  que  vous  pouvez  avoir  de  fes  ouvrages  •■>  auflTi-bien  que 
tout  ce  que  vous  pourrez  trouver  à  votre  loifir  d'écrit  fur  les 
affaires  de  Silefie  &  de  Hongrie.  Car  fi  mes  occupations  me 
le  permettent ,  j'ai  réfolu  de  conduire  mon  Hiftoire  jufqu'au 
temps  où  la  paix  a ,  pour  ainfi-dire ,  été  donnée  à  l'Europe 
entière  ,  fans  m'arrêter  à  mon  premier  deffein ,  qui  étoit  de 
finir  à  l'année  i6oi.  Mais  comme  j'ai  befoin  de  m'inftruire 
des  affaires  étrangères,  &  que  je  ne  puis  avoir  ces  connoif- 
fances  fans  le  fecours  d'autrui,  je  vous  prie  de  me  faire  ce 
plaifir ,  par  vous  &  par  vos  amis.  Confervez-moi  votre  ami- 
tié. Saluez  de  ma  part  Monfieur  Hyppolite  de  Colli.  A  Paris 
le  15  Juillet  idoy. 

Lettre  de  George-Michel  Lingelsheirri)  à  Jac,  Aug.  de  Thou, 

Traduite  du  Ti  yC  O  N  S I E  u  R.  Je  n'ay  tardé  fi  long-renips  à  répondre 
Kanufcrït.  ^  !▼  A  ^  votre  lettre,  en  datte  du  18.  Août  de  l'année  paf- 
fée  ,  que  parce  que  je  n'ai  pas  voulu  payer  d'une  réponfe 
frivole  ,  les  chofes  curieufes  que  vous  m'avez  écrites  ,  & 
que  je  fouhaitois  apprendre.  J'avois  auffi  delfein  de  vous 
contenter  entièrement  ,  au  fujet  du  célèbre  Dudith,  &  de 
vous  fournir  des  mémoires  touchant  les  affaires  d'Allema- 
gne. J'ai  cru  que  je  ne  pouvois  mieux  faire,  que  de  vous  en- 
voyer la  lettre  de  Jean  Pretorius  ,  afin  que  vous  puiffiez 
achever  féloge  de  Dudith  ,  dont  vous  voulez  immortalifer 
le  nom.  Je  n'ai  encore  pu  rien  recouvrer  touchant  les  aftai- 
res  du  Nord.  J'ai  prié  le  peu  d'amis  que  j'ai  en  ces  quar- 
tiers, de  m'apprendre  tout  ce  qu'ils  en  fçauront.  Dès  que 
je  pourrai  vous  envoyer  quelque  chofe  fur  ce  fujet ,  je  le 
ferai  avec  toute  la  diligence  pofllble. 

Je  ne  fçai  quels  remercimens  vous  faire  ,  de  l'affedion 
5iue  vous  me  témoignez,  en  m' accablant  fans  celfe  de  vos 

prefens* 


r 


DE   J.   A.   DE   THOU.  537  1 

préfens.  Vous  perfiftez  toujours  à  me  faire  part  de  vos  écrits.  1 

Je  vous  ailure  que  rien  ne  ma  fait  plus  de  plaifir  que  de  -î 

connoître  l'ordre  &  la  diftribution  de  votre  ouvrage  imaior-  .    J 

tel,&  que  d'apprendre  que  malgré  les  cris  d'une  foule  de  j 

critiques,  vous  perfeverez  dans  une  réfolution  fi  louable. 
Vous  avez  aufll  des  motifs  de  confolation.  Les  gens  de  bien  < 

vous  félicitent  de  tous  cotez ,  &  publient  les  obligations  que  t  ; 

la  république  des  lettres  &  la  pofterité  vous  auront.  Ils  fe  ré- 
joùiltent  de  ce  que  la  vérité  a  trouvé  dans  un  homme  tel  i 

que  vous,  revêtu  d'une  grande  dignité,  un  protedeur  con-  .! 

tre  tant  d'écrivains  ,   qui  femblent  avoir  juré  de  l'étouffer.  \ 

Continuez  à  la  protéger  :  Vous  êtes  au-deiîus  de  l'envie.  Que 
vous  dirai- je  pour  vous  remercier  du  préfent  de  votre 
Poëme(i)queMonfieur  Bongars,  notre  ami  commun  ,  m'a 
envoyé.  Quel  homme  /  dont  les  délallemens  &  les  jeux  fe- 
ront l'admiration  de  la  pofterité.  Ce  dernier  trait  de  votre 
bienveillance  m'a  paru  il  flateur  ,  que  je  ne  fouhaite  rien 
tant  que  de  me  rendre  digne  des  boutez  que  vous  avez 
pour  moi.  Adieu,  Monfieur.  A  Heidelberg  le  13  de  Eé* 
vrier  160S. 

Lettre  de  George-Michel  Lingelsheim ,  à  Jacques-Augnjîe  de  Thoiu 


O  N  s  I  E  u  R.  On  vient  de  donner  au  public  ces  jours    Traduite  cîiî 
paflez,  un  livre  dont  la  lecture  pourra  vous  faire  plaifir,  }^^^^<^^l^^  ^^ 


M 

parce  qu'il  découvre  les  artifices  des  méchans.  Il  eft  du  bien  pu- 
blic ,  que  ceux  qui  font  en  place ,  foient  inftruits  de  leurs  ma- 
nœuvres. Nous  fommes  menacez  de  grands  troubles  :  l'Empe- 
reur eft  réduit  à  d'étranges  extrémitezj  P  Archiduc  Mathias  fon 
frère  eft  aux  portes  de  Prague  qu'il  ferre  de  fi  près,  que  l'Empe- 
reur n'a  pu  fe  fauver.  Les  EledeursdeSaxe  ôc  de  Brandebourg 
ont  envoyé  des  Ambafladeurs  à  l'Archiduc,  pour  l'engager 
à  pofer  les  armes.  Il  leur  a  fait  réponfe ,  qu'il  ne  pouvoir  les 
quitter,  qu'après  qu'on  lui  auroit  donné  des  sûretez  fufli^ 
fautes  de  la  confirmation,  pour  lui  &  pour  ceux  de  fon  parti, 
de  ce  qu'on  avoir  arrêté  à  Presbourg  ,  &  que  lorfqu'il  feroit 
à  couvert  du  reftentiment  de  fon  frère ,  qui  ne  rcfpiroit  que  la 
vengeance. 

fi)  Intitulé  Cr^w^^. 

TomeXK  Va 


/• 


Traduite  du 
Latin  fur  le 
^lûnufcfit. 


33g  PIECES    CONCERNANT  L'HISTOIRE 

Beljoyeux  ,  cet  homme  fameux  ,  qui  a  exercé  tant  de 
cruautez  fur  les  Tranfylvains ,  &  qui  s'eft  noirci  par  tant  de 
meurtres ,  vient  d'être  pris  &  étranglé  en  Hongrie.  La  Moravie 
toute  entière  a  pafle  du  coté  de  l'Archiduc  Mathias ,  avec  pref- 
que  toute  la  Bohême,  On  croit  que  l'Empereur  a  été  mal  con- 
feillé  dans  cette  affaire.  Son  frère  demande  la  tête  de  quelques- 
uns  de  fes  Confeillers,  &  entr' autres  de  Hanniwald,  &  de 
Barvic.  Ces  troubles  &  d'autres  intrigues  tiennent  l'Empire 
en  fufpens.  La  diète  de  Ratisbonne  s'eft  féparée  fans  rien 
faire  à  caufe  de  la  retraite  des  Evangéliques.  Quelque-temps 
après ,  l'archiduc  Ferdinand  qui  avoir  tenu  la  place  de  l'Em- 
pereur dans  la  diète ,  a  laiffé ,  à  la  nouvelle  de  la  mort  de  fa 
mère,  la  plus  grande  partie  defamaifon  à  Ratisbonne,  pour 
partir  en  diligence.  Je  vous  écris  à  la  hâte  quelques  nouvelles 
de  nos  affaires.  Vous  excuferez  cette  liberté  avec  votre  bonté 
ordinaire.  Je  fuis,  6cc.  A  Heidelberg  le  16  ÔlQ  May  1608. 

Lettre  de  George-Michel  Lingelsheim ,  à  Jac.  Aug.  de  Tlwit. 

MONSIEUR.  J'aurois  cru  manquer  à  ce  que  je  vous 
dois ,  fi  j'avois  laifTé  partir  le  Confeiller  Charles  Pau- 
îus,  envoyé  de  l'Eledeur  mon  maître  vers  le  Roi  de  France, 
fans  le  charger  d'une  lettre  pour  vous,  quand  ce  ne  feroit  que 
pour  vous  affurer  de  mes  très-humbles  refpeds ,  n'ayant  aucu- 
nes nouvelles  intérelfantes  à  vous  écrire.  Je  ne  doute  pas 
que  vous  n'en  ayez  de  certaines ,  touchant  ce  qui  s'eft  pafTé 
en  Bohême.  Ce  revers  de  l'Empereur  eft  étonnant  j  il  a  été 
forcé  de  fe  foiunettre  à  de  honteufes  conditions ,  qui  ont  été 
portées  jufqu'à  lui  faire  céder  la  Hongrie,  l'Autriche,  &  la 
Moravie  à  l'Archiduc  ,  qui  de  fon  côté  a  renoncé  à  la  fuc- 
celTion  des  autres  provinces.  C'eft  ainfi  que  la  guerre  s'eft 
terminée  en  ces  quartiers.  La  difpute  de  ces  Princes  a  dé- 
rangé les  mefures  de  quelques  efprits  remuans,  quiavoient 
defièin  d'exciter  des  troubles ,  ou  du  moins  en  a  reculé  l'ef- 
fet. Je  fouhaite  que  la  Providence  nous  préfen^e  de  ces 
maux.  Monfieur  Bongars  3  qu'on  ne  peut  nommer  fans  élo- 
ge, m'a  fait  une  vifite  d'ami  ces  jours  derniers.  Nous  avons 
beaucoup  parlé  de  vous,  Monfieur  ,  &  nous  avons  fait  des 
voeux  pour  votre  profperité.  Je  ne  voulois  voys  aflurer  par 


DE    J.    A.    D  E    T  H  O  U.  339 

cette  lettre  que  de  mon  parfait  dévouement  ,  &  du  defir 
que  j'ai  de  vous  être  bon  à  quelque  chofc.  Je  finis  donc 
en  priant  la  divine  bonté  de  vous  conferver  à  la  République. 
A  Heidelberg  le  4  de  Juillet  160S. 

Extrait  d*une  Lettre  de  Jac.  Aug.  de  Thon  ,  à  George  Michel 

Lingelsheim. 

L*Injustice  &  l'ingratitude  du  fiécle  m'empêcheront  Traôuît  iû 
de  continuer  mon  Hiftoire,  que  j'ai  conduite  jufqu'à  J-,^^'"/"/  ^^ 
i  année  16^01.  il  y  a  deja  lept  ans.  J  ai  d  ailleurs  des  attaires 
qui  me  dérobent  aujourd'hui  tout  mon  loifir ,  quiétoit  bien 
mieux  employé  à  ce  travail.  Elles  ne  me  lailTent  pas  un  mo- 
ment libre.  Si  cependant  Dieu  me  conferve  la  vie ,  j'ai  ré- 
folu  d'aller  jufqu'à  l'année  1612..  C'eft  le  terme  que  je  me 
luis  prefcrit  &  je  n'irai  pas  au-delà,  &c.  De  Villebon  le  28 
Avril  1613. 

Extrait  d'une  Lettre  de  MarquardFreher ,  à  Melchior  Goldaft. 

Goldaft  qui  réfidoit  à  Francfort  ,  avoir  écrit  à  Marqiiard  Freher  ,  de- 
meurant à  Heidelsheim ,  pour  lui  demander  fi  on  pourroit  accorder  la 
permiflion  d'imprimer  dans  le  Palatinat,  l'Hiftoire  de  Monfîeur  de 
Thou  :  Voici  la  rcponfe  de  Freher. 

LE  Chancelier,  dans  Tabfencede  Monfîeur  Lingelsheim     Tracîuît  dii 
a  lu  votre  lettre  dans  leConfeil.  On  permet  d'imprimer  a^^^rf  intk!  ■ 
dans  quelque  lieu  que  ce  foit  du  Palatinat,  l'Hifloire  de  Mon-  boH. virer. aA 
fieur  de  Thou.   Mais  le  Prince  ne  goûte  point  le  projet  de  ^'Iff^^jf' 
feindre  ,  que  l'imprefTion  en   auroit  été  faite  à  Manheim. 
Qu'importe  en  quel  lieu  elle  fe  fafle.   Elle  fera  honneur  à 
celui  qu  on  choifira.  A  Heidelberg  le  i^.  Odobre  1^08. 

Remarques  de  Jean  Bockjladyfur  r Hiftoire  de  Jac.Aug.  de 
Thou  J  -par  rapport  aux  affaires  d'Allemagne, 

AN  ne'e  i^^^.  Monfieur  de  Thou  dit  que  Jean  Mat-  S!&t*rélï 
thefius  de  Rockliz  mourut  âgé  de  cinquante-un  ans.  du  Livre  intit, 
Buckholfer  qui  a  écrit  exadement  fur  les  affaires  du  Nord ,  ^^i''^Q^[^*i 
dit  exprelfément  qu'il  mourut  à  l'âge  de  foixante-un  ans,  E^ii?.  f,  x84.. 

yuij 


540       PIECES    CONCERNANT   L'HISTOIRE 

Année  1 5  (^7.  Ce  que  l'auteur  dit  de  la  faufle  Elifabeth  eft 
un  conte  5  méprifé  de  toutes  les  perfonnes  fenfées. 

Melchior  Zobel  Evêque  de  Wirzbourg  fut  tué  en  15  5:8.  le 
15:  d'Avril^  &  non  pas  le  13.  Grumbach  ne  fut  pas  pris  au 
bout  de  huit  ans ,  mais  au  bout  de  neuf 

Ceux  qui  fçavent  ce  qui  s'eft  paffé  dans  la  guerre  de  Gotha; 
afifurent  que  la  raifon  pour  laquelle  on  fit  battre  les  tambours 
durant  le  difcours  de  Grumbach ,  fut  pour  empêcher  qu'on 
n'entendît  ce  qu'il  alléguoit  pour  fa  juftification.  »  Tout  ce 
»  que  j'ai  fait  contre  ceux  de  Wirzbourg ,  difoit  ce  Général , 
y>  je  l'ai  fait  au  fçu  &  à  i'inftigation  d' Augufte ,  Eledeur  de  Sa- 
»  xe  y  qui  me  foutenoit ,  &  me  fourniifoit  même  des  foldats. 
a>  C'eft  lui  cependant ,  qui ,  pour  complaire  aux  Papiftes ,  ôc 
«  par  des  vues  d'ambition ,  me  perfécute  aujourd'hi^i. 

Année  15'6'p.  Vidor  Strigelius  n'affilia  jamais  à  la  confé- 
rence d'Altembourg.  Il  y  avoir  long-temps  qu'il  étoit  paiii 
pour  Heildelberg.  De  Thou  fe  trompe  encore ,  lorfqu  il  dit 
que  Paul  Eber  étoit  né  à  Cittaw.  Il  naquit  à  Kitzing. 

Aixnée  i;7i.  Au  fujet  de  la  conférence  de  Frankendal. 
Pierre  Dathen  étoit  à  la  vérité  Théologien ,  &  Miniilrc  à  la 
Cour  de  i'Eiedeur  Palatin.  Mais  Wolfgand  Zuleger  n'étoit 
pas  Théologien,  il  faifoit  fon  étude  de  la  politique.  De  Thoufe 
contredit  lui-même  ,  comme  on  peut  voir  à  l'année  1 5*  6j, 

Michel  Neander  s'eft  rendu  célèbre  par  plufieurs  livres 
qu'il  a  publiez.  Mais  il  ne  fut  jamais  ni  dans  le  Palatinat ,  ni 
Notaire.  Le  Neander  dont  il  s'agit,  s'appelle  Martin,  &  eft 
encore  vivant  à  Heidelberg.  Il  exerce  l'emploi  d'œconome 
dans  l'Eglife  de  la  Sapience  5  &  il  porte  outre  cela  le  titre  de 
Notaire.  C'eft  fous  lui  que  s'eft  formé  Quirinus  Reuter. 

Année  1573.  Daniel  Brendel  Henherg^W  faut  lire  Daniel 
Brendel  de  Homberg ,  au  lieu  de  Vifmgi ,  lifez  Vierra ,  &  au 
lieu  de  Vahicum  ,\ï{ç.ï  Tacha ,  qui  eft  lUie  ville  aflez  connue  ^ 
à  ime  journée  de  l'Abbaye  de  Fulde ,  &  qui  en  dépend.  Ce 
fut  là  que  Henri  lîl.  s'arrêta  quelques  jours  3  &  j'en  peux  ren^, 
dre  témoignage  j  parce  que  j'y  étois  alors, 


DE  J.  A.  DE  THOU.  s^i 

'Extrûii;  d'une  Lettre  deQuirinus  Reuter  i{i)à  Meîchior  Goldajl: 

JE  fçai  que  quelques-uns  trouvent  mauvais  qu'on  imprime  à  Traduit  mi 
Francfort  THiftoire  de  Monfieur  de  Thou.  Mais  ne  crai-  M^an"fcrîf.  *" 
gnez  rien ,  &  continuez.  Vous  rendrez  fervice  à  l'Allemagne, 
&  toutes  les  perfonnes  picufes  vous  loueront.  Que  les  Fran- 
çois &  les  Italiens  faflent  ufage  de  l'Edition  de  Paris ,  où  l'Au- 
teur fait  des  changemens ,  pour  obéir  à  ceux  de  qui  il  dé- 
pend. Je  crois  que  vous  avez  vu  un  petit  livre  (2)  c[ui  con- 
tient ce  que  Monfieur  de  Tliou  a  retranché  par  l'ordre  du 
Roi.  On  y  voit  le  récit  du  parricide  des  Medicis ,  commis 
par  le  père  &  par  le  frère,  &  les  friponneries  du  pape  Pie  IV. 
Il  faut  que  vous  reftituïez  ces  endroits ,  &  que  par  des  notes 
tirées  d'Auteurs  véridiques ,  vous  indiquiez  les  fautes  échap- 
pées à  Monfieur  de  Thou.  Si  je  n'étois  pas  accablé  d'occupa- 
tions par  le  devoir  de  mon  emploi ,  je  vous  aiderois  dans  ce 
travail.  J'avoue  que  ce  que  je  vous  ai  envoyé  dernièrement 
eft  peu  de  chofe ,  &  ne  regarde  que  l'orthographe.  Mais  on 
pourroit  vous  communiquer  plufieurs  obfervations  hiftori- 
ques,  &c.  A  Heidelberg  le  13  Janvier  160^, 

Lettre  de  Pierre  Denais  y  Confeiller  ordinaire  de  VEleBeur  Vala-' 

tin  j  &  Affeffeur  de  la  Chambre  Impériale  à  Spre  j  à 
mffi  Jac.  Aug.  de  Thou, 

IL  y  a  long-temps  ^  Monfieur ,  que  je  veux  avoir  Phonneur  Traduite  an 
de  répondre  à  votre  lettre  polie  &  obligeante.  Dans  la  réfo-  J^\" "fcriJ. 
lution  de  m'acquitter  de  ce  devoir ,  j'ai  plus  d'une  fois  pris 
la  plume ,  mais  le  refped  que  m'infpire  votre  haute  réputa- 
tion me  l'a  toujours  fait  quitter.  J'ai  enfin  furmonté  cette  ef- 
pece  de  timidité,  &  après  avoir  reçu  de.  vous  un  préfent  fi 
eftimable ,  &  une  lettre  où  vous  me  comblez  d'honnêtetez  j 


(i)  Quirinus  Reuter  aida  beaucoup 
Goldaft&  Pierre  Kopf  Libraire  de  Franc- 
fort ,  dans  l'édition  qui  fut  faite  en  cette 
ville  de  l'Hiftoire  du  Préfîdent  de  Thou. 

(2)  Ce  petit  livre  qui  eft  extrêmement 
rare ,  fut  imprimé  clandeftinement  à  Pa- 
Vis  ,  fous  k  tire  de  Omijfn  in  Bijloria 


Thuani  ad  annos  i^6z.  é^  ij^j.  in-rx^ 
Monfieur  de  Thou  n'en  fit  tirer  qu'un 
très- petit  nombre  d'exemplaires  &  feule- 
ment pour  faire  prefent  à  quelques  amis 
de  confiance.  Voyez  la  troifiéme  lettre 
de  l'éditeur  Anglois  au  Dodeur  Mea4 
pag.  66' 

y.uiij 


342         PIECES  CONCERNANT  L'HISTOIRE 

j*ai  appréhendé  de  paroître  indigne  de  ce  double  honneur  ; 
ôc  coupable  d'ingratitude  ,  fi  je  demeurois  plus  long-temps 
dans  le  filence.  J'avois  déjà  oui  dire  qu'on  fe  préparoit  à  criti- 
quer votre  Hiftoire.  Connoiffant  les  mœurs  de  ce  fiécle ,  je 
n'étois  point  furpris  de  cette  audace  5  &  je  riois  d'avance  de 
la  folie  d'un  écrivain  qui  auroit  choifi  un  tel  ouvrage  &  un  tel 
Auteur,  pour  faire  publiquement l'effai  de  fon  mauvais  fens 
&  de  fa  malignité.  Car  qu'eft-ce  que  cet  écrivain  trouvera  à 
reprendre  dans  votre  Hiftoire  ?  Vous  avez  eu  toute  l'attention 
pollible  à  la  fidélité  dans  le  récit  des  faits.  Qui  voudra  fe  faire 
pafler  pour  plus  habile  que  vous  en  ce  genre,  doit  chercher 
un  autre  monde ,  &c  d'autres  hommes  à  qui  il  puifle  faire  illu- 
lufion.  Quand  même  il  y  auroit  quelques  meprifes  dans  un  ou- 
vrage fi  long  &  fi  pénible ,  feroit-ce  un  crime  impardonnable  .'* 
Tout  ce  qu'on  pourra  vous  reprocher  eft  la  liberté  avec  la- 
quelle vous  avez  écrit  jc'eft-à-dire,  votre  candeur  &  votre 
amour  pour  la  vérité.  Mais  que  ce  reproche  eft  indigne  d'un 
homme  d'honneur .'  Peut-on  en  faire  un  plus  glorieux  à  un 
homme  de  bien  ?  Je  ne  foupçonnerai  jamais  Marc  Velfer  d'un 
deflein  il  honteux  &  fi  peu  fenfé.  Je  croirois  plutôt ,  que  le 
coup  partiroit  de  quelques  amis  de  ce  fçavant  homme ,  (  ce 
que  je  regarde  comme  une  action  indigne  ) ,  c'eft-à-dire ,  de 
ces  gens  qui  difent  hautement,  qu'il  eft  louable  &  glorieux  , 
non-feulement  de  mentir  en  faveur  de  l'homme  (i)  qui  eft  le 
îeul  Dieu  qu'ils  adorent  5  mais  encore  d'attenter  fur  la  vie  d^ 
Rois ,  par  le  fer  ou  par  le  poifon.  Ces  gens  qui  n'ont  aucune 
Religion  ,  employent  toujours  la  Religion  pour  prétexte;  car 
ceux  qui  en  ont ,  (bit  Catholiques ,  foit  Proteftans ,  font  égale- 
ment ennemis  du  menfonge  ,  &  ne  veulent  point  que  la  vérité 
hiftorique  foit  fardée.  Ils  ne  peuvent  manquer  de  vous  applau- 
dir ,  &  de  fe  ftjavoir  bon  gré ,  en  voyant  que  vous  penfez  com- 
me eux.  Quoique   nous  autres  Proteftans ,  nous  rejettions  les 
noms  odieux  de  Novateurs  &  de  Sedaires ,  &  que  nos  oreilles 
en  foient  bleftees  ;  perfonne  néanmoins  parmi  nous  n'eft  aflez 
injufte^  en  voyant  que  vous  rempliftez  parfaitement  les  devoirs 
d'un  Hiftorien,  pour  trouver  mauvais  que  vous  vous  expri- 
miez conformément  à  vos  idées,  &  que  vous  ne  parliez  pas 
comme  nous.  Nous  avons  d'ailleurs  allez  d'adions  de  grâces  à 

(ij  Ceft. à-dire,  du  Pape. 


DE   J.   A.    DE   THOU.  sn 

vous  rendre  ,  outre  l'obligation  que  nous  vous  avons  d'avoi^ 
clairement  expofé  les  faits.  Que  de  calomnies  intentées  contre 
nous  ,  n'avez-vous  pas  folidement  refutées  !  Combien  de 
grands  hommes,  que  l'impofture  avoit  noircis,  avez-vous  ju- 
ftifîez  &  vengez  !  Avec  quelle  douceur  ne  nous  avez-vous  pas 
trairez  ?  La  Religion  que  vous  avez  n'elV  pas,  comme  celle  de 
bien  d'autres  ,  un  motif  de  haine ,  &  un  inftrument  de  cruauté  j, 
mais  un  lien  de  charité,  &  une  école  de  douceur.  Vous  aimez 
la  vertu  par  tout  oi^i  elle  fe  trouve ,  &  vous  voulez  que  ceux  qui 
l'aiment,  s'aiment  aulll  réciproquement.  Renonçons  aux  noms 
odieux  de  fadion  &  de  parti.  Je  vous  avoue ,  que  lorfque  je 
me  repréfente  votre  efprit  pacifique  &  impartial,  lorfque  je 
me  rappelle  les  dernières  paroles  de  Charles  V.  mourant ,  que 
vous  rapportez  &  que  vous  louez  ;  je  me  fens  animé  du  même 
efprit  de  charités  je  m'arrête  à  ce  point  fixe,  &  je  m'écrie  : 
Voilà  la  vraie  foi ,  voilà  fes  véritables  fruits.  Il  penfe  comme 
moi,  &  nous  marchons  l'un  &  l'autre,  dans  le  même  chemin 
qui  conduit  au  falut. 

Je  conclus  de  ce  que  je  viens  de  dire ,  que  comme  dans  les 
deux  Religions ,  vous  avez  pour  partifans  &  pour  admirateurs 
de  votre  excellent  ouvrage ,  tous  ceux  qui  ont  vraiment  de  la 
Religion  dans  le  cœur ^  vous  ne  devez  avoir  égard  qu'à  leurs 
fentimens  &  à  leurs  fuffrages  ,  &  ne  faire  aucun  cas  des  juge- 
mens  de  ces  efprits  corrompus,  qui  bravent  également  Dieu  & 
les  hommes ,  &  qui  n'ont  aucuns  fentimens  de  vertu.  Comme 
leur  perverfité  ne  peut  nuire  à  vos  écrits  immortels,  elle  ne 
doit  pas  non  plus  arrêter  votre  plume ,  &  vous  empêcher  de 
continuer  à  bien  mériter  de  ce  fiécle  &  des  fiécles  futurs.  Tous 
les  gens  de  bien  vous  y  invitent  :  Nous  vous  conjurons  inftam- 
ment  de  le  vouloir  ^  &  nous  prions  Dieu  de  vous  accorder  de 
la  vie  &  de  la  fanté,  afin  que  vous  le  puiillez.  Adieu,  Monfieur, 
Confervez  -  moi  toujours  cette  amitié  dont  vous  m'honores^ 
A  Spire  le  ^  d'Août  id'oy. 


Tom.  I,  Liv. 
il.  pag.  82. 


544       PIECES  CONCERNANT  L*HIST0ÏRH 

Remarques  critiqMes  ,  que  Pon  conjeÛure  être  de  Pierre  Denaisl 
Traduites  du  Latin  fur  le  Manufcrit. 

O  N  s  I  E  u  R.  de  Thou  fe  trompe  (i)  lorfqu'il  dit  que 
c'eft  l'Empereur  Othon  III.  qui  a  inftitué  la  dignité 

edorale.  Il  eftauffi  certain  quelle  n'a  été  connue,  ni  fous 
le  règne  de  ce  Prince,  ni  deux  cens  ans  après ,  &  même  plus, 
qu'il  eft  douteux  &  incertain  quand  &  comment  elle  a  com- 
mencé ,  fuivant  la  remarque  d'Aventinus ,  de  Peucerus  ôc 
d'Onuphrius. 

On  n'eft  pas  mieux  fondé  à  dire ,  que  le  Roi  de  Bohême 
doit  intervenir,  lorfque  les  fufFrages  font  égaux  de  part  & 
d'autre,  puifque  la  bulle  d'or  de  Charles  IV.  lui  donne  le  droit 
d'opiner  le  troifiéme.  Dans  le  même  endroit ,  l'Hiftorien  dit 
que  l'Empire  eft  compofé  de  trois  membres  5  fçavoir,  de  l'Em- 
pereur ,  des  Princes ,  &  des  villes.  Je  ne  fçai  fî  cela  convient 
à  l'Etat  préfent  de  l'Empire ,  dont  les  Eledeurs  font  aujour- 
d'hui un  membre  à  part;  &  même  le  principal.  Les  autres 
Princes  compofent  le  fécond  '■>  le  troifiéme  comprend  les  vil- 
les. L'Empereur  eft  également  le  chef  de  ces  trois  membres. 
Tbid.pag. Sj.  Il  eft  dit,  que  dans  chacune  des  différentes  clajfes  ^  quicompo^ 
fent  le  Collège  des  Princes  de  l'Empire ,  quatre  Seigneurs  princi-»_ 
paux  tiennent  le  premier  rang. 

Il  ne  paroît  pas  qu'autrefois  cela  fût  ainfi.  Il  femble  au  con- 
traire qu'il  n'y  avoir  que  quatre  Princes  dans  chaque  clafle , 
îefquels  compofoient  tout  le  Collège  des  Princes  de  l'Empire, 
Aujourd'hui  on  ne  peut  pas  dire  que  ces  Princes  foient  les 
principaux ,  ni  qu'ils  foient  bornez  au  nombre  de  quatre.  Je 
ne  crois  pas  qu'on  ait  encore  découvert  l'origine  de  cette 
divifion ,  ni  en  quel  temps ,  ni  pour  quelle  raifon  elle  a  été 
introduite.  M.  de  Thou  ajoute ,  qu'eu  égard  aux  circonftan- 
ces,  &  fans  autre  raifon  que  fa  volonté,  l'Empereur  peut  faire 
fur  cela  des  changemens,  ou  diminuer  ,  ou  augmenter  le 
nombre  de  ces  Princes.  C'eft  un  pouvoir  qu'on  attribuë^r^- 
îis  à  l'Empereur.  Car  c'eft  la  naiftance ,  qui  donne  ces  digni- 
tez ,  qu'il  n'eft  pas  au  pouvoir  de  l'Empereur  de  changer  ou 

fi)  Cette  erreur,  dans  laquelle  étoit    j    rigée  dans  la  dernière  édition  fur  laquel- 
tombé  Monficur  de  Thou ,  fe  troojve  cor-   i   le  a  été  faite  notre  traduction. 

doter; 


DE    J.    A.    D  E   T  H  O  U.  34; 

d'ôter,  quoiqu'il  transfère ,  &  donne  au  mérite,  ou  à  la  fa- 
veur, non-feulement  les  titres,  mais  encore  les  Etats,  lorl- 
qu'ils  vaquent.  Je  crois  qu'il  n'y  auroit  pas  de  prudence  à  aflli- 
rer  en  général ,  que  les  domaines  &  les  biens  de  ces  Princes , 
retournent  à  l'Empereur ,  au  défaut  de  mâles  dans  leurs  mai- 
fons.  Car  cela  n'etl  pas  purement  &  fuiiplement  vrai  par  tout , 
même  par  rapporr  aux  fiefs  qui  tombent  en  quenouille,  & 
aux  terres  non-féodaies,  dont  il  y  a  grand  nombre,  unième 
de  confidérablesj  qui  appartiennent  aux  polTelTeurs,  par  un 
droit  qui  leur  eft  propre ,  &  defquelles  on  peut  tefter ,  ou  qui 
peuvent  entrer  dans  le  commerce  &  être  échangées. 

Alais  comme  tant  de  domaines  voifmsfont  quelquefois  fi  mêlez  ibid.  pag.  844 
(fr fi  confondus  :,  quUl  efi  impoffi/?Ie  qu^il  ne  naf/J}  fouvent  entr^eux 
de  grands  différends  ^  &c.  Il  y  a  deux  chofes  dans  cet  endroit, 
qui  ne  fatisfont  pas  pleinement.  Car  en  premier  lieu ,  la  vue 
de  couper  court  aux  difputes  des  Princes ,  touchant  leurs  fron- 
tières ,  &  à  leurs  autres  conteftations  particulières,  n'a  pas  été 
le  motif  d'établir  les  dix  Cercles.  Ce  fut  dans  la  vue  de  com- 
pofer  la  chambre  Impériale ,  alors  établie  avec  une  authorité 
fuprême.  Enfuite  pour  entretenir  la  paix  dans  l'Empire ,  & 
enfin  pour  faire  exécuter  les  loix  de  l'Empire  &  les  jugemens 
de  la  Chambre.  Il  paroît  que  l'Hiflorien  regarde  ces  confeils 
communs  des  Cercles ,  ainfi  qu'il  les  appelle,  comme  des  ju- 
ges ou  des  tribunaux  ordinaires ,  qu'il  diftingue  tellement  de 
la  Chambre  ,  qu'il  prétend  que  les  conteftations  d'entre  les 
Princes  &  les  Seigneiu-s  y  font  vuidées  ^  tandis  que  la  Cham^ 
bre  connoît  des  procès  des  Princes  contre  les  villes. 

Les  confeils  des  Cercles  n'ont  aucune  jurifdidion.  Ils  s'y 
délibère  feulement  de  la  manière  d'exécuter  les  réfolutions  ; 
^QS  mefures  à  prendre  pour  la  guerre  ,  &  des  fecours  qu'on 
doit  fournir. 

A  l'égard  de  la  chambre  Impériale ,  fa  jurifdidion  s'étend 
feule  fur  tous  les  fujets  de  l'Empire ,  foit  fpécialement  fou- 
rnis à  l'Empereur  &  à  FEmpire ,  foit  à  quelque  tribunal  inter- 
médiaire ,  fans  préjudice  toutesfois  des  inftances ,  &  privilè- 
ges d'un  corps ,  ou  de  chaque  fujet  en  particulier. 

Les  Confeillersde  la  Chambre  font  nommez  par  différen- 
tes perfonnes,  &  dans  l'ordre  qui  fuit.  L'Empereur  en  nom- 
me cinq,  du  nombre  defquels  il  yen  a  trois  qui  préfident. 
Tome  XK  X  x 


54'<       PIECES    CONCERNANT   L'HISTOIRE 

cipale  Eglife  depuis  vingt-un  ans.  Que  me  confeiilez-vous  ? 
Ceux-ci,  doivent  être  Comtes  ou  Barons.  Les  Eledeurs 
en  nomment  dix ,  l'Autriche  un ,  la  Bourgogne  aufli  un  j  les 
fix  Cercles  dix-huit ,  les  huit  autres  Cercles  tour  à  tour  en  nom- 
ment fix  ,  l'Autriche  &c  la  Bourgogne  comprifes  dans  ces  Cer- 
cles. Ce  qui  fait  en  tout  quarante  &  un  membres  de  la  Cham- 
bre ^  préfidez  en  chef  par  un  des  Princes,  Comtes  ou  Barons 
nommé  par  l'Empereur,  fous  le  titre  de  Juge  de  la  Chambre. 
L'Evêque  de  Spire  occupe  à  prcfent  cette  place.  Je  crois  qu'il 
eft  bon  de  remarquer  que  l'Empereur  ne  convoque  pas  les 
diètes  quand ,  &  où  bon  lui  femble  ;  mais  qu'il  ne  peut  le  faire 
que  du  confentement ,  6c  avec  la  participation  de  fix  Elec- 
teurs. 

Lettre  de  Jean  Roftnus  Minifire  à  Naumbourg ,  à  J.  A.  de  Thon, 
L-H^r  A^  1     '\  T  ^  u  s  m'avez  fait  beaucoup  de  plaifir ,  Monfieur  le  Pre- 


Maïuifa-it.  V  aident ,  vous  à  qui  je  dois,  en  reconnoilTance  de  la  pro- 
tedion  que  vous  m'avez  accordée ,  toutes  fortes  d'égards  & 
de  refpeds,  lorfque  vous  m'avez  envoyé  le  privilège  Royal, 
que  je  vous  avois  prié  de  m'obtenir.  (i)  Je  fuis  auifi  très-fen- 
fible  à  la  politelîe  &  aux  bornez  dont  votre  lettre  eft  rem- 
plie j  j'ai  de  grandes  obligations  à  Monfieur  Godefroi  profef- 
feur  en  droit,  de  m' avoir  remis  votre  paquet ,  &  à  vous ,  Mon- 
fieur ,  pour  m'avoir  fait  connoiftre  à  cette  occafîon  ce  célè- 
bre jurifconfulte  ,  qui  m'a  honoré  d'une  lettre  très-obligean- 
te. Je  me  fervirai  de  votre  privilège  ,  moyennant  la  grâce 
de  Dieu  ,  d'une  manière  à  vous  prouver  que  vous  n'avez 
pas  obligé  un  ingrat.  Je  prierai  la  divine  bonté  de  vous  com- 
bler des  biens  qu'elle  a  répandus  fur  moi  ,  fans  que  je  les 
méritaîîe.  La  République  des  lettres  à  laquelle  je  m'interef- 
fe ,  vous  doit  ,  &  vous  rendra  de  publiques  adions  de  grâ- 
ces de  ce  que  vous  faites  pour  elle.  Je  fuis  embaraflé  fur  un 
point ,  je  vous  prie  de  me  lever  cette  difficulté  :  en  me  dé- 
ligne  dans  le  privilège  LL.  Doâor  :  cependant  je  ne  le  fus 
jamais  5  je  n'ai  pas  même  étudié  en  droit  ;  je  ne  me  fuis  ap- 
pHqué  qu'à  la  philofophie  &  à  la  théologie ,  &  j'ai  palle  ma 
vie ,  partie  à  enfeigner  ,  partie  dans  le  miniftere  ecclefiafti- 
que ,  que  j'exerce  aduellement  à_,  Naumbourg  dans  la  pi'in- 

(0  Pour  une  nouvelle  édition  du  livre ,  Roma/iS,  Antifuitates  J.  Rojini, 


DE    J.    A.    DE   THOU.  347 

Dois-je  rayer  du  privilège  la  qualité  qu'on  m'y  donne. 

Permettez-moi  prefentement  de  vous  parler  d'autres  cho- 
fes.  Je  conçois  aifcment  par  ma  fenfibilité  au  fujet  de  la  mort 
do  Monfieur  Bongars ,  dont  j'ai  redenti  mille  fois  la  protec- 
tion ,  quelle  a  été  votre  douleiu"  à  une  fi  trifte  nouvelle.  La 
Erance ,  &  fur  tout  l'Allemagne  qu'il  aimoit  beaucoup  ,  per- 
dent infiniment  à  fa  mort.  Il  me  difoit  quelquefois  qu'il  étoit 
François ,  mais  qu'ayant  palTé  la  plus  grande  partie  de  fa  vie 
en  Allemagne ,  il  ne  le  cedoit  à  aucun  Allemand  en  affec- 
tion pour  ce  pays  :  qu'elle  étoit  même  plus  grande  que  cel- 
le de  plufieurs  Allemands  j  je  n'ai  pas  fait  ditliculté  de  rap- 
porter ces  paroles  à  plufieurs  grands  perfonnages.  Je  crains 
que  bientôt  nous  ne  foyons  obligez  de  dire  avec  Plaute  , 
(  que  Dieu  cependant  détourne  ce  malheur  5  ) 

(i)  Titm  déni  que  homines  nojîra  intelligimus  hona  > 
Cum  qua  inpoîejîate  habttimus  j  ea  amifimus. 

Et  avec  un  autre  Poëte  :  " 

{2.)l'^irtutem  incoîumemodhnus ,  " 
Sublatam  ex  ocuUs  qttarimiis  invidi. 

Mais  cela  fufîit  au  fujet  de  Monfieur  Bongars.  Je  voudrols 
fçavoir  ,  s'il  a  donné  quelque  chofe  au  public  avant  fa  mort , 
comme  j'ai  compris  qu'il  devoit  le  faire  5  &  fi  quelqu'un  a 
écrit  quelque  chofe  après  fon  décès ,  en  fon  honneur  5  car  je 
n'ai  encore  rien  vu  fur  ce  fujet.  Ce  que  vous  me  dites  fi  clai- 
rement ,  &  fi  diftinctement  de  votre  Hiftoire,  m'a  fait  un  grand 
plaifir.  J'ai  lu  les  premiers  livres  avec  beaucoup  de  fatisfac- 
tion  ;  j'ai  été  étonné  comment  vous  aviez  pu  avoir  des  con- 
noiilances  fi  exades  des  affaires  même  d'Allemagne.  Je  n'ai 
remarqué  qu'un  petit  nombre  de  fautes,  dont  je  parlai  dans 
le  temps  à  Monfieur  Bongars,  &  que  je  vous  dirai,  fi  vous 
le  trouvez  bon.  J'ai  la  première  édition  de  votre  Hiftoire 
contenant  6^.  livres  ^  mais  je  n'ai  pas  vu  la  dernière.  Dès 
que  j'aurai  fini  ce  qui  m'occupe  aduellement ,  je  tâcherai 


(i)  C'eft-à-dire  les  hommes  ne  com- 
n:iertcent  à  çonnoître  leurs  avantages 
que  ioi-rqu'ils  leur  font  enkvez.  Plant. 
CAf.aci,  i.  Se,  i. 


(i)  La  vertu  nous  déplaît  tant  que 
nous  la  voyons ,  nous  la  recherchons ,  fî- 
tôt  que  nous  l'avons  perdue.  Horace.  Odi 
liV'  }. 

Xxij 


3  4-8  PIECES   CONCERNANT  L'HISTOIRE 

d'avoir  cette  belle  édition  ,  dont  vous  me  faites  l'honneur 
de  me  parler.  Je  la  lirai  promptement ,  &  avec  beaucoup 
d'attention ,  fi  Dieu  me  conferve  la  vie  &  la  fanté.  Je  vous 
écrirai  lincerement ,  s'il  y  a  quelque  chofe  d'omis  ,  ou  qui 
ne  foit  pas  conforme  à  la  vérité  :  je  vous  envoyerai  même  ^ 
s'il  eft  nécell'aire,  les  pièces  écrites  fur  ces  matières ,  com- 
me par  exemple,  les  oraifons  funèbres  ,  &  les  épitaphes  de 
Frédéric  Guillaume  adminiftrateur  de  l'Eledorat  de  Saxe  ,  de 
Jean  fon  frère  (  i  )  &  de  Chriftiern  IL  Eledeur  de  Saxe ,  &  tels 
autres  mémoires  que  vous  voudrez.  Je  ne  vous  cacherai  point 
que  quelques  perfonnes  ont  été  bleffées  de  ce  que  vous  dites  ait 
fujet  de  Maurice  Eledeur  de  Saxe  ,  dans  la  première  partie  ^ 
livre  huitième ,  page  884.  ,  première  édition  ,  que  ce  Prin- 
Tom.  II.  Lîv.  ^^  avoir  afpiré  à  l'Empire  ;  &  à  la  page  fuivante ,  que  queî- 
î-if.  p.  543.cie  que  temps  devant  fa  mort,  il  avoit  traité  avec  Henri  I  I.  Roi 
la  traciudiun.  ^g  France  ,  pour  faire  un  mauvais  parti  à  FEmpereur  dans 
les  Pays-Bas.  J'ajouterai  que  ces  perfonnes  veulent  que  le  fait 
fe  foit  paflé  autrement  que  vous  ne  le  rapportez.  Monfieur 
Bongars  m'a  dit  qu'il  le  tenoit  du  Comte  d'Ottembourg  ,  à 
qui  Scherte  l'avoir  raconté.  J'ai  moi-même  été  dans  la  der- 
nière furprife  de  ce  que  vous  dites  dans  le  même  tome ,  li- 
vre neuvième^  P^ge  P5?4.  de  la  première  édition  5  Que  l'E- 
ledeur  Jean  Frédéric  I.  étoit  mort  le  2.  de  Mars  ;  Que  ce 
Prince  regardé  parfes  ennemis  même  comme  un  homme  d'u- 
ne grande  fermeté ,  d'un  courage  invincible ,  &  d'une  extrême 
iiberalité^avoit  enfin,après  des  malheurs  continuels  qui  avoient 
traverfé  fa  vie ,  trouvé  le  repos  dans  le  fein  de  la  mort  5  Que 
fa  réputation  n'avoit  pas  été  11  éclatante  après  fon  décès ,  parce 
qu'il  avoir  laiffé  des  enfans ,  qui  ne  lui  relTembloient  pas.  (2) 
C'eft  ce  dernier  trait  qui  m'a  furpris  5  car  les  trois  Princes 
fes  enfans  ,  outre  les  belles  qualitez  qui  leur  étoient  propres^ 
ont  hérité  de  la  fermeté  de  leur  pcre.  Il  eft  vrai  que  l'aîné 
a  fait  une  faute  en  excitant  allez  inutilement  ime  guerre  par 
l'avis  de  quelques  perfonnes  ,  &  du  ChanceUer  Chriftien 
Bruck.  Mon  père  d  heureufe  mémoire  a  été  Miniftre  à  Vit- 
temberg  oii  ces  Princes  tenoient  leur  Cour  j  ils  l'avoient  ad- 


(i)  ~^n(  de  Saxe-Vcymar. 
Ci)  y  nfieurdeThou  a  reformé  cet 
fendroji  dans  les  cditions  fuivantes.  V. 


tome  II.  Liv.  xiii.p.'îg.  440.  de  la  trsi; 
dii<Sion. 


DE    J.    A.    DE    T  H  O  U.  ^4-}  ^  \ 

mis  à  leur  confeil  de  confcience  :  ce  fut  lui  qui  exhorta  à  la  < 

mort  Jean  Guillaume  père  des  Princes  Frédéric  Guillaume ,  i 

&  Jean.  Mais  en  voilà  adez  pour  le  prefent.  Je  vous  éeri-  \ 

rai  une  autrefois  plus  au  long  fur  ce  fujet  ,  fî  vous  voulez  1 

bien  me  le  permettre.  Je  prie  Dieu  avec  ardeur  qu'il  vous 
ait  en  fa  fainte  garde  ,  &  je  me  recommande  aulTi  à  fa  di- 
vine bonté.  A  Naumbourg  le  14.  de  Décembre  (  jour  de  ma 
naillance  en  1 5"  5*  i .  )  fur  la  fin  de  l'an  1 5 1 3 .  Je  fuis ,  Monfieur  ^ 
entièrement  à  votre  fervice. 

Notes  de  Jean  Rofinus  adrejfées  à  Jacques-Augiifte  de  Thotu 
Traduites  du  Latin  fur  le  Manufcrit. 


1 

i 


de  la  traduc: 


N  lifant  l'Hiftoire  du  célèbre  Monfieur  de  Thou  ,  j'ai. 

remarqué  en  paflant  des  faits  autrement  rapportez ,  que. 
les  Allemands  ne  les  racontent. 

Il  eft  fait  mention  dans  le  livre  quarante-unième  de  la  fauiïe     Tom.  v.  LiV. 
Elifabeth  Reine  d'Angleterre,  qui  rechercha ,  dit-on,  fallian-   2^1-1. pag.  315 
ce  de  Jean  Frédéric  fécond ,  Duc  de  Saxe ,  qui  fut  pris  enfuite 
à  Gotha.  On  dit  qu'elle  quitta  fon  Royaume  pour  fe  rendre  en 
Thuringe,  &  qu'elle  fut  conduite' au  Duc  de  Saxe,  qui  pour  j 

i'époufer  voulut  répudier  Agnès  fa  femme ,  fille  du  Landgrave  j 

de  Hefle  ,&  veuve  de  l'Eledeur  Maurice.  Je  n'ay  jamais  rien  ■ 

entendu  dire  de  femblable  dans  le  pays.  Je  me  fouviens  bien  i 

qu'on  difoit  qu'il  étoit  venu  en  Thuringe ,  pîufieurs  années  .  ' 

avant  la  guerre  de  Gotha,  une  femme  qui  fe  donnoit  pour 
Anne  de  Cleves,  qui  ayant  époufé  Henri  VIII.  Roi  d'Angle- 
terre en  1 5"  5 p.  en  avoir  été  répudiée  l'année  fuivante ,  comme 
on  le  voit  dans  Sleïdan  livre  1 2.  &  13.  dans  Michel  Benterus  < 

livre  cinquième ,  &  dans  d'autres  Auteurs.  Qu'enfuite  fa  four-  i 

berie  ayant  été  découverte  ,  elle  avoit  été  mife  en  prifon  pour  ! 

le  refte  defes  jours.  Je  m'informerai  exadement  de  ces  cho-  • 

fes ,  &  je  vous  en  écrirai  à  la  première  occafion ,  fi  vous  le  jii-  ] 

gez  à  propos.  i 

On  dit  à  l'occafion  de  la  conférence  d' Altembourg ,  que  Vi-       ibid.  lîv,  i 

ctorin  Strigel  y  a  aflifté ,  &  qu'on  le  regarda  comme  le'  princi-  ^^^^'  P-  ^7i-  ; 

pal  auteur  de  la  difiention.  Je  ne  fçache  pas  qu'il  s'y  foit  trouvé ,  ] 

ni  qu'il  ait  été  le  premier  mobile  de  la  défunion  dont  il  s'agit.  : 

Ce  furent  plutôt  d'autres  perfonnes  3  car  Strigel  s'étoit  retiré  ; 

Xxiij  i 


'5  5-0        PIECES    CONCERNANT   L'HISTOIRE 

depuis  long-temps  à  Heidelberg ,  où  il  mourut  le  26"  de  Juin 
en  15(55?.  Les  ades  de  cette  aiTemblée,  qui  ne  font  aucune 
mention  de  lui ,  font  une  preuve  inconteftabie  de  ce  que  j'a- 
vance ici.  J'étois  moi-même  Secrétaire  delà  conférence,  où. 
mon  père  fe  trouvoit  auffi;  &  je  n'ai  jamais  entendu  parler  de 
Strigel  comme  s'il  eût  été  préfent. 
îbû^.  Tom.  Monfieur  de  Thou  appelle  les  deux  Greffiers  de  la  conferen- 
vi.Liv.  L.  p.  ce  de  Frankendal ,  Guillaume  Xilander  &  Michel  Neander. 
Cependant  ce  dernier  eft  appelle  Martin  Neander  de  Silefie , 
dans  la  Relation  imprimée  de  cette  conférence.  Voilà  à  quoi 
fe  bornent  les  remarques  que  j'ai  faites  jufqu'à  préfent. 

Notes  â'Ofivald  Gobelkofer ,  Doâeur  en  Médecine  y  &  HiJIorla^ 
graphe  du  Duc  de  Vinemherg.  Traduites  du  Latin  fur  le 

Aîanufcrit, 

T  7*  O  I CI  le  peu  de  remarques  dont  je  fouhaiterois    que 
y      Monfieur  de  Thou  fut  informé.  Ce  n'eft:  pas  dans  le  del^ 
fein  de  l'engager  à  faire  dans  fon  Hiftoire  quelque  change- 
ment qui  l'embarafferoitjmais  plutôt  dans  la  vue  de  lui  faire 
connoître  la  vérité  des  chofes. 
Tom.  i.Ux,      Le  Duc  Ulric  eft  accufé  de  cruauté ,  &  l'on  n'explique  pas 
'*  ^*  ^^*         affez  les  caufes  de  la  guerre  entreprife  contre  lui  par  les  Prin- 
.ces  de  la  hgue  de  Souabs. 

Voici  le  fait.  En  1514.  on  fît  quelque  diminution  du  poids 
de  la  viande  &  de  la  mefuredu  vin ,  &  on  mit  d'autres  impôts 
extraordinaires,  pour  acquitter  les  grandes  dettes  occafion- 
nées  par  la  magnificence  des  prédecefieurs  d' Ulric  &  celles 
qu'il  avoit  contradées  lui-même,  pour  foutenir  avec  éclat  fa 
-Cour^  qui  étoit  la  plus  brillante  de  toute  l'Allemagne.  Les 
.feulshabitans  de  Remferthal,  car  fes  autres fu jets  portoient  allez 
patiemment  ces  nouvelles  taxes ,  protefterent ,  non  pas  même 
-tous  ,  mais  les  plus  féditieux  ,  qui  entraînèrent  le  refte  bon 
gré  malgré,  qu'ils  nepayeroient  point  cesimpofitions,  &  ilss'af- 
femblerent  en  armes  en  afiez  grand  nombre.  Pour  couper 
court  à  ces  troubles ,  on  en  ôta  la  caufe ,  &  l'affaire  fut  renvoyée 
à  la  diettc  du  pays.  Ainfi  chacun  retourna  chez  foi ,  &  les  au- 
teurs de  la  révolte  fe  fauverent  en  partie  5  &  furent  partie  prof- 
<:rits,  partie  punis  du  dernier  fupplice.  Le  calme  fe  rétablit ,  ôz 
on  ne  leva  plus  de  troupes  à  ce  fujet. 


DE   J.   A.    DE    THOU.  j5"ï 

Quelques  années  après  les  habitans  de  Reutlingen,  ville 
impériale ,  (îtuce  au  milieu  des  terres  de  ce  duché ,  ayant  laiffé 
tuer  dans  leur  ville  un  certain  grand  maître  des  forêts  du  duc 
Ulric ,  &  n'ayant  pas  voulu  permettre  qu'on  fe  faisît  des  meur- 
triers 5  ce  prince  dont  la  grande  ame  ne  pouvoir  fouBfrir  qu'on 
le  choquât  en  rien ,  partit  en  hâte  à  cette  nouvelle  de  Stugard, 
où  il  faifoit  célébrer  alors  les  obfeques  de  l'Empereur  Maxi- 
milieu  premier,  &  fe  rendit  en  diligence  à  Reutlingen  avec  la 
la  Cavalerie  qu'il  avoir  avec  lui ,  &  dont  une  grande  partie 
n'étoit  venue  que  pour  contribuer  à  la  pompe  des  obfeques.  Il 
donna  ordre  au  reile  de  le  fuivre.  Le  mauvais  temps,  les  nei- 
ges, la  rigueur  d'un  rude  hiver,  n'empêchèrent  pas  le  Duc 
d'afîiéger  la  place,  qui  fe  rendit  le  28.  Janvier  lyij?.  Il  n'en 
feroit  rien  arrivé  de  fâcheux  à  ce  Prince,  Il  après  avoir  puni  les 
habitans  de  cette  ville ,  il  l'eût  remife  dans  fon  premier  état  5. 
mais  voulant  la  retenir^  ôcparoiflant  dans  le  dellein  de  faire 
fubir  le  même  fort,  tant  aux  villes  enclavées  dans  fon  Duché ,. 
qu'à  celles  du  voifmage  5  les  Princes  &  les  villes  de  la  hgue  de 
Souabe ,  le  dépouillèrent  de  tout  ce  qu'il  poffedoit  en  deçà  da 
Rhin,  environ  vers  la  fin  du  mois  de  May.  Mais  y  étant  retour- 
né au  mois  de  Septembre,  à  la  tête  d'une  poignée  de  monde , 
il  rentra  dans  une  grande  partie  de  fes  Etats  ^  par  l'affedion  de 
fesfujets.  Cette  révolution  obhgealesconfederezàlever  des 
troupes  pour  le  chafler  une  féconde  fois,  avant  qu'il  pût  s'affer- 
mir davantage  dans  fes  Etats.  Mais  d'tm  autre  côté,  craignant , 
11  celaarrivoit  fouvent,  d'être  obligez  à  des  frais  immenfes ,  & 
fans  fruit ,  ils  trouvèrent  moyen  de  vendre  à  l'Empereur  Char- 
les V.  leurs  conquêtes  fur  le  Duc  Ulric,  qu'ils  prétendoient 
leur  appartenir  par  le  droit  de  la  guerre.  Le  prix  de  cette  vente 
devoit  les  indemnifer  des  frais  qu'ils  avoient  faits.  L'Empereur 
dans  le  partage  qu'il  fit  avec  l'Archiduc  Ferdinand  fon  frère 
des  Provinces  héréditaires  ,  lui  céda  les  droits  qu'il  croyoit 
avoir  fur  les  Etats  du  Duc  Ulric.  Ce  fut  par  cette  raifon  que  pen- 
dant les  quinze  ansd'éxil  de  ce  Prince,  les  Etats,  dont  il  avoit 
été  dépouillé ,  furent  gouvernez  au  nom  de  l'Empereur ,  &  de 
l'Archiduc  Ferdinand  fon  frère.  Telle  eft  l'origine  des  droits, 
prétendus  par  les  Princes  de  la  maifon  d'Autriche  fur  ce  Du- 
ché ,  jufqu'à  ce  qu'Ulric  après  la  défaite  des  Princes  confederez. 
à  Smalcald ,  ayant  été  abandonné  en  Souabe  par  fes  alliez ,  fut 


3^2       PIECES  CONCERNANT  L'HISTOIRE 

contraint  d'accepter  les  conditions  qu'il  plut  à  l'Empereur  dé 
lui  impofer.  Les  Princes  Chriftophe  fon  fils  ^  &  Louis  fon  petit 
fils ,  s'affranchirent  de  la  plupart  de  ces  conditions ,  au  moyen 
de  grandes  fommes  d'argent  qu'ils  payèrent.  Il  en  fubfifla 
cependant  encore  quelqu'unes ,  jufqu'au  temps  du  Duc  Fré- 
déric, qui  plaida  lui-même  fa  caufe  en  iyp4.  à  la  diette  de 
Ratisbonne  j  en  préfence  de  l'Empereur  ,  des  Eledeurs ,  ôc 
autres  Princes ,  &  refufa  même  de  faire  hommage  à  la  maifon 
d'Autriche,  pour  ces  prétendus  droits  ,  comme  les fuccelleurs 
d'Ulric  l'avoient  fait.  Ses  raifons  furent ,  qu'il  ne  fuccedoit  pas 
à  ce  Duché  en  qualité  d'héritier  du  dernier  Duc  Louis  5  mais 
de  fon  chef,  fuivant  les  régies  étabhes  par  fes  ancêtres,  étant 
fils  de  George  frère  d'Ulric.  Enfin,  par  l'intervention  des  Ele- 
illeurs,  des  Princes  &  du  confentement  de  la  maifon  d'Autri- 
che, il  racheta  quatre  cens  mille  florins  la  redevance  que  cette 
maifon  prétendoit,  &  rendit  fes  Etats,  &  fa  maifon  à  leur  an- 
cienne liberté.  Les  deux  frères  de  la  maifon  de  Bavière  ,  loin 
d'aider  le  Duc  Ulric  à  rentrer  dans  fes  biens ,  comme  l'Auteur 
le  dit  au  même  endroit ,  furent  au  contraire  ,  &  fur-tout  Guil- 
laume l'aîné ,  fes  plus  grands  ennemis.  Louis  le  cadet  fut  le 
moins  animé  contre  fon  allié  :  Guillaume  qui  fut  le  chef  de  la 
ligue  de  Souabe.étoit  fi  acharné  contre  Ulric  qu'il  n'oublia  rien 
pour  le  faire  chailer  de  fes  états  j  ôc  pour  lui  en  fermer  à  jamais 
l'entrée  par  voie  de  reftitution. 
Tom.  I.  Liv.  Le  Duc  cf  A Ibe  mit  au  pliage  les  vilks  de  Bertazv  Ô"  de  ïF'e- 
ïv. p. n6.  àing.  Il  falloit  dire,,  le  Duc  d'Albe  s'empara  de  Marpach  fur 
le  Necker ,  &  de  Waiblingen  fur  le  Remz.  Il  força  cette  der- 
nière place  i  oii  il  exerça  des  cruautez  inoùies  ,  fans  diftinc- 
tion  d'âge  ni  de  fexe.  Ce  fut  par  la  trahifon  de  Léonard  Schla- 
her  Gouverneur  de  cette  place ,  qui  ayant  ouvert  fes  por- 
tes aux  Efpagnols,  s'enfuit,  &  n'ofa  jamais  remettre  le  pied 
dans  la  ville ,  quoique  les  habitans  ignoralîent  fa  trahifon  &  ne 
s'en  doutaiïent  même  pas. 

Dans  le  même  endroit  il  eft  parlé  de  Kirchen  fur  le  Nec- 
ker. Il  y  a  deux  villes  de  ce  nom  j  l'une  au-deflbus  du  châ- 
teau des  anciens  Ducs  de  Theck,  dont  ils  prenoient  leur 
nom.  Cette  ville  s'appelle  Kirchen-under-Theck.  Le  peuple  l'ap- 
pelle par  corruption  Kirchen-an-der-Elck ,  parce  que  la  monta- 
gne où  étoit  bâti  le  château  de  Theck ,  dont  il  ne  refte  plus 

<iue 


DE  J.  A.  DE  THOU.  3^3 

que  les  ruines  ^  s'avance  comme  un  promontoire.  L'autre 
ville  de  même  nom  eft  aiini  fitaée  furie  Necker,  d'où  elle 
'.a  pris  le  nom  de  Kirchen-am-N^ecker  ;  mais  elle  n'eft  nullement 
fortifiée ,  &  ne  refiemble  pas  mcme  à  une  ville. 

Le  reil:e  des  notes  ne  regarde  que  quelques  noms  propres 
-étrangers  que  Monfieur  de  Thou  n'avoir  pas  bien  pris.  L'au- 
teur de  ces  remarques  lui  offre  tous  les  fecours  qui  dépen- 
dent de  lui,  pour  l'empêcher  de  tomber  dans  la  fuite  dans 
de  femblables  méprifes. 

Remarques  que  Gafpar  Laurent ,  Profejjeur  à  Genève  j  envoya 
en  1 6 1 3 .  à  Jacques-Augujle  de  Thou  )  er  qui  demeurèrent ,  oit 
furent  perdues  en  chemin.  Traduites  du,   Latin  fur  le  Ma- 
nufcrit. 

O  T  R  E  dignité  ,  Monfieur  y  les  fervices  que  vous  avez 
rendus  à  la  République  des  Lettres ,  &  à  votre  Patrie  t 
cette  Hiiloire  (  monument  illuftre  des  évenemens  de  notre 
fiecle,  dont  l'utilité  fe  répandra  fur  l'avenir,  &  dans  tous  les 
pais  )  font  aux  gens  de  lettres  un  puiilant  motif  de  célébrer 
votre  nom.  J'unis  ma  voix  à  la  leur  ,  pour  vous  offrir  du  moins 
mes  devoirs  &  mes  très-humbles  refpeds.  Recevez  donc  avec 
bonté  ces  remarques  que  j'ai  faites  fur  voftre  Hiftoire,  qui 
doit  faire  l'admiration  de  tous  les  fiecles.  On  ne  peut  pas  digne- 
ment exprimer  l'éloge  qu'elle  mérite.  Quel  travail ,  &  que 
de  recherches  immenfes  ne  vous  a-t-il  pas  fallu  faire  pour  y 
parvenir  !  Il  y  a  cependant  des  chofes  fur  lefquelles  je  me  fuis 
cru  obligé  de  vous  faire  faire  des  obfervations.  Il  n'eft  pas 
pollible  de  ne  broncher  jamais ,  quelque  foin  qu'on  y  apporte, 
iorfqu'on  entreprend  de  rapporter  les  faits  dans  un  certain 
détail.  Je  ne  parlerai  que  des  chofes,  dont  j'ai  été ,  pour  ain- 
fidire,  témoin  oculaire.  Je  fuis  perfuadé  qu'elles  méritent 
votre  attention. 

Dans  la  narration  de  ce  qui  fe  paffa  à  Cifteron  &  dans  la  Tom.  n%Lîr. 
Provence,  il  eft  parié  de  Soreze  &  de  Cipierre  ,^  comme  de  xxxi.p.  30p. 
deux  perfonnes.  Cependant  ce  Cipierre  qui  favorifoit  les  Pro- 
.-teflans  en  i^()2.  eftce  même  Soreze  que  j'ai  vu  très -fou- 
vent  à  Ciileron.  Il  ^toit  fils  du  Comte  de  Tende ,  Gouverneur 
de  Provence.  Après  la  mort  de  fon  père  il  prit  le  nom  de  Ci- 
pierre.  Ilavoit  un  frère  d'un  premier  lit,  appelle  le  Comte  de 
Tome  XK  Y  y 


5^4  PIECES  CONCERNANT  L'HISTOIRE 

Sommcnve  ,  qui  fut  Comte  de  Tende  après  fon  père,  &  le 
dernier  de  fa  maifon.  Le  cadet  nommé  tantôt  Soreze ,  tantôt 
Cipierre ,  fuivit  ouvertement  le  parti  &  la  Religion  des  Pro- 
tertans.  (  Le  Cipierre  qui  fut  Gouverneur  de  Charles  IX.  né- 
roit  pas  de  cette  famille  ,  qui  eft  originaire  du  duché  de  Bour- 
gogne, )  Il  défendit  dans  la  fuite  en  15  «57.  la  ville  de  Cifte- 
ron ,  plus  heureufement  que  d'autres  ne  l'avoient  fait  en  1 5"  61. 
Enfin ,  il  fut  indignement  maflacré  à  la  faveur  de  cette  famcu- 
fe  paix  de  iy6'8.  Sa  mort  eft  rapportée  au  quarante-deuxième 
livre  de  vôtre  Hiftoire. 

En  1 5" (Î2. Claude,  Comte  de  Tende ,  Gouverneur  de  Pro- 
vence, fuyant  les  armes  de  Sommerive  fon  fils,  pafTa  la  Duran- 
ce  pour  ne  pas  tomber  entre  les  mains  du  Comte  de  Carces , 
de  Flaflan  &  de  Ventabren.  Il  vint  àManofque  ,  d'où  il  fe  re- 
tira à  Cifteron  avec  fa  femme,  &  leur  fils  nommé  alors  So- 
reze. Ils  étoient  accompagnez  du  célèbre  Cardet,  des  Barons 
de  Cenas  &  du  Bar ,  de  Maligé  frère  de  ce  dernier ,  de  Mou- 
vans  &  d'Efpinoufe  ,  gentilhomme  de  la  première  noblelfe. 
Tous  ces  Seigneurs  étoient  de  la  Religion  reformée.  Je  les 
ai  vus  à  Cifteron  afllfter  au  Prêche  dans  les  mois  d'Avril  &  de 
Mai.  J'ai  même  été ,  n'étant  encore  qu'enfant ,  dans  la  com- 
pagnie de  ceux  qui  vinrent  de  Manofque  à  Cifteron ,  hom- 
mes ,  femmes  &  gens  de  toutes  conditions ,  conduits  par  la 
noblelfe  que  je  viens  de  nommer.  Ce  fut  en  1^62, 
Tom.v.Liv.  La  fituation  &  ks  noms  des  villes  de  Privas,  d'Albenas  , 
xLiv.  &c.       Je  Bais  &  de  Poufm  font  confondus.  Il  faut  donc  les  donner 

Tomevi.Liv.        1  ,.1     n 

tels  qu  ils  iont. 

Bais  eft  dans  le  Vivarez  fur  le  Rhône.  On  nomme  cette 
ville  Bais  fur  Bais,  à  caufe  de  deux  Châteaux  qui  comman- 
dent la  ville.  Le  Rhône  feul  y  pafle  ;  le  torrent  ou  ruifteau  qui 
coule  à  une  portée  de  canon,  du  côté  de  Poufin ,  fe  nomme 
Paira. 

Poufin ,  ville  fituée  fur  le  Rhône  ,  eft  éloignée  de  Bais  d'en- 
viron une  petite  heure  de  chemin.  Tout  le  païs  entre  ces  deux 
villes  eft  couvert  de  jardins. 

La  ville  de  Loriole  ,  dont  il  eft  fouvent  parlé  dans  cette 
Hiftoire ,  eft  en  Dauphiné  au-delà  du  Rhône  à  l'Orient ,  éloi- 
gnée d'un  grand  mille  de  Bais  &  de  Poufin ,  6c  feparée  du 
JRhône  par  une  plaine. 


XLVII, 


DE  J.  A.  DE  THOU.  SSS 

Priva?  ville  du  Vivarez  dans  les  montagnes  ,  difvante  de 
Bais  ,  de  PouHn ,  &  par  confequent  du  Rhône,  de  deux  heu- 
res de  chemin ,  eft  confondue  par  Monfieur  de  Thou  avec 
Smm-li  ny^s  ou  Sûn-Frivas  j  bourg  ou  château  alfez  voifin  de 
Nîmes ,  près  du  Pont  du  Gard.  La  ville  de  Privas ,  dont  il  s'a- 
git ici,  eft  éloignée  de  Nîmes  de  vingt  grands  milles. 

Albenas  eft  encore  dans  le  Vivarez.  Elle  eft  fituée  du  côté 
des  Sevennes  ou  monts  Cimmeniens ,  à  cinq  heures  de  che- 
min de  Privas ,  &  à  fept  du  Rhône.  La  fidélité  de  FHiftoire 
&  lesévenemens  remarquables  arrivez  en  ces  quartiers,  de- 
mandent qu'on  étabUfle  d'une  manière  nette  ôc  précife  la  po- 
li tion  de  ces"  ditferens  lieux. 

Les  affaires  importantes  qui  fe  font  paffées  en  ces  mêmes 
endroits  en  i^6S.  doivent  aulfi  être  racontées  clairement  ôc 
fans  confulîon.  Je  vais  .en  faire  le  récit ,  pour  être  comparé 
avec  celui  de  Monfieur  de  Thou.  J'étois  alors  à  Privas  ,  à 
Poufin ,  ou  à  Bais.  J'écrirai  avec  la  dernière  exactitude  ce  que 
j'ai  vu  moi-même. 

Cette  année  Mouvans  &  Valavoire  s'étant  mis  à  la  tête  des 
troupes  des  Réformez  qui  étoient  en  Provence ,  &  ayant  aban- 
donné leur  maifon ,  allèrent  joindre  le  Prince  de  Condé  & 
l'Amiral  de  Coligni.  Ils  furent  les  premiers  qui  fe  rendirent 
fur  les  bords  du  Rhône ,  près  de  Bais ,  ville  de  leur  parti.  Là 
ils  conftruifirent  fur  le  rivage  ,  du  côté  du  Dauphiné ,  un 
fort ,  pour  fe  mettre  à  couvert  des  infultes  qu'ils  auroient  pu 
recevoir  des  habitans  de  cette  Province ,  au  paffage  du  Rhô* 
ne.  Ils  étoient  au  nombre  de  quinze  cens  hommes  de  pied , 
ôz  de  cent  chevaux ,  qui  ayant  traverfé  le  Rhône  ,  marchè- 
rent vers  Privas ,  &  de  là  à  Albenas.  Le  fîeur  de  Leftrange , 
gentilhomme  d'une  noblefte  diftinguée  du  Vivarez ,  orné  de 
plufieurs  belles  qualitez ,  fe  joignit  à  eux.  Il  n'eft  pas  indif- 
fèrent de  remarquer  en  paflant  qu'il  étoit  à  la  fleur  de  fonâge, 
parce  qu'on  le  donne  dans  quelques  Hiftoirespour  un  hom- 
me déjà  fur  l'âge. 

Pierre  Gourde  ,  qui  avoir  deux  mille  hommes  du  Vivarez 
dans  fon  régiment,  fe  joignit  auftlàeux.  Le  même  jour  que 
Mouvans  fortit  du  fort  qu'il  avoit  fait  conftruire  pour  paflei^ 
le  Rhône ,  le  régiment  de  Blacons ,  gentilhomme  de  très-bon- 
ne noblefte ,  ôc  celui  d' Ancons  de  Blacons  fon  allié ,  arri-* 

Yyii 


^^6       PIECES   CONCERNANT  L'HISTOIRE 

verent  de  Dauphiné ,  &  traverferent  le  fleuve  à  Bais.  Le  ré- 
giment de  Mimbel  de  Dauphiné  ,  enfuite  les  regimens  du 
Cheilar  &  de  Piégros  frère  de  ce  dernier  prirent  dans  le  forr 
la  place  des  troupes  de  Blacons.  Le  régiment  de  6ap  con- 
duit par  Orofe ,  y  vint  entuite  :  Lcfdiguieres  étoit  alors  cor- 
nette d'Orofe  dans  ce  régiment. 

Toutes  ces  troupes  étant  paflees  les  jours  fuivans  ,  Mont- 
brun  arriva  le  dernier  à  Bais  avec  fon  régiment  compofé  de 
deux  mille  hommes  de  pied ,  aufquels  te  joignirent  encore 
fept  cens  hommes  de  la  Principauté  d'Orange.  Ces  troupes 
qui  fe  montoient  à  dix-huit  mille  hommes  fe  rendirent  du 
Vivarez  par  les  Sevenes  à  Mirialde ,  où  ils  joignirent  les  trou- 
pes de  Languedoc  ,  qui  ayant  abandonné  leurs  familles  ,  6c 
leur  patrie,  paflerent  en  Guyenne. 
Tom.  V.  Liv.       La  dv'faite  de  Poncenac  n'eil  pas.  rapportée  fidèlement? 
xLii.  p.  3§3^.  elle  n'arriva  pas  (ïirement  dans  le  Forés  5  car  Cefar  place  ce 
pays  entre  le  Rhône  &  la  Saône  ,  &  cette  affaire  fe  paHa 
au-delà  de  la  Loire  près  de  la  Ville  de  Tliiers  ,  &  prés  de 
Croprere  en  Auvergne. 
Tom.  VI.  Liv.       Je  dirai ,  fans  héfiter ,  que  le  récit  de  ce  que  firent  Mont- 
jcLvii.  p.  33     brun  ^  &  les  troupes  de  Dauphiné  après  la  bataille  de  Mon^ 
contour ,  lorfqu'ils  furent  retournez  dans  le  Languedoc  ,  de 
le  Vivarez  ,  efl:  tout-à-fait  confus.  J'érois  à  Privas,  lorfque 
Montbrun  y  arriva  au  commencement  de  i  J70.  Il  avoit  avec 
lui  la  meilleure  nobleiTe  de  Dauphiné ,  tous  gens  à  cheval  ;  c'é- 
toient  les  fieurs  de  Mirabel ,  Lefdiguieres  alors  âgé  de  vingt- 
huit  à  trente  ans,  Cugy ,  Quintel,  Pantaife,  &  Piégros ,  d'autres 
Gentillîommes  de  Gap ,  &  Gouverner ,  &  du  Pouet ,  qui  s' arrê- 
tèrent à  Poufin  avec  Montbrun.  Le  refte  demeura  à  Privas  ^ 
en  attendant  qu'ils  pufient  repafler  le  Rhône  ,  &  que  le  grand 
froid  fût  adouci.  Pendant  leur  féjour  à  Poufin  ,  ils  bâtirent 
à  l'oppofite  du  Dauphiné ,  pour  aflurer  le  pafîage  du  fleuve , 
un  fort  femblable  à  celui  ,  que  Mouvans  avoit  élevé  deux  ans 
auparavant  à  l'oppofite  de  Bais.  Saint  Ange  en  fut  le  premier 
Gouverneur  ,  &  enfuite  Pipet  de  la  famille  du  Chevalier 
Bayard.  L'un  ôc  l'autre  furent  tuez  dans  cette  forterefle  en 
ia  défendant. 

Monfieur  de  Thou  confond  le  nom  de  du  Pouet  avec  un 
autre  nom  à  peu  près  femblable.  Du  Pouet  étoit  de  Dauphi- 


DE    J.    A.   DE    T  HO  U,  s^r 

né'yil  fut  tué  en  duel  par  Gouvemet  ,  qui  avoit  été  autre- 
fois fon  ami  intime.  Poyet  dont  il  eft  parlé  dans  cet  endroit 
de  l'Hiiloire ,  n'étoit  pas  de  Dauphiné ,  encore  moins  de  Sa- 
voye  5  mais  il  étoit  du  haut  Vivarez  ,  où  il  avoit  été  quelque 
temps  Gouverneur  d'Albenas.  C'étoit  un  vieil  officier  que 
Dandelot  aimoit  beaucoup  :  je  les  ai  vus  l'un  &  l'autre  à  Privas, 
ou  à  Poufin. 

C'eft  à  tort  que  Monfieur  de  Tliou  appelle  AUobroges ,  ou 
Savoyards  Montbrun ,  &  la  noblelle  de  Dauphiné  ;  l'on  n'i- 
gnore pas  que  les  peuples-que  Cefar  appelle  AUobroges ,  ha- 
bitoient  le  pays  qui  eft  entre  le  lac  de  Genève  ,  &  la  rivière" 
d'ifere ,  entre  les  Alpes  &  le  Rhône  :  ceux  du  bas  Dauphiné  , 
d'où  étoit  Moutbiim  doivent  donc  être  plutôt  regardez ,  com- 
me faifànt  partie  des  peuples  renfermez  dans  l'étendue  de  la;  ' 
Provence  j  telle  qu'elle  étoit  du  temps  des  Romains. 

Pont  Gentilhomme  de  Bais  a  été  Gouverneur  de  la  vilU' 
du  Saint  Efprit,  qui  tenoit  pour  les  Proteftans  en  156^2.  Il 
flittuéen  i5'6"7.  aullege  d'une  petite  place  appellée  la  Cha- 
pelle dans  le  haut  Vivarez  5  l'on  frère  appelle  Ollier  fut  Gou- 
verneur  de  Bais  pour  Henri  IV.  &  parvint  à  une  extrême  viel- 
ielTe.  Ces  noms  font  confondus  dans  l'Hiftoire  de  M.  de  Thou, 

En  iy7o.(  ce  qu'il  ne  faut  pas  omettre  dans  le  récit  q(^s 
cvenemens  de  ce  temps-là  )  Montbrun  vint  à  Nifmes  après 
la  bataille  de  Montcontour  ;  enfuite  la  ville  de  Nifmes  ayant: 
été  prife,  il  alla  à  Albenas ,  à  Privas ,  &  à  Pouîm  ,  fit  paf- 
fer  le  Rhône  à  fes  troupes  y  battit  de  Gordes  dans  la  plaine  , 
à  l'oppofite  de  Poufin  ,  mais  il  ne  fe  rendit  pas  maître  ds 
Loriole  5  &  ayant  été  blefle  à  la  jambe  ,  il  fut  rapporté  à  Pou- 
fin.  Saint  Romain  ayant  pris  la  conduite  des  troupes  en  Dau- 
phiné ,  les  mena  dans  les  montagnes  5  il  fortifia  Granes  petite 
ville  à  un  mille  de  Loriole.  Valavoire  qui  commandoit  dans 
cette  place  foutint  un  rude  fiege  contre  de  Gordes  Gouver- 
neur de  la  Province ,  &  le  repoufTa.  On  ne  trouve  dans  les 
Hiftoriens  aucune  trace  de  ce  fiege ,  cependant  fî  mémorable. 
De  Gordes  affiégeant  le  fort  bâti  à  l'oppofite  de  Poulin  ,  avok 
fait  avancer  quatre  frégates  j  qui  refterent  en  prefence  ,  juf^ 
qu'à  l'arrivée  du  Comte  Louis  de  Naffau  avec  fon  frère  le 
Prince  Henri  fon  cadet.  Le  Comte  menoit  l'avant-garde  dô 
l'armée  des  Princes  j  c'eil-à~dire  du  Roi  de  Navarre  ,.&  du 

Y  y  iij  . 


'5^8  PIECES  CONCERNANT  L'HISTOIRE 
Prince  de  Condé  5  il  vint  de  Nifmes  à  Aibenas  avec  environ 
fept  cens  chevaux.  Il  amena  de  cette  dernière  place  deux 
canons  qu'il  fit  conduire  difficilement  par  des  chemins  efcar- . 
pez  à  Privas ,  &  à  Poulln.  A  la  première  décharge ,  il  y  eut 
une  frégate  de  fracaiiee  ,  les  autres  levèrent  l'ancre  ,  &  fc 
laiilerent  aller  au  fil  de  l'eau:  le  Comte  de  Naffau  s'étant 
avancé  avec  fon  infanterie  compofée  la  plus  grande  partie 
de  foldats  du  Vivarez  commandez  par  Collante  ,  dont  la  fille 
unique  époufa  dans  la  fuite  le  brave ,  &  fameux  Chambard , 
s'empara  de  la  ville  de  Loriole  avec  fes  cornettes  Alleman- 
des ,  &  s'approcha  de  Montelimart ,  pour  en  faire  le  fiege. 
Il  ne  réufilt  pas  dans  cette  dernière  entreprife  à  caufe  de  la 
mort  de  Collante  ,  qui  fut  tué  par  Beaufort  Gentilhomme  de 
Dauphiné ,  à  l'occafion  d'ime  querelle  au  fujet  de  leur  grade. 

Sur  ces  entrefaites  le  Roi  de  Navarre  ,  &  le  Prince  de 
Condé  quittèrent  Nifiiies  j  pour  aller  à  Privas  ,  où  ils  s'ar- 
rêtèrent pendant  quinze  jours.  Ils  étoient  fortis  d' Aibenas, 
iorfque  j'eus  l'honneur  de  les  voir  5  ils  avoient  avec  eux  Wol- 
rade  Comte  de  Mansfeld  ,  le  vieux  Genlis  ,  &  le  Vicomte 
de  Bonneguiie  ,  quelques  cornettes  de  Cavalerie  ,  leurs  com- 
pagnies des  Gardes  ,  &  d'autres  Gentilshommes  de  la  premiè- 
re diftindion.  L'Amiral  &  le  Comte  de  Montgommeri  étant 
de  leur  coté  partis  de  Nifmes ,  prirent  fur  la  droite  du  che- 
min qui  conduit  au  Rhône ,  &  fe  rendirent  à  Bais  &  à  Poufin. 
L'infanterie  étoit  commandée  par  Rovere  ,  par  Daillan ,  de 
Piles ,  &  autres.  L'Amiral  fe  retira  à  Volte ,  ville  avec  une 
citadelle  qui  appartient  au  Comte  de  Ventadour  ,  &  éloignée 
d'une  heure  de  chemin  de  Pounn  ,  en  tirant  vers  Lyon.  Il 
y  fut  malade  pendant  douze  ou  quinze  jours  :  fa  fanté  étant 
rétablie ,  le  Prince  de  Condé ,  &  le  Roi  de  Navarre  fe  joi- 
gnirent à  lui. 

Le  Comte  de  Naffau  quitta  le  Dauphiné ,  pafla  le  Rhône 
une  féconde  fois,  &  joignit  les  Princes  &  l'Amiral  à  faint 
Btienne  en  Forés ,  d'où  ils  entrèrent  dans  la  Bourgogne.  Après 
leur  départ,  de  Gordes  mit  le  fiege  devant  Loriole,  où  com- 
mandoit  MirabelGentilhomme  de  Dauphiné.  Celui-ci  fit  une 
vigoureufe  réfiflance ,  &  repouila  trois  ou  quatre  aflauts  mal- 
gré la  largeur  des  brèches,  que  l'artillerie  avoit  faites.  La 
paix  qui  furvi^t  fit  lever  le  fiege. 


DE  J.  A.  DE  THOU,                       3S9  , 

Il  eft  fait  mention  d'un  linode  tenu  à  la  Rochelle  en  1 5  7 1 .  Tom.  vi.  Liv.  ^ 

On  afluie  que  Beze  n'y  a  pas  airifté  ;  cependant  il  y  prcfi-  ^'  ^^^'  ^^^'  \ 

doit ,  comme  on  peut  le  voir  par  les  ades  de  cette  alîem-  j 

blée ,  &  par  le  livre  des  confelîlons.  Dans  un  endroit  de  fon  ; 

Hiftoire  Monfieur  de  Thou  nous  donne  Macardus  pour  le  1 

premier  Miniftre  des  Réformez  à  Paris.  Il  y  a  eu  d'autres  mi-  1 

niilres  dans  cette  ville  avant  i  ^  5;  3 .  c'eft-à-dire ,  dans  le  temps  j 

de  la  perfecution  ,  ôc  c^eft  fans  doute  ce  qui  a  empêché  que  ] 
Monfieur  de  Thou  ii^en  ait  eu  une  pleine  connoilTance. 

J'avois  écris  ces  notes  de  ma  main  avec  une  lettre  pour  1 
Monfieur  de  Thou  5  j'ai  appris  depuis  la  mort  de  ce  grand 

homme  ^  &  que  le  paquet  avoit  été  perdu  en  chemin.  j 

I 

■   /, 

Remarques  d'un  Anonyme.  Traduites  du  Latin  fur  le  Manufcrit, 

IL  s'asfit  de  l'Archevêque  de  Colosjne ,  cité  à  Rome   &  ^         ^  ' 

de  ce  même  Archevêque  excommunie  par  le  Pape.  Il  eft  n.  pag.  i>^.  & 
bon  defçavoirque  l'an  15*45'.  le  Chapitre  de  Cologne  écrivit  ^s.  .: 

à  rUnivedîté  de  Paris,  pour  le  prier  d'intervenir  dans  fon  ap- 
pel au  fouverain  Pontife  contre  ce  Prélat,  qui  vouloir  refor- 
mer fon  diocéfe ,  &  introduire  de  nouveaux  ufages  contraires  i 
aux  règles  de  l'Eghfe.  L'Univerfité  jugea  qu'elle  ne  devoit                                   | 
faire  aucune  démarche ,  fans  avoir  confulté  le  Seigneur  Roi,                                   i 
qui  ordonna  à  l'Univerfité  de  répondre  au  Chapitre  de  Co-  \ 
logne ,  qu'elle  fe  réjoùiQbit  du  zèle  que  les  Chanoines  fai- 
foient  paroître  contre  les  ennemis  de  la  foi  Catholique  ••>  mais 
qu  elle  ne  pouvoit  intervenir ,  ni  prendre  fait  &  canfe  ,  dans 
une  affaire  qui  ne  concernoit  point  les  fujets  du  Royaume. 

S/eïdanpaJJa  prefque  toute  fa  jeuneffe  en  France  ,   attaché  à  ■ 

la  maifon  des  Seigneurs  du  Bel/ai  j  &c.  On  peut  ajouter.  Sleïdan  "^o'»-  iJi-î-îv. 
tant  qu'il  vécut,  jouit  d'une  penfion honnête,  queleCardi-  ''^^^*  ^■*'^' 
nal  du  Bellai  lui  faifoit  payer. 


le  Manufcrit. 


•5^0  PIECES  CONCERNANT  L'HISTOIRE 

Lntre  de  Dom  P^incent  Nogueyra  ,  Confeiller  de  Sa  Majefté 
Catholique  à  Lisbonne  j  a  Jac.  Aug,  de  Thou.  (  i  ) 

Tradime  de  'C^  ''■  ^^  '^'^^^^  difois  ^  Monficur  ,  qu  ayant  parcouru  ^  comme 
rEfpagnoi fui'  ^  j'ay  fait,, la  plus-part  des  Hiftoires^  je  n'en  ay  point  leu 
de  meilleure  que  la  voflre ,  ni,  à  mon  avis ,  aucune  autre 
X|ui  y  foit  égale  ,  ce  ne  feroitni  flaterie  ni  exaggeration  ; 
&  quiconque  voudra  y  regarder  avec  foin,  verra  fort  bien 
qu'elle  peut  fervir  de  modèle  ,    à  aulïi  juile  titre   que   les 
-Leçons  de  Lucien  ,  pour  toutes  celles  qui  paroîtront  à  l'a- 
venir. Je  la  loue  par  mille  raifons  ,  mais  fur-tout  pour  la 
vérité,  laquelle  ,  dépouillée  de  toutes  affedions,  vous  fui- 
vez  avec  tant  de  liberté,  que  peut-eflre  certaines  perfomies 
atteintes  de   quelque  petit  préjugé  s'en  fcandaliferont  -  el- 
ies  5  mais  la  pofterité^  en  qui  les  pallions  feront  mortes,  ou 
du  moins  éloignées ,  ne  manquera  pas  de  la  louer  félon  fon 
mérite.  Ce  que  quelques-uns  d'ici  condamnent  ,  qui  eft  , 
que  vous  ne  verfez  pas  beaucoup  du  fang  des  Sedaires,  &, 
.que  vous  donnez  des  louanges  à  leurs  vertus  lors  qu'elles 
font  éclatantes  ,  ne  mérite  point  que  l'on  s'y  arrête  î  puis 
qu  étant  Gentilhomme  Catholique  &  Religieux ,  vous  çenfu- 
rés  ailés  par  là  même  leurs  Dogmes ,  comme  en  elfe t  ils  le 
.méritent  j  mais  quant  aux  perfomies,  mieux  on  les  traite  de 
fait  &  de  parole  ,  &  plus  on  les  .difpofe  à  quitter  leurs, er- 
^reurs  pour  embraflèr  la  Foi  orthodoxe  de  la. fainte  Eglife.Ro- 
maine-nollre  Mère ,  qui  eft  la  feule  chofe  que  nous  préten- 
dons d'eux  :  un  point  lequel  fi  l'on  l'euft  bien  confulté  en 
^JEfpagne ,  Ton  n'auroit  pas  tronqué  en  vous  des  paflàges^qui 
.font  très  admiflibles.  Je  conclus  donc  ce  point  j  Monlicur, 
çn  répétant  que  je  la  tiens  pour  l'Kiftoire  la  plus  véritable 
que  les  hommes  aient  écrite.    Paifons  à  la  phrafe  &  à  la  di- 
dion  ,  qui  mérite  affeurément  ce  qui  a  été  dit-  de  celle  de 
Plante ,  car  il  n'en  peut  être  de  plus  propre ,  de  plus  pure  , 
ni  de  plus  naturelle  :  elle  elt  d'une  élégance  parfaite  fans  af- 
fedation  5  les  couleurs  y  font  des  plus  belles  dans  toutes  les 
defcriptions ,  &  elle  eft  fi  remplie  de  penfées  &;  de  fentences 

(i)  On  a  employé  l'ancienne  Traciudion  de  cette  Lettre  ,  qui  s'cfl  trouvée  parmi 
les  papiers  de  Monfieur  de  Thou, 


DE    J.    A.    DE    T  H  ou.  ^6i, 

qui  fe  prefentent  naturellement  (  chofe  que  j*admire  beau- 
coup ,  )  que  qui  en  aura  leu  une  feule  page  ,  en  tirera  plus 
d' Apopthegnies  &  de  Maximes,  qu'il  ne  lefauroit  faire  de  Sal- 
lufte  ou  de  Tacite. 

Autre  chofe  toute  nouvelle,  mais  très  convenable,  ôc 
qui  mérite  grande  louange  ;  c'eft  qu'à  la  tête  des  évenemens 
de  chaque  Royaume ,  il  ie  trouve  une  defcriprion  fort  exa- 
die  de  fes  limites ,  qualités ,  formes ,  &  changemens  de  Gou-s 
vernement  ,  fuffifante  pour  mettre  qui  la  lira  en  eftat  d'en 
pouvoir  parler  &  juger.  De  plus,  l'amour  que  vous  montrés' 
pour  les  Belles-Lettres  &  pour  ceux  qui  en  font  profeflion  ; 
mérite  de  n'eftre  pas  paffé  fous  (îlence  ,  mais  au  contraire 
d'eftre  relevé  avec  de  grands  éloges ,  tels  que  je  ferois  vo- 
lontiers ôc  avec  juftice ,  s'il  s'agiflbit  ici  d'un  Panégyrique  ; 
6c  non  d'une  Lettre  qui  n'eft  d'ailleurs  que  trop  courte ,  en 
égard  à  l'eftime  ôc  à  l'affeclion  que  j'ai  pour  vous.  Je  vous 
fupplie  avec  empredement ,  Monlîeur  ,  de  vouloir  bien  me 
reconnoître  pour  un  grand  ami  ôc  ferviteur  que  vous  vous 
êtes  acquis  par  vos  mérites ,  ôc  de  me  commander  comme 
tel  dans  tout  ce  qui  fe  préfentera  pour  vous  faire  plaifir  en 
Efpagne  ,  ôc  fur-tout  en  Portugal  ,  où  je  fais  prefentement 
mon  féjour  dans  la  ville  de  Lisbonne ,  fer  vaut  le  Roy  dans 
le  Confeil  fuprême  des  caufes  civiles  ôc  criminelles  ,  que 
l'on  appelle  Confeil  de  la  Supplication.  Et  parce  que  ,  no^ 
nobftant  la  connoiflance  que  l'on  a  de  moy  icy  ôc  ailleurs  ; 
il  fe  peut  qu'il  n'y  ait  perfonne  dans  le  pais  où  vous  êtes 
qui  vous  parle  de  moi,  je  m'en  vais  le  faire  moi-même  , 
en  combattant  ma  honte  par  la  necelfité  où  je  me  trouve 
de  faire  une  démarche  qui  eft  d'ailleurs  fî  éloignée  de  ma 
coutume.  Mes  parens  &  ayeux  ont  été  les  uns  de  Caftille  , 
les  autres  de  Portugal  où  nôtre  famille  des  Nogueyra  s'eft 
plantée.  Mon  Père,  chef  de  cette  famille  ,  fut  une  perfon- 
ne  de  grande  littérature  ôc  pieté  5  quaUtés  qui  l' élevèrent  Ôa 
l'an  iy5?8.  au  rang  de  Confeiller  au  Confeil  d'Eftat  de  Por- 
tugal ,  lequel  fe  tient  en  préfence  du  Roy ,  &  il  y  mourue 
en  1^12.  Je  naquis  en  i^S6,  Ôc  dès  l'âge  de  douze  ans  je 
pofledois  le  Latin  :  âge  auquel  le  Roy  me  prit  pour  Page  < 
qui  eft  une  marque  de  la  première  Clafle  de  Noblefle.  Les 
Hivers  je  faifois  mes  études  aux  Univeriltez  d' Alcala ,  Val^. 
TomeXK  ILz 


^^62  PIECES  CONCERNAIT  L'HTSTÔIHE 

ladolid,  &  Salamanque,  &  les  Etés  au  Palais  5  car  au  lieu  de 
me  relâchera  cet  égard  eniuivant  la  Cour,  je  m'y  avançois 
par  l'accès  familier  que  les  grands  Miniftres  m'accordoient , 
jeune  comme  j'eftois,  à  leurs  importans  entretiens,  tandis 
qu'ils  s'imaginoient  prévoir  en  moy  une  affés  grande  capa- 
cité ,  &  qu'ils  fe  fornioient  de  grandes  efperances  de  mes 
talens.  C'eftoient ,  par  exemple ,  Monfieur  le  Connétable  (  qui 
me  piocuroit  en  parent  des  honneurs  publics  ,  &  des  oc- 
cafioas  de  fervir  le  Roy ,  )  les  Comtes  de  Mirande  ,  &  de 
Chinchon ,  le  Sieur  Bernardin  de  Mendoça  ,  &  le  Duc  de 
Eeria.  Par  cette  protedion ,  quand  je  fus  parvenu  à  l'âge  de 
2.  ^  ans ,  le  Roy  me  créa  fon  Confeiîler  au  Confeil  de  la  Sup- 
pHcation  ;  charge  qui  quoyque  très  grande ,  &  dans  laquelle 
on  n'avoit  veu  entrer  perfonne  au  deflbus  de  50  ans,  que 
je  n'ay  pas  encore ,  m'a  détourné  de  la  pourfuite  des  avan- 
ce mens  &  des  poftes  fort  avantageux,  que  j'eufle  fans  doute 
obtenus,  (î  je  ne  me  fade  adonné  à  ces  Emplois  Littéraires, 
que  même  les  plus  vieilles  gens  occupent.  Après  la  Phiïo- 
fophie,  je  pris  mes  Degrés  en  Droit  Canon  &  Coùtumier , 
&  je  me  fuis  toujours  appliqué  avec  tant  de  curiofité  aux 
Humanités  ,  que  pour  apprendre  feulement  le  Grec  ,  je  fis 
venir  de  Rome  Conftanrin  Sophie  ,  Smyrnois,  Dodeur  en 
Théologie,  &  membre  du  Collège  Grec,  que  je  retins  chés 
moy  cinq  ans,  pendant  lefquels  nous  parcourûmes  avec  une 
profonde  application  la  plufpart  des  Auteurs ,  &  mcme  quel- 
ques-uns d'un  bout  à  l'antre  ;  comme  Homère  ,  Hérodote  , 
Platon  ,  Thucydide  ,  &c.  Je  poflede  l'Hébreu  comme  ma 
langue  propre  ;  les  langues  Caldéenne  &  Arabe ,  médiocre- 
ment 5  l'Italien  &  le  François,  aiîez  bien 5  l'Allemand  pas  fi 
bien.  Quant  à  l'Hiftoire ,  il  n'eft  pas  croyable  combien  j'en 
ai  leu  de  générales  &  de  particulières  j  combien  de  Chro- 
niques ,  de  Geographies ,  &c.  Je  fuis  bien  verfé  dans  toutes 
1^  parties  de  la  Mathématique,  d'où  j'ay  tiré  la  Théorie  de 
îa  Mufique  ;  mais  celle  que  je  recherche  le  plus  c'eft  l'Al- 
gèbre,  fur  laquelle  j'ay  tout  leu,  à  la  referve  des  Oeuvres 
•  de  Vieta  ,  me  fervant  d'un  très   excellent  Maître  natif  de 
Maroc,  Cour  du  Cherif,  où  il  enfeignoit  l'Algèbre   d'une 
manière  Arabe  qui  furpafle  la  nôtre.   Et  afin  de  pourfuivre 
les  Lettres  avec  plus  de  repos  ,  je  me  fis  Ecclefiaftique  , 


DE  J.  A.  DE  THOU.  ^^3 

aySnt  obtenu  afics  de  Beneiices  &  de  Penfions  pour  n'élire- 
pa5  détourné  des  études  par  le  foin  de  ma  fubfiliance.  Le 
plus  grand  défaut  que  je  trouve  en  moy ,  c'eil  de  n'avoir  pas 
voyagé  ;  mais  une  fois  que  j'auray  obtenu  le  congé  que  j'ay 
demandé  ,  vous  me  verres  ,  Monileur  ,  dans  votre  cabinet 
réfolu  d'apprendre  &  d'ouïr  cet  Oracle  de  Sagefle  ,  bien 
plus  digne  que  Tite  Live ,  qu'on  aille  d'Efpagne  pour  le  con- 
fulter.  Au  refte  je  vous  fupplie  avec  inilance  que  tout  ceci 
Ibit  pour  vous  feul  >  car  je  ferois  dans  la  dernière  confurion 
fi  l'on  fçavoit  que  j'eufle  rapporté  des  chofes  qui  me  regar- 
dent, quelque  bien  connues  qu'elles  foient.  Que  fi  la  ledure 
de  cette  Lettre  vous  devient  ennuyante ,  je  vous  prie  de  me 
îe  pardonner,  &  de  croire  que  ce  n'a  efté  que  pour  vous  mon- 
trer que  vous  avés  toutes  fortes  de  raifons  de  me  mettre  au: 
nombre  de  vos  plus  grands  amis  ,  &  que  fi  je  fuffe  né  ait> 
delà ,  comme  je  le  fuis  au  dec^à  des  Pirenées ,  j'aurois  eu  de- 
quoi  me  faire  un  nom.  Mais  je  me  contenterai  que  vous  me 
connoifliés  aflfés  pour  m'efcrire  icy  à  Lisbonne,  en  faifant  re- 
mettre voftre  Lettre  à  la  Pofte  ordinaire  fous  mon  adrefie» 
Dieu  conferve  voftre  perfonne  comme  je  îe  fouhaite. 

A  Lisbonne  ce  xxviii.  Sep- 
tembre i6i^.  DoM  Vincent  NogueVra» 

Lettre  de  Jac.  Aug.  de  Thou ,  à  Dom  Vincent  Nogueyra. 

^\/T  ^^SïEUR.  J'ai  balancé  long-temps,  pour  fçavoir  fi    -xtzMte  cTii 
^V \  je  ferois  réponfe  en  François,  que  vous  me  marquez  Latin  fur  le 
fçavoir ,  ou  en  Latin ,  à  l'obligeante  lettre  que  j'ai  reçue  de  ^^'*^""^"?'=« 
votre  part ,  il  n'y  a  pas  un  mois.  J'étois  pour  lors  à  Poitiers ,  à  la 
fuite  du  Roi  à  mon  retour  de  Bordeaux.  Il  m'étoitbien  plus  faci^ 
îe  de  vous  écrire  en  François  ;  mais  je  craignois  que,  fi  ma  lettre 
tomboit  en  d'autres  mains  que  les  vôtres,  on  ne  lui  donnât  uit 
fens  oppofé  à  celui  que  j'y  aiu'ois  exprimé  ,  &  cela  par  ignoran- 
ce de  notre  langue ,  ou  qu'un  interprète  malin  ne  l'expliquât 
de  manière  à  me  calomnier.  Ces  raifons  m'ont  déterminé  à 
vous  écrire  en  Latin.  Je  vous  remercie,  autant  qu'il  eft  en  moit 
pouvoir,  de  la  politefte  avec  laquelle  vous  m'avez  prévenu,' 
Pouvois-je  efperer  quelque  chofe  qui  me  flatât  davantage,  & 
me  fit  plus  d'honneur  que  l'amitié  que  vous  m'offrez  fi  obli- 
geamment? Aurois-je  du  m'attendre  qu'un  Efpagnol  voulue 

Z.Z  ij 


^^  PIECES  CONCERNANT  L'HISTOIRE 

non-feulement  combler  de  louanges  un  François ,  mais  encore 
l'en  accabler  ?  prefage  certain  que  l'envie  s'évanouira,  &  que  la 
pofterité  me  fera  plus  favorable  que  mon  fiécle.Vous  n'ignorez 
pas  les  jaloufies,  qui  divifent  la  France  &  l'Efpagne  depuis  plus 
de  cent  ans  :  Jaloufies  qui  ont  enfin  éclaté  par  des  guerres  fan- 
giantes  ;  mais  la  vertu  ne  fe  lailTe  préocuper ,  ni  par  la  faveiK  ni 
par  la  haine ,  &  dépouillant  toute  affedion  déréglée ,  eftime  fin- 
cerement  la  droiture  &  la  probité,  fans  avoir  égard  au  pays.  Elle 
parcourt  en  efprit  la  terre  entière ,  franchit  les  mers ,  traverfe 
les  montagnes ,  &  les  fleuves  marquez  par  la  nature  pour  fé- 
parer  des  peuples ,  ou  devenus  frontières  d'états  par  des  trai- 
tez ,  afin  de  terminer  la  guerre  entre  des  peuples  voifins.  Vous 
êtes  un  exemple  fenfible  de  cette  vérité  :  Né  dans  le  fond  du 
Portugal  ^  féparé  de  la  France  par  les  Pirenées ,  l'eftime  que 
vous  avez  pour  la  vertu ,  vous  a  faitfouhaiter  de  lier  amitié  avec 
un  François,  qui  n'eft  pas  né  dans  la  Guyenne  près  des  frontiè- 
res de  l'Efpagne,  mais  à  l'extrémité  de  la  France ,  fur  les  bords 
de  la  Seine.  Vous  n'avez  pas  dédaigné  de  le  prévenir.  Vous 
avez  même,  fans  en  être  follicité,  pris  fa  défenfe  en  Efpagne^ 
ou  il  eft  (i  vivement  attaqué  de  tous  cotez.  Je  puis  dire  qu'a- 
près avoir  échappé  à  la  malignité  de  mes  calomniateurs ,  & 
.avoir  bravé  les  efforts  d'un  nombre  infini  de  gens  fans  hon- 
neur en  France ,  &  chez  les  étrangers ,  quoique  j'eufle,  eu  la 
confolation  de  trouver  des  défenfeurs  de  mon  Hiftoire  dans 
toute  l'Europe ,  même  en  Italie  j  je  n'ofois  me  flatter  qu  elle 
pût  être  en  sûreté  dans  aucun  endroit  de  l'Efpagne.  Cependant 
vous  vous  êtes  levé  pour  ma  défenfe  au  milieu  d'une  foule 
d'ennemis.  Vous  n'êtes  point  forti  de  Pobfcurité ,  mais  du  plus 
floriffant  Royaume  des  Efpagnes.  Votre  pénétration  vous  a 
d'abord  fait  découvrir  que  l'amour  de  la  vérité  étoit  mon  pre- 
mier objet.  Délivré  des  préjugez  de  la  patrie ,  vous  avez  ap- 
plaudi à  cette  noble  liberté ,  qui  ne  connoît  ni  faveur,  ni  hai- 
ne. Vous  m'avez  fait  efperer  que  le  torrent  de  l'envie ,  qui  m'a 
prefque  emporté  ,  étant  pafie  ,  la  pofterité  me  rendroit  au 
centuple  la  juflice ,  que  le  lîécle  me  refufe.  Ces  flateufes 
efperances  de  votre  part,  vont  me  faire  porter  plus  patiem- 
ment l'ingratitude ,  dont  la  France  ma  patrie  a  payé  de  pé- 
nibles travaux,  entrepris  pour  Futilité  du  genre  humain.  Quoi , 
la  divine  bonté  a  bien  voulu  me  fuciter  un  défenfeur  en  vous 


DE    J.   A.   DE   THOtr.  36^ 

^ançTErpagne  même  !  Cette  penfée  me  confoleî  la  faveur  du 
Ciel  prévient  mes  fouhaits  par  votre  moyen.  Je  jouis  de  mon 
vivant  d'un  bien  que  je  n'ofois  me  promettre  après  ma  mort  : 
Car  les  Grands  du  Royaume  qui  ne  fçavent  pas  le  Latin  , 
trompez  par  de  malignes  interprétations,  fe  croyoient  bief- 
fez,  comme  ils  le  difoient ,  par  ma  trop  grande  liberté  ;  mais 
mieux  informez  depuis  par  des  gens  de  bien  ,  confiderant 
d'ailleurs  l'innocence  de  ma  vie  paffée ,  ils  ont  oublié  leur 
relfentiment ,  fe  font  reconciliez  d'eux-mêmes  avec  moi  , 
m'ont  donné  des  marques  particulières  d'amitié  ,  &  m'ont 
fait  entrer  dans  des  négociations  importantes.  Monfieur  le 
Duc  de  Mayenne  a  commencé  le  premier  :  Il  avoir  tant 
d'eftime  de  ma  fidélité  &  de  ma  candeur ,  qu'il  ne  fe  fai- 
foit  rien  dans  fa  maifon  qu'il  n'en  eût  communiqué  avec 
moi  par  le  moyen  de  ma  femme.  (  i  )  Le  prince  fon  fils  , 
que  vous  avez  vu  dernièrement  en  Efpagne ,  a  la' même  con- 
fiance en  moi.  Leduc  de  Guife,  chef  de  cette  illufi-re  maifon 
en  France,  a  fuivi  leur  exemple,  il  a  même  poulie  plus  loin 
la  politelle ,  qui  lui  eft  fi  naturelle.  Je  fuis  en  poilefîlon  d'en 
iifer  très-librement  à  la  Cour  avec  ce  Prince.  Il  penfe  &  parle 
fi  fort  à  mon  avantage  ,  qu'il  n'eft  pas  pofiible  qu'il  lui  foie 
refté  le  moindre  reiTentiment  de  l'offenfe  prétendue  ,  que 
mes  ennemis  lui  fuggeroient ,  qu'il  avoit  reçue  de  moi.  Je 
fçai  qu'on  me  reproche  un  trop  grand  attachement  pour  la 
Royale  maifon  de  Bourbon  :  Mais  qu'eft-ce  que  cela  ?  N'a- 
t'on  pas  accufé  Tite-Live,  cet  Hifrorien  fi  fidèle ,  d'une  péné- 
tration &  d'un  jugement  ii  grand,  d'avoir  favorifé  Pompée? 
Mais  ce  reproche  ne  lui  a  été  fait  que  parce  qu'il  y  avoit  de 
plus  vils  dans  le  parti  de  Céfar.  Ce  grand  homme  n'en  a  pas 
été  moins  eftimé  de  fon  fiécle,&  par  la pofterité.  Pourquoi, 
par  un  zélé  déplacé  de  religion,  trouve-t' on  mauvais  en  Ca- 
ftille,  àAlcala,  à  Valladolid  ôc  à  Salamanque ,  que  je  traite 
doucement  les  Sedaires .?  ce  que  vous  excufez  avec  jufte  rai- 
fon,  &  par  un  motif  tout  Chrétien,  qui  eft  de  ramener  plus 
facilement  par  les  voyes  de  la  douceur  ,  &  par  des  œuvres 
de  charité ,  ceux  qui  s'écartent  du  bon  chemin.  Outre  cela 
il  y  a  des  raifons  particulières  à  la  France  ,  qui  m'ont  im- 
pofé  la  néceflité  de  parler  avec  modération  des  Proteftans , 

(i)  Eik  étoit  de  la  maifon  de  la  Châtre ,  &  alliée  à  la  maifon  de  Lorraine. 

Zziij 


^66       PIECES  CONCERNANT  L'HISTOIRE 

&  de  ménager  les  termes  à  leur  égard ,  à  caufe  des  circoi^ 
llances  des  temps ,  &  de  la  lîtuation  de  nos  aftaires.  Je  fuis 
bien  aiîe  de  l'expliquer  à  vous ,  Monfîeur ,  &  à  tous  ceux  qui 
liront  mon  Hiftoire  ,  afin  de  faire  voir  que  j'ai  été  obligé  d'eu 
ufer  comme  j'ai  fait. 

Il  y  a  vingt  ans  que  les  Proteftans  de  France  préfenterenc 
à  contre-temps  au  Roi ,  alors  occupé  au  fiége  de  la  Fere  en 
Picardie ,  une  Requête  pour  obtenir  un  nouvel  Edit  en  leur 
faveur ,  fous  prétexte  que  les  anciens  avoient  été  révoquez , 
(  par  force  à  la  vérité ,  )  &  violez  de  tous  cotez  par  les  li- 
gueurs. Le  Roi  me  donna  des  ordres  précis  de  traiter  avec 
eux.  Je  m'en  excufai  d'abord  :  Je  priai  Sa  Majellé  de  con- 
fier à  d'autres  un  emploi  capable  de  m'attirer  des  ennemis. 
Dans  cette  commiflTion  qui  ne  regardoit  d'abord  que  moi  , 
on  m'aflbcia  le  Comte  de  Nanteuil ,  que  j'avois  accompagné 
en  Bretagne ,  pour  traiter  avec  le  Duc  de  Mercœur.  Enfin , 
je  reliai  feul  avec  Sofrede  Calignon,  après  le  départ  du  Comte 
de  Nanteuil ,  pour  arranger  les  aftaires  en  Bretagne.  J'em- 
ployai deux  ans  entiers  avec  mon  collègue  à  traiter  avec  les 
Proteftans.  L'Edit  de  Nantes ,  qui  eft  en  France  une  loi  de 
pacification ,  fut  enfin  donné  &  porté  au  Parlement  5  chaque 
article  y  fut  examiné,  difcuté  avec  grand  foin  &  comparé 
aux  Edits  précedens,  comme  je  l'avois  déjà  fait,  autant  que 
je  l'avois  pu.  Cet  examen  fe  fit  en  ma  préfence ,  afin  qu'ayant 
elFuyé  les  principales  diiïicultez  des  députez  de  la  Réforme  , 
en  travaillant  à  cet  Edit ,  j'en  procuraile  encore  l'enregiftre- 
ment  par  mon  futfrage.  Il  défend  entr'autres  chofes  en  ter- 
mes précis ,  d'ufer  en  particulier  ou  en  public ,  de  paroles 
injurieufes  à  l'égard  des  Proteftans.  Je  répondis  moi-même 
au  nom  du  Roi,  de  l'obfervation  des  articles  contenus  en 
cet  Edit:  Après  cela  aurois-je  eu  bonne  grâce  de  faire  d rai > 
un  Livre,  dont  le  froniifpice  porte  mon  nom,  ce  qu'une  loi 
d'Etat  m'interdifoit ,  dans  le  particulier,  au  bareau,  «5c  dans  le 
Confeil  d'Etat  ?  Mais  fans  conliderer  ces  motifs  ,  les  raifons 
que  vous  m'avez  apportées  m'en  ont  elles  feules  empêché  : 
Suppofé  que  j'eufte  eu  deflein  de  le  faire  ,  n'aurois-je  pas 
été  arrêté  par  celles  que  je  viens  de  vous  dire  ?  Ainfi  dans 
l'obligation  d'adoucir  les  termes ,  en  traitant  avec  eux  ,  j'ai 
du  le  faire  dans  la  fuite  en  écrivant  fur  leiur  compte ,  pour 


D  E  J.  A.  D  E  T  H  O  U.  3(Î7 

éviter  le  reproche  d'avoir  violé  îa  parole  donnée  par  le  Roi. 
Je  fçai  encore  qu'on  m'a  fait  un  crime  en  Efpagne  &  à  Ro- 
me, d'avoir  faifi  l'occafion  de  relever  les  droits  du  Royau- 
me de  France ,  qui  font  très-confiderables ,  comme  étant  la 
plus  ancienne  &  la  plus  floriflante  des  Monarchies ,  fes  im- 
munitez  ,  fes  prérogatives  &  fes  libertez.  Je  ne  doute  pas 
qu'on  ne  m'eût  traité  plus  favorablement,  fi  l'on  eût  fçu  qu'en 
écrivant  mon  Hiftoire ,  j'occupois  ime  des  premières  places 
duParlement  de  Paris,  où  ces  fortes  d'affaires  font  difcutées, 
&  que  je  f  ai  encore  occupée  long-temps  après.  Je  me  perfuade 
qu'ils  ne  pourroient  pas  s'empêcher  d'avouer  qu'il  m'étoit 
impodlble ,  fans  me  deshonorer,  &  fans  encourir  le  blâme 
d'une  prévarication  honteufe,  de  palier  fous  iilence  de  Ci  cé- 
lèbres monumens,qui  relèvent  l'éclat  du  Royaume,  ôcfont 
la  sûreté  publique.  Vous  voyez  par-là  que  je  n'ai  pu  parler  avec 
aigreur  des  Proteftans ,  &  diffimuler  par  une  faulle  pruden- 
ce ,  nos  libertez  &  nos  droits.  A  l'égard  de  ce  que  vous 
dites  de  mon  amour  pour  la  vérité  &  delà  hberté ,  dont  je 
fais  profeffion  ;  je  reconnois  votre  candeur.  Comme  j'ai  tou- 
jours prié  Dieu  de  les  mettre  dans  mon  cœur,  l'éloge  que 
vous  leur  donnez  n'a  pu  que  me  faire  beaucoup  de  plaifir  ; 
mais  les  louanges  que  vous  donnez  au  ftile ,  aux  maximes  ? 
ce  que  vous  dites  des  ornemens,  &  des  Heurs  du  difcours^ 
font  un  effet  de  votre  politeffe  à  mon  égard ,  &  non  de  cet 
amour  de  la  vérité ,  que  vous  poiTedcz  au  fuprême  degré. 
C'eft  à  vous  de  prendre  garde ,  que  votre  aftediôn  pour  moi 
ne  vous  fafle  illulion,  &  ne  fafte  tort  au  jugement  que  vous 
avez  porté  fur  mon  amour  pour  la  vérité  &  la  noble  liberté , 
dont  vous  me  louez.  Je  profelTe  de  bonne-foi ,  &  fans  often- 
tation,  la  Religion  de  mes  ancêtres:  Je  ne  m'enfuis  jamais 
départi  :  J'ai  appris  de  mon  père,  qui  a  long-temps  été  à  la 
tête  du  Parlement  ,  à  être  véridique.  J'ai  cru  qu'il  valoit 
mieux  être  modefle,  &  paffer  pour  fimple ,  que  de  recher- 
cher la  réputation  d'être  éloquent  6c  d'avoir  de  Pefprit ,  ou 
du  fçavoir.  D'ailleurs  ,  je  n'ai  pas  eu  le  temps  d'acquérir 
toutes  les  connoiffances  que  vous  voulez  bien  m'attribuer. 
Ma  jeunelTe  s'eft  paffée  à  voyager,  &  dans  le  Bareau  :  Dans 
un  âge  plus  mûr ,  des  négociations  m'ont  occupé.  Enfin ,  pen- 
dant les  troubles  de  France,  toujours  dans  le  Camp  du  Roi 


^6^         PIECES  CONCERNANT  L'HISTOÏRÊ 

&  à  fa  fuite ,  j'ai  blanchi  fous  des  tentes ,  &  dans  le  tumulte 
des  armes.  A  peine  avois-je  donné  quelque-temps  à  l'étude 
dans  ma  première  jeunefle ,  qu'il  fallut  débrouiller  des  affai- 
res épineufes ,  &  que  des  occupations  fâcheufes  emportèrent 
tout  mon  temps.  Il  ne  m'eft  donc  refté  qu'une  tegere  tein- 
ture des  lettres  5  mais  aufli  j'ai  conçu  pour  elles  ,   &  pour 
ceux  qui  les  cultivent ,  un  amour  inexprimable.  Voilà  la  four- 
ce  de  ces  éloges  ,  que  vous  trouvez  à  la  fin  de  chaque  an- 
née dans  mon  Hiftoire.  Je  prendrai  de-là  occafion  de  met- 
tre votre  amitié  à  l'épreuve  :  Je  vous  demande  donc  en  grâ- 
ce ,  Monfieur  ,  de  m'écrire  à  votre  loifir ,  le  jour  que  font 
morts  Jean  de  Barros,  qui  a  écrit  l'Hilloire  des  Indes,  le  célè- 
bre Mathématicien  Pierre  Nonius ,  le  fameux  Médecin  Ama- 
tus,  Pierre  Stella  Francifcain ,  N —  d'Alcantara :  Envoyez-moi 
aufTi  tous  les  éloges  que  vous  pourrez  trouver  des  autres 
écrivains  Efpagnols  î  car  je  ne  fçai  fi  ce  que  j'ai  écrit  de 
Barros  &  de  Nonius  eft  bien  certain.    Si  j'ai  dit  la  vérité  , 
je  ferai  ravi  d'en  être  affuré  par  votre  moyen.  Vous  voyez 
que  j'en  agis  bien  librement  avec  vous  :  Aufli  eft-ce  vous 
qui  m'y  engagez  par  vos  offres  obligeantes.  Attendez-vous 
à  me  voir  devenir  auffi  importun  à  votre  égard ,_  que  vous 
çtes  poli  au  mien.  Je  finis  en  priant  la  divine  bonté  de  vous 
çonferver  en  fanté  pour  les  vôtres  &  pour  moi.  Adieu  , 
Monfieur ,  çonfervez-moi  l'amitié  dont  vous  ne  m'avez  pas 
jugé  indigne.  De  Loudun ,  dans  l'affemblée  où  j'ai  été  envoyé 
par  Sa  M^jefté  ,  avec  Meflieurs  de  Briffac  &  de  Villeroy^ 
pour  appaifer  les  troubles  de  France.  I^e  2p  de  Février  de  l'an-., 
née  Biffextile  1616, 

Lenre  de  Dom  Louis  Lobo  de  Silveis  à  Jac.Aug.  de  Thon,  (i) 
T    'V    3     Tl.    Monsieur.  Encore  que  vous  n'ayez  aucune   con- 

TraauUe  on      I».   /g  ,     ,        .  r       i  • 

Portugais  fur    \y  J^  noiffancc  de  moy ,  delu'e-je  que  vous  Içacniez  que  je 
rcManufcrit.   ^^  j^j^-^  p^^  d'etke  voftre  très  affeuré  &  vray  ferviteur,  &  en- 
tièrement defireux  qu'il  fe  montre  quelque  occafion  de  vous 
pouvoir  telmojgner  ma  bonne  volonté  ;  &  bien  que  ce  foit 
de  ioing,  cela  fe  peut  toutesfois  afiez  fouvent  rencontrer. 

fi)  Ons'cftfervî  de  l'ancienne  tradudion  qui  s'cft  trouvée  enu-e  ks  Manufcrits  d<3 
Mejiik'UtdeThûii. 


DE  J.  A.  DE  THOU.  ^         5,^p. 

J'ay  toujours  été  particulièrement  affedionné  envers  la  Cou- 
ronne de  France  ,  voire  que  tant  bien  que  je  n'aye  jamais  été 
encepaïs-là,  je  n'ay  pas  laifle  de  rechercher  curieufement 
&  avec  beaucoup  de  travail  les  livres  efcrits  de  delà,  &  de 
les  ramaflerj  outre  la  pratique  &  conférence  que  j'ay  eue  avec  * 

les  François  au  temps  que  j'cftois  en  la  cour  d'Efpagne.  Sur 
quoy  je  me  fuis  mis  à  écrire  l'Hiftoire  générale  de  ce  Royau- 
me-là ,  depuis  la  mort  de  Henry  IL  de  glorieufe  mémoire  ,  juf- 
qu'au  dernier  Edit  de  la  paix  que  le  Roy  Henry  IV.  que  Dieu, 
abfolve ,  fit  à  Rouen ,  par  lequel  fe  finirent  &  achevèrent  tou- 
tes les  guerres  civiles  de  fes  Etats ,  qui  y  avoient  duré  par  qua-  . 
rante  ans  entières ,  comme  cette  paix  a  duré  tour  le  temps  que  j 
ledit  Roy  a  vefcu.  Or  eftantfur  le  point  de  faire  imprimer  ces  | 
miens  efcrits,  vous  devez  entendre ,  comme  je  crois  que  vous  ! 
fçavez ,  que  c'eft  la  même  Hiftoire  que  la  voftre ,  dont  nous  | 
n'avons  veu  icy  que  ce  qui  eft  jufqu'eni'an  1^72.  avant  que                                 '    j 
fe  commençaflent  les  guerres  de  la  Ligue  ••>  &  d'autant  que                                    i 
vous  avez  écrit  en  Latin ,  qui  eft  une  Langue  dont  j'ay  bien  \ 
peu  de  connoiflance,  je  fuis  entré  en  efperance  que  ces  li-                                      i 
vres-là  fe  traduiroient  en  langue  Françoife ,  dont  j'ay  affez  d'in- 
telligence h  à  ce  que  venant  reconnoiftre  clairement  ce  que 
vous  efcrivez  de  cqs  guerres-là,  je  peufle  corriger  plufieurs                                    i 
fautes  que  parnéceiïité ,  je  pourrois  avoir  faites  en  mes  efcrits,                ^                     | 
étant  fait  de  fi  loing  &  de  chofes  dont  je  ne  pouvois  avoir  af- 
fez  de  connoiflànce.  Et  parce  que  lefdits  livres  font  défendus                                     ' 
à  Rome ,  &  que  icy  en  Caftille  &  en  Portugal  on  a  comman-  ; 
dé  de  les  corriger ,  je  ne  m'en  fuis  pas  voulu  ayder  5  mais  fça-                                     ] 
chant  qu'ils  eftoient  traduits  en  François,  j'ay  pris  la  hardiefte>                                      ] 
pour  le  plus  feur ,  de  vous  prier  par  cette  Lettre ,  de  me  vou-  ■ 
loir  faire  tant  de  bien  &  de  faveur  que  de  me  les  envoyer  en                                      ^ 
efchange  de  ceux  que  vous  defirerez  de  deçà  :  comme  par-                                      i 
ticulierement  ,   je  m'offre  à  vous  envoyer  les  Décades  de  : 
Jean  de  Barros  traduites  en  Italien ,  qui  eft-  un  autheur ,  qui                                 '    : 
pour  fa  grande  dodrine ,  &  mêmement  en  la  géographie  de                                      ; 
i'Afie  ,  &  des  parties  Orientales ,  mérite  d'eftre  grandement              -                        - 
eftimé  par  touts  les  dodes  &  fçavants  en  l'Hiftoire  tels  que                                      , 
vous.  Que  Ç\  vous  me  daignez  obliger  tant  que  de  m' envoyer 

iefdits  livres  traduits  en  François ,  vous  pourrez  vous  fervir  de  j 

Ja  voye  &  entremife  de  Monfieur  T  Ambafladeur  de  France  » 
Tome  XK  Aaa 


37b  PIECES  CONCERNANT  L'HISTORE 

qui  réfide  en  la  Cour  d'Efpagne ,  &  qui  pourra  les  mettre  en 
main  du  Seigneur  Francifco  de  Lucena  fecretaire  de  l'Eûat  de 
Portugal  qui  me  les  fera  tenir  5  &  par  la  mefme  voyejepour- 
l-ay  vous  envoyer  les  Décades  de  Jean  de  Barros ,  &  tous  les 
autres  livres  que  vous  délirerez  par  deçà.  Et  d'autant  que  ce- 
iuy  qui  requiert  une  faveur  d'un  autre ,  il  eft  raifonnable  qu'il 
fe  mette  en  devoir  de  rendre  quelque  fervice  &  récompenfe , 
il  m'a  femblé  ne  vous  en  pouvoir  faire  un  plus  grand  &  11' 
gnalé ,  que  de  vous  efclaircir  franchement  (  encore  que  d'au-- 
tres  puiflent  l'avoir  desja  fait  )  de  toutes  les  raifons  générales, 
pourquoy  vos  livres  ne  font  pas  bien  receus  ;  aufTi  des  particu- 
laritez  que  j'y  ai  remarquées  moy-mefme ,  &  qui  font  con- 
noiftre  que  vous  pouviez  ufer  de  plus  de  modération  es  chofes 
que  vous  avez  efcrites.  Pour  les  raifons  ôc  plaintes  générales, 
elles  font  telles. 

i.QuE  vous  eftant  fi  bon  &  vray  Catholique,  &  fils  d'un 
Père  qui  Fa  tant  été ,  vous  ne  le  montrez  pas  toutesfois  en  vos 
livres  5  mais  il  femble  bien  pluftoft  que  vous  foyez  en  la  nou- 
velle Religion  prétendue  Reformée.  En  effet ,  vous  allez  tou- 
jours  defchargeant  tous  ceux  qui  en  font  profeiTion ,  comme 
entr'autres  l'Admirai  &  fes  frères  ,  la  Reine  de  Navarre  ,  &  le 
Prince  deCondé,  &  autres  Seigneurs  qui  prirent  les  armes, 
&  profeilerent  cette  nouvelle  dodrine.  Et  au  contraire  ,  vous 
accufez  toujours  le  Duc  de  Guife  ,  le  cardinal  de  Lorraine  & 
leurs  frères ,  &  bref  tous  ceux  de  cette  maifon  5  veu  qu'ils  ont 
été  de  fi  grands  Princes  es  armes  &  au  bien  de  l'Eglife ,  voire 
tels  que  malaifement  en  pourroit-on  trouver  en  France  &  ail- 
leurs qui  les  peufîent  égaler.  Et  pofez  le  cas  qu'ils  ayent  eu 
quelque  ambition  &  convoitife  de  gouverner ,  il  eft  certain 
qu'ils  défendoient  le  parti  le  plus  jufte ,  qui  eft  la  Religion  & 
ie  fervice  du  Roy  ,  de  forte  qu'ils  ne  méritoient  pas  d'eftre  fi 
maltraitez  comme  vous  faites  j  &  d'autant  plus  ,  que  s'ils  ef- 
toient  portez  de  quelque  ambition  ,  on  fçait  bien  que  le  Prin- 
ce de  Condé  &  fes  frères  n'en  avoient  pas  moins ,  puis  qu'il 
eft  aifé  de  croire  qu'ils  ne  furent  jamais  pouffez  du  zèle  de 
Religion  ,  mefme  en  l'âge  où  ils  eftoient ,  &  ayans  avec  eux 
un  cardinal  de  Chaftillon  desja  vieux  5  ains  ils  croyoient  pluf- 
toft  à  un  Calvin  &  Beze ,  qu'à  tant  de  faints  Dodeurs  de  l'E- 
glife Catholique ,  qui  ont  enfeigné  le  contraire  de  ce  que  les 


DE  J.   A.  DE  THOU.  371 

.ftiitres  difent.  Et  cependant  vous  ne  balancez  pas  feulement 
également  un  party  avec  l'autre ,  mais  pluftoft ,  toutes  les  fois 
qu'il  fe  prefente  occafion ,  vous  blafmez  les  Catholiques  & 
favorifez  les  Calviniftes  5  qui  eil  une  chofe  qui  fcandalife  mer- 
veilleufement  tout  le  monde  par  deçà.  Et  bien  que  ceux  qui 
maintenant  font  profefllon  de  cette  Sede ,  &  fe  font  nourris 
fie  élevez  en  icelle  ,  ne  penfent  pas  certainement  faillir ,  pour- 
ce  que  s'ils  le  penfoient,  ils  ne  leferoient  pas ,  cela  ne  fe  peut 
pas  dire  toutesfois  des  premiers ,  qui  ont  embraifé  cette  opi- 
nion en  un  âge  qui  ne  pouvoit  eftre  fi  capable  de  tromperie 
&  d'erreur,  ou  pour  le  moins  la  plufpart  d'entr'eux.  Etant 
aufïî  à  croire ,  que  Jacques  Spifame  Evêque  deNevers^  qui 
eftoit  Aumônier  du  Roy  Henry  II.  &  qui  quitta  fon  Evêché, 
&  s'enfuit  pour  fe  faire  de  cette  nouvelle  opinion ,  &  Jean  Ca- 
racciol  Evêque  de  Troyes ,  ne  penfoient  pas  errer  pour  cela. 
Et  pour  les  autres  prélats  qui  fe  firent  aufil  Hérétiques,  il  n'y 
a  pas  apparence  non  plus  qu'ils  cr  enflent  faillir  en  ce  q..  i^  pro- 
feflbient  j  mais  bien  qu'ils  le  creufîent,  on  ne  les  peut  pas  excu- 
fer  d'avoir  laifle  la  vraye  Religion  de  leurs  predecefleurs,  pour 
en  prendre  une  nouvelle ,  non  approuvée  d'aucuns  faints  Doc- 
teurs ,  ni  authorifée  par  miracles. 

C'est  auiïl  une  plainte  générale  que  l'on  fait  de  vous,  de 
ce  que  vous  blâmez  tant  la  punition  de  l'Admirai,  &  que  par^ 
lant  de  fa  mort ,  vous  dites  qu'il  avoit  la  confcience  nette  de 
ce  dont  on  l'accufoit ,  veu  qu'on  fçait  aflez  le  contraire.  Ce 
font  là  les  plaintes  &  repréhenfions  générales  que  l'on  fait  en* 
vers  vos  livres ,  &  qui  font  caufe  que  l'on  les  reçoit  il  mal.  Et 
combien  qu'un  certain  Portugais ,  à  qui  vous  refpondez  à  ces 
plaintes  &  blafmes ,  dife  qu'en  temps  de  paix  faite  par  Edit 
auquel  vous  fuites  prefent ,  il  ne  feroit  pas  raifonnable  de 
dire  des  paroles  injurieufes  contre  perfonne  î  toutesfois  tous 
ceux  qui  calomnient  &  reprennent  voftre  Hifl:oire ,  difent  que 
c'efl:  auflTi  contre  le  mefme  édit  que  vous  ne  gardez  pas  une 
neutralité ,  mais  pluftoft  vous  vous  montrez  en  tout  partial  pour 
cette  nouvelle  opinion.  Et  voilà  pour  ce  qui  eft  des  repréhen* 
fions  générales. 

Quant  aux  miennes  particulières  maintenant ,  ce  font  ce!- 
îes-cy.  I.  De  ce  que  vous  contez  plufieurs  Hiftoires  de  nos 
lours,  de  Pologne,  Tranfilvanie,  des  Turcs,  des  Mores,  5c 

Aaaij 


372         PIECES  CONCERNANT  L'HISTOIRE 

mefme  de  Caftille  &  Portugal ,  dont  vous  pouviez  vous  paf-- 
fer ,  pour  ne  toucher  que  les  affaires  de  France ,  que  vous 
faites  profelTion  particulière  d'écrire.  Que  fi  vous  faites  ainfy 
l'Hitloire  Univerfelle ,  pourquoy  l'appeliez  vous  particulière  ? 

2.  Il  femble  qu'en  la  vie  du  Roy  François  IL  vous  fuivez 
les  impietez  de  l'Hiftoire  du  Préfident  de  la  Place,  &  parti- 
culièrement en  ce  que  vous  rapportez  de  cette  fable  de  Théo- 
phile, qui  eft  chofe  du  tout  indigne  d'eftre  inférée  en  une 
Hiftoire  véritable  ^  poiu  eftre  du  tout  faufie ,  &  qui  ne  fe  de- 
voit  pas  mefme  conter  ,  &  moins  mettre  par  efcrit. 

3.  En  la  mort  du  Roy  de  Navarre  vous  fuivez  l'opinion  des 
Calviniiles ,  qui  difent  que  ce  Prince  mourut  en  leur  Religion? 
étant  certain  qu'ils  difent  cela  pour  donner  autant  de  crédit 
à  la  leur,  que  c'eft  pour  amoindrir  celuy  de  la  Catholique  j 
puis  qu'il  eft  très  alfeuré ,  que  ce  Roy  mourut  très  catholique- 
ment ,  n'y  ayant  aucun  qui  dife  le  contraire  5  &  y  a  une  Let- 
tre de  Jean  de  Pereira  Dantez ,  qui  pour  lors  eftoit  Ambalfa- 
deur  en  France  pour  le  Roy  Dom  Sebaftien  de  Portugal,  & 
par  icelle  il  conte  la  mort  de  ce  Roy  de  Navarre  en  très  bon 
Catholique  ;  difant  qu'il  mourut  avec  la  ConfelTion ,  Commu- 
nion &  Extreme-Ondion. 

Il  en  eft  de  mefme  de  cettp  Ambaflade  qu'après  la  mort  du 
Duc  de  Guife  à  Orléans,  vous^dites,  que  la  Reine  Mère  envoya 
au  Duc  de  Wirtemberg  ,  pour  le  convier  à  venir  gouverner 
i'Eftat  de  France  :  il  n'y  a  aucun  autheur  qui  dife  cela. 

Quand  auffi  vous  parlez  de  la  venue  de  la  Reine  de  Na- 
varre à  Paris  pour  préparer  les  chofes  néceflaires  au  mariage 
du  Prince  fon  fils  avec  Madame  Marguerite ,  vous  dites  qu' ef- 
toit avec  elle  l'Evêque  de  Chartres ,  que  vous  nommez  Jean 
Guillard ,  s'il  m'en  fouvient  bien  5  &  qu'iceluy  avec  douze  au- 
tres Evêques  forent  privez  de  leurs  Evêchez  par  le  Pape,  com- 
me vous  dites  avoir  dit  auparavant  en  fon  lieu  j  &  toutesfois 
je  ne  fçache  point ,  fi  je  ne  me  trompe ,  que  vous  faftlez  men- 
tion en  voftre  Hiftoire  des  noms  de  ces  Evêques ,  ni  quand  le 
Pape  les  depoîà.  Que  fi  je  me  mefprends  en  cela,  je  vous  prie 
me  faire  ce  bien  de  me  marquer  l'année  &  le  livre  auquel  vous 
faites  mention  de  ces  Evêques,  comme  aulTi  de  leurs  noms, 
&  du  Pape  qui  les  a  privez.  Car  vous  eftes  le  premier  Efcri- 
vain  François  qui ,  avec  grand  honneur  ôc  louange ,  nommez 


D  E   J.    A.    DE    T  H  O  U.  57^- 

aflez  exadement  les  perfonnes  par  leurs  noms,  ainfy  qu'on 
le  peut  remarquer  en  plulleurs.  Cela  vous  fera  aulTi  chofe  allez, 
aifée  à  fçavoir. 

Aussi  en  cette  guerre  que  fit  le  Comte  de  Montgomery  en 
Bearn,  quand  il  fit  lever  le  liège  de  Navarreins,  prit  le  Sieur 
de  Terrides ,  &  fit  mettre  à  mort  plufieurs  autres  Seigneurs ,  il 
me  femble  que  vous  pafTez  fort  brièvement  en  cette  affaire.  Et 
de  mefme ,  quand  vous  contez  la  venue  du  Roy  de  Pologne 
durant  les  divifions  qu'il  y  avoit  au  Royaume ,  jufqties  à  ce  que 
la  paix  fe  fit.  Vous  ufez  aulTi  de  la  mefme  brièveté  en  parlant 
de  la  rupture  de  paix  après  les  Eftats  de  Blois ,  du  (iege  dlilbi- 
re  par  le  Duc  d'Alençon ,   &  de  la  rédudion  du  Marefchat 
d'Amville  au  fervice  du  Roy  ;  aulTi  des  fîeges  que  luy  &  le 
Marefchal  de  Bellegarde  firent  à  Nifmes  &  Montpellier.  Vous 
contez  avec  aufTi  peu  de  paroles  les  progrez  du  Marefchal  de 
Bellegarde  au  Marquifatde  SalulTes^  étant  une  affaire  de  tel- 
le importance.  De  mefme  tout  ce  que  fît  le  Duc  d'Alençon  en 
Flandres ,  &  la  rupture  de  paix  faite  par  ceux  de  la  nouvelle 
Religion ,  quand  le  Prince  de  Condé  prit  la  Fere  en  Picardie^ 
àc  le  fieur  de  Lefdiguieres  la  Merue ,  &  autres  places  en  Dau- 
phiné ,  que  reprit-  depuis  le  Due  du  Maine  j  puis  la  prife  de 
Cahors  en  Gafcogne ,  &  la  vidoire  du  Marefchal  de  Biron  fur 
le  Sieur  de  Lavardin  en  Guienne.  En  tout  cela  vous  efles  un 
peu  bref  ^  à  caufe  que  cela  va  à  la  charge  &  aux  pertes  de  ceux 
delà  nouvelle  Religion.  Et  en  ce  qui  peut  fembler  aller  à  la 
charge  ôcblafme  des  Catholiques, vous  vous  eftendez  eftran- 
gement.  Je  fçay  fort  bien  &  Tay  tousjours  ainfy  bierr  compris 
que  tout  ce  que  vous  en  avez  fait  en  cela ,  a  été  pour  juflifier 
la  caufe  du  Roy  Henry  IV.  au  temps  duquel  vous  avez  efcrit  5 
d'autant  que  fa  mère ,  &  fon  oncle ,  &  luy-mefme  auffi,  défen- 
dirent tousjours  ce  party-là ,  auquel  furent  toujours  contraires 
tous  ceux  de  la  Maifon  de  Guife,  &  tous  les  autres  Seigneurs 
bons  Catholiques.  Ainfy  il  femble  que  vous  pouviez  ufer  de 
plus  de  modération  en  la  façon  de  parler  d'une  chofe  fi  pieufe 
comme  eft  la  Religion  Catholique,  &  de  telles  principales 
perfonnes  fi  relevées  ,  &  qui  ont  fi  bien  mérité  &  de  toute  la 
Chreflienté  en  gênerai  &  de  la  Couronne  de  France  en  parti- 
cuHer,  comme  font  ceux  de  la  Maifon  de  Guife  ,  avec  laquelle 
je  f(^ay  que  Madame  y oflre  feiiune  a  quelque  Alliance. 

Aaaiij 


^74         PIECES  CONCERNANT  L'HISTOIRE       ^ 

Cependant  je  vous  demande  pardon  de  ces  miennes  anî- 
iiiadverfions  libres  en  ce  qu'elles  le  peuvent  mériter,  &  vous 
prie  vouloir  attribuer  cela  à  ignorance,  qui  ne  peut  eftre  que 
trop  grande  en  moy ,  parlant  de  chofes  fi  efloignées.  Auftl  me 
fera-ce  une  très  particulière  faveur ,  Ci  vous  me  daignez  ef- 
claircir  de  qui  étoit  fils  George  Cardinal  d'Armagnac  ,  qui 
eftant  un  fi  grand  Prélat  de  France ,  je  n'ay  jamais  pu  fçavoiï 
d'où  il  étoit. 

Que  fi  en  tout  ce  que  je  requiers  de  vous ,  ce  me  fera  une 
très  grande  obligation  de  la  faveur  que  vous  m'y  ferez  ;  je  la 
recevray  encore  plus  grande ,  fi  vous  me  daignez  tenir  au 
nombre  de  vos  plus  intimes  &  affedionnez  ferviteurs ,  &  en 
cette  qualité  me  commander  quelque  chofe  pour  voftre  fer- 
vice.  Au  refte ,  fi  vous  defirez  fçavoir  combien  vous  aurez 
bien  employé  une  faveur  ôccourtoifie  en  mon  endroit,,  vous 
le  pourrez  par  le  moyen  de  Monfieur  le  Baron  ;de  Vau- 
celas ,  qui  a  été  Ambaffadeur  en  la  Cour  d'Efpagne,  &  de  qui 
lors  j'ay  été  très  intime  &  fidel  ferviteur.  ;Et  pour  la  reponfe 
de  celle-cy ,  vous  la  pourrez  envoyer  par  la  voye  du  Secré- 
taire Francifco  de  Lucena,  comme  j'ay  dit  cy-delTus.  Et  d'au- 
tant que  j'ay  efcrit  en  Portugais  pour  :ne  fçavoir  pas  le  Latin  , 
vous  pourrez  me  refpondre  en  François ,  qui  me  fera  une  fin- 
guUere  faveur.  Priant  Dieu,  Monfieur  ^  qu'il  luy  plaife  confer«» 
ver  voftre  perfonnnç. 

A  Lisbonne  ce  7 
Juillet  1(5 1(5.  DoM  Luis  Lobo  da  Silveij, 

Cette  Lettre  va  par  deux  voyes ,  afin  qu'elle  ne  manque 
de  tomber  -entre  vos  mains. 

JJon  n  a  -point  la  réponfe  de  Monfieur  de  Thou  à  cette  Lettre.  Il 
fe  pourroit  même  faire  qu^il  rfy  eût  pas  répondu.  La  mort  de  fa 
femme  ,  qui  arriva  à  peu  près  dans  ce  temps-là  ,  les  chagrins  cui- 
fans  i  dont  ilfe  trouva  pour  lors  environné  de  toutes  parts ,  &  qui 

lui  cauferent  à  lui-même  la  mort  3  auront  pu  fans  doute  l'en  dé" 

tourner. 


DE  J.  A.  DE  T  H  O  U.  ^jj 

Remarques  de  Philippe  du  Plejjls-Mornay  3  fur  le  Tome  troiftQHê 
de  ['Hijîoire  de  Jacques-Augujîe  de  ThoUy  de  l'Edition  de 

Drouart  in-folio. 

A   Fer  RARE  arriva  un  courier,  homme  d'affaires  de  la 
part  delà  Reyne  fa  Mère  (  i  ) ,  qui  luy  dit  qu'elle  lui  avoir    .Tome  vî  i  * 
fauve  le  Royaume  5  défait  les  rebelles ,  pris  les  Marefchaux  ,  gî^aeia^Tr^ 
retenu  fon  frère ,  &  levé  tous  les  empefchemens  5  qu'il  ne  te-  duaion, 
noit  plus  qu'à  luy  qu'il  ne  régnât  abfolument  s'il  la  vouloit 
croire  j  ce  qu'elle  attendoit  de  luy ,  encore  qu'elle  n'ignoraft 
pas  qu'il  y  avoir  des  gens  qui  luy  donneroient  d'autres  confeils. 
Oh  le  vit  fort  efmeu  &  perplex  là-delTus  :  fa  reponfe  néantmoins 
fut^  qu'il  la  tenoit  pour  Mère,  non  de  luy  feulement,  mais 
de  fon  Etat  j  qu'il  l'affuraft  qu'il  l'en  croiroit  entièrement ^ 
deuft-il  eftre  le  plus  pauvre  berger  de  fon  Royaume.  Ce  que 
j'av  fcû  de  Monfieur  du  Ferrier  fon  Ambafladeur  à  Venife  qui 
l'airiftoit. 

J'ay  oui  plufieurs  fois  de  la  propre  bouche  du  Roy  Henry 
ÎV.  qu'à  l'heure  que  le  Cardinal  (  Charle  de  Lorraine  )  mou-  ibid.  Lîv.  lixv 
rut ,  il  eftoit  avec  la  Reyne  fa  belle  mère  en  fon  cabinet,  avec  P*  ^^^' 
laquelle  il  difoit  fes  Vefpres  verfet  à  verfet ,  &  qu'elle ,  levant 
k  tefte ,  s'écria  qu'elle  voyoit  le  Cardinal  de  Lorraine ,  qui  luy 
faifoit  figne  du  doigt  comme  la  menaçant,  fort  pafle  &  af- 
freux 5  fur  qiToy  il  n'ofa  jamais  lever  la  tefte,  quoy  qu'elle  kiy 
dît.  A  ce  cry  entra  Madame  de  Sauve  (  depuis  Marquife  de 
Noirmonftier  )  dans  le  cabinet ,  qui  eftoit  afllfe  fur  le  feuil  j  & 
lors  difparut  lefantofme.  La  Reyne  envoya  aufli-toft  voir  ce 
qu'il  faifoit,  &  fe  trouva  être  décédé  environ  cetinftant.  Mon- 
fieur de  Foix  me  difoit  qu'il  avoit  été  empoifonné  par  le  Cardi- 
nal d'Armagnac  avec  lequel  il  eftoit  en  broùillerie ,  ce  qui 
s'accorde  bien  avec  ce  qui  en  eft  dit  icy. 

Je  fus  avec  le  Comte  Ludovic  (  de  Naftau)  en  cette  armée, 
envoyé  de  la  part  de  Monfieur, lors  Duc  d'Alençon, frère  du  îbid.p.  né, 
Roy ,  pour  luy  perfuader ,  puis  qu'il  avoit  failly  fon  entreprife 
de  Maeftricht ,  d'entrer  en  France  avec  fes  forces ,  réfolu  dez 
qu'il  le  fentiroit  fur  la  frontière  de  s'échapper  de  la  Cour.  Mais 
il  ne  s'y  voulut  refoudre,  partie  pour  l'incertitude  de  l'entre- 
prife  de  ce  Prince  ,  partie  pour  les  eîperances  qu'on  lui  don- 

(0  Catherine  de  Mçdicis ,  merc  de  Henri  IlL 


57^        PIECES  CONCERNANT  L'HISTOIRE 

noit  d'Angleterre ,  où  il  fe  déliberoit  de  pafîèr  après  avoîf 
veu  le  Prince  d'Orange.  Son  armée  n'eftoit  pas  pour  tenir 
coup ,  compofée  qu'elle  eftoit  de  gens  empruntez  pour  la  plu- 
part ,  qui  n'efcoient  tenus  qu'à  un  Renter-dienfi  ou  fervice  de 
îîx  femaines  aux  Princes  &  Comtes  qui  les  preftoient  ;  &  déjà 
s'efloient  mutinez  à  Galpen.  Environ  un  an  après ,  allant  traiter 
delà  part  de  Madame  Françoife  de  Bourbon,  Douairière  de 
Bouillon  avec  le  Duc  Guillaume  de  Cleves,  pourluy  faire  ac- 
cepter la  tutelle  à  luy  déférée  par  Monfieur  Robert  de  la  Mark 
fon  mary  décédé,  je  paflày  à  Heuy  chez  Monficur  FEvêque 
de  Liège  de  la  Maifon  de  Groesbec ,  qui  eftoit  en  quelque 
doute  qu'il  ne  fe  fifl  une  armée  pour  le  Prince  d'Orange  en 
Allemagne  j  &  fur  ce  que  je  luy  difois  qu'il  y  en  avoit  peu 
d'apparence  après  la  mort  du  Comte  Ludovic ,  il  me  répliqua 
omniatma  r/wf  5  ajoutant  que  depuis  peu  il  avoit  faitoùir  en 
jiifticc  l'hode  de  la  Campane ,  qui  avoit  maintenu  l'avoir  veu 
&  logé  luy  dixième  ,  &  avoit  efté  payé  de  quelque  petite  ce- 
dule  qu'il  luy  devoit.  La  Dame  de  Vogelfang  de  la  Maifon  de 
Brederode  réfugiée  à  Aix,  m'afùira  de  me  le  faire  voir  iî  je 
voulois  tarder  quelques  jours  :  le  Marefchal  de  Wachtendonck 
en  Cleves  me  dit  avoir  eu  la  charge  de  rechercher  les  corps 
le  lendemain  de  la  bataille ,  &  qu'ils  n'avoient  point  efté  trou- 
vez. A  mon  retour  à  Sedan,  vinrent  Lettres  de  Heidelberg 
que  Monfieur  l'Eledeur  Frédéric  attendoit  tous  ces  trois  Sei- 
gneurs à  fouper  avec  une  joye  incroyable  '•>  &  de  fait  eftoit  ve- 
nu un  certain  homme  qui  difoit  les  avoir  laiflez  en  un  carofte 
auprès  de  Spire  :  caufe  que  Monfieur  l'Eledeur  Frédéric  juf- 
ques  à  fa  mort  buvoit  toujours  à  eux  où  qu'ils  fuffent.  Comme 
suffi  fut  cru  qu'ils  avoient  efté  décapitez  en  un  château  prés  de 
Cologne ,  ôc  un  exécuteur  de  la  ville  enlevé  les  yeux  bandez 
pour  cet  eftet.  Mais  ce  qui  rend  tous  ces  difcours  fabuleux  eft , 
qu'en  même  temps  je  vis  Lettres  de  Monfieur  le  Prince  d'O- 
xange  fe  plaignant  fort  de  ceux  qui  faifoient  courir  ces  bruits , 
êc  les  aflurant  qu'il  n'avoit  aucunes  nouvelles  de  luy,,  &  qu'il 
les  croyoit  morts.  Ce  qu'il  lui  importoit  que  chacun  f(^ût , 
parce  que  tandis  qu'on  croiroit  fon  frère  en  vie,  nul  ne  vou- 
dront s'obliger  à  lever  gens  de  guerre  pour  luy  en  Allemagne , 
fçachant  qu'il  feroit  préféré  à  tout  autre.  De  fait,  j'ayfçu  de- 
puis de  fa  propre  bouche  ,  que  depuis  la  défaite  il  n'avoit  rien 

.eu 


DE  J.  A.  DE  THOU.  377  ' 

eudeluy,  Se  qu'il  lescroyoit  engloutis  dans  les  marais  en  fe  .| 

penfant  retirer.  ] 

J'ay  apris  de  la  bouche  de  Monfieur  le  Prince  d'Orange,  m^^^^  i^^.  \ 

qu'il  propofa  aux  Etats  cet  expédient  de  fauver  la  ville  de  î 

Leiden  par  la  perte  &  inondation  du  pays ,  comme  un  fon- 

ge  ,  qu'il  avoir  eu ,  pour  les  fonder ,  fur  quoi  ils  s'écrièrent  ;  [ 

que  leurs  pères  leur  avoient  toujours  dit  que  cette  digue-là  j 

ne  pouvoit  eftre  forcée  fans  hazarder  toute  la  Hollande  :  néan-  ï 

moins  comme  ]e  péril  &  extrémité  de  la  ville  croiûbit,  ôc  [ 

tout  aunre  efpoir  de  fecours  leur  eftoit  levé ,  l'auroit  remis  fus ,  1 

iion  plus  comme  un  fonge ,  mais  comme  un  difcours  qui  me^  ; 

ritoit  d'eftre  examiné,  lequel  derechef  ils  auroient  rejette  î  ' 

enfin ,  les  auroit  amenez  à  ce  poind  de  fe  tranfporter  avec  j 

luy  fur  le  lieu,  ou  le  temps  eftant  fans  vent,  il  auroit  fait 

trouver  bon  de  percer  à  demy  ,  fauf  à  percer  tout  outre  à  i 

l'extrême  befoin,  fi  tel  temps  continuoit.  Ce  qui  auroit  été 
fait  avec  tel  fuccés,  que  l'eau  entrant  plus  doucement  meC= 
me  qu'on  euft  voulu ,  on  euft  loifir  de  fauver  les  hommes 
&  le  beftail ,  &  s'en  enfuivit  le  ravitaillement  inefperé  de  la 
ville. 

Monfieur  de  Bouillon  duquel  eft  fait  icy  mention,  avoit  Ibid.p.iofi 
toujours  langui  depuis  le  fiege  de  la  Rochelle,  où  on  dou- 
toit  qu'il  euft  efté  empoifonné.  De  fait ,  l'eftomac  luy  fut 
rrou^•é  tout  livide  ,  &  percé  en  divers  endroits.  Sa  mère  quel- 
ques jours  auparavant  l'eftoit  venu  voir,  fur  quoy  il  dit  à  fes 
plus  confidens ,  qu'on  fe  prift  garde  qu'en  diverfes  grieves 
maladies  qu'il  avoir  eues ,  jamais  elle  n'avoit  eu  ce  foin  ^  que 
fans  doute  elle  le  tenoit  pour  mort ,  &  vouloir  s'aiTurer  de 
ia  place.  S'afFoibliiTant ,  on  fuft  d'avis  d'en  avertir  Madame 
fa  femme ,  qui  eftoit  en  couche,  laquelle  luy  efcrivit,  le  fup- 
pliant  de  penfer  à  fes  enfans  :  fur  quoy  il  trouva  bon  qu'elle 
fe  fit  apporter  auprès  de  fon  lit ,  où  ils  fe  refolurent  enfem- 
ble  &  fe  dirent  le  dernier  adieu.  Le  matin  il  envoya  que- 
rir  les  Sieur  d'Efpaux ,  &  du  Pleffis ,  auxquels  il  déclara  fa  re- 
folution  d'ofter  les  clefs  au  Sieur  des  Avelles  Gouverneur 
à  luy  fufpect  d'intelligence  avec  fa  mère  5  ce  qu'il  fit  l'ayant 
mandé,  &  les  leur  bailla  jufqucs  à  ce  qu'autrement  enfuit 
ordonné  :  lefquels  d'avis  commun  ordonnèrent  de  la  garde  , 
ce  que  la  mère  porta  fort  impatiemment ,  ôc  le  mefmc  jouï 
Tome  XK  Bbb 


378       PIECES    CONCERNANT   L'HISTOIRE 

des  Avelles  fe  retira.  Le  mal  eftoit  que  le  Sieur  d'Efpaux 
faifoit  l'amour  à  une  fille  qui  lui  reftoit  à  marier,  en  efpe- 
rance  de  laquelle  il  changea  depuis  de  Religion.  Mais  com- 
me on  euft  l'œil  fur  fes  deportemens ,  &  que  deux  jours  après 
ledit  Sieur  flit  decedé  ,  la  veuve  en  pourveut  le  Sieur  de 
Nue  Gentilhomme  de  Mirebalais  de  la  Religion ,  &  ancien 
ferviteur  du  deffunt.  Il  mourut  fort  Chreftiennement ,  &  fou- 
vent  repetoit  ces  mots  quon  fe  gardaft  des  traiftres.  Partant 
pour  le  fiege  de  la  Rochelle  il  avoir  fait  fon  Teftament ,  & 
montra  à  Madame  fa  femme  certaine  cache  où  il  le  dcpo- 
foit,  luy  difant  que  là  dedans  elle  trouveroit  après  fa  mort 
tout  ce  qu'elle  auroit  à  faire.  Depuis  il  l'avoit  reveu  para- 
vant  fa  mort,  comme  il  efticy  dit.  Il  y  ordonnoit  pour  exé- 
cuteur de  fon  Teftament  Mohfieur  l'Eledeur  Palatin  Frédéric, 
&  Monfieur  le  Duc  de  Cleves  Guillaume  5  ceftuy-là  comme 
amy ,  ceftuy-cy  comme  chef  de  fa  Maifon.  Je  fus  prié  d'al- 
ler vers  ceftuy-cy  pour  luy  faire  accepter  l'éxecution ,  doût 
il  s'excufa  pour  fon  indifpoiition ,  qui  de  fait  eftoit  eftrange  $ 
le  reconnoiflant  neantmoins  plus  proche  reftant  de  fa  Mai- 
fon ,  envoya  un  Ambaftade  devers  le  Roy  pour  luy  recom- 
mander fa  veuve  Ôc  fes  enfans. 
ïbid.   Liv.      Le  Roy  fur  cette  nouvelle  de  la  mort  de  Monfieur  de 

ixi.  p,  z9%.  Pamville ,  avoir  refolu  de  faire  eftrangier  Monfieur  le  Ma- 
refchal  fon  frère  en  la  Baftille  ,  &  étoient  de  ce  Confeil  la 
Reyne  ,  le  Chanceher  de  Birague ,  &  Monfieur  de  Matignon. 
Il  entra  de  fon  Cabinet  en  l'Antichambre  où  eftoit  Monfieur 
de  Souvray ,  lors  Maitre  de  fa  Garderobbe ,  qu'il  cheriflbit 
fort ,  &  luy  dit  cette  refolution.  Il  luy  dit ,  Sire ,  y  avés  vous 
bien  penfé  ?&  confiderez  vous  point  que  Monfieur  le  Chan- 
celier eft  fon  ennemy  ,  &  que  Monfieur  de  Matignon  a  pro- 
méfie  du  premier  état  de  Marefchal  vacant  ?  &  voudriez 
vous  tacher  votre  honneur  &  voftre  confcience  pour  leurs 
hiterefts  ?  &  avec  telles  &  femblables  paroles  arrefta  cette 
exécution. 

Ibid  p.  253  Monfieur  de  Mouy  &  moy  partifmes  de  Sedan  enfcmble  ; 
proches  parens  &  intimes  amis  que  nous  eftions ,  ayant  en- 
femble  environ  quatre  vingt  Gentilhommes  ,  &  cinq  cens 
hommes  de  pied  ;  ôc  à  grandes  journées  le  rencontrafmes 
lur  la  frontière  d'Allemagne  à  l'entrée  des  terres  du  ComtQ 


DE   J.    A.   DE   TKOU.  37P 

de  Naflau.  Il  féjourna  de  fait  à  Attigny  plus  qu'il  ne  devoit  j 
mais  le  pis  fut  qu'il  ne  fut  jamais  rcfolu  ni  de  combatre  ni 
de  fe  retirer  j  caufe  que  faifant  tantoft  ce  qui  eftoit  du  com- 
bat ,  &  tantoft  ce  qui  eftoit  de  la  retraite ,  il  perdit  l'occa- 
lion  de  l'un  &  de  l'autre ,  &  donna  loifir  à  Monfieur  de  Guife 
qui  retardoit  fon  chemin  par  légères  efcarmouches,  de  le  com- 
battre premier  qu'il  fut  palle  la  Marne.  Se  voyant  donc  prefte 
il  commande  d'aller  à  la  charge  ,  ce  que  firent  les  Sieurs 
de  Mouy  &  du  Plelfis  avec  leurs  amis  j  fon  enfeigne  mefme 
le  Sieur  de  Pontillaut  puifné  de  Marivaut  y  mena  parti-e  de 
la  troupe  ,  &  fur  la  main  droite  donna  Monfieur  de  Clervant 
avec  quelques  rangs  de  fes  Reiftres  :  mais  il  tourna  auffi-toft 
la  tefte  vers  la  Marne  pour  prendre  temps  de  fe  fauver  tandis 
qu'ils  feroient  au  combat  ;  ainfi  n'entra  point  plus  de  quaran- 
te Gentilhommes  François  en  la  charge  qui  donnèrent,  &  fe 
rompirent  dedans  l'avant-garde  conduite  par  le  Marefchal  de 
Biron ,  &  furent  la  plupart  tuez ,  bleflez  j  &  prifonniers ,  en- 
tr'autres  Pontillaut  tué  j  Monfieur  de  Mouy  pris  &  blefle  d'un 
coup  de  piftolet  en  la  gorge  ,  Monfieur  du  Pleffis  pris  &  bleifé 
d'un  coup  de  lance.  Les  Reiftres  avoienr  pafle  la  Marne  > 
&  gagné  jufques  à  Marigny  fur  Orbaye ,  quand  ils  envoyè- 
rent leurs  trompettes  pour  fe  rendre ,  &  n'eftant  pas  fuivis 
de  cinquante  chevaux  •-,  tellement  que  s'ils  flifîent  venus  à  la 
charge  ils  en  euftent  eu  bon  marché.  Ce  que  je  fçay  par- 
ce que  j'eftois  à  la  troupe ,  où  Meffieurs  les  Marefchaux  de 
Biron  &  de  Rais  m'interrogèrent  ,  qui  n'eftoient  pas  fans 
peur. 

Il  alla  droit  (  le  Roi  de  Navarre  )  à  Alençon ,  où  il  fît  pro-  Ib.  Liv.  lxs; 
feflion  publique  de  la  Religion  Reformée,  &  abjuration  de  P-438. 
la  Romaine ,  &  ne  voulut  point  pafler  à  Vendofme  ,  ne  pour 
vaut  garder  la  ville ,  pour  ne  mettre  en  peine  fes  fujets  qui 
i'auroient  receu.  Il  donna  d'une  traite  jufqu'à  Chafteauneuf 
en  Thimerais ,  place  de  fon  Doir.aine  diftante  vingt  lieues 
de  Paris ,  où  il  dormit  fous  la  garde  des  habitans.  Monfieur 
de  Roquelaure  eftoit  avec  luy  ,  qui  lors  avoir  à  fuite  le  Sieur 
de  Caumont ,  depuis  Duc  d'Efoernon  par  la  faveur  de  Hen- 
ry III. 

La  paix  fut  traitée  en  Gaftinois  près  de  Chafteau-Landon ,  ïbld.p.4ï6; 
en  une  maifon  appellée  Chaftenoy  appartenante  à  un  Coa-' 

Bbbij 


38o        PIECES  CONCERNANT  L'HISTOIRE 

feiller  nommé  Picot ,  où  j'eftois  même  député  ;  &  enfin  con- 
clue à  Pafly  près  Sens ,  où  après  la  publication  d'icelle  ,  la 
Reyne  fejourna  quelques  jours ,  &  là  je  receus  fes  comman- 
démens  &  à  Paris  du  Roy ,  eftant  dépefché  de  Monfieur  vers 
la  Reyne  d'Angleterre.  Les  Eglifes  faifoient  principale  inf- 
tance  d'avoir  une  ville  de  feureté  en  chaque  Province ,  mais 
on  éblouïflbit  les  (impies  de  ce  grand  apanage  de  Monfieur , 
qui  leur  devoir  tenir  lieu  de  feureté ,  comme  ainlî  fuft  qu'il 
avoit  ja  donné  fa  parole  par  le  Comte  de  St.  Aignan  à  la 
Reyne  de  ne  leur  en  faire  que  bien  petite  part.  De  fait  il  avoit 
promis  beaucoup  à  Monfieur  de  Turenne ,  &  ne  s'en  pou- 
voir defdire  :  il  luy  donna  le  Gouvernement  de  Touraine  , 
mais  il  n'en  jouît  point  ,  &  ainfi  celuy  de  Loches  à  mou 
frère, 
îbid.  Liv.       LavilledeMarmande  fut  battue,  &  vinrent  Mefïîeurs  de 

i.xin.  p.  471»  Biron  &  de  Foix  à  Sainte  Bazeille  trouver  le  Roy  de  Navarre , 
iefquels  craignant  qu'elle  ne  fuft  forcée ,  firent  une  trêve  , 
par  laquelle  il  fuft  dit  que  ceux  de  Marmande  reconnoiftroient 
le  Roy  de  Navarre  pour  leur  Gouverneur  ^  &  recevroient  gens 
de  fa  part ,  qui  de  fait  y  entrèrent  5  mais  il  eftoit  convenu  fous 
'  main  qu'ils  en  fortiroient  auffi-toft  après  y  avoir  feit  publier 
la  trêve.  MefTieurs  de  Segur  &  du  PlelTis  la  traitèrent  avec 
eux  ,  &  ceftuy-cy  nommément  la  hafta  fur  ce  qu'il  vit  quer  la 
batterie  qui  n'étoit  que  d'un  canon  &  d'une  couleVrine  eftoit 
interrompue ,  le  canonier  ayant  efté  tué  par  la  feneftre  du  ca- 
non ,  &  que  les  boulets  failloient  à  la  coulevrine  ;  tant  eftoit 
mal  aflbrti  cette  équipage.  Mais  il  remontra  à  Monfieur  de 
Poix  quel  regret  ce  luy  feroit  de  voir  emporter  cette  place 
d'affaut  en  leur  prefence ,  ce  qui  ne  fe  pourroit  fans  grand 
excès ,  &  leur  faiibit  entendre  que  ce  qu'ils  n'oyoient  point 
tirer  eftoit  que  la  brèche  eftoit  fuffifante ,  &  qu'on  fe  pie- 
paroit  à  l'aflault  :  à  quoy  fe  laiftà  aifement  perfuader  Monfieur 
de  Foix. 
Ibîd.  Liv.       La  Reyne  d'Angleterre  fit  faire  au  Duc  Cafimir  plus  grande 

X-^îvi.  p.  66$,  levée  que  le  Prince  d'Orange ,  &  les  Etats  ne  vouloient  5  caufe 
qu'ils  entrèrent  en  foupqon  de  fon  intention  :  &  pour  demeu- 
rer les  maîtres  en  leurs  pays ,  firent  de  leur  part  des  levées 
plus  grandes  qu'ils  ne  pouvoient  porter  j  caufe  de  confufion 
<en  l'armçe. 


DE  J.  A.  DE  THOU.  5gr 

Cette  Remontrance  qu'ils  publièrent  eftoit  la  mefme  que  ï^^^-  P«  <^78. 
j'avois  faite  en  France  l'an  i^'j6.  addrefice  aux  Etats  de  Blois , 
laquelle  mutatis  mutandis  ils  avoient  accommodée  à   leurs 
pays. 

J'y  intervins  pour  le  Roy  de  Navarre ,  étant  lors  de  fa  part  ibid.  p.  ési. 
au  pays. 

Contre  ces  defordres  je  mis  lors  en  lumière  un  petit  Traité ,  ibid. 
par  lequel  je  montrois  que  toutes  telles  voyes  eiloient  pro' 
près  à  deftruire  &  nullement  à  inftruire. 

Comme  Monfieur  de  la  Noue  fut  arrivé,  Monfîeur  de  Bufiy  Ibîd.  p.  <58§; 
le  mena  reconnoitre  la  place ,  &  le  menoit  allez  avant  pour 
fonder  fa  valeur;  luy  qui  s'en  apperceut,  comme  l'autre  dit 
qu'ils  avoient  allez  veu ,  luy  dit  qu'il  falloit  voir  plus  outre 
telle  &  telle  chofe,  &  ainfi  faoula  la  vanité  de  cet  homme. 

Monfieur  le  Prince  d'Orange  faifoit  grande  difficulté  d' al-  Ibid.p.v^j.  ' 
1er  à  Gand,  craignant  d'y  recevoir  un  affront,  d'autant  plus 
que  Monfieur  de  la  Noue  avec  toute  fa  modeftie  ne  l'avoit 
pu  éviter.  JeFeuprefibis,  alléguant  la  confequencc  de  cette 
ville  pour  toute  la  Comté  de  Flandres ,  que  l'Empereur  Char- 
les Vn'avoit  pas  defdaigné  de  venir  remettre  au  devoir,  tra- 
verfant  du  fonds  d'Efpagne  par  le  miheu  de  la  France  :  il  me 
pria  donc  de  paiîer  en  Flandres  parler  à  fes  amis^  &  vifi- 
ter  les  villes  fous  ombre  des  affaires  du  Roy  de  Navarre 
mon  Maitre ,  dont  je  luy  apportay  telle  affeurance  &  paro- 
le des  plus  gens  de  bien ,  qu'il  fe  refolut  d'y  aller  en  per- 
fonne ,  y  fut  receu  à  fouhait ,  &  en  changea  l'état. 

La  vérité  eft  que  les  Sieurs  de  Bouch  &  de  Borluyt  fre-  Ibid.  p.  €9^. 
res  principaux  Gentilhommes  de  Gand ,  eftoient  contraires 
à  la  violence  d'Embife  ,  &  que  je  m'eftois  aydé  &  affuré  d'eux 
pour  Monfieur  le  Prince  d'Orange. 

Traitant  nommément  la  trêve  avec  îny  (  Henry  III.)  &:     Tom.  mr; 
le  Roy  de  Navarre  à  Tours  en  l'an  15  8p  ,  il  me  dit ,  de  com-  ^^^-  i-^viii. 
bien  je  rachepterois  maintenant  un  Marefchal  de  Montmo-  ^^^*  ^^* 
rency  &  un  Chancelier  de  l'Hofpital  ? 

Le  Roy  de  Navarre  m'avoit  commandé  de  paffer  des  Pays-     ibid.  Liv, 
Bas  en  Angleterre ,  refolu  de  prendre  les  armes  au  xv  Avril  ,  i-x^ip-  330- 
donc  je  partis  du  camp  de  Gavre  en  Flandre  où  eftoit  Mon- 
fieur de  la  Noue  ;  &  luy  difant  adieu ,  luy  mis  entre  les  mains 
une  entreprife  qui  depuis  quelques  jours  fe  tramoit  fur  1^ 

B  b  b  iij 


3S2        PIECES    CONCERNANT  L'HISTOIRE 

ville  de  Lille  appartenant  au  Roy  de  Navarre ,  par  le  moyen 
d'un  pefcheur  qui  avoit  affermé  les  foflez  de  la  ville  ,  qui 
ailuroit  qu'en  certain  lieu  entre  deux  nids  de  cignes  n'y  avoit 
de  l'eau  que  jufques  aux  genouils  :  ce  que  j'avois  fait  recon- 
noitre  &  trouvé  véritable  ,  le  gravier  s'y  étant  amoncelé  avec 
le  temps  5  &  n'y  avoit  qu'une  barrière  à  ouvrir ,  pour  l'ouver- 
ture de  laquelle  j'avois  fait  faire  une  clef  fur  la  forme  prife 
par  une  empreinte  de  cire.  Moniîeur  de  la  Noue  ayant  donc  in- 
vefti  Ingelmunfter  penfe  pouvoir  dérober  ce  coup  à  l'ennemy, 
&  marche  avec  ce  qu'il  avoit  de  plus  lefte  pour  cette  exé- 
cution ,  laiiTant  pour  exploiter  ce  iiege  le  Sieur  de  Marquette 
peu  expérimenté  en  telles  affaires.  Mais  il  trouva  en  tefte  le 
Vicomte  de  Gand ,  autrement  le  Marquis  de  Roubais  ou  Ris- 
bourg  qui  s'en  venoit  lever  ce  fiege,  &  le  contraignit  de 
rebroufler.  Les  caufes  de  ce  defallre  furent ,  premièrement 
que  le  pont  que  Monfîeur  de  la  Noue  ,  arrivé  la  nuit,  avoit 
commandé  de  rompre ,  le  fut  de  forte ,  qu'avec  des  échelles 
foncées  il  fut  aifé de  le  rendre  palîàble.  Secondement,  que  le 
Sieur  de  Marquette ,  qui  eftoit  en  bataille  en  un  champ  où 
on  ne  pouvoit  entrer  que  par  deux  brèches ,  au  lieu  de  char- 
ger &  renverfer  dans  le  pallage  les  premiers  qui  l'enfileroient , 
donna  loifir  aux  Albanois  d'y  pafîer  ôc  prendre  leur  ordre. 
En  troifiéme  lieu ,  l'arquebuferie  des  Efcoflbis  mal  ménagée. 
Monfieur  de  la  Noue  fe  pouvoit  fauver,  mais  voyant  ce  de- 
faftre  aima  mieux  eftre  pris.  Les  François  qui  eftoient  de- 
meurez à  Walken  à  deux  lieues  de  là ,  commandez  par  le  Sieur 
de  Cormont ,  pouvoient  vanger  cette  perte  arrivant  fur  le  pil- 
lage 5  ce  qui  fut  propofé  par  quelques-uns.  J'eflois  tout  preft 
à  m'embarquer  à  Dunkerque  quand  je  receus  cette  nouvel- 
le par  un  Député  des  Etats  de  Flandres  ,  qui  me  prioient 
de  retourner  pour  recueillir  ce  débris ,  &  empefcher  que  le 
mal  ne  pafsât  outre  5  ce  que  je  fis ,  mettant  garnifon  à  tous 
les  lieux  neceflaires  ,  &  vifitant  les  villes  pour  les  aifurer  , 
dont  je  fus  remercié  par  Monfieur  le  Prince  d'Orange  &  les 
Etats  Généraux. 
Ibitl.  p  "5?  Monfieur  le  Prince  de  Condé  après  avoir  furpris  la  Fere  , 
&  laide  Monfieur  de  Mouy  dedans  pour  y  commander  ,  palla 
en  Allemagne,  où  il  traita  du  fecours  avec  le  Duc  Cafimir  ,  qui 
Faifilta  du  Confeiller  Schre^el  pour  aller  avec  luy  en  Angleter- 


DE  J.  A.  D  E  THOU.  389 

re.  Le  Roy  de  Navarre  avoir  refolii  la  prife  des  armes  comme 
deÛlis ,  &  à  moy  commandé  d'aller  traiter  avec  la  Reyne , 
laquelle  m'avoit  déjà  accorde  partie  de  ce  que  je  luy  deman- 
dois.  Quand  elle  fçut  qu'il  avoir  pris  terre  à  Sandwich ,  j'eus 
peine  à  luy  perfuader  de  le  voir ,  parce  qu'elle  eftoit  en  train 
de  traiter  avec  Monfieur ,  &  ne  vouloir  pas  par  une  occafîon 
ouverte  offenfer  la  France  5  joint  qu'elle  fe  doutoit  bien  qu'il 
luy  demanderoit  plus  qu'elle  ne  vouloit  bailler.  Enfin  elle 
fe  refolut  de  le  voir  fecretement  en  la  Maifon  de  Nonfuch , 
&  pour  ce  le  fit  loger  dedans  le  parc  5  mais  elle  ne  voulut  rien 
traiter  avec  luy ,  &  paiïerent  leurs  difcours  en  plaintes.  Néant* 
moins  me  faifoit  elle  dire  que  je  demeurafle,  Ôc  qu'elle  me 
donneroit  contentement  :  mais  M.  le  Prince  me  déclara  que  je 
luy  ferois  plaifir  de  demeurer  après  luy ,  &  qu'il  m'en  dechar- 
geroit  vers  le  Roy  de  Navarre.  Ainfy  repaffa-t-il  en  Flandres, 
&  moy  avec  luy.  Quant  à  l'entreprife  de  Gand ,  elle  fut  tentée 
la  féconde  nuit  qu'il  y  coucha ,  &  ne  fçavoit  point  le  Marquis 
(  de  Richebourg  )  qu'il  y  fuft.  Il  prefentoit  une  efcalade  à  l' épau- 
le d'un  baftion  de  terre  imparfait  qui  n'avoit  point  encore  de 
fo (lez,  où  je  faifoistousjours mettre  double  garder  &  partant 
pour  Angleterre  leur  avois  fort  recommandé  ceft  endroit-là.  A 
la  pointe  du  jour  la  fentinelle  donna  l'alarme ,  le  penfionnaire  de 
la  ville  nommé  Burgrave  me  vint  éveiller ,  me  difant  que  l'en- 
nemy  eftoit  dedans.  J'y  courus,  &  n'eus  le  loilir  que  de  luy 
dire  qu'il  fit  mander  les  Ecoflbis  qui  eftoient  à  Menin^  & 
les  François  d' Audenarde ,  6c  rompre  tels  &  tels  ponts ,  parce 
qu'il  faudroit  pluftoft  hazarder  une  bataille  dans  la  ville.  Mais 
je  trouvay  arrivant  à  ce  baftion  que  l'ennemi  fe  retiroit ,  Mon- 
fieur de  la  Motte  Gouverneur  de  Graveline  qui  tenoit  le  pied 
de  la  première  échelle  croyant  eftre  bleifé  au  bras ,  joint  que 
la  compagnie  de  gens  de  cheval  du  Sieur  de  Rion  eftant 
commandée  pour  conduire  Monfieur  le  Prince  de  grand  matin 
à  Anvers ,  la  trompette  fonna  à  cheval  ,  qui  leur  fit  croire 
qu'on  les  attendoit  &  que  la  mefche  eftoit  découverte. 

Monfieur  le  Prince  d'Orange  nous  appella  Monfieur  Lan-  ibûl.p.  i€t. 
guet  ôc  moy  un  matin ,  pour  avoir  notre  avis  fur  cette  Apo- 
logie ,  laquelle  en  fa  prefence  nous  fut  leuë  par  Monfieur 
Pierre  Loyfeleur  dit  de  Villiers  qui  en  eftoit  l'auteur.  La  véri- 
té eft  qu'il  fut  confeillé  par  nous  de  la  modérer  j  &  de  fait , 


3  ^4-       PIECES    CONCERNANT   LTîISTOIRE 

encoïc  en  ofta-t-on  beaucoup  d'aigreur.  Mais  nous  apperce- 
vions  bien  que  rien  ne  luy  touchoit  tant  le  cœur  que  ce  qui 
avoit  efté  dit  contre  fon  mariage, 
ïbid.  Liv.        Cette  Hiftoire  appartient  à  l'an  ijSy. 

Lxxi I.  pag.         Cette  Rivière  (  la  Baife  )  ne  pafle  point  à  Nerac.  La  Baife  de 

Ibîd  p  ;9o  Nerac  vient  des  Monts  Pyrénées ,  &  a  fa  fource  prés  de  la  val- 
lée d'Aure ,  &  fe  rend  dans  la  Garonne  à  une  bonne  lieuë  ôc 
demie  de  Nerac ,  bien  loin  de  Bayonne. 

Ibid.  p.  199.  Parce  que  les  Etats  confideroient  aflez  que  le  fecours  de 
Monfieur  leur  eftoit  pluftoft  à  charge  qu'autrement,  s'il  n'e- 
ftoit  alTifté  puiflamment  du  Roy ,  il  fallut  que  Monfieur  leur 
fit  apparoir  de  fa  bonne  volonté  envers  fon  deifein ,  ce  qu'il 
fit  par  une  Lettre  du  Roy  qui  luy  fut  apportée  par  Monfieur  de 
Vilieroy ,  par  laquelle  il  lui  promettoit  de  l'affifter  de  tout 
fon  pouvoir  mefme  jufqu'à  fa  chemife  ;  mais  ce  fut  fous  pro- 
mefle  qu'aufll-toft  après  la  leur  avoir  montrée ,  il  la  luy  re- 
mettroit  entre  les  mains  pour  la  rendre  au  Roy ,  &  qu'il  ne 
s'en  prevaudroir  point,  pour  l'importuner  plus  avant  qu'il  ne 
voLidroit. 
Ibid.  Liv.        Partant  des  Pays-bas  pour  aller  trouver  le  Roy  de  Na- 

rxxiv,  pag.    ^^j.j-g  ^  jg  £^5  pj.j^  ^Q^  lc.ï2Lts  de  voir  Monfieur  de  leur  part; 

ce  que  je  fis  à  la  Ferté-Gaucher  premièrement ,  &  puis  en 
fon  rendez-vous  de  Chafteau-Thierry.  Le  fujet  eftoit  de  le 
requérir  &  lui  perfuader  ^  après  avoir  fecouru  Cambray,  de 
traverfer  le  pays  avec  fon  armée ,  qui  feroit  rencontrée  de 
la  leur  pour  venir  prendre  pofleffion  de  ces  Provinces  ;  que 
par  ce  moyen  il  refoudroit  tant  plus  à  fon  fervice  celles 
qui  luy  eftoient  entièrement  affedionnées ,  &  y  affedion- 
neroit  les  doureufes ,  &  les  obligeroit  toutes  ;  que  cette  en- 
trée aufiTi  luy  feroit  glorieufe  au  regard  des  ennemis ,  fur  lef- 
quels  il  y  avoit  moyen  d'exécuter  de  bonnes  entreprifes,  & 
faire  fentir,àfon  avènement; aux  uns  l'utilité,  aux  autres  la 
terreur  de  fes  armes.  Cette  propofition  fut  par  moy  faite  en 
plein  Confeil ,  &  approuvée  de  tous  ;  mais  elle  ne  fut  fuivie , 
Ibit  parce  que  l'armée  eftoit  pour  la  plupart  compofée  de  no- 
blefte  volontaire  qu'on  ne  peut  retenir ,  foit  parce  que  Mon- 
fieur eftoit  bien  aife  de  faire  durer  la  necefllté  des  Etats  pour  fe 
faire  pius^  reclamer  par  les  provinces  moins  refoluès,  &  pour  ce 
prit  excufe  de  la  neceftité  de  fon  voyage  d'Angleterre  pour  un 

mariage 


DE  JV  A;  DE  THOU:  5^;  i 

mariage  ,  duquel  ils  avoient  à  efperer   un  grand  fupport,  j 

Le  régiment  François  commandé  par  le  Sieur  de  la  Garde  ibld.  p.  51$,:  ■ 

eftoit  en  Garnifon  à  Bergue ,  lequel  à  faute  du  payement  fe  \ 

mutinoit  ,  &  menaçoit  de  traiter  avec  l'ennemi.  Les  Etats 
donc  me  requirent  d'y  aller  pour  effayer  de  les  ramener  à 
leur  devoir.  Arrivé ^  le  Colonel  me  donne  à  fouper ,  pendant 

lequel  eut  avis  que  le  Sieur  de  Hautepenne  eftoit  en  cam-  J 

pagne.  Surquoy  nous  nous  refolumes  de  vi(iter  les  gardes.  A 
l'aube  du  jour  ils  donnent  par  le  lit  de  la  rivière  de  Zoom , 
qui  paflbit  fous  la  voûte  d'une  tour  ou  il  y  avoir  un  corps  ' 

de  garde,  n'ayant  de  l'eau  que  jufques  au  genouil,  tellement  ! 

qu'ils  y  marchèrent  en  bataille ,  parce  que  le  Marquis  de  Ber-         ^  1 

ghen  Seigneur  du  lieu  avoir  gagné  deux  charpentiers ,  qui  en-'  j 

trez  par  le  canal  d'un  privé  avoient  levé  les  eclufes.  Ainfy  font  \ 

faifîr  le  marché  au  bled ,  &  pofer  un  corps  de  garde  devant  la  j 

porte  du  Colonel  qui  ne  put  fortir  de  fon  logis,  &  eftoient  j 

bien  entrez  400  hommes  dans  la  ville  :  eftoit  queftion  d'ouvrir  ï 

une  porte  pour  faire  entrer  la  Cavalerie  ,  &  faifoient  eftat  ' 

que  ce  feroit  la  porte  du  Havre  non  loin  de  Teclufe  aifée  à 

rompre.  Mais  les  guides  par  la  fimilitude  du  mot  les  menèrent  i 

à  celle  de  Voren ,  qui  eftoit  plus  loing  &  garnie  d'une  forte  \ 

herfe,  dont  ils  crurent  eftre  trompez  ;  joint  qu'en  mefme  ' 

temps  Monfieur  d'Alems  Lieutenant  Colonel  d'une  part,&  ] 

Fouquerolles  qui  faifoit  fa  ronde  de  l'autre  ,  vinrent  à  les  -. 

charger  j  ayant  rallié  chacun  vingt  ou  vingt-cinq  hommes  aa  i 

plus ,  lefquels  en  ce  doute  les  renverferent  fur  les  autres  oit  ] 

il  y  eut  un  grand  conflit.  J'étois  logé  au  logis  du  Sieur  de  j 

Fouquerolles,  &  n'eus  loifir  que  de  prendre  une  rcrdache  1 

qui  pendoit  à  la  paroi  pour  courir  demy  nud  à  la  grande  place 

que  je  trouvay  abandonnée  ,  &  le  Sergent  Major  nommé  la  \ 

Tour  à  cheval  qui  fe  retiroit  m'aftiirant  avoir  veu  plus  de  i 

400  de  l'ennemy  en  bataille,  &difoit  vray,  &  m' offrant  les  i 

clefs  à  la  mam  de  m'ouvrit  la  porte  d'Anvers ,  6c  de  fait  il 
pafla  outre.  Mais  Dieu  me  fit  la  grâce  de  vouloir  voir  l'en- 
nemi de  plus  près ,  &  ayant  rallié  environ  vingt  hommes,  en- 
filay  la  grande  rue ,  où  je  trouvay  l'ennemy  en  tefte ,  mais 
déjà  chancellant ,  &  vins  aflez  à  temps  pour  en  avoir  ma 
part.  Il  en  fut  tué  environ  lxx  tous  Capitaines  ou  appoin- 
tez ,  &  autant  de  Prifonniers  qui  furent  amenez  à  mon  logis; 
Tome  Xf^*  C  ç  ç 


38-^       PIECES    CONCERNANT   L'HISTOIRE 

Grand  nombre  auffi  furent  tuez  ou  bleflez  dehors  ,  de 
delTus  la  courtine ,  dont  ils  chargèrent  jufques  à  feize  cha- 
rettes.  Le  procès  fut  fait  le  lendemain  aux  Charpentiers  qui 
chargèrent  le  Marquis.  Le  falut  de  la  ville  vint  humaine- 
ment partie  de  l'équivoque  fufdit ,  partie  de  ce  que  les  Capi- 
taines avoient  eu  charge  de  doubler  leurs  Gardes,  afin  que 
je  rapportafle  que  leurs  Compagnies  eftoient  fortes.  Il  me 
fut  aifé  de  faire  leur  paix  avec  les  Etats ,  &  de  les  faire  con- 
tenter après  une  fi  notable  preuve  de  leur  valeur. 

Ifcid.  p."  ;37.\  Monfieur  le  Prince  d'Orange  eftoit  lors  à  Gand  où  je  l'a- 
vois  fuivi,  lequel  ayant  cette  nouvelle  m'envoya  aufii-toft 
les  Lettres  de  Monfieur  de  Sainde  Aldegonde  j  m'appel- 
lant  incrédule ,  parce  que  j'avois  tousjours  contellé ,  pour  la 
connoiflance  que  je  penfois  avoir  de  l'humeur  de  la  Rey- 
ne  ,  que  le  mariage  ne  fe  feroit  point.  Le  lendemain  s'en 
rendirent  grâces  à  Dieu  en  la  grande  Eglife ,  qui  dévoient 
eflre  fui  vies  de  coups  d'Artillerie  &  de  feux  de  joye.  Sur  le 
milieu  de  Padlion  luy  vinrent  contraires  Lettres  de  Monfieur 
de  Sainde  Aldegonde  ,  fur  lefquelles  aflls  que  j'eftois  au- 
près de  luy  ,  je  luy  vis  changer  de  vifage  ,  &  lors  me  les 
bailla  ,  me  difant  que  j'avois  dit  trop  vray.  Surquoi  fut  ar- 
refté  le  furplus  de  la  joye.  Il  en  fut  fortmarry,pour  ce  qu'il 
javoit  fait  grand  état  au  peuple  des  utilités  qui  lui  viendroienc 
de  là  pour  luy  faire  plus  aifement  accepter  Monfieur.  Difoit 
la  Lettre  que  comme  la  Reyne  eutlaplimie  en  la  main  pour 
iîgner  ,  tremblant  de  colère  elle  Tavoit  jettée  j  &  tournée 
vers  les  Seigneurs  de  fon  Confeil  j  elle  leur  avoir  dit  :  «  Mal- 
»  heureux,  êtes  vous  fi  aveugles ,  que  vous  ne  voyez  qu'après 
»  ma  mort  vous  vous  entrecouperés  la  gorge ,  &  ne  fçavez 
3"  vous  pas  que  me  mariant  ,  je  ne  la  feray  pas  longue  i'  ^ 
Ce  qu'on  interpretoit  de  quelque  défaut  naturel  connu  de  peu; 

Ibid.  p.  s6é.  Le  duc  de  Saxe  jufques  à  fa  mort  luy  continua  fa  penfion  &  ne 
tint  qu'à  luy  (  Hubert  Languet  )  qu'il  n'y  demeuraft,  parce  qu'il 
avoit  tousjours  ditfincerement  quelle  eftoit  fa  créance,  fe  plai- 
gnant ledit  Duc  que  les  autres  l' avoient  pallié.  Ma  femme  l'afii- 
fta  jufqu'au  dernier  foupir ,  laquelle  il  pria  de  requérir  de  moy , 
qui  m'en  eftois  allé  en  Gafcogne  vers  le  Roy  de  Navarre , 
qu'au  premier  livre  que  je  mettrois  en  lumière ,  je  fifie  men- 
tion de  nôtre  amitié.  Ce  que  je  fi$  en  la  première  page  de 


«•^  •«■'V 


DE   J.   X.    DE   THOU.  587  I 

l'édition  Latine  de  mon  livre  de  la  Mérité  de  la  Religion  Chré-  i 

tienne.  Il  avoit  efté  employé  particulièrement  par  Monfieur  i 

le  Prince  d'Orange  vers  Monfieur,  pour  faire  fa  condition,       ,  \ 

&  de  fa  Maifon  avec  lui ,  par  laquelle  il  kiy  laifToit  la  Hol-  \ 

lande  &  Zelande  en  propriété ,  dont  il  eftoit  d'accord  avec  les  '\ 
principaux  du  peuple.  J'en  ay  veu  le  Contrat  ,  mais  la  per-          « 

fidie  d'Anvers  ruina  cette  affaire  ,  &  plufieurs  autres.  \ 

Le  Roy  écrivit  lors  au  Roy  de  Navarre  ?  s'affurant  que  le     ibij,  i.,>:  ï 
Concile  de  Trente  ne  fe  publieroit point,  pour  lu v  enlever  wxv.p. 571. 

l'allarme  ;  &  moy  étant  à  Paris ,  trouva  bon  que  j'écriviUe  un  \ 
oetit  Traité  contre  iceluy ,  qui  fut  imprimé  de  l'avis  de  Mon-                                 .      i 

fieur  le  Chancelier  de  Chiverny ,  &  de  Monfieur  l'Avocat  | 

du  Roy,  d'Efpeflè ,  qui  ajouta  parlant  au  Roy  ,  que  s'il  luy  \ 

plaifoit  on  en  pourrait  dire  beaucoup  plus.  ; 

J'eftois  lors  à  Anvers  ,  &  Monfieur  le  Prince  d'Orange  Ibid.  p.  eu;  ! 

m'avoit  au  fortir  du  Prêche  voulu  retenir  à  diner.  Les  Gar-  1 

des  avoient  voulu  chaffer  ce  miferable  de  la  falle ,  Ôc  il  les  ] 

en  avoit  tancez ,  difant  que  c'eftoit  quelque  Bourgeois  qui  ^ 

vouloir  voir.  Il  paflfoit  de  fa  falle  en  fa  chambre ,  Ôc  s'eftoit  ' 

arrefté  à  montrer  la  tapilTerie  à  Monfieur  de  Laval ,  par  def-  i 

fus  l'épaule  duquel  il  tira  fon  coup.  J'y  accourus  auifi-toft,  \ 

&  vis  le  meurtrier  le  corps  enveloppé  de  pentacles  &  toil-  ' 

les  conjurées  de  Nôtre  Dame  d'Oviedo.  Monfieur  le  Prince  \ 

d'Orange  ayant  repris  fes  efprits  me  dit  ces  mots  :  Je  penfois  ' 

que  la  maifon  fut  tombée  fur  moy.  Il  eut  un  grand  foin  de  faire  ' 

fçavoir  qu'il  n'y  avoit  rien  du  fait  de  Moniieur ,  lequel  avec  : 

les  fiens  n'eftoit  pas  fans  peur.  Mais  on  y-envoya  une  forte  \ 

garde  pour  empefcher  l'abord  du  peuple  ,  &  fut  en  moins  \ 

d'un  quart  d'heure  donné  un  tel  ordre  par  toute  la  ville  qu'il  \ 

n'y  avoit  ny  bruit  ni  murmure.  Le  meurtrier  avoit  quelque  1 

envie  de  referverfon  coup  au  foir  au  feftin  de  Monfieur  :  ' 
fi  cela  fuft  arrivé  là  ,  on  n'eût  jamais  pu  croire  que  ce  n'euft 
été  de  fon  fait ,  &  premier  que  la  vérité  euil  été  connue  tout 

euft  été  en  combuftion  &  en  carnage.  i 

La  vérité  eft ,  que  le  coup  de  piftolet  tiré  de  fi  prés  avoit  Ibîd.  p.  ^i^ti  \ 

cauterifé  le  rameau  de  la  veine  jugulaire  en  le  perçant  ,  &  ! 

par  confequent  eftanché  le  fang  jufques  à  ce  que  l'cfcarre  \ 

tomba.  Mais  ce  ne  fut  pas  l'invention  de  Botal  qui  la  fit  fer-  \ 
mer ,  car  quelque  bien  qu'on  y  tint  les  poulces,  le  fang  tom* 

C  c  c  ij  \ 


583  niZES  CONCERNANT  L'HISTOIRE 

boit  par  le  dedans ,  tellement  qu'en  un  matin  je  luy  en  vis 
rejetter  par  la  bouche  plus  de  cinq  livres  ;  mais  les  chirur- 
giens par  mefgarde  ayant  poufle  une  tente  en  la  playe  ^  ointe 
de  quelque  onguent,  plus  avant  qu'ils  ne  vouloient,  &  ayant 
en  vain  tafché  de  la  retirer  ;  au  bout  de  quelques  jours  na- 
ture ,  avec  un  peu  d'ayde ,  la  repoufla ,  &  y  fut  trouvé  un  pus 
blanc  au  bout ,  qui  donna  argument  que  la  veine  eftoit  fer- 
mée, ce  qui  fe  trouva  vray.  Pendant  l'incertitude  de  cette 
blefTure  n'eft  point  croyable  en  quel  foin  en  eftoit  tout  ce 
peuple.  Cette  grande  place  entre  la  ville  &  la  citadelle  dez 
le  poind  du  jour  eftoit  pleine  de  perfonnes  de  tout  fexe  » 
âge  ,  &  condition ,  qui  fe  venoient  enquérir  de  fon  état  ;  vraye 
recompenfe  de  ce  qu'il  avoit  travaillé  pour  ce  peuple.  Beau- 
coup imputoient  ce  malheur  à  punition  de  ce  qu'on  avoit  re- 
mis la  Mefle.  Pour  la  Princefle  fa  femme ,  fa  maladie  fut  une 
pleurefie  procedée  des  fangmefleures  qu'elle  avoit  eues  pen- 
dant fon  mal ,  paflant  à  tous  momens  d'efperance  en  crainte, 
&  au  rebours.  Elle  mourut  fort  chreftiennement  ,  &  l'aiïifta 
ma  femme  jufques  à  la  mort ,  qui  en  remarquoit  une  parti- 
cularité rare ,  que  quelques  heures  après  avoir  jette  le  der- 
nier foupir  j  il  luy  vint  un  faignement  par  le  nez  qui  dura 
bien  deux  heures.  Quant  à  Monfieur  le  Prince  ,  il  eft  di- 
gne de  mémoire  ,  que  fe  croyant  mort  il  fut  confolé  par 
le  Sieur  de  Villiers  Pierre  Loifeleur  fon  Miniftre  ;  &  com- 
me n'efperant  plus  rien  de  fa  vie  ,  fe  difpenfa  de  la  def- 
fenfe  que  les  Médecins  luy  avoient  faite  de  parler.  S'en- 
^uerant  donc  quel  compte  il  poiurroit  rendre  à  Dieu  de  tant 
d'excès  commis  en  la  guerre ,  de  tant  de  fang  répandu  j  il  luy 
difoit  qu'il  avoit  fait  la  guerre  fous  l'Empereur  Charles,  & 
qu'eftant  commandé  par  fon  Prince  légitime  ,  il  n'en  eftoit 
pas  tenu.  Pour  les  Guerres  Civiles  auffi  démenées  pour  une 
jufte  querelle ,  foit  de  la  religion ,  foit  de  la  patrie ,  y  ayant  ap- 
porté une  bonne  confcience,  que  tout  cela  eftoit  couvert  de 
la  juftice  de  la  caofe ,  &c.  Lors  le  Prince  ,  «  A  la  mifericorde , 
30  Monfieur  de  Villiers  mon  amy ,  à  la  mifericorde  ,  à  la  mife- 
»  ricorde  !  c'eft  là  mon  recours ,  &  n'y  en  a  point  d'autre ,  &c.  » 
Feue  ma  femme  y  eftoit  prefente  ,  avec  feue  Madame  la  Prin- 
cefle d'Orange ,  en  cette  extrémité.  N'eft  aufli  à  oublier  que 
Monfieur  fuft  fupplié  de  ratifier  en  faveur  de  MonHeiir  le 


t)  E    J.    A.   D  E   T  H  O  U.  ^Sp 

Prince  Maurice  fon  fils ,  le  Contrad  de  Hollande  &  Zelande 
cy-deiTus  mentionné  j  ce  qu'il  fit  aOfez  mal  volontiers  ,  les 
fîens  difans  qu'il  prenoit  le  liquide  &  lui  laiflbit  le  conten- 
tieux ,  &  fit  voir  des  fignes  que  la  mort  luy  euft  été  plus  agréa- 
ble que  la  convalefcence. 

Je  crois  que  ces  Afterifques  (i)  à  l'entrée  du  propos  de  Sal-  Ibid.  p.  ^n 
fede ,  nous  dénotent  qu'il  retient  beaucoup  à  dire.  Salfede  fut 
pris  à  Bruges  accufé  d'avoir  pris  exprès  un  régiment  au  fervice 
de  Monfieur ,  afin  qu'eftant  mis  en  garnifon  en  quelques  pla- 
ces il  les  rendît  à  l'ennemy.  Il  avoir  un  Italien  avec  luy ,  le- 
quel comme  les  Archers  du  Grand  Prevoft  le  faifoient  diner 
à  l'Hôtellerie ,  s'appuyant  contre  la  table  fe  donna  d'un  cou- 
teau dans  le  ventre  j  &  fe  tua.  Cela  fit  croire  qu'il  y  avoir  quel- 
que plus  profond  myflere.  Ainfi  fut  palle  Salfede  par  la  tor- 
ture ,  &  fur  ce  qu'on  connût  qu'il  y  alloit  des  menées  de 
ceux  de  Guife  contre  la  France ,  en  fut  donné  avis  au  Roy, 
qui  aufii-toft  envoya  Meflleurs  de  Bellievre  &  Brulart  pour 
requérir  qu'il  lui  fuft  envoyé  ,  ce  qui  fut  fait.  Je  les  ren- 
contray  entre  Montreuil  &  Abbeviile ,  &  s'arrefta  plus  d'u- 
ne heure  Monfieur  de  Bellievre  avec  moy ,  pour  fçavoir  ce 
que  j'en  fçavois  &  penfois  ;  me  répétant  fouvent  ,  fi  tous 
ceux  que  cet  homme  accufe  en  font ,  l'Etat  eft  perdu  fans 
relTource  :  tout  eftonné  ,  &  plus  capable  d'effrayer  le  Roy 
que  de  le  refoudre.  Monfieur  de  Thou  n'a  pas  fçu  qu'en  ce 
temps  avoir  été  refolu  par  Monfieur  avec  les  Etats ,  qu'il  en- 
yoyeroit  fes  ambaiîadeurs  à  la  Diète ,  qui  lors  fe  devoit  te- 
nir j  6c  de  fait  fe  tint  à  Ausbourg ,  pour  fe  prefenter  à  faire 
l'hommage  de  la  Duché  de  Brabant  ,  &c.  à  l'Empereur  &  à 
l'Empire.  Guillaume  Robert  de  la  Mark  Duc  de  Bouillon  & 
moy  fufmes  nommés  pour  cette  charge ,  &  envoyé  un  Gen- 
tilhomme à  Ausbourg  pour  y  retenir  nos  logis.  J'en  avois 
drefié  tous  les  pouvoirs  &  defpefches  que  je  portois  avec  moy, 
avec  les  mandements  pour  le  voyage  &  pour  les  prefcns  qu'il 
y  convenoit  de  faire  5  mais  Monfieur  qui  dez  lors  minutoit 
ce  qu'il  fit  depuis,  &  ce  que  je  prevoyoisalfez,  contreman- 
da  le  tout ,  non  fans  grande  indignation  des  Etats.  Je  rerN 
yoyay  donc  ma  depefche  avec  les  proteftations  requifes.  Une 

(i)  Cette  remarque  regarde  l'édition   1    flerieures,  la  conjuration  de  Salfede  eft 
iJes  Drouarts  j  car  dans  les  éditions  po-  |    rapportée  dans  un  très- grand  détail. 

Çcc  iij 


5po        PIECES  CONCEPvNANT  L'HISTOIRE 

des  principales  pièces  d'icelle  eftoit  une  harangue  en  Latîn 
par  moi  dreflee ,  pour  la  juftification  de  toute  la  procédure  des 
Etats  en  cette  affaire, 
ibid.  Lir.         One  depuis  le   Roy  Henry  III.  n'en  eut  la  cervelle 

Lxxvi.   pag. 

^,^.  nette. 

Tom.«.lbîd.       Monfieur  d'Avantigny  n'y  eftoit  point,  au  contraire  quel- 

I.XXVII.  pag.  ques  mois  auparavant  Monfieur  luy  avoir  fuppofé  une  Lettre 

ii'  de  Vaufin,  fon  intime  ami  &  voiiin  ,  qui  luy  donnoit  avis  que 

fa  femme  eftoit  morte  :  furquoy  il  avoir  pris  congé  de  luy 
pour  s'en  retourner  en  France ,  &  le  premier  qu'il  rencon- 
tra à  Paris  fut  Vaufin,  qui  fut  tout  esbahi  de  le  voir  habil- 
lé de  deuil ,  &  luy  fit  reconnoiftre  la  fourbe.  En  mefme  in- 
tention s'eftoit  il  desfait  de  M.  de  Buhi  mon  ftere  ,  l'en- 
voyant vers  le  Roy  pour  eftre  afllfté  de  cent  mille  écus, 

jbid.pag.  J5.  Le  Sieur  de  la  Perrière  frère  de  Monfieur  d'O  vint  trou^ 
ver  le  jour  précédent  le  Sieur  de  Villiers ,  Miniftre  de  M. 
le  Prince  d'Orange  ,  auquel  fous  grand  ferment  il  déclara 
l'entreprife  5  caufe  qu'il  entra  en  cette  défiance.  Le  pauvre 
Gentilhomme  y  fut  tué. 

Ibid.  pag.  37.       Monfieur  de  Montpenfier  luy  demanda  que  devenoit  fon 
beaufrere  ,  fçavoir  le  Prince  d'Orange.    Il  luy  dit  «  qu'il  y 
»  avoit  donné  ordre ,  »  J^uel  ordre  !  dit-il  en  jurant  5  m^ appelles 
vous  cela  ordre  ! 
îb'd  ^^  quidam  Gallus  eftoit  Sainteval  ,  non  Sefleval  baftard ,' 

qui  feignit  avoir  la  jambe  rompue  d'un  coup  de  pied. 

îbid.pag.  3^.  Monfieur  le  Marefchal  de  Biron  conclut  à  ce  confeil  ?  & 
s'il  y  euft  refifté,  conmie  il  pouvoir  &  devoir,  il  n'eut  point 
efté  entrepris. 
Ibid.  Comme  Monfieur  vit  plufieurs  fe  jetter  par  les  murailles , 
il  dit  à  ceux  qui  eftoient  près  de  lui  :  «  Voyez  comme  ces 
:»  pauvres  Bourgeois  fe  jettent,  &c.  »  Mais  M.  de  Laval  qui 
eftoit  auprès  de  luy  fir  connoiftre  que  c' eftoient  des  fiens , 
dont  il  fut  bien  étonné. 
Ibid.  Le  Comte  de  Saind  Aignan  fe  noya  dans  lefofle,&fon 

fils  après  luy.  Monfieur  luy  demandant  fon  avis  au  Confeil , 
il  y  avoit  fait  de  grandes  difficultés  5  furquoy  il  luy  dit  : 
«  Quoi ,  Comte ,  le  nez  vous  faigne  ?  39  II  luy  repond  qu'il 
luy  feroit  voir  le  contraire  ,  parce  qu'il  y  mourroit  pour  fon 
fervice  j  &  depuis  n'en  dit  plus  mot.   Etant  preft  de  partijc 


DE   J.    A.    DE   THOa.  35?i 

pour  ce  voyage ,  il  eftoit  venu  voir  ma  mère  fa  coufîiie  ger- 
maine chez  elle  ,  &  comme  s'il  prefîentoit  fon  malheur  , 
luy  dit ,  &  à  moy  mefme ,  plufieurs  fois  qu'il  euft  voulu  en 
eftre  quitte  pour  un  bras.  Monfieur  de  Fervacques  eftant  pris 
dans  la  ville  ,  fut  fauve  en  difant  qu'il  eftoit  Monfieur  de 
Laval ,  &  s'en  defchargeoit  fur  Monfieur  de  la  Rochepot , 
qui  de  fait  fous  ombre  d'achepter  des  pierreries  pour  Mon- 
fieur, avoit  fait  voir  les  jours  precedens  les  plus  belles  pie- 
ces,  qui  eftoient  chez  les  orfèvres  pour  les  piller  ce  jour-là. 

Un  Synode  national  des  Edifes  reformées  de  France  s'e-  ,^v,v  ^V.^. 
ftoit  tenu  à  Vitre  en  May  1583.  ou  j  avois  ailifte  de  la  part 
du  Roy  de  Navarre ,  &  propofé  deux  poinds  :  l'un ,  qu'ils 
perfuadallent ,  chacun  à  fa  province ,  de  tenir  une  ou  deux  per- 
fonnes  qualifiées  &  capables  auprès  de  fa  perfonne ,  par  l'a- 
vis defquels  il  conduisît  fes  affaires  publiques.  A  quoy  il 
fut  fatisfait  quelques  mois  après.  L'autre ,  qu'ils  nommaflent 
d'entre  les  Pafteurs  &  Dodeurs ,  deux  ou  trois  qui  afilftaflent 
une  ambaffade  qu'il  defiroit  envoyer  vers  les  Princes  &  Etats 
de  mefme  profeftlon  ,  pour  la  reunion  des  différends  qui 
eftoient  entre  les  Confeffions  :  furquoy  ils  en  avoient  nom- 
mé trois,  entre  lefquels  eftoit  Monfieur  de  Chandieu  ,  & 
député  pareil  nombre  vers  le  Roy  de  Navarre ,  par  lefquels 
il  eftoit  remercié  &  loué  de  ce  foin  &  zèle  envers  la  paix 
de  l'Eglife ,  &  prié  d'avoir  agréable  que  je  fuffe  chef  de  cette 
Le^tion.  A  quoy  de  fait  il  s'eftoit  refolu  :  mais  Monfieur 
de  Segur  homme  violent  ,  &  qui  gouvernant  les  Finances 
n'eut  pas  confenti  à  cette  depenfe  pour  un  autre  ,  voulut  y 
aller  3  &  le  Roy  de  Navarre  qui  fefentoit  chargé  de  fon  humeur 
bifarre,  y  confentit  aifément.  J'en  dreflay  neantmoins  toutes 
les  dépefches,  &  nos  égUfes  n'eftimant  pas  que  telle  négocia- 
tion fut  bien  en  fa  main^  n'y  envoyèrent  point.  N'eft  à  ou- 
blier qu'en  ce  Synode  de  Vitré  fe  trouvèrent  deux  Pafteurs 
des  Eglifes  du  Pays-bas ,  qui  au  nom  d'icelles  s'unirent  à  la 
confeffion  de  Foy  &  Police  Ecclefiaftique  de  nos  Eglifes  , 
Prefident  en  iceluy  M.  Merhn. 

En  ce  temps  je  fus  envoyé  du  Roy  de  Navarre  vers  le  Roy  Ibid.  p.  lîx, 
Henry  III.  pour  luy  déclarer  ce  que  le  Roy  Philippe  avoit 
voulu  traiter  avec  lui  par  l'entremife  du  Vicomte  de  Chaux, 
^  d'un  d'Undianofonbeau-fi'cre^fçavoir  de  luy  fournir  trois 


5pï        l^IECES  CONCERNAKT  L'HISTOIRE 

cens  mille  ecus  comptant ,  &  cent  mille  par  mois  pour  faire 
la  guerre  au  Roy,  fans  s'enquérir  de  la  Religion.  Les  parti- 
cularités en  f?roient  trop  longues  icy,&  feront  déclarées  à 
Monfieur  de  Thou  quand  il  luy  plaira.  La  négociation  avoit 
commencé  dez  l'an  pafle.  Je  luy  menay  tout  enfemble  un 
Capitaine ,  Beauregard  Dauphinois ,  que  Monfieur  de  Savoye 
avoit  employé  en  diverfes  recjnnoilTances  ,  qui  declaroit 
entr'autres  une  entreprife  d'Efpiart  fur  Arles ,  &  une  autre 
fur  Briançon  5  luy  donnay  auflfi  avis  que  ceux  de  Guife 
eftoient  alTeurez  d'Orléans  j  &  d'une  Lettre  trouvée  dans  la 
pofche  du  Viceroy  de  Valence  ,  par  un  lien  valet  de  cham- 
bre François,  à  luy  efcrite  par  un  Secrétaire  d'Etat  d'Efpagne , 
qui  portoit  :  <r  Aujourd'huy  a  été  refoluë  la  guerre  contre  la 
a»  France.  Le  Roy  me  dit  qu'il  avoit  eu  divers  foupçons  , 
mais  que  j'eftois  le  premier  qui  luy  avoit  donné  lumière.  Pour- 
veut  à  Arles  où  les  engins  d'Efpiart  furent  pris  &  luy  tué ,  & 
ailleurs  où  il  pût  5 fit  defpeches partout,  qu'il  me  commanda 
de  concerter  avec  Monfieur  de  Villeroy ,  &  manda  Monfieur 
pour  luy  en  communiquer,  qui  coucha  deux  nuits  avec  luy. 
Il  me  commanda  de  dire  le  tout  à  la  Reyne  :  je  m'en  ex- 
cufay ,  n'ayant  cette  charge  ,  mais  il  m'y  mena ,  &  luy  conta 
le  tout  en  ma  prefence  Cen'efloit  pas  pour  en  tirer  le  fruit. 
Il  me  fit  offrir  cent  mille  livres  pour  ce  fervice  par  l'Abbé  Del- 
bene  ,  que  je  refufay.  Mais  je  luy  demanday  cent  mille  écus 
pour  le  Roy  mon  maître ,  qu'il  m'accorda.  Les  negotiat,eur3 
du  Roy  d'Efpagne  fur  les  difïicultés  que  je  leur  faifois  trai- 
tant avec  eux ,  me  dirent  en  partant ,  ^  He  bien  vous  refu- 
»  fez  ce  party,  nos  marchands  fpnt  prefts,»  entendant  ceux 
de  Guife. 

