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HISTOIRE
DE
J A C Q U E-A U G U S T E
DE THOU
TOME ÛV I N Z I EME.
HISTOIRE
UNIVERSELLE
DE
JACQUE-AUGUSTE
DE THOU>
Depuis 1543. jufquen 1607.
TRADUITE SUR L'EDITION LATINE DE LONDRES.
TOME QJJ I N Z I E M E.
1607.
1610.
A LONDRES.
M. D ce. XXXI V.
SOMMAIRES
DES LIVRES
Contenus dans la Suite de THiftoire de Jac. Aug. de Thou;
SOMMAIRE DU LIVRE I.
Echerche des Financiers, Maiffance du duc d'Or- Henri
leans. Jieiinion des Domaines du I{oi a la Couronne, ^
Thefe en faveur du pouvoir du Pape fur le temporel des
Princes j condamnée far le Parlement. Privilège de la Fier^
te conteflê, affaire de l'évêcjue de Senlis contre f on chapitre,
Edit au fujet du Senatus^Confulte Velleien, Morts du
Chancelier Bellievre _, du cardinal Baronius 0' de Charles x6o%.
cardinal de Lorraine. Voyage des François en Canada,
Aiort du duc de Montpenfier. F.tahliffement des Je fuites
dans le Bearn. Naijjance du duc d'j^njou. Adort de Hen-
ri de Jojeufe Capucin. Négociation avec le duc de Savoje,
Propofitions que l'EfpagneJait au I{oi , qui les rejette. Les
ducs de Segni CT de Santo-Gemini reçoivent le collier de
t Ordre du S. Efprit. jimhaffade extraordinaire du duc de
JVevers à Rjome. Hifloire du faux Borghefe. Débordement
de la Loire, Afort de M. Rapin. Ereéliondu duché de Fron-
fac. Création de la charge de Grand Vojer. Edit en faveur
des Genevois. ConJîruÛion du Pont-au Change à Paris,
SOMMAIRE DU LIVRE II.
NEgociat ton pour la trêve entre lEfpagne ^ les Pro- ■""■"■-"'■'"!
vinces Unies, Conclufîon de la trêve. Les Etats i 6 o ^.
accordent la liberté de confcience aux Catholiques ^ à la
prière du Roi. Invention des Lunettes d'aproche. Morts de
Tome XP\ a
SOMMAIRES
•Jofeph Scaliger ç^ de Charte de l'Efclufe, Etahliffement
T V ^ ^* Frères de la Charité a Paris, Union des comte:^^ d'An- .
î 6 0 9 "V^fgne c3r de Clermont à la Couronne, Banqueroutier puni»
Edit contre les duels, Adariages du f rince de Condé ç^ du
■duc de Vendôme. On cenfure a R^ome l Hiftoire du Prefident
de Thou , ^ t Arrêt du Parlement rendu contre Jean
ChaJIeL Suite du uojage des François en Canada,
•
SOMMAIRE DULIVRE III.
.- ^% ^ Ort du duc de Juliers, Conteflations au fujet de
^6 10. j^ J^ fa fucceffion. Ligue de la France avec les Princes
d'Allemagne , trétcndans a lafuccejjîon de Juliers, Adou-
démens de t Empereur pour fe mettre en pojjeffon de ces
états. Alliance du Roi avec le duc de Savoy e, Retraite du
prince de Condé, AfanifeJIe de ce Prince, Le Roi Je difpofe
À faire la guère en Italie (^ en Allemagne, Sermon indij-
cret d'un Jefuitc. Sacre de la Reine, AJfaJJïnat de Henri
I V, Conduite du Parlement en cette occafion. Le meurtrier
du Roi efl interrogé. Lit de Jufiice, Difpute des Cardin
naux ^ des Pairs pour le rang. Difcours de la Reine ^ du
Roi j du Chancelier & du Premier Prefident, La Reine
ej} dêcUrée Reç^ente. Ouverture du corps du feu Roi. Son
^œur ej} porté à la Flèche, Procès de Ravaillac, Arrêt ren-
du contre lui. Son fupplice. Jugement du Public au fujei
du Procès de Ravaillac. Conjeélures fur la caufe du meurtre
de Henri I V, Avis du Prefident de Thou, Arrefi du
Parlement pour la fureté de la perfonne de nos Rois. Le
Livre de Mariana de Régis InftiiUEione eft condamné ZT
hrulé par la main du houreau, Ohfeciues du Roi. Contejla-
tion entre les Prélats (^ le Parlement j pour le pas dans la
marche du convoj. SUITE
SUITE
D E
LHISTOIRE
D E
JACQUES AUGUSTE
DE THOU
PAR NICOLAS RIGAULT.
gj^=^5jga««^Bii I II I ■
L I F R E PREMIER.
we^,
fî
ENRI IV. avoit heiireufement étonfré par
f tc.n courage les fadions,qne les intrigues ^t;- u ^ m r i
^ c-ii:es des i rinces étrangers av oient excitées
, dans le Royaume ^ & la France joùiiToit par
w ç^'i'/"^ f_^l *<J^^^ d'une paix profonde. Mais ce Prince nour-
W^^fe^^sf ^'^ ^^"^ ^^ tumulte de la guerre, croyoit même
IV.
au milieu des doticeurs du repos , qu'il n'y avoit pas de gloire-
qui pût égaler la gloire militaire > qui l'avoit élevé au-de(lus des
Tome Xf^, A^
2 SUITE DE L* HISTOIRE
~ plus grands Capitaines. Ayant donc réfolu d'afllirer par la force
Henri des armes la tranquillité de fes Etats , qui étoit le fruit de fes
1 V. vidoires , il avoir chargé quelques années auparavant Maximi-
I 507. lien de Bethune duc de Sully , de fournir Tarfenal de Paris de
toutes les chofes néceffaires à la guerre. Ce Miniftre qui joi-
gnoit à beaucoup de vigilance une extrême dureté, le fervoit en-
core utilement , pour amafler de grandes fommes d'argent , afin
de pouvoir mettre fur pié des troupes, lorfqu'il en auroit befoin.
Recherche Dans CCS vûës le duc de Sully travailloit tous les ans à rem-
ciers. plir les cofFres du Roi j& l'on imaginoit chaque jour, pour éta-
blir de nouveaux impôts, des fyftêmes dont l'injuftice deshono-
roit le gouvernement. Parmi tous ces moyens il s'en trouva
quelques-uns d'aflfez juftes ; la recherche qu'on fit de ceux qui
avoient manié les finances , fut de ce nombre. Ces hommes
avoient jufqu'alors éludé par leur crédit, la force des loix portées
contre le péculat , ou ils avoient corrompu les Juges à force
d'argent ; ils avoient même obtenu des lettres d'abolition , dans
lefquelles néanmoins le crime de faux étoit excepté en termes
exprès.
Dans ces circonftances , le Roi, par un Edit donné au com-
mencement de l'année i6oj , & enregiftré le dernier jour
de Mars, établit une Chambre de Jufticeî(nom injurieux à
tous les autres Tribunaux ) ôc nomma des Commiflaires pour
recevoir les accufations contre les Financiers, afin de punir
fuivant les Loix , tous ceux qui feroient convaincus d'avoir
commis des exadions , fous des ordres , ou fous des noms fup-
pofésj en faifant de faux ou de doubles emplois dans la red-
dition de leurs comptes , ou en niant qu'ils eulTent reçu les
deniers publics. Le Roi n'ignorant pas que ces fortes de gens
embrouillent toujours leurs affaires , pour en dérober la con-
noilfance , fe fervit de ce moyen , afin de découvrir plus aifé-
ment leurs eoncufllons :,il promit dans cet Edit l'impunité à
leurs complices & à leurs Commis , qui viendroient les pre-
miers déclarer les coupables 5 il la promit auffi à ceux qui s'ac-
cuferoient eux-mêmes, avant d'être dénoncés, & qui refti-
tueroient ce qu'ils avoient volé. Les autres délateurs dévoient
avoir pour récompenfe la fixiéme partie des amendes, qui fe-
roient portées contre ceux qu'ils auroient dénoncés.
Cet Edit ayant été publié , on en dcnoncja quelques-uns j
D E J. A. D E T H O U, L I V. I. 5
d^aiitres furent arrêtés. On en condamna par contumace deux .„„,,_,,^^ \
à être pendus en effigie j la plupart furent faiiis de frayeur , &
le trouble fe répandit dans un grand nombre de maifons de la " ^ ^ ^ ^
première diftindion, que l'amour des richefles avoir engagées ^^- j
à s'unir avec les coupables par des alliances, ou par d'autres ^^^7\ i
liens. Tous ceux qui étoient amis des Juges, ou qui avoient du . ]
crédit auprès d'eux , demandèrent qu'on fursît les procédures. ]
Ils firent prefTer le Roi par les Grands , & par les Dames de
fa Cour, qui avoient alors beaucoup d'empire fur fon efprit, j
de permettre qu'on accommodât l'affaire î le Roi fe rendit à 1
leurs follicitaiions, & fe contenta d'un million de livres, dé- 1
dommagement bien médiocre pour les grandes exadions i
qu'on avoit exercées. Ces deniers ayant été portés dans les
coffres du Roi , on arrêta le cours de la procédure contre
tous les accufés ; & par un Edit du 8 de Septembre on abolit
ce Tribunal odieux, fous prétexte que ces pourfuites deshono-
reroient les principales familles des plus grandes villes du
Royaume 5 comme fi le crime étoit moins honteux que le fup'-
plice.
Sur ces entrefaites, la Reine accoucha le i ^ Avril à Fontaine-
bleau d'un Prince,qui flit appelle le duc d'Orleans,titre qu'on a
coutume de donner au fécond fils du Roi, depuis que les aînés
portent le nom deDauphin.Dès qu'on eut appris cette nouvelle
dans la Capitale , tous les Ordres de la ville en rendirent de fo-
iemnelles adions de grâces à Dieu , & le peuple fit éclater fa
joye , en allumant des feux dans toutes les rues : le Roi vit avec
beaucoup de plaifir la Couronne aflïïrée dans fa Maifon par la
naiflance de ce fécond Prince.
Peu de tems après, il réunit à la Couronne tous les biens qu'il Réunîon âes
poflédoitatitredefîef, lorfqu'il monta fur le Thrône, & qui Ro^'^f^"^'^^"
ne dépendoient pas du Royaume de Navarre 5 & déclara qu'ils ronne.^ °^'
feroient déformais unis à la Couronne. Cet Edit eût été inutile
dans toute autre circonftance , puifque par la condition des
fiefs, ou par une loi du Royaume , auffitôt après la mort du Roi,
tous les biens particuliers de fon fucceffeur font dévolus à la
Couronne. Mais Henri avoir au commencement de fon règne
donné un Edit , qui ordonnoit que fes domaines feroient dif-
tingués «5c féparés du refte du Royaume : il n'avoit pu , après
pluûeurs juflions réitérées ^ engager le Parlement de Paris à
A ij
"4 S U 1 T E D E r H I S T O I R E
l'enregiftrer. Celui de Touloufe y avoit enfin confentî. Lô
Roi alléguoit pour raifon de cette déclaration , fes dettes , Se
H E N R I 2^ tendrefle qu'il avoit pour la PrincefTe Catherine fa fœur uni-
^^* que.
X 6 oj, Jacque de la Guefle Procureur général , s'étoit toujours op-
poîe à i'Edit de réparation ; mais la naiflance de deux Princes,,
& le décès de la fœur du Roi, morte trois ans auparavant fans
poftérité ( dont l'intérêt avoit engagé le Roi à prefler fî vive-
ment l'enregiftrement de cet Edit ) lui fournifîant une occafion
favorable de parler de nouveau de cette affaire , il la remit fur
le tapis, & demanda qu'on pefàt avec attention les moyens de
fa requête d'oppofition. Ses principales raifons étoient, que
cette féparation diminuoit la fplendeur de la Couronne , que
les plus grands Rois av oient augmentée dans les fiécles paffés ,
par une conduite toute oppofée , & digne de fervir de modèle
à leurs fuccefleurs : Que Sa Majefté en fuccédant à la Couron-
ne, avoit contradé, pour ainfi dire, avec elle une commu-
nauté de biens, femblable à celle que le Sacrement de maria-
ge met entre les perfonnes qu'il unit enfemble : Qu'ayant reçu
d'elle en dot , pour ainfî dire , tous les droits du Royaume , il
étoit jufte , & même glorieux à ce Prince , que fes biens &
tous fes domaines fuflent cenfés faire partie du Royaume , fut
fent confondus avec toutes fes autres dépendances , & annoblis
par cette réunion, laquelle ne porteroit aucun préjudice à fes
créanciers, qui auroient en fa perfonne un débiteur Roi de
France & de Navarre : Que la mort de fa fœur ne lui laiflaiit
plus d'héritier de fes biens patrimoniaux , rien ne devoir lui
être plus agréable , fur tout ayant des enfans , que d'augmenter
le Royaume.
Le Roi fe rendit à ces raifons , & réfoîut enfin , comme nous
Tavons dit, de donner une Déclaration, qui fauf les droits de
fes créanciers, révoquoit les lettres de féparation, & caflbic
les Arrêts des Parlemens qui les avoient confirmés. Cet Edit
fut enregifiré le 27 d'Août au Parlement, avec une approba-
tion univerfelle, & enfuite dans toutes les autres Cours fouve-
raines. Le dernier jour du même mois le Roi, qui avoit beau-
coup de tendrefle pour les enfans qu'il avoit eus de fes maîtref-
fes, fit enregiftrer des Lettres patentes , par lefquelles il décla-
loit que le duché de Vendôme , qu'il avoit donné au Prince
DE J. A. DE T H O U, L I v. I. y
Cefar , fils de Gabrielle d'Eftrées , n'étoit pas compris dans le
précédent Edit d'union.
On trouve dans les regiftres du parlement de Paris un évé-
nement peu confidérable , fi Ton n'envifage que la perfonne
qui l'occafionnaj mais d'aflez grande importance , à confiderer
la chofe en elle-même. Ce fait regarde & les droits du Royau-
me, & ceux de l'Eglife que nous foûtenons être dans le
Royaume.
George Creighton Ecoflbis de nation , après avoir long-tems Thefe en fa-
enfeigné la Grammaire dans l'Univerfité de Paris , fut nommé veur du pou-
Profefleur de Rhétorique au Collège Royal, âgé de près de r°'f "^"^'"'^^
loixante ans : mais ne le contentant pas de cette place , il bri- rel des Pnn-
gua une Chaire de Profeffeur en droit Canon, & fit félon la ccs,condam-
coûtume , une Thefe qu'il dédia au cardinal du Perron. Dans kment. ^
fes pofitions il fe trouva deux chofes dignes de cenfure. Il di-
foit que le Pape feul avoit l'autorité fuprême de la fucceffion
Apoftohque, & la Jurifdidion pour le fpirituel fur tous les
Chrétiens : Qu'il avoit aufli une puifiànce temporelle fur le pa-
trimoine de l'Eglife : Que le Pape & le Roi , quoique fournis
eux-mêmes aux loix, pouvoient en difpenfer leurs fujets ; Que
l'autorité du Pape étoitfupérieure à celle des Conciles ; & celle
du Roi au-defliis des Etats généraux. Une autre de fes propo-
fitions étoit , que la feule peiifée faifoit quelquefois encourir
l'excommunication : Que la faute d'un feul particulier attiroit
fouvent une jufte excommunication fur une famille , & mê-
me fur une ville entière.
Les gens du Roi ayant eu connoiflance de ces propofitions.ne
crurent pas devoir garder le filence. Ils s'apperçurent que fous
des termes captieux, Creighton enveloppoit une dodrine con-
traire à l'ancienne difcipline de l'Eglife, à la paix, &à lâcha-
nte Chrétienne , & que par un artifice criminel il confondoit
le pouvoir Apoftolique avec la puiflance Royale , quoique ces
deux chofes fufTent entièrement différentes. Le Parlement ap-
prouva leur cenfure , & ayant décrété Creighton , les Gens du
Roi ( ) lui firent une vive réprimande, & lui défendirent de fou-
tenir fa Thefe. Celui-ci ayant demandé le lendemain qu'après
avoir rayé la propofition, qui mettoit le Pape au-delTus du
(i) Procuration'! s RcgiA tns viri. II n'y avoit alors (jue deux Avocats généraux & le
Procureur gén^ralj
A iij
a .^ U î t E D E L* HISTOIRE
Concile , on lui permît de foûtenir le refte , les Gens du Roî
ne jugèrent pas à propos de lui accorder fa demande; ils en
Henri pj;i]:ent même occafion d'enjoindre aux ProfelTeurs en droit ,
^ ^' qu'ils euiTent à prendre garde à l'avenir que perfonne n'eût la
I 007. témérité de foûtenir de pareils fentimens.
Le Parlement rendit un Arrêt en conformité le 20 de De- "
cembre. Les Profefleurs & Creighton ayant été mandés, Har-
lay premier Préfident leur dit avec févérité , que la Cour leur
défendoit de mettre en difpute aucunes propofitions fur ces
fortes de matières. L'âge de Creighton que fon habileté met-
toit au-delTus des Grammairiens ordinaires , & les prières de
plufieurs membres du Parlement , qu'il avoit dirigés dans leurs
études , furent caufe qu'on ne pafla pas outre à fon égard.
Affaire du il Y ^ut cette année au grand Confeil une affaire qui fit beau-
Privilège de coup de btuit. Jacquc de Thou parle dans fes annales de la
^ ^'^"^^ fable du Dragon de Rouen, & du Privilège qu'on dit avoir
été accordé fous le règne de Dagobert à S. Oûen, après la m.ort
de S. Romain. Guillaume Pehu de la Mothe alléguoit ce pri-
vilège pour éviter la punition d'un meurtre, dans lequel il avoit
trempé avec le marquis d'Alegre (') , qui étant allé faluer feize
ans auparavant François de Montmorenci du Hallot , l'avoit
inhumainement alfalTuié en l'embraflant. L'Archevêque & le
Chapitre de Rouen demandoient que Pehu fût renvoyé, par-
ce qu'autrement on donneroit atteinte aux droits de leur Eglife.
Ils ajoûtoient que le coupable ayant eu leurs fuffrages , avoit
levé folemnellement la Fierté {^) 5 qu'ayant expié fon crime de
cette manière , il n'étoit plus permis de faire aucunes pour-
fuites contre lui.
Denis Bouthillier célèbre Avocat , parla pour la veuve de
du Hallot, & foûtint que tout ce qu'on difoit de ce Dragon fi
terrible, de la délivrance d'un criminel à cette occafion, & de
la conceffion du privilège faite à S. Oùen , n'étoit qu'une fable:
Que des Juges zélés pour la pureté de nôtre Religion, ne dé-
voient pas fouffrir qu'on donnât pour un miracle certain «5c
avéré , une fidion , dont tous les Ecrivains depuis Dagobert,
qui regnoitil y a mille ans, ne font aucune mention ; & que
fous prétexte de dévotion , on dérobât des fcélérats à la jufte
(i)Chriftophlc.
(i) Nom qu'on a donné à la ChâfTe de S. Romain*
D E J. A. D E T H O U, L I V. L *j
rigueur des loix : Que les titres fur lefquels ce prétendu privi- ^
lége étoit appuyé , n étoient pas fort anciens , n'ayant été ac- ~
cordés aux habitans de Rouen que fous le règne de Louis XII; ^ ?J ^
Qu'il n^étoit pas étonnant que des gens, qui couvroient leur ^.
ambition du voile de la pieté, eufient furpris la religion des ^ *^^^'
Miniilres de ce bon Roi , qui étoit alors occupé à faire la guer-
re 5 d'ailleurs dans un tems, où la France étoit plongée dans les
ténèbres d'une profonde ignorance : Qu'il y auroit de la folie,
aujourd'hui que ces ténèbres étoient diffipées , à fe faire illu^
iion fur ce fait, dont il étoit aifé de découvrir la fauÛeté^ en
confultant les chroniques d'Adon & de Sigebert, où l'on voit
que le roi Dagobert eft mort trois ans avant S. Romain : Que
par un abus intolérable qui fe perpétuoit , les afîafïînats prémé-
dités, lepoifon, l'adultère, le parricide, le viol, & d'autres
crimes énormes , demeuroient impunis à l'abri de ce privi-
lège , qui fans s'arrêter à la fable qu'on lui donnoit pour fon-
dement , avoit pu être toléré , en confidération de l'Evêque,
pour des homicides involontaires : Qu'il s'étendoit même in-
diftindemenf fur les coupables & les complices. Il ajouta que
les habitans de Rouen ayant indifcrétement prefîe le Roi en
1 5*9 7. de leur accorder des lettres de confirmation de ce pri-
vilège , ce Prince éclairé avoit ordonné qu'il n' auroit point lieu
dans la fuite pour les criminels de leze-Majefté divine & hu-
maine, les faux-monnoyeurs, les aflaflins, & le viol : Que
Pehu lui-même n'avoitpas fi fort compté fur ce privilège , qu'il
n'eût eu la précaution d'obtenir des lettres d'abolition dans
cette affaire , dont la connoiflance avoit été renvoyée aux Ju-
ges , qui dévoient examiner les chofes avec toute l'équité dont
ils étoient capables : Que le fleur du Hallot étant Lieutenant
général de Normandie , le meurtre de fa performe commis
dans cette Province emportoit avec lui le crime de leze-Ma-
jefté : Que le Confeil du Roi Tavoit ainfi décidé ; décifîon que
le Parlement de Rouen avoit confirmée par un Arrêt : Qu'on
avoit déjà fait mourir deux complices du crime de i'accufé :
a Héfiterez-vous, Meffieurs, ajouta Bouthillier, à prononcer
?» contre un criminel déjà tant de fois condamné ? LailTerez-
» vous vivre plus long-tems un cruel affaflin, dont l'haleine
OD empoifonnée corrompt, pourainfi dire , l'air que nous ref-
» pirons fous cet heureux règne f »
s s UITEDEL* HISTOIRE
Jacqiie Foullé Avocat du Roi au grand Confeil , ayant alors
__ ^-^i^i^p^Yole , fe moqua de la fable du Dragon, & s'oppofa
H E N R I ^ j^ demande des habitans de Rouen. Il dit que la faufleté
. ■*• ^* de cette hiftoire étant avérée, il falloir annuller les Edits de
'I 007. Louis XIÎ. & de fes Succeffeurs, qui avoient été furpris fur
un faux expofé. Il ajouta qu'il ne manqueroit pas d'en parler à
Sa Majefté, de concert avec fes collègues : Qu'en attendant il
demandoit ade de fon oppfition : Qu'au refte Pehu étant;
atteint & convaincu de crime de leze-Majeilé, le privilège
ne pouvoir avoir lieu à fon égard 5 & que par conféquent rien
n'empêchoit qu'on n'infcruisît fon procès en la manière accou-
tiimée.
Les Juges ayant été aux opinions , donnèrent ade à l'Avo-
cat du Roi de fon oppofition , & ordonnèrent un délibéré.
L'affaire ayant été agitée dans une féance le 24 de Décembre,
l'intervention des habitans de Rouen fut déclarée mal fondée ;
& la Corn* ordonna qu'il feroit procédé à l'inftrudion du pro-
cès de Pehu dansles régies ordinaires. Deux ans après, intervint
Arrêt définitif du grand Confeil , qui faifant grâce de la vie
au criminel , en confidération des lettres d'abolition qu'il avoic
obtenues, le condamnoit à ne paroître de neuf années à la
Cour, & dans toute l'étendue de la Normandie, & confif-
quoit une partie de fes biens.
Après le jugement de cette affaire, on écrivit pour & con-
tre l'hiftoire du Dragon 5 les uns la traitoient de fable , les
autres la prétendoient fondée fur un miracle inconteftable. Il
parut à cette occafion une vie de S. Romain , écrite quatre
cens ans auparavant , & tirée du livre indiqué par Jacque de
Thou. L'auteiu' de cette hiftoire rapporte à la vérité les mira-
cles du faint Evêque j mais il ne parle en aucune manière du
Dragon , du criminel , ni du privilège î on eut même la cu-
riolîté d'examiner les bréviaires de l'Eglife de Rouen , qui n'en
font aucune mention 5 mais on trouve dans tous ces livres qu'y
ayant eu du tems de S. Romain une inondation , qui fut fur le
point de fubmerger la ville,le faint Prélat plein de confiance &
de foi , avoit commandé aux eaux , après une fervente prière,
de rentrer dans leur lit j qu'elles obéirent à fa voix , ôç ne fe
débordèrent plus dans la fuite.
Lçs gens éclairés çonjedurerent que ce fait avoit donné
lieu
DE J. A. DE TROU, Lrv. T. p
lieu à la fable , & que les Poètes ayant célèbre ce miracle avec
la liberté qu'ils fe donnent d'embellir toutes chofes, avoient
donné à ce débordement le nom de Dragon , que les habi- " e n r t
tans du pais appellent aujourd'hui Gargouille^ terme qui îî- ^^•
gnifie inondation : Qu'enfin tous cesfaits prodigieux d'une hy- ^ ^ ^ 7». ,
dre terrible , d'un Dragon traîné avec une étole, d'un criminel
délivré pour dompter ce monftre , & du privilège accordé par
le roi Dagobert, n'étoient que l'ouvrage de l'imagination
échauffée des Poètes , qui s'exercèrent fur ce fujet. Cependant
tous ces prétendus prodiges font fi profondement graves dans'
l'efprit du petit peuple , qu'il faudroit un autre S. Romain pour
en effacer les traces.
Les regiftres du même Tribunal contiennent des monumens , AiTairc de
en faveur des libertés de l'Eglife Gallicane. Il eft néceffaire de senUs'^concre
ïeprendre l'hiftoire de plus loin , pour éclaircir ce fait. L'année Ton chapitre,
précédente Guillaume Roze évéque de Senlis étoit entré en
procès avec les Chanoines de fa Cathédrale , qui prétendoient
avoir droit de donner des démiffoires aux Chanoines de leur
Lglife , qui prenoient les Ordres dans d'autres Diocèfes. L'E-.
vêque foutenoit defoncôté que ce droit n'appartenoit qu'à lui.
On lui oppofoit une poffefllon & une prefcription de tems im-
mémorial. L'Avocat àQS Chanoines ayant fait un mémoire , y
rapporta les anciens ufages de l'Eglifej il dit qu'il y avoit eu autre-
fois des Presbytéres.oumaifons dans lefquelles plufieurs Prêtres
demem-oient enfemble , & faifoient avec l'Evêque, qui étoit
le chef du Presbitére , toutes les fondions Paftorales : Qu'ik
avoient même table , même autorité, même jurifdidion, àc
même dignité dans l'Eglife : Que c'étoit ain(î que S. Paul de-
meurant avec plufieurs Prêtres avoit ordonné Timothée, au-
quel tous les Prêtres avoient impofé les mains avec l'Apôtre :
Que les Conciles de Carthage, d'Antioche , & les anciens
Conciles n'avoient point connu d'autre difcipHne : Que c'étoit
auffi le fentinient de S. Jérôme , ce fçavant Père de l'Eglife :
Mais qu enliTite pour contenir dans les bornes cette efpece de
focieté léonine , il avoit fallu partager la jurifdidion commu-'
ne : Que les chofes avoient alors été partagées, la jurifdidion
& les biens divifés , de manière que l'on voyoit dans pliifieurs
Eglifes un Chapitre, qui étoit autrefois le Confeil de i'Evequc,
indépendant, avec une jurifdidion à part , auiH ancienne quç
Tems XF, B
jo StriTE DE L'HISTOIRE
celle derEvêquèmême : Qu'ainfi les Chanoines de Senlis ne
Henri f^^^'^^^^f qu'tifer de leur droit , en donnant , même pendant
jy^ que le Siège étoit rempli, des démiffoires à leurs collègues ,
j 607, comme ils avoient droit d'en donner à tous les Clercs fans dif-
tindion pendant fa vacance.
L'Evêque de Senlis n'ayant pu lire ce mémoire fans colère ,
préfenta une requête au Chancelier,& au Confeil privé du Roi,
par laquelle il demanda la permiflTion de faire examiner le mé-
moire en queftion par des Dodeurs de Sorbonne. On n'eut
aucun égard à fa requête î & Ton regarda comme une chofe
d'un exemple dangereux , de porter devant des Juges ecclé^
fiaftiques , un mémoire écrit dans une affaire dont une jurifdic-
tion Royale étoit faille. Ainfî on lui rendit fa requête fans la ré-
pondre j manière douce de lui faire comprendre ce qu'on en
penfoit.
L'Evêque de -^^^ Chanoines ayant gagné leur procès au grand Confeil le
Senlis dénon- 20 dc Mars de l'année 1606. leur Avocat ne penfoit à rien
bl'^d^'^S"^' ^^"^oii^s qu'à l'affaire que lui fafcita l'Evêque de Senlis, irrité
gé le mémoi- Contre lui. Ce Prélat ofa le dénoncer aux Evêques affemblés à
redei'Avocat Paris, dans le Couvcntdes Auguftins , pour recevoir les corn-
orties, p^^^ jg Jean Caftille , receveur général du Clergé. Cette dé-
nonciation étoit aufli injufte , que téméraire : car l'Evêque ne
pouvoir ignorer qu'il étoit contre nos ufages & nos droits, de
porter devant des Evêques une affaire décidée par une Cour
fouveiraine : les Evêques n'avoient point été commis pour l'e-
xaminer, & le Roi ne leur avoir point permis de s'allembler
pour de pareilles difcuiïlons. Il parut néanmoins le 23 d'Avrii
ime fentence ou cenfure , en forme d'ade de cette aifemblée,
^ui contenoit en abrégé le mémoire des Chanoines , dans le-
quel on avoir ajouté , retranché, & changé les termes ; elle le
dèclaroit contraire au droit divin, & à l'ancienne difcipline,
& le taxoit de fauffeté , d'hèrèfie , & d'impiété. Les Agens du
Clergé eurent ordre d'enregiftrer cette fentence.
f.. L'Avocat auteur du mémoire, qui apprit que TEvêque de
Senlis répandoit dans le public des copies de cette cenfure ,
ne voulant pas qu'on pût lui reprocher d'avoir abandonné fa
propre caufe, en porta fes plaintes au Tribunal qui avoit jugé
fur le fonds de l'affaire. Il dit qu'il avoit reçu un outrage fan-
glant, auquel il ne devoit pas s'attendre delà part d'un Evêquei
E N R
DB J. A. DE THDU, Lîv. î. ii
Qu'on débitoit un libelle injurieux contre lui , fous le tkre de
cenfure : Qu'on l'avoir condamné , fans l'entendre , & fans lui n _
lailVer les moyens de fe défendre : Qu'il n'y avoir rien dans fon j y
mémoire , qui ne fut conforme à la difcipline de la primitive j 601*
Eglife > mais qu'on l'avoit altéré & mutilé : Qu'ainii l'Evcque
étoit doublement coupable, & pour avoir déchiré fa réputation,
èc pour l'avoir calomnié.
L'Evêque ayant été aiïigné , poiu* être oui , fît tous fes efforts L'Evcque ic
pour engager les Chanoines à défavoiier le mémoire de leur ^^^^^ ^^ f'^'
Avocat , ôc. a en demander la condamnation : mais n ayant uui au grand
pu rien obtenir d'eux , il ne jugea pas à propos de comparoitre ; Confcil , & la
c'eft poiu'quoi il fut condamné par contumace le 22 de De- Evêq"e! cft
cembre ; la fentence des Evêques déclarée nulle & abuiîve, déclarée nul-
avec irijondion de la biffer & de la rayer dans les regiftres oà ^^^ abuive,
elle avoir été inférée ; & en outre expreffes défenfes à Guillau-
me Roze , & à tous autres de s'en fervir , fous peine de faux.
Quelques jours avant ce jugement, les Agens du Clergé
étoient allé trouver le Chancelier, pour faire ceffer les pour-
fuites 5 ils dirent qu'ils étoient prêts à remettre, en fa préfence ,
& devant le Préfident du grand Confeil , entre les mains du
demandeiu', l'original de cette cenfure : Qu'ils déclareroient
qu'elle n'étoit point l'ouvrage de l'affemblée des Evêques.
Mais l'Avocat des Chanoines ne fe contentant pas de cette fa-
tisfadion , & voulant avoir un Arrêt autentique en fa faveur ,
on fut obligé de fuivre le cours ordinaire de la procédure.
L'injuftice s'introduit fouvent dans le droit à la faveiu- de la Affaire Ju
juftice , comme l'impiété fe gliffe quelquefois dans la Religion Senatus-Coi>
fous le voile de la pieté. Le Senatus-Confulte Velleien , qili ^"^'^^ e'ieica.
a été fait autrefois , pour régler tout ce qui regarde les obliga-
, tions que les femmes pourroientcontrader , en fe donnant pour
cautions , leur interdit en cette qualité toute adion, foit en de-
mandant, foit en défendant. Ce règlement fi fage , eu égard
à la foibleffe de ce fexe , commença dans la fuite à n'être plus
obfervé , fous prétexte qu'il faifoit naître des difficultés & des
embarras dans les affaires ; on le négligea d'abord dans les
tranfports de dettes , &dans les tutelles 5 on n'y eut bientôt
plus d'égard , dans toute forte de fide-juffions , en ftipu-
lant la claufe , de renoncer au bénéfice du Senatus-Con-
-fulte Velleien. Cette pratique frauduleufe, qui étoit déjà ca
B ij
woj w.vs>yrj^9^ii'i9cassi
12 SUITE DE L'HISTOIRE
lîfage du tcms des Jiirifconfultes Grecs , comme on peut le voir
par les Bafiliques, fut connue des Romains , qui l'ont tranfmife
^ J^ ^ ^ aux François. Nos Praticiens l'avoient répandue dans toutes les
Jurifdidions du Royaume, ou elle avoit donné lieu à deux
"^ grands inconvéniens : car les femmes , à la faveur de ce Sena-
tus-Confulte , renonçoient à leurs engagemens aulTi facilement,
qu'elles les avoient contradés. La mauvaife foi ou la négli-
gence des Notaires & des Tabellions, qui n'inféroient , oii n'ex»
pliquoient par la formule de renonciation au bénéfice du Se-
natus-Confulte Velleien ( quoiqu'au fond cette renonciation fut
inutile ) ruinoit la fureté des contrats 5 & les Juges livrés à des
fcrupules frivoles n'ofoient la rétablir. Enfin tous les Sièges du
Royaume n'étant occupés qu'à juger de ces fortes d'affaires, on
ouvrit enfin les yeux , & on reconnut l'abus qui s'étoit intro-
duit fous le nom même de la Juftice. Le Parlement enregiftra
le 23 de Mai un Edit, qui défendoit de faire mention du Sena-
tus - Confulte Velleïen dans les obligations des femmes ?
ordonnant qu'à l'avenir telles obligations feroient bonnes & var
.labiés , fans toutesfois donner atteinte aux chofes précédem-
mentjugées.
Pomponne de BelUevre Chancelier de France, mourut à Pa-
l'ev^"ch^ance' ^^^ ^^^^ ^^^ ^ë^ ^^^^ avaucé le 5 de Septembre ; il fçut avant fa
lier de France, mort par qui fa place devoir être remplie. Nicolas Brulart de
Silleri, qui avoit été fait vice-Chancelier deux ans auparavant^
devoir, fuivant une claufe de fes Lettres patentes, être revê-
tu de cette dignité , auffitôt après la mort de Pomponne. Ce
dernier eut la confolation de lailler un fils digne de lui par fes
vertus, qui avoit cpoufé la fille de Silleri.
Mort da Ce n'eft pas la coutume que nos Rois rendent les derniers
Carainai Ba- dcvoirs aux Cardinaux de l'Egliie Romaine , fur tout lorfqu'ils
font étrangers. Cependant le Roi fit faire un fervice dans la
Cathédrale de Paris pour le cardinal Baronius , comme on
avoit fait tout récemment pour le cardinal Toletj ce fut eix^
confidération des fervices qu'on dit que ces deux Cardinaux
avoient rendus au Roi , en travaillant avec ardeur à lui rendre
le Pape favorable après fon abjuration. Baronius ctoit d'une
.honnête famille deSora dans la Campagne de Rome. Ayant
-achevé fes premières études , il s'appliqua à celle de l'Hliloire
Lcciéiîafiique , 6c publia unMartyroioge avec des notes trcsr
ro-niii?, ,S; [on
éloge.
DE J. A. DE THOU, Liv. T. 19
içavantes. Enfuite pour donner des armes à l'Eglife Romahiô
contre les Centiiriateurs de Magdebourg , il compofa fes an-
nales Eccléfiaftiques , après avoir confulté avec beaucoup de
foin les Hiftoriens originaux , qu'il tranfcrit fouvent mot pour
mot. Dans tout le corps de cet ouvrage , il s'efforce de prou-
ver que le Pape a droit de commander fouverainement à tou-
tes les Eglifes , & à toutes les Puiflances du monde entier , en
qualité de Vicaire de Dieu fur la terre j & en vertu d'un pou-
voir donné par Jefus-Chrift à S. Pierre. Baronius fut humble ,
& vécut dans le Cardinalat , comme un limple particulier , fans
fe laiffer aveugler par l'ambition , & par le déiir de dominer. A
la mort du Pape Clément VIIÏ. les Cardinaux partagés en diffé-
rentes fa£l:ions, ayant enfin , après de grands mouvemensdans
le Conclave , jette les yeux (ur Baronius , il refufa conftam-
ment de fe laiffer conduire à l'Autel , ou à la Chaire d'adora-
tion, vers laquelle on l'entraînoit déjà. Il mourut âgé de foi-
xante-netff ans. On trouva dans fes papiers fecrets un écrit , où
il marquoit qu'il avoir compofé lQS annales Eccléiiaftiques de-
puis fon année climatérique , jufqu'à l'an ï6oj. au-deffous il
avoir marqué l'année 6p , que Dieu lui avoir fait connoî-
tre en fonge devoir être fa dernière années révélation dont il
avoit fait part à fes amis les plus incimes. Il mourut dans une
grande tranquillité , confervant jufqu'au dernier foupir toute îa
vigueur de fon efprit , & toutes les forces de fon corps ; à la
réferve de fon eftomach , qui ne pouvoir plus digérer , & qui
lui caufoit de grandes douleurs. Ce mal qui l'avoir rendu très-
foible depuis plus d'un an , lui f.ùfoit trouver du dégoût dans
les alimens néceffaires à la vie. Les Cardinaux affilièrent à fes
funérailles en robe violette. Son corps fut mis dans un
coffre de cèdre , couvert d'un cercueil de plomb revêtu de
bois defapin, & dépofé dans l'Eglife de fainte Marie in P^aîli^
cella j il y eut à l'es obféques un grand concours du peuple
attiré par la curiofité, & par le défir de toucher les reliques
d'un homme mort en odeiu- de fainteté.
Cette même année le cardinal Cliarle de Lorraine, fils de
Charle duc de Lorraine , & petit-fils de Henri II. roi de France
par la princeffe Claude , ceffa de vivre , ou plutôt de fouffirir.
Il poffédoit deux Evêchés à la fois , celui de Mets , & celui de
Strasbourg-, fardeau que les plus forts ne fe feroient pas crû
Biij
He n r
IV.
I 5 0 7.
-14 SUITB DE L'HISTOIPvE
'Capables de porter dans les premiers tems de TEglife.
Henri ^^ ^^ ^^^^ P^^ inutile à la poftérité de rapporter ici un nou-
j Y -veau voyage des François en Canada , d'où ils revinrent cet-
I (5o 7. ^^ année. Du Mont ayant abandonné i'ifle de fainte Croix l'an-
née précédente , & tranfporté fa Colonie à Port-Royal , où il
Voyage es £ établillcment , avoit eu foin à fon retour en France , de
rrançnis en ^
Canada. ffc munir de toutes les chofes néceffaires pour l'agrandilTement
>de fa peuplade. Il embarqua cinquante hommes fur un vaifleau,
.pour aller retrouver ceux qu'il avoit laifTés en Canada, fuivant
îa promeffe qu'il leur en avoit faite. Gn mit à la tête de
l'entreprife Poutrincour lieutenant de du Mont , qui après
-avoir été long-tems retenu par les vents contraires , mouilla en-
fin le 27 d'Août au Port-Royal ; d'où Pongravé & Cham-
iplain lalîes de l'attendre, & défefperans d'avoir du fecours,
> -etoient partis le quatre pour retourner en France. Poutrincour
•foupçonnant ce qui étoit arrivé , avoit envoyé devant lui Rai-
leau dans une chaloupe, pour les ramener. Son arrivée rem-
* -plit de joye Pongravé , qui fit auilltôt route du côté de
Port-Royal , où il s'aboucha avec Poutrincour. Ils arrêtèrent
■enfemble , que la faifon étant trop avancée , pour pénétter dans
* les terres, il falloir en attendant éprouver la bonté du terroir ,
en femant des grains , & parcourir le pais aux environs pour
jdécouvrir les avantages qui pourroient s'y rencontrer. Poutrin-
cour vifita l'iile de fainte Croix , où du Mont avoit fait hiverner
fon équipage 5 & il vit qu'il y avoit eu cette année une grande
abondance de bled , & de légumes.
Secondon & Meffamoùet Sauvages , qu'on avoit connus
^ans les voyages précédents , montèrent dans la chaloupe de
Poutrincour. Etant arrivés à Chovacoùet , ils faluerent One-
mechin & Marchin , qui revenoient de couper les bleds. Ils fe
firent des prefens réciproques. Meflàmoûet domia à Oneme^
chin des chaudrons , des haches, & des couteaux, dont Pou-
trincour lui avoit fait prefent. Onemechin lui donna de fon
côté des citrouilles, du bled d'inde, & des fèves duBrcill.
Après avoir navigé une lieuë , ils découvrirent une terre,
.qui outre un grand nombre de noyers & de chênes , portoit
-beaucoup de raifins , de pois , & de citrouilles. Ayant pris terre,
ils comptèrent jufqu'à deux cens Sauvages, qui ne différent
ides animaux brutes, qu'en ce qu'ils reconnoilTent un Roi,
DE J. A. DE TPIOU, Liv. I. i^
qu'ils appellent Quiouhamenec. Ce barbare s'avança tran- .
quillement vers les nôtres pour les confidérer , ayant avec lui h ^ j.i » ,
Cohovepech roi d'un peuple voilin. On les reçut avec beau- t y
coup de civilité. Le lendemain.les Sauvages parurent en grand , ^ *
nombre, armés d'arcs & de flèches. Les nôtres croyant d'à- -'
bord qu'ils étoient venus dans le deflein de les attaquer , fe
raflùrerent enfuite , en voyant que les ruifleaux dont la prairie
ctoit entrecoupée, les empêchoient de venir à eux. Les Sau^
vages ne les laiiTerent pas long-tems dans l'inquiétude , car
ayant fait un monceau de leurs armes , ils fe mirent à danfer
au tour , comme pour témoigner leur joye. Poutrincour foup-
çonnant de l'artifice dans cette conduite , prit avec lui huit ar-
quebulîers , ôc s'alla cacher derrière un bois. Les Sauvages
s' étant apperçus qu'on leur drelToit des embûches , firent bon-
ne contenance , & ne fe retirèrent dans leurs cabanes , qu'a-
près avoir achevé leurs danfes.
Ce pais n'eft pas inculte. Les habitans coupent les arbres;
ôc brûlent les branches entaflees fur les troncs , qu'ils arrachent
ainfi peu à peu. La terre étant échauffée & préparée de cette
forte, ils y jettent des femences j il y a de très-beaux pâturages,
& le port eft très- fur 5 ce qui lui a fait domier par les François
le nom de Beauport.
Le dernier jour de Septembre Poutrincour leva l'anchre, &
ayant doublé le Cap de S. Louis , il mit à la voile pour le Cap
blanc. Les vents l'obligèrent de jetter l'anchre à cinq lieues
en deçà du Cap blanc, où il arriva à la faveur d'un bon vent,
& de-là il fe rendit à Malebarre. Enfuite ayant avancé fix lieues^
il fit jetter l'anchre près du rivage j le lendemain il navigea
cinq lieues vers le Nord , & alla échouer fur des bancs de fa-
ble près d'un Cap , à qui le danger, qu'on courut de faire nau-
frage , fit donner le nom de Cap Batturier.
Le jour fuivant il alla mouiller au Port Fortuné , ou fes com-
pagnons avoient eu le malheur de périr. Les terres font fott
cultivées en cet endroit , & les coteaux plantés de vignes ;
mais les habitans s'appliquent principalement à la culture du
plat pais. Ils font d'une couleur brune , & ne fe couvrent que
les parties naturelles avec des feuilles & des peaux, étant nuds
du refte du corps. Ils treflent artiftement leurs cheveux avec
des plumes 6c de petits fi:uits. Leurs armes font l'arc, les flèches.
Bm.-LB'jJjiJWJBrJWCT-
Henri
rd: SUITE DE L'HISTOIRE "
ôc une maiïlië noûeufe. Tous égaux dans la paix, ils n'ont de
Rois que pendant la guerre 3 aucun d'eux ne poflede déterre
que ce qu'il en faut, pour fournir à fa fubliftance ; ils bâtiifentfé-
parémentau bout de chaque champ, des cabanes aÛez grandes,
1007. d'une figure ronde , & couvertes de nattes. Dans ces cabanes
il n'y a qu'un , ou deux lits placés fur des pieux élevés à un pied
de terre. Leur nourriture eft du bled d'inde , qu'ils gardent
ainfi pendant l'hyver ; ils le couvrent de feuilles fêches, & l'en-
terrent enfuite dans des monceaux de fable qu'ils font fur le
penchant des collines. La mer ell fort poifibnneufe fur leurs
côtes , &il y a une grande quantité de marfoùins, qui donnent
îa chalTe jour & nuit aux petits poiflbns. Le nombre des co-
quillages &des huitres y eft infini ; ils ont beaucoup d'oifeaux,
& l'on trouve dans leur païs toutes les chofes nécellàires à la
vie.
Tandis que les François parcouroient le païs, les Sauvages
foupçonnerent qu'ils n'étoient venus que pour leur faire la
guerre. Dans le deflein de les prévenir, ils abbatirent leurs
cabanes , firent cacher leurs femmes & leurs enfans dans les
bois, & mirent en fureté leurs vivres, & tous leurs meubles ,.
pour être plus en état d'attaquer & de fc défendre. Poutrincoiu*
voyant que tous cqs mouvemens fe faifoient contre lui , donna
ordre à fon équipage de fe retirer promptement à bord j mais
quelques-uns n'écoutant point fes ordres, s'arrêtèrent jufques
bien avant dans la nuit fous un pavillon , où ils furent percés de
flèches par les Sauvages qui furvinrent ; ils portèrent ainfi la
peine de leur témérité. Poutrincour éveillé au bruit , defcendit
à terre le plus promptement qu'il fut poftlble, pour venger la
mort de fes gens ; mais les Sauvages fe retirèrent avec
une vitefte incroyable dans le lieu de leiu- retraite , dont ils
connoiffoient les détours , & que les étrangers ne pouvoient
pénétrer.
Les François quittèrent ce port malheureux , 6c firent voile
vers Narambegue. Ils remarquèrent en paflant l'ifle des Monts
déferts , le Cap de Corneille , & plufieurs autres ifles entre
Quinibequi & Narambegue. Enfin le 14 de Novembre ^ leur
vaifteau vint mouiller à Port Royal. Peu de tems après j arri-
i^'crent au même endroit dans leurs canots , quelques Sauvages
de Narembegue , fous la conduitç d'Ovagimou. Ce Sauvage
çtoit
E N R t
DE J. A. DE THOU, Lrv. I. 17
ctoit fort uni avec Beflabes chef de la rivière de Narambegiie, ^«
qui lui avoir donné le corps d'un certain Panounia tué dans „
une embulcade par les Almouchiquois. Ils alloient enterrer ce y ^
Sauvage. Après l'avoir expofé , ils fe noircirent le vifage , " *
pleurèrent au tour du mort , en jettant des cris affreux , & brû.- ' "^
îerent fur le rivage deux chiens , & tout ce qui avoit apparte-
nu à Panounia , avec beaucoup de tabac. Le cadavre fut en-
fuite porté dans une cabane j ils l'enveloppèrent d'une couver--
ture que les François leur avoient donnée, & lui mirent fur la
tête un tiffu de plumes , & des braflelets de différentes couleurs;
dans cet équipage ils le mirent à genoux entre deux perches,
& lui en pafferent une troiiiéme fous les bras, pour le foûtenir;
les femmes célébrèrent ces funérailles par des cris lamentables.
Pendant cetems-là, Mabretou roi de ce païs animoit les af-
fiftans par un difcours très-vif, à venger la mort de Panounia ;
après quoi ils emportèrent le mort dans une autre cabane , 6c
l'ayant une féconde fois purifié par la fumée du tabac, ils l'en-
veloppèrent avec foin dans une peau de bœuf, pour le con-
ferver jufqu'à ce que les parens fe fulfent aflemblés en plus
grand nombre, afin que le frère du mort, qui étoit fon plus
proche parent, reçût plus de prefens , félon la coutume de
ces Sauvages en pareille occafion.
Poutrincour pafla l!hy ver dans cet endroit? & de peur que
i'oifiveté ne fut pernicieufe à fes foldats , il les employa à cul-
tiver des jardins î leur fit alligner & nétoyer le chemin qui con«
duit à la rivière , conftruire des moulins à eau , & les occupa
à la chalfe des bêtes & des oifeaux. L'expérience leur apprit
qu'il étoit inutile de fenier les menus grains avant le mois de
Mai.
Au commencement de Juin , les Sauvages ligués contre •
les Almouchiquois , partirent fous la conduite de Cafmou &
de Mabretou j tuèrent Onemechin & Marchin , & perdirent
leur Général dans le combat. Les nôtres ne firent rien de mé-
morable le refte de cette année , ils ne penfoient qu'à leur re-
tour en France. Le 1 1 d'Août Champlain & fes compagnons
partirent de Port-Royal , en rangeant la côte jufqu'à Camp-
feau ; de-là ayant commencé à faire voile vers la France le
quatrième de Septembre , ils arrivèrent à S. Malo le dernier
d^ £C mois.
Tome XK C
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i
IV,
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^
jg SUITE DE L'HISTOIRE
La triftefle fe répandit à la Cour au commencement de cette
année i(5^o8. parce qu'on défefpera dès lors de la vie de Henri
de Bourbon duc de Montpenfier j les médecins n'ayant pu ve-
nir à bout de guérir la bleffure qu'il avoir reçue au liège de
Dreux. Ce Prince en ayant été incommodé pendant 1 4 ans,avoit
Mort du duc donné de tems en tems quelques efpérances de guérifon ; mais
^cr. ^"^^^"^ le pus qui découloit continuellement de fa mâchoire inférieu-
re.ayant gâté les parties nobles, il devint extrêmement fec &
maigre j ce qui lui fit juger à lui-même qu'il n'avoir plus que
peu de tems à vivre. Un avoir de fa femme Henriette Catherine
de Joyeufe , qu'une fille âgée de deux ans , que le Roi vouloit
marier au duc d'Orléans fon fils , qui n'avoir pas encore un an.
Sa Majefté voulant donner au duc de Montpenfier , qui ne pou-
voir pas vivre long-tems, la confolation de voir ce mariage af-
fûré, en anxtant les articles du contrat , il le fit dreiler & figner
îe lendemain. Le Roi lui-même , la Reine , le duc & la duchef-
fe deMontpenfier , Marguerite de Valois, les Princes du Sang ,
& plufieurs Seigneurs alTifterent à cette cérémonie.
Le 13 de Février, le duc de Montpenfier fit unteftamenr
olographe, par lequel, en cas que la Princefie fa fille vînt à
décéder fans enfans,il donnoit le duché de Montpenfier, le
Dauphiné d'Auvergne , le pais de Combrailles , Cluïs , Thiern,
ouThiers, & Mont-aigu en Combrailles , à la Duchefie fon
cpoufe 5 Dombes , le Beaujolois, fes autres Châteaux, & domai-
nes, au duc d'Orléans, au défaut duquel il fubftitua le Dau-
phin, & les autres enfans du Roi. Le lendemain il donna par
donation entre vifs , le duché de faint Fargeau^ & tous fes au-
tres biens au duc d'Orléans, à l'exception de ceux qu'il avoit
donnés à fa femme 5 ajoutant dans la donation , qu'en cas que
ce Prince vînt à mourir fans enfans, le Dauphin & fes enfuis
prendroient fa place , & à leur défaut, les autres enfans du Roi
& de la reine Marie.
Ayant ainfi donné ordre à fes affaires , ce Prince recomman-
dable par l'allemblage de toutes les vertus, mourut le 27 de
Février, emportant avec lui dans le tombeau les regrets de tous
les gens de bien. Le Roi pleura la perte de ce grand homme^
à qui l'Etat Ôc lui-même avoient de très-grandes obligations,
La douleur de fa mort fut générale à la Cour ; & fes funérailles
ayant été faites à Nôtre-Dame^ avec prefque autant de magnj-
DE J. A. DE THOU, Liv. L ï^
ficence que celles de nos Rois, les Officiers de fa maifon .^...«.^.^
tranfporterent fon corps à Champigny en Poitou , où il fiit in- ~
humé dans le tombeau de fes ancêtres. li e n r i
Sur ces entrefaites , les Tefuites s'introduifirent dans le Bearn, *
au pied des Pyrénées. Le Roi avoit pofledé ce païs , comme fes '
ancêtres, à titre de Principauté fouveraine, dans le tems qu'il Etabiiffmer.t
Ti'étoit encore que Roi de Navarre. Les habitans du Beam, dansicBe"ra.
Calviniftes pour la plûpart,ne laiflbient point exercer publique-
ment leur Religion aux Catholiques. Les Sièges fubalternes
feflbrtiilbient , comme aujourd'hui , à Pau , où il y avoit une
Cour fouveraine. (*) Henri en montant fur le Thrône , avoit
comme réuni le Bearn à la Couronne , & il avoit ordonne par
un Edit publié à Nantes , que dans toutes les Provinces du
Royaume, où les Calviniftes feroient en plus grand nombre
que les Cathohques, l'exercice de la Religion de ces derniers
feroit rétabli; deforte qu'ils poiuToient rebâtir leurs Eglifes,
prêcher , ôc célébrer les faints Myftéres.
Les Bearnois ne reRiferent pas de fe conformer à cet Edit j
ilsfe montrèrent même tout prêts à recevoir lesEcclélîaftiques,
à l'exception des Jefuites, qui étoient ( difoient fur tout les
Calviniftes ) des émiflaires de la fadion Efpagnole , des gens
dévorés d'ambition, auteurs d'une Théologie équivoque 6c
capticufe î enfin des perturbateurs du repos public. Le Parle-
ment de Pau ayant député deux perfonnes de fon Corps vers Sa
Majefté , pour lui repréfenter qu'il étoit utile , & même né-
ceflaire , pour éloigner les troubles & les féditions , de ne pas
permettre aux Jefuites de venir en Bearn , où ils étoient extrê-
mement haïs; le Roi leur fit réponfe que ce qu'ils demandoient,
étoit en leur pouvoir , & qu'il laiflbit la Cour maîtrefle de faire
ce qu'elle jugeroit à propos.
Ces députés ayant rapporté la réponfe du Roi le 28 d'Odo-
bre de l'année 1 5: 9p. on rendit un Arrêt , portant défenfes aux
Jefuites de faire aucune fondion Eccléfiaftique dans toute l'é-
tendue du Bearn, 6c d'y établir leur domicile. On y avertiflbit
aufti les Evêques , ôc autres que ce foin regardoit , de veiller
à ce qu'il ne fut rien fait contre la teneur de l'Arrêt.
Les Evêques ne voyoient qu'avec beaucoup de chagrin ,
les biens de l'Eglife entre les mains des Sedaires, qui avoient
(î) Elle a été cri'zéecnPjrle.Tieriten IÎ99. •
Cij
V,
IIBiiJi,M»auniBln l/XA. JliaB
4io SUITE DE L'HISTOIRE
une longue prefcription à leur oppofer. Il n'y avoit point d'ef-
Henri pérance de rentrer dans ces biens , à moins que la face des cho-
i V, îes ne vînt à changer. On ne pouvoit fe flater de voir jamais ar-
1 6ot^. river ce changement, fi les Catholiques ne l'emportoientfur les
Calviniftes par le nombre ; & les Jefuites, comme ces Pères l'a-
voient fait entendre à plufieurs Evêques , étoient les plus pro-
pres à procurer cette augmentation. Le Roi accorda enfin aux
importunités de l'Evêque d'Oleron, un Edit du 20 de Février,
qui cafiant l'Arrêt du Parlement de Pau, permettoit auxjefui"
tes d'entrer en Bearn , pour y faire toutes les fondions
Eccléfiaftiques dans les deux Diocéfes du Bearn , avec la per-
milfion des Evêques , comme tous les autres Religieux.
Miiflance du Le Roi alla fur la fin de l'hy ver à Fontainebleau , où il avoit
duc d'Anjou. ^^-^ envoyé la Reine , qui étoit fur le point de faire fes cou-
ches. Le terme de fa grofleffe étant expiré , elle mit au monde
un troifiéme Prince , nommé d'abord le duc d'Anjou, qu'on a
dans la fuite appelle Gafton. Ce Prince naquit le 2<5 d'Avril.
Joinville met à pareil jour la naiflance de faint Louis , chef de
la maifon de Bourbon. L'heureufe naiflance du duc d'Anjou
fut un foulagement à la douleur qu'avoir caufé la mort du duG
de Montpenfier , dont la veuve fept mois après , eut encore à
pleurer la perte de Henri de Joyeufe fon père.
Mort de Ce Scigncur qui étoit de la première diftindion , s'étant dé^
fî.yTuVe Ca- goûté dcs honucuts & dcs plaifirs de la Cour , avoit quitté le
fucin. monde pour fe faire Capucine nom qu'on a donné à ceux des
Religieux de faint François , qui avoient embrafle une vie plus
auftére, à caufe de la grandeur extraordinaire de leurs Capu-
chons. Oi\ l'avoir vu plufieurs fois revêtu de l'habit de l'Ordre,
couvert du cilice , les pieds nuds , célébrer les faints Myftéres",
& prêcher même avec applaudiflement. Après avoir vécu plur
fleurs années dans cette grande ferveur, il voulut fe rendre à-,
Rome, afin d'y ménageries intérêts de l'Ordre? mais à peine
avoit-il traverfé les Alpes, qu'une fièvre violente l'emporta le
2.6 ait Septembre. Son corps ayant été rapporté à Paris, les Ga-
. . pucins l'enterrèrent dans leur Couvent,
avec'^ie duc de Pendant que le Roi étoit à Fontainebleau, on y tint fecrete-
suvGje. ment Confeil , pour porter la guerre hors du Royaume. Le
Roi en étoit vivement follicité. D'ailleurs outre les avantagea
qu'on pouvoit en efpérer, il y avoit encore de juftes motifs de
DE J. A. DE THOU, Liv. I. c^i
l'entreprendre. Le duc de Savoye , Prince remuant ^ indi-
gné de voir avec quel orgueil PedroEnriquezd'Azevedo corn- PI ri NR I
te deFuentes^ gouvernoit le Milanez,, preflbit les François^ IV.
qui en avoient été les maîtres , de s'en remettre en polTefiion , i 5 o 8.
& de tirer vengeance des Efpagnols. Ce Prince avoir traité dé
cette affaire l'année précédente fuccefllvement avec les Cardi-
naux de Joyeufe & du Perron^ lorfqu'ils paiTerent par Turin,
en revenant de Rome & de Venife. Il les avoit engagés d'en
parler au Roi j il avoit même fait partir Gafpar Purpurat colo-
nel deFinfanterie de Savoye j avec des inftructions ^ pour ex-
pliquer au Roi les moyens de commencer l'entreprife.
Purpurat avoit ordre de dire à ce Prince , que le Duc livre-
roit un partage fur fes terres aux troupes Françoifes, pour en-
trer dans le Milanez : Quil avoit à fa dévotion les principaux de
cette Province , ennemis jurés du comte de Fuentes : Qu'il lui
feroit facile de les mettre dans les intérêts du Roi, auquel il
joindroit lui-même fes forces : Qu'il demandoit , afin de tirer
■quelque avantage de cette expédition, qu'auflitôt après laprife
de Milan, le Roi lui rendît la Brefle, le Bugey , le Val-Romey,
& le Bailliage de Gex : Qu'il abandonnât la protedion de Ge-
nève, & qu'il confentît à la réunion de ce pais au duché de
Savoye : Que le Roi lui permît aufil d'attaquer la Franche-
Comté, & lui donnât promelfe de renforcer fes troupes, s'il
en étoit befoin : Qu'on arrêtât le mariage de la Princeffe fa fille
avec le Dauphin , ou du moins celui de la fille du Roi avec lé
Prince de Piémont fon fils, comme un gage de l'alliance qu'il
alloit contrader avec la France. Telles furent à peu près les
propodtions que le duc de Savoye , & le duc de Nemours à
fa foliicitation , firent à Villeroi dans les lettres qu'ils lui écrivi-
rent fur ce fu jet. '
Le duc de Nemours qui étoit de la maifon de Savoye , s'é-
toit rendu à Turin, pour afTifter à la célébration du mariage des
filles du duc de Savoye , avec les ducs de Mantouë & de Mo-
dene. Ceux qui étoient portés en France à féconder les vues du
duc de Savoye, faifoient efpérer qu'on en retireroit des avan-
tages confidérables. Ils difoient , pour appuyer leurfentiment :
Que la France étant remplie d'une grande quantité de Noblefle,
elle étoit expofée à fe voir déchirer par des fadtions , fi on ne
tenoit fes forces en haleine 5 comme un athlète trop bien nour*
C iij,
a.2 S U î T E D E L* H I S T O î PvE
ri , étolt fujet à des maladies dangereufes , lorfqu'il rcftoit dans
i'inadion : Que fi elle n'avoit point d'affaires au dehors , elle
Henri tourneroit fes armes contre fon propre fein : Qu'au refte elle ne
^ ^ ' manqueroit pas d'ennemis : Que le roi d'Efpagne refuferoit im-
1008. manquablemcnt de prêter l'oreille aux propoiitions qu'on lui
feroit de retirer le Comté d'Artois , en lui payant les fommes
pour lefquelles on le lui avoit engagé : Que ce Prince fe feroit
un fcrupule de reftituer la Navarre injuftement envahie , le
Royaume de Naples, le Mikmez, Gènes, & d'autres pais qui
appartenoient autrefois à nos Rois : Qu'il avoit ajouté de
nouvelles injures aux anciens outrages que la France avoit re-
çus de l'Efpagne : Que tout récemment on venoit d'y violer le
droit des gens dans la perfonne de Silly comte de la Rochepor,
ambafladeur de France : Que les Ffpagnols avoient féduit de-
puis peu Biron par d'artifieieufes intrigues , & venoient de dé-
couvrir leurs difpofîtions à l'égard des François , par la tentative
qu'ils avoient faite fur Marfeille : Que toutes ces raifons dé-
voient engager le Roi à faifir l'occalion, & à profiter des con-
feiis du duc de Savoye : Que l'année avoit été ftérile dans le
Milanez : Qu'on y déteftoit la dureté du comte de Fuentes ; &
qu'enfin rien ne s'oppoferoit aux efforts d'un Roi conquérant,
qui redemandercroit les armes à la main , des Etats ufurpés fur
fes prédéceffeurs.
Le Pvoi répondit à l'Envoyé du duc de Savoye : Qu'il loûoit
le courage de fon maître, & qu'il faifoit beaucoup de cas de
fon alliance , qui pouvoit lui être avantageufe dans plufieurs
grandes entreprifes : Qu'il recevoir fes oftires avec beaucoup
de joye : Que pour ce qui regardoit Genève, il ne devoir pas
attendre de lui qu'il donnât la moindre atteinte à la parole
qu'il avoit donnée aux habitans de cette ville : Qu'il feroit avec
grand plaifir le mariage de fa fille avec le prince de Piémont,
après laréCilTite de l'expédition qu'on lui propofoitj mais qu'il
falloir fçavoir avant tout j quelles forces pouvoit avoir le duc
de Savoye , pour exécuter ce projet? fur quels fecours ce Prin-
ce pouvoit compter? quelles alfùrances il avoit de l'affedion
desMilanois5 ce que penferoient les peuples voifins à cette
occafion 5 & fur tout comment fe termineroient les difficultés
de la trêve des Païs-bas, qui s'augmentoienttous les jours j par-
Ce que 11 la guerre s'y renouvelloit, le roi d'Efpagne ne man-
I ^ o 8.
DE J. A. DE THOU, L i v. I. 23
quei'ckpas d'y envoyer fes meilleures troupes : Qu enfinilétoit ««,.«,„„^
ncceflaire de fçavoir ce que deviendroient les troupes Efpa- ^
gnôles y qui étoient en Savoye & dans le Milanez , & de quel ^ ?^ ^
côté tourneroit la flotte , qui venoit de quitter les côtes d'Ef- _^\
pagne.
Le colonel Purpurat ayant été renvoyé avec cette réponfe ,
André Cochefilet de Vaucelas , allié du duc de Sully, fut en-
voyé vers le duc de Savoye, pour le complimenter fur le ma-
riage des Princefles avec les ducs de Mantouë 6c de Modene.
Il étoit outre cela chargé d'inftrudions fecretes , qu'il ne
devoit communiquer qu'au duc de Nemours. Il avoir ordre,
après avoir témoigné une grande bienveillance de la part du
P.oi à ce Prince , de traiter en particulier avec lui fur ce qu'il
avoit écrit à Villeroi , & de l'aflïïrer que fes lettres avoient fait
beaucoup de plailîr au Roi , qui n'avoit pas jugé à propos de
jrien réfoudre, avant la conclufion de l'affaire des Païs-Bas.
Vaucelas s'acquitta de fa commiffion ^ & repréfenta au duc
de Nemours , que les Provinces-Unies ayant déjà obtenu la
Souveraineté , prétendoient encore fe conferver la liberté de
la navigation aux Indes Orientales, finon qu'elles préféreroient
la guerre à la paix. Il ajouta que les Archiducs avoient envoyé
en Efpagne le Cordelier Jean de Ney ^ pour fçavoir les inten-
tions de Pliilippe ; qu'ainfi la paix & la guerre étoient encore
incertaines : Que fi les Provinces-Unies prenoient ce dernier
partie les Efpagnols ne manqueroient pas de fe rendre dans les
Païs-Bas : Qu'il arriveroit de-là que les autres Princes, aufquels'
la puilîance de cette Nation iiére & entreprenante étoit fuf-
pede , contens d'être délivrés de leurs craintes préfentes , ôc
de jouir de la paix j ne voudroient pas s'engager dans une en-
treprife, dont l'événement étoit douteux: Que fi d'un autre
côté on prolongeoit la trêve, les forces de l'Efpagne réunies
enfemble j leur donneroient de la jaloufie , & les difpoferoient
aifément par la crainte du péril ^ à prêter l'oreille à ceux qui
leur confeilleroicnt la guerre : Qu'ainfi il étoit à propos de ne
rien précipiter, pour ne pas être obligé de laifler traîner de^
projets, aufquels on fe feroittrop prefie de fe prêter 5 & de peuï
que le tems nelesdécouvrît^ ou ne vînt à rallentir l'ardeur d^s
confédérés : Qu'outre cela le Roi avoir des foupçons aflez bien
fondés de la fincérité des démarches que faifoit le duc de Sa.-
24 . SUITE DE L'HISTOIRE
voye : Qu'il étoit en bonne intelligence avec le roi d'Efpagne,
H E N R I ^"^ ''ivoit approuvé le mariage des deux Princefles fes filles , ôc
j y^ qui donnoit au Duc de grandes marques d'alFedion : Que par
1 6oS ^^ ii'^oy en leur amitié j qui avoir paru refroidie , s' étoit ranimée :
Que le Duc avoir donné toute fa confiance à Baretio j, homme
tout dévoué aux Efpagnols^ & pour qui il n'avoir rien de ca-
ché. Vaucelas avoir eu ordre de ne communiquer toutes ces
chofes qu'au feul duc de Nemours ^ donr la fidélité étoit re-
connue 5 & de confier à fa prudence le foin de manier adroite-
ment cette affaire j fans rien précipiter.
Piopofuions Pendant que ces affaires fe traitoient a Pontainebleau ^ foit
que l'Efpagne qyg [q j-qj d'Efpaguc cn eût eu vent^ foit qu'il fe défiât du gé-
nie inquiet du duc de Savoye , il envoya en France un Ambaf-
fadeur extraordinaire , fuivi d'un corrége nombreux & magni-
fique. Pierre de Tolède , Grand d'Efpagne , fut chargé de
cette grande ambalfade. Ce Seigneur étoit allié à la reine Ma-
rie ^ petite-fille du Grand duc Corne de Medicis, qui avoit
époufé Eleonore de la maifon de Tolède. Son ambafiade rou-
ioit uniquement fur deux points ; il avoit ordre de propofer
le mariage de l'Infante avec le Dauphin ; & d'offrir pour la
dot de la PrinceiVe , tous les droits de la Maifon d'Aimiche
fur les Païs-bas.
Le roi d'Efpagne fe procuroit par-là de grands avantages
pour le prefent ; car en faifant efpérer aux François de faire
un jour cette alliance ^ lorfque les Parties auroient atteint l'âge
requis par les loixj il ôtoit ^ en attendant , aux Provinces-Unies,
la protedion du Roi , qui étoit leur appui le plus ferme 5 il éloi-
gnoir encore par ce moyen la nécefllté d'accorder la paix à
des peuples fiers d'avoir fecoûé le joug d'une légitime do-
mination h néceffité qui étoit un coup mortel à l'orgueil Ef-
pagnol. Outre cela, il venoit à bout ^ en adouciflant les Fran-
çois par l'efpérance d'une nouvelle alliance , de rendre inu-
tiles toutes les pratiques fecretes du duc de Savoye.
Cette politique rafinée des Efpagnols, déplut au Roi j qui
d'un côté ne voulant pas tromper ceux qui avoient de la
confiance en lui, jugea d'un autre que ce feroit luie tache
à fa gloire ^ & à celle du nom François , de fe ranger , en
vue d\m mariage , du côté de l'Efpagne ^ dans une afïaire
r^mif^ à fon arbitrage. D'ailleurs la vicillitude des chofes
humaines
j
Henri:
,
IV.
I (JoS:
j
D E jr. A. D E T H Ô U; L r v. I. rij
liiimaines lui fit confidérer que l'âgé du Prince & de Ja Prin"
cefTe devant néceiTairement différer cette alliance , il ne fal-
loit pas abandonner le préfent ^ pour un avenir incertain.
Le Miniftre Efpagnol n'ayant pu réùlTir de ce côté-là ,
prefTa le Roi de fe fervir de fon crédit auprès des Etats,
pour les engager à ne demander dans les conditions de paix>
que des chofes qui ne deshonoraffent pas le roi d'Efpagne.
Il lui repréfenta que le Préfident Jeannin j fon ambafladeur
au Congrès à la Haye^ étoit maître de la négociation 5 il fe
plaignit même de l'affedion marquée des François pour les
Etats , ajoutant qu'il feroit plus à propos de la témoigner à
un grand Roi, par une alliance ferme & durable. Ces dé-
marches 6c ces plaintes ont fait conjedurer à plufieurs , que
tout le but de cette fuperbe ambaflade , n'étoit que de faire \
foupçonner aux Etats que les François s'étoient réconciliés i
avec les Efpagnols, en faveur du mariage propofé.
Le Roi ne fut point ébranlé par les raifons de l'AmbafTa- LeRoîre'et- i
deur ; <5c ne démentit point , dans tout le cours de cette ne- ^^ les propo-
gociation , le caradére d'un Roi très-chrétien , qui ne devoit pal°|ois " ' '
chercher que le repos & la tranquillité publique î ceft pour- '^ \
quoi le Préfident Jeannin étant revenu de la Haye, il l'y ren- 1
voya avec de plus amples pouvoirs , afin d'employer tous \
fes foins à conclure la paix , ou du moins à procurer une lon-
gue trêve. Pendant ce tems-là, Pierre de Tolède s'acquittoit i
(des ordres du roi d'Efpagne auprès des Archiducs , qui de '
leur côté rejettoient fur la lenteur Efpagnole le long féjoui: i
en Efpagne du Cordelier de Ney , dont les Etats n'atten- \
doient prefque plus le retour.
Le tems de l'ambaflade de Rome étant prêt d'expirer; yq^a^'^^T ^
Charle de Neufville fieur d'Allincourt , avant de céder fa 5^ Efpri? eft \
place à Savary marquis de Brèves, eut occafîon de fe trou- donné à deux •
,ver dans une cérémonie brillante. Alexandre Sforce duc de fraîm"^^ ^' \
Segni , comte de Santafiore , & Jean Antoine Orfino duc I
de Santo Gemini, tous deux de la première Nobleffe de Ro- '
me , frappés de la grandeur Françoife , avoient demandé com- !
me une grâce, que le Roi voulût bien leur donner le Col-
lier de l'Ordre du S. Efprit, dont les marques de diftindion |
font un Collier de fleurs de lys & de flammes d'or entre- ■
Jafiees, & un cordon bleu de foye, au bout defquelspend \
H
E N R I
IV.
j
do 8,
^6 5 U I TE P E VU I S T O I R E
une Colombe d'or éployée en forme de croix, qui fe porte auflî
brodée en argent fur le côté gauche d'un manteau couleur
de feu. Cet Ordre a été inftitué par Henri III. qui aimoit la
pompe.
, Le Koi étoit dans le deiTein de contenter ces deux Sei-
gneurs? mais les ftatuts de l'Ordre, qui en excluoient les
étrangers , s'y oppofoient. Ainlî il fallut que le Pape relevât
le Roi du ferment qu'il avoit fait de les garder. D'Allin-
court fut chargé de donner pour le Roi le Collier aux deux
Ducs, qui fe préfenterent le 14 de Mars au jour marqué,
pour accompagner l'Ambafladeur Franqois à l'Eglife de faint
Louis, où les François s'aflemblent d'ordinaire, & qui pa-
rut U'ès-propre à la cérémonie.
Dès qu'on eut averti l'Ambaffadeur que tout étoit prêt j il
vint accompagné des deux Candidats , & de plus de cinq
cens Gentilshommes François & Italiens , précédés de tam-'
bours & de trompettes , d'une troupe de Coureurs du Pape,
& d'une compagnie de Suifles, tous habillés de foye. Les
cardinaux Colonne, Aquaviva, de Givri , Delfino', Bévila-
qua, Tofco, Gaetano , Cefîs, & Pio, fe trouvèrent à l'E-
glife de faint Louis. On avoit mis les armes de France fur la
porte de cette Eglife , qui étoit tendue de tapilTeries femées
de fleurs de lys j & l'on y avoit drelTé un Thrône devant le-
quel j quoiqu'il fut vuide, tout le monde faifoit en paffant
une inclination , comme fi le Roi très-chrétien y eût été
aflls.
Montorio évêque de Caftro-novo , ayant officié en habits
Pontificaux, d'Allincourt alla prendre place à côté de l'Au-
tel , où les ducs de Segni & de Santo Gemini furent con-
duits j ils prêtèrent le ferment de l'Ordre l'un après l'autre ,
& le fignerentî enfuite d'Allincourt leur ayant donné le Col-
lier, il les fit Chevahersj & leur donna l'accolade. Ce fut
la première fois que l'Ordre du faint Efprit paflà chez
les étrangers. La magnificence de cette cérémonie frappa tel-
lement les Romains, qu'on difoit que les François av oient
AmbafTade P^^^ Rome d'une manière très-agréable,
cxtraordinai- D'Allincourt étant revenu en France , le duc de Nevers
NcvcriTRo- ^^ envoyé en ambalfade extraordinaire à Rome, pour porterie
me, compliment d'obédience au nouveau Pape , qui avoit pris le
D E J. A. DE T H O U, L 1 v*. î. 2^
nom de Paul V. On lui fit de grands honneurs fur fon pafîage
dans toutes les villes d'Italie. Les ducs de Segni & de San-
to Gemini, qui venoient d'être faits Chevaliers de l'Ordre n r-j
du faint Efprit , le prince Peretti , le feigneur Vidor neveu
de fa Sainteté , ôc plufieurs Gentilshommes Romains, vin- ï<^o §•!
rent au-devant de lui, jufqu'à fix' milles de Rome. Il ren-
contra à Ponte-molle les cardinaux Gallo, Delfiiio, Bevila-
qua, & Serafino , qui le conduifirent à l'hôtel de François
Savary de Brèves, ambafladeur ordinaire de France. Après
s'y être repofé pendant quelque tems, il alla à l'audience du
Pape, qui le reçut alTis fur un Thrône, & il baifa les pieds
de fa Sainteté.
Sept jours après, le 26 de Novembre , il fortit de la ville
dans un carolle fermé avec le marquis de Brèves, & fe re-
tira au Palais de Léon Strozzi, à un mille de Rome. Ce
fut en cet endroit qu'il prit le caradére d' AmbaffadeLu: j il
y reçut les vifites & les complmiens des Cardinaux affis fur
un Thrône magnifique , ayant à fes côtés le duc de Segni , les
marquis de la Rovere , Palavicino , & Malatefla. Il s'y trouva
aulTi un grand nombre d'Evêques & d'Abbés. Jean Baptifte
Borghefe frère de fa Sainteté , fe rendit à ce Palais , fuivi des
Seigneurs Romains, & des Gentilshommes les plus qualifiés
de la ville ^ pour accompagner l' Ambafladeur dans fon en-
trée , qui fut des plus éclatantes. Six Trompettes & cent Che-
vaux-légers du Pape ouvroient la marche j venoit enfuite
le bagage de l'Ambafladeur porté par trente-quatre mulets
couverts d'étoffes de foye brochées d'or; leurs fers étoient
d'argent, aufTi bien que les crochets qui ferv oient à retenir
les balots liés de cordons d'or & de foye. Tous les Cardi-
naux paroifToient enfuite montés fur des mules couvertes de
pourpre , fuivis des cent Suiffes de la garde du Pape , de
douze Tambours à cheval, & de quatre Trompettes. Après
eux marchoient les douze gardes ^e l'Ambafladeur, & au-
tant de Pages J avec cent trente Gentilshommes François,
qui s'étoient mis à Marfeille à fa fuite. Derrière eux venoit
îe frère de fa Sainteté, devant qui" deux Suifles portoient
deux grandes épées. Enfin l' Ambafladeur paroiffoit, monté
fur un cheval de prix, précédé du grand Ecuyer du Pape^
^ de deux Maures, qui menoient deux chevaux blancs.
D ij
^S su ÏTE DE L'HIST O I RE
L'Ambafîadeur avok à fes côtés les Patriarches de Jerufa-
H ENR I ^^^ ^ d'Alexandrie. Le marquis de Brèves marchoit après,
jy au milieu de plufieurs Archevêques; & une foule d'Abbés?
j ^qQ montés fur des mulets richement caparaçonnés, fermoient la
marche de l'ambaflade, qui entra dans Rome par la porte
Angélique.
Le Pape vit pafler cette pompe de la fenêtre de fon Pa-
lais. Lorfqu'elle flit arrivée à la Bafilique de S. Pierre, le
canon retentit de tous côtés dans la ville , en figne de joye.
L'ambafladeur d'Efpagne s'étoit mis avec le cardinal Lapata
fur un balcon , pour voir pafler ce nombreux cortège. Enfin
le duc de Nevers fut conduit au Palais de Rucellay , qu'on
lui avoit préparé, tendu de fuperbes tapilTeries, & magnifi-
quement meublé. Les tables y furent fervies avec beaucoup
de délicateffe.
Deux jours après Borghefe fe rendit au palais de l'Ambal^
fadeur j pour l'accompagner au Vatican ^ où il dcvoit aller
faire à fa Sainteté le compliment d'obédience. Chacun prit
fon rang dans l'ordre qu'on avoit obfervé trois jours aupa-
ravant, excepté que F AmbafTadeur ^ & les François qui ï'a-
compagnoient, avoient changé d'habits. Ses domefliques por-
toient une livrée de foye noire brodée d'or; l'habillement
du duc de Nevers étoit parfemé d'une grande quantité de
diamans d'un éclat ébloQiflant. Il montoit un cheval blanc ,
dont les fers , les éperons , les étriers , & le harnois étoient
or.
Etant entré dans le palais du Vatican ^ il fut conduit par
les deux Patriaiches dans la Sale Royale , où le faint Père
ctoit aflis fur un Thrône , au tour duquel il y avoit un grand
nombre de Cardinaux. Alors le duc de Nevers ayant baifé
les pieds de fa Sainteté, fuivant la coutume , lui préfentales
lettres du Roi. Le Maître des cérémonies fit enfuite alleoir
l'AmbaiTadeur, avec le marquis de Brèves. Maurice BrefTius
expliqua alors le fujet de l'ambaffade dans im difcours La^
tin^ qu'il finit par de g'-andes félicitations ^ & de vives pro-
teftations de refpeft de la part du Roi envers fa Sainteté,
Strozzi ayant répondu pour le Pape ^ le duc de Nevers alla
une féconde fois rendre fes hommages à Dieu , en fe prof-
ternant aux pieds de fon Vicaire. Sa Sainteté congédia enfuite
DE J. A. D E T H O U , L I V. I. !2p
raffemblée , & fe retira d'un pas grave dans fa chambre ,
fiiivi de r AmbalTadcur , qui portoit la queue de fa robe de ^t
pourpre. Ce Seigneur ayant achevé fon ambaflade, partit .,,
de Rome , après y avoir féjourné quelques jours , qu'il paiTa * ,
dans les feftins.
Pendant que les François , fous des apparences de triom- Hiftoîrc da
phe, donnoient à Rome des marques d'une fervile dépen- faux Borghc-
dance j Paul V. vengeoit à Paris , par la main du Roi mê- ^^•
me , l'affront qu'on avoit fait à fa Maifon. Barthelemi Lan-
cefque de Sienne , fourbe accompli , homme de petite taille,
qui n avoit pas l'air aflez relevé pour en impofer ^ commen-
çant à être trop connu dans l'Italie , qu'il avoit parcourue
toute entière , fe rendit en France. Il amufa d'abord le peu-
ple par de grandes promefles^ comme font tous les char-
latansj vendant des remèdes inconnus pour des maladies itu
véterées. Il fe vantoit d'avoir l'art de faire retrouver ce qu'on
avoit perdu j & de découvrir les trcfors cachés. Ayant ga-
gné beaucoup d'argent par ces moyens j il loua une maifon
à Paris î il fit répandre bientôt dans les jeux publics j & au-
tres endroits ^ par Paul T Arena & Julien Lafci , confidens
& complices de fa fourberie, des bruits fourds, qu'il étoit
arrivé dans cette ville un neveu du Pape, appelle Barthe-
lemi Borghefe , qui aimoit la bonne chère & la dépenfe ;
pour laquelle on lui faifoit toucher de Rome de grandes
fommes d'argent à Paris..
Lancefque pour faire réûflir fes deiïeins, prit le nom de
Borghefe , & fe donna pour le neveu du Pape. Sa magnificen-
ce j fes habits, fes difcours, fa fuite éblouirent facilement
le peuple. Ce fourbe joua fi bien fon perfonnage , qu'il y
eut des gens aflez crédules , pour lui prêter confidérablemenr.
Il acheta bientôt un équipage , des chevaux , prit des do-
meftiques, & mena fi parfaitement la vie d'un jeune homme
de qualité qui fe ruine par fes proflifions , qu'il s' étoit déjà
fait connoître des gens de condition , aufquels il donnoit mê-
me à manger.
Le Nonce du Pape ne pouvant fouffrir que cet impof-
teur y abufant de la créduUté du peuple , deshonorât plus
long-tems le nom qu'il s'étoit donné j obtint du Roi la per-
niifïïon de le faire arrêter^ avec ceux qui étoientles complices
Piij
^o s UITEDEL' HISTOIRE
de fa fourberie. Il fut mis en prifon, d'où, voyant que fou
affaire étoit défefpérée , il écrivit au Roi & à la Reine , affii-
Henri rant leurs Majeftés qu'il étoit Barthelemi Borghefe? il de^
I V. manda qu'on fufpendît les pourfuites contre lui 3 jufqu'à cq
j (^ 0 8, que le Pape eût fait réponfe à fes lettres. Il en écrivit deùx>
& même trois dans le même ftile , aulll impertinentes , qu'el-
les étoient remplies d'impudence. Le Pape irrité de l'effron^
terie de ce miferable, ne celTa de faire agir le Nonce au-
près du Roi , que les Commiifaires nommés pour juger cet-
te affaire, n' enflent condamné le faux Borghefe à faire amen-
de honorable devant l'Eglife de Nôtre-Dame, & l'hôtel du
Nonce , pour être enfuite conduit au fupplice , pendu , &
jette dans le feu. L'Arena fut condamné aux galères , ôc
Lafci qui étoit Dominicain, à demander pardon, en préfen-
ce des Juges , d'avoir fréquenté des fcélérats , & répandu de
faux bruits. Il fut enfuite enfermé pour le refte de fes jours
dans un Couvent de fon Ordre.
L'hyver fut extrêmement rigoureux cette année ; les ca-
Grand dé- j^ofles & Ics voitutcs pafloientfur la Seine , dont la glace étoit
la Loire. ^Atz forte pour les loutenir. La Loire s étant dégelée , fit des
ravages étonnans , les levées furent rompues , les bleds arra-
chés , le bétail & les troupeaux noyés , les arbres déracinés ,
les maifons détruites, & les ponts emportés.
Le premier jour de Février , Nicolas Rapin , natif de Fon-
lu °fl ^^^^^' tenay-le-Comte en Poitou , grand-Prevôt de la Connétablie,
mourut âgé de foixante-huit ans & quelques mois. Il avoit
l'efprit fi agréable , que les gens de goût difoient de lui , qu'il
étoit le feul qui eût le talent de bien rendre en François
les bons mots des anciens Poètes. On peut ajouter qu'il s'eft
fort diftingué entre ceux qui ont eflayé de marier les grad-
ées de la Poëfie , avec la barbarie & la rudelfe de nôtre lan-
gage vulgaire , fi toutefois il eft polTible d'acquérir quelque
gloire en ce genre.
Ercftîon du Le 1 8 de Février , le Parlement confirma par Arrêt les
duché de Lettres patentes, par lefquelles le Roi érigeoit en Duché-
Fronfac, Pairie , le Marquifat de Fronfac , en faveur de François d'Or-
léans comte de S. Paul , à qui fa femme l'avoit. apporté ea
mariage. Cette dignité devoit paffer à fon fils Eleonor , & à fes
enfans de l'un & de l'autre fexe fans diftindion,
DE J. A. DE THOU, Liv. I. ^ï
Le 14 de Mars , le Parlement enregiftra les lettres de e???»^»^^^™^^
création de grand-Voyer de France, charge que le duc de j.j ^ ^.^ ^^
Sully s'étoit fait donner par le Roi dès Tannée i^pp. Les jy
Voyers particuliers exerçoient auparavant cette charge , cha- j ^ g
cun dans leurs villes , ou dans la banlieue , mais la plupart,
foit par faveur , foit par avarice , négligeoient le devoir de j Création de
leur charge j enforte que l'on voyoit par tout les rues défi- grand^ voj ec
gurées par des bornes, des auvents, & des faillies. Cette deFiai.œ.
raifon fit que le duc de Sully perfuada aifément au Roi, qui
aimoit les bâtimens, de donner cet Edit. Si ce Seigneur en
a tiré quelques avantages , il a d'un autre côté beaucoup con-
tribué à l'ornement des villes.
Le deuxième de Juillet on enregiftra au Parlement des
Lettres patentes du Roi , qui confervoit à la terre de Mont-
penfier le titre de Duché-Pairie, en faveur de la princefîe
Marie, fille du feu duc de Montpenfier, des enfans qu'elle
auroit, & de la Duchefle douairière fa mère , avec les con^
dirions portées au teftament du Duc fon père.
Le 1 5 du même mois fut enregiftré un Edit , qui défen- E^if ç^ f^.
doit aux Procureurs fifcaux de s'emparer, pour le Roi, par veur des Ct-
droit d'aubaine , des biens des Genevois qui viendroient à "^^°'^'
mourir en France ; ce qui feroit auffi obfervé à l'égard des
François qui décéderoient à Genève.
Le huitième d'Août, le Parlement ratifia la permifiion, J!^':"''',^^"/*
que le Roi avoir accordée à Charle Marchant , autrefois au change"
Marchand de bois de charpente , & alors Commandant des
trois cens Archers du guet de la ville de Paris, de conf^
truire un pont, Ôc de bâtir defllis des deux côtés, des mai-
fons, depuis le grand Châtelet , jufqu'à la tour de l'horloge
du Palais.
Fin du premier Livre,
J5 S U I T I D 1 L' H I S T 0 ï R I
LITRE D E V X I K M E.
LE commencement de l'année fuivante vit enfin termi-
ner par une trêve , la guerre des Païs-Bas i affaire im-
IV. portante, dont divers obftacle's av oient jufqu' alors fufpendu
I 6" G p. la conclufion. (i) Henri IV. eut tant de part au fuccès de
Négociation ccttc négociation par fa prudence & par fon crédit , qu'on
pour la trêve peut regarder la trêve dont il s'agit, comme une affaire qui
sne&iesPro- conccme la France. Ce Prince avoir fouhaitéque fes alliés,
vinccs- Unies, qui l'avoicnt fecoutu de troupes & d'argent dans les occa-
fions , fuiîent compris dans le traité de paix conclu à Ver-
yins , entre la France & l'Efpagne. Il avoir même preffé vi-
vement la reine Elifabeth', fon ancienne amie, dont l'al-
liance lui avoit été fi avantageufe, d'accéder à ce traité. Les
conditions propofées par le roi d'Efpagne , fembloient aflez
raifonnables j mais cette PrincelTe comptoit peu fur la bonne
foi de Philippe. Henri vouloir procurer aux Provinces-Unies
une paix folide & durable ; mais on ne put jamais engager
Philippe , aigri contre les Hollandois, à traiter avec des peu-
ples qu'il fe flatoit de fubjuguer aifément, dès que la paix
qu'il devoir faire avec la France , les auroit privés de nos
fecours. Les Etats de leur côté avoient beaucoup d'éloigné-
ment pour une paix , qui les mettroit dans le moindre pé-
ril de rentrer fous la domination Efpagnole j ils étoient d'ail-
leurs fortifiés dahs la réfolution de ne point traiter avec l'Ef-
pagne 3 par la reine Elifabeth , qui promettoit de leur four-
nir tous les fecours néceflaires , & de n'entrer jamais dans
aucime négociation de paix fans leur participation.
La paix s'étoit conclue à Vervins , fans que le roi de France
fe fut engagé à rien qui pût porter préjudice aux Hollandois,
à quoi certainement il n auroit jamais pu fe réfoudre. Il fut feu-
lement ftipulé qu'il ne leur donneroit aucun fecours î cepen-
dant lorfqu'il figna le traité, & qu'il fit ferment d'en obfer-
yer les conditions , il mit à cet article une claufe , par la-
quelle il dit qu'il n'entendoit pas s'engager à ne point payer
(i) V. la ftn du Livre CXXXVIIL de l'Hiftoire du Préfident de Thou.
aux
DE J. A. DE THOtJ, Liv. îï. ^f
aux Etats les fommcs qu'ils lui avoient pi'Ctcesî iî agit de
bonne foi dans l'exécution du traité , & ne fit dans la fuite w, ^
rien autre chofe en leur faveur, que de tâcher de leur pro- yy^
curer la paix à des conditions les plus favorables qu'il feroit ^
poffible. Mais ce Prince d'un efprit pénétrant , s'appcrçut ^^'
bientôt qu'on le joûoitj les complots du maréchal de Bi-
ron, féduit par les intrigues des Efpagnols , lui firent entre-
voir que Philippe excitoit fourdement les François à la ré-
volte. C'eft pourquoi après avoir heureufement étouïS la dan-
gereufe confpiration de ce Seigneur , il crut devoir prendre
d'autres mefures , & donna ouvertement aux Etats de fi puif-
fans fecours , que l'Efpagne défcfpéra tout à fait du fuccès
de la guerre , ou n'en attendit que de foibles avantages.
Ce changement fut caufe que les Efpagnols commencè-
rent à parler de paix j ils répandirent d'abord des bruits con-
fus à ce fujet , & parlèrent de traiter avec les Etats Gêné-
ratix, comme avec des peuples libres. Ces ouvertures de
paix dévoient être d'autant plus agréables à des gens lalfés
d'une fi longue guerre , qu'elle devoir avoir tous les avan-
tages d'une vidoire complette. On preflentit d'abord les
difpofitions de quelques-uns, principalement du prince d'O-
range, de Guillaume de Nalîàufon parent, & de Barneveld.
On fit enfuite entrer les Syndics des Provinces-Unies dans
cette négociation, & l'on réfolut d'avoir ime çntre vue avec
les députés das Archiducs. Mais avant de s'aflembler, oa
jugea à propos d'envoyer des Ambaffadeurs au roi de Fran-
ce, & à Jacque roi d'Angleterre, qui venoit de fuccéderà
Elizabeth , afin de les informer des réfolutions des Etats. Henri,
outre Elie de la Place de Rufly , qui avoit fuccédé à Buzanva!
dans l'emploi d'ambaiïadeur ordinaire de France à la Haye,y en-
voya en qualité d'ambafladeur extraordinaire le prélîdent Jean-
nin, l'un des principaux membres de fon Confeil privé. Le
roi d'Angleterre joignit aufii au chevalier Winwood, mi Am-
baffadeur extraordinaire, qui fut le chevalier Richard Spen-
cer. Ces deux Rois vouloient travailler de concert à pro-
curer à leurs aUiés une paix avantageufe , ou du moins em-
pêcher qu'on ne les trompât , fous des apparences de paix
Ôc de liberté.
Les Etats honorés de l'éclat de cette ambafTade , & foûtenus
Tome XK E
54 SUITE DE rHISTOlRB
j. de la préfence & de l'habileté des Ambafladeiirs , jugèrent
à propos , pour affàrer davantage la foi des traités , de faire
EN «RI j^j^g étroite alliance avec les deux Rois, & de les engager
à fe rendre garans de la paix , qu'on alloit conclure avec les
•■*• ■^' Efpagnols. Ayant fait entendre aux Anibafladeurs qu'ils le
fouhaitoient avec ardeur , les François n'en parurent point
éloignés ; mais les Anglois s'excuferent fous divers prétextes^
de conclure cette alliance 5 & traînèrent la chofe en longueur.
Les Etats fatigués de ces délais prefferent nos AmbafTadeurs
de traiter avec eux , fans attendre la conclufion de la paix
avec les Efpagnols j ils difoient que ce traité feroit la gloire
ôc le foûtien de leur République, & qu'ils ne doutoientpas
que les Anglois ne confentiiTent facilement à y accéder ,
aufîitôt qu'il feroit arrêté.
On figna donc le 23 de Janvier des articles, par lefquels
le Roi prenoit les Provinces-Unies fous fa protedion , pro-
mettant de travailler fincérement à leur procurer la paix à
des conditions avantageufes ? de leur donner dix mille hom-
mes d'infanterie , en cas que la paix fut violée , & que l'in-
fxadeur reflifât de faire fatisfadion. Il s'engagea à leur en-
voyer même> s'ilétoit nécefiaire, eu cependant égard à l'é-
tat de fes affaires , de plus puiflans fecours de troupes , dont
les frais lui feroient rembourfés après la guerre, s'ils fe
montoient au-defllis de ceux qu'exigeoit le fecours des dix
mille hommes. Les Etats de leur côté s'obligèrent à donner
au Roi, s'il en avoit befoin , envers & contre quelques Prin-
ces que ce fut , un fecours de cinq mille hommes de pied
à leurs dépens , ou une flotte équivalente , 6c même de plus
grands fecours, aux mêmes conditions dont on étoit con-
venu, par rapport aux troupes du Roi.
Les Etats tranfigerent d'abord le 2(5 de Juin avec les An-
glois, pour les fommes qu'ils en avqient empruntées î peu
de tems après, ils conclurent avec eux un traité , qui devoir
avoir lieu, fi la paix fe faifoit; il contenoit les mêmes con-
ditions que le précédent traité avec la France , excepté que
les fecours promis de part & d'autre , n'étoient pas fi coa-
fidérables de moitié.
Pendant qu'on travailloit aux préliminaires de la paix , plu-
(içurs perfonnes publioient dans les Provinces-Unies,que cette
DE J. A. DE THOU, Liv. IL sf'
négociation n'étoit qu'un artifice des Efpagnols ; Que leurs -^^^^^^
viiës, en offrant la liberté & la paix, ne tendoientqu'àdivifer
par des motifs d'intérêts particuliers, des Provinces jafqu'alors " ^ NRt
unies, pour foûtenir contre eux la guerre. On répandoit fourde- ,,
ment des bruits injurieux fur le compte de ceux qui étoient ^ ^o q.-
d'un avis contraire. On les accufoit de trahir la République ,
réduits par les largefl'es des Efpagnols 5 ou d'embrafler une
ombre de paix , en fc laiflant aveugler par la pafTion qu'ils
avoient de voir la fin de la guerre. On difoit par tout que
fous le nomflateur de liberté , on préparoit au peuple de fu-
nèfles chaînes.
La crainte de ces maux', & les intrigues de quelques perfori- -
nés , qui trouvoient plus d'avantages dans la guerre que dans '
la paix, furent furie point dedivifer les Provinces-Unies.On al--
léguoit de fortes raifons de part & d'autre. Ceux qui vouloient
h paix, foûtenoient qu'on n'étoit plus en état de continuer^
la guerre, qui depuis quarante ans avoit abbattu les forces -
des Etats Généraux : Que leurs finances, qui font le nerf de la
guerre, étoient entièrement épuifées : Que leur crédit étoit
ruiné : Que les Princes leurs alliés fe laflbient de fournir des ^
fecours : Que le roi de la Grande Bretagne avoir réfolu de
ne plus faire aucune dépenle en leur faveur : Que le roi
de France étoit à la vérité aflez puiffantpour le faire 5 mais
qu'il ne voudroit pas lui feul fupporter tout le poids de la
guerre. » A quoi d'ailleurs , ajoûtoient-ils , nous ferviront de
:»plus grands fecours de la part des deux Rois, finon à diffé-'
^ rer nôtre perte,puifque nous fommes toujours menacés d'une
» ruine prochaine, & que nous n'avons aucune efpérance de
* nous en garantir entièrement .^ Car Ci les deux Rois vouloient'
35 réunir leurs armes , ils auroient fans doute plus de forces ,
£»> qu'il n'en faudroit pour chaiïer lesEfpagnols , même des Païs-
jj Bas qu'ils occupent , & d'où ils font perpétuellement des
39 courfes dans le voifinage. Mais preiTés plus d'une fois d'unir
» leurs forces , ils ont toujours refufé de le faire 5 ils ont pré-
=y féré la tranquilhté de leurs Etats aux intérêts d'iui peuple
» étranger , & aux hazards d'une guerre périlleufe. Leur in-
30 telligence n'eft pas outre cela fi bien affermie , qu'après la
» vidoire ils puffcnt s'accorder fur le partage des conquêtes ;-
? aucun d'eux fans doiite n'abandonnera tous les fruits de U
E ij
3<^ SUITE DE L'HISTOIRE
30 vidoke à l'autre j tous deux au contraire croiront qu'il cft
y> de leur intérêt de donner , à frais communs , de foibles fe-
H E N R I j, cours aux Etats, afin de les mettre en état de fe foûtenir plus
I ' • » long-tems contre les Efpagnols. Mais n'eft-ce pas une fitua-
* ^ c> 5>. 3^ ^Iqyi bien fàcheufe de voir dépendre nos forces des caprices
y> d'autrui î On nous offre des conditions aufli avantageules ,
3> que nous pouvons les fouhaiter ; une vidoire pleine & en-
3) tiere ne pourroit nous faire efpérer une paix plus glorieufe>
30 les Archiducs tant en leur nom , qu'en celui du roi d'Efpa-
* gne , font prêts de reconnoître la liberté des Provinces-Unies,
30 & la Souveraineté des Etats Généraux. Enfin les Rois , dont
» nous avons éprouvé l'amitié , nous confeillent d'accepter cet-
a> te paix , èc s'offrent d'en être les garans. Nous refte-t'il quel-
« que fujet de crainte après une telle promeffe ? »
Ceux au contraire qui vouloient la guerre , foupconnoient
de la fraude & de Fartifice dans toutes ces promeffes ? ils di-
foient qu'il n'étoit pas vraifemblable , qu'un Roi fi puiffant,
& une Nation li fiére , qui avoit formé le projet chimérique
de la Monarchie univerfelle , vouluffent confentir à un traité,
qui leur attireroit le mépris des autres Princes , donneroit
atteinte à la réputation de leurs Généraux, feroit voir lafoi-
bleffe de leurs troupes , & ne pourroit qu'avilir la gloire du
i)om Efpagnol h motifs qui dévoient détourner le roi d'Ef-
pagne de conclure la paix. Ils ajoûtoient que la puiffance
des Provinces-Unies s'étoit augmentée dans les guerres pré-
cédentes : Que les villes s'étoient peuplées & enrichies : Que
les impôts mis à l'occafion de la guerre , & qui avoient fufïi
à des dépenfes Ci confidérables , ne fubfifteroient plus , dès
qu'elle feroit finie : Qu'on feroit toujours néanmoins dans la
néceffité de faire les mêmes dépenfes , puifqu'il faudroit con-
ferver des garnifons dans les villes , qui par la nature des
lieux font toutes places frontières : Qu'il étoità craindre que
la paix & l'oifiveté ne troublaffent l'union , que le péril com-
mun, & le foin de fe défendre , avoient toujours mainte-
nuë parmi eux ; & que le relâchement , que la fécurité eau-
fée par la paix alloit introduire dans la difcipline, ne fît
bientôt reparoitre les inimitiés, les jaloufies, & les haines >
Toit des particuliers, foit des villes, foit des Provinces; mou-
yemens que la guerre avoit plutôt affoupis qu'étouffes
DE J. A. DE THOU, Liv. II. 57
entièrement. Siu' tout qu'il failoit appréhender que la dif- -
corde ne vînt à renverfer leur Republique. Ils difoient en- H e k r î
core que leurs principales forces confiftant dans le commerce I V.
& dans la navigation, par l'habileté de leurs pilotes & l'a- 1600.
drefle de leurs matelots, toutes ces forces feroient ruinées,
dès qu'il n'y auroit plus d'occafion de les entretenir par des
combats de mer : Qu'elles paiieroient aux Erpagnois, qui
étoient toujours à portée d'exercer leur induftrie , éc d'atta-
quer les vaiffeaux des autres Nations : Que par le grand nom-
bre de leurs matelots , de leurs navires , & de leurs Ofîiciers
de mer, & par l'étendue de leur commerce, il leur feroit
aîfé de ruiner entièrement celui des Hollandoisj & qu'ils le
feroient fans fcrupule , parce qu'ils ne manqueroient pas- de
donner à cette perfidie le nom de fage politique , de droits
fouverains , ôc de jufte vengeance contre des peuples re-
belles.
Telles étoient les raifons alléguées de part & d'autre dans
l'aflemblée des Etats. On femoit dans toutes les villes parmi
le peuple des libelles , dans lefquels on profcrivoit prefque
ceux qui penfoient diiîéremment. On en vint jufqu'à foup-
^onner les Ambafladeurs des deux Rois, & les deux Rois
eux-mêmes j foupçon qui fut augmenté par l'arrivée en France
de Pierre de Tolède, ambadadeur d'Efpagne auprès de Henri,
pour renouveller l'alliance des deux Couronnes. L'ambaila-
de de Ferdinand de Giron en Angleterre pour le même
fujet, donna lieu aufli auxfoupçons des Etats, par rapport au
roi Jacque.
Maurice prince d'Orange, étoit à la tête de ceux qui re-
jettoient la paix à quelques conditions qu'on voulût la leur
donner. Ce Prince illuftre par les fervices que fon père
avoir rendus à la République , & par fes propres ex-
ploits, avoit tout ce qui étoit néceffaire pour faire un grand
Capitaine , le courage , la prudence , & le bonheur. Fier de
ces qualités, que la paix alloit rendre inutiles, il difoit, de
fâifoiî publier dans des écrits , que les offres des Efpagnols
croient autant de pièges tendus à la liberté des Provinces-
Unies, & des artifices dangereux , dont il failoit fe défier.
Il avoit mis dans fon parti bien des gens qui aimoient la pa-
trie 3 ôc s'il avoit voulu le foûtenir par la force des armeSj
E iij
5S SUITEDEL*HISTOIB.E
tous les Officiers & les foldats , qui ne demandolent que
^ la guerre , fe ieroient fans doute rangés de fon côté. Déjà
E N R. I ^^j^^ quelques provinces, pluiieurs villes, & la Zélande en-
tière , fe déclaroient pour ce parti. Les principaux négocians
^ 0 0 p. q^g jg commerce des Indes enrichiflbit beaucoup , & qui
font fort accrédités dans les Provinces-Unies , le foûtenoient
hautement. Mais le plus grand obftacle à la paix, étoit la
haine invétérée des Hollandois pourlesEfpagnolsj animofité
que les artifices cruels, dont ces derniers fe fervent pour
tirer vengeance de leurs ennemis , avoir fait naître dans les
efprits. Tout cela retardoit extrêmement le fuccès de la né-
gociation j on aiu'oit perdu toute efpérance d'en retirer au-
cun fruit , (î ceux qui jugeoient la paix néceflaire à leur pa-
trie , appuyés de l'autorité , de la prudence , & de la fermeté
des Ambafladeurs,n' enflent engagé les autres , prefque mal-
gré eux, à fuivre leurs avis.
Il furvint encore de nouvelles difficultés. La plupart fou-
haitoient une paix entière, & ne vouloient pas entendre
parler de trêve , les Efpagnols au contraire ne défiroient qu'une
trêve , & tâchoient d'éloigner la paix. Enfin par le confeil ;
ôc par les follicitations des AmbalTadeurs , on commença à
traiter des conditions d'ime trêve. Le préfident Jeannin chef
de l'ambarfade de France dicta la forme , dans laquelle on
devoir dreilcr le traité , qui étoit : Que les Archiducs décla-
raftent qu'ils traitoient avec les Provinces-Unies , comme avec
des peuples libres. Il naiflbit à chaque inftant des obftacles.
Les Archiducs demandoient comme un préliminaire , que
l'exercice public de la Religion Catholique fut permis dans
toute l'étendue des Provinces-Unies ; les ambafludeurs Fran-
çois appuy oient fortement cette demande, tandis que les Ca-
tholiques du paï's diflhnuloient prudemment leurs défîrs à
ce fujet. Les députés des Etats, foûtenus des ambafladeurs
d'Angleterre , fe dcfendoient hautement de foufcrire à cette
condition. Ils s'écrièrent dans l'aflemblée , que c'étoit leur
demander qu'ils accordaflent à leur ennemi le moyen de s'in-
troduire au cœur de leurs Provinces : Qu'on portoit par ce
moyen des coups dangereux à cette liberté , pour laquelle
ils avoient facrifié leurs biens & leurs vies : Que c°étoit fap-
per par les fondeniens leur République naiffante. Enfin les
DE J. A. DE THOU, Liv. IL 39
chofcs en vinrent au point que les plus prndens jugercjit quil
faudroit abandonner la négociation , fi l'on perfiftoit à vou- „
loir obtenir le libre exercice de la Religion Catholique. Ainiî ' ^
les aaens des Archiducs tarent contraints de fe défifter de
cette demande. A l'égard des ambafladeurs de France , les -
principaux membres des Provinces-Unies leur promirent de
les contenter fiu- ce fujet, après la conclufion de la trêve,
autant que la fureté publique pourroît le permettre.
Il s'éleva enfuite dans le congrès une conteftation aufli vive
que la première , au fujet de la liberté des Etats ,• & de la
Souveraineté de leurs Provinces. Ils vouloient exprimer ce
qui concernoit ces deux articles en termes fi faftueux , qu'il
lembloit qu'outre leur propre fureté , & celle de leurs def-
cendans, ils avoient encore en vûë de faire fentir à l'Efpa-
gne toute la honte qu'elle s'étoit attirée dans cette guerre ,
dont l'événement lui étoit fi défavantageux. Les Efpagnols
étoient bien éloignés de plier en cette occafiouj ils vou-
loient au contraire drefTer ces articles , de manière qu'on y ap-
perçùt encore des traces de leur ancienne pofTelllon ; ils ne
refufoient pas de reconnoître la liberté des Provinces-Unies ,
mais ils prétendoient s'exprimer fur cela en termes fi équi-
voques & fi captieux , qu'ils faifoient entendre que l'on n'a-
voit accordé cette liberté , que comme une grâce , dans le
deflein de pouvoir dire im jour qu'elle étoit expirée avec
la trêve, lorfqu'il s'en préfenteroit une occafion favorable.
La haine fe réveilla de part ôc d'autre avec encore plus de
fureur. On répandit parmi le peuple jaloux de fa liberté , des
écrits contenant les motifs que j'ai rapportés ci-deflus , pour
empêcher la conclufion de la trêve. Mais le préfident Jean-
nin réfuta ces raifons avec beaucoup de force. Il dit que les /
iEtats dévoient fe contenter que i'Efpagne les reconnût li-
bres dans la forme propofée au commencement du Congrès,
& fous la garantie de deux puifians Monarques : Qu'on vou-
îoit exiger inutilement des Efpagnols, qu'ils marquaffent ex-
preffément qu'ils reconnoifîbient les Etats libres pour tou-
jours : Que la feule expreffion de liberté fufïifoit pour la fi-
gnifier pleine , entière , & indéfinie : Que n'étant ni une con-
ceiïlon , ni une grâce , mais un droit légitime , acquis par la
force des armes juftement prifes par des peuples , pour ven-
40 SUITE DE L'HISTOIRE
^ ger leurs injures, & confirmé par une longue poffefllon, il
n'étoit pas néceîlaire d'employer une formule de reconnoif-
^^ ^ ^ fance plus exprelTe & plus pofitive : Que toutes ces forma-
' lités paroîu-oient encore plus inutiles , fi l'on faifoit attention
"^ ^^* que par une loi fondamentale de tous les Royaumes, les
Princes ne pouvoient au préjudice de leurs fuccefleurs , dé-
membrer aucune partie de leurs Etats , ou les aliéner par
aucun traité : Qu'ainfi quoique le roi d'Efpagne , ou les Ar-
chiducs cédaflcnt pour toujours leurs droits fur les Provin-
ces-Unies , fuppofé qu'ils y en euilent encore , ces préten-
dus droits ne pafleroient pas moins dans toute leur force aux
fuccefleurs de ces Princes : Que la fureté de ces fortes d'af-
faires n'étoit pas tant fondée fur la foi des traités , que fur
le bonheur des armes : Qu'une trêve faite par un Roi avec
des peuples autrefois fujets de fa Couronne , après de lon-
gues & de fanglantes guerres , fe changeoit enfin en une paix
tacitement confentie par le Prince , parce qu'il étoit plus fa-
cile à un Souverain de fupporter la perte, qu'il pouvoit fc
diffimuler en quelque façon , que de s'en voir arracher l'a-
veu : Que c'étoit ainfi que les Suifles ayant pris autrefois les
armes, pour s'affranchir de la tyranie des gouverneurs Im-
périaux , avoient enfin , après une longue guerre , établi leur
République, à la faveur d'une trêve moins honorable , que
celle qu'on propofoit aujourd'hui.
Il ajouta que les Etats pouvoient efpérer les mêmes avan-
tages dans une affaire fi fembiable : Qu'à la vérité la trêve
avoit fes dangers ; mais que la guerre en feroit naître de plus
certains, & en plus grand nombre : Qu'on pouvoit parer les
périls de la trêve par la prudence , la vigilance , & avec les
forces des Etats. Mais que dans la fituation préfente des Pro-
vinces-Unies, il n'y avoit pas moyen d'éviter les dangers de
la guerre , ni de les furmonter fans des fecours étrangers.
Il leur dit encore , pour les engager à ne pas balancer plus
long tems , qu'ils pouvoient compter fur la parole & la
religion des Archiducs , ce qui feroit la fiiretê de la trêve:
Que c'étoit à leur follicitation que le roi d'Efpagne s'étoit
déterminé à traiter avec les Etats Généraux : Que le crédit
des Rois leurs aUiés feroit d'un grand poids pour l'obferva-
tion du traité : Qu'ils dévoient donc fe déterminer, parce
que
DE J. A. DE THOU.Liv.II. 41
que s'ils laiiïbient une fois cchapper l'occafion favorable qui
fe préfentoit , ils la chercheroient inutilement dans la fuite. Henri
Ce fut ainfi que , par le confeil de nos Ambaffadeurs , l'article IV.
de la liberté fut conçu dans une funple énonciation de la i5oj?.
chofe 5 & l'on palTa aux autres articles.
La navigation aux Indes fouffrit de grandes difficultés. Les
Efpagnols , féconds en chimères , ne voulant pas que la con-
ceflion de la Souveraineté , qu'ils ne prétendoient céder que
comme une grâce aur Provinces-Unies , fût entièrement gra-
tuite , demandoient en dédommagement , que les Etats con-
fentillent à ne point commercer aux Indes. Ils alléguoient pour
raifons, que ces pays ayant été découverts par les Efpagnols ,
qui en étoient les maîtres depuis long-temps , avec l'agré-
ment du iaint fiége , ils en avoient acquis la propriété par cette
poflefllon.
Les Etats rejetterent cette condition avec opiniâtreté 5 ils
dirent qu'ils étoient libres , malgré les Efpagnols , & par un
droit qui étoit propre aux Provinces-Unies : Quainfi ils ne
confentiroient jamais à fe priver des avantages de la fociété
civile : Qu'entre tous les bienfaits de la'' nature , dont Dieu
ctoit Fauteur , un des plus confidérables étoit de réunir , à la
faveur des vents , les nations des différentes parties de l'U-
nivers: Que ces vents foufflant de tous les endroits du mon-
de , c'étoit une marque que tous les peuples de la terre pou-
voient aller les uns chez les autres : Que la mer étant com-
mune à tous les hommes par le droit des gens, elle ne pou-
voit être acquife en fouverainté , ni en vertu de la coutu-
me , ni par la prefcription : Qu'il feroit contre toute raifon de
dire que ce vafte Océan faifoit partie d'un feul roïaume,
qui n' étoit pas d'ailleurs d'une Ci grande étendue : Que les
Efpagnols s'attribuoient fauffement la découverte des Indes,
qui avoient été connues de tous les commerçans un peu har-
dis , depuis tant de fiécles : Que l'autorité du Pape , malgré la
puillance temporelle , qu'il prétend avoir fur la terre entière ,
( puilfance que les gens les plus éclairés lui refufent, ) ne de-
voir pas prévaloir au droit confiant & invariable de la nature
^ des gens : Que la longue poffeffion des Efpagnols n'ayant
aucun fondement , elle ne devoit être regardée que comme
une longue ufurpation.
4^ SUITE DE L'HISTOIRE
■»aMi^.uM..«iLg>» Ils ajoutèrent qu'elle n avoit pas été fî continue , qu'elle
Henri n'eût été depuis cent ans troublée par les François & les An-
IV. g^^is * Q^^^ ^ c'étoit avec juftice qu'on attaquoit les nations
260^. qui interdifoient le commerce de leur pays aux autres peu-
pies , la guerre étoit encore plus jufte contre des hommes ,
qui fofçoietit un ^ays qui ne leur appartenoit en aucune ma-
nière j à ne commercer qu'avec eux , & qui enfermoient l'en-
trée pour y exercer une criante monopole à l'égard du refte
du monde : Qu'il étoit contre la raifon & contre la bienféance
de vouloir ôter la liberté d'aller ôcde commercer dans un pays,
à des .gens avec qui on fouhaitoit d'ailleurs conclure une
trêve, ou la paix îcom.me fi c'étoient des bannis : Qu'enfin,
les Efpagnols fe montroient à découvert : Qu'ils n'avoient fi
facilement accordé aux Etats la Souveraineté , avec des titres
de des marques de grandeur , que pour les priver de la chofe ,
qui conftituë la liberté , & qui en eft comme le fceau.
Ils difoient encore qu'on appercevoit aifément le but de
cette politique Efpagnole , qui ne tendoit qu'à rendre inu-
tile , & méprifable à les voifins , une nation qui fe verroit ren-
fermée dans les bornes étroites de fon pais , où elle feroit con-
tinuellement dans une extrême diiètte : Nation d'ailleurs puif-
^.nte fur la mer , formidable à l'Efpagne fur l'Océan & dans
les Indes , & par conféquent utile à toutes les autres nations :
Que les Efpagnols fe -reflbuvinflent qu'ils avoient à traiter
avec de; peuples libres , qui vouloient le faire librement ,
Que la rélblution des Etats étoit prife : Que fi l'Efpagne refu-
foit d'y foufcrire , il falloir recommencer la guerre.
Ce fut ainfi que les députés des Etats parlèrent en faveur de
la liberté de leurs provinces. Hugues Grotius , qui étoit avo-
cat des Etats , & dont nous auroîïs occaficn de parler dans
la fuite , a écrit fur cette matière un petit ouvrage ingénieux ,
intitulé : Mare Lberum. ïl y rapporte les fentimens des théolo-
giens à ce fujet , d'Ahbnfe de Caftro , de Gabriel Vafquez ,
tous deux Efpagnols , & du cardinal Thomas Cajetan. Il fe fert
de leur décifion , pour montrer la folie de ceux qui préten-
dent qu'il n'y a que les Efpagnols qui ayent droit de commer-
cer aux Indes , ou qu'ils ont pu dépouiller les princes Indiens
de leurs Etats.
Ces conteûaticns faifant défefpcrer de conclure la txéve 3,
DE J. A. DE THOU,Liv.n. 45
tant que l'Efpagne s'obilineroit à refufer aux Etats la liberté =
de la navigation ôc du commerce des Indes , les Archiducs Henri
envolèrent en Efpagne le Cordelier Ney , ( i) l'un de leurs dé- I V.
putes au Congrès, pour expofer de vive voix à Philippe , les 1 ^o>
difficultés que ce refus faifoit naître. Cet agent ayant été
retenu pendant un an par ce Prince , dont la lenteur étoit
extrême , fuivant l'ufage des Efpagiiols , rapporta enfin la ré-
ponfe du Roi. Peu de jours après fon arrivée , les ambaiîa-
deurs des deux rois de France & d'Angleterre , qui difcu-
toient les intérêts des deux partis , fe rendirent à Anvers , ou
ils eurent quelques conférences enfemble. Les Archiducs
promettoient au nom du roi d'Efpagne , qu'on ne trouble-
roit en aucune manière les Etats dans le commerce des In-
des , ajoutant que Philippe , pour de certaines raifons , qu'il
importoit peu aux Etats de connoitre , ne vouloit pas qu'il fut:
fait mention des Indes dans les articles de la trêve , & qu'il
n'y avoir que ces motifs particuliers , qui lui avoient fait pren-
dre cette réfolution.
Les Etats de leur côté difoient que plus on faifoit de diffi-
cultés, pour ne pas inférer ce point dans le traité , plus il étoit
iiéceffaire de l'y exprimer clairement. Ils ne voulurent ja-
mais rien relâcher fur cet article ; mais on trouva un moïen ,
pour accorder le différend. Ce fat de mettre dans le traité ,
■qu'ils confcn toient à la trêve , à condition qu'ils auroient la
liberté de commercer par tout où bon leur fembleroit. Les
agens des Archiducs , au nom du roi d'Efpagne , dévoient re-
connoître que cet article regardoit le commerce des Indes.
Les Ambaffadeurs des rois promirent de fe rendre garans
en bonne forme, que tout ce qui concernoit le commerce
<ies Indes, feroit obfervé auiu régulièrement, que fi on eâ
ctoit convenu expreffément par écrit; & que fi l'on donnoit
atteinte à la foi du traité , leurs maîtres envoyeroient des fe-
cours aux Etats. Cette expédient ayant eu l'approbation des ^3 Xj-éve eii
deux partis , le traité fut enfin conclu & figné , & les ambafla- coxi«è catre
deurs fixèrent le temps de la trêve à Pefpace de douze an- \fj^^,l %
nées. néraux.
Les Archiducs avoient demandé , que l'on permît aux vaif-
feaux marchands , qui moùilleroient fur les côtes de Zelande ,
(i) Jcati de Neyea CpmraifTaire général de l'Ordre de Sain: Iraajois aux Pays-Bas»,
Eij
44 SUITE DE L'HISTOIRE
de remonter TEfcaut jufqu à Anvers , pour y vendre leurs
H E N R I marchandifes j mais les Zelandois ne voulurent jamais rien
1 V. relâcher d'un droit fi avantageux à leur Province , quoique
2 6o$. les députés des autres Provinces y confentillent , & que les
ambailàdeurs fuffent d'avis de contenter les Archiducs. Cette
affaire n'aïant pu fe terminer , on la remit à un autre temps ,
après la publication de la trêve , dans Fefpérance que la dou-
ceur de la paix concilieroit les efprits de part & d'autre. Ce
fut le moïen dont on fe fervit pour lever les autres difficul-
tés :, qui fe rcncontroient dans la plupart des articles ; on con-
vint que toutes indécifes qu'elles étoient , elles n'empêche-
roient pas la conclufion de la trêve •■> ainfi n'y ayant plus d'ob-
ftacle , le traité fut dreffé le neuvième d'Avril & les PaBa
conventa fe trouvèrent au nombre de trente-huit articles , lef-
quels furent lignés par le préfident Jeannin, & Eiie de la Place
de Ruily,ambaifadeurs de France j & par les chevaliers Richard
Spencer , & Rodolphe Winwood , ambafiadeurs d'Angleterre.
Après eux lignèrent Ambroife Spinola marquis de Venafra,
le prélident Richardot , Jean Mancicidor fécretaire de Sa
Ivlajeité Catholique , le père Jean Ney , & Louis Verreycken ,
( I ) agens des Archiducs Albert & Ifabelle , tant pour ces
Princes que pour le roi d'Efpagne. Guillaume Louis , comte
de Naifau ( 2 ) , Walraven de Brederode - Vianen , Corneille
de Gendt ( 3 ) , Jean Barneveldt ( 4) , Jacques de Maldereau
( ^ ) , Gérard de Renelfe {6), Gellius Hillema ( 7 ) , Jean
Sloëth(8), & Abel Coenders(_9 ) fignerent pour les Etats,
dont ils étoient agens.
La trêve ayant été pubhée le même jour ^ le peuple fit écla-
ter fa joye 5 le bruit des clairons, des trompettes &: de l'artil-
lerie ^ annonça l'heureufe fin de la guerre. Les ambafiadeurs
de France obtinrent en même temps qu'on ne changeroit rien
à la Religion dans. quelques bourgs du Brabant^qui apparte-
noient aux Etats , & qu'on n'y introduiroit point d'autre culte,
que la religion Catholique , qui y avoit toujours été en ufage.
^1) Ilétbit Auû'encîer.
(,z ) Gouverneur de Frifc.
\ 3 } Vicomte & Juge de Nimsgup.
(4) Jean à'Oldcn'Barnevcldc, G^rde
^n grand ! e;au d . Hollande & àz Wtft-
Prifç,
( 5 ■) Tremier PréiîdcDt au Conftil de
Zclande.
(6 ) De Vander Aa.
( 7 )Confcillcr dcfrife,
(8)DcSallick.
DE J. A. DE THOU, Liv. II. 45
Les Etats & le prince d'Orange promirent , feulement de
bouche, d'obferver la parole qu'ils en avoient donnée. Nos Henri
Ambafladeurs drelTerent un écrit qu'ils fignerent , par lequel I V.
le Roi promettoit de fon côté, d'employer les plus fortes iCo<}.
inftances, pour engager les Etats à remédier à ce qui pourroit
arriver de contraire à leur promeffe fur ce fujet.
Cette grande affaire ayant été terminée , les ambafladeurs
des deux rois de France & d'Angleterre furent priés de ve-
nir à la Haye , pour confirmer la foi du traité , ligné au nom
du roi d'Efpagne & des Archiducs. Ces minifîres s'y étant
rendus, on drefla le 17 de Juin l'ade de garantie, à peu
près dans ces termes : Qu'on ne dérogeoit point aux con-
ventions faites l'année précédente entre les deux Rois & les
Etats h qu'au contraire , elles feroicnt auiîi inviolablement
obfervées , que fî elles étoient expreflement renouvellées :
Qu'en cas que le roi d'Efpagne ou les Archiducs violaflent la
trêve, qu'ils empêchaflent , ou fouffrilTent que l'on empêchât
la liberté du commerce aux Indes , par rapport aux Etats , ou
.autres, qui font, ou feront leurs aifociés , les deux Roiss'en-
gageoient à leur envoyer les fecours mentionnés au traité:
Que les Provinces-Unies ne pourr oient , durant la trêve , trai-
ter en aucune manière avec le roi d'Efpagne j ni avec les Ar-
chiducs , fans l'avis ou le confentement des deux Rois , qui de
ieiu- côté n'entreroient en aucune négociation au defavantage
des Etats Généraux.
Après qu'on eut réglé toutes ces chofes , le préfident Jean- Le Roi en»
nin parla de la Religion. Il dit qu'il y avoit encore un point, f ^^^j.^'^j^'''*,"
que le Roi fon maître fouhaitoit avec beaucoup d'ardeur qu'on liberté dcccn-
lui accordât : Qu'il demandoit qu'on permît aux Catholiques Science aux
foumis aux Etats de profefler la Rehgion de leurs pères : Que ^ ^^ ''^^^"'
ce Prince , qui étoit Catholique , fouhaitoit qu'on donnât à
ceux qui profellbient fa rehgion dans les Provinces-Unies , la
permiflion qu'il avoit accordée aux Fran<^ois qui fuivoient la
rehgion des Etats : Que Sa Majefté lui avoit ordonné de ne
parler de cette affaire qu'après la conclufion de la trêve , afin
que ce qu'ils accorderoient aux Catholiques^ en fa confidéra-
tion, fut cenfé avoir été accordé librement & fans contrainte :
Qu'il ne s'étoit déterminé à leur faire cette demande qu'en vûë
du grand nombre de Cathohques répandus dans les Provinces-
Eiij
^6 SUITE DE L'HISTOIRE
- Unies : Que ce feroit traiter inhumainement ces membres de
H EN R ï la République , qui avoient fupporté courageufement avec les
I V, autres les malheurs d'une longue guerre , que de les empêcher
1 6 c p. de jouir de la paix & des avantages d'une liberté ^ qui devoit
être le fruit de leurs travaux , & d'en jouir dans le fein de
leur patrie , pour laquelle ils avoient tant de fois expofé leur
vie dans les combats : Car comment , ajouta-t'il , goûteroient-
îls les douceurs de la paix , & feroient-ils ufage de leur li-
berté ^ fi le feul exercice de leur Religion les rendoit coupa-
bles de trahifon envers l'Etat .''
» Vous fqavez , continua le Préfident , quels troubles peut
» enfanter la privation de liberté en fait de Religion ? N'eft-ce
35 pas cette dureté des Efpagnols qui vous a mis contre eux les
w armes à la main ? Voïez couler les larmes d'une multitude
» de citoyens , qui fouffrent avec patience le changement de
30 domination j mais qui brûlent en lecret du defir de profef-
» fer leur Religion : Voilà le motif des prières qu'ils vous font
»par ma voix 5 ne les pouffez point dans le défefpoir : N'eft-il
3» pas plus glorieux de fe laifler fléchir par les larmes , que â!ê*
=0 tre obligé de céder à la force f Eil-il néceilaire de vous re-
39 tracer l'image des guerres fanglantes , que la privation de
» la liberté de confcience a malheureufement alliuiiées dans la
» Chrétienté ? Vous ne pouvez ignorer que cette dure con-
ta trainte a toujours été la fource des plus grands malheurs. Oui,
?> c'eft par ces ^vénemens tragiques , que Dieu a voulu faire
=?> connoître, que les différends de religion ne s'appaifent, ni par
» la guerre , ni par les fupplices 5 mais plutôt en obtenant de la
» bonté divine , par des œuvres de charité les uns envers les
>î autres , qu'elle éclaire les Princes & les autres hommes char^
30 gés de la conduite des peuples , pour chercher de concert
» avec le Père commun des Fidèles, les remèdes que les faints
» Pères nous ont enfeignés pour ces fortes de maux. En atten^
30 dant cet heureux temps ^ le Roi mon maître , faifant obfer-
33 ver l'Edit en faveur des Proteftans François , entretient l'u-
X nion entre-eux & les Catholiques , dans les mêmes villes ,
35 & fouvent fous le même toît. Sa Majefté a trouvé par cette
M conduite le moyen de calmer les efprits, que la guerre a voit
» aigris. Ses foins ont eu le fuccès qu'il s'en étoit propofé : Les
^ plus éclairés d'entre les deux Partis ne défirent rien avec plii5
D E J. A. DE THOU, Liv. IL 47
a» d'ardeur , que de fe voir réunis dans la même communion
» & de n'avoir plus aucun fujet de haine & de fcandale. » ,,
Le Prciîdent ajouta que comme cet expédient avoit réùfll ^ ^ ^^ ^
au Roj, Sa Majefté leur confeilloit, comme à fes amis &
fes alliés , de s'en fervir , furtout ayant des raifons en particu- i <5 o Pa-
lier de fe déterminer à fuivre un avis fi ialutaire : Que le Roi
avoit bien plus de droit de défendre dans fon Royaume l'e-
xercice d'une autre Religion , que celle qu'il y avoit trou-
vée établie à fon avènement à la Couronne , & qu'il avoit
confirmée lui-même , que les Etats n'en avoient pour prof-
crire une Religion reçue & pratiquée dans leurs Provinces,
iong-tems avant que la leur y fut introduite : Que Sa Majefté ne
feroit qu'ufer de fes droits , en ne foufrrant dars la France que
la Religion qu'il profeflbit 5 mais que ce Prince étoit tropTage,
pour mettre le Royaume en danger, en exerçant fes droits
à k rigueur, au lieu de prendre des voies douces & con-
formes à fa clémence : Que la république de Hollande étant
compofée de membres de l'une & de l'autre Religion , qui
avoient tous enfemble contribué unanimement de leurs for-
ces, de leur courage, & de leurs richeffes, pour affiirer la
liberté commune , il y auroit de l'injuftice de la part des Ré-
formés , qui font en plus grand nombre , de fe prévaloir de
cet avantage , pour interdire à leurs compatriotes l'exercice
d'une Religion , qui leur étoit plus chère que la liberté ;
Qu'outre ces raifons , les Etats avoient encore de puiffans
motifs de fe laifïer fléchir en faveur des Catholiques: Que
leur refijfcr la liberté de confcience, c' étoit donner l'exem-
ple aux princes Catholiques de fermer l'oreille aux prières
des Proteftans : Que les Etats dévoient prendre garde de
faire revivre par leur inflexibilité le fyftéme de ceux , qui
croyent qu'il eft permis de contraindre par la voie des ar-
mes, les foibles à embraffer la Religion du plus fort : Que
ce fentiment odieux avoit poufle des Souverains à mettre le
fer à la main à des peuples entiers ^ pour s'égorger inhumai-
nement les uns & les autres : Qu'au refte on pouvoir en tou-
te fureté accorder la liberté de confcience à des concitoyen?,
d'un zélé reconnu , qui avoient partagé les périls de la guerre ,
qui Iong-tems privés de cette liberté j en avoient rejette la
faute fur le malheur des tems ^ plutôt que fur le Gouverne-
mass^s^BBSSSŒEzs
4S S U I T E D E L' H I S T O I R E
ment , & avoient mieux aimé cacher la douleur qu'ils en ref-
Henri ^"^i^^^oient , que de déranger l'harmonie de la République par
jy le moindre murmure, dans l'efpérance néanmoins de joiiirun
1 60 Q. ^^^^^ ^^ ^^ ^^^^ avec les autres, après avoir partagé les mal-
heurs de la guerre.
03 Si leur attente étoit trompée , ajoûta-t-il , il en arrive-
» roit , ou qu'emportés par un zélé indifcret , ils auroient re-
» cours à la force ^ pour tirer raifon de la violence qu'on
M exerceroit à leur égard, ou qu'ils abandonneroient peu à
31 peu leur Religion ^ mettroient Dieu en oubli ^ & fe plon-
» geroient dans l'impiété , plus pernicieufe à la République ,
31 que toute forte de fuperftitions : car le fuperftitieux eft toû-
31 jours dans la craintes & après s'être mis à couvert des châ-
» timens des hommes ^ il croit toujours ne pouvoir fe fouf-
» traire à la vengeance divine , qui lui caufe de plus gran-
di des frayeurs. Pénétré de cette crainte falutaire , il obéît aux
» loix, & ne fe livre pas fi aifément au crime qu'un fcélé-
33 rat , qui fans crainte & fans efpérance après la mort , ne re-
» garde comme criminel & honteux , que ce qu'il ne peut
31 dérober aux yeux de la juftice humaine, ou ce qui peut lui
:• attirer des châtimens. »
31 Ces raifons j pourfuivit-il j doivent fuffire aux Etats j pour
31 les engager à contenter les Catholiques. Le Roi ayant bien
33 prévît que fa demande trouveroit de Toppofition , n'a pas
31 voulu mettre le trouble dans la République 5 c'eft pour
31 cela qu'il a jugé à propos de reftraindre fa prière en fa-
» veur des Catholiques ; Sa Majefcé ne demande pas qu'on
31 leur accorde la hberté de profefler publiquement leur Re-
31 ligion , mais qu'on leur permette feulement de le faire en
31 particulier dans leurs maifons, fans les inquiéter fur ce fu-
31 jet. Si les Etats jugent cette tolérance préjudiciable à la
31 République , le Roi confent qu'on prenne de juftes mefu-
31 res , poiu' obvier à tous les inconvéniens , qui pourroient
31 arriver à cette occaiion. »
Il ajouta qu'on pouvoit, par exemple , exiger de tout Ec-
cléfiaftique, avant de lui permettre de s'établir dans les ter-
res de la République, qu'il déclarât fon nom ôc fon domi-
cile , & qu'il donnât une perfonne de fa connoiilance , qui
répondît de fesmoeiu-s &z dç fa fidélité : Que cette indulgence
de§
ti*u!a«.4!Ua!saïVîii3a
DE J. A. DE THOU, Liv. ïL '^f,
des Etats, qui ne pouvoit entraîner rien de funefre, fe-
roit regardée par les Catholiques , comme une grâce llgnalée, ^
qui les lieroit plus fortement à la République : Que le Roi de ^ ^^ ^ '^
fbn coté auroit de grandes obligations aux Etats, &leurfçau- '
roit bon gré de fuivre prudemment le fage confeii qu'il leur * ^.^'
donnoit: Que files Etats perfilloient à retlifer à leurs citoyens
une demande fr'jufte, il croiroit toujours qu'ils auroient lieu
d'appréhender quelque chofe de fâcheux : Qu'il confeilloit ce-
pendant aux Catholiques , quelle que pût être la réfolution des
Etats, de fouffrir en patience, & de confpirer de tout leur
pouvoir à conferver la paix : Que s'ils venoient à remuer ,
il jugeoit plus à propos de les punir, que de les traiter fa-
vorablement.
Le préhdent Jeannin ayant parlé avec beaucoup de force,
fit écrire ce qu'il avoit dit, pour donner aux Etats le moyen
d'y faire plus d'attention. Les Etats comprirent que le Roi n'a-
voit fait, que ce que fa Religion & fa gloire exigeoient de lui.
Les députés des Provinces , qui furent priés de dire leurs avis,
répondirent que la chofe méritoit de férieufes rétiexions. La
plupart dirent qu'on ne pouvoit publier une loi en faveur
des Catholiques j fans expofer la République à un péril évi-
dent. Quelques-uns furent d'avis d'ufer de tolérance, allé-
guant pour raifon qu'on ne pouvoit refufer avec bienféance
cette grâce , aux prières d'un grand Roi leur allié , & à la fi-
déhté de leurs compatriotes , qui avoient partagé les périls
de la guerre avec les Proteftans. Il eft certain que les Xia-
giftrats eurent égard au fentiment de ces derniers , & que
dans la plupart des lieux ils relâchèrent beaucoup de leur
févérité envers les Catholiques.
Ce ne fut pas feulement en cette occafion que le préfi-
dent Jeannin fit paroître une habileté confommée j fa pru-
dence éclata dans tout le cours de la négociation. Les inf-
trudions des miniftres Efpagnols , qui furent laidees par ha-
zard , ou plutôt à deflein à la Haye , dans la maifon où lo-
geoit le préfident Richardot, & qui ftirent enfuite répandues
dans le public, à l'occafion de l'interruption des conféren-
ces , caufée par le retardement du Père Ney , font ime preuve
certaine de la dextérité de ce Minjftre : Caries Archiducs re-
commandoient dans ces inilrudions à Richardot & à leur^
Tome }{V^ G
fo SUITE DE L' HISTOIRE
autres députés de faire tous leurs efforts pour fe concilier la
Ken ri bienveillance & l'amitié de ce fage négociateur.
■ X V. Après avoir parlé de la trêve des Pays-Bas , comme d'un
I 5 op. ouvrage de la France, je vais rapporter ici l'invention d'un
inftrument utile , pour robfervation des objets éloignés.
Jes Lunettes Nous dcvons aux Plamaus cette invention j qui fut bien-tôt
d'approche, portée en France , ôc pratiquée par nos ouvriers. L'inftrument
dont il s'agit eft compofé d'un tuyau aux deux extrémités
duquel il y a deux verres bien nets , tous deux plats d'un
côté 5 mais de l'autre , Tun eft convexe , le fécond eft con-
cave. On approche de l'œil ce dernier , qui recevant ( i )
les efpeces des objets grolTies par le convexe , fur lequel les
plus éloignées fe peignent, les fait paffer dans l'œil , de ma-
nière que l'on peut facilement diftinguer de loin les traits
d'une perfonne , & les caradéres de l'écriture.
Cet inftrument ayant été apporté en Italie , Galilée Gali-
lei , Gentilhomme Florentin , fit fur ce modèle une Lunet-
te d'approche pour fon ufage , avec tant de foin , qu'elle fai-
foit paroître les objets cent fois plus grands , & trente fois
plus proches, que fi on les voyoit fimplement des yeux. Il
découvrit dans la Lime d'autres taches , que celles qu'on y
avoit vues de tout tems 5 elles étoientplus petitesque les ancien-
nes , mais en fi grand nombre , que la face la plus éclairée
de la Lune en étoit , pour ainfi-dire , toute couverte. Il corn-
pofa un livre , où il prétendit que le corps de cet aftre n'é-
toit , ni parfaitement rond, ni fluide, mais raboteux en diffé-
rens endroits , & inégal ^ tantôt par des hauteurs femblables
à des montagnes , tantôt par de profondes vallées.
Il avança aufll que la voie ladée n'étoit autre chofe qu'une
quantité innombrable d'étoiles. Ce fameux Aftronome dé-
couvrit les quatre fatellites de Jupiter : découverte qui éton-
na le monde fçavant. Ces Planètes font difpofées à diftan-
ces , tantôt égales , tantôt inégales , fuivant une ligne droite ,
paralelle à l'Ecliptique 5 leurs diredions &c leurs rétrograda?*
tions fuivent les dire dions & les rétrogradations de Jupiter.
Preuve certaine, qu'outre les fept planètes connues, il y a
( 1 ) Rigault explique ici cet effet de la Dioptrique , félon les idées de la vieille
philofophie.
DE J. A. D É THOU, Liv. IL jr
au-dfeflbus du Ciel des étoiles fixes , encore d'autres aftres *
qu'on ne peut appercevoir qu'avec le Telefcope. Galilée Henri
appellâ j Cofmiques ou de Aledicis , ces nouvelles planètes , du j y
nom de Cofme II. de la maifon de Medicis, grand duc de ^ côo»
Tofcane j auquel il dédia fon livre des Obfervations.
Cette découverte fît beaucoup d'honneur à Galilée , niaU
gré tout ce que put lui oppofer Kepler, dans une diflerta-
tion qu'il publia l'année fuivante. Il prétendit que la lunette
d'approche n'étoit pas une fî grande nouveauté ; & que Jean-
Eaptide Porta Napolitain en avoit eu le fecret : Que Pitha-
gore & Plutarque avoient déjà expliqué la caufe des taches
de la Lune: Qu'à l'égard des nouvelles planètes, on pou-
voit foupçonner Galilée d'avoir cru voir ce qu'il n'avoit pa?
vu. Appuyé de l'autorité du fqavant Kepler , François Si-
tius , quoique Florentin , n'a pas balancé à ôter du Ciel ces
nouvelles planètes de Medicis , qui n'étoient , félon lui,
que l'effet de la réfradion des rayons de Jupiter à travers
l'atmofphére. Il prétendoit que cette réfradion faifoit pa-
roître ces planètes , par le moyen du verre lenticulaire ,
qui y aidoit encore : Qu'ainfi ce n'étoit qu'une imagination ,
& qu'ils n'exifloient pas plus que les Parelies ( i ) & les Pa-
rafelenes. Malgré tout ce qu'on oppofa à Galilée ^ Simon Ma-
rins de Guntzenhaufen alîura férieufement quatre ans après,
qu'obrervant en Allemagne avec la Lunette d'approche la
planète de Jupiter , à peu près dans le même temps que
Galilée l'obfervoit en Italie , il avoit fiiit la même découverte
autour de cet aftre. Ils ne diffèrent entre eux qu'en ce que
l'Allemand dit , que ces nouvelles planètes ne font pas tou-
jours dans la ligne droite , tirée par le centre de Jupiter , pa-
rallelle à l'Ecliptique , mais tantôt au Nord & tantôt au Midi.
Il ajoute , que charmé de cette découverte , il avoit ob-
fervè pendant plufieurs nuits les mouvemens , & les difian-
ces de ces nouveauîc aftres. Après leur avoir affigné un cer-
cle fuivant fes obfervations , il publia un livre intitulé : Mun-
dm Jovtalis , dans lequel il s'accorde avec Galilée. Il y dit
encore que la Lunette d'approche lui a fait voir que toutes
les étoiles ôc les planètes étincellent, à l'exception de la Lune;
( t) Les Parelies font les images du Soleil, qui fe peignent dans un nuage. Les
Parafelencs font les images de la Lune.
Gij
fn /' SUÎTE DE L'HISTOIRE
& qae les planètes & les autres grandes étoiles font parfai-»
tement rondes. Enfin , il parle d'étoiles que Galilée n'a point
Henri découvertes. Il efl étonnant que les hommes étant aufli eu-
lieux qu'ils le font^ y ayant d'ailleurs tant de chofes à obfer-
3 oop. ygj. ^j^j^^ Iq çjgj^ Qj^ j^'^-j. p^5 ^^jj. jiifqLi'jcj pii^s c[e décou-
vertes, avec un infiniment d'une fi grande utilité.
Mort & éîo- Jofeph Scaliger , qui s'étoit acquis une fî grande réputation
oe de Joftph daus le moudc entier par fa profonde littérature en tout genre,
i^cjihger. mourut cette année dans les Païs-Bas âgé de foixante-neuf
ans. Ce fçavant homme, qui étoit le dixième des enfans de
fa mère, étoit refté feul de quatre frères qu'il avoir eus. Il
étoit de la ville d'Agen , fils de Jule Scaliger, ( t ) mé-
decin , qui s'efl rendu célèbre par fon habileté dans toutes
les fciences. Le père & le fils eurent des talens , qui leur
étoient fi propres à chacun d'eux en particulier , qu'on ne
peut les comparer enfemble. Nicolas le Fevre a dit d'eux3
que perfonne n' étoit jamais parvenu au point de ces deux
grands hommes dans les fciences. Outre les talens de l'ef-
prit , ils avoient une grande probité , & ils vécurent tous deux
avec beaucoup d'honneur. On leur a reproché de s'être laif-
fés trop emporter dans leurs écrits- à la pafïïon de critiquer
avec hardiefle ; mais la poftérité plus équitable leur rendra
plus de juftice 3 elle regardera en eux l'exercice du talent
de la critique , comme une efpece de droit de fouveraineté ^
qui leur étoit acquis dans la république des Lettres , & non
comme une tyrannie infuportable. Ils n'ont écrit que pour
ceux qui ont déjà des Lettres , & non pour ceux qui ne com-
mencent qu'à fe livrer à l'étude. Plufîeurs contemporains de
ces grands hommes fe font élevés contre leur mérite. Jo-
feph a été plus en bute aux traits de l'envie , que fon père >
mais l'ignorance ou la jaloufie ftu-ent les fources de ces ini-
mitiés. Scaliger le père s'étant fait defcendre de l'ancienne:
maifon délia Scala des princes de Vérone , fon fils fe crut
obligé de foûtenir cette généalogie. Les perfonnes de bon
Cens n'approuvèrent pas cette vanité , & jugèrent qu'il étoit
fort inutile de rechercher fi ces deux fçavans tiroient leur
origine des princes de Vérone , parce qu'ils avoient l'un Ôc
Tautre rendu leur nom li célèbre;, que la maifon de ces
(ij Ou de l'Efcaie.
DE J. A. DE THOU, L i v. II. n
Princes devoit être ttcs -honorée d'avoir de pareils def-
cendans. Jofeph mourut à Leyde, où il s'ctoit rendu à. la j^ ^^ ^, ^ ^
prière des Etats, qui av oient demandé cette grâce au Roi. j y^
•Les Diredeurs de l'Univerfité , & les Confuls de la ville ^ ^ ^* ,
élevèrent fur fon tombeau un monument de leur reconnoif-
fance.
Oueîque tems après, Charle de î'Eclufe du païs d'Artois , _., ^^°" ^^
v.^^ ,A/i • ïri/r Cliarlc de
mourut aufli à Leyde, âge de quatre-vingts ans. Maigre ion rEiciufeo»
grand âge , les fatigues de fes voyages j plutôt que les an- Ciufus.
nées, le mirent dans le tombeau. Nous avons de lui une
Hiftoire naturelle des pais étrangers.
La Reine obtint du Roi des Lettres patentes, en faveur
de Jean Boneile vicaire de Jean de Dieu, Pondateur des in^ittîtlen
Religieux de la Charité établis à Rome , & dans plufieurs des i rcres de
villes d'Italie. Elles donnoient à Boneile la permiiTion de ^^ Chancéo
bâtir dans Paris, ou dans les fauxbourgs un, hôpital & d'y
demeurer. Le Parlement enregiilra ces Lettres , avec la clau-
fe que Boneile & fes Religieux feroient foûmis à la jurifdi*
6lion des Magiftrats , & de l'Ordinaire. Cette maifon s'en-
tretient des aumônes , qui font employées à foulager les ma^
lades qu'on y retire. Les Religieux fe partagent les différens
.emplois ; les ims vont à la quête en ville 5 les autres con-
folent par de pieufes exhortations les malades qu'on a reçus
.dans cet hôpital ••> quelques-uns en ont foin , & travaillent à
leiu' guérifon. Enfin il y en a qui donnent la fépulture aux
morts. Cette inftitution qui nous vient des étrangers ^ fera
toujours très-louable , tant qu'on fera un bon ufage des pieu-
.fes libéralités de nos ancêtres, "defdnée s au foulagement des
malades.
Le 10 d'Avril, la reine Marguerite donna au Dauphin; Union des
comme à l'héritier de la Couronne , les comtés d'Auvergne comtés d'.-^u-
& de Clermont y la baronie de la Tour , tous fes droits pa- Couronne.
ternels & maternels fur l'Auvergne , & far tous autres Do-
maines , foit dans le Royaimie , foit hors du Royaume. Le
chancelier Nicolas Bruflart de Sillery , & MaximiUen de Be-
thune duc de Sully , reçurent au nom du Dauphin cette do-
nation , faite à condition que tous ces biens feroient unis à
la Couronne, ôc au Domaine;, fans pouvoir jamais en être
féparés,
G m
J4 S U I T E D E L' H I S T O î IlE
Au commencement de Juin , on jugea une affaire qui fît
Henri ^^^^ ^^ bruit a Paris. Guillaume Pingre ayant fait la ban-
j y^ que long-tems dans cette ville , fans avoir donné le moin-
I 60 Q, ^^^ ^^i^^ d^ plainte à perfonne , prit enfin le parti d'emporter
^ fes effets & fes papiers , après avoir emprunté de grandes fom-
ticrpuni. mes d argent a mterets. Ses créanciers ayant appris quil s e-
toit retiré à Valenciennes en Hainault, le firent arrêter par
le Prévôt de la: Maréchauflee de Senlis , avec la permilTion
des Archiducs. Pingre ayant été ramené à Paris, avoua fa
mauvaife foi , & fut condamné aux galères perpétuelles , &
à être promené ignominieufement dans les rues de Paris,
comme un criminel que l'on conduit au fupplice. Enfuitc
t)n jugea à propos, afin d'empêcher ces banqueroutes frau-
duleufes, de donner un Edit, portant que tous Banquiers,
qui fe trouveroient dans le cas , feroient punis comme des
voleurs publics.
Edit contre Le Roi fit enregiftrer dans le même mois, avec une ap-
les Duels. probatioii univerfelle , un Edit contre les Cartels , qu'on ap-
pelle vulgairement Duels, parce que la chofe fe pafle en-
tre deux perronnes. Les François confervoient cette coutu-
me établie par la Loy Salique , comme un ufage des temps
des Héros j ufage cependant plus horrible que les coutu-
mes que Theodoric roi des Goths abolit à la perfuafion de
Cafiiodore , & qui ne convenoient qu'aux bêtes. Gonde-
baut roi de Bourgogne, & les auteurs de la loy Salique les
rétablirent malheureufement quelques fiécles après.
Il étoit palfé en coutume , lorfque les preuves par témoins
n'étoient pas certaines , & qu'on ne pouvoit pas s'en rap-
porter au ferment dans une affaire , d'en remettre le juge-
ment à la décifion des armes. Les Parties , qui n'étoient pas
en état de combattre par elles-mêmes, étoient obligées de
donner une perfonne pour le faire à leur place. Celui dont
le combattant étoit vaincu perdoit fon procès. Telle fut la
pratique de notre Nation , avant que le droit Romain eût
adouci fa férocité , dont il refta néanmoins encore long-
temps après des traces, comme on peut le voir parce que
difent Avitus évêque de Vienne, & Agobard archevêque
de Lion , dont les plaintes , fur cet abus , ont été inférées dans
le fécond concile de Valence , du confentement des Pères
liflM UiA'4^ 7-Wi-vy3Lr^'V>Vn
DE J. A. DE T H O U, L I V. IL yj
de cette rcfped-able Aflemblée. Cependant on voit par les
lettres d'Ives de Chartres , que quoiqu'il fut habile Jurif- ^j
confuke , il renvoya au comte de Chartres des affaires à dé- jy^
cider par le fort des armes 5 Sentiment condamnable dans ^
un Chrétien^ mais bien davantage dans un Evêque , tel "'
qu'Ives de Chartres , qui s'étoit ailleurs exphqué fur ce fujet
très-clairement, en écrivant à Jean éveque d'Orléans. Il lui
avoir expreffément dit que les Eccléfiauiques ne dévoient
point porter de ces fortes de jugemens.
Cette coutume barbare avoir jette de fi profondes raci'
nés dans l'efprit des gens de guerre , même fous le régne
des meilleurs Princes , que toute profcrite qu'elle avoit été
par Saint Louis , elle ne fut pas moins en vigueur fous le
régne de Philippe le Bel fon petit-fils. Ce Prince ayant d'a-
bord défendu de la fuivre , fous peine de crime de leze^
majefté, il la rétablit bien-tôt par un Edit contraire, &rap-
pella les loix, les formalités & les fermens d'ufage en cette
occafion. Le combat n'avoit lieu , que lorfque ces quatre
conditions fe rencontroient. Il falloit d'abord que le crime
fut conftaté j enfuite qu'il méritât la mort jcntroifiémelieu,
que les preuves écrites ou teftimoniales ne fuflent pas fuf-
fifantes , pour convaincre l'accufé ; enfim , qu'il y eût des in-
dices afiez forts pour fonder l'accufation. Le Roi donnoit
jour aux parties pour difputer s'il y avoit lieu ou non à la
voie des armes. Des Avocats de part & d'autre agitoient
la queftion ; le demandeur engageoit l'affaire , en jettant aux
pieds des Juges un gand , ou quelque autre chofe , pour
marquer qu'il appelloit en Juftice celui dont il fe plaignoit.
Si l'accufé s'avoùoit coupable , il fubiflbit les peines de la
Loi ; au contraire , s'il foutenoit que l'accufation étoit fans
fondement , & faufle , il ramafîbit le gand de fon accufateur ,
& promettoit de fe trouver au combat. Le Roi ou le Juge
ayant examiné fi le combat pouvoit être ordonné , marquoit
le jour, l'heure & le champ 5 les deux combattansdonnoient
des orages , & faifoient tous les préparatifs néceflaires ^ d'ar-
mes & de chevaux ; il leur étoit même permis d'amener
des amis pour fe fervir de leur confeil. L'un & l'autre fe
rendoient au jour marqué , fous des tentes dreflees de cha-
que côté dans une plaine. Le Roi ou le Juge du champ^ •
H
E N R
IV.
;
6"o^_.
Y^ s U I T E D E L' H I s T O I R E
s'y trouv oient pour décider. Les Gardes du champ menoîent
i'accufateur vers un trône magnifiquement paré , fur lequel
étoit le livre des Evangiles 6c un Crucifix. Le combattant
s' étant mis à genoux , un Prêtre l'exhortoit à ne rien imputer
à fon ennemi , qui ne fut vrai , & à craindre les jugemens
de Dieu , plus que ceux des hommes j enfuite le Juge du
champ prenoit les mains de l'accufateur j dont il mcttoit
la droite fur les Evangiles, & la gauche fur le Crucifix: En-
fin , il prononçoit à haute voix le ferment fuivant la formule
ordinaire dans ces fortes q occalions ; & le fuppliant le répé-
toit à voix claire 6c diftinde. Après cette cérémonie on le rc-
menoit à fa tente.
• L'accufé s'approchoit à fon tour du trône ^ où il protef-
toit de fon innocence avec les mêmes formalités 5 ils ve-
noient une féconde fois auprès du trône , l'un après l'autre ,
pour y faire les mêmes fermens 5 enfin il s'y rendoient la troi"
fiéme fois l'un & l'autre , conjointement & à pas égaux. Le
•Prêtre les avertillbit avec grand foin de ne point tenter Dieu
par un parjure ; il les exhortoit , s'ils fe fentoient coupables
l'un ou l'autre , à implorer la clémence du Roi ou du Ju-
ge, plutôt que de s' expofer à la vengeance divine. S'ils per^
iiiloient dans leur réfokuion , ils retournoient à leurs tentes,
ôc s'y étant repofés quelque tems,im Héraut les appelloit au
combat à haute voix , du milieu du champ defliné à com-
battre, lis déchiroient aulîltQt leurs tentes, & paroiifoient aux
yeux des afllilans.
Le Juge du champ jettoit en même tems de deffus un
çchafaut im gand , c'étoit le lignai du combat , qui commen-
jçoit alors avec beaucoup d'ardeur, & ne finilibit que lorf-
qu'un d'eux fe rendoit , ou tomboit hors des barrières. Le
vainqueur arrachoit alors les armes au vaincu , coupoit les
courroyes de foncafque , & les jettoit dans le champ j celui-ci
foit qu'il refpirât encore , foit qu'il fût mort , reftoit à la dif-
crétion du Roi ou du Juge ; le vainqueur gardoit les ota-
ges , jufqu au payement de l'amende portée contre le cou-
pable ; fes autres biens étoient confifqués.
C'eft ainfi que dans ces tems de barbarie, on cherchoit'
à découvrir la vérité par ces moyens fanglans , & que la juf-r
ticç fe rendoit par l'homicide. La Nobleife de nos jours no
D E J. A. D E T H O U , L 1 V. î I. fj
fe contentant pas de cette efpece de folie, a poiilîe les cho-
fes JLifqu'à la fureur j elle fe fait des fujets de la plus vive Henri
animoiîté de caufes très-legéres , pour lefqueiles on ne peut j y
même avoir d'adion en juftice. Si l'offenfe eft de nature à iô'o'o."'
être portée devant les Juges, on fe croiroit deshonoré d'en
exiger une fatisfadion par une autre voie que par celle des
armes , qiû eft la manière dont la juftice fe rend parmi les
voleurs j ainfi fans être retenus ni par les LoLx:, ni par la Re-
ligion, un mari à l'infçu de fa femme, un père à Tinfçu de
fes enfans j les enfans à l'infi^u de leurs parens , vont s' expo-
fer à un péril évident 5 & ce qu'on aura de la peine à croire,
ils fe font féconder par un ou deux amis, qui fe battent fou-
vent fans fujet contre des inconnus , quelquefois contre leurs
meilleurs amis , avec qui ils n'ont rien d'ailleurs à démêler.
Ennemis fans fujet ^ ils s'expofent de gayeté de cœur à ver-
fer leur fang , & à perdre la vie pour rien.
Cette folie, ou plutôt cette efpece de frénefie , s'honore
du nom de courage ■> on en eft même venu jufqu'à regarder
comme le comble de la gloire , de s'être trouvé dans Toc-
cafion. Infenfés .' Ils ignorent que le véritable honneur ne
confiftc pas à méprifer la mort ( mépris qu'une férocité na-
turelle met quelquefois dans les âmes les plus viles ) mais à
îa méprifer , quand elle peut, & doit être méprifée. Ils ne
font point réflexion que des Chrétiens ne doivent jamais la
chercher, lorfqu'ils foulent aux pieds par cette démarche
les devoirs de la Religion & de la Charité.
Ces fortes de combats avoient tellement affoibli la No-
blefie pendant la paix , qu'il n'y avoit prefque point de fa-
mille , qui n'eût à fe reprocher d'avoir verfé le fang de quel-
qu'un de fes proches. Le Roi pour remédier à ces défor-
dresj avoir donné fept ans auparavant un Edit, par lequel il
déclaroit coupables de leze-majefté les aggrelleurs , prenant
fur lui tout ce qu'on pourroit imputer à ceux qui refuferoient le
cartel. La Nobleife^ connoiflant la facilité du Roi> donna
bien-tôt atteinte à cette Loi , que les petits violèrent à l'e-
xemple des grands. On en vint même jufqu'à confidérer beau-
coup à la Cour le duellifte le plus furieux ôc le plus hardio
Le Roi informé que ces fortes de combats avoient plus
foit périr de Noblefte au fein de la paix, que la guerre ci-
TomeXK H
58 S U I T E D E L' H I S T O I R E
vile n'en avoit enlevé, fe repentit de fon trop d'indulgence,
H E N R I & donna un Edit plus févére que les précédens , par lequel
I V. il fit défenfe d'appelier en duel 5 ordonnant que dans ce cas
^ 60^. on donneroit des Gardes à celui qui feroit appelle 5 que fi l'of-
fenfe étoit fi grande, qu on n'en pût tirer fatisfaâ:ion que par
la voie des armes, il falloit porter fa plainte devant le Roij
devant le Connétable , les Maréchaux de France, ou les
Gouverneurs des Provinces; le Roi promettoit en ce cas de
donner par lui-même , ou par fes Officiers, la permilTionde
le battre.
L'Edit portoit encore que celui qui en appelleroit un au-
tre , ou qui accepteroit le cartel , feroit dégradé de noblefle ,
avec confifcation de la moitié de fes biens , & feroit de plus
condamné à une prifon perpétuelle , ou puni d'un fupplice
iionteux. Sa Majefté s'obligea par un ferment redoutable , à
ne jamais accorder de grâce à ceux qui violeroient cette
nouvelle Loi ; de les pourfuivre fans ceile , fans leur pardon-
ner jamais , pas même à la follicitation de la Reine. Cet Edit
fut enregiftré le 2<;r de Juin. Il eft à remarquer qu'il étoit con-
<çû en termes enveloppés, obfcurs &peu fcans à la Majefté
Royale 5 ils fembloient faire entendre , qu'il y avoit quel-
quefois des offenfes & des affronts ^ dont on tiroit mieux
vengeance par les voies de fait y que par celles de la Juf-
tice ; ce qui ne peut néanmoins arriver , qu'au mépris des
Loix , aufquelles toute forte de violence donne toujours une
dangereufe atteinte.
Mariage de Pendant que le Roi travailloit à régler le dedans du
?ôm^e*^^Ivec ï^oy^ume , il fit dcux mariages illuftres j l'un du prince de
FrançoVe de Condé avcc Charlotte-Marguerite, fille du Connétable de
Lorraine. Montmorenci , qui fiit la caufe des troubles dont nous allons
parler ; l'autre du duc de Vendôme fon fils naturel qu'il
avoit eu de Gabrielle d'Eftrées, avec Françoife de Lorraine ,
fille & unique héritière du duc de Mercœur. Les accords
de cette dernière alliance avoient été faits dix ans aupara-
vant ; & on avoit remis la célébration du mariage jufqu'à ce
que le Prince & la Princeffe euffent atteint l'âge nubile. Le
Roi ayant confirmé le contrat dix ans après , mit^ du
confentement de Marie de Luxembourg, duchefte doùai-
ïiere de Mercoeux^ 1500000 livres de dédit. La ducheflc
D E J. A. D E T H O U, L I V. 1 1. ^9
donna à fa fille une toilette^ des diamans & des perles edi-
niées 270000 livres qu'elle défendit d'aliéner , & qu'elle Henri
déclara être un propre j qui devoir aller aux héritiers de fa I V.
fille. idopJ
La terre de Ventadour n'avoir été érigée en Duché-Pai-
rie en faveur d'Anne de Levis de Ventadour , qu'à con-
dition qu'elle feroit réunie à la Couronne , au défaut de mâ-
les dans fa maifon j cette condition lui paroiflant U'op dure -,
il fe fervit de tout fon crédit pour faire abroger cette Loi.
Les lettres Patentes qu'il obtint fur ce fujet, furent enre-
giftrées le 30 de Juin au Parlement. La Reine accoucha à
Paris le 2(5 de Novembre d'une troifiéme Princcife , qui fut
nommée cinq ans après dans le (upplément des cérémonies
du Baptême Henriette-Marie , par Elifabeth de France fa
fœur aînée , & par le cardinal de la Rochefoucault.
A Rome , quelques Cenfeurs fadieux condamnèrent l'hif- Cenfuré dé
ftoire de Jacques-Augufte de Thou, l'arrêt du Parlement ^Hin:ohe"'de
contre le parricide Jean Chaftel ^ & les fept traités de Mariana. m. de Thou.
Ce feroit faire tort à la prudence & à l'équité du Pape , de
croire qu'il eut prêté fon nom à cette cenfure. Car pour ce
qui concerne l'hiftoire du préfident de Thou, nous avons
des lettres du cardinal Davy du Perron à ce grand Magiftrat ,
où il paroît que du Perron lui-même , les cardinaux Aqua-
viva , Vifconti , Sforce , & d'autres cardinaux d'un efprit
éminent , ont approuvé cet ouvrage , à caufe de fa beauté ,
& des avantages que le public pouvoit en retirer. Du Per-
ron écrit à l'auteur que Paul V. avoir dit à ceux qui deman-
doient la permiffion de le cenfurer , de prendre garde qu'on
ne pût leur reprocher de n'avoir pas compris Pexcellence de
l'ouvrage , & les bonnes intentions de l'auteur.
Les cenfeurs Romains trouvèrent mauvais queTarrét du Cenfure con=
Parlement eût condamné le fentiment de Jean Chaftel , qui parlement .'
avoit foutenu qu'on ne pouvoit pas dire , que le Roi après contre Jeaa
avoir fait abjuration entre les mains des Evêques , qui l'a-, ^^'^^''^^•
voient reconcilié à l'Eglife , y fut véritablement réuni , avant
d'avoir reçu l'abfolution de fa Sainteté. Cependant l'année
fuivante , les cenfeurs ayant renouvelle leur cenfures , firent
-imprimer im nouvel Index , où l'on fuppri^na la cenfure de
l'arrêt du Parlement,
H ij
He N R
IV.
^609,
Cendire con
tre Mariana.
françoiies.
¥0 SUITE D E L' H I S T O I R E
A regard de Mariana , les plus éclairés diftinguent le mo-
tif du prétexte , qui fut j félon eux , que dans fon traité de
l'Immortalité j il foûtient le fentiment de la fociété des Je-
fuites , dont il étoit membre;, contre celui des Dominicains ,
touchant la grâce efficace ; difcution qu'on prétendoit qui
ne lui étoit pas permife , tandis que l'affaire étoit pen-
dante au mbunal du làint Siège. Ils ajoutent que le vérita-
ble motif de cette cenfure fut d'avoir foutenu contre le fen-
timent de Baronius ^ que Saint Jacques le majeur étoit venu
en Efpagne 5 comme fi c'étoit un crime de n'être pas du fen-
timent de ce Cardinal , qui a prétendu établir la puiflance
Monarchique àes fouverains Pontifes. Je vais pafler de ces-
affaires, qui font, pour ainlî-dire , du dedans du Royaumes
à ce qui regarde nos colonies.
Affaires des Champlain étant revenu en France , après trois ans de fé-
Colonies jour daus le Canada où il s'étoit établi , du Mont qui étoit le
fondateur de la Colonie, conjedura par ce qu'on avoir
déjà fait en ce pays, & par certaines découvertes , que fon
entreprife pouvoir avoir d'heureux fuccès dans la fuite, fr
on faifoit un fécond armement , & fî on afluroit cet établif-
fement par de nouveaux fecours. Ce projet digne d'un fi
brave homme devoir être appuyé par un Roi jaloux de
Fhonneur du nom François s mais tout ce qu'on fit en fa»
veur de du Mont, fut de donner un éditj qui défendoit à
qui que ce fut défaire cette année, fans fa permifTion , com-
merce d'aucune marchandife , & fur-tout de I?elleterie en Ca-
nada j ainfi il fut envoyé dans ce pays comme un Négociant j,
& non comme le Chef d'une colonie Françoife. Du Mont
ayant fait équiper deux vaiffeaux , nomma pour fes lieute-
nans Champlain & Pongravé. Ce dernier devoir porter en
Canada des marchandifes , & en rapporter d'autres ; &
Champlain avoir ordre d'y bâtir des forts pour y paffer l'hi-
ver.
Pongravé partit de Honfieur le cinq d'Avril, & Champlain
le 1 3 du même mois. Celui-ci ayant doublé le cap Breton ,
les ifles de Saint Paul ^ de Percé & de Gafpé , aborda le trois
de Juin à Tadouflac , où Pongravé étoit arrivé quelques
jours auparavant. A l'embouchure du fleuve Saguenay , eft
wn petit port en forme d'anfe , que l'impétuofité de là marée ,
DE J. A. DE THOU, Liv. II. d'i
la violence des vents , & la rigueur du froid rendent dan- ^^^^^mf^^a
gereux 5 la mer y entre par deux pointes , dont l'une qui eft f| ^ ^j ^^
vers le Sud-Oueil , s'appelle. Pointe Saint Mathieu , ou Poin- j y^
te aux Aloùctes. Le danger qu'on courut à l'autre , qui fait i (j qq^
ùice au Nord^Oueft , l'a fait nommer Pointe de tous les dia-
bles. Le pays eftmontueux, à l'exception de quelques plaines
fablonneufes , où il croît desfapins & des bouleaux. Le lit de
ce fleuve eft par tout d'une extrême largeur , qui eft d'une
demie lieuë en quelques endroits; il a jufqu'à trois, 6cquel^
quefois quatre cens brafles de profondeur.
-' Champlain rapporte qu'il apprit qu'en navigeant fur cette
îiviere , contre le vent de Nord-Oûeft , on rencontroit envi-
ron à cinquante lieues de Tadouflac une chute d'eau, quife
l^récipite du haut d'un rocher trcs-élevé; qu'enfuite, il s'en
préfentoit huit oc dix autres encore après un jour de naviga-
tion; Que pour remédier à ces inconvéniens, on faifoit de
-petits canots d'écorces de Bouleau , fi légers , que chaque
Sauvage pouvoit porter le fien fur fes épaules , en montant
fur les hauteurs : Qu'enfuite on voguoit pendant trois jours
fur im lac , à la tête duquel il y avoit trois embouchures d'un
fleuve : Que le païs étoit habité en cet endroit par des Sau-
vages vagabons comme les bêtes, qui commerçoient avec
ceux de Tadouifac , dont ils recevoient en échange de leurs
peaux de Caftors , de Loups & de Martes , les marchandifes
que ceux-ci tiroient des François : Qu'on voyoit au-delà de
ce païs de vailes côtes de l'Océan, qui entre dans les terres
du côté du Septentrion. Champlain voyant que le defleiri
qu'il avoit de naviger fur le Saguenay , n' étoit pas du goût
des Sauvages fes alliés , l'abandonna. S'étant enfùite avancé
vers le Sud , fur le bord feptentriorial de la rivière de Saint
Laurent 5 il doubla Pifle aux Lièvres , les caps Dauphin & de
i^ Aigle , l'ille aux Coudriers & le cap de Tourmente ; il ar-
riva enfin à fifle d'Orléans , & de-là le trois de Juillet à-Qae-
bec , environ à trente Ueuës de Tadouflac.
Depuis le cap de Tourmente ^ qui efl: à l'embouchure de
îa rivière Saint Laurent , les eaux commencent à fe déchar-
ger des feîs de la marée , qui s'y mêle. Le moindre vent la
ikit enfler en cet endroit d'une manière extraordinaire. Ses'
bords & le païs aux environs font très-propres à être habités,
H iij
'62 s U I T E D E U H I s T O î R E
.^.^^«^^ îl y a autour de i'iiîe d'Orléans d'autres ifles plus petites , trè?-
H N R I ^^^^^^^^ ^ très-agréables j l'ille d'Orléans a (ix lieues de long
^ ^ & une demie de large. Du côté du Septentrion, des bois
,,^^' charmans & de riantes prairies s'offrent à la vûë; l'abord
de cet ifle eft difHcile & dangereux , à caufe de plufleur^
écuëils qui fe trouvent dans cette rivière.
Champlain ayant parcouru le païs de Québec , trouva un
bois épais de vieux noyers , fort commode pour y faire une
habitation 5 il donna ordre de préparer les infl-rumens nécef-
faires pour bâtir , ou pour cultiver la terre ; il s'appliqua lui-»
même à connoître le génie des Sauvages de Tadouflac,
Ses découvertes font allez çurieufes , pour tenir leur place
dans ces mémoires.
Ces Sauvages font dociles , mais perfides 6c menteurs;
lorfqu'il s'agit de fe venger. Chacun invoque à fa manière ,
fans culte extérieur , un Dieu , tel qu'il le conçoit. Ils ont
des devins appelles Pillotois ( i ) , qui habitent dans les fo-
rêts ; ils croyent que ces devins s'entretiennent avec la Di-
vinité 5 la crédulité de ces Sauvages les fait obéir aveuglé-
ment aux avis de ces impofteurs érigés en oracles. Ils ajou-
tent foi aux fongeSj & fe laiflent fouvent troubler par ces
effets du fommeil. Ils ont une mâle vigueur dans un corps
bien formé, & fe couvrent de peaux. Vers le milieu de
Septembre , ils bâtiflent des cabanes fur le bord de l'eau ,
pour faire la pêche des anguilles 5 ils font provifion de cette
efpece de poifibn, fans fe mettre en peine de, garder d'au-
tres vivres , quoiqu'ils foient grands mangeurs. Lorfque les'
anguilles viennent à leur manquer , ils fe nourriiïent comme
ils peuvent, du gibier qu'il prennent à la chafle, au milieu
des neiges les plus hautes. Ils vivent encore de coquillages
qu'ils trouvent fur les rochers.
Ils ont inventé un moyen pour marcher fur la neige en
fureté i ils prennent des cercles de bois de trois pieds de
diamètre ? ils entrelacent des cordes dans le cercle en for-
me de raquettes , & fe les attachent aux pieds. Ainfî la gran-
deur de leur pas les foûtient fur la neige , lorfqu'elle eft un
peu refferrée par la gelée. Les femmes n'ont de défagréable
i|ue la couleur olivâtre , dont elles fe teignent la peau. Les
(i) Fillotofti, L'éditeur Anglois traduit , Filatois.
DE J. A. DE THOU, Liv. îî. (T^
filles vers l'âge de quinze ans accordent leurs faveurs à au-
tant de jeunes gens qu'il leur plaît; enfuite elles choifidcnt Henri
un mari à l'épreuve , & ne violent jamais impunément la foi i V.
qu'elles lui ont donnée, car les maris fe vengent avec beau- 160^»
coup de rigueur , de l'infidélité de leurs époufes. Il ell libre
de quitter les femmes qui font ftériles.
Ces Sauvages ont des cérémonies pour enterrer leurs mortsj
ils jettent dans une fofle des flèches j des arcs , des javelots,
des habits , & autres chofes de cette efpece , fur lefquelles
on dépofe le cadavre , que l'on couvre de terre. On élevé
enfuite fur le tombeau un amas de bois, au milieu duquel'
on dreffe un poteau, dont l'extrémité eft rougie. Us croyent
l'immortalité de l'ame , & qu'ils vont après la mort retrou-
ver en d'autres pais leurs parens , & leurs amis déjà morts.-
On chante trois fois l'année des Hymnes fur le tombeau des
braves de la nation, on danfe autour, & l'on y fait des re-
pas. Ces peuples font ennemis jurés des Iroquois avec lef-
quels ils font toujours en guerre ; la perfidie de ces derniers,
qui leur ont fait des injures atroces, fous le voile de l'ami-
tié , eft la fource de la haine de ces Sauvages.
Ils prefToient nos François de leur donner du fecours,
|)0ur exterminer leurs ennemis , qu'ils dévoient attaquer à
l'entrée du printems j mais Champlain n'étoit pas en état de les
fecourir. Car de vingt-huit foldats qui compofoient fa troupe ,
il y en avoit eu dix-huit que des maladies , à ce qu'on croit,
particulières à ce païSj avoient attaqués. Depuis le mois de
Février, jufques vers le milieu du mois d'Avril, il en étoit
mort dix , & cinq autres de la diflenterie , fans avoir été fu-
jets à aucune maladie dans le refte de Tannée. Pongravé étant
retourné en France ^ il remit entre les mains de du Mont quel-
ques foldats de Champlain , accufés d'avoir confpiré contre
lui, & contre les autres Lieutenans de du Mont , au port
de Tadouilac , à la folUcitation de quelques Corfaires Gaf-
cons. S'étant acquitté de fa commifllon ^ il revint à TadouiTac>
avec un équipage peu nombreux^ mais en bon état.
Champlain ayant reçu ce renfort , promit à fes alliés de
les féconder contre les Iroquois; il avoit delTein de vifiter
ce pais , dont on lui vantoit la fertilité ; ayant donc fiiit un
détachement de vingt hommes choifîs dans fa troupe , ôc dans
'6^ SUITE DE ^HISTOIRE s
celle de Pongravé j il partit le huitième de Juin du port de
Québec dans une chaloupe, fuivie des canots des Sauvages.
Il remonta la rivière de faint Laurent , qui devenoit de mo-
ment à autre plus agréable j excepté qu'il falloir toujours fon-
der avec un croc, afin de iie pas donner dans les ccuëils
de cette rivière , où des ruiileaux fans nombre , qui ne peu^
vent porter que des canots, viennent fe jetter^ après avoir
long-tems ferpenté dans les prairies des environs.
Au-delUis de la pointe de fainte Croix , & de la rivière
lainte Marie, les nôtres apperçurent dans l'ide faint Eloi ;
qui eft à vingt-quatre lieues de Québec , plufieurs cabanes.
Les Ochateguins & les Algoumequins font proches voifins
des Iroquois.Iroquet & Ochateguin , chefs de ces habitations ,
vinrent trouver Champlain ; leur fuite gardoit un profond il-
lence^ tandis qu'il faifoit rellbuvenir le général François de
la promefle qu'il avoit faite depuis dix Lunes ( car c'eft
ainfî qu'ils comptent \ç tems ) au fils d'Iroquet de leur
donner du fecours contre un ennemi, qui devenoit plus in-
folent de jour en jour. Ils lui dirent qu'ils n'étoient venus
que pour le prier de tenir fa parole 5 que s'il leur accordojt
ce qu'ils demandoient , ils le faifoient maîtjre de tout ce
qui leur appartenoit.
Champlain fit réponfe à ces Sauvages qu'il n'avoir point
oublié fes promefles , & qu'il feroit pour eux plus qu'il ne
s'y étoit engagé 5 que fon arrivée avec ceux de Tadouflac,
étoit une preuve de fa bonne volonté à leur égard 5 qu'ils
n avoient quk le mener à l'ennemi , & qu enfuite ils n'au-
roient pas lieu de fe repentir d'avoir fait alliance avec lui.
Alors les Sauvages jetterent de grands cris de joye, &dan-
ferent félon leur coutume ;. ils s'approchèrent des nôtres^
regardant avec furprife leurs armes & leurs habits , qu'ils n'a-
voient point vus jufqu'alors , & qui leur paroiflbient defcendus
du ciel.
Champlain continua fa route , fuivi de trois cens Sauva-
ges armés d'arcs & de flèches. Après quelques jours de che-
min, ils arrivèrent au lac de Petrac, abondant en poiiîbn,
& enfuite à des ides d'une extrcme fertilité. Sur les bords
de la rivière des deux côtés , on découvroit au loin de gran-
des forêts , de valles prairies , 5c des plaines à perte de vûë.
S'ctant
Henri
IV.
DE J. A. DE THOU, Liv. II. €^
^-.S'étant avances aii-de-là de ces ides, ils s'arrêtèrent deux
jours à l'embouchure de la rivière des Iroquois pour la
chafle des bêtes & des oifeaux , & pour la pêche. Les Sau-
vages mirent d^s provifions & des raflaichidemens dans leurs ^
canots. A quinze lieues de là , on donna dans un courant fi ^*
rapide , qu'il fut impoillble de le remonter à force de rames
.& de crocs; c'eft pourquoi Champlain ayant laifle du mon-
de à la garde de fa chaloupe , defcendit à terre avec les Sau-
vages, qui portoient les canots fur leurs épaules ; ils arrivè-
rent enfin au-deflus du courant, & remirent à l'eau leurs ca-
nots, où ils rentrèrent.
Trois jours après , on entra dans un lac très-large , femé de
plufîeurs ifles charmantes. C'eft là que commence le païs
-des Iroquois. Il eft fi fertile, & fi riant, qu'il fait naître l'en-
vie de s'y établir. Ce lac eft fort poiftbnneux ; on y pêche
entre autres un p-oiffon appelle le Cofarou , aflez femblable
à nôtre brochet ; il s'en trouve qui ont jufqu'à dix pieds de
long. Les écailles de ce poiflbn font très-dures ; il aie groiiin
d'un porc , & deux rangs de dents. Cet animal qui dévore
les autres poiflbns, eft outre cela fi rufé, qu'il attrape fou-
vent des oifeaux : voici la manière dont il fe fert pour les
attirer. Il fe couche entre des joncs , levé fa tête , & en-
trouvre fa gueule ; les oifeaux qui le prennent pour un tronc
d'arbre, viennent fe percher deflus , il la referme alors, &;
dévore les oifeaux.
Champlain & les Sauvages ayant continué de naviger fur
ce lac, ne marchoient qu'avec beaucoup de précaution,
parce qu'ils approchoient des ennemis 5 on ne marchoit que
pendant la nuit ; pendant le jour on fe repofoit au fond des
bois. Les Sauvages avoient recours pendant ce tems-là à leurs
Oracles. Ils dreflent une cabane j fur laquelle on met une
couverture de plufieurs pièces ; on plante de petits pieux
tout au tour; enfuite le Pillotois ou Oftemoy y entre tout
nud, fe profterne la face contre terre, murmure entre fes
dents quelques mots au hazard, fe levé, s'agite, & fe tour-
mente de manière , qu'il eft bientôt en fueur. Les Sauvages
aftis au tour de lui, l'interrogent fur l'événement de la guerre;
fes réponfes font des oracles pour ces hommes fuperftitieux.
Api"ès cette cérémonie, b Chef alTemble (es troupes, trace
Tome XV> I
'66 SUITE DE L'HISTOIRE
ai-iimi iiwiB fous leurs yeux le plan du combat , en mettant en terre au-
Henri tant de petits bâtons qu'il a de foldats , & leur marque à
I V. chacun leur pofte. Ils confidcrent attentivement l'ordre des
i6op. rangs, ôc fe rangent eux-mêmes, pour voir s'ils l'ont bien
compris î enfuite lorfqu'on les mené à l'ennemi , ils fuivent
l'ordre avec la dernière exaditude. Le 29 de Juillet les nô-
tres fe glifîant en filence à la faveur de la nuit , au travers
du lac , l'armée des Iroquois parut en préfence ; les Sauvages
jetterent de grands cris de part & d'autre. Champlain pafla
la nuit fur le lac , dans les canots qu'on avoit liés enfem-
ble.
Les canots s'étant approchés du rivage , les ennemis firent
un grand abatis d'arbres , dont ils fe fortifièrent en diligence.
A la pointe du jour , Champlain ayant fait attacher fes ca-
nots à une perche en travers, mit fes foldats à terre. Les
Sauvages nos alliés s'étant avancés dans l'ordre qu'on leur
avoit prefcrit la veille , firent cacher Champlain derrière eux,
afin de jetter une plus grande terreur parmi les ennemis ,
en le faifant paroître à l'improvifte. Ils n€ furent pas trom-
pés dans leur attente î l'ennemi fortit de fes retranchemens
au nombre de deux cens hommes , commandés par trois
Généraux , fur la tête defquels fiottoient des aigrettes de plu-
me, ils avoient une efpece de cuirafle de plufieurs morceaux
d'écorce , unis enfemble avec du coton. Nos alliés s'étant
avancés jufqu'à la portée du trait, les rangs s'ouvrirent, &
Champlain parut couvert d'un cafque & d'une cuiraffe bril-
lante. L'ennemi frappé de la nouveauté de ce fpedacle >
s'arrête, & refte immobile, mais raffùrés bientôt, ils s'ap-
prêtoient à nous lancer une grêle de flèches , quand Cham-
plain tirant fur eux un coup de moufquet , chargé de quatre^
baies, tua deux Généraux, & blefia dangereufement le troi-
lîéme. Des foldats cachés dans le bois , par l'ordre de Cham-
plain, pour tomber fur les flancs de l'ennemi dans la cha-
leur du combat , tirèrent un fécond coup de moufquet 5 les
Iroquois déjà effrayés à la vue de leurs Chefs renverfés tout
d'un coup, par une machine, d'où fortoit à grand bruit du
feu & de la fumée, prirent la fuite à ce fécond coup. La:
plupart avant de gagner leurs retraites dans les bois , furent
taillés en pièces par nos Sauvages. On fit quelques prifonniers^r-
DE J. A. DE THOU, Liv. IL '€i
qui expirèrent au milieu des plus cruels fupplices ; il ■ '
n'en échapa qu'un petit nombre. Nos Sauvages attachèrent H e n r iî
à leurs canots les têtes des vaincus , pour les porter à leurs I V.
femmes , qui dévoient s'en faire, félon la coutume, une et i^o^*
pece de jouet. Après cette expédition, Champlain retour^
na à Québec , & de-là à Tadouffac , après avoir mis dans le
Eort de Québec le capitaine Pierre Chauvin de Dieppe. Il
mit enfuite à la voile le premier Septembre, &: viatmouili
1er à Honfleur le 13 du mois d'Odobre.
Tm du deuxième Livre,,
1)
^^8 SUITE DE rniSTOIRE
ggSËHBWEiapagaaMaaaja
L
L I F K E T K O I S I E' M E,
E Roi apprit prefqii'en même tems à Pontainebleau , k
Henri | ^ conclufion de la trêve des Païs-Bas , & la mort de Jean«
-*-^* Guillaume duc de Juliers, qu'une maladie contradée par
I 0 op. jgj fatigues de la chafle venoient d'emporter en peu de jours.
Mort du dwc La fucceffion de ce Prince devoir néceflairement caufer de
liejuliers. grands troubles. Outre le duché de Juliers, elle compre-
noit les duchés de Cleves & de Bergh , les comtés de la
Marck, de Raveftein , & de Ravensboiirg, tous fiefs mou-
vans de l'Empire , fitués entre la Meufe & le Wefer , & con-
tigus aux terres de plufieurs Princes , mais fur tout à cel-
les des Archiducs fouverains des Païs-Bas , & à celles des Hol-
landois. Ces Etats formoient une vafte étendue de pais $
Tony comptoit de grandes villes bien peuplées, d'une fitua-
tion avantageufe , & dont te terroir étoit extrêmement fer-
tile. Les Empereurs avoient autrefois uni tous cqs fiefs, à
condition qu'on ne les défuniroit jamais j & que fi le duc de
Juliers venoit à mourir fans enfans mâles, ces fiefs palTeroient
aux filles, &à leur défaut, aux enfans mâles qu'elles auroient
laiifés.
Conteftation Suivant cette difpofition, la mort du duc Jean-Guillaume,
aufujet delà décédé fans enfans mâles , fit naître une grande conteftation,
uc^c lion. p^^j. {ç^yQjj. ^ q^^j ^^ fucceffion appartenoit de droit. Il avoir
eu quatre fœurs ; Marie-Eleonore l'aînée , qui avoir époufé
Albert-Erederic de Brandebourg due de Pruflfe , étoit morte
l'année précédente 5 la princefle Anne , qui étoit la fecon=
de, avoit été mariée à Philippe-Louis de Bavière, comte
Palatin de Neubourg j Jean comte Palatin , duc de Deux»
Ponts , frère de ce dernier , avoit époufé la troifiéme , appel-
iée Magdclaine 5 la princefle Sibille , qui étoit la dernière y.
avoit été mariée à Charle d'Autriche marquis de Burgaw,
fils de Ferdinand archiduc d'Autriche. Anne fille de la prin-
ceife Marie-Eleonore , & par conféquent nièce du feu Duc ,
prétendoit repréfenter fa mère 5 elle foûtint en cette qua-
lité , que la fucceffion de Juliers appartenoit , en conféquence
DE J. A. DE THOU,Liv.îIL
d^s Edits Impériaux , à fon fils Erneft marquis de Brande-
bourg. La Douairière Palatine de Neubourg , s'oppofoit à fj j, jj j^ ^
fes prétentions en foveur de Wolfang- Guillaume de Neu- jy^
bourg fon fils, difant que la fucceflion d'im fi-ere regardoit j^Jo o;
plutôt fa fœur, que fa nièce; que l'une étoit plus habile à
lliccéder que l'autre, qui étoit plus éloignée d'un degré que
la première , & que la repréfentation ne pouvoit avoir lieu
dans le cas préfent* Le duc de Deux-Ponts , & le marquis de
Burgaw s'appuyoient de leur côté fur les décrets des Empe-
reurs, qui appelloient à la fucceffion de Juliers toutes les
filles qui furvivroient à leur père. Ils difoient qu'ayant épou-
fé les deux dernières filles du duc Guillaume père du feit
Duc , elles avoient droit à fa fucceflion.
D\m autre côté, Charle de Cleves duc de Nevcrs, &
Robert de la Marck comte de Maulevrier yfe prétendoient,
au mépris de l'Edit Impérial d'union, héritiers, l'un du du-
ché de Cleves, & l'autre du comté de la Marck, étant les
feuls qui portaflent le nom & les armes de la maifon du feu
Duc. Les princes de Saxe repréfentoient que les biens de
la fucceflioii de Juliers, étoient des fiefs de l'Empire, qui
ne pouvoient tomber en quenouille -, que l'Empereur Fre-"
deric en ayant fait une concefllon à Albert duc de Saxe,
de quelque manière qu'ils vinifent à vaquer après la mort
du duc Guillaume; & cette concefllon ayant été confirmée
par l'empereur Maximilien, en faveur d'Albert lui-même,
êc de fes defcendans mâles , elle devoit avoir lieu dans les
circonftances préfentes, puifque le duc de Juliers étoit mort
fans enfans , & qu'il ne pouvoit y avoir de prefcription con-
tre elle. Mais on leur oppofoit les termes mêmes de l'Edit
de Frédéric & de fes fuccelleurs, en leur faifant voir que
ni Juliers , ni les autres fiefs de la fucceflion n'étoient point
appelles fiefs mafculins dans ces Edits , & qu'aucun prince
de la maifon de Saxe n'avoit fuccédé au duc Guillaume , dont
la fucceflion étoit échue au contraire à la princefle Marie
fa fille, femme de Jean duc de Cleves, & ayeule du der-
nier Duc; qu'en conféquence des droits de cette Princefle ,
ces fiefs avoient été pendant plus de cent ans dans la mai-
fon du duc Guillaume , fans que les ducs de Saxe , qui ne
pouvoient fignorer, s'y fuflenr oppofés en aucune manières
liij
■^tuMMiirnun iimwM
7^ S U I T H D E L' HI S T OI R E
» d'ailleurs qu'une longue pofleiïion fîxoit un droit litigieux;
H E N R I & Çtoit plus forte que toutes les raifons fpécieufes que l'on
I V. pouvoir apporter. Les droits des autres prétendans étoient
î 6q$* combattus par d'autres moyens qu'il n'eft pas nécelTaire de
rapporter ici.
1.QS parties jugèrent à propos d'avoir plutôt recours aux
armes , qu'aux voies d'accommodement & d'arbitrage. Car
quel moyen d'agir autrement dans une affaire , où l'une des
parties s'empare de la chofe conteftée ? L'Empereur préten-
doit que par un droit de l'Empire , la décifion de cette af-
faire le regardoit , & il vouloit fe faire féqueûre des fiefs ,
en attendant que le différend fut terminé. Ses prétentions
avoient quelque fondement 5 mais il y avoir de grands fu-
jets de le foupçonner d'avoir deifein de faire durer toujours
la conteftation, ou de s'adjuger à lui-même les fiefs dont il
s'agiifoit.
Ces jufles craintes allarmerent le marquis de Brandebourg,
&: le prince de Neubourg, dont les droits à la fuccefîlon
de Juliers paroiiToient les mieux fondés. Ils s'unirent donc
enfemble, & fe virent à Dortmund, de l'avis, & à la folli-
citation du Landgrave de Hefle. Ils convinrent dans cette
entrevue j de remettre l'examen de leurs droits entre les
mains d'amis communs , pour les difcuter dans un tems plus
favorable , au lieu de fe les difputer les armes à la main ,
fans préjudice toutefois é^s droits des autres prétendans &
de ceux de l'Empereur. Ils fe rendirent enfuite à Dufleldorp
au-de-là du Rhin, ville capitale du duché de Bergh, pour
le mettre en poûefîlon des fiefs en queilion.
On y tenoit alors une aftemblée pour régler les affaires de
la fuccefTion de Juliers. Ayant été reçus dans cette ville , ils
s'emparèrent du gouvernement , & prirent le titre de Prin-
ces poUeiTeurs , du confentement de la plupart des Magif-
trats, & des plus confidérables de Taflcmblée. Mais il ne leur
fut pas fi facile de fe mettre en poflefTion des domaines fi-
tués en deçà du Rhin. Pendant que les Etats fe tenoient à-
Duffeldorp, des fadieux dévoues à l'Empereur, s'étoient fai-
jûs en fecret de Juliers , où la Cour de Vienne avoit auili-
tôt envoyé Leopold d'Autriche , en quahté de gouverneur;
svec ordre de régir au nom de l'Empereur, toutes les dé-
pcndariccs de ce Duché.
DE J. A. DE THOU, Liv. ÎIÎ. 71
Leopold en vertu des pouvoirs étendus que l'Empereur _
îui avoit confiés, donna un Edit, par lequel il défendoitde ^ ^ ^^ ^
favorifer le parti des Princes, ou de leur prêter le ferment, jy
Ibus peine pour les gens du païs , de la confifcation de leurs .y- '
biens , & de la vie poiu* tous les autres. Ce Prince commen- '-'
ça à fe comporter en apparence , avec beaucoup d'ordre &
de modération/ Mais pendant ce tems-là, il faifoit foUici-
ter les garnifons j s'emparoit des Places mal gardées , les four-
nillbit de vivres , d'armes & de foldats. Leopold ne trouvant
pas une égale facilité par tout , en informa l'Empereur , qui
donna un nouveau décret plus fort que le premier. Il y dé-
elaroit criminels de leze-Majefté les deux Princes , avec or-
dre aux Magiftrats, aux Officiers militaires , & aux foldats
de les abandonner, fous peine d'être profcritsî ce que les
Allemands appellent être mis au ban de l'Empire.
Après cette démarche de la Cour de Vienne, on fe pré-
para de part & d'autre ouvertement à la guerre. L'Empereur
& les princes de la maifon d'Autriche furent inquiets fur la
manière dont la France prendroit cette affaire. Ils ne dou-
toient pas que l'événement ne dut être favorable à ceux dont
cetiie Couronne embrafferoit le parti. C'eft pourquoi les Ar-
chiducs de Flandres, comme les plus voifuis de la France, &
par politefle , envoyèrent vers le Roi Jean Richardot , qui fut
bientôt fuivi du comte de Hohen-ZoUernambafladeurde fa
Majefté Impériale. Ces deux Miniftres repréfenterent à Henri,
que Leopold ne s'étoit mis en poflejGTion de Juliers , que pour
régir, fuivant les droits de l'Empereur fur les fiefs de l'Em-
pire , les biens du feu Duc , en attendant que l'on eût déci-
dé à qui la fucceffion litigieufe de ces Etats devoit écheoir,
& que l'Empereur n'avoir point eu dedein de toucher aux
droits d'aucun des prétendans.
Elenri étoit trop éclairé pour fe laiffer éblouir par ces rai-
fons. Il connoiiToit toute l'ambition de la maifon d'Autri-
che , qui ne cherchoit qu'à s'agrandir , & dont la puifTance
croit fi juftement odieufe à tous les Souverains. Ces difpofi-
tions du Roi n'empêchèrent pas les deux AmbalTadeurs d'ex-
pofer le fujet de leur ambaffade, en préfence du prélident
Jeannin, qui étoit, pour ainfi dire, juge dans cette grande
affaire. Les comtes de Solms , ôc les ambaffadeurs des Princes
72 SUITE DE L'HISTOIRE
poffelleurs , défendirent aulTi leurs droits en préfence de ce
~ " Prciident j ils le conjurèrent d'engager le Roi à leur donner
^ î'^ ^ ^ du fecours contre la violence que l'Empereur exerçoit fur
* les héritages de fes vafîaux , fous prétexte d'une néceflité ima-
^ gli^^ii^s d'établir un féqueftrej ajoutant qu'aucun des préten-
dans à la fucceffion , ne s'oppofoit à ce qui avoit été arrêté
à Dortmund : Que les parties étant d'accord en ce point , il
iie pouvoir y avoir lieu au féqueftre : Qu'après la mort du
duc Jean-Guillaume , les Princes n'étoient point entrés dans
fes Etats par force ou par artifice, mais ouvertement, &du
confentement des peuples , qui avoient fait éclater beaucoup
de joie à leur arrivée : Qu'enfin la fuccelTion de Juliers n'a^
voit été troublée , que par l'archiduc Leopold , dont la re-
traite rétabliroit auffitôt le calme & la tranquillité.
Il y avoit long-tems que le Roi avoit formé le deffein d'at-
E J''!"^!^^^ taquer la maifon d'Autriche en Italie & en Allemagne. Il
rrancs avec a . >^
les Princes s'étoit détermine à tirer vengeance des outrages que la Fran^
poflefleurs de ^^ ^^ ^^^j^. j-gç^g^ & i\ youloit abaiffer une puiiîance , qui
ne cherchoit qu'à s'accroître toujours de plus en plus. Tous
les Princes fouhaitoient avec ardeur de lui voir entamer
cette grande entreprife. Le duc de Savoye avoit déjà fait
des ouvertures au fujet de la guerre d'Italie , comme nous
l'avons vu plus haut. La reconnoiflance & les engagemens
de Henri lui parloient en faveur des princes Allemands , à
qui la France avoit de fi grandes obligations 5 car les princes
des maifons de Brandebourg & de Bavière avoient envoyé
de puifians fecours au Roi dans les dernières guerres,
pour réfifter aux efforts de la maifon d'Autriche.
Le Roi plein de reconnoiflance, répondit donc que le
péril de fes alliés étoit le fien , & promit à leurs Ambafla-
deurs du fecours. Il fit aufii-tôt défiler quelques troupes fur
la frontière de Champagne , & répandit le bruit qu il pren-
droit le parti des deux Princes. La maifon d'Autriche ne s'ou-
blia pas de fon côté 5 elle faifoit dire fous main aux Priiir
ces, que les François n avoient d'autre but, que de s'enri-
chir du pillage de' la fucceffion de Juliers, fans s'embaraf-
fer de les fecourir 5 & que fous ombre d'alliance ils fe ren-
droient maîtres de leurs biens. Ce fut l'artifice qu'elle mit
en oeuvre dans le duché de Juliers. Elle faifoit courir le
briût
DE J. A. DE THOU,Liv. IIL 7^
bruit en d'autres endroits , que les Princes ne f<çavoient à
quoi fe déterminer , & n'étoient pas d'accord entre eux : Que H e n a is^.
l'un avoir déjà fait fa paix avec l'Empereur , & que l'autre I V.
alloit être abandonné de fes partifans , qui ne vouloient pas 1 5op,
encourir la difgrace de Sa Majefté Impériale. Plufieurs don-
nèrent dans le piège.
. Le Roi s'apperçut du réfroidiflement des Princes & de
leurs foupçons , voyant d'ailleurs que par la longueur des
négociations, & par cette lenteur fi ordinaire aux Allemands,
& qui avoir déjà coûté à ces Princes le duché de Juliers ,
on avoir perdu le temps d'agir, il cefla de prefler les fe-
cours avec la même ardeur, pour ne pas fortifier par fes
cmprellemens les bruits artificieux , que la maifon d'Autri-
che faifoit femer en Allemagne. Il craignoit d'ailleurs que
les Princes ne fçuffent pas profiter des fecours qu'il leur don-
neroit , & que l'événement de la guerre ne fut également
honteux & funefte.
Le comte de Vaubecour & Bongars avoient déjà fuccef-
fivement informé le Roi de l'état des forces des Princes &
de leurs dirpofitions. Jean Hotman de Villiers, envoyé de^
puis peu vers eux , en avoir aufîi écrit quelque chofe , Geor-
ge & Frédéric comtes de Solms , & Hippolite Collifius am-
bafladeurs de ces Princes avoient laiffé paroitre leurs dé-
fiances, & fur-tout Chriftiern prince d'Anhalt. Cependant,
pour s'afllirer d'avantage jufqu'à quel point on pouvoit
compter fur ces Princes, & à quelles conditions on pouvoit
fe joindre à eux , le Roi fit partir Bongars avec Sainte Ca-
therine pour examiner les chofes de plus près. Ces deux
Miniftres écrivirent à Sa Majefté que l'éclat de fon nom
avoir détruit toutes les manœuvres des Autrichiens : Que
les Princes , guéris de la défiance qu'on avoir voulu leur
infpircr des fecours de la France , avoienr enfin pris des ré-
folutions pleines de vigueur : Qu'un grand nombre de Prin-
ces de PEmpire s'étoient joints à eux : Que les villes de
Strasbourg , de Nuremberg Se d'Ulm , alloient envoyer des
députés à Hall en Suabe , où fe trouveroient aufTi les élec-
teurs Palatin & de Brandebourg & d'autres Princes Allet
mands.
iCes nouvelles ranimèrent J'ardeur du Roi j il fe prépara
Tome XF. » K
74 SUITE DE L'HISTOIÏIE
'****"***^ à envoyer aux Princes confédérés des fecours plus confidé-
Henri râbles, qu'il ne leur avoir promis d'abord. Afin de donner
I V. plus de poids à la négociation , il fit partir Jean de Thumeri
j(^o^. de Boiffife poiu: aiïifter à l'Aflemblée , en qualité d'ambaf-
fadeur de France. Ce miniftre fe rendit donc à Hall , où les
Eledeurs, les Princes & les Villes confédérées firent avec
lui un traité ; dont les conditions furent , que le Roi four-
niroit autant de troupes , d'artillerie , & de munitions de
guerre , que les Princes pofîefleurs , & leurs alliés en met-
troient fur pié. Les Princes s'engagèrent à avoir quatre mille
hommes d'infanterie , douze cens chevaux , quinze pièces de
gros canon , & fix de campagne. Les Alliés promirent de
donner auflfi quatre mille hommes de pié , & mille che-
vaux , partie dans le milieu du mois de Mars prochain , &
le refte vers le milieu d'Avril î & de ne point pofer les ar-
mes, malgré toutes les menaces & les éditsde PEmpereur,
tant que le bien de la fucceffion le demanderoit.
L'ambaiïadeur François ayant dit par manière de raillerie ^
que les princes d'Autriche ne manqueroient pas d'infulter
la fi-ontiére , fous prétexte que Pon donnoit atteinte à la paix
de Vervins, en envoyant des fecours aux confédérés ; on lui
fit réponfe férieufement , que l'Empereur ayant pris injufte-
ment les armes contre les eledeurs de Brandebourg & Pa-
latin compris dans ce traité, il l'avoit violé le premier :
Qu'ainfi le Roi pouvoir légitimement leur donner des fe*
cours : Qu'au refte , fi l'Efpagne entreprenoit fur la France ,
le Roi avoit affez de forces pour repoufler l'ennemi : Que
cependant à tout hafard , on offroit de lui envoyer alors qua-
ne mille hommes de pié & mille chevaux. BoilTife promit de
fon côté aux princes & à leurs alliés , que fi la maifon d'Au-
triche les inquiétoit à l'occafion de la ligue de Hall , le Roi
leur fourniroit huit mille fantaffins, & deux mille hommes
de Cavalerie. Il ajouta que le Roi fouhaitoit ardemment
qu'on accordât le libre exercice de la Religion aux Catho-
liques des duchés de Juhers , de Cleves & de leur dépen-
dances 5 qu'enfin, il exigeoit des confédérés , qu^ils ne fedé-
partilfent point de l'alliance fans le confulter, ni malgré lui,
pour quelque raifon que ce pût être.
Après qu'on eût fatisfait à ces demandes , l'Ambailadeur
DE J. A. DE THOU,Liy.nL 7^
figna les Pa5}a conventa ; enfuite Jean comte Palatin du Rhin , ;
duc de Deux-Ponts , au nom de Frédéric fon frère élec- Henri
teur Palatin; Philippe-Louis de Neubourg , comte Palatin di4 lY.
Rhin ; Jean comte Palatin ; Jean Frédéric marquis de Bade i i 5q^,
Joachim-Erneft marquis de Brandebourg , pour lui & pour
fon frère , marquis de Brandebourg-Culmbach ; Jean-Fre-
deric duc de Wirtemberg ; Chriftiern prince d'Anhalt ; &
Wolfang-Guillaumc comte Palatin du Rhin , fignerent pareil-
îement le traité.
Le duc de Wirtemberg fît inférer dans le traité, qu'en cas d'ir*
ruption de la part des ennemis , dans le comté de MonibeUard^
qui faifoit partie de fes Etats , & dont il alloit être nécelîaire-
ment obligé de s'éloigner , le Roi fe chargeoit d'en prendre la
défenfe. Henri le promit j mais il excepta toutefois les fiefs
relevans du comte de Bourgogne (i). Par-là il fut bien aife
de faire connoître qu'en aidant les Princes confédérés de fes
fecours , fon intention n'étoit pas de rompre avec l'Efpagne.
L'AmbafTadeur dépêcha un courier pour apporter une copie
du traité au Roi , qui le ratifia le vingt-quatre de Février.
Boiiîlfe eut ordre d'avertir -les princes confédérés qu'ils
ne feroient jamais en fureté, tandis que l'Empire feroit dans
la maifon d'Autriche 5 & qu'il feroit difficile de l'en faire
fortir, tant que le roi d'Efpagne & les archiducs de Flan-
dres feroient en poireffion d'un grand nombre de places^
par le moyen defquelles ils tenoient tous les Eledeurs en
bride , & d'où ils feroient toujours à portée d'entrer dans
ies duchés de Juliers & de Cleves, & furies terres des con-
fédérés & de leurs alliés, en haine de la'^-ligue qu'ils ve-
noient de conclure pour fe maintenir les uns & les autres :
Que ceux d'entre eux qui avoient droit d'éledion prilfent
de jufles mefures , pour faire pafTcr l'Empire dans une autre
maifon : Que le Roi, pour les aider dans ce projet, avoit
des forces capables de réduire dès le commencement de
ia guerre , à l'occafion du différend de Juliers , les villes
que le roi d'Efpagne & les Archiducs poffédoient fur la
Meufe: Qu'il feroit agir les Hollandois , s'il en étoit befoin,
èc mettroit le roi d'Angleterre dans les intérêts des prin-
ces poffeffeurs , malgré fon alliance avec le duc de Saxe,
(i ) Ccil-à-dire iïi foi d*E(l>agne , auquel Henri ne voaloit point déclarer la guerre.
Kij
7<? SUITE DE L'HISTOIRE
Le duc de Saxe & l'Eledeurdece nom prétendoient avoir
Henri ^^^^^ ^ ^^ fucceffion de Juliers , ils avoient été aflfez crédules
j y^ pour confentir au fequeftre j mais ayant apperçu dans la fuite
s6oQ, que l'Empereur n'avoir pris ce moyen, que pour dépouiller
les prétendans de leur héritage , ils paroiflbient difpofés à fe
dédire , & à remettre leurs droits à l'arbitrage du roi de Fran-
ce, à l'exemple des Princes poflefTeurs. Ils avoient même dé-
jà envoyé des ambafladeurs en France & en Angleterre.
Tandis que Boiffife s'acquittoit des ordres du Roi , l'Em^
pereur , les éledeurs Eccléfiaftiques , & les autres princes
Catholiques de l'Empire , fournilïbient à l'archiduc Leopold
autant de troupes qu'ils pouvoient. Le roi d'Efpagne , qui les
payoit, ufoit de diffimulation avec la France. Après avoir
vivement follicité l'Empereur contre les confédérés ^ il fit
faire par fes ambafladeurs de très-fortes inftances auprès du
Roi , pour l'engager à fe défifter de la médiation qu'il avoit
acceptée dans l'affaire de Juliers , lui promettant de ne s'en
point mêler , au cas que le Roi voulût bien le contenter fur
cet article. Henri voyant quel étoit le but de toutes ces ma-
nœuvres , répondit aux miniftres Efpagnols : « Dites à votre
» maître que je ne fuis pas homme à reculer en fi beau che-
ro min, ni à nier que j'aye agi : Que je n'ignore pas fes def-
?o feins j ceux de l'Empereur & des Archiducs : Qu'enfin , je
w fuis réfolu d'appuyer les droits des princes mes alliés.
D'un autre côté , le duc de Savoye renouvelloit les propo-
fitions qu'il avoit faites l'année précédente , de marier fon fils
aune fille du roi, & de porter la guerre en Itahe. Le Roi
avoit effedivemcnt deflein de donner la princefle Elifabeth
fa fille aînée au prince de Piémont j il avoit même déclaré fes
intentions fur cefujet au fieur de Jacob , ambafladeur de Sa-
voye à fa cour ; mais il vouloir que cette alliance engageât à
la couronne de France les autres enfans du Duc. Henri avoit
beaucoup d'intérêt à conclure cette affaire. Le roi d'Efpagne,
de fon côté , vouloir donner une de fes filles au prince de
Piémont , pour fe venger du refiis , qu'il avoit efluyé en pro -
pofant le mariage de l'Infante avec le Dauphin. Dans la vûë
d'empêcher le duc de Savoye de s'allier avec nous, il cher-
choit à s'attacher le prince Philibert, fécond fils du Duc par
toutes fortes de moyeiis. Il avoit même déjà donné rarchevê-
DE j. A. DE THOU, Liv. III. 77
ehé de Montréal au cardinal de Savoye , troifiéme fils de ce
Prince. Henri
Le Roi informé de toutes ces tentatives , depccha Bullion * j y ^
l'un des membres du Confeil privé , vers le duc de Savoye , i 60 p:
pour l'avertir de ne point partager fa famille entre deux puif-
fans Rois , fouvent en guerre l'un avec l'autre. L'AmbafTa- r^j ^^^^ 1,
deur lui repréfenta : Que les Etats de fon fucceffeur feroient daz de Sa-
bien plus en fureté , fi tous les Princes de fa maifon s'en te- "^°y^*
noient à l'alliance d'un feul des deux Rois : Que ces raifons
dévoient le déterminer à donner fes enfans à la couronne de
France , plutôt que de les envoyer en otage , ou en capti-
vité chez les Efpagnols qu'on alloit attaquer. Le duc de Sa-
voye fe rendit à ces avis , pour ne fe point faire foapçonner
par des incertitudes , de vouloir fe partager entre deux grands
Monarques, dans la vue d'avoir des moyens de faire fa paix
avec eux ^ toutes les fois qu'il les auroit ofFenfés l'un ou l'autre.
Cette double alliance , quoique alTez prudente , étant la
marque d'un efprit fiotant , eût fait voir le peu de fond qu'il
y auroit eu à faire fur les offres du duc de Savoye , d'attaquer
le roi d'Efpagne en Italie, en conféquence du mariage de
la princefTe Elifabeth avec le prince de Piémont. Ainfi en
arrêtant ce mariage , le duc promit au Roi de ne point en-
gager fes enfans à d'autres couronnes. La dot de la princeffe
fut aufll confidérable , que l'avoir été celle que Henri II. avoit
donnée à Madame Elifabeth fa fille. Le duc de Savoye afll-
gna un douaire , tel que Philippe ( i ) l'avoir afllgné en fa-
veur d'Elifabeth , ou Philibert , père du duc régnant en faveur
de Marguerite , fille de François I. Henri, defoncôté, s'en-
gagea à donner des bénéfices , des dignités & de^ran^s em-
plois aux enfans du Duc , & en attendant leur aillgna des
penfions. Celle de Philibert fut de cent cinquante mille li-
vres de notre monnoye. Le Cardinal en eut une de foixante
mille , & le prince Thomas de quatre-vingt-dix mille li-
vres. Tels furent les points dont on convint le treize de No-
vembre à Turin par le miniftére de Bullion. Le Roi ratifia
ce traité à Paris le vingt-huit de Décembre fuivant ^ atten-
dant, pour figner le contrat de mariage , que le duc de Ne-
mours, le marquis de Lullin, Jacob 6c le colonel Purpurat
f 1} Philippe II. roi d'Efpagne,
Kiij
7S SUITE DH L'HISTOIRE
t'*"" - que le Ducdevoit envoyer au premier jour en qualité de
Henri procureurs , pour conclure cette affaire , fulTent arrivés.