Xbid.  p.  184.  ïl  ^^  ^^^  ^^^  fervice  de  Monfieur  Pierre  Loifeleur  dit  de 
Villiers  ,  fon  Miniflre ,  auquel  il  fe  confioit  de  fes  plus  fe- 
cretes  affaires.  Le  matin  Madame  fa  femme  luy  avoit  dit  com- 
me il  apportoit  certaines  defpefches  ,  qu'il  avoit  mauvaife 
mine^  &  luy  repondit  que  c'eftoit  parce  qu'on  neTexpediciC 
pas  affez  toft. 
ibid.  Liv.        Cette  affemblée  fut  tenue  fur  l'automne  après  Tentreveuë 

Lxxx.  p.  1^8.  de  Monfieur  d'Epernon ,  &  en  icelle  fufmes  députez  Mon- 
fieur de  Laval  &  moy  vers  le  Roy  Henry  III.  pour  luy  pre-j 
fenter  les  plaintes  de  ceux  de  la  Religion  ,  &  le  requérir  ; 

attendu 


DE    J.    A.   D  E    THO  U.  5^5  l 

attendu  la  continuation  des  animofités  ,  de  la  prolongation  ! 
des  places  de  feureté  ;  laquelle  nous  fut  premièrement  refu*  '] 
fée  ,  puis  accordée  pour  deux  ans,  fur  ce  qu'un  foir  étant  al-  < 
lé  voir  Monfieur  de  Bellievre  je  luy  fis  allez  clairement  en-  i 
tendre  les  difficultés  qui  fe  rencontreroient  en  cette  exécu- 
tion. Prenant  congé  de  Monfieur  le  Cardinal  de  Bourbon  ;  j 
il  me  demanda  ce  que  nous  avions  obtenu ,  &  en  demeura 

étonné ,  parce  qu'ils  avoient  refolu  de  prendre  leur  prétexte  \ 

fur  le  refus  des  places ,  &  voyoit  que  par  là  il  leur  manquoir.  i 

Monfieur  de  Villeroy  qui  s'abftenoit  des  affaires ,  retiré  en  fa  ■ 
maifon  de  Paris  pour  une  fièvre  quarte,  me  dit  fort  bien  que 

s'il  euft  été  en  famé ,  nous  ne  les  eulîlons  pas  obtenues.  Cet-  \ 

te  affemblée  de  Montauban  fut  fort  célèbre ,  où  efloient  avec  i 
îe  Roy  de  Navarre ,  Monfeigneur  le  Prince  de  Condé ,  &  les 

plus  notables  Gentilhommes  &  Capitaines  de  toutes  les  Pro-  : 

vinces.  A  mon  retour  près  du  Roy  de  Navarre  je  fus  ouï  ! 

d'eux  à  Sainte  Foy  fur  Dordogne  ,  où  je  les  affuray  qu'ils  • 

auroient  la  guerre  au  Primemps.  Mais  à  peine  aucun  m'en  \ 

voulut  croire.  Le  Roy  de  Navarre  qui  avoir  cent  mille  ecus ,  i 

au  lieu  de  les  garder  pour  une  neceffité ,  les  employa  pour  \ 

la  Ferté  au  Vidamc ,  dont  il  fe  repentit  bien  après.  ^ 

Cette  difpute  de  Monfieur  du  Ferrier  avec  Monfieur  de  Ibîd.p.  19^  1 
Roquelaure  à  Nerac  fut  un  conte  à  plaifir.  L'entreveuë  du 

Roy  de  Navarre  avec  Monfieur  d'Epernon  fe  fit  à  Pamiers ,  ! 

non  à  Nerac  là  où  j'eflois.  Monfieur  du  Ferrier  ne  fut  point  ' 

appelle  à  ce  Confeil ,  ny  la  chofe  mife  en  délibération.  Et  \ 

quant  au  difcours  à  moy  attribué,  il  eft  par  devers  moy  tout  ■ 

autre  ;  &  fut  fait  en  l'an  1^82  lorfque  Monfieur  de  Segur  vou-  i 
lait  mener  le  Roy  de  Navarre  en  Cour,  auquel  je  mis  par                              '        ' 
efcrit  fommairement  les  raifons  &  inconveniens  de  part  ôc 
d'autre.  Pour  Monfieur  du  Ferrier ,  luy  revenant  d'Italie ,  ôc 

moy  allant  en  pofte  en  Gafcogne  ,  je  le  rencontray  à  Arte-  ' 
nay ,  où  après  avoir  renouvelle  l'ancienne  amitié ,  louant  Dieu 
de  le  voir  en  tel  âge  fe  porter  fi  bien ,  il  luy  efchut  de  me  dire 

qu'il  avoit  foixante-feize  ans  :  fur  quoy  je  pris  occafion  de  luy  ] 

dire  s'il  n'efloit  point  temps  de  penfer  à  Dieu  &  à  fa  confcien-  ] 
ce  ,  luy  ramentevant  les  propos  qu'il  m'avoit  autrefois  tenus  à                             ^         j 

Venife ,  &  ne  nous  departifmf^s  point  qu'il  ne  m'euft  promis  de  ] 

faire  profeffion  de  la  Religion.  Une  affignation  de  quatorze  i 

Tome  XK  Ddd  1 


-5P4       HECES   CONCERNANT   L'HISTOIRE 

mille  écLis  qu'il  efperoit  de  la  Cour ,  le  faifoit  dilayer.  Mais 
j'efcrivis  à  un  de  mes  amis  en  Cour  pour  le  tenir  de  près ,  & 
arrivé  que  je  fias  près  du  Roy  de  Navarre ,  luy  perfuaday  de 
luy  donner  fes  Sceaux ,  qu'il  accepta  ,  &  le  vint  trouver.  Là 
il  fit  déclaration  publique  de  fa  Religion  en  l'Eglife  reformée  ; 
mais  s'il  m'eut  cru,  comme  il  appert  par  plufieurs  Lettres,  c'eufl 
été  par  fa  propre  bouche ,  &  avec  un  écrit  adreflfé  à  la 
chreftienté ,  par  lequel  on  euft  reconnu  par  quelles  caufes  il 
eufl  été  meu  à  fe  départir  de  l'Eglife  Romaine.  Monfieur  de 
Montagne  me  difoit  fouvent ,  que  nous  leur  avions  gagné  une 
bataille  ,  par  avoir  retiré  ce  perfonnage  j  honorant  la  vertu 
qu'ils  avoient  méprifée. 

Remarque  tirée  de  la  vie  de  David  Parey  j  écrite  par  Philippe  forp 

fils  3  <ù"  qui  ejî  à  la  tête  des  Oeuvres  de  David  Parey ,  impri^ 

mées  en  i(52  8.  fol.  Traduite  du  Latin. 

*Tom.  VI  ir.  T\  Jf  Onsieur  de  Thou  dit  ^  que  Zacharie  Urftn  de  Sile^ 
Liv.  Lxxvi.  J^\^  J^  fie  prêcha  devant  les  Protejrans  affembkz  à  Mechteren. 
Tradudion.  ^  C'eft  une  faute.  Urfin  n'a  jamais  été  Prédicateur.  Il  s'agit  ici 
de  Jean  Stibellius  mon  oncle,  homme  aufil  verfé  dans  le  Droit 
Civil  que  dans  la  Théologie.  Le  Prince  Cafimir  l'avoit  alors 
auprès  de  lui  dans  fon  armée ,  où  il  faifoit  les  fondions  de 
Prédicateur. 

Remarque  d'un  Anonyme ,  fur  P  ancienneté  du  Royaume  de  France.  - 

Monfieur  de  Thou  ayant  avancé  clans  le  premier  livre  de  fon  Hiftoire, 
pag.   I  5.  que  la  A^ï anarchie  des  François  commença  fous  Childeric  ^' 
fon  fils  Clovis  ,  vers  l'an  480.  un  Anonyme  a  fait  la  remarque  fui- 
van  te. 

Imprimée  fur  Y  E  Royaume  de  France  a  commencé  environ  l'an  de 
le  Manufcrit.  [  ^  Nôtre  Seigneur  43  8.  Car  le  Roy  Clodion  avoir  ja  con- 
qiii^  audit  an  laBatavie,  Gueldres,  Cleves ,  Juliers ,  Colo- 
gne, Mayence,  Trêves,  Tongres  devers  Liège  ,  Namur,  le 
Hainault,  le  Tournaifis ,  le  Cambrefis,  l'Artois,  Tcrouenne 
entre  Arras  &  Calais,  Amiens,  le  Bcauvoiiin,  Orléans,  Soif- 
fons ,  Rheims  5  &  généralement  tout  le  pays  entre  la  rivierre 


DE  J.  A.  DE  THOU.  5^;        / 

de  Loire  &  la  Province  de  Bavière  en  Allemagne,  (i)  Et  en 
cette  conquête  (  peu  excepte  )  fe  maintaindrent  fes  fuccefleurg 
le  Roy  Merovée  qui  fe  trouva  à  la  campagne  de  Chaalons  en 
la  bataille  contre  Attila  Roy  des  Huns ,  &  le  Roy  Childeric , 
lequel ,  après  fon  retour  de  Turinge ,  eftendit  fon  Royaume 
jufqu'à  Angers  qui  fe  rendit  à  luy.  Ce  qui  foit  rema/qué ,  de 
peur  que  li  on  efcrit  que  le  Royaume  de  France  n'ait  con> 
mencé  qu'environ  l'an  480.  les  Anglois  viennent  à  foutenir 
que  le  Royaume  d'Angleterre  foit  de  quelques  années  plus 
ancien  que  le  Royaume  de  France  :  ce  qui  importe  en  matière 
de  préféance, 

Obfervations  écrites  de  la  propre  main  de  Monfieur  Dupuy ,  qui  Je 

trouvent  à  la  tête  d'un  exemplaire  de  PHiftoire  de  Jac.  Aug,  de 

Thou ,  appartenant  à  Monfieur  tAhhé  de  Thou. 

E  N  A  p  1 1.  Parce  nom  M.  de  Thou  entend  ceux  de  in^pj-îméesTuf 
__  Cleves,  Juliers,  Bergh,le  pays  deGueldres,  quoi-  le  Manufcriu 
qu'il  ne  contienne  de  ce  Duchc  (  /.  e.  de  Gueldres  )  que  la  par- 
tie qiîi  eft  au  deçà  du  Rhin,  car  au  refte  les  Menapiens  coinx- 
prennent  la  plus  grande  partie  du  Brabant ,  fitué  entre  les  ri- 
vières de  la  Meufe ,  du  Demer  &  de  l'Efcaut,  &  la  Zelande  i 
les  villes  de  Sevenberghen  &  Gertrudenberg  qui  font  de  la 
Hollande  ••,  ce  qu'il  y  a  du  Duché  de  Cleves ,  &  de  l' Archevef- 
ché  de  Cologne  au  deçà  du  Rhin  ;  les  villes  d'Ordinghen  , 
Nus  &  Suns,  &  Brugge  :  Gladbeck ,  Dalen,  Waflemberg  & 
Hein^berg ,  qui  font  du  Duché  de  Juliers. 

Triboci.  Strasbourg  en  Allace  fuperieure  avec  la  moitié  de 
l'inférieure. 

Vangiones.  Ceux  de  Wormes  &  de  Mayence. 

Nemeîes.  Ceux  de  Spire. 

Treviri.  L'Archevêché  de  Trêves ,  qui  comprend  outre  ce-- 
îa  la  Bafle  Auikafie  fituée  entre  la  Mofelle  &  la  rivière  de 
Nahe,  le  Duché  de  Bouillon  ,  &  la  fouveraineté  de  Sedan, 
le  pays  aux  environs  de  Mezieres ,  &  la  plus  grande  parde 


(i)  Marîanus  Scotus  clron.  l.  ii.  in 
Jheodopojuniore  A.  D.  4^  8.  Otlo  Frijtn- 
gen/is  Chron.L  iv.  f.  jz.  Godcfr'uLs  Vi- 
terbienjis  Chron.^urt,  \yii.in  ^rincifio  ; 


Abb.^,s  Vrfpcrgeiijîs  in  Chron.  an  ^67.  ^ 
JEnec.s  Sjlvius  in  Europ&fiattt  fub  Frede^ 
rico  m.  Jmperntere  cap.  xaxi. 

Dddij 


5p<?  PIECES  CONCERNANT  L'HISTOIRE 

du  Duché  de  Luxembourg  avec  quelques  villes  qui  dépen- 
dent de  Cologne. 

Tungri.  Dans  ce  pays  eft  contenue  la  moitié  du  Comté  de 
Namur  ;  cette  partie  du  Brabant  oii  font  les  villes  de  Tienen  , 
liannuy  ,  Landen  ôc  Halen  ;  ime  partie  du  Liège  j  tout  le  Du- 
ché de  Limbourg ,  partie  du  Duché  de  Juhers  j  une  petite 
partie  du  Duché  de  Luxembourg ,  &  encore  une  partie  de  l'E- 
vefché  de  Cologne. 

Sicambri.  M.  de  Thou  les  prend  pour  ceux  de  Gueldres  au 
deçà  du  Rhin  5  mais  il  eft  certain  qu'ils  ont  demeuré  au  delà  , 
6c  ont  tenu  le  pays  où  eft  maintenant  une  grande  partie  de 
la  Weftfahe  autant  qu'elle  s'eftend  entre  la  rivière  de  Lippe 
&  le  pays  de  Weften.  Ils  ont  encore  occupé  la  moitié  du  Dur- 
ché  de  Berg ,  tout  le  Comté  de  la  Marck  ,  &  la  partie  du  Du- 
ché de  Cleves  qui  eft  au  delà  du  Rhin ,  mais  ils  furent  exter- 
minez de  la  Germanie  par  Tibère  ,  qui  les  transfera  dans  la 
Gaule  &  en  abolit  le  nom. 

Ubii.  En  ce  pays  eft  compris  prefque  tout  ce  qui  dépend 
de  r  Archevefché  de  Cologne ,  &  la  plus  grande  partie  du  Du- 
ché de  Juliers. 

Eburones.  Ce  font  les  mefmes  c\\xQTungri. 

Atuatici.  Ils  contiennent  aujourd'hui  une  grande  partie  du 
Brabant ,  une  petite  portion  de  la  France  ,  une  partie  du  He- 
nault  &  de  Namur. 

N.B.  M.,  de  Thou  les  prend  pour  le  Brabant. 

Fleumofii.  Onnefçauroit  dire  quel  pays  c'eft^  d'autant  qu'il 
y  avoit  cinq  peuples  joints  enfemble  qui  n'eftoient  pas  fort 
grands ,  lefquels  furent  depuis  appeliez  Succomi ,  entre  lef- 
quels  eftoient  Pkumojti,  Tout  ce  que  l'on  peut  faire ,  c'eft  de 
deviner  que  c'eft  ou  Tournay  ou  quelque  autre  lieu  qui  n'eft 
pas  loing  de  là  5  mais  cela  feroit  contraire  à  la  narration  de  M. 
de  Thou ,  qui  dit  que  ces  Fleumofii  parlent  la  langue  Germa- 
nique. 

N,  B.  M.  de  Thou  les  prend  pour  la  Flandre. 

Livonia.  Les  habitans  l'appellent  Lieffland.  Elle  eft  divifée 
en  quatre  pardes  ,  Eften ,  Lotten,  Curland  &  Semigallen.  La 
première  eft  occupée  par  le  Roy  de  Suéde ,  les  autres  trois 
font  fous  la  domination  du  Roy  de  Pologne.  L'ifle  d'Oefd  > 
qui  eft  de  la  Livonie ,  appartient  m  Roy  de  Dannemarck. 


DE    J.    A.    DE   T  H  O  U.  ^97 

Marcomanni.  Quoique  M.  de  Thou  les  prend  pour  ceux 
de  Moravie ,  il  eft  néanmoins  certain  que  ce  font  ceux  de  Bo- 
hême qui  doivent  eftre  entendus  parce  nom. 

^^/iS'^/.  C'eft  proprement  la  Moravie,  contre  l'opinion  de 
M.  de  Thou  qui  les  prend  pour  la  Silefie. 

Sequani.  La  Franche  Comté ,  la  Brefle ,  &  la  haute  Alface. 

Sclabi,  Il  n'y  a  aucun  auteur  ancien  qui  parle  de  ces  gens 
fous  ce  nom  ^  par  lequel  font  entendus  ceux  de  f^erdttn  qui  a 
été  autrefois  appelle  la  cité  de  Cloux,  d'où  eft  venu  le  mot  de 
Clabi  par  le  changement  fi  fréquent  de  l'^en  B ,  &  par  fuite  de 
temps  la  lettre  *S  a  été  adjouûée ,  comme  il  arrive  aiïez  fouvent 
aux  noms  propres  des  lieux. 

LeucL  Tout.  Ils  contenoient  encore  Nancy ,  &  une  partie  d-e 
la  Lorraine. 

Mediomatrices.  Metz.  Ils  contiennent  la  plus  grande  partie 
ide  la  Lorraine; 

LAujîrafie.  Le  Palatinat  au  deçà  du  Rhin ,  &  la  bafle  Al- 
face. 

Segîiftam.  Le  pays  de  Foreft  &  le  Lionnoi-s. 

Viheri.  C'eft  une  partie  du  pays  de  Vallay, 

Veragri.  Une  autre  partie  du  pays  de  Vallay. 

'Allobroges.  La  Savoie  ôc  le  Dauphiné  font  compris  fous  ce 
nom.  M.  de  Thou  les  confond  bien  fouvent. 

Arelatenfe  regnum.  Le  Royaume  d'Arles ,  ou  de  Provence, 

Pannonia-.  Ces  pays  contiennent  la  Carniole  j  la  Croatie,  la 
Carinthie,la  Stirie,  &  la  plus  grande  partie  de  l'Auftriche^ 
îa  Bofnie ,  la  Sclavonie ,  &  tout  ce  quil  y  a  de  la  Hongrie  entre 
le  Danube  &  le  Save.  Il  eft  feparé  de  fancienne  Germanie  par 
les  montagnes,  qui  fe  nomment  aujourdhni  Pleyfz  ,  Hengft- 
berg,  Demlberg,  Heisberg ,  Schnegberg,  &  Kalenberg. 

Alpes  Lepontia.  Ce  font  des  montagnes  qui  font  une  partie 
de  celles  des  Grifons.  —  Rhetic^.  Les  Alpes  des  Grifons. 
— Vindeliciie.  Les  Alpes  du  TiroL  qui  feparent  le  Tirol  d'a- 
vec le  Duché  de  Bavière.  —  JuliiS.  Les  Alpes  des  Vénitiens'^ 
ou  les  Alpes  de  Frioul.  —  Carnica,  Les  Alpes  de  Carniok, 
' —  Coîtice, 

Dacia.  Elle  contient  toute  la  Tranfilvanie ,  une  partie  de  la 
Hongrie ,  de  la  Valachie ,  6c  prefque  toute  la  Moldavie. 

D  d  d  ii  j 


3  5?  8       PIECES  CONCERNANT  L'HISTOIRE 

Extrait  d'un  endroit  du  Livre  de  G  a/par  Scioppius  3  intitulé  Scûi- 
ger  Hypobolimaeus ,  imprimé  à  May  ence  en  lôoj.  in-4^.  (i) 

*  Depuis  la  C  Cioppius  fe  pi'opofe  dcLix  points  dans  cet  endroit  de 
^age  3  2-6.  juf-  J^  fon  livre.  ^  Le  premier  eft  de  faire  voir  quelle  doit  être  la 
qualap.  33;.  ^Q^^çjyite  des  Catholiques  envers  les  Sedaires  ;  &  le  fécond 
de  prouver  qu'il  eft  permis ,  utile  ,  &  même  nécefTaire  de  févir 
contre  eux.  Il  en  prend  occafion  d'attaquer  de  Thou  qui  veut 
qu'on  les  ramené  au  fein  de  l'unité  par  les  voies  de  la  dou- 
ceur ,  &  qui  ne  peut  voir  couler  leur  fang  pour  caufe  d'erreur, 
fans  blâmer  une  féverité,  qui  félon  lui,  iiefert  qu'à  aigrir  les 
efprits. 

La  critique  de  Scioppius  eft  amere ,  pleine  de  fiel  ôc  d'em« 
.  portement.  Les  termes  les  plus  durs  n'y  font  point  épargnez  ; 
&  l'ironie  la  plus  offenfante ,  eft  ce  qu'il  y  a  de  moins  groflier 
dans  cet  ouvrage. 

Il  entre  en  matière  par  un  paOage  du  treizième  chapitre  des 

Ades  des  Apôtres.  A/ors  Paul  rempli  du  Saint-Efprit ,  &  regar^ 

Barjefu  ou  dant  fixement  ce  Magicien  '^  3  lui  dit  :  0  malheureux  plein  de  toute 

fourberie  &  de  méchanceté  y  enfant  du  diable ,  ennemi  de  toute  jufti-- 

ce  ,jufquà  quand  pervertiras-tu  les  voies  du  Seigneur? 

Le  Cenfeur  conclut  de  cqs  paroles  de  f  Apôtre  ,  que  nous 
-devons  maudire  les  hérétiques.,  &  ne  pas  imiter  certaines 
gens ,  qui  éblouis  de  la  pourpre  ,  dont  ils  font  revêtus ,  &  en- 
nivrez  de  leur  fortune,  ofent  faire  l'éloge  des  Proteftans,  &  les 
loiier  plus  que  les  Catholiques ,  pour  je  ne  fçai  quel  mérite  de 
petite  littérature.  Dire  avec  eux  que  les  partifans  de  Luther 
les  plus  zelez ,  ont  trouvé  dans  la  mort  un  repos  dont  ils  n'ont 
pu  jouir  dans  cette  vie  mortelle ,  d'où  ils  font  paiîez  à  une 
meilleure  ?  Eft-ce  là,  demande- t-il ,  le  langage  de  T Apôtre  des 
Nations ,  qui  donne  aux  hérétiques  le  nom  d'ennemis  de  toute 
juftice  &  d'enfansdu  diable  /  J'avouë,continue  Scioppius^  qu'il 
faut  donner  quelque  chofe  à  la  charité  clirérienne.  Mais  le  nou- 
vel Hiftorien  de  Thou  eft-il  le  feul  qui  connoiffe  les  devoirs  de 
ia  charité  /  Eft-il  embrafé  d'un  feu  plus  ardent  que  S.  Paul ,  qui 


(i)  UncTradiiâion  entière  des  Criti- 
ques de  Scioppius  eut  été  aufll  pcuutilc, 
qu'elle  auroit  été  ennuyante.  On  a  cru 
«ju'ii  fuffifoic.d'cn  donner  des  extraits,  & 


l'on  a  taché  de  faire  connoître  l'efprit  de 
TAuteur,  en  y  réfumant  i4Vec  exaClitudc 
Tes  fcntimcns  fînguiiers. 


DE  J.  A.  DE  THOU.                     5<pp  i 

fe  feroît  facrifîé  pour  fes  frères ,  &  qui  cependant  avertit  Tite  | 

&  Timothée  d'éviter  les  hérétiques?  Sa  charité  eft-elle  plus  vi-  ' 

ve  que  celle  de  Saint  Jean,  qui  défend  de  faluer  les  héréti-  ' 

ques  ?  Si  cjuclqu^un ,  dit  cet  Apôtre ,  vom  apporte  une  autre  do^tri-  ] 

ne  que  celle  que  je  vous  enfeigne ,  ne  le  recevez  point  dans  votre  -  ! 
maifon  i  &  ne  le  faluezpas. 

Scioppius  s'appuie  aulll  de  l'autorité  des  pères ,  comme  de  i 
Tertulien ,  de  Saint  Cyprien  ,  &  fur-tout  de  Saint  Antoine ,  qui 

au  rapport  de  Saint  Athanafe  ^  dans  la  vie  de  ce  faint  folitaire ,  i 
laiila  comme  une  efpece  d'héritage  à  fes  difciplesja  haine  qu'il  ;  \ 
avoit  pour  les  hérétiques.  Lucifer  Evêque  de  Sardaigne ,  ajou- 
te notre  Cenfeur ,  écrivant  à  Confiance  ,  dit  hardiment  à  cet  i 
Empereur,  qu'il  le  regarde  comme  un  Gentil,  un  Juif,  un 
adorateur  des  démons  avec  tous  fes  Ariens.  Saint  Ambroife 

dit  qu'il  a  moins  d'horreur  pour  les  Juifs ,  qui  ont  crucifié  ] 
Jefus-Chrift  j  que  pour  les  hérétiques.  Saint  Chrifoftome  dans  ; 
Sa,  troiliéme  homélie  fur  Saint  Matthieu  ne  doute  point  que  ■^^^-  5-  ^^  fi^"  i 
les  hérétiques  ne  foient  poiledez  du  démon  j  &  qu'ils  ne  ''^*  \ 
ibient  plus  abominables  que  les  Gentils.  Ce  Père  raiionnoit  • 
même  ainli.  Vous  ejles  Arrien ,  donc  vous  efies  un  diable.  Sciop- 
pius triomphe ,  après  avoir  rapporté  tous  ces  paiîages.  Peut-  i 
on  fe  faire  gloire,  dit-il  avec  un  air  infultant& ironique,  d'à-  -, 
voir  donné  des  noms  honorables  à  des  hommes  à  qui  les  \ 
Saints  Pères  ont  prodigué  des  titres  fi  glorieux  ?  Qu'on  ofe  i 
accufer  ces  lumières  de  l'Eghfe  de  zèle  déplacé  ,  d'ambition  !  j 
Il  ajoute  qu'il  veut  être  traité  comme  un  hérétique  ^  &  qu'on  j 
l'évite  comme  im  oifeau  de  mauvais  augure,  s'il  ne  vient  à  '  \ 
bout  de  convaincre  de  Thou  d'avoir  employé  hardiment  la 

fraude  &  l'artifice  en  faveur  des  hérétiques.  Il  lui  reproche  i 
enfuite  beaucoup  de  fuffifance ,  &  de  fe  croire  plus  habile 

que  les  Pères,  dans  la  conduite  qu'il  faut  tenir  envers   les  i 

Novateurs  5  ce  qui  n'étoit^  dit-il,  venu  dans  l'efprit  qu'à  trois  i 

ou  quatres  laïcs  avant  lui.  ! 

De  Thou  bien  éloigné  de  fuivre  de  fi  grands  exemples ,  ne  fe  I 

borne  pas,  continuë-t-il,  à  prodiguer  fes  louanges  aux  héréti-  j 

ques  5  il  fe  plaît  à  les  accueiUir ,  fa  maifon  leur  eft  ouverte  jils  y  \ 

trouvent-auiazyle  fur  ;  il  foUicite  pour  eux  des  emplois  honora-  I 

blés.  C'eft  à  fes  foins  &  à  fa  recommandation  que  la  garde  d"u-                     -  î 

ne  des  premières  bibliothèques  du  monde  a  été  confiée  àun  de  ! 


,4oo         PIECES    CONCERNANT  L'HISTOIRE 
-ces hommes  dangereux,  (i)  Eft-ce  donc  là  agir  par  un  efprit  de 
modération  /  L'amour  de  la  paix  enfeigne-t-il  qu'il  faille  verfer 
de  l'huile  dans  le  feu  le  plus  ardent  pour  l'éteindre  ? 

Ce  protedeur  des  hérétiques ,  (  c'eft  toujours  Scioppius  qui 
parle  )  appelle  l'héréfie  un  différend  de  religion ,  religionis  dif' 
fidiîtm.  Il  prétend  qu'on  ne  peut  le  terminer  par  les  moyens, 
dont  on  s'eft  iervi  jufqu'à  prefent,  tels  que  l'exil,  le  fer,  & 
le  feu,  qui  ne  font  qu'irriter  les  efprits,  au  lieu  de  les  rame- 
ner:  Qu'il  faut  fubftituer  à  ces  expédiens  des  remèdes  plus 
doux ,  comme  Tinftrudion ,  les  lumières  de  la  fcience  ,  les 
conférences  &  les  entretiens  fans  aigreur.  Le  Cenfeur  dit  qu'il 
a  fait  voir  aiTez  clairement  par  les  paflages  qu'il  a  citez,  com- 
bien CQS  fentimens  font  oppofez  à  l'Ecriture  &  aux  Pères. 

Il  cite  après  cela  l'endroit  de  l'Hiftoire  ,  ou  le  Préfident 
de  Thou  blâmant  la  conduite  de  l'Empereur  Maxime  à  l'é- 
gard de  Prifcillien,   dit  qu'il  le  fit  mourir  avec  fes   parti- 
fans  ,  à  la  foUicitation  de  l'Evêque  Itacius  ,  malgré  les  re- 
montrances de  Saint  Martin.  A  ce  récit,  Scioppius  avoue 
qu'il  ne  peut  fe  contenir.  Il  a  recours  à  l'exclamation.  Il  s'é- 
tonne comment  le  papier  ne  s'eft  pas  fouftrait  de  lui-même 
à  la  plume  de  l'Auteur,  lorfqu'eUe  écrivoit  des faufïetez  auffi 
groifieres.  Pourquoi  ,  dit-il ,  fi  cet  Hiftorien  n'a  pu  trouver 
des  exemples  d'hérétiques  j  punis  pour  caufe  d'héréfie  dans 
toute  l'antiquité ,  n'a-t-il  pas  eu  recours  à  Calvin  &  à  Beze 
fes  amis  ?  Que  ne  leur  demandoit-il  pour  quelle   raifon   ils 
ont  fait  mourir  Michel  Servet,  &  Valentin  Gentiiis  ?  Qui  l'em- 
pêchoit  de  lire  leurs  écrits  ?  Il  y  auroit  appris  qu  on  peut  ver- 
fer  le  fang  des  hérétiques.  Enfuite  pour  infulter  à  de  Thou ,  il 
cite  un  endroit  du  livre  intitulé ,  Colloquia  convivialia ,  de  Lu- 
ther ,  où  cet  héréfiarque  parlant  du  devoir  d'un  JurifconfulteV 
lui  défend  en  termes  pleins  de  mépris  (2)  de  fe  mêler  des  cho- 
ies divines.  Scioppius  ajoute,  que  fi  de  Thou  s'excufe  fur  ce 
qu'il  n'a  pas  lu  les  livres  de  fes  amis,  il  ne  peut  du  moins 
en  qualité  de  Jurifconfulte  ignorer  les  loix  pénales  du  Code, 
au  titre  des  hérétiques ,  Scelles  qui  ont  été  faites  par  lesEni- 


(ij  Scioppius  dé/îcne  en  cet  enJroit 
Ifaac  Cafaubon  ,  qu'Henry  IV.  à  la  rc- 
-Cpmmandation  de  de  Thou,  avoit  fiùt 
j:fon  Bibliothécaire. 


{i)-Otnnii  yurijîa  efi  aut  nequifia  aut 
ignorijla  ,  qui  in  divinis  rébus  minus  fa- 
pit  quam  occifa  fus.  Luth.  coUoq.  con- 
viv.  Francof.ij6^.  pag.  40^. 

jpereurs 


DE  J.  A.  DE  THOU.  4or 

pereurs  Valentinien  &  Marcien ,  qui  portent  que  ceux  qui 
écoutent  les  héréfiarques ,  payeront  une  amende  de  dix  livres 
d'or,  &  que  ceux  qui  enfeignent  l'erreur,  feront  punis  du 
dernier  fupplice ,  ultimo  fupplicio  coerceantur.  Ce  font  les  pa- 
rôles  de  la  loi. 

Enfuite  pour  développer  davantage  les  fentimens  des  Pères 
fur  ce  fujet ,  Scioppius  rapporte  que  Macaire  Gouverneur  d'A- 
frique ayant  excité  les  plaintes  des  Donatiftes  par  le  fupplice 
<ie  quelques-uns  de  ces  hérétiques.  Optât  que  Saint  Auguftin, 
dans  fon  premier  livre  contre  Parmenien ,  appelle  un  Evêque 
Catholique ,  digne  d'être  mis  en  parallèle  avec  Saint  Ambroi- 
fe.  Optât  que  Saint  Fulgence  regarde  comme  un  Saint  &  com- 
me un  homme  aufTi  habile  dans  l'interprétation  de  l'Ecriture , 
que  les  Ambroifes ,  &  les  Auguftins  ,  ce  même  Optât  juftifie 
la  conduite  du  Gouverneur  d'Afrique  dans  fon  livre  m.  à  Par- 
menien où  il  dit,  en  s' adreflànt  aux  Donatiftes,  que  s'ils  condam- 
nent Macaire,  il  faut  qu'ils  condamnent  aufll  Moyfe,  qui  fit  égor- 
ger trois  mille  hommes  en  defcendant  du  Mont  Sinaï  5  qu'ils 
blâment  le  zèle  de  Phinées ,  qui  a  mérité  les  éloges  du  Saint 
Efprit,  &  l'adion  d'Elie  qui  fit  maftacrer  quatre  cens  cinquan- 
te perfonnes.  Ilfortifie  ce  raifonnement  d'Optat  par  despaf- 
fages  de  Saint  Jérôme  ,  de  Saint  Léon  &  de  Saint  Auguftin. 
Ce  dernier  Père  dans  fon  fécond  livre  des  retradations,  dans  fes 
iettres  &  dans  d'autres  ouvrages ,  dit  qu'il  eft  utile  que  les 
Princes  repriment  &  corrigent  les  Donatiftes  :  Qu'une  rigueur 
falutaire  en  a  déjà  ramené  un  grand  nombre  ,  qui  ont  fince- 
rement  abjuré  leurs  erreurs  :  Qu'il  avoir  d'abord  été  d'avis 
qu'il  ne  falloit  point  forcer  les  hérétiques  à  rentrer  dans  le 
chemin  de  la  vérité ,  mais  qu'une  heureufe  expérience  lui 
avoir  fait  changer  de  fentiment  :  Que  fi  l'on  demande  pour 
quel  crime  on  punit  de  mort  les  hérétiques,  il  eft  aifé  de  répon- 
dre qu'ils  tuent  les  âmes ,  &  donnent  la  mort  éternelle  î 
qu'ainfi  ils  n'ont  pas  droit  de  fe  plaindre  qu'on  leur  en  faffe 
fouffrir  une  temporelle  :  Que  la  crainte  &  la  douleur  avoit 
rendu  plufieurs  Donatiftes  dociles  aux  inftruftions  ,  &  qu'ils 
s'étoient  enfuite  accoutumez  à  la  pratique  de  ce  qu'on  leur 
enfeignoit. 

Ciceron  fournit  auffi  des  armes  à  Scioppius ,  qui  cite  cet 
endroit  de  la  huitième  Philippique  contre  Fufius  Calenus ,  ou 
Tome  XV.  E  e  e 


40^  PIECES  CONCERNANT  L'HISTOIRE 

K  cet  Orateur  dit',  qu'il  faut  retrancher  du  corps  de  la  Républî 

que  les  membres  gangrenez,  quidquid  eji peftiferum  ampmetur. 

Enfin  notre  Cenfeur  ramaffe  toutes  fes  forces  pour  porter 
îe  dernier  coup  à  fon  adverfaire  :  voici  fon  raifonnement.  Il 
paroît  par-tout  ce  que  nous  venons  de  dire ,  que  Saint  Au- 
guftin  approuve  que  les  Héréfiarques  foient  punis  de  mort, 
&  que  l'on  force  leurs  partifans  à  rentrer  dans  le  chemin  de 
la  vérité  5  or  Saint  Auguftin  ,  fuivant  de  Thou  ,  étoit  un  Evê- 
que  pieux  ,  &  d'un  naturel  porté  à  la  douceur ,  donc  quel- 
ques Evêques  pieux  &  d'un  naturel  porté  à  la  douceur  ont 
approuvé  ce  qui  eft  condamné  par  de  Thou. 

Après  ce  grand  effort  il  revient ,  comme  il  l'a  promis ,  à 
convaincre  de  faux  l'Hiflorien  ,  dont  il  s'agit.  Il  foutient  que 
l'exemple  de  Saint  Ambroife  &  de  Saint  Martin  qui  fe  font 
féparez  de  la  communion  de  ceux  qui  avoient  accufé  les  hé- 
rétiques ,  ne  conclut  rien  en  faveur  de  ces  derniers  ,  parce 
que  Saint  Martin ,  par  exemple ,  qui  ne  voulut  pas  commu- 
niquer avec  l'Evêque  Itacius ,  ne  tint  cette  conduite  à  fon 
égard ,  &  n'intercéda  auprès  de  l'Empereur  pour  Prifcillien , 
&  fes  fedateurs  ,  au  rapport  de  Sulpice  Severe ,  que  parce 
que  ce  Saint  Evêque  ne  vouloir  pas  fouffrir  que  l'Empereur 
fut  juge  dans  une  affaire  ecclefiaflique ,  &  qu'un  Evcque  fe 
portât  pour  accufateur  dans  un  cas  de  mort ,  &  non  ,  comme 
le  dit  de  Thou ,  parce  qu'il  croyoit  qu'il  n'étoit  pas  permis 
de  faire  mourir  les  hérétiques. 

Telles  font  les  autoritez,  &  les  raifons  qu'employé  Sciop- 
pius  pour  prouver  qu'il  faut  fe  féparer  des  hétérodoxes ,  & 
employer  la  force  pour  les  convertir ,  ou  les  empêcher  de  fé- 
duire  les  fidèles.  Il  conclut ,  en  fe  flatant  que  les  amis  &  les 
partifans  même  du  Prefident  de  Thou ,  ne  lui  f<çauront  pas  mau- 
vais gré  d'avoir  découvert  les  faufletez  de  fon  Hiftoire,  & 
de  les  avoir  combattues. 

Monfieur  de  Thou  méprifa  en  homme  fage  une  cenfure 
fi  injufle  &  fi  peu  méfurée.  Un  adverfaire  tel  que  Scioppius 
univerfellement  décrié  parmi  les  fçavans ,  étoit  indigne  de  fon 
attention.  Il  connoiffoit  fa  malignité ,  &  que  la  jaloufie  feule 
lui  dictoit  tant  de  calomnies  &  de  grofTieretez  qu'il  répandok 
fur  \qs  gens  de  lettres  les  plus  eftimables ,  &  qui  lui  méri- 
tèrent enfin  le  nom  de  Chien  Grammairien.  L'on  a  déjà  vu 


D  E  J.  A.  DE  THOU.  405 

<3ans  quelques  lettres  que  l'on  a  rapportées  cy-devant ,  ce  que 
Monfieur  de  Thou  penloit  fur  fon  fujct.  En  voici  encore  quel-  pag.  i^3ci<5'4. 
ques-unes  du  même  ftile ,  où  ce  fâcheux  Critique  n  eft  pas  "-"^  ^^^* 
mieux  traité. 

Extrait  d'une  Lettre  de  Jac.  Aug.  de  Thou  3  à  Jofeph  Scaliger. 

LE  S  mérites  que  vous  vous  eftes  acquis  fur  le  public  vous  Tiré  aes  Epif. 
ont  desjafufcité  beaucoup  d'envieux  &  obtre dateurs  :  [^^^  Franfoifeg 
c'eftl'exercice  continuel  de  la  vertu  &  de  l'excellent  fçavoiren  ^^j)^  v!  s%; 
cefte  vie ,  &  principalement  en  ce  fiecle  plein  de  monftres ,      ■ 
ôc  ne  faut  douter  que  ce  grand  chef  d' œuvre  (i)  ne  vous 
en  fufcite  de  nouveaux.  Il  y  a  un  maraud  de  pédant  à  Rome 
que  l'on  did  eftre  gagé  pour  abboyer  après  tous  ceux  qui 
par  leur  induftrie  &  dodrine  fervent  au  public  :  il  le  faut  laifler 
pour  ce  qu'il  vault ,  &  le  mefprifer  fans  vous  en  travailler  ny 
vous  divertir  de  vos  bonnes  &  ferieufes  eftudes.  La  polie- 
rite  vous  rendra  ce  que  l'ingratitude  de  prefent  vous  envie  > 
&  ce  peu  qui  refte  de  blanches  âmes  aujourd'huy ,  dés  cefte 
heure  prife  &  honnore  tout  ce  qui  vient  de  vous ,  fans  s'ar- 
refter  au  jappement  de  ces  chiens  importuns.  A  Paris  ce  <î 
Novembre  1606. 

Autre  extrait  d^une  Lettre  de  Jac.  Aug.  de  Thou  à  Jofeph  Scaligeri 


MA  I  s  que  dirons  nous  de  ce  maraut  de  Schoppius ,  que  i^jj^  p^ 
Monfîeur  Heinfîus  a  fi  bien  defcrit  fans  le  nommer  l 
c'eft  aflez  &  trop  pour  tel  clabaut  maftin  :  il  eft  indigne  de 
la  cholere  des  gens  de  bien ,  &  de  la  voftre  principalement. 
Son  livre  (2)  eft  fi  bien  receu  icy ,  bien  que  foigneufement 
imprimé  à  Mayence  ,  que  perfonne  n'en  achepte  ,  &  croy 
qu'il  mourra  dés  fa  naiflance  s'il  eft  négligé  ,  comme  il  doibt 
eftre.  On  m'efcrit  de  Rome  qu'il  y  en  a  un  pareil  contre  Mon- 
fieur  de  Cafaubon.  Idem  <&  de  eo  efio  judicium.  Tels  vilains: 
voudroyent  occuper  les  bons  &  ferieux  efprits  à  refpondre 
à  leurs  fales  conviées ,  &  les  irriter  ,  voire  defpiter  contre 
le  public.  Le  vray  moyen  de  fe  venger  d'eux  genereufe- 
ment  eft  de  ne  faire  pas  ce  qu'ils  défirent.   Monfieur  Ca« 

fi)  Son  Edition  d'Eufeb'd  Thefaurus  Temporum, 
fx)  Le  Scaliger  Hypobolim^us, 

E  e  e  1) 


p.  ji»^ 


404  PIECES  CONCERNANT  L'HISTOIRE 

faubon  a  pris  cefte  refolution  par  le  confeil  de  fes  amis.  Vous 
devez  faire  le  mefme ,  &  ne  penfer  pas  qu'un  fi  deteftable 
livre  ait  jamais  veu  la  lumière.  A  Paris  le  20  Mars  lôo-j. 


iChap,  cTiii. 


Extraits  de  quelques  Chapitres ,  oh  Scioppius  attaque  le  Prejidenf 
de  Thou  j  tirez  du  Livre  intitulé  Ecclefiafticus  audoritati  fere- 
nifllmi  D.  Jacobi  Magnae  Britannise  Régis  oppofitus ,  impri'^ 
mè à Hartberg {i)en  161 1.  in-quarto, 

^  C I  o  p  p  I  u  s  ne  fe  contenta  pas  de  s'être  déchaîné  contre 
1^  le  Prefîdent  de  Thou  dans  fon  Scaliger  Hypobolimaus  , 
il  le  fit  encore  dans  fon  Livre  contre  P  autorité  du  Roi  Jacques. 
Sa  critique  commence  au  108.  chapitre  ,  &  finit  au  116.  Il  y 
adrefîe  la  parole  aux  Princes  de  la  maifon  d'Autriche  j  &  il 
leur  donne  fouvent  des  éloges,  qui  font  quelquefois  fuivis 
de  traits  amers  contr'eux. 

Quoique  le  Saint-Efprit  nous  apprenne ,  dit  Scioppius ,  que 
les  héréfiarques  ,  qui  réfiftent  en  face  au  Prêtre  ne  fe  con- 
vertiffent  point  j  qu'ainfi  il  faut  les  punir  de  mort,  parce  que 
la  crainte  d'un  pareil  traitement  retire  leurs  partifans  de  la 
létargie ,  où  l'erreur  les  a  plongez  ;  cependant  de  Thou ,.  ce 
Prefident  du  Parlement  de  Paris ,  quelque  claire  que  foit  la 
manière  dont  l'écriture  s'explique  fur  ce  fujet,  fait  un  crime 
dans  la  préface  de  fon  Hiftoire  à  l'Eglife  Romaine  ,  &  aux 
Efpagnols ,  de  ce  qu'ils  verfent  le  fang  des  hérétiques ,  &  de 
ce  qu^ils  regardent  cette  conduite ,  comme  un  puiffant  moyen 
pour  ramener  les  fedaires.  De  Thou,  ajoute  Scioppius  ,  leur 
donne  pour  motifs  un  zèle  indifcret,  ôc  déplacé,  l'ambition; 
&  l'amour  des  nouveautez. 

Le  Cenfeur  ajoute  que ,  quoiqu'il  ait  déjà  convaincu  de 
Thou  de  fauffeté ,  &  de  fourberie  dans  fon  Scaliger  Hipobo- 
limaus ,  il  réparoît  néanmoins  encore  fur  les  rangs  contre  cet 
Hiftorien,  qui  fous  des  dehors  de  Catholicité  s'efforce  de 
féduire  fes  compatriotes ,  tantôt  en  profcrivant  des  livres  pu^ 


(ij  Hartberg  eft  une  petite  ville  de 
"Wetfphalie ,  où  Ton  a  remarque  qu'il  n'y 
avoir  pas  alors  d'Imprimerie  -,  ainiî  il  y 
a  tout  lieu  de  croire  que  c'cft  un  nom 
fuppofé.  Scioppius  prévoyant  que  fon 
cuyrage  rempli  4'invei>ives  contre  des 


Puiflances  refpeftables  feroit  attaqué,' 
voulut  du  moins  le  mettre  à  couvert ,  en 
cachant  le  lieu ,  où  rimprcffion  en  avoir 
été  faite.  L'on  trouvera  à  la  fin  de  cet 
Extrait  l'Arreft  du  Parlement  de  Paris 
qui  en  ordonna  la  fuppreffiQii. 


D  E     J.    A.   D  E    T  H  O  U,                  ~^o^  ] 

Tblicz  contre  les  hérétiques  ,  tantôt  en  déchirant  par  des  ca-  i 

lomnies  odieufes  la  Compagnie  de  Jefus,  qui  s'eft  fignalée  ; 
par  une  fainte  vigueur  à  la  défenfe  de  l'Eglife.  Scioppius  appel- 
le cette  Société  pratoria  Cohors  caftrorum  Dei ,  c'eft-à-dire  la 

Cohorte  prétorienne  de  Dieu ,  ou  le  régiment  des  Gardes  de  j 

Jedis-Chrift.  Enfuite  adrefïant  la  parole  aux  Princes  de  la  mai-  :; 

fon  d'Autriche ,  il  leur  dit ,  que  l'autorité  du  Prefident  de  Thou  { 

regardé  comme  catholique ,  &  comme  Prefident  au  Parlement  I 

de  Paris ,  avoit  rendu  leurs  fujets  hérétiques  d'Allemagne  aflez  ' 

hardis,  pour  leur  prefenter  des  requeftes,  afin  d'obtenir  lali-  : 

berté  de  confcience  :  que  ces  rebelles  appuïez  des  raifons  fpe-  j 

cieufes  de  cet  Hiftorien,  avoient  pris  les  armes  pour  extorquer  i 

d'eux  cette  funefte  liberté  ,  & ,  ce  qui  ctoit  de  plus  horrible  ,       .  \ 

qu'ils  avoient  appris  dans  fon  livre  à  regarder  leurs  Souverains  \ 

comme  des  tirans ,  &  des  opprelfeurs.  \ 

Après  avoir  rapporté  l'endroit ,  où  le  Prefident  de  Thou                            ^      i 
dit  dans  fon  Hiftoire  ,  qu'il  faut  traiter  les  hérétiques  avec  j 
douceur ,  Scioppius  cite  une  foule  de  paflages  de  l'écriture  ; 
pour  accabler  fon  adverfaire  j  il  fufïit  de  rapporter  le  plus  fort ,  ! 
&  le  plus  favorable  au  Cenfeur  :  il  eft  du  Prophète  Zacharie  :  zach.  c.  miir.  i 
S'il  s  élevé  quelque  faux  Prophète  ,  fon  propre  père  &  fa  propre  ■ 
mère  le  feront  mourir,  Scioppius  expHque  ainfi   ce  pallage.  Si  i 
quelqu'un  interprète  l'Ecriture  dans  un  mauvais  fens  ,  il  eft  \ 
digne  de  mort.  Après  cela  il  demande  auquel  des  deux  on 
doit  plutôt  s'en  rapporter  ;  &  fi  le  fentiment  du  Prefident 
de  Thou  doit  être  préféré  à  la  décifion  de  l'elprit  de  Dieu. 
Il  cite  au.iïi  Seneque  le  Philofophe ,  qui  dans  fon  traité  de  la  ! 
Colère  dit ,  chapitre  1 5 .  qu'il  faut  ôter  de  ce  monde  les  hom- 
mes incorrigibles ,  corrigi  nequcunt ,  tollantur  è  cœtu  morîalium.  \ 

Scioppius  à  l'endroit,  oii  de  Thou  affure  que  Saint  Au-  \ 
guftin  n'a  jamais  approuvé  qu'on  ufât  de  violence  envers  les  i 
hérétiques ,  s'élève  contre  notre  Hiftorien.  Pour  prouver  que  \ 
ce  Père ,  quoique  d'un  naturel  fort  humain ,  étoit  d'avis  qu'il  ■ 
falloit  punir  de  mort  les  fedaires ,  il  cite  la  quarante-huitième  | 
lettre  de  ce  fçavant  Evêque  à  Vincent.  Saint  Auguftin  y  dit  :. 
qu'il  avoit  penfé  d'abord  qu'il  ne  falloit  contraindre  perfon- 
ne  à  fe  réunir  à  l'Eglife ,  qu'il  falloit  au  contraite  éclaircir  les  \ 
doutes  par  la  difpute ,  &  n'employer  que  la  raifon  contre  rer- 
ieur, pour  ne  point  avoir  dans  le  fein  de  PEglife  des  hom-  i 

Eeeiij  \ 


4o5        PIECES   CONCERNANT  L'HISTOIRE 

mes ,  qui  feigniffent  d'être  Catholiques.  Mais  ce  Père  ajou- 
te qu'il  a  reconnu  par  l'exemple  de  la  ville  d'Hippone ,  que 
la  crainte  des  loix  Impériales  avoit  arraché  plufîeurs  Dona- 
tiftes  à  l'erreur;  &  qu'ainfi  on  pouvoit  févir  contre  les  hé- 
rétiques ,  fuivant  ce  paflage  de  l'Ecriture  :  Donnez  occafion  au 
fage  y  &  fa  fageffe  ^augmentera. 

Le  Cenfeur  après  cela  ne  peut  aflez  s'étonner  de  quel  front 
le  Prefident  de  Thou  ofe  paroître  au  Parlement ,  &  fe  mê- 
ler parmi  des  collègues  vertueux ,  &  pleins  d'érudition  ;  tandis 
qu'en  Allemagne  les  plus  vils  artifans  éviteroient  la  com- 
pagnie d'un  homme  de  leur  profellion,  qui  feroit  convaincu 
d'un  menfonge  aulTi  groiïier,  que  celui  dans  lequel  il  pré- 
tend qu'il  vient  de  furprendre  notre  Hiftorien  ;  &  que  cet 
artifan  feroit  obligé  de  fermer  fa  boutique  par  ordre  de  fa 
Communauté.  Il  lailfe  à  juger  aux  membres  du  Parlement , 
s'il  efl  permis  aux  Prefidens  des  Cours  Souveraines  de  Fran- 
ce de  mentir  fi  impudemment ,  de  rendre  l'Eglife  Romaine 
odieufe^  &  d'exciter  à  la  révolte  les  fujets  de  l'Empereur, 
du  Roi  Catholique,  &  des  Princes  d'Autriche.  Il  fe  flate  qu'ils 
ne  défaprouveront  point  le  zèle  qu'il  fait  paroître  pour  dé- 
fendre l'honneur  de  l'Eglife ,  &  pour  le  fervice  de  fes  au- 
guftes  protedeurs ,  en  démafquant  la  fourberie ,  ôc  l'impofture 
du  Prefident  de  Thou. 
Chap.  cix.  Ce  chapitre  ell  encore  rempli  d'exemples  tirez  de  l'Ecriture 
Sainte ,  pour  prouver  qu'il  faut  employer  le  fer  &  le  feu  contre 
les  hérétiques.  Ainfi  Moïfe ,  dit  Scioppius ,  fit  égorger  autrefois 
vingt-trois  mille  Ifraëlites ,  &  le  Prophète  Elie  fit  périr  par  le 
glaive, fuivant  l'expreffion  de  l'Ecriture,  huit  cens  cinquante 
Prêtres  &  Prophètes  de  Baal.  David ,  ajoute  le  Cenfeur  j  ce  Roi 
dont  la  douceur  étoit  fi  grande ,  qu'il  eut  toujours  en  horreur 
de  verfer  le  fang  de  fes  fujets  rebelles ,  faifoit  néanmoins  mou- 
rir les  pécheurs  qui  engageoient  les  autres  à  pécher ,  com- 
me il  le  dit  dans  le  centième  Pfeaume. 

Après  avoir  jugé  le  Prefident  de  Thou  par  l'Ecriture,  Sciop- 
pius le  cite  au  tribunal  du  fens  commun.  Il  dit  que  la  rai- 
fon  feule  devroit  lui  enfeigner ,  qu'il  faut  haïr  les  hérétiques , 
parce  que  plus  on  efl:  religieux ,  plus  on  conc^oit  de  haine 
contre  l'impie  qui  efl:  oppofé  à  la  Religion  que  nous  pro- 
fcffons ,  &  que  nou5  croyons  vraie.  Il  ajoute  que  la  nature 


DE  J.  A.  DE  T  HOU.  407  j 
nous  porte  à  aimer  ceux  qui  s'accordent  avec  nous  par  la  ï 
conformité  de  volonté,  de  penchant,  de  genre  de  vie,  &  ; 
fur  tout  de  Religion ,  tandis  qu'elle  nous  infpire  de  la  haine 
ou  du  moins  de  l'indifférence  pour  ceux  qui  veulent  le  con- 
traire de  ce  que  nous  voulons  ,  ôc  qui  ne  veulent  pas  même  ; 
avoir  de  commun  avec  nous  la  moindre  des  chofes  ,  que  ' 
nous  fouhaiterions  avec  plus  d'ardeur.  Ces  fentimens  font  en-  ; 
cote  fondez,  continue  Scioppius,  fur  l'idée  que  nous  avons  ! 
que  tout  profpere  aux  vrais  adorateurs  de  la  Divinité ,  tandis  ' 
que  rien  ne  réulîit  aux  hérétiques ,  &  à  ceux  qui  font  en  com-  ; 
merce  avec  ces  obfervateurs  d'un  culte  réprouvé  ,  comme  j 
il  l'a ,  dit-il ,  fait  voir  dans  fon  ouvrage  intitulé  Confultaîio  de  \ 
Germania  Jîatu.  \ 
En  effet ,  dit  Scioppius ,  fi  j'allois  à  Paris ,  &  que  les  enfans  1 
de  l'Hiftorien  de  Thou,  n'ignorant  pas  que  je  l'ai  accufé  de  ' 
menfonge,&  d'impofture,  me  fiffent  un  accueil  favorable,  ! 
n'en  feroit-il  pas  irrité  contr'eux  ?  Qu'elle  doit  donc  être  la  | 
colère  de  Dieu,  à  la  vue  du  traitement  que  de  Thou  veut  \ 
qu'on  fade  aux  hérétiques  ennemis  de  Dieu  ,  ôc  qui  ofent  ■ 
porter  le  blafpheme  jufqu'à  l'accufer  de  menfonge  ?  Car  il  a  *  \ 
fait  une  alliance  éternelle  avec  fon  Eglife ,  fuivant  ces  paroles  ^ 
d'Ofée  :  Je  vous  rendrai  mon  Epoufe  pour  jamais.  Il  lui  a  juré  ofée  da^,  xi  \ 
que  l'Efprit  divin  feroit  toujours  avec  elle ,  &  que  fa  foi  ne  ^'  '^'  ! 
ne  feroit  jamais  altérée.  Or  les  hérétiques ,  continue  Sciop-  ; 
plus ,  affurent  que  l'Eglife  eft  une  proftituée  ,  une  adultère  >  \ 
que  fes  pafreurs  ont  été  privez  de  i'efprit  de  Dieu  ,  &  de  j 
l'intelligence  de  la  parole  divine  depuis  les  Apôtres  jufqu'à  j 
Luther,  qui  a  eu  l'audace  impie  de  dire  des  Pères  du  con-  | 
cile  de  Nicée ,  qu'il  n'y  avoit  pas  un  feul  de  cette  affemblée  I 
qui  eût  flairé  la  moindre  odeur  du  Saint-Efprit ,  qui  vel  mi-  ' 
nimum  de  Spiritu  San5îo  olfecerit.  Scioppius  ajoute  ce  raifon- 
nement  :  il  eft  indubitable ,  dit-il ,  que  Jefus-Chrift  nous  st 
diftribué  la  parole  de  Dieuj  donc  celui  qui  croit  en  Jefus^ 

Chrift  figne,  &  met, pour  ainfi  dire,  fon  cachet  qu'il  croit  | 
Dieu  veridique  5  donc  au  contraire  celui  qui  n'ajoute  pas  foi 

à  Jefus-Chrift  figne  que  Dieu  eft  menteur ,  &  qu'il  ne  rem-  , 

plit  pas  fes  promeffes.  Or  Dieu  a  promis  à  fes  Apôtres  &  par  j 

confequent  aux  Evêques  ,  d'être  avec  eux ,  &  de  parler  par  ' 

îeur  bouche ,  comme  on  peut  le  voir  dans  l'Evangile ,  d'oi\  ' 


40  9         PIECES  CONCERNANT  L'HISTOIRE 

il  conclut ,  que  celui  qui  ajoute  foi  aux  Apôtres ,  &  aux  Eve- 
ques  leurs  fuccefleurs ,  reconnoit  que  Dieu  eft  veridique  ,  ôc 
qu'au  contraire  celui  qui  ne  les  croit  pas ,  regarde  Dieu  com- 
me un  menteur.  Le  cenfeur  en  conclut  encore  que  la  co- 
lère de  Dieu  allumée  fur  nos  têtes  confondra  le  jufte  &  l'impie 
dans  ceux  qui  communiquent  avec  fes  plus  cruels  ennemis , 
Euch,  chat,  fuivant  ces  menaces  du  Prophète  Ezechiel  :  Je  m  en  vais  tirer 

?Éxi.  V,  3.  mon  épèe  hors  du  four  eau ,  &je  tuerai  dans  vous  le  jufte  &  P  impie. 
Mais  quels  feront ,  demande  Scioppius ,  les  fentimens  de  Dieu 
en  voyant  Çqs  enfans  en  bonne  intelligence  avec  les  blafphe- 
mateurs  de  fon  nom  ? 

Enfuite  il  met  Henri  le  Grand ,  fans  cependant  nommée 
ce  Prince  ,  en  parallèle  avec  Jofaphat  Roi  de  Juda.  Ce  Roi 
détruifit ,  dit-il ,  les  bois  confacrez  aux  Idoles ,  &  envoya  des 
Prêtres ,  &  des  Lévites  dans  toutes  les  villes  de  Juda  pour 
inftruire  le  peuple  des  devoirs  de  la  loi.  'Un  autre  Prince  a 
profcrit  Phéréfie  de  Luther,  &  de  Calvin  dans  fon  Royau- 
me j  il  a  bâti  des  Eglifes,  des  Monafteres,  &  des  Collèges 
pour  les  Jefuites  >  mais  il  fait  alliance  avec  un  Roi  hérétique. 
Cette  alliance  a  allumé  la  colère  de  Dieu  fur  lui ,  comme 
1.  Tarai,  ck  leProphete  l'annonce  à  Jofaphat  :  Fous  donnez  dufecours  à  rim^ 

Kîx,  pie  j  (^  yous  faites  alliance  avec  ceux  qui  haiffent  le  Seigneur  : 

vous  méritiez  que  Dieu  vous  fît  reffentir  les  effets  de  fa  colère  ; 
mais  il  a  trouvé  de  bonnes  œuvres  en  vous,  Scioppius  applique 
ce  paiTage  à  Henri  le  Grand,  &  l'explique  de  cette  maniè- 
re :  Vous  êtes  bon  catholique  ,  vous  croyez  les  bonnes  œuvres 
neceflaires  au  falut ,  &  que  la  foi  feule  ne  fufïit  pas  5  voilà 
ce  qui  a  détourné  le  bras  de  Dieu  de  deffus  votre  tête.  Après 
avoir  dit  que  Jofaphat  ne  fe  rendit  point  aux  avis  du  Pro- 
phète 5  que  ce  Roi  joignit  fa  flote  à  celle  d'Ochofias  ?  que 
le  Seigneur  pour  punir  la  perfeverance  de  ce  Prince  dans 
l'amitié  du  Roi  d'ifraël ,  brifa  fes  vaiffeaux  ,  Scioppius  con- 
clut ,  que  quoiqu'il  eût  abandonné  l'alliance  des  Idolâtres ,  i) 
n'a  pas  été  mis  au  nombre  des  bons  Rois  de  Juda ,  fuivant 
ce  paffage  de  l'Ecriture.  Tous  les  Rois  de  Juda  ont  péché  à  l'ex' 
ception  de  David ,  âEzeçhias  ,  &  de  Jofias ,  car  ils  ont  aban- 
donné la  loi  du  Très-Haut ,  &  ils  ont  méprifé  la  crainte  du 
Seigneur. 
Il  eft  vrai ,  continue  le  Cenfeur ,  que  Jofaphat  n'a  pas  aban-î 

donné 


g.Rf^.V.  XXII. 


DE   J.   A;  DE   THOU.  40^ 

<3omié  la  loi  de  Dieu ,  mais  il  n'a  pas  craint  d'attirer  fa  colère 
en  faifant  alliance  avec  des  hérétiques.  Scioppius  s'adrefTe 
enfuite  aux  Princes  de  la  maifon  d'Autriche  j  il  les  loue  d'a- 
voir en  horreur  toutes  fortes  d'alliances  avec  les  fedaires ,  il 
attribue  tous  les  malheurs  de  la  France  depuis  le  règne  de 
François  I.  à  l'appuy  que  ce  Royaume  a  donné  aux  Proteftans 
contre  les  Princes  de  la  maifon  d'Autriche.  Enfin  il  fait  des  vœux 
pour  que  le  fang  d'Autriche  qu'un  jeune  Roi  (i)  a  reçu  de  fa 
mère,  infpire  à  ce  Prince  tout  le  refped  de  la  maifon  d'Autriche 
pour  le  faint  Siège  j  qu'il  allume  dans  fon  fein  un  zèle  ar- 
dent pour  défendre  par  les  armes  &  par  les  loix ,  la  Religion 
Catholique  contre  les  hérétiques  &  les  infidèles  :  que  ce  Mo- 
narque ne  fe  laiffe  jamais  féduire  par  les  maximes  du  Prefi- 
dent  de  Thou  ,  &•  par  d'autres  apoftats  femblables  à  lui ,  ou 
par  des  hérétiques  relaps ,  qui  fe  difent  Catholiques. 

Rien  de  fi  facile  ,  ajoute-t-il ,  que  de  les  convaincre  de  firau- 
de.  De  Thou  lui-même  eft  un  menteur ,  lorfqu'il  avance  cette 
maxime  ,  qu'il  eft  au  pouvoir  des  Rois  ,  &  des  Magiftrats 
d'établir  des  loix ,  &  de  régler  toutes  chofes  j  mais  qu'ils  n'ont 
aucun  empire  fur  les  confciences  ,  &  que  les  tourmens  & 
les  fupplices  font  de  foibles  moyens  pour  ébranler  les  efprits 
prévenus  en  matière  de  Religion.  Le  Prophète  Royal ,  dit 
Scioppius ,  fappe  ces  maximes  par  les  fondemens  dans  le  7p. 
•Pfeaume ,  où  il  dit  :  I/s  nom  pas  ajouté  foi  aux  merveilles  du 
Seigneur ,  la  colère  de  Dieu  s'^ejî  allumée  fur  leurs  têtes  :  fa  main 
a  frappé  les  puijjans  d^ entre  eux  ;  pendant  quil  les  ptmijfoit  de 
mort  y  ils  le  cher  choient ,  &  revendent  à  lui  •■,  c'eft-à-dire ,  com- 
me l'explique  le  Cenfeur ,  à  la  véritable  Religion.  On  ne  cite 
point  ici  plufieurs  autres  palTages  de  l'Ecriture  rapportez  pat 
Scioppius.  Cet  Auteur  oubliant ,  que  la  loi  de  l'Évangile  eft 
une  Loi  de  douceur ,  &  de  charité ,  &  beaucoup  plus  par- 
faite que  l'ancienne  Loi ,  ne  cite  que  des  pallages  de  l'ancien 
Teftament  pour  prouver  que  le  peuple  de  Dieu  doit  exter- 
miner fes  ennemis.  Que  de  paffages  n'y  trouveroit-on  pas 
aufli,  pour  autorifer  le  raenfonge ,  le  vol,  le  concubinage, 
rairaffinat ,  la  vengeance ,  &  la  plus  horrible  cruauté  !  Toutes 
ces  autoritez  mal-entenduës  ne  tirent  point  à  confequencepouc 

^  (i)  Louis  XIII.  fils  de  Marie  de  Me-    j    de  Medicis ,  &  de  Jeanne  d'Autriche  61^ 
^eis ,  iaqtîelle  étoit  fille  de  François  I.    1    le  de  l'Empereur  Ferdinand  I. 

TomeXK  ^  F  f  f 


4io  PIECES  CONCERNANT  L'HISTOIRE 

la  Loi  Chrétienne ,  qui  défend  expreffément  toutes  ces  adions 
contraires  aux  principes  de  la  Morale ,  ôc  qui  renverfent  la 
focieté  civile. 
Chap.  ex.  Le  Cenfeur  prétend  prouver  dans  le  chapitre  cent  dixième 
qu'il  faut  punir  ,  même  de  mort ,  les  hérétiques,  dont  la  con- 
verfion  eft  défefperée ,  ôc  fur  lelquels  on  prévoit  que  la  dou- 
leur, &  les  tourmens  ne  feront  aucun  effet. 

Dieu  a  livré  à  la  mort ,  dit-il,  ceux  que  les  fupplices  ne  fçau- 
roient  ébranler,  &  dont  la  malice  fortifiée  par  l'habitude  , 
par  l'autorité  ,  ou  par  quelque  paflion ,  introduit  des  Sedes 
de  perdition ,  &  blafphéme  contre  Dieu.  Semblables  à  Pha- 
raon ,  ils  font  abandonnez  à  l'efprit  de  ténèbres ,  pour  qu'ils 
foient  endurcis ,  &  aveuglez.  Il  ne  faut  pas  efperer  que  les 

îrov.ch.x-],  tourmens  leur  ouvrent  les  yeux,fuivant  ces  paroles  des  Pro- 
verbes :  Quand  vous  broyeriez  nnfenfé  dans  un  mortier  avec  un 
pion ,  vous  ne  luy  oterez  pas  fa  folie.  Mais  l'exemple  intimi- 
dera les  efprits ,  &  arrêtera  le  cours  de  la  contagion.  Cette 
conduite  eft  néceflaire  pour  empêcher,  comme  dit  Saint  Jean , 

Jean  ch,  lo.  Qu'un  loup  dévorant  n  enlevé  les  brebis  &  ne  difperfe  le  troupeau, 
Scioppius  fait  faire  ces  raifonnemens  à  de  Thou.  Ce  mem- 
bre eft  déjà  attaqué  de  la  pefte,  donc  il  ne  faut  pas^  le  couper  , 
parce  que  l'incifion  feroit  inutile,  &  ne  le  guériroit  pas.  Le 
loup  emportera  toujours  les  brebis,  &  difperfera  le  troupeau; 
donc  il  ne  fervira  de  rien  au  berger  de  pourfuivre  ,  &  de 
tuer  le  loup.  Il  apporte  enfuite  plufieurs  paflages  de  l'Ecri- 
ture ,  où  Dieu  dit ,  qu'il  faut  exterminer  les  loups  ,  &  qu'il 
les  exterminera  lui-même ,  afin  que  fes  fidèles  ferviteurs  re- 
pofent  en  sûreté  fur  la  terre.  Il  ajoute  que  l'exemple  des  ri- 
gueurs falutaires ,  préferve  de  la  contagion  ceux  qu'elle  n'a 
point  gagnez,  &  rend  la  fanté  à  ceux  qui  en  font  déjà  infe- 

frov,cKi9.  dez^fuivant  ces  paroles  des  Proverbes  :  La  punition  du  pé- 
cheur rendra  Pinfenfé  plus  fagc. 

Il  y  a  donc  de  l'impudence,  continue  Scioppius,  on  une 
ignorance  lionteufe ,  à  foutenir  qu'il  eft  inutile  de  contrain- 
dre par  la  crainte ,  &  par  les  tourmens ,  les  Sedaires  à  ren- 
trer dans  le  fein  de  l'Eglife.  Telles  font  les  raifons ,  dir-il , 
que  de  Thou  apporte  pour  prouver  fon  fentiment.  Les  bre- 
bis font  déjà  loin  du  bercail  5  c'eft  donc  en  vain  que  le  ber- 
ger court  après  elles.  Il  agit  à  leur  égard  avec  dureté  fi  les 


DE  J.  A.  DE  THOU.  ^     4ir 

ayant  trouvées ,  il  les  charge  fur  fes  épaules  malgré  elles  , 
ou  même  de  leur  bon  gré.  Il  lui  fait  faire  plufieurs  raifon- 
nemens  à  peu  près  femblables,  d'où  il  conclut  que  cet  Hi- 
ftorien  eft  forcé  d'avouer,  ou  que  les  Proteftans  ne  font  pas 
dans  l'erreur,  &  que  la  contagion  ne  les  a  pas  gagnez  ,  (  ce  qui 
eft  dire  que  Luther  &  Calvin  ne  font  pas  des  loups  dévorans , 
des  empoifonneurs ,  &  que  leurs  fedateurs  ne  font  pas  retran- 
chez de  TEglife  Catholique ,  )  ou  qu'il  n'eft  pas  du  devoir 
d'un  bon  pafteur  de  courir  après  fes  brebis  égarées ,  de  les 
rapporter  fur  fes  épaules,  &  de  guérir  leurs  maux.  L'alterna- 
tive eft  néceflaire  ,  continue  Scioppius.  Si  de  Thou  s'arrête  au 
premier  parti ,  n'y  a-t-il  pas  de  l'impudence  &  de  l'effronterie 
à  lui,  à  fe  dire  Catholique  ?  S'il  prend  le  fécond ,  n'eft-il  pas 
plus  digne  de  commander  à  des  infenfez ,  que  d'occuper  une 
place  dans  le  Confeil  de  fon  Roy. 

Après  avoir  cité  Seneque ,  qui  dit  qu'il  faut  contraindre  un 
malade  à  faire  &  à  fouffrir  bien  des  chofes ,  il  examine  quel  eft 
le  fentiment  de  Saint  Auguftin ,  fur  lequel  le  Préfident  de  Thou 
fe  fonde,  pour  defapprouver  la  violence  à  f égard  des  héréti- 
ques. Il  rapporte  plufieurs  autoritez  de  ce  Père ,  qui  dit  que 
quoi  que  la  maladie  de  plufieurs  foit  incurable  ,  il  faut  néan- 
moins recourir  au  remède  :  Que  les  égards  ne  font  pas  tou- 
jours des  marques  d'amitié ,  comme  les  traitemens  fâcheux 
ne  font  pas  toujours  des  preuves  de  haine  5  II  cite  enfuite  les 
paroles  de  cette  lumière  de  l'Eglife  aux  Donatiftes  :  Vous  êtes , 
leur  dit  ce  Père,  les  ouailles  du  Seigneur  :  Vous  portez  fur  vous 
le  fceau  de  Jefus-Chrift,  qui  vous  a  été  imprimé  dans  le  bap- 
tême 5  mais  helas  !  vous  errez ,  &  vous  périflez.  Devez-vous 
nous  fçavoir  mauvais  gré  de  courir  après  vous  ,  &  de  vous 
chercher ,  quand  vous  vous  perdez  ?  Nous  nous  conformons 
par-là  davantage  à  la  volonté  de  Dieu ,  qui  nous  avertit  de 
vous  forcer  plutôt  à  rentrer  dans  le  bercail,  que  de  vous  aban- 
donner à  vos  erreurs ,  comme  vous  le  fouhaitez.  On  ne  peut 
douter  qu'il  ne  foit  plus  à  propos  de  ramener  les  hommes  au 
culte  de  Dieu  par  la  voye  de  î'inftrud-ion  que  par  la  crainte  de 
la  peine  ,  ou  par  les  toiu-mens.  Mais  parce  que  quelques-uns 
n'en  deviennent  pas  meilleurs,  faut-il  néghger  pour  cela  ceux 
qui  ne  font  pas  incorrigibles  f  L'expérience  nous  a  fait  voir 
que  la  crainte  ôc  la  douleur  ont  été  falutaires  à  un  grand  nom- 

Fffij 


412  PIECES  CONCERNANT  L'HISTORE 

bre,  qui  ont  profité  des  inftmdions  qu'on  leur  a  données ,  Se 
qui  les  ont  mifes  en  pratique.  C^eft  ainfi  que  parle  Saint  Au- 
guflin. 

Le  fentiment  du  Préfident  de  Thou  ,  dit  Scioppius ,  fe 
foutient-t'il  contre  une  telle  autorité?  D'ailleurs  les  héréti- 
,  ques  méritent  bien  un  traitement  rigoureux  ,  puifqu'ils  in- 
fultent  Dieu ,  qui  venge  fon  injure  en  reflerrant  les  liens  des 
îf^ïechap.is.  blafphémateurs  de  fon  nom,  fuivant  ces  paroles  d'Ifaïe  :  Et 
maintenant  r^infultez  pas  j  de  peur  que  vos  liens  ri! en  [oient  ref- 
ferrez.  D'un  côté ,  Dieu  affure  que  la  violence  qu'on  exerce 
contre  l'infenfé  le  guérit  de  fa  folie  :  De  Thou  aflfure  au  contrai- 
re qu  elle  eft  inutile.  Balancerons-nous  entre  l'un  ou  l'autre  l 
iChap.  CXI.  On  vous  repréfente ,  dit  Scioppius ,  dans  ce  chapitre ,  adref- 
fant  la  parole  aux  Princes  de  la  maifon  d'Autriche  ^  &  au 
Roy  d'Efpagne  en  particulier ,  que  votre  refus  d'accorder  aux 
Proteftans  la  liberté  de  confcience  vous  a  fait  perdre  quelques 
Provinces ,  tandis  que  le  Roy  de  France ,  qui  vient  d'être  aflaf- 
iiné  par  Ravaillac  a  réùfTi  dans  fes  entreprifes,  pour  avoir  per- 
mis aux  Calviniftes  de  profeifer  leur  Religion.  Y  a-t'il  moins 
de  folie  dans  ce  raifonnement  que  dans  les  précedens ,  con- 
tinue Scioppius  ?  Car  fuppofé  que  Philippe  II.  père  de  votre 
Majefté  ,  ait  commis  une  faute  en  refufant  d'accorder  aux 
hérétiques  le  libre  exercice  de  leur  impiété,  &  que  ce  re- 
fus ait  occafionné  la  perte  des  Provinces  de  Zelande  &  de 
Hollande  ;  quels  noms  donnera-t'on  à  l'imprudence  ou  plutôt 
à  la  folie  de  Henri  de  Bourbon ,  qui  pour  avoir  pris  la  def- 
fenfe  des  hérétiques  ^  a  perdu  la  vie  plus  chère  que  tous  les 
Royaumes  enfemble.  Qui  peut  s'empêcher  de  dire  avec  le 
prophète  Roi ,  à  la  vue  du  funefte  accident  qui  vient  de  ravir 
ce  Prince  à  la  France  :  f'^oilà  Phomme  qui  rHa  -point  mis  fon  ef- 
perance  en  Dieu  3  mais  qui  a  compté  fur  fes  grandes  richeffes  3 
ér  qui  ne  s^ejî  repofé  que  fur  fes  forces.  Des  provinces  per- 
dues fe  recouvrent  5  mais  la  perte  de  la  vie  eft  irréparable. 
Ne  peut-on  pas  dire  de  Henri  de  Bourbon  avec  David  :  ^ue 
fes  yeux  ont  vu  fa  mort  j  &  quilabu  dans  la  coupe  de  la  fu- 
reur du  Tout-puijfant^ 

Scioppius  pour  corriger  en  quelque  façon  ce  qu^il  y  a 
d'odieux  dans  ces  applications ,  dit  que  Henri  a  eu  recours  à 
Dieu  en  mourant,  &  qu'il  ne  faut  pas  defefperer  de  la  mi- 


DE    J.   A.    DE    THOU.  415 

îërîcorde  divine  fur  ce  Prince.  Mais  je  veux ,  continuë-t'il  ^ 
que  la  maifon  d'Autriche  ait  fait  des  pertes  plus  confidera- 
bles  que  celle  de  la  Hollande ,  &  même  fans  aucune  efpe- 
rance  de  les  reparer ,  faut-il  pour  cela  les  attribuer  à  la  haine 
contlante  de  ces  Princes  pour  les  hérétiques  ?  Il  répond  que 
non-,  &  il  affure  qu'il  y  a  d'autres  caiifes  du  peu  de  fuccès 
de  leurs  armes  contre  leurs  fujets  hérétiques  &  rebelles  ■>  qu'ils 
n'ont  pas  agi  avec  toute  la  promptitude  néceffaire  dans  une 
affaire  fi  importante  ;  qu'ils  fe  font  livrez  fans  réferve  à  des 
niiniftres  qui  les  ont  trompez  :  qu'en  examinant  les  chofes 
avec  les  yeux  de  la  -  politique ,  on  verra  aifément  que  com- 
me la  trop  grande  facilité  de  David  fut  la  fource  d^s  mal- 
heurs de  fa  vie  5  de  même  la  bonté  naturelle  à  la  maifon  d'Au- 
triche ,  donne  quelquefois  occafion  à  leurs  miniftres  de  com-  ■ 
mettre  des  prévarications  •-,  qu'après  cela  il  n'eft  pas  éton- 
nant, que  les  entreprifes  de  ces  Princes  ne  réùdlffent  point , 
parce  que  l'anathême  eft  au  milieu  d'eux  5  que  des  mini- 
ftres avides  ont  dépouillé  l'Eghfe  de  fes  biens ,  &  defes  droits  j  - 
&  que  fi  l'on  interroge  le- Seigneur,  il  répondra  comme  au- 
trefois à  Jofué  :  îfiaél  y  ranathême  eft  au  milieu  de  toi ,  tu  ne 
pourras  foutenir  Pafpeâ  de  tes  ennemis  ^  que  h  coupable  ne  foit^ 
exterminé  du  milieu  de  mon  peuple. 

Il  rapporte  enfuite  l'exemple  d' Ananie  &  de  Saphira ,  pu- 
nis de  mort  fubite ,  pour  avoir  retenu  une  partie  de  l'offran- 
de qu'ils  avoient  promis  d'apporter  aux  pieds  des  Apôtres. 
S'ils  ont  été.  fi  rigoureufement  traitez,  ajoute-il,  parce  qu'ils 
avoient  gardé  un  bien  qui  étoit  à  eux  ,  quel  crime  ne  com- 
mettent point  ceux  qui  envahiffent  à^s  biens  qui  ont  été  don- 
nez à  l'Eghfe  ."^  S'emparer  d'un  bien  deftiné  au  culte  àts  au- 
tels, c'efl  fe  déclarer  ouvertement  ennemi  de  Dieu,  &  ceux 
qui  par  une  lâche  complaifance  confeillent  à  leurs  maîtres 
d'en  ufer  ainfi,  n'ont-ils  pas  tout  lieu  de  craindre  que  Diea  • 
ne  leur  dife,  comme  dans  le  Prophète  Sophonie  : /<? /^î^m-  soploji.  ch.  a 
rai  tous  ceux  qui  entrent  infolemment  dans  le  temple  j  &  qui  rem- 
pliJJ^ent  d'.iniquité  &  de  tromperie  la  maifon  du  Seigneur. 

Charîemagne,  ce  Prince  fi  grand  &  fi  magnanime,  s'efl 
rendu  encore  plus  illuflre  par  la  protedion  marquée  qu'il  a  ^ 
accordé  à  l'Eglife.   Combien  de  loix ,  combien  de  fages  re- 
glemens  n'a-t-ii  pas  fait  en  effet  pour  s'oppofer  à  rufurpation, 

fffiij 


414         I^IECES  CONCERNANT  L'HISTOIRE 
des  biens  eccléfiaftiques  ,  &  pour  empêcher  qu'on  ne  fît  la 
moindre  injure  au  Clergé  ?  Ce  Prince  religieux  étoit  perfuadé 
que  ces  vexations  avoient  occafionnée  la  ruine  de  plufieur.9 
Princes ,  &  de  leurs  Etats. 

En  un  mot ,  le  but  de  Scioppius  dans  ce  chapitre ,  eft  de 
mettre  les  armes  à  la  main  des  Princes  de  la  maifon  d'Au- 
triche ,  contre  les  Princes  proteftans  de  l'Empire ,  qui  font , 
félon  lui,  chargez  de  i'anathême,  quis'oppofe  à  laprolperité 
des  armes  de  cette  maifon. 
C3iap;  CXI  j.  Le  chapitre  fuivant  roule  fur  le  même  fujet  que  la  fin  du  pré- 
cédent. L'invafîon  des  Normands  en  France  doit  être  attribué  , 
félon  Scioppius ,  à  l'imprudence  de  Charles  le  Chauv'ê  ,  qui 
donna  les  biens  de  l'Eglife  aux  Seigneurs  qui  i'accompa- 
gnoient.  Il  prétend  que  Charles  le  Cros  ne  perdit  fes  deux 
Couronnes ,  que  pour  avoir  acheté  des  Normands  la  paix  avec 
les  tréfors  de  fEglife  de  Metz.  Qu'Arnolphe  fuccelTeur  à 
l'Empire ,  &  neveu  de  ce  Prince ,  ne  mourut  couvert  de  poux , 
qu'à  caufe  du  mépris  qu'il  faifoit  de  la  Jurifdidion  Eccléfiafti- 
que ,  au  préjudice  de  laquelle  on  traînoit ,  comme  Luitprand 
ie  rapporte  ^  les  Prêtres  &  les  Clercs  en  prifon.  Que  Charles 
Duc  de  Lorraine  ne  fut  pris  par  Hugues  Capet,  &  que  fa  race , 
dont  il  étoit  le  dernier,  ne  fut  éteinte ,  qu'en  punition  des  ra- 
vages commis  par  fon  armée  dans  l'Evêché  de  Rheims.  Ces 
exemples,  &  quelques  autres  à  peu  près  femblables,  paroif- 
fent  concluans  à  Scioppius. 

Enfuite  il  adrelTe  encore  la  parole  aux  Princes  de  la  mai- 
fon d'Autriche.  Si  Charlemagne  &  Othon  le  Grand  reve- 
noient,  dit-il,  fur  la  terre  ^  &  que  vous  demandafTiez  à  ces 
Empereurs  religieux  la  caufe  du  peu  de  fuccès  de  vos  armes 
contre  les  hérétiques  &  les  infidèles  >  ils  vous  répondroient  que 
i'anathême  eft  au  milieu  de  vous.  Que  vous  devez  examiner 
fi  vos  miniftres  n'ont  point  ufurpé  les  biens  de  l'Eglife  pour 
leur  utilité  particulière ,  ou  pour  la  vôtre.  Qu'enfin  il  n'eft  pas 
furprenant  que  vos  armes  ne  profperent  point,  tandis  que  vos 
armées  font  pleines  de  foldats ,  de  capitaines  &  de  colonels 
-hérétiques,  à  qui  vous  confiez  les  boulevarts  delà  Chrétienté. 
Une  foule  de  paftages  de  FEcritute  font  citez  en  cet  endroit  pour 
prouver  qu'il  ne  faut  pas  fe  fervir  des  hérétiques.  En  effet ,  ajoute 
Scioppius ,  c'eil  employer  le  fecoursdu  diable  ôc  de  fes  enfans 


DE  J.   A.  DE  THOU:  41  ^ 

à  défendre  les  intérêts  de  Dieu.  Il  appuie  ce  raiforinement  de 
l'autorité  des  capitulaires  de  Charlemagne ,  où  ce  Prince  dit 
qu'il  ne  comprend  pas  comment  ceux  qui  défobéiflent  à  Dieu 
ôc  aux  Prêtres ,  peuvent  demeurer  fidèles  à  leur  Souverain. 

Dans  ce  chapitre  Scioppius  entreprend  de  prouver,  par  ua  chap.cxm 
grand  nombre  de  partages  &  d'exemples,  tirez  de  l'Ecriture, 
qu'il  ne  faut  jamais  compter  fur  fes  forces  :  Qu'avec  un  petit 
nombre  de  troupes  &  une  grande  confiance  en  Dieu ,  on  vient 
à  bout  de  tailler  en  pièces  des  armées  innombrables:  Qu'ainfi. 
on  ne  doit  pas  être  furpris  que  Dieu  ait  fouvent  refufé  la  victoire  " 
aux  Princes  de  la  maifon  d'Autriche  ,  qui  s'appuy oient  trop  fur 
leurs  propres  forces  :  Que  quelquefois  Dieu  fait  fortir  les  hé- 
rétiques vainqueurs  des  combats  livrez  contre  les  infidèles , 
à  caufe  de  l'intérêt  de  fa  gloire ,  comme  il  arriva  fous  le 
règne  de  l'impie  Achab,  qui  avec  des  troupes,  que  l'Ecriture 
compare  à  deux  foibles  troupeaux  de  chèvres ,  fit  un  horrible 
maifacre  de  l'armée  desSyriens,  dont  la  multitude  avoit  cou- 
vert la  face  de  la  Terre.  Le  Dieu  d'ifraël ,  dit  Scioppius ,  ne 
voulut  pas  que  les  Syriens ,  s'ils  étoient  vainqueurs^  le  con- 
fondaient dans  leur  mépris  avec  l'impuifiante  idole  de  Baal. 
Scioppius  prend  de  là  occafion  de  répondre  à  ime  objedion 
qu'on  pouvoir  lui  faire.  Vous  dites  que  le  malheur  des  armes 
de  la  maifon  d'Autriche ,  vient  de  ce  qu'ils  fouifrent  des  hé- 
rétiques  dans  l'Empire  &  dans  leurs  armées  :  mais  ces  mêmes 
hérétiques  défont  des  armées  Turques ,  remportent  des  vic- 
toires :  la  Religion  n'entre  donc  pour  rien  dans  les  vidoires 
ou  dans  les  défaites? 

Scioppius  entreprend  de  prouver  le  contraire.  Il  employé  chap,  cxjv. 
encore  le  chapitre  fuivant  à  montrer  que  Dieu  donne  la  vic- 
toire aux  hérétiques  contre  les  infidèles ,  parce  que  fa  gloire 
y  eft  intereflée ,  fuivant  ces  paroles  d'Ifaïe  :  Péloigneray  ma  co-  jj-^^^  ^^  ^g^ 
lere  de  dejjus  toi ,  à  caufe  de  mon  nom.  Et  enfuite  :  Je  te  protégerai 
pour  r  intérêt  de  ma  gloire  y  &  je  ne  la  céderai  pas  à  un  autre. 
Ainfi  lorfque  les  hérétiques  remportent ,  dit-il ,  la  vidoire  , 
Dieu  ne  la  leur  accorde  que  pour  que  fon  nom  ne  foit  pas 
blafphêmé  par  les  infidèles.  Scioppius  prétend  que  l'aveu  de 
nos  fautes ,  quoique  fans  delTein  de  nous  en  corriger ,  fufiit 
pour  nous  rendre  favorable  le  Dieu  des  armées,  à  l'exemple 
d'Achab ,  qui  s'humilia  devant  le  Seigneur ,  &  qu'en  faveur 


:^i6       PIECES    CONCERNANT  rHISTOîRE 

-de  quelques  bonnes  œuvres,  la  vengeance  divine  fufpendi 
-fes  coups  dans  cette  vie  mortelle.  Ce  font  toujours  les  mê-« 
.mes  objedions  que  Scioppius  prévient. 
4CJaap«  cxv.        ^^  Charles-Quint  avoit  eu  plus  de  confiance  en  Dieu  ^ 
.dit  Scioppius ,  il  n'auroitpas  fait  un  fi  grand  nombre  de  fautes, 
qui  ont  été  la  fource  de  tant  de  révoltes  en  Allemagne.  Il  n'au- 
roitj.ni  laifîe  fortir  Luther  de  Wormes ,  ni  fouffert  qu'on  re- 
.çut  la  confeflion  de  foi  des  hérétiques  à  la  diète  d'Ausbourg. 
Scioppius  compte    encore  parmi  ces   fautes    de   Charles- 
Quint  la  trêve  qu'il  fit  en  1530.  avec  les  Luthériens  ;  la  fuf- 
penfion  du  décret  donné  contre  eux  dans  la  diète  5  la  démar- 
che de  ce  Prince,  lorfqu'il  leur  accorda  la  paix  parunédit^ 
afin  d'en  obtenir  des  fecours  contre  le  Turc  ;  le  pouvoir  qu'il" 
leur  donna  contre  les  intérêts  de  l'Eglife  &  des  ordres  catho- 
liques de  TEmoire ,  en  admettant  ces  hérétiques  dans  la  chanv 
bre  de  Spire  ,  par  des  lettres  particulières  en  15*4 1.  Sa  con- 
fiance en  Joachim Eledeur  de  Brandebourg,  Prince  Luthé- 
rien qu'il  mit  à  la  tête  de  Parmce  contre  les  Turcs  5  la  hgue 
qu'il  fit  avec  le  Roi  d'Angleterre  contre  la  France  en  15*45. 
.la  conceiïlon  de  la  liberté  de  confcience ,  ôc  la  permilTion  de 
/retenir  les  biens  de  l'Eglife,  pour  obtenir  des  Luthériens  du 
Tecours  contre  les  Turcs,  &  afin  que  fon  frère  Ferdinand  fut 
reconnu  Roi  des  Romains  de  tout  le  monde;  l'ade  par  le- 
quel il  déclara  en  i^^6.  qu'il  n'avoir  deflein  de  punir  que 
-les  rebelles  &  les  criminels  de  leze-Majefté ,  &  non  leshéréti- 
<ques  opiniâtres ,  &  ceux  d'entre  eux  qui  avoient  pillé  les  biens 
de  l'Eglife.  Scioppius  ne  peut  pardonner  à  cet  empereur  qu'il 
fe  foit  fervi  des  hérétiques  dans  fes  armées,  &  qu'il  n'ait  pas 
détruit  la  ville  de  Wittemberg  &  le  tombeau   de  Luther. 
Pour  prouver  que  cette  conduite  de  Charles-Quint  a  caufé 
un  grand  fcandale,  il  rapporte  ce  que  dit  à  cette  occafion 
Mathieu  Drefferus  dans  la  defcription  de  cette  ville  :  Qu'il 
n'y  a  rien  de  plus  furprenant  que  la  clémence  de  l'Empereur 
^  l'égard  de  Wittemberg ,  qu'on  regardoit  comme  l'égout  de 
loutes  les  héréfies,  &  où   cependant   il  ne  détruifit  pas  .le 
moindre  édifice.  •  Qu'à  la  vérité  les  Efpagnols  infulterent  le 
tombeau  de  Luther ,  mais  qu'ils  n'oferent  exhumer  cet  hé- 
léfiarque  :  Qu'ayant  preffé  l'Empereur  de  leur  permettre  de 
jd^tçrrcj:  fon  corps  pour  le  brûler ,  ce  Prince  leur  avoit  dit  de 

te 


DE  J.  A.  D  E  THOU.  417 

îelailTer  i-eporcr  jufqu'aLi  jour  du  jugement  dernier.  Drelîe- 
rus  attribue  la  clémence  de  Charles-Quint  pour  Wittem- 
berg ,  au  refped  qu'il  crut  devoir  à  l'azilc  des  Mufes ,  6c  au 
fanduaire  de  la  Religion  ,  comme  autrefois  Alexandre  le 
Grand  épargna  la  ville  de  Jerufalem ,  à  la  coniidération  du 
Grand  Prêtre  Jaddus  &  des  Lévites. 

Scioppius  révoque  cependant  le  fait  en  doute.  Il  ne  peut 
pas  croire  que  l'Empereur  ait  parlé  comme  Drellerus  le  rap- 
porte. Il  fe  fonde  fur  une  relation  de  l'état  de  la  Saxe  écrite 
depuis  treize  ans  par  un  Saxon ,  qui  n'eft  pas  d'accord  avec 
Dreflerus.  J'ai  appris  ,  dit  cet  écrivain  ,  d'un  certain  Mar- 
chand Italien  établi  à  Wittemberg,  &  qui  n'étoit  pas  trop  bon 
Catholique,  que  les  Efpagnols  étant  entrez  dans  la  ville, 
cherchèrent  le  cadavre  de  Luther ,  qu'ils  ne  purent  trouver. 
Que  cependant  ne  voulant  pas  épargner  fon  tombeaujils  le  con- 
vertirent en  latrines.  Scioppius  dit  que  ce  Marchand  Italien 
en  prenoit  occafion  de  fe  moquer  des  Luthériens ,  en  difant 
qu'il  fc^avoit  mieux  qu'eux  mêmes  ce  qu'il  y  avoit  fous  cette 
tombe. Il  ajoute,  qu'en  effet  le  cadavre  de  Luther  ne  fe  trouve 
point  dans  fon  tombeau, foit  que  fes fedateurs ,  ou  plutôt  le 
diable^  l'ayent  enlevé.  Après  cette  djfgrefTion  Scioppius  con- 
clut que  la  clémence  de  Charles-Quint  a  confirmé  les  héréti- 
ques dans  l'erreur,  &  qu'elle  leur  a  donné  occafion  de  croire , 
que  Dieu  qui  tient  le  cœur  des  Rois  dans  fa  main ,  n'a  pas  per- 
mis que  ce  Prince  exerçât  aucune  violence  contre  une  ville 
qui  eft  le  centre  de  leur  foi. 

Il  blâme  encore  plufieurs  autres  adions  de  Charles- 
Quint.  Il  attribue  à  fon  peu  de  confiance  en  Dieu  l'échec  hon- 
teux qu'il  reçut  devant  la  ville  de  Mets.  Enfuite  il  paile  à  la 
fameufe  paix  de  Religion ,  arrêtée  à  la  diète  d' Ausbourg  en 
ijjj.  du  confentement  unanime  de  tous  les  ordres  de  TEnv 
pire ,  Caj:holiques  &  Proteftans.  Il  dit  qu'il  ne  doute  pas  que 
Mathias  Heldus  confeiller  de  Charles-Quint  ne  l'eût  averti 
combien  cette  paix  avec  les  Proteftans  oftenfoit  le  Ciel  5  mais 
que  Ferdinand  qui  avoit  delTein  de  fe  fervir  du  fecours  des 
Luthériens  en  Hongrie  ,  &  de  mettre  la  couronne  Impériale 
fur  fa  tête  &  fiir  celle  de  fon  fils ,  avoit  engagé  l'Empereur  fon 
frère  par  le  moyen  du  Cardinal  de  Granvelle  à  difgracier  Hel- 
dus ,  &  à  donner  fa  place  à  un  autre. 

Tome  KK  .  Ggg 


41 8         PIECES   CONCERNANT  L'HISTOIRE 

On  a  cm  devoir  détailler  les  fautes  que  Scioppius  attribue 
à  l'Empereur  Charles-Quint ,  pour  faire  voir  combien  un  zeie 
aveugle  eft  injufte.  To.ut  le  monde  fçait  que  ce  Prince  a  été 
forcé  par  la  necefïité  des  temps  à  commettre  plufieurs  de  ces 
fautes  prétendues ,  -mais  pourvu  que  Scioppius  contredife  le 
Prefident  de  Thou ,  &  qu'il  blâme  ce  qui  eft  approuvé  par  ce 
dernier,  il  n'examine  rien  5  &  tout  eft  fournis  à  fa  critique  injufte. 

Scioppius  reproche  au  Prefident  de  Thou  dans  ce  chapitre  , 
Çhap.  cxvi.  d'avoir  infinué ,  en  donnant  des  éloges  à  l'Empereur  Charles- 
Quint  ,  que  ce  Prince  avoir  manqué  de  prudence  «5c  de  bonne 
foi.  C'eft  fur  ce  qui  eft  dit  dans  le  fécond  livre  de  l'Hiftoire 
de  Monfieur  de  Thou ,  que  Scioppius  fonde  fon  accufation. 
On  y  lit  que  Charles-Quint  voyant  les  troubles  caufez  en 
Allemagne  à  l'occafion  de  l'héréfie  de  Luther  ,  voulut  en  pro- 
fiter pour  afflirer  l'Empire  à  fa  maifon ,  &  qu'il  jugea  que  cette 
tentative ,  qui  ne  pouvoit  que  donner  de  l'éclat  à  fon  nom , 
étoit  néceilaire.  N'eft-ce  pas ,  dit  Scioppius ,  accufer  de  par- 
jure &  de  perfidie  ce  Prince  qui ,  au  rapport  de  Sleïdan ,  avoit 
juré ,  &  promis  même  par  écrit ,  qu'il  n'entreprendroit  jamais 
rien  pour  rendre  le  thrône  de  l'Empire  héréditaire  dans  fa 
maifon ,  &  qu'il  laifteroit  aux  Eledeurs  la  liberté  de  l'éledion , 
fuivant  la  bulle  d'or  de  Charles  I V,  &  les  loix  de  l'Empire  f 

Après  cette  première  flétrifture,  pourfuit  Scioppius,  de  Thou 
dans  le  quatrième  livre  de  fon  Hiftoire  s'efforce  de  convain- 
cre d'imprudence  ce  Prince  j  en  difant  qu'il  n'ufa  pas  bien 
de  la  vidoire  qu'il  avoit  reniportée  fur  les  Proteftans,  que 
n'ayant  ni  afiez  d'étendue  de  génie  pour  changer  la  face  de 
la  République  d'Allemagne ,  &  en  former  un  Royaume  hé- 
réditaire ,  ni  affez  de  forces  pour  contenir  dans  l'obéiflance 
tant  de  villes,  de  peuples,  &  de  Princes,  qu'il  avoit  fubju- 
guez  avec  un  bonheur  extraordinaire ,  il  ne  lui  reftoit  plus 
qu'à  prendre  le  parti  de  la  clémence ,  pour  foutenir  la  fplen- 
deur  de  fon  rang ,  &  fa  majefté.  Il  eft  évident ,  ajoute  Sciop- 
pius ,  qu'il  y  a  de  l'imprudence  ,  &  de  la  folie  à  regarder 
comme  glorieux  ,  &  même  comme  néceftaire  en  quelque  fà- 
<^on ,  une  entreprife  pour  la  réufilte  de  laquelle  on  n'a  ni  aflfez 
de  forces ,  ni  allez  d^  lumières:  mais  de  Thou,  dit-il,  ment 
ici,  félon  fa  coutume,  il  ne  faut  que  lire  Sleïdan  pour  s'en 
convaincre.  Cet  Hiftorien  dit  que  l'Empereur  n'employa  d  au- 


DE   J.    A.    D  E   T  H  OU.  4rp 

très  armes  que  celles  de  ia  raifon,  pour  engager  les  Elec- 
teurs à  nommer  Ferdinand  fon  frère  Roi  des  Romains.  Ainfi , 
continue  Scioppius ,  il  faut  être  de  bien  mauvaife  foi ,  pour 
accufer  Charles-Quint,  d'avoir  mis  en  ufage  la  force  &  la 
crainte ,  &  d'avoir  violé  la  foi  qu'il  avoir  fi  folemnellement 
jurée.  A  l'égard  des  proteftations  de  l'Eledeur  de  Saxe ,  elles 
n'étoient  d'aucun  poids  j  il  les  faifoit  feul  ,  il  étoit  hérétique. 
D'ailleurs  tous  les  ordres  de  l'Empire  venoient  de  le  décla-. 
rer  ennemi  de  Dieu ,  &  de  la  République. 

Enfuite  Scioppius  dit ,  que  fi  l'Empereur  avoir  voulu  créer 
Roi  des  Romains  fon  frère ,  malgré  tous  les  Princes  d'Alle- 
magne catholiques ,  ou  hérétiques ,  fon  Confeil  &  fes  Théo- 
logiens n'auroient  pas  manqué  de  lui  fournir  des  prétextes 
fpecieux  ,  pris  même  dans  le  ferment  qu'il  avoir  fait  à  fon 
avènement  à  l'Empire  5  qu'ils  auroient  pu  en  tirer  des  con- 
clufions  favorables ,  en  raifonnant  ainfi  :  L'empereur  a  juré 
de  défendre  l'Eglife ,  &  le  Pape  ;  il  eft  donc  néceffaire  qu'il 
prenne  les  moyens  d'accomplir  fon  ferment.  Il  ne  peut  le 
faire  qu'en  mettant  la  Religion  en  fureté  dans  l'Empire ,  6c 
cette  Religion  n'y  peut  être  en  fureté ,  qu'en  foumettant  toute 
l'Allemagne  à  l'Empereur ,  &  en  réduifantla  licence  des  Prin- 
ces ,  &  des  peuples  dans  une  jufle  liberté ,  qui  confifle  dans 
i'obéifTance  à  la  droite  raifon  &  aux  loix  ;  il  efl  donc  necefîaire 
d'arrêter  le  cours  de  cette  licence ,  6c  de  ruiner  les  forces  des 
hérétiques  j  ce  qui  efl  impofTible  ,  tant  que  l'Allemagne  ne 
reconnoitra  pas  l'Empereur  pour  fon  unique  fouverain. 

Il  dit  encore  que  les  créatures  de  l'Empereur  auroient  pu 
conclure  du  ferment,  que  l'Empereur  fait  à  fon  couronne- 
ment de  rendre  à  l'Empire  fon  ancienne  fplendeur  ;  que  ce 
Prince  pouvoir  revendiquer  les  aliénations  faites  par  fes  pré- 
decefïeurs ,  6c  les  ôter  aux  Princes  comme  à  des  polTefleurs 
de  mauvaife  foi  ;  6c  que  rout  cela  ne  pouvoit  fe  faire  qu'en 
fubjugant  tout  l'Empire ,  6c  qu'en  afllirant  la  Couronne  Im^ 
pénale  dans  fa  maifon. 

Telles  font ,  pourfuit  Scioppius,  les  raifons  dont  les  flateurs 
pouvoient  fe  fervir.  Il  ajoute  qu'il  y  en  avoit  encore  d'au- 
tres ,  que  des  Courtifans  n'ont  pas  honte  d'alléguer  quelques 
injufles  qu'elles  foient.  Il  finit,  en  difant  qu'il  fera  voir  ailleurs 3 
avec  l'aide  de  Dieu,  que  rien  ne  lui  efl  plus  cher  que 

Gggij 


420         PIECES  CONCERNANT  L'HISTOIRE 

liberté  de  fa  Patrie ,  (  i  )  &  qu'il  examinera  plus  particulière* 
ment  la  faufleté  de  ces  fophifmes. 

Il  iemble  que  tout  ce  que  dit  Scioppius  dans  la  fin  de  ce 
chapitre  n'a  aucune  liaifon  avec  l'Hiftoire  du  Prefident  de 
Thou ,  &  qu'ainfi  il  n'étoit  pas  nécefiaire  de  le  rapporter.  Mais 
on  a  cru  devoir  le  faire  ,  pour  montrer  toute  la  malignité 
de  ce  Critique ,  qui  fous  ombre  de  faire  voir  que  l'Empe- 
reur n'a  pas  employé  la  force  pour  faire  élire  Ferdinand  fon 
frère  Roi  des  Romains ,  fuggere  aux  Princes  de  la  maifon 
d'Autriche  des  raifons  appareutes ,  &  des  prétextes  pour  ne 
faire  qu'un  Etat  de  l'Empire.  Il  met  ces  motifs  dans  la  bou- 
che des  Courtifans ,  pour  cacher  fon  véritable  but  ;  dans  la 
vue  de  mieux  déguifer  fon  deflein ,  il  blâme  ces  motifs ,  & 
il  promet  d'en  découvrir  ailleurs  la  faufleté.  S'il  eût  eu  un 
deflein  formé  de  le  faire  ,  ôc  que  cette  promefie  n'eût  pas 
cté  une  efpece  d'excufe  ,  il  n'auroit  pas  manqué  d'en  mon- 
trer toute  la  foiblefle  fur  le  champ ,  lui  qui  relevé  fi  avide- 
ment tout  ce  qui  lui  paroît  mériter  fa  colère  dans  l'Hifloire 
du  Prefident  de  Thou. 

Un  ouvrage  rempli  de  maximes  fi  dangereufes ,  &  dans 
lequel  i'Aïueur  abufoit  fi  malignement  des  paroles  de  TE- 
criture  Sainte,  &  de  l'autorité  des  faints  Pères,  fouleva  con- 
tre lui  toute  la  France.  On  fut  juflement  indigné  de  la  ma- 
nière injurieufe ,  avec  laquelle ,  fans  aucun  refped ,  il  s'y  étoit 
déchaîné  contre  les  Princes  ,  même  les  plus  Catholiques  , 
mais  qui  ne  lui  paroiflbient  pas  aflez  zelez , parce  qu'ils  né- 
toient  pas  aflez  cruels.  Ceux  qui  auront  lu  Pextrait  que  nous 
avons  donné  de  cet  ouvrage  ,  n'auront  pu  lire  fans  frémir 
d'horreur  ,  l'endroit  où  cet  écrivain  furieux  a  eu  la  témérité 
d'attaquer  la  mémoire  de  Henri  IV.  ce  grand  Prince ,  qui 
par  fa  modération  ,  autant  que  par  fa  magnanimité ,  s'étoit 
rendu  fi  cher  à  fes  peuples.  On  a  vu  avec  quelle  impuden- 
ce il  ofa  même  emprunter  le  langage  du  Saint-Efprit ,  pour 
jufliifier  l'horrible  parricide  qui  venoit  d'être  commis  en  fa 
perfonne  facrée.  Ce  fut  principalement  ce  qui  engagea  le 
Parlement  de  Paris  ,  toujours  attentif  à  fe  fignaler  lorfqu'il  s'a- 
git de  maintenir  l'autorité  &  le  refped  dû  à  la  Majefté  Roya- 
le ,  à  profcrire  le  livre  auflfi-tôt  qu'il  parut.  Voici  l'Arrêt  qu'il 
donna  en  cette  occafion, 
CO  Scioppius  étoit  Allemand. 


DE   J.    A.    DE   THOU.                    $2r  i 

Extraiâ  des  Regijîres  de  Parlement* 

»  T  T  Eu  par  la  Cour  les  Grand'Chambre ,  Tournelle ,  &  de 

»    y     l'Edict  aflèmblées  le  Libvre  fait  par  Gafpar  Schoppius  ,                «  ] 

X  intitulé  Ecclefiajiicus ,  imprimé  à  Hertberg  l'an  mil  fix  cent  \ 

»  unze ,  contenant  plufieurs  blalphemes  &  diffamations  exécra-  ; 

»  blés  contre  la  très-heureure  &  louable  mémoire  du  feu  Roy  j 

»>  Henry  IV.  (  que  Dieuabfolve  )  &  aultres  propofitions ,  ten-                        -  ' 

»  dants  à  troubler  le  repos  de  toute  la  Chreftienté ,  &  contre  ' 

7»  la  feureté  de  la  vie  &  eflat  des  Roys  &  Princes  Souverains  î  ' 

3»  Conclunons  du  Procureur  General  du  Roy.  La  matière  mife  ! 

»  en  délibération.  Ladicte  Cour  a  ordonné  &  ordonne,  \ 

3»  que  ledid  Libvre  fera  bruflé  par  l'Exécuteur  de  la  Haulte  j 

»  Juftice  en  la  place  publique  de  la  Cour  du  Palais.  A  faid  ÔC  ;; 

»  faict  inhibitions  &  deffenfes  à  touts  Imprimeurs  &  Libraires  ] 

»  de  l'imprimer ,  expofer  en  vente  ,  recevoir ,  publier  :  Et  à                     .  ] 

30  euls  5c  touts  aultres  de  quelque  qualité  &  conditions  qu'ils  \ 

»  foient  d'en  avoir,  retenir,  ny  communiquer  :  Et  fi  aulcuns  \ 

»  en  ont ,  leur  enjoind  dans  vingt  &  quatre  heures  après  la                     ,  \ 
»  publication  du  prefent  Arreft,  qui  fera  faide,  tantencefte 
»  Ville  à  fon  de  trompe  &  cry  pubhc ,  que  aus  Baillages  &  Se- 

»  néchauilees  de  ce  Reffort  ^  les  apporter  ou  envoyer  au  Greffe  1 
»  Criminel  de  ladicte  Cour,&  aus  aultres  Villes  aus  Greffes  d'i- 

»  celles ,  pour  eftre  bruflez  j  le  tout  à  peine  aux  contrevenants  ; 

»  d'eftre  punis  comme  criminels  de  leze-Majefté.  Prononcé  \ 

»  &  exécuté  le  vingt  &  quatrième  Novembre  mil  fix  cents        -  | 

»  douze.  Signé  V  o  y  s  i  N.  j 

Mais  fi  ce  livre  reçut  en  France  une  fl  étrifure  fi  ignominieu-  ] 

îe ,  il  trouva  à  Rome  des  admirateuis  5  chez  ceux  même  qui  \ 
ne  dévoient  pas  avoir  encore  oublié  f  injure  que  Scioppius  leur 
avoir  faite  dans  une  autre  occafion.  Le  Cardinal  Bellarmin  écri- 
vit à  l'Auteur  cette  lettre  de  congratulation. 

:o  Je  fuis  fort  content  de  votre  ouvrage  (i)  contre  le  Roy  Traduite  un 
»  d'Angleterre,  &  j'en  ai  dit  à  fa  Sainteté  tout  le  bien  qu'il  Latin  &  tirée 
»  méritoit.  La  différence  de  vos  fentimens  aux  miens  fur  quel-  sTiopHam  p; 

»  ques  points  de  Dodrine  ,  ne  m'a  fait  aucune  peine.  Je  ne  30-  i 

»  porte  pas  l'amour  propre  jufqu'à  me  picquer  de  voir  pen-             ^  ; 

^i)  Intitulé  Eccle/iajiicus.  C'eft  celui  dont  nous  venons  de  donner  un  Extrait.  I 

•                                                                                                                                                                                                                j^-y                    •  •  •  ' 

G  g  g  n)  i 


.^ 


j^22       PIECES    CONCERNANT   LUîSTOIRE 

3^  fer  autuement  que  moi.  J'ai  fait  reniarquer  à  fa  Sainteté 
y>  que  vous  pofledez  FEcriture  à  fond  :  Je  me  fuis  fait  un  plai- 
^  fir  de  loiier  votre  zélé  pour  la  converfion  des  hérétiques  ,  la 
»  noble  liberté  qui  vous  a  fait  attaquer  le  Préfident  de  Thou , 
»  la  fagelTe  &  la  prudence  qui  vous  ont  guidé  contre  le  Roi 
3>  Jacques.  Enfin,  plufieurs  autres  chofes  dont  je  ne  me  fou- 
»  viens  pas ,  &  qui  font  développées  dans  cet  ouvrage ,  m'ont 
»  fourni  la  matière  de  vos  louanges.  Remerciez  Dieu  de  vous 
»  avoir  donné  du  génie  &  la  facilité  d'écrire  avec  grâce  6c 
»  de  vous  exprimer  de  même.  Vous  ne  me  devez  aucun  re- 
»  merciment,  je  n'ay  fait  que  ce  que  j'ai  du  faire.  Du  refte, 
»  je  fuis  un  ferviteur  inutile.  Adieu  ,  confervez-moi  toujours 
»  votre  amitié.  A  Rome  le  22  Janvier  1612. 

Outre  les  deux  ouvrages  que  nous  avons  donné  en  extrait , 
Scioppius  a  encore  attaqué  le  Préfident  de  Thou  ,  dans  fon 
livre  intitulé  :  Judicium  de  Stilo  Hiftorico.  Il  lui  reproche  plu- 
jfieurs  fautes  contre  la  langue  Latine  ,  mais  comme  ces  dif- 
cuffions  grammaticales ,,  ne  font  point  de  notre  fujet ,  nous 
avons  cru  fort  inutile  de  les  rapporter  ici. 

Extrait  des  obfervations  critiques  [i)  du  Jefuite  Machaud  ,  fous 
le  nom  de  Joan.  Bapt.  Gallus  ,  au  fujet  de  PHiJîoire  de 
Jacques  Augujîe  de  Thou, 

Se  I  o  p  p  I  u  s  ne  fut  pas  le  feul  qui  fe  déchaîna  contre  le 
Préfident  de  Thou  j  il  parut  encore  des  obfervations  cri- 
tiques fur  fon  Hiftoire.  Les  opinions  ont  varié  fur  le  vrai 
nom  de  l'Auteur ,  qui  fe  déguifa  fous  le  nom  de  Joannes 
Baptifia  Gallus, 

L'on  penfa  dans  le  temps  que  ce  libelle  pouvoir  être  l'ou- 
vrage .du  Jefuite  Jacques  Gretfer.  François  Swertius  s'en 
expliqua  ainii  dans  une  lettre  qu'il  écrivit  à  Guillaume  Cam- 
den  le  premier  Juillet  1(^14.  &  Ifaac  Cafaubon  parle  de  la 
même  manière  dans  une  de  fes  lettres  dattée  de  Londres  le 
fix  Juin  de  la  même  année. 


(i)  Ce  livre  cft  intitulé  :  InJacsbiAu- 
gufti  Thuani  Hij?oriarum  libros  ,  notOr- 
îiones  atictore  ^oan.  Eapt,  Gallo.  "J.  C. 
Ingolfladii ,  Typis  Ederianls  ,  per  Elifabe- 
tham  Angermayrinam  t  Anno  1614,  în- 


qmrto.  Nous  nous  contenterons  d'en 
donner  l'extrait  ,  .enfuite  duquel  Ton 
trouvera  la  Sentence  du  Châtclet  de 
Paris,  qui  défendit  le  débit  du  livre  dans 
cette  ville. 


» 


3> 


DE  J.  A.  DE  TPÎOU,  425 

»  Nous  avons  vu,  dit- il,  ici  le  livre  que  le  Jefuite  Gretfer 
«vient  de  faire  paroître  contre  l'illudre  Monfieur  de  Thou. 
»  Le  Roi  Jacques  I.  quin'eft  pas  moins  Chrétien ,  que  cette 
»focieté  eft  diabolique,  a  obfervé  que  Ton  y  faifoit  un  cri- 
me à  ce  Préfident  de  n'avoir  pas  approuvé  l'horrible  maf- 
facre  de  15:72.  Cafaubon  s'écrie  :  Que  cet  Hiftorien  eft  heu- 
reux ,  de  s'être  noirci  d'un  tel  crime  ! 
Il  eft  encore  vrai  que  Philippe  Alegambe  Jefuite ,  dans  la 
Bibliothèque  des  écrivains  de  fa  Compagnie  ,  attribue  un  fem- 
blable  ouvrage  à  Gretfer ,  fous  le  fimple  titre  de  Remarques 
fur  PHtjîoire  de  Jacques  Âugufte  de  Thou.  L'on  ne  croit  pas 
cependant  qu'il  y  ait  eu  d'autre  part ,  que  d'avoir  eu  foin  de 
l'impreflion.  L'on  a  découvert  depuis,  &  c'eft  une  chofe  cer- 
taine ,  que  le  véritable  Auteur  de  cqs  Remarques ,  eft  Jean  de 
Machaud  Jefuite,  mort  en  161^.  (i) 

Le  foin  qu'a  eu  cet  Auteur  de  fe  cacher  fous  un  nom  étran- 
ger ,  fait  en  quelque  manière  la  juftilîcation  de  Monfieur  de 
Thou.  Ces  déguifemens  font  en  effet  toujours  fufpeds^l'on 
n'en  a  pas  befoin  quand  on  fe  renferme  dans  les  bornes  d'une 
critique  jufte  &  modérée  ,  &  qu'on  ne  cherche  pas ,  comme 
cet  Auteur  ,  à  noircir  la  réputation  de  fon  adverfaire ,  &  à  atta- 
quer fon  honneur  de  la  manière  la  plus  outrageante. 

Son  ouvrage  eft  divifé  en  douze  chapitres ,  dont  chacun 
contient  un  chef  d'accufation  contre  le  Préfident  de  Thou. 
On  voit  à  la  tête  de  ces  remarques  une  préface  fort  courte , 
où  il  dit  que  l'Hiftorien  s' eft  flatté  d'immortalifer  fon  nom 
par  fon  ouvrage  5  qu'il  y  a  inféré  plufieurs  traits ,  qui  font  des 
preuves  évidentes  de  fon  inclination  pour  les  hérétiques  5  & 
que  cette  Hiftoire  a  été  condamnée  à  Rome  en  1(^10.  Il  pro- 
met enfin  d'expofer  ce  qu'il  y  a  remarqué  de  plus  téméraire ,  & 
de  plus  irreligieux. 

Chapitre  I.  Des  Auteurs  que  de  Thou  a  fuïvis  &  de  la  faujfetè 

de  fon  Hîjloire  en  général, 

LEs  femmes  de  mauvaife  vie ,  dit  l'Auteur  de  cet  ouvra=- 
ge,  ont  coutume  de  parler  mal  des  femmes  de  bien, 
&  de  fe  juftifier  des  reproches  qu'on  pourroit  leur  faire  y 
(i)  Jacques  le  Long,  Bibliothèque  desHiftoriens  de  France  ,  pag.  ^\o. 


\ 


424  PIECES  CONCEPvNANT  L'HISTOIRE 
avant  qu'on  les  leur  fade  réellement.  C'eft  la  conduite  ; 
ajoute-t-il ,  que  de  Thou  tient  dans  fa  préface.  Il  dit  qu'il  a 
interrogé  fa  conicience,  pour  s'affurer  s'il  écrivoit  fans  au- 
cun reilentiment  -,  mais  il  ne  nous  dit  pas  ce  que  fa  con» 
fcience  a  pu  lui  répondre,  lî  ce  n'eft ,  comme  il  1  avoue  plus 
bas ,  qu'il  avoir  oublié  toutes  fortes  d'injures  de  quelque  na- 
ture qu'elles  puflent  être.  Mais  ce  ne  fonr  que  de  vaines  pa- 
roles dont  le  peuple  pourroit  être  leuré.  Pour  bien  connoître 
de  Thou  3  dit-il,  entendons-le  parler  :  lifons  fes  écrits ,  tout  y 
refîent  la  paffion.  Tantôt  il  fe  déchaîne  comme  un  furieux 
contre  les  fouverains  pontifes  j  tantôt  il  invedive  contre  les 
Rois  de  France ,  parce  qu'ils  ont  puni  les  hérétiques.  La  mai- 
fon  de  Guife  ell  maltraitée  à  chaque  page  de  cette  Hiftoi- 
re  j  on  y  rencontre  par  tout  des  éloges  affedueux  de  Me- 
îanchton,  d'Ofiander,  de  Scaliger,  de  Bucer,  ^c,  les  aclions 
des  Catholiques  les  plus  éclatantes  y  font  rabaiflces.  La  mê- 
me paillon  anime  tout  le  corps  çie  l'ouvrage.  Après  cela 
croira-t'on  de  Thou  fur  fa  parole  ?  Viefidra-t'il  aifément  à 
bout  de  perfuader  qu'il  eft  impartial  ? 

Dans  quelle  fource ,  pourfuit  l'Auteur ,  a-t'il  puifé  les  faits 
de  fon  Hiftoire  ?  Ce  font,  comme  il  l'avoue  lui-même  dans  Iqs 
ades  mêmes ,  &  dans  les  libelles  écrits  durant  la  chaleur  de 
la  haine  des  fadions  ;  libelles  qu'il  n'a  fuivis  qu'après  avoir 
confulté  les  plus  honnêtes-gens  :  il  n'eft  pas  difficile  de  l'eu 
croire.  On  nç  doutera  jamais  qu'il  n'ait  écrit  fur  les  mémoi- 
res ,  tracez  avec  tout  le  fiel ,  &  toute,  la  fureur  des  fadions. 
Il  parpît  d'abord  ouvertement  prendre  parti  pour  les  héréti- 
ques. Ce  ne  font  qu'éloges  de  la  dodrine ,  de  la  pieté ,  de 
l'innocence  des  Calviniftes,  &  des  autres  fedaires ,  &  de  leur 
conftance  fur  les  échafauts.  A  l'entendre ,  la  violence  &  l'ar- 
tifice ont  préfidé  à  toutes  les  adions  de  Henri  II.  de  Pran- 
«çois  II.  &  de  Charles  IX.  Les  Guifes  ont  allumé  l'incendie 
en  France  -,  les  magiftrats  Catholiques ,  qui  ont  opiné  dîins  le 
Parlement  contre  les  novateurs ,  font  des  lâches  ,  vendus  à 
la  maifon  de  Guife ,  des  brouillons ,  ou  des  voluptueux.  Du- 
bourg ,  de  Poix ,  du  V^l ,  du  Ferrier ,  de  la  Place ,  &  autres 
pareils  fedaires ,  notez  d'infamie  à  caufe  de  leur  opiniâtreté 
dans  l'erreur ,  font  au  contraire  des  hommes  d'un  courage 
élevé ,  d'une  pénétration  admirable ,  ôc  d'une  exade  probité  ; 

cnfiîî 


DE  J.  A.  DE  THOU.  42; 

clifîn  des  modèles  propofez  à  la  pofterité  par  un  Hiftorien 
fans  paflion ,  tel  que  de  Thou. 

Je  reviens ,  continue  le  cenfeur  ,  aux  mémoires  dont  de 
Thou  s'eft  fervi  pour  écrire  fon  Hiftoire.  Il  s'eft  répandu  un 
bruit  qu'il  a  trouvé  dans  la  bibliothèque  de  fon  père  un  ton- 
neau plein  de  ces  hbelles ,  qu'une  licence  effrénée  mettoit 
alors  tous  les  jours  fous  la  preffe ,  &  qu'il  en  a  tiré  fon  hiftoi- 
re. C'eft  ce  qu'il  fait  entendre  alfez  obfcurement,  en  difant 
qu'il  a  confulté  des  mémoires  écrits  dans  la  chaleur  de  la 
haine  des  fadions,  mais  aufquels  il  n'a  donné  créance  que 
fur  le  témoignage  de  gens  de  probité.  Y  a-t'il  de  la  pruden- 
ce à  s'en  tenir  à  de  pareils  monumens  ?  La  vérité  ofe-t'elle 
fe  montrer  dans  les  écrits  didez  parla  paflion  /  Quoi  !  un  Hifto- 
rien fe  flate  d'écrire  fans  partialité ,  lorfqu'il  fe  fonde  fur  ces 
niercures  François  (i)  dont  on  reconnoît  tous  les  jours  la 
faufleté  !  Avouer  de  tels  mémoires ,  &  vouloir  en  impofer  à 
des  hommes  éclairez ,  c'eft  poufler  loin  la  confiance. 

Il  eft  vrai ,  dit  ironiquement  l'Auteur ,  que  de  Thou  cor- 
rige l'ingénuité  de  cet  aveu ,  en  ajoutant  qu'il  n'a  fuivi  ces 
mémoires  qu'après  avoir  confulté  des  hommes  d'une  grande 
probité.  Ce  ne  font  pas  aflurement  des  Cathohques  j  ils  font 
trop  ouvertement  déchirez  dans  fon  Hiftoire,  &  l'encens  y 
eft  trop  fouvent  prodigué  à  des  apoftats  &  à  des  hérétiques  , 
pour  que  les  Catholiques  enflent  approuvé  fon  ouvrage. 
Tout  le  monde  f<çait  que  les  fauifetez,  dont  cette  Hiftoire 
eft  remplie ,  ayant  obligé  plulieurs  graves  perfonnages  d'en 
faire  des  plaintes  au  Roy, fa  Majefté  donna  des  ordres  pré- 
cis à  de  Thou  de  la  corriger  î  ce  qu'il  fit ,  dit-on  y  dans  une 
féconde  édition  5  mais  les  Sedaires  s'en  tinrent  à  la  premie-* 
re  ,  &  firent  réniiprinier  l'ouvrage  tel  qu'il  avoit  paru  d'à- 
bord. 

Je  ne  fçai  pas  trop ,  continué  le  cenfeur  ,  quels  font  ces 
hommes  de  probité ,  dont  les  lumières  l'ont  éclairé  fiu:  ces 
prétendus  mémoires  ;  à  moins  que  ce  ne  foient  les  écrivains 
Calviniftes ,  &  Luthériens  ,  qu'il  a  grand  foin  de  déterrer  du 
fond  de  la  Pruffe ,  de  la  Pomeranie ,  de  la  Hongrie  &  de  la  Hol- 
lande ,  pour  les  placer  dans  fon  Hiftoire ,  afin  que  la  pofteri- 
té n'ignore  pas  qu'ils  ont  vécu.  Voilà  les  guides  de  notre 

(  ij  GMohelgic'r. 

TomeXF.  Hhb 


42(^        PIECES    CONCERNANT   L'HISTOIRE 

Pliftorien.  Ne  faut-il  pas  être  dépourvu  de  bon  fcns  pour  faire-- 
un  pareil  aveu  ?  Quelles  fources  que  ces  libelles ,  pour  y  pui- 
fer  des  faits  !  Paul  Emile  &  Philippe  de  Comines,  ont-ils  écrit 
fur  de  pareils  mémoires  ? 

En  effets  continuë-t'il,  c'eft  dans  les  mémoires  des  Prote- 
ftans,  tels  que  le  libelle  intitulé  le  Tl^r^^  &  d'autres  fembla- 
blés,  que  de  Thoua  cherché  la  vérité.  On  peut  en  juger 
par  la  manière  odieufe  ,  dont  le  Cardinal  de  Lorraine  eft 
peint  dans  fon  Hiftoire  ,  &  par  fes  plaintes  au  fujet  du  Li- 
braire Martin  l'Hommet ,  qui  fut  puni  pour  avoir  vendu  le 
libelle  intitulé  le  Tigre.  Ne  diroit-on  pas  que  de  Thou  igno- 
re la  feverité  des  loix  contre  ceux  qui  répandent  des  libel- 
les injurieux  ? 

C'eft  dans  le  même  efprit,  pourfuit-il,  que  de  Thou  fait 
attribuer  par  les  Proteftans  la  mort  tragique  de  Pontfenas  &  de 
l'Aubefpine ,  à  la  perfécution  que  ceux-ci  avoient  exercée 
contre  les  B^eformez 5  &  que  lorfque  Henri  II.  fut  rapporté 
du  Tournoi ,  où  il  avoir  été  bleilé ,  il  met  dans  la  bouche  de 
ce  Prince  ,  à  la  vue  de  la  Baftillj ,  où  l'on  retenoit  Anne  Du- 
bourg  &  d'autres  Confeillers  du  Parlement,  ces  paroles  :/(? 
crains  bien  à^ avoir perfecuté  l'innocence.  Il  infinuë  que  tous  ces 
malheurs  ne  font  qu'une  punition  du  traitement  qu'on  faifoit 
aux  hérétiques.  Il  rabaille  toutes  les  belles  adions  des  Catholi- 
ques. Jamais  ni  la  pieté ,  ni  l'amour  du  bien  public  ne  les  font 
agir  ;  l'ambition  &  l'avarice  font  leurs  feuls  mobiles. 

Il  eft  aifé  de  comprendre  (  ajoute  le  Jefuite ,  en  s'adreftant 
au  Prefident  de  Thou  )  que  vous  avez  puifé  dans  les  fources 
bourbeufeSj  que  vous  nous  avez  d'abord  indiquées.  Je  pour- 
rois  citer  plufieurs  traits  pour  le  prouver  5  mais  il  fuffira  d'en 
rapporter  quelques-uns.  Vous  attribuez ,  dit-il,  la  perféveran- 
ce  du  Roi  d'Angleterre  dans  fes  erreurs  à  la  dureté  de  l'Eglife 
Romaine.  Les  Papes,  fi  Ton  vous  en  croit,  ne  voulurent  ja- 
mais accepter  aucunes  conditions.  Que  ne  vous  expliquiez- 
vous  fur  ce  fujet  ?  Pourquoi  ne  pas  dire  de  quelles  conditions 
vous  aviez  intention  de  parler .'' Vouhez-vous  que  le  fouverain 
Pontife  admît  dans  le  fein  de  l'Eglife  un  Prince  plongé  dans  la- 
débauche  des  femmes ,  un  Prince  qui ,  comme  vous  le  recon- 
noiftez  vous-même,  en  parlant  d'Anne  de  Cleves,  faifoit  chaque 
jour  des  divorces  fcandaleux  5  un  Prince  qui  ouvroit  les  cloî- 


DE  J.   A.    DE   THOU.  427 

très ,  afin  d'avoir  des  femblables  dans  fes  honteufes  diflblu- 
tions,  &  qui  s'étoit  noirci  de  mille  facrileges  ?  Ceft  fans  doute 
fur  la  foi  de  Fagius ,  de  Bucer  &  de  Cranmer ,  que  vous  avez 
écrit  ce  que  vous  dites  de  ce  Roy ,  &  leur  témoignage  fuflit 
pour  qu'on  n'en  puifle  douter. 

Il  n'eil  pas  plus  vrai  de  dire,  continuë-t-il ,  que  Herman; 
autrefois  Archevêque  de  Cologne ,  étoit  un  homme  plein  de 
douceur,  qui  abandonna  fon  fiége  ,  plutôt  pour  ne  pas  expo- 
fer  les  fiens ,  que  par  aucune  crainte.  Vous.dites  quelques  li- 
vres auparavant ,  que  ce  prélat  avoit  été  condamné ,  &  excom- 
munié à  Rome^  &  que  l'Empereur  avoit  envoyé  des  gens  pour 
faire  exécuter  le  décret  du  Pape  5  mais  vous  gardez  maligne- 
ment le  filence  fur  la  caufe  de  cette  conduite  du  Saint  Siège 
à  l'égard  d'Herman.  Vous  ajoutez  qu'il  fe  retira  volontaire* 
ment,  à  la  perfaafîon  de  quelques  Princes.  Pourquoi  ne  pas 
examiner  davantage  les  chofes  ?  Mais  il  vous  fuffit  de  faire  voir 
que  la  cenfure  de  Rome  &  l'autorité  Impériale  n'ont  été  d'au- 
cun poids  dans  cette  affaire. 

Telles  font,  ditMachaud,  les  faulfetez  répandues  en  mille 
endroits  de  cette  Hiftoire.  Les  faits  fuivans  font  de  cette  natu- 
re. De  Thou  rapporte  que  le  château  de  Nanteùil  fut  enlevé  à 
la  maifon  de  Lenoncour ,  par  les  artifices  du  Cardinal  Jean  de 
Lorraine ,  &  que  Longueval  fut  dépouillé  de  la  terre  de  Mar- 
chez ,  dont  le  Cardinal  Charles  de  Lorraine  ,  neveu  de  Jean , 
s'empara  ;  cependant  on  a  les  contrats  de  vente  de  ces  deux 
acquifîrions. 

Mais  quelle  reconnoilTance ,  pourfuit  l'auteur  ,  les  Minif- 
très  de  la  Religion  Reformée  ne  doivent-ils  pas  à  cet  Hiftorien^ 
qui  n'épargnant  pas  même  fon  père  ,  dans  la  vue  de  favorifeï 
les  Proteftans ,  ofe  avancer  que  ce  Magiftrat  trahit  fes  fenti- 
mens,  le  lendemain  du  maflacre  de  la  Saint  Barthelemi,  en 
préfence  de  Charles  IX.  qui  vint  au  Parlement  ?  Que  ce  Pre* 
mier  Préfident  fit  un  difcours  politique ,  accommodé  au  temps. 
Qu'il  avoit  cependant  toujours  détefté  cette  fanelie  journée  à 
laquelle  il  appliquoit  ces  vers  de  Stace  : 

Excidaî  illa  aies  avo ,  &c. 

Et  qu'enfin  s'il  loue  le  Pvoi  fur  fa  prudence,  fon  cœur  y  eut 
peu  de  part,  &  que  ce  ne  fut  que  pour  s'accommoder  au 

Hhhij 


428         PIECES  CONCERNANT  ^HISTOIRE 

temps  &  au  lieu.  C'eft  ainfi  que  de  Thou ,  ajoute-t-il  ,  a  facrî* 
fié  l'honneur  de  fon  père  même ,  qu'il  fait  palTer  pour  un  four- 
be,  à  fa  paiTion  pour  l  honneur  des  fedaires. 

Chapitre  II.  Prévention  du  Préjtdent  de Thott  pour  les Ecri^ 

vains  hérétiques^ 

E  Thou,  dit  leCenfeur,  eft  l'admirateur  continuel 

des  hérétiques.  Sa  plume  leur  prodigue  à  chaque  inf- 

tant  les  éloges  les  plus  flateurs.  Il  eft  le  Panegyrifte  zélé  de 
Philippe  Melancthon ,  dont  Jean  Camerarius  a  écrit  la  vie 
qu'il  dit  avoir  lue  avec  un  grand  plaifir.  Il  loue  l'efprit  mode- 
ré  &  pacifique  de  ce  grand  Apôtre  du  Lutheranifme.  Il  fait 
l'éloge  de  Jean  Sleïdan  Calvinifte ,  auteur  d'une  hiftoire  pleine 
de  faufletez ,  au  jugement  de  l'Empereur  Charles  V.  même , 
&  qui  en  traduifant  en  latin  l'Hiftoire  de  Philippe  de  Comi" 
nés ,  en  a  ôté  tous  les  traits  de  catholicité  5  de  Nicolas  Ger^ 
bellius ,  de  Cufpinien ,  de  Jean  Knox  Ecoflbis ,  Prêtre  Ca- 
tholique, qui  fe  fitProteftant  h  de  Jufte  Jonas ,  qu'il  reprefente 
comme  l'ami  &  le  fidèle  compagnon  de  Luther  5  de  manière 
qu'on  diroit  que  c'eft  un  autre  Silas,  oui  accompagne  un  autre 
Paul. 

On  voit  dans  fon  Hiftoire  les  louanges  d'Ohmpia  Fulvia 
Morata  de  Ferrare.  Cette  femme  digne  ,  félon  de  Thou ,  par 
l'innocence  de  fes  mœurs,  par  la  force  de  fon  efprit  &  par 
fon  érudition ,  d'entrer  en  parallèle  avec  tout  ce  que  l'antiqui- 
té a  eu  de  femmes  illuftres.  Cependant ,  pourfuit  le  Cenfeur , 
cette  Héroïne  avoit  abandonné  la  Religion  de  fes  pères  &  fa 
patrie ,  pour  embrafler  la  dodrine  de  Luther  :  Voilà  celle  qu'il 
met  au  deftus  des  Catherines  ,  des  Eudoxies ,  des  Proba ,  &c. 
C'eft  avec  la  même  partialité,  pourfuit-il,  qu'il  loue  Rhena^ 
nus ,  homme  bien  digne  d'être  comparé  à  Erafme  5  l'un  & 
l'autre  font  également  ennemis  de  la  pieté ,  &  partifans  des 
nouveautez. 

Peut-on ,  fans  étonnement,  entendre  de  Thou  louer  la  féve- 
rité  de  Pierre  Martyr  ,  qui  renonça  à  fes  vœux ,  &  quitta  le 
cloître  pour  fe  hvrer  à  l'amour  des  femmes ,  dont  il  traînoit 
toujours  un  grand  nombre  à  fa  fuite  ?  Calvin  même,  &  Beze, 
ces  fléaux  de  l'Eghfe  ne  font  pas  oubliez  il' un  eft-  un  excel- 


DE    J.    A.    DE    T  H  O  U.  425 

lent  Orateur  &  un  grand  génie  ;  le  dernier  un  excellent  Poëte. 
Je  m'étonne,  ajoute-t-il,  qu'il  ne  compare  pas  fes  vers,  où 
il  fait  le  parallèle  de  Candida  &  du  jeune  Audebert ,  aux 
Cantiques  de  Salomon.  Buchanan^  dont  les  écrits  font  tra- 
cez en  caraderes  de  fang,  n'eft  qu'un  peu  trop  amer,  par 
im  défaut  commun  à  tous  les  EcoiTois.  Les  Libelles  féditieux 
d'Hotman  &  de  la  Boëtie  ne  font  pas  plus  cenfurez  dans 
i'Hiftoire  du  Préfident  de  Thou.  Ramus  à  l'entendre,  a  aidé 
ia  République  des  Lettres  de  fonbien  5  c'eft  ce  Ramus  infedé 
du  poifon  de  l'erreur ,  qui  s'étoit  attiré  un  fi  grand  nombre 
d'ennemis  ,  par  la  nouveauté  de  fa  méthode  d'enfeigner  : 
Quelle  indignation  ne  conçoit  pas  de  Thou ,  à  la  vue  de  Char- 
les Dumoulin ,  obhgé  de  fortir  de  fa  patrie  ?  Ignore-t-il  les  ju- 
gemens  civils  &  eccléfiaftiques  portez  contre  ce  Jurifconful^- 
te  ?  Claude  Gaudimel ,  exécuté  à  Paris  pour  caufe  d'héréfie , 
a  aufll  part  aux  Paranimphes  de  l'Hiftorien  ,  qui  nous  apprend 
que  cet  hérétique  a  fait  la  mufique  des  Pfeaumes  mis  en  vers 
François  par  Clément  Marot  &  par  Beze.  Il  l'appelle  un  Mu- 
ficien  excellent  :  L'éloge  qu'il  fait  de  fon  talent  n'eft-il  pas  ca- 
pable de  rendre  inutiles  tous  les  efforts  que  les  gens  de  bien 
font  pour  détourner  les  CathoUques  d'aller  entendre  fes  chantG> 
dont  le  poifon  fe  communique  de  l'oreille  à  l'efprit  ? 

On  pafle  à  de  Thou ,  continue  le  Cenfeur ,  d'avoir  fait  l'é- 
îoge  de  Scaliger.  Les  grandes  lumières  de  ce  fçavant  hom- 
me ,  fa  profonde  érudition,  fahtterature  peu  commune,  font 
bien  dignes  de  louange  ;  mais  qu  il  lui  donne  un  efprit  divin 
&  une  probité  rare,  c'eftce  qui  n'eft  pas  fupportable.  Peut- 
on  flater  à  ce  point  le  portrait  d'un  homme  fuperbe ,  qui 
étoit  àfes  propres  yeux  le  feul  &  l'unique  fçavant  qui  eût  pa- 
ru ?  Il  a  pu  encore  loiier  Cafaubon^  fans  révolter  les  efprits  j 
il  devoit  des  éloges  à  fa  littérature.  Mais  je  fuis  blcilé  de  l'en- 
tendre  dire  que  le  Roi  de  France  le  fit  venir  ^  pour  être  le  Ref- 
taurateur  de  l'Univerlité  de  Paris.  Le  nom  de  Reftaurateur 
convient-il  bien  à  un  hérétique ,  qu'on  ne  voulut  jamais  fouf- 
frir  y  enfeigner ,  de  peur  qu'il  ne  vînt  à  bout  de  gliiîer  le  poi- 
fon de  l'erreur  àla  faveur  des  belles  Lettres? Il  feroit  trop 
long  de  rapporter  tous  les  noms  des  Proteftans  qui  vivent  dans. 
i'Hiftoire  de  leur  admirateur» 

Hhh  iij 


430  PIECES  CONCERNANT  L'HISTOIRE 

Chapitre  III.  Exprejftons  particulières  à  de  Thou. 

LEs  exprelïions,  dit  Machaud,  découvrent  les  affedioiiâ 
du  cœur ,  &  nos  penfées.  Notre  Hillorien  fe  conforme 
aux  hérétiques  ,  en  parlant  des  Saints  ;  il  ne  dit  jamais  Saint 
Denis,  Saint  Quentin,  mais  Denis,  Quentin,  ôcc.  Il  appelle 
les  Miniftres  hérétiques  les  Pafteurs  de  l'Eglife ,  Chanàieu  ^  dit- 
il ,  Pafteur  de  l^Eglife  de  Paris.  En  parlant  des  Eglifes  bâties  à 
l'honneur  de  quelques  Saints ,  dont  elles  portent  les  noms ,  il 
fe  fertdu  terme  à^fana ,  qui  félon  Saint  Auguftin ,  eft  le  nom 
le  plus  propre  à  lignifier  un  Temple  de  faux  Dieux.  Pourquoi 
appeller  ftatuës  &  fimulacres  ce  que  la  primitive  Eglife  ap-« 
pelle  de  faintes  images? De  Thou  ne  donne-t-il  pas  lieu  de 
lbup(^onner  qu'il  eft  dans  les  fentimens  de  ceux  dont  il  adopte 
les  façons  de  parler  f  Les  Catholiques  font  fort  fouvent  nom- 
mez Papiftes ,  Pontificii,  dans  fon  Kiltoire.  Le  Myftere  de  l'Eu- 
chariftie  eftdéfignépar  le  terme  de  Cène  y  nom  que  l'erreur 
a  confacré. 

Les  hérétiques ,  pourfuit  le  Cenfeur ,  enfeignent  la  théolo- 
gie ,  fuivant  de  Thou  j  comme  lî  abufer  de  FEcriture  &  ren- 
verfer  la  Foi ,  qui  font  les  fondemens  de  la  théologie ,  étoit 
ctre  Théologien.  La  Théologie  des  hérétiques  mérite  plutôt 
le  nom  de  Matéologie ,  qui  ne  parle  ni  ne  penfe  bien  de  l'Etre 
Suprême. 

De  Thou ,  continue  le  Cenfeur,  ne  manque  jamais ,  en  par- 
lant des  hérétiques  condamnez  pour  caufe  d'héréfie  3  de  dire 
qu'ils  ont  été  punis  du  dernier  fupplice  à  caufe  de  la  Religion , 
&  qu'ils  ont  foufFert  la  mort  avec  conftance.  Cependant  il  n'y 
a  qu'im  Dieu  ^  qu'une  Eoi  &  qu'une  Religion  :  Que  de  Thou 
dife  donc  plutôt  qu'ils  ont  été  punis  à  caufe  de  leur  attache- 
ment à  l'erreur ,  &  qu'ils  font  morts  avec  opiniâtreté ,  ou  qu'il 
ne  fe  mette  plus  au  rang  des  Catholiques. 

Chapitre  IV.  Apophtegmes  receuillis  par  de  Thou, 

LE  s  anciens ,  dit  Machaud ,  en  écrivant  l'Hiftoire,  avoient 
foin  de  recueillir  les  maximes  des  hommes  graves ,  & 
leurs  fentences ,  afin  de  les  tranfmettre  à  la  poilerité.  De  Thou 


DE    J.    A.    DE    TIÏOU.  45F 

femble  avoir  pris  une  autre  route  ;  il  a  ramaffc  tout  ce  que  les 
Grands  ont  dit  de  ridicule  &  d'impie  ,  ou  ce  qu'on  leur  a  at- 
tribué dans  CCS  deux  genres.  C'eft  pour  cela  qu'un  homme 
fage  avoir  coutume  d'appeller  l'Hiftoire  du  Prélîdent  de 
Thou ,  le  fupplément  de  Rabelais. 

Notre  Hiftorien,  continue  Machaud  ,  fait  dire  au  Pape- 
Marcel  II.  qu'il  ne  comprenoit  pas  comment  les  Souverains 
Pontifes  pouvoient  faire  leur  falut.  Paroles  qui  avoient  déjà 
été  prononcées  par  Adrien  IV.  en  déplorant  la  malheiu'eufe 
condition  des  Papes.  Le  but  de  rHiliorien  a  été  fans  doute  d'in- 
iinuer  qu'ils  devroient  tons,  à  l'exemple  de  Pierre  de  Mourrhon 
(i)  fouler  aux  pieds  les  grandeurs  de  la  thiarre  ,  &  s'enfevelir 
dans  le  fond  d'un  défert.  Y  a-t-il  la  moindre  apparence  que  ce 
Pape  ait  jamais  dit  ce  que  de  Thou  lui  fait  dire  /  Quoi ,  le  Père 
des  Fidèles  &  le  Pafteur  d^s  âmes  n'aura  pas  les  moyens  de^ 
fe  fauver  !  Peut-on  être  Catholique ,  &  penfer  de  cette  ma- 
nière ?  La  pompe  ,  continue  le  Cenfeur ,  les  honneurs  &  le' 
fafte  de  la  pourpre  font,  dites-vous  ,  autant  d'écueils  :  EIi. 
depuis  quand  fait-on  ces  reproches  aux  Princes  de  l'Eglife/ 
Parcourez  les  premiers  temps  de  l'Eglife  du  Chriftianifme, 
vous  y  verrez  les  honneurs  rendus  à  Saint  Epiphane,  &  au  Pa- 
pe Saint  Damafe  ,  qui  l'emportoit ,  au  rapport  de  Saint  Jérô- 
me ,  fur  tous  les  Prêtres  des  faux  Dieux  par  la  magnificence  ôc 
la  pompe  de  fes  ornemens.  Mais  on  fçait ,  ajoute-t-il ,  ce  que 
vous  penfez  des  Souverains  Pontifes ,  de  concert  avec  les  hé- 
rétiques :  On  le  voit  alfez  par  vos  vers  que  je  citerai  bien-tôt. 

Que  peut-on  penfer ,  pourfuivit  Machaud ,  de  ce  qu'on  fait 
dire  dans  cette  Hiftoire  au  Pape  Jules  ÎII.  àl'occaiion  de  Cor- 
nia ,  qui  s'étoit  laiilé  furprendre  par  Santaccio  ,  nom ,  qui  en*, 
langue  Italienne  fignifie  un  petit  Saint.  Je  fuis  bien  étonné  y 
lui  fait-on  dire ,  que  Cornia  qui  ne  croit  ni  en  Dieu,  ni  en  fes- 
Saints ,  ait  eu  de  la  foi  pour  un  Santaccio.  Cette  plaifanterie  ,. 
que  l'auteur  met  dans  la  bouche  du  Pape  Jules  IIL  fent  bien  le* 
Calvinifte,  aufll-bien  que  ce  qu'il  fait  dire  au  Cardinal  Ca- 
raffe ,  en  faifant  fon  entrée  à  Paris ,  en  qualité  de  légat  de  fa 

fi)  C'eftlc  Pape  CeleflînV.  à  qiuBo-    1    depcur  qu'il  ne  lui  prît  envie  de remon-- 
niface  Vlîl,  perfuada  d'abdiquer  ia  Pa-    1    ter  £iir  ie  thrône  de  Saint  Pierre, 
pautc,  &  qu'il  fît  enfuite  périr  en  prifon,    ' 


43  2       PIECES    CONCERNANT   L'HISTOIRE 

Sainteté.  Pmfque  ce  peuple  (c'étoit  les  Parifiens  qui  fe  mettoîent 
à  genoux  pour  recevoir  la  bénédidion  de  ce  Cardinal  )  veut 
être  trompé,  qu  il foit  trompé.  Ce  qu'il  fait  répondre  par  Jean 
Mendofe  aux  Dodeurs  de  Sorbonne,  aufujet  du  Purgatoire, 
n'eft  gueres  moins  fcandaleux. 

Voilà ,  ajoute  le  Cenfeur ,  des  traits  propres  à  rendre  le  Pa- 
pe &.les  Cardinaux  odieux.  Jepancherois  aflez  à  croire  qu'ils 
ont  été  inferez  dans  l'Hiftoire  du  Préfident  de  Thou  par  quel- 
que Luthérien ,  ou  par  quelque  Calvinifte,  fiTégalité  du  ftile  ne 
prouvoit  qu'il  font  de  la  même  main  que  le  relie  de  l'Hiftoire*' 

De  Thou  aflure  ,  continue  le  Cenfeur ,  que  Claude  d'Ef- 
pence  Dodeur  en  Théologie ,  ne  fut  pas  fait  Cardinal  pour 
avoir  déclamé  en  chaire  contre  la  légende  dorée,  &  avoir  dit 
qu'elle  méritoit  plutôt  le  nom  de  légende  de  fer  ;  ce  qu'il  avoit 
été  obligé  de  retrader  publiquement  dans  la  fuite.  Ce  fait  eft 
rapporté ,  continue  le  Cenfeur,  fur  la  foi  de  Jean  Sleïdan  Hif- 
torien  Calvinifte.  Cependant  ce  n'eft  pas  ce  trait  hardi  que 
de  Thou  adopte  avec  i^ne  tendreife  paternelle ,  qui  ferma 
l'entrée  du  facré  Collège  à  ce  Dodeur  ;  ce  furent  des  fautes 
plus  confidérables ,  que  l'ignorance  de  la  Scolaftique  lui  fit 
coimiiettre  dans  l'interprétation  de  l'Ecriture  &  des  Pères.  Ce 
furent  aufTi  des  fentimens  nouveaux  fur  la  difcipline  de  l'E- 
glife. 

Que  peut-on  penfer,  ajoute  Machaud ,  de  ce  que  cet  Hif- 
ftorien  rapporte  d'Anne  Dubourg,  cet  infâme  apoftat,  qu'il 
femble  regarder  comme  un  martir  de  la  primitive  Eglife  /  Il 
dit  que  cet  hérétique  ayant  été  condamné  à  être  privé  du  ca- 
radere  facerdotal ,  témoigna  qu'il  endureroit  volontiers  un  fup- 
plice  i  qui  alloit  lui  oter  ce  qtUil  avoit  de  commun  avec  la  bejîe  de 
PÂpocalypfe  <ù'  avec  PAntechriJî ,  entendant  par  ces  noms  le  Pon- 
tife Romain.  Il  ne  refte  plus  à  de  Thou  qu'à  rapporter  toutes 
les  invedives  &  toutes  les  injures  qu'ont  vomi  Calvin,  Beze 
&  Luther  :  Rien  de  ce  que  Marfac  ,  Dubourg ,  Coligni  &  tous 
les  ennemis  du  Saint  Siège  ont  dit  en  mourant ,  ne  lui  échap- 
|)e.  Il  n  eft  pas  hors  de  propos,  continuë-t-il ,  de  remarquer  en 
paflànt  fon  ignorance  :  il  donne  le  nom  de  caradere  facerdo- 
tal à  cette  tonfure  que  le  Clergé  porte  fur  la  tête.  Il  dit  qu'on 
alloit  ôter  ce  caradere  à  Dubourg.  On  voit  bienpourfuit-il  qu'il 

ne 


DE  X  A.  DE  THOU,  4,^j 

ne  fçaif  pas  que  le  caïadere  ell inelïacabie ,  6c  quels  facremens 
rimpriment  (  i  ) 

Voilà,  dit-il,  quelques  apophthegaies  que  de  Thou  rap- 
porte ,  pour  rendre  ridicules  les  ennemis  de  l'erreur ,  ou  pour 
faire  douter  de  leur  Religion  >  mais  quelques  efforts  qu'il  em- 
ployé contre  les  Papes,  leur  fiége  fondé  fur  la  pierre  fera  tou- 
jours inébranlable.  Il  a  réfiftc  à  des  fecouflfes  plus  violentes 
que  les  foibles  atteintes  d'une  mauvaife  plaifanterie. 

Chapitre  V.  Inclination  de  de  Thou  pour  les  hérétiques^ 

DE  Thou  ne fçauroît s*empêcher ,  dit Machaud ,  de  laif- 
fer  paroître  le  penchant  qu'il  a  pour  les  fedaires.  La  fc- 
vérité  des  Rois  très-Chrétiens  François  II.  &  Charles  IX.  con- 
tre les  hérétiques ,  le  révolte.  Avec  quelle  exaditude  ne  tranf- 
crit-il  pas  du  Martirologe  des  hérétiques^  jufqu'aux  noms  des 
plus  vils  artifans  ,  que  leur  attachement  opiniâtre  à  l'erreur  a 
conduit  au  fupplice  en  Angleterre  &  ailleurs  ?  Ne  diroit-on 
pas  qu'il  a  eu  deflein  de  recueillir  des  ades  de  Martirs ,  fen> 
blables  à  ceux  des  anciens  Martirs  de  la  foi  ?  Car  rien  ne  lui 
échappe ,  pas  même  la  moindre  circonftance.  Ses  entrailles 
font  déchirées  au  fouvenir  de  la  jufte  rigueur  exercée  contre 
les  fedaires.  Si  quelqu'un  d'entr'eux  a  dit  quelque  chofe  à  la 
mort ,  il  le  rapporte  avec  la  dernière  exaditude.  Les  expref- 
fions  les  plus  touchantes  &  les  peintures  les  plus  vives  ne  lui 
coûtent  rien ,  lorfqu'il  déplore  la  défolation  des  Reformez. 

Anne  Dubourg ,  continue  le  Jefuite ,  paroît  dans  cette  Hif- 
toire  répondant  à  fes  Juges ,  comme  un  autre  Saint  Laurent 
en  prefence  de  l'Empereur  Dece.  Sa  mort ,  à  l'entendre ,  tira 
les  larmes  des  yeux  aux  plus  honnêtes  gens  :  mille  révoltes 
&  mille  conjurations  font  nées  de  fon  fang  répandu.  Mais 
de  Thou  s'émeut ,  &  s'anime  bien  davantage  au  récit  deç 
fupplices  que  l'Inquifition  d'Efpagne  fit  Cauffrir  à  quelques  hé- 
rétiques en  prefence  <le  Philippe  1 1.  qui  voulut  y  alTifter.  Il 
peint  avec  des  couleurs  attendriifantes  un  jeune  Luthérien 
de  vingt-un  ans ,  allant  à  la  mort  avec  une  confiance  admis- 
cable.  Tout  ce  qui  touche  les  hérétiques ,  excite  fa  compaffion,; 

fi)  Comme  fî,  dans  le    leas  moral,    1   ceux  que  les  Sacremens  impriment.  Cd^ 
y  n'yavoit  pa<?  .l'autres  Caraderes  que   1  la  s'appelle  pointiHer. 

T9me  KK  lil 


454  PIECES  CONCERNANT  L'HISTOIRE 
tandis  qu'il  ne  dit  pas  un  feul  mot  de  Thomas  Morus ,  &  de 
tant  d'autres  Catholiques  qui  ont  fouffert  la  mort  pour  la  Re-^ 
ligion , fous  les  régnes  de  Henri  VIII.  d'Edouard  fon  fils; 
êc  de  la  Reine  Elifabeth.  Si  les  récits  touchans  font  fi  fort  du 
goût  de  notre  Hiftorien ,  ajoute  le  Ceiifeur ,  quelle  plus  belle 
matière  pouvoir  s'offrir  à  un  Ecrivain  ?  Quelles  horreurs  que 
les  fupplices  affteux  au  milieu  defquels  les  Catholiques  ex- 
pirèrent fous  ces  Nerons  modernes  ?  Avec  quelle  effufion  de 
cœur  de  Thou  ne  fait-il  pas  l'éloge  des  fedaires,  dont  l'o- 
piniâtreté fut  punie  du  dernier  fupplice ,  foit  en  France  ,  foie 
en  Angleterre  fous  le  régne  de  la  Reine  Marie  ?  Qui  ne  fe- 
roit  choqué ,  pour  peu  qu'il  foit  attaché  à  la  Religion  Catholi- 
que ,  de  la  rapidité  avec  laquelle  l'Hiftorien ,  après  avoir  rap- 
porté en  peu  de  mots  l'Arrêt  du  Parlement  contre  les  cadavres 
de  quelques  hérétiques  qui  furent  exhumez  fous  le  règne  de 
Marie ,  palfe ,  fans  aucun  égard  à  l'ordre  des  temps ,  au  régne 
d'Elifabéth ,  où  la  mémoire  de  ces  fedaires  fut  réhabilitée  î 
Ne  femble-t-il  pas  que  fon  ftile  fe  relfent  du  triomphe  des 
hérétiques  ?  Il  va  même  jufqu'à  dire  que  les  Papes  Etienne 
V  I.  &  Sergius  III.  avoient  fait  la  même  chofe  à  l'égard  du 
Pape  Formofe.  Avec  quelle  affedation  ne  dit-il  pas  que  Ma- 
thieu Parker  Archevêque  de  Cantorberi,  Edmond  Grindall 
Evêque  de  Londres ,  &  Richard  Evêque  de  Glocefter  con- 
tribuèrent de  leur  autorité  à  cette  réhabilitation  ?  Il  ne  feit 
point  difficulté  de  donner  le  nom  d'Evêques  à  des  hommes 
revêtus  de  leur  dignité  par  une  femme  audacieufe ,  qui  s'arro^ 
geoit  le  titre  de  chef  de  l'Eglife  Anglicane. 

Dans  le  récit  des  évenemens  de  l'an  i$6(^.{  pourfuit  le  Je* 
fuite  )  Dandelot  j  dont  notre  Hiftorien  rapporte  la  mort ,  eft  re- 
prefenté  comme  un  homme  d'une  prudence  confommée  & 
d'une  équité  parfaite.  Quoi  !  un  chef  de  parti  qui ,  comm?e  de 
Thou  le  dit  lui-même  un  peu  auparavant ,  étoit  allé  en  Poitou 
pour  y  lever  de  l'argent ,  &  principalement  fur  le  Clergé  ,  afin 
de  rétablir  les  affaires  des  Proteftans ,  eftun  homme  prudent  Se 
rempli  d'équité  !  Quelles  vertus  y  a  t'il  à  piller  les  biens  de 
l'Eglife ,  fur  tout  pour  faire  la  guerre  à  l'Eglife  ? 
.  Odet  de  Coligny  frère  de  Dandelot ,  continuë-t-il ,  ce  Car-* 
dinal  qui  deshonora  la  pourpre  Romaine  par  fes  crimes ,  n'efl: 
pas  oublié  par  le  Panegirifte  des  fedaires>  De  la  Place  qui 


DE    J.    A.    DE   T  H  O  U.  "45; 

qui  fut  tué  le  jour  de  Saint  Barthelemi  eft,  au  jugement  de 
cet  Hiftorien ,  un  homme  recommandable  par  fa  fermeté  , 
fa  dodrine,  &  fon  intégrité. 

Le  fupplice  de  Cavagne,  &  de  Briquemaut  eft  encore  peint, 
dit  le  Cenfeur ,  avec  des  couleurs  touchantes.  De  Thou  fait 
fentir  toute  l'indignation  qu'excite  en  lui  le  traitement  que  le 
peuple  fit  à  leurs  cadavres.  C'eft  alors  qu'il  étoit  à  propos  d'at- 
tribuer ce  traitement  à  la  vengeance  divine ,  &  en  particulier 
celui  qu'on  fit  à  Briquemaut ,  qui  coupoit  les  parties  honteufes 
aux  Prêtres  qui  tomboient  entre  fes  mains ,  &  qui  s'étoit  fait 
un  colher  de  leurs  oreilles  y  dont  il  fe  paroit.  Ces  faits  connus 
de  toute  la  France  ne  feroient-ils  point  parvenus  jufqu'à  notre 
Hiftorien  f 

Avec  quelle  artifice  ,  ajoute  le  Jefuite ,  ne  raconte-t-il  pas 
la  punition  des  conjurez  d' Amboife ,  pour  déguifer  la  véri- 
té ?  On  auroit  de  la  peine  à  donner  d'autres  couleurs  à  la 
cruauté  àQS  Empereurs  Romains ,  les  plus  altérez  du  fang  des 
Chrétiens.  Mais  il  fe  montre  tout  entier  dans  la  defcription 
du  maftacre  de  la  Saint  Barthelemi.  Beze  n'eut  jamais  rap- 
porté cet  événement  tragique  en  termes  plus  forts ,  &  plus 
énergiques.  On  ne  trouve  point ,  dit  de  Thou  ,  d'exemple 
d'une  pareille  fureur  dans  l'antiquité  j  la  vengeance  divine 
aveugloit  les  François ,  en  punition  des  blafphemes  du  Roi , 
&  de  fes  fujets.  Mais  reprend  Machaud,  les  blafphemes  de 
ceux  qui  font  Dieu  l'auteur  du  péché ,  qui  difent  que  fes  com- 
mandemens  font  impoftlbles,  qu'il  refufe  des  fecours  aux  hom- 
mes pour  accomplir  fes  préceptes ,  que  cependant  il  damnc- 
ceux  qui  les  ont  violez  ;  qu'il  nous  a  promis  à  la  vérité  fon 
Corps ,  mais  qu'il  ne  nous  en  a  laifle  que  la  figure  '■>  ces  blafphet- 
mes  ne  bleftent-ils  pas  plus  vivement  la  Majefté  divine  ? 

Enfin ,  dit  le  Cenfeur ,  de  Thou  ofe  trahir  fans  pudeur  la 
vérité  en  faveur  des  hérétiques.  L'Amiral  de  Coligny  étoit 
le  chef  des  Huguenots  en  France.  Cependant  de  Thou  n'ou- 
blie rien  pour  le  juftifier.  Si  on  veut  Pen  croire ,  on  ne  trouva 
rien  dans  les  papiers  de  l'Amiral ,  qui  ne  marquât  fon  affec- 
tion fincere  pour  le  Roi ,  &  pour  les  Princes  fes  frères.  Quoi , 
s'écrie  le  Jefuite ,  tant  de  places  furprifes  &  forcées  par  l'A- 
miral ,  fes  combats  contre  les  armées  du  Roi ,  des  troupes 

étrangères  introduites  au  fein  de  l'Etat ,  &  dix  ans  de  révolte  i 

1.  .  ..  = 


45^  PIECES  CONCERNAIT  L'HISTOIRE 
dont  il  étoit  Famé ,  &  le  mobile ,  ne  font  pas  d'aflez  fortes 
preuves  de  fa  haine  pour  la  Maifon  Royale  !  Avec  quelle 
douleur  la  mort  de  ce  chef  de  parti  n'eft-elle  pas  racontée  ? 
On  voit  le  peuple  traîner  dans  les  rues  fon  cadavre  mutilé  , 
fpedacle  attendrilTant ,  &  décrit  par  notre  Hiftorien  de  la  ma- 
nière la  plus  touchante ,  afin  d'intereffer  le  ledeur  pour  fon 
héros ,  digne  néanmoins  d'un  pareil  traitement.  Un  Religieux 
de  l'ordre  de  Saint  François,  fameux  Prédicateur,  que  Coli- 
gny  fit  pendre  à  Amboife ,  lui  prédit,  comme  à  une  autre  Jefa- 
bel,  qu'on  le  précipiterait  d'une  fenêtre  en  punition  de  fes 
crimes  j  ce  fait,  &  l'accompliffement  de  la  prédidion  ,  euffent- 
ils  échapé  à  notre  Hiftorien ,  s'il  n'eut  pas  été  auffi  favorable 
aux  hérétiques ,  qu'il  i'eft  en  effet  dans  toute  fon  Hiftoire. 

Chapitre  VI.  Haine  de  de  Thou  four  tous  les  défenfeurs 

de  la  Religion  Catholique, 

AP  R  e's  avoir  fait ,  dit  l'Auteur ,  des  portraits  avantageux 
de  la  plupart  des  hérétiques ,  il  n'eft  pas  étonnant  que 
de  Thou  employé  les  couleurs  les  plus  noires  pour  peindre 
les  Catholiques  zelez  ;  qu'il  empoifonne  leurs  adions,  &  rem- 
place toujours  leurs  vrais  motifs  par  des  motifs  fuppofez.  Il 
ne  faut  que  l'entendre  déclamer  contre  la  maifon  de  Guife 
pour  en  être  convaincu  '■>  ce  furent ,  félon  lui ,  les  Princes  de 
cette  maifon,  qui  prêtèrent  des  intentions  criminelles  aux  com- 
plices des  conjurations  d'Amboife ,  &  de  Meaux.  Les  conju- 
rez n'eu  vouloient  point  à  la  perfonne  des  Rois  ;  tout  leur 
but  étoit  de  délivrer  la  France  de  l'oppreffion  des  Guifes ,  dont 
les  manœuvres ,  &  les  artifices  facrifierent ,  félon  lui ,  tant  de 
têtes  à  leur  ambition.  Les  biens  des  profcrits  entrèrent  moins 
dans  le  Trefor  Royal ,  que  dans  les  coffres  de  ces  tirans  de 
la  France 

Que  peut-on ,  pourfuit  l'Auteur ,  attendre  de  ces  idées  gé- 
nérales de  la  maifon  de  Guife,  que  des  portraits  odieux  de  tous 
ces  Princes  en  particulier  ?  Le  Cardinal  Jean  de  Lorraine,  à 
l'entendre ,  ne  gagna  la  faveur  du  Roi ,  qu'en  fervant  les  paffions 
de  ce  Prince  ,&  qu'en  fe  diftinguant  par  une  folle  libéralité. 
Charles  de  Lorraine  fon  neveu ,  aulïî  Cardinal ,  effaya  de  tous 
les  crimes  ^  &  tiempa  dans  tous  ceiw  qui  fe  commirent  cî> 


DE   J.   A.  DE   THO  U;  4jt 

France  j  c'étoit  un  traître  ,  qui  traita  fecretement  avec  Per- 
renot  ,  pour  livrer  la  France.  Il  n'entra  dans  la  faveur  du 
Roi  que  par  de  honteufes  fouplefles  auprès  de  la  Ducliefle 
de  Valentinois  :  fon  ambition  fut  fatale  à  fa  maifon ,  &  à  l'Etat. 
La  profperité  le  rendoit  infolent ,  &  il  fe  laiflToit  abattre  dans 
Fadveriité.  Mais  ce  n  étoit  pas  alTez  de  l'attaquer  du  côté  des 
mœurs  ,  il  falloir  encore  lui  donner  de  la  légèreté  dans  la 
Religion.  De  Thou  dit  qu'il  avoit  eu  quelque  penchant  pour 
embrafler  la  confefllon  d'Ausbourg ,  Ôc  qu'il  mourut  chargé 
de  la  haine  publique.  Quels  traits  odieux  !  Il  n'eft  pas  dif- 
ficile de  fçavoir  où  l'Hiftorien  les  a  pris.  Il  pouvoir  fe  difpen- 
fer  de  nous  avertir  qu'il  avoit  fuivi  des  mémoires  écrits  dans 
la  chaleur  encore  récente  des  fadions  j  auroit-on  pu  s'y  mé^ 
prendre  à  ces  tableaux.  Si  ce  Cardinal  établit  une  Univerfîtê 
à  Reims ,  dont  il  étoit  Archevêque ,  c'eft  par  ambition ,  pour 
acquérir  l'eftime  du  public  ,  afin  d'en  tirer  parti  dans  Foc-* 
cafion  ,  &  pour  remuer  le  peuple  à  fon  gré.  N'eft-ce  pas 
empoifonner  jufqu'aux  adions  les  plus  utiles ,  &  les  plus  loua- 
bles ? 

La  maifon  de  Guife  ,  dit  encore  Machaud  ,  n'eft  pas  la 
feule  en  bute  à  la  haine  irreconcihable  de  notre  Hiftorien  pour 
les  Catholiques  zelez.  Le  Maréchal  de  Saint  André  fut  un 
homme  perdu  de  débauches  :  le  Cardinal  d'Armagnac  un 
Caméléon ,  glorieux  &  vain.  Pierre  Lizet ,  aiitrefois  Premier 
Prendent  du  Parlement  de  Paris ,  s'eft  rendu  ridicule  en  écri- 
vant fur  des  matières  théologique^  dans  fa  retraite  de  Saint 
Viâior  :  Jacques  le  Maiftre  aufll  Premier  Prefident  a  outré 
la  feverité  contre  les  fedaires  ;  d'autres  membres  du  Parlement 
ont  été  de  lâches  efclaves  de  la  Cour ,  &  des  débauchez  j  tan- 
dis qu'Anne  Duboug ,  Louis  Faut ,  Arnauld  du  Ferrier ,  Paul 
de  Foix  ,  Euftache  de  la  Porte  &  d'autres  Confeillers  infedez 
du  poifon  de  l'erreur ,  font  des  hommes  recommandables  par 
leur  probité  ,  par  une  grande  pureté  de  mœurs ,  des  hommes 
enfin  dignes  d'entrer  en  parallèle  avec  les  plus  vénérables 
Magiftrats  de  f  antiquité.  Q^^  J^^^  ^^  Tillet  Greffier  en  chef 
du  Parlement  défende  l'autorité  du  Roi  &  de  la  Reine  mè- 
re j  qu'il  écrive  qu'il  eft  permis ,  &  même  qu'on  eft  obligé 
de  févir  contre  les  hérétiques  :  notre  Auteur  qui  ne  peut  dis- 
convenir que  cet  Ecrivain  ne  fut  verfé  dans  nos  loix ,  affoi- 

i  i  i  iii 


43 B  PIECES  CONCERNANT  L'HISTOIRE 
blit  fon  autorité ,  en  difant  qu'il  fervoit  la  paffion  de  la  Cour. 
Quelles  dénominations  odieufes ,  continue  toujours  le  Cen- 
feur ,  de  Thon  ne  donne-t'il  pas  à  ceux  qui  executoient  les 
ordres  du  Roi  contre  les  hérétiques  dans  les  Provinces ,  à 
Meaux ,  à  Lion ,  à  Rouen  &  à  Touloufe  f  Ce  font  des  hom- 
mes fans  pudeur ,  des  fcelerats  noircis  de  toutes  fortes  de 
crimes ,  &  des  infâmes.  Les  Proteftans  au  contraire  font  des 
agneaux  qu'on  mené  à  la  boucherie.  Après  cela  je  crois  que 
les  hérétiques  doivent  élever  à  leur  défenfeur  une  Statue 
équeftrc  ,  ou  plutôt  afinaire,  &  y  mettre  pour  infcription 
i'épitaphe  du  vieux  Ennius  ,  en  y  faifant  quelque  change- 
ment.   . 

'Afpicite ,  0  Cives ,  Livî  novi  imagina  formam  ; 
Hic  vcfirâm  panxit  maxima  faBa  patrum. 

Chapitre  VII.  ^ue  de  Thou  efi  hnnemi  mortel  des  Jefuites, 

JL  n'eft  pas  étonnant  ,  dit  Machaud  ,  que  le  deffenfeur 
des  hérétiques,  attaque  la  Compagnie  de  Jefusavec  tant, 
d'acharnement  ;  quoique  je  ne  doute  pas  que  quelqu'un  de 
ces  Pères  ne  réfute  les  calomnies  répandues  dans  fon  Hiftoi^ 
re  i  je  me  charge  néanmoins  de  ce  foin  ;  je  le  dois  à  la  vé- 
rité que  je  deffends ,  &  à  la  probité  des  Jefuites  ,  avec  qui 
j'ai  eu  d'étroites  liaifons  à  Bourges  il  y  a  trente  ans. 

De  Thou ,  continue  le  Cenfeur ,  dit  que  cet  Ordre ,  à  la  fa- 
veur d'une  feinte  renonciation  aux  honneurs ,  &  aux  richet 
fes ,  s'eft  accru  fi  prodigieufement ,  qu'il  s'eft  rendu  formida- 
ble aux  fouverains  :  calomnie  odieufe  ôc  facile  à  réfuter.  En 
effet ,  n'eft-ce  pas  renoncer  réellemement  aux  honneurs  & 
aux  richeffes  /  que  d'obferver  les  vœux  qu'on  fait  dans  la 
focieté.  On  n'a  encore  vu  que  deux  Jefuites  revêtus  de  la 
pourpre  Romaine  î  ils  n'ont  même  accepté  cette  dignité  émi- 
nente  que  fur  des  ordres  exprès  de  fa  Sainteté.  Il  eft  vrai 
qu'il  y  a  eu  plufieurs  Pères  de  cette  focieté ,  qui  ont  été  fait^ 
Patriarches ,  Evêques  Ôc  Archevêques  >  mais  ces  dignitez  ne 
leur  ont  été  conférées  que  pour  aller  porter  la  foy  aux  In- 
des &  au  Japon ,  à  travers  mille  dangers. 

Cette  focieté ,  dites-vous ,  (  pourfuit  Machaud ,  adreflaiit 


DE  J.  A.  DE  THOU.  45p; 

la  parole  au  Préfident  de  Thou  )  s'eft  rendue  forrhidable  aux 
fouverainj.  Eft-ce  aux  Princes  Catholiques ,  ou  aux  Princes 
hérétiques  ?  Si  les  premiers  redoutent  la  focieté  ,  pourquoi 
l'appellent-ils  dans  leurs  Etats ,  pour  lui  confier  l'éducation 
de  la  jeunefle ,  &  même  pour  s'en  fervir  dans  les  affaires  les 
plus  importantes  ?  Ce  font  donc  les  hérétiques  qui  la  crai- 
gnent. Si  vous  étiez  dans  les  Etats  de  ces  Princes  ,  vous 
foufcririez  avec  joye  à  tous  les  Edits  qu'ils  donnent  contre 
les  Catholiques,  &  fur- tout  contre  les  Jefuites.  Si  ces  Prin- 
ces perfécutent  leurs  fujets  CathoHques  ,  vous  ne  dites  ja- 
mais que  c'eft  pour  la  Religion  j  vous  peignez  toujours  ces 
vidimes  infortunées  comme  des  rebelles,  qui  ont  juftement 
attiré  fur  eux  la  colère  de  leurs  maîtres  j  femblable  à  ces 
délateurs  du  Paganifme ,  qui  ^  au  rapport  de  Tertullien,  (i) 
n'accufoient  jamais  les  Chrétiens  auprès  des  Empereurs,  que 
du  crime  de  leze-Majefté. 

Quels  font ,  demande  le  Jefuite ,  les  fentimens  de  notre 
Hiftorien  ,  au  fujet  des  Milfionnaires  qui  vont  tous  les  ans 
chez  les  Sauvages  ,  pour  travailler  à  la  converfion  de  ces 
peuples  ?  Irréconciliable  ennemi  des  Jefuites ,  il  ne  leur  don- 
ne jamais  la  gloire  qu'ils  méritent.  Jacques  Soria  Calvinifte  3 
après  s'être  emparé  d'un  vaiiTeau  Efpagnol ,  fait  mourir  Igna- 
ce Azeveda ,  &  Diego  Andxada  Jefuites,  qui  alloient  au  Bre- 
fil.  Notre  Hiftorien ,  loin  de  rapporter  la  véritable  caufe  de 
leur  mort ,  l'attribue  à  la  colère  que  la  perte  des  fîens  avoit 
allumée  dans  l'ame  du  Corfaire.  Cependant  il  eft  certain  que 
Soria  les  fit  maffacrer  avec  foixante  de  leurs  confrères ,  par- 
ce qu'ils  alloient  au  Brefil  pour  convertir  les  habitans  du 
pays.  Il  eft  vrai  que  ces  Millionnaires  n'auroient  pas  bien  fi- 
guré, (  ajoute  le  Jefuite  ) ,  comme  des  Martirs,  dans  une  hi- 
ftoire  ,  où  les  noms  des  Miniftres  reformez  ,  qui  s'embarquè- 
rent avec  Villegagnon  pour  la  nouvelle  France ,  font  mar-% 
quez  avec  tant  d'affedation. 

Non  content ,  dit  encore  Machaud  ,  d'enfevelir  dans  un 
oubli  profond  ,  ce  quipourroit  relever  la  gloire  de  la  focieté, 
de  Thou  faifit  avec  ardeur  tout  ce  qu'il  croit  lui  être  peu 
favorable.  Il  dit  ,  par  exemple ,  que  le  Corfaire  Soria  jetta 
dans  la  mer  les  chapelets ,  les  rofaires ,  ôc  autres  inftrumens 

(i)  Dans  fon  Apologie  des  Chrétiens, 


440       PIECES  CONCERNANT  L'HISTOIRE 

de  dévotion ,  dont  les  Jefuites  fe  fervoient  pour  initier  les 
Neophites  Indiens  aux  myfteres  de  la  Religion  ;  voulant  in- 
fînuer  par-là  que  ces  Pères  ne  baptifent  point  ces  nouveaux 
Chrétiens,  &  ne  font  point  de  différence  entre  les  points 
fondamentaux  de  la  Religion ,  &  les  pratiques  qui  fervent  à 
entretenir  la  pieté  ,  comme  on  peut  le  voir  par  fon  Poème 
contre  les  parricides  y  (i)  où  il  dit  que  les  Jefuites  ne  prêchent 
point  la  parole  de  Dieu  j  mais  qu'ils  s'en  tiennent  à  faire  re- 
citer le  Rofaire  aux  Indiens ,  &  qu'ils  font  fervir  à  l'étabhf- 
Cement  de  la  foi  dans  le  nouveau  monde  ,  les  moyens  qui 
la  décreditenc  en  Europe.  (2)  C'eft ,  ajoute-t'il  ,  attaquer  de 
firent  une  pratique  pieufe ,  que  les  Dominicains  tiennent  de- 
puis quatre  cens  ans  de  leur  faint  fondateur ,  qui  Tavoit  reçue 
du  Ciel. 

J'ai  honte ,  continue  le  deffenfeur  des  Jefuites ,  de  rele- 
ver tous  les  traits  que  de  Thou  lance  contre  cet  Ordre  5  il 
fufïira  de  réfuter  ce  qu'il  dit  au  fujet  de  cette  riche  dona- 
tion de  François  Baulon,  Confeiller  au  Parlement  de  Bor- 
deaux. Le  Jefuite  Edmond  Auger  perfuada,dit  de  Thou, 
à  ce  Confeiller  qui  étoit  fort  riche ,  de  fe  féparer  de  fa  fem- 
me ,  &  l'engagea  à  donner  des  fonds  pour  bâtir  un  Collège, 
Cependant»  continuë-t-il ,  il  eft  certain  que  Baulon  étoit  déjà 
feparé  de  fa  femme ,  quand  le  Père  Auger  arriva  à  Bordeaux  ; 
&  que  cette  donation  fi  confiderable  fe  réduit  à  deux  mille 
livres ,  comme  le  fait  eft  conftaté  au  Procès ,  que  les  Jefuites 
effuyerent  à  cette  occalîon  de  la  part  du  frère  du  donateur. 

Dans  ces  difpofîtions  ,  dit  l'Auteur ,  de  Thou  n'a  jamais 
rendu  juftice  aux  Jefuites,  Il  eft  choqué  de  ce  que  Jacques 
Laynés ,  dans  le  colloque  de  Poiffy ,  traita  les  hérétiques  de 
Renards ,  de  Singes  &  de  Monjîres ,  lui  qui  dans  fon  Poème 
contre  les  Parricides  ,  appelle  les  Jefuites  des  Renards ,  des 
Harpies ,  &  des  Monjîres.  La  focieté  loin  d'être  jaloufe  de 
recevoir  des  éloges  d'une  plume  fi  favorable  à  l'herefie ,  doit 
fc  glorifier  de  la  haine  irréconciliable  que  de  Thou  lui 'a 
vouée. 

(])  Imprimé  à  Paris,  pat   Mamert    |       [t)  His  ,  quihus  internss  périt ^  arti^ 
PatKfon  i5<)^.  m-itp  hus  y  induit  illtc 

^elligiQ, 

Chapitre  VIII; 


DE  J.  A.  DE  THOtr.  ^^i, 

Chapitre  VIII.  Manière  outrageante  dont  le  Prêftdent  ds 
Tliou  parle  des  Rois  Tr es-Chrétiens, 

NOtre  Hiftorien,  dit  le  CenfeuL-,  a  ramaffé  dans  fon 
livre  tous  les  outrages  répandus  dans  une  infinité  de 
libelles  contre  les  Rois  de  France  j  &  la  calomnie  n'a  jamais 
été  mieux  fervie  que  par  cet  écrivain.  Louis  XII.  ce  bon 
Prince ,  qui  porte  à  C\  jufte  titre  le  nom  de  Père  du  peuple  > 
n'échappe  point  à  la  plume  téméraire  de  cet  écrivain  injufte: 
Il  dit  qu'après  la  mort  du  Pape  Jules  II.  ce  P.oi  vaincu  par 
les  murmures  de  plufieurs  perfonnes,  &  par  les  plaintes  de 
la  Reine  j  femme  imperieuCe ,  renonça  au  Concile  de  Pife  & 
foufcrivit  à  celui  de  Latran ,  pour  complaire  au  Pape  Léon 
X.  Auroit-on  cru ,  reprend  le  Jefuite ,  qu'une  at^ion  aufll  loua- 
ble que  celle  d'un  Prince,  qui  relâche  de  fes  droits  pour  ré-. 
moigner  fa  déférence  au  Saint  Siège ,  &  pour  fe  confoimec 
à  la  volonté  de  l'Eglife,  dût  être  blâmée  par  un  CaJiolique  l 
Que  doit-on  penfer  de  ce  qu'ajoute  de  Thou ,  que  le  Roi 
auroit  mieux  fait  de  continuer  dans  la  rcfolution  de  refor- 
mer la  difciphne  Ecclefiaftique  f  Ainfi  au  jugement  de  notre 
Hiftorien ,  le  conciliabule  de  Pife  affemblé  contre  toutes  les 
règles ,  étoit  plus  capable  de  corriger  les  abus ,  que  le  Con- 
cile de  Latran  tenu  dans  toutes  les  formes.  C'eft  aifurement 
fe  laiiTer  aveugler  par  la  haine ,  6c  fe  livrer  tout  entier  à  fes  im- 
prefllons  dangereufes. 

De  Thou,  pourfuit-il ,  attribue  les  malheurs  de  l'Etat  &  du 
Prince  à  fa  foumiffion  au  Concile  de  Latran.  Ainfî  les  Payens 
attribuerent-ils  autrefois  la  décadence  de  l'Empire  Romain, 
&  l'irruption  des  barbares  jufques  dans  Rome, à  l'établifle- 
ment  de  la  Religion  Chrétienne ,  fur  les  ruines  du  paganif- 
me.  Saint  Auguftin ,  Saint  Cyprien  &  d'autres  lumières  de 
l'Eghfe  ,  ont  fait  voir  aiîez  aifement  le  peu  de  folidité  de 
ces  plaintes. 

Mais ,  ajoute-t'il,  ce  n'étoit  pas  aflez  de  blâmer  la  conduite 
de  ce  Prince  ;  il  a  plu  à  de  Thou  d'en  faire  un  deffenfeur  de 
l'impiété  de  Luther ,  même  avant  la  naiiïànce  de  cet  hère-, 
fîarque  5  car  il  rapporte  que  Louis  XII.  fit  frapper  une  mé- 
daille d'or ,  qui  reprefentoit  d'un  côté  ce  Prince ,  avec  cette 
.Tome  XK  Kkk 


/^42  PIECES  CONCERNANT  L'HISTOIRE 

légende  3  Perdam  Babylonis  nomen.  Machaud  s'étonne  que  de 
Thou  ne  dife  pas  auiïï  que  la  figure  de  l'ante-chrift  paroii- 
foit  ilir  le  revers.  C'eft  là  route  la  dode  réponfe  du  Je- 
fuite. 

De  Thou ,  continuë-t'il ,  alîure  avec  la  même  gravité  que  le 
malheur  à^s  entreprifes  du  même  Roi  ^  eut  fa  fource  dans  les 
îiaifons  qu'il  eut  avec  le  Pape  Alexandre  VI.  comme  fi  c'é- 
toit  un  crime  d'honorer  le  Vicaire  de  Jefus-Chrift  fur  la 
terre.  Le  Fils  de  Dieu  ne  recommande-t'il  pas  expreflement 
aux  Juifs  dans  l'Evangile ,  d'obéir  aux  fuccefleurs  de  Moyfe , 
quelques  indignes  qu'ils  puiflent  être  de  cette  qualité  ,  par 
l'irrégularité  de  leur  conduite  ? 

Quelle  peinture , pourfuit  l'Auteur,  ne  fait-il  pasdesplai- 
fîrs  de  Henri  II  ?  Il  les  appelle  des  Orgies.  Ne  diroit-on  pas 
que  c'efl  un  Caton  3  ou  un  ancien  Père  de  l'Eglife  qui  ton- 
ne contre  la  volupté ,  lorfqu'il  s'élève  contre  les  amours  de 
ce  Prince  3  &  contre  la  puilfance  de  la  DuchefTe  de  Valen- 
tinois  ?  Pourquoi  cette  grande  feverité  à  l'égard  de  ce  Roi , 
tandis  qu'il  ne  dit  qu'un  mot ,  &  même  ailez  légèrement  , 
des  mariages  inceftueux  de  Henri  VIII.  Roy  d'Angleterre  ? 
Peut-être  n'efl-il  11  indulgent  envers  le  Monarque  Anglois , 
qu'en  faveur  de  fa  haine  pour  le  Saint  Siège.  S'il  vouloit 
exercer  une  critique  fevere  fur  à^s  vices  fcandaleux  ,  le  ma- 
riage de  Luther  avec  une  Religieufe  ,  les  adultères  de  Cal- 
vin ,  &  les  débauches  de  Beze,  n'offroient-ils  pas  ime  ma- 
tière allez  ample  à  fon  zélé  ?  Peut-être  aufli,  (  dit  le  Cenfeur  ^ 
adreffant  la  parole  au  Préfident  de  Thou ,  )  n'avez-vous  pas 
voulu  falir  votre  Hifloire  du  récit  de  tant  d'infamies.  Cette 
déhcatefle  eft  digne  d'éloge  dans  un  Magiftrat  ;  mais  pour- 
quoi fortir  de  cette  gravité  à  l'occafion  des  vers  un  peu  li- 
bres que  Bembo  a  faits  dans  fa  jeunefle  ?  Quelle  raifon  vous 
eut  engagé  à  dire  avec  malignité^que  cela  s'accommodoit  aux 
mœurs  du  maître  qu'il  fervoit,  fi  vous  ne  vous  étiez  pas  fait 
un  plaifir  de  noircir  la  mémoire  de  Léon  X.  dont  Bembo 
ne  fut  néanmoins  Secrétaire  que  dans  un  âge  mûr  ? 

N'eft-ce  pas  encore  dans  le  même  efprit  que  vous  dites, 
que  les  Cardinaux  étant  enfermez  dans  le  Conclave,  on  in- 
tercepta des  lettres  de  quelques-uns  de  leurs  Conclaviftes 
à  de  jeunes  garçons,  dans  lefquelles  ils  témoignoiem  conv 


D  E   J.    A.   D  E   T  H  O  U.  443 

bien  ils  fouffroient  de  leur  abfence  î  ce  qui  fît  conjedurer 
qu'un  Conclave,  d'où  il  étoit  forri  de  telles  infamies,  ne  pou- 
voit  produire  qu'un  Pape  infime  ?Ici  Machaud  fe  récrie  iro- 
niquement fur  la  gravité  de  nôtre  Hiftorien  ,  qu'il  compare  à 
Thucidide.  Il  remet  à  une  autre  fois  à  faire  voir  fa  légèreté  5 
il  fe  plaint  de  ce  qu'il  eft  fi  clairvoyant  fur  les  défauts  des 
Catholiques  ,  tandis  qu'il  ferme  les  yeux  fur  les  turpitudes 
des  hérétiques.  Enfuite  il  examine  pourquoi  de  Thou  blâ- 
me i\  hautement  la  conduite  de  Henri  II.  Il  dit  qu'il  croit 
que  c'eil  parce  que  ce  Prince  a  toujours  déployé  la  rigueui: 
des  loix  contre  les  hérétiques. 

Après  cela ,  le  Cenfeur  ajoute,  qu'il  y  a  eu  des  Auteurs  de 
libelles  bien  moins  outrageans  que  l'Hiftoire  de  de  Thou, 
qui  ont  porté  la  peine  de  leur  témérité.  Pour  faire  voir  tout 
le  venin  qu'il  prétend  découvrir  dans  cet  Hiilorien  ,  il  en 
appelle  à  cet  endroit  de  fon  Hiftoire  ,  oii  il  eft  dit  que  le 
Pape  Clément  VIL  fe  félicitoit,  dit-on,  d'avoir  trouvé  moyen 
d'atlbuvir  fa  haine  implacable  pour  la  France  par  le  mariage 
de  Catherine  de  Medicis,  fille  de  fon  couiin  germain, avec 
Henri  IL  parce  qu'il  fe  fîatoit  qu'un  jour  cette  Princefle  em- 
braferoit  le  Royaume.  En  effet,  dit  le  Cenfeur ,  de  Thou  pour 
juft-ifier  ces  préfages  ,  reprefente  cette  Reine  ,  comme  une 
autre  Brunehault ,  ou  telle  qu'une  Medée  en  fureur.  Il  a  fait 
fon  portrait  d'après  un  fameux  libelle  intitulé  :  La  vie  de  Sainte 
Catherine ,  qui  contient  une  fatyre  violente  contre  Catherine 
de  Medicis ,  qu'on  y  noirciflbit  de  toutes  foites  de  crimes. 

L'Auteur  accufe  notre  Hiftorien  d'artifice  ,  au  fujet  des 
bruits  qu'il  rapporte  qu'on  fit  courir  fur  la  maladie  (i)  de  Fran- 
çois IL  11  lui  reproche  de  ce  qu'après  avoir  dit  que  ce  bruit 
n  étoit  fondé  que  fur  l'impudence  &  la  malignité,  il  en  dé- 
crit toutes  les  fuites  ,  de  manière  à  rendre  la  ciiofe  vraifem-^ 
blable  ;  &  cela  pour  faire  voir  que  ce  Prince  avoir  été  puni  de 
Dieu  3  pour  avoir  fouffert  que  fous  fon  règne ,  on  eût  fait  mou- 
rir les  hérétiques. 

A  l'égard  de  Charles  IX.  flere  ôcfuccefteur  de  François  IL 
de  Thou ,  (  dit  Machaud  )  ne  trouve  point  de  termes  aftez  forts 
pour  invediver  contre  ce  Prince ,  à  l'occafion  du  maftacre  de 
la  Saint  Barthelemi  j  cette  barbarie  eft  fi  énorme  à  fes  yeux, 

il)  Cétoit  la  ladrerie. 

Kkkij 


444  PIECES  CONCERNANT  L'HISTOIRE 

qu'il  ne  trouve  rien  de  femblable  dans  toute  l'antiquité  ;  c'eft 
alors  qu'il  parle  ouvertement.  Il  ne  fe  cache  plus,  il  donne 
hardiment  au  Roi  les  noms  de  fanguinaire  &  de  perfide. 

Enfin ,  l'Auteur  rapporte  ce  que  penfe  de  Thou  des  éloges 
qu'on  donna  à  cette  conduite  du  Roi  ,  &  ce  qu'il  dit  des 
médailles  alors  frappées  pour  conferver  le  fouvenir  de  cette 
aâiion.  Il  ajoute  que  cet  Hiftorien  verroit  avec  plus  de  plai- 
fir  la  médaille  ,  qui  portoit  cette  légende  :  FerdamBabylonis 
Tiomen,  ou  celle  qui  avoit  été  frappée  quarante  ans  aupara- 
vant à  Saint  Denis,  qui  étoit  alors  au  pouvoir  du  Prince  de 
Condé  ,  fur  laquelle  on  lifoit  cette  légende  :  Ludovicus  XIÎL 
Rex  Francorum. 

Chapitre  IX.  InveÛives  répandues  dans  toute  PHîJIûhe  du 
Prefident  de  Thou  cotitre  les  Papes. 

I  de  Thou ,  dit  le  Cenfeur ,  a  donné  quelque  preuve  de 
fes  mauvais  fentimens  au  fujet  de  la  Religion  Catholique  5 
c'eft  certainement  lorfqu'il  a  raifemblé  tout  ce  que  la  fureur 
&  l'ivrefle  ont  jamais  fuggeré  d'infultes  &  d'outrages  aux 
hérétiques  contre  les  fouverains  Pontifes.  Il  femble  que  le 
but  de  cet  Hiftorien  a  été  de  faire  une  bibliothèque  de  ca- 
lomnies ,  &  un  Arfenal  de  traits  odieux ,  pour  fournir  aux  en- 
nemis de  la  Religion ,  des  armes  contre  le  chef  de  l'Egîife.  En 
etfet,  toutes  les  fois  qu'il  fait  mention  d'Alexandre  VI.  (  fou- 
vent  affez  hors  de  propos  )  il  ne  manque  jamais  de  dire  que 
Céfar  de  Borgia  ,  &  Lucrèce  étoient  fes  enfans.  Il  dit  en- 
core en  parlant  de  Léon  X.  qu'il  étoit  naturellement  porté  à 
toutes  fortes  de  débauches.  Son  ftile  n'eft  jamais  plus  vif  & 
plus  preîTant  ,  que  lorfqu'il  déchire  les  Vicaires  de  Jefus- 
CHrift.  Que  ne  dit-il  pas  fur  la  conduite  de  ceux  qui  prê- 
chèrent les  Indulgences  fous  le  pontificat  de  Léon  X.  Il  ofe 
affurer  que  Luther  réfuta  (i)  les  Sermons  de  ceux  qui  prê- 
choient  les  Indulgences.  Seroit-ce  votre  fentiment,  (  ajoute 
le  Cenfeur,  en  s'adreiîant  au  Prefident  de  Thou ,  )  que  Luther 
ait  véritablement  réfuté  la  Doctrine  de  l'Egîife  touchant  le 
Purgatoire  ?  Ici  les  exclamations  partent  avec  véhémence  de 
la  bouche  du  Jefuite  ,  qui  continuant  d'apoflropher  notre  Hi- 

(i)  Machaiid  prend  le  terme  de  réfuter    j    prouva  folidemcnt  que  les  Prédicateurs 
a  ia  rigueur  ;,  c  efl-à-dire  ,  i^ue  Liuher    I    à(:i  Indulgences  raifonnoicnt  mslt 


DE    J.    A.   DE    T  H  O  U.  44^ 

ftorien,  lui  demande  s'il  ofcra  encore  fe  montrer  parmi  les 
Catholiques. 

Le  Cenfeur  examine  enfuite  ce  que  dit  le  Prefident  de 
'J'hou  i  au  fujet  de  Paul  III.  qui  ell:  accufé  par  notre  Hifto- 
rien,  d'avoir  couvé  long-temps  fous  des  dehors  fpecieux  une 
ambition  demefurée ,  qui  parut  dès  qu'il  fut  monté  fur  le  trône 
de  l'Eglife.  Il  ne  fuffit  pas ,  dit  Machaud ,  de  former  au  hazard 
une  telle  accufation  ,  il  faut  apporter  des  preuves  de  cette 
ambition  cachée ,  &  citer  les  effets  qui  la  trahirent  enfuite  5 
ce  que  de  Thou  ne  fe  met  pas  en  peine  de  faire. 

Jules  III.  pourfuit-il ,  i\  l'on  s'en  rapporte  à  de  Thou ,  eft  le 
premier  fcelerat  de  l'Univers.  Ce  menteur  impudent,  après 
avoir  reprefenté  ce  Pape  avec  les  couleurs  les  plus  noires  à 
fon  avènement  à  la  Papauté ,  le  pourfuit  avec  le  même  achar- 
nement jufqu  à  fa  mort ,  qu'il  attribue  plutôt  à  fes  mœurs  dé- 
réglées ,  qu'à  fa  vieilielTe. 

L'Auteur  s'emporte  ici  vivement  contre  le  Prefident  de 
Thou.  Il  lui  reproche  de  croire  avec  Néron,  que  perfonne  ne 
peut-être  chafte ,  parce  qu'il  ne  l'eft  pas  lui-même.  Il  lui  re- 
proche le  penchant  qu'il  a  pour  les  femmes,  (i)  Que  cette 
paiTion  lui  a  fait  rompre  par  deux  mariages  confecutifs  les 
vœux  qu'il  avoir ,  dit-il ,  faits  en  prenant  les  ordres  facrez. 
Que  fans  crainte  de  Dieu  ni  des  hommes  il  adopte  aveugle- 
ment toutes  les  calomnies  des  hérétiques,  contre  les  fuccef- 
feurs  de  Saint  Pierre ,  &  les  tranfmet  à  la  pofterité ,  telles  qu'il 
les  a  reçues. 

Marcel  Cervin ,  continue  Machaud ,  ce  Pape  que  le  Ciel 
n'a  fait  que  montrer  à  la  terre  fur  le  Saint  Siège,  n'eft  pas  à 
couvert  de  la  malignité  du  Prefident  de  Thou.  Il  dit  que  la 
mère  de  Cervin  Payant  preffé  de  fe  marier ,  il  n'en  voulut  rien 
faire  5  fondé  fur  ce  que  les  Aftres  lui  promettoient  une  grande 
place  dans  l'Eglife ,  fuivant  les  obfervations  de  Richard  fon 
père  ,  fameux^Aftrologue.  Peut-on  raconter  de  femblables 
puerilitez  fur  le  compte  d'une  perfonne  qu'on  nous  a  peint 
comme  un  homme  d'un  fçavoir  éminent ,  comme  un  hom- 
me d'une  extrême  régularité  de  mœurs,  &  enfin  comme  un 
homme  prudent ,  &  toujours  attaché  à  la  ledure  des  Pères  ôc 
de  l'EcriturefDe  Thou  ignore-t'il que  les  lumières  delà  fcien-» 

(i)  Vir  flâne  uxorius. 

Kkk  iij 


44^         PIECES  CONCERNANT   L'HISTOIRE 

ce  diftlpent  les  illufions  de  l'aftrologie ,  que  la  prudence  &  la 
pîcté  n'ont  que  du  mépris  pour  elle ,  &  qu'enfin  on  apprend 
dans  les  Pères  &  dans  les  livres  Saints  à  la  détefter/ 

Examinons ,  pourfuit  le  Jefuite,  ce  que  notre  Momus  dit  de 
Paul  IV.  Il  oie  afllirer  que  l'auftere  fe vérité  de  ce  Pape  , 
dont  il  vient  de  faire  l'éloge  un  peu  au-deilus  ,  fe  changea 
bien-tôt  en  orgueil.  Il  eft  bon  de  remarquer  ,  ajoute  l'Au- 
teur ,  que  cette  décifion  n'eft  appuyée  que  fur  la  pompe  du 
couronnement  de  ce  fouverain  pontife.  De  Thou ,  à  ce  qu'on 
peut  voir  par  ce  jugement,  décide  allez  légèrement  j  &  il 
n'y  a  perfonne  qui  n'aimât  mieux  être  jugé  par  un  furieux  que 
par  un  tel  arbitre.  Quoique  les  amis  l'excufent  ,  &  qu'ils 
avouent  qu'il  écrit  quelquefois  allez  vivement ,  même  con- 
tre les  plus  honnêtes  gens,  ils  conviennent  néanmoins  qu'il 
ne  ferait  ce  qu'il  dit  quand  il  opine ,  &  qu'il  reflemble  alors 
à  un  enfant  5  de  forte  qu'ils  n'ont  pas  été  peu  furpris,  qu'il  ait 
fongé  à  la  place  de  premier  Prefident ,  lui ,  à  qui  tout  le  mon- 
de faifoit  grâce,  en  le  croïant  capable  tout  au  plus  de  rem- 
plir la  dernière  place  de  fa  compagnie.  Enfin  Machaud  aver- 
tit notre  Hiftorien  de  ne  fe  flater  d'aucune  reflemblance  avec 
îe  Prefident  de  Thou  fon  père,  dont  il  n'a ,  dit-il , hérité  ni 
la  pieté ,  ni  la  prudence. 

Pie  IV.  dit  Machaud ,  eft  entré  pour  quelque  chofe  dans 
îes  éloges  que  de  Thou  fait  des  Souverains  Pontifes.  Notre 
Panegirifte ,  ajoute-t-il  ,  dit  de  ce  Pape  qu'il  fembla  ,  en 
montant  fur  le  Saint  Siège  ,  quitter  fes  bonnes  qualitez ,  aufr 
quelles  fuccederent  des  vices  oppofez. 

Pie  V.  ne  devoit  pas  échapper  à  la  cenfure  d'un  Hiftorien 
auiÏÏ  grave  que  de  Thou ,  dit  ironiquement  le  Jefuite  5  auiîl 
eft-il  choqué  de  la  féverité  de  ce  faint  Pape  ,  qui  faifoit  faire 
d'exades  recherches  des  amis  de  notre  Hiftorien ,  pour  les 
-empêcher  d'infeder  Rome  de  leurs  erreurs. 

Chapitre  X,  Haine  implacable  de  de  Thon  contre  le 

Saint  Sic'ge. 

DE  Thou,  dit  Machaud,  non  content  d'avoir  attaqué 
la  réputation  des  Papes  en  particulier  j  faifit  toutes  les 
joccanons  d'invediver  contre  eux  en  gênerai ,  &  voudroit ,  s'il 
etoit  poftiblp  ,  anéantir  toute  leur  autorité.   Il  dit  qu'Henri 


DE  J.  A.  DE  THOU  447 

VIII.  Roi  d'Angleterre  n'eût  jamais  poulîé  les  chofes  au  point 
où  elles  font  venues,  fi  les  Papes  euflent  été  plus  équitables  & 
plus  prudens.  Il  faut  avouer  que  l'Eglife  a  beaucoup  perdu 
que  de  Thou  ne  fut  pas  alors  aftis  fur  le  Saint  Siège  5  il  auroit 
trouvé  quelque  moyen  de  faire  époufer  à  Henri  VIII.  Anne 
de  Boulen,  qu'on  difoit  être  la  fille  de  ce  Prince,  quoique 
les  loix  du  mariage,  &  les  liens  qui  l'unifroientindiiToluble- 
ment  à  Catherine  d' A rragon depuis  plufieurs  années,  fuflent 
des  obftacles  infurmontables. 

L'Auteur  paife  enfuite  à  ce  que  dit  le  Préfident  de  Thou; 
au  fujetdela  dépofition  d'Herman.  Il  foutient  qu'il  faut  être 
ennemi  du  Saint  Siège,  pour  defaprouver  que  le  Pape  eût 
privé  d'une  dignité  eccléfiaftique  un  homme  qui  s'en  étoit 
privé  lui-même  par  fon  attachement  à  l'héréfie  ,  à  moins  , 
ajoute  le  Jefuite  un  peu  après,  que  de  Thou  veuille  ne  point 
regarder  le  Lutheranifme  comme  une  héréfie ,  ou  defaprouver 
les  décrets  du  Concile  de  Trente. 

Le  Cenfeur  reproche  encore  au  Préfident  de  Thou  de  met- 
tre dans  la  bouche  des  Proteftans  ce  qu'il  brûle  de  dire  par 
lui-même  :  Que  cette  manière  de  déclamer  contre  le  Saint 
Siège  lui  eft  familière  :  Qu'il  s'eft  fervi  de  cet  artifice ,  en  fai- 
fant  dire  aux  Proteftans ,  que  l'Empereur  Charles  V.  avoir  tour- 
né contre  l'Allemagne  les  armes  qu'il  deftinoit  contre  les  in- 
fidèles :  Que  ce  Prince  n'avoir  ainli  changé  qu'à  la  perfuafion 
du  Pape ,  &  que  la  Cour  de  Pvome  étoit  dans  la  coutume  per- 
nicieufe  de  porter  plus  de  haine  aux  Chrétiens,  qui  révoquent 
en  doute  la  grandeur  de  fa  puilTance ,  qu'aux  infidèles  mêmes. 
Machaud  ajoute  que  ce  trait  hiRorique  n'eft  placé  dans  l'Hif- 
toire  avec  tant  d'artifice ,  que  pour  rendre  le  Saint  Siège 
odieux  en  Allemagne  ,  où  cependant  on  voit  une  infinité  de 
monumens  de  l'affeclion  des  Souverains  Pontifes  pour  la  na- 
tion Allemande  :  Que  fi  de  Thouavoit  écrit  avec  fidélité,  il 
n'auroit  pas  manqué  de  dire  que  le  Pape  Jules  III,  avoir  fondé 
un  beau  collège  à  Rome ,  en  faveur  de  la  jeuneiTe  Allemande? 
au  lieu  de  recueillir  tous  les  bruits  faux  &  vagues ,  répandus 
fur  le  compte  de  ce  Pontife. 

Il  accufe  encore  de  Thou  d'avoir  une  affedion  marquée 
pour  tous  ceux  qui  ont  écrit  contre  le  Saint  Siège.  Il  lui  repro- 
che de  rapporter  avec  foin  leurs  noms  &  leurs  plaintes  cou- 


44g        PIECES   CONCERNANT  L'HISTOIRE 

tre  l'Eglife  Romaine,  &  de  mettre  dans  la  bouche  des  Prin- 
ces Allemands ,  tel  que  le  Comte  Palatin ,  le  Duc  de  Saxe  ôc 
le  Marquis  de  Brandebourg ,  tout  ce  que  Nicolas  Clemangis , 
Jean  Gerfon  ôc  Mathieu  Paris ,  (ï)  que  de  Thou  appelle ,  dit- 
il  allez  mal-à-propos,  Guillaume ,  ont  écrit  contre  Rome.  Ce- 
pendant ,  ajoute-il,  il  n'eft  pas  probable  que  ces  livres,  à  peine 
connus  des  gens  de  Lettres  j  fuflent  entre  les  mains  de  gens 
de  guerre  ,  &  fur-tout  de  gens  de  guerre  Allemands. 

Il  recherche  enfuite  la  caufe  de  cette  haine  qu'il  attribue  à 
de  Thou  contre  le  Saint  Siège ,  qui  l'avoir  nommé ,  dit-il , 
coadjuteur  de  l'Evêque  de  Chartres  fon  oncle,  &  qui  lui  avoit 
conféré  de  riches  bénéfices ,  lorfqu'il  étoit  dans  les  Ordres  Sa- 
crez. Il  ne  peut  pas  fe  perfuader  que  ces  bienfaits  répandus  fur 
lui ,  fuffent  la  fource  de  cette  haine  ^  ni  que  la  condamnation  de 
fon  Hiftoire  l'ait  fait  naître,  parce  qu'elle  avoit  déjà  éclaté  avant 
la  cenfure  de  Rome  ^  par  des  vers,  ôz  par  fon  Hiftoire  même  fî 
pleine  de  fiel  contre  le  Saint  Siège.  Il  conclut  donc  qu'elle 
part  d'une  antipathie  naturelle. 

Enfin  pour  prouver ,  qu'il  ne  dit  pas  fans  fondement  que  de 
Thou  a  fait  des  vers  contre  Rome  ,  il  en  rapporte  en  eftet  plu- 
fieurs ,  où  de  Thou  dit  que  la  guerre ,  qui  embrafoit  l'Univers 
entier  ,  étoit  une  punition  du  Ciel  irrité  des  crimes  de  Rome  > 
&  de  la  corruption  de  fes  mœurs. 

Il  cite  d'autres  vers,  où  le  Pape  eft  appelle  Bellua  Vaticana  , 
fiptifrons  bellua ,  Ouirinalis prcedo.  Il  en  rapporte  encore  d'au- 
tres, où  F  Auteur  dit  que  le  Pape  fait  illulîon  au  vulgaire^  Ôc 
lui  promet  en  vain  de  lui  ouvrir  les  Cieux.  On  trouvera  la  plu- 
part de  ces  pièces  de  vers  à  la  fin  des  Mémoires  de  la  vie  du 
Préfidentde  Thou, 

Chapitre  XI.  De  Thou  faux  Théologien. 

LE  Cenfeur  accufe  le  Préfident  de  Thou  de  parler  fur 
u  ne  matière  ,  qui  lui  eft  tout-à-fait  étrangère ,  lorfqu'il 
touche  quelque  point  de  théologie.  Il  l'arrête  d'abord  fur  ce 
qu'il  dit,  que  lorfque  Henri  VIII.  Roi  d'Angleterre  fe  fit  re- 
connoître  pour  Chef  de  l'EgUfe  Anglicane  par  le  Clergé  d'An- 


^(i)  Cette  remarque  ne  fait  pas  honneur 
à  Machaud.  L'envie  de  reprendre  M.  de 
Thou  le  fait  tomber  lui-mêine  dans  une 
^teur  groffiere.  En  eifec ,  ce  judicieux 


écrivain  n'a  jamais  prétendu  citer  en  ctt 
endroit  l'Hiftorien Mathieu  Paris,  mais 
Guillaume  Evêque  de  Paris,  célèbre 
Théologien  du  xin.  fîécle. 

gleterre 


D  £  J.  A.  DE  Ti-IOU.  44P 

gleterre  &  d'Irlande,  il  n'y  eut  du  changement  que  dans  la 
difcipline  ,  fans  que  la  doctrine  en  foutfrît  la  moindre  altéra- 
tion. Croyez-vous  bien  véritablement ,  demande  Machaud  au 
Préfident  de  Thou ,  queladodrine  ne  fouffrit  aucune  altéra- 
tion de  la  conduite  d'un  Prince,  qui  fecoûale  joug  de  l'au- 
torité Pontificale  ,  que  Jefus-Chrift  a  lui-même  impofée  aux 
membres  de  fon  Eglife  5  de  la  complaifance  criminelle  des 
Evêques  qui  délièrent  les  nœuds  indiflblubles  du  mariage  j  de 
l'irréligion  des  Moines,  qui  violoient  fans  fcrupule  leurs  vœux 
fous  la  protedion  du  nouveau  Chef  de  l'Eglife  d'Angleterre  ; 
Ôc  enfin  des  impietez  de  Briand,  que  le  Roi  d'Angleterre  ap- 
pelloit  y  par  manière  de  raillerie ,  fon  vicaire  aux  enfers  ? 

Il  s'efforce  enfuite  de  renverfer  cette  maxime  avancée  dans 
la  Préface ,  &  répandue  dans  l'Hifloire  du  Préfident  de  Thou  : 
Qu'il  ne  faut  forcer  perfonne  à  croire  ou  à  embraffer  la  Reli- 
gion Catholique  j  d'où  l'Hiflorien  conclut  que  les  Princes  Ca^ 
tholiques  fe  font  mal  comportez ,  toutes  les  fois  qu'ils  ont  agi 
par  les  voies  de  fait  contre  les  hérétiques.  Pour  réfuter  ce  fen- 
timent ,  le  Jefuite  foutient ,  que  dès  qu'on  a  donné  fa  foi  à  l'E- 
glife ,  on  ne  peut  la  lui  retirer  y  parce  qu'on  efl  fournis  aux 
ioix  qu'on  s'efl  volontairement  impofées  :  Que  Saint  Auguflin 
qui  avoir  d'abord  été  d'un  fentiment  contraire ,  fe  rendit  à  l'ex- 
périence ,  &  convint  qu'il  falloit  ufer  de  féverité  envers  les  hé- 
rétiques: Qu'il fufïifoit  délire  Sulpice  Scvere,  pour  être  inf- 
truit  du  motif  des  prières  que  de  Thou  dit  que  Saint  Martin 
fit  à  l'Empereur  en  faveur  des  Prifcillianiftes  j  &  qu'enfin  il  ne 
pouvoir  manquer  d'avoir  lu  le  livre  de  Calvin  fur  la  punition 
des  hérétiques.  Il  attaque  enfuite  cette  autre  maxime  qui  fe 
trouve  avancée  dans  l'Hifloire  du  Préfident  j  fçavoir ,  que  les 
Rois  de  France  ne  font  pas  foimiis  aux  cenfures  du  Pape.  Ses 
raifons  pour  détruire  cette  maxime  font ,  que  le  Pape  ayant 
reçu  de  Jefus-Chrifl  un  pouvoir  qui  s'étend  fur  toute  l'Eghfe ,' 
îe  Roi  de  France  qui  eft  dans  l'Eglife  efl  foumis,  comme  les 
autres  fidèles ,  à  ce  pouvoir.  Il  ajoute,  que  les  Rois  Très-Chré- 
tiens ,  perfuadez  eux-mêmes  de  cette  vérité ,  ont  toujours  eu 
une  fainte  frayeur  de  l'excommunication ,  &  qu'ils  ont  fait 
tous  leurs  efforts  pour  s'en  faire  relever,  àks  qu'ils  l'avoient 
encourue.  Machaud  dit  encore  que  de  Thou  n'avance  pas  tant 
cette  maxime  en  faveur  des  Rois  de  France ,  que  par  hainQ 
Tome  KK  L  i  l 


45-0        PIECES  CONCERNANT  L'HISTOIRE 

contre  les  Papes,  &  pour  diminuer  leur  autorité. 