I V. Pendant ce temps-là , le Roi donna de nouveaux ordres à
,1 5 0 p. Lefdiguieres & à Bullion pour faire les préparatifs de la guerre
d'Italie. Ils furent chargés d'aflûrer le duc de Savoye , que
le Roi avoir levé ime armée nombreufe, pour marcher au
fecours des prétendans à la fuccelTion de Juliers , contre les
princes d'Autriche : Qu'on étoit bien éloigné dans cette
guerre de vouloir nuire à la Religion ^ comme le publioient
les Efpagnols : Que tout le but de cette expédition étoit de
délivrer le duché de Juliers de l'oppreffion de Leopold ^ qui
s'en étoit faifi fans la moindre apparence de droit , & d'afTùrer
la liberté des Etats des autres Princes confédérés , fuivant les
loix de l'Empire : Que 11 le roi d'Efpagne attaquojt le Duc par
jaloufie de fa nouvelle alliance avec la cour de France, ou
fous tout autre prétexte j le Roi pourfuivroit par la voie des
armes, pour lui-même , ou pour fes alliés, enfin par toutes
fortes de moïens , la vengeance de l'injure faite à fon allié,
comme fi cette injure s'adrefibit à lui-même : Qu'il ne fouf-
fi:iroit pas qu'on pût dire que l'alliance de la France eut été
défavantageufe , ou même inutile au duc de Savoye : Que
ne doutant pas que le roi d'Efpagne ne fit à cette occafion
des hodilités fur la frontière de Savoye , qui confinoit aux
terres de fa dépendance , il falloir prévenir le danger : Qu'ainfi
il étoit d'avis de porter la guerre dans le Milanez , comme
le Duc le propofoit : Qu'il lui fourniroit de puiflans fecours
pour cette expédition : Qu'ayant déjà mis à part cent vingt
mille écus pour les frais de la guerre ^ il en avoit confié le
foin à Lefdigueres , qui devoir lever des troupes , la plupart
Catholiques : Qu'au refte , s'il commandoit des foldats Pro-
teftans comme lui , le Roi avoit pris de juftes mefures , pour
les empêcher de fcandalifer les Catholiques , ou de leur faire
aucun tort : Que le luccès de l'entreprife dépendoit de la
préfence de Lefdiguieres : Que quoique la France dût four-
nir prefque toutes les troupes dans cette guerre , le Roi con-
fentoit cependant à abandonner fans réferve au Duc toutes
fes conquêtes dans le Milanez , à l'exception des places qu'oa
feroit obligé, ( afin d'entretenir la paix dans le voifinage ) de
donner aux Vénitiens, aux Grifons &; autres, qui fe join-
DE J, A. D E T H OU, Ltv. ni. 7p
droient à nous : Qu'il étoit bien certain qu'ils envoïeroient
des renforts à l'armée royale , dès la première nouvelle de H e n R i i
quelque heureux fuccès. Mais que l'armée ne pafleroit pas \ V.
les monts, avant qu'on eût pourvu à fa fureté, de m-aniére i ^op,;
qu'elle ne dépendît pas entièrement de la foi d'autrui:
Qu'ainfi le Roi confidérant l'inflabilité des chofes humaines , \
fouhaitoit que le Duc remît entre les mains de quelques of- i
ficiers François Catholiques la ville de Pignerol, afin d'avoir '
à tout hafard une retraite alTùrée en ce pays.
Lefdiguieres & BuUion avoient ordre de preflentir le duc i
de Savoye , pour fçavoir fi ce Prince , après la conquête du \
Milanez j fi pleine & Ç\ entière , que les peuples n'ofallent , \
ou ne puflent refufer d'obéir au vainqueur , pourroit confen- i
tir à céder à la France le duché de Savoye poiu- les frais de i
la guerre 5 ou fi cela fouffroit de trop grandes difficultés, de \
voir s'il voudroit recevoir garnifon Françoife dans Montme- ■
lian. Ils renouvellérent les aflurances du mariage de Mada- i
me de France avec le prince de Piémont , qui avoit fouhaité
que cette Princefle paflat en Savoye. Le Duc avoit deman- ;
dé en même temps le titre de duc de Chartres pour fon ^ \
fécond fils. On fit entendre au prince de Piémont, que l'air i
natal de la France conviendroit mieux à la famé de Mada- ^
me Elifabeth , en attendant qu'elle eût atteint l'âge nubile :
Que cependant on pouvoit toujours célébrer les fiançailles \
d'avance. A l'égard du prince Philibert, le Roi lui accorda \
le titre de duc de Chartres.
Lefdiguieres ayant reçu fes inftrudions , avertit le Roi qu'i! \
étoit inutile de demander la ville de Pignerol, dont il étoit \
facile de fe faifir au befoin : Qu'il feroit beaucoup plus avan- '
tageux de demander quelques places fur le Tefin & fur le
Po , afin d'avoir un paflage & une retraite à tout événement : \
Lefdiguieres & Bullion s'acquittèrent au relie avec beau- ;
coup d'ardeur & de zélé de tout ce qui leur avoit été re- I
commandé. i
Le Roi prefibit avec ardeur la guerre d'Allemagne & d'î- Retraîfc du j
talie 5 il y étoit porté par le refientiment de l'injure , que l'Ef- ^^JJJJJf^^ *^^ ^ i
|)agne venoit de lui faire tout récemment , en donnant re- j
traite à Milan au prince de Condé , premier Prince du fang, j
Henri de Bourbon Condé avoit époufé depuis quelques mois j
So SUITE DE L'HISTOIRE '
. Charlotte-Marguerite de Montmorenci , danie d'une grande
H - N R I t)eauté. La galanterie regnoit alors à la Cour j ainli le Prince
jy n'eut pas de peine à fe perfuader , fur-tout dans un âge,
1 ^o'o ^"- ^'^^^ ^^^^^ ^^^^ facilement, qu'on lui raviroit bien-tôt
le cœur de fa nouvelle époufe. Cette crainte faifoit tant
d'imprefTion fur fon efprit , qu'il s'imaginoit déjà voir arriver
des lettres galantes de la part d'un amant , auquel il ne pour-
roit demander raifon de fon procédé , & lui voir mettre
en ufage toutes les rufes , & les plus fines pratiques de l'a-
mour , pour féduire fa femme. Il s'effrayoit de l'idée qu il
allpit être la fable & le mépris de la Cour. Né fier ^ il n' avoir
jamais pu fe plier ni à la diiïimulation , ni à la patience. Ou-
tre cela le duc de Sully, furintendant des Finances, avoit
parlé de lui avec mépris , & l'avoir traité avec beaucoup de
hauteur '■> & cela en quelque façon de l'aveu du Roi.
Cette conduite du Surintendant avoit prefque mis au dé-
fefpoir ce jeune Prince. Il ne confulta donc que fa jaloufie
6c fes chagrins, pour prendre un parti, qui approchoit aiTez
du défefpoir 5 ce fut de retirer de la Cour fa femme , dont la
beauté étoit la funefte fource des malheurs qu'il appréhen-
doit , & de forrir du Royaume avec elle. Il crut trouver une
retraite afturée pour lui & pour fa femme auprès du prince
d'Orange fon beau-frere à Bruxelles , où fon féjour ne pou-
voit être fufped au Roi. Etant donc allé de Paris à Moret i
^ ayant difpofé fa femme à le fuivre , il monta deux jours
après en carofTe , marcha pendant la nuit , & fortit de France
à l'infçu du Roi. Il s'arrêta d'abord à Chaftillon , enfuite à
Landrecy, ville gippartenante aux archiducs fouverains des
Pays-Bas.
Le Roi ayant appris fa fuite , entra dans une grande co-
lère 5 il fit venir Jacque-Augufte de Thou , ami particulier
du prince de Condé , & lui demanda s'il ne fçavoit rien d'un
départ fi précipité , & fi le Fevre qui avoir été chargé de l'é-
ducation du prince de Condé, n'en avoit pas quelque con-
noiflance, & ce qu'ils en penfoient l'un & l'autre. De Thou
protefta qu'il étoit aufll furpris que Sa M.^efté, n'en fça-
chant pas plus qu'elle fur ce fujet : Que cependant il ne
croyoit pas que le Prince eût de mauvaifes intentions : Qu'il
n'çtoit ^llé à Bruxelles, c^ue pour s'y retirer auprès du prince
d'Orange
DE J. A. DE THOU, Liv. lîl; 8r
d'Orange , fans deflein de donner le moindre fujet de .. ', ' '^ ' ' 's
chagrin à Sa Majefté , ni de rien faire qui ne convînt à un Prin- Henri
ce du Sang : Qu^on s'étoit ii peu attendu à fon départ dans I V.
là maifon , que le Fevre ne ceflbit de pleurer l'abfence du iC i o^
Prince. Le Roi qui fçavoit que le Fevre étoit borgne , vou-
lant cacher fa colère fous une raillerie , dit à de Thou j qu'il
étoit bien fur que quelques larmes que le Fevre eût verfées,
il n'avoit pleuré que d'un œil ; enfuite il renvoya de Thou.
Dans le tems que le prince de Condé paflbit en Brabant,
les Archiducs furpris de l'arrivée fubite d'un tel hôte, &
ignorant les motifs de fon départ, lui envoyèrent de Croy
duc d'Arfchot , pour lui dire de fortir dans trois jours de
defîlis leurs terres. Le Prince prit le chemin de Cologne ,
aprèsavoir envoyé fon époufe à Bruxelles au prince d'Orange.
Quelque tems après, Spinola par politeflc, ou plutôt par
ordre de la Cour d'Efpagne , fit un accueil des plus gracieux
au prince de Condé , & le combla d'honnêtetés. Il obtint
même pour lui des Archiducs, la permiffion d'aller à Bru-
xelles, où il lui donna un grand repas, qui coûta trois mille
écus d'or. Cette conduite de Spinola, jetta le Prince dans
de nouveaux embarras ^ & augmenta fon crime dans i'efprit
du Roi. Annibal d'Eftrées marquis de Cœuvres , ambafladeur
de France à Bruxelles, redemanda le Prince aux Archiducs,
& en même tems promit au Prince de la part du Roi , le
pardon de fa faute , & de le rétablir dans fes bonnes grâces.
Les Archiducs répondirent qu'on ne pouvoir pas violer la
parole donnée au prince de Condé , mais qu'ils lui confeil-
îeroient volontiers d'accepter la grâce que le Roi lui offroit.
Ils n'en firent que le femblant.
Le Prince ayant demandé de plus grandes fûretés , le mar-
<iuis de Cœuvres alla le trouver avec Brulart de Berny, Phi-
lippe de Longueval de Manicamp , & Charles de l' Aubef- •
pine de Préaux, & lui commanda de la part du Roi, de re-
venir en France , fous peine de crime de leze-Majefté. Le
Prince ayant demandé cet ordre par écrit , fit réponfe qu'il
.obéïroit toujours avec beaucoup de foûmifllon aux ordres du
Roi , & qu'il retourneroit dans le Royaume j dès qu'il auroit
lieu de fe fiater d'y trouver de la fareté pour lui & pour fes
Officiers : Qu'en attendant il fuppiioit Sa Majefté de recevoir
Tom^ XF. L
$2 SUITE DE r HISTOIRE
• fes excufes, ôc de lui permettre de protefter de nullité con*
Zj tre tout ce qui feroit fait dans la fuite à fon préjudice.
T V ^ ^ Il chargea un Notaire de préfenter fa réponfe par écrit à
^ ' rAmballadeur , qui la reçut , fans prendre garde à ce qu'on
'^ ■'- ^* lui donnoit ; mais ayant jette les yeux fur la fignature du
Prince, il fit rappeller le Notaire, & tirant ion épce , il le
força de reporter ce papier à celui qui le lui avoit donné.
Le Marquis de Cœuvres étoit l'ennemi juré du Prince 5 ôc
c'étoit un bruit commun à Bruxelles, qu'il n'y étoit venu,
que pour enlever le Prince , ou fon époufe. Mais tes plus péné-
trans regardèrent ce bruit comme une manœuvre des Efpa-
gnols, pour s'attacher davantage le Prince, en l'aigriflant
contre le Marquis.
Le départ précipité du Prince, ne fit que confirmer l'in^
certitude de ces différentes opinions. Car fix mois après 3
ayant reçu mille doublons d'Efpagne, & s' étant fait fuivre par
Louis d'Aloigny marquis de Pvochefort, Claude Enoch de
Virei , & de Fritima , qui avoit été autrefois à Spinola , il for-
tit de Bruxelles, traverfa l'Allemagne en habit déguifé, & fe
rendit à Milan avec ces trois Oiïiciers , dont le dernier lui
fervoi? de guide & de truchement. Il avoit laiffé la Princelfe à
la garde des Archiducs.
M if fie du Enfuite voulant juftifier fa retraite, il répandit en France
prince de un maiiifefte , où il alléguoit pour fes ràifons , qu'il n avoit
Coadés pu voir, & fouffrir plus long-tems que le duc de Sully fou-
lât aux pieds, à l'infçu du Roi, les^ droits du Royaume 5 trai-
tât les Princes avec une hauteur infupportable ; caflat à fon
gré les Arrêts du Parlement j fit gémir les peuples fous le poids
des impôts les plus crians ; qu'il proftituât ce qu'il y avoit de
plus facré à des gens indignes j & qu'il vendît aux plus vils
acheteurs les dignités & les emplois : Qu'enfin il s'étoit lafle
d'être le témoin de la tyrannie exercée fur la maifon Royale,
par unEcofTois, né dans l'obfcurité , qui devoit les commen-
cemens de fa fortune à la maifon de Condé. Ce manifefte
fut bien reçu du peuple, toujours avide de nouveautés >
mais les gens de bon fens voyant le Royaume florillant , Ôc
le Roi fur le point de tenter de grandes entreprifes, trouvè-
rent cet écrit ridicule , quoique vrai en partie.
Le 3 I de Mars ^ le comte de Fuentes reçut le Prince à
D E J. A. D E T H O U, L I v. HT. 65
Milan, avec de grands honneurs. Il fe répandit auffitôt dans
cette ville un faux bruit , que la tête du Prince avoir été mife Henri
à deux cens mille écus. Il eut fur le champ des gardes à j y
pied & à cheval , foit pour obferver fes démarches , foit pour iC lo^
la fureté. On lui remit bientôt des lettres remplies d'hon-
nêtetés de la part du roi d'Efpagne , & d'autres du duc de
Lerme, pleines d'oftentation & de promefTes flateufes. Le
but de toute cette conduite des Efpagnols^ étoit de noircir
davantage le Prince dans l'efprit du Roi 5 perfuadés qu'un
Prince tel que lui n'étoit pas à méprifer j ils s'imaginoient
avoir en fa perfonne de quoi balancer les chofes par rapport
au duc de Savoye.
Ils firent dire au Roi , qu'ils prieroient le prince de Con-^
dé de fe retirer des Etats du roi d'Efpagne , s'il vouloir de
fon côté renoncer à l'alliance du duc de Savoye. Mais Henri
fidèle à fa parole , crut qu'il feroit plus noble de tirer ven-^
geance de la fuite du Prince par l'alliance du duc de Sa-
voye j c'eft pourquoi il écrivit auffitôt à Lefdiguieres & à
Builion , d'avertir le Duc de mettre au plutôt fes troupes en
campagne , l'armée Françoife devant les aller joindre au pre-
mier jour, & de lui recommander d'avoir les yeux fur la
conduite des Efpagnols à l'égard du prince de Condé.
Il eût été à fouhaiter pour ce dernier qu'il fe fut retiré
plutôt à Rome , qu'à Milan , ou qu'il eût eu encore la li-
berté de le faire. On jugea à propos d'éprouver s'il n'y au-
xoit pas moyen d'adoucir fon efprit , en lui faifant efpérer
<ie rentrer dans les bonnes grâces de Sa Majefté. Guillaume
Fouquet de la Varemie , chargea de cette commiffion Ezechiel
Ribera, médecin qui avoir été dans la maifon de ce Prince.
Ribera paflà de Turin, où il étoit auprès de Buliion, à Mi-
lan. Ayant ébranlé le prince de Condé par de grandes eC
pcrances, il feignit d'aller à Rome, pour examiner déplus
près ce qu'on y difoit de la retraite du Prince , & lui pro-
mit de revenir au premier jour. Ayant au contraire repris le
chemin de Turin , & repaffé en France , il devint fufped au
Prince , qui apprit fon voyage.
On fut d'avis de le faire tenter une féconde fois par Guil-
laume de Noizet abbé d' Aumale , qui , quoique parent de
3uliion, n'en étoit pas moins bien avec le Prince. Noizet
Lij
$4 S U I T E D E U H I S T O I R E
— i»,»!;!-.— envoyé à Milan , pria le marquis de Brèves , ambaiTadeur de
Henri France à Rome , de lui donner permiffion de faluer le prin-
j y^ ce de Candé à Milan , en retournant en France. Ayant ob-
I ^ I o* ^^^^^ ^^ ^^^'^^ demandoit , il fe rendit dans cette ville , où
il eut une entrevue fecrete avec le Prince qui l'interrogea
fur ce qu'on difoit à Rome de fon départ. Noizet lui en
ayant rendu compte, ajouta, que le zélé qu'il avoit pour
(a perfonne, lui faifoit fouhaiter, qu'il voulût bien faire de
férieufes réflexions fur la manière, dont il avoit pafle chez
les ennemis de la France , pour à&s foupçons frivoles , ôc
de légers mécontentemens : Qu'il auroit été plus fur 3 & plus
honorable pour lui de fe jetter entre les bras du Père com-
mun des Fidèles , que Jefus-Chrift ce Dieu de paix & d'u-
nion avoit fait fon Vicaire en terre , & par le moyen du-
quel il fe feroit aifément réconcilié avec le Roi.
Le Prince lui découvrit alors le vrai motif de fon voyage.
Il lui dit qu'il s'étoit laiflé aller à des craintes capables d'é-
branler les plus fermes courages : Qu'au refte il n'étoit en-
tré dans aucune négociation avec l'Efpagne , & n' avoit ja-
mais révoqué en doute la fucceffion du Royaume : Qu'il ne
fçavoit que trop qu'il y avoit des gens , qui voulant le voir
pour jamais banni de France , mettoient tout en œuvre pour
aigrir le Roi contre lui : Qu'on avoit envoyé à Bruxelles le
marquis de Cœuvres fon plus grand ennemi : Que tout autre
que ce Miniflre n'auroit pas manqué de le remettre en grâ-
ce avec Sa Majeilé : Qu'il auroit volontiers remis fes intérêts
entre les mains du fouverain Pontife : Qu'il étoit même en*
core prêta le faire , mais qu'il ne devoir , & ne pouvoit prendre
aucun parti , fans la participation du roi d'Efpagne, qui l'avoit
pris fous fa protedion. Il donna de grandes marques d'amitié
à Noizet, & le renvoya avec beaucoup de politefîe.
Il le fit revenir le lendemain , après avoir parlé au comte
de Fuentesî & il lui dit que ce Gouverneur n' avoit point
d'éloignement pour fon voyage de Rome, mais qu'il étoit
bon de fçavoir de quelle manière, & à quelles conditions
ilpourroit y aller. » Il m'a dit, ajouta le Prince, que ceux
» qui croyoient que le Pape avoit beaucoup à cœur mes in-
3> térêts, fe trompoient lourdement: Que Sa Sainteté n'agif^
a?, foit que par les imjprelTions de la Cour de France , dont
DE J. A. DE THOU, Liv. IIL 8/
i elle achetoit par fes condefcendances la feveur pour fa mai- ''^'
J9 fon : Qu'elle étoit irritée contre le roi d'Efpagne 3 qui ve- H e n ri
^ noit d'accorder fa protedion au cardinal Aldobrandin , l'en- I V.
» nemi juré des Borghefes, & qui combloit de biens & d'hon- 1610*
» neurs tous les Aldobrandins dans le Royaume de Naples:
» Qu'il fçavoit certainement que le Nonce en France vou-
^ lant obtenir le Chapeau > à la recommandation du Roi ,
» n'avoit écrit au Pape aufujet de ma retraite, que fuivant
» les difpofitions préfentes de Sa Majéilé : Qu'ainfi il n'étoit
» pas douteux que Sa Sainteté ne taxât mes démarches d'im-
3» prudence & de légèreté : Que je ne devois pas attendre des
» confeils de vigueur d'un Pape, qui s'étoit lâchement laiffé
3> dompter par les Vénitiens : Que fi ce Pontife avoit un peu
» de cette grandeur d'ame tant admirée dans Sixte V. il au-
30 roit déjà lancé les foudres de l'Eglife fur un Roi qui pre-
» noit en main les intérêts des princes Luthériens prétendans
» à la fuccelïion de Juliers : Qu'enfin je ne ferois pas en fii-
» reté dans Rome , au milieu de dix mille François , frappés
■9 du bruit qui s'eft répandu que ma tête eft à prix. »
Pendant que le comte de Fuentes délibéroit s'il écrirok
lui-même en faveur du Prince, ou s'il lui laifleroit le foin de
.parler pour lui-même, & qu'il étoit dans l'incertitude fi le
roi d'Efpagne ne recommanderoit pas au fouverain Pontife,
un Prince qu'il avoit pris fous fa protedion , la nouvelle ar-
riva que l'alliance entre la France & la Savoye étoit con-
clue; que le traité pour la guerre d'Italie venoit d'être fignéj
& que l'armée s'avan<^oit fous les ordres de Lefdiguieres.
Noizet fentit bien alors qu'il ne feroit plus que de vaines
tentatives auprès du Prince. Ainfi l'ayant prié de vouloir bien
le renvoyer, le Prince lui donna une lettre écrite en Efpa-
gnol pour fa Sainteté. Il s'excufoit dans cette lettre de ce
qu'il n alloit point à Rome , ajoutant qu'il n'avoit quitté fa
France , que pour mettre à couvert les droits les plus fa-
crés du mariage 5 que s'étant jette entre les bras du roi d'Ef-
pagne , c' étoit à ce Prince à décider quels étoient fes véri-
tables intérêts. Noizet lui dit alors en colère : » Monfeigneur,
» ce n'eft pas vous, c'eft le comte de Fuentes qui parle.»
Le Prince lui répartit:» J'en conviens; mais ne fuis-je pas
»dans des circonftances , où je fuis obligé de ne parler que
L iij
26 SUITE DE L'HISTOIRE
» d'après lui ? « Enfuite il prefla Noizet de porter fa lettre ;
dont celui-ci refufa abfolument de fe charger, en difant qu'il
Henri ^^ refteroit pas plus long-tems à Milan. Le comte de Fuen^
IV* tes l'ayant prié d'attendre quelques heures, il partit fur des
Il ^ I g; chevaux qu il avoir fecrétement fait préparer.
Cependant le Roi fe difpofoit à faire la guerre en deux
endroits. Il avoit confié l'expédition d'Italie à Lefdiguieres,
fous les ordres du duc de Savoy e, & s'étoit réfervé le con>
mandement de l'armée d'Allemagne > où il vouloir aller en
perfonne. Il donna pour un tems la régence du Royaume à
la Reine, qui lui demanda à cette occafîon d'être facrée
reine de France avant fon départ. Henri lui accorda fa de-
mande d'autant plus volontiers , qu'il avoit entendu des cho-
fes qui lui avoient extrêmement déplu. Gontheri de la Com-
pagnie des Loyolites, prêchant en fa préfence dans l'Eglife
de S. Gervais, & s' emportant contre les Hérétiques devant
un auditoire nombreux, compofé des Grands & du peuple;
Sermon in- avoit dit que Sa Majefté n'affùreroit jamais le repos de l'Etat,
f^^^^ '^'"" ^^^^^^ glorieux de fes travaux & de fon bonheur , qu'en extermi-
nantceux qui difoient hautement que le Pape étoit l' Antechrift.
» Car , ajoûtoit le Jefuite , il fuit néceflairement de ces princi-
y> pes que vôtre mariage avec Marie de Medicis eft nul ou fau?^
\ » ayant été fait par le pouvoir & l'autorité du Pape Clément,
» qui étant félon eux, l'Antechrift, n'a dans l'Eglife qu'une
«faufle puiflance, ou plutôt n'en a aucune. » Ce raifonne-
ment auiTi abfurde qu'impudent , ne tendoit qu'à replonger
î'Etat dans les troubles d'une guerre civile j en animant le
^oi contre les Proteftans , & à le détourner de faire la
guerre à l'Efpagne. Le Roi qui en avoit fenti tout le venin,
en fit une vive réprimande au Prédicateur infolent , & il
perfifla courageufement dans fes réfolutions.
Henri prêt à marcher en Allemagne , voulant rendre la
Sacre de la p^ej^e, dont il avoit eu plufieurs enfans, plus refpedable
aux François en fon abfence , la fit facrer & couronner fé-
lon la coutume , avec beaucoup de pompe , dans l'Eglife de
S. Denis le 13 de Mai. Le cardinal de Joyeufe y célébra
les SS. Myftéres , affifté des cardinaux de Gondy , de Sour-
dis, & du Perron, & d'un grand nombre d'Evêques. Le
pauphin, la princeife Elifabeth fa fœur, Marguerite de Valois,
i
DE J. A. DE THOU, Lîv. III; g^ I
'& d'autres Princeffes conduifirent la Reine à l'Autel , oii ^^^1^^,^^
s'étant mife à genoux , elle fat facrée par le cardinal de Joy eufe, ~ i
qui lui mit la Couronne fur la tête , en faifant des vœux pour " ^ n r i ^
la profpérité de fa perfonne, Ôc pour celle du Royaume j en- ^^* " '
fuite on jetta des médailles au peuple , au bruit des trom- ^ o i o^ i
pertes. Un côte de fes médailles repréfentoit la Reine; on \
voyoit fur le revers une Couronne furmontée de lauriers, .
de palmes, & de branches d'olivier, avec cette légende: \
S^eciili félicitas. Le Roi regarda cette pompe de deOlis un i
théâtre ; mais tdus ces fpedacles qui occupoient agréable- . \
ment Ïqs yeux, ne l'empêchoient pas de penfer à l'exécu- !
tion des projets qu'il avoit formés.
Le rendez-vous des troupes étoit à Moufon pour le com- Grande èrir ;
mencement du mois. Le Roi avoit déjà écrit à l'archiduc "^P"^^*^^ j
Albert, pour lui demander paflage fur fes terres; mais ne ' ]
l'ayant pu obtenir, il réfolut de fe l'ouvrir à la pointe de j
l'épée. Nos troupes filoient déjà vers la frontière , & l'Eu- ■
rope attentive avoit les yeux fur cette entreprife des Fran- '
cois, & fur le grand Roi qui les alloit commander. L'évé- ^
nement de la guerre ne pouvoit manquer d'être fatal à nos ■
ennemis; lorfqu'un faux zélé de Religion animant un mifé- ]
rable à la perte du Roi , interrompit fes glorieux projets. lî ;
eft honteux de le dire ; mais la chofe parle d'elle-même :
c'eft la Religion qui a produit plufieurs de ces infâmes par- i
ricides dans la France. j
Depuis près de cent ans , il s'eft élevé dans le Royaume j
deux partis de différente Religion, qui ne fe fouvenant plus ^
de la charité Chrétienne , fe font mutuellement déchirés fous |
les noms odieux de Papilles & de Calviniftes. Ces derniers |
fe font appeller Réformés, & les autres Catholiques. Les Cal- |
vinifies ôtent toute autorité au Pape, qui fe l'attribue pleine
& entière.. Il y a des fuperllitieux qui en font venus au point i
d'avoir plus de foi au Pape, qu'en Jefus-Chrifl. Les Réfor- !
mes alTùrant que Févêque de Rome efl l'Antechrill , détrui- ;
fent fans balancer , l'autorité de l'ancienne Eglife & du Pa- j
pe. L'un & l'autre parti voulant établir fes fentimens , trou- ;
blent l'Etat , au mépris de la Majeflé Royale. Leur acharne- * i
ment à les foùtenir , eft fi grand , & leur aveuglement fi
plein de fureur, que ne pouvant fouffrir ceux qui veulent '
ÈÉ S U î T E D E r H î S T O I R E
' la paix, ils s'élèvent hautement contre les Rois d'une autre
Henri religion , que la leur , comme fi ces Princes étoient des ty-,
I V. rans.
j 6 1 o. Le parti Catholique étant le plus fort fous les régnes pré-
cédens , faifoit fentir toute fa fupériorité au parti le plus foi-
ble. Le Roi, dont le courage avoir -répandu la terreur de fon
nom chez les étrangers , & dans tout le royaume , auroit
pu détruire l'un & l'autre parti , en rétabliflant l'ancienne dif-
cipline de l'Eglil'e Gallicane î mais il s'étoit contenté de les
contenir dans les bornes qu'il leur prefcrivit à tous les deux,
La bonne intelligence , qui régnoit entre le Pape & lui ,
l'empêchoit de rien craindre de la part des Catholiques. Il
avoir fait agréer fes deffeins à Paul V. de manière que c€ pa*
pe reconnoifToit hautement qu'il ne s'agiflbit point du tout de
îa Religion dans les deux expéditions du Roi. Sans fe met-
tre en peine des ni'Urmures des Efpagnols, le faint Père ne
prenoit aucun parti dans l'incertitude des événemens. Dans
la fuite, fuivant le génie de la cour de Rome , le Pontife
fe fer oit peut-être déclaré pour le parti le plus fort.
Malgré toute la modération de Paul V. la dangereufe fac-
£k.ïow des Catholiqu:es zélés s'augmentoit tous les jours;
on répandoit fourdement des plaintes parmi le peuple ? on
difoit que la religian Catholique alloit être détruite : Que
le Roi , à la follicitation des hérétiques , étoît fur le point de
faire la guerre à l'Empereur ^ & aux autres princes Catholi-
ques de l'Empire : Que Lefdiguieres entroit à la tête d'une
armée de Sedaires en Italie , qui eft le centre de la foi Ca-
tholique. On épouvantoit les peuples par la crainte de ces
maux. Ces fortes de faux bruits font ordinairement tant d'im-
prelTion fur Fefprit d'une populace infenfée , qu'elle fe livre
toute entière , & prodigue tous fes biens à des chefs de
parti , rebelles à leurs fouverains 5 & que dans plufieurs mil-
liers de ces furieux , il fe trouve quelquefois deux ou trois
miférables , qui ennuyés de la vie , & fortifiés dans leurs fu-
iieftes delleins par l'idée de contribuer à la confervation du
vrai culte , bravent la crainte des plus affreux fupplices , &
regardent le meurtre des Rois comme une adion méritoire,
.qui doit les couvrir d'une gloire immortelle.
Après le couronnement de la Reine , il ne lui reftoit plus
^qu'à
DE J. A. DE T HO U, Liv. IIL gp
qu'à faire fon entrée dans Paris , fuivant la coutume; ^Le i6
du mois de May, jour deftinéàcette pompe, s'approchoit ; Henri
le peuple s'empreflbit à orner la ville de tableaux, de lia- jy^
tues , de colonnes , d'infcriptions. Tout commençoit à reten- i 5 i of
tir de ralleerrefTe publique. Les ouvriers fe plaiernoient que
le temps leur manquoit ymais le roi brûlant de le rendre a fa-iiné.
l'armée , ne voulut pas différer cette pompe. Il fortit du Lou-
vre le 1 4 à quatre heures du foir , ôc ayant renvoie fes Gardes ,
î\ fît avancer fon carolTe , qui étoit ouvert de tous côtés , afin
de voir les travaux , & d'être le témoin de l'ardeur des ou-^
vrieis. Il étoit dans le fond , ayant à fa droite le duc d'Ef-
pernon 5 les maréchaux de Lavardin & de Roqueîaure étoient
à la portière droite 5 le duc de Montbazon & le marquis de
la Force à la gauche ', Dupleflls de Liancourt & Chabot
marquis de Mirebaux étoient fur le devant , vis-à-vis de Sa
Majefté. Un homme qui avoit remarqué le peu de fuite
du Roi , épia le moment d'accomplir l'horrible deiîein qu'il
avoit formé. Il fuivit depuis le Louvre le carofle , qui fut
.arrêté au milieu de la rue de la Feronncrie par un embarras
de charettes. Dans cet inftant fi fatal à la France , raflafiin fai-
llflant l'occafion j donna deux coups de couteau au Roi;
^ui fe panchoit du côté de Lavardin pour lui parler. Le
premier coup n'ayant pas pénétré , ce monftre exécrable
tentant fon poignard arrêté par une côte , donna un fécond
coup , avant que le Roy pût s'écrier. Le fang fortit alors en
fi grande abondance de la blefîiire , & en même temps par
la bouche , que ce Prince perdit tout d'un coup connoif-
fance. ■ "'
Aucun des Seigneurs qui étoient dans le caroffe n' avoit
apperçu l'aflaffin , mais ils virent tomber le Pvoi. Ils fe jet-
terent avec précipitation hors du carofle , 6c crièrent qu'on
fe faisît du meurtrier. Ce fcélérat étonné de la grandeur de
fon crime , reftoit immobile , fans fonger , ni à prendre la
Riite , ni à jetter le poignard , qui le faifoit reconnoître. Le
peuple étant accouru en foule ^ on faifit le coupable , tenant
encore à fa main fon couteau tout dégoûtant de fang. Le duc
d'Efpernon & les autres feigneurs voyant que cet accident
caufoit un grand tumulte , dirent que le Roi n' étoit que bief-
jTéj-^ qu'il relpiroit encore 7 ce -qui rendit pendant quelques
Tome XV, M.
5>o S U 1 T E D B L' H I S T O 1 R E
temps la mort du Roi incertaine dans cette grande ville , où
Henri Ton ne s'attendoit pas à un fi grand malheur. Les feigneurs
I V. retournèrent dans le même caroffe au Louvre , & fe firent
1^10, fuivre par les Gardes , qui ne {cachant d'abord , où mener
l'aflàiTm, le firent entrer à l'hôtel de Retz près du Louvre,
en attendant qu'on put le livrer au Grand Prévôt de l'Hô-
tel.
Dès que cette funcfle nouvelle fe fut répandue , la joye
du peuple fe changea au(li-tôt en triflefle. On n'entendoit
par tout que fanglots & que gémiffemens , tout étoit dans la
confternation au Louvre. Le Chancellier de Sillery fit auffi-
tôt chercher le Dauphin , & le conduifit à la Reine , à qui
l'on donnoit encore quelque efpérance de la vie du Roi.
Cette Princefie étant fortie de fa chambre , regardoit de tous
côtés avec inquiétude , lorfque le Chancelier couvrant de fon
corps le Dauphin qui marchoit derrière lui, fe préfenta à
elle 5 la Reine avertie de fon malheur par le concours extra-
ordinaire de monde :, s'écria qu'elle voyoit bien que le Roi
étoit mort. Le Chancelier s' étant alors un peu retiré , lailîa pa-
roître le Dauphin,& dit à la Reine. ^ Pardonnez-moi, Madame,
*> voilà le Roi vivant. » Enfuite pénétré des cris de cette Prin-
ceffe , il l'exhorta à rentrer dans fon appartement , & lui dit
qu'il falloit s'armer de courage , plutôt que verfer des lar-
mes. » Vous perdez un grand Roi , Madame^ ajouta Sillery 5
» pleurez-le dans le fond du cœur , votre douleur eft jufte 5
3) mais fouvenez vous que vous êtes mère d'un jeune Roi ,
9> dont vous devez gouverner le Royaume ; ce qui demande
» de la fermeté & de la prudence.
On jugea à propos de faire retirer les autres enfans de
Erance dans un appartement avec quelques perfonnes, pour
les garder. On fit aufil-tôt venir au Louvre les Gouverneurs
des Provinces , qui étoient la plupart à Paris î pour prêter le
ferment de fidélité au nouveau Roi, & pour fe rendre en-
fuite à leurs gouvernemens en diligence. Le duc d'Efper-
non colonel de l'infanterie Franc oife avoit diftribué dans les
principaux endroits de la Ville des foldats aux Gardes ; les
Echevins eurent ordre de garder les portes, & de marcher
à cheval dans les rues , avec les magiftrats de la Ville , &
de commander aux Colonels des quartiers de pofter des
DE X A. DU THOU^rLîv. lîl? ^t J
corps de gardes à tout événement pendant la nuit. ^^^ — *— ^-- ,
Le Parlement tcnoit ce jour-là l'audience de relevée dans Henri i
le convent des Auguftins , où il s'aûembloit, parce que le I V. i
Palais étoit embaraiTé des préparatifs pour la cérémonie qui i 6 i o»
devoit fe faire dans deux jours. Le Bret avocat général réfu-
moit une caufe , que les Avocats avoient déjà plaidée de i
part & d'autre 5 & le préfident Potier tenoit l'audience. On j
entendit auffi-tôt un bruit extraordinaire parmi les Avocats i
qui fortoient & rentroient , & qui parloient entre eux , de j
forte que le Préfident n'entendoit prefque plus la voix de le '
Bret. Servin, autre avocat général ^ arriva en même tempj. î
La triftelTe peinte fur fon vifage, annonça d'abord qu'il ap-
portoit de fâcheufes nouvelles. Le Préfident ayant fait faire j
filence , le Bret acheva fon difcours , & les Confeiliers ayant !
été aux opinions, on ordonna un délibéré. Servin demanda !
alors qu'on levât l'audience 5 les Confeiliers s'étant retirés dans '
une falle voifine , il leur dit qu'un gentilhomme venoit de ■
lui apprendre que le Roi avoit été dangereufement blefle \
dans fon carofle. \
Cependant le bruit fe répandit que le Roi étoit mort. Le
duc d'Efpernon ayant fait venir au Louvre les foldats aux
gardes , répandus dans les fauxbourgs , les pofta fur le pont- !
neuf, & devant la porte des Auguftins, avec tant de dili- i
gence , que cela n'auroit pu fe faire plus à temps , quand on '
auroit prévu la chofe. -^ \
Cependant la Reine fit avertir par Dolé , procureur de fon )
domaine , le premier préfident de Harlay de fe rendre au '\
Parlement , pour faire ce qui feroit néceffaire dans une fi
importante conjondure. Ce Magiftrat, malgré la violence j
d'une goûte, qui l'obligeoit à garder le lit, plus touché des |
maux de l'Etat, que fenfible à fes propres douleurs , fe fit ]
porter au Parlement ; & manda les Confeiliers , qui fe rendi- ]
rent auprès de lui en aflez grand nombre , eu égard à la conf- ^
ternation publique. On jugea à propos d'envoyer le Bret & j
Servin au Louvre, pour être plus certains de ce qui fepaf- :
foit. Pendant qu'ils s'acquittoient de leur dépuration , le Par-
lement gardoit un morne filence , qui n' étoit interrompu que ]
par de profonds foupirs. ■
- Les députés étant revenus, rapportèrent les larmes aux ;
M n ,;
^i SUITE DE L'HÎ S T O î RE
yeux, qu ils av oient va la Reine mêler fes larmes aux pleurs
H E N R I ^^ ^^^ ^^^ ' ( Q^^i n'avoir guéres plus de neuf ans ) & le corps
jy. du Roi fans vie étendu fur un lit. Les larmes, les fanglots^,
j (5 1 o. l^s gémiiTemens firent alors éclater la douleur de la compa-
^ , . , gnie. Servin prit enfuite la parole & dit : Qu'il falloit délibé-
Conduite du o r • i i / i tp. r i? • r
parksncxit. rer au lujet de la régence du Royaume , luivant 1 ancien ula-
ge de la nation : Que la Reine demandoit qu'on y procédât
fans délai , parce que les chofes preflbient , & qu'il falloit
(donner des ordres aux Gouverneurs des Provinces , de peus
que le bruit du déplorable afialTinat du Roi ne fit naître des
troubles 5 Que le Chancelier , qu'ils avoient vu près de la
perfonne du Roi avec les Grands de l'Etat , leur avoit dit , que
fuivant d'anciens mémoires , & fuivant les regilires du Par-
lement , la régence du Royaume & la tutelle du jeune Roi
appartenoient de droit à la Reine mère : Qu'eux mêmes, qui
ctoient les gens du Roy , penfoient comme le Chancelier
fur ce fujet : Qu'ainlî ils requéroient que la Cour confirmât
leurs conclurions par fon autorité. Les Avocats généraux s'é-
tant retirés , le premier Préfident parla avec beaucoup de
force fur l'importance de l'affaire preffante dont il s'agilToit,
-& alla aux opinions.
Pendant ce temps-là, le duc d'Efpernon entra dans la
falle de l'aflemblée , fans manteau , & tenant à la main fon
cpée dans le foureaujil s'approcha du préfident de Harlay,
qui le pria de prendre féance en qualité de Pair de France.
Le Duc lui répondit qu'il n'étoit venu que pour le prier d'ufer
de diligence , parce que la Reine étoit dans l'impatience de
fc^avoir la réfoiution du Parlement. Il fit beaucoup d'excufes
au Préfident d'être entré fi brufquement , & fe retira par oh
il étoit venu. Le duc de Guife entra un moment après par
la même porte , habillé de même , & prit féance au deffus
du doyen des Confeillers. Il dit qu'il n'étoit venu que pour
offrir ks fervices au Roi , à la Reine , & au Parlement. Le
préfident de Harlay lui répondit : ^ Vous donnez une preuve
» de votre reconnoiflance. Ce que vous avez reçu de vos an-
» cêtres , exige que vous ne foyez pas ingrat envers le Roi
M & la Reine. Les regiftres du Parlement feront un témoi-
»gnage à la pofterité de l'adion que vous venez de faire j
» la f rance a droit d'exiger de vous que vous donniez dans la
DE J. A. DE T H OU, Liv. lîl. Jf
>> Province commife à vos foins, des preuves de ce que
» vous promettez. Prenez donc de juftesmefures, pour qu'il u ^ ^^
» ne s'y pafle rien de contraire au bien du Roïaume. » Le duc -r y
de Guife ayant reparti qu'il y avoir déjà pourvu, & que fon < i
lieutenant étoit parti pour s'y rendre en diligence, il ajouta
que la Reine fouhaitoit avec ardeur d'apprendre le réfultat
de leur aflemblée. Le Préfident l'aflura qu'on alloit envoyer
des députés au Louvre , pour en informer Sa Majefté. Alors
le Duc fe retira.
Aullî-tôt le Parlement donna , du confentement de tous
les membres de l'aflemblée , un arrêt , qui déféroit fans ré^
ferve la régence du Royaume & la tutelle du Roi à la Rei-
ne mère pendant la minorité de Sa Majefté. Les préfidens
Potier & de Thou allèrent en diligence avec quatre des
premiers confeillers , & avec les Avocats généraux en infor-
mer cette Princefte. Sur ces entrefaites Jacques de la Guefle
.procureur général , quoique dangereufement malade , fe fit
porter dans une chaife à la porte de la chambre 5 & ayant fait
demander par un huiifier la permiifion de fe faire porter ainfi
dans la chambre , n'étant pas en état de marcher , pour y en-
trer , il obtint ce qu'il demandoit. Il dit à la Cour : Que n'ayaiu
appris qu'alors , par un zélé déplacé de fes domeftiques ,
.la trille nouvelle du malheur arrivé au Roi, & ce que fes
collègues avoient fait , il étoit au défefpoir de n'avoir pas été
préfent à la ledure de l'arrêt du Parlement : Qu'il étoit venu
pour fe le faire lire pg^ le Greffier , & pour faire le du de fa
charge. Le premier Préfident lui accorda fa demande , & fit
lire une féconde fois le nouvel arrêt. Le Procureur Géné-
ral après cette ledure fe retira au Parquet , pour y attendre le
retour des autres Gens du Roi , qui revinrent fur les fept
heures du foir.
Ils dirent, que la Reine faifoit de grands remercimens à îa
Cour , de fa diligence , & de fa fidélité dans de fi cruelles
circonllances : Qu'elle prioit la Compagnie d'attendre les or-
dres qu'elle alloit leur envoyer, dès qu'elle auroit pris fa ré-
folation , par rapport à l'affaire qu'elle méditoit. Tout le mon-
de étant refté, il s'écoula une heure entière fans qu'on ap-
portât aucune nouvelle. Comm.e la nuit approchoit , le pre-
mier Préfident propofa d'envoyer un fécretaire de la Cour ,
^^ SUITE DE L' H ï S T O î R ^
^^^ pour recevoir les ordres de Sa Majeftéîmais cet Officiel'
H F, N R I ayant appris en allant au Louvre, que Claude de Builion ve-
IV. noitdela part de la Reine, il revint fur fespas.
1610, Builion fe rendit au Parlement ; & ayant remercié une
féconde fois les magiftrats au nom de la Reine j il dit , qu'on
avoit confeilléà SaMajefté d'amener fon fils le lendemain ,
pour tenir fon Lit de juftice , accompagné des Princes «5c des
Seigneurs : Qu'elle prioit les Confeiilers de s'y trouver en
grand nombre , afin de confirmer avec toute lafolemnité pofll-
ble l'arrêt qu'on venoit de rendre. Le premier Préfident répon-
dit pour fa Compagnie , qu'on exécuteroitles ordres de la Rei-
ne , puifquelle avoir pris cette réfolution. Builion fe retira ^ ôc
l'on réfolut de fe trouver le lendemain au Parlement en robes
rouges 5 puis on fe retira.
le meuftrer Pendant cc temps-là, ceux qui étoient auprès de la Reine
du Roi eft :n- j^g^^Q^-^^ ^ propos d'intctrogcr l'allafiln pour découvrir fes com-
^' °^^' plices. Le préfident Jeannin , Builion & Antoine de Lome-
nie furent chargés de cette commifilon. Ce miférable ayant
été interrogé fur fon nom & fa patrie , répondit qu'il s'appel-
loit François Ravaillac ; qu'il étoit âgé de trente-deux ans,
natif d'Angoulême , maître d'école de profeîTion, & qu'il s'oc-
cupoit à élever les enfans dans la religion Catholique , Apof-
tolique & Romaine : Qu'il étoit depuis quinze jours à Pa-
ris : Que le Roi n'avoir fait aucun tort , ni à lui, ni aux fiens :
Qu'il étoit cependant venu dans l'intention de le tuer : Qu'il
n'avoir été poufle à commettre cette a^ion , que par une ten-
tation du diable j fans y être follicité par perfonne : Qu'il
avoir bleffé le Roi avec un couteau j qu'il avoit pris dans un
cabaret à cette intention : Qu'il étoit venu auparavant à Pa-
ris , non dans le deflein de tuer le Roi j mais pour l'enga-
ger à déclarer la guerre aux Hérétiques.
Le préfident Jeannin lui ayant demandé d'où lui étoit ve-i
nu ce deffein 5 il répondit , que cela n étoit pas de la com-
pétence de fon tribunal, & qu'il ne le déclareroit qu'à un
Prêtre fous le fceau de la confefilon. On avoit trouvé dans
une de fes poches des vers françois, faits pour confoler un
homme condamné à la mort , tandis qu'on le conduit au fup-
plice. On les lui préfenta î il lesreconnut , & dit , Qu'il n'en
4tQlt pas l'auteur j (Qu'ils n avoient pas même été faits pour lui i
DE J. A. DE T H OU, Liv. IIÎ. p^
Qii\in bourgeois d'Angoulcme les ayant compofés à Pocca-
fion du malheur d'une perfonnc fluiflement accufée d'un meur- H e n r i
tre , & que le coupable même avoir fait mettre en prifon , 1 V.
les lui avoir montrés, comme à un homme qui paflbitpour 1610.
faire des vers en langue vulgaire , afin d'en dire fon fen-
timent. Ses gardes indignés de voir fon obftination à fe taire
fur fes complices , lui ferrèrent le pouce fous le chien d'une
arquebufe , avec tant de violence , que la chair en fut em-
portée, & l'os rompu; mais ce fut inutilement , ils n'arrachè-
rent de lui que des gémiiTemens. Les Parifiens firent la garde
pendant la nuit dans la ville, que l'abbattement & la conf*
ternation , plutôt que le fommeil , tenoient dans une efpéce
de tranquillité.
Le lendemain , les membres du Parlement fe rendirent en 1^;^ ae Juftj-
grand nombre, & en robes rouges, aux Auguftins. Lesévê- ce.
ques de Beauvais , de Châlons , & de Noyon Pairs de France,
y vinrent aiiffi ; car le Parlement étoit autrefois la Cour des
Pairs. Tous s'alTirent fur les fiéges d'en bas, comme c'eft la
coutume toutes les fois qu'on ne plaide point. Le Lit de juftice
ctoit dreflé dans les hauts fiéges. En attendant l'arrivée du
Roi , Jean Courtin fit fon rapport pour admettre Louis de
Lorraine entre les Pairs Eccléfiaftiques , à caufe de l'arche-
vêché de Rheims, que le feu Roi venoit de lui donner. Il
n'étoit encore que Soudiacre , n'avoir pas vingt-cinq ans , &
par conféquent il lui manquoit l'âge compétent , foit pour
la Prêtrife , foit pour l'Epifcopat , foit pour la Pairie ; mais
la grandeur de fa naiflance fuppléa à tous ces défauts , & dans
h. confternation ou l'on étoit alors , on ne rappella pas les
régies de l'ancienne difcipline , qu'on avoir fi long-tems ou-
bUées, Ainfi perfonne ne s'oppofa à fa demande ; & ayant
prêté le ferment accoutumé en pareille occafion, il pritféan-
cc au-deflus de l'évêque de Beauvais.
L'alfemblée s'étant grofiTie de manière qu'on croit déjà â
l'étroit fur les fiéges d'en bas, on commença à prendre ceux
d'en haut , qui étoient vuides aux deux côtés du Lit de ')u.£~
tice. Les Pairs Eccléfiaftiques balançant à fe placer à la droite
ou à la gauche , demandèrent l'avis des Préfidens , qui leur
répondirent que c'étoit à la gauche qu'ils dévoient s'aiTeoir^
attendu que la droite étoit réfervée aux Princes du Sang , Ôc
r)'6 S U î T E D E L' H I S T O I R E
aux Grands du Royaume. Cela ne les empêcha, pas de fe
H E N Pv I P^^ccr à la droite , où i'évêque de Paris Henri de Gondy vint
jy^ le mettre à leur exemple. Le connétable de Montmorenci
■ï 6 10 demanda auill quelle étoitla place du Connétable. Les Pré-
(îdens lui ayant dit qu'il ne pouvoit prendre féance au-def-
fus des Pairs Eccléfiaftiques , cette réponfe les enfia d'un nou-
vel orgueil? c'eft pourquoi ils fe ferrèrent davantage, pour
s'adurer des places qu'ils occupoient , fous prétexte qu'ils
étoient , & en vertu des droits de la Religion , & par la qua-
lité de leurs Pairies , les premiers Confeiilers du Roya.ime ,
les Confeiilers légitimes & néceflàires de l'Etat. Pendant cette
conteftation, le Connétable alla prendre place dans les hauts
fiéges , au-deffous de I'évêque de Paris.
• ^ On vit arriver enfuite les cardinaux de Joyeufe , de Gon-
<5rdmaux & ^Y ' ^^ Sourdis , & du Perron, qui fe placèrent à la gauche,
des Pairs pour Lc Chancelier vint après eux en robe de fatin noir, fuivi
lerangaiiPai- f^Q^ Maîtres â.QS Requêtes. Deux des principaux Confeiilers
étoient allés le recevoir à la porte de la falle 5 il fe mit fur
le fiége des Préfidens , au-delfus du premier Préfident. Ayant
été informé des prétentions des Pairs Eccléfiaftiques , il con-
fulta là-deiTus les Préfidens , & fit dire aux Pairs Eccléfiafli-
ques de fe retirer à la gauche au-deffous des Cardinaux.
C'eft ainfi que la dignité faftueufe de la pourpre Romaine
éclipfa jufques dans la Cour des Pairs de France , & dans
un Lit de juftice, l'ancienne dignité de ces derniers. Ceux-ci
ne s' étant pas rendus à cet avertiiTement , on contefta avec
beaucoup de chaleur.Dans le tems qu'ils paroiffoient devoir
céder , le Connétable , par une foibleile honteufe , palTa à la
gauche, où étoient les Cardinaux, & prit la dernière place.
On apprit alors que le Roi & la Reine arrivoient. AulTi-
tôt le fécond & le troifiéme Préfident , & quatre des prin-
paux Confeiilers allèrent recevoir leurs Majeflés à la porte
de fEglife des Auguftins. Enfin le Roi & la Reine , fuivis des
Princes & des Ducs & Pairs Laïcs , entrèrent dans la Salle ,
précédés des députés du Parlement. Les Dames de qualité
entrèrent même, contre l'ufage, & fe tinrent debout au mi-
iieu des fiéges. Alors les Pairs Ecclèfiaftiques ayant eu ordre
de pafler à la gauche, fe mirent au-deflbus des Cardinaux^ après
les Pairs s'afEt I'évêque de Paris, dont la place avoit été
autrefois
DE J. A. DE THOU, Liv. lîl. 97
autrefois au-defllis du Doyen des Confeillers. Ce changement
fît comprendre au Connétable, qu'il lui falloit abandonner ~
celle qu'il s'étoit Mté de prendre mal à propos. ri e n r i
Le Roi prit féance dans fon Lit de juftice. L'habillement ,
de Sa Majefté étoit violet, qui elHa couleur de deuil de nos ^ ^ ^ o.
Rois. La Reine couverte d'un voile noir flotant , s'aflit à la Dercrlptioa
droite du Roi, avec François de Bourbon prince de Conti & fj"^^" "
Louis de Bourbon duc d'Anguien,fils de Charles comte de
Soiifons, âgé d'un peu plus de quatre ans. On voyoit après
eux Charles de Lorraine duc de Guife, le connétable de Mont-
morenci , le duc d'Efpernon, Hercule de Rohan duc de Mont-
bazon, le duc de Sully 5 les maréchaux de Briilac , de La-
vardin , & de Bois-Dauphin. A la gauche paroiflbient les qua-
tre Cardinaux, dont nous avons parlé, les trois Pairs Ecclé-
fïaftiques , & l'évêque de Paris. Charles de Lorraine duc d'Ei-
bœuf étoit aux pieds du Roi, faifant l'office de grand-Cham-
bellan pour le duc de Mayenne , qui étoit malade. Au-def^
fous du duc d'Elbœuf, Jacques d'Aumont baron de Chap-
pes, prévôt de Paris, étoit placé fur un careau. Alors leChance-
lier s'afllt au-defTous du Roi dans une chaife à bras , couverte
de l'extrémité du tapis de velours du Lit de juftice. Gille de
Souvré gouverneur du Roi, étoit debout à côté deSaMa^
jefté.
Après qu'on eut fait filence , la Reine ayant entrouvert ^.r ,
le voile qui la couvroit , parla ainii : » Meflieurs , puil- la Reine.
» qu'il a plu à Dieu de nous enlever nôtre Roi par un
» accident fi trifte , pour vous , pour moi , pour l'Etat » ( les
gémilTemens & les fanglots lui ayant coupé la parole , elle fe
remit un peu, & continua. ) « J'ai amené mon fils ici, pour
» vous engager à prendre de fa perfonne le foin qu'exigent
» de vous vôtre dignité , la mémoire du feu Roi , vôtre pa-
» trie , vos propres intérêts. Je fouhaite que vous l'aidiez de
» vos confeils dans le gouvernement du Royaume 5 je vous
3> conjure de les lui donner avec une parfaite fincérité. «
Ses fanglots ayant interrompu cent fois ce peu de paroles,
elle defcendit aux fiéges d^en bas pour fe retirer. La plupart
approuvèrent cette démarche 5 mais la Reine changea bien-
tôt de penfée , fur ce qu'on lui repréfenta qu'il étoit impof-
iible d'écarter la foule , & que la loi Salique n'étoit pas plus
TQmeXK N
5>8 SUITE DE L'HISTOIRE
- violée par fa préfence à côté de fonfils, qui conimençoitfon
H E N RI régne, que par l'Arrêt du Parlement, en vertu duquel elle
I V. avoit pris en main la régence du Royaume , & la tutelle du
I 5 I 0. Roi. Ces raifons la déterminèrent à reprendre fa place. Châ-
teaunenf & Concini lui donnèrent donc le bras pour remon-
ter vers le Roi.
Difcours eu Après que la Reine fe fut affife , le bruit n'étant pas en-
^^'^' core bien appaifé ^ le Roi commença à prononcer un petit
difcours qu'on lui avoit appris.» MelTieurs, dit-il, fuccédant
y> dans un âge tendre au Roi mon père , je fuis venu en mon
j5 Parlement, par le confeil de la Reine ma mere^ afin de
33 prendre vos confeils falutaires pour le gouvernem.ent de
» mon Royaume. J'efpére fuivre, avec la faveur du ciel,
» l'exemple du grand Prince qui m'a donné la vie. Dans
«cette confiance, je veuxfçavoir ce que vous penfez fur ce
30 que mon Chancelier va vous expliquer pour moi.
^.- , Alors le Chancelier fit un difcours convenable au tems. Il
Chancelier, dit que la Reine avoit prudemment amené le Roi au Parlement
pour lui faire commencer fon régne fous d'heureux aufpices ,
dans le fanduaire même de la Juftice : Que l'efpérance d'être
gouvernés par un Roi ami de l'équité, devoit adoucir la dou-
leur des François , puifqu'un Roi jufle eft le plus ferme ap-
pui d'un Etat : Qu'il ne manquoit à Sa Majefl-é que l'âge &
l'expérience , aufquelsla Reine fuppléroit aifez par fa prudence
confommée : Que le feu Roi avoit voulu que cette PrincefTe
aiTiRât aux plus importantes délibérations, afin de la former
au maniement des affaires : Que plufieurs pouvoient fe rap-
peller que ce grand Prince , que la penfée de la mort n'é-
branla jamais , avoit fouvent dit qu'il mourroit tranquile ,
parce qu'il laifTeroit une Reine habile à la tête des affaires :
Que plufieurs de nos Rois avoient confié la régence du Royau-
me, & la tutelle de leurs enfans aux Reines leurs époufes j
par leurs Edits & par leurs teflamens : Que la volonté du
grand Monarque que la France pleuroit , tant de fois mani-
feftée , devoit avoir plus de force qu'un teftament , & que
toutes fortes d'Edits : Qu'il falloit que les fentimens fe réû~
niffent fur ce point, qui étoir de nature à ne point fouffrk
de délai , fans i-n péril évident.
Le Chancelier ne parla en aucune manière dans Xbn
DE J. A. DE THOU, Liv. IIÎ. 99
difcoLirs de l'Arrêt de la veille ; & mit la choie en délibéra-
tion, comme lî elle n'eût point encore été entamée, faifant H e n rj Î
entendre par fon lilence fur cet Arrêt , que l'autorité du Par- i y. i
lement n'étoit pas fufiifante dans la caufe de l'Etat, en l'ab- 1610, ■
fence des Princes du Sang & des Pairs, C'eft pourquoi ayant 1
ainfî propofé l'affaire dont il s'agi-ffoit, il alla par ordre aux '
opinions. Le premier Préfident de Harîay fe leva , avec les \
autres Préiîdens fes collègues , & mit un genou en terre , ■
jufqu'à ce que le Roi leur eût ordonné par la bouche de fon !
ChanceUer de fe relever. - |
Le premier Préfident parla plutôt en Rhéteur, qu'en Ma- Difcoars da
giftrat. Il dit que le peuple , qui étoit dans la joye du Sacre P^^"^^'^'^ ^''^^' j
de la Reine, qui s'occupoit à louer les vertus de Henri, * 1
ôc qui faifoit des vœux pour le fuccès de fes armes, étoit j
maintenant abattu & confierné par la douleur du funefte ac-
cident^ qui venoit de lui enlever fon Roi : Que la Capi- :
taie privée de la lumière de ce Soleil éclatant , lorfqu'il étoit 1
dans toute fa force , ne pouvoir être mieux éclairée , & , pour j
ainfi dire ranimée^ que par la préfence du nouveau Roi , la 1
vivante image & le digne fuccefleur de fon père : Que c'é-
toit un préfage certain du bonheur de fon régne , que ce Prin-
ce fût le treizième du nom de Louis , qui tenoit fon Lit de
Juftice , comme on pouvoit le voir dans cette Salle , par les \
armoiries de Louis XIL appelle le père du peuple , à caufe -
• de fon amour pour fes fujets: Qu'on fe rappelloit avec plai- j
fir le fouvenir de S. Louis & de Louis X. dont les mino- ;
rites avoient été heureufement gouvernées par les reines Blan- '
che & Marguerite : Que fur leur exemple on pouvoit confier ^
la régence du Royaume à la reine Marie, quiavoit déjà fait ]
éclater tant de vertus royales. Il ajouta que le peuple fe- ;
roit charmé qu'on fît frapper de la monnoye , avec cette lé- ^
gende ; Maria Medicea fecuritas rei G allie a , comme celle I
qui avoit été frappée en l'honneur d'Helene femme de Con- \
fiance. Enfuite il exhorta le Roi à foûtenir toujours l'auto- i
rite des Magiftrats ; parce que les Loix & la Juftice étoient !
le véritable appui de la Majefté Royale. Enfin comme fi le \
Parlement eût prêté le ferment de fidélité au nouveau Roi» i
ce Magiftrat invediva contre les rebelles & les fadieux, ôc |
fit des voeux pour la fureté du Roi 6c de la Reine.
N ij • ^, i
BsamiagBsaKrm:
me
100 SUITE DE L'HISTOIRE
Après ce difcours, le Chancelier monta vers le Roi & la
Henri ^^i"^» & de-là defcendit aux Préfidens , pour avoir leurs avi5.
j Y Enfuite il alla vers les Princes, les Ducs-Pairs, & les Mare-
1610 ^^^^^^ ^^ France dans les hauts fiéges ; d'où il tourna à la
gauche , & de-là defcendit aux fiéges d'en bas. Il s'adrelfa
la Reine 3'abord aux Confeillers d'Etat, & du Confeil privé ^ enfuite
ciaréeRéocn- ^"^ Maîtrcs dcsRequêtcs, & aux principaux Confeillers du
teduRoyau- Parlement, dont il recueillie les voix. Il dit que la foule des
iiiTiftans l'empêchoit d'aller aux autres Confeillers j que d'ail-
leurs il avoir déjà affez de fuffrages qui fe réunilToient en ce
point : Que le Roi féant en fon Lit de juftice , avoit , de l'avis
des Princes, Prélats, Ducs-Pairs de France, des Seigneurs,
& de fon Parlement, confié, fuivant la teneur de l'Arrêt de
la veille, la tutelle de fa perfonne, & la régence du Royau-
me à la Reine fa mère. Le Chancelier fe remit dans fa chaife >
mais comme Ci on l'eût averti, ou qu'il fe fut reflbuvenu
d'avoir oublié im des Ordres de l'Etat, en prenant les fu^
frages , il différa de prononcer le réfultat de Falfemblée , &
ordonna de la part du Roi qu'on ouvrît les portes au peuple,
qui fe précipita dans la Salle en foule , & que les Gens du
Roi fuilent oûis.
L'affemblée ayant alors fait filence , Servin fît un difcours
aflez mal en ordre , pour déplorer la perte de la France par
ia mort du feu Roi. Enfuite il fit l'éloge de fon fuccefleur.
Il exhorta le jeime Roi à imiter la conduite de l'empereur
Alexandre à l'égard de Mammée , & à ne rien faire que par
les confeils de fa mère , qui étoit affife à côté de lui , com-
me autrefois Bethfabée auprès de Salomon. Il lui recomman-
da d'avoir toujours beaucoup d'égards pour fon Parlement,
où il avoit pris le nom de Roi. Enfin il demanda que l' Ar-
rêt du Parlement, qui donnoit le gouvernement de l'Etat à la
Reine mère, fut pubhé dans cette augufte afiemblée, & de
là envoyé à toutes les Cours fouveraines du Royaume pour
l'enregiftrer. Servin ayant fait fa réquifition, le Chancelier
alla de nouveau aux opinions, foit férieufement , foitpour
qu'on ne pût lui rien reprocher^ & prononça j mais il ne fit
aucune mention de l'Arrêt de la veille. Le premier Préfident
de Harlay l'en ayant averti en particulier, il dit qu'il l'avoit ou-
blié , & ajouta ea fignant : Comme il eft porté dans les regijlrn
de la Cour,
D E J. A. DE THOU, Liv. III. loi
La Reine ayant été déclarée régente de cette manière ,
i'aflemblée fe fépara. Le Roi retourna au Louvre , au milieu Henri
d'une foule de peuple , qui crioit : f^tve le Roi. Cependant I V.
les Chirurgiens ayant ouvert le corps du feu Roi,, en pré- 1610:
fence des Médecins , afin de découvrir comment il avoit on ouvre la
pu expirer fi promptement, trouvèrent le côté gauche delà corps du feu
poitrine percé de deux coups, dont l'un n'avoit fait qu'ef- ^^'*
fleurer la peau , ayant été foûtenu par la féconde côte. L'au-
tre coup , au-deflbus du premier entre la cinquième & fi^
xiéme côte , étoit entré fi avant dans la poitrine , qu'il per-
<^oit le lobe gauche du poulmon , & coupoit l'aorte , &c l'ar-
tère veineufe qui portent le fang du cœur aux poulmons. Ils
dirent que c'étoit ce fécond coup qui avoit ôté la vie au
Roi , qui étoit d'ailleurs d'une conftitution à vivre long-tems.
En effet il n'étoit expiré fi promptement, que parce que ces
deux vaifleaux qui font la fource de la vie , & qui portent
la nourriture dans tous les membres , & vivifient tout le corps,
étant une fois rompus , le fang en fort en fi grande abon-
dance , qu'il eft impofllble de l'arrêter.
Pendant qu'on féparoit les entrailles du corps pour l'em- Les JeCmtei
baumer, la Varenne & le Père Coton firent reffouvenir la cœuraTiiol
Reine de la promefle que le feu Roi , & elle-même avoient pour leur E-
faite aux Jefuites de la Flèche en Anjou, dans le tems de gjJ^^delaFkt^
la confécration de leur Eglife , de leur confier le cœur de
ce Prince après fa mort. La Reine fe rendit aifément à la
demande qu'ils lui firent , en vertu de fa promefle. Le Roi
ne leur avoit promis cette faveur, qu'à condition que ceux
qui feroient choifis pour porter fon cœur, marcheroient à pied
depuis le Louvre jufqu'à la Pleche 5 mais on négligea d'ob-
ferver cette condition. Un grand nombre de Jefuites en fur-
plis, de la maifon de S. Louis, rue S. Antoine, vinrent au
Louvre dans descarofles, que la Varenne leur avoit prêtés;
ils avoient à leur tête le Père Barthelemi Jacquinot. Ces
Pères étant entrés dans la chambre du feu Roi , le prince
de Conti, pénétré de refped pour cet angufte refte du grand
Henri, & verfant des larmes en abondance, remit entre les
mains du Père Jacquinot le cœur du Roi , qu'on avoit en-
fermé dans un cœur d'argent; il le lui préfenta fur un carreau.
Jacquinot chargé de ce précieux dépôt, monta avec quatre
N ii j
1^2 SUITE DE L' HISTOIRE
Jefuites, & deux Gentilshommes ordinaires , qui portoient
Henri des flambeaux, dans le carofle, où le Roi avoir été ailafli-
,iy. né la veille; les autres Jefuites retournèrent à leur maifon
j 6 lo, dans les carofTes qui les avoient amenés. Tous faifoient pa^
„ i roître fur leur vifage une triiielTe profonde.
Quelques jours après, le Père Arnaud provincial des Je-
fuites de France, ayant pris la place du Père Jacquinot, fe
chargea de porter le cœur du Roi à la Flèche. Il fit le voya-
ge en carofle , accompagné du duc de Montbazon & de la
Varenne. On faifoit des prières pour le Roi dans toutes les
Eglifes fur le chemin, & les peuples accouroient en foule
pour arrofer de leurs larmes les rcftes de ce bon Prince.
Les Jefuites de la Flèche, les Magiftrats, ôc tous les Ordres
de la ville , vinrent les recevoir aux portes. Alors le Père Ar-
naud étant defcendu de carofle , marcha précédé de douze
Gardes du Roi; deux autres Gardeslui foûtenoient les bras^
qui tomboient de fatigue , d'avoir porté fi long-tems le cœur
du Roi , quoiqu'il ne fût pas d'un grand poids. On verfa de
part & d'autre beaucoup de larmes ; & il ne manqua rien
- au fpedacle. Enfin on arriva à l'Eglife , où il y eut beaucoup
de larmes répandues , lorfqu'on prononça fon éloge funèbre.
Après la célébration des SS. Myftéres , on dépofa le cœur
du Roi dans un caveau ; (i) un fervice annuel fut établi pour
le repos de fon ame ; (i) enfuite on cria : f'^ive le roi Louis,
Prccas de Le 1 7 du mois de Mai , Ravaillac ayant été conduit de-
Ravaillac. vant les préfidens de Harlay & Potier, Courtin & Boiiin Con-
feillers en la Cour, il répéta tout ce qu'il avoit dit au pré-
fident Jeannin ; ajoutant qu'il étoit entré quelques années au-
paravant chez les Feùillans , pour être frère convers : Qu'ayant
été renvoyé, àcaufe des noires idées, & des vifions quil'a-
gitoient, il avoit poftulé pour êtfe reçu parmi les frères Je-
fuites, appelles coadjuteurs temporels; mais qu'on l'avoit re-
fufé , parce que la Société ne recevoir jamais perfonne qui
eût été dans un autre Ordre : Qu'cnfuite ayant été tourmenté
plufieurs fois de vifions , il étoit venu deux fois à Paris ,
(t) II eft aujourd'hui place dans la nef à \ (1) Ce fervice fe célèbre tous les
"droite en haut, contre la muraille. De t ans ,& on y prononce toujours l'élo-
Tautre côté à gauche, eft celui de Marie 1 gc funèbre cte Henri IV.
;dc Medicis,
DE J. A. DE THOU, Liv.III. toj
d'abord dans le defîein de perfuader au Roi de chercher les
moïens de ramener les Hérétiques à la religion Catholique : Henri
Qu'il avoir découvert ce deflein au père d'Aubigny Jefuite, IV.
au curé de faim Se vérin, & au père de Sainte Marie-Mag- i <j i o^
delaine Feuillant : Qu'il avoir raconté au père d'Aubigny
toutes les apparitions qu'il avoit eues en fonge , & pendant
ie jour : Qu'il avoit vu de la fumée de fouffre & d'encens ,
des hofties plus larges les unes que les autres , & entendu
fonner des trompettes , comme dans un combat : Qu'enfuite
il lui avoit montré un petit couteau y fur lequel étoient gra-
vés un cœur & une croix : Qu'il avoit dit à ce Jéfuite , qu'il
falloit que le cœur du Roi fût animé contre les Hérétiques,
pour leur faire la guerre : Que le père d'Aubigny lui avoit ré-
pondu que tout cela n'étoit que vidons & rêveries 5 qu'il
falloit prier Dieu fans ceffe pour en être délivré i qu'au relie il
pouvoir chercher l'occafion de parler au Roi par le moïen
de quelque feigneur de la Cour.
Ravaillac dit que le Jefuite l'ayant renvoyé avec cette
réponfe , il ne l'avoit pas revîi depuis : Qu'enfuite il avoit
cherché plufieurs fois les moyens de parler au Roi , ce qui
lui avoit toujours été refufé : Que s'étant adreifé une fois à
ce Prince même dans fon carolle en termes fupplians , on
l'avoit chaÛe à coups de canne : Qu'après cela il étoit re-
tourné à Angoulême , où il avoit formé la réfolution de tuer
le Roi , fur-tout parce qu'il ne chaflbit pas les Hérétiques de
France, & qu'on difoit qu'il ne vouloit pas punir les auteurs
d'une conjuration contre les Catholiques j & qu'il avoit def-
fein de tranfporter le faint Siège à Paris j ce qui étoit faire la
guerre à Dieu, parce que la véritable converfion de cette
propofition : Dieu ejî Pontife eft celle-ci : Le Pontife ejî Dieu.
Il ajouta qu'il étoit revenu tout plein de cette idée à Pa-
lis : Qu'avant de fe rendre en cette ville , il s'étoit confefle
à un Prêtre , dont il dit ne fçavoir le nom , d'avoir eu la pen-
fée de tuer quelqu'un , fans fpécifier perfonne en particu-
lier ; que cette déteftable penfée lui étant revenue à l'efprit ,
il n'avoit pas voulu faire fes Pâques; qu'il n'avoir ofé fe dé-
couvrir plus ouvertement à un confefTeur, de crainte qu'en
vue de la fureté publique , il ne vînt à révéler fa corfefTion ,
&: qu'on ne le punît de la fimple penfée , comme s'il eût
ro4 SUITE DE L'HISTOIRS
■ commis le crime: Qu'étant revenu à Paris, il avoir pris danj
H E N R I ^^^ cabaret, à deffein d'exécuter fon projet , un couteau,
IV. ^^'^^ avoit porté quelques jours dans fa poche : Qu'enfuite ,
I 5 I o. ^y^^"^*^ changé tout à coup , il avoit repris le chemin de fon
pays , & cafîe la pointe de fon couteau à une charette près
des jardins de Chantelou 5 mais que peu de jours après , par
une cruelle fatalité , ayant été dans le fauxbourg d'Etampes
faire fa prière devant une ftatuè de Jefus-Chrift flagellé ^ il
avoit été tourmenté de nouveau par la déteftable penfée de
tuer le Roi : Qu'il avoit aiguifé fon couteau fur une pierre ,
réfolu d'exécuter fon projet ^ auffi-tôr après le couronnement
de la Reine j parce que fi la mort du Roi caufoit des trou-
bles , il y auroit alors moins de danger. Il ajouta qu'il n'a-
voit ni connoiflances , ni amis à Paris , à la réferve de quel-
ques Jacobins de fon pays , dont il fréquentoit FEglife.
Le premier Préfident fit préfenter à Ravaillac le couteau
dont il avoit aflalTiné le Roi. Ce fcélérat le reconnut , & de-
manda un papier qu'il avoit fur lui , lorfqu'il commit fon
parricide. Les armes de France étoient peintes fur ce papier,
entre deux Lions , dont l'un portoit une clef, & l'autre une
épée 5 il le reconnut , & dit qu'il l'avoit apporté d'Angoulê-
me i après avoir repris le deflein de tuer le Roi , en enten-
dant dire dans la maifon d'un certain Beliard que le Roi avoit
répondu au Nonce , qtii fe plaignoit de ce qu'on portoit la
guerre en Italie , & qui le menaçoit de l'excommunication :
Que file pape ofoit faire la moindre chofe contre la ma-
jefté du nom Franc^ois , il lui ôteroit tout ce que le Saint Siège
tenoit de la pieté & de la libéralité des Rois de France fes
prédécefleurs : Que ces difcours l'avoient extrêmement ani-
mé contre le Roy : Qu'il avoit écrit au-delfus de la tête des
lions dans ce papier les deux vers François qu'on y voyoit,
' & dont voici le fens : Nefouffrez pas qu^onfajfe aucun outra-
ge à votre divin nom en votre préfence.
Enfuite le premier Préfident lui fît apporter un reliquaire ,
fait en forme de cœur ^ que Ravaillac reconnut auffi j ajou-
tant qu'il lui avoit été donné par Gujllebaut ^ chanoine d'An-
goulême : Qu'il y avoit dedans un morceau de la vraïe Croix ,
& le nom de Jefus ; Qu'il avoit été béni parles Capucins , &
gu'il l'avoit potté comme un prefervatif contre les fièvres.
Ce
DE J. A. DE TPÎOU, Liv. lîl. loy
Ce reliquaire ayant été découru , & le morceau de la vraïe
Croix ne s'y trouvant point, Ravaillac s'écria que l'impoIlLire Henri
retomberoit lur les impofteurs , & non fur lui. Il reconnut en- I V.
core un autre papier , où le nom (Je Jefus étoit écrit trois i 6 1 o.
fois.
Ayant été ramené le lendemain devant les Commiflaires , ^
fes réponfes furent conformes à l'interrogatoire de la veille ;
îl perliiia toujours à dire que perfonne ne l'avoir fuborné ;
qu'il n'elpéreroit pas en la miféricorde de Dieu , s'il cachoit
fes complices. On lui confronta le même joiu' le père d'Au-
bigny 5 il le reconnut , & foutint toujours qu'il avoir eu avec
iui l'entretien qu'il avoit rapporté. D' Aubigny , de fon côté ,
nia conftamment qu'il lui eut jamais parlé.
Le lendemain , ayant encore comparu devant fes juges ,
on le prella par la miféricorde de Dieu , s'il efpéroit encore
en elle , de déclarer fes complices. Il perfévéra à dire qu'il
n'en avoit point 5 qu'il n' avoit été féduit, ni par fraude, ni
par aucuns artifices , mais feulement par la croïauce où il
étoit, que le Roi alloit faire la guerre au Pape. Le premier
Prélident lui ayant dit j que du moins il avoit dû abandon-
ner fon deilein le jour de Pâques j Ravaillac répondit, que
c'étoit ce jour-là même qu'il étoit forti d'Angoulême pouï
l'accomplir 5 & qu'il s'étoit abftenu par cette raifon de com-
munier : Qu'ayant néanmoins fait dire ime meile en fon in-
tention , il y avoit aiTifté : Que fa mère s'y étoit approchée
de la fainte table , à laquelle il croyoit avoir participé , fi-
non réellement, du moins en efprit, en vertu de la com-
munion des Fidèles , comme il comptoit avoir part à toutes
les prières & à tous les facrifîces qui fe faifoient aduellement
dans l'églife Catholique , Apoftolique & Romaine , dont il
fe flatoit d'être membre en Jefus-Chrift. Il ajouta qif il prioit
la très-fainte Vierge , les Apôtres faim Pierre & faint Paul ,
& fur-tout faint François , faint Bernard , & tous les Saints ,
d'intercéder pour lui auprès de Nôtre-Seigneur j qu'il ne dé-
fefpéroit pas de communiquer aux mérites de fa pafiion , ôc
aux autres grâces , dont le Fils de Dieu avoit confié la dif-
penfation à la puillance Apoftolique , endifant : Tu es Pierre ,
p' fur cette pierre je bâtirai mon Eglife.
1.QS Juges voyant qu'on n' avoit pu dans fes interrogatoii
Tome XK Q
10^ SUITE DE L'HISTOIRE
res tirer aucun aveu , par rapport aux complices , le firent appli-*
t r quer à la queflion , qui ne fut pas capable de lui rien faire avouer
jY C'eft pourquoi le 27 de May cet exécrable aflafTin fut dé-
^ * claré coupable de leze-majefté divine & humaine, par arrêt
portant que la maifon où il étoit né feroit rafée de fond en
Arrêt contre comble : Oue le père & la mère de ce malheureux forti-
roient du Royaume > & que les proches , & ceux qui portoient
fon nom , en prendroient un autre.
Avant de le mener au fupplice , les Juges furent d'avis
de l'appliquer une féconde fois à la queftion , où il n'avoiia
rien , quoi quelle fut des plus violentes 5 car on enfon<^a trois
coins entre les ais, qui lui ferroient les jambes i la douleur
fut fi vive , qu'elle le mit tout en fueiir, & le fit évanouir 7
on le relâcha donc , & l'ayant fait revenir à lui avec de l'eau
fraîche , on le conduifit dans la chapelle de la prifon , où
ayant été enchaîné à l'endroit ordinaire, on lui apporta à
manger.
Les dodeurs Filefac & Gamache vinrent le confoler ; ils
l'exhortèrent à ne pas laitier la Juftice & la France former des
foupçons fur plufieurs perfonnes j ils lui repréfenterent qu'il
ne devoit pas s'opiniâtrer à celer les complices d'une conf»
pirarion fi noire & fi dangéreufe à l'Etat. Ce fcélérat s' étant
confefié , les Dodeurs firent venir le greffier du Parlement ,
& protégèrent en fa préfence, que le coupable avoit de-
mandé lui-même qu'on révélât la confefïlon qu'il venoit de
faire , pour obtenir rabfolution. Ils dirent que Ravaillac leur
avoit afluré qu'il étoit feul coupable : Que perfonne ne l'a-
voit ni foihcité , ni engagé à ce crime j qu'il n'avoir eu aucun
comphce de fon delTein , au-delà de ce qu'il avoit déclaré
en préfence de fes Juges 5 & qu'il ne croiroit pas pouvoir être
îauvé, s'il mentoit en aucune manière, ou s'il cachoit b
moindre chofe.
Suj>pi;ce de C'eft pourquoi , fuivant l'Arrêt rendu contre lui , il fut
Ravaillac. conduit dans un tombereau devant l'églife de Notre-Dame ,
nud en chemife , la torche au poing , pour y demander par-v
don à Dieu ^ au Roy, & au Parlement de fon exécrable par-
ricide. Ayant enfuiteété mené à la Grève, on lui brdlaavec
du fouffre la main qui avoit tenu le couteau , dont il avoit
poignardé le Roy j on lui tenailla les mamelles, les bias.
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DE J. A. DE T H O IT, Liv. III. 107
les cuiffes & les jambes. Les bourreaux verfcrent daiis fes
playes du plomb fondu , de l'huile bouillante , de la cire , H e n r i
& du fouffre enflammes. Partout, fur le padage de ce fcé- IV.
lérat , le peuple en fureur i'auroit mis en pièces , Ci les ar- i (j" i o,
cliers n'en eulfent empêché, en prcfentant la pointe de leur
épée aux plus animés. Leur furie s'exhala en injures & en ma-
iédidions. Les Dodeurs ayant , félon la coutume , commencé
la prière , on les interrompit par un torrent d'exécrations qu'on
vomit contre ce monftre. Le greffier en prit occafion de l'ex-
horter à découvrir fes complices , pour appaifer la fureur du
peuple, qui lui refufoit toute compalfion, dernière rellburcc
des malheureux.
Ravaillac répondit toujours qu'il n'avoit point de compli-
ces 5 c'eft pourquoi il fut tiré à quatre chevaux pendant une
heure 5 & ayant enfin rendu le dernier foupir , fes membres
furent partagés en quatre parties. L'Arrêt portoit qu'ils fe-
roient brûlés j & les cendres jettées au veny mais le peuple
ne trouvant pas le fupplice aflez grand pour un crime fî
énorme &fi noir, fejettafur les bourreaux , leur arracha ces
membres fanglans , les traîna dans les rues , & les brûla avec
les derniers tranfports d'une extrême flireur. Il vomit les plus
horribles imprécations fur ces reftes affreux du monftre , qui
venoit d'ôter un (1 bon Prince à la France. A force de traî-
ner ces membres déchirés, de frapper defllis, &de les met-
tre en pièces, il n'en refta rien pourjetter au feu.
Cet horrible attentat , & le filence opiniâtre que les tour- Jugemens d\î
mens les plus cruels ne purent faire rompre à ce miférable , • ^^ ^^^ m" ces
donnèrent beaucoup à penfer à bien des gens , furtout à ceux de Ravaillac,
qui fe repréfentoient qu'il avoit pu fe trouver dans la ca-
pitale , au milieu d'un peuple fi zélé pour fon Roi , un Çcé-
lèrat allez hardi , pour aflaffiner de lui-même , fans y être fol-
îicité par perfonne, un Prince aimé de fes fujets, craint au-
dehors, & dont la vie étoit fi chère & û utile à la Prance.
On crut qu'il y avoit eu de la négligence des Juges, qui à caufe
des différens mal éteints & récens de quelques Grands avec le
Roi , craignirent de découvrir des cbofes , qui leur auroient
fait des ennemis. Car pourquoi ne pas faire venir d'Angou-
lême les perfonnes , que Ravaillac difoit avoir connues , ou
avoir été fes amis, dans le temps qu'il partit pour exécutet
O i j
H
E N R I
IV.
. i3
6" I 0.
loS SUITE DE L'HISTOIRE
fon deiTein , comme Beiiard & Breteau ? Pourquoi ne lui con-
fronter pas fa mère , au fçû de laquelle il ctoit parti de fon
pais, ôcs'étoit abftenu d'approcher de la fainte table? Pour-
quoi ne le confronter pas avec le curé de faint Severin ôc
le Feuillant j dontilavoit parlé, & n'appeller que le Jéfuite
d'Aubigny , puifqu'il eft certain que le moindre indice fuf-
fit quelquefois pour découvrir entièrement la vérité/ Qu'elle
raifon avoit - on de défendre au criminel de parler à des per-
fonnes d'une certaine condition, tandis qu'on le laiflbit par-
ler librement à tous ceux qui voulurent le voir pendant
prefque tout le temps de fa prifon , qui dura treize jours.
Conjcaurcs Les plus éclairés du Parlement penferent , que les partifans
^u Jeurt^^dc ^^^ Efpagnols ( tels qu'on en voit plufieurs en France , dans
Hcmi. ' les couvens des Moines de certains Ordres , qui ont pris naif-
fance en Italie ) ayant remarqué dans le tribunal de la con-
feffion, la difpofition de ce miférable au fanatifme, avoient
achevé de lui troubler Tefprit, & l'avoient fait épouvanter
chaque jour par leurs émiifaires , en lui infinnant que le but
des expéditions militaires du Roi , éroit de fecourir les Pro-
teftans d'Allemagne contre les Catholiques, & d'abandon-
ner ritalie au pillage des foidats de Lefdiguieres , qui la plu-
part étoient Calviniftes : Qu'on lui avoit fait entendre que
tous ces malheurs^ qui menaiçoient la Religion & le faint
Siège , ne dépendoient que de la vie d'un feul homme.
Peut-être même ces Moines étoient-ils aflez imbéciles , pour
croire que ce qu'ils lui difoient étoit vrai. On ajoûtoit que
Ravailîac , déjà plein d'un zélé faux & indifcret , avoit pu fe
laider féduire par ces artifices , & fe déterminer à une adion ,
qui lui paroiflbit méritoire , en s'expofant à perdre le peu de
vie qui lui reftoit, & qu'il traînoit peut-être dans la mifére.
Les obfervations qu'on fit alors , donnent aflez de vrai-
femblance à ces conjedures ; car quelques délateurs mouru-
rent en ce temps-là, & il y eut des indices, que leur mort
n'avoit pas été naturelle. D'ailleurs on apprit par des lettres
écrites de Bruxelles , d'Anvers , de Malines & de Bois-le-
Duc , que le bruit du meurtre du Roi avoit couru avant le
15" du mois de May. Ce fut ce même mois que le Roi fat
tué , après avoir écrit aux Archiducs , qu'il étoit fur le point
de joindre l'armée.
DE J. A. DE tHOU, Liv. III. ïop
Parmi les principaux qui étoient de ce fentiment, Jac-
ques-Augufte de Thoufut d'avis, que punqu il paroillbit par Henri
les aveux du meurtrier, qu'il n'avoir formé une Ci déteftable j y^
réiblution , que par un efprit de fuperftition ; que d'ailleurs i ^ i o;
ce zélé faux & aveugle s'augmentoit tous les jours ; que l^s . . , ,
dcfenfeurs des opinions ultramontaines publioient des livres fident de
remplis de dogmes pernicieux , tendans à perfuader au peu- '^^^°"'
pie fimple & crédule , que les Royaumes & les Rois ne fub-
îiftoient 6c ne tomboient , qu'autant qu'ils méritoient la fa-
veur , ou la haine de la cour de Rome: Que chaque lu jet,
quel qu'il fut ^ pouvoit & devoit tuer un tiran , non-feulement
à force ouverte , mais encore en lui dreflant des embûches ;
&que les Princes qui refufoient de fuivre les vues toutes Ef-
pagnoles des Papes , étoient des tirans : Que puifqu'on don-
noit aux fimples cqs dangereufes erreurs pour des articles
de foi ; que les Evêques* eux-mêmes , aveuglés par le défir
d'obtenir un jour la pourpre Romaine, fermoient les yeux à
de il grands abus j il étoit à propos que le Parlement ordon-
nât par un arrêt aux dodeurs de Sorbonne , d'examiner ce
qui étoit de droit divin , & ce qui étoit l'ouvrage de la ma-
lice des hommes dans cette matière ; afin de donner une
décifion propre à détromper le vulgaire de ces fuperftitieu-
fes idées , qui font les plus féduifantes en apparence : Que
ces Dodeiu-s dévoient le faire d'autant plus volontiers Ôc
plus fûrement , que les profefTeurs en Théologie de cette mai-
fon avoient condamné deux cens ans auparavant les mêmes ^
dogmes du confentement de cent quarante Dodedrsj déci-
fion que le concile de Confiance avoir adoptée dans la
fuite. » Si on avoit ainfi traité ces dogmes ( ajoûtoit de Thou)
» lorfqu'ils n' avoient point encore produit de funeftes effets?
» que ne doit-on pas faire contre eux , depuis qu'ils ont enfanté
» des monflres femblables aux Clemens , aux Barrières , aux
3> Chaflels & aux Ravaillacs ? Avec quelle ardeur ne doit-
3" on pas les condamner , après qu'ils ont pouffé tant de fcé-
» lérats à attenter à la vie de nos Rois depuis vingt ans ?
Cet avis du préfident de Thou ne fut d'abord écouté Arrêt du Par-
que de quelques Confeiliers. La plupart accoutumés à exa- 'em-.t pour
miner des procès pour gagner des épices , ne s'embarraflbient îj^/'j.''^^^ '^^ la
guéres de faire des réglèmens pour la fureté de leurs nos Rois,
Ojij
lia SUITE DE L'HISTOIRE
— defcendans. Après avoir néanmoins condamné le coupable
He N R I à d'affreux tourmens, ils failirent avec vivacité ce qu'ils n'a-
I V. voient pas d'abord jugé digne de leur attention 5 ils ajouté-
ï 510. rent feulement qu'il falloit énoncer dans l'arrêt ce qui re-
gardoit le parricide , féparément de ce qui concernoit le dé-
cret de la Sorbonne & du Concile. Le préfident de Thou n'au-
roit pas opiné d'une autre manière.
C'eft pourquoi le lendemain le Doyen & les Syndics de la
Sorbonne ayant été mandés, le premier Prélident leur parla
fortement , pour renouveller le décret du concile de ConC-
tance 5 & leur ordonna de rapporter à leurs confrères ce qu'il
leur avoir dit. Ils obéirent en diligence 5 & ayant fait ledure
de l'arrêt du Parlement aux D odeurs aflemblés , on décida
tout d'une voix , que les anciens dodeiu's de Sorbonne
avoient fagement défendu de foûtenir cette propofition : //
ejî permis de tuer un tiran : Que cela' étoit contraire à la foi :
Que les Pères dans la primitive Eglife avoient eu recours à
la fuite , ou à la patience , contre les perfécutions des tirans
les plus impies , & n avoient attenté fur leur vie , ni fecré-
tement , ni à force ouverte. On ajoûtoit , que recevoir
cette propofition générale , c'étoit introduire la fraude , l'im-
piété , la perfidie , & le menfonge ; étant libre aux fadieux
de penfer , ou de juger du Prince à leur gré : Que fi le cri-
me fe couvroit du voile de la Religion , les funples aveu-
glés par des idées fuperftitieufes fe porteroient à d'odieufes
extrémités : Que les louanges que Jean Gerfon , ce profond
théologien , donne au décret de la Sorbonne , & à l'appro-
bation du concile de Conftance, l'un de l'an 141 3 , <Sc l'au-
tre dé 141 ^ où l'on taxe d'héréfieles auteurs de cette doc-
trine damnable , font juftes & raifonnables : Qu'ainfi la Sor-
bonne affemblée regardoit comme des ennemis de la fociété
Chrétienne, ceux qui la deshonoroient par de fi infâmes
erreurs.
L'ancienne dodrine ayant été renouvellée par im décret;
on arrêta, que tous Dodeurs & étudians en Théologie, fe-
roient ferment tous les ans de tâcher fans relâche , foit dans
la Chaire , foit dans leurs écrits , ou par leurs exhortations
particuUéres , de perfuader aux Fidèles , qu'il n étoit permis
% perlbnne , fous cjuelque prétexte que ce pût être , d'atten-
DE J. A. DE T HOU, Liv. III. itt
ter à la vie d'un Prince , ou de toute autre PuifTance ; dé-
clarant calomniateur de la dodrine Chrétienne , impie & hé- H e n r i
rétique , quiconque penferoit , enfeigneroit , ou écriroit le I V.
contraire. i^io.
Edmond Richer alors Syndic, ayant apporté au Parlement ^ ,
11 11 j j 1 ^ 11 Condamna-
le décret de la Sorbonne , eut ordre de la Cour de le re- tioi du livre
mettre aux Gens du Roi. Ce Dodeur infmua en même tems «leMamna.
que l'on faifoit lire au public des ouvrages de Jean Maria-
na, de Clarus Bonarfcius, ou plutôt de Charles Scribanius,
ôc d'Emmanuel Sa Jefuites^ ouvrages pleins de cette doc^
trine impie, dont le meurtre & le poifon étoient les fruits
odieux. Il infifta principalement furie livre de Mariana, in-
titulé:!)^ Régis inftitutionc, dans lequel ce Théologien loue
beaucoup l'aflaffin de Henri III. & déprime l'autorité du dé-
cret approuvé par le concile de Conftance , comme ne
l'ayant pas été par le Pape. Les Gens du Roi indignés de la
fcéiératelfe de cet écrivain, demandèrent, en requérant que
le décret de la Sorbonne fût enregiftré , que l'on condam-
nât l'ouvrage de c^t Efpagnol à être brûlé par la main du
boureau.
Quelques membres du Parlement , foit par inclination pour
la Société , foit par (implicite , s'étendirent en cette occa-
fîon fur les louange* des Jcfuites, & furent d'avis de ména-
ger la réputation de ces Pères , à qui , difoient-ils ^ la Reli-
gion & les Lettres avoient de grandes obligations. D'autres
appréhendoient d'attirer par cette démarche la colère du Pa-
pe. Il y en eut enfin qui dirent que le décret de la Sorbon-
ne étoit défedueux , en ce qu'il avoit été fait fans confulter
i'évêque de Paris. Antoine Seguier l'un des Préfidens ^ dit
finement , qu'il falloit examiner fi l'Arrêt du Parlement au fu-
jet du décret en queftion, dont il n'attaquoit pas la validité,
avoit pu être légitimement rendu. Alors il propofa, pour
développer fa penfée en faveur de l'aptorité Epifcopale , la
plupart des raifons, dont l'ambition du Clergé s' appuyoit de ,
jour en jour. Mais le plus grand nombre ayant dit que la
fureté de l'Etat & du Prince devoir être pour eux une loi
fuprême j & qu'on ne pouvoir , fans fe rendre coupables , dif-
(Imuler une dodrine fi pernicieufe & fi erronée , ils entraî-
ncrem toute la Compagnie.
Hegis
tione
112 SUITE DE L'HISTOIRE
La honte réiinit à cet avis prédominant tous ceux qui s'en
H E N R I ^'^^^^^"^^ d'abord éloignés; on ufa feulement du ménagement
T^y de ne point qualifier Mariana ni dejefuite,i^ d'EipagnoL
, ^\ Q L'Arrêt rendu en conféquence fut enregiftré le huitième du
mois de Juin. Le livre condamné fut lacéré & hrûlé par la
Son livre de main du boureau dans le parvis de Nôtre-Dame. Exprefles
^ ' cft brûlé inhibitions furent faites à tous Libraires de vendre ce livrer
par la main & défenfes , fous peine de crime de leze-Majefté, de rien
oureau. £^|j.g ^ ^^^.^ ^ ^^^ enfeigner de contraire à la dodrine du décret
de la Sorbonne.
C'eft la coutume de ne célébrer les funérailles de nos
Obfequesdu "^q^^ ^ q^g quarante jours après leur mort. Ce tems eft em-
ployé à faire les préparatifs de la pompe funèbre. Pendant
ces quarante jours, on met furie cercueil de plomb, où le
corps du Roi eft enfermé , une image de cire , qui repré-
fente le Prince , comme s'il étoit vivant. On place en cet en-
droit le fauteuil du Roi , & on fert fa table aux heures du
repas à l'ordinaire. Les Ofnciers font les mêmes fondions
que du vivant du Roi ; la table eft deile|vie enfuite , & les
mets fe diftribuent aux pauvres. Des Prêtres jour & nuit,
aflis autour du cercueil , récitent l'Office poiu* les morts. Ce
terme étant expiré le 25: de Juin, le jeune Roi prit l'habit
de deuil de cérémonie à l'hôtel de Longueville , d'où il fe
rendit au Louvre, accompagné des Princes du Sang, des
autres Princes, & d'iuie foule de Courtifans. Il y jetta fur
ie cercueil de l'eau-benite , qui lui fut préfentée par un
Prêtre.
Le lendemain, Guillaume Pot fieur de Rhodes, grand-
Maître des cérémonies, avertit le Parlement ^ & Jes autres
Ordres, que les funérailles du Roi fe feroient un tel jour,
& l'invita de la part de la Reine de s'y trouver en grand
nombre. Le premier Prélident de Harlay répondit à de Rhodes,
les larmes aux yeux , que le Parlement s'emprefleroit à rendre
à la mémoire d'un 11 grand Prince , tous les honneurs qui
lui étoient dûs. Enfuite vingt-quatre Hérauts anoncerent , en
fonnant des clochettes, la pompe funèbre de très-haut , très-
puiftant, & très-excellent prince Henri le Grand , roi de Fran-
ce & de Navarre , très-chrétien , irès-augufte , très-invincible,
incomparable par fa magnanimité, 6c par fa clémence. Le
furnom
DE J. A. DE THOU, L i v. I ï I. "rfj
fiirnom de Grand demeura enfuite à ce Prince. b^«»^b«w«™.
Le 28 de Juin, le Parlement en deuil , partit de la Cour Henri
du Palais, pour fe rendre au Louvre , où il jetta de l'eau jy^
bénite fur le cercueil , aufli bien que tous les autres Ordres, i 5 i o.
Le lendemain, environ une heure après midi, le Parlement
revint en robes rouges , précédé de fes HuiiTiers en deuil.
Il s'arrêta dans la falle du Confeil, en attendant qu'on eût
apporté l'image du Roi en cire , qui repréfentoit le Roi dans
toute fa majefté, comme s'il croit vivant.Le Parlement étoir en
robes rouges,tandisque tous les autres Ordres étoient en deuil,
parce qu'il repréfente la JuRice , qui n'eft pas même interrom-
pue par la mort du Roi. Les Ordres militaires de la ville, les Ju-
rifdidions fubalternes , les Religieux, le corps de l'Univerlité
marchoient à la tête de la pompe funèbre ^ fuivis des Gentils-
hommes fer vans , qui portoient les armoiries & les autres mar-
ques d'honneur, Venoient enfuite plufîeurs Evêques, le Non-
ce du Pape , les Ambafladeurs des Cours étrangères , deux
Cardinaux , les Précepteurs du Roi régnant, & le grand-
Ecuyer. ParoilToit enfin l'image du feu Roi dans une litière
ouverte , portée félon l'ancien ufage par les portefaix du gre-
iiier à fel. Le Parlement environnoit la litière , derrière la-
quelle on voyoit les Princes du Sang en deuil, les autres
Princes , les Chevaliers de l'Ordre du Roi , cent Gentils-
hommes, & enfin les Gardes du corps.
Henry de Gondy évêque de Paris , & Charle Miron évê- Contcftation
, , . pour le pas
•que d'Angers , qui faifoit les fondions de Grand- Aumônier dans la mar-
-pour le cardinal du Perron , quittèrent le cercueil , auprès ^^? d" con-
duquel leur miniftére, & l'ordre des funérailles dévoient les
retenir, pour fe mêler, quoique en deuil, parmi les mem-
bres du Parlement , qui étoient en robes rouges. Miron étoit '
mal intentionné pour le Parlement. Ces Prélats ayant refufé
de fe retirer, après en avoir été avertis, le Parlement &
toute la pompe funèbre s'arrêtèrent. Ils fe défendoient de quit-
ter une place qu'ils difoient n'avoir prife que par l'ordre du
M^îtte des cérémonies. Celui-ci ayant été appelle, envoya
un Héraut de l'Ordredu S. Efprit , pour apporter la relation des
funérailles de Henri II. qui avoir été publiée par le Héraut
d'armes, homme grofTier & fans lettres.
Cette relation portoit que l'èvêque de Paris & le grand-
Tome XK V
iï4 SUITE DE L'HISTOIRE
Aamônier avoient eu leur place auprès de la l'effigie du Roi;
H E j^ R I Les regiftres du Parlement difoient le contraire, & fur tout en
j Y^ pariant de la pompe funèbre de Charles IX. D'ailleurs on voyoit
j 6 I o, ^^^^ le peu de foi que méritoit cette relation , qui ne marquoit
ni dans quel rang de la Pompe funèbre étoit le corps du Roi,
dont elle rapportoit les funérailles, ni même que l'image de cire
fut placée furie cercueil , fi ce n'eftlorfqu'elle dit que le corps
fut dépofé dans l'Eglife de Nôtre-Dame. Charles de Bourbon
comte de Soldons, grand-Maître de la maifon du Roi, ac-
courut au bruit de la conteitation , qu'il ne voulut pas déci-
der ; ce n'eft pas qu'il ne connût bien le droit du Parle-»
ment, mais il craignoit d'oiFenfer les parties.
La nuit étoit fur le point d'arriver, lorfqu' on difpiitoit eiv-
core dans la cour du Louvre j & le ferein commença à in-
commoder plufieurs perfonnes. Ainfi la pompe funèbre fe
mit en marche , fans que la chofe ivit terminée. Cependant
les Evêques n'étoient pas entièrement en poflefîion de la
place qu'ils vouloient prendre. Car le Greffier & les Huit
iîers du Parlement reftoient avec opiniâtreté aux pieds de
l'image du Roi. Enfin on arriva à Nôtre -Dame, où le
corps du Roi fut dépofé. On fit les prières accoutumées , 6c
chacun fe retira jufqu'au lendemain, jour auquel les funé^
railles fi.irent remifes.
Le Parlement s'alTembla le jour fuivaiit , pour examiner
le fujet de la conteftation de la veille. On confulta les re-
giftres, le livre de Jean du Tillet, ancien greffier au Parle*
ment , qui connoiflbit parfaitement ces fortes d'ufages > &
tous les anciens mémoires. Tous ces monumens s'accordoient
en ce point; fçavoir, que l'Evêque de Paris étoit le Curé du
Roi , d'où il réfultoit qu'il étoit du devoir de ce Prélat d'ad-
miniftrer les chofes faintes au Roi j qu'ainfi il devoit inhumer
le corps du Prince , & par conféquent fuivre immédiatement
le cercueil , & non l'image en cire , qui ne contient pas la
dépouille mortelle du Roi , mais qui le repréfente au con-
traire dans toute fa majefté , comme le chef de la Juftice :
Que fî le Parlement environnoit cette image, couvert de
robes rouges , ce n'étoit pas pour fe faire honneur, mais pour
repréfenter le Roi dans toute fa fplendeur : Qu'autrefois l'ima-
ge étoit placée fur le cercueil j ce qui pouvoit être caufe
DE J. A. DE THOU, Lfv. m. ir;
ique la place de l'Evêque avoit été marquce aux pieds de
cette 5 image mais que dans la fuite far l'obfervation qu'on H e n r
fit qu'il ne convenoit pas que le fujet des obféques fut deilcus I V.
l'image , qui repréfentoit le Roi comme vivant , oh avoit 1610.
féparé le corps d'avec l'image , & l'Evêque d'avec le Par-
îement.
C'eft pourquoi on réfolut de fe conformer aux ufages pré-
fens, & d'afllgner à chacun le devoir qu'il avoit à remplir.
Il fut donc arrêté que l'Evêque devoir inhumer |e corps,
& fîue le Parlement devoit environner l'image de la Jufti-
ce vivante de Sa Majefté. En conféquence on fit avertir l'E-
vêque de Paris , de ne plus s'opiniâtrer à troubler l'ordre de
îa* pompe funèbre par une affedation déplacée. Endiite le
Parlement alla à Nôtre-Dame, pour entendre l'oraifon fu-
nèbre de Henri , qui fut prononcée par PhiHppe Cofpean
nommé depuis peu à Pévêché d'Aire. L'Evêque de Paris ayant
reçu l'avertiflement du Parlement, en demanda copie, com-
me font tous ceux qui veulent gagner du temps, fous prétexte
qu'il ne vouloit faire fa réponfe que par écrit.
Pendant ce tems-là, le duc d'Efpernon, qui étoit allié de
très-près à ce Prélat, fier de fon crédit à la Cour, & d'un
efprit turbulent, qui ne foufifroit qu'à regret une domination
légitime , obféda la Reine , & l'engagea à donner le defîbus
au Parlement dans cette affaire , en exagérant à cette Prin- "
ceffe le refped dû à la dignité Epifcopale. Le Chancelier
ne fut pas fâché de cette mortification d'un Corps , qui de-
voir veiller fur fes démarches. La Reine qui étoit facile ,
appuya l'opiniâtreté des Evêques, fans entendre le Parlement.
Le duc d'Efpernon faifant inftance , pour que cette décifion
en faveur de l'Evêque fut rédigée par écrit , & qu'elle fût fi-
gnée, comme émanée du Confeil du Roi, le Chancelier par
une adreiTe , qui fut enfuite d'un grand ufage , jugea plus à
propos de mettre la chofe fur le compte de la Reine , en
faifant ordonner en fon nom par le comte de Solfions à l'E-
vêque de Paris, de fe tenir auprès de l'image. -
L'heure de la pompe funèbre approchant , le Parlement
fe rangea autour de la litière du Roi. Les Evêques de Paris
& d'Angers s'appuïant fur l'ordre qu'ils attendoient , aufll
fiers que s'ils euilent remporté une victoire fur les ennemis^
ïi^ SUITE DE L'HISTOIRE
I I m fe placèrent à toute force aux pieds de l'image , difaiit hau-<
Henri ^^^"^^^^^ qu'ils avoient fur eux l'arrêt du Confeil du Roi. Le
jY Parlement qui f<çav oit le contraire fot indigné de voir qu'on
j 5 I o. ^^^^ ^^ fervir du nom du Roi même, pour donner atteinte à
la majeftc du Roi. On marcha cependant 5 & les huifliers
qui étoient en affez grand nombre , criant qu'on leur fit pla-
ce, les Evêques furent fi ouvertement repoulfés , qu'ils apprê-
toient déjà à rire aux fpedateurs. Alors s'étant arrêtés j tout
îe Parlement s'arrêta aufil.
Cependant le duc d'Efpernon avoit expliqué l'ordre de la
Reine au comte de Soiffons. Ce Prince fier & impérieux étoit
irrité contre le Parlement , de ce qu'il avoit fans fa partici-
pation accordé la régence à la Reine mère , dans un temps
qu'il n'étoitque peu éloigné de Paris. Ainfi faififlant avec feu
l'occafion de faire éclater fon reffentiment , il vint à la tête
d'une compagnie des Gardes , & parla très-rudement aux
membres du Parlement. Il dit que les Evêques dévoient être
aux pieds de l'image du Roi : Que tels étoient les ordres de
la Reine. Quelqu'un ayant répliqué que le Parlement ne croi-^
roit jamais que la Reine les eût condamnés fans les enten-
dre j le Comte repartit vivement: » Eh bien, fçachez que c'efl:
» une chofe décidée , & qu'on n'y changera rien. « Le Parle-
ment ne s'en étant pas ébranlé davantage , le Comte tout
bouillant de colère, dit qu'il y alloit de la tête d'exécuter
les ordres du Roi , tels qu'ils étoient , ôc qu'il falloit obéir fans
délai. En même temps il donna ordre à ceux de fa fuite d'ac-
complir les ordres de Sa Majefté. S'étant aufll-tôt approchés ^
ils fe faifirent de Paul Scaron confeiller.
Le Parlement , fans s'opiniâtrer davantage , fe retira , à la
réferve d'Antoine Seguier, qui étoit depuis long-temps ami
du duc d'Efpernon. Tout le refte protefta de la violence
qu'on leur faifoit. Un des membres du Parlement dit dans
la foule , qu'il viendroit un temps , où les regiftres du Par-
lement feroient reflbuvenir de l'outrage qu'on leur faifoit
alors. Le Comte s'échauffant de plus en plus à ces paroles ,
en chercha l'auteur avec des yeux menaçans 5 mais perfonne
ne le découvrit; s'étant néanmoins im peu radouci ^ un au-
tre Confeiller lui dit poliment : ^ Monlieur le Comte ; vous
» vengerez un jour vous-même l'injure faite au Parlement*
:t î):E. J. a. de THOU^Liv.ÏIL 117
=* & quand vous aurez examiné le droit dont il s'agit, vous
'' conviendrez de l'injuftice qu'il y a de nous faire un fem- rr
* blable traitement. » Le Comte entièrement calmé ^ répartit : t v
^Je refpede fort l'autorité du Parlement , & jefouhaite de ^ * ,
3^ le lui prouver j mais que voulez-vous.. que je faffefje fuis
» obligé d'exécuter les ordres du Roi>A :^'!
.-; Les Confeillers ayant confuîté entre eux^ jugèrent ^ que
la démarche qu'ils feroient en fe retirant tout-à-fait, feroii:
de mauvais augure , pour le régne du nouveau Roi, & pou-
voit augmenter le péril oùfe trouvoit l'Etat, ébranlé parle
fort imprévu du grand Prince , qui faifoit couler leurs lar-
mes : Qu'il étoit donc plus à propos de plier , après avoir fuf-
fifamment fait voir que robéilfance qu'on éxigeoit d'eux étoit
injufte, que de donner nn exemple de rébellion aux fac-
tieux par une fermeté déplacée. C'eft pourquoi s' étant rap-
prochés de la litière du Roi , ils continuèrent à marcher. Les
Evêques ne confervoient qu'à peine la place qu'ils avpient
ufurpée , ôc étoient fort fâchés de voir qu'on les preiToit ex-
trêmement, enforte qu'on leur faifoit prefque perdre leur
place.
Cependant la pompe funèbre s'avançoit versfaint Denis î
lieu de la fépulture de nos Rois. On étoit déjà arrivé au faux-
bourg faint Lazare, & l'on s'étoit arrêté pour dire les priè-
res d'ufage, qui dévoient être faites par l'Evêque , fuivantce
qui fe pratique dans les funérailles des Rois. On chercha
l'évêque de Paris , & à fon défaut le Grand Aiunonier. L'un
& l'autre obfdnès à fe tenir auprès de l'image, ne fe trou-
vèrent point où leur préfence étoit nèceffaire. Il arriva en-
core une chofe , qui ne leur fit point honneur à tous les deux.
Les rehgieux de l'abbaye de faint Denis , qui dévoient , fui-
vant la coutume , venir au devant du corps , pour le rece-
voir des mains de l'Evêque , qui atteftoit que le défunt avoir
vécu dans la rehgion chrétienne , s'étant avancés 5 l'Evêque
n'étant point auprès du cercueil, ne put, ni leur remettre le
corps , ni leur donner les affùrances ufitées en pareil cas. Il
fallut que Louis de l'Hôpital de Vitri , capitaine des Gardes
du Corps prît la place de l'Evêque : Les Rehgieux portèrent
le corps dans leur Egîifc , où le cardinal de Joyeufe alliftaune
parue de ia nuit à l'office des morts.
H
E N R
I
^
6 1 0,
ïiS "^ S' U ï T E DE L' H I S T O I H E
Le lendemain , tous ceux qui compofoient la pompe fu-
nèbre revinrent , pour rendre les derniers devoirs au Roi.
L'Evêque d'Angers prononça fon oraifon funèbre , & le Car-
dinal de Joyeufe -officia en habits pontificaux. Les Gentils-
hommes ordinaires defcendirent le cercueil dans le caveau >
enfuite le Parlement & les autres Ordres furent conduits dans
ime fale , où l'on avoit drelTé trois tables. La première étoit
deftinée pour le comte de Soifîbns y & pour les Grands au-
deflbus des Princes , que l'on recevoir à part. La féconde croit
poutjle Parlement 5 la dernière pour lés Maîtres des Requêtes
& autres. Après lé repas , les muficiens du Comte chantèrent
ie centième pfeaume. Le grand Aumônier faifoit autrefois,
la prière avant & après le repas à la table du Parlement , &
îe grand Maître de la maifon du Roi y caflbit fon bâton , pour
marquer que les fondions de fa charge ètoient finies par la
mort & l'inhumation du Roi •-, enfuite il reprenoit un autre bâ-
ton , & faifoit commander par un Héraut qu'on criât ,vive ie
'Rdu' Telle ètoit la pratique de nos ancêtres qui croy oient par-
la honorer la Majeftç royale 5 mais cela ne fut point obfervé
en cette occafion 5 ainfî chacun fe retira avec im vif reflenti-
ment des atteintes qu'on avoit données à leur dignité.
f I N,
.' .^:a 2ai^ coiT /' ' ihidyi
PIECES
CONCERNANT
LA PERSONNE
E T
LES OUVRAGES
D E
JACQUES-AUGUSTE
DE T H O U-
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«JL <i. u^ b^ <A v^ ci. (A v2. ci. <A ^^ <^ ti. c^ <^ <^ ti. ' c^ «A c& c^ <^ (^ <^ J^ .A lA ;i. ii. <^ >>
JUGEMENS
;
PORTES
A LA COUR DE ROME,
SUR L'HISTOIRE
D E
J AC Q^U ES AUGUSTE
DE T H O U.
Lettre de Ad, de Thou , a M. Dupuy (0 en t Hôtel d^
Monfeigneur le Cardinal de ^oyeufe à Rome,
Monsieur,
Jl ' A Y reçu la voftre du 2$ du pafTé , dont i,-,ipnmé fm
^"ciW^^I j'ay efté fort aife pour connoiftre par icelie le Manafcm.
T 9i I ^^^^^ convalefcence , laquelle je fupplie Nof-
'&ÉI tre Seigneur vous vouloir accroiftre. Je ne
faudray par la première à en remercier tres-
humblement Monfeigneur le Cardinal , pour
îa bonne affiftance que j'ay fçu qu'il vous a fait rendre. Je
vous envoyé la lifte des livres que je defire recouvrer ; >e
( I ) Chriftophe Dupuy , frère aîné de
Pierre & Jacque Di^juy ; il étoit pour
lors auprès du Catdinai de Joycufc qu'il
avoir fiiivi à Rome , en qualité de
Pretonotaire. Il mourut Prieur des
Chartreux dans cette ville en 1654»
110 PIECES CONCERNANT L'HISTÔIÊ^E
les defire avoir en blanc , s'il eft polTible , ou bien nets èc
gueres rongnes. Mandez-moi par le premier ordinaire le prix,
sfin de vous faire tenir l'argent. Je baife les mains à Mon-
sieur Olivier , & le fupplie de vous alTifter au recouvrement
d'iceux. Je crois que Monfeigneur le Cardinal aura reçu
mon Hiftoire , & qu'il en aura baillé un exemplaire à Mon-
feigneur le .Cardinal d'Oflat. Je ne doute point qu'elle ne
foit foigneufemcnt examinée, voire ujque ad calumniam. Je
vous prie de recueillir diligemment ce que en apprendrez,
& me le faire f(çavoir , plus grand plaiiir ne me fçauriez vous
faire. Monfieur Coquelei en a envoyé un exemplaire au Sei-
gneur Prachetta, duquel je vous prie auiTi fçavoir l'avis, &
le faire fouvenir des éloges , auquels j'ajoûteray Aldus Ma-
nuccius qui eft mort au lieu où vous êtes, depuis peu d'années.
Je délire aulTi que faftiez recouvrer un livre fait par Con-
lalvo Ponce de Léon contre l'Abfolution, imprimé à Rome
I5'p2. ou 1JP3. que j'ay veu ici. Je crois que Ton l'aura
depuis fupprimé, & pour ce vous conviendra aider de vos
amis pour le recouvrement d'icelui. J'avois fuppIié Monfei-
gneur le Cardinal d'Oflat, pour avoir le Conclave du Pape
à prefent heureufement féant. Je vous prie l'aller faluer de
ma part , fans toutesfois luy parler dudit Conclave , s'il ne
vous en parle le premier, & prendre garde à ce qu'il vous
dira de mon Hiftoire. Je penfe bien qu'il m'en efcrira, mais
je feray bien aife de fçavoir d'ailleurs ce qu'il vous en pourra
dire en privé. Efcrivez moy fouvent & des Lettres & des
affaires ; «5c faites eftat de moy en tout ce que penferez que
je feray bon à vous fervir. Je fupplie N. S. Monfieur , vous
donner en parfaite faute fa grâce.
De Paris ce 24. Voftre iîncerement affedionné
Janvier i<5o^, Coulni & Serviteur
J. A. De Thou.
Servez vous de la faveur de Monfeigneur le Cardinal
d'Ofiat pour le recouvrement du premier Volume des
Conciles Grecs, & n'oubliez à tirer de l'Efpagnol , 6c
d'autres , tout ce que pourrez ponj: les Eloges.
A Alonjîeuf
\
DE J. A. D E THOU. ^ 121 ;
!
Lettre de M. le Cardwal de Joyeufe , à M. de Thou , Préfident '■
en la Cour de Parlement j à Paris, ;
MONSIEUR. Je vous fuis infiiiiment obligé de la fa- imprîmée <ut
veur qu'il vous a pieu me faire, de m' envoyer vof- ^^ Manufcm,
tre Livre; & vous en remercie avec toute l'affedion qu'il
m'efl: pofllble. Je n'ay peu encores fatisfaire à l'extrefme dé-
fit que j'ay de le lire entièrement j car ce gentilhomme des
miens, à qui il avoir eftc baillé, n'en ayant peu apporter
qu'un feul exemplaire j je n'ay pas voulu plus long-temps
différer à le monftrer à Monfieur le Cardinal d'Oflat, qui
ne l'a poind encores relafchc. Je ne prefame poin6t d'cftre
capable de juger d'une telle oeuvre : neantmoins je ne lait
feray pas de vous dire , qu'en ce peu que j'en ay veu, il
me femble avoir eu aflèz de moyen de recognoiftre un fça-
voir, jugement, & éloquence digne d'un tel fubjed, &
d'un tel Autheur. Aufîl ne pouvoit-on attendre autre chofe
de vous , qui eftes aujourd'huy l'ornement & la limiiere des
bonnes Lettres. N'y pouvant donc contribuer autre chofe ,
je n'y apporteray que le vœu , qu'il puifle eftre reçu de
tous avec tant d'honneur que mérite voftre finguliere do-
ctrine & vertu, & que je vous rendray toute ma vie , avec
une entière affeftion à vous faire fervice. En laquelle je-
prieray Dieu , Monfieur , vous donner en bonne fanté lon-
gue & heureufe vie.
De Rome le 2; Voftre très affeâiionné allié à vous fervîj(
de Janvier 160^, Le Cardinal de Joyeuse.
Lettre de M, de Thou , à Monfeignettr le Cardinal de Joyeufe.
^
MONSEIGNEUR. J'ay reçu celle qu'il vous a pieu imprîmée int
m'efcrire du 2j du paffé. J'attens fur ce que j'ay pris ie Manufçrit»
la ndidiefle de vous eiïvoyer, voftre jugement & cenfure;
& celle auftl de Monfeigneur le Cardinal d'Oifat. L'œuvre;
Tome XK Q
122 PIECES CONCERNANT UHISTOIRE
eft fait il y a dix ans , & a efté imprimé à diverfes fois, moy
eftant occupé tant en ce qui fuit , qu'en autres charges pu-^
bliques y qui ne me donnoient gueres de loilîr de revoir ce
qu€J'avois efcritj bien vous peus je aifeurer , qu'il n'y a rien
qui ne foit fidèlement tiré & extrait des Livres du temps ^
& la plus part , pour ce qui regarde l'Italie , des Italiens mef-
iiies, que je garde foigneufement pour me défendre con-
tre la calomnie dont je fensj desja ici la pointure. Je ne veus
pas nier , que le ftile fra|ie:& libre , tel que mon naturel eft,
aliéné de toute diflimulatioii , comme aufli de toute haine &
partialité , le peut reflentir du temps auquel a été efcrite cefte
première partie; & qu'encores que j'y aye beaucoup apporté
dès lors de tempérament, pour adoucir l'aigreur des efprits
merveilleufement envenimés au temps de ces premiers re-
muements ; toutesfois il en peut encores refter beaucoup &
plus qu'il ne feroit befoing , mais cet œuvre n'eft efcrit pour
faire un accord & reconciliation entre les partis, ains pour
reprefenter hiftoriquement, c'eft à dire , avec la vérité, con>
me les chofes font paflees. Je ne refufe neantmoins voftre
cenfure, & celle de Monfeigneur le Cardinal d'OfTat, &de
tous autres juges équitables de ce mien travail, qui eft plus
grand que l'on ne pourroit croire , attendu mefmement les
occupations continuelles, parmi lefquelles je l'ay pourfuivi
fi avant, que je l'ay conduit jufques à l'an 155?^. Il y a deux
end oits que jen'ay eu loifir de confiderer qu'après l'œuvre
du tout imprimé : l'un fur la fin du quatriefme livre , & l'au-
tre fur le commencement du fuivant, que je voudrois en
eftre retranchés , & de. cette heure ce qui y eft did & ef-
èrit mdîâfum & non fcriptum volo , touchant les Papes Paul
III. & Jules lîl. Car encores que cela foir pris des eicrits lors
divulgués en Italie , toutesfois je reconnois que la mémoire
en doit eftre fobrement rafraifchie , pour la révérence du Saint
Siège, en laquelle j'ay tousjours vefcu & veux mourir, ef-
timant que les mœurs ne nous doivent jamais empefcher de
reftiie i'obeilîance que nous y devons pour la dodrine &la
difcipline. Cela (oit dit, s'il vous plaift ^ non feulement pour ces
deux lieux, mais pour autres aufli, il aucuns fe trouvent. J'ef-
fere en la prQchaiae édition , qui eft ja fur la prefte, fatisfaire
D E J. sa; D E THiaU. ' . . ^25 j
à ce que Ton pourroit rcquciir encèîia, & ieray biaivaifiè ^
cependant d'eftre adverti s'il y a autre choie que l'on defire ]
de moy. Je &c. 1
- FeVr. i<5d4. • !• A. De Thou.
!
Lettre de M. de Thou à Monfieur Dupuy y à Rome. i
On SIEUR. Depuis vous avoir efcrit j'ay reçu une imprimée fur i
lettre de Monfeigneur le Cardinal du 2<; du'paffc, ^' Manufcrit. ^
4)ar laquelle il me remercie de mon livre. Je penfois que le j
gentilhomme qui s'en eftoit chargé , euft porté les deux exem- 1
plaires que je luy avois baillé , mais il en a lailTé un en cette '
ville 5 tellement que celuy que Monfeigneiu: le Cardinal a re- ;
eu , eftant entre les mains de Monfeigneur le Cardinal d'Oflat, \
il ne l'a encore pu voir. Je ne doute point que l'on n'y re- '
trouve fort à redire par delà , principalement es endroits où
je parle des Papes Jules II, Paul III, & Jules III , fur la fin
du quatriefme livre , & au commencement du fuivant , &
auffi de la Légation du Cardinal Caraffe , & où il eft fait men- I
tion de Monfieur Charles Du Moulin. Mais j'ay efcrit en Fran- j
ce , & durant les troubles. Je vous prie de recueillir foigneu- ■
fement ce que vous enoirez dire 5 afin que s'il y a chofe en '■
quoy je puilTe fatisfaire , la vérité & la dignité de la France
fùre , aux efprits de delà , je m'efforce de leur donner conten- i
tement en la prochaine édition qui fe commence desja. Vous ;
en pourrez beaucoup prendre du Seigneur Frachetta , auquel i
Monfieur Coquelei en a envoie un exemplaire. Je crois qu'il ^
n'y a que ces deux à Rome ; fi d'aventure Monfieur le Nonce '
qui eft par deçà n'en a envoyé quelqu' autre. J'attens en gran-' '
de dévotion fur ce de vos Lettres, & vous prie de m'efcrire
diligemment: Je ne fçai fi Meffeigneurs les Cardinaux de \
Joyeufe & D'OiTat me voudront efcrire ce qu'ils en penfent. -;
S'ils n'en veulent prendre la peine, chargez vous en, & me "
faites entendre leurs avis. Il y en a bien d'autres , qui pour ^
autres refpeds m'ont voulu abimer par deçà : mais fa Ma-
jefie ma défendu jufquesicy, & par Tapprobation publique <h.
qu'elle a faite de l'œuvre, a fait cefler les clameurs dç
ij . i
Ï24 PIECES CONCERNANT L'HISTOIRE
"beaucoup de malveuillans. Je vous prie derechef de m'efcrlré
foigneufement , & fur cela , & faire refponfe à mes dernières.
Je fupplie en cet endroit N. S, vous donner en famé fa grâce.
De Paris ce 25* ' Voflre plus affedionné Coufin
Février 1 60^, à vous faire fervice ,
J. A. De T ho u.
Lettre de M. de Thon , à Monfieur Du Puy ^ à Rome,
Imprimée fur "A /T ONS I E UR. J'ay rcçu la voftre du 5) du pafle ce jour-.
le Manufcrît. J[ V J[^ d'hui troifiefme Avril : depuis la datte de la voftre eft
arrivée la nouvelle de la mort de Monfeigneur le Cardinal
D'Oflat, laquelle a fort troublé cette Cour: S. M. en a porté
un grand regret ^ comme ayant perdu un fervitenr & minif-
tre très digne j & de grande authorité au lieu où il eftoir. En
mon particulier , j'ay perdu un amy fingulier ; avec luy j'ay
perdu l'efperance du Tome des Conciles Grecs , que je vous
prie de recouvrer d'ailleurs , enfemble le livre de Confalvo
Ponce & les autres , à votre commodité , & me mander le
prix afin que je le vous envoie incontinent. Quant à noftre
Hiftoire , j'ay bien eftimé qu'elle ne plairoit à tout le monde ;
mais qui ne fait que v évitas odium parit ? Et toutesfois c'eft la
première loi del'Hiftoire, non feulement de dire la vérité,
mais d'ofer la dire hardiment. Quant au particulier du lieu
qui regarde la Pragmatique desEfpagnoîs, je l'ay pris deGuic-
ciardini , & ay eftimé qu'il devoir eftre remarqué par un Fran-
;<^ois; afin que ce que Ton a blafmé en nous , quand nous avons
eu recours en la necelTité à ce remède , ne nous charge de Ci
grande envie envers le Saint Siège , comme Ton a voulu
faire 5 & que l'on fçache , que les Efpagnols ont en pareil cas
pratiqué ce mefhie moyen. Quant à l'autre lieu migravit ad
melïorem vitam , je ne me fouviens pas de l'avoir dit de Sec-
taires manifeftes , & faifant profeftlon de la Théologie : peut
eftre que cela fe pourra trouver eftre dit de quelque Alle-
mand excellent es autres Sciences, & qui par avanture eftoit
r Proteftant 5 ce que je n'ay fçû ni confideré, lorfque j'ay ainfi
parlé de fon decés. D'ailleurs la charité Chreftienne nous oblige
D É J. A. t) E T H O U. i2f
d'dTperer mefme de ceux qui ne font herefiarques , & qui nés
de pères Sedaires penfent , en tant de lieux où ce mal a pris
pied , ea leur erreur faire leur falut. Je n'en parle en Théo-
logien , ains en homme qui a compaflion de l'homme , & qui
par les loix du temps & du royaume eft obligé à vivre avec les
hommes. Je fuis bien marri que cet œuvre , qui eft fait pour
les eftrangers , trouve fi mauvais accueil par delà j mais pour
plaire aux uns trop fervilement , il ne faut violer les loix de
1 Hiftoire , & defplaire à tous les autres. Aulîl crois je qu'il fe
verra peu d'exemplaires par delà. Car fi Monfieuu le Nonce
n'y en a envoyé , j'eftime qu'il n'y en a aucun autte que celuy
que j'ay envoie à Monfeigneur le Cardinal de Joyeufe , & un
autre que Monfieur de Coquelei a envoie au Seigneur Fra-
chetta , duquel m'efcrivez. Je vous prie vous enquérir dif-
crettement que feront devenu ces exemplaires. D'ailleurs il
n'y en a plus par deçà, & travaille-t-on desja à la féconde
édition 5 de laquelle je ne faudray à vous envoier la première
partie , qui fera en plus commode forme î c'eft à dire en S'"^» ;
& crois que dans un mois elle fera achevée. Il y aura quel--
que chofe de changé , ou pluftoft adouci •■> car de dire autre-
ment les chofes qu'elles ne font , ou dilTimuler lafchement la
vérité, j'en ferois confcience , auiïi bien que ceux qui en fe-
ront de relire mon livre. Je vous prie , pour finir , baifer très
humblement les mains de ma part à Monfeigneur le Cardinal
de Joyeufe, En cet endroit je fupphe N. S. Monfieur , vous
donner en fanté fa Sfrace.
Monsieur, efcrivez moi je vous prie diligemment à toutes
- les occafions , & principalement des divers jugemcns que
l'on fera de mon livre. Je ne crains point que librement on
me dife la vérité j & ferois grandement blafmabîe j fi je n^en-
durois patiemment que l'on parle librement de moy ; puif-
que je veux que l'on endure que je parle librement des au-
tres , pourvu que ce foit avec vérité & fans aigreur.
De Paris ce 3 Voftre plus affedionné Coufin ^
Avril I (50^. à vous faire fervice :, |
A. De Thou, i
■126 PIECES CONCERNANT L'HISTOIRE
Lettre de M. de Thou à Monfteur Du Puy , à Rcme,,
' ' r T\/f^NsiEUR. Je n'ay voulu laifîer partir ce gentilhom?'
kSôufcrir l^i i^"^^^^i^s luy donner ce mot pour vous, qui ne fera,
ajoutant à ma dernière que pour vous prier d'avoir fouve-
nancede ce que je vousefcris, & m'efcrire à loifir lesjuge-
mens divers qui fe font par delà. J'ay refpondu à ce que m'a-
vez efcrit, comme je feray à tout ce que m'efcrirez. Il n'ell
pofllble de contenter en tels fujets , & au temps où nous vi-
vons , tous les humeurs & efprits du fiecle. Je m'eftbrceray
neantmoins de me juftifier de ce dont l'on me voudra noter.
Dieu veuille que ceux qui jugeront de ce mien travail , y ap-
portent pareille candeur & fmcerité que j'ay fait en efcrivanr.
Ma confcience, qui m'eft un grand tefmoin devant Dieu <Sc
devant les hommes , me dit que je n'y ay rien apporté , hors
ce qui touche l'honneur & la liberté de ce Royaum^e , en in-
tention d'offenfer ni blefîer autrui. En cela je m'alîure & me
confirme à efcouter & endurer patiemment tout ce que Ton
dira & fera contre , c'eft à dire contre la vérité. La féconde
édition pourra fatisfaire à quelques uns à certains endroits ;
ce que je vous efcris pour vous fervir & en ufer difcrette-
ment , ne voulant que l'on penfe que pour crainte ou autre
refped je change rien au gré des vivans , attendant plutoft
grâce & loyer de la pofterité pour ce mien travail , que de
ceux qui difpenfent aujourd'hui les grâces. Ce gentilhomme
me donne efperance de pouvoir recouvrer le Conclave der-
nier 5 aidez vous de luy, & l'en faites relîbuvenir. Si aulfipar
la faveur de Monfeigneur le Cardinal vous pouvez recouvrer
le premier Tome des Conciles Grecs , je vous prie le mettre
avec les autres dont m'avez donné efperance , & me faire
fcavoir par le premier le prix. Efcrivez moy fouvent ; je ne fau^
dray à vous faire refponfe. Je fupplie Noftre Seigneur , Mon-?
fieur , vous donner en fanté fa grâce.
De Paris ce 9 En hafte
Avril I (5o4. Voftre humble & affedionné
Couiin à vous fervir ,
J. A. De Thou,
DE J. A. DE THOU. 127
Lettre de M, le Cardinal de Joyeufe à Monfieur De Thou.
o N s I E u R. Je vous remercie de l'honneur que vous Imprimée fur
__ me faites de délirer mon jugement fur votre Hiftoire. ^^ Manuicm.
Je vous ay desja efcrit ce qu'il me fembloit pouvoir jugeî
par quelques feuillets que j'en avoispûlire, m'eftant defai-
iy de l'exemplaire qu'il vous pleuft m'envoyer pour l'amour
de feu Monf le Cardinal d'Oflat, qui le lifoit avec grande
attention. Depuis fon decez, je l'ay retiré & le lis tous les
jours , y employant le loifir que me lailTent les occupations
qui me fontfurvenuës fur mon départ, lequel me fera aufll
différer à vous entretenir jufques alors que j'auray le bien de
vous voir , qui fera bien-toft , comme j'efpere , avec la grâ-
ce de Dieu , puifqu il a pieu au Roi me donner le congé de
retourner en France. Cependant je vous diray feulement que
je ne puis que me conformer à voftre advis , & louer gran-
dément la réfolution qu'avez prife de fupprimer en la féconde
édition les deux pailages que vous m'avez cottez en voftre
lettre , & jug^ cette féconde penfée digne de votre prudence
& pieté , eftant fondée comme vous dites fur la révérence du
Saint Siège , fur laquelle & quelques autres peints qui font en
mefme confidération , je veux aufli efperer qu'en cette reveue
& féconde édition vous tafcherez à donner la fatisfadion qui
fe peut defner ; comme je laifle à juger à voftre mefme pru-
dence , combien cette procédure eft non feulement religieu-
fe , mais encore utile au bien & repos de l'Eglife & de l'Eftat,
& à voftre réputation mefmes ; pour l'acroiffement de laquelle
tous vos ferviteurs ont à defirer que voftre livre puifte eftre
par tout receu & leu avec toute liberté, & que vous receuil-
liez d'un fi grand & il digne ouvrage, l'honneur que vous y
avez mérité, duquel je feray tousjours a. ftl jaloux comme
defireux de vous faire fervice , & d'aufti bon cœur que je prie
Dieu , Monfieur , vous donner en parfaite fanté longue & heu-
reufe vie. De Rome ce 4 de May 1 60^,
Voftre très affedionné allié à vous fervir ,
Le Cardinal de Joyeuse;
i2S PIECES .CONCERNANT L'HISTOIRE
Lettre de M. de Thou j à Monsieur Du Puy 3 à Rome»
Imprimée fat 1^ >|r q n s i £ u R. Si tofc quc j'ay recû la voftre du 1 8 du
ie Manuicrit. \\/ 1 ^^^^^ j^ ^^^^^ ^,^^^j^ ^^-y -j. ^ ^ous faire refponfe. J'eulie
M
deilré que le libraire qui a porté mon Hiftoire à Rome , fe 6-îft
chargé d'autres marchandites : car je me dourois bien qu elle
ne feroit au gouft de cefte Cour j auffi a-t-elle efié efcrite en
temps que nos affaires admettoient plus de liberté que l'on
ne peut endurer là , & qu'il eftoit neceffaire de maintenir
îors par deçà , pour défendre la juftice de noftre caufe j la-
quelle enfin Dieu, contre toute efperance , voire toute puil-
fance humaine , a juftifiée & eilablie. Cela devroit rendre plus
équitables ceux qui la veulent cenfurer. Celafoitdit en gêne-
rai. En particulier , l'on s'offenfe de ce qui eft efcrit du Con-
clave de Jules III. fur ce je vous prie de prendre garde que
l'on ne s'arrefte à la première édition in folio , de laquelle il
y eufl peu d'exemplaires imprimés en mon abfence , ou oc-
cupé ailleurs 5 tellement que je ne pus vafquer à les revoir ,
& que ce qui fuft lors imprimé dudit Conclave, eftoit en la
copie tracé j mais les libraires ne iaiûerent de le mettre : &
pour preuve de cela vous prendrez garde , qu'en la féconde
édition il n'"y a un feul mot dudit Conclave , ains feulement eft
fait mention de l'indigne choix qui fut fait du Cardinal de
Monte , chofe trop notoire , non feulement à Rome , mais par
tout le monde pour pouvoir eftre obmife. Cela fervira d'aver-
tiffement à celui qui a charge de revoir le livre , de diftinguer
les deux éditions , & s'attacher feulement à la féconde. Quant
à la Préface , elle a efté faite pour tout l'œuvrej 6c pour ce que
je fçavois que la façon modérée, dont je parlois des Protef-
tans , feroit mal interprétée d'aucuns , je me fuis eftendu , dès
le commencement fur ce fuj et pour m'excuferj & rendre rai-
fon de tout l'œuvre , & de ce que je m'eftois propofé en ice-
luy , fans attendre davantage. D'autant que je n'efperois faire
autre Préface fur tout le reftc. Vous pourrez avertir de cecy
Monfeigneur le Cardinal Séraphin , auquel j'efcris poiu- le re-
mercier de tant d'honneur qu'il luy a plu de me faire de pren-
dre en protection ma caufe. Il ne l'eufl pu faire pour perfonne
cjui
DE J, A. DE THOU. isp
qui honore plus fes mérites ôc fa candeur. Puifque par delà ,
comme vous m'efcrivez , l'on met en confidération la qualité
& les alliances de ceux contre lefquels l'on veut procéder j je
vous prie de n'oublier de mettre en avant, comme de vous
mefme , l'eftroite alliance que j'ay avec Monfeigneur le Car-
dinal de Joyeufe, laquelle va jufques à Monfeigneur le Duc
de Montpenfier, lequel fe fentiroit grandement offenfé de
l'oflfenfe que je pourrois recevoir en cet endroit. Ajoutez à
Monfieur de Montpenlier , MelTieurs de Luxembourg, Mon-
iîeur le Conneflable , qui font en pareil degré , & Monfei-
gneur le Prince de Condé , à caufe de Madame fa mère. Fai-
tes encore mettre en confidération, que ceux delà maifon
de Bourbon tiennent cette Hiftoire comme faite , pour mon-
trer la juftice de leur caufe , contre ceux qui ont voulu en-
treprendre contre eux & leur maifon pour le palle : tellement
que fi l'on luy donne quelque atteinte , ils eftimeront l'injure
faite à eux , & que ceux qui s'en font plaint à tort par deçà ,
& n'ont rien obtenu, auront fait faire par Rome, par lesfup-
ports & faveurs qu'ils y ont,tout ce qui s'en enfuivra. Ce qui re-
nouvellera les playes anciennes , & fera croire à ceux de Bour-
bon que leurs ennemis ont plus de crédit à Rome qu'eux. Je
laiiTe cela à ménager à voftre prudence. Pour moy je ne trou-
veray mauvais que l'on en retranche ce que l'on voudra , &
que l'on fade réimprimer le livre par de-là ainfi retranché j
pourveu que l'on n'y ajoute rien, & que cefoit fans note de
l'autheur. Mais s'il eft poiTible il faudra tenir la chofe en lon-
gueur , afin que la féconde partie qui pourra eftre achevée
dans trois mois , & qui les contentera davantage , au moins
les oiFenfera moins , puiile cependant aller jufques à eux , &
paiTer par le mefme expédient qui fera pris. J'ay grand regret
que j'aye elle contraint de mettre en lumière mon Hiftoire ,
puifque ce que j'avois fait pour la publier , par le malheur du
temps & des diverfes fortunes, me tourne à fi grande envie.
Je dis contraint , parce qu'il y avoit une copie en Allemagne ,
qui avoit efté faite à mon defçû , & qui avoit efté portée fort
incorrede &c brouillée , & que l'on me menaçoit de faire im-
primer fi je n'eufle prévenu. Ce que je defire que fâche Mon-
feigneur le Cardinal Séraphin, ôc fur tout que Ton prenne
Tome Xr, ^
13P HECTS CONCERNANT L'HîSTOIRË
garde qu'il y a beaucoup de chofes changées en la féconde
édition , comme le lieu que }e vous ay ja marqué ; à laquelle
il fe faudra tenir fans s'arrefter à la première. Pour les livres
que vous m'avez fait tranfcrire , je trouve bien que preniez
la voye de Francfort à la première foire. Je vous prie de m'ef-
crire fur tout diligemment. Je voudrois fort eftre délivré de
cette moleftie , laquelle enfin n'apportera rien que de faf-
cheux difcours , fi faifaire n'eft conduite fecrettement & mo-
dérément. Je remets le tout à l'équité de Monfeigneur le Car-
dinal Séraphin , & à fa prudence. Vous fcavez combien je
fuis aliéné & éloigné de toute vanité , & comme peu je re-
cherche ces fumées. Mais puifqu'il faut mettre toute pierre
en oeuvre , je vous prie n'obmettre ce moyen , comme ve-
nant de vous & non de moy. Je ne fçay comment je pour-
ray envoyer un de mes livres au Seigneur Vialard ; il y en
doit avoir par delà ^ & le pouvez aider du voftre , en atten-
dant que je trouve la commodité de luy en envoyer. J'avois
xecù auparavant voftre dernière deux des voftres du 20 Sep-
tembre & 4 Cdobre , avec les Eloges y inclus , aufquelles je
n'ay fait refponfe , parce que j'eftois lors malade , & ne com-
mence que depuis peu de jours à me lever du lit, oùj'ay
efté attaché près d'un mois. Je n'y feray maintenant autre ref-
ponfe , finon pour le regard de ce que defiriez fçavoir , s'il y
avoir point aujourd'huy aucun en France de la Maifon de
Cantelme de laquelle eftleDuc de Popoli au Royaume de
Naples. Je vous diray que quant à la connoiflànce que j'ay
des bonnes Maifons de France , rien ne me vient en mémoire
enquoyje puiffe fatisfaire au defir du Seigneur Vialard pour
ce regard. Et ne me fiant en moy feul, je me fuis désja in-
formé de plufieurs qui ont connoiflànce des Provinces plus
efloignées de ce Royaume , defquels je n'ay pu rien appren-
dre jufques à huy. Je m'en informeray encore , mais je doute
d'en pouvoir avoir plus grande certitude , & crois qu'il n'y a
plus de familles aujourd'huy de ce nom. A tant je finiray la
prefente, vous priant de m'efcrire diligemment à toutes les
occafions , & faire efvanouir , s'il eft poffible , cette pourfuitte
inrempeftive. Car elle ne peut apporter , pour ceux meûriC
qui la font, aucun contentement: au contraires je prévois
DE J. A. DE THOU; 13^^
qu'il en peut arriver chofe à laquelle ilspoiirroient avoir regref.
Je fupplie N. S. Monûeur j vous donner en fanté fa grâce.
De Paris ce 14* Voflre humble ferviteur & Coafin ,
Novembre. J. A. D e ThoiT.
Lettre de Ad. de Thon à Aîonficur Dupuy , à Rome.
o N s î E UR. J'ay reçu la voftre du 10 du paffé. Je vous imprîmcç Thc
remercie de la peine qu'avez prife pour les relations , le Manufcrit,
éc vous prie de continuer ^ & me mander ce qu'il vous coûte
pour cayer 5 & n'en faites difficulté, car autrement je ferois
difficulté de vous employer fi librement. Je vous prie aulîî
de vous reffouvenir des Eloges , & principalement de G.
Faernus : je crois qu'en pourrez avoir nouvelles chez Mon-
feigneur le Cardinal Borromce j car il eft mort en la famille de
fon oncle. Je me fens fort honoré de ce qu'il a plu à Monfei-
gneur le Cardinal Seraphinrecevoir de bonne grâce ce que
lui avez prefenté. Je me promets de fon équité & candeur
plus que de tous ceux qui euifent pu prendre la peine de ju-
ger de ce labeur, que j'ay donné au public^ non fans avoir
prévu que je courois fortune d'encourir l'envie & du dedans
& du dehors ; mais on ne peut fervir à la poderité & plaire au
temps prefent tout enfemble. Si l'ambition ôc autres defirs
qui chatouillent l'efprit des hommes m'y enflent pouiîc , je
ne fuis li rudique , ni iî imprudent , que je n'aye bien yagi
que ce n'eftoit le moyen d'efpererplus grand avancement au
monde d'aujourd'huy ; mais il y a long-temps , que je vois
au deifousdemoy ce que .je vois devant moy, & que j'ay
dit adieu à l'efperance & à la fortune. Ilconfiderera, s'illuy
plaid, en quel temps, & de quel temps j'ay efcrit. J'ay efté
tousjours François & ferviteur des Rois, & de ceux de U
Maifon Royale 5 & non jamais penfionaire , ni partifan d'au-
tres. Tout ce qui leur a elle contraire , a efté contraire à moa
atTedion. Avec perte de mes biens & au hazard de ma vie je
les ay fuivis aux armées , & par tout ailleurs , durant ces cala-
miteufes guerres. Je n'ay pourtant rien donné à la grâce ni
à la haine en efcrivant l'Hiftoire , mais j'ay osé plus librement
dire la vérité , ôc enconfcrver la mémoire à lapofterité , qu'un
H ij
132 PIECES CONCERNANT L'HISTOIRE
autre en craignant l'envie , aut obnoxius , n'euft voulu faire^
Je ne doute point que par delà je ne femble à beaucoup
avoir trop librement , voire hardiment efcrit en certaines cho-
fes î mais il a efté befoin que plulieurs par deçà ayent eu cette
mefme hardiefîe, & mefmes fentimentsde l'eftat, pour con-
ferver i'eftat, & aider à le preferve^ du péril où ceux qui nous
eftoient contraires l'avoient mis. Dieu enfin a jugé le diffé-
rent j & la juftice de la caufe qui commença à eftre connue
dés lors , c'eft à dire , il y a 45 ans , a efté décidée & connue
par l'heiireux fuccés qu'il a pieu à Dieu donner à ceux qui
ont fuivi Tordre & les loix du Royaume. Monfeigneur le Car-
dinal mettra cela en confideration , s'il luy plaift , auquel (î
je n'eufle craint d'eftre importun , j'euffe volontiers efcrit.
J'attendray une autre occafion , après qu'il aura pris la peine
de perdre quelques heures en la ledure de noftre Hiftoire ,
& que j'auray fçû de vous comme il aura pris les raifons y
inférées ; lefquelles je vous prie luy faire entendre, mefmes
s'il eft befoin luy montrer ma lettre , ou luy en bailler un ex-
trait. J'attendray fur ce voftre refponfe. Si vous pouvez par
fa faveur avoir les deux Tomes des Conciles Grecs , je vous
prie auffi l'en fupplier humblement de ma part, car j'entends
que Ton a refolu depuis l'arrivée de Monfeigneur le Cardi-
nal du Perron qu'ils feront publiés. Si vous ne pouvez rien
obtenir par cette voye , je vous prie y employer la faveur
de Monfeigneur le Cardinal du Perron , & l'en fupplier très
humblement de ma part. Vous pourriez me les faire tenir en
cette foire de Pafques par la voye de Francfort. Je vous prie
de baifer très humblement les mains à Monfeigneur le Cardi-
nal, auquel par importunité de mon Cordelier j'avois efcrit.
Vousm'excuferez envers luy fi je ne luy efcris, me remet-
tant au Sieur de la Feuillée qui fait ici fes affaires , & avec
lequel je confère fouvent , & fais entendre ce que j'eftime
luy devoir eftre efcrit. Je ne la vous feray plus longue , &
attendant fur ce refponfe de vous, je fupplierai N. S. Mon-
fieur, vous donner enfanté fa grâce.
De Paris ce 10 Voftre plus affedionné Coufin
Février 1^05, à vous faire fervice ,
J. A. De Thou.
D E J. A. D É t H O U, 1x3 j
Lettre de M. de Thon à M. Dupuy , à Rome,
Mo N s I E u Ri J'ay reçu la voftre du 8 de May , Se croîs imprimée ftir
que depuis icelle efcrite vous en avez reçu d'autres de ^
nioy , defquelles j'attends la refponfe. Cependant je refpon-
dray à la voftre , & vous diray que j'ai efté infiniment aife que
Monfeigneur le Cardinal Séraphin ait pris de bonne part ce
que luy avez reprefenté pour moy. Je délire fort fçavôir quel
jugement il fera de ce qu'il n'a encore vu , & principalement
de la Préface , car du furplus il faut plus de loifir que fes
grandes occupations par avanture ne lui permettront 5 joint
que c'eft chofe qui ne mérite qu'il y perde fes meilleures heu-
res. Et pour parler ingénument, je le délire plus pour moy,
que pour luy : car ce ne lui fera que corvée & moleftie de fe
pener en une ledure fi inutile pour fon regard j mais ce me
fera le contentement le plus grand 3 & honneur tout enfem-
ble , d'avoir pour juge celuy dont j'ay tousjours eftimé la can-
deur & probité , rares vertus en ce fiecle. Je fuis fon très hum-
ble ferviteur , & me referve à luy efcrire lorfque je fçauray
que pour l'amour de moy il aura defrobé quelques heures à
fes plus ferieufes occupations. La féconde partie s'eftendra juf-
qu'à la bataille de Lepanto , c'eft à dire, jufqu'en l'an lyyr.
de laquelle encore qu elle s'imprime , & malgré moi , je fuf-
pendray la publication jufqu'à ce que je reçoive fur celle-cî
de vos nouvelles. Plus avant il ne m' eft permis palTer, quant
à la publication , à caufe que la mémoire des chofes eft trop
recente,& la foi de l'Hiftoire ne peut compatir avec les mœurs
de ceux qui font encore pour la plufpart vivans. Il fuffira de
l'avoir efcrite , comme j'ay fait jufqu'en l'an 1601: celafere-
fervera pour la pofterité, & ne verra la lumière pour cette
heure. Je defire fort fçavoir l'année & le lieu du decés & l'âge
lors d'icelui de Gabriel Faernus : car il me fafclie fort de le
îaiifer palfer fans éloge & honorable mention en mon Hiftoire,
Par avanture quen devifant avec Monfeigneur le. Cardinal
Séraphin vou^ en poiurrez apprendre quelque chofe j car il doit
l'avoir connu , s'eftant tousjours fort deledé en bonnes lettres ^
& ayant chéri ceux qui les ont illuftrées, comme on ne peut
nier que laernus n'y ait beaucoup contribué. Je n'ay reçu
Riij
>5^ PIECES CONCERNANT rHISTOîRË
qu'une lettre de vous depuis voftre partement, & celle à la^'
quelle je fais prefentement refponfe j encore ne l'ay je reçue
que du jour d'hier. Je crois que les autres que me pourrez
avoir efcrites , feront demeurées par les chemins. Mademoi-
feile voilre mère en a eflé en peine , à laquelle vous devez
prendre garde de donner contentement , & croire que c'ell
une grande pieté de fuivre fes vœux & bons enfeignemens.
La lettre qu'avez efcrite à votre frère la met, & tous vos amis,
en plus grand foupçon qu'ils n'elloient auparavant. Regardez
bien aux infpirarions dont faites mention , fi elles viennent difr
ciel , devant que vous y laifTiez emporter. Je n'ay pu denier
cet office aux voftres qui m'en ont prié , ni à moy.mefme , &
ay eflimé eftre de mon devoir de vous donner cet avertifle-
ment. Vous y penferez à loifir ^ & vous en confeillerez avec
Dieu. La Bible ( i ) h,h^oi').Xa'T{oy dont m^efcrivezjfera un œuvre
digne du lieu dont il fort. Dieu veuille continuer cette fainte
infpiration , afin qu'en fuite des Conciles Grecs , nous puifibns
avoir tous les Pères Grecs , comme Origene, S. Cyrille, S,
Grégoire de NylTe , & autres. Cette depenfe eft vrayement
digne du Saint Siège. J'attendray, puifque vous me le faites
ainii eîJ3erer j le premier Tome des Conciles Grecs, & je vous
prie d'en refraifchir la mémoire à Monfeigneur le Cardinal
du Perron, auquel je baife très humblement les mains. Je vous
prie auill faire regarder , fi pourrez recouvrer les Evangiles,
& l'Epidre ad Romanes en Langue Ethiopique imprimée à
Rome il y a long temps in 4'^», 6c me les envoyer , car ce li-
vre défaut à ma curiolité. Le furplus que je vous avois recom-
mandé, je Tattendray par le retour de Monfieur l'Ambaffa-
deur. Je vous prie, pour faire fin, m'efcrire fouvent, & me
fliire part des nouvelles de àeh. En cet endroit je fupplieray
N. S, Moniîeur , vous donner en parfaite fanté fa grâce.
De Paris , vigile de Vofcre plus affedionné Confia
S. Pierre 160^, &ferviteur,
J. A> D E T K o V,
■ (iJEnonzeIsngucs,
DE l A. DE THOIT. i^f
Lettre de A4, de Thon à Monfiettr Dupiy , à Rome,
MONSIEUR. J'ay reçu la voflre du 2 5 du pafTé : je vous • , ' , r '
remercie des Eloges que m'avez envoyé , & fuis bien ic Matiuraft.
ayfe qu'ayez trouvé cette addreffe pour en avoir d'autres.
Mais je defirerois eftre afiuré au vray de l'année du à^cés. Je
crains que ceux que m'avez envoyé ne foyent du tout certains.
Je ne laifleray de les employer, & principalement celuy de
Jo, Bapt. Benetti , & d'autant plus volontiers que je n'enpeus
parler qu'avec honorable mention du gentiLhomme qui lei
vous a donné, auquel je baife très humblement les mains'i
& le fupplie m'honorer familièrement de fes lettres. Je ne fe-
ray parefleux de luy efcrire. Je defire fort entendre les dif-
ficultés lefquelles on veut n\Q communiquer , & principale-
ment fi c'eftfurmon Hiftoire : car je ne doute pas qu'il n'y
ait beaucoup à redire , & prendray tousjours de bonne part
d'efrre averti, comme je Fay efté ja d'Angleterre & d'Alle-
magne , pourveu que ce foit fans convice , & avec la mefme
candeur que j'ay efcrit , laquelle fi elle ne plaift à tous , ne doit
eftre trouvée fi mauvaife , que pour le bien l'on me doive
rendre le mal. Vous avez par delà McfTienrs les Cardinaux
Séraphin & du Perron, qui peuvent l'avoir lue , aufquels
vous pourrez adrcfler , fi vous apprenez que le Maitre du
Palais veuille palier plus avant que la liberté permife es Hif-
toires ne peut foufrir. Pour moy ^ je fuis refolu de tout endu-
rer & diffimuler ; mais fi l'on outrepaffe par delà les bornes
delà charitable admonition , qui fera tousjours bien prife,je
ne veux pas promettre ni garentir qu'il ne s'en trouve qui
avec une meilleure plume que la mienne , voudront venger
l'injure qui me fera feite , au grand regret par avanture de ceux
qui auront commencé j bien vous puis-je aûlirer, que ce fera
avec le mien extrefme , qui ne defire rien tant que le repos ,
& qui n'ay ni par haine , ni par ambition entrepris ce labo-
rieux œuvre. Si vous voyez Monfieur d' Abain vous luy en
pourrez parler , & luy dire que j'ay grand regret , que Mon-
fieur de la Rochepozai fon frère & Madame fa mère ne fe
foientpû accommoder avec Madame de Schomberg & qu'el-
le ait efté contrainte par rextreime neceftlté , comme elle
X3^ PIECES CONCERNANT L'HÎSTOIHE
dit , & comme il eft vraifemblable , d'avoir recours aux ex-^
treimes remèdes. Vous Taflurerez que je fuis fon ferviteur ,
5c que j'apporteray en cette affaire tout ce que porterois pour
toute fa maifon. Les exemplaires qui ont efté portés par delà
peuvent eftre retirés fans en faire plus grand bruit : c'eft le
meilleur expédient , car je me doute bien que la liberté Fran-
<^oife ne fera agréable à cette Cour. Comme j'ay en horreur
la detredation , auffi peu fuis-je propre à flater j & vous fçavez
quels font les temps d'aujourd'huy j auxquels, fi jamais , le
proverbe ancien a lieu obfequmm amicos &c. Je donneray en
cela meilleur confeil à autruy , que je ne le fçaurois prendre
pour moy. Dieu qui eft fcrutateur de nos cœurs, rendra à cha*
cun félon fa droite intention. Je donneray ordre pour faire
bailler à Mademoifelle voftre mère ce que m'efcrivez. Je vous
feray encore reffouvenir des Evangiles en Abifiîn in 4^^^ inv
primés du temps du Pape Léon X. curante Petro Mthiope , & de
i'eloge de Faernus qui doit eftre decedé à Rome devant l'an-
née ij 70. Je ne la vous feray plus longue , linon pour fupplier
le tout puiflant , Monfieur , qu'il lui plaife vous donner ea
fanté fa grâce.
De Villebon ce 20 Voftre plus affedionnç
Septembre 1^0 5". Coufin & ferviteur ,
J. A. De T h o u.
Lettre de M. de Thou à M. Dupuy j à Rome.
Imprimée fur TV ^ O N S I E U R. Je VOUS cfcrivls dernièrement en hafte de
h Manufcrjt. j[ y J^ Villebon , d'autant que vous difiez attendre fur ce que
m'efcriviez la refponfe. Depuis j'ay penfc de vous faire en-
core celle-cy, & vous prier de voir Meftleurs les Cardinaux
Séraphin & du Perron, Ôcleurbaifer les mains de ma part>
€n leur faifant entendre la confequence de cette affaire , &
que 11 l'on pafîe outre il y auroit danger que l'on fit Hvre fur
livre ; ce qui feroit à mon grand regret , mais je n'en feray le
maiftre. L'Hiftoire doit eftre libre , 6c en oftant cette liberté
i'on la fera prendre plus grande à beaucoup qu'ils ne vou^
droicnt ni devroient. Si le livre n'çft au gguft commun du
lien
D E J. A. D E T H O U. 157
lieu 011 vous eftes, cela fe peut diffimuler, & fiiffira de retirer
le peu d'exemplaires qui y ont efté portés. Je defirerois que'
le libraire fe futl chargé de marchandifes plus agréables , auf-
lî n'a-ce efté mon deiir que le livre y fuft porté par les librai-
res , ains feulement envoyé pour eftre vu par les plus prudens
& les plus équitables & entendus en nos affaires. Je ne fçai
quel jugement en fait Monfeigneur le Cardinal Séraphin. Car
je crois depuis le temps que m'avez fait entendre ce que luy
avoit plu vous en dire , il aura pu perdre quelques heures en
ia ledure. Je deiire fort le fçavoir 5 faites moy , s'il vous plaid,
cet office. J'ay donné ordre pour ce que m'avez efcnt. Je
crois que Mademoifelle voilre mère vous aura fait tenir l'ar-
gent. En cet endroit je vous diray qu'elle eft fort en peine
de voftre refolution, & deHreroit que vous euiTiez bienpenfé
devant que la prendre. L'on a trouvé mauvais, que vous ayez
caché la volonté que vous aviez de demeurer par delà à
ceux qui vous pouvoient donner confeil , & defquels vous le
deviez prendre. Je vous en efcrivis davantage par la précé-
dente de ma dernière , (iir qupy ne m'avez fait refponfe. Ce
que vous délirerez que je faiTe entendre à Zviademoirellevodre
niere , me le faifant privement fçavoir , je ne faudray à vous
rendre en cela , comme en toute autre chofe , ce que je dois
à ceux que j'aime comme vous. Vosraifons feront telles par
avanture, qu'elle & moy nous en fentirons fatisfaits. Vous
devez ce contentement à voftre mère de luy rendre compte
de vos actions , principalement quand il y va de prendre un
confeil pour toute voftre vie. Efcrivez moy familieremenE
fur ce fujet, & croyez que je deiire tant voflre bien & avan-
cement, que par tout où je pourray penfer que le puifllez
trouver, je vous y aideray plutoft de ce que je pourray, que
je ne vous en deftourneray j & ne croyez , je vous prie , que
j'apporte en cela aucun préjugé ou paiïîon. Je vous dcfira
bien là, & mieux icy , mais par tout je vous délire bienj
& pourveu que vous nous falTiez. connoiftre que vous puiiliez
efperer certainement par-delà telle fortune & contentement ,
que nous fécondions vos vœux ôc les favorisons de tous nos
moyens. C'eft ce que je vous ay penfé devoir efcrire fur ce
propos , dont je vous prie de me faire refponfe, afin de pou-
voir donner quelque contentement à Mademoifelle voftrç
Tome yj< S
138 PIECES CONCERNANT L'HISTOIRE
mère. Je vous prie aiifli derechef avoir fouvenance de moft
affaire , & d'entretenir le gentilhomme duquel m'avez efcrit,
& faireàce qu'ilm'efcrive. En cet endroit je fupplie noftre
Seigneur, Monlîeur , vous donner en parfaite famé fa grâce.
De Paris ce 4 Voftre humble & affedionné
Odobre 160$, Coufin ôcferviteur,
J. A. De T h 0 u.
Lettre de AI. De Tlwu 3 à M. Dupuy , à Rome*
Imprimée fur li yC o NSI EUR. J'ay reçû la voftrc du jour de Touflaints
kManufcnt. J^yJ^ dernier, je crois cependant que vous aurez reçu les
miennes refponfives aux vofcres précédentes, avec celles que
j'efcrivois à Monfeigneur le Cardinal Séraphin. J'attends fur
ce voftre refponfe ; car je crois avoir fatisfait en partie à ce
que m'efcriviez , & fait des ouvertures qui feront trouvées rai-
fonnables 5 après lefquelles fi on pafte outre , je fuis délibéré
de me foncier auffi peu de ce qui s'en enfuivra, que je me
fuis montré équitable pour éviter une injufte cenfure. Sur
tout je vous prie de prendre garde , comme je vous ay efcrit,
aux deux éditions. Car l'on connoiftrapar la conferencc,que ce
que les imprimeurs avoient par mefgarde mis en la première ,
encore qu'il fuft tracé en la copie , a efté corrigé en la féconde.
J'attends fur ce voftre refponfe en bonne dévotion, pourfça-
voir fi mes raifons , & comment elles auront efté receues. Le
mal vient d'icy^ & eft porté par ceux de l'Ordre de celuy
qui eft chargé de l'affaire ^ lefquels n'en ofant parler par deçà ,
à l'inftigation d'autres grands que fçavez , font jouer le jeu
par delà : mais j'efpere que fi les volontés fe trouvent mal
difpofées , la prudence du monde qui règne aujourd'huy ap-
portera quelque modération , & empefchera que la chofe ne
pafte fi avant. Dieu en ordonnera comme il lui plaira , lequel
j'appelle à tefmoin de la fincerité de mon cœur ^ & de la can-
deur que j'ay apporté 5 n'ayant autre but que fa gloire , à laquelle
il appartient que les chofes paOees foient fidellement trani^
miles à la poftcrité fans haine & fans amitié. Quant à Monfieur
Vialard duquel vous m'avez auffi envoyé les lettres 3 je vous
DE J. A. DE T HOU. 15^
prie luy baifer les mains de ma part, & le remercier de l'avis i
qu'il m'a donné , qui n'eft gueres efloigné de ce que je vous ;
avois efcrit par mes dernières. Je luy avois efcrit , & vous prie , ^
de me tenir pour excufé envers luy , fi je ne luy efcris prefen- ;
tement 5 la hafte du courrier m'en empefche. J'attends tous- J
jours les chofes : je fuis bien aile de ce que m'avez efcrit pour 1
voftre particulier j vous ne pouviez vous en ouvrir à perfonne '•
qui prît mieux vos raifons^ & defirâtplus vous aider & fer-
vir comme je feray en ce que m'efcrivez pour le St. Jean en- '
vers Monfeigneur le Cardinal de Joyeufe , & vous rendray en ^ ]
cela l'office que pourriez defirer de perfonne qui vous aime !
ôc eft prefte d'embrafler tout ce qui fera de voftre contente- ;
ment & avancement. Efcrivez moy fouvent , & me faites part
des efcrits de par delà aux occafions. Je fupplie N. S. Mou- i
ûeur , vous donner en fanté fa grâce. j
De Paris ce 25?. No- Voftre humble ferviteur
vembre i5o;. & Coufin,
J. A. De Thou.
Lettre de M. De Thou y à M. Dupuy ^ à Rome,
Monsieur. Je crois que depuis les voftres dernières r ^' i r.
r • J o I /^-/ /r 11 Imprimée fuf
eicritesdu ly & 2p dupafle, vous aurez reçu celles kManufcrit^
que je vous ay efcrites , enfemble l'enclofe addreflante à Mon-
feigneur le Cardinal Seraphin.dont j'attends refponfe en bonne
dévotion. Cependant Monfieur l'Ambaftadeur a efcrit au Roy
qu'il avoit parle à Sa Sainteté pour tenir la chofe en furfeance;
ce que Sa Sainteté luy a accordé fort volontiers. Le Roy en
efcrira à cette mefme fin , ôc même à Monfeigneur le Cardi-
nal Séraphin , pour luy tefmoigner qu'il a fort agréable ce qui a
efté fait par luy en cette affaire. Je fuis marri que la malignité
fourde d'aucuns, qui vient de deçà mefme , ait efté la caufe de
faire un fi grand bruit de peu de chofe, laquelle difTmiulée fc
fuft efvanouie , & eftant remuée donnera plus de crédit au li-
vre qu'il n'euft eu fans cela. Ce dont l'on s'offenfe eft peu de
chofe , & pecuhere feulement au lieu ou vous eftes : car par
tout ailleurs l'on n'eu fera tant de cas. La confequence du
Sij
■1
I4Ô-, PIECES ■ CONCERNANT L'HISTOIRE
bruit, comme je vous ay efcrit, va loing, & touche à ceux
que je crois que Ton ne veut maintenant offenfer j j'entends
ceux de la niaifon de Bourbon , qui eftimeront que l'on veut
•faire une querelle d'Allemand au livre pour fujet léger & re-
■cherché, pour par ce moyen eftoufFer ce qui blelîe les fadions
en ce Royaume, lefquelles ne s' oferoient plaindre , les chofes
eftant paiiibles , & attendant un trouble empruntent le man-
teau de la Religion , comme autrefois , pour combattre &
cîeftruire ce qui fait contre eux. Je vous prie de pefer cette
conlideration , & le faire entendre à Monfeigneur le Cardinal
Séraphin , auquel je ne fçaurois exprimer combien je me fens
redevable. Ce que je peus maintenant, c'eftprotefter devant
Dieu &les hommes, que je fuis fon très humble ferviteur,
ôc acquis par un fmguher bienfaid ^ que j'eftime d'autant plus
grand que fans favoir mérité de luy , non requis, ne fupplic , il
luy a plu fi franchement & libéralement me rendre ce bon of-
fice. Dieu m'a fait une grande grâce que la vérité & la can-
deur que j'ay eu pour mire , & dont j'ay ufé en tout cet œu-
vre , a trouvé une telle protedion en luy. Je n'en perdray ja-
mais la mémoire ; & fi je ne puis rien autrement pour fon fer-
vice , la pofterité fçaura que je ne fuis point ingrat. Je vous
remercie dufoing que vous avez des Eloges : fur tout je de-
fire fçavoir le jour , & le lieu du decés 5 car fans cela je ne
puis faire mention de ceux dont je defire honorer la mémoire.
Je fuis marri que voftre avertifiement pour St. Jean de La-
tran eft venu fi tard. Je l'avois desja fcû de Monfeigneur le
Cardinal de Joyeufe 5 lequel fans cela eftoit difpofé à vous
aider de fa faveur & recommandation. Au furplus , je crains
fort que Mademoifelle voftre mère ne puilfe s'eftendre da-
vantage que jufques à ce qu'elle vous a promis , encore qu'elle
ait bonne volonté. Vous fçavez la charge qu'elle a , neant-
moins elle montre de vouloir faire tout ce qu'elle pourra. Je
ne vous la feray plus longue , attendant la refponfe à mes der-
nières , & fupplieray feulement le tout-puiflant, Monfieur , qu'il
vous donne enfanté fa grâce.
De Paris ce 2p Voflre plus affedioiiné Coufîii
Décembre 1^05". & ferviteur,
J. A, De Thou.
DE J. A. DE T HO U. 141
MonHenr Vialard trouvera icy , s'il loy plaift , mes humbles re-
commandations à fes bonnes grâces. Je le Tupplie de con-
tinuer les bons offices.
Lettre de M. De Thou à M, Dupuy y à Rome. ,
o N s I E u R. J'ay reçu deux des voftres , l'une fort vieil- i„iprîmée Cnt
le du 1 3 Décembre de l'an pafie , & l'autre du onze du le Manufcrit.
nTois n'agueres efchû, enfemble les Notes de A. C. (i) Elles
font dignes de celuy tel que me le defcrivez , & par le juge-
ment de celuy aulfi dénommé en voftre lettre. Vous m'efcri-
viez par vos précédentes que l'on ne touclieroit à la Préface,
feulement que l'on eftimoit que prématurément fe faifoit en
rcelle mention de l'edit de pacification , d'autant que le temps
n'eiloit encore venu en cette première partie d'en parler 5 à
quoy je vous refponds, que la Préface eftoit faite pour tout
F œuvre , & pour excufer d'autres chofes que je prevoyois que
dés cette première partie l'on pourroit reprendre j comme les
Eloges des honimes de Lettres , & principalement des Alle-
mands , defquels la plus grande part font Protellants : mais ce
n'eft ce que je recommande en eux , ains feulement l'érudi-
tion es autres Lettres , oubienfi j'ay parlé honorablement d'au-
(i) Antoine Garracioli, Clerc rcgii-
licr : Ce fur lui qui fur chargé à Rome
de drcffer la cenfure des Hiftoires de
M. De Thou. Il examina les dix-luiir
premiers livres fur l'édition des Droiiarts
in cct.tvo ^ i vol. & fit un dépouillement
de tous les endroits qui lui parurent di-
gnes de cenfure ; enfuite il donna Ton
avis , conçu en ces termes.
* Au refte , voicy ce que je penfe du
>ï Livre & de fon Auteur. Je juge que le
» Livre doit être défendu & fupprimc ;
» car s'il falloir en ôter tout ce qui eft
» mauvais, il y auroit un fi grand vui-
» de dans l'Hiftoire , qu'on ne pourroit
y> plus y trouver un fens parfait , & dès-
»3 lors le Livre deviendroit inutile. A l'é-
wgardde l'Auteur, la haine implaca-
«ble qu'il fait paroître en toute occa-
M Cxon contre le Saint Siège , & les
*3 fouverains Pontifes , ne permet pas de
t» douter qu'il ne foit Calvinille j & en
^ Traduit du
Latin fur le
"Cette qualité ildoît être mis au nom-
« bre des hérétiques de la première clafle.
Après avoir ainH donné Ton avis fur
le premier volume, il le donne fur le
fécond en cette manière.
ï5 Je porte de ce fécond vohime le
M même jugement que j'ay porté du pre-
« mier. Dans celuy-ci rÀutenr critique
M !a Conduite du Concile de Trente, &
»» en méiîie temps qu'il blâme les fbti-
>3verains Pontifes, il fe répond en Manufcrit,
33 loiiangcs fur les Hérétiques , & loiic
>3 en particulier le Prince de Cor:dé , le
33 Roi de Navarre , le Connétable dé
» Montmotency qui ont été en France
J3!es auteurs à(:s troubles, &lesprinci-
îspaux fauteurs de l'héré/îe. Cependant
33 il fera néceP.aire de confûlter MM. du
33 Perron & du Henry , qui connoiflent ,
» à ce que je crois, l'Auteur, & qui diront
33 s'il eft à propos de le mettre au rang
J3 ^Qs Hérétiques de la première clafie.
Siij
ï42 PIECES CONCERNANT L*HîSTOIRE
cuns Théologiens , comme Melandhon^ dont l'on s'offcnfe
tant , c'a eftc pour remarquer fa modération , telle que les
Catholiques mefmes l'on reconnu propre pour une conféren-
ce & reconciliation lors , fî nos péchez n'euflent empefchc
un fî grand bien. Quoyque j'en aye dit, je ne l'ay dit que des
ades , & félon l'hiftoire du temps. Voila donc l'occafion pour
laquelle j'ay des le commencement jette ces préparatoires
en ma Préface : laquelle , quoy que vous m'ayez efcrit , j'ay
tousjours penfc que l'on trouveroit mauvaife par delà 5 mais
que les plus prudents pour cette heure le diflimuleroient ;
que cela feulement feroit caufe qu'es autres chofes, lefquel-
les aifément pouvoient eftre paffées, & l'euffent efté fans cela,
l'onfe rendroit plus fevere > ce que j'ay fort bien apperçu
par les Notes du bon P. lefquelles font pour la plufpart ridi-
cules ; mais je vois bien que l'on luy a laifle toucher là où il
fait mal aux autres qui ne parlent point encore , c'eft à dire ,
qui attendent avec grand defîr que pour le fujet de la Reli-
gion nous revenions encore aux mains & aux confufions paf-
fées. Il eft bien aifé à ceux qui font loing du péril de pronon-
cer fi hardiment en telles chofes, & blafmer ceux qui em-
braflent le repos , & le veulent perfuader à leurs concitoyens,
ït cependant où eft la charité ? n'a-t-on pas de pitié de 40
années paffées pleines de continuelles miferes ? n'a-t-on point
d'horreur de la perte des Pays-Bas advenue par cette obftina-
tion forcenée f Nous pouvons eftre icy bons Catholiques 6c
obeiflans , quant à la dodrine , au Saint Siège , fans tenir
cette fanglante propofition , qu'il faille par la force & par les
armes eftablir la Religion. Voila pourquoy je ne merepentiray
jamais d'en avoir dit, en la place où je fuis, ce que j'en ay
tousjours dit 5 moins de ce que j'en ay efcrit. D'une chofe
fuis-je fort marri , que cela feul foit caufe que mon livre ait
efté examiné iî exadement, & jufques à calomnie.
Je baife très-humblement les mains à Monfeigneur le Car-
dinal du Perron, pour la bonne volonté que m'efcrivez qu'il
monftre avoir en cette aft'aire , ^c pour le fincere jugement
«ju'il fait de moy & de mon livre, llmeconnoift, & a porté
tefmoignage ailleurs de moy que j'aime la vérité , & que ma
parole & mes mœurs ne fe dcfmentent point. Derechef je
lui baife les mains , ôç le prie de pvendrç en fa protection
DE J. A. DE T HOU, 145
cette caufe^ qui n'ef!- point mienne du tout, mais qui re-
garde la France , & le repos d'icelle ^ je n'ofe dire aufli l'hon-
neur du nom François? ce que je n'ajoute par prefomption,
ou eilime que je fafle de mon oeuvre j que je prife beaucoup
moins que ceux qui i'aiûaillent par tant d'endroits, & luy don-
nent crédit aux defpens du repos de mon efprit 5 ains d'au-
tant que je crois que je ne puis en cela recevoir injure , qui
ne redonde fur toute la France. Ce propos feroit long
qui s'y voudroit eftendre. Je fuis refolu d'attendre tout ce
que l'on voudra en ordonner , avec une patience Chrétien-
ne , & ennemie de toute divifion , mais qui ne cédera qu'à
la raifon. L'on y doit regarder plus d'une fois devant que
rien précipiter , de peur que les plus haflés ne fe repentent
à loifir. Quant à Monfeigneur le Cardinal Séraphin , je ne
fcaurois aflez remercier fa bonté & fa candeur en mon en-
droit : qu'il me commande , qu'il taille & rongne^ je recevray
tout bien de fa part; il m'a tant obligé , que je ne feray jamais
ingrat de l'honneur que j'ay reçu de luy , le fuppliant très hum-
blement de vouloir continuer en cette bonne volonté. Je
ne fçay s'il me fera cette faveur de m'efcrire:il me fufîit
qu'il m'aime & me conferve en fes bonnes grâces. J'ay mis
les Notes es mains du bon homme P. M. qui en a ja vé-
rifié une partie & s'en mocque , & dit que c'eft autre chofe
d'efcrire au lieu d'où font venues les Notes, & principale-
ment en l'Hiftoire , & autre chofe d'efcrire la vérité des cho-
fes paiTées en France , & au loing. Car il faut donner quel-
que chofe à la liberté des pays ; laquelle 11 l'on veut du tout
ofcer, l'on aigrit pluftoft les efprits que l'on ne les contient
en devoir. Il eft fort offenfé de Agobardus ^ & à peine s'en
taira - 1 - il ; il faut eftre plus équitable qui veut retenir les
généreux efprits. J'ay reçu l'Eloge de Sebadien Corradus ,
dont je vous remercie. J'attends celui de R. Amafccus & de
Pompilius fon fils , afin qu'ils foient mis chacun en fon lieu
& année : je les avois inférés , mais non en leur lieu , aimant
mieux faillir en cela, que taire leur nom; en quoy l'on peut
remarquer avec quelle candeur & diligence , j'ay recherché
d'honorer tous ceux qui ont contribué à la reftauration des
Lettres. Si les Italiens & les Efpagnols me fuilent venus aniTi
facilement en mains ^ que les AUemans plus foigneux d'ef-
144 PIECES CONCERNANT L'HISTOIRE
crire telles chofes^ l'on eiift connu ^ que l'affedion que Ton
dit à tort que je porte aux Allemans, n'euft preponderé à
celle que j'ay aux autres nations î une defqueiles m'a coufté
plus de temps & d'eftude à fçavoir , que dix des autres. Et
toutesfois l'on trouvera par expérience que j'en ay ramalle C\
bon nombre , que les Italiens & les Efpagnols n'auront ( quant
à ce ) qu'à envier aux autres. J'ay reçu toutes celles que m'a-
vez efcrites , fans qu'il s'en foit perdu aucune , & les ay gar-^
dées difcrette ment fans les communiquer à perfonne. Efcri^
vez moy confidemment fur cette adurance j comme je vous
faits. Je baife les mains à Monfieur d'Abain , & ay regret
extrefme à l'infortime deMonlieur de la Rochepozay Ion frère,
La maladie , dont il eft affligé ne fe guérit , comme j'ay
dit plufieurs fois à Madame fa merç ^ par paroles ni par pro-
cès, il faut voir des eifeds : tout le temps quife perd & con-
fume autrement, ne fert qu'à avancer la ruine des maifons
de part & d'autre. Il e(t befoing qu'il en efcrive 3 ii l'on ne
commence à dédier la bourfe , l'on ne s'aquittera jamais. Vous
luy pourrez communiquer cet article. Si le feigne ik Vialard
voit la prefcnte , il y trouvera mes affedionnées recomman-
dations à fes bonnes grâces. Je fuDplie en cet endroit N. S^
Monfieur, vous donner en parfaite fauté fa grâce.
Le 12 FevricE Voftre plus affedionné Coufin
ï6o6, & fer vite ur,
J. A. De T h o Us
Si vous connoiffez quelque Efpagnol, je vous prie de fçat
voir par lui le joiu- du decés & l'âge de Francifcus Sa^
linas ProfeiTeur en Mufique à Salamanca. Il doit eilrq
mort depuis l'an 1580. Les Pères Jefuites le ppurron^
fçavoir.
Lettre de M. Dç Thon j à AL Dupuy , à Rome,
Imprimée fur '^ /f O N S I E u R > J'ay reçu deux de vos lettres en mefmq
im*r;mec lur m /| W JN b I E U K > J iiy ICÇU ueUX QC VOS letUCb CH lllfimy
kxManuiçm. j^^^ J^ jour du dixiefme de Février, & du 11 de Février. Je
ne vous fçaurois aflez remercier du foin & affedion que por-
tez à ce qui me touche. Djeu m'a fufcitç nouveaux defen-
fcurSj
DE J. A. DE T H O U, 14;
leurs , & enfin la haine , l'envie & l'acerbité commencent
à céder à la raifon , à l'équité , & à la douceur. Dieu qui eft
juge de l'intérieur , qui m'eft tefmoin que j'ay efcrit fans hai-
ne & fans grâce, m'a fait ce bien de faire reconnoiftre par
le temps la candeur & ingénuité de laquelle toutes mes ac-
tions ont tousjours été accompagnées. C'eft ce qui a fait em-
bralTer ma caufe à Monfeigneur le Cardinal du Perron 5 car
il me connoift mieux que je ne me connois moy-même. Le
tefmoignage qu'il a rendu de moy fera enfin trouvé vérita-
ble , dont je vous prie le remercier très-humblement de ma
part y attendant qu'à loifir je lui en rende grâces par lettres,
ia hafle du porteur ne m'en donnant prefentement le moyen.
Je vousfupplie aufll baifer très humblement les mains à Mon^)
feigneur le Cardinal Sforza , & lui dire que ce peu que j'ay
d'induftrie , je le confacre & voue à l'honneur de fa famille.
Sa courtoifie m'y oblige , puifque devant que d'avoir reçu
la fevorable offi:e de fes bonnes grâces , j'ay efté fi heureux
que ce que j'ay efcrit^ luy a apporté contentement. Il ne doit
douter maintenant que je ne recherche toutes les occafions
en pareil fujet de luy rendre le fervice qu'il peut attendre
d'un homme de bien, & qui honore la vertu, mefme en
ceux qu'il n'a l'honneur de connoiftre. Je vous prie l'en aC-
furer en attendant que je prenne la commodité de luy ef-
crire. Je ne fçay s'il fera befoing que ce foit en Latin ou en
François j vous le pouvez fçavoir des fiens; je prendray le
choix des deux , fuivant ce que me manderez. Je vous re-
mercie de l'Eloge de Romulus Amafaeus : j'attends les autres
à loifir, comme de Hannibal Cruceius, &c. Si vous voyez
par occafion Monfeigneur le Cardinal de Vifconti , vous luy ■
pourrez baifer les mains de ma part, & le remercier très^,;
humblement de l'honorable tefmoignage qu'il luy a pieu ren- •
dre de moy •■> & l'affeurer que la mefme vérité qu'il recon-
noift es chofes du Levant , je l'ay recherchée (5c embrafTée
es chofes d'Allemagne, & en nos guerres civiles, fanshai-j[
ne ny amitié. Si Monfeigneur le Cardinal Sforza a quelquesr
Mémoires qui puiflènt fervir à illuftrer fa famille, pour les,>
années qui fuivent, il ne peut les commettre à perfonne quij>
defire plus à les employer en lieu apparent , pour en confer- {
y^r la niemoire à la pofterité. Il ne fera befoing des orl,-,^
Tome XK T^
i^'6 PIECES CONCERNANT L'HISTOIRE
ginaux , qui doivent demeurer par devers lui 5 ains des co*
pies feulement. Je délire fort fçavoir la fuite de ceux de fon
nom depuis cinquante ans en çà, afin que je voye s'il eft
fils du Comte Scipion qui fut envoyé General en ïrance du
temps de Pie V. J'ay connu le Cardinal fon frère qui vivoit
lorfque j'eftois à Rome il y a 33 ans, au temps de Grégoire
XIII. Depuis il y en a eu un autre de la mefme famille,
qui entretenoit eilroite amitié par lettres avec Monfeigneur
le Cardinal de Bourbon dernier decedé , auprès duquel j'.ef-
îois lors. Vous me faites beaucoup de bien de m'acquerir'
de tels amis. J'approuve fort l'avis de Monfeigneur le Car-
dinal Sforza de tirer cette affaire de la Congrégation /& s'il
eft pofTible , la commettre à Meffeigneurs Séraphin & du Per-
ron. Je baife très humblement les mains à Monfeigneur le
Cardinal Séraphin , & vous fupplie de luy dire que je fuis
fon très obligé ferviteur, & luy defire fanté & très longue
vie. Je fupplie en cet endroit N. S. Moniieur, vous don-
ner en parfaite fanté fa grâce. •
De Paris ce 18 Votre humble ferviteur
Mars 1606, . & coufin ,
J. A. De T h o u.
Lettre de M. de Thou^ à Monjieur Dupuy ^ à Rome.
Imprimée fur 1\ >T G N S I E U R. J'ay rcçu voftre dernière du 20 Mars:
k Manufcri^^ | V J[ je fuis en peine que n'ayez plufloft reçu toutes cel-
les que je vous ay efcrites depuis la dernière du mois de
Décembre , qui eftoient refponfives à toutes celles que m'a-
vez efcrites depuis , & dont vous faites mention par celle du
2.0 du palTé. Je crois que maintenant vous les aurez reçues,
& connoiftrez que je n ay jamais tardé deux jours après la
réception des voftres à y faire refponfe bien particuUere. J'ay
fatisfait pour Meffeigneurs les Cardinaux Sforza & Vifconti,
defquels je prends à grand heur & honneur le tefmoignage
qu'il leur a pieu porter de mon labeur. Je n'ay encore pris
le temps d'efcrire à Monfeigneur le Cardinal Sforza , atten-
daiK refponfe de celle que je vous ay efcrite: cependant je
DE J. A. DE THOU. 147
vous fiipplie luy confirmer ma très humble dévotion & fin-
cere affedion à fon fervice, ôcluy dire que je prendrayen
Singulière faveur, qu'il lui plaife faire copier les Mémoires
defquels il me fait oftre j Taflurant qu'il ne les peut commettre
à perfonne qui en ferve plus fidellement le public , & avec
plus de reconnoiflance de fes mérites & de toute fon illuf-
tre famille. Pour tout le fervice que je luy ay voué, je ne
îuy demande autre grâce , finon qu'il me défende de la ca-
lomnie , & protège mon innocente liberté , qui ne tend qu'à
conferver la vérité des chofes mémorables pour les tranf.
mettre incorruptiblement fans haine & fans amitié à lapof-
terité. Je vous fupplie aufil de baifer très humblement le-s
mains à Monfeigneur le Cardinal du Perron, & l'aflurer de
mon fervice. Je n'ay pu encore lui efcrire à loillr comme
je defire. Je defirerois qu'il lui plûft de faire ce que vous
avoir confeillé Monfeigneur le Cardinal Sforza, c'eft à dire
d'obtenir de Sa Sainteté que la chofe fuft tirée de la Con-
grégation , & la remettre à luy 6c à Monfeigneur le Cardinal
Séraphin , auquel aulTi je baife très humblement les mains.
Mais que me dites vous pour le fécond & troiiiefme Tomes l
ell il pofTible qu'ils foient defirés par delà z' ou que je doive
defirer qu'ils y foient vus ? fî c'eftoit à recommencer , je ne
mettrois ni moi ni mes amis en peine. Je crois que je vous
ay dit, ou efcrit, que par force j'avois donné au public ce
qui en eftoit imprimés d'autant qu'il y en avoit une Copie
en Allemagne à moy defrobée ab amanuenfi Germano incor-
re^è , & que je craignois que l'on y imprimai!. Cette mefme
crainte a efté caufe que l'impreflfion en a efté continuée icy
jufquesà 1J72, c'eft à dire, jufquesà un mots après la Saint
Barthélémy : car plus avant il n'eft loifible de palier , encore
que j'aye depuis peu de jours achevé tout l'œuvre 6c con-
duit jufqu en i ^o i , c'eft à dire , la naiftancc de Monfeigneur
le Dauphins époque mémorable pour noftre repos, & de
toute la Chrétienté, qui ne peut eftre en paix, la France eftant
en trouble. Je doute fort que cette féconde partie n'excite
nouvelles tempeftes fur ma tefte , tant s^en faut que je defirë
qu'elle pafte les monts. J'attendray fur ce encore de vos nour
velles : aufti bien n eft ce chofe prefte jufques à la foire de
Septembre prochaine. Je baife les mains à Monfieur Vialard|
Tij
I4S PIECES CONCERNANT L'HÎSTOÎRE
5c vous prie de veiller pour les Eloges, Ôcpour les Mémoi-
res de Monfeigneur le Cardinal Sforza , s'il me continue cette
bonne volonté. Je finiray en cet endroit , & fupplieray N,;
S. Monfieur, vous donner en fanté la grâce.
De Paris ce 1 2 Voftre humble ferviteur
Avril 1606, & coufin,
J. A. De Thou.
Lettre de M, deThou^ à Monfeigneur le Cardinal Sforza^
ic^Manufcrit! TV^Onseigneur. La réputation de vos vertus , & le
J^ V JL nom que vous avez acquis en cette grande Cour pour
favourifer les Lettres & perfonnes lettrées , eftoit fufïifant
pour attirer tous ceux qui aiment la vertu & les Lettres à vous
honorer & fervir j mais moy finguherement , qui ay trou-
vé il favorable accueil en vos bonnes grâces fans les avoir
méritées par aucun fervice , & en chofe en laquelle mon in-
nocence s'eftoit trouvée affaillie de tant de calomnies &
malveuillances. Je n'attribue cela à aucune chofe qui foit en
moy ou provienne de moy , reconnoiflànt aflez mon infir-
mité naturelle & défauts très remarquables ; mais à celuyqui
eft fcrutateur de nos cœurs Jequel fqachant ma droite & fîncere
intention, car c'eft tout ce que j'yay apporté du mien, m'a
fufcité en lieu efloigné un fi grand & puiflant fupport que
le voftre j & a retenu foit la violence , foit la précipitation de
ceux, qui fans connoiflance de caufe, au premier mouve-
ment vouloient condamner ce que le temps leur a desja en
partie juftifié, & leur fera enfin connoiftre avec la grâce de
Dieu, en laquelle ;e me confie, eftre fort efloigné de ce
que l'on s'eftoit perfuadé du commencement. Quand je me
fuis mis à efcrire l'Hiftoire de ce temps, bien que je n'igno-
Tois que la complaifance concilie les amis, & la vérité en-
gendre la haine, toutesfois je ne penfois trouver les juge-
mens fi peu équitables & les oreilles ào-s lefteurs i\ violen-
tes. Les diffentions civiles excitées pour la plupart au fiecle
paffé pour la Religion , eft un fubjed efpineux , & comme
un feu cafché fous des cendres fur lefquelles iî fait dangereux
D E j. A. D E T H O U. 14^?
cheminer; mais je penfois avoir farisfait à tout cela en la Pré-
face , laquelle je n'avois mife au devant de l'œuvre pour or-
nement accouftumé , comme plufieurs font , ains pour excufe
neceflaire contre les calomnies & obtredations , que je pre-
voyois fe préparer contre moy î & crois que li elle eft dili-
gemment & equitablement leuë & examinée , elle conten-
tera en partie les plus rigides cenfeurs. Ma vie refpondra du
refte, laquelle eft ( telle que mes efcrits) franche & ouverte3
& expofée au public. J'ay efcrit fans grâce & inimitié des
perfonnes, j'attefte Dieu, je n'ay amour ni haine qu'envers
la vertu & contre le vice. On ne fçauroit rendre aux bons
& vertueux l'honneur qui leur eft deub , fmon par compa-
raifon en deteftant les vicieux. Je n'ay entrepris de faire des
Panégyriques, moins des Philippiques , & ne me fuis ac-
commodé au temps prefent pour avoir le gre des grands &
defguifer la vérité des chofes à la pofterité , à laquelle j'ay
plus d'efgard qu'à tout ce que je pouvois efperer ou crain-»
dre des vivants. Je ne demande autre grâce ny recompenfe
pour tant de travail & peine que j'ay fouffert durant douze
années continuelles entre les affaires publiques qui m'occu-
pent journellement , en efcrivant Cette Hiftoire j finon que
ma franchife & liberté & candeur foient bien interprétées ,
& que par mes adions ordinaires j l'on juge fincerementde
l'intérieur de mes intentions. La principale loy de l'Hiftoire
eft non feulement dire la vérité, mais delà dire hardiment:
oftez cette liberté que je fçai que l'on blafme en moy , vous
lui crevez les yeux , vous la decharnez , vous lui oftez la
vie : & pleuft à Dieu que l'on peuft voir tout d'un afped tous
les livres, les mémoires, Ôc les papiers fecrets dont j'aycom-
pofé ce corps ! l'on connoiftroit avec quel tempérament j'ay
addouci , modéré, equitablement interprété , & benignement
excufé l'aigreur, la violence, la paiïion, Tinfedarion des ef-
crits de ceux qui ont traité de ces chofes devant moy. C'eft
autre chofe de traiter des affaires, & d'efcrire l'Hiftoire: en
l'un il fe faut retenir & ne dire que ce qui eft neceflaire
prefentement au fubjed ; bien fouvent pallier & excufer ce
qui autrement meritoit reprehenfion. Quand je me fuis trou-
vé en telles rencontres , je n'ay rien fait ni did qui portât
préjudice à mon maiftre : ce font chofes ordinairement fe-
Tiij
j;o PIECES CONCERNANT L'HISTOIflE
crettes 6c momentanées. L'Hiftoire au contraire eft chofe pu-
blique, & qui doit fervir non feulement à ceux qui font , mais
auffi qui feront. Je fçay aulll que l'on requiert en moy une
plus ouverte deteftation de nos adverfaires en la Religion j
en quoy je penfe auill avoir fatisfait par ma Préface. J'ad-
joufteray , que les ioixibus lefquelles nous vivons aujourd'hui
ne permettent de parler autrement, & que puifque l'expé-
rience nous a appris que les armes font funeftes au faid de
la Religion, il faut l'aider des arts de paix, pour parvenir à
cefte reconciliation tant defirée de tous les bons. D'ailleurs
en mon particulier, ayant efté employé par fa Majefté en ces
affaires, comme vous pourra tefmoigner Monfeigneur le Car-
dinal du Perron , il ne m'eftoit feant de monftrer plus d'ai-
greur en mes efcrits contre eux, que fa Majefté par m,a bouche
ne leur en avoit tefmoigné. Vous m'excuferez , Monfeigneur,
il pour la première fois que j'ay l'honneur de vous efcrire
je vous parie Ci librement. Je ne puis contraindre mon na-
turel j ôc l'aflèurance que M. Dupuy me donne par les Tien-
nes que vous n'aurez mes lettres defagreables , m'a fait pren-
dre ceftc hardieife. Je penfe plaider ma caufe devant vous,
^ loue Dieu que devant un tel juge je fois appelle 5 juge de
qui , foit pour la fplendeur de la famille , foit pour l'expé-
rience deschofesj l'équité, la reditude du jugement jointe
avec une fmguliere érudition, j'efpere tout fupport & faveur
en une H jufte caufe. Il y a douze ans & plus que j'ay tra-
vaillé à ceft œuvre , entre les aftaires publiques qui m'occu-
pent journellement : je me fuis desrobé le temps pour pro-
fiter à la pofterité. L'ambition ne m'a poufle à cela, & pré-
voyant l'envie que j'attirerois fur moy , j'euflè volontiers fjp-
primé mon nom j s'il euft été loifible : mais craignant que ce-
la euft rendu la chofe fufpede , j'ay mieux aimé facrifier mon
nom <5c nia fortune tout enfemble , que de faire rien en ce-
la qui euft peu diminuer la foy & la créance de l'Hiftoire,
puis qu'elle eftoit faite pour fervir au public j en quoy je
penfe pluftoft mériter pitié que reprehenfion. Et toutesfois
je ne fuis fi ferme, que je ne foye preft de recevoir meil-
leur confeil que celuy que j'ay peu prendre de moy-mefme,
& de mes amis de deçàî voire fubir le jugement de tous
candides cenfeurs, comme le voftre, Monfeigneur, lequel
r>E J. A. DE THOU; î;r
je fiiîvray non feulement en cela , mais en toutes autres cho-
fes qui me viendront commandées de voftre part. La fécon-
de partie fera achevée dans peu de mois, que je ne faudray
à vous faire voir incontinente vous fuppliant très humble-
ment d'en prendre la protedion comme de la première. Je
vous avois aifez d'obligation de m'avoir fait entendre la bon-
ne volonté que me portez, fans adjouder nouveau comble,-
que vous me communiqueriez volontiers les Mémoires que
vous avez, pouvant fervir à l'hiftoire. Je prend à grande
faveur que m'eftimiez digne de celle grâce, & je la reçois
comme la première avec très affectionnée dévotion de vous
fervir; ce que je penfe faire en fervant au public ^ puifque
les aftions de tous ceux de voftre très illuftre famille y font
conjointes. M. Dupuy, qui vous rendra celle-cy, vous fera
entendre plus particulièrement ce que je peus délirer en cela
fans abufer de voftre bonté. Il m'eft conjoint de proche pa-
rente, & tel que j'eftime que vous ne le jugerez indigne
de voftre faveur & afllftance es occurrences qui fe pourront
prefenter. Les bons offices qu'il recevra de vous, je lesre-
puteray faids à moy-mefme, & les mettray avec les autres
obligations que je vous ay pour vous rendre à l'avenir très
humble fervice. En ceft endroit, je fupphe le tout-puilfant,
Monfeigneur, vous donner en parfaite famé l'heureux ac-
compliftement de tous vos faints defirs, avec la grâce.
De Paris ce i Voftre très humble & obeifTant fervitenr ;
May 1606. J. A. De T h o u.
Lettre de M. De Thou à Monfieur Dupuy , à Rome,
O N s I E u R. Je reçus hier au foir la voftre du 5: du Imprimée î«f
paffé, & y fais prefentement refponfe à la hafte ; & ^^ ^^^a^^i^cm.
pour ce que me faites entendre que Monfeigneur le Cardi-
nal Sforza auroit agréable que je luy efcrivifle , & que cela
vous pourroit concilier quelque faveur envers luy ^ je luy ef-
cris par cette voye : mais je crains pour la hafte , car jen'ay
eu qu'une 'heure pour luy efcrire, que ma lettre fe trouve
rj5 PIECES CONCERNANT L'HISTOIRE
doublement mal efcrite, §c pour refcriture, & pour le fu-'
jet. Vous fuppléerez à l'un , & vous offrirez à la luy lire > de
l'autre , il l'excufera par fa bonté , s'il luy plaift. J'ay efcrit
en François n'ayant reçu refponfe de vous fur ce que je de-
firois , fçavoir , s'il auroit agréable que l'on luy efcrivît en
François ou en Latin. Depuis j'ay fçû qu'il entend fort bien
noftre langue ; c'eft pourquoy fans attendre davantage je luy
ay efcrit. Je fuis (î prelle que je n'ay loifir d'efcrire àMon-
feigneur le Cardinal du Perron : je vous fupplie luy baifer
très humblement les mains de ma part , & aufli à Monfei-
gneur le Cardinal Séraphin, cui gramlor ob profperam vale-
tudinem recuperatam. Dieu la luy conferve long-tems pour,
le public , & pour fes ferviteurs , au nombre defquels je m'in-
fère. J'attends les Eloges de Romulus Amafaeus , d'Hanibal
Çruceius , Fr. Salinas , Gab. Faërnus , & des autres. Je les ay
recouvrés d'ailleurs , & toutesfois les voftres feront tousjours
bien venus. J'attendray à cette foire les Mémoires que m'a-
vez fait tranfcrire : fi ce ne peut eftre pour celle-cy , ce fera
pour là prochaine. Pour ceux de Monfeigneur le Cardinal
Sforza , il faudra le fupplier les faire copier , fuivant ce que
j<s vous ay ja efcrit : car il faut que les originaux lui de-
meurent. Je vous fupplie de fçavoir particulièrement de luy,
s'il deiîre quelque chofe de moy en quoy je foye bon Sc
il me juge utile à le fervir. Car je me fens fort fon obligé.
Il trouvera que j'ay fait , comme je devois, honorable men-
tion de Monfieur le Comte de Santa Fiore , fon père ou fon
oiicle. Prenez pccafion fur la lettre que je luy ay efcriçe de
vous familiarifer davantage avec luy, & luy donner toute af-
feurance de mon fervice. La féconde Partie ne fera prefte
qu'à la foire de Septembre prochain , & ne faudray auflltoft
à vous en faire tenir lix exemplaires par la voye de Franc-
fort j fi je n'en trouve d'autre plus prompte entre cy & là.
Je defirerois fort fçavoir les lieux que l'on defire eftre oftés,
& qu'ils fuflent particulièrement cottes. Je me remets à vous
de ce que m'efcrivez pour avoir la permiftlon conditionnée,
pourveu qu'il ne fe fafte rien en cela qui puifte noter. Vous
en prendrés l'advis de Meileigneurs les Cardinaux nos amis
&: bons Seigneurs^ & m'efcrirez à voftre loifir fur tout. En
ceft
DE J. A. D E T H O U.
ceft endroit je fiipplie N. S. Monfieur, vous donner en fanté
fa grâce.
De Paris ce 2 Voftre humble couGn & ferviteur;
May 1606. J. A. De Thou»
M. Vialard trouvera ici mes très affedionnées recom-
mandations à fes bonnes grâces.
Lettre de M, Ds Thou à Monfteur Dupuy , à Rome.
MONSIEUR. J'ay reçu vodre dernière du 1 6 du pafTé, Imprimée C^i
n'ayant fait refponfe à la précédente , d'autant qu'il ^ ^^^ *""'^'
me icnibloit qu'il n'y avoit rien qui preiïaft. Si je l'eufTe
pluftoft reçue , j'eulTe efcrit en Latin à Monfeigneur le
Cardinal Sforza ; mais voyant que defiriez que je m'acquitalTe
de ce devoir plus promptement , & m' ayant efté dit par de-
çà qu'il entendoit le François , devant que d'attendre voftre
refponfe, je m'avançay. Vous m'en excuferez envers luy,
s'il vous plaift , & fçaurez s'il aura plus agréable dorefnavant
que je luy efcrive en Latin. Je vous fupplie baifer les mains
à Monfeigneur le Cardinal Séraphin , & lui dire , qu'auffitoft
que la féconde Partie fera achevée , qui fera en deux mois
au plus tard, je ne faudray à la luy envoyer. J'efcris à Mon-
feigneur le Cardinal du Perron 5 vous luy prefenterez la let-
tre ^ & le fupplierez d'avoir cette affaire pour recommandée.'
Quoyque vous m'efcriviez, je doute fort, que la féconde
foit mieux receuë que la première. Vous connoiftrez que
d'induftrie j'ay obmis tout ce qui regarde la procédure du
Concile de Trente , de peur d'offenfer ; l'hiftoire en eft faite,
tii'ée des Ades que j'ay eu du feu Monfieur Bourdin Se-
crétaire d'Eftat , qui avoit lors la charge d'Italie. Elle fe pour-
ra inférer une autre fois, ou imprimer à part. Puifque j'ay
eu la patience d'achever , avec autant de peine & fi ingrate,
Toeuvre , il faut m'armer de la mefme patience pour en fouf-
frir les divers jugements. Dieu qui eft par deffus tout ce qui
s'en peut dire, fçait mon intérieur, ôc que le feul amour
de fa gloire, qui fe conferve par la vérité des efcrits , m'a
fait entreprendre ce que j'ay efcrit : Si fallo , numquam propi-
fimn eum habeam. L'on nous promet icy.que Mcnfeigneuç
TqmeKK Y
,j4 HE€ES CONCERNANT L'HISTOIRE
ie Cardinal Vifconti doit eltre envoyé par Sa Sainteté pouf
le Baptême : fi cela eft , je lui feray le prefent de la fécon-
de partie, pmfqu'il liiy a plâ de faire fi équitable jugement
de la première. Je vous recommande les Eloges dont je
vous refraichiray ici la mémoire, y ajoutant quelques autres,
liannibal Cruceius , Hier. Eerrarius , qui in Philippicas fcrip-
Jttj Léon Malafpina Flor. qui in Epift, ad Atticumy comment a-
riam edidit y Gabriel Faërnus, Fr. Salinas, Andréas Striceco
qui fragmenta Ciceronis colkgit. J'ay recouvré les Eloges de
Covarruvias & de Hornecus. Je ne fçay lî Dominicus Maf-
farius Vicentino viendra dedans mon temps : il a efcrit fur
Pline en la partie des Poiflbns , & de Ponderibus & Alenfuris.
Je vous prie vous en enquérir. Je fuis en peine pour vous
faire tenir nos Poëmes , & attends que je vous envoyé noftrc
féconde partie par la voye de Francfort & Venife , fi vous
ne m'en enfeignés une autre. Je ne me foucierois desiraix,
pourveu qu'elle fuft feure & prompte. Je vous prie aulTi de
refraifchir la mémoire dts Conciles Grecs à Monfeigneur le
Cardinal du Perron , & luy propofer , en luy prefentant ma
lettre , l'expédient de Monfeigneur le Cardinal Sforza. J'ay
veu ici les avis du Confiftoire touchant le Monitoire. Il y
en a qui s'eftonnent fort de l'application de ce paffage , oc*
cide & manduca y qui n'a jamais eflé, & ne peut eftre tiré en
ce fens. Mais je laiiTe cela à d'autres qui le fçauront bien rele-
ver. Monfieur , je fupplie N. S. vous donner en famé fa grâce.
De Paris ce 12 Voftre humble ferviteur & Coufin,
Juin 1606. J. A. De Thou.
Extrait d'une Lettre' de M. Pierre Dupuy , â M, Jofeph Jujîe
de la Seal a du 20 Aday 1606.
TîrécîcsE'f/- TT ^HiSTOiRE de Monfieur de Thou ne fera pas fitoft
à M. Lu l_j achevée :1e volume quil nous donne de nouveau va
sw^8.i6i-s jufques au tems de la St. Barthélémy , exclud. Il a retranché
ï^èr^^i' tout le Concile de Trente, qui ef\ fort grand dommage : il
ponrroit bien foire feul un jufte volume. H dit là les veritez
qui ne fe peuvent endurer maintenant , principalement à Ro-
me, où fon livreafaiiiy d' eftre cenfuré, n'euft été quelques
DE J. A. DE THOU. î;^
amîs Cardinaux qu'y a eu. Mon frère qui eft furie lien luy ^
fort (eivy en cefte atFaire, ôc luy efcrit fort fouvent. Le Car-
dinal Séraphin François a rompu le coup deux ou trois fois.
Je ne fçay fi ce dernier volume fera tant parler que le pre^.
mier , qui luy a donné beaucoup de peine. Il y a un Minifn
tre à Genève qui fe mefle de tourner , qui a voulu mettre
en François cefte Hiftoire, mais le coup a edé rompu.
Lettre de Monfieur Cafaubon , à Monfieur Goitlart.
O N s I E UR. J'ay efté chargé de Monfieur le Prcfident ip,nnmée r
de Thou de vous prier de fa jpart vous oppofer à ceux le Manufcrit.
qui par delà, comme on tient ^ar deçà, veulent mettre eu
François fon Hiftoire. Ledit Sieur defire pour piufieurs eau-
fes grandes , que pour encore fon livre ne foit traduit , ou
pour le moins qu'il ne foit imprimé fans qu'il Tait veu, ôc
à ces fins a obtenu (i) defenfe d'en imprimer en France au-
NOT. (i ) Cette defenfe fut obtenue
en 160/. ^ imprimée pour la première
fois à la fin du cinquante-jeptiéme Itvre
de fon Hifioire de l'Edition de Drouart in
folio de la ?néme année 1607. La voici.
HENRY par la grâce de Dieu Roy
de France & de Navarre : A nos
Bailiifs, Senefchaux, Prevofts, Juges,
ou leurs Lieutenans , & à tous nos autres
Jufticiers& officiers qu'il appartiendra ,
Salut. Nous avons cy devant permis &
accordé à noftre amé & féal Confciller
en nos Confeiis d'Eftat & privé . & Prc-
fident en noftre Cour de Parlement de
Paris le fîeur de Thou , faire imprimer
l'hiftoire en Latin par hiy compofce des
chofes advenues de noftre temps , avec
inhibitions & deffenfês très exprefics à
tous Imprimeurs , Marchands Libraires,
autres que celuy ou ceux qui auront de
luy pouvoir & permifTion , de s'entre-
mettre d'imprimer lefdits livres : neant-
moins ledit (îeur de Thou (eroit adverty
iq'.i'au préjudice defdites deffenfês aucuns
Imprimeurs & Libraires de ceftuy noftre
Royaume fcvouJroient ingérer de ven-
dre & débiter lefdits livres , imprimez
hors noftre Royaume , certes & feigaeu-
rîes hors de noftre obcyflance , mefme
les faire traduire en François . où il s'y
pourroit commettre grandes fautes & er-
reurs contre l'intention de i'Autheur,
principalement en laverfion Francoife.
A CES Causes , defirant luy pourvoir &
empcfcher en tant qu'à nous cft , qu'en
une œuvre entreprinfe pour l'utilité pu-
blique , par l'imprudence d'aucuns parti-
culiers , il ne s'y commette des faufletcr
& erreurs au dommage du public , Nous
voulons , vous mandons , & à chacun de
▼ous en droid foy, C^ comme à luy appar-
tiendra, enjoignons faire réitérer de par
nous les deffenfês à tous qu'il appartien-
dra dans vos refforts & jurifdiâions d'im-
primer, vendre & diftribuer lefdits livres,
autres que ceux qui feront imprimez,
dans ceftuy noftre Royaame, & par ce-
luy ou ceux qui ont & auront pouvoir
dudit fieurdeThou, ny les faire mettre
en François fans Ion fceu Se permiflton ,
fur peine de confîfcation defdits livres &
d'arpcnde arbitraire. Donné à Paris le
vingt-deuxiefme jour de Janvier, l'an
de grâce mil fîx cens fept, & de noftre
règne le dix-huitiefiTic.
Par le Roy en fon Confeil ,
Signé , P II R R o "^^
yij
j^6 PIECES CONCERNANT ^HISTOIRE
CLine verfion, ou d'y en vendre aucune imprimée ailleurs.
11 ne fçait ni moy aulTi qui eft l'autheur de cette verfion ,
feulement il a elle adverti par quelqu'un que mon Seigneur
de Candale la faifoit imprimer , ou vouloit faire imprimer ,
& que en f^aviez quelque chofe 5 ce qui l'a occafionné de
vous prier par moy que apportalTiez , s'il vous plaift , voftre
crédit à ce que cela n'advienne : veu mefmes qu'il y en a
une nouvelle édition fur la preiTe tantoft achevée , augmen-
tée de la moitié autant. Je vous prie donc de donner audit
Sieiu: ce contentement, que pour plufieurs caufes il defire
obtenir de vous, & de tous ceux qui par delà voudroient
reimprimer fon œuvre à fon defçû, foit en Prançois , foit en
Latin. Si je vous avois dit ce qui principalement le meut à
s'oppofer à cela, vous trouveriez bonne fa refolution. Je de-
fîrerois bien que mes affaires ne me contraignifTent point
d'aller par delà, fur tout pour ne perdre tant de temps que
les voyages font confumer fans aucun fruits mais fi je fuis
contraint de ce faire, je me confole que j'auray le bien de
vous voir, & difcourir avec vous de plufieurs chofes , fi Dieu
le veut. Je fuis après à une édition de Polybe , grand &
excellent autheur , comme vous favez trop mieux : je me fuis
enfin laifle perfuader de le mettre en Latin , puifque jufqu'à
prefentj on ne l'a veu que à travers de bien efpaiiTes nues.
J'ay aufïï illuftré grandement ce qui eft de l'art militaire an-
cien , en quoi Polybe & Caefar n'ont point d'efgaux. Ce fera
mon travail pour encore un an ou deux , fi Dieu m'en
fait la grâce , car l'œuvre eft grand & très difficile , & je de-
fire ne m'en acquitter de legier. Tenez moy^ Monfieur,
à Paris ce 27 Jan- Voftre très humble ferviteur.
vier id'o^. Is.'C a s a u b o n^
Au dos eft efcrit : y^ Monfieur Goulart fidek Pajîear de
l'Eglife de Dieu,
Lettre de M. k Cardinal Sforze, à M. De Thou.