De  quel  front ,  continue  Machaud,  de  Thou  vient-il  nous 
dire ,  que  le  Pape  s'arroge  le  droit  de  convoquer  les  con- 
ciles ?  A  qui  ce  droit  appartiendra-t-il  donc ,  fi  le  Pape  ne 
l'a  point  ?  Il  ne  faut ,  ajoute-t-il ,  que  lire  l'Hiftoire  Eccle- 
fiaftique  de  Socrate  pour  s'en  convaincre  •■,  on  y  verra  que , 
fuivant  un  ancien  canon ,  un  concile  ne  paflbit  pour  légitime , 
que  lorfque  l'autorité  du  fouverain  Pontife  l'aflembloit.  Les 
décrets  des  conciles  n'avoient  d'autenticité  ,  comme  on  peut 
le  voir  par  les  lettres  finodales  envoyées  de  tous  cotez  à  Ro- 
me ,  qu'autant  qu'ils  étoient  fcellez  de  l'approbation  du  faint 
Siège.  Ainfi  le  droit  de  convoquer  les  conciles  appartient 
aux  Papes ,  &  ce  n'eft  pas  une  ufurpation  de  leur  part  ,  comme 
notre  Hiftorien  le  prétend. 

De  Thou,  continue  l'Auteur,  reproche  encore  aux  Papes 
de  s'arroger  le  droit  de  fonder  des  Univerfitez  où  bon  leur 
femble  :  mais  rien  n'eft  moins  appuyé  que  ce  reproche  5  car 
ils  ne  penfent  jamais  à  former  de  femblables  établiffemens , 
fans  le  confentement  des  Princes  Chrétiens ,  dans  les  Etats 
de  qui  ils  ont  defTein  de  les  faire.  C'eft  ce  qu'on  peut  voir 
par  la  formule  dont  les  Chanceliers  des  Univerfitez  fe  fer- 
vent en  donnant  les  grades  :  ils  difent  qu'ils  les  confèrent  de 
l'autorité  Pontificale  &  Royale.Enfin,  s'il  y  a  quelque  Univer- 
fité  établie  par  l'autorité  feule  des  Papes ,  de  Thou  peut  la 
citer  :  c'eft  ce  qu'il  n'a  point  fait ,  &  ce  qu'il  ne  peut  faire. 

Le  Cenfeur  ne  peut  fouffrir  que  le  Prefident  de  Thou  dife , 
que  l'Empereur  Charles-Quint  s'apperçut  trop  tard ,  quel  avoit 
été  le  but  des  Papes  en  s'attribuant  le  droit  de  facrer  les  Em- 
pereurs d'Allemagne 5  que  c'étoit  pour  impofer  des  loix  à  ceux, 
dont  ils  devroient  en  recevoir.  Il  ajoute  que ,  fi  on  ne  fça- 
voit  pas  que  cette  reflexion  cft  tirée  de  l'Hiftoire  du  Prefident 
de  Thou ,  on  ne  pourroit  l'attribuer  qu'à  Luther ,  à  Calvin ,  ou 
aux  Centuriateurs  de  Magdebourg  -■,  que  cet  Hiftorien  n'avoit 
qu'à  lire  ce  que  Bellarmin  a  écrit  fur  l'Empire  tranfporté  aux 
Allemands ,  pour  ne  pas  deshonnorer  fon  nom  par  une  igno- 
rance fi  grofiiere  j  que  c'étoit  vouloir  perfuader  que  les  Papes 
avoient  fait  une  injure  à  cette  nation ,  en  lui  tranfportant  l'Em- 
pire à  certaines  conditions.  Je  ne  fçai ,  dit  Machaud ,  en  s'a- 
dreftant  au  Prefident  de  Thou ,  qui  l'emporte  de  votre  igno-? 


D  E   J.    A.    D  E    T  H  OU.  4;i 

îance  ,  ou  de  votre  impieté.  Vous  ofez  dire  que  les  loix  im- 
pofées  par  le  Pape  aux  Empereurs  font  la  récompenfe  de  les 
avoir  facrez  :  je  fuis  furpris  qu'on  n'ait  pas  fait  le  même  re- 
proche au  grand  Prêtre  Joïada ,  lorfque  facrant  le  Roi  Joas , 
&  lui  mettant  le  livre  de  la  Loi  entre  les  mains  ,  il  lui  fit 
jurer  une  nouvelle  alliance  avec  le  Dieu  de  fes  pères.  Vos 
yeux  font  bleflez  de  voir  la  couronne  Impériale  fléchir  fous 
la  Thiare.  Avec  quelle  joie  ne  verriez-vous  pas  renaître  ces 
temps  de  calamitez  ,  où  les  Empereurs  d'Allemagne  mar- 
choient  à  Rome  enfeignes  déployées ,  &  où  les  Barbares  ac-» 
couroient  en  foule  pour  opprimer  le  faint  Siège. 

Si  de  Thou ,  pourfuit  l'Auteur,  eût  eu  la  moindre  teinture 
de  théologie ,  il  n'auroit  jamais  mis  au  nombre  des  erreurs 
d'Ofiander  cette  propofîtion  que  ce  dernier  foutenoit ,  que 
quand  même  Adam  n'auroit  pas  péché,  Jefus-Chrift  fe  feroit 
néanmoins  incarné  :  ce  fentiment  eft  permis  ,  &  plufieurs 
Théologiens  foutiennent  que  Dieu  auroit  donné  à  la  créature 
cette  preuve  de  fon  amour. 

Enfuite  le  Jefuite  reproche  au  Prefident  de  Thou  de  n'avoir 
choifi  parmi  toutes  les  raifons  pour  lefquelles  on  défendit  de 
faire  les  prières  de  l'Eglife  en  langue  vulgaire ,  que  celle  que 
les  hérétiques  ont  coutume  de  rapporter  pour  rendre  l'Eglife 
odieufe  5  fçavoir  ,  que  fi  les  prières  fe  faifoient  dans  une  langue 
entendue  du  peuple ,  elles  en  feroient  méprifées  5  &  de  ne 
mettre  que  cette  feule  raifon  dans  la  bouche  du  Clergé.  Il 
le  raille  de  fon  zèle  à  défendre  les  décrets  de  l'Eglife ,  fur- 
tout  ceux  qui  ont  été  portez  contre  les  Elagellans.  Il  ajoute  ; 
que  fans  doute  Calvin  n'a  pas  eu  de  peine  à  lui  perfuader 
que  le  cilice  &  la  cendre  étoient  des  fardeaux  de  l'ancienne 
Loi,  dont  la  nouvelle  nous  a  déchargez. 

Enfin  il  accufe  de  Thou  de  produire  fes  propres  fentimens  ;  • 
îorfqu'il  fait  parler  une  perfonne  dans  fon  Hiftoire  contre  le 
célibat  des  Prêtres ,  &  qu'il  lui  fait  rapporter  tout  ce  qu'on 
a  dit  contre  cette  difcipHne  de  l'Eghfe ,  fans  réfuter  lui-même  ^ 
comme  il  le  pouvoir  fort  aifément ,  des  objedions  foibles 
que  le  moindre  Théologien  eft  en  état  de  détruire.  Il  l'ac^ 
cufe  encore  de  donner  dans  le  fentiment  du  dodeur  d'Ef. 
pence  qui  vouloir  qu'on  fupprimât  toutes  les  images ,  &  qu'on 
ne  confervât  que  la  Croix  fur  les  Autels  j  ce  que  de  Thoiî 

LU  ï) 


45*2        PIECES    CONCERNANT  L'HISTOIRE 

fait  aflez  voir  en  difant ,  dans  le  récit  qu'il  fait  de  ce  qui  f*^ 
pafla  à  raflenibiée  où  d'Efpence  propofa  cet  avis,  que  Maillard 
Doyen  de  Sorbonne  s'y  oppofa  opiniâtrement  ,  prafraBè. 
Le  Cenfeur  lui  fait  aulTi  un  crime  de  rapporter  tout  ce  que 
les  Iconoclaftes  modernes  difent  contre  le  culte  des  images , 
fans  le  réfuter  j  de  forte ,  conclut  l'Auteur ,  que  ceux  qui  liront 
ce  que  j'ai  tiré  de  l'ouvrage  du  Prefident  de  Thou  ,  ne  vou- 
dront pas  croire  qu'il  ait  écrit  de  pareilles  chofes ,  ou  qu'il 
fut  Catholique. 

Chapitre  XII.  Artifices  particuliers  du  Prefident  de  Thou» 

E  Cenfeur  reproche  ici  à  notre  Hiftorien  d'avoir  mis 
dans  les  harangues  qu'il  fait  faire  aux  hérétiques ,  tout 
ce  qu'il  y  a  de  plus  favorable  à  l'hérélie  ,  lans  introduire  per- 
fonne  pour  réfuter  ces  raifonnemens  captieux  ;  d'avoir  exhalé 
fous  le  nom  de  la  Renaudie ,  toute  fa  bile  contre  la  maifon  de 
Guife,  dans  le  difcours  qu'il  prête  à  ce  chef  de  la  conju- 
ration d'Amboife  pour  animer  fes  complices.  Il  eft  encore 
blefle  de  lui  voir  peindre  d' Andelot  répondant  au  Roy ,  com- 
me un  autre  Saint  Sebaftien  en  prefence  de  l'Empereur  Dio- 
cletien. 

Enfuite  il  pafle  à  ce  que  le  Prefident  de  Thou  dit  au  com- 
mencement de  fon  Hiftoire,  que  fans  fiel,  comme  fans  flaterie , 
il  donnera  des  éloges  aux  vertus  d'un  homme  de  parti  oppofé 
au  fien ,  &  blâmera  les  vices  d'un  ami.  Il  ajoute  que  de  Thou 
ne  tient  pas  ce  qu'il  a  promis,  &  que  fon  Hiftoire  reifemble 
à  ces  boëtes  qu'on  voit  chez  les  Apoticaires ,  lefquelles  por- 
tent des  titres  magnifiques  de  remèdes  pour  la  fanté ,  quoiqu'il 
y  en  ait  plufieurs  qui  foient  vuides. 

Il  lui  demande  enfuite  pourquoi  il  paffe  fi  légèrement  Ra- 
ie retour  de  Villegagnon  à  l'Eglife  Romaine ,  &  ce  qui  l'a 
empêché  de  louer  lejzele  du  Cardinal  de  Lorraine  qui  avoit 
opéré  la  converfion  de  ce  Gentilhomme  Proteftant.  Il  lui  fait 
un  crime  d'avoir  dit  ,  que  les  prédidions  faites  par  quelques 
hérétiques  liez  au  poteau  pour  être  brûlez  ,  tels  que  Geor- 
ge (i)  Wishartôc  Anne  Dubourg,  avoient  été  confirmées  par 
l'événement,  pour  infinuer  que  Dieu  tiroir  vengeance  du  fup, 
CO  Monfîeur  dç  Thou  le  nomme  Claude» 


DE    J.    A.    DE    THOU.  4^3 

flicc  de  ces  fcdaires.  L'Auteur  ajoute ,  que  de  Thou  ne  fait 
reloge  que  d'un  petit  nombre  de  Içavans  Catholiques ,  tan- 
dis  que  fa  plume  prodigue  les  louanges  les  plus  fîateufes  à 
une  foule  d'hérétiques  ,  dans  la  vûë  de  faire  entendre  que 
TEglife  Romaine  elt  dénuée  de  fcience ,  &  que  l'héréiie  en 
regorge.  Il  vante  par  exemple,  ajoute-t-il,  l'Hiftoire  écrite 
par  Jean  Leri ,  parce  que  cet  Auteur  eft  hérétique  j  mais  il 
parle  avec  le  dernier  mépris  d'André  Thevet ,  parce  que  cet 
Ecrivain  étoit  un  bon  Catholique.  S'il  eut  voulu  embrafler 
la  dodrine  des  Novateurs  ,  quelles  louanges  de  Thou 
ne  lui  auroit-il  pas  données  ?  Cet  Hiftorien  a  néanmoins  l'a- 
drelTe ,  pourfuit-il ,  de  joindre  toujours  l'éloge  d'un  ou  deux 
Docteurs  Catholiques,  aux  éloges  nombreux  &  magnifiques 
qu'il  fait  des  fçavans  hétérodoxes.  C'eft ,  dit-il ,  un  artifice 
qu'on  a  remarqué.  Il  obferve  enfuite  que  le  Préfident  de  Thou 
comprend  &  Luthériens  &  Calviniiles  fous  le  nom. général  de 
ProtePcans ,  afin ,  dit-il ,  de  faire  croire  qu'ils  font  réunis  defen- 
timens;&que  s'ils  difputent  fur  quelque  point,  ce  ne  peut 
être  que  fur  des  articles  de  peu  d'importance. 

Enfin  le  Jefuite  finit  fon  ouvrage ,  en  difant  qu'il  feroit  plus 
facile  de  nettoyer  l'étable  d'Augias ,  que  de  purger  l'Hiftoire 
du  Préfident  de  Thou  des  faufletez,  &  de  toutes  les  fautes  con- 
fidérablesquiyfont  répandues,  &  qu'on  peut  dire  de  lui  ce 
que  Photius  dit  de  l'Hiftorien  Philoftorges  Arien  :  Que  fon 
ouvrage  étoit  moins  une  hiftoire  qu'un  panegirique  des  héré- 
tiques ,  &  une  philippique  contre  les  CathoHques. 

Sentence  du  Prevofi  de  Paris ,  contre  un  Libelle  diffamatoire ,  in-» 

îitulé ,  in  Jacobi  Augufti  Thuani  Hiftoriarum  libros 

Notationes ,  audore  Jo.  Baptifta  Gallo* 

\  Tous  ceux  qui  ces  préfentes  lettres  verront ,  Louys 
{\  Seguier,  Chevalier,  Baron  de  Saint  Briiîbn  ^  fieur  des 
Reaulx ,  &  faind  Firmain ,  Confeiller  du  Roy ,  Gentil-hom- 
me ordinaire  de  fa  Chambre  ,  &  garde  de  la  Prevofté  de  Pa- 
ris ,  falut  :  Sçavoir  faifons  qu'aujourd'huy  fur  la  remonftrance  à 
nous  faide  par  le  Procureur  du  Roy  en  la  Cour  de  céans  j 
qu'à  la  dernière  foire  de  Francfort,  quelques  Libraires  de 
ÇQÙ.Q  ville  de  Paris ,  ont  apporté  un  libelle  diifamatoire ,  inti- 

Llliij 


4^4  PIECES  CONCERNANT  L'HISTOIRE 

tuié ,  in  Jacobi  Augu^À  Thuani ,  Hijîoriarum  libros  Notationes  > 
Aucîore  Joanne  ^aptifta  Gallo  J.  C.  impriiiié  à  Ingolftad ,  l'an 
prefent ,  mil  fix  cents  quatorze ,  chez  Elifabeth  Angermayrinaj 
Nous  veu  ledid  livre  j  ôc  les  concliiiîons  dudift  Procureur  du 
Roy  ,  difons  que  lediû  livre ,  comme  pernicieux ,  contenant 
plufîeurs  difcours  tendans  à  fédition ,  contre  le  repos  public  Ôc 
Edits  de  pacification,  plein  d'impoftures  &  calomnies  contre 
les  Magiftrats  ôc  Officiers  du  Roy ,  fera  fupprimé  :  Faifons 
inhibitions  «5c  deffenfes  à  tous  Marchans ,  Libraires  &  Impri- 
meurs de  le  recevoir  ,   retenir ,  communiquer  ,  imprimer , 
faire  imprimer,  ou  expofet  en  vente  ,  fur  peine  de  cinq  cents 
livres  parifis  d'amende ,   &  de  punition  corporelle  :  Et  fera 
noftre  prefent  jugement  à  la  diligence  du  Procureur  du  Roy, 
fignifié  aux  Sindics  defdits  Libraires ,  &  enjoint  aufdidls  Sin- 
dics  de  le  faire  figniffier  à  tous  les  Libraires  &  Imprimeurs, 
à  ce  qu'ils  ri' en  prétendent  caufe  dignorance ,  &  que  dans  huic- 
taine  ils  ayent  à  rapporter  au  Greffe  dudid  Chaftelet ,  tous 
les  exemplaires  qu'ils  auront  d'iceîuy  Livre  ,  foubs  pareilles 
peines  à  ceux  qui  n'y  auront  obéy ,  &  que  de  la  fignification 
faide  aufdids  Libraires ,  lefdids  Sindics  en  certifieront  le  Pro- 
cureur du  Roy  à  peine  d'en  refpondre  en  leurs  propres  &  pri- 
vez noms.  En  tefmoing  de  ce  nous  avons  faid  mettre  à  ces 
préfentes  le  fcel  de  la  Prevofté  de  Paris.  Ce  fut  faid  &  donné 
par  MeiTire  Henry  de  Mesmes,  lieur  d'Yrval,  Confeiller  du 
Roy  en  fes  Confeils  d'Eftat  &  Privé ,  &  Lieutenant  Civil  de 
ladide  Prevofté ,  le  famedy  feptiefme  Juin  mil  fix  cents  qua- 
torze. Signé ,  D  R  o  u  A  R  T. 

Cette  Sentence  au  Vtevot  de  Paris  fut  d'abord  imprimée  en  cette 
ville  y  in-quarto  y  chez  Pierre  Durand  en  i6i^.&'  enfuite  elle 
fut  imprimée  à  la  fin  des  Mémoires  de  la  vie  du  Préfident  de 

.  Thou  )  avec  un  averti ffement.  Si  on  en  juge  par  le  file  ,  il  nejî 
pas  de  Monfieur  de  Tlwu.  Le  voici  traduit  du  Latin, 

E  ne  fiçai  quel  fanatique ,  mafqué  fous  le  nom  de  Joan: 
_  Baptifia  Gallus  y  s'eftavifé  depuis  peu  d'exhaler  fa  fureur 
ëc  de  diftiller  fon  venin  dans  un  déteftable  livre ,  que  les  Im« 
primeurs  d'Ingolftad ,  au  lieu  de  le  fupprimer  comme  un  ou- 
vrage monftreux ,  ont  expofé  en  vente  à  la  dernière  foire  do- 


DE   J.   A.  DE  THOU.  45-^ 

Francfort.  Le  titre  trompeur  de  ce  livre  promettoit  feulement  j 
quelques  remarques  fur  l'Hiftoire  du  Prélident  de  Thou  ;  mais 
il  eft  l'effet  delà  plus  noire  confpiration  5  c'eft  un  tiflu  abomi-  1 
iiable  d'injures ,  d'impoftures  &  de  menfonges  artificieux  pour  ! 
flétrir ,  s'il  étoit  polTible  ,  la  réputation  du  Préfident  de  Thou.  , 
Cet  illuftre  Auteur ,  qui  eft  d'une  famille  très-diftinguée  ,  Ôc 
qui  a  reçu  du  Ciel  autant  de  jugement  que  d'efprit ,  a  com-  j 
pofé  l'Hiftoire  de  tout  ce  qui  eft  arrivé  de  fon  temps.  Mais  I 
malheureufementil  vit  dansun  fiécle,  où  l'on  regarde  com-     .  ! 
me  un  grand  crime ,  qu'il  ait  dit  librement ,  quoiqu'avec  mo-  ; 
dération ,  ce  qu'il  penfoit ,  &  ce  qui  étoit  conforme  à  la  vé-  , 
rite.  Ennemi  des  nouveautez  en  matière  de  Religion ,  il  a  ! 
jugé  qu'il  étoit  d'abord  néceflaire  de  reprimer  par  l'autorité 
des  Magiftrats  les  auteurs  des  dangereufes  opinions,  comme 
des  perturbateurs  de  la  tranquillité  publique.  Mais  depuis  que  : 
ce  mal  s'eft  répandu  de  tous  cotez  dans  les  Provinces  ,  ôc  j 
que  des  royaumes  entiers   en  font  atteints ,  il  a  cru  que  ce 
n'étoit  ni  par  le  fer,  ni  par  le  feu,   ni  par  d'affreux  ravages  ^ 
qu'il  falloir  travailler  à  la  guérifon  de  ce  mal ,  mais  par  de  j 
pieufes  exhortations ,  &  par  des  exemples  édifîans  ;  &  il  a  fait  1 
des  vœux  ardens  pour  la  réunion  de  tous  les  Chrétiens.  Voilà  ' 
ce  qu'il  a  eu  envûë  de  faire  fentir  atout  le  monde ^  comme       ^ 
un  principe  indubitable ,  dans  l'Hiftoire  de  tout  ce  qui  s'eft 
pafle  de  fon  temps.  Hiftoire  écrite  avec  toute  la  bonne  foi  • 
poftlble  &  fans  aucune  partialité.  Cependant  il  s'eft  élevé  (1)  ; 
un  ténébreux  auteur ,  forti  d'un  funefte  tripot ,  qui  a  ofé  avan-  \ 
cer  témérairement  que  toutes  les  autoritez  fur  lefquelles  de  ] 
Thou  s'eft  appuyé  J  c'eft-à-dire,  les  ades  les  plus  autentiques,  j 
îes  diplômes  &  les  lettres  des  Rois  &  des  perfonnes  les  plus  1 
conlidérables ^  n'étoient  que  de  miferables  brochures,  ren- 
fermées dans  un  tonneau  qui  étoit  dans  la  bibliothèque  de  fon  ] 
père.  Cependant  ce  font  des  ades ,  &  des  originaux  mémoi-  i 
res  dreflez  par  des  Ofïiciers  généraux,  par  desEvêques^  par  j 
des  Magiftrats ,  par  des  Ambafiadeurs  &  d'autres  perfonnes  1 
dignes  de  foi.  Ces  pièces  font  encore  dans  la  bibliothèque  du 
Préfident  de  Thou,  non  dans  un  tonneau,  &  elles  font  partie 
d'un  des   plus  riches   tréfors  Littéraires  qu'il  y  ait  dans  le 

(t)  GdluUJcens  btibo.  Un  Hibou  contrefaif^nt  le  Coq.  On  fcnt  qwe  cela  ne  Te  peut 
traduire. 


45  (^  PiECHS  CONCERNANT  L'HISTOIP.E 

monde.  C'eft  une  impoftiu-e  manifefte  &  une  méchanceté 
horrible,  d'avoir  prétendu  que  de  Thou  dans  le  vingt-troificmc 
livre  de  fon  Hiftoire  avoit  attribué  au  Roi  François  II.  une- 
maladie  deshonorante  qu'il  avoit  contracté  dans  le  ventre  de 
fa  mère.  Cependant  dans  ce  même  livre ,  THiftorien  a  fait  fon 
po.Tible  pour  expofer  la  vraye  caufe  de  la  maladie  du  Roy , 
telle  que  les  plus  habiles  Médecins  l'avoient  expUquée  5  ôc 
pour  faire  voir  que  ce  que  les  Gallus  de  ce  temps-là ,  &  tous 
les  coquins  de  cette  trempe  avoient  publié  ,  étoit  un  pur  men- 
fonge.  Mais  que  ne  peut  pas  feindre  un  miferable  écrivain, 
fans  honneur  &  fans  confcience ,  qui  a  ofé  reprocher  à  de  Thou 
de  s'être  marié ,  &  d'avoir  violé  fes  vœux ,  parce  qu'il  a  au- 
trefois reçu  les  quatre  Ordres  Mineurs ,  &  qu'il  étoit  defriné 
îi  remplacer  fon  oncle  l'Evêque  de  Chartres  ?  Cet  infenfé  igno- 
re ou  diffimule  fortement  ce  que  les  enfàns  même  fçaveilt, 
que  le  Pape  difpenfe  aifément  des  obHgarions  qu'on  a  pu  con- 
trader  parces  commencemens  du  facerdoce  :  Que  par  con- 
fequent  le  Préfident  de  Thou  n'avoit  aucun  obftacle  qui  Fem- 
péchât  d'engager  fa  foi  à  une  femme ,  &  de  vivre  légitime- 
ment dans  l'état  du  mariage.  L'Eglife  l'a  fçû  5  il  l'a  fait  à  la  fa- 
ce du  Ciel ,  &  Dieu  l'a  approuvé.  On  ne  peut  lui  en  faire  crl- 
>^  me  ,  fans  être  ou  un  fou ,  ou  un  fripon.  Tous  les  François  fça- 
vent ,  quoique  Gallus  le  nie  éfrontement  ,  que  de  Thou  eft 
très-attaché  à  la  foi  Catholique  &:  à  l'Eglife  Romaine  ,  que  les 
Saints  Apôtres  Pierre  ^  Paul  ont  fondée  par  des  écrits  fcellez 
de  leurfang,  &  qu'il  a  toujours  cru  que  c'étoir  un  grand  pé- 
ché de  s'éloigner  tant  foit  peu  des  dogmes  qu'elle  enfeigne. 
Que  cet  infolcnt  celle  donc  de  vouloir  flétrir  la  réputation 
d'iui  écrivain  célèbre.  Malheur  à  cqs  clabaudeurs,  qui  ont  ann 
mé  contre  lui  cet  importun  déclamateur. 


ti^oiogi^ 


DE  J.  A.  DE  THOU;  ^^f 

Apologie  pour  Monfieur  le  Prefident  de  Thou  fur  fon  Hijloire  ;  (ij' 
copiée  fur  l'Original  qui  eft  entre  les  mains  de  M.  PAbbé 

de  ThoH, 

L'Histoire  de  Monfieur  de  Thou  )  publiée    entière 
quelques  années  après  fon  déceds,  a  reçu  divers  juge-, 
mens  du  tout  contraire  les  uns  aux  autres.  Les  uns  admi- 
rent cet  ouvrage ,  grand  &  merveilleux ,  &  s'étonnent  qu'il 
fe  foit  trouvé  en  ce  ûécle  un  homme,  qui  fans  détourner 
l'œil  de  deifus  la  vérité ,  &  avec  ime  liberté  bien  réglée ,  a 
dit  les  chofes  comme  elles  fe  font  palfées,  a  pénétré  dans  les 
confeils  les  plus  fecrets ,  &  qui  a ,  en  cette  divifion  générale 
de  l'Europe,  gardé  en  tout  ce  grand  corps  une  proportion  & 
juftice  admirable  &  inimitable.  Les  autres  y  confiderent  un 
ftile  élégant  &  égal,  6c  une  dilucidité  en  la  narration ,  ce  qui  eft 
certes  à  eftimer,  mais  qui  fe  rencontre  en  des  âmes  balles  & 
méchantes  j  aulfi  eft-ce  louer  l'ouvrage  par  la  moindre  de  fes 
parties.  Ce  n'ell  pas  aulTi,  contre  ceux-ci  que  nous  avons  af- 
faire ;  mais  bien  contre  une  forte  de  gens,  reftes  de  la  ligue , 
&  leurs  émiflaires ,  ennemis  de  la  vérité  de  fHiftoire ,  parce 
qu'ils  s'y  voyent  en  toutes  les  pages  ,  non  pas  pour  avoir 
bien  fait,  mais  pour  s'y  voir  embrouillez  en  toutes  fortes  de 
conjurations  publiques  &  particulières  j  contre  ces  gens  , 
dis-je,qui  tiennent  les  Rois,  les  Grands,  les  fimples  &  les 
ignorans  tellement  a(llégez,qu'ils  ne  voient  que  par  leurs  yeux, 
ne  parlent  que  par  leur  bouche ,  ne  font  cas  que  de  ce  qui 
touche  leur  fadion,  leur  donnent  les  chofes  faufîes  pour  véri- 
tables ,  leur  font  voir  par  de  faux  jours  ce  qui  n'eft  pas,  les  tien- 
nent dans  une  perpétuelle  inquiétude  de  leurs  fautes ,  leur  ou- 
vrant le  Paradis ,  félon  qu'ils  les  voient  ployans  à  leurs  def- 
feins,  &  les  menaçans  des  peines  éternelles  au  moindre  figne 
qu'ils  font  paroître  d'un  contraire  fentiment.  Par  ces  quali-» 
tez,  il  faut  avouer  que  ces  gens  ont,  principalement  en  deux 
points,  de  grands  avantages  fur  ceux  qui  lifent  avec  admira- 
tion cet  ouvrage  6c  qui  le  deffendent.  L'un ,  qu'ils  font  voir  ui> 


Ci]  Cette  pièce  fur  compofée  en  \6zo, 
par  M.  Pierre  Dupuy  quelque- tems  après 
que   J'Hiftoire  de   Moniieur  de  Thou 

Tome  XF^  M  m  n> 


complète  eut  été  imprimée  pour  la  prç;^ 
miere  fois  à  Genève. 


4y§         PIECES  CONCERNANT  L'HISTOIRE 

grand  afcendant  qu'ils  ont  fur  les  Rois  &  leurs  principaux  Ma- 
giftrats,  ou  qui  font  Magiftrats  eux-mêmes  >  &  comme  ils  ont 
le  pouvoir  d'étouffer  tout  ce  que  les  efprits  les  plus  relevez 
peuvent  produire  5  6c  l'autre,  qu'il  eft  comme  naturel  à  tous 
îes  hommes  d'oûir  avec  plaifir  les  médifances  &  calomnies , 
inêmes  les  plus  éloignées  de  vrai-femblance.  Mais  il  eft  à  ef- 
perer  que  l'un  &  l'autre  de  ces  avantages  tourneront  à  leur 
confufion,  étant  vrai  que  les  faveurs  extraordinaires  étant  ta- 
chées de  violences ,  ne  peuvent  gagner  fur  des  cœurs  francs 
&  généreux ,  &  que  les  calomnies  feront  d'autant  moins  crues 
parmi  les  gens  de  bien  ,  qu'on  les  verra  être  publiées  par 
ceux-ci,  qui  n'ont  autre  couverture  de  leur  honte,  que  cette 
miférable  feuille  &  cette  faveur  momentanée ,  qui  n'en  cou- 
vre que  la  moindre  partie  5  &  c'eft  pour  cela  que  l'on  doit  ren- 
dre grâces  immortelles  à  Dieu ,  qui  permet  qu'à  l'inftigation 
de  telles  gens,  cet  ouvrage  foit  ainfi  agité  5  car  combien  qu'il 
ne  foit  rien  tant  à  defirer  ,  que  de  palier  non-feulement  cette 
vie  fans  aucune  mauvaife  rencontre  ,  mais  même  que  notre 
mémoire  foit  entière  après  notre  mort  ,  toutefois  fi  toutes 
chofes  fuffent  venues  à  fouhait  &  que  cette  grande  Hiftoire  eût 
paflfé  par  le  monde,  fans  faire  rencontre  de  la  haine  de  cette 
forte  de  gens  &  de  leurs  fedateurs ,  nous  aurions  perdu  l'a- 
vantage de  ce  témoignage  qui  eft  rendu  par  tels  ennemis ,  qui 
doit  être ,  à  le  bien  prendre ,  le  plus  excellent  éloge  d'hon- 
neur ,  que  la  mémoire  de  l'Auteur  puifle  recevoir  après  fa 
mort.  Car  qui  y  a-t-il  de  plus  agréable  en  ce  monde ,  principa- 
lement à  celui  qui  a  entrepris,  écrivant  l'Hiftoire  ,  de  dire  la 
vérité  ,  que  d'être  mortellement  haï  par  fes  ennemis  5  ennemis 
de  la  patrie  &  du  repos  ;  &  par  leur  propre  bouche  rece- 
voir un  doux  témoignage  de  fa  fideUté  envers  fon  Roi  Ôc 
fon  Etat ,  &  de  fa  conftance  inflexible  contre  les  méchans  .^ 

Si  l'Auteur  n'avoir  mis  par  écrit  fon  origine ,  comme  il  a  été 
nourri  ,  quelles  ont  été  fes  habitudes  &  les  fervices  qu'il  a 
rendus  à  nos  Rois  ,  non  en  petites  charges  5  les  peines  &  tra- 
vaux qu'il  a  fupportez  pour  rendre ,  félon  fa  vocation,  la  paix 
&  le  repos  à  ce  Royaume  ,  pendant  que  les  autres  prêchoient 
la  guerre  &  le  fang ,  il  feroit  pofTible  à  propos  de  les  déduire, 
èc  la  dédudion  fans  doute  en  feroit  agréable  5  mais  il  femble  , 
après  ce  qu'il  en  a  dit  ^qui  eft  net ,  véritable ,  ôcfans  vanité ,  quil 


D  E  J.  A.  D  E  T  H  O  ir.  45'> 

ne  nous  refte  maintenant  que  défaire  voir  à  la  France ,  que  ce 
qui  fait  crier  ces  gens  &  leur  cabale ,  eft  tout  public ,  con- 
cerne les  droits  &  l'autorité  Royale  maintenue  en  ce  livre 
très-conftamnient.  C'eft  quand  il  dcteite  l'ambition  Efpagno* 
le  fur  cette  Couronne,  qu'il  improuve  &  abomine  les  entre- 
prifes  fur  la  vie  des  Princes ,  &  toutes  les  Ligues ,  principa* 
lement  la  dernière ,  la  plus  déteftable  qui  fut  jamais  ;  quand 
il  découvre  clairement  &  fans  paillon  tout  ce  qui  s'eft  palle 
depuis  foixante  ou  quatre-vingt  ans ,  avec  la  plus  refpedueu* 
fe  modeftie  ôc  franche  liberté  qu'aucun  Hiftorien  ait  gardée 
aux  plus  périlleux  Aécles  où  il  fe  foit  rencontré. 

Disent  donc  les  Jefuites ,  pour  exciter  toutes  les  PuiC' 
fances  contre  cet  œuvre  ,  que  l'Eglife  (  la  confondant  par 
artifice  avec  la  Cour  de  Rome  )  que  l'Eglife  ,  dis-je ,  y  eft 
bleffée  par  tant  de  rudes  atteintes  contre  les. Papes  &  leurs 
Cours  i  que  les  vices  qui  y  régnent  y  font  notez  par  la  dé- 
dudion  hiftorique  du  Concile  de  Trente ,  tirée  néanmoins 
des  inftrudions  des  Ambafladeurs ,  &  fur  les  dépêches  de 
nos  Rois  j  par  la  remarque  qu'il  fait,  &  très-judicieufement , 
imputant  le  mauvais  fuccès  des  affaires  de  notre  Louis  XII 
à  l'alliance  qu'il  contrada  (  lib.  i.)avec  Alexandre  VI.  Les 
Hiftoricns  d'Italie  nous  découvrent  aflez  fes  ordures ,  il  faut 
être  ftupide  pour  en  penfer  autrement.  Ils  noteront  fans  dou- 
te les  injuftes  fulminations  de  Jules  II.  contre  ce  même  Roi  L-b.  r^ 
ôc  le  peu  de  cas  qu'il  en  fait.  Qui  eft  le  Fran(;ois  qui  ne  les 
juge  telles?  Que  ne  dit-il  point ,  difent-ils ,  de  i'Inquifition  ,  Lîb.  xxvir» 
qui  eft ,  à  vrai  dire ,  la  perfécution  des  beaTux  efprits  f  De  véri- 
té, il  remarque  les  Etats  qui  fe  fontfoulevez  pour  s'en  défen- 
dre 5  étoit-il  pas  de  fa  charge  ,  écrivant  les  guerres  &  fédi- 
îions  populaires ,  d'en  dire  les  origines  ?  Et  puis  y  a-t-il  rien  de 
fi  contraire  à  notre  air  François  que  cette  forte  de  procédure 
barbare  &  extraordinaire  ?  N'apprenons-nous  pas  paria,  que 
cette  tyrannie  ne  fe  peut  établir  fans  rébellion ,  ni  fans  trou- 
bler les  Etats  .^  Ils  fe  formalifent  de  ce  que  fi  librement  il 
parle  contre  l'avancement  trop  grand  des  neveux  des  Papes 
&  de  leurs  parens  ;  que  ne  dira-t-on  après  le  Concile  de  Tren- 
te ,  qui  le  défend  à  tous  les  Eccléfiaftiques  f  Ils  ne  peuvent 
fouffrir  que  l'on  n'approuve  pas  cette  authorité  que  les  Papes 
«attribuent  de  transférer  les  Roiaumes,  comme  celui  de  Na* 

M  m  m  i j 


46-0       PIECES    CONCERNANT   L'HISTOIRE 

varre,  celui  d'Angleterre  l'an  1588.  celui  de  France  durant 
J.ib.  xcvin.  ia  Ligue.  Ils  ne  trouvent  non  plus  jufte  Foppofition  que  fit 
le  Roi  à  la  venue  du  Légat  Cajetan  en  France  pendant  la 
Ligue ,  foutenant  que  les  Légats  ne  dévoient  entrer  en  fon 
J-ib.  cm.  Royaume  fans  fa  permilTion.  Non  plus  auffi  quand  il  rapporte 
les  Arrêts  des  Parlemens  contre  le  cardinal  Séga  ,  partifan 
d'Efpagne ,  venu  en  France  pour  l'éledion  d'un  Roi  en  ce 
Royaume,  qui  étoit  troubler  tout  l'ordre  de  nôtre  Monar- 
î.îb.  CI.  chie  :  &  toutefois  cette  oppofition  leur  bielle  l'efprit.  Les  Ar- 
rêts des  Parlemens  de  Tours  ,  de  Châlons  &  autres  Compa- 
gnies Souveraines ,  contre  Landriano  ,  ne  leur  plaifent  non 
plus;  &  néanmoins  qu'etoit-ce  faire  de  les  laiiler  fous  filen- 
ce,  fmon  être  partifan  de  la  Ligue  &  de  fes  crimes  .f*  Si  cela 
n'eût  été ,  il  n'eût  pas  rapporté  l'Arrêt  du  prétendu  Parlement 
de  Paris  au  contraire ,  qui  ne  leur  déplaît  pas,  bien  que  ce  ne 
foit  qu'un  impudent  Libelle,  contenant  autant  de  crimes  que 
de  lignes. 

Ils  trouvent  mauvais  que  l'on  remarque  les  droits  qu'a 
Lib.  VI.  le  Roi  de  faire  voir  par  fon  Parlement  les  facultez  des  Lé- 
gats, &  les  modérer  félon  les  Loix  de  cette  Monarchie.  La 
remarque  de  l'Arrêt  donné  fur  l'établilTement  de  fUniverfité 
lib.  vni.&  de  Rheims,  où  il  eft  déclaré  que  notre  Roi  eft  exempt  des  Cen- 
icxYi.  fures,  les  offenfe  merveilleufement  5  comme  auffi  quand  il 

remarque  particulièrement  comme  on  s'eft  gouverné  en  Fran- 
ce pour  la  provifion  des  bénéfices  pendant  les  défenfes  d'al- 
î,ib.  xxnr.  1er  à  Rome  5  &  quand  il  a  dit  combien  la  pratique  des  ap- 
pellations comme  d'abus  ,  eft  utile  à  ce  Royaume  &  neceflài- 
re ,  non  pour  en  abufer ,  mais  pour  en  ufer  fuivant  les  Ordon- 
tlh.  xxvï.  &  nances.  Les  Arrêts  tant  célèbres  ,  rendus  contre  Tanquercl 
cxïv.  Florentin  ^  Jacob  &  Georges  Criton  ^  qui  avoient  dans  des 

propofitions  Théologiqu^s'  donné   au   Pape  une  fouveraine 
puiflance  temporelle,  ne  leiu"  peuvent  plaire;  non  plus  que 
Lîb.  cxx.  les  Arrêts  contre  Rofe  Evêque  de  Senlis ,  contre  l'Archevê- 
cxxvi.  cxxix   q^e  d' Aix ,  contre  le  Cardinal  de  Sourdis ,  &  contre  un  nom-* 
^xxxvi.         l'^'^é  Flavian  :  Arrêts  tous  notables ,  tant  pour  la  qualité  des  par- 
ties ,  que  pour  le  fujet  dont  ils  traitent,  qui  ne  fe  pouvoient 
obmettre,  fans  être  prévaricateur  des  droits  du  Roi  &  de  cette 
Couronne. 
■    I L  n'y  a  pas  jufqu'à  la  Préface ,  qui  ne  leur  foit  à  fcandale  j 


DE   J.   A.   DE   THOU.  4^i 

5c  toutefois  il  n'y  a  rien  de  fi  faint,  de  Ci  chrétien,  defi  bien 
fonde  en  pafîages  des  Pères ,  de  fi  conforme  à  la  charité  : 
bref,  la  violence  dont  on  ufa  au  mois  d'Août  1572.  &  la 
ligue  ,  leur  font  également  agréables  j  qui  détefte  l'une  ou 
l'autre  les  oftenfe,  parce  qu'ils  ont  l'une  ôc  l'autre  en  l'ima- 
gination. Les  voies  douces  &  amiables  ne  font ,  difent-ils  , 
que  pour  les  tiédes ,  que  pour  ceux  qui  fomentent  l'herefie. 
Ils  ne  peuvent  trouver  bon  qu'il  foit  fouvent  reprefenté  aux 
Rois,  combien  il  leur  eft  avantageux  de  tenir  leur  parole,  de 
faire  obferver  leurs  Edits  ^  &  combien  il  en  a  mal  pris  à  ceux 
qui  ont  méprifé  l'un  &  l'autre  ;  l'exemple  de  Battori  eft  ex^ 
cellent  5  il  en  fera  parlé  ci-après. 

Combien  font-ils  indignez  de  ce  qu'il  parle  de  l'excom- 
munication fulminée  contre  la  Reine  de  Navarre  ,  du  temps 
du  Roi  Charles  IX.  &  lors  de  la  Magiftrature  du  Chancelier 
de  l'Hofpital,  déduite  comme  elle  eft,  avec  toutes  fes  cir- 
conftances,  &  les  remèdes  qui  y  furent  apportez  pour  s'en  dé- 
fendre ?Il  parut  lors  combien  peut  un  homme  je  dis  un  hom- 
me tel  que  ce  grand  Chancelier ,  le  dernier  de  fa  Robe  j  près 
d'un  Roi  qui  veut  exécuter  un  bon  confeil 

Est-il  pofTible  qu'ils  nefe  fornialifent  de  ce  qu'il  remar-  Uh.xciîu 
que ,  qu'en  crime  de  leze-Majefté,les  Ecclefiaftiques  font  obli- 
gez de  répondre  aux  Juges  Royaux  ,  quoique  cela  n'ait  ja- 
mais été  révoqué  en  doute  en  France  que  depuis  peu  d'ai> 
nées  ,  que  l'on  a  réduit  en  art  le  crime  de  leze-Majefté  5  qu'il 
s'eft  depuis  trouvé  aufli  fréquent  parmi  toutes  fortes  de  per- 
fonnes ,  que  l'adultère  ou  le  larcin  f 

La  Ligue  découfuë  &  découverte,  comme  elle  eft  dans 
cet  ouvrage,  ne  leur  peut  plaire,  au  contraire  les  offenfe, 
quand  ils  voient  que  les  mémoires  de  l'Avocat  David  y  font 
inférez ,  la  plus  honteufe  Pièce  de  leur  cabale  ;  quand  on  . 
voit  leur  rage  ,  telle  que  d'avoir  fait  oter  des  Prières  de  fE- 
glife  le  Roi  Henri  III.  Prince  très-Catholique.  Que  les  livres 
de  ce  fanguinaire  Boucher  y  font  notez ,  le  plus  méchant  & 
déteftable  qui  ait  écrit  pendant  cette  miférable  faifon.  Que 
l'on  avoir  contraint  un  pauvre  Carme  de  fe  retrader  à  la  mort , 
pour  avoir  faintement  écrit  qu'il  n'y  avoit  aucune  jufte  caufe 
de  prendre  les  armes  contre  fon  Prince.  Quand  il  parle  avec  Lib.  xcv, 
la  liberté  bienféante  à  un  homme  de  bien,  de  l'excommu-  Lib.  xcti. 

Mmmiij 


4^2        PIECES  CONCERNANT  L'HISTOIRE 

nication  fulminée  contre  Henri  III.  par  le  Pape  Sixte  V.  ex*' 
communication  autantinjufte ^  qu'ctoient  abominables  lésai- 
légrefles  qu'il  témoigna  en  plein  Confiftoire  de  la  mort  de  ce 
3:ib.  cxiv.  Prince.  Ils  trouvent  très-mauvais  les  remarques  qu'il  fait,  des 
Arrêts  donnez  contre  ceux ,  qui  au  lieu  d'inftruire  le  peuple 
à  la  pieté  &  le  conduire  à  la  pénitence  dans  la  chaire  de  la  vé- 
rité ,  difcourent  féditieufement  des  affaires  d'Etat ,  excitent  les 
Grands  &  les  Peuples  à  la  prife  des  armes ,  ne  font  éloquena 
que  fur  cette  matière  ;  c'eft  leur  donner  droit  à  la  face  que  d'en 
parler  fî  ouvertement  &  li  fincerement.  Combien  leur  eft-il 
fâcheux  d'y  voir  cette  miférable  Affemblée  tenue  à  Paris,  fous 
le  nom  d'États ,  dépeinte  de  toutes  fes  couleurs  ?  Affemblée 
la  plus  hardie ,  la  plus  téméraire  qui  fût  jamais  tenue  en  Fran- 
ce ,  où  les  Ambaffadeurs  du  Roi  d'Efpagne  préfidoient ,  oii 
ils  furent  oûis  pour  donner  un  Roi  à  ce  Royaume ,  où  les  loix 
fondamentales  de  cet  Etat  furent  tellement  ébranlées ,  &  y  re- 
çurent une  telle  atteinte ,  qu'il  femble  que  les  efprits  qui  fe 
trouvèrent  embarraffez  en  ce  miférable  Parti ,  en  ont  été  at^» 
teints  pour  jamais ,  tant  le  Catholicon  d'Efpagne  préparé  pac 
ces  gens  eft  pénétrant  &  corrofif. 

Ils  ne  peuvent  fupporter  patiemment ,  quand  on  remarque 
l'injufte  poffeffion  du  Roïaume  de  Navarre ,  ufurpé  par  Ferdi- 
nand Roi  de  Caftille  fur  Jean  d'AlbretjÔc  comme  les  Rois 
d'Efpagne  depuis ,  fentant  leur  confcience  chargée  de  cette 
ufurpation  ,  ont  recommandé  par  leurs  dernières  difpolitions 
d'en  faire  la  raifon  ;  reconnoiffance  certaine ,  &  par  eux-mê- 
mes, de  leurinjufte  détention,  quoique  tardive,  6c  jufques 
ici  demeurée  à  ces  termes  ;  &  par  le  Roi  Philippe  II.  &  pac 
fon  Succeffeur  qui  régne  à  préfent.  Il  ne  peuvent  auffi  fouf- 
frir  que  l'on  faffe  voir  à  l'Europe  ,  combien  eft  évident  le  def- 
fein  de  l'Efpagnol  de  fe  rendre  Monarque  de  tout  le  monde  ; 
fous  le  fpécieux  prétexte  de  la  Religion  ;  &  toutesfois  les  en* 
treprifes  qu'il  fait  fur  tous  les  Etats  de  la  Chrétienté  font  fi 
communes ,  font  fi  vifibles  ;  il  a  tant  d'émiffaires  par  tout ,  qu'il 
n'y  a  année  qu'il  n'emporte  quelque  pièce  &  qu'il  ne  fatisfaffe 
à  fon  ambition  5  &  tout  fraîchement  la  Valteline  fur  les  Gri- 
fons ,  à  notre  honte  ôc  à  notre  grand  préjudice.  N'avons-nous 
pas  fenti  combien  fon  deffein  eft  yafte ,  par  les  effets  de  la  der- 
mere  Ligue  /  N'avons-nous  pas  vu  qu'il  n'y  a  Traité  de  Paix , 


XJ 


DE  J.  A.  DE  THOU.  4(?5 

tant  faint ,  tant  inviolable  qu'il  puille  être ,  qu'il  ne  tâche ,  con- 
tre la  foi  publique,  de  corrompre  ,  non  feulement  les  plus 
grands ,  mais  va  jufques  aux  plus  petits  ?  Les  exemples  du  Ma- 
réchal de  Biron ,  du  Comte  d'Auvergne ,  de  la  Marquife  de 
Vcrnueil,  de  Merargues  ,  de  l'Hôte,  de  Cartier  de  Gionvel- 
le ,  de  Ridicaux ,  de  quelques  habitans  de  Marfeille ,  d' Ar- 
tus  Defiré,&de  quantité  d'autres  font  récents,  font  exami- 
nez dans  cette  Hiftoire  &  déduits  véritablement  fur  les  ori- 
ginaux. C'eft  ce  qui  les  fâche  •>  car  ils  veulent  que  ces  def- 
feins ,  ayant  une  fois  manqué ,  foient  étouffez  5  afin  de  rendre 
la  pofterité  ignorante ,  moins  foupçonneufe ,  &  plus  fufcepti- 
ble  de  pareilles  trames  &  conjurations ,  n'ayant  point  d'exem- 
ples pour  les  rendre  fages.  La  remarque  de  l'affaffinat  du  Car-  Ljb. 
dinal  Martinufius ,  avoué  par  l'Archiduc  Ferdinand  d'Autri- 
che, &  la  mort  cruelle  du  Cardinal  Battori ,  procurée  par  Lib.  cx^iri 
ceux  de  cette  Maifon ,  aufTi  peu  vengez  par  le  Pape ,  comme 
s'ils  euffent  été  de  petits  Curez  de  Village  ,  nous  font  voir , 
les  fautes  étant  égales ,  combien  étoit  peu  jufte  cette  rude  pro- 
cédure du  Pape  Sixte  V.  contre  le  Roi  Henri  III.  pour  la  mort 
du  Cardinal  de  Guife. 

Les  remarques  de  mauvais  traitemens  faits ,  fans  aucune 
forme  de  ju{lice,au  Grand  Confalve  ,  au  Duc  d'Albe ,  au 
Prince  de  Parme ,  à  Michel  Prince  de  Valachie  ,  à  Chrifto- 
phe  RufwormiuSjà  Sigifmond  Battori,  &  autres  grands  Ca- 
pitaines 3  par  l'Efpagnol  &  ceux  de  la  Maifon  d'Autriche  en 
Allemagne ,  après  avoir  expofé  leurs  vies  pour  agrandir  leur 
Empire ,  ne  leur  plaifent  nullement  ^  relevez  qu'ils  font  à  la 
la  vue  de  l'Europe ,  étant  très-déplaifans  que  la  vérité  fe  dé- 
couvre contre  la  nation  Efpagnole ,  &  qu'elle  fe  dit  avec  une 
liberté  non  affedée. 

Toutes  ces  confîderations ,  toutes  ces  obfervations ,  font 
les  Livres  avec  lefquels  ils  trompent  les  Ecclefiaftiques  5  ôc 
les  Séculiers  s'infînuent  près  d'eux  pour  décrier  cet  ouvrage  > 
c'eft  par  ces  artifices  qu'ils  pipent  les  fimples  &  les  idiots , 
fans  leur  découvrir  ouvertement  ce  qui  les  bleffe  le  plus  , 
qui  eft  bien  autre  chofe  que  ce  que  nous  avons  remarqué 
ci-defllis. 

Ce  qui  les  offenfe  donc  jufqu'au  vif,  eft  qu'en  une  in^ 
finité  d'endroits  de  ce  grand  œuvre,  ils  s'y  rencontrent,  non 


^6^         PIECES  CONCERNANT  L'HISTOIRE 

pas  aux  bonnes  ni  aux  belles  adions  ;  mais  en  celles  qui  nô 
peuvent  être  commifes  qu'avec  crime  ,  voire  des  plus  énor- 
aies.  L'on  les  voit  donc ,  en  faveur  de  i'Efpagne  ,  confeil- 
1er  au  pauvre  Doni  Sebaftien ,  Roi  de  Portugal ,  leur  Roi  na- 
turel, de  faire  la  guerre  aux  Infidelles ,  que  ce  jeune  Prince 
aveuglé  de  gloire ,  peu  fin  contre  la  rufe  de  ces  gens ,  eni* 
bralTa  avec  telle  ardeur  ,  qu'il  lailTa  fon  Royaume  ouvert  à 
toutes  fortes  cjes  pratiques  de  l'Efpagnol ,  y  perdit  la  vie  ÔC 
fon  Etat  ,  que  le  Roi  d'Efpagne  envahit  à  fon  aife  ,  ayant 
gagné  la  fimplicité  de  Henri  Cardinal  Roi  ^  par  le  moyen 
des  Jefuites  qui  le  pofledoient.  Les  Hitloires  écrites  en  Ita- 
lie par  perfonnes  qui  étoient,  non  à  Genève  ,  comme  ils  on£ 
dit ,  mais  à  Gènes,  y  font  fi  claires ,  qu'il  n'y  a  plus  A'îen  à  dou- 
ter en  ce  point.  Si  cet  exemple  eft  notable  pour  l'avantage 
qu'en  a  reçu  l'Efpagnol  ,  celui  qui  fuit  ne  l'eft  pas  moins  ; 
pour  faire  voir  de  quel  efprit  ces  gens  font  portez  pour  ce 
Roi  ,  en  quelque  coin  de  la  terre  qu'ils   foient.  Sigifmond 
ilb.  ex.   Battori  Prince  de  Tranfilvanie  jeune  &  courageux  ,  fut  en- 
gagé par  Alphonfe  Carille  Jefuite  Efpagnol,  défaire  la  guer- 
re au  Turc ,  fans  confiderer  ni  la  puiifance  de  ce  grand  en- 
nemi du  nom  Chrétien ,  ni  les  Traitez  &  Confédérations  qu'il 
avoir  avec  lui.  Il  en  prit  fi  mal  à  ce  miférable  Prince  ,  qui 
fut  réduit  à  de  fi  preffantes  extrêmitez ,  alfiegé  par  ce  Jefui- 
te ,  qu'il  fut  perfuadé  de  céder  la  Tranfilvanie  à  l'Empereur  ; 
de  quoi  il  ne  fut  pas  long-temps  à  fe  repentir ,  prenant  les 
armes  contre  l'Empereur ,  pour  conferver  fon  Païs ,  d'où  s'en- 
fuivit  fa  ruine ,  le  progrès  du  Turc  dans  fon  Païs  ,  la  mort 
cruelle  du  Cardinal  Battori  fon  oncle.  Bref,  le  miférable  état 
de  ce  Prince,  qui  fut  contraint  fe  jeiter  aux  pieds  de  Geor- 
ges Bafte,  Général  de  l'Armée  Impériale ,  qui  le  réduifit  de 
Prince  puiflant  qu'il  étoit ,  vaillant  &  courageux ,  mais  trop 
crédule  &  peu  fin  pour  ces  gens ,  à  demander  par  grâce  d'être 
jreçii  fimple  Baron  de  Bohême  avec  une  légère   penfion  ; 
pour  palier  le  refte  de  fes  jours ,  comme  il  a  fait ,  en  la  plus 
miférable  condition  qu'un  homme  de  fa  qualité  puifle  finie 
fa  vie.  Cet  exemple  récent ,  n'eft  pas  arrivé  loin  de  nous  5 
il  nous  peut  rendre  fages ,  &  feulement  en  cela  qu'il  nous  faut 
j^i'endre  ailleurs  nos  confeils  ,  que  nous  n'en  devons  efperet 
4ç  .meilleurs  de  ce  côté  ^  ôc  que  la  confpiration  de  cqs  gens 

eft 


ex. 


DE    J.    A.    DE   THOU.  4(?;  i 

•eft  générale  en  Portugal ,  en  Allemagne  ,  en  Hongrie  ,  en  i 
France ,  en  Italie ,  &  par  tout  ailleurs. 

Pour  donc  continuer  nôtre  premier  deflein ,  l'on  les  ] 
voit  d'entrée  dans  cette  Hiftoire ,  troubler  l'Univerfité  dePa-  ^ 
ris  qui  s'oppofa  à  leur  établiflement.  L'Evêque  de  Paris ,  bailla  ^ 
fes  moyens  pour  empêcher  leur  progrès ,  &  la  Sorbonne  en  Lib. 
donna  fon  avis  j  les  Plaidoyers  faits  de  part  &  d'autre  y  font 
au  long  :  ce  qui  ne  fe  pouvoit  obmettte ,  non  plus  que  leur  j 
Caufe  plaidée  en  l'année  15P4.  contre  l'Univerfité  de  Paris  ,  | 
agitée  avec  tant  de  contention  &  d'apparat  qu'aucune  autre  I 
depuis  cent  ans  en  ce  Parlement.  L'Arrêt  de  l'an  i<^g']  don-  r-,  i 
né  contre  Porfena  &  toute  la  Société ,  où  fut  ouï  Monfieur  ' 
Marion  pour  le  Roi ,  n'y  eft  pas  oublié  ;  non  plus  que  les  Arrêts  ; 
donnez  en  l'an  ij^8  en  divers  Parlemens  qui  fe  trouvèrent  Lib.  cxx,'  1 
contraires  j  tant  leurs  artifices  font  puifîans,  &  certes  leurs 
intérêts  font  fi  grands ,  font  tant  mêlez  de  brigues ,  fe  trou-  1 
vent  de  fi  grand  poids  en  toutes  fortes  d'Etats ,  qu'il  eft  plus  ; 
à  pardonner  à  un  Hiftorien  de  pafler  les  adions  des  plus  grands  j 
Princes,  que  de  toucher  légèrement  fur  ce  qui  concerne  ces  ' 
gens-ci  5  voilà  pourquoi  l'on  voit  en  cette  Hiftoire  les  Plai- 
doyers entiers ,  les  défenfes  des  uns  &  des  autres ,  comme  el- 
les ont  été  publiées.  i 

L'on  les  voit  d'autre  part  envelopez  en  plufieurs  conju-  | 

rations,  contre  la  Reine  d'Angleterre  &  contre  le  Roi  fon  fuc-  :  ; 

cefleur ,  en  la  plus  déteftable  &  horrible  qui  fut  jamais ,  qui  eft  j 

la  Fougade  ;  pour  celle-ci  ils  ne  l'ont  pas  niée ,  au  contraire  ; 

l'ont  louée ,  l'ont  exaltée  par  écrits  publics ,  &  toutefois  leur  \ 

deflein  étoit  fi  horrible ,  qu'ils  emportoient  l'innocent  avec  le  \ 

coupable  ;  toute  la  Noblefle  de  ce  Royaume ,  tous  les  Grands  ■ 

enflent  été  étouftez  en  un  moment.  i 

Combien  trouve~t-on  d'entreprifes  fur  la  vie  des  Princes  Lib.  cxx;  \ 

d'Orange,  Père  &  Fils  .?L'on  fçait  ce  qu'ils  ont  à  répondre  à  \ 

ces  exemples,  &  par  quelles  diftindions  ils  font  croire  que  ^ 

tels  attentats  font  permis  ,  font  méritoires.  Toutefois  un  de  ; 

leur  Société ,  nommé  Criton ,  difluada  l'aftaftln  Parry  Anglois ,  Lib.  lxxi»^  \ 

d'entreprendre  fur  la  vie  de  la  Reine  d'Angleterre,  par  ce  \ 

commandement  de  Saint  Paul,  qu'il  ne  faut  pas  faire  le  mal  ; 

pour  en  attendre  du  bien.  Cette  Théologie,  comme  trop  an-  \ 

cienne ,  n'eft  plus  tenue  dans  leurs  Ecoles  5  leurs  Livres  pu-  \ 

Tome  XK  N  n  n  \ 


^66       PIECES    CONCERNANT    L'HISTOIRE 

bîiez  depuis  quelques  années  ^  qui  ont  été  déchirez  par  les 
mains  des  Bouureaux&  brûlez  publiquement,  enieignent une 
dodrine  du  tout  contraire  ;  &  pour  le  montrer  par  les  exem- 
pies ,  à  nôtre  grand  mal ,  &  qui  ne  s'adrellent  feulement  pas  à 
des  Princes  hérétiques ,  avons-nous  pas  l'exemple  de  Barrière , 
que  Varade  Jefuite  excita  &  anima  pour  entreprendre  fur  la 
vie  de  nôtre  Grand  Henri  f  Avons-nous  pas  l'adion  de  Cha- 
ftel ,  qu'ils  ne  peuvent  nier  d'avoir  étudié  chez  eux  ,  avoir 
été  admis  en  leurs  plus  fecrettes  Aflemblées,  avoir  appris  en 
leur  Ecole  cette  déteftable  Dodrine  ,  pendant  leur  rage  con= 
tre  la  Maifon  Royale ,  qui  le  porta  à  cette  méchante  adion  l 
Ce  lieu  de  l'Hiftoire  fans  doute  les  offenfe.  Que  pourroit-on 
dire  autrement,  que  de  faire  voir  à  la  pofteritéla  caufe  d'un 
fi  célèbre  Arrêt,  &  qui  avoit  donné  fujet  à  la  condamnation 
de  Guignard  Jefuite  &  de  toute  la  Société.  C'eût  été  faire 
en  très-mauvais  Hiftorien,  d'inférer  l'Arrêt  de  la  Cour  fans 
en  déduire  les  caufes  5  il  importoit  trop  au  Roi  &  au  Parle- 
ment de  faire  voir  les  motifs  de  cet  Arrêt  fi  célèbre  &  de 
Il  grande  conféquence,  les  preuves  qu'il  y  avoit  pour  en  ve- 
nir à  une  fi  notable  exécution  5  &  puis ,  qu'y  a-t-il  qui  ne  foit 
pas  véritable  ?  Les  Procès  y  font  formels  5  ce  n'eft  qu'une  fim- 
ple  narration ,  il  ne  faut  pas  faire  le  Rhéteur  pour  exagérer  le 
fait,  il  parle  de  lui-même. 
Lib.  xciv.  Apre's  cela  ,  ils  fe  voyent  chaflez  de  Bordeaux  par  le 
Maréchal  de  Matignon,  pour  conferver  cette  Ville  en  l'o- 
béiffance  du  Roi  •■,  ils  en  fortirent  ,  mais  pour  fe  retirer  en 
des  Villes  rebelles  à  leur  Roi,  qui  étoit  Catholique.  La  fuite 
de  la  conjuration  de  Charles  Pvidicauve  déduite  clairement  >. 
fuivant  ce  qui  en  fut  vu  en  plein  Parlement,  les  offenfera 
fans  doute  5  car  l'on  y  voit  un  de  leur  robe  exciter  l'affanin 
à  entreprendre  fur  la  perfonne  du  feu  Pvoi  &  lui  defirer  plus 
de  force  &  de  courage  qu'il  n'en  avoit  pas  pour  cette  exé- 
cution :  cet  exemple  eft  connu  de  peu  ;  il  eft  néanmoins 
d'autant  plus  excellent  ^  qu'il  contient  une  infinité  de  notables 
circonftanGes,qui  vontài'inftrudionde  la  pofterité.  Ceci  ne 
s'apprend  pas  dans  ces  petits  Livrets,  dont  nous  parlerons  tan- 
tôt, &  dont  quelques  impertinens  difent  que  cette  Hiftoire 
eft  compofée  :  mais  dans  les  Archives  &  les  Greftes  des  Cours 
Souveraines ,  où  l'Auteur  a  tenu  un  des  premiers  rangs  :  &  en- 


DE   J.    A.    DE    THOU.                     ^67  . 

core  importe-t-il  grandement  au  public  ,  que  ces  a£l:ions  lî 

notables  &  de  fi  grande  conféquence  foient  imniortalifées  &  ■ 

écrites  dans  les  grands  ouvrages  qui  doivent  pafler  à  la  pofte-  ! 

rite,  n'étant  plus  déformais  en  sûreté  dans  les  Greffes  &  au-  '^ 

très  lieux  réputez  facrez  par  nos  Pères ,  étant  la  Cabale  de  ces  '\ 
gens  fi  forte ,  &  Ci  puilfante ,  que  l'on  en  fouftrait  tous  les  jours 

les  principaux  monumens,,  afin  que  la  mémoire  en  foit  éteinte.  j 

Si  leur  trop  grande  &  prolixe  harangue,  qu'un  de  leur  corps  ! 

fit  à  Mets ,  au  feu  Roi ,  pour  leur  rétablifiement  en  ce.  Royau-  Lîb.  cxkxni  j 

me ,  leur  eft  agréable  5  celle  que  fit  le  premier  Prefident  de                            "  ; 

Harlay,  pour  détourner  ce  coup,  ne  peut  qu'elle  ne  les  fâ-  ; 

che  5  elle  fe  trouve  néanmoins  telle  dans  les  Regifires  de  la  i 

Cour.  Cette  pièce  étoit  de  trop  grande  conféquence  pour  ne  '■ 

la  mettre  pas  5  prophétique  qu'elle  eft  ^  remplie  de  belles  &  '] 

relevées  confidéiations ,  qui  n'eurent  néanmoins  aucun  effet ,  i 

tant  leur  brigue  fut  forte.  Elle  fert  toutefois  pour  faire  voira  j 

la  poilerité  que  les  grands  Princes  font  quelquefois  de  très-             .  i 

grandes  fautes,  &  que  cette  Compagnie  ne  s'eft  pas  endor-  I 

mie  à  fon  devoir,  &  qu'elle  avoit  bien  jugé  combien  l'éta-  ] 

bliffement  de  cette  Société  importoit  à  nôtre  repos.  i 

La  Pyramide ,  érigée  en  mémoire  de  l'afiaftin  Chaftel  ;  I 

pour  la  fatisfadion  du  public  &  des  gens  de  bien  ,  &  dé-  . 

mohe  à  leur  pourfuite  ^  non  fans  l'indignation  publique ,  fait  | 

paroître  qu'il  leur  importe  que  la  mémoire  des  affaiïins  des  ' 

Rois  foit  abolie  5  &  que  leurs  intérêts  font  tellement  joints  i 

avec  ceux  de  ces  Parricides,  qu'il  a  fallu ^  pour  leur  plaire,         ■  | 
faire  violence  aux  Loix ,  brifer  les  marbres  &  les  monumens 

dreffez  pour  la  pofterité.  C'eft  ce  qui  les  offenfe,  quand  ils  j 
voyent  qu'ils  n'ont  rien  fait,  &  que  cette  pièce  eft  dans  cet  j 
ouvrage ,  qui  durera  malgré  eux  &  leur  faveur ,  &  contre  l'ef-  ^ 
fort  des  fiécles.  Les  queftions  extravagantes  que  fit  le  Père  ihid.  ] 
Coton  à  une  prétendue  démoniaque  les  offenfera  poffible  ,  &  ] 
diront  que  cette  action  fait  peu  ou  point  de  part  en  l'Hiftoi-  \ 
re  5  fi  cela  fut  arrivé  à  un  autre  qu'à  un  Jefuite ,  &  à  ce  Jefuite  ;  j 
ils  auroicnt  raifon  ;  mais  à  un  de  cette  robe  ,  &  de  la  qualité  ; 
qu'il  avoit  auprès  du  Roi ,  il  n'y  a  rien  que  d'important ,  &  tel- 
lement important ,  que  le  Roi  s'en  entremit  fi  avant,  qu'il  fe  \ 
fit  reprefenter  les  billets  où  étoient  ces  queftions.  Le  Duc  de  i 
Sulli ,  employé  lors  aux  plus  grandes  affaires  de  l'Etat ,  travailla  j 

Nnn  ï]  I 


4^8  PIECES  CONCERNANT  L'HISTOIRE 

fort  pour  les  retirer  &  les  fupprimer.  Et  puis  peut-on  dire  que 
e'eft  une  matière  de  peu  d'importance?  Rien  moins,  la  lec- 
ture en  fera  la  preuve  :  l'on  y  voit  une  enquête  fur  la  vie 
des  Rois ,  qui  eft  un  crime  punifîable  par  les  Loix  divines 
&  humaines  ;  &  par  les  régies  mêmes  établies  par  les  maî- 
tres en  l'Aftrologie. 

C  E  n'eft  pas  feulement  en  France  où  ils  ont  excité  des  trou- 
bles ,  mais  en  tous  les  lieux  où  ils  mettent  le  pied.  Vous  voïez 

lïb.  Lxxxiii.  ^^  fédition  qui  fut  à  Riga  en  Livonie ,  pour  y  avoir  été  re- 
çus. L'on  fçait  que  les  mauvais  traitemens  ,  que  reçoivent 
lib,  cxxvi.  les  pauvres  Catholiques  en  Angleterre  ne  viennent  d'autre 
caufe  ,  que  des  fréquentes  confpirations  de  ceux  de  cette  So- 
ciété ,  contre  la  Perfonne  de  ce  Roi  &  de  fon  Eftat.  L'on 
voit  les  Décrets  donnez  contre  leurs  entreprifes  à  Danzic 
lîb.  cxxxvi.  ôc  à  Torn  en  Pruffe ,  &  puis  le  célèbre  donné  à  Venife  ,  déduit 

lib.  cxxxvii.  avec  fes  circonftances ,  &  qui  s'obferve  encore  à  prefent ,  tant 
cette  fage  République  fçait  bien  maintenir  ce  qu'elle  a  une 
fois  prudemment  arrêté.  Voilà  en  gros  ce  qui  les  offenfe  juf- 
qu'au  vif  Voilà  les  points  qui  font  caufe  qu'ils  recherchent 
d'autres  fujets ,  que  ceux  qui  les  concernent  diredement ,  pouîj 
exciter  les  Grands  de  les  Ecclefîaftiques  pour  décrier  cet  ex- 
cellent Ouvrage. 

Restent  maintenant  d'autres  légères  &  frivoles  obferva- 
tions  ,  qui  fe  font  fur  toute  l'Hiftoire.  Les  plus  grofllers  & 
ftupides,  qui  parlent  par  la  bouche  d'autrui  fans  en  avoir  lu 
une  feule  ligne ,  difent  que  c'eft  fHiftoire  de  la  Popelinie- 
re  tranfcrite  ,  &  rien  plus.  Ces  pauvres  ignorans  montrent 
par  cette  objedion  ,  qu'ils  jugent  des  chofes  fans  les  voir  : 
car  s'ils  avoient  conféré  les  Livres ,  ils  verroient  que  la  Po- 
peliniere  finit  en  foixante  &  dix-fept,  &  que  cette  Hiftoire 
va  jufqu'en  i6oj.  qui  font  près  de  30  années  plus  avant  j  & 
puis  (î  Ton  regarde  ce  que  l'un  &  l'autre  a  écrit,  l'on  voit 
la  différence  aux  jugemens,  aux  circonftances  &  en  l'ordre  , 
telle  &  Cl  grande ,  que  fans  ôter  la  gloire  due  à  la  Popeliniere , 
l'on  peut  dire  que  fun  parle  en  Confeiller  d'Etat ,  né  en  haute 
fortune ,  aiant  beaucoup  de  chofes  au  deffous  de  lui ,  qui  a 
vu  les  affaires  ,  en  a  manié  une  partie ,  &  pénétré  dans  les 
Confeils ,  a  eu  communication  des  inftrudions  &  dépêches 
des  Anibaffadeurs  5  bref,  qui  n'a  riea  épargné  de  fon  foin  &. 


DE  J.  À.   DE   THOU.  ^^^ 

ée  fes  peines ,  pour  rendre  fon  Ouvrage  parfait  &  accompli 
L'on  voit  en  l'autre  au  contraire  des  adions  &  rencontres 
dénuées  de  leurs  circonftances  &  traitées  fort  légèrement  j 
l'on  le  voit  au  deifous  de  toutes  chofes  ;  s'eft  trouvé  enve- 
lopé  dans  un  parti  troublé  Ôc  agité  de  perpétuelles  craintes  y 
tantôt  chaire,  tantôt  rapellé  par  les  Edits,  naïant  eu  l'entrée 
des  Cabinets  des  Grands ,  naïant  fçû  les  chofes  que  par  le 
raport  d'autrui ,  ni  eu  la  communication  entière ,  pour  l'a- 
eompliflement  de  fon  deflein  î  il  ne  fe  peut  faire  toutefois 
que  l'un  &  l'autre  écrivant  la  même  Hiftoire ,  allant  le  mê- 
me chemin  ne  fe  foient  rencontrez  à  dire  cette  vérité,  qui^ 
eft  fimple ,  qui  ne  peut  recevoir  deux  vifages. 

Ils  ajoutent,  avec  autant  d'impofture  que  d^ignorance  , 
que  cet  ouvrage  eft  compofé  par  les  moiens  de  ces  petits  li- 
vrets du  temps ,  qui  courent  par  les  rues ,  remplis  de  faulTes- 
êc  paflîonnées  relations.  S'ils  apellent  livrets  faux  &  paiïion- 
nez ,  les  Edits  &  Lettres  Patentes  des  Rois ,  les  Arrêts  des 
Cours  Souveraines ,  les  Traitez  avec  les  Princes  étrangers  ,- 
les  Relations  mêmes  qui  fe  publient  par  ordre  du  Roi ,  ôc 
autres  Adies  importans  que  l'on  imprime  pour  être  commu- 
niquez au  public,  pour  le  bien  des  afiFaires^  ils  ont  quelque 
raifon  en  leur  ftupidité.  Mais  au  contraire ,  fi  l' Hiftoire  eft  man- 
que &  défedueufe  fans  ces  particularitez ,  que  diront-ils  l  rien 
qu'inepties  &  pures  fadaifes:  mais  il  faut  prendre  garde  que 
ces  deux  objedions  ne  font  faites  que  par  des  âmes  foibles 
&  fîmples ,  qui  craignent  toutes  chofes  fûtes,  qui  n'ofent  ou- 
vrir un  Livre  fans  permiftlon:  car  à  l'ouverture  ils  verroienr 
les  Auteurs  &  les  bons  Livres ,  dont  cet  ouvrage  a  été  com- 
pilé î  le  jugement  équitable  qu'a  aporté  l'Auteur,  parmi  une 
fi  grande  variété  d'Ecrits  &  d'Auteurs.  Enfuite  ils  difent  que 
la  loiiange  de  tant  de  dodes  Hérétiques  eft  infuportable  aux 
oreilles  des  bons  Catholiques,  qui  font  fi  délicates,  qu'elles 
ne  peuvent  rien  oûir  qui  puiffe  bleffer  leur  confcience.  Les 
Proteftans  à  la  vérité  y  font  louez,  non  pas  pour  leurs  er- 
reurs &  leur  nouvelle  Dodrine  au  fait  de  la  Religion;  mais 
pour  avoir  été  grands  en  quelques  fciences  ;  &  y  a  tel  de  ces 
gens  qui  fait  grande  part  en  l'Hiftoire,  pour  avoir  été  pro- 
tégez par  les  Rois  &  par  les  Princes,  &  attiré  à  leur  opinion^ 

les  Provinces  ôcles  Roiaumesp  &  puis  ,  quelle  envie  malir 

Nnniii 


470  PIECES  CONCERNANT  L'HISTOIRE 

a:ne,  quelle  injudice  de  vouloir  dénier  à  deux  cens  Protef- 
tans,  dont  les  éloges  font  en  cette  Hiftoire  ,  ce  qu'il  donne 
fi  libéralement  à  quatre  cens  Catholiques  f  Valdefius  Dodeur 
Efpagnol ,  louant  rEfpagne  &  tous  ceux  qu'elle  a  produit , 
met  en  ligne  Averoës  &  Avicenne ,  &  autres  Juifs  ou  Maho- 
■metans  ,  les  exaltans  à  l'honneur  de  la  Nation  ,  par-delTus 
beaucoup  de  Chrétiens.  De  celui-ci  ils  n'en  difent  rien ,  aulîl 
eft-il  de  leurs  amis.  D'ailleurs  cette  objedion  eft  indigne  des 
perfonnes  tant  foit  peu  aimans  les  Lettres  ^  tant  foit  peu  che- 
riilans  la  vertu  ,  de  ne  la  vouloir  pas  reconnoître  en  leurs 
ennemis  :  &  puis  quelle  partialité  en  un  Hiftoire ,  partialité 
indigne  d'un  homme  de  bien ,  digne  de  ces  Chronologues 
nouveaux  de  leur  Société,  qui  remplilTent  les  colomnes  de 
leurs  Hiftoires  d'injures  ,  contre  ceux  qui  ont  tant  foit  peu 
montré  ne  favorifer  leurs  opinions.  C'eft  à  telle  forte  de  Livres 
où  il  faut  que  les  Magiftrats  prennent  garde  ;  aux  Livres ,  dis- 
je  ,  qui  fortent  de  leurs  mains.  Ils  ont  été  un  tems  vifitez 
de  près ,  &  ne  paffoit  année  qu'il  n'en  fut  livré  trois  ou  qua- 
tre au  Bourreau  ;  mais  à  prelënt  tout  a  changé ,  rien  ne  fe 
fait  plus  fans  leur  atache,fans  leur  permiflîon,  ou  bien  l'on 
diftribuë  les  Livres  à  peine  de  l'honneur  ou  de  la  vie  j  nos 
Magiftrats  ne  font  plus  qu'executeiu's  de  leurs  volontez  &  de 
leurs  paillons ,  ôc  s'ils  ne  leur  obéiiTent ,  courent  fortune  d'être 
tenus  pour  Hérétiques  ou  Athéïftes.  Pauvres  gens  1  qui ,  pour 
une  faveur  de  deux  jours,  faveur  déréglée  &  mal  aillirée  > 
d'autant  plus  près  de  fa  fin  qu'elle  eft  éclatante  ,  penfent  pou- 
voir crever  les  yeux  à  la  pofterité.  C'eft  en  cela  qu'ils  fe  trom- 
pent ,  &  qu'ils  font  voir  la  fureur  dont  ils  font  agitez  :  l'on 
■va  droit  à  la  vérité  ;  ils  font  découverts  jufqu'au  fond.  Ce 
;point  de  la  condamnation  des  Livres  ,  principalement  des 
Hiftoires  ,  doit  être  manié  avec  une  grande  prudence  par  ceux 
qui  ont  les  premières  Charges  dans  les  Etats.  Entre  les  me- 
<chans  ades  de  Tibère ,  la  cruauté  qu  il  exerça  contre  Cre- 
^mutius  Cordas  ,  fage  &  prudent  Hiftorien  ,  eft  remarquée, 
il  étoit  accufé  d'avoir  loué  les  uns ,  &  déclaré  les  mauvaifes 
x^ualitez  des  autres.  Ilfe  fit  mourir  lui-même  pour  éviter  l'i- 
gnominie  du  fupplice ,  fes  Livres  enfuite  furent  brûlez.  Mais 
qu'en  avint-il?  Ils  furent  recherchez  plus  que  devant  l'éxe- 
i:ution  ,  farent  tenus  pour  véritables  ,  l'Auteur  en  reçut  de 


DE    J.     A.    D  E    T  H  O  U.  47r 

la  gloire  après  fa  mort ,  ôc  fes  ennemis  de  ia  honte.  H  eft  fanS 
doute  que  les  écrits  fatyriques,  remplis  de  médiiances  j  les 
Hiftoires  injurieufes  contre  les  Rois  ,  contre  l'Etat  &  les 
Grands  ,  font  prudemment  défendues  ,  font  juftement  con- 
damnées :  mais  de  défendre  aux  Hifcoriens  de  blâmer  les  mau- 
vaifes  adions  des  Princes  &  des  particuliers,  il  eft  autant  in- 
fuportabie  &  méchant ,  que  de  leur  défendre  de  dire  les  bel- 
les &  vertueufes  adions  des  uns  &  des  autres.  Et  certes  , 
c'eft  le  propre  des  Hiftoriens  de  découvrir  les  vertus  &  les 
vices,  les  belles  adions  &  les  mauvaifes,  ce  font  autant  de 
leçons  pour  la  pofterité.  Voions-nous  pas ,  comment  Tacite , 
grand  maître  en  ce  genre  d'écrire ,  en  a  ufé  ?  Que  dit-il  de 
Tibère  ,  de  Galba  ,  d'Orhon ,  de  Vitellius  Empereurs ,  &  d'au- 
tres Grands  qui  ont  palTé  par  fa  cenfure  ?  Qu'en  eft  il  arri- 
vé ,  finon  que  ce  Livre  eft  admiré  ,  lu  &  relu ,  fert  de  leçons 
aux  Grands  ,  qui  doivent  s'aflurer  qu'il  fe  trouvera  encore 
d'auflfi  hbres  efprits  pour  écrire  leurs  vertus  &  leurs  vices? 
Mais  quelle  plus  grande  preuve  devons-nous  avoir ,  que  les 
Hiftoriens  fages  &  prudens  ne  doivent  être  repris  ni  châtiez  , 
au  contraire  bien  venus  ,  &  benignement  traitez  ;  que  les 
Livres  Saints ,  que  le  Nouveau  Teftament^  ouvrage  du  Saint 
Efprit ,  où  les  fautes  des  grands  perfonnages  font  découver- 
tes ,  font  décrites  ,  jufqu'à  écrire  ce  que  les  Juifs  difoient 
fauftement  de  nôtre  Seigneur.  La  Madelene  y  eft  appellée 
pecherefTe ,  &  Mathieu  publicain ,  S.  Thomas  incrédule  ,  S. 
Paul  perfécuteur  du  nom  Chrétien ,  &  S.  Pierre  y  eft  remar- 
qué pour  avoir  abandonné  fon  Maître  &  l'avoir  renié  en  fes 
angoiifes  -,  &  toutefois  c'eft  la  Sainte  Ecriture  ,  c'eft  le  Livre 
des  Livres  ,  c'eft  où  nous  nous  devons  former.  Si  Dieu  a 
permis  que  ces  chofes  aient  été  écrites,  s'il  les  a  écrites  lui- 
même ,  pourquoi  aujourd'hui  ne  dirons-nous  pas,  finon  avec 
pareille  autorité ,  au  moins  avec  pareille  liberté ,  ce  que  les 
grands  &  particuliers  font  de  bien  &  de  mal  î  C'eft  pourquoi; 
je  ne  feindrai  pas  de  dire  encore  une  fois  qu'il  y  a  de  Imi- 
prudence,  pour  ne  dire  pis,  d'ufer  de  rigueur  contre  ceux 
qui  écrivent  l'Hiftoire ,  d'autant  plus  grande  aujourd'hui ,  que 
nous  ne  fommes  pas  maîtres  de  tout  le  monde ,  comme  étoient. 
les  Romains  5  que  nous  fommes  afturez  que  ce  qui  ne  fe  peut 
écrire  en  Italie ,  fe  publiera  librement  en  Allemagne  5  que*- 


472         PIECES  CONCERNANT  L'HISTOIRE 

ce  que  les  Allemands  n'oferoient  écrire  ,  l'on  le  verra  en 
Prance  &  en  Efpagne ,  avec  mérite  &  toute  liberté  ;  &  que 
ce  que  nous  n'oferions  faire  ici ,  fe  fera  en  Allemagne  &  ail- 
leurs ,  fans  craindre  la  puiflance  des  Jéfuites  &  de  leur  Ca- 
bale. Au  refte,  fi  au  préjudice  de  ces  maximes,  l'envie,  la 
palfion,  &  la  rage  de  ces  gens  ont  tellement  furpris  &  ga- 
gné les  foibles  &  fîmples  efprits  de  ce  fîécle  ,  que  de  don- 
ner des  jugemens  finiftres  contre  cet  ouvrage ,  il  eft  certain 
que  la  poftérité  ne  lui  enviera  pas  fa  gloire.  Au  contraire , 
elle  croîtra  avec  les  années  :  elle  eft  fi  grande ,  que  l'on  dé- 
teftera  l'ingratitude  du  fîécle ,  admirateur  des  inepties  &  fadai- 
fes  ,  qui  a  voulu  étouffer  cette  lumière  à  fon  origines  lumiè- 
re fi  refplendiffante ,  que  toutes  les  parties  du  monde  en  font 
cclaircies  &  illuftrées.  Signé,  P.  Dupuy, 

Extrait  de  VHiJîoire  de  France,  depuis  la  mort  de  Henri  IF'.jufqu^en 

1 62^.  écrite  en  Latin  par  Gabriel  de  Barthellemi  de  Grammont, 

&  imprimée  à  T  ouloufe  en  16^^.  in-fol.  pag.  i  p  o . 

Traduit  du  |/^^  Et TE  année  i(5'i7.  mourut  Jacques- Augufle  de  Thou; 
l^atin  fur  le  \^^  Prcfideut  à  Mortier  au  Parlement  de  Paris,  homme  dif- 
tingué  par  fa  naiffance ,  par  fon  habileté  dans  les  affaires ,  Se 
par  fon  fçavoir.  L'Hiftoire  qu'il  a  compofée  avec  exaditude, 
depuis  la  mort  de  François  I.  jufqu'aux  dernières  années  du 
régne  d'Henri  I  V.  fait  affez  connoître  que ,  dès  fa  plus  ten- 
dre jeuneffe ,  il  s'étoit  extrêmement  appliqi]é  à  l'étude  j  qu'il 
aimoit  beaucoup  tous  les  fçavans ,  &  qu'il  brûloit  d'un  zèle 
ardent  pour  fa  Patrie.  Les  Etrangers  lui  ont  obligation  de  leur 
avoir  donné  une  pleine  connoiffance  de  l'Hiftoire  Françoife  > 
auffi  lui  ont-ils  prodigué  les  louanges.   La  conduite  qu'il  a 
tenue ,  tz  les  ouvrages  qu'il  a  écrits  le  mettent  au-deffus  de 
tous  les  éloges.  Sa  didion  eft  pure  &  bien  latine ,  &  fon  ftile 
eft  aifé.  Il  eft  cependant  quelquefois  un  peu  trop  diffus.  Il 
femble  avoir  affedé  de  ne  rien  omettre ,  ôc  d'éclaircir  tout. 
Les  uns  goûtent  cette  manière  d'écrire ,  qui  met  les  chofes  dans 
tout  leur  jour ,  &  les  autres  veulent  un  ftile  majeftueux ,  qui 
renferme  beaucoup  de  chofes  en  peu  de  paroles.  Ces  deux 
genres  font  eftimables ,  l'un  par  le  tour  fententieux ,  l'autre 
^ar  le  tour  éloquent  5  l'un  U  l'autre  a  de  la  dignité.  Au  refte 


D  E  J.  A.  D  E  T  H  O  U.  47^- 

de  Thou  fe  rendit  fufped  à  Rome  ,  pour  avoir  foutenu  vive* 
ment  dans  fon  ouvrage  les  libertez  de  l'Eglife  Gallicane ,  Ôc 
l'autorité  des  Rois.  Les  foupçons  qu'on  eu  de  fa  Religion 
furent  très  injuftes,  puifqu'il  fut  toujours  attaché  à  la  Reli- 
gion Catholique  &  Romaine  ,  &  qu'il  pratiqua  conftamment 
les  vertus  chrétiennes.  Il  fit  aufQ  une  profeflion  publique  de 
fa  foi  dans  fon  Teftamenr. 

Extrait  de  PHiftoire  de  France  par  François  Eudes  de  Mezeray 
Paris  16^1.  in-fol.  Tome  Ill.page  282. 

C^  Hristofle  de  Thou  premier  Prefident  ,  également 
__j  zélé ,  mais  avec  une  parfaite  difcretion ,  pour  le  bien 
public  &  pour  l'authorité  Royale ,  deux  chofes  qu'il  avoit  har- 
diment maintenues  contre  les  mauvais  confeils  des  flateurs, 
ôc  les  attentats  de  la  Ligue ,  mourut  à  Paris  le  premier  jour 
de  Novembre  (  15*82  )  5  de  regret,  à  ce  qu'on  crut,  de  voir 
la  France  fur  le  penchant  de  fa  ruine.  Car  ayant  voulu  re- 
monftrer  au  Roy  (  Henry  III)  que  la  multipUcation  des  Edits 
onéreux  pourroit  enfin  caufer  de  périlleux  fouslevemens ,  le 
Roy  le  traita  de  mépris ,  &  fe  tournant  vers  les  flateurs  qui 
i'environnoient ,  leur  dit  que  ce  bon  homme  radotoit  j  paro- 
les qui  le  frappèrent  fi  vivement  au  cœur ,  non  pour  le  reiîen- 
timent  de  fa  propre  injure ,  mais  pour  le  déplaifir  du  miferable 
eflat  où  il  voyoit  la  France^  que  cette  blefleure  ne  fe  put 
guérir  que  par  la  mort  :  luy  faifant  parmy  les  deniers  fouf- 
pirs  de  fa  vie ,  poufler  des  foufpirs  de  douleur ,  &  des  paro- 
les prophétiques  fur  les  malheurs  prochains  dont  le  Roy  ôc 
le  Royaume  eftoient  menacez.  Il  laifla  à  tous  les  bons  ci- 
toyens un  regret  extrême  de  fa  perte ,  &  un  fouvenir  éterne! 
des  obligations  que  la  France  luy  avoit  ;  parmy  lefquelies  , 
à  mon  advis  ,  on  doit  compter  pour  la  plus  grande  ,  celle 
de  luy  avoir  donné  Jacques-Àugufte  de  Thou ,  dont  les  ouvra- 
ges immortels ,  malgré  la  cenfure  de  l'envie  &  des  mauvais 
François ,  tefmoigneront  à  toute  la  pofterité  fa  rare  dodrine , 
fa  merveilleufe  lincerité  &  candeur ,  fa  pieté  fans  fard ,  fon 
intégrité  defintereffée ,  &  fur  tout  fon  zèle  équitable  pour  U 
grandeur  de  l'Eftat,  &  pour  le  public. 

Tome  XK  O  o  o 


474        PIECES    CONCEB.NANT    L'HISTOIRE 

Extrait  de  la  Bibliothèque  Françoife  de  Charles  Sorel  ^  Paris 
1 66  j.  in-douze  page  337. 

IL  faut  placer  en  un  honorable  rang  l'Hiftoire  de  M.  le 
Prelîdent  de  Thou ,  qu'il  a  faite  de  ce  qui  s'eft  paffé  de 
fon  temps  depuis  l'an  1^45.  jufques  à  1^07.  ...  Toutes  les 
perfonnes  illuftres  &  fameufes  de  ce  fiécle  là  y  ont  leur  Elo- 
ge ,  &  l'Auteur  n'y  oublie  aucun  des  accidens  remarquables. 
Quelques  Critiques  fe  font  perfuadez  qu'il  avoir  mis  trop 
de  digreflions  dans  fon  Hiftoire  j  mais  ayant  eu  deffein  de 
la  faire  de  longue  étendue,  il  y  a  pu  mettre  ce  qu'il  a  vou- 
lu 5  on  ne  doit  point  fe  fâcher  qu'il  nous  ait  appris  quantité 
de  belles  chofes  ;  car  en  ce  qui  eft  des  Hiftoires  particuliè- 
res,  les  plus  longues  font  les  meilleures.  M.  Scipion  du  Pleix 
parlant  de  la  mort  de  M.  le  Prefident  de  Thou  dans  fon  Hiftoi- 
re de  France ,  a  voulu  faire  l'Eloge  de  ceîuy  qui  a  fait  l'E- 
loge de  tant  d'autres.  Il  dit ,  «  Que  c'eftoit  un  perfonnage 
^  illuftre  en  extradion  ,  alliance  ,  dignité  ,  intégrité  &  dodri- 
30  ne  ;  Qu'il  a  écrit  l'Hiftoire  en  ftile  élégant  &  fiorillant ,  mais 
3^  qu'ayant  donné  quelques  atteintes  au  S.  Siège  &  à  quelques 
»  Ordres  de  F.eligieux ,  ôc  ayant  témoigné  une  horrible  avér- 
ai (ion  contre  tous  les  partifans  de  la  Ligue ,  cela  eftoit  caufe 
»  que  quelques  Gens  de  fon  temps  avoient  mauvaife  opinion 
»  de  fa  croyance  5  mais  que  la  profelTion  qu'il  avoit  faite  toute 
»  fa  vie  de  la  Religion  Catholique ,  Apoftolique  &  Romaine  ^ 
a>  &  la  foigneufe  inftitution  de  fes  Enfans  à  la  Dévotion ,  à 
=0  la  Pieté  &  à  toute  forte  de  Vertus  ,  eftoient  de  tres-puif- 
»  fans  argumens  pour  en  faire  un  jugement  contraire  :  «  Ce 
n'eftoit  pas  affez  dire  pour  M.  du  Pleix ,  il  ne  s'eft  pas  ar- 
refté  au  fait.  Il  falloit  fouftenir  que  M.  de  Thou  n'avoit  parlé 
du  Pape ,  des  Moines ,  &  de  la  Ligue ,  que  comme  devoir 
faire  un  bon  Serviteur  de  fon  Roy.  On  connoift  que  cet  Hif- 
torien  veut  le  blâmer  en  l'excufant.  Voila  un  mauvais  office 
qu'il  luy  rend,  ce  qui  fait  croire  que  l'envie  le  faifoit  parler, 
voulant  attaquer  ceux  qui  fe  mefloient  d'écrire  l'Hiftoire.  Cela 
fe  connoift  encore  en  ce  qu'il  allègue,  qu'on  a  imputé  au  Préfî- 
dent  de  Thou  de  n'avoir  compofé  fon  Hiftoire  que  des  Li- 
belles de  fon  temps  :  cela  eft  de  peu  de  confideration.  Il  n'y 


DE    J.    A.    DE   T  H  O  U.  47; 

a  point  de  Libelle ,  ny  de  Mémoire  ,  qu'il  ne  faille  qu'un  bon 
Hitlorien  prenne  la  peine  de  voir  5  cela  n'empefche  pas  qu'a- 
vec cela  il  ne  fe  ferve  de  bons  Mémoires  particuliers.  Au 
refte  de  foutenir  que  l'illuftre  Hiftorien  dont  nous  parlons  s'eft 
fervi  des  Mémoires  des  Huguenots ,  plûtoft  que  de  ceux  des 
Catholiques,  cela  n'eft  pas  d'une  preuve  facile  5  &  quand  il 
i'auroit  fait ,  il  a  fceu  diftinguer  le  bon  d'avec  le  mauvais ,  & 
prendre  les  choies  qui  eftoient  les  plus  certaines.  Enfin  il  n'y 
a  point  de  malice  fi  noire  j  ny  fi  fubtile,  qu'elle  puiile  ofter  à 
M.  le  Prefident  de  Thou  l'honneur  qu'il  s'eft  acquis  par  fes 
beaux  Ecrits  &  par  fes  Vertus  particulières.  Nous  avons  encore 
à  dire  touchant  fon  langage  Latin,  que  véritablement  chacun 
n'a  pas  trouvé  bon  qu'il  ait  déguifé  des  Noms  propres  des  lieux 
ou  des  Hommes ,  de  telle  forte  qu'ils  font  un  peu  malaifez  à 
reconnoiftre  j  mais  on  doit  confiderer  que  les  Noms  François 
n'ont  aucune  grâce  dans  les  Difcours  Latins ,  &  que  le  Dic- 
tionnaire qu'on  a  fait  de  ceux  que  M.  de  Thou  a  inventez , 
fdfiit  à  ceux  qui  auront  la  curiofité  de  voir  l'original  de  fon 
Hiftoire. 

Extrait  des  Jugemens  des  Sfavanspar  Adrien  Bail/et ,  Paris 
1722.  in-quarto.  Tome  IL  page  155». 

LE  caradere  de  la  critique  de  Monfieur  de  Thou  eft  cette 
liberté  Françoife  qui  règne  par  toute  fon  Hiftoire ,  qui  l'a 
fait  11  fort  diftinguer  d'avec  la  plufpart  des  Ecrivains  de  fon 
lîecle ,  qui  luy  a  fait  éviter  avec  tant  de  fageftè  les  deux  ex- 
trémités 011  fe  font  jettes  d'un  côté  quelques  zélés  Catholi- 
ques ,  &  de  l'autre  la  plufpart  des  Proteftans  ,  &  qui  luy  a 
donné  en  particuHer  l'avantage  fur  les  trois  célèbres  Cardi- 
naux [  Baronius  j  Bellarmin  ,  du  Perron  ]  dont  nous  venons  de 
parler,  en  ce  qu'étant  tout-à-fait  exempt  des  préjugés  &  des 
intérêts  qui  les  occupoient ,  ni  la  crainte  ,  ni  l'efperance  ,  ni 
aucune  autre  paftion  n'a  été  capable  de  corrompre  fa  plume 
&  fon  efprit.  On  ne  prétend  pas  néanmoins  que  tous  les  ju- 
gemens qu'il  a  rendus  en  faveur  de  tant  d'Ecrivains  médio- 
cres foient  toujours  fort  juftes  &  irrévocables.  Ce  font  des 
Eloges  que  l'on  trouve  répandus  dans  fon  Hiftoire  à  la  fin 
de  chaque  année.  Ils  font  une  des  plus  curieufes  parties  ds 
cette  Hiftoire. 

Qo  oij 


47<^       PIECES  CONCERNANT  L'HISTOIRE 
Extrait  du  même  Ouvrage  j  Tome  I.  page  175?; 

CE  ne  font  pas  les  François  feulement,  mais  les  Etrangers 
fur  tout  qui  ont  donné  à  Monfieur  le  Préfident  de  Thon 
la  préféance  fur  tous  les  Hiftoriens  de  ces  derniers  temps  ,  & 
qui  l'ont  égalé  aux  anciens ,  foit  pour  la  grandeur  du  fujet , 
foit  pour  la  difpofition  &  la  proportion  des  parties ,  foit  enfin 
pour  le  choix  d'un  ftyle  convenable  à  la  majefté  de  l'Hiftoire. 

Extrait  des  Mélanges  d'HiJJoire  &  de  Littérature  par  de  Plgneulz 
Marville  3  Paris  1 725 .  in- 1 2.  Tome  Ill.pag.  312. 

LA  France  ne  peut-elle  pas  fe  vanter  d'avoir  fon  Tite-Lî- 
ve  dans  M.  de  Thou  ?  Perfonne  n'a  poiledé  mieux  que 
lui  toutes  les  parties  qui  forment  un  parfait  Hiftorien ,  &  per- 
fonne ne  les  a  employées  plus  heureufement.  La  pureté  &  l'é- 
loquence de  fon  ftile  peuvent  le  faire  aller  de  pair  avec  les 
meilleurs  Hiftoriens  de  Rome.  Il  étoit  à  portée  par  les  diffe- 
rens  emplois  qu'il  a  remplis,  defe  mettre  bien  au  fait  desaf^ 
faires ,  de  pénétrer  les  differens  reflbrts  qui  les  faifoient  en- 
treprendre j  échouer  ou  réùffir.  Les  intrigues  du  Cabinet  n'é- 
toient  pas  un  myftere  pour  lui  :il  connoiflbit  à  fonds  les  inté- 
rêts des  Princes  de  l'Europe,  &  le  manège  de  leurs  négotia- 
tions  5  aufti  le  trouve-t-on  par  tout  également  exaft  &  judi- 
cieux ,  &  ce  qui  eft  encore  plus  nécefîaire  à  un  Hiftorien ,  tou- 
jours dégagé  des  préjugez  &  des  paffions.  Ne  devroit-on  pas , 
dans  le  temps  où  Ton  a  une  fi  grande  fureur  de  compofer  & 
de  faire  imprimer  tant  d'ouvrages ,  ou  pernicieux  ou  médio- 
cres ,  donner  une  bonne  édition  de  l'Hiftoire  de  ce  fcavant 
homme  ^  &  ne  mériteroit-il  pas  qu'ony  joignît  un  bon  Com- 
mentaire ,  où  l'on  feroit  entrer  tant  de  Pièces  &  de  Mémoi- 
res qu'on  a  découverts  depuis  un  fiécle,  &  qui  ferviroient  à 
cclaircir  ou  à  confirmer  les  faits  principaux  de  cette  Hiftoire. 
Un  des  plus  grands  défauts  qu'on  ait  reprochez  à  M.  de  Thou , 
c'eftd'avoirlatinifé  les  noms  propres  d'une  manière  qui  les  rend 
quelquefois  inintelligibles ,  &  d'avoir  nommé  les  Villes  dont 
îl  I  arle ..  par  leurs  anciens  noms  5  il  n'y  auroit  rien  de  plus  aifé 
à  un  Commentateur ,  que  de  remédier  à  ces  deux  inconve- 


DE  J.  A.  DE  THOU.  477 

niens.  On  a  le  nianufcrit  original  de  ce  grand  homme  ;  on  en 
a  une  autre  copié  par  M.  Rigaud ,  &  on  trouve  à  la  Bibliothè- 
que du  Roy  un  exemplaire  de  l'cdition  de  Genève ,  chargé 
des  notes  de  MeflTieurs  Rigaud  &  Dupuy.  Tout  cela  feroit  d'ua 
grand  fecours  pour  l'Edition  &  pour  le  Commentaire. 

Extrait  de  PHiJîoire  de  France  par  Louis  le  Gendre  ^  Paris 
1 7 1 8.  in-folio.  Tome  I.  page  5  6, 

JAcQUES-AuGuSTE  DE  Thou,  Préfidcnt  à  Mottier  au 
Parlement  de  Paris ,  a  fait  en  Latin  une  Hiftoire  3  qu'on 
n'eftime  guère  moins  que  les  Hiftoires  Grecques  ou  Romai- 
nes ,  qui  font  le  plus  en  réputation.  Il  excelle  à  peindre  les  - 
hommes  &  à  décrire  leurs  adions ,  il  aime  à  dire  la  vérité ,  &  - 
eft  d'autant  mieux  informé,  qu'en  ce  qui  regarde  les  chofes 
de  France ,  il  a  vu  tout  ce  qu'il  écrit ,  ou  s'en  eft  enquis  avec 
foin ,  à  gens  qui  étoient  à  la  fource.  Son  Latin  eit  pur,  fon  ftile 
grave  &  net.  On  lui  reproche  les  fréquentes  &  longues  ha- 
langues ,  qu'il  met  fouvent  à  la  bouche  de  pcrfonnes  peu  pro- 
pres à  en  faire.  On  lui  reproche  encore  fon  peu  de  ménage- 
ment pour  le  Pape ,  pour  le  Clergé ,  pour  les  Princes  de  la 
maifon  de  Guife ,  ôc  un  peu  trop  de  difpofition  à  adoucir  les 
fautes ,  &  à  faire  valoir  le  mérite  des  Huguenots.  D'autres 
voudroient  que  fon  Hiftoire  fut  plus  ferrée ,  ôc  que  fans  faire 
de  courfes  jufqu'aux  extrémitez  du  monde  ,  pour  nous  dire  ce 
qui  s'y  eft  pafle ,  il  fe  fut  renfermé  davantage.  A  tout  prendre  il 
n'y  a  point  d'Hiftoire  qui  fit  plus  de  plaiûr ,  fi  elle  étoit  moins 
longue» 

Extrait  d'une  Lettre  de  Gui  Patin  à  M.  G.D.  M.  en  datte  du 
^,  février  i  ^72.  Cejl  la  15)7.  &  dernière  dans  P Edition 

de  Rotterdam  i62>i^. 

MONSIEUR,  je  vous  envoyé  un  Catalogue  des  fau- 
tes que  j'ay  trouvées  en  l'Hiftoire  de  M.  de  Thou^ 
qu'il  faut  tâcher  de  faire  corriger  en  l'impreftion  Françoife  qui 
fe  doit  faire  bien- tôt. 

Quand  M.  le  Prélldent  de  Thou  parle  d'une  certaine  conf-  '^<'"^-/^;  P^S* 
piration  de  bayonne  enl  an  15  c. 2.  il  en  iait  coupable  un  cer-  ducibn, 

O  o  o  iij 


47S        PIECES  CONCERNANT  L'HÎSTOÎRE 

tain  médecin  nommé  Blampignon  ,  &  dit  qu'il  fut  exécuté  à 
mort  :  ce  qui  eft  faux ,  veu  que  ce  Blampignon ,  natif  de  Troyes 
en  Champagne ,  eft  mort  depuis  cinq  ans  à  Bayonne ,  âgé  de 
plus  de  quatre-vingt  ans,  &  que  de  mémoire  d'homme  il  n'y 
Tom.  XIII.  a  eu  que  luy  de  ce  nom  dans  Bayonne. 

^*  ^^'^*  Quand  il  parle  des  Médecins  qui  vifiterent  Marthe  BroiTier. 

qui  prétendoit  être  démoniaque ,  pour  Jean  Duret  il  nomme 

Tom,  XIV. p.  t>ouis  iD^r^??  qui  mourut  dès  Tan  lySô". 

'^°'  Quand  il  parle  du  voyage  de  M.  le  Préfident  Myron  à 

Mets^  ilfe  trompe  difant  que  le  Préfident  Jeannin  y  fut  en- 
voyé le  premier.  Il  faut  encore  remarquer  une  autre  faute; 
car  le  premier  voyage  fe  fit  l'an  i <^o i .&  le  fécond  voyage, 
ou  fut  pareillement  le  Roy,  en  160^.  pour  l'affaire  de  So- 
bole  5  que  M.  de  Thou  a  confondu  avec  le  premier,  &  n'en 
a  fait  qu'un  des  deux  qui  doivent  eftre  defcripts  en  divers 

Tom.xiii.  p.  temps. 

^^^'  Quand  il  parle  de  Charpentier,  il  nomme fon  compagnon 

Cruceius ,  duquel  le  propre  furnom  étoit  DeJIoges  ,  fils  d'un 
Avocat  de  ce  nom.  Il  l'appelle  juvenis  Bellovacenfis ,  quoiqu'il 
fut  natif  de  Paris,  rue  St.  Antoine,  paroiffe  de  St.  Paul  :  ce 
que  m'a  raconté  mon  peremefme,  qui  en  l'an  1586'.  étoit 
penfionnaire  chez  le  père  de  ce  Deiloges  ,  lequel  père  étoit 
Tom.  XI.  p.  de  Beauvais. 

"^'  Toutes  les  fois  que  M.  de  Thou  parle  de  M.  de  Fillars 

'Hottdan  ;  il  l'appelle  Louis  de  Monceaux  j  il  s'appelloit  François 

Tom.  VII.  p.  àc  non  Louis. 

l53^»  Sous  Henry  III.  parlant  de  la  mort  de  P.  Danefius,il  dit 

qu'il  eft  mort  dans  le  monaftere  des  Bernardins  ;  ce  qui  n'eft 
pas ,  car  il  mourut  dans  Saint  Germain  des  Prés ,  où  il  s'étoit 

^  Mémoires ,  retiré. 

liY.  u.  p.M.  Parlant  des  Médecins  qui  traitèrent  Monfieur  fon  père 
en  la  maladie  dont  il  mourut ,  il  en  nomme  mal  trois  de  ceux- 
là  ;  car  il  faut  dire  Antoine  du  Val ,  Nicolas  le  Grand ,  &  Si- 
mon Piètre. 


DE  J.  A.  DE  THOU.  47p; 

Remarques  critiques  fur  /'H istoire  de  J.  A. 

D  E  T  H  o  u ,  tirées  ^w  Dictionnaire  de  Bayle, 

édition  d^ÂmJlerdaîn  1730. 

Rticle  d'AsDissi  ,  Remarque  {B).  Monfîenr  de  Tom  iv.  p. 
Thon  dit  que  ce  Patriarche  étoit  Ytnwad  Apofiolorum  54i-_cîclatia- 
limina pontificemfalîitaturus^ut  ab  eo  confirmatus  -partem  de  corpore 
fanBi  Pétri  acciperet.  Qui  ne  s'imagineroit  là-deffus ,  qu'il  étoit 
venu  pour  demander  le  bras ,  ou  quelque  autre  morceau  du 
corps  de  Saint  Pierre  :  car  c'eft  faire  fa  cour  à  Rome ,  que  de 
déclarer  qu'on  y  eft  venu  pour  en  remporter  de  tels  prefens  l 
Mais  je  fuis  perfuadé,  qu'au  lieu  de  partem,  \\  faut  lire  Pal^ 
lium,  comme  il  y  a  dans  Mondeur  de  Sponde,  qui  à  cela  près 
fe  fert  des  mêmes  expreflions  que  Monfieur  de  Thou.  C'eft 
ce  qu'on  peut  voir  dans  fa  continuation  des  Annales  de  Ba- 
ronius  ,  à  l'année  1 5;  62. 

Alciat  {André)  Rem.  {E).  Monfieur  de  Thou  dippo-  Tom.  n.  pag. 
fe.  I.  Qu' Alciat  après  avoir  enfeigné  long-temps  à  Bourges ,  H4. 
fut  profeffeur  à  Avignon  ;  c'eft  tout  le  contraire.  2.  Qu'Alciat 
fortit  de  France  fur  le  déclin  de  fon  âge  5  il  n'avoir  qu'une 
quarantaine  d'années  plus  ou  moins.  3.  Qu'Alciat  de  retour 
en  Italie ,  lut  premièrement  à  Boulogne ,  &  puis  à  Ferrare  î 
il  lut  à  Pavie  avant  que  d'aller  à  Boulogne.  4.  Qu'Alciat  mou- 
rut l'an  15*51  :fon  Epitaphe  marque  le  12  de  Janvier  i^j'o. 
Il  eft  vrai  que  quelques  Auteurs  rapportent  qu'elle  donne 
5  8  ans ,  8  mois  &  4  jours ,  à  Alciat  h  ce  qui  prouveroit  qu'il 
mourut  le  12  de  Janvier  i$$i  :  mais  d'autres  rapportent  qu'el- 
le ne  lui  donne  que  57  ans,  8  mois  &  4  jours,  (i) 

B  E  L  L  A  i  (  Jean  du  )  Rem.  [B).  M.  de  Thou  rappo'rte  à  Fin-    Tom.  m;  p: 
vafion  de  la  Champagne  ,  en  1 544. ,  les  foins  du  Cardinal  du  ^^°- 
Bellai  pour  la  ville  de  Paris.   Il  fe  trompe.   L'irruption  de 
Charles-Quint,  qui  fit  peur  aux  Parifiens,  &  à  Foccafion  de 
laquelle  Jean  du  Bellai  fit  fortifier  leur  Ville ,  eft  de  Fannée 
15  3^:  mais  elle  regarde  la  Picardie. 

B  o  D  I  N  (  Jean  )  Rem.  (  J)  Remarquons  ime  contradidion    Xom.  vu.  p. 
de  M.  de  Thou.  Il  dit  dans  le  livre  l  x  1 1 1.  que  Bodin  ayant  4éo. 
apperçu  que  fes  remonftrances  contre  les  complots  de  ceux 

(  I )  Ghilinl ,  Teatro  de    i^etterati  ,  farte  l,  p.  ii l, 


/Î^So  PIECES  CONCERNANT  L'HÎSTOIR,E 

qui  voLiloient  enfraindre  les  Edits  de  pacification  feroient 
inutiles  ^  s'abftint  de  parler  de  cette  matière  :  Cum  -uideret  ho- 
mofuturiprovidus,  &c.  Mais  quelques  pages  enfuite  il  nous  ap- 
prend que  ce  même  Jurifconfulte  s'oppofa  vigoureufement 
à  la  fadion  de  Mrs.  de  Guife  ,  lors  même  que  les  cahiers 
des  Etats  ayant  été  prefentez  au  Roi,  il  fembloit  que  la  com- 
miiTion  des  députez  étoit  expirée.  L'opofition  rouloit  fur  le 
defïein  de  renouveller  la  guerre  contre  ceux  de  la  Religion. 
Les  partifans  du  Duc  de  Guife  avoient  gagné  le  Clergé  & 
la  Noblelle  :  ces  deux  corps  formoient  fouvent  des  conven- 
ticules  pour  éloigner  les  propofitions  de  paix.  Bodin ,  qui  à 
caufe  que  les  députez  de  Paris  étoientabfens,fe  voyoit  alors 
à  la  tête  du  Tiers  Etat ,  s'oppofa  avec  beaucoup  de  courage 
à  ces  pratiques  5  &  quand  on  lui  eut  dit  que  la  chofe  avoit 
été  ainfi  réfoluë  dans  les  Etats  ,  &  que  l'aflemblée  n' avoit 
plus  d'autorité  :  «  Vous  êtes  donc  des  rebelles ,  leur  répondit- 
il  hardiment ,  &c.  »  Et  cum  illi  ita  in  comitiis  conventum  di^ 
.  cerent,  &c.  Il  étoit  neceffaire  que  je  fifle  voir  la  contradidioii 
de  M.  de  Thou  :  il  avoit  diminué  notablement,  &  fans  fujet, 
l'honneur  de  Bodin. 
Tom.  vil.  p.  BusBEc  {Auger  Gijlen)  Rem.  {H).  M.  de  Thou  ne  de- 
?;5'  volt  pas  oublier  qm5  Busbec  étoit  Ambadadeur  de  l'Empe- 

reur à  la  Cour  de  France.  Il  a  fait  tout  ce  qu'il  falloit  pour 
que  fes  Lefteurs  s-imaginaffent  que  Busbec  n'y  avoit  eu  au- 
tre caradere  ,  que  celui  d'Agent  de  la  veuve  de  Charles 
iX. 

(/)  Il  acheta  des  terres  m  France  ^  &  fembloit  vouloir  s'y  fixer.  ] 
C'eft  M.  de  Thou  qui  me  l'apprend  :  je  rapporterai  le  pailage 
tout  entier ,  parce  qu  il  confirme  ce  que  j'obfervois  tantôt  5 
lavoir ,  qu'il  ne  tient  pas  à  M.  de  Thou  que  nous  n'ignorions 
abfolument  le  caradere  que  Bufbec  avoit  en  France  de  la 
part  de  fa  Majetté  Impériale.  Il  y  a  d'ailleurs  dans  ce  pailage  je 
ne  fai  quoi  qui  pourroit  furprendre  les  Ledeurs.  Elizabetha 
Caroli  uxor  vidua  —  in  Germanium  ad  Maximilianum  patrem 
fe  contulit  j  reliâo  in  Gallia  qui  res  fuas  procuraret  ^  Augerio 
Gijlenio  Bujhequio  —  qui  toto  vita  Elifabethce  tempore  in  Gai-- 
lia  manjit  j  dr  pofi  mortem  ejus  ,fiv^  loci  commoditate  y  fiye  in- 
geniorum  amœnitate  captus ,  comparatis  apud  nos  pradiis  larem 
fi^it ^  donec  his  calamitofis  uhimis  temp.oribm  cum  ncvam  paîriam 

déférer ç 


D  E    J.    A.    D  E    T  H  O  U.  48  r  | 

deferere  èogeretur  3  eum  cegre  fe  itineri  accingentem  mors  opprejjit.  1 

On  concluroit  de  là  naturellement:  i.  Qu'après  la  mort  de  \ 

la  veuve  de  Charles  IX ,  rien  ne  retint  le  Sieur  de  Busbec  \ 

en  France  que  les  agrémens  qu'il  y  trouvoit:  2.  Qu'il  fe  paffa  j 

beaucoup  de  temps  depuis  la  mort  de  cette  Reine  jufques  ■ 

au  départ  de  fon  réfident  ;  car  acheter  des  Terres  dans  un,  I 
pays,  &  y  fixer  fa  demeure  jufques  à  ce  que  la  dernière  des 
fept  ou  huit  guerres  civiles  vous  en  chaile ,  font  des  chofes 

qiii  (ignifient  plus  de  fept  ou  huit  mois.  Cependant  voilà  tout  i 

le  fejour  de  cet  honnête  homme ,  depuis  la  mort  de  la  Reine  l 

fa  maitreffe.  Je  n'en  veux  point  d'autre  témoin  que  M.  de  ', 
Thou.  Il  dit  que  cette  Reine  mourut  fur  la  fin  du  mois  de 

Janvier  1 5-5)2 ,  &  que  Busbec  deceda  vers  la  fin  du  mois  d'O-  ; 

â:obre  de  la  même  année.  En  cet  endroit-là ,  l'Hiftorien  ne      Tom.  xi.p;  \ 

donne  pour  caufe  du  départ  que  la  mort  d'Elifabeth.  Cum  î^7.  i 

vero  ille  (  Busbequius  )  pofl  principis  bene  de  fe  mérita  obitum  \ 

in  Belgium ,  hoc  eft  j  inpatriam ,  cwn  tota  familia  remeaturus  ad  1 

iter  fe  açcinxif^eî.  \ 

BuTEO  {Jean)  La  guerre  civile  de  Religion,  qui  defola     Tom.  iv.p^  i 

le  Royaume  &  qui  caufa  fur  tout  dans  le  Dauphiné  un  fu-    ^'^*  ! 

rieux  bouleverfement  —  le  fepara  de  fes  Livres  ,  car  il  fut  ; 

contraint  de  quitter  fa  refidence  &  de  s'en  aller  à  Romans ,  j 

où  il  mourut  de  chagrin  l'an  1 5'6'4,  âgé  de  foixante  &  quinze  1 

ans.  C'eft  M.  de  Thou  qui  le  débite  >  mais  un  autre  Hillo-  ! 
rien  plus  croyable  là-deflus  que  M.  de  Thou ,  afTure  que  Buteo 

mourut  l'an  15"  (5o.  dans  TAbbaïe  de  Saint  Antoine.  Rem.  (5)  .  ! 

Cet  Hiftorien  eft  M.  Chorier  (  i  )  :  La  préférence  que  je  lui  j 

donne  vient  de  ce  que  fon  ouvrage  fe  renferme  dans  la  Pro^  j 
vince  de  Dauphiné.  Par  confequent  la  prefomption  eft  qu'il 

a  travaillé  fur  des  Mémoires  plus  exads  que  M.  de  Thou  ,  j 

en  ce  qui  regarde  les  hommes  illuftres  de  cette  Province  ;  car  | 

M.  de  Thou  ramaftbit  indifféremment  des  Mémoires  touchant  1 

les  hommes  illuftres  de  tout  pais ,  &  il  ne  traitoit  cela  que  com-  | 

niç  un  petit  acceftbire.  Son  application  principale  regardoit  ' 
l'Hiftoire  de  France ,  &  même  celle  de  toute  l'Europe. 

Camden  {Guillaume)  Rem.  (F)  &c.   [  M.  Bayle   fait 
ici  plufieurs  reflexions  fur  la  correfpondence  que  M.  de  Thou        -  .      , 

eut  avec  Camden  au  fujet  de  fon  Hiftoire  :  mais  il  n'avoic  ' 

(i)  QX\on^x  Ahregé  àiï mfioin  ik  D/tu^kiné,  cité  par  Teiffier ,  E/^je/ to.  II.  p.  40 3,  ; 

Tome  J(K  Ppp  1 


4^2        PIECES   CONCERNANT   L'HISTOIRE 

pas  les  fecoLirs  neceiTaires  pour  mettre  cette  affaire  dans  tout 
fon  jour.  Il  lui  manquoit  pîufieurs  pièces ,  qui  n  avoient  point 
encore  vu  le  jour  ,  &  que  nous  avons  inférées  dans  notre 
quinzième  Tome ,  pag.  224.  6c  fuiv.  ] 
Tom.  în .  p.  C  A  N I N I  u  s  (  Angelus  )  Rem.  {A)  Al  et  oit  d'une  petite  vil- 
ïS8.  &  ton  e  /^  ^g  Tofcane ,  qit'on  nomme  en  Latin  Anglara.  ]  M.  de  Thou 
ne  fçavoit  pas  que  cette  Ville  eft  dans  la  Tofcane  :  il  l'a  con- 
fondue avec  une  ville  du  Milanez  nommée  Angleria  ,  ou 
Anglaria  ;  car  ayant  dit  que  Magius  étoit  né  à  Anglara ,  ville 
de  la  Duché  de  Milan ,  il  ajoute  que  cette  ville  nous  avoit 
déjà  donné  Angelus  Caninius. 

{B)  M.  de  Thou  met  fa  mort  à  Pan  i5'5'7.  ]Il  l'avoltmife 
à  l'an  15  5"  4-.  dans  les  premières  Editions.  Voyez  la  dernière 
page  du  I  Tome  de  l'Edition  in-S^^  à  Paris  1 60^. 
Tom.  ï.  pag.       Castellan  (  Pierre  )  Rem.  (  U).  M.  Bayle  obferve  que 
ïSi.  M.  de  Thou  a  cru  que  François  I.  donna  la  charge  de  grand 

Aumônier  à  Caftellan  :  mais  que  c'eft  une  faute  ,  puis  qu'il 
n'eut  cette  charge  que  fous  le  règne  d'Henri  II.  le  25  de 
Novembre  15"  47. 
Tom.  IV.  p.       Caval  GANTE  (  G?//Jo).  N'ajoutcz  point  de  foi  à  M.  de 
^  ^'  Thou ,  quand  il  dit  que  Guido  vécut  en  même  tems  que  Pé- 

trarque ,  &  que  nous  avons  encore  des  vers  que  Pétrarque  lui 
adrefla.  Guido  mourut  avant  que  l'autre  fut  né. 
Tom. XI, pag.       DoNEAu  {Hugues)]kQw\.{D).  Selon  le  narré  de  M.  de 
3^^*  Thou  il  faudroit  croire  que  Doneau  en  fortant  de  France  s'en 

alla  à  Leide  :  or  cela  eft  faux  5  il  fut  depuis  fa  fuite  Profefteur 
à  Heidelberg  avant  que  de  l'être  dans  la  Hollande.  Outre  ce- 
la, M.  de  Thou  s' eft  trompé  à  l'âge  de  ce  Profefleur  :  il  lui 
donne  autant  de  vie  qu'à  Cujas  ,  c'eft-à-dire ,  foixante-huit 
ans  ••>  &  néanmoins  l'Epitaphe  de  Doneau  (  i  )  témoigne  qu'il 
mourut  la  foixante-quatriéme  année  de  fa  vie.  Je  m'étonne 
que  M,  de  Thou  ait  ignoré  que  le  Zacharie  Furnefterus  dont 
Tom.  VI.  pag.  il  parle  eft  notre  Doneau  :  c'eft  lui ,  qui  fous  ce  faux  nom  re- 
^^^'  futa  l'Apologie  dumaflacre  de  Paris,  envoïée  à  la  diète  de 

Pologne  en  i5'72.  par  l'Evêque  de  Valence.  [Si  Mr.  Bayle 
avoit  confulté  l'Epitome du  Livre  li  1 1  ,  il  auroit  trouvé  que 
M.  de  Thou  y  dit  exprelfément  que  c'étoit  Doneau  qui  fe  dé- 
guifa  fous  le  nom  de  FurneJIerus.^ 

(i  )  A^ud  Meurjfum  Athen.  Bat.  p.  1 3  i» 


DE   J.    A.   DE   T  HOU.  483 

G  A  R  D I E  (  Pontus  de  la  )  Rem.  {A).  M.  de  Thou  dit ,  Pon-  Tom.  vm.  p. 
îus  GardÏHS  nobili  loco  apudnos  in  Petrocoriis  natus  ;  voulant  fans  +^'^- 
doute  marquer  par-là  que  Poiitus  de  la  Gardie  étoit  né  dans 
îe  Perigord  5  ce  qui  n'eft  pas  vrai.  Sa  faute  peut-être  vient  de 
ce  qu'il  avoit  oui  dire  que  Pontus  de  la  Gardie  étoit  né  à  Pei- 
regoux.  C'eft  une  Seigneurie  au  Diocefe  de  Cadres  :  elle  ap- 
partenoit  à  lafomillede  la  Gardie,  6cc'étoit  toujours  le  par- 
tage de  l'aîné. 

HospiTAL  {Michel  de  /')Rem.  (^).  M.  Bayle  fait  voir  Tom.vi. pâg; 
que  le  Chancelier  de  rHofpital  étoit  mort  âgé  d'environ  foi-  '^°'^' 
xante-huit  ans  ,  &  non  pas  d'environ  foixante  &  dix  ans ,  com- 
me Fa  dit  M.  de  Thou. 

HoTMAN  (François)  Rem.  (D).  Si  M.  de  Thou  avoit  Tom.xi.p; 
confulté  les  dates ,  il  n'auroit  pas  dit  que  Jean  de  Monluc  tira  ii?» 
Hotman  de  Laufane  pour  l'établir  à  Valence  :  Laufana  pri- 
màm  docuit ,  &c.  —  Ceux  qui  voient  dans  la  vie  de  François 
Hotman  la  fuite  de  fes  déménagemens  d'une  Ville  à  l'autre , 
ne  feront  gueres  de  cas  des  Mémoires  qui  furent  fournis  à  M. 
de  Thou  y  puifqu'il  dit  qu'après  le  maflacre  de  l'an  15:72.  Hot- 
man s'en  alla  à  Montbelliard ,  &  de  là  à  Baie.  Il  falloir  dire 
qu'il  s'en  alla  à  Genève ,  &  puis  à  Montbelliard ,  enfuite  à  Ge- 
nève ,  &  enfin  à  Baie.  ) 

Rem.  (G).  Le  Brutum fulmen  n'eft  pas  un  écrit  burlefque ,  Tom.  ix.  p: 
comme  M.  de  Thou  le  débite.  C'eft  un  ouvrage  tout  à  fait  ^7^* 
férieux  ,  oii  François  Hotman  réfute  la  Bulle  que  Sixte  V.  pu- 
blia l'an  1^85*.  contre  le  Roi  de  Navarre  ,  &  le  Prince  de 
Condé.  PoJIea^  dit  M.  de  Thou,  &  incenfuram  illamfcripfit 
Franc  if  CMS  Hotmanus  J.  C.jocularifylo ,  lihroque  Brutum  Fulmen 
titulum  fecit ,  quo  &  de  B.  Francifci  &  B.  Dominici  vira  ac  mo- 
ribus  veteres  hijloria  ah  obfoletè  devotis  viris  fcriptdc  ridicule  dif- 
cutiuntur.  Il  ne  s'agit  rien  moins  que  de  cela  dans  ce  Traité 
de  François  Hotman. 

JovE  (P^«/)Rem.  (//).  Je  crains  bien  que  M.  de  Thou  Tom.  ir.pag? 
n'ait  fait  une  faute  :  il  prétend  que  ce  fut  Clément  VII.  qui  re-  5-^.«. 
fufa  à  Paul  Jove  l'Evêché  de  Corne ,  &  que  ce  refus  lui  attira 
des  durerez  dans  les  Livres  du  poftulant.  Cum  ad  Novocomen^ 
fem  epifcopatum  omnibus  votis  anhelaret ,  &c. 

•    J  u  N I  u  s  (  Hadrien  )  Rem.  {A).  Monfîeur  de  Thou  parlant  Xom.  vn.  p^ 
d'Adrien  Junius  dit.  Ad  Armuydam  juxta  Mildeburgum  in  î^^» 

Pppij 


4S4:         PIECES  CONCERNANT  UHISTOIRE 

Mattiacîs  fe  contulerat  ^  ubi  cumfrufira  confilio  &  diligentiafud 
ccncivîbus  lahorantibus  opem  ferre  conatus  ejfet  ^  ex  cœli  muta- 
tione  —  in  lethalem  morbum  incidh.  Il  s'agit  du  Siège  de  Har- 
lem. Or  il  eft  très  taux  que  Junius  ait  Congé  au  foulagement 
de  cette  Ville  lorfqu'il  étoit  à  Armuyden  ;  car  il  n'y  alla  qu'a- 
près la  prife  de  Harlem.  M.  de  Thou  ne  fe  feroit  jamais  expri- 
.  me  comme  il  a  fait ,  s'il  avoit  cru   que   Junius  n'étoit  paf- 

fé  en  Zelande  qu'après  la  prife  de  Harlem.  On  ne  peut  pas 
dire  qu'il  s'agit  là ,  ou  du  Siège  de  Middelbourg ,  ou  du  Siège 
d' Armuyden ,  vu  que  ces  deux  places  ne  furent  point  affie- 
gées  pendant  que  Junius  vécut  en  Zelande. 
Tom.  XI7.  p.  J  u  N  I  u  s  (  François)  Rem.  (  0  ).  M.  de  Thou  s'eft  fort  trom- 
3t\  pé  en  parlant  de  lui.  Voyons  fes  paroles,  i^ir  defultorio  ingenio , 

qui  mulîa  conatus  j  an  adfecutus  fit  quod  moliebatur  doâforum 
erit  judicium.  Lugduno  Batavorum  ,  ubi  diu  profejfius  efi  ^  ob  re- 
rum  novarum  fufpicionem  ah  Ordinibus  Belgii  exaâus  ,  ficutifuo 
loco  diximus  ,  &  Ahorfii ,  ubi  defecit  ^  à  Norimbergenft  Rep.  ho^ 
norifico  fiipendio  invitatus.  Je  n'examine  point  fî  l'on  a  raifoii 
de  dire  que  Junius  étoit  un  efprit  volage ,  &  qu'il  fe  mêla  de 
trop  de  chofes.  Voffius  fon  gendre  l'a  juftifié  folidement  Li- 
deffus ( I ) 5 mais  je  remarquerai  après  lui,  que  M.  de  Thoa 
s'eft  étrangement  abufé,  enfuppofant.  i.  Que  Junius  futchaf- 
fé  par  les  Etats  de  Hollande ,  pour  quelques  foupcons  de  ca- 
bale politique.  2.  Qu'il  fut  attiré  par  les  Magiftrats  de  Nurem- 
berg, &  qu'il  mourut  à  Altorf  3.  Que  lui  M.  de  Thou  a  par- 
ié de  cet  exil  fous  l'année  convenable.  Pour  commencer  par 
cette  dernière  faute ,  je  dis  que  M.  de  Thou  n'a  point  parlé  de 
Junius,  mais  de  Donellus,  lorfqu'il  a  décrit  la  cabale  qui  fut 
découverte  l'an  15"  87.  Junius  étoit  alors  au  Palatinat,  &  ne 
Tom.  xi.pag.  vint  à  Leidc  que  cinq  ans  après.  Perfonne  n'ignore  que  de- 
^'^'  puis  i5'jp2.  jufques  à  fa  mort,  il  exerça  à  Leide  la  profeffion 

en  Théologie.  Ce  fut  Donellus  qui  fe  retira  à  Altorf ,  &  qui 
y  mourut. 
Tom.  vil.  p:       Leovitius(  Cyprien  )  Rem.  (  D  ).  M.  de  Thou  s'eft  troni- 
^^^'  pé  quant  à  la  ville  oii  Leovitius  mourut  :  il  dit  que  ce  fut  à 

Augsbourg.  Il  mourut  à  Lawingem ,  ville  de   Suabe  fur  le 
Danube. 
Tom.  X.  pag.      L  o  G  N  A  c ,  Rem.  (F).  M.  de  Thou  dit  que  quand  Jacque 

(  I  )  VoJfiHs  in  PrAf.  de  Hijlor.  Lat, 


DE  J.  A.    DE  T  HOU.  4Sf 

Clément  donna  un  coup  de  couteau  à  Henri  III.  Morttpefacus  ; 
LoniacHS ,  &  Joannes  Levius  j  qui  aderant  ,  hominem  —  innii- 
meris  vulneribus  confojjum  interficiunt.  Je  ci'oi  que  la  virgule  en- 
tre les  deux  premiers  noms  eft  une  faute  :  car  Montpezat  étoit 
l'un  des  noms  de  notre  Lognac  ,  (  un  de  ceux  qui  eurent 
part  à  la  mort  du  Duc  de  Guife  :  )  mais  fi  M.  de  Thou  entend 
ici  ce  Lognac,  il  fe  trompe  ;  car  il  n'étoit  plus  à  la  Cour  loifque 
Jacques  Clément  aflaffina  Henri  III. 

L  o  N  G  V  I G  (  Jaqueline  de  )  Rem.  (  Y).  Charlotte ,  la  quatrié-  '^^"^-  ^'^'  1^* 
me  fille  du  Duc  de  Montpenfier ,  avoit  été  mifc  dans  un  Couvent 
contre  Pavis  de  fa  mère.  ]  Ceci  me  donne  lieu  de  toucher  à  une 
contradidion  de  Monlleur  de  Thou.  Il  dit  dans  le  Livre 
xxvî  1 1 ,  que  Jaqueline  de  Longvic  étoit  indignée  de  la  clôture 
de  fa  Charlotte  pour  deux  raifons  5  l'une  qu'elle  l'avoir  defti- 
née  au  Duc  de  Longueville  j  l'autre  qu'elle  lui  avoit  déjà  re- 
marqué de  la  répugnance  pour  la  vie  religieufe.  Fremente  ma- 
tre ,  qu£  Carlottam  Longavillano  duci  uxorcm  dejîinaverat  3  & 
jam  tum  animad,verterefibi  videbatur  <£gre  filiam  in  monafiicam 
'vitam  confentire.  Dans  le  li  livre  il  dit  qu'elle  Féleva  à  la  Re-  Tom.vi.pag. 
ligion  Proteftante ,  mais  en  fecret  par  la  crainte  de  fonmarij  3^?» 
&  qu'enfuite  cette  Charlotte  n'aïant  à  peine  qu'un  an ,  fut  jet- 
tée  dans  le  Couvent  de  Joûare  :  yix  annicula  in  Jouanenfe 
A'ïonajlerium  conjeBa.  Si  elle  n'avoir  qu'un  an ,  tout  ce  qu'on 
a  dit  de  fon  inftruclion  &  des  marques  de  fa  répugnance  eft 
faux  &  impofTible.  Il  faut  fans  doute ,  ou  que  ce  grand  Hifto- 
rien  ait  été  dans  des  diftraclions  d'efpritpeu  ordinaires  ;  ou ,  ce 
qui  eft  plus  vraifemblable  ,  qu'il  ait  entendu  par  anniculus  un 
âge  plus  avancé  que  celui  d'un  an.  Mais  fe  trouve-t-il  de  bon- 
nes autoritez  pour  ce  fens-là  ? 

LoTicHius  {Pierre)  {wïnovnmé  Secundus ,  Rem.  (£).  Il  Tora:iiî, pj 
mourut  le  7  de  Novembre  ly^o.  M.  de  Thou,  qui  a  mis  trois  ^^4. 
ans  entre  la  mort  de  Lotichius  &  la  publication  de  fes  Poèfies 
par  Camerariuss'eft  trompé  de  deux  années.  Il  s'eft  auftl  trompé 
en  mettant  cette  même  mort  au  premier  jour  de  Novembre. 

M  A  G  I  u  s  (  Jérôme  )  Rem.  (A).  Magius  étoit  né  à  Anghiari  r^^^^  , 

àans  la  Tofcane.']  En  Latin  on  nomme  cette  ville  Anglara  ,  &  zh, 
il  ne  faut  pas  la  confondre  avec  celle  qu'on  nomme  en  Latin 
Angleria  ou  Anglaria ,  ou  en  Italien  Angiera ,  &  qui  eft  dans 
le  Milanezfur  le  Lac  Majeur,  C'eft  à  tort  que  M.  de  Thou 

Pppiij 


^^6  PIECES  CONCERNANT  L'HISTOIRE 

&  plu fieurs  autres  ont  donné  cette  dernière  Ville  (i)pour  patrie 
à  Magius  :  car  il  nous  apprend  lui-même  qu'il  étoit  d'Anghian 
dans  la  Tofcane. 

Rem.  (C).  M.  de  Thou  n'a  pas  été  allez  bien  inftruit  fur 
l'article  de  Magius.  Il  avoit  bien  oui  dire  que  Magius  avoir 
écrit  quelque  chofe  5 mais,  i.  Il  ignoroit  ce  que  c'étoitj  & 
ainfi  M.  Moreri  ne  devoit  pas  lui  faire  dire  que  c  étoit  un 
Traité  de  Culeo  (2)  ,  &  un  autre  de  Tintinnabulis.  2.  Il  ignoroit 
que  Magius  eut  dédié  l'un  de  ces  deux  livres  à  l' Ambaffadeur 
de  FEmpereur ,  &  l'autre  à  l'Ambafladeur  de  France  ,  &  les 
eut  fuppliez  de  travailler  à  fa  liberté.  3.  Il  ignoroit  qu'ils  y 
euffent  travaillé.  4.  Il  ignoroit  que  celui  qui  fit  étrangler 
Magius  n'étoit  point  fon  maître  :  l'auteur  de  cette  barbarie 
étoit  Mahomet  Baffa  ,  mais  le  maître  de  Magius  n'étoit 
qu'un  Capitaine  de  Vaillèau  (3).  5:.  Il  ignoroit  la  raifon 
pourquoi  on  fit  mourir  cet  illuftre  prifonnier,  puis  qu'il  croit 
qu'on  fe  porta  à  cette  fureur  par  avarice  ^  quafi  bos ,  dit-il,  ve- 
tulus  ab  ingrat 0  aratro  fajîiditus  ^  ab  immani  herofumptibus  par- 
cente  Jîrangulatus  efl.  6.  Enfin  ^  il  n'a  pas  dû  dire  que  Magius 
fut  amené  en  Afie  (  ce  que  bien  d'autres  ont  dit  après  lui  (4)  : 
il  fut  amené  à  Conflantinople ,  &  y  palTa  tout  le  tems  de  fa  fer- 
vitude.  Concluez  de  tout  cela  hardiment  que  le  didionnaire 
de  Moreri  avoit  bon  befoin  d'être  redifié  fur  cet  article ,  qui 
n'y  eft  compofé  que  des  paroles  de  M.  de  Thou. 
Tom.  II. pag,  Majoragius  (  Marc-Antoine  )  Rem.  (G)  i.  M.  de  Thou  ne 
6+6.  devoit  pas  dire  que  Majoragius  fut  appelle  de  ce  nom,  d'un 

bourg  où  fon  père  demeuroit  :  à  Majoragio  vico  in  quo  ejus 
pater  habit  abat  y  ita  vocatus  :  j'ai  déjà  fait  voir  que  fon  père 
s'appelloit  Majoragius.  2.  Son  Epitaphe  dans  le  Alufemn  d'Im- 
perialis  porte  qu'il  enfeigna  pendant  quatorze  ans  :  mais  dans 
le  Théâtre  de  Ghilini  elle  porte  qu'il  n' enfeigna  que  neuf 
ans.  M.  de  Thou  dans  M.  Teilller  fait  ceiler  la  profeûlon  de 
Majoragio  au  bout  de  huit  ans,  &  fuppofe  qu'il  la  quitta 
pour  s'appliquer  entièrement  à  l'étude  de  la  Théologie.  Mon  édi- 
tion de  M.  de  Thou  (  de  Francfort  )  porte  que  Majoragius 

CO  Remarquez  que  M.  de  Thou  la    \        (^3;  Trichetdu  Frefne ,  i«  E/^^is  M^ 
nomme  AngLira^-àinCi  il  ne  fe  trompe 
pas  au  nom  ,  mais  à  ia  pofition. 

(  i)  Nouvelle  faute  :  il  falloît  dire 
'EiHuleo ,  &  non  pas  Culeo. ^ 


gïi. 

(  4  )  S'vvert  in  Llog.   Konïg,  Biblioth. 


DE  J.  A.  DE  THOU.                      4S7  i 

ne  commença  cette  étude  qu  après  avoir  employé  treize  ans  i 

à  inftruire  la  jeiinetle.  3.  Il  dit  dans  le  même  M.  Teiflier  que  ; 

Majoragius  a  vécu  quarante-deux  ans.  L'Edition  Latine  (de  i 
Francfort  )  ne  lui  en  donne  que  quarante.  La  vérité  eft  qu'il 

vécut  quarante  ans  &  près  de  fix  mois.  , 

Maldonat  (Jean)  Jefuite  Efpagnol  ,  Rem.  (^).  Le  Tom.ix.p.  i 
lieu  de  (a  naillance  s'appelle  /as  Cafas  de  la  Reina  :  il  eft  fitué  ^°'  ■ 
proche  de  Lerena  dans  la  Province  d'Eftramadure  ,  &  ap- 
partient au  grand  Maître  des  Chevaliers  de  Saint  Jacques.^  ' 
Maldonat  attefte  toutes  ces  chofes  dans  un  Ecrit  ligné  de  fa  • 
main,  qui  eft  confervé  à  Rome  dans  les  Archives  des  Jefui- 
tes(i).  Ainfi  George  Cardofe ,  M.  de  Thou ,  &  M.  Thiersfe  ', 
trompent ,  quand  il  le  font  Portugais.  ; 

M  o  L  s  A  (  François  Marie  )  Rem.  (  C).  Il  mourut ,  non  pas  Tom;  i.  p.                  j 

l'an  1548,  comme  l'aflure  M.  de  Thou ,  mais  au  mois  de  Fé-  ^^^'                             , 

vrier  15"  44,  &c.  \ 

MuscuLus  (l^olfgang)  Rem.  (E).  Il  fe  borna  aux  Le-  l'om.iv. p:                   i 

fons  de  Théologie  y  &  refufa  la  Chaire  de  Prédicateur  qui  lui  fut  '                \ 

offerte.  ]  Ceci  montre  que  M.  de  Thou  ne  devoir  pas  dire  j 

que  Mufculus  exerçoit  à  Berne  la  charge  de  Pafteur ,  Pa/io-  ^ 

ris  munere  defungens.  i 

Navarre  (Marguerite  de  Valois  Reine  de  )  Sœur  de  Fran-  Tom,  i.  p;                   . 

cois  I.  Rem.  (M).  Le  lieu  où  elle  mourut  eft  en  Bigorre.  ^^^'  ] 

Olhagaray  le  nomme  Endos  ,  d'autres  le  nomment  Odos.  \ 
Odofii  Bigerronum  decejfït,  dit  M.  de  Thou.  Je  croi  que  M.  de 

Sponde  qui  étoit  de  ces  quartiers-là  marque  mieux  que  tous  I 

les  autres  Ecrivains  le  nom  du  Château  où  elle  mourut.  Il  le  ! 

nomme  Audos.  y^pud  Âudojjium  Caftrum  in  Bigerronibus  vi-  \ 

îamfinivit  (2)  J'ai  dit  ailleurs  que  les  Pariiiens  prononcent  la  ; 

diphtongue  au  comme  Xo  :  c'eft  qui  aura  trompé  M.   de  i 

Thou.  i 

NuLLY  (3)  (Charles  de)  ad  an.  1 5*48.  M.  de  Thou  &  Mezeray  Tom.  r.  p;                  \ 

après  lui,  fe  font  trompés  en  l'appellant  Eftienne  au  lieu  de  H^.                              • 

Charles.  Ils  conviennent  tout  deux  que  celui  qui  alla  à  Bour-  ; 

deaux  étoit  au  Traité  de  Crefpyror  c'étoit  Charles  de  Nully  .         j 

qui  étoit  certainement  Plénipotentiaire  à  cette  Paix ,  &  de  ! 

(i)  Tiré  de  Natan.  Sotuel.  Biklioth.    j        (i)  Cet  article  a  été  communiqué  a  ' 

Scriptor.  Societ  pag.  475.                          j    M.  Bayle  par  M   Marais  ,  Avocat  aif  ' 

(z)  S^ondanus  ad  a».  1549.                     1    Parlement  de  Paris.  ; 

1 

■        \ 


488        PIECES   CONCERNANT  L'HISTOIRE 

plus  il  n'y  a  point  eu  à'EJîienne  de  Ntilly  Maître  des  Requê- 
tes que  le  Prefident,  qui  ne  le  fut  qu'en  1571. 

Toai.vii.p.       K AS AK\o{  Je an-Baptijîe)  Rem.  (C).  Ce  que  M.  de  Thou 

^■^^'  dit  de  i'eftime  de  Philippe  II.  pour  Rafario  a  été  inconnu  au 

Ghilini  ,  &  je  m'en  étonne.  Ce  Prince  commen(^a  à  con- 
noître  le  mérite  de  Rafario  ,  lorfqu'il  palîa  par  Milan  pour 
aller  en  Allemagne  l'an  i5'48.  M.  de  Thou  ajoute  qu'il  lui 
promit  de  grands  avantages  pour  l'attirer  en  Portugal ,  &  pour 
lui  faire  accepter  une  Charge  de  Profefleur  dans  l'Académie 
de  Conimbre  h  mais  que  Rafario  s'en  excufa  fur  fon  âge ,  & 
ne  pût  néanmoins  lui  refufer  d'aller  cnfeigner  l'éloquence 
dans  Pavie ,  lui  ayant  l'obligation  de  la  liberté  &  de  la  reftitu- 
tion  des  biens  de  fon  frère  qui  avoient  été  déjà  confifquez. 
M.  de  Thou  fe  trompe  à  l'égard  de  la  Chaire  de  Profefleur 
à  Conimbre  :  car  Philippe  II.  ne  fe  rendit  maître  du  Portugal 
qu'en  1580,  &  Rafario  mourut  l'an  15*  7  8,  après  avoir  enfei^ 
gné  pendant  quatre  années  dans  rUniverfité  de  Pavie.  Ce 
grand  Hiftorien ,  attentif  à  d'autres  chofes  plus  eflentielles  à 
fon  Ouvrage ,  n'examinoit  pas  aiïèz  ce  qui  concernoit  la  vie 
des  hommes  dodes  :  mais  ceux  qui  ont  recueilli  ce  qu'il 
en  a  dit ,  dévoient  y  joindre  les  corredions  neceflaites. 
Tom.iii.p.       RoHAN  {Renée  de) '^Gw\.  (A).  Au  refte ,  je  ne  prétend 

ïSo»  pas  que  le  Vidame  de  Chartres  foit  mort  quinze  ou  feize 

jours  après  le  Roi  J'ai  feulement  voulu  dire  qu'en  fe  réglant 
fur  M.  de  Thou,  il  faudroit  en  juger  à  peu  près  ainfi  :  mais 
au  fond  je  ne  confeillerois  à  perfonne  de  s'y  régler.  Ma  rai- 
fon  eft  que  M.  de  Thou  a  fuivi  le  Prefident  de  la  Place  , 
qui  n'a  obfervé  en  cet  endroit  aucune  exaditude  Chrono- 
logique. Car  voici  fon  ordre ,  &c, 
Tom. ïx  p.       Ronsard  {Pierre  de)   Rem.  [B)   Aprez  avoir  ccnfu- 

4^3»  ré  Claude  Binet  d'avoir  dit  que  la  nailTance  de  Ronfard  » 

arrivée  le  même  jour  que  François  I.  fut  pris  devant  Pavie , 
dedommageoit  la  France  de  la  prifon  de  fon  Roi^M.Bayle 
ajoute  :  ce  Mais  que  dira-t-on  de  M.  de  Thou  ,  ce  grave  ,  ce 
»  vénérable  Magillrat ,  qui  a  débité  fort  ferieufement  la  même 
»  penfée,  dans  une  Hiftoire  générale  qui  efl:  un  chef-d'œuvre  ? 
»  Natus  erat  (Petrus  Ronfardus  )  dit-il ,  eodem  quo  infeliciter  à 
o>  noftris  ad  Ticinum  ptignatum  eft  amio  y  ut  ipfe  in  Ekgia  ad 
»  Kemigium  Bella^Heum  fcribit  j  quafi  Dens  ja^uram  nominis 

»  Gai/ici 


DE  J.  A.  DE  THOU.  4^5? 

»  Gain  ci  eo  pralio  faBam ,  &  fecutum  ex  illo  veluti  nojîrantm 
x>  remm  interitum ,  tanti  viri  ortu  compenjare  voluerit.  Remar- 
»  qiiez  bien  que  M.  de  Thou  ne  met  pas  à  un  même  jour 
»  la  naiilance  de  ce  Poëte  &  la  bataille  de  Pavie  :  il  ne  les  met 
«  qu'à  la  même  année.  Mais  Claude  Binet  ne  trouvant  point 
?j  là  un  allez  beau  jeu,  ni  allez  de  merveilleux,  alTura  que  ces 
35  deux  chofes  arrivèrent  le  même  jour,  &c. 

Rosier  (  Hugues  Sureau  du  )  en  Latin  Hugo  Surceus  Rofarius. 
Dans  la  note  marginale  [b)  M.  Bayle  remarque  que  M.  de 
Thou  dit  Sorellus  Roferius  au  livre  xxxiv ,  &  Sorelius  Rofarius  au 
livre  LUI. 

Sturmius( /^tr^wfx)  Rem.  (A).  M.  de  Thou  fe  trompe  en      Tom.  n.pi 
difant  que  Jacques  Sturmius  mourut  dans  fon  année  Clima-  ^^^' 
Ûerique.  Son  Epitaphe  (i)  porte  qu  il  mourut  dans  fa  foixante 
&  quatrième  année. 

TwoT  [Jacques)  Rem.  (C).  Il  mourut  non  pas  l'an  i6o^,  Tom.xir.  pi 
comme  le  dit  Monfieur  de  Thou,  mais  quelque  tems  aupa-  ^.^^s 
ravant.  Cette  faute  de  M.  de  Thou  a  été  remarquée  par  M. 
Morellus  dans  fes  additions  au  Suecia  Litterata  de  Jean  Schef- 
fer  (2)  Il  y  a  un  livre  imprimé  l'an  1602.  (3)  où  l'on  trou- 
ve l'éloge  fuiiebre  que  Jean  Jeffenius  à  Jeflen  Médecin  de 
FEmpereur  confacra  à  Jacques  Typot.  Quelques  Auteurs  di- 
fent  que  Typot  mourut  l'an  1 6'oo.  (4)  On  trouve  dans  la 
Préface  du  fécond  Tome,  Symbolorum  Pontificum ,  Regum  , 
ô"  Principum  O^avii  de  Strada ,  datée  du  15  de  Mars  i6'02, 
qu'il  étoit  mort  après  avoir  achevé  l'explication  des  fymboles 
d^  CQ  fécond  Tome. 

VERGERfus  (  P/>fT^  PW)  Rcm.  (F).  M.  de  Thou  dit  que  Tom.iv.pi 
Vergerius  publia  fon  livre  contre  l'indidion  du  Concile  fous  ^"^-* 
Pie  iV.  peu  de  tems  après  avoir  quitté  la  Rehgion  Romaine  j 
montra  diploma  ilhid  Raulus  Vergerius  Jujîinopoiitanus  quondam 
Epifcopus  &  magnis  legationibus  fub  Pontificibus  defunôîus ,  qui 
paulo  ante  ab  iis  âefecerat  5  mais  il  fe  trompe  :  il  y  avoit  plus 
de  XII  ans  que  Vergerius  faifoit  profelTion  du  Protedantifme. 

Ursin  (  Z^f/^^r/>)Rem.  (C).  M.  de  Thou  n'avoit  pas  de  ^  J°"^"  ^^^^^ 

[i)  Apud  Mehh.  A'famum  in  Vitiiju- 
r'ijc.  p3<^,  95. 

(i)  Pag.  443- 

(0  C'ert  le  fécond  tome  Symhoïorum 
Qct^'ViiStr-7d&   Voiez  M.  MolÏQtUS  Hj' 


669' 


po7/2n.  ad  St'.eciam  Litteratam ,  p.  444. 

{■^j  Wîtte  3  in  D:arîo  'Biograph.  Moilc- 
rus  ubifnpra.  Valere  André  Biblioth.  Bel- 
^i<r.  pag.  4J2.  dit  qu'il  mourut  environ 
i'an  1600. 


Tome  XK  Q  ^  ^. 


Tom.  xï.  p. 


if$o       ]?ÎECES    CONCERNANT  L'HÎSTOÎRH 

bons  Mémoires ,  lorCqu'il  publia  que  les  Froteftans  du  dioce- 
fcàQ  Cologne  s'aifemblerent  l'an  1582  ,  pour  ouïr  le  Prédi- 
cateur Zacharie  Urfin  que  le  Prince  Jean  Cafmiir  leur  avoit 
envoyé.  Uriin  renonça  au  métier  de  Prédicateur  après  quel- 
ques tentatives  dont  il  fut  lui-même  peu  fatisfait.  Il  ne  bou- 
gea de  Neuftad  depuis  qu'il  y  eut  été  établi  :  &  il  étoit  11 
caffé  &  Il  infirme  en  15"  82,  qu'il  n'éroit  nullement  propre  à 
la  Million  de  Cologne.  Ce  fut  Jean  Stibelius  qui  alla  au 
pays  de  Cologne  avec  le  Prince  Jean  Cafimir,  en  qualité  de 
fon  Miniilre.  Philippe  Pareus(i)  fon  neveu  a  relevé  cette  faute 
de  Monfieur  de  Thou ,  &  nous  a  fait  fçavoir  en  même  temps 
que  ce  Jean  Stibelius  fut  depuis  Minidre  de  Coiu-àHeidel- 
berg,  &  Confeiller  du  Prince,  &  qu'il  mourut  Pan  155)5', 
premier  Miniftrc  de  Creutznac. 

Zanchius  (  Jérôme  )  Rem.  (£).  i.  Martyr  quitta  l'Italie  Pan 
i5'42.  Zanchius  fit  la  même  cliofe  l'an  1550.  Ainfi  ces  paro- 
les de  M.  de  Tliou  ne  font  point  exades  :  lîieronymus  Zan- 
chius —  paulû  pojl  Pétri  Aiarîyris  —  difcejfum  ob  eandem 
caufam  Avgentinam  concejjit.  2.  Elles  font  fautives  d'un  au- 
tre côté  '■>  car  Zanchius  n'alla  à  Strasbourg  qu'après  avoir  fé- 
journé  environ  neuf  mois  dans  le  païs  des  Grifons  ,  &  au- 
tant de  temps  à  Genève  (2)  3.  Vermilio  in  Angliam  evocato 
anno  54  inînunere  fuccejjlt.  Ce  Latin  peut  fignifier  que  Pierre 
Martyr  s'en  alla  en  Angleterre  l'an  1554.  Mais  cela  eft  faux, 
il  y  alla  en  1547.  Ne  prenons  point  les  chofes  à  la  rigueur  5 
accordons  à  M.  de  Thou  que  l'année  dont  il  parle  ne  con- 
cerne que  Pinftallation  de  Zanchius  5  nous  ne  laifferons  pas 
de  le  critiquer  juftement,  puifqu'il  eft  sûr  que  Zanchius  fut 
inftallé  l'an  1$$^  >  non  en  la  place  de  Martyr,  mais  en  celle 
d'Hedion.  SucceJJit  ei  (  Cafpari  Hedioni)  in  jirofefjlone  Hiero- 
nymiis  Zanchius  îtalus.  (3)  Gim  anno  quinquagefimo  tertio ,  in 
demortui  Gajparis  Hedioni  s  lociim  theokgus  ,  cjui  in  fchola  fa- 
cras  lîteras  àoceret  3  effet  fu^ciendus ,  ah  amplijjimo  illius  reipubL 
inagifiratu  <&  fcJiolarchis  decretum  eft  )  îtaîum  quemdayn ,  Mar- 
tyri  non  abftmilem  ,  vocandum.  ïttîm  ergo  primum  eft  à  Cœlio 
Jecundo  Curione  j  cui  ea  cura  ab  Argentoraîenfibus  demandata  , 


[\)In  vita  Tyanjid.  Parei p  m.  ip. 
(2.)  Melch.  jidam-  in  Vit.  Theol.  exler. 


(7,)  Melch,  Adam,  in  Vit,  Theol.  Germy     ^ 

p.  242.  ,; 


DE    J.    A.   DE    T  HO  U.  ^pt 

ûà  comitem  Martinengum  :  <& ,  cum  hic  Ecclefiam  Genève  plan^ 
tatam  defiituere  nollct ,  ad  îjîum  Zanchium  quem  deinde  Ar^ 
gentoratum  ipji  etiam  fcholarch<e ,  miffis  benevolentiœ  plenis  lite-* 
ris  i  invitarunt.  Il  eft  vrai  que  la  Lettre,  (i)  qui  lui  fut  écrite 
par  Jacques  Sturmius  au  nom  des  Scholarques  de  Strasbourg  , 
lui  offroit  les  mêmes  emplois ,  ôc  les  m^êmes  gages  que  Pierre 
Martyr  avoit  eus  5  mais  cela  n'emporte  point  qu'il  lui  fucceda 
proprement  parlant.  4.  Il  ne  fortit  de  Chiavenne  que  pour 
aller  profeffer  la  Théologie  à  Heidelberg  :  on  a  donc  tort 
de  lui  affigner  un  pofte  dans  Baie  entre  fa  fortie  de  Chia- 
venne &  la  vocation  au  Palatinat.  5.  On  fe  trompe  encore 
davantage  lorfqu'on  allure  ,  qu'il  n'alla"  au  Palatinat  qu'en 
ijyS.  Il  y  alla  dix  années  auparavant.  6.  On  ne  devoir  pas 
omettre  qu'il  y  alla  pour  enfeigner  la  Théologie  dans  Hei- 
delberg ,  &  qu'il  l'enleigna  dans  cette  Univerfité  jufques  aux 
troubles  qui  s'élevèrent  contre  les  Dodeurs  Calviniiles  , 
après  la  mort  de  l'Eledeur  Frideric  troifiéme  :  on  ne  de  voit 
pas ,  dis-je ,  l'envoyer  tout  droit  de  Baie  à  Neuftad ,  puis  qu'il 
n'enfeigna  dans  cette  dernière  ville  qu'après  avoir  profefTé  huit 
ans  à  Heidelberg.  Ajoutons  une  erreur  de  droit  à  ces  lix  fau- 
tes de  fait.  7.  ce  On  remarque  une  grande  modération  en  fes 
3J  Ecrits ,  &  il  a  toujours  fait  connoître  le  fmcere  deiir  qu'il 
y>  avoit  de  terminer  tous  les  differens  que  la  Religion  a  eau- 
»  fez  :  C  A  R  étant  âgé  de  foixante  &  dix  ans ,  il  adreila  fa  con- 
»  feiïlon  de  Foi  à  Uliûe  Martinengue  Noble  Vénitien ,  Comte 
»  de  Barco ,  &  il  la  donna  au  pubUc  tant  en  fon  nom ,  qu'au 
»  nom  de  fa  famille ,  car  c'eft  le  titre  qu'elle  porte.  Or  dans 
M  cette  confellion  il  protefte  qu'il  n'a  pas  renoncé  limplement 
:;>  &  en  toutes  chofes  à  l'Eglife  Romaine  &  à  tous  fes  dogmes , 
?^  mais  feulement  à  ceux  qui  ne  font  pas  conformes  aux  Ecrits 
»  des  Apôtres  &  à  la  doctrine  qu'elle-même  enieignoit  autre- 
M  fois ,  &  qui  étoit  crue  par  l'ancienne  &  par  la  pure  Eglife ,  & 
3>  que  quand  il  avoit  abandonné  la  communion  Romaine  , 
=1  ç'avoit  été  dans  le  deifein  d'y  retourner,  en  cas  que  cor- 
33  rigeantfes  erreurs,  elle  reprit  fa  première  forme  :  qu'il  fou- 
31  haitoit  de  tout  fon  cœur  que  cet  heureux  changement  arri- 
7i  vât  un  jour  ;  car  qu'eft-ce  qu'une  bonne  ame  peut  fouhaiter 
»  avec  plus  d'ardeur,  que  de  vivre  jufqu'à  la  fin  de  fes  jours 
{ i  )  Elle  eft  la  premierç  du  fécond  Livre  des  Lettres  de  Zanchius.- 

Qqq  ii 


4p2  PIECES  CONCERNANT  L'HISTOIRE 

»  dans  TEglife ,  où  l'on  a  eu  l'avantage  de  renaître  parle  Baptê- 
»  me,  pourvu  que  la  communion  que  l'on  entretient  avec  elle 
30  n'oifenfe  pas  le  Seigneur  ?  »  Luther,  Calvin ,  Jacques  André 
dont  M.  de  Thou  fait  mention  tout  aufli-tôt  comme  d'un 
Théologien  beaucoup  plus  envenimé  contre  î'Eglife  Pvomai- 
ne  ôc  contre  le  Pape ,  auroient  figné  très-fincerement  cette 
confeflion.fde  Foi  de  Zanchius  ;  elle  n'eft  donc  point  une  bon- 
ne preuve  que  Zanchius  différât  des  autres  Miniftres. 

Notes  fur  rHiJloire  de  lac.  Aiig.  de  Thou  y -par  M.IeDuchat  y 

Confeilkr  du  Roi  de  Prujje ,  Membre  de  la  Société  Royale 

de  Berlin  j  &c.  Imprimées  fur  le  Adanufcrit. 

Mem.  p.  7.  ^^  Ermain  Brice.  ]  Germain  de  Eric.  Voyez  les  Notes  de 
Ton:.  I.  de  la  1   "^  M.  dc  la  Monnovc  fur  les  Juzemens  des  Scavans  de  Bail- 
letjtom.  II. ai  Article  i3r/r^,n.  344-.  pag.  285.  edit.  de  raris 
1722,  in-4°. 
Ib.  p.  39.  &       Aonius  Pakarius  qui  fut  brûlé.  ]  M. de  Thou  Ta  dit  aufll  dans 
li^,'^'  ^^S-  fon  Hiiioire,  mais  &  lui,  &  M.  Dupuy  fe  font  trompez.  Le 
corps  fut  brûlé ,  il  eft  vrai,  mais  Palearius  avoit  été  auparavant 
pendu  &  étranglé.  C'eft  ce  qu'a  remarqué  M.  de  la  Monnoye 
dans  fon  Menagiana ,  Paris  1 7 1  <> .  tom.  I.  pag.  2 1  ^ .  &  fuiv. 
lilà.  p,ioo.       ^(^^^^  Jacques  Stracelles.  ]  M.  Dupuy  n'a  pas  bien  fçu  le  pré- 
nom de  ce  Profeiïeur  ,   puis  que  dans  la  vie  de  Guillaume 
Budé  par  Louis  le  P.oy  j  il  y  a  de  ce  même  Profeifeur  une 
Epigramme  Grecque  fousfignée  Joannes  Stracelius.  L'abrégé 
de  Gefner  le  nomme  Joannes  Strafelius ,  d'où  peut-être  Strazel y 
comme  on  lit  dans  Brantôme ,  tom.  L  pag.  23  8.  de  la  première 
édition  de  fes  Hommes  îlluftres  François.  M.  Bayle  dans  le 
texte  de  l'Ait.  Samblançai  (  Renaud  de  Beaune  )  le  nomme 
mal  Stracel ,  en  quoi  M.  Difs  Tradudeur  du  De  Vitaj  &c. 
de  M.  de  Thou ,  ne  l'a  pas  imité,  aïant  rendu  Stracelius  par  Stra- 
celles, conformément  à  Y  Index  Thuani, 
Hîft.Tonî.ï,       Olivier  Maillard  qui  étoit  un  traître  &  un  /ce  1er at  "]  Olivier 
P*  ^^'  Maillard  Cordelier ,  Breton  de  nailîance  ,  mort  dans  fon  Cou- 

vent de  Narbonne  fan  1^02.  Selon  la  Croix  du  Maine,  il: 
avoit  été  ConfelTeur  du  Roi  Charles  VIII.  &  l'Hiftoire  lui 
reproche  de  s'être  lailfé  corrompre  par  un  barillet  de  pièces 
d'or  j  pour  porter  ce  Prince  fon  pénitent,  à  reflituer  le  Rouf- 


D  E  J.  A.  D  E  T  H  O  U.  45)5 

filloii  au  Roi  d'Armgon^jfans  rembourfement  de  la  fomme, 
pour  laquc4le  ce  Comté  avoir  été  engagé  à  la  France.  Le 
Verger  d'Honneur  ,  &c.  Ouvrage  de  ce  temps-là  ,  au  feuil- 
let 14.1,^. 

One  que  î  Frère  Olivier  Maillart , 
Ne  fit  mieiilx  du  gros  Pape/art , 
Pjteferay  ,  iV/y  pièce  quelcune  , 
Qui f oit  d'or  y  ïHen  euffè-je  que  une  .^' 
Pour  chacer  ce  divers  hazart. 

'Martin  Fan-Rojfiem  ]  De  Rojfheim  ;  &  non  pas  de  Rof-  ibid.  p.  i<^ 
fem  comme  dans  Y  Index  Thuani.  Il  ne  tint  alors  qu'à  Martin 
de  Rofsheim  de  s'emparer  d'Anvers  ^  mais  il  en  perdit  l'oc- 
cafion ,  &  fe  fît  mocquer  de  lui.  Voyez  Hubert  Thomas ,  vie 
de  TEledeur  Palatin  Frideric  II ,  Francf.  in-4  -.  i  ^24.  pag.  248. 
Du  refte  ,  Rojfemium  Se  Rcffemum ,  comme  on  lit  ailleurs  dans 
M.  de  Thou,c'eft  toujours  Rojf/ieim  en  François,  &  non  pas 
Rojfiim  ,  ni  Rojfem  ,  comme  on  lit  dans  le  même  Inde:)^ 
Thuani. 

Ce  Chriftierne  II.  eftîe  même,  qu'Erafme,  dans  celui  de  ,,.,  ^  . 
fes  Colloques  qu'il  a  intitulé  Puerpera ,  qualifie  de  pius  Evan- 
gelîi  fautor ,  apparemment  parceque  Chriftierne  étant  beau- 
frère  de  l'Empereur ,  la  Politique  obligeoit  le  bon  Erafme  à 
louer  ce  méchant  Prince ,  au  moins  par  quelque  endroit.  Il 
mourut  en  lyjp.  dépouillé  de  fon  Royaume.  Voyez  la  Nate 
de  Pierre  Rabus  j  fur  cet  endroit  de  ce  Colloque 

RoccandG/fe,']Le  nom  de  cette  famille  eft  Roggendorff,  Se  ibid.p. <?;] 
félon  Buddeus ,  celui-ci  s'appelloit  Guillaume.  Ces  Comtes  , 
originaires  de  la  Styrie ,  mais  établis  dans  l'Autriche  depuis 
environ  l'an  i45'o,  n'étoient  d'abord  que  Barons.  Dans  la  fuite 
l'Empereur  leur  conféra  la  dignité  de  Comtes  h  ôcc'eft  d'un  de 
ces  Meffieurs  que  dans  Faenefte  iv.  20.  il  eft  dit  qu'il  mourut  de 
faim  à  Paris  ,  après  avoir  amené  &  exploité  quatre  armées  au 
Je  cour  s  de  nos  Rois. 

Foreft-moufrier  ]  On  lit    Fer-monfiier  dans  Brantôme  ,  pag.    ibid.  f,  77} 
340.  du  tome  i.  de  fes  Hommes  lUuftres  François,  ce  qui 
îemble  approcher   plus  du  Latin  de  Monfieur  de  Thou  , 
i^Firmum-Monaficïium)  que  non  pas  Forejî-Moujîier  ou  Mon-^ 

Qqqiij 


^94  PIECES  CO>XERNANTX'HîSTOIRE 

y//>r,  comme  on  lit  dans  les  Mémoires  de  du  Bellay  ,  fous 
l'année  i  )45 .  &  dans  Y  Index  Thuani. 

Jbid.p.  179.  Il  ne  plaça  dans  l'Evifcopat  que  des  gens  pleins  de  fcience  ô^ 
de  vertu.  ]  Il  y  a  dans  le  latin  ,  Ferè  honos  &  doclos.  Sanderus , 
dansfonLivre^^f/Y??^^  Ecckfi^s  ^wg-//c^ ,  parlant  de  ces  Eve- 
ques ,  avoit  dit  minime  malos ,  ce  qui  leur  étoit  encore  plus 
honorable.  Cependant  ce  que  M.  de  Thou  ne  difoit  ici  que 
fur  la  foi  d'un  tel  garant  ,  fut  pris  en  mauvaife  part  par  les 
Jefuites  ,  qui  en  firent  une  groile  affaire.  Voyez  les  Epures 
Franfoifes  écrites  à  Jofeph  Scaiiger  ,  pag.  i6o.  du  Recueil 
de  Jacques  de  Rêves. 

Ibid.  p.  I8^  Jean  de  Mendoze ,  &c.  ]  Il  ne  feroit  pas  aifé  de  fçavoir 
quelle  étoit  fa  charge,  fi  on  ne  trouvoit  dans  Beze,tom.  I. 
pag.  80.  ôc  81.  de  fon  Hift.  Eccl.  que  Jean  Mendoze  étoit 
Maître  -  d'Hôtel  chez  le  Roi.  Ainfi  regiorum  difpenfatorum 
princeps ,  figniiîe  proprement  ici  premier  Maître-d' Hôtel.  Slei- 
dan,iiv.  18.  fous  l'année  15*47^  dit  que  le  Roi  François  I. 
avoit  pris  à  fon  fervice  ce  même  Mendoze ,  après  que  l'Em- 
pereur Feut  banni  de  l'Efpagne. 

|;bia.  ^.  zio.  Jacques  Toufan  ]  Jacques  Toufan ,  ou  plutôt  Thoufan  étoit 
de  Troyes  en  Champagne^  &non  pas  de  Rheims.  Voyez  le 
Baiilet  de  Monfieur  delaMonnoye,  tom.  II.  art.  ^82.  pag. 

|:bid.p;z87;  Come  Gheri  Eveque  de  Tayence.  ]  Sleidan  mal -informé-  a 
ici  trompé  M.  de  Thou.  Côme  Gheri  étoit  Evêque  ,  non 
pas  de  Faenza ,  mais  de  Fano.  Beaucaire  ,  liv.  xxv.  de  fon 
Kiftoire ,  ne  le  qualifie  pas  autrement  :  &  Côme  Gheri  lui- 
même  ,  au  devant  de  neuf  de  fes  Lettres  ,  inférées  parmi 
les  Epiftolde  Clarorum  Virorum  ,  &c.  Venife  1556".  met  tou- 
jours Epifcopus  Fanenfis. 

^id.  p.  3i?f.  Je  Cardinal  de  Guife.']  Louis  de  Lorraine  ,  Cardinal  de 
Guife.  Il  avoit  donc  reçu  le  chapeau  fous  Paul  III.  pour  le 
moins  àhs  l'année  i  J4p.  Et  cependant  Meff.  de  Ste  Marthe, 
au  mot  Semnenfes  de  leur  Gallia  Chrifiiana  ,  mettent  fa  pro- 
motion feulement  au  11  Décembre  1 5"  5"  3 . 
Tom.  ïi.  p:  Le  Çieur  de  Jours.']  Claude  d'Anglure ,  Seigneur  de  Jours, 
^'^'^'  Colonel  de  la  Légion  de  Champagne ,  dès  Tannée  1 5"  5"  2  ,  fé- 

lon M.  de  Thou  5  quoique  fuivant  le  P.  Z^aniel,  dans  fon  Hifl, 
de  la  Milice  Francoife  j  éditd'Amft.  1722.  tom.  II.  pag.  234., 


Ï3  E   jr.    A.    D  E    T  K  O  U.  4P^ 

î'înflitutlon  des  Légions  fous  Henri  II.  ne  foit  que  de  Tannce 
175-8.  Brantôme,  au  relie,  tom.  IV.  pag.  ^8.  de  fes  hommes 
iilurtres  François  remarque  que  le  bon  M.  de  Jours  fe  fit  de 
la  Religion  5  &  il  laifle  entrevoir  que  pour  cela  même ,  la  Cour 
ne  voulut  point  i'emploïer  aux  premières  guerres  de  Reli- 


gion. 


La  Seille.  ]  Il  y  a  dans  le  latin  Sara.  Saar  ,  dit  VlndexThuani,  ibîd.  p.  304^ 
mais  mal.  Voïez  le  Lexicon  de  Ferrari ,  au  mot  Sala.  En  eifet, 
la  Sare ,  Sara ,  &  la  Seille  ,  Sala ,  quoi  qu'allez  voilines  ,  font 
deux  rivières  différentes.  La  Seille  fort  de  Fctang  de  Lindre , 
entre  Dieufe  &  Marfal ,  &  paffe  à  Metz,  s'y  jettant  dans  la 
Mofelle ,  à  un  coin  des  murailles  de  la  ville  appelle  la  Tour  au 
Diable  j  au  lieu  que  la  Sare  a  fa  fource  dans  la  Lorraine  Alle- 
mande, &  entre  dans  la  Mofelle  feulement  au  deffous  de 
Thionville  ,  fans  approcher  de  la  ville  de  Metz  de  plus  de  dix 
îieuës.  M,  de  Thou  auroit  donc  du  dire  Salam ,  &  non  pas  Sa- 
ram. 

Xifie  Betulée  mourut  à  Auihourg ,  oà  il  ctoit  né.  ]  Birck  (  Xyfle)  ibid.  p.  44?., 
en  Latin  Betuleius  éroit  de  Memmingen ,  Âugnjla  Drufi  ,  & 
non  pas  d'AugHJla  f^ndelicorum ,  qui  eft  Augsbourg.  Voïez 
ia  note  de  Monfleur  l'Abbé  d'Olivet,  au  bas  d'une  des  pa- 
ges de  la  Préface  de  fa  Traduction  de  Ciceron  de  N attira 
Deorum. 

Le  Comte  de  Vulenfort.  ]  l'^ulfenfort  dans  Brantôme ,  hom-  ibid.  p:  4(rr< 
lues  illuftres  François  tom.  III.  pag.  38. 

On  découvrit  alors  que  les  Cordeliers  de  Aletz  dévoient  livrer  xbid.  p.  5^0, 
la  Ville  aux  Impériaux.  ]  Il  n'y  a  plus  de  Cordeliers  à  Metz , 
&  c'eft ,  je  penfe ,  depuis  &  à  l'occafion  de  cette  entreprife. 
Ceux  qui  la  firent  y  étoient  connus  fous  le  nom  de  Ireres  Bau- 
des,  efpece  de  CordeUers  du  Tiers- Ordre,  appeliez  par  les 
Ecrivains  Latins  Fratres  Gaudentes  ,  parce  qu'à  la  différence 
des  Obfervantins ,  ils  poffédoient  des  biens-fonds  qu'ils  ad- 
miniftroient  par  eux-mêmes ,  &  des  revenus  defquels  ils  joûif- 
foient  jufqu'à  s'en  ébaudir,  Beze,  tom.  III.  pag.  457.  &  fuiv. 
defonHiftoire  Ecclefiaftique ,  parlant  de  cette  conjuration^ 
Bomme  pour  chef  du  complot  certain  Frère  Léonard,  Gar- 
dien des  Pieds-defchaux  qui  feroientdonc  les  mêmes  qu'on  ap- 
j^elloit  communément  Frères  Baudes. 

ÇhriJIopkle  Baron  de  Polleviller  j  frère  de  Nicolas  j  &c,  ]  C'é-  6^j^^'  ^'^'  ^ 


495  PIECES    CONCERNAIT  L'HISTOIRE 

îoient  des  Gentilshommes  d' Aiface  ,  où  celui-ci ,  Baron  de 
PoUweiler ,  avoir  de  belles  terres.  Il  étoit  d'ailleurs  Gouverneur 
de  Haguenau  ,  &  Colonel  entretenu  au  fervice  d'Efpagne  ,  à 
la  manière  de  ce  tems-là.  Voyez  le  projet  de  la  vie  du  Cardi- 
nal de  Granvelle  par  T Abbé  Boifot ,  dans  les  Mémoires  de  Lit- 
térature du  P.  Des  xMolets  ^  toni.  IV.  p.  ij-j. 

ibld.  p.  i85.  Le  moine  Luc  de  Bruges.  ]  Il  y  a  dans  ie  texte  Latin  Bruç^enjt  y 
iifez  Burgenfi  y  s'agiûant  ici  de  Lucas  Paciolus  Religieux^Fran- 
cifcain,  iurnommé  Burgenfis  du  Bourg  S.  Sépulcre  fa  patrie. 
Luc  de  Bruges  eit  le  nom  d'un  autre  Auteur. 

îbid.p.  3^).  Guillaume  de  Paris  ]  Guillaume  furnommé  Parifienfts ,  Eve- 
que  de  Paris  en  1228.  L'Auteur  des  Noxatïones  in  Tlmant  Hif- 
îorias ,  1^14.  pag.  6^.  (  Voïez  cy-deilus  dans  l'extrait  qui  en  a 
été  donné  p.  448,  )  fuppofant  avec  fa  fuffiifance  ordinaire,  qu'il 
s'agit  ici  de  l'Hiftorien  Matthieu  Paris ,  reprend  avec  infulte 
Al.  de  Thou ,  de  l'avoir  mal  nommé  Guillaume  &  ne  s'apper-^ 
çoit  pas  que  l'Auteur  pade  d'un  Théologien  François  du  xiii. 
lîécle  ,  &  non  pas  de  Adatthieu  Paris  moine  Anglois ,  qui  n'a 
rien  écrit  en  Théologie. 

^îlft. P.41Î.  Gilles  nommJ  àPEvêché de  Tortone.']  Il  y  a  dans  le  Latin; 
Epifcopus  Drqffenfis.  Comme  il  n'y  a  point  d'Evêché  de  ce  nom 
en  Elpagne ,  ï Index  Thuani  remarque  qu'ici  Droffenfis  elt  un 
nom  corrompu.  En  effet ,  il  faut  lire  ou  Dertqffenfîs ,  ou.  Der- 
îufcnfis ,  s'agilfant  icy  d'un  Gilles  Prédicateur  de  FEmpereur, 
qui  l'avoir  nommé  àï'Evêché  de  Tortofe.  Bayle,  au  mot  Char* 
les- Quint,  Rem.  vS'.  not.  marg.  (70)  edit  de  1730. 

îbicî;p,48;.  C'^cjl  du  Roi  Hugon,  quon  appella  Huguenots  &c.  ]  On  a 
long-temps  appelle  en  France  Hu'éts  les  hérétiques  du  pays , 
&  cela  apparemment  parce  qu'aufli-tôt  qu'on  en  remarquoit 
quelqu'un  dans  les  rues ,  lesenfans,  les  écoliers^  &  le  peu- 
ple crioîent  fur  lui  hohu  ^  hchu ,  comme  dans  Rabelais  livre  V, 
chap.  12.  Frère  Jean  fur  Grippeminaud ,  qu'il  prenoit  pour  un 
hérétique  j  qui  vouloit  marier  les  Moines.  Ue  bonne  preuve 
de  ce  fait,  c'eft  ce  que  rapporte  le  Valcfiana ,  pag.  120.  Ôc 
Î2I.  comme  tiré  de  nos  Annales,  qu'en  Tannée  1584.  un 
certain  Frère  Prêcheur  dit  en  chaire  ,  qu'il  vouloit  ctre  appelle 
Huët ,  s'il  ne  prouvoit  évidemment  &  par  de  folides  railons, 
que  la  Ste  Vierge  avoir  et  i  conçue  dans  le  péché  originel.  Huét 
li'eft  pourtant  qu'un  dlmiiutif  de  Hué  corrompu  du  prenons 


DE   J.   A.    DE    T HOU.  4P7 

Nugtte  :  mais  ce  fobriquet  avoit  cela  de  commode  qu'il  fem- 
bloit  tout  propre  à  défigner  les  hérétiques  comme  gens  qu'on 
devoit  huer  j  &  il  y  a  bien  de  l'apparence  que  ce  même  fobri- 
quet n'a  ceflTé  tout-à-fait  en  France  que  pour  faire  place  à  ce* 
lui  de  Huguenot ,  qui  n'étant  auffi  qu'un  diminutif  de  Hugue, 
ou  plutôt  de  Hugon ,  a  femblé  très-propre  à  caraderifer  par- 
mi nous,  cette  nouvelle  efpéce  de //«m  que  jufques-là  nous 
avions  confondus  avec  les  Luthériens  d'Allemagne.  Hugo  , 
Hugoms ,  Hugonottus  ,  dit  Ménage  dans  fes   origines  Fran- 
^oifes.  Huguenot  y  au  refte ,  eft  le  nom  d'une  famille  de  Chau- 
mont  en  BafTigni ,  &  lui  Jean  Hugenot  de  cette  famille  figna 
comme  fubftitut  du  Procureur  Général  la  clôture  du  Procès- 
verbal  de  la  Coutume  de  fa  ville  en  ijjp.  lorfque  les  Hu- 
guenots de  France  n'étoient  encore  connus  que  fous  le  nom 
de  nouveaux  Luthériens.  De  prétendre  avec  quelques-uns,  que 
les  Réformez  du  Royaume  de  France  ayent  été  nommez  Hu- 
guenots ,  par  rapport  aux  defcendans  de  Hugues  Capet ,  qu'ils 
appuyoient  contre  les  prétentions  de  la  maifon  de  Guife  à 
la  Couronne ,  je  n'y  vois  nulle  apparence ,  puifque ,  dans  le 
fonds  ,  un  tel  fobriquet  auroit  fait  honneur  aux  Réformez, 
&  que  cependant  il  eft  fur  que  ce  furent  leurs  ennemis  qui 
le  leur  donnèrent.  Le  nom  ridicule  &  odieux  de  Huguenot ,  dit 
plus  haut  M.  de  Thou. 

Un  Libelle  . . .  intitulé  le  Tigre.  ]  Un  ennemi  déclare  du  Ju-  ibid.p.  $iif 
rifconfulte  François  Hotman  lui  attribua  ce  Libelle.  Voyez 
M.  Bayle  à  l'Article  Hotman  Rem.  N.  &  Guife  (  François  de  ) 
Rem.  L  édit.  de  1750.  C'étoit  une  infolente  Satire  qui,  dès  ce 
tems-là ,  reprochoit  apparemment  au  Cardinal  de  Lorraine , 
ces  mêmes  Amours  reprefentées  quatorze  ans  après  dans  un 
Tableau  dont  parle  le  chap.  7.  du  I L  Livre  de  la  Confefllon 
de  Sanci. 

Jean  de  Bretagne,  ]  Vierg  (  ^ergobretus  )  de  la  Ville  &  Cité     Tom.  ir.  f; 
d'Autun.  Beze  tom.  L  pag.  474.  de  fon  Hiftoire  Ecclefiaftique.  ^^* 

Du  Chefne  Lallier,  ]  La  Chefnaye  Lalier,  C'eft  ainfi ,  &  non  Ibid.  p.  n; j 
pas  Du  Chefne  Lallier  ,  comme  dans  l'Index  Thuani  ,  qu^eft 
nommé  ce  Gentilhomme  par  Beze,  tom.  IL  pag.  j(^p.  de 
fon  Hift.  Eccl.  Dans  Brantôme  pag.  2  5'p.  de  fon  Traité  des 
Duels ,  on  lit  mal  Mailler  pour  Lalier  >  mais ,  à  cela  près ,  fott 
Qom  eft  auftl  La  Chefnaye, 

Tome  XF.  Rrr 


4^)7        PIECES  CONCERNANT  L'HISTOIRE 

Ibîd.  p.  6C0.      Jean-Baptijîe  Gello  j  Cordonnier,  ]  Le  Gelli  étoit  Chaufletîef,  1 

Calzaimlo  5  &  non  pas  Cordonnier ,  Calzolaio.  De  plus ,  il  fa-  \ 

voit  fort  bien  le  Latin.  Voïez  le  Baillet  de  M.  de  la  M^nnoye  j 
au  mot  Gelli  N*^  1004,  tom.  III.  p.  i;jo. 
Xbîd.  p.  601.       Cafialion.  ]  Son  nom  de  famille  eft  Cafiillon, 

Ibid.  p.  «3?.      Jean  Boteon.']  Cefavant  à  qui  M.  Bayle  n'a  donné  d'autre  | 

nom  ,  que  celui  du  Latin  de  M.  de  Thou ,  s'appelloit  Bourrelé  \ 

d'im  nom  que  les  payfans  du  Dauphiné  donnent  au  Bufard  j  j 

parce  que  cet  Oifcau  eft  le  bourreau  de  leur  volaille.  Or  corn-  | 

me  Buteo  eft  le  nom  Latin  du  Bufard  3  de  là  vient  que  dans  le  i 

Latin  de  M.  de  Thou  Buteo  eft  le  furnom  de  Jean  Bourreh  \ 

Guillaume  des  Autels ,  pag.  2p.  d'un  Receuil  de  fes  Poëfies  j 

intitulé  Repos  de  plus  grand  travail , 'Lyon  chés  Jean  de  Tour-  | 

nés  1 5*  5  0  ,  adrefle  une  Epigramme  à  M.  Severin  Bourrel ,  Cha-  \ 

noine  en  l'Eglife  de  S.  Bernard  de  Romans.  Cette  Eglife  ôc  ; 

quelques  autres  encore ,  comme  le  remarque  Du  Chefne ,  liv.  ; 

IV.  chap.  3.  de  fes  Antiquitez  &c.  avoient  été  ruinées  dans  \ 

les  premières  Guerres  de  Religion.  Ainfi ,  il  eft  probable  que  i 
ce  fera  le  Chanoine  Bourrel ,  qui  en  fera  mort  de  chagrin  à 

Komains  en  i  ^  54  ;  puifque  comme  on  voit  dans  Bayle  au  mot  : 

^«?^o  ,1e  Mathématicien  £o;/rr^/ étoit  mort  dès  l'année  15  do  ,  ] 

dans  l'Abbaye  de  S.  Antoine  à  quelques  lieues  de  là.  j 

Tom.  T.  p.       "^^  -^^^  ^^  Navarre  qui  protège  oit  Françoife  de  Rohanfa  paren*  j 

-ï«;«  te.2  Françoife  de  Rohan  étoit  fille  d'Ifabelle  d'Albret,  fille  \ 

de  Catherine  de  Foix  &  de  Jean  d'Albret ,  fur  lequel  Fer-  i 

<linand  le  Catholique  avoit  ufurpé  la  Haute-Navarre ,  détenue  ' 

alors  par  Charles  V.  petit  fils  de  Ferdinand.  Le  Roi  François  I.  j 

avoit  voulu  marier  cette  Ifabelle  avec  le  Comte  Palatin  ,  qui  ! 

depuis ,  fous  le  nom  de  Frideric  1 1.  fucceda  à  fon  frère  dans  ] 

l'EÎedorat  j  mais  ce  mariage  n'eut  pas  lieu ,  parce  qu'Ifabelle  1 

s  étoit  déjà  engagée  avec  René  I.  du  nom.  Vicomte  de  Rohan,  j 

Comte  de  Porhoet,  qu'elle  époufa  effedivement  en  i  y  3  5".  I 
Touchant  ce  deflein  qu'avoit  eu  François  I.  de  marier  Ifabelle 
d'Albret  au  Comte  Palatin  Frideric,  voyez  Hubert  Thomas 

dans  la  vie  de  ce  Prince ,  liv.  x.  p.  15)  j,  où ,  foit  dit  en  paflant,  { 

on  trouve  que  l'Empereur  Charles  V.  qui  comme  détenteur  j 

aduel  du  Patrimoine  de  la  maifon  d'Albret ,  vivoit  en  inimitié  i 

ouverte  avec  cette  maifon ,  parloit  d'Ifabelle  comme  d'une  j 

perfonije  que  Frideric  fe  feroit  fait  tort  d'avoir  cpoufée.  £"£  ; 


DE  J.  A.  DE  THOU.  4PP 

cur ,  difoit  un  jour  Charles  à  l'Auteur  de  cette  Hiftoire,/r^  ; 

à  me  Vienna  difcejfit  mus  Pnnceps  (  le  Comte  Palatin  )  ?  Die  ,  i 

inquam  ,pertuamjidem,  Quamvoluenint  ilUGalli  in  matrimo^  j 

nium  dure  /  Nonne  Ifabellam  Navarraam ,  bellam  illam  IfubeU  j 

lam  /  Daho  modo  illiprobam  &  pudicam  j  optimis  moribus  injîruc^  j 

îam.  L'offenfeur ,  dit-on ,  ne  pardonne  jamais.  Oh ,  que  ces  ^ 

paroles  de  Charles  vérifient  bien  ce  Proverbe  !  Du  refte  ,  -  \ 

la  perfonne  que  l'Empereur  deftinoit  pour  femme  à  Frideric,  ] 

étoit  la  propre  nièce  de  ce  Monarque ,  fille  ainée  de  Chriftier-  \ 

ne  Roi  de  Dannemarck  j  &  en  effet ,  Frideric  époufa  depuis  i 

cette  Princefle.  i 

Il  en  fut  depuis  blâmé.  "]  A  la  page  (^8p  d'une  HiJIoire  du'  Ibîd.p.  <4^  ; 

tems  &c,  imprimée  en  1 5*70  ,  on  reproche  au  Baron  de  Miram-  ; 

beau  d'avoir  rendu  le  Château  de  Lufignan,  non  pas  faute  \ 

de  vivres ,  ni  de  munitions ,  \x\2is  faute  de  moutarde  pour  manger  | 

fon  bœuffalé.  Mais  d' Aubigné ,  tom.  I.  pag.  440  ,  de  fon  Hiftoi-  j 

re ,  édit.  de  1 6*2 6",  fait  à  cette  occafion  l'Apologie  du  Baron,  • 

&  blâme  la  licence  que  quelques  uns  s'étoient  donnée ,  de  ] 

dire  que  ce  Gentilhomme  n'y  avoit  pas  fait  fon  devoir.  | 

Verbelet.  ]  On  lit  dans  le  Texte  Latin  Verbelio  Pontefio.  Vin-  ibid.  p.  ?4  j;  ! 

dex  Thuani  eft  demeuré  court  fur  le  nom  François  de  ce  Gen-  ; 

tilhomme  ,  duquel ,  plus  haut,  M.  de  Thou  dit  qu'il  étoit  j 

frère  de  l'Evêque  du  Puy  en  Vêlai.  Or ,  dans  le  Gallia  Chrifiia^ 
na ,  l'Evêque  de  cette  ville-là  en  i  ^  ^p  étoit  Antoine  de  Sene-  i 

taire  ,  nom  qui  n'a  de  rapport ,  ni  avec  P^erbelius  ,  ni  avec  \ 

Pontejtus.  Du  refle ,  ce  frère  de  l'Evêque  du  Puy  efl  nommé  ! 

Verbelet  dans  l'Hifloire  de  France  du  P.  Daniel ,  édit.  d'Amft.  j 

tom.  V.  pag.  P42.  ; 

Guillaume  Kir kadey."]  Kircadius,  Lifez  Kircaldius.  Le  nom  ibid.p;^^7;  j 

de  cette  famille  efl  Kircaldy ,  &  Burnet  dans  fon  Hift.  de  la  '^ 

Réf.  d'Angl.  fous  la  première  année  du  régne  d'Edouard  VI, 
parle  du  Chevalier  Kircaldy  Ecoflbis. 

Maggi  Milanois  naquit  à  Anghiari'\  Magius  étoit  né,  non     Totn.vï.p;  \ 

pas  à  Angiara  dans  le  Milanois ,  mais  à  Anghiari  dans  la  Tofca-  *^^*  ^ 

ne.  Voyez  Bayle  au  mot  Magius.  Vlndex  Thuani ,  au  mot  ' 

ylnglara ,  fuppofe  mal  qu'il  y  ait  un  Anghiari  dans  le  Mila-  j 

nois.  ; 

Jaqueline  d^ Entremont,  ]  Cette  Dame  qui ,  après  la  mort  de  ibîd.  p.  z;^  ' 

i'Amiral  fon  fécond  mari ,  avoit  ofé  retourner  en  Savoye ,  fut  i 

R  r  r  i  j  1 


5Û0     PIECES  Concernant  ^histoire 

înife  en  prifon ,  &  y  refta  jufqu'à  fa  mort ,  arrivée  feulement  eri 
15pp.  Oflatj  Lettre  1^6.  Du  refte ,  une  fi  longue  captivité 
qu'effuya  la  Dame  d'Entremont,  n'eut  pour  but  que  de  la  ré- 
duire à  céder  au  Duc  de  Savoye  le  Château  d'Entremont,  do  ù 
ce  Prince  auroit  pu  fort  incommoder  le  Dauphiné ,  où  ce  Chai 
teau  eft  fitué.  Oflat,  Lettre  102. 

Itii  p.  319.  On  mit  Charlotte  dés  fa  plus  tendre  jeunejje  j  &€."}  lî  y  a  dans 
le  Latin  vix  annicula.  Si  Charlotte  de  Bourbon  avoit  à  peine 
un  an ,  lorfque  fa  mère  la  mit  en  Religion ,  quelle  inftruc- 
tionfecrette  celle-ci  pouvoit-elle  lui  avoir  donnée  précédem- 
ment ,  qui  lui  eût  donné  du  goût  pour  la  Religion  Reformée  ? 
11  y  a  fans  doute  ici  faute  dans  le  texte.  Voyez  Bayle  au  mot 
Longvic, 

Ibîa.p.  4»9.  Jean  Coras  ]  Le  Clergé  de  N.  D.  de  Roquemadour  en 
Querci  fe  vantoit  de  pofleder  en  chair  &  en  os  le  corps  de 
St.  Amadour ,  d^où ,  foit  dit  en  paflant ,  le  Proverbe  rapporté 
par  Châtelain ,  au  mot  Amator  de  fon  Vocabulaire  Hagiolo- 
gique  :  en  chair  &  en  os  y  comme  S.  Amadour.  En  1^62 ,  Coras 
arrivé  en  ce  lieu  avec  l'armée  Huguenote  3  découvrit  que  ce 
prétendu  Corps-Saint  n'étoit  qu'un  os  qui  fembloit  avoir  ap- 
partenu à  une  épaule  de  mouton.  Beze ,  Hift.  Eccl.  tom.  1 1 L' 
pag.  85).  &  po.  En  falloit-il  davantage  à  des  gens  bien  plus 
avares  encore  que  fuperftitieux,  pour  faire  mourir  cet  homme  f 

îbid.p.  ^35.  -^^  Capitaine  Mirant.']  Le  nom  de  ce  brave  Officier  de 
mer  étoit ,  non  pas  Mirant ,  comme  on  lit  dans  X Index  Thuani , 
mais  Mirande.  C'eft  ainfî  que  le  nomme  d'Aubigné  ,  tomv 
IL  liv.  I.  ch.  II.  fous  l'année  i5"73.  Cette  famille  eft  Ro- 
cheloife ,  &  depuis  trente  ans  réfugiée  à  Berlin. 

Tom.  Tii.  p.       Pendant  trente  ans  qu'ils  entretinrent  entr*eux  un  commerce  de 

^^7*  /mr^j,],  Ajoutez  huit  à  ce  no^iibre  d'années.  M.  de  Thou  ^ 

qui  parle  du  Volume  des  Lettres  de  Melanchton  à  Came^ 
rarius,  publiées  par  celui-ci,  &  imprimées  /«  8.  à  Leipfic  en 
i  j^p  ,  n'ignoroit  pas  que  la  première  de  ces  Lettres  eft  de 
l'année  1^22,  &  la  dernière  du  22  Mars  ij(5'o. 
Ibid. p. ^4j.  ^'^  Cardinal  de  Guife  ...  aujfi  débauché  &  aimant  afttant  la 
table  3  &c,  3  C'eft  lui  que  le  Paflavant  de  Beze  déligne  fous 
le  'bbriquet  de  Cardinalis  lagenifer ,  ou  de  Cardinal  des  bouteil^ 
les  i  &  c'eft  lui-même  qui  fous  ce  dernier  nom ,  eft  encore 
défigné  au  chap.  22.  de  l'Apologie  pour  Hérodote,  Le  Jour- 


DE  J.  A.  DE  THOU.  Jor  I 

nal  de  Pierre  de  l'Etoile ,  Cologne  1715?-  tom.  I.  pag.  p  i.  dit  : 

qu'on  l'appelloit  le  Cardinal  des  Bouteilles  ,  parce  qu'il  les  ai-  j 

moit  fort ,  &  ne  fe  mêloit  guéres  d'autres  affaires  que  de  celles  i 

de  la  cuifine. 

Paul  Smart  de  Caujfade  de  Saint  Megrin,"]  Madame  de  la 
Vauguion  fœur  du  Marquis  de  S.  Mégrin  de  cette  famille ,  fi-  ibid.  p.  717*  ! 

gnoit  Marie  Stuart  de  Caujfade  •■>  &  comme  apparemment  elle  j 

n'étoit  pas  la  première  de  fon  nom  ,  qui  eût  pris  celui  de  ' 

Stuart  y  de  là  vient  fans  doute  ici  le  Stuartus  de  M.  de  Thou. 
Mais  le  nom  de  la  famille  eft  EJihuer ,  &  il  ne  fe  lit  pas  au- 
trement dans  les  Regiftres  de  l'Ordre  du  Saint  Efprit.  Mem.  ' 
d'Amelot  de  la  Houflaie ,  Amft.  1722.  tom.  I.  pag.  418.  D'au-                                 \ 
très  l'écrivent  EJIuer ,  &c  c'eft  comme  on  lit  dans  le  Journal                                 ' 
de  P.  de  l'Etoile,  tom.  I.  à  la  marge  de  la  page  py.                               ~^           : 

De  Merle  avoit  fait  fondre  deux  canons  de  la  cloche  de  Mende  ;  , 

&c.  ]  D'Aubigné  fous  l'année  i  J77.  tom.  1 1.  liv.  3.  chap.  20.  Tom,  vm.  p;  i 

parle  d'un  Capitaine  Merle ,  Huguenot,  comme  ayant  furpris  '^^-  \ 

la  Ville  de  Mande  une  veille  de  Noël,  à  la  faveur  du  bruit  ; 

des  Cloches ,  &  entre  elles  d'une  qui  étoit  eftimée  ti'avoir  point  \ 

fa  pareille  engrojfeur.  C'eft  fans  doute  celle  que  ledit  Merle  ^  | 

chef  des  Huguenots  du  Givaudan ,  fit  fondre  pour  en  faire 
du  canon.  Le  prénom  de  cet  homme  étoit  Mathieu ,  ôc  ce  j 

Mathieu  étoit  fils  d'un  cardeur  de  laine.  V.  Mémoires  de  la  î 

vie  de  M.  de  Thou  liv.  4.  p.  i$S. 

Chiverni ...le  déclara  criminel  de  Léze-Majefîé.  ]  Voilà  en  j 

1^83.  un  Archidiacre  de  Toul  déclaré  criminel  de  léze-Ma-     Tom.  ix,p; 
jefté.  Le  nommé  yl^^c^ow  fuccefleur  de  François  de  Rofiéres  ^^» 
en  la  même  dignité ,  frifa  la  corde ,  &  fut  banni  pour  crime  de  \ 

faux  fceaux.  C'eft  ce  que  nous  apprend  Gui  Patin  dans  deux  de  | 

fes  Lettres  à  Charles  Spon,  du  5.  Septembre  i6^(j>  &  5.  Mai  \ 

i(5jo  ,OLiron  voit  aufli  que  ce  Machon  étoit  curieux  en  Li- 
vres ,  &  que  même  il  en  avoit  récemment  fait  un ,  où  il  s'étoit  î 
déclaré  grand  Frondeur.  C'eft  le  même  duquel ,  fous  le  nom  de                                 | 
Manchon ,  on  a  imprimé  à  la  fuite  de  la  Satire  Ménippée ,  cdit. 
de  1^26.  un  chétif  abrégé  de  l'Hiftoire  de  Henri  III.  trouvé  ; 
apparemment  dans  quelque  Bibliothèque  ,  en  Flandre  ,  où 
l'Auteur  s'étoit  retiré.                                                                                                î 
François  Torriano.  ]  Turrianus.  Lifez  TorriaHus ,  en  Efpagnol  Ibid.  p.  i-ioî                 ] 
Torrès ,  6c  non  pas  Tmrimo ,  comme  on  lit  dans  P  Index  Thuani,                              \ 

Rrriij  ] 


yo2       PIECES    CONCERNANT  L'HISTOIRE 

îbid.  p. }  5^.  Jean  Comte  Pepoli . .  .fut  étranglé.  ]  Le  prénom  de  ce  Comte 
de  Pepoli  étoit  Jean-Baptijie.  Selon  d'Aubigné  ,  &  félon  la 
Vie  de  Sixte  V,  attribuée  à  Grég.  Léti ,  ce  Seigneur  fat  dé- 
capité fur  un  échafaut ,  &  non  pas  étranglé  dans  le  Palais  du 
Légat. 

îbid.  p.  }7S.  Hotmanchoifitunjîylebadin.'\  Ce  que  dit  ici  M.  deThou; 
&  d'après  lui  xVlezerai ,  que  François  Hotman  écrivit  d'un  ^)Aq 
burlefque  fon  Brutum  Fulmen ,  regarde  à  mon  avis ,  moins  le 
ftyle  du  Livre ,  que  plufîeurs  Légendes  feriales  dont  l'Au- 
teur l'a  égaie ,  fans  parler  de  ce  conte  qu'on  trouve  dans  la 
Nullité ^^.  au.  Gentilhomme,  qui  comparoit  les  clameurs  de 
Sixte  V.  dans  fa  Bulie ,  au  brayement  de  ces  Anes  de  la  Tof- 
cane ,  dont  parle  le  Médecin  Mathiol.  M.  de  Thou  fe  con- 
noiflbit  en  ftyles ,  &  vraifemblablement  il  avoit  lii  le  Fulmen 
Brutum. 
jbid.  Pierre  du  Belloi  compofa  aujftfur  Ce  fujet  un  grand  ouvrage.  ] 
Ce  font  les  Moyens  d'abus  3  &c.  contre  la  Bulle  de  Sixte  V. 
mal-à-propos  confondus  par  quelques  uns  avec  le  Brutum  Ful- 
men de  Hotman.  Belloi  avoit  été  emprifonné  le  4  Juin  1587, 
par  le  crédit  des  Ligueurs ,  pour  raifon  de  fon  Apologie  Catholi-- 
que  i  &c.  publiée  en  i y  85*.  Ayant  depuis  encore  compofé  ces 
Moyens  dahus  ,&c.  imprimés  d'abord  à  Tours ,  puis  à  Am- 
brun ,  &  même  à  Cologne ,  à  en  juger  par  le  titre  de  queU 
ques  exemplaires ,  ce  dernier  Ecrit  fut  caufe  que  Belloi ,  trans- 
féré de  la  Conciergerie  à  la  Baftille,  y  refta  jufqu'en  i^jpi  > 
au  lieu  que  l'Elu  Roland  grand  Ligueur ,  prifonnier  comme 
lui,  par  ordre  du  Roi,  pour  avoir  infolemment  parlé  de  ce 
Prince ,  avoit  été  relâché  quatre  jours  après.  Voïez  la  Chrono- 
logie Novenaire  de  Cayet ,  tom.  I.  au  feuillet  20,  b.  le  Journal 
de  l'Etoile,  Col.  171p.  tom.  I.  pag.  223.  ôc  251.  le  Journal 
du  règne  de  Henri  III.  171P  tom.  II.  pag.  17.  &  le  Die- 
tionaire  de  Bayle  à  l'Article  Belloi. 

Ibîd.  p.  3S5.  Charles  de  Cojfé  Comte  de  BriJJac.  ]  Brijjac  eft  le  nom  d'un 
Château  fitué  fur  une  Montagne  proche  la  Ville  de  Mande 
en  Givaudan.  Origine  des  Cardinaux  édit.  de  1(^70.  pag.  108, 

Jbid.  p.  411.  Jean  Crato.  ]  Le  furnom  de  ce  Médecin  Allemand  étoit  von 
Krafftheim ,  à  quoi  répond  Crato ,  du  Grec  Kparo^  robur.  Voïe^ 
la  Vie  de  Mélancthon,  édit.  de  i5'p2,  p.  ^6.  où  l'Auteur 
;iomme  Adam  Crato  un  autre  favant  Allemand ,  qui  fe  nom-. 


DE  J.  A.  DE  THOU.  ^of 

liiolt  Kraphth  en  fa  Langue.  Dans  Vander  Linden ,  le  Méde- 
cin Crato  fe  furn Jînmoit  à  Crafftheim ,  au  devant  des  Ouvrages 
qu'il  publioit  en  Latin. 

Les  Députez  du  Clergé ,  de  la  Nohlejfe  &  du  Peuple  au  nombre  Ibîd.  p.  èiyi 
de  quatre  cens  ,  &c.  ]  Le  nombre  des  Commiflaires  nommez 
n'étoit  que  de  quarante-deux ,  encore  n'y  en  eut-il  que  trente 
fix  qui  aÏÏifterent  au  jugement.  Abrégé  Hiftorique  des  Ades 
Publics  de  Rymer ,  tom.  II.  pag.  570.  de  l'édit.  in  8^. 

Oweveington.  ]  Lifez  If^erkington  dans  le  Cumberland.  Ra-  ib;a.  p.  ^441 
pin  Hift.  d'Angl.  tom.  VI.  pag.  25*5.  U Index  Thuani  n'a  pu 
rendre  le  Latin  Overcingtonus  portus. 

Guillaume  Alan  de  Lancafire  ]  Guill.  Allen  y  mal-nommé  Toi».  x.  p: 
^ Alain  dans  V Index  Thuani.  Ici,  par  Lancajîrenfis ,  faut-il  en-  ^ih 
tendre  que  le  Cardiual  Allen  étoit  de  la  ville  de  Lancafire , 
ou  bien ,  comme  on  TaffLire  dans  la  Vie  de  Sixte  V.  que  ce 
Cardinal  étoit  de  l'illuftre  maifon  de  Lancafire  ?  Si  c'eft  ce 
dernier,  un  autre  y^Z/^-w,  Juge  de  la  Cour  du  Légat  Wolfey 
en  I  y  19 ,  ne  devoit  pas  être  de  la  même  famille ,  puifque  Ra* 
pin ,  tom.  V.  pag.  150.  de  fon  Hift.  d'Angl.  ne  le  traite  g^ue 
de  certain  Jean  Allen* 

Ilfomma  Teftu  de  remettre  la  Bajîille ,  &  il  eut  la  lâcheté  de  ibid,  p:  xC9. 
lui  obéir.  ]  Dans  le  Journal  de  l'Etoile  ,  17  ip.  tom  I.  pag.  75*. 
le  Chevalier  du  Guet  Laurent  Teftu ,  Gouverneur  de  la  Ba- 
ftille  depuis  l'année  i$'76 y  eft  dépeint  comme  plus  propre, 
difoit-on  ,  pour  le  Gouvernement  d'une  bouteille  que  d'une 
telle  place.  Auftî  eft  il  dit  de  lui  dans  le  Catholique  François  , 
Pièce  compofée  pour  la  défenfe  de  la  Reine-Mére ,  qu'il  ren- 
dit la  Baftille  au  Duc  de  Gm^Q ,  fautes  d'Oranges  pour  faire 
une  capyrotade  de  perdrix  j  &  que  cette  excufe  lui  avoit  mis 
à  couvert  l'honneur  &  la  vie. 

Jean  le  Fevre"]  Lifez  Jacques,  &  voïez  Launoi,  Hift.  du  ibia. p.  pj^ 
Collège  de  Navarre,  Paris  lôyj.  pag.  3^7. 

Comneaux."]  Ce  village  eft  de  la  Sergenterie  du  Mefnil  ,  ibid.p.  ^«i; 
dans  l'Eledion  d'Argentan. 

Gilk  des  Urfins-dArmentieres.']  Au  lieu  des  UrHns,  lifez  ibid. p.^57: 
d'Auchi,  Ce  Gentilhomme  étoit  fils  du  Vicomte  d'Auchi ,  il 
étoit  Seigneur  à'Armentieres ,  &  fon  véritable  nom  étoit  Gilles 
ie  Conjians.  Voïez  les  Annotations  fur  les  Amours  du  Grand 
Alcandre ,  n.  1 0* 


504-        PIECES  CONCERNANT  L'HISTOIRE 

Ibid.p.  tfjo.  Faire  ripaille  fe  dit  proprement  de  ces  petites  débauches 
de  Gargottes ,  où  dQS  Ecoliers  fripons  fe  régalent  en  côtelettes 
ÔL  en  rufieries  ,  comme  on  appelloit  autrefois  les  têtes  de  mou- 
ton que  vendent  les  Tripières  :  & ,  félon  moi ,  ripaille  pourroit 
bien  venir  de  ripp ,  comme  l'Allemand  nomme  ces  os  plat$ 
&  courbes  ,  que  nous  appelions  cotes.  Ceux  ,  au  refte ,  qui 
ont  crû  que  faire  ripaille,  ipour  faire  bonne  chère,  s'étoit  dit  origi^ 
nairement  par  rapport  à  ce  Duc  de  Savoye^  qui  s' étant  re^ 
tiré  à  Ripaille ,  y  faifoit ,  dit-on ,  chère  entière  fous  l'habit  de 
Moine  ,  ceux-là ,  dis-je ,  n'ont  pas  fait  réflexion  que  ce  Prince , 
loin  de  vivre  en  délices  dans  fa  retraite  de  Ripaille ,  y  vivoit 
au  contraire  très-frugalement  aux  yeux  de  tout  le  monde  j  & 
que ,  comme  d'un  côté ,  il  s'étoit  réfervé  tout  le  revenu  de  fes 
pays ,  ce  furent  les  grandes  épargnes  qu'il  avoir  faites  à  Ripail- 
le ,  qui  jointes  à  la  réputation  qu'il  s'y  étoit  faite ,  de  ne  vivre 
plus  que  pour  le  ciel ,  lui  frayèrent  le  chemin  à  la  Papauté. 
Voyez  Spon  Hiftoire  de  Genève,  z  édit.  tom.  I.  pag.  107 
ôc  108. 
Tom,  XI.  pi  La  Croix  de  Malhara.  ]  Cette  fameufe  Croix ,  appelle  Mal-^ 
Sî'H  hara àznsV Index Thîiani ,  eft nommée A/^/c^âir^  par  Rabelais 

dans  l'ancien  Prologue  du  i  v  Livre  ,  à  propos  de  ce  que  ce 
fut  près  de  là  qu'en  1^88  arriva  un  fanglant  combat  entre 
les  Pies  $c  les  Geais,  Peut-être  que  dans  Malchara,  comme 
Rabelais  a  ortographié  ce  mot ,  la  lettre  c  ne  fert  qu'à  marquer 
plus  fortement  l'afpiration  de  Vh. 

Pag.  44S.  Adrien  Cocher i  ]  par  corruption  pour  Gaulcheri ,  comme  on 
lit  dans  le  Journal  de  l'Etoile  tom.  II.  pag.  6^. 

pag  ,.j^  Un  Médecin  nommé  Blancpigmn.']  M.  de  Thou  à  tiré  ce 
fait  ex  ABis  publicatis  ^  des  Mem.  de  la  Ligue ,  tom.  V.  p. 
16 j  del'édit.  de  lypS.  Mais  ces  Mémoires  l'auront  trompé, 
fi ,  comme  l'a  prétendu  Gui  Patin  dans  une  Lettre  écrite  en 
16^2  i  le  Médecin  Blancpigmn  y  natif  de  Troyes  en  Cham-« 
pagne ,  étoit  mort  à  Bayonne  ,  depuis  cinq  ans  feulement  ; 
âgé  de  plus  de  quatre  vingts  ans ,  &  que  de  mémoire  d'hom- 
me ,  il  n'y  avoir  eu  que  lui  de  ce  nom  dans  Bayonne.  Ce 
n'eft  pas  qu'en  15*^2,  il  n'y  ait  eu  à  Bayonne  un  Médecin 
d'exécuté  au  fujet  de  la  conjuration  dont  parle  ici  M.  de  Thou, 
mais ,  félon  Mézerai ,  il  fe  nommoit  Roffius  ,  &  non  pas  Blanc" 
pgnon.  Si  l'on  demande  ce  qui  peut  avoir  trompé  le  eompilateui: 

d€5 


DE    J.    A.    DE    THOU.  jgj- 

des  Mémoires  de  la  Ligue ,  fur  le  nom  du  Médecin  complice 
de  la  conjuration  dont  il  s'agit ,  voici  ma  penfce  là-defTus.  Le 
Médecin  Blampignon,  jeune  encore  ,  s'étoit  apparemment 
ùik  Catholique ,  ou  à  Troyes  même  ,  ou  à  Bayonne.  Or ,  com- 
me parmi  les  Huguenots  ,  on  ne  favoit  qu'en  gros  ,  qu'en 
1 5*5)2  un  Médecin  de  Bayonne  y  avoir  paffé  le  pas  pour  conf- 
piration ,  il  eft  probable ,  que  celui  qui  a  recueilli  les  Mémoi« 
res  de  la  Ligue ,  bon  Huguenot ,  a  fuppofé  que  ce  Medecia 
de  Bayonne  ,  traitre  à  l'Etat ,  n'étoit  autre  que  ce  même  Blam-^ 
pignon  )  qui  avoir  déjà  trahi  fa  confcience  en  changeant  de 
Religion.  D'Aubigné  tom.  III.  liv.  3.  chap.  24.  parle  de  Jean 
Sponde  autre  nouveau  converti ,  lequel  ayant  tramé  une  nou- 
velle entreprife  fur  la  même  ville  ,fe  démêla  de  fes  compagnons 
qui  furent  rouez, 

AMoleque."]  Suivant l'/wi^^cTy^w^w/,  ce  mot  eft  corrompu.  Ibid  p.jj^,^ 
Il  faudroit  pouvoir  confulter  le  Journal  militaire  de  LeJUiguieres, 
d'où  eft  tiré  cet  endroit ,  à  en  juger  par  VEx  Autoribus  du 
liv.   105. 

Mendoza  qi^on  nommoit  par  dérifion  le  Lettré.  ]  L'Efpagnol  Ibid.  p.  7iti 
ktrado  défigne  proprement  un  de  ces  Legiftes ,  qui  abufent 
de  leurs  talens  pour  troubler  les  familles  •-,  &  c'eft  fuivant  l'idée 
attachée  à  ce  mot,  que  les  Efpagnols  de  Cuba  ne  voulurent 
plus  qu'il  paflat  de  ces  letrados  dans  leur  Ifle ,  où  ils  mettoient 
tout  en  confufion  par  leurs  chicanes.  Voyez  le  Didionnaire 
de  Trévoux  de  1721  au  mot  Advocat.  Le  mot  letrado  ne 
doit  donc  être  rendu  en  François,  ni  par  Lettré ,  ni  par  Sa^ 
vantas ,  comme  il  l'eft  dans  les  nouvelles  Notes  fur  le  Ca^ 
tholicon  d'Efpagne ,  mais  par  Chicaneur, 

De  Marins.  ]  V Index  Thuani  nomme  cet  homme  De  Ma^  Tom;  xn.  p. 
vins.  Dans  les  Mémoires  de  l'Etoile ,  imprimez  en  171p.  tom.  "i* 
1 1.  pag.  187.  fon  nom  eft  Marines. 

Chrifiophle  Auhry.l  Mort  à  Rome  le  1 1  May  ii^oi.  Oftat,  ibid.  p.  141; 
Lettre  166, 

René  Chopin^  Si,  comme  le  dit  le  P.  le  Long  pag.  875:.  Ibid. p.  151: 
de  fa  Biblotheque  Hiftorique ,  Chopin  mourut  en  1606  y  quelle 
raifon  peut  avoir  eue  M.  de  Thou  pour  ne  point  parler  de 
la  mort  d'un  homme  qui  a  tant  écrit? 

A  Aquapendente  en  Tofcane  ]  Il  y  a  dans  le  Latin  Patrimo^  Ibij.  p.  i^g^ 
piali  Etruria  oppido.  Du  Ryer  a  traduit  ces  paroles  comm# 
Tome^XK  SfC 


^o'6         PIECES  CONCERNANT  L'HISTOIRE 

fi  la  ville  à' Aquapendente  étoit  un  village ,  dont  le  père  de 
Bencius  eût  été  Seigneur  5  &  M.  Bayle  au  mot  Bencius  Remar- 
que (y^)  a  adopté  en  partie  cette  tradudion,  fans  s'apperce- 
voir,  non  plus  que  M.  Teiffier,  qu'en  cet  endroit  de  M.  de 
Thon ,  Paîrimoniali  Etrurice  oppido  ne  vouloit  dire  autre  chofe  3 
finon  que  la  ville  à' Aquapendente  en  Tofcane  eft  du  Patrimoine 
de  S.  Pierre  en  ce  pays-là.  Acula  feu  Aquula  (  Acquapenden- 
.  te  )  urhs  efl  Hetruria  in  ditione  Pontijicia ,  dit  le  Lexicon  Geogr. 
de  Ferrari ,  au  mot  Acula. 

Ibici.  p.  3  3 1.  Efperant  que  s'il  étoit  condamné  à  huit  dégrés  de  tourmens,  &c.  ] 
Ad  oâfo  j  terme  de  l'ancienne  Phyfique ,  lequel  Jean  Châtel 
avoit  appris  chez  les  Jefuites ,  où  il  avoit  fait  fa  Philofophie. 

îbid.  p.  4; 8.  Anecy  en  Faucigny,  ]  Depuis  le  changement  arrivé  à  Genè- 
ve l'an  i$sS  >  Anecy  a  été  faite  capitale  du  Genevois ,  &  n'eft 
plus  du  Faucigny  ,  comme  l'a  cru  aufli  l'Auteur  de  X Index  Thua- 
ni.  C'eft  de  quoi  avertit  Guichenon ,  dans  fon  Hift.  Généal. 
de  la  Maifon  de  Savoye ,  tom.  I.  pag.  7. 

pid.  p.  4S3.  Jérôme  Anroux,']  Le  Joiu-nal  de  l'Etoile  171p.  tom.  IL  p. 
6,  nomme  Auroux  ce  Magiftrat  :  mais  comme  dans  les  Lettres 
de  Pâquier ,  tom.  1 1.  pag.  5  o(5.  fon  nom  eft  Henroux ,  le  com- 
mentateur de  ce  Journal  ne  fait  fî  le  nom  du  Magiftrat  en  quef- 
tion  eft  Auroux ,  ou  Anroux.  Or  l'Hift.  Chronol.  de  la  Chan- 
cellerie de  France  par  Tefîereau,  Paris  i6q6.  pag.  305).  & 
324.  fous  l'année  i5ip,&fous  celle  de  1^23.  parlant  d'un 
Hiérôme  Auroux  Conf.  Référendaire  en  la  Chancellerie  de 
Paris  ,  &  cet  Auteur  étant  très-exad ,  &  cette  édition  de  fon  Li- 
vre très-correde ,  fi  ,  comme  je  le  fuppofe,  le  Référendaire 
Hiérôme  Auroux  étoit  de  mên^e  famille  que  cet  autre  Hiercme 
dont  parle  M.  de  Thou ,  il  y  a  bien  de  l'apparence  que  le  nom 
de  cette  famille  eft  Auroux  &  non  pas  Anroux ,  comme  s'ap- 
pelloit  ceLigueur  qui  fut  pendu  en  15*^1. 

îbid.  p.  4^0.  Ambroife  Eve  que  ddAuria.  ]  Auria  dans  la  Mauritanie  fut 
long  tems  on  ne  fait  pas  bien  quel  Evêché  in  partibus ,  que, 
peu  avant  la  conquête  d'Oran  par  Ferdinand  le  Catholique  3 
le  Pape  s'avifa  de  faire  revivre  en  faveur  d'un  frère  Louis 
Guillaume  Cordelier.  Cette  ville  qui  pourroit  bien  être  VA^ 
riana  de  Léon  d'Afrique ,  étoit  fi  peu  connue  fous  le  nom 
^  Auria ,  que  d'abord  on  la  prit  pour  Or  an.  Elle  eft ,  dit-on  , 
fituée  à  80.  milles  de  Carthage.  Voïez  Alvara  Gomés,  dansfa 
vie  du  Cardinal  Ximenés ,  Liv.  V. 


DE   J.    A.    DE   THOU.  507 

'  François  de  Mendoze.  ]  Frère  de  cet  Inigo  de  même  nom,  ibicl.p.(îtp. 
lequel ,  envoyé  d'Efpagne  à  Paris ,  vouloit  enfeigner  aux  Fran- 
çois ce  que  c'étoit  que  la  Loi  Salique.  Oflat ,  lettr.  y  i  &  137. 

Il  prédit  le  mois  &  F  année  que  la  paix  fer  oit  conclue.  Non  Tom.  xm.  p. 
pas  la  Paix  avec  l'Efpagne,  qui  ne  fe  fit  qu'en  ijpS  ,  mais  3j.. 
peut-être  le  changement  de  Religion  du  Roi  Henri  IV.  en 
Juillet  15*5)3.  depuis  quoi  en  effet  la  Ligue  vit  peu  à  peu  défiler 
fon  chapelet.  Le  Journal  de  P.  de  l'Etoile  ,  171p.  fous  le 
4-.  Avril  i5'P3.  tom.  IL  pag.  1 10.  a  Ce  jour  Dauger  Advo- 
»  cat  monftra  des  Lettres  que  j'ay  vues  ,  &  que  Bodin ,  à  qui 
»  il  avoit  fauve  la  vie  aux  barricades ,  lui  écrivoit  de  Laon  : 
30  par  ces  Lettres ,  il  lui  mandoit  qu'avant  la  révolution  de 
»  l'année  nous  aurions  du  repos.  ^  Mais ,  falloit-il  donc  être 
Prophète ,  pour  deviner  alors  que  Henri  I  V.  ne  feroit  plus 
gueres  long-tems  Huguenot  \ 

Marefcot  ne  laijfa  pas  cet  écrit  fans  réponfe.  ]   Ou  plutôt  ,  ibid.  p.'j^fi 
fous  le  nom  de  Marefcot ,  le  dode  Médecin  Simon  Piètre 
fon  gendre.  G.  Patin,  dans fes  Lettres  à  Charles  Spon,  Amft. 
17 18.  tom.  I.  pag.  49. 

Butetfils  de  Claude  Butet.  ]  Le  nom  de  cet  Auteur  efl  Marc"  ibid.  p.  551; 
Antoine  de  Buttet.  Il  étoit  Gentilhomme  &  fils  de  Claude  (  Marc  ) 
de  Buttet  Avocat  à  Chamberi ,  dont  on  a  un  petit  in  40.  de 
Poëfies ,  imprimées  à  Paris  en  1 5"  jp.  Guichenon  dans  la  Préfa- 
ce de  fon  Hift.  Généal.  de  la  Maifon  de  Savoie.  Voïez  aulli 
leLong,  Biblioth.  Hiftor.  &c.  pag.  43p.  col.  2. 

Majfimo  Margunio.']  YdiQz  Colomiés,  pag.  204.de  fa  Bi-  Xom.  xiv.p. 
blioth.  choifîe,  édit.  de  id'pp.  58. 

Un  efprit  qui  ri^ avoit  point  de  but  arrêté.  ]  Teiffier  dans  fes  ibij.  p.  j^; 
Eloges ,  &  Bayle  au  mot  François  Junius  Rem.  (  O  ) ,  ont  lu 
tout  autrement  ce  que  M.  de  Thou  dit  ici  de  Fr.  Junius.  Leur 
édition  les  a  trompez  ,  en  ce  qu'elle  fait  dire  mal-à-propos 
à  M.  de  Thou  que  Junius  fut  chafîc  de  Leyde,  &  qu'appelle 
par  le  Magiftrat  de  Nuremberg,  il  mourut  à  Altorf;  ce  qui 
regarde  Hugues  Doneau ,  comme  l'a  dit  en  fon  heu  M.  de 
Thou. 

Charles  de  Simiéne ,  Seigneur  d^Albigni  j  ]  lequel,  de  chef  Ibid. p.  114.' 
delà  Ligue  en  Dauphiné  qu'il  étoit  en  ij88.  s'étant  donné 
au  Duc  de  Savoye ,  tôt  après  la  mort  du  Roi  Henri  III ,  s'étoit 
depuis  toujours  montré  tcès-mauvais  François  au  fer  vice  de 

S  f  f  ij 


yoS       PIECES    CONCERNANT   L'HISTOIRE 

fon  nouveau  maître.  Le  Cardinal  d'OfTat  ,  Lettre  ^.'jS.  le 
traitoit  de  François  renégat  en  i(5o i  ,  à  propos  de  ce  que , 
comme  pour  faire  dépit  au  Roi  Henri  I  V ,  le  Duc  venoit 
de  donner  à  cet  homme  le  Gouvernement  de  la  Savoye. 

Xbid.  p.  41 7t  Robert  Conftantm  vécut  cent  trois  ans.  ]  M.  de  Thou  s'eft  trom- 
pé ,  &  fur  l'année  mortuaire  de  Rob.  Conftantin,  &  fur  l'âge 
de  cet  homme.  Dans  le  Scaligerana  ,  Jof  Scaliger  ,  né  en 
1540  ,  ne  fe  fait  que  de  dix  ans  moins  âgé  que  lui.  Ain  fi , 
en  i6q^,  Rob.  Conftantin  auroit  eu  feulement  75-  ans ,  &  n'en 
auroit  pas  eu  cent  trois ,  comme  l'a  cru  M.  de  Thou  Suivant 
les  Mémoires  de  l'Etoile  17  ip  ,  tom.  1 1.  pag.  3  ^8  ,  Rob.  Conf- 
tantin n'eft  mort  qu'en  May  16 1\.  Mais  comme  d'ailleurs  l'Au- 
teur de  ces  Mémoires  lui  donne  cent  dix  ans  de  vie,  on  voit 
qu'à  l'égard  de  l'âge  de  ce  vieillard ,  cet  Auteur  étoit  dans 
la  même  erreur  que  M.  de  Thou. 

ibid.  p.  43  5-  La  Pyramide  fut  abbattue.  ]  Les  Statues  àts  quatre  Vertus  fu- 
rent fur  le  champ  tranfportées  dans  le  jardin  de  l'Hôtel  du 
Marquis  de  la  Varenne  ,  qui  avoit  le  plus  ardemment  foUicité , 
&  le  rappel  des  Jefuites ,  &  la  démolition  de  la  Pyramide. 
Ceux  qui  favent  quel  étoit  le  métier  de  la  Varenne  auprès 
du  Roi  fon  maître,  favent  aufll  que  le  Sixain  fuivant  le  regarde. 
Il  fait  partie  de  certain  Poëme  compofé  en  ce  tems-là  fur  l'a 
démolition  de  la  Pyramide. 

Nous  avons  veupar  un  f aie  mefnage 
Traîner  honteufement  3  comme  on  fait  au  pliage , 
Du  Palais  au  bourdeau  les  vertus  en  plein  jour  ^ 
Pourfervir  de  trophée  au  jardin  d^Epicure  3 
Ou  pour  tenir  la  place  en  une  grotte  obfcure 
De  Flore  &  de  Lais  au  grand  Fourrier  d^  Amour, 

îbïd.p.  578.  J^«  M.  Antoine  Capello.']  peut-être  Copelli.  Du  moins  ai-je 
trouvé  ce  nom-là  écrit  de  la  forte ,  dans  un  Traité  qui  parut  en 
I  ^07 ,  fans  nom  de  heu ,  mais  où  l'Auteur  fe  nomme  Nicolaus 
ÇraJJus  Junior  j  Venetus  Civis  ^  Philofoplms  &  J,  U,  C 


DE    J.    A.   D  E   T  H  O  U, 


'50;? 


Extrait  iune  Lettre  de  M.  Poquet  de  la  Livoniere  Profejjhfr  du 
Droit  en  PUniverfité  d^ Angers ,  à  M»  Carte. 

MO  N  s  I E  u  R  de  Thou  dit  au  3  7  livre  que  dans  T  Affem-    imprimé  fut 
blée  des  Notables  tenue  à  ivloulins  en  i$66 ,  M.  de  *«  Manufçm. 
Largebafton  Premier  Prélîdent  au  Parlement  de  Bourdeaux 
fiega  le  troifiéme  &  avant  M.Truchon  Premier  Prefident  du  Par- 
lement de  Grenoble  :  cette  petite  erreur  eft  relevée  par  M.  d'Ex* 
piliy  Prefident  au  Parlement  de  Grenoble ,  qui  dans  le  chap. 
1 6.  de  fes  Arrêts  pag.  6pS.  fait  voir  que  le  Parlement  de  Gre-      ^ 
noble^comme  plus  ancien  que  celuy  de  Bourdeaux ,  a  toujours 
eu  la  préfeance ,  fur  tout  en  l'aiTemblée  de  i$66 ,  en  vertu 
d'im  Arrêt  du  Confeil  prononcé  par  M.  le  Chancelier  de  l'Hô- 
pital. A  Angers  le  28  Avril  1732. 

Médaille  de  Louis Xll.  expliquée  par  le  P.  Hardouin  Jefuitel 

Extrait  du  Supplément  du  Journal  des  Sçavans  du  dernier  Janvier 

1707.  Paris,  m-4P,  fag.  31. 

LA  Médaille  de  Louis  XII.  dont  parle  Monfieur  de  Thou 
dans  fon  Hiftoire ,  eft  afllirément  finguliere  ;  mais  il  l'ex- 
plique mal.  Elle  eft  d'or^  au  Cabinet  du  Roy.  M.  Petau 
Confeiller  au  Parlemenr  l'a  publiée ,  &  après  lui  M.  le  Blanc 
dans  fes  Monnoyes  de  France.  Elle  a  pour  infcription  du 
côté  de  la  tête  :  LVDO.  FR AN.  REGNIQ.  NEAP.  R.  avec 
la  tête  de  Louis  XII.  couronnée.  Au  revers  fe  voyent  les 
armes  de  France ,  qui  font  trois  Fleurs  de  Lys  :  la  Couron- 
ne eft  ouverte.  La  Devife  :  *  PERDAM.  BABYLONIS. 
NOMEN.  Elle  eft  prife  du  Chap.  xiv.  de  la  Prophétie  d'I- 
faïe,  verf.  22. 


Monsieur   de  Thou  s'eft  imaginé,  que  c'étoît  une 
menace  que  faifoit  le    Roi  Louis  XIL  de  ruiner  Ro;^ 

S  f  f  iij 


<îo        PIECES  CONCERNANT  L'HISTOIRE 

me ,  à  roccafion  de  fes  brouilleries  avec  le  Pape  Jules  II  :  Et 
que  par  un  terme  de  mépris  il  a  voulu  dénoter  Rome  par  le 
nom  de  Babylone.  Les  ennemis  du  Saint  Siège  adoptent  vo- 
lontiers cette  explication ,  parce  qu'ils  y  trouvent  ce  qui  ell 
de  leur  goût  î  fçavoir ,  Rome  méprifée ,  même  par  un  Roy 
Très-Chrétien  :  mais  cette  explication  eft  très-faulTe ,  &  in- 
jurieufe  à  la  mémoire  Ôc  à  la  pieté  de  Louis  XII. 

Il  faut  remarquer  i.  Que  cette  Médaille  a  été  frappée  à 
Naples.  Cela  eft  vifible  par  la  légende  :  Ludovicm  Franco^ 
rum  Regnique  Nea-politani  Rex.  i.  Que  les  Rois  de  Naples 
font  aufll  Rois  de  Jerufalem  depuis  l'Empereur  Frédéric  II. 
5.  Que  Louis  XII.  prit  Naples  en  1 5*0 1.  4.  Qu'il  prit  alors  les 
titres  de  Roy  de  France ,  de  Jerufalem ,  &  de  Naples,  com- 
me  Guicciardinle  rapporte  dans fon  5  livre  :  ou  bien,  comme 
il  fe  lit  dans  l'Edit  de  Louis  XII.  pour  la  création  du  Par- 
lement de  Provence,  l'an  ijoi.chez  Monfieur  Jolly  au  pre- 
mier tome  des  Offices  de  France,  page  472.  àe  France  j  de 
Naples ,  &  àe  Jerufalem.  y.  Que  cette  année-là  même  que 
Louis  XII.  prit  Naples ,  ou  du  moins  l'année  fuivante  ,  cette 
Médaille  y  fut  frappée ,  neuf  ans  auparavant  qu'il  fe  fut  brouillé 
avec  le  Pape  Jules  IL  Car  pafle  l'an  1^05.  il  ne  prit  plus 
le  titre  de  Roy  de  Naples.  Ce  n'eft  donc  pas  Rome  que 
Louis  XII.  menace  par  ces  mots-ci  :  Fer  dam  Babylonis  nomen. 

Mais  étant  devenu  Roy  de  Jerufalem  par  la  conquête  de 
Naples ,  il  promet  par  cette  légende  ^  d'aller  dans  la  Terre- 
Sainte  ,  recouvrer  fon  Royaume ,  &  enfuite  ruiner  l'Egypte 
jufqu'au  Grand  Caire  ,  qui  étoit  la  capitale  du  Sultan  d'E^ 
gypte  :  parce  que  ce  Sultan  étoit  en  même  temps  le  Maî- 
tre de  Jerufalem  &  de  la  Terre-Sainte.  Le  Grand  Caire  alors 
s'appelloit  dans  notre  Occident,  Babylone  ,  par  une  erreur 
populaire  j  qui  avoir  commencé,  à  ce  que  croyent  plufieurs 
Sçavans,  du  temps  des  Croifades.  Car  pour  ce  qui  eft  de  l'Epi- 
gramme  de  Martial,  au  livre  14.  Epigr.  150. 

Hac  tibi  Memphitis  tellus  dat  munera  :  viBa  ejl , 
Pecîine  Niliaco  jam  Babylonis  actis, 

où  Ferrariu"  dins  fa  Géographie  a  cru  voir  la  Babylone  d'E- 
gypte ,  le.  LOÊte  a'a  vouiu^pader  quq  de  la  Babylone  qui 


DE  J.  A.  DE  THOU.  jiï 

ctok  fur  PEuphrate.  Il  n^a  fait  que  mettre  en  vers  cette  pen- 
fée  de  Pline,  au  liv.  8.  pag.  251.  comme  le  P.  H.  l'aremar^ 
que  là-même:  Acufacere  ià  Phryges  invenemnt  — .  colores  diver- 
fos  p6iura  intexere  Babylon  maxime  celebravit ,  &  nomen  im- 
fofuit»  Plurimis  vero  Itciis  texere ,  quas  polymita  appellant  , 
Alexandria  inftituit. 

Les  Sultans  d'Egypte  faifoient  donc  leur  fejour  à  Baby-^ 
îone ,  comme  les  Occidentaux  l'entendoient  ,  c'eft-à-dire  , 
au  Grand  Caire  :  &  ils  furent  les  maîtres  de  la  Terre-Sainte 
jufqu'àl'an  1^16 ,  que  Selim  I.  empereur  àQS  Turcs  s'en  em- 
para ,  auiïi-bien  que  de  l'Egypte  l'année  fuivante.  Ce  fut  luy 
^qui  exécuta  en  effet  ce  que  Louis  XII.  projettoit  de  faire ,  ou 
ce  que  fes  fujets  du  Royaume  de  Naples  fouhaitoient  qu'il 
fift ,  en  luy  faifant  dire  fur  cette  Médaille  :  PERDAM  BABY- 
LONIS  NOMEN. 

Réfutation  du  fyfieme  du  Père  Hardouin  )  fur  la  Médaille 
de  Louis  XI L  Roy  de  France. 

Nous  publions  cette  réfutation ,  traduite  en  François  fur  le  Manufcrie 
Latin  ,  envoyé  par  un  gentilhomme  étranger ,  ôc  inférée  dans  l'édi- 
tion Latine  de  l'Hiftoire  de  M.  de  Thou ,  faite  à  Londres.  Elle  pa- 
roît  pour  la  première  fois  :  Nous  ne  doutons  pas  que  la  leélure  de 
cet  écrit  ne  découvre  aux  plus  habiles  dans  la  littérature  tout  le  mé- 
rite de  l'Auteur ,  fon  érudition ,  &  l'excellence  de  fon  jugement, 

JE  AN  HardoLÎin  de  la  focieté  de  Jefus  ,  qui  n'eft  pas 
moins  connu  dans  la  littérature  par  la  bizarerie  ,  &  la 
nouveauté  de  fes  fyftêmes  abfurdes  ,  que  par  la  fubtilité  & 
la  hardiefle  de  fes  interprétations ,  qui  font  à  la  vérité  quelque- 
fois affez  heureufes  ,  s'eft  imaginé  avoir  trouvé  la  véritable 
explication  de  cette  Médaille.  Ce  qu'il  y  avoit  de  plus  fla- 
teur  pour  un  homme  tel  que  lui ,  c'eft  que  fon  opinion  étoit 
diamétralement  oppofée  à  celles  des  autres  écrivains  Fran- 
çois. Charmé  de  fa  découverte ,  il  fe  preffa  de  la  publier  à 
la  première  occafion  5  &  plein  d'impatience ,  il  la  fit  inférer 
en  extrait  dans  le  Journal  des  Sçavans  de  Paris,  au  Supplé- 
ment du  mois  de  Janvier  1707.  Il  ne  fe  contenta  pas  de 
l'avoir  donnée  en  Frant;ois  ,  il  la  fit  encore  imprimer  en 


512         PIECES  CONCERNANT  L'HÎSTOÎRE 

Latin ,  augmentée  &  corrigée  dans  le  Recueil  de  fes  œuvres 
choifies,  (i)  imprimées  à  Amfterdam  en  171p. 

Jacques  Augufte  de  Thou  ,  au  fentiment  du  Père  Har- 
doûin  eft  le  premier  qui  a  expliqué  la  légende  de  cette 
Médaille ,  dans  le  fens  qu'il  lui  donne  au  premier  livre  de 
l'Hiftoire  de  fon  temps  jfçavoir,  que  Louis  XII.  par  les  pa- 
roles de  la  légende  ,  tirées  du  14.  chapitre  d'Ifaïe  v.  22. 
menace  la  ville  de  Rome ,  qu'il  appelle  Babykne ,  avec  les 
anciens  écrivains  ,  &  avec  ceux  de  ce  temps  ,  à  caufe  de 
l'horrible  dépravation  des  mœurs  de  cette  Cour.  Cet  hi- 
ilorien  fait  fentir  que  les  différends  qui  s'élevèrent  entre  le 
Roi  de  France  &  Jules  II.  &  dont  l'aigreur  s'augmenta  fuï 
la  fin  du  Pontificat  dé  ce  Pape  ,  fi.irent  Toccafion  des  me- 
naces exprimées  dans  cette  Médaille.  Le  P.  Hardoûin  repro-» 
che  à  M.  de  Thou  d'en  avoir  donné  une  interprétation  fauf- 
fe ,  &  auffi  injurieufe  à  la  mémoire  d'un  Prince  Religieux 
qu'à  l'honneur  du  Saint  Siège ,  &  il  la  rejette  pour  y  fubfti- 
tuer  une  autre  explication  nouvelle ,  &  fophiftique  qu'il  éta- 
blit fur  le  titre  de  Roi  de  Naples  que  Louis  XII.  prend  dans 
cette  Médaille  :  Francomm  regnique  Neapolitani  Rex.  Il  en 
conclut  que  Louis  ^  comme  Roi  de  Naples ,  l'étoit  aufTi  de 
Jerufalem ,  &  qu'il  n' avoir  eu  intention  de  faire  entendre  par 
cette  légende  :  Perdant  Babylonis  nomen  ,  autre  chofe  ,  finon 
qu'il  vouloit  non  -  feulement  retirer  Jerufalem  ,  &  la  Terre 
Sainte  des  mains  du  Roi  d'Egypte  ,  qu'on  appelle  vulgaire- 
ment le  Soudan  j  mais  encore  le  chafier  de  la  capitale  de  fes 
Btats ,  en  renverfant  cette  Babilone  ;  de  manière  que  tout  , 
jufqu'au  nom  même  de  cette  ville  fut  détruit.  On  fcait  , 
ajoute-t'il ,  que  le  Soudan  faifoit  fa  réfidence  au  grand  Caire , 
ville  que  les  écrivains  Occidentaux  avoient  coutume  d'ap- 
peller  Babylone ,  depuis  le  temps  des  Croifades. 

Enfuite  le  Père  Hardoûin  fixe  le  temps  ,  où  il  prétend  que 
cette  Médaille  a  été  frappée  ,  à  l'année  i^oi.  ou  à  l'année 
fuivante.  Il  met  pour  la  bafe  de  fon  fyftême ,  que  Louis  XII. 
a  ceiTé  de  porter  le  titre  de  Roi  de  Naples  depuis  l'an  15*05. 
d'où  il  infère  qu'il  n'a  pu  défigner  Rome  par  le  nom  de  Ba< 
tyîone.  Je  conviens  que  fi  ces  faits  étoient  confiants,  le  fy- 
ftême  du  Jefuite  ne  feroit  pas  mal  imaginé  i  du  moins  pour 

(l)  Hftrduini  o^era  felecia» 

faire 


DE    J.    A.    DE    THOU.  51^ 

faire  tomber  l'explication  du  Prelident  de  Thon  :  car  il  n'y  avoit 
alors  en  effet  aucun  démêlé  entre  Louis  XII.  &  le  Pape  > 
au  contraire  il  eft  certain  par  l'Hiftoire  que  le  Pape  Ale- 
xandre VI.  avoit  alors  d'étroites  liaifons  avec  ce  Prince  ;  ainfi 
Louis  XII.  étoit  bien  éloigné  dans  ce  temps-là ,  de  menacer 
de  détruire  la  ville  de  Rome ,  fous  le  nom  de  Babilone.  Quel 
triomphe  pour  le  Père  Hardoùin ,  s'il  avoit  fçu  que  dans  les 
premières  éditions  de  l'Hiftoire  du  Prefident  de  Thou ,  fai- 
tes à  Paris  en  160^.  &  i6oç.  &  dans  celles  qui  fe  firent  en 
Allemagne  en  1^14.  &  lô'iy.  l'Hiftorien  rapporte  en  termes 
exprès  que  cette  Médaille  fut  frappée  à  Naples  :  Cufo  etiam 
Neapoli  aureo  nummo  ?  Quelles  conclufions  favorables  à  fon 
fyftême ,  ce  Jefuite  n'en  auroit-il  pas  tirées  ?  Car  fi  le  Roi 
fit  frapper  cette  Médaille  à  Naples ,  il  eft  certain  que  ce  ne 
put  être  qu'en  1501 ,  i$oi»  ou  dans  les  premiers  mois  de 
lyo^.  &  qu'il  ne  put  le  faire  après  ce  temps-là,  parce  que 
tous  les  Hiftoriens  difent  que  Gonfalve  de  Cordoùe  Gé- 
néral des  Efpagnols  ,  l'obligea  de  fortir  de  Naples ,  &  de 
cette  partie  du  Royaume  qui  étoit  échue  à  ce  Prince  dans 
le  partage  qui  s'étoit  fait  entre  lui  &  le  Roi  Ferdinand  :  Que 
cette  retraite  du  Roi  de  France  fe  fit  le  14.  de  May  1J05. 
jour  dans  lequel  Averfe  &  Capouë  fe  rendirent  aufll  aux 
Efpagnols  j  &  qu'enfin  les  François  ayant  rendu  la  ville  & 
le  Château  de  Galette  le  premier  jour  de  l'an  i5'04.  &  tou- 
tes les  autres  places  qu'ils  tenoient  dans  le  Royaume  de 
Naples ,  ils  en  fortirent  alors ,  comme  on  peut  le  voir  dans; 
Guichardin  ,  &  dans  tous  les  Hiftoriens  François  &  Ita- 
liens. 

Un  fyftême  établi  fur  des  fondemens  ruineux  n'eft  pas 
difficile  à  détruire.  Tel  eft  celui  du  Père  Hardoùin.  D'a- 
bord il  met  en  fait  que  le  Prefident  de  Thou  eft  le  premier 
qui  a  cru  que  Rome  étoit  defignée  fous  le  nom  de  Babi- 
lone î  il  dit  enfuite  que  Louis  XIL  a  cefle  de  porter  le  ti- 
tre de  Roi  de  Naples  depuis  l'an  15*03.  d'où  il  infère  que 
ia  Médaille  dont  il  s'agit  a  été  frappée  dans  ces  premières 
années ,  &  non  après.  Un  autre  principe  de  fon  fyftême  eft 
que  Jerufalem,  &  la  Terre-fainte  étoient  foumifes  au  Sou- 
dan d'Egypte. 

Le  fyftême  du  Père  Hardoùin  tombe  de  lui-même, (î  g^ 


514  PIECES  CONCERNANT  L'HISTOIRE 

fait  voir  la  fàufTeté  de  fes  principes  ^  &  s'il  eft  prouvé  que 
cette  Médaille  n'a  pas  été  frappée  à  Naples  ;  qu'elle  a  pu  l'ê- 
tre en  France  depuis  l'an  1503.  qu'elle  a  du  rapport  aux  in- 
jures que  la  France  avoit  remues  du  Pape  Jule  j  &  qu'en- 
fin Louis  XII.  a  porté  toute  fa  vie  le  titre  de  Roi  de  Na- 
ples. 

D'abord ,  il  eft  faux  que  le  Prefident  de  Thcu  foit  le  pre- 
iTiier  qui  ait  expliqué  cette  Médaille  dans  le  fens  qu'il  lui 
donne  ;  car  les  Hiftoriens  François  qui  approchent  le  plus  des 
temps  de  la  guerre  fanglante ,  qui  s'alluma  entre  Louis  XII. 
&  le  Pape  Jule  ,  conviennent  tous ,  (  quoiqu'ils  nous  don- 
nent différentes  defcriptions  de  cette  Médaille ,  parce  qu'ils 
ne  l'avoient  pas  vue ,  )  qu'elle  fut  frappée  en  France  par  les 
ordres  du  Roy  ,  après  que  Jule  pour  lui  marquer  toute  fa 
haine ,  eut  jette  l'interdit  fur  fes  Etats ,  &  qu'ayant  pris  l'é- 
pée ,  &  endofle  la  cuirafle ,  il  fe  fiit  mis  à  la  tête  d'une  armée 
pour  marcher  contre  les  François.  Les  plus  célèbres  écrivains 
Italiens  &  François ,  &  entr'autres  Arnaud  du  Ferron  dans  la 
vie  de  Louis  XII.  rapportent  que  le  Pape  Jule  armé,  com- 
me nous  venons  de  le  marquer ,  dit  affez  haut  pour  être  en- 
tendu de  tout  le  monde ,  en  paffant  fur  le  Pont  du  Tibre  : 
Puifque  les  clefs  de  Pierre  ne  me  font  é^ aucun  fecours  ,  je  me 
fervirai  de  Pépée  de  Paul  y  Et  qu'en  difant  cela  il  jetta  les 
clefs  dans  le  Tibre  ,  &  tira  fon  épée  ;  adion  qui  a  fourni 
une  ample  matière  d'épigrammes  aux  Poètes  de  ce  temps- 
là  :  Telle  eft  celle-ci  qui  eut  un  fi  grand  cours  en  France, 
&  qui  a  été  rapportée  par  du  Ferron, 

In  Gallum ,  utfama  efl  3  hélium  gefiurus  acerhum  » 

Armatam  educit  Julius  urbe  manum. 
Accin^us gladio  3  claves  in  Tibridis  amnem 

Projicit  j  &  fa  vu  s  tait  a  verbafacit  : 
Cum  Pétri  nihil  effciant  ad  pralia  claves  , 

Auxilio  Pauli  forfitan  enfts  erit. 

Cette  conduite  du  Pape  Jule  aiàit  dire  à  Budée ,  Ecrivaîit 
de  ce  temps-là  ,  dans  fon  cinquième  livre  de  Affe,  en  parlant 
des  attentats  &  des  entreprifes  violentes  de  ce  Pape,  que  c'é- 
toit  un  furieux ,  un  facrilege ,  &;  un  homme  de  fang ,  qiû  (  ee 


DE  J.  A.  DE  THOU.  51; 

font  les  paroîes  de  Budée)  plus  cruel  que  les  Gladiateurs  les  plus 
avides  de  fang ,  faifoit  tous  fes  efforts ,  au  grand  étonnemem  de 
PUnivers ,  pour  détruire  un  Prince  chrétien  dans  la  peffonne  du 
Roi  de  France.  Il  ajoute  :  Le  chef  fanguinaire  du  Clergé  foulant 
aux  pieds  la  crainte  de  Dieu  y  envoyoit  des  barbares  contre  le 
peuple  du  Seigneur ,  &  excommuniant  les  François  <&  leurs  alliez  ^ 
foulevoit  contre  des  Chrétiens  prefque  tout  P univers ,  qui  oublioit 
fa  Religion.  En  effet ,  le  Pape  Jule ,  dans  les  accès  boûillans 
de  fa  haine  &  de  fa  fureur  ,  menaçoit  le  Roi ,  &  remuoit  le 
ciel  &  la  terre  pour  l'enfevelir ,  s'il  étoit  poffible ,  fous  les 
ruines  de  fon  trône.  Ce  fut  dans  ces  temps-là  que  Louis  XII. 
fit  frapper  cette  Médaille  par  repréfailles  contre  ce  Pape  j  ainlî 
ie  Préfident  de  Thou  dit  avec  raifon  à  ce  fujet  que  ce  Roi 
cppofa  courageufement  aux  vains  foudres  d^un  vieillard  décrépit 
é:r  mourant ,  une  dénonciation  <&  un  appel  au  futur  Concile ,  &fit 
en  même  temps  battre  une  Monnoye  d'or  3  &c.  Cet  Hidorien  n'eft 
pas  le  feul ,  qui  rapporte  ce  fait.  Avant  lui  François  Hotman 
Jurifconfulte ,  aufll  célèbre  en  France  que  Budée ,  &  qui  a 
écrit  contre  les  attentats  de  Sixte  V.  fur  la  France  ,  comme 
Budée  a  écrit  contre  Jule  II.  a  fait  un  livre   intitulé ,  Sixti 
V.  Fulmen  brutum.  Ce  livre ,  comme  le  rapporte  Placcius  dans 
fon  onvrsigQ  de  fcript.  anonym.  n.  6^1.  p.  84.  parut  en  1585". 
environ  vingt  ans  avant  l'Hiftoire  du  Préfident  de  Thou  : 
Hotman  y  dit  à  la  page  177.  que  Louis  XII.  après  l'excom- 
mimication  lancée  fur  lui  par  Jule  II.  avoit  fait  frapper  des 
Médailles  d'or  en  France,  avec  cette  légende,  Perdam  &c. 
Louis  XIL  dit-il ,  notre  Roi ,  appelle  le  Père  du  Peuple ,  laffé  de 
cette  fervitude  y  donna  enfin  cette  preuve  de  fa  fermeté ,  lorfqu^a- 
près  cette  excommunication  furieufe  du  Pape  Jules  il  fit  frapper 
en  France  des  Médailles  âor  avec  cette  infcription  :  Ludovicus 
XII.  D.  G.  Franc.  Rex.  Dux.  Mediolani.  On  voyoit  de  P autre 
coté  les  Armes  de  France  &  de  Milan ,  avec  ces  paroles  j  Per- 
dam Babylonem. 

Quoique  cette  Médaille,  telle  qu  elle  eft  décrite  par  Hot- 
man ,  ne  fe  trouve ,  ni  dans  le  cabinet  du  Roi ,  ni  dans  d'au^ 
très  cabinets ,  du  moins  que  je  fçache,  &  que  Petau  ôcle  Blanc 
ne  parlent  que  d'une  Médaille  d'or,  telle  qu'elle  eft  décrite 
dans  les  éditions  de  l'Hiftoire  du  Préfident  de  Thou  les  plus 
çorre^es  3  cela  n'affoiblit  en  aucune  manière  l'autorité  de  ce 

T 1 1  i j 


51^       PIECES  CONCERNANT  L'HISTOIRE 

grave  Jiirifconfulte ,  parce  qu'on  pouvoit  avoir  encore  de 
fon  temps  ces  deux  Médailles  d'or,  dont  l'une  qu'il  avoit  vue 
portoit  ces  titres  j  Franc.  Rex  Dux  Mediolani  y  avec  les  ar- 
mes de  France  &  de  Milan ,  &  avec  cette  légende  perdam 
Babylonem^  &  dont  l'autre  ,  qu'il  n'avoit  pas  vue,  portoit  ces 
titres ,  Francorum  Regnique  Neapolitani  Rex ,  avec  les  armes  de 
France  &  cette  légende  Perdam  Babylonis  nomen. 

Si  le  temps  ne  nous  eut  pas  fait  perdre  la  Médaille,  qui  eft 
décrite  par  Hotman  ^  elle  feroit  tomber  le  fyftême  du  P.  Har- 
doûin  5  car  comme  il  n'y  a  que  le  titre  de  Roi  de  Naples  qui 
lui  ferve  de  fondement,  &  que  ce  titre  ne  fe  trouve  point 
dans  la  Médaille  d'Hotman ,  où  l'on  en  voit  un  autre ,  qui  eft 
celui  de  Duc  de  Milan  ,  (  titre  qui  ne  donnoit  aucun  droit  à 
Louis  XII.  fur  Jerufalem  ;  )  il  eft  évident  que  tout  ce  que  ce 
Jefuite  a  imaginé  du  grand  Caire  &  de  l'Egypte ,  n'auroit  pas 
beaucoup  ctayé  fon  fyftême.  Mais  je  veux  pour  un  moment 
que  la  Médaille  d'Hotman  n'ait  jamais  exifté ,  ôc  que  la  vé- 
ritable lui  ait  été  inconnue  j  cette  fuppofition  ne  porte  néan- 
moins aucune  atteinte  au  fentiment  des  écrivains  Prançois , 
qui  font  les  plus  voifins  du  Pontificat  de  Jule  II.  ils  pouvoient 
fe  foiivenir  eux-mêmes ,  ou  du  moins  leurs  Pères,  que  Louis 
XII.  avoit  fait  frapper  une  Médaille  d'or  en  France,  pour  re- 
primer la  fureur  &  l'audace  de  Jule ,  avec  cette  légende , 
perdam  Babylonem  y  ou  Babylonis  nomen ,  (  ce  qui ,  comme  nous 
allons  le  démontrer ,  ne  peut  s'entendre  que  de  Rome  )  moyen 
le  plus  efficace  pour  reprimer  la  rage  de  Jule  II.  qui  mettoit 
tout  en  oeuvre ,  comme  le  dit  Budée ,  pour  détruire  le  Roi 
très-Chrétien. 

Hotman  n'eft  pas  le  feul  qui  rapporte  que  le  Roi  fît  frapper 
cette  xMédaille  en  France.  François  Pithou ,  dans  fon  livre  de 
la  grandeur  ^  droits ,  &c.  des  Rois  &  du  Royaume  de  France  j  dit 
que  cette  Médaille  avoit  été  frappée  pour  reprimer  l'audace 
de  Jule  :  il  en  fait  la  defcription  de  la  même  manière  qu'Hot- 
man ,  avec  le  titre  Dux  A4ediolani ,  &  la  légende  perdam  Ba- 
bylonem ,  ce  qui  prouve  qu'il  n'avoit  pas  vîi  la  Médaille  dont 
il  eft  parlé  dans  Petau ,  le  Blanc  &  autres.  Il  eft  fi  certain ,  que 
tous  les  Ecrivains  François  afTurent  de  concert ,  que  ces  Mé- 
dailles furent  frappées  en  France  dans  ces  temps ,  &  à  cette 
©ccafion  5  que  Paul  Petau  Confeiiier  au  Parlement  de  Paris 


DE  J.  A:  DE  THOU.  51^ 

eft  le  premier,  comme  le  Père  Hardoûin  nous  Ivapprend  lui- 
même  ,  qui  a  écrit  au  fujet  de  la  Médaille ,  qui  a  pour  lé- 
gende ^fr^f^m  Babylonis  nomen ,  avec  le  titre  de  Roi  de  Na- 
pies,  &  qui  l'a  fait  graver,  avec  celle  que  le  Pape  Jule  avoit 
fait  frapper,  après  avoir  chafle  Bentivoglio  de  Boulogne  ; 
Médaille  où  le  Pontife  fit  mettre  cette  infolente  &  fuperbe  lé-, 
gende:  Bononiaper  Julium  à  tiranno  liberata.  Par  ces  paroles  il 
accufoit  ce  Seigneur  d'avoir  été  im  tiran,  &  ce  reproche  re- 
tomboit  indiredement  fur  Louis  XII.  qui  étoit  l'appui  de  Ben- 
tivoglio. Petau  croit  que  cette  offenfe  fut  caufe ,  outre  les  mo- 
tifs dont  nous  avons  parlé,  que  Louis  XII.  fit  frapper  une  Mé- 
daille par  repréfailles ,  avec  ces  paroles  perdant  Babylonis  no^ 
mem. 

Quoiqu'il  en  foit,  il  eft  certain  que  tous  les  écrivains  Fran- 
çois ou  contemporains  du  Préfident  deThou,  ou  ceux  qui 
ont  écrit  avant  lui ,  ont  regardé  comme  une  ehofe  certaine , 
que  c'étoit  dans  les  dernières  années  de  la  vie  du  Pape  Jule 
que  le  Roi  Louis  fît  frapper  cette  Médaille  ,  à  l'occafion  cqs 
differens  qu'il  avoit  avec  ce  Pontife.  Cela  ne  feroit  pas  la  moin- 
dre difficulté  fi  l'on  trouvoit  dans  quelque  cabinet  la  Médail- 
le,  telle  que  l'a  décrite  Luckiuspag.  23.  de  fon  livre  impri- 
mé à  Strasbourg  1620.  fol.  Elle  eft  femblable  à  celle  que  Pe-. 
tau, le  Blanc  &  d'autres  décrivent,  avec  cette  différence  que 
dans  celle  de  Luckius  ,  l'année  où  elle  a  été  frappée  eft  mar- 
quée du  côté  des  armes  de  France  5  fçavoir,  1 5 1 2.  temps  où  la 
guerre  étoit  plus  fortement  allumée  entre  le  Pape  &  le  Roi, 


On  ne  peut  pas  douter  que  cette  Médaille  ne  foit  telle  qu'el- 
le eft  décrite  7  car  Luckius  la  fit  graver  en  1^20.  lorfque  per- 
fonnen' avoit  encore  penfé  à  dire,  que  le  Roi  Louis  XII.  ne 
l'avoir  pas  fait  firapper  dans  le  temps ,  &:  à  l'occafion  que  nous 

•r  w  '  •  •  • 

Tttjij 


yi8  PIECES  CONCERNANT  L'HISTOIRE 

avons  dit,  mais  vers  l'année  i;oi.  ou  dans  les  deux  fuivan- 
tes,  parce  qu'il  avoit  formé  le  projet  de  retirer  le  Royaume 
de  Jerufalem  des  mains  du  Soudan ,  &  de  détruire  la  Babylo^ 
ne ,  où  il  faifoit  fa  réfidence.  Le  Père  Hardoûin  a  enfin  fa- 
briqué ce  fyftême  fingulier  &  fophiflique ,  &  s'eft  fait  gloire 
de  le  publier  hardiment,  félon  fa  coutume.  Ainfionne  peut 
foupçonner  en  aucune  manière  Luckius  d'avoir  ajouté  de  fon 
chef  la  datte  de  l'année ,  pour  détruire  l'interprétation  de  ce 
Jefuite. 

Nous  ne  fommes  pas  beaucoup  embaraflez  de  ce  que  dit 
le  Blanc  dans  fon  livre  des  Monnayes  de  France  pag.  2j8.  fça- 
voir ,  que  ce  fut  Henri  II.  qui  établit  l'ufage  de  mettre  la  datte 
de  l'année  fur  les  Monnoyes.  Cela  doit  s'entendre  d'un  ufage 
confiant,  parce  que  nous  voïons  des  Médailles  fabriquées 
avant  Henri  II.  où  la  datte  de  l'année  fe  trouve.  Le  Blanc  lui- 
même  parle  d'une  Médaille  de  la  Reine  Anne ,  qui  porte  la 
datte  de  l'année  14^4.  Luckius  fait  mention  dans  l'endroit 
cité  ci-devant  d'une  Médaille  de  Louis  XII.  frappée  à  Milan  en 
1 5  12.  &  Mezerai  dans  l'Hiftoire  de  ce  Roi ,  rapporte  plufieurs 
Médailles  frappées  fous  fon  règne ,  où  l'on  voit  les  dattes  des 
années  j;o7.  &  1^09,  Il  eft  donc  évident  que  tous  les  écri- 
vains François  ou  contemporains  du  Préfîdent  de  Thou ,  ou 
qui  ont  écrit  avant  lui ,  n'ont  point  donné  d'autre  explication 
à  cette  Médaille ,  &  qu'ils  ont  tous  cru  qu'elle  avoit  été  frap- 
pée dans  ce  temps  &  à  cette  occafion. 

De  Thou  étoit  certain  de  la  vérité  de  la  chofe  en  écrivant 
fon  Hiftoire  :  mais  n'ayant  vu  cette  Médaille ,  ni  dans  les  cabi- 
nets ,  ni  dans  aucun  livre ,  puifque  c'eft  Petau  qui  l'a  fait 
graver  le  premier ,  &  que  Luckius  ne  publia  fon  livre  qu'en 
j  520.  à  Strasbourg  î  il  s'en  rapporta  au  témoignage  de  gens, 
qui  n'av oient  pas  vu  cette  Médaille  ,  &  qui  n'en  avoient  pas 
une  connoiflance  certaine  ;  ce  qui  eft  caufe  qu'il  s'eft  trompé , 
&  qu'il  a  fauffement  écrit  qu'elle  avoit  été  frappée  à  Naples ,  & 
qu'on  y  voyoit  les  armes  de  Naples  &  de  Sicile.  C'eft  pourquoi 
on  lit  dans  les  Editions  de  Paris  de  l'année  i6'o4.  i<^o6".  &  1(^05?,' 
&  dans  celle  d'Allemagne ,  faite  du  vivant  de  l'auteur  en  1 514, 
&  1611.  ces  paroles.  Il  fit  plus  yfans  avoir  égard  aux  remon-^ 
trances  réitérées  de  plufieurs  perfonnes ,  auf quelles  il  avoit  coutume 
dç  déférer ,  //  oppofa  courageufemsnt  aux  vains  foudres  ^un  vieil^ 


DE  J.  A.  DE  TttOU.  ^ip 

iard  décreprit  €7"  mourant  une  dénonciation  €^  un  appel  au  futur 
concile ,  èr  il  fit  en  même  temps  battre  à  Naples  une  monnme 
d'or  j  ou  d^un  coté  étoitfon  effigie  j  &"  de  l'autre  les  armes  de  Nch 
pies  &  de  Sicile  avec  ces  mots  Perdam  Babylonis  nomen.  On 
'voit  encore  aujourdhui  plufieurs  de  ces  Médailles. 

Si  les  Ecrivains  qui  publient  leurs  ouvrages  de  leur  vivant , 
efluient  la  mauvaife  humeur  des  critiques ,  auiïi  ont-ils  l'avan- 
tage ,  fur-tout  dans  les  ouvrages  de  longue  haleine ,  où  il  eft 
impoflible  qu'il  ne  fe  glifîe  quelques  fautes ,  de  pouvoir ,  lorf- 
qu'ils  font  expofez  aux  yeux  du  public ,  être  avertis  par  leurs 
amis,  &  corriger  facilement  ces  fautes.  C'eft  de  cette  ma- 
nière que  de  Thou ,  averti  que  cette  Médaille  n'avoit  pas 
€té  frapée  à  Naples ,  &  qu'elle  ne  portoit  pas  les  armes  de 
Naples  &  de  Sicile ,  mais  celle  de  France ,  corrigea  cet  en- 
droit de  fon  Hiftoire  dans  l'édition  qu'il  fit  faire  chez  Robert 
Etienne.  Quoique  cet  Imprimeur  ne  l'ait  publiée  qu'en  1 61 8. 
un  an  après  la  mort  de  l'Hiftorien ,  il  eft  néanmoins  certain 
que  les  premiers  livres  avoient  été  imprimez  du  vivant  de 
l'Auteur,  &  que  par  cette  raifon  il  avoit  corrigé  lui-même  cet 
endroit.  Enfin  fentant  que  fa  mort  approchoit ,  il  chargea  Du- 
puy  &  Rigault  fes  meilleurs  amis  ,  de  faire  imprimer  le  refte 
de  fon  ouvrage ,  &  d'en  publier  une  édition  plus  ample  Ôc 
plus  parfaite ,  en  ajoutant  aux  livres  qui  avoient  déjà  paru  cor- 
rigez par  l'Auteur ,  ceux  que  le  public  n'avoit  point  encore 
vus.  Dupuy  &  Rigault  n'ayant  pu  exécuter  la  volonté  de  leur 
ami ,  Lingelsheim ,  à  qui  il  avoit  envoyé  avant  fa  mort  une 
copie  corrigée  &  complette  de  fon  Hiftoire ,  la  fit  imprimer. 
Satisfaifant  ainfi  aux  devoirs  de  l'amitié ,  il  donna  au  public 
en  1 620.  cette  belle  &  fameufe  édition  de  Genève ,  qui  a  été 
regardée  partout  le  monde,  &même  par  le  Père  Hardoùin, 
comme  la  plus  parfaite.  Ce  fut  d'après  cette  édition  qu'on 
imprima  celle  qui  parut  à  Francfort  cinq  ans  après.  Dans  ces 
deux  éditions  on  a  ôté  le  mot  Neapoli  ;  on  y  a  ajouté  le  titre 
franc.  Regnique  Neap.  Rex.  Et  aux  armes  de  Naples  &  de 
Sicile  on  a  fubftitué  les  armes  de  France ,  comme  elles  font 
fur  plufieurs  Médailles  d'or ,  qu'on  peut  voir  aujourd'hui  en 
differens  cabinets ,  &  dans  les  ouvrages  de  Petau ,  de  Luckius , 
de  le  Blanc ,  du  Père  Hardoùin ,  de  Deylinge  &  autres.  Car  on 
Jit  ainfi  dans  ces  éditions.  Il  fit  en^même  tçmps  battre  une  monnoye 


3-20        PIECES    CONCEPvNANT  ,  L'HISTOIRE 
dor  i  ou  d'un  coté  étoitfon  effigie  avec  les  titres  de  Roi  de  France  ô^. 
de  A'apks ,  &  au  revers  les  armes  de  France  avec  ces  mots  Perdam 
Bablyonis  nomen. 

Depuis  ce  temps-là  tous  les  Ecrivains  ont  abandonné  les 
anciennes  éditions  pour  fuivre  celle  de  Genève ,  non  feule- 
ment en  ce  point ,  mais  encore  dans  tout  le  refte.  Enfin  tous 
les  Auteurs ,  tant  François  qu'Etrangers ,  qui  ont  écrit  après  le 
Prefident  de  Thou ,  n'ont  point  fixé  l'époque  de  cette  Médaille 
à  d'autre  temps ,  &  ne  fe  font  point  écartez  du  fentiment  de 
ceux  qui  l'ont  expliquée  les  premiers.  Elle  eft  ainlî  expliquée 
par  Luckius  dans  l'endroit  cité  par  le  Blanc  p.  26^.  parStruvius 
dans  fa  Differtation  Latine  de  nummo  perdam  Babylon.  inférée 
dans  la  Bibl.  ancienne  au  mois  de  Février  lycô".  p.  73.  Tous 
les  autres  Ecrivains  Allemands ,  tels  que  Corneille  Thierry 
Koch ,  (i)  Deylinge ,  (2)  Sigifmond  Liebe  &  plufîeurs  autres 
ont  rejette  cette  opinion  du  Père  Hardoûin. 

Une  autre  hypotefe  faufle  de  ce  Jefuite  ,  par  laquelle  il 
prétend  prouver  que  Louis  X  I L  n'a  pii  faire  frapper  cette  Mé- 
daille ,  au  plus  tard ,  qu'en  1 5'05.  &  qu'ainfî  elle  ne  peut  avoir 
aucun  rapport  avec  les  démêlez  de  ce  Prince  avec  Jule  I  L 
eft  de  dire  que  Louis  X  I  L  ne  porta  plus  le  titre  de  Roi  de 
J^aples  depuis  l'an  1 503.  Ainfi  dès  qu'on  aura  fait  voir  claire- 
ment que  ce  Prince ,  après  que  les  François  eurent  abandonne 
le  Royaume  de  Naples  (  ce  qui  arriva  dans  cette  année ,  ) 
conferva  toute  fa  vie  le  titre  de  Roi  de  Naples ,  un  fyfteme 
^uffi  ruineux  d'ailleurs  que  celui  du  Pef  e  Hardoûin ,  doit  tom- 
ber entièrement. 

On  voit  par  les  traitez  publics  de  paix  ,  qui  fe  firent  l'année 
fuivante  entre  Louis  X I  L  &  Ferdinand  le  Catholique ,  que  le 
Roi  de  France ,  quoique  dépouillé  de  cette  partie  du  Royau- 
me de  Naples ,  qui  lui  étoit  échue  en  partage ,  en  retint  tou- 
jours le  titre  de  Roi.  Il  efl  certain  qu'il  l'a  porté  jufqu'à  la 
paix  de  Blois ,  qui  fe  fit  le  4.  d'Odobre  lyo;.  Les  deux  Rois 
convinrent  alors  que  Ferdinand  épouferoit  Germaine  de  Foix 
nièce  du  Roi  de  France ,  &  que  fon  oncle  lui  cederoit  pout 
fa  dot  le  droit  qu'il  avoir  à  cette  partie  du  Royaume  de  Na- 
ples 4^1  lui  étoit  échue.  On  mit  au  nombre  des  articles  Isi 

(ij  Corn.  Di5ier.  Koch.  StriBura  thccl.    J         (i)  Ohferv.fdcr.  fAYt,  3.  obf.  $.  §.  lO^ 
in  J.  Harduim  O^er,  Sckéi,  ^.  3.6»  ' 

çondmo^ 


DE  J.  A.  DE  THOU.  5ir 

condition  expreffe,  qu'après  l'accompliiTement  du  ilianage; 
îe  Roi  de  France  quitteroit  le  titre  de  Roi  de  Jerufalem  8c 
de  Naples  5  &  l'on  arrêta  par  un  autre  article ,  que  il  Ger- 
maine mouroit  avant  Ferdinand ,  ce  Prince  hériteroit  de  fa 
dot ,  &  qu'au  contraire ,  s'il  venoit  à  mourir  avant  elle  fans 
enfans ,  cette  partie  du  Pvoyaume  de  Naples  retourneroit  au 
Roi  Louis.  Guichardin  livre  6.  Paul  Jove  livre  5.  de  la  vie 
de  Gonfalve,  &de  Thou  livre  i.  rapportent  ainfî  ces  condi- 
tions ,  qu'on  peut  voir  encore  dans  le  traité  de  cette  alliance 
inÇeïé  d^nslc  Recueil  des  traitez  de  paix  de  Frédéric  Léonard 
tom.  2.  folio  35".  d'où,  il  eft  évident  que  Louis  XIL  a  tou- 
jours regardé  cette  partie  du  Royaume  comme  lui  apparte- 
nant, quoiqu'il  n'en  fut  pas  en  poiTefllon  j  &  qu'ainfi  il  a  voit 
pu  en  conftituer  une  dot ,  &  le  céder  à  fa  nièce  &  à  Ferdinand. 
Il  s'enfuit  aulTi  qu'il  dut  ceifer  alors  de  porter  le  titre  de  Roi 
de  Jerufalem  &  de  Naples.  S'il  a  dû  quitter  alors  ce  titre , 
il  eft  certain  qu'il  n'avoit  ceffé  de  le  porter  jufqu'à  ce  temps- 
là,  &  qu'il  i'avoit  pris  tant  dans  les  ades  publics  que  dans 
les  monnoyes. 

Il  eft  vrai  qu'on  pourrok  nous  objeder  que  le  Roi  ne  le 
porta  plus  après  ce  mariage ,  &  qu'ainfi  la  Médaille ,  dont  il 
s'agit ,  n'a  pu  être  frapée  du  temps  des  différends  du  Roi  avec 
Jule  1 1.  qui ,  fuivant  tous  les  Ecrivains ,  (  &  fur-tout  fuivant 
Blaife  Bonacurfi  Hiftorien  contemporain  à  l'année  1 5  op.  de  fou 
Journal,  Guichardin  &  Paul  Jove  )  ne  commencèrent  qu'en 
1 5*  10.  Rien  ne  feroit  plus  folide  que  cette  objedion ,  Ci  Ferdi- 
nand n'avoit  violé  le  premier  les  conditions  du  traité.  En  effet 
aulîi-tôt  après  fon  mariage  avec  Germaine  de  Foix ,  de  peur 
que ,  s'il  venoit  à  mourir  avant  elle  fans  enfans ,  la  dot  de  cette 
Princefle  ne  retournât  au  Pvoi  de  France  fon  oncle  ,  il  déclara 
hautement  qu'il  tenoit  tout  le  Royaume  de  Naples  de  la  fuc- 
ceftiGn  d' Alfonfe  I.  &  par  droit  héréditaire ,  fans  avoir  befoin 
d'aucuns  droits  dotaux ,  droits  qu'il  étendoit  fur  Naples ,  fur  la 
terr€  de  Labour  &  fur  une  partie  de  l'Abruzze.  Il  pouîfa  mê- 
me les  chofes  jufqu'à  ne  pas  permettre  que  le  nom  de  la 
Reine  fut  mis  dans  les  ades  publics ,  &  il  exigea  en  fon  pro- 
pre nom  à  Naples  le  ferment  de  fidélité  des  Barons  Se  des 
Villes ,  ainfi  que  le  rapportent  les  Hiftoriens  &  de  Thou  liv.  i. 
,en  ces  termes,  Ferdinand  nefm  pas  plus  Jidek  à  ce  traité  qiiaux^ 
Tome  XK  Vuu 


fui       PIECES  CONCERNANT  rHISTOIRE 

autres  ;  car  fans  avoir  égard  aux  articles  du  contrat ,  il  déclara  > 
dès  qu^il  fut  marié  ^  que  le  Royaume  de  Naples  lui  appartenoit 
tout  entier  du  chef  d^Alfonfe  père  de  Ferdinand  le  Bâtard  j  û* 
que  fa  femme  rùy  avoit  aucun  droit. 

Louis  XII.  JLiftement  irrité  de  la  conduite  de  Ferdinand , 
voyant  que  ce  Prince  violoit  les  conditions  du  traité ,  reprit 
le  titre  de  Roi  de  Naples ,  pour  conferver  fes  droits.  Il  afFeda 
même  davantage  de  le  porter ,  après  avoir  découvert  la  haine 
du  Pape  Jule ,  qui  faifoit  tous  fes  efforts  pour  engager  les  Prin- 
ces de  l'Europe  à  fe  liguer  contre  lui  ••>  ce  qu'ils  refuferent 
tous  de  faire ,  à  l'exception  de  Ferdinand ,  qui  réfolut  de  profi- 
ter adroitement  des  démêlez  de  Jule  avec  la  France. 

Dans  ces  difpofitions ,  Ferdinand  ,  (  comme  Bonarcufi ,  Hif- 
torien  contemporain ,  le  rapporte  dans  fon  Journal  à  l'année 
15*  10.)  fit  une  ligue  défenfive  avec  le  Pape ,  à  condition,  de 
fournir  tous  les  ans  à  fa  Sainteté  pour  quelque  entreprife  que 
ce  pût  être ,  trois  cens  Gensdarmes  entretenus  à  fes  propres 
dépens  5  outre  cela  il  y  eut  encore  un  traité  fecret.  Le  Par 
pe  de  fon  côté  s'engagea  à  donner  rinveftiture  du  Royaimie 
de  Naples  à  Ferdinand ,  qui  la  fouhaitoit  avec  ardeur.  Il  n'a- 
voit  pu  jufqu'alors  amener  le  Pape  à  fon  but  5  mais  ayant  pris , 
pour  demander  cette  inveftiture  qui  lui  avoit  toujours  été  re- 
fufée  comme  contraire  au  traité  de  Blois ,  un  temps  (  c'étoit 
en  1510.)  où  le  Pape  &  le  Roi  de  France  étoient  déjà  aigris 
Fun  contre  l'autre,  il  obtint  fans  peine  l'inveftiture  en  gê- 
nerai de  tout  le  Royaume  en  fon  nom ,  comme  héritier  d' Al- 
fonfe ,  &  non  pas  feulement  de  la  partie  qui  avoit  été  donnée 
en  dot  à  la  Reine  fon  époufe ,  fçavoir  Naples ,  la  terre  de 
Labour  &  une  partie  de  T  Abruzze.  Il  eft  aifé  de  comprendre 
quelle  fut  alors  l'indignation  de  Louis  X  I  L  Cette  conduite 
de  Ferdinand  lui  donna  plus  de  droit  qu'auparavant  de  por- 
ter le  titre  de  Roi  de  Naples ,  afin  de  maintenir  fes  droits 
fur  ce  Royaume  contre  les  artifices  du  Roi  d'Arragon,  qui 
vouloit  les  détruire.  L'infradion  du  traité  de  Blois  l'autori- 
foit  à  conferver  îq'^  droits ,  &  à  ne  pas  fouffrir  qu'on  y  donnât 
atteinte. 

,  Ce  fait  eft  encore  plus  évidemment  prouvé  par  un  autre 
traité  conclu  à  Blois  le  premier  Décembre  1 5*  1 3 .  entre  Louis 
ôc  Ferdinand.  Le  temps  ayant  fait  naître  d'auu:e§  circonftaji- 


DE   J.   A.   DE  T  H  O  U.  p^ 

ces ,  ces  deux  Monarques  commencèrent  à  craindre  que  leurs 
différends  ne  fulTent  préjudiciables  à  leurs  états.  La  puiilance 
de  la  maifon  d'Autriche  leur  donna  de  l'inquiétude  ,  c'eft 
pourquoi ,  entre  autres  conditions ,  Louis  par  ce  traité  céda 
une  féconde  fois  fes  prétentions  fur  le  Royaume  de  Naples , 
&  il  en  quitta  le  titre  de  Roi ,  comme  on  le  voit  dans  le  2. 
tome  du  Recueil  des  traitez  de  paix  p.  3  5".  imprimé  à  Amfter- 
dam.  Ainiî  il  paroît  que  Ferdinand  ne  ftipula  que  Louis  ce- 
deroit  encore  fes  droits  fur  ce  Royaume  &  qu'il  n'en  pren- 
droit  plus  le  titre  de  Roi ,  que  par  ce  qu'ayant  enfraint  lui-mê- 
me le  premier  traité  de  Blois ,  le  Roi  de  France  avoir  retenu 
fes  droits ,  &  fon  titre  de  Roi  de  Naples  avec  juftice  pour  évi- 
ter  le  préjudice  qu'il  auroit  fouffert  de  fa  négligence  en  cette 
occafion  ;  de  forte  qu'en  mettant  l'époque  de  la  fabrique  de 
cette  Médaille  à  l'année  15' 12.  il  ne  doit  pas  paroître  furpre- 
nant  que  Louis  XII.  joignit  au  titre  de  Roi  de  France,  le  titre 
de  Roi  de  Naples ,  quoiqu'il  eût  été  dépouillé  de  ce  Royau- 
me. 

On  voit  bien  que  le  P.  Hardoûin  ne  fçait  pas  Thiftoire ,  & 
qu'il  ignore  la  coutume  des  Princes,  qui  prennent  fur  les  Mé- 
dailles ,  &  dans  les  acles ,  les  titres  des  Etats  qu'ils  ne  pofledent 
point ,  &  cela  pour  conferver  leurs  droits  &  adions ,  afin  de 
les  exercer  6c  de  les  confirmer  dans  l'occafion.  Sans  aller  cher- 
cher de  ces  fortes  d'exemples  chez  les  Etrangers ,  où  il  y  en  a 
une  infinité,  nous  en  avons  un  dans  le  Royaume  de  Naples,  ôc 
dans  la  conduite  des  Rois  de  France  au  fujet  de  cet  Etat. 

Avant  que  Louis  XII.  pofledât la  partie  de  ce  Royaume, 
qui  lui  échut  dans  le  partage  qu'il  en  fit  avec  Ferdinand, 
les  Rois  de  France  portèrent  les  titres  de  Rois  de  Naples , 
&  de  Jerufalem  ,  pour  s'aflurer  les  droits  de  René  d'An- 
jou dernier  Roi  de  Naples  de  la  maifon  d'Anjou.  C'eft  de 
ce  Prince  que  les  droits  des  Rois  de  France  fur  ce  Royau- 
me ont  pris  leur  origine.  Ce  dernier  fait  découvre  un  au- 
tre ignorance  du  Père  Hardoûin  dans  l'Hiftoire  h  il  fait  dé- 
river de  l'Empereur  Frédéric  IL  le  droit  des  Rois  de  Fran- 
ce au  Royaume  de  Jerufalem  5  tandis  que  la  maifon  d'Ar- 
ragon  &  la  maifon  d'Autriche  peuvent  auffi  les  prétendre 
du  chef  d'Iolande  qui  fut  recherchée  par  Frédéric  à  caufe 
de  (a  dot.   La  maifon  d'Anjou  tire  fes  droits  de  Chades 

Vuu  ij 


■^2^        ÎIECES  CONCERNANT  L'HISTOIRE 

d'Anjou  premier  du  nom,  à  qui  Marie  fille  du  Prince  d'An- 
tioche  les  avoir  cédez  5  comme  cela  eft  démontré  à  n'en 
pouvoir  douter,  dans  PHiJîme  civile  du  Royaume  de  Nafks  ^ 
iiv.  20.  chap.  2.  n.  i. 

René  d'Anjou  ayant  été  chafle ,  &  dépouillé  de  fon  royau- 
me }  &  Jean  fon  fils  étant  mort ,  il  inftitua  pour  fon  héritier 
Charles  d'Anjou  fils  du  Comte  du  Maine  fon  frère.  Ce 
Prince  étant  mort  fans  enfans  peu  de  temps  après ,  il  laifla 
fes  droits  par  fon  teftament  à  Louis  XI.  Roi  de  France  , 
fils  de  la  fœur  de  P.ené  d'Anjou.  Charles  fit  ce  teftament  à 
Marfeille  le  8.  de  Décembre  1481.  comme  le  rapporte  Fré- 
déric Léonard  dans  fon  recueil  des  traitez  de  paix  imprimes 
à  Paris  en  i  ô^-j.  Il  inftitiië  par  cet  ade  Louis  XI.  pour  fon 
héritier  univerfel,  &  lui  fubftitue  Charles  Dauphin  de  Fran- 
ce fon  fils.  Ce  jeune  Prince  ,  après  la  mort  de  fon  père  ^ 
brûlant  d'acquérir  de  la  gloire  ,  &  fe  fondant  fur  ces  droits  ^ 
entreprit  la  conquête  du  Royaume  de  Naples ,  s'en  empara 
&  ne  le  garda  que  fix  mois.  Charles  VllI.  étant  malheu- 
reufement  mort  à  Amboife  dans  la  fleur  de  fon  âge ,  le  Duc 
d'Orléans  fon  plus  proche  parent  lui  fucceda  à  la  couronne 
de  France ,  &  fut  appelle  Louis  XII.  Son  premier  foin  fu2 
de  recouvrer  le  Royaume  de  Naples ,  comme  un  bien  hé- 
réditaire j  c'eft  pourquoi  peu  de  jours  après  la  mort  du  Roi 
Charles  ,  il  prit  non-feulement  le  titre  de  Roi  de  France  , 
mais  encore  par  l'avis  de  fon  confeil  ,  celui  de  Roi  de  Je- 
rufalem  &:  des  deux  Siciles  ^  à  caufe  du  Royaume  de  Na* 
pies. 

Non-feulement  tous  les  Ecrivains  que  nous  avons  citez 
font  d'accord  en  ce  point  5  mais  le  fait  eft  encore  attefté  par 
les  Médailles  ,  qui  furent  frappées  alors  par  ordre  de  Louis 
XII.  On  voit  fur  quelques-unes  y  dont  le  Blanc  parle  dans 
fon  ouvrage ,  les  titres  de  Roi  de  Jerufalem  &  de  Sicile  ^ 
cutre  le  titre  de  Roi  de  France  :  Rex  Franc.  Sicil.  Hil.  C'eft 
ce  qui  fut  caufe  que  dans  le  traité  de  partage  que  Louis 
fit  avec  Ferdinand,  on  convint  que  le  premier  quitteroit  le 
titre  de  Roi  de  Sicile  &  qu'il  ne  conferveroit  que  celui  de 
Roi  de  Naples  &  de  Jerufalem  5  &  que  Ferdinand  de  fon 
côté ,  dans  le  partage  duquel  la  Poùille  &  la  Calabre  étoient 
tombées^  feroit  appelle  Duc  de  Cakbre  ac  de  la  PgùiUe.Ii 


DB  J.  A.   DE  THOU.  ^2f 

eft  donc  certain  par-là  que  Louis  XII.  avoir  pris  le  nom  de 
Roy  des  deux  Siciles  &  de  Jerufalem  avant  l'année  15-01. 
en  confcquence  feulement  des  anciens  droits  des  Rois  de 
France  fur  le  Royaume  de  Naples.  Quelle  raifon  auroit  donc 
pu  empêcher  ce  Prince  de  prendre  ce  ritre  les  années  fui- 
vantes ,  fur-tout  après  que  Ferdinand  ayant  violé  le  traité  de 
Blois ,  fe  fut  ligué  avec  Jule  II.  ennemi  mortel  de  Louis  ? 

Les  Ducs  de  Lorraine  avoient  coutume ,  comme  ont  fàk 
les  Rois  de  France ,  de  prendre  le  titre  de  Rois  de  Naples 
&  de  Jerufalem .,  &  de  Ducs  de  Calabre ,  tant  dans  les  ades 
publics  que  fur  leur  monnoie,  &  de  joindre  à  leurs  armes 
celles  de  Naples  &  de  Jerufalem. 5  en  vertu  des  mêmes  droits 
qu'ils  prétendent  leur  avoir  été  tranfmis  par  René  d'Anjou  le 
dernier  de  cette  maifon  qui  a  pofledé  le  Royaume  de  Na- 
ples. 

L'Hiftoire  nous  apprend  que  René  d'Anjou  ,  mort  fans 
enfans  mâles  ne  lailla  qu'une  fille  nommée  Violente  ,  qui 
époufa  Frédéric  II.  Comte  de  Vaudemont,  &  que  René  II. 
Duc  de  Lorraine  eft  forti  de  ce  mariage.  Ce  René  préten- 
dit contre  Charles  VIII.  que  le  Royaume  de  Naples  n'avoit 
pu  être  laiffé  au  Comte  du  Maine  par  René  d'Anjou  ,  mais 
qu'il  auroit  dû  en  qualité  de  fils  de  Violente  fa  fille  ,  être 
préféré  à  ce  Comte ,  qui  n'étoit  que  neveu  de  ce  même  René. 
Fondé  fur  ces  prétendus  droits,  il  revendiquoit  non-feule- 
ment le  Duché  d'Anjou  ,  &  le  Comté  de  Provence  5  mais 
à  plus  forte  raifon  ,  le  Royaume  de  Naples  qui  tombe  en  que»- 
nouille  >  (  de  forte  que  les  femmes  y  fuccedent  dans  la  ligne 
direde  à  l'exclufion  des  mâles  collatéraux  ,.  )  étant  fur-tout 
mâle  lui-même ,  quoique  né  d'une  femme. 

Si  le  duc  de  Lorraine  avoir  eu  aifez  de  forces  pour  foutenii! 
Tes  droits,  &  féconder  les  vœux  du  Pape,  qui  l'invitoit  à  cette 
expédition ,  &  ceux  des  Napolitains  qui  n'obéillbient  qu'à  re* 
gret  aux  Arragonois ,  il  eft  certain  que  les  defteins  qu'avoit 
ce  Pontife  >  ainfi  que  les  Barons  du  Royaume,  de  reconnoitre 
ce  Prince  pour  Roi ,  enflent  eu  un  heureux  fuccès  5  mais  quoi- 
que tous  fes  efforts  ayent  été  inutiles ,  &  qu'il  n'eût  aucune  ef- 
perance  de  faire  cette  conquête  t  cela  n'a  pas  depuis  empêché 
les  Ducs  de  Lorraine  de  prendre  le  titre  de  Rois  de  Naples  & 
de  Jerufalem  j  afin  de  confeiver  leurs  droits ,  qu'ils  fondent 

y  u  u  iij 


■^2S    '    PIECES   CONCERNANT  L'HISTOIRE 

fur  le  mariage  de  Violente  avec  Frédéric  de  Vaudemont.  Ce 
îi'eft  que  depuis  cette  alUance  qu'ils  ont  écartelé  de  Naples  & 
de  Jerufalem ,  comme  Baleicourt  Ta  fort  bien  remarqué  dans 
le  catalogue  des  Médailles  de  Lorraine  qu'il  a  inféré  dans  foii 
traité  hiftorique  &  critique  fur  P origine  &  Généalogie  de  la  mai- 
(on  de  Lorraine.  On  voit  dans  cet  ouvrage  plulîeurs  Médailles 
des  Ducs  de  Lorraine,  avec  les  armes  de  ces  deux  Royaumes , 
&:  la  plupart  avec  le  titre  de  Duc  de  Calabre. 

Or  la  Médaille  dont  il  s'agit  ayant  été  frappée  en  France  par 
les  ordres  de  Louis  XII.  qui  pouvoir  porter  le  titre  de  Roi  de 
Naples  &  fur  tout  dans  le  temps  qu'il  étoit  en  différend  avec 
Jule  II.  qu'y  a-t'il  de  plus  conforme  à  la  raifon  &  au  bon  fens, 
que  l'explication  de  cette  légende  :  Ferdam  Babylonis  nomen , 
par  laquelle  le  Roi  rabaiflbit  la  fierté  de  ce  Pape ,  &  répondoit 
aux  menaces  qu'il  lui  faifoit  de  le  perdre  .?  Que  pouvoit-il  y 
^voir  en  effet  de  plus  propre  à  réprimer  l'audace  &  la  férocité 
de  Jule  f  Le  Roi  avoit  pris  ces  paroles  du  Prophète  Ifaïe ,  & 
les  avoit  heureufement  appliquées  à  la  ville  de  Rome,  à  laquel- 
le le  nom  de  Babylone  convenoit  mieux  alors  qu'auparavant , 
à  caufe  de  la  corruption  honteufe  des  mœurs  de  cette  Cour , 
qui  étoient  encore  plus  dépravées  depuis  le  Pontificat  d'Ale- 
xandre VI.  D'ailleurs  le  nom  de  Babylone  avoit  toujours  été 
donné  à  la  ville  de  Rome  pour  différentes  raifons.  Saint  Jean 
chap.  1 8.  de  FApocalipfe  v.  4.  fuivant  l'interprétation  com- 
mune des  plus  anciens  Pères  de  i'Eglife ,  n'a  point  eu  d'autre 
ville  en  vue  en  parlant  de  Babylone ,  que  Rome  livrée  à  l'ido- 
îàtrie.  Nos  Théologiens,  pour  prouver  que  Saint  Pierre  a  été 
à  Rome ,  citent  cet  endroit  de  fa  première  Epitre  :  UEglife  qui 
a  été  c ho i fie  dans  Babylone ,  vousfalué.  Ils  nous  enfeignent  qu'on 
donnoit  ce  nom  à  Rome  encore  dans  les  ténèbres  du  Paganif. 
me.  Voyez  le  Père  Noël  Alexandre ,  dans  fon  Hiftoire  Eccle- 
fiaflique.  (i)  Il  y  établit  ce  fentiment  ^  contre  ceux  qui  foutien^ 
lient  que  Saint  Pierre  n'a  pas  eu  deffein  de  parler  de  Rome  , 
mais  plutôt  de  la  Babylone  des  Afiiriens ,  ou  de  celle  d'Egypte. 
On  lui  donna  aulTile  nom  de  Babylone ,  après  qu'elle  eut  em- 
braffé  la  foi  de  Jefus-Chrift.  Ce  ne  fut  pas  à  caufe  de  l'étabiif- 
fement  de  la  Religion  dans  cette  ville  ;  mais  à  caufe  de  la 
corruption  de  fes  mœurs,  même  après  fon  changement.  Ceft 

(1)  S&ciilo.   10.  dijfcrt.    13.  to.  2. 


t)E    J.    A.   DE    THO  U.  $ij 

ainfî  que  Saint  Jérôme ,  déplorant  les  vices  &  les  débauches 
de  Rome ,  l'appelle  dans  fa  fepticme  Epitre  à  Marcella.  Lifez, 
dit  ce  Père ,  PÂpocalipfe  de  Saint  Jean  ^  &  refléchijfezfur  ceqt^il 
y  prédit  de  la  femme  revêtue  de  pourpre  yù'  du  blafphème  écrit  fur 
fon  front ,  des  fept  montagnes  ^  deplufteurs  eaux  ^  &  de  la  defru^ 
âîon  de  Babylone.  Le  même  Père  dans  fa  Préface  aux  livres  de 
Didime  d'Alexandrie  fur  le  Saint  Efprit ,  donne  ouvertement 
le  nom  de  Babylone  à  la  ville  de  Rome  :  LorfquefétoiSy  dit- 
il,  dans  Babylone  y  &  que  fétois  dans  le  fein  de  la  Courtifane  , 
revêtue  de  pourpre  >  &  Citoyen  de  Rome  hfai  voulu  dire  quelque 
chofe  du  Saint  Efprit  y  (i)  er  dédier  ce  petit  ouvrage  déjà  com" 
mencé  au  Pontife  de  cette  même  ville. 

Mais  ce  fut  à  plus  jufte  titre  que  les  écrivains  des  fiécles  fui- 
vains  donnèrent  le  nom  de  Babylone  à  la  ville  de  Rome.  Plu» 
fîeurs  fouverains  Pontifes ,  fur-tout  après  le  pontificat  de  Gré- 
goire VIL  fembloient  avoir  fixé  à  leur  Cour  l'ambition ,  la  dé- 
bauche ,  l'avarice  &  la  fimonie.  Ce  fut  alors  qu'on  appella 
communément  la  ville  de  Rome  du  nom  de  Babylone.  C'eft 
ainfi  que  les  Evêqués ,  &  tout  le  clergé  du  diocéfe  de  Liège 
avoient  coutume  d'appeller  Rome ,  comme  on  peut  le  voir 
dans  leurs  lettres  à  Pafchal  fécond ,  qui  font  inférées  dans  le 
fécond  tome  des  Conciles,  &  dans  Aventinus  liv.  j.  Elle  eft 
aulTi  appellée  de  ce  nom  par  Pierre  de  Blois ,  Epitre  44.  par 
Eberhard  de  Salsbourg ,  cité  par  le  même  Aventinus  hv.  7.  p, 
420.  &  42 1.  Les  Fratricelles  même  en  Italie  ne  lui  donnoient 
point  d'autre  nom.  De-là  vient  que  dans  le  quatorzième  fîécle 
François  Pétrarque  Archidiacre  de  i'Eglife  de  Parme ,  &  en- 
fuite  Chanoine  de  I'Eglife  de  Padoùe ,  appelle  fouvent  la  ville 
de  Rome  une  Babylone  avare ,  lorfqu'il  déclame  contre  la 
corruption  des  mœurs  Romaines  dans  fes  Sonets  &  dans  fes 
Lettres.  (2)  Pia  Roma  hor  Babilonia  falfa  eria.  (3)  C'eft  ainll 
qu'il  s'exprime  dans  un  de  fes  Sonets. 

Dans  des  temps  plus  voifins  du  règne  de  Louis  XII.  Thierry 
de  Niem ,  Nicolas  Ciemangis  &  autres ,  fur-tout  Jean  Gé- 
rard ,  dans  fon  livre  intitulé  :  Confejfw  CathoUca ,  &  Heidegge- 
rus  dans  fon  Hiftoire  de  la  Papauté  (4)  l'ont  toujours  appellée 


{  I  )  Volui  Garrire  aliquid  de  S^iritu 
Sancto.  Hier. 

(1}  Epift.  f.  14.  17,  18.  &  19. 


1------- -'-  -  -  \   *y      —  00  J 

i^j.  110.  13J.  &  144. 


qui  e(î  aujourd'hui  la  Babylone  ou  rè- 
gne le  mcnlonge  &  le  vice. 

C4J  Heidegger  Hijioria  Pa^a.tus  §,  10, 


'528       PIECES   CONCERNANT  L'HISTOIRE 

^infî.  Pouvoit  il  y  avoir  un  temps  plus  convenable  pour  mettre 
ces  paroles  d'Ifaïe  fur  la  Médaille ,  que  Louis  XII.  fuivant  tous 
les  écrivains  François  fit  frapper ,  pour  réprimer  l'audace  du 
Pape  Jule  ? 

D'un  autre  côté  examinons  toutes  les  abfurditez  qui  fui- 
vroient  de  l'explication  du  Père  Hardouin. 

Premièrement,  fi  le  Roi  avoit  eu  en  vue  de  menacer  le 
grand  Caire ,  parce  qu'il  fongeoit  à  fe  remettre  en  poîTelTion 
de  la  Terre  Sainte ,  à  caufe  de  fes  droits  fur  le  Royaume  de 
Jerufalem ,  il  ne  fe  feroit  pas  contenté  de  mettre  feulement 
fur  cette  Médaille  le  titre  de  Roi  de  Naples  ;  mais  pour 
donner  plus  de  forée  à  fes  menaces ,  ôc  les  déclarer  plus  ou- 
vertement, il  auroitpris  le  titre  de  Roi  de  Jerufalem  en  par- 
ticulier ,  fur-tout  l'ayant  déjà  pris  dans  quelques  Médailles. 
Ce  titre  occupoit  fi  peu  de  place  dans  une  Médaille,  qu'on 
auroit  pu  l'ajouter  de  l'autre  côté.  Car  les  Graveurs  Fran- 
çois exprimoient  le  nom  de  Jerufalem  par  ces  trois  lettres 
HiL  :  comme  on  le  voit  dans  quelques  Médailles ,  dont  le 
Elanc  fait  mention,  &  fur  lefqueiles  on  lit  ces  mots  :  Franc. 
SiciL.  HiL.  Ces  Médailles  avoient  été  frappées  par  ordre  de 
Louis  XÏI.  avant  le  traité  de  partage  du  Royaume  de  Na- 
ples avec  Ferdinand.  Le  Roi  de  France  quitta  par  ce  traité  le 
titre  de  Roi  de  Sicile ,  en  coufervant  cependant  celui  de  Roi 
de  Jerufalem. 

Secondement,  des  projets  fi  vaftes  &  fi  romanefques ,  ne 
pouvoient  pas  tomber  dans  l'efprit  du  Roi ,  bien  éloigné  de 
les  exprimer  dans  ces  Médailles  ,  qui  n'auroient  fervi  qu'à 
le  rendre  méprifable  au  peuple  ,  &  à  lui  faire  perdre  la  ré- 
putation de  fagelTe  ôc  de  prudence  ,  dont  il  joùifToit  Ci  jufle- 
ment^pour  le  faire  regarder  de  fes  fujets  comme  un  Prince 
vain  &  léger.  Y  a-t'il  du  bon  fens  à  croire  que  ce  Prince ,  em- 
baraffé  d'affaires  importantes  &  épineufes ,  put  fonger  à  l'ex- 
pédition de  la  Terre  Sainte ,  &  de  la  retirer  non-leulement 
des  mains  du  Soudan,  mais  encore  à  renverfer  la  capitale  de 
fes  Etats ,  de  manière  que  le  nom  même  de  cette  ville  en  fût 
détruit  f  Louis  avoit  alors  en  tçte  deux  ennemis  fâcheux,  qui 
lui  donnoient  affez  d'inquiétude  pour  fes  propres  Etats.  La 
puiflance  ôc  la  fortune  de  Fetdinand  Roi  d' Arragon  s'étoient 
fi  fort  accrues ,  que  Loui$  ayoit  été  obligé  de  fe  retirer  de 

k 


DE  J.  A.  DE  TIÎOU.  y^p 

îa  partie  du  Royaume  de  Naples  qui  lui  etoit  échue ,  &  qu'il 
avoit  été  contraint  d'efliiyer  l'aftront  de  voir  chailer  honteu- 
fement  par  la  force  &  l'artifice ,  ks  troupes  de  toutes  les  villes 
de  cet  Etat.  D'un  autre  côté  il  avoit  à  craindre  la  grande 
puiiiance  de  la  maifon  d'Autriche,  fous  le  Prince  Charles,  (i) 
La  grandeur  de  cette  maifon  lui  caufoit  des  ombrages  pour 
la  fuite  ,  aulîl-bien  qu'au  Roi  d'Arragon.  Il  falloir  toute  la 
hardielTe  du  Père  Hardouin ,  pour  faire  alors  former  à  Louis 
XII.  des  projets  fi  téméraires. 

Troifiémement ,  l'état  des  affaires  de  ce  temps-là  deman- 
doit  que  les  Princes  Chrétiens  fe  réunifient  contre  le  Turc , 
dont  les  progrez  étoient  fi  rapides  en  Europe  &  en  Afie ,  que 
ce  torrent  menaçoit  d'entraîner  tous  leurs  Etats,  fi  on  ne  s'op- 
pofoit  à  fa  fureur  ;  ainfi  ce  n'étoit  pas  contre  le  Soudan  qu'il 
falloit  faire  la  guerre ,  mais  contre  Bajazet  II.  Ce  Prince  ajou^ 
toit  chaque  jour  de  nouvelles  conquêtes  à  celles  de  Maho- 
met II.  fon  père ,  dont  les  armes  avoient  réduit  fous  fa  puif- 
fance  deux  Empires  &  douze  Royaumes  ,  &  plus  de  deux  cens 
Villes  dont  il  avoit  chalfé  les  Chrétiens  j  ce  qui  lui  avoit  fait 
prendre  le  premier  le  titre  d'Empereur  des  Turcs.  Bajazetfon 
fils  &  fon  fucceifeur  pouila  fes  conquêtes  encore  plus  loin.  Il 
foumit  la  Valachieen  1484.  les  Monts  Cerauniens  (2)  &  tou- 
te l'Albanie  en  1492.  Modon  &  Coron  dans  la  Morée  en 
I4P5;.  &  Tannée  fuivanteil  enleva  encore  aux  Vénitiens  plu- 
fieurs  autres  places.  Des  fuccès  fi  prodigieux  dévoient  donner 
des  fujets  de  crainte  au  Pape  &  aux  Princes  Chrétiens.  Tous 
leurs  foins ,  tous  leurs  traitez  ôc  tous  leurs  efforts  étoient  em^ 
ployez  à  fe  garantir  du  péril,  &  on  ne  penfoit  en  aucime  ma- 
nière à  inquiéter  le  Soudan ,  qui  n'avoit  pas  moins  à  craindre 
que  tous  les  Princes  de  l'Europe.  Etant  plus  près  du  péril,  il 
avoit  des  craintes  plus  prelfantes  de  voir  engloutir  fes  Etats  pat 
cette  puiffance  énorme ,  comme  en  effet  il  arriva  bien-tôt  ;  cac 
quelques  années  après ,  Selim  I.  fils  de  Bajazet  ayant  vaincu  le 
Soudan  en  i  j  1 6.  il  le  força  à  fe  tuer ,  &  s'empara  du  Caire , 
d'Alexandrie  &  de  toute  l'Egypte  l'année  fuivante.  Ce  n'étoit 
donc  pas  alors  au  Soudan ,  qui  étoit  fort  embaralfé  de  fon  côté 

(i)  Charles  d'Autriche,  Duc  deBour-    j       (z)  Les  Monts  de  la  Chimère  en  AI^ 
^ogne  qui  fut  enfuite  Empereur.  l    banie. 

Tome  XK  X  x  s 


53Ô  PIECES  CONCERNANT  L'HÎSTOïRE 

qu'on  en  vouloit^  mais  à  l'Empereur  des  Turcs,  quineme- 
naçoit  pas  moins  d'envahir  l'Alie  &  l'Afrique ,  que  toute  PEu^ 
rope. 

Enfin  la  fauffeté  du  fiftême  du  Père  Hardoûin  paroîtra  toute 
entière  ^  dès  qu'il  fera  prouvé  que  le  Soudan  ne  polfedoit  pas 
alors  la  Terre  Sainte  ,  mais  qu'elle  obéiïlbit  au  Sultan  de  Da- 
mas, ville  capitale  du  Royaume  de  Syrie.  Car  l'Hiftoire  nous 
apprend  que  le  Roi  de  Babylone  ou  du  grand  Caire  polfedoit 
auiïi  la  Syrie  dans  les  premiers  temps  de  l'Empire  d'Egypte  3 
comme  SaladinRoi  de  Damas  &  de  Babylone ,  vulgairement 
appelle  Soudan.  Ce  Prince  étant  mort  fans  pofterité  ,  il  eut 
pour  fuccefleur  fon  frère  Sephadin  ,  qui  laiffa  plufieurs  en- 
fans.  Melahadin  l'aîné,  &  Corradin  le  cadet  partagèrent  fes 
Etats.  La  Syrie  échut  en  partage  à  ce  dernier ,  qui  prit  le  nom 
de  Roi  de  Damas  ou  de  Soudan.  Il  fit,  à  l'imitation  de  fon 
père  tous  fes  efforts,  pour  reprendre  fur  les  Chrétiens  la  Terre 
Sainte ,  qui  étoit  dépendante  de  fes  Etats.  On  peut  voir  ces 
faits  dans  la  Cronique  de  Richard  de  Saint-Germain  à  l'année 
1214.011  il  rapporte  l'état  de  ce  pays  tel  qu'il  étoit  de  fon 
temps,  fçavoir  fous  l'empire  de  Frédéric  II. «Saladin  étant 
9>  mort ,  dit  cette  cronique ,  fans  pofterité ,  Sephadin  régna 
»  après  lui.  Ce  Prince  laifla  quinze  enfans ,  dont  fept  héritèrent 
»  de  fes  Etats.  Melkekeme  l'aîné  eut  en  partage  Alexandrie  , 
»  Babylone, le  Caire,  ôc  toute  l'Egypte  méridionale  &  fep- 
X  tentrionale  5  il  devoir ,  par  une  difpofition  générale  de  fon 
a^  pere ,  être  le  maître  de  tous  fes  Etats  ôc  le  Seigneur  de  tous 
»  fes  frères.  Corradin  eut  Damas ,  Jerufalem  &  toute  la  Terre 
^  Sainte ,  qui  avoit  appartenu  aux  Chrétiens ,  &  dont  ils  pof- 
»  fedoient  encore  une  petite  partie. 

L'Empereur  Frédéric  II.  ayant  pris  la  Croix,  pour  le  voïage 
d'Outremer ,  ôc  s'étant  rendu  en  Syrie ,  fut  obligé ,  fur  l'avis 
qu'il  reçut  que  le  Pape  Grégoire  IX.  lui  enlevoit  à  main  ar- 
mée le  Royaume  de  Naples ,  de  traiter  avec  le  Soudan  d'E- 
gypte ,  aux  conditions  les  plus  favorables  qu'il  put  obtenir  , 
afin  de  pouvoir  retourner  en  Italie  pour  reconquérir  ce  Roïau- 
me.  Ceux  qui  accufoient  Frédéric  d'agir  fans  réflexion ,  lui 
reprochèrent  entr'autres  chofes  d'avoir  fait  un  traité  injurieux 
aux  Chrétiens ,  en  convenant  que  le  faint  Sépulcre  feroit  gar-< 


DE   J.    A.   DE    T  KOU.  ss^ 

dé  par  les  Sarafins  ,  &  d'avoir  conclu  la  trêve  feulement  avec 
le  Soudan  d'Egypte  fans  y  appeller  le  Roi  de  Damas,  qui  avoit 
des  droits  fur  le  Royaume  de  Jerufalem ,  qu'il  tenoit  en  effet 
fous  fa  puiffance.  Grégoire  IX.  écrivant  à  l'Archevêque  de 
Milan ,  fe  plaint  en  ces  termes  dans  cette  lettre  rapportée  pac 
Oderic  Raynaud  >  tom.  1 3 .  à  l'année  1 22p.  n.  2.  »  Frédéric  a 
w  fait  le  même  traité  avec  le  Soudan  de  Babylone,  qui  ne  pof- 
»  fede  ni  de  droit  ni  de  fait  Jerufalem  >  ou  fon  tert-itoire ,  & 
»  fans  y  appeller  le  Roi  de  Damas.  »  Gerauld  Patriarche  de  Je- 
rufalem fait  le  même  reproche  à  Frédéric ,  &  dit  que  ce  trai- 
té ne  fera ,  ni  fur  ni  durable ,  parce  qu'il  a  été  conclu  fans  y 
faire  accéder  le  Roi  de  Damas.  Les  plaintes  de  ce  Patriar- 
che font  rapportées  par  plufieurs  Compilateurs.  Elles  fe  trou- 
vent dans  l'Epître  34.  du  Regefti  Gregoriani ,  liv.^.  &  dans 
Kaynauld  à  l'an  1 22p.  &  mot  à  mot  par  Simon  Hanfous  Fré- 
déric II.  dans  l'Hiftoire  qui  a  paru  depuis  peu. 

Il  falloir  donc  diftinguer  deux  Sultans ,  f^çavoir ,  celui  d'E» 
gypte ,  qui  réfidoit  au  Grand  Caire,  &  le  Sultan  de  Damas  à 
qui  Jerufalem  &  la  Terre  Sainte  appartenoient ,  &  qui  de- 
meuroit  à  Damas ,  capitale  du  Royaume  de  Syrie. 

Campfon  Gaury  étoit  Soudan  d'Egypte  du  temps  de  Louis 
XI I.  &  il  y  avoit  un  autre  Soudan  à  Damas  qui  polfedoit  la  Sy- 
rie &  Jerufalem  ,  comme  on  peut  le  voir  dans  FHiftoire. 
Ainfi  Louis  XII.  n' avoit  rien  à  démêler  avec  Gaury ,  à  qui  il 
eût  inutilement  fait  des  menaces  au  fujet  de  la  Terre  Sainte , 
qui  étoit  au  pouvoir  du  Soudan  de  Damas. 

Ce  fait  prouve  encore  que  les  deux  lettres  que  Jean  le 
Maire  rapporte ,  comme  de  Campfon  à  Louis  XII.  &  de  ce 
Prince  au  Soudan ,  font  apocryphes.  Gaury  promet  dans  fa 
lettre  au  Roi  de  France  de  remettre  à  fes  Ambafladeurs  le 
Saint  Sépulcre  &  les  Saints  lieux ,  ce  qu'il  n'étoit  pas  en  fou 
pouvoir  de  faire ,  puifque  le  Sultan  de  Damas  les  pofledoit. 
Ces  deux  Princes  furent  bien-tôt  opprimez  par  Selim  I.  fils  de 
Bajazet.  Ce  conquérant  dans  le  même  temps  qu'il  ôta  le 
Royaume  &  la  vie  à  Campfon,  fit  un  traitement  plus  bar* 
bare  &  plus  inhumain  au  Sultan  de  Damas  :  car  après  l'avoir 
pris  dans  im  combat ,  il  le  dépouilla  de  tous  fes  Etats,  le  jet* 
ta  dans  une  prifonaffreufe ,  &  le  fit  enfin  cruellement  empaler» 

Xxx  i] 


^^2      PIECES  CONCERNANT  L'HISTOIRE 

Scipion  Ammirato  dans  le  huitième  difcours  de  fes  mélanges 
rapporte  ces  faits  -,  mais  il  dit  que  ce  Prince  fut  étranglé. 

On  a  fait  voir  aflez  clairement  que  les  menaces  de  Louis 
XII.  ne  pouvoient  regarderie  Soudan  d'Egypte,  mais  plutôt 
la  ville  de  Rome ,  à  qui  le  nom  de  Babylone  convenoit  beau- 
coup mieux  après  le  Pontificat  d'Alexandre  VI.  &  de  Jules 
H.  qu'auparavant  ;  car  la  Cour  de  Rome  n'avoit  jamais  été  fi 
corrompue ,  que  fous  ces  deux  Pontifes  Romains. 


,1 


DE    J.   A.  DE    T  H  O  U;  J^f 

LETTRES 

H  I  s  T  o  R I  Q.U  E  S 

D  E 

TAC  Q^U  ES-AUGUSTE 

E   THOU- 


Lettre  de  JacqueS'ÂuguJîe  de  Thou  contre  la  Ligue ,  &fur  les 
moyens  de  parvenir  à  la  Paix ,  écrite  en  i$^2. 

MONSIEUR.  Ilya  long  temps  que  je  defirois  que  Imprimée  fiit 
l'oGcafion  s'offrît  de  vous  efcrire  :  les  recomman-  ^^  M"nu^criç? 
dations  que  l'aumofuier  qui  vous  rendra  la  pre- 
fente  m'a  faites  de  voftre  part ,  m'en  ont  rafraif* 
chy  la  mémoire.  Pleuft  à  Dieu  que  fuffiés  maintenant  au  Ser- 
rin,  &  moy  avec  vous,  pour  pouvoir  avec  plus  de  liberté 
&  de  privante  devifer  des  affaires  publiques  j  mais  puifque 
le  malheur  du  temps  nous  en  empefche,  autant  qu'il  fe  peut 
par  lettres,  je  vous  diray  que  je  plains  extrêmement  l'eflat 
miferable  de  voftre  ville ,  tant  pour  ce  qu'elle  a  fouffert  cy- 
devant  &  fouffre  encores  de  prefent ,  que  pour  le  mal  que 
je  prevoys  &  appréhende  à  Fadvenir ,  qui  enfin  la  conduira 
à  fa  totale  ruine.  Desja  l'on  en  voit  les  commencements  es 
fauxbourgs ,  qui  font ,  au  moins  faifoient ,  la  meilleure  partie 
de  la  ville  5  &  mefmes  beaucoup  de  maifons  de  la  ville  ont 
fenty  ou  la  cruauté  ^  ou  la  neceffité  de  la  guerre.  Ce  n'eft 
ce  que  l'on  s'étoit  promis  à  ce  commencement,  où  tout  rioit 
aux  entrepreneurs  de  l'œuvre  :  lors  l'on  promettoit  toute  liber- 
té &  immimité  au  peuple,  au  lieu,  comme  l'on  difoit,  àeg 

X  X  X  ii  j 


^34  PIECES  CONCERNANT  L'HISTOIRE 

oppreffions  &  tyrannies  qu'il  avoit  enduré  par  le  pafle.  Et 
toutesfois,  fi  l'on  veut  mettre  toute  paflion  àpart ,  &  confiderer 
l'eftat  de  la  ville  durant  qu'elle  eftoit  obeiflante  au  feu  Roi 
(  cHjus  memoriaftt  in  benediâione  )  &  celuy  de  prefent ,  &  faire 
comparaifon  de  l'un  &  de  l'autre ,  il  faut  confefler  qu'elle  s'eft 
précipitée  du  comble  de  félicité  en  l'abyfme  de  toutes  ca- 
lamités i  quand  elle  a  quitté  l'obeiflance  de  fon  Prince  légiti- 
me ,  pour  s'abandonner  à  ceux  qui  l'ont  pofledée  depuis  in- 
juftement.  Excufés  moy  fi  j'en  parle  en  cette  façon  •-,  ce  n'eft 
pour  accufer  tous  ceux  qui  y  font  demeurés ,  &  ont  participé 
au  gouvernement  d'icelle  durant  ces  guerres  j  je  parle  en  gê- 
nerai, &  fçay  en  particulier,  que  plufieurs  y  font  demeurés, 
partie  pour  n  efperer  feureté  ailleurs  &  la  trouver  là ,  partie 
pour  empefcher  par  leur  prefence  les  defordres ,  qui  ont  ac^ 
couftumé  d'arriver  en  tels  changements ,  en  quoy  toutesfois 
je  crois  qu'ils  fe  font  trouvés  deceus  foit  en  l'un,  foit  en  Pau- 
tre  :  car  enfin  cette  ville  que  l'on  eftimoit  un  rampart  inex- 
pugnable ,  une  grandeur  incomparable ,  &  une  force  invinci- 
ble ,  s'eft  veu  en  moins  d'un  an  par  trois  fois  comme  alfiegée 
&  prefque  forcée  ,  ce  qui  euft  efté ,  fans  que  Ton  efperoit  la 
pouvoir  avoir  entière  fans  fac  ;  d'ailleurs  tous  fes  moyens  ef- 
puifés ,  &  la  ville  reduitte  à  ce  point ,  que  les  plus  médiocres 
de  ce  Royaume  luy  peuvent  eftre  efgalées  j  &  au  lieu  que  fon 
ïiom  feul  eftoit  effroyable  auparavant ,  maintenant  elle  eft  le 
mépris  d'un  chacun,  &  jugée  prenable  par  un  petit  nombre 
d'hommes.  Voila  quant  à  la  feureté ,  en  laquelle  fi  ceux  que 
j*ay  dit  fe  font  trompés ,  ils  ne  Pont  çfté  moins  en  ce  qu'ils 
s'eftoient  perfuadés  de  pouvoir  eftablir  quelque  ordre  en  ces 
defordres  5  car  le  mal  a  furmonté  la  médecine ,  &  la  tem- 
pefte  l'art  du  nocher.  Vous  avés  veu  &  efté  tefmoin  des  injuf- 
tices,  violences,  opprefles,  blafphemes,  menfonges,  calom- 
nies qui  fe  font  faides  &  dides  pendant  ce  temps ,  &  m'alfurc 
que  vous  en  avés  fouvent  pleuré  &  gémi  en  fecret.  Je  ne 
puis  penfer  que  le  temps  vous  ait  changé ,  &  que  ne  foyés 
encore  celuy  mefme  que  j'ay  veu  &  conneu  cy-devant,  c'eft  ^ 
dire ,  amateur  du  vray  honneur  de  Dieu  &  du  repos  public; 
ennemy  de  Pinjuftice  &  de  la  licence  effrénée  '•>  &  toutesfois 
vous  voyés  le  nom  de  Dieu  aujourd'huy  pris  en  vain ,  par 
ceux  qui  fe  dilent  protedeurs  de  la  Religion ,  6c  fervir  d^ 


-    DE   J.    A.    D  E   T  HO  U.  S3S 

mafqne  Se  de  prétexte  à  leur  ambition.  Il  y  a  long-temps  que 
cela  fe  crie ,  &  que  les  fages  l'ont  creu ,  mais  diillmulé  par 
mode{l:ie  :  maintenant  le  mafque  eft  levé,  ôc  fe  voit  claire- 
ment leur  impofture  dcfcouverte ,  quand  eux  mefmes  mettent 
îa  confulion  en  la  Religion  ,  &  par  l'obftinée  continuation 
de  la  guerre  ils  efteignent  toute  charité  Chrétienne,  quâ  fub- 
latâ  quid  attinet  de  do5lrina  digladiari  ?  Je  m'afflire  que  le  jugés 
ainfy  ,  &  qu'il  en  faut  venir  enfin  à  la  paix  ;  nom  fî  doux 
aux  bons  &  vrays  Catholiques ,  au  contraire  odieux  aux  fe~ 
ditieux  &  fadieux:  &  bien  que  témérairement  l'on  ait  juré 
cy-devant  plufieurs  fois  de  ne  faire  jamais  la  paix ,  fi  faut-il 
que  la  neceffité ,  qui  eft  la  plus  puifiante  de  toutes  les  Déef- 
fes ,  difoit  un  ancien ,  &  TimpolTibiliié  de  continuer  la  guerre , 
la  faiïent  contre  le  gré  &  en  defpit  de  ceux  qui  en  ont  plus 
de  befoing.  Je  crois  que  ceux  qui  s'eftoient  fichés  en  cette 
refolution  de  ne  faire  jamais  la  paix  ,  ont  tantoft  efprouvé  tous 
îes  moyens  de  pouvoir  faire  la  guerre  ,  &  l'entretenir  tant  de- 
dans que  dehors;  ils  ont  jugé  ce  qui  leur  en  pouvoit  revenir 
d'utilité ,  &  d'avancement  en  leurs  affaires  :  qu'en  ont  ils  rap- 
porté jufques  icy  que  de  la  honte ,  ôc  de  la  ruine  à  l'advenir 
pour  eux  &  leur  pofterité  ?  Ils  fe  font  fiés  au  commencement 
en  la  facihté  des  peuples ,  lefquels  fous  le  prétexte  de  la  Reli- 
gion ils  ont  par  moyens  obliques  diftraits  de  l'obeifiance  deuë 
aux  magiftrats ,  &  enfin  induit  à  fe  foullever  contre  leur  Prin- 
ce ;  mais  ils  ont  connu  enfin  que  c'eft  peu  de  chofe  du  peuple 
fans  la  Noblefiè ,  car  le  peuple  bien  que  puidant  en  nombre 
eft  une  befte  à  plufieurs  teftes ,  &  par  confequent  qui  ne  peut 
eftre  reteneu  par  aucune  bride  ;  depuis  qu'il  a  une  fois  quit- 
té l'obeiflance  &  violé  les  loix  :  voila  pourquoy  ce  nombre 
ne  luy  fert  que  de  confufion  non  de  force ,  &  enfin  par  faute 
de  chef  &  d'ordre  s'accable  &  fe  deffait  fov  mefme.  Cette 
befte  a  aulfi  un  autre  naturel ,  qui  eft  d'eftre  légère  &  incon- 
ftante ,  s'attacher  aux  apparences  &  chofes  prefentes ,  aymer 
fes  commodités  ,  &  porter  impatiemment  les  incommo- 
dités de  la  guerre ,  principalement  de  la  part  de  ceux  def 
quels  elle  s'eftoit  propofé  tout  foulagement  :  c'eft  pourquoy 
le  peuple  s'efmeut  aifement,  &  embraife  volontiers  les  nou- 
veautés, qui  font  ordinairement  colorées  de  beaux  &  fpe- 
cieux  prétextes  j  mais  foudain  comme  il  fe  voit  fruftré  de  fes 


^5^        riECES    CONCErvNANT  L'HÎSTOÎRE 

efperances  &  privé  de  fes  commodités  accoutlumées ,  auiïi- 
toit  cet  amour  inconilant  fe  tourne  en  haine ,  &  veut  amender 
par  raifon  ce  qu'il  a  fait  par  imprudence  &  légèreté  j  &  d'ail- 
leurs d'autant  qu'il  fait  eftre  moins  formidable  &  fufped  aux 
Grands ,  il  craint  moins  la  reconciliation.  Pour  ces  raifons  la 
force  populaire  n'eft  de  grand  poids  en  telles  entreprifes ,  qui 
tendent  au  changement  non  d'une  ville  ou  d'un  petit  pays , 
ains  de  plufieurs  provinces,  &  d'un  grand  Royaume,  à  la 
confervation  duquel  la  Noblefle  ayant  très  grand  intereft ,  cac 
les  remuements  ne  fe  peuvent  faire  fans  l'extindion  de  la  No- 
blefle, il  ne  fe  faut  efmerveiller  li  elle  s'eft  11  courageufe- 
ment  évertuée  jufques  icy  pour  empefcher  rinvafion  &  Te- 
verfion  de  cet  Eftat.  Donques  que  peuvent  dire  ceux  qui  font 
chefs  de  ces  feditions  qu'ils  ayent  profïité  depuis  deux  ans , 
finon  d'avoir  chafsé  leurs  concitoyens  de  leurs  maifons,  pillé 
6c  ravagé  leurs  biens ,  exercé  infinies  cruautés  fur  eux ,  s'eftre 
confommés  eux  mefmes  j  &  enfin  reconnoiflans  leur  foiblef- 
fe  ,  s'eilre  proftitués  aux  eftrangers  ennemis  de  cet  Eitat, 
&  leur  avoir  abandonné  la  Provence  d'un  cofté ,  la  Cham- 
pagne &  la  Bretagne  de  l'autre  ?  Et  en  tout  cela  quelle  part 
y  a  l'honneur  de  Dieu  ?  Le  cœur  me  faigne  quand  je  fonge 
aux  barbaries  qui  fe  font  commifes  depuis  ce  temps ,  &  fous 
prétexte  de  Religion  ;  comme  fi  la  Religion  pouvoit  eftre 
où  l'injuftice  règne  ,  contre  ce  que  nous  dit  Ladance  en  quel- 
que lieu  o^UQ fmnma  Religio  efi  juftitia  muneribus  defungi.  Que 
refte-t-il  donc  plus  pour  l'advenir  d'efperance  &  de  moyens 
pour  continuer  la  guerre  à  ceux  qui  ont  en  telle  horreur  la 
paix  ?  Deux  chofes  ,  defquelles  l'une  fe  tient  fecrette  ,  &  ne 
le  peut  honneftement  dire  par  ceux  qui  la  défirent  plus  ;  de 
l'autre  l'on  murmure  &  donne-t-on  l'efperance  au  pauvre  peu- 
ple abufé  :  la  première  eft  la  mort  du  Roy  attendue  &  pour- 
chafsée  par  tous  moyens  reprouvés  de  Dieu  &  des  hommes  ; 
les  confpirations  pour  ce  faites  en  ont  efté  ja  plufieurs  fois 
defcouvertes ,  mais  il  me  femble  que  l'exemple  dernier  de- 
vroit  faire  fages  les  plus  infenfésî  car  qu'ont  gagné  les  con- 
jurés à  la  mort  du  feu  Roy  ,  finon  d'avoir  mis  une  tache  d'infa- 
mie perpétuelle  en  la  Religion  ,  &  au  nom  François  ?  Au 
refte ,  quel  avantage  ont  ils  eu  finon  d'avoir  reculé  le  moyen 
de  pacifier  les  troubles,  6c  de  donner  repos  à  ce  pauvre  Royau- 
me ; 


D  E    J.    A.    D  E   T  H  O  U.  557 

me,  travaille  par  leur  ambition.  Ils  efperoient  fous  prétexte 
de  la  Religion  que  l'on  fe  diviferoit,  &  que  par  noilre  di- 
vifîon  ils  fe  fortineroient ,  mais  Dieu  vengeur  de  l'outrage 
qui  fe  fait  à  fon  faint  nom ,  quand  il  eO:  pris  en  vain ,  a  difTipé 
tous  ces  malheureux  confeils,  &  tant  à  l'occafion  de  l'indi- 
gnité du  fait  que  pour  fon  falut  particulier  ^  a  réuni  la  No- 
blefle  plus  eftroitement  que  devant  fous  l'obeiffance  de  fon 
Prince ,  pour  venger  une  lî  grande  injure  faite  au  nom  Fraiv 
^ois ,  &  empefcher  la  difllpation  de  cet  Eftat ,  c'eft  à  dire  la 
ruine  &  everfîon  de  la  Noblefle.  Cela  ne  leur  avoir  efté  pref- 
ché  ,  ny  dit  en  confeffion ,  ny  fouilé  aux  oreilles  dix  ans  aupara- 
vant ,  ou  perfuadé  par  iniques  efperances  :  au  contraire ,  la  plufr 
part  de  ceux  qui  l'aflTiftent  aujourd'huy  font  ceux  mefmes  qui 
es  années  pafsées  fous  le  règne  de  fon  predecefleur ,  ont  efté 
pris ,  bleffés ,  perdu  leurs  pères ,  frères ,  parens  &  amis  es  guer- 
res contre  luy ,  &  toutesfois  en  un  moment  chafcun  s'eft  refolii 
de  le  reconnoiftre ,  comme  le  falut  du  gênerai  &  du  particulier 
dépendant  de  cette  reconnoiflance  ;  qui  me  fait  croire  cer- 
tainement que  cette  infpiration  vient  du  ciel ,  eftant  impolTible 
que  tant  d'ames  agitées  de  tant  de  diverfes  pafllons.,  en  un 
temps  il  débordé  &  plein  de  rebellions ,  euiTent  pu  eftre  en 
mefme  temps  touchées  d'un  mefme  fentiment.  Il  elles  n'eut- 
fent  efté  touchées  de  Dieu.  Pour  cescaufes  je  ne  puis  penfee 
que  Dieu  ayant  contre  tant  d'entreprifes ,  embûches  &  ca- 
lomnies deffendu ,  prefervé  &  maintenu  depuis  vingts  ans  ce 
Prince ,  &  depuis  appelle  en  Pextrefme  neceftité ,  pour  fecou- 
rir  fon  Prince  &  Seigneur ,  &  enfin  miraculeufement  contre 
tous  difcours  humains  eftabli  au  throne  de  fes  predecefleurs , 
ne  l'ait  choify  en  ces  derniers  jours  pour  inftrument  de  quel- 
que grande  chofe  qui  tournera  enfin  à  fa  gloire  ^  &  à  noftre 
repos  j  c'eft  à  dire ,  pour  mettre  la  paix  en  l'Eglife ,  &  y  rappel- 
ier  fous  fa  foy  non  feulement  tous  les  François  dévoyés ,  mais 
aufty  les  Allemans ,  Polonois ,  Suédois ,  Danois  3  Anglois  & 
Efcoftbis  5  ce  qu'un  autre  Prince  ne  pourroit  faire.  En  particu- 
lier je  fçay  que  c'eft  fon  intention  pour  luy  avoir  ouï  dire 
fouvent ,  &  qu'il  n'avoit  regret  en  la  longueur  de  cette  cruelle 
guerre,  que  pour  ce  qu'elle  retardoit  les  effets  de  cette re- 
folution.  Icy  fe  pouroient  dire  pîufieurs  chofes  de  fes  mœurs 
^  deportement ,  ôc  de  ce  qu'on  doit  efperer  de  luy  à  la  vérité  ^ 


538         PIECES  CONCERNANT  L'HISTOIRE 

contre  ce  qui  fe  dit  &  publie  par  delà  par  les  artifices  de  fes 
ennemis  ;  mais  le  temps  ny  le  papier  ne  le  permet.  L'au- 
tre point  duquel  je  fçay  que  l'on  bruit  fort  par  delà ,  &où  l'ou 
met  la  principale  efperance ,  eft  la  divifion  de  fa  maifon  &  des 
liens  >  chofe  à  quoy  Ton  fe  doit  auiïy  peu  attendre  :  je  le 
f(^ay  ,  &  en  puis  parler.  J'ay  cet  honneur  d'eftre  près  de  ceux 
que  pouvés  penfer  ,  d'affifter  à  leurs  confeils ,  où  ils  m'appel- 
lent ,  car  d'ailleurs  de  mon  naturel  Je  me  retire  le  plus  loin  des 
Grands  que  je  puis  :  je  les  voy  &  oy  parler  tous  les  jours. 
Je  vous  fupplie  de  croire ,  &  le  vous  dis  en  amy ,  qu'ils  font 
fort  éloignés  de  ces  confeils ,  &  (i  l'on  a  fait  courir  d'icy  ces 
biuits ,  ou  que  l'on  ait  donné  efperance ,  croyés  que  ce  a  eflé 
pour  quelque  autre  effet ,  &  brief  pour  tromper  &  gagner 
le  temps ,  comme  de  vos  quartiers  l'on  fait  courir  beaucoup 
de  bruits  pour  amufer  ceux  de  deçà.  L'exemple  de  leur  oncle 
eft  trop  récent,  lequel  eftoit  le  plus  heureux  Prélat  qui  naf- 
quit  jamais ,  comme  ils  difent ,  s'il  n'eut  trempé  en  la  fadion  j 
d'ailleurs  ils  reconnoiiTent  l'obligation  qu'ils  ont  à  leur  aifné , 
par  lequel  la  couronne  eft  entrée  en  leur  maifon ,  &  fans  lequel 
ils  fçavent  qu'ils  en  eftoient  exclus.  Ils  ont  oublié  l'indigne 
traitement  qu'ils  ont  receu  des  Députés  des  prétendus  Eftats 
tenus  dernièrement  à  Blois ,  lorfque  leurs  ennemis  fembloient 
eftre  au  defliis  de  leurs  affaires,  la  feditieufe  oppofition  qui 
fut  formée  contre  l'un  d'eux  durant  ce  temps  au  Parlement  > 
ôc  pour  ce  tout  ce  qui  viendra  de  cette  part ,  d'orefnavant 
leur  fera ,  comme  il  doit  eftre ,  fufped  :  mais  furtout  ils  ont 
leur  confcience  &  leur  honneur  en  recommandation ,  qui  font 
cefler  toutes  autres  confiderations  en  leur  endroit.  Si  vous 
avés  par  delà  des  Théologiens  qui  authorifent  la  rébellion, 
6c  fous  prétexte  de  Religion  appellent  le  peuple  à  la  licence 
pour  fouler  aux  pieds  la  juftice  &  introduire  impunité  de  tous 
crimes  ;  nous  en  avons  d'autres  icy  auffy  catholiques  ,  qui 
prefchent  l'obeiflance ,  qui  exhortent  le  peuple  fur  peine  d'en- 
courir le  jugement  &  l'indignation  de  Dieu ,  qui  deteftent  les 
voleries  &  maflacres ,  incitent  le  peuple  à  la  paix,  à  l'amour. 
de  leur  prochain  ,  &  à  la  charité  Chreftienne.  Qui  des  deux 
font  poufsés  de  l'Efprit  de  Dieu ,  ou  ne  le  font  pas  ?  ce  n'eft 
à  moy  à  en  juger  maintenant  :  les  effets  le  démontrent  chacun 
jour  j  ôt  Dieu  meliîie  par  le  fuccés  des  combats  k  fembls 


DE  J.  A.  DE  THOU.  j5P 

juger  tous  les  jours,  oftant  le  courage  aux  uns,  &  le  redou- 
blant aux  autres.  Quoy  qu'il  en  foir ,  les  Princes  qui  ont  l'efprit 
doux  &  clément ,  non  fanguinaire  &  plein  de  haine  ,  adhèrent 
aux  Théologiens  qui  prefchent  la  douceur  &  la  manfuetude , 
&  quand  bien  ils  autoient  perdu  toute  fouvenance  du  temps 
de  la  perfecution  de  leur  maifon ,  la  mémoire  leur  en  eft  tous 
les  jours  rafraichie  par  les  deportemens  de  leurs  ennemis.  Ils 
fçavent  que  le  prifonnier  de  Loches  a  did  plufieurs  fois ,  qu'il 
falloir  que  l'une  ou  l'autre  des  deux  maifons  donnaft  du  eu! 
en  terre  j  que  le  Commandeur  de  Diou  a  efcrit  au  Sieur  de 
Villeroy ,  mefme  durant  la  vie  du  feu  Monf.  le  Cardinal  de 
Bourbon ,  que  puifque  toute  la  maifon  de  Bourbon  eftoit  fuf- 
pede  à  leur  party ,  &  que  le  lieutenant  de  l'eftat  royal  n'eftoit 
fuffifant  pour  fouftenir  ce  faix,  qu'il  falloir  avoir  recours  à 
l'Efpagnol  ou  au  Savoyard  :  que  le  cardinal  Montalte  à  efcrit 
au  cardinal  Cajetan  qu'il  avoit  fait  faute  de  n'avoir  recherché 
le  cardinal  qui  eft  icy  ,  fous  efperance  de  luy  donner  la  cou- 
ronne ,  encore  qu'il  fut  refolu  de  n'en  rien  faire  puis  après , 
pour  par  ce  moyen  attirer  fon  jeune  frère  ,  &  ainfy  les 
defunir  tous  deux  d'avec  leur  chef,  ôc  par  la  defunion  les 
affoiblir  &  ruiner  totalement.  Nous  en  avons  icy  les  Lettres , 
véritables  non  controuvées ,  comme  celles  qui  fe  publient  par 
delà.  Ceux  qui  gouvernent  par  delà ,  s'ils  veulent  mettre  la 
main  fur  la  confcience ,  fçavent  que  je  vous  efcrits  la  vérité  ; 
brief  ces  Princes  font  François  &  enfans  de  la  maifon  j  pour 
ce  ils  ont  intereft  à  la  confervation  de  cet  eftat,  à  la  ruine 
duquel  ils  voyent  que  tous  les  confeils  de  delà  tendent.  Ils 
voyent  la  refolution  de  la  Noblefle  qui  eft  leur  principal  appuy. 
Ils  voyent  que  Dieu  benift  leur  œuvre  ,  &  femble  maudire 
le  voftre ,  ayant  réduit  vos  grandes  &  populeufes  villes ,  de- 
puis cette  rébellion ,  à  la  folitude  &  à  l'indigence  :  au  con- 
traire ,  ayant  augmenté  les  petites  villes  qui  fe  font  confervées 
fous  l'obeiflance  de  leur  Prince  &  multipliées  en  biens ,  telle- 
ment que  cette  ville  où  nous  fommes ,  qui  n'eftoit  auparavant 
la  dixième  de  ce  Royaume,  eft  maintenant  la  plus  grande 
&  la  plus  floriflante.  Pourquoi  f  pource  que  l'on  y  fert  Dieu 
fans  hypocrifie  ,  l'on  n'y  blafpheme  fon  faint  nom  ,  le  peu- 
ple y  eft  obeiftant ,  la  juftice  révérée ,  &  le  fouverain  ma^ 
giftrat  qui  eft  le  Roi ,  reconniu 

Yyy  ij 


J40  PIECES    CONCERNANT  L'HISTOIRE 

Voilà  les  difcours  &  réfolution  de  ces  Princes  :  vous  juge- 
rés  par-là  quelle  efpérance  doivent  avoir  ceux  qui  fe  promet- 
tent de  les  defunir  d'avec  celuy ,  duquel  leur  falut ,  comme 
ils  diîent ,  dépend ,  &  fans  lequel  il  y  a  long-temps  que  leurs 
ennemis  fuffent  venus  à  chef  de  leur  entreprife ,  c'eft-à-dire , 
euflent  du  tout  ruiné  leur  maifon. 

Quand  à  la  Religion ,  de  laquelle  ils  font  fort  grands  zéla- 
teurs ,  &  n'en  cèdent  à  perfonne ,  ils  n'eftiment  qu'il  en  foit 
queftion  maintenant  j  il  eft  préalable  d'eftablir  la  paix  &  la  re- 
connoiflance  du  fouverain  &  légitime  magiftrat  en  ce  Royau- 
me 5  que  la  Religion  eft  en  l'Eftat ,  &  non  l'Eftat  en  Religion , 
comme  a  dit  un  ancien  5  que  la  Religion  eft  comme  la  tefte 
en  l'Eftat,  &  par  confequent  n'en  fait  que  la  partie  5  fi  tout  le 
corps  meurt ,  qu'en  vain  fe  travaille-t-on  pour  guérir  le  mal 
de  la  tefte,  il  faut  donc  fauver  ce  corps  entier  pour  pourveoir 
au  mal  qui  eft  en  la  tefte,  c'eft-à-dire^  en  la  Religion;  que 
l'on  ne  peut  guérir  tout  le  corps  3  &  par  confequent  la  tefte , 
que  par  le  repos ,  c'eft-à-dire ,  la  paix.  Voilà  le  hic.  Je  fçay 
bien  que  l'on  dira  que  ce  font  langages  de  politiques  5  mais 
je  l'avoue ,  car  c'eft  une  qualité  fort  néceflàire  aux  princes  j  & 
à  ceux  qui  font  appelles  au  gouvernement  des  Eftats  pour  les 
bien  policer ,  &  les  y  maintenir  en  paix  &  en  repos  :  &  c'eft 
pourquoy  auffy  que  ceux  qui  défeignoient  il  y  a  fi  long-temps 
de  planter  la  defobéiftance ,  &  par  la  rébellion  introduire  toute 
confufion  &  defordre ,  ont  rendu  par  leurs  impoftures  ce  nom^ 
fpécieux  en  foy  j  fi  odieux  au  fimple  peuple ,  auquel  ils  ont  fait 
haïr  leur  bien,  pour  embrafter  ce  qui  devoit  eftre  enfin  leuir 


rtune. 


Lettre  de  Jac.  Aug.  àc  Thou  à  Henri  de  la  Tour ,  Duc  de  Bouil- 
lon i  fur  la  converfion  du  Roi  Henri  /A''.  (  i  ) 

Imprimé  fur  T\   yjT  Onsieur,  J'ay  différé  jufqucs  à  ccttc  heiu'e  à  vous 
le  Manufcm.  J[  y  j[  efcrire  ,  attendant  de  voir  plus' clair  en  cette  négo- 
ciation :  maintenant  que  les  chofes  font  fur  le  point ,  ou  de 
rompre  du  tout  fans  efpérance  de  les  pouvoir  renouer  à  l'ad- 


(i)  Cette  Lettre  fut  écrite  pendant  la 
conférence,  tenue  à  Surefne  en  15^}. 
De  Thou  y  étoit  im  dçs  députez  de  la 


part  de  Sa  Majcfté.  Voyez  Ton  Hiftoire  , 
tom.  xi.Iiv.cvi.pag.  74^, 


D  E  J.  A.  DE  THOU.  ^41  : 

venir,  pour  les  raifons  qui  vous  feront  repréfentces  par  Mef-  ] 
iieurs  de  Schomberg  &  Revol ,  ou  de  produire  le  fruit  defîré 

de  tous  les  bons  î  j'ay  pris  la  hardielle  de  vous  faire  la  prefen^  * 
te  ,  &  vous  fupplier ,  félon  voftre  prudence  accouftumée ,  con- 

fiderer  l'eftat  auquel  font  les  affaires,  &  ne  perdre  roccafion  i 

d'embrafler  les  volontés  du  gênerai  qui  eft  fort  difpofé  à  re-  \ 
connoiftre  fa  Majefté,  &y  femble porté  d'une  bienveillance 
extraordinaire ,  ne  requérant  rien  en  elle  que  la  qualité  tant 

agitée  en  nos  temps ,  laquelle  a  fervi  de  prétexte  à  ceux  qui  i 

ont  voulu  troubler  l'Eftat ,  mais  en  vérité  a  touché  au  cœur  | 

des  peuples,  à  plulleurs  des  moins  prudents  delà  Noblelîe.  Il  j 

eft  à  craindre  que  û  ceux  qui  font  il  bien  aftedionnés  envers  | 

S.  M.  fe  voyent  à  ce  coup  defcheus  de  cette  efperance ,  ne  I 

tournent  cette  bienveillance  en  haine ,  &  foient  contraints  ^       ^  \ 

comme  ils  en  font  fort  follicités ,  de  faire  par  défefpoir  ce  qu'ils  j 

ne  pourront  puis  après  amender  par  raifon.  Je  ne  vous  efcri-  l 

rois  cecy  il  hardiment ,  fi  je  l'avois  appris  feulement  defdids ,  ] 

ou  de  ceux  qui  traittent  leurs  affaires  ^  lefquels  efpoufent  vclon-  \ 
tiers  les  interefts  de  leurs  maiftres ,  &  donnent  bien  fouvent  des 

efperances  palliées  de  belles  couleurs  ^  &  en  apparence  avan-  ' 

tageufes  pour  nous ,  en  quoi  vous  pourries  penfer  que  j'aurois  *  \ 

pu  eftre  aifément  trompé  5  mais  j'ay  pris  cette  affeurance  par  ; 

la  communication  d'infinies  perfonnes  que  je  connois  de  ion-  i 

gue  main  atfedionnées  au  bien  &  à  la  paix  de  l'Eglife ,  lef-  j 

quelles  j'ay  veu  depuis  que  je  fuis  icy ,  la  furfeance  àcs  armes  ! 

nous  ayant  donné  cefte  liberté  ;  &  vous  fupplie  de  croire  que  j 

les  chofes  font  en  tel  eftat ,  que  fi  nous  fçavons  prendre  le  ^ 

temps  &  le  niefnager  bien  à  propos ,  il  y  a  lieu  d'efpérer  en  ce  i 

défefpoir.  Je  fçay  que  la  Religion  ne  fe  commande  point ,  6c.  j 

n'entre  en  traité  ny  condition  ;  mais  en  cela  il  y  a  différence       "  ; 

entre  les  perfonnes  privées ,  êc  les  Princes  defquels  le  bien  &  * 

le  mal  touche  au  public ,  &  lefquels  pour  le  repos  de  leurs  l 

peuples  font  obligés  de  fe  contraindre  en  beaucoup  de  chofes  5  l 

qnoy  faifant ,  tant  s'en  fault  que  j'eftime  qu'ils  bleffent  leu^rs  1 

confciences ,  qu'au  contraire  je  crois  qu'ils  font  afte  agréable  ; 

à  Dieu  &  plein  de  pieté,  donnant  à  leurs  fubjets  le  contente-  ; 

ment  neceffaire  pour  parvenir  à  la  paix ,  par  le  moyen  de  la-  \ 

quelle  l'honneur  de  Dieu  eft  confervé  ;  qui  autrement  eft  fou-  : 
lé  aux  pieds  par  la  continuation  des  guerres  civiles.  Dieu  qui 

Yyyiij  i 


^.^2       riECES    CONCERNANT   L'HISTOIRE 

e£t  fcrutateiu*  de  nos  penfées ,  &  en  la  main  duquel  font  les 
cœurs  des  Rois  ,  prend  pour  facrifice  d'eux  ce  qu'ils  font  pour 
le  bien  &  repos  de  leurs  peuples  :  les  moyens  de  ce  faire  en  fe- 
ront faciles,  s'il  plait  à  fa  Majefté  de  les  entendre  lorfque  Mef- 
fieurs  de  Schomberg  &  Revol  les  luy  repréfenteront ,  &  ce  qui 
dépend  en  cela  de  fa  perfonne  fe  fera  entre  les  Evefques  (es 
ferviteurs ,  avec  tel  tempérament  &  modération  que  fa  qualité 
&  l'aifedion  des  liens  le  requiert  5  le  refte  fe  fera  par  Ambaf- 
fadeurs  &  perfonnes  tierces.  Je  fcay  que  fa  Majefté ,  pour  luy 
avoir  ouy  dire  plufieurs  fois ,  délire  fur  toutes  chofes  d'eftre 
moyen  de  mettre  la  paix  en  la  maifon  de  Dieu  ;  le  chemin  par 
là  luy  en  eft  ouvert ,  &  femble  comme  Dieu  miraculeufement 
l'a  mené  parla  main  à  cette  couronne.  Aufll  les  vœux  publics 
de  ceux ,  qui  jufqu'icy  l'avoient  rejette  du  tout ,  le  convient  à 
rentrer  dans  noftrc  Eglife ,  pour  eftre  en  icelle  inftrument  de 
fa  gloire ,  &  en  ofter  les  abus  qui  ont  efté  caufe  que  plufieurs 
fe  font  feparés  de  nous,  A  ces  raifons  pleines  de  religion  &  de 
pieté,  vouspouvés  adjouter  les  cqnfîderations  du  temps,  ôc 
femences  fecrettes  de  divifion  qui  fe  coulent  parmy  nous ,  lef- 
quelles  nous  menacent  d'une  nouvelle  fubdivilion,  &  qui 
pourront  néantmoins  eftre  aftoupies  tout  d'un  coup  par  ce 
moyen.  Je  laifle  à  examiner  le  tout  à  voftre  prudence  ,  pour 
vous  en  fervir  aiiify  que  verres  eftre  à  propos  5  vous  fuppliant 
de  prendre  ce  que  je  vous  en  efcrits ,  comme  de  celui  qui  ne 
délire  rien  tant  que  de  voir  ce  Royaume  en  paix ,  &  par  cette 
paix  les  moyens  ouverts  à  la  paix  de  l'Eglife,  à  quoy  j'eftime 
que  la  conclufion  de  cette  négotiation  pourroit  donner  ache- 
minement ,  11  les  chofes  eftoient  conduites  avec  la  prudence 
ôc  lincerité  que  l'affaire  le  mérite.  Je  vous  baife  très  humble- 
ment les  mains ,  &  fuis ,  Monfieur , 

De  Surefne  ce  1 1  Voftre  très  humble  ferviteur  ; 

Avril  ijpj.  DE   Thou. 

Lettre  de  lac.  Aug,  de  Thon  j  à  Jean  de  TImmery ,  Sieur  de 
Eoijfife  ifur  la  conférence  de  Londun. 

Tradiùte  du  •'X  N  ne  s'eft  jamais  repenti  d'avoir  fuivi  vos  confeils.  Pour 
Manufcric.      V_^  ^^01  »  J  ^^  ph^s  de  confiance  en  vos  kimieres  qu  aux  mien- 
nes ,  par  rapport  à  ce  qui  me  regarde ,  ôc  je  déférerai  toujours 


DE  J.  A.  DE  THOU.  5-43 

à  vos  avis  ;  car  une  probité  qui  vous  eft  naturelle,  jointe  à  beau- 
coup de  difcernement  &  de  candeur ,  ne  permet  pas  que  vous 
vous  trompiez  jamais ,  dans  les  confeils  que  vous  donnez. 
Vous  m'avez  donc  facilement  perfuadé  d'entseprendre  le 
voïage  de  Bordeaux,  quoique  ma  famé  fut  alors  très-foible, 
&  que  mon  efprit  fut  aufli  abattu  que  mon  corps.  Pendant 
une  féparation  de  neuf  mois ,  nous  nous  fommes  à  la  vérité 
écrit  régulièrement  j  mais  comme  mon  voïage  eft  enfin  ter- 
miné ,  &  que  le  calme  a  fuccedé  aux  troubles  qui  agitoient  la 
France,  je  veux  vous  faire  un  détail  plus  particulier  de  ce 
qui  s'eft  paflfé  ,  depuis  que  je  fuis  éloigné  de  vous. 

Vous  connoiflez  celui  qui  a  confeillé  &  ménagé  ce  mariage 
fi  fanefte  à  ce  Royaume  5(1)  mariage  qui  a  allumé  deux  fois 
le  feu  de  la  divifion  (2).  Je  vous  ai  envoyé  il  y  a  deux  ans 
un  Poëme  à  ce  fujet.  Cet  homme  voïant  que  ce  qu'il  avoit 
cru  faire  pour  la  tranquillité  de  l'Etat ,  ôc  l'utilité  de  la  Reli- 
gion, étoit  au  contraire  funefte  à  l'un  &  à  l'autre  ^  fe  repentit  de 
fa  démarche  ;  mais  comme  le  mal  ne  pouvoir  pas  entière- 
ment fe  réparer ,  il  réfolut  de  fufpendre  du  moins  la  conclu- 
fion  de  cette  affaire.  Ses  ennemis  lui  en  firent  un  crime,  de  il 
fe  vit  deux  fois  prêt  à  faire  naufrage  5  en  forte  que  pour  con- 
jurer l'orage  qui  le  menaçoit ,  il  changea  de  conduite  en  ha- 
bile courtifan,  &  fe  laifTa  aller  au  gré  de  ces  vents  impétueux, 
qui  regnoient  alors  à  la  Cour.  Tout  fon  but  fut  de  calmer 
la  tempête  qu'il  avoit  excitée  par  un  confeil  pernicieux ,  &  il 
a  heureufement  réûffi.  Il  devoir  à  l'Etat  la  tranquih té  qu'il  lui 
avoit  ôtée  par  fon  imprudence  ?  ainfi  je  l'appellerai  le  Débi- 
teur (5) ,  &  je  donnerai  avec  Clément  VIII.  ce  Pontife  fi  judi- 
cieux ,1e  nom  de  Renard  (4)  à  un  homme  qui  a  été  notre  Am- 
baffadeur  à  Rome ,  &  avec  qui  le  Débiteur  a  autrefois  été 
étroitement  lié. 

Des  fîateurs  qui  foufîloient  à  la  Cour  le  feu  de  la  difcor- 
de,  &  qui  av oient  autant  de  haine,  que  de  mépris  pour  le 
Prince  de  Condé,  furent  jaloux  de  la  faveur  du  Débiteur  ,, 


(i)  Le  double  mariage  de  l'Infante 
Anne  d'Autriche  avec  Louis  XIII.  & 
d'Elifabeth  de  France  avec  le  Prince 
d'tfpagne. 


(2)  En  iéi4.  &  cniéij. 

(?;  Villeroi. 

(4)  Le  Chancelier  de  Silkrj,] 


^^44  PIECES  CONCERNANT  L'HISTOIRE 
&  tâchèrent  de  diminuer  fa  gloire.  Ainfi  le  maître  Larron  (i) 
aïant  été  chargé  de  l'ambaflade  d'Efpagne ,  ils  preflerent  autant 
qu'il  leur  fut  poflible  le  voïage  du  Roi ,  (2)  quoi  qu'au  fond 
cette  démarche  fut  très-préjudiciable  à  l'Etat,  ce  Doit-on  crain- 
30  drc ,  difoient-ils ,  le  Prince  de  Condé  j  il  eft  fans  amis,  &  fans 
»  argent.  Depuis  l'affront  qu'il  a  reçu  à  Poitiers ,  (3)  il  a  perdu 
35  tout  le  crédit  qu'il  pouvoit  avoir  dans  l'affemblée  des  Etats , 
t»  &  s'il  n'eût  pris  la  fuite  avec  le  Maréchal  de  Bouillon ,  on  ■ 
x  l'auroit  arrêté.  Ils  ajout  oient  qu'on  ne  de  voit  appréhender 
aucun  trouble ,  tant  que  nos  réformez  feroient  tranquiles  ;  & 
qu'on  avoit  prévenu  tout  leurs  mouvemens ,  en  fixant  leur  af- 
femblée  à  Grenoble ,  où  Lefdiguieres,  quiétoit  bon  Roïalifte, 
étoit  en  état  de  s'oppofer  à  leurs  defleins.  Cet  Hérififon  de 
Cour ,  (4)  que  vous  connoiflez ,  faifoit  gloire  d'être  auteur 
de  ce  Confeil.  Il  faifoit  agir  une  femme  ^  qu'il  avoit  gagnée 
•par  fes  largefles ,  &  qui  pour  ne  vous  rien  cacher  ,  lui  fai- 
faifoit  part  de  fes  favv-^urs. 

Le  HérilTon  rempli  d'une  confiance  trop  préfomptueufe  ; 
difoit  hautement  que  tous  les  efforts  du  Prince  de  Condé  fe- 
roient inutiles  ;  mais  je  n'étois  pas  de  fon  fentiment,  &  je  tâ- 
chai de  lui  perfuader,  par  des  motifs  que  vous  fçavez  auf- 
fi-bien  que  moi  ^  qu'il  falloit  prendre  de  juftes  mefures  , 
pour  prévenir  l'incendie  que  la  plus  légère  étincelle  pou- 
voit caufer.  «  En  effet ,  lui  dis-je  alors  ,  fi  ce  mariage  qui 
»  caufe  le  voïage  du  Roi,  ne  peut  être  différé,  on  peut  du 
3>  moins  faire  cette  alliance  que  vous  defirez  tant ,  fans  ex- 
»  pofer  l'Etat  à  un  danger  prefque  certain.  Il  fuffit  de  con- 
a»  duire  fur  les  frontières  la  nouvelle  époufe,  (5)  avec  une 
a>  nombreufe  efcorte ,  qui  en  fera  l'échange  avec  la  Princefle 
tf'  Efpagnole ,  &  l'amènera  à  la  Cour.  On  peut  même  ordonner 
»  à  la  nobleffe  des  Provinces ,  qui  font  fur  le  paffage ,  d'ac- 
»  compagner  notre  Reine  (6)  :  Mais  fi  le  Roi  va  lui-même 
»  au-devant  d'elle,  d'un  côtéfaprefeuce  troublera  la  Guyenne , 


(î)  Le  Commandeur  de  Sillery. 

(  a  )  En  Guyenne ,  pour  la  conclufîon 
de  fon  mariage  avec  Tlfifante. 

(3)  En  1614.  Henri  de  Chateignier 
de  la  Ro^-hepolay ,  Eyêque  de  Poitiers, 
et  fermer  les  portes  de  cette  Ville  au 


Prince  de  Condé ,  qui  vouloît  s'en  ren^ 
dre  maître. 

{ 4)  Bullion. 

(i)  Madame  Elifàbeth  de  France, 

(6)  Anne  d'Autriche. 


DE    J.    A.    DE    THOU,  ^4^ 

»  ne  ,  «Se  de  l'autre  ,  rabCence  de  S.  M.  facilitera  Fincendie 
»  qui  eft  déjà  prêt  à  s'allumer  en  Picardie  ,  &  en  Cliampa- 
»  gne.  Au  contraire ,  fi  le  Roi  refte  à  Paris ,  les  Provinces  éloi- 
»  gnées  refteront  tranquiles ,  &  la  prefence  du  Prince  retien- 
»  dra  les  autres  dans  le  devoir.  »  J'ajoutai  avec  une  efpece 
d'indignation ,  que  toutes  les  promefles  du  Hériflbn  étoient 
fans  fondement  ,  puifqu'il  n'y  avoit  rien  de  plus  inconftant 
qu'une  femme  :  Qu'ainîi  ceux  qui  répandoient  de  faux  bruits 
dans  le  Royaume ,  &  qui  flatoient  ainfi  les  efprits ,  agiflbient 
fort  imprudemment.  Que  des  courtifans  flateurs,  quiofoient 
fe  charger  de  l'événement  d'une  affaire  de  cette  importance , 
n' étoient  pas  des  garands  aflez  sûrs  de  cette  tranquilité ,  qu'ils 
promettoient  avec  tant  de  confiance. 

Enfin ,  ces  boutefeux  firent  rappeller  le  Débiteur ,  qui  étoit 
allé  à  Coucy^  (i)  pour  ménager  un  accommodement  ,  6c 
rompirent  entièrement  la  négociation.  Le  Débiteur  étant  de 
retour  ,  fut  contraint  d'approuver  le  voïage  du  Roi  ,  dont 
ils  avoient  déjà  formé  le  deffein  entre  eux.  Nous  partîmes 
donc  fous  ces  mauvais  aufpices ,  &  nous  trouvâmes  à  Tours 
les  députez  de  nos  réformez  alfemblez  à  Grenoble. 

Ceux  qui  avoient  confeillé  le  voyage  du  Roi  avoient  afTuré 
que  les  réformez  ne  feroient  aucun  mouvement,  quelques 
follicitations  que  le  Prince  de  Condé  pût  employer.  Mais 
comme  il  paroifibit  qu'ils  étoient  étroitement  unis  à  ce  Prin- 
ce ,  puifqu'ils  demandoient  dans  leur  cahier  qu'on  eût  égard 
à  fes  prières  ,  ces  impofteurs  eurent  recours  à  leurs  artifices 
ordinaires.  Ils  dirent  que  la  demande  des  Députez  n'étoit  faite 
que  par  quelques  féditieux  ,  qui  fans  la  permifllon  du  Roi 
étoient  fortis  de  Grenoble ,  pour  aller  à  Nifme  en  Langue- 
doc. Que  la  défobéiffance  de  ces  particuliers  rendoit  nul  tout 
ce  qu'ils  feroient ,  &  leur  ôtoit  le  droit  de  s'alfembler.  Qu'é- 
tant ainfi  défunis  ,  le  Prince  de  Condé  ne  pouvoit  former 
avec  eux  aucune  liaifon  préjudiciable  à  l'Etat  ,  &  qu'enfin 
le  plus  grand  nombre  défaprouveroit  la  conduite  de  ces  re- 
belles ^  &  ne  communiqueroit  point  avec  eux.  On  parloit 
ainfi  ,  pour  foutenir  ce  que  Lefdiguieres  avoit  écrit  î  car  à 
l'inftigation  de  cette  femme,  dont  je  vous  ai  déjà  parlé,  il 
envoïoit  des  couriers,qui  inftruits  par  le  Herifibn  n'appoîrtoient 

(i)  En  i(<iï. 

Tome  XK  Z  z  z 


^^6         PIECES   CONCERNANT  L'HISTOIRE 

que  de  bonnes  nouvelles  ,  &  nous  pouffoient  encore  vers 
l'abîme,  où  nous  allions  de  nous-mêmes  à  grands  pas. 

Les  chofes  étant  dans  cette  fituation  ,  &  les  efprits  ainfi 
difpofez ,  nous  arrivâmes  à  Poitiers ,  où  les  députez  avoient 
eu  ordre  de  nous  fuivre.  Comme  leurs  demandes  étoient 
exorbitantes ,  à  peine  obtinrent-ils  ce  qu'il  étoit  jufte  de  leur 
accorder.  Quoiqu'ils  eulTent  recufé  le  Heriflbn ,  comme  fuf- 
ped ,  cependant  il  eut  le  front  de  venir  à  la  conférence  qui 
fe  tint  chez  moi.  Sur  mon  rapport ,  leur  cahier  fut  difcuté 
en  prefence  du  Roi  &  de  la  Reine,  (i)  Le  même  jour  on  pu- 
blia une  déclaration  contre  ceux  qui ,  difoit-on ,  avoient  pris 
les  armes.  Le  Prince  de  Condé  n'y  fut  pas  d'abord  nommé  , 
à  caufe  de  fa  qualité  de  Prince  du  Sang  ;  mais  ceux  qui  por- 
toient  tout  à  l'extrême,  &  qui  croïoient  que  la  guerre  leur 
feroit  plus  favorable  que  la  paix ,  n'approuvèrent  pas  ce  mé- 
nagement j  &  fur  leurs  remontrances ,  on  tint  uu  confeil  fe- 
cret ,  dans  lequel  il  fut  réfolu  de  comprendre  nommément 
ce  Prince  dans  la  déclaration.  Moncaffin  qui  étoit  fon  enne- 
mi déclaré ,  fut  chargé  de  le  faire  enregiftrer  au  Parlement 
fans  délai,  &  fans  aucune  modification. 

Vous  fçavez  ce  qui  s'eft  enfuite  pafle  dans  cette  affaire, 
puifque  vous  étiez  à  Paris.  La  Majefté  Royale ,  &  l'autorité 
du  Parlement  furent  impunément  compromifes ,  &  expofées 
à  la  rifée  publique.  Ce  fot,  ce  nigaud  ,  (2)  qui  préfidoit  , 
lorfqu'on  apporta  la  déclaration  du  Roi ,  obligea  Courtin,  qui 
étoit  rapporteur ,  &  que  Moncaffin  avoir  déjà  intimidé  par  fes 
menaces,  à  figner  un  enregiflrement  pur  ôcfimple^  quoique 
le  plus  grand  nombre  des  Confeillers  s'y  fut  pppofé.  Il  eut 
enfuîte  l'impudence  d'envoyer  à  la  Cour,  par  le  même  Cou- 
rier, l'Arrêt d'enregiftrement qu'il  avoit  lui-même  fabriqué, 
&  les  motifs  fur  lefquels  le  Parlement  avoit  refufé  d'enre- 
giflrer  la  déclaration,  qui  étoient,  comme  je  l'ai  dit,  la  qua- 
lité de  Prince  du  Sang  ,  dont  le  Prince  de  Condé  étoit  re- 
vêtu. La  conduite  de  cet  homme  fut  approuvée  dans  une 
cour  pleine  de  fadions  ,  &  on  le  loua  de  ce  que  par  la 
fauffeté  la  plus  téméraire ,  il  avoit  enfraint  la  loi  Cornelie  , 
pour  fatisfaire  la  paffion  de  quelques  vils  courtifans.   Dans 

.(0  La  Reine  Mcre,  Marie  de  Medi-    1       /i)Le  Premkr  Préfidem  Nicolas  de 
<îi5.  Verdyq, 


DE  J.  A.  DE  THOU.  5-47 

quel  embarras  avons-nous  été  dans  la  fuite ,  lorfqu'il  a  fallu 
fe  retrader  de  tout  ce  qui  avoit  été  fait ,  &  chercher  un  voile 
fpecieux  pour  couvrir  toutes  ces  indignitez  ! 

Comme  je  prévoyois  tout  ce  qui  eft  arrivé ,  je  demandai  ; 
avant  que  les  députez,  fuflent  congédiez  ^  la  permifllon  d'al- 
ler en  Perigord ,  fous  prétexte  d'y  voir  le  Vicomte  de  Bour- 
deilles  (i)  mon  bea^-firere ,  mais  en  effet ,  pour  ne  prendre 
aucune  part  à  des  démarches  fî  tumultueufes ,  &  fî  violen- 
tes. Pendant  mon  abfence,  le  voyage  du  Roi  futprefque  in- 
terrompu par  pluiîeurs  incidens  qui  arrivèrent  tout  à  coup. 
La  maladie  de  l'Epoufe  ,  (2)  jetta  toute  la  Cour  dans  le 
deuil ,  &  l'on  fongeoit  déjà  à  lui  fubftituer  fa  fœur  Chrifti- 
ne.  On  ne  fut  pas  moins  allarmé  de  la  liaifon  que  le  Comte 
de  Saint  Pol  qui  étoit  allé  quelque-temps  auparavant  en  Guïen- 
ne ,  avoit  formé  avec  le  Duc  de  Rohan ,  &  les  autres  chefs 
de  ce  parti.  Après  avoir  communiqué  fon  deiïein  au  Duc  de 
Longueville ,  (3)  chef  de  fa  maifon,  &  par  conféquent  au 
Prince  de  Condé  ,  il  s'étoit  rendu  à  Fronfac ,  &  enfuite  à  Cau- 
mont,  places  fortes  qui  lui  appartiennent ,  &  qui  peuvent  bou- 
cher le  palfage  de  la  Dordogne  &  de  la  Garonne.  Il  n'avoit 
mené  avec  lui  aucun  équipage  ;  ce  qui  fit  dire  aux  brouillons 
de  la  Cour ,  qu'il  avoit  agi  fort  imprudemment.  Montefpan , 
Lauzun,  &  Grammont,  premiers  Seigneurs  de  la  Province  ; 
étant  venu  le  joindre,  il  traita  par  la  médiation  du  Sieur  de 
la  Force,  (4)  Gouverneur  de  Bearn  &  parent  de  fa  femme, 
avec  le  Duc  de  Rohan,  &  ils  convinrent  enfemble  de  join.-. 
dre  leurs  forces,  pour  empêcher  le  paflage  du  Roi. 

Dans  le  même-temps  le  Père  (j)  &  le  Fils  {6)  fe  brouillèrent 
&  recommencèrent  leurs  fecretes  cabales.  Enfin  l'époufe  re- 
couvra fa  fanté  ;  le  Comte  de  Saint  Pol  changea  de  deflein  ; 
&  Candale  après  avoir  congédié  la  nobleffe  de  la  Saintonge  ; 
&  de  l'Angoumois  qu'il  avoit  aflèmblée  pour  recevoir  le 
Roi ,  fe  reconcilia  avec  fon  père.  Ce  dernier  avoit  preffé 
avec  chaleur  le  voyage  du  Roi ,  ôc  la  confideration  des  dan- 
gers qui  ne  regardoient  que  l'Etat ,  ne  Tavoit  pas  beaucoup 


Ci)  Il  avoit  époufé  la  fœur  du  Pré(î- 
dent  dé  Thou. 

(2)  Elifabeth  de  France. 

(5)  Henri  d'Orléans  II.  Duc  de  Lon- 


gueville. 


(4)  Jacques  Nompar  de  Caumont ," 
fieur  de  la  Force. 

(5  )  J  ean  Louis  de  Nogaret  Duc  d'Ef^ 
pcrnon. 
{6)Hemi  de  Nogarct,Comte  deCandale.' 

Zzzij 


548         PIECES  CONCERNANT  L'HISTOIRE 

touché  ;  mais  dès  qu'il  s'apperçut  qu'on  pourroit  lui  imputer 
l'événement  de  ce  voïage  ,  il  changea  de  fentimens.  S.  M. 
étoit  encore  à  Poitiers  ,  lorfqu'il  reprefenta  au  Débiteur  qu'il 
falloit  demeurer  dans  cette  ville  :  Qu'il  étoit  plus  à  propos 
de  conduire  la  nouvelle  époufe  fur  la  frontière  ,  avec  une 
nombreufe  efcorte  ,  que  d'aller  plus  loin  :  Que  les  mêmes 
troupes  ,  aufquelles  on  en  joindroit  encore  d'autres ,  s'il  en 
jétoir  befoin,  efcorteroient  la  Reine  (i)  dans  leur  retour  ,  & 
l'ameneroient  à  la  Cour  ;  mais  que  fi  le  Roi  alloit  plus  loin , 
on  devoit  craindre  qu'il  ne  trouvât  de  grandes  ditïicultez  en 
.Guyenne. 

Le  Débiteur  lui  répondit  que  dans  l'état  où  étoient  les 
chofes,  il  étoit  impofTible  d'exécuter  ce  nouveau  projet,  & 
qu'il  falloit  necejGfairement  achever  un  voyage,  qu'on  ne  pou- 
voit  interrompre  fans  compromettre  la  gloire ,  &  l'autorité 
du  Roi.  Le  Père  (2)  fruftré  de  fon  efperance  eut  alors  des 
craintes  fi  terribles  pour  l'avenir  ,  qu'il  tomba  malade ,  dans 
îe  temps  que  le  Roi  fortoit  d'Angoulême.  Sa  maladie  étoit 
extraordinaire ,  il  n'avoir  point  de  fièvre  j  mais  ayant  l'efprit 
aufil  abattu  que  le  corps ,  il  ne  pouvoir  ni  parler ,  ni  pren- 
dre de  nourriture ,  ou  feignoit  de  ne  le  pouvoir  faire.  Tou- 
te la  Guyenne  crut  qu'il  étoit  mort  5  plufieurs  s'en  réjoui- 
rent,  d'autres  le  pleurèrent  ,  comme  fi  la  Religion  dont  il 
avoit  fait  accroire  aux  Jefuites  qu'il  étoit  le  principal  défen- 
feur,  eût  été  en  danger  5  d'autres  enfin  fufpendirent  leur  ju- 
gement ,  pour  fe  déterminer  fur  ce  qui  fuivroit. 

Avant  mon  départ  de  Poitiers ,  j'eus  une  converfation  par- 
ticulière avec  le  Débiteur.  Après  quelques  difcours  fur  les 
affaires  prefentes,  je  le  prelfai,  en  lui  prenant  familièrement 
la  main ,  de  s'expliquer  fur  ce  qu'il  en  penfoit.  Cet  homme 
qui  fut  toujours  d'une  profonde  diffimulation  me  dit  enfin  : 
»  Attendez  que  l'échange  des  Princefles  ait  été  faite  5  autant 
3>  qu'aujourd'hui  on  appréhende  peu  la  guerre  à  la  Cour,  (3) 
30  autant  on  y  aura  de  goût  pour  la  paix.  Je  pris  ce  difcours 
pour  une  défaite  ;  cependant  l'événement  a  prouvé  que  le 
Débiteur  parloir  férieufement. 

La  Cour  arriva  enfin  à  Bordeaux.  Le  Père  reffentoit  tou- 

Il )  Anne  d'Autriche.  j        ( i )  II  s'agiflbit  d'une  guerre  ciyiJe. 

(OUDucd'Erpernon,  |       %/         & 


V 


DE  J.  A.  DE  THOU.  54P 

Jouts  les  atteintes  de  fon  épilepfie.  Je  fiiis  perfuadé  que  les 
craintes  qu'il  avoit  eues ,  &  dont  je  vous  ai  parlé ,  ont  caufé  fa 
maladie.  Cependant  plufieurs  ont  cru  qu'il  y  avoit  plus  d'af- 
fedation  que  de  realité  ,  &  qu'il  ne  feignit  cette  maladie  que 
pour  fe  tirer  d'affaire  ,  en  cas  que  l'événement  du  voyage 
du  Roi  ne  répondît  pas  aux  magnifiques  promeffes  qu'il  avoit 
faites. 

Le  mariage  ayant  été  fait  par  Procureur,  quatorze  jours 
après  l'arrivée  de  la  Cour  à  Bordeaux, l'Epoufe  (i)  marcha  vers 
la  frontière ,  avec  une  nombreufe  efcorte ,  &  fous  la  conduite 
du  Duc  de  Guife.  Les  deux  Princeffes  furent  échangées  le  p. 
de  Novembre ,  &  la  Reine  (2)  arriva  à  la  Cour  le  2 1  du  mê- 
me mois.  Les  époux  ayant  reçu  la  bénédidion  nuptiale ,  elle 
fit  quatre  jours  après  une  entrée  triomphante  dans  la  ville.  On 
fit  coucher  les  nouveaux  mariez ,  mais  pour  la  forme  feule- 
ment ,  &  fans  confommation  du  mariage. 

Le  même  jour  le  Duc  de  Nevers ,  (  3  )  qui  depuis  le  paf^ 
fage  de  la  Loire  par  le  Prince  de  Condé  ,  avoit  fouvent  écrit 
à  la  Reine  (4) ,  dans  la  vue  de  ménager  un  accommodement, 
vint  à  la  Cour.  L'Ambaffadeur  d'Angleterre  (j)  s'y  étoit  ren- 
du avant  lui.  Après  que  le  Roi  eut  quitté  Paris  ,  ce  Miniftre 
écrivit  à  notre  Dèbiteur^qu'il  avoit  reçu  des  inflrudions  de  fon 
maître ,  au  fujet  de  la  paix  5  mais  par  le  confeil  du  Débiteur  qui 
l'avoit  affuré  qu'il  n'étoit  pas  encore  temps  d'agir ,  il  avoit 
diferé  de  venir  à  la  Cour.  Quoique  la  guerre  fût  déjà  allumée 
de  tous  cotez  ,  cependant  on  nefe  repentoit  pas  encore  d'une 
démarche  qui  avoit  coûté  tant  de  peines  ,  &  qui  devoit  être 
Il  funefte.  Ce  ne  fut  qu'après  plusieurs  conteftations  &  avec 
beaucoup  de  difficulté  qu'on  permit  au  Miniftre  Anglois  & 
au  Duc  de  Nevers  d'aller  trouver  le  Prince  de  Condé,  &  de 
i'affurer  que  le  Roi  auroit  égard  à  fes  prières.  Le  Prince  étoit 
alors  à  Pons  en  Saintonge  avec  les  Seigneurs  &  les  chefs  de 
fon  parti.  Ils  compoferent  enfemble  un  cahier  ;,  qui  fat  porté  au 
Roi. 

Après  que  le  Prince  de  Condé  eut  paffé  la  Loire ,  la  Cour 


(i  )  Elîfabeth  de  France. 
(i)  Anne  d'Autriche. 
(})  Charles  de  Gonzague-CIeves  , 
pue  de  Nevers, 


(4)  La  Reine  Régente. 
^5)  Le  Chevalier  Edmonds ,   Anv- 
balîadeur  d'Angleterre. 

Z  z  z  iij 


5-^0  PIECES  CONCERNANT  L'HISTOIRE 

étant  encore  à  Bordeaux ,  je  me  plaignis  hautement  des  con- 
feils  violens  de  quelques  émiflaires  nodurnes ,  &  particulier 
rement  du  HérilTon  ;  car  les  malheurs  publics  ne  me  permet- 
toient  pas  d'avoir  le  moindre  ménagement ,  enforte  que  mes 
amis  m'avertirent  fouvent  que  mes  difcours  fur  la  néceffité  de 
ia  paix  3  &  la  liberté  avec  laquelle  j'agiffois ,  pourroient  m' être 
funeftes.  Malgré  leurs  avis ,  je  travaillai  avec  zélé  à  ménager 
un  accommodement  j  &  ayant  donné  un  rendez-vous  au  Hé- 
riflbn  dans  le  jardin  de  la  maifon  où  je  demeurois,  qui  étoit 
aflez  grand  ,  je  me  fouviens  que  je  lui  repréfentai^  que  fi  l'on 
nefaifoit  au  plutôt  un  accommodement,  le  Prince  de  Con- 
dé  après  avoir  palle  la  Loire  ,  fe  joindroit  aux  Proteftans ,  & 
que  leur  union  rendroit  l'affaire  de  la  paix  plus  difficile  :  Que 
d'un  côté  le  Prince  feroit  tout  pour  les  gagner ,  &  fe  ferviroit 
d'un  moyen  fi  favorable  pour  rétablir  fon  crédit  &  fe  venger 
des  mépris  qu'il  avoir  elfuïez  :  Que  de  l'autre  côté  les  Protef- 
tans s'étoient  déjà  affez  déclarez  en  fa  faveur,  en  priant  le 
Roi  par  leur  cahier ,  d'avoir  égard  aux  demandes  du  Prince  : 
Que  par  confequent  on  ne  pouvoit  douter  qu'ils  ne  fe  joignif- 
fent  à  lui ,  &  ne  le  reconnuffent  pour  leur  chef  ^  fur-tout  dans 
les  circonftances  préfentes  j  où  ils  le  voy  oient  foutenupar  de 
bonnes  troupes  ,  &  par  toutes  les  forces  d'une  Province  fi  beî- 
liqueufe  :  Qu'il  falloir  donc  traiter  avec  lui  avant  que  cette 
union  fat  faite. 

Dans  le  même  temps  un  homme  inconnu  me  rendit  une  let- 
tre du  Duc  de  Bouillon ,  qui  l'avoir  lui-même  écrite.  Elle  étoit 
dattée  du  Camp^  &  je  la  reçus  à  Saint  Gervais.  Ce  Seigneur  y 
témoignoit  beaucoup  d'ardeur  pour  la  paix.  Dans  la  crainte 
qu'on  ne  me  fit  un  crime  de  cette  lej:tre,  je  la  montrai  fur  le 
champ  au  Débiteur ,  qui  demeuroit  dans  une  maifon  voifine 
de  la  mienne  5  car  je  fuis  depuis  long-temps  expofé  aux  traits 
de  la  calomnie.  Comme  une  légère  indifpofition  m'empêcha 
defortir,  le  Débiteur  me  renvoya  par  un  Secrétaire  cette  let- 
tre ,  après  l'avoir  fait  envelopper  &  cacheter.  Il  ne  m'en  a  ja- 
mais parlé  depuis  j  mais  le  Préfident  Jeannin  à  quiil  l'avoit 
communiquée,  m'a  dit  depuis  qu'il  l'avoit  vue  chez  le  Débi- 
teur ,  &  qu  il  ne  falloir  pas  négliger  les  bonnes  difpofitions  où 
étoit  le  Duc  de  Bouillon. 

Ces  émilfaires  nodurnes ,  dont  je  viens  de  vous  parler,  di- 


DE  J.   A.   DE   THOU.  5-5-1 

foient  que  plufieiu'S  perfonnes  propofoient  imprudemment  la 
paix,  tandis  que  le  Prince  deCondé  ne  la  demandoit  pas.  Se 
que  ce  nétoit  pas  au  Roi  à  la  demander,  mais  à  la  donner. 
La  crainte  faifoit  taire  les  courtifans  -,  moi  feul  perfuadé  que  îc 
inoindre  retardement  etoit  préjudiciable  à  l'Etat,  je  répondii 
que  c'étoit  là  les  difcours  &  les  artifices  ordinaires  de  ceux 
qui  trouvoient  leur  intérêt  dans  les  calamitez  publiques  :  Qu'on 
devoit  convenir  que  la  paix  étoit  non-feulement  avantageufe 
au  Roi  ÔcàTEtat,  mais  encore  néceflaire  :  Que  ce  principe 
étant  certain  j  on  prendroit  des  mefures  (i  juftes^  que  ni  la 
négociation ,  ni  le  traité  ne  blefiferoient  point  le  refped  dû  à  la 
Majefté  du  Souverain ,  6c  ne  préjudiciroient  en  aucune  ma- 
nière à  fes  droits. 

Le  Père  d'un  fils  fufped,  (i)  connoiffant  mes  fentimens, 
vint  familièrement  me  prendre  par  les  épaules ,  dans  l'appar- 
tement de  la  Reine ,  &  me  dit  qu'il  contribueroit  autant  qu'il 
lui  feroit  pofTible  à  la  paix ,  dont  on  le  croïoit  cependant  fort 
éloigné.  Il  n'oublia  pas ,  lorfqu'il  me  parla ,  cette  claufe  fi  fo- 
lemnelle ,  &  qu'on  faifoit  alors  retentir  de  tous  cotez  :  «  Pour- 
»  vu,  ajouta-t-il ,  qu'on  ne  préjudicie  dans  cette  négociation , 
»  ni  à  la  Religion  ,  ni  aux  droits  du  Roi.  Je  fentis  fur  le 
champ  ce  qu'il  vouloir  me  faire  penfer  5  je  lui  répondis  que 
je  me  fouviendrois  de  ce  qu'il  venoit  de  me  dire  ,  ôc  que 
j'attefterois  ,  quand  il  en  feroit  befoin  ,  l'ardeur  qu'il  avoit 
pour  la  tranquilité  de  l'Etat. 

Le  Roi  fe  préparant  à  partir,  la  noblelTe  de  Guyenne,  où 
tout  étoit  déjà  dans  la  confufion ,  fe  plaignit  de  ce  que  S.  M. 
dont  l'arrivée  avoit  troublé  la  tranquilité  de  la  Province ,  la 
iaiiïbit  à  fon  départ  fans  défenfe ,  &  expofée  à  tous  les  maux 
de  la  guerre.  «  Le  Roi;  difoient  ces  gentilshommes ,  a  rec^u- 
»  de  nous  toutes  les  marques  du  refped,  &  de  l'obéiifance 
»  que  nous  lui  devons  ,  n'y  a-t'il  pas  quelque  obligation  de 
»  fa  part  de  défendre  des  fujets  fidèles,  &  de  terminer  par 
»  la  force  des  armes ,  ou  par  un  traité  ,  la  guerre  qui  nous 
»  menace  ?  C'étoit  là  mon  fentiment  5  mais  en  vain  tous  les  or- 
dres de  la  ville  firent  au  Roi  de  trés-humbles  remontrances 
àcefujet.  On  n'y  eut  aucun  égard.  Quelques-uns  ajoutoient , 
que  fi  le  Roi  quittoit  la  Guyenne  dans  un  temps  fi  fâcheux  ^ 

(0  Le  Duc  d'Epernon  pcre  de  Candale, 


5- 5-2        PIECES  CONCERNANT  L'HISTOIRE 

cette  Province  étoit  perdue  fans  reflburce,&:  que  Bordeaux 
ouvriroit  fes  portes  dès  que  le  Prince  de  Condé  paroîtroit. 
Ces  confiderations  firent  peu  d'impreffion  fur  des  efprits  que 
la  crainte  ou  l'ennui  d'un  plus  long  féjour  dans  cette  ville , 
avoient  préoccupez.  On  quitta  Bordeaux  avec  autant  de  pré- 
cipitation ,  qu'il  y  avoit  eu  d'imprudence  de  fortir  de  Paris.  On 
partit  quelques  jours  avant  Noël  j  ce  qui  fit  dire  à  quelques- 
uns,  que  du  moins  par  refped  pour  une  fête  fi  folemnelle ,  la 
Cour  auroit  du  fufpendre  fon  départ. 

Le  Roi  étoit  arrivé  à  Bordeaux  le  fept  d'Odobre ,  il  en 
partit  le  20.  de  Décembre.  Si  vous  me  demandez  ce  quife 
paflà  pendant  ce  temps-là  de  plus  particulier  au  milieu  des 
troubles,  &  des  bruits  tumultueux  qui  agitoient  la  Cour,  je 
vous  repondrai  que  Moncaflln ,  pour  récompenfe  des  fervi- 
ces  qu'il  avoit  rendus  à  Paris,  en  procurant  un  faux  Arrêt 
du  Parlement ,  fut  déclaré  grand  Prévôt  de  Guyenne.  Il  avoit 
.déjà  fait  inutilement  quelques  tentatives  pour  obtenir  cet  em^ 
ploi.  Cette  Province  eft  dans  le  reffort  des  Parlemens  de  Tou- 
îoufe  &  de  Bordeaux  ,  qui  après  celui  de  Paris  font  les  deux 
premières  Cours  fouveraines  du  Royaume.  Le  Parlement  de 
Bordeaux  où  étoit  le  Roi ,  fur  les  remontrances  des  Couver^ 
neurs  des  places  de  la  Province  ,  refufa  abfolument  de  re- 
cevoir MoncaflTin  dans  cette  charge  ;  mais  le  Parlement 
de  Touloufe  Ty  admit  à  la  foUicitation  de  Mafurier  qui  étoit 
depuis  peu  premier  Prefident.  Ce  dernier  approuvoit  haute- 
ment tout  ce  qu'on  avoit  fait  contre  le  Prince  de  Condé  , 
Ôc  le  traitoit  de  rebelle  ,  &  de  fauteur  des  Religionnaires  , 
(  c'eft  le  nom  qu'on  donne  à  nos  Proteftans.  )  Je  ne  puis 
vous  dire  fi  Moncaflln  fera  reconnu  dans  les  paï's  de  Confe-? 
rans,  d'Aufch,  &  de  Comminges  ;  la  fuite  des  chofes  nous 
l'apprendra.  Comme  tout  étoit  alors  dans  le  défordre  ,  ôc 
que  les  Gouverneurs  étoient  occupez  à  d'autres  affaires  ,  il 
fut  facile  à  Moncafiin  de  fe  faire  recevoir  au  Parlement  de 
Touloufe  ,  qui  lui  accorda  cet  emploi  pour  trois  ans. 

Il  y  eut  encore  à  Bordeaux  ^  &  fous  les  yeux  du  Roi ,  m\ 
attentat  inoui  ,  qui  partoit  de  la  plus  audacieufe  témérité.' 
Le  parlement  de  cette  ville  étoit  prêt  à  juger  le  Procès  d'un 
certain  gentilhomme  (  i  )  qui  étoit  açcufé  de  plufieurs  crj- 

(i)  Nommé  Hautcaftel. 


DE  J.  A.    DE  THOU;  ^ff 

me5,&  dont  par  grâce  on  avoit  fufpendii  depuis  long-temps 
la  condamnation.  Enfin  la  Cour  alloit  rendre  contre  lui  un 
Arrêt  de  mort,  lorfque  le  Cardinal  de  Sourdis,  à  la  prière 
,du  Sieur  de  Themines ,  demanda  au  Roi  la  grâce  du  crimi- 
nel. Le  Prélat  s'étant  vanté  de  l'avoir  obtenue,  le  Parlement 
alla  faire  des  remontrances  au  Roi  &  à  la  Reine ,  leur  ex- 
pofa  le  fait ,  &  obtint  la  permilllon  de  continuer  le  Procès. 
Le  criminel  fut  condamné  dès  le  lendemain ,  &  de  crainte 
que  l'appareil  de  fon  fupplice  n'excitât  dans  la  ville  quelque 
tumulte  j  le  Parlement  ordonna  que  ce  gentilhomme  feroit 
exécuté  dans  la  prifon.  Mais  le  cardinal  fans  s'embarafler 
des  ordres  de  leurs  Majeftez  ,  raflembla  le  plus  grand  nom- 
bre qu'il  put  de  gentilshommes,  qui  la  plupart  ignoroient 
fon  deffein ,  6c  vint  à  la  prifon  avant  que  le  Boureau  y  fût 
entré.  Le  Concierge  (i)  qui  étoit  honnête-homme  ,  ôc  qui 
même  étoit  connu  du  Cardinal ,  aïant  refufé  de  lui  ouvrir  les 
portes  ,  on  les  força  aufll-tôt.  Le  Concierge  fut  tué,  ôc  tomba 
mort  aux  pieds  du  Prélat.  Le  criminel  fut  enlevé,  ôc  échapa 
ainfi  au  fupplice  qu'il  mcritoit. 

Une  entreprife  fi  téméraire  ,  ôc  fi  violente  bleffoit  l'autorité 
Roïale.  Toute  la  Cour  en  fut  émue  ,  ôc  l'on  demanda  de 
tous  cotez  vengeance  d'un  coup  fi  hardi.  Le  Renard ,  (2) 
félon  fa  coutume  ,  en  parut  d'abord  indigné ,  ôc  dit  haute- 
ment qu'il  puniroit  d'une  manière  éclatante  l'outrage  fait  à 
la  Majefté  du  Roi  ,  ôc  qu'il  feroit  tout  ce  que  le  devoir 
de  fa  charge  exigeroit  de  lui.  Sourdis  fut  même  contraint 
de  fortir  hors  de  la  ville  j  mais  quelques  jours  après  ,  le 
Parlement  ayant  rendu  contre  lui  un  Arrêt  par  (3)  contumace , 
on  vit  bien-tôt  le  Nonce  du  Pape  intervenir  en  faveur  du 
Cardinal.  Il  fut  défendu  de  le  citer  à  fon  de  trompe  dans 
le  Marché  public ,  comme  il  eft  d'ufage ,  ôc  l'on  permit  feu- 
lement de  le  faire  clamer  par  un  HuifTier  aux  portes  de  l'Ar- 
chevêché ,  ôc  fans  bruit.  Le  Parlement  continuant  fes  pourfui- 
tes,  le  Nonce  fçut  enfin  les  arrêter,  ôc  le  Renard  contre  la 
parole  qu'il  avoit  donnée ,  fit  ôter  au  Parlement  la  connoif- 
fance  de  cette  affaire.  Ces  courageux  Antagoniftes  de  la  Ma- 
jefté Royale ,  firent  pieufement  fignifier  au  Nonce  que  le  Roi 

(1)  Nommé  Caftets.  1        (3)  Un  décret  de  prife  de  corps. 

{2.)  Le  Cha,nccr?er  de  Sillery.'  1 

TçmeXK  Aaaa 


5f4       PIECES  CONCERNANT  L'HISTOIRE 

en  agifToit  ainfi ,  par  refped  pour  le  Pape  ,  &  <iue  quelque 
neceffité  qu'il  y  eût  de  ne  pas  laifler  cet  attentat  impuni  , 
S.  M.  aimoit  mieux  diflimuler  l'injure  qui  lui  avoit  été  fai- 
te ,  &  paroître  négliger  fes  droits ,  que  de  ne  pas  déférer  aux 
prières  qui  lui  avoient  été  faites  au  nom  du  fouverain  Pon- 
tife. Ainfî  le  Pape  s'étant  attribué  la  connoiflance  de  cette 
affaire  :,  affeda  quelque  feverité  pendant  un  certain  temps  , 
&  interdit  au  Cardinal  la  célébration  des  Saints  Myfteres  > 
mais  de  fa  pleine  puiffance ,  il  lui  remit  bien-tôt  cette  pei- 
ne. Ce  Prélat  triomphe  en  quelque  façon  du  Roi  &  de  fes 
Magiftrats,  &  dans  i'inftant  que  je  vous  écris,  il  faitfon  en- 
trée dans  la  ville  ,  prêt  de  commettre  encore  un  pareil  at- 
tentat, &  de  fouler  aux  pieds ,  fi  l'occafion  s'en  prefcnte,  la 
Alajeiié  Royale  j  pour  établir  de  plus  en  plus  l'autorité  Pa- 
pale. 

Enfin  ,  il  n'y  avoit  à  la  Cour ,  ni  fincerité,  ni  prudence ,  ni 
ordre  :  il  fembloit  que  l'on  y  combattoit  à  l'aveugle;  au  lieu 
d'attaquer  l'ennemi ,  nous  portions  les  coups  les  plus  funeftes  à 
nos  amis.  Cen'étoit  que  dilTimulation,  &  que  fourberie  j  tout 
étoit  dans  la  confufion  &  le  défordre.  Le  Renard  (i)  fe  fervant 
de  ^^%  artifices  ordinaires ,  croïoit  élever  fa  fortune  par  fon  indi- 
gne politique ,  &  faire  fes  affaires  aux  dépens  de  l'Etat.  Cepen- 
dant fur  les  fréquentes  conférences  que  le  Débiteur  avoit  à 
des  heures  indues  avec  Canidie ,  (2)  on  prévoïoit  que  les 
chofes  changeroient  bien-tôt  de  face ,  &  l'on  commenqoit  à 
croire  qu'ilm'avoit  parlé férieufement  danslaconverfation  que 
j'avois  eue  avec  lui  à  Poitiers.  Les  curieux remarquoient  toutes 
ces  circonilances  5  mais  pour  moi ,  comme  j'ai  peu  de  curio- 
lité  ,  je  n'allois  chez  le  Débiteur  que  rarement ,  &  feulement 
lorfque  l'occafion  s'en  prefentoit^  quoiqu'il  fût  mon  voifin. 
Moins   oifif ,  qu'accablé  d'ennui  &  de  chagrin  de  voir  le 
Royaume  dans  une  fi  trifte  fituation ,  je  reftois  chez  moi. 
Plufieurs  de  mes  amis  venoient  m'informer  de  ce  qui  fe  paf- 
foit ,  quelque  peu  d'envie  que  j'eufie  d'entendre  des  nou- 
velles fi  fàcheufes.  Le  Cardinal  de  Sourdis  même  me  ren- 
doit  quelques  vifites  :  &  quoiqu'il  eût  des  fentimens  très-op- 
pofez  aux  miens  5  cependant  comme  il  efl  mon  parent ,  il  me 
parloit  fort  familièrement,  &  avec  beaucoup  de  liberté ,  des 

CO  Le  Chancelier  de  Siilery..  (i)  La  Maréchale  d'Ancre. 


DE  J.  A.   DE   THOU.  5'^fr 

affaires  d'Etat.  Il  avoit  fait  ôter  au  Sieur  de  la  Force  le  gou- 
vernement de  Bearn ,  dont  le  Comte  de  Grammont  avoit 
cté  pourvu.  Le  Fevre  ,  Sieur  de  Caumartin  ,  qui  vouloit 
faire  fa  cour  ,  follicita  avec  beaucoup  d'empreflèment  la 
commilîlon  d'aller  porter  les  nouveaux  ordres  dans  cette 
Province ,  &  le  Cardinal  de  Sourdis  le  prefenta  à  la  Reine. 
Le  Fevre  étant  prêt  à  partir  pour  le  Bearn  ,  vint  me  dire  adieu. 
Il  me  communiqua  les  ordres  dont  la  Cour  l'avoit  chargé  > 
Se  me  demanda  mon  fentiment.  Comme  l'affaire  étoit  entiè- 
rement conclue ,  il  étoit  hors  de  faifon  de  lui  faire  voir  tout 
ce  que  j'en  penfois.  Je  lui  prédis  feulement  que  fon  voïage 
feroit  inutile.  En  effet ,  comme  la  Force  avoit  la  faveur  des 
peuples,  on  devoir  conjedurer  qu'il  fe  foutiendroit  contre 
tous  les  efforts  de  fon  ennemi  qui  n'avoit  pas  beaucoup  de 
partifans. 

Le  Sieur  de  Vie  ne  fut  pas  plus  heureux  dans  le  voyage 
qu'il  fit  à  Montauban  en  Querci ,  pour  détacher  cette  ville  de 
la  fadion  des  Proteftans  affemblez  à  Nifmes.  Je  dis  à  l'un  &  à 
l'autre  qu'il  falloir  fonger  à  la  paix  ,  ôc  appliquer  le  remè- 
de à  la  racine  du  mal ,  plutôt  que  de  faire  tant  de  démar- 
ches inutiles  :  Qu'ainfi  l'on  devoit  traiter  fans  délai  avec  le 
Prince  de  Condé  ,  &  prévenir  l'union  qu'il  étoit  prêt  de 
faire  avec  les  Proteftans  de  Nifmes.  Lorfque  je  donnois  des 
avis  fi  falutaires  ,  il  étoit  encore  temps  de  s'en  fervir.  Le 
Prince  de  Condé  ne  s'étoit  pas  encore  joint  à  nos  Réformez  j 
car  il  y  eut  un  mois  d'intervalle  entre  le  paffage  de  la  Loire  , 
&  le  traité  de  Sanfay  en  Poitou.  Pendant  tout  ce  temps-là , 
je  fis  mon  pofûble  ,  pour  faire  mettre  à  profit  des  inftans  fi 
précieux,  ôc  outre  le  premier  entretien  que  j'eus  à  ce  fujet 
avec  le  Hériffon  ,  &  dont  je  vous  ai  rendu  compte  ,  je  lui 
répétois  à  tous  momens  la  même  chofe  j  mais  je  parlois  à  un 
fourd. 

Le  bruit  courut  qu'André  de  Nefmond  premier  Préfident 
au  Parlement  de  Bordeaux  étoit  mort.  On  fongea  aufli-tôt 
à  lui  donner  un  fucceffeur.  Pour  faire  croire  que  dans  le 
choix  des  Magiftrats ,  on  avoit  à  la  Cour  quelque  égard  pour 
!e  mérite  &  la  vertu,  le  Renard  vous  propofa ,  comme  un 
fujet  digne  de  remplir  cette  place.  On  parla  enfuite  d'Ol- 

A  a  a  a  ij 


^^(f        PIECES  CONCERNANT  L'HISTOIRE 

lier,  &  enfin  de  celui  (i)  à  qui  la  fortune,  &  la  faveur  ont 
donné  cette  dignité.  Mais  tous  ces  difcours  n'étoient  qu'un 
jeu ,  &  une  comédie.  Nefmond  vivoit  encore  alors ,  &  Ton 
ne  reçut  la  nouvelle  de  fa  mort  qu'à  Poitiers.  Dès  qu'il  fal- 
lut agir  férieufement  ,  on  lança  fur  vous  les  traits  de  la 
plus  noire  calomnie ,  &  l'on  ofa  propofer  des  doutes  fur  la 
iincerité  de  votre  Religion.  De  Vie,  à  qui  l'on  demanda  fon 
fentiment,  fit  éclater  l'indignation ,  qu'un  foupçon  fî  mal  fon- 
dé lui  caufoit ,  &  répondit  que  c'étoit  là  les  artifices  ordinai- 
res des  gens  mal-intentionnez.  Ses  remontrances  furent  inu- 
tiles. Vous  fûtes  rejette ,  &  le  Roi  de  fa  pleine  puiflance  , 
fit  don  de  la  charge  de  premier  Préfident  à  celui  dont  je 
viens  de  vous  parler.  Canidie  agit  dans  cette  affaire  en  fa- 
veur  de  ce  dernier,  &  le  Renard  n^ofa  lui  réfifter. 

Tout  cela  fe  paffa  à  Bordeaux.  Suivons  le  Roi  dans  fon 
retour.  Il  paffa  avec  la  Reine  les  fêtes  de  Noël  à  Aubeterre  ; 
il  vint  enfuite  à  la  Rochefoucault ,  où  il  trouva  l'Ambaffa- 
deur,  (2)  &  le  Duc  deNevers.  Ils  avoient  amené  avec  eux 
François  de  Damas  feigneur  de  Thianges ,  qui  étoit  chargé 
par  le  Prince  de  Condé ,  &  par  les  feigneurs  de  fon  parti , 
de  demander  la  paix  au  Roi.  Les  Emiffaires  nodurnes  qui 
s'étoient  fîatez  que  le  Prince  ne  feroit  pas  cette  démarche , 
débitoient  malicieufement  que  fa  foumifllon  étoit  une  mar- 
que de  fa  foibleffe ,  &  de  fa  crainte.  Ces  gens  qui  croïoient 
que  la  guerre  feroit  avantageufe  à  leur  fortune  ,  faifoient 
tous  leurs  efforts  pour  empêcher  un  accommodement  ;  mais 
on  commençoit  à  reconnoître  le  danger ,  &  depuis  les  fré- 
quentes conférences  du  Débiteur,  avec  cette  Canidie  de  la 
Cour ,  on  ne  prêtoit  plus  fi  facilement  l'oreille  aux  confeils 
violens.  Ainfi  Thianges  fut  bien  reçu ,  &  en  le  congédiant, 
on  lui  fit  efperer  que  dès  que  le  Roi  feroit  arrivé  à  Poi- 
tiers ,  on  travaillerroit  férieufement  à  un  accommodement; 

Je  quittai  Bordeaux  trois  jours  après  que  le  Roi  en  fut 
forti.  Je  ne  fuivis  point  la  route  que  la  Cour  avoir  prife  , 
tant  parce  que  les  chemins  étoient  remplis  de  Troupes,  que 
parce  que  les  Auberges  font  peu  commodes  î  mais  je  paf- 
fai ,  fans  rien  craindre ,  par  la  Saintonge  avec  ceux  qui  vou- 
lurent m'accompagner  j  &  je  gagnai  Poitiers  par  cette  route. 

(0  Le  Préfident  de  Gourgues-  (i)  D'Angleterre. 


DE   J.   A.  DE  T  H  ou.  ^j7 

Xe  premier  jour  de  notre  voyage  ,  Luflan  qui  nous  condui- 
foit ,  nous  fit  arrêter  à  Blaye  ,  &  nous  regala  fplendidement 
pendant  deux  jours  dans  le  château  de  cette  ville.  Peu  de 
temps  auparavant ,  on  en  avoir  fermé  les  portes  au  Duc  de 
Nevers  j  car  Luflan  avoir  défendu  à  fa  garnifon  de  ne  rece- 
voir perfonne  dans  la  place  ,  fans  fa  permiillon.  Il  me  pria 
de  faire  fes  excufes  au  Duc ,  &  de  lui  protefter  qu'il  avoir  été 
fâché  de  ce  que  ce  Prince  ne  l'avoir  pas  averti  de  fon  dé- 
part ,  &  du  deiTein  qu'il  avoit  pris  de  pafler  par  Blaye. 

Ayant  reçu  des  lettres  de  Jarnac  ,  &  de  Mons  ,  je  me 
remis  en  chemin ,  &  n'arrivai  à  Pons  que  fort  tard.  On  m'y 
reçut  avec  totite  ma  compagnie  de  voïage.  Le  lendemain 
veille  de  Noël ,  j'arrivai  à  Saintes.  J'appris  dans  cette  ville 
ie  traité  que  le  Prince  de  Condé  avoit  fait  un  mois  aupa- 
ravant avec  les  Proteflans  à  Sanfay  en  Poitou.  Les  Emi flai- 
res nodurnes  avoient  empêché  par  leurs  artifices  que  cette 
nouvelle  ne  fe  répandît  à  la  Cour.  Pernay  gouverneur  de 
Saintes  me  montra  les  articles  de  ce  traité ,  qui  étoit  devenu 
pubUc ,  &  qu'on  avoit  même  imprimé. 

Ayant  pafle  le  jour  de  Noël  chez  l'Evêque  ,  je  gagnai  Saint 
Jean  d' Angely.  Les  Païfans  s'enfuy oient  devant  moi ,  &  les 
habitans  des  villes  venoient  en  foule  me  recevoir  à  leurs  por- 
tes ,  comme  Commiflaire  de  fa  Majefté.  Ils  s'imaginoient  que 
j'étois  chargé  de  faire  la  paix ,  ôcTon  ne  me  demanda  pas  les 
pafle-ports  que  le  Duc  de  Nevers  m'avoit  donnez.  Ayant 
trouvé  à  faint  Jean  d' Angely  une  efcorte  que  le  Duc  de  Bouil- 
lon avoit  envoyée  au-devant  de  moi ,  je  partis  dès  le  lende- 
main avec  toute  ma  compagnie  5  &  ayant  pafle  par  Fors ,  j'ar- 
rivai le  28  de  Décembre  à  Niort.  Les  mauvais  chemins  m'em- 
pêchèrent de  faire  ce  trajet  en  un  feul  jour.  Parabere  gouver- 
neur de  cette  place ,  qui  étoit  un  homme  de  courage ,  me 
reçut  à  bras  ouverts.  Il  étoit  Roïalifl:e  déclaré ,  &  s'étoit  joint  à 
du  PleflTis  Mornay ,  gouverneur  de  Saumur ,  à  Marly  de  Braf- 
fac  gouverneur  de  Châtellerault  ,  à  Conftance  gouverneur 
du  Château  de  Maran  &  à  quelques  autres ,  qui  quoiqu'en 
petit  nombre  avoient  imité  l'exemple  du  Maréchal  de  Lefdi- 
guieres ,  &  refufé  de  figner  le  traité  du  Prince  de  Condé  avec 
ies  Proteftans. 

Le  Duc  de  Bouillon  partit  du  Camp  de  faint  Symphorien  & 

Aaaa  iij 


'^j8         PIECES  CONCERNANT  L'HISTOIRE 

vint  nous  y  trouver^  comme  ami  de  Parabere.  S'il  n'en  eût 
pas  été  connu ,  on  lui  auroit  fermé  les  portes  de  Niort ,  com- 
me on  avoit  fait  au  Prince  de  Condé.  Tous  les  Roïaliftes  y  en- 
troient librement  j  mais  ceux  qui  fuivoient  le  parti  du  Prince , 
n'y  étoient  reçus  que  lorfqu  ils  avoient  des  connoiflances  ôc 
des  amis  dans  la  place.  Nous  eûmes  fur  l'état  préfent  des  af- 
faires une  converfation  de  deux  heures ,  à  la  fin  de  laquelle 
nous  convînmes  tous  que  les  deux  partis  avoient  également 
befoin  de  la  paix ,  &  que  celui  qui  rejettroit  l'accommode- 
ment ,  fe  rendroit  odieux  à  tous  les  ordres  du  Royaume.  Pa- 
rabere nous  fit  fervir  à  dîner  dans  le  Château.  Le  fieur  de 
Soubife,  frère  du  Duc  de  Rohan ,  la  Boulaye  ,  Rainville,  & 
quelques  autres  Officiers  s'y  trouvèrent.  Le  lendemain  après 
avoir  dîné  dans  le  même  endroit ,  nous  demandâmes  des  paf- 
feports  à  Parabere.  Dans  ce  moment ,  quelques  paroles  que 
dit  le  Duc  de  Boiiiilon  donnèrent  lieu  à  Fentreprife  que  forma 
le  Duc  de  Guife.  Vous  en  avez  entendu  parler  5  la  Cour  comp- 
toir beaucoup  farce  deilein.  En  quittant  Parabere ,  avec  qui 
j'avois  eu  une  converfation  fecrete ,  que  je  devois  rapporter 
à  la  Reine ,  il  me  pria  de  venir  coucher  le  lendemain  à  fon 
Château  de  S.aint  Eloy ,  dont  il  vouloit  me  montrer  les  jar- 
dins &  les  nouveaux  embelliiTemens  qu'il  y  avoit  fait  faire.  J'y 
confentis  volontiers,  &  le  Duc  de  Bouillon  dit  qu'il  vouloit 
y  venir  auiîi  avec  moi  pour  voir  les  délicieux  jardins  de  cette 
maifon.  Ces  dernières  paroles  furent  entendues  par  un  gentil- 
homme que  le  Duc  de  Guife  avoit  envoyé  à  Parabere ,  &  qui 
les  rapporta  aulTi-tôt  à  fon  maître.  Sur  cette  nouvelle,  le  Duc 
aiTembla  des  troupes  avec  beaucoup  de  diligence  &fans  bruit. 

Le  Duc  de  Bouillon  monta  dans  moncaroffe,  &  nous  vîn- 
mes enfemble  à  Saint  Maixant.  Nous  parlâmes  en  chemin  de 
la  fituation  où  étoit  le  Royaume ,  &  il  s'élevoit  de  temps  en 
temps  entre  nous  quelques  légères  conteftations  à  ce  fujet. 
Nous  convenions  à  la  vérité  que  la  paix  étoit  néceîTaire  aux 
deux  partis.  Nous  ne  doutions  pas  que  cette  négociation  ne 
fat  très-difficile  ;  mais  nous  étions  de  différent  fentiment  fur 
les  moïens  dont  il  falloit  fe  fervir  ,  pour  lever  tous  les  obftacles 
quis'yoppofoient. 

Je  faluai  à  Saint  Maixant  le  Prince  de  Condé ,  qui  avoît  une 
Cour  aufn  nombreufe  que  celle  du  Roi.  Mes  amis  m'ayant 


DE    J.    A.    DE    THOU.  57^? 

demandé  ce  que  je  penfois  à  la  vue  de  ce  grand  nombre  de 
gentilshommes,  je  leur  repondis  que  j'étois  ravis  de  voir  le 
Prince  en  fi  bonne  compagnie  5  mais  qu'elle  me  plairoit  da- 
vantage, fi  comme  j'efperois  le  voir  bien-tot,  ce  Prince  lui- 
même  accompagnoit  Sa  Majefté.  Je  faluai  auffi  les  Ducs  de 
Aiayenne  &  de  Longueville ,  que  nous  avons  vus  &  connus 
particulièrement  dans  l'Aflemblée  de  Soitlbns  ,  &  à  Sainte 
Menehou.  (i)  Je  vis  auffi  le  Duc  de  Sully  ,  qui  ayant  été 
long-temps  indéterminé  fur  le  parti  qu'il  devoit  prendre ,  & 
voyant  que  la  Cour  le  trompoit ,  s'étoit  jette  du  côté  du 
Prince  de  Condé ,  &  l'avoit  reçu  dans  fa  ville  avec  des  trou- 
pes.  (2) 

Dès  la  première  entrevue,  le  Prince  de  Condé  parla  de 
cette  nouvelle  exadion  (3)  que  les  Magiftrats,  au  grand  pré- 
judice de  l'Etat ,  font  obligez  de  payer  tous  les  ans.  Il  promit 
de  faire  tous  fes  efforts  pour  procurer  la  nécelTité  de  fupprimer 
un  impôt  fi  odieux,&aflura  avec  confiance  qu'il  réùillroit  dans 
fon  defiein.  Je  lui  repréfentai  que  l'épuifement  Aq^  Finan- 
ces ,  la  corruption  des  mœiu's  &  l'avidité  des  courtifans  étoient 
des  obflacles  fi  puiffans  à  fes  bonnes  intentions ,  qu'on  n'ofoit 
efperer  une  reforme  Ç\  néceflaire  que  tous  les  ordres  du  Royau- 
me fouhaitoient  avec  ardeur.  Le  Prince  me  répondit  qu'il  ne 
feroitla  paix  qu'à  cette  condition.  En  effet,  il  demanda  dans 
les  articles  généraux  qu'il  propofa ,  la  fuppreiîlon  de  cet  impôt  j 
&  dans  les  commencemeiis  de  la  conférence ,  on  infifla  fur  ce 
chef  avec  l'empreffement  le  plus  fpécieux  >  mais  cette  propo- 
fition  fut  négligée  &  abandonnée  enfuite  avec  autant  d'impru- 
dence que  de  foibleiïe. 

Je  devois  dîner  feul  dans  le  Château  chez  le  Duc  de  Sul- 
ly h  mais  le  Prince  de  Condé ,  les  Ducs  de  Bouillon  &  de 
Rohan ,  &  Monfieur  de  Soubife  vinrent  fe  mettre  à  table. 
Thenon  Secrétaire  du  DucdeNeyers  arriva  dans  le  même 
temps.  Le  Prince  de  Condé ,  &  tous  les  Seigneurs  de  fon  parti 
prenoient  peu  de  précautions  pour  leur  fureté ,  ôc  agiflbient 
comme  fi  la  conférence  avec  les  Roïaliftes  eut  été  arrêtée  v 


(1)  En  1^14.  on  y  fit  un  traité,  qui 
termina  ks  premiers  troubles ,  caufez 
par  roppofition  du  Prince  de  Condc  au 
mariage  du  Roi. 


(2)  Tous  ces  Seigneurs  s'étoient  liguez 
pour  la  guerre  du  bien  public. 

(3)  LaPauiettç. 


j6o       PIECES    CONCERNANT   L'HISTOIRE 

inais  Thenon  rapporta  que  les  chofes  n'étoient  pas  fi  avau*» 
cées,  parce  que  la  Cour  refufoit  de  regarder  comme  une  aflem- 
blée  légitime  le  corps  des  Proteftans ,  qui  avoient  quitté  Gre- 
noble ,  fans  l'agrément  du  Roi ,  pour  aller  en  Languedoc.  Jo- 
fias  Mercier  des  Bordes,  qui  étoit  un  habile  négociateur,  le- 
va cette  difficulté ,  en  difant  que  les  Proteftans  qui  s'étoient 
unis  au  Prince  de  Condé/eroient  fatisfaits  il  l'on  appelloit  cette 
alîemblée ,  l'aflemblée  de  Nifmes. 

Pendant  qu'on  déliberoità  ce  fujet,  après  avoir  demandé 
un  pafteport ,  je  me  retirai  fans  bruit ,  &  j'arrivai  à  Saint  Eloy 
fur  la  fin  du  jour.   Cette  nouvelle  affaire ,  qui  étoit  furvenuë 
tout  à  coup ,  empêcha  le  Duc  de  Bouillon  de  venir  avec  moi  > 
&  perfuadé  que  ceux  qui  ne  vouloient  pas  la  paix ,  avoient 
cherché  ce  prétexte ,  pour  empêcher  un  accommodement , 
il  fe  rendit  à  fon  camp  par  un  autre  chemin  que  celui  de  Saint 
Eloy.  Le  Duc  de  Guife  croïant  que  le  Duc  de  Bouillon  étoit 
dans  cette  maifon  de  plaifance ,  &  fçachant  que  le  Prince  de 
Condé  &  les  autres  chefs  de  fon  parti  étoient  dans  une  entière 
fécimté ,  s'avança  avec  fes  troupes  à  la  faveur  des  ténèbres. 
Il  envoya  quelques  foldats  vers  Saint  Eloy ,  pour  fçavoir  ii  le 
Duc  de  Bouillon  y  étoit  arrivé  ,  ôc  il  ordonna  à  un  détache- 
ment de  faire  un  circuit  pour  s'emparer  par  derrière  de  Pont 
de  Vaux ,  qui  eft  au-delà  de  Saint  Maixant,  &  par  où  le  Prin- 
ce de  Condé  devoir  paffefj  pour  aller  à  fon  camp.  Si  cette 
entreprife  eût  reûifi  (comme  le  Duc  de  Guife  &  la  Princefle 
de  Conti  fafœur  en  avoient  flaté  la  Cour)  on  croit  que  ce 
feul  coup  auroit  accablé  le  parti  du  Prince  de  Condé.  On  au- 
roit  enlevé  le  Duc  de  Bouillon ,  qui  en  étoit  un  des  princi- 
paux chefs,  &  le  Prince  avec  la  plupart  des  Seigneurs  qui  s'é- 
toient attachez  à  lui ,  auroit  été  au(li-tôt  affiégé  dans  faint  Mai- 
xant ,  qui  n' étoit  qu'une  mauvaife  place ,  où  ils  n'auroient  pu 
recevoir  de  fecours ,  puifque  le  paflage  de  Pont  de  Vaux  étoit 
bouché.  Maisheureufement  le  Duc  de  Bouillon,  fanspafler 
par  Saint  Etoy  s'étoit  rendu  au  camp.  Le  Prince  de  Condé 
&  le  Duc  de  Longueville  ayant  été  informez  de  l'approche 
des  Roïaliftes  avoient  paffé  le  Pont ,  &  y  avoient  mis  des 
gardes ,  ainfi  l'entreprife  du  Duc  de  Guife  échoua.  Ses  troupes 
refterent  en  armes  pendant  quarante  heures  ,  &  fouffirirent 
Inutilement  ^  avec  la  fatigue  d'-iuie  longue  marche  la  faim  ôc 

k 


DE    J.    A.    DE   T  H  O  U.  ^61 

le  travail  d'une  nuit  fi  fôcheufe.  Les  Ducs  de  Mayenne  &  de 
Sully  étoient  reftez  à  Saint  Maixant ,  dans  la  réfolution  de  fe 
défendre ,  s'ils  y  étoient  afilegez  ;  mais  comme  Condé ,  Lon- 
gueville  &  Bouillon,  qui  s'étoient  échappez  pouvoient  venir 
au  fecours  de  la  place ,  le  Duc  de  Guife  ne  jugea  pas  à  propos 
de  tenter  un  fiége ,  dont  l'événement  étoit  fi  incertain. 

Tandis  que  toute  la  campagne  voifine  retentiflbit  du  bruit 
des  armes,  je  dormois  tranquilement  à  Saint  Eloy ,  ôc  ce  tu- 
multe ne  m'éveilla  point.  Ma  femme  qui  fçav oit  qu'on  n'en 
vouloit  qu'au  Duc  de  Bouillon  ,  &  que  le  Duc  de  Guife  ne 
nous  attaqueroit  pas ,  puifque  Bouillon  étoit  abfent ,  empêcha 
qu'on  m'éveillât.  Le  lendemain  j'eus  une  violente  colique  y 
ma  patience  m'a  accoutumé  à  cette  maladie ,  qui  cependant 
m'empêcha  de  partir.  D'ailleurs  je  voulus  fçavoir  quel  parti  le 
Duc  de  Guife  prendroit.  Ayant  appris  qu'il  fe  retjroit ,  je  me 
mis  en  chemin  le  premier  de  Janvier.  Après  avoir  pafle  par 
Pamprou,  j'arrivai  à  Lufignan  le  même  jour,  &  deux  jours 
après  à  Poitiers.  Le  Roi ,  la  Reine  &  toute  la  Cour ,  n'arrivè- 
rent dans  cette  ville  que  le  cinq  de  Janvier.  Dès  que  la  Rei- 
ne (1)  me  vit,  elle  me  demanda  (i  j'avois  palfé  une  bonne  nuit 
à  Saint  Eloy  ;  je  lui  répondis  que  je  n'avois  été  informé  que  le 
lendemain ,  de  ce  qui  étoit  arrivé  pendant  la  nuit.  Elle  me 
parla  enfuite  de  Parabere.  Je  m'acquittai  de  la  commiffion 
dont  il  m'avoit  chargé ,  &  j'alTurai  Sa  Majefté  de  la  fidéUté  de 
ce  Gouverneur. 

On  commençoit  à  fe  repentir  d'un  voyage  fait  avec  tant  de 
précipitation.  Alors  les  auteurs  de  ce  pernicieux  confeil  de- 
vinrent odieux ,  avec  d'autant  plus  de  fondement  qu'on  eut 
quelques  foupçons  de  leurs fecretes  cabales.  Sauveterre  Cham- 
bellan du  Roi  fut  chaiïe  de  la  Cour.  Le  médecin  de  l'Orme 
le  fils  eut aufll  ordre  de  fe  retirer,  avec  menace  de  le  faire 
pendre,  s'il n'obéïllbit au  plutôt.  Ce  fut  Barbin,  homme  dé- 
voué à  Canidic ,  qui  fignifia  de  grand  matin  à  de  l'Orme  un 
ordre  fi  fâcheux. 

Ainfi  tout  fe  difpofoit  à  la  négociation.  L'Ambafladeur 
d'Angleterre  &  le  Duc  de  Ne  vers  furent  envoyez  vers  le  Prin- 
ce de  Condé,  Dès  qu'ils  furent  revenus ,  le  Débiteur  &  le  Ma* 

(i)  La  Reine  Mcrc  Régente. 

TomeXK  Bbbb 


^62       PIECES  CONCERNANT  L'HISTOIRE 

réchal  de  Briflac  fe  rendirent  auprès  de  lui  pour  faire  une  tré*^ 
ve ,  &  fixer  le  lieu  &  le  temps  de  la  conférence.  Ils  avoient 
efperé  trouver  le  Prince  à  Saint  Eloy  5  mais  il  les  fit  venir  à 
Niort  3  &  enfuite  à  Eontenay-le-Comte.  Parabere  incertain  du 
fuccès  de  cette  affaire ,  fit  en  forte  que  la  conférence  ne  fe 
tînt  point  chez  lui. 

Le  Débiteur ,  avant  que  de  partir,  étoit  convenu  avec  Ca- 
nidie  qu'on  exileroit  le  maître  Laron.  (i)  Villeferin  lui  flgni- 
fia  vers  le  foir  un  ordre  de  fortir  de  la  Cour.  Comme  il  s' étoit 
flaté  que  fon  AmbafTade  d'Efpagne  auroit  une  autre  recom- 
penfe ,  il  fut  accablé  par  ce  revers  imprévu.  Il  fît  les  plus  hum- 
bles prières ,  pour  obtenir  la  permiiTion  de  parler  au  Roi  5 
mais  cette  grâce  lui  fut  abfolument  refufée.  On  regarda  avec 
indignation  ceux  qui  l'avoient  fuivi  en  Efpagne  ,  &  quelques 
uns  d'entr' eux  furent  maltraitez.  Le  Renard  fon  frère  eut  or- 
dre de  refier  à  la  Cour  &  d'y  continuer  les  fondions  de  fa 
charge.  Il  avoir  eu  des  momens  de  faveur  ;  mais  depuis  ce 
temps-là  fon  crédit  diminua  tous  les  jours.  Le  Hériflbn  qui 
étoit  fon  parent  &  fon  ami  eut  part  à  fa  difgrace.  Il  efpéroit  un 
congé  honorable ,  mais  toutes  fes  efperances  s'évanouirent 
avec  le  temps. 

Guron  3  qui  étoît  un  émifTaire  de  cette  caballe  ,  dit  alors 
afrezàpropos:j>  Que  Dieu  nous  garde  des  vifites  du  matin 
»  de  Barbin ,  &  de  celles  du  foir  de  Villeferin.  ^^  Ce  mot  fut 
fatal  à  fon  auteur  j  car  dès  le  lendemain  Barbin  lui  rendit  une 
fâcheufe  vifite ,  dans  laquelle  il  lui  fignifia  un  ordre  de  fe  re-r 
tirer. 

Une  révolution  fi  fubite  caufa  quelque  émotion  dans  l'et 
prit  des  Courtifans.  Le  voifinage  de  l'armée  ayant  produit 
des  maladies  dans  la  ville ,  le  Roi  fit  annoncer  fon  départ  pour 
Tours.  Le  froid  devint  tout-à-coup  fi  exceiTif  que  prefque  ton* 
tQS  les  vignes  furent  gelées ,  fans  aucune  efpérance  de  ven-- 
dange. 

Le  Débiteur  trouva  à  Eontenay-le-Comte  le  Roi  qui  alloît 
à  Châtellerault  Feignant  d'ignorer  tout  ce  qui  s' étoit  fait  pen- 
dant fon  abfence ,  il  alTura  le  Renard  qu'il  n'y  avoir  aucune 
part ,  &  parut  avoir  pour  lui  la  même  confideration  qu'au- 
paravant. Le  Renard  ufa  aufTi  de  diffimulation ,  6c  perfuadç 

1 1  )  Le  Commandeur  de  Sillery, 


D  E  J.   A.   D  E   T  H  O  U.  yfiT^ 

ique  pour  foutenir  fa  réputation,  il  devoit  faire  croire  qu'il 
étoit  toujours  en  bonne  intelligence  avec  le  Débiteur,  il  fei- 
gnit d'ajouter  foi  aux  difcours  de  ce  dernier  ;  mais  leur  po- 
litique ne  trompa  perfonne ,  les  fujets  de  leur  défunion  étoient 
trop  connus,  Ôc  quoiqu'ils  parulTent  amis  ,  on  fut  perfuadé 
qu'ils  ne  l'étoient  pas. 