S?pn"Vur7é T'^Ytou}ours cu , Mouficur , une véritable eftime pour
Manufcrit, J VOUS, fondée fur votre mérite & vos vertus, auxquelles
on ne peut s'empêcher de rendre jiiftice. Je vous en aurois
Î)E J. A. DE THOU. 157
donné volontiers des marques , il l'occafion s'en étoit prefen-
fée , comme je l'ai defiré & le délirerai toujours. Je vous
écris cette Lettre pour vous aiîlirer de mes fentimens à votre
égard, & vous remercier de la bonté que vous avez eue 3
non-feulement de faire une mention honorable de ma famille
dans votre Hiftoire , mais encore de parler de moi en parti-
culier , dans la Lettre que vous avez écrite à Monfeigneuf
del Pozzo, que j'ai lue avec beaucoup de plaifir. J'en prens
toujours un très-grand à lire l'Hiftoire 5 mes occupations ne
me permettant pas d'écrire moi-même , comme mon incli-
nation m'y porteroit. Si jamais j'en ay le loifir , comme je fais
beaucoup de cas de tout ce qui part de votre plume , j'aurai
quelquefois recours à vous. A l'égard de ce qui concerne
ma famille, je ne puis vous rien dire de particulier. LeCo-
rio , Paul Jove & Guichardin , ont parlé aflez au long de
mes ancêtres & des affaires auxquelles ils ont eu part, tandis
qu'ils ont été en pollefTion du duché de Milan. Depuis qu'ils
en ont été dépoiiillés , tous les Ecrivains Italiens , foit ceux
qui ont écrit des hiftoires générales , foit ceux qui en ont écrit
de particulières , ( de ce nombre eft l'Adriani , qui n'eft pas
un auteur fort eftimé parmi nous , ) ont dit tout ce qui pou-
voit regarder le Comte de Santa-Piore mon père , & le Car-
dinal fon frère. Je fais aduellement travailler à la vie de mon
père en latin,que je prendrai la liberté de vous envoyer pour vc-
riiîer les faits qui ont une liaifon avec les affaires de France. Vous
verrez au refte , qu'à peu de chofe près, & feulement par rap-
port à des dérails peu importans , tout s'accorde avec ce que
vous en avez écrit. Mais je ne veux pas que l'ouvrage paroiffe
en public, avant que vous l'ayez vu, & que vous lui ayez
donné votre approbation. Le Cardinal Alexandre Sforze ,
dont vous faites mention étoit mon oncle , & frère de mon
père. C'efi: apparemment celui qui étoit fi ami du vieux Cardi-
nal de Bourbon : car je me fouviens que c'eft moi qui dans ma
jcuneile ai eu des affaires à traiter avec le jeune Cardinal de
Bourbon, & que j'ai été avec lui en commerce de Lettres. Vous
pouvez en être affùré. Je vous prie de compter toujours fur la
difpofition où je fuis devons obliger dans toutes les occafions,
comme je fuis perfuadé que de votre côté , vous vous inje-
V iij
î
)
PIECES CONCERNANT L^ÎSTOIRE
reliez infiniment à tout ce qui me regarde. Je fuis, MoniîciLif ;
De Pvome, le dernier Voftre très-affedionnéferviteur;
jour de Mai 1 606, Le Cardinal S f o r z k.
Lettre de M. DeThou,àM. Dupuy , à Rome,
imprimée'fur T\ /T Onsieur. J'ay reçu la voftre du 2p du paffé , enfem-
ie Manufcrit. J^ V^ ble ccllc de Monfeigncur le Cardinal Sforza , à laquel-
le je ne feray refponfe qu'en lui envoyant noftre féconde par-
tie, laquelle je crains que ne foitaufli mal receue que la pre-
mière. Pour cette heure il fuffira que preniez la peine de lu.y
baifer les mains de ma part , & Tafleuriez de mon très humble
fervice. Vous aurez reçu maintenant celle que je vous efcrivis
dernièrement, avec celle que j'addreflay à Monfeigneur le
Cardinal du Perron. Après que j'auray reçu fur icelle voftre
refponfe^ je ne faudray à lui faire une recharge conformé-
ment à ce que Mademoifelie voftre mère m'a dit que déli-
riez. Cependant vous le pourrez fupplier de ma part , de faire
Tofiice que Monfeigneur le Cardinal Sforza trouve bon eftre
fait. Il eft bien difficile de dire la vérité , comme la loy de
l'Hiftoire le requiert & qu elle eft prefcrite par Polybe , & pou-
voir plaire aux Grands. C'eft un grand malheur aujourd'huy ,
qu'il faille faire banqueroute à fa confcience , ou defplaire à
ceux que chacun defire avoir pour amis ; & qu'il ne fe trouve
point de moyen en cela. Mais il y a une puiftance plus grande
que tout ce que nous voyons , qui nous fera un jour raifon à
tous. C'eft là où il faut que les bons afpirent , & mettent toute
leur gloire & efperance fur cette rcfolution. Après avoir baifc
très humblement les mains à Monfeigneur le Cardinal Séra-
phin, je fupplieray N. S. Monfieur, vous donner en fanté fa
grâce.
De Paris ce 21 Voftre humble ferviteue
Juillet i6q6. & Coufin ,
J. A. De Thou,
t)Ë J. A. DT tHOU. 1^^
Lettre de AI. De Thoit , à Monfeigneur le Cardinal du
Perron , à Rome,
MONSEIGNEUR. Quand je n'aurois autre fujet de vous i^prin^ée fur
efcrire , les bons offices que Monfieur Du Puy m'a fait le M^nufcrU*
entendre que m'avez rendu en chofe qui regarde plus le pu-
blic & la France que mon particulier , m'y obligent. Je vous
remercie très humblement du tefmoignage qu il vous a plu
rendre de moy^ ôcla vraye & jufte raifon qu'il vous a plu aufll
apporter de ce que je parle fi modérément d'aucuns dont le
nom ne peut eftre entendu qu'avec offenfe au lieu où vous
elles. Il y a différence de la Religion , & de la Dodrine hors
la Religion. J'ay loué l'un , & pafle légèrement l'autre , de
peur de violer les loix fous lefquelies nous vivons en paix ,
lefquelles 11 tous font obligés de garder , & plus ceux qui ont
efté employés à les faire. Vous me connoiilez d'ailleurs , Ôc
ma franchife & fincerité. Le trop grand amour delà vérité,
duquel il vous a plu particuHerement rendre fi honorable tef-
moignage par cfcrit , me peut avoir concihé cette haine 5 mais
j'efpere en votre faveur & bonté , que ce que la necefïité de
l'œuvre par moi entrepris a exprimé de moy, ne diminuera
en rien la bonne opinion que vous avez toujours eu de moi.
Je vousfupplie donc de continuer en vos bons offices, &
me tenir pour ce que je vous fuis & de tout ce qui vous tou-
che , c'eft à dire , Monfeigneur,
De Paris ce 12 VoUre très humble & trcs
Juin i6q6, affedionné ferviteur.
De Thou.
Lettre de Monfeigneur le Cardinal du Perron j à M. De Thou.
M
O N s I E u R. Te ne puis que je ne me fente fort oblige, 7'^^ f ^^ ^^'
a 1 occafion qui ma donne iujet de vous lervir, au cardinal du
laid de voftre Livre j puifque les remerciménts qu'il vous a p^^rr*?", Paris, ,
pieu m'en rendre par voftre lettre , font fi honorables qu'ils ^q^.^^^^' ^' i
méritent eux-mefines mille remerciménts. J'ay toute ma vie ^
autant prifé & eftimé vos vertus, que perfonne du monde: \
mais cefte mienne ellime : g^ue jepenfoisefoe au comble 5c \
r6o PIECES CONCERNANT L'HISTOIRE
à la cime de fa perfedion, a elle encore beaucoup augmen-
tée , par le luftre que j'ay recogneu que vo3 efcrits apportent
à noftre fiecle. C'eft pourquoi j'ay cru devoir d'autant plus ay-
der à procurer que le public en joùilTe pleinement & univcr-
fellement. Ils font grandement honorez par tout : mais j'ofe-
ray dire, ôc le diray véritablement, qu'ils le font plus en Ita^
lie, de ceux qui les ont veus, qu'en aucun autre lieu de l'Eu-
rope. Meflfieurs les Cardinaux Aquaviva , Vifconti, Sforfe,
^ autres de ce Collège , qui ont l'efprit eflevé par deffus la
portée ordinaire des hommes , ne fe peuvent lafler de les louée
& célébrer , & de les mettre au premier rang, après Sallufte,
Tacite ,& autres anciennes lumières de l'Hiftoire Latine. Et
pourtant avez-vous grand intereft que le vol de leur gloire
ne foit point raccourcy, & que les copies s'en diftribuent li-
brement en cefte Province,qui eft le plus refonnant & refplen-»
diflant théâtre du monde , & où ils font receus & defirez avec
tant d'applaudiiTement. C'eft chofe qui fe fera fans beaucoup
de mutation. J'en ay parlé par diverfes fois au Pape , lui repre^
Tentant le mérite de l'œuvre , & la condition du temps où il a
çfté efcrit , à fçavoir , durant les derniers troubles , pendant lef-
quels ceux qui aimoient la confervation de l'Eftat , Ôc en ap-
prehendoient la ruine , qui eftoit toute proche & imminente ,
tendoient pluftoft à maintenir en union les efprits qui affec-
tionnoient la défenfe commune de leur patrie, qu'aies aigrir
&divif:r par toucher lors feverement les ulcères de la Reli?
gion. Sa Saindeté m'a monftré d'en faire le cas qu'il convient;
ôc de deiîrer que l'on y procède avec toute la douceur , refpect
& difcretion , dont font dignes les vertus ôc qualitez de l'œu-
vre ôc de l'Autheur , de manière que je crois que l'une des
bonnes fortunes de voftre livre aura efté ce peu d'oppofition ,
qu'il a trouvée au commencement ; d'autant que ceft obftacle
aura fervy à le faire voir , ePdmer , & admirer par deçà, &à
faire délirer, comme l'on fait avec impatience, que le troi-
(lefme tome forte bientoft en lumière. Ce vous doit eftre un
doux fruid de voftre peine , d'eftre loué par tout. Mais fi Ale-
jcandre cheriilbit fes travaux , pourl'efperance qu'il avoir d'eftre
particulièrement loué des Athéniens ; d'autant plus devez
vous recevoir de contentement , d'eftre loué des efprits d'I-
talie, cj[ui pour l'ordinaire, en la partie du jugement, empor-
. tent
DE J. A. D E T H O Û. i^r
tcnt la palme par defïlis tous les autres. Je m'en rejouys avec
vous , & prie Dieu , Monfieur , qu'il vous ayt en fa fainde ôc
cligne garde.
De Rome ce 1 2 Voftre affectionné ferviteur ,
Juillet ido^. J. Cardinal Du Perron.
Lettre de M. De Thon , à M. Dupuy j à Rome.
O N s I EU R. Je n'ay fait refponfe à la voftre dernière imprimée fur
du 25) Juin , avec laquelle m'avez envoyé les Eloges le Manufcrit.
d'Efpagne , attendant la lettre de Monfeigneur le Cardinal du
Perron, qui m'aefté gardée fort long temps , enfin je l'ay re-
çue feulement devant hier. Je ne luy efcriray que lorfqueje
luy enverray la féconde partie. Cependant je vous prie le voir,
ôc lui baifer très humblement les mains de ma part , le remer-
ciant de la lettre qu'il m'a efcrite , en laquelle il adjoute à ceux
qui m'aviez averti qui me faifoient l'honneur de ne desfavo-
rifer mon travail , le Cardinal Aquaviva. Je loue Dieu fi en
un œuvre entrepris pour le public je n'ay pu plaire à tous , au
moins que je n'aye defplû à ceux defquels la grandeur d'efprit
conjointe à la fplendeur delà race, peuvent mieux juger de
telles chofes , que le commun des efprits eflevés en bas lieux ,
quelque érudition que par eilude ils ayent acquife j c'eft à
ceux-là que j'appelleray , quand les autres me condamneront.
Mais la pofterité en donnera le jugement définitif Ce m'eft
aflez que maintenant je puiffe defcliner l'envie & la haine pu-
blique. Quand j'cfcriray à Monfeigneur le Cardinal du Per-
ron, je ne faudray à l'office que Mademoifelle voftre mère
m'a fait entendre que déliriez de moy. Je vous prie de faluer
de ma part Monfeigneur le Cardinal Séraphin. Je n'ay reçu
aucunes lettres de luy. J'aime mieux fes bons effets que j'ay
efprouvé , & defquels je ne perdray jamais la mémoire , que
les belles & honneftes lettres des autres. Il peut craindre que
fes lettres ne fuftent veues , & que s'en fervant par deçà , cela
luy pût nuire par delà. Comme je dis librement, ôcefcrisce
quejepenfe, ainfi fuis-je religieux fecretaire de ce qui m'eft
efcrii, & commis à ma foy par ceux qui me font l'honneur de
411' aimer. Peu de pcrfonnes vôyent les lettres qui viennent de
Tome XK X
i62 PIECES CONCERNANT L'HISTOIRE
voftre part, lefqaelles je garde pour ma confolation &conten?-
tement particulier : non pour en faire monftre, comme plu-
lieurs font indifcrettement , & par oftentation. Je fuis fort
aliéné de telles vanités. S'il vient à propos , vous l'en pourrez
affûter 5 car je crois que c'eft cela qui le rerient de m'efcrire.
Je vous remercie des Eloges d'Efpagne. J'ay fçù d'ailleurs le
. jour du decés d' Alvariis Gomecius. Vous trouverez icy le nom
de quelques autres Italiens , defquels je vous prie vous enqué-
rir à voftre loifir. J'ay achevé tout l'œuvre , lequel arrive à
cxx Livres , mais vous n'en verrez prefentement que l i . Je
crains fort que cette dernière partie ne m'excite nouvelle en-
vie. Toutesfois j'efpere en l'équité de mes bons SeigneiKS
amis , qui défendront mon innocence 5 ils en feront les pre-
miers juges. Je vous envoyeray fept exemplaires en blanc,,
car la relieure peferoit trop : il y a en aura cinq pour Meiiei-
gneurs les Cardinaux Aquaviva, Vifconti , Sforza , Séraphin ,
& du Perron 5 deux pour vous , à la charge d'en faire part au
Seigneur Vialard. J'en chargeray Monfieur l'Huillier , lequel
vous les fera tenir à la première commodité ; car par la voye
de Francfort & de Venife l'attente euft efté trop longue. Faites
moy part fouvent de vos nouvelles. En cet endroit je fupplie
N. S. Monfieiu* , vous donner en fanté fa grâce.
De Paris ce 1 4 Voflre humble ferviteur & Coufin ^
Aouft ido^j. J. A. De T HOU.,
Lettre de M. de Thou ^ à Monfieur Ditptty y à Rome,
MONSIEUR. J'ay reçu la voftre du 20 Septembre avec
l'enclofe, ieulement le 10 duprefenr. Je fais refponfe
au Seigneur Mutio Ricceri. Il y aura un exemplaire pour luy
avec ceux que recevrez par la voye du Sieur l'Huillier , mais
je ne fçay quand ce pourra eftre •■> car le paquet de tant de livres
eft gros & pefant. J'ay aufll reçu le livre de Scriptoribus Fioren-
tinis que j'avois desja par la voie de Monfieur d' Abain , lequel
a publié icy avant que d'aller en Poidou mille invedives con-
tre mon Hiftoire , & dit qu'il ne fera enfin en la puiilance de
Sa Saindeté d'empefcher qu'elle ne foit cenfurée par delà. Si
je le vois au retour , je lui demunderay, pro jure ami ci ti<ff y s'il
DE J. A. DE THOU. 16^
parle de lui-même ou par la bouche d'autruy^ & de qui. Quant
à ce que me mandez du Sieur Claudio Maretti pour le voyage
du Pape Clément à Barcelone , je ne vous peus maintenant
dire au vray qiw autkore je l'ay efcrit , parce que je n ay le loi-
fir de feuilleter mes livres , & revoir mes mémoires 5 mais je
crois que s'il prend la peine^il le trouvera dans Guicciardin. J'y
verray de plus près, cùmper negotia licebiu Je baile très hum-
blement les mains à Monfeigneur le Cardinal du Perron, &
fuis de plus en plusfon oblige. Encore que je ne me foucie d'un
tel pédant ( i ) que "celuy dont m'efcrivez, duquel j'ay veu
i'infame Commentaire in Priapei a, toutes^ois je ferois bien aife
defirant le repos , n eilre abboyé de tels chiens enragés. Il eft
gagé , comme vous m'efcrivez , & de ceux que fçavcz , pour
offenfer tous les gens de bien. Celuy mentionné au commen-
ment de celle-cy qui retourne bientoft par delà , eft fon pa-
tron , & penfe-t-on que c'eft luy qui le lance contre fon ancien
précepteur 5 ingratitude punifiàble : & puis , que fert pour l'a-
vancement des Lettres ex û^ua genre prcgnaîus fn ille literato-
rum jirinceps ? On. ne fçait que dire à fes livres, l'on s'attache
à fon nom. Je crois qu'il aura fort apprefté à parler & à efcrire
par fon Eufebe. Je devrois avoir part à l'envie, quand l'on
verra mon nom au front du livre ; mais il fe fçaura bien def-
fendre tout feul, fans qu'il foit befoin que je lui ferve ou fois
appelle pour fécond.
Baifez les mains de ma part à Monfeigneur le Cardinal Sé-
raphin , l'adeurant de mon très-aftedionné fervice. Je crois que
quand vous avez efcrit celle à laquelle je fais refponfe , vous
n'aviez encore reçu les dernières que j'avois efcrites devant
que partir pour Perigord , tant à Monfeigneur le Cardinal Sfor-
za , qu'à Monfeigneur le Cardinal du Perron, auquel je n'ay
obmis l'office que déliriez de moy. Vous les aurez reçeues
depuis. J'ay depuis la voltre receue , reçu une autre du Sei-
gneur Cardinal Sforza par la voye de Monfieur l'Ambafla-
xieur, à laquelle je fais prefentement refponfe. Vous la luy pre-
Tenterez j s'il vous plaitt, & l'afllirerez qu'au pluiloft que je
pourray , je feray tenir l'exemplaire de la féconde partie. L'on
parle icy que Monfeigneur le Cardinal du Perron veut chan-
ger d'air 5 faites en forte devant fon partement que cette affaire
(i) C'eft Scioppius.
Xij
16-4 PIECES CONCERNANT L'HISTOIRE
foit mife en teleftat, que les brouillons ne puillent la traver-
fer. J'efpere blentoil recevoir lettres de vous plus récentes que
les dernières. Je me garderay la vous faire plus longue , linon
pour fupplier N. S. Monfieur , vous donner en famé fa grâce.
DeParisceij^ Voftre humble Coufin
Décembre i(j G (!». àvousfervir.
De T h o ir.
Extrait d'une Lettre de M. Duptty à M. Jofeph Jujîe de la
Scala 3 du 11 Janvier i6oj.
Tiré des E/>i/"- T A première partie de FHiftoire de Monfieur deThoua
très ^^''Y^-f^/ I ^ eu mille traverfes à Rome de s'efchapper de la cenfure ?
scaL, impri- mon frère y afervy Monfieur de Thou comme fon debvoir l'y
niées à Har- obligeoit. Monfieur le Cardinal du Perron , avec lequel il eft
8^.^i7z\. pa*" maintenant , a monftré combien il eftoit amy de Monfieur
09' & 3 10. de Thou & qu'il Taffedionnoit grandement , ayant commandé
à ce Schoppius de fe taire , voulant au livre qu'il a faid contre
vous , efcrire contre ledid Seigneur Prefident fur ce qu'il loue
en fon Hiftoire plufieurs grands perfonnages, comme Ph.
Melanchton , Monfieur Cafaubon & autres. . . . Les Cardi-
naux Sforzeôc Séraphin ontaufii fort défendu ce livre : cefte
féconde partie renouvellera la querelle.
Lettre de Monfei^neur leCardinalSforze à M.DeThou.
Traduit de C? ^ ^^ "^ VOUS ai pas plutôt exprimé ma reconnoiffance s
l'Italien fur le j^ Monfieur^ de l'amitié que vous me témoignez dans votre
î^anucru. ^g^niere Lettre, je vous prie d'être perfuadé que je n'en ai
pas été pour cela moins touché. J'ai été jufqu'ici occupé par
des voïages & par d'autres affaires. Aujourd'hui que je fuis
plus libre , je vous rends toutes les adions de grâces polfibles
à^s obligations que je vous ai , & que je tâcherai de recon-
noître, quand l'occafion s'en prefentera. J'ay déjà eu l'hon-
neur de vous marquer :, il y a quelque-temps , le defir que j'a^
vois de vous être utile , & le cas que je fais de vos avis par
rapport à la vie de mon père , fur-tout à l'égard des affaires qui
regardent la France , vous priant d'avoir la bonté de jetter les
DE J. A. DE THOU. 1^5-
yeux fur cet ouvrage, "oc d'en vérifier les faits, dans ce qui
regarde les affaires de votre roïaume 5 étant réfoîu de ne lui
point laiffer voirie jour ^ que vous lui ayez donné votre ap-
probation. J'aurois une longue réponfe à faire à votre lettre
toute pleine de fagelTe. (i) Mais comme je ne le pourrois faire,
fans repeter les mêmes chofes que vous avez dites , afin de
confirmer la vérité de tout ce que j'avance, je mécontente-
rai feulement de vous reprefenter qu'il a été toujours impoill-
ble d'échapper aux calomnies des méchans 5 & que comme
fouvent la vertu d'un feul homme a triomphé des eftbrts de
la multitude , on doit aufii fe confoler , en fongeant que la
vérité accompagnée de la vertu , devient à la fin une femence
qui produit le repos Ôc la tranquillité de l'ame. Je fuis j Monfieur^
De Rome le i o Votre très-afïedlionné ferviteur ,
Novembre 1 d'à 6". Le Cardinal Sforze.
Lettre de M. de Thou , à Monfieur Dupuy , à Rome,
MONSIEUR. J'ay reçu la voftre du 2 1 Février. Je n'ay imprimée fur
reçu la refponfe du Seigneur Mutio Ricceri mentionée le ManufcEic
en icelle. Je ne fçais fi Monfeigneur le Cardinal Séraphin au-
ra reçu la féconde partie ^ qui luy avoit efté envoyée par Mon-
fieur Ribier , Conîeiller en cette Cour. J'en avois configné un
exemplaire es mains de Monfieur Prevoftat pour Monfeigneur
le Cardinal du Perron 5 mais il me le rendit le jour devant
que partir , & ne s'en voulufl charger. J'avois auffi chargé
Baptifie d'un autre pour Monfeigneur le Cardinal Sforza, le-
quel l'emporta j mais à ce que je voispar la voftre, il n'a efté
rendu , dont je fuis très marry î ce que je vou^ efcris pour vous
tefmoigner , que j'ay fait en cela ce que j'ay pu faire. J'en ay
fait mettre un autre depuis es mains de Monfieur du Perron
pour le faire tenir à Monfeigneur fon frère. Je ne fçais fi la
fortune de ce dernier aura efté meilleure que des premiers. Si
Sonnius envoyé des livres à Rome je feray mettre quelques
exemplaires en fes baies. L'on fe pourra, en ce temps , & nom-
mément parde-là, ofFenfer de l'Arreft deXanquerel, lequel
je n'ay pu obmettre en fon année , eftant un monument me-
(i) Du i.May 1^06.^ V. cy-defliis , pag. 148,
Xii]
■^66 PIECES CONCERNANT L'HISTOIRE
morable de nos libertés & franchifes , duquel l'exemple a
eftc renouvelle depuis dix ans , mefmes en cette mefme Cour ,
& l'année mefme que fa Majefté reçut la benedidion du S.
Père, par un Arreft exécuté avec la mefme cérémonie en la
Sorbonnepar M. le Prelîdent Forget. Hors cela, l'on n'aura
occafion de fe plaindre , comme je crois , finon que je femble
parler trop modérément des Proteftans. Mais j'efcris en France,
ôc penfe m'en eftre allez excufé en la Préface 5 laquelle, com-
me je vous ay efcrit cy-devant , n'eftoit faite pour la feule pre-
mière partie , mais pour tout l'œuvre. Je vous fupplie de bai-
fer les mains à tous mes bons Seigneurs & amis que j'ay en.
cette Cour , & les fupplier de ma part d'embrafler la défenfe,
de ma candeur & de mon innocence. Quand à ce que m'ef-
crivez du Seigneur Claudio Maretti,je ne me fouviens plus
de quel lieu de Guicciardin vous entendez , fi ce n'eil: de ce-
luy auquel il parle de certains Edits Pragmatiques faits par l'Em-
pereur en Efpagne contre l'authorité du Siège Apoftolique.
Le lieu eft au livre xvri , qui eft l'un des ajoutés en la féconde
édition en la page 6. de celle de Gab. Gioiito de Venife , de
l'an i^6p. Il y a un autre lieu , où je dis que le Prince d'Oran-
ge chef de l'entreprife de Florence deteiioit en cela la cupi-
dité du pape. Il eft pris du xix Livre page i j i de la mefme
édition de Gioiito. Quant à Scioppius , il le faut lailîer abboyer,
c'eft un clabaud importiui , il aura fa fureur pour peine. Puif-
qu'il s'eil voulu addrefler aux Pères Jefuites, blallnant leur
difcipline en rinfdtution de la jeunelle , il peut bien efcrire
contre ceux aufquels il n'eft obligé d'aucun refped : fon Com-
mentaire fur les Priapées montre allez quel il eft au dedans &
au dehors. Au refte , le fecret en cela que délirez fera gardé.
Je crois que vous aurez maintenant l'Eufebe tant attendu. Mon
nom qui eft au devant me conciliera nouvelle envie. Je vou-
drois que les mots Vohijïani Annales n'y fuftent point 5 mais il
eft difficile de retenir la plume ^ l'efprit de l'Authcur 5 je fuis
trop loing de luy pour avoir pouvoir fur luy en telles chofes.
Cela vous foit dit pour mefnager difcrettement envers ceux
que verrez à propos. Le Seigneur Vialard m'a efcrit ^ je luy
fais refponfe. S'il vous met en main des Mémoires pour la
Tranfilvanie & la Pologne , vous me les ferez tenir à la com-
modité. Vous l'en ferez fouve.nir., s'il vous plaift. Je n'ay en-
DE J. A. DE THOU. rf.'j \
core reçu ceux que m'avez fait tranfcrire par delà , pourveu \
qu'ils ne foient perdus ou égarés par les chemins , il n'y aura -\
grande perte à l'attente \ car il n'y a rien qui preiie. Je baife très
humblement leî mains à Monfeigneur le Cardinal du Perron , '
&fuis Ton très humble lerviteur. N. S. Monlieur , vous ait en \
fa fainte garde. i
De Paris ce i Voftre humble Coufin & ferviteur , '
Avril 1 507. D E T H o u.
,1
Lettre de M. de Thou à Monfieur Duptty , à Rome,
O N s I E u R. Je ne fçay fi depuis que je vous ay efcrit, j^p^i,,,^^ ^„j. \
noftre féconde partie fera arrivée jufques au lieu où le Manufcrit. ;
vous elles : je ne defire tant qu'elle foit venue par delà , car je ,'
prévois qu'elle y trouvera plus d'obtredateurs que de fauteurs ; ]
comme je crains qu'elle y foit portée, puifqu'elle eft publi- i
que , après que Monfeigneur le Cardinal du Perron & vous n'y !
ferez plus. Mais il faut remettre cela à la bonté de Dieu , qui ;
l'a jufques ici protégée & défendue contre toutes les traverfes !
& calomnies que les ennemis de la vérité luy avoyent oppofc. j
Je fuis retourné en grâce par deqà envers plufieurs qui s'en i
fentoient offenfez , & le chef de la famille a pris la peine de '
me venir vifiter fur l'occalion d'une affaire , me dilànt qu'il
eftoit bien aife d'avoir eu fu jet de me voir. Cela fçû par delà ;
pourra empefcher ceux qui courent fus volontiers à ceux -'
qu ils voyent déjà pourfuivis par d'autres. Je crois aufli que ■
n'aurez oubhé de refraifchir la mémoire de ceux à qui Pautheur j
& l'œuvre touchent. Car ce font chofes que l'on met en con- I
fideration en ce théâtre de prudence. Il fe faut aider de ces ;
moyens , puifque la vérité & l'innocence ne font aiijourd'huy
fuffifantes pour la défenfe des bons. Confervez moy en la '
bonne grâce de Monfeigneur îe Cardinal Séraphin , & bai- s
fez les mains de ma part à Monfeigneur le Cardinal Sforza. i
J'"ay envoyé deux exemplaires par diverfes voyes pour luy , & ;
le malheur a voulu que ni l'un ni l'autre ne font arrivez à bon j
port. Ce m'eft un extrefme regret, & me confolerois de la
perte de tous les autres, fij'avois pu fatisfaire à fon defir. Je ■■
fuis fon très humble ferviteiu'. Je n ay encore reçu les Memoi--
ifTS PIECES CONCERKTANT L'HISTOIRE
res que m'avez fait tranfcrire , bien m'a-t-on dit qu'ils font en
cette ville. Je vous prie ^ iî avez la lifte des traités y compris,
me l'envoyer ; car celle que m'avez envoyée s'eft perdue.
Si noftre Hiftoire d'avanture arrive avant voftre partement;
vous prendrez garde au fait de Tanquerel lib. xxviii : car je crois
que ceft exemple fera fort mal reçu. Sur la fin de la page , le
lieu n'a efté imprimé comme je l'avois mis, erroremà Bonifa-
cïo o5lavo inveâum y 5zc. il faut lire errorem Bonifacii oéfavi
îemporibus invectum 3 & pofi ejusmortem ,àcc.\\ eftoit ainii ef-
crit en ma minute , mais ou celui qui a tranfcrit , moy abfent,
ou l'imprimeur & corredeur ont fait cette faute. Je vous re-
commande encore les Eloges de Gabriel Faernus, Andréas,
Baccius , Francifcus Turrianus Jefuite , Hercules Ciofanusqui
^ fait des Notes fur Ovide.
Comme j'achevois celle-cy , j'ay reçu la voftre du p du
pafie. Je baife les mains au Seigneur Vialard, & le remercie
de fes Mémoires. J'ay regret extrefme que noftre Hiftoire n'ayt
pLi arriver à bon port , non pour defîr que j'aye qu'elle foit ve-
nue par delà, car j'ay tousjours bien penfé qu'elle n'y feroit
bien receue; mais pour ce que quand elle n'y euft efté en-
voyée de ma part, elle y euft pu enfin eftre portée d'autre,
& plus mal traitée qu'y eftant introduite par mes amis. La vé^-
rité n'a gueres d'amis aujourdhuy, il faut prendre patience;
la pofterité en jugera. Toutes les cenfures ne peuveut donner
ni ofter la vie aux livres, quand il n'y va point de la Doélrinc^
s'il ne plaift au Seigneur des fiecles. Ce qui n eft bon mainte-
nant , fera meilleur en un autre temps. Tout eft fujet au chan-
gement : il n'y a que la parole du Seigneur qui demeure éter-
nellement. Ceft trop prefcher. Je baife très humblement les
mains à mes bons Seigneurs Meifeigneurs les Cardinaux Sfor^
za , Séraphin , & du Perron , & je fuis leur tr^s humble fervi-
teur. Monfeigneur le Cardinal Sforza içait mieux ce qui peut
fervir à mon Hiftoire que moy-mefme. Tout ce qui vient en
mon temps m'eft utile j c'eft à dire , depuis ly^^. jufques en
1601. voire idoy. Car il m'a pris envie de continuer jufqu'à
cette grande époque qui nous promet la paix univerfelle en
l'Europe , 11 Fafiiiire des Pais-Bas fe difpofe à la paix , comme
je n'en doute nullement, quoyqu'il fe dife & efcrive au con-
traire. Si noftre Hiftoirç ne peut arrj\ er avant le partement de
Monfeigneur
DE J. A. DE T HO^ U. 16^
Monfeignciir le Cardinal du Perron, je vous fupplie de faire
en forte qu'il difpofe leschofes par delà , à ce qu'il ne s'innove
rien en fon abfence , fans qu'il en foit adverti. Je ne la vous
peus faire plus longue : je fuis , Monfieur ,
De Paris ce 1 1 Voftre humble Coufîn & ferviteur;
Juin 1 507. D E T H o u.
Lettre de M. de Thou à Monfeigneur le Cardinal du Perron.
MONSEIGNEUR. Te n'av point de paroles fufïifantes }^vj}mét M
V vv • ■ r .le Manufcrit,
pour exprimer 1 obligation que je vous lens avoir ,
pour avoir voulu de telle afFedion prendre ma caufe contre
ceux qui efchauffoient l'affaire fur des mémoires envoyés de
ce lieu : je laifle à voftre prudence à examiner avec quelle
charité & intention î je crois que vous en pouvez fentir quel-
que chofe par delà en voftre particulier. Mon innocence &
ma confçience me confolent, & me fortifient contre tous
ces artifices , appuyées fur la bonne volonté de ceux qui me
eonnoiflent au dedans comme vous. Je reconnois que le temps
auquel j'ay efcrit , ôc ma liberté naturelle , me peuvent avoir
quelquefois emporté , mais fans haine , dont j'appelle Dieu
à tefmoin, Ôc moins avec mefpris de ce que je dois véné-
rer. Vous fçavez que je n'ay jamais vacillé en la Religion de
mes Pères j c'eftàdire, en la Catholique, en laquelle je veux
vivre & mourir : mais j'ay parlé librement de ceux qui fe fer-
voient de la Religion pour en faire une cape à l'Efpagnole,
& couvrir leur ambition. Je ne pouvois louer les vertus fans
noter par reflexion les vices. Je n'ay touché par cela , ni en^
tendu en rien toucher la révérence du lieu 2c des perfoniies , .
Non locafed mores fcripis vexavi.
Scepjtiis Aîifonios 3 aâaque Rorna rea eft.
Celui de qui cela a efté efcrit, a efté toléré à Rome, &
ce grand Empereur qui a donné fon nom héréditaire à tous
fes fucce fleurs, l'a enduré^ encore que particulièrement il Teuft
defchiré , aufli bien que Catulle j mais je ne voudrois me fer-
vir de ceft exemple pour m'excufer, non plus que mon in-
tention n'a efté de l'imiter. Je ne me fuis jamais propofé
TomeXK _ X
170 PIECES CONCERNANT r HISTOIRE
<5[uede dire la vérité fans haine & fans amitié, & toutesfois
d'autant que je dois plus à autruy qu'à moy-mefme , je ne
refufe d'eûre admonef^é , & recevoir les avertiflements qu'il
vous plaira en particulier me donuer, afin qu'avec ce peu
de mutation que vous dites , l'œuvre puifle eftre leu par tout.
Cependant j'ay pris la hardiefle de vous envoyer quelques
exemplaires de la féconde partie , pour les faire voir à qui
de Mefleigneurs les Cardinaux vous trouverez à propos. Le
tout palTera par le mefme jugement, s'il vous plaift. Il s'y
pourra trouver quelques particularités touchant nos droits,
qui pourront defplaire : & toutesfois efcrivant l'Hiftoire du
temps, je n'ay pu obmettre ces chofes publiques, comme
la condemnation contre Tanquerel , dont les Ades font non
feulement es Archives de la Cour , mais d'abondant impri-
més. Vous qui eftes né François , ôc avez tousjours fuivi le
parti François , excuferez aifément cela j mais je crains fort
que ceux qui ignorent nos droits & nos libertés , ne le pren-
nent de fi bonne part j c'eft pourquoy j'implore derechef vof-
tre prudence & voftre protedion en ce fait, & femblables,
vous fuppliant de croire , que comme jen'ayrien efcritpour
flater, auiïl n'ay-je eu intention de blefler ni offenfer per-
fonne. Il faut donner quelque chofe à ceux qui efcrivent de-
çà les monts, puifque ceux qui font delà, & au milieu de
l'Italie, femblent aujourd'huy fe vouloir attribuer pareille li-
berté 5 & neantmoins après tout cela je protefte d'obeiflan-
ce, à laquelle je me rangeray tousjours foufmis, & fuivray
très volontiers les bons confeils qui me feront donnés de vof-
tre part. Cependant que l'occafion fe prefente , en laquelle
je vous puifle faire connoiftre par efl:et combien je me fens
voftre obligé, je fupplieray très humblement N. S, Monfei-
gneur , vous donner en parfaite fanté fa grâce.
De Paris ce 22 Voftre très humble & obeiflant ferviteur;
(i)Aouft 1(^07. De Thou.
Monfeigneur, celle-cy vous fera rendue par MonfieurDu-
puy, lequel j'entcnd eftre maintenant en voftre famille. Je
NOT. (ij II y a fans doute faute ? j au commencement de la fuivante à_ M.
cette date ; car il paroît que c'cft icy I Dupuy , cjui eô du dernier Juillet
ift Lcure doni M. de Ihou fait mention I 1607,
D E J. A. D E T H O U. lyr
l'eftime bien heureux de cette faveur , ôc participe à l'obli-
gation qu'il vous en a, comme ni'eftant fi proche comme
il eft. J'efpere que vous aurez contentement de fon lervice,
ôc vous fupplie très humblement de l'avoir pour recommandé.
Lettre de Monfieur de Thou , à Monjieur Ditpuy , à Rome,
MONSIEUR. J*ay reçu voftre dernière en laquelle îniprîmcc fur
vous avez obmis la date. J'efcris à Monfeigneur le ie Manufait,
Cardinal du Perron 5 vous luy prefenterez la lettre. Elle eft
conforme à ce que defîrez & pour moy & pour vous. Je
feray bien aife qu'il ne fe remue rien par delà qui puifle
troubler mon repos , mais j'ay plus appréhendé cela autrefois
que maintenant. L'on fera bien de ne faire rien en cette af-
faire precipitemment, dont Ton foit contraint puis après de
fe repentir à loifir. Vous ferez entendre là à Monfeigneur le
Cardinal le fait de Tanquerel j car je luy en touche un mot
par ma lettre , par laquelle vous connoiftrez ce qui s' eft fait
pour vous faire tenir les livres. Monfeigneur le Cardinal Sé-
raphin en a un ; les autres je ne fçay fi les pourrez recevoir
devant voftre partement. Voyez cependant Monfeigneur le
Cardinal Sforza , & luy baifez les mains de ma part , le fup-
pliant me continuer fa bonne volonté & bons offices. Je re-
cevray les Mémoires qu'il luy a pieu m' envoyer, avec l'hon-
neur & dévotion à fon illuftre famille , telle que je dois. J'ay
enfin reçu les papiers qu'avez confié au Sieur de Méfie ; je
craignois que la trop longue garde les efgaraft : s'il y en a
quelques autres à voftre commodité & loifir , autrement ne
vous en mettez en peine : ce n'eft avec moy qu'il faut comp-
ter ; je vous dois , & veus devoir aftez d'ailleurs. Vous voyez
comme j'ufe librement de vous. J'ay reçu ce que m'avez
envoyé du Seigneur Vialard, auquel je baife les mains. Je
vous recommande les Eloges, & fur tout de Hier. Colomna,
auquel j'ajoufteray M. Antonio Scaino de Salo , qui a efcrit
fur Ariftote. Je ne vous la feray plus longue , feulement je
fuppUeray N. S. Monfieur, qu'il vous ait en fa fainte garde.
De Paris ce dernier Yoftre humble & affedionné
Juillet lôo-j^ Coufin à vous fervir ,
J. A. D E T H o u,
Yij
!i7^ PIECES CONCERNANT L'HISTOIRE
Lettre de Monjîeur de Thou, à Monfeigneur le Cardinal
du Perron,
îfnprimée fur T14^0nseigneur. L'homieur quC VOUS m'avcz fait
h Manufcnt. j[ V^i d'avoir agréable ce qui vient de moy , m'a fait dé-
lirer & rechercher tous moyens pour vous faire voir , devant
que partiiTiez du lieu oii vous elles , la féconde partie de noftre
Hiftoire. J'en ay mis en chemin par diverfes voyes plufieurs
exemplaires, qui n'ont pu arriver jufques à vous. Enfin j'en-
tend que celuy qui a été envoyé à Monfeigneur le Cardi-
nal Séraphin a eu meilleure fortune que les autres. Derniè-
rement j'en conlignay icy deux exemplaires es mains d'un
Libraire de Milan envoyé avec un homme de lettres par Mon-
feigneur le Cardinal Borromée, qui me promit les vous faire
tenir feurement j mais je ne fçay fi avant voftre partement.
Ce que je vous efcris , pour vous tefmoigner le devoir que
j'ay fait pour m' acquitter en cela de mon devoir , & pour
vous fupplier de me continuer la mefme bonté que vous
m'avez tousjours monftrée. Ceux qui veulent ofter de tout
l'honnefte & légitime liberté , pourroient par un contraire
effet irriter la licence effrénée de parler ôcd'efcrire, que je
n'ay jamais approuvée. Vous eftes au lieu & au théâtre de
la prudence civile , où Ton peut & doit mettre cet incon-
vénient en confideration. Pour moy, je n'en viendray ja-
mais là, eflant délibéré de patienter, endurer, fouffrir pluf-
tofl que de faire ou de dire rien qui foit indigne de ma fran-
chife & de ma modération. Je me fuis dit cette loy dés le
commencement , attendant de la pofterité la condamnation
ou l'approbation de mon travail. Cependant je me confole
en ma canfcience, & dis fou vent après Horace :
Tamen me
Cum magnis vixîjfe invita fatebitur nfque
Invidia ■■> & fragili quarens illidere dentem ;,
Offendet folido :
4c ce qui fuit j j'adjoute aufll ,
Nift quid tUj doéle Perone 3 ^
Dijfentis,
Vous en ordonnerez par voflre prudence & bonté, pouî
DE J. A. DE THOU. ij^
îè pouvoir que vous avez & fur l'œuvre & fur FAutheur. Voi-
là pour mon regard j mais vous fçavez qu'il y a aujourd'huy
des efprits de loifir , qui fans eftre priés ni invités par ceux
qui y ont le principal intereft , entreprennent d'efcrire & dé-
fendre les caufes des autres. C'eft ce qui eft à craindre en
ce fubjed , & que j'appréhende fur tout. J'attend de vous en
cela un bon office envers ceux qui peuvent , devant voftre
partement ; afin qu'en voftre abfence il ne foit rien précipité^
dont les uns & les autres après ayent occafion de fe repen-
tir. L'honneur que vous avez fait à Monfieur Dupuy , qui
m'eft fi proche, n'eftfait à luy feul : j'y prend part pour vous'
en rendre très humbles fervices par tout où j'en auray le
moyen. Il vous en fera entendre davantage , & mefme des
particularités qui regardent cette féconde partie , qui n'a en-
core efté veuë, afin que l'on ne s'en offenfc tant qu'il eft à
craindre, àl'occafion de la mémoire récente du trouble de Ve-
nife. Je ne vous ennuyeray davantage , & en cet endroit je
fupplieray très humblement N. S. Monfeigneur, vous don-
ner en parfaite famé longue ôcheureufe vie.
De Paris ce dernier Voflre très humble &
Juillet 1^07. obeiffant ferviteur.
De Thou.
Lettre de M* le Cardinal du Perron ^ à M. de Thon.
MONSIEUR. Je re(;us ^ il y a quelques mois , une fé-
conde lettre, que vous me fiftes l'honneur de m'ef- J'^^/Ies^^-
1 11 j. , 1 t>^4'^des du
crire , par laquelle vous me mandiez que vous m envoyez le cardinal du
dernier tome de voftre Hiftoire. Cela fuft caufe que je dif~ ^y ^" , ^'^/^ri-
feray à y faire refponfe, attendant que le prefent dont elle in fat. 1615!
eftoit fuivie fuft arrivé, afin de vous pouvoir remercier de P-^j?-
Tune & de l'autre grâce tout enfemble j & vous donner par
mefme moyen l'avis qu'il vous plaifoit me demander fur le
dernier enfantement de voftre belle plume. Mais enfin après
avoir attendu plufieurs mois , j'ay appris que le Courier Va-
lerio, qui m'apport oit le livre que vous m'aviez deftiné , tom-
ba en. un foffé plein d'eau, où il fe penfa noyer, & y per-
dit, ougafta plufieurs paquets, & entre autres le livre dont
Yiij
ï74 PIECES CONCERNANT L'HISTOIRE
îi eftoit charge. Cela il ne me l'ofa dire , de peur de me met-
tre en cholerej craignant que cefte faute ne m'empefchât de
îuy donner quelque argent, que je luy avois promis à fon
retour de France. Mais je l'ay fçii depuis , & me fuis refo-
iu de vous en rendre compte , comme je fay par ce mot
d'efcritî afin que vous n'imputiez pas, s'il vous plaift, mon
îong fîlence àparefie. J'efpere en bref, avec l'ayde de Dieu,
avoir le bien de jouir en prefence de voftre converfation ,
& de vos efcrits. Ceft efpoir me fera abbreger ma lettre »
pour vous dire que je fuis, Monfieur,
De Rome ce 6 Voftre très affedionné ferviteur;
Aouft i^oy. J. Cardinal du Perron.
Lettre de M. le Cardinal Frédéric Borromée, à M, de Thon»
Traduite du T ' A V o I S déjà l'honneur de vous connoître depuis quel-
M^inufcrk. ^ 3 ^^^^ années , Monfieur , par votre Hiftoire , dont le (leur
Olgiati (i) m'a remis un exemplaire de votre part. Le bien qu'il
m'a dit de vous , a encore augmenté mon eftime , 6c vous avez
entièrement gagné mon cœur. Le prefent que vous m'avez
fait de votre livre m'a été très agréable , & je vous en rends
mille grâces. J'ay des témoins de mes fentimens à votre
égard. On n'oublira jamais l'obligation que vous a la Biblio-
thèque Ambroiiiene. Si je puis vous eftre utile en quelque
chofe, je vous prie de compter fur moy fans referve. Dieu
vous conferve en famé , Monfieur^ & vous accorde fa grâce,
A Milan le 2 j Voftre très aft'edionné ,
d'Aouft idoy. Frédéric Cardinal Borrome'e
Lettre de M. le Cardinal Séraphin , à M. de Thon.
Imprimée fur ^ ^ O N S I E u R. Ma longue indifpofitiou , caufée de la
le Manuictir. j^V j[ goute , a fait que je ne vous ay peu efcrire comme
je delirois , pour vous tefmoigner tousjours & de parole ôc
de faid combien j'eftime vos rares vertus & mérites. Au
refte j'ay leu le premier tome de voftre Hiftoire , laquelle
(i) Antoine Olgiati Bibliothécaire de la Bibliothèque Ambroifiene.
DE J. A. DE THOU. 17^
me pîaift merveilieuiement 5 & pour dire en peu de paroles,
c'eft un œuvre digne de vous, c'eft à dire d'un efprit grand
& relevé. Monlleur Dupuy qui s'eft montré diligent au pof-
iible en tout ce qui vous touche , & n'a laifTé aucune occa-
fion où il s'agit de voftre fervice , vous dira plus particuliè-
rement ce que j'en penfe & juge. Je n'ay encore leu Taultre
volume, pour ce que tout auffitoft que je le receus, il me
le fallut prefter à certains Seigneurs Cardinaulx, qui me le
demandèrent avec paillon & importunité , tellement que je
ne Pay peu retirer. jufques à maintenant. Je ne doute poin^t
qu'il ne foit frère germain de l'aultre , & s'il eft loyfible de
changer tant foit peu le didum de Socrates du Livre d'He-
raclite, ce que fay leu effi fort bon, & encore comme je penfe .^
ce que je naypas leu : toutesfois je m'acquitteray de mon de-
voir au pluftoft, & je vous en eferiray, vous alTeurant que
je ne manqueray vous fervir en toutes occurrences, & fe-
ray en tout ce qui vous appartiendra & dans la Congréga-
tion & hors d'icelle , comme un homme de bien & amy doibt
faire, & comme 11 vous-mefme ciliés prefent. Vous le cognoii^
très par les effeds^ qui font marques trop plus afîeurées que les
paroles. Sur ce je vous baife humblement les mains , priant
Dieu , Monlleur , vous donner en fanté longue & heureufe
vie au bien du public,
A Rome le p Voflre très affedioné ferviteiirj
Sept. 1^)07. Le Cardinal Séraphin^
Lettre de Jacque Segmer 3 à lac. Aug, de Thou.
MONSIEUR, M. Chriftophle Dupuy qui eft votre pa- ttzMté In
rent,& mon ami, & que fon mérite me rend très Latin far le
cher, m'a fouvent prelîe d'avoir l'honneur de vous écrire, ^^^"'*^J^*^'
quand ce ne feroit que pour vous témoigner l'eftime que j'ai
pour votre vertu éminente & pour votre profonde érudition.
La timidité m'a empêché de le faire jufques ici ; aujourd'hui
je me fens poufle, par je ne fçai quel génie j à fuivre le
confeil de ce jeune homme , & à vous écrire librement ce
qui me viendroit dans l'efprit. J'aurai d'abord l'honneur de
Xm\s dire, que tout le monde parle de votre Hiiloire. Tous
t7<? PIECES CONCERNAKT L'HISTOIRE
ceux qui font un peu verfés dans les lettres , en font un grand
cas , & la regardent comme un ouvrage écrit avec beaucoup
d'élégance, d'exaditude, & de fidélité. Nous avons ici une
guerre continuelle à foûtenir à ce fujet avec les plus fottes
gens du monde , à qui tout ce qui eft bien écrit en Latin, paroit
fufped d'irréligion : ces ftupides perfonnages n'eftiment , & ne
vantent qu'un certain nombre de livres très méprifables,
vrayes Annales Volufiennes (i). Pardonnez-moi , fi je vous par-
lé librement, conformément à mon naturel & à mon édu-
cation. Je ne puis penfer à cette efpece d'hommes , fans me
mettre en colère. Cependant parce qu'ils font riches, ils croient
qu'il n'y a qu'eux de fenfez & de raifonnables. Mais , pour
dire la vérité, ils n'ont pas plus de jugement & de raifon,
que des enfans de deux ans. Notre ami M. Dupuy pourra
vous en dire davantage au fujet de cette vile fequele , qu'il
mené toujours rudement, lorfqu'il entend ces ignorans aboyer
contre votre livre. J'eus dernièrement une grande contef*
tation avec Scioppius , qui fe croit très-fçavant , mais qui à
mon avis eft un homme très-préfomptueux & très-orgueilleux :
il cenfuroit certains vers que vous avez faits. Je crois qu'il
en avoir lu la critique dans le livre de Delrio. Cet homme
qui ne parle que de la morale Stoïque , femble n'avoir en
vue que de décrier Scaliger, Cafaubon, & tous les gens de
bien. Mais j'apprens qu'il y a quelques perfonnes puiftantes,
qui ont réfolu de lui couper le nez , s'il ne prend garde à
lui. Pour moi, fans me piquer d'être Stoïcien, je tâcherai
toujours, autant qu'il me fera permis, de fermer la bouche
à ces fortes de gens , toutes les fois qu'ils voudront parler
mal de vous , & des autres f<çavans du premier ordre. Je fe-
rai auffi enfbrte auprès du Cardinal Séraphin, qui vous efti-
me infiniment, & que je ne puis, fans ingratitude, m' empê-
cher de regarder comme mon père, que ces gens-là n'en-
treprennent rien. Je fçai néanmoins que vous les craignez
moins que vous ne les méprifez. Adieu , Dieu vous conferve
en fanté.
A Rome le ii Septembre i^'oy.
(i) Allufion au Vers de Catulle j Annules Voluji ^ caçata charta.
Lettre
DE J. A. DE THOU. 177
Lettre de M. le Cardinal Frédéric Borromée à M. de Thon
VO u s n'avez pas befoin , Monfieui: , de chercher des ^ 1 ■ ,
TT-A- iirrA- /i- Iraduite du
protedeurs pour votre Hiltoire , elle le loutient aflez Latin fur le
par elle-même. Elle eft y pour ainfi dire , inattaquable •■> vos ^lanufcrk.
ennemis ou vos envieux font forcés de fe taire. S'il eft né-
cellaire néanmoins, j'aurai foin de vous faire connoître com-
bien je m'intereile à votre réputation. J'aime non feulement
votre efprit & votre littérature , qui n'eft pas commune , mais
encore votre probité , votre pieté , & vos autres belles qua-
lités , dont plufieurs parlent avec beaucoup d'eftime. Soyez
donc perfuadé que je vous fuis très-attaché, ôc que j'aurai
toujours à cœur tout ce qui intereffera votre gloire. Je fuis,
Monfieur,
A Milan le 4 Votre très-affedionné,
de Mars i(jo8. Prederic Cardinal Borrome'e.
Lettre de AL de Thon , à M. le Cardinal Sforze.
P R e's avoir attendu par adventure trop long tems l'oc- imprimée fur
\ cafion de vous efcrire & vous envoyer le refte de ce ^^ Manufcrir.
qui a efté imprimé de mon Hiftoire , j'ay enfin ufé de celle
du prefent porteur , que vous pouvés connoiftre comme ayant
quelque charge par delà, & lequel je vous fupp lie avoir pour
recommandé s'il a befoing de voftre faveur, & vous fervir
de luy quand il vous plaira de m'honorer de vos comman-
dements. J'ay appréhendé que ce refte du Roy Charles fuft
moins bien reçu au lieu ou vous eftes, pour le fubjed des
confufions qui s'y voyent : mais il doit eftre pardonné à ceux
qui en ont fenti fi long tems depuis , & en fentent encores
le mal, d'en parler plus librement; mal, qui ne fe peut gué-
rir que par une longue fuite d'années en paix, & parleref-
tabliffement inviolable de la foy publique. Je n'en diray rien
davantage , encores que j'y fois obligé , & pour la juftifica-
tion de ce que j'en ay efcrit , & poiîr avoir été employé par
S. M. au traidé de i'Edit dernier qui s'eft fliit pour ce regard,
encores que pour éviter l'envie j'eulTe faid tout mon polîi-
ble pour en eftre excufé. Vous , Monfeigneur , qui jugés plus
Terne XV. Z
178 PIECES CONCERNANT L'HISTOIRE
fincerement de telles affaires , que ceux qui font nourris en:
la poudre des livres , me ferés s'il vous plaifl en cela pro-
tedeur, & empefcherés par voftre bonté, ja de moy expé-
rimentée , que l'innocence ne foit opprimée de la calomnie,
ôc ferez que la liberté demeure à ceux qui font obligés de
dire la vérité. Si je connois que ces derniers livres ne vous
ayent efté defagreables , j'y adjouteray encores xx 1 1 1 autres li-
vres, qui vont jufques à l'année i5'84inclufe, ôc jufquesau
commencement de nos guerres & confufions enragées, qui
ont , peu s'en a fallu , renverfé ceft Eilat. Là il faudra arrefter
le cours de l'impreiTion, & garder les xlv livres qui reftent
& pourfuivent l'Hiftoire jufques à l'année 1601 , ja du tout
achevées il y a trois ans , pour un meilleur temps , auquel
il foit plus libre de penfer ce que l'on veut, & d'efcrire ce
que l'on pente. Cependant je vous fupplieray me continuer
la faveur de vos bonnes grâces , & m'honorer tousjours de
vos commandements, comme celuy qui délire à jamais de-
meurer.
De Paris ce 14. Voftre très humble & obeilTant ferviteur^
_ * Juillet 1^08. J. A. De Thou.
Lettre de M. le Cardinal Sforze , à M. de Thou,
TrrJiiite «îe ^ 'E T o I S , Monfieur , dans une impatience extrême de lire
l'icaiicnfurle | le relie de votre Hiiloire, lorfque j'ay reçu votre lettre^
& en même temps ce que vous avez fait imprimer depuis
peu de cet ouvrage. Je ne fçaurois vous bien exprimer ma
farisfadion , qu'en vous afturant qu'elle égale l'eftime qu'on
doit avoir pour im travail aufTi recommandable que le vo-
tre. Je fuis en mon particuher très-feniible à l'honneur que
vous m'avez fait. Si jamais il prenoit envie à quelqu'un de
vous attaquer ( je crois vous avoir donné des preuves de mon
zélé ) je ne ferai pas moins vif à prendre votre défenfe. Vous
ne devez cependant rien craindre 5 la vérité & la fermeté
avec laquelle vous l'établirez, peut-elle mériter autre chofe
que des louanges? Je rendrai volontiers tous les bons offi-
ces qui peuvent dépendre de moi, à la perfonne qui m'a
remis de votre part la féconde partie de votre ouvrage, 6c
Ivlanufcnt.
DE J. A. D E T HO U. lyp
je le ferai d'autant plus volontiers, que je n'ai pu encore trou-
ver l'occalion de vous fervir en particulier, & dans des af-
faires de quelque importance. Peut-être s'en prefentera-t-il
quelqu'une dans la fuite qui me mettra en ctat de vous faire
connoître combien je fuis^ Monfieur,
De Rome le lo Votre bien affedionné
Septembre i6oS, le Cardinal Sforze.
Edit dt4- Maître du facré Palais , portant défenfes de pla-
ceurs Livres.
A ledure des livres dangereux étant une occafion de Traduit de
__^' fcandale, & la fource d'une infinité de maux j & recon- l'Italien fur le
noiilant cependant qu'il s'en répand tous les jours de nou- ^rnndexRo-
veaux dans le public, qui portent ce caradere. Nous F. Louis main , impri-
Yftella de Valence de l'Ordre des Frères Prêcheurs, noti- """ ^ f^,^''"^
r ^ 1 ,- 1 1 1 . i ■ -^ t. }667. roi. p.
nous a tous les ndeies , que depuis notre dernier Edit pu- loj.
blié le feptiéme de Septembre de la prefente année lô'o^!.
nous avons défendu, & fufpendu refpedivement la ledurc
à-QS livres fuivans.
De Potefiaîe Papce , an & quatenus in Reges & Principes
fectilares jus & imperium habeat , Gulielmi Barclaii /. C. liber
poj} humus ^ anno 160^.
Tortura Torti , five ad Mat ha i Torti Ubrum refponjio ) qui mt-
per edîtus contra Apokgiam fereniffimi potentijfimique Principis
Jacob i Dei gratid, Adagna Britannia , Francise '& Hiberniae
Régis y projuramentofidelitatis. Londtni excudebat Robertus Bar-
•kerus anno 160^.
Jacob i Augujîi Thuani HiJIori/e.
Barlaami Monachi de Principatu Papa , Joanne Luydo inter-
prète.
yindiciiS contraTyrannos yfive de Principis in populum 3 po-
pulique in Principem légitima poteflate , Stephano J-unio Bruu
Celfo autlore. Edinburgi anno 15" 7p.
De Pnncipum ( qmbus elecîio Imperatoris in Germania ccm~
mendata ejî) origine feu infiitutiQne j liber unit s Simcnis Schar-
Zij
iSo PIECES CONCERNANT L'HISTOIRE
du. Argent or at i , impenfts Lazari Zetneri Bibliopola id'oS.
Oratio M. Antonii Arnalài Advocati in Parlamento Pari-
fienfi &c. habita ^ & ^ îdus Julias. Ce Plaidoyé eil prohi-
bé , de même que les opufcules qui s'y trouvent joints 5 fça-
voir? Arrejîttm contra Joannem Caflellum Scholajîicum j &
Joannis PaJJeratii Prafatiuncula in difputationem de Ridicu-
lis. Lugduni Batavorum ex officina Ludovici Elzevirii anno
Outre les livres ci-defTus , qui font généralement défen-
dus , la leâ:ure de celui intitulé^ Joannis Alariana è Societate
Jefu traâatus feptem. Colonia Agrippino" fumptibus Antonii
Pierati anno \6o^. demeure fufpenduë.
A ces caufes , de l'ordre & par commiflîon àQS Illuftrif-
fimes & Reverendiflfimes Seigneurs les Cardinaux de la fa-
crée Congrégation de la fainte Inquifition univerfeile de Ro-
me, nous ordonnons, & enjoignons à tous Libraires, & au-
tres perfonnes de quelque qualité & condition qu'ils foyent,
qu'ils ayent à remettre à notre office de la fainte Inquifition
tous & chacuns les livres fpecifiés ci-deilus , qu'ils pourroient
avoir en leur pofleffion ; pour la ville de Rome, dans le ter-
me de dix jours, à compter de la publication des prefcntes,
& à l'égard 6.QS autres villes & lieux de quelque Royaume ,
nation & peuple que ce foit, dans le terme de dix jours,
après qu'on aura eu connoiflançe de la prefente défenfe,psr
quelque moyen & en quelque manière qu'elle y foit parve-
nue 5 autremenr , outre l'offenfe qu'ils commettront envers
Dieu, qu'ils fcachent qu'ils encoureront ipfo faôlo l'excom-
munication majeure lat^ fententia. Et s'il vient à notre con-
noifiànce que quelqu'un ait contrevenu au prefent Edit , il
fera procédé contre lui fuivant la rigueur des facrés Canons
& des règles de V Index Romain , & en ufant d'autres peines
arbitraires. La prefente défenle ne s'étendant pas feulement
fur les livres ci-deflus nommés , mais comprenant encore les
mêmes livres qui feroient imprimés en autre langue, dans un
autre temps & dans un autre lieu que ceux défignés ci-deffus.
Voulant qu'aux copies imprimées du prefent Edit^ fcellées
du fceau de quelque perfonnc conitituée en dignité Ecclé-
fiaflique j foi foit ajoutée comme à l'original. En foi de quoi &c.
DE J, A. DE THOU. i8i
Donné à Rome dans le Palais Apoftolique le 5? Nor\^em-
bre i6op,
Fr. Louis Ystella Abattre
du f acre Palais ApOjlolique.
Etienne Spada Subftitut
pour Paul Spada Notaire.
Le fnfdit Edit a été publié & affiché aux portes de l'Eglife
(du Prince des Apôtres ^ & dans les autres lieux ordinaires
& accoutumés de cette ville de Rome , le quatorzième jour
de Novembre i6o(). par moi Dom. de Rubeis Curfeur de
N. S. P.le Pape.
Chrifiophle Fund. Maître des Curfeî4rs.
■A Rome^ de l'Imprimerie de la Chambre Apoftolique 1 6'oj?;.
Lettre du Père Richeome Jefuite ^ à M. de TJiou,
O N s 1 E u R. Ayant efté adverti par les noftres qui font imprimée Cm '
à Paris , d'un certain rapport qu'on vous avoir faict ^^' Manufl-rir,
de nous touchant le jugement de voftre Hiftoire , j'ay pen— ^
fé que mon devoir me donnoit droid & contraint de vous \
efclaircir de la vérité pour voftre contentement & nofrre deC- i
charge, & vous afteurer que perfonne de nous n'a ni pro- !
curé ni penfé de procurer aucune cenfure de voftre œuvre,
& que ce qu'on en a faid , a été à noftre defceu , auftl bien ■
que la cenfure contre l'Arreft de Chaftel, que nous avons •
ignorées jufques à ce que Monfieur de Brèves l'euft- fait ac- ■
commoder j de laquelle toutesfois on nous avoit chargé 5 ■ i
tant eft importune l'animofité de nos adverfaires à nous met-
tre aux rangs en toute mauvaife lice , afin de nous rendre \
odieux à chacun. Ainfi de fraiiche datte & fraifche men- I
fonge,on a efcrit par delà que nous avions fait cenfurer la-
Refponfe du fieur Coeffeteau au Roy d'Angleterre, qui eft j
doublement contre la vérité; car nous ne l'avons point iàid, i
& de plus avons empefché de le faire : mais il n'y a mal au I
monde que les Jefuites ne faiTent à l'opinion de ceux qui ;
nous font trop mauvais. Pour voftre jregard , Monlieur, je i
yous fupplie de tenir comme chofe certaine que nous deli- '
Z iij
1^2 PIECES CONCERNANT L'HISTOIRE
rons que vos œuvres ayent cours & crédit félon leur mé-
rite, non feulement en France, mais par tout l'univers pour
l'honneur de la France , & efperons que noftre defir fera fa-
cilement accomblé par volb-e prudence , qui pourra fage-
ment donner l'efponge & la lime à ce qui aura pu offenfer,
& s'advifera tous] ours de tenir bon lacaufede Dieu, & dé-
fendre à tout rencontre l'honneur de fon Eglife , ne donnant
à oerfonne caufe légitime de mordre & mefdire. Vous au-
rez reconipenfe de cet office devant Dieu & de l'honneur
devant les hommes , & nous & toute la France aurons la
joye de voftre honneur , & avec les peuples eftrangers le
profit de ce noble corps d'Hiftoire , & la pofterité vous bé-
nira à jamais. Monfieur, nous vous defirons affedeufement
ce bien & d'autres beaucoup plus grands , non feulement pour
le rang que vous tenez entre les premiers Officiers & co-
lonnes de voftre Eilat & Monarchie , mais .aiiffi pour la glo-
rieufe mémoire de feu M. de Thou voilre très honoré Père,
qui Fan i<;6^ feant premier Prefident en cette Cour fouve-
raine> embraûa oc fouftint noilre droit en vray père & pi-
lieu de jultice contre pliiheiirs & puiilants adverfaires, & s'af-
feurant cette Compagnie d'un éternel bienfaid: , l'obligea de
prier Dieu pour luy & pour tous ceux qui luy appartiennent , ôc
vous honorer & fervir qui êtes fon image. Nous vous ho-
norons auffi pour vos mérites , & vous fer\ irons d'un cœur
franc, quand il vous plaira d'en faire l'eday : & fi en mon
particulier je vous piùs eftre utile en quelque choie , je m'of-
fre à vous avec i'eftenduë de toutes mes forces grandes &
petites. Vous avez depuis peu de jours icy Monfieur Ribere
Dodeur Médecin, qui vous eft très affeâ:ionnc ferviteur,
& le tefmoignage qu'il m'a donné de voftre vertu & des dé-
votions de Madame , a renforcé cefte ancienne aftedion en-
vers vous pour me faire prier Dieu pour voftre profperitc ,
& de ceux que vous aimez , jufques à ce que avec les priè-
res je puiife rendre mon très humble fervice 5 vous fuppliant,
Monfieur, de croire que tant qre je vivray à Rome ou ail-
leurs, vous y aurez un très humble & affectionné ferviteur.
Je vous baife très humblement les mains.
De Rome ce 22 Voftre très humble & très
Juin 1(5 10. aifedionné ferviteur , Richeome.
DE J. A. DE THOU, iS^
Lettre de Al. Ribere j à M. de Thou,
O N s I E u R. M'eftant trouvé trois ou quatre fois en imprimée fu?
occafion de parler de voftre Hiftoire avec le R. P. ^^ Manufcrit.
Richeome alTiliant Jefuite , & luy ayant amplement fait en-
tendre voftre bonne intention, je puis dire en vérité avoir
cogneu en ce Père un grand defir de vous obliger , & vou-
droit trouver quelque moyen de corriger & modérer ce qui
s'eft pafle à Rome dernièrement fur ce fubjed. Je luy ay
dit & au Père Laurin combien il eftoit à propos pour le bien
de la Chreftienté , & pour leur Religion en particulier , de .
n'irriter pas fi facilement un perfonnage de voftre qualité ,
que tout le monde a en telle eftime , & qui a lî bien mé-
rité du public. Ces Pères aileurent qu'ils nefe font aucunement
meftés de cefte cenfure, & s'oftrent d'employer tout leur
pouvoir po1.u' la faire cafter : ce qu'ils fe promettent de pou-
voir faire. Si vous avez agréable , Monfieur , de m'efcrire
fur ce fubjed voftre volonté , & comment vous voudriez per-
mettre qu'on retranchaft quelque chî)fe , je tafcherois à vous
fervir ici, pendant que j'y fuis: ce que je deftrerois de tout
mon cœur. Le Père Richeome me dit vous en avoir efcrit,
vous fuppliant trouver bon le zèle que j'ay à voftre fervice,
y étant en tant de façons obligé. Je ne vous efcriray les nou-
velles de Rome , tous les jours on forge de nouvelles men-
fongesj les Efpagnols font en grande apprehenfion de ce
qu'en France contre leur efpoir on s'y gouverne bien, crai-
gnant infiniment que M. de Lefdiguieres n'entre en Italie.
Priant Dieu , Monfieur , vous donner & à Madame & Mef-
iieurs vos enfants en fanté longue & heiu"eufe vie.
De Pvome ce 25 Votre humble & très obeiiïant
Juin 161Q. ferviteur, R I B E R E.
Lettre de M. le Cardinal de la Rochefoucault j à M, de Thou,
^ yfONSiEUR. Le defir que j'ay tousjours eu de vous ^ . , ^
I \/ 1 ^ r • 1 ji- n_ • ' J TmDrîince fur
X V 1^ telmoigner par quelque eftect ce que je vous ay de- i^ ivianuialc.
claré de bouche de mon aftedion, m'a fait rechercher les
ig^ PIECES CONCERNANT L'HISTOIRE
moyens de vous fervir en l'occafion de ce qui fe traite icy
fur le fujet de voflre Hiftoire. Mefmes depuis qu'ayant ap-
pris voftre intention par une voftre lettre que le Père Ri-
cheome m'a fait voir , j'ay creu que le defir que j'ay recon-
nu au Pape de vous donner du contentement , pourront avoir
plus facile fuccès. Monfieur le Cardinal Bellarmin & quel-
ques autres prendront la peine de voir s'il s'y pourra trou-
ver l'expédient qu'ils recherchent volontiers fur la pro-
pcfition que je leur en ay faite ^ & devant à fa Saindeté ;
& m'eilant chargé d'en faire l'eflayj je l'ay desja bien avancé.
Cependant on m'a promis & afîeuré qu'il ne s'eftoit rien pu-
blié, ny ne feroit cy-après du jugement advenu fur ladite
Kidoire , qu'après l'avis que je vous en auray donné , qui fe-
xa le plufuoft que je pourray , avec fouhait de quelque plus
agréable rencontre pour voRre fervice. Confervez moy, s'il
vous plaift, voilre ancienne bienveuillance, & obligez en
ufant du pouvoir que vous avez en mon endroit." Je fapplie
noftre Seigneur qu'il luy plaife vous donner, Monfieur , au-
tant de contentement que vous en fouhaite
A Rome le 13 Voftre très aiTeftionné
Odob. 161 G. à vous faire fervice ,
Jr. Cardinal de la Rochefoucault.
Lettre du même Cardinal , à M. de Thon.
Imprimée fur Ti /fO NSI EUR. Je VOUS cnvoyc le livre Arabie que je
Je Maaufcrit. j V £ garde il y a long tems , avec quelques autres desquels
Monfieur de Villenoce s'eii: voulu charger. L'édition des
Conciles s'cil différée jufques vers Pafques, auquel tems je
vous en garderay ce qui fera preft, ou le tout, excepté le
premier que votis ^vez. J'ay baillé voftre Hiftoire au Sieur
de Creil pour eflayer de la réduire en eftat qu'elle puiffe
aller par tout { le tout de voftre gré & confentement ) fifon
aage & fréquentes indifpofitions le luy permettent. Pleuft à
Dieu qu'il fe prefentaft meilleur fujet, & à moy plus de pou-
voir de vous faire connoiftre l'affedion que j'ay de vous fer-
\h\ & me continuer vofire bienveuillance / Je le fupplie
qu'il
t
DE J. A. D E TH O U, iSy
cjù'il luy plaife vous odroyer , Monfieur , l'heur que vous fou^
haite
A Rome le 2p Votre très aftedionné à vous fervir ;
Janvier (i) Fr. Cardinal de la Rochefoucault.
Lettre du même Cardinal ^ à Ai. De Thou.
MONSIEUR. Le Sieur Ribere m' ayant fait voir ce que Imprimée lïic
vous luy efcrivez fur le fubjet de celle que j'ay re- ^^ Manufcrit.
ceuë, je l'ay jugé à propos pour vous faire voir ce que l'on
voudroit eftre changé ou ofté. Ce jugement n'a efté fait à
la hafte , & dés le commencement que je vis celles que vous
aviez efcrites au Père Richeome , que fur les huit livres pre-
miers que j'ay fait bailler audit Sieur Ribere , & peut fervic
de préjugé pour tout le refte , ce peu de difcours que j'ay
eu avec luy y apportera quelque clarté : le tout avec le plai-
fir de ma part de faire effay fi je vous y pourray fervir à vof-
tre contentement, & avec celuy que je recevray en toutes
ocçafions de me pouvoir employer en chofe qui vous foit
agréable. Je n'ay encore receu celuy que l'on m'a dit que
vous aviez pris la peine de m'envoyer; il fera le bien ve«
nu. J'eflayeray de recouvrer celuy que ledit Sieur Ribere
m'a fait voir que vous defiriez , en ayant elle vendu deux
depuis peu au lieu que je luy avois enfeigné, avec efpe-
rance que l'on me donne de l'un. Je me promets, s'il vous
plaift, la continuation de voftre bienveuillance fur la feule
afleurance que je vous prie de prendre de ma bonne volonté;
& fupplie noftre Seigneur qu'il luy plaife vous odroyer. Mon*
fleur, l'heur que vous fouhaite,
A Rome le 2 1 Voftre très affedionné à vous faire fervice ;
de Mars. Fr. Cardinal de la Rochefoucault^
Lettre du mime Cardinal , à M. de Thou,
O N s I E u r. J'ay reçu depuis deux jours les livres qu'il imprimée Cxxt
_ ^ vous a pieu m'envoyer , defquels je vous remercie de ^^ Manufcrk,
tres" bon cœur. Je vous envoyay par le Sieur Ribere , qui
partit d'icy il y a quelque temps j quelques cahyers fur le lu-
}ct que luy-mefme vous dira. Depuis fon départ j'ay recou.-
NOT. (1) S:îns date d'année.
Tome XVf A^
iS6 PIECES CONCERNANT L'HISTOIRE
vré un nouveau Teftament en Ethiopien , qu'il m'avoit dit
qu'eufliez bi€n defiré d'avoir. Je le vous envoyeray par la
commodité du retour de Mr. de Barrault, que j'efpere eftre
bientoft, eftant l'expédition qu'il pourfuit icy de fon Evefché
en bon chemin. Cependant s'il fe prefente icy quelque meil-
leure occafion pour voftrefervice, je tiendray à honneur d'y
eftre pour vous employé , comme perfonne qui defire fe con-
ferver, Monfieur,
Voftre très affedionné à vous fervir ;
(l) pR. CARDI.NAL DE LA ROCHEEOUCAULT,
Il y a icy un volume in folio du nouveau Teftament en
'Arabie , avec latradudion interlineaire Latine. S'il vous plaift,
je vous Tenvoyeray avec l'autre , & en attendant voftre ref-
ponfe : la hafte ne m'a permis de vous faire la lettre entière
de ma main.
Lettre du même Cardinal j à M. de Thoul
Imprimée fur Ti vCOnsieur. J'ay enfin reçu l'œuvre de vos Hiftoî-
ie Manufcnt. J^y J^res par les mains du Seigneur Rocelaie , de quoy je
me fens obligé de vous faire le remerciement qui fe peut
par efcrit . avec defir qu'il fe prefente occafion de plus di-
gne reconnoiflance du contentement & honneur que je ref-
fens de tout ce qui vient de voftre part. J'attends , comme
je vous ay mandé , le départ de Monfieur de Bazas , pour
vous envoyer les quatre Evangeliftes en Ethiopien, & voftre
refponfe fur celuy qui eft en Arabie , s'il fe trouve encore
entre les mains de celuy qui Favoit , comme il me l'a pro-
mis , & toutes fortes de fubjets de vous faire connoiftre mon
affedion à voftre fervice. Je fupplie N. S. qu'il luy plaife vous
odroyer , Monfieur , autant d'heur que vous en délire.
A Rome le 2 5 Voftre très affedionné
de May. à vous faire fervice ,
Fr. Cardinal de la Rochefoucault,
Lettre du même Cardinal 3 à M. de Thon.
împnméefur ^W /S Ons.ieur. Depuis la voftre du feptiéme de May;
le Manufcrit. ^^ \^ j'en ay reçu une du Sieur Ribere du 23 de Paris,
Mot, (ij Sans date.
D E J. A. DE THOU. 187
qui vous aura reprefenté ce que nous traitafmes icy fur le fu^
jet de voftre Hilîoire. J'attends quelque bonne ouverture,
pour mettre en plus de liberté un (1 bel œuvre, & vous
faire connoiftre le refped que l'on porte ici au rang & aux
mérites de l'autheur. Je me fuis enquis de l'édition de la Bible
Polyglotte, mefme du P. Lorigny Jefuite François fort verfé
en cette matière, qui ne m'en a rien fçeu apprendre, &
croit n'y avoir rien imprimé fous ce titre que la Bible Royale
d'Anvers. Bien a-t-on imprimé une Bible à Venife avecquç
ee titre Latin , Biblia vulgat. edit, tranjl. ex Hebrceo , tranjlau >
Kom. ex Septitag. & Chald. paraphr. tranjîat. congejîa. Mais il
n'y a que du Latin. Quant au deuxième tome dQs Conciles,
il eft iniprimé , mais la publication en eft différée jufques à
la fin du mois d'Aouft prochain, auquel temps on aura les
quatre entiers, & le cinquième à la fin de Novembre. Sui-
vant ce que vous m'en manderez, je vous les envoyeray.
Et ne faites point, s'il vous plaiil:, de doute que toutes for-
tes d'occafions de vous fervir & tefmoigner mon affedion,
ne foient reçues de moy avec l'honneur que je porte, & le
defir que j'ay de la confervation de voftre bienveuillance.
Je fupplie noftre Seigneur qu'il luy plaife vous odroycr , Mon-
iieur, l'heur qu^e vous fouhaite
A Rome le 23 Voftre très aflfedionné à vous faire fervice,
de Juin. Fr. Cardinal de la Rochefoucault,
Lettre du mime Cardinal , à M. de Thou.
MONSIEUR. Je vous ay tefmoigné par plulîeurs let- imprimée C^
très , & de bouche au Sieur Ribere pour vous le rap^ ^« l^anufcnt»
porter, le cas que l'on fait icy de voftre qualité & mérites, ' - g^.rs;
& le defir de vous le faire connoiftre fur le fujet duquel vous
m'efcrivez. Pour moy j'y fuis porté par tant de confiderations,
que j'aurois jufte crainte d'eftre tenu pour fufped en cette
matière ^ fi je ne jugeois ceux qui y peuvent, conjoints avec
moy en ce deflein. J'attends avec impatience l'aide qui s'y
pourra apporter d'ailleurs fur l'ouverture faite de voftre part>
& aucunement acheminée en l'eflay qui vous en a efté en-
voyé. Sur la plainte que vous faites de la forme de la cen-
fure qui vous femble indéfinie, ^ pluftoft contre la per-
M ij
•i88 PIECES CONCERNANT L'HISTOIRE
fonne que contre vos Livres , après m'eftre ^ffez foigneufè-
Bient informé de ceux qui manient telles affaires, j'ay efté
affeuré qu'autre cenfure n'a efté faite qui vous touche qu'en
lui feuillet imprimé, intitulé Editto del Maejîro del SacroPa-
lazzo { i)j où. font ces mots, Jacobi Thuani Hijîoride : lequel
feuillet ne fe vend point, eft feulement affiché à la porte du
Palais , & eft renouvelle de temps en temps avec addition de
livres nouvellement cenfurez^ & que de ces feuillets j au bout
de quelques années, quand on imprime l'Index des livres
deffendus, on en prend ceux que l'on juge pour inférer avi-
dit Index : que voftre Hiftoire n'a efté inférée en aucun In-
dex, ny fait mention d'icelle en autre lieu ny autres termes
que les fufdits. Quant audit feuillet , c'eft chofe non perma-
nente , Ôc qui ne tombe en main que de ceux qui font icy,
àc de peu. Il y auroit plus de confideratîon en l'édition nou-
velle de l'Index , à quoy j'efpere qu'il fera pourvu , & il y
a long tems que je m'y fuis employé, comme je feray avec
affedion & obligation en tout ce qui vous touchera, «Scfup-
plie noftre Seigneur qu'il luyplaife vous odroyer, Monfieur,
Theur que vous fouhaite
A Rome le 21 Voftre très affedionné à vous fervir;
Juillet Fr. Cardinal de la Rochefoucault.
Lettre du Père Richeome Jèfuite 3 à M. de Thou,
Imprimée fur TV /f O N S lE u R. Comme je me remettois fur pied d'une
le Manufcrit. |^V^ petite maladie^ qui m'a tenu environ un mois, &
que j'efperois de vous efcrire ce qu'on auroit fait pour vous
touchant l'affaire que vous fçavez , eft venu l'Arreft du Par-
lement contre le Cardinal Bellarmin, qui a fort rejoui les
ennemis de la France , cuidans avoir un fort jufte prétexte
pour maltraiter & mal parler de cette Cour, & troubler le
repos public , & aittant mefcontente les François qui n'atten-
doient pas en un tel tems une telle faillie , mefme contre
ce Prélat très amy de la France , & qui particulièrement s'ef-
toit employé pour vous d' affedion : n'ayant fon livre rien qui
n'ait efté plufieurs fois imprimé tant à Paris qu'ailleurs par la
NOT. (ï) Cet Edit eft rapporté ci-dcûus, pag. i7i|.
DE J. A. DE THOU. igj?
Trance , <Sc ayant parlé il modeftement de la Puiilancc du Pa-
pe, qu'il ne tint pas à plufieurs ennemis de noftre Ordre que
Sixte V. ne fit cenfurer fon livre fur ce point, comme n'y
ayant pas afîez did. Je crois , Monfîeur , que fî vous l'aviez:
leu , que vous n'auriez trouvé autre doctrine que celle de
l'Eglife & des faints Conciles , tant de ceux qui ont été te-
nus en France qu'ailleurs-, qui parlent de ce fubjed. Vous
auriez veu aulli les Dodeiirs qu'il allègue de toutes Na-
tions ; & je me perfuade que vous n'auriez pas tiré de cette
dodrine des conclufions fi pernicieufes & fi fanglantes con-
tre l'Eilat & la perfonne des Rois, comme did l'Arreft. Je
fuis très marri de ce coup j & voudrois pour bonne chofe
qu'il n'euft pas efté donné , pour la crainte que j'ay que ce
ne foit la femence de quelque fchifme, & que cette Cour
que j'honore n'en rapporte autant de blafme que la répu-
tation du Cardinal & fa dodrine eil célèbre par tout. Quel-
ques-uns ont did , qu'on l'a ainfi traité à caufe qu'il elt Je-
fuite, veu qu'il y a des autheurs qui fe vendent à Paris,
comme par tout, qui en difent plus que luy fans comparai-
fon, contre lefquels on ne dit rien. Si le rapport eft vray,
je ne m'en donne pas de peine. Je fuis marri feulement que
tout le mal qu'on nous vient faire, tombe pluftoft fur le pu-
blic que fur nous , & que les fervices que nous defirons em-
ployer pour noftre patrie foyent retardés par l'animofité de
quelques-uns. On a efcrit de par delà que vous aviez pro-
curé un Arreft contre ce bon Cardinal, ofFenfé de la cen-
fure de voftre Hiftoire. Je ne le crois point , vous efrimant
feigneur de vertu & de confcience ^ & qui ne voudroit pour
fon particulier nuire à la caufe publique , & en ay dit ma
créance au Cardinal , & fupplié de croire que vous n'eftiez
point caufe de cet Arreft. Nos Pères de Paris m'efcrivent
que Peftabliflèment du Collège eft retardé, & je le crois.
Noftre Père General aufii ne veut point qu'on infifte plus à
cette pourfuitej nous fçavons que l'Univerfité fe paflera fa-
cilement de nos travaux, & l'on voit aftez que nous n'aurons
faute d'autres lieux pour les y employer. Les gens de bien
nous fçauront gré du defir que nous avons monftré de fer-
vir en particulier cefte noble ville , où noftre Compagnie a
pris fa première naiffance? & ^i furpkis nous tafcherons de
Aa iij
ipo PIECES CONCERNANT L'HISTOIRE
prendre en patience le mal qu'on did de nous, & que l'on nous
veut faire, fi on le fait. Je vous ay efcrit cecy , Monfieur ,
en confidence , invité & pouflc de l'opinion que j'ay de voftre
vertu '•> ôc voftre prudence voit ce qui eft néceflaire pour ob-
vier aux maux à venir. Noltre Père General & tous tant que
nous fommes , auront foin de mettre la paix par tout. Je vous
ferviray en particulier de très bon cœur , & verray lî ce qui
eftoit commencé fe pourra remettre à bien, que j'eftime-
rois le meilleur que vous employaillez quelques Do(^eurs par
delà , qui vous advifaflent de ce qu'ils eftimeroient devoir
eftre limé en celle Hiftoire. Cela vous feroit plus honorable ,
& crois que par deçà feroit mieux venu. Je vous baife trés-hum-
blementles mains , & pour bonnes eftrennesdu nouvel An,
je vousfouhaite les bénédidions du ciel &; de la terre,& à toute
voftre famille.
De Rome le 2 Par voftre très humble & obeilTant
Janvier I ^11. fervireur, Richeome.
Extrait du Mercure François ^ Tome Lfag. ^16. édition de
Paris j idii.So.
sn\ E Cardinal Bellarmin, qui eftoit à Rome & premier
9>i\ j dc^l'Inquifition , fut un des principaux à pourfuivre une
» cenhU'e de livres ; & n'oublia à y faire mettre tout ce q\i/ ,
30 avoit efté faid contre les Jefuites '■> dont l'Edit en fut publié \è ,
93neufiefme Novembre de cefte année ( 160^.) & contenoit
» les livres fuivans. » Voyez-en la lijîe dans PEdit du Maître du
Sacré Palais , cy-dejfus pag. 17p.
» Cefte Cenfure adonné depuisTubjet à beaucoup de per-
33 fonnes de parler : on en a fait diverfes plaintes en France ,
X & efcrit qu'il la falloit lacérer à caufe de l' Arreft contre Jean
i^ Chafteî, qui y eftoit inféré : Arreft digne d'eftre regravé en
» lettrés d'or à la pofterité , pour donner crainte à telsAflaf-
31 fins. Bref, c'eft vouloir faire aveugle toute la France. Le
03 grand mal qui eft depuis advenu par tels maudits aflaflins,
» faid gémir tous les François de la perte de leur grand Roy. «
Voyez fur ce fuj et la fuite de P Hiftoire de M, De Tiwu far AU
Rigauit i livre IL pag. 5p.
JUGE M E NS
PO R T É s
A LA COUR DE FRANCE,
SUR L'HISTOIRE
D E
J A C Q^U ES AUGUSTE
DE T H O U.
Lettre du Roy Henry IV. à Jacques-Augujle De Thou, (i)
MONSIEUR le Préfident. J'ay receu tant de preuves Imprimée f\xt
de voftre affedion à mon fervice , & en ay eu tant de ^^ ^^""fc'^"-
contentement , que je ne veux différer plus long-tems
à vous tefmoigner le reflentiment que j'en ay , & l'eftime que je
fais de vous y de voftre capacité , intégrité , & preud'hommie ,
qui font des parties fi recommandabies en ce temps mefme-
ment corrompu parla malice des fiecles palTez. Que defirant
d'orefenavant le faire reconnoifire à tout le monae , comme
je le reconnois, & pour cette occafionvous approcher de moy
& me fervir de vous en mes plus importantes affaires, je vous
ay fait expédier un Brevet de Confeiller en mon confeil d'E-
ftat & Finances , que je vous envoyé j d'autant que je veux &
entends qu'à l'avenir vous vous trouviez & afllftiez en tous
0) Quoique dans cette Lettre & dans
la fiiivante il ne foit point fait mention
de rHiftoire de M. De Thou , on a ce-
pendant jugé à propos de les donner ,
pour fervir de preuve de l'eftime & de Ja
confideration particulière que le R07
Henry IV. avoit pour l'Auteur , avant
même la publication de fon Hifto.jrc,
■•iSi± PIECES CONCERNANT L'HÏSTOÎRE
mes confeils , où je me promets que je ne feray fervy de voÙ5
avec moindre fïdelitc & afFedion que je l'ay tousjours efté juf-
quesicy, «3c que j'en efpere la continuation , comme vous
devez attendre de moy tous les tefmoignages d'un bon
iiiaiftre & qui vous aime , comme les effets le vous feront re-
connoiftre. Je vous ay cy-devant efcrit pour retirer des mains
du neveu du feu Sieur Abbé de Bellebranche la Libraire
de la feue Reyne mère du Roy Monfeigneur , ce que je vous
prie & commande encore un coup de faire , fi ja ne l'avez fait î
comme chofe que je defire & affedionne & veux , afin que
rien ne s'en efgare , & que vous lafafiiez mettre avec la mien-
ne. Adieu , Monfieur le Préfident. Ce ^ Novembre , à
Monceaux iy^8.
Henry,'
Lettre du Roy Henry IV. à Jacques- Augure De Thou,
Imprimée fur
le Manufcrit. TW M O N S I E u R le Préfident. Avant que vous m'euffiez ef-
X^A ^^^^' ^^ ^^ perfonne du monde m'eufl: parlé pour
vous , fi-toft que j'eus nouvelles de la mort de l'Evefque de
Chartres voftre oncle ^ je me fouvins de la referve que je vous
avois accordée de F Abbaye de Bellefontaine par fa mort. Ce
font là des tefmoignages de la mémoire que j'ay de vos fervi-
ces ; comme auffi le Brevet que je vous ay envoyé pour eftre
de mon Confeil ordinaire , fur Taffeurance que j'ay tousjours
eue de voftre fidélité & affedion î laquelle fera que Foccafioa
s'offrant encore de la reconnoiftre à favenir , vous m'y trou-
verezaufii difpofé que de bon cœur je prie Dieu qu'il vous
ait, Monfieur le Préfident, en fa garde. Ce lo. Novembre^
à Monceaux, (i) Henry.
Lettre âlfaac Cafaubon à Jujïe Lipfe,
Yraduîtc du f^^ ^ ^'^ Imprimé qu'un petit nombre d'exemplaires de
Latin,& tirée \^^ l'Hiftoire de M. le Préfident de Thou. L'intention de
As SyUogc , pAuteur a été moins de rendre fon ouvrage public par cette
iiin/ir. fcrift, eaition , que de le prelentcr au Roi , afin que ba Majeite
LeUét 172.7.
4°.to.i.pag. (i) Cette Lettre cft fans datte, mais j dans cette année que mourut Nicolas De
179. elle doit être de iji^S. puif^ue ce f^t | Thou Evéque de Chartres.
jugeât
DE J. A. DE THOU. 1^5
jugeât s'il devoit le cefler ou le continuer , & décidât de fon
fort. Car ce n'eft par aucun motif d'ambition que ce grand
homme a entrepris cette Hiftoire. C'a été en quelque forte
pour fonder le goût du Public , qu'il a fait imprimer à fes frais
■un petit nombre d'exemplaires de fon Livre. Mais le grand
Prince à qui il a eu l'honneur de l'offrir, lui aïant promis fon
appui & fa protedion j f Ouvrage a été mis une féconde fois
fous la prefle. Dès que cette édition fera achevée , on aura foin
de vous l'envoyer 5 M. De Thou m'a chargé de vous le man-
der. Je crois que vous avez entendu parler des difcours que plu-
lieurs perfonnes ont tenus , dès que l'ouvrage a paru. Pouvons
nous encore douter que notre fiécle ne haïiTe la vérité , plus
qu'on ne l'a jamais haïe f Ceux qui ont murmuré le plus, font
ceux-là même qui penfent comme l'Auteur j par rapport à
l'affaire de la Religion. J'aurois honte de vous dire jufqu'où a
été la fureur de quelques-uns. Cependant aucun n'a été Ifez im-
pudent pour déclamer ouvertement contre l'Ouvrage.
A Paris j le 2 1 de Mars 160^. Isaac Çasaubon.
Extrait d^une Lettre de Henry IV, à Monfieur de Bethune fon
Ambajfadeur à Rome j du ^ May 1 60^.
Ua n d le Nonce m'a parlé & fait plainte du livre du Pré- Imprimée fut
fident de Thou, il a cogneu le deplaiiir que j'en ay receu, ^^ Manufcnc
& comme j'ay commandé le cours ^ la vente d'iceluy , qui a
elle faite.
Extrait d'une Lettre de M. J. Gillot à M. Jof. de la Se al a,
de Paris le ^o Mars. ( i )
Î^ yf" Onsieur le Prefîdent de Thou a eu de grands af- Tiré des £&?/-
_ V i faults pour fon hvre. Tantoft l'on le vouloit défendre ^^"^'"""^fi^
tout à faid, tantoft cenfurer , tantoft reformer ; les Grands scaia i6i+.
offenfez de la liberté, & peut-eftre de la vérité. Le Roy a 8°. pag. 410.
voulu que l'on luy en aye tourné la Préface ou l'Epiftre , qui
s'adrefteà luy. Tandem quiefcit & me femble un peu enrepos.
Et de fàid, on le r'amprime en autre marge, car il n'y en a plus
Aqs premiers.
(i) Snn? date f^'année.
Tome XV. B b
j<?4 PIECES CONCERNANT L'HÎSTOIM
Extrait d'une Lettre de M. Vertimien à M. Jof. de la Sfala ^
de Poitiers le i^Juin ido^.
TittAc^-Ep'jf- T\ /F Onsieur le Threforier Sainde Marthe me compta
très Franfoifs J u ^ CCS deoiiers jouYS , quc Ic Roy avoit pris un fmgulier
tc^â 1614. S. P^"^^^^' ^^^ fubjed de i'Epiftre dédicatoire de l'Hiftoire de Fran-^
pag. 35J. ce de Monfietir de Thou, & luy avoit commandé la faire
traduire en François & puis l'imprimer ; ce qui a efté ja faid par
le fiis du deffund Hottoman Jurifconfuite.
Extrait d'une Lettre de M. Pierre Dupuy , à M. Jof, de h
Scala , de Paris le ip Novembre i6o^..
Tiré <ie? ^if- 1\ M Onsieur le Prefideut de Thou , outre les XVÎIL
très Frar^oi/es^ IVI Hvrcs de fou Hiftoirc , a baillé à l'imprimeur huid li-
^scaUicl^.t vres qui fuivent. Je voudrois qu'il lui euft prins envie de
pag. 1 60. nous donner le refte qu'il a faid juiques à l'année M. D.
XCVII. ou plus. Il m'adid qu'il n'en fera plus que jufques à
la naifîance de Monfeigneur le Dauphin , qui eft en l'an
M. DC. C'eft un œuvre , à ce que j'ay ouy dire , qui eft ad-
mirable ; &toutesfois il ne manque d'avoir ici beaucoup de
mefdifances & calomnies j tant de la part des Jelliites que
d'autres telles fortes de gens qui ne méritent pas le lire,
moins de le voir, & moins encores d'en ofer parler. Il me
monftra ^ ilyapeu de jours, une infigne n>efdiiance. Il did
donc au commencement du livre III. que Flenry Roy d'An-
gleterre fe déclara chef de fon Eglife , & Efifcopos , inquit ,
ferè bonos & doBos ordinavit. Les Jefuites & aultres telles
gens n'ont pas trouvé cela bon. Or il a trouvé dans Sande-
rus quiaefcrit de Statu Ecclejîce Anglica , ledid livre eft im-
primé à Rome , lorfqu'il parie de ces Evefques , il les appelle
minime malos. Vous voyez donc , Monfieur , en quelle peine
font ceux qui veulent maintenant efcrire j car fi l'on n'efcrit à
leur gré & félon leur volonté , l'on oit incontinent cenfure ,
& efpluchent defi prés qu'ils prennent garde jufques aux mots.
D E J. A. DE T H O U. ipj
Lettre as M. De Thou ) à M. le Comte de Beaumont ,
AmhaffadeuY en Angleterre.
O N s î E u R. Vous recevrez celle-cy par les mains de Imprimée fur
Moniieur de Sainte Marthe , fils de Monfieur le Lieu- le MaRufcm.
tenant General de Poidou , & nepveu de Monfieur de Sainte
Marthe que cognoillez , 6c duquel les vertus & érudition font
cogneues de tous ceux qui aiment la vertu & lés Lettres. lia
defiré c^Çi adrefle & celle recommendation de moy, s'en al-
lant par delà avec un ( i ) bon homme qui repaffe après cin-
quante ans la mer , pour aller faluer le fils de fa bonne Maif-
treile. Vous les aurez , s'il vous plaift , tous deux pour recom-
mandez. Je vous envoyeray bien-toftfix exemplaires de mon
Hiftoire réimprimée , pour en ufer & les diftribuer ainfy que
verrez eilre à faire. Je ne defireplus que ce foit en mon nom>
& que l'on croye que je l'aye faid réimprimer 5 comme la ve-«
rite eftquece n'eft moy ny à ma pourfuite que cela fe faid,
ains pour empefcher que les Allemans, qui impriment tout,
.n'entreprinffent de la réimprimer. Les molefties que j'en ay
receu , & le peu de gré que l'on m'en f:ait , me font aifé-
ment perdre toute l'envie que j'aurois d'advancer im œuvre
pour le fubjed utile au public , & auquel par ma fidélité & di-
ligence je pouvois apporter quelque chofe. Mais j'ay cogneu
à mes defpens , que le loyer de ceux qui embrailent la vérité
eft la haine des Grands , qui veulent par tout eftre flattez 5 tel-
lement que fi après les avoir louez où ils ont mérité , l'on vient
à les defcouvrir & furprendre en quelque faulte , comme il
ne peut arriver. que ceux qui font expofez à la veue de tout
le monde & employez aux charges publiques ne chancellent
quelques foisj ils s'aigriûent & mettent en oubly tout le
refte; & en arrive ce que dit le proverbe , que pour im verre
caiîé l'on perd dix ans de bon fervice. Contre tout cela je
.me confole en ma confcience , & efpere de la pofterité , en
defpit de l'envie , ce que la mahgnité de ce fiecle me dé-
nie. Cela me gardera de plus rien hafarder au public , jufques
à ce que je me voye alTeuré de garand. Mais allez pour ce
fubjed. Voftre paix apprefle icy à difcpurir^ & aurez fceu
(i) BIackw.'ood.
Bbii
j^6 PIECES CONCEP.NANT L'HÏSTOIRE
que l'on a délibéré il l'on uferoit de i'occafion. Celuy qui peuir
le plus y poulie tant qu'il peut , & avec de puiàantes raifcns :
mais l'amour de l'aife , & ceux que connoiflez qui ont at-
taché noftre feureté delà les Monts , fçavent il dextrement
manier & menafger ceile inclination, qu'ils nous feront en-
fin perdre l'occallon. Dieu veuille que le mal que par ce
moyen fe pouiTeroit au dehors , ne rentre au dedans , & ex-
cite une plus pernicieufe guerre que celle que nous monf-
trons tant craindre.
A Paris ce 3. Sep- Voilre &c.
tembre 160^. Jacques- Auguste De Thov*.
Extrait d'une Lettre de M. de Villeroy à M, de Beîhune y
Ambaffaàeur de France à Rome.
Imprimé fur ¥ E croy que M. le Preildent de Thou eft marri d'avoir pu-
le Manufcric. | ^jj^ fon livre , & qu'il ne s'y engageroit il avant s'il elioit'
à recommencer: mais il faut manier ce fait doucement pour
y apporter quelque remède , qui ne peut eilre autre , à mon
avis j que d'en empefcher la reimpreifion , car pour l'amen-
der & corriger , il faudroit changer une grande partie d'ice-
îuy 5 chofe difficile de faire. Je luy en ay parlé par le com-
mandement de fa Majefté. Il m'a aifuré qu'il fera le premier
à tenir la main qu'il foit enfeveli , & qu'il ne s'en parle plus 5
non qu'il eilime avoir failli à l'Hiftoire , ne qu'il fe veuille
defdire de fes opinions en ce qui concerne la Religion 5 mais
parce qu'il ne veut faire chofe qui defagrée à fa Majeité j ôc
porte préjudice à fon fervice.
Lettre de Jacqiies-Augufie de Thou à Pierre Jeannin , Premier
Prefident du Parlement de Bourgogne.
Traduite du | "\ A N S la dernière vifite , que l'amitié & les liaifons j que
Xatin , & tirée | Js y Qtre charfifc & la mienne mettent entre nous ^ vous en-
^u Recueil de ^^—^ ^ o ^ \ r • J' rr •• / \
fiéces hiftori- gagèrent a me rendre , après le refus que je venois a eiiuier ( i )^
^ues c^ curier-
/W.impriméà 0) Onavoit refuféà DeThouIa char- frère, & on lui avait prcRré Verdun »
Delfti7i7.2. ge de Premier Prefident du Parlement Premier Prefident du Parlement de Toit-
vol. in-i2. de Paris, vacante par la dérniHlon du loufe.
Premier Prefident de Harlay fon beau-
DE J. A. DE THOU. 15)7
Vous me parlâtes le premier de cette affaire , ce qui me don-
na occafion de vous entretenir à ce fujet 5 après quoi je vous
dis que nous avions aflfez inutilement parle de cette ma-
tière j que c'étoit une chofe faite j qu'il n'y falloit plus p enfer j
ce qui ne vous empêcha pas de continuer de m'en entrete-
nir. Vous fçavez qu'après m'être lui peu échauffé au commen-
cement , j'eus allez d'empire (ur moy pour calmer mes pre-
miers mouvemens, afin d'être plus en état devons écouter.
Enfin après un long entretien à ce fujet /:que nous eûmes en
nous promenant, vous vous retirâtes, danslapenfée que vos
avis m'avoient tranquillifc , & que j'étois prêt à vivre comme
auparavant. Je ne fus pasfurpris de vous voir dans cette idée >
car j'obtins alors de moy de ne laiÛ'er échapper aucun mot
qui marquât de l'altération , ou du reûentiment contre qui
que ce fut 5 je fçavois trop bien que ce n'étoit pas le temps
de contefter 5 ma douleur étoit encore trop vive ; j'avois ré-
folu de luy donner de juftes bornes, & de prendre le confeil
de mes amis , avant que de rien déterminer au fujet de mes
affaires, & fur le genre de vie que je devqis fuivre à l'ave-
nir. Vous voyés par là que je fuis encore aujourd'huy incer-
tain fur ce que je dois faire. En effet , je ne fçay fi je reparoî-
trai au Palais ôcàla Cour, ou fi en fuivantmes inclinations,
qui m'ont toujours éloigné des intrigues , & du féjour dange-
reux delà Cour, je dois entièrement abandonner les affaires
& me retirer.
Etant allé ces dernières fêtes de Pâques, contre ma cou-
tume, â la campagne, afin d'éviter des vifîtes importunes , que
cette affaire n'auroit pas manqué de m' attirer, je patlai ce
temps dans des exercices de pieté , qui ont remis la tranquil-
lité dans mon ame. Après avoir imploré d'abord l'alllftance
du Ciel , comme on doit le faire en toutes chofes , j'ay ré-
fléchi mûrement au parti que j'avois à prendre en cette oc-
cafion, afin d'éviter deux écCieils également dangereux : car
je ne voulois pas qu^on pût me reprocher d'avoir trop écouté
mon reflentiment , ni qu'on m'accufât d'avoir fait quelque
chofe, qui ne répondît pas à ma vie pafîee, & fift tort à ma-
dignité. Je jettay alors fur le papier fans ordre tout ce qui me
vint dans i'efprit, pour m' affermir dans ma réiolution, com-
me fi je me fufle trouvé dans un entretien particulier avec
Bbiij
îpS PIECES CONCERNAISTT t'HîSTOIRE
vous: je vous l'envoyay aufll-tôt , comme à un juge équita*
ble , ôc au feul arbitre des juftes fujets de plaintes que je crois
avoir : mon delïein étoit d'avoir des avis prudens & finceres
fur la conduite , qu'un homme d'honneur , & qui a des fenti-
inens , devoit tenir dans une pareille conjondure,
L'Etat fouffre plus que moy de l'injuftice qu'on m'a faite 'y
voilà ce qui me rend l'injure plus fenfible. Je puis dire que
le zélé avec lequel j'ai manié jufquicy les affaires publiques ,
eft fi grand , que les malheurs du Royaume m'ont toujours
touché plus vivement que les miens : Ceux qui me connoif-
fent fçavent affez, que fans avarice, comme fans ambition,
je néglige mes propres affaires : ainfi je fouhaite qu'on ne con-
fidere pas tant par rapport à moy , que par rapport à l'Etat ,
l'injuftice dont je me plains : S'il eft poftlble de féparer ma
caufe de celle de la republique, j'y confensjje fuis prêt à
me taire.
Sans parler des honneurs dont mes ancêtres ont été revê-
tus , mon père & mon ayeul ont tenu un rang diftingué dans
la robe , où ils ont bien fervi l'Etat ; ôc les premières char-"
ges ont été remplies par mes ayeux maternels : l'éducation que
j'ay reçue de mon père ne tendoit qu'à m'infpirer de n'a-,
voir jamais d'autre but que le bien du Royaume. Etant en-
tré dans la magiftrature avec ces difpofitions , j'ay recher-
ché l'amitié des Seigneurs animez du même efprit : je n'ay
rien oublié de ce qui pouvoir contribuer en particuher ou.