Je  partis  un  jour  avant  le  Roi ,  avec  ceux  qui  avoient  pris 
comme  moi  la  route  de  Saintonge.  Je  fouffris  fur  cette  route 
en  quatre  jours  de  marche  plus  d'incommoditez  que  je  n'en 
avois  fouffert  dans  tout  ce  que  j'avois  auparavant  fait  de  che- 
min. Ayant  été  expofé  à  un  froid  piquant  pendant  la  nuit ,  & 
au  milieu  de  la  neige ,  ma  colique ,  que  Fhabitude  me  fai- 
foit  trouver  moins  violente ,  fe  renouvella  avec  les  douleurs 
les  plus  aiguës,  en  forte  que  j'en  fus  incommodé,  tant  que 
je  reftai  à  Tours. 

Le  temps  fixé  pour  la  conférence  de  Loudun  approchoit. 
Outre  le  Maréchal  de  Briflac  &  le  Débiteur,  je  fus  nommé 
pour  y  aififter  avec  Mery  fieur  de  Vie  &  le  Comte  de  Pont- 
chartrain.  On  ne  me  fit  cet  honneur ,  que  par  une  bienféance 
politique ,  &  pour  ne  me  pas  faire  une  nouvelle  injuftice ,  après 
avoir  été  fi  maltraité  par  le  Renard ,  dans  tout  ce  voyage. 
De  Vie,  qui  étoit  intime  ami  du  Duc  d'Epernon,  fut  nom- 
mé pour  diffiper  les  foupçons  de  ce  Seigneur ,  &  Pontchartrain 
qui  avoir  contribué  au  rappel  du  Débiteur,  (i)  &  qui  avoir 
fait  rompre  la  négociation  de  Coucy ,  ne  fut  envoyé  à  Loudun, 
que  pour  lui  donner  l'occafion  de  réparer  le  mal  qu'il  avoir 
fait.  Un  homme  vint  de  la  part  du  Renard  m'annoncer  que 
j'étois  nommé  CommifTaire.  Ainfi  celui  qui  jufqu' alors  m'a- 
yoit  traité  avec  tant  de  mépris ,  voulut  fe  faire  un  mérite 
auprès  de  moi  de  l'honneur  qu'on  me  faifoit ,  comme  fi  j'eulfe 
dû  lui  en  avoir  obligation. 

Etant  prêt  de  partir ,  la  Reine ,  à  qui  le  Débiteur  avoit  affuré 
que  j'avois  une  étroite  liaifon  avec  le  Duc  de  Bouillon ,  m'or- 
donna de  Taffurer  de  l'affedion  de  leurs  Majeftez  pour  lui , 
6c  de  l'exhorter  à  la  paix,  qu'elle  me  parut  fouhaiter  avec  beau- 
coup d'ardeur.  Canidie ,  qui  avoit  un  appartement  à  côté  de 
îa  Reine ,  m'envoya  Barbin  pour  me  prier  de  paffer  chez  elle, 

(  i)  Pontchartrain  avoit  fait  rompre  la    i    toit  avec  le  Prince  de  Condé. 
ÊQiiference  de  Coucy  ,  où  Viileroy  trai-   l 

Bbbbij 


5?4      PIECES  CONCEk^ANT  L'HISTOIRE 

Elle  me  répéta  ce  que  la  Reine  m'avoit  dit ,  &  me  promît 
qu'elle  feroit  caution  envers  le  Duc  de  Bouillon  de  toutes 
les  promefTes  de  fa  Majefté. 

Après  quelques  momens  d'entretien ,  la  converfation  tom- 
ba fur  le  lieur  de  Dole.  Canidie  faifoit  tous  fes  efforts  pour  faire 
croire  qu'il  n'a  voit  eu  aucune  part  au  projet  d'arrêter  le  Prince 
de  Condé  &  le  Duc  de  Bouillon,  &  que  ceux  mêmes  qui 
avoient  découvert  au  Prince  le  complot  qu'on  formoit  contre 
lui ,  en  étoientles  auteurs.  Cette  entreprife  avoit  été  formée, 
dans  le  temps,que  l'Affemblée  des  Chambres  du  Parlement 
déliberoit  fur  les  affaires  de  l'Etat  ;  le  maître  Larron  étoit  alors 
en  Efpagne.  La  Reine  étoit  préfente  lorfque  l'on  propofa  un 
coup  fi  hardi.  Ce  confeil  violent  contribua  beaucoup  aux  trou- 
bles qui  fuivirent  5  car  d'un  côté  le  Prince  de  Condé  &  les- 
Seigneurs  de  fon  parti ,  ne  fe  crurent  pas  en  fureté  à  la  Courv 
&  de  l'autre ,  il  étoit  auïïi  dur  pour  eux  d'en  fortir ,  que  d'être 
bannis  hors  du  Royaume.  Canidie  ne  nommoit  pas  les  au- 
teurs de  ce  confeil  ;  mais  elle  les  défignoitaffez ,  en  affûtant  que 
fon  mari ,  Dolé  &  le  Hériffon  n'y  avoient  eu  aucune  part.  Ainfi 
elle  accufoit  les  autres ,  &  fo'utenoit  que  ces  traîtres ,  par  l'avis 
trop  précipité  qu'ils  avoient  donné  au  Prince  de  Condé,  avoient 
voulu  gagner  fes  bonnes  grâces,  &  faire  retomber  fur  des  per- 
fonnes  quin'étoient  pas  coupables,  la  haine  qu'eux  feuls  méri- 
toient.  Elle  me  dit  que  la  Reine  vouloir  abfolument  que  le 
Prince  de  Condé  ne  parlât  plus  de  Dolé  ,  &  qu'il  fe  con- 
tentât à  ce  fujet  de  l'exil  du  maître  Larron  &  du  Hériffon,  En- 
fin elle  me  pria  très-inftamment  d'infinuer  au  Duc  de  Bouillon; 
que  la  Reine  l'ordonnoit  ainfi.  Mais  la  mort  de  Dolé ,  que 
fes  emportemens  &  fa  brutalité  rendoient  également  odieux: 
aux  deux  partis ,  prévint  la  conteftation  qui  fe  feroit  fans  doute 
élevée  à  ce  fujet. 

Malgré  la  rigueur  de  l'hyver  nous  nous  rendîmes  tous  a 
Loudun.  Perfonne  ne  nous  vint  recevoir ,  quoiqu^on  eût  dû 
le  faire  ,  par  refped  pour  le  Roi  que  nous  reprefentions.  Le 
Prince  qui  étoit  abfent  lorfque  nous  arrivâmes,  nous  en  fit 
fes  excufes,  &  rejetta  cette  faute  fur  le  Duc  de  Sully  Gou- 
verneur de  la  Province ,  qui  étoit  dans  la  ville.  Le  Duc ,  pouc 
s'excufer  à  fon  tour ,  nous  dit  qu'il  n  avoit  pas  été  averti  de 
notre  arrivée ,  &  que  s'il  en  eût  été  informé ,  il  n'auroit  pas 


D  E  J.  A.   D  E   T  H  O  U.  '^g{ 

lYiatiqué  à  fon  devoir.  Il  ajouta,  que  les  Maréchaux  des  logis 
du  Roi  étant  arrivez  avant  nous ,  pour  préparer  une  maifon 
aux  Commiflaires  de  Sa  Majefté,  le  Prince  de  Condé  s'y  étoit 
oppofé ,  &  avoit  voulu  que  les  logis  fuflent  marquez  par  feg 
Fouriers ,  parce  qu'il  étoit  maître  de  la  ville.  Ce  contretemps 
fut  caufe  que  nous  eûmes  des  logemens  fort  incommodes, 
(ituez  en  differens  quartiers  &  dans  des  rues  fi  étroites ,  que 
malgré  le  mauvais  temps  &  le  froid ,  nous  étions  obligé  d'aller 
à  pied  chez  le  Maréchal  de  BrilTac  &  chez  le  Débiteur ,  ou 
nous  nous  aflemblions  ordinairement. 

Après  quelques  délais  plus  affedez  que  tieceflaires,  pendant 
lefquels  les  foldats  pilloient  impunément ,  &  levoient  des  con- 
tributions de  tous  cotez ,  l'on  ouvrit  enfin  la  conférence  chez 
la  Comtefle  de  Soiiïbns.  (  i  )  Le  Roi  l' avoit  fait  venir  de  Paris , 
avec  la  Duchefle  douairière  de  Longueville ,  (2)  &  avoit  en- 
gagé ces  deux  Princefles  à  aflifter  à  la  conférence.  La  Com- 
tefle de  Solfions  y  étoit  encore  venue  à  la  prière  du  Prince 
de  Condé.  Elle  avoit  beaucoup  de  pouvoir  fur  fon  efprit , 
&  elle  fit  tous  fes  efforts  pour  le  difpofer  à  un  accommode- 
ment. Quant  à  la  Duchefle  de  Longueville,  elle  tâcha  de 
modérer  par  fes  fages  confeils  la  vivacité  de  fon  fils..  Le  Prince 
de  Condé  \^ulut  que  l'on  tînt  les  aflemblées  dans  la  maifon 
où  demeuroit  la  Comtefle. 

Je  ne  vous  parle  point  de  la  contefl:ation  qui  s'éleva  d'abord 
fur  les  pouvoirs  que  le  Roi  avoit  donnez  à  fes  Commiflai- 
res. On  convint  enfin  qu'ils  n'étoient  pas  fufïifans ,  &  qu'il 
étoit  neceflaire  de  les  étendre  davantage.  Le  Prince  de  Con- 
dé propofa  enfuite  fes  demandes ,  &  les  Députez  de  fon  parti 
foutinrent  qu'il  falloit  difcuter  ces  articles ,  avant  de  les  mettre 
par  écrit.  Nous  foutinmes  le  Contraire  ,  &  après  une  difpute 
afîez  vive ,  on  arrêta  qu'ils  écriroient  leurs  demandes  ,  5C 
que  nous  y  répondrions  par  écrit.  Il  y  avoit  en  tout  vingt-neuf 
articles  qui  furent  enfuite  réduits  à  un  plus  petit  nombre. 

Le  Prince  demanda  d'abord  qu'on  informât  de  nouveau 
contre  les  coupables  &  les  complices  du  meurtre  du  Roi 
Henri  le  Grand ,  Ôc  qu'on  adrefsât  à  cet  effet  des  Lettres  Pa- 
tentes au  Parlement.  Les  Protefl:ans  avoient  demandé  la  mê- 

(i)  Anne  Comteffe  douairière  de  Soif-   1      {i)  Catherine  de  Gonzague-CIeves- 

Bbbb  ii) 


^66  PIECES  CONCERNANT  L'HISTOIRE 
me  chofe  à  Poitiers  ;  ce  qui  fit  paroître  la  demande  du  Prince 
plus  odieufe.  On  parla  à  ce  fujet  de  part  &  d'autre  fort  vive-. 
ment.  Nous  repréfentâmes  que  c'étoit  accufer  de  négligence 
&  de  prévarication  les  plus  fidèles  fujets  du  Roi ,  que  de  de- 
mander fi  inftamment  la  vengeance  de  ce  crime  ,  comme 
s'ils  n'avoient  pas  eux-mêmes  aiTez  d'intérêt  de  la  pourfuivre. 
Nos  adverfaires  répondirent  qu'on  avoit  intercepté  des  lettres 
du  Procureur  Général  au  Renard  ?  par  lefquelles  il  paroifibit 
bien  que  cette  affaire  étoit  négligée ,  &  qu'on  n'agiflbit  pas 
de  bonne  foi  par  rapport  à  l'accufation  intentée  par  cette 
femme  (i)  que  la  Reine  Marguerite  a,  comme  vous  fçavez  , 
traduite  en  juftice  :  Que  ceux  qui  étoient  nommez  avoient 
perfuadé  à  la  Reine  qu'on  ne  les  attaquoit  que  pour  lui  por- 
ter enfuite  les  mêmes  coups  :  Que  c'eft  ce  qui  avoit  em- 
péché  le  Procureur  General  de  pourfuivre ,  &  qu'enfin  tou- 
tes les  plaintes  qui  avoient  été  faites  à  ce  fujet,  avoient  été 
ou  méprifées,  ou  éludées  par  les  artifices  du  Renard.  Le  Prin- 
ce de  Condé  fe  plaignit  dans  les  termes  les  plus  forts  de 
cette  conduite  ,  êc  le  Duc  de  Sully  en  parut  tout-à-fait  in- 
digné. 

Enfin  le  Débiteur  obtint  avec  beaucoup  de  peine  qu'au 
lieu  d'adrefler  des  Lettres  Patentes  au  Parlement  ,  on  in- 
fereroit  dans  l'Edit  cet  article  en  entier.  Il  fut  conçu  de 
telle  façon ,  que  comme  chacun  tâchoit  de  fe  juftifier  de  la 
négligence  à  pourfuivre  la  vengeance  du  parricide  du  feu 
Roi ,  elle  fut  imputée  aux  Magiftrats  ,  quoiqu'ils  ne  fulïent 
coupables  en  cela  ni  de  lenteur,  ni  de  prévarication.  Je  pré- 
vois que  cela  occafîonnera  des  remontrances  de  la  part  du 
Parlement  &  retardera  encore  cette  affaire. 

Le  Prince  de  Condé  demanda  par  le  même  article  que 
conformément  à  ce  qui  avoit  été  ordonné  par  le  Parlement 
dans  l'Arrêt  rendu  contre  Ravaillac  ,  le  Canon  du  Concile 
de  Confiance  contre  ceux  qui  ofoient  attenter  à  la  perfon- 


(i)  Jacqueline  le  Voyer ,  femme  d'I- 
faac  de  Varenne  ,  Ecuyer ,  Seigneur 
d'Efcouman  acciifa  le  Duc  d'Epemon  , 
&  la  Marquile  de  Verneuil ,  d'avoir  fu- 
borné  l'r.fninmde  Henri  IV.  Elle  s'a- 
drelfa  d'abord  à  la  Reine  Marguerite  , 
qui  en  donna  auflTi-tôt  avis  à  la  Reine 
P.egente.    Elle  accufa  pluiîeurs  autres 


perfonnes  ;  mais  clic  foutint  fî  mal  fcs 
dépofitions  dans  la  confrontation ,  que 
les  prifonnjcrs  furent  renvoyez  abfous , 
&  qu'elle  fut  elle-même  condamnée  à 
finir  Tes  jours  entre  quatre  murailles.  Ce 
jugement ,  &  la  précaution  qu'on  prit 
pour  tenir  les  interrogatoires  fecrets  , 
donnèrent  lieu  à  plufieurs  foup^ons. 


DE  J.  A.  DE  THOU.  ^6j 

ne  facrée  des  Princes ,  fut  renouvelle  :  Que  le  décret  de  la 
Sorbonne  à  ce  fujet  fût  exécute,  &  qu'il  fut  enjoint  aux  évc- 
ques  du  Royaume  de  le  faire  publier  dans  leurs  Diocéfes. 
Le  Parlement  l'avoit  déjà  ordonné  j  mais  l'Evêque  de  Paris 
s  Y  ctoit  oppofé  ,  fous  prétexte  que  ni  le  Parlement  ,  ni  la 
iSorbonne  n'avoient  pas  le  droit  de  commander ,  ni  d'en- 
joindre quelque  chofe  aux  Evêques.  Ce  Prélat  avoit  trouvé 
à  la  Cour  des  amis  puiilans  5  en  forte  que  quoique  tous  les 
bons  François  pénétrez  de  la  douleur  que  leur  caufoit  l'in^ 
digne  alfalllnat  de  leur  Roi ,  fouhaitalîent  ardemment  la  pu- 
nition de  ce  crime  j  cependant  tous  les  Arrêts  du  Parlement'; 
&  les  décrets  de  la  Sorbonne  firent  peu  d'effet  ;  ils  font  de^ 
puis  fîx  ans  reftez  fans  exécution.  A  la  follicitation  de  quel- 
ques perfonnes  bien  intentionnées  ,  &  qui  avoient  pour  mo- 
tif la  confervation  de  la  perfonne  facrée  de  nos  Rois,  le 
Prince  de  Condé  demanda  qu'on  renouvellât  ces  décrets. 
Il  l'obtint  quoiqu'avec  peine  ;  car  on  lui  fit  toujours  mille 
difficultez  fur  chaque  chef  qui  regardoit  le  bien  de  fEtat  j 
mais  le  Débiteur  ne  voulut  jamais  confentir  que  le  Roi  fe  fer- 
vît  dans  fon  Edit  du  mot  ordinaire  :  Nous  enjoignons.  Il  foutint 
obftinement  qu'il  fuffifoit  que  le  Roi  promît  d'écrire  à  ce 
fujet  aux  Evêques  de  fon  Royaume.  Ainfi  la  Majefté  Roïale 
s'aviliffoit  infenfiblement ,  &  tous  les  bons  François  étoient 
indignez  de  voir  qu'elle  perdoit  tous  les  jours  quelqu'un  de 
fes  droits,  par  une  faulfe  politique ,  ou  par  la  foiblefle  du  gou- 
vernement. 

Il  y  eut  plus  de  difficulté  par  rapport  au  premier  chef  des 
demandes  du  tiers  Etat ,  (  i  )  que  la  Cour  avoit  déjà  rejet- 
té.  Le  Prince  de  Condé  le  propofa  de  nouveau ,  &  cet  ar-* 
ticle  fut  en  conteftation  pendant  tout  le  temps  de  la  confé- 
rence. Mes  collègues  diCputoient  à  ce  fujet  non-feulement 
contre  les  députez  du  parti  oppofé  ,  mais  encore  entre  eux , 
&  dans  la  maifon  du  Maréchal  de  Briffac.  Pour  moi,  je  par- 
lois  peu,  quoique  je  fouffriffe  beaucoup  de  voir  les  efprits  fi 
préoccupez  par  l'efprit  de  fadion.  N^aïant  là  aucun  ami  avec  qui 
jepuffe  m' entretenir  en  liberté,  je  ne  fçavois  quel  parti  pren- 
dre. Trois  de  mes  collègues ,  réCiniffoient  leurs  efforts  pour 
attaquer  farticle  en  queftion ,  &  le  quatrième  par  un  filence 
(1 }  Touchant  la  sûreté  de  ia  perfonne  4n  Ro»  >  &  i'in^épendancç  de  fa  couronne» 


^6S  PIECES  CONCERNANT  L'HISTOIRE 

criminel  les  approuvoit  affez.  Le  Débiteur  foutenoit  que  les 
Pmteftans  avoient  engagé  le  Prince  à  faire  cette  demande , 
non-feulement  pour  brouiller  le  Roi  avec  la  Cour  de  Ro- 
me 5  mais  encore  pour  émouvoir  les  deux  premiers  ordres  du 
Royaume ,  qui  s'étoient  oppofez  à  la  réception  de  cet  arti- 
cle :  Qu'enfin  on  ne  pouvoit  en  confcience  l'admettre.  Le 
Maréchal  de  Briflac  ajoutoit  que  cette  propofition  avoir  été 
fabriquée  en  Angleterre,  &  en  faveur  du  Roi  de  la  grande 
Bretagne  5  mais  que  ni  la  France ,  ni  fon  Roi  n'en  avoient 
ipas  befoin. 

J'entendois  tous  les  jours  les  mêmes  difcours  ;  mais  quoi- 
<^ue  je  diffimulalTe ,  jugez  vous  même  de  l'émotion  où  j'é- 
tois.  Enfin  une  efpece  d'indignation  me  fit  rompre  le  filenc^j 
je  déclarai  que  je  ne  voulois  point  entrer  dans  la  conteftation 
qui  s'étoit  élevée  fur  cet  article  ^  mais  que  je  croyois  néceflaire 
d'examiner  qui  l'avoir  dreffé  &  qui  i'avoit  propofé  j  &  qu'a- 
près une  mure  délibération ,  faite  de  bonne  foi ,  &  fans  paf- 
lîon,  on  en  jugeroit  fainement.  »Sçachez,  Meflleurs,  dis-je 
3>  alors ,  qu'il  n'a  point  été  fait  en  Angleterre ,  mais  en  France 
»  &  à  Paris  même.  Ce  font  de  fidèles  fujets  du  Roi ,  &  des 
»  perfonnes  non  fufpedes  qui  l'ont  dreflfé  dans  le  temps  qu'on 
»  compofoit  dans  la  maifon  de  Ville  le  cahier  que  le  tiers  Etat 
33  devoit  préfenter  à  l'aiTemblée  des  ordres  du  Royaume.  Guil- 
a  laume  des  Landes ,  Gafton  Grié ,  &  Claude  le  Prêtre ,  Con- 
9>  feillers  ^u  Parlement  de  Paris  ,  Magiftrats  d'un  mérite  gé- 
»  neralement  reconnu ,  y  étoient  préfets  :  c'eft  le  Prêtre  lui- 
»  même  qui  a  rédigé  cet  article ,  dans  la  forme  oii  il  eft  en- 
»  core  aujourd'hui.  Il  fut  enfuite  communiqué  en  fecret  à  la 
»  Reine  ,  qui  l'aprouva  en  prefence  du  Renard  ,  de  Pierre 
»  Jeanin  (i)  &  du  Débiteur  même. 

Alors  je  demandai  au  Débiteur ,  fi  ce  que  j'avançois  étoit 
vrai  ou  faux.  Le  Maréchal  de  Briflac  étoit  préfent.  Le  Débi- 
teur ne  difcon vint  pas  de  ces  faits  ,  mais  il  dit  qu'on  av oit  eiî 
grand  tort  d'admettre  cet  article. 

w  II  n'a  donc  pas  été  fait,  ajoutai-je ,  en  Angleterre ,  &  pouf 
»les  Anglpis  feuls,  comme  on  l'a  avancé  ,  pour  le  rendre 
»  odieux  '-,  mais  il  a  été  drefîe,  examiné  ,  &  même  approuvé  en 
la  France  ;  jugez  maintenant  s'il  faut  rejetter  avec  tant  de  mé- 

(i)  Le  Pré/ïdent  Jeanin, 

pris^ 


Dï  J.  A.  DE  THOU.  ;<^^ 

i  pris  ce  que  des  hommes  éclairez ,  non  fufpeds  &  bien  in- 
»  tentionnez  ont  fak  autrefois. 
»  L'oppofîtion  formée,continuai-je,à  la  demande  du  tiers  Etat 
»  pa  les  deux  ordres  premiers  du  Royaume,ne  mérite  pas  beau* 
coup  de  confîdération  ;  car  il  eft  certain  que  ce  n'eft  qu  a  la  fol- 
»  licitation  &  par  les  manœuvres  d'une  cabale  fecrete ,  que  la 
a^lsTobleiTe  a  été  d'un  fentiment  contraire  5  &  dans  Pinftant  que 
»  l'article  parut ,  la  plus  faine  &  la  plus  grande  partie  de  cet  or- 
»  drefut  d'avis  de  s'en  rapporter  au  jugement  &  à  la  volonté  duf 
»  Koi.  Mais  dès  que  ceux  qui  avoient  aiad  opiné  furent  ab- 
»fens,  le  Prélident  profita  de  leur  éioignement,  pour  mettre 
»  une  féconde  fois  en  délibération  ce  qui  étoit  déjà  arrêté ,  & 
»  il  fut  ordonné  que  la  Noblefle  fe  joindroit  au  Clergé ,  corn- 
»  me  dans  une  affaire  qui  regardoit  la  Religion.  Les  bons 
X  François  qui  fçavent  ce  qu'ils  doivent  à  la  Religion  &  à  1» 
3>  République  ,  ont  toujours  cru  que  cette  affaire  concernoit 
»  plus  l'Etat  que  la  Religion. 

»  Vous  voyez  donc  que  cet  article  a  déjà  été  propofé  &  rc- 
»  çu.  Il  a  enfuite  été  attaqué  par  une  fadion  puilfante.  Un 
»  Prince  du  fang  le  propofe  de  nouveau  :  c'eft  à  vous  à  exami- 
»  ner ,  fi  la  tranquilité  publique  &  la  dignité  du  Souverain  que 
3i  vous  repréfentez  ,  exigent  que  vous  rejettiez  cette  propofî- 
^  tion,  comme  préjudiciable  à  la  Religion ,  ou  fi  vous  devez 
»  la  refpeder ,  comme  ayant  été  avancée  par  des  gens  bien  in- 
»  tentionnez ,  &  qui  avoient  pour  motif  la  fureté  de  nos  Rois.  » 

Je  finis ,  en  difant  que  je  n'avois  parlé  ainfi  ,  que  pour  éclair- 
cir  les  faits  :  Que  je  ne  voulois  point  entrer  dans  le  fond  de  la 
conteftation  :.Que  même  j'avois  fouhaité  plufîeurs  fois  que 
C€t  article  n'eût  jamais  été  propofé  ,  puifqu'on  y  faifoit  paroi- 
tre  tant  d'oppofition  (  la  pofterité  jugera  (1  elle  e(l  bien  fon- 
dée )  &  qu'il  avoit  caufé  de  fi  grands  troubles  ;  mais  que  puif- 
qu'ilavoit  été  propofé,  ilfalloit  l'admettre,  &  que  fans  cela 
la  facrée  perfonne  du  Roy  feroit  expofée  à  un  danger  évident. 

Un  pareil  difcours  jetta  mes  collègues  dans  l'étonnement.' 
14s  me  regardèrent  pendant  quelque-temps  fans  rien  dire.  En- 
fin ,  après  un  filence  afifez  long ,  le  Débiteur  prit  la  parole  , 
&  dit ,  qu'il  ne  falloir  rien  négliger  de  ce  qui  pouvoit  con- 
tribuer à  la  tuueté  de  nos  Rois  j  mais  qu'il  falloit  aufll  prendre 
garde  de  troubler  la  bonne  intelligence  qui  regnoit  entre  la 
Tome  XK  Ç  c  ç  ç 


5^70  PIECES  CONCERNANT  L'HISTOIRE 

Cour  de  France  &  celle  de  Rome  ,  &  de  rompre  une  union 
auffi  avantageufe  à  l'Etat  qu'à  la  Religion. 

Nous  eûmes  entre  nous  plufieurs  conférences  à  ce  fujet ,  & 
îe  Duc  de  Nevers  s'y  trouva  une  fois  ?  mais  il  s'étoit  laifle 
prévenir ,  &  il  difoit  fans  feinte ,  que  d'habiles  Théologiens 
lui  avoient  allure  ,  qu'il  y  avoit  plufieurs  chefs  dans  l'article 
en  quellion  ,  qui  regardoient  plutôt  la  Religion  que  l'Etat ,  ôc 
fur  lefquels  il  falloit  s'en  rapporter  à  la  décifion  du  Clergé. 

Sur  ces  entrefaites  le  Débiteur  alla  à  la  Cour  avec  le  Ma- 
réchal de  Briflac  &  le  Duc  de  Nevers,  pour  fçavoir  la  ré- 
ponfe  que  le  Roi  voudroit  faire  aux  articles  fecrets  propofez 
par  le  Prince  de  Condé  ôc  par  les  Seigneurs  de  fon  parti.  Le 
motif  de  ce  voyage  fut  encore  de  demander  au  Nonce  fon 
avis ,  fur  ce  qu'on  devoit  répondre  au  fameux  article  qui  cau- 
foit  tant  de  conteftations  5  car  on  ne  faifoit  rien  dans  cette  af- 
faire fans  la  participation  de  ce  Prélat. 

Le  Débiteur  avoit  confeiilé ,  ou  d'éluder  par  des  remifes^ 
les  pourfuites  du  parti  oppofé  ,  ou  d'admettre  en  apparence 
l'article  difputé,  mais  d'y  ajouter  des  modincations,  ôc  de  fe 
fervir  de  termes  Ci  équivoques ,  ôc  de  circonlocutions  fi  am- 
biguës ,  que  l'approbation  deviendroit  inutile.  Il  fe  vantoit 
d'avoir  le  talent  d'embrouiller  ôc  de  finir  ainfi  les  affaires.  En: 
effet  il  réûfllt ,  ôc  fes  artifices'  eurent  le  fuccès  qu'il  en  atten- 
doit.  Les  principaux  chefs  du  parti  ayant  été  gagnez  par  des 
préfens  ou  par  des  promelfes  ne  firent  plus  de  réfiftance.  Mais 
qu'y  gagna-t-on  ?  On  diffimula  les  véritables  intérêts  du  Roi , 
&  on  les  abandonna. 

Dans  une  vilite  que  de  Vie  me  rendit ,  (  car  ma  colique 
m'empêcha  fouvent  de  fortir)  je  me  plaignis  de  cette  hon- 
teufe  prévarication ,  qui  n'avoit  pour  motif  que  de  vains  fcru- 
pules  de  Religion ,  &  à  laquelle  je  ne  participois  que  malgré 
moi.  Je  lui  reprefentai  encore  que  nous  expofions  notre  Sou- 
verain à  de  grands  dangers  :  Qu'on  nous  en  feroit  un  jour  de 
jufles  reproches  :  Qu'il  auroit  mieux  valu  ne  jamais  parler  de 
cet  article  j  mais  que  puifque  la  queflion  étoit  entamée ,  il  fal- 
loit du  moins  en  laifler  le  jugement  au  Roi  même ,  de  crainte 
que  tant  de  difputes  inutiles  ne  préjudiciallent  à  fes  droits. 

On  rapporta  ce  difcours  au  Débiteur,  qui  le  faifit  auffi-tôt , 
&  qui  me  fit  dire  que  je  ferois  une  chofe  très- agréable  au 
Roi,  &  à  toute  la  (Cour  ^  fi  je  pouyols  faire  confemii  le 


DE  J.  A.  DE  THOU.  ^71 

Prince  de  Condé  au  renvoi  de  cette  affaire  à  S.  M.  Je  m'em-^ 
ployai  volontiers  à  obtenir  ce  confentement.  J'allai  aufli-tot 
trouver  Gaucourt  de  Rouveray  ,  &  Jofias  Mercier  des  Bor- 
des ,  qui  avoient  beaucoup  de  crédit  parmi  les  Proîeftans  ; 
&  leur  reprefentai  le  danger  qu'il  y  avoir ,  de  pouffer  trop  loin 
leurs  prétentions.  Heureufement  ils  connoiffbient  mes  fenti- 
mens,  &  fçachant  qu'élevé  dans  la  maifon  de  mon  père  ; 
j'y  avois ,  pour  ainfi  dire ,  fuccé  avec  le  lait  un  attachement 
inviolable  aux  intérêts  du  Roi ,  ils  prirent  en  bonne  part  ; 
&  écoutèrent  favorablement  une  propofition  qui  dans  la 
bouche  d'un  autre  ne  leur  auroit  pas  paru  digne  d'attention , 
ou  auroit  excité  leurs foupçons.  Ainfi  je  les  perfuadai  facilement 
qu'il  ne  falloir  pas  toucher  à  un  mal  qu'ils  ne  pouvoient  guérir , 
&  qu'il  étoit  à  propos  d'attendre  une  occafion  plus  favorable. 

Dès  le  lendemain,  l'afïaire  fut  niife  en  délibération ,  &  le 
Prince  de  Condé  leur  aïant  demandé  leur  avis,  ils  ne  s'op- 
poferent  point  à  ce  que  j'avois  propofé ,  &  leur  fentiment 
fut  fuivi  par  tout  le  refte  de  leur  parti.  Le  Débiteur  triom- 
pha de  ce  fuccès ,  &  dans  la  fuite ,  il  me  combla  de  louan- 
ges en  préfence  de  la  Reine ,  &  du  Cardinal  Ubaldin  ,  de 
ce  que  j'avois  trouvé  cet  heureux  tempérament,  qui  avoir 
terminé  une  affaire  fi  épineufe. 

Il  falloir ,  &  on  le  pouvoit ,  régler  de  la  même  façon  l'ar- 
ticle fuivantpar  lequel  le  Prince  de  Condé  avoir  dcmandjé 
la  main-levée  des  défenfes  d'exécuter  les  Arrêts  de  la  Cour 
rendus  à  ce  fujet  ,  les  années  précédentes  ;  mais  le  Débi- 
teur qui  en  avoit  éludé  la  force  par  l'obfcurité ,  &  l'ambiguitc 
des  termes  dans  lefquels  cet  article  étoit  exprimé  ,  aima 
mieux  le  laiiler  comme  il  étoit  conçu,  que  de  le  foumettre  à 
la  décifion  du  Roi. 

Le  quatrième  ,  &  le  cinquième  articles  regardoient  les 
droits  de  l'Eglife  Gallicane.  Le  Prince  de  Condé  demandoit 
qu'on  les  maintmt  dans  leur  force  ,  &  tels  que  nous  les  avions 
reçus  de  nos  ancêtres.  Il  demandoit  encore  la  calfation  de 
ce  qui  avoit  été  fait  par  quelques  particuliers  ,  pour  la  pu- 
blication du  Concile  de  Trente ,  fans  un  ordre  exprès  de- S.  M. 
On  foufcrivit  en  apparence  à  ces  deux  demandes.  Sur  Ja  pre- 
mière ,  le  Roi  prom.it  qu'il  feroit  tous  fes  efforts  pourcon- 
ferver  leslibertez  de  l'Eglife  de  France.  Sur  la  féconde, |S.  M,; 

CcQç  ij 


'^'ji       PIECES  CONCERNANT  L'HISTOIRE 

déclara  que  la  publication  qui  avoir  été  faite  fans  fon  agrément^ 
îui  avoir  déplu  :  Qu'ainfi  elle  étoit  nulle  :  Qu'elle  n'auroir  pas 
lieu ,  &  qu'il  ordonneroit  à  ce  fujer  ce  qui  feroir  convenable. 

On  ccnfîrma  les  Edirs ,  &  les  privilèges  accordez  par  nos 
Rois  aux  Proreftans.  On  fit  même  menrion  des  brevets.  Ce- 
pendant ceux  qui  n'onr  pas  été  fuivis  de  lettres  patentes ,  ni 
d'enregiftre ment,  n'auront  que  très-difficilement  leur  exécu- 
tion ,  &  donneront  lieu  à  des  remontrances. 

La  claufe  qui  portoit  que  chacun  feroit  confervé  dans  fes  gou- 
vernemens,  charges ^  honneurs,  dignitez,  &  offices,  &  que 
ceux  qui  en  avoient  été  dépouillez  feroient  rétablis ,  parut  fi 
équitable ,  qu'elle  pafla  fans  contradidion  5  le  Duc  de  Sully  dit 
cependant  qu'il  y  avoit  dans  cette  adjondion  plus  d'ambition 
&:  de  fafte ,  que  de  neceffité. 

Quant  aux  demandes  des  Sieurs  de  Courtenay ,  qui  étoient 
contenues  dans  le  huitième  article  ,  &  qui  ont  été  fi  fouvent 
agitées  dans  le  Confeil  de  Henri  le  Grand,  &  au  Parlement, 
on  n'y  fit  aucune  réponfe.  Ceux  qui  les  avoient  propofées 
par  eonfideration  pour  un  Seigneur  de  cette  maifon  qui  s'é- 
toit  attaché  au  Prince  de  Condé  ,  étoient  eux  -  mêmes  fort 
éloignez  d'appuyer  ces  prétentions  5  car  à  Pexception  du  Prin*- 
ce  de  Condé,  il  n'y  avoit  perfonne  qui  ne  fouhaitât  que  le 
nombre  des  Princes  du  fang  diminuât  plutôt  que  de  le  voir 
augmenté. 

Le  Débiteur  ne  répondit  que  par  un  mépris^  au  neuviéhie 
article  ,  qui  concernoit  la  confervation  de  l'autorité  des  Parler 
Biens.  Vous  f<;avez  qu'il  fait  tous  fes  efforts  pour  empêcher 
que  les  Cours  fouveraines  ne  recouvrent  leur  ancien  luftre  , 
&  ce  pouvoir  dont  elles  fe  fervent  fi  utilement  pour  défen- 
dre la  Majeflé  de  nos  Rois  ,  &  foutenir  les  droits  de  la  Cou- 
ronne ,  contre  les  entreprifes  des  Etrangers.  Cet  homme  croit 
que  plus  les  Magiflrats  auront  d'autorité ,  plus  fon  crédit  di- 
minuera, &  il  craint  que  le  urouvoir  ne  foit  un  obflacle  aux 
pernicieux  deffeins  d'une  cabale  ,  qui  n'eft  déjà  que  trop 
puinfante. 

Le  Préfident  Nicolas  le  Jay,  a  ,  comme  vous  fçavez  ; 
cté  enlevé  avec  violence  de  fa  maifon  à  Paris  ,  &  mis  en 
prifon  à  Amboife.  Ses  ennemis  le  forcèrent  d'avoir  recours 
^  la  protedion  du  Prince  de  Condé ,  quoiqu'il  n'eût  voulu 
devoii  h  grâce  ,  qu'à  h  bonté  du  Roi.  On  avoit  agi  fort 


DE    J.   A.   DE  T  H  O  U.  5-75 

imprudemment  de  le  réduire  à  cette  trifle  nécefîlté  ,  &  le 
Prélîdent  Jeannin  en  étoit  convaincu  par  les  raifons  que  je  lui 
avois  dites  à  ce  fujet.  Il  agit  même  en  faveur  de  le  Jay  & 
demanda  au  Roi  la  liberté  du  prifonnier  ;  mais  toutes  fes  dé- 
marches furent  inutiles ,  &:  la  follicitation  du  Prince  de  Condé 
n'eut  pas  plus  d'effet. 

Il  y  avoit  eu  un  Arrêt  du  Confeil  d'Etat  qui  non-feule- 
ment caflbit  &  annulloit  dans  les  termes  les  plus  outrageans 
les  délibérations  du  Parlement  î  mais  encore  avoit  ordonné 
qu'elles  feroient  extraites  des  Regiftres  &  fupprimées.  Il 
s'en  fallut  peu  que  ce  violent  décret  ne  portât  que  l'arrê- 
té d'un  Tribunal  fi  refpedable  feroit  lacéré  &  brûle  par  la 
main  du  bourcau.  Le  Prince  de  Condé  demanda  par  le  di- 
xième article,  qu'on  révoquât  cet  Arrêt.  Comme  le  Débi- 
teur y  avoit  eu  beaucoup  de  part ,  ce  chef  lui  fît  de  la  pei- 
ne. Cet  Arrêt  avoit  été  fabriqué  par  ceux  qui  étoient  defî- 
gnez  dans  les  remontrances  du  Parlement  5  enforte  qu'ils  fii- 
rent  juges  dans  leur  propre  caufe.  Vous  étiez  prefent ,  lorf-« 
qu'il  fut  rendu ,  &  quoique  vous  fulTiez  d'avis  de  céder  au 
temps ,  &  de  donner  quelque  fatisfadion  à  des  feigneurs  puiC- 
fans  qui  étoient  irritez  -,  cependant  les  termes  injurieux  dont 
on  fe  fervit ,  vous  déplurent.  Vous  fçavez  qu'on  ne  deman-  / 
da  pas  le  fentiment  de  tous  les  Membres  du  Confeil ,  & 
entre  autres  des  Ducs  de  Guife  ,  &  de  Vendôme  ,  &  des 
Maréchaux  de  Briflfac ,  &  de  Souvré  ;  mais  qu'après  que  le 
Débiteur  eut  dit  fon  avis  au  Renard,  tout  bas  à  l'oreille  , 
de  crainte  qu'on  ne  l'entendît,  les  autres  fe  levèrent  en  tu- 
multe :  Que  le  Hérifîbn ,  &  Dolé  ,  qui  étoient  particulière^ 
ment  intereflez  dans  cette  affaire  ,  diderent  eux  -  mêmes  ; 
pour  ainfî  dire>  cet  Arrêt:  Qu'enfin  Jeannin  leur  fit  d'abord 
quelque  réfiftance  ;  mais  qu'il  mollit  bien-tôt,  comme  il  a 
toujours  coutume  de  faire,  &  qu'à  leur  follicitation  il  ap- 
prouva l'Arrêt. 

Le  Hériflbn  avec  toute  fa  cabale  fit  enfuite  tous  fes  efforts;, 
pour  fe  faire  reprefentcr  la  feuille ,  fur  laquelle  l'arrêté  du  Par^- 
lement  avoit  été  écrit.  DuTillet  l'avoit  ôtée  des  Regiftres  , 
&  emportée  chez  lui.  Le  Parlement  la  lui  fit  rapporter ,  pour 
îa  remettre  dans  le  Regiftre  ,&  éluda  l'exécution  de  l'Arrêt 
du  Confeil  qu'on  vouloit  faire  inférer  dans  les  Regiftres  de* 

CcGC  ii; 


^74  PIECES  CONCERNANT  L'HISTOIRE 
de  la  Cour.  Nous  nous  rappellames  facilement  tous  ces  faits  ; 
&  le  Maréchal  de  Brillac,  à  qui  l'on  n'avoir  pas  demandé 
fon  avis,  n'avoit  pas  oublie  cette  circonftance.  Quoique  tous 
ces  difcours  ne  pluflent  pas  au  Débiteur  ;  cependant  il  dit 
qu'il  confentoit  volontiers  qu'on  eût  égard  aux  demandes  du 
Parlement ,  nonobilant  l'Arrêt  du  Confeil  ,  puisqu'on  ne  le 
trouvoit  pas  équitable ,  &  c[u'on  croïoit  qu'il  avoit  été  fait  con- 
tre  les  règles. 

Quant  à  ce  qui  regardoit  la  jurifdidion  des  Cours  fouverai- 
nes,  &  la  forme  des  jugemens  à  l'égard  des  particuliers,  le  Dé- 
biteur ,^  dont  le  but  a  toujours  été  de  diminuer  l'autorité  du 
Parlement,  foùtint  d'abord  qu'on  ne  pouvoit  accorder  tout  ce 
que  les  Magiftrats  avoient  demandé.  Alors  je  me  crus  obligé 
de  parler,  &  je  reprefentai  que  les  foins  du  premier  Tribu- 
nal du  Royaume ,  dévoient  s'étendre  non-feulement  fur  ce 
qui  regardoit  les  particuliers ,  mais  encore  fur  les  affaires  qui 
intereflbient  le  Public.  Que  fi  l'on  craignoit  que  le  Parlement 
n'abusât  de  fautorité  qui  lui  étoit  confiée ,  on  ajouteroit  que 
ce  pouvoir  demeureroit  renfermé  dans  les  bornes  qui  lui 
avoient  été  données  par  les  anciennes  conftitutions  de  nos 
Rois ,  fans  aucune  nouvelle  ampliation.  Cependant  on  dif- 
puta  encore  à  ce  fujet  en  préfence  du  Prince  de  Condé  , 
lorfqu'onfitla  ledure  de  la  réponfe  à  fa  demande. 

L'onzième  article  concernoit  la  fixation  du  temps,  dans 
lequel  le  Roi  fatisferoit  aux  demandes  des  trois  ordres  du 
Royaume ,  par  un  Edit  qu'il  adrefleroit  aux  Parlemens.  On  y 
répondit  que  le  Roi ,  Ôc  fon  Confeil  n' avoient  pu  jufqu'alors 
remplir  l'attente  des  peuples:  Que  les  troubles  qui  s'étoient  éle- 
vez, &  le  voïage  du  Roi  en  Guyenne  avoient  caufé  ce  retarde- 
ment :  Que  cependant  on  avoit  déjà  fatisfait  à  quelques  chefs ,' 
&  qu'on  acheveroit  le  refle  dans  quatre  mois. 

Dans  le  douzième  article ,  le  Prince  de  Condé  demandoît; 
que  conformément  au  décret  des  Etats  de  Blois  ,  qui  avoient 
confirmé  les  Edits  précédemment  rendus  à  ce  fujet,on  ne  don- 
nât les  dignitez  de  l'Etat  «5c  les  gouvernemens ,  &  qu'on  ne 
confiât  la  garde  des  places  frontières  qu'aux  François  feuls ,  à 
Vexclufion  des  Etrangers.  On  lui  répliqua  qu'à  la  vérité  fa  pré- 
tention étoit  appuyée  fur  les  anciennes  loix  du  Royaume,  mais 
qu'elles  n'avoient  pas  été  régulièrement  obfervées  :  Qu'on 
avoit  vu.  des  étrangers  s'élever  par  leur  mérite  aux  plus  gran^ 


DE    J.    A.    D  E    T  H  O  U.  ^yj 

àcs  dignkez,  &  y  rendre  des  fervices  confiderables  à  l'Etat. 
Vous  f(çavcz  quel  a  cté  le  motif  de  la  demande  du  Prince  de 
Condé,  &  de  la  réponfe  que  nous  y  avons  faite.  L'article  fui- 
vant  l'indique  aflez. 

Le  Prince  de  Condé  reprefenta  dans  cet  article  qu'il  ctoit 
ncceflaire  de  démolir  les  fortifications  de  la  citadelle  d'A- 
miens ,  du  côté  qui  regarde  la  ville ,  tant  pour  la  tranquillité 
de  l'Etat ,  que  pour  ne  pas  laifler  les  bourgeois  expofez  aux  in- 
fultes  d'une  garnifon.  Cela  a  déjà  donné  lieu  à  de  grands  trou- 
bles &  en  caufera  encore  de  nouveaux  dans  la  fuite ,  car  par 
les  artifices  imprudens  d'une  perfonne  que  je  ne  veux  pas 
nommer,  de  crainte  qu'elle  n'entre  en  fureur,  ce  chef  relia 
indécis.  On  nous  prefTa  vivement  j  mais  nous  réfiftâmes  avec 
fermeté ,  &  nous  nous  fervîmes  dans  nos  réponfes  de  l'auto- 
rité de  ce  grand  Roi ,  qui  avoit  fait  bâtir  cette  citadelle. 

Le  Débiteur  étant  prêt  à  partir  pour  la  Cour ,  chacim  le 
chargea  du  foin  de  fes  intérêts,  &  lui  expliqua  en  fecret  fes 
prétentions.  Le  Prince  de  Condé  &  la  Comteffe  de  Soiffons 
n'étoient  pas  éloignez  d'un  accommodement.  La  Duchefle 
de  Longueville  même  y  confentoit ,  à  condition ,  qu'au  lieu 
de  la  Picardie,  on  donneroit  par  une  efpece  de  compenfation 
à  fon  fils  le  gouvernement  de  la  Normandie,qui  a  deux  fois  plus 
d'étenduë,&  que  pour  y  affermir  fon  autorité,(  cet  abus  eft  à  pré- 
fentfort  ordinaire  )  ony  joindroit  le  château  de  Caën,  le  Pont 
de  l'Arche  &c  Dieppe  :  ces  places  étoient  comme  un  domaine 
aliéné  ^  qu'on  ne  pouvoit  retirer  qu'avec  de  grandes  fommes 
d'argent  des  mains  des  avides  Gouverneurs  qui  y  comman- 
doient.  On  fit  avec  la  DuchefTe  ce  projet  d'accommodement. 
Son  fils  l'écouta  avec  attention ,  mais  il  n'y  voulut  pas  confen- 
tir  5  car  il  croïoit  qu'il  lui  étoit  honteux  de  quitter  une  Provin- 
ce ,  oii  la  mémoire  de  fon  père  &  de  fon  ayeul  étoit  fi  refpec- 
îée ,  &  d'en  être  en  quelque  façon  chafTé  par  un  homme  à  qui 
H  ne  devoir  pas  céder ,  &  qu'il  avoit  toujours  regardé  comme 
l'auteur  des  troubles.  Ce  jeune  Prince  fut  inflexible,  &  quoi- 
qu'à  la  prière  du  Roi  ou  de  la  Reine  il  eut  abandonné  quelque 
chofe  de  fes  prétentions  fur  ce  qui  regardoit  la  citadelle  ;  ce- 
pendant il  conferva  toujours  la  même  fermeté  par  rapport  à 
Ion  gouvernement  de  Picardie.  Prefque  tous  les  Gentilshom- 
mes de  cette  Province ,  qui  forment  le  corps  le  plus  diftingué 


57(?         PIECES  CONCERNANT  L'HISTOIRE 

cjans  la  Noblefle  Fran(;oife ,  avoient  préféré  l'amitié  de  leur 
Gouverneur  aux  faveurs  de  la  Cour.  Le  Duc  par  reconnoif- 
fance  crut  qu'il  ne  pouvoir  les  abandonner ,  &  qu'il  étoit  de 
fon  honneur  de  les  foutenir  contre  des  ennemis  qui  cher- 
choient  à  fe  vanger. 

Ses  amis  qui  s'étoient  déjà  unis  en  fecret  avec  le  mari  (i)  de 
Canidie,  leprefTerent  vivement  d'accepter  les  offres  qu'on  lui 
faifoit  5  mais  comme  il  leur  objedoit  toujours  labienféance, 
&  fon  honneur  ,  un  d'eux  lui  dit,  qu'il  falloit  croire  que  l'hon- 
neur réfidoit  où  étoit  la  fortune.  Il  lui  répliqua  fur  le  champ  : 
30  Vous  me  preflez  de  préférer  la  fortune  à  Thonneur-Comment 
30  vous  qui  me  donnez  un  pareil  confeil ,  avez  vous  donc  per- 
5*  du  l'un  &  l'autre  /  Je  vous  ai  vu  il  n'y  a  pas  long-temps , 
»  prefque  fans  bien  Ôc  fans  honneur.  Pour  moi  j'ai  toujours  mé- 
»  prifé  un  vil  intérêt  j  mais  je  ne  fouffrirai  jamais  la  perte  de  ma 
»  réputation. 

Ces  paroles ,  &  quelques  difcours  un  peu  trop  animez ,  éloi- 
gnèrent entièrement  de  ce  Prince  ceux  qui  tâchoient  de  ga- 
gner la  faveur  de  la  Cour.  Au  contraire  ,  ceux  qui  n'avoient 
pas  les  mêmes  vues  s'unirent  à  lui ,  enforte  que  la  divifion  fe 
glifla  dès-lors  entre  les  liguez.  Quoique  le  Duc  de  Longue- 
ville  ne  cherchât  pas  à  tirer  en  longueur  la  négociation ,  Se 
qu'il  parut  au  contraire  très-fàché  des  ravages  &  des  exadions 
que  les  troupes  faifoient  dans  la  campagne  j  cependant  il  eau- 
fa  de  nouvelles  difficultez  qui  retardèrent  la  conclulîon  du 
traité. 

Sur  ces  entrefaites ,  Canidie  quitta  la  Cour  pour  aller  à  Pa- 
ris. Dès  qu'elle  eut  appris  que  fon  mari  fe  rendoit  odieux  en 
voulant  retenir  la  citadelle  d'Amiens,  &  qu'on  murmuroit 
même  contre  le  Roi  ôc  la  Reine,  elle  eut  recours  à  fes  artifices 
ordinaires.  Elle  fit  courir  le  bruit  à  la  Cour ,  à  Paris ,  &  enfin  à 
Loudun ,  où  elle  envoya  des  lettres  par  Nereftan ,  que  fon 
mari  étoit  prêt  à  fortir  de  la  place  ,  &  qu'il  ne  vouloir  point 
mettre  d'obftacle  à  l'accommodement  du  Duc  de  Longue- 
ville.  Le  Débiteur  nous  ayant  fait  part  de  cette  nouvelle  j  de 
Vie  en  levant  les  mains  au  Ciel ,  dit  tout  haut ,  qu'il  remer- 
cioit  Dieu  d'avoir  infpiré  au  mari  de  Canidie  une  réfolution  ; 
qui  lui  faifoit  tant  d'honneur  &  qui  étoit  fi  utile  au  Roi  j  mais 

{i;  Le  Maréchal  d'Ancre. 

j'arrêtai 


DE  J.  A.   DE  THOU.  ^77 

5'arrêtai  fur  le  champ  ce  tranfport ,  &  priai  de  Vie  de  fufpen- 
dre  fon  jugement ,  jufqu'à  ce  que  révenement  eût  juflifié  des 
promeiïes  Ci  magnifiques. 

Mes  foupçons  n'étoient  que  trop  bien  fondez,  &  dès  le 
lendemain  on  changea  les  conditions  du  traité.  On  propofa 
une  féconde  fois  la  Normandie ,  à  l'exception  de  la  ville  de 
Dieppe ,  pour  laquelle  on  promit  de  donner  cent  mille  écus 
d'or ,  quoique  le  Tréfor  Roïal  fut  alors  épuifé.  Ainfi  le  Roi  & 
fes  Commiflaires  furent  également  trompez  ;  mais  on  ne  fe^ 
mocqua  pas  de  même  ainfi  du  Duc  de  Longueville.  Il  con- 
ferva  toujours  fa  fermeté ,  &  il  fe  foutint  lui  feul ,  lorfque  tout 
ie  monde  l'abandonnoit.  Ses  ennemis  qui  imputoient  aux  au- 
tres les  fentimens  qu'ils  avoient  eux-mêmes  ,  difoient  qu'il 
ufoit.de  difllmulation  :  Qu'il  penfoit  autrement  qu'il  ne  parloirs 
&  par  conféquent  qu'il  étoit  très-éloigné  de  faire  ce  qu'il  pro- 
pofoit.  Ce  jeune  Prince  ayant  appris  ces  differens  bruits,  ré- 
pondit auflTi-tôt  :  »  Il  eft  plus  facile  à  ceux  qui  jugent  ainfi  de 
»  moi  de  me  taxer  d'inconftance  que  de  mauvaife  foi  j  car  il 
»  eft  certain  que  je  n'infifte  pas  avec  aflez  de  force  fur  les  de- 
»  mandes  que  j'ai  faites  publiquement ,  &  qui  ont  été  propo- 
»  fées  de  ma  part  par  ceux  mêmes  qui  cenfurent  aujourd'hui 
»  ma  conduite.  Qu'ils  tâchent  d'obtenir  ce  que  je  demande, 
»  de  celui  avec  qui  ils  ont  fait ,  fans  mon  avis ,  un  traité  fecret; 
»  &  s'ils  réûfTiflent,  ils  me  rendront  un  grand  fervice.  Si  l'article 
»  de  la  Citadelle  d'Amiens  fait  quelque  difficulté ,  je  confens 
»  qu'elle  fubfifte  dans  l'état  qu'elle  eft,  pourvu  qu'on  en  donne 
9i  le  gouvernement  à  un  homme  fidèle ,  &  qui  ne  foit  point 
»  fufped  ;  &  que  celui  qui  fe  dit  prêt  à  fortir  de  la  Province  > 
30  n'y  retienne  aucune  place  en  fa  difpofition.  Que  s'il  veut 
3>  conferver  le  gouvernement  de  la  Citadelle ,  j'y  confens  en- 
»  core,  pourvu  qu'il  forte  de  Peronne ,  qu'il  retient  à  titre  par- 
»  ticulier ,  avec  Mondidier  &  Roye.  Pour  finir  ce  traité  il  n'eft 
»  pas  befoin  de  dédommagement,  niderécompenfe,  nimême 
»  de  faire  la  moindre  dépenfe  ;  puilque  tout  ce  que  je  propofe 
îo  eft  jufte ,  &  qu'il  dépend  de  cet  homme  de  l'accorder.  , 

Ces  reproches  &  ces  difputes ,  durèrent  jufqu'à  la  fin  de 

la  conférence ,  fans  qu'il  fût  poftible  de  rien  terminer  ;  car 

le  Duc  de  Longueville  refufa  conftamment  les  offres  qu'on 

lui  fit.  Ceux  qui  lui  étoiçnt  oppofez  ,  penfoient  qu'il  celfet» 

Tome  XK  Dddd 


578        PIECES  CONCERNANT  L'HISTOIRE 

Toit  enfin  de  diiTimuler ,  lorfqu'on  fe  prepareroit  à  figner  le 
traité  ^  qu'alors  il  accepteroit  les  conditions  qu'on  lui  avoit 
propofées  ,  &  qu'il  feroit  par  nécefîlté ,  ce  qu'il  n'avoir  pas 
voulu  faire  de  bon  gré  ?  mais  ces  politiques  qui  croyoient 
leurs  conjedures  certaines,  fe  trompèrent  eux-mcmes.  Le 
Duc  de  Longueville ,  vit  finir  la  négociation  fans  changer  de 
fentimens,  ôclorfqu'il  fallut  figner  le  traité,  il  y  auroit  fouf- 
crit  le  premier,  s'il  n'eut  pas  cru  devoir  faire  cet  honneur  au 
Prince  de  Condé.  Il  dit  alors  que  fon  intérêt  particulier  ne 
de  voit  point  retarder  la  paix  générale  :  Que  fes  plaintes  avoient 
d'abord  été  confondues  avec  celles  du  Public ,  &  fes  deman- 
des comprifes  dans  le  cahier  général  ;  mais  que  puifque  par 
l'événement  fa  caufe  étoit  devenue  une  affaire  particulière  , 
il  lui  reftoit  encore  affez  de  forces  &  d'amis  pour  la  défendre 
contre  un  homme  d'une  condition  fort  au-deifous  de  la  Hen- 
né ^  (i)  &  qui  n'avoir  pour  appui  que  la  faveur.  Voilà  ce  qui 
fe  paflbit  à  cet  égard  :  Revenons  aux  autres  articles. 

On  parla  cnfuite  des  compagnies  de  Gensdarmes  qui  for- 
ment dans  nos  armées  les  meilleures  troupes.  On  demanda 
qu'on  lesrétablîtfurleur  ancien  pied,  &  félon  les  anciennes 
ordonnances ,  &  qu'on  aîTignât  pour  leur  entretien  des  fonds , 
qu'on  ne  pourroit  employer  à  d'autres  ufages.  On  ajouta  (  en 
haine  du  Duc  d'Epernon  Colonel  Général  de  flnfanterie  ) 
que  le  Colonel  du  Régiment  des  Gardes  fût  nommé  par 
le  Roi,  qui  nommeroit  auili  les  Colonels  de  tous  les  autres 
Regimens  5  lefquels  auroient  droit  de  nommer  tous  les  Officiers 
de  chaque  compagnie  de  leur  Régiment. 

Il  y  eut  plus  de  diiîiculté  par  rapport  à  l'article  feiziéme,  qui 
concernoit  les  Confeils  du  Roi.  Cette  queflion  caufera  tou- 
jours de  vives  conteftations,  &  ne  fera  jamais  terminée.  Nous 
fommes  dans  un  temps  malheureux ,  où  l'intérêt  d'un  parti- 
culier l'emporte  fouvent  fur  le  bien  de  la  République.  Le 
Débiteur  avoit  déjà  eu  à  Coucy  une  conférence  à  ce  fujet 
avec  le  Prince  de  Condé.  On  avoit  même  fait  alors  quel- 
ques reglemens  j  mais  d'autres  affaires  avoient  interrompu 
celle-ci  j  quoique  le  Prince  eût  reftraint  fes  demandes  à  ce 
qu'il  fignâr  tous  les  Arrêts ,  &  qu'en  fon  abfence ,  trois  an- 
ciens Confeillers  d'Etat  remplirent  fa  place.  Cet  article  lui 
ayoit  été  contefté  j  mais  l'aïant  propofé  de  nouveau  à  Lou- 
(>)  Concini  Matéchal  d'Ancre. 


DE  J.  A.  DE  THOU.  jyp 

dun,le  Débiteur  l'admit  ;  l'affaire  reftant  au  furplus  dans  fon 
entier,  pour  être  réglée  fuivant  l'avis  du  Prince  deCondé, 
des  autres  Princes ,  &  des  Seigneurs  du  Royaume,  après  la 
conclufion  de  la  paix.  -      - 

"  Ce  qui  fut  ajouté  par  rapport  au  choix  des  Ambafladeurs 
ordinaires  auprès  des  Princes  étrangers,  fut  regardé  comme 
un  trait  d'oftentation  ,  &  l'on  fe  perfuada  que  le  Prince  de 
Condé  n'avoit  propofé  cet  article ,  que  poiir  ne  pas  paroître 
négliger  ce  qui  concernoit  particulièrement  la  dignité  du 
Royaume  &  du  Souverain.  On  porta  le  même  jugement  fur 
les  articles ,  dans  lefquels  il  fut  parlé  de  la  fupprenfion  ou  di- 
minution des  penfions  exorbitantes,  &  fur-tout  de  celles  qu'on 
avoit  accordées  fous  de  vains  prétextes  à  des  perfonnes  qui 
étoient  inconnues ,  ou  qui  ne  les  méritoient  pas  j  car  il  re- 
gnoit  en  ce  temps-là  une  fi  grande  avidité ,  que  perfonne , 
ni  même  le  Prince  de  Condé ,  ne  vouloir  s'expofer  à  la  hai- 
ne des  importuns  demandeurs.  Celui  qui  pouvoir  feul  s'en 
mettre  peu  en  peine ,  étoit  odieux  aux  deux  partis ,  &  n'a- 
voit perfonne  pour  le  foutenir  à  la  Cour ,  ni  dans  cette  af- 
femblée. 

Quant  à  la  vénalité  des  Charges  de  judicature  ,  &  de  fi- 
nance, &  à  laPaulette,  (i)  on  convint  prefque  fans  conte- 
ftation,  comme  je  l'avois  prédit  au  Prince  de  Condé  ,  que 
tant  que  le  terme  accordé  par  le  Roi  aux  Officiers  dureroit , 
on  ne  feroit  aucune  réforme  à  l'égard  des  charges  qui  étoient 
fujettes  au  droit  annuel  5  mais  quant  aux  gouvernemens  des 
Provinces ,  &  des  places ,  &  aux  charges  militaires  ,  ou  de 
la  Maifon  du  Roi ,  S.  M.  avoit  déclaré  à  Tours  que  ces  di- 
gnitez  ne  feroient  point  vénales  ,  à  peine  contre  ceux  qui 
oferoient  les  trafiquer  d'être  déclarez  indignes  de  les  polïe- 
der.  Lorfqu'on  fit  l'Edit,  ceux  qui  avoient  infîfté  avec  tant 
d'ardeur ,  tant  fur  l'un  que  fur  l'autre  chef,  voyant  qu'ils  ne 
pouvoient  obtenir  le  premier ,  abandonnèrent  prefque  le  fé- 
cond. A  peine  pus- je  obtenir  que  la  défenfe  de  la  vénalité 
auroit  du  moins  lieu  par  rapport  aux  dignitez ,  aux  gouver- 
nemens ^  &  aux  charges ,  qui  n' étoient  point  fujettes  à  la 
Paulette ,  &  dont  cependant  on  faifoit  un  commerce  aufÏÏ 

(i)  C'eft  une  finance  que  les  Officiers  paient  tous  les  ans  ,  pour  rendre  leurs 
charges  héréditaires» 

Pdddij 


580       PIECES   CONCERNANT   L'HISTOIRE 

honteux  au  Roi ,  que  préjudiciable  à  l'Etat.  J'obtins  ce  que 
je  demandois  à  force  de  prières ,  &  parce  qu'on  n'ofa  me  refu- 
fer  ;  mais  les  défenfes  furent  exprimées  dans  les  termes  les  plus 
foibles ,  &  l'on  ne  fit  pas  mention  de  la  peine  que  le  Roi  avoir 
lui-même  prononcée  à  Tours  contre  les  contrevenans. 

On  révoqua  les  grâces  expedatives ,  &  ces  conceflîons  qui 
font  fouhaiter  la  mort  des  Titulaires.  C'eft  la  Gour  de  Rome 
qui  a  donné  des  noms  à  ces  pernicieux  abus  qui  y  ont  pris 
naiflance.  On  avoir  ajouté  qu'il  ne  feroit  pas  permis  de  ré- 
ligner  les  dignitez  &  offices  5  mais  cet  article  fut  rejette  con> 
me  Contraire  à  la  bonté  du  Prince, 

On  ne  fit  pas  beaucoup  d'attention  à  ce  qui  fut  propofé  pouc 
le  foulagement  des  peuples  qui  avoient  beaucoup  foufFert  dans 
les  derniers  troubles.  En  effet ,  ceux  qui  avoient  fait  les  plus 
grands  ravages  dans  les  Provinces  ,  demandoient  au  Roi  la  di- 
minution des  traitez  en  faveur  des  pauvres  payfans ,  &ilsfe  fai- 
foient  honneur  de  leurs  foins  à  cet  égard  5  mais  en  même  tems 
ils  prétendoient  pour  eux-mêmes  des  fommes  exorbitantes , 
que  le  peuple  qu'ails  vouloiem  foulager  auroit  été  obligé  de 
payer ,  puifque  le  Tréfor  Roïal  étoit  épuifé  5  ainli  ce  ridicule  ar- 
ticle fut  rejette. 

On  prit  en  mauvaife  part  Particïe  qui  concernoit  le  renou- 
vellement des  alliances  faites  par  le  feu  Roi  d'heureufe  mé- 
moire avec  les  Princes  étrangers  &  les  Républiques  voifines  ; 
&  l'on  vit  bien  que  ce  chef  avoit  été  ajouté  par  les  Proteftans  , 
qui  vouloient  défigner  le  Roi  d'Angleterre ,  les  Etats  Géné- 
raux des  Provinces-Unies,  &  les  Villes  d'Allemagne.  On  ré- 
pondit que  ces  matières  avoient  toujours  été  traitées  dans  le 
Confeil  du  Roi ,  &  ne  pouvoient  être  agitées  ailleurs  :  Qu'ainfi 
il  étoit  inutile  d'en  parler  dansl'Edit.  Ce  quifutditàcefujet 
porta  des  coups fecrets  à  notre  Débiteur,  &  lui  fit  beaucoup 
de  peine  j  car  il  fentit  qu'on  vouloit  par-là  cenfurer  la  conduite 
qu'il  avoit  tenue,  &  qu'on  trouvoit  mauvais  de  ce  qu'il  peu- 
choit  trop  de  l'autre  côté.  Cette  alliance  qu'il  avoit  fait  con^ 
trader,  &  qu'il  avoit  ménagée  avec  tant  d'ardeur,  le  faifoit 
foupçonner  de  vouloir  troubler  cet  équilibre  qui  eft  fi  nécef- 
faire ,  pour  maintenir  la  France  dans  fes  droits ,  ôc  pour  confer- 
,ver  la  Majefté  du  trône. 

Dans  l'article  fuivant ,  on  demanda  par  la  même  raifon  que 


DE  J.    A.    D  E    T  H  O  U.  581 

îe  Roi  interposât  fon  aiitoritc ,  pour  faire  exécuter  le  traité 
d'Aft,  fait  entre  l'Efpagne  &  le  Duc  de  Savoye,  comme  Sa 
Majefié  l'avoit  promis  à  ce  Prince.  On  répondit  que  Philippe 
de  Bethune ,  frère  du  Duc  de  Sully  partiroit  inceflammenc 
pour  l'Italie ,  avec  desinftrudions  fur  cette  affaire. 

On  demanda  encore  qu'on  renouvellât  avec  les  Suiffes  cette 
alliance  fî  ancienne ,  qui  faifoit  autant  d'honneur  à  la  France 
qu  elle  lui  étoit  utile  :  Qu'on  leur  payât  régulièrement  leurs 
pendons ,  «5c  particulièrement  à  ceux  qui  s'étoient  diflinguez 
au  fervice  de  l'Etat  ;  Qu'enfin  on  acquitât  ce  qui  étoit  dû  au 
canton  de  Berne ,  qui  après  celui  de  Zurich  eft  le  plus  conlî- 
derable  de  cette  République.  Cette  affaire  avoit  été ,  comme 
vous  fçavez ,  agitée  à  Paris  avant  le  voyage  du  Roi ,  &  les  dé- 
putez de  Berne  imputèrent  mal-à-propos  ce  défaut  de  paye- 
ment à  ceux  qui  ne  font  pas  à  préfent  à  la  Cour. 

Sur  l'article ,  dans  lequel  il  étoit  parlé  de  la  confervation  des 
droits  de  la  Principauté  de  Sedan  &  de  Raucour ,  qui  relevoient 
de  la  Couronne  de  France  dès  le  temps  de  François  I.  On  accor- 
da en  termes  très-honorables  ce  qui  fut  alors  demandé  5  mais  ce 
ne  fut  pas  fans  caufer  de  la  jaloufie.  On  renouvella  en  particu- 
lier ce  qui  n'étoit  pas  compris  dans  l'article ,  &  qui  regardoit 
le  privilège  accordé  par  François  I.  par  rapport  au  rang  &  au 
droit  d'être  aflls  au  Parlement  comme  Pair  de  France. 

Les  quatre  derniers  articles  regardent  le  Prince  de  Condé,fo!t 
comme  chef  de  fon  parti ,  foit  comme  fimple  particulier.  On 
lui  accorda  fans  peine  que  l'Arrêt  rendu  contre  lui  à  Bordeaux, 
deux  ans  auparavant ,  dans  un  temps  où  il  étoit  fi  odieux  à  la 
Cour,  feroit  biffé  ftu: les  regiftres ,  comme  injurieux.  Il  y  eut 
plus  de  difficulté  par  rapport  à  la  déclaration  du  Roy ,  donnée 
à  Poitiers  au  mois  de  Septembre  dernier ,  ôc  adreffée  à  tous  les 
Parlemens  du  Royaume.  Car  il  demanda  que  cette  déclara- 
tion fût  révoquée  ,  comme  étant  calomnieufe ,  remplie  dé 
faits  fuppofez ,  &  faite  contre  les  loix  &  les  ufages  du  Royau- 
me :  Qu'on  fupprimât  tous  les  Arrêts  rendus  en  exécution  dans 
les  Parlemens  &  les  autres  tribunaux  ,  &  qu'ils  fiaffent  rayez 
des  regiftres  :  Qu'enfin  on  informât  contre  ceux  qui  avoienC 
fabriqué  le  prétendu  Arrêt  du  Parlement  de  Paris  du  1 8  Sep- 
tembre ,  &;  ^u  on  fit  le  procès  a^x  auteurs  d'un  faux  fi  témerai- 

D  d  d  d  iii 


'5  §2  PIECES  CONCERNANT  L'HISTOIRE 

i*e.  On  connoilToit  aiïez  celui  qui  étoit  défîgné  (i)  par  ces  ter- 
mes ,  &  Il  l'on  n'eut  été  arrêté  que  par  la  confîdération  que  cet 
homme  méritoit ,  on  eût  pu  finir  bien-tôt  cette  affaire ,  en  le 
facrifiant  à  la  jufte  colère  du  Prince  de  Condé ,  mais  comme 
cet  attentat  avoit  été  en  quelque  façon  autorifé  &  approuvé , 
on  jugea  qu'il  étoit  d'un  dangereux  exemple  ,  quelque  mani- 
fefte  que  fut  le  crime ,  que  le  Roi  abandonnât  un  fujet  qui  avoit 
cru  agir  pour  fon  fervice.  Enfin ,  après  de  longues  contefla- 
tions',  on  trouva  un  temperamment ,  par  lequel,  fans  que  le 
Roi  abandonnât  ceux  qui  étoient  accufez  de  faux ,  on  fatis- 
fit  le  Prince  de  Condé  &  les  autres  Princes  de  fa  maifon ,  com- 
me on  peut  le  voir  dans  l'Edit. 

On  promit  aufli  à  ce  Prince  qu'on  repareroit  entièrement 
l'injure  qui  lui  avoit  été  faite  deux  ans  auparavant  par  l'Evêque 
de  Poitiers ,  (2)  que  plufieurs  regardoient  comme  l'auteur  des 
troubles  j  mais  cet  article  fut  fecret,  &  l'on  ne  l'inféra  pas  dans 
i'Edit. 

Enfin  on  ajouta  que  ceux ,  qui  à  ce  fujet  avoient  étéignomi- 
nieufement  chaffez  de  la  ville ,  feroient  fans  délai  rétablis 
dans  leur  bonne  renommée ,  honneurs ,  dignitez  &  biens. 
(  Ces  bannis ,  comme  vous  fçavez ,  poffedoient  les  premières 
charges  de  Poitiers)  :  Que  les  procédures  faites  contre  eux  fe- 
roient fupprimées  -,  &  que  tous  les  ades  faits  contre  le  Prince 
de  Condé  feroient  rayez  des  Regiftres  du  Préfidial  6c  de  la 
Maifon  de  Ville. 

Tout  étant  ainfî  réglé ,  l'on  rédigea  l'Edit ,  qui  contient  cia- 
quante  trois  articles.  Il  fouffrit  cependant  encore  quelques 
changemens,  dans  le  dernier  voyage  que  le  Débiteur  fît  à  la 
Cour. 

Pendant  l'abfence  du  Prince  de  Condé  &  des  Seigneurs  de 
fon  parti ,  nous  allâmes  auffi  d'un  autre  côté.  Le  Duc  de  Sul- 
ly partit  pour  la  Rochelle  j  afin  ,  dit-il ,  de  réunir  les  dépu- 
tez qui  n'étoient  pas  d'accord  entre  eux.  L'Ambaflàdeur  d'An- 
gleterre Paccompagna ,  à  la  perfuafion  du  Duc  de  Bouillon, 

(  I  )  Il  veut  parler  du  Premier  Pré/î-  (2)  Ce  Prélat  avoit  fermé  les  partes 

dent  Nicolas  de  Verdun ,  qui  par  le  cré-  de  Poitiers  au  Prince  de  Condé ,  fiit  ar- 

dit  de  Villeroi  fon  parent  ,  fucceda  à  réter  le  Duc  de  Roannez  ,  &  maltraité 

Achille  de  Harlay .  au  préjudice  de  Jac-  un  gentilhomme  du  Prince. 
gues-Augufte  de  ThoM. 


DE  J.   A.   DE   T  HOU.  ^85 

qu!  vouloît  donner  un  contradideiir  au  Duc  de  Sully.  Quoi^ 
que  je  fuilc  ami  du  Miniftre  Anglois ,  je  defaprouvai  ce  voya- 
ge. Jecraignois  les  fuites  d'un  exemple  fi  pernicieux,  &  je 
prévoyoisdéja  qu'on  s'en  ferviroitun  jour  contre  nous.  V^oyaiu 
que  le  Débiteur  y  avoit  donné  fon  confentement ,  je  décla^ 
rai  dans  une  de  nos  aflemblé  es  particulières  ,  que  le  voyage 
de  l'Ambafladeur  fe  faifoit  contre  mon  avis  ,  &  je  priai  mes 
collègues  de  fe  fouvenirde  ma  proteftation.  Le  Maréchal  de 
Briffac  ne  me  defaprouva  pas. 

Dans  une  faifon ,  où  la  chaleur  étoit  déjà  grande ,  le  Prince 
de  Condé ,  qui  étoit  d'un  temperamment  très-vif  s'étant  peu 
ménagé  ,  fut  attaqué  d'une  fièvre  maligne  à  fon  retour  de 
Rochefort  en  Anjou.  Cette  maladie  nous  tint  en  allarmes, 
jufqu'au  treizième  jour  qu'elle  commença  à  diminuer.  Pen- 
dant  ce  temps  on  ne  refta  pas  fans  rien  faire  5  car  la  mort  de 
ce  Prince  eut  rendu  inutile  tout  ce  qui  avoit  été  arrêté  dan« 
nos  confercnces.Le  parti  Catholique  auroit  acquis  la  fuperiori- 
té ,  &  le  parti  Proteftant  eut  été  obligé  de  céder ,  s'il  eût  perdu 
fon  chef.  Dès  qu'il  fut  convalefcent ,  &  après  que  nous  eûmes 
donné  des  afilirancesfufïifantes  pour  les  articles  fecrets,  conve- 
nus avec  les  Princes&  Seigneurs  qui  lui  étoient  attachez  ,  il  fi- 
gna  le  traité  dans  fon  lit  5  carfafantén'etoit  pas  encore  rétablie. 
Le  Duc  de  Longue  ville  ne  refufa  pas  d'y  foufcrire,  quoique  fon 
accommodement  ne  fut  pas  fait ,  &  il  envoya  le  même  jour  fon 
blanc-figné.  Les  Princes  pouf  éviter  les  difputes  fiir  le  rang ,  fi- 
gnerent  chacun  féparément,  &  en  particulier ,  comme  vous 
devez  vous  fouvenir  qu'on  a  fait  à  Sainte  Menehoud. 

Ceci  fe  pafla  le  troifiéme  de  May ,  jour  de  la  fête  de  l'in- 
vention de  Sainte-Croix  ;  c'étoit  le  jour  de  la  naillance  du  Duc 
de  Nevers ,  &  ce  Prince ,  qui  dans  cette  affaire  avoit  été  com- 
me médiateur,  nous  donna  un  repas  magnifique  ,  quoiqu'on 
ne  fut  pas  encore  certain  fi  le  traité  feroit  figné  ce  jour  là  5  car 
plufieurs  étoient  encore  indéterminez,  &  le  Prince  de  Condé 
ne  figna  même  qu'après  le  repas.  Dès  qu'il  eut  figné ,  nous  lui 
demandâmes  des  pafleports.  Ses  médecins  lui  ont  confeillé  d'al- 
ler prendre  l'air  àChinon ,  &  il  fe  prépare  à  partir.  Pour  moi , 
en  attendant  le  départ  du  Débiteur  que  j'ai  réfolu  d'accom- 
pagner j  je  vous  ai  écrit  cette  lettre.  Je  ne  puis  vous  marquer 


5S4  PIECES  CONCERNANT  L'HISTOIRE 

par  écrit  quelles  font  mes  conjediires  fur  les  fuites  de  ce  traité; 
ni  ce  que  je  penfe  des  véritables  difpofitions,  où  font  ceux  de 
qui  notre  fort  dépend.  Il  feroit  trop  dangereux  de  le  faire 
dans  une  lettre ,  &  je  me  referve  à  m'expliquer  là-deffus,  lorf- 
que  j'aurai  le  plaifir  de  vous  embrafler.  En  attendant  ayez  foin 
de  votre  fanté ,  ôc  portez  vous  bien. 

A  Loudun ,  ce  6  Mai  1616,  jour  de  mon  départ  pour  Chî^ 
uon. 


TESTAMENT. 


DE  J.  À.   DE   THOU:  ^5/ 


TESTAMENT 

DE 

JAC.    AU  G.    DE   THOU- 

Au  nom  de  la  Sainte  &  indîvifible  Trinité. 

CO  M  M  E  il  a  plu  a  Dieu  que  ma  chère  époufe ,  Gafparde     Traduit  Jii 
de  la  Chaftre ,  que  j'avois  toujours  efperé  &  fouhaité  qui  Latin  fur  Ig 
me  furvécLit ,  foit  décedée  la  première ,  contre  Tordre  de  la  ^^"^^nt. 
nature  :  Je  Jacques-Augufte  de  Thou ,  le  plus  grand  des  pé- 
cheurs ,  me  crois  averti  par  cette  mort  douloureufe  de  pen- 
fer  férieufement  à  la  mienne ,  &  de  difpofer  de  mes  affaires  & 
de  mes  biens ,  comme  je  fais  à  préfent  par  cet  ade  de  mader-^ 
niere  volonté. 

Avant  toutes  chofes ,  je  rends  grâces  à  Dieu  du  fond  de  mon 
cœur ,  de  ce  qu'il  m'a  fait  naître  de  père  &  de  mère  fidèles  j 
de  ce  qu'il  m'a  régénéré  par  le  faint  Baptême  dans  fon  Eghfe  ; 
de  ce  qu'il  m'y  a  fait  participer  à  fesfaints  facremens ,  &  de  ce 
qu'il  a  imprimé  dans  mon  ame  une  foi  vive  ,  &  non  morte, 
avec  l'efpéranee  de  la  vie  éternelle,  qui  confîfte  en  ceci  : 
Que  nous  croyons  en  Dieu  «5c  en  fon  Fils  bien  aimé  qu'il  a 
envoyé ,  le  Verbe  éternel,  né  avant  tous  les  fiécles  ;  fçavoir; 
Jefus-Chrift ,  qui  ayant  été  conçu  par  l'opération  du  Saint-Ef- 
prit ,  a  pris  notre  chair ,  dans  le  temps,  au  fein  de  la  bienheu- 
reufe  Vierge  Marie,  eflné,  afouffert,  eflmort  &a  été  enfe- 
veli ,  qui  a  reffufcité  dans  la  même  chair,  &  efl  monté  au  Ciel, 
menant  en  captivité  la  captivité  même ,  d'où  il  a  diftribué  li- 
brement fes  dons  aux  hommes,  en  leur  envoyant,  pour  ac- 
compUr  fes  promefles,  le  Saint  Efprit ,  qui  procède  du  Père  & 
du  Fils. 

Je  fais  profefTion  de  vivre  dans  cette  foi  5  &  je  demande  à 

Dieu  par  mes  prières  continuelles  &  par  mes  larmes ,  qu'il  me 

faffe  la  grâce  d'y  perféverer  confiamment  &  fanshéfiter,  juf- 

qu'au  dernier  foupir  :  comm.e  aulîi  je  le  conjure  par  fa  bonté 

Tome  XK  E  e  e  e 


i 

A 


58^  PIECES    CONCERNANT 

ïmmenfe ,  qu'il  luiplaîfe  de  me  nettoyer  du  péché  dans  lequel 
j'ai  été  conçu,  &  de  toutes  les  taches  de  l'infirmité  humaine, 
ôc  d'indigne  que  je  fuis ,  de  me  rendre  digne  par  fa  miféricorde 
de  lui  fervir  de  temple ,  où  il  daigne  habiter ,  en  m'appliquant 
pour  l'entière  expiation  de  mes  péchez  le  mérite  de  la  palTion 
de  fon  Fils  bien  aimé  Jefus-Chrift ,  afin  que  fi  la  dernière  heu- 
re venoitàmefurprendre,  je  me  voye  enlevé  par  fes  Anges 
dans  le  fein  d'Abraham ,  pour  y  jouir  avec  tous  les  Saints  &  fes 
élus  de  la  félicité  éternelle. 

A  l'égard  de  mes  enfans  que  j'ai  eusdematrès-chere  &  très- 
débonnaire  époufe ,  laquelle  je  regrettrai  toutema  vie ,  &  dont 
jeferoisinconfolable  fansl'efpérance  de  la  réfurrediqji  5  je  leur 
affigne  &  nomme  pour  tuteurs  Henri  de  la  Chaftre,  Comte  de 
Nancey ,  frère  de  la  défunte  ,  avec  Henri  Vicomte  de  Bour- 
deille ,  Lieutenant  de  Roi  en  Perigord,  &  Louis  Voifin  d'Am- 
bres mes  beaufreres ,  &  parce  qu'à  caufe  de  la  diftance  des 
lieux,  ils  ne  pourroient  pas  toujours  être  à  portée  ,  je  leur  ad- 
joins Jean  de  Thumery  de  Boiiïife,  Confeiller  d'Etat ,  René  de 
Thou  deBonnœilmon  neveu,  avec  Jacques  Gillot  &  Cy- 
prien  Perrot ,  Confeillers  au  Parlement  de  Paris.  Je  les  prie 
tous  en  général,  &  chacun  d'eux  en  particulier,  de  prendre 
foin  de  l'éducation  de  mes  enfans  &  de  l'adminiftration  de  mes 
biens  ,  &  d'aider  de  leurs  confeils  &  de  leur  autorité  celui  que 
je  nomme  &  conftituë  tuteur  onéraire  ,  Martin  Paris ,  Avocat 
au  Parlement,  mon  bon  ami,  à  qui,  comme  à  fon  époufe, 
que  la  mienne  a  toujours  fi  tendrement  aimée ,  je  donne  &  af- 
figne dans  la  maifon  que  j'ai  en  ville,  un  logement  commode^ 
félon  l'avis  &  diredion  des  tuteurs ,  pour  en  jouir  lui  Ôc  fa  fem- 
me, aulTi  long-temps  que  durera  la  tutelle. 

Pour  ce  qui  eft  de  mes  meubles  &  de  ma  vaiffelle  d'argent; 
je  fouhaite  qu'on  n'en  vende,  ni  qu'on  n'en  diftraye  aucune 
partie ,  fi  faire  fe  peut ,  mais  que  ce  qu'on  en  pourra  conferver 
foit  mis  en  réferve ,  jufqu'à  ce  qu'on  en  fafle  le  partage  entre 
mes  héritiers. 

A  l'égard  de  ma  bibliothèque  que  j'aiamaffée  avec  tant 
de  foin  &  à  de  fi  grands  frais ,  depuis  plus  de  quarante  ans , 
&  qu'il  importe  qui  foit  confervée  en  entier  ,  tant  pour 
îe  bien  de  ma  famille  ,  que  pour  celui  des  bonnes  let- 
tres ,  je  défends  qu'on  la  partage ,  ou  qu'on  la  vende  ,  ou  qu'oa 


J.    A.   DE   THOU.  587 

îa  laiffe  difllpei*  y  de  quelle  manière  que  ce  foit  ;  mais  je  veux  j 
que  conjointement  avec  mes  Médailles  d'or ,  d'argent  &  de 
cuivre ,  elle  refte  en  commun  entre  ceux  de  mes  fils ,  qui  s'ar- 
tacheront  aux  lettres,  de  telle  forte  pourtant  qu'elle  foit  ou- 
verte aux  Etrangers  &  aux  fçavans ,  pour  l'ufage  du  Public. 
J'en  commets  la  garde  à  Pierre  Dupuy  mon  allié ,  qui  m'eft 
cher  par  tant  d'endroits  Jufqu'à  ce  que  mes  filsfoient  devenus 
grands ,  &  je  lui  permets  outre  cela  d'en  prêter  les  Manufcrits 
à  ceux  qui  en  auront  befoin ,  pourvu  qu'on  s' allure  d'une  ma- 
nière convenable  de  la  reftitution. 

Je  le  prie  donc  lui ,  &  auiTi  Nicolas  Rigault  ,  Avocat  au 
Parlement  &  Bibliothéquaire  du  Roi ,  également  recommen- 
dable  par  fa  fcience  &  par  fa  probité  ,  de  favorifer  de  leurs  con- 
feils  6c  de  leur  diredion  l'inftrudion  de  mes  enfans  dans  les 
lettres ,  de  les  vifiter  ofEcieufement ,  ôc  d'affifter  leurs  maîtres 
de  leurs  bons  avis. 

Pour  ce  qui  eft  de  mon  Hiftoire  que  j'ai  compofée  (j'en 
prends  à  témoin  le  ciel  &  la  terre  )  àla  gloire  de  Dieu  &  à  l'uti- 
lité publique  ,  fans  haine  &  fans  flaterie ,  &  doiit  j'ai  une  co- 
pie en  état  d'être  imprimée  :  J'entends  (  en  cas  que  je  vienne 
à  mourir  avant  que  l'édition  s'en  faife  )  que  cette  copie  foit  re- 
mife  entre  les  mains  defdits  fieurs  Dupuy  &  Rigault ,  &  je  les 
charge  d'exécuter  mon  intention ,  en  fe  fervant  pour  cet  effet 
des  confeils  des  Frères  de  Sainte-Marthe ,  qui  par  leurs  foins  & 
leur  exaditude  m'ont  été  d'un  grand  fecours  dans  la  compofl- 
tion  de  l'ouvrage  entier. 

A  l'égard  de  mes  autres  compofitions,  qui  feront  trouvées 
parmi  mes  papiers,  je  les  remets  &  les  confie  à  la  fidélité  des 
deux  amis  que  je  viens  de  nommer. 

Au  furplus ,  je  conjure  avec  tout  le  refped  &  toute  l'ardeur 
dont  je  fuis  capable  ,  Madame  de  Bourdeille  &  Madame 
d'Ambres ,  les  fœurs  de  ma  très-chere  défunte ,  de  conferver 
pour  mes  enfans  îa  même  tendrefle  &  la  même  affedion ,  dont 
elles  ont  honoré  la  mère ,  &  principalement  de  prendre  foin 
de  mes  filles ,  foit  qu  ils'agiffe  de  les  placer  dignement,  ou  de 
ies  mettre  en  Religion  \  ce  que  je  ne  fouhaite  pas  qu'on  faffe  , 
avant  l'âge  prefcrit  par  les  loix  j  ni  par  contrainte. 

Quant  à  mon  corps,  en  quel  temps  ou  en  quel  lieu  que  je 
vienne  à  mourir ,  je  veux  qu'on  l'enterre  à  côté  de  celui  de 

E  e  e  e  i j 


^88  PIECES  CONCERNANT 

mon  époufe ,  que  je  ne  puis  ni  ne  dois  jamais  nommer  fans  un 
éloge  honorable  ,  ni  un  vif  fentiment  de  fa  perte.  Pour  ce  qui 
eftdulieu  de  l'inhumation,  je  n'ai  rien  encore  déterminé  fur 
cet  article  j  mais  je  l'indiquerai  dans  un  codicile  à  part,  iî  je 
vis  5  ce  que  je  me  réferve  de  faire  auffi  ,  par  rapport  à  mes  au- 
tres biens  ou  effets ,  legs  ou  donations  à  faire  aux  préfens  ou 
aux  futurs  ,  dans  ma  famille  j  de  telle  forte  néanmoins  qu'il  ne 
foit  dérogé  en  aucune  façon  à  cette  mienne  volonté  teftamen- 
taire ^  que  je  veux  oc  entends  qui  foit  ferme,  valide  ôc  cer- 
taine. 

Je  Jacques- Augufte  de  Thou ,  fain  de  corps ,  &  du  refte 
penfant  à  la  mort  ,  comme  fi  JeCus-Chrift  étoit  proche  5  j'ai 
écrit  ceci  &  l'ai  foufcrit  de  ma  propre  main.  Fait  en  l'Hôtel 
d'Achille  de  Harlay  ,  cy-devant  Premier  Préfident  du  Parle- 
ment, mon  beau-frere,  où  je  me  fuis  tranfporté  ^  pour  cher- 
cher dans  la  fohtude  quelque  foulagement  à  ma  douleur.  Le 
13  Juillet  de  l'an  de  grâce  1616. 


J.   A.   DE    THOU.  58p 


Rapport  de  la  maladie  dont  mourut  Jacque-Augufte  de  Thou  ^par 
FaulReneaulme  de  Blois ,  Médecin. 

Ce  Rapport  efl:  écrit  fuivant  le  fyftême  des  Ecoles  du  temps,  auquel  vl-  ; 

voie  rAuteuu ,  &  les  Phyficiens  modernes  ne  s'accommodcroient  pas  j 

des  raifonnemens  qu'il  a  employez.  Onpourroit  néanmoins  les  jufti-  | 

fier  &  prouver  que  les  nouvelles  découvertes  n'ont  pas  donne  de  meil-  . 

leurs  fyftêmes  ,  ni  des  raifons  plus  folides  -,  &  que  de  plus,  cela  n'a  rien  ! 

change  à  la  bonne  pratique  ,  parcequ'elîe  n'eft  fondée  que  fur  l'obfer-  \ 
vation ,  &  non  fur  les  raifonnemens  pliyfiques. 

{ 

I 

Ouelle  a  été  la  cauje  de  la  mort  de  Monfieur  de  Thou  ? 

IL  y  avoit  déjà  quelques  années  qu'il  s'étoit  formé  dans  le     Tratîmt  ^ii  '' 

foye  de  Monfieur  de  Thou  une  obftrudion  confidérable.  Latin  fur  le  i 

occafionnée  par  les  matières  gluantes  &  groffieres  que  le  ven-  ^^^"'*  ''^"*'  ' 

tricule  fourniflbit  à  ce  vifcere  ,  toutes  les  fois  qu  il  fembloit  ' 

lui  demander  du  Chyle.  * 

Comme  ce  foye  étoit  fi  étendu ,  qu'il  touchoit  prefque  à  k 

satre,  il  avoit  plusfouvent  befoin  d'alimens,  que  la  tempe-  \ 

rance  de  ce  grand  homme  ne  lui  perfuadoit  qu'il  fut  permis  | 

d'en  prendre ,  parce  qu'il  étoit  d'une  frugalité  admirable  ôc  A 

fmguliere.  ; 

La  faculté  naturelle  ,  lorfqu'eîle  eft  foUicitée  ,  ne  fouffre  au-  j 

cun  retardement  5  fi-tôt  que  le  Chyle  étoit  épuifé  ,  c'étoit  en  i 

vain  que  le  foye  fe  trouvoit  obhgé  à  perfedionner  ce  qui  . 

avoit  été  fuccé  par  les  autres  parties ,  telles  par  exemple  que  ; 

le  cerveau ,  &c.  aufquelles  le  ventricule  les  envoyoit  :  Je  dis  . 

en  vain,  parce  que  les  humeurs  excrementeufes  ,  ne  peuvent  , 

jamais  être  amenées  au  point  de  devenir  alimenteufes,  ou  pro^'  ,  i 

près  à  la  nutrition.                                       .  ' 

Ajoutez  à  cela  que  ce  fçavant  homme  aimoit  très-fort  l'é-  ^ 

tude  ,  ce  qui  le  rendoit  fi  avare  du  temps ,  qu'à  peine  il  avoit  \ 

pris  fa  réfedion  qu'il  s'en  retournoit  promptement  à  fes  U-  j 

vres.  ' 

On  fçait  que  cette  contention  d'efprit  nuit  beaucoup  aux  • 

autres  fondions  naturelles ,  &  que  fur-tout  elle  eft  très-con-  ; 

traire  à  la  difîjeftion.  Quand  une  fois  la  codion  des  alimenS'  i 

E  e  e  e  n;  i 


5i?o  PIECES    CONCERNANT 

eft  mal  faite ,  elle  ne  peut  être  redifiée  j  car  les  défauts  de  la 
première  codion  ne  fe  reparent  jamais  dans  la  féconde.  Il 
falloir  donc  néceffairement  que  les  humeurs  crues  &  indigef- 
tes  approchantes  de  la  nature  des  excrémens ,  s'attachafTent  au 
foye ,  &  y  reftaflent  adhérentes  :  de-là  il  s'en  eft  fuivi  que  le 
fang  chargé  de  fèces  ou  lie ,  ne  pouvoir  être  porté  à  la  ratte  , 
laquelle  fruftrée  parce  moyen  de  nourriture  s'eft  fechée  &  flé-= 
trie.  Prefque  tous  les  vaiiTeaux  du  foye  étant  engorgez  ,  le 
fang  groffier  &  trop  épais  ne  trouvoit  aucun  moyen  de  s'échap- 
per ,  ainfi  il  s'eft  accumulé  dans  cette  partie  en  fi  grande  quan- 
tité ,  qu'il  a  formé  àes  tumeurs  du  caradere  des  fchires  phleg- 
moneux,  lefquelles fi-tôt  qu'elles  fe  font  enflammées,  elles 
ont  caufé  une  fièvre  triple-quarte  continue. 

Quoique  cette  efpece  de  fièvre  foit  mortelle ,  elle  paroît 
néanmoins  légère  dans  fes  commencemens  5  mais  par  fa  lon- 
gueur elle  confume  infenfiblement  l'humide  radical.  Les  re- 
doublemens  de  cette  fièvre  revenoient  tous  les  jours ,  mais 
.inégalement  5  car  chaque  quatrième  jour  la  violence  du  re- 
doublement augmentoit.  Pour  lors  le  malade  ,  quoique  très- 
iiiodefte  &  plein  de  courage ,  devenoit  de  très-mauvaife  hu- 
meur, jufquà  s'emporter  vivement  pour  de  très-légers  fu- 
jets. 

Le  mouvement  de  Thumeur  morbifique  excitoit  des  vents^ 
îefquels  faifant  une  extenfion  prompte  de  la  tunique  du  foye , 
caufoient  dans  cette  partie  de  très-vives  douleurs. 

Lorfqu' enfin,  par  l'augmentation  continuelle  de  cette  hu- 
meur ,  l'obftrudîon  fut  parvenue  à  fon  terme ,  environ  au  bout 
de  trois  mois,  à  compter  du  commencement  de  la  maladie , 
l'embarras  du  foye  vint  au  point,que  la  bile  ne  paflbit  plus  dans 
dans  les  inteftins  5  la  preuve  certaine  de  cet  accident,  c'eft  que 
îes  excrémens  étoient  de  couleur  cendrée. 

Cette  humeur  s'étant  détournée  fur  les  autres  partie?,  elle 
varia  l'efpace  d'un  mois  de  l'une  à  l'autre  ,  &  fe  jetta  enfin 
fur  la  jambe  droite.  Vers  le  matin  toute  cette  partie  s'enfla  con- 
fiderablement ,  &  forma  une  grofle  tumeur,  accompagnée  de 
douleurs  infnrmontables ,  &  le  même  jour,  trois  heures  après 
une  faignée  de  la  bafilique  droite ,  il  expira. 


J.  A.  DE  THOU.  ;pï 

Jacques- Augude  de  Thou  mourut  ie  7.  Afay  1(^17.  &  ce 
même  jour  ii  compofa  les  Vers  Latins  fuivans  fur  fa  maladie  , 
dans  lefquels  on  remarque  autant  de  prefence  d'efprit  que  de 
courage.  Ils  font  adreflez  à  Jean  de  Thumery  de  Boiflife , 
Confeilier  d'Etat ,  fon  intime  ami. 

Vlgefimtis  prêter  Ht  &  ccfjtejînfus 
Dies ,  reclmi  corpore  ex  quo  in  fellala 
Humtli  recumho  j  flermr  aut  fupra  torum  » 
Tandemt^ue  plane  clmicus  jaceo  domi , 
Inter  do  l or  es  languidtim  corpus  trahens , 
Pejor  priore  femper  ^  fecjHens  fuit. 
Tentata  ,  te  inonente ,  yiequicqtiam  omnid , 
u^mice  T  H  UM  eri  ,  debeo  cui  vit  dm  h^Menus,- 
uifclcpiadum  cejjit  in  vanum  labor  : 
Fritfira  rogatus  (3  bonus  Renealmius 
Peculiaris  abdtta  artis  pmdere , 
Stertit  profundum  nocle  ,  dum  crucier  mi  fer. 
Quid  jam  amplius  moramur  in  terrejlribus  y 
Graviora  morbo  ^  experimur  remédia  ? 
Tcntanda  cœlo  per  pias  preces  via  : 
Nec  vita  tanti  efi ,  tamdin ,  ut  vivas  ^  mort. 

Non.  Mau  cid  iocxviî, 

TRADUCTION 

A  M  Y ,  j'ai  vu  des  nuits  l'inégale  courrierc 
Commencer  cjuatre  fois  &  finir  fa  carrière  s, 
Depuis  que  le  fommeil  n'eft  entre  dans  mes  fens. 
Un  trifte  jour  amené  un  jour  plus  rriûe  encore  s 
D'un  corps  exténue  que  la  douleur  dévore 
Je  difpute  à  la  mort  les  reftes  languiiTàns. 
Reneaume  de  (es  foins  voit  tomber  l'efperance , 
Je  ne  fçai  s'il  me  pleure  »  ou  s'il  craint  de  me  voir. 
Amy  pour  tes  confeils  ma  feule  obéïiïance 
M'a  fait  d'un  An  douteux  épuifer  le  pouvoir. 
Eh  que  m'a  t'il  fervi  !  qu'à  prolonger  tes  craintes  , 
Qii'à  joindre  à  tant  de  maux  dont  )e  fens  les  atteintes 
Des  remèdes  encor  plus  cruels  à  fouffrir. 
La  vie  eft  importune  à  qui  ne  peut  guérir. 
Ciel  aide  ma  foibleffe  &  pardonne  à  mes  plaintes  ; 
Avant  que  d'expirer  c'efl:  trop  de  fois  mourir. 


H 


'5^2  PIECES  CONCERNANT 

Monfieur  de  Thou  avoit  compofé  cette  Epitaphe  en  Vers 
Latins  pour  êtremife  fur  fon  tombeau. 

A.    jl-.    a. 

Eic  in  quiète  buccina  exfpeclo  fonunii 

Animas  jubebit  quum  folmas  ad  fut^ 
Humi  relibla  tranfvolare  corpora , 
Interque  fnnUos  ultimA  fententitz 
"judex  fedebit  ^  fuperflites  Deas, 
Ubiqae  qnd  fervata  femper  ab  omnibus^ 
Hanc  tpfe ,  quantum  corporis  non  noxit 
Hebefve  [enfus  ingeni  non  objiitit , 
Tenerïs  ab  an  m  s  ufqiie  fervayi  F  idem. 
M.ihi  cuit  a  corde  [anUa  nçn  fi^o  Trias  ^ 
Et  criminis  Crttx  expiatnx  non  fui. 
Aiihi  veritatis  cura  vitA  commodis 
Antiquiorque  charitatibus  fuit  ; 
NulUque  faÛo ,  voce  nulli  injurius  , 
Injurias  patienter  aliorum  tuliy. 
Tu  ,  quifquis  es ,  qualifque ,  quaniufque  »  o  bone  f 
Si  cura  veri  efi  ulla ,  fi  pietas  movct  y 
ji  me  meifque  injuriam  j  qutzfo ,  abjitne. 

îLa  mesme  Epitaphe  en  François, 

C  Y  j'attens  le  jour  où  l'éternelle  voix 
Doit  commander  aux  morts  de  revoir  la  lumière. 
Jour  j  où  le  jufte  Juge  à  la  nature  entière 

Donnera  Tes  dernières  Loix. 
Ma  docile  raifon  conferva  la  Foi  pure , 
La  Foi  de  mes  Ayeux ,  ^  leur  fimplicité  j 
Combattit  Tans  orgueil  ^  8c  fouffrit  fans  murmure 

Les  défauts  de  l'humanité.] 

Contredit  &  perfecuté 
Je  n'oppofai  jamais  le  reproche  à  l'injure. 

Se(^eur  de  la  vérité 
Et  ma  plume  ôc  ma  voix  lui  fervirent  d'organe^ 
Sans  mêler  à  fon  culte  ou  l'intercfl:  profane , 
Ou  la  haineindifcretcou  la  timidité. 
France, fi  je  n'eus  rien  de  plus  cher  que  ta  gloire  ? 
Pu  nom  de  Citoyen  Ci  mon  cœur  fut  épris  , 

Donne  tes  pleurs  à  ma  mémoire 

Ja  confiance  à  mes  écrits, 


I 


On 


T'jinXP^-  f.^7  Si) 3 


ya  rud' 


l\-<nibi.uni  l{<.^  JlU' ■^■lii<1i'^'t<'  iU'^^/i^^ii    t/^xiui  /'t^\jlt.>i'   ./.■   .'Vv-y/;.//-.  •   </<'.>.//-.•."    ^Ptjfu^   ._ 


D  E  J.   A.   D  E  T  H  O  U,  p^5 

On  ne  peut  mieux  terminer  cet  article ,  dans  lequel  on  a 
raflemblé  les  différentes  Pièces  qui  ont  rapport  à  la  mort  de 
Jacques-Augufte  de  Thou,  que  parla  defcription de fon Tom- 
beau. Il  eft  dans  la  .Chapelle  de  fa  famille  dans  l'Eglife  de 
Saint  André-des-Arcs  à  Paris ,  &  il  lui  a  été  érigé  par  Jacques- 
Augufte  de  Thou  fon  fils ,  Prefident  au  Parlement  &  Ambafla^ 
deur  de  France  en  Hollande.  Ce  Magiftrat  étoit  magnifique 
dans  tout  ce  qu'il  entreprenoit.  Ce  monument  en  eft  une 
preuve.  Le  goût  d'architedure  en  eft  excellent ,  &  les  fculptu- 
res  font  d'une  exécution  parfaite.  C'eft  en  faire  l'éloge  que  d'en 
nommer  feulement  l'Auteur  qui  eft  François  Anguier,  l'un 
des  plus  habiles  Sculpteurs  que  la,  France  ait  produit  dans  le 
dernier  fiecle. 

Le  milieu  de  ce  Tombeau  eft  occupé  par  un  Sarcophage  ; 
élevé  fur  une  bafe  ,  fur  la  face  de  laquelle  (i  )  eft  gravée  fur  un 
marbre  noir  cette  Infcription  Latine  à  la  mémoire  de  JacqueSf 
Augufte  de  Thou. 

A.     ±.    ^. 

Jacobo.  AuGi;sTO.  Thuano.  Christophori.  filïo; 
iN.   Regni.    Consiliis.    Adsessori.    amplissimi, 

SeNATUS.  PrESIDI.  LITTERARUM.  QUiE.  RES.  DIVINAS. 
ET.  HUMANA  S.  AMPLECTUNTUR.  MAGNO.  BONORUM. 
ET.  ERUDITORUM.  CONSENSU.  PERITISSIMO.  VARIlS, 
LEGATIONIBUS.  SUMMA.  SINCERITATE.  AC.  PRU- 
DENTIA.  FUNCTO.  VIRIS.  PRINCIPIBUS.  iEVO.  SUO 
LAUDATISSIMIS.  EXIMIE.  CULTO.  HISTORIARUM. 
SCRIPTORI.  QUOD.  IPS.Î:.  PASSIM.  LOQUUNTUR.  CE- 
LEBERRIMO.  CHRISTIAN^.  PIETATIS.  ANTIQU-^- 
RETINENTISSIMO. 

V  I  X  I  T.    A  N  N.    L  X  I  I  L     M  E  N  S.    V  L     D  I  E  S.     XXIX. 

Obiit.  Lutet.  Paris,  non.  Mail  CI3  lOCXVH. 

Parcissime.  censuisse.  videtur. 
Qui.  tali.  viro.  seculum.  depuis  se.  dixit. - 

(O  A  l'endroit  marqué  A.  fur  la  planche. 

TomeXK  Ffff 


55)4  '^-IPÎECÊS  ■  CONCÈRN-ANT  ' 

Uii  bas- relief  de  bronze  reparé  avec  un  grand  art  orne  la 
principale  face  de  ce  Sarcophage.  L'on  y  a  reprefentél'Hiftoi- 
re  qui  écrit  fur  un  écuffon  le  titre  de  l'ouvrage  immortel  de 
de  Thou,  &  des  Génies  qui  l'accompagnent ,  &  qui  caraderi- 
fent  la  pieté,  l'élégance,  la  fermetés  l'équité  &  la  profonde  éru- 
dition  qui  régnent  dans  ce  grand  ouvrage.  Deux  figures  d'hom- 
mes d'un  deflein  corred  &  fçavant,  qui  font  affifes  fur  ce  Sarco- 
phage j  au  milieu  des  armoiries  de  la  famille  des  de  Thou,fup- 
portent  un  entablement  qui  règne  fur  toute  la  compofition ,  & 
qui  eft  encore  foutenu  par  quatre  colonnes  de  marbre ,  d'ordre 
d'Ionique  j  dont  les  chapiteaux  &  les  bafes  font  de  bronze.  Ces 
colonnes  accompagnent  de  chaque  côté  deux  grands  piedef- 
taux  fur  lefquels  on  lit  en  lettres  d'or  fur  des  tables  de  marbre 
noir,  à  droite  (i)  l'infcription  fui  vante  qui  eft  l'Epitaphe  de 
Marie  Barbançon-Cani  première  femme  de  Jacques-Augufte 
de  Thou. 

D.     O.     M. 

M  A  R  I  /E.    B  A  R  B  A  N  S  O  N  ^.  C  A  N  I  ^.  F  R  A  N  CI  S  CI.  F, 

MiCHAELlS.    PiCARDIvÈ.    LeGATI.    N. 

Q  U  .î:.    D  U  M.    V  I  R  O.    M  Ô  R  I  G  E  R  A. 

Et.  patriti^.  cur^.  dulce,  levamen. 

çoncordiam.  conjugale  m.  suavissimam.  faciens. 

Interiore.  ac.  sincera.  pietate. 

ASSIDUA.   librorum.   sacrorum.  lectione. 

Alacri.  et.  animosa.  erga.  tenuiores.  benignitate. 

In.  omneis.  liber  al  itate. 

MORUM.  sanctitate. 

.VeTERIS.  et.  CLARIS  s.  VAMîLim.    DEÇUS.  AUGE  T. 

In.  hoc.  virtutis.  vit^que.  cursu. 

Florentibus.  adhuc.  annis.  krepta.  est. 

Jacobus.  Augustus.  Thuanus. 

TaNT^.    JACTURiï.    PROPEMODUM.    INTOLERANS. 
Hoc.    MONUMENTUM.    UXORI.    INC  omp  ar  abi  l  u 

M  ^  s  T  I  s  s.  p. 

VlXiT.    ANN.    XXXIIIL     M.    VI.     D.     XVL 

Obiit.  a.  s.  ci  3.  I  3  C.    I.  non.    sextilib, 
Have.  et.  va  le.   dimidium.  anim^.  me.^. 

DlMlDIUM.    QUOD.    SUPEREST.    CUM.    DeUS.    VOLET» 
In.    CiELlS.    RECIPE  RATURA;, 

(î)  A  l'endroit  marqué  B. 


J.   A.  DE  THOU.  5-9 j 

■  Et  à  gauche  (1)  celle  de  Gafparde  de  la  Chaftre  fa  féconde 
femme. 

A.      ±.     Cl. 

ViRTUTE.  ET.    GENERE.    N  O  B  I  L  I  S  S  I  M  A  M.    GaSPARAM* 

Chastream.  Gasparl  Chastrei.  Nanc^eani. 
Regi^.  Majestatis.  Custodum.  pr^fecti.  fili  am. 
Jacobus.    Augustus.    Thuanus.    Christophori. 

riLIUS.    REPETITO.    SaCRAMENTO.     CONJUX.     CONJU- 
GEM.    NONO.     SUPRA.     TRICESIMUM.     JET  ATI  S.     A  N  N  O. 
COELO.    RECEPTAM.    T  N  S  O  L  A  B  I  L  I.    QUANTUM.    LICUIT. 
DESIDERIO.     SEQUUTUS.    EST.    DeCIMO.    POST.    MENSE. 
ANNO.    CL  I  M  ACTERE.  DeUS    A  N  N  U  I  T.    OPTANT!. 

De.  conjugio.  per.  annos.  de  ce  m.  et.  quatuor. 

UTRIMQUE.  SANCTISSIME.  TRANSACTO.  FILII.  TRES. 
TOTIDEM.  FILI^.  COMMUNIBUS.  votis.  optimorum, 
parentum.  memori^.    tumulum.    bona.    PIAQUE» 

MENTE.    NUNCUPAVERANT. 

Jac.  Aug.  Thuanus.  Jac.  Aug.  F.  ordîNis.  am^ 

PLISSIMI.  SeNATOR.  ta  m.  SUIS.  QUAM.  FRATRUM.  AC. 
SORORUM.  ADFECTIBUS.  OBSEQUENS.  FACIUNDUM, 
CURA  VIT. 

Les  Statues  de  marbre  de  ces  deux  Dames ,  font  pofées  au= 
deflus  de  r entablement  auiîl-bien  que  celle  de  Jacques-Au- 
gufte  de  Thou  qui  eft  au  milieu.  Elles  font  reprefenrces  à 
genoux ,  chacune  devant  un  prie-Dieu.  Celle  de  Marie  Barban- 
<^on-Cani  première  femme  de  de  Thou ,  eft  l'ouvrage  de  Bar- 
thélémy Prieur ,  ainlî  que  Monfieur  de  Thou  l'apprend  lui-mê- 
me à  la  fin  des  mémoires  de  fa  vie.  Les  deux  autres  Statues 
font  de  François  Anguier.  Le  refte  des  fculptures  &  tous  les 
membres  d'architedure  font  d'une  pierre  de  liais  qui  par  fa 
blancheur  &  la  finefte  de  fon  grain  égale  ie  plus  beau  marbre. 

L'on  voit  encore  dans  la  même  Chapelle  l'Epitaphe  de 
Chriftophle  de  Thou  Premier  Prefident  au  Parlement  de  Paris^ 

(i)  A  l'endroit  marciué  C. 

Efffij 


^^6    PIECES  CONCERNANT  J.  A.  DE  THOU. 

père  de  notre  Hiftorien.  Elle  eft  ornée  de  fort  belles  fculptiires 
&  du  Biifte  de  ce  grand  Magiftrat  en  marbre,  qui  eft  placé  dans 
une  niche ,  au  pied  de  laquelle  on  lit  cette  Infcriptipn  Latine. 

D.     O.     M. 

Christophoro.  Thuano.  August.  F.  Jac,  N*' 
Equiti.  qui.  omnib.  Tog^.  munerib.  summa.  cum. 
eruditionis.  inte  gritatis.  p  ru  d  entite.  laude. 
perfunctus.  amplis  s  imosque.  honores.  sub, 
Franc.  I.  H e n r i  c.  1 1,  F r  a n  c.  IL  K  a r.  IX.  H e  n  r i c* 
III.  Christi ANiss.  Regibus,  consecutus.  Senatus,' 
Paris.  Pr/eses.  dein.  Princeps.  sacri.  consis- 
torii.  Consiliarius.  mox.  Henr.  tunc.  Aurel.' 
Ac.  DEMUM.  Franc.  Andeg.  DD.    Cancellarius. 

tandem.  CUM.  DE.  JuDICIARIO.  O  R  D  I  NE.  EMENDANDOi 
Qu-aESTURA.  ReGNI.  A.  FR  AUDI  BUS.  A  C.  R  A  P  l  N  l  S» 
VINDICANDA.  ET.  ScHOLAR.  DISCIPLINA.  RESTI- 
TUENDA.  COGITARET.NULLA.  INCLINAT -Œ.  ^TATIS, 
INCOMMODA.  ANTEA.  EXPERTUS.  EX.  IMPROVISA- 
FEBRI.    DECESSIT. 

UXOR.    L  IBERIQUE.    M  O  E  R.    P. 
VlXiT.  ANNOS.  LXXI  V.  ME  N  SE  S.   III.   D  I  E  S.  V.   OBIIT. 
A  N  N  O.    M.    D.    L  X  X  X  I  I.    K  A  L.    N  O  V  E  M  iB. 


AVERTISSEMENT 


AVERTISSEMENT. 

Sur  les  Mémoires  fui  vans  de  M.  Pierre  Du  Puy  ^ 
fervans  àla  Juftificationde  M.  François 

De  Thou. 

E  f une  fie  fort  de  M.  François  de  Tbou  a  été  raconté 
par  plujteurs  Ecriyains,  L' Hiftoire  du  Chevalier 
Nani  ,  les  Mémoires  de  Vittono  Siri ,  les  Mémoires  de 
M,  le  Comte  de  la  Chaftre  y  la  Réponfe  de  M.  le  Comte 
de  Brie?me  aux  Mémoires  de  M.  le  Comte  de  la  Chaftre  , 
les  Pièces  ajoutées  au  Journal  de  M.  le  Cardinal  de  Riche- 
lieu y  les  Mémoires  de  M.  de  Mo?itrefer  ir  de  M.  de  Fon^ 
tr ailles ,  iHtJloire  de  Louis  XIIL  par  M.  le  Vajjor ,  le 
DiSîiorinaire  de  M.  Bayle  ,  fournijjent  ,  les  uns  plus  , 
les  autres  moins  ^  des  particularités  ^  ou  des  réflexions  fur  ce 
fujet. 

Si  d'un  coté ,  on  prenoit  fur  foi  de  choijîr  de  ces  dijférens 
Auteurs ,  ce  quon  jugeroit  le  mieux  fondé ,  on  s'expoferoit 
à  être  accufé  de  partialité.  Si  d'autre  coté ,  on  recuedloit 
fans  choix  tout  ce  quils  ont  débité ,  tant  à  V égard  des  faits , 
que  des  raifonnemens  fur  ces  faits  s  on  f  croit  un  amas  confus 
<iS*  ennuyeux  de  paffages  ,  tirés  de  Livres  qui  fe  trouvent 
dans  les  Bibliothèques  les  plus  communes  des  Particuliers, 

Un  tel  recueil  feroit  même  ici  inutde  s  la  Pièce  fuivante 
de  M'  du  Puy  n  ayant  hefoin  d'aucune  forte  dLntroduHion 
ou  i Eclairciffement»  Car  M.  du  Puy  y  fait  une  déduBion , 
non  feulement  des  Pratiques  <jr  des  Dejfeins ,  dans  lefquels 
f  on  parent  fe  trouva  engagé  ^  ou  qui  luifurenp  imputés  >  mais 
Tome  XVo  J  A 


e  AVERTISSEMENT. 

auffl  de  lu  procédure  quon  fit  Id-dejfus  contre  lui  :  laquelle 
(  félon  [es  allégations  )  fut  pouffée  fort  au-delà  des  bornes 
établies  y  iU"  des  règles  ufitées  du  Droit  public ,  même  en 
France  :  i^  fur  cette  déduBion  ,  il  forme  un  fyjlème  d'ar^ 
o-umens ,  <^  de  raifonnemens  ,  pour  jujiifjer  l'Accufé ,  ^ 
faire  yoir  que  ceft  à  tort  quil  a  ete  condamné.  De  forte  y 
que  cefl  un  Ouyra^e  complet,  O*  qui  fe  foittient  par  lui^ 
même* 


^X     ^    ^    ^    ^    -a    ^,    a*    ^    ii'    ^    ^    ^    ^    n*    ^  X\ 

m  m  m 


MEMOIRES 

ET 

INST  R  UC  T I ONS 

Pour  iervir  à  juftifier  l'innocence  de  Melîîre  Francols- 

Augufte  de  Thou ,  Confeiller  du  Roi 

en  fon  Confeil  d'Eftat. 

I.  T^RE  F  AC  E. 

II.  J^      Requefte  au  Roy. 

III.  Relation  particulière  &  véritable  de  tout  ce  qui  se  fi  pajjé  au 
procès  criminel  faiâ  à  M,  de  Thou  y  ù"  des  moyens  qui  ont 
ejlé  tenus  pour  le  faire  mourir. 

IV.  Premier  chef  d' accufation.  Comment  M,  de  Thou  a  Jceu  le 
Traiâé  faiâ  avec  le  Roi  d'EJpagne  ^  &  quelle  preuve  il  y  a 
contre  lui  de  ce  fai6î. 

V.  Second  chef  d'accufation.  M.  de  Thou  efi  accufé  d'avoir  lié 
d^ amitié  M.  le  Duc  de  Bouillon  avec  M.  le  Grand  Efcuyer  > 
qui  fe  font  depuis  unis  avec  M.  le  Duc  d'Orléans  ,  auquel  le 
Sieur  Duc  de  Bouillon  donnoit  la  ville  de  Sedan  pour  retraite. 

Examen  des  principales  allions  du  Cardinal  de  Richelieu^  pour 
fe  maintenir  en  l' adminifirationfouveraine  du  Royaume. 

VI.  Qjis  lesformaliîez  doivent  efire  obfervées  en  jujîice ,  mais  très'^ 
exaÛement  en  la  criminelle. 

Qite  la  confrontation  de  f  accufé  à  toutes  fortes  de  tefnoins , 
efi  abfolument  nécejjaire. 
VIL  Quelle  foi  peut-on  adjoujîer  à  la  dépofition  d^un  tefmoin  qui 
efi  accufé  &  coulpable, 

JAij 


.  > 


A  ^.  ryât^j^ 


;l5>.-ô 


.'^- 


4       MEMOIRES  POUR  JUSTIFIER 
yill.  Moyens  généraux  contre  ^ordonnance  du  Roy  Louis  XI  ^ 

touchant  le  crime  de  Leze^MajeJîé  j  ou  efl  reprejenté  Pejîat  du 

gouvernement  dudiâl  Roy» 

IX.  Moyens  particuliers  contre  ladiâle  ordonnance. 

X.  Confideratîons  fur  la  trop  grande  rigueur  d'aucunes  ordonnan- 
ces,  &  ce  qui  efi  à  propos  d'ejlre  obfervé  en  ce  cas  par  les 
Juges, 

XI.  Si  celui  qui  fçait  ftmplement  une  conjuration  contre  PEJîat  & 
ne  la  révèle ,  ejl  punijfable  comme  Pautheur  principal  de  la  con- 
juration. 

V opinion  de  Barthole  qui  a  tenu  Paffirmative ,  ejî  examinée 
(cT"  refutée ,  avec  les  lieux  de  quelques  Docîeurs  de  Padvis 
contraire. 

XII.  Exemples  tirez^  de  divers  HiJIoriens  tant  anciens  que  moder^ 
nés }  four  monjlrer  que  ceux  qui  ont  ejîé  accufés  d'avoir  fceu 
quelque  conjuration ,  quils  nom  pas  révélée  y  ou  nom  pas  eflé 
punis  s  ou  s'ils  Pont  efté ,  la  peine  a  efié  beaucoup  moindre  que 
celle  des  principaux  autheurs  ,  <&  de  leurs  complices. 

XIII.  Examen  de  deux  exemples  trh-illujîres ,  dont  P on  s* efl  fervy 
pour  jufîifier  Paâion  des  Commijfaires. 

XIV.  Contre  les  CommiJJaires  en  gênerai,  <&  les  Commijfwns  ex- 
traordinaires. 

XV.  Relation  véritable  de  ce  qui  s*ejî  pajfé  à  la  mort  de  M,  de 
ThoM. 

I.    Préface. 

N  Ou  s  ne  doutons  point  que  ces  Mémoires  ne  fa/Tent 
horreur  à  tous  ceux  qui  prendront  la  peine  de  les  lire , 
Ôc  encore  plus  à  ceux  qui  en  confidereront  les  conféquences. 
Nous  ne  faifons  point  le  mal  plus  grand  qu'il  efl: ,  nous  n'in- 
ventons rien  pour  efmouvoir  à  compalTion  :  pleuft  à  Dieu  qu'il 
y  euft  quelque  artifice  pour  diminuer  les  caufes  de  notre  def- 
plaifir  !  la  fimple  &  nue  narration  aura  afifez  de  force  pour  flef- 
chir  \q5  plus  durs  ôc  impitoyables ,  pour  donner  de  la  chaleur 
aux  plus  froids/  pour  efmouvoir  les  infcnfibles,  ôc  les  plus  dé- 
vouées créatures  du  Cardinal  de  Richelieu.  Comme  cefte  adion 
tragique  eft  une  des  dernières  de  fa  vie ,  &  poffible  la  plus  noire 
&  inique,  aufli  lui  a-t-elle  autant  &  plus  excité  d'ennemis  que 


MONSIEUR  F.  A.  DE   THOU;  y 

îâ  plus  grande  partie  de  celles  qui  noircirent  la  mémoire  de 
fon  nom. 

Nous  voyons  bien  que  nos  plaintes  feront  vaines,  feront  inuti- 
leSjque nos  veritez feront  incroyableS;ne  feront  pas  bien  receues: 
mais  pour  cela  faut-il  cefler  de  les  dire  ?  nous  les  devons  à  la 
pofterité,  nous  les  devons  à  la  mémoire  de  celui  que  nous  pleu- 
rons^ 6c  dont  nous  déplorons  le  fort  j  nous  les  devons  enfin 
déclarer  à  tout  le  monde, pour  confondre  les  mefchans,  pour 
faire  cognoiftre  leur  infamie. 

Les  plus  fages  j  ôc  qui  ont  jugé  plus  judicieufement  des  cho- 
fes  dès  l'inltant  que  le  Cardinal  fuft  appelle  à  l'adminiflration 
du  Royaume,  jugèrent  qu'il  feroit  caufe  d'une  infinité  de  gran- 
des calamitez.  Sa  vie  palTée ,  quoi  qu'aflez  obfcure  ôc  dans 
le  commun ,  fa  profonde  ambition ,  fon  avarice  infatiable  ,  ôc 
la  manière  dont  il  entra  dans  les  affaires ,  donnèrent  lieu  au 
préjugé  3  mais  quand  l'on  vit  les  perfonnes  qu'il  approcha  de 
luy,gens  corrompus,  mcfchans,  voleurs  j  6c  nais  à  lafervitude> 
l'on  commença  à  appréhender  tous  les  maux  qui  ont  travaillé 
ce  Royaume  depuis  près  de  vingt  années.  Car  il  n'y  a  partie 
dans  i'Eftat ,  ôc  cela  ne  fe  peut  nier ,  qui  n'ait  fouffert  en  fon 
particulier.  Le  Roy  mefmes  que  n'a-t  il  point  enduré  f  La 
Reine  fa  mère,  la-Reine  régnante,  M.  le  Duc  d'Orléans ^  les 
Princes  du  Sang,  les  Grands,  les  principaux  Officiers,  plu- 
plufieurs  Evefques,  les  Cours  Souveraines,  la  Jullice  en  gê- 
nerai, l'Eglife,  la  Noblefle ,  le  Peuple  ,  tous  les  Officiers  quels 
qu'ils  foient,  les  Villes,  les  Provinces  entières,  bref  tout  le 
Royaume ,  ont  pati  à  diverfes  reprifes  ôc  en  pluficurs  manières. 

Il  faut  certainement  eftimer  heureux,  Ôc  très-heureux  ceux 
que  Dieu  a  appeliez  à  lui  avant  qu'il  ait  permis  que  ce  fléau  de 
l'Europe  ait  empiété  le  gouvernement  de  cette  Monarchie  ; 
ils  euffent  veu  vicier  les  droits  de  la  nature  au  hault  point  qu'ils 
l'ont  été  :  ils  n'ont  point  veu  les  violentes  injuftices,  les  em- 
prifonnemens  ,  ôc  les  banniflemens  d'un  millier  de  perfonnes 
de  toutes  conditions ,  à  qui  l'on  n'a  pu  faire  reproche  de  la 
moindre  faute  :  ils  n'ont  point  veu  la  plus  déteftable  injuftice  , 
la  mort  du  Marefchal  de  Marillac,  où  il  a  fallu  violer  tout  ce 
qu'il  y  a  de  plus  réglé  en  la  juftice ,  les  juges  corrompus  par  des 
charges  6c  par  argent,  recompenfez  avant  Ôc  après  l'adion. 
Enfuite  rien  n'a  efté  impoffible  ,   les   empoifonnemens    de 

JAiij 


5  MEMOIRES  POUR  JUSTIFIER 

plufieurs  perfonnesde  grande  condition,  les  rudes  ôc  barbares 
traiiSlemens  que  les  plus  innocens  ont  enduré  pendant  de  lon- 
gues &  cruelles  prifons.  Ils  n'ont  point  veu  les  Parlemens  fans 
autorité,  les  peuples  faccagés,  la  création  d'un  million  d'offices 
inutiles  aux  acheteurs  ôc  à  la  foule  du  peuple,  la  publication 
d'un  nombre  effréné  d'Edi£i:s  burfaux  ôc  iniques.  Ils  n'ont  pas 
efté  la  proye  des  partifans  ôc  des  créatures  du  Cardinal  ,  ils 
n'ont  pas  veu  un  tas  de  faquins  eflevez  aux  plus  hautes  dignités, 
riches  des  defpouilles  des  plus  illuftres  familles  >  ôc  de  la  plus 
pure  fubftance  du  peuple  :  bref  ils  verroient  noftre  Eftat  cor- 
rompu ôc  cangrené  en  toutes  fes  plus  nobles  parties  ,  quoi  qu'il 
femble  vigoureux  ôc  bien  fain  en  fes  extrémités. 

Pendant  ces  tems  dangereux  la  vie  privée  en  des  perfonnes 
de  grand  mérite,  a  efté  une  marque  d'une  profonde  fagefTe.  Il 
ne  faut  pas  s'eftonner,  fi  après  un  long  ôc  miférable  règne,  qui 
a  duré  la  meilleure  partie  de  la  vie  d'un  homme ,  beaucoup  ont 
péri  par  les  guerres.  Les  plus  généreux  ôc  magnanimes ,  impa- 
tiens de  cette  dure  fervitude,  ont  paflfé  fous  la  violence  de  celui 
qui  avoit  le  pouvoir  abfoîu  dans  TEftat.  C'eftoit  un  crime  ca- 
pital d'eftre  eftimé ,  d'eftre  aimé  des  gens  de  bien  ;  la  vertu  ôc 
la  bonne  réputation  d'un  homme  eftoient  les  principaux  crimes 
qui  le  faifoient  périr. 

L'avarice  de  ces  tyrans  a  efté  fi  extrefme ,  que  tout  homme 
riche  a  efté  leur  ennemi;  tout  leur  a  efté  bon  ,  les  richeffes  de 
l'Orient  ôc  de  l'Occident  n'eftoient  pas  capables  de  les  con- 
tenter :  la  France  autrefois  le  fiege  de  la  vraye  juftice^  a  efté 
le  Théâtre  où  toutes  fortes  de  violences  ôc  de  voleries  ont  efté 
exercées  avec  mériter  la  France,  dis- je,  pour  fe  délivrer  de 
la  fervitude ,  s'eft  defpoûillée  de  tout  ce  qu'elle  avoit  de  plus 
précieux,  l'a  abandonnée  à  ces  harpyes.  Cefte  volontaire,  ôc 
s'il  le  faut  ainfi  dire,  miférable  contribution ,  a  fi  peu  amolli  leurs 
cœurs,  que  nous  avons  efté  contrains  de  donner  noftre  plus 
pure  fubftance  pour  accroiftre  nos  miferes.  Ils  appelloient ,  tant 
ils  font  effrontez ,  du  nom  de  Paix  l'eftat  où  ils  nous  avoient 
réduits  de  n'avoir  plus  de  voix  pour  nous  plaindre,  bien  loin 
de  pouvoir  faire  un  pas  pour  nous  deffendre  de  leurs  oppref- 
fions.  Il  n'y  a  rien,  il  n'y  a  nulle  forte  de  bien  qui  ne  foit  en 
party  5  les  partifans  font  les  maiftres  de  ce  qui  nous  refte  de  nos 
fortunes  ôc  de  nos  vies  :  la  moindre  parole ,  non  pas  de  vigueur  > 


MONSIEUR  F.  A.  DE  THOU.  7 

mais  de  plainte,  eftoit  un  crime  de  leze-Majefté  ,  Ci  Ton  obéïf- 
foit  fans  murmure ,  il  l'on  fe  retiroit  pour  ne  point  voir  rou- 
tes ces  violences  j  c'eftoit  une  cabale  ,  c'eftoit  une  marque  que 
l'on  ne  confentoit  pas  au  mal  que  l'on  nous  faifoit.  Certes  no- 
ilre  lafcheté ,  noftre  mefintelligence  ont  acreu  l'audace  de  ces 
mefchansj  les  ont  ellevez  au  point  où  nous  les  avons  veu  ,  ôc 
ou  ils  font  encore  :  nous  avons  fai6l  comme  les  chameaux , 
nous  avons  receu  à  genoux  les  charges  que  Ton  a  voulu  im- 
pofer  fur  nos  telles. 

Ils  n'ont  point  appréhendé  que  noftre  patience  fe  tournaft 
enfin  en  fureur  :  ayant  volé  tout  l'argent  de  l'Efpargne,  ils  ont 
elle  obligés  de  commettre  mille  ôc  mille  cruautés  pour  fatis- 
faire  aux  grandes  &  excelTives  defpenfes.  Eftoient-ils  fortis  d'un 
delTein  qui  avoit  englouti  des  fommes  immenfes,  ilsrentroient 
aufTy-toft  dans  un  autre  plus  fpecieux ,  pour  l'execudon  duquel 
il  falloit  des  millions.  Ils  ont  faid  comme  ces  fourbes  d'Alchi- 
miftes ,  qui  propofent  tousjours  chofes  nouvelles ,  autant  d'ad- 
vis  autant  d'affronteries ,  autant  de  moyens  d'extorquer  de  l'ar- 
gent. Ils  ont  creu  que  ces  infâmes  ôc  continuelles  flatteries  , 
dont  le  Cardinal  ôc  eux  ont  efté  fi  long-temps  corrompus,  ef- 
toient  véritables  ?  que  c'eftoient  des  fentimens  de  perfonnes  du 
tout  foubmifes ,  ôc  qui  adoroient  leur  puiflance  ôc  leur  con- 
duite. Ignoroient-ils  qui  n'y  a  que  les  plus  mefchans  qui  fe  laif- 
fent  furprendre  à  ces  fauffes  louanges ,  que  les  gens  de  bien  re- 
jettent mefmes  les  véritables  ,  ôc  abominent  les  extraordinaires. 
Quelques-uns  fe  font  moquez  de  leur  folle  ftupidité  de  s'eftre 
imaginez  que  leur  autorité  feroit  perpétuelle ,  ôc  d'avoir  creu 
que  leur  puiflance  tyrannique  auroit  ce  pouvoir ,  que  d'effa- 
cer de  la  mémoire  de  tous  les  François  leurs  mauvaifes  adions  : 
certes  la  crainte  ôc  la  cruauté  font  de  trop  foibles  liens  pour 
conferver  l'amitié  Ôc  la  bienveillance,  elles  fe  convertiflent 
fort  facilement  en  haine. 

Mais,  dira  quelqu'un,  où  eftoit  le  Roy  majeur,  ôc  le  plus 
autorifé  Prince  de  l'Europe  pendant  tant  de  miferes  ôc  d'op- 
preflions  fur  fon  peuple  ?  Eft-il  bien  poflible  qu'il  n'ait  pas  veu 
ce  qui  s'eft  pafle  dans  fon  Royaume  ,  ôc  qu'il  ne  l'ait  pas  au- 
torifé ?  Il  faut  certes  avoir  participé  à  tous  ces  crimes  ,  faut 
avoir  efté  efclave  du  Cardinal ,  ou  idiot  infenfé  pour  former 
cette  oppofition.  Scait-on  pas  de  la  façon  qu'ils  ont  traitté  le 


2         MEMOIRES  POUR  JUSTIFIER 

Roy  ,  de  quelle  forte  fon  efprit  a  eflé  agité  voyant  tant  6c  tant 
de  chofes  contre  fon  bien  propre  ,  contre  celui  de  fon  peuple  : 
quelques  profperités  en  fes   affaires  l'ont  charmé ,  mais  il  a 
tousjours  veu  les  mauvais  deffeins  de  ces  gens-cy  fes  enne- 
mis capitaux.  Il  a  tousjours  aflez  fait  paroiftre  la  haine  qu'il  portoit 
au  Cardinal,  depuis  le  premier  jour  de  fon  adminiftration  juA 
ques  à  l'heure  de  fa  mort.    Sçait-on  pas  les  ardfices  dont  ils 
ont  ufé  pour  feduire  ce  pauvre  Prince  j  artifices  incroyables  , 
cogneus  de  peu  de  perfonnes ,  ôc  Ci  délicatement  conduits  , 
que  les  plus  clair-voyans  y  euffent  efté  pris  ;  des  intelligences 
doubles  maniées  avec  toutes  les  addrelfes  imaginables ,  des 
volleries  couvertes  du  mafque  du  bien  public.  Ils  lui  ont  fait 
vouloir  ce  qui  eftoit  contre  fon  propre  bien.  Nous  ne  man- 
quons pas  d'exemples  de  plufieurs  grands  Princes  bien  advi- 
fez ,  qui  on  efté  feduits  ôc  trompez  par  leurs  principaux  Mi- 
niftres.  II  n'y  euft  jamais  Prince  plus  advifé ,  plus  rufé  que  FEm-» 
pereur  Tibère  :  que  ne  fit  point  Sejan  fous  lui ,   combien  de 
fourbes  ôc  d'oppreffions  de  perfonnes -innocentes  ?   Que  ne 
firent  point  Perennis  ôc  Cleander  fous  fEmpereur  Commode  f 
Ruffin  Ôc  Eutropius  fous  les  Empereurs  Arcadius  ôc  Honorius  ? 
Et  pour  approcher  de  noftre  temps,  Louis  XI  le  plus  fin  ôc 
ôc  advifé  Prince  qui  fut  jamais ,  fut-il  pas  miferablement  trahi 
par  le  Cardinal  Baluë  en  tant  d'occafions  ôc  fi  importantes  , 
que  l'on  a  admiré  comme  il  eftoit  parvenu  par  la  faveur  de 
ce  Prince  aux  plus  hautes  dignitez  de  fa  robbe.  L'Angleterre 
a  efté  maniée  comme  nous  l'avons  efté ,  par  le  Cardinal  Wol- 
fey  fous  le  Roy  Henry  VIII  un  des  plus  grands  Rois  de  fon 
temps.  Il  y  a  certes  de  l'injuftice  d'imputer  au  Prince  tout  ce 
qui  fe  fai£t  de  mal  dans  fon  Eftat  ,  puifqu'il  n'y  a  perfonne 
tel  que  l'on  fe  le  peut  imaginer  ,  qui  ne  puiffe  eftre  feduitpar 
les  artifices  de  ceux  qui  n'ont  autres  penfées  que  de  mal  faire. 
Les  Rois  bien  plus  aifez  à  tromper ,  diftrai£ls  qu'ils  font  pat 
leurs  plaifirs ,  par  un  nombre  infini  d'affaires  importantes  ôc  de 
toutes  fortes ,  li  bien  qu'il  leur  eft  impoffible  qu'Us  ne  rejettent 
une  partie  de  ce  foin  fur  ceux  qu'ils  ont  choifi  pour  les  aider 
à  fupporter  ce  pefant  fardeau  de  la  Royauté.  C'eft  encechoix 
que  confifte  l'heur  ou  le  malheur  du  Prince  ôc  de  fon  peuple  i 
c'eft  là  la  fource  des  maux  qui  ont  caufé  la  fubverfiondetous 
les  grands  Empires,  Pour  nous  qui  avons  efté  fur  le  bord  du 

précipice^ 


MONSIEUR  F.  A.  DE  THOU,  J 

précipice  ,  l'on  peut  certainement  dire  que  nous  avons  don- 
né une  grande  preuve  de  noftre  extrefme  patience  ;  &  com- 
me nos  Pères  ont  joui  d'une  pleine  &  entière  liberté  ,  nous 
au  contraire  ,  avec  la  vertu  nous  avons  perdu  noftre  liberté. 
Nous  avons  donné  un  exemple  à  la  pofterité  de  la  plus  abjeûe 
&  honteufe  fervitude  qui  fuft  jamais.  Nos  paroles ,  chofe  dé- 
plorable ,  ont  efté  examinées  jufques  aux  fyllabes  j  6c  certes 
nous  eftions  pour  perdre  la  mémoire  avec  la  voix ,  s'il  euft  efté 
autant  en  noftre  pouvoir  d'oublier  nos  maux  >  que  de  nous 
taire. 

Mais  c'eft  aflez  parlé  de  nos  miferes ,  &  de  la  lafcheté  des 
François  cogneuë  à  toute  l'Europe.  Il  faut  rendre  compte  en 
peu  de  paroles  de  l'ordre  que  l'on  a  tenu  pour  examiner  cefte 
procédure. 

Par  le  rapport  du  fai£i: ,  l'on  verra  que  Monfieur  de  Thou 
eft  accufé  d'avoir  fceu  le  Traidé  faiâ  par  Monfieur  le  Duc 
d'Orléans  avec  le  Roi  d'Efpagne  ,  ôc  d'avoir  négocié  l'union 
entre  M.  le  Duc  de  Bouillon  &  M.  le  Grand  ,  &  auiïi  la  re- 
traite de  Monfieur  en  la  ville  de  Sedan  en  cas  de  la  mort  du 
Roi.  On  faid  voir  quelle  preuve  il  y  a  au  procès  fur  ces  ac- 
cufations. 

Et  parce  que  la  preuve  confiftoit  en  la  dépofition  ou  décla- 
ration de  Monfieur  ,  non  confronté  aux  accufez  j  l'on  faid  voie 
que  cette  dépofition  fans  confrontation  eft  nulle,  eft  inutile. 

Comme  auiïi  celle  de  M.  le  Grand ,  criminel  &  convaincu; 
auquel  on  avoir  promis  la  vie ,  à  la  charge  de  dépofer  contre 
ledit  Sr.  de  Thou. 

Et  d'autant  qu'il  y  avoit  preuve  que  ledit  Sr.  de  Thou  avoit 
fimplement  fceu  le  Traidé  d'Efpagne ,  fans  avoir  aucunement 
participé  à  la  négociation  >  &  qu'il  n'avoit  pas  révélé  cefte  nue 
&  fimple  fcience  j  les  Commiflaires  fe  font  fervis  d'une  Or- 
donnance du  Roy  Louis  XI ,  exprefle  pour  cela  ,  qui  porte  ; 
que  ceux  qui  auront  cognoiffance  nue  ôc  fimple  d'une  conju- 
ration contre  l'Eftat ,  ôc  ne  la  révéleront ,  feront  condamnez  à 
îa  mefriie  peine  que  les  principaux  auteurs  de  la  conjuration. 
-  11  a  donc  efté  neceffaire  d'examiner  cette  ordonnance  s 
monftrer  qu'elle  eft  nulle,  qu'elle  a  efté  abrogée  ,  qu'elle  n'a 
jamais  efté  obfervée  en  France ,  que  l'opinion  contraire  à  cefte 
.ordonnance  eftjufte  ôc  félon  tome  forte  de  droit  i  ôc  enfuit^ 


îo        MEMOIRES  POUR  JUSTIFIER 

on  a  accumulé  nombre  d'exemples  très  précis  ,  tant  anciens 
que  modernes  ,  contraires  à  cette  rigoureufe  ordonnance ,  ôc 
en  a-t-on  refuté  deux  qu'aucuns  ComiiiiiTaires  mai  informez 
ont  creu  pouvoir  fervir  à  leur  juftification. 

Enfin  l'on  faiâ:  voir  combien  les  Commiflaires  ôc  leurs  juge-» 
mens  font  dangereux,  &  qu'ils  ont  efté  deteftez  en  tout  temps 
en  ce  Royaume, 

IL  Requefie  au  Roi, 

SIRE, 

JA  c  Q  u  E  s  Augufte  de  Thou  ,  Confeiller  en  voftre  Cou? 
de  Parlement ,  remonftre  très  -  humblement  à  V  o  s  T  r  e 
Majesté'^  que  l'honneur  qu'avoit  M""*".  François  Augufte 
de  Thou  ,  Confeiller  en  vos  Confeils  fon  frère  ,  d'eftre  allié  , 
bien  voulu,  ôc  eftimé  deplufieurs  perfonnes  de  très-haute  con- 
dition, lui  ayant  acquis  la  haine  du  detFun£l  S^  Cardinal  de 
Richelieu ,  il  auroit  réfolu  d'employer  toutes  fortes  de  moyens 
&  toute  fa  puiffance  pour  le  perdre  :  ôc  l'ayant  faid  arrefter 
à  Narbonne  le  6  Juin  de  l'année  1 6^2  avec  le  S^  de  Cinq- 
Mars  Grand  Efcuyer  de  France ,  il  auroit  fai£l  rechercher  tou- 
tes les  adions ,  les  voyages,  ôc  les  vifires  dudi£l  deffun£t,  ôc 
ôc  n*y  ayant  rien  trouvé  qui  ne  ne  fuft  que  très-innocent  ,  il 
auroit  mis  fon  principal  foin  à  faire  pratiquer  le  S"^.  de  Cinq- 
Mars,  en  lui  promettant  l'impunité,  s'il  declaroit  quelque  chofe 
à  la  charge  dudi6l  deffun£l  S'',  de  Thou.  Et  pour  faire  que  dans 
rinrtru£tion  du  procès  toutes  chofes  palfaflTent  félon  fa  volonté, 
il  auroit  nommé  tels  Commifiaires  qu'il  auroit  voulu ,  parens 
entr'eux  ou  très-intereffez  dans  fa  fortune  :  ôc  parce  qu'aucuns 
de  ces  juges  choifis  n'avoient  pas  tefmoigné  vouloir  adhérer 
à  la  parfion  du  Cardinal ,  il  les  auroit  fai£t  révoquer  pour  en 
fubflituer  d'autres  plus  faciles  à  fuivre  fes  volontez.  Ce  mau- 
vais principe,  SIRE,  a  efté  fuivi  d'une  infinité d'injuftices, 
ôc  d'infra£lions  à  vos  ordonnances.  Car  la  principale  depofi- 
tion  fur  laquelle  a  efté  fondée  toute  la  charge  du  procès ,  a  efté 
dreflee  par  la  fuggeftion  de  M.  le  Chancelier  qui  préfidoit  à 
la  commiiïion ,  qui  fuft  feul  avec  le  tefmoin  cinq  heures  du- 
rant ,  fans  adjoint  ôc  fans  greffier.  Ce  principal  tefmoin  à  qui 
on  avoit  fuggeré  fa  depofition  par  une  nouvelle  ôc  extraordi- 
naire injuftice ,  n'a  point  efté  confronté  aux  accufez.  Une  lettre 


MONSIEUR   F.  A.  DE  THOU.  tt 

quî  alloit  entièrement  à  la  defcharge  de  l'accufé ,  &  qui  dé- 
truifoit  du  tout  cefte  depofition,  a  efté  fupprimée.  LedidS**. 
de  Cinq-Mars,  qui  depofe  contre  ledi6l  Sf.  de  Thouj  a  efté 
allure  de  la  vie  ,  à  condition  de  depofer  ainfi  que  le  Cardinal 
defireroit.  Mais  ce  qui  eft  très-extraordinaire  &  fans  exemple, 
ledicl  S^  de  Cinq-Mars  eftant  fur  la  felette  ,  fe  leva  en  pre- 
fence  de  tous  les  Commiflaires  ,  vint  parler  à  l'oreille  dudi6l: 
S"".  Chancelier,  ôc  déclara  auffi-toft  ce  qu'il  avoit  promis  de 
dire  contre  ledi6l  S^  de  Thou.  Les  Commiflaires ,  quoique 
choifis  comme  di£i:  eft,  qui  propoferent  quelques  doutes ,  fu- 
rent intimidez  par  ledi6l  Cardinal ,  qui  les  manda  tous  l'un 
après  l'autre  la  veille  du  jug.ement  ;  ôc  lui  ayant  efté  reprefenté 
par  une  perfonne  de  condition  très-haute  j  que  lediâ:  S"".  Chan- 
celier lui  avoit  dit  qu'il  ne  fe  trouvoit  point  de  charges  con- 
tre ledid  Sr.  de  Thou  ,  il  refpondit ,  il  n'importe  ,  il  faut  qu'il 
meure.  Cet  ordre  précis ,  S  I  R  E ,  fit  tel  effed ,  que  le  Rap- 
porteur du  Procès  a   fai£l  quelques  procédures  feul  ôc  fans 
adjoint,  contre  ce  qui  avoit  eftérefolu  entre  ces  Commiflai- 
res. Ledi£l  S^  Chancelier  quoyque  juftement  recufé  par  l'un 
des  accufez,  a  efté  juge  fans  avoir  fai£t  juger  la  recufation.  Les 
gardes  dudi6l  S^".  de  Thou  )  compofées  partie  de  celles  de  V. 
M.  partie  de  celles  dudi6l  Cardinal ,  ont  efté  follicitées  par 
argent  pour  dépofer  contre  lui  :  fon  Exempt  mefme  a  efté  tef- 
rnoin  contre  lui ,  lui  a  efté  confronté.  Trois  diverfes  perfon- 
nes  ont  fervi  de  Greffiers  au  Procès,  l'un  domeftique  dudi£t 
S"".  Chancelier ,  qui  n'a  point  de  ferment  à  juftice  j  ce  qui  eft: 
caufe  que  le  Procès  ne  fe  trouve  point  dans  aucun  lieu  public, 
dans  aucun  greffe  :  ôc  l'on  peut  dire  qu'il  a  efté  fupprimé  j  au 
moins  les  principaux  a61:es  ,  ôc  fur  lefquels  la  juftification  de 
l'accufé  pouvoit  eftre  fondée ,  ont  efté  altérez  ôc  falfifiez.  Au 
refte ,  S  I R  E ,  la  précipitation  à  rendre  le  jugement  a  efté 
telle  ,  qu'à  midy  du  1 2  de  Septembre  ledid  S^.  de  Thou  eftoit: 
innocent  j  deux  heures  après  il  fut  jugé  comme  le  plus  coul- 
pable  de  tous  les  hommes.  Le  Procureur  gênerai  de  la  com- 
mifîion,fans  examiner  les  premières  ôc  les  dernières  charges, 
par  rindu6lion  dudid  S^  Chancelier  qui  parla  à  lui  en  tiers 
ôc  en  fecret  avec  Laubardemont  Rapporteur  ,  lui  fit  prendre 
des  conclufions  verbalement  à  la  mort  5  chofe  fans  exemple. 
Par  toutes  ces  circonftances ^  S I RE ,  V.  M.  voit  en  combien 

JBij 


12        MEMOIRES  POUR  JUSTIFIER 

de  fortes  il  a  fallu  violer  la  juftice  &  vos  ordonnances , 
pour  commettre  une  fi  haulte  injuftice ,  pour  opprimer  une 
perfonne  innocente.  Quelle  gloire  à  V.  M.  à  l'entrée  de  fon 
règne ,  de  faire  voir  le  zèle  qu'elle  a  pour  la  juftice ,  de  rele- 
ver ceux  qui  font  opprimez  ,  de  rendre  à  une  famille  illuftre 
par  fon  antiquité  &  par  fes  fervices  »  l'honneur  qu'on  lui  a  voulu 
ravir  par  cefte  injuftice  ,  ôc  de  ne  pas  refufer  à  la  pieté  d'un 
frère  de  purger  la  mémoire  de  fon  frère  ,  que  toute  la  France 
&  tout  ce  qu'il  y  a  de  gens  de  bien  ôc  d'honneur  dans  l'Eu- 
rope femblent  demander  avec  le  Suppliant,  affin  qu'il  nefoit 
pas  le  feul  fur  lequel  demeurent  les  veftiges  des  violences  & 
oppre/ïîons  paffées.  A  ces  causes  ^  SIRE  ,  il  plaira  à  V.  M. 
permettre  au  Suppliant  de  juftifier  la  mémoire  dudi£t  deffun6î: 
Sr.  de  Thou  fon  frère  ,  ôc  pour  cet  effe£l  lui  accorder  d^s  Let- 
tres de  revifion  addrefiantes  à  telles  de  vos  Cours  de  Parle- 
ment qu'il  plaira  à  V.  M.  d'ordonner  ,  autre  que  celle  de  Gre- 
noble j  ôc  ordonner  aux  Greffiers  ou  autres  qui  fe  trouveront 
chargez  dudi6î:  Procès,  qu'ils  ayent  à  le  remettre  au  Greffe 
dudit  Parlement  :  ôc  le  Suppliant  fera  tenu  de  continuer  fes 
prières  pour  la  grandeur ,  profperité  ôc  fanté  de  V  o  s  T  R.  E 
Majesté'. 

III.  Relation  particulière  &  trh-veritahle  de  tout  ce  qui  s^ejîpajjé 
au  F  roc  es  criminel  faiâ  à  Monfieur  de  Thou ,  &  des  moyens 
qui  ont  efié  tenus  pour  le  faire  mourir» 

LE  notable  changement  que  le  Cardinal  de  Richelieu  re- 
cogneut  en  l'efprit  du  Roy  fur  la  fin  de  l'année  i  (5^  i ,  lui 
fît  penfer ,  non  feulement  à  en  rechercher  les  auteurs  ,  mais 
auflî  à  en  détourner  les  fuites  qu'il  prévit  ne  pouvoir  eftre  que 
très-funeftes  pour  lui  ôc  pour  fes  créatures.  Il  n'euft  pas  gran- 
de difficulté  de  juger  par  plufieurs  allions  qui  s  eftoient  paf- 
fées dans  la  Cour,  que  M.  d'Efiat  Cinq-Mars  Grand  Efcuyer 
de  France  ,  qui  eftoit  lors  très  confident  du  Roy ,  pouvoit  eftre 
caufe  de  ce  refroidiffement.  Le  mauvais  traitement  que  M, 
îe  *  Chancelier  receut  du  Roy ,  qui  efclata  fi  fort  dans  Paris , 
lui  fut  imputé  par  le  Cardinal ,  ôc  par  ledit  S»".  Chancelier.  M, 
des  Noyers  ôc  tous  ceux  qui  avoient  quelque  attache  particu- 
lière à  la  fortune  du  Cardinal ,  receurent  plufieurs  difgraces  ^ 

%  Mr,  Pierre  Scguier^ 


MONSIEUR  F.  A.  DE  THOU.  13 

fôit  du  Roy ,  foit  de  ceux  qui  fe  trouvèrent  efblouis  de  l'efclat 
de  ceÛQ  nouvelle  faveur ,  qui  fe  rendoit  de  jour  en  jour  infu- 
portable  au  Cardinal. 

Le  Roy  pour  affeurer  &  affermir  le  changement  qui  s'eftois 
faiiSl  en  Catalogne  ,  refolut  la  conquefte  du  Rouiïillon  au  com-^ 
mencement  de  l'année  16^2.  Le  Marefchal  de  la  Meilleraye 
Grand  Maiftre  de  l'Artillerie ,  le  confident  du  Cardinal ,  y  fut 
envoyé  pour  commander  l'armée  :  mais  comme  il  n'a  jamais 
rien  exécuté  d'important  que  le  Roy  &  le  Cardinal  ne  fuf- 
fent  proches  de  lui,  le  Cardinal  qui  ne  vouloit  pas  que  fa  for- 
tune receuft  de  la  diminution  par  quelque  difgrace  qu'euft  pu 
recevoir  fon  parent  en  cefte  entreprife  ^  perfuada  le  Roy  avec 
beaucoup  d'ardfices  d'entreprendre  ce  voyage.  Le  Roy  qui 
fentoit  fes  forces  diminuer,  y  refifta  quelque  tems  5  à  quoi  iî 
fut  fortifié  par  M.  le  Grand  ,  ôc  fes  amis  qui  firent  agir  le  pre- 
mier Médecin,  qui  reprefenta  quelques  confîderations  tirées 
de  fon  art  :  mais  l'autorité  du  Cardinal  fe  trouva  fi  puifTante , 
<jue  le  Médecin  changea  de  langage ,  &  le  Roy  refolut  de 
faire  le  voyage.  Les  advantages  que  le  Cardinal  tiroit  de  la 
refolution  du  Roy  eftoient  grands.  II  advançoit  la  mort  de  fa 
Majefté  ,  qui  eftoit  le  commencement  d'un  gouvernement  plus 
abfolu  pour  lui  ,  ayant  en  fon  pouvoir  les  armées ,  l'argent  ^ 
&  les  meilleures  places  du  Royaume.  Il  ofloit  à  M.  le  Grand 
tout  fon  confeil  ôc  fes  amis  5  l'efloignant  de  Paris  ,  le  reduifant 
à  peu  d'afilftance  ,  n'y  ayant  près  du  Roy  que  des  efpions  du 
Cardinal.  Enfin  ,  il  afliftoit  fa  fortune  ôc  celle  du  Grand  Maif- 
tre,  qui  avoir  perdu  beaucoup  de  fa  réputation  en  ce  qui  s'ei^ 
toit  pafle  à  Aire. 

Le  Roy  donc  partit  de  Paris  fur  la  fin  du  mois  de  Janvier; 
<ôc  alla  à  Fontainebleau  où  il  fut  jufques  au  troifiéme  du  mois 
fuivant.  Pendant  ce  fejour  plufieurs  perfonnes  de  condition 
furent  prendre  congé  de  fa  Majefté,  entr' autres  M.  deThou; 
qui  reçut  commandement  du  Roy  de  le  venir  voir  en  Rouf- 
(îllon,  s'aflurant  qu'il  ne  lui  voudroit  pas  denier  ce  voyage  eri 
une  fi  belle  faifon ,  puifqu'il  avoit  faià  cent  lieues  en  hy  ver 
pour  voir  M.  de  Turenne  deux  ou  trois  jours  à  Lyon.  Cefte 
particularité  eft  fi  vraye  ,  qu'elle  peut  eftre  certifiée  par  plu« 
îieurs  feigneurs  ôc  gentilshommes  qui  étoient  lors  près  du  Roy* 

Le  Cardinal  peu  afTeuré  des  bonnes  grâces  du  Roy ,  ne 

"        5  S  "i 


ï4         MEMOIRES  POUR  JUSTIFIER 

voulut  abandonner  fa  Majefté,  6c  fit  pendant  ce  voyage  ce 
qu'il  n'avoit  jamais  fai£l  î  car  il  fit  les  mêmes  journées  que  le 
Roy  ,  le  voyoit  tous  les  jours  foir  ôc  matin ,  pour  tafcher  à 
diffiper  les  pratiques  qui  s'eftoient  faites  contre  lui:  ce  qui  lui 
fucceda  afifés  bien  ,  par  la  mauvaife  conduite  de  M.  le  Grand , 
qui  perdit  en  partie  les  bonnes  grâces  du  Roy  j  enforte  qu'ef- 
tant  arrivé  à  Narbonne  ,  on  remarqua  qu'il  eftoit  beaucoup 
defcheu  de  cette  faveur  Ci  efcîatante,  ôc  qu'il  nefubfiftoit  plus 
que  par  artifice. 

Le  Cardinal  tomba  malade  à  Narbonne  le  i8  de  Mars:  le 
mal  parut  grand  à  fon  commencement,  enforte  que  fes  créa- 
tures entrèrent  en  grande  apprehenfion,  non  feulement  de  le 
perdre,  maisaulîi  que  M.  le  Grand  reprendroit  cependant  fon 
premier  crédit. 

M.  de  Thou  convié  par  le  commandement  du  Roy  partit 
de  Paris  le  i  Avril  en  compagnie  du  comte  de  CharrofI:.  Ils 
furent  enfemble  à  Selles  chez  M.  le  comte  de  Bethune ,  où 
ils  furent  quelques  jours.  De  là  ils  prirent  la  pofte,  &  arrivè- 
rent à  Carcaflbnne  le  14  Avril  ,  où  ils  rencontrèrent  fortui- 
tement dans  une  hôtellerie  le  S^  de  Fontrailies,  qui  parla  en 
fecret  audit  S^  de  Thou  dans  la  chambre  du  comte  de  Char- 
roft,  &  avec  une  telle  émotion  qu'il  fit  juger  qu'ils  parlèrent 
de  quelque  chofe  de  grande  confequence. 

Le  iç)  Avril  ledid:  S^'.  de  Thou  arriva  à  la  Cour  qui  eftoit 
à  Narbonne ,  où  il  vit  le  Roy  ,  puis  le  Cardinal  ôc  les  autres 
Miniftres.  Le  Roy ,  tant  par  la  necefïité  de  fes  affaires ,  que 
pour  d'autres  considérations  ,  partit  de  Narbonne  &  fut  au 
Camp  devant  Perpignan ,  le  fiége  ayant  commencé  dès  le  1 8 
jour  d'Avril. 

Ce  fut  lors  que  parurent  les  grandes  fimultez  proches  de  rup- 
ture entre  le  Grand  Maiftre  ôc  M.  le  Grand,  qui  vouloir  faire 
paroiftre  a  toute  la  Cour  poffeder  l'efprit  du  Roy  plus  qu'il 
n'avoit  jamais  faicl. 

Le  Cardinal  fort  malade  de  corps  &  d'efprit  ne  manquolt 
pas  d'eftre  informé  à  tous  momens  de  ce  qui  fe  paflbit  près  du 
Roy.  Les  S",  de  Chavigny  ôc  des  Noyers  allèrent  inceffam- 
ment  pour  cela  du  camp  à  Narbonne  ;  mais  le  peu  de  foin 
que  le  Roy  prit  de  fçavoir  de  Ces  nouvelles  pendant  quelques 
femaines ,  le  mit  en  telle  peine  qu'il  çreut  que  le  Roy  l'avoit 


MONSIEUR  F.  A.  DE  THOU.  ly 

abandonné  ,  &  enfuire  ce  bruit  s'efpanclit  de  telle  forte  par  tout 
le  Royaume  que  perfonne  ne  doutoit  plus  de  fa  ruine. 

Ce  qui  confirma  ce  bruit  fut  la  retolution  que  prit  le  Car- 
dinal ,  malade  à  l'extrémité ,  de  fortir  de  Narbonne  par  le  plus 
mauvais  temps  qu'il  pourroit  faire.  Les  advis  qu'il  donnoit  de 
la  route  qu'il  vouloir  prendre ,  tantoft  d'un  coilé  ,  tantoft  d'un 
autre  j  &  les  artifices  dont  fe  fervoient  les  liens  pour  couvrir 
les  pafTages  de  leur  maiilre  ,  firent  voir  l'apprehenfion  où  il 
eftoit  d'eftre  arrelté.  Enfin  il  choillt  fa  retraitte  à  Tarafcon  , 
qui  eft  dans  le  gouvernement  de  Provence,  alTeuré  du  Comte 
d'Alez  qui  en  eft  gouverneur.  Le  S'',  de  Fontrailles  qui  re- 
cogneut  la  mauvaife  conduite  de  M.  le  Grand ,  ôc  que  la  vé- 
rité des  chofes  eftoit  fort  contraire  aux  apparences  ,  fe  retira 
hors  le  Royaume. 

Le  Cardinal  très-incertain  de  fa  condition  ,  eftant  à  Taraf- 
con receut,  à  ce  qu'on  dit,  un  paquet  dans  lequel  efloit  une 
copie  du  Trai6lé  qu'avoir  fai£l  Monfieur  le  Duc  d'Orléans  avec 
le  Roy  d'Efpagne,  où  eftoient  compris  M.  le  Duc  de  Bouillon 
ôc  M.  le  Grand.  Ce  paquet,  de  quelle  part  qu'il  lui  fut  envoyé, 
lui  redonna  la  vie  ,  lui  mit  des  armes  en  main  pour  ruiner  fes 
ennemis. 

Il  depefcha  aufii-tofl  au  Roy  pour  l'informer  de  cette  affaire, 
lui  fit  fentir  le  danger  où  il  eftoit  ,  confeilla  fa  Majefté  d'en 
f<^avoir  la  vérité  ôc  en  prévenir  les  inconveniens. 

Le  Roy  qui  avoir  efté  malade  jufques  à  l'agonie  devant  Per- 
pignan ,  receut  cefte  depefche  par  le  S"",  de  Chavigny ,  fe  re- 
folut  auffi-toft  de  partir  du  camp,  6c  fe  rendit  àlNarbonnele 
Il  Juin  5  ôc  le  lendemain  il  fit  arrefter  M.  le  Grand  ôc  ledi£l 
S*",  de  Thou,  ôc  auffi-toft  il  partit  de  Narbonne,  fit  fuivre  ces 
prifonniers  dans  des  carofTes  feparément.  M.  le  Grand  fut  con- 
duit dans  la  citadelle  de  Montpellier  fous  la  garde  de  Seton 
Lieutenant  des  Gardes  Efcoffoifes  j  ôc  M.  de  Thou  fut  mené 
à  Tarafcon  ,  où  eftoit  le  Cardinal ,  ôc  donné  en  garde  à  un 
Exempt  des  Gardes  Efcoffoifes  nommé  Crombis  ,  qui  avoit 
fous  lui  des  gardes  du  corps  du  Roy  ôc  des  gardes  du  Car- 
dinal. En  mefme  temps  le  Cardinal  donna  ordre  que  M.  de 
Bouillon,  qui  commandoit  l'armée  du  Roy  en  Italie  ,  fuft  ar- 
refté ,  ce  qui  fut  faiâ:?  comme  aulTi  d'Ozonville  Lieutenant 
de  fes  Gardes ,  qui  fut  trouvé  à  Valence  retournant  en  Piedmont, 


î^        MEMOIRES  POUR  JUSTIFIER 

M.  de  Thou  fut  vifité  deux  fois  par  M.  de  Chavigny  >  quî 
îeprefla  de  dire  franchement  tout  ce  qu'il  fçavoit  de  cefte  af- 
faire. L'un  ôc  l'autre  des  prifonniers  furent  interrogez ,  l'un  à 
Montpellier  >  l'autre  à  Tarafcon,  fur  des  chofes  fort  légères; 
ôc  où  le  Cardinal  n'eut  aucune  lumière  de  ce  qu'il  defiroit. 
Cependant  M.  de  Thou  eftoit  eftroitement  gardé  près  du  Car- 
dinal ,  avec  toutes  les  rigueurs  &  mauvais  traitemens  que  pou^ 
voit  s'imaginer  fon  Exempt ,  qui  devoroit  en  efperance  la  def- 
pouille  de  fon  prifonnier. 

Le  Roy  s'en  retournant  à  Paris  pafla  par  Tarafcon  ,  où  il 
conféra  avec  le  Cardinal  fort  malade  ;  il  lui  laifla  ,  comme  la 
fuite  nous  l'a  fai£t  voir ,  à  demefler  ce  grand  intrigue  de  Cour. 

M.  l'Evefque  de  Toulon  affligé  de  l'injufte  oppreflion  que 
l'on  faifoit  audid  S^.  de  Thou  fon  beau-frere ,  fut  à  Tarafcon; 
où  il  parla  au  S^'  des  Noyers  qui  y  avoir  faid  conduire  le  pri- 
fonnier. Il  lui  dit  qu'il  avoit  telle  cognoifTance  de  M.  de  Thou, 
qu'il  ne  le  croyoit  pas  capable  d'un  crime  tel  que  celui  qui  lui 
eftoit  impofé.  Ledid  S^  des  Noyers  lui  refpondit  en  ces  pro- 
pres termes:  «Nous  le  verrons  avec  le  temps:  mais  il  eft  certain 
«  qu'il  avoit  amitié  très-eftroite  avec  M. le  Grand,  qui  a  voulu 
sî  perdre  M.  le  Cardinal ,  M.  le  Grand  Maître  ôc  moi ,  &  tous 
25  les  ferviteurs  de  M.  le  Cardinal.  " 

La  vifite  du  Roy  apporta  une  grande  confolation  au  Car- 
dinal :  il  fe  vit  en  pleine  liberté  d'agir  félon  fa  palTion ,  il  ufa  dç 
tous  les  moyens  dont  il  fe  peuft  imaginer  pour  faire  mouric 
ces  deux  prifonniers. 

Pour  M.  le  Grand  ,  il  jugea  bien  qu'il  n'y  auroit  pas  gran- 
de difficulté  j  mais  pour  M.  de  Thou  qu'il  vouloir  voir  périr; 
&  qui  étoit  l'objet  de  fa  rage  ,  il  y  prevoyoit  beaucoup  d'ob- 
flacles  ,  qu'il  fe  promit  neantmoins  de  vaincre  par  divers 
moyens  tous  mefchans ,  injuftes  &  tyranniques.  Son  premier 
ôc  principal  fut  le  choix  des  Juges ,  prefidez  par  M.  le  Chan-«. 
celier  i  enfuite  la  violente  ôc  indigne  pourfuite  qu'il  fit  con- 
tre Mo  le  Duc  d'Orléans,  qu'il  réduifit  d'abord  au  defefpoir, 
le  menaçant  de  lui  faire  quitter  le  Royaumes  puis  par  les  moyens 
qui  lui  eftoient  ordinaires  il  le  fit  induire  par  des  promefles 
d'un  plus  doux  trai£lement  à  dire  non  pas  ce  qu'il  fçavoit  au 
vrai  de  cefte  affaire ,  mais  ce  qu'il  vouloit ,  pour  parvenir  % 
fa  fin, 

MonfieuÊ 


MONSIEUR  F.   A;  DE  THOU.         17 

Lonlîeur  donc  eftant  à  Aigueperfe  donna  fa  première  Dé- 
claration en  datte  du  7  Juillet  :  mais  à  condition ,  difoit-on* 
de  n'eftre  pas  confronté  à  aucun  des  accufez ,  que  fa  qualité 
y  repugnoit  j  moyen  bien  inventé  pour  faire  pafTer  pour  vérité 
tout  ce  qu'ils  avoient  intention  de  faire  dire  à  ce  Prince  ^  en  lui 
fuppofant  mille  chofes  pour  parvenir  à  leurs  fins. 

Le  Cardinal  envoya  fes  ordres  de  Tarafcon  à  M.  le  Chan- 
celier pour  fe  préparer  pour  le  voyage  de  Lion,  pour  inftrui- 
re  &  parfaire  le  procez  aux  accufez  ,  ôc  pour  amener  avec 
lui  tels  CommifTaires  tirez  du  Confeil  du  Roy  i  qu'il  jugeroit 
à  propos.  Cet  ordre  fut  fi  agréable  audiél  S^.  Chancelier  qu'il 
ne  le  pût  diflimuler  à  toute  la  Cour  par  une  gayeté  extraor- 
dinaire qui  parut  fur  fon  vifage  j  fe  voyant  en  état  de  faire 
chofe  agréable  au  Cardinal,  conduifant  celle  affaire  au  point 
qu'il  defiroit.  La  première  a£tion  qu'il  fit  fut  de  trouver  le 
moyen  de  faire  valoir  en  juftice  tout  ce  que  pourroit  dire 
Monfieur  ,  fans  eftre  confronté  aux  accufez  5  jugeant  bien  que 
la  confrontation  ruineroit  en  un  moment  tout  ce  qu'ils  croi- 
roient  avoir  bien  eflably. 

Le  Roy  donc  eftant  à  Fontainebleau ,  M.  le  Chancelier 
manda  les  Srs.  le  Bret ,  Talon ,  ôc  Bignon  ,  Confeillers  au  Con- 
feil d'Eftat,qui  avoient  autrefois  exercé  la  charge  d'Advocats 
du  Roy  au  Parlement  de  Paris ,  &  le  S"".  Talon  Advocat  du 
Roy.  M.  le  Bret  ne  s'y  trouva  pasà  caufe  de  fon  indifpofition. 
Le  fecret  de  cette  a6lion  fut  communiqué  audiâ:  S^  Bignoti 
feul ,  en  forte  que  lorfque  ceux  qui  avoient  efté  mandez  comme 
lui,  furent  arrivez,  ils  trouvèrent  la  difficulté  toute  refoluë. 
Le  Roy  donc  leur  ayant,  pour  la  forme,  recommandé  très 
eftroitement  le  fecret ,  on  leur  dçmanda  s'il  y  avoit  exemple 
qu'un  Prince  du  Sang  ayant  efté  tefmoin  en  une  affaire  cri- 
minelle ,  euft  efté  confronté ,  ôc  fi  l'on  ne  pouvoit  pas  fuppléec 
au  défaut  de  la  confrontation  par  quelques  a£tes  folemnels. 
Après  donc  avoir  un  peu  concerté,  ils  dirent  leurs  advis  en 
prefence  du  Roy  ,  ôc  puis  fe  retirèrent  ;  Ôc  aufÏÏ-toft  M, 
Bignon  di6la  ce  qui  avoit  efté  refolu,  qui  fut  en  un  mot; 
»  Qu'il  y  avoit  exemple  où  un  Prince  du  Sang  euft  donné  fa 
»  Déclaration  ôc  n'avoir  point  efté  confronté ,  mais  qu'il  n'y 
«>  en  avoit  point  où  un  Prince  du  Sang  euft  efté  confonté.  » 
Après  cela  ils  propoferent  l'équivalent ,  qui  fut  exécuté  par 
Tome   XF',  J  C 


18         MEMOIRES  POUR  JUSTIFIER 

M.  le  Chancelier  à  Villefranche  &  à  Vimy  ,  dont  il  fera  parlé 
Cy-après. 

M.  le  Chancelier  ayant  cefte  refolution  ,  fe  mit  en  chemin 
pour  fe  trouver  à  Lion  j  en  mefme  temps  on  réfolut  les  Coni- 
miffaires  qui  furent  : 

Jean  Martin  Sr.  de  Laubardemont. 

Pierre  de  Marca ,  Prefident  au  Parlement  de  Navarre. 

=  Diel  S^  de  Miromefnih  =  De  Paris  5  François  Bochart 
S^.  de  Champignigny ,  Confeiilers  au  Confeil  d'Etat 

Henry  de  la  Guette ,  S^  de  Chazé  j=:de  Sève  S^  de  Chan- 
tignonville  5  =  de  Chaulnes  :  Maiftres  des  Requeftes, 

LeSf.  Frère,  premier Prefident  au  Parlement  de  Grenoble. 

=De  Simiane  S^  de  la  Cofte,  Prefident  audiâ  Parlement. 

=De  Santereau  ;Bermont  îPonat  j  Du  Faure  S^.  de  la  Ri- 
vière i  Beatrix  Robert  S^.  de  S.  Germain  ;  Jeufirey ,  ôc  la  Baul- 
me  :  Confeiilers  audit  Parlement  de  Grenoble. 

P.  du  Faure  S^  de  la  Colombiniere>  Procureur  général  au- 
di£t  Parlement ,  ôc  Procureur  du  Roy  de  la  CommifFion. 

L'on  ne  peut  pas  dire  qui  a  efté  le  Greffier  de  cefte  Com- 
midîon  ;car  l'on  voit  quelques  A£l:es  fignez  de  Baudet  Gref- 
fier du  Parlement  de  Grenoble  >  d'autres  lignez  de  Palerne 
Greffier  criminel  du  prefidial  de  Lion  î  d'autres  auffi  de  Ce- 
béret  Secrétaire  de  M.  le  Chancelier. 

Tous  les  gens  d'honneur  &  qui  ont  quelque  cognoiflance 
des  chofes  juResÔc  raifonnables,  fe  font  eftonnez  comme  M. 
3e  Chancelier  a  accepté  cefte  Commiffion  ,  parce  que  jamais 
Chancelier  de  France  n'en  avoir  exercé  de  pareille.  Les  Chan- 
ceHers  ne  prefident  point  en  femblables  aflaires  que  quand  la 
Court  y  vaque,&  comme  ch^f  de  la  juftice  r  mais  il  falloit  faire  un 
exemple ,  il  falloit  obéir  au  Cardinal  partie  formelle  des  ac- 
cufez  ,  ôc  l'on  peut  dire  la  feule.  Et  ainfi  M.  le  Chanceher  ne 
pouvoit  eftre  juge  en  cefte  caufe,  lui  qui  eft  allié  du  Cardi- 
nah  qui  eftoit  fa  créature .  ôc  qui  avoir  fa  fortune  dépendante 
de  la  fienne.  Il  ne  pouvoit,  ni  ne  devoit  être  juge  de  M.  le 
Grand  pour  les  caufes  qu'il  fçavoit  bien  ;  qu'il  a  fouvent  di- 
tes à  fes  plus  confidens.  Auffi  Ton  fçait ,  tant  fa  confcience  le 
preffoit,  qu'il  en  confulta  fon  Confeffeur  avant  que  partir,  qui 
le  contenta  à  fa  mode,  ôc  comme  il  le  defiroit  ,  adion cer- 
tes^ en  une  perfonne  de  cefte  condition,  qui  n'eft  que  pour 


MONSIEUR  F.   A.    DE  THOU;         i> 

tromper  les  foibles  y  mais  qui  l'a  rendu  ridicule ,  &  fai£l  juger 
mefchant  par  les  gens  de  bien  ôc  de  bon  fens.  M.  le  Grand 
lors  qu'il  tut  interrogé  par  lui  le  $  Septembre ,  ne  manqua  pas 
de  luireprefenter,  ôc  ce  font  les  propres  mots  tirez  du  procez, 
»'  Qu'il  euft  à  fefouvenir  des  efclatantes  plaintes  que  récemment 
»  il  avoit  fai£t  de  lui ,  attribuant  aux  mauvais  offices  de  lui  le 
3î  Grand  les  remonftrances  que  lui  Chancelier  avoit  receues  du 
9'  Roy3ce  qui  de  voit  faire  fouhaiteràl'undene  le  recevoir  point 
^  pour  juge ,  ôc  à  l'autre  de  ne  l'eftre  pas.  «  Ce  que  ledi£t 
Chancelier  recogneuft  en  prefence  dudià  S"",  le  Grand  ôc  des 
Commidaires ,  Ôc  dit  qu'il  fe  fouvenoit  bien  avoir  fai£t  des 
plaintes  de  lui ,  ôc  lui  avoir  fai£t  dire  à  lui  mefme  qu'il  croyoit 
qu'il  lui  avoit  rendu   de  mauvais  offices  prés  du  Roy  :  mais 
qu'il  pouvoit  fe  refouvenir  que  fa  Alajefté  avoit  tefmoigné  que 
ledi6l  S',  le  Grand  n'avoit  efté  caufe  du  mefcontentement  qu'il 
lui  avoit  tefmoigné  à  S.  Germain ,  ôc  que  le  Roy  ne  lui  au- 
roit  pas  commandé  de  procéder  à  l'infl:ru£lion  de  fon  procès 
s'il  avoit  eu  une  autre  créance.    Qui  eft  certes  une  belle  de- 
faite  :  comme  Ci  le  Roy  euft  deu  penfer  à  ces  formalitez  de 
jufticci  comme  s'il  n'euft  pas  efté  de  fa  Religion, de  remonf- 
trer  fes  raifons  à  S.  M.  ôc  lui  reprefenter  que  les  injures  atro- 
ces ôcles  reproches  qui  luiavoient  eftéfaids  par  le  Roy,  pro- 
cedoient  de  la  haine  que  lui  portoit  ledi6l  S',  le  Grand.  Ainlî 
ce  pauvre  acculjg  deftitué  de  confeil ,  ignorant  ce  qui  fervoit 
à  fa  défenfe ,  s'engagea   à  refpondre ,  s'abandonna  entre  les 
mains  de  fes  ennemis ,  qui  continuèrent  l'inftrudion  du  pro- 
cès fans  faire  juger  cette  recufation  qui  eftoit  très  bonne  Ôc 
fort  bien  articulée.  Et  de  vérité,  il  ne  pouvoit  faire  une  re- 
cufation plus  folennelle  ,puis  qu'elle  eftoit  faitle  à  la  perfonne 
mefme  du  recufé,  ôc  en  prefence  de  tous  les  CommilTairesj 
ôc  que  ceux  qui  pouvoient  affifter  Faccufé  en  cefte  occafion 
eftoient  reléguez  en  leurs  maifons. 

Pour  Laubardemont ,  l'on  le  cognoift  àflfez  :  en  îe  nommant 
l'on  a  dit  tout  ce  qui  fe  peut  dire  du  plus  abandonné  ôc  ignorant 
Juge  qui  fut  jamais.  Etneantmoins  il  fut  pris  pour  Rapportent 
du  procès,  eut  îe  fecret  déroute  l'affaire,  jufques  là  que  M. 
ie  Chancelier  s'eft  plaint  de  lui ,  fçachant  qu'il  eftoit  l'efpioii 
du  Cardinal  pour  avoir  l'œil,  non  feulement  fur  fes  adionsj» 
îiiais  fur  celles  des  autres  commifTaires. 

5  c  ij 


sô        MEMOIRES  POUR  JUSTIFIER 

Le  S^  de  Miromefnil  ne  fut  choifi  ni  par  le  Cardinal ,  ni  pac 
M.  le  Chancelier;  mais  parle  Roy  feul  ,ôc  parun  pur  hazard: 
l'événement  l'a  monftré.  Il  eft  à  louer  de  s'eftre  trouvé  feul 
entre  tant  de  perfonnes  qui  n'ait  point  fîechi  à  la  violence,  qui 
ait  ofé  dire  fon  fentiment  en  toute  liberté. 

L'on  avoit  fujet  d'efperer  quelque  chofe  de  bon  du  S"*,  de 
Marca ,  mais  ayant  efté  choifî  par  M.  le  Chancelier,  Ôc  de  plus 
fa  créature  ôc  attaché  à  fa  fortune ,  il  a  fai£l  ce  que  fon  Pre- 
fîdent  a  voulu,  ôc  ce  qui  plaifoit  au  Cardinal.  Il  eft  vrai  qu'il 
a  efté  long  temps  combattu  ,  il  s'eft  trouvé  preffé  entre  fa  con^ 
fcience  ôc  le  delir  de  plaire  au  Cardinal ,  ou  pluftoft  par  l'ap- 
prehenfion  de  lui  defplaire  ;  entre  la  crainte  de  ne  pas  fatisfaire 
à  fon  devoir  ôc  aux  gens  de  bien ,  ôc  l'efperance  d'un  E  vefché  : 
l'on  a  veu  en  lui  vérifié  le  dire  de  l'Evangile  ,  qu'il  eft  malaifé 
de  fervir  à  deux  maiftres,  à  Dieu  ôcaux  hommes.  Il  s'eft  afleuré 
par  là  l'E vefché  de  Conferans. 

Pour  le  S^  de  Paris,  il  ne  fut  pas  des  Juges;  non  parcraln^ 
te  que  l'on  eut  qu'il  ne  feroit  pas  ce  que  l'on  defiroit ,  car  il 
en  a  donné  des  preuves  ailleurs  ,  mais  pour  quelque  compé- 
tence pour  le  rangôcfe  retira.  Le  S^  de  Chaulnes  fon  gendre, 
que  l'on  avoit  fai£t  venir  d'Auvergne  où  il  eftoit  Intendant^ 
fat  rejette  pour  avoir  efté  recogneu  trop  ferme  àfuivre  fesfen- 
timens  contraires  à  ceux  du  Cardinal.  Les  S'A  de  Champigny 
Ôc  de  Chazé  beaux  frères  ^  coufins  germains  du  S^  des  Noyers, 
ôc  c'eft  aflez  dire  ;  ôc  de  plus  alliez  du  Cardinal  :  par  ces  con- 
fiderations  ils  furent  choifis  Juges.  Néanmoins  ils  n'ont  pas 
l'un  ôc  l'autre  eu  aftez  de  force  pour  produire  leur  fennment, 
ils  attendoient  que  quelqu'un  leur  ouvrift  le  chemin  pour  le 
tenir.  S'ils  euflent  eu  un  autre  chef  ôc  moins  d'attache  ,  ils  euf- 
fent  bien  agi. 

L^  S"",  de  Sève  fe  trouva  en  quelques  a6les  de  cefte  Tra- 
gédie t  mais  enfin  il  fut  rejette  ôc  renvoyé  à  fon  emploi  de 
Dauphiné.  Il  faut  croire  que  l'on  n'avoit  pas  opinion  qu'il 
peuft  fervir  au  gouft  du  Cardinal. 

Refte  à  parler  des  autres  Commiftaires  tirez  du  Parlement 
de  Grenoble.  Le  premier  Prefident  le  plus  dévoué  de  tous  les 
hommes  à  la  paffîon  du  Cardinal  (  quoi  qu'il  euft  baillé  cin- 
quante mille  livres  à  Madame  de  Comballet  pour  parvenir 
à  fa  charge  Ôc  dix  mille  à  Defroches  )  promit  plus  que  l'on  ne 


MONSIEUR  F.    A.    DE    T  H  O  U.  21 

pouvoitefperer  du  plus  mefchant  homme  du  monde.  Et  pour 
n'y  pas  manquer  il  nomma  Faure  Sieur  de  la  Rivière  fon  beau- 
frere,  &  Jeuflfrey  Procureur  General  3  &  ce  Procureur  Ge- 
neral Ôc  Faure  la  Rivière  coufins  germains.  Simiane  de  la  Colle 
Prefident ,  outre  qu'il  ell  créature  ôc  efclave  du  Cardinal  de 
Lion ,  il  a  efpoufé  la  fœur  de  ce  Faure  la  Rivière.  Tous  gens 
afTez  cogneus  dans  la  province  pour  faire  tout  ce  qui  fe  peut 
d'extraordinaire  pour  fervir  à  leurs  interefts. 

Beatrix  Robert  ôc  Ponat  furent  emportez  par  la  rapidité  de 
l'adlion,  trop  foibles  pour  refifter  à  une  puilTance  li  violente 
que  les  provinciaux  adorent.  Pour  la  Baulme  ilfuivit  les  autres, 
engage  par  des  Lettres  de  Confeiller  au  Confeil  d'Eftat.  Santé- 
reau  fut  le  feul  de  ces  provinciaux  qui  fuivit  l'advis  du  S^,  de 
Miromefnil. 

Pour  Bermont  il  eut  ordre  de  fe  retirer  ^  ayant  tefmoigné 
quelque  averfion  à  ce  qui  fe  faifoit.  Le  Procureur  General  ou- 
tre ce  qui  eft  dit  cy-defTus  ,  fes  affaires  domeftiques  n'eftant  pas 
en  bon  eftat ,  pour  les  rendre  meilleures  il  a  faid  ce  que  l'on 
a  voulu  en  celte  occafion ,  après  neantmoins  quelques  légè- 
res reiiftances  :  tant  il  a  eu  en  horreur  la  façon  d'agir  de  ceux  qui 
conduifoient  celle  a6lion  ,  qui  ont  tafché  de  le  gagner  par  di- 
verfes  grâces  qu'il  a  obtenues ,  ôc  par  un  Arrefl:  du  Confeil 
qui  règle  le  Parquet  du  Parlement  de  Grenoble  fuivant  celui 
du  Parlement  de  Paris,  ce  qui  autorife  fort  fa  charge. 

Voilà  fommairement  les  qualités  de  ces  Commiffaires  ^  qui 
ne  furent  enfin  que  quatorze  au  jugement  du  Procès. 

M.  de  Thou  Abbé  de  Bonneval ,  voulant  rendre  ce  qu'il  de- 
voir au  fang  ôc  à  la  nature  en  telle  occafion,  partit  pour  Ta- 
rafcon  j  mais  ellant  arrivé  à  Valence ,  Ôc  le  Roy  n'en  ellant 
qu'à  deux  lieues^  eut  commandement  figné  de  M.  des  Noyers 
de  ne  s'approcher  pas  du  quartier  du  Roy  fur  peine  de  la  vie, 
6c  de  fe  retirer  en  fon  Abbaye,  ôc  n'en  pas  partir  fans  ordre. 

Pendant  que  les  Commifiaires  ordonnoient  comme  ils  au- 
roient  à  fe  gouverner  en  la  conduite  de  ce  Procès ,  M.  de  Bouil- 
lon arriva  de  PiedmontàLionfurlafin  du  mois  d'Aoull.  L'on 
tifa  par  le  chemin  de  beaucoup  d'artifices ,  continuez  par  le 
Chancelier  ellant  arrivé  à  Lion  ^  pour  l'induire  à  perdre  ceux 
qui  elloient  prifonniers.  L'on  travailla  auffi  à  mefme  fin  auprès 
de  Monfieur ,  auquel  on  avoit  fait  dire  de  la  part  du  Roy  que 

5  Cii; 


52      MEMOIRES    POUR   JUSTIFIER 

pourveu  qu'il  fe  refolufi:  de  dire  toute  la  vérité  de  ce  quis'ef- 
toit  pafieen  cefte  entreprife ,  que  S.  M.  le  traiteroit  en  frère, 
Ôc  oubliroit  celle  faute.  On  ne  lui  parla  plus  de  fortir  du  Royau- 
me, mais  feulement  qu'il  euft  à  approcher  de  Lion  où  eftoient 
les  Commiiïaires ,  afin  de  faciliter  la  procédure.  Ce  Prince 
embrafla  volontiers  ce  party  par  la  cognoiflance  qu'il  avoir  du 
chagrin  du  Roi ,  &  de  la  violence  du  Cardinal  qui  avoir  per- 
du toute  forte  de  refpetl  non  feulement  en  fon  endroit ,  mais 
aufîî  envers  le  Roy. 

M.  le  Chancelier  donc  partit  de  Lion  le  Jeudy  28  Aouft  ac- 
compagné de  ces  Commilîairesj  Laubardemont^  Marca,  Mi- 
romefnil,  de  Paris,  Champigny,  de  Chazé  ôc  de  Sève,  alla  cou- 
cher à  Vimy ,  ôc  le  2p  ils  arrivèrent  à  Villefranche  entre  dix 
Ôc  onze  heures  du  matin ,  ôc  defcendit  en  une  maifon  proche 
celle  de  Monfieur  pour  prendre  farobbe  ôc  fa  foutane.  Eftant 
veftu  il  fut  feul  trouver  Monfieur,  ou  il  demeura  à  travailler 
avec  lui  jufques  à  cinq  heures  du  foir,  que  tous  lesCommif- 
faires  fus-nommez  qui  l'avoient  accompagnez  furent  mandez, 
ôc  fe  rendirent  chez  Monfieur  oii  ils  furent  conduits  dans  un 
cabinet,  où  ils  trouvèrent  Monfieur  afiis  dans  une  chaire  au 
bout  de  la  table  :  M.  le  Chancelier  à  la  première  place  fur  un 
iiége  pliant.  AuflTitoft  qu'ils  furent  entrez ,  M.  le  Chancelier 
leur  dift  que  fuivant  l'ordre  du  Roy  il  avoir  receu  en  forme 
judiciaire  la  Déclaration  que  Monfieur  avoit  faite  au  Roy, 
mefmes  qu'il  lui  avoit  rem.is  une  copie  du  Traidé  fait  avec 
îes  Efpagnols,  ôc  de  la  déclaration  faite  de  fa  part  par  le  S',  de 
Fontrailles  5  ôc  que  pour  efclaircirtous  les  points  qui  pouvoient 
faire  difiiculté,  ôc  les  circonftances  qui  pouvoient  lui  eftre 
efchappées  en  fa  Déclaration,  il  avoit  adjoufté  quelque  chofe 
dont  il  s'eftoit  fouvenu.  Enfuite  il  ordonna  à  fon  fecretaire, 
?iommé  Ceberet  ,  de  lire  le  procès  verbal  qu'il  avoit  drefi!e, 
g  la  fin  duquel  il  fit  inférer  qu'il  avoit  efté  leu  en  la  prefen- 
ce  des  Commiffah'es ,  Monfieur  déclarant  en  foi  de  Prince 
le  contenu  en  icelui  eftre  véritable ,  fans  y  vouloir  adjouftec 
îii  diminuer.  Après  quoi  M.  le  Chancelier  ôc  les  Commifiai- 
res  allèrent  en  une  autre  maifon,  où  Monfieur  leur  avoit  fai£l 
préparer  à  manger,  puis  montèrent  en  carofle  pour  retourner 
à  Lion. 

Monfieur  ayant  par  cefte  Déclaration  chargé  en  gênerai 


MONSIEUR   F.    A.    DETHOU.         2.3 

M.  de  Thoo  d'avoir  fçeu  toute  l'affaire  ,  fentit  fa  confcience 
chargée  de  cefte  déclaration  ,  en  ce  que  Ton  pouvoit  dire  que 
ledi6t  S*",  de  Thou  avoit  non  feulement  fceu  la  retraite  de  Se- 
dan y  mais  le  particulier  du  TraïQé  d'Efpagne  :  ce  qui  l'obli- 
gea parPadvis  d'un  des  fiens,  d'efcrire  à  l'Abbé  de  la  Rivière 
ep  explication  de  fa  Déclaration ,  difant  que  leditl  S^  de  Thoii 
n'avoit  pas  efté  informé  d'autre  chofe  que  de  la  retraite  de  Se- 
dan ,  mais  non  pas  du  Trai£té  d'Efpagne ,  ôc  qu'il  fît  voir  fa  let- 
tre à  M.  le  Chancelier. 

Cette  lettre  excita  du  bruit  auprès  du  Cardinal ,  qui  dift  que, 
c'eftoit  une  cabale  des  amis  du  S»".  deMontrefor  pour  fauver 
ledict  S"",  de  Thou  ,  ôc  qu'il  y  mettroit  ordre.  La  RTviere  pouir 
fe  garentir  de  la  fureur  du  Cardinal,  lui  difl:  qu'il  falloir  que 
ce  fuft  le  ConfefTeur  qui  eufl  obligé  Monfieur  à  cela.  Or  le 
Confeffeur  ordinaire  ne  s'eflant  pas  trouvé  lors,  il  fut  vérifié 
que  Monfieur  s'eftoit  confeflé  au  confeffeur  du  commun  de 
fa  maifon  preftre  feculier ,  dequoi  le  Cardinal  efcant  informé 
dift  :  "  Voila  un  fort  habile  ConfefTeur  3  nous  y  mettrons  ordre.  » 

Le  Cardinal  quoique  malade  partit  de  Tarafconle  17  Aouft, 
fe  mit  fur  le  Rofne  jufques  à  Valence ,  faifant  traifner  après 
îuiledi£l  S^'.  de  Thou  dans  un  batteau  attaché  au  fien,  qui  ré- 
cent pendant  quatre  journées  que  dura  ce  voyage^  mille  in- 
dignitez  des  domeftiques  du  Cardinal,  ôc  de  fes  Gardes. 

Le  Cardinal  fit  quelque  féjour  à  Valence  ,  pendant  lequel 
eftant  adverti  que  M.  le  Grand  eftoit  arrivé  à  Lion  ,  il  y  fît 
conduire  leditt  S^.àQ  Thou  dans  un  caroffe,  ôc  y  arriva  le  3 
Septembre. 

Pendant  ce  tems  M.  le  Chancelier  interrogea  M.  de  Bouil- 
lon le  dernier  jour  d'Aouft ,  ôc  les  i  ,  7  ,  6  ,  7  ôc  5)  jours  de 
Septembre.  Les  Sieurs  le  Grand  &  de  Thou  furent  interrogez^ 
ôc  auiïi  d'Ozonvile  Lieutenant  des  Gardes  de  M.  de  Bouillon, 
Ceton  Ôc  Crombis  qui  avoient  gardé  lefdids  Sieurs  le  Grand 
ôc  de  Thou.  Enfuite  de  ce  fe  firent  toutes  les  confrontations 
des  accufez  les  uns  aux  autres  ôc  aux  tefmoins. 

Monfieur  le  Prince  paiTa  lors  par  Lion  pour  aller  vifiter  le 
Cardinal  qui  eftoit  à  Valence  :  en  pafi^ant  il  vit  M.  le  Chan- 
celier qui  lui  communiqua  ce  qui  efioit  des  charges  du  pro- 
cès, ôc  lui  déclara  que  jufques  alors  il  n'y  avoit  point  de  char- 
ges contre  ledict  S'',  de  Thou,  fupplia  Monfieur  le  Prince  de 


24      MEMOIRES   POUR  JUSTIFIER 

vouloir  en  parler  de  la  forte  au  Cardinal ,  afin  de  le  préparer 
à  tout  ce  qui  en  pourroit  arriver.  M.  le  Prince  paffa  jufques 
à  Valence,  &  rapporta  au  Cardinal  ce  que  lui  avoir  dit  M.  le 
Chancelier,  de  quoi  il  s'efmeut  en  forte  qu'il  dift  à  Monfieur 
le  Prince  ces  mots  :  M,  le  Chancelier  a  beau  dire  ;  il  faut  que 
M.  de  Thou  meure. 

-  Tous  les  parens  de  M.  de  Bouillon  eurent  permiflion  du  Roi 
de  fe  trouver  à  Lion  pour  folliciter.  Le  fieur  d'Eftrades  en- 
voyé parle  prince  d'Orange  à  mefme  fin,  y  futauffi.  Les  uns 
6c  les  autres  ne  firent  pas  grand  effe£t. 

Les  parens  de  M.  de  Thou  creurent  pouvoir  efperer  une 
pareille  grâce  :  on  la  demanda  au  Roy  par  M.  des  Noyers,  qui 
la  refufa  ,  difant  qu'il  n'y  avoit  rien  à  craindre ,  ôc  que  la  chofe 
ne  preflfoit  pas,  qu'il  falloir  s'addrefier  à  M.  le  Chancelier  que 
le  Roy  avoit  chargé  de  toute  cefte  affaire.  L'on  en  efcrivit  à 
M.  le  Chancelier ,  6c  de  plus  on  lui  demanda  diftribution  de 
confeil  pour  ledid  fieur  de  Thou  ;  à  quoi  il  ne  fit  point  de 
refponfe.  Ce  refus  injufte  du  fieur  des  Noyers  obligea  de  voie 
M.  de  Chavigny  ,  qui  obtint  du  Roi  fans  difficulté  cefte  grâce 
de  pouvoir  aller  à  Lyon.  M.  l'Evefque  de  Toulon  qui  eftoit 
lors  à  Paris ,  y  alla  en  pofte ,  où  il  trouva  Madame  la  Prefidente 
de  Pontac,  fœur  dudid  fieur  de  Thou  ,qui  a  travaillé  en  cefte 
affaire  avec  toute  Paddreffe  qui  fe  peut  imaginer ,  vit  plufieurs 
fois  les  Commiffaires ,  parla  à  eux  avec  tant  de  refpefl ,  d'élo- 
quence, ôc  de  reffentiment  de  douleur,  qu'elle  les  efmeut  tous 
à  compadîon.  Elle  ne  perdit  point  courage  par  le  refus  que 
fit  le  Cardinal  de  la  voir ,  par  les  mauvais  trai6temens  qu'elle 
receut  de  M.  le  Chancelier,  6c  de  ceux  qui  travailloient  de  con- 
cert avec  lui.  Elle  fubfifta  courageufement  feize  jours  que  du- 
rèrent ces  fafcheufes  6c  continuelles  foliicitations. 

M.  l'Abbé  de  Bonneval  au  temps  qu'il  eut  permifîîon  de 
partir,  par  la  Lettre  de  M.  de  Chavigny ,  eftoit  fort  malade.  Il 
ne  laiffa  néanmoins  de  partir ,  mais  la  précipitation  du  juge- 
ment fut  fi  extraordinaire,  que  quelque  diligence  qu'il  peuft 
faire ,  il  n'arriva  à  Lion  que  le  lendemain  de  la  mort  de  M. 
Ion  frère. 

Le  Cardinal  voyant  le  procès  preft  d'eftre  jugé ,  vint  à  Lion  : 
fa  préfence  donna  de  l'audace  aux  mefchans ,  6c  de  la  terreur 
aux  timides.  Il  infmua  à  fes  çonfidens  qu'il  falloir  faire  mourir 

M, 


MONSIEUR  F.   A.  DE  THOU.  5^ 

M.  de  Thou,  qu'il  falloir  travailler  par  tous  moyens  de  le  ren- 
dre coupable  :  il  fît  commander  par  M.  de  la  Vrilliere  à  M.  de 
Toulon,  qu'il  euft  à  fe  retirer  en  fon  diocefei  lui,  qui  avoir 
eu  permiflion  du  Roy  de  folliciter  pour  fon  beaufrere  ,  &  qui 
voyoit  les  juges  avec  beaucoup  d'affection  ôc  de  fuffifance. 
M.  le  Chancelier  lui  refufa  &  à  Madame  de  Pontac ,  diftribu- 
tion  de  confeil  pour  fon  frère.  Laubardemont  Rapporteur,  qui 
faifoit  office  non  pas  déjuge  mais  d'infâme  foliiciteur,  dit  dans 
Lion  plus  d'une  fois  :  «  Que  le  Théâtre  ne  feroit  pas  affez  fan- 
9>  glant  par  la  mort  d'un  feul  homme.  3>  M.  le  Cardinal  Mazariti 
qui  avoir  eftime  pour  M.  de  Thou ,  ôc  qui  en  confequence  des 
offices  qu'il  lui  avoir  rendus  en  une  affaire  de  Court  affez  dé- 
licate ,  continuoit  ceux  que  l'humeur  du  Cardinal  ôc  la  qualité 
de  l'affaire  lui  pouvoient  permettre  ,  fe  trouva  lors  que  M.  le 
Chancelier  difoit  au  Cardinal  de  Richelieu  .>  qu'il  n'y  avoir  point 
de  charges  pour  faire  mourir  M.  de  Thou  ,  il  lui  dir  :  ce  Et  bien 
35  M.  le  Chancelier ,  il  le  faut  condamner  en  une  prifon  ,  pour- 
~  veu  que  M.  le  Grand  ne  dife  rien  contre  lui  :  "  nous  verrons 
tantoft  quelle  fuite  ont  eu  ces  paroles. 

M,  le  Chancelier  propofoit  ces  difficuîtez  au  Cardinal ,  non 
point  à  deffein  de  favorifer  ledift  fieur  de  Thou,  contre  lequel 
il  n'y  avoir  point  de  preuve ,  mais  pour  faire  valoir  fon  fervi- 
ce  :  car  de  fon  cofté  il  travailloit  avec  autant  de  violence  que 
Laubardemont ,  ôc  c'eft  tout  dire.  Quatre  jours  avant  le  juge- 
ment du  procès ,  il  manda  le  Procureur  General  fur  les  huit 
heures  du  foir  ,  ôc  fut  feul  avec  lui  jufques  à  dix  heures.  Le  fu- 
jet  de  cette  conférence  fut  de  donner  au  Procureur  General 
une  plus  exa£le  cognoiffance  de  tout  ce  qui  refultoit  du  pro- 
cès ,  particuHerement  contre  M.  de  Thou ,  parce  ,  lui  di6t-ii  > 
qu'il  falloir  bien  toft  achever  cefte  affaire ,  dont  il  n'avoit  en- 
cores  eu  communication  des  pièces ,  fi  bien  qu'il  auroit  fort 
peu  de  temps  pour  prendre  fes  conclufions. 

Tout  le  difcours  donc  qu'il  euft  avec  le  Procureur  General  fut 
en  premier  lieu ,  que  l'on  ne  defiroit  que  la  juftice  ,  que  l'on 
vouloit  que  l'affaire  fur  examinée  en  confcience.  Après  il  taf» 
cha  de  lui  faire  comprendre  la  force  des  preuves  qui  eftoient 
au  procès  contre  ledi£lfieur  de  Thou,  qu'il  déduifitune  heure 
durant.  Nonobftant  les  difcours  dudi6l  fieur  Chancelier  rem- 
plis de  chaleur  ôc  de  paffion ,  le  Procureur  General  demeura 
7 orne  XV,  J  D 


2^       MEMOIRES  POUR  JUSTIFIER 

ferme  à  déclarer  qu*il  ne  pouvoit  point  conclure  à  la  mort  con- 
tre ledid  fleur  de  Thou  ,  mais  qu'après  qu'il  auroit  veu  exade- 
ment  le  procès,  il  jugeroit  quelles  autres  conclufions  il  pour- 
roit  prendre.  M.  le  Chancelier,  pour  finir  la  conférence  ,  de- 
meura d'accord  ,  que  le  fentiment  du  Procureur  General ,  au- 
quel il  perfifta  ,  pouvoit  eftre  fuivi  en  juftice ,  mais  qu'il  croyoit 
que  Ton  pouvoit  aufTi  en  bonne  jufîice  fuivre  l'autre  parti. 

Le  9  Septembre  au  madn  M.  le  Chancelier  fut  chez  le  Car-, 
dinal  lui  rendre  compte  de  ce  qui  s'efloit  paffé  en  cefte  con- 
férence Car  le  mefme  jour  un  homme  de  condition  envoyé 
fous  main  par  le  Cardinal ,  vint  vifiter  le  Procureur  General 
qui  le  mit  fur  le  difcours  qu'il  avoir  eu  avec  M.  le  Chance- 
lier. Après  plufieurs  confiderations  qu'il  lui  fit  fur  cette  affaire; 
il  lui  ditj  que  les  Ordonnances  eftoient  exprelTes  contre  M.  de 
Thou ,  contre  lequel  le  Cardinal  n'avoit  pas  moins  de  pafFion 
que  contre  M.  le  Grand.  Le  Procureur  General  perlilta  à  fa 
première  réfoluûon  ,  &  dit  qu'il  fçavoit  ce  que  portoient  les 
Ordonnances ,  mais  qu'il  eftoit  queftion  de  preuve  :  pour  con- 
clufion ,  qu'il  ne  croyoit  pas  qu'il  y  en  euft  de  fuffifantes  pour 
la  conviction  de  M.  de  Thou ,  &  qu'il  ne  pouvoit  faire  autre 
chofe. 

Ce  mefme  jour  M.  le  Chancelier  fut  vifîter  une  fille  nom- 
mée la  Mère  Matel ,  qui  avoit  grande  réputation  de  faindeté  ; 
à  laquelle ,  tant  il  eft  foible ,  il  découvrit  fon  fendment ,  ôc 
ce  qu'il  avoit  tenté  de  faire  envers  le  Cardinal  en  faveur  dudict 
fleur  de  Thou,  enfuite  de  la  conférence  qu'il  avoit  eue  avec  le 
Procureur  General ,  fans  avoir  pu  adoucir  fon  efprit. 

Le  jour  fuivant  ledid  fieur  Chancelier  pria  le  Procureur 
General  de  venir  difner  avec  lui.  Après  le  difner  il  le  tira  à 
part,  ôc  lui  dit,  qu'il  lui  feroit  porter  les  pièces  ce  jour-là  ,  ôc 
qu'il  n'auroit  que  le  lendemain  pour  conclure  :  mais  que  puif- 
que  fur  le  rapport  qu'il  lui  en  aVoit  fai6l,  il  ne  trouvoit  pas 
qu'il  y  en  euft  affez  contre  M.  de  Thou  ,  il  ne  falloit  pas  qu'il 
en  parlaft  dans  fes  conclufions.  Il  lui  refpondit  que  c'eftoit 
chofe  qu'il  ne  lui  pouvoit  pas  promettre,  parce  qu'il  eftoit  obligé 
de  conclure  félon  i'efti^t  du  procès  ôc  la  qualité  des  preuves. 
M.  le  Chanceher  répliqua ,  que  ce  qu'il  lui  difoit  n'efloit  pas 
de  la  part  du  Roy.  Le  Procureur  General  infifta  ,  ôc  difl ,  qu'il 
lui  avoit  fait  l'honneur  de  lui  donner  cefte  commiffion  de  la  part 


MONSIEUR  F.  A.  DE  THOU.  27 

du  Roy ,  qu'il  efloit  preft  de  la  lui  remettre  ,  ou  qu'il  falloit 
le  laifler  agir  librement  ôc  félon  fon  devoir.  Sur  cela  M.  le 
Chancelier  lui  dift,  que  s'il  ne  fe  contentoit  de  fa  parole,  qu'il 
lui  donneroit  un  ordre  du  Roy  en  la  mefme  forme  qu'eftoit 
fa  commiffion.  Le  Procureur  General  lui  reprefenta  que  cela 
feroit  grand  préjudice  à  toute  la  procédure.  Enfin  ,  après  quel- 
que conteftation  ,  il  demeura  en  ces  termes  ,  qu'ayant  pris  fes 
Conclufions  contre  M.  le  Grand,  telles  qu'il  jugeroit  à  propos , 
il  demanderoit  que  cependant  il  fuft  furcis  au  jugement  du  pro- 
cès des  (leurs  de  Bouillon  &  de  Thou. 

Après  ces  particularitez  qui  font  très- véritables ,  peut -on 
qualifier  la  mort  dudicl  fieur  de  Thou  autrement  que  d'aflalîi- 
nat  ôc  de  guet  à  pens  ?  Voyons  le  refte  qui  nous  confirmera  en 
cefte  vérité. 

Il  eft  dit  cy-defTus  comme  Monfieur  avoit  fait  fa  déclaration , 
comme  elle  avoit  efté  receue  5  mais  d'autant  que  le  droit  6c 
les  Ordonnances  veulent  fans  exception  que  tous  tefmoins  foient 
confrontez,  le  Procureur  General  creut  nonobftant  l'ufage  de 
la  confrontation  figurative  pratiquée  en  certains  cas ,  ôc  Tadvis 
des  gens  du  Roy  du  Parlement  de  Paris  que  l'on  vouloit  fui- 
vre,  que  fi  l'on  exemptoit  Monfieur  de  la  confrontation,  il  fal- 
loit ufer  de  quejque  formalité  équivalente,  ôc  qui  donnaft  les 
mefmes  moyens  ôc  facilitez  aux  accufez  de  fe  juftifier. 

Il  demanda  donc  pour  cet  effed  que  la  déclaration  de  ?vlon- 
fieur  leur  fuft  leuë.,  après  qu'ils  auroient  déclaré  s'ils  avoient  des 
reproches  à  donner  contre  lui  ;  ce  qu'il  croyoit ,  difoit-il ,  qu'ils 
pourroient  faire  avec  plus  de  liberté  en  l'abfence  du  Prince , 
que  s'il  euft  efté  prefent ,  ôc  qu'enfuite  les  reproches  ôc  les  ref- 
ponfes  des  accufez  fuffent  communiquez  à  Monfieur  :  ce  qui 
fut  ordonné  pararreft  du  5*  Septembre. 

Pour  exécuter  cet  arreft  M.  le  Chancelier  ,  accompagné  de 
tous  les  CommiiTaires ,  fors  de  Laubardemont ,  alla  le  10  de  ce 
îiioîs  à  Vimy  pour  dire  à  Monfieur  les  refponfes  que  les  accufez 
faifoient  à  fa  déclaration.  Laubardemont  ne  fit  pas  ce  voyage, 
lui  qui  y  eftoit  necefifaire  plus  qu'aucun  autre  eftant  Rappor- 
teur du  procès ,  demeura  à  Lion,  ou  il  ne  fut  pas  inutile.  Car 
il  alla  à  Pierre-Encife  fous  prétexte  d'y  faire  une  confronta- 
tion du  Lieutenant  des  Gardes  du  Duc  de  Bouillon  de  peu 
d'importance  j  mais  en  efîecl  pour  avoir  le  temps  de  voir  leul 


2§        MEMOIRES  POUR  JUSTIFIER 

M.  le  Grand  ,  auquel  après  mille  difcours  artificieux  il  lui  pro- 
mit la  vie  de  la  part  du  Cardinal,  au  cas  qu'il  vouluft  depofer 
co  ntre  ledit  fieur  de  Thou  ,  lui  faifant  croire  qu'il  avoit  de-. 
pCé    contre  lui. 

M.  de  Thou  (  fans  s'arreîler  aux  autres  accufez  que  l'on  ne 
prétend  pas  juftifier  )  fut  chargé  par  Monfieur  &  M.  de  Bouil- 
lon ,  d'avoir  eu  cognoifTance  de  tout  ce  qui  s'eftoit  pafTé  ,  à 
la  referve  du  Traiûé  d'Efpagne  j  c'eft- à-dire  ,  de  la  retraite  de 
Monfieur  à  Sedan ,  au  cas  que  le  Cardinal  le  vouluft  faire  ar- 
refter  j  d'avoir  mefnagé  la  liaifon  de  M.  de  Bouillon  &  de  M. 
le  Grand  ;  d'avoir  faid  un  voyage  à  Limeuil  vers  ledit  fieur  de 
Bouillon  ,  un  voyage  à  Vendofme  pour  rechercher  M.  de 
Beaufort  de  fe  joindre  à  ceftc  ligue,  ôc  toutes  les  allées  ôc  ve- 
nues à  Saint-Germain  &  à  Paris  j  mais  dit ,  qu'il  fe  tenoit  re- 
culé ôc  n'entendoit  pas  ce  qui  fe  difoit  dans  leurs  conférences; 
croyoit  que  ce  n'eftoit  qu'une  liaifon  d'amitié,  &  que  fi  c'ef- 
toit  à  heure  indeuë  ,  c'eftoit  parce  que  M.  le  Grand  n'avoit 
point  d'autre  temps  libre. 

Neantmoins  Monfieur  dit,  que  la  dernière  fois  que  M.  de 
Thou  lui  avoit  parlé ,  il  l'avoit  trouvé  inftruit  de  tout^  ôc  que 
fi  M.  de  Thou  ne  lui  avoit  tefmoigné  fi-toft  ,  c'eftoit  parce  que 
Monfieur  avoit  dit  à  M.  le  Grand ,  qu'il  ne  defiroit  pas  que  M. 
de  Thou  euft  cognoififance  du  Traiûé  d'Efpagne,  à  caufe 
^qu'ayant  grand  nombre  de  parens  ôc  d'amis  la  chofe  ne  feroit 
pas  fecrette. 

Sur  ces  charges  la  procédure  eftant  achevée,  le  Procureur 
General  requift  que  M.  le  Grand  fuft  déclaré  atteint  ôc  con- 
vaincu du  crime  de  leze-Majefté ,  condamné  d'avoir  la  tefte 
tranchée ,  ôc  qu'avant  l'exécution  il  fuft  appliqué  à  la  queftion 
pour  déclarer  les  autres  complices  ;  ôc  jufques  à  ce,  que  le 
jugement  du  Procès  des  fieurs  de  Bouillon  ôc  de  Thou  feroit 
furcis. 

Le  Procureur  General  par  ordre  de  M.  le  Chancelier,  dreiïa 
Farreft  fuivant  fes  conclufions. 

Le  Cardinal  voyant  que  le  jugement  approchoit ,  craignant 
quelque  événement  contraire  à  fon  intention ,  traita  rudement 
Marca  ôc  autres  Commiffaires ,  qui  avoient  tefmoigné  quelque 
fentiment  de  juftice  :  avec  réfolution  de  dire  leurs  advis  en  bon- 
ne confcience.  Laubardemont  qui  obeifToit  aveugleaieut  à  la 


MONSIEUR  F.  A.  DE  THOU.  2i>, 

buiiïance  du  Cardinal,  portoit  par  tout  un  extrait  de  l'Ordon- 
nance de  Louis  XI  tiré  du  Code  Henry  j  par  lequel  ceux  qui 
auront  cognoiflance  de  quelque  crime  de  leze-Majefté ,  s'ils 
ne  le  révèlent  feront  punis  des  melnies  peines  que  les  princi- 
paux autheurs. 

L'Elcot  Confefieur  du  Cardinal ,  porta  cet  extrait  à  M.  le 
Chancelier  de  la  part  de-fon  maiflre ,  pour  faire  valoir  cefle  Or- 
donnance en  cefte  occafion.  Il  la  rejetta  d'abord  pour  n'en  avoir 
ouï  parler ,  pour  n'avoir  jamais  efté  pratiquée  5  mais  cefl:e  lé- 
gère refiftance  ne  lui  dura  gueres  :  ce  dodeur  n'euii  pas  grand 
peme  à  le  converdr. 

Le  Cardinal  pour  tousjours  afleurer  fon  fai£l:,  confuîta  ce 
mefme  Confefleur ,  s'il  pouvoir  en  bonne  confcience  folliciter 
les  Commiffaires  de  rendre  juftice,  n'y  ayant  que  le  Roy  de 
partie  y  quoique  tout  le  monde  vit  bien  qu'il  eftoit  la  vraye  ôc 
feule  partie  des  accufez.  Ce  Confefleur  Tafieura ,  qu'il  pouvoit 
recommander  Faffaire  en  la  qualité  qu'il  avoir  dans  l'Eflat,  le- 
quel on  avoir  eu  defl"ein  de  troubler;  que  puifqu'il  y  avoir  une 
OrdonnancCjil  eftoit  en  quelque  forte  obligé  de  folliciter  qu'elle 
fuft  obfervée  :  ôc  de  faict  il  ne  fe  pafla  rien  durant  la  fin  de  ce 
procès  qu'à  l'inftance  du  Cardinal.  M.  le  Chancelier  6c  Lau- 
bardemont  ne  lui  en  ayant  rendu  compte  exa£t,  le  Cardinal 
iui-mefme  ordonnoit  ce  qu'il  vouloit  eftre  faiâ ,  tant  de  vive 
voix ,  que  par  billets  efcrits  fous  lui  par  Cheré  fon  fecretaire. 

Enfin  il  manda  par  plufieurs  fois  les  Commiffaires  en  parti- 
culier 5  les  uns  plus  fou  vent  que  les  autres  ^  félon  qu'il  les  co- 
gnoiffoit  aiïeurez.  Et  le  onziefme  jour  de  Septembre ,  veille  du 
jour  de  la  condamnation,  quoiqu'il  fuft  fort  indifpofé,  il  les 
fit  venir  l'un  après  l'autre  fecrettement  par  fa  garderobbe  ;  parla 
à  eux  feparément ,  reprocha  à  quelques-uns  qu'ils  n'avoient  pas 
de  bons  fentimens  pour  le  fervice  du  Roy ,  pour  avoir  dit  en 
paffant  quelques  raifons  à  la  defcharge  de  M.  de  Thou. 

M.  le  Chancelier  mefme  blafma  le  fieur  de  Prienfac  fon 
confident,  qui  avoir  eu  quelque  conférence  avec  Marca  l'un 
des  Commiflaires  ,  qui  tendoit  à  favorifer  l'innocence  dudi£l: 
fieur  de  Thou,  &  lui  dift,  que  s'il  ne  vouloit  avoir  de  meilleurs 
fentimens  en  cefte  affaire  qu'il  pouvoit  fe  retirer  d*auprès  de  lui. 

Le  Cardinal  donc  jugeant  que  fon  intention  feroit  fuivie,  partit 
jde  Lion  le  1 2  Septembre  au  matin.  Ledid  S\  le  Grand  ayant  cftéj 

5Diij 


jo  MEMOIRES  POUR  JUSTIFIER 
comme  nous  avons  dit,  afTeuré  delà  vie  par  Laubarmont,fut  ledit 
jour  12  Septembre  amené  devant  les  Commiflaires.  Il  creut  qu'il 
n'eftoit  mandé  que  pour  depofer  contre  M.  de  Thou ,  comme  il 
l'avoit  promis  à  Laubardemont,  ayant  refolu  de  prendre  méde- 
cine (i  toft  qu'il  feroit  de  retour  en  fa  prifon. 

Eftant  devant  fes  Commiflaires^  M.  le  Chancelier  le  voulut 
interroger  fur  le  fai£l  dont  Laubardemont  eftoit  convenu  avec 
lui,  concernant  la  charge  contre  ledid  S^  de  Thou  :  mais  avant 
que  rien  dire  il  fe  leva  de  deflfus  la  fellette ,  ôc  vint  parler  à  l'o- 
reille à  M.  le  Chancelier,  ôc  puis  fe  vint r'afîeoir,  M.  le  Chan- 
celier affedant  à  faire  voir  à  fes  aflefleurs  qu'il  ignoroit  ce  qui 
s'eftoit  pafl^c  entre  M.  le  Grand  &  Laubardemont ,  reprit  l'affaire 
à  fon  origine.  Surquoi  M.  le  Grand  l'interrompit ,  impatient 
de  retourner  en  fa  prifon  pour  prendre  fon  remède  ,  ôc  dift  : 
«  Je  voi  bien,  Monfieur ,  où  vous  voulez  venir,  pour  abre- 
3>  ger  l'affaire  ,  je  vous  dirai  tout  ce  que  j'en  fçai  :  puifquel'on 
»  m'a  manqué  de  parole  (  croyant  que  M.  de  Thou  l'avoit  char- 
3»gé,  comme  lui  avoit  dit  Laubardemont)  je  fuis  difpenféde 
a»  tenir  la  mienne.  ^^  Et  enfuite  il  déclara  toutes  les  particula- 
ritez  qu'il  fçavoit  du  Trai£lé ,  duquel  il  dit  que  M.  de  Thou 
avoit  efté  amplement  inflruit.  Il  eft  à  remarquer  que  M.  le 
Chancelier  ne  l'interrompit  point  que  lorfqu'il  chargeoit  ledi£l 
S"",  de  Thou,  lui  faifant  repeter  le  temps  Ôc  les  lieux  ^  où  il 
avoit  eu  cognoiffance  de  l'affaire. 

Ayant  fini ,  on  le  conduifit  en  une  chambre  ,  ôc  fut  ordonné 
quoiqu'il  fuft  près  de  midi ,  que  M.  de  Thou  feroit  amené., 
rendant  ce  temps  M.  le  Grand  monftra  de  l'impatience  pour 
élite  renvoyé  au  Chafteau  ,  parlant  tousjours  de  fa  médecine; 
preuve  certaine  qu'il  avoit  affeurance  de  la  vie. 

Ledit  S^  de  Thou  arriva  fi  tard  ,  ellant  une  heure  après 
midy ,  que  quelques  uns  des  Commiffaires  furent  d'advis  de 
remettre  au  lendemain  :  mais  M.  le  Chancelier  paffa  outre  j  ôc 
interrogea  ledid  S'',  de  Thou  fur  le  Trai£lé  d'Èfpagne  ,  qu'il 
nia  abfolument  d'avoir  fceu  :  ôc  à  l'inilant  on  lui  leut  la  de- 
pofuion  de  M.  le  Grandi  après  laquelle  il  fut  ordonné  d'office, 
fans  que  le  Procureur  General  le  demandaft  ,  que  lefdids  S^s, 
le  Grand  &  de  Thou  feroient  confrontez.  M.  le  Grand  voyant 
à  la  confrontation  que  M.  de  Thou  eftoit  efmeu  de  fa  depo- 
fition ,  lui  ayant  demandé  s'il  avoit  dit  ce  qui  lui  avoit  efté 


MONSIEUR  F.  A.  DE  THOU.  3t 

îeu  ,  il  lui  refpondit ,  «  Donnez-vous  patience ,  Monfieur ,  je 
»»  vais  m'expliquer  ;  «  voulant  fans  doute  efclaircir  ce  qu'il  avoit 
dit,  recognoiiîant  que  l'on  le  trompoit.  Lors  M.  de  Thou 
craignant  que  ledidt  S'',  le  Grand  s'embaraflafl:  d'avantage,  ôc 
jugeant  qu'il  pourroit  mieux  que  lui  defduire  ce  faiiSl  à  la  def- 
charge  de  l'un  ôc  de  l'autre,  ne  le  voulut  laiffer parler,  ôc  s'a- 
dredant  aux  Commiflaires  leur  dit  :  «  Mefiieurs ,  je  vous  dirai 
3'  l'affaire  au  vrai  ôc  en  peu  de  paroles,  feion  la  cognoiffance 
o'  que  j'en  ay  eue  ôc  mieux  poflible  que  M.  le  Grand  ,  vous 
35  déclarant  neantmoins  que  ce  n'efi:  point  pour  chicaner  ma 
«  vie.  3'  Il  defduifit  donc  comme  il  avoit  Iceu  le  Trai61é  par 
le  S'',  de  Fontrailles  à  fon  retour  d'Efpagne ,  l'ayant  rencon- 
tré par  hazard  à  Carcafîbnne  ;  les  reproches  qu'il  avoit  faids 
audi6l  S^  de  Fontrailles  ôc  audid  S^  le  Grand  ôc  beaucoup 
d'autres  particularitez ,  pour  monftrer  ce  qu'il  avoit  fai£t  pour 
Jes  divertir  de  leur  deffein:  dequoi  ledit  S"",  le  Grand  demeura 
d'accord.  Il  fçavoit ,  ellant  dellitué  de  toutes  fortes  de  preu- 
ves pour  convaincre  les  autheurs  du  Traitlé  ,  qu'il  eftoit  ôc 
par  la  loi  de  la  nature  Ôc  par  la  raifon  ,  difpenfé  de  révéler  ce 
qu'il  fçavoit  il  imparfaitement.  H  fçavoit  qu'il  n'y  eftoit  pas 
obligé  par  aucun  droit  public ,  au  moins  qui  euft  efté  obfervé 
jufques  à  lui  :  il  jugeoit  aufïï  à  quelles  perfonne  sil  avoit  affaire, 
ôc  de  quelle  confideration  elles  eftoient  dans  le  Royaume  :  il 
les  voyoit  en  eftat  de  ne  rien  faire  i  l'un  dans  le  milieu  de  la 
France  en  repos,  l'autre  dans  un  grand  employ  en  Italie  ,ôc 
l'autre  près  du  Roy  :  bref  qu'ils  n'eftoient  pas  en  cftat  de  tra- 
verfer  les  affaires  de  fa  Majefté.  M.  le  Grand  mefme  lui  avoit 
impofé,  ôc  lui  avoit  fai£t  croire  quelques  articles  du  Traiâé  qui 
n'y  eftoient  pas  ,  pour  le  divertir  de  l'inquiétude  où  il  le  voyoit 
pour  ce  Trai6lé. 

Ledict  S^.  de  Thou  après  cela  avoit  tout  fujet  d'efperer  fa 
defcharge  s'il  euft  eu  une  autre  partie ,  Ôc  des  Juges  non  pas 
des  Commiffaires.  Il  ne  pouvoir  pas  fe  deffendre  avec  plus  de 
jugement  :  ce  qui  paroift  par  la  refponfe  qu'il  fit  au  Prevoft 
des  Marefchaux  de  Lyon,  Thomé,  lequel  lui  ayant  après  fa 
condamnation  demandé  pourquoi  il  n'avoit  pas  abfolument  nié 
avoit  jamais  eu  cognoiffance  du  Traitlé  fçachant  qu'il  n'y  avoit 
eu  qu'un  feul  tefmoin  qui  le  chargeaft,  qui  eftoit  M.  le  Grand: 
il  refpondit,  «  M.  le  Grand  en  a  affez  dit  pour  me  faire 


Yè        MEMOIRES  POUR  JUSTIFIER 

M  appliquer  à  la  queftion ,  où  on  avoit  refolu  de  me  faire  flra- 
M  paiTer  pour  me  taire  dire  par  rigueur  des  tourmens  plus  que 
M  je  ne  f(^avois  j  &  fi  je  perliftois  dans  la  négative  ,  j'eftois  af- 
«  feuré  de  mourir  miferable  dans  une  prifon  fans  afîiftance  ni 
■wconfolation  fpirituelle  j  telle  que  j'ai  à  prefent.  C'eft  ce  qui 
M  m'a  fai6l  prendre  leparty  de  la  mort, au  moment  que'jeme 
M  fuis  veu  fur  la  fellette.  « 

Ledit  S^  de  Thou  fans  doute  avoit  efté  adverty  du  defiein 
que  l'on  avoit  de  le  perdre  î  car  l'on  trouva  par  des  rapports 
véritables  qu'aucuns  des  principaux  Commiffaires  j  M.  le  Chan- 
celier mefmes,  ont  dit  que  quand  M.  le  Grand  n'euft  rien 
dit  à  la  charge  dudict  S^  de  Thou,  on  n'euft  pas  laifle  de  lui 
donner  la  queftion.  D'autres  ont  ouï  dire  audid  S'".  Chance- 
lier defcendant  de  fa  Chambre  avec  les  Commiflaires  pour 
aller  au  Palais  pour  juger  le  procès  y  qu'ils  verroient  dans  peu 
quel  effeâ:  avoit  la  condamnation  à  la  queftion  :  ôc  fur  ce 
qu'il  fçavoit  qu'aucuns  d'eux  avoient  peine  de  s'y  refoudre 
qui  alléguèrent  le  fai6l  du  Marefchal  de  Biron  dont  le  crime 
eftoit  bien  juftifié  ^  ajoufta  qu'il  ne  leur  en  pouvoir  dire  la  rai- 
fon ,  mais  que  par  l'événement  ils  en  demeurercient  fatisfaits 
en  leurs  confciences.  M.  le  Chancelier  tint  ces  propos  aux 
CommifTaires  furie  doute  qu'il  avoit  que  M.  le  Grand vouluft: 
fans  y  eftre  forcé  par  la  queftion ,  depofer  contre  M.  de  Thou  3 
comme  il  avoit  promis  le  jour  précèdent  à  Laubardemont. 

Ledi£l:  S^  de  Thou  donc  ayant  dit  ce  qu'il  avoit  à  dire  pour 
fa  deffenfe,  que  l'on  verra  particulièrement  en  un  autre  lieu  , 
l'on  le  fit  retirer.  Le  Procureur  General  qui  fut  prefent  à  cefte 
dernière  a£lion ,  ne  fe  leva  point  pour  prendre  de  nouvelles 
conclufions,  quoy  qu'il  en  fuftfoUicité  parles  yeux  &  les geftes 
de  quelques  uns  des  Commiflaires.  Sur  ce  M.  le  Chancelier 
fortit  de  fa  place,  ôc  traverfa  toute  la  compagnie  pour  venir 
parler  audiÔ:  Procureur  General ,  qui  ne  fe  leva  point  qu'il 
ne  fuft  à  deux  pas  de  lui ,  ôc  lui  dift  ces  propres  paroles  :  «  Eh 
»  bien ,  Monfieur  ,  ne  trouvez  vous  pas  à  cefte  heure  qu'il  y 
«  en  ait  aflez  contre  M.  de  Thou  ?  ^  Il  lui  refpondit  qu'il 
eftimoit  que  la  confeiïion  dudi£l  S»*,  de  Thou  ôc  la  depofition 
de  M.  le  Grand  jointes  à  ce  qui  refultoit  du  procès,  faifoit 
une  preuve  entière,  ôc  qu'il  eftoit  obhgé  plus  que  tout  autre 
de  fouftenir  le  crime  eftre  capital,  mais  qu'il  doutoit  que  fou 

advis 


MONSIEUR  F.   A.   DE  THOU.  ^f 

advis  fufl:  fuivi.  Le  Chancelier  répliqua  :  <«  Prenez  feulement 
"  vos  conclurions,  je  mefnagerai  bien  le  relie.  »  Le  Procureur 
General  dit  qu^il  croyoit  que  c'eftoit  beaucoup  bazarder ,  ôc 
qu'il  vau droit  peut-eftre  mieux  de  différer.  M.  le  Chancelier 
repéra  ce  qu'il  lui  avoir  di£tj  de  conclure,  &  qu'il  conduiroit 
le  refte ,  &  retourna  prendre  fa  place  ;  fit  feoir  les  Juges  com- 
me il  vouluft ,  c'efl  à  dire  fort  artificieufement  pour  parvenir 
à  fesfins.  Le  S"",  de  Miromefnil  dont  il  avoit  grande  desfiance, 
fut  mis  en  lieu  où.  il  devoit  opiner  le  dernier ,  afin  qu'aucun 
des  Commiffaires  ne  fufl  perfuadé  par  la  force  de  fon  difcours 
à  fauver  la  vie  audi£t  S^  de  Thou.  Incontinent  le  Procureur 
General  fans  davantage  confulter  ni  faire  reflexion  fur  tout  le 
procès  qu'il  avoit  veu  fuperficiellement ,  conclud  comme  il 
avoit  fai6t  par  efcrit  contre  M.  le  Grand, à  la  referve  de  la 
queflion. 

Ces  conclurions  furent  fuivies  contre  l'un  &  l'autre  des  ac- 
cufez  :  contre  M.  le  Graod ,  tous  d'une  voix  ;  contre  M.  de 
Thou,  Santereau  fut  d'avis  des  galères  perpétuelles,  &  apporta 
l'exemple  du  Baron  de  S.  Romans ,  ôc  le  S^  de  Miromefnil 
conclud  à  toute  autre  peine  qu'à  la  mort,  où  revint  Santereau. 
Le  refte  des  Commiffaires  furent  à  la  mort ,  de  la  mefme  forte 
que  contre  M.  le  Grand  autheur  de  la  conjuration  ,  ôc  con- 
vaincu par  fa  bouche  propre  de  la  participation  du  Traidé 
d'Efpagne.  Le  principal  foin  qu'eufl:  M.  le  Chancelier  en  fon 
opinion  ,  fuft  de  réfuter  tout  ce  qu'avoit  dit  ledi£l  S"^  de  Mi- 
romefnil à  la  defcharge  dudicl  S^  de  Thou  ,  afin  qu'aucun  des 
Commiffaires  ne  changeafl:  d'advis.  Il  conclud  fon  opinion  par 
cette  belle  conlideration  ,  fupplia  les  Commiffaires  de  penfer 
ce  que  le  Roy  pourroit  dire  d'eux ,  qu'ils  auroyent  faid  mou- 
rir un  fien  confident,  une  perfonne  qu'il  avoit  tant  aimé,  ôc 
fauve  un  de  leurs  frères ,  un  de  leur  robbe. 

L'Arrefl  ainfi  refolu ,  M.  le  Chancelier  fe  leva,  ôc  fur  le 
bureau  de  la  Chambre  ,  fans  divertir ,  efcrivit  au  Cardinal  par 
Picault  fon  Exempt  ce  qui  s'efloit  paffé.  Picault  arrivant  dans 
la  chambre  du  Cardinal ,  qu'il  trouva  à  deux  iieuës  de  Lion  , 
il  lui  demanda  ce  qu'il  y  avoit  de  nouveau.  Il  lui  dit  le  ju- 
gement contre  M.  le  Grand  Ôc  M.  de  Thou  :  le  Cardinal  à 
cefie  dernière  parole  fe  fouleva  de  fa  chaire  ,  ôc  répéta  par 
trois  fois,  M.  de  Thou!  «  M.  le  Chancelier,  dit-il,  m'a  délivré 
Tome  XK  5  E 


54         MEMOIRES  POUR  JUSTIFIER 

s>  d'un  grand  fardeau.  «  Et  puis  adjoufta  ces  mots  :  «  Mais  » 
wPicault,  ils  n'ont  point  de  bourreau.»  Le  rapport  fai£t  à  M. 
le  Chancelier  le  remplit  de  joye,  voyant  qu'il  avoit  contenté 
le  Cardinal,  mit  ordre  à  ce  défaut  de  bourreau  5  car  il  bailla 
de  fa  bourfe  cent  efcus  à  un  pauvre  gaigne-denier  pour  faire 
ce  miferable  office  5  dont  il  s'acquitta  Ci  barbarement  ôc  fi  cruels 
lement  en  la  perfonne  de  M.  de  Thou. 

On  trouva  M.  le  Chancelier  durant  celle  journée  agité  de 
diverfes  confiderations.  Il  voyoit  d'un  côté  ,  qu'il  avoit  fai£t 
chofe  agréable  au  Cardinal,  auquel  il  falloir  obéir,  exageroit 
le  fervice  qu'il  lui  avoit  rendu  en  cefte  importante  occafion  qui 
i'affermiffoit  en  fa  fortune,  dill  que  M.  de  Thou  avoit  efté 
i'autheur  de  toute  la  haine  que  M.  le  Grand  portoit  au  Cardi- 
nal >  qui  eftoit  lors  un  crime  plus  que  de  Leze-Majefté.  D'autre 
cofté,  il  confideroit  qu'il  avoit  fait  mourir  injuftement  un  hom- 
me de  bien  pour  obéir  aux  volontez  du  Tyran  le  plus  mef- 
chant  homme  du  monde ,  qu'il  fe  rendoit  pour  jamais  lui  ôc 
les  fiens  ennemi  irréconciliable  d'une  infinité  de  perfonnes  de 
condidon,  parens  ôc  amis  dudid  S^  de  Thou  ,  &  que  la  mé- 
moire de  cefte  infâme  injuftice  denieureroit  à  jamais  dans  la 
mémoire  de  la  pofterité. 

Le  relie  de  celle  funelle  journée  fut  employé  à  l'exécution 
de  l'arreft.  Le  principal  foin  qu'euft  M.  le  Chancelier  &  les 
confidens  du  Cardinal,  fut  de  donner  des  Confefieurs  aux  con- 
damnez :  car  il  ne  leur  fut  pas  permis  d'en  avoir  le  choix.  L'on 
leur  donna  deux  Jefuites  :  le  P.  Malavalette  fut  mis  près  de 
M.  le  Grand  ,  ôc  celui  de  M.  de  Thou  fe  nommoit  le  Père 
Mambrun  :  ils  travaillèrent  pofiible  félon  les  inltiuclions  de 
celui  qui  les  employoit. 

La  refolution  qu'euft  M.  de  Thou  à  fouffirir  la  mort  fut  ad- 
mirable >  il  ne  fe  vit  jamais  rien  de  plus  généreux,  ni  déplus 
Chreftien  :  les  tranfports  d'amour  ôc  de  charité  envers  Dieu 
&  d'humilité  extraordinaires  furent  extrêmes.  Les  Relations  de 
celle  conftance  Chreftienne  ont  couru  par  le  monde  avec  ap- 
plaudifiement ,  ôc  quoiqu'elles  foyent  remplies  de  deux  ou 
trois  fauifes  circonftances  ,  ôc  publiées  à  deffein  de  juftifier 
Fadion  des  Commiflaires ,  elles  ont  neantmoins  fervi  à  faire 
voir  leur  injuftice  ,  ôcà  deteller  la  cruelle  tyrannie  du  Car- 
dinal. 


MONSIEUR  F.   A.  DE  THOU.  ^j- 

L'exécution  ne  fut  pasfitoft  achevée,  que  M.  le  Chanceliec 
en  depefcha  un  courrier  au  Cardinal.  Le  Procureur  Ge- 
neral deux  jours  après  l'exécution  donna  fes  conclufions  pac 
efcrit  à  la  mort  contre  l'un  Ôc  l'autre  des  accufez.  L'Arreft 
fut  changé  &  rechangé  plufieurs  fois  à  la  charge  dudiâS^  de 
Thou.  L'on  a  veu  la  Lettre  d'un  homme  de  qualité  qui  eftoit 
lors  à  Lion,  en  datte  du  22  Septembre  qui  porte  ces  mots  : 
ce  Toute  l'occupation  de  M.  le  Chancelier  depuis  le  procès  des 
»5  accufez  jugé  ôc  eux  exécutez  ,  a  efté  jufques  à  celle  heure 
w  à  reformer  toutes  les  dépofitions  ôc  a6les,  afin  de  tafcher  ren-- 
»  dre  au  moins  le  jugement  plus  apparemment  jufte.  3> 

M.  le  Chancelier  non  content  d'avoir  terni  en  ce  qu'il  avoit 
pu  l'honneur  de  la  Maifon  de  Thou  par  la  mort  de  l'aifné  de 
cefte  famille,  a  voulu  par  arrefh  la  ruiner  de  biens.  Car  outre 
la  confifcation  qui  fuit  d'ordinaire  la  condamnation  de  mort; 
il  a  ordonnné  que  fur  les  biens  defditls  Srs.  le  Grand  ôc  de 
Thou ,  il  feroit  pris  la  fomme  de  foixante  mille  livres  applica- 
bles en  œuvres  pies,  faifant  eftat  que  le  Roy  remettant  la  con- 
fifcation à  la  famille ,  elle  fe  trouveroit  d'autant  plus  aflfoiblie 
par  celle  fomme  aflez  notable  ,  ayant  au/Ti-toll  décerné  fes  or- 
donnances à  diverfes  Communautez  monaftiques  ,  qui  fe  font 
moquez  ôc  de  lui  ôc  de  fes  charitez  du  bien  d'autrui. 

A  cela  il  adjoufta  une  autre  malignité  ôc  une  féconde  injuftl- 
ce.  Ledi£l  S^.  de  Thou  avoit  defiré  qu'une  partie  d'environ 
cinq  mille  livres,  qu'il  avoit  dans  fes  coffres  ,  fuft  employée 
en  une  fondation  pieufe,  qu'il  defiroit  eftrefaitie  en  l'Eglife  des 
Cordeliers  de  l'Obfervance  de  Tarafcon  ,  au  lieu  de  ne  point 
traverfer  une  fi  fainte  ôc  louable  charité  ,  il  aima  mieux  en 
recompenfer  la  trahifon  de  Crombis,  qui  l'avoit  gardé  avec 
toutes  fortes  de  mauvais  trai£lemens  Ôc  de  rigueurs  ,  jufques 
à  élire  tefmoin  contre  lui,  ôclui  foûtenirà  la  confrontation  des 
chofes  qu'il  jugeoit  pouvoir  fervir  à  le  perdre  pour  profiter  de 
celle  defpouille.  C'ell  ce  qui  elloit  au  pouvoir  abfolu  de  M. 
le  Chancelier  de  ne  point  faire ,  c'eft  à  quoi  le  Cardinal  n'a- 
voit  point  d'interefi: ,  c'ell  où  il  a  fai£l  voir  fa  pafi^ion  particu- 
lière contre  cefte  Maifon,  qui  demeurera  neantmoins  en  hon- 
neur Ôc  en  vénération  dans  l'Europe ,  malgré  la  rage  de  fes 
malveillans.  De  vérité,  les  biens  de  cefle  Maifon  font  médio- 
cres :  mais  ils  font  bien  acquis  ,  font  acquis  depuis  longues 

SEij 


55       MEMOIRES  POUR  JUSTIFIER 

années.  Il  ne  s'y  trouvera  rien  du  bien  d'autruy  j  rien  du  domai- 
ne du  Roy  ;  l'on  ne  verra  point  ce  nom  avec  celui  des  parti- 
fans ,  ces  fangfuës  du  peuple;  point  de  friponeries  avec  cefte 
forte  de  gens  ,  point  de  participation  avec  eux. 

Par  ce  que  deflus ,  quieft  très  véritable ,  il  n'y  a  perfonne  qui 
ne  voye  manifeftement  par  quels  moyens  le  Cardinal  eft  parvenu 
à  faire  mourir  M.  deThou.  Le  Chancelier ,  les  Commmiflaires, 
bref  tous  leurs  fateîlites  y  ont  tous  contribué,  ont  abandonné 
leur  honneur  &  leur  confcience  pour  fervir  au  Tyran  ,  ont  ufé 
de  tous  les  artifices  les  plus  mefchants  qui  fe  peuvent  imagi- 
ner ,  ont  violé  tout  l'ordre  de  la  juftice ,  pour  commettre  cefte 
liaute  injuftice.  La  précipitation  a  efté  extraordinaire  ,  de  la- 
quelle ils  ne  fe  peuvent  juftifier  ;  la  feverité  injufte  ôc  barbare, 
contraire  à  l'équité  &  à  la  raifon.  Ils  advouent  l'un  &  l'autre , 
preflfez  qu'ils  font  en  leurs  confciences  qui  les  travaillent  in- 
ceffamment ,  mais  bien  plus  par  le  fenfible  defplaifir  qu'ils  ont 
d'eftre  tenus  pour  mefchans  ôc  injuftes ,  ôc  d'en  eftre  chaftiez 
comme  ils  le  méritent. 

IV.  Premier  chef  d' accufation.  Comment  M.  de  Thou  a  fceu  le 
Trai5ié  faî6i  avec  le  Roy  d'EJpagne  ,  &  quelle  preuve  il  y  a 
contre  lui  de  ce  faiôi. 

LE  foin  particulier  qu'ont  eu  Monfîeur  le  Duc  d'Orléans, 
M.  le  Grand ,  ôc  ceux  qui  ont  travaillé  à  faire  le  Traidé 
avec  le  Roy  d'Efpagne,  a  efté  que  M.  deThou  n'en  euft  au- 
cune cognoifTance  :  cela  fe  prouve  par  la  déclaration  de  Mon- 
fîeur Article  i8,  qui  porte  ledid  fieur  avoir  dit  à  M.  le  Grand 
qu'il  ne  vouloit  pas  que  ledift  S"",  de  Thou  fuft  dans  fes  affai- 
res ,  qu'il  avoit  beaucoup  de  parens  &  d'amis  j  &  que  ledicl 
S^  le  Grand  lui  avoit  dià  que  pour  ledi£t  Traidé  d'Efpagne 
le  Sr.  de  Thou  n'en  fçavoit  rien  :  ce  qui  eft  conforme  à  l'm- 
terrogatoire  du  Duc  de  Bouillon  du  15  Aouft ,  ôc  à  fa  con- 
frontation avec  ledid  S^  le  Grand. 

La  raifon  de  cefte  précaution  eftoit  fondée  fur  ce  qu'ils  fçâ- 
voient  que  ledid  S^  de  Thou  eftoit  fort  contraires  unefi  mau- 
vaife  adion  ,  ôc  qu'il  l'euft  empefchée  par  toutes  fortes  de 
moyens.  Et  lorfque  ledi£t  S^  le  Grand  par  i(i^  répoitfes  fur  la 


Monsieur  f.  a.  de  thou.       57 

fellette  du  12  Septembre ,  a  dit  que  lediâ:  S"",  de  Thou  a  eu 
entière  connoifTance  dudiél  Traidé  ,  cela  fe  doit  entendre  de* 
puis  qu'il  fuft  arrivé  près  du  Roy  à  Narbonne.  Car  il  dit  en 
une  de  fes  réponfes ,  que  Iedi£l  S^  de  Thou  n'a  eu  cognoifTan- 
ce  du  Traidé  j  avant  le  partement  du  Roy  ,  mais  quand  il 
vint  près  de  fa  Majefté  à  Perpignan  ,  qu'il  le  fçavoit,  ce  qui  effc 
vrai  ;  car  paflant  à  Carcaflbnne  allant  à  la  Court ,  il  y  trouva 
Fontrailles  qui  l'informa  fuperficiellement  du  Traitté. 

Adjoufte  qu'eftant  ledi£l  S^  de  Thou  avec  lui  à  Perpignan^ 
ils  en  ont  fouvent  parlé  enfemble  5  mais  qu'il  l'avoit  tousjours 
improuvé  ,  &  prefTé  de  rompre  tout  ce  qui  s'cftoit  fai£l ,  lui  re- 
prefentant  les  interefts  de  confcience  ôc  d'honneur ,  les  liens 
propres  ôc  la  foibleffe  des  Efpagnoîs.  Lediâ:  S^,  le  Grand  fur 
la  fin  de  la  confrontation  recogneut  que  cela  eftoit  très  vé- 
ritable. Mais  une  preuve  certaine  que  ledict  S'",  de  Thou  ne 
fçavoitleTraifSlc  que  très  fuperficiellement  eft^  que  Icdid  S^Ie 
Grand  lui  voulant  faire  croire  qu'il  eftoit  impoiïibie  de  l'exé- 
cuter, il  lui  dift  que  le  Traidé  portoit  uneclaufe  par  laquelle 
Monfieur  &  M.  de  Bouillon  eftoient  difpenfez  de  rien  entre- 
prendre, que  le  Marefchal  de  Guebriand  ne  fuft  chaffé  des 
poftes  qu'il  avoit  fur  le  Rhin.  Ce  qui  n'eft  pas,  ôc  n'en  eft 
parié  en  aucune  façon  dans  ce  Trai£lé  ,  ainfi  qu'il  a  efté  im- 
primé ,  ni  du  Marefchal  de  Guebriand ,  ni  des  poftes  qu'il  te- 
noit  fur  le  Rhin  :  &  ainfi  il  eft  vrai  de  dire  que  ledid  S^.  le 
Grand  avoit  inventé  cefle  impofture  (  affeuré  qu'il  eftoit  que 
ledid  S'',  de  Thou  n'avoit  rien  fceu  de  particulier  du  Traicté) 
pour  fatisfaire  îedi£t  S^  de  Thou  qui  s'en  pîaignoit  perpétuel- 
lement ,  lui  faifant  croire  par  cette  faufîe  cîaufe  qu'il  n'y  avoit 
rien  à  craindre,  eftant  impofFible  d'en  entreprendre  l'exécution^ 
6c  enfuite  le  divertir  de  la  refolution  qu'il  voyoit  qu'il  pouvoit 
prendre  d'en  donner  advis  au  Roy  ou  à  fes  Miniftres. 

De  là  l'on  conclud  entièrement  que  ledid  S^.  de  Thou  n'a 
point  efté  participant  du  Traidé  3  c'eftàdire  qu'il  ne  lui  a  point 
efté  communiqué  à  fon  origine  ni  à  fon  progrés  ',  n'a  rien  con- 
tribué pour  le  faire  reuffir ,  ni  l'a  jamais  veu  ,  a  fceu  par  Fon- 
trailles en  paflant  à  Carcaflfonne  ,  allant  à  la  Court  qui  eftoit 
lors  à  Narbonne,  que  ledi£l  Trai£té  eftoit  fait  fans  autre  par- 
ticularité; a  blafmé  Fontrailles  de  cefte  negotiation^  l'a  fort 
improuvée  à  M.  le  Grand ,  l'a  importuné  pour  la  détruire, 

JEiij 


5S        MEMOIRES  POUR  JUSTIFIER 

jufques-là  que  ledict  S*",  le  Grand  a  inventé  un  faux  faid  pour  le 
contenter. 

Ainfi  la  cognoifTance  que  ledi£l  S"",  de  Thou  a  eue  de  ce 
Traicbé  ne  peut  eftre  qualifiée  de  ce  mot  de  participation ,  mais 
de  fimple  fcience  ôc  tués  fimple  ,  puifque  tout  lui  a  efté  caché> 
&  que  les  autheurs  du  malavoient  pris  enfemble  cefte  refolu- 
tion  ,  6c  l'avoient  exécutée. 

Cette  affaire  donc  fe  réduit  à  cq^.q  queftion  :  Si  une  nue 
ôc  fimple  fcience  eft  crime  de  Leze-Majeflé ,  ôc  fi  celui  qui 
fçait  quelque  crime  d'Elîat  de  celle  forte  >  ôc  n'en  ayant  au-; 
cune  preuve  ,  eft  obligé  de  le  révéler. 

Outre  cela  il  faut  confiderer  quels  font  ceux  qui  ont  de^ 
pofé  que  ledicb  S'',  de  Thou  fçavoit  le  Traidté  ,  Monfieur  le 
Duc  d'Orléans  ,  ôc  M.  le  Grand.  Pour  Monfieur  ,  quoiqu'on 
a  voulu  remédier ,  mais  foiblement  ôc  inutilement  au  défaut 
de  la  confrontation  dudiâ:  Seigneur  à  l'accufé ,  il  ne  s'eft  pu 
rien  faire  qui  la  puiiTe  fuppléer  j  ce  qu'il  a  dit  eft  du  tout  inu- 
tile fans  cefte  formalité  effentieile  ,  à  laquelle  il  ne  peut  eftre 
dérogé  par  qui  que  ce  foit ,  d'autant  que  ces  formalitez  judi- 
ciaires font  de  Droid  public.  L'on  a  fatisfaid  à  ce  point  très 
pertinemment  par  un  Mémoire  particulier. 

Mais  l'on  adjoufte  pour  affoiblir  du  tout  la  Déclaration  ju- 
diciaire de  Monfieur ,  qu'il  ne  l'a  pas  faite  librement ,  ni  fans 
indu£lion.  Car  il  eft  vrai  que  M.  le  Chancelier  fut  feul  avec 
iedid  Seigneur  depuis  onze  heures  du  matin  du  28  Aouft  juf- 
ques  à  cinq  heures  du  foir  qu'ils  fabriquèrent  enfemble  cette 
déclaration  :  après  quoi  les  Commilfaires  furent  appeliez  pour 
ouir  la  le£lure  de  ce  que  ledi£l  S"".  Chanceher  avoir  faid  feul 
îix  heures  entières  avec  Monfieur.  AufTi  ledi£l  Seigneur  fen- 
tant  fa  confcience  bleffée  d'avoir  chargé  par  cefte  declaradon 
îedi£l  S"",  de  Thou  d'avoir  fceu  le  Traiâ:é  d'Efpagne  ,  efcri- 
vit  une  Lettre  qui  l'en  defchargeoit  entièrement  j  ce  qu'eftant 
recogneu  par  ceux  qui  conduifoient  l'affaire  par  les  ordres  du 
Cardinal  3  outre  qu'ils  fupprimerent  cette  Lettre ,  ils  firent  tous 
leurs  efforts  pour  obliger  M.  le  Grand  à  déclarer  que  ledi6l 
S"",  de  Thou  eftoit  participant  du  Traifté.  Ce  qui  leur  donna 
l'audace  d'entreprendre  cefte  infigne  mefchanceté^  eft  ,  qu'ils 
fçavoient  que  Ceton  Lieutenant  des  Gardes  Efcofi!bifes ,  qui 
fiyoit  gardé  ledid  S'\  le  Grand ,  avoir  dépofé  que  ledict  S^  le 


DJ 


3Î 


MONSIEUR    F.  A.   DE   T  H  O  U.  55» 

Grand  lui  avoit  dit  fouvent  en  ces  propres  termes  :  «  Qu'on 
«  m'afi'eure  de  ma  grâce ,  je  vous  dirai  des  chofes  que  je  ne 
3'  dirai  pas  à  un  autre.  Je  vois  qu'on  me  veult  faire  parler  , 
mais  on  ne  m'afleure  de  rien.  On  veult  que  je  confefle,  mais 
on  ne  me  promet  rien.  Si  on  me  vouloit  donner  la  moin- 
dre afleurance  par  quelqu'un  de  crédit  ôc  d'autorité ,  je  taf- 
«  cherois  de  fuivre  le  conlëil  qu'on  me  donne ,  de  dire  ce  que 
05  je  fçai.  » 

Sur  ces  ouvertures  Laubardemont,  Rapporteur  du  procès, 
ne  fut  point  à  Vimy  avec  les  autres  Commiflaires,pour  eitrc 
prefent  à  la  le6lure  qui  fe  fit  à  Monfieur  des  refponlès  des  ac- 
cufez  à  fa  déclaration  ;  mais  il  demeura  à  Lyon ,  où  il  vit  M; 
le  Grand /auquel  il  promit  la  vie  de  la  part  du  Cardinal  ^  au 
cas  qu'il  vouluft  depofer  contre  ledi6l  S^  de  Thou,luiim- 
pofant  que  ledi£l:  S»",  de  Thou  avoit  depofé  contre  lui. 

Ledit  S'',  le  Grand  creut  trop  légèrement  aux  blandices  6c 
impoftures  de  Laubardemont ,  promit  de  faire  ce  que  l'on  de- 
firoit  de  lui  pour  l'afieurance  qu'il  lui  donna  de  la  vie. 

Le  lendemain  12  Septembre,  il  fut  conduit  devant  les  Com- 
miflaires ,  où  il  creut  n'eftre  mandé  que  pour  depofer  contre 
ledi61:  S^  de  Thou ,  comme  il  l'avoir  promis  à  Laubardemont.' 
Et  de  faid  ,  il  avoit  refolu  fi-tofl  qu'il  feroit  de  retour  du  Pa- 
lais en  fa  prifon  de  prendre  médecine  j  preuve  certaine  qu'il 
eftoit  aiïeuré  de  la  vie. ,  Eftant  donc  devant  les  Commiffaires 
il  fit  ce  qu'il  avoit  promis  ,  il  chargea  lediâ:  S^^^de  Thou  d'a- 
voir fceu  le  Traidé  en  la  forte  qu'il  eft  di£l  cy-defTus. 

Mais  un  tefmoin  de  cette  qualité  ,  criminel  de  Leze-Maje- 
ûé ,  ôc  convaincu ,  à  qui  fon  Rapporteur  a  promis  la  vie  pour 
charger  lediâ:  S^  de  Thou  ,  que  peut-il  dire  qui  puifie  porter 
préjudice  à  qui  que  ce  foit  ,  non  pas  mefnie  audi£t  S^  de 
Thou  contre  lequel  il  n'y  a  rien  de  concluant  dans  tout  le 
procès. 

Ainfî  toute  la  charge  qui  peut  refter  contre  ledid  Sr.  de 
Thou  fe  tire  de  ce  que  lui  mefme  advouë ,  d'avoir  fceu  fim- 
plement  le  Trai£té  par  Fontrailles  en  paffant  à  Carcaflbnne. 


40        MEMOIRES  POUR  JUSTIFIER 

V.  Second  chef  d'accufation.    M.  de  Thou  eft  accufé  d'avoir  lié 

d amitié  M.  le  Duc  de  Bouillon  avec  M.  le  Grand  Efcuyer  , 

qui  fe  font  depuis  unis  avec  M.  le  Duc  d'Orléans  ,  auquel  le 

Sieur  Duc  de  Bouillon  donnott  la  ville  de  Sedan  pour  retraiûe. 

Examen  des  principales  allions  du  Cardinal  de  Richelieu  pour 

fe  maintenir  en  PadminiJIration  fouveraine  du  Royaume. 

CEux  qui  ont  condamné  M.  de  Thou  fe  fervent  de  tous 
moyens  pour  juftitier  leur  injuilice.  Ils  jugent  que  le  fai6t 
de  la  fimple  fcience  du  Traiclé  d'Efpagne  eft  fi  foible  qu'il 
n'y  a  que  les  ignorans  qui  y  font  furpris ,  &  qui  ne  meritoit 
pas  de  le  porter  jufques  aux  extremitez. 

Pour  leur  juftification  ils  adjouftent,  qu'il  y  a  preuve  évi- 
dente au  procès  des  entremifes  dudi£l  S'',  de  Thou  pour  lier 
d'amitié  M.  le  Duc  de  Bouillon  avec  M.  le  Grand  :,  qu'il  a 
aiïifté  aux  entrevues  :  &  ce  qui  augmente  ,  difent-ils  ,  fon  cri- 
me eft  le  temps  de  fix  femaines  qu'il  a  demeuré  avec  M.  le 
Grand ,  logeant  avec  lui  au  Camp  devant  Perpignan  ,  lui  don- 
nant confeil  de  fes  affaires  j  après  mefme  avoir  eu  cognoiffan- 
ce  que  ledid  S'',  le  Grand  eftoit  criminel  de  Leze-Majefté  , 
pour  avoir  trai£lé  avec  le  Roy  d'Efpagne.  A  cela  ils  adjouftent 
une  Lettre  du  Chevalier  de  Jars ,  qui  par  fon  obfcurité  fem- 
ble  charger  en  quelque  chofe  ledicl  S^  de  Thou. 

Tout  homme  de  bon  fens  ne  s'imaginera  jamais  que  M. 
de  Thou  ait  commis  un  crime  capital  voulant  rendre  fervice 
à  M.  de  Bouillon  fon  amy^  après  l'avoir  veu  reconcilié  avec 
le  Roy  ,  après  avoir  faiâ;  un  Traiâé  Ci  public  &  fi  folennel 
avec  fa  Majefté ,  après  l'avoir  veu  lié  d'amitié  avec  le  Cardi- 
nal de  Richelieu ,  qui  pouvoir  tout  dans  le  Royaume.  L'on 
nie  formellement,  &  cela  ne  fe  peut  prouver ,  que  ledid  S^  de 
Thou  ait  travaillé  auprès  de  Monfieur  ,  pour  lui  faire  perdra 
3es  relTentimens  de  ce  qui  s'eftoit  paffé  entre  lediâ:  Seigneur 
&  lediâ  S"",  de  Bouillon  il  y  avoir  quelques  années ,  &  dont 
toute  la  Court  avoit  cognoillance.  Mais  il  eft  vrai  que  ledid 
S'",  de  Thou  jugea  que  ledid  S^  de  Bouillon  ne  pouvoiteftre 
en  bonne  afTiette  à  la  Court  ôc  auprès  du  Roy  ,  fans  l'amitié  de 
M.  le  Grand  ,  qui  avoit  lors  l'entière  confidence  &  très  eftroite 
de  fa  Majefté,  ôc  qu'il  falloit  qu'ils  fuffent  amis. 

I) 


MONSIEUR  F.  A.  DE  THOU.         41 

Il  faut  eflre  barbare  pour  trouver  à  redire  à  une  fi  fainte  en- 
treprife.  Le  Roy  n'en  pouvoir  prendre  de  jaloufie ,  puifqu'il 
eftoit  utile  à  PEftat  que  des  perfonnes  de  cède  condition  fuf- 
fent  en  bonne  intelligence  enfemble. 

M.  le  Grand  qui  penfoit  non  feulement  à  s'élever  dans  le 
Royaume,  mais  à  s'y  fortifier  d'amis  puilTans  ôc  utiles,  ne  re- 
jetta  pas  la  propofition  que  lui  en  fit  ledid  S»^.  de  Thouj  la 
creut  d'autant  plus  advantageufe  pour  fa  fortune  ,  que  Iedi£t 
S^  de  Bouillon  eftoit  en  un  hault  point  d'eftime  après  la  vic- 
toire de  Sedan  qui  eftoit  deuë  à  fa  conduite ,  &  à  fa  valeur. 

Il  efl:  vrai  que  ces  propofitions  fe  firent  afiez  fecretement , 
parce  qu'il  ne  fe  faifoit  rien  autrement  à  la  Cour  de  cette  na- 
ture ,  quoique  fans  mauvais  deffein  ;  les  efpions  ôc  les  emif- 
fairesdu  Cardmal  eftoientpar  tout ,  qui  pour  gagner  leurs  pen- 
fions  Ôc  mériter  auprès  de  lui  i  adjoufterent  à  ce  qu'ils  avoient 
veu  ce  qui  n'eftoit  pas  :  fur  ces  faux  rapports  mille  ôc  mille 
perfonnes  ont  péri  en  ce  Royaume  durant  fon  adminiftration. 

Ce  fecret  donc  ne  peut  pas  eftre  qualifié  crime  ,  puif  u'il 
avoit  une  bonne  fin,  puifqu'il  eftoit  innocent,  Ôc  qu'il  eftoit 
difficile  d'en  prévoir  une  mauvaife  fuite. 

L'on  ne  nie  pas  que  M.  de  Thou  n'ait  mefnagé  les  entre- 
veuës  de  M.  de  Bouillon  ôc  de  M.  le  Grand  :  mais  l'on  nie 
abfolument  qu'il  ait  efté  prefent  à  ce  qu'ils  difoient ,  ni  affifté 
en  tiers  ôc  en  quart  5  bref ^  qu'il  ait  ouï  aucune  chofe  de  leur 
négociation.  Les  depofitions  de  M.  de  Bouillon  ôc  fes  con- 
frontations y  font  formelles  :  bref,  par  tout  ce  que  l'on  a  veu 
dans  le  procès ,  il  ne  fe  trouvera  pas  qu'il  ait  efté  appelle  à  au- 
cune de  ces  conférences  bien  loin  d'avoir  oui  ce  que  s'y  traie- 
toit.  Et  cela  eft  fort  difertement  couché  dans  le  procès  par 
l'inftance  affez  preffante  que  fit  le  S^.  de  Chaze  l'un  des  Com- 
miflaires ,  qui  maintint  à  M.  le  Chancelier  qui  eftoit  d'inten- 
tion contraire  ,  que  cefte  circonftance  ne  devoir  eftre  obmife  , 
puifqu'elle  eftoit  véritable,  ôc  que  le  tefmoin  la  fouftenoit 
telle. 

Enfuite  ledi£t  Sf.  de  Bouillon  par  une  autre  confrontation  re- 
cogneut  ingenuement  n'avoir  communiqué  aucun  de  fes  deifeins 
audiaSr.  de  Thou.  De  là  l'on  peut  juger  quelle  foy  peut  eftre  ad- 
jouftée  aux  Intendits  du  Procureur  General  de  cefte  commiffion, 
qui  ne  mer  aucune  différence  entre  avoir  efté  entremetteur  à^s 
Tome  XF.  .  J  F 


42        MEMOIRES  POUR  JUSTIFIER 

entreveuës ,  &  avoir  efté  prefent  aux  entreveuës  &  participé 
aux  defleins  qui  s'y  trai^loient  :  ce  qui  monftre  ou  qu'il  eft 
ignorant,  ou  mefchant  j  ôc  poflible  l'un  &  laurre.  Ainfi  M. 
de  Thou  n'a  point  fceu  par  cette  voye  le  Trai6lé  d'Efpagne, 
a  du  tout  ignoré  la  parole  donnée  par  M.  de  Bouillon  àMon- 
fieur  de  lui  bailler  la  ville  de  Sedan  pour  retraite. 

Ces  conférences  no6turnes  ôc  à  heures  indeuës  font  réputées 
crimes  de  Leze-Majefté  audi£l  S^  de  Thou ,  tant  on  a  recher- 
ché de  moyens  pour  le  perdre.  Ceux  qui  l'ont  jugé,  au  moins 
une  bonne  partie  ,  fçavoient-ils  pas  la  condition  où  eftoit  M. 
le  Grand  ,  telle  qu'il  lui  eftoit  impoffiblede  perdre  le  Roy  de 
veuë ,  &  qu'il  n'avoit  d'heures  libres  ,  foit  pour  les  plaifirs  , 
foit  pour  fes  affaires ,  que  celles  de  la  nui£l  après  que  le  Roy 
eftoit  endormy  ?  Ce  qu'il  faifoit  avec  tant  de  précipitation  qu'il 
falloit  qu'il  fuft  de  retour  avant  le  lever  du  Roy  ,  à  peine  de 
perdre  les  bonnes  grâces  de  fa  Majefté. 

L'on  dit  que  ledi6l  S^  de  Thou  a  voulu  deftourner  M.  de 
Bouillon  de  fa  refoîution  de  venir  demeurer  en  France  avec  fa 
famille.  Quel  crime  ?  Un  vrai  ami  fçachant  l'air  du  gouverne- 
ment en  devoit-il  ufer  autrement  ?  Si  ce  confeil  euft  efté  fuivi, 
&  pleuft  à  Dieu  qu'il  l'euft  efté!  tout  ce  que  nous  avons  veu, 
ôc  dont  nous  nous  plaignons,  ne  fuft  pas  advenu.  M.  le  Grand 
n'euft  point  noué  fes  intelligences  avec  M.  de  Bouillon  j  Mon- 
fieur  n'euft  point  penfé  ni  à  Sedan  ni  à  M.  de  Bouillon  :  les 
chofes  euiTent  pris  un  autre  chemin.  Ce  confeil  fembloit  très 
fage  pour  faire  comprendre  à  M.  de  Bouillon  ,  fans  s'expliquer 
davantage,  que  ce  qui  s'eftoit  paifé  près  de  Sedan  le  pouvoir 
perdre  ,  qu'il  trouveroit  dans  la  Cour  mille  occafions  de  s'em- 
barraffer  que  fon  abfence  divertiroit^  que  le  Cardinal  par  la 
viftoire  de  Sedan ,  s'eftoit  veu  à  la  veille  de  fa  ruine  ,  6c  qu'il 
s'en  fouviendroit  toute  fa  vie,  ôc  ainfi  ce  qui  eftoit  imputé  à 
crime  auditt  Sr.  de  Thou  devoir  fervir  à  fon  innocence. 

L'on  s'eft  fervi  enfuite  d'une  Lettre  du  Chevalier  de  Jars 
qui  eft  un  énigme  ridicule,  une  vraye  fadaife  digne  de  ceux 
qui  l'ont  mife  au  jour:  preuve  certaine  que  les  folides  moyens 
d'opprimer  un  homme,  leur  ont  manqué:  ledi£t  S'',  de  Ihou 
par  fon  interrogatoire  a  fi  bien  fatisfaid  à  cefte  lettre,  qu'il  eft 
inutile  de  s'y  arrefter  davantage. 

Mais  pour  rendre  le  crime  dudid  S^  de  Thou  plus  atroce 


MONSIEUR  F.  A.  DE  THOU.  45 

en  apparence  ^  ils  ont  dit  qu'il  a  demeuré  iîx  femaines  avec 
M.  le  Grand ,  logeant  avec  lui  devant  Perpignan  après  avoic 
fceu  qu'il  avoir  fait  le  Traiûé  d'Efpagne. 

De  vérité,  il  a  efté  fix  femaines  à  la  Cour  depuis  avoir  fceu 
ce  Trai6lé  j  l'on  ne  le  peut  pas  denier  :  quel  danger  a  couru 
i'Eilat  parcelle  demeure,  pour  n'avoir  pas  révélé  ce  qu'il fça- 
voit  ?  S'il  a  fceu  le  particulier  du  Traicté  ,  ce  qui  n'eft  pas  , 
fçavoit-il  pas  la  foibleffe  du  Roy  d'Efpagne ,  ôc  l'impolTibilité 
où  il  efloit  d'appuyer  ce  Traitté  par  une  armée  ^  puifqu'elle 
avoir  efté  defaicle  par  le  ?»iarefcal  de  Guebriand  ?  Sçavoit-il 
pas  que  M.  de  Bouillon  eftoit  en  Italie  commandant  l'armée 
du  Roy  ,  employ  très  important ,  bien  efioigné  de  Sedan  ^ 
voyoit  Madame  de  Bouillon  dans  le  cœur  du  Royaume  bien 
loind'eftre  proche  du  lieu  où  toutes  les  forces  fe  dévoient  join- 
dre. Aladame  la  Douairière  de  Bouillon  eftoit  dans  Sedan  , 
fort  contraire  à  tout  ce  qui  fuft  venu  à  elle  portant  le  nom 
d'Efpagne.  Bref  ^  il  fçavoit  que  Monfieur  eftoit  en  Auvergne 
au  centre  du  Royaume  ne  penfant  qu'à  fes  plaifirs ,  fe  prépa- 
rant d'aller  à  la  Cour  ou  à  Bourbon  prendre  les  eaux  ,  qui  eftoit 
en  efîe£t  tourner  le  dos  à  fon  Traidé  :  Traidé  qui  fe  pouvoit 
dire  un  ade  inutile  ,  un  acle  abandonné  par  fes  auteurs ,  puif- 
qu'ils  ne  faifoient  rien  pour  l'exécuter ,  puifque  M.  ne  l'avoir 
pas  ratifié ,  ni  aucuns  de  ceux  qui  y  eftoient  nommez ,  ainlî 
qu'il  a  efté  publié. 

Au  refte^  que  M.  de  Thou  euft-il  peu  apprendre  au  Roy  de 
ce  Traidé  f  Un  paffant  lui  a  di£l  que  Monfieur  avoir  fai£t  un 
Traiclé  avec  le  Roy  d'Efpagne  qu'il  n'a  pas  veu  ,  dont  il  n'a 
nulle  lumière,  dont  il  n'a  point  de  copie  ,  dont  il  ne  fçait  au- 
cune circonftance  que  fort  générale.  L'on  i'avoit  mefme  trom^ 
pé ,  lui  faifant  croire  qu'il  contenoit  des  conditions  qui  n'y 
eftoient  pas ,  comme  il  eft  prouvé  au  procès.  S'il  en  euft  ufé 
de  la  forte,  euft-il  pas  efté  pris  pour  calomniateur  ,  pour  un 
mefchant  ;  accufer  le  frère  du  Roy ,  un  confident  ôc  favori  de 
fa  Majefté  ,  ôc  autres  grands  qui  pouvoient  avoir  part  encefte 
affaire  ,  fans  avoir  les  preuves  en  main ,  fans  des  preuves  con- 
vaincantes. L'eftatmefmes  des  chofes  le  pouvoit  faire  juger 
mefchant  &:  calomniateur  :  c'eft  ce  que  ledi£l  S^,  de  Thou  re- 
marqua très  judicieufement  le  dernier  jour  devant  fes  Com- 
miilairçs  :  mais  ils  en  avoient  refolu  autrement. 


^^       MEMOIRES  POUR  JUSTIFIER 

Monfieur  par  fa  déclaration  du  2p  Aoufl:  16^2  receuë  en 
forme  d'acte  judiciaire  par  M.  le  Chancelier  ôc  les  autres  Corn- 
miffaires ,  qui  contient  tant  la  première  déclaration  du  7  Juil- 
let faite  à  Aigue-perfe  ,  que  les  additions  que  lediâ:  Seigneur 
y  fit ,  prefent  ledi6l  S"".  Chancelier ,  dit  Art.  4  de  fa  première 
déclaration  ,  après  avoir  parlé  du  Trai6lé  d'Efpagne  :  «  Dans 
3>  toute  cette  affaire  je  n'en  ai  parlé  que  deux  fois  au  S^  de  Thou 
w  que  j'ai  trouvé  informé. 

Dans  l'addition  faiâ:e  avec  M.  le  Chancelier  Art.  18  ,  il  eft 
porté  en  ces  mots  :  «  Sur  quoi  lui  Monfieur  ayant  di£l  audiâ; 
:>'  Sr.  le  Grand  qu'il  ne  vouloit  pas  que  ledi£t  S»',  de  Thou  fuft 
«  dans  fes  affaires ,  à  caufe  qu'ayant  beaucoup  de  parens  ôc 
»  d'amis ,  il  ne  pourroit  pas  garder  le  fecret  ;  ledict  S^  le 
«  Grand  dift ,  que  pour  l'aifaire  de  M.  de  Bouillon ,  il  ne  pour- 
==  roit  pas  empefcher  que  ledi6l  S^  de  Thou  n'en  euft  cognoif- 
3'  fance  5  que  pour  le  Traicté  d'Efpagne  ^  il  n'en  fçavoit  rien.  33 

L'Article  25  porte  ces  mots  :  «  Quelque  temps  après  ^  lui 
»'  Monfieur ,  vit  lediâ:  S\  de  Thou  allant  à  Saint  Germain  à  la 
w  chafle ,  auquel  il  parla  des  iiaifons  qu'il  avoit  avec  lefdids 
»>  S",  de  Bouillon  ôc  le  Grand  contre  M.  le  Cardinal ,  &  du 
3'  crédit  qu'avoit  ledi£t  S»^.  le  Grand  auprès  du  Roy.  Sur  quoi 
3>  ledi£t  S'',  de  Thou  dift  ,  à  lui  Monfieur  ,  que  ledi£l  S',  le 
0'  Grand  eftoit  bien  auprès  du  Roy  ,  ôc  qu'il  fçavoit  bien  que 
«  lediiSl  Sr.  de  Bouillon  avoit  offert  à  lui  Monfieur  fa  place 
»  de  Sedan  pour  fe  retirer  fi  befoin  eftoit,  ôc  en  difpoferconv 
»  me  il  voudroit.  » 

L'Article  24  porte  ces  mots  :  «c  Monfieur  dit  qu'il  avoit  veu 
w  cinq  ou  Cix  fois  auparavant  ledi£l  S'',  de  Thou ,  qu*il  ne  lui 
«  avoit  parlé  d'aucune  affaire  ,  ôc  qu'en  cefte  dernière  veuë 
3'  ledi£l  S^.  de  Thou  lui  dift  qu'il  n'avoir  ofé  entrer  dans  le  dif- 
»>  cours  de  cette  affaire,  à  caufe  que  lui  Monfieur  ne  lui  en 
='  parloit  point,  ôc  ne  s'en  eftoit  ouvert  avec  lui  j  ce  qui  don- 
»'  na  fujet  à  lui  Monfieur ,  de  croire  que  ledicl  S'',  le  Grand 
«  avoit  dit  quelque  chofe  audid  S^  de  Thou  ,  dont  il  nevou- 
^^  ioit  pas  que  lui  Monfieur  euft  cognoiffance ,  ôc  qu'il  croit 
»  que  ledicl  S'',  de  Thou  ne  lui  en  euft  parlé,  à  caufe  que  lui 
»  Monfieuj:  avoit  tefmoigné  audidt  S^le  Grand  qu'il  ne  der  oit 
«  qu'il  fuft  employé  en  cefte  affaire.  ^^ 
Il  eftoit  à  propos  de  joindre  ces  Articles  à  la  déclaration 


MONSIEUR   F.  A.  DE  THOU.  45* 

de  Monfieur ,  pour  faire  voir  qu'il  y  a  entr'eux  beaucoup  de 
contradidion.  II  dit  en  un  lieu  ,  qu'il  n'a  veu  ledidS''.  de  Thou 
que  deux  fois  j  en  un  autre  lieu  cinq  ou  fix  fois  :  il  dit  qu'il  a 
parlé  à  lui  de  l'affaire,  qu'il  l'en  avoir  trouvé  informée  &  puis 
il  dit  qu'il  eftoit  convenu  avec  M.  le  Grand  qu'il  ne  lui  en 
feroit  rien  dit ,  &  qu'il  ne  vouloit  pas  qu'il  en  euft  cognoiffan- 
ce.  De  plus ,  il  faut  remarquer  que  la  principale  charge  con- 
tenue en  ces  articles  eft  dans  l'addition  à  la  première  décla- 
ration j  que  cette  addition  a  elle  faite  après  plufieurs  agita- 
tions ,  après  de  grandes  apprehenfions  de  perdre  fa  liberté  ,  ou 
d'eftre  le  jouet  des  étrangers  ,  errant  çà  &  là  fans  fubfîftance  j 
addition  faite  avec  M.  le  Chancelier  feul  :  &  qui  peut  dire 
qu'elle  ne  lui  a  pas  efté  fuggerée  ôc  didée  pour  charger  ceux 
que  l'on  vouloit  perdre  f  Et  certes,  Monfieur  ôc  fes  confîdens 
eftoient  lors  en  eftat  de  ne  rien  denier  aux  volontez  du  Car- 
dinal,  qui  lui  furent  portées,  &  par  fon  confident,  ôcparM. 
le  Chancelier. 

Mais  ce  qui  décide  toute  forte  de  difficulté ,  efl  cefle  de- 
pofiùon  ou  déclaration  deflituée  de  fa  principale  forme  pour 
pouvoir  fervir  de  preuve;  puifque  Monfieur  n'a  efté  confronté. 
Recours  au  Mémoire  par  lequel  il  eft  prouvé  ,  6c  par  raifons 
très  pertinentes,  ôc  par  noftre  ufagede  France,  que  la  confron- 
tation de  toutes  fortes  de  tefmoins  aux  accufez  eft  abfolument 
necefTaire  ;  les  équivalens  ridicules ,  inventez  pour  flatter  les 
Tyrans ,  ôc  que  la  depofition  d'un  tefmoin  non  confronté  eft 
inutile  j  n'eft  pas  mefme  leuë  en  jugement. 

Pour  rendre  ledi£l  S^  de  Thou  plus  criminel,  l'on  veult  qu'il 
ait  fai£l  un  voyage  à  Vendofme  pour  defbaucher  M.  le  Duc  de 
Beaufort  ôc  le  joindre  aux  conjurez. 

Monfieur  en  fa  première  déclaration  dit  que  ledi£l:  Sr.  de 
Thou  lui  avoit  dit  qu'il  avoit  veu  M.  de  Beaufort  de  la  part 
de  M.  le  Grand  ^  ôc  qu'il  l'avoit  trouvé  fort  froid  :  ce  qu'il  con- 
firme en  l'Article  25  de  la  féconde  déclaration  ,  ôc  adjoufte 
queledi£l  S^.  de  Beaufort  lui  avoit  dit  qu'il  dependoit  de  Mon- 
fieur fon  père  ,  ôc  rien  plus  qui  aille  à  la  charge  dudiâ:  S^  de 
Thou.  Enfuite  de  cela  toute  la  France  a  veu  comme  l'on  a 
pouffé  M.  de  Beaufort ,  ôc  avec  quelle  violence  il  fut  preffé 
de  venir  trouver  le  Roy  pour  déclarer  le  fujet  du  voyage  dudid 
S"",  de  Thou  à  Vendofme  i  quels  difcours  il  lui  avoit  tenu. 

JFiij 


4^         MEMOIRES  POUR  JUSTIFIER 

Les  Lettres  du  Roy  à  cet  efFecc  &  les  refponfes  dudiâ:  S^  de 
Beaufort  ont  efté  fi  publiques ,  &  fi  cogneuës  à  toute  la  France, 
qu'il  n'y  a  eu  que  de  la  honte  pour  le  Cardinal  ôc  fes  fateili- 
tes  d'avoir  faid  efciater  un  fai6l  fi  hault ,  qui  s'eft  trouvé  enfin 
fi  foible  &  fi  futile. 

Voila  quelles  font  cq5  grandes  preuves  &  ces  charges  fî 
convaincantes  qui  ont  obligé  ces  Commifiaires  à  faire  perdre 
la  vie  audi£l  S"^.  de  Thou  :  ou  pluflofl:  voila  le  prétexte  qu'ils 
ont  pris  pour  obéir  aveuglement  au  commandement  du  Car- 
dinal. Car  de  c'roire  qu'Us  ayent  examiné  les  preuves  qui  font 
au  procès  ,  qu'ils  ayent  faicl  la  reflexion  necefl^aire  fur  le  dé- 
faut eiTentiel  delà  confrontation  de  Monfieur  j  c'eft  ce  que  l'on 
ne  peut  imaginer  en  des  Commiflaires  ,  principalement  en 
ceux-cy  gens  corrompus  ôc  dévouez  ,  qui  n'ont  veu  l'affaire 
que  fuperficiellement  y  &  tant  que  l'on  a  voulu  qu'ils  l'ayent 
veuë.  De  croire  qu'ils  ayent  conilderé  l'Ordonnance  de  Louis 
XI  comme  elle  le  doit  eftre  ,  ôc  comme  elle  efl:  examinée 
dans  ces  Mémoires  ,  ils  ne  Tont  pu ,  ôç  n'en  ont  pas  eu  le 
loifir.  Car  à  midy  du  12  Septembre  ,  il  n'y  avoit  point  de 
charge  contre  ledi6l  S^  de  Thou  parleur  confelfion  niefme, 
ôc  par  les  conclufions  du  Procureur  General  >  ôc  une  heure 
après  il  fut  condamné  à  la  mort  :  ôc  ainfi  celle  précipitation 
horrible  leur  ofta  le  moyen  de  penfer  à  ce  qu'ils  faifoient. 
Deux  ou  trois  perfonnes  dévouées  ont  conduit  celle  malheu- 
reufe  conjuration ,  les  autres  ont  fuivi  comme  bufles  ôc  des 
gens  fans  cœur  ôc  fans  confcience. 

Pour  cognoiftre  clairement  tant  d'injuftices  ,  il  ne  faut  que 
voir  le  procès  ,  quoiqu'il  ait  elle  tant  ôc  tant  de  fois  changé 
ôc  altéré,  ôc  admirer  la  voix  pubhque ,  qui  au  moment  de  la 
condamnation,  ôc  depuis  encore,  a  detefté  fi  hautement  une 
a6lion  fi  barbare  Ôc  fi  extraordinaire ,  qui  a  tellement  efclaté 
que  l'Italie  ,  l'Allemagne  ,  ôc  les  Pays-bas  en  ont  tefmoigné 
de  l'indignation. 

Mais  avant  que  finir  ,  il  efl  à  propos  de  faire  quelques  con- 
fiderations  fur  la  conduite  du  Cardinal  pour  fervir  à  la  jullifi- 
cation  de  ceux  qui  ont  elle  opprimez. 

Monfieur  de  Thou  /traidé  de  la  forte  que  nous  avons  di£l, 
après  une  inftitution  digne  de  fa  naifiance  ,  par  une  grâce  très 
particulière ,  ôc  qui  ne  s'eftoit  jamais  communiquée  à  perfonne. 


MONSIEUR  F.  A.  DE   THOU.  47 

entra  dans  les  charges  en  l'âge  de  dix-neuf  ans.  L'on  donna 
cefte  faveur  à  la  mémoire  de  fes  anceftres  ,  particulièrement 
à  la  vertu  &  aux  mérites  de  iVlonfieur  Ton  Père  :,  l'un  des  plus 
illuftres  perionnages  d'Europe,  &  ài'efperance  que  l'on  con- 
cevoir d'une  fi  belle  infticurion. 

Le  cours  de  fa  vie,  qu'il  commença  par  l'exercice  de  tou- 
tes les  plus  hautes  vertus  ,  ôc  l'alliance  qu'il  avoit  avec  les  plus 
grandes  &  principales  familles  du  Royaume  ,  lui  acquirent 
beaucoup  d'amis  de  toutes  fortes  de  qualitez.  11  tefmoigna  en 
toutes  fes  allions  un  zèle  fi  extraordinaire  ,  ôc ,  s'il  fe  peut  dire, 
jufques  à  l'excès  envers  celle  Eilat,  &  particulièrement  pour  la 
perfonne  du  Roy  &  de  la  Maifon  Royale  ,  (  dont  il  refte  quel- 
ques vertiges  dans  le  procès,  quoiqu'on  ait  tafché  d'eftoufFer 
tout  ce  qui  pouvoit  faire  à  fa  defcharge  )  qu'il  lui  eftoit  im- 
poiïible  de  fuppo;  ter  les  allions  de  ceux  qui  allèrent  à  en  efi^ran- 
1er  les  fondemens,  ôc  changer  l'ordre  du  gouvernement: 

Ces  fentimens  qui  lui  eftoient  naturels  Ôc  attachez  à  fon 
nom  ,  ne  purent  jamais  eftre  eftouffez  en  lui  :  fes  interefts  do- 
meftiques  ôc  de  fa  fortune  n'ont  point  empefché  qu'il  n'ait  con- 
fideré  le  cours  rapide  de  la  fortune  du  Cardinal  de  Richelieu  , 
qu'il  a  tousjours  eu  en  horreur ,  l'ayant  recogneu  ambitieux, 
cruel,  avare,  hypocrite,  lalche,  ôc  qui  approchoit  près  delui 
des  perfonnes  qui  lui  reffembloient ,  pour  exécuter  fes  pafiions, 
ôc  fes  defi^eins  qui  pafloient  les  bornes  de  l'ambition  ordinai- 
re. Ces  mauvaifes  qualitez  le  rendoient  naturellement  enne- 
mi des  gens  de  bien  ^  Ôc  des  perfonnes  genereufes  qui  faifoient 
profeflion  d'honneur  ôc  de  vertu.  De  là  font  fortis  tous  les 
maux  que  nous  avons  veu  durant  près  de  vingt  années  j  de  là 
la  defolation  de  tant  d'illuftres  familles  dans  ce  Royaume  i  de 
là  la  ruine  de  toute  la  France ,  de  tous  les  Eftars  voifins ,  bref 
de  toute  l'Europe.  Nous  ne  confiderons  point  en  ce  Memiçi- 
re^  ni  fes  adtions ,  ni  fes  vices  particuliers,  ôc  moins  encore 
les  tyrannies  qu'il  a  exercées  contre  les  fiens ,  ôc  fes  domefti- 
ques.  Ces  défauts  touchent  peu  ou  point  le  public  }  ôc  per- 
fonne n'a  loi  de  s'en  méfier  ôc  d'y  trouver  à  redire  :  mais  nous 
nous  attacherons  feulement  ôc  fommairement  aux  moyens 
qu'ils  a  tenu ,  ôc  qu'il  a  changé  de  temps  en  temps  pour  par- 
venir à  la  Royauté  ,  ou  du  moins  pour  fe  maintenir  en  fonad- 
miniflration  fouveraine. 


48        MEMOIRES  POUR  JUSTIFIER 

Les  plus  advifez  jugèrent  par  les  principales  adions  du  Car- 
dinal ,  eftant  lors  prés  de  la  Reine  Mère  j  quelle  eftoit  fon 
ambition  ôc  fes  deiTeins  de  gouverner.  Cefte  PrincefTe  aveu- 
glée par  les  apparences  de  la  fublimité  de  l'efprit  de  ce  Mi- 
niftre^  qui  avoir  paru  dans  lesdefordres  de  la  Court,  comme 
ces  excremens  qui  font  produits  &  ne  vivent  qu'avec  les  ora- 
ges ;  la  Reine ,  dis-je ,  l'admit  dans  fes  plus  fecrettcs  ôc  im- 
portantes affaires,  6c  il  s'infinua  avec  tant  d'addreffes  &  de 
flateries  dans  fes  bonnes  grâces ,  qu'il  exerça  prés  d'elle  tout 
ce  qu'on  peut  s'imaginer  d'un  efprit  violent.  Il  y  eftablit  fes 
parens ,  chaffa  par  toutes  fortes  de  fourbes  ceux  qui  lui  fai- 
foient  ombre;  fon  avarice  le  pouffa  à  un  tel  excès  qu'il  ab- 
forba  les  grands  revenus  de  celle  Princeffe  :  ôc  en  enrichit  lui 
&  les  fiens. 

L'autorité  abfoluë  qu'il  empiéta  fur  l'efprit  de  la  Reine ,  lui 
ouvrit  le  chemin  au  gouvernement  de  l'Eftat  î  il  y  trouva  cçïïq 
Princeffe  en  une  haute  puiffance  que  la  nature  6c  la  longue 
Régence  lui  avoient  acquife  5  il  y  trouva  les  Princes  du  Sang 
6c  les  autres  Princes  très  puiffans,  les  Grands,  les  Officiers 
delà  Couronne,  6c  lesParlemens  qui  s'eftoient  maintenus  dans 
le  pouvoir  qui  leur  eft  attribué  parles  Loix  du  Royaume.  Ces 
parties  ,  bien  unies  comme  elles  eftoient ,  traverfoient  direde- 
ment  les  deffeins  ambitieux  du  Cardinal  3  il  fçavoit  que  leur 
union  confervoit  la  paix  dans  l'Eftat  6c  l'autorité  Royale  j  que 
chacun  exerçoit  librement  fes  fondions ,  qu'il  eftoit  impoffible 
de  troubler  tout  à  coup  cefte  belle  harmonie  ,  qu'il  falloir  agir 
lentement  ôc  avec  dilîimulation  ^  6c  paroiftre  tourner  le  dos  à 
fon  deffein,  ayant  affaire  à  des  puiffances  fi  clair-voyantes  6c 
il  autorifées  dans  l'Eftat ,  qu'il  les  falloit  deftruire  l'une  après 
l'autre,  avec  efperance  que  le  temsen  donneroit  les  moyens 
ou  les  prétextes. 

Les  preftiges  ôc  les  artifices  qu'il  pratiqua  auprès  de  la  Rei- 
ne, furent  conduits  fi  adroitement,  que  cefte  bonne  Princeffe, 
peu  pour  fi  un  rufé  Miniftre  ,  ne  les  apperceut  que  trop  tard. 
Car  les  principaux  de  fes  domeftiques  eftoient  de  la  caballe. 
Toute  l'Europe  a  veu  où  cefte  pauvre  Dame  a  efté  réduite. 
Premièrement  il  la  fît  emprifonner  ,  d'où  elle  trouva  moyen 
d'efchapper  parce  qu'il  le  voulut  ainfi ,  ôc  de  là  il  la  pouffa 
hors  le  Royaume ,  où  elle  a  pati  non  comme  une  grande  Reine 

mais 


MONSIEUR  F.  A,  DE  THOU.  4i>; 

mais  Comme  une  fimple  Dame,  fans  que  ce  mondre  d'in- 
gratitude lui  ait  tendu  la  main  pour  la  foulager  ;  lui  qui  pofTe- 
doit  tous  les  trefors  du  Royaume  »  &  qui  avoir  ravi  tout  le  bien 
de  cefte  Princefle. 

L'cfloignement  de  la  Reine  lui  ouvrit  le  chemin  au  gouver- 
nement abfolu  ?  ôc  craignant  fon  retour ,  &  que  la  nature  agift 
fur  le  Roy ,  il  lui  lit  voir  par  la  plus  mauvaife  Théologie  du 
monde,  car  il  n'en  avoit  point  d'autre,  ôc  par  des  avis  con- 
certez par  fes  efclaves  dans  le  gouvernement ,  comme  il  n'efloit 
pas  obligé  de  rendre  à  la  Reine  fa  Mère  les  moindres  devoirs, 
iion  pas  mefme  un  teflon  pour  foulager  fa  mifere. 

Le  Roy  n'ayant  point  d'enfans  ,  &  avec  peu  d*efperance 
d'en  avoir,  ôc  de  plus  travaillé  de  diverfes  maladies  &  efloi- 
gné  de  la  Reine  fa  Mère ,  la  perfonue  la  plus  confiderablo 
cfto.it  Monfieur  le  Duc  d'Orléans,  plus  proche  à  fucceder  à 
la  Couronne.  Le  Cardinal  pour  fe  perpétuer  dans  l'autorité 
du  gouvernement  lui  fit  infinuer  par  mille  artifices  le  ma- 
riage de  fa  nièce  veuve  de  Combalet ,  fit  chaffer  ou  difgra- 
cier  toutes  les  perfonnes  d'honneur  ôc  de  condition  qui  eftoient 
prés  de  Monfieur  qui  pouvoient  empefcher  ce  deflein,  lui  en 
fuppofa  d'autres,  ôc  corrompit  ceux  qu'il  jugea  pouvoir  fer^ 
,vir  à  fon  ambition. 

Ce  moyen,  s'il  lui  euftréùfîî,  lerendoit  non  feulement maif- 
tre  du  gouvernement ,  mais  Viceroy  ôc  le  tout-puiflant  dans 
i'Eftat,  ayant  fa  bonne  &  chère  nièce  Reine  de  France,  qui 
ne  manquoit  pas  d'addrelTe  ôc  d'efprit  pour  féconder  une  ani-^. 
bition  Cl  déréglée  Ôc  extraordinaire. 

A-t-on  pas  veu ,  ce  moyen  lui  ayant  manqué  par  le  maria- 
ge de  Monfieur  »  de  quelle  fureur  il  s'eft  porté  à  le  faire  dif-p 
foudre  ?  mais  fon  aveuglement  fuft  tel ,  que  fans  confiderer  ce 
qu'il  devoir  faire  pour  le  bien  de  l'Eftat  ôc  pour  la  conferva-^ 
tion  de  l'autorité  du  Roy,  ce  qui  lui  eftoitfort  facile  ,  il  fe  fer^ 
vit  de  voyes  obliques ,  mais  qui  lui  eftoient  ordinaires ,  ôc  cor- 
rompit par  divers  artifices  des  Archevefques ,  des  Evefques, 
des  Doàeurs  de  Sorbonne ,  Ôc  des  Moines  de  tous  les  Ordres 
pour  donner  leurs  fuffrages  contre  ce  mariage.  Qu'en  reùffit- 
jl  ?  rien  que  de  la  hont^  ôc  de  la  confufion  au  Roy  ôc  à  fori 
autorité. 

Cependant  continuant  fon  defleiii  par  une  impudence  fsns 
Tome  XF,  5  G 


50        MEMOIRES   POUR  JUSTIFIER 

exemple ,  il  fit  publier  dans  le  Royaume  des  livres  de  fa  gé- 
néalogie falfîfiée  en  plufieurs  parties  5  où  lui  petit  fils  d'un 
Avocat  l'on  le  faifoit  non  feulement  de  haulte  ôc  noble  ex- 
tradions efgale  aux  plus  nobles  familles  du  Royaume,  mais 
iflfu  de  la  race  Royale,  afin  d'effacer  peu  à  peu  de  l'efpritdes 
François  que  fon  ambition  n'eftoit  point  vaine  ôc  fans  fon-^ 
dément. 

Cependant  fon  pouvoir  alloit  croiflant  de  jour  en  jour  par 
l'efloignement  de  Monfieur  ôc  des  Princes  du  Sang  par  la  rui- 
ne des  autres  Princes,  par  la  mort  ou  par  la  prifon  des  Grands, 
par  l'anneantiflement  de  tout  ce  qu'il  y  avoit  d'autorité  légi- 
time dans  l'Eftat ,  ôc  par  la  détention  d'un  millier  de  perfon- 
nes  innocentes  de  diverfes  conditions ,  qui  rempliffoient  tou-; 
tes  les  prifons  du  Royaume. 

Mais  ce  qui  le  travaiiloit  davantage  ,  efl;  cefte  autorité  fi 
bien  fondée,  ôc  comme  née  avec  la  Monarchie,  denosPar- 
lemens  ;  feuls,  s'il  le  faut  dire ^  capables  de  s'oppofer  à  fes  in- 
juftes  ôc  vaftes  pretenfions.  Que  n'a-t-il  point  fai6t  pour  affoi- 
blir  leur  pouvoir  ?  Le  Confeil  d'Eftat ,  quin'avoit  mouvement 
ôc  efprit  que  celui  qu'il  lui  donnoit,  avoit  pris  la  cognoifi^ance 
de  toutes  les  plus  importantes  affaires.  Les  Intendans  dans  les 
Provinces,  fes  emiffaires  Ôc  fes  efclaves,  avoient  attiré  à  eux  tou« 
te  l'autorité.  Les  Parlemens  n'ont  jamais  eu  la  liberté  d'en  dire 
leurs  advis, moins  de  s'en  plaindre;  les  uns  ont  efté intimidez, 
les  autres  chaffez  de  leurs  maifons  ,  les  autres  emprifonnez, 
d'autres  ont  péri  laiffant  leurs  familles  miferables  :  ôc  enfin  pour 
combler  la  ruine  de  ces  grandes  compagnies ,  il  les  a  divifées 
entre  elles,  a  commis  les  anciens  avec  les  jeunes,  leur  a  per- 
fuadé  de  faire  un  corps  féparé  capable  de  tout  faire  ,  les 
a  corrompu,  chofe  indigne,  par  des  penfions  fort  modiques 
fur  l'Efpargne ,  pour  travailler  de  concert  à  la  ruine  de  leurs 
compagnies  Ôc  de  l'Eftat  :  ôc  cela  fi  utilement  pour  lui ,  ôc  à 
l'anneantififement  de  l'autorité  royale ,  qu'il  n'a  rien  defiré  de 
ces  Meffieurs  qu'il  ne  l'ait  obtenu  fans  juffion ,  mais  à  fa  fim- 
ple  parole,  tellement  que  cefte  puiffance  légitime  des  Parle- 
mens ,  qui  confiftoit  en  la  bonne  harmonie  de  ^toutes  les 
parties  de  ces  grands  corps,  a  efté  rendue  foible ,  vaine,  ôc 
inutile. 

Le  Parlement  de  Paris  a  reflfenti  principalement  les  effeds 


MONSIEUR  F.   A.   DE  THOU.  p 

de  fa  tyrannie ,  &  l'on  remarque  qu'il  n'a  efté  rien  fai£l:  de 
plus  violent  contre  cette  compagnie  que  durant  le  cours  de  la 
miferable  domination  de  ce  Mmillre. 

Il  ne  faut  pas  penferque  le  refte  des  perfonnes  qui  fe  pou- 
voient  oppofer  à  lui  ayent  efté  moins  travaillez.  La  Reine  fans 
enfans  que  n'a-t-elle  point  fouffert  des  outrages  à  fon  honneur 
ôc  à  f a  bonne  conduite  par  de  fauffes  fuppofitions  que  l'enfer 
lui  avoir  fuggerées  ,  par  des  interrogatoires  injurieux ,  par 
des  a£les  qu'on  lui  fît  figner  à  reffe£l  de  la  rendre  odieufe  au 
Roy,  6c  à  tout  le  refte  de  la  France? 

Cependant  il  continua  la  guerre,  lefepuchrede  tant  d'hom- 
mes ,  i'abyfme  de  tant  de  deniers  5  mais  le  véritable  moyen 
de  parvenir  àfes  deffeins  :il  a  toujours  entretenu  neuf  ou  dix 
armées  foit  de  terre  foit  de  mer ,  qui  ont  tellement  affoibli  le 
Royaume  qu'il  n'a  pas  encore  aujourd'hui  la  voix  pour  fe  plain- 
dre. 11  jugeoit  bien,  le  mefchant  Ôc  abominable  qu'il  eftoit; 
qu'un  fi  grand  Eftat,  riche  ôc  opulent  en  toutes  fes  parties, 
pourroit  fort  difficilement  fouffrir  un  changement  tel  qu'il  le 
meditoit,  qu*il  falloit  évacuer  ce  corps  athlétique  de  telle  forte 
qu'il  demeuraft  infenfible,  fans  force  ôc  fans  vigueur. 

Mais  ce  qui  l'eftonna ,  ôc  qui  lui  fit  penfer  non  pas  à  chan- 
ger de  deffein,  mais  de  moyens  pour  y  parvenir,  fut  la  naif- 
fance  du  Roy  à  prefent  régnant  ;  naiffance  miraculeufe ,  qui 
fut  fuivie  de  celle  de  Monfieut  d'Anjou. 

La  famé  du  Roy  peu  ferme,  ôc  dont  il  avoit  des  advis  cer- 
tains par  le  premier  Médecin  qui  defpendoit  de  lui ,  lui  fai- 
foit  redoubler  fes  artifices.  Il  avoit  réduit  ce  pauvre  Prince 
à  mener  une  vie  folitaire,  miferable,  ôc  languiffante  fous  le  joug 
infupportable  de  fa  tyrannie,  lui  ayant  oftéfes  plus  confidens 
domeftiques ,  ôc  ne  lui  permettant  que  le  feul  paffe-temps  de- 
la  chaffe  dans  les  bois  parmi  les  beftes  ôc  des  veneurs ,  où 
tout  lui  eftoit  caché ,  l'eftat  de  fes  affaires ,  la  mifere  de  fon 
peuple  :  les  cruautez  ôc  les  barbaries  du  Cardinal  lui  eftoient 
reprefentées  comme  des  juftices ,  ôc  des  allions  de  vertu.  Bref, 
ce  Prince  ne  voyoit  que  par  les  yeux  du  Cardinal  Ôc  de  fes 
émiffaires  ,  ne  fçavoit  rien  que  par  eux.  Les  Grands  ,  que  dis- 
je  les  Grands  ?  il  n'y  en  avoit  plus ,  car  ou  ils  eftoient  ban- 
nis ,  ou  prifonniers ,  ou  exécutez  par  les  mains  des  boureaux: 
perfonne,  dis- je,  n'approchoit  plus  du  Roy,  fa  Court  eftoit 

5Gij 


$2        MEMOIRES  POUR   JUSTIFIER 

un  monaftere,  une  folimde  ;  les  armées  commandées  pai'  fes 
païens ,  ou  par  fes  alliez  ,  ou  fes  favoris  5  gens  abandonnez  à 
tout  ce  qu'il  vouloit  faire  ,  arrogans ,  glorieux ,  infupportables, 
voleurs  de  l'argent  du  public,  &  riches  comme  des  Souverains. 
Les  principales  villes  du  Royaume,  foit  pour  la  force,  foit  pour 
l'importance  de  leur  afliette,  eftoient  tenues  par  lui ,  par  fes  amis, 
6c  par  fes  créatures. 

L'efprit  du  Cardinal  enflé  d'une  fifouveraineôc  abfoluë  au- 
torité ,  recevoir  avec  joye  les  flateries  infâmes  de  tant  de  pe- 
tits Poètes  affamez ,  de  tant  de  plumes  vénales ,  de  tant  de 
miferables  panegyriftes  qui  l'ont  eflevé  par  deffus  tous  les  mor- 
tels ,  l'ont  fai6l  efgal  à  Dieu,  6c  à  tout  ce  qu'il  y  a  deplusfaind; 
6c  vénérable  parmi  les  hommes.  Cet  efprit  fi  corrompu  &  alté- 
ré par  ces  continuelles  flateries ,  ignoroit  qu'il  n'y  a  que  les 
mauvais  Princes  6c  les  Tyrans  qui  fe  plaifent  à  ces  vaines  Ôc 
faufles  louanges. 

L'affoibliffement  ou  pluftoft  la  ruine  du  parti  Huguenot  a 
efté  achevée  pendant  fon  adminiftration  6c  par  fa  conduite.  Si 
l'on  lui  peut  donner  quelque  gloire ,  c'eft  pour  cette  a£lion  : 
mais  qui  la  confiderera  de  près,  ileft  certain  que  ce  n'a  pas  efté 
ni  par  le  principe  de  la  Religion^  qu'il  n'avoir  que  fur  les  lè- 
vres ,  ni  pour  le  bien  de  l'Eftat,  mais  pour  fervir  à  fon  defiein 
de  la  Royauté.  Il  avoir  bien  jugé  que  tant  que  ce  parti  fub- 
fifteroit  en  France,  il  lui  eftoit  impofllble  de  ruiner  les  Prin-» 
ces ,  difliper  les  Grands  ,  6c  de  fe  rendre  lemaiftre  abfolu  des 
plus  importantes  provinces  du  Royaume.  Cette  affaire  termi- 
née ,  il  s'eft  veu  en  poffeflion  des  plus  riches  falines  du  Royau- 
me, de  toute  la  navigation  de  l'une  6c  de  l'autre  mer,  a  fup- 
primé  la  charge  de  Conneftable  Ôc  celle  d'Admiral ,  a  fup- 
porté  impatiemment  de  voir  en  France  une  puiffance  au-def- 
lus  de  la  fienne  j  la  royale  mefme  lui  faifoit  de  la  peine. 

Le  Roy  à  prefent  régnant  n'euft  pas  fi  toft  veu  le  jour; 
qu'il  penfa  à  s'affeurer  de  fa  perfonne ,  à  le  fouftraire  à  la  Rei- 
ne ,  &:  lui  ravir  cefte  confolation  qui  n'efi:  pas  déniée  à  toutes 
les  mères.  Il  lui  donna  une  gouvernante  fa  confidente ,  enne- 
mie de  la  Reine ,  6c  qui  efpioit  toutes  fes  allions  les  plus  par- 
ticulières. Bref  j  une  femme  qui  euft  faid  de  la  Mère  ôc  des 
enfans,  ce  que  le  Cardinal  euft  commandé. 

Ceux  qui  aiment  cet  Eftat ,  ôc  qui  ayoient  quelque  lumierç 


MONSIEUR   F.   A.   DE  THOU.  n 

de  ces  deffeins ,  ont  mille  ôc  mille  fois  penfé  à  la  mifeiabîe  con- 
dition où  nous  eftions  réduits  ;  puifque  la  vie  de  ces  pents 
Princes  defpendoit  du  caprice  &  de  l'ambidon  de  ce  Tyran, 
qui  tenoit  pour  maxime ,  ôc  l'on  lui  a  fouvent  oui  dire ,  «  Qu'un 
«  Favori,  qu'un  Miniftre  ne  périt  jamais  pour  faire  trop  de  mal, 
M  mais  pour  n'en  faire  pas  aflez^  »  On  fçait  ôc  très  certainement, 
qu'il  avoir  hiQ.  inftance  par  le  Cardinal  Bagni ,  d'obtenir  fous 
le  nom  du  Roy  un  Bref  du  Pape ,  pour  faire  mourir  fans  char- 
ge de  confcience  des  perfonnes  dans  les  prifons  par  des  voyes 
lecrettes ,  fans  forme  ni  figure  de  procès ,  contre  lefquelles  il 
n'y  auroit  point  de  preuves  fuffifantes  pour  les  faire  mourir  en 
juilice,  ce  qui  lui  fut  dénié  avec  horreur  de  fa  Sainteté,  ôc 
avec  cefte  confideration  qu'il  plaignoit  grandement  le  Roy  ÔC 
ia  France  d'eflre  entre  des  mains  fi  barbares  ôc  fi  cruelles. 

A  mefure  que  la  fin  de  fa  vie  approchoit ,  fes  defleins  am- 
bitieux croiffoient  au  delà  de  la  penféedes  hommes.  Ilvoyoic 
îe  Roy  fort  valétudinaire,  il  croyoitle  furvivre  5  ou  plulioft, 
voyant  fa  partie  bien  eftablie  ,  ufer  des  moyens  que  fon  malin 
efprit  euft  pu  fuggerer.  En  l'année  16^1  il  fit  publier  dans  le 
Parlement,  le  Roy  yfeant  en  fon  li£lde  Jufbice,  un  Edit  qui 
lui  applaniflbit  la  voye  à  la  Régence  ,  le  Roy  venant  à  faillir, 
ôc  ruinoit  du  tout  l'autorité  du  Parlement  de  Paris,  Car  après 
avoir  fai£l  par  une  affe£lation  injurieufe  une  enumeration  de 
divers  Arrefts  de  colère  donnez  par  nos  Roys  contre  celle 
compagnie,  ilblafme  ôc  condamne  l'Arrefl:  de  Fan  1610,  qui 
adjuge  à  la  Reine  Marie  la  Régence  du  feu  Roy ,  comme 
une  adion  qui  n'a  point  d'exemple  ,  qui  bleffe  les  loix  fon- 
damentales de  cefte  Monarchie  ,  que  c'eiloit  une  entreprife 
faite  par  des  perfonnes  fans  pouvoir  en  ce  regard  j  faid  nom- 
mément defenfes  à  la  Cour  de  Parlement  de  Paris ,  ôc  à  tou- 
tes les  autres  Cours  ,  de  prendre  à  l'avenir  cognoiflance  d'au- 
cunes affaires  femblables,  ôc  généralement  de  toutes  celles  qui 
concernent  l'Eftat,  l'adminiftrarion  ôc  gouvernement  d'icelui, 
il  ce  n'eil  par  un  pouvoir  fpecial  ôc  par  Lettres  patentes. 

Le  Cardinal  n'a  point  poffible  faicl  d'adion  qui  ait  fai£l  plus 
efclater  fon  deffein  que  celle-là.  Les  gens  de  bien  qui  furent 
furpris  par  la  publication  de  cetEdi£t,  firent  un  très  mauvais 
jugement  de  cet  Eftat  3  Ôc  plus  encore  de  la  vie  du  Roy ,  de 
yoir  que  le  Cardinal  âgé  de  plus  de  feize  ans  que  fa  Majeflé, 

5G"J 


54       MEMOIRES   POUR  JUSTIFIER 

faifoit  des  ellabliflemens  comme  s'il  euft  elle  affeuré  delefuf- 
vivre,  anneantifToit  l'autorité  du  Parlement,  abbatoitles  def- 
fenfes  pour  s'emparer  plus  facilement  du  gouvernement  abfola 
de  PEftat ,  avoit  refolu  d'ofter  les  enfans  de  France  à  la  Rei- 
ne ,  les  mettre  dans  le  bois  de  Vincennes ,  6c  enfuite  ruinée 
en  toutes  façons  la  Reine ,  foit  auprès  du  Roy  par  mille  mau- 
vais rapports,  foit  envers  le  peuple  par  fes  emiflaires,  en  fe- - 
niant  des  bruits  de  fa  conduite  ,  ôc  de  fon  inclination  contraire 
au  bien  de  la  France. 

Et  parce  que  Moniteur  eftoit  celui  que  les  Loix  du  Royau- 
me appelloient  avec  la  Reine  au  gouvernement  de  l'Eftat ,  il 
avoit  rendu  fa  perfonne  fi  odieufe  au  Roy ,  ôc  lui  avoit  don- 
né tant  de  fujet  de  mefcontentement ,  que  l'on  pouvoit  impu- 
ter à  ces  damnables  artifices  tout  ce  que  nous  avons  veu  faire 
à  ce  Prince  qui  a  defpleu  au  Roy  ôc  aux  gens  de  bien. 

Ces  particularitez  afiez  fenfibles  fortifiées  d'une  infinité  d'au- 
tres circonftances,  comme  l'alliance  qu'il  avoit  contractée  avec 
Monfieur  le  Prince  >  les  efcrits  qu'il  avoit  fai£l  publier  pour 
faire  voir  qu'une  perfonne  de  fa  qualité  pouvoit  eftre  Régente 
du  Royaume,  eftoient  prefentes  à  ceux  qui  y  avoient  le  pre- 
mier intereft.  Et  puis ,  Monfieur  qui  jugea  le  danger  certain 
qui  menaçoit  le  Royaume  par  le  voyage  du  RoufliUon  que  le 
Roy  fut  forcé  de  faire  au  commencement  de  l'année  1 6^2 ,  qui 
avançoit  certainement  les  jours  de  fa  Majefté  que  l'on  voyoit 
diminuer  à  veuë  d'oeil  de  vigueur  &  de  force  ;  que  les  armées 
de  mer  ôc  de  terre ,  les  places  fortes ,  l'argent ,  ôc  ceux  qui 
tenoient  toutes  les  premières  charges,  bref  tout  ce  qu'il  y  avoit 
de  plus  puiflant  dans  l'Eftat  eftoit  à  la  dévotion  du  Cardinal; 
les  chefs  des  compagnies  fouveraines  fes  créatures,  le  confeil 
du  Roy  fes  efclaves  j  ceux  qui  pouvoient  s'oppofer  à  la  rapi- 
dité de  cette  puifîance  bannis  ou  prifonniers  ,  ou  trop  foibles; 
ceux  qui  reftoient  connivans  ou  par  crainte ,  ou  par  deffeïn. 
de  prendre  part  à  la  tyrannie  :  Monfieur  donc  communiqua 
fa  penfée  à  Monfieur  le  Grand, qui  fçavoit  tout  ce  qu'on  pou- 
voit imaginer  en  cefte  conjoncture  :  ils  jugèrent  qu'ils  avoient 
befoin  d'une  place  qui  fuft  bonne  pour  garentir  la  Reine  de 
la  violence  du  Cardinal,  ôc  y  fauver  les  enfans  de  France  en 
casque  le  Roy  vint  à  mourir,  ils  jetterent  les  yeux  fur  la  ville 
de  Sedan  place  forte  ôctrès  importante,  nongueres  eiloignée 


MONSIEUR  F.    A.    DE   THOU.  Jj» 

de  Paris.  M.  de  Bouillon  ne  voulant  défaillira  l'Eftatencefte 
neceffité,  donna  fa  parole  à  Monfieur  qu'il  feroit  receu  dans 
la  place  quand  il  lui  plairoit.  L'on  parla  lors  au  fieur  de  Mon- 
tigny  qui  gardoit  la  Reine  ôc  les  enfans  à  Saint  Germain,  on 
lui  reprefenta  le  mal  qui  menaçoit  non  feulement  la  Reine  qui 
s'aflTeuroit  en  fa  fidélité ,  mais  aufîi  ce  qu'elle  avoit  de  plus  cher. 
11  promit  que  pourveu  qu'on  euft  une  bonne  place  de  feureté, 
qu'il  y  conduiroit  la  Reine  6c  ces  petits  Princes.  Sedan  lui 
fut  deilgnéfur  la  parole  que  Monfieur  avoit  de  M.  de  Bouillon. 

Voilà  quel  eft  ce  crime  d'Eftat ,  dont  on  a  parlé  dans  ce 
procès,  qui  ne  touche  point  la  perfonne  du  Roy  ,  puifque 
l'exécution  du  defîein  n'eftoit  qu'en  cas  que  fa  Majefté  vint  à 
décéder,  puifque c'eftoit  fervir le  Roy  fuccefleur,le  fouftraire 
lui  &  la  Reine  à  la  violence  6c  à  la  tyrannie  du  Cardinal ,  ôc 
conferver  par  ce  moyen  le  Royaume ,  6c  le  tirer  des  mains 
d'un  ufurpateur.  Car  fans  la  perfonne  du  Roy  que  pouvoit- 
on  faire,  quel  lieu  feurpouvoit-on  choifir  dans  le  Royaume 
qui  ne  fuft  point  au  pouvoir  du  Cardinal  ,  où  l'on  n'euft 
efté  aufii-toft  opprimé,  où  toutes  les  forces  de  l'Eftat  n'euflTent 
efté  employées  pour  perdre  6c  le  Roy  Ôc  l'Eftat  ? 

L'on  ne  pouvoit  donc  point  dire  que  ce  deffein  fuft  contre 
le  Roy,  fi  le  Cardinal  n'eftoit  auparavant  qualifié  Roy  Ôcnof- 
tre  Prince  naturel  :  au  contraire,  l'on  pourroit  fouftenir  que 
ceux  qui  avoient  fait  cefte  jufte  6c  légitime  entreprife ,  s'ar- 
moient  pour  affranchir  le  Roy  de  la  fervitude  en  laquelle  ce 
Tyran  6c  fes  miniftres  avoient  refolu  de  le  mettre ,  s'armoient 
pour  donner  vigueur  aux  loix  de  l'Eftat  ^  6c  pour  nous  mettre 
en  pleine  liberté. 

Mais  l'on  pourroit  demander  à  Monfieur  ôc  à  fes  amis ,  où 
eftoient  les  tiltres  de  leur  vocation  ?  comme  fi  ce  Prince  en 
la  qualité  qu'il  a ,  ôc  la  perfonne  plus  confiderable  de  l'Eftat 
après  la  mort  du  Roy  fon  frère ,  eftoit  obligé  à  ces  formes  > 
comme  fi  le  mal  n'eftoit  pas  imminent  j  comme  s'il  eftoit  à  pro- 
pos de  s'amufer  à  ces  chicaneries  quand  par  la  trahifon  des  gar- 
des 6c  des  fentinelles  l'ennemi  eft  entré  dans  la  ville  :  en  ce 
cas  le  moindre  habitant  n'a  que  trop  de  vocation  à  le  repoufler. 

Le  feu  Roy ,  dira-t-on  ,  ne  confentoit  point  à  cela  î  au  con- 
traire ,  maintenoit  le  Cardinal  en  toute  fon  adminiftration. 
Cefte   objedion   ne  peut   cftre  faite  que  par  un  efclave  du 


fS       MEMOIRES  POUR  JUSTIFIER 

Cardinal ,  que  par  un  homme  qui  aime  la  fervitude ,  &  par  des 
gens  hors  du  fensqui  ignorent  du  tout  ce  quis'ed  pafle  en  Fran- 
ce, avant  ôc  depuis  la  mort  du  Cardinal ,  &  que  le  feu  Roy 
mefme  l'a  deteflé  comme  fon  plus  capital  ennemy.  Le  Droit 
commun  nous  apprend  que  celui  quieft  abufé  ôc  trahi  necon- 
fent  pas  quoiqu'il  fafle,  quoiqu'il  die.  Le  Cardinal  a  tousjours 
faid  ce  qu'il  a  pu  pourtenirie  Roy  en  perpétuelle  ignorance 
defes  affaires  pubhqu es  ôc  particulières ,  l'amufanten  chofes  de 
néant ,  pour  couvrir  d'autant  mieux  fes  infidelitez.  Henry  III 
efloit  creu  grand  fauteur  de  la  Ligue  ,  lorfqu'il  fourniffoit  fes 
armes  Ôc  fes  finances  à  ceux  qui  en  eftoient  les  chefs  :  néant- 
moins  on  recogneut  bientoft  après  que  ce  n'avoir  efté  d'efprit 
êc  de  volonté  j  quand  la  vengeance  divine  fît  tomber  les  au- 
theurs  du  mal  à  Blois,  lors  le  mafque  fut  levé.  Ce  que  le  Roy 
Henry  III  fit  au  commencement  par  crainte  de  fes  ennemis, 
le  feu  Roy  le  faifoir  pour  ne  pas  cognoiftre  Ces  affaires  au  fonds, 
êc  par  la  defloyauté  ôc  perfidie  du  Cardinal  ôc  de  fes  minif- 
très  qui  raffiegeoient. 

N'efl-ce  pas  chofe  defplorable  que  parmi  un  fi  grand  nom- 
bre de  généreux  perfonnagesquieltoient  en  ce  Royaume, ôc  qui 
en  leur  ame  ne  deteftoient  pas  moins  la  tyrannie  du  Cardinal, 
quefaifoient  ceux  qui  lui  avoient  déclare  la  guerre,  il  ne  s'en 
eft  trouvé  un  feul  qui  en  ce  commun  péril  de  l'Eflat  ait  monf- 
tré  affez  de  courage  pour  délivrer  la  France  de  ce  fieau  auteuE 
de  tous  nos  maux? 

C'eft  certes  renoncer  à  Finterefl  de  la  partie  commune; 
c'efl  ne  prendre  aucune  part  à  la  maifon  qui  brufle  n'aydant 
à  eileindre  le  feu.  Au  heu  de  pilotes  c'eftoient  des  pyrates  qui 
lenoiene  le  gouvernail  du  navire  François  :  ceux  qui  efloient 
dedansavoientplusd'intereft  de  l'arracher  de  leurs mains^  qu'ils 
n'avoient  de  vocation  à  nous  perdre ,  à  nous  fubmerger.  Com- 
me fi  un  Preftre  avec  quatre  ou  cinq  de  fes  parens ,  eftoient 
plus  autorifez  de  perdre  le  Roy  ôc  le  Royaume  ,  que  les  Prin- 
ces du  Sang  ôc  les  principaux  officiers  de  la  Couronne  ne  le 
font  pour  Fempefcber, 

Ne  nous  efblouifTons  point  par  les  belles  apparences  de  fes 
fervicesî  ne  nous  laiffons  point  charmer  par  les  viâoires  que 
Dieu  nous  a  données  pendant  fon  adminiflration.  Confide- 
pons  les  moaiens  dçs  chofes,  ôc  rep^ffons fur Fhiftoire  de  foa 

adminifîratioq 


MONSIEUR   F.   A.   DE   THOU.  J? 

adminlftration  telle  qu'il  a  faicl  publier,  nous  verrons  la  Fran- 
ce en  une  infinité  de  conjon£lures  à  deux  doigts  de  fa  ruine, 
Pennemy  à  nos  portes ,  tout  corrompu  au  dedans  ,  les  moeurs 
defplorez  ^  les  loix  non  moins  vénales  que  les  offices ,  un  luxe 
hors  de  toute  imagination  :  les  richeîTes  qui  autrefois  eftoient 
un  enbonpoint  de  tout  le  corps  réduites  à  peu  de  perfonnesj 
ôc  par  de  fales  &  mauvais  moyens ,  tumeurs  proprement  con-; 
tre  la  nature,  ôc  vrayes  peftes  du  corps  :  les  chefs  gens  nou- 
veaux ôc  fans  expérience ,  plus  prefomptueux  fortans  de  page 
que  nos  capitaines  du  temps  pafîe  après  trois  batailles  :  les  plus 
importantes  places  ôc  gouvernemens  occupez  par  fes  parensj 
les  Parlemens  fans  vigueur  ôc  fans  autorité  :  en  fomme  l'Eftat 
entre  les  mains  du  Cardinal  de  race  folle  ôc  lui  fol  ôc  furieux 
ôc  fans  religion ,  ôc  qui  n'avoit  pour  toute  vertu  qu'une  aveu^ 
gle  mais  heureufe  témérité  !  Après  cela  peut-on  blafmer  le  def- 
fein  de  Monfieur  ^  ôc  de  ceux  qui  l'aiïiftoient,  de  s'aiTeurer  de 
la  ville  de  Sedan  aux  fimples  conditions  cy-devant  reprefen- 
tées,  c'eft-à-dire,  fans  le  Traidé  d'Efpagne  pour  n'avoirrien 
de  commun  avec  ce  deffein  ,  deffein  qui  femble  auffi  jufte 
que  la  perfidie  de  ceux  qui  pofTedoient  le  Roy  eftoit  manifefte, 
eftoit  mortelle,  ôcle  remède  pour  les  reprimer  neceflaire  ?  Cer- 
tes il  n'y  a  point  de  mal  qu'il  ne  faille  guérir  par  un  autre,  ce 
n'eft  pas  fans  péril  que  l'on  fort  d'un  péril.  Il  y  avoir  moins 
de  mal  d'exécuter  ce  qui  eftoit  refolu  après  la  mort  du  Roy, 
que  d'eflre  vendu  ôc  livré  à  jamais  à  la  tyrannie  du  Cardina! 
Ôc  des  fiens.  Que  n'euft-il  point  entrepris  fous  un  enfant  de 
quatre  ans,  lui  qui  avoir  ufurpé  une  autorité  abfoluë  fous  uri 
Roy  majeur,  lui  qui  eftoit  polTedé  d'une  indomptable  ôc  infi- 
nie ambition  qui  n'a  pu  eftre  tempérée  par  l'apprehenfion  de 
la  ruine  de  l'Eftat,  par  l'extrefme  mifere  de  tant  de  millions 
d'hommes  qu'il  enveloppe,  qui  n'a  pu  eftre  afîbuvie  de  tant 
d'autorité ,  de  biens ,  de  grandeurs ,  ôc  d'honneurs ,  fuffifans, 
s'ils  euffent  efté  bien  partagez,  pour  contenter  toute  la  France. 
Refte  à  remarquer  quelques  a£lions  du  Cardinal  qui  tefmoi-î 
gnent  la  continuation  de  fon  deffein  de  fe  rendre  le  Régent 
&  le  Tyran  du  Royaume ,  qui  font  autant  de  faits  juilifica- 
tifs  de  l'entreprife  de  Monfieur  &  de  ceux  qui  l'avoient  affifté, 
Y  a-t-il  rien  de  plus  manifefte  que  l'Ediâ  qu'il  fit  faire  ayant 
îa  mort  fur  les  lèvres  ,  par  lequel  Monfieur  eft  declarç 
Tome  Xy,  J  H 


çS         MEMOIRES  POUR  JUSTIFIER 

incapable  de  la  Régence ,  &  de  jamais  pouvoir  à  l'advenir 
avoir  aucune  adminiflration  en  ce  Royaume  f  Monfieur^  qui 
eftoit  la  feule  perfonne  qui  pouvoit  par  les  loix  du  Royaume 
s'oppofer  à  fon  ufurpation  ;  Prince  que  la  nature  appelioit  au 
fecours  de  fes  neveux  ;  qui  pour  ce  fujet  eftoit  agité  perpétuel- 
lement parle  Cardinal  pour  le  faire  tomber  en  des  defordres 
&  rebellions  qui  lerendoient  irréconciliable  au  Roy  ôc  à  tous 
ceux  qui  ne  regardent  les  chofes  que  par  les  apparences.   ■ 

A  cela  faut  joindre  ce  que  toute  la  France  a  veu ,  qui  eft 
bien  la  plus  infolente  de  toutes  les  adions  de  ce  cruel  Mi- 
niftre ,  lorfqu'après  qu'il  euft  déclaré  au  Roy  qu'il  ne  le  poii- 
voit  plus  voir ,  il  obtint  de  fa  Majefté  par  fes  emiflaires ,  tou- 
tesfois  miniftres  du  Roy  ,  qui  trai£loient  avec  fa  Majefté  com- 
me de  la  part  d'un  Prince  fouverain ,  de  faire  chafter  de  la 
Court  les  (ieurs  de  Treville,  Tilladet,ôc  autres  fes  confidens 
&  officiers  domeftiques  :  il  voulut  ,  tant  il  eftoit  aveuglé  de 
paffion,  ne  plus  approcher  du  Roy  que  le  plus  fort,  il  voulut 
voir  fon  maiftre  defarmé  ôc  fans  gardes ,  lui  affifté  des  fiennes 
de  d'une  armée  de  gens  choifis  &  les  mieux  fai£ts  du  Royaume. 

Ne  fçait-on  pas  à  quel  delïein  il  fit  lever  un  régiment  de 
Gardes  EcolToifeSjfinonpour  anéantir  celui  des  Gardes  Fran- 
çoifes  &  Suiffes ,  dont  il  n'avoit  pu  corrompre  la  fidélité  des 
officiers  ni  par  argent ,  ni  par  fon  autorité  l  Ne  fçait-on  pas 
pourquoi  il  fit  donner  au  Marefchal  Horn  Suédois  cent  milje 
efcus  pour  amener  une  armée  d'eftrangers  en  France  ,  finon 
pour  s'en  fervir  contre  le  Roy  ,  ôc  fe  rendre  maiftre  d'une 
province  du  Royaume  f 

Après  toutes  ces  allions  qui  juftifient  affez  fes  deteftables  ÔC 
efpouventables  deffeins,  la  mort  en  délivra  laFrance  au  plus  haut 
point  de  fa  grandeur,  à  la  veille  de  fe  voir  affermi  dans  la  plus 
abfoluë  adminiflration  de  l'Eftat.  Enfuite  parut  fon  Teftament 
marque  évidente  de  fon  ambition,  de  fon  avarice,  de  fes  ri- 
cheffes  plus  que  royales ,  ôc  defa  vanité.  Certes  fur  la  feule  lec- 
ture de  ce  Teftament  on  peut  juftement  faire  le  procès  à  fa 
mémoire.  Avant  que  mourir  il  difpofa  en  Roy  des  plus  grands 
bénéfices  dont  il  eftoit  pourveu ,  ôc  des  plus  importantes  pla- 
ces ,  des  premières  charges  Ôc  gouvernemens  du  Royaume. 

Ceux  qu'il  laiffa  auprès  du  Roy  inftruits  dans  ï^ts  maximes, 
enflez  de  la  profperité  paffée ,  fuivant  fes  inftrudions ,  abufant 


MONSIEUR  F.  A.  DE  THOU.  t<> 

de  la  foiblefTe  du  Roy  malade  à  rextremité,  firent  paroiftre 
la  plus  honteufe  pièce  qui  fuft  jamais ,  cefte  impudente  Décla- 
ration pour  le  gouvernement  du  Royaume  ^  qu'ils  firent  pu- 
blier dans  le  Parlement  5  où  la  Reine  ôc  Monfieur  eftoient 
traitiez  comme  des  perfonnes  indignes  du  gouvernement,  puif- 
que  l'on  leur  donnoit  non  feulement  des  collègues  ôc  des  ef- 
gaux  y  mais  des  maiftres  &  des  fuperieurs ,  par  le  moyen  de 
cefte  claufe  ridicule  de  la  pluralité  des  voix  ,  en  vertu  de  la- 
quelle ils  demeuroient gouverneurs abfolus du  Royaume,  vou- 
lant ,  s'ils  en  euflent  efté  creus ,  continuer  la  mefiiie  domination 
ôc  tyrannie  du  Cardinal. 

Mais  Dieu  a  foufflé  fur  leurs  defleins  defreglez,  ôc  fans  au- 
cune violence  l'on  a  laifTé  agir  les  loix  :  les  gens  de  bien  ont 
paru ,  ont  repris  la  parole  ,  ôc  ce  qui  fe  paffa  dans  le  Parle- 
ment le  1 8  de  May  a  arrefté  le  cours  de  la  roue  qui  nous  jet- 
toit  dans  le  précipice.  Cefte  heureufe  journée  nous  a  fai£l  co- 
gnoiftre  que  les  François  font  du  nombre  de  ceux  qui  ne  peu- 
veut  pas  tousjours  fouffrir  la  fervitude. 

VI.  j^ie  lesformalitez  doivent  ejîre  ohfervées  en  jujîice ,  mais  trh- 
exaâement  en  la  criminelle. 

Que  la  confrontation  de  faccufé  à  toutes  fortes  de  tefmoins  » 
ejî  abfolument  nécejfaire, 

LA  véritable  fin  de  la  juftice  eft  la  prote£lion  des  perfon- 
nes innocentes  ',  ôc  tant  s'en  fault  que  fon  deffein  foit  de 
travailler  à  la  perte  des  hommes  ^  qu'au  contraire  elle  ne  con- 
fent  jamais  à  prononcer  leur  condemnation  que  quand  elle  re- 
cognoiftleur  crime  fi  certain  ôc  fi  déterminé,  que  le  faîut  leur 
feroit  nuifible  ,  ôc  leur  confervation  perilleufe.  Et  la  faveur  de 
l'innocence  a  efté  fi  grande ,  que  jamais  perfonne  n'a  douté 
qu'il  ne  fuft  plus  expédient  de  laiffer  cent  coulpables  impunis^ 
que  de  condamner  une  feule  perfonne  innocente  :  qu'il  n'y  a 
jamais  de  délibération  trop  longue ,  de  prudence  trop  exadte, 
ôc  de  vérité  trop  certaine ,  quand  il  s'agit  delà  tefte  d'un  hom- 
me, ôc  d'un  homme  de  condition.  Que  dans  la  moindre  in- 
certitude il  faut  pancher  perpétuellement  à  l'abfolution  ,  jamais 
à  la  condemnation  :  que  les  Juges  font  obligez  en  confcience 

5  Hij 


^o         MEMOIRES  POUR  JUSTIFIER 

&  par  humanité  de  fuppléer  à  tout  ce  qui  peut  fervir  à  la  juf- 
tification  d'un  Innocent  5  mais  qu'ils  ne  doivent  jamais  eftre 
artificieux ,  jamais  rien  contribuer ,  non  pas  mefme  de  leur 
fcience ,  à  rendre  un  homme  coulpable. 

Mais  il  eft  bien  certain  qu  il  ne  fe  peuvent.pour  quelque  caufe 
que  ce  foit,  difpenfer  des  formes  qui  ont  efté  introduites  pour 
l'inftrudion  des  procès  criminels  :  &  ce  n'efl:  pas  fans  raifon 
qu'un  ancien  difoit  que  la  précipitation  eftoit  la  maraftre  de 
la  juftice,  parce  que  toute  la  bonté ,  la  prudence  ,  ôc  la  vé- 
rité qui  fe  trouvent  dans  la  juftice,  ne  fe  confervent  certaine- 
ment que  par  l'obfervation  des  formes  qui  y  ont  efté  fagement 
eftablies.  Et  bien  que  toutes  les  formes  introduites  par  les  or- 
donnances de  nos  Rois  pour  l'inftrudion  des  procès  criminels^ 
foient  de  Droit  eftroit  ôc  doivent  eftre  obfervées  à  la  rigueur, 
ôc  qu'il  n'y  ait  point  d'occafion  particulière  pour  laquelle  on 
doive  rompre  des  Loix  qui  font  faites  pour  le  falut  ôc  pour 
l'utilité  publique  :  neantmoins  on  peut  dire  qu'il  y  à  des  for- 
mes qui  font  plus  efTentielles ,  plus  faindes  ôc  plus  religieufes 
que  les  autres  j  comme  font  celles  qui  concernent  la  foi  ôc  la 
confrontation  des  tefmoins  :  car  puifque  dans  la  foi  des  tef- 
moins  confifte  toute  la  fubftance  d'un  procès  criminel,  puifque 
c'eftie  feul  fondement  des  Juges  ;  c'eft  là  principalement  où  la 
diligence  de  la  juftice  doit  eftre  occupée  à  rendre  la  vérité  claire 
6c  certaine  par  toutes  les  formes  Ôc  les  règles  qui  ont  efté  pref- 
crites  pour  aileurer  la  foi  des  tefmoins  ôc  la  convidion  des 
coulpables. 

Entre  toutes  ces  formes  la  confrontation  des  tefmoins  eft 
fans  doute  la  plus  neceffaire  :  ôc  pour  les  autres  formes  de 
i'inftru£lion ,  l'on  peut  dire  qu'elles  ont  efté  différentes  parmi 
les  peuples  ;  mais  pour  la  confrontation  des  tefmoins  ,  il  fem- 
Mq  qu'elle  eft  aulîi  ancienne  que  la  juftice  ,  ôc  que  par  tout 
où  elle  a  eu  quelque  forte  de  règles ,  on  n'a  jamais  condam- 
né perfonne  fur  la  dépofition  d'un  tefmoin  qui  ne  lui  euft  point 
efté  prefenté.  Autrefois  on  n'entendoir  point  les  tefmoins  qu'en 
la  prefence  mefms  des  accufez  qui  les  pouvoient  reprocher 
fur  le  champ  5  mais  on  a  creu  depuis  qu'il  eftoit  plus  expédient 
d'entendre  les  tefmoins  ôc  de  les  confronter  par  après  :  ôc  en 
cela  il  y  a  quelque  defayantage  pour  les  aççufez ,  parce  qu'un 


MONSIEUR  f.  A.  DE  THOU.  €t 

tefmoin  fe  peut  engager  en  l'abfence  de  l'aecufé,  &  eftant 
engagé  il  n'a  pas  toute  la  •  liberté  de  fe  defdire  ,  quand  mefme 
la  perfonne  de  l'accufé  &  la  force  de  la  vérité  l'y  obligeroient. 

Mais  que  l'on  puiiTe  affeoirune  condemnation  furladépo- 
fition  ou  déclaration  d'un  tefmoin  fans  qu'il  foit  befoin  de 
confrontation,  c'eft  ce  qui  répugne  diredement  au  fens  com- 
mun >  aux  elemens  ôcaux  principes  de  la  juftice.  Caria  con- 
frontation comprend  quatre  a6les  effentiellement  neceflaires  à 
la  confedion  d'un  procès  criminel  j  ou  pour  mieux  dire  ,  elle 
comprend  en  effence  le  ramas  de  tous  les  a£les  d'un  procès 
criminel. 

Premièrement ,  comme  datis  un  procès  civil  le  deffendeur 
doit  avoir  communication  des  pièces  fur  lefquelles  la  deman- 
de eft  fondée  ,  6c  a  droit  de  la  requérir  dès  l'heure  qu'il  efl 
aifigné,  de  demander  à  faute  de  ce  faire  d'eftre  envoyé  abfous 
de  la  demande  ,  ôc  fi  on  lui  refufoit  la  communication  fa  con- 
demnation  feroit  injufte  :  de  mefme  dans  un  procès  criminel 
la  confrontation  eft  la  communication  des  preuves  fur  lefquel- 
les l'accufation  eft  fondée, par  confequentdeneceflltéabroluëa 

Le  fécond  ade  eft  la  recognoiflance  de  l'accufé  ôc  du  tef- 
moin i  afin  de  voir  fi  les  tefmoins  qui  chargent  l'accufé  eftans 
reprefentez  à  face  le  recognoiftront ,  pour  fcavoir  fi  par  mef- 
prife  ou  par  calomnie  ils  n'auroient  point  pris  une  perfonne 
pour  l'autre  :  ce  qui  eft  arrivé  fouvent,  ôc  dans  des  occafions 
fort  importantes. 

Le  troifiéme  ade  font  les  reproches  que  l'accufé  eft  obli- 
gé de  propofer  fur  le  champ  ôc  par  fa  bouche  :  ôc  comme  il 
n'y  a  point  de  raifon  qui  le  puiffe  difpenfer  de  cefte  rigueur^ 
qu'il  ne  foit  pas  recevable  à  propofer  des  reproches  après  avoic 
entendu  la  dépofition  j  aufii  n'ya-t-il  point  de  raifon  quipuifie 
difpenfer  le  tefmoin  de  fe  reprefenter  pour  fouffrir  les  repro- 
ches. Car  il  arrivera  poiïible  ,  comme  il  arrive  tous  les  jours, 
que  le  tefmoin  demeurera  d'accord  des  reproches,  ôc  s'il  en 
demeure  d'accord  dès  l'heure  fa  dépofition  n'eft  plus  confide- 
rable  î  ôc  partant  on  ne  peut  ofter  cetadvantage  à  l'accufé  de 
fe  pouvoir  défendre  par  la  confcience  mefme  de  celui  par  la 
bouche  duquel  on  le  prétend  charger. 

Mais  le  dernier  a£le  ,  qui  eft  le  plus  important ,  eft  que  dans 
la  confrontation  des  tefmoins  Ôc  de  l'accufé  fe  trouvera  la  plus 

JHiij 


62        MEMOIRES  POUR  JUSTIFIER 

forte  convidion ,  non  feulement  parce  que  la  face  de  l'hom- 
me fur  laquelle  l'image  de  Dieu  eft  imprimée ,  a  une  force 
fenfible  for  les  coeurs  ôc  fur  les  confciences  ,  mais  auiïi  que 
l'on  fe  laifTe  quelquefois  porter  à  calomnier  une  perfonne  ab- 
fente ,  en  la  prefence  de  laquelle  on  n'aura  pas  le  courage  de 
perfifter. 

Mais  quand  on  fuppoferoit  une  chofe ,  ce  qui  eft  impofïî- 
ble  d'affeurer  ,  fc^avoir  que  le  tefmoin  perfifteroit ,  n'arrive-t-il 
pas  tous  les  jours  que  les  accufez  preffantles  tefmoins  furdi- 
verfes  circonftances  proches  ou  efloignées ,  tirent  de  leur  bou- 
che plus  de  juftification  qu'on  n'en  aura  tiré  de  charges  ?  Et 
comment  eft-ce  que  tout  cela  fe  pourroit  faire  ,  fi  l'on  fe  con- 
tente de  lire  à  un  accufé  une  déclaration  muette  &  morte  ôc 
qui  n'a  point  de  refponfe. 

AufTi  par  cefte  raifon  l'on  appelle  la  confrontation  la  véri- 
table conteftation  du  procès,  c'eft  la  perfedion  de  l'informa- 
tion qui  auparavant  ne  faifoit  point  de  foi ,  c'eft  la  confirma- 
tion de  l'interrogatoire  qui  autrement  eftoit  inutile.  Et  eft  tel- 
lement vrai  que  la  confrontadon  eft  la  feule  pièce  fur  laquelle 
eft  fondée  toute  la  foi  du  procès  :  que  fi  un  tefmoin  n'a  point 
efté  confronté ,  on  ne  lit  pas  fa  dépofition  ?  Ôc  l'on  commen- 
ce à  juger  un  procès  criminel  par  les  reproches ,  parce  que  (î 
les  tefmoins  font  valablement  reprochez ,  leur  dépofition  n'eft 
plus  confiderable.  Mais  d'adjoufter  foi  à  de  fimples  attefta- 
tions,  ôc  dans  un  procès  criminel,  c'eft  ce  qui  ne  s'eft  jamais 
veu  en  juftice.  En  matière  civile  une  atteftation  ne  pafla  ja- 
mais pour  une  preuve,  ôc  ne  font  lors  confiderables  que  quand 
elles  font  fignées  de  plufieurs  perfonnes  ,  ôc  fur  quelque  chofe 
de  notoriété  publique  :  mais  en  matière  criminelle  telles  dé- 
clarations ont  efté  perpétuellement  rejettées  :  teftibus  non  tefii^ 
moniis  credendum  t  difoit  l'Empereur  Adrian  ^  5  ôc  par  la  mef- 
me  raifon  l'on  n'a  jamais  fouÔert  que  des  perfonnes ,  de  quel- 
que condition  qu'ils  fuflent,  envoyaflent  leurs  dépofitions  par 
efcrit ,  mais  on  les  a  perpétuellement  obligez  de  les  prefter 
devant  le  Juge.  Et  l'on  ne  peut  pas  dire  que  la  grande  qua- 
lité, ou  la  probité  recogneuë  d'une  perfonne  ,  puifiTe  jamais 
faire  valoir  en  juftice  une  atteftation  qu'il  auroit  baillée  hors  Ja 
face  ôc  la  prefence  du  Juge.  Car  pour  monftrer  queles  perfonnes 

iL.  3,  de  Teftibus, 


MONSIEUR  F.  A.  DE  THOU.  63 

les  plus  relevées  ne  font  point  exemptes  de  prefter  leur  dépo- 
fition  devant  le  Juge ,  n  eft-ce  pas  pour  cela  qu'a  efté  faide 
la  Loi  ad  egregias  C  de  Tejîibus  i  par  laquelle  les  Juges  fe  doi- 
vent tranfportcr  aux  maifons  des  perfonnes  de  condition ,  ou 
malades,  pour  recevoir  leurs  dépolitionsf  ce  quifai£l  voir  trop 
clairement  qu'il  n'y  a  point  de  perfonne ,  pour  illuftre  qu'elle 
foit ,  qui  puifTe  eftre  difpenfée  de  prefter  fa  dépofuion  en  juf-< 
tice ,  s'il  veut  fervir  de  tefmoin. 

Et  bien  que  la  confideration  des  Princes,  ôc  des  Princes  du 
fang  Royal ,  foit  très  grande ,  leurs  perfonnes  ôc  leurs  dignitez 
facrées  >  neantmoins  leurs  privilèges  ne  peuvent  pas  aller  con- 
tre les  Loix,  ils  font  fubjeds  du  Roy  comme  les  autres  ,  par 
confequent  fubjeds  aux  loix  de  l'Eftat  5  ôc  s'ils  contrattent ,  s'ils 
viennent  en  jugement  j  toutes  les  Ordonnances  ,  ôc  pour  le 
fond  de  leurs  biens  ,  ôc  pour  les  formalitez  mefme  des  allions, 
ont  lieu  contre  eux,  comme  contre  les  autres  particuliers,  ôc 
ieur  principale  gloire  eft  de  foûtenir  en  leur  perfonne  la  force 
ôc  l'autorité  des  loix  qui  s'affermiffent  par  leur  exemple  :  ôc  fi 
on  commençoit  à  les  violer  en  leur  perfonne,  la  confequence 
en  feroit  infinie.  Car  comme  il  n'y  pourroit  avoir  de  raifon 
qui  exemptaft  un  Prince  de  prefter  fa  dépofition  ou  fa  confron- 
tation en  juftice,que  fa  dignité  que  l'on  pretendroit  eftre  exempte 
de  reproche  ,  que  la  prefomption  de  la  vérité  ôc  de  la  bonne 
foi  que  l'on'voudroit  croire  eftre  perpétuellement  en  fa  bou- 
che j  cefte  confideration  de  dignité  ,  de  réputation,  de  probité, 
n'eft  pas  reftrainte  en  la  feule  perfonne  des  Princes ,  ôc  il  fe 
trouveroit  quantité  d'autres  perfonnes  irréprochables  par  ieur 
dignité  ôc  probité  recogneuë. 

Et  bien  que  fhonneur  qu'ils  ont  de  tenir  leur  naiffance 
d'une  tige  fi  pure ,  mérite  que  l'on  confidere  toutes  leurs  ac- 
tions Ôc  leurs  paroles  avec  un  refped  fingulier  ;  neantmoins 
il  faut  advoûer  que  fi  la  feule  condition  des  perfonnes  fuffi- 
foit  pour  les  rendre  irréprochables,  il  y  a  des  perfonnes  par- 
ticulières qui  font  de  fain£le  vie,  qui  fembleroient  eftre  autant 
exemptes  de  reproche ,  ôc  l'on  pourroit  dire  que  les  dignitez 
Ecciefiaftiques  feroient  une  efpreuve  plus  certaine  delà con- 
fcience  ôc  de  îa  foi  ,  que  les  grandeurs  ôc  \qs  puiflances  fecu- 
îieres.  Et  mefmes  autrefois  les  Evefques  eftoient  difpenfez  de 
jurer  devant  les  Magiftrats  ,  parce  qu'on  eftimoit  que  leur 


^4  MEMOIRES  POUR  JUSTIFIER. 
dignité  en  eftoit  en  quelque  chofe  ravalée  j  ce  qui  ne  fut  jamais 
dit  pour  aucune  perroane  feculiere  ,  non  pas  mefmes  pour  les 
Princes.  Mais  depuis  ayant  efté  jugé  que  les  Evefques ,  non 
plus  que  les  autres  perfonnes ,  n'eftoient  pas  difpenfez  de  jurer 
en  toutes  fortes  de  rencontres  ,  ôc  eftant  confiant  que  11  un 
Evefque  vouloir  eftre  tefmoin^  il  faudroit  qu'il  fuft  entendu 
par  le  Juge  &  confronté,  comment  en  peut-on  faire  difficulté 
pour  un  Prince  feculier  ?  Car  peut-on  dire  qu'il  foit  exempt 
de  furprife  Ôc  de  haine  ?  Eft-il  pas  agité  de  toutes  fortes  de 
paillons  comme  les  autres  hommes ,  ôc  le  plus  fouvent  avec 
plus  de  violence  ,  ôc  avec  des  fuites  plus  funeftes  f 

Que  fi  on  dit  que  c'eft  un  privilège  des  Rois  d'eftre  creus 
fur  leur  parole ,  ôc  que  ce  privilège  doit  eflre  eftendu  aux  Prin- 
ces: premièrement,  il  feroit  malaifé  de  faire  voir  que  les  Rois 
ayent  jamais  voulu  ufer  de  ce  privilège  de  faire  condamner 
des  perfonnes  fur  leur  fimple  atteftation  :  ils  ont  trop  de  bonté 
&  de  clémence  pour  vouloir  que  leur  fuffrage ,  qui  doit  eftre 
falutaire  à  tout  le  monde  ,  foit  le  feul  inftrument  de  la  perte 
de  leurs  fubje6ls  5  ôc  fi  dans  les  contrants  qu'ils  font ,  dans  les 
traidez  ,  ôc  les  a61;es  publics ,  ils  ne  fe  difpenfent  pas  de  faire 
les  fermens  qui  font  neceffaires  pour  la  validité  des  adies  ^ 
peut-on  dire  qu'ils  voulurent  que  l'on  decidaft  de  la  vie  d'un 
homme  par  leur  fimple  atteftation  ?  Mais  fuppofé  que  ce  pri- 
vilège ,  qui  eft  non-feulement  par-deffus ,  mais  contre  les  Loix  ^ 
appartienne  à  la  perfonne  facrée  des  Rois ,  il  feroit  de  leuc 
Majefté  ôc  de  leur  autorité  de  ne  le  communiquer  à  aucun 
de  leurs  fubje£ls  de  quelque  condition  qu'il  fuft.  Et  quant  aux 
exemples  que  l'on  rapporte  du  procès  fai(Sl  au  Chancelier  Poye 
dans  lequel  le  Roy  François  1  fit  fa  déclaration  ,  ôc  du  procès 
de  la  Mole  où  onfe  fervit  de  la  deçlaradon  du  Duc  d'Alençon, 
il  eft  fort  facile  d'y  refpondre. 

Au  procès  qui  fut  faiâ:  au  Chancelier  Poyet  en  Pannée- 
15*44,  le  Roy  François  I  avoir  depofé  furplufieurs  fai61:sfort 
importans  à  l'honneur  ôc  à  la  vie  de  ce  Chancelier ,  il  fut  or- 
donné que  la  depofition  fai6!:e  par  le  Roy  feroit  leuë  à  l'accu-' 
fé ,  fur  quoi  le  Chancelier  accufé  dift  :  «  Qu'il  avoir  tousjours 
55  eftimé  ôc  eftimoit  la  bonté  ,  excellence  ôc  magnanimité  du 
î»  Roy ,  qui  ne  voudroit  jamais  dire  ne  faire  chofe  qui  por- 
5'  taft  préjudice  à  autruy  i  toutesfois  pour  la  grande  affluence 

d'affaires 


MONSIEUR   F.   A.    DEÏHOU.         (T; 

«  d'affaires  qu'ont  les  Rois  ôc  grands  Seigneurs ,  ils  ne  peuvent  à 
«  caufe  de  la  fragilité  humaine  eftre  tant  parfaits ,  que  par  im- 
»  preffions  ôc  faux  donnez  à  entendre  le  chemin  de  la  vérité 
«  ne  foit  quelquefois  deftourné,  &i  ce  par  la  permiffion  de  Dieu, 
«  pour  telles  occafions  qui  nous  font  occultes  &  incogneuës.  » 
Ce  font  les  propres  termes  tirez  de  PA£le  qui  ell  au  Procès 
du  17  Juin  15' 44.  Et  le  24  jour  dudidlmois,  ledi£î;  Chance- 
lier continuant  à  refpondre  à  quelque  article  de  la  dépofition 
du  Roy  dift  :  «  Combien  que  le  Roy  fuit  indigné  contre  lui, 
»>  neantmoins  defireroit  avoir  parlé  à  lui  ,  comme  eux  qui  lui 
3'  ont  voulu  imprimer  le  contenu  aux  Articles  fur  lefquels  ledi£t 
«  Seigneur  a  depofé ,  pour  lui  faire  entendre  :  car  il  eft  cer- 
«  tain  que  ledi6l  Seigneur  eft  tant  bon  ,  magnanime  ,  ôc  hu- 
«  main  ,  qu'il  voudroit  pluiloft  l'innocence  de  lui  Chancelier 
«  que  fa  charge.  » 

Le  26  dudid  mois ,  le  procès  verbal  porte  que  l'on  leut 
audid  Chancelier  depuis  le  17  Article  jufques au  25*  de  ladé- 
pofition  du  Roy,  fur  lefquels  il  dift  ces  paroles  :  «  Qu'il  lui 
»>  fembîe  que  par  le  procès  qui  lui  a  efté  fait  ,  il  n'eftoit  char- 
35  gé  d'un  feul  mot  du  contenu  auxdiâs  Articles  ^  &  que  ceux 
=5  qui  faifoient  la  pourfuite  contre  lui  avoient  fai£l  interroger  le 
>'  Roy  fur  lefdidls  Articles ,  pour  lui  imprimer  chofes que  ledi6t 
«  Chancelier n'avoit  jamais  penfées,ôc  a  fupplié  ladide] Court 
»  de  confiderer  que  par  le  procès  ne  fe  trouvera  un  feul  mot 
35  du  contenu  auxdids  Articles.  ^■> 

Par  cesextraitts  l'on  peut  faire  cefte  confideration  j  que  bien 
que  les  dépofitions  des  Rois  foient  de  grand  poids ,  elles  font 
neantmoins  fujettes  à  contradiction ,  &  les  accufez  receus  à  les 
impugner  avec  refpetl ,  &  propofer  leurs  defFenfes.  Mais  ce 
qui  eft  tiré  du  mefme  procès  eft  fort  confiderable  :  car  le  Roy 
s'eftant  plaint  à  la  Court  du  jugement  qu'elle  avoit  arrefté  con- 
tre le  Chancelier ,  ôc  reproché  qu'ils  n'avoient  jugé  fuivant  ce 
qu'il  avoit  did  ,  ôc  qu'il  y  reftoit  encore  à  faire  droit  j  lui  fut 
remonftré  par  le  Prefident  Minart  :  ce  Que  ce  qu'il  lui  avoit 
*>  pieu  déclarer  avoit  efté  grandement  confideré  ,  ôc  pris  pouc 
35  l'une  des  principales  charges  dudicl  Poyet  :  mais  qu'es  ma- 
S5  tieres  criminelles  la  difficulté  eftoit  aux  preuves  ,  efquelles 
»»  eft  requis  certaine  forme  pour  affeoir  jugement^  ôc  que  pa^' 
Tome  XV.  5 1 


6'^      MEMOIRES    POUR   JUSTIFIER 

«  le  jugement  de  la  Court  ledid   Chancelier  ne  demeurolc 
33  impuni.  « 

Celte  refponfe  du  Parlement  fai£l  afiez  voir  que  toutes  fortes 
de  Juges  (car  cette  compagnie  qui  jugea  ce  Chancelier  eftoit 
compofée  de  Juges  tirez  de  tous  les  Parlemens  de  France  ) 
font  de  ce  fentiment,  que  toutes  ces  dépofitions ,  mefmes  celles 
des  Rois,  font  fort  foibles  eftant  deftituées  de  leur  principale 
&  effentielle  formalité,  qui  eft  la  confrontation.  Ce  Chance- 
lier fut  enfin  par  Arreft  privé  de  fa  charge j  déclaré  incapable 
de  tenir  aucun  office  royal,  condamné  en  cent  mille  livres  d'a- 
mende envers  le  Roy  ,  &  confiné  pour  cinq  ans  en  tel  lieu 
qu'il  plairoit  au  Roy  d'ordonner. 

Le  fécond  exemple  eft  celui  de  la  Mole ,  qui  eft  le  plus  pré- 
cis Ôc  le  feul  dont  l'on  s'eft  fervi.  M.  le  Duc  d'Alenc^on  fit  fa 
déclaration  en  prefence  du  Roy,  de  la  Reine  fa  mère  ,  &:  de 
plufieurs  Grands.  Le  Roy  de  Navarre  donna  auffi  la  fienne. 
Ces  deux  Princes  ne  furent  point  confrontez  aux  accufez ,  ôc 
neantmoins  leur  dépofition  fut  confideréeau  procès,  Ôc  futleuë: 
ce  qui  n'euft  efté  fait  fans  la  confideration  de  leur  qualité. 

A  cela  l'on  peut  dire,  que  la  prefence  du  Roy  ôc  de  la 
Reine  donnèrent  quelque  poids  à  la  chofe,  qu'il  y  avoit  beau- 
coup d'autres  preuves  au  procès  contre  les  accufez  ,  ôc  par  leur 
propre  confeffion.  Que  la  déclaration  du  Roy  de  Navarre  ne 
touchoit  point  le  fait^  partant  inutile  d'eftre  confronte  ;  que  de 
vérité  le  Duc  d'Alençon  non  confronté  declaroit  l'affaire  , 
mais  qu'il eftoit  fuperflu,  s'il  faut  ainfi  dire,  de  le  confronter, 
pource  qu'il  y  avoit  trop  de  lumière  au  procès  de  la  conjura- 
tion ,  foit  par  la  confeffion  mefme  des  accufez,  foit  par  la  dé- 
pofition de  plufieurs  tefmoins  ,  ôc  par  divers  actes. 

En  cefte  affaire  il  fe  rencontra  deux  chofes  confiderables  : 
l'une  dire£lement  oppofée  aux  Ordonnances,  qui  eft  que  M. 
îeDuc  d'Alençon  ne  fut  point  confronté:  l'autre  que  l'on  peut 
remarquer  aujourd'huy  comme  une  chofe  rare ,  que  le  procès 
fut  jugé  par  la  grande  Chambre  entière  du  Parlement  de  Paris, 
Juges  non  clioiiis  ;  le  premier  Prefident ,  un  autre  Prefident , 
ôc  deux  Confeillers  travaillèrent  à  finftruâion  du  Procès  ,  le 
Chancelier  de  Birague  ne  fut  point  des  Juges ,  ne  fut  en  au- 
cun ade  de  finârudion. 


MONSIEUR   F.   A.    DE  T  H  O  U.  ^7 

Ceux  qui  ont  aflifté  le  Cardinal  en  la  refolution  qu'il  avoit 
àe  faire  périr  M.  de  Thou  ^  ont  recherché  tous  les  moyens 
pour  la  faire  reuffir  j  &  fur  la  crainte  qu'ils  eurent  que  la  char- 
ge feroit  trop  légère  contre  l'accufé  ,  i\  l'on  ne  faifoit  valoir  ce 
que  Monfieur  promettoit  de  dire  à  condition  de  n'eftrc  pas 
confronté  ,  .s'adviferent  de  demander  advis  à  ceux  qui  avoient 
fervi  autrefois  en  la  charge  d'Advocats  du  Roy  au  Parlement 
de  Paris.  La  conférence  qu'ils  eurent  avec  M.  le  Chancelier 
fut  fort  fecrette  ,  Ôc  telle  qu'à  peine  a-t-on  pu  pénétrer  ce 
qu'ils  firent.  Les  uns  difoient  qu'ils  avoient  allégué  que  l'un 
des  privilèges  des  Princes  du  Sang  eftoit  de  ne  devoir  eftre 
confrontez  ,  ce  qui  eft  ridicule  :  mais  enfin  on  a  fceu  que 
i'ade  qu'ils  fignerent  ne  contenoit  autre  chofe,  fmon  qu'il  ne 
fe  trouvoit  point  d'exemple,  où  un  Prince  ayant  fervi  de  tef- 
moin  euft  efté  confronté,  mais  qu'il  y  en  avoit  un  où  un  Prin- 
ce qui  avoit  dépofé  ,  n'avoit  point  efté  confronté  j  qui  efl:  ce 
feul  exemple  tiré  du  procès  de  la  Mole  ,  qui  eft  une  refolution 
futile  ôc  fophiftique  inventée  pour  flater  la  paffion  de  ceux  qui 
les  confultoient. 

Il  eft  certes  très-rude  de  vouloir  aujourd'huy  tirer  en  exemple 
ce  qui  fe  pafla  au  procès  de  la  Mole  ,  pour  le  défaut  eflentiel  de  la 
confrontationqui  eft  contre  l'Ordonnance;  ôclaiffer  l'autre  point 
desjuges  naturels  &  ordinaires  qui  eftlegitime,  pour  faire  un 
choix  de  perfonnes  tirées  de  diverfes  provinces  ôc  compagnies. 

En  un  rencontre  où  la  déclaration  d'un  Prince  fe  trouve- 
roit  feule,  il  eft  certain  qu'elle  ne  pourroit  faire  de  preuve  ; 
non  pas  mefmes  quand  il  auroit  efté  entendu  Ôc  confronté  par 
les  voyes  ordinaires.  Car  c'eft  une  maxime  qui  pourroit  eftre 
prouvée  par  cent  autoritez  :  mais  il  n'en  eft  point  de  befoin , 
parce  qu'elle  a  efté  prononcée  par  la  bouche  de  la  vérité  éter- 
nelle afin  que  jamais  on  ne  l'en  peuft  douter ,  que  la  dépofirion 
d'un  feul  ne  fai£t  point  de  foi  en  juftice;  ôc  n'y  a  point  de  con- 
dition ni  de  dignité  aiïèz  relevée  pour  donner  force  à  une  preuve 
naturellement  imparfaite.  Mais  de  prétendre  que  la  feule  at- 
teftation  d'un  prince  puifle  Jamais  faire  foi  en  juftice ,  fans  au- 
tre inftruction  ni  confrontation,  la  confequence  en  feroit  ex- 
trêmement dangereufe.  Car  outre  que  les  Princes  ne  font  pas 
exempts,  comme  il  eft  dit  cy-devant,  de  toutes  les  furprifes 
qui  peuvent  faire  faillir  les  hommes ,  ôc  les  engager  en  de 

il') 


€S  MEMOIRES  FOUR  JUSTIFIER 

mauvaifes  accufations  i  ce  font  eux  au  contraire  dont  la  fran- 
chife  ôc  la  confcience  eft  plus  expofée  à  la  malice  de  ceux  qui 
les  environnent ,  Ôc  l'accouilumance  qu'ils  contra£tent  d'ac- 
corder tous  les  jours  quelque  chofe  à  rimportunité,  fait  qu'on 
ne  peut  jamais  eftre  trop  alfeuré  de  leur  intention  :  ôc  fi  les 
Rois  mefmes  ont  voulu  que  l'on  ne  s'arreftaft  point  à  leurs  let- 
tres de  cachet  ,  quelques  favorables  qu'elles  fuifent  ,  parce 
qu'elles  peuvent  eftre  facilement  furprifes  5  quelle  apparence 
que  l'atteftation  feule  d'un  Prince  fué  un  fondement  légitime 
d'une  condemnation  f 

Et  tant  s'en  faut  que  la  déclaration  foit  plus  confiderable  ; 
pour  eftre  faite  en  prefence  d'un  Juge  ,  Ôc  quelque  formalité 
qu'on  y  euft  obfervée  ;  qu'au  contraire  c'eft  parla  qu'il  eft  aifé 
à  juger  qu'elle  n'eft  pas  fuffifante  ,  ôc  par  une  raifon  fans  ref- 
ponfe  :  car  fi  la  déclaration  eft  faite  en  prefence  d'un  Juge  , 
c'eft  que  l'on  aura  bien  penfé  que  la  fimple  déclaration  d'un 
Prince  feroit  inutile,  tant  à  caufeque  ce  feroit  un  tefmoigna- 
ge  privé ,  que  parce  qu'on  ne  peut  adjoufter  foi  en  juftice  à 
un  tefmoin  qui  n'a  point  fai£l  de  ferment.  Or  il  eft  conftant 
que  la  confrontation  eft  plus  necefiaire  ôc  plus  efTentielle  que 
l'information ,  ôc  partant  il  l'on  a  jugé  que  la  déclaration  ne  pou- 
voir de  rien  fervir  il  elle  n'eftoir  faide  en  la  forme  que  des 
tefmoins  doivent  dépofer  en  l'information  j  c'eft  une  confe- 
quence  neceffaire  qu'elle  ne  peut  de  rien  fervir  fans  confron- 
tation. 

Et  bien  que  dans  un  procès  criminel  aucune  formalité  ne 
puiffe  eftre  impunément  obmife  ,  ôc  que  s'il  n'y  avoir  point 
d'information ,  la  dépofition  des  tefmoins  que  l'on  ameneroit 
pour  eftre  confrontez  ôc  depofer  fur  le  champ  ne  vaudroit  rien , 
ôc  quand  il  y  auroit  information  ôc  connontation  on  ne  pour- 
roit  afleoir  de  condamnation  s'il  n'y  avoit  Interrogatoire  j  à 
beaucoup  moins  de  raifon  le  peut-on  faire  quand  il  n'y  a  point 
de  confrontation  ,  puifque  c'eft  le  feul  aâe  qui  conclut  la 
preuve ,  ôc  que  tous  \^s  autres  font  imparfaits.  Car  fi  la  dépo- 
îition  a  efté  précipitée,  ou  par  la  crainte  ou  par  quelque  paf- 
fion ,  elle  eft  redifiée  par  la  confrontarion  ;  la  prefence  de 
l'accufé  peut  efmouvoir  le  tefmoin ,  lui  peut  remettre  en  mé- 
moire pluf  ieurs  chofes  que  fon  premier  mouvement  ou  la  crainte 
lui  auroit  faid  perdre  :  il  employé  lors  tout  ce  qu'il  a  de  plus 


MONSIEUR  F.  A.  DE  THOU.  e<^ 

fort  pour  fegarentir,  6c  pour  confondre  le  tefmoin  quel  qu'il 
foit.  Bref,  fi  la   dépofition  e(t  inique ,  la  confrontation  faite 
félon  les  formes  la  rend  jufte  ,  foit  à  la  confufion  de  l'accufé, 
foit  à  fa  defcharge  ,  ôc  les  Juges  font  obligez  à  l'un  ôc  l'autre. 
Monfieur  le  Duc  d'Orléans  a  fi  fort  appréhendé  la  force  de  la 
confrontation;»qu'il  a  ftipulé  qu'il  ne  feroit  point  confronte  avant 
que  faire  fa  déclaration;  il  a  fallu  violer  les  îoix  pour  lecontenter« 
Ce  Prince  jugeoit  fort  bien  que  la  prefence  des  accufez  lui 
euft  mis  en  mémoire  beaucoup  de  chofes  qui  lui  efloient  ef- 
chappées,  beaucoup  de  circonftances  qui  lui  eufientfaidl  pen- 
fer  déplus  près  à  ce  qu'il  avoir  dit ,  à  re£lifier  fa  déclaration. 
Monfieur  3  de  vérité  ,  a  chargé  M.  de  Thou  par  fa  première 
déclaration  fur  le  premier  advis  qu'il  euft  que  les  S>«.  le  Grand 
&  de  Thou  avoient  efté  arreftez  ,  ôc  agité  qu'il  eftoit  de  la 
terreur  qu'on  lui  donnoit  de  la  colère  du  Roy  ,  ôc  bien  plus 
de  la  fureur  du  Cardinal.  Depuis  fe  voyant  en  une  afiiette  plus 
afleurée,  mais  neantmoins  en  prefence  de  M.  le  Chancelier  , 
dift  qu'il  avoir  tousjours  déclaré  qu'il  ne  vouloit  pas  que  ledi6t: 
S^  de  Thou  fuft  dans  fes  affaires,  ôc  que  lediâ  S^.  le  Grand 
lui  avoir  promis  qu'il  ne  fçauroit  rien  du  Trai£té  avec  lEfpa- 
gne.  Enfuite  qu'arriva-t-il?  Monfieur  eftant  feul  ôc  libre  hors 
la  prefence  du  Chancelier  ,  prefie  de  fa  confcience  efcrivit 
une  Lettre  pour  eftre  communiquée  au  Chancelier  ,  par  la- 
quelle il  defchargeoit  à  pur  ôc  à  plein  ledid  S^.  de  Thou  du 
Traidlé  d'Efpagne  :  niais  la  Lettre  a  efté  fupprimée  ,  les  Com- 
miflaires  ne  l'ont  pas  vue ,  Ôc  ce  pour  faire   valoir  la  déclara- 
tion de  Monfieur  qui  eftoit  deftruite  par  cette  Lettre.    Si  la 
confrontation  euft  efté  faite ,  Ton  ne  peut  douter  que  Monfieur 
euft  dit  ce  qu'il  avoit  dit  par  fa  Lettre,  ôc  avec  bien  plus  d'ef- 
fe£l  y  car  cela  fe  fuft  fai£l  en  prefence  de  l'accufé  ôc  des  Com- 
mifiaires  ,  ôc  l'aâe  n'en  euft  pas  efté  fupprimé  :  ainfi  l'on  voit 
que  ce  que  la  crainte  avoit  extorqué ,  le  temps  ôc  la  vérité  l'ont 
re£lifié ,  ôc  l'euft  efté  bien  plus  abfolument  ôc  utilement  fi  les 
formes  de  la  juftice  euflent  efté  obfervées.  Certes  fi  un  Prince 
s'oblige  à  eftre  tefmoin ,  s'il  s'y  engage  ,  il  contrarie   par  ce 
moyen  avec  la  loi  ;  il  faut  qu'il  obferve  ce  qu'elle  ordonne  à 
tous  les  tefmoins,  la  loi  ne  l'excepte  pas,  elle  n'a  pas  confideré 
îa  qualité  des  perfonnes  ,  elle  a  veu  qu'il  eftoit  queftion  de  la 
vie  ôc  de  l'honneur  des  hommes  :  il  n'y  a  rien  en  juftice  qui  ne 
fe  doive  faire  pour  les  çonferver.  5  I  iij 


-70  MEMOIRES  POUR  JUSTIFIER. 

Un  Prince  délateur  ou  principal  refmoin  n'a  point  plus  de 
privilège  qu'un  autre  perfonne  :  s'il  a  eflé  fi  mal  confeilié ,  ou 
ji  fa  paflTion  l'a  fi  fort  emporté  que  d'avoir  rendu  un  tefmoi- 
gnage  qui  va  à  faire  perdre  la  vie  ôc  honneur  à  des  perfonnes 
de  condition  :  il  n'y  a  privilège ,  il  n'y  a  loi  j  il  n'y  a  point 
de  raifon  qui  le  puifle  garantir  d'eftre  confronté  à  celui  qu'il 
accufe.  Au  contraire ,  Pordonnance  y  oblige  tous  les  tefmoins 
à  peine  de  nullité  de  tout  ce  qu'ils  peuvent  dire  :  leur  dépo- 
fidon  mefmesn'eft  pas  îeuë  ,  bien  loin  d'eftre  de  quelque  poids. 
La  grandeur  d'un  Prince  ne  reçoit  pas  plus  de  diminution  en 
la  confrontation  qu'en  la  dépofition  :  au  contraire ,  fi  fa  perfon- 
ne ôt  fa  dignité  font  bleflees  en  cefte  occafion  ,  c'eft  lui-mef- 
me  qui  s'eft  faicl  le  mal  par  fa  première  adion  qui  eft  la  dé- 
pofition ,  qui  eft  un  a£le  volontaire  5  la  confrontanon  n'eft 
qu'une  fuite  neceffaire ,  ôc  la  dépofition  n'eft  rien  fans  elle , 
eft  inutile. 

Et  tant  s'en  faut  que  la  qualité  du  crime  puifi!e  difpenfer 
des  règles,  &  fur  tout  de  la  confrontation  ?  au  contraire ,  c'eft 
ce  qui  la  rend  plus  necefiaire.  Car  il  eft  tellement  vrai  que 
îa  confrontation  eft  de  necefiité  abfoluë,ôc  de  l'eflence  d'un  pro- 
cès qui  va  à  la  vie  ,  que  quand  un  accufé  confefleroit ,  quand  il 
prendroit  droit  par  les  charges ,  on  ne  le  pourroit  pas  condam- 
ner à  mort  j  fans  lui  confronter  les  tefmoins.  Et  dans  des  cri- 
mes légers  quelquesfois  on  ne  confidere  pas  fi  les  preuves  font 
fi  parfaites  :  mais  toutes  les  fois  qu'il  eft  queftion  de  la  vie, 
jamais  on  ne  condamne  qu'il  n'y  ait  preuve  formelle,  &  plus 
claire  que  le  jour,  parce  que  la  vie  des  hommes  eft  fi  chère 
6c  fi  precieufe  qu'il  n'y  a  point  de  raifon  pour  laquelle  on  doi- 
ve hazarder  leur  innocence  ',  ôc  les  Juges  qui  la  tiennent  ea 
leurs  mains  ,  ôc  qui  en  doivent  rendre  compte ,  en  doivent 
eiuOî  eftre  bons  mefnagers  ,  ôc  plus  que  de  leur  propre  fang. 

Il  falloir  certainement  que  noftre  accufé  fuft  bien  convain- 
cu ,  pour  obmetrre  une  fi  efientielle  formalité  que  celle  de  la 
confrontation  j  ôc  neantmoins  l'on  fçait  combien  eftoit  foible 
!a  preuve  contre  lui  j  ou  pluftoft  qu'il  n'y  en  avoit  point.  Il 
ialloit  que  la  paffion  que  l'on  a  eu  de  le  faire  mourir  fuft  vio- 
jente,  puifque  pour  y  fatisfaire  on  a  violé  la  juftice,  la  cho- 
fe  h  plus  fainâe  qui  foit  entre  les  hommes. 

Le  fiççle  fefa  noté  dç  cefte  marque  ,  que  pour  faire  perij: 


MONSIEUR   F.  A.    DE  T  H  O  U.  yr 

des  perfonnes  de  condiîion ,  il  a  fallu  condamner  nos  meil- 
leures loix  ôc  les  plus  fain£les  ;  on  a  attribué  à  des  perfonnes 
bien  qu'éminentes^  des  privilèges  exhorbitans,  ôc  qui  ne  font 
attachez  qu'à  la  feule  perfonne  du  Roy,  qui  perd  par  une  telle 
introdu£lion  fon  autorité  ôc  les  privilèges  attachez  à  fa  per- 
fonne faerée ,  puifque  l'on  les  rend  communs  à  fes  fubje6ls  ;■ 
chofes  inouie  àc  fans  exemple. 

Après  ces  confiderations,  qui  font  tirées  de  la  chofemefme, 
il  efl:  impo/Tible  de  s'imaginer  que  l'on  puiffe  faire  des  A6i:es 
équivalens  à  une  confrontation  j  équivalens  inventez  à  l'op- 
preiïion  des  plus  innocens,  au  lieu  de  les  introduire  pour  les 
favorifer. 

L'on  peut  de  vérité  remédier  en  quelque  forte  aa  defFaut 
de  la  fuppofition  d'une  perfonne  pour  une  autre;  mais  à  ce- 
lui de  l'évidente  utilité  que  l'accufé  peut  tirer  de  fe  voir  pre- 
fent  avec  le  tcfmoin  qu'il  peut  interroger,  qu'il  peut  exami- 
ner par  toutes  les  parties  de  fa  dépofition ,  cela  ne  fe  peut  dire 
fans  faire  une  extrefme  violence  au  bon  fens  Ôc  à  la  jufticer 

VIL    Ouelle  foi  peut-on  aâjoufler  à  la  dépofttion  d^un  tefmoin 

qui  ejl  accuje  &  coulpable, 

LEs  tefmoins ,  fur  la  foi  defquels  on  veult  afifeoir  le  fonde* 
ment  ôc  les  preuves  d'un  procès  criminel ,  doivent  eftre 
au-deflus  de  toute  forte  d'exception. 

S'il  y  a  quelque  reproche  contre  eux ,  gênerai  ou  particu- 
lier i  leur  dépofition  doit  eftre  rejettée. 

Les  reproches  généraux  font  ceux  qui  refultent  de  la  con- 
dition ôc  des  mœurs  des  tefmoins ,  qui  les  peuvent  rendre  fuf- 
pe6ts  y  mais  les  reproches  particuliers  font  infiniment  plus  pref- 
fans,  qui  refultent  delà  confideration  que  le  tefmoin  peut  avoir 
pour  les  perfonnes  qui  agilTent,  de  la  haine  contre  les  accufez, 
ou  de  l'intereft  qu'il  peut  avoir  dans  l'affaire  mefme. 

Et  ce  reproche  le  plus  fort  de  tous ,  n'eft  jamais  plus  puifTant 
que  quand  on  veut  faire  fervir  de  tefmoin  une  perfonne  accu-- 
fée ,  ôc  tirer  toute  la  preuve  du  procès  de  la  feule  dépofition  du 
complice.  Car  il  fe  rencontre  par  ce  moyen  deux  fortes  de  re- 
proches en  fa  perfonne  :  le  premier,  qu'il  eft  coupable  ,  ôc  par 
confequent  reprochablej  le  fécond,  que  d'ordinaire  un  accufé 


72       MEMOIRES  POUR  JUSTIFIER 

qui  confefle  ôc  qui  en  charge  d'autres ,  cherche  fa  décharge 
dans  fon  accufation. 

Car  fans  confiderer  toutes  les  raifons  particulières ,  par  lef- 
quelles  un  accufé  peut  eftre  moins  coupable  ^  quand  il  impute 
à  d'autres  la  faute  qu'il  a  commife  ,  ôc  que  c'efl:  une  deffenfe 
naturelle  de  fe  juftifier  en  accufant  d'autres  perfonnes  par  lef- 
quelles  on  a  efté  corrompu  )  dont  il  ne  faut  point  d'autre 
preuve  que  la  première  prévarication  qui  fuft  commife  dans 
le  monde,  il  femble  que  tout  homme  qui  confeife  eft  deflors 
afleuré  de  fon  impunité  j  ôc  fans  cette  efperance  de  demeurée 
impuni,  ou  d'eftre  plus  doucement  traidé,  il  n'y  a  gueres  de 
perfonnes  qui  fe  puilfent  refoudre  à  confelTer  un  crime.  Et  de 
vérité,  on  peut  dire  qu'un  homme  eft  hors  du  bon  fens  qui  s'ac- 
cufe  lui-mefme,  ôc  que  toute  confedion  volontaire  doit  eftre 
tenue  fort  fufpedte»  C'eft  pourquoi,  foit  que  le  coulpable  qui 
confeffe  doive  eftre  puni ,  foit  qu'on  lui  a  fai£t  efperer  l'impu- 
nité, fa  dépofidon  ne  peut  faire  foi.  Car  s'il  doit  eftre  puni^ 
comment  eftre  que  fa  dépofition  feroit  foi  contre  les  autres  » 
puifqu'elle  ne  fuffiroit  pas  à  faire  foi  contre  lui-mefme:  s'il 
doit  eftre  impuni ,  comment  peut-on  dire  que  fa  dépofition 
faffe  foi,  parce  que  s'il  eft  coulpable,  il  eft  impoftible  de  croire 
à  une  confeffion  par  laquelle  il  a  acheté  fon  abfoludon  ,  im- 
poflible  d'adjoufter  une  foi  certaine  à  un  tefmoin  qui  eft  cor- 
rompu par  la  promefie  de  fa  vie  f 

Mais  tout  cela  eft  beaucoup  plus  indubitable  ,  quand  il  ne 
fe  rencontre  point  d'autre  preuve  que  celle  qui  refulte  de  la 
confeflion  d'un  complice  :  car  quand  il  y  a  d'autres  preuves 
concluantes ,  une  accufation  précédente  inftruite  de  toutes  fes 
formes,  par  laquelle  on  peut  dire  que  îa  confcience  a  efté  preffée 
par  une  évidente  convi£lion  j  en  ce  cas  la  confeflion  pourroit 
eftre  de  plus  grand  poids ,  parce  qu'elle  ne  feroit  pas  abfolu- 
nient  volontaire,  ôc  qu'elle  feroit  précédée  ôc  appuyée  d'autres 
preuves  :  mais  une  perfonne  qui  confefle  fans  aucune  accufa- 
tion précédente,  ne  tient  heu  que  d'un  fimple  délateur  ,  non 
point  d'un  tefmoin  qui  dépofe,  d'un  accufé  qui  confeflTe  par  la 
force  de  fa  confcience  ,  ôc  l'autorité  de  la  juftice. 

Et  de  ces  veritez  la  preuve  eft  toute  conftante  dans  le  Droit 
Civil  ôc  Canonique.  La  Loi  17  ôc  dernière  au  Code  de  Ac- 
cufatiombus  pafle  jufques  au  point  qu'elle  ne  veut  pas  qu'un 

homme 


MONSIEUR  F.  A.  DE  THOU.  7> 

homme  qui  confefle  avoir  commis  un  crime  ,  foit  interrogé 
fur  le  fai6t  ôc  le  crime  d'autruy,  Qimveteris  juris  autoritas  defe 
confeljbs  ne  interrogari  quidem  de  aliorum  confcientia  finat ,  nemo 
igitur  de  proprio  crimine  confitentem  de  confcientia  fcrutetur  aliénai 
&  dans  la  loi  Repetit  §,  i.  de  quajîionibus :  Is  qui  de  fe  confejjks 
ejî ,  in  caput  aliorum  non  torquebiturh  le  Canon  Neganda  ^.  q.  2. 
le  Canon  Si  tejîes  4.  ^.  3.  le  Chap.  veniens  de  tejitbus.  La  con- 
felîion  des  accufez  qui  en  chargent  d'autres  ,  efl:  beaucoup 
moins  confiderable  que  la  depofition  d'un  tefmoin,  dont  la 
foi  feroit  toute  entière  j  &  faut  fans  doute  un  plus  grand  nom- 
bre de  confefîions ,  que  de  dépofidons  de  tefmoins  qui  ne  fe- 
roient  point  fufpe£ts ,  pour  rendre  un  homme  coulpable  h  & 
autrement  il  feroit  extrêmement  périlleux  de  commettre  le 
falut  des  perfonnes  innocentes  à  ceux  qui  confeffent  volontai- 
rement ,  foit  qu'ils  defefperent  de  leur  falut ,  foit  qu'ils  en 
foient  afleurez.  Et  il  pourroit  arriver  non  feulement  que  des 
perfonnes  innocentes,  mais  ceux  qui  feroient  les  plus  elloignez 
du  crime  ,  s'y  trouveroient  engagez.  Et  celas'eft  rencontré  une 
infinité  de  fois,  que  des  perfonnes  accufées  ,  ou  par  defefpoir, 
par  haine  ,  ou  par  efperance  d'efchapper ,  ou  par  crainte ,  ou 
par  afFedion  de  fatisfaire  à  ceux  qui  les  avoient  accufez ,  y  ont 
compris  des  perfonnes  incogneuës  avec  lefquelles  ils  n'avoient 
jamais  eu  de  commerce. 

Mais  l'on  peut  oppofer  une  decifion  qui  femble  fort  ôc  très- 
confiderable  tirée  du  Canon  $.  Nemini  c.  15*.  q.  5.  &  du  ch.  i* 
ex  de  confefjis ,  qui  deffendent  expreffement  d'adjoufter  foi  à  la 
depofition  d'un  homme  qui  fe  fera  accufé  lui-mefme  fors  qu'au 
crime  de  leze-Majefté. 

Cefte  exception  femble  adjouftée  contre  le  fens  de  l'anti- 
quité ,  en  deteftation  pofTible  du  crime  de  leze-Majefté.  Ils  en 
fçavoient  neantmoins  pour  le  moins  autant  que  nous  de  cette 
matière.  De  vérité ,  comme  ce  crime  eft  grand  ôc  horrible,  ôe 
par  defiTus  tout  ce  qui  fe  peut  imaginer  t  car  il  y  va  du  falut 
d'unEftat,  du  falut  d'un  nombre  infini  de  perfonnes,  il  feni' 
ble  que  l'on  ne  peut  y  apporter  trop  de  feverité.  Cela  néant- 
moins  ne  peut  faire  qu'un  homme  innocent  foit  coulpable , 
parce  qu'on  le  veut  faire  mourir.  La  faveur  de  ce  grand  crime 
ne  doit  pas  aller  jufques  dans  l'oppreflion  des  perfonnes  in- 
îiocentes.  Ne  fçait  -  on  pas  que  dans  les  gouvernemens 
Jome  XV,  J  K. 


74       MEMOIRES  POUR  JUSTIFIER 

tyranniques  c'eft  le  crime  de  ceux  qui  n'en  ont  point,  de  ceux 
cjue ion  veut  perdre  ?  L^on  a  fouvent  veu  des  perfonnes  accu- 
fées  de  ce  crime ,  fauflement  accufées,  l'on  en  fort  comme  d'une 
autre  faufle  accufation ,  pourveu  que  l'on  foit  innocent  ,  les 
accufations  feules  ne  fuffifent  pas  ,  car  qui  ne  feroit  point 
coulpable  ?  Il  faut  des  preuves  bonnes  6c  concluantes  î  il  ne 
faut  pas  qu'elles  viennent  d'un  criminel  corrompu  par  la  pro-. 
mefle  de  la  vie ,  criminel  qui  foit  l'accufateur  ôc  le  tefmoin. 

Mais  il  faut  venir  au  faiâ  particulier  de  ces  Canons.  Le 
Canon  Nemini  ainfi  qu'il  eft  dans  Gratian ,  porte  ces  mots  : 
Ncmini  praterquam  de  crimine  iafa-MajeJîatis  défe  confejfo  créât 
poîeft  Jiiper  crimen  alienum ,  ejufque  omnijque  rei  confeffio  perictilo- 
fa  &  admitti  non  débet.  La  corredion  du  Droit  Canon  faide 
à  Rome  ôc  de  l'autorité  du  Pape  ,  finit  cette  note  fur  les  mots 
de  ce  Canon  ,  Praterquam  de  crimine  lafa-Majefiatis.  Hac  ex- 
ceptio  y  difent-ils ,  in  nullo  ex  locis  indicatis  habetur  praterquam 
apud  Anfelmum.  Ce  qui  eft  fi  vray  qu'ils  ne  fe  trouvent  point 
dans  le  Décret  d'Ives  de  Chartres  parte  5.  can.  288.  ni  dans  fa 
Pannomie,  Ub.  4.  c.  (5p.  ni  dans  Ennodius ,  Epift.  4.  lib.  i. 
mais  feulement  dans  la  ColIeâ:ion  d'Anfelme,  lib.  3.  cayi.  75-, 
ôc  de  plus  Ives  de  Chartres  n'allègue  point  ce  Canon  ,  com- 
me fai£t  Gratian,  du  Pape  Jule,  qui  vivoit  l'an  5355  mais  du 
Pape  Denis  qui  tenoit  le  fiege  l'an  2.60. 

Mais  ce  qui  tranche  toute  forte  de  doute  eft  ,  que  l'une  Ôc 
l'autre  de  ces  Epiftres,  foit  de  Denis  ou  de  Jules,  font  abfo- 
lument  fauffes  ,  ôc  recogneuës  telles  en  toutes  leurs  parties  par 
tous  ceux  qui  ont  la  moindre  cognoiflance  des  Lettres.  Ce 
font  rapfodies  d'un  impofteur  pommé  Ifidorus>  tirées  de  divers 
auteurs  3  ce  qui  a  efté  tellement  efclairci  en  ce  dernier  temps , 
qu'il  ne  faut  pas  avoir  du  fens  pour  en  douter.  Et  certes  il  y  a 
fujet  de  s'eftonner  que  M.  Cujas  n'a  pas  efté  efclairé  de  cette 
vérité  ,  lui  qui  avoir  veu  fi  clair  en  chofes  bien  plus  obfcures. 

Aufli  le  Pape  Léon  IV,  au  Canon  (i^  Libellis  dtft.  21.  fai- 
fant  le  dénombrement  des  Papes ,  dont  les  décrets  doivent 
eftre  receus  en  l'Eglife ,  ne  faià:  aucune  mention  de  ceux  des 
Papes  Denis  ôc  Jules  ;  auffi  il  ne  fe  trouve  aucun  décret  de 
Pape,  compris  dans  le  Code  des  Canons  de  l'Eghfe  Romaine, 
qui  précède  le  Pape  Siricius  qui  vivoit  l'an  58p.  long-temps 
depuis  les  Papes  Denis  ôc  Jules. 


MONSIEUR  F.  A.  DE  THOU.  7r  ; 

Pour  ce  qui  eft  du  Chapitre  i .  de  confejfts  qui  eft  du  Pape  \ 

Clément  III.  il  eft  tiré  de  mot  à  mot  de  ce  Canon  Nemini  >  \ 
&  ainfi  il  n'eft  pas  de  plus  grande  autorité,  ayant  un  fonde-" 
ment  fi  faux,  comme  il  eft  remarqué  cy-deflus. 

Paultis  /.  C.  lib.  I .  Sememiar.  Tit.  20.  §.  j  :  \ 

^i  de  fe  confejjus  eft  in  alium  torqueri  non  poteft ,  ne  alienani  \ 

falmem  in  dabium  deducat  qui  de  fia  dejperavir,  I 

VIII.  Moyens  généraux  contre  ^ordonnance  du  Roy  Louis  XI ^  , 

touchant  le  crime  de  Leze-Majefté ,  ou  eft  reprejenté  Peftat  ] 

du  gouvernement  dudiâ  Roy,  \ 

IL  eft  à  propos  &  très-necefTaire  pour  deftruire  du  tout  l'Or*  i 

donnance  du  Roy  Louis  XI ,  qui  devoit  mourir  avec  fon  \ 
autheur,  au  moins  ne  devoit  eftre  obfervée  après  tant  d'années, 

de  déduire  fommairement  les  a£lions  principales  de  ce  Roy  ;  j 

quelles  ont  efté  fes  inclinations  6c  fon  gouvernement.  ] 

Dez  l'âge  de  xi  ans  il  fit  une  Ligue  contre  le  Roy  Charles 

"VII  fon  père ,  appellée  la  Praguerie  5  attira  à  lui  plufieurs  Grands     Commhtes  ] 

du  Royaume  :  &  par  ces  commencemens  il  fit  juger  quelle  fe-   •  '  ^'  ^^  | 
roit  la  fuite  de  fa  vie.                                                                                 _ 

Il  fafcha  le  Roy  fon  père  contre  lui,  pouravoir  excédé  la  belle  i 

'Agnès  qu'il  aimoit  chèrement.  Enfin  après  plufieurs  menées  1 
qu'il  fit  dans  le  Royaume,  àc  pour  éviter  la  prefence  de  fon 

père,  qui  le  traiâoit pofiible  avec  trop  de  feverité,  il  fe  retira  ; 

en  Dauphiné,  où  il  trai£la  fon  mariage  avec  la  fille  du  Duc  i 
de  Savoye  fans  le  confentement  du  Roy.  «  11  euft ,  dit  Corn-     Commlnes 

«  mines  >  toft  après  débat  avec  fonbeau-pere^  &fe  firent  très  ^*  ^•'^'  ^3*  ; 

^  afpre  guerre.  «  Il  fit  aufi[î  des  levées  de  gens  de  guerre  pour  s'af-  ' 

feurer  du  Dauphiné  5  mais  n'y  pouvant  demeurer  en  feureté,  • 

il  fe  retira  en  Flandre  vers  le  Duc  de  Bourgogne,  où  il  fut  jufques  ■ 

à  la  mort  du  Roy.  Avant  que  de  partir  de  Flandre  le  Duc  de  | 

de  Bourgogne  le  pria  de  pardonner  à  tous  ceux  qui  l'avoient  \ 
ofFenfé.  Il  le  promit  t  à  l'exception  de  fept  perfonnes. 

Afonadvenementàlacouronne^il  defapointa  tous  les  ofîî-  \ 
ciers  ôc  ferviteurs  de  fon  père ,  dont  mal  lui  en  prit.  Les  pre- 
mières années  de  fon  règne  furent  très  rudes  ,  Ôc  les  fuivantes  j 
du  tout  infupportables,  les  Grands  defpouilîez  de  leurs  char-  | 
ges ,  le  peuple  accablé  d'impofts  5  ce  qui  caufa  diverfes  fédi-  ' 
lions  ôc  beaucoup  de  violences.                         J  K  i  j 


76         MEMOIRES  POUR  JUSTIFIER 

La  guerre  qui  avoir  pour  prétexte  le  bien  public,  n'eufî:  au- 
tre origine  que  fa  conduite  violente.  Tous  les  Princes  &  les 
I  4  <^  5*.     Grands  qu'il  avoir  travaillez  par  divers  moyens  .prirent  les  ar- 
Commmes    mcs  Contre  luî.  Ceftehiftoire  ell  commune.  Il  fe  vit  à  la  veille 
Selljèl  p.  8i     ^^  perdre  fon  eftat  ôc  la  vie  3  mais  par  fon  addrefle  il  diflipa 
ces  troubles,  &  fe  vengea  de  tant  d'ennemis,  ce  qui  l'obligea 
d'ufer  de  toutes  fortes  de  rufes ,  de  manquemens  de  foi ,   de 
dureté  qu'il  exerça  depuis  fur  les  Grands ,  ne  penfant  à  autre 
chofe  qu'à  mefnager  lesoccafions  de  divifer  les  uns  d'avec  les 
autres,  emprifonner  ôc  faire  le  procès  aux  uns,  donner  par  ex- 
cès aux  autres  pour  les  attacher  à  fon  fervice. 

D'autre  cofté,  le  Royaume  eftoit  travaillé  par  les  frequens 
paffages  de  gens  de  guerre.  Car  le  Roy  n'eftoit  pas  fi-toft  forti 
d'une  guerre  avec  le  Duc  de  Bourgogne,  qu'il  attaquoit  l'An- 
glois  j  ôc  faifant  la  paix  d'un  cofté ,  il  recherchoit  les  moyens 
débrouiller  d'un  autre  :  toute  fa  viefe  paffa  en  ces  exercices. 
Ch.  li.l  6.  «  Je  croy ,  dit  Commines,  que  depuis  fon  enfance  il  n'eufl:  ja- 
3'  mais  que  tout  mal  Ôc  travail  jufques  à  la  mort  :  ôc  croy  que 
»  fi  tous  les  bons  jours  qu'il  a  eu  en  fa  vie ,  efquels  il  eut  plus 
M  de  joye  ôc  de  plaifirque  de  travail  Ôc  d'ennuy,  eftoient  bien 
w  nombrez  ,  qu'il  s'en  trouveroit  bien  vingt  de  peine  ôc  travail 
«  contre  un  de  plaifir  ôc  d'aife.  « 
Comm'mes        Quelques- uns  ontefcritque  la  mort  de  fon  frère  le  Duc  de 
^'J'-ffl  ^'^     Guienne  fut  avancée.  Aufîi  quandil  fçeut  la  mort  du  frère  du 
îhietiyp.  23p.  Roy  de  Caftille,  il  dit  :  «  Ce  Roy  eft  bienheureux  d'avoir  per- 
»4o-  3î  du  fon  frère.  «  Il  fît  faire  le  procès  à  Jean  II  Duc  d'Alen- 

çon  ôc  à  René  Duc  d'Alençon  fon  fils,  à  René  Roy  de  Sici- 
le fon  oncle  maternel ,  à  Jean  Duc  de  Bourbon  ,  à  Jacques 
p.  83.        d'Armagnac  Duc  de  Nemours  ôc  fut  exécuté  à  mort.  SeifTel 
remarque  que  quelques  Confeillers  du  Parlement  furent  fuf- 
pendus  de  leurs  charges  pour  avoir  efté  d'advis  de  mitiger  la 
peine  de  ce  Duc. 
Commines        II  fit  aufiTi  faire  le  procès  à  Louis  de  Luxembourg  ^  Connef- 
^  ^Mathieu p  *^^'^  ^^  Saint  Paul,  qui  fut  exécuté  dans  Paris  3  comme  aufïï 
Si.  PP7.     *  aux  Seigneurs  de  Nantouillet ,  du  Lau  ,  au  Comte  deDam- 
martin ,  ôc  à  Charles  de  Melun. 

Il  commanda  l'afTaflinat  de  Jean  Comte  d'Armagnac  à  Leic- 
n/r./'    ^   toute;  Ôc  les  horribles  cruautez  commifes  contre  fon  frère.  Il 

Mathieu  P'    n     c  •       1  V  ■      •       1 1  s  •  •       •  rr    •         J 

j^^^.  nt  taire  le  procès  criminellement  a  trois  principaux  omciers  du 


MONSIEUR  F.  A.  DE  THOU.  77 

Parlement  de  Grenoble ,  pour  avoir  fervi  fon  père  pendant 
qu'il  elloit  Dauphin. 

Il  tint  quatorze  ans  entiers  le  Cardinal  Baluë  &  l'Evefque     Commhei 
de  Verdun  dans  des  cages  de  fer ,  &  les  fit  délivrer  pendant  '*  ^*  ''  '^' 
fa  dernière  maladie  t  &  en  voulut  avoir  une  abfolution  du  Pape. 

L'on  ne  peut  pas  dire  qu'aucuns  de  ces  Seigneurs  n'ayent  efté 
juftement  punis  j  mais  aufli  il  eft  vrai  que  les  rigueurs  duRoyôC 
fes  mauvais  trai£temens  avoient  précédé  leurs  fautes^  ôc  que  dif- 
ficilement les  Princes  ôc  les  Grands  peuvent  fouffrir  défi  lon^ 
gués  Ôc  continuelles  perfecutions.  Auffi  la  Chronique  Scan- 
daleufe  fur  la  fin  porte ,  «  Nonobftant  que  ce  Prince  eufl: 
05  durant  fon  règne  plufieurs  affaires  ^  il  mit  toutefois  fes  enne- 
o'  mis  en  telle  fubjedion  qu'ils  vindrent  tous  par  devers  lui  à 
w  mercy  ,  Ôc  fut  fi  craint  ôc  redouté  qu'il  n'y  avoit  fi  grand  en 
»>  ce  Royaume,  ôc  mefmes  ceux  de  fon  fang,  qui  dormift  ne 
93  repofaft  feurement  en  fa  maifon.  -n 

Les  atlions  de  ce  Prince  feroient  incroyables  fi  l'on  n'en 
avoit  des  tefmoignages  afleurez.  Ceux  de  Ph.  de  Commines  ,fon 
principal  confident,font  certains  ôc  fans  reproches:en  voicy  quel- 
ques-uns. Parlant  des  armées  des  Princes  foulevez  pour  le  bien  CL  3.  &  f, 
public,  «Ils  avoient  ^dit-il,  en  leurs  compagnies  de  fagesôc  nota-  ^'  ^•^•^■^•^' 
3>  blés  Chevaliers  que  le  Roy  avoit  tous  defapointez  ôc  desfaits 
3'  de  leurs  eftats  quand  il  vint  à  la  couronne,  nonobftant  qu'ils 
0'  euffent  bien  fervi  le  Roy  fon  père  es  conqueftes  de  Normandie, 
o'  ôc  en  plufieurs  autres  guerres  ;  ôc  maintesfois  après  s'eft  repenti 
='  de  les  avoir  ainfi  traitiez  en  recognoifiant  fon  erreur,ôc  eftoient 
«  partis  d'ordonnances  du  Roy  bien  cinq  cens  hommes  d'ar- 
as mesj  qui  tous  s'eftoient  retirez  vers  le  Duc  de  Bretagne.  » 

En  un  autre  lieu,  «  Il  eftoit  naturellement  ami  des  gens  de  l.  i.c.  ig» 
M  moyen  eftat ,  ôc  ennemi  de  tous  Grands  qui  fe  pouvoient  paf- 
w  fer  de  lui.  Et  fes  termes  ôc  façons  qu'il  tenoit ,  lui  ont  fau- 
M  vé  la  couronne  ,  veu  les  ennemis  qu'il  s' eftoit  lui-mefme  ac- 
3>  quis  à  fon  advenement  au  Royaume.  Dès  qu'il  cuidoit  eftre 
w  à  feur ,  il  mefcontentoit  fes  gens  par  petits  moyens  qui  peu 
35  lui  fervoient ,  ôc  à  grand  peine  pouvoir  endurer  paix.  II  eftoit 
=>  léger  à  parler  des  gens ,  ôc  aufii-toft  en  leur  prefence  qu'en 
3'  leur  abfence  5  fauf  de  ceux  qu'il  craignoit  :  qui  eftoit  beau- 
»  coup ,  car  il  eftoit  craintif  de  fa  nature  propre.  Comme  il  fe 
»  trouva  grand  ôc  Roy  couronné ,  d'entrée  ne  penfa  qu'aux 

J  K  iij 


7^       MEMOIRES  POUR  JUSTIFIER 

»  vengences  ;  mais  toft  lui  en  vint  le  dommage  ôc  quant  & 
»  quant  la  repentence.  » 

c.  1$.  1 6.  «  Quand  ,  dit-il ,  en  un  autre  lieu ,  il  avoit  la  guerre,  il  dé- 
w  firoit  la  paix  ou  trêves  i  quand  il  avoit  paix  ou  trêves  j  à  grand 
35  peine  les  pouvoit-il  endurer.  « 

c.  8./.  5.  «  Noftre  Roy  >  dit-il,  qui  règne  à  prefent,  a  trouvé  fon 

a>  Royaume  en  paix  avec  tous  fes  voifms  6c  fubjets ,  &  lui 
M  avoit  le  Roy  fon  père  fai£t  mieux  que  jamais  n'avoir  voulu 
»  ou  fceu  faire  pour  lui.  Car  de  mon  temps  ne  le  vis  jamais 
3»  fans  guerre ,  fauf  bien  peu  de  temps  avant  fon  trefpas.  » 

c.  I.  /.  5.  «  Si  le  Roy ,  dit-il ,  n  avoit  débat  par  le  dehors  ôc  contre 

«  les  Grands ,  qu'il  falloir  qu'il  l'euft  avec  fes  domeftiques  ôc 
o>  officiers ,  &  que  fon  efprit  ne  pouvoit  eftre  en  repos.  » 
I A  -7  2.        L^s  conditions  de  paix  que  fit  ce  Roy  avec  le  Duc  de  Bour- 

e.  s>.  /.  s.  gogne  font  eftranges.  Le  Roy  rendoit  audi6l  Duc  Amiens  ôc 
Saint  Quentin,  ôc  lui  abandonnoit  les  Comtes  de  Nevers  ôc 
de  Saint  PauU  ôc  toutes  leurs  terres,  pour  en  faire  à  fon  plai- 
(îr  ôc  les  prendre  comme  fiennes.  Le  Duc  abandonnoit  au 
Roy  les  Ducs  de  Guienne  ôc  de  Bretagne ,  ôc  leurs  feigneu- 
ries ,  pour  faire  ce  qu'il  pourroit. 

c,  6.1. 6.  Self-      «  Le  Roy,  dit  Commines,  avoit  fort  opprefTé  fon  Royau- 

fi^  P-  50-  sï  me ,  Ôc  plus  que  jamais  Roy  ne  fift  i  mais  par  autorité  ôc  re- 
«  monftrance  l'on  ne  lui  a  fceu  faire  le  foulager ,  il  falloir  que 
«  cela  vint  de  lui.  ^^ 
Commines  «  Quant  à  eftre  fufpicionneux  tous  les  grands  Princes  le  font, 
7.  /.  6.  3,  ^  par  efpecial  les  fages  ôc  ceux  qui  ont  eu  beaucoup  d'enne- 
^  '  »  mis  ôc  ofFenfé  plufieurs ,  comme  avoit  fait  ceftui-cy  ;  ôc  da- 

«  vantage  il  fçavoit  n'eftre  point  aimé  des  grands  perfonnages 
»  de  ce  Royaume  ne  de  beaucoup  de  menus ,  ôc  fi  avoit  char- 
a»  gé  plus  le  peuple  que  jamais  Roy  ne  fit.  ^^ 

Mais  voicy  l'eftat  auquel  il  eftoit  fur  les  dernières  années 
de  fon  règne  ^  ôc  par  Commines  mefmes  :  ^  En  premier 
«  lieu  ,  dit-il ,  n'entroit  gueres  de  gens  dans  le  Plellis-du- 
^»  Parc  (  qui  eftoit  le  lieu  où  il  fe  tenoit  )  excepté  gens  domefti- 
«'  ques  ,  &  les  Archers,  dont  avoit  400  qui  en  bon  nombre  fai- 
3î  foient  tous  les  joursle  guet,  Ôcfe  pourmenoient  parla  place  ôc 
!»  gardoient  la  porte.  Nul  Seigneur  ne  grand  perfonnage  ne  lo- 
<»  geoit  dedans  ;  ne  n'y  entroit  gueres  compagnie  de  grands 
•'  Seigneurs.  Nul  n'y  yenoit  que  M.  de  Beaujeu  qui  eftoit  fon 


c 

SeiJJèl, 


MONSIEUR  F.    A.   DE  THOU.  yp 

9»  gendre.  Tout  à  l'environ  de  la  place  du  PlefTis ,  il  fit  faire  un 
»  treillis  de  gros  barreaux  de  fer ,  ôc  planter  dedans  la  muraille 
=»  des  broches  de  fer  ayans  plufieurs  pointes ,  comme  à  l'en- 
»  trée  par  où  on  euft  peu  entrer  aux  foffez  dudiâ:  Pleffis.  Auflî 
»  fît  faire  quatre  moineaux  de  fer  bien  épais ,  &  lieu  par  ou 
»  l'on  pouvoir  bien  tirer  à  fon  aife,  ôc  eftoit  chofe  bien  triom- 
»  phante  ,  ôc  coufta  plus  de  vingt  mille  francs  ;  ôc  à  la  fin  y 
»  mit  40  Arbaleftriers ,  qui  jour  ôc  nui£l  eftoient  en  ces  foffez , 
»'  Ôc  avoient  commifTion  de  tirer  à  tout  homme  qui  en  appro- 
»  cheroit  de  nui£t ,  jufques  à  ce  que  la  porte  fufl  ouverte  le 
»  matin.  Il  lui  fembloit  que  fes  fubjedts  efloient  un  peu  cha- 
»  toûilleux  à  entreprendre  authorité ,  quand  ils  verroient  le 
»>  temps.  A  la  vérité,  il  fut  quelques  paroles  entre  aucuns  d'en- 
»  trer  dans  le  Pleffis ,  ôc  depefcher  les  chofes  félon  leur  advis , 
«>  parce  que  rien  ne  fe  depefchoit  j  mais  ne  l'oferent  entre- 
*  prendre ,  dont  ils  firent  fagement ,  car  il  y  avoit  bien  pour-» 
^  veu.  Il  changeoit  fouvent  de  Valet  chambre  ôc  de  toutes  au- 
«  très  gens ,  difant  que  la  nature  s'esjouït  en  chofes  nouvelles. 
«  Pour  compagnie  tenoit  leans  un  homme  ou  deux  auprès  de 
»  lui  j  gens  de  petite  condition  ôc  affez  mal  renommez ,  ôc  à 
a'  qui  il  pouvoir  bien  fembler  ,  s'ils  efloient  fages ,  qu'inconti- 
wnant  qu'il  feroit  mort  ils  feroient  defapointez  de  toutes  cho- 
»  fes  pour  le  mieux  qui  leur  en  f<^auroit  venir ,  ôc  ainfi  en  ad- 
a*  vint. 

«  Ceux-là  ne  lui  rapportoient  rien  de  quelque  chofe  qu'on 
»  lui  efcrivift  ne  mandaft ,  s'il  ne  touchoit  à  la  prefervation  de 
»'  TEflat  ôc  deffenfe  du  Royaume.  Car  de  toute  autre  chofe , 
»  il  ne  lui  chaloir  d'eftre  en  trêve  ou  en  paix  avec  chafcun.  A 
«'  fon  Médecin  donnoit  tous  les  mois  dix  mille  efcus  ,  qui  en 
a»  cinq  mois  en  receut  54000.  De  terres  donna  grande  quantité 
»  aux  Eglifes ,  mais  ce  don  de  terres  n'a  point  tenu  ,  aulli  ils 
3'  en  avoient  trop.  » 

En  un  autre  lieu.  «  Il  faifoit  d'afpres  puninons  pour  eftre  c.ZJ.6, 
»  craint  ôc  de  peur  de  perdre  obeifTance  ,  car  ainfi  me  le  dit 
«  lui-mefme  ;  il  renvoyoit  officiers  ôc  cafToit  gens  d'armes,  ro- 
»  gnoit  penfions ,  ôc  en  oftoit  de  tous  points  i  ôc  me  dift  peu 
»'  de  jours  avant  fa  mort ,  qu'il  palToit  temps  à  faire  ôc  défaire 
w  gens  5  ôc  faifoit  plus  parler  de  lui  parmi  le  Royaume  que  ne 
»î  fift  jamais  Roy  j  ôc  le  faifoit  de  peur  qu'on  ne  le  tint  pour 


go        MEMOIRES   POUR  JUSTIFIER 

»  mort  :  car  comme  j'ai  dit  peu  le  voyoient. 

>>  One  homme  ne  craignit  plus  la  mort  que  lui,  ôc  ne  fit  tant 
3»  de  chofes  pour  y  cuider  mettre  remède. 

«  Il  voulut  fur  toutes  chofes  qu'après  fon  trefpas  on  tint  le 
3'  Royaume  en  paix  cinq  ou  fix  ans  ;  ce  qu'il  n'avoit  jamais  pu 
35  foufFrir  en  fa  vie.  Et  à  la  vérité  le  Royaume  en  avoit  bon  be- 
35  foin ,  car  combien  qu'il  fuft  grand  Ôc  ellendu ,  Ci  eftoit-il  bien 
M  maigre  ôc  pauvre ,  ôc  par  fpecial  pour  les  pafTages  des  gens 
3»  de  guerre  qui  alloient  d'un  pays  à  un  autre.  « 

Au  mefme  chapitre ,  Commines  après  avoir  parlé  de  la  fin 
de  ce  Roy,  dit  :  «  Voilà  comme  lui  fut  fîgnifîée  fa  mortj  ce 
3>  que  j'ai  bien  voulu  reciter ,  pour  ce  qu'en  un  autre  article 
39  précèdent ,  j'ai  commencé  à  faire  comparaifon  des  maux  qu'il 
3'  avoit  faid  fouffrir  à  aucuns ,  ôc  plufieurs  qui  vivoient  fous  lui , 
35  avec  ceux  qu'il  fouffrit  avant  la  mort ,  afin  que  l'on  voye 
3»  s'ils  n'eftoient  fi  grands  ni  fi  longs  ,  que  neanttnoins  eftoient 
«  ils  bien  grands ,  veuë  fa  nature  qui  plus  demandoit  d'obeilTance 
M  que  nul  autre  en  fon  temps ,  ôc  qui  plus  Pavoit  eue  :  parquoi 
*>  un  petit  mot  de  refponfe  ,  contre  fon  vouloir ,  lui  eftoit  bien 
3'  grande  punition  de  l'endurer.  Quelques  fix  mois  avant  celle 
M  mort  avoit  fufpicion  de  tous  hommes ,  ôc  fpecialement  de 
3'  tous  ceux  qui  eftoient  dignes  d'avoir  authorité.  Il  avoit  crainte 
«  de  fon  fils ,  ôc  le  faifoit  eftroitement  garder ,  ne  nul  homme 
3>  ne  le  voyoit,  ne  parloit  à  lui  finon  par  fon  commandement. 
3»  Il  avoit  doute  à  la  fin  de  fa  fille ,  ôc  de  fon  gendre  à  prefent 
a>  Duc  de  Bourbon  ;  ôc  vouloir  fçavoir  quelles  gens  entroient 
3'  au  Piefiis  quant  ôc  eux.  A  la  fin ,  rompit  «n  confeil  que  le  Duc 
3'  de  Bourbon  fon  gendre  tenoit  leans  par  fon  commandement. 
3'  A  l'heure  que  fondid  gendre  Ôc  le  Comte  de  Dunois  revin- 
3'  drent  de  remener  l'AmbalTade  qui  eftoit  venue  aux  noces  du 
3»  Roi  fon  fils  ôc  de  la  Reine  à  Amboife ,  ôc  qu'ils  retournèrent 
3'  au  PleflTis ,  ôc  entrèrent  beaucoup  de  gens  avec  eux  ,  led'idi 
35  Seigneur  qui  fort  faifoit  garder  les  portes  eftant  en  la  galerie 
»>  qui  regarde  en  la  Court ,  fit  appeller  un  de  fes  Capitaines  des 
"  Gardes  ,  ôc  lui  commanda  aller  tafter  aux  gens  des  Seigneurs 
o>  deflus  di£ls  voir  s'ils  n'avoient  point  de  Brigandines  fous  leurs 
3' robes,  Ôc  qu'il  le  fit  comme  en  devifant  à  eux  fans  trop  en 
^'  faire  de  femblant.  Or  regardez  s'il  avoit  fai£l  beaucoup  vivre 
=»  de  gens  en  crainte  fous  luij  s'il  en  eftoit  bien  payé,  ôc  de  quelles 

w  gens 


MONSIEUR   F.   A.   DE   THOU.  ^f 

M  gens  il  pouvoit  avoir  fenreté ,  puifque  de  fon  fils  ^  fille  ,  6c 
^'gendre  il  avoit  fufpicion.  Je  ne  dis  point  pour  lui  feule- 
»'  ment,  mais  pour  tous  autres  Seigneurs  qui  défirent  eftre  craints. 
=>' Jamais  ne  fe  fentent  de  la  revanche  jufques  à  la  vieillefle  :  car 
"  pour  la  pénitence  ils  craignent  tout  homme  ;  ôc  quelle  dou- 
»»  leur  à  ce  Roy  d'avoir  cefte  peur  &  ces  paflions  ?  Il  eft  vrai 
"  qu'il  avoit  fai£t  de  rigoureufes  prifons,  comme  cages  de  fer 
>'  &  autres  de  bois  couvertes  de  pattes  de  fer  dehors ,  6c  de- 
«  dans  avec  terribles  ferremens  de  huid:  pieds  de  large  de  la 
«  hauteur  d'un  homme  6c  un  pied  plus.  Le  premier  qui  les 
•'  devifa  fut  l'Evefque  de  Verdun ,  qui  en  la  première  qui  fut 
a»fai£le  fut  mis  incontinant  ,  6c  y  a  couché  14  ans.  Plufieurs 
»'  depuis  l'ont  maudit,  6c  moi  auffi  qui  en  ay  tafté  fous  le  Roy 
5î  de  prefent  huid;  mois.  Autrefois  avoit  faid  faire  aux  Alle- 
*>  mands  des  fers  très-pefans  6c  terribles  pour  mettre  aux  pieds , 
M  6c  y  eftoit  un  anneau  pour  mettre  au  pied  fort  malaifé  à  ou- 
»  vrir  comme  à  un  carquant,  la  chaifne  grofi!e  6c  pefante ,  6c 
«une  grofife  boule  de  fer  au  bout  beaucoup  plus  pefante  que 
w  n'eftoit  de  raifon  ,  6c  les  appeiloit-on  les  fillettes  du  Roy, 
M  Toutesfois  j'ai  veu  beaucoup  de  gens  de  bien  prifonniers  les 
savoir  aux  pieds ,  qui  depuis  en  font  faillis  à  grand  honneur; 
«  6c  qui  depuis  ont  eu  de  grands  biens  de  lui.  Et  entre  les 
»'  autres  un  fils  de  M.  de  la  Gruture  pris  en  bataille ,  lequel 
»'  leditl  Seigneur  maria ,  fit  fon  Chambellan  6c  Senefchal  d'An- 
«jou5  aufli  au  Seigneur  de  Piennes  prifonnier  de  guerre^  6c 
3- au  Seigneur  de  Vergy.  « 

Et  plus  bas.  ce  Ledit  Seigneur  ,  vers  la  fin  de  fes  jours ,  fît 
3>  clorre  tout  au  tour  fa  maifon  du  Plefiis-lez-Tours  de  gros 
S5 barreaux  de  fer,  en  forme  de  greffes  grilles  j  6c  aux  quatre 
03  coins  de  fa  maifon  ,  quatre  moineaux  de  fer  bons,  grands,  6c 
35  efpais.  Lefdites  grilles  eftoient  contre  le  mur ,  du  cofté  delà 
35  place  de  l'autre  part  du  fofi^e  i  6c  y  fit  mettre  plufieurs  bro- 
03  ches  de  fer  mafifonnées  au-dedans  le  mur ,  qui  avoient  cha- 
03  cune  trois  ou  quatre  pointes ,  6c  les  fit  mettre  fort  prez  l'une 
05  de  l'autre  :  6c  davantage  ordonna  des  Arbaleftriers  dedans  les 
»5  foflez ,  pour  tirer  à  ceux  qui  en  approcheroient  avant  que  la 
05  porte  fuft  ouverte  j  6c  entendoit  qu'ils  couchaffent  aufdits 
05  foffez ,  ôc  fe  retiraflent  aufdits  moineaux  de  fer.  Il  entendoit 
95  bien  aue  cefte  fortification  ne  fuffifoit  pas  contre  beaucoup  de 
Tome  XV.  5  L 


Î2      MEMOIRES   POUR  JUSTIFIER 

»  gens  :  mais  de  cela  il  n'en  avoit  point  de  peur ,  feulement 
=>  craignoit  que  quelque  Seigneur  ou  plufieurs  ne  fiflent  une 
M  entreprife  de  prendre  la  place  de  nui£l  ,  demy  par  amour  , 
33  demy  par  force,  avec  quelque  peu  d'intelligence  5  &  que  ceux- 
»  là  priflTent  l'autorité  ôc  le  fiflent  vivre  comme  homme  fans  fens 
«  &  indigne  de  gouverner.  La  porte  du  PlefTis  ne  s'ouvroit 
»  qu'à  huid  heures  du  matin,  ny  ne  baifîoit-on  le  pont  jufques 
«  à  ladite  heure  ,  ôc  lors  y  entroient  les  ofEciers  5  ôc  les  Capi- 
«  taines  des  gardes  mettoient  les  portiers  ordinaires ,  ôc  puis  or- 
w  donnoient  leur  guet  d'Archers  comme  en  une  place  frontie- 
a»re,  ôc  n'y  entroit  nul  que  par  le  guichet ,  ôc  que  ce  ne  fufî 
»  du  fceu  du  Roy ,  excepté  quelque  Maiftre-d'Hoftel ,  ôc  gens 
3'  de  cette  forte  qui  n'alloient  point  devers  luy.  Efi:  -  il  donc 
=«  poffible  de  tenir  un  Roy ,  pour  le  garder  plus  honneftement , 
»  ôc  en  eftroite  prifon ,  que  luy-mefmes  fe  tenoit  f  Les  cages 
»>  où  il  avoit  fait  tenir  les  autres  avoient  quelques  huit  pieds  en 
M  quarré ,  ôc  luy  qui  eftoit  Ci  grand  Roy  avoit  une  petite  cour 
w  de  chafteau  à  fe  pourmener ,  encores  n'y  venoit-il  gueres  , 
«mais  fe  tenoit  en  la  galerie  fans  partir  delà,  finon  par  les 
6»  chambres ,  ôc  alloit  à  la  méfie  fans  pafler  par  ladite  cour,' 
»'  Voudroit-on  dire  que  ce  Roy  ne  fouffrift  pas  ,  qui  ainfi  s'en- 
«fermoit,  qui  fe  faifoit  garder ,  qui  avoit  peur  de  tes  enfans  ÔC 
»  de  tous  fes  proches  parens,  ôc  qui  changeoit  de  jour  en  jour 
»fes  ferviteurs  ,  tellement  qu'en  nul  d'eux  ne  s'ofoit  fier  a.  ÔC 
=»  s'enchaifnoit  ainfi  de  fi  eftranges  chaifnes  ôc  cloftures  ?  On 
«pourroit  dire  que  d'autres  ont  efté  plus  fufpicionneux  que  luy, 
S5  mais  ce  n'a  pas  efté  de  noilre  temps  ,  ny  paravanture  homme 
M  fi  fage  que  luy  ,  ne  qui  euft  fi  bons  fubjeâs.  » 

Claude  de  Seiflel  auteur  grave,  Maiflre  des  Requeftes,  puis 
Evefque  de  Marfeille ,  ôc  enfin  Archevefque  de  Turin  du  rè- 
gne de  Louis  XII ,  ôc  qui  avoit  vefcu  du  temps  de  Louis 
XI,  a  efcrit  beaucoup  de  chofes  qui  fe  rapportent  à  ce  que 
nous  a  laifle  Ph.  de  Commines  qui  ne  feront  point  répétées  ; 
mais  parce  qu'il  a  dit  quelques  particularitez  qui  fervent  à  no- 
ftre  propos ,  il  eft  bon  de  ne  pas  les  obmettre. 
J^a^e  84,  «  Après  la  mort ,  dit-il ,  de  Charles  Duc  d'Orléans ,  le  Roy 
»  Louis  XI  n'ufa  pas  de  plus  grande  humanité  envers  fon  pa- 
«rent  (depuis  Louis  XII,  )  ains  tafcha  de  le  faire  nourir  de 
"forte,  qu'il  n'euft  coeur  ne  entendement  pour  mal  faire  à  lui 


MONSIEUR   F.    A.   DE   THOU.         8| 

»5  ne  à  fes  enfans  j  tant  eftoit  foubçonneux  j  6c  ufa  envers  lui  de 
c>  beaucoup  de  rudefles,  mais  entr'autres  le  contraignit,  par  for- 
«ces  &  menaces  d'efpoufer  Madame  Jeanne  fa  fille,  femme 
«  toutesfois  bien  fage ,  dévote ,  &  honefte  j  mais  moult  dif- 
5»  forme  de  fa  perfonne ,  ôc  inhabile  à  porter  enfans  >  voulant 
S' par  la  fterilité  de  fa  fille  lui  tolîer  le  pouvoir  d'avoir  lignée , 
•'  tant  avoit  en  haine  le  fang  royal  » 
Et  en  un  autre  lieu,  p.  87. 