^n gênerai au bien public î enfuite l'âge m' ayant domié plus
d'autorité dans la place que j'occupois, je fus connu de mes
maîtres, après m'être heure ufementfoutenu dans des .temps
orageux , & Ci funeftes à plufieurs particuUers j je demeurai
fidèle à Henry II I. dans le temps que prefque tout leRoïaii-
me s'étoit foulevé contre lui. Je le fuivis avec peu de per-
fonnes-, lorfqu'il fut obligé de fortir de Paris : Ce Prince m'en-
voya d'abord porter fes ordres aux Gouverneurs & aux Ma-
giiirats des villes de Normandie ^ l'une des plus confidéra-
bies Provinces du Royaume 5 enfuite les troubles s'étant un
peu calmés. Sa Majefté me fit l'honneur de me donner une
piace^dans fon Confeil Privé. II. s'eft fervi de moi depuis ce
-temps-là. J'eus ordre, lorfque la guerre fe ralluma avec plus
■é^ fureur , d'aller en Allemagne avec Gafpard de Schonv
D E J. A. D E T H O U. i^^^
berg. Comte de Naiiteûil, dont le zcle pour nos Rois voiis-
eft connu, & avec quij'avois dès-lors d'étroites liaifons. Ce
Seigneur étoit chargé de conduire l'armée auxiliaire. Pendant
qu'ji s'occuperoit du foin de faire des levées, & de prépa-
rer tout pour fe mettre en marche , je devois me rendre à la
Cour de fEmpereur & auprès des Princes d'Allemagne ,
afin de le foula^er dans les affaires qui augmentoient de jour
en jour.
Le Comte de Nanteiiil ayant fait un voyage à Florence ,
pour trouver de l'argent, j'appris à Venife la trifte nouvelle
de rallaHinat du Roi Henry III. Je reliai quelques jours-
dans cette ville avec le Cardinal de Joyeufe , qui voyant
que l'interdit jette fur ce Prince fubfiftoit toujours, avoit
quitté Rome 5 j'y trouvai auiïl Arnauld d'Olfat mon ami.
intime , qui depuis a été créé Cardinal. Schomberg ayant en-
fin repris le chemin d'Allemagne , j'allay en Suifle , où je
m'arrêtai quelques temps à Soleure auprès de l'Ambafladeur
de France vers les Cantons : c'étoit Nicolas Brulart de Silie-
ry , qui. eft depuis monté au faîte des honneurs de la Magif-
trature ( i ) , ce que Budée notre ami commun appelle le
folftice de la robe. Il me donna un palfeport , & je revins en
France avec quelques colonels Suifles : j'allai trouver le nou-
veau Roi à Chateaudun, après la prife des fauxbourgs de Pa-
ris 5 je lui rendis compte de l'état des affaires d'Allemagne
ÔL d'ItaUe depuis les derniers troubles.
J'ay demeuré cinq ans à la fuite de Sa Majefté dans fon
camp , à la réferve de quelque temps ^ que par fon ordre j'ay
paîîé à Tours , où le Parlement fiegeoit alors , ou bien que
j'ay employé à des négociations dans d'autres Provinces. En-
fin après la cérémonie de fon facre , qui fe fit à Chartres par
les mains de Nicolas de Thou mon oncle , Evêque de cette
ville , & après la rédudion de Paris qui fuivit de près , je ren-
trai dans ma maifon , ôcjef.is enfin rendu à mes livres j trop
heureux après être demeure inviolablement attaché au Roi ^
de pouvoir jouir des douceurs de la paix , au milieu des en-
nemis de cette paix , qui avoient porté les armes contre leur
Patrie !
Je me fîattois que Sa Majefté ie fouvenant des cinq années
0) Il fut fait Chancelier.
2C0 PIECES CONCERNANT L'HISTOIRE
que j'avois paiTées dans fon camp, penferoit quelque jour à
moi. Je me trouvois alors fort mal à mon aife j mon bien avoir
été pillé pendant la guerre j d'ailleurs j'avois été obligé de
£iire toute ma dépenfe fans rien recevoir du Prince pen-
dant ces cinq années. Sa iMajeflé difoit fouvent que j'étois
bien différent des autres 5 que je ne me plaignois point de
la perte de mes biens, tandis que les autres profitant du mal-
heur des temps, parloient continuellement des pertes qu'ils
-avoient faites. Cet éloge flateur a été toute la récompenfe
de ces cinq ans de fervices. Le Roi changea à mon égard
avec fa fortune. J'ai appris à mes dépens que rien n'eft plus
fragile que la faveur des Princes 5 que la première chofe
qu'ils font dans la profperité eft d'oublier le paiïe , & de pren-
dre pour une efpcce de reproche , le fouvenir que leur! en
rappelle la vue de ceux qui leur ont été attachez dans leui;
mauvaife fortune.
Vous me demanderez peut-être , à quoi bon tout ce dé-
tail. J'ay voulu vous faire voir qu'une trifte fatalité m'a fait
fi mal récompenfer de ceux à qui j'ay voué mes fervices,
dans des circonftances critiques. Ainfi deux ans s'écoulèrent ,
fans qu'il fut feulement quellion de moi : on ne s'en reifou-'
vint que lorfque les Proteftans de France préfenterent à con-
tre-temps au Roi , qui alTiegeoit la Père en Picardie , une
requête , pour fe plaindre de ce qu'on les avoir trompez par
les Edits précedens. Sa Majefté jetta alors les yeux fur moi,
-pour couper court de bonne heure à leurs plaintes , & je fus
chargé d'amples pouvoirs. Monfieur de Villeroy fçaitqueje
me défendis d'abord d'accepter cette commillion ; je pré-
voyois dès ce temps-là combien elle devoit me faire d'en*
nemis. Cependant m'étant rendu en Bretagne avec le Comte
de Nanteùil pour en calmer les troubles ; & ayant fait dé-
puter vers les Proteftans Emeri de Vie & Sofrey de Cali-.'
gnon, je reçus de nouveaux ordres du Roi au fujetde cette
affaire , qui m'occupa deux ans entiers.
J'avois employé les quatres années précédentes à écrire
mon Hiftoire , dont je crois devoir dire ici deux mots , puif-
quelle eft ( à ce que j'en pius juger par les reproches qu'on
me fait ) une des caufes du refus que j'ay eiPuïé. Sçachaiit
-que je n'ctois pas né pour moi feul, mais pour ma patrie ôc
pour
DE J. A, D E THOU. sot
■ftour mes amis , fentant d'ailleurs quel plaifir me faifoit la lec-
ture de l'Hiftoire , ôc dans la peiil'ée que les préceptes &
les exemples contribuem à régler la vie , & à la rendre heu-
reufejjecrus me faire honneur ôc fervir la République, en
écrivant l'Hiftoire de notre temps, à commencer où Paul
Jove a fini. Plein de cette idée dès ma plus tendre jeuneffe ,
je n'ay rien négligé dans mes voyages , dans le barreau , dans
mes Ambaflades , dans les négociations où j'ay eu part , pour
préparer mes matériaux , afin de les trouver fous ma main ,
dans un temps plus favorable. J'ay cherché de tous cotez ce
qu'il y avoit d'hiiloires imprimées 5 j'ay fait copier pour mon
ufage celles qui ne l'avoient pas été. J'ay feuilleté tous les
Journaux de nos Généraux d'armée , & tous les ades de nos
AmbalTadeurs , j'ay fouillé dans les cabinets des Secrétaires
d'Etat. Enfin , je mefuis mis au fait des affaires , par la couver-
fation des hommes illuftres , qui ont fervi l'Etat avant moi.
J'ay appris d'eux à difcerner le vrai d'avec le faux , dans les
faits défigurez par les écrits de differens partis , & par les
bruits pubhcs. L'autorité de ces grands hommes m'a guidé dans
mes recherches. Je puis mettre au nombre de ces perfon-
nés éclairées Paul de Foix de Carman , Guy Faut de Pibrac ,
Philippe Hurault de Chiverny mon beau-frere , & Gafpard
de Schomberg , tous recommandables par leur probité, 6c
d'une habileté confommée dans les affaires.
Après tous ces préparatifs , je me fuis mis à écrire l'Hiftoire;
lorfque la guerre civile n'étoit pas encore éteinte. Dieu qui
m'a infpiré le deffein decompofer un ouvrage fi pénible, ôc
donné des forces pour l'exécuter au milieu des troubles, &
malgré mes occupations , m'efl témoin que j'ay écrit avec
la dernière exaditude ôc fans partialité , ôc que je n'ay
eu en viië que fa gloire , ôc l'utilité publique. J'avouerai que
j'ay beaucoup d'écrivains au-deffus de moi dans ce genre,
par la beauté du ftile , par la pureté du langage , par* la net-
teté dudifcours, par la folidité des penféesjmais je ne leur
cède en rien du côté de l'exaditude ôc des recherches. Je
vous en fais juge, Monfieur , vous ôc la pofterité.
Mon Hiftoire étoit déjà avancée lorfque j'appris d' Allema^
gnc que lapremierejpartie alloit au premier jour paroitre à moi^
ïnLu, fi je n'y mettois Qrdre, Va Allemand en avoit fait une,
Tû/7Σ XK Ç Ç
202 PIECES CONCERNANT UHISTOIRE
copie, en travaillant fous moi. Voïant combien il m'étok
important de parer ce coup , je fis agir mes amis, pour reti-
rer cet exemplaire ? mais il n'étoit plus temps : il y avoit toute
apparence que les curieux en avoient multiplié les copies. Je
pris donc le parti de publier moi-même mon Hiftoire. Ce
n'a pas été un motif de vaine gloire , qui me l'a fait donner
fous mon nom. Je fouhaiterois, fi cela eût été polfible^que mon
nom n'eût jamais paru à la tête de cet ouvrage 5 mais j'ay mieux
aimé m'expofer à perdre la faveur de la Cour , mes biens
dans le Royaume j & ma réputation chez les Etrangers , que
de foufFrir que par un trait de timidité , ce que j'avois écrit
pour l'utilité publique, & pour conferver le fouvenir des
évenemens, ne trouvât point créance dans l'efprit de mes
contemporains & de la pofterité.
• Je n'ignorois pas quelle foule d'ennemis alloit s'élever con-
tre moi. Les chofes ont même été plus loin que mes craintes :
car après la publication delà première partie, jufqu'oû n'a-
t-on pas porté le déchaînement , foitpar jaloufie , foit par efprit
de parti f Vous fçavez qu'on a indifpofé contre moi ^ par d'in-
dignes calomnies , de certaines perfonnes de la Cour (i) , qui
ne voyent clair dans ces fortes de chofes que par les yeux d' au-
trui. L'affaire a été auffi-tôt portée à Rome. Après y avoir
noirci l'Hiftorien , on n'a pas eu de peine à engager des cen-
feurs chagrins (2) à donner un mauvais fens à tout ce que
j'ay écrit & fait , & à condamner en entier , fans garder les
formes ordinaires , mais feulement fur un préjugé de ma per-
fonne ,un ouvrage, dontils avoientàpeine lûle tiers. (3)Toute
cette manœuvre a été conduite,à la follicitation de certains nou-
veaux Théologiens , quifoumettenttout à leur tribunal. Ilsfe
flatoient dès-lors qu'on rappelleroit un jour cette cenfure ,
îorfqu'il s'agiroit de me placer dans le pofte , où les gens de
bien me fouhaitoient. Le Roi prit d'abord ma défenfe , Iorf-
qu'il vit les courtifans déchaînez contre moi ; mais le temps
ayant paru calmer leur haine , Sa Majefté fe laiffa enfuite
gagner par leurs artifices.
C I ) Il entend fur-tout Villeroi Se-
crétaire d'Etat.
i 1 ) Cenfures d'Antoine Carracciolî ,
Clerc Régulier, & deGalpard Sciop-
fius.
( 3 ) Lorfqu'on cenfura à Rome fbn
Hil^oire , il en avoit paru d'autres édi-
tions , augmentées & corrigées. Les
Cenfeurs s'attachèrent à la première
édition.
DE J. A. DE THOU. 205-
On n'apprit pas plutôt à Rome que Sa Majefté fe réftoi-
dilToit peu à peu à mon cgard, qu'on y fongea à me por-
ter le dernier coup , après la mort des Cardinaux d'Oiîat &
Séraphin, avec qui j'avois eu d'étroites liailons, & après le
départ de l'illuftre du Perron. Il eût été facile d'aller au de-
vant 5 il ne falloit que faire fentir au Roi d'un feul mot, que
cette affaire le touchoit de près , aufli bien que l'honneur du
Royaume : mais il n'y eut pas un feul de ceux qui l'appro-
choient, qui voulût s'en charger. Je ne pouvois compter
fur l'appuy de perfonne à la Cour, qui étoit alors divifée
par les fadions : cependant comme le décret alloit être lâché
à Rome, Monfîeur de Villeroy manda à Chateauneufj qu'il
écriroit au nom de Sa Majefté au Cardinal Séraphin, qui
vivoit encore , pour lui recommander cette affaire. Chateau-
neuf me rafllira par ces nouvelles, % je crus n'avoir rien à
craindre pour le prefent : mais Monfîeur de Villeroy n'écri-
vit point.
Quelque tems après Monfîeur de Sillery m' ayant rapporté
par ordre du Roi des chofes fàcheufes , qu'on avoir dites à
Sa Majefté , & me laiffant comprendre qu'il n'avoir rien dit
pour ma défenfe, je vis bien qu'il ne m' avoir pas rendu le
fervice, que j'attendois d'un homme que j'avois regardé juf-
qu alors comme un ami. Je ne pus me contenir; je m'em-
portai avec aigreur contre l'ingratitude dufiécle, je me plai-
gnis de mon fort j je dis même alfez hautement que fi j'étois
né fujet du Roi d'Efpagne , il m'accorderoit l'appuy , qu'on
me refufoit en France. Je fus furpris de la froideur dédai-
gneufe du ChanceUer , ou de fa prudence timide î il falloit
ctre en effet bien dédaigneux , pour n'avoir pas feulement
lu la préface d'un livre , qui faifoit alors tant de bruit dans
le monde , & dont je lui avois fait prefent. S'il l'avoit lûë ,
il y auroit trouvé de quoi me défendre. Mais en fuppofant
qu'il l'avoit lûë , pourquoi ne prenoit-il pas mon parti ? Il
écouta trop la politique , en refufant d'employer fon crédit
à la défenfe d'un ami , dans une affaire qui intereflbit l'Etat,
Abandonné en France , je fuccombai facilement à Rome. Les:
deux motifs de ma condamnadon furent , que j'avois travaillé
à l'Edit de Nantes en faveur des Proteftans , & que j'avois
eu la hardiefle de défendre les droits du Royaume dans moi>
Ccij
!204 PIECES CONCERNANT rmSTOîRË
Hiftoire ; liberté toujours odieufe à la Cour de Rome.
Cette difgrace n'empêcha pas la Reine de m'employer à
l'ordinaire > elle fit même entendre à Monfieur de Harlay,
qui Favoit fait reiîbuvenir des fervices de mon père , qu'el-
le me procureroit un jour la place de premier Prelident ;
elle m'en fit affùrer pkifîeurs fois par le moyen de fon Tré-
forier, quime voyoit fecrettement, pour ne pas donner lieu
aux foupçons du Roi^ qui étoit naturellement défiant. Je ne
répondis rien à tant de marques de bonté, finonque Sa Ma-
jefté voulût bien ni avoir -pour recommandé '■, qu'elle difposât
ies chofes félon fa prudence , dans une affaire qui la regar-
doit, aulfi bien que l'Etat. Le Duc de Bouillon , la Comteffe
de Saulx , & plufieurs autres perfonnes , dont il feroit trop
îong de rapporter les noms, m'afïurerent la même chofe de
fa part. Cette Princelfoftut même la bonté de me faire aver-
tir ôiQS mauvais offices ^ qu'on nous rendoit à Moîifieur de
Harlay & à moi auprès du Roi ; elle fit dire en même temps
à mes ennemis , par Monfieur de Gefvres , qu'ils enflent à
fe taire , leur faifant entendre que leur conduite lui déplai-
foitî jufques là qu'elle les mena<ça de fa colère, s'ils conti-
nuoient a me défervir.
Sur ces entrefaites, le Roi fut malheureufement ailafTmé.
Confternés de ce coup imprévu, nous déclarâmes dans le
Parlement la Reine , régente du Royaume , perfuadés que
ie falut de l'Etat, & la conjondure des temps l'exigeoienr.
Xe Parlement opina à ce fujet avec une parfaite unanimité,& fit
paroître beaucoup de fermeté. Nous donnâmes les premiers
notre fuffrage , Monfieur de Harlay, & moi:, avec toute
la joye qui nous étoit permife dans de fi trifles circonftances.
Quatre jours après , étant allé rendre mes devoirs à la Reine,
elle me renvoya avec mille marques de bonté. Pour moi
qui ne fouhaitois pas tant la place de premier Prefident , que
de m'en rendre digne , 6c de donner des preuves de ma fi-
délité & de mon zélé pour l'Etat j je n'importunai pas da-
vantage Sa Majefté, & je me repofai entièrement fur les in-
tentions favorables qu'elle m'avoit témoignées. Je regardai
îe choix que je me flattois qu'elle feroit de moi, comme
un honneur, & comme une grâce capable de me dédommages:
de toutes les fatigues d'un fi pénible emploi. Mais cette Prin-
t)E J. A. DE THOU. 5o?
tefTe en a agi à mon égard comme le feu Roi. Je vais tâ^
cher de découvrir la caufe de ce changement.
On me reproche l'amitié du Prince de Condé , & l'ap^-
puy dont il m'a conftamment honoré dans cette affaire.
Avoués que je fuis bien malheureux, qu'amis ôc ennemis,
tout me nuife en cette occafion. Cependant cette amitié,
qui m'eft reprochée , n'a eu d'autre motif que l'intérêt de
TEtatj elle s'eft accrue dans le fein de la paix. Henri IV.
au milieu de fes victoires, après la prife de Paris, étant , pouc
ainlî dire, dans le célibat, ne penfant pas même encore fé-
rieufement à fe marier, comme les gens de bien le fouhai-
toient, manquoit d'héritiers pour alTùrer le repos de l'Etat.
Schomberg, à la follicitation de Claude de la Trimoûille,
oncle du Prince de Condé, & à la mienne, confeilla au
Roi de faire venir auprès de lui ce jeune Prince , alors âgé
de fept ans, qui étoit avec fa mère à S. Jean d'Angely en
Xaintonge, où fon père étoit mort. Le but de cette démar-
che étoit d'accoutumer les François à regarder ce Prince ,
dont l'âge ne pouvoit d'ailleurs être fufped au Roi, comme
l'héritier de la Couronne, en cas que Sa Majefté vînt à
mourir fans laiiTer d'enfans mâles.
Jean de Vivonne Marquis de Pifani, homme refpeâiable paf
fon rang & par fes vertus , fut envoyé , après l'heureufe ex-
pédition de Franche-Comté, pour retirer le Prince de Con-
dé des mains des Proteftans , avec ordre de l'am.ener à la
Cour. Il fut fait Gouverneur de ce Prince , qui eut , à notre
recommandation, pour précepteur Nicolas le Fevre, homme
d'une grande pureté de mœurs , & très-eftimable par fa
pieté & fa littérature. Le Roi combla dans la fuite le Prince
de tant de bienfaits,que fa dignité & fon état furent abfolument
fixés. Celui qui a été le mobile de toutes ces chofes , pour
le h(ien de l'Etat, doit-il être fufpeâ:, pour s'être attiré par
ce moyen l'amitié du Prince de Condé , qui croit lui en de-
voir quelque reconnoiffance ? Outre cela les derniers fervi-
ces qui ont ferré les nœuds de cette amitié , ont été des fer-
vices rendus à la Reine. Mais comme ce font des fecrets^
qu'il importe encore plus à Sa Majeflé qu'à moi de cacher
pour le prefent, je ne m'expliquerai pas davantage fur ce
fujet. Je veux feulement qu elle me foit témoin que je n'ay
Ce iij
2c5 PIECES CONCERNANT L'HîSTOÎPvE
rien fait fecretement pendant tout ce temps-là , que de fon
aveu, & par fes ordres.
Lorfque le Prince de Condé fut revenu des Pays-Bas , que
n ay~je pas fait pour le reconcilier avec la Reine , & pour
îe porter à lui complaire dans la vue du bien public ? Tout
le monde le fçait, & Sa Majefté ne l'ignore pas :il ne s'a-
giQbit alors ni de moi, ni de la charge de premier PreH-
dent, qu'on m'avoit promife. Bien éloigné de vouloir que
ma caufe fut mêlée avec les prétentions de ce Prince , je m'op-
pofai long-tems au deflein qu'il avoit de me comprendre dans
fes demandes : cependant il le fit. Ayant terminé fon affaire
moi-même avec la Reine, je ne voulus jamais qu'il fut fait,
aucune mention de moi dans l'accommodement : je me fla-
tois que fa Majefté feroit frappée de ma modération , qui
me portoit à choifir de tenir plutôt d'elle ce bienfait com-
me une grâce ( ainli que je le témoignai publiquement ) que
Il je l'euffe forcée à me l'accorder comme une condi-
tion, dans une affaire fi épineufe? ce qui m'étoit très-facile.
Mais je m'apperçois qu'on n'a plus d'égard à la modération
& à la fidélité 5 il n'y a plus de recompenfe à la Cour que
pour l'artifice & le menfonge î on ne s'y foûtient plus que
par une improbité effrontée. En fongeant à me retirer, ce
mot de Juvenal , cjuiâfaciam Remue ? mentiri nefciOj m'eft cent
fois venu à la mémoire.
Après qu'on eut terminé l'affaire du Prince de Condé , qui
fufpendoit ,difoit-on, les defleins de ceux qui gouvernoient
fous la Reine , ôc les délibérations férieufes de fon Confeil,
au lieu de payer, comme on le devoir, mes foins dans cette
négociation , je me vis aufiitot maltraité. Car quoique la
Reine fut bien fiàre que j'avois eu plus d'égard à fa dignité
& au repos de l'Etat y qu'à la faveur du Prince , mes enne-
mis , fâchés de voir qu'ils ne pouvoient me faire foupconner
de ce côté-là , s'aviferent de me noircir d'iui nouveau crime
auprès de fa Majefté.
Le Parlement donna alors un Arrêt fulminant contre le
livre du Cardinal Bellarmin (i) : on faifit cette occafion , ôc
(t) Sur la puifTance du Pape. L'auteur . qui eft aujourd'hui /îfflée dans toute rEu?
y donne au Pape un pouvoir indired fur j rope , excepté a la Cour de Rome,
le temporel des Rois. Opinion abfutdc , 1
D E J. A. D E T H O U. 207
quoique je n'euffe aucune part à l'Arrêt, puifque je n'y avois
pas aiïîfté , il y eut cependant des gens aflez malfaifans , pour
faire courir le bruit à Rome , que j'étois l'auteur de ces mou-
vemens j que l'Arrêt n'avoit été donné que fur mes avis , dans
la réfolution où l'on me fuppofoit , de chercher les moyens
de me venger du décret porté contre mon ouvrage, (i) Les
partifans de mon compétiteur (2) n'eurent pas honte d'in-
venter ces bruits calomnieux. Sentant bien qu'ils étoient in-
férieurs dans la concurrence par toute forte de côtés, ils fe
flaterent au moins de l'emporter par la calomnie fur moi,
qui ne m'attendois à rien moins, qui ne f<çavois pas y ré-
pondre par d'autres calomnies, 6c qui ne pouvois pourtant
les endurer.
Quoyque Monfieur de Villeroi ait écrit à ce fujet , au nom
du Roi & de la Reine , à Monfieur de Brèves Amballadeur
de France à Rome j & que le Nonce m'ait afluré qu'il en
avoit fait autant , cependant la Reine inquiète fur l'événe-
ment, & fe rebutant à la vue des difficultés, craignant d'ail-
leurs d'avoir d'autres affaires de cette efpece à démêler avec
la Cour de Rome , fit retomber fur moi la haine , que M. de
Harlay s'étoit attirée de la part de fa Majefté, par une grande
fermeté à défendre les droits de la Couronne. Mes ennemis qui
m'avoient déjà rendu fufped,à caufe de ma liaifon avec ce Ma-
giftrat, & de la conformité de nos fentimens dans les déli»
bérations, faifirent cette occafion, pour perfuader à la Reine
qui les écouta fans peine , qu'elle ne verroit jamais la fin de
ces fortes d'affaires , fi j'étois une fois à la tête du Parlement.
Quelque grofiiere que fat cette calomnie, elle produifit néan-
moins tout l'effet qu'en efperoient mes ennemis.
Dans le même temps , ceux qui m'avoient fait un crime de
l'amitié du Prince de Condé auprès de la Reine , remarquant
que le Prince s'étoit refroidi à mon égard, parce que je ne
plioispas toujours fous fes volontés, pouffèrent cette Princeffe,
qui balançoit encore , à nommer un autre que moi à la place
de premier Prefident, en faifant entendre à fa Majefté que
( i) On prcterdoit que le CardinalBcI-
larmin , qui étoit un des principaux de
rinquifition , avoit paru le plus ardent
pour la condamnation du livre de M. de
Thou. Le Mercure François de ce tems-
là le dit expreflement.
(2) Nicolas de Verdun PreaierPreH-
dcnt du Parlement de TcuJoufe.
2o8 PIECES CONCERNANT L'HÎSTOÎRE
îe refus qu'on me feroit eflliyer , ne toiicheroit pas beaucoup
le Prince de Coudé.
Voilà les artifices dont on s'eft fervi pour me chafler en
quelque forte du Parlement, &pourm'6ter toute efperance
du côté de la Cour. Si cette injure ne touchoit que moi,
j'y ferois moins fenfible , mais elle regarde aufli l'Etat. Car
enfin on n'a pu fans la dernière ingratitude , refufer à un hjon-
nête homme , qui a rendu des fervices confîderables au Roi
& au Royaume, & qui avoit donné à la Reine tant de preu-
ves de fa fidélité , une dignité qui lui étoit promife , & qui
d'ailleurs étoit due à fes travaux. Tout le monde doit ref-
fentir cette injuflice comme moi j ainfi vous voyez que,
mon injure eft celle de l'Etat. Elle efl devenue plus grande
par le parallèle de celui qu'on m'a préféré. C'efI: im homme
nouveau, avant qui plulieurs, qui me cédoient volontiers
cette place, dévoient paffer? un homme qui, potir ne rieii
dire de plus, eft inconnu à la Reine; un homme, dont la
faveur eft fondée fur l'injure d'autrui , & fur la chaleur de.
l'amitié indifcrete de quelques perfonnes ; im homme enfin qui
m'a fuppîanté par un trafic honteux^ après mille^ délais dont
on m'a amufé.
Mais fi l'on étoit dans le deffein de me refufer cette place ;
pourquoi ne pas me le déclarer d'abord f Uaftiont eût été
moins dur à digérer. Moi qui n'ay fait agir perfonne à la
Cour, qui ay remercié les Seigneurs qui s'otTroient à foliici-
ter en ma faveur, & qui ay laifte tout à la difpofition de la
Reine , ay-je mérité qu'on me jouât fi cruellement ? Eft-ce
là la recompenfe de ma modération, & de la probité, qui
a toujours été la régie de ma conduite ? Je ne fuis pas hom-
me à préférer la noblefte , les grandes alliances , ôc l'amitié des
Grands à la vertu > cependant je ne crois pas me rendre ridicu^
îe aux yeux des perfonnes fenfées, en difant qu'on devoit avoir
égard à tous ces avantages, qui d'ailleurs n'étoient pas fans
îe dernier. Car il n'eft pas douteux que fi le mérite d'un hom-
me de robe eft relevé par fa naiflànce , fa dignité en devient
plus refpedable : que fon autorité fi nécelTaire potir agir, s'aug-
mente par là , & que la vertu fi eftimable par elle-même ,
reçoit un nouveau iuftre de ces ornemens qui la parent. LaMa-
^iftrature demande une fortune honnête, un train modefte, dç
la
DE J. A. DE T H O a 2op
la gravité fans fafte. Une fierté au-defîus de la naiffance, une
dcpenfe excédant les revenus , l'envie effrénée de dominer,
ne conviennent point dans cette condition. Qu'eft-ce que ces
emprunts exhorbitans faits , à ce qu'on dit , pour le trafic hon-
teux y dont j'ai déjà parlé ? Je ne fçai fî la chofe eft vraye ,
ou non 5 je fçai feulement qu'on ne peut le dire fans révol-
ter le public. Je crois qu'il faut non feulement qu'un Ma-
giflrat foit irréprochable dans fa perfonne , mais encore qu'on
ne puiiîe rien reprocher à fa famille. Je ne puis fouffrir qu'il
foit joueur & débauché. Voilà ce qui fait que l'injure que
-j'ay reçue eft celle de l'Etat. Ne croyez pas que le chagrin
me failè parler '■> je ne fuis pas de ces hommes fuperbes , qui ne
fçauroient voir perfonne au-deflus d'eux. J'ai fouffert jufqu'ici
fans murmurer , qu'on me préférât d'autres Magiftrats , tels que
Jean Forget, homme d'un mérite diftingué , que depuis peu
la mort a enlevé, pour mon malheur & potu- celui de l'Etat*
Je n'aurois pas non plus trouvé mauvais qu'on m'eut préféré
Nicolas Potier , Antoine Seguier , Edouard Mole , Magiftrats
refpedables & fuis reproche. Enfin je me vois aujourd'hui
contraint de fortir d'un lieu^ où je ne fuis plus ce que j'ay
été , & où je ne fuis pas ce que je devrois être.
Je ferai mieux, dites-vous, à la Cour, où vous voulez
m'entraîner^comme fî je ne fçavois pas que tout n'y efl que va- .
nité & chimère (i). Voulez-vous que , comme l'Ixiondela
fable , je n'embraflè qu'un nuage ? Loin de moi tous ces vains
phantômes .' Je cherche une vertu folide, qui ne fe laifTe
|3oint tromper , & ne trompe point 5 qui aime la vérité , &
qui détcfle le menfonge. Voudriez-vous qu'un homme , qui
toute fa vie n'a fait autre chofe que refpecter les loi x, opi-
ner à fon rang, donner audience, fuivre les régies de la pro-
bité, & l'ordre en toutes chofeSj allât aujourd'hui fe con-
traindre, jufquà ne parler plus qu'au gré de la faveur, jus-
qu'à obferver les moindres moiivemens des autres, flater,
feindre de la joye ou de la triftelfe , & agir autrement qu'il
nevoudroit ? Enfin prétendez-vous que je pafle le refte de
mes jours dans le fein du menfonge, de la difllmulation ,
de la perfidie & de l'artifice ? Dieu , fans que je lui aye de-
tO L'auteur dit , §lnb me vocas ? ad chyriuras , phercydas , Harppas, Strygas , Me-
Jufas ?
Tome XV, Dd
^10 PIECES CONCERNANT L'HISTOIRE
mandé cette grâce , m'a accordé jufqu'ici une affez longue
vie 5 il a voulu , qu'ayant reçu une éducation noble , je quit-
taflfe la douceur d'un loifir honnête , pour pafler une partie de
ma vieillefle dans un honteux efclavage à la Cour. Mais de
quoi fuis-je capable ? Je connois mes forces, mon génie, mes
inclinations : en un mot, je me connois moi-même, ce que
bien peu fçavent faire. Si j'étois venu dans des temps plus
favorables , peut-être aurois-je été propre aux négociations j
aujourd'hui je ne me fens pas en état de fupporter la calom-
nie, la haine des grands, la décadence journalière de la fa-
veur, que fçais-je enfin , mille autres chagrins qu'il faut dévo-
rer à la Cour , quand on eft honnête homme. L'on vient de me
faire, dites-vous , l'un des trois Confeillers d'Etat au Confeil des
Finances. Vous me demandez avec étonnement , fi je fais peu
de cas d'une place (i fort recherchée , même de gens qui pré-
fument beaucoup de leur mérite & de leurs ferviccs ? Mais on
fongeoit déjà à me donner l'exclufion de la charge de Premier
Préfident, quand on me nomma pour cette place. Je m'excu-
fai de l'accepter , regardant un tel bienfait comme des pré-
fens d'ennemis , qui font de faux préfens. ( i )
Cependant j'obéis aux ordres de la Reine, pour ne pas
donner occafion à mes ennemis de me faire un crime de mon
refus auprès de Sa Majefté. Entre-nous, pourquoi me confier
i'adminiftration des Einances ii je fuis fufped pour tout autre
emploi ? Je ferai donc réduit à paifer ma vie à faire des comp-
tes, & à mourir dans cet exercice ? Auroit-on jamais cru que
de Thou , nourri dès l'enfance dans l'étude des Lettres, lui
que les Courtifans , dans les ruelles , appelloient par raillerie le
Philofophe , nom honorable , dut dans un âge avancé , pafler
des nobles fondions de la Magiftrature à un métier de Finan-
cier ? Telle eft ma fituation , que ce qui eft regardé comme
une recompenfe & un grand honneur pour d'aiures, ne fert
qu'à m'himiilier & à m' avilir.
Enfin je le répète , le chemin des honneurs eft déformais
fermé poiu' moi à la Cour , comme il l'eft dans le Parlement.
La Reine a les mêmes raifons de m'éloigner de la faveur ,
qu elle a eues pour me refufer la place que je demandois. Elle
eft prévenue contre moi , par certaines gens à qui notre im-
(i) M. de Thou fe fcrt en cet endroit de cette exprefllon Greque , i^J?^" »S«D^a è&^cc.
DE J. A. DE T HO U. air
prudence ou notre lâcheté laifTent renouveller dans le Roïau-
me le nom odieux defadion, &refufcicent,pourain(i-dire,
les partis dangereux des politiques & deszelez. Leur but,
après avoir divifé les Catholiques, eft d'élever aux honneurs
les féditieux qui leur font dévoués î de rendre fufpeds les
gens de bien qui aiment la paix , & de les obliger à mener
une vie privée. Perfonne n'a le pouvoir qu'ils ont à la Cour
& dans les Villes? les Gouvernemens, les Lieutenances de
Roi, les Charges de judicature & toutes les faveurs de la
Cour fe donnent à leur feule recommandation. Perfonne à
préfent , quelque foit fon attachement à la reHgion Catholi-
que , n'eft tranquille & en fureté à l'abri de fon innocence, <5c
n'a part aux emplois , s'il ne prend parti. Il ne peut s'élever
autrement que par la brigue des zelez.
Je fçay que Monfieur de Villeroy m'a juré plufieurs fois
que ni le Pape , ni le Nonce, ni aucun de ceux dont je viens
de parler , n'étoient entrez pour rien dans mon affaire : Qu'il
vouloir que lui & tous ceux qui ont part au Gouvernement de
la Régence , fuiîent regardez de moi & de tous ceux qui n'a-
voient en vue que le bien de l'Etat , comme des fcelérats ,
des infâmes , & des ennemis du nom François , (î l'on trouvoit
que l'on eût eu le moindre égard à la recommandaricn d'au-
cun parti dans le choix des Magiftrats. Cependant lorfque j'ay
voulu approfondir lachofe, je n'ay pu en tirer d'autre rai-
fon , ni moi-même en trouver une autre que celle que j'ay
dite. Je veux bien néanmoins le croire fur l'afflirance d'un tel
perfonnage ; mais ceux qui ont un intérêt pubhc de bien
penfer de ces fortes de chofes, ont de la peine à fe le per-
fuader ; car on dit communément , en confequence du refus
que j'ay elTuyé, & du choix de mon concurrent ^ qu'on tra-
vaille ouvertement à donner toute l'autorité aux zelez , & à
écarter des emplois j ceux qu'on appelle politiques : Que par
cette raifon , après la retraite de Monfieur de Harlay , & l'in-
digne refus dont je me plains, l'affaire des nouveaux Théo-
logiens ( I ) qui avoir été fufpenduë en leur faveur , lorfque
l'Univerfité de Paris fe porta partie contre eux , étant aujour-^
d'hui il bien appuyée à la Cour , fe pourfjivoit à leur avan-
tage : qu'on parle déjà par tout de la pubhcation du concile
[i] C'ell-à-dire, des Jefuites.
. Ddij
212
PIECES CONCERNANT L'HISTOIRE
de Trente , qui fera d'un grand poids , pour établir l'auto-
rité du Pape dans le Royaume ( fur tout pendant la minorité
du Roi ) & pour diminuer l'autorité royale : Que c'étoit par
ces fouterrains que le Royaume avoir été ébranlé , & enfin
renverfé fous le règne de Henry III. qui forcé d abandonner
la capitale de fes Etats, prit le parti du défefpoir, à la vue
des complots de fes fujets rebelles , & périt enfin par la main
d'un infâme aflailni : Qu'on s'étoit fervi des mêmes artifices
& de pareilles armes , pour attaquer Henry IV. légitime hé-
ritier de la Couronne : Que ce Prince qui a mérité le furnoni
de Grand , après avoir calmé les troubles de la France & s'ê-
tre rendu formidable à toute l'Europe , n'avoir pu empêcher
par toutes fes vidoires qu'on ne rafialîmât lui-même , & qu'il
ne reftât encore après fa mort des gens , qui n'ont point chan-
^gé de fentiment , lors même que les temps font changés , &
qui ne ceflent de jetter des femences de divifion pour trou-
bler le repos de l'Etat.
Vous n'ignorez pas que tout cela fe dit. Si ces bruits ne
font pas fans fondement , vous comprenez que cela ne me re-
garde pas en particulier , mais toute la République , qui ne
peut être long-temps en fîireté dans ces circonftances. Si-
ces bruits font faux, comme je le fouhaite, & même com-
me je me le perfuade , cependant comme on les répand, 6c
qu'ils trouvent créance dans l'efprit de plufieurs perfonnes,
n'avoùerez-vous pas que ceux qui ont confeillé à la Reine de
me préférer un inconnu, pendant que tout le monde eût ap-
plaudi au choix qu'elle eût fait de ma perfonne , ont com-
mis une grande faute ?
Le parallèle de mon concurrent avec moi, ou la haine^
qu'on a conçue pour lui , a fait naître de funefles foupçons ( i),
dont l'imprefiion eft fi forte dans les efprits, qu'ils n'en peu-
vent être effacez que par la ruine entière de l'Etat. Il eft aifé
de juger par-là que l'injure qu'on m'a faite eft tellement liée
à celle de l'Etat , qu'elles font abfoliiment inféparables. Du
moins, fi la Reine, après im traitement fi indigne m'eût don-
né en pubhc, ou autrement, quelques marques de bienveil-
lance , cela m'eût confolé. Je pouvois pallier devant mes amis
(i ) Nicolas de VerJun fe comporta | dans fa charge, & fit paroître beaucoup
néanmoins avec beaucoup d'honneur i de fermeté. ' V. le Valîlr.
DE J. A. DE THOU. 213
ïin affront j qu'on peint chaque jour avec des couleurs plus
odieufes 5 j'aurois quelque efpérance de dilTiper les foupçons
que les fadieux ont donné de moi à Sa Majefté & à d'autres
peribnnes 5 mais voyant qu'on ne m'a payé que deparoies, après
une injuftice de cette nature , & que rien ne flate mes efpé-
rances , ni pour le préfent ni pour l'avenir , il ne me refte plus
qu'à dire adieu à la fortune , Spes &fortuna vakte y vos alias
j)ofthachidificate animas. {i) Le feul parti que j'ai à prendre eft de
mener déformais une vie privée , puifqu'on me croit inutile ou
fufped par rapport aux emplois publics , & avant que la vi^il-
kfiefe foit appefantie fur moi, de chercherim fur azile dans"
tétude , que j'ay quittée dans ma jeunelfe , pour fervir l'Etat.
Voilà mes raifonsjettées furie papier fans ordre, comme
liia douleur me la pu permettre j je verfe mes chagrins dans le
fein d'un ami tendre : Examinés avec les yeux de l'amitié &
de la prudence tous ces motifs. Déterminez vons-même ce
que je dois faire dans la fuite ; car j'ay réfolu de m'en rappor-
ter plutôt à vosconfeils & à ceux de mes amis, qu'à mes pro-
pres idées y afin d'avoir du moins la confolation de pouvoir
dire que jen'ayrien fait, que guidé par vos lumières & par-
celles des perfonnes qui me font attachées, s'il m'arrive d'é-
prouver une troifîéme fois l'inconftance de la fortune , qui m'a
il fouvent pourfuivi avec tant d'opiniâtreté. Je ne veux rien
entreprendre par moi-même , de peur que fi je venois
à échouer ^ on ne me crût digne de mon malheur, pour avoir
ofé m'expofer une troilléme fois dans un temps fi orageux.
Adieu, Monfieiu-, foit que j'exerce mon emploi à la Cour
avec vous, foit que des raifons particulières me retienneAt'
dans ma maifon , confervez-moi toujours votre amitié.
De Villebon le dernier X A. D e T h o lv-
jour de Mars 1611.
Lettre de Monfeigneur le Cardinal de Joyeufe, à Monfieur le
Prefident de Thou,
M
O N s r E u R. Ayant appris depuis mon defpart de la Jj.,q^j,^^ ^ ç
Cour le fuccés de l'affaire dont nous avons fouvent leManufoiï,
s à qui vc
D d iij
(i) C'eft-à-dire ; Adieu efpérance & fortune j cherchez en d'autres à qui vous faf-
i)€Z. déformais illuiîon.
21^ PIECES CONCERNANT rHîSTOIRÏÏ
parlé , j'en ay le reflentiment ôc defplaifir pareil à raffediolt
que j'ay tousjours eue à voftre particulier contentement , ôc
au bien que je m'en promettois pour le public. Mais puis-
qu'il a pieu à Dieu en difpofer ainlî , ce n'eft pas à vous qui!
faut apprendre comme nous devons nous conformer à fa vo-
lonté , & ne perdre point courage de fervir le public , lequel
connoiftra tousjours par vos juftes & fages deportemens qu'il
y a plus perdu que vous , qui avez été porté à cette affaire
plus par le delîr d'autruy, que par voftre propre mouvement
ou intérêt particulier. Les exemples fî fréquents de tant d'ex-
cellens perfonnages , qui ont efté exclus des charges aufquel-
les leurs mérites les appelloient , & la façon dont ils fe font
comportez en tels accidens, il les faut prendre de vous. C'eft
pourquoy je ne feray que vous alfeurer de la continuation
de mon affedion particulière à vous honorer & fervir , n'ayant
point voulu m' engager plus avant en mon voyage , fans vous
en rafraifchir la mémoire, & vous tefmoigner le defir que
j'ay de mériter la confervation de vos bonnes grâces , auf-
quelles je me recommande d'auffi bon cœur que je prie Dieu ,
Monfieur, vous donner longue & heureufe vie.
De Marfeille le 25 Voftre très affedionné Coufîiî
Avril 16 II, à vous fervir.
Le Cardinal de Joyeuse,
Lettre d'Ifaac Cafauhoriy à Jac. Aug, deThou,
Tradiiîte du TV ^ O N S I E u R. Quoique l'attachement que f ay pour xo-.
Latin, & tirée X ▼ A^^^ pcrfomie y m'ait fait reflentir très-vivement l'in-
tm. \f^^câ- juflice qu'on vous a faite , en vous refufant une dignité qui
jAub. Ad Rot, étoit due à vos fervices, & à laquelle la voix de tous les
470^. p.jsi- gçj-j5 (J[g \)iQn vous élevoit, après néanmoins y avoir fait une
mûre réflexion , j'ai penfé que ce refus vous étoit très-avan-
tageux , & que , comme dit un ancien , la fortune nous vou-
loit quelquefois plus de bien que nous ne nous en voulions
nous-mêmes. J'avoue qu'il eft fâcheux de fe voir déchu de
fes efperances , fur tout lorfqu'on ne s'eft point flatté par une
lotte préfomption, mais qu'on s'eft fondé fur fes fervices , 6c
fur les promelfes réitérées de ceux qui ont le pouvoir de ne
D E J. A. D E T H O U. 21^
pas manquer de parole à un homme refpedable par fa di-
gnité & par fon mérite perfonnel. Vous n'ignorez pas, Mon-
iteur , que tel eft le fort des chofes humaines , que fouvent
elles tournent autrement que nous ne l'avons prévu , & que
nous n'avions pii même le prévoir , & que nous fommes en
cela les dupes de notre prudence & de nos vues les plus
fùres. C'eft ce qui arrive tous les jours dans les affaires de
la vie , & fur tout par rapport aux honneurs , dont les Cour-
tifans, qui gouvernent ordinairement les Princes, difpofent
bien plus abfolument que les Princes mêmes. Ainfi comme
perfonne ne doit être étonné , fur tout aujourd'hui , de voir
un goujat, un marmiton, & même im M. (1) &un Archim.
élevez à une très-haute fortune , jufqu'à être Gouverneur de
Provinces î on ne doit pas non plus être furpris que la porte
des honneurs foit fermée aux gens de bien Ôc aux fcavans,
& que ce qui leur étoit dû , foit accordé à des hommes in-
dignes. Pourquoi nous plaindre ? De quoi fommes-nous fur-
pris ? Nous ne fommes au monde que pour voir ces défor-
dres , qui fe renouvelleront fans celle , & aufquels on ne pour-
ra jamais remédier. Croyez-moi , Monfieur , fupportons avec
patience ce qui eft inévitable ? mais en même tems admirons
en cela la Providence divine, comme il eftjufte. Quoique
tout paroifte ici bas gouverné par une fortune aveugle , c'eft .
Dieu néanmoins qui conduit toutj il a prévu tout ce qui ar-
rive , & il l'a réfolu dans fa fagefle profonde & éternelle.
Nous ne devons donc pas tellement nous élever contre les
pratiques pernicieufes des méchans , que nous ne nous con-
formions à la volonté fuprême de celui qui fait tout pour le
plus grand bien , & que nous n'adorions fes jugemens im-
pénétrables. Vous, Monfieiu-, à qui le Ciel a donné en par-
tage tant de rares qualitez ( biens ineftimables que l'on ne
peut vous enlever ) fi fans avoir égard aux intérêts de la Répu-
blique , vous ne faites attention qu'à vos intérêts particuliers ,
& au goût que vous avez pour 1 étude , vous verrez , fi je
ne me trompe , que vous avez plus fujet de vous réjouir
que de vous aftliger de la conduite qu'on a tenue à votre
égard. Si vous aviez été revêtu de la charge dont il s'agit 3
eulfiez-vous eu un moment de repos & de loifîr f Cette ef-
(i) Il y a dans le Latin , Lenonem , vel etiam Archilmonem,
2.l6
PIECES CONCERNANT LMSTOIHE
pece'de gens qui vous hait mortellement, à caufe de votre
pietc, de votre probité, & de votre amour pour la vérité,
n'aurojt-elle pas fait tous fes efforts pour vous chagriner &
vous tourmenter dans cette place f Vous auroient-ils laifféla
liberté de faire votre charge , fuivant votre confcience , eux
qui ont formé le delfein , à quelque prix que ce foit , de per-
dre tous ceux qui s'oppofent à leurs déteftables projets? J'en
parle même avec d'autant plus d'affùrance , que j'ai lu nou-
vellement plufieurs de leurs livres, infedés d'une dodrine
infernale. Je me rappelle avec horreur les blafphemes que
j'ai lus , blafphemes que l'on donne dans ces ouvrages , com-
me des dogmes de foi. Leur audace & letu: fureur , encou-
ragées par le fuccès, s'accroident chaque jour. C'eft cette
dodrine impie qui nous a enlevé depuis peu un grand Roi ( i ),
Elle a trouvé néanmoins des protedeurs dans cette même
ville, ou cet exécrable meurtre a été commis. Ceux qui gou-
vernent en Prance, condamnent pour la forme le livre du
Jefuite Mariana 5 & cependant ils foûtiennent, ils juâifient, ils
louent les autres gens de cette efpece, qui enfeignent pu-
bliquement à être parjure, traître, rebelle, & parricide. O
tems, ô mœurs ! Un honnête homme peut-il fouhaiter d'être
à. la tête d\m corps qui eft forcé de fouffrir & de diffimuler
-ces abominations .? On dit que Platon avoit coutume de ré-
:pondre ainfi à ceux qui lui reprochoient de ne fe point mê-
ler des affaires de la Republique. » J'ai pris cette réfolution,
» difoit-il, depuis que j'ai vu que la RépubHque fe gouver-
x noit par des maximes que je ne puis goûter , & qui font
25 contraires à mes principes. ^ En etfet le moyen de lutter
éternellement contre un torrent impétueux , en danger
d'être tôt ou tard entraîné ? Je vous prierois, Monfîeur, de
,vous rappeller ces maximes & ces exemples, fi, comme il
eft arrivé à plufieurs grands hommes, vous aviez entièrement
renoncé au foin des affaires publiques. Mais à quoi bon tout
ce que j'ai l'honneur de vous écrire .? Si ce qu'on me dit eft
vrai , vous n'avez été abbaifle que pour être plus élevé (2) ,
(i) Henri IV. afTaffiné par un mife-
rable, à qui certains Moines avoient
tourné la tétc dans le ConfeAlonal. V.
IcSuppl. deRigault, Liv. III.
(2) II entend fans cloute cette admi-
niilration des Finances , qui fut donnée
à de Thou, comme pour le dédommager.
DE J. A. DE TH ou. 217
& vos aflfakes font en meilleur état , que fi elles euûent tour-
né autrement, je le fouhaite, & je prie Dieu que celafoit;
Depuis quatre jours j'ai reçu vos deux lettres. J'en ai en-
voyé une au Roi, avec une lettre de ma part, où je lui ai
peint votre probité. Le Chevalier Cotton continue de tra-
vailler aux mémoires qui vous doivent être envoyez. Je ne
vous manderai rien aujourd'hui fur ce qui me concerne en
particulier 5 ma femme que vous verrez , s'il plaît à Dieu ,
bientôt à Paris, aura l'honneur de vous en entretenir. A
Londres le 21 d'Avril 1611.
Lettre de Jacques Augujîe de Thon , à Ifaac Cafaubon.
MONSIEUR. J'ay receu la voftre du 20 du paffé. Je imprimée fur
ne fçaurois vous allez remercier du conjoye & reiïen- ^^ Manufcnç.
timent que vous monftrez par icelle à voir ce qui me tou-
che. Si ce refus ne regardoit que mon injure privée , & ne
s'eftendoit jufques au public , je n'en eulfe receu fi grand def-
plaifir que j'ai fait. Vous me connoilTez aliéné d'ambition &
d'avarice , plus porté au repos qu'au travail d'une fi pénible
charge, joint les raifons defduites fi élégamment par voftre
Lettre, laquelle je confefTe en cette douleur publique, m'a
plus apporté de confolation , que toutes les fumées & offres
labiales, que nous difons vulgairement, de tous nos Cour-
tifans. Car je ne fuis homme qui me repaiffe de ventueufes
efperances. Si l'on me veut permettre de me retirer , & vi-
vre privé chez moy, hors d'injures , l'on ne me fçauroit don-
ner recompenfe qui me puifle tant contenter. Enfin je fuis
lefolu de fuivre celuy , qui par voyes infcrutables aux
hommes, conduit les affaires des hommes, & gouverne tout
l'univers. Je fuis icy en ma maifon , me préparant à cet hon-
nefte loifir avec tout contentement, finon en tant que je fuis
privé de voftre douce & erudite compagnie , qui me fait vous
liipplier de toute affedion de m'efcrire à toutes occafions &
bien au long. Car vos plus longues Lettres me font les plus
agréables. Le bon homme Monfieur le Febvre eft malade
avec péril. Quelle afflidion à moy , en l'eftat où je me retrou-
ve maintenant, s'il plaifoit à Dieu nous l'ofter, vous ab-
fent ! Je me penferois merveilleufement deflaifle : mais il
taut remettre le tout à la bonté &: providence du tout*,
Tq me XK Lç
2i8 PIECES CONCERNANT UHISTOIRE
puiflant , lequel ne deflailTe jamais les Tiens.
J'attends ce qu'il plaira au fereniiTime Roy de la Grande
Bretagne de m'envoyer, & par voftre advis feray tout ce que
je pourray pour donner contentement à S. M. J'auray auffi
foin de ce qui vous touche. Je crois que voftre nepveu vous
aura mandé que j'ay retiré les clefs , d'autant que l'on m'a-
voit averti de la Cour^ qu'il y avoir des importuns aprez ,
que j'ay deftourné par ce moyen. Vous retrouverez tout en
fon eftat priftin, quand vous ferez pour revenir, & devez par
toutes les voftres qu'efcrivez aux uns & aux autres, princi-
palement à nos Grands de Cour, donner efperance de voftre
retour , afin que reteniez par ce moyen ce qu'avez laifle icy.
Commandez moy , & vous fervez de moy. Ma femme vous
baife les mains. J'efpere que nous verrons bientoft Made-
moifelle voftre femme en bonne fanté. Je fupplie en cet en-
droit noftre Seigneur, Monsieur, vous donner en fanté fa grâce.
De Vtllebon ce 7 Voftre bien humble & très
Mai 1(5 II affedionné ferviteur. De Thou.
Lettre de Monfeigneur le Cardinal de Joyeufe , à Al, le Prejl-
dent de Thou,
împnméefur TiyTONSiEUR. La comioiflance que l'on a de voftre
le Manufcrk. j[ V |^ vertu , fera tousjours juger avec quelle intention vous
avez defiré les charges , & les moyens que vous avez tenus
pour y parvenir j lefquels étant efloignez de ceux qui font
les plus pratiquez en ce fiecle , on déplorera pluftoft le mal-
heur public que l'on blafmera vos defportemens , defquels
il me femble que vos amis ont avecque vous autant de fu-
jet d'eftre contens que fi les affaires euftent eu un bon fuc-
cés , fingulierement de la refolution que vous prenez de ne
vous efloigner point des aftaires 5 lefquelles encore qu'elles
foient auffi efpineufes , que le repos feroit doux à une per-
fonne qui en fiçauroit fi bien ufer comme vous , j'efpere néan-
moins que le contentement que vous recevrez de fervir
au public par vos travaux , mais plus encore par l'exemple de
voftre intégrité & innocence , recompenfera la douceur de
la vie privée. Quelque refolution que vous y preniez , je
vous prierai de croire que je correfpondray à voftre amitié
avec la mefine fmcerité ôc entière affedion que j'ay tousjours
DE J. A. DE T HO U 2ï<? i
eue à vous honorer & fervir , & à mériter la confervation ;
de vos bonnes grâces, auxquelles je me recommande d'aulll
bon cœur, que je prie Dieu, Monfieur, vous donner longue !
& heureufe vie. j
De Rome ce 24- Voftre très affedionné Coufin '
Juin i^ii à vous fervir, <
LE Cardinal de Joyeuse, i
\
Lettre écrite par Monfeigneur le Cardmal de Joyeufe à Mori' \
Jienr &• à Madame de Thou j quelques heures avant que ds
mourir. i
MONSIEUR & Madame. Comme durant ma vie je n'ay imprimée fuc 1
rien tant chery & honoré que vous , la quittant je vous ^<^ Manufcm* '
en ay voulu donner encore ce dernier tefmoignage , & vous j
apporter de plus parniy le defplaifir que je fçay que vous ref- '
fentirez de mon deceds , cette particulière confolation , que
ayant pieu à Dieu m'affifter de fa divine bonté , il m'a don- -{
né le loifir de le reconnoiftre , & me jetter aiLx pieds de fa :
mifericorde, pour luy confefler mes fautes, & luy en de- ^ j
mander très humble pardon. Tellement qu'ayant fait tout \
ce que j'ay peu penfer eftre du bien & falut de mon ame ,
je parts de ce monde avec beaucoup de contentement, ayant
receu les facrements de la làinde Eglife , & m'eftant refigné
entièrement entre les mains de Dieu , avec beaucoup d'ef-
perance que j'ay qu'il me recevra en fon paradis. J'eulTe bien \
déliré avant que mourir d'avoir cet honneur & cette fatis- \
fadion de vous voir , pour vous donner & à Mademoifelle \
& à Meffieurs vos enfans la fainde benedidion de N. S.'
Mais m'en voyant hors de moyen, j'ay prié le R. Père de \
Lingendes Redeur des Jefuites de cette ville , entre les mains \ |
duquel j'ay remis ma confcience, de la recevoir de voftre '
part, & il m'a promis de la vous rendre de la mienne , priant \
Dieu qu'elle vous apporte toute forte de bien & de profperité. |
Et bien qu'ayant la connoiffance que j'ay de voftre bon naturel, '
je foye alfeuré qu'il foit inutile de vous recommander l'amour \
& la crainte de Dieu, & de vivre tousjours en la mefme |
amitié & bonne intelligence que vous avez fait jufques à pre- {
fent, il eft-ce que j'ay penfé que vous prendriez en bonne \
part que je vous en conjure pour l'amour de Dieu ^ ôcpout \
Ee jj
s:2ô PIECES CONCERNANT L'HISTOIRE
celle que vous m'avez tousjours fait l'honneur de me tefmoî-i
gner > après quoy il me femble que vous ne devez rien tant
avoir devant les yeux que le fervice de leurs Majeftés , vous
exhortant & vous fuppliant, autant que je dois, & qu'il eft
en ma puiflance, de ne vous en départir jamais pour quel-
que confideration que ce foit. Quant à ce qui eft de mon
Teftamentôc de ma dernière difpofition, je vous fupplie très
îiumblement de l'avoir agréable, & la mettre à exécution le
pluftoft que vous pourrez ; & outre le particulier foin que j'ay
eu de mes ferviteurs que vous y trouverez nommez, je de-
fire que vous leur fafllez le bien de les aflifter de voftre fa-
veur, & que vous les ayez tousjours en voftre proteûion.
Vous voulant bien de plus recommander particulièrement les
Protonotaires qui font en mon fervice, afin que fuivant les
bons & agréables fervices qu'ils m'ont rendus, ilvousplaife
leur defpartir ce qui eft de voftre audorité aux occafions qu'ils
en auront befoing , & à tous mes autres domeftiques. La par-
ticulière affedion que j'ay tousjours reconnu que le fîeur d' Or-
fan a portée à tous ceux de noftre maifon , & principalement
encore à moy, fait que je vous fupplie très volontiers de luy
faire l'honneur de l'aimer & de l'avoir en voftre protedion :
laquelle je vous demande encore pour le Sieur de Conco-
celles, qui eft un fort honnefte gentilhomme du Vivarais,
lequel ayant trouvé tousjours porté de beaucoup d'affedion en
mon endroit , ôc.eftant perfonne qui vous peut rendre fervice,
je vous prie de l'aimer & le protéger en ce qu'il vous en re-
querra. J'adjoufteray encore à ces deux le feigneur Angelo Ba-
doaro , qui eft un gentilhomme Vénitien , que vous avez veu
Ambaftadeur à Paris 5 lequel ayant tousjours fort aimé , je l'ay
jugé digne d'eftre protégé de vous en {es affaires , pour eftre
homme de confideration & de beaucoup de mérite. Refte main-
tenant que je vous demande très inftamment, comme, je fais,
les derniers offices qu'on doit efpercr des parens & amis qui ref-
tent en ce monde , qui eft de faire prier Dieu pour le falut de
mon ame 5 & vous diîant adieu pour la dernière fois , je le fup-
plieray qu'il vous donne , Monfieur & Madame toute forte de
bien & de profperité , & fa fainte grâce.
D'Avignon ce 25 Voftre très himible ferviteur;
D'Aouftidij, Le Cardinal de Joyeuse.
DE J. A. DE THOU. 221^
JUGEMENT
D E
JACQUES PREMIER
ROI DE LA GRANDE BRETAGNE.
SUR L'HISTOIRE
DE i
J A C QJJ ES AUGUSTE
DE THOU.
Lettre de Jacques-Augufte de Thou, à Jacques premier ^ Roi de
la Grande Bretagne.
SIRE. Vous ferez peut-ctre furpris de la hardiefle que Traduite Jii
je prens , de vous détourner de vos grandes occupa- Latin fur le
tions , n'ayant pas l'honneur d'être connu de votre Ma- ^anufcm.
jefté j mais le bruit de vos vertus , dont l'éclat eft auiïî
vif que celui d'un folejl levant ( i ) j l'amitié qui vous lie
avec mon Roi , l'étroite alliance de l'Angleterre avec la Fran-
ce , votre amour pour les lettres , & pour ceux qui les culti-
vent, m'ont fait prendre la liberté d'approcher de votre au-
gufte trône. J'ofeme flater que vous voudrez bien recevoir
avec cette bonté j que vous témoignez à tout le monde , ce
fruit de mes travaux , tel qu'il eft. J'ai prié M. le Comte de
Beaumont , mon parent , Ambafladeur de France en votre.
(i) Jacques I. n'étoit fur le trône que depuis neuf mois.
E e ij j
2^2 PIECES CONCEPvNANT L'HISTOIRE
Cour , de vouloir bien preTenter mon livre à votre Ma-
jeû.é. Je ne fais pas cette démarche fans la participation du
Roi mon maître j qui m'a confeillé & même ordonné de vous
(Envoyer mon ouvrage. Sa Majefté a ajouté , que j'aurois du
vous dédier une Hiftoire de cette importance , lî je ne la lui
avois pas dédiée à elle-même.
Votre Majefté y trouvera un grand nombre de belles ac-
tions des François & des Anglois j mais elle y en verra un plus
grand nombre de mauvaifes. J'y ay inféré plufieurs exemples
des fages préceptes, que vous avez tracés dans votre livre
d'or (i) ; ouvrage qui paflera à la dernière pofterité. Je n'en
dirai pas d'avantage au fujet du mien. Vous examinerez le refte
avec la prudence & la pénétration que vous pofledez aufuprê-
me degré. Je prie la divine bonté de conferver long- temps
notre grand Monarque , & votre Majefté , pour le bonheur de
la France , de la Grande Bretagne & du monde Chrétien. Je
îa conjure d'infpirer à vosMajeftezla volontés le defirhu-
cere de travailler de concert à la paix de l'Eglife , comme il
lui a plu de refterrer les nœuds de votre alliance réciproque par
des fervices mutuels, afin que vos Majeftez ne paroiflent pas
avoir eu plus en vue d'aftlirer leurs frontières par la paix , que
l'augmentation de la gloire de Dieu. Daignez m'honorer ,
Sire, de cette bienveillance , que vous accordez à tous ceux
qui ont pour vous des fentimens d'amour ôc de vénération.
A Paris, le 3 1 Décembre 1^03.
Lettre de Chrifîophle de Harlay , Comte de Beaumont , j^mbaffa-'
deur de Fr-ance en Angleterre , à Jacques-Augujîe deThou.
Im^imée fur TV JT Q N S I E u R. J'ay prefenté voftre lettre , avec voftre
j[ V X livre au Roy , qui en a faid une telle eftime en ma
préfence , & depuis en public en a parlé il dignement , que
certes vous avez occafion d'en eftre fort content, & de vous
confoler & fortifier par fon tefmoignage contre l'envie & la
calomnie , defquelles j'entends que vous eftes aflailli de beau-
coup d'endroits. Il m'a promis de refpondre à voftre lettre ,
dont le ftile lui a pieu extrêmement. Il a leu celle que vous
(\)\TXl\t\.\\LBi!iJiliconDorony z'tH-l-^iiQ , prcfent royal.
DE J. A. DE THOU; û^l |
faites à fa Majefté, & m'a dit que c'eftoit une des belles pie- ' !
ces qu'il eut jamais vues en toute l'antiquité 5 & certes tant j
plus que je la lis, tant plus je l'admire. Magnum opus ctggref- '
fus es , aufli digne de la liberté de voftre courage 3 qu'indigne \
en eil: la iërvitude du fiecle oti nous femmes. Je penfe que 1
vous ferez bien pour quelque temps de furfeoir à imprimer S
jufques à l'année xcîcar je craindrois que vous ne pulliésre- j
lifter aux oppofitions de ceux qui ont regret de voir leurs pc- |
res notés. Ce prince envoyé dans peu de jours un gentilhom- \
me vifiter laMajefté, fur la mort de Madame de Bar. Si je
puis, je feray qu'il vous ira remercier enfon nom, & vous J
portera de fes lettres : & fur cela , après vous avoir baifé très
humblement les mains , je prieray Dieu , Monfieur , qu'il vous '■
donne en fanté heureufe & longue vie. 1
1
'\
De Londres ce 10 Voftre très humble Neveu
MarsiC^o^f.. & Serviteur^ De Harlay. "
Lettre de Jacques I. Roy de la Grande Bretagne , à Jacques^ ]
Augujîe de Thou. ^
MONSIEUR le Prefident. Nous vous remercions très imprimée fut |
affedueufement des lettres que nous avez efcrites , & ^^ Mamifcrk, j
du livre que nous avez envoyé , drefle par voftre labeur ; tant ^
par l'offerte de celuy-cy , comme par le tefmoignage de cel-
les-là. Vous nous faites paroître le refped & la bonne vo- ;
lonté que vous nous portez , lefquels nous recueillons & re- ;
cognoiflbns de pareille affedion ; & prenons en très bonne i
part l'exhortation que d'un cœur rond nous avez voulu faire 1
d'embraffer & nous employer à l'union de l'Eglife , par l'é- :
clairciflement & compofition des différents qui régnent en la
Religion. A quoi nous vous pouvons affeurcr que nous fom- )
mes & ferons toujours de noftre part non feulement difpo- i
fés , mais tres-affedionnés > & apporterons en toute occafion \
à une fi bonne œuvre tout ce qui dépendra de nous : n'ayans
jamais , Dieu merci, efté d'humeur fedaire , ni reftifs au bien ■
de la Chreftienté h & defirerions que tous princes & poten- ;
tats fuffent touchés d'une mefme inclination & defir en ceft i.
endroit que nous fommes,pour acheminer ôc mener une œuvre ;
Z2^ PIECES CONCERNANT L'HISTOIRE
fi digne & importante à quelque bonne conclufion , au fou-
las ôc repos univerfel de la Chreftienté 5 & convertir unanime-
ment nos différents contre l'ennemi commun. Pour voftre li-
vre , bien que nous n'ayons pas eu le loifir de le reconnoiftre
encores qu'à demi j & bien légèrement , nous y avons toutes-
fois allez recognu votre fuffifance , & y avons goufté du plai-
fir & contentement , tant pour l'amour du ftile que de la ma-
tière , ainfi que Monfieur rAmbalTadeur vous pourra tefmoi--
gner , auquel nous avons ingenuement déclaré fur la ledure
d'iceluy , le jugement que nous en faifions : & n'y a rien qui
nous ait plus contenté que de vous y recognoiftre i\ fidèle ob-
fervateur de ce que vous recommandez par vos lettres ^ d'a-
voir banni de vos efcrits toute partialité , qui eft le vice mor-
tel & trop fréquent de l'Hiftoire. Ce qui nous croilfant l'en-
vie de voir le rcfte & fuite de ce bel œuvre de mefme fabri-
que , félon la promeffe que vous faites de vous vouloir enga-
ger en celle peine , nous vous prions & fommons aufii d'ad-
joufter & parfaire ce contentement à la curiofité de vos amis ;
& de croire, Monfieur le Prefident , que perfonne ne fera plus
defireux , & difpofé à honorei: & recognoiftre vos vertus &
vos mérites , que fera
A noftre Palais de Weftmeftre Voftre affedionné
le^i^ie Mars idoj. amy, Jacques R,
Lettre de JacqueS'Augufte de Thon à Guillaume Camden,
Traduite du X £ yous remercie, Monfieur, de la bonté avec laquelle
Latm & tirée 1 ■> jir-z-i^ ■ -, r ■
du Recueil Jt VOUS m avcz reuQu le iervice iignaie , que je n olois me
des lettres de flatcr quc VOUS accordcriés à ma prière. Il m' eft d'autant plus
néau^PubHc f^nfiblc que vous l'avez fait à la feule recommandation
par Thomas de Monfieur de Lifle mon intime ami. En effet, méritai-je
dres 16^1^°"' que VOUS intctrompiés pour moi vos occupations férieufes f Je
pag. 68. puis donc me fiater que vous avez bien voulu donner quel-
ques momens à la leâ:ure de mes ouvrages 5 & que vous
m'avez honoré de votre attention, fans me connpître: Votre po-
liteffe, & ces marques de bonté que vous m'avez données, vont
me rendre importun : J'ofe donc vous demander une grace,qu'il
DE J. A. DE THOU. ^2;
efl: en votre pouvoir de m'accorder ■> c'eft de me donner des
éclairciflemens fur les affaires d'Ecoife , comme vous m'en
avez envoyé fur celles d'Angleterre. Je crains d'avoir bron-
ché dans cet endroit de l'Hiftoire. Aidez-moi de vos lu-
mières pour écrire j fans blefler perfonne , mais fans blelTer
aufli la vérité , ce qui s'eft palle en EcofTe dans Tannée 1 5* 66.
car on imprime aduellement cette partie de mon Hiftoire.
Je fuis embaraflé fur ce fujet^ & ce n'eft pas fans raifon.
D'autres endroits de mon ouvrage m'ont fait un grand nom-
bre d'ennemis en France. Je ferois fâché de m'expofer à me
faire taxer d'imprudence dans votre ifle, ou qu'on put me
reprocher d'avoir donné de juftes fujets de plaintes à votre
Roi, qui m'a fait l'honneur de m'écrire, en m'exhortant à
continuer d'expofer les faits avec la même candeur, ôc la même
fidélité que je l'ai fait jufqu'à l'année 1^66.
J'entends dire tous les jours que Buchanan a écrit avec
trop de fiel & d'amertume , & que le difciple eft très-irritc
contre le maître (i). Cependant on ne peut , fans fe couvrir
de honte , pafler fous filence ce qui eft arrivé. Ecrivez-moi ,
je vous prie j ne me refufez pas un confeil auffi néceflaire
que celui que je vous demande, & dont j'ay tout le befoia
poiTible. Je vous entendrai à demi rnot , fans vous expliquer
trop ouvertement. Vos avis feront des ordres pour moi. Vous
verrez par la dernière édition de ce qui a déjà été im-
primé, que je me régie, comme je le dois, fur vos con-
feils.
J'avouerai que je n'ai aucune connoifiance des affaires
d'Irlande. Je n'ai encore vu. perfonne qui en ait été le té^
moin oculaire , ou qui en ait entendu parler : vous fçavez
qu'on n'a pas beaucoup écrit fur cette matière. Je n'ai pii
m'en inftruire que dans Stanishurflus , dans les cartes d'Irlande
nouvellement publiées, & dans ce que vous en dites dans
votre ouvrage immortel, intitulé Britannia.
Je n'ai point vu d'hiftoire de la dernière guerre d'Ir-
lande ; je ne fçache pas même qu'on l'ait écrite 5 je fouhai^
terois que vous m'apprifllez ce que vous en fçavez , & que
vous voulufTiez bien m'indiquer ceux des Hiftoriens de vo-^
tre nation^ qui pourroient m'inftruire, fur tout au fujet du
(i ) Buchanan avoit été précepteur de Jacques I-
Tome XV^ Ff
■^i6 PIECES CONCERNANT L'HISTOIRE
Comte deTir-Oen, qui a fait la guerre contre l'Angleterre.
Je (crois ravi de connoître fa maifon , fon origine , fon ca-
radere , fes mœurs , & de quelles forces il étoit appuyé , pour
former le deflein de fe révolter contre la Reine Elifabethj
& enfin à quelles conditions cette affaire fut terminée.
Je fuis bien fâché que perfonne n'ait écrit jufqu'à prefent
dans votre Ifle l'Hiftoire de cette grande Reine. Soyez per-
fuadé que je l'aurois déjà fait, fi je m'étoisfentiaffez de for-
ces pour un fi noble deffein, fi j'en avois eu le loifir, ôc
affez de connoiflance du fond de vos affaires , & fi l'on m'eût
fourni de bons mémoires. Mais je crains que vous ne re-
gardiez comme un trait de vanité , ce qui n'eft qu'un effet
de mon zélé. Je n'aurois ofé me promettre d'acquérir de la
gloire par cet ouvrage 5 je ne l'aurois que fouhaité.
Que direz-vous de la familiarité avec laquelle j'en ufe avec
vous ? Mais aufli pourquoi êtes-vous fi bon à mon égard ? Je
fuis de mon côté tout à votre fervice. Adieu, Monfieur,
je vous prie de m'aimer toujours , ce que je regarderai com-
me un bien particulier ; & de m'en affurer fouvent par vos
lettres. Adieu une féconde fois.
A Paris le 10 de Février i(5'o;. J. A. De Thou,
Lettre de Guillaume Camden à Jac. Aug, de Thou»
Tra(3uite du
Latin fur le
Manufcrit.
TE fuis très-faché , Monfieur , que votre lettre en date du
10 de Février, & celle de Monfieur de l'Ifle ne m'ayent
été remifes, je ne fçay par quel accident, que le 13 d'Avril
Ce contretemps vient fort mal à propos. Car outre que
vous pouvez m'accufer de négligence dans le temps que je
n'en fuis point coupable ; que d'ailleurs je ne fouhaité rien
tant que de répondre à votre amitié , je pouvois vous fatis-
faire aifément le mois dernier , au lieu que je fuis aduelle-
ment accablé d'affaires. Cependant mon zélé m'a fait trou-
ver du temps pour vous écrire. Je ne vois pas de quelle
utilité je pourrois vous être par rapport aux affaires d'Ecoffe^,
déjà écrites. Cependant je vais faire mon poffible pour vous
contenter.
H y a de grandes précautions à prendre en écrivant ce
DE J. A. DE THOU. 227
qui s'efl: pafle en 1^66. entre le Comte de Mufray, HamiU
ton, la Reine , le Roi , & les rébelles. Il faut prendre un juf-
te milieu , pour ne point s'égarer.
Jacque Comte de Murray , frère naturel de la Reine , &
Hamilton Duc de Chatellerault , avoient deflein de s'empa-
rer de la Couronne. Le dernier prétendoit qu'elle lui ap-
partenoit par droit héréditaire , du chef de fon ayeule , fille
de Jacque II. Roi d'Ecofle. Le Comte n'avoit pour lui que
fon grand courage 5 il appuyoit néanmoins fes prétentions
de je ne fçai quelle promelle de mariage , qu'il y avoit eu ,
difoit-il , eu entre fon père & fa mère. Il fe flatoit d'ailleurs,
à la faveur de la Religion Réformée , de couvrir le défaut
de fa nailîànce , par fes grandes qualités, & par la force
de fes partifans. Ces deux Seigneurs n'eulTent pas été fâchés
de voir mourir la Reine, à fon retour de France. L'un ôc
Tautre, pleins de ces idées ambitieufes, firent leurs efforts,
pour empêcher cette Princefle de palTer à un fécond ma-
riage , fur tout le Comte de Murray , dont les manœuvres
dirigées par Buchanan, obligèrent dans la fuite la Reine à
abdiquer la Couronne, & à s'exiler de fa patrie. Notre Roi
appelle Buchanan Parchifoujflet de la rébellion. Soyez donc
bien averti que cet agent du frère naturel de la Reine a fait
contre elle des libelles amers & calomnieux. Ainfi ne croyez
pas légèrement, fans de mûres réflexions, cet écrivain partial,
fur ce qui concerne le Comte de Murray & la Reine. Vous
pourrez juger par-là quelle foi vous devez ajouter au refte
de fon Hifloire.
La Reine j jeune encore & novice dans l'art de régner;
s'oublia dans la profpérité. Le Roi jeune , fans expérience ,
crédule , & plus léger que le vent , ne fçavoit ni prendre
des mefures , ni profiter des bons avis, ni placer fa confi-
dence. Ce fut la fourcede fa difgrace dans l'efprit de la Rei-
ne. Les fadieux luy dreflerent mille embûches , & le firent
enfin fuccomber. La Reine Elifabeth demeura tranquille fpec-
tatrice de ces funeftes événemens. Elle plaignit même la
Reine d'Ecoffe ; mais elle ne fut pas auiïi touchée de fes
malheurs , qu'elle auroit pu l'être. Marie Stuartl'avoit bleffée,
en prenant le titre & les armes de Reine d'Angleterre,
D'ailleurs les Catholiques Romains de notre Ifle avoient mis
Ef ij
V
22 8 PIECES CONCERNANT L'HISTOIRE
toute leur efperance en elle. Je ne vous dis qu'un mot de
toutes ces chofes , que les plus éclairés & les plus fages d'en-
tre nous croient les plus conformes à la vérité : vous en jugerés
.vous-même.
Je fuis peut-être plus en état de vous donner des lumières
fur les affaires d'Irlande : je les ai fuivies d'allés près, & j'efpere
avec le fecours du Ciel vous contenter au premier jour : en
attendant , fî vous n'avés pas encore conduit votre Ou-
vrage jufqu'en 1^66. vous pourrez ajouter une révolte arrivée
en Irlande & enfuite cette dernière du comte de Tir-Oen ,
qui eft bien plus confiderable. Voilà quels en furent les com-
raencemens j afin de remonter à la fource des chofes.
Vers l'an 14^2. lesmaifons de Lancaftre,& d'Yorck étant en
guerre j Richard duc d'York, à qui la comté d'Ultonie, partie la
plus feptentrionale de l'Irlande , appartenoit par droit hérédi-
taire, & dont les ayeux, qui avoient pris le flirnom de Mortmer,
ôc de Bourg , avoient polledé paifiblement pendant quelques
fiécles cette Province , en tira les garnifons Angloifes qu'il y
avoit , pour fortifier fon parti en Angleterre. Alors la maifon
d'O-Neal, qui defcenddes anciens rois d'Ultonie , s'empara
de cette Province j comme étant abandonnée , & en ufurpa la
Souveraineté fous le nom d'O-Neal.
Conus Bacco O-Neal , ( i ) le plus riche , & le plus accrédité
de cette maifon , vint en Angleterre en 1 5*42. prêter le ferment
de fidélité à Henri VIII. que les états d'Irlande venoient de
déclarer roi de leur Ifle , auffi-bien que fes fucceiîeurs , les
rois d'Angleterre n' avoient jufqu'alors porté que le titre de
feigneurs d'Irlande. Henri donna à Bacco le titre de comte
de Tir-Oen , & nommément à Mathieu fon fils aîné , qui fut
fait en même temps baron de Dunganon , ôc à tous fes hoirs
nez , & à naître en légitime mariage.
Le fécond fils de Bacco nommé Jean , que les îriandois
appellent Shan , conçut un violent dépit de l'honneur , qu'on
venoit d'afllirer à Mathieu , qu'il étoit réfolu de ne point re-
connoître pour fon frère ; il n' étoit , difoit-il , que le fils d'un
Forgeron de la ville de Dundalke , dont la femme avoit été
maîtreffe de Conus Bacco fon père , ajoutant que pîufieurs
feigneurs de la maifon d'O-Neal ne fouffriroient jaiiiais que
(i) C'eft-à-dire feîgneur d'Uitoniç,
D E J. A. DE THOU. 22p
Mathieu fuccedàt à Bacco. Enfin il tua fon frère à la chafle , ôc
dreffa des embûches à fon père , que la douleur que lui caufa la
mort de fonfilsjointe à fon grand âge, mit bien-tôt au tombeau.
Hugue , à prefent comte de Tir-Oen , fils de Mathieu , eft
celui qui s'eft révolté contre la reine Elifabeth. Jean O-Neal
après la mort de fon firere & de fon père , s'empara de fa fuccef-
lîon , fans fonger à fe défaire de Hugue encore enfant ,
fiils de fon firere aîné : il fe déclara publiquement O-Neal , Ôc
fous ce titre fe rendit maître abfolu de l'U Ironie. Il mit les
feigneurs & les peuples dans fon parti par des carelTes & des
violences. Il tailla en pièces les Ecofibis des ides Hebudes (i)
qui avoient fait une defcente dans cette partie de l'Irlande
pour la ravager. Ce fuccès lui fit oublier la fidehté qu'il devoir
à la reine d'Angleterre.
Henri Sydney alors viceroi d'Irlande demanda à Jean
O-Neal , de quel droit il avoit exclus le jeune Hugue de la
fucceifiondefonayeul. Il répondit que Mathieu père de cet
Hugue étoit , ou le fils d'un Forgeron , ou tout au plus le bâ-
tard de Bacco : Que pour lui il étoit né en légitime mariage :
Que fon père n'avoir pu fe donner un fuccefleur , fans le con-
fentement des feigneurs , & des peuples d'Ultonie : Qu'ainfi
les lettres patentes de Henri VIII. fcellées du grand Sceau
d'Angleterre , n' avoient pii inftituer Mathieu héritier de fon
père : Que même elles étoient nulles par une loi des Anglois ;
parce que douze perfonnes n'avoient pas attefté avec ferment
qu'il étoit le véritable héritier de fon père : Que fuppofé même
que Mathieu fut iilu d'un mariage légitime , il y avoit une loi
en Irlande , appellée la loi Tarn/tria , qui ordonne de préférer le
plus proche parent , d'un âge mur , à un jeune homme qui n'au-
roit pas vingt-un ans , & dont le père feroit mort avant l'aïeul :
Qu'enfin ( & cette dernière raifon devoir être fuflBfante ) il
avoit été élu O-Neal , c'eft-à-dire feigneur d'Ultonie , d'un
confentement unanime des peuples , èc fuivant toutes les rè-
gles : Que par confequent fon éledion n' avoit pas befoin d'être
confirmée par la reine d'Angleterre.
Le Viceroi lui dit qu'il feroit fon rapport en détail de ces
raifons à la cour d'Angleterre , fur la juftice de laquelle il pou-
fi) Ccfontlcslfles Wefternes ou Occidentales de l'EcofTe i les Anciens les
appeiioient Ifles Hébrides.
Ffuj
2SO PIECES CONCERNANT L'HISTOIRE
voit fe repofer dans la dccifion de cette affaire : en attendant , il
l'exhorta à demeurer fidèle. Jean promit tout au Viceroi : mais
il donna bien-tôt des preuves de légèreté. Dès qu'il eut com-
mencé à affeder la Roïauté , il fe fit une garde de fept cens
hommes , leva des milices , & fe mit en état de pouvoir ailem-
bler mille chevaux , & quatre mille hommes d'infanterie. Fier
de cQS forces , il brûla & mit tout au pillage aux environs , fe
mocqua des propofitions de paix , qu'on lui fit faire , & alTiegea
Dundalke , où il y avoir garnifon Angloife j mais il fut repoulfé
avec une grande perte des fiens.
Le Viceroi leva des troupes pour s'oppofer au Comte 6c fit
partir le colonel Edouard Randolphe fur un vaifleau, pour
faire un defcente dans l'Ultonie ultérieure, & prendre l'ennemi
par derrière ; ce qu'on a eu l'imprudence de négliger long-
temps dans la dernière guerre contre le comte de Tir-Oen.
Randolphe aïant campé à Londonderi fur les bords du Lac
Foile, il empêcha par ce moïen les rebelles de continuer leurs
ravages. Jean accourut avec l'élite de ks troupes , pour délo-
ger ces nouveaux venus de leur pofte. Randolphe lui livra
bataille , le mit en fuite , & lui tua beaucoup de monde j mais
ce brave Colonel périt en combattant. La vidoire ne coûta
que peu de monde aux Anglois.
Edouard de faint Lo prit la place de Randolphe. Ce nou-
veau General fatigua long-temps les rébelles j mais le feu aïant
pris par hazard à fon camp , confuma toutes les munitions de
guerre ôc de bouche. Alors l'infanterie s'étant mife fur des bar-
ques avec fes bagages , la cavalerie fit une marche de quatre
jours au travers des ennemis , & s'ouvrit à la pointe de î'épée
un chemin jufqu au Viceroi. Les rebelles en furent fi épou-
tés , qu'ils n'oférent plus fe montrer que de loin. Un grand
nombre, laiTé de la tirannie & de la guerre, fe foumit dans cette
firayeur ; de forte que la plus grande partie de l'Ultonie rentra
deflors dans le devoir. Cela n'empêcha pas le rebelle Shan de
ravager les bourgs , de défoler la campagne , & d'y exercer
des cruautés inouies : il eut même l'alfurance d'aller mettre
une féconde fois le fiége devant Dundalke,d'oLiilfut obligé de
fe retirer , après avoir perdu un grand nombre de foldats.
Enfin fe voïant prcfque abandonné des fiens , & fes troupes
fe trouvant ruinées , il commenta à perdre coeur , 6c réfolut
DE J. A. DE THOU. * 231
d'aller fe jetter aux pieds du Viceroi , la corde au cou , pour i
lui demander fa grâce & la vie. Mais quelques-uns des liens ^ ]
lui ayant confeillcde demander, avant d'en venir àceshon- . \
teufes extrémités, du fecours aux EcolTois des ifles Hebudes\ \
qui étoient alors à Clane-Boy , il alla les trouver , accompagné :
des principaux de fon parti , & de la femme d'O-Donell qu'il i
avoit enlevée à fon mari. Il fut bien reçu de Gilliam Bufco \
6c d'Alexandre O^ée y chefs des Ecolfois , qui lui donnèrent \
un repas. Ils eurent une querelle à table , & les deux Ecoffois
brûlant du defîr de venger la mort, l'un de fon père ôcTau- '
tre de fes proches, tués tous deux par Shan dans un combat , ils
fe jetterent fur lui ôc le maffacrerent avec prefque toute fa fui- ;
te. Cette cataftrophe arriva au mois de Juin de l'année i ^ 6j. -\
Voilà de quelle manière la paix fut rendue à cette Province , ;
après cinq ans de troubles. ;
Vous verrez , s'il eft à propos de faire entrer ces faits dans '
votre Hiftoire , finon vous connoîtrez du moins par ce mor- ,\
ceau l'origine & la maifon du Comte de Tir-Oen ; il n'y a que , !
moi qui puifle vous donner des mémoires de cette rébellion , ;
perfonne ne l'ayant écrite jufqu'ici. Je vous en envoyerai <
bien-tôt les principaux faits. Soyez perfuadé que perfonne ;
n'eft plus touché que moi de votre mérite. J'ofe vous prier de
faluer de ma part Monfieur de l'Ifle , à qui mes affaires ne me i
permettent pas d'écrire à préfent. A Londres le i <5 Avril 3 )
(vieux ftile) i<5oj. \
Lettre de Guillatime Camden à Jacques-Augufle de Thou.
MONSIEUR. On a laiffé pour moi chez mon voifin , Traduite du
fur la fin du mois de Juin , pendant que par hafard Maôufcrit, ^^
j'étois abfent, deux tomes de la première partie de votre
Hiftoire. Le papier en eft plus grand & plus beau que celui
de l'édition, qu'on vend communément. Je les ay trouvés
bien reliez , avec une adrefte françoife pour moi. J'ay été fur-
pris de ne voir aucune lettre î ce qui m'a mis dans l'incerti-
tude d'où pouvoit me venir ce préfent. J'y ai rêvé long-temps s
j'ai couru chés tous les Libraires François établis à Londres ,
fans rien découvrir de ce que je cherchois. Ainfi j'ay jette
les yeux auftl-tôt fur vous. De quelque part que ces livres me
232 PIECES CONCERNANT L'HISTOIRE
foient venus, je vous en remercie , puifqu'ils font de vous*
ôc le fruit de votre efprit & de vos veilles. Il a pu fe faire
que les lettres qui les accompagnoient fe foient perdues
en chemin. Je crains qu'il n'en foit arrivé autant à celles, que
je vous ay écrites l'année précédente 5 car je n'ay reçu , foit
par la négligence, foit par l'indifpoiîtion de Monfieur Fon-
taines > votre lettre en datte du 10 Février, que le 13 d'Avril.
J'y fis aulFi-tot réponfe par le Courrier. Je vous faifois im dé-
tail ailes ample des affaires d'EcoQe & d'Irlande jufqu'en l'an-
née 1^66. Je ne fçay 11 ma lettre vous aura été rendue , n'aïant
point reçu de vos nouvelles depuis plus d'un an. Si je la croïois
perdue , & que le contenu pût vous être de quelque utilité , i!
feroitaifé de réparer ce petit malheur ^ en vous écrivant une
féconde fois la même chofe. Nous attendons avec impatien-
ce le refte de votre Hifloire , qu'on dit achevé. Adieu, Mon-
fieur , je vous prie de faluer Monfieur de l'Ifle pour moi.
Si je ne craignois d'abufer de votre bonté , je vous prierois
de faire mes complimens à Monfieur de BoilTife (i) , autrefois
Amballadeur de France à la Cour de la Reine Elifabeth. Je
n'oublierai jamais les bontés qu'il a eues pour moi , & l'ami-
tié dont il m'a honoré. A Londres le i de Juillet 1 606,
Lettre de M. de Thott , à Guillaume Camden,
Traduîtedu T^ T Onsieur. Après avoir été long-temps fans vous
latin fur le Iv I écrire , je vous envoyé le fécond tome de mon Hif-
Manufcnr. ^^.^^ ^^^^^ ^^^^^ ^^.^.^ excufe de ma négligence , ou pour l'ef-
facer. Je crains bien de n'avoir pas gardé par tout dans l'af-
faire d'Ecofle le temperamment que vous m'aviez confeillé de
prendre. Si j'eulfe pu paifer fous filence des faits , qui font dans
k bouche de tout le monde , je l'aurois fait tres-volontiers ,
& je ne ferois pas réduit aujourd'hui à demander qu'on ne
m'en fçache pas mauvais gré en Angleterre. Mais à moins de
m'écarter du devoir que je m'étoisprefcrit, j'ay dû éviter au-
tant la honte de difilmulerdesfaits, que de dire des faufletés;
Je ne fçay, puifqu'on a été obligé de rapporter ces chofes;
comment on auroit pu les écrire autrement. Cen'eft pas être
Hiftorien , que de fe fonder fur de fimples foupçons , pour
rejetter fur autrui la faute d'une adion commife fous les yeux
(1) Jean de Thumcry Sieur de BoilTife^
DE J. A. DE THOU. 233
du Public. C'eft faire fervir la calomnie à la juftificatîon d'un
coupable endanger. Ceiai'eroit peut-être pardonnable au cou-
pable même , ou à un Avocat dans une caufe douteufe : car en-
fin tout moïen de fe retirer d'affaire eft permis. Mais un homme
qui fait profeffion de dire la vérité , ne peut charger une per-
fonne d'un crime , pour en difculper une autre ; la cliofe parle
d'elle-même. Peut-on fuppofer ^ comme plufieurs le difent ,
que le Comte de Murray ait poufle l'ambition , jufqu'à vou-
loir s'emparer de la Couronne ? Cette fuppoiition eft contrai-
re à ce que m'ont aiîuré tous les Ecoflbis à qui j'ay pu m'en
informer , gens dignes de foi , & plufieurs même qui haiffent
ce Seigneur , à caufe de la diverlité de Religion. Ils m'ont
tous dit qu'on ne pouvoit lui reprocher que fonaverfion pour
la religion CathoHque; qu'au refte, fans ambition , fans ava-
rice , ,bien éloigné de nuire à perfonne ,il étoit vertueux , po-
li , libéral & de bonnes mœurs : Que ceux qui fe déchaî-
noient aujourd'hui contre fa mémoire avec tant de fureur,
ne feroient pas fur le trône , s'il ne les eût pas défendus.
Mais je veux, que foulant aux pieds toutes les loix divi-
nes & humaines, il ait formé le coupable deffein dont on
l'accufe. Qui pourra me dire, quels complices il avoit dans
c-e projet^ lur quels moyens , fur quels fecours il comptoit
pour l'exécuter ? D'abord il eft conftant qu'il n'y a jamais eu
d'ennemis plus animez Fun contre l'autre , que le Comte de
Murray & Botwel. S'imaginera-t-on après cela que des efprits
aufti aigris fe foient réconciliés , pour concerter une confpira-
tion contre le Roy, & qu'ils euffent pu compter de part & d'au-
tre fur le fecret néceflaire dans une affaire fi délicate ? Pour-
ra-t-on croire que le Comte de Murray, dans les difpofitions
où il étoit pour Botwel , ait pu confeiller à fa fœur , après la
mort du Roy , d'époufer l'afiaffin de ce Prince , ou que la
Reine fut aftes aveugle , pour faire , à la follicitation de fcn
frère , un mariage qui la déshonnoroit , & qui étoit fi dange-
reux pour elle ? Enfin , quelles raifons aiu-oient engagé le
Comte de Murray à fe retirer de lui-même en France, fi fa
préfence eût pu lui faire efpérer de profiter de cçs troubles ?
Pourquoi, lorfqu'il eut été rappelle, s'eft-il comporté dans le
gouvernement de l'Etat avec tant ée fidélité , pendant la
minorité du Roy ? Quels motifs i'auroient engagé à mettre
Tome XV, G g
534 PIECES CONCERNANT L'HISTOIRE
ce Prince, encore enfant, à couvert des entreprifes des Ha-
miltons , s'il ei\t eu deflein de monter fur le trône ? Car enfin
il eutétémoins dangereux & moins odieux de difputer la Cou-
ronne aux Hamiltons rebelles & traîtres à leur Roy , fuppofé
qu'ils fuffent venus à bout de leur deflein, que de perdre
le fils de fa fœur , qui lui en avoir confié la tutelle , qu'il te-
noit auflTi des Etats du Royaume. Enfin , il eft aifé de compren-
dre la caufe de la confpiration formée contre le Comte de
Murray par les Hamiltons , qui afpiroient à la Souveraineté.
N'efl:-il pas évident que c'eft le défefpoir de réùflir , tant qu'ils
auroient en tête un homme fi zélé pour le jeune Roy & pour
le bien de l'Etat ?
D'un autre côté , fouvenez-vousque la Reine, avant l'aflàf-
finat du Roy, avoit avec Botwel des liaifons, quibleflbient
la bienféance. Rappellez-vous la haine qu'elle fit éclater pour
ce Prince, après la mort de Riz, & le mépris qu'elle lui té-
moigna 5 la précipitation avec laquelle la Reine , après la
mort du Roy , fit déclarer Botwel innocent d'un crime , dont
il étoit chargé par la voix publique , qui ne fe bornoit pas à
de fimples foupçons ; enfuite le honteux divorce de ce
Seigneur , qui répudia fa femme , qui étoit de la maifon de
Gordon , pour faire un mariage , qui le couvroit d'infamie.
En effet , peut-on s'empêcher de rire de ce rapt prétendu , ou
plutôt ne pas conclure de ce que nous venons de rapporter ,
que Marie y Reine d'un courage élevé , n'aïu'oit jamais con-
fenti à cette alliance honteufe , fi elle n'eût été aveuglée par
la paflfion ? Sans cela fe feroit-elle mife en peine de donner
avec tant d'adrefle des couleurs à cette démarche , dans les
lettres qu'elle écrivit à la Cour de France à ce fujet \
Mais ceci foit dit entre nous. Je n'ay eu deflein ni dans ma
lettre , ni dans mon ouvrage , d'accufer ou de défendre per-
fonne. Je n'ay prétendu ni ofl:enfer , ni médire. Vous verrez
par la ledure de mon livre , que j'ay adouci par des ter-
mes mefurés , ce que d'autres ont écrit avec amertume.
J'ay pour garants plufieurs Ecoflbis , témoins oculaires des
faits ; ils m'ont guidé dans la foi que je devois ajouter à
Buchanan. Au refte , je n'ay jamais eu defleinj,(5cje nel'ay
point encore, de trahi! la vérité en faveur de perfonnej ainfi
je vous prie inflamment, par notre amitié, de vous fouvenir
DE J. A. DE T HO U, 235'
des raifons que je viens d'expofer , toutes les fois que l'on
parlera de moi & de ma fidélité hiftorique à la Cour d'Angle-
terre , & parmi vos amis. Faites entendre à tout le monde
que je n'ay rapporté cqs faits que par la néceffité du devoir
que je me fuis impofé : Que d'ailleurs je fuis tout dévoué à
la gloire de la Nation Britannique : Que j'aurois fouhaité de
tout mon cœur pouvoir enfevelir ces faits dans l'oubli , s'ils
n'euflent pas été connus de l'Europe & déjà publiés par d'autres
plumes. Je vous fuis obligé du fragment concernant les affaires
d'Irlande. Il a trouvé fa place dans mon Hiftoire. Puifque vous
avez eu affés de bonté , fans attendre que je vous en priafle ,
poiu' me rendre ce fervice, je ne ferai point difficulté de vous
demander le récit détaillé de ces événemens. Ecrivez-moi,com-
me vous avez fait , autant que pourra vous le permettre votre
Brnarin/a, que nous attendons avec impatience. Adieu mon
cher ami , confervez moi votre amitié. A Paris le 3 r Juillet
1606.
Lettre de Jac. Aug. de Thon . à Henri de Saville.
I c'eft pour la première fois, Monfieur, que j'ay l'hon- Traduite du
neur de vous écrire, ne croyez pas, je vous prie j que i[fj|jjj,fçj"j, ^^
ce foit un effet de ma négligence, ou que je nefafle pas de
votre amitié tout le cas que je dois. Des occupations fati-
guantes & continuelles font caufe que je ne vous ai pas écrit
plutôt. Je ne voulois pas d'ailleurs le faire, fans accompa-
gner ma lettre d'im préfent que je vous deftinois. Recevez
donc le fécond tome de mon Hiftoire , qui contient tout ce
qui eft arrivé dans notre fiécle , ou plutôt dans le fiécle pafTé ,
depuis l'an 1^60. jufqu'à l'an ï$']2. Je crains qu'il n'y
ait bien des chofes qui déplaifent à plufieiu-s perfonnes ^ &
fur tout à celles à qui je fouhaiterois extrêmement de me ren-
dre agréable. Vous fçavez ce qui s'eft paffé en Ecofle dans
ce temps-là. Si votre grande Reine Elifabeth vivoit encore,
on pourroit peut-être , fans rien craindre , écrire fur ces af-
faires avec la liberté qui convient à l'Hiftoire. Comme cette
PrincefTe n'eft plus , votre ami appréhende beaucoup qu'on
ne rende pas juftice à fa bonne foi. Le Ledeur doit recon-
noître que j*ai eu , par rapport à ces affaires , toute la nio-
Gg ij
2s6 PIECES CONCERNANT L'HISTOIRE
dération & toute la retenue , que la vérité pouvoit me per-
mettre, & que je me fuis fervi des expreflions les plus me-
furées , pour dire des chofes , qui ont été dites bien plus du?
rement par des témoins oculaires, dont le témoignage s'eft
trouvé très-vrai , après les recherches exades qu'ont fait des
perfonnes hors de tout foupçon. J'ai cru que ma confcience
ne me permettoit pas de diftlmuler des faits publics & au-
tentiques, ni de juftifier le crime aux dépens de l'innocen-
ce. Je ne fuis pas néanmoins aifez attaché à mes idées , que
je ne fois difpofé à réformer ce que j'ay écrit , fur l'avis de
ceux à qui j'ai réfolu de me fier plutôt qu'à moi-même , par
rapport à ces affaires. Qu'ils m'inftruifent , & qu'ils me mar-
quent le chemin que je dois fuivre. Comme ils ont recon-
nu jufqu'ici ma candeur & ma iincérité, ils connoîtront
auiîi ma modération. La bonté que vous avez d'honorer mon
ouvrage de votre approbation , comme le Comte de Beau^
mont me Pa fait fçavoir, m'engage à vous prier inftamment
de répandre, par vous-même & par vos amis, à votre Cour,
& par tout ailleurs où il fera néceffaire , que je fuis dans ces,
difpofitions. ( Le rejle de la Lettre ejl plein de lacunes ) <& ns:
forme aucun fens. ) A Paris le 27 de Juillet 1606^
Lettre de Henri de Saville à Jac, Aug. de ThoUo
Traduite du (T^ E u X qui connoilTent la candeur avec laqi^eile vous
Latin fur le %^^ écrivez, Monfieur, ne doiTtentpas que toutes les par-
Manufcnt. ^j^^ j^ votre Hiftoire ne foient écrites avec toute la modé-
ration & toute la fagefle qui conviennent. Mais vous fçayez,
comme tout le monde, qu'écrire l'Hiftoire de fon tems, c^eft
s'expofer à déplaire à bien des gens. J'ai déjà eu l'honneur
de vous le mander au fujet du premier volume de votre Hif-
toire : à l'égard du fécond , je n'ai pas cru qu'il fut nécef-
faire de m'informer avec beaucoup d'empreflement de ce
que nos Seigneurs en penfoient, de peur d'aigrir un mal qu'il
m'étoit impofîible de guérir. Il y a des playes qu'on rouvre,
pour peu qu'on y touche. Vous qui êtes prudent^ vous fça-
vez qu'il y a des perfonnes délicates, auprès defquelles il
faut mieux fe taire fur certaines chofes , que de les vouloir
juflifier. Soyez néamiioins perfuadé , qu'autant que j'ai pu k
DE J. A. DE T H O U, :S37
découvrir, on nett point ici en colère contre vous, ôc que
vous y joiiillez encore de toute la faveur que votre premier
volume vous a procurée. Je ne vous parle point des perfonnes
qui lifent votre livre fans paffion , & qui n'ont aucun inté-
rêt d'aimer ou de haïr. Tous ceux-là conviennent que notre
fiécle n'a produit aucun ouvrage plus utile , mieux écrit , &
où il y eût plus de vérité. Je hâterai autant qu'il me fera
poffible , l'édition de S. Chryfoftome , ouvrage de longue
haleine , & où il y a bien des difficultés. Il feroit néanmoins
déjà fini , (î vos Imprimeurs m'avoient voulu accorder leurs
caraderes (i), & il votre Roi ne les avoit pas refufez au no-
tre , qui les lui a fait demander par fon Ambafladeur. Mais
je furmonterai ces difficultés, comme je pourrai. Vous ap-
prendrez au moins bientôt , quelle eft ma reilburce. Je vous
rends mille adions de grâces , & la poftérité peut-être vous
en fera très-redevable, d'avoir bien voulu ouvrir votre Bi-
bliothèque à ceux qui vous ont demandé cette grâce pour
moi , & de leur avoir procuré le MS. de S. Grégoire de Ma*
ziance , de M. de Bilîi.
J'ai vécu familièrement en i5'8i. à Breflaw avec André
Dudith; nous étions logés l'un près de l'autre, &nous man-
geâmes prefque toujours enfemble durant fix mois , enforte
que j'étois fans ceffe avec lui. Je vis, j'entendis, & j'obfer-
vai alors plufieurs chofes 5 mais je n'avois pas en ce tems-là
deiTein de faire paffer ces chofes à la pollerité, ni d'en faire
part à ceux qui voudroient un jour les écrire. Ainfi ce que
je vous en dirai ne fera pas très-exad , étant obligé de rap-
peller des idées , qui n'ont jamais été fort profondément gra?
vées dans ma mémoire. Dudith^ qui eft à mon gré le plus
grand homme de tous ceux que j'ai connus dans le cours
de mes voyages, naquit le $ de Février 1^3. en Hongrie
dans la ville de Bude , ou aux environs , autant que je puis
m'en fouvenir. Il étoit noble du côté de fon père & de fa
mère 5 carfi je m'en fouvicns bien , fa mère étoit de la maifon
des Sbardelati , nobles Vénitiens 5 & il eft certain que Dudith
porta durant quelque tems le furnom Sbardelati. Ses parens
ayant été dépouillés de tous leurs biens parles Turcs, on le
fit étudier dès fon enfance , & comme on le deftinoit à fEtat
(i/Lss caraâeres Grecs de Paris , qui étoient uès-eiHmés dans toute l'Europe, •
Cg iij
23 s PIECES CONCERNANT L'HISTOIRE
Ecclcfiaftique , on obtint pour lui la Prévôté des Ther^
mes de Bude. Revêtu de ce Bénéfice, il fe rendit en Italie
pour y étudier 5 il y fit connoifTance avec Sigonius , Manuce,
& Robortel , & furtout avec Jean Vincent Pinelli , & fe ren-
dit fort agréable à ces fçavans. Il s'appliqua tellement à l'é-
tude de l'Eloquence, que, comme il me l'a dit lui-même,
il tranfcrivit deux fois de fa main tous les ouvrages de Ci-
ceron. Etienne Bathori , qui fut dans la fuite Roi de Pologne,
fe trouva avec lui à Padouë , & ce fut là qu'ils commencè-
rent à concevoir l'un pour l'autre un peu de haine , qui s'au-
gmenta beaucoup dans la fuite , à mefure qu'ils avancèrent
en âge. Enfuite le Cardinal Poole étant parti pour l'Angle-
terre, il le fuivit, & demeura chez lui à Londres. Poole
avoir beaucoup d'égards pour Dudith , qui dans la fuite tra-
duisit en Latin j &à fon ordinaire d'un ftilefort élégant, la
vie de ce Cardinal écrite parPriuli. Il quitta l'Angleterre, &
vint à Paris , oii il étudia la Langue Grecque fous le fçavant
Caninius, avec quelques Gentilshommes d'Italie. Il apprit
cette Langue auffi parfaitement que la Langue Latine. Dudith
alla enfuite trouver l'Empereur Charles V. en Flandre. Ce
Prince , qui avoir un grand jugement , le recommanda for-
tement à fon frère Ferdinand, qui, je crois, étoit déjà dé-
figné Empereur, & qui devoir partir pour l'Allemagne. Il
poffeda les bonnes grâces de Ferdinand jufqu'à lafin de fes
jours j & fut fon favori & fon confident. Ferdinand lui don-
na l'Evêché de Tinne, &, fije ne me trompe, le nomma
vice-Chancelier de Hongrie , Nicolas Olahus Archevêque
de Strigonie & Chancelier ^ étant alors fort vieux. Ferdinand
l'envoya enfuite au Concile de Trente, en qualité de dé-
Î>uté des Prélats & du Clergé de Hongrie. Il prononça dans
e Concile quelques difcours éloquens , que je crois que vous
avez vus, au fujet de l'ufage de la Coupe , & un autre, fin-
ie mariage des Prêtres , qui , je crois, n'a point été publié. Car
fon maître lui avoir recommandé ces deux points dans fcs
inftrudions. Quant au premier, il obtint quelque chofe des
Pères du Concile 5 mais il fut refufé par rapport à l'autre. Il
fut néanmoins admis dans les conférences les plus fecretes
des Prélats & des Légats du Pape; & jufqu'àlafin du Con-
cile , il fut confideré & aimé de tous ceux qui compofoient
DE J. A. DE T HOU. 239
cette aiTembiée. Il retourna enfuite à la Cour de Ferdinand
qui mourut peu de tems après, iSc il fut fait Evêque de Cinq-
Eglifes. Il fut autant ôc même plus en faveur auprès de Ma-
ximilien , qui le chargea de plufieurs ambaiiades , dont il s'ac-
quitta avec fuccès. Il fut enfin envoyé en Pologne vers le
Roi Sigifmond Auguile. Ce fut là , que foit par perfuafion ,
foit par quelqu'autre caufe , il renonça à fon caradere
d'Ambalîadeur^ & à la Religion Romaine. Il demeura en
Pologne ( ce qui eft étonnant ) fans perdre les bonnes grâ-
ces de fon maître, qui continua toujours de faimer. Peu de
tems après il époufa une Demoifelle de la fuite de la
Reine, & étant devenu veuf, il fe maria à la fœur desSbo-
ruski frères. Il eut des enfans de fes deux femmes.