«  Excepté  feulement  Pierre  de  Bourbon ,  Seigneur  de  Beau- 
»  jeu  ,  tous  fes  autres  parens  il  deffit,  rabaiffa,  ou  mefprifa.  Tant 
sîfut  grand  le  foubçon  &  crainte  qu'il  eut  de  fes  parens ,  que 
»  de  fon  feul  fils  mefme,  qui  encores  eftoit  enfant ,  avoit  foucy 
»  qu'il  n'euft  le  cœur  trop  grand,  ôc  par  ce  moyen  venant  en 
»  âge ,  par  l'inftigation  des  Princes  ,  ne  lui  fift  quelquesfois  ce 
»  qu'il  avoit  faitt  à  fon  père.  Et  à  cefte  caufe  il  le  faifoit  nourrir 
»  au  Chafteau  d'Amboife  entre  les  femmes  avec  un  petit  nom- 
»  bre  d'hommes  qui  n'eftoient  pas  de  grande  eftoffe  ,  6c  ne 
»  vouloir  en  manière  quelconque  qu'autres  gens  l'allaflent  voir, 
=  ne  paffaflent  par  Amboife  ,  mefmement  nobles  hommes  ôc 
»  gens  d'Eftat ,  donc  par  long-temps  3  efté  grand  doute  entre 
»  plufieurs  s'il  eftoit  mort  ou  vif  » 

Et  plus  bas.  «  Envers  fa  femme  la  Reine  Charlotte  de  Sa- 
'»voye,  il  ne  fut  pas  plus  humain  ,  ne  plus  courtois  qu'envers 
sales  autres  j  car  outre  que  par  un  bien  long-temps  6c  tant  qu'il 
»'  fut  en  âge  vigoureux ,  il  lui  tint  mauvaife  loyauté  de  fa  per- 
»  fonne ,  il  la  tint  toujours  petitement  accompagnée  ôc  ac- 
»>couftrée,  la  plufpart  du  temps  en  un  chafteau  où  il  l'alloit 
»'  voir  quelquefois  plus  pour  defir  d'avoir  lignée  que  pour  plai- 
se fir  qu'il  prift  avec  elle.  Et  pour  la  crainte  qu'elle  avoit  de 
"  lui ,  6c  pour  autres  rudeffes  qu'il  lui  faifoit  fouvent ,  eft  à 
»  croire  qu'elle  n'avoir  pas  grandes  voluptez  ne  grands  paffe- 
55  temps  en  fa  compagnie.  Mais  qui  pis  eft  ,  à  la  fin  de  fes  jours 
85  l'envoya  en  Dauphiné  ,  ôc  défendit  expreffement  qu'elle  ne 
»  fuft  point  auprès  de  fon  fils  quand  il  feroit  Roy.  Au  regard 
s*  de  fes  ferviteurs  domeftiques  ,  jaçoit  qu'il  leur  fift  de  grands 
9»  biens  ôc  les  enrichift  en  peu  de  temps  ,  &  pareillement  tou- 
M  tes  autres  gens  dont  il  vouloit  fe  fervir ,  autant  ou  plus  que 
»  jamais  fit  Roy  ■>  il  avoit  autrefois  un  efprit  fi  variable  6c  in- 
P  ^onii:ant ,  &  eftoij  au  furplus  fi  craint  de  tous ,  qu'il  n'y  avoii: 


S^       MEMOIRES  POUR  JUSTIFIER 

»»  celui  tant  fui}  près  de  lui  ni  en  fa  grâce  qui  ne  le  regardai! 
=»'  en  grande  crainte.  Car  bien  fouvent  par  petites  occafions  ôc 
"  légers  foubçons  ,  ceux  qu'il  avoir  eflevez  jufqu'au  ciel  ,  ôC 
"  defquels  fembloit  qu'il  fe  fiaft  du  tout  ,  il  les  chafToit  à  leur 
"  grande  honte  ôc  confufion.  Mais  par  effeâ:  il  n'y  avoit  celui 
«  autour  de  lui ,  tant  le  cognoifToient  dangereux  ôc  muable  ,' 
='  qui  fuil  feur  de  fon  eftat.  Et  de  là,  comme  jecuide,  advint 
«  pludeurs  fois  que  ceux  dont  plus  il  fe  fîoit ,  ôc  que  plus  il 
w  avoit  honorez  ôc  eflevez  y  craignant  fa  légèreté  ôc  variation  , 
=9  fe  font  trouvez  avoir  confpiré  contre  fa  perfonne  ôc  fon  eftat. 
»  Entre  lefquels  >  ne  les  voulant  pas  tous  nommer,  furent  Ghar- 
»»  les  de  Melum  ôc  le  Cardinal  Balluë.  Or  s'il  eftoit  craint  ôc 
M  peu  aimé  des  Princes  ôc  des  Grands  en  gênerai ,  fi  eftoit-iî 
=>■>  encore  plus  haï  du  peuple  ,  lequel  il  chargea  de  fon  temps  (r 
»'  fort  de  tailles  pour  l'horrible  dépenfe  qu'il  faifoit  à  la  guerre> 
=»  ôc  aufTi  pour  les  grands  dons  qu'il  faifoit  aux  Eglifes  ôc  gens 
«  particuliers ,  que  plufieurs  mefnages  en  Normandie,  en  Lan- 
='  guedoc  ,  ôc  autres  lieux  de  fon  Royaume  eftoient  contraints 
='  abandonner  leurs  héritages  ,  ôc  s'en  aller  hors  du  Royaume  r 
»  ôc  quelque  remonftrance  qui  lui  fut  faille  par  aucuns  bons 
«  prélats  ôc  religieux  de  rabaifler  lefdites  tailles ,  jamais  on  ne 
«»  lui  peuft  perfuaderen  quelque  extrémité  de  maladie  qu'il  fufti 
»  difant  qu'il  eftoit  forcé  ainfi  faire,  ou  laiffer  perdre  ou  gafter 
•>  le  Royaume,  ôc  ceux  qui  fe  forçoient  lui  perfuader  il  les  ef- 
«'  timoit  fes  ennemis  &  du  Royaume,  ou  gens  ignoransles  af-' 
»  faires ,  du  nombre  defquels  furent  l'Archevefque  de  Tours 
»'  Cardinal ,  ôc  TEvefque  d'Alby  ,  gens  fages  ,  de  grande  doc- 
»  trine,  ôc  de  vie  exemplaire.  En  fomme  toute  fon  eftude,  i^QS 
='  defirs  ôc  fes  fins  eftoient  d'eftre  craint  ôc  obeï  de  tous  ,  ôc 
»  pour  cefte  caufe  tafchoit  à  rabaiffer  les  Grands  ,  afin  qu'ils 
93  fufTem  plus  craintifs  ôc  obeïfTans ,  ôc  avançoit  Ôc  enrichiftbit 
«  promptement  les  petits  ôc  moyens  dont  il  fe  vouloit  fervir, 
*  afin  qu'ils  obeiffent  à  toutes  fes  volontez  fans  avoir  autre  re- 
^  gard  à  Dieu  ne  aux  hommes.  Il  tafchoit  auiTi  d'avoir  grand 
î»^  nombre  de  gens  de  guerre  ôc  les  bien  entretenir  ,  non  pas 
a^  feulement  pour  refifter  à  fes  ennemis  ôc  les  opprefler ,  mais 
»  aufli  pour  tenir  fes  fujets  en  crainte  ôc  obeifTance  ,  ôc  mefme 
=^  les  Grands.  Car  pour  l'imagination  qu'il  avoit  contre  eux: il 
«  entroit  facilement  en  foubcon  de  plufieurs  gens,  ôc  croyoit 


MONSIEUR  F.  A.  DE   TIIOU.  85- 

»  légèrement  aux  rapporteurs.  De  forte  que  bien  fouventrans 
«  grands  indices  il  faifoit  prendre  ôc  gehenner  plufieurs  gens 
3'  tant  nobles  qu'autres  ,  Ôc  quelquefois  ,  comme  l'on  dit  , 
»'  mourir.  Donc  puis  après  eftant  adverty  de  leur  innocence, 
»  fe  repentoit  ôc  tafchoit  l'amender  en  quelque  façon.  Et  s'il 
=>  le  commandoit  chaudement ,  il  avoit  Triftan  l'Hermite  fon 
M  Prevoft  des  Marcfchaux  ,  homme  fans  pitié  qui  l'exécutoic 
«  auiïi  promptement  j  ôc  n'y  avoit  de  lui  aucun  appel  j  telle- 
3'  ment  que  l'on  voyoit  autour  des  lieux  oii  leditl  Roy  fe  te- 
3'  noit ,  grand  nombre  de  gens  pendus  aux  arbres  i  ôc  les  pri- 
w  fons  ôc  maifons  circonvoiïines  pleines  de  prifonniers  ,  lef- 
»  quels  on  oyoit  de  jour  ôc  de  nui6t  crier  pour  les  tourmens 
^' qu'on  leur  faifoit,  fans  ceux  qui  eiloient  fecretement  jettes 
a^  en  la  rivière.  » 

Et  en  un  autre  lieu  Seiflel  dit  page  93. 
«  Sa  dévotion  fembloit  plus  fuperilitieufe  que  religieu-* 
«  fe  :  car  à  quelque  image  ou  Eglife  de  Dieu  ,  ou  des 
«  Saints ,  ôc  mefme  de  Noftre  -  Dame  qu'il  entendift  que  le 
3>  peuple  euft  dévotion  ,  ôc  où  fe  fifl:  des  miracles  ,  il  y  alloic 
o»  faire  fes  offrandes.  Il  avoit  au  furpîusfon  chapeau  tout  plein 
o>  d'images  ,  la  plufpart  de  plombou  d'eftain,  lefquellesà  tout 
35  propos  quand  il  lui  venoit  quelques  nouvelles  bonnes  oiî 
^  mauvaifes ,  ou  que  fa  fantailie  lui  prenoit ,  il  baifoit  j  fe 
M  ruant  à  genoux  quelque  part  qu'il  fe  trouvafl: ,  fi  foudaine- 
y>  ment  quelquesfois  qu'il  fembloit  plus  blefi'é  d'entendement 
que  fage  homme  :  ôc  s'il  fçavoit  quelque^  homme  que  l'on 
eftimaft  de  fainde  vie,  il  tafchoit  de  l'avoir  en  quelque  pays 
qu'il  fufl: ,  ôc  quoi  qu'il  lui  couftafî:.  Ainft  qu'il  fit  de  frère 
Francifque  de  Paule,  qui  fonda  l'Ordre  des  Minimes ,  le- 
»  quel  à  grande  difficulté  il  fit  venir  de  Calabre  i  efperantpar 
»  fes  prières  Ôc  mérites  obtenir  fanté.  » 
Et  en  un  autre  lieu  p.  py. 

»c  Et  bien  fe  déclara  évidemment  la  crainte  qu'il  avoit  de 
0^  fes  fubje£ls ,  quand  il  ouït  dire  que  le  Duc  Galeas  Sforze 
M  avoit  efté  occis  en  la  Cité  de  IVÎilan  en  jour  de  fefle  ,  ôc  en 
«  l'Egîife.  Car  U  creufi:  la  garde  autour  de  fa  perfonne  ,  ôc  dé- 
=5  fendoit  qu'on  ne  laiffaft  homme  approcher  de  lui  j  ôc  fi  au- 
=5  cun  s'en  efforçoit,  commandoit  qu'on  le  tuaft.  Et  outre  plus 
:>y  faifoit  porter  par  un  auprès  lui  un  efpieu ,  poux  foi  défendis 

î  L  iij 


W) 


03 


26       MEMOIRES  POUR  JUSTIFIER 

«  de  qui  le  voudroit  outrager ,  lequel  après  qu'il  eftoit  en  fa 
»  chambre  tenoit  au  chevet  de  fon  Ii£t  :  Ôc  véritablement  il  ap- 
M  parut  bien  à  fa  mort  s'il  eftoit  haï  ou  aimé.  Car  là  où  tou« 
9>  tes  fortes  de  gens  s'en  resjouiiïbient ,  bien  peu  y  en  eut  qui 
9»  en  fuflent  marris,  non  pas  mefmes  de  fes  ferviteurs ,  êc  de 
p>  ceux  aufquels  il  avoit  faid  de  grands  biens.  Et  plufieurs  cho- 
«  fes  qu'il  avoit  faides  ôc  ordonnées  en  fon  vivant ,  furent  par 
?î  ordonnance  des  Eftats ,  Ôc  par  arrefts  des  Parlemens  revo- 
sî  quées  comme  tortionaires  ôc  tyranniques ,  enfemble  ce  qui 
w  en  eftoit  enfuivi.  Et  des  Miniftres  dont  il  ufoit  pour  exécu* 
3'  ter  fes  volontez  ,  les  uns  furent  condamnez  à  mourir  ,  les 
93  autres  à  amendes  pécuniaires  î  ôc  plus  grand  nombre  y  en 
s>  euft  eu  de  punis  fi  la  mort  ne  les  en  euft  exemptez.  « 

La  feverité  de  ce  Roy  ôc  la  terreur  qu'il  avoit  donnée  à 
tous  fes  fubjeds,  principalement  fur  les  dernières  années  de  fon 
règne  >  furent  fi  grandes  que  les  Officiers  fouverains  n'avoient 
nulle  fondion  libre.  Les  gens  du  Roy  du  Parlement  de  Paris 
en  l'année  1470  firent  une  oppofition  générale  aux  dons  im- 
menfes  de  fon  domaine ,  qu'il  faifoit  fans  aucun  choix ,  com- 
me auffi  de  plufieurs  droits,  terres  ôcfeigneuries  qui  lui  étoient 
acquifes  par  confifcation  ou  autrement.  Ils  firent  cefte  oppofi- 
tion en  fecret  crainte  que  le  Roy  en  fuft  adverti;  ôc  en  l'an- 
née 1474  la  Court  ordonna  que  tous  ces  dons  ôc  afienations 
feroient  fans  préjudice  de  cefte  oppofition,  ôc  depuis  arreftde 
Fan  1477  par  lequel  en  continuant  les  premières  refolutions  , 
&  fur  les  conclurions  du  Procureur  General  ,  il  fut  dit  que 
les  expéditions  defdits  dons  ôc  celles  qui  fe  feroient  à  l'adve- 
venir  de  l'aliénation  du  domaine  royal ,  feroient  fans  préjudi- 
ce de  cette  oppofition ,  ôc  ordonné  que  le  GreflSer  tiendroit 
un  regiftre  ferré  de  ces  dons  ôc  ces  aliénations  pour  n'eftre  com- 
muniqué à  perfonne,  craignans  la  colère  du  Roy, 

Il  fe  trouve  encores  en  la  Chambre  des  Comptes  deux  Re- 
giftres  remplis  de  ces  profufions  ôc  dons  des  terres  domania- 
les qui  lui  appartenoient^  tant  par  confifcation  des  biens  de 
ceux  qui  avoient  fuivi  le  Duc  de  Bourgogne  ,  que  autrement? 
ôc  auffi  des  Lettres  de  cachet  de  ce  Roy  pleines  de  mena- 
ces ôc  paroles  fafcheufes  contre  fes  officiers  qui  rejettoient  tel- 
les difîipations  du  Domaine.  Ces  oppofitious  ôc  ces  arrefts  eu- 
j-ent  tel  effed  ,  que  du  règne  de  Louis  XII  le  Procureui; 


MONSIEUR  F.    A.   DE  THOU.  Sy 

General  s'en  fervit  fort  à  propos  &  utiiementj  pour  la  confer- 
vation  du  Domaine  en  l'affaire  de  Nemours. 

Cecy  fert  pour  monftrer  le  dérèglement  des  adions  de  ce 
Roy  3  combien  peu  l'on  a  confideré  fes  Ordonnances,  com- 
me de  fon  vivant  mefme  elles  ont  efté  improuvées j  Ôc  parles 
officiers  principaux,  nonobftant  les  violences  6c  traitements 
injurieux  qu'il  exerçoit  fur  eux.  Ce  qui  doit  apporter  une  gran- 
de confufion  à  ceux  qui  ont  rempli  ces  mefmes  charges  ers 
ce  dernier  fiecle,  de  n'avoir  pas  en  un  temps  auffi  falcheux  ôc 
miferabie  faid  la  moindre  oppofition  à  tant  ôc  tant  d'injuftes 
entreprifes  fur  les  droits  de  la  Couronne  ,  ôc  à  tant  de  barba- 
res actions  qui  ont  travaillé  cet  Eftat  ôc  les  gens  de  bien;  au 
contraire ,  ont  abandonné  à  yeux  clos  le  public  ôc  leur  hon- 
neur. Voilà  ce  que  Ton  peut  remarquer  du  vivant  du  Roy 
Louis  XI. 

Par  ce  qulefl:  did  cy-defiusl'on  voit  clairement  Ôc  par  bon$ 
ôc  fidèles  tefmoins  quelle  a  efté  la  conduite  de  ce  Roy,  quelles 
ont  efté  fes  humeurs  violentes,  ôc  de  quelle  forte  il  exécutoit 
fes  paflions  contre  toutes  fortes  de  perfonnes  ,  ôc  cela  fans  par- 
ler de  fes  abjesStes  fuperftitions ,  plus  foibles  que  ne  fe  peu- 
vent imaginer ,  mais  tousjours  à  quelques  fin  ;  fans  parler  aufii 
de  fa  vie  privée  ôc  de  fes  adions  envers  la  Reine  fa  femme 
ôc  fes  enfans.  Après  cela  a-t-il  pu  rien  faire  de  bien  réglé  par 
îa  raifon  ôc  par  l'équité  ?  Car  qui  voudra  examiner  de  près  fes 
ordonnances,  qui  femblent  avoir  quelque  ombre  de  juftice, 
l'on  y  recognoiftra  tousjours  des  motifs  de  vengeance,  des  in- 
terefts  injuftes,  ôc  des  pièges  pour  furprendre  les  hommes  :  de 
là  le  mefpris  de  fes  loix  ,  ôc  la  haine  de  tous  les  Ordres  de  foa 
Royaume  ',  de  là  les  conjurations  fréquentes  contre  lui ,  ôc  fes 
défiances  continuelles,  ôc  enfuite  fes  Ordonnancés  injuftes 
ôc  cruelles. 

Mais  quand  l'on  confiderera  ce  qui  fe  pafîa  après  fa  mort 
fous  le  Roy  Charles  VIII  fon  fils  ôc  fon  fucceffeur  ,  qui  eftoit 
fous  le  gouvernement  de  Madame  deBeaujeu  fa  fille,  obligez 
ce  me  femble  à  conferver  îa  mémoire  de  leur  père  î  que  peut- 
on  dire  finon  que  ceux  qui  ont  renouvelle  cefte  Ordonnance, 
après  tant  d'années ,  font  ignorans  de  noftre  Hiftoire  ôc  mef- 
chans  ? 

En  la  mefme  année  de  la  mort  de  Louis  XI  l'on  affembla     1483 


*■ 


SS        MEMOIRES   POUR  JUSTIFIER 

les  Eftats  du  Royaume  à  Tours,  pour  ordonner  du  gouverne- 
ment de  l'Eftat,  ôc  donner  ordre  à  une  infinité  de  maux  qui 
avoient  pris  racine  pendant  la  longue  &  miferable  adminiflra- 
tion  de  ce  Roy.  On  reprefentaen  cefte  affemblée  diverfes  fortes 
d'in  juftices  qui  avoient  durant  le  règne  pafle  affligé  le  peuple. 
Pluiieurs  Seigneurs  fe  prc Tentèrent  pour  eftre  reftabiis  en  leurs 
biens  &  en  leurs  charges ,  dont  ils  avoient  efté  defpouillez  j 
pour  reformer  ce  qui  regardoit  la  police ,  foit  en  la  guerre , 
foit  en  lajuftice  5  bref,  tout  ce  qui  avoitreceu  quelque  attein- 
te durant  ce  malheureux  règne.  Les  Eftats  demandèrent  per- 
pétuellement que  ce  qui  avoit  efté  obfervé  auparavant  jufques 
au  Roy  Charles  VII  inclulivement  fuft  reftabli ,  fans  parler  en 
aucune  façon  des  loix  ôc  des  ordonnances  qu'avolt  faid  Louis 
XI.  Voicy  ce  que  porte  l'article  de  leur  cahier  : 

ce  Item ,  ôc  pour  ce  que  les  ordonnances  des  deffunds  Rois 
»  ont  efté  très-mal  gardées  ôc  obfervées,  dontplufieurs  Ôc  quaft 
"  infinis  inconveniens  font  advenus  en  ce  Royaume  ,  Dau- 
tî  phiné  ôc  pays  adjacens ,  femble  aufdirs  Eftats  eftre  conve- 
33  nable ,  Ôc  requièrent  que  les  Ordonnances  fai6les  parles  Rois 
»  deffunds  Philippes  le  Bel,  le  Roy  Jean ,  Charles  V  ôc  Char- 
3»  les  VII ^  ôc  les  prédeceffeurs  Rois  de  France,  ôc  par  les 
»  Cours  fouveraines ,  qu'en  chacune  contrée  félon  les  loixôc 
0»  couftumes  des  contrées  ôc  pays  foient  maintenues  ôc  gar^ 
M  dées,  Ôc  quelles  foient  leues  ôc  publiées  es  cours  ôcjurifdic* 
3j  tions  des  baillifs  ôc  fenefchaux ,  ÔC  autres  juges  qu'il  appar- 
tiendra chacun  an  une  fois.  « 

«  Item  y  ôc  au  temps  pafTé  quand  un  homme  eftoit  accufé, 
»  fuppofé  que  ce  fuft  à  tort,  il  eftoit  pendu  :  car  là  où  il  n'y 
»»  avoit  information  ni  aucun  droit  requis  en  forme  de  droit, 
0»  il  eftoit  pris  ôc  appréhendé,  ôc  tranfporté,  ôc  mis  hors  de 
05  fa  juftice  ordinaire  entre  les  mains  des  Prevofts  des  Maref-» 
»j  chaux  ou  d'aucuns  Commiffaires  trouvez  à  pofte ,  ôc  très  fou- 
»  vent  les  accufateurs  avoient  dons  des  forfaiélures  ou  amen- 
»  dps,  ôc  avoient  les  procès  à  conduire  comme  Commifiai- 
»  res  ôc  juges,  ôc  s'ils  n'eftoient  Commiffaires,  fi  en  avoient^ 
s»  ils  les  Lettres  expreffes  pour  eftre  prefens  avec  les  Juges  à 
3>  faire  leurs  procès  ôc  de  ce  font  enfuivis  plufieurs  injuftices.  0^ 

Voilà  en  peu  de  mots  l'abolition  générale  des  Ordonnan- 
ces du  Roy  Louis  XI ,  ôc  par  cgnfçquent  de  celle  dont  cft 

queftion 


MONSIEUR  F.  A.   DE  THOU:  Sp 

queftion  -,  abolition  importante ,  faide  meurement ,  &  par  une 
grande  délibération  par  une  aflemblée  légitime  d'Eftats  Gé- 
néraux, qui  a  eu  en  telle  abomination  la  mémoire  de  ce  Prin- 
ce ,  qu'il  ne  fut  nomme  dans  pas  un  ade  de  celle  aflemblée , 
que  pour  en  faire  perdre  la  mémoire,  ôc  pour  détefter  fes  ac- 
tions :  ce  qui  eft  il  vrai  que  Seiflel  Evefque  de  Marfeille  a 
efcrit  en  ces  propres  termes  :  «  Que  plufieurs  chofes  que  Louis" 
3>  XI  avoir  faites  &  ordonnées,  furent  par  Ordonnances  des 
0»  Eftats  ôc  par  Arrefts  des  Parlements ,  révoquées  comme  tor- 
»  tionnaires  &  tyranniques ,  enfemble  en  ce  que  s'en  eft  en- 
o>  fuivi.  35  Ces  Eftats  Généraux  portèrent  leurs  penfées  contre 
la  mémoire  de  ce  Roy  jufques  à  cefte  extrémité  ,  que  par  un 
arrefté  gênerai  les  ferviteurs  ôc  familiers  du  Roy  Charles  VII 
furent  recommandez  au  Roy  Charles  VIII ,  ôc  pas  un  mot 
en  faveur  de  ceux  de  Louis  XL  Au  contraire ,  ils  dirent  qu'il 
y  en  avoir  beaucoup  de  mcfchans ,  qui  avoient  recherché  les 
biens  d'autruy  ôc  les  conlifcations  î  demandèrent  avec  inftan- 
ce  qu'ils  fuflent  chaflez  ôc  n'euflentà  approcher  de  faMajefté, 
&  qu'il  eftoit  neceffaire  de  pourvoir  à  leurs  charges. 

Et  bien  que  Louis  XI  euft  recommandé  à  (on  fils  ,  peu 
avant  que  mourir  j  Olivier  le  Diable  did  le  Dain  fon  barbier, 
ôc  Jean  de  Doyac  gouverneur  d'Auvergne,  difant  qu'il  avoit 
efté  bien  fervi  d'eux;  qu'Olivier  lui  avoit  rendu  de  grands 
fervices,  ôc  qu'il  ne  fuft  rien  de  lui,  porte  i'Hiftoire  fcan-  page  325. 
daleufe ,  fi  n'euft  efté  ledi£l  Olivier ,  qu'il  euft  à  fe  fervir  de 
lui ,  ôc  qu'il  lui  confervaft  biens  Ôc  offices  qu'il  lui  avoit  don- 
nez j  neantmoins  ils  furent  l'un  ôc  l'autre  peu  après  fa  mort 
condamnez  par  juftice  ôc  pendus  à  Paris. 

Enfuite  les  Eftats  déclarèrent  les  extrefmes  defordres  qui 
eftoient  en  France  pendant  la  vie  de  ce  Roy  ,  i'Eglife  mifera- 
ble  5  les  éle£lions  aux  Prelatures  abolies  •■>  les  promotions  aux 
Evefchez  faites  par  faveur  à  des  perfonnes  indignes  i  les  biens 
des  Eglifes  ufurpez  ;  la  Nobleffe  en  mefpris  ôc  privée  de  ks 
privilèges  5  les  calomniateurs  &  délateurs  avancez  dans  les  prin- 
cipales charges  ôc  recompenfez  des  biens  des  Innocens  h  les 
partifans  ôc  donneurs  d'advis  en  honneur  ;  les  procès  crimi- 
nels commencez  par  l'exécution  3  le  peuple  opprimé  par  les 
gens  de  guerre,  ôc  par  les  impofitions  extraordinaires  5  en  telle 
lorte  qu'il  fuft  dift  en  pleins  Eftats  qu'en  plufieurs  provinces 
7 orne  XV,  f  M 


pô       MEMOIRES   POUR   JUSTIFIER 

du  Royaume ,  les  hommes  ,  femmes ,  ôc  enfans  par  faute  de 
beftes , labouroient  à  la  charrue,  ôc  encores  de  nui£l  à  caufe 
des  commifTaires  des  tailles  qui  les  couroient.  Ils  adjourterent 
que  le  Roy  recevoit  par  avance  de  ces  CommifTaires  les  fom- 
mes  qu'ils  exigeoient  des  peuples  par  toutes  fortes  de  rigueurs. 
11  fut  remarqué  dans  les  Provinces  d'Anjou,  ôc  du  Maine,  ôc 
pays  Chartrain  l'on  avoit  fait  mourir  par  ordre  du  Roy  envi- 
ron cinq  cens  hommes ,  la  plufpart  innocens ,  pour  raifon  de 
ces  impofitions  ,  ôc  ordonnances. 

Ces  remarques  fuffifent  pour  faire  voir  quel  eftoit  Louis  XI 
ôc  en  quelle  eftime  doivent  eftre  fes  ordonnances. 

IX.  Moyens  particuliers  corare  l'Ordonnance  du  Roy  Louis  Xî, 

Quoique  les  moyens  généraux  contre  cède  Ordonnance 
de  Louis  XI  fur  le  crime  de  leze-Majefté ,  foient  affez 
futtilans  pour  en  deftruire  l'autorité,  il  faut  neantmoins  l'exa- 
miner particulièrement, 

La  datte  eft  du  22  Décembre  1^77^  ôc  la  publication  ÔC 
regiftrement  au  Parlement  eft  du  5*  jour  de  Novembre  14.79, 
deux  ans  après  qu'elle  a  efté  faicle  j  marque  certaine  qu'elle 
avoit  efté  rejettée  par  le  Parlement  durant  un  il  long  temps 
pour  fa  trop  grande  feverité  ,  pour  n'en  avoir  eu  jamais  de  pa- 
reille ,  foit  en  France ,  foit  ai  leurs ,  mais  enfin  publiée  com- 
me il  eft  facile  de  conje£lurer ,  après  beaucoup  de  violentes 
pourfuitesdu  Roy  Louis  XI. 

Le  Regiftre  de  la  Cour  où  fe  trouve  enregiftrée  cefte  or- 
donnance^ porte  ces  mots  :  Collatio  faâa  eft  cum  originali  Re- 
verendi  M.  Joannis  receptoris  emendarum  Curi^.  L'on  ne  peut 
dire  pourquoi  l'original  de  cette  ordonnance  eftoit  entre  les 
mains  de  ce  receveur  des  amendes,  pofTible  comme  une  Or- 
donnance abandonnée ,  regiftrée  fans  doute  à  la  diligence  de 
quelque  confident  du  Roy ,  de  quelque  confifcataire  qui  avoit 
deffein  d'opprimer  un  innocent  pour  avoir  fon  bien  j  ce  qui 
eftoit  fort  ordinaire  durant  ce  règne. 

Dans  les  diverfes  compilations  des  Ordonnances  de  nos 
Rois  anciennes  ou  modernes ,  où  l'on  a  conféré  une  infinité 
qui  ne  s'obfervent  plus,  feulement  pour  fervir  à  PHiftoire  ôc  à 
la  curiofité ,  celle-cy  ne  fe  trouve  poiat ,  ôc  neantmoins  il  y 


■H 


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MONSIEUR  F.   A.   DE  THOU.  pf 

en  a  beaucoup  de  Louis  XI  des  années  1477,  147P,  1480, 
148 1  ôc  1485  î  qui  faitl  croire  que  celle-cy  n'a  efté  nullement 
confiderée ,  non  pas  mefme  pour  la  feule  curiofité  t  tenue  donc 
pour  nulle,  comme  fai£te  à  la  pourfuite  ôc  fuggeftion  d'au- 
cuns ,  le  Roy  non  deuement  adverti  3  qui  font  les  termes  dont 
ufa  ce  mefme  Roy  lorfqu'il  révoqua  fon  ordonnance  de  la  def- 
titution  des  officiers  hors  des  cas  de  mort  ôc  de  forfaidure. 
Tout  ce  qui  fe  voit  en  public  de  cette  ordonnance  avant  ce 
procès,  fe  trouve  dans  le  Code  de  Henri  lîl,  qui  n'eft  qu'un 
fimple  extraidl,  altéré  en  quelque  çhofe ,  deftitué  de  fes  motifs, 
èc  delà  préface  de  la  loi.  La  datte  mefme  de  Penregiftrement 
n'efi:  pas ,  ce  qui  euft  polTible  donné  fujet  à  quelques  juges  de 
faire  les  réflexions  telles  qui  fe  peuvent  faire  fur  celle  circonf- 
tance.  Ce  Code  Henry  de  nulle  autorité ,  ne  peut  faire  foi , 
ne  doit  eftre  allégué ,  ôc  ne  i'eft  pas  mefme  en  aucune  jullice 
ordinaire  de  France.  Recours  aux  Lettres  patentes  du  Roy 
Henry  III  qui  fervent  de  préface  à  ce  Code,parlefquellesS.  M. 
fufpend  l'autorité  de  cette  compilation  ,  jufques  à  ce  qu'elle  ait 
efté  examinée  par  les  Parlemens  ;  ce  qui  n'a  point  efté  fai£t. 
Il  y  a  mefnies  dans  ce  Code  un  très-grand  nombre  d'articles  de 
l'invention  du  Prelldent  Briflbn ,  autheur  de  cefte  compilanon, 
qui  n'ont  jamais  efté  inferez  dans  aucune  ordonnance ,  mais 
qu'il  entendoit  faire  paffer  pour  ordonnance,  en  cas  que  fon 
Code  fuft  authorifé  par  le  Roy.  Et  ainfi  cet  Extrait  n'a  deu 
eftre  fuivi  par  ces  Commiffaires  avant  que  d'avoir  veu  l'origi- 
nal ,  qui  n'a  efté  veu  qu'après  leur  retour  à  Paris  '•>  ce  qu'ils  ne 
peuvent  dire?  ôc  celafert  pour  monftrer  la  précipitation  dont 
on  a  ufé  pour  juger  ce  procès  pour  faire  périr  une  perfonne 
innocente. 

L'Ordonnance  dont  eft  queftionreprefente  en  fa  préface  l'i- 
mage du  règne  de  Louis  XI ,  agité  de  diverfes  confpirations, 
ôc  Dieu  fçait  qui  en  eftoit  la  caufe  ;  l'on  la  cognoift  allez  dans 
ces  Mémoires.  Elle  ordonne  donc  que  dorefnavant  ceux  qui 
fçauront  ou  auront  cognoiffance  de  quelque  confpiration  con- 
tre le  Roy,  la  Reine,  le  Dauphin,  ôc  fEftat ,  feront  tenus 
(ôc  reputez  criminels  de  leze-  Majefté  ,  ôc  punis  de  femblables 
peines  que  les  principaux  autheurs,  confpirateurs  ôc  conduâeuis 
defdits  crimes  ,  s'ils  ne  les  révèlent  ou  envoient  révéler  au  Roy 
ou  à  fes  principaux  Juges  &  Officiers  de  Pays  oti  ils  feront^ 

5Mii 


p2      MEMOIRES    POUR   JUSTIFIER 

îe  pîuftofi;  que  poiïible  leur  femblera ,  après  qu'ils  en  auront  eCi 
cognoifTance  ;  auquel  cas,  ôc  quand  ainfi  le  révéleront^  ils  ne 
feront  en  aucun  danger  de  punition  defdits  crimes ,  mais  fe- 
ront dignes  de  rémunération  :  toutesfois  en  autres  chofes  le- 
did  Roy  veult  que  les  autres Loix  Ôc  ordonnances  des  Rois 
fes  prédecefTeurs,  ou  qui  de  droit  font  introduites,  ôc  lesufa- 
ges  anciens  obfervez  en  ce  Royaume ,  demeurent  en  leur  for- 
ce &  vertu. 

Celle  ordonnance  de  vérité  femble  claire ,  &  très-fevere  ; 
pour  ne  pas  dire  injufte ,  fent  tout-à-fait  l'efprit  du  Legilla- 
teur,  eft  unique  en  fon  efpece  ;  la  fage  antiquité  Grecque  ou 
Latine  n'en  a  point  de  pareilles  aucun  Roy  de  France,  foit 
avant ,  foit  après  Louis  XI ,  n'a  rien  publié  de  tel ,  au  contraire 
celle  matière  quoique  chatouilleufe  Ôc  importante  ,  n'a  point 
efté  portée  fi  avant  ôc  jufques  à  cet  excès,  excès  vicieux  qui 
trahit  la  nature  qui  nous  a  donné  le  fens  de  fouie  dont  la  fonc- 
tion eft  forcée,  extrémité  contraire  à  l'ufage  de  ce  Royaume, 
contraire  à  toutes  les  Loix  divines  ôc  humaines,  ôc  qui  don- 
ne l'audace  aux  Tyrans  ôc  aux  Miniftres  furieux  de  faire  agir 
comme  bourreaux  les  Commiffaires  contre  toutes  fortes  de 
perfonnes. 

Maiscefte  loiquoiqu'inhumaine  ôc  barbare  ,adjoufte  un  mot 
qui  fert  de  correctif,  qui  femble  deftruire  tout  le  fondement 
de  nos  Commiffaires ,  rend  la  loi  vaine  ôc  fans  effetl  ;  elle 
porte  ces  mots  :  «  Ceux  qui  auront  fceu  quelque  confpira- 
w  tion ,  feront  punis  de  mefme  peine  que  les  principaux  au- 
»  theurs ,  s'ils  ne  la  révèlent  à  nous  ou  à  nos  principaux  juges 
a>  des  pays  où  ils  feront,  le  pluftoft  que  poffible  leur  femblera, 
o>  après  qu'ils  en  auront  eu  cognoiflance.  ^^  L'ordonnance  a 
voulu  qu'il  fuft  en  l'arbitre  de  celui  qui  fçavoit  une  conjura- 
tion de  juger  quand  il  lui  femblera  poiïible  de  la  révéler,  ÔC 
ce  mot  pojfible  fe  doit  expliquer  en  plufieurs  manières ,  ôc  à 
l'advantage  de  l'accufé ,  s'il  fa  pu  en  fauvant  fon  honneur  ôc 
fa  vie ,  s'il  l'a  pu  faire  n'ayant  des  preuves  alfez  fortes  pour 
convaincre  les  autheurs  de  la  confpiration  ,  s'il  a  eu  le  temps 
de  le  pouvoir  faire.  Car  qui  peut  douter  que  celui  qui  fans 
preuve  accufe  le  frère  d'un  Roy ,  ôc  un  confident  du  Roy , 
ne  foit  en  un  manifcfte  péril  de  la  vie^  foit  par  voye  de  droit, 
foit  par  voye  de  fai£tf  Au  refte,  peut-on  appeller  Loi  ceile-cy 


MONSIEUR  F.  A.   DE  THOU.  ^^ 

qui  dépend  entièrement  de  la  volonté  de  ceux  contre  qui  elle 
eft  fai6le,  ne  plus  ne  moins  qu'une  obligation  ne  fe  peut  dire  tella 
qui  dépend  de  la  volonté  d'autruy  de  celui  qui  la  doibt. 

Ainli  cefte  Ordonnance  qui  a  fervi  de  fondement  à  une  (î 
haute  injuftice,  eft  inique,  eft  nulle,  eft  ridicule,  nepeuteftre 
appellée  Loi.  Auiïi  depuis  le  temps  qu'elle  a  eftéfaide  n'a  efté 
mife  en  ufage ,  n'a  pas  efté  alléguée ,  eft  demeurée  enfevelie  avec 
une  infinité  d'aâes  imparfaits  ôc  inutiles.  AufTi  autant  de  fois 
que  nos  Rois  ont  fai(Sldes  ordonnances  pour  reprimer  les  confpi- 
radons  Ôc  le  crime  de  leze-MajeftéJoità  larequifidon  des  Eftats 
Généraux,  foit  pour  remédier  aux  mauxpreffans  qui  travailloient 
leur  Eftats >  n'ont  fai£t  nulle  reflexion  fur  cette  loi,  ne  l'ont 
jamais  cottée  ,  n'ont  rien  ordonné  fur  cette  flmple  fcience. 

Le  Roy  François  I  en  Aouft  i^3p  eftant  à  Villiers  Cofte- 
rets ,  ordonna  que  ceux  qui  auront  aucune  chofe  confpiré,  ma- 
chiné, ou  entrepris  contre  fa  perfonne,  fes  enfans ,  ôc  fa  pof- 
terité ,  ou  contre  l'Eftat ,  feront  eftroitement  &  rigoureufement 
punis  tant  en  leurs  perfonnes  qu'en  leurs  biens ,  tellement  que 
ce  foit  chofe  exemplaire  à  tousjours. 

L'Ordonnance  de  Blois  de  l'an  lyyp  regiftrée  au  Parle- 
ment Fan  1580,  fai£le  fur  les  plaintes  des  ^.ftats  du  Royau- 
me ,  porte  ces  mots  en  l'article  183  :  «  Nou^  faifons  très-eftroi- 
oî  tes  inhibitions  ôc  deffenfes  à  toutes  perfonnes  de  quelque 
»  eftat ,  autorité ,  qualité,  ôc  condition  qu'elles  foient,  fans  nul 
s»  excepter ,  de  dorefnavant  entrer  en  aucune  affociation  ,  in- 
»  telligence ,  participation  ,  ou  Hgue  offenfive  ôc  delFenfive 
»  avec  Princes,  Potentats,  Republiques,  Communautez,  de- 
35  dans  ou  dehors  le  Royaume,  direâement  ou  indirectement, 
sî  par  eux  ou  par  perfonnes  interpofées  ,  verbalement  ou  pac 
85  efcrit,  faire  aucune  levée  de  gens  de  guerre  fans  noftre  ex- 
S5  preffe  permifFion,  congé  ,  ôc  licence  5  ôc  déclarons  tous  ceux 
35  qui  foubfleveronttant  que  d'y  contrevenir,  criminels  de  leze- 
05  Majefté ,  ôc  proditeurs  de  leurs  patrie ,  incapables  Ôc  indi- 
e>  gnes  eux  ôc  leur  pofterité  ,  de  tous  Eftats  ,  oiîices ,  tiltres  ; 
35  honneurs  j  privilèges,  ôc  de  tous  autres  droits  ,  ôc  en  outre 
S5  leurs  vies  ôc  bien  confifquez^  fans  que  lefdi£tes  peines  leur 
s>  puiffent  eftre  jamais  remifes  à  i'advenir  par  Lettres  ou  au- 
sî  trement,  en  quelque  manière  que  ce  foit.  » 

Cet  article  ne  contient  rien  de  femblable  à  l'ordonnance 

JMiij 


p^  MEMOIRES  POUR  JUSTIFIER 

de  Louis  XI,  ne  comprend  que  les  autheurs  des  confpiratîons; 
ne  parle  point  de  ceux  qui  les  auront  fimplement  fceues,bien 
loin  de  les  condamner  comme  les  principaux  de  la  conjura^ 
tion  j  preuve  certaine  que  les  Eftats  Généraux  ont  improuve 
cefte  ordonnance  de  Louis  XI ,  l'ont  abrogée  par  cet  article 
qui  n'ordonne  rien  de  pareil  en  cas  femblabîe ,  ôc  fur  lequel 
ils  doivent  ordonner  la  mefme  chofe  la  trouvant  jufte. 

En  l'afTemblée  des  Notables  du  Royaume  tenue  à  Saint 
Germain  l'an  1583,  qui  fut  afTez  célèbre  j  compofée  qu'elle 
eftoit  d'un  grand  nombre  de  perfonnes  graves  pourveues  des 
premières  dignitez  du  Royaume ,  le  Roy  propofa  plufieurs 
chapitres ,  entres  autres  celui  dont  le  titre  eft  tel  : 

«  Articles  des  crimes  ôc  forfaicls  qui  fe  commettent  contre 
35  la  Majefté  du  Roy ,  dont  il  eft  befoin  de  rafraifchir  la  me- 
s>  moire;  lefquels  comme  ils  ne  reçoivent  doute  quelconque, 
3'  auiïi  n'entend  fa  Majefté  les  mettre  en  difpute  ,  mais  feule- 
0'  ment  les  propofer  pour  avoir  l'advis  de  la  forme  de  l'exe-. 
s»  cution  d'iceux,  tant  pour  le  palTé  que  pour  l'advenir. 

«  Ardcle  I.  Tous  fuje£ts  ôc  vaflaux  du  Roy  de  quelque 
8'  eftat ,  qualité  ,  ôc  condition  qu'ils  foient,  entreprenans ,  con- 
s'  jurans,  Ôc  attentans  contre  laperfonne,  majefté,  ôc  autorité 
o>  du  Roy  ôc  de  fon  Eftat ,  ôc  s'eflevans  en  armes  contre  fes 
35  commandemens ,  font  coulpables  ôc  criminels  de  leze-Ma- 
33  jefté  au  premier  chef.  « 

"  Article  IL  Pareil  crime  commettent  ceux  qui  ayans  afiifté 
wà  telles  confpirations  ôc  machinations,  ne  le  viennent  révéler 
s>  ôc  dénoncer.  Le  crime  de  prodition ,  ôc  trahifon  ,  ôc  de  re- 
sîdu6lion  des  villes  ôc  places  à  l'ennemi^  eft  crime  de  leze- 
s»  Majefté  au  premier  chef.  " 

Le  Roy  ôc  ceux  de  fon  confeil  qui  drefferent  ces  articles  de 
fa  part ,  ont ,  ou  ignoré  l'Ordonnance  de  Louis  XI,  ce  qui  n'eft 
pas  vraifemblable  5  ou  la  fçachant  l'ont  jugée  inique,  puis  qu'ils 
n'ont  pas  mis  entre  les  crimes  de  leze  -  Majefté  le  cas  de  la 
fimple  fcience  fans  participation  ,  compris  en  cefte  Ordon-; 
nance. 

Les  Notables  qui  eftoient  en  cefte  aftemblée,  qui  avoient 
bien  autant  de  cognoiflance  de  la  juftice  que  ces  CommifTai- 
res ,  donnans  advis  au  Roy  fur  ces  Articles  ;  uferent  de  çe§ 
termes: 


MONSIEUR  F.    A.   DE  THOU.         pf 

«  Et  partant  il  femble  que  ces  Articles  de  la  Loi  de  leze- 
8'  Majefté  que  vous  propofez  maintenant,  Sire,  de  renouvel- 
^  1er ,  feront univerfellement  receus  Ôc  approuvez  de  tous,  pour 
»  ce  que  les  mefchans  auront  honte  de  s'oppofer  à  chofe  fi 
*'  convenable  à  l'homme  ,  fi  propre  au  Chreftien ,  ôc  fi  natu- 
»'  relie  aux  François  j  &  les  gens  de  bien  feront  très  -  contents 
3^  de  voir  raffraichir  publiquement  la  mémoire  de  ce  qu'ils  ap- 
3'  prennent  ôc  obfervent  par  une  inclination  née  avec  eux ,  ôc 
«  qui  eft  tirée  des  anciennes  Ordonnances  de  France  ,  con* 
o^fervée  par  l'ufage  commun  de  ce  Royaume.  Or,  Sire,  corn- 
to  me  ces  Loix  font  fans  aucune  doute  ,  aufii  n'a  ce  pas  efté 
a' voflre  intention  de  mettre  en  délibération  leur  valeur  ôc  leur 
«  autorité  ,  ôc  pour  ce  n'en  difcourerons  rien  davantage  fur 
s'icelles,  comme  eftant  chofe  que  nous  penfons  avoir  efté  de 
3' long-temps  ordonnée  ôc  obfervée.  « 

Et  plus  bas  :  «  Et  ne  fe  pourroient  tels  criminels  plaindre  de 
»>  cette  Ordonnance  ,  parce  qu'elle  n'apporte  rien  d'augmen- 
S5  ration  de  peine,  ni  n'ordonne  rien  de  nouveau.  Car  ils  ne  fe- 
«  ront  pas  moins  coulpables  ôc  puniflables,  quand  cette  Ordon- 
35  nence  ne  fe  feroit  maintenant ,  parce  que  c'eft  une  loi  ancien- 
«  ne  qui  n'a  jamais  efté  mife  hors  d'ufage.  « 
i  Cefte  Afiemblée  des  plus  notables  du  Royaume  n'a  fai£l 
nulle  reflexion  fur  noftrc  Ordonnance  ;  ils  la  tenoient  inique, 
non  jamais  obfervé,  puifqu'ils  eftendent  feulement  le  crime  de 
leze-Majefté  contre  ceux  qui  entreprennent,  confpirent,  ôc 
attentent  contre  la  perfonne  du  Roy ,  fon  authorité ,  ôc  fon 
Eftat ,  ôç  ceux  qui  affifteront  aufdidtes  confpirations,  ôc  non  plus 
avant. 

L'article  po  de  TEdit  non  publié,  fai£l  ôc  fcellé  au  mois  de 
Juillet  1 5i8  ,  envoyé  au  Parlement  pour  l'examiner,  drefle  fur 
les  cahiers  des  Eftats  tenus  à  Paris  l'an  1(^15"  ,  ôc  fur  ceux  de 
i'afiemblée  des  Notables  tenue  à  Rouen  l'an  1^17,  porte  ces 
mots  : 

«  Deffendons  à  tous  nos  fuje£ls  d'avoir  afibciation,  intelli- 

59gence,  ou  ligue  avec  aucuns  Princes  ou  Potentats  eftrangers, 

o>  foubs  quelque  prétexte  que  ce  foit ,  foubs  les  peines  portées 

3' par  le  183  article  de  l'Ordonnance  de  Blois,  laquelle  nous 

^'Voons  eftreeftroitement  gardée  ôc  obfervée.  ^' 

En  l'Aflemblée  des  Notables  tenue  à  Paris  es  années  1626 


S^â       MEMOIRES  POUR  JUSTIFIER 

Ôc  162J  ,  il  fut  fai£t  quelques  propofitions  de  la  part  du  Roy, 
pour  réprimer  avec  feverité  les  fadions  qui  fe  pourroient  for- 
mer contre  l'Eftat  :  TAflemblée  fut  bien  de  cet  advis  î  -mais 
il  ne  fut  point  parlé  que  la  fimple  fciencefuftun  crime  de  leze- 
Majefté ,  au  contraire  il  fut  dit ,  que  l'inobfervation  des  Loix 
eftoit  la  caufe  des  plus  grands  defordres  ;  que  pour  eftre  leur 
feverité  trop  grande  ,  le  plus  fouvent  elles  ne  s'executoient 
point  du  tout ,  ainfi  les  crimes  ôc  les  fa£lions  demeuroient  im- 
punis j  qu'il  fembloit  plus  expédient  d'impofer  des  peines  plus 
douces ,  Ôc  les  faire  exécuter  fur  le  champ  fans  modération  ; 
que  de  demeurer  dans  l'aufterité  des  premières ,  aufquelles  tour 
tesfois  l'on  n'entend  pas  déroger. 

Voilà  quelles  font  les  Ordonnances  de  ce  Royaume  depuis 
le  Roy  Louis  XI,  contre  les  criminels  de  leze-Majefté  j  en 
quoi  confifte  ce  crime  ,  ôc  qui  font  ceux  qui  le  commettent  ; 
où  il  n'eft  parlé  un  feul  mot  de  la  fimple  fcience  telle  qu'efl: 
celle  dont  il  eft  à  prefentqueftion,  fcience  nuëôc  très-fimple> 
apprife  fortuitement  par  un  pafTant ,  fcience  fans  dol ,  fans  au- 
cune participation  des  particularitez  du  Traidé ,  n'en  ayant  au- 
cune information  qui  pût  rendre  fon  accufation  véritable. 

Si  cette  Ordonnance  de  Louis  XI ,  qui  promet  recompenfe 
à  la  fin  du  difpofitif  à  ceux  qui  révéleront^  euft  ofté  la  crainte  de 
la  peine  du  calomniateur,  il  y  auroit  apparence  de  faire  encou- 
rir la  peine  de  l'Ordonnance  par  celui  qui  auroit  appris  la  conf- 
piration  d'un  feul  homme ,  puifqu'il  l'avoit  pu  faire  impuné- 
ment :  mais  tant  s'en  faut  que  cela  foit ,  qu'au  contraire  par  un 
terme  taxatif,  l'ordonnance  dit  :  «  Toutesfois  qu'elle  veuît  que 
3s  les  anciennes  loix  ôc  ufages  gardez  ôc  obfervez  en  ce  Royau- 
S5  me  ,  demeurent  en  leur  force  ôc  vertu ,  ^^  c'eft  à  dire  >  que 
le  calomniateur  ou  le  dénonciateur ,  qui  ne  prouvera  par  con^ 
vidion ,  ôc  par  des  indices  très  manifelles  ,  qu'il  fuccombera 
aux  peines  de  la  loi.  Nous  en  avons  d'anciens  exemples ,  mais 
un  nouveau  très  formel  du  fieur  de  G.  lequel  ayant  accufé  un 
Prince  d'un  crime  très  attroce  contre  la  perfonne  du  Roy ,  ôc 
ne  l'ayant  pu  prouver  ^  fut  condamné  à  mort,  ôc  exécuté  par 
arrell  du  Parlement  de  Paris  du  4  06lobre  i<5i7  :  exemple 
d'autant  plus  confiderable  ,  qu'il  ell  récent  dans  la  mémoire 
de  tous  les  courtifans  j  l'affaire  ayant  efçlaté  dans  Paris  ^  ôc  à 
la  face  de  toute  Ja  Court, 


MONSIEUR  F.  A.  DE  THOU.  pj 

Il  faut  neantmoins  confiderer  la  claufe  de  cefte  Ordonnan- 
ce tirée  de  la  Loi  Ouifquis  C.  ad  Legem  Juliam  Majejlatis  mal 
entendue,  qui  porte  que  ceux  qui  révéleront  leur  fimple  fcien- 
ce  ne  feront  en  aucun  danger  de  la  vie  ,  au  contraire  feront 
dignes  de  rémunération. 

Un  ancien  a  fort  bien  dit ,  «  S'il  fuffit  d'accufer  ,  qui  fera 
»>  innocent?  »  Si  cette  Ordonnance  a  lieu  ,  l'on  peut  dire  , 
S'il  fuffit  d'accufer  avec  efperance  de  recompenfe ,  beaucoup 
de  louange  &  de  gloire,  qui  peut  eftre  en  feureté  de  la  vie  ? 
Unmiferable,  un  idiot,  un  foible  ,  un  mefchant ,  corrompus 
par  l'efperance  d'une  recompenfe ,  induits  ôc  forcez  par  l'au- 
torité d'un  Miniftre  puiffant ,  ou  par  le  defir  immodéré  de  fe 
venger ,  ôc  pour  fatisfaire  à  quelque  violente  palTion  ,  peuvent 
perdre  qui  bon  leur  femblera  »  garentis  qu'ils  feront  de  la  peine, 
exempts  de  prouver  leur  accufation,  ôc  affeurez  d'eftre  bienre- 
compenfez. 

Que  ne  peut  produire  une  loi  fi  pernicieufe  >  qui  favorifc 
manifeftement  la  calomnie  ôc  les  calomniateurs  ,  pervertit  la 
focieté  civile,  donne  lieu  aux  perfidies,  ôc  à  toutes  fortes  de 
defloyautez  ? 

Doncques  une  Ordonnance  de  cefte  nature,  fi  inique  Ôc 
injufte  ,  qui  n'a  point  eft  confiderée  depuis  qu'elle  a  efté  faide, 
qui  n'a  pas  efté  obfervée  jufques  à  prefent  en  aucun  cas ,  qui 
a  efté  eftouflfée  à  fa  naifiance  ,  qui  n'a  efté  imprimée  en  au- 
cune compilation  des  Edi6ts  Ôc  Ordonnances,  qui  eft  aujour- 
d'huy  la  vraye  publication  ;  après  i^y  ans  Ton  la  faid  revivre 
pour  opprimer  une  perfonne  innocente ,  non  par  la  voye  or- 
dinaire d'une  Juftice  réglée  ,  mais  par  des  Commifi^aires  choi- 
fis  dans  un  grand  nombre  de  mefchans  juges ,  que  la  longue  , 
miferable  ôc  tyrannique  domination  du  Cardinal  de  Richelieu 
avoir  eflevez  à  la  ruine  ôc  defolation  du  public  ,  ôc  à  l'oppref- 
fion  des  gens  de  bien. 

L'Empereur  Trajan  bon  ôc  fage  Prince,  confuké  par  Pline 
le  jeune  fon  Confeiller  corifident  fur  l'obfervation  d'une  cer- 
taine loy  qui  n'eftoit  plus  en  ufage  ,  lui  refpondit  qu'il  avoit 
grande  laifon  de  faire  reflexion  fur  l'autorité  de  la  Loy  ,  ôc  fur 
la  longue  couftume  obfervée  contre  la  loi ,  qu'il  vouloir  pour 
ne  pas  troubler  le  public  que  l'on  ne  travaillaft  perfonne  pour 
ks  chofes  paflees  ,  mais  qu'à  l'advenir  la  loy  fuft  obfervée 
Tome  XV.  '  ^  N 


p^         MEMOIRES  POUR  JUSTIFIER 

exatlement  ôc  fans  aucune  connivence.  Refponf^  certainement 
très  fage  ôc  très  prudente ,  ôc  qui  devoir  eftre  bien  confiderée 
en  cefte  occurrence  par  de  bons  ôc  fages  Juges ,  qui  eufTent 
reprefentéau  Roy  qu'il  n'eftoit  pas  jufîe  ,  au  contraire  très  ini- 
que ,  de  tromper  ainfi  le  public  ôc  les  particuliers ,  en  faifant 
revivre  une  loy  abrogée  par  un  confentement  fi  gênerai  ôc  fi 
ancien ,  ôc  par  tant  d'importantes  confiderations  ;  qu'il  étoit 
befoin,  voire  très  neceflaire  de  faire  fçavoir  l'intention  du  Roy 
en  ce  points  de  la  faire  voir  en  public  avec  commandement 
exprès  à  toutes  fortes  de  Juges  d'y  obéir  3  ôc  celle  répétition  ôc 
renouvellement  de  cefte  ordonnance  euft  eu  force  pour  i'adr 
venir  feulement  :  ce  qui  fouvent  a  efté  faid  à  Rome. 

Les  bons  Juges  ,  c'eft  à  dire,  les  Juges  ordinaires,  nefe  fer- 
vent point  des  Ordonnances  pour  furprendre  les  hommes;  ils 
confiderent  les  temps  qu'elles  ont  efté  produites  ,  fi  elles  ont 
efté  obfervées  ,  s'il  eft  important  pour  le  bien  du  public  ôc  des 
particuliers  qu'elles  foient  exécutées,  ôc  cela  en  toutes  matiè- 
res ,  en  toutes  fortes  d'affaires  de  petite  ôc  grande  importance, 
d'Eftat ,  beneficiales  ,  de  juftice ,  de  formalitez  ;  n'ont  jamais 
condamné  les  contrevenans ,  ont  confideré  l'inobfervance  de 
ces  Ordonnances  ,  ont  faid  eftat  de  les  faire  obferver ,  pour- 
veu  qu'il  pleuft  au  Roy  ,  ôc  faire  fçavoir  de  nouveau  fa  volonté 
à  fes  peuples  ;  bien  loin  de  faire  perdre  la  vie  ôc  l'honneur  à 
des  gens  de  bien  par  le  moyen  d'une  vieille  Ordonnance  non 
jamais  obfervée.  Les  Regiftres  des  Parlemens  ôc  du    Grand 
Confeil  font  remplis  de  ces  exemples.  Les  principales  mar- 
ques de  l'abrogation  d'une  Loy  fe  trouvent  expreffement  en 
celle-cy.  Premièrement  j  parl'ufage  contraire  ,  non  feulement 
dans  l'Eftat  du  Prince  qui  a  faid  la  loy  ,  mais  aux  autres  pays 
Toifins  j  ce  que  Ton  fera  voir  par  un  bon  nombre  d'exemples. 
En   fécond  lieu ,  par  la  rigueur  extraordinaire  ôc  injufte  de 
eefte  loi  efcrite  avec  du  fang ,  comme  les  loix  de  ce  Legif- 
îateur  d'Athènes  ,  qui  fe  trouvèrent  pour  cefte  caufe  du  tout 
abolies,  non  par  un  décret  exprès  ôc  déterminé  ,  mais  par  un 
tacite  confentement  de  ces  peuples.  Et  enfin  par  les  ineonve- 
niens  qui  peuvent  fuivre  l'exécution  de  cette  loi  en  l'oppref- 
fion  des  innocens  ,  ôc  en  l'obligation  qu'auront   à   fadvenir 
les  conjurez ,  de  fe  tenir  plus  couverts  en  leurs  deifeins. 
Et  certes  ceux  qui  veulent  introduire  cefte  forte  de  barbare 


JVÎONSIEUR  F.  A.  DE   THOU.  99 

injuftice,  ne  font  point  de  diftin£lion  entre  le  cas  fortuit,  en- 
tre celui  qui  a  refolu  un  mefchant  a£le ,  &  celui  qui  l'a  ap- 
pris contre  fa  volonté.  Ceft  faire  injure  à  Dieu  autheur  de 
la  nature  ;  qui  a  donné  à  l'homme  l'organe  de  l'ouïe  tousjours 
ouverte,  ôc  qui  n'eft  pas  en  fon  pouvoir  de  la  fermer  &  ou- 
vrir comme  les  yeux  6c  le  bouche  5  6c  c'eft  pofTible  ce  fens- 
là  feul  dont  nous  ne  nous  pouvons  pas  empefcher  l'ufage 
quand  nous  voulons.  Le  fiege  de  ce  fens  en  Thomme ,  eftant 
comme  une  maifon  fans  porte  qui  y  reçoit  ceux  qui  y  veu- 
lent entrer. 

Cette  loi  donc  envieillie ,  abrogée ,  morte  à  fa  naiffance  , 
n'a  efté  mife  en  jeu  ni  publiée  que  pour  couper  la  gorge  à  un 
innocent.  Le  Cardinal  s'en  eft  fervi  pour  aflbuvir  ik  rage  5  6c 
par  le  confeil  de  fon  confelfeur ,  DoÔeur  fanguinaire  ,  il  a  efté 
affeuré  qu'il  pouvoir  en  bonne  ccnfcience ,  (  comme  s'il  en 
euft  eu  une  )  voir  tous  les  commiffaires  6c  leur  recommander 
la  caufe  du  Roy ,  puifqu'il  y  avoit  une  Ordonnance  qui  la  fa^ 
vorifoit  :  confeil  fi  pon£luellement  exécuté  que  tous  les  Com- 
miffaires furent  l'un  après  l'autre ,  les  uns  jufques  à  cinq  fois  , 
trouver  le  Cardinal  la  veille  du  jugement,  qui  leur  comman- 
da ce  qu'il  vouloir  eftre  faid. 

X.  Conftderations  JiîY  la  trop  granâe  rigueur  d'aucunes  Ordonnan- 
ces t  <&  ce  qui  ejî  à  propos  d'ejire  obfervé  en  ce  cas  par  les 
Juges, 

ILeft  très  afleuré  quelesCommiffaires  n^ont point  veu  l'Ordon- 
nance de  Louis  XI  entière  ,  que  depuis  leur  retour  à  Pa- 
ris :  ils  Font  fuivie  6c  exécutée  ,  fans  l'examiner  ,  fur  l'extraiÊI: 
tiré  du  Code  de  Henry,  livre  de  nulle  autorité. 

Mais  pofons  le  cas  qu'ils  l'ayent  veuë ,  ôc  qu'ils  en  ayent 
confideré  les  circonftances  6c  les  fuites ,  il  eftoit  de  la  pruden- 
ce d'un  bon  ôc  fage  confeil  de  s'oppofer  par  la  raifon  6c  par 
l'équité  à  cet  ordre  rigoureux,  à  cefte  loi  abfoîuë  ,  aveugle 
certes  en  ce  point  ôc  très  redoutable,  mife  entre  les  mains  de 
Juges  ignorans  ôc  furieux ,  maispropofée  à  de  bons  Juges  à  des 
Juges  ordinaires ,  euft  efté  tempérée  par  une  équité  naturelle  > 
ôcpar  la  cognoifTance  particulière  du  faid  qui  fe  propofoir. 
La  loi  de  vérité  eft  ce  qui  eft  contenu  en  l'efcrit ,  mais  il 

'^Nij 


loo       MJEMOIRES  POUR  JUSTIFIER 

ne  comprend  pas  toutes  les  efpeces  des  faiûs  qoi  peuvent  arri- 
ver. Ce  défaut  eft  fuppléé  par  l'équité  ,  qui  ajoufte  à  la  loi  la 
bonté  du  Droit  de  nature,  pour  déclarer  ou  modérer  la  vraye 
intention  du  Legiflateur.  Ce  Droit  n'efl:  autre  chofe  que  la 
raifon  que  Dieu  a  empreinte  à  tous  les  efprits  des  hommes , 
qui  commande  de  faire  les  chofes  vertueufes  ^  ôc  fuir  ce  qui 
leur  eft  oppofé. 

En  confequence  de  cefte  vérité  l'on  a  tousjours  detefté  cefte 
tyrrannique  ciefinition  de  la  Loi ,  qui  porte  que  ce  qui  plaift 
au  Prince,  ou  ce  qui  lui  eft  utile  ,  eft  le  Droit  ôcla  Loi,  en- 
core qu'il  répugne  au  Droit  de  Nature  ;  c'eft  là  la  faufle  opi- 
nion des  Tyrans  qui  n^ont  autre  Loi  que  leur  volonté,  ni  moyen 
de  la  faire  garder  que  la  force.  Audi  quand  les  anciens  ont 
donné  la  définition  du  Droit ,  ils  n'ont  pas  dit  que  c'eftoitun 
art  d*une  Loi  efcrite  ,  mais  un  art  d'équité  Ôc  de  bonté. 

Il  faut  donc  que  les  bonnes  Loix  naiflent  du  Droit  de  na- 
ture >  qui  a  cet  effe£t  que  de  produire  l'équité  qui  eft  la  cor- 
reélion  de  la  Loi ,  qui  nous  enfeigne  de  fuppîéer  à  la  loi  efcrite 
&  faire  ce  que  l'autheur  de  la  loi  euft  faiâ:  s'il  euft  penfé  aux 
cas  qui  pouvoient  arriver  ,  ôc  euft  tellement  déclaré  ce  qui  eft 
obmis  ou  trop  dur  en  fa  loi ,  que  l'effed  euft  efté  pour  le  fa- 
iut  du  public. 

Qui  voudroit  autrement  ufer  de  la  Loi  aux  cas  où  elle  dok 
eftre  tempérée  ,  ce  feroit  une  pure  calomnie ,  une  manifefte 
tromperie ,  faite  fous  prétexte  des  mots  de  la  Loi  j  ce  feroit 
une  fouveraine  injuftice ,  une  pure  tyrannie  :  ôc  certes  ceux 
qui  fe  fervent  des  Loix  de  cette  forte ,  ôc  qui  s'attachent  ef- 
troitement  à  leurs  paroles ,  font  de  vrais  calomniateurs ,  font 
des  fycophantes ,  font  des  fophiftes  ôc  declamateurs. 

Cefte  équité  naturelle  tant  recommandée  dans  les  jugemens 
par  les  plus  grands  politiques  de  l'Antiquité ,  à  cefte  force  que 
de  corriger  la  loi  pour  fervir  à  la  chofe  publique  ;  c'eft  une 
modération  de  la  Loi  ,  une  voye  du  milieu  ^  par  le  moyen  de 
laquelle  nous  efvitons  la  trop  grande  douceur  ôc  l'exceffive 
rigueur  :  à  celle-là ,  nous  y  fommes  portez  d'ordinaire  par  la 
faveur  Ôc  la  grâce  i  à  l'autre ,  la  haine  ou  le  defir  de  plaire  à 
un  tyran  y  forcent  les  juges  mefchans  ,  avares  ôc  ambitieux. 
Les  exemples  n'en  ont  efté  que  trop  frequens  en  ce  derniei 
fiecle  tout  à  fai^i:  cruel  ôc  fanguinaire.  - 


.MONSIEUR  F.  A.  DE  THOU,        Ioï 

Auiïi  les  Empereurs  Conftantin  ôc  Licinius  ont  fort  bien 
dit,  qu'en  toutes  chofes  ,  ils  difent  en  toutes ,  l'on  doit  avoir 
efgard  pluftoft  à  la  juftice  &  à  l'équité  qu'à  la  rigueur  du  Droit 
appeilée  Droit  eftroit,  qui  eft  pour  en  dire  la  vérité  ne  plus  ne 
moins  qu'un  corps  fans  lang  ôc  fans  ame,  inutile  à  tout,com* 
me  la  loi  deftituée  d'équité  eft  la  defolation  de  la  chofe  publi* 
que ,  ôc  la  ruine  des  Eftats. 

C'eft  ce  qui  a  fai6t  blafmer  le  Legiflateur  Charondas  ,pour 
avoir  ordonné  que  les  Juges  n'euffent  à  fe  defpartir  pour  quel- 
que fai£t  que  ce  fuft  des  termes  précis  de  fes  Loix.  Les  Char- 
latans ôc  les  Empiriques  en  font  ainfi ,  qui  n'ont  qu'une  dro- 
gue pour  toutes  fortes  de  maladies.  Quelle  ineptie  de  s'ima* 
giner  qu'une  Ci  grande  diverfité  de  faids  ôc  d'accidens  qui  ar- 
rivent dans  le  monde  puifTent  eftre  décidez  par  une  feule  loi, 
&  qu'il  ne  foit  neceflfaire  d'y  apporter  des  confiderations  qui 
obligent  les  bons  Juges  à  fuivre  l'équité  qui  refulte  des  fai6ts 
particuliers  ? 

Un  ancien  a  fort  bien  di£l ,  qu'il  falloir  en  la  punition  des 
crimes  diminuer  ou  augmenter  les  peines  par  la  qualité  des  cir- 
conftances,  qu'il  falloit  confiderer  la  caufe,les  perfonnes,le 
temps ,  l'événement  5  ce  qui  vient  des  diverfitez  ôc  des  efpe- 
ces  innombrables  ,  autant  que  les  vifages  des  hommes  font  dif- 
ferens  les  uns  des  autres  bien  qu'ils  foient  compofez  de  mefr 
mes  parties. 

Aulîî  tous  les  grands  Docteurs ,  Bartoîe  mefmes  ,  de  l'auto* 
rite  duquel  l'on  fe  fert  pour  juftifiercefte  a6lion  injufte,  n'ont 
point  feint  d'advertir  les  Juges  que  bien  que  par  tous  les  fta- 
ruts  d'Italie  il  leur  foit  défendu  de  fe  defpartir  d'un  feul  point 
de  leurs  Loix  ,  ils  n'y  font  point  tellement  obligez  qu'il  ne 
leur  foit  permis,  paflant  par  defTus  cefte  rigueur  efcrite ,  de 
donner  une  bénigne  interprétation  au  ftatut  étirée  du  fai6l  par- 
ticulier qu'ils  ont  à  juger. 

L'advertiffement  que  donne  ce  grand  Chancelier  aux  Ju- 
ges  eft  mémorable ,  de  ne  faire  aucune  adion  contraire  à  eux- 
mefmes,  c'eft  à  dire,  de  ne  rien  faire  que  ce  que  doit  faire 
un  homme  de  bien.  Or  le  devoir  d'un  homme  de  bien  eft  de 
garder  une  modération  en  tous  les  exercices  de  la  vertu ,  prin-, 
cipalement  en  la  Juftice ,  qui  confifte  pour  eftre  parfaite  à  évi^ 
ter  les  deux  extremitez ,  la  cruauté  ôc  la  mifericorde ,  comme 

JNiij 


îe)2       MEMOIRES  POUR  JUSTIFIER 

cllans  l'une  &  l'autre  la  ruine  de  la  focieté  civile. 

11  eft  bien  vrai  que  l'autorité  de  modérer  ou  expliquer  les 
Loix  dépend  proprement  du  Souverain.  L'ordre  ancien  vou- 
ioit  que  fi  les  Loix  eftoient  obfcures  ou  trop  dures  pour  les 
faids  qui  fe  prefentoient ,  que  les  Magiftrats  &  Gouverneurs 
des  Provinces  en  refcrivifient  au  Prince ,  qui  mandoit  ce  qui 
eftoit  de  fa  volonté.  Nos  livres  font  pleins  de  cet  ordre ,  ce 
•qui  a  duré  jufques  à  l'Empereur  Juftinien ,  qui  défendit  à  tous 
Juges  de  ne  plus  référer  au  Prince  les  caufes  des  parties ,  pour 
les  grandes  confufions  qui  en  arrivoient ,  leur  ordonnant  de 
faire  droit  ainfi  qu'ils  cognoiftroient  jufte  Ôc  raifonnable.  Cet 
■ordre  a  eu  lieu  en  toutes  caufes  civiles  ôc  criminelles. 

Ceci  neantmoins  ne  doit  eftre  entendu  d'une  licence  de 
juger  félon  le  caprice  des  Juges.  L'on  ne  va  pas  jufques  à 
cefte  penfée  extraordinaire.  Pieuft  à  Dieu  qu'au  fiecle  pailé , 
miferable  &  malheureux  s'il  en  fuit  jamais  ^  les  Commiifaires 
êc  les  Juges  plus  autorifez  euffent  apporté  autant  de  circonf- 
pedion  à  fuivre  les  Ordonnances  à  la  rigueur  !  nous  n'euf- 
iîons  pas  tant  fouffert  d'injuftices  &  d'opprelfions  publiques  ôc 
particulières.  Les  Loix  n'ont  fervi  que  de  piège  ôc  de  pré- 
texte pour  furprendre  les  innocens  ',  ôc  tout  ce  qui  fe  peut 
imaginer  d'injufte  ôc  de  violent  a  efté  foigneufement  exécuté 
par  ceux  mefmes  qui  font  prepofez  pour  tenir  la  main  à  faire 
obferver  les  Ordonnances  :  tant  ils  ont  pris  de  peine  d'obéir 
aveuglement  aux  volontez  ôc  à  la  paflîon  violente  d'un  feui 
homme  cruel  Ôc  barbare  l 

XI.  Si  celui  qui  Jfaitfimplement  une  conjuration  contre  PE/lat  & 
ne  la  révèle ,  ejî  punijjable  de  mejme peine  que  Pautheur  de  la  con^ 
juration.  U opinion  de  Bartole ,  qui  a  tmu  V affirmative ,  efl  exa^ 
minée  &  réfutée  ,  avec  les  lieux  de  quelques  Doreurs  qui  ont 
tenu  Padvis  contraire. 

'On  dira  qu'il  efl  inutile  de  traiâ:er  en  France  la  Queftion; 
^Si  la  fimple  fcience  en  matière  de  crime  d'Ellat,  eft  un 
crime  de  leze-Majellé  5  puifque  l'on  a  l'Ordonnance  du  Roy 
Louis  XI/  qu'on  prétend  avoir  décidé  ce  point.  Neantmoins 
ce  que  nous  avons  remarqué  contre  cette  Ordonnance  fera 
polfibletrouvéû  fort  ôc  fi  çonilderable,  ^ue  l'on  jugera  à  projpos 


^MONSIEUR  F.  A.  DE  THOU.         ïoj 

de  voir  ce  que  les  Do£leurs  ont  penfé  fur  cette  quefiion  , 
foit  qu'ils  ayent  tenu  l'affirmative  ,  que  la  fimple  fcience  fuft 
criminelle,  &  puniiTable  de  mort 5  foit  qu'ils  ayent  elle  de  con- 
traire ad  vis. 

Bartole  eft  le  premier  Doâeur  ôc  le  plus  célèbre  qui  a  tenu 
que  la  fimple  fcience  non  révélée  eftoit  puniflable  de  mort. 
V  oici  comme  il  en  parle  fur  la  loi  6*  D.  de  leg.  Pompeia  de 
Parricidiis ,  n''.  5. 

«  Item  dicitîir  quod  hic  confiius  tenetur  de  parricidio  ,  contra  > 
»  qtùa  de  fcientîafola  quis  non  débet  puniri.  L  culpa  caret  de  Re^uL 
^■yjuris.  C.  non  ejl  fine  culpa  de  Reg.  jur,  in  6°.  Glof  hujus  timoré 
0»  dicit  hic  ,  confcii  fubatidi  &  participes  j  &  mhtl  ail  egat,  forte  mot  a 
»  eft  per  illud  quod  net.  in  aliis  legtb.  Contra  hanc  Glof.  videtur 
^■>cafusinl.  2.  i.  eod.  foL  Domini  fi  volumus  fuftinere  Gloffam 
3'  dicamus  fie.  Ouod  ex  fola  fcientia  quis  non  débet  puniri  >  nifi 
w  quando  maleficium  débet  committi  in  perfonam  cujus  poteftati  efi 
o^fùbjeâfus ,  ut  fit  fervus  eft  fciens  de  morte  Domini  L  i.  §.  fervus 
^^ad  S.  C.  Syllan.  Vel  in  filio  fit  fuit  fciens  de  morte  patris  r  eod» 
«  /.  2.  Idem  de  Vafallo  3  fit  fuit  fciens  de  morte  Domini  eadem  ra- 
»  tione.  Idem  de  eo  qui  fuit  fciens  de  turbatione  civitatis  fuse  vel 
»  de  alio  commiffo  in  civitatem  fuam  vel  in  Principem,  L  Quif- 
as>  quis  ad  L.  Jul.  Majeft.  In  altis  autem  videtur  quod  non  fufftcit 
^■>fola  ficientia  nifi  fit  partie  ep  s  deliBi.  not.  hic.  &  d.  l.  culpa  caret  » 
»  &  in  D.  C.  non  eftfiine  culpa  fed  contra  hanc  glof.  videtur  lexfor- 
»  îiter  Inft.  de  public,  judic,  §.  alla  ubi  ponit  de  confciis  perfe  ù*, 
M  de  parttcipîb.  per  fe ,  fed  pojjumus  eam  intelligere  fecundum  di" 
^^ftinâionetn  pracedentem ,  licet  videatur  fieri  violentia  illi  Iiter œ^ 

3'Additio  ad  h^ec  verba  BarthoU  ^  Turbatione  civitatis  fux* 
M  Nota  quod  fciens  proditiones  Ô"  non  revelans  tenetur  pœna ,  &c^ 
^^fed  Baldus  apud  Florentiam  de  Dom.  Donato  de  Barbadoris 
»  confulutt  (&  ideo  dictt  quod  anima  Bartholi  cb"  omnium  qui  eunt 
••^fequuntur  cruciatur  in  inferno  :  &  Not.  C  an.  fin.  de  his  quifiL 
t»  occ.  &  de  hac  revelatione  vide  etiam  quod  notât  Jo.  Andr.  c, 
Si  Petrus  de  Henric.  &  fpes  tit.  de  Légat.  §.  juxta  v.  quod  fi  ami* 
!àci ,  &"  quod  dixi  poft  Bart.  l.  incivile  c.  de  Furtis.  f^idetur  ta" 
sî  men  quod  Pater  non  tenetur  rêve  lare  fiUum  per  textum  l.  Mi-* 
3>  lites.  §.  defertorem  de  re  militari.  Et  an  ex  fiimplici  cognitione 
f^five  ordinatione  faciendo  traBatum  quis  debeat puniri  v.  in  L  ù* 
^fi  amiçï  de  Âduher.  C,  &  his  adde  Bart»  L  i.  §,  occiforum  ad 


104      MEMOIRES  POUR  JUSTIFIEp: 

03  Syllanian.  &  not.  quod  fi  flatutum  punit  traâamm  facientem 
3>  non  requiritur  conjhmmatio  deli5ii.  ha  àtcit  Abbas  hic  c,  tua  nU" 
»^per  ext.  de  his  qua  fiunt  à  Pralat.  per  text.  &  Gl.  ibt  &  quod 
a»  not.  Bald.  l.  adverfus  C.  defurtis.  » 

Idem  Barthol.  ad  1.  i .  §.  Occiforum  ad  S.  C.  Syllanian.  n^  5. 

ce  Ultimo  hic  in  fine  y  quod  confia  puniumur  ,  fid  5 .  ead.  L  §, 
»yfid  in  eo  dicitur  quod  non  puniuntur  nifi  participes ,  qualiter  tn- 
3>  telltgatur  hoc  /  Refp,  fila  ficientia  de  maleficio  committendo  ,  non 
mfactt  quem  teneri  >  nifi  maleficium  de  beat  committi  in  Domtnum. 
w  Ut  hic.  vel  in  Patrem  vel  in  Remp.  cui  quis  fiubefi  L  quifiquis  C, 
*5  ad  L.  Jul.  Majefl.  in  alium  vero  fi  débet  committi  non  punitur 
»  quis  ex  fiola  ficientia  nifi  fuerit  particeps  ut  in  §.  fid  in  eo  ,  &*. 
»  quod  ibi  dixi  &  in  L  utrum  ad  Leg.  Pompeiam  de  Panicidiis.  »i 

Bartole  voulant  réfuter  ce  qu'Accurfe  a  fort  bien  dit  en  fa 
Glof.  fur  la  loi  b.  de  Lege  Pompeia  de  Panicidiis  >  quand  il  a 
expliqué  le  mot  de  Confictus  par  celui  de  Particeps  j  parce,  dit 
Accurfej  que  la  feule  fcienee  ne  rend  pas  un  homme  crimi- 
nel :  Bartole,  dis-je  ,  réfutant  cefte  Glofe  ,  advouë  que  cefte 
do£lrine  eft  véritable  ,  fçavoir,  que  la  fcienee  fans  participa- 
tion n  eft  pas  capitale  ,  fors  en  quatre  cas  :  fi  un  fils  a  advis 
qu'on  veuille  tuer  fon  Père  i  un  efclave  fon  Maiftre  i  un  vaflal 
Ion  Seigneurs  ôc  lorfqu'un  Citoyen  ou  un  fujet  fçait  une  con- 
juration contre  la  Republique  ,  ou  contre  fon  Prince.  Pour 
prouver  fon  opinion  il  allègue  des  Loix  où  les  Jurifconfultes 
ôc  les  Empereurs  ufent  de  ce  mot  de  confiius,  qui  fignifie  conir 
plice  &  participant  du  crime ,  ôc  rien  autre  chofe.  Ceux  qui 
ont  cognoiffance  de  la  propriété  de  la  langue  Latine  ne  l'en- 
tendent pas  autrement ,  ôc  principalement  les  Jurifconfultes  ; 
qui  font  obligez  plus  que  tous  les  autheurs;  d'ufer  des  termes 
propres  à  fignifier  les  chofes  qu'ils  veulent  exprimer.  Si  Bar- 
iole a  efté  d'opinion  contraire  à  Accurfe ,  l'on  peut  dire  ce 
que  Cujas  a  dit  :  Accurfitum  longe  magis  corona  donaverim  à 
quo  quidquid  aberrat  Bartholus  vana  fiôîiones  &  aegri  fimnia  vi^ 
n-Ohfervat  ^^^^^^'  Ce  lieu- cy  eft  preuve  entière  &  indubitable  du  juge< 
il,  '  ment  de  Cujas.   Car  Bartole  veult  qu'en  tous  les  lieux  qu'il 

allègue  pour  prouver  fes  exceptions ,  que  le  mot  de  Confeius 
s'entende  d'une  perfonne  qui^  fceu  fimplement  fans  participation 
ce  qui  eft  ridicule ,  ôc  une  refverie  d'un  homme  qui  ignore 
h  force  de  ce  mot ,  ôc  fa  yraye  Ôc  naturelle  Ijgniii.cation. 

Confçiu^ 


]V|ONSIEUR  F.    A.    DE  THOU.         loj 

Conjcitts  proprement  ejî  qui  ope  i  confilio ,  &  voluntate  adfmt  ;  ^Vc^mW  Mar^ 
qui  rem  occultam  una  fcit  >  fciens  cum  altero ,  particeps  (ir  foetus,  ceil.  Conamu 
Confcire  vel  confcifcere  ,  d'où  vient  le  mot  conjcius  )  efl  communi 
confilio  Jîatuere  j  ne  fignifiepas  fçavoir  ,  mais  confentir,  ôc  beau- 
coup davantage.  Les  pafTages  dans  les  bons  autheurs  de  l'an- 
tiquité y  font  exprès,  &  en  grand  nombre.  Glof.veter.  Confcius 
cTxirfVû^/qui  vient  de  awiTst^^i qui  fignifie  cœo ,c  ç.^-2i-âi\ïQ,conjuro, 
conjpiro ,  va  bien  plus  avant  que  fçavoir  fimplement  ;  Ôc  en  tout 
autant  de  lieux  pareils  à  celuy-cy  ,  c'eft-à-dire ,  où  il  eft  quef- 
tion  de  conjuration  ,   où  le  mot  de  conjctus  fe  trouve   em- 
ployé, il  ne  fe  peut  entendre  autrement  que  pour  un  homme 
participant  à  la  conjuration  :  ôc  les  anciens  Jurifconfultes  ont 
efté  fî  exa£ts  à  ne  point  abufer  de  la  propre  fignification  des 
mots  ,  que  lorfque  le  Prêteur  a  ufé ,  ou  pluftoft  abufé  du  mot 
àQ  fciens ,  ils  ont  creu  eftre  obligez  de  l'expliquer  comme  en  la 
loi  10.  §.  quod  ait  D,  quce  in  fraude  créditer.  _Quod  ait  Prator 
fciente  fie  accipimus  de  confcio   &  fraudent  participante  ,  non 
enimfifimpltciterfcioillum  creditores  habere  ,  hoc  fufficit  ad  con- 
îendendum  teneri  eum  infaâlum  aâione  ,  Jed  fi  particeps  fraudis  eft> 
La  Glofe  d'Accurfe  ,  au  fiecle  où  il  vivoit ,  eftoit  necedaire  > 
mais  dans  la  lumière  des  Lettres  où  nous  fommes  ^  elle  eft 
inutile.  Car  puifque  le  Jurifconfulte  avoit  ufé  du  mot  àQ  con- 
fcius ,  c'eftoit  affez  dire  pour  defigner  un  criminel ,  un  partici- 
pant d'un  crime  autant  que  le  principal  autheuri  ôc  perfonne 
ne  le  peut  interpréter  autrement  fans  erreur  ôc  ignorance. 

Tous  ces  vieux  Dodeurs,  ôc  particulièrement  Bartole^pour 
appuyer  leurs  opinions  allèguent  perpétuellement  cefte  Loi  .: 
Ùufquis  ad  Legem  JuL  Majeft.  dont  l'autheur  eft  l'Empereur     Clauâknup 
Arcadius>  qui  eftoit  lors  fous  la  tyrannie  de  fon  Miniftre  Eu-  ^'^^^^^^'^ 
tropius,  mefchant  ôc  malheureux  Eunuque  ,  ôc  qui  mania  l'Em- 
pire durant  fon  autorité  avec  beaucoup  de  violence.    Cefte 
loi  ne  parle  point  des  Princes ,  mais  très-expreife  pour  la  dé- 
fenfe  de  leurs  Aliniftres,  ôc  jufques  aux  moindres  officiers.  Eu^ 
tropius  euft  plus  de  foin  de  fa  confervation ,  ôc  de  celle  de 
fes  créatures  qu'il  avoit  eflevées  dans  les  charges ,  que  de  la 
perfonne  de  fon  maiftre.  L'Empereur  donc  après  avoir  parlé 
des  peines  dont  il  veut  que  les  principaux  autheurs  foient  pu- 
nis ,  il  adjoufte ,  Id  quod  de  praediâlis  eorumque  fiUis  cavemus  » 
(tiam  de  fatellittbus  confciis  »  ac  minijîris  fidîfque   eorum  fimiU 
Tome   XV,  J  O 


io6       MEMOIRES  POUR  JUSÏIFIE^R 

Jeveritate  cenfemm.  Sane  fi  qms  ex  his  in  exordio  inita  faSîionis  , 
initam  prodiderit  fa6iionem ,  pramio  à  nobis  donabimr.  Is  vero 
qui  ufus  fuerit  fa^iione  j  fi  veljèro  >  incognita  tamen  adhuc  conÇi-* 
lionim  arcana  patefecerit ,  abfolutione  tantum  <&  venia  dignus  ha^ 
bebitur.  Voilà  la  claufe  dans  laquelle  celuy  qui  a  funplement 
fceu  doibt  eftre  compris.  Il  ne  peut  eftre  appelle  Satelles  ,  parce 
que  ce  mot  ne  convient  qu'à  ceux  qui  doivent  eftre  employez 
a  l'exécution  du  defTein.  Il  n'eft  point  Confcius  >  puifqu'il  n'a 
aiTifté  au  confeil  de  la  conjuration.  Il  n'eft  pas  Minifier  y  puif- 
qu'il n'a  aucun  employ  dans  le  Traiûé ,  qui  n'eft  pas  mefme 
congneu  des  conjurateurs ,  ôc  ce  font  ceux  que  l'Empereur  en- 
tend qu'ils  foient  punis ,  comme  les  principaux  aatheurs  de  la 
eonfpiration.  C'eft  auflTi  de  la  part  de  ceux-là  Amplement ,  que 
le  Prince  peut  s'attendre  d'eftre  informé ,  parce  qu'ils  fçavent 
la  conjuration  ?  ceux  qui  f<çavent  amplement ,  ne  peuvent  rien 
dire  de  précis  y  ni  de  convaincant ,  nulle  preuve  de  leur  part , 
nulle  circonftance ,  bref  ne  peuvent  que  donner  des  deffiances 
&  du  trouble  dans  un  Eftat,  fans  y  pouvoir  apporter  aucun 
remède  :  aufli  l'Empereur  veult  que  celui  qui  defcouvrira  le 
deffein,  lui  révèle  conftliorum  arcana ,  ce  que  ne  peut  pas  faire 
un  qui  a  une  légère  fcience  ôc  fuperficielle.  Ainfi  l'on  peut 
conclure  j  que  puifqu'il  eftoit  au  pouvoir  de  l'Empereur  &  de 
fon  Confeil  de  s'expliquer  davantage  >  &  de  defigner  Ôc  tenir 
coupables  ceux  qui  auront  feulement  une  fimple  congnoilTanceî 
qu'il  ne  l'a  pas  creu  devoir  faire  juftement  ,  lui  qui  a  or- 
donné par  cefte  loi  des  chofes ,  fi  non  du  tout  injuftes  ôc  bar- 
bares ,  au  moins  rudes  ôc  trop  feveres. 

C'eft-là  ce  femble  îe  vrai  fens  de  cette  Loi  fî  célèbre ,  ôt 
néanmoins  ceux  qui  ont  dreffé  l'Ordonnance  de  Louis  XI , 
dont  on  s'eft  fervi  en  cefte  affaire ,  n'ont  eu  autre  fondement 
que  cefte  loi ,  qu'ils  ont  entendue  par  le  fens  de  Bartole  con- 
traire au  bon  fens ,  ôc  à  l'intention  du  Legiflateur  ôc  des  Ju- 
îifconfultes  anciens. 

J'adjoufte  à  ce  que  deflus  ,  ce  qui  fert  aulfi  à  noftre  propos; 
ce  que  M.  Cujas  (quia  veu  en  la  Jurifprudence  ancienne  plus 
que  tous  ces  bons  Dofteurs)  a  dit  fur  la  Loi  225"  ,.de  Verhor. 
fignijicatione.  Ex  lege  ^ftifquis  ad  Legem  Jttl.  Majefi.  dit  -  il  j 
zemere  fiaîuunt  in  crtmme  Majefi atis  folam  voluntatem  puniri', 
quod  efifalfam  ;  fol  a  vo  lamas  perduelltonem  nonfacit  ,fed  tnitium 


MONSIEUR  F.  A.  DE  THOU;  107 

fa5tiy  ideflfaâio  vel  conjuratio.  Et  déganter  in  l.  i.C,  Th.  ad 
Leg.  Juliam  de  ambitu  :  Nihil  interefi  inter  cœptum  ambitum  & 
perfeBum  >  cum  pari  forte  leges  tant  fcelus  quamfceleris  volunta- 
tem  puniant  ;  non  nudam  voluntatem ,  fed  faBi  initium  y  nam  <jms 
erit  explorator  nudce  voluntatis  ni  cœperit  faôîo  aliquo  aut  fa6li 
initio  aliqtto  voluntatem  Juam  prodere  f  quo  prodito  tamen  coercebi- 
îur  ea  voluntas  ,  non  ■  tantum  ex  caufa  Majeftatis ,  fed  etiam  ex 
aliis  caufis  :  quo  modo  accipiendum  eft  quod  Servius  in  f^irgil.  dixit  ; 
hune  ejfe  morem  Komanorum  ut  non  tantum  exitus  ^uniatur  fed 
Û'  voluntas ,  à  qua  fcilicet  cœperit  initium  aliquod  fa6li.  ' 

Guill.  Fornerius  au  Commentaire  qu'il  a  fait  fur  cefte  mef- 
me  Loi  225* ,  de  verbor.  fignif.  faid  une  remarque  à  ce  propos, 
rapportant  ces  mots  de  noftre  loi.  Quifquis  :  eadem  enim  fève- 
ritate  voluntatem  fieleris  qua  effeâîum  puniri  jura  voluerunt.  Vo-- 
luntatem ,  dit-il ,  cogitationem  &  conatum  (  ex  vejlibulo  ejufdem 
conjiitmionis)  interpretor ,  fcelejlam  inierit  faôîionem ,  autfaâionis 
ipfius  fufceperit  facramentum  vel  dederit.  Cicero  lib.  3.  Officier,  in 
îpfa  deliberatione  facinus  inejl ,  etiamfi  ad  ià  non  pervenerit.  Quod 
qui  de  nuda  fceleris  cogitatione  exaudiret ,  jus  civile  calumniaretur. 
lib.  2.  feudorum  Tit.  y  i.  Oui  laboravit  ^  fi  non  eft  infidiatus ,  non 
privatur  feudo.  L'interprétation  de  ces  deux  grands  Dodeurs 
eft  bien  différente  de  celle  de  Bartole  &  de  ceux  qui  l'ont 
fuivi.  lis  nient  formellement ,  appuyez  de  la  raifon  &  par  de 
bonnes  authoritez,  que  la  nuë  volonté  en  crime  d'Eftat ,  qui 
n'eft  jamais  fans  un  mauvais  principe ,  foit  criminelle  :  ils  veu- 
lent pour  pouvoir  eftre  dite  telle  qu'elle  paroifle  par  quelque 
commencement  en  l'exécution  du  deflein  j  bien  loing  d'eftrc 
d'advis  qu'une  fimple  fcience  foit  criminelle ,  qui  eft  deftituée 
non  feubment  d'une  nuë  volonté ,  mais  de  tout  mauvais  prin- 
cipe ,  qui  peut  tomber  en  une  perfonne  fortuitement  ôc  fans 
aucun  deflein  par  le  moyen  du  fens  de  l'ouïe  >  dont  nous  ne 
nous  pouvons  pas  empêcher  l'ufage.  C'eft  ce  qu'a  fort  bien 
remarqué  Themiftius  Euphrates  en  une  occafion  femblabîe  à 
celle-cy ,  parlant  à  l'Empereur  Theodofe  :  OUm  in  ejufmodi  Orat.  y.  f. 
criminibus  mhil  inter  culpam  <&  fortunam  difeernebantur ,  parque  ^'^^' 
&  idem  noxde  genus  nefarimn  aliquid  &  fcelefium  moliri  >  e^"  id 
ipfum  praeter  voluntatem  audijfe  :  atque  hoc  erat  naturam  hominis 
arguere  ,  quod  apertas  ac  patulas  aures  dedijje ,  nec  quemadmo-' 
fium  palpebras  &  os  fie  etiam  âmes  claudere  aut  diducere  in  pot  eft  at  s, 

J  O  ij 


ïo8     MEIVÎOIRES   POUR  JUSTIFIER 

nojira  effe  voluijfet  :  cum  fere  unus  hic  fenfus  potejlatem  nojïram 
aï  que  libertatem  effugtat  y  ac  quicquià  in  eum  incunerit  velutjanua 
carenttbus  ^edibus  j  tta  neceffario  fint  illi  omnia  fifcipienda.  Tu 
vero  i  Imperator  3  audiîum  prorfiis  à  crimine  feparafli. 

Le  lieu  tiré  du  livre  de  Fendis  allégué  par  Fornerius  ,  réfute 
un  des  quatre  cas  excepté  par  Bartoie  ,  en  forte  que  toutes 
ces  exceptions  fe  trouveront  vaines  ôc  fans  fondement  :  neant- 
nioins  elles  ont  efté  favorablement  embraflees  ôc  trouvées  plau- 
fibles  par  leurs  Miniftres  j  car  ,  difent-ils  ,  qu'y  a-til  de  plus 
confiderable  que  le  repos  d'un  Eftat ,  la  vie  d'un  Prince ,  la 
vie  d'un  Père  ,  d'un  Maiftre  ôc  d'un  Seigneur  de  Fief;  croyans 
que  peu  de  perfonnes  en  chofes  fi  favorables  d'une  part  ,  ôc 
fi  odieufes  de  l'autre ,  voudroient  entreprendre  d'y  contredire  > 
ôc  ainfi  que  cefte  opinion  feroit  authorifée.  Le  Texte  le  plus 
fort  qu'a  Bartoie  pour  foutenir  fon  opinion,  eft  la  Loi  2.  D. 
de  Lege  Pompeia  de  parricid.  dans  laquelle  après  qu'un  enfant 
a  achetté  du  poifon  pour  faire  mourir  fon  père  ,  la  Loi  dit  : 
Frater  ejus ,  qui  cognoverat  tanîum  nec  Fatri  indicaverat ,  relega" 
tus  efi ,  &  medicus  fuppUcio  faâus.  Il  y  a  bien  de  la  différence 
entre  l'efprit  de  cefte  loi ,  ôc  le  fai6l  que  nous  traitions  j  parce 
qu'un  fils  qui  fçait  que  fon  frère  a  achetté  du  poifon,  qui  fçait 
fon  defiein,  ôc  le  nom  de  celui  qui  a  vendu  le  poifon,  ôc  qu'il 
a  efté  baillé  à  cefte  fin,  il  ne  peut  pas  douter  de  la  vérité,  il 
a  un  très-grand  advantage  parce  qu'il  peut  advertir  fon  père 
fans  crainte  d'eftre  réputé  calomniateur?  advertiffant  fon  père 
il  lui  fauve  la  vie  ,  ôc  à  fon  frère  ,  il  peut  demouvoir  fon  frère 
de  fa  mauvaife  volonté.  Le  père  en  ayant  congnoiifance  ,  ôc 
faifant  fçavoir  à  fon  fils  la  mauvaife  volonté  qu'il  a  eue  ^  lui  peut 
donner  un  repentir ,  fans  eftre  obligé  de  recourir  à  la  rigueur 
de  la  Loi. 

Il  n'en  eft  pas  de  mefme  en  crime  de  leze-Majefté:  un  par- 
ticulier qui  n'a  aucune  congnoiffance  que  par  le  rapport  d'un 
homme  feul,  n'a  pas  la  liberté  d'advertir  fon  Prince  fans  crain- 
te de  fuccomber  aux  peines  de  la  calomnie  ;  s'il  ne  prouve  fon 
accufation  il  pafiera  pour  un  mefchant ,  pour  un  calomniateur  > 
ôc  fuccombera  aux  peines  de  la  Loi.  S'il  eft  homme  d'efprit, 
il  ne  donnera  pas  l'advis  au  Prince  pour  ne  le  pas  troubler  > 
il  faut  le  confefi^er  aux  Miniftres ,  qui  font  obligez  de  faire 
inftruire  le  procès.  Le  Confeil  du  Prince  croira  difficilement 


MONSIEUR  F.   A.    DE   THOU.        109 

qu'un  fubjeû  ait  autant  de  bonne  volonté  pour  Ton  Roy ,  qu'un 

enfant  a  pour  Ton  père  5  le  mefme  Confeil  n'aura  pas  la  puif- 

fance  d'eftoufîer  l'accufation  par  prudence  ,   autrement  il  fe- 

roit  lui-mefme  coulpable  s'il  en  arrivoit  un  mauvais  efFe6t. 

Il  faut  par  la  neceiïité  des  Loix  que  le  procès  foit  faid,  ou  à  lî.C.adLeg. 

l'accufé  ou  à  l'accufateur,  Ôc  quelquefois  à  l'un  &  à  l'autre.  5^"^'^^)' 

Bartole  mefme,  bien  entendu,  ne  dit  pas,  que  celui  qui  fçait 

une  confpiration  d'un  homme  feul  ,  foit  coulpable  s'il  ne  le 

dénonce.  Il  faudroit  qu'il  appuyaft  fon  raifonnement,  &  qu'il 

refpondill  aux  inconveniens  qui  peuvent  arriver  à  celui  qui  ne 

prouvera  pas  le  crime  dont  il  a  eu  congnoiflance. 

Il  faut  qu'un  accufé  foit  convaincu  par  des  indices  très-  v.  h  i.aâl 
manifeftes ,  pour  mefmes  en  venir  à  lui  faire  donner  la  quef-  5«^-  Majefi, 
tion.  L'accufateur  ou  le  dénonciateur  font  en  pareille  peine, 
au  faid  que  nous  traitons ,  très-manifeftement  ,  parce  que  le 
fleur  de  Thou  eftoit  feul ,  il  avoit  la  congnoifTance  du  faiâ  trop    ' 
légère  pour   faire  appliquer  à  la  queftion  les  accufez  y  quoi- 
qu'ils euflTent  elle  de  la  qualité  d'eftre  condamnez  à  ce  fup- 
plice ,  ainfi  fon  accufation  le  perdoit  manifeftement. 

Un  tefmoin,  dit-on,  quoi  c^q  ïo'^Iq  eft -probatiofemiplena}  CujacadTa. 
comme  parlent  les  Docteurs  ,  ôc  ils  difent  deux  tefmoins  font  ^^f  ^j  ^f^^ 
une  preuve  entière,  un  teimoin  une  demi-preuvei  ce  qui  eii 
faux.  La  vérité  eft  femblable  à  la  preuve ,  qui  ne  reçoit  point 
de  divifion.  Car  fi  la  vérité  n'eft  pas  pleine  ôc  entière  ,  elle  n'eft 
pas  feulement  une  demi-verité,  mais  une  fauffetéj  ainfi  oii  la 
preuve  n'eft  pas  pleine  ,  il  n'y  en  a  point  du  tout.  Les  Jurif- 
confultes  n'ont  jamais  congneu  ce  que  c'eftoit  que  femiplena 
probatio. 

Ainfi  ce  tefmoin  qui  fçait  fimplement,  à  qui  Bartole  inipofe 
une  obligation  de  révéler  fur  peine  de  la  vie ,  ne  peut  rien 
dire  qui  ne  le  conduife  dans  les  tourmens  ,  ôc  de-là  à  mort  : 
s'il  ne  defcouvre  le  mal  qu'imparfai£tement ,  il  peut  produire 
beaucoup  de  divisions  dans  un  Eftat  par  l'obfcurité  de  fa  depo- 
ficion ,  par  les  défiances  que  l'on  peut  prendre  de  diverfes  per- 
fonnes  innocentes. 

Quelle  preuve  pouvoit-on  attendre  dudi£l  fieur  de  Thou , 
qui  avoit  fceu  le  Traiûé  par  un  paffant  qui  pouvoit  lui  avoir 
impofé  pour  le  perdre,  l'engageant  dans  une  fauffe  accufation. 
L'authorité  de  ceux  qu'il  devoit  accufer  eftoit  telle ,  qu'il  eftoit 

5  o  iij 


lia       ME?vIOIRES  POUR  JUSTIFIER 

affeurement  perdu  s'il  euft  dénoncé  fi  peu  qu'il  en  fçavoit.  Il 
voyoit  M.  le  Grand ,  qu'on  lui  avoir  ait  eftre  un  des  princi- 
paux de  la  conjuration ,  eftre  près  du  Roy  en  faveur,  qui  ne 
penfoit  pas  à  fe  retirer  ,  qui  ne  penfoit  à  rien  moins  qu'au - 
Traidé  i  il  voyoit  M.  le  Duc  d'Orléans  au  centre  du  Royau- 
me avec  fes  feuls  domeftiques  en  fes  pafTetemps  ordinaires ,  ou 
dans  les  remèdes  pour  fa  fanté.  Il  voyoit  M.  de  Bouillon  en 
Italie  commandant  l'armée  du  Roy  ;  qu'euft-il  pu  dire  au  Roy  ? 
Il  euft  efté  creu  hors  de  fens  d'accufer  des  perfonnes  fans  au^ 
cune  preuve,  eux  que  l'on  voyoit  occupez  en  des  emplois  fi 
oppofez  à  cefte  accufation.  Il  euft  dit  feulement ,  il  y  a  un 
Traidé  faid  avec  le  Roy  d'Efpagne  par  tels  &  tels  5  quelle 
preuve?  aucune  :  il  a  ouï  dire  ?  à  qui  f  au  fieur  de  Fontrailles> 
qu'il  ne  voyoit  plus ,  qui  s'eftoit  retiré  en  payis  eftranger  ?  après 
cela ,  que  n'euflent  point  fai£l  les  accufez  très-puiflans  ?  certes  ; 
il  y  perdoit  &  l'honneur  ôc  la  vie. 

Mais  l'on  dit  que  la  demeure  à  la  Court ,  6c  près  de  M.  le 
Grand  augmentent  beaucoup  fon  crime  :  au  contraire,  fi  l'on 
confidere  cefte  circonftance,  elle  va  à  fa  defcharge.  Eftant 
à  la  Court  il  a  veu  de  près  qu'il  n'y  avoit  rien  à  craindre , 
il  a  pu  congnoiftre  que  la  conjuration  n'eftoit  point  contre  la 
•perfonne  du  Roy  5  il  voyoit  M.  le  Grand  près  de  fa  Majefté , 
fans  deflein  qui  approchaft  de  l'exécution  d'unTraiâ:é,  ileftoit 
affeuré  que  tant  qu'il  feroit  près  de  lui ,  qu'il  ne  feroit  rien 
contre  fon  devoir  :  s'il  fe  fuft  abfenté,il  euft  pu  appréhender  quel- 
que progrès  à  ce  mal,  tout  lui  euft  efté  caché,  tellement  que 
ce  que  l'on  a  voulu  qui  fuft  à  fa  ruine  ,  a  deu  eftre  confidere 
comme  une  marque  de  prudence ,  pour  voir  que  le  mal  ne 
paffaft  outre  :  aufli  vit-il  que  les  conjurez  avoient  abandonné 
leur  Trai£lé,  &  qu'ils  n'y  penfoient  plus. 

Voilà  comme  l'on  peut  détruire  la  do£lrine  de  Bartole  en 
ce  point.  Mais  comme  il  n'y  a  rien  de  fi  extravagant  en  quel- 
que fcience  que  ce  foit ,  qui  n'ait  fes  fe£lateurs ,  Bartole  en 
a  eu,  ôc  qui  ont  adjoufté  àfesraifons  ',  mais  rien  que  d'inutile 
&  fans  fondement.  Les  Princes ,  principalement  les  foibles , 
pour  ne  dire  Tyrans ,  confeillez  par  de  mefchans  Miniftres 
ont  faicl  valoir  cefte  doârine  aux  occafions,  &  c'eft  ce  qui 
faid  qu'il  s'en  trouve  quelques  exemples  dans  les  Hiftoires, 
particulièrement  dans  celles  d'Italie.  Ne^ntmoins  ceux  qui  oni 


MONSIEUR  R  A.  DE  THOU.  m  \ 

tenu  le  party  contraire  ont  prévalu  en  beaucoup  d'Eftats ,  6c  I 

a-t-on  trouvé  à  propos  de  produire  icy  quelques  lieux  de  ■ 

Do£i:eurs,  pour  faire  voir  les  raifons  qu'ils  ont  eu  de  s'oppo-  ] 
fer  à  l'opinion  de  Bartole,  raifons  qui  font  tirées  du  Droit  de 

nature ,  qui  font  de  bon  fens ,  ôc  dans  la  vraye  juftice.  i 

Nous  commencerons  par  André  Alciat  Milanois,  quieftle  ] 

premier  qui  a  entendu  la  pureté  du  Droit  Romain ,  qui  le  trou-  \ 

voit  enfevely  dans  la  barbarie  des  fiecles  précedens.  ' 

^  N  D  R  jT.  A  s    ^hci  AT  u  s    in  l.  boïia  fides»  D,  dcpofir,  ^ 

n,  i6i  îj ,  &c,  \ 

i 

a  Quid  de  crimine  patrando  dicemus  .♦*  Et  etiam  tune  minora  : 

»>  pœna  puniendum  eo  argumento  confiât ,  quod  frater  à  fratre  co--  j 

»'  gitatum  parricidmm  fctens  ,fi  tacnerit ,  non  pcena  Legis  Pompetce  ] 

^  fed  relegatione  mediûcrique  Jiipplicio  ajfcitur.  l.i.adLeg.  Pomp.  | 

«  de  Panicid.  licet  hac  humanhate  cum  Jervis  lex  non  agat.  /.  u  1 

?»  §.  occîferum.  §.  fi  quos  in  villa  ad  Syllanianam,  ^y  i 

»  Sed  finge  ^  aliquis  in  Rempubl.vel  Principem  conjurât ,  fmtm?  ■: 

»  idque  arcanum  Tttio  communicat ,  an  Titius  detegere  tenebitur  f  \ 

«  ratio  naturalis  arcani  non  detegendi  &"  fidei  fervandce  nonpa-  -i 

^^  titur.  Bdidus  confit.  34.  lib.   i,  contrariuna  fitadet  favor  publi- 
ai eus  y  quem  hic  confiât  magis  attende ,  &  îdeo  Banholus  cenjuit  ta-  i 
»  lent  puniendum  mft  detexerit ,  fed  an  pTorJus  eadem  pœna  qua  /.  uînm  He  y             ■ 
^y  principalis  !*  <&  al  i  qui  recentiores  aiunt  :  qudc  fententia  tn  eo  qui  Parric.&D. 
a^  adverfiis  Jltpremum  principem  conjurationis  faâa  confcius  efi  ex      ^''^W^^^^. 
»>  Arcadîi  confiitutione  defendi  pot  efi.  L  quifquis  §.  penult.  C.  ad                           .     • 
3>  Leg.  JuL  Majefi.  Ego  confcium   ab  eo  qui  fiimplictter  fiiverit  ^ 
9î  differre  arbitror  :  ut  confiius  is  dicatur  qui  ejufdem  confiilii  par-* 
91  ticeps  efi.  d.  L  utrum.  junâla.  d.  L  1.  ft  igitur  altqms  fociusfue*                                \ 
«  rit  &  confitlio  aut  infiinâu ,  aut  favore  rem  profècutus  fit  >  is  con-^                                > 
^>  fcius  dicetur  d.  §.ft  quistn  villa  &  l.  ^.C.  ad  Leg.  JuL  Ala-                                [ 
35  jefi.  &  merito  pari  pœna  tenebitur  d.  L  utrum.  ^ui  vero  fimpïi-*                                \ 
M  citer  fciverit ,  lenius  punietur.  d.  L  2.  perinde  ac  perjurus  qui  ex> 
^^  formula  juramenti  fidclitatis  revelare  debuit  c.  i.  de  nova  forma                                 \ 
o^fid:  m  Feudis  Bart.  in  Extravag.  ad  reprim.  9.  /.  31.  »                                              1 

»  Sed  fi  aliquis  non  crecUditindicanti ,  vel  quialevis  erat  authr:^  \ 

»  vel  ille  per  ambages  tentando    tantum   loquutus  fit.^  &  non  ■•. 

*>  wdepur  confcius  his  effe  y  cum  in  confcientia  nefiterit^  imo  n^i-ï  3 

1 


1T2        MEMOIRES  POUR  JUSTIFIER 

3»  crediderit  y  &  ideo  ex  qualitate  rei  effet  difcernendum  &  dolus 
w  à  culpafecernendus  y  licet  aliudAlexander  Magnus  adverfus  Phi'; 
3>  lotam  objervaverit.  Sed  hujuJiTiodi  exempla  mhil  cum  Philo fopho 
s*  legali  commune  habent  :  nam  ô"  Legijlator  nofter  Jujîinianus  ^ 
3»  cum  hac  Jpecies  incaput  fuum  indijjet  ,  haudcjuaquam  exemplum 
«»  Alexandri  imitari  voluit ,  ut  ejî  apud  Procopium  lih.  3.  adde 
»  quod  etiam  plerique  cenjuerunt  fi  quisprobare  crtmen  nonpoffit, 
9'  fubfitque  periculumne  qucejltoni  fubdatur  d.  l.  3.  impune  eum  ta- 
»'  cuijje  vider i.  2.  q.  7.  c.  quapr opter.  Quamvis  enim  favor  fit 
3'  pubïicus  i  ut^  indicium  qualecunque  detegatur  t  ei  favori  prava- 
3>  let  naturalis  ratio  ,  qua  quis  Je  aperto  periculo  fiibjicere  cogi 
Moàer.  Ci.  d»  non  débet  L  i.  de  bonis  eor.  qui  fit  mort.  c.  officii  ex  de  pœnis  3 
ds  ojpc,  deleg.  ^^  idquefieri  communiter  recentiores  tradiderunt .  qua  de  re  nos  alibi 
3ï  plura.  Hincque  apparet  aquitatem  eam  juris  avilis  ,  ut  deliôîa 
3>  denuntientur ,  contraria  quandoque  naturali  aequitate  ojfufcari, 
3>  &  vinci,  Argmn.  L  Imper ator  injî.  de  appellat,  » 

HlERONV  MUS    GlGAS    FoROSEMPRONIENSIS    TraC-* 

tam  deçrimine  laefaç  Majeftatis  ut  de  plurib.  &  variis  qucefiion. 

quafl.   1 1 . 

$yZi%&i^l  te  Quaro  an  fola  fcientia  punibilis  in  crimine  lafa  Majefiatis 
»♦  non  fubfecuto  aliquo  confenfu  confitlio  vel  faâîo.  Breviter  videtur 
3'  dicendum  quod  fie ,  propter  atrocitatem  criminis.  Limita  tamen 
3>  pradiâam  conclufionem  quando  talis  fcientia  probari  non  poffiit, 
3>  Nimis  enim  abfurdum  effet  quod  quid  teneretur  revelare  quod 
^■>probare  non  pojfit ,  cum  nemo  fetormentisfubmittere  debeatjqui- 
j»  bus  hujufmodi  criminis  delator  fupponitur  L  3.  c.  ad  Leg.  JuL 
«  Majeft.  &  fimiliter  fqualori  carceris  L  fin.  C.  de  accufat.  Nec 
w  culpa  efi  in  difcrimine  vitce  fe  ponerc  y  ut  inquit  G  lof  in  l.  ne^ 
sî  minem  C.  de  infamia.  Oui  enim  tantum  audivit  &  non  reve^ 
»  lavit  ex  eo  quod  id  non  poterat  probare  immunis  efi  à  deli6lo  L 
3^  nofiris  C.  de  cahimniat.  &  hanc  opinionemfequutum  fuiffe  Bald, 
a»  in  quodam  confitlio  teftatur  Angélus  in  Traàatu  malefic.  fubdi- 
5'  tis  ;  quod  Bald.  in  d.fuo  confitlio  dicebat ,  quod  judices  fequentes 
M  opinioncm  Bartholiin  l.utrum&  homines  occident is.  Ex  ea  fia 
3»  caufià  quod  fer  et  um  non  révélant  ,  quod  probare  non  poffiint, 
»  omnes  funt  homiciddc.  Et  quod  Bald.  in  diâo  Juo  confitlio  deplo^ 
M  rat  memoriam  fidelis  milttis  Dom.  Joannis  Barbadoriqui  ob  hanc 

caufam. 


MONSIEUR  F.    A.    DE   THOU.  ir^ 

«  caufam  cum  aliquib,  ejus  fequacibus  fuit  decapitatus  ,  quod  rf- 
^fert  Jo.  de  Plat,  in  §.  pub  lie  o  de  Puplic,  Jud.  Inji.  Ifiam  opinio^ 
«  nem  tenuit  etiam  Alciat.  in  L  bonafides  depofiti.  Ô"  in  l.  4.  §, 
"  «  Cato  de  Xbor,  oblig.  ubï  dicit  hancilli  opinionem  communem^fub^ 
o'  dit  tamenfe  dubttare  de  hac  opimone ,  dicens  non  ejje  verum  quod 
»>  talis  fciens  &  revelans  tormentis  fabjici  debeat ,  quia  textus  in 
»>  d.  L  ^.  C.  ad  leg.  Jul.  Majejî.  loquitur  de  accujante  aliquem 
»»  ad  pœnam  non  in  révélante ,  ut  prmceps  caveat ,  allegat.  not, 
n  per  hoc  in  Conf,  2.02.  40.  vol.  Opinionem  Ban.  &  Salie,  in 
»  praâica  fervari  tejiatur  ipfe  Angel.  loco  cit.  &  ibid.  Aug.  de 
»>  Arminio  injuaadditione  quae  incipit  tu  autem.  In  hac  materia 
»  adde  quod  alias ,  dicit  illam/èrvajje ,  <&  allegat  Barth.  in  l.  i. 
»  §.  occiforiim.  D.  ad  Syllan.  &  ibi  Angel.  &  Abb.  in  C.  1.  de 
»  reft.  Jpol.  &  in  c.  i.  de  offic.  de  Leg.  &  ita  etiam  tenuit  Mati 
«  de  Affltui.  tn  c.  i.  §.  &  bona  committentium  col.  8.  Xs.  40.  Ui 
3>  103.  Tit.  quafint  régal,  in  ufib,  Feudor.  îjla  ultima  opinio  mihi 
.»>  nimis  rigorofa  videtur.  » 

JOACHIMUS     Mr  N  SI  NGERUS      A    FrU  N  DECK    J.    C 

Singùlarium  Obfervationum  Imperialis  Camer^e  Centur.  5", 
Obfer.  40.  Sciens  machinationem  contra  Frincipem ,  nequere^ 
velans  j  quomodo  puniendus, 

et  Vulgare  dogma  efi  id  quod  DoÛores  confentiunt  &  aquo  om^ 
»  nés  i  quod  fctens  tra5îatum  feu  confpirationem  adverfus  Princi^ 
«  pem  &  illam  non  revelans  capitali  pœna  fit  afpciendus ,  mortis 
9^fcilicet  &  amifionis  omnium  bonorum  per  text.  in  l.  quifquis  §. 
ai  id  quod  tibi  Doôfores  communiter  C.  ad  Leg.  Jul.  Alajefi.  Bart. 
»  in  l.  utrum.  D.  ad  L  Pomp. de  Par.  (&  l.  i.  §.  occforum.  ubi 
»>  etiam  Ang.  &  Rom.  D.  ad  Syllan.  faL  in  L  propter  infidias 
af>n.  5,  C.  qui  accuf  non  pof  Abb.  c.  i.  n.  f.  de  ojf.  de  leg.  û* 
»>  r.  1.  w.  (?.  de  reft.  fpoliat.  ubi  dicit  hoc  procédera  etfi  deliâlum 
a>  non  fit  fubfecuîum.  Aug.  in  add.  de  Ang.  de  Malef.  Xb.  che  hai 
a»  tradito.  n.  \o.&  11.  Jaf  l.  ut  vim.  n.  32.  &  feq.  de  Juft.  &, 
s»  Jur.  &  ibi  Curt.  n.  60.  Mart.  Laud.  de  crim.  laf  Majeft.  n. 
»  13,  Carre  inpraâl.  Crim.  §.  circa  quartum.  n.  6^.  Capy  decif. 
M  135).  n,  6'].  &  Dec.  in  l.  culpa  caret  n.  ii.D.  de  Reg.  Jur. 
»  An  autem  hoc  indifferenter  procédât  j  five  quis  Traâatum  contra 
sà  Principem  probare  poffit  ,  five  illum  fecreto  fciat  /  confit^antur 
Tome  XV.  •-•'—-  ^  p 


ÎI4      MEMOIRES   POUR  JUSTIFIER 

«  interprètes.  Bart.  enim  ad  D.  l.  utrum ,  indtflincïe  tenet  non  re- 
«'  vêlant em  capitîs  pœna  pleâendum  ejje ,  fubfcribunt  Fel.  in  c,  2. 
^^  facit  &  Dec.  thid.  Xs,  Ex  quo  de  off.  de  kg.  &  Bertachtn.  v. 
*o  fcire  Xs.  14..  ubi  hanc  opinionem  pajfim  fervari  ait.  Alii  vero 
3'  cenfent  fi  quis  fecreto  talem  traBatunfi  fciat  y  quia  ei  fecreto  ù* 
tn  Jhbfide  fuerit  révélât  us  y  <&  fie  tllumcerto  docerenequeat,  ipfim 
«  non  teneri  ad  revelandum  ^  quia  indefeBu  probationis  forte  fubji- 
s;  ceretur  carceribus  &  tortura  l.  3.  C  ad  l.  Jul.  Majefi.  Nemo 
»  autem  revelare  obnoxius  efl  quando  imminet  pericuhtm  in  corpus 
•'  Juum  C.  officii  Extrav.  de  pœn.  Ita  tenet  Aug.  Tra5î.  de  malejic, 
6'>Xb.  che  hai  tradito  Xs.  quod  crimen  &  in  l.  2.  D.  de  Parric, 
»>  Jafon.  l.  I .  §.ft  tibi  Xs.  4.  limitât  a  D.  de  condiB.  ob.  turp.  cauf, 
«>  Neviz.  in  Sylv.  nupt.  Xb.  non  efl  nubendum  n.  ^6.  Sum.  Syl- 
M  vefl.  Xb.  refiitutio  3.  in  2.  quaefl.  Xs.  3.  cum  in  crimine ,  & 
•5  Deci.  d.  l.  culpa  caret.  Xs.  fiimiliter  y  Hipp.  d.  l.  utrum.  &fing, 
•»  154.  Ripa  in  Traôf.  de  pejle  quajl.  2.  ait  que  Cagnol.  in  d.  L  culp, 
«>  w.  21.  hanc  ejje  veriorem  magifque  communem ,  quia  valde  du^ 
w  rum  &  iniquum-  ejfe  altquem  ex  fola  fcientia  mortis  pœna  affici» 
t>  Nonnulli  denique  conciliant  dijlinâione  hac  pugnantes  inter  Je 
w  opiniones ,  ut  hac  procédât  in  accufatione ,  quam  non  tenetur  inf- 
»  tituere  etiam  in  crimine  lafœ  Majejîatis  ille  ^  qui  deinde  probare 
»  nequeat  :  Bartholi  vero  opinio  locum  habeat  infim.plici  denuncia* 
aï  tionefeu  potius  admonitione  facienda  ad  hoc  ut  princeps  fibi  pra- 
«  c  avère  pojfit.  îta  Alciat.  in  l.  4.  Cato.  n.  4.  notab.  n.  3,  7^.  de 
w  Xb.  oblig.  idemque  exprejje  refert  &  fequitur  Cagnol,  in  d,  l.  cul- 
Si pa  caret,  n.  zi, 

Men ocHiu s  de  arbitrariis  judiciis  Lib.  3.  Centur.  4, 

Caf.  sSS- 

«  Œiod  ad  jus  civile  j  receptaejî  omnium  fententia ,  hune  conf- 
»  cium  criminis  non  teneri  detegere ,  e>^  obviam  ire  deliâlo ,  &  ob 
05  id  nulla  pœna  pleBi  poffe.  Ita  G  lof.  in  C.  culpa  caret  de  ReguL 
^i  juris ,  ubi  Dec.  n.  4.  <&  Cagnol.  n.  10.  pojl  Barth.  in  L  i.  §.fed 
o>  in  eo  D.  ad  Syllan.  &  in  l.  metum.  §.fed  Ucet  D.  quod  me- 
»'  tus  caufa.  Idem  in  L  ut  vim  n.  12.  &  alibi  Jafon.  n.  32.  e?* 
«  Dec.  n.  33.  de  Jujî.  &  Jure  qui  alios  recenfet.  Abbasinc.  i. 
«  n.  7.  &ibi  Félin  n.  6.  Decius  n.  7.  8.  &  Bero  n.  74.  &  offic, 
*  deleg.  l^erum  Did,  Covarruvias  in  Clemen,   i.part.  2,  §.  2,n* 


MONSIEUR   F.    A.    DE   THOU.         n; 

w  7.  de  homicid.  in  ea  opinione  fuit ^utroque  jure  defidiam  aut  ne- 
»>  gligentiam  illius  ,  quifuturo  deliâlo  obviare  potuit ,  e^  non  objîi- 
»  ?^'?  j  ejje  aliqua  pœna  arbitraria  puniendum  ,  quod  ut  fatis  juri 
M  e^  (squitati  conjonum  non  dijpltcet.  Nam  &  Cic.  i .  Offic.  ita 
^^  fcripjit  :  Oui  non  défendit  aut  obfiflit  fipotefl  injuria ,  tam  eft  in 
M  vitio  quam  fi  parente  s }  aut  amicos,  aut  patriam  déférât.  Hic  ace  e- 
^y  dit  quod  non  caret  fcrupulo  focietatis  occultcje  qui  futuro  facinori 
»  obviam  non  ivit.  C.  deliÛo  de  fent.  Excom,  in  h.  Abhas  in  C. 
a>  cum  non,  n.  1 4.  de  jud.  Et  ad  hujus  traâiationis  expianationem 
V  V.  Navarr.  in  cap.  non  inferenda  25.  ^.   3.  » 

«  Declaratur  primo  ut  non  procédât  in  crimtne  Idefa  Majejîatis^ 
«  quoniam  fi  quis  fcit  aliquos  contra  Princtpem  fuum  confpiraffe 
»  eos  detegere  débet ,  alioqui  punitur.  Ita  probat  l.  quifquis  §.  id 
!»  quod.  C.  ad  Leg.  Jul.  Maj.  Bart.  in  L  i.  §.  occifor.  D.  ad Syl- 
3>  lan.  &  in  l.  utrum  in  fi.  D.  ad  L.  Pomp.  de  Parricid.  Abbas 
M  in  D.  c.  I.  n.  8.  &  ibi  Dec.  n.  8.  Mantua.  n.  24.  ac  Bero.  n, 
»  62,  de  offic.  deleg.  id  Decius  d.  L  culpa  caret  n.  p.  de  reg.jur» 
»  <&  ibi  Cagnol.  n.  \2.  <&  alti  plures.  » 

«  Hanc  declarationem  ita  demum  veram  noftri  fere  omnes  in^ 
M  telligunt  y  quando  hic  confcius  criminis  lafa  Majejlatis  foîejî  illud 
»>  crimen  deteâum  à  fe  probare  y  fecusfi  non  poteji  ^  quia  inquiunt 
âî  Doâores  i  non  débet  hic  detegendo  fe  in  illud  periculum  (ponte 
3>  conjicere.  Ita poft  Bald.  fcripfit  Angel.inTraâ.  Malef.v.  che  hai 
M  tradito  n.  10.  Dec.  in  d.  L  culpa  caret  n.  p.  Xs.  <&  hoc  fane  ubi 
»  alios  recenjèt ,  quibus  addo  Marfil.  ftngul.  16^.  nemo  <&  in  d.  L 
M  utrum  n.  Capicium  decif  i^  j.  n.  10.  Neviz.  lib.  i.  Silv.  Nupt. 
»  n.  jo.  Brun,  conf  28.  n.  2.  Socinus  junior  conf  305".  n.  43. 
s>  lib.  3.  Nattan  conf.  619.  Itb.  3.  Ita  etiam  inforo  quem  Con- 
ai  feiemiae  appellant  hune  non  denuntiantem  atque  revelantem 
M  effe  tutum  memoriae  prodiderunt  D.  Thomas  ^uodlib.  i .  art. 
M  16.  &  jQuodlîb,  14.  art.  12.  &in  4.  Sent.  d.  A.  Ang.  Clavas 
M  in  fumma  Xbo.  denuntiatio  ,  excommunicatio  q.  S.  ô"  hoc 
a>  cafii  defendi  potefl  quod  fcribit  Dec.  d.  c.  novit.  n.  23.  de  Jud, 
»  Hoc  ego  fequor  rejeëîa  illa  contraria  opinione  Bart.  in  L  utrum 
»  de  Parric.  qui  indiftinfte  vifus  eft  fentire  3  five  probare  pojfit 
!"■>  five  non,  teneri  omnino  detegere  ,  <&  quem  fint  fecuti  aliqui 
»  relati  à  Firmia  infuo  répertoria  v.  feire  n.  4.  &  Barthol.  opi- 
»  nionem  in  foro  fervari  fcribit  Angel.  loco  cit.  &  ibi  Aug. 
P  Arimin.  Affli^,  in  c*  i.  §.  ad  bona  n.  103.  qucs  funt    reguU 

5  Pi; 


93 

97 


116         MEMOIRES  POUR  JUSTIFIER 

»  EJI  enim  hdsc  Bartholi  opinio  rigoroja  nimis  ,  ut  etiam  inquît 
«  Gigas  in  traâf.  de  crimine  lasjcs  A4ajejîatis  q.  2.  n.  lo.  &  à 
«  Bart,  non  recedit  Placit.  lib.  i.  Epit.  deh6î.  c.  22.  n.  ij,  JuL 
^^  Clams  lib,  $.  fent,  Jur.  §.  fin.  q.  Sj.  Xs.  ptmitm  eft.  H  as  ta- 
men  opiniones  conciliant   Alciat.  in  l.  4.  §.  Cato  4.  Notab.  de 
Xb.  oblig.  &  CagnoL  d.  L  culpa  n.  12.  de  reg,  jur.  Ut  opinio 
Bartholi  procédât  per  modum  admonitionis  quam  is  confcius  fa-* 
cere  tenetur  detegendo  quicquidfcit ,  eo  modo  quofcit ,  &  commu- 
ai nis  opinio  procédât ,  quandoper  modum  accufationis  is  confcius  de- 
»'  tegit.  Namfiprobationes  non  habet  accufare  non  débet }  ne  pe- 
*'  riculum  tormentorum  Jùbeatjuxta  l.  ^,  ad  leg,  Jul,  Majeft.  Quce 
9'  vero  de  accufatione  loquitur ,  Ô"  alia  nonnullafcrtbit  Alciat.  lib, 
*  S.parerg.  c,  p.  In  hoc  itaqtie  cafu  amhigitur ,  quœ  pœnafttin- 
«  diùîa  contra  confcios  non  révélantes  conjurationem  hanc  Roman, 
9->  fingul.  787.  nunquid  teneatur.  Scripfit  ejje  pœnam  relegationis. 
»  Ex  L  MetrodorusD.  de  PœniS}  quafane  pœna  cum  hodte  in  tifh 
»>  eJJe  defierit  i  facit  ut  locus  fit  pœna  arbitrarice.   Id  quod  injpe- 
»  cie  docuit  Bero  in  d.  c.  i.  n.  70.  de  Ojfic.  deleg,  Etfi  Roman.  veL 
altos  non  référât ,  quam  fententiam  probavit  Cagnol.  in  d.  l.  cul-- 
pa  caret,  n.  10.  dé  Reg.  jur.  pofi  Félin,  in  c.  i.  n.  7.  de  Offic, 
deleg.  &  in  c.  quant ds  de  Sent.  Excom.  Ofzfcus  decif  60.  n.  3'. 
»  &  ibi  déclarât ,  quid  in  Pâtre  an  teneatur  revelare  confpiratio^ 
»  nemfilii.  Brunus  vero  Conf.  2S.  fentit  pœnam  ejfie  or  dinar  tam  ipfi 
»  reo  principali  hujuS  criminis  indiâam.  Ex.  d.  /.  qui/quis  C.  ad 
w  Leg.  JuL  Majeft.  qni  quidem  textus  multum  urget  in  illis  [ftmih 
^Jèveritate  cenjemus)  nifi  dicamus  loqui  de  iis  confciis  qui  cri- 
•»  minis  participes  funt ,  dum  dicit  conjciis  &  miniftris  ,  quemad- 
«S5  modum  Interpret.  Glof.  L  utrum.  ad  Leg.  Pomp.  de  Parricid. 
»  à  qua  non  dtjjentit  Capol.  Conf.  3 .  col.  (5.  qnt  intelligit  confcimn 
iopro  confocio.  ^^ 

Regn  ERU  s  S  ixTi  NU  s  dQ  KegdMhus  lib.  2,  c.  20.  §.  31; 

32.  33.  &  34. 

«  Atque  eft  hoc  jus  defubditis  adeo  rigidum ,  ut  etiam  confcii 
'^  criminis  Icefie  Majeflatis  puniantur  d.  l.  qmfquis  §.  id  quod,ubt 
a>  etiam  communiter  Doâores  id  tradunt ,  &  communem  effe  hanc 
»  fententiam  t  eft  atur  Gabriel,  commun,  concluf.  lib.  7.  concluf  37.' 
«  w.  I .  &  rêvera  receptiftîma  dtci  poteft.  Ideo  Mynfinger  obfer, 
^  40.  n.  i.  cent.  5.  aitvulgare  hoc  ejfe  dogma  j  &  in  îllud  Doâores 


05 


a» 


a» 


MONSIEUR  F.  A.  DE  THOU.         117 

»  ex  (Cquo  omnes  confentire.  Atque  hoc  dogma  eo  verius  efl ,  quod 
idem  locum  habet  inconfcîis  nonnullorum  aliomm  crtminum  y  cu- 
jufmodi  ejl  paniddmm  L  utrum.  D.  ad  leg.  Pomp.  de  Parric, 
Venejicium.  L  i.  §.f.  quod  fi  quis,  &  ibi  Jo.  îgn.  n.  2.  d.  ad 
•»  Syllan.  Rapttis  L  unica  §.  pœnas  C.  raptu  virginum.  Non  ta-* 
»»  men  ordinaria  fed  mitiori  pœna  pro  arbttrio  judicis  delinquentes 
ô>  puniendi  fum  exmagis  communi  fententia  de  qua  teflatur  Roland 
»'  Conf.  88.  n.  10.  lib,  2.  ubi&  humaniorem  eam  efje  dicit y  con^ 
^^  firmaturque  hdsc  fententia  textu  in  L  Metrodorum  D.  de  Pœnis, 
î»  ubifola  relegatione  in  Infulam  punitur  qui  non  prodit  commit- 
»»  tentem  crimen  laefœ  Majejîatis.  Obfîare  videtur  textus  in  d.  §, 
9'  id  quod  in  Xb.  fimili  feveritate ,  fed  attendenduna  ejl  eum  textum 
»  uti  his  verbis  fatellttibus  confciis  ac  mimflris  ,  &  fie  loqui  de  iis 
»»  qui  fimul  funt  criminis  participes  &  minifiri.  Menoch.  de  arbitra 
a*  Jud.  quap.  lib.  2.  Cent.  4.  Caf  5^5".  n.  14.  ubi  addit  ita  in^ 
«  tevpretan  glofafn  in  L  utrum.  D.  ad  Leg.  Pomp.  de  Parricid, 
M  d^  CapoL  Conf  ^,CoL  6.intelligere  confcium  pro  confocio.Ne-' 
»  que  etiam  de  iis  confciis  hoc  jus  accipiendum  efi  qui  tantum  fe^ 
M  creto  fciunt  <&  probationibus  defiituuntur  ^fed  de  iis  qui  itafciunt 
a5  ut  etiam  probare  traâlatum  pojjint.  arg.  L  noflris  in  fi,  C.  de 
sî  Calumnia ,  &  Clément,  nolemis  §.  notarii  de  Hceretic.  cum  ne^ 
=>  mo  illud  quod  fibi  periculum  creare  pojfet  rêve  lare  teneatur  L  ofii- 
»  cii  D.  de  Pœnis ,  &  ab  aquitate  ac  humanitate  alienum  fit  ali- 
9»  quem  ex  fola  fcientia  gravem  pœnam,  fubire.  Atque  hancfenten- 
û»  tiam  contra  Barthol.  &  plures  altos  difiinâionem  inter  eum 
»'  qui  probare  traâatum  pojfit  vel  nonhaud  admittentes  tenent  Dec, 
»  &  Cagnol.  in  L  culpa  caret,  de  Reg.  Jur.  Ripa  in  traâ,  de  Pefte 
a5  quafl.  2.  Marfil.  fing.  1^4.  Menoch.  d.  caf  3;  5:.  n^  10.  Alyn- 
"^^  feng.  D.  obf  40.  n.  3.  4.  5*.  Ccntur.  5".  Socin.  Jun.  Conf  105'. 
9>  n.  43.  lîb.  3.  &  non  folum  veriorem  fed  &  magis  communem 
95  effe  an  Cagnol.  in  d.  L.  Culpa  n.  21*  omnefque  fere  tenere  affi" 
9>  rit  Menoch.  diâlo  loco.  » 

Pour  conclure  cefte  matière,  l'on  voit  que  par  la  Loi  de 
nature,  par  la  raifon,  par  les  textes  du  Droit  Romain  bien 
entendus,  &  par  la  plus  faine  partie  des  Doâ:eurs,  que  celui 
qui  fçait  fimplement  une  conjuration  contre  l'Eftat  fans  au- 
cune participation,  n'eft  pas  obligé  à  la  révéler,  parce  qu'il 
n'a  nulle  preuve  pour  appuyer  fa  dénonciation  ou  fon  accufa- 
tion  :  Que  s'il  elt  fi  malheureux  que  d'eftre  mis  en  juftice,  ce 


ti8       MEMOIRES  POUR  JUSTIFIER 

crime,  s'il  y  en  a>  n'eft  pas  capital,  tant  s'en  faut  quHl  foit 
punifTable  de  la  mefme  peine  que  l'autheur  de  la  conjuration, 
&  fes  complices  ;  ainfi  l'opinion  contraire  de  Bartole ,  &  de 
fes  fe6lateurs,  qui  procède  d'une  pure  ignorance  du  Droit  Ro- 
main, eft  unique,  barbare >  ôc  tyrannique. 

XII.  Exemples  tire'x^  de  divers  Hifioriens  tant  anciens  que  moder* 

-  nés ,  pour  monjîrer  que  ceux  qui  ont  ejîê  accufés  d'avoir  fçeu 

quelque  conjuration ,  quils  nom  pas  révélée  y  ou  nom  pas  efîé 

punis ,  ou  s'ils  l'ont  ejlé ,  la  peine  a  efté  beaucoup  moindre  que 

celle  des  principaux  autheurs  ^  ou  des  complices. 

Themistocles  à  Athènes. 

LEs  Lacedemoniens  deplaifans  de  ce  qu'ils  eftoîent  en 
mauvaife  odeur  dans  la  Grèce  à  caufe  de  la  trahifon  de 
Pauianias  î  les  Athéniens ,  au  contraire ,  fort  eftimez  de  ce 
qu'aucun  de  leurs  citoyens  n'avoit  efté  accufé  de  trahifon  5  ils 
accuferent  Themiftocles  ,  qui  eftoit  en  grande  réputation  à 
Athènes ,  d'avoir  eu  intelligence  avec  Paufanias,  &  trai£lé  avec 
le  Roy  Xerxes  pour  envahir  la  Grèce.  Ils  firent  fçavoir  les 

Ï)articularitez  de  ce  deflein  aux  ennemis  de  Themiftocles , 
eur  firent  voir  quelques  ades  par  lefquels  ils  prouvoient  que 
Paufanias  avoit  communiqué  avec  Themiftocles  ,  &  l'avoir 
invité  de  fe  joindre  à  lui  pour  faire  reuffir  l'entreprife  de 
Xerxes.  Themiftocles  rejetta  les  propofitions  de  Paufanias  , 
mais  il  ne  creut  pas  eftre  obligé  d'accufer  fon  ami.  La  caufe 
fut  examinée ,  &  bien  que  Themiftocles  fuft  convaincu  par 
de  fortes  preuves ,  &  des  parties  puiflantes ,  il  fut  neantmoins 
abfous  du  crime  de  trahifon. 

Cefte  hiftoire  eft  tirée  mot  à  mot  du  onziefme  Livre  de 
Diodorus  Siculus  p.  40, 

G  E  RMA  NU  s  &  Makcellu  S  y  fous  P  Empereur  Jufiinien* 

Arsaces  Arménien  ayant  commis  un  crime  contre  l'Em- 
pereur Juftinien  >  pour  lequel  il  fut  honteufement  chaftié ,  il 
refolut  de  s'en  refentir  par  une  conjuration  contre  la  vie  de 
l'Empereur.  Il  communiqua  fon  defTein  à  Artabanus  fon  parent , 


MONSIEUR   F.  A.  DE  THOU.         iip 

lequel  quoique  malcontent  il  trouva  fort  froid  ,  foit  par   ti- 
midité ,  foit  que  l'entreprife  lui  femblaft  impoffible.  Croyant 
neantmoins  l'avoir  perfuadé ,  lui  monftrant  les  moyens  de  tuer 
l'Empereur  fans  beaucoup  de  péril,  lui  fit  voir  que  Germanus 
&  les  fiens  feroient  de  la  partie  ,  qui  eftoit  une  perfonne  très 
puiflante  dans  l'Eftat,  &  qui  haiffoit  l'Empereur.    A rfac es  en- 
fuite  parla  de  fon  deffein  à  Charafanges ,  jeune  homme  hardi 
&  généreux ,  mais  de  peu  d'expérience ,  qui  fe  joignit  auflî- 
toft  à  lui ,  ôc  l'ayant  fai6t  voir  ils  arrefterent  enfemble  de  tirer 
de  Germanus  une  dernière  refolution.  Germanus  avoir  un  fils 
nommé  Juftin  fort  courageux,  Arfaces  lui  fit  dire  qu'il  avoit 
quelque  chofe  d'importance  à  lui  communiquer.  Ils  fe  trou- 
vèrent dans  une  Eglife  où  Arfaces  fit  jurer  Juftin  qu'il  ne  re- 
veleroit  point  qu'à  fon  père  Germanus  ce  qu'il  lui  vouloir  direj 
6c  aufii-toft  Arfaces  lui  reprocha  la  lafcheté  de  fon  père  ôc  la 
iienne  de  fouffrir  aux  proches  parens  de  l'Empereur  tant  de 
perfonnes  de  fi  petite  qualité  6c  fans  mérite  remplir  les  gran- 
des charges  de  TEmpire,  6c  qu'eux  eftoient  dans  le  mefpris 
ôc  fans  employ.    Arfaces  lui  fit  voir  les  moyens  qu'il  avoit 
d*execurer  fon  entreprife.  Cefte  propofition  eftonna  Juftin ,  6c 
il  déclara  que  fon  père  ni  lui  ne  pcuvoient  confentir  à  une 
telle  trahifon.  Juftin  déclara  à  fon  père  Germanus  ce  que  lui 
avoit  dit  Arfaces,  6c  Germanus  le  communiqua  à  Marcellus 
qui  tenoit  une  des  premières  charges   près  l'Empereur.    Ce 
Marcellus  tenu  pour  fort  homme  de  bien ,  jugea  par  l'impor- 
tance de  la  chofe  qu'il  falloir ,  ou  la  découvrir  à  l'Empereur  , 
ou  l'eftoufer  du  tout.  Il  difoit  en  lui-même  fe  trouvant  fort 
perplex  y  que  s'il  en  donnoit  la  moindre  part  à  l'Empereur  , 
qu'Artabanus  ou  quelqu'un  de  fes  amis  en  defcouvriroient  quel- 
que chofe  ,  qu'Artabanus  fe  retireroit ,  ôc  Arfaces  avec  lui  > 
6c  d'ailleurs  qu'il  n'avoit  rien  pour  les  convaincre.  Enfin  ,  il 
fe  refolut ,  6c  dift  à  Germanus  qu'il  falloir  pour  donner  advis 
à  l'Empereur  de  cette  entreprife  qu'il  lui  en  donnaft  plus  de 
lumière ,  6c  des  perfonnes  de  foi.  Alors  Germanus  commanda 
à  fon  fils  de  faire  ce  que  Marcellus   defiroit.  Juftin  jugeant 
qu'Arfaces  ne  penfoit  plus  à  lui  pour  l'accompliiTement  de  fon 
deffein  ,  parce  qu'il  croyoit  l'avoir  du  tout  rebuté  ,  s'addreffa 
à  Charafanges  ,  6c  lui  demanda  fi  Artabanus  n'avoit  pas  don- 
né ordre  à  Arfaces  de  le  voir,  6c  s'il  avoit  quelque  chofe  de 


i2d      MEMOIRES  POUR  JUSTIFIER 

plus  à  lui  dire,  ôc  comme  il   falloit  travailler  ,  6c  qu'ils  en. 
viendroicnt  bien  à  bout  enfemble.  Alors  Charafanges  fe  def- 
couvrit  à  Juftin ,  qui  promit  que  fon  père  6c  lui  y  travaille- 
roient  de  bonne  forte  ,  6c  prirent  jour  pour  en  parler  enfem- 
ble. Juftin  donna  advis  de  tout  ce  qu'il  avoit  fai6l  à  Marcel- 
lus  ,  qui  pria  Leontius  fon  ami  de  fe  trouver  en  lieu  d'où  il 
pourroit  ouïr  fans  être  veu  ce  que  Charafanges  lui  diroit.  Ger- 
manus  mit  ordre  à  cela ,  6c  Leontius  ne  manqua  pas  à  ce  qui 
lui  avoit  efté  ordonné.  Les  conjurez  fe  trouvèrent  au  jouraf- 
figné.  Charafanges  defduifit  amplement  ce  qu'Arcabanus  ôc 
Arfaces  lui  avoient  dit,  les  moyens  qu'il  y  avoit  de  faire  Ger- 
nianus  Empereur  î  mais  que  l'affaire  fembloit  recevoir  quelque 
difficulté  ,  parce  queBeliffaire  n'eftoit  pas  loin  de  Bizance  avec 
fon  armée  ,  qui  leur  feroit  perdre  le  fruit  de  leur  entreprife  : 
qu'il  falloit  différer  l'exécution  de  ce  deffein  jufques  à  ce  que 
Beliffaire  fuft  venu  ,  6c  prendre  le  temps  qu'il  feroit  au  Palais,  où 
ils  tueroient  l'Empereur,  Beliffaire  6c  Marcellus.  Bien  que  Mar- 
çellusfuft  affeuré  de  toute  cefte  confpiration  par  Leontius  ,  il  fut 
fort  long-temps  fans  en  donner  advis,  ne  voulantpas  qu'on  euft 
pu  dire  qu'il  euft  par  précipitation  ôc  un  defir  extraordinaire  de 
mériter,  voulu  faire  mourir  Artabanus.  Germanus  d'autre cofté 
voyant  la  vie  de  l'Empereur  en  hazard,  impatient  de  lui  en  don- 
ner advis ,  ôc  craignant  ce  que  lui  arriva  ,  que  le  délai  qu'il  ap- 
portoit  en  cefte  occafion  ne  lui  tournaft  à  crime  ,  fe  defcou- 
vrit  à  Buzes  ôc  à  Conftantianus.  Enfin  Marcellus  après  avoir 
différé  plufieurs  jours  à  fe  refoudre  de  ce  qu'il  feroit ,  6c  voyant 
que  Beliffaire  approchoit  de  Byzance ,  defcouvrit  tout  à  l'Em- 
pereur qui  fit  auffi-toft  arrefter  plufieurs  de  la  fuite  d'Artaba- 
nus  ,  auxquels  l'on  donna  la  queftion  pour  fçavoir  la  vérité  de 
l'aft^aire.  L'on  apprit  par  les  informations  que  Germanus  ôc  fon 
fils  Juftin  eftoient  de  la  partie  ;  mais  ils  furent  juftifiezpar  Mar- 
cellus ôc  Leontius.  Buzes  ôc  Conftantianus  déclarèrent  coura- 
geufement  qu'ils  ne  pouvoient   condamner  Germanus,  que 
l'affaire  eftoit  ainfi  que  Marcellus  6c  Leontius  l'avoient  decla- 
lée.  Le  Sénat  recogneut  que  Germanus  eftoit  innocent: mais 
lorfque  les  Sénateurs  furent  communiquer  leur  refolution  à 
l'Empereur ,  il  fe  plaignit  hauîtement  de  cette  horrible  con- 
juration,  fe  mit  en  colère  principalement  contre  Germanus, 
lui  reprochant  fon  crime  d'avoii:  efté  fi  lent  à  lui  defçouvrir  h 

perij 


MONSIEUR  F.   A.   DE  THOU.         i2f 

iperll  de  la  vie  où  il  eftoit.  Deux  des  juges  flaterent  l'Empe- 
reur en  fa  colère  contre  Germanus  ,  6c  le  confirmèrent  dans 
fon  reffentiment.  Les  autres  craintifs  n'oferent  parler ,  ôc  ne 
voulurent  pas  forcer  l'Empereur  en  fon  naturel,  lui  difans  qu'il 
eftoit  libre  d'en  faire  à  fa  volonté.  Marcellus  feul  ayant  dit 
toute riiiftoire  de  la  conjuration ,  fauva  Germanus,  &  appaifa 
l'Empereur  j  qui  fe  contenta  d'ofter  les  charges  à  Artabanus, 
le  faifant  garder  lui  &  les  autres  conjurez  en  prifon  fans  leuc 
faire  autre  mal, 

Cefte  hiftoire  tirée  du  troifiefme  livre  des  Gothiques  de 
Procope,eft  fort  finguliere  :  l'on  en  peut  tirer  de  belles  con- 
fiderations.  L'on  y  voit  Germanus  ôc  fon  fils  communiquer 
long-temps  6c  fouvent  avec  ceux  qui  avoient  conjuré  de  tuer 
l'Empereur  :  Que  le  delTein  des  conjurateurs  eftoit  de  faire 
Germanus  Empereur  î  ce  qu'il  ne  rejettoit  pas ,  en  ce  qu'il 
n'en  advertit  l'Empereur.  Il  en  donna  bien  advis  à  Marcellus, 
qui  tenoit  une  des  premières  charges  dans  la  Court.  Ce  Mar- 
cellus defira  de  grandes  preuves  pour  en  venir  à  une  révéla- 
tion ,  mais  fi  claires  ,  certaines  6c  convainquantes  que  l'on 
n'euft  pas  pii  dire  qu'il  eftoit  calomniateur  :  fans  cela  il  ne 
creut  pas  eftre  obligé  à  accufer  légèrement  des  perfonnes  de 
qualité. 

L'Empereur  fçachant  par  Marcellus  ce  qui  s'eftoit  pratiqué 
contre  lui ,  quoiqu'il  euft  beaucoup  différé  à  lui  en  donner 
advis  ,  ne  lui  en  fit  aucune  peine  ,  au  contraire  fe  fervit  de  fon 
tefmoignage  pour  fauver  la  vie  6c  l'honneur  à  Germanus  qui 
ne  lui  avoir  rien  defcouvert ,  mais  feulement  à  deux  Sénateurs. 
Enfin  Juftinien  ne  voulut  pas  que  la  fimple  fcience  qu'avoient 
eu  Marcellus  6c  Germanus  leur  fuft  imputée  à  crime  ,  6c  fe 
montra  d'ailleurs  doux  ôc  clément  envers  les  autheurs  de  la 
conjuration. 

Ainfi  l'on  voit  que  du  temps  de  l'Empereur  Juftinien ,  la 
feule  cognoiffance  non  révélée  n'a  pas  efté  tenue  pour  caufe 
fuffifante  à  condamner  à  la  mort,  mais  confiderée  avec  d'au- 
tres circonftances  qui  font  juger  s'il  y  a  dol  ou  non.  Tel  eft 
le  fai6l  de  Philotas  dans  fhiftoire  d'Alexandre  le  Grand  :  il 
ne  fut  pas  condamné  pour  la  feule  ôc  fimple  fcience',  Ôc 
pour  ne  l'avoir  pas  révélée.  Il  y  avoit  d'autres  indices  contre 
lui  >  qui  firent  juger  qu'il  y  avoit  du  dol  i  ôc  pour  ce  il  fut 
Tome  ^K  5  q 


122      MEMOIRES  POUR  JUSTIFIER 

appliqué  à  la  queftion  ,  où  il  confeffa  fon  mauvais   defTela 
contre  le  Roy. 

S  I  D  O  N  I  U  s     J^POLLJNARIS      &     Au  X  A  î^  lU  S 

fous  l'Empereur  Anthemius  Pan  4.(58. 

Arvandus  Gaulois  ,  &  qui  avoit  deux  fois  exercé  la  Pré- 
fecture aux  Gaules ,  fut  par  un  décret  de  ceux  de  Narbonne 
accufé  du  crime  de  Lezc-Majefté  devant  l'Empereur  Anthe- 
mius. Ayant  elle  arrefté  ,  il  fut  conduit  à  Rome  ;  ôc  incon- 
tinant  après Tonantius,  Ferreolus,  Thaumaftus  ,  Ôc  Petronius, 
gens  de  grande  confideration  envoyez  des  Gaules  pourpour- 
fuivre  celle  accufation  ^  atriverent  à  Rome.  Ils  eftoient  por- 
teurs d'une  Lettre  qu'avoit  efcrit  Arvandus  à  Euric  Roy  des 
Gots^  qui  le  diffuadoit  de  faire  la  paix  avec  Anthemius  ,  ôc 
lui  confeilioit  de  faire  la  guerre  aux  Bretons ,  Ôc  de  partager 
îes  Gaules  avec  les  Bourguignons.  Outre  cefte  principale  ac- 
cufation ,  on  lui  mettoit  fus  d'avoir  fai£l  beaucoup  d'exa£lions 
pendant  fa  féconde  Préfecture  3  mais  comme  le  crime  de  Leze- 
Majefté  eftoit  le  principal,  il  fut  caufe  de  la  ruine  d' Arvandus. 
Sidonius  Apollinaris  eftoit  lors  à  Rome  en  quelque  confide- 
ration. Il  advoua  que  par  l'amitié  qu'il  avoit  eu  avec  Arvan- 
dus ,  il  avoit  fceu ,  ôc  auffi  Auxanius  ,  les  deffeins  d'Arvan- 
dus  5  mais  tant  s'en  faut  que  Sidonius  Ôc  Auxanius  fuffent  en 
peine  de  ce  qu'ils  avoient  fceu  cefte  conjuration  i  qu'ils  alTif- 
terent  de  leur  crédit  leur  ami  prévenu  d'un  fi  grand  crime,  ôc 
•bien  qu'ils  ne  peurent  pas  empefcher  qu'il  ne  fuft  condamné 
comme  criminel  de  Leze-Majefté ,  il  ne  fut  pas  neantmoins 
condamné  à  mort,  mais  en  un  exil. 

Cefte  hiftoire  eft  tirée  de  l'Epiftre  7, livre  I  de  Sidonius 
Apollinaris. 

Ma  GNU  s  fous  Faldemar  /,  roy  de  Dannemark  Pan  1 17B. 

M  A  G  N  u  s  fils  d'Eric  non  content  de  fa  fortune ,  qui  eftoit 
grande  ,  en  partie  par  la  libéralité  de  Valdemar  I ,  roy  de  Dan- 
nemark ,  conjura  d'attenter  à  la  perfonne  de  ce  Roy  ,  avec 
Canut  ôc  Charles  parens  du  Roy  ôc  les  (iens.  Le  Roy  defcou- 
yrit  cefte  conjuration,  par  un  Hermite  chez  lequel  quelques 


MONSIEUR  F.  A.  DE  THOU;         12^ 

amis  de  Magnus  furent  obligez  de  fe  retirer  faifans  voyage. 
Ces  gens  pendant  le  fouper  parlèrent  de  la  bonne  fortune  du 
Roy  ,  &  comme  Dieu  l'avoit  garenti  de  tous  les  deffeins  que 
Magnus  ôc  les  enfans  du  Duc  Charles  avoient  fur  fa  vie.  Cet 
Hermite  eftoit  fi  proche  du  lieu  où  ces  gens  difcouroient,  qu'il 
apprit  tous  les  deiïeins  qui  eftoient  contre  le  Roy:  il  enad- 
vertit  fon  Supérieur  pour  en  donner  advis  au  Roy.  Le  Roy 
le  creut  facilement ,  &  fit  venir  devant  lui  Abfalon  parent  des 
conjurez ,  ôc  lui  fit  dire  l'hiftoire  par  l'Hermite.  Magnus ,  Ca- 
nut &  Charles  advertis  que  le  Roy  fçavoitune  partie  de  leur 
deflein  ,  fe  retirèrent.  Abfalon  qui  avoir  beaucoup  de  créan- 
ce auprès  du  Roy  ,  fit  enforte  que  Magnus  euft  un  faufcon- 
duit  pour  venir  foûtenir  fon  innocence.  11  vint.  Le  Roy  en 
prefence  des  Eftats  affemblez  à  cefte  fin ,  fit  voir  des  lettres  de 
Magnus,  qui  le  confondirent  de  forte  que  tout  ce  que  put  faire 
Abfalon,  fut  de  demander  un  délai  pour  Magnus  ,  afin  defa- 
tisfaire  à  ce  qui  lui  eftoir  objedé  i  ce  qu'il  obtint.  Magnus 
voyant  qu'il  ne  lui  eftoit  pas  pofiible  de  fe  défendre ,  fuivitle 
confeil  d'Abfalon  de  confeiTer  fa  faute  ,  ôc  demander  pardon  : 
ce  qu'il  fit ,  ôc  par  un  efcrit  il  defduifit  les  deffeins  qu'il  avoir 
eu  fur  la  vie  du  Roy,  s'eftonnant  comme  le  Roy  avoir  efchap- 
pé  tant  de  fois.  Le  Roy  lui  pardonna  en  confideration  de  ce 
qu'il  eftoit  fon  parent  :  mais  il  ne  lui  permit  pas  fa  privante  ; 
au  contraire,  il  s'afiTeura  de  lui,  Ôc  lui  deffendit  d'avoir  com- 
munication avec  Canut  Ôc  Charles.  Chriftierne  fils  de  Suenon 
accufé  d'eftre  un  des  complices,  fut  banni, fes  biens confervez. 
Les  Eftats  finis,  Efchellus  l'un  des  premiers  Prélats  duRoyau- 
me  ,  envoya  au  Roy  deux  de  fes  neveux  Abfalon  ôc  Afcerus, 
contre  lefquels  le  Roy  fe  monftra  plus  rude  que  contre  Ma- 
gnus. Afcerus  interrogé  par  le  Roy  s'il  avoir  participé  à  cefte 
conjuration ,  refpondit  que  de  vérité  il  l'avoit  fceue  ,  mais 
qu'il  n'y  avoit  apporté  aucun  confentement.  Après  cefte  con? 
feffion  il  fut  banny. 

Cefte  hiftoire  eft  tirée  du  fixiefme   livre  de  i'Hiftoire  de 
Dannemark  de  Jo,  Pontanus  pag.  3C>3. 

/îrrep  de  la  Cour  contre  H e  n N e  ^u i N  l^A lem  a  n  s  ,   ûs 

Pan   1 3  40. 
Le  Samedy  avant  Noël  l'an  13^0,  Hennequin  l'Alemans 


Î24       MEMOIP.ES  POUR  JUSTIFIER 

fut  pîlorié  par  Arrefi:  de  la  Court ,  à  avoir  une  cedule  mife 
fur  fa  tefte ,  de  laquelle  la  teneur  eft  telle  :  «  C'eft  Hennequin 
S' l'Alemans  qui  a  fceu  que  M.  Robert  l'Anglois  ,  ôc  deux 
M  moines  Allemans  qui  demeuroient  à  S.  Bernard  ,  machi- 
s'  noient  la  mort  du  Roy  ôc  de  la  Reine  ,  ôc  en  la  perdition 
a>  de  tout  le  Royaume,  par  mauvais  art  ôc  par  invocation  du^. 
M  Diable  ,  fe  venir  en  un  cerne  qu'ils  firent  es  jardins  de  l'hof- 
»  tel  de  la  Comtefie  de  Valois  i  lefquels  M.  Robert  ôc  moines 
='  font  fuitifs  pour  ce  faid  j  &  pource  que  ledit  Hennequin 
=>  l'Alemans  ne  le  dit!  ne  révéla  à  Juftice  ^  ôc  fut  mis  en  pri- 
ai fon  à  Sainâ:  Martin  des  Champs  ,  laquelle  prifon  il  brifa  , 
»  ôc  fut  repris  quand  il  s'enfuit  j  à  cefte  caufe  il  ell  mis  au 
3>  pillory.  » 

Extrait  d'un  ancien  Regiftre. 

Bernardo    DEL    N  E  R  o  Tloremin. 

En  l'année  1497  ,  Pierre  de  Medicis  qui  avoir  efté  chaffc 
de  Florence^  travailla  par  divers  moyens  pour  y  rentrer.  Ceux 
qui  avoient  l'autorité  dans  la  ville  eurent  advis  de  quelque  in- 
telligence qu'il  y  avoit  :  auffi-toft  Bernardo  del  Nero  qui  ve- 
noit  de  fortir  de  la  charge  de  Gonfalonnier ,  la  principale  du 
gouvernement,  fuft  arrefté,  ôc  avec  lui  Nicolas  Ridolfi, Lau- 
rent Tornaboni ,  Jean  Pucci ,  ôc  Jean  Cambi.  Le  procès  fut 
fai£l  à  tous  ces  prifonniers ,  ôc  furent  condamnez  Ôc  exécutez 
à  mort.  Guicciardin  parlant  de  cette  hiftoire,  dit  que  Bernar- 
L.  3.^,158.  do  del  Nero  ne  fut  convaincu  d'autre  chofe  che  d'havere  fa- 
puta  quefla  pratica ,  &  non  fhavere  rivelata  j  il  quale  errore ,  che 
perje  é  punit 0  inpena  capitale ,  da  glijiatuti  Fiorentini,  ù"  dalla 
interpretatione  data  délia  maggiore  parte  dé'JurifconJiilti  aile  leggi 
communi.  Mais  Guicciardin  adjoufte  une  particularité  très  conii- 
derable  ôc  effentielle  ,  que  la  faute  de  Bernardo  del  Nero  elloit 
d'autant  plus  grande  qu'il  eftoit  Gonfalonnier  de  la  Republi- 
que ,  lors  que  Pierre  de  Medicis  fe  prefenta  pour  exécuter  îow 
deffein  ;  ôc  par  ainfi  plus  obligé  à  faire  ufficio  piu  di  perfona  pu- 
blica  che  di  privata.  Ce  qui  femble  deftruire  du  tout  la  pre- 
mière caufe  ,  fur  laquelle  les  juges  avoient  condamné  Nero; 
qui  eft  d'avoir  fceu  la  conjuration  ,  ôc  ne  l'avoir  révélée  5 
puifqu'il  avoiî  une  charge  qui  l'obligeoit  plus  eftroitement  que 


MONSIEUR  F.  A.   DE   T  H  O  U.         i2y 

tous  les  autres  à  la  défenfe  de  la  République.  AufTi  rHiftorien 
Nardi  Florentin ,  qui  a  pour  but  d'efcrire  l'Hiftoire  particu- 
lière de  la  Republique  de  Florence ,  au  lieu  que  Guicciardin 
cmbraiïe  généralement  i'Hiftoire  d'Italie  ,  parlant  de  ce  faiâ: , 
dit  que  fur  1  advis  qui  en  fut  donné ,  les  Seigneurs  de  la  Re- 
publique firent  arrefter  tout  le  premier  ce  Bernard  del  Nero 
âgé  de  75*  ans,  ôc  qui  avoir  elle  Gonfalonnier  peu  de  mois  au- 
paravant ,  ôc  enfuite  les  conjurez  qui  furent  tous  condamnez 
à  un  mefme  fupplice.  Nardi  ne  defcharge  point  Nero ,  le  faict 
coulpable  autant  qu'aucun  autre  des  accufez. 

Raphaël  Riario   dit  le  Cardinal  de  Sain6t  George  ;^ 
&  A^.  Ban  DiNELLi  dit  \q  Cardinal  Sauli  .fous  le  Pape 
.    Léo  X ,  l'an  1 5"  1 7. 

A  L  F  o  N  s  E  Petrucci ,  dit  le  Cardinal  de  Siene ,  ayant  refolu 
de  faire  mourir  le.  Pape  Léon  X  ,  fe  voulut  fervir  pour  cela 
d'un  Chirurgien  nommé  Vercelii.  Le  Pape  adverti  de  cedef- 
fein  ,  trouva  moyen  de  faire  venir  à  R  orne  ce  Cardinal  ,  fur 
un  faufconduit  qu'il  bailla  à  l'Ambafladeur  d'Efpagne.  Ce  Car- 
dinal vint  à  Rome  :,  fut  faluer  le  Pape  accompagné  de  Bandi- 
nelli ,  dit  le  Cardinal  Sauli ,  Génois  fon  ami.  Ces  deux  Car- 
dinaux furent  arreftez  à  l'antichambre  du  Pape  ,  &  conduits 
au  Chafteau  Saint  Ange.  Vercelii ,  ce  chirurgien  qui  elloit  lors 
à  Florence  ,  fut  pris  &  mené  à  Rome. 

L'Ambafladeur  fe  plaignit  de  l'infra^lion  du  faufconduit  : 
mais  le  Pape  lui  refpondit  qu'il  ne  s'eftendoit  point  aux  cri- 
mes de  celle  nature. 

Les  prifonniers  examinez,  plufieurs  tefmoins ouïs ,  la  conju- 
ration du  Cardinal  de  Siene  vérifiée  ,  il  fut  convaincu  &  juf-' 
tifié  que  le  Cardinal  Sauli  la  fçavoit.  Le  Chirurgien  ôc  un 
nommé  Pocointefta  furent  exécutez  fort  cruellement  en  public. 

Enfuite  le  Pape  fit  arrefter  Raphaël  Riario ,  dit  le  Cardinal 
S.  George  >  Camerlingue ,  qui  dift  qu'il  n'avoir  eu  nulle  com- 
munication de  cette  conjuration  ,  mais  que  le  Cardinal  de 
Siene  s'eftoit  plaint  à  lui  que  le  Pape  lui  vouloit  mal.  Quel- 
ques jours  après  ,  le  Pape  sellant  plaint  en  confiftoire  de  la 
haine  que  ces  Cardinaux  lui  portoient ,  qu'il  eftoit  neantmoins 
prell  d'oublier  leur  faute  3  Adrian  dit  le  Cardinal  Cornetto  , 

5Q"i 


126        MEMOIRES  POUR  justifier: 

ôc  François  Soderin  Cardinal  de  Volterre,  fe  jetterent  aux  pieds 
de  fa  Sainteté ,  6c  lui  dirent  que  le  Cardinal  Sauli  leur  avoit 
tenu  le  mefme  difcours  qu'au  Cardinal  de  S.  George. 

Enfin  le  procès  ayant  efté  faitl: ,  le  Cardinal  de  Siene  ôc  le 
Cardinal  Sauli  furent  privez  du  Cardinalat ,  dégradez  ,  &  li- 
vrez au  bras  feculier.  Et  la  nuicl  fuivante  le  Cardinal  de  Siene 
fut  eftranglé  en  prifon ,  ôc  la  peine  de  mort  du  Cardinal  Sauli 
fut  commuée  en  une  prifon  perpétuelle  ,  d'où  il  fut  délivré  peu 
après  moyennant  une  bonne  fomme  d'argent  ,  ôc  reftabli  en 
fa  dignité.  Guicciardin  efcrit  qu'avant  fortir  de  prifon  l'on  lui 
bailla  un  poifon  lent  qui  le  confuma  peu  après.  Mais  voici 
comme  en  parle  P.  Jove  p.  py.  Saulio  vitam  impetravit  Iran^ 
cifcus  e  Ciboa  familia  foYoris  Leonis  maritm  ,  ei  qiwque  mox  hono- 
ïempilei  cumulât  a  benignitate  reflituit ,  quum  eum  aunbus  tantum, 
non  atroci  voluntate  peccavijfe  judicaret.  Le  Cardinal  de  Saint 
George ,  Guicciardin  en  parle  ainfi  ;  Col  Cardinale  di  San 
L.i^.p.641.  CjJQYgio  per  ejjere  il  delitto  minore  ,  ancora  che  le  leggi  fane 
Û"  interpreîate  da  Principi  per  ficurtà  de  loro  jlati  y  vogliano  che 
net  crimine  délia  Maejia  lefa  ,  fia  foîtopofio  aWultimo  fup- 
plicio  y  non  filo  chi  macchina  ,  ma  chi  fa  ,  chi  accenna  contro 
allô  fiato  y  &  molîo  piu  quando  fi  tratta  contro  alla  vita  del 
Principe  ;  procedette  il  Pontefice  piu  manfuetamente  havendo 
nfpetto  alla  fua  et  à  ,  &  autorità  ,  &  alla  congiuntion  grande 
che  tnnanzi  al  Pomificato  era  lungamente  fiata  tra  loro  :  pero 
fe  ben  fujfe  per  ntener  C autorità  délia  feverità  ,  nella  fenîenza 
medefima  privato  del  Cardinalato  y  fu  quafi  incontinente  obligan- 
dofi  egli  a  pagar  quantita  grandijfima  "^  di  danari  3  refiituito  per 

*  P.  Jove  dit  nyatia ,  eccetto  che  alla  voce  attiva]  ô"  paffwa  ,   alla    maie  fu 
cent   mille      •  ■  ^   rr  rr  i  J 

cfcus.  tnnanzi  pajjajje  un  anno  reintegrato. 

Pour  ce  qui  eft  des  Cardinaux  Cornetto  ôc  Volterre  >  ils 
n'eurent  aucun  mal ,  finon  qu'ils  en  fortirent  pour  une  grande 
fomme  d'argent.  Le  Cardinal  de  Volterre  fe  retira  à  Fondi, 
ôc  l'autre  craignant  la  rigueur  du  Pape  fortit  de  nuit  de  Rome  j 
ôc  oncques  depuis  ne  futveu. 

Ce  que  l'on  peut  confiderer  fur  ce  faid  y  eft  que  le  Pape  fit 
mourir  ceux  qui  eftoient  vrayement  coulpables.  Les  autres 
Cardinaux  ne  l'eftoient  pas ,  l'on  en  vouloit  à  leur  argent  y  qu'ils 
donnèrent.  Et  quoi  que  Guicciardin  parlant  du  Cardinal  de 
Saint- George ,  dit^  qu'il  eftoit  digne  de  mort  par  la  maxime 


MONSIEUR  F.  A.  DE  THOU.        127 

tenue  par  les  Princes  ,  qui  eft  que  ceux  qui  ne  révèlent  pas  les 
conjurations,  font  coulpables  de  mort  ;  toutesfois  l'on  voit  par 
ce  qu'il  en  efcrit ,  que  ce  Cardinal  fut  délivré  pleinement  en 
baillant  cent  mille  efcus.  Le  Cardinal  Sauli  en  fortit  par  la 
mefme  voye ,  n'ayant  eu ,  dit  P.  Jove ,  que  les  oreilles  crimi- 
nelles :  &  ainfi  nonobftant  cefte  maxime,  que  Guicciardin  dit 
eflre  tenue  ôc  obfervée  par  les  Princes  î  ces  Cardinaux  qui 
avoient  fceu  cefte  conjuration  contre  la  vie  du  Pape ,  ne  fu- 
rent punis  de  mort  ^  mais  furent  délivrez  pour  de  l'argent. 

Meffîre  Em  ard  de  P  ryE)  Sieur  de  P  ry  e  &  de  Toussr? 

A4.  Pierre  P  o  p  i  llo  n  ,  Sieur  de  P  aray  > 

fous  le  Roy  Fr  an  fois  /,  1525. 

E  M  AR  D  de  Prye  fut  arreflé  prifonnier  pour  la  conjuration 
du  Conneftable  de  Bourbon.  11  fut  interrogé  par  le  premier 
Prefident  de  Rouen  ,  ôc  recogneut  qu'il  y  avoit  trois  mois 
qu'il  avoit  veu  le  Conneftable  à  Varennes ,  qu'il  le  tira  à  part^ 
ôc  lui  dift ,  qu'il  eftoit  en  propos  de  fe  marier  à  la  fœur  de  l'Em- 
pereur ,  ôc  qu'il  ne  tiendroit  qu'à  lui.  Ce  difcours  depleut  au 
depofant ,  qui  dift  au  Conneftable  ,  qu'il  ne  devoit  rien  faire 
fans  le  confentement  du  Roy,  ôc  qu'il  s'en  repentiroit:  &  luy 
ayant  efté  remonftré  qu'il  devoit  donner  advis  de  cela  au  Roy, 
dift  3  qu'il  ne  penfoit  pas  que  les  chofes  deuffent  tirer  fi  avant^ 
ôc  qu'il  ne  vouloit  mettre  débat  entre  le  Roi  ôc  le  Conneftable. 

L'affaire  renvoyé  au  Parlement  le  20  Décembre  ï>25  ,  cet 
accufé  perfifta  en  fes  premières  dépofitions. 

Le  Roy  mefcontent  du  Parlement,  qu'il  jugeoit  trop  facile  , 
il  y  lit  venir  d'autres  juges.  Ledid  fieur  de  Prye ,  en  prefen- 
ce  de  tous  ces  juges  dit,  qu'il  y  avoit  vérité  en  fes  premières 
dépofitions ,  ôc  rien  plus  3  fe  deffendit  de  n'avoir  point  donné 
advis  au  Roy  de  la  venue  des  Lanfquenetz  en  Bourgogne ,  di- 
fant  que  le  fieur  de  Jonville  l'avoir  fai6l. 

M.  Pierre  Popilîon ,  fieur  de  Paray ,  Chancelier  du  Bour- 
bonnois ,  autre  accufé  dit ,  interrogé  à  Blois  le  27  Septembre 
1525  par  le  Chancelier  ,  que  le  Conneftable  lui  ayant  com- 
muniqué fon  deiTein  de  fon  mariage  avec  la  fœur  de  l'Empe- 
reur ,  qu'il  l'en  voulut  difiuader  ,  lui  mettant  devant  les  yeux 
l'inimitié  entre  le  Roy  ôc  l'Empereur  :  de  quoi  le  Conneftable 


128       MEMOIRES  POUR  JUSTIFIER 

fe  colera  fort  contre  lui  ,  ôc  Jura  que  fi  l'Empereur  vouîoît 
ce  mariage  qu'il  le  feroitnoiiobftantfesremonftrances.  Neant- 
moins  que  le  Conneftable  penfant  à  ce  que  lui  avoir  dit  ledi£î: 
depofant,  fe  repentit  fur  l'heure,  ôc  manda  fon  Confefreur  pouc 
fe  confefTer  du  ferment  qu'il  avoir  fait,  ce  qu'il  fit  ;  ôc  depuis 
le  depofant  parla  au  ConfelTeur ,  pour  fçavoir  fi  le  Connefta^ 
ble  perfiftoit  en  ce  deffein,  qui  luydift  que  non,  ôc  ce  par  fer- 
ment, ce  que  fit  auffi  le  Conneftable  le  lendemain  3  ôc  ainfi  i! 
croyoit  avoir  laifle  le  Conneftable  hors  de  ce  deffein. 

Popillon  perfifta  en  fa  depofition  à  Efcures  ,  puis  à  Loches  ; 
OLi  il  fut  interrogé ,  ôc  advoua  que  le  Conneftable  lui  avoit 
communiqué  par  trois  fois  le  deffein  de  ce  mariage  j  mefme 
avant  la  mort  de  Madame  fa  femme. 

Cet  accufé  en  prefence  de  la  Cour  perfifta  à  tout  ce  qu'il 
avoit  dit,  comme  aufii  le  3  Juin  i  J24.,  tant  en  prefence  de  la 
Cour  que  des  Commiflaires  des  autres  Parlemens. 

Enfin  intervint  arreft  du  2  Juillet  15:24^,  par  lequel  la  Cour 
eflargift  iefdi£ts  de  Prye  ôc  Popillon ,  en  faifant  les  foubmif-. 
fions  ordinaires  î  ôc  neantmoins  ordonna  que  les  prifonniers 
feroient  mis  en  telle  ville  du  Royaume  qu'il  plairoit  au  Roy 
ordonner ,  d'où  il  leur  feroit  deifendu  de  partir  à  peine  de  la 
vie,  main-levée  de  leurs  biens ,  l'aliénation  neantmoins  de  leurs 
immeubles  à  eux  interdite. 

Le  Roy  trouva  mauvais  cet  Arreft  ,  défendit  à  la  Cour  Jut 
-peine  de  la  vie ,  ce  font  les  mots  de  la  Lettre  ,  de  l'exécuter. 
Il  y  a  deux  Lettres  du  Roy  pour  ce  faid,  qui  font  fort  rudes  : 
elles  font  des  12  ôc  18  Juillet  1524. 

Madame  ,  Mère  du  Roy  ,  Régente  en  France ,  efcrivit  au 
Parlement  le  17  May  1525",  qu'elle  vouloit  que  l'arreft  con- 
tre le  fieur  de  Prye  fuft  exécuté ,  excepté  en  ce  qui  touchoit 
la  perfonne  dudià  de  Prye  ,  attendu  fon  ancien  âge  ,  voulant 
qu'il  puifie  aller  où  bon  lui  femblera.  Ce  que  la  Cour  exécuta. 
Depuis,  ladite  Dame  fit  délivrer  pleinement  ledi6l  de  Prye. 
•  Pour  le  fai6l  dudi£i:  Popillon ,  il  mourut  dans  la  Baftille  le 
îj  Aouft  i5'24,  ôc  fut  par  Arreft  permis  à  fa  veuve  ôc  à  fes 
enfans  faire  enlever  fon  corps  de  nuid  fans  pompe. 

Ces  deux  accufez  fçavoient  la  conjuration  du  Conneftable 
de  Bourbon ,  ÔC  fon  defl*ein  arrefté  de  fon  mariage  beaucoup 
avant  fa  fortie  du  Royaume.   Ils  eurent  du  temps  pour  en 

advenir 


MONSIEUR  F.  A.  DE  THOU.         ï2p 

advenir  le  Roy.  Leur  excufe  d'avoir  voulu  divertir  le  Connefta- 
ble,  n'eft  allégué  que  par  eux  ,  par  confequent  inutile  pour 
eux ,  ôc  ne  les  décharge  pas.  Car  il  fe  peut  faire  qu'ils  n'en  ont 
rien  fai6t ,  ou  pluftoft  ne  l'ont  ofé  envers  une  perfonne  de  il 
haute  condition.  Le  grand  nombre  de  Juges  de  divers  Par- 
lemens  après  avoir  ouï  les  accufez  pl'jfieurs  fois ,  leur  ouvrit  les 
prifons,  bien  loin  de  les  juger  dignes  de  mort. 

Extrait  du  Procès  faitl  au  Conneftable  de  Bourbon. 

Le  Sieur  Descars  ifous  le  Roy  Fr  an  foi  s  I,  1 5*  2  j. 

François  Defcars ,  Chevalier  ,  fieur  de  Vauguion ,  fut  ar- 
refté  fur  l'advis  qu'eut  le  Roy  qu'il  fçait  la  conjuration  du  Con- 
neftable de  Bourbon. 

Il  fut  interrogé  plufieurs  fois.  M.  de  la  Trimouille  l'inter- 
rogea la  première  fois ,  par  ordre  du  Roy  &  de  Madame  fa 
mère  i  ôc  ce  en  prefence  de  trois  hommes  d'armes  de  fa  com- 
pagnie. Il  defnia  tout  ce  que  lui  fut  demandé,  mais  parce  que 
par  fes  refponfes  il  paroifToit  qu'il  avoit  fceu  fuperficiellement 
quelque  chofe  de  cette  affaire  ^  lediâ  fieur  de  la  Trimouille 
l'interrogea  ,  pourquoi  il  n'advertiffoit  le  Roy  de  ce  qu'il  fça- 
voit,  dit  qu'il  n'en  fçavoit  rien  au  vrai  ,  &  qu'il  n'euft  jamais 
penfé  qu'il  fe  fuft  faid  i  ôc  d'advertir  d'une  chofe  dequoi  il 
eftoit  en  doute ,  il  lui  euft  femblé  qu'il  eufl:  faid  une  grande 
mefchanceté  :  car  il  ne  luy  avoit  rien  déclaré.  Ce  font  fes  pro=; 
près  termes. 

Extrait  du  Procès  fai£l  au  Conneftable  de  Bourbon. 

Bertrand  Simon,  dit  Brio n ^  [Antoine  Desguieres ^ 
Sieur  de  Ch  i  rang  r ,  fous  le  Roy  François  /,  ij^S' 

Bertrand  Simon ,  dit  Brion ,  Efcuyer,  fut  arrefté  en  la  Fran- 
ehe-Comté  à  caufe  de  la  confpiration  du  Conneftable  de  Bour- 
bon. Il  fut  interrogé  le  27  Septembre  i5'23  ,  ôc  confeffa  qu'il 
ii*y  avoit  qu'un  an  qu'il  frequentoit  en  la  maifon  de  Bourbon 
par  le  moyen  du  fieur  du  Peloux  5  que  le  bruit  eftoit  commun 
dans  la  maifon ,  qu'il  eftoit  venu  un  gentilhomme  de  la  part 
de  l'Empereur  au  Conneftable,  qui  luy  avoit  apporté  des  Let-^ 
ues  Ôc  un  diamant ,  ôc  difoit-on  que  c'eftoit  à  caufe  des  paroles 
TomeXr.  JR 


j50      MEMOIRES  POUR  JUSTIFIER 

du  mariage  d'entre  ledi6l  Conneftable  &  la  fœur  de  l'Empe- 
reur ,  à  laquelle  le  Conneftable  envoya  un  autre  diamant  : 
fceut  auiïi  que  le  fieur  de  Beaurain  eftoit  venu  vers  le  Con- 
neftable. 

Sçachant  que  le  Roy  vouloir  faire  arrefler  le  Connefl:abIe> 
il  le  vint  trouver ,  ôc  fut  depefché  aufTi-toft  par  Peloux  de  l'or- 
dre du  Conneftable  ,  pour  aller  trouver  Saint-Bonnet  qui  eftoit 
à  la  Palice  ,  Ôc  revindrent  Saint-Bonnet  ôc  lui  trouver  le  Con- 
neftable ,  qu'il  accompagna  jufques  à  Hermen  î  que  là ,  le  Con- 
neftable  fe  defroba  de  fes  gens ,  ne  menant  avec  lui  qu'un  valet 
de  chambre  6c  Pomperanr. 

Dit  que  la  fuite  du  Conneftable  eftonna  tous  fes  gens ,  qui 
craignoient  de  tomber  entre  les  mains  du  Roy.  Au  fortir  du 
Puy  pour  gaigner  les  montagnes,  Efguieres  6c  luij  trouvèrent 
Laîliere  ,  Saint-Bonnet ,  6c  Peloux,  6c  allèrent  jufques  au  lieu 
où  il  fut  pris. 

Que  par  les  chemins  Laîliere  6c  Peloux ,  difoient  que  le 
mariage  du  Conneftable  avec  la  fœur  de  l'Empereur  fe  faifoit, 
que  les  Allemands  dévoient  entrer  en  Champagne ,  les  An- 
glois  en  Picardie,  les  Efpagnols  en  Guiennej  qu'il  y  avoit 
grand  nombre  de  Lanfquenets  en  Bourgogne ,  qui  dévoient 
venir  à  Lion,  que  le  Conneftable  avec  ce  qu'il  avoit  de  forces 
fe  devoir  joindre  à  eux,  qu'il  devoir  avoir  dix  mille  hommes, 
dont  Peloux  en  commanderoit  mille  ,  Laîliere  autant ,  Godi- 
niere  autant,  6c  plufieurs  autres  qu'il  ne  pouvoir  nommer. 

Adjoufta  que  Ci  le  Roy  n'euft  arrefté  à  Lion,  6c  qu'il  en fuft 
parti  le  jour  qu'il  y  eftoit  entré,  qu'on  lui  euft  faid  un  Ci  beau 
fer  vice ,  qu'il  ne  fuft  pas  retourné  à  fon  aife  en  France  j  dit 
aufîi  qu'il  a  fai£t  quelques  voyages  vers  les  fleurs  de  Saint- 
Valier  6c  du  Peloux. 

Dit  que  le  Conneftable  fe  retira  avec  feize  jaques ,  à  cha- 
cune defquelles  il  y  avoit  deux  mille  cinquante  efcus  ;  6c  en 
portèrent  Efguieres  6c  lui  chacun  une  qu'ils  laifferent  à  Saint- 
Amour  entre  les  mains  de  Laîliere  6c  Peloux  qui  les  leur  avoient 
baillées. 

Le  mefme  jour  les  mefmes  Commiffaires  interrogèrent  An- 
toine d'Efguieres  ,  fieur  de  Charancy  ,  homme  d'armes  de  la 
compagnie  du  Conneftable ,  qui  dit ,  que  Laîliere  le  mit  au 
fer  vice  du  Conneftable ,  6c  lui  dift ,  qu'il  eftoit  choili  pour  eftre 


MONSIEUR   F.   A.   DE   THOU.       û^t 

du  nombre  des  douze  hommes  d'armes  que  le  Conneftable  l 

vouloir  mener  avec  lui  de-là  les  monts.  ] 

Ce  d'Efguieres  dit  prefque  les  mefmes  chofes  que  Brion ,  Ôc  ' 

fut  un  de  ceux  qui  conduifit  le  Conneftable  fur  la  frontière  >  6c 
qui  portoit  de  l'argent  en  jaques.  i 

Ces  deux  accufez  perfifterent  tousjours  à  ce  qu'ils  avoient  -\ 

dit.  Le  Roy  voulut  avoir  l'advis  des  CommifTaires  fur  la  charge 
qui  eftoit  contre  tous  les  prifonniers.  Voici  ce  qu'ils  dirent  fur  ■ 

ceux-cy.  Pour  Brion  n'y  a  lieu  de  géhenne  >  nilnlque  reftat  cum  \ 

eo  agendum.  Sur  la  confeiïion  de  d'Efguieres  ,  nihil  cum  ea  ] 

agendum.  j 

Sur  ce  le  Roy  renvoya  au  Parlement  de  Paris  pour  parfaire     ^o.  Dec.  ; 

le  procès  des  accufez  qui  furent  hui£l  en  nombre.  Arreft  du  27  ïps»  \ 

Janvier    ly^^  ,  particulièrement  contre  lefdids  d'Efguieres  j 

&  Brion,  accufez  d'avoir  accompagné  le  Conneftable  jufques  \ 

à  Hermen  ,  après  le  bruit  que  le  Roy  le  vouloit  faire  prendre  , 
&  dudicl  lieu  de  Hermen  ledid  Conneftable  parti  ,  avoient 
fuivi  Lalhere  &  Peloux,  qui  leur  dirent  le  defifeindu  Connefta- 
ble ,  ainfi  qu'ils  l'ont  depofé ,  ôc  qu'ils  avoient  porté  partie  de 
l'argent  du  Conneftable  en  jaques  ,  ce  qu'ils  avoient  celé  fans 
en  advertir  le  Roy  ;  pour  ce  ils  font  condamnez  à  faire  amende 
honorable  au  parquet  de  Iadi£le  Cour  ,  à  la  Table  de  Mar- 
bre ,  ôc  fur  les  grands  degrez  du  Palais ,  en  chemife ,  pieds 
nuds  ôc  tefte  nuë ,  tenans  une  torche  en  leurs  mains ,  difans , 
que  mal  confeillez  ils  avoient  commis  les  chofes  fufdides  ;  ôc 
icelles  teuës  Ôc  cellées  fans  en  advertir  le  Roy ,  dont  ils  en  de- 
mandent pardon  au  Roy,  ôc  à  Jufticej  ôc  ce  fai£t  eftre  reléguez 
en  tel  lieu  qu'il  plaira  au  Roy  jufques  à  trois  ans  ;  ôc  a  privé 
iedi6t  d'Efguieres  à  tousjours  de  tous  honneurs  ôc  ftipendie 
qu'il  euft  pu  avoir  du  Roy,  ôc  l'a  dçclaré,  enfembîe  ledicl  de 
Brion  ,  indignes  à  jamais  d'eftre  des  Ordonnances  dudid 
Seigneur. 

Le  p  Mars  le*Roy  vint  en  Parlement ,  où  il  demanda  raifon 
des  jugemens  rendus  contre  les  prifonniers  :  ce  que  fit  le  pre-  > 
mier  Prefident.  Pour  le  fai6t  defdi£ls  de  Brion  ôc  d'Efguieres  > 
il  dift ,  qu'ils  avoient  efté  plulieurs  fois  interrogez  ,  ainfi  qu'il 
eft  di£t  cy-deffus.  Sur  quoi  le  Chancelier  demanda  :  Et  de  leurs 
biens,  les  avez-vous  point  confifquez  ?  Il  refpondit  que  non  ,  ôc 
que  ce  n'eftoit  qu'une  relegation  qui  n'emporte  confifcation. 

'Rij 


132      MEMOIRES  POUR  JUSTIFIER 

Sur  ce  3  le  Roy  diil  ,  que  l'on  devoit  en  telles  affaires ,  qui 
concernent  de  Ci  près  fa  pérfonne  ôc  fon  Royaume,  y  regar- 
der autrement  que  l'on  ne  faidl  en  une  matière  civile?  ôc  que 
d'Efguieres  ôc  Brion ,  quand  ils  furent  pris  à  Lion ,  ils  pen- 
foient  bien  eftre  pendus  ôc  eftranglez ,  qu'il  ne  vouloit  tolé- 
rer telles  voyes ,  ôc  qu'il  entendoit  faire  venir  des  cours  de 
Parlemens  ôc  autres  lieux,  ainfi  qu'il  advifera  ,plurieursbons  & 
gros  perfonnages ,  par  lefquels  en  la  compagnie  de(Tufdi£le  , 
il  fera  revoir  lefdi£ls  procès,  ôc  cependant  vouloit  que  ces  pri- 
fonniers  demeuraffent  oli  ils  eftoient. 

Le  ip  May  le  Roy  efcrivit  au  Parlement ,  qu'il  eftoit  à  pro- 
pos que  les  procès  des  complices  du  Conneftable  fuffent  bien 
veus ,  qu'il  avoit  mis  ordre  qu'aucuns  Prefidens  ôc  Confeillers 
des  autres  Parlemens ,  fe  tranfporteroient  en  fa  Cour  de  Par- 
lement de  Paris,  pour  vacquer  avec  eux  à  la  revifion  defdi6ls 
procès.  Sur  ces  Lettres  le  Procureur  General  requift  ,  que  très- 
humbles  remonftrances  fuffent  faites  au  Roy  ,  que  la  confe- 
quence  de  faire  revoir  les  procès  jà  jugez  eftoit  très-periileufe. 
Surce,  Arreft,  les  Chambres  affemblées,  par  lequel  fut  dit ,  que 
quant  au  procès  de  ceux  où  il  n'y  avoit  eu  arreft  ,  qu'ils  feroient 
jugez  par  trente  des  Prefidens  ôc  Confeillers  de  ladide  Cour 
qu'elle  députera,  ôc  au  jugement  d'iceux  feront  appeliez  les 
Commiffaires  des  autres  Parlemens  nommez  par  le  Roy. 
8.  Juin  i^i^.  Tous  ces  Juges,  tant  ordinaires  que  Commiffaires  affemblez, 
interrogèrent  de  nouveau  les  accufez  ,  ôc  entr  autres  d'Efguie- 
res ôc  Brion,  qui  recogneurent  tout  ce  qu'ils  avoient  dit  aupa- 
ravant ,  qu'ils  avoient  accompagné  le  Conneftable  jufques  à  la 
frontière. 

Ces  juges  n'ordonnèrent  rien  de  nouveau  contre  ces  deux 
accufez,  ôc  le  premier  Arreft  demeura.  Ils  furent  retenus  dans 
les  prifons  jufques  en  May  i  J28  ,  que  le  Roy  efcrivift  au  Par- 
lement, qu'ayant  fceu  T Arreft  contre  ces  deux  accufez  ,  il  en- 
tendoit qu'ils  fuffent  délivrez  ,  ayans  obeï  à  juftice  ôc  exécuté 
leur  Arreft  ,  afin  qu'ils  peuffent  aller  en  Italie  pour  fon  fervice. 
Surquoi  la  Cour ,  après  avoir  veu  l'Arreft  donné  contre  eux 
depuis  quatre  ans  ôc  neuf  mois ,  arrefta  qu'il  feroit  exécuté  : 
ce  qui  fut  faid ,  ôc  eux  délivrez. 

Par  cefte  hiftoire  on  voit  que  ces  deux  accufez  ont  fceu  le 
deffein  du  mariage  du  Conneftable ,  fes  pratiques  pour  troubler- 


MONSIEUR  F.  A.  DE   THOIT.         155 

le  Royaume  avec  l'Empereur  &  le  Roy  d'Angleterre  ^  enne- 
mis du  Roy  ôc  du' Royaumes  fçavoient  melme  le  complot 
qu'il  y  avoit  eu  contre  la  perfonne  du  Roy,  ont  fervi  à  lare- 
traite  du  Conneftable,  ont  porté  partie  de  fon  argent ,  après 
la  cognoifTance  qu'ils  avoient  que  le  Roy  le  vouloit  faire  ar- 
refter  :  ôc  neantmoins  ils  ne  furent  condamnez  à  la  mort  i  Ôc 
ce  qui  eft  à  remarquer,  eft  que  l'Arreftfut  donné  par  trente 
Juges  du  Parlement  de  Paris,  ôc  vingt -trois  Juges  tirez  des 
Parlemens  de  Touloufe,  Bourdeaux,  ôc  Rouen,  ôc  du  Grand- 
Confeih  qui  revirent  ce  procès  jà  jugé,  qui  ne  trouvèrent  pas 
jufte  de  faire  perdre  la  vie  à  des  perfonnes  qui  avoit  fceu  bien 
plus  que  fuperficiellement  une  conjuration  Ci  grande  ôc  dan- 
ger eu  fe. 

Extrait  du  Procès  fai£l  au  Conneftable  de  Bourbon. 

Julien   Girolami,  fous  Cojme  de  Médias  Duc 

de  Florence, 

En  l'année  ly^p,  il  fe  fit  une  grande  conjuration  à  Flo* 
rence  contre  la  perfonne  de  Cofme  de  Aiedicis.  Pandolfe 
Pucci  ,  chef  de  cette  entreprife  ,  communiqua  fon  deffein  à 
Alftoldo  Cavalcanti ,  à  Laurent  de  Medicis ,  Ricard  Mila- 
nois  ,  Bernard  Corbinelli  ôc  à  Puccio  Pucci*  Ce  chef  Pandolfe 
Pucci  tafcha  d'induire  ces  gens-ci  à  affafTmer  le  Duc  >  leur  pro- 
pofant  divers  moyens  qu'il  jugeoit  faciles.  Ces  gens  tant  s'en 
faut  qu'ils  improuvaffent  le  delïein  de  Pandolfe ,  qu'ils  tafche- 
rent  de  le  perfuader  de  faire  l'attentat  lui-mefme ,  ayant  grande 
privauté  avec  le  Duc  ;  mais  il  n'eut  pas  affez  de  cœur ,  ôc  re- 
jetta  cette  propofinon ,  comme  impoffible.  Pandolfe  recher- 
cha aufîi  pour  le  mefme  faiâ  Julian  Girolami ,  ôc  Laurent  de 
Libri  :  à  celui-ci  il  ne  fe  defcouvrit  pas  abfolument,  mais  il 
le  pria  de  l'affifter  au  befoin.  Pour  Girolami  il  entendit  afiez 
ce  que  Pandolfe  lui  avoit  voulu  dire ,  quoiqu'en  paroles  cou- 
vertes, improuva  fon  entreprife,  mais  lui  promit  le  fecret.  Fran- 
çois Nafi  en  fit  autant ,  ôc  le  defconfeilla.  Les  conjurez  furent 
quelques  mois  fans  rien  entreprendre  3  ils  menèrent  cepen- 
dant une  vie  fi  desbordée ,  que  Cavalcanti  ôc  Laurent  de  Me- 
dicis furent  pris  pour  quelques  fales  adions.  Le  Duc  néant- 
moins  leur  fit  grâce ,  fit  défivrer  Cavalcanti  l'exhortant  de  mieux 

JRiij 


,34        MEMOIRES  POUR  JUSTIFIER 

viv^e-JLaurent  de  Medicis  fut  envoyé  à  Pife.  Pandolfe  ce- 
pendant fut  à  Rome  ,  où  il  fe  defcouvrit  à  quelques  bannis 
Florentins,  dont  le  Duc  euft  advis,  ce  qui  l'obligea  de  con- 
fiderer  de  près  les  actions  des  autres  conjurez ,  ôc  fe  trouvant 
alTez  bien  informé,  il  fit  arrefter  Cavalcanti  à  Florence,  &  Lau- 
rent de  Medicis  à  Pife.  Pandolfe  Pucci  fut  pris  ôc  examiné 
fort  exactement  j  il  fut  exhorté  de  dire  la  vérité ,  &  fur  l'aiTeu- 
rance  qu'il  euft  que  l'on  confidereroit  les  mérites  de  fes  pre- 
decefleurs ,  il  fe  refolut  de  dire  ingenuement  ce  qu'il  avoit  vou- 
lu faire ,  &  d'en  donner  un  efcrit,  où  il  enveloppa  non  feule- 
ment plufieurs  perfonnes  vivantes,  mais  aufli  aucuns  qui  eftoient 
morts.  Corbinelii  &  Ricciardi  advertis  de  cette  confellîon , 
fe  retirèrent.  Tous  les  conjurez  furent  convaincus  par  Pan- 
dolfe ôc  par  fon  efcrit  j  &  après  quelques  légères  tortures ,  ils 
furent  jugez.  Pandolfe  ,  chef  de  la  conjuration,  fut  pendu  pu- 
bliquement. Laurent  de  Medicis ,  Cavalcanti,  Ôc  Puccio  Pucci 
eurent  les  teftes  tranchées,  Corbinelii  ôc  Ricciardi  fuitifs  furent 
contumacez.  Nafi  qui  s'eftoit  retiré  à  Venife  ,  ôc  peu  après 
juftifié  comme  il  pût ,  fut  abfous  après  une  légère  peine.  Pour 
Girolami ,  pour  n'avoir  révélé  le  fecret  de  la  conjuration  ,  il  fut 
condamné  en  une  prifon  pour  tant  de  temps  qu'il  plairoit  au 
Duc.  Libri  fut  déclaré  innocent. 

Cefte  hiftoire  tirée  de  G.  B.  Adriani ,  livre  t5.  p.  53  y.  ôc 
de  l'Hiftoire  de  M.  de  Thou ,  livre  25  ,  eft  fort  remarquable. 
Girolami  avoit  fceu  la  conjuration,  l'avoir  improuvée,  n'avoit 
rien  révélé ,  il  ne  fut  pas  aufîî  condamné  à  la  mort  :  ôc  de 
plus,  ce  qui  rend  cet  exemple  plus  notable ,  eft  qu'il  faut  con- 
fiderer  l'eftat  où  eftoit  lors  le  Duc  de  Florence  ,  agité  ôc  tra- 
vaillé de  diverfes  conjurations  contre  fa  perfonne,  luiquis'efta- 
bliffoit  en  fa  Souveraineté  qui  lui  eftoit  conteftée  j  ôc  neant- 
moins  fes  juges,  dont  il  eftoit  le  maiftre,  ne  pafferent  les  bor- 
nes de  la  raifon  ôc  de  la  juftice ,  ôc  diftinguerent  les  peines  fui- 
yant  les  fautes  des  conjurez. 

Un  Efpagnol  feus  Philippe  II  Roy  d'Ejpagne  1^60. 

En  l'expédition  de  Tripoli  que  fit  le  Roy  d'Efpagne  l'an 
jj^o,  il  y  a  un  exemple  qui  fert  à  la  preuve  de  ce  Chapi- 
tre. L'on  découvrit  une  conjuration  de  deux  Efpagnols,  l'un 


MONSIEUR  F.    A.    DE  THOU.         j^^ 

defquels,  qui  avoir  elle  efclave  des  Turcs  à  Tripoli ,  avoir  pro- 
mis à  Dragur  ce  fameux  pirare  de  merrre  le  feux  aux  poudres, 
&  aurres  munirions  de  l'armée  Efpagnole.  Le  rraiftre  fur  in- 
continenr  pendu ,  mais  fon  compagnon  pour  n'avoir  pas  ré- 
vélé cefte  conjurarion  ,  furrazé,  &  mis  en  galère. 

Ce  jugemenr  miliraire  rendu  par  des  gens  de  mer,  ordi- 
nairemenr  cruels  &  impiroyables,  eftforr  judicieux  ,  car  il  dif- 
tingue  les  peines  :  le  principal  aurheur  y  perd  la  vie ,  mais 
celui  qui  n'avoir  pas  révélé  ^  fur  rrai£lé  plus  doucemenr. 

Cefte  hiftoire  eft  rirée  de  l'Hiftoire  de  M.  de  Thou  liv.  26. 

Laurens  du  Bois  fleur  de  Saint  M  art  in  ,&  Pierre 
DE  Grandry  i  fous  le  Roy  Charles  IX. 

En  l'année  i$l^  l'on  defcouvrir  une  conjurarion  qu'on  di- 
foir  aller  contre  la  perfonne  du  Roy  Charles  IX  ,  ôc  contre 
i'Eftar.  Beaucoup  de  Grands  s'y  rrouverenr  engagez ,  &  fur 
la  délation  d'un  nommé  Brinon ,  l'on  arrefta  Jofeph  de  Bo- 
niface  dir  la  Mole  ,  le  Comte  Hannibal  de  Cocconas ,  Lau- 
rent du  Bois  dir  Sainr  Martin  ,  Pierre  de  Grandry  Maiftre 
d'Hoftel  du  Roy,  qui  avoir  efté  AmbalTadeur  auxGrifons,  ôc 
François  Tourrray.  Cesprifonniers  furenr  envoyez  à  la  Con- 
ciergerie du  Palais,  &  le  premier  Prefidenr,  un  Prefidenr, 
ôc  deux  Confeillers  furent  commis  à  Finftru^lion  du  procès. 
L'affaire  alla  fi  avanr  que  la  Mole,  Cocconas,  ôc  Tourtray 
furenr  jugez  ôc  execurez  à  morr,  convaincus  de  cefte  con- 
juration. 

Reftoienrprifonniers  Sainr  Martin  ôc  Grandry  ,  qui  furent 
abfous  quoiqu'ils  euffenr  fceu  la  conjuration ,  ôcy  euffent  par- 
ticipé i  car  par  les  charges  qui  font  imprimées  Ôc  publiées  Ton 
voir  :  Que  Grandry  eftoir  frère  du  lleurGrandchamp  ,  l'un  des 
aurheurs  de  cefte  conjuration  :  Que  Monfieur  le  Duc  d'Alen- 
çon  frère  du  Roy  lui  bailloir  mille  efcus,  ôc  pjromerroit  parle 
moyen  d'un  fecret  qu'il  avoir ,  de  converrir  l'argenr  en  or 
pour  fournir  aux  frais  de  la  guerre  :  Qu'au  département  des 
grandes  Charges  ,  ce  Grandry  devoir  eftre  Grand  Maiftre  : 
Que  fon  frère  Grandchamp  lui  avoir  comm.uniqué  de  ce 
deffein. 

Tourtray  l'un  des  accufez ,  dit  que  la  Mole  ôc  Grandry  fe 


il6       MEMOIRES  POUR  JUSTIFIER 

fi'equentoient  fort.  Brinon  le  délateur  confronté  à  Grandry  lui 
fouftient  qu'il  eftoit  prefent^  ôc  Grandchamp  fon  frère,  lorf- 
que  l'on  avoit  tenu  les  propos  de  l'entreprife  contre  le  Roy, 
à  veu  Monfieur  le  Duc  en  particulier  le  jour  du  Vendredy 
faindavec  la  Nocle,  Grandchamp,  ôc  Grandry  j  ce  que  Gran- 
dry recognoift  en  partie. 

Tourtray  à  la  queftion  le  chargea  fort ,  &  dit  qu'il  devoit 
eftre  Surintendant  des  finances  de  Monfieur  le  Duc ,  &  pro- 
mettoit  de  convertir  l'argent  en  or,  pour  donner  les  moyens 
audi£l  Duc  d'entretenir  fon  armée. 

La  Mole  eftant  fur  l'efchaffault  preft  d'eftre  exécuté  ,  dit 
que  Grandry,  Grandchamp,  Ôc  Nocle  fçavoient  la  confpi- 
ration:  ce  qu'il  répéta  par  deux  fois  pour  le  regard  de  Grandry. 
Pour  ce  qui  concerne  Laurens  du  Bois  fieur  de  Saint  Mar- 
tin, il  eftoit  neveu  du  fieur  de  Saint  Paul  Maiftre  des  Requef- 
tes.  Ce  Saint  Paul  fut  ouï ,  &  dift  beaucoup  de  chofes  qu'il 
avoit  fceues  dudift  Saint  Martin  ,  par  lefquelles  l'on  voit  qu'il 
fçavoit  la  confpiration  i  ayant  eu  grande  communication  avec 
Grandchamp, 

Ces  deux ,  fçavoir  Grandry  ôc  Saint  Martin ,  quoiqu'ils  euf- 
fent  cognoiflance  de  cefte  conjuration  ôc  très-particulière  ,  ôc 
qu'il  y  euft  contre  eux  grandes  charges, pour  avoir  eu  com- 
munication avec  les  principaux  de  l'entreprife ,  avec  Grand- 
champ  ,  ôc  avec  Tourtray  autrefois  fecretaire  dudi£l  Grand- 
champ  ,  eftant  agent  pour  le  Roy  à  Conftantinople  ;  neant- 
moins  quand  il  fut  queftion  de  les  juger,  le  Parlement  con- 
damna à  mort  la  Mole,  Cocconas,  ôc  Tourtray  ,  mais  Saint 
Martin  ôc  Grandry  en  fortirent  la  vie  fauve  :  celui-cy  par  la 
recommendation  de  l'Evefque  de  Limoges  fon  oncle. 

S.  Paul  Maiftre  des  Requeftes  oncle  de  Saint  Martin ,  ôc 
qui  en  avoit  aflez  fceu  par  fon  neveu  pour  venir  à  révélation, 
ne  fut  point  en  peine  '■>  feulement  il  fut  ouï  ôc  déclara  ce  qu'il 
avoit  fceu  de  fon  neveu  ,  non  point  en  paffant  ôc  legereiaient, 
ràiais  à  plufieurs  fois  ôc  en  diverfes  conférences, 

Ainfi  la  Cour  de  Parlement  n'a  pas  confideré  en  ce  juge- 
ment l'ordonnance  du  Roy  Louis  XI ,  qui  l'obligeoit  de  ju- 
ger %  mort  Grandry  Ôc  Sain£t  Martin ,  Ôc  encore  Saint  Paul 
mefmes  qui  ne  fut  pas  feulement  prifonnier.  S'ils  euffent  et; 
^,lfaire  à  des  ÇominifT^ires ,  ils  çftoieqt  perdus,, 

PlERRfi 


MONSIEUR   F.   A,   DE   THOU.         157 

Pierre    Chastel',  fous  le  Roy  Henry  IV. 

Le  27  Décembre  i  J94 ,  Jean  Chaftel  natif  de  Paris ,  âgé 
de  ip  ans,  donna  un  coup  de  coufteau  au  Roy  Henry  IV. 
Ce  parricide  pris  fut  mis  entre  les  mains  du  Prevoft  de  l'Hof- 
tel ,  6c  mené  au  fort  l'Evefque ,  où  il  déclara  le  deflein  for- 
mé, qu'il  avoit  refolu  de  l'exécuter  ,  confefla  que  fouventcefte 
penfée  déteftable  lui  eftoit venues,  qu'il  en  avoit  parlé  à  Pier- 
re Chaftel  fon  père,  qui  l'en  avoit  difîuadé,  lui  difant  que  le 
malin  efprit  lui  avoit  perfuadé  de  commettre  ce  crime. 

Le  lendemain  la  procédure  ôc  le  criminel  furent  envoyez 
au  Parlement ,  où  il  fut  interrogé  de  nouveau ,  6c  répéta  ce 
qu'il  avoit  dit  par  devant  le  Prevoft  de  l'Hoftel  :  6c  comme 
il  avoit  communiqué  fon  defTein  à  fon  père ,  qui  l'en  avoit 
difruadé.  Incontinant  Jean  Gueret  Jefuite  ,  précepteur  de  Chaf- 
tel, Pierre  Chaftel  fon  père,  6c  Denife  Hezard fa  mère  furent 
arreftez,  6c  fes  fœurs  auffi. 

Arreft  de  la  Cour  du  2.^  Décembre  audi£l  an  contre  Iedi£l 
Jean  Chaft;ei  exécuté  à  mort  ;  6c  tiré  à  quatre  chevaux. 

Le  7  Janvier  de  Tannée  fuivante  1595" ,  le  procès  futfai£l 
à  Jean  Gueret  Jefuite  précepteur  du  parricide,  à  Pierre  Chaf- 
tel père,  à  fa  mère,  6c  à  fes  fœurs,  tous  confrontez  au  par- 
ricide Jean  Chaftel.  Après  que  par  Arreft  la  queftion  euft  efté 
baillée  à  Gueret,  6c  au  père  du  parricide,  la  Cour  par  Arreft 
du  10  Janvier  i  Jp5',bannitlediâ:GueretàperpetuitéduRoyau- 
me,6c  ledi£l  Chaftel  père  pour  le  temps  de  neuf  ans,  ôc  à 
perpétuité  de  la  ville  de  Paris  ,  6c  en  deux  mille  efcus  d'amen- 
de envers  le  Roy  ;  6c  pour  le  regard  de  la  mère  6c  des  foeurs 
du  parricide  ,  les  prifons  leur  furent  ouvertes. 

Pierre  Chaftel  père  a  fceu  le  defTein  qu'avoir  fon  fils  de  tuer 
le  Roy ,  6c  l'a  diÎTuadé ,  le  fils  nonobftant  les  remonftrances 
de  fon  père  a  exécuté  fa  réfolution. 

Le  père  pouvoir  fans  accufer  fon  fils,  feul  autheur  de  cefte 
conjuration,  6c  feul  complice  >  empefcher  que  le  mal  n'arri- 
vaft  ,  en  arreftant  fon  fils ,  foit  en  fa  maifon  >  foit  en  le  faifant 
mettre  en  des  prifons  feures ,  où  les  pères  font  mettre  leurs 
enfans  defbauchez ,  6c  reduifent  le  plus  fouvent  leurs  efprits  à 
la  raifon. 

Tome  XF,  f  S 


îjS      MEMOIRES   POUR  JUSTIFIER 

En  y  procédant  de  cefte  forte  facile  ,  commode ,  ôc  quin'ap- 
portoit  point  de  honte  à  fa  famille,  ilempefchoit  l'attentat,  ÔC 
fauvoit  fa  famille  de  la  ruine  qui  l'a  accablée ,  il  n'y  avoit  en 
ce  cas  nul  péril  pour  lui. 

Et  neantmoins  la  Cour ,  où  préfidoit  Monfieur  le  premier 
Prefidentde  Harlay  ,ne  condamna  pas  le  père  à  la  mort,  mais 
à  un  banniiïement  de  neuf  ans,  ne  précipita  pas  le  jugement 
du  pere^  &  le  jugea  douze  jours  après  l'exécution  du  Parrici- 
de j  bien  que  le  coup  qu'avoir  receu  le  Roy  fufi:  récent  &  la 
playe  encore  fanglante  5  bien  loin  de  le  juger  le  jour  mefme 
de  Parreft  donné  contre  l'autheur  de  la  conjuration. 

Ainfila  Courcompofée  de  Juges  ordinaires,  non  Commif^ 
faires,  a  jugé  qu'une  perfonne  qui  a  fceu  un  tel  crime  fans 
le  révéler ,  quoique  l'attentat  fuft  fur  le  point  d'eftre  exécuté  5 
&  qui  mefme  avoit  efté  exécuté  j  n'eftoit  digne  de  mort.  L'Ar- 
refh  donné  en  un  temps  où  la  chaleur  de  la  Ligue  eftoit  gran- 
de ,  où  les  partis  eftoient  encore  en  vigueur ,  où  la  haine  eftoie 
extrefme  contre  les  Jefuites. 
Carondas  Celui  qui  a  fai£l  des  Annotations  fur  la  conférence  des  Or- 

^îlcedesOr-  ^^o^'^^ances  a  faid  celle  remarque  furl'extraiâ  de  l'Ordonnan- 
dor.naiices  r     CQ  du  Roy  Louis  XI ,  dont  il  eft  queftion  en  cefte  affaire  : 
ïroFiéû^^  "  Du  règne,  dit-il,  du  Roy  Henry  IV,  il  a  efté  difputé  au 
f"  4^1!  Ttt.  '  '»  Parlement  de  Paris  après  l'exécution  de  Jean  Chaflel,  fi  Pier- 
du  crime  de    a,  re  Chaftel  fon  père  qui  avoit  fceu  fa  confpiration  &  détef- 
lezQ-Majejie.    ,,  j^j^jg  entreprife,  eftoit  puniiTable  comme  criminel  de  leze- 
M  Majefté.   Que  fi  la  loi  des  Perfes  avoit  lieu  en  France,  n'y 
»  auroit  doute  que  le  père  fuft  digne  de  mort ,  y  ayant  des 
»»  exemples  d'autres  nations  i  mais  le  Parlement  ufant  d'un 
s>  grand  tempérament  par  arreft  de  l'an  lypy,  ne  condamna 
»  pas  le  père  à  la  mort ,  mais   feulement  le  bannit  hors  du 
»  Royaume ,  ordonna  fa  maifon  eftre  razée  &  mis  une  pyra- 
35  mide  au  lieu  ,  6c  le  condamna  en  deux  mille  efcus  d'à- 
3»  mende,  j= 


MONSIEUR  F.   A.    DE   THOU.        i55> 

XIII.  Examen  de  deux  exemples  dont  Pon  s'ejî  fervi  pour  juflijier 

l'avion  des  Commijfaires, 

IL  faut  maintenant  examiner  deux  exemples  fort  remarqua- 
bles dont  nos  Commiflaires  ont  tafché  de  pallier  leur  a6lion. 
Ils  ont  par  ce  moyen  prévenu  quelques  perfonnes  foibles ,  de 
peu  de  jugement,  &  qui  ne  confiderent  les  chofesque  fuper- 
îîciellement.  Ils  leur  ont  faid  croire  qu'ils  avoient  raifon ,  6c  que 
l'on  avoir  grand  tort  de  fe  plaindre  d'une  11  manifefte  injufti- 
ce.  Nous  commencerons  par  Thiftoire  de  la  condemnation 
des  Barons  de  Naples  de  l'an  i^%6 ,  ôc  puis  nous  examinerons 
celle  du  fieur  de  Saint  Valier ,  tirée  du  procès  fai6t  au  Con-» 
neftable  de  Bourbon  en  l'année  1^24. 

La  révolte  des  Barons  du  Royaume  de  Naples  contre  le 
Roy  Ferdinand  I  eft  fort  fignalée  dans  l'hiftoire.  Elle  com- 
mença l'an  1 48  5*,  &  fut  terminée  fept  ans  après  par  l'exécution  qui 
fut  faite  d'aucuns  de  ces  Seigneurs  conjurez.  Le  Roy  de  Na- 
ples animé  par  fon  fils  Alfonfe,  Duc  de  Calabre,  qui  portoit 
impatiemment  cefte  révolte,  fit  arrefter  Antonelli  Petrucci  fon 
Secrétaire  confident  6c  ancien  ferviteur  ,  6c  deux  defes  enfans 
François  Petrucci  Comte  de  Carinola ,  6c  Jean  Antoine  Pe- 
trucci Comte  de  Policaftro ,  6c  aufll  François  Coppola  Comte 
de  Sarno,  Anello  Arcamone  Comte  de  Burello  beau-pere  du 
Secrétaire ,  6c  un  Catalan  nommé  Impou. 

Ce  Secrétaire  venu  de  bas  lieu  s'eftoit  eflevé  par  fon  mé- 
rite^ entra  fi  avant  dans  le  fecret  du  Roy  fon  maiftre  que  tou- 
tes les  affaires  fe  faifoient  par  lui.  Il  acquit  par  ce  moyen  des 
biens  immenfes  ,  6c  fes  enfans  aufll  qui  s'allièrent  aux  plusilluf-» 
très  familles  du  Royaume. 

Pour  le  Comte  de  Sarno ,  il  entra  dans  les  fecrets  de  l'Ellat 
par  la  faveur  du  Secrétaire.  Ces  gens  acquirent  de  fi  grands 
biens ,  que  le  Duc  de  Calabre  rechercha  toutes  fortes  d'oc- 
cafions  pour  avoir  leur  confifcation. 

Camiilo  Portio  qui  aefcrit  particulièrement  cefte  hiftoire, 
remarque  les  momens  de  cefte  conjuration.  Il  dit  que  ces  pri- 
fonniers  informez  du  defiein  du  Duc  de  Calabre  ,  travaillèrent 
à  leur  confervation ,  6c  n'en  creurent  point  avoir  un  meilleuîr 
moyen  que  de  fe  joindre  aux  Barons  révoltez. 

JSij 


140     MEMOIRES   POUR  JUSTIFIER 

Que  le  Secrétaire  alloit  plus  couvert  que  fes  enfans  ôc  le 
Comte  de  Sarno ,  pour  fe  conferver  la  confiance  du  Roy  î 
neantmoins  l'entreprife  lui  fut  propolée  par  Sarno  ,  qu'il  y  prit 
tel  gouft  qu'il  rompit  fou  voyage  d'Efpagne  où  il  avoit  refolu 
de  fe  retirer. 
f.73.74i-<52»      Q"^  'g  Secrétaire  avoit  fai£l  le  mariage  de  fon  fils,  le  Com- 
te de  PoUcaftro ,  avec  la  fille  du  Comte  de  Lauria  l'un  des 
Barons  révoltez  ,  ôc  qu'il  avoit  afleuré  le  Comte  de  Sarno  qu'il 
ne  quiteroit  point  le  Roy  que  le  Pape  ôc  les  Barons  n'eufient 
Laprîfedes  levé  les  armes ,  ôc  fai£l  quelque  progrès. 
amies  fut  l'an      Qu'il  efi;  vrai  que  le  Prince  de  Salerne  avoit  defiré  que  le 
p,ii6.  '  Secrétaire  fignaft  la  ligue  ,  mais  que  le  Comte  de  Sarno  l'ex- 
eufa  fur  fa  timidité. 

Quele  Secrétaire  fut arrefté  parles  Barons,  (les  uns  difent 
par  collufion  )  pour  n'avoir  voulu  figner  le  Trai£lédela  ligue. 

Qu'il  fit  mille  rufes  pour  faire  voir  au  Roy  qu'il  eftoit  pri- 

fonnier  des  Barons,  ôc  eftant  deflivré  vint  trouver  le  Roy,  ôc 

p.  204.     fe  purgea  de  tout  ce  qu'on,  lui  impofoit ,  ôc  fut  reftabli  en.  fa  pre* 

miere  confidence. 
f.  335.         Lorfque  le  Comte  de  Burello ,  beau-pere  du  Secrétaire  , 
cftoit  Ambaifadeur  pour  les  Barons  à  Rome ,  il  fceut  du  Pape 
que  le  Secrétaire  eftoit  entré  dans  cefte  ligue ,  Ôc  n'en  avoic 
adverti  le  Roy  fon  maiftre. 

Ces  Seigneurs  pris ,  leur  procès  fjt  faicSl  par  les  formes ,  afin, 
dit  l'hiftoire ,  que  l'on  ne  penfaft  pas  que  leur  plus  grand  cri- 
me  fuû  d'avoir  trop  de  biens. 

Le  SecTCtaire,  fes  deux  enfans ,  ôc  le  Comte  de  Sarno  fu- 
rent condamnez  à  avoir  îatefîe  tranchée,  Ôc  leurs  biens  con- 
?' 534-  fifquezî  fçavoir,  dit  Thilloire ,  les  deux  enfans  du  Secrétaire, 
ôc  Sarno ,  pour  avoir  confefi^é  eftre  de  la  conjuration  des  Ba- 
rons ,  ÔL  pour  ce  criminels  de  leze-Majefté  5  Ôc  le  Secrétaire, 
pour  avoir  eu  cognoiflance  de  la  conjuration ,  ôc  ne  l'avoir 
révélée. 

Pour  le  regard  du  Comte  de  Burello' ôc  Iinpou,  ils  ne  fu- 
ient ni  abfou3 ,  ni  condamnez. 

Voicy  comme  parle  l'HiIlorien  Portlo  de  ces  quatre  con- 
damnez :  Li  primi  îre  >  ciae  Sarno  i  Carinola  ,  &  Polkaflro- 
condennati  alla  tefia  per  haver  confcjfato  e/Jere  flati  nella  congiuray 
i^iiltiino  i  cjçe  il  Secreîario  ;  p^r  havere  havmo  riotiua  dei  Cornîi  di 


MONSIEUR  F.  A.  DE  THOU.  i^t 

Sarno  &  non  lllaver  revelato  al  Re  :  per  h  quale  mancamento  è 
cpinione  dt  Bartolo  Gturifconfulto  poterfi  condennare  il  confcio  alla 
morte ,  e  qttanîunque  d'altri  Giurifii  ella  non  fia  approvata  o  co^ 
me  non  ver  a,  o  corne  troppo  rigoroja,  è  nondimcno  da  Principi  mo" 
demi  inviolabilmente  cujlodita. 

L'exécution  des  Comtes  de  Carinola  &  Policaftro  fe  fît  le 
13  Novembre  1^85.  Celle  du  Secrétaire  leur  père,  ôc  du 
Comte  de  Sarno,  fuft  différée  jufques  au  1;  May    1487. 

L'hiftorien  Portio  fai£l  affez  cognoiftre  par  la  fuite  de  fa 
narration ,  que  le  Roy  faifant  condamner  le  Secrétaire  pour 
crime  d'Eftat,  ne  penfoic  à  autre  chofe  qu'à  profiter  de  fes 
biens  j  car  avant  que  lui  faire  donner  la  queftion  pour  fçavoir 
où  efloient  fes  trefors ,  le  Roy  lui  efcrivit  pour  Texhorter  de 
ne  point  s'expofer  à  la  rigueur  des  tourmens  pour  fauver  fon 
bien  &  perdre  fes  bonnes  grâces.  L'hifloireneantmoins  quand 
elle  parle  de  fes  biens ,  marque  qu'on  ne  lui  trouva  en  argent 
que  liuicl  mille  efcus. 

Mais  pour  revenir  à  noftre  fujet  :  par  le  paffage  cy-defFus 
de  Portio  il  efl  expreffement  dit ,  que  le  Secrétaire  fut  con-- 
damné  à  mort  6c  exécuté  pour  avoir  feulement  fceu  cefte  con- 
juration, ôc  ne  l'avoir  révélée  au  Roy.  Il  eft  bien  certain  que 
ce  Secrétaire  prudent  &  advifé  ne  fe  déclara  pasfî  ouvertement 
que  fes  deux  enfans ,  ôc  le  Comte  de  Sarno ,  qui  traitèrent 
publiquement  avec  les  Barons  ;  toutesfois  quand  l'on  confide- 
rera  fa  qualité  de  Miniftre  principal  très-confident  du  Roy  „ 
qui  avoit  manié  durant  piufreurs  années  toutes  les  affaires  de 
l'Eftat ,  qui  avoit  le  fecret  de  fon  Maif^re ,  l'on  jugera  tous- 
jours  qu'il  eftoit  obligé  à  une  fidélité  plus  particulière  qu'aucurc 
autre ,  qu'il  devoit  détourner  fes  enfans  de  leur  deffein ,  &  de- 
voir avertir  le  Roy  fur  les  moindres  indices  qu'il  en  avoit. 

Mais  l'on  a  bien  de  plus  grandes  charges  contre  lui,  car 
outre  tout  ce  qui  eft  dit  cy-defTus  tiré  en  fommaire  de  Portio, ii 
refte  encore  affez  de  lumière  pour  convaincre  ce  Secrétaire 
d'avoir  trempé  plus  avant  en  cefte  conjuration  que  par  une 
iîmple  fcience. 

La  preuve  plus  ample  de  eefte  fcience,  ou  pluftoft  de  b 
participation  qu'eut  le  Secrétaire  de  cefte  ligue ,  fe  tire  du? 
procès  qui  fut  imprimé  à  Naples  incontinent  après  l'exécutior^ 
des  Barons. 

î  S  iij 


1^2       MEMOIRES  POUR  JUSTIFIER 

L'on  y  trouve  que  le  Comte  de  Carinola  ,  fon  fils  ,recognoift 
p.  i-  &  4'     ^"^  ^^  Prince  de  Salerne  lui  avoir  dit  que  François  Coppola 
ôcle  Secrétaire eftoient  de  la  partie,  ôc  qu'il  n'avoit  eftéfai^l 
aucun  efcrit  do  celle  ligue. 

Que  le  Comte  de  Poiicaftro ,  fon  autre  fils ,  confefle  que 
fon  père  eftant  à  Salerne  dift  ,  que  pour  bien  exécuter  leuc 
p,  6.    deflein  il  falloit  arrefter  le  Roy  à  Sarno  ;  qu'il  donna  charge 
à  fes  enfans  de  le  dire  aux  Barons ,  ce  qu'ils  firent  :  enfuite  de 
quoi  les  Barons  efcrivirent  une  l^tre  pour  faire  venir  le  Roy 
à  Sarno  ,  6c  l'arrefter. 
p.  10.  h         Que  ce  Secrétaire  (  que  Portio  dit  avoir  efté  condamné  feu- 
lement pour  avoir  fceu  )  recognut  avoir  donné  ce  confeil  > 
ce  qui  pafTe  bien  au-delà  d'une  fimple  fcience. 
7.  8.         Q"^  ^^  Comte  de  Sarno  dit  :  que  toutes  les  conférences  fai- 
tes avec  les  Barons  rebelles  avoientefté  faites  du  confeil,  par- 
ticipation ,  &  advis  du  Secrétaire  ,  &  que  c'eftoit  lui  qui  avoit 
donné  les  premiers  deffeins  de  celle  conjuration. 
p.  p.         Que  le  Secrétaire  confeffa  qu'il  avoit  fai6l  le  mariage  du 
Comte  de  Policaftro  fon  fils  avec  la  fille  du  Comte  de  Lauria 
Baron  rebelle,  depuis  la  prife  des  armes  contre  le  Roy.  Con- 
feffa aufiî  que  celle  ligue  avoit  efté  fai£le  par  fon  confentement, 
&  qu'il  n'en  avoit  rien  dit  au  Roy. 
p.  10.         Il  y  a  des  tefmoins  qui  difent  que  le  Secrétaire  reveloit  à 
fes  enfans  les  fecrets  de  l'Ellat,  ôc  eux  aux  Barons. 
I?.  38, 19.         Il  y  a  aulTi  preuve  que  le  Secrétaire  avoit  donné  un  efcrit 
pour  affeurance  de  fa  parole,  qu'il  y  avoit  quantité  de  let- 
tres de  lui  qui  tefmoignoient  qn'ii  eftoit  fort  informé  de  celle 
menée. 
p.  îi.         Que  fes  enfans  neantmoins  monllroient  avoir  grande  dé- 
fiance de  leur  père ,  croyans  qu'il  manqueroit  à  ce  qu'il  avoit 
promis. 
p.  39.  h.        Que  le  Secrétaire  avoit  confenti  au  confeil  tenu  pour  alTaf* 
finer  le  Duc  de  Calabre  fils  aifé  du  Roy. 
p  4J-  4<î.^         Que  le  Procureur  fifcal  par  fes  conclufions,  les  vœux  des 
onze  Do£leurs  ôc  des  quatre  Barons  tenans  lieu  de  Pairs ,  con- 
damnèrent les  quatre  accufez  en  une  mefme  peine  pour  le 
mefme  crime  de  leze-Majefté  au  premier  chef  j  c'ell  à  fça- 
voir,  pour  avoir  confpiré  ôc  machiné  contre  le  Roy  ôc  fon  Ellar, 
êc  contre  fon  fils  le  Duc  de  Calabre.  Les  quatre  Sentences 


Monsieur  f.  a.  de  thou.       143 

contre  les  accufez  font  uniformes  pour  la  punition  d'un  mef- 
me  crime. 

La  première  contre  le  Secrétaire  femblable  aux  autres,  por- 
te qu'il  avoir  commis  crime  de  leze-Majefté,  &  qu'il  avoit 
encouru  toutes  les  peines  de  tels  criminels  par  les  conftitutions 
du  Royaume ,  qui  t(i  la  perte  de  la  vie  &  confifcation  des 
biens,  tant  ceux  quieftoient  dans  le  Royaume  que  hors  iceluy. 

Après  toutes  ces  charges  ôc  plufieurs  autres  particularitez 
que  Ton  peut  tirer  tant  de  l'hiftoire  de  Portio  ,  mais  bien 
plus  du  procès  imprimé  à  Naples ,  il  y  a  dequoi  s'eftonner  com- 
me Portio  a  efcrit  qu'il  fuft  mis  en  queftion  fi  la  fimple  fcien- 
çe  d'un  tel  crime  eftoit  digne  de  mort  j  veu  que  le  Secrétaire 
dont  nous  parlons  n'avoir  pas  feulement  fceu,  mais  avoit  conf- 
piré  ,  avoit  coopéré  avec  les  Liguez ,  eftoit  un  des  principaux 
de  lafacllon  ,  fon  beau  perele  Comte  de  Burello  employé  par 
les  Barons  près  du  Pape  en  qualité  de  leur  AmbafTadeur,  fes 
deux  enfans  principaux  moteurs  de  cefte  affaire  convaincus  ôc 
condamnez  pour  cela ,  ôc  le  Comte  de  Sarno  fon  grand  ami 
ôc  confident. 

Il  faut  maintenant  examiner  l'exemple  du  fteur  de  Saint  Valier^ 
qui  fe  trouvera  beaucoup  moins  confiderable  que  le  précèdent. 

Le  15*  Aoufi:  i$2-^  ,  Madame  mère  du  Roy  François  I, 
eftant  à  Clery  receut  une  Lettre  du  fieur  de  Brezay  Grand 
Senefchal  de  Normandie  }  qui  portoit  qu'il  avoit  fceu  par  un 
homme  d'Eglife  que  deux  Gentilshommes  de  Normandie  lui 
avoient  dit  en  confeflion  plufieurs  chofes  importantes  à  la  feureté 
du  Roy  ,  ôc  de  l'Eftat  j  qu'un  des  gros  perfonnages  du  Royau- 
me ^  (ce  font  les  termes  de  la  lettre  )  ôc  du  fang  royal  avoit 
intelligence  avec  l'Empereur  ôc  le  Roy  d'Angleterre,  qu'il  y 
avoit  mefmes  deffein  fur  la  vie  du  Roy.  Sur  cet  avis  le  Chan- 
celier du  Pratôc  Robertet  Secrétaire  des  finances  ,  eurent  or- 
dre d'interroger  ces  deux  Gentilshommes ,  que  le  Grand  Se- 
nefchal avoient  envoyez.  Ils  déclarerenr  qu'ils  avoient  appris 
à  Vendofme  d'un  nommé  Lurcy  que  MefTire  Charles  de  Bour- 
bon Conneftable  de  France  avoit  de  grands  deffeins  contre- 
le  Roy  ôc  l'Eftat ,  trai£lant  mariage  avec  la  fœur  de  l'Empe- 
îeur ,.  ôc  de  plus  un  Trai6lé  pour  faire  la  guerre  en  France? 


ï44-         MEMOIRES  POUR  JUSTIFIER 

que  le  Roy  d'Angleterre  eftoit  de  la  partie ,  ôc  piufieurs  autres 
particularitez. 

Sur  ces  difpofitions  le  Roy  fit  arrefter  le  $  de  Septembre 
Antoine  de  Chabanes  Evefque  du  Puy  ,  Jean  de  Poitiers  fieuc 
de  Saint  Valier ,  &  Emard  de  Prye.  Auflî-toft  l'on  donna  com- 
miflîon  au  fieur  Brinon  premier  Prefident  de  Rouen  &  Gar- 
de du  petit  fceau  près  du  Roy ,  d'aller  à  Tarare  en  compagnie 
du  Grand  Maiftre  ,  ôc  du  Marefchal  de  Chabanes,  avec  un 
Maiftre  des  Requeftes  pour  adjoint,  pour  interroger  cespri- 
fonniers. 

Saint  Valier ,  c'eft  de  lui  feul  dont  il  eft  à  prefent  queftion; 
ne  defcouvrit  lors  rien  de  la  conjuration  ;  mais  les  Commifiai- 
res  ayant  interrogé  piufieurs  autres  tefmoins ,  eurent  une  telle 
cognoifiance  de  l'affaire  que  le  Roy  par  Lettres  patentes  du 
1 1  Septembre  renvoya  le  tout  à  M.  Jean  de  SqIvq  premier 
Prefident  au  Parlement  de  Paris  ,  à  Jean  Salât  Maiftre  des  Re- 
queftes ,  François  de  Loynes  Prefident  aux  Enqueftes ,  &  Jean 
Popillon  Confeiller  en  ladi£le  Cour,  pour  faire  le  procès  au- 
à'ià  Conneftable ,  aux  Evefques  du  Puy  &  d'Autun ,  audid  fieur 
de  Saint  Valier,  ôc  autres  prifonniers  au  Chafteau  de  Loches, 
jufquesà  fentence  définitive  inclufivement,  ôc  quant  au  Con^ 
neftable  exclufivemenr. 

Saint  Valier  fut  interrogé  de  nouveau  à  Loches  ,  perfifta  en 
fa  dénégation  ;  néanmoins  preffé  par  He£lor  Dangerey  qui  lui 
fut  confronté ,  qui  lui  fouftint  qu'il  eftoit  prefent  lorfqu'il  fuE 
dépefché  en  Efpagne,  il  fe  refolut  deux  jours  après  de  décla- 
rer ce  qu'il  fçavoit  de  cefte  çonfpiration.  Voici  ce  qu'il  dift. 

Que  l'Efté  dernier  eftant  à  Montbrifon ,  M.  le  Connefta^ 
ble,  qui  lui  avoir  tousjours  monftré  grand figne  d'amitié,  l'ap- 
pella  feul  en  un  cabinet  ;  après  lui  avoir  donné  quelques  ba- 
gues, lui  dift  qu'il  l'aimoit,  ôc  fe  fioit  en  lui  plus  qu'en  per- 
fonne  du  monde  j  qu'il  lui  vouloir  dire  quelque  chofe,  mais 
qu'il  falloir  qu'il  juraft  fur  un  reliquaire  où  il  y  avoit  du  bois 
de  la  vraye  croix ,  qu'il  n'en  diroit  rien.  Après  avoir  juré  ôc 
i^iis  la  main  fur  cefte  croix,  le  Conneftable  lui  dift  que  l'Em- 
pereur lui  offroit  de  lui  donner  en  mariage  Madame  Eleonor 
fa  fœur  veuve  du  Roy  de  Portugal ,  avec  deux  cens  mille  li- 
vres de  dot,  ôc  pour  fix  cens  mille  livres  de  bagues;  ôc  au  cas 
que  l'Empereur  ôc  i'Archidqc  fon  frère  jiiourufient  fans  hoirs. 

il 


MONSIEUR   F.   A.    DETHOU.         14; 

il  faifoit  ladite  Eleonou  héritière  de  tous  fes  Royaumes.  Tu 
verras ,  lui  dit-il ,  le  Seigneur  de  Beaurain  Chambellan  de  l'Em- 
pereur qui  viendra  ce  loir  devers  moi.  Je  t'envoyerai  quérir 
quand  il  fera  venu,  ôc  tu  oiras  ce  qu'il  me  dira.  Saint  Vaîier 
s'eftant  retiré  ,  le  Conneltable  l'envoya  quérir  fur  les  onze  heu- 
res de  nuiâ:  :  quand  il  fut  à  la  chambre  du  Conneftable ,  il  le 
mena  en  un  cabinet  où  il  vit  ledid  fieur  de  Beaurain  feul,  ayant 
laiiTé  en  une  chambre  un  gentilhomme  nommé  Lolinghen,  fon 
fecretaire  ,  ôc  fon  barbier ,  qui  entrèrent  peu  après  dans  le  ca- 
binet. Beaurain  receut  de  grandes  careiTes  du  Conneftable  ,  qui 
lui  dift  :  Monlieur  de  Beaurain ,  voicy  moncoufin  M.  de  Saint 
Vaîier  qui  eft  un  des  principaux  amis  que  j'aye  j  &  fe  faluerenr. 
A  l'inftant  Beaurain  prefenta  les  lettres  de  l'Emperenr  au  Con- 
neftable lui  difant ,  Monfieur ,  l'Empereur  fe  recommande  à 
vous.  Ces  lettres  furent  communiquées  à  Saint  Vaîier  ,  qui 
portoient  ces  mots  :  ce  Mon  Coufin  ,  je  vous  envoyé  le  fieur 
«  de  Beaurain  mon  Chambellan,  lequel  vous  dira  aucunes  pa- 
»  rôles  de  par  moy.  Je  vous  prie  le  vouloir  croire  comme  moy- 
='  mefme,  «  ligné  Charles.  Enfuite  Beaurain  dift  au  Connefta- 
ble que  l'Empereur  avoit  efté  ad  verti  que  le  Roy  le  traidoit  mal> 
&au(îi  que  le  Roy  n'avoit  tenu  aucune  promefle  à  l'Empereur, 
combien  que  l'Empereur  de  fa  part  euft  tousjours  tenu  ce  qu'il 
avoit  promis  au  Roy  ;  que  l'Empereur  vouloir  eftre  ami  du  Con- 
neftable envers  ôc  contre  tous  fans  aucuns  excepter  ,  ôc  qu'il  ne 
tiendroit  qu'au  Conneftable  s'il  ne  le  faifoit  un  des  plus  grands 
hommes  de  la  Chreftienté  5  dont  le  Conneftable  remercia  l'Em- 
pereur. Puis  il  demanda  à  Beaurain  fes  inftru£lions  &  pouvoirs: 
il  dift  qu'il  n'eftoit  tenu  de  les  lui  faire  voir ,  mais  neantmoins 
qu'il  en  eftoit  content.  Il  lui  communiqua  donc  le  pouvoir 
pour  traiâer  le  mariage  entre  le  Conneftable  ôc  ladite  Eleo- 
nor,  fœur  de  l'Empereur ,  ou  à  fon  deffaut  de  Madame  Cathe- 
rine fon  autre  fœur,  ôc  accorder  les  articles  du  mariage  ,  qui 
furent  faids  en  prefence  du  Conneftable ,  Ôc  efcris  par  le  Se- 
crétaire dudid  de  Beaurain.  Ils  portoient  en  fubftance ,  que 
l'Empereur  donnoit  fa  fœur  en  mariage  au  Conneftable,  ou 
bien  fon  autre  fœur,  avec  deux  cens  mille  livres  de  dot.  Le 
Conneftable  donnoit  en  douaire  le  pays  de  Beaujolois  qu'ii 
faifoitvaloir  25*000  livres  de  rente  j  ôc  au  cas  que  l'Empereur  ôc 
l'Archiduc  fon  frère  aliaffent  de  vieàtrefpas  fans  hoirs,  ladide 
Eleonor  fuçcederoit  aux  Royaumes  &  Seigneuries  quetenoii: 
Tome  XV,  J  T 


t4^       MEMOIRES  POUR  JUSTIFIER 

l'Empereur,  quipromettoit  faire  ratifier  ledi£t  Trai£lé  de  ma- 
riage à  l'Archiduc.  L'Empereur  enfuite  promettoitdene  pren- 
dre parti  ailleurs  ,  fans  le  confentement  du  Conneilable.  Ou- 
tre ce ,  Beaurain  fit  voir  les  articles  du  Traiclé  entre  l'Em- 
pereur &  le  Roy  d'Angleterre ,  où  il  promettoit  faire  entrer  le 
Conneftable.  CeTrai6té  portoit  que  l'Empereurdevoit  entrer 
en  France  du  cofté  de  Narbonneavec  18000  Efpagnols,  dix 
mille Lanfquenets,  2000  hommes  d'armes,  ôc  4000  Genetaires 
avec  de  l'artillerie  à  i'advenant.  Le  Roy  d'Angleterre  devoit 
defcendre  en  France  avec  i^coo  Anglois  ,  ôc  yooo  chevaux, 
6c  de  l'artillerie,  L'Empereur  lui  devoit  envoyer  3oooLanfque- 
netSjÔC30oo  chevauxiôc  Madame  Marguerite  qui  eftoit  en  Flan- 
dre, devoit  envoyer  4000  Hannuyers  pour  commencer  la  guer- 
re fur  la  frontière  de  Picardie.  Toutes  ces  defcentes  fe  dévoient 
faire  en  mefme-temps ,  ôc  au  temps  que  le  Roy  auroit  pafTé 
les  ?Aonts  pour  Milan.  Le  Conneftable  ne  fe  devoit  déclarer 
qu'après  que  l'Empereur  ôc  le  Roy  d'Angleterre  auroient  efté 
dix  jours  devant  une  des  villes  de  France. 

L'Empereur  outre  ce  promit  cent  mille  livres  au  Connef- 
table ,  Ôc  l'Anglois  autant  :  ce  qu'il  refufa ,  ôc  confentit  que  ceûe 
fomme  fut  employée  à  une  levée  de  Lanfquenets  que  faifoit 
le  Comte  Félix. 

Saint  Valier  adjoufte  que  le  Conneftable  ne  jura  pas  d'ob- 
ferver  ces  articles,  mais  dit  à  Beaurain  qu'ils  en  parleroient 
enfemble.  La  réponfe  du  Conneftable  à  l'Empereur  fut  bail- 
lée à  Beaurain  ,  contenant  afieurance  d'affeélion  Ôc  créance  fur 
ledi6L  Beaurain.  Que  le  Conneftable  commanda  à  Saint  Bon- 
net d'aller  avec  Beaurain  en  Efpagne. 

Que  cefte  defpefche  fut  faicle  en  prefence  de  lui  Saint  Va- 
lier ,  comme  aufli  celle  que  fit  Beaurain  pour  l'Archiduc  frère 
de  l'Empereur,  ôc  pour  le  Roy  d'Angleterre,  pour  leur  faire 
fçavoir  cefte  alliance,  ôc  que  Lolinghen  Ôc  le  Secrétaire  de 
Beaurain  furent  dépefchez  à  cet  efîe£l. 

Saint  Valier  adjoufte  que  Beaurain  aiïeura  le  Connétable 
que  les  Suiffes  ne  feroient  pour  le  Roy,  ôc  que  l'Empereur 
en  eftoit  affeuré ,  moyennant  deux  cens  mille  livres  qu'il  avoit 
envoyé  î  que  les  Vénitiens  eftoient  alliez  de  l'Empereur  en- 
vers ôc  contre  tous ,  ôc  lui  donnoient  deux  cens  mille  livres  5 
que  Beaurin  difant ,  au  Conneftable ,  ce  qu'il  avoit  négocié  en 
Angleterre ,  le  Roy  d'Angleterre  lui  parlant  de  ce  delTein  lui 


•MONSIEUR  F.  A.  DE  THOU.  147 

dift  :  Et  moi  Beaurain  qu'auray-je?  Qu'il  lui  rerpondit:  Sire, 
vous  ferez  B.oy  de  France.  Que  le  Roy  d'Angleterre  répli- 
qua :  11  y  aura  bien  affaire  que  M.  le  Conneftable  m'obeilie. 

Saint  Valier  difl:  qu'il  eftoit  certain  que  le  Royaume  de 
France  ni  aucune  partie  n'eftoit  divifée,  ni  butinée.  Après  cela 
ledid  Saint  Valier  fai£l:  la  defcription  des  papiers  dont  Beau- 
rain eftoit  chargé ,  fon  pouvoir,  le  Trai£lé  avec  l'Angleterre, 
comme  ils  eftoïent  fceilez  ôc  fsgnez  ,  Ôc  un  troiiiefme  qui  eftoit 
l'alliance  entre  l'Empereur  ôc  1  e  Roy  d'Angleterre,  oùefloit 
compris  le  Conneftable. 

Dit  auiïi  que  le  Conneflable  n'edoit  lié  ni  de  parole,  ni  par 
efcrit  à  Madame  Eleonor  ;  que  Beaurain  avoir  did  au  Con- 
neftable que  ladide  Dameavoit  efcrit  à  l'Empereur  qu'elle  fe 
rendroit  près  de  lui ,  pour  faire  tout  ce  qu'il  lui  piairoit  ;  que 
cela  faifoit  croire  qu'elle  confentoit  au  mariage.  i:i..ji..^j»v 

Adjoufta  que  le  iîeur  de  Prye  ne  fçavoit  rien  de  cefte  af- 
faire, ni  l'Evefqued'Autun,  ni  le  Chancelier  de  Bourbonnois, 

Le  lendemain  que  Beaurain  ôc  Saint  Bonnet  eurent  efté  def- 
pefchezpour  Efpagne,  Saint  Valier  dit  qu'il  fuft  trouver  le  Con- 
neftable pour  lui  remonftrer  la  faute  qu'il  faifoit ,  lui  dift  tout 
ce  qui  fe  peut  imaginer  pour  le  détourner  de  ce  deffein.  Que  le 
Conneftable  fur  ces  remonftances  changea  de  refolution  en 
apparence,  lui  promit  de  nepaffer  outre,  mais  de  tenir  le  tout 
fecret.  Deux  jours  après  en  fe  feparant  ils  fe  promirent,  l'un 
de  rompre  le  deflcin ,  l'autre  d'eftre  fecret. 

Dit  auffi  qu'il  eft  vray  qu'il  vit  le  Roy  à  Lion  ;  qu'il  ne  ré- 
véla cefte  conjuration ,  croyant  l'avoir  deftournée  ?  qu'il  n'a- 
voit  pu  trouver  l'opportunité  d'en  parler  au  Roy  ,  ayant  nief- 
mes  fceu  que  S.  M.  d^voit  mener  le  Conneftable  avec  lui  en 
Italie  :  le  bruit  en  eftant  tout  commun. 
-  Que  lorfqu'il  fuft  arrefté  par  le  (ieur  d'Aubigny ,  il  lui  dit 
que  fi  le  Roy  vouloir  avoir  fiance  eu  lui,  qu'il  lui  promettoit 
d'aller  quérir  le  Conneftable. 

Saint  Valier  defira  faire  cefte  confeftîon  au  premier  Prefi- 
dent  feul  j  ce  qu'il  refufa  ,  difant  que  l'affaire  eftoit  fi  gros  (  ce 
font  fes  mots  )  qu'il  ne  vouloit  rien  entendre  fans  compagnon  i 
ce  qui  fut  faitl ,  ôc  le  fieur  de  Loynes  Prefident  y  fut  prefent. 

Saint  Valier  demande  pardon  au  Roy  de  ne  lui  avoir  pas  ré- 
vélé cefte  confpiraîion  fi-toft  qu'il  euft  deu  ôc  pu  faire ,  mais  qu'il 
avoit  creu  l'avoir  deftournée,  S  T  ij 


p.  131. 


HS        MEMOIRES  pour  justifier 

Ledi6l  Saint  Valier  par  l'interrogatoire  du  2  5  NovembrCj 
dit  qu  il  avoit  fouvent'veu  le  Roy  fan:îilierement ,  depuis  avoir 
fceu  le  defiein  du  Conneftable  5  mais  que  l'on  difoit  dans  la 
Court  que  le  Conneftable  venoit  trouver  le  Roy ,  Ôc  ainfi  la 
conjuration  diiïipée. 

A  tout  ce  que  deflus  il  faut  adjoufter  que  par  une  lettre  de 
ce  Lolinghen  ,  qui  avoit  efté  flirprife ,  qu'il  efcrivoit  au  fieuc 
de  Beaurain  lui  mandant  la  prife  de  Saint  Valier,  il  y  a  ces 
'-  La  Lettre  ^^^^^^^  •  "  J^  ^'^^  P^^  déchiffrer  vos  lettres  faute  du  déchifre  qu'a 
efiau  procès  d^  M.  de  Saint  Valier  en  garde.  «  Un  courrier  arrefté  à  Tou- 
loufedefcouvrant  la  conjuration  du  Conneftable,  dit,  qu'eftanc 
en  une  Abbaye  près  de  Bourg  en  Breffe ,  il  fe  trouva  avec 
quatre  Gentilshommes  qui  alloient  en  divers  pays  pour  avan- 
cer les  defteins  du  Conneftable  ,  qu'ils  tefmoignerent  eftre  fore 
déplaifans  de  la  prife  de  Saint  Valier ,  de  l'Evefque  du  Puy, 
6c  autres. 

Voilà  la  cognolffance  qu'avoit  Saint  Valier  de  la  confpira- 
tion  du  Conneftable  :  il  a  efté  très-neceffaire  de  remarquer 
particulièrement  tant  de  circonftances  ,  pour  faire  voir  qu'il 
n'avoitpas  une  fimple  fcience  de  cefte  conjuration,  mais  qu'il 
en  eftoit  autant  inftruit  que  le  Conneftable  mefme. 

Le  Roy  enfin  renvoya  l'affaire  au  Parlement  de  Paris  j 
oh  Saint  Valier  perfifta  ,  6c  adjoufta  qu'il  n'avoitpas  ad- 
verti  le  Roy  de  ce  que  Beaurain  efperoit  de  divertir  les  Suif- 
fes  de  fon  alliance,  parce  qu'il  fçavoit,  dit-il ,  que  les  Suiffes 
eftoient  pour  le  Roy. 

Enfin  Arreft  contre  Saint  Valier,  qui  porte  pour  raifon  de 
plufieurs  feditions,  confpirations  ,  conjurations ,  6c  machina- 
tions commifes  par  lui  contre  le  Roy  ftc  fon  Royaume  ,  il  eft 
déclaré  criminel  de  leze-Majefté,6c  condamné  à  avoir  la  tefte 
tranchée ,  fes  biens  acquis  6c  confifquez  au  Roy  >  qu'avant 
l'exécution  ledid  Saint  Valier  aura  la  queftion  extraordinaire 
pour  fçavoir  les  complices. 

Le  Roy  eut  advis  de  l'Arreft,  6c  l'indifpofition  de  Saint  Va- 
lier en  empefcha  l'exécution.  Cependant  le  Colier  de  l'Ordre 
lui  fut  ofté  avec  cérémonie  j  ce  qui  n'appartient  point  au  faicl 
que  nous  traiclons. 

Enfin  la  queftion  fut  feulement  prefentée  à  Saint  Valier; 
pu  il  perfifta  à  ce  qu'il  avoit  dit,  6c  le  temps  de  l'exécution 


MONSIEUR  F.  A.  DE  THOU.  14^ 

approchant,  l'on  lui  leut  fon  Arrefl:^  ôc après  quelques  inter- 
rogatoires il  renvoya  à  tout  ce  qu'il  avoit  dit  au  Procès ,  & 
donna  congé  à  fon  confefleur  de  déclarer  toute  fa  confeflTion. 
Eftant  conduit  au  lieu  où  il  devoit  eftre  exécuté  furvint  un  Ar- 
cher de  la  Garde  du  Roy,  qui  apporta  lettres  de  fa  Majefté 
de  commutation  de  peine  en  une  prifon  perpétuelle.  Le  pri- 
fonnier  fut  remené  en  la  prifon ,  l'exécution  de  ces  lettres  de 
commutation  de  peine  fuft  furcife,  ôc  le  dernier  Mars  172^ 
le  Roy  fit  tirer  Saint  Valier  de  la  tour  quarrée  ,  pour  le  mener 
au  lieu  qu'il  avoit  ordonné.  Depuis  en  l'année  1527  ,  le  Roy 
lui  donna  fes  Lettres  de  reflitution,  abolition,  grâce  &  rap- 
pel, addreflantesà  toutes  les  Cours  de  Parlements  de  ce  Royau- 
nie^  dans  lefquelîes  tout  le  fai£l  cy-defTus  eft  narré  particuliè- 
rement ,  enfemble  les  caufes  qu'avoit  allégué  Saint  Vaher  de 
n'avoir  pas  révélé  au  Roy  celle  conjuration ,  qui  font  les  mef- 
mes  dont  il  s'efl  fervi  au  procès. 

Voilà  quelle  eft  la  vertu  de  l'affaire  de  Saint  Valier,  quelles 
eftoient  les  charges  contre  lui,  qui  font  telles  que  fans  la  grâce  du 
du  Roy  il  eftoit  couîpable  de  mort.  Il  n'y  a  perfonne  qui  ne 
voye  combien  il  eftoit  engagé  dans  cefte  conjuration  :  l'on  voit 
qu'il  avoit  eu  une  entière  participation  des  deffeins  du  Connefta- 
ble  ôc  par  le  Conneftable  mefme.  L'on  voit  qu'il  a  efté  la  feule 
perfonne  de  condition  qui  a  fceu  le  particulier  de  la  conjuration  » 
jla  efléprefent  à  l'aâiion  la  plus  importante  ôc  poiTible  la  feule 
du  Trai£té  faicl  entre  l'Empereur  6c  le  Conneftable  ?  a  veule 
Traidé;  enafceu  les  circonftances,  en  a  leules  inftrudions  ôc 
les  a£les ,  en  a  communiqué  avec  l'Agent  de  l'Empereur ,  a 
veu  les  defpefches  du  Conneftable  en  refponfe  de  celles  de 
l'Empereur  :  il  eftoit  mefme  dépofitaire  du  chiffre  que  l'Em- 
pereur avoit  envoyé  au  Conneftable ,  pour  fe  communiquer 
plus  fecretement  leurs  deffeins.  Il  avoit  juré  de  ne  jamais  rien 
révéler  de  ce  fecret ,  a  perfifté  jufques  à  l'extrémité  à  dire 
qu'il  n'avoir  aucune  cognoiffance  de  l'affaire ,  n'a  rien  confeffé 
qu'après  avoir  efté  convaincu  par  celui  mefme  que  le  Connef- 
table envoya  en  Efpagne,a  efté  fou  vent  auprès  du  Roy  ôc  pri- 
vement  depuis  avoir  eu  participation  de  ce  Traidé  :  il  fçavoit 
que  ie  mal  preffoit ,  il  voyoit  le  Roy  preft  de  paffer  en  Italie> 
il  voyoit  les  Efpagnols  ôc  les  Anglois  prefts  avec  de  grandes 
armées  pour  entrer  en  France  par  divers  endroits  en  exécution 

JTiij 


lyo       MEMOIRES  POUR  JUSTIFIER 

de  ce  Trai6té,  ilfçavoit  la  refolution  déterminée  du  Connef- 
table  de  fuivre  le  parti  de  l'Empereur,  ôc  qu'il  eftoit  fur  le 
point  de  fortir  du  Royaume  i  comme  il  lit. 

Tout  ce  qu'il  diflpour  fa  deffenfe  ed  qu'il  remonftra  au  Con- 
neftable>  avec  autant  de  véhémence  qu'il  peuft,  les  maux  que 
pouvoit  produire  fon  entreprife ,  qu'il  croyoit  l'avoir  diverti, 
lui  ayant  promis  la  larme  à  l'œil ,  touché  de  fon  difcours ,  que 
l'affaire  en  demeureroit  là  3  mais  à  condition  qu'il  tiendroit  fe- 
cret  ce  qu'il  lui  avoit  confié. 

Cefte  juftification  n'eft  prouvée  au  procès  que  par  ce  qu'en 
dit  Saint  Valier  mcfme,  qui  n'avoir  que  cefte  feule  deffenfe, 
fbible  à  la  vérité  6c  inutile,  puifqu'elle  n'eft  appuyée  que  de 
lui  feul ,  puifqu'aucun  des  tefmoins  n'en  a  parlé  ;  auffi  a-t-ii 
tousjours  dit  qu'il  avoit  pris  le  Conneftable  feul  pour  lui  faire 
ces  remonftrances  j  ôc  le  divertir  de  cefte  conjuration. 

Si  nos  Commiffaires  ont  tant  foit  peu  de  raifon  ,  ôc  s'il  leur 
refte  affez  de  jugement,  ils  verront  qu'ils  ont  befoin  d'autres 
exemples  que  ces  deux-cy ,  pour  juftifier  leur  a£lion.  11  eft 
neantmoins  difficile  en  cefte  vafte  mer  d'exemples  Ôc  d'hiftoi- 
res ,  de  n'en  point  trouver  quelqu'un  qui  foit  à  leur  advanta- 
ge;  mais  tousjours  fous  quelque  infâme  Tyran.  Pour  nous^ 
nous  en  faifons  voir  un  affez  bon  nombre  ôc  de  très-illuftres, 
anciens  ôc  modernes ,  qui  condamnent  ce  qu'ils  ont  faid  pour 
obéir  au  plus  injufte  Tyran  qui  fuft  jamais. 

XIV. .  Contre  les  Commiffaires  en  gênerai  y  &  les  Commijfions 
extraordinaires. 

IL  n'eft  pas  difficile  aujourd'huy  de  faire  croire  à  toute  la 
France  que  ce  jugement  eft  injufte  ôc  inique ,  puifqu'il  a 
efté  rendu  par  des  Commiffaires,  après  que  nous  avons  veu 
ce  qui  s'eft  paffé  dans  le  Parlement  en  plufieurs  occafions  im- 
portantes ,  foit  en  l'affaire  du  duc  d'Efpernon  jugée  le  Roy 
prefent  ôc  prononçant,  foit  aux  affaires  du  duc  d'Elboeuf  ôc  du 
Prefident  Coigneux ,  foit  auffi  en  ce  qu'il  a  efté  ordonné  pour 
certains  Confeillers  receus  à  Rouen  par  des  Commiffaires 
Confeillers  du  Parlement  de  Paris;  bref,  en  toutes  les  occa- 
fions  qui  fe  font  prefentées  où  les  Commiffaires  ont  travaillé, 
Neantmoins  il  femble  à  propos  de  reprefenter  ce  que  l'on  erj 


MONSIEUR   F.    A,    DE  THCU.         ip 

a  creu  avant  ce  fiecîe  ,  &  comme  cette  forte  de  Juges  a  edc 
en  perpétuelle  abomination  dans  la  France. 

JI  eft  certain  que  par  les  anciens  eflabliflemens  de  ce  Royau- 
me, la  juftice  civile  ou  criminelle  doit  élire  exercée  par  les  Ju- 
ges ordinaires  eftablis  par  les  ordonnances.-  Cela  eft  fi  vrai 
qu'il  nes'eft  jamais  faicl  affemblée  d'Eftats  ,  ou  autre  telle  con- 
vocation légitime  ,  que  l'on  n'ait  improuvé  tout  ce  qui  s'eftoit 
faitl  au  contraire.  Enfuite  on  a  foutenu  que  la  confervation 
de  ce  fondement  efloit  fi  neceffaire  à  l'Eftat ,  qu'il  n'y  pouvoit 
eftre  en  façon  aucune  dérogé,  foit  par  les  attributions  de  ju- 
rifdidion  à  autres  perfonnes  j  foit  par  une  authorité  abfoluë  ,  , 
fans  une  manifefte  oppreilion  Ôc  fans  violer  la  juflice  y  qui  eft 
le  lien  de  la  Société  Civile.  De  là  eft  venu  ce  mot  qui  eft  com-  - 
mun ,  mais  très  excellent  ,  du  Moine  de  Marcouffis-  au  Roy- 
François  I,  fur  la  condamnation  de  mort  du  Grand  Maiftre 
de  Montaigu  juftifié  après  fa  mort:  «  Jl  n'a  point  efté  condam- 
3>  né.  Sire,  par  des  Juges,  mais  par  des  Commiflaires  j«  com- 
me s'il  euft  voulu  dire  ,  Que  tels  Commiïïaires  choifis  par  la 
paflion  du  Seigneur  qui  pouvoit  lors  dans  le  Royaume  ,  n'ap- 
portèrent en  leur  jugement  la  confcience  ordinaire  de  bons 
juges.  A  quoi  bon  tant  de  Parlemens  dans  ce  Royaume  ï  pour- 
quoi tant  de  juftices  ordinaires ,  &  s'il  le  faut  ainfi  dire,  une 
armée  de  Juges  non  fufpeds,  mais  tels  que  l'âge  ôc  lehazard 
les  a  portez  dans  les  charges  fil  non  pour  donner  cefte  fatis- 
fa£tion  aux  peuples,  qu'ils  feront  jugés  par  des  perfonnes  ni 
fufpedes  ni  interefices ,  par  des  juges  non  choifis ,  non  commis 
pour  une  feule  affaire,  bref  par  des  hommes  exercez  à  rendre 
la  juftice  ,  qui  n'ont  autre  but  que  l'équité  ,  n'ont  autre  refpe£t 
'  que  de  fatisfaire  à  leur  devoir  ôc  à  leur  confcience. 

Les  Commiflaires,  au  contraire  ,  gens  choifis,  fufpeds  ôc 
intereflez,  ignorans  la  plufpart  Tordre  de  la  juftice  ,  tendans 
tous  à  avoir  des  recompenfes  de  ceux  qui  les  employ&nt,  n'ont 
autre  foin  que  de  plaire  à  celui  qui  les  prefide  ,  corrompent 
leur  confcience  j  abandonnent  leur  propre  fens  pour  fuivre 
celui  d'autruy  .;  ôc  d'autant  plus  dangereux,  qu'eftansleplus  fou- 
vent  noircis  de  crimes  en  recherchent  l'impunité  par  des  ac- 
tions infâmes ,  agréables  à  celui  qui  a  la  principale  autorité 
dans  le  gouvernement. 

Philippes  de  Commines  a  fort  bien  remarqué  ce  points    -r.  i8. /.  j-. 


1^1      MEMOIRES  POUR  JUSTIFIER 

parlant  des  Princes  qui  gouvernent  mal.  «  Les  uns ,  dit-il ,  pu- 
»>  niflent  fous  ombre  de  juflice,  ôc  ont  gens  de  ce  meftier  prefts 
3'  à  leur  complaire  >  qui  d'un  péché  véniel  font  un  péché  mor- 
3»  tel  j  s'il  n'y  a  matière ,  ils  trouvent  les  façons  de  difîimuleï 
w  à  ouïr  les  parties  &  les  tefmoins ,  pour  tenir  la  perfonne  > 
«»  ôc  la  détruire  en  defpenfe ,  attendant  tousjours  fi  nul  ne  fe 
«  veut  plaindre  de  celui  qui  eft  détenu ,  ôc  à  qui  ils  en  veu- 
w  lent  :  fi  cefte  voye  ne  leur  eft  feure  aflez  ,  àc  bonne  pour 
0»  venir  à  leur  intention,  ils  en  ont  d'autres  plus  foud aines  ^ 
M  ôc  difent ,  qu'il  eftoit  bien  neceflaire  pour  donner  exemple  ? 
a>  ôc  font  les  cas  tels  qu'ils  veulent  ôc  que  bon  leur  femble.  « 

Le  cahier  des  Eftats  tenus  à  Tours  l'an  1483  eft  fort  confi- 
derable  fur  cefte  matière ,  ôc  qui  nous  reprefente  l'eftat  mife^ 
rable  où  eftoit  la  France  fous  Louis  XI.  Voici  ce  qu'il  porte. 

ce  Item,  ôc  au  temps  pafle  (  c^eft  à  dire  du  temps  de  Louis 
«  XI  )  quand  un  homme  eftoit  accufé  ,  fuppofé  que  ce  fuft  à 
»  tort ,  il  eftoit  pendu  ,  car  là  où  il  n'y  avoir  information ,  ne 
5'  aucun  droit  requis  en  forme  de  droit ,  il  eftoit  pris  ôc  ap- 
M  prehendé  ôc  tranfporté  ôc  mis  hors  de  la  juftice  ordinaire 
«  entre  les  mains  du  Prevoft  des  Marefchaux  ou  d'aucuns  Com^ 
oî  miffaires  quis  ôc  trouvez  à  pofte  ,  ôc  très  fouvent  les  accu- 
w  fateurs  avoient  dons  des  forfaitures  ôc  amendes ,  ôc  avoient 
«  les  procès  à  conduire  comme  CommiiTaires  ôc  juges,  ôc  s'ils 
9>  n'eftoient  Commiftaires  fi  en  avoient  ils  les  Lettres  expreftes 
a>  pour  eftre  prefens  avec  les  juges  à  faire  leur  procès  j  Ôc  de 
33  ce  font  ensuivies  plufieurs  injuftices.  Si  femble  aufdi^ls  Ef- 
«  tats  que  telles  manières  d'accufations  doivent  cefter ,  ôc  ne 
o>  doit  l'on  jamais  donner  ne  foufFrir  tels  Commifiaires  extraor- 
05  dinaires  j  mais  fi  aucuns  font  accufez  de  quelques  cas  ou 
«  crimes ,  bonnes  ôc  deuës  informations  foient  faites  par  les  ju- 
9î  ges  ordinaires ,  Ôc  fur  tout  foient  gardées  en  tels  procès  les 
w  formes  de  droit  en  délivrant  les  innocens ,  Ôc  punifiant  leâ 
55  delinquans  ôc  faux  accufateurs  par  les  Juges  ordinaires  ainfî 
w  que  de  raifon.  Et  avec  ce  requièrent  lefdids  Eftats  queiceux 
3^  Commifiaires  ôc  autres  juges  ordinaires  ôc  extraordinaires  ôc 
3^  officiers  de  juftice  ,  qui  ainfi  fe  font  mal  verfez  en  leurs  char- 
"^  ges  ôc  offices  ,  foient  punis  ôc  corrigez ,  ôc  qu'ils  en  foient 
a>  tenus  defdommager  ceux  qui  par  eux  ont  efté  induement  in- 
»>  tereffez ,  ôc  que  les  Cours  fou veraines  foubs  le  refTort  defquelles 

lefditls 


MONSÎEUR  F.    A.   DE   THOU.       ï^ 

»>  îefdiâis  delinquans  ôc  abufeurs  font  demeurans  ,  faflent  de 
'i»  ce  les  punitions  &  réparations  y  tellement  que  ce  foit  exem- 
»'  pie  à  tous  autres ,  ôc  que  déformais  tels  abus  ôc  injuftices 
p  n'ayent  lieu  en  ce  R.oyaume.  » 

Voila  à  peu  près  l'image  d'un  règne  tel  que  celui  que  nous 
avons  veu. 

Ceux  qui  ont  voulu  rendre  ces  Commiiîions  en  quelque 
forte  légitimes,  ont  déliré  qu'elles  fuffent  addrefleeb  Ôc  vérifiées 
dans  les  Parlemens  3  feuls  juges  de  la  vie  ôc  de  l'honneur  des 
hommes?  ôc  s'ils  ne  peuvent  fufEre(ce  qui  ne  fe  peut  dire  y 
en  ayant  un  aflez  bon  nombre)  ou  que  par  autre  caufe  il  en 
foit  befoin ,  ils  vérifient  les  pouvoirs  d'autres  juges  qui  y  fa- 
tisfont  5  comme  ceux  des  Prefidiaux  ôc  des  Prevofts  des  Maref- 
chaux  contre  certaines  perfonnes  ôc  en  certains  cas.  Mais  fans 
vérification  on  ne  peut  en  France  licitement  ufurper  une  jurif^ 
di6lion  criminelle  en  dernier  refibrt. 

En  une  Mercuriale  tenue  du  temps  de  Charles  ÎX  ,  le  Par-  Pafquier  c.  8, 
lement  arrefta  par  ferment  folennel ,  qu'aucun  Confeiller  de  ^'  6.  de  fès 
la  Cour  n  entreroit  en  Commiffion  ,  fi  tous  les  Commifiaires     ^^  ^^^  ^^' 
&  députez  n'efloient  tirez  du  mefme  corps  ,  ôc  non  mandez 
de  diverfes  Cours  Souveraines  5  qui  eft  bien  un  tempérament 
au  mal ,  mais  non  pas  un  remède. 

Les  exemples  illuftres ,  mais  miferables ,  des  jugemens  ren^ 
dus  par  des  Commiflaires ,  font  frequens  dans  noftre  Hiftoire , 
ne  fe  peuvent  lire  fans  horreur  ôc  deteftation.  Se  peut-il  rien 
voir  de  plus  extraordinaire  ôc  furieux  que  le  fai£l  d'Enguer- 
rand  de  Marigny  fous  le  règne  du  Roy  Louis  Hutin  ?  fans 
obferver  aucune  formalité,  fans  ouïr  l'accufé,  il  fut  condam- 
né ôc  exécuté  à  mort  par  des  CommifTaires  qui  travaillèrent 
félon  la  pa0ion  du  comte  de  Valois  ennemi  capital  de  l'ac-  ijri, 
cufé  ?  mais  enfin  après  quelques  années  fa  mémoire  fut  refta- 
biie,  il  receut  tous  les  honneurs  qui  fe  peuvent  imaginer  pour 
abolir  la  mémoire  d'une  fi  infâme  injuflice. 

Olivier  de  Cliflbn  fut  condamné  à  avoir  la  tefte  tranchée,  j.^, 
fut  exécuté  à  Paris  pour  crime  de  Leze-Majefté  par  jugement 
donné  par  le  Roy  Philippe  de  Valois  ,  aflifté  de  plufieurs 
Commiflaires.  Depuis  il  fut  trouvé  innocent ,  fa  mémoire  juf- 
tifiée,  fonfilsde  mefme  nom,  qui  avoir  efté  banni  avec  Jeaa- 
iie  de  Belleville  fa  mère  ^  furent  remis  en  honneur ,  ôc  lui  fut 
Jome  XF,  '  J  V 


ly^       MEMOIRES  POUR  JUSTIFIER 

faiâ:  Conneftable  de  France  fous  Charles  V. 

i4oi?.  Du  règne  de  Charles  VI  nous  avons  ce  notable  exemple 
de  Jean  de  Montaigu  Seigneur  de  MarcoufiTis,  Grand  Maiftre 
de  France^  qui  avoir  rendu  de  grands  fervices  à  l'Eftat  3  l'en* 
vie  que  lui  porta  le  Duc  de  Bourgogne  le  reduifit  à  tels  ter- 
mes qu'il  fut  condamné  à  moit  par  des  Commiflaires  ôc  exé- 
cuté fort  précipitamment  :  après  fa  mott  il  fut  déclaré  inno- 
cent,  fes  os  recueillis  &  portez  aux  Celeftins  de  Marcouflis 
avec  pompe.  De  ce  jugement  eft  venu  ce  mot  fi  commun 
dont  eft  païjlé  cy-defius,  «  Qu'il  avoit  efté  jugé,  non  par  des 
»  Juges  ,  mais  par  des  Commiflaires.  » 

Î481.  René  d'Alençon  Comte  du  Perche ,  Prince  du  Sang  ,  fut 

accufé  de  crime  d'Eftat.  Le  Chancelier  d'Oriole  inftruifit  le 
procès  afTifté  de  quelques  Seigneurs  &  officiers  du  Parlement. 
Le  Parlement  en  cogneut ,  il  fut  condamné  à  tenir  prifon  du 
règne  de  Louis  XL  Son  fuccefleur  Charles  VIII  la  première 
année  de  fon  règne ,  fit  déclarer  qu'il  avoit  efté  injuftement  ac- 
cufé ,  ôc  le  fit  pleinement  délivrer  comme  innocent  l'an  148^. 

JSH'  L'exemple  de  Jacques  de  Beaune  St.  de  Semblançay,  du 

règne  du  Roy  François  I,  eft  déplorable.  Les  Commiflai- 
res le  condamnèrent  à  eftre  pendu,  il  fut  exécuté.  Quelques 
années  après  à  la  pourfuite  de  fes  parens  il  fut  juftifîé ,  déclaré 
innocent ,  ôc  jugé  que  les  CommifTaires  qui  l'avoient  fai£t 
mourir  ,  avoient  obéi  aveuglement  aux  ordres  de  ceux  qui 
avoient  la  principale  autorité  dans  le  Royaume. 

Eftienne  Poncher  du  mefme  règne,  fut  jugé  à  mort  par  des 
Commiflaires,  6c  exécuté  pour  unfaid  de  finances.  Leur  ju- 
gement fut  trouvé  peu  après  fi  inique ,  qu'aucuns  de  ces  Com- 
miflaires furent  ignominieufement  chaftiez ,  le  corps  de  Pon- 
cher tiré  du  lieu  d'ignominie  où  il  avoit  efté  mis ,  ôc  porté  en 
lieu  honorable  par  ceux  mefmes  qui  l'avoient  injuftement 
condamné. 

1540.  Le  procès  fai£l  à  l'Admirai  Chabot  eft  digne  de  remarque: 
il  fut  fai£l  par  des  Commiflfaires  tirez  des  Parlemens  de  Paris  ^ 
Touloufe  ôc  Rouen  ,  d'aucuns  des  Maiftres  des  Requeftesdes 
premiers  de  leur  temps,  le  Chancelier  Poyet  prefida,  lacom- 
miflion  fut  vérifiée  au  Parlement ,  le  Roy  mefme  fut  ouï  ,  l'ac- 
cufé  fut  condamné  pour  infidélité,  oppreflion  du  peuple,  con- 
cuflions  ôc  exactions  ôcc.  Il  n'y  euft  jamais  jugement  plus 


MONSIEUR   F.  A.   DE  THOU.         i^^* 

Jufte  en  apparence ,  ni  mieux  concerté,  ni  plus  célèbre.  Car 
outre  la  condamnation  de  l'accufé ,  il  contient  de  beaux  re- 
glemens  pour  le  bien  de  l'Eftat.  Le  jugement  eft  du  8  Février, 
&  neantmoins  au  mois  de  Mars  enfuivant,  le  Roy  defchargea 
i'Admiral  des  amendes  qui  eftoient  grandes ,  ôc  de  la  confif- 
cation.  L'année  fuivante  le  procès  fut  reveu  par  une  partie  des 
mefmes  Commiflaires ,  qui  recogneurent  que  l'Admirai  n'eftoit 
point  coupable  du  crime  de  Leze-Majefté  5  enfuite  dequoyil 
fut  abfous,  &  eut  une  abolition  générale.  Peu  de  temps  après 
le  procès  criminel  fut  fait  au  Chancelier  Poyet  qui  avoit  prefidé  à 
celui  de  l'Admirai  :  la  principale  accufation  contre  Poyet  fut 
d'avoir  forcé  les  juges  de  l'Admirai  à  donner  leur  advis  contre 
lui ,  ôc  pour  cela  il  fut  convaincu  ôc  condamné. 

Comme  par  cet  exemple ,  qui  eft  illuftre ,  l'on  voit  qu'une 
compagnie  de  Commiflaires ,  quels  qu'ils  peuvent  eftre  ,  eft 
emportée  par  la  partie  choifie,  ôc  par  celui  qui  les  prefide  , 
qui  par  fon  autorité  ôc  par  fon  addrefle  conduit  l'affaire  où  veut 
celui  qui  ordonne  des  chofes  ',  l'on  en  peut  aufli  tirer  cette 
inftrudion ,  que  la  prefence  du  Chancelier  ne  rend  point  la 
chofe  de  plus  grand  poids  i  au  contraire  eft  un  moyen  prin- 
cipal pour  faire  juger  que  Faction  n'a  pas  efté  libre  ,  mais  for- 
cée ôc  extorquée  des  juges. 

Cette  affaire  fut  trouvée  fi  odieufe  par  le  Roy  François  , 
qu'il  jura  qu'il  ne  lui  adviendroit  jamais  de  donner  des  Com^ 
miflions  pour  faire  le  procès  à  qui  que  ce  foit  par  telles  voyes 
extraordinaires. 

Les  Princes  quoique  foibîes  ont  le  plus  fouvent  de  ces  bon- 
nes lumières ,  mais  elles  font  aufli-toft  eftoufées  par  leurs  prin- 
cipaux Miniftres  ,  qui  n'ont  pas  cefte  afFe£lion  naturelle  que 
Dieu  attache  volontiers  à  la  perfonne  de  celui  qui  en  a  la  vo- 
cation. 

Nous  avons  un  exemple  aflez  remarquable  du  règne  de  j^^, 
Henri  II  en  la  perfonne  du  Seigneur  du  Biez  Marefchal  de 
France ,  ôc  de  Jacques  de  Coucy  Seigneur  de  Vervin  fon 
gendre.  Ils  furent  condamnez  par  des  CommifTaires.  Vervin 
fut  exécuté  à  mort ,  du  Biez  fut  long-temps  en  peine  :  il  mou- 
rut libre  ,  mais  en  difgrace  3  la  mémoire  de  l'un  ôc  de  Pautre 
fut  juftifiée  fous  le  règne  de  Henri  III ,  ôc  receurent  de  grands 
honneurs  en  une  pompe  funèbre  qui  fut  faide  l'an  içyj  ?  ôc 

JVij 


,;5         MEMOIRES  POUR  JUSTIFIER 

fut  dit  que  les  tefmoins  fur  lefquels  les  CommifTaires  avoietit 
jugé,  eftoient  faux.  C'eft  ce  qui  a  faitl  dire  aifez  naïvement 
à  celui  qui  a  efcrit  la  Vie  de  Louis  de  Bourbon  ;  dit  le  Bon, 
parlant  du  Seigneur  de  Vervin  :  «  Il  fut  condamné  ,  dit-il ,  à 
o'  avoir  la  tefte  tranchée  ,  mais  il  en  a  efté  déclaré  innocent 
35  parce  qu'il  avoit  efté  jugé  par  des  Commillaires ,  »  qui  eft 
certes  une  bonne  raifon  &  certaine. 

Le  plus  illuftre  de  tous  ces  exemples  eft  celui  du  Prince  de 
Condé  l'an  1^60.  Il  futarrefté  à  Orléans  peu  de  jours  avant 
la  mort  du  Roy  François  II  j  fon  procès  fut  précipitamment 
inftruit  par  des  CommifTaires:  il  appella  perpétuellement  d'eux 
au  Parlement,  dont  il  fut  aufli-toft  débouté  par  divers  arrefts 
du  Confeil ,  fans  eftre  ouï.  Cette  affaire  fut  conduite  avec  une 
telle  chaleur  ,  que  fi  le  Roy  euft  encores  vefcu  deux  ou  trois 
jours ,  ce  Prince  mouroit  affeurement  par  le  jugement  des  Com^ 
miffaires  ;  mais  en  un  moment  la  face  de  la  Cour  fut  changée. 
Il  fut  déclaré  pur  &  innocent  de  ce  dont  il  eftoit  accufé. 

Depuis  ce  temps  nous  n'avons  rien  de  confiderable  en  cefte 
matière  que  ce  qui  s'eft  pafTé  en  ce  det nier  règne  ,  le  plus  aban- 
donné en  ce  point  qu'aucun  autre.  Car  il  n'y  a  ville  en  ce 
Royaume  où  les  CommiUaires  n'ayent  exercé  leur  fureur;  mais 
principalement  dans  Paris  ,  où  l'on  a  veu  les  juftices  ordinai^ 
res  defpouillées  de  leurs  fondions  principales  ,  ôc  les  Juges 
choifis  occupez  à  fervirextraordinairement  contre  les  Princes 
du  Sang ,  contre  les  Grands  ,  contre  les  Officiers  des  Cours 
Souveraines ,  contre  des  Evefques  ôc  autres  perfonnes  Eccle- 
liaftiques  :  les  privilèges  des  Princes  du  Sang  ,  des  Ducs  ôc 
Pairs ,  des  Officiers  de  la  Couronne  ,  ôc  des  Cours  Souve- 
raines abolis. 

L'on  a  veu  des  perfonnes  fur  une  fimple  Lettre  de  Cachet 
du  Roy ,  fans  autre  forme  ni  figure  de  procès  ,  périr  par  la 
main  des  bourreaux.  L'on  a  veu  M.  le  Chancelier  en  l'année 
16'^Oi  après  avoir  ouï  par  un  feul  des  Maiftres  des  Requeftes 
le  rapport  de  quelques  informations  contre  cmq  ou  fix  habi- 
tans  de  Rouen ,  non  pris  en  flagrant  deîi6l ,  mais  prifonniers 
quatre  mois  auparavant,  les  condamner  lui  leuî  à  la  mort  par 
fon  ordonnance  verbale  ,  fans  y  appeiler  perConne,  fans  fen- 
tence  ni  jugement  par  efcrit  ,  ôc  en  commander  l'exécution 
au  Prevoft  de  Flfle ,  à  quoi  il  obeift  :  il  en  fut  faict  autant 


/.  6. 


MONSIEUR  F.   A.  DE  THOU.         i;7 

contre  quatre  miferablcs  qui  furent  pris  à  Couftances. 

Toute  l'Europe  fçait  combien  de  perfonnes  ont  efté  oppri- 
mées en  ce  dernier  temps  par  la  voye  des  Commifiaires  ;  &:  qui 
peut  dire  ne  l'avoir  point  efté  ?  L'on  a  creu  donner  quelque 
couleur  à  aucune  de  ces  principales  actions ,  ôc  publiques  in- 
juftices ,  par  la  prefence  du  Chancelier  :  au  contraire  ,  l'on  s'eft 
fervi  de  ce  moyen  comme  du  plus  puifî'ant  pour  opprimer  plus 
facilement  ôc  promptement. 

Les  CommifTaires  gens  foibles ,  ôc  on  n'en  vouloir  pas  d'au- 
tres ^  ont  efté  intimidez  par  la  prefence  d'une  perfonne  fi  au- 
torifée,  les  fuffrages  n'ont  pas  elle  libres.  L'exemple  du  pro- 
cès de  l'Admirai  Chabot  ell  notable ,  oh  le  Chancelier  Poyet 
fît  voir  aux  juges  ce  qu'il  voulut ,  leur  fit  croire  ce  qui  plaifoit 
aux  puiflfances  fuperieures,  fit  i'arrefl:  &  le  fit  figner ,  comme 
il  l'avoit  projette  j  mais  il  ne  porta  pas  loing  celle  injuftice. 
Le  juftice  de  Dieu  fe  monftra  fi  contraire  à  celle  des  hommes, 
que  ce  miferable  Chancelier  y  perdit  l'honneur  ôc  les  biens, 
11  n'ignoroit  pas,  car  les  moindres  le  fçavent ,  que  les  Chan-  Pafquler  c. 
ceîiers  de  France  n'ont  jamais  prefidé  aux  commilfions  extraor- 
dinaiies  ,  pour  faire  le  procès  criminel  à  qui  que  ce  foit  j  mais 
feulement  quand  la  Cour  y  vacque  :  en  ce  cas  le  Chancelier 
y  peut  prefider  comme  chef  de  la  Juftice. 

Jl  fçavoit  que  les  CommifTaires  ne  peuvent  ufurper  une  ju- 
rifdiélion  extraordinaire  criminelle  fouveraine  en  France  fans 
vérification  en  Parlement  contre  les  ordonnances  qui  le  défen- 
dent exprefiement  5  que  ces  ordonnances  eftant  vrayes  loix  ir- 
ritent d'elles  mefmes  ce  qui  eft  contraire  à  leur  prohibition. 
Il  fuffit  au  Legiflateur  de  défendre  ce  qu'il  ne  veut  pas  eftre 
faift  ',  ôc  néantmoins  la  violence  de  ceux  qui  avoient  1  autorité 
dans  la  Court ,  Ôc  fa  paffion  particulière ,  lui  éblouirent  telle- 
ment les  fens  qu'il  fe  porta  à  toutes  les  extremitez  indignes 
d'un  homme  de  bien. 

,  Un  ancien  de  grand  nom  a  elle  blafmé  de  fuir  la  prefence 
de  la  juftice,  qui  eftlefeul  ciment  qui  lie  ôc  eftreint  lafocieté, 
la  feureté  ôc  tranquillité  publique;  ôc  néantmoins  oneftquel- 
quesfois  contraint  de  confefifer  qu'il  avoir  raifon  de  dire  , 
qu'il  ne  fe  fieroit  pas  de  fa  vie  à  fa  propre  mère.  Et  certes 
il  le  faut  avouer  j  puis  qu'au  fai£l  que  nous  trai£lons  ,  un  hom- 
me de  bien  fe  trouve  livré  au  bourreau   par  les  mains  du 

5Viij 


ijS        MEMOIRES  POUR  JUSTIFIER 

premier  Miniftre  de  la  Juftice ,  afliflé  de  plufieurs  Commiflaires, 
tellement  afleurés  pour  faire  ce  que  le  Cardinal  avoir  refolu  , 
qu'il  n'y  euft  que  le  Sr.  de  Miromefnil ,  non  choifi  ,  ni  par 
le  Cardinal,  ni  par  le  Chancelier,  mais  nommé  fortuitement 
par  le  Roy  mefme,  qui  fut  à  lui  fauverla  vie  j  ce  qui  lui  a  ac«- 
quis  une  gloire  immortelle. 

Le  Chancelier  prévoyant ,  faute  de  bourreau ,  que  fon  juge- 
ment ne  pourroit  eftre  exécuté ,  donna  cent  efcus  de  fa  bourfe 
à  un  miferable  gagne-denier ,  qui  fe  hazarda  pour  cefte  fom-- 
me  de  faire  cefte  exécution  :  chofe  horrible  6c  indigne  adion 
qu'on  pourroit  à  peine  approuver  en  la  perfonne  d'un  Prevoft: 
des  bandes. 

Par  là  l'on  peut  juger  combien  il  eft  dangereux  de  tomber 
entre  les  mains  des  CommifTaires  ,  quels  qu'ils  foient ,  dé- 
vouez à  tout  faire ,  qui  n'ayans  gain  qu'aux  fupplices  ne  refpi- 
rent  que  les  fupplices  :  leur  ambition  leur  fert  d'accufateur  ôc 
detefmoin  ,  ils  ne  fe  propofent  autre  chofe  que  d'acquérir  des 
biens ,  ou  de  fubfifter  dans  leurs  charges  par  le  fang  ôc  par  l'o- 
beiflance  aveugle  aux  volontez  d'un  tyran.  Au  lieu  de  l'hu- 
manité ôc  de  la  douceur  que  les  hommes  ont  efcrite  en  leuc 
nom  ôc  imprimée  aux  traits  de  leur  vifage  ,  ôc  qui  convient 
particulièrement  à  ceux  à  la  religion  defquels  les  biens  ,  la 
fortune  ôc  la  vie  des  autres  eft  commife  ;  ils  font  tous  remplis 
d'inhumanité  ôc  de  cruauté  ,  ils  font  difpofez  à  trouver  coupa- 
bles ceux  qui  leur  font  abandonnez  :  ôc  bien  que  les  loix  obli- 
gent les  juges  à  eftre  pluftoft  enclins  à  recevoir,  voire  recher-^ 
cher  tout  ce  qui  peut  fervir  à  la  juftification  des  accufez  ,  ôc 
qu'ils  ne  doivent  ufer  des  dernières  peines  qu'à  toute  extrémi- 
té ,  ôc  lorfque  l'enormité  des  crimes  ôc  leur  évidence  les  y 
contraignent  j  ceux  -  cy  au  contraire  jugent  félon  ce  qui  leuc 
eft  prefcript,  n'ont  autre  loi  que  la  volonté  d'un  violent  Mi- 
niftre , regardent  leurs  interefts propres,  leurs  avancemensdans 
les  charges  Ecclefiaftiques   Ôc  feculieres  ,  ôc  rien  davantage^ 

L'on  ne  nie  pas  que  le  chaftiment  des  coulpables  eft  deu  au 
public,  mais  la  juftice  doit  eftre  remplie  de  tant  d'équité,  les 
preuves  doivent  eftre  Ci  claires ,  fi  certaines  ôc  indubitables , 
que  ceux  qui  periffent  ne  contredifent  pas. 

Il  eftoit  en  la  puiflance  de  l'accufé  de  ne  point  mal  faire  » 
mais  il  ne  fe  pouvoit  empefcher  d'eftre  accufé,  d'eftye  opprime. 


MONSIEUR  F.  A.   DE   T  H  O  U.  lyp 

Il  a  efté gardé  par  le  Cardinal ,  par  fes  gardes  mefmes^  traifné 
à  Lion  dans  un  batteau  attaché  à  celui  du  Cardinal  j  adion 
déteftée  de  toute  la  France ,  ôc  par  fes  domeftiques  mefme  > 
qui  le  livra  aux  Commiflaires  pour  le  faire  mourir.  Son  mal  a 
eu  cela  de  plus  infupportable ,  qu'il  ne  lui  a  point  efté  caché, 
qu'il  a  tousjours  efté  rempli  de  menaces ,  il  a  tousjours  veu 
la  mort  prefente ,  fes  gardes  ont  efté  fes  accufateurs  &  fes 
bourreaux ,  ôc  fes  Juges  avoient  promis  de  le  faire  mourir  avant 
que  de  l'avoir  interrogé.  Celui  qui  donne  la  gefne ,  d'autant 
plus  qu'il  apprefte  d'inftrumens  ,  d'autant  plus  il  tourmente  , 
la  patience  eft  vaincue  par  l'apparence  5  auiTi  les  maux  de  la 
fortune  qui  viennent  avec  pompe  ôc  grand  appareil ,  font  bien 
plus  rudes  que  ceux  de  la  nature  qui  viennent  tout  à  coup. 

Le  Commandement  du  Cardinal  fut  exécuté  avec  tout  l'ar- 
tifice ôc  la  précipitation  imaginables.  L'artifice  fut  en  l'ordre 
de  la  feance  ,  fi  induftrieufementeftabli,  que  ceux  qu'on  avoit 
recogneu  avoir  quelque  inclination  à  favorifer  l'innocence  de 
l'accufé,  opinèrent  les  derniers, afin  de  ne  pas  fortifier  aucuns 
des  Commifl*aires  qui  n'ont  ni  fens  ni  vigueur  ,  ou  pluftoft  qui 
n'ofoient  ouvrir  un  advis  généreux  en  faveur  de  l'accufé.  La 
précipitation  fut  telle  qu'elle  eft  fouvent  reprefentée  dans  ces 
Mémoires,  ôc  ainfi  l'accufé  condamné  au  mefme  fupplice  que 
l'autheur  de  la  conjuration.  Il  falloir  qu'ils  euflent  une  entière 
cognoifiance  du  crime  >  impofé  par  des  preuves  que  la  loi 
defire  eftre  plus  claires  que  le  jour  j  ils  y  dévoient  marcher  d'ua 
pas  lent  ôc  mefuré ,  ôc  après  une  longue  ôc  meure  délibération. 

Cette  précipitation  certes  eft  criminelle  :  ceux  qui  agiflent 
de  la  façon  ne  laiflent  rien  au  confeil  i  c'eft  fai£t  du  public , 
ôc  c'eft  une  grande  mifere,  quand  la  puiflance  permet  à  telles 
gens  ce  que  la  crainte  ,  leur  paiïion ,  ôc  leur  ambition  leur 
confeille. 

Le  Procureur  General ,  après  que  M.  le  Chancelier  lui  euft 
parlé  à  l'oreille  ,  prit  fes  conclufions  verbalement  ôc  fur  le 
champ  ,  fans  confiderer  le  poids  de  l'affaire,  ôc  les  confequences. 

Il  n'y  a  point  de  rigueur,  point  d'outrage,  point  d'injuftice 
fi  dure  ôc  infupportable  que  celle  qui  nous  vient  de  ceux  qui 
nous  devroient  garentir.  Laubardemont  Rapporteur  j  ôc  qu'on 
cognoift  pour  le  plus  mefchant  homme  du  Royaume  ,  fut  (î 
effronté  que  de  dire  dans  Lion,  que  le  Théâtre  ne  feroit  pas 


t6o       MEMOIRES  POUPv  JUSTIFIER 

aflfez  fanglant  par  la  mort  d*un  feul  homme,  qu'il  y  en  falloît 
davantage.  Le  mefcham  voulant  un  jour  flatter  le  Cardinal , 
lui  dit,  qu'il  avoit  un  extrefme  regret  de  ne  pouvoir  fervir  fou 
Eminence  en  cefte  occafion  du  jugement  contre  M.  de  Thou  : 
à  cefte  parole  cefte  Eminence  changea  de  vifage  ,  croyant 
qu'il  ne  fe  trouvoit  pas  affez  de  preuves  pour  le  faire  mou- 
rir i  foudain  Laubardemont  repartit  :  «  J'entends ,  Monfei- 
oîgneur,  que  la  chofe  eft  fi  claire  qu'il  n'y  a  point  de  fujet  d'y 
oîhefiter.  »  M.  le  Chancelier  concluant  fon  advis,  creut  dire 
une  belle  penfée  pour  perfuader  la  mort  dudi£t  (leur  de  Thou; 
«  Que  le  Roi  auroit  fujet  de  leur  reprocher ,  qu'ils  auroient 
35  faidl  mourir  une  perfonne  qu'il  avoit  chérie  ôc  aimée  j  ôc 
«  qu'ils  auroient  voulu  efpargner  le  fang  d'un  de  leurs  frères , 
«  d'un  de  la  Robbe  j  »  difcours  ôc  a£lions  de  vrais  Commif- 
faires ,  ôc  qui  ne  partent  jamais  des  Juges  ordinaires  ,  ôc  qui 
ont  tant  foit  peu  d'humanité  ôc  de  raifon. 

Ces  confiderations ,  ces  raifons ,  ces  exemples  ,  celuy  -  cy 
particulièrement,  font  aflez  puiflans pour  faire  voit  quel  eftat 
l'on  doit  faire  des  jugemens  des  Commiffaires ,  ôc  des  Com-^ 
miffaires  mefmes ,  quelles  gens  font  choifis  pour  exécuter  ces 
infâmes  ôc  miferables  actions ,  quelle  juftice  l'on  peut  efperer 
d'eux ,  ôc  s'ils  peuvent  rien  ordonner  de  jufte.  Car  après  avoir 
appelle  un  Juge  injufte  ,  fcelerat^  concuflîonnaire,  ôc  voleur, 
que  peut-on  enchérir ,  fmon  que  de  l'appeller  Commiflaire  î 

X  V,  Relation  véritable  de  ce  qui  s'ejî  paffe  à  la  mort  de  M, 

de  Thotfo 

IL  ne  faut  pas  s'eftonner  que  ceux  qui  ont  apporté  tant  d'ar-' 
tifices  ôc  de  mauvais  moyens  pour  faire  mourir  M.  de  Thou, 
ayent  pris  grand  foin  après  fa  mort  de  juftifîer  leur  a6lion  par 
toutes  fortes  d'inventions.  La  principale  a  efté  de  faire  impri- 
mer des  Relations  qu'ils  ont  faiâ  publier  par  tout  le  Royau- 
me ,  qui  contiennent  ce  qui  s'eft  paffé  en  l'exécution  de  l'ar^ 
reft  qu'ils  ont  donné ,  tant  contre  M.  le  Grand  Cinq-Mars ,  "' 
que  contre  lui  ',  oii  ils  ont  employé  un  nombre  infini  de  faux 
faiâs  pour  la  juftificadon  de  leur  adion  ,  font  advouer  aux 
condamnez  qu'ils  ont  efté  bien  jugez  félon  les  Loix ,  par  des 
gens  de  bien  ;,  &:  félon  les  formes  5  qu'ils  eftoient  coulpable?  ; 

Jeu^ 


MONSIEUR  F.   A.   DE  THOU.  i^i 

etîrfont  remerciei*  les  Commiflaires ,  font  qu'ils  les  embraffenr, 
bref  qu'ils  baifent  les  bourreaux  qui  leur  ont  coupé  la  gorge. 
Laubardemont  mefmes  a  efté  fi  effronté  que  de  faire  mettre 
dans  ces  Relations ,  que  M.  le  Grand  Pavoit  remercié  de  fou 
jugement,  qu'il  le  baifa,  lui  difant,  qu'il  l'avoit  jugé  en  hom- 
me de  bien  j  lui ,  qui  l'avoit  trompé  ôc  fuborné  j  lui  qui  lui 
avoir  promis  la  vie  à  la  charge  de  depofer  contre  M.  de  Thou  > 
lui  qui  avoit  fai6t  en  cefte  affaire  ce  que  le  plus  capital  enne- 
mi des  accufez  n'euft  pas  voulu  faire  :  aufTî  ledld  fieur  le 
Grand  reprocha  aigrement  à  Laubardemont  qu'il  l'avoit  trom- 
pé, ôclui  dit  fi  hauk  ces  mefmes  paroles,  entendues  de  tout 
le  monde  :  l^ous  en  rejpondrez  devant  Dieu. 

Ils  ont  creu  par  un  fi  grand  nombre  de  faux  fai£l:s,  qui  font 
à  leur  defcharge  Ôc  à  leur  juftification ,  faire  perdre  la  mémoire 
de  leur  injuftice  j  ils  ont  creu  par-là  donner  fatisfa6lion  aux 
gens  de  bien  ,  qui  ont  perpétuellement  defiré  de  voir  les  a6tes 
du  Procès,  qu'on  fçait  avoir  efté  aherez  &  falfifiez,  qui  n'ont 
efté  depofez  en  aucune  greffe  ,  qu'on  fçait  eftre  fupprimez  en 
tout  ou  en  partie. 

Neantmoins  le  Cardinal  de  Richelieu  j  pour  fatisfaire  à  fa 
violente  paflîon  ,  avoit  efté  {\  mal  confeillé  que  de  faire  faire 
une  impreflion  de  ce  Procès ,  toute  falfifiée  ,  tant  par  lui  que 
par  ceux  qui  avoientles  acles  en  leur  pofTelTion,  qu'ils  ont  de- 
puis du  tout  fupprimée  j  jugeans  bien ,  le  Cardinal  n'eftant  plus> 
qu'ils  n'avoient  pas  alTez  de  crédit  &  d'autorité  pour  la  faire 
valoir ,  qu'ils  n'avoient  pas  aflez  de  front  ni  d'audace  pour  en 
foutenir  la  vérité. 

Pour  donc  rapporter  au  vrai  ce  qui  fe  pafTa  en  cefte  funefte 
aûion ,  tant  pour  ce  qui  regarde  leditt  fieur  de  Cinq-Mars 
que  M.  de  Thou,  qui  ne  peuvent  eftre  feparez  en  cefte  occa- 
fion ,  il  faut  fçavoir  que  Laubardemont  qui  avoit  efté  rappor- 
teur >  ôc  Robert  de  Saint-Germain  l'un  des  Commiffaires ,  foc- 
tirent  de  la  Chambre  pour  difpofer  les  prifonniers  à  la  ledure 
de  leur  Arreft ,  ôc  les  refoudre  à  la  mort. 

A  cefte  nouvelle  ils  affermirent  leur  efprit ,  ôc  tefmoigne- 
rent  une  refoîution  extraordinaire.  Alors  M.  de  Thou  dift  à 
M.  de  Cinq-Mars  en  foufriant  :  »  Et  bien ,  Monfieur ,  hu- 
3^  mainement  je  me  pourrois  plaindre  de  vous  ,  vous  m'avez 
»  accufé ,  vous  me  faites  mourir  ^  mais  Dieu  fcait  combien 
Tome  XF,  '     JX 


i62       MEMOIRES  POUR  JUSTIFIER 

«je  vous  aime;  mourons  ,  Monfieur ,  mourons  courageufe- 
«  ment  ôc  gagnons  le  paradis.  »  Ils  s'embraflerent  l'un  l'autre 
d'une  grande  tendreffe  i  s'entredifans  que  puifqu'iis  avoient 
efté  fi  bons  amis  durant  leur  vie  ,  ce  leur  fera  une  grande 
confolation  de  mourir  enfemble. 

Enfuite  on  appella  Palerne  ,  Greffier  criminel  du  Prefidial 
de  Lion ,  pour  leur  prononcer  leur  Arreft ,  lequel  s'appro- 
chant ,  M.  de  Thou  s'efcria  :  Quam  fpeciofi  pedes  evangeltfan^ 
tmn  pacem  ,  evangelifanîium  hona  '■>  &  s'eftans  mis  tous  deux  à 
genoux,  tefte  nue ,  l'Arreft  leur  fuft  prononcé  en  ces  mots  : 

«  Entre  le  Procureur  General  du  Roy  demandeur  en  cas  de 
»  crime  de  leze-Majefté  d'une  part,  ôc  Meffires  Henry  Defiat 
«de  Cinq-Mars,  Grand  Efcuyer  de  France,  &  François- 
»>  Augufte  de  Thou  j  Confeiller  du  Roy  en  fon  Confeil  d'Eftat , 
«prifonniers  au  Chafteau  de  Pierre- cize  de  Lion,  defFendeurs 
!>'  ôc  accufez  d'autre  5  Veu  le  procès  extraordinairement  faid 
»>  à  la  Requefte  dudiâ:  Procureur  General  du  Roy ,  à  l'encon- 
»  tre  defdi£ts  Defiat  ôc  de  Thou  ,  informations ,  interroga- 
«  toires ,  confefTions ,  dénégations ,  ôc  confrontations ,  copies 
»>  recogneues  du  Trai6lé  en  datte  du  1 3  Mars  dernier ,  arreft 
«du  6  de  ce  mois  de  Septembre  ,  ôc  pièces  contenues  en 
»  iceluy  >  ôc  tout  ce  que  le  Procureur  General  du  Roy  a  pro- 
»'  duit  ôc  remis  j  ledid:  Defiat  ouï  ôc  interrogé  en  la  chambre 
»'  du  Confeil  du  Prefidial  de  Lion  fur  les  cas  à  lui  impofez ,  fa 
»  déclaration,  recognoiffance,  ôc  confefTion,  confrontation  du- 
di£t  Defiat  audi£t  de  Thou  ,  contenant  auffi  l'adveu  ,  re- 
cognoiffance, ôc  confeffion  d'iceluy  de  Thou  j  ledi£t  de  Thou 
pareillement  ouï  ôc  interrogé  en  ladite  Chambre ,  conclu- 
*  lions  dudi£l  Procureur  General  du  Roy ,  ôc  tout  confédéré  : 
»  Les  Commiffaires  députez  par  fa  Majefté ,  aufquels  M.  le 
35  Chancelier  a  prefidé  ,  faifant  droid  fur  les  conclufions  du- 
o>  di£l  Procureur  General  ,  ont  déclaré  lefdits  Defiat  ôc  de 
«  Thou  atteints  ôc  convaincus  du  crime  de  leze-Majefté  :  fça- 
«  voir,  ledid  Defiat  pour  les  confpirations  ôc  entreprifes  ,  pro- 
additions,  ligues,  ôc  Tr aidez  fai£ts  par  lui  avec  les  eftrangers 
05  contre  TEftat ,  ôc  ledid  de  Thou  pour  avoir  eu  cognoiffance 
35  ôc  participation  defdides  confpirations ,  entreprifes ,  prédi- 
se tions ,  ligues ,  ôc  Traidez  :  pour  réparation  defquels  crimes 
M  les  ont  privez  de  tous  honneurs ,  eftats ,  ôc  dignitez ,  ôc  les 


jj 


n 


MONSIEUR   F.    A.    DE  THOU.        i6^ 

*  ont  condamnez  6c  condamnent  d'avoir  la  tefte  tranchée  fur 
»  un  efchaffault ,  qui  pour  cet  efFe£l  fera  drefTé  en  la  place  des 
M  Terreaux  de  cette  ville  ;  ont  déclaré  ôc  déclarent  tous  6c  cha- 
o>  cuns  leurs  biens  meubles  6c  immeubles  généralement  quel- 
«  conques ,  en  quelque  lieu  qu'ils  foient  fituez  ,  aquis  ôc  con- 
»>  fifquez  au  Roy ,  6c  à  ceux  par  eux  tenus  immédiatement  de 
»la  couronne  reunis  au  domaine  d'icelle  ,  fur  eux  prealable- 
»  ment  pris  6c  levé  la  fomme  de  foixante  mille  livres  appli- 
M  cable  à  des  œuvres  pies;  6c  neantmoins  ordonnent  que  le- 
ndit Defiat  avant  l'exécution  fera  appliqué  à  la  queftion  or- 
3»dinaire  6c  extraordinaire,  pour  avoir  plus  ample  révélation 
»de  fes  complices.  Prononcé  le  12  du  mois  de  Septembre 
»  1 6^2.  » 

Après  la  prononciation  de  cet  Arrell  (qui  n'eftoit  pas  neant- 
moins conceu  en  cefte  forme  pour  ce  qui  concerne  ledi£l: 
(leur  de  Thou ,  car  il  n'y  avoir  point  ce  mot  de  participation  ) 
leditl  fleur  de  Thou  dift  d'un  grand  fentiment ,  Dieu  fin  béni , 
Dieu  fitt  loué  3  6c  dit  enfuite  plufieurs  belles  paroles ,  ce  qui 
lui  dura  jufques  à  la  mort. 

M.  de  Cinq-Mars  après  la  le£lure  de  l'Arreft,  s'eflant  levé, 
dift  :  «  La  mort  ne  m'eilonne  point ,  mais  il  faut  avouer  que 
oî  l'infamie  de  cefte  queftion  choque  puiflamment  mon  efprit  : 
a'ouïj  MeiTieurs,  je  trouve  cefte  queftion  tout-à-fait  extraor- 
»  dinaire  à  un  homme  de  ma  condition,  6c  de  mon  âge.  Je 
»  croi  que  les  Loix  m'en  difpenfent,  au  moins  je  l'ai  ouï  dire. 
3'  La  mort  ne  me  fai^t  point  de  peur  î  mais,  Meffieurs  ,  j'avoue 
w  ma  foiblefle  ,  j'ai  de  la  peine  à  digérer  cette  queftion.  =0 

lis  demandèrent  chacun  leur  ConfelTeur ,  fçavoir  ,  ?vL  de 
Cinq-Mars,  le  P.  Malavalette  Jefuite  ,  6c  M.  de  Thou,  le  P. 
Manobrun  auflî  Jefuite.  Celui  qui  jufques  alors  avcit  eu  la 
charge  de  les  garder ,  les  remit  par  ordre  de  M.  le  Chance- 
lier entre  les  mains  du  fieur  Thomé,  Prevoft  gênerai  des  Ma- 
refchaux  de  Lionnois,  puis  prit  congé  d'eux,  &  enfuite  leurs 
Gardes  tous  les  larmes  aux  yeux.  M.  de  Cinq-Mars  les  remer- 
cia ,  6c  leur  dift  :  «  Mes  amis ,  ne  pleurez  point  ,  les  larmes 
»  font  inutiles  ;  priez  Dieu  pour  moi  ,  6c  afîeurez-vous  que  la 
»  mort  ne  me  fit  jamais  peur.  «  M.  de  Thou  les  baifa  ôc  em- 
brafla  tous.  Ils  fortirent  du  Palais  les  yeux  baignez  de  larmes  3 
fe  couvrans    le  vifage  de  leurs  manteaux.    Après  quoi  les 

JXij 


1(^4     MEMOIRES   POUR  JUSTIFIER 

condamnez  allèrent  embrafîer  ledid  fieur  Thomé ,  &  lui  firent 
compliment.  Le  P.  Malavalette  venu  y  lediâ:  fieur  de  Cinq- 
Mars  l'alla  embrafler,  ôc  lui  dift  :  «  Mon  Père  ,  on  me  veuit 
«  donner  la  queftion  ,  j'ai  bien  de  la  peine  à  m'y  refoudre.  » 
Le  Père  le  confola ,  ôc  fortifia  fon  efprit  autant  qu'il  pût.  Il  fe 
refolut  enfin ,  ôc  comme  Laubardemont  ôc  le  Greffier  le  vin- 
drent  prendre  pour  le  mener  dans  la  Chambre  de  la  gefne , 
il  fe  rafleura  ,  ôc  paflant  près  de  M.  de  Thou  ,  il  lui  dift  froide- 
ment :  «  Monfieur,  nous  fommes  tous  deux  condamnez  à  mou- 
»  rir ,  mais  je  fuis  bien  plus  malheureux  que  vous ,  car  outre  la 
5'  mort  je  dois  foufFrir  la  queftion  ordinaire  ôc  extraordinaire.  » 
On  le  mena  à  la  chambre  de  la  gefne ,  ôc  paflant  par  une  cham- 
bre des  prifonniers  ,  il  dift  :  «  Mon  Dieu ,  où  me  menez- vous  ? 
»  ôc  puis ,  Qu'il  fent  mal  icy  ?  «  Il  fut  environ  une  demie  heure 
dans  cefte  chambre  de  la  gefne  ,  puis  on  le  remena  fans  avoir 
efté  tiré  j  d'autant  que  par  le  retentum  de  l'Arreft  ,  il  avoit  efté 
dit,  qu'il  feroit  feulement  prefenté  à  la  queftion. 

Au  retour ,  fon  Rapporteur  après  avoir  parlé  à  lui  quelque 
ttemps  j  lui  dift  adieu  dans  la  fale  de  l'Audience.  Après  quoi 
M.  de  Thou  l'alla  embrafler  ,  l'exhortant  de  vouloir  mourir 
conftamment ,  ôc  de  ne  point  appréhender  la  mort.  Il  lui  re- 
partit j  qu'il  ne  l'avoit  jamais  appréhendée,  ôc  que  quelque 
mine  qu'il  euft  faide  depuis  fa  prife ,  il  avoit  tousjours  bien 
creu  qu'il  n'en  efchapperoit  pas.  Ils  demeurèrent  enfemble  en- 
viron un  petit  quart  d'heure ,  pendant  lequel  temps  ils  s'em- 
brafferent  deux  ou  trois  fois ,  ôc  fe  demandèrent  pardon  l'un 
à  l'autre  avec  les  demonftrations  d'une  amitié  parfaite.  Leur 
conférence  finit  par  ce  mot  de  M.  de  Cinq-Mars  ,  Il  ejî  temps 
de  mettre  ordre  à  nojlre  falut. 

Quittant  M.  de  Thou ,  il  demanda  une  chambre  à  part  pour 
fe  confeflTer  ,  qu'il  euft  peine  d'obtenir.  Il  fit  une  confeflion  gé- 
nérale de  toute  fa  vie  avec  grande  repentance  de  fes  péchez  , 
ôc  beaucoup  de  fentimens  d'avoir  ofFenfé  Dieu.  Il  pria  fon 
Confefieur  de  tefmoigner  au  Roy  ôc  au  Cardinal  de  Riche- 
lieu ,  les  regrets  qu'il  avoit  de  fa  faute. 

Sa  confefTion  dura  une  heure ,  à  la  fin  de  laquelle  il  dift 
au  Percp  qu'il  n'avoit  rien  pris  il  y  avoit  vingt-quatre  heures: 
ce  qui  obligea  le  Père  de  faire  apporter  des  œufs  frais  ôc  du 
vin  5  mais  il  ne  voulut  qu'un  peu  de  pain ,  ôc  du  vin  duquel 


MONSIEUR  F.  A.  DE  THOU.        i^; 

il  ne  fit  que  fe  laver  la  bouche.  Il  tefmoigna  à  ce  Père  que 
rien  ne  l'avoit  tant  eftonné  que  de  fe  voir  abandonné  de  tous 
fes  amis ,  ce  qu'il  n'auroit  jamais  creu  5  &  lui  dift ,  que  depuis 
qu'il  avoir  eu  l'honneur  des  bonnes  grâces  du  Roy ,  il  avoit 
tousjours  tafché  de  faire  des  amis,  Ôc  qu'il  s'eftoit  perfuadé  d'y 
avoir  réufli  :  mais  qu'il  cognoiflbit  enfin  qu'il  ne  s'y  falloit  point 
fier,  &  que  toutes  les  amitiez  de  Court  n'eftoient  que  difli- 
mulation.  Le  Père  luirefpondit ,  que  telle  avoit  tousjours  efté 
l'humeur  du  monde ,  &  qu'il  ne  s'en  falloir  pas  eftonner.  Il 
demanda  du  papier  ôc  de  l'ancre  pour  efcrire,  comme  il  fit  ^  à 
Madame  fa  mère  ,  qu'il  prioit  entre  autres  chofes  de  vouloir 
payer  fes  debtes ,  dont  il  lui  envoya  les  mémoires ,  qu'il  re- 
mit au  Père  pour  faire  voir  le  tout  à  M.  le  Chancelier.  Il  fi- 
nit ainfi  fa  Lettre  :  «  Au  refte ,  Madame ,  autant  de  pas  que 
s>  je  vais  faire  j  font  autant  de  pas  qui  me  portent  à  la  mort.  » 

Cependant  M.  de  Thou  elf  oit  en  la  fale  de  l'Audience  avec 
fon  Confefleur  dans  des  tranfports  divins  ,  difficiles  à  expri- 
mer. D'abord  qu'il  vit  fon  Confefleur ,  il  courut  l'embrafler 
avec  ces  paroles  :  «  Mon  Père  >  je  fuis  hors  de  peine ,  nous 
»  fommes  condamnez  à  mort ,  &  vous  venez  pour  me  mener 
«  dans  le  ciel.  Ah  !  qu'il  y  a  peu  de  diftance  de  la  vie  à  la 
*  mort  i  que  c'eft  un  chemin  bien  court  !  Allons ,  mon  Père , 
a^  allons  à  la  mort ,  allons  au  Ciel  .  allons  à  la  vraye  gloire, 
3»Helas  !  quel  bien  puis- je  avoir  fai6l  en  ma  vie,  qui  m'ait  pu 
o>  obtenir  la  faveur  que  je  reçois  aujourd'hui  de  fouffrir  une 
o>  mort  ignominieufe ,  pour  arriver  pluftoft  à  la  vie  éterneîle- 
»  ment  glorieufe  !  » 

L'on  fe  fervira  icy  de  la  Relation  du  Père  Mambrun  :  voicy 
comme  il  a  publié  toute  cefte  tragique  a£lion.  M.  de  Thou  , 
dit-il  y  me  voyant  près  de  foy  en  la  fale  de  l'Audience  m'em- 
brafla  ,  &  me  dift  qu'il  eftoit  condamné  à  mort ,  qu'il  falloit 
bien  employer  le  peu  de  temps  qui  lui  reftoit  de  vie  ,  ôc 
me  pria  de  l'aflifter  jufques  à  la  fin.  Il  me  dift  encores  :  «  Mon 
««Père,  depuis  qu'on  m'a  prononcé  ma  fentence,  je  fuis  plus 
oî  content  &  plus  tranquille  qu'auparavant  :  l'attente  de  ce  qu'on 
«ordonneroit,  ôc  l'ifluë  de  ceftc  affaire  me  tenoit  en  quelque 
«  perplexité  ôc  inquiétude  ,  maintenant  je  ne  veux  plus  penfer 
oî  aux  chofes  de  ce  monde ,  mais  au  paradis  ,  ôc  me  difpofer 
-Ȉ  la  mort.  Je  n'ai  aucuwe  amertume  ni  malveillance  contre 


\ 


i6S      MEMOIRES  POUR  JUSTIFIER 

Mperfoniie.  Dieu  s'eft  voulu  fervir  de  mes  juges  pour  me  met- 
»  tre  en  fon  paradis ,  ôc  m'a  voulu  prendre  en  ce  temps  au- 
«  quel  par  fa  bonté  ôc  mifericorde  je  croy  eftre  bien  difpolé 
»  à  la  mort.  Je  ne  puis  rien  de  moi-mefme  :  cette  confiance , 
»  ôc  ce  peu  de  courage  que  j'ai ,  provient  de  fa  grâce.  « 

Après  il  fe  mit  à  faire  des  a£les  d'amour  de  Dieu  ,  de  con- 
trition ,  ôc  repentance  de  fes  péchez ,  ôc  plufieurs  Oraifons 
jaculatoires. 

Il  faut  remarquer  que  durant  les  trois  mois  de  fa  prifon , 
il  s'eftoit  difpofé  à  la  mort  par  la  fréquentation  des  facremens, 
par  l'oraifon ,  ôc  méditation ,  ôc  confideration  des  myfteres 
divins  s  par  la  communication  avec  fes  pères  fpirituels ,  ôc 
ledure  des  livres  de  dévotion ,  particulièrement  du  livre  de 
Bellarmin  fur  les  Pfeaumes  ,  ôc  du  livret  de  Arte  bene  mortendi 
du  mefme  Autheur.  Il  choififfoit  pendant  ce  temps  certains 
verfets  de  Pfeaumes  ,  pour  faire  fes  Oraifons  jaculatoires  ôc 
élévations  d'efprit ,  qu'il  difoit  ôc  repetoit  fouvent  fort  dévo- 
tement ;  ôc  me  difoit  qu'il  entendoit  ôc  penerroit  beaucoup 
mieux  ôc  avec  plus  de  reffentiment  en  cette  fienne  affli£tioii 
ces  fentences  de  la  Sainte  Efcriture,  qu'auparavant. 

Il  rendoit  grâces  à  Dieu  ,  ôc  admiroit  fa  divine  bonté  Ôc 
providence  qui  lui  donnoit  tant  de  commoditez  ,  ôc  un  temps 
îî  propre  pour  fe  difpofer  à  la  mort ,  qui  n'avoit  pas  permis 
qu'il  mouruft  lors  qu'il  eftoit  en  péché  mortel,  ôc  en  mauvais 
eftat  :  ôc  deux  ou  trois  fois  fe  recommanda  à  mes  prières  { ce 
fut  le  Mercredy  lo  de  ce  mois)  ôc  me  pria  de  demander  à 
Dieu  i  non  pas  qu'il  fuft  délivré  de  ce  danger  prefent  de  la 
mort  auquel  il  fe  voyoit ,  mais  que  la  volonté  de  Dieu  fuft 
faite  ôc  accomplie  en  lui.  Il  recitoit  fouvent  avec  beaucoup 
de  reffentiment  le  Pfalme  li^.  Credidi ,  propter  quod  locuuts 
Jum ,  ôc  particulièrement  ce  verfet ,  dirupifîi  vincula  meaj  tibi 
facrificabo  hofliam  laudis  0"  nomen  Domini  invocabo  y  rendant 
grâces  à  Dieu  fort  affe£tueufement,  de  ce  que  par  fa  miferi- 
corde il  avoir  rompu  les  liens  qui  le  tenoient  attaché  à  la  terre 
ôc  à  cette  vie.  Il  difoit  aufîi ,  Ôc  reiteroit  fouvent  quelques- 
autres  pafîages  de  l'Efcriture  Sain£le  avec  de  grands  fentimens 
de  dévotion  ôc  ferveur  d'efprit  ;  particulièrement  ceux-cy  tirez 
du  Chap.  4.  de  la  féconde  Epiftre  de  faint  Paul  aux  Corin- 
thiens :  îd  enim    mod  in  praefemi   eft  momenîaneum  &  kve 


MONSIEUR  F.  A.  DE  THOU.         i^y 

tribulatîonis  mjîra  ^/upra  modum  injublimitate  aternum  gloride  pon- 
dus operatur  in  nobis ,  non  contemplantibus  nobis  qua  videmur  ,fed 
quce  non  videntur  /  quce  enim  videmur  temporalia  fimt ,  qtue  au- 
te?n  non  videntur ,  aterna  funt.  Comme  auffi  ces  beaux  mots 
du  Chap.  8.  de  l'Epiftreaux  Romains  :  Quis  ergo  nos  feparabit 
à  charitate  Chriflt  i*  tribut atio  an  angujlia  f  an  famés  r'  an  nuditasj* 
an  periculum  .^  an  perfecutto  f  an  gladius  r*  ficut  fcriptum  eji  ^  quia 
propter  te  mortificamur  tôt  a  die ,  aeftimatifumusfîcut  oves  occifionis. 
Sed  in  his  omnibus  fuperamus  propter  eum  qui  dilexit  nos,  Jl  re- 
petoit  aufli  fou  vent  ce  verfet  du  Pfalme  ^o.  Sacrificium  Dea 
fpiritus  contribuiatus  :  cor  contritum  &  humiliatum  Deus  non  def- 
picies.  Ces  mefmes  verfets  de  l'Efcriture  lui  fervoient  d'entre- 
tien dans  la  fale  de  l'Audience,  après  la  prononciation  de  fon 
Arreftj  il  les  proferoit  avec  de  grands  fentimens  d'amour  de 
Dieu,  ôc  avec  un  grand  mefpris  de  toutes  les  vanitez  du  mon- 
de. Il  faluoit  ceux  qu'il  voyoit  en  cette  fale  où  nous  eftions , 
fe  recommandoit  à  leurs  prières ,  leur  tefmoignoit  qu'il  mou- 
roit  content. 

Un  homme  envoyé  de  la  part  de  Madame  de  Pontac  fa 
fœur ,  lui  vint  dire  fes  derniers  adieux.  II  lui  dift  :  «  Mon  ami  j 
3'  dis  à  ma  fœur  que  je  la  prie  de  continuer  en  fes  dévotions , 
»'  comme  elle  a  faid  jufques  à  prefent  i  que  je  cognois  main- 
»  tenant  mieux  que  jamais  que  ce  monde  n'eft  que  menfonge 
»  ôc  vanité ,  ôc  que  je  meurs  très-content  ôc  en  bon  Chrétien  î 
»'  qu'elle  prie  Dieu  pour  moy ,  ôc  qu'elle  ne  me  plaigne  point, 
»  puifque  j'efpere  trouver  mon  falut  en  ma  mort.  Adieu.  « 

Cet  homme  fe  retira  fans  pouvoir  dire  une  feule  parole.  Il 
fentoit  une  force  Ôc  un  courage  fi  extraordinaire  à  bien  fouf- 
frir  cette  mort ,  qu'il  craignoit  qu'il  n'y  euft  de  la  vanité  j  ôc 
fe  tournant  vers  moy ,  me  dift  :  «  Mon  Père ,  n'y  a-t-il  point 
»  de  vanité  en  cela  ?  Mon  Dieu ,  je  protefte  devant  voftre  di- 
vine Majefté,  que  de  moy-mefme  je  ne  puis  rien,  ôc  que 
toute  ma  force  vient  tellement  de  voftre  bonté  ôc  miferi- 
corde,  que  fi  vous  me  delaiffiez  je  tomberois  à  chaque  pas.  » 

Il  fe  confefla  à  moy  au  bout  de  la  fale.  Après  fa  confellîon 
il  continua  fes  élévations  d'efprit  à  Dieu ,  ôc  difcours  fpirituels, 
avec  un  grand  foin  de  bien  employer  le  temps  qui  lui  reftoit. 

Jufques  ici  ce  font  les  paroles  du  P.  Mambrun.  Son  com- 
pagnon remarqua ,  que  comme  M.  de  Thou  fe  pourmenoit 


33 


an 


\ 


't6s    MEMOIRES  POUR  JUSTIFIER 

dans  la  fale  de  l'Audience ,  il  dift  :  «  He  bien ,  on  dira  que 
»>  je  fuis  un  poltron  &  eftourdi ,  que  je  n'ai  point  eu  de  con- 
«  duite ,  que  je  n'ai  pas  fceu  mefnager  mes  affaires  j  ôc  c'eft  ce 
»  que  je  defire  :  je  veux  bien  qu'on  ait  cefte  opinion-là  de  moy , 
»  qu'on  me  mefprife ,  qu'on  me  blafme  >  je  le  fouhaite  pour 
aï  l'amour  de  Dieu.  » 

Après  fa  confefTîon  il  fut  vifité  par  le  P.  Jean  Terraffe  ; 
Gardien  du  Couvent  de  l'Obfervance  de  S.  François  de  Ta- 
rafcon  ,  qui  l'avoit  alTifté  &  confolé  durant  fa  prifon  de  Taraf- 
con.  Il  fut  bien  aife  de  le  voir ,  fe  pourmena  avec  lui  §c  fon 
Confefleur  quelque  temps  dans  un  entretien  fpirituel.  Ce  Père 
eftoit  venu  à  l'occafion  d'un  vœu  que  M.  de  Thou  avoit  faid 
à  Tarafcon  pour  fa  délivrance ,  qui  eftoit  de  fonder  un  Cha- 
pelle de  trois  cens  livres  de  rente  dans  l'Eglife  des  Cordeliers 
à  Tarafcon.  Il  donna  ordre  pour  cefte  fondation ,  voulant 
s'aquitter  de  fon  vœu  ,  puifque  Dieu ,  difoit-il ,  le  delivroit 
non  feulement  d'une  prifon  de  pierre ,  mais  encores  de  la 
prifon  de  fon  corps  j  demanda  de  l'ancre  ôc  du  papier ,  ôc 
efcrivit  cefte  belle  Infcription  qu'il  vouloit  eftre  mife  en  cefte 
Chapelle  : 

Chrijlo  Liberatori 
Votum  in  carcere  pro  Itbertate  conceptum 
Franc.    Au  g  u  st.    T  h  u  a  n  u  s 
E  carcere  vita  jamjam  Uberandus 
Merito  folvit  xii  Septemb.  cididçxlii. 
Confitebor  tibi  Domine  ,  quoniam  exaudijîi  me ,  &  faâus  es 

mihi  infaluîem. 

Cette  Infcription  fera  admirer  la  prefence  ôc  la  netteté  de 
fon  efprit,  ôc  fera  advouer  à  ceux  qui  la  confidereront  ,  que 
Tapprehenfion  de  la  mort  n'avoit  pas  eu  le  pouvoir  de  lui  eau- 
fer  aucun  trouble.  Il  pria  ledi£l  fieur  Thomé  de  faire  compli- 
ment de  fa  part  à  M.  le  Cardinal  de  Lion ,  ôc  lui  tefmoigner 
que  s'il  euft  pieu  à  Dieu  de  le  fortir  de  ce  péril ,  il  avoit  dQ^~ 
fein  de  quitter  le  monde,  Ôc  fe  donner  entièrement  au  fervice 
de  Dieu. 

11  efcrivit  deux  Lettres  ,  qui  furent  portées  ouvertes  à  M. 
k  Chancelier,  ôc  puis  rçmifes  entre  Içs  mains  de  fon  Confefleur 

pour 


ONSIEUR  F.  A.  DE  THOU.         i6> 

pour  ïes  faire  tenir  '.  Ces  Lettres  eflans  ferme'es ,  il  dift  :  «  Voilà 
»'  la  dernière  penfée  que  je  veux  avoir  pour  le  monde ,  par- 
s»  Ions  du  paradis.  ^^  Et  dehors  il  reprit  fans  interruption  avec 
la  mefme  ferveur  d'eîi^rit  fes  difcours  fpirituels,  Ôc  fe  confefla 
une  féconde  fois.  Il  demanda  parfois^  fi  l'heure  de  partir  pour 
aller  au  fupplice  approchoit,  quand  on  le  devoir  lier,  ôc  prioit 
que  l'on  l'advertift  quand  l'Exécuteur  de  la  Juftice  feroit-là , 
afin  de  l'embraiïer  ;  mais  il  ne  le  vit  point  que  fur  l'efcbaffault. 

Sur  les  trois  heures  après  midy ,  quatre  compagnies  des  Bour- 
geois de  Lion  ,  faifans  environ  douze  cens  hommes  ,  furent 
rangées  au  milieu  de  la  place  des  Terreaux,  enforte  qu'elles 
enfermoient  un  efpace  quarré  d'environ  quatre  -  vingt  pas  de 
chaque  codé,  dans  lequel  on  ne  laifToit  entrer  perfonne,  finon 
ceux  qui  eftoient  neceflaires.  Au  milieu  de  cet  efpace  fut  drefle 
l'efchaffault  avec  tout  ce  qui  eftoit  neceffaire  à  cefte  exécution. 

Environ  les  cinq  heures  du  foir ,  les  officiers  prièrent  le  com- 
pagnon du  P.  Malavalette  de  l'advertir  qu'il  eftoit  temps  de 
partir.  M.  de  Cinq-Mars  jugea  ce  que  l'on  vouloit  dire,  «  On 
»  nous  prefTe  ,  dit- il,  il  s'en  faut  aller.  =^  Pourtant  l'un  des  offi- 
ciers l'entretint  encores  quelque  temps  dans  la  chambre  ;  d'où 
fortant,  le  Valet  de  chambre  qui  l'avoit  fervi  depuis  Mont- 
pellier, fe  prefenta  ,  lui  demandant  quelque  recompenfe.  «  Je 
»n'ai  plus  rien,  dit-il,  j'ai  tout  donné."  De-là  il  vint  vers  M. 
de  Thou  en  la  fale  de  l'Audience.  <^  Allons ,  Monfieur ,  allons, 
3'  il  eft  temps.  »  M.  de  Thou  alors  s'efcria  :  Ld^tatiis  jhm  in  hts 
quds  diâa  Junt  mihi  :  in  domum  Domini  ibimus*  Là-deflus  ils 
s'embrafTerent ,  ôc  fortirent. 

M.  de  Cinq-Mars  marchoit  le  premier,  tenant  fon  Confef- 
feur  par  la  main  jufques  fur  le  perron ,  où  il  faîua  de  fi  bon- 
ne grâce  tout  le  peuple  ,  qu'il  tira  les  larmes  des  yeux  d'un 
chacun.  Lui  feul  demeura  ferme  fans  s'efmouvoirj  &  garda 
cette  fermeté  d'efprit  le  long  du  chemin ,  jufques-là ,  que  voyant 
fon  ConfefTeur  furpris  d'un  fentiment  de  tendrefle  ,  à  la  veuë 
des  larmes  de  quelques  perfonnes,  «  Qu*eft-ce  à  dirececy  ,  mon 
»  Père ,  vous  eftes  plus  fenfibie  à  mes  interefts  que  moi- mefme  ?  » 


I .  L'une  de  ces  Lettres  s'aàdreflbit  à 
une  Dame ,  le  nom  de  laquelle  il  dit  feu- 
lement à  fon  ConfefTeur.  L'autre  elloit 
efcrite  à  M.  Dupuy.  M.  le  Chancelier 
rendit  ces  Lettres  pour  en  faire  ce  qu  a- 


voit  defiré  ledit  fieur  de  Thou  ;  mais 
depuis  il  retira  celle  qui  eftoit  efcrite  à 
la  Dame ,  &  ne  l'a  pas  rendue.  [On 
trouvera  à  la  fuite  de  ces  Mémoires  la 
Lettre  à  M.  Dupuy.  ] 


Toms  XF.  J  Y 


170        MEMOIRES  POUR  JUSTIFIER 

Le  fleur  Thomé  Prevoft  de  Lion  avec  les  Archers  deRobbe- 
côurte ,  ôc  le  Chevalier  du  Guet  avec  fa  compagnie  ,  eurent 
ordre  de  les  mener  au  fuppiice  en  carofle  ;  ils  fe  mirent  tous 
deux  au  fond  du  carofTe  fur  le  derrière,  y  ayant  deux  Jefuites 
à  chaque  portière.  L'exécuteur  fuivoit  à  pied,  qui  eftoit  un 
gaigne-denier ,  qui  n'avoit  jamais  faid  aucune  exécution ,  finon 
de  donner  la  gefne. 

Dans  le  carolTe  ils  récitèrent  avec  leurs  ConfefTeurs  les  Li- 
tanies de  Noftre-Dame  ,  le  Miferere ,  &  autres  prières  ôc  orai- 
fons  jaculatoires  ,  firent  plufieurs  a£i:es  de  contrition  &  d'a- 
mour de  Dieu ,  tinrent  plufieurs  difcours  de  l'éternité  ,  de  la 
confiance  des  Martyrs ,  &  des  tourmens  qu'ils  avoient  foufferts. 
Ils  faluoient  fort  civilement  de  temps  en  temps  le  peuple  qui 
rempliffoit  les  rues  par  o\x  ils  pafToient.  M.  de  Thou  demanda 
encores  une  fois  pardon  à  M.  de  Cinq-Mars  avec  humilité , 
Jui  difant  :  «  Monfieur,  je  vous  demande  très  -  humblement 
»  pardon  fi  j'ai  efté  11  malheureux  que  de  vous  avoir  offenfé 
«  en  quoi  que  ce  foir.  «  Helas  !  Monfieur ,  c'efl  moi ,  refpondit 
M.  de  Cinq- Mars ,  qui  vous  ai  bien  offenfé  ^  &  je  vous  en  demande 
pardon  :  &  là-deffus  ils  s'embrafferent  tendrement. 

Quelque  temps  après  M.  de  Thou  difV  à  M.  de  Cinq-Mars: 
«  Monfieur ,  il  femble  que  vous  devez  avoir  plus  de  regret  de 
sî  mourir  que  non  pas  moi,  vous  eftes  plus  jeune,  vous  eftes 
»  plus  grand  dans  le  monde ,  vous  aviez  de  plus  grandes  ef- 
w  perances ,  vous  eftiez  le  favori  d'un  grand  Roy  5  mais  je  vous 
S'  affeure  pourtant  ,  Monfieur  ,  que  vous  ne  devez  point  re- 
«  greîter  tout  cela  qui  n'efl  que  du  vent ,  car  alTeurement  nous 
»  nous  allions  perdre,  nous  nous  fufïions  damnez,  ôc  Dieu  nous 
w  veult  fauver.  Je  tiens  nolîre  mort  pour  une  marque  infaillî- 
able  de  noftre  predeflination  ,  pour  laquelle  nous  avons  mille 
53  fois  plus  d'obhgation  à  Dieu  ,  que  s'il  nousavoit  donné  tous 
85  les  biens  du  monde  5  nous  ne  le  fçaurions  jamais  affez  re- 
-»'  mercier.  "  Ces  paroles  efmeurent  M.  de  Cinq-Mars  prefque 
jufqu'aux  larmes.  Après  il  continua  :  «  Monfieur,  mon  cher 
»amy,  qu'avons  nous  fai£l  de  fi  agréable  à  Dieu  durant  no- 
»  flre  vie  qui  fait  obligé  de  nous  faire  cefle  grâce  de  mourir 
M  enfemble  ,  de  mourir  comme  fon  fils,  d'effacer  tous  nos  pe- 
=>  chez  par  un  peu  d'infamie  ?  de  conquérir  le  ciel  par  un  peu 
^'  de  honte  ?  Ah  !  n'efl-il  pas  vrai,  que  nous  n'avons  rien  faid 


MONSIEUR  F.    A.   DE  THOU.  171 

3»pour  lui  ?  Fondons  nos  cœurs ,  efpuifons  nos  forces  en  ac- 
w  fions  de  grâces,  recevons  la  mort  avec  toutes  les  aifedions 
«  de  nos  âmes.  «  M.  de  Cinq-Mars  refpondoit  à  tout  cecy  par 
divers  a£tes  de  vertu ,  de  foi ,  de  contrition ,  ôc  autres. 

Ils  demandèrent  de  temps  en  temps  s'ils  eftoient  encores 
bien  loin  de  l'efchaffault  :  furquoi  le  P.  Malavaiette  prit  oc- 
cafion  de  demander  à  M.  de  Cinq-Mars,  S^il ne craignoit point 
la  mort.  «  Point  du  tout ,  mon  Père,  refpondit-il ,  &  c'eft  ce 
»  qui  me  donne  de  l'apprehenîion  de  voir  que  je  n'en  ay  point  : 
«helas  !  je  ne  crains  rien  que  mes  péchez.  "  Cefte  crainte 
l'avoit  fort  touché  depuis  fa  confefîion  générale  j  ôc  comme  le 
Père  l'euft  affeuré  fur  la  bonté  de  Dieu ,  &  fur  la  paiïion  du 
Sauveur,  luy  difant  de  plus  ,  qu'acceptant  de  bon  cœur  cette 
mort  ignominieufe  ,  il  pouvoit  eftre  certain  d'entrer  bien  avant 
dans  la  gloire  :  «  O  !  que  Dieu  eft  bon  ,  dit-il  plufieurs  fois  ,  de 
«  me  vouloir  recevoir  en  fa  grâce ,  après  l'avoir  tant  ôc  tant 
''offenfé.  Mais,  mon  Père,  comme -puis-je  mériter  par  cette 
»  mort  qui  n'eft  pas  à  mon  choix ,  car  il  eftoit  au  choix  des 
»  Martyrs  de  ne  pas  mourir  ?  ^^  Le  Père  luy  ayant  refpondu  > 
qu'il  la  pouvoit  rendre  méritoire  en  acceptant  volontairement 
ôc  offrant  à  Dieu  par  amour  ce  fupplice  infâme,  celui  des  Mar- 
tyrs eftant  honorable?  il  offrit  à  Dieu  fon  fupplice  tant  de  fois 
par  le  chemin,  que  fon  Confeffeur  n'en  remarqua  pas  le 
nombre. 

Enfuite  ils  contefterent  à  qui  mourroit  le  premier.  M.  de 
Cinq-Mars  dift  que  c'eftoit  à  lui ,  comme  le  plus  coulpable> 
ôc  le  premier  jugé  >  adjoufla  que  ce  feroit  le  faire  mourir  deux 
fois  s'il  mouroit  le  dernier.  M.  de  Thou  demanda  ce  droit 
comme  plus  âgé.  Le  Père  Malavaiette  dit  à  M.  de  Thou  :  Il 
eil  vrai  que  vous  eftes  le  plus  âgé ,  vous  devez  auffi  eftre  plus 
généreux.  Ce  que  M.  de  Cinq-Mars  ayant  confirmé ,  Bien  » 
Monfieur  3  repartit  M.  de  Thou  ,  vous  voulez  m^ ouvrir  le  chemin 
à  la  gloire,  «  Ah  !  dit  M.  de  Cinq-Mars ,  je  vous  ai  ouvert  le 
8'  précipice  :  mais  precipitons-nous  dans  la  mort  pour  furgir  àla 
sî  vie  éternelle.  ^  Il  fut  doncarrefté  que  M.  de  Cinq-Mars  mour- 
roit le  premier.  Eftans  proche  de  l'efchaffault ,  on  remarqua  que 
M.  de  Thou  s'eftant  baiffé ,  ôc  ayant  veu  l'efchaffault ,  eften- 
dit  fes  bras,  ôc  puis  frappa  des  mains  l'une  contre  l'autre  d'une 
action  vive,  ôc  d'un  vifage  joyeux  5  ôc  dift  à  ?vl.  de  Cina-Mars : 

!Yij 


172      MEMOIRES  POUR  JUSTIFIER 

«Monfieur ,  c'eft  d'icy,  c'eft  d'icy ,  Monfieur,  que  nous  de- 
»  vons  aller  au  paradis ,  »  ôc  fe  tournant  à  fon  Confefleur  : 
«  Mon  Père ,  eft-il  bien  pofTible  qu'une  créature  Ci  chetive  corn- 
«  me  moy  ,  doive  aujourd'huy  prendre  pofTefTion  d  une  éternité 
»  bien-heureufe  ?  » 

Le  carofle  arrefté  au  pied  de  l'efcbaffault ,  le  Prevoft  dift  a 
M.  de  Cinq-Mars  ,  que  c'eftoit  à  luy  de  monter  le  premier. 
Il  dift  adieu  à  M.  de  ïhou ,  ôc  fe  feparerent  d'une  grande  aiTe- 
dion ,  difans  qu'ils  fe  reverroient  bien-toft  en  l'autre  monde , 
où  ils  feroient  éternellement  unis  avec  Dieu.  Ainfi  M.  de 
Cinq-Mars  defcendit  du  carrofTe  ^  parut  le  vifage  gay ,  &  don- 
na fon  manteau  au  Jefuite  ,  compagnon  de  fon  Confeffeur  , 
pour  faire  prier  Dieu  pour  luy.  Sur  ce  le  Greffier  criminel 
ieut  l'Arreft  ,  que  l'un  ôc  l'autre  n'efcouterent  :  &  on  abatit 
lemantelet  de  la  portière  du  carrofife  qui  regardoit  l'erchafTault, 
afin  d'en  ofter  la  veuë  à  M.  de  Thou. 

M.  de  Cinq -Mars  ayant  falué  ceux  qui  eftoient  près  de 
refchafFault  fe  couvrit ,  &  monta  gayement  Pefchelle  :  au  fé- 
cond efchellon  un  archer  s'avança,  Ôc  lui  ofta  par  derrière  fon 
chapeau.  Lors  il  s'arrefta  tout  court ,  &  dift  :  «  Ha  !  laiffez-moi 
«mon  chapeau.-»  Le  Prevoft  fe  fafcha  contre  fon  archer,  ôc 
lui  remit  fon  chapeau  fur  la  tefte ,  Ôc  il  acheva  de  monter  fur 
i'efchafFaut  s  où  eftantil  falua  ceux  qui  eftoient  à  fa  veuë  ,  d'un 
vifage  riant.  Après  ,  s'eftant  couvert  il  fe  mit  en  une  bonne 
pofture  j  ayant  avancé  un  pied  ôc  mis  la  main  au  cofté ,  il  con- 
fidera  haut  ôc  bas  toute  cefte  grande  afiemblée  d'un  vifage 
affeuré ,  ôc  fit  encores  deux  ou  trois  belles  defmarches. 

Son  ConfefTeur  eftant  monté,  il  le  falua,  puis  jetta  fon  cha- 
peau devant  lui  fur  l'efcbaffault  >  ôcbaifantla  main  la  prefenra 
à  fon  ConfefTeur  qu'il  embraffa,  ôc  celuy-cy  l'exhorta  d'une 
voix  baffe  de  produire  quelques  aûes  d'amour  de  Dieu  ,  ce 
qu'il  fit  d'une  grande  ardeur  >  parlant  bas ,  tenant  fon  bras  gau- 
che prefque  fur  l'efpaule  droite  de  fon  ConfefTeur.  Il  demeura 
affez  long-temps  en  cefte  pofture ,  tenant  le  plus  fouvent  les 
yeux  levez  au  ciel ,  le  vifage  riant ,  pendant  que  fon  Confeffeur 
lui  parloit  fort  bas  à  l'oreille.  On  lui  entendit  fouvent  repeter 
ces  paroles  :  Ouï ,  mon  Père ,  &  de  tout  mon  cœur ,  vin  million  de 
fois,  ôc  autres  femblables.  Puis  il  prit  un  cruciiix  que  le  com- 
pagnon du  Confeffeur  lui  oifiii; ,  le  baifa  avec  ardeur  ,  ôc  le 


MONSIEUR  F.    A.    DE   THOU.         17^ 

rendit.  De-là  il  fe  mit  à  genoux  aux  pieds  de  fon  Confefleur , 
qui  lui  donna  la  dernière  abfolution,  qu'il  receut  avec  humi- 
lité, &  fe  leva  ôc  s'alla  mettre  à  genoux  fur  le  bloc  ,  ôc  deman- 
da :  Eft-c€  icy  ,  mon  Père  y  ou  il  me  faut  mettre  s'  Ôc  comme  il 
fceut  que  c'eftoit-là  ^  il  y  eflaya  fon  col  ,  l'appliquant  fur  le 
poteau  ;  puis  s'eftant  relevé ,  il  demanda  s'il  falloit  ofter  fon 
pourpoint.  Le  Père  ôc  fon  compagnon  aidèrent  à  le  débou- 
tonner ,  ôc  lui  ofter  fon  pourpoint.  II  garda  tousjours  fes  gands 
aux  mains ,  qui  lui  furent  oftez  après  fa  mort.  Son  pourpoint  ofté, 
il  s'approcha  du  poteau  avec  joye ,  ôc  tout  debout  elîaya  fi  fon 
col  iroit  bien  fur  le  poteau  par  deux  fois  ;  puis  s'en  eftant  un 
peu  éloigné,  il  prit  le  Crucifix,  le  baifa  aux  pieds  ,  ôc  le  ren- 
dit 5  ôc  eftendant  fes  bras  il  s'alla  jetter  à  genoux  fur  le  bloc  , 
cmbrafla  le  poteau  ,  mit  fon  col  defTus ,  leva  les  yeux  au  ciel , 
ôc  demanda  au  Confefieur ,  Aion  F  ère ,  ferai- je  bien  tcyf  S'eftant 
relevé,  l'exécuteur  s'approcha  avec  des  cifeaux,  que  M.  de 
Cinq-Mars  lui  ofta ,  ne  voulant  pas  qu'il  le  touchaft,  ôc  Tes 
ayant  baifé  ,  les  prefenta  au  Père  :  «  Mon  Père  ,  je  vous  prie, 
»  rendez-moi  ce  dernier  fervice  >  coupez-moi  mes  cheveux.  » 
Le  Père  les  donna  à  fon  compagnon  pour  faire  cet  office  ,  ce 
qu'il  fit  j  lui  difant,  coupez  les  moi  bien  près,  je  vous  prie.  Puis 
eflevant  les  yeux  vers  le  Ciel ,  dit  :  Ah  !  mon  Dieu  3  qu^e/}-ce  de 
ce  monde!  Après  qu'ils  furent  coupez ,  il  porta  les  deux  mains  à  fa 
tefte ,  comme  pour  accommoder  ceux  qui  reftoient  à  cofté. 
Le  bourreau  s'approchant ,  il  lui  fit  figne  de  fe  retirer ,  ôc  prit 
encores  le  Crucifix  ôc  le  baifa  ,  puis  s'agenouilla  derechef  fur 
le  bloc  devant  le  poteau  qu'il  embrafla ,  ôc  voyant  en  bas  un 
homme  qui  eftoit  à  M.  le  Grand-Maiftre ,  il  le  falua ,  ôc  lui 
dift  :  «  Je  vous  prie  d'affeurer  M.  de  la  Meilleraye ,  que  je  fuis 
»  fon  très-humble  ferviteur.  «  Puis  s'arrefta  un  peu ,  ôc  continua: 
«  Dites-lui  que  je  le  prie  de  faire  prier  Dieu  pour  moi,  « 

L'Exécuteur  lui  ayant  ofté  le  collet  de  fa  chemife,  ôc  lui- 
inefme  ayant  ouvert  fa  poitrine  pour  defcouvrir  mieux  fon  col , 
ayant  les  mains  jointes  fur  le  poteau ,  dit  avec  grand  fentiment 
ces  paroles  :  «  Mon  Dieu ,  je  vous  confacre  ma  vie,  ôc  vous 
»  offre  mon  fupplice  en  fatisfadion  de  tous  mes  péchez.  Si  j'a- 
sjvois  à  vivre  plus  long-temps,  je  ferois  tout  autre  que  je  n'ai 
sicfté,  mais,  mon  Dieu,  puifqu'il  vous  plaift  que  je  meure, 
»  je  vous  offre  ma  mort  ôc  mon  fang  pour  l'expiation  de  mes 
83  fautes ,  ôc  de  tout  mon  cœur.  »  J  Y  iij 


174.       MEMOIPvES   POUPv  JUSTIFIER 

A  ces  mots  on  lui  prefenta  le  Crucifix ,  qu'il  prit  de  ia  maîn 
droite ,  tenant  le  poteau  embraflé  de  la  gauche ,  le  baifa  ,  le 
rendit,  Ôc  demanda  fes  médailles  au  compagnon  de  fon  Con- 
feffeur ,  lefquelles  il  baifa ,  difant  trois  fois  Jefus ,  ôc  les  lu  y  rendit. 
Et  fe  tournant  à  l'Exécuteur,  lui  dit  :  «  Que  fais-tu  là  ?  Qu'at- 
3>  tends-tu.  «  Son  Confefleur  s'eiiant  retiré,  il  le  rappella ,  ôc  lui 
dift  :  "  Mon  Père ,  venez-moi  ayder  à  prier  Dieu.  »  Il  fe  rap- 
procha Ôc  s'agenouilla  près  de  luy ,  lequel  recita  de  grande 
afFe£lîon  le  Salve  Regina  ,  fans  heliter ,  pefant  toutes  les  paro- 
les ,  ôc  particulièrement  celles-cy  ,  &  Jefum  benediôlum  fmcîum 
ventris  tui  >  ôcc.  Il  fe  baiffoit  ôc  ievoit  les  yeux  aux  ciel  avec 
une  dévotion  ôc  une  façon  toute  raviflante.  Après ,  fon  Con- 
fefleur pria  ceux  qui  eftoient  prefens  de  dire  pour  lui  un  VateT 
ôc  un  Ave  Aîaria,  lui  fit  dire  ces  paroles  :  Maria  mater  gratiap  ^ 
mater  mifericordide  t  tunosab  hojle  protège ,  &  hora  morîis  pjfcipe» 
Et  enfuite  :  In  manus  tuas  Domine  commendo  fpiritum  iiieum. 

Pendant  ce  temps ^  l'exécuteur  tirade  fon  fac  fon  couperet. 
Enfin ,  ayant  levé  les  yeux  au  ciel  >  il  dit  :  «  Allons  ,  il  faut 
mourir  5  mon  Dieu,  ayez  pitié  de  moi.  ^  Puis  d'une  grande 
confiance,  fans  eflre  bandé,  pofa  fon  col  fur  le  poteau  ,  ôc 
FembrafTant  il  ferma  les  yeux  ôc  attendit  le  coup  qui  lui  fut 
donné  lentement.  En  recevant  le  coup  il  pouffa  une  voix  forte 
comme  Ah  !  qui  fut  efloufFée  par  le  fang.  Il  leva  les  genoux 
de  deflus  le  bloc  ôc  retomba  auflî-tofl.  La  tefle  n'eilant  pas 
entièrement  feparée  du  corps ,  l'exécuteur  acheva  avec  fon 
couperet ,  ôc  jetta  la  tefte  fur  l'efchafFaut ,  qui  de  là  bondit  à 
terre ,  où  elle  fît  encore  un  demi  tour  ,  ôç  palpita  aflTez  long 
temps ,  les  yeux  ouverts. 

Son  corps  demeura  droit  contre  le  poteau  tant  que  l'exc- 
cuteur  le  tira  de  là  pour  le  defpouiller  ,  ce  qu'il  fit  3  ôc  puis 
îe  couvrit  d'un  drap.  La  tefte  ayant  efté  rendue  fur  l'efchaf- 
faut ,  elle  fut  mife  près  du  corps  fous  le  drap. 

C'eft  une  chofe  eftrange  ,  qu'il  ne  tefmoigna  jamais  aucune 
peur  ni  trouble ,  mais  parut  gay ,  affeuré ,  ôc  dans  une  grande 
fermeté  d'efprit. 

M.  de  Cinq  Mars  mort,  M.  de  Thou  fortit  du  carroffe  le 
vifage  riant ,  ôc  ayant  falué  ceux  qui  eftoient  là ,  monta  affez 
vifte  fur  l'efchafî'aut ,  tenant  fon  manteau  plié  fur  le  bras  droit. 
D'abord  il  jetta  fon  manteau ,  ôc  courut  les  bras  ouverts  vers 


MONSIEUR  F.  A.  DE  THOU.       ^  17^ 

l'exécuteur  qu'il  embrafia  ,  difant  :  «  Ah  !  mon  frère  ,  moucher 
»  amy  ,  que  je  t'aime ,  il  faut  que  je  t'embrafie ,  puifque  tu  me 
«  dois  ajourd'huy  caufer  un  bonheur  éternel.  Tu  me  dois 
o>  mettre  dans  le  Paradis.  «  Puis  fe  tournant  fur  le  devant  de 
l'efchafl'aut  il  fe  découvrit ,  falua  le  monde ,  6c  jetta  fon  cha- 
peau derrière  lui  ,  qui  tomba  fur  les  pieds  de  M.  de  Cinq 
Mars.  De  là  fe  tournant  vers  fon  Confefleur  dit  d'une  grande 
ardeur  :  «  Mon  Père ,  Speciaciilum  facîi  Jiimus  munào  &  an- 
!>\gelis  ô"  hominibus.  Et  enfuite  :  ^tas  tv.as  Domine  demonjîra 
3ï  mïhi  &  femhas  tuas  edoce  me  ;  mon  Dieu ,  enfeignez  moi 
â'  vos  voyes ,  monftrez  moi  le  chemin  que  je  dois  tenir  pour 
«  aller  au  ciel.  » 

Le  Père  lui  ayant  dit  quelques  paroles  de  dévotion  qu'il 
efcoutoit  fort  attentivement ,  il  lui  dift  qu'il  avoit  encore  quel- 
que chofe  à  dire  touchant  fa  confciencej  fe  mit  à  genoux  , 
lui  déclara  ce  que  c'eftoit,  ôc  receut  la  dernière  abfolurion  , 
s'inclinant  fort  bas.  Cela  fai£t  il  ofta  fon  pourpoint ,  fe  mit  à 
genoux  ,  recita  le  Pfalme  115:  ,  ôc  le  paraphrafa  en  François 
prefque  tout  du  long  d'une  voix  afiez  haute  ôc  d'une  adion 
vigoureufe  avec  une  ferveur  indicible  ,  qui  paroiflbit  fur  fon 
vilage,  méfiée  d'une  fainte  joye.  Voicy  la  paraphrafe  qu'il  en 
fît ,  qu'il  faudroit  animer  de  l'adion  pareille  à  la  fienne  : 

ce  Credidi  propter  quod  locuîus  fum.  Mon  Dieu  ,  credtdi  je  l'ay 
^  crû  6c  je  le  crois  fermement  que  vous  eftes  mon  créateur  6c 
w  mon  bon  Père,  que  vous  avez  fouffert  pour  moi,  que  vous 
35  m'avez  racheté ,  qu'au  prix  de  votre  fang  vous  m'avez  ouvert 
»  ie  Paradis.  Credidi  5  je  vous  demande ,  mon  Dieu  ,  un  grain , 
«  un  petit  grain  de  cette  foi  vive,  qui  enfiammoit  le  cœur  des 
s»  premiers  Chreftiens.  Credidi  propter  quod  locutus  fum  j  faites 
»  mon  Dieu  que  je  ne  vous  parle  pas  feulement  des  lèvres , 
M  mais  que  mon  cœur  s'accorde  à  toutes  mes  paroles ,  6c  que 
»  ma  volonté  ne  démente  point  ma  bouche.  Credidi  •■>  je  ne 
s»  vous  adore  pas ,  mon  Dieu ,  de  la  langue ,  je  ne  fuis  point 
œ  afiez  éloquent ,  mais  je  vous  adore  d'efprit ,  ouy  d'efprit. 
»  Mon  Dieu ,  je  vous  adore  en  Efprit  ôc  en  vérité.  Ah  !  credidi  ^ 
»  je  me  fuis  fié  en  vous,  mon  Dieu,  6c  me  fuis  abandonné 
oî  à  voftre  mifericorde ,  après  tant  de  grâces  que  vous  m'avez 
9>  faites  ;  propter  quod  locutus  Jum,  6c  dans  cette  confiance  j'ai 
3>  parlé ,  j'ai  tout  dit ,  je  me  fuis  accufé. 


1-76        MEMOIRES  POUR  JUSTIFIER 

w  Ego  amem  humiliatus  fum  nimis.  Il  eft  vrai ,  Seigneur,  me 
v>  voila  extrêmement  humilié  ,  mais  non  pas  encore  tant  que 
•'je  le  mérite. 

3>  Ego  dtxi  y  in  excejju  meo  ,  omnis  homo  mendax.  Ah  !  qu'il 
*•  n'eft  que  trop  véritable  que  tout  ce  monde  n'eft  que  men- 
«  fonge ,  que  folie  ,  que  vanité  !  ah  !  qu'il  eft  vray  ,  omnis  homo 
»>  mendax, 

»  ^uid  retribuam  Domino.  Mon  Vqïq  ^quid  retribuam  Domi^ 
wno,  pro  omnibus  qua  retribuit  mihi  ?  (Il  repetoit  cecy  d'une 
w  grande  véhémence.  )  Caltcem  falmaris  accipiam.  Mon  Père  , 
«  il  le  faut  boire  courageufement  ce  calice  de  la  mort  ;  ouï  je 
»'  le  reçois  d'un  grand  cœur ,  ôc  je  fuis  preft  de  le  boire  tout 
"  entier.  Et  nomen  Domini  invccabo  :  vous  m'aiderez  ,  mon 
»  Père,  à  invoquer  l'afliftançe  divine,  afin  qu'il  plaife  à  Dieu 
«  de  fortifier  ma  foiblefle ,  ôc  me  donner  du  courage  autant 
•  qu'il  en  faut  pour  avaler  ce  calice  ,  que  le  bon  Dieu  me  pre- 
»  pare  pour  mon  falut. 

Il  pafla  les  deux  verfets  qui  fuivent  dans  ce  Pfeaume ,  & 
s'efcria  d'une  voix  forte  &  animée  : 

«  Dimpifti  Domine  vincula  mea  j  ah  !  mon  Dieu  ,  que  vous 
^  avez  fai^l  un  grand  coup  ,  vous  avez  brifé  ces  Hens  qui  me 
05  tenoient  fi  fort  attaché  au  monde,  il  falloit  une  puifl*ance  di^ 
V  vine  pour  m'en  dégager.  Dirupijii  Domine  vincula  mea  :  Que 
3  ceux  qui  m'ont  amené  icy  m'ont  fai£t  un  grand  plaifir ,  que 
»>  je  leur  ai  d'obligation.  Ah  !  qu'ils  m'ont  fai£l  un  grand  bien , 
?»  puifqu'ils  ni'ont  tiré  de  ce  monde  pour  me  loger  dans  le 
w  Ciel.  »? 

Icy  fon  Confeffeur  lui  dift ,  qu'il  falloit  tout  oublier ,  qu'il 
ne  falloit  point  avoir  de  refientiment  contr'eux.  A  ces  pa- 
roles il  fe  tourna  vers  le  Père  ,  tout  à  genoux  comme  il 
cftoit  ,  ôc  d'une  belle  a£lion  :  «Quoi,  mon  Père,  dit-iî,  des 
»  reffentimens  ?  Ah  !  Dieu  le  fçait ,  Dieu  m'eft  tefmoin  que  je 
9?  les  aime  de  tout  mon  cœur ,  ôc  qu'il  n'y  a  dans  mon  ame 
*>  aucune  averfion  pour  qui  que  ce  foit  au  monde.  Dirupifii 
y>  vincula  mea.  Tibi  facrificabo  hojîiam  laudis  :  la  voila  l'hoftie  , 
^  Seigneur  (fe  monftrant  foi-mefme)la  voila  cefte  hofticqui 
w  vous  doit  eftre  maintenant  immolée.  Ttbi  facnficabo  hojliam 
^■^  laudis  <ù*  nomen  Pomini  invocabo.  Vota  mea  Domino  reddara 
«?  (  eftepdant  les  deux  bras  ^  le  vifage  riant  ôc  enflammé  )  i^ 

«3  conjpeâln 


MONSIEUR  F.   A.   DE  THOU;        177 

95  conJpeÛH  omnis populi  ejus  (hauflant  un  peu  fa  voix)  in  conf- 
'^^  peau  omnis  populi  ejm.  Oui,  Seigneur,  je  veux  vous  rendre 
w  mes  vœux  ,  mon  efprit  >  mon  ame  >  ma  vie  i  in  confpeâu 
M  omnis  populi  ejus  ,  devant  tout  ce  peuple  ,  devant  toute  cefte 
»  aflemblée.  In  atriis  domus  Domini ,  in  medio  tui  Jerufalem.  In 
M  atriis  domus  Domini  :  nous  y  voici  à  l'entrée  de  la  maifon  du 
5>  Seigneur  5  oui  c'eft  d'icy  ,  c'eft  de  Lion ,  de  Lion  qu  il  faut 
a»  monter  là  hault ,  (  levant  les  bras  vers  le  ciel  5  )  Lion  ,  que  je 
35  t'ay  bien  plus  d'obligation  qu'au  lieu  de  ma  naiflfance  ,  qui 
«  m'a  feulement  donné  une  vie  miferable ,  ôc  tu  me  donnes 
»  aujourd'huy  une  vie  éternelle ,  in  medio  tui  Jerufalem.  îi  eft 
w  vrai  que  j'ai  trop  de  paffion  pour  cefte  mort ,  mon  Père  , 
«  dit- il  plus  bas  en  foufriant ,  j'ai  trop  d'aife  ,  n'y  a-t-il  point 
M  de  vanité  f  pour  moi  je  n'en  veux  point,  » 

Tout  cela  fut  accompagné  d'une  a6lion  fi  vive,  ôc  fi  gaye, 
que  plufieurs  de  ceux  qui  en  eftoient  efioignez  penfoient  que 
ce  fuft  des  impatiences. 

Après  ce  Pfeaume ,  eftant  encores  à  genoux ,  il  tourna  la 
veuë  à  main  droite ,  il  advifa  un  homme  qu'il  avoit  embrafle 
dans  le  Palais ,  il  le  falua  de  la  tefte  Ôc  du  corps ,  Ôc  lui  dit 
gayement,  «Monfieur,  je  fuis  voftre  ferviteur.  « 

Il  fe  leva  ,  ôc  l'exécuteur  s'approchant  pour  lui  couper  les 
cheveux  ,  le  Père  lui  ofta  les  cifeaux  pour  les  donner  à  fon  com- 
pagnon ,  ce  que  M.  deThou  voyant ,  il  les  prit,  difant  :  «c  Quoi, 
35  mon  Père ,  croyez  vous  que  je  le  crains  f  n'avez  vous  pas 
3'  bien  veu  que  je  l'ai  embraffé  ?  je  le  baife  cet  honime-îà ,  je  le 
m  baife.  Tien  mon  Amy,  fais  ton  devoir^  coupe  moi  mes  che- 
35  veux.  «  Ce  qu'il  commença  de  faire,  mais  comme  il  eftoit 
maladroit  ,  le  Père  lui  ofta  les  cifeaux ,  ôc  les  fit  couper  par 
fon  compagnon.  Pendant  quoi  il  regardoit  d'un  vifage  afieurç 
&  riant  ceux  qui  eftoient  les  plus  proches ,  ôc  s'eftant  teu  peu 
de  temps  il  profera  cefte  fentence  de  S.  Paul  :  Non  contemplan- 
tibus  nobis  qude  videntur ,  fed  qu^  non  videntur  ;  qua  enim  viden- 
tur  temporalia  funt ,  qu(S  autem  non  videntur  aîerna.  Ses  che- 
veux coupez  il  fe  mit  à  genoux  fur  le  bloc ,  ôc  fit  une  offran- 
de de  foi-mefme  à  Dieu  avec  des  paroles  ôc  des  fentimens 
très-grands  :  il  s'advoua  le  plus  grand  pécheur  ôc  le  plus  cri- 
minel de  tous  les  hommes  j  mais  que  Dieu  lui  donnoit  une 
fi  grande  confiance  en  fa  bonté ,  qu'il  craignoit  qu'il  n'y  euft 
Tome  XV.  S  Z 


î73       MEMOIRES  POUR  JUSTIFTER 

de  l'excès;  tefmoigna  un  grand  regret  de  fa  vie  paflee  ,  difant 
que  fi  on  lui  euft  lailTé  la  vie ,  il  croyoit  qu'il  l'euft  employée 
tout  autrement  qu'il  n'avoit  pas  faiâ:  i  demanda  à  tous  un  Pater 
&  un  y^ve  Maria  avec  des  paroles  qui  perçoient  le  cœur  de 
ceux  qui  l'entendoient  j  baifale  Crucifix  avec  grand  fentiment 
d'amour  ôc  de  joye.  Puis  il  dit  :  «  Mon  Père ,  ne  me  veult-on 
M  point  bander  ?  »  ôc  comme  le  Père  lui  euft  refpondu  que  cela 
dependoit  de  lui ,  il  dit,  «  Oui ,  mon  Père  ,  il  me  faut  bander  j  » 
&  en  foufriant  ôc  regardant  ceux  qui  eftoient  proches  de  lui , 
dit:  «  Meilleurs ,  je  l'advouë  ,  je  fuis  poltron  ,  je  crains  de 
3'  mourir.  Quand  je  penfe  à  la  mort  >  je  tremble ,  je  frémis ,  les 
o>  cheveux  me  heriffent  ,  Ôc  li  vous  voyez  quelque  peu  de  con- 
»  ftance  en  moi ,  attribuez  cela  à  noftre  Seigneur  qui  fai6l  un 
5>  miracle  pour  me  fauver  ;  car  effe£l:ivement  pour  bien  mourir 
o»  en  l'eftatoi^i  je  fuis,  il  faut  de  la  refolution  ,  je  n'en  ay  point; 
i»>  mais  Dieu  m'en  donne  ôc  me  fortifie  puiflamment.  » 

Puis  il  chercha  fon  mouchoir  pour  fe  bander ,  pria  ceux 
qui  eftoient  près  de  l'efchaffaut  de  lui  en  jetter  un  :  aufîi-toft 
on  lui  en  jetta  deux  ou  trois  >  il  en  prit  un ,  ôc  fit  grande  ci- 
vilité à  ceux  qui  lui  avoient  jette  ,  les  remerciant ,  ôc  promet- 
tant de  prier  Dieu  pour  eux  au  ciel ,  n'eftant  pas  en  fon  pou- 
voir de  leur  rendre  ce  fervice  en  ce  monde.  L'exécuteur  en- 
fin le  banda. 

Après  il  mit  fon  col  fur  le  poteau  ,  demanda  s'il  eftoit  bien. 
L'exécuteur  voyant  que  les  cordons  de  fa  chemife  eftoient 
nouez  ,  lui  porta  la  main  au  col  pour  les  dénouer  ;  ce  qu'ayant 
fenti,  il  demanda:  «  Qu'y  a-t-il  ,  faut-il  encores  ofter  la  che- 
3>  mife  ?  '>  ôc  fe  difpofoit  à  Pofter.  On  lui  dit  que  non  ,  qu'il 
falloit  feulement  dénouer  les  cordons  ,  ce  qui  fut  fai£l  i  ôc 
ayant  mis  fa  tefte  fur  le  poteau  ,  il  prononça  fes  dernières  pa- 
roles ,  qui  ïunent  Maria  mater  grati(;e  j  mater  mifericordia  j  tu 
nos  ab  hojie  -protège ,  &  hora  mortis  fafcipe.  Puis  In  manus  tuas 
-&c.  ôc  lors  fes  mains  commencèrent  à  tremblotter  en  atten- 
dant le  coup,  qui  lui  fut  donné  tout  au  haut  du  col  trop  près 
de  la  tefte ,  duquel  coup  fon  col  n'eftant  coupé  qu'à  demy  > 
le  corps  tomba  à  cofté  gauche  du  poteau  à  la  renverfe  )  le 
vifage  contre  le  ciel ,  rerhuant  les  jambes  Ôc  les  pieds,  ôc  haul^ 
fant  foiblement  les  mains.  Le  bourreau  le  voulut  renverfer 
pour  achever  :  mais  effrayé  des  cris  du  peuple ,  il  lui  donna 


MONSIEUR  F.  A.  DE   THOU.         17^ 

trois  ou  quatre  coups  fur  la  gorge  ,  ôc  ainfi  lui  coupa  la  teâe 
qui  demeura  fur  l'efcbafFaut. 

L'exécuteur  l'ayant  defpouillc  ,  porta  fon  corps  couvert  d'un 
drap  dans  le  carroffe  qui  les  avoit  amenez.  Puis  il  y  mit  aulît 
celui  de  M.  de  Cinq-Mars,  6c  leurs  telles  qui  avoient  encores 
les  yeux  ouverts  ,  particulièrement  celle  de  M.  de  Thou  ,  qui 
fembloit  vivante.  De  là  ils  furent  portez  aux  Feuiilans  ,  où 
M.  de  Cinq  -  Mars  fut  enterré  devant  le  maiftre  Autel.  M. 
de  Thou  fut  ofté  des  Feuiilans ,  ôc  porté  aux  Carmélites  de 
Lion  ,  où  il  fut  embaumé  ôc  mis  dans  Un  cercueil  de  plomb 
où  il  eft  encores.  Pour  fon  cœur  il  a  efté  porté  à  Paris  ,  ôc 
mis  en  la  fepulture  de  fes  Anceftres  dans  l'Eglife  S.  André. 

Trois  Lettres  de  M,  de  Thou  à  M,  Dupuy  écrites  après 
fon  emprifonnement ,  copiées  fur  les  originaux  écrits  de  la 
propre  main  de  M,  de  Thou, 

A  Monfieur  Dupuy. 
De  Terault  près  de  Montpellier  ce  Lundy  i^l\mi6^2* 

Monsieur; 

Encores  que  j'eftois  une  perfonne  afTez  peu  confiderable 
dans  l'Eftat ,  fi  ne  doute-je  pas  que  le  bruit  commun  ne  vous 
ait  desja  appris  mon  malheur  ,  qui  eft  le  plus  grand  qui  me 
put  jamais  arriver.  Tous  ceux  qui  ont  eu  un  pareil  accident , 
n*ont  jamais  manqué  d'alléguer  d'abord  leur  innocence.  Pour 
moi  je  prens  un  ftile  tout  contraire ,  me  jugeant  coupable  , 
puifque  j'ay  efté  fi  malheureux  que  d'avoir  depleu  au  Roy  j 
mais  après  cette  faute  qui  n'eft  pas  petite  ,  je  vous  jure  que 
ma  confcience  ne  m'en  reproche  aucune  autre,  ôc  j'ofe  me 
promettre  que  mes  amis  n'auront  point  de  honte  d'avoir  eu 
quelque  bonté  pour  moi.  Vous  devez  croire  que  je  vous  met$ 
un  des  premiers  en  ce  nombre ,  ôc  que  j'attens  de  voftre  ge- 
nerofité  que  vous  ne  m'abandonnerez  point  dans  mon  malheur. 
Ce  que  j'en  defire  eft  la  continuation  de  vos  foins  pour  mes 
petites  affaires  domeftiques ,  tous  les  autres  eftant  à  prefent 


iSo     MEMOIRES  POUR  JUSTIFIER 

inutiles.  J'ai  receu  jufques  ici  toutes  les  civilitez  que  l'on  peut 
faire  à  un  prifonnier.  Pour  l'avenir ,  Dieu  feul  le  fçait.  Je  viens 
d'avoir  tout  prefentement  des  nouvelles  de  M.  de  Toulon.  Il 
a  receu  la  nouvelle  de  la  mort  de  fon  fils ,  ôc  la  permiffion  que 
je  lui  ay  envoyée  d'aller  à  Paris  en  mefme  temps  ce  qui  lui 
donnera  quelque  confolation.  Je  vous  prie  de  faire  part  de 
ma  Lettre  à  mon  frère  Ôc  au  voîlre  j  &  de  dire  au  mien  qu'il 
ne  s'afflige  point,  ni  ne  fonge  pas  à  venir  ici.  Toutes  ces  la- 
mentations-là ne  fervent  de  rien  h  qu'il  me  conferve  feulement 
fon  amitié.  Je  vous  demande  la  mefme  grâce,  ôc  que  vous 
croyez  qu'en  quelque  eftat  que  je  foye ,  je  ferai  au  tousjours 
autant  que  vous  m'y  avez  obligé. 

Si  vous  voulez  prendre  la  peine  de  m'efcrire ,  il  faudra  met- 
tre une  lettre  ouverte  dans  un  pacquet  fermé  que  vous  pren- 
drez la  peine  d'addreffer  à  M.  de  Charroft  î  auffi  bien  eft-ce 
par  fon  ordre  que  je  fuis  gardé.  J'ay  receu  îa  Lettre  de  M: 
de  Saint  Sauveur  aujourd'huy  par  les  mains  de  M.  de  Char- 
roft. Déformais  il  ne  prendra  plus  la  peine  de  me  mander  des 
nouvelles ,  s'il  lui  plaift. 

Monsieur 

yojîre  très  humble  &  ajfeBionnè 
Serviteur  <&  -parent, 

DE    THOU, 

Au  Mefme. 
Du  Chafteau  de  Tarafcon  ce  21  Juin  i^^a. 

Monsieur  ,  '^'' 

Je  vous  ay  desja  efcrit  une  fois  depuis  ma  prifon.  Nous 
avons  efté  transferez  aujourd'huy  en  ce  lieu  :  ce  qui  me  don- 
ne fubjet  de  renvoyer  ce  peu  de  gens  que  j'ay  avec  moi, qui 
me  feroient  inutiles ,  puifque  je  n'en  puis  garder  qu'un  auprès 
de  moi.  J'ay  choifi  petit  Jean,  parce  que  Mignoneau  eft  marié; 
&  que  j'ay  creu  qu'il  fcroit  bien  aife  de  revoir  fa  femme.  Je 


JUONSIEUR  F.  A.  DE  THOU.  i§i 

defîre  pourtant  qu'il  demeure  à  mon  fervice.  Pour  tous  mes 
autres  domeftiques  ,  je  penfe  qu'il  eft  à  propos  de  les  licen- 
cier, en  leur  donnant  quelque  recompenfe  félon  le  temps  qu'ils 
m'ont  fervi  i  ce  que  je  laifle  à  voftre  difcretion.  Vous  ferez 
mettre ,  s'il  vous  plaifl,  le  Bafquechez  Prudhomme  ,&  faites 
ce  en  lui  faifant  donner  ce  qu'il  faudra  pour  apprendre.  Je 
defire  que  les  chevaux  de  carroiïe  qui  font  à  Celles  demeu- 
rent à  M.  le  comte  de  Bethune  :  pour  le  cocher  il  pourra  pren- 
dre parti,  mais  vous  lui  continuerez,  s'il  vous  plaîft  ,fes  gages 
en  quelque  Heu  qu'il  foit ,  parce  qu'il  m'a  bien  fervi.  Jedeîire 
auiïi  que  toutes  mes  debtes  fe  payent ,  &  que  de  celles  qui 
portent  intereft  ,  fi  l'on  ne  les  peut  amortir,  (je  fçaibien  que 
l'eftat  de  mes  affaires  prefentement  ne  le  permet  pas)  que  Ton 
en  paye  pon£l:uellement  l'intereft.  Enfin  ,  je  vous  recomman- 
de les  miens ,  autant  qu'il  m'eft  pofiTible  5  ôc  que  ma  mauvaife 
fortune  ne  vous  faffe  point  changer  les  fentimens  que  vous 
avez  eus  pour  moi  j  puifque  aflurement  je  ne  fuis  que  malheti»; 
reux  6c  point  du  tout  coupable,  ôc  abfolument 

Vous  recevrez  une  Lettre  de-     Mon  sieur  :, 
vant  celle-cy  par  la  voye  de  M. 
de  Charroft  j  où  je  vous  entre- 

tiendray  plus  au  long.  Je  faluë  Vo^re  nèS'Jmmhle  Serviteur* 
M.  mon  frère ,  ôc  le  voftre. 

D  E   T  H  O  U, 


Au  Mefmer 

Monsieur  ,  mon  cher  eoufin , 

Je  vous  fais  ce  mot  avant  que  de  mourir  ]  pour  vous  corî- 
jurer  de  vous  fouvenir  de  moi.  Je  vous  promets  la  mefme 
chofe  en  l'autre  monde  ,  où  j'efpere  que  Dieu  me  recevra 
en  la  gloire  de  fes  efieus.  Je  vous  recommande  mon  frère  ôt 
M.  de  Toulon.  Ma  fœur  de  Pontac  eft  icy ,  que  je  plains 
extrêmement.  Je  vous  prie  d'employer  nos  amis  pour  faire  don= 
ner  ma  confifcation  à  mon  frère.  L'intereft  que  je  fuis  capa- 
ble d'y  prendre  eft  pour  le  payement  de  mes  debtes  ;  outre 

SZiij 


i82       MEMOIRES  POUR  JUSTIFIER: 

que  j'ay  fait  un  vœu  pendant  ma  prifon,  dont  le  P.  Gardien 
des  Cordeliers  de  Tarafcon  eft  tefmoin.  C'eft  de  fonder  une 
MefTe  à  leur  Eglife  de  cent  efcus  de  rente.  Je  vous  recom- 
mande petit  Jean  mon  Valet  j  ôc  meurs  voftre  Serviteur, 

Ce  1 2  Septembre  à  Lyon  1 6^2,  DE   T  H  O  U. 

LAISSONS  ces  Mémoires  fe  perpétuer ,  par  le  bon  fens, 
la  force,  &  l'éloquence  qui  y  règne,  comme  un  mo- 
nument éternel  confacré  à  l'amitié  ôc  à  la  pieté  :  ôcpafTonsau 
Cardinal  de  Richelieu.  On  fait  que  ce  Miniftre  eftoit  fi  ja- 
loux de  fa  gloire  j  qu'il  ne  pardonnoit  jamais  à  ceux  qu'il  croyoit 
l'avoir  en  aucune  manière  ternie  :'ôc  il  en  donna  un  exemple 
*  Foyez^  Le  terrible  en  la  perfonne  d'Urbain  Grandier.  *  Cette  humeur 
feM^Bayieà  vindicative  fit  juger  à  plufieurs  perfonnes  de  ce  tems-là,  que 
VartideOtàn-  le  Cardinal  piqué  de  ce  que  noftrc  Hiftorien  avoir  dit  au  fu- 
^^"''  jet  d'Antoine  du  PlefiTîs  Richelieu  fon  grand  oncle ,  voulut 

s'en  vanger  fur  le  fils,  en  le  pourfuivant  avec  toute  la  rigueur 
ôc  la  violence  que  M.  du  Puy  lui  reproche  dans  ces  Mé- 
moires. 

Il  court  mefme  une  çfpece  de  tradition  ,  laquelle  porte 
qu'il  échapa  au  Cardinal  de  parler  du  jeune  de  Thou  en  ces 
termes  :  Ton  père  a  mis  mon  grand  oncle  dans  fon  hiftoire ,  tu 
feras  dans  la  mienne.  Mais  il  nous  femble  que  c'eft  une  fup- 
pofition  imaginaire  pluftofl:  qu'un  fait  réel ,  puifque  M.  Patin 
dans  une  lettre  du  2  Mars  1(^43  (environ  cinq  mois  après  la 
mort  de  François  de  Thou)  s'exprime  de  cette  manière,  (qui 
peut  avoir  donné  lieu  à  ce  bruit  )  «  Le  Cardinal  qui  tune  régna- 
a'  bat  avoit  refolu  &  dit  en  fon  efprit ,  ton  père  a  mis  mon  grand 
65  oncle  dans  fon  hiftoire  >  tu  feras  dans  la  mienne.  « 

Quoiqu'il  en  foit ,  les  endroits  del'Hiftoire  de  M.  de  Thou 
qu'on  fuppofe  avoir  tant  ofFenfé  le  Cardinal,  font  dans  la  pre- 
mière partie  de  cet  Ouvrage  :  ôc  comme  on  voit  par  les  Let- 
tres de  Patin  que  l'Epitaphe  fuivant  de  M.  de  Thou  le  fils 
couroit  de  main  en  main  bien-toft  après  fa  mort  ;  on  ne  faU' 
roit  douter,  vu  la  liaifon  qu'il  y  a  entre  cefte  Epitaphe  ôcces 
endroits  de  l'Hiftoire  du  père,  qu'on  ne  les  fit  auffi  courir  dans 
ce  tems-là  joints  enfemble.  En  effed ,  on  les  trouve  imprimez 
çnfemble  à  la  fin  des  pièces  adjouftées  au  Journal  du  Cardinal 


MONSIEUR  F.  A.  DE  THOD.         i8; 

de  Richelieu,  édition  de  Paris  en  i66^  in  12.  Les  voici, 

Epitaphe  de  Monfieur  François  de  Thon, 

Hijîoriam  quifquis  vuh  fcribere ,  fcribere  veram 

Niinc  vetat  exitium  j  magne  Thuane ,  tuum, 
Rkhelia  ftirpis  proavos  lafijje ,  Paterni 

Crimen  erat  calami ,  quo  tibi  vit  a  périt. 
Sanguine  delentur  Nati  monument  a  Parentis  $ 

Qu(e  nomen  dederant  fcrtpta  »  dedere  necem. 
Tanti  morte  viri  fie  eft  fancita  Tyrannis  : 

Ver  a  loqui  fi  vis  3  difce  cruenta  pati. 

Extrait  du  1 7  Livre  del'Hiftoire  de  M.  le  Prefident  de  Thoiî;, 
de  l'impreffion  de  PatiiTon  l'an  \6o^i  fervant  à  l'intelligence 
de  l'Epitaphe  précédente  : 

Ad  Anmtm  1^60.  p.  6^$,{vîd,p,  850.  Edit.Lond.Tom.  I.) 

In STîTUT A  &  nova  equitum fdoppetariorum  cujlodia , qui- 
Bus  prapofitus  efl  Antonius  Plejfiacus  Richelius  ,  vulgo  diâîus  Mo^ 
nachus ,  quod  eam  vitam  olim  profejjus  fuijjet ,  dein  ,  voto  ejera^ 
to  i  omni  fe  licentiae  ac  libidinis  génère  c ont aminaffet.  Hoc  à  Gui- 
fianis  tanquam  falutis  regia  fludiofis  faâum  )  plures  quo  privat<ff^ 
fecuritati  conjûlerent  excogitatum  interpretabantur. 

Et  paulo  pofi  pag,  6^^.  {p.  7.  Edit,  Lond,  Tom.  IL  ) 

P  R^Missus  /intonius  Plejfius  Richelius ,  homo  perdit  a  vttce^ 
cum  feloppetariis  equitib us  plane  fui  ftmiltbus  ,  ad  cuftodiam  régis, 
fîcuti  diximus ,  defiinatis.  Is  motus  excitandi ,  ex  eoque  urbis  diri" 
piendae  occafionem  circumjpiciens ,  cum  nullo  injuria  génère  ftbi  tem" 
perajjet ,  prater  Jpem  tamen  cives  ohfirmato  ad  patientiam  contra 
adfe6îatas  injurias  ù*  irritamenta  animo  expertus  efi  :  quippe  qui 
de  confilio  ejus  cognovijjent  9  &  régis'  adventumfme  offenfioneop^ 
periri  Jlatuijfem, 


i84      MEMOIRES   POUR  JUSTIFIER 

Item  pojl pauca pag.  (^40.  (^.  7.  Eâit.  Lond.Tom.  IL) 

'  Ric HELius,  qui i  nullo  opéra  pretio  faÛo ,  inde  difiedere > 
tinde  opimne  prcedae/pes  ajjulferat ,  œgrc  ferebat  t  adfinem  hoc  com- 
mémo  ufas  ejl ,  m  oppidanos  aut  in  fraude  m  trakeret,  autfraudis 
aliéna  reosfaceret  :  Pjalmis  vernaculis  alta  voce  ,  ut  paffim  exau- 
diretur  >  decantandis  intentus  ^  cum  profunda  jam  noÙeper  urbem 
dm  difcurrifjet ,  nec  ullus ,  quod  ille  fper avérât ,  ad  eumfe  aggre^ 
garet ,  tandem  ad  cantiones  ludicras ,  &  injuriojos  in  Regem ,  Ca- 
tharinam ,  ac  Guifianos  verjits ,  pulfatis  per  lafciviam  obviis  ,  e^ 
fenejîris  lapidum,  iâibus  confra5lts ,  noâfem  cum  Jiiis  exegit  ;  quod 
tànquam  à  feditiofis  y  quos  ille  tumultus  Ambofiani  reUquias  vo~ 
cabat,faâum,  pofiridie  ad  Regem  <&  Catharinam  detulit^  eo  confilio 
tit  Regem  adpœnas  de  Ccsfarodunenfibusjamfibifujpeëîisfumendas 
pracipiti  ira  accenderet ,  &  antequam  de  veritate  conflaret  3  urbs 
Jibi  ac  milîti  in  pr  a  dam  permitteretur  y  <&  fane  urbs  pope  à  péri" 
culo  abfait  y  exulcerato  Régis  animo,  vixque  Prator  &  édiles 
apud  eum  precibus  pervicerunt  ,  ut  inquifttione  diligenti  fa6îa , 
rei  Veritas  indagaretur.  Tandem  pudenda  calumnia  probrum  in 
auÛores  recidit ,  &  civium  innocentia  Régi  approbata  eft. 

M.  de  Thou  a  fait  incidemment  une  reflexion  dans  le  fécond 
Tome  de  fon  Hiftoire^  Livre  XXXV.  pag.  372  de  l'édi- 
tion de  Londres ,  que  nous  jugeons  mériter  l'attention  de  nos 
Ledeursj  c'eft  pourquoy  nous  l'ajoufterons  ici.  Après  avoir  dit 
qu'au  fiege  du  Havre  de  Grâce  en  1 5*  55  ,1a  place  étant  alors 
defFenduë  par  les  Anglois  ;  un  ouvrage  fut  emporté  d'aflaut 
par  les  François  ;  il  ajoufte ,  Non  citra  periculum  ac  multorum 
perniciem  nam  N.  Plejfius  Richelius  legionis  dux,  prudentia  ac  mo- 
ÛQicdiùonQ  mjîgnis ,  atque  ad patrui  differentiam  fapiens  cognomina^ 
tus  y  in  eo  impetufcloppeto  in  humero  iâfus  ejîy  ex  quo  vulnere  aliquan- 
to  pojî  dëceffit.  N'eft-ce  pas  là  une  preuve  que  M.  de  Thou 
diftinguoit  dans  les  hommes  ce  qu'ils  avoient  de  bon  ou  de  mau- 
vais ,  ôc  les  reprefentoit  félon  leur  propre  cara6tere  ?  Mais  agir 
alnd  i  eft-ce  commettre  le  crime  irremifTible  d'avoir  noirci  le 
nom  &  la  race  des  Richelieu  ?  Que  les  autres  difputent  fi  le 
Cardinal  eftoit  cruel  ou  non  au  Fils  ,  à  ce  compte  nous  tenons 
pour  affuré  qu'il  eftoit  fort  injufte  envers  le  père. 

Mettons 


MONSIEUR   F.    A.    DE  THOU.        i8f 

Mettons  ici  un  partage  tiré  des  Mémoires  pour  fervir  à  l'Hif- 
toire  de  France,  par  M.  de  rEftoiIe>  Tom.  i.  p.  <5i.  de  TE- 
dition  de  Cologne  (ou  pluftofl  de  Bruxelles)  lyip  en  2  vol, 
in  8. 

«  15*7^  le  ip  Janvier  le  *  Capitaine  Richelieu  >  dit  le 
••>  Moine  Richelieu,  qui  avoit  charge  de  vingt  Enfeignes  de 
••  pied,  homme  mal  famé  pour  fes  voleries  &  blafphemes, 
*>  fut  tué  à  Paris  en  la  rue  des  Lavandières,  par  des  ruffiens 
»  comme  lui ,  qu'il  vouloit  chafTer  d'une  maifon  prochaine  à  la 
»•  fienne.  « 

Mais  revenons  à  M.  François  de  Thou.  M.  Menaee  loue  le 
Diftique  fuivantde  Conftantin  Huygens  fur  la  mort  decQ  Gen- 
tilhomme, qui  périt  (  pourfuit  M.  Ménage)  pour  n'avoir  pas 
voulu  trahir  fon  ami  M.  de  Cinq- Mars  en  révélant  la  conf- 
piration  qu'il  faifoit  contre  M.  le  Cardinal  de  Richelieu  : 
0  Legum  fubtile  nefas ,  quibus  inter  amicos 
Nolle  jidem  fiuftra  prodere  t  proditio  ejî. 

D'autres  Ecrivains  François  parlent  avec  éloge  de  ce  que 
fit  Madame  de  Pontac  fœur  de  François  de  Ihou,  «  lorf- 
9'  qu'allant  en  la  Chapelle  de  la  Sorbonne  jetter  de  l'eau  be- 
»  nite  à  fon  Eminence  le  Cardinal  de  Richelieu ,  elle  lui  dit 
«  ce  que  la  fceur  de  Lazare  dit  à  N.  S.  Domine  fi  fuijjes  hic, 
»  frater  meus  non  ftitjjet  mortuus.  »  Penfée  qui  fe  pouvoit  pre- 
fenter  fort  naturellement ,  fur  ce  que  le  Cardinal  ne  furvecut 
M.  de  Thou  que  de  trois  mois. 

Ex  Hugonis  Grotii  Epiftolis,  Amftelodami  i6Sj,  in  Folio. 

*  Hugo  Grotius  Adriano  Hoogerbeets,  p.  711.  Ep,  158 1. 

LAu  D  o  etiam  pium  affeâum  tuum  pro  y  heu ,  cjuondam  nof- 
tro  Thuano  j  quem  amavi  femper  ,  amatus  fumme  à  vi-' 
ro  jummo  ejus  pâtre  ;  reveriîus  femper  <&  patris  <&  avi  nO' 
men  ut  virorum  quibus  vix  ullos  Gallia  pares  tulit.  Vides  quce 
fint  in  rébus  humanis  TrifioSoi.  Experti  nosjumus ,  experientur  alii, 

ï  On  a  mis  à  la  marge  Antoine  du 
Pleffîs  de  Richelieu,  Capitaine  des  Ar- 
qiiebujiers  de  la  garda  du  Roy  ,  Cheva- 
lier de  fon  Ordre  ,  Gouverneur  de  Tours, 
grand  oncle  du  Cardinal  de  Richelieu, 


M.  de  Thou  en  parle  peu  avantageufe" 
ment  liv.  17.  de  fon  Hijioire,  ce  qui  a 
confié  la  vie  à  fon  fils. 

z  Tune  temporis  Suecice  apnd  Regem 
Chrifiianiffimwn  Legatus. 


Tome  XF.  5  A  a 


ÏÎ6      MEMOIRES  POUR  JUSTIFIER 

Solarium  tinicum  in  bona  confciemia  >  quam  Deus  adfpicit,  Lti^ 
teîi^  y  2p  Novembris  y  16^2, 

Hugo  G  rotins  Gulieîmo  Grotio  Tratrifuo,p.  P42.  Èp.  620. 

I  Frater.  Eft  ira  tit  dicis.  Exitum  Thuani  nojje  trifîe  efl 
nobis.  Et  tamen  melius  id  quam  ignorare  ea  qua  ad  fa-* 
mam  ej us pitrgandam  pertinent  :  ro  yàp  yi^ai  iç\  '^atô^flav.  Vcrueratt 
cum  Tarafcone  libertatem  fperaret ,  faceîlum.  Id  fôlvH  mortijam 
addtÛus,  jujfa  pont  hac  infiriptione  :  Y otum  in  carcere  pro  li- 
bertate  fufceptum ,  Francifcus  Auguftus  Thuanus  corporis  car- 
cere liberandus  merito  fol  vit ,  Chrifto  liberatori.  IVos  etiam  nof- 
tra  cogitata  ad  eum  finem  dirigamus  ;  Jerviamus  Deo  >  profimui 
quam  plurimis.  Lut  et  i  a  ,  2  OÙ.   16^2. 

Eidem.p.  ^^^,  Ep.  621, 

I  Frater.  Cinqmarcius  darnnatus  ob  fœdus  arcanum  cum 

Hjfpanis  faâum  tnenfe  Martio  :  Thuanus  idco  quod  id 

JaJJet ,  quanquatn  improbaverat.  Non  aperuerat  autem  Régi,  qui  a 

Ù"  mutât  a  evant  confilia  :  &  fi  aperuijjet  cum  documenta  non  ha- 

béret ,  potuerat  ut  calumniator  &  tmbaior  amicitia  intcr  Regem 

&  Ffatrem  ejus  torqueri  &  puni  ri.  ^  OB^ 

Ëidem  yJhid.  Ep.  622. 

I  Frater.  Videmus  plane  propofitum  fuijje  potentihus  per^ 
dere  Thuanum.  Nihil  ei  objici  potuit ,  nifi  quod  fœderis 
cum  riijpano  initi  notitiam  habuerk  :  idque  in  tpfum  ut  diceret 
Cinqmarcius  adduclus  fuit  arcano  cancellarii  colloquio  ,  tormenta 
ei  minantis  ni  ûgmfireret  y  <àr  fi  agndfceret  fpem  dantis  vit^ ,  Jed 
inancm,  Fntellexerat  autem  hoc  Thuanus  aUquo  pofi;  tempore  yCum 
jam  mutata  effent  eonfitlia.  Ipfe  vehementer  id  improbavtt,  ^uod  fi 
ad  regem  pertuliffet  indjcmm  ^  nulla  habens  documenta  j  pericU-^ 
taturus  fuerat  haberi  pro  falfo  delatore.  Staîim  atque  hoc  Cinq- 
marcius dixity  &  ipfe  coram  eo  fajfus  efi  ,  ivere  judices  ad  fen^ 
tentiam  :  qua  eode?n  diefcrtpta  ,  pronuncmta ,  &  exfecutioni  man-^ 
data  eft.  Magnus  ubique  efi  mosYor  ex  hac  morte,  Liiteti<e ,  i0' 

O^.    lC^2, 


MONSIEUR  F.  A.   DE  THOU,         1^7 

PRo  r/iemoria  boni  Thuani  fuppcditat  mihi  LabbatiS  amicuî 
fiojler  locum  Hieronymi  Gigantis ,  qui  fcripfit  de  crimine  lafds 
Alajeflatis  :  qm  circa  firiem  libri  quœjlione  prima  variarum  quas 
ad  opus fuuni  adjecît  quo'fîiormm,  quafiione  liait ,  fctentiamqua 
probari  poteft  in  crtmine  lœjœ  Maiejîatis  non  ejje  punibilem.  Ojten-» 
dit  idem  mihi  Chaflellt,  qui  regem  Henricum  IV  occiderevoluits^ 
patrem,  qui  hoc  pejfimum  confilium,  ut  régis  caput  tangens  ^Jcive-^ 
rat  ô"  improbaverat  j  non  ultra  quam  extlio  punitum.  Hac ,  quia 

ad  noftram  artem  pertinent ,  te  fcire  volui Addam  &  hoc  no-^ 

tatu  dignum ,  fententia  in  Thuanum  bis  poft  mortem  ejus  mutata',. 
Ù'  cum  mutatione  édita  efi.  Lutetia  ,2,1  Novembris  i5^2, 

Eidem,p,  P45'.  Ep.  6^0, 

PR  o  Thuano  incipient  Uberiores  eJJe  voces  y  mortuo  jam  carài* 
nali  RiceUaco  j  quanquam  régnant  adhuc  ejus  clientelne,  1  j 
Decembris  ^  i^-^a, 

Eidem.  p.  p^S.  Ep.  6^go 

RE  X  negat  fe  voïente  ajfeâos  morte  Cinqmarcium  aut  Thua-* 
num ,  ér  Jpes  aliquafuturum ,  ut  in  hune  qu<s  lata  efifeU'» 
tentta  aliquando  refcindatur.  14  Febr^  x^^j. 

Ex  Pet.  Burmanni  fylloge  Epiftoîarura  Gudii,  Sarravii,  &c. 
in  4.  Ultraj.  1 6$^.  p.  47.  Ep.  Sarravii. 

Claudîus  Sarravius,  Senator  Parificnfts ,  Eriderico  Gronovio, 

Uo  D  iîluftriffimi  Thuani  necem  défies  ,  facis  quod  boni  viré 
efi  <&  îiterarum  amantis.  Tarn  atrocis  favitide  autori  non 
dîu  fuit  impune.  Pofi  innumera  de facerrimo  capite  dira  elogia  un^ 
verbo  ei  parentatus  ero ,  fe  mihi  diôfus  fit 

Vir  férus  &  Erancos  cupienti  perdere  fato 
Stifficiens. 
jQuodolim  una  vocç  mutât  a  de  Mario  Lucanus  dixeraî>  Superefl  is 


iSB       MEMOIRES  POUR  JUSTIFIER 

Thuana  domo  unus  Jacohus  Augujîus  brevi  cooptandus  in  Senatum 
noprum  ^  in  quo  pater  ,  Avus  )  y^tavus  primas  fe des  Jummo  cum 
honore  &  pari  dtgniîate  tenuere  :  polletque  hic  fuperjîes  iis  dotibuSy 
quitus  fe  tanti  nominis  dignum  heredem  probet.  Bibliothecue  nihtl 
aeperiit ,  qua  cum  omni  defunâfi  patrimonio  ,  poft  Cardinalis  de^ 
mum  ohtîum  ^fratri  à  Rege  donaîa  efl.  Lut.  Par,  îdtb.   Mart* 

Ex  Hugonis  Grotii  Epiftolis,  AmModami  i6Sj.  m  Folio. 
Hug,  Grotius  FratriJuoGulieimo  Grotio  ^p.  pyp.  Ep,  6j6. 

EDiDiT  paulo  antequam Mazarini potentia in  hoc fajîigium 
crefcereî ,  Ifmael  Bullialdus ,  in  Itteris  &  mathematîs  hene 
verJatus^Theonem  Smyrnaum  Platonicum.Dedicavit  Augufto  Thua- 
no  confiliario  Parlamenti.  In  epijioia  dedicatoria  hacfunt  verbai 
«  Tu  unus  illuftris  generis  Jiirps  reltâfus  es  :  In  te  uno  domus  tua 
'>->fata  volvuntur,  poft  lugendum  cajumfratris  tut  tS  fisfitcLpiry  illius 
«  Francifci  Augufti ,  quem  dira  ac  durijfima  tempera ,  in  bonorum 
i>^perniciemfavt]Jimedecurrentiay  Europe  ,patrta  j  bonis  omnibus , 
95  ac  fuis  abripuerunt.  Tarn  lachrimabilts  cajus  memoria ,  etfi  om^ 
»  nem  vel  acerbiffimum  dolorem  fuperet  ,  memini/Je  tamen  juvat 
»  viri  patrice  fuœ  bono  nati  ,  pracipiti  (  ne  quid  ajperius  dicam  ) 
M  juàicio  opprejji  ;  dum  obviam  ire  contenait  Tyranno  legum  pa- 
a»  triarum  everfionem  moliemi ,  ù"  convellere  famtliam  regiam  me-* 
»  ditanti.  Kal.  Nov.  154-3.  » 

FiniflTons  ce  fujet  >  en  faifant  fçavoir  au  Le£teur  que  la  Re- 
quefte  au  Roy ,  qu'on  voit  au  commencement  des  Mémoires 
cy-defTus ,  n'eut  point  d'effet ,  comme  nous  l'apprend  un  célè- 
bre Advocat  du  Parlement  de  Paris,  que  l'on  a  confultélà-def- 
fus.  Voici  fa  reponfe  : 

«  La  mémoire  de  François  de  Thou  ,  qui  fut  décapité  en 
»  1(^42,  n'a  jamais  efté  rehabilitée,  &  il  n'a  point  eu  de  Let- 
«  très  pour  cela.  Il  y  eut  une  Requefte,  mais  elle  ne  fut  point 
«  pourfuivie,  ôcla  famille fe  contenta  d'une  rehabilitation  bien 
»  enregidrée  dans  tous  les  coeurs  François.  » 


T  A  B  L 

DES    PIECES 

Concernant  la  Perfonne  &C  les  Ouvrages  de 
J.  A.  de  Thou ,  contenues  dans  ce  Volume. 


Jiigemens  portez  à  la  Cour  de  Rome  fur  l'Hiftoire  de  J.  A.' 

de  Thou. 

LETTR  E  de  Jacques- AHgHfle  de  Thou  a  Chrijîophle  Dupuj  à  RotJfél 
du  1^.  Janvier  1604.  Pag.  1 19 

Lettre  de  M.  le  CardiMal  de  Joyeufe  à  M.  de  Thou  du  1^.  Janvier  1(304. 

I  ^l 
Lettre  de  M.  de  Thou  a  Ai.  le  Cardinal  de  Jojeufe ,  en  Février  i  (304  ibid. 
Lettre  de  A4,  de  Tioou  a  M.  D^puy  à  Rome ,dux^.  Février  i ^04.  125 
Lettre  ds  Ai.  de  Tîoau  à  A4.  Dfipuy  à  Rome  ^  du  3.  Avril  1(504.  ^^4 
hettre  de  A4,  de  TIjou  a  M.  Dapuy  à  Rome ,  du  9.  Avril  16 o-^.  iid 
Lettre  de  A4,  le  Cardinal  de  Joyeufe  à  M. de  Thou  y  du  4.  xMay  i6q\.  i  ij 
Lettre  de  Ai.  de  Thou  a  Ad.  Dupuy  a  Rome  ^  i^^.  Novembre  128 

Lettre  de  A4,  de  Thou  à  M.  Dupuy  a  Rome  ^  10.  Février  1^05.  i  3  l 
Lettre  de  Ai.  de  Thou  à  Ai.  Dupuy  à  Rome  ,28-  Juin  i  (jO  5.  155 

Lettre  de  A4,  de  Thou  a  A4.  Dupuy  a  Rome ,  20.  Septembre  iGo<^.  i  5  5 
Lettre  de  A4,  de  Thou  à  A4.  Dupuy  a  Rome ,  4.  OElobre  i6o<^.  15^ 

Lettre  de  Ai.  de  T7jou  à  A4.  Dupuy  à  Rome,  257.  Novembre  \Go^.  1 5S 
Lettre  de  Ai.  de  Thou  à  A4,  Dupuy  à  Rome ^  29.  Décembre  160^,  139 
Lettre  de  A4,  de  Thou  à  A4.  Dupuy  à  Rome  i  12.  Février  1606.  141 
I^ettre  de  Ai.  de  Thou  a  Ai.  Dupuy  à  Rome  y  18.  Mars  1^06,  144 

Ijettre  de  Ai.  de  Thou  à  A4.  Dupuy  à  Rome  ,12.  AvrtI  160G,  14^ 

Lettre  de  A4,  de  Thou  a  M.  le  Cardinal  Sforze y  i.  Aiay  i6o6-  14$ 
Lettre  de  Ai.  de  Thou  à  A4.  Dupuy  a  Rome  y  z,  Aiay  1606.  151 

Lettre  de  Ai.  de  Thou  à  A4.  Dupuy  à  Rome  y  i  2.  Juin  1606.  i  5  j 

Extrait  d'une  Lettre  de  Pierre  Dupuy  à  Jofeph  fujle  de  la  Se  al  a ,  du  20» 
Aiay  i6q6.  154 

Lettre  de  Ai.  Cafaubon  à  Ai.  GouUrt  ,27.  Janvier  1606.  155 

Tome  XV.  JBb 


TABLE     DES     PIECES.    • 

Lettre  de  j/fd.  le  Cardwal  Sforz,e  à  M.  de  T^ou,  3 1.  May  1606.  Pag.  156 
JLettre  de  M.  de  Thon  à  Ad.  TiHftty  à  Rome^  1 1*  Juillet  \6q6.  i  58 

hettre  de  M.  4e  Thon  à  M.  le  Cardinal  du  Perron  a  Rome ,   12.    'jn'm 

\(>o6.  ^  159 

lettre  de  M.  le  Cardinal  du  Perron  à  M>  de  Thou ,  1 2*  Juillet  1 606.  ibid* 
Lettre  de  Aï,  de  Thou  a  Ai.  Dupuy  à  Rome  t  14.  AohJI  1606.  161 

Lettre  de  M.  de  Thon  a  Ai.  DtifHj  À  Rome,  1 5.  Décembre  1606.  162. 
£xtrait  d'une  Lettre  de  Pierre  Dupuy  a  Jofeph  Jnjle  de  U  ScaUy  dn  11, 

Janvier  16  oj,  16^ 

Lettre  de  M>  le  Cdrdtnal  Sforz.e  à  M.  de  Thou ,  I  o.  Novembre  1 606.  ibid* 
Lettre  de  AI.  de  Thou  à  AI,  Dupuy  a  Rome ,  i.  Avrils 6 oj*  i(j  5 

L'ttre  de  M»  de  Thou  à  Aï.  Duptty  à  Rome  ,  1 1.  Juin  1 607.  1 67 

Lettre  de  Ai,  de  Thou  à  M,  le  Cardinal  du  Perron  >  2  2.  Aoufl  i6oy.  i6<) 
Lettre  de  Ai.  de  Thou  à  Ai,  Dupuy  a  Rome  ,  dernier  Juillet  160-/.  171 
Lettre  de  M,  de  Thou  à  Ai.  le  Cardinal  du  Perron ,  dernier  Juillet  léoy, 

171 
Lettre  de  Ai.  le  Cardinal  du  Perron  à  M.  de  Thou ,  6.  Aoufl  i6oj.  173 
Lettre  de  Ai.  le  Cardinal  Frédéric  Borromée  à  Ai.  de  Thou  y  23.  Aouji 

16OJ.  ^  Ï74 

Lettre  de  Aï.  le  Cardinal  Séraphin  a  Ad,  de  Thou,  9,  Septembre  \6oj*  ibid* 
Lettre  de  Jaccjues  Seguier  à  J,  A.  de  Thou ,   i  i  «  Septembre  1611.  1 7  j 

Lettre  de  Ai,  le  Cardinal  Frédéric  Borromée  à  Ai.  de  Thou ,  4.  Mars  i  <j  08. 

177 

Lettre  de  M,  de  Thou  k  Ai,  le  Cardinal  S  force ,  14,  Juillet  i  (jo8.  ibid. 

Le^'re  de  Ai,  le  Card.mal  S  force  k  M,  de  Thou  ,10.  Septemdre  160%.   i  7  S 

)Fdu  du  maître  du  Sacré  Palais ,  portant  defenfes  deplufeurs  Livres ,  ^  en 

particulier  de  IHifîoire  du  Prefidcnt  de  Thou,  du  5?.  Novembre  1^09» 

Lettre  du  Père  Richeome  Jefuite  k  Ai.  de  Thou ,22.  Juin  lôio.  181 

Lettre  de  Ai,  Rtbere  k  Ai.  de  Thou  ,23.  Juin  1610.  7  8  j 

Lettre  de  Ai.  le  Cardinal  de  la  Roche foucault  k  Ai.  de  Thou .   13.  OU.obre 

I  (j  I  o.  ibid» 

Lettre  du  même  Cardinal  a  Ad.  de  Thou  ^  25?»  Janvier  fans  date  d'annég 

184 
Lettre  du  même  Cardinal  k  Ai.  de  Thon  ,  du  11.  Mars»  1  8  5 

Lettre  du  même  Cardinal  k  M.  de  Thou  ,  fans  date.  ibidr 

Lettre  du  mime  Cardinal  k  M,  de  Thou  ,  du  i6.  May,  î  S  ^ 

Lettre  du  même  Cardinal  k  M.  de  Thou  ^du  i^.  Juin.  ibid. 

Lettre  du  même  Cardinal  à  M,  de  Thou  ^du  ii.  juillet,  j  8  7 

Lettre  du  Père  Richeome  Jefuite  À  Ai.  de  Thou  ,12.  Janvier  1611,  i  S  8 

Extrait  du  Mercure  François ,  aujujet  de  la  Cenfure  faite  a  Rome  de  l'Hif- 

toire  du  Prefident  (k  ThoHs  1^0 


TABLE     DES     PIECES. 


Jugemens  portez  à  la  Cour  de  France  fur  l'Hiftoire  de 
Jacques- Augufte  de  Thou. 

LETTR  E  dn  Rojf  Henry  IF.  k  Jac.  At4g.  de  Thou  y  4.  Novembre 
iG^%.  Pag.  191 

Lettre  dn  Roy  Hen ry  IV.k  Jac.  Aug.  de  Thou  ,10.  Novembre  1 6  9  8  •  1 9  i 
Lettre  d'ifaac  Cufauboft  a  Jufte  Lipfe  ,21.  Mars  i  Gq  4.  ibid. 

Extrait  dune  Lettre  de  Henry  I  F.  à  M.  de  Bethune  [on  Ambajfadeur  k 

Rome  y  du  ^.  May  1(^04.  195 

Extrait  dune  Lettre  de  J.  Gillot  a  fofefih  de  la  S  cala,  30.  Mars  fans  date 

d'année.  ibid. 

Extrait  dune  Lettre  de  Vertunien  a  Jof.  de  la  Scala ,  14,  Juin  i(»o4.  194 
Extrait  dune  Lettre  de  Pierre  Dupuy  k  Jojeph  de  la  Scala ,  1 9.  Novembre 

1604.  ibid. 

Lettre  de  M,  de  Thou  a  M,  le  Comte  de  Beaumont ,  Ambajfadeur  de  France 

en  Angleterre ,  5.  Septembre  i  (Î04.  195 

Extrait  dune^  Lettre  de  M.  de  Vtlleroy  k  M.  de  Be thune  t  Ambajfadeur  de 

France  k  Rome.  i()S 

Lettre  de  J.  A,  de  Thou  k  Pierre  Jeannin ,  Premier  Prejldent  du  Parlement 

ds  Bourgogne ,  le  dernier  Mars  i  <?  i  r ,  ibid. 

Lettre  de  M,  le  Cardinal  de  Joyeufe  k  M.  le  Prejîdent  de  Thou ,  .',  5 ,  Avril 

161 1,  2  I  j 

Lettre  d Ifaac  Cafaubon  k  J^  A.  de  Thou  ,21.  Avril  16 ïi,  214 

Lettre  de  J.  A.  de  Thou  k  Ifaac  Cafaubon ,  7.  May  1 6  i  î .  217 

Lettre  de  M.  le  Cardinal  de  'joysufe  k  -M,  le  Prefiâent  de  Thou ,  2  4.  Juin 

\Gi\.  218 

Lettre  écrite  par  M^  le  Cardinal  de  Joyeufe  k  Monjîeur  &  Afadame  de  Thou  » 

quelques  heures  avant  que  de  mounr  j  2  3 .  Aouji  161  ^.  zif 


Jugemens  portez  à  la  Cour  de  Jacques  I.  Roy  de  la  Grands 
Bretagne  fur  l'Hiftoire  de  Jacques- Augufte  de  Thou. 

LET  T  R  E  de  J,  A.  de  Thou  k  Jacques  /.  Roy  de  la  Grande  Bretâ^ 
gne  ,  31.  Décembre  1(303.  ^^^ 

Lettre  de  Chrijlophle  de  Harlay  Comte  de  Beaumont ,  Ambaffadeur  de  France 
en  Angleterre ^kj,  A.  ds  Thou,  10.  Mars  1604.  12^ 

Lettre  de  Jacques  I.  Roy  de  la  Grande  Bretagne  k  J.  A.  de  Tloou  ,  4.  Mari 

1605.  •2-2.J 

l,ettre  de  J.  A.  de  Thou  k  Guillaume  Camden ,  10.  Février  1(^05.        224 
Lettre  de  Gmll,  Caritdcn  k  J.  A,  de  Thou  ,  i(».  Avnl  1^0  5 .  Vhhx  Stile,  Z],^ 

JBbij 


TABLE    DES     PIECES.    • 

Lettre  de  Gmllamne  Camden  a  J.  A.  de  Thou ,  i.  Juillet  \6o6.      Pag.  231 

Lettre  de  J»  A.  de  Thou  à  Guillaume  Cmnden ,  3 1.  Juillet  1606.  232, 

Lettre  de  %  A,  de  Thon  à  Henry  de  S  avilie  ,27.  Juillet  1606.  255 

Lettre  de  Henry  de  S  avilie  à  J.  A,  ds  Thou ,  /(?  30.  Novembre  i  (>  07.  23^ 

Lettre  de  Guill,  Camden  à  /.  A.  de  Thou  ,22.  Novembre  1607.  241 

Lettre  de  /.  A.  de  Thou  à  GuJl.  Camden  ^  13.  Avril  1608.  A-".  Stile  245 

Lettre  d'Ifaac  Cafaubon  a  f.  A.  de  Thou ,  24.  Février  \6ii.  245 

Lettre  dJîfaac  Cafaubon  k  j.  A.  de  Thou  ,24.  Février  16 11.  248 

Lettre  de  J.  A.  de  Thou  à  Jfaac  Cafaubon  ,22.  Mars  1611.  251 

Lettre  de  '^.  A.  de  Thou  à  Ifaae  Cafaubon  ,17.  Juin  \G\\,  252 

Lettre  d Ifaac  Cafaubon  a  J.  A.  de  Thou  ,11.  Juillet  \6\i.  V.  St.  255 

Lettre  d'/faac  Cafaubon  a  J.  A,  de  Thou  ,  3 1.  Décembre  1611.  ibid. 

Lettre  du  même  au  même  ,  premier  jour  de  l^anni'e  16  iz.  V.  St,  254. 

Lettre  d Jfaac  Cafaubon  à  J.  A.  de  Thou ,  i.  Afars  16  \i,  TV.  St^  ibid. 

Lettre  d  Jfaac  Cajaubon  à  J,  A.  de  Thou ,  27.  Février  1612.  2  5  5 

Lettre  de  J.  A.  de  Thou  a  Ifaac  Cafaubon  ,15.  Mars  i  <?  1 2 .  258 

Lettre  de  J.  A.  de  Thou  a  JJaac  Cafaubon  >  ï^.  Mars  1611»  160 

Lettre  de  Jean  Pory  au  Chevalier  Cotton ^  fans  date  2(^1 

Lettre  d  Jfaac  Cafaubon  à  J.  A.  de  Thou  ,19.  Avril  \6iz»^  16  ^ 

Lettre  de  J.  A.  de  Thou  à  Ifaac  Cafaubon ,  g.  May  i6ii.  ibid. 

Lettre  d  Ifaac  Cafaubon  a  J.  A.  de  Thou  ,11.  May  N.  St.^  16  ^ 

Lettre  de  J.  A.  de  Thou  a  Ifaac  Cafaubon  ,  27.  May  \6\  2.  ibid. 

Lettte  d  Ifaac  Cafaubon  a  J.  A,  de  Thou  ^  20.  Jf^in  i(5i2»  iGj 

Lettre  de  J.  A>  de  Thou  à  Ifaac  Cafaubon ,  10.  Juin  iGiz.  ibid. 

Lettre  d  Ifaac  Cafaubon  à  J.  A.  de  Thou  ,  i.  Juillet  \G\i.  268 

Lettre  de  Guillaume  Camden  à  /»  A.  de  Thou.  ,10.  Aoufl  1611.  169 

Lettre  de  Georges  Carew  à  J.  A.  de  Thou  ,  3 .  O^obre  j6ii.  270 

Lettre  d'/faac  Cafaubon  à  J.  A.  de  Thou ,  9.  Novembre  1612..  N.  St.  27  j 

Lettre  de  J.  A.  de  Thou  à  Ifaac  Cafaubon  22.  Décembre  1611..  274 

Lettre  de  J.  A.  de  Thou  à  Ifaac  Cafaubon  >  2  5.  Janvier  1(313.  ijC 

Lettre  de  J..  A.  de  Thou  a  GmIL  Camden  ^  les  fêtes  de  Pâques  1^1  j.  277 

Lettre  de  Guill.  Camden  a  J.  A.  de  Thou  ,17.  Juillet  i(ji  3.  279 

Lettre  de  J.  A.  de  Thou  a  Ifaac  Cafaubon ,  2  a.  Avril  1 6 1 5.  ibid. 

Extrait  des  Lettres  de  Fra-Paolo  au  fujet  du  Chevalier  Henry  Wotton.  2  8  r 

Lettre  de  J.  A.  de  Thou  a  Ifaac  Cafaubon  ,11.  Aoufi  1 6 1 3 .  282 

Lettre  de  J.  A. de  Thou  a,  Ifaac  Cafaubon  ,10.  Décembre  1(713.  284 

Lettre  de  J.  A.  de  Thm  a  Ifaac  Cafaubon  ,30.  Janvier  iCi^*        ■  285 

Lettre  d  Ifaac  Cafaubon  a  J.  A.  de  Thou ,  fans  date.  i%6 

Lettre  de  J,  A.  de  Thou  a  Ifaac  Cafaubon  ,  24.  Février  i($'i4.  287 
Notes  fur  les  évenemens  concernant  les  affaires  d'Ecoffe  rapportez  dans  le 

cinquième  Volume  de  PHifoire  de  Jacques- A  ugujle  de  Thou.  290 

Lettre  de  Guillaume  Camden  a  Jean  Gruter  ■>  10.  Aoufl  KJ14.  294 

Lettre  de  Guillaume  Camden  a  J.  A,  de  Thou  ,11.  Juin  161  ^»  295 

Lettre  dç  J,  A. de  Thot-i  à  Gmllaume  Camden  ,15.  Juillet  161  y  z*j6 


TABLE    DES    PTECES. 


Jugemens  des  Sqavans  fur  l'Hiftoire  de  Jac.  Aug.  de  Thou. 

LJE"  T  TR  E  de  Frédéric  Comte  Palatin  du  Rhin  à  'jacques-Augufle  de 
Thou  ■,  10' T>ecembre  1606.  Pag.    198 

Lettre  de  Philippe  Canaye  Sieur  du  Frefne ,  Ambaffadeur  de  France  à  Ve* 
nife ,  4  Jac^Hes-AtigHJîe  de  Thon  ,  10.  Mars  1 60 a^.  299 

Lettre  de  Guillaume  du  Vair  Premier  Prejtdent  du  Parlement  de  Provence  s 
<3  depuis  Carde  des  Sceaux  de  France  ^aj.  A.  de  Thou  ,11.  Aiars  1^04. 

301 
Extrait  d'une  Lettre  de  J.  A,  de  Thou  à  Jofeph  Scaliger ,  C.  "janvier  1^04 

305 

Lettre  de  'jofeph  Scaliger  à  J.  A.  de  Thou  ,15.  Afars  1^04.  ibid. 

Lettre  de  Jojeph  Scaliger  à  'j.  A.  de  Thou  ,  20.  Juin  1604.  ?04 

Lettre  de  jufte  Lipfe  à  Jfaac  Cafaubon,  12.  Février  1(104.  305 

Lettre  de  Ju/te  Lipfe  a,  f.  A.  de  Thou  ,  7.  Nover^brei6oÂ^'  ^o6- 

Extrait  dune  Lettre  de  ?.  A.  de  Thou  a,  Jofeph  Scaliger  ^  20»  Janvier. 

1605.  ibicf. 

Extrait  d'une  Lettre d' Ifaac  Cafaubon  à  Jujle  Lipfe,  30.  Avril  KjOj.  307 
Lettre  de  Jofeph  Scaliger  a  J.  A.  de  Thou^  %.  Avril  Kjoj.  ibid. 

Lettre  de  Sctpion  Gennli  à  Jaccjues  Bongars  de  la  Boâerte  310 

Lettre  de  Charles  de  l  Eclufe  ou  Chtfus ,  Médecin  &  Profejfeur  en  Bot  an  i' 

a^ue  en  l'Univerfté de  Leide  ,  à,  J.  A,  de  Thou ,  du  i$.  "janvier  l6oy.  311 
Ilotes  de  Charles  de  t  Efclufe  fur  l'Hifloire  de  J.  A.  de  Thou.  3  i  2 

Extrait  dune  Lettre  de  J.  A,  de  Thou  a  Jofeph  Scaliger ,  10.  Avril  16  oj» 

324 
Lettre  de  Jofeph  Scaliger  à  J.  A.  de  Thou ,  21.  Avril  i(j  07.  3  2  j 

Extrait  dune  Lettre  de  J.  A.  de  Thou  a  Jofeph  Scaliger ,  20.  May  \Gq-j, 

32^ 
Lettre  d  Ifaac  Cafaubon  à  Jean  de  Meurs,  ou  Meurfus,  1 1 .  2Vovemki6i  3 . 

ibid. 
Lettre  dlfaac  Cafaubon  a  Jean  de  Meurs ,  ProfeJJeur  en   Hifioire  dans 

rUniverfte' de  Leide  ,27.  Février  1(^14.  327 

Lettre  de  fean  de  Meurs  à  Ifa.tc  Cafaubon ,  8.  Mars  161  ^>  ibid. 

Lettre  dlfaac  Cafaubon  à  '^ean  de  Meurs  ^  23.  Avril  161^.  32S 

Lettre  de  J,  A.  de  Thou  a  George- Michel  Lmgelsheim  ■i  Confeiller  de  V  E~ 

leUeur  Palatin  à  Heidelberg  ,13.  Mars  1605  ibid. 

Lettre  de  f.  A,  de  Thou  à  George-Michel  Lingelsheimt  18*  Aûuji  160S. 

330 
Lettre  de  George-Michel  Lingelsheim  a  J,  A.deTlioUy  31.  OElobre  1606* 

Lettre  de  George-Michel  Lingelsheim  a  ^  A,  de  Thou  y  28.  Avril  îGoj. 

jBbii) 


TABLE    DES     PIECES. 

Lettre  de  J,  A,  de  Thon  à  George- Michel  Lingdsheim'i  15.  '^Hillet  iSoj* 
Lettre  de  George-Michel  LingeUheim  a  J.  A,  de  Thou ,  i^.  Janvier  160S, 

Lettre  de  George- Michel Lingehheim  à  /,  A.  de  Thou^  16.  May  1608. 

337 
Lettre  de  George-Michel  LingeUheim  à.  J,  A,  de  ThoH^  4,  Juillet  1^08. 

338 
JExtratf  d'une  Lettre  de  J.  A.  de  Thoti  k  George- Michel  Lifjgelshehr ,  28. 

Avril  161^.  339 

Extrait  d'une  Lettre  de  Marquard  Freher  a  Melchior  Goldafi ,  14.  OUobre 

i(3o8.  ibid. 

Remar(jHes  de  Jean  Bockjtad  fur  tHifioire  de  J,  A.  de  Thon,  par  rapport 

aux  affaires  d' Allemagne*  ibid. 

Extrait  d'une  Lettre  de  Quirinus  Rettter  à  Melchior  Goldafi  ,  13,  fanvier 

1609.  541 

Lettre  de  Pierre  Denais  C  on feiller  ordinaire  de  P  EleHeur  Palatin,  (^  AJ^ 

feffeur  de  la  Chambre  Impériale  à  Spire  ^  a  J,  A,  de  Thou ,  4.  Aoufi 

1(^05.  ibid. 

Remarcjues  critii^ues  cjue  Hon  conje^ure  être  de  Pierre  Denais.  344 

Lettre  de  Jean  Rofinus^  Miniftre  k  Naumbourg^  a  f.  A,  de  Thou  >  14» 

Décembre  161 1,       '  34(» 

"Remarques  de  Jean  Rofinus.  349 

JSIotes  d'Ofvvald  Gobelkofer ,  Do5l:ur  en  médecine  ,  £^  Hifioriographe  du 

D'dc  de  Virtemberg,  350 

Remarques  de  Gafpard^  Laurent ,  Prcfejfeur  a  Genève,  3  5  j 

Remarques  dun  Anonyme.  35^ 

Lettre  de  Dom  Vincent  de  Nogmyra ,  Çonfeiller  de  Sa  Majefie  Catholique  À 

Ltjbone  ,kJ.A.de  Thou  ,  i  8  •  Septembre  i  <*  i  5 .  3  <j  * 

Lettre  de  J.  A,  de  Thou  a  D.  Vincent  de  Nogueyra  ,29.  Tév,  \G\C>.  3  6,5 
Lettre  de  Dom  Louis  Lobo de  Silveis  k  J.  A,  de  Thou ,  7,  Juillet  \G\G.  3 (j  J 
Remarques  de  Philippe  du  PkJfu-JMornay  ,fur  le  tome  11  L  de  rHijiotre  de 

J.  A.  de  Thou  ,  de  t édition  de  Dvouart  in-folio.  375 

Remarque  tirée  de  la  vie  de  David  Parey,  •  394 

Remarque  dun  Anonyme  fur  t  ancienneté  du  Royaume  de  France  ibid. 

Objervutions  écrites  de  la  propre  main  de  M.  Dupuy,  qui  je  trouvent  a  U 

tête  iun  exemplaire  de  l Hifioire  de  f,  Arde  Thou  ,  appartenant  k  Mf 

r Abbé  de  Thou.  395 

Extrait  d'un  endroit  du  Livre  de  Gafpar  S cioppius ,  intitulé Scaliger  Hypo- 

bolim.TUS  ,  où  cet  Ecrivain  cenfure  t Hijloire  de  J,  A,  de  Thou,  398 
Extrait  CL  une  Lettre  de  J,  A,  de  Thou  k  Jofeph  Scaliger  au  fujet  de  Sciop- 

pius ,  6.  Novembre  16 q6.  405 

^ titre  Extra  t  d'une  Lettre  de  J,  A,  de  Thou  k  Jofeph  Scaliger  ^  [ur  lemê* 

me  fujet ,  10,  Adars  160- *  ibid. 


.    TABLE    DES    PIECES. 

extrait  de  (jtielques  Chapitres ,  eh  Scsoppifts  atta<^ue  le  Prejideftt  de  Thou  » 
ùrez.  du  Livre  intitulé ^  Ecclchafticus  auéloritati  Jacobi  Magnx  Bri- 
rannis  Régis  oppolinis.  Pag.  404 

^rrêt  du  Parlement  de  Paris ,  cftn  condamne  le  Livre  de  Scioppitts  intitulé 
Eccle/îafticus  &c.  à,  être  brûlé  par  l' Exécuteur  de  la  haute  Jujltce.        4  2 1 

JExtrait  des  Ohfervations  criticfues  de  'Jean  de  Machaud  jefuite ,  fous  le  nom 
de  Joan.  B.ipt.  Gallus  »  aufujet  de  t  Htjloire  de  J.  A.  de  Thou*  412 

Sentence  du  Chaflelet  de  Paris  ^qm/upprime  le  Livre  du  Jefutte  Machaud  ^ 
&  en  interdit  la  vente,  4  <  j 

Avertijfemcnt  d'un  Anonyme  fur  le  Livre  du  fefuite.  Machaud*  454 

jipologie pour  M.  lePrefident  de  Thou  fur  fon  Htjloire ,  par  Pierre  Dupny, 

457 
jugement  de  Gabriel  de  Barthélémy  de  Grammont  ^  fur  P Hifloirc  dt*  Prejident 

de  Thopf*  47  i 

Jugement  de  Françoii  Eudes  de  Mez.eray,  47  j 

Jugement  de  Jacques  Sorel*  474 

Jugemens  d  Adrien  B aille 1 4  47  c 

Jugement  de  Vigneul  Mar  ville*  47(> 

Jugement  de  Louis  le  Gendre,  47  7 

Obfervations  critiques  de  Guy  Patin*  ibid. 

Remarques  Critiques  fur  l' Hiftoire  de  J*  A*  de  Thou  ,  tire'es  du  Di£îionnaire 

de  Bayle.  ^-jcf 

Notes  fur  t  Htjloire  de  J*  A*  de  Thou  par  M,  le  Duchat ,  Conjeiller  du  Roy 

de  Pruffe  j  Membre  de  la  Société  Royale  de  Berlin  45J1  j 

Remarque  de  M*  Poquet  de  la  Livoniere ,  Profejfeur  du  Droit  en  tUniverJtte 

d  Angers*  f05> 

Explication  de  la  Médaille  de  Louis  X II.  par  le  P*  Hardomn  Jejuite,  ibid. 
Réfutation  du  Syjîéme  du  P,  Hardoiiin  ,fur  la  Médaille  de  Louis  XIL  Roy  de 

France  ,par  un  Anonyme*  <  1 1 


Lettres  Hiftoriques  de  Jacques- Augufte  de  Thou. 

LE  TTR  E  de  J.  A.  de  Thou  contre  la  Ligue ,  (^  fur  les  moyens  de  par» 
venir  a  la  paix ,  écrite  ^«1591.  555 

Lettre  de  f.  A*  de  Thou  à  Henry  de  la  Tour  ,   Duc  de  Bouillon  ,  fur  la 
converjton  du  Roy  Henry  11^.  écrite  en  i^ç^,  540 

Lettre  de  J*  A.  de  Thou  a  ^.  de  Thumery  Sieur  de  Boiffife ,  fur  la  confé- 
rence de  Loudun  en  1616  54Z 

Tejlament  de  Jacquss-Augujle  de  Thou.  585 

Rapport  de  la  maladie  dont  mourut  J*  A*  de  Thou  3  par  Paul  Renaulme  de 

Blois,  Médecin.  589 

Vers  de  Ai.  de  Thou  fur  fa  maladie*  591 


TABLE    DES    PIECES. 

JEpifOphe  de  M.  de  ThoUiCompofée  par  lui-même,  Pag.  592 

Defcription  du  Tombeau  de  M.  de  Thon.  595 

Mémoires  Ç3  tn^yuUions pour  (ervir  a  )uflifier  T innocence  de  M.  François 
Augujie  di  Thou^  Conjfeiller  d'Eftat^par  P,  Dupuj,  J, 


Fin  de  la  Table  des  Pièces. 


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