Cependant le Pape traitant fon changement d'apoftafie dé-
clarée , & Dudith n'ayant point comparu à Rome , où il avoit
été cité , il fut condamné & brûlé en effigie. Il ne contenta
pas beaucoup les Réformés^ comme il paroît parles lettres
que Beze & lui écrivirent Tim contre l'autre , quoique Du-
dith ait toujours jufqu'à la fin cultivé l'amitié de Beze. Mal-
gré les remontrances du Nonce Apoftolique, Maximilien
eut toujours commerce , & même des entretiens avec lui.
Dudith, après avoir demeuré quelques années en Pologne,
& y avoir vécu d'abord dans le grand monde , enfuite dans
la folitude de Pafcow , vendit fes biens , emporta fes meu-
bles, & fe retira à Breflaw, capitale de Sileiie , & dépen-
dante de la maifon d'Autriche. Là il fe Uvra entièrement aux
Frinc es de cette maifon , & vécut avec éclat ( je ne fçai com-
ment ) quoiqu'il n'eût pour tout revenu que l'intérêt de plu-
fieurs milliers d'écus d'or qu'il avoit prêtez à l'Empereur Ro-
dolphe. Dans fa retraite de Pafcow , & dans fon féjour à Bref-*
iaw , les Princes d'Autriche le chargèrent de plufieurs né-
gociations importantes. Il fut envoyé en qualité d'Ambaifa-
deur, & en quelque forte de Plenipotentaire, vers les Etats
de Pologne, dans le tems de ces deux Diètes, où les Prin-
ces Autrichiens furent rejettez, & où l'on élut pour Roi Ba-
thori & le Roi de Suéde.
Il mourut à Breflaw^ au commencement de Pannée i ^ 8p.
d'une légère attaque d'apoplexie, à l'âge de j (J ans accom-
plis. Ce fut un homme d'un mérite rare^ fameux pour fon
240 PIECES CONCERNANt L'HISTOIRE
éloquence , très-habile négociateur , & verfé dans toutes les
fciences, où peu l'égalèrent, & oii perfonne ne le furpafla.
Il poiiedoit parfaitement Ariftote & Platon , & fçavoit très-
bien la Philorophie de l'Ecole , & la Théologie. Il avoit
beaucoup de goût 6c d'ardeur pour les Mathématiques ; mais
il n'y réùillt pas , comme dans tout le relie. Il s'étoit d'abord
fort adonné à l'aftrologie judiciaire, 6c il me montra lui-
même écrit de fa main le Tetrabiblos de Ptolomée , avec la
paraphrafe de Proclus vis-à-vis h mais ayant dans la fuite connu
ia vanité de cette fcience chimérique , il la méprifa. Il y a quel-
ques écrits de lui fur cette matière , publiez contre des Alle-
mands i au fujet des Comètes. Il étoit d'une haute taille , & un
peu maigre ; il mangeoit peu , & durant toute fa vie il ne but
jamais ni de vin , ni de bière. Il étudioit nuit & jour 5 & 1 é-
tude fut fa feule paiîion : modéré fur tout le refte, il s'y li-
vra avec excès. Perfonne n'eut jamais plus de candeur &.
de franchife. Il joignoit à la gravité une douceur & une po-
litede extrême , & il aUioit beaucoup de fimplicité à beau-
coup de prudence. Il laillà en mourant une femme & des
enfans de deux lits. Le dernier de mes frères fut prefentà
fa mort; fi ce frerc vivoit encore, vous auriez des informa-
tions plus amples & plus fùres au fujet de Dudith. Je vous
renvoyé aux fçavans Pvcdinger & Jacques Monave de Bref-
iaw , & au Jurifconfulte Wacker , qui eft aujourd'hui fort
en faveur auprès de l'Empereur Rodolfe. Je ne fçai s'ils vi-
vent encore. Ils furent extrêmement liez avec lui jufqu'àla
fin de fa vie. Je vous confeille de vous adrefler à eux;
vous en apprendrez bien plus de particularités, & ils vous
en inftruiront avec plus de certitude que je ne puis le faire.
Ce que je vous mande efl peu de chofe , & n'eft pas fort fur.
J'ajouterai que Dudith traduifit en Latin, & pubHa le petit
traité de Denys d'Halicarnafle fur fHiftoire de Thucidide ,
& compofa encore quelques autres ouvrages 5 il ne vou-
lut pas pour certaines raifons publier plufieurs de fes écrits.
Voilà tout ce que je puis vous mandera ce fujet. J'ai plu-
tôt cherché à vous fatisfaire qu'à me fatisfajre moi-même. Car
je f(çai que ce que je vous écris par rapport à ce grand homme,
ne répond pas à l'idée que vous en avez, & eft fort au-dcf-
fousde fon rare mérite. Je me flatte que vous me pardonnerez
aifément
DE J. A. DE THOU. 241
aifément, fî je me fuis trompé dans ce que je vous mande;
& que vous m'excuferez aufll d'avoir tant tardé à vous faire
réponfe. Adieu , Monfieur , comptez-moi toujours au nom-
bre de vos partifans & de vos admirateurs. Trouvez bon
je vous prie, que je falue Monfieur Hotman mon ami , qui
m'a fait tenir votre lettre. A Londres le dernier jour de No-
^^embre idoy.
Lettre de Guillaume Camdenj à Jac. y^ug. de Thou'.
O NSI EUR. Je vous demande pardon d'avoir été fî ^^^^^^ rûr^ le \
_ _ long-tems fans vous écrire; car il eft difficile que je Manufcrit. " \
puifle excufer ce long filence. J'avoue que j'ai manqué aux ;
devoirs de l'amitié , après en avoir reçu mille marques de !
votre part. Blâmez-moi , malgré l'aveu que je vous fais de ma 1
négligence. Je vous conjure, vous qui êtes Préiident au Par- ]
lement, je vous conjure, dis-je, fuivant une ancienne for- 1
mulcj par vos genoux, ou par votre génie, de me pardon- ;
lier en homme fage une adion qui ne l'eft pas. Je ne cher- |
cherai point d'excufes à ma faute , quoique j'aye eu beau-
coup d'affaires, parce que j'ay eu auffi quelques momens
de loifîr. Je pourroism'excufer fur une forte timidité. Je ref-
femble à unhomme , qui étant depuis long-tems débiteur , s'eft -
difpenfé de répondre à Taffignation , & n'a point ofé compa- ;
roître. Mais à prefent que ma Chorographie de la Grande
Bretagne a paru pour la féconde fois,confiderablement augmen- !
tée , & enrichie de cartes Géographiques qui lui donnent un ;
nouveau luftre , je n'employerai point d'autre médiateur que .'
mon livre pour faire ma paix avec vous. Ayez donc la bonté |
d'accepter cet ouvrage tel qu'il eft , avec cette lettre. Je vous
demande une grâce pour mon livre : donnez lui une place dans ,
votre Bibliothèque., vous qui avez enrichi la mienne d'une \
Hiftoire écrite avec tant de fageffe. Vous jugerez avec les j
i'ravans, qui paflent aifément fur des fautes que l'envie ne '\
fçauroit pardonner , fi j'ai rempli mon projet. Je n'ai parlé que \
très-legérem.ent de l'Ecoffe , que je ne connois que fort impar- j
faitement. D'ailleurs je n'ai pas voulu dérober ce travail au. !
zélé & aux foins des Ecrivains du pays, fçachant par expé- |
xience qu'il falloit, pour que mon ouvrage pût être agréable
Tome XV, H h
242 PIECES CONCERNANT L'HISTOIRE
aux Ecoflbis, mettre ce Royaume au-defîus de l'Angleterre^
dont le climat & la fertilité l'emportent fur le climat & la
fertilité de l'Ecoffe , ou du moins , qu'il auroit fallu mettre
ces deux Royaumes en parallèle. Ma defcription de l'Irlan-
de eft beaucoup plus étendue , parce qu'aucune confidération
ne m'a retenu par rapport à ce pays, fournis depuis long-
tems à l'Angleterre , & qui d'ailleurs nous eft plus connu. J'ai
tiré la dernière révolte du Comte de Tir-Oen des regiftres
du Confeil Royal. Vous la trouverez ci-jointe. Ainfi vous au->
rez ce que vous fouhaitez depuis fî long-tems. Puiftiez-vous
reconnoître votre ftile dans ce genre d'écrire , où j'ai tâché de
vous imiter , après avoir fait mon poflible pour me former l'ef-
prit & le goût par une ledure continuelle de votre Hiftoire.
Vous avez écrit avec toute, la prudence polTible les affai-
res d'Ecofle , & fans bleiler perfonne. Cependant le Roi Jac-
que, qui haït fort Buchanan, accufe le Comte de Murray
d'être la fource & le premier mobile des malheurs de la Reine
fa mère. On dit qu'il tient cela de ceux qui ont été dans le -
fecret des affaires de ce temps-là. J'apprens qu'il confeille à .
une perfonne d'écrire l'hiftoire de cette Princefte 5 mais je
ne crois pas qu'il la donne au Public. Votre fidélité n'a pas
befoin ici de défenfeurs j au contraire tout le monde admire
votre candeur & votre iincerité , que la différence de Reli-
gion n'a pu altérer. La folidité de votre ouvrage a détruit
même les calomnies ridicules & les efforts injurieux de cer-
taines gens. Continuez donc comme vous avez commencé 5
faites admirer à notre fiécle & à la pofterité votre probité &
votre impartialité. Si je ne vous ai pas fervi dans la féconde
partie de votre Hiftoire , comme dans la première , le foin
que vous avez eu de vous inftruire à fond de nos affaires en
eft caufe. Cependant vous corrigerez , fi vous le jugez à pro-
pos , quelques fautes légères qui fe font gUflees dans les noms
propres de nos Anglois. (i) Adieu, Monfieur, comptez tou-
jours fur mon zèle à publier les louanges que vous méritez. A.
Londres le 22 de Novembre idoy.
_ (i) Cette lettre étoitacccmp-^gnée de
divcrfcs corrcdions d Camdcii , Cur les
premiers volumes de i Hiftoire de M. de
Thou. Mais comme ce judicieux écri-
vain en a fait ufagc , & que ces fautes qui
lui étoicnt échappées dans les premières
éditions (le fon Hiftoire, ne font point
dans l'édition fur laquelle a été faite la
traduétion , il paru inutile de rapporter
ici CCS correâions.
V
DE J. À. DE THOU. 243 ,
Lettre de Jacques-Augujîe de Thou à Guillaume Camden.
O u s recevrez cette lettre , Monfieur, par le canal de Tra duîte du
^ M. Bongars, mon ami intime , dont le départ inopiné Latin, & tirée
jpour l'Angleterre eft caufe que je ne puis répondre fort au camd.^'^u-
long à votre lettre du mois de Novembre dernier. Elle m'a lusir. 'viro-
d'aiileurs été rendue un peu tard; ce que je vous dis pour ''"'^- •^«'"'^•P-
m'excufer de ne vous avoir pas écrit plutôt. Je vous rends
grâces àts remarques que vous m'avez envoyées fur mon
Hilloire. Elles me font voir que vous ne dédaignez pas d'em-
ployer du temps à la lire j vous qui avez tant d'autres occu-
pations plus importantes. Pour ce qui regarde la pierre des
Indes j je vous fuis bien obligé de la bonté que vous avez de
me donner des avis à ce fujet. Je prendrai toujours en bon-
ne part ceux que vous me donnerez de cette manière. J'a-
V'ois déjà obfervé dans le paflage de Fernel , que vous m'in-
diquez, ce que vous avez remarqué, comme vous le pour-
rez voir par la troifiéme édition de la première partie de mon
livre , publiée il y a un an , dans laquelle l'endroit dont il s'a-
git a été retranché. J'ai fçu depuis , que la lettre dont j'avois
tiré cette defcription avoit été écrite du camp même , dans
le temps que notre armée étoit campée près de Bologne, par
Pépin , à la follicitation de Fernel , alors premier médecin du
Roi ; & que c'étoit un piège qu'on avoit voulu tendre à Mi-
zalde , qui dans ce temps-là compofoit fon ouvrage , (^f of-
cultis naturce 7viracHlis , & qui , à ce que prétendoit Fernel ,
adoptoitfans dilcernement toutes fortes de contes populai-
res, ôclesinféroit dans fon ouvrage. Cependant Mizaide ne
donna pas dans le panneau'; car on ne voit rien de pareil dans
fes écrits.
Je viens maintenant à votre Britannia {i) , qui efl: au-defTus
de tous les éloges , & où l'on ne peut affez admirer l'exacli-
tude , le jugement &c la bonne foi qui y régnent. Perfonnc
ne vous a jamais furpalîe en ce genre , par rapport à ces for-
tes de matières. J'ai fait beaucoup de progrès dans la con-
noiiïance des affaires d'Irlande , & je fens que j'en ferai en-
core , Il jamais les derniers livres que j'ai compofez paroif-
fent au jour ; mais je crains bien que l'iniquité des temps ,
(1) Grand ouvrage de Camden.
Hhij
^44 PIECES CONCERNANT L'HISTOIRE
ou plutôt des hommes , qui gouvernent aujourd'hui toute
l'Europe, ne m'empêche de les publier. Plût à Dieu que
vous eufllez écrit les affaires d'Angleterre , & tout ce qui re-
garde la Grande Bretagne , avec la même fimplicité & la
même précifion. Alors, à votre exemple , j'aurois ,par rapport
aux affaires d'Ecoflè , fuivi le temperamment que bien des
gens trouveront que je devois garder, & je n'aurois pas dé-
plu à vos Puiffances 5 ce que je voulois éviter, s'il étoit polTi*
ble. Mais n'ayant point d'autre auteur fur ces matières que Bu^
chanan , j'ai été obhgé d'avoir recours à des perfonnes nul-
lement prévenues en faveur de la Religion Proteftante , pour
m'inftruire plus furement au fujet des troubles arrivez en ce
pays-là. Je me fuis abftenu de toutes fortes d'invedives. Mal-
gré cela , je crains bien que ceux qui haiffent fi fort Bucha-
nan ne foient bleifez du fimple récit que- j'ai fait du meurtre
du Roi d'Ecode. Les perfonnes puiffantes doivent faire ré-
flexion , que s'ils croyent que tout leur eft permis , il eft aufll
permis à tout le monde de parler & d'écrire librement fur
leurs difcours & leurs adions. Des lettres de Lazare Schw-endi
& de Jean Craton qui avoient beaucoup de crédit auprès de
Maximilien II. ayant été interceptées pas Augufte Eledeur
de Saxe , & montrées à cet Empereur , qui y vit la liberté avec
laquelle ces deux Seigneurs parloient de lui & de toute fa
Cour , ce Prince , après avoir mûrement réfléchi fur ce qu'el-
les contenoient , fit cette belle réponfe. Notre fiécle & nos
defcendans penfent & parlent fur notre compte , comme nous les
faifons penfer & parler par notre conduite. C'efl une pénible
entreprife & im travail bien defagréable que d'écrire l'Hif-
toire , & de vouloir y être toujours fidèle à la vérité. Les
loix de l'Hiftoire obligent , non-feulement à ne rien dire
que de vrai 5 mais encore à dire tout ce qui efl vrai. Mais
vous fçavez cela mieux que moi. Je vous remercie du pré-
fent que vous avez eu la bonté de m'envoyer. La nouvelle édi-
tion de mon Hiiioire eft fous la preffe. Elle fera augmentée
de vingt-trois livres , enforte qu'elle eu contiendra quatre-
vingt. Les autres quarante-trois, oui reftent à faire , deman-
dent d'autres temp'^ (3r. d'autres mœurs. Adieu ^ continuez de
m'aimer & écrivez moi, fi votre loifir vous le permet, A
Paris le 13 Avril ido8. ( nouveau ftiie. )
D E J. A. D E T H O a 2^^
Lettre d^Ifaac Cafaubon , à Jacques-Augufie de Thou,
MONSIEUR. J'ay communiqué au SérénifTîme Roy de
la Grande Bretagne la lettre que vous m'avez fait Thon- l-^Jj^ "f^J '/^
neur de m'écrire dernièrement. Je fouhaitois depuis long-tems Manufcnt.
avec ardeur ^ que fa Majefté pût connoître dans quels fenti-
mens vous êtes à fon égard ^ & qu'elle fcût le refped & la vé-
nération que vous inipirent pour elle fes grandes qualitez ^
fa vafte littérature , ôc fes connoifiances univerfelles. Bien
ailuré de vos difpolitions à ce fajet , je n'ay pas manqué,,
depuis que je fuis à la Cour d'Angleterre, toutes les fois
que la converfation tomboit fur vous , d'aifurer le Roy,
qu'il n'y avoit perfonne plus pénéî:ré que vous d'admiration
pourfa. Majeilé, & qui lui donnât plus volontiers les éloges
qui lui font dûs. Vous voyez par-là que rien ne pouvoir me
faire un plus grand plaifîr, & venir plus à propos, que votre
lettre. Vous m'y donnez de nouvelles aiïurances de votre dé-
vouement à fa Majefté. Vous me demandez que je l'en alTurer
une féconde fois de votre part. Ce Prince , qui aime ]a vérité,
a été charmé de votre amour pour elle 5 amour dont vous don-
nez allez de marques dans votre lettre. La candeur, dont vous
faites profelTion en écrivant, la docilité que vous montrez à
changer & à corriger , fur des pièces plus exactes , ce que vous
avez puifé dans des mémoires infidèles, ont fait beaucoup de
plaifir à fa Majefté. Ces fentimens font dignes de vous , Mon-
fieur , qui avez toujours préféré la vérité à toutes chofes , dans
votre conduite,<5c particulièrement dans votre Hiftoire. Le Roi,
qui d'ailleurs a pour vous toute l'eftime poftible , eft très-faché
qu'avec âtQS intentions 11 droites , trompé par certaines gens y
vous vous foyez écarté de la vérité, fur le compte de la Reine
Marie de glorieufe mémoire , fa mère 7 que vous foïez entré
fur cela dans un détail circonftancié , & rapporté des chofes
dont fa Majefté connoît toute la faufteté. Elle fçait qu'elles
n'ont été inventées que par des dijets rebelles, qui font con-
nus pour tels dans toute l'Ecofle, qui ont cherché tous les
moyens de nuire à cette Princefle pendant fa vie , & qui
n'ont employé leur efprit , leurs foins 3 leur adrefle , leurs tra-
yaux , qu'à perdre cette Reine infortunée ^ dont le fort dé-
Hhiij
2.^6 PIECES CONCERNANT L'HISTOIRE
plorable doit toucher tous les gens de bien. Car auffi-tôt que
rEcoflc fut déchirée par les fedions , il n'eft pas croïable .,
( on ne peut même le raconter fans horreur ) avec quelle fu-
reur le parti oppofé à la Reine fe déchaîna contre elle & con-
tre fes partifans. Cet emportement a été jufqu'à la rage. Mais
que fert d'en parler ? Il y a eu des gens , dans le temps de ces
troubles , qui ont pouffé les chofes Jufqu'à fe faire un devoir de
Religion , de rabaiffer la Majefté Royale , de dépouiller une
Reine de fes Etats, de déchirer fa réputation , & enfin d'atten-
ter aux jours d'une Princeffe digne d'un fort plus heureux. Le
Roy , qui par la douceur de fes mœurs , mérite à jufle titre le
furnom de tres-boriy raconte aflez fouvent plufieurs traits d'une
cruauté inoùie , & des faits furprenans , arrivez dans ces
tems de confufion. Je vous aflure que j'en ai appris d'avanta-
ge ^ & même des choies plus frappantes^ de gens très-dignes
de foi, qui malgré leur attachement à la réforme établie en
Ecoffe , ne fe rellbuviennent qu'avec horreur des fureurs de
ces fadieux.
Pour peu qu'on ait lu les écrits de George Buchanan , cé-
lèbre dans la littérature , mais meilleur Poète que bon fujet ,
on eft forcé de convenir qu'il a époufé le parti des rebelles, ôc
qu'il a rendu de très-mauvais offices à la Reine fa maitreiîe ,
& à la Majedé royale. Son livre feul du Royaume d'Ecoffe dé-
couvre allez fes fentimens. Un bon citoyen , un fujet iîdcle
& zélé pour fes Souverains , ne peut lire cet ouvrage fans in-
dignation , & fans en détefter l'auteur. Tous les gens de bien
prétendent aujourd'hui avec raifon , qu'on doit regarder com-
me les auteurs de tant d'attentats fur la perfonne de differens
Princes , non-feulement les aflafïins mêmes, mais encore ceux
dont la dodrine pernicieufe les enhardit au crime ^ & les
ralfure par l'apparence d'une faufle juftice.
Après cela que peut-on penfer de Buchanan , & de quelques
autres auteurs Ecoflbis, qui décident hardiment ^ en termes
précis, qu'il faut punir du derniej fupplice , ou afTalTmer les Sou-
verains légitimes , qu'ils appellent des tyrans ? Je vous avoue
que je ne fçaurois rapporter ces déteftables fentimens , fans fré-
mir d'horreur. Le Roi fe plaint que Buchanan ait écrit fon
Hifloire dans ces funedes difpofitions. Il ne faut qu'ouvrir
fon livre , pour s' encon vaincre. Ainfi vous ne devez pas être '
DE J. A. D E T HO U. 247
Furprls que Sa Majefté foit fâchée que vous ayez parlé de la
Reine fa mère fur la foi de cet Hiftorien, que vous avez fuivi
avec trop d'exaditude , & que vous ayez copié les calomnies
de ce fuj et ingrat. Ne croyez pas jMonfieur^ que le Roi de-
mande pour cela qu'en fa faveur vous vous écartiez le moins
du monde de la vérité ; il exige de vous feulement , & il a
droit de l'exiger de tout Hiftorien , que vous ne tranfmetriez
point à la pofterité , comme des réalitez , l'ouvrage de la perfi-
die de quelques rébelles. Enfin , ii les Princes ont fait des fautes
qu'il importe peu à la pofterité de connoître , je ne crois pas
qu^il y ait aucune loi de l'Hiftoire , qui oblige un Ecrivain à les
rapporter. Ce n'eft point en cela que confifte l'amour de la
vérité 5 il n'y a dans ces fortes de traits que de la malignité , &
de l'aigreur. On n'a qu'à lire Buchanan & d'autres Hiftoriens
nial-intentionez pour la Reine , fi on veut avoir un exemple
éclatant de cette malignité. Mais ne peut-on écrire avec mo-
dération fur le compte des Souverains ? Qu'y a t'il de plus
ordinaire que de dire , que c'eft une fuite de la condition hu-
maine , de faire des fautes ? Les Rois & tous les Grands font
hommes comme nous 5 & des hommes foibles,plus expofez que
les autres à être vaincus par les paiïlons. N'eft-il pas plus jufte
( du moins je le penfe ainfi ) de les plaindre ^ en bons & fidèles
fujets , que de prendre plaifir à les décrier , s'il leur arrive de
fuccomber au mal par leur propre foiblefle , ou de s'égarer par
ia faute de leurs favoris?
Je ne parle pas ici de ces adions , qu'un Hiftorien eft obligé
en honnête homme d'écrire , & au récit defquelies la gloire
de Dieu eft intereftee : les rebelles d'Ecofle ont été bien
éloignés de cette fage modération. Soigneux de rechercher
tout ce qu'ils jugeoient propre à noircir la mémoire de leur
malheureufe Reine , ils ont enféveli dans un coupable fi-
lence les adions glorieufes qui ont illuftré fon régne. Voit-on
un feul de ces calomniateurs odieux , qui faftent mention
du bonheur de fon gouvernement pendant quelques années ^
après fon retour de France en Ecofle f Où font les louan-
ges qu'on lui a données fur ce fujet?
Le Roi pour réfuter toutes ces fauftetés injurieufes , ou
plutôt pour les détruire , a jugé à propos de faire travailler
à de bons mémoires de la vie de fa mère , & de vous les
S48 PIECES CONŒRÎ^ANT L'HISTOIRE
envoyer : Sa Majcfté ie flate que vous vous ferez un plaî-
fir de difcerner le vray d'avec le faux , le certain d'avec l'in-
certain, & la réalité d'avec le menfonge. Elle efpere que vous
fuivrez fes intentions , & même elle l'exige de vous. Il y a
dans cette ville un homme de condition (i) qui joint à une
parfaite connoiiîance de l'antiquité une grande étude de
l'Hiftoire , foit ancienne foît moderne ; il s'eft inftruit de celle
des reines Elifabeth , & Marie , par des monumens publics , ôc
par les lettres de ces deux Princefles : il difpofe les faits , par
ordre du Roi , qui n'ayant lui-même perfonne au defllis de lui
dans la connoiiîance de l'Hiiloire , examine le tout avec beau-
coup de foin , & pefe mûrement les chofes dans la balance
de la vérité. Sa Majefté fe prépare à vous faire tenir ces mé-
moires au premier jour, dans le deflein que vous fubftituïez
des faits certains aux calomnies qui vous ont été fournies par
d'infidèles fujets. N'appréhendez pas d'effuyer des repro-
ches de légèreté de la part des honnêtes gens : au contraire
ce fera pour vous un honneur auprès des perfonnes fages ôc
équitables , d'avoir embraffé la vérité , aulTi-tôt qu'elle s'eft
offerte à vos yeux , & de l'avoir , pour ainfi dire , revendiquée
comme votre propre bien , félon l'exprefTion du Philofophe.
Xe Roi croit qu'il lèra à propos , d'apprendre aux ledeurs,
dans la première édition , que vous ferez de votre hidoire ,
après avoir corrigé ce qui concerne la reine Marie , quels mé-
moires vous aviez fuivis d'abord, & fur quels autres vous aurez
réformé cet endroit de votre ouvrage. Vous n'attendrez pas
long-temps les mémoires qu'on vous promet : ils feront entre
vos mains quelques jours après les fêtes de Pâques : car le Roi
prefTe extrêmement cette affaire , qu'il a fort à cœur. Adieu ,
Monfieur : je puis vous appeller avec juftice le père de l'HiT-
toire moderne. A Londres le 2,^ de Février 1 61 1.
I^ettre d'Ifaac Cafauhon à Jacques Augufie de Thou,
Traduite du *?i /f O N S IE u R. Vous m'avcz fait grand plaifir , & vous
J^/îanufcrit. ^ i^A ^^^"^ ^gi prudemment , en m'envoyant deux lettres :
vous avez deviné jufte, en penfant que j'en montrerois une
-au Roi. C'eft pourquoi je vous demande de ne vous poinc
(0 -Le chevalier Robert Cotton.
faire
DE J. A. DE T H O U. 249
faire de peine d'entreprendre ce travail ; je ferai toujours dif-
pofé à faire ce que vous fouhaiterez de moi. Je montrerai tou-
jours au Roi ce que j'écrirai par fon ordre 5 car je veux & je
dois lui être fidèle. J'ai été très chagrin de voir l'extrême in-
dignation , que la féconde ledure de votre Hiftoire lui a caufé;
il n'a pu voir fans colère , que Buchanan fut par-tout votre
guide. Le Roi , & tous les EcofTois qui connoiilent cet Ecri-
vain , aflurent que fa coupable haine pour la reine Marie
avoir une caufe très-iegere. Vous n'ignorez pas que fon Hif-
toire eft défendue en EcolTe 5 ainfi le Roi eft indigné qu'un
homme auffi grave que vous , & fi ami de la vérité , n'ait pas
foupçonné la bonne foi de cet Ecrivain injufte : j'ai dit cent
fois à Sa Majefté , que vous aviez confulté là-deiTus pliifieurs
Ecoffois de toute efpece : le Roi m'a répondu que ce font
tous des traîtres , qu'il regarde comme de vrais ennemis de fa
maifon.
Peut-on n'être pas touché des fentimens de tendrefle d'un
fi bon Prince pour une mère infortimée ? Pour moi je puisa
peine retenir mes larmes, lorfque je me reprefente le déplo-
rable fort de cette grande Reine , qui fuccomba fous les arti-
fices d'un petit nombre de fcelerats , & qui finit fa vie fur un
échatfaut. La reine Elifabeth d'heureufe mémoire a toujours
eujhorreur de cette cruauté : cependant comme li des malheurs
fi dignes de compalTion n'euffent pas dû en trouver dans le.
cœur du Roi , il y a eu des gens , qui ont eu la malice de dire
à Sa Majeflé , que c'étoit une chofe honteufe pour elle , que
votre Hifloire eut été condamnée à Rome j comme contraire
à la réputation de la reine Marie , & qu'elle eût néanmoins un
libre cours dans fes Etats. J'ai appris cette particularité de la
bouche de Monfieur l'évêque de Londres , qui , comme votrç
ami intime , a fenti tout le venin de ces paroles. Il ajouta en
me les rapportant : Ces Gens de bien & ces Pères vénérables s^em-
ùaraffent bien de cela. Vous verrez facilement ce que vous au-
rez à faire, à la ledure de cette lettre , que je vous écris par
l'ordre du Roi, dans les termes dont il s'efV fervi en me pariant,
- Je ne fçai quels remercimens vous faire , Monfieur , de
toutes vos bontés pour moi 5 ma reconnoiflance efl au-de-là de
toute exprefîion. Je fuis très-perfuadé qu'il n'y a rjen de fî
difficile que vous ne foyez difpofé à faire en ma faveur. Je
Tome KK \ \
2^0 PIECES CONCERNANT L'HISTOIRE
fuis redevable à vous feul , & à Monfieur le cardinal du Perroft]
qu'on n'ait point touché au peu de bien que je poffede en
France , & aux bienfaits que je tiens de la Reine. Je puis dire
devant Dieu , que je partis de France dans le deffein d'y reve-
nir deux mois après j je fouhaitois avec ardeur de connoître
par moi-même la forme de l'Eglife Anglicane , & d'avoir
quelques entretiens avec les fçavans perfonnages qui la gou-
vernent. Je ne me repentirai jamais de cette démarche : j'ai
trouvé des hommes refpedables par leur dodrine , par leur
pieté , par leur amour pour l'union. Je pafTe beaucoup de temps
avec eux , & je ranime par de faintes penfées mes tiédeurs, fruit
de mes péchés. Je puis manifefter en ces lieux mon zèle pour
la vérité des premiers temps , détefter en liberté la folie de
ceux qui adoptent , par rapport à la religion^ ce qui eft
contraire à ce qu'ont établi les faints Pères. Je puis faire écla-
ter ici toute l'indignation que je reffens à la vue de la tyrannie,
que des furieux exercent dans l'Eglife ; j'entens ceux qui
depuis peu ont parlé de moi dans leurs écrits, & m'ont adroi-
tement fait pafler pour fauflaire. J'efpere effacer bien-tôt ,
avec la grâce de Dieu, cette tache , & faire approuver à vous
& à tous les gens de bien l'apologie que j'ai dellein de publier
fur ce fujet. Je me flate de ne rien dire pour ma juftification ,
qui puiffe irriter la Reine ( i ) contre moi. J'ai prié Monfieur de
îa Boderie , homme d'une prudence & d'une probité parfaite ,
d'aflurer tout le monde que je fuis & ferai toujours fidèle fujet
du Roi , & de la Reine. Je fouhaite aufll , Monfieur , que vous
en fo-yez très-perfuadé.
Puifque la Reine me permet de demeurer un an ou ëeiix
en Angleterre, je ferois ravi d'avoir mes livres & mes re-
cueils, pour ne pas perdre mon temps. J'ai chargé mon
ami Chabané de vous demander confeil là-deiîus , & d'agir
en conféquence. Il feroit peut-être plus à propos d'attendre
le retour de ma femme , qui fouhaite d'arranger une fois mes
affaires, fuivant l'avis de mes amis, & fur tout parvoscon-
feils. Que la divine bonté vous conferve en fanté , avec Ma-
dame la Préfidente & Meffieurs vos enfans. Adieu. A Lon-
dres le 24 de Février 16^11.
(i) Marie de Mcdicis Reine de France^
DE J. A. DE THOU. nfi
Lettre de Jac. Aug. de Thou , à Ifaac Cafaubon.
MONSIEUR. J'ai receu la voftre du 24 dupafîe. Vous imprimée Cut
m'avez aifément perfuadé de faire le contenu en icelle le Manufcnt,
au contentement de S. M. car j'y eftois fort difpofé. Il ne
doit s'efmouvoir , fi n'ayant autre Hiftoire de ces triftes & mi-
ferables accidens , qui en perfonnes fi illuftres ne peuvent
eftre tenus fecrets & cachés , que celle de celuy dont il fe
tient fi grièvement offenfé 5 & les autres n'en ayant parlé que
confufément , fans expliquer les caufes particulières , j'ay fui-
vy celuy qui les avoit plus particularifées : en quoy , s^il lu/
plaift y prendre de prés garde , il trouvera que j'ai beaucoup,
& tant que j'ay pu , adoucy les chofes ^ & remis à la foy
de celuy duquel je les empruntois, les plus grieves. Je fuis
aufTi bien aife que vous vous foyez fouvenu de luy reprefenter ,
qu'en la grandeur terrible de ces accidens , me trouvant per-
plex, j'ay communiqué & pris le confeil d'aucims Ecoflbis
anciens, qui s'eftoient trouvez en ces entrefaites^ mefmement
des Catholiques, eftimant leur foy en ce fubjed moins fuf-
pede.
S. M. peut connoiftre par cela , quelle religion , & mode-
ration j'ay apporté à cette partie d'Hiftoire , ayant tousjours
craint & appréhendé qu'elle ne s'en fentît ofFenfée. Mais puif-
que Dieu a voulu qu'elle ait pris le confeil que m'efcrivez, qui
eft de m'envoyer de meilleures & plus certaines inftrudions
de ces chofes, que celles que j'ay fuivy> les ayant receues,
il connoiftra que n'ayant eu autre but en tout mon travail ,
que d'efcrire les chofes au vray & fans haine ny grâce , Ci-^
toft que cette vérité, que j'ay par tout cherchée , me fera
reprefentée , je l'embrafleray , & laifleray le faux & incertain
pour le vray & l'atfeuré. Mon Hiftoire a efté expofée au
public du commencement, non tant comme un œuvre du
tout achevé, ains pour recevoir en un fi grand œuvre les ju«
gemens de plufieurs, & fuivaht iceux corriger, augmenter,
changer, remettre ce qui s'y trouveroit avoir de défaut par
omiiTion ou mauvaife information des chofes. De cela pou-
vez-vous afîeurer S. M. & qu'il n'y a perfonne aujourd'hui
qui favorife plus fa gloire , ôc tout ce qui luy touche , que moyj
li ij
a<;2 PIECES CONCERNANT L'HISTOIRE
comme je defire luy tefmoigner entoures les occafions, qu'il
peut attendre d'un bon François, & amateur de la vérité, &
de fon nom. Je fuis fon très humble & très obeiflant ferviteur.
Je fupplie en cet endroit noftre Seigneur , Moniîeur, vous
donner en parfaite fanté fa grâce.
Le 22 Mars Voftre très humble & très afFedionné
i(5ii. ferviteur. De Thou,
Lettre de Jac. Aug. de Thon, a Ifaac Cafaubon.
Imprimée fur Ik /^On SIEUR. J'ay reccu le 15 du prefent les Memoi-
ie Manufcm. J^Vj^res que m'avez envoyé delà part du ferenifllme Roy
de la Grande Bretagne. J'eufle defiré les avoir pu avoir , lors-
que premièrement je me mis à efcrire les chofes de lxvii
ôc Lxviïi : mais eftant deftitué de toutes autres Hiftoires , hor-
mis celle qui les a efcrit avec tant d'aigreur , tout ce que je
pus, ce fuft de les adoucir le plus que je pouvois, n'ayant
autre conduide neantmoins en cela, que la mefme Hiftoire.
Vous eftes tefmoin combien j'ay fué & d'efprit & de corps
fur ce fubjed, prévoyant ce qui en eft arrive. Je vous enay
parlé fouvent, & vous ay did comme je m'eftois travaillé
de fçavoir la vérité des chofes par les Efcoflbis Catholiques^
qui à caufe de la Religion eftoient icy réfugiez. Je ne pou-
vois faire autre chofe. J'ay fouvent deiiré que tout cela fe
pût pafler par le filence ; mais les morts des Grands , & les
changemens qui en arrivent aux Eftats , ne permettent que
fi grandes chofes paflent par la loy de l'oubliance.
Je prendray le loifir de revoir ce que j'ay efcrit, & l'ac-
commoder autant que je pourray , fuivant les Mémoires. Mais
j'ay befoin de ce qui s'eft paiTé depuis l'an lxxii , jufques
où vont les Mémoires que m'avez envoyé : au moins jufques
à la mort indigne mais genereufe de la Reine Marie , & la
jnort aufli du Comte de Morton. Car entre ce temps font
arrivées plufieurs chofes en EfcolTe , qui peuvent fervir à
ce que l'on délire de moy ; en quoy je n'obmettray rie» de
ce qu'on peut attendre d'im homme de bien, & qui n'a re-
cherché en tout ce grand travail que la gloire de la vérité.
C'eft pourquoy je vous prie de faire que le furplus me fok
DE J. A. DE THOU. 2;^ ]
envoyé le pluftoft que faire fe pourra. Car les affaires font -i
cnchaifnées , & faut voir la fuite fur un mefme afped , pour
en faire plus alTeuré & certain jugement. Quand j'auray le i
tout , je Içauray bien faire mon profit des particularitez , pour :
ians foupçon de faveur faire paroiftre la vérité telle que l'on \
délire. Cela s'entend mieux par ceux qui ont le jugement ex- i
perimenté en telles affaires , qu'il ne fe peut exprimer pau '
Lettres.
Continuez moy tousjours en voftre bonne fouvenance , Ôc '
me faites fouvent part de vos nouvelles. Tout ce qui vous - j
touche m'eft cher, & me touche de plus prez qu'à aulcun I
de cette Cour. Je croy que vous le croyez auffi j mais j'aime \
mieux que le connoilllez par les effets que par les paroles. ■
En cet endroit je fupplie noftre Seigneur, Monfieur, vous ]
donner en fanté fa grâce. I
De Paris ce 17 Voilre bien humble & très affeclionné
Juin 16 II. ferviteur^DE Thou. ;
i
Lettre dUfaac Cafauhon, à Jac. Aug. de Thou.
\
LE Roi a appris avec beaucoup de joye , que vous avez ^'^^^^^^- ^^
reçu les Mémoires qu'il vous a envoyez. Il m'a corn- du SjiUge e- \
mandé de nouveau de vous aflurer que ce qui eft contenu /'"^- ^/- ^^; \
dans ces Mémoires , eft la vérité pure. Sa Majefté compte llj\ ^ * ^* |
vous faire tenir le refte au premier jour. A Londres le 11 de " \
Juillet i5ii. ( Vieux ftyle. ) \
Lettre à'ifaac Cafaubon y à Jac. Aug. de Thotî.
O N s I E u R. Je ne faifois que d'achever la lettre ci- L^j^rf^u? le
^ ^ inclufe , quand on vint m'avertit que le Roi vous en- Manufcrit,
voyoit la féconde partie de l'Hiftoire , à laquelle on a tra-
vaillé depuis peu. Je n'ai pu la hre ; mais je fliis bien fur que
îe Roi , qui eft aufTi habile que perfonne dans cette matière^
a tout lu, tout examiné, & corrigé tout. Ainfi s'il peut y
avoir quelque certitude dans les chofes humaines, vous ave^
un guide que vous pouvez fuivrc , fans craindre de* vous éga-
rer. Le Roi fouhaite que vous revoyez votre Hiftoire , &:
li iij
25-4 PIECES CONCERNANT L'HISTOIRE
que vous y réformiez ce qui a befoin d'être changé. Au refte
S. M. qui aime la vérité par-defllis tout , ne demande point
que vous l'altériez le moins du monde , en fa confidération.
Mais auffi a-t'elle droit d'exiger que vous vous en rapportiez
plutôt à elle qu'à desfujets rebelles, en ce qui concerne les
troubles de fes Etats. Vous obligerez beaucoup Sa Majefté
de l'informer par mon canal de ce que vous aurez defîein
de faire. Confervez-vous en bonne fanté avec Madame la
Prefidente , & Meflieurs vos enfans j & honorez-moi toujours
de votre amitié.
A Londres le 3 i Votre très humble ferviteur ,
Décembre i^ii. Is. Casaubon.
Lettre du même au même.
Traduite du "T TOus avez , Monfieur, le fécond tome des Mémoires
du'^s"//f"T V du Chevalier Cotton. Le Roi compte que vous y trou-
_ , V
fift. ^if^ ca- verez de bonnes chofes pour votre Hiftoire. Il m'a chargé
(aub. Kot.^. (Je vous prier de fa part, de vous fier abfolument à ces Mé-
moires , qu'il a lus , examinés , & jugés dignes de foi. Vous
aurez donc la bonté d'en tirer, fuivantla jufte demande de
Sa Majefté, tout ce qui pourra contribuer à la fidélité &
à l'augmentation de votre Hiftoire. A Londres le premier
jour de l'année \6\2. ( Vieux ftyle. )
Leme d'Jfaac Cafaubon ^ à Jac. Aug. de Thou.
. T\ /MONSIEUR. Lorfque je penfe, comme je fais fouvent, à
Iradiute du|%/i il^ -c
latin, & tirée X ▼ X^^*"^^^^ ^^^ Dontcs que VOUS avcz cues , & que vous avez
du Syiiogc E- encore tous les jours pour moi , je reconnois mon infuffifan-
fauL Rot^T ^^^ ^ je fens bien que je ne puis vous exprimer, félon mes
4ÎÎ. defirs, toute la reconnoiflance de tant de bienfaits. N'eft-ce
pas vous qui m'avez fait connoître dans le monde ? Chaque jour
eft marqué par de nouvelles obligations. J'étois inconnu à Ge-
nève, ville peu propre àfe faire un nom. Vous avez le premier
penfé à me èiire venir en France , afin que ma réputation qui ne
commençoit, pour ainfi dire , qu'à éclorre , pût s'accroître fous
im ciel plus favorable. Vous n'eûtes pas plutôt communique
DE J. A. DETHOU. 2^^
votre deffein à Philippe Canaye , à qui j'ay de grandes obli-
gations , qu'il n'oublia rien pour me faire venir en France.
J'étois content de mon fort , en me voyant établi dans un
aflez bel endroit de ma patrie 5 mais vous ne vous en êtes
pas tenu là. Vous m'avez encore voulu faire briller fur le
plus beau théâtre du monde. Que dirai-je de plus ? Vous
n'avez pas difcontinué vos bons offices , que vous ne m'ayez
fait palier de Montpellier à Paris , par le moyen de Monfieur
de Vie. Vous avez fait pour moi ce qui ne me feroit jamais
tombé dans la penfée. Vous m'avez mis dans les bonnes grâ-
ces d'un grand Roi. Je fuis donc venu fous les aufpices de
Sa Majefté , & je me fuis mis avec ma famille fous votre pro-
teftion. Depuis ce tems-là votre bourfe m'a toujours été ou-
verte. Vous m'avez obligé , & j'ai toujours reflenti les effets
de votre bonté pour moi. Cette generofité eft digne d'un
homme tel que vous. Mais que vous paroifTiez prendre mes
intérêts avec plus de chaleur en mon abfence , que lorfque
j'avois le bonheur de vivre dans le même lieu que vous,
cela efl encore plus grand. Je ne vous rappellerai point ici
les bontés que vous avez eues prefque tous les jours pour
ma famille, & pour moi, après mon départ. Mais puis-je fans
rougir, penfer au bon office que vous m'avez rendu, en fai-
faut relTouvenir de moi MoiiTieur le Chancelier , & en mé-
nageant mes intérêts ? Efl-il poffible qu'un homme de votre
rang & de votre dignité veuille bien s'embarafler de mes
affaires j & ne dédaigne pas de prendre foin de ma fortune?
Mon devoir m'obligeoit à écrire à Monfieur le Chancelier,
ôc à le prier de fe fouvenir de moi. Je n'ai fait ni l'un ni
l'autre 5 je n'en ai pas même eu la penfée , ce qui eft une
extrême groffiereté de ma part. Mais Monfieur vous avez
bien voulu fuppléer à ce que j'ai manqué de faire. Vous
avez foUicité pour moi une penfion , que vous ne deman-
deriez pas pour vous-même. Je jouirai donc cette année des
libéralités du Roi , qui répareront le malheur de mes affai-
res. A Londres le premier de Mars 1 5i 2. ( nouveau fty le.)
■Q.{6 PîEŒS CONCERNANT L'HISTOIRE
Lettre d'Ifaac Cafatibon j à JacqueS'Augufte de Thou.
Tradfite du Tk yf Q N S I E u R. Le Roi m'ordonna ces jours paffez de le
latin fur le i\/l r • r • ^ ^ i •
^lanufcrît. '^'^-*' venir trouver , pour me taire Içavoir ce qu on lui
avoir mandé de Paris. L'Anglois (i) , qui depuis peu vous a
remis les dix livres des mémoires du Chevalier Cotton , a écrit
aufll-tôt une lettre à ce Chevalier ^ où il lui mande ce qui
fuit. Que vous n'avez réfoîu de donner une nouvelle édition
corrigée de votre Hiftoire , que dans je ne fçai combien d'an-
nées , parce qu'il y avoit encore un grand nombre d'exem-
plaires des premières éditions dans le magafin de votre Li-
braire : Que d'ailleurs vous trouviez dans les mémoires j que
le Roi vous avoit envoyez , bien des chofes qui vous paroif-
Ibient fufpedes : Qu'il y avoit un Ecoflbis , nommé Colvil, qui
les revoquoit en doute pour la plupart , & que vous aviez
beaucoup de foi en cet EcofTois : Que fi le Roi vouloit abfo-
lument que vous reformafîlez ce que vous aviez écrit , & que
vous fuivilTiez les Mémoires du Chevalier Cotton, vous de-
mandiez que fa Majefté vous l'ordonnât expreflcment par un
écrit figné de fa main. Cet Anglois ajoùtoit , que l'on ne pou-
voit vous perfuader que le Comte de Murray , dont il eft fi
fort parlé dans les affaires d'Ecofle , ne fut pas un homme fage
& vertueux , & un fujet fidèle , tel que vous l'avez dépeint.
Le Roi, après m'avoir fait part de ces chofes qu'on lui avoit
mandées , ajouta qu'il étoit bien furpris que vous eulliez
ainfi changé de fentiment : Qu il avoit fait compofer les Mé-
moires qui vous avoient été envoyez , parce que vous aviez
paru le fouhaiter , & difpofé à corriger les fautes que vous
aviez faites > lorfqu'on vous auroit inftruit de la vérité des
faits. Sa Majefté me dit alors de me fouvenir que je l'avois
îtlTuré, foit en mon nomj, foit de votre part, que telles étoient
vos difpofitions. Elle eft fur-tout étonnée que vous donniez
plus de créance à un petit nombre de fujets rebelles, à des
traîtres profcrits & expatriez 3 que vous n'avez d'égard à fon
témoignage & à celui de tout le Royaume d'Ecoffe. Je ne
veux , pourfuivit-elle , qu'on donne pour vrai, que ce qui eft
(i)Lefîeur Jean Pory. On verra dans la fuite coa^ment il fejuûihc dans uneicttrc
écrite au Chevalier Cotton.
tenu
DE J. A. DE THOU. 2^7
tenu pour certain cft inconteilable par tous les Ecoiïbls , gens
de bien & fidèles fujets. Le Roi ajouta qu'il n'avoit pas d'a-
bord condamné le Livre de Buchanan & autres pareils ou-
vrages h mais que dans fa jeuneiTe , lorfqu'il avoir environ qua-
torze ou quinze ans , le livre avoit été condamné, comme at-
tentatoire à la Majefté Royale j par un ade du Parlement
d'EcofTe. Qu'auffi , ni FHiftoire de Buchanan , ni les autres
Livres de cette efpece n'avoient point été imprimez en
Ecoiîe. A Fégard de la foi que vous aviez au témoignage
de Colville & d'autres gens de cette efpece , ennemis décla-
rez de la Reine fa mère, fa Majefté me dit qu'elle en étoit
indignée , & qu'elle regardoit comme une injure atroce faite
à lui-même^ qu'un homme de votre caradere, qui faifoit
profeifion d'aimer la vérité , prît un parti fi peu raifonnable.
Le jugement que le Roi porte de Murray & de fon carac-
tère n'eft point fondé fur de vains bruits populaires, ou fur de
frivoles conjedures, mais fur des faits dont il connoît mieux
la vérité que qui que ce foit. Il me dit qu'il avoit examiné tous
les ades publics avec tout le foin polTible , & qu'il n'avoit
rien négligé pour découvrir la vérité. Enfin fa Majefté m'or-
donna de vous mander ce qu'elle me faifoit l'honneur de me
'dire, & de vous déclarer que fi vous étiez réfolude ne point
tenir la parole que vous lui aviez donnée , & de lui refufer ce
qu'il exigeoit de vous avec tant de juftice, il feroit publier
lui-même l'hiftoire véritable de ce qui s'étoit pafle en ce tems-
là en Ecofle 5 & qu'en vengeant l'honneur de fa mère , il vous
demanderoit publiquement raifon de l'aftront que vous lui
aviez fait à lui-même : Qu'il ne prendroit néanmoins ce parti
qu'à l'extrémité & malgré lui , ayant de l'amitié pour vous , &
eftimant beaucoup vos vertus. En effet, plufieurs perfonnes
l'on entendu fouvent faire votre éloge.
Pour moi , je n'ai pas manqué de protefter à fa Majefté que
cet Anglois, dont il tenoitla lettre en me parlant, m'étoit
fufped, & que je ne pouvois ajouter foi à ce qu'il difoit :
Que j'aimois mieux m'en tenir à ce que m'avoit aflliré un
homme de votre caradere, dont jeconnoiftbis la probité &
la fagefle : Que cet Anglois pouvoit n'avoir pas compris votre
penfée , ou qu'il avoit mal interprété vos paroles : Que peut-
ctxe il lui en étoit échappé mal-à-propos quelqu'une , qui avoit
Tome XV. Kk
2^8 PIECES CONCERNANT L'HISTOIRE
été caufe que vous l'aviez un peu mal reçu 5 qu'il fe pouvoir
faire que cette traralTerie vînt de là.
Enfin je fuppliai fa Majefté de vouloir bien , avant de chan-
ger à votre égard, vous permettre, après que vous auriez re-
çu la lettre que j'allois vous écrire à ce fujet, d'expofer la
vérité de ce qui s'étoit paflc entre vous & l' Ang'ois , & le dé-
tail de ce que vous lui aviez dit : Que j'étoisfûr, & que je pou-
vois en afllirerfa Majefté , que vous lui donneriez une pleine
& entière fatisfadion. Qu'à l'égard des exemplaires des autres
éditions qui reftoient chez votre Libraire, &qui retardoient
la nouvelle édition, c'étoit un léger obftacle, parce qu'en
publiant votre ouvrage , vous ne fongiez ni à femer , ni à re-
cueillir: Que c'étoit l'affaire du Libraire & non la vôtre, &
que le gain ou la perte ne conccinoit que lui fcul : Qu'au
refte , on ne le pouvoir contraindre avec jullice de fe faire
tort à lui-même. Le Roi goûta ma réponfe & parut fatisfait
de ces raifons. Sa Majeft-é attend avec impatience ce que
vous répondrez. Comme je fuis perfuadé que vous ne répon-
drez rien que de raifonnable , je ne doute point auiïi que
ce Prince , qui eft très-équitable , ne foit content de ce que
vous écrirez. Je vous prie de ne pas tarder à le faire , dès que
vous en aurez le loifir , & de mander inceflamment dans quel-
les difpofitions vous êtes. Adieu, Monfieur, je fuis, 6cc. A
Londres le 27 Février 1612.
Lettre de Jacques-Âugujîe de Thou à Ifaac Cafaubon,.
Imprimée fur TV/f ^NSiEUR. J'ay reccu Celle que m'avez efcrit du
le Manufcrir.^ J V^l xxviT. du palle. L'Anglois mentionné en la voftre
n'a pas fait entendre de bonne foy , foit faute d'intelligence ,
ou autrement, au Seigneur Cotton ce que je luy ay dit. Car
s'il l'euft fait, le féréniflime Roy de la Grande Bretagne
n'eufl eu fubjed de vous dire ce qu'il vous a chargé de m'ef-
crire. Car cet Anglois m'eftant venu trouver , aprcz plufieurs
propos que nous eufmes enfemble fort familièrement , la
concluflon fut , car je ne me fou viens bonnement dufurplus,
que pour le defir extrefme que j'avois de faire que fa Majetté
fuft contente de moy , je le priois de faire entendre au Sei-
gneur Cotton , que l'on ni'euft fait un fmgulier plailir de me
DE J. A. DE THOU. 2^^
■pfefcnre nommément ce que l'on vouloir eftre ofté , changé
& adjoufté fur ce fubjed en mon Hiftoire : non que j'aye de-
firé ou exige , comme vous m'efcrivez qu'il a fait entendre ,
que de cela me fuft efcrit ny commandé par fa Majefté , à
quoy je n'ay jamais penfé ; ains feulement j'ay defîré parmi
les occupations que j'ay , qui ne me permettent de vaquer
maintenant à celle eftude comme autrefois , que je fulfe en
cela foulage & inftruit de façon , que je ne peufle tomber de-
rechef en l'inconvénient où je me vois maintenant précipité
contre ma volonté. Car vous m'eftes tefmoin , comme j'ay
tousjours dès le commencement craint , qu'en ce pafTage je
ne peutTe fatisfaire à mon defir au contentement de fa Ma-
jefté 5 & n'y a chofe qui m'ait tant travaillé i'efprit en toute
mon Hiftoire , que ce feul poind.
Quant à ce que vous m'efcrivez touchant FEdition future J
cela a efté aulîy peu fidellement rapporté que le refte. Car
comme il me demandai! je faifois réimprimer mon Hiftoire,
je luy refpondis que le Libraire à qui j'avois baillé le privilè-
ge, à mon jugement ne fe laifteroit perfuader de la réimpri-
mer li-toft, & qu'il y auroit affez de loifir entre cy & là de
faire la corredion & mutation que l'on defiroit. Quant à ce
que je luy dis de Colville, ce n'eftoit en intention qu'il le
fift entendre par delàj & ne fuft autre chofe, que defireux
de fçavoir d'un homme j qui ne devoir vrayfemblablement
favorifer la mémoire du Comte de Murrei , à caufe de la
haine de la Religion , s'il étoit foubçonné en Ecofle d'avoir
participé au parricide, jelepriay de me dire ce qu'il en fça-
voit, & je crois quedeflorsje vous le dis. Cela ne méritoit
<d'eftre r efcrit à fa Majefté. Enfin , je fuis en la mefme volonté
que j'ay tousjours efté, de faire tout ce que je pourray pour
îe contentement de fa Majefté, & pour le mieux faire , j'ay
defiré, non feulement d'eftre fourni de Mémoires par ledit
Seigneur Cotton , mais aufly , afin de n'y retourner à deux
fois, que l'on me prefcrivît particuUere ment & fort diftinde-
ment comme l'on vouloit que le tout fuft efcrit. Car il y a
grand intereft , comme vous fçavez, en quels termes, en
quel ordre, & avec quel jugement on efcrit. Il m'eft befoin
-en cela d'eftre conduid & aidé. C'eft ce que j'ay dit & redit
à l' Anglois , lequel ne l'a ou bien entendu ou fidellement
rapporté. K k ij
Imprimée fur
le Manufcrit.
260 PIECES CONCERNANT L'HISTOIRE"
Cela me fait vous prier de remonftrer au féréniiTmie Roy
de la Grande Bretagne , que quaud fa Majefté me voudra faire
entendre quelque chofe de fa part , ou qu'elle voudra fçavoir
quelque chofe de moy , qu'elle fe ferve de vous , & adjoufte
pluftoft foy à ce qui luy fera dit par vous , qu'à tout autre rap-
port qui luy pourra eftre faid. Voilà ce que je vous peus ref-
pondre fur ce fubjed , bien fafché que ma bonne volonté aift
efté fi mal interprétée & reçue par fa Majefté, que fur tous les
Princes de Chrétienté j'honore & affedionne comme je dois^
hiy ayant voué tout le fervice qu'il peut attendre d'un hom=
me de bien. En cet endroit je fupplieray trés-humblement
noftre Seigneur , Monfieur , vous donner en fanté fa grâce.
De Paris en hafte Voftre bien humble & très afFedionné
ce 15 Mars 1612.. ferviteur. De Thou.
Lettre de Jacques-Augujîe de Thou à Ifaac Cafaubon.
O N s I E u R. Je vous fais ce mot en hafte. Vous pour-
rez faire voir la Lettre que je vous efcris; elle fervirat
pour vous defgager de voftre parole. Je n'ay jamais penfé ny
dit ce que l'on a fait entendre : finon en la façon portée par
icelle. Cela me rendra plus caut de ne m'ouvrir dores-en-
avant fi franchement , principalement à perfonnes inconnues.
S'il avoir envie d'efcrire ce qu'il croit que je luy ay dit , il me
devoir monftrer (a lettre devant que l'envoyer , afin que je
vifle s'il avoit bien pris mon fens : mais il l'a rapporté comme
s'il euft eu intention me venant voir , de capter mes paroles
pour me calomnier. Mais que peut attendre autre chofe un
François d'un Anglois ? J'efcris à vous. Penfez-y bien avant
que de vous engager davantage. Toutes chofes font encore
entières pour vous par deçà : J'y penfe & veille tant que je
puis. Vous m'en remerciez trop , je ne me peus en cela con-
tenter. Auftl tout ce que j'y fens ne peut arriver ni efgaler à
voftre mérite. Aimez-moy , 6c me confervez toujours en vos
bonnes grâces.
J'ay receu avec la voftre une Lettre de M. de Gourdon. Je
n'ay eu loifir de luy refpondre : je vous fupplie de me teniï
excufé envers luy. Je feray voir le lieu du Concile de Florence
Traduite fur
DE J. A. DE THOU. 261
qu^il defire , & à la premierre occafion donneray ordre qu'il
foit en cela fatisfair.
Votre travail fur les Annales eft fort attendu , & fera très
bien receu. Mais je ne fçay fi vous le pourrez fi toft avancer ,
comme votre nepveu m'a dit que vous efperez. L'œuvre
Groiftra en le ramaflant de vos Mémoires. De peregrinatiGne
Elienft cum erh otium. Ne vous pourroit-il point prendre envie
pour prémices de ce grand œuvre, d'achever ce que vous-
aviez commencé pour la caufe des Vénitiens ? Vous y pen-
ferez.
Comme je penfois vous efcrire plus au long , l'on m'eft ve-
nu avertir que le paquet fe fermoir , dans lequel la prefente
fe trouvera enclofe. Noftre Seigneur foit avec vous. De Pa-
ris ce 16 Mars 1612,
Lettre de Jean Pory au Chevalier Cotton. (i)
O N s I E u R. Il me feroit également mal-féant & inuti-
_ le de faire des reproches à une perfonne de votre mé-
rite , au fujet d'une affaire qui eft préfentement fans remède : rorîgin'af
cependant j'ai ejrande raifon de déplorer mon fort, en ce que Anglois , qui
, S^ ' P .. . ^ . , . J ' eft dans la Bi-
les Lettres particulières que je vous ai écrites ont donne occa- biiotheque'
fion à un Prince auifi grand & auffi gracieux que notre haut Cottonienc.
& puiflant Souverain , de s'irriter contre ce Monfieur à qui j'é-
tois chargé de remettre une partie de l'Hiftoire de la Reine
Elifabeth. Et ce qui m'afflige le plus , c'eft d'avoir été furpris-
par les plaintes de M. de Thou, qui m'ont été faites par la
bouche de Mylord Ambaffadeurj avant que d'avoir fçû de
vous, foit par Lettres ou autrement, fi vous aviez commu-
niqué quelque chofe du contenu de mes Lettres à fa Majefté ^
ou non , & comment cela avoit été reçu*
On blâme dans ces Lettres deux chofes , qu'on croit avoir
donné lieu à l'indignation de fa Majefté. La première j c'eft.
que j'ai dit purement & fimplement , que M. de Thou n'étoit
pas porté à faire réimprimer fon Hiftoire d'un an , & que , par-
confequent , il n'infereroit point jufqu'à ce temps-là celle de
fa Majefté. La caufe de ce délai , ( qui juftifiera en quelque-
manière M. de Thou) je la marquai, fi ma mémoire ne me
txompe pas , dans une de mes Lettres , difant qu'elle venoit
(ij On a employé la tradufSion de l'Edueur Anglois de l'Hiltoire -^e M. de Thou.-
Kkiij
X \
I
2^2 PIECES CONCEB.NANT L'HISTOIRE
de la répugnance qu'avoit l'Imprimeur à faire une nouvelle
cdition , avant qu'il fe fut défait de celle dont il étoit encore
chargé. La féconde chofe dont on me blâme, c'eft d'avoir
allure que M. de Thou ne vouloir inférer que les paiTages que
fa Majefté lui ordonneroit précifément d'inférer. Pour me dif-*
culper , il faut que je vous dife que ce Monfieur , autant que
j'ai pu le comprendre , ne jugeant pas à propos d'inférer le
corps entier de cette Hiftoire d'Angleterre dans la fienne,
fouhaitoit que fa Majefté lui fiftfçavoir quelles claufes ou paC
fages elle vouloir particulièrement qu'il inférât ro?/Wf m x'fr^/y^
& qu'il fe conformeroit abfolument au bon plaiHr de fa Ma-
jefté.
Voilà ce que j'avois à dire fur la double cenfure qu'on faic
de mes Lettres. Pour ce qui eft du corps & de la fubftance
de ces Lettres , je protefte , comme je fuis Chrétien, qu'au-
tant que mon foible jugement & ma fragile mémoire a pu
me conduire , j'y ai dit très fîncerement la vérité. J'avoue
<iue je ne refîemble pas tellement aux Prophètes & aux Apô-
tres infpirez d'enhaut , que je if aye pu mal comprendre ou in-
conlidérement mal rapporter quelque expreflion dont il s' eft:
fervij ou quelque circonftance qu'il a marquée, (car nous
parlions une Langue dans laquelle il écrit d'une manière qui
lui a aquis un aplaudiflement univerfel , mais qu'il ne parle pas
avec tant de clarté & de promptitude j) cependant je ne fau*
rois m'empêcher d'être furpris qu'en rendant compte d'une
affaire pour laquelle j'avois tant d'égards , j'aye tellement dé-
généré de f opinion qu'on a eu de moi , que de n'avoir pas été
capable de rapporter fidellement une chofe qui m'a été fi
fouvcnt répétée. Et fi le zèle & l'affedion loyale que je dois
avoir pour le fuccès des très-juftes & nobles defirs de fa Ma-
jefté, adûm'obhger ou non de faire favoir, aufll bien que
j'ai pu , la certitude de ce qui pouvoit les avancer ou les re-
tarder, c'eft ce que je laiile au jugement de tout honnête
iiomme.
Cependant il me fieroit fort mal de contefter avec une
perfonne de la quaUté & de la fagefte du Prefident de Thou.
S'il dit que je me fuis trompé , il doit être , fans doute , le meil-
leur interprète de fa penféej & il conviendra en toute humi-
lité de lui demander pardon. Ce defaftre me caufe d'autant
DE J. A. DE T H O U; 26^-
plus de douleur, que j'étois fort éloigné de croire que vous
vouluHiez informer fa Majefté d'aucun rapport défobligeant,
qui pouvoir fe trouver dans aucune de mes Lettres particu-
lières; mais plutôt, comme je vous en avois prié inftamment,
que vous vous fonderiez fur ce que M. de Thou écriroit à
M. Cafaubon. Eh bienîpuifque le pafle nefe peut rappeller,
fouffrez que je vous demande une grâce, laquelle aprez tou-
tes les peines que j'ay prifes,je crois avoir droit de deman-
der 5 c'eft d'avoir la bonté de m'écrire ce que vous penfez
de cette affaire , & par là vous m'encouragerez à continuer
de vous rendre tous les bons offices dont je fuis capable, (5c
à toujours être Votre, &c.
Lettre d'IJaac Cafaubon ^ à Jacques-Augujle de Thotf.
J'AI reçuj Monfieur , deux de vos lettres à la fois. Le ^l\^^^^^:^''^
Roi en a lu une, & me l'a fait rendre. Depuis j'ai eu fou- du SyiUgê e-
vent l'honneur de voir fa Majefté, & de m'entretenir long- ^^- ^f- ^^'
tems avec elle. Ce bon Prince s'étoit Ci fort échauffé à la le- "^^ ' ^' ''
dure des livres , que Vorftius vient de publier , que la con-
verfation n'a roulé que fur ce fujet. Le Roi a jugé à propos
de faire imprimer la lettre écrite au Cardinal du Perron , après
l'obligation, où ce dernier s'eft trouvé de donner la fienne
au public. Sa Majefté ayant vu un libelle infâme de Pelle-
tier , m'a chargé de traiter ce miferable , comme il le mé-
rite. Ainfi j'ai mis une Préface à la tête de cette lettre. A.
Londres le i^ d'Avril 1612. ( nouveau ftile. )
Lettre de Jac. Aug, de Thou , à Jfaac Cafaubon,
MONSIEUR. J'ay receu la voftre du 1 8 du pafte , en- j„^p^;„^.^ ^^
femble ce qui y eftoit enclos. Vous avez traité ce ma- le Manufcriï,
raut comme il meritoit, bien qu'il fut indigne de recevoir
ces coups de bafton de voftre main. C'eft ce que je lui en-
vie. Au furplus, il a ce qui luy faut.
J'attendois fur la lettre que je vous ay efcrite , quelque ref-
ponfe de S. M. qui adoucît les rigoureufes paroles que m'a-
viez fait entendre de fa part. Elledevoit être mieux informée
de la vérité , devant que s'aigrir de telle façon contre un hom-
2^4 PIECES CONCERNANT L'HISTOIRE
me de bien & plein de candeur , par fon tefmoignagc meC
me. Le fubjed que m'efcrivez kiy occupant l'efprit , j'atten-
dray en patience fur ce fa refponfe : cependant je vous prie que
cela n'empefche que je n'aye le refte des Mémoires que pour-
fuit Monfieur Cotton. Je me fuis grandement aidé de ce qu'il
m'a ja envoyé , & defire fort avoir le furplus. Je luy baife
les mains de toute affedion.
M. Juftel vous monftrera quelques mauvais Vers que j'ay
fait. Si qui s tamen hcec quoque , fi qui s captus mnore leget. Je
les fais pour me divertir, car je vois bien fouvent des cho-
fes que je ne voudrois voir. J'attendois aulTi refponfe de vous
fur ce que je vous avois efcrit par le commandement de M,
le Chancelier. Je vous prie d'y penfer , & me faire refponfe
telle que je luy puifle montrer, car il m'en prefle tous les
jours.
Ce qui s'eft paûe pour le regard duD. Riez, defplaiticy
à beaucoup de gens de bien, comme à vous. Il y a des con-
fiderations du temps , qui nous font fouvent écarter du grand
chemin. Quanta moy, je vivray tousjours à l'ancienne Gau-
loife , & garderay la liberté que j'ay apprife de mon père ,
nonobftant toutes les calomnies & charitez de Cour , contre
lefquelles je me fuis endurci, me confolant, & contentant
en ma confcience. Au refte, je fuis très aife de ce que m'ef-
crivez, que vous eftes tel en Angleterre que vous eftiez en
France^ & que vous gardiez la mefme modération en vos
dits & efcrits que par le pafle, bien que Pon craigne icy,
& non fans fubjed , qu'à la longue , 6c infenfiblement vous
engagiez contre voftre vœu à la volonté d'autruyjfur quoy
je vous prie de confiderer le lieu où vous eftes , & les chan-
gemens qui peuvent arriver , & pour ce de penfer tousjours
à l'avenir , & ne vous priver par vos adions prefentes , de la
retraite & feureté future.
Vous me ferez, s'il vous plaîft, refponfe fur ces points >
6c cependant je fupplieray de tout mon cœur noftre Seigneur,
Monfieur, vous donner en fanté fa grâce. Ma femme vous
baife , & à Mademoifelle voftre femme , les mains.
De Paris ce 8 Voftre bien humble 6c très affedionné
May I (5 1 2. ferviteur , P e J h o .u.
Lettre
DE J. A. DE THOU. 2^;
Lettre dlfaac Cafaubon , à lac. Aug. de Thon.
JE vous mandois dans ma dernière lettre que le Roi, traduite du
après la ledure de celle où vous marquiez que vous vou- I t;n, & tirée
liez le fatisfaire , avoir été fi fort frappé d'un certain livre nou- ÎJ^ "^ cifAub.
veau de VorftiuSj qu'il n'avoit ceffé de m'en parler pendant p.4^5-
plufieurs jours. Enfin il m'a ordonné de vous alïurer que vo-
tre lettre lui avoir fait tout le plaifir pofTible , & qu'il étoit
très-content de vous. Il eft fâché qu'on lui ait donné occafion
de foupçonner votre extrême intégrité, & votre zélé poun
fa gloire. Il dit qu'il comprend parfaitement que l'Anglois;
qui eft la caufe de ces foupçons , a écouté vos paroles , fans
prendre votre penfée. Sa Majefté vous exhorte à continuer
dans ces bonnes intentions à fon égard. Ce n'eft pas qu'elle
croye qu'il foit néceflaire de vous en prier 5 mais elle veut
vous montrer par-là que rien ne lui fait plus de plaifir , que
les fentimens ^ue vous avez pour elle. Perfonne if a mieux
connu vos folides vertus , par la ledure de votre ouvrage ,
que ce grand Prince. Perfonne aufti ne vous eftime davan^
tage. A Londres le 11 de Mai. ( nouveau ftile. )
Lettre de Jac, Aug. de Thott , à IJaac Cafaubon,
O N s I E u R. J'ay à refpondre à deux de vos Lettres imprîmcc fûf
du 3 & du i; de ce mois, par lefquelles je connois, ^^ Manufcrk.
& avec indicible contentement, que le Roi de la Grande,
Bretagne a efté mieux informé par vous de mon intention
droite & aftedion très humble à fon fervicc , prenant de bon-
ne part mes raifons, qu'il n'avoit été par l'Anglois, mauvais
interprète de mes paroles. Dont je vous remercie de toute
affection , & vous fupplie me conferver tousjours en fes bon-
nes grâces, & faire que le refte de la ferenilîune Royne Eli-
fabeth me foit envoyé : car ce que j'en ai ne vient que juf-
ques à l'an lxxxii. du fiecle pafle.
Au furplus, je loue voftre entreprife ( i ), m'alTurant que vous
garderez la modération que vous m'efcrivez , & que vous
ne donnerez fubjed à aucun de fe plaindre de vous , fuion
(l) Animad'verpoJies inAmnUs BaroNti.
Tome XF', J^\
^66 PIFXES CONCERNANT L'HISTOIRE
à ceux qui approuvent en eux la dodrine que tous les bons
doivent deteller, duquel nombre il y en a parmi nous plus
qui font bonne mine , qu'il ne feroit à defirer. Mais il faut
remettre cela à la bonté de Dieu; qui fçaura bien en fon
temps arracher le mafque à tous ces hypocrites. Cependant il
fe faut armer de patience , & adorer en filence les imperfcru-
tables jugemens de Dieu, avec certaine croyance que tout
ce qui luy plaift ordonner de nous , eft juftement ordonné
pour fa gloire & noftre falut.
Vous aurez depuis la voftre efcrite, receu Lettres de vof-
tre fils, qui vous auront mis hors de la peine que vous don-
noit fa négligence. Il m'a afleuré vous avoir efcrit à toutes
les occafions. J'ai fait la mefme plainte à voftre nepveu , le-
quel doit avoir receu le premier quartier de voftre penfion.
J'aurai foin pour le refte.
Je pafTe à voftre féconde , que je ne receus que devant
hier, par laquelle vous me confirmez que le Roi de la Gran-
de Bretagne a eu agréable ce que luy avez dit de ma part.
Je crois que M. de Bouillon m'aura rendu le mefme office en-
vers S. M. Je l'en avois fupplié devant que j'eufte receu les
voftres. Au furplus, je vous peux afleurer que M. le Chan-
celier me parle fouvent de vous , & m'a chargé encore de-
puis peu de vous faire entendre que la Royne vous doit rappeî-
1er à cet Automne prochain. Vous vous fouviendrez , s'il vous
plaift j de ce que je vous efcrivis par ma première, faifant
mention de ce qu'il m'avoit dit fur ce fubjed. Je vous prie
à voftre loifir m'y faire refponfe plus particulière , & telle que
je la luy puifte monftrer. Car il me prefle fouvent de vous
en refcrire.
Au refte , j'ay regret à la peine en laquelle vous vous trouvez
pour n'avoir vos Livres. Je penfois qu'eulfiez defîré les plus
neceffaires, & ceux defquels vous ne vous pouviez pafler^
n'ayant befoin par delà de ceux qu'y pouviez recouvrer. Il
faut trouver moyen de fuppléer à ce défaut. S'il eft befoin,
nous vous envoyerons ceux qu'avez laiflez icy. Mais je crois
qu'il fera plus à propos de furfeoir encore , principalement
maintenant que l'on vous veut rappeller. Car l'on a creu juf-
ques icy qu'eftiez difpofé à retourner , quand vous en rece-
vriez commandement de S. M. ôc je i'ay ainfi dit par tout :
DE J. A. DE THOU. 2^7
êc fi fur ce point vous retirez vos Livres, il eft à craindre
que cela foit interprété autrement que vous ne devez défi-
rer. Efcrivez moy de façon que j'aye quelque chofe que je
puifle monftrer à celuy qui me demande de vos nouvelles
fi fouvent. Ma femme vous baife les mains , ôc à Madamoi-
felle voftre femme ; & je fupplie très humblement noilre Sei-
gneur , Monfieur , vous donner en fanté fa grâce.
De Paris ce 27 Voftre bien humble & très afFedionné
May 1612. ferviteur,DE Thou.
Lettre d'IJaac Cafaubon , à Jacques Augufie de Thon.
JE crois , Monfieur, que vous avez reçu une partie de l'Hif- Traduite du
toire qui vous avoit été promife. Le Roi l'a fait écrire Latin, & tirée
fur du grand papier , & vous l'a envoyée par M. de Vitri, f" Syihge e-
avec une lettre de ma part, raites-nous Içavoir , je vous prie, Rot. p. ^70,
fi vous avez reçu ce Manufcrit en bon état. Le foin que Sa
Majefté a pris de faire compofer un ouvrage fi confidera-
ble, au fujet de votre Hiftoire, peut vous faire comprendre
le cas qu'elle en fait. Toutes vos lettres me font connoître
votre dévouement à ce Prince. Sçachez que vos fentimens
à fon égard lui font très-agreables. J'ai été furpris de la ré- \
folution qu'on a prife en France de m'y faire revenir. Si 011 j
ne m'y rappelle , que pour que j'y fois fous la puifTance de ]
certaines perfonnes mal intentionnées, aucun de mes amis !
ne me confeillera de quitter un pays où je fuis fi honoré , j
pour me remettre entre leurs mains. A Londres le 20 de '
Juin 1612. , \
I
Lettre de Jac. Aug. de Thou j à Jfaac Cafaubcn.
MONSIEUR. J'ay receu la voftre du 23 du prefent,com- Imprimée {ni
me vous comptez au lieu où vous êtes. Les précédentes ^^anuicnt,
ont efté perdues : ce que je vous efcris , afin que s'il y avoit
quelque chofe particulière qu'il fût neceflaire pour vous ou
pour moy que je fceulTe , vous m'en fafilez une recharge.
Je fuis bien aife que le Roy de la Grande Bretagne foit
cfclaircy de ce dont l'Infulaire l'avoit mal informé. Vous m'ea
Llii
2(?8 PIECES CONCERNANT L'HISTOIRE
aviez ja donné afleurance par celles que m'avez efcrit cy-
devant; & M. de Bouillon me l'a ainfi confirmé. Je délire
avoir le refte des Mémoires de M. Cotton j pour pouvoir
fatisfaire à la volonté de S. M. Je vous prie de l'en foUici-
ter, & fçavoir de luy le contenu en un Mémoire que le Sieur
Juitel vous doit avoir donné de ma part.
Au furplus, j'ay fait entendre à M. le Chancelier le furplus
porté par la voftre, par extrait, n'eftimant qu'il dût voir le
total. Il avoit ja oui parler de voftre travail furies Annales,
& me dit qu'il euft deiiré que ne vous fuiïiez engagé fi avant.
Je me fouviens dés le commencement que me fiftes enten^
dre en cela voftre deffein ; je vous efcrivis que fi l'œuvre de
foy recommandable fe pouvoir publier fans y mettre voftre
nom , mieux en feroit pour vous , & mefme pour le public,
pour plufieurs refpeds, defquels la dedudion feroit longue.
Il m'ajoufta que cela n'empefcheroit que ne fuffiez tousjours
bien venu , & qu'il doutoit que cette entreprife ne vous re-
tînt plus long tems par delà qu'il ne voudroit. Je le ver-
ray fouvent, & fuivantceque m'efcrivez, je l'entretiendray
en la bonne volonté qu'il vous porte. Cependant nous lait
ferons couler cette année , & gagnerons la prochaine. Aimez
moi , & me confervez en voftre bonne fouvenance , & quand
vous pourrez, efcrivez moy. Ma femme & moy vous bai-
fons les mains, & fupplions très humblement noftre Seigneur,
Monfieur, vous donner en famé fa grâce, & à Madamoifelle
voftre femme.
De Fontainebleau Voftre bien humble & très affedionné
ce 20 Juin 16" 12. ferviteur. De Thou.
Lettre d'Ifaac Cafaubon, à Jac. Aug. de Thou.
Traduite du T E VOUS ai mandé , Monfieur , que le Chevalier Cotton étoit
du^îT/zt^rr -f occupé à compofer fonHiftoircj Sa Majefté m' ayant dit
pift. cafaub. dernièrement qu'il étoità Londres, je l'ay été trouver, pour
p. 474. obéir à vos ordres. Il m'a répondu qu'il s'appliquoit entiè-
rement à achever l'Hiftoire qu'il avoit commencée. Il la com-
pofe en Angiois y & Camden la traduit en Anglois. A Lon-
dres le premier de Juillet 1612.
DE J. A. DE THOU, 2^p
Lettre de Guillaume Camden à Jac. Aug, de Thou,
J' A I appris avec beaucoup de joye , par votre lettre à Mon- Traduite dû
fieuu Carrcw notre ami commun, que vous penfez enco- latin fur le
re à la potlerité , & à lui laiiler un monument j c'eft-à-dire^ Manufcm.
que vous continuez votre Hiftoire , & que vous avez réfo-
lu de la conduire jufqu'au jour qui termina la vie de Henri
IV. votre Roi. Quelques-uns m' av oient dit, qu'élevé aux
plus grands emplois de la République, & d'ailleurs dégoûté
d'écrire, non par lacenfure de Rome, mais par la haine de
certaines gens qui ne peuvent fouffrir la vérité, vous aviez aban-
donné le dellein de continuer votre ouvrage. C'eftauffi ce qui
a été caufe que j'ai différé à vous écrire. Mais comme vous
marquez dans votre lettre, que plufieurs vous excitent à ache-
ver votre Hiftoire, mais que peu vous communiquent leurs
lumières, & vous découvrent vos fautes, vous me pardon-
nerez fi Famour que j'ai pour vous & pour la vérité , m'en-
gage à vous faire voir quelques petites méprifes(i) , en ma-
tière de Chorographie , oii vous a fait tomber celui que vous
avez pris pour guide , ou qui font peut-être échappées à vo-
tre Imprimeur.
Au lieu de Siuna (a) , mettez Seni;e ou Seni , ou plutôt (a) Ed. de
Shanonî. Car ceux du pays difent Shanon. Londres, Liv.
, ,. ,y \r-;- 7\ • ■ r \ T ■ ■ • I->^x. tom. Ill,
Au lieu de Juxtà Limbncum [b) , corrigez , înjra Ltmiri- p. 762.
mm. Car la rivière fe décharge dans la mer à environ foi- ^^) ^^^^^
xante milles au-de(lbus de Limerik.
Aiilieu dQ 100 milliarihis in longiîudmem {c), conïgQZ ^00 (c) Ed. de
in longiîudinem, Londres, Liv.
Au lÏQvi de Randanicorum montium, mettez Brendanicorum. ixljp. yoo.'"'
Car c'eft ainii qu'il y a dans les exemplaires MS. de Giral-
di, à moins que vous ne veuiiliez retrancher de votre def-
cription tout ce qui eft depuis ces montagnes, jufqu'au Cap
de la Colombe. La pofition de ces lieux n'étant pas fort con^
nue, ainfi que le pays qui s'étend depuis Dublin, jufqu'aux
collines de S. Patrice 3 & qui efc au-dedans des terres , & non
(i) M. de Thou a profite de ces cor- 1 Londres, que nous avons fuivie pouJ)
reâ:ions de Camden. Les mêmes fautes j notre tradu(^tion.
ne fe trouvent dIhs dans l'édition de I
Ll uj
27Ô PIECES CONCERNANT L'HISTOIRE
le long de la mer. C'eft à vous de voir fi vous ne ferez pas
mieux de vous contenter de mefurer cette ifle , comme tout
le monde fait, en lui donnant 300 milles de longueur, ôc
150 de largeur. NeufSuffragans, conigQz, douze Evêchez, Lan-
genia j lifez^ Lagenia. 12 Ccmtezj corrigez, 7 Comtez. Au
lieu à'Armacana^ mettez, Armachde. Connaâia ad occafum
metropolis Teutmonia, corrigez ^ Connachtia ad occafum j in ea
métropoles Thuama, La Teutmonie eft un territoire , & non
une ville Auchiepifcopale. în Umbilico five Media, Leberi ,
ftve Cilari & Drogàcs fiti funt 3 corrigez , Midia , qua & Me-
dia diôla, in medio fit a eft. In ea Laberus antiques memoria ,
hodie Kill-lair , ut creditur , in ipfo infulœ umbilico j & Trimma.
(a) V.àit. de Juxtà Limricum excenfione facid (a), corrigez, ad Sha~
Londres, Liv. j^yji oflium in Kivria. Ibid. effacez , Scoto. Ce Jacque Giral-
p, jéo!'"* * clii"^ étoit Irlandois de la maifon de Defmon. Il y a encore
quelques autres fautes, qui regardent les noms propres, &
qui viennent fans doute de la négligence des Imprimeurs. On
pourra les corriger fur les Mémoires de M. le Chevalier Cotton,
qui vous furent deftinez un an après la première édition de
votre ouvrage, &qui, comme je l'apprens avec plaifir, vous
ont été remis.. Car j'avois oui dire que vous n'aviez reçu au-
paravant que quelques extraits , qu'on en avoit faits par l'or-
dre du Roi , au fujet des affaires d'Ecolle. Vous pouvez me
croire. En l'année i$9^' je commençai l'ouvrage, à la perfaa-
fion de Cecil Burghley Threforier d'Angleterre , qui voulut
bien m'ouvrir fes armoires ; & quoique tout fût rangé par
années, il y avoit néanmoins beaucoup de confufion 5 ce qui
concernoit le Fifc, & autres chofes pareilles, étoit mêlé avec
ce qui regardoit l'Hidoire. J'en tirai néanmoins beaucoup de
chofes. J'eus recours aulU à mes porte-feuilles , ou il y avoit
beaucoup d'obfervations , non feulement par rapport aux an-
tiquités, que j'ai toujours beaucoup aimées, mais encore par
rapport aux affaires modernes. J'ai recueilli tout ce que j'avois
■ vu & entendu. J'ai ramaffé de côté & d'autre tous les Edits.
J'ai parcouru les actes des Parlemens , & j'ai appris beaucoup
de chofes de la bouche de ceux qui étoient à la tcte des af-
faires, ou qui y avoient eu part. J'ai tiré beaucoup plus de
lumières encore de la Bibliothèque de M. Cotton , qui a fçu
recueillir avec beaucoup de foin, <3c à grands frais > les
DE J. A. DE THOU, 271 ]
monumens de l'antiquité & de l'Hiftoire ^ les a£l:cs originaux
des Aiiiballadeurs , leurs inftrudions , leurs lettres , & autres j
choies pareilles. Muni de tous ces fecours, j'ai commencé î
à écrire les Annales du règne d'Elifabeth , que j'avois réfo-
lu de faire imprimer en Allemagne, fans nom d'auteur, 6c j
de vous dédier , afin que vous en piifllcz tirer ce qui vous ■
conviendroit. Dans le tems que je compofois cet ouvrage, & ]
avant que je l'eufle achevé, le Comte de Northampton vint i
me trouver, pour me prier de le donner au Chevalier Cot-
ton , qui le communiqueroit au Roi , qui fouhaitoit que Mon- 1
lieur Cotton le lût. J'obéis, je remis au Chevalier tout ce \
que j'avois écrit, fans l'avoir relu ni corrigé, &je le lui aban- j
donnai , pour en faire ce qu'il lui plairoit. Il ne pouvoir être !
mieux qu'entre les mains d'un homme , qui m'avoit fourni tant ,'
de matériaux, fur tout par rapport aux affaires d'Ecofle. Je i
ne fonge plus maintenant à acquérir de la gloire. Après avoir 1
travaillé toute ma vie, aujourd'hui que je fuis fexagenaire, j
je veux penfer à mon falut, & jouir de ma vie paflee. J'ai ^
acquis de l'expérience , & je connois les mœurs de ce fiécle?
mais non auffi bien que vous. Je me fouviens de ce qu'a dit ■
votre Ecrivain d'Auvergne, & vous avez éprouvé la vérité de ,;
cette fentence. Commencer une Hiftoire , c'eft exciter l'en- ;
vie 5 la continuer, c'eft avoir bien dé la peines la finir, c'eft i
fe faire bien des ennemis. Au refte j'aurois voulu avoir mis i
la dernière main à cet ouvrage , avant que vous l'eufliez reçu.
Dans un exemplaire que je vis dernièrement , je trouvai beau-
coup de mutilations & de défeduofités , & certains mots |
effacez par l'audace du Copifte. Le Roi vous a fait fçavoir j
i'ufage auquel ces Mémoires font deftinez. Je fçai que vous ]
ne les inférerez pas entièrement dans votre Hiftoire , & vous i
en omettrez une grande partie , qui n'intereftè que ceux de ;
notre pays. En quelque lieu que l'ouvrage voye le jour, je ;
fais pour eux le vœu que les parens faifoient autrefois pour
leurs enfans qu'ils expofoient: je fouhaite qu'ils vivent. Mais i
je vous dis ceci en fecret. Adieu, Monfieur, je fuis ôcc. A
Weftminfter le 10 d'Août 1^12.
^
■272 PUCES CONCERNANT UmSTOIRE
Lettre de George Carew à Jacques-Augujîe de Thon
MONSIEUR. Vous m'avez témoigné que vous défiriez
fçavoir, fi Monfieur Wotton , cy-devant ambafladeur
Manufcrit. ' d'Angleterre auprès de la République de Venife , auroit
quelques mémoires finguliers fur le différend qui s'éleva dans
îe temps de fon Ambaflade entre le Pape & cette Républi-
que , & s'il voudroit vous les communiquer. Vous m'avez
demandé en même temps des mémoires fur les affaires de
Dannemark , & de Suéde •■> &c c'eft pour être plus en état
de vous rendre un compte exact fur ces deux articles ,,
que j'ai différé fi long-temps à faire réponfe à la lettre obli-
geante que vous m'avez fait Fhonneur de m'écrire. Quoi-
que je me fois donné bien des mouvemens , j'ai eu affez
de peine à joindre M. Wotton , mais enfin j'en fuis venu à
bout. J'ai appris de lui , qu'il avoir raffemblé beaucoup de
chofes concernant la querelle du Pape & des Vénitiens 5 il
eil occupé , à ce qu'il me dit , à mettre tout cela en ordre ,
dans le deflein de le faire imprimer & de le donner au pu-
blic fous fon nom. Il doit incefiamment vous écrire fur ce
fujet. A l'égard de ce qui regarde le Dannemark & la Suéde ,
je n'y ai euaucimcpart , je n'ai même pris aucun intérêt aux
affaires de ces deux Pvoyaumes , depuis FAmbalfade dans
laquelle j'ai été employé fous le régne d'Elifabeth d'heu-
reufe mémoire, en l'année 155)8. Je vous ai laille entre les
mains, dans le temps de mon féjour à Paris, un Journal de
tout ce qui s'eft pafle dans cette année-là entre Sigifmond
roi de Pologne de Charles fon oncle. En cas que vous l'ayez
égaré , je vous en ferai tenir , fi vous le jugez à propos ,
une nouvelle copie. Ceux qui depuis ce temps-là , ont été
chargez des affaires du Roi mon maître dans ces Pays-là ,
font des Ecoflbis, avec lefquels je n'ai , poiu- ainfi dire , aucune
iiaifon. J'ai reçu la nouvelle Edition de votre Hiftoire que vous
m'avez envoyée. Je vous en fais mille remercimens. Je vous
demande en grâce de vouloir bien m'envoïer avec la même
bonté tout ce que vous ferez paroître dans la fuite. Vous me
trouverez de mon côté toujours prêt à exécuter avec plai-
fir ôc avec tout le zèle poUlble les ordres dont vous me
chargerez
DE J. A. DE T HOU. 27^
chargerez. Je prie Dieu qu'il vous comble de profperités ,
ôc qu'il couronne vos vertus. A Londres le 3 . Odobre 1^12.
Lettre d'IJaac Cafaubon à Jac. ^ug. de Thoit,
MONSIEUR. J'ai été pour voir Monfieur Camden ; Tfaduite du
qui demeure à luie lieuë de chez moi , & je ne l'ai Latin & tkéc
point trouvé. Je ne doute point que Monfieur Cotton, qui cafLboni^î',
a lu votre lettre ^ n'ait conféré avec lui fur tout ce qui vous ^06.
regarde. Il m'a dit plufieurs fois , & je me fouviens de vous
l'avoir mandé , que Q vous lui vouliez bien faire l'honneur
de lui écrire , & de vous ouvrir à lui , il feroit enforte de
vous donner des marques réelles de fon eftime. Je vous
confeille donc de lui écrire. C'eft un homme vertueux ,
lincere & vraiment noble. Monfieur Camden fera fans dou-
te tout ce qui dépendra de lui > car il fait grand cas de vous.
J'ai été chez Monfieur Wotton pour lui porter moi-même la
lettre que vous m'avez fait tenir pour lui. Il demeure auflî
loin que Monfieur Cotton. J'ai perdu ma peine , & je ne
l'ai point trouvé , quoique j'aie été deux fois le chercher.
J'ai donc pris le parti de lui écrire , pour le prier de me
donner une heure , parce que je fouhaittois avoir un entre-
tien avec lui. J'attens fa réponfe depuis plufieurs jours :
mais pour vous dire la vérité , je n'en attens rien. Je ne puis
comprendre les manières des Anglois. Tous ceux que je
connoiflbis avant de venir en ce Pays-ci , ne me connoif-
fent plus ; je fuis pour eux étranger & barbare. Aucun ne me
dit un mot , & fi je veux leur parler , ils ne m'honorent pas
d'une fyllabe 5 je n'y entends rien. Ce Monfieur Henri Wotton,
homme très-fçavant , a vécu avec moi à Genève il y a vingt
ans 5 & depuis ce temps-là nous avons entretenu un com-
merce de lettres. Etant tous deux venus à Londres , lui de
Venife , & moi de France , il a cefie de me connoître ; il
n'a fait aucune réponfe à ma lettre , & je ne fçai s'il en fera.
Je ne négligerai rien , pour exécuter les ordres dont vous
m'avez chargé. A Londres le ç. de Novembre ( nouveau
ftyle ) I (5 1 2. P. S. Monfieur Wotton m'a écrit. Voici les paro-
les de fa lettre, fay là ce que ma écrit Monfieur le Prefident de
"Thou. Ce qui rn empêche de lui accorder ce quil me demande , efi quç^
nous avons l'un & l'autre le même dejpini
Tome XK Mm
Imprimée (ur
le Manufcrit.
^74 PIECES CONCERNANT L'HISTOIRE
Lettre de Jac. Aug. de Thou à Ifaac Cafaubon.
O N s I E u R. J'ai receu la voftre du p ciu pafle , par
laquelle vous faites refponfe à trois de mes précéden-
tes. Je vous remercie de l'office que m'avez rendu envers M.
Cotton. Ce que je defire de luy , eft qu'il luy plaife m' envoyer
le relie qu'il a fait de la continuation de l'Hiiloire de la feue
Royne Elifabeth j car il m'en a ja envoyé jufques à l'an Je
lui demande la mefme grâce pour le furplus : car je défère beau-
coup à ce qui vient de lui , & ay desja fait grandement mon
profit , en revoyant mes Hiftoires ^ de ce qu'il m'a envoyé. Je
luy efcriray à la première commodité 5 mais j'ay fi peu de loifir
.6c fi interrompu , qu'à peine puis-je defrober ce peu de temps
pour vous efcrire. Et qui pis eft , ce ne font mes elludes qui
m'occupent tant.l'efprit , mais affaires fafcheufes & non agréa-
bles à mon âge y & mon naturel amateur du repos & de la fran-
chife , que je ne trouve pas par tout où je fuis. Cela foit dit en •
paflant.
Pour M. WottoUj je voisbienque ce que je penfois puifer
dans la fource de Venife , il le faudra attendre des vaifleaux.
Anglois j l'eau en fera plus méfiée & par avanture troublée. Je
penfois élire fccouru de cette part ••> mais je vois bien qu'il n'en
faut rien efperer. Cependant je penfe reconnoiftre par la
voftrcj que vous commencez à connoidre les efprits du lieu où.
vous vivez. Souvenez vous de feu ( i ) M. de la Scala , & de ce
qu'il vous a efcrir & refcrit 3 ôc penfez à l'avenir.
M. le Chancelier m'a encore parlé de vous depuis peu de
jours, & monllré eftre en la mefme volonté, en laquelle je l'en-
tretiens tant que je peus. Vous devez de voftre part ne vous
efioigner tant par le temps de voftre retour , qu'enfin le ravife-
ment foit tardif
Jean Pory. Q^iant à celuy "^ qui m'a voulu cy-devant par fon impruden-
ce, ou pluftoft malice , brouiller par delà , je nefçay qu'il peut
avoir eibrit de nouveau de moy j bien vous dirai-je , que depuis
ce temps- là je ne l'ay veu , ny ouï parler de luy , & ne f(;ay s'il
(0 Scaliger avoit prédit à Cafaubon , i tion , qu:
qu'iKcrtpentiroir, mais trop tard , d'à- 1 invcteréi
Voir pris un étabiiliement chez une na- >- Epiji, Jo
tion , qui portoit dans le cœur une haine
e contre les François. V. Sjllog,
'.fijî, yof. Scalig- pag. 141,
DE J. A. DE T H O U. -75-
cft en cette ville. Je m'enquerreray , & le feray avertir par
M. rAmbailadeur , de prendre garde à ce qu'il efcrit , & ne
faire rien mal à propos.
Pour voftre oeuvre , je ne doute que n'y apportiez la mefme
modération en efcrivant , que vous faites en tout ce qui vient
de vous 5 mais la chofe mefme offenfera , & y aura toujours à
redire au gré de ceux qui font prévenus à ce fubjedt , ou par
raifon d'Ellat , ou autrement. Vous devez tousjours tefmoi-
gner que vous eftes tout preft pour revenir , quand vous ferez
commandé de ce faire ; & je donneray ordre cependant que
vos eftats & appointemens vous feront continuez.J'y veilleray
comme je dois.
Vous aurez fceu ce qui a elle fait du livre de M. Maftor , le«
quel a efté brullé publiquement par la main du bourreau , par
Arreft du Parlement. C'eil la refponfe que meritoit ce livre
fcelerat , qui a enduré la peine deuë à fon audeur.
Le deuil que Ton a porté par delà de la mort du Prince de
Galles , eil venu jufques ici 3 au temps que nous defplorions
celle de M. le Comte de Soiflbns , en laquelle la France à fait
une très grande perte. Vous avez aulfi fceu l'heureufe fin du bon
homme M. le Fevre, duquel l'ame foit en benedidion. Il vivoit
en grande expedation de voftre œuvre : maintenant il voit
tranquillement ce que nous voulons fembler chercher, avec de
fi inutiles difputes, & ambitieufes non moins qu'animeufescon'
tentions , c'eft à dire , la vérité.
Confervez moy tousjours en vos bonnes grâces & fouve-
nance 5 & (i vous voyez que l'on me veuille prefter quelques
charitez par delà , veillez-y , pour en deftourner les premiers
coups. Vous ne pouvez rendre ce bon office à perfonne qui
mérite moins d'eftre traité de cette façon , & qui vous honore
plus que moy. En cet endroit je fupplie très humblement
îioftre Seigneur, Monfieur^ vous donner, & à Madamoifelle
voftre femme & toute voftre famille, en fanté fa grâce.
De Paris ce 22 Voftre très humble & très affedionné
Décembre 16" 12. Serviteur De Thoia
Mmij
^iC PIECES CONCERNANT L'HISTOIRE
Imprimée fur
le -ManHfcrit.
Lettre de Jac. ^ug. de Thon à Ifaac Cafaubon.
MONSIEUR. J'ay receu la voftre du premier de ce
mois : vous femblez craindre fur la fin , & vous en vou-
lez excufer, de m'efcrirefi familièrement & fi au long. Je pren-
drois à injure fi depuis le temps que nous avons connoirfance
l'un de l'autre , j'avois fi peu profité en voftre amitié de n'avoir
acquis cette privante avec vous,& vous ne la preniez avec moy.
Quant à vos Lettres , les plus longues font tousjours les plus
agréables, & vous fupplie de ne vous ennuyer non plus de
m'efcrire à toutes occafions , que vous voyez que je n'en perds
aucune de vous refcrire. Je loue Dieu qu'aprez les morts des
Grands deçà & delà avenues depuis quelques mois , les chofes
foient fi paifibles. Dieu veille pour la defenfe de ces deux
Couronnes , auquel remettant ce qiù regarde le bien public ,
je viens à ce qui touche le voftre particulier.
(i) L'œuvre par vous encommencé croift , à ce que je vois ,
fus l'enclume : aufti eft ce un fubjed divers & copieux , & plein
de belles recherches. Le pluftoft que vous en pourez mettre
ia première Partie dehors fera le meilleur , tant pour retenir la
mauvaife émulation , afin que je ne dife pis, de celuy (2) qui
vous veut prévenir , que faire preuve par cet eftay du jugement
public qui fe pourra faire du refte. Cela aufli fervira pour vous
refoudre pour voftre retour : cependant , comme je vous ay
efcrit , nous ferons continuer vos appointemens pour cette an-
née , fur l'afleurance que je donne qu'à ces Pafques vous dif-
poferez vos affaires pour voftre retour.
M. le Cardinal du Perron travaille fort à fa Refponfe : fi elle
fort bien toft , dont je doute fort , cela vous reculera •■> mais auftl
nous prendrons fur ce fubjed occafion d'excufe , & ferons que
le Cardinal interviendra à cette occafion pour vous. Quant à
M. Wotton , je vois bien qu'il ne faut rien efperer de cefte part.
Jedefireroisfortavoirlereftede M. Cotton , jufques au dcceds
de la fereniflime Pvoyne Ehfabeth , & il m'obligera grande-
ment s'il me l'envoyé , comme il a fait le précèdent jufques en
Tan 1 5 52. (3) Je vous fuppdie luy baifer les mains de ma part ^
(\) Critique des Annales de Baronius,
^ui parut à Londres en 1614.
(1) Richard Montagut évéque de Bath
& de Wells , auteur du livre , AnakBn
exercitationum 'Ecclefiajl. Londini 1612.
(3) Ou plutôt 1581. Y. la lettre fuivante
D E J. A. DE THOU. 27-7
& à M. Camden. Nous attendons le S. Jean Chryfoftome
de ( I ) celuy qui parle fi dignement du non jamais aflez loué
Scaliger» En ceft endroit ma femme vous baife les mains , & à
Madamoifelle voftre femme , & fupplions tous deux noftre
Seigneur , Monlieur , vous donner en fanté fa grâce.
De Paris ce 2^ Voftre bien humble Se très afFedionné
Janvier 1 513. Serviteur De Thou,
Lettre de Jac. Aug. de Thou a Guillaume Camden.
PARDONNE z-moi , Monfieur , fi j'ay tardé à répondre à Traduite du
votre dernière lettre. J'ai plufieurs fois prié Monfieur Y^^J^ii^ "'^^
Cafaubon , dans celles que je lui ai écrites , de vous faire camd. & a-
mes excufes , attendant î'occafion de pouvoir vous remer- ^"■^^- '^^'■^'"•
cier à loifir de toutes vos bontés à mon égard. J'ai toujours *" '^*'^^'
eu naturellement beaucoup d'averfion pour ce qui s'appelle
affaires 5 cependant je ne fçai par quelle deftinée , je m'y
fuis trouvé plongé malgré moi , ce qui me fait oublier la
plupart de mes devoirs , ou m'en acquitter lentement & avec
négligence. Cette ardeur de continuer mon ouvrage , fur la-
quelle vous me faites compliment , a été depuis bien rallen-
tie par plufieurs circonftances défagreables. Je mets de ce
nombre les difcours tenus en Angleterre , au fujet de mon
Hiftoire , & de ma perfonne -, difcours qui me conviennent
Il peu , & qui ont néanmoins refroidi à mon égard votre
bon Prince. Ce que vous ajoutez dans vos dernières lettres
nïa aufîi fort découragé. Outre cela j'ai été très-affligé de
la mort précipitée de Monfieur George Carew , dont l'amitié
me faifoit honneur , & fur qui je comptois , foit par rapport
aux fecours qu'il m'auroit donnez pour mon Hiftoire , foit
par rapport aux calomnies répandues à mon fujet à la Cour
d'Angleterre j qu'il auroit pu dilTiper aifément. Je me flattois
auffi que je trouverois quelques fecours de la part de Monfieur
Wotton , ci-devant votre Ambaftadeur à Venife. Il y a fix
ans que le R. P. Paul mit par écrit à ma prière l'hiftoire du
(i) Henri Saviîl , qui , au rapport de
Cafaubon, difoiî de Jofeph Scaliger, à qui
yonlçit i'catendre, que e'étoit un Gram-
mairien étourdi ,un Philofophe infenle ,
un Mathématicien furieux , & du lefte
moins que rien.
M m iij
2 78 PIECES CONCERNANT L'HISTOIRE
différend de cette République avec le Pape , affaire où îî
avoit eu beaucoup de part. Ayant compofé cet ouvrage pour
moi , & pour me le faire tenir , mais craignant qu'il ne fut
perdu en chemin , il l'avoit confié à Venife à Monfieur Wotton
& l'avoit enfuite prié dans une lettre de me le communiquer.
J'ai écrit auffi moi-même à Monfieur Wotton , mais inuti-.
iement. Car après de longs délais , Monfieur Cafaubon qui
lui a rendu ma lettre , n'en a point eu d'autre réponfe , finon
qu'il travailloit lui-même au même ouvrage : il n'a pas eu le
loifir apparemment de m'honorer d'une lettre. Si ce qu'il
dit eft vrai , à la bonne heure ; nous attendrons l'ouvrage ôc
nous en profiterons. A l'égard des mémoires de Monfieur
le Chevalier Cotton , vous fçaurez qu'ils m'ont été envoyez
deux fois , par l'ordre du ferenifTime roi de la Grande Bre-
tagne. Ces mémoires vont jufqu'à l'année 1^82. mais pouc
,ce qui eft au delà , & ce qui refte jufqu'à la mort de la reine
Elifabeth , on ne ane l'a point envoyé. Celui qui m'a remis
ces mémoires , me l'avoit néanmoins fait efperer , & je le
fouhaitois avec ardeur. Je ne fçavois pas alors que vous aviez
la principale part à ces mémoires , & je vous fuis bien oblige
de fhonneur & du plaifir qu'on a voulu me faire. Plût à
Dieu que cela eût eu fon effet , & que la circonfiance que
vous me mandez n'eût pas produit un changement fâcheux.
Cependant j'ai fait ufage de ces mémoires , pour faire des
corredions , des additions , & mettre plus d'ordre chrono-
logique dans plufieurs endroits de mon Hiftoire , comme
vous verrez dans la première Edition qui paroîtra. Je ferai
la même chofe par rapport au refte , fi Monfieur Cotton veut
bien en votre confideration continuer de m' éclairer , comme
il a fait cy-devant. Je le fouhaite d'autant plus , que je fçai
maintenant que vous avez mis la main à cet ouvrage , c'eft-
à-dire qu'il eft écrit avec tout le foin & la fidélité pofilbles ,
quoique le Copifte y ait fait des fautes. Ce que vous avez
jobfervé , je l'ai obfervé aufii 5 mais je me fuis bien gardé
d'imputer ces fautes à l'Auteur , que je ne connoiflbis pas alors ,
& que je croyois être un autre que vous. Il ne me refte plus
..qu'à vous prier encore une fois de m'excufer ^ fi j'ai tant tardé
à vous répondre , & d'être perfuadé que vous n'avez jamais
obligé perfonne, qui foit plus reconnoiflant ôc plus difpofé
DE J. A. DE THOU. 27^
î profiter des occafions de vous témoigner fa gratitude .Adieu
mon cher Monfieur , continuez , je vous prie ^ de m' aider
dans mon entreprife ^ autant que vous le pourrez .De mon
Château de Viibon dans les fêtes de Pâque 1^15.
Lettre de Guillaume Camden , à Jac. Aug. de Thoit.
JE profite de Foccafion que m'offre Monfieur le Baron Carew, /^^.'^'^"'^^ ^^*
qui écrit à Meffieurs de Sainte Marthe , avec lefqueîs il a un Manufcrit.
grand commerce de lettres, par rapport aux généalogies. Mon-
fieur Carew m'a demandé poliment fi jen'avois pas quelques
lettres à envoyer en France. J'ai faifi avec ardeur l'occafion
à laquelle je ne m'attendois pas, pour vous écrire à la hâte,
& pour vous remercier des bontés que vous me témoignez
dans votre dernière lettre, & en même tems pour vous faire
compliment fur votre amour confiant pour la vérité , & fur
cette fermeté que vous faites paroître dans l'orage. Vous
m'avez appris le premier le changement de SaMajefté à vo-
tre égard, & la réîblution qu'elle a prife 5 ce qui m'a fait beau-
coup de peine. J'ai rencontré un EcofTois-François , & un ou
deux autres EcofTois ennemis de Buchanan , qui étoient fort
irritez contre vous. Dernièrement ayant preffé Monfieur Cor-
ton de vous envoyer les Annales qu'il avoir commencées,
il me répondit nettement j que Sa Majefié ne le jugeoitpas
à propos. Je fuis étonné que Monfieur Wotton ne vous faffe
point tenir l'ouvrage du P. Paul. J'ai de la peine à me per-
■fuader qu'un homme , qui eft toujours à la Cour , & qui ne
penfe qu'à fa fortune, entreprenne l'Hiftoire dont il s'agir.
Je crois que vous avez reçu ce que Monfieur George 'Carew
a obfervé au fujet des affaires de Pologne & de Suéde. Je
fçai qu'il avoit fait copier fes obfervations , pour vous les en-
voyer. Adieu, Monfieur 5 foyez perfuadé d'une éternelle ami-
tié de ma part. Du Palais de Weftminfter le 17 Juillet 1 515,
Lettre de Jac» Aug. de Thou , à îfaac Cafaubon.
On SI EUR. T'av reçu la voftre du 8 du pafle. Vous _ . , .-
n'aurez jamais faute de fubjed pour vous juftement \q Manufcrk.
indigner, fi une fois pour toutes vous ne vous refolvez de
28o PIECES CONCERNANT L'HISTOIRE
genereufement merprifer tous ces abboyeurs à la lune. Ce
Candroi dernier ne vous doit pas plus efmouvoir que ce Peau-
cier. Negligez-les, & vous appaiferez leur rage. Ils ont ou
penfent avoir gagné fur vous ce qu'ils prétendent, quand ils
vous ont molefté, & que montrez en avoir fentiment. Je loue
voftre délibération de n'y faire refponfe. Demeurez conftant
en voftre refolution.
Je laide ce difcours, pour vous dire que M. le Chance-
lier me dit dernièrement , que le temps que vous avez de-
mandé , eft expiré , & qu'il étoit temps de penfer à votre re-
tour. Je lui fis refponfe que ce terme avoit été donné & pro-
longé jufques à Pafques dernières , que depuis ce temps je
n'avois reçu Lettres de vous , quoy que ne faudrois à vous
faire entendre fa volonté. Vous adviferez à m'efcrire , en forte
que je luy puifle donner fatisfadion fur ce fujed. Par mef-
me moyen vous me ferez fçavoir , s'il vous plaift , en quel
eftat eft voftre oeuvre, 6c en quel temps nous devons l'ef-
perer. Ce fera la crife de voftre affaire. La refponfe de M,
le Cardinal du Perron tire de long. Manum de tabula. Jq
ne fçaurois que vous en mander.
J'ay reçu cy-devant une Lettre très honnefte de M. Cam^
. den. Je vous avois prié de m'excufer envers luy , fi je ne luy
avois Cl toft fait refponfe j vous la trouverez dans ce paquet :
je vous prie la luy bailler, & l'accompagner des mefmes ex-
cufes 3 ôc toutes les honneftes paroles que fçaurez mieux que
je ne le peux defirer. Quant à M. Cotton, je vous fupplie
aulTi l'entretenir en cette mefme bonne volonté. Car pour M.
Wptton, je vois bien qu'il ne s'y faut plus attendre.
Je vous prie de m'efcrire au pluftot, & oublier tout ce
qui vous fafche, & qu'induftrieufement l'on fait pour vous
fafcher , fans vous y arrefter davantage. En cet endroit je
fupplie très humblement noftre Seigneur, Monfîeur, vous
donner en fanté fa grâce.
De Paris ce 20 Voftre très humble & très affedionnc
Avril i(^ij. ferviteur, De Thou^
Çomm
DÉ J. A. DE THOU. 231
Comme ici j & en ■pÏHJleuTS lettres précédentes ) il ejî- parlé peu
^vantageujement au Chevalier Henri Wottcn , on lui doit la
juflice de rapporter ce ûtion trouve à ce pAJet dans les lettres de'
Fra-Paolo.
Al'cgard de l'affaire qui concerne M. de Thou, elles'eft Traduit dcl'i-
paffée ainfi. Le P. Paul avant fait connoître au Seis^neur ^f^^^"» Si tiré
am,i envie qu il avoitd envoier les Mémoires a M. de Thou, Tra-Pao'oSar-
comme une chofe qui pourroit faire honneur à la Républi- /'' f^ ^'^"<"'
que , & lui ayant demandé fon avis fur cela , Nani lui ré- jiol ^1^11,?^'
pondit, que ce n'étoit pas une chofe à confeiller, mais à i^7î- in 12.
faire 5 que fi on l'en chargeoit , il s'en acquitteroit volontiers. P' ■^°°'
Le P. Paul fuivit fon confeil.Mais depuis le Seigneur Nani, foit
par un fcrupule qui lui vint à l'efprit, foit parce qu'il propofa l'af-
faire au Collège , prit la réfolution de furfeoir l'exécution de
ce qu'il avoit promis. Il ne porta donc point en France l'ou-
vrage du P. Paul , qui fut obligé de ne prendre alors fur cela
aucune autre réfolution. Voilà ce qui s'efl: paffé
Maintenant je fouhaite que M. de Thou, & M. de l'Ifle
foient fatisfaits. J'ai trouvé un expédient, quij je crois, fera
aifé, & qui ne commettra point le P. Paul.
. Il y avoit en cette ville , à la fuite de M. Wotton Ambaf-
fadeur d'Angleterre , un Miniftre de fa Religion , perfonnage
fingulier (i), qui ayant lu les Mémoires du P, Paul, le pria
de lui permettre d'en prendre une copie. Le Père y confentit à
la fiuj pourvu que ce ne fut point en Italien, comme ils ,
etoient, mais en Anglois. Il avoit fes raifons pour le vouloir
ainfi. Il croyoit qu'il le pouvoir faire de cette manière , Ôc
non autrement.
On écrivit enfuite à ce Miniftre , d'en faire part à M. de
Thou. Il fera facile de s'informer de M. Wotton^ du Ueii
où il eft. Je crois que M. de Thou fera content, & le P.
Paul ne fera point compromis. L'ouvrage eft long, 6c ne
contient pas moins qu'une main de papier.
Il feroit inutile de s'adrefler à la perfonne (2) que vous me ihid. />, 57g.
nommez , qui eft à prefent ici. Ce n'eft pas elle qui a cette tra-
(i) Ce MJniflreot! Chapelain du Chevalier V/otton.fenommoit Guillaume Bedc If,
(i) Le Chr\?]\ç: Wotton.
Tome XK Nn
Imprimée fut
le Manufcric.
282 PIECES CONCERNANT L'HISTOIRE
dudion, mais Ion Chapelain (i) , qui n'eft plus chez lui. S'il
vous en fouvient, je lui en ai écrit, & je vous ai envoyé ma lettre.
Lettre de Jac, Aug, de Thou , à Ifaac Cafaubon,
MONSIEUR. Ilya long temps que je recherchois l'oc-
cafion de vous efcrire , & faire refponfe à deux de vos
Lettres d'Avril & May dernier ; mais j'ay efté indifpofé de-
puis, & Madamoifelle voftre femme, par les mains de laquel-
le j'avois reçu la première des voftres , a été abfente & in-
difpofée elle mefme 5 qui a été caufe que j'ai différé jufqu a
ce jour de vous efcrire , auquel ayant trouvé la commodité
de ceux qui vous rendront la prefente , fans attendre que j'euf-
fe conféré avec Madamoifelle voftre femme j pour fçavoir
quelle refponfe elle avoir eu de M. de Villeroy, je n'ai vou-
lu faiUir à mon devoir. Je crois qu'elle vous aura efcrit les
propos que nous eûmes enfemble à fon arrivée , & que je
vous repeteray encore par celle-cy, ne voyant point qu'il y
ait lieu de changer le confeil que je luy donnay lors , qui eft
en fomme , que fi vous eftes en liberté , c'eft à dire , qu iî
vousfoit libre de venir par deçà, fans obligation de publier
voftre livre tant attendu , & redouté de part & d'autre , qu'en
ce cas vous difpofiez de venir par deçà au pluftoft , & obéir
à la volonté de S. M. qui vous doit rappeller , & ce fans dé-
layer davantage, finon, & que vousfoyez obligé de publier
voftre livre , qu'au pluftoft vous le fafliez mettre fous la prefle,
& imprimé qu'il fera , devant que revenir par deçà, l'envoyer
incontinent, afin que félon la réception d'iceluy, vous & vos
amis puiflent faire jugement quelle réception vous pouvez
efperer en France aprez votre retour. Depuis luy avoir don-
{\) Guillaume Bedell qui traduifoit ac-
tuellement en Latin ces Mémoires du P.
Paul, qu'il ne publia qu'en 1626. fous
ce ûttf.lnterdtBi Veneti Hifioria. Dans la
dédicace au Roi Charles I. il dit : « Lorf-
S3 que j'crois à Venife, le P. Paul me fit
» part de fes Mémoires, au fujet du diffe-
wrend de la République avec le Pape
w Paul V. mais à condition que je ne les
M copierois point. Car il fcavoit par ex-
«;>éricnce ce que c'étoit qii'JrriterlaCour
» de Rome, s'étant vu attaqué en plein
» jour , dans le fein de fa patrie , & per-
» ce de coups par les émillaircs de cette
» Cour , pour avoir défendu la liberté &
js les droits de la République , & de tous
«les Princes. Ainfi tant qu'il a vécu,
33 cette Hiftoire n'a point vu le jour.
»3 Mais depuis fa mort , elle eft publique.
ïs Elle a paru l'année dernière , non feu-
jslemcnt en Langue vulgaire , mais en-
ï3 core en François. Je l'oHre aujourd'hui
ao en Latin à V.' M. &c. » fCet extrait
de la dédicace de G. Bedell au Roi Char-
les L eft traduit duLatiu. j
DE J. A. DE T HO U. ':tBs
né ce confeil, pour le vous faire entendre, je n'ay rien veu
ni appris, qui me doive faire changer d'avis.
Par voftre féconde du mois de May, j'apprends que vous
deviez aller à Oxford .-je defire fçavoir quel a efté le fuccez
de voftre voyage , & fi vous avez efté contraint par honneur
de mettre voftre livre fous la prefte depuis voftre retour d'Ox-
ford. J'attends fur cela de vos nouvelles, & quelle refolu-
tion vous avez pris pour voftre retour en France. Quand fur
ce vous m'aurez fait refponfe , je m'alTeureray de nouveau
de ce que je vous ay cy-devant efcrit de la part de Monfieur
le Chancelier.
Si M. Grotius eft encore par delà , je vous fupplie le faluer
de ma part, & luy tefmoigner combien je l'eftime, comme
je dois. Vous me faites defirer de voir fes Commentaires 5
il ne peut les communiquer à perfonne qui les prife plus que
moy , qui ay eu tousjours très cher tout ce qui vient de fi
bon lieu. Je vous fupplie auflî de faire office envers M. Cot-
ton pour fes Mémoires , & le prier de m'aider de ce qui ref-
te jufques au temps qu'il a continué.
Vous faites bien de ne vous offenfer davantage du Can-
drol. Telles gens mal meus , & pouflez non d'efprit de cha-
rité , mais de rancune & de vangeance , ne font dignes de
voftre ire. Ils feront fort trompez de leur efperance , fi vous
monftrez les négliger. Je ne vous efcris fur ce point fans caufe.
Tenez moi tousjours en voftre bonne fouvenance , & vous
fervez de moy comme de celuy qui vous eft afteurement
acquis. En cet endroit je fupplie très humblement noftre
Seigneur, Monfieur, vous donner en fanté fa grâce.
De Villebon ce Voftre bien humble & très aifedionné
II Aouft i<:>i3. ferviteur. De Thou.
P. S. Je ne vous efcris rien de voftre Lettre à M. le Car-
dinal du Perron ; vicit fpem & expeBationem : il eft aprez à y
refpondre. Il eft bon qu'elle ne foit encore veuë , car tous
n'en feroient également leur profit. Je vous en diray davan-
tage à la première commodité. J'ay reçu les dix années fui-
vantes & jufques en 1^82. de la Vie de la Royne Elifabeth;
j'attends le refte. Sur cela aufli je vous efcriray plus ample-
ment.
é.
Nn ij
28-t PIECES CONCERNANT L'HISTORE
Lettre de Jac, Aug, de Thon , à Ifaac Cafaubon,
Imprimée fur T\^ ^ O N S I E u R. Je refponds àtrois des voftres par celle-cy5
li Manufcrit. J^ V J.la première du i j d'Odobre, la féconde du 2 ^ du mef-
nie mois, & la dernière du 10 du mois pafle. Par la pre-
mière vous me donniez efperance que nous pourrions voir
les premières pièces de voftre œuvre, devant que le tout
fut achevé: mais vous m'oftez cette efperance par la fécon-
de, & vous remettez à quand tout l'œuvre fera imprimé»
qui me fait defirer infiniment que cela foit au pluftoft. Le
fubjcâ; eft tel qu'il fera difficile que vous puiiîiez plaire à
tous les ledeurs , les efprits étant aujourd'huy comme tous
prévenus & préoccupez d'autres opinions que n'eftoientnos
Pères. C'eft le fîecle.
Je fuis en peine pour l'indifpofîtion de Madamoifelle vo-
tre femme , & autres fafcheries domeftiques dont m'efcrivez.
Dieu qui regarde tousjours les fiens, vous donnera en cela
ce qui vous eftneceflaire. Je fuis bien aife qu'ayez veu R.
Sculterus : s'il eft encore par delà , je vous fupplie de le faire
fouvenir de ce qu'il m'a promis & à vous. Cela me fervira
, pour , en revoyant mon Hiftoire , y corriger & augmenter les
chofes de ces pays loingtains , efquelies je ne peux que bien
fouvent faillir, & qui m' eft pardonnable.
M. Camden a pris la peine de corriger , voire jufques à
i'ortographe , tout ce qui touche la Grande Bretagne, &ies
çhofes de l'Irlande j & ce avec une grande humanité , dont
je luy ay une grande obligation. Non fie Meurfius duquel
vous m'avez envoyé la lettre avec voftre dernière dupafle : ©ar
à chaque ligne il m'accufe d'ignorance, d'ineptie, d'^viç-o/vio'/a
& telles femblables paroles. Il en pouvoir ufer de plus dou-
ces, & mefmement efcrivant à vous, qu'il fçait m'eftre in-
time amy. Dieu veuille que je n'aye fait en tout mon œu-
vre de plus grandes fautes que celles qu'il a remarquées , qui
font la plufpart de l'efcriture & de l'impreirion es noms pro-
pres , efquels il eft facile de faiUir. Je ne laifteray de faire
mon profit de fes reprehenfions j & ft luy efcrivez , je feray
i)ien aife que l'invitiez à examiner le refte , fans faire femblant
^ue j'aye trouvé un peu trop afpres fes corredions,
DE J. A. DE THOU. ^8;
Ma femme vous baife les mains & à Madamoifelle voftre |
femme , & en cet endroit je fupplie très humblement noftre j
Seigneur , Monfieur , vous donner à tous deux & à toute voftre j
famille en fanté fa grâce. i
De Paris ce lo Voftre bien humble & très affedionné
Décembre 1(^15. ferviteur,DE Thou, \
F. S. Si vous voyez par occafion m. Cotton, je vous prie
lui baifer les mains de ma part , Ôc le faire fouvenir de la pro- ■
meife qu'il vous a faite pour le refte des Mémoires jufques au ;
dcceds de la Royne Elifabeth, & dont M. l' Ambafîadeur qui
eft icy m'a donné efpérance.
]
Lettre de Jacques Augiifie de Thon à Ifaac Cafaubon. ' ■ ]
MONSIEUR. J'ay reçu deux des voftres , & toutes deux Imprî^^e ftrf j
lu m.ois pafte. je refpondray à la dernière , qui eft de ^ a u n . |
la iiu uudit mois. Celles que je vous avois efcrit devant la ' ,
réception d'icelle, & que je crois que vous avez cependant 1
receuës, vous doivent avoir mis hors de la peine en laquelle
vous eftiez pour ce que m'aviez envoyé. Le tout m'a efté fi- j
deilement rendu , comme je vous ay efcrit : nous attendons |
le refte avec extrefme defir ^ ce que nous avons veu nous en |
a augmenté l'envie. Les deux chefs obmis en la dernière
Exercitation de la Tranfubftantiation & Sacrifice, attendront ^
leur temps & Heu , & paftera plus doucement cette première :
Edition fans la diflertationd'iceux. i
J'envoye à M. Camden par cette voye , qui eft de M. l'Am- ;
bafladeur qui s'en va par delà pour un bon effet, ce qui s'efl:
imprimé de nouveau de noftre Hiftoire , plein de fautes , dont '
il me defplaift , & dont je vous prie faire les excufes. J'y ay j
inféré ce que j'ay appris depuis la première Edition , touchant |
les affaires d'Angleterre & d'Irlande , fuivant les Mémoires \
que m'a envoyé M. Cottcn , auquel je baife les mains très hum- j
blement , & fouhaite pleine & entière guérifon. M. Camdeiî ]
prendra la peine , s'il luy plaift , de pafler la veuë deftlis , ôc -
m'advertir avec fon humanité & diligence accouftumée des ;
fautes y furvenuës. Je m'eftonne de l'imperfedion que m*ef- ;
çrivez. Drouart a grand tort , à qui je m'en eftois confié. Vous \
Nnii] i
28<^ PIECES CONCERNANT L'HISTOIRE
n'oublierez les Mémoires de M. Cotton jufques au deceds de
la Royne Elifabeth. M. Camden en eft , comme j'entends , le
principal auteur. Si cela eft , nous les pourrions avoir par luy-
mefme. La voye de M. l' AmbalFadeur , qui doit revenir , j'en-
tens M. Edmond , fera fort à propos. Il m'a promis d'en avoir
foin.
Je vous ay fait entendre ce que l'on defîre de vous par deçà ;
j'attends fur ce voftre refponfe , & telle que je la puifle monf-^
trer à M. le Chancelier. Cependant je feray ce que je pourray
pour vous faire continuer fur i'Eftat , & ne doute point que fi
vous refolvez de venir icy à ces Pafques , que vous n'y foyez
continué avec etfet. Confervez-moy tousjours en voftre ami-
tié qui m'eft très chère. En cet endroit je fupplie très humble-
ment noftre Seigneur , Monfieur , vous donner en famé fa
grâce.
De Paris ce pénultième Voftre bien humble & très afFec-
de Janvier i (5" 1 4. tionné ferviteur , D e T h o u.
Lettre d'Ifaac Cafaubon à Jacques-Aitgujle de Thon.
MONSIEUR. J'ai reçu depuis peu de jours la lettre que
vous m'avez fait l'honneur de m'écrire le 3 o de Jan-
Manufcrit. vier. J'avois domié la veille un paquet pour vous , rempli
de lettres, à Monfieur l'Ambafladeur. Comme je fçai qu'il
vous a été rendu , je ne vous en entretiendrai point. Je vous
ai écrit dernièrement ce que M. Cotton m'a dit 5 fçavoir , que
le Roi trouvoit quelque chofc à reprendre dans la nouvelle
partie de votre Hiftoire , & que fa Majefté lui avoir dit qu'elle
m'en parleroit. J'ai eu l'honneur de voir le Roi plufieurs
fois ces jours paftez , & il m'a entretenu de bien des chofes ,
fans me dire rien au fujet de votre ouvrage. Je parlerai à
MelTieurs Cotton & Camden , afin que vous ayez au premier
jour ce que vous fouhaitez.
Je vous ai mandé dernièrement que mon ouvrage étolt
achevé 5 mais différentes occupations, m'ont empêché de
m'appliquer à écrire les Prolégomènes. Dès que le livre fera
imprimé , je ne manquerai pas de vous l'envoyer , afin que
vous ayez la bonté de me faire fçavoir, fi vous le trouvez
bon, ce que vous voulez que jefolïe.
Traduite du
D E J. A. D E T H O U. 287
J'ai va ces jours-ci le grand ouvrage de Coeffeteau. Je
loiie le grand travail de l'Auteur •■> mais la vérité y manque.
Tout cet ouvrage tend à foumettre les Rois à la puilTance Pa-
pale. Il loue également les bonnes & les mauvaifes adions
dQS Papes. Il difllmule ou excufe leur rapacité , qui furpafle
tout ce qu'on peut imaginer. Ce ne font qu'erreurs & fauffetez,
par rapport à Grégoire IX. Il accufe Mathieu Paris , &c. Il
prétend après Baronius & Bellarmin,que les Hérétiques qui ont
donné l'édition de cet auteur l'ont altéré? rnais lui & eux men-
tent. J'ay dans mon cabinet l'exemplaire de Matthieu Paris,
que ce Moine donna à fon Abbaye , & qui appartient aujour-
d'hui à la bibliothèque du Roi. J'ay lu aufli j dans la bibliothè-
que de Monfieur Cotton , les vies que ce Moine a compofées
des Abbez de S. Albans. Dans ce dernier ouvrage, il décla-
me de la même manière contre les fourberies , les rapines ,
& les crimes horribles des Papes. Le même Monfieur Cot-
ton poilede une Hiftoire abrégée de cette Abbaye , où
Matthieu Paris parle avec encore plus d'énergie de la ty-
ranie Romaine , que dans les éditions qui ont paru. Ces
deux Manufcrits font fur du parchemin , qui eft du temps que
cet Auteur vivoit, ou à peu près. Quelle impudence donc
de vouloir excufer les crimes des Papes, ou d'accufer les
Proteftans d'impoRure fur cet article .' J'en parlerai dans mes
Prolégomènes. Je fçai quel en fera le fort , fi la vérité fait
des ennemis. Mais je vous amufe.
Adieu , Monfieur , vivez toujours heureux, avec Madame
de Thou, & Meiïieurs vos enfans. Ma femme joint fes vœux
aux miens ,& vous préfente à tous fes refpeds. Je ne penfe
plus qu'à la France , depuis l'efpérance que j'ay de partir bien-
tôt pour ce pays-là. Dieu le veuille. Adieu encore une fois.
Lettre de Jacqîi€S-At4gufie de Thou à Jfaac Cafmtbon.
MONSIEUR. J'ay fait refponfe à la voftre du 2.6 du imprimée fur
pafle , que j'ay rcceuë avec le feuillet dernier de voftre le Manufcrk.
œuvre. Nous attendrons les Préfaces , qui en retardent la pu-
blication , avec impatience , afin que par le jugement & ré-
ception que l'on en fera , nous puilTions voir plus clair en la
xéfolution de vos affaires. Ce que je vous ay efcrit pour voilre
û8S PIECES CONCERNANT L'HISTOIRE
acheminement par deçà, je l'ayfait par commandement de
M. le Chancelier , qui tefmoigne vous vouloir du bien , &
affedionner ce qui vous touche. Voflre longue abfence don-
ne fujet de parler à aucuns ; je vous laiiîe à penfer de quel ef^
prit ils font pouiTez , & oftent la liberté aux autres qui vous
favorifent. L'on tenoit que voilre oeuvre feroir du tout ache-
vé pour tout ce mois : c'eft pourquoi l'on vous avoir préfini
le terme mentionné en la mienne, eftimant que desjavoftre
œuvre ayant efté veu de pluheurs , comme il fera , & de
ceux qui y veulent apprendre , & de ceux qui y veulent re-
prendre, le jugement en feroit desja fait & donné quand vous
viendriez par deçà. S'il ne peut li-toft, l'on pourra différer
jufques à quelques mois.
Pour M. Cotton , j'ay prié M. l'Ambafladeur , qui eft main^
tenant par-delà , d'impetrer du Roy de la Grande Bretagne ,
qu'il m'envoye le furplus defes Mémoires , dequoy je vous
fupplie le vouloir foliiciter, & en parler avec M. l'Ambalfa-
deur 5 j'entends M. Edmond. Ce mal avifé , que vous fcavez ,
qui efcrit fi imprudemment par delà , eft caufe de ce mal-
entendu. Je penfois que ce que je vous avois efcrit depuis ,
& que M. de Bouillon en avoit dit au Roy, euft effacé ces
mauvaifes impreffions : mais à ce que je vois, cela dure en-
core , & vous fupplie partant de prendre occafion d'en repar-
ler à fa Majefté. Je vous peux aflurer que j'ay fait fort mon
profit de ce qui m'a ell:é ja envoyé , & j'ay inféré chacune
pièce en fon lieu , comme il fe verra par la première Edition ,
laquelle fi elle a efté retardée jufques icy , le retardement ve-
nant de la pareffe & avarice des Libraires , ne me doit attirer
l'indignation d'un fi grand Prince , que j'honore , & à la gloi-
re duquel & grandeur je favorife de tout mon cœur. Faites
donc, s'il eft pofllble, que le refte me foit envoyé^ &vous
fervez de M. Camden en cette pourfuitte , auquel je baife
les mains , n'ayant receu la Lettre qu'il m'a efcrite de Juil-
let dernier , que depuis trois ou quatre jours. Je baife auflî
les mains à M. Cotton , & le fupplie m'obliger de cette grâce.
J'ay envoyé à M. Camden le dixième tome de nos Hiftoires/or-
ma 1 1^. J'attends de luy fa dihgence accouftumée in Britan"
nicis : vous l'en ferez fouvenir.
Ayant efcrit cette Lettre jufques en cet endroit , j'ay veu
M. le
DE J. A. D E T H Ô U. 28i>
M. le Chancelier , & luy ay monftré le dernier feuillet de
voftre œuvre. Il defîre que vous y ayez gardé telle modé-
ration , qu'il puifTe eftre leu de tous. Il m'a donné alTeurance
de la continuation de voftre penfion 5 mais il vous fomme de
voftre promeffe pour voftre retour , dont il femble que me
donniez efpérance plus certaine par voftre dernière fans dat-
te j qui me fut hier au foir rendue , aprez avoir efcrit ce que
deftus. Je crois qu'elle eft du 17 du prefent 5 car celle de M.
de Bifpeaus , que j'ay receu par la mefme voye , eft de cette
datte. Paricelle vous vousoifenfez & juftement de ce que l'on
dit que le Matthaeus Paris a efté corrompu. Il feroit à defirer
que la petite Hiftoire, & celle des Abbés de S. Albans fuft:
imprimée ;, & le devez dire au Roy. Mais ce que vous ad-
jouftez , que vous traiterez de cela en vos Prolégomènes , je
ne fçay fi c'eft le lieu , & defirerois que cet œuvre tant de-
lire d'un chafcun peuft fortir tout entier , fans par occafton
y rien mefler de ce qui regarde les temps fubfequens , ôc
puifle donner prife à ceux qui la cherchent. C'eft ce que de-
fîre Monfieur le Chancelier j & que je remets à voftre pru-
dence.
J'ay fait la prefente à deux fois. Confervez-moy en voftre
bonne fouvenance. Je fupplie très humblement noftre Sei-»
gneur, Monfieur, vous donner enfanté fa grâce.
De Paris ce 24. Voftre bien humble & très aftedionné
Février i(5i^. . ferviteur. De Thou.
REMARQ^UE,
On ne trouve point cîe Lettres de Monfîenr de Thon à Cafanbon , ni de
ce dernier à Monfieur de Thou , depuis ce temps , jufqu'à la mort de
Cafaubon , arrivée le premier de Juillet 1614. Nous allons rapportée
préfenteraenr quelques notes fur l'endroit de l'Hiftoire de Monfieur
de Thou , où il eft parlé des affaires d'Ecofle. Ces remarques font ti-
rées du Supplément au Recueil des Letttcs de Camden , pag. 5 5^. &
fuivantes. Elles fe trouvent en Original écrites de la main de Cafaubon,
dans la Bibl-otheque Cortonienne. Monfieur Thomas Smith affure dans
la vie du Chevalier Rob.rt Corton , pag. 17. que le Roi Jacques les
avoit lui même didées à Cafaubon.
Tome XK .. O o
0.S0 PIECES CONCERNANT L'HISTOIRE
Note i fur les Evénemens , concernant les affaires d^EcoJfe, rap"
portez dans le cinquième volume de PHijloire de Jacques-
y^ugafce de Thou. Traduites du Latin.
Tom. V. Lîv. T Y E N R Y étant venu d^y^ngleterre en EcoJJe , avec la permif-
xxxvii. p. I. Jj jlon de la Reine Elifabeth , &c. On lit plulienrs fois , dans
ce récit , que la Reine Elifabeth avoit confenti au mariage
de ce Seigneur avec la Reine Marie. Rien n'eft plus faux.
Voici la vérité du fait. Cette affaire fut entamée , conduite ,
& même terminée à l'infcû d'Elifabeth , par les fages confeils
de l'ayeule du Roi Jacques. Les affaires d'Angleterre étoient
alors fur un pied ^ & on y penfoit de manière , que la Reine
^ les Seigneurs Anglois, regardoient comme un bien pour
l'Angleterre, que la Reine d'Ecoife ne laifsât point d'enfans.
Ainfi toutes leurs vues fe terminoient à cette perfpedive. Il
y a nombre de preuves certaines , que ce mariage fut fait à
î'infcû d'Elifabeth 5 car elle fit mettre à la Tour de Londres
i'ayeule du Roy Jacques, à la première nouvelle qu'elle
en eut , & elle n'oublia rien pour empêcher cette aUiance.
Ainfi ce qu'on dit fi fouvent du confentement de cette
Reine, eftfaux.
Pag. 1. 1. II. David Riz empêchoit la Reine d"" aller aujfi vite dans cette af-
faire, quelle auroit defiré. Le Roi ne fçaitpas pourquoi on at-
tribue de l'impatience à la Reine en cet endroit. Car s'il y
eut de la précipitation dans ce mariage , ce fut pour de juftes
caufes. Il y avoit fujet de craindre que la Reine d'Angle-
terre ne s'y oppofât. A l'égard de ce qu'on dit, avec tant d'af-
feûation de ce joueur de Luth, (i) fils d'un homme de la mê-
me profeffion , fa Majefté ne voit aucune nécefiîté de l'avoir
écrit en cet endroit. D'ailleurs elle efi: fure que tout ce qu'on
raconte de cet Italien eft le plus fouvent faux , & de purs men-
fonges. Ce qu'on avance de fa puifiance & de fon crédit eft
encore faux , auffi-bien que les calomnies qu'on lui attribue
contre les gens de bien. MdÀs il avoit j dites-vous, encouru la
haine publique. Sans doute. Mais ce Public , qui le haïffoit, n'é-
toit autre que les ennemis de la Reine , qui empoifonnoient
toutes fes paroles & toutes fes adions.
(i] David Riz.
DE J. A. DE T H O U. api
Il f ai f oit entendre à ce jeune F rince crédule , &c. Comment cela p , jj,, j ^^
fe peut-il ? Le Comte de Lenox étoit venu dans le deilein d'e-
xécuter ce qui fut réellement conclu. La Reine conçut de
l'amour à (aviië, & peu de temps après le mariage fut con-
fommé.
Le Comte de Aiurray j qui n étoit ni flatteur , ni dijfimulé. Sa ibid. IjV. i^
Majefté allure que ceux qui prodiguent de fi grands éloges à
ce Comte , fe trompent groffierement , & qu'elle fçait exacte-
ment la vérité de tout ce qui eft arrivé ; vérité à laquelle on
ne peut être fidèle , qu'en faifant le portrait du Comte de
Murray , avec des couleurs entièrement différentes de celles,
dont on l'a peint jufqu'à préfent à fon avantage. Je fçay , & je
mereflbuviens bien, Monfieur, que vous m'avez dit, lorf-
qiie nous nous fommes entretenus du Comte de Murray ^ que
Yous aviez fait tout votre polTible , pour découvrir par une re-
cherche fcrupuleufe la vérité de ces faits, & que plufieurs
perfonnes que vous aviez confultées fur ce fujet , ne vous
avoient répondu que ce que vous avez écrit. Pardonnez-moi ,
fi j'ajoute plus de foi à un Prince refpedable , que je connois
certainement pour un fidèle partifan de la vérité, qu'à plu-
fieurs particuliers féditieux, aveuglez par un zèle • indifcret ^
& prêts à tout entreprendre, par efprit de fadion contre leurs
Souverains.
Henry & Riz dévoient lui faire une querelle , &c. Le Roi ibîd. lîg. 3 S',
allure que toute cette Hilloire eft fauile. Cependant Bûcha-
nan la donne pour vraye. Balancerez-vous, entre l'un Ôc l'au-
tre ?
// arriva un Amhaffadeur $ Angleterre. Il eft fait mention p. 4. lîg. it;
en cet endroit de deux Ambaftades de la part de la Reine
-d'Angleterre. Le Roi allure que celle qu'on met la première ,
n'a jamais été.
Qjtoique le Comte de Murray ne defapprouvât pas ce mariage, -p, 6. lîg. 10.
Au contraire il s'y oppofa avec beaucoup de chaleur, & n'ou-
blia rien pour l'empêcher.
On agita alors avec une extrême liberté cette quejîion, érc. Il Ibid. lîg. 14,
•peut fe faire, que parmi des fujets rebelles, il fe foit trouvé
des gens aifez animez pour agiter cette queftion ; mais il n'en
fut parlé , ni par les Grands du Royaume , ni dans les Etats
légitimement aifemblez,
Ooij
' -1
àpi PIECES CONCERNANT L'HISTOTRÏ
. ..^ La fuperjlition fut encore un pîijfant motif pour faire hâter
fon mariage 3 & enfuite ^ pour faire voir quon ajout oit foi aux
p. 7- l«g. 4. prédictions, &c. Le Roi fe plaint beaucoup de ceux , qui les pre-
miers ont écrit cette fable. C'eft, je crois .Buchanan , homme
acharné contre la Reine , & qui n a inventé un tel conte ,
que pour faire croire , que c'étoit par de criminelles intrigues ,
que le père & la mère du Roi Jacques avoient été engagez
à s'unir enfemble par les liens du mariage, & pour in(inuer
qu'on ne devoir rien attendre que de funefte d'un mariage
contradé fous de Ci mauvais aufpices. Mais Buchanan fuit ici
fa paillon. Difons ^ au contraire , que puifqu'il eft forti de ce
mariage un fi grand Prince , d'une probité & d'une pieté ra-
res, il faut avouer que cette alliance s'ell faite par une fe-
crete difpofition de la Providence , fans laquelle rien ne
réiiiTit.'
p. é.Ug. 27. Les bruits quon faifoit courir de ia mort à' EÎifaheth , &&,
Ceux qui étoient alors préfens , & qui avoient part à cette af-
faire , ne rapportent rien de femblable.
Ibid. lig. 31. Mais Riz acheva de déterminer la Reine , qui hrûloit par elle-
msme d'impatience. La Reine eft encore ici accufée d'impa-
tience pour ce mariage ; & Riz ^ dont il eft parlé plus haut , eft
encore fur le tapis en cet endroit.
Pag. 8. \\o. 6. Les Hamiltons foutenoient quilny avoit point de paixfoUdeà
efperer , que par la mort du Roi & de la Reine. Ceux qui poffe*
dent l'Hiftoire de ce temps-là , nient abfolument qu'aucun de
cette maifon ait jamais propofé une chofe de cette nature.
p. 7. lig. 3 1. La plupart des Seigneurs ne voulurent point affijler à ces noces.
La vérité eft ici bien défigurée. Ceux qu'on dit être abfens ,
étoient des rebelles j qui ayant déjà pris les armes , pour s'op-
pofer à ce mariage , & n'ayant point ofé attendre l'armée
royale , s'é soient honteufement fauvez en Angleterre.
Pag. 8. lig. j. Comme ils étoie?it incommodez par la Citadelie , d^r.
Pag. 9. lig. 5. Aiaxwall y homme vigilant 3 ôc enfuite. AJais Riz y ayant
Ibid. lig. 3^. fait plus d'attention,&c. On nie que Riz ait jamais été aflez avant
dans la faveur de la Reine pour pouvoir faire cela , ou que
la Reine ait jamais fait venir des troupes Italiennes en Ecofle.
Cela eft auffi faux que ce qu'on lit quelques lignes au-delfous,
qu'auftl-tôt après fon maria^,:, elle fe repentit de l'avoir con-
tradé. Ceux qui vivoient d?.ns ce temps-ià , aliurent que le
DE J. A. DE THOU. z^j \
%oY Se la Reine ont vécu dans une grande union , durant \
quelque-temps^ après leur mariage. 1
Car Henry ayant été proclamé Roi le jour de /on mariage j p. lo. irg.i£i ;
'ô"c. Voilà le fait tel qu'il eft. La Reine permit d'abord à Ton ]
mari de figner les ades publics avant elle. Elle laifla même j
durer long-temps cet ufage , par pure indulgence , car le
Royaume lui appartenoit. Mais s'étant brouillé avec le Roi j
fon mari , elle lui ôta cette prérogative j & depuis ce temps- |
là , on obferva le droit commun. Pourquoi les rebelles ont- ;
ils fait un crime de cela à la Reine ? Marie , Reine d'Angle-
terre, n'a-t-elle pas toujours figné avant fon mari (i) ? Le Roi
Jacques a des lettres des Archiducs , qui ne font pas autre-
ment lignées. Ce qu'on dit de la fignature d'un îeul pour
les deux, eft un conte. A l'égard de ce qu'on ajoiTteaufujet; ;
dufceau de fer, quoique d'ufage en Ecoffe , cela eft cepen- j
dant contraire aux Loix , qui ordonnent qu'on ne s'en fervi-
ra point , qu'après y avoir été autorifé par un Ade du Parle- i
ment ^ tel que celui qui fut fait quand la Providence divine
fit pafler le Roi d'Ecofle fur le thrône d'Angleterre. |
Elle dépouilla en quelque forte Henri de fa dignité. Ceux P. lo. Ilg, ij; :
qui fçavent ces faits ,,aflurent qu'elle n'eft eft jamais venu à !
ces extrémitez. i
Elle admit Riz à manger tous les jours a fa table. Suppofé que ce Tom. v. Uv; '.
fait fut vraijon pourroit dire que la Reine avoir apporté de Fran- ^}" P^"' ^^7. j
ce cette facilité. Les plus grands Rois admettent quelquefois * i
les favoris à leur table , lorfqu'ils veulent fe décharger du i
poids delà Majefté royale. Cependant les EcoîTois, qui vi- \
voient alors, nient le fait , & rapportent ainfî l'origine de cet- \
te calomnie. Les Rois d'Angleterre & d'Ecofle fe font fer- \
vir, lorfqu'ils mangent à leur petit couvert, par les officiers
qui les approchent de plus près. Ceux-ci mangent debout un '
peu des mets qu'on a défervis , & portez au bufet , ou fur une
autre table drefîee dans la fale, & fe rafraîchiflfent ainfî à la ;
hâte. On dit que Riz en ufoit ainfî quelquefois^ fuivant la j
coutume. Voilà ce qui a fait tant crier. Le refte eft faux. Il ''
n'eft pas plu^ vrai que la Reine, comme on le dit enfuiteg, i
allât fou vent chez Riz. !
Elle voulut même lui donner droit de voix & defuffrage dans IblJ. p. 23 .?, '
V i) Cailex , Auteur Anglois , prétend ie contraire. ^^* ^° .'
O o iij
ri?4 PIECES CONCERNANT L'HISTOIRE
le Confeil. On répond à cela , que la Reine n'y a jamais penfé.
A regard de ce qui fuit, ^ue la Reine ne put jamais obtenir
par pneres j encore moins par menaces ,&c Ce fait eft , non-feu-
lement écrit avec faufleté par Buchanan , au rapport des
Ecoilbis, qui ont vécu de ce temps-là , mais encore eft
avancé fans réflexion. Les Rois n'ont pas coutume, quand
ils veulent gratifier un Miniftre, de traiter avec leurs fujets
par la voie des prières, pour les engager à leur céder leurs
biens. Cette demande feroit injufte ; & les Rois ont d'autres
moyens de recompenfer leurs fidèles ferviteurs.
Ibîd. lîg. i8. Dont il avoit la clef . Cen'eftpas la coutume des Rois, &
ce ne l'a pas été de celui-ci.
Ibid. % 19' Il frappa , & perfonne ne répondit. Ce récit eft différent dans
la bouche de ceux qui difent la vérité.
Ibid. Hg. 19. ^^ communiqua fon dejjein à Matthieu Comte de Lenox fon
père. Il eft certain que Matthieu fut toujours éloigné pendant
ce temps-là , de dix & quinze milles de la Cour : Il n eft pas
moins conftant que le Roi ne lui a Jamais communiqué fes
defteins.
Lettre de Guillaume Camdemy à Jean Gruter.
QUOIQUE je fois vieux & infirme , & prefque aveugle ,
je ne puis m'empêcher de donner des marques de
Maniifcrit. mon iouvenir à mon cher Gruter , & de le faluer à cette
foire par Billi , à moins qu'il ne parte plutôt qu'on ne croit.
Je ne veux pas fur la fin de mes jours manquer aux devoirs
de l'amitié. Comment vous portez-vous donc , mon cher
Gruter ? Comment fupportez-vous le fardeau que vous vous
êtes impofé ? Je vous prie d'avoir bien foin de votre fanté^
dans cette anjiée , qui a été fi funefte aux gens de lettres.
Car j'ay oui-dire que vous aviez perdu Marquard Freher
& Marc Welfer , deux grandes lumières de l'Allemagne,
& de la République des Lettres. Chez nous le grand Cafau-
bon, qui, comme je puis en être témoin , vous aimoit beau-
coup , a rendu fon ame pure & célefte à Dieu , au mois de
Juin dernier. { I ) Il a été inhumé à Weftminfter, & fon corps
rO Suivant rinfcrîption defôn tombeau , il eft mort le premier de Juillet 1^14,
DE J. A. DE THOU; sp^
a été porté par des Dodeurs en Théologie , le convoi étant
accompagné de cinq Evêques. Quelque temps auparavant
nous avons perdu Henri Howard y Comte de Northampton ,
le plus fçavant de tous les Seigneurs. îbimits omnes. Je fou-
haite de fçavoir , qui efc celui qui a ofé en Allemagne publier
un ouvrage injurieux contre M. de Thou. N'eft-ce pas Gret-
zerfll me paroîtau moins que c'eft un Jefuite. Il eftaiféde
voir à prefent ce que doit attendre quiconque écrit l'Hiftoire
de notre fiécle , où il règne tant de padlons différentes. Il
eft obligé de reconnoître la vérité de ce qu'Apollinaire a
dit , que la compofition d'une Hiftcire étoit un travail péni-
ble ; qui aboutiflbit à fe faire des ennemis. Je continuerai
néanmoins ce que j'ai commencé , & je ne manquerai pas à
notre illuftre Reine Elifabeth. Je vous confulterai fur l'im-
preffion de l'ouvrage en Allemagne, & vous me direz celui
qui convient. Adieu, mon cher Gruter, votre ami Camden
vous embrafle. Le lo d'Août i6i^.
Ferai-je paroître mon ouvrage en entier , ou feulement par
parties ?.
Lettre de Guillaume Camàen, à Jac. ylug. de Thou.
' A I reçu , Monfieur , depuis peu la Lettre que vous m'a- Tr^^^uite du
/ .' c 1 1 , J ■ V ^- • ^2tin fur le
vez écrite , & le lendemam que je 1 eus reçue , un jeune Manufak.
gentilhomme, qui eft Monfieur Lingelsheim, me remit vos
deux poèmes de fYladis & du Scorpion, qui font dignes d'Ap- ,
poUon «Se des Mufes. Je vous en fais mes remercimens. En
revanche , recevez mes Annales d'Angleterre , fous le règne
d'Ehfabeth , jufqu'à l'année lySp. Elles fortent de dellbus la
preffe, fa Majelié ayant voulu qu'elles fufîent imprimées^ à
quoi je ne m'attendois pas fi-tôt. Elle aiTare que le relie tar-
dera peu. Je ne puis deviner par le confeil de qui cela s'eft
feit , (i ce n eft par le votre , ou du moins par rapport à vous.
Mais je prévois que ces malheureufes herbes qui ont crues dans
votre champ , où vous avez tâché de femer toujours la véri-
té , croîtront aufti dans le mien ^ & ce fera le même fumier
de ces Guefpes qui fera poufter ces herbes. Il faut prendre
patience. Nous vivons dans un fiecle ennemi de la vérité
&; de la modération 3 mais la bonne confcience ne craint rien.
2.^6 PIECES CONCERNANT L'HISTOIRE
Ayons plus d'égard pour elle que pour la gloire. Je ne doute
point, que lorfque leur premier feu fera pafle , leur fureur ne
te ralientiiïè , & que leurs éguillons ne s'émouflent. Quoi-
qu'il en foit, marchons toujours d'un pas ferme dans notre
chemin , & oppofons aux traits de la calomnie le bouclier de
la patience. Ne craignons que Dieu feul , dont j'implore le
fecours pour vous & pour votre famille , le priant de vous con-
ferver en fanté. Adieu, Monfieur. Je vois que je fuis né fous
la même conftellation que vous , c'eft-à-dire , fous le Scor-
pion, &je puis m'appliquer vos deux vers.
Hic mihinataltS) quartaqueper yEthera parte
Surgebat , vit a mm primas hauftmus auras.
J*ai cependant un ou deux ans plus que vous 5 mais de quoi
vous entretiens-je. Pardonnez à la vieillelfe babillarde. A Lon-
dres le 1 1. de Juin 161^,
Lettre de Jacques-Augufie de Thou y à Guillaume Camden.
Traduite du ¥' Al trouvé fort courte , Monfieur, votre lettre du 11 du
dS/o'-. ^J!i/. J ^"^'^^is paffé , quoique vous vous y difiez babillard. Je l'ai
caînd^& il- trouvée pleine d'agrément , de candeur , & de magnanimité ;
luHr. viro- • ^^^. caufé uuc joic infinie , mais non telle qu'eft la joie
453. de ceux qui du rivage contemplent un vaiileau battu par
la tempête. Ce n'eft pas le malheur d'autruy qui leur fait plai-
fir 5 mais ils en ont à penfer qu'ils font exempts du péril où
ies autres font engagez. Nous navigeons l'un & l'autre fur la
même mer. Nous fonimes dans un danger égal : nous avons
à luter contre les mêmes vents & contre les mêmes tempê-
tes. Nous fommes menacez des mêmes écueûils. C'eft une
eonfolation pour les malheureux d'avoir des compagnons de
leur infortune. Mais pourquoi croirai-je que nous fommes
malheureux l'un & l'autre? Ne trouvons-nous pas dans notre
philofophie des fecours fuffifans^ pour foutenir , pour repouiler
même les efforts de nos ennemis & des motifs puiffants de conf-
tance & de courage ? C'eft ce que j'ai exprimé autrefois dans
mon Poëme de Job. Prévoyant dès-lors que jeferois un jour
en proie à la malignité d'un liécle ingrat , j'eus foin de m' ar-
mer contre tout ce qui pourroit m'arriver, & contre ces
Guefpes importunes , dont vous parlez dans votre lettre. Le
temps
D E J. A. D E T H O U. 2^7
temps eft enfin venu de mettre, l'un & l'autre , en ufage les
maximes de la Philofophie , en nous vengeant des injures par
le mépris, & en appellant au jugement delà pofterité, C'eft
elle & non le fiécle prefent , qu'ont toujours eu en vûë ceux
qui fe font appliquez à écrire l'Hiftoire avec fidélité , & pour
l'utilité du public. Continuez donc ; & que l'afpedde la conl-
tellation fous laquelle nous fommes nez, nous foit à tous
deux un fujet de confolation 5 puifque Dieu a permis que
nous eulTions la même étoile , quoique nez l'un & l'autre en
différentes années. Faites en forte que je ret^oive bien-tôt tout
ce qui fuit juiqu'à la mort de la Reine d'Elifabeth , comme, j'ai
reçu ce que vous avez eu la bonté de m' envoyer ; & fî cela fe
peut , joignez-y les commencemens du règne de votre Séré-
nilTmie Roi , jufqu'à l'année 1610. que nous avons perdu notre
grand Henri. Car lî Dieu m'accorde des jours & du loilir, j'ai
réfolu de conduire mon Hiftoire jufqu'à cette année , & de finir
mon ouvrage avec la vie de ce Prince, à qui le monde chrétien
eft fi redevable. La connoifTance de vos affaires qui font liées
avec les nôtres , me fera très-utile , & contribuera beaucoup à
l'ornement de mon Hiftoire. Je fçai que vous vous appliquez
fans relâche à ces chofes , & que vous employez tous vos foins
à fauver de l'oubli les événemens arrivez dans la Grande Bre-
tagne. Si le maître dont vous dépendez ne leur permet pas de
voir fi-tôtlejour, vous pouvez au moins en faire part à vos
amis , pour en profiter , & les employer daii^ leurs ouvrages
avec la même fidélité , pour la gloire de ce Prince. Je vous
en prie inflamment. Adieu , portez- vous bien , travaillez avec
courage , aimez-moi. A Paris le 1 5 Juillet 16 1^.
Tome XK P p
25)8
J U G E M E N
DES SCAVANS,
SUR L'HISTOIRE
D E
J A C OU ES AUGUSTE
DE T H O U^
Lettre de Frédéric (i) Comte Palatin du Rhin, Grand Maître
d^ Hôtel, & Eleâeur du Saint Empire Romain , Duc de Ba-
vière, &c,
'A Jacques- Augujle de Thou , Confeiller d^Etat du Roi très-Chré^
tien i & Préjident à Mortier.
*T J \ J ir ^ vous ai une nouvelle obligation, Monfieur, du pré-
Traduite a^ m ^ ^ • i r i ^ • j n
Latin fur le i lent que VOUS me faites pour la leconde fois de voitre
Manufcnt. H Hiftoire , qui fera un des plus grands ornemens de ma
J bibliothèque^ Vous avez obligé , non-feulement vos
contemporains, mais encore toute la poiterité^, par cet ou-
vrage utile, qui paflera à nos derniers neveux , & leur tranf-
mettra la vérité que vous avez mis, avec une heureufe liberté
dans un jour éclatant , & que vous avez vengée de fes oppref^
leurs , dont l'efprit de fadion & les paillons diverfes l'avoient
jufqu'alors corrompue & défigurée. Mais vous nous devez
le bien-fait tout entier , & aucun égard ne doit vous détour^
^) Frédéric IV. Eiedeur Palatin, ne en 1574. & mort en 1610.
PIECES COHC. L'HIST. DE J. A. DE THOU. 2pi> ;
ner d'achever ce que vous avez i\ heureufemeiit commencé. i
C'eft un monument prccieux dcftinc au temple de l'immor- \
talitc. Pour moi, je vous rends mille adions de grâces en mon :
nom, & au nom de tout le Public. Lorfque l'occalion s'of- j
frira , je tâcherai de vous témoigner l'affedion & l'amitié que :
j'ai pour vous. Adieu , Monlîeur. i
Donné à Heidelberg le P rederic Eîedeur j
10 Décembre 1 d'à 6". Palatin, &c. ;
j
Lettre de Philippe Canaye , Sieur de Frefnes j y^mhajfadeur de \
France à f^enife , à Jacques-Augujle de Thou, \
i
O N s I E u R. Vous m'honorez & obligez trop de m'a- Imprimée fur <
voir voulu faire part de voftre excellente & immor- ^ lanuait.
telle Hiftoire , laquelle je receus vendredi par le fieur Chan-
celier Duodo , & aufll-toft envoyay au R. Fra-Paolo celle que
que luy donnés. Mais j'entens que le fieur Vincent Gradenigo :
€ft mort à Confrantinople il y a quelques années j & fi vous i
trouvez bon que ce foit la bibliothèque de cette Seigneurie, ;
j'eftime , Monfieur , que ce lieu feroit convenable au prefent, '
& qu'il y feroit honorablement receu. J'en attendray vôtre ;
ordonnance. Je loue Dieu de tout mon cœur qu'en un fiécle j
il corrompu de pafllons & adulations^ la vérité ait trouvé une i
bouche exempte de cette contagion. Le commun des ad- . \
vocaceaux ignorans , penfent d'avoir bien plaidé quand ils ont \
bien criaillé &vomi force injures contre leur partie, le jurif- .\
confulte propofe le fait au vray en bons termes clairement. Je • \
n entreprendray point de dire mon advis d'une fi haulte en- |
treprinfe , mais fi fuis-je afleuré que ceux qui aiment la véri- , \
té , la pureté de la didion , la grâce d'un ftyle vrayement Ro- '.
main , vous mettront en la clalfe des plus rares Hiftoriens. ;
Ceux au contraire qui font nourris en la captivité , ou accouf- i
tumés de n'oQir que ce qui leur plaift , vous noteront, com-
me tous bons auteurs, de leur pedantefque cenfure. Ainfi ;
fuis-je afleuré que l'avez preveu , eftant impofllble de fatis- i
faire à une confcience candide comme la voftre , fans def- S
plaire à quelqu'un- Mais la vérité appuyée de votre intégrité ;
iors de tout reproche ^ & de l'abry d'un bon Pvov , eft un bon ■
pp ij J
300 PIËŒS CONCERNAî^T L'HISTOIRE
garant. Etpeut-eftre que ce refpeâ; les fera taire, fi ce n'eft
que ceux d'entr'eux qui auront tant foit peu de nez , reconnoî-
tront que vous renverfés pour jamais les machines qu'ils ad-
dreflbyent pour conftraindre S. M. à recevoir ce dont il s'eft
toujours exempté. C'eft à mon advis ce qui leur cuira le plus.
Il y aura aulTi des particuliers , & des plus grands , à qui voftre
rigide vérité derplaira. Mais il n'eftoitpasraifonnable de pré-
férer leur faveur d'un jour , à la grâce que vous acquerrez en-
vers tout le genre humain & tous les liecles à venir. Or ayant
eu cette génerofité de ne rien efpoufer que le vray , il me iem-
ble , Monfieur , que rien ne vous obligeoit en parlant des
François d'ufer quelquefois de ces mots, noflri 3 nohifcum ^
&c. lefquels peuvent donner quelque foupçon qu'un au-
theur veuille favorifer à ceux du nombre defquels il fe met.
Car encore qu'il ne foit raifonnable de celer fa patrie , fi
n'eft-il pas auiïi befoin de l'inculquer par tout. Excufez , Mon^
fieur, ma liberté, & reconnoiffés à cet efchantillon que fî
j'eufle pu appercevoir quelque autre chofe , je ne le vous
eufle pas celé. Je n'en ay pîi encores courir que les fept pre^
miers livres. Je croi que Dieu a choiû voftre main pour
manier les clianereux ulcères de nos divifions , tant en l'E-
glife qu'en l'Eftat, aigries par les dernières gueres, quoi qu'il
démange encore bien fort 5 pourveu que Dieu continue la
fanté une vingtaine d'années à S. M. comme il nous en don-
ne efperance. Quant aux autres , je croy que toute bonne
ame confeftera qu'ils requerroyent d'autres cures que celles
qui y ont efté appliquées jufques icy '■> mais quelle efperance que
le monde en foit capable ? Et faut -il faire difficulté de le fau-
ver dans l'arche, parce qu'il y a tant de beftes immondes ? Les
plaintesdoncfont juftes, lesgémilTements, le delir de refor-
mation au chef principalement, & à proportion aux membres ,
.ne fe peuvent arracher d'un cœur vrayment totiché de pieté.
Mais les autheurs du fchifme font inexcufables j & ceux qui y
croupiflent ne petivent avoir nulle certitude enleurconfcien-
ce , que celle mefme dontfe vantent le plus ceux qu'ils recon-
noiflentpoLir les plus abominables hérétiques. Lamifficm du
fils de Dieu eft la chofe la plus vifiblq, & laplusperdurable
qni foit au monde. Tout ce qui le baftit hors de-là , font
grotefques. Voilà, Monfieur, le fondement de ma réfalution
DE J. A. DE THOU. 30?
& la bafe du repos que Dieu m'a donné 5 lequel j'entreprens
tant plus volontiers de vous defcouvrir , qu'il me femble que
vous ayiés vrayment Dieu devant les yeux , & non les hom-
mes. Si je me fuis trompé, ufés particulièrement envers votre
ferviteur de la liberté dont vous ufés envers tout le genre hu-
main. Si vous approuvés ce que fay faid ; pour Dieu, Mon-
fieur , gagnés M. Cafaubon ^ qui vous eft tant redevable , &
qui a tant de preuves de voftre amitié. Ce n'eft point tant la
pitié que j'ay de fa famille , qu'il vous laiffera dans peu de
temps fur les bras, qui me meut, que la companion que j'ay
de l'avoir reconnu en ce point principal^aufTi mal fondé qu'hom-
me avec qui j'aye jamais oiii parler de religion j & de voir
qu'à faute de vouloir confelîer une vérité irréprochable , il
refufe de fe mettre à fon aife & tous les fiens , & rendre fon
nom autant illuftre comme fon érudition. Or la vérité irré-
prochable & à laquelle il ne peut contredire valablement ,
c'eft que l'Eglife Romaine , toute corrompue , toute cada-
vre qu'elle eft, c'eftFEglife Catholique; & FEglife Hugue-
notte , toute jeune, toute reformée qu'elle eft , ne peut eftre
i'Eglife, & n'en a non plus de marques que celles des Ariens
& Anabaptiftes. Je croy , Monfieur , que fi vous prenez la
peine de le mettre fur la fellette entre vous & luy, & le
faire refpondre catégoriquement fur ce point , vous aurez
compaftion de le voir emporté par la force d'une mauvaife
nourriture , fans raifon quelconque digne de luy. La charité
dont je l'embraffe fait que je ne me puis retenir de vous refup-
plier, Monfieur , au nom de noftre Seigneur Jefus-Chrid, de
vouloir entreprendre ce bon œuvre , impoftlble à toute autre
main qu'à la voftre. Le bon perfonnage s'imagine que Catho-
lique & Papifte foit tout un 5 s'il eftoit du Pregade de Venife
il perdroit bien-toft cette opinion. Il ne fçait que c'eft de là
liberté, du repos, de l'aftiirance dont joiiit le vray Catholi-
que, lequel voit les abus auflî bien à moins que le fchifma-
tique 5 mais il connoift auffi la vérité , qui eft la colonne de
ceft éternel édifice, ôcrefpede la charité, laquelle le Schi^
matique a perdue cuidant avoir trouvé la vérité; dont néan-
moins il eft tellement convaincu , qu'il faut eftre plus qu'a-
veugle qui veut plus fouftenir cette prétendue Reformation,.
Je prie Dieu, Monfieur, quivoidôc fcait de quel efprit je
E p iij.
3C2 PIECES CONCERNANT L'HTSTOmE
fuis pouifé à vous tant ennuyer de ce propos, de vous don-
ner le moyen d'achever voftre héroïque labeur , & le voir
univerfeliement receu comme il mérite , & vous donner en
fanté , Moniieur , très heureufe & longue vie.
De Venife ce roMars, i6o^.
Excufez la hafte , s'il vous plaift.
Voftre très humble & très affe(flionné
ferviteur. De Fresnes Canaye.
Era-Paolo remet à vous efcrire par le prochain , n'y ayant
commodité prefentement.
Lettre de Guillaume du Vair j premier Préftdent au Parlement de
Provence , & depuis Garde des Sceaux de France 3 à Jacques
Augujîe de Thou^
Imprîmce fur ^ /f ^ ^ S I E u R. Monfieur le Pebvre m'a envoyé le prè-
le Manufcrit. J^ V J^^ mier tome de voftre Hiftoire , comme en ayant char-
ge de vous. Je tiens fi chère l'amitié, dont il vous a pieu
de tout tems m'honorer, que je ne puisque je n'eftime ou-
tre toute mefure les rares fruids de voftre excellent efprit.
Je n'ay pfi encore finon jetter l'œil deflus^ & comme en
pallant , oii j'ay neantmoins lecogneu cefte vraye & vigou-
i'eufe vertu, qui vous a animé tout voftre âge aux belles &
genereufes adions , quafi par deflus ce que l'on croyoit pof-
fible en un fiecie Ci corrompu. Je me referve d'en faire une
.eftude aftlduë tout cet efté, afin qu'ayant penfé jufques au
fonds , j'aye encore , & plus d'occafion de vous remercier du
contentement que j'en recevray , & plus de jugement à re-
•cognoiftre ce qui y eft de plus louable. Nos affaires font icy
tousjours de même façon, fans qu'il y ait rien d'aflez fignalé
pour entretenir nos amis. Les chofes, grâces à Dieu, y font
fort efioignées des bruits que j'ay fçeu qu'on a fait courir par
-delà depuis quelques jours : l'Efpagne fe prépare en apparen-
ce pour l'entreprife d'Alger. Je vous fupplie me confcrver
tousjours l'honneur de vos bonnes grâces :, & me croire à ja-
mais , Monfieur ,
D'Aix ce 1 1 Mars Voftre très humble & obeiflant
ï 60.^. ferviteur , G. d u Vair*
DE J. A. D E T HO U. 505
Extrait d'une Lettre de Jacques-Augulie de Thou 3 à Jofepk
Scaliger,
MONSIEUR. La dernière que j'ay receu de vous eft ^j^^ ^^ ^^^
du XXIX de Septembre dernier 5 & ay attendu jufques ceuildesE;^/-
icy à vous efcrire , efperant de jour à aultre que nos Impri- ^^esvrmfoifet
r • 11 J JT Q ' '^ r. '^ M. de U
nieiu-s uieroient de plus grande diligence, ocquenvousel- scaU^.-^^i.
crivant je vous envoyerois la première partie de mon Hif- *
toire : cela m'a fait différer jufques à huy. Vous recevrez donc
avec celle-cy trois exemplaires d'icelie, pour difpofer d'iceux
à voftre volonté. Si voftre loifir vous permet de jetter les
yeux deflus , je vous fupplie me mander voftre advis , & m'ad^
monefter librement , comme vous avez tousjours faid , de
mes fautes , lefquelles je mcttray peine de corriger en la pre-
mière édition. Je crains que le nombre en foit fi grand qu'il
vouseftonne, & deftourne de ce bon office î mais je fçay
aufll que vous m'aimez , & fur cette confiance je ne crains
point de vous en fupplier. Je croy que maintenant vos Impri-
meurs auront commencé à travailler à voftre Eufebe, leur
diligence n'acconfuivra jamais le deiir que nous avons de le
voir, pour le grand fruid que chafcun en efpere, & l'hon-
neur que j'en attends, que j'eftime plus que tous les hon-
neurs que je peus penfer avoir mérité de mes fervices. Dieu
vous conferve voftre fanté, pour pouvoir achever non feule-
ment ceft oeuvre , mais aufli autres qui ferviront de rempart
contre la barbarie preiente 2c à venir. A Paris le -^ Janvier
Lettre de Jofeph Scaliger , à lac. Aug, de Thou.
MONSIEUR. Je vous remercie très humblement des imprimée fur
trois exemplaires de voftre Hiftoire qu'il vous a pieu '^ Manufcrit.
m'envoyer. J'ay en premier lieu attentivement leu voftre Pré-
face , laquelle m'a ravi, tant par fon pur langage , que par
Thonnefte hardieife dont elle uîe. Ceft un difcours digne d'un
Sénateur, d'un amateur de vérité, & d'un généreux Hiftorien..
Je ns laifteray jamais ceft œuvre que je ne le life totalement.
J'y ay vea l'honorable- tefmoignage , qu'il vous a pieu faire, de
/ „!
3D4 PIECES CONCERNANT L'HISTOIRE
mon bon père , qui eftant digne de louange ^ ne pouvoit eftre
nîieux loué que de vous. De moy , duquel vous aufli don-
nez un tefmoignage tel que fçauroit délirer un plus habile
que moy, je ne diray aultre chofe , (inon que le ledeur
dira que le mérite du père, & l'amitié de l'Hiftorien envers
le fils, a cfmeu l'hiftorien à louer «5c le père & le fils. Je
vous remercie très humblement, Mondeur, ôc au nom de
mon père & au mien. Voftre ftile eft bon Latin, net, «5c com-
me ime naïve beaulté fans fard. L'argument eft gentil , com-
prenant tout ce qui s'eft faid en tous les endroids de noftre
cognoiflance , tant de ce qui concerne les armes , que ce qui
touche les Lettres, comme a faid Diodorus Siculus , la perte
des livres duquel eft une perte de toute l'antiquité. Ce que
j'ay peu lire de voftre œuvre en fi peu de temps me faid
deiirer la fuite , jufques en ces dernières années. Il nous le
fault doncques donner. Nos Flamans ne tarderont gueres à
traduire en leur langue ce que vous aurez donné, & d'au-
tant plus defireront le refte, lequel il fauldra donner, s'il
vous plaift. Noftre Eufebe eft fur la prefte. On y befogne aflez
diligemment félon la portée des ouvriers de ce pays » mais
l'œuvre eft longue. Elle vous eft deuë , & vous fera gardée.
Vous m'excuferez , fî je vous importune de faire tenir à Aix
.en Provence , la lettre cy-enclofe. Car je ne trouve aulcun
moyen de la faire tenir, fi ce n'eft par le graveur Bagauris,
qui m'envoya les empreintes des Médailles. Je fays l'importun,
je vous en demande pardon. Je prierai Dieu , Mo.nlieur , vous
maintenir en fa^arde.
De Leyden en Hollande Voftre très humble & très
cexjiLMars, i6q^. obeiffant ferviteur^
Joseph della Scala,
Lettre de Jofeph Scaîiger à Jac. Aug, de Thott.
' > r II/ÎOnsieur. Le justement que j'ay faid de voftre Hif-
Imprimee wr ! \ / 1 . i ri \ ni
Iç îvianufcrit- K^' .1. toire , ne proceae pasieuiement de cefte bonne vo-
lonté «5c affedion que je fuis tenu vous porter , ains d'un
advis duquel ii j'eftois deftitué je ferois un homme hé-
bété ôc peu pratjç en telles chofes, dont j'ay^ quelque ufage
par
DE J. A. DE THOU. 507
par la grâce de Dieu. Tous les bons entendemens en font
mefme rapport que moy. J'ay fi bien affriandé quelques doc-
tes de ce pays de la ledure de ce livre, qu'il a fallu que je
l'aye prefté, non-feulement à eux> ainsà d'aultres , à qui ils
ont faid fefte de voitre labeur. Car en cefte ville du com-
mencement il n'y avoit que mon exemplaire. Entre aultres
le bon homme Monfieur Clufius Ta tout leu , & y a remarqué
quelque cliofe , comme moy aufli ^ qu'il fauldra changer en
cefte édition féconde , qui eft maintenant fur la preffe. En-
cores que ce foit peu de chofe j neantmoins il ne fault rien
iiiefprifer , quand ce ne feroit que pour le regard des ca-
lomniateurs. Oultre ce qu'en l'Hiftoire la moindre varicté eft
réputée à erreur. Je vous remercie tres-humblement de la
faveur qu'il vous a pieu prefter à Monfieur l'Abbé, qui eft un
jeune homme, qui vous peut fervir à vos eftudes. Car il tranf-
crit fort diligemment & fîdellement , foit Grec , foit Latin :
pour fes mœurs aufll il eft digne d'eftre aimé. Il fault que
voftre fécond Tome d'Hiftoire accompagne le premier. Laif-
fez parler les ignorans & les malins j ils ne fçavent que japper ,
& non pas mordre. Vous avez obligé à vous la pofterité d'un
fi bel oeuvre , & fi grand entre tant d'occupations. Certes
-ce labeur eft digne d'un tel Sénateur que vous, fi bien qua-
lifié & d'intégrité de vie & de dodrine. On ne vous peuft
ofter cela. J'ay à la fin impetré que mon Eufebe feroit pour-
fuivi à deux prefles 5 & cefte fepmaine on procédera à la fé-
conde, s'il plaift à Dieu , lequel je prieray vous maintenir en
fa garde. Monfieur ,
De Leyden en Hollande ^ Voftre très humble & très
cexx. Juin i(^o-j. obeiflant ferviteur,
Joseph della Scala,
Lettre de Jujîe Lipfe à Ifaac Cafaubon, (i)
J'A I appris que l'Hiftoire du Préfident de Thou paroift î Traduite du
& cette nouvelle qui m'a été confirmée, m'a fait naître a^ ""ivr^ind-
un grand defir de la voir : pour donner à cet ami les loûan- tnlhEpiji.pH'
ges que ion ouvrage ne peut manquer de mériter. A Louvain i^^j^^^^Vn-
le 1 2 de Février i ^04. bud, '
(i) L.' réponf ; 4- Cafaubon à cette Lettre eft ci-deflus , pag. 151.
Tome XF, Q q
^o6 PIECES CONCERNANT L'HISTOIRE
Lettre de Jtijîe Lipfe à JacqHes-Augufle de T/wh^
Traduite dn TV Jf Onsieur. J'ai enfin reçu hier au foir la Lettre , que
latin fur le J^V X ^'^^^ m'avez écrite depuis long-temps ; mais je n'ai
lanufcnt. ^^^ encore reçu voftre Hiftoire , qui cependant eft arrivée à
bon port à Anvers, comme je l'apprens. Je vous avouerai
que je l'ay déjà lue , il y a alTez long-temps , ne pouvant ré^
fifter à l'envie , que j'en avois. Je n'ay rien à vous dire de plus
que ce que vous pouvez vous dire à vous-même. Le travail,
l'arrangement des faits , le ftile , tout en eft digne d'éloge.
Ce font ces chofes , fans doute , qui vous ont attiré des en-
vieux. Je fouhaiterois en même temps que la liberté avec
laquelle vous avez écrit , & qui n'eft pas du goût du (iecle
prefent, ne vous eût pas tant fait d'ennemis. Je vous con-
feille de corriger ce qui paroît trop hardi ; vous le pouvez ,
{i pourtant vous faites quelque cas du confeil d'un ami. Je
ne puis m'expliquer plus clairement fur cet article. Je n'i-
gnore pas que vous fçavez ce qui a révolté les efprits. Si j'euiTe
été auprès de vous avant que l'édition parût , je vous aurois
dit , ce que je vous dis aujourd'hui 5 mais il eft encore temps.
Il ne faut que changer ces hardieffes^ pour bien faire rece-
voir votre ouvrage. Je crois que vous avez appris la mort
de notre cher Douza, l'un de mes plus anciens amis. Je traî-
ne moi-même ma vie dans une langueur continuelle. Adieu ,
Monfieur , aimez^moi toujours. A Louvain le 7 de Novem-
bre 1 60^.
Extrait d'une lettre de Jac. Aug, de Thou à Jofeph Scaliger.
Tiré du Re- l^T ^^^ attendons tousjours icy voftre grand œuvras;
ceuiides Let- J^ ^ Icqucl ^ commc j'cutcns , s'avaucc fort 5 ce ne fera ja-
T'M!'Te'''ù l'^^^is ^1 ^^^ ^^^'^^ ^^ déliré. Celui de Bazas eft ja achevé , mais
Scau. impri. on le retient tant que l'on peut , & ne fçay pourquoy , car
me a Hardcr- ^^ j fçavent JLwer de telles chofes , fcavent aufti com-
wyckp. 501. ^ -i ° j r • c- n. T
bien peu il vous peut deiervir. Si toft que i on en pourra
recouvrer l'on vous en donnera la veue. Quant à moy , entre
l'envie , la haine des grands ^ les obtredations , & ce qui
me divertit davantage , les continuelles occupations fort ahe^
nés des livres , je pomfuis tousjours l'œuvre encommencé^
DE J. A. DE THOU. 307
& Pay desja conduid jufques en l'an mdxcvi , délibéré de
le pourfuivre jufqiies à la fin du fiecle , & à la paix de Sa-
voye , qui me fembie eftre un Epoque remarquable. Preffé
de l'inftance que m' avoir fait Monfieur de Cafaubon , qui
en avoir efté requis par Letrres , j'avois efcrit à Monfieut*
Lipfîus , & envoyé un exemplaire , & fembloit qu'il en fuft
fort deiireux 3 comme de chofe non veuc. Il m'a efcrit de-
puis peu de jours , & me faid cognoiftre qu'il l'avoit ja leue ,
& qu'elle luydefplait fort, & que la liberté de laquelle j'ay
efcrit ne convient à ce fiecle. Je ne fçay fi je luy dois faire
refponfe : il a fort changé depuis qu'il a changé Leyden à
Louvain. Je fuis le mefme que j'eltois , & feray , s'il plaift
à Dieu , tousjours preft de corriger ce que j'ay mal efcrit.
Il m'exhorte fort à cefte corredion , mais il ne dit pas en
quoy 5 tellement que je ne fuis pas pour recevoir ce confeil ,
lequel il dit me donner comme amy ; adjouftant qu'il eft fort
marry , que devant l'édition il ne m'en a pu advertir. Je
croy qu'il me renvoyé à l'Inquifition , à laquelle il eft diffi-
cile que la liberté Françoife fe puifle aflubjeder. Il merite-
roit une plus verte refponfe que je ne luy peux faire. Ay-
niez moy tousjours , & je mefpriferay aifément telles cenfures.
De Paris le 20 Janvier 160^.
Extrait d^une Lettre d'Ifaac Cafaubon à Jufie Lipfe.
P.S. W E Grand de Thou m'a chargé de vous faire mille Traduit du
I j complimens de fa part. Comme ami commun je Y^^^h^e^^E^
vous prie de ne point publier la lettre que vous lui avez écrite , pift.vir.uutfi.
de peur qu'elle ne porte quelque préjudice à fon Hiftoire. A ^"*''"- '<"«• «•
Paris le 30 Avril 1(^0 j. ^ ^'^^^^
Lettre de Jofeph Scaliger , à Jac. Aug, de Thou.
MONSIEUR. Je viens de recevoir la voftre du xx Jan- imprimée firr
vier palTé : il n'y a pas long temps que je vous ay e(^ leManwTcriç,
crit & ne doubre nullement que vous n'ayez maintenant ma
lettre. Je m'eftime très heiireux de l'honneur qu'il vous
plaift me faire , que de prendre la peine de m'efcrire en
y us grandes occupations. J'ai reçeu enfemble avec la voftre
3o8 PIECES CONCERNANT L'HISTOIRE
le Chronicon de feu. Monfieur de Bazas^où ledit Sieur a em-
ployé une merveilleufe diligence, & peut-eftre quelquefois
trop grande , à caufe qu'il s'amufe par trop à reprefenter la
variété des manufcripts là où il n'eft point de befoin. Toutes*
fois je défère beaucoup àfon édition , en laquelle il s'eft porté
fort rudement, & ce que je loue le plus, fort modeO:emem,fans
felaifler efchapper aulcun mot qui puifle offenfer perfonne : ce
qui eft fort rare en ce fiécle , & mefmement es hommes Eccle<
fiaftiques , es efcrits defquels hypothefis eft ^aoyp . ,. , maledicen-
tia ir^ ov. Mais les éditions de nos Eufebes font bien différen-
tes l'une de l'autr-e , & ce en beaucoup de manières. On pour-
fuit toujours la noilre un peu plus diligemment qu'auparavant.
Mais ce n'eft pas pour en voir fi toft la fin. Nous employons
tout ce que nous pouvons pour embellir cet œuvre , & avoir
ceft honneur, que de luy donner la lumière foubs voftre nom.
J'adjoute à mes Notes Canones Ifagogicos, qui feront l'ame de
cefte édition , & dont j'efpere que les gens de bien en rece-
vront du finiid , & du contentement. Je remonftre bien à Cla-
vius fon ignorance , fa ftupiditc & orgueil , qui a gafté l'année
Grégorienne, & laiifé fi pleine de refveries & follies que je
m'eftonne que tant d'yeux ne s'en advifent. Tant eft grande
la brutalité de ceux qui fe vantent de favoir quelque chofe l
Pour le moins ils dévoient advifer de l'abfurdité qu'on com-
met cefte année 160^, en la célébration de la Pafque , qui de-
voit tomber au jour qu'ils ont célébré Pafques fleuries. Il eft
incroyable la grande ignorance & barbarie de ceux qui ont
cette affaire en maniement, qu'ils s'en foyent acquîtes fi pau-
vrement, avec une telle marque d'ignorance, que tout le
monde en fera eftonné , quand on le lira en nos demonftra-
tions. Pourquoy vous vous pouvez affeurer , que noftre Eu-
febe,maispluftoft voftre, fera un trefor de merveilles de la
dodrine chronologique ; laquelle j'ay affranchi de la tyrannie
des prefomptifs, de la profanation des ignorans , & de la fyco-
phantie des mefdifans. Nous ne faifons point de fcrupute de
dire que toute cette matière eft noftre, en laquelle nul n^ a
encores rien veu 3 non que j'aye plus d'entendement qu'un
autre , mais d'autant que j'ai pris cette matière à cœur : ce que
je n'ay pu perfuader aux aukres d'^en faire autant. Mais il faut
eftre fourpi d'aukres moyens ^ que ne font ceux que ce monftre
DE J. A. DE THOU. 3op
d'ignorance Clavius y a apporte , lequel G on ofte hors de fon
Euclide , il n'y a enfant fi nouveau qu'il fe trouvera. Certes ,
je puis dire qu'on verra en noftre édition ce qu'on n'a encores
veu. Je ne le dis qu'à vous , Monfieur , qui me cognoiflez.
Car quant aux autres , j'aime mieux qu'ils le cognoiflent par
l'œuvre, que par afleurance que j'enpuifle faire de bouche.
Vous faites bien de pourfuivre voftre Hiftoire , qui eft fi bien
venue j fi chérie , & louée des dodes & gens de bien , fur tout
le proëme qui eft l'éloge de vous mefme , le tefmoignage de
voftre probité , le monument de votre fçayoir , & de la prati-
que que vous vous êtes acquis es affaires du monde, pour les
publier en ce beau Théâtre du monde qui eft voftre Hiftoire.
Celui * qui vous a repris fur la liberté dudit proëme parle en ef- >* ju^g UpC^,
clave des Loyolites , tel qu'il eft : qui eft devenu fi idiot que la
plufpart de ceux qui l'eflevoient jufques au ciel,fe mocquent
de luy & commencent à dire S'h vrcu^s'^ ot yëf>ovhA.{i) Il ne
ne s' eft pas contenté de s'eftre efchaffaudé de ce ridicule ( 2 )
efcrit des miracles , qu'il en a efcrit un ( 3 ) aultre fur mefme
fujet. Il n'y a différence que du lieu & des miracles. Je ne
doubte nullement qu'à Rome il n'y ait des renards qui fe
mocquent de l'imbécillité de ceft efprit , de s'eftre tant abaiffé
que d'efcrire ce que les plus bigots de qualité n'oferoient avoir
efcrit. Vous ne devez , fauf votre meilleur advis , luy faire
refponfe , car il ne le mérite poind. Je ne refte de luy efciire
nonobftantfon idioterie , d'autant que je fuis conftant en ami-
tié. Mais j'abufe de votre patience fans avoir efgard à vos oc-
cupations. Je prieray doncques Dieu, Monfieur, vous main-
tenir en fa garde.
De Leyden le 8 Avril, qui Voftre très humble &tres
de voit eftre Vendredi devant obeiffant ferviteur ,
Quafimodo ido;. Joseph della Scala,
t'i;C'eft-à-dire, les Vieillards font
doublement enfans.
(2) Ds Biva Virgine Hallenfi.
(?) De jyiva, Virgine Sichemenfi.
^ Lipfe après avoir fait un volume en-
tier des Miracles de Nôtre-Dame de
Hall, lui dédia faplame, furquoi Sca-
Jiger fit ces vers.
foft cpus explicitum quod tôt mîracuîa
narrât,
Pennam Lipjiades hanc tibi , Vtrgo ,
dîcat,
Nil pottiit le'vius pennâ tihi , Virgo , die are.
Ni forte elî levius qmd tibi fcripfis
opi},
Q q m
510 PIECES CONCERNANT L'HISTOÎP.E
V écrit fuivant 3 qui paroît être une Lettre , quoi qdelle ne foit
adrejjee à perfbnne, ni même fignée y s^efi trouvé entre les Ma-
nufcrits de Monfieur de Thou. Jean Henri Boclerus qui av oit
déjà donné au Public ladite Lettre , dans fes Commentaires
fur Tacite ) imprimés à Strajhourg, in-S^.en i66^.page 6^0.
prétend quelle a été écrite par Scipion Gentili , à Jacques Bon^
gars de la Boderie.
J'Ar été dernièrement à Ausbonrg & à Miinick. En pa(~
fant par cqs villes, j'ai trouvé plufieurs chofes qui m'ont
Manufcd'c. ^"^ fait beaucoup de plaifir 5 fur-tout , j'ai été charmé de la poli-
teife de Marc Velfer , & de fon érudition, qui m'a extrê-
mement frappé dans les converfations , que j'ai eues avec
lui : il n'y a qu'une chofe , qui m'a fait beaucoup de peine 5
<^'a été fes fentimens au fujet de PHiftoire de votre de Thou ,
ou plutôt du nôtre. Il me parut en penfer défavantageufe-
ment j il en parla même avec aigreur : il ne put cependant me
dire précifément ce qu'il trouvoit à reprendre dans cette Hiftoi-
re: il me dit feulement en gros, que cet Hiftorien étoit trop
favorable à la France, au préjudice des Allemands, ôc qu'il
avoir rabaiffé les belles adions , & les grandes qualitez de
l'Empereur Charle-Quint. Je me fuis recrié fur cette accu-
fation j car je ne me fouviens pas d'avoir lu aucun Hifto-
rien, qui ait donné de plus magnifiques éloges, & avec tant
de zélé à aucun homme , ou à aucun Capitaine que Monfieur
de Thou en donne à Charles V. à chaque ligne de fon Hi-
floire , où il parle de cet Empereur : Je puis dire qu e je'
l'ai lue très-fou vent. Enfuite tombant fur la religion, il ajouta
que l'Hiftoire de Monfieur de Thou , faifoit plus de tort à la
Religion Catholique , que celle de Sleïdan , à laquelle on
ajoute moins de foi , à caufe de la haine qu'il fait paroître
pour l'Eglife Romaine. Qu'il étoit étonnant que notre Hi-
ftorien, écrivant dans un pais Catholique , où il étoit revêtu
d'une grande dignité, qui exige de la prudence & de la gravité^
eut fi fouvent loué les Proteftans avec une efpece d'affedation ,
&eùt paru même prendre en main leur déienfe , lorfqu'il s'a^
giflbit d'en porter fon jugement. Je lui repréfentai les devoirs
d'un Hiftorien , ôc lui dis que Monfieur de Thou étoit ^Q,.
DE J. A. DE THOU. 311
jécrivain libre & fidèle à la vérité. Il me repartit vivement :
» Que votre Hiftorien fe manifefte bien , dans la mort d'An-
3t> ne Dubourg. Il ne peut s'empêcher de laifler échapper à
7> fon fujet des exclamations prefque tragiques , & des gé-
miflemens. » Il me dit plufieurs chofes dans ce goût , au
fujet de Monfieur de Thou, & de Monfieur délia Scala.(i)
Il n'eft pas néceflaire de vous les rapporter j d'ailleurs , cela
me feroit de la peine , car ce ne fut que malgré moi que
je les entendis. Il me dit encore , que le duc de Bavière
avoir autrefois envoyé , je ne fçais quels ordres violens con*
tre Monfieur de Thou , à Odavien Fugger, pour les don-
ner au Maréchal de Bois-dauphin, amballadeur de France
à la diète d'Ausbourg, afin de tirer vengeance de certains
vers , que cet auteur étoit accufé d'avoir faits contre le Duc*
Je l'aflurai que je n'avois jamais vu ces vers. (2) Au refte ,
Monfieur Velfer eft le meilleur homme du monde. Je ne
vois prefque perfonne en Allemagne , qui l'égale dans le
genre de litteratiire qu'il a embrafle. Lingelsheim votre ami
& le mien, vous dira plufieurs chofes à mon fujet, & au fujet
de ceux qui avoient à mon infcu , formé le defTein de m'atti-
rer à Rome. Si cependant la chofe vous paroît mériter qu'on
vous en entretienne. Je n'ai pas laiffé d'en avoir du chagrin,
à caufe des plaintes & des bruits excitez à cette occafîon.
Lettre de Charles de rEchife , ou Clufius , Afedecm & ProfeJ^
feiir en Botanique dans PUniverftté de Leïde j à Jacques*
Augujie de Thou.
MONSIEUR. Je ne vous fçaurois affez remercier du imprimée fur
beau préfent qu'il vous a pieu me faire du fécond to- ie Manufcrk.
lîie de voftre Hifioria nojîri temporis ^ laquelle j'ay légèrement
parcourue , n'ayant eu la patience d'attendre qu'elle fuft re-
liée.Depuis je l'ay baillée au relieur , afin de la pouvoir lire plus
à loyfir & à mon ayfe. Je ne fçay en quelle façon je pourray
recognoiftre le plaifir que m'avez faid , n'ayant rien pour
vous envoyer en recompenfe : toutesfois je regarderay fi avec
le temps je vous pourray gratifier en quelque chofe. En lifant
legeremeiK ce qui s'eft palle l'an 15 (54. j'ay obfervé que vous
(i) Jofeph Scaliger.
,{*) On nefçait abfolumentce que e'cd que cette pièce devers.
31^ PIECES CONCErvNAN''T L'HISTOIRE
avez eftc mal informé de la façon de la mort de Wefalius ; le-
quel partit d'Efpagne pour faire fon voyage de Jerufalem ,
quafi en même temps comme j'y entray. Il en fortit par Per-
pignan , ôc j'y entray par Guipufcoa & Vittoria. Je vous ad-
vertiray avec plus de loifir comme fon dit voyage s'eft pafle ,
l'ayant entendu partie en Madrit à la cour du Roy d'Efpagne,
partie l'année enfuivante à Bruxelles à mon retour d'Efpagne.
Je vous advertiray pareillement de la diligence de G. Ron-
delet , comme celuy qui l'ay cogneu fort familièrement , ayant
demeuré deux ans entiers en fa maifon avec le D. Laurent Jou-
bert à Montpellier. Mais pour le prefent je n'ay loifir de vous
efcrire plus particulièrement , à caufe que M. de la Scale m'a
faict advertir par fonferviteur, quel! je voulois vous efcrire,
il falloir que luy envoyaffe ma lettre encore à ce foir. Par-
quoy remettant le tout jufques à une autre fois , je prieray
Dieu qu'il vous donne , Monfieur , longue & heureufe vie ,
afin que puifllez achever voftre Hiftoire à la gloire de fon
nom & profit public > & demeureray tousjours.
Leidencexxviii Jan- Voftre très affedionné ferviteur
vier 1^07. Ç. de l'Ecluse.
Notes de Charles de PEclufefur l'Hijîoire de lac, Aug. de Thou,
Traduites du Latin fur le Manufcrit.
Tom. I. Liv. f^ Ontre le Roy de Dannemarck , beau-frere de PEmpe-
ïv.p, 156. \^^^Yeur. Je ne crois pas que le Roi de Dannemarck , qui
regnoit alors j eût aucune alliance avec l'Empereur. C'eft
plutôt fon prédéceffeur Chriftiern ayeul maternel de Charles
Duc de Lorraine : car il avoit époufé une fœur de l'Empereuir
Charles.
îbici. Uy. V. Sleidan conje6fure que cette lettre efi fuppofée. Ce n'eft pas
pag. 518. f^j^g raifon. Car en i$^2>. m'étant rendu au commencement
du Printemps à Marpourg , dans le pays de Hefle , pour y
prendre les leçons de Jean Oldendorp , qui expliquoit le titre
de Petit, hered. je ne remarquai aucun changement dans les
cérémonies Eccléfiaftiques ^ reçues par la Confefllon d'Aut
bourg. Seulement les Miniftres avant le Prêche , ou lur le
point de célçbrej: la Cçne , mettoient un furplis à caufe de
la
DE J. A. DE THOU, 31^
la publication de P Intérim , après avoir averti les fidèles de
n'être point fcandalifez de cette cérémonie. L'année fuivan-
te j'allai à Wittemberg , pour entendre Melancthon ^ & je *
retournai à Marpourg , vers le commencement de l'année
1 5* ^o. André Hiperius Flamand , me logea quinze jours chez
lui j & je ne trouvai rien de changé dans la Religion.
François Erafte. Il faut lire François de Erafib. Il avoit été Tom. n. Ur.
premier Secrétaire de Philippe Second , & étoit fort en faveur ^^ P* ^^s.
auprès de ce Prince , pendant mon féjoiu' en Efpagne. li
avoit une très-belle femme ; plufieurs m'ont aifuré que c'é-
toit la véritable caufe de fon crédit.
Je crois que Munfter eft mort à Bafle & non pas à Hei- Tom. n. Lit.
delberg. (i) Il faifoit fa demeure à Bafle : du moins je l'y ^^•?'^^7'
faluai en 15*^0. en allant de Francfort à Montpellier, avec
Pierre Lotichius Secundus , mon intime ami , & le meilleur
Poète d'Allemagne.
u^yant vu P ouvrage que Rondelet avoit compofé fur les Me- Tom. n.Iîv
moires de Guillaume Pelijfierj &c. Rien n'eft plus faux , car xm.p, 447..
je puis être témoin de l'exaditude de Rondelet à écrire
THiftoire à^s Poiflbns , ayant demeuré deux ans entiers , &
même plus , avec lui. Il a fait en ma préfence la difledion de
plufieurs poiiTons , pour en obferver les parties internes,
afin d'être plus en état d'écrire leur Hiftoire , & de le faire
plus parfaitement. J'allois moi-même fur le bord de la mer,
far-tout lorfqu'elle avoit été agitée , pour voir fi je ne trou-
verois point, dans ce qu'elle jette fur le rivage, quelque cho-»
fe , qui pût être de quelque utilité à mon ami pour fon ou-
vrage, comme des coquillages, des orties de mer , des che-
vaux & des lièvres marins , & d'autres chofes de cette ef-
pece, que je lui apportois. Il eft vrai que les quatre pre-
miers livres , qui font fans figures de poiflbns 3 étoient déjà
faits quand je vins le trouver. Je ne nie pas même qu'il ne fut
grand ami de Peliffier , qui étoit fon compère. Ce dernier ,
peu de temps avant mon arrivée à Montpellier, avoit été mis
en prifon ( i) aux grands jours tenus à Montpellier, & menéprifon"
(z) Ceci eft en François dansTorigi-
(i) C'étoit une faute qui étoit échap-
pée à Mon/ieur de Thou , mais qui a été
corrigée '^ans les dernières cditions.
TomeXK Rr
nal latin. ^
^14 PIECES CONCERNANT L'HISTOTRE
vier à Beaucaire j où il étoît encore détenu quand je partis dtfdij
Jïdonîpellier.
0 PelilTier a pu être d'un grand fecours à Rondelet , parce
que files pefcheurs prenoient quelque poilTon extraordinaire,
ils étoient obligez de l'envoyer à l'Evêque. Peliiïier alors en
liberté , les envoyoit à Rondelet , àcaufedes liaifons d'amitié
qu'ils av oient enfemble. Mais je puis affurer avec certitude
que ce dernier n'a pas compoié fon Hiftoire fur les obferva-
tions de l'autre.
Tom. V. lîv. Ce qu'on dit de Rondelet en cet autre endrolt,ne lui fait pa?
xxxvni. pag. i^Qj^i^gLif^ C'q^ fans doute à la perfuafion de quelque jaloux
de fa réputation. Le trait pourroit bien être parti des mains
d'Honoré Caftelan , qui de ma connoiflance , pendant qu'il
étoit Profefleur à Montpellier, avoir eu de grands diffé-
rends avec Rondelet. A la vérité Caftelan l'emportoit fur
fon adverfaire par une grande facilité de s'exprimer fur le
champ ; mais celui-ci avoir plus d'érudition. Nous ne pouvions
allez admirer la vivacité de fon efprit. Je l'ai vu moi-même
ordonner des remèdes dans un même inftant pour deux ma-
ladies différentes , & dont la cure l'étoit aulfi. Laurent Jou-
bert écrivoit fon ordonnance pour l'un des malades, tandis
que 'j'écrivois d'un autre côté ce qu'il ordonnoit pour Fau^
tre. Je ne fçaurois parler alfez dignement de fa mémoire,
qui étoit merveilleufe.
Tom. IV. Lîv: Jacques qui fefaifoit appeller Defpote deSamos. &c. J'ai bien
"^I"'' ^^'^' ^^5 chofes à dire au fujet de cet homme , que j'ai connu
à Montpellier. Il s'appelloit Jacques de Marchett'i , du
moins c'eft le nom que je lui entendis prononcer , lorf-
qu'il fe fit infcrire fur la matricule des écoles de médecine.
Il fe difoit tantôt de Sicile, tantôt Defpote de Samos. La
plupart le croyoient fils d'une courtifane de MelÏÏne en Si-
cile. Il étoit bien pris dans fa taille , & d'un tempérament
robufte. Il fçavoit le Grec vulgaire, l'Italien, le Latin , &
le François. Il lia amitié avec un gentilhomme de Montpel-
lier , qui avoir une belle femme , nommée Gillete d'André.
Le Defpote la voyoit fecretement pendant la nuit. Les pa-
ïens du mari ayant été informez de ces rendez -vous , atten-
dirent le galant , & le bleflèrent en fortant de chez la belle
XXV
ï
DE J. A. DE T H OU, 3ij
Gilîete. Le blefle intenta procès le lendemain aux parens
du mari , & les fit condamner en une amande. Dans l'an-
née de mon arrivée à Montpellier , le mari de Gillete eut
une querelle avec un certain Baron, Chevalier de Malthe,
qui lui pafla fon épée au travers du corps. Il en mourut
quelques jours après , ne laiffant qu'un fils âgé de deux ou
trois ans. Quelques femaines après fa mort , ce Jacques ;
qu'on appelloit vulgairement à Montpellier Le Grec , alla
demeurer chez la Veuve 3 & vécut en grande liaifon avec
elle. Jacques étant tombé malade , elle lui découvrit la crain-
te qu'elle avoit , que s'il venoit à mourir , la familiarité qu'ils
avoient eue enfemble y ne fift tort à fa réputation. Elle le
prefla de mettre fon honneur à couvert en l'éppufant, & fit
venir un Prêtre pour les marier. Le nouveau marié revenu
en fanté, ayant remarqué un jour que le fils de fa femme
fe divertiflbit dans fa chambre, en fe fufpendant à une gran^
de armoire , qui fervoit de garderobe , il la fouleva par der*
ricre , afin que l'enfant venant à jouer , félon fa coutume j
entraînât l'armoire , & en fut écrafé 5 ce qui arriva comme
le Grec l'avoir prévu. Sa femme & lui , parurent inconfo-
lables en public de la mort de cet enfant.
Après la prife de Mets par Henri fécond , le duc de
Guife s'étant chargé de défendre cette ville contre l'empe-
reur Charles V. prefque toute la noblelle de Languedoc fe
rendit dans cette place. Il fe trouva parmi eux un jeune
homme de Montpellier , qui , je crois , s'appelloit Saint Ht-
lari. Jacques fe difant toujours Defpote de Samos , fe joi-
gnit à Saint Hilari , après avoir laifTé fa femme chez P^on-
delet , dans la maifon de qui il avoit pris un appartement
deux mois auparavant. Mais à peine y avoit-il trois femaines
d'écoulées depuis le départ du Defpote , que Rondelet obli-
gea cette femme de fortir de fa maifon , parce qu'elle rece-
voit trop de vilites d'hommes. Elle loua donc un logement
dans un quartier affez peu fréquenté, afin de recevoir avec
plus de liberté ceux qui voudroient venir la voir. Après la
levée du Siège de Mets , Jacques au lieu de retourner
à Montpellier , fui vit la Cour à Saint Germain. Saint Kavi
Confeiller aux Généraux de Montpellier ^ (i) & un autre dé-;
( i) C'cft-à-dire , Confeillej: à la Cour des Aides & Chambre des Comptes.
Bs r ij.
^iS PIECES CONCERNANT L'HISTOIRE
puté de Gevaudan , fe rendirent à la Cour pour des affai-
res publiques. Ils fe logèrent dans un Bourg fur le bord de
la Seine , au-deifous de Saint Germain , d'où ils alloient tous
les jours au Château. Jacques avoir eu vent de la galante-
rie de fa femme ; il foupçonna Saint-Ravi d'avoir eu quel-
ques liaifons avec elle : c'eil pourquoi il lui drefla des em-
bûches. Un jour que les deux députez defcendoient enfem-
hle le coteau , en converfant , il prit envie à Saint-Ravi de
piller : Il fe retira donc à côté du coteau , tandis que fon
compagnon s'avançoit au petit pas : Jacques qui les avoir
fuivis , faififfant l'occafion , donna deux coups de fabre fur
la tête à Saint-Ravi , qui en fut terraffé. Le compagnon de
ce dernier , effrayé des cris du bleffé ^ fe mit à courir avec
précipitation^ jufqu'à ce qu'il fut arrivé à fon auberge j tout
hors d'haleine. Le meurtrier rentra fur le champ à Saint
Germain , & fe cacha dans la maifon du Ringrave. Saint-
Ravi fut porté dans fon auberge , où il mourut quelques
momens après.
Le bruit de cet affaffinat s'étant répandu , le Roi en fit cher-
cher l'auteur , & fit défenfes par un édit févere de lui donner
retraite. Le Ringrave ne voulant pas s'attirer la colère du Roi ,
fit fauver fecretement le coupable, qui fe retira en Flandres. On
voit par l'hiftoire du Siège de Renti qu'il a écrite , qu'il y avoit
fervi dans les troupes de Charles-Quint. L'Empereur l'ayant
fait Comte Palatin , titre qui lui donnoit le pouvoir de faire
des Maîtres ès-arts ôc des Dodeurs, il obtint à ce fujet des
lettres patentes , qu'on m'a dit qu'il laiffa enfuite à Plantin pour
gage d'argent prêté : je ne fçai s'il les a retirées dans la fuite.
Il parcourut les univerfitez d'Allemagne , où il fit quelques
Dodeurs pour dePargent. Enfuite ayant fait connoillance à
Wittemberg , avec des Hongrois & des Polonois j il apprit
beaucoup de particularitez des affaires de Valachie. Bien
înftruit de ces chofes , il fe donna hardiment pour être de
la maifon des Vaivodes de ce pays. Il fe mit à la tête de
quelques garnifons Allemandes qui étoient en Hongrie , &
entra en Valachie , où la nobleffe le falua Vaivode. Il fe fe-
roit confervé cette principauté ( comme Pierre Rouffel de
Bourgogne, gouverneur de Tockay, me l'a affuréàlaCour
de Vienne,) s'il n'eut pas renvoyé fes Allemands : mais la
D E J. A. D E T HO U. 317
nobleffe de Valachie Ibupçonnant le Defpote de fourberie ,
commença à le flater , & à lui perfuader que les troubles de fes
Etats étant calmez , il pouvoit vivre tranquillement , fans avoir
bcfoin d'une garde étrangereV^ qui étoit à charge à la pro-
vince. Trompé par ces difcours , le crédule Vaivode renvoya
fe§ Ailemands contre l'avis de Rouflel , qui lui difoit de fe
défier des Valaques , dont la légèreté lui étoit connue. Il fe
repentit trop tard de n'avoir pas fuivi un fi fage confeil.
Enfin , voyant qu'il falloir périr , il voulut du moins périr
avec une certaine majefté , foutenuë d'une noble aflurance.
C'eft pourquoi s'étant revêtu de fes plus riches habits , il
s'avança vers fes afiàiTins , la couronne fur la tête & le fceptre
à la main j il fut tué fur le champ. C'eft ainli que Rouflel
m'a raconté fa mort.
Clnfms ajoute à ce que Monfieur de Thou a ait , au fujet Tom. rr. LîVo
d'André Wefal. Wefal en qualité de médecin du Roi, ^''^''^^- P^§-
fuivit Philippe fécond lorfqu'il quitta les Païs-Bas ; mais il
ne put jamais s'accoutumer aux mœurs des Efpagnols , & à
leur génie î c'eft pourquoi il le laiiTa aller à la mélancoUe*
Il feroit retourné volontiers dans fa patrie , fi le Roi avoit
voulu lui en donner la permifllon. Ne reftant donc que mal-
gré lui en Efpagne , il tomba dans une maladie , dont il ne
guérit que très-difficilement. Enfuite il fit de nouvelles in-
ftances au Roi , pour obtenir la permilTion de fe retirer ^
fous prétexte d'un vœu qu'il avoit fait d'aller à Jerufaleni,
s'il revenoit en fanté , ajoutant qu'il fouhaiteroit accomplir ^
fon vœu , fous le bon plaifir du Roi. Non-feulement il ob-
tint ce qu'il demandoit 5 mais il eut encore un paflcport pour
fortir du Royaume , afin que les Commis de la Douane ne Fin*
quiétaflent point fur la frontière. La fomme d'argent qu'il
portoit pour les frais de fon voyage y étoit exprefîemenf
marquée. Ils fe mirent fa femme & lui avec leurs bagages
dans une voiture Flamande. A leur arrivée à Perpignan, ( car
il avoit envie d'aller à Venife , pour fe rendre de-là à Jerufa-
îem , ) il prit le parti d'envoyer fa femme en Languedoc , pour
fe rendre enfuite aux Pays-Bas , en traverfant la France : ce fut
au printemps en i j 6à^, Dans le même-temps, au mois d'Avril,
je partis en pofte de Bruxelles , pour me rendre en Efpa-
gne, ôc ayant traverfé la France &. la Bifcaye , j'arrivai à Ma-
Rriij
3iS PIECES CONCEUNANT L'HISTOIRE
drid , où j'appris toutes ces particularitez de Charles Tifenau
chef du Confeil des Pays-Bas à Madrid. Il me dit encore que
Wefal avant fon départ , avoir prêté à de jeunes feigneurs
Flamands, qui étoient à la Cour, de l'argent à gros intérêt,
dont il devoit être rembourfé dans les Pays-Bas , à fon retour
de Jerufalem 5 que Monfieur de Selle frère de Norkerme ,
& qui époufa dans la fuite la fille de Tifenau, avoit emprunté
deux mille écus d'or de ce médecin. Quoi qu'il en foit , We-
fal étant arrivé fur les frontières d'Efpagne , eut une affaire
avec les Commis de la Douane à Perpignan. Les fermiers
des impôts ont fur la frontière , dans chaque Roïaume de
îa Monarchie Efpagnole , des Commis qui ont coumme d'in-
quiéter les voyageurs étrangers , à moins qu'on ne leur falîô
quelque libéralité. Wefal comptant fur fon pafleport, ne voulut
rien donner. Les Commis pour le fatiguer lui demandèrent
à voir fes paquets , afin de s'affurer qu'ils ne contenoient que
ce que portoit fon pafleport. Wefal pour avoir raifon dé
cette injure , leur fit un procès qui dura quinze jours. Ori
croit qu'il lui en coûta cinquante écus d'or j il en eut été
quitte pour un , ou deux tout au plus , & eut ainli conten-
té ces harpies , fans s'expofer à leurs recherches , & n'eut pas
perdu tant de temps. Mais il étoit fort avare , ôc ce fut encore
fon avarice qui fut caufe de fa mort, comme je Pai appris
à Madrid au mois d'Avril de l'année i$6^. à mon retour de
Portugal , d'Andaloufîe , & des Royaumes de Grenade , &
de Valence. Après avoir accompli fon vœu , Wefal s'étoit
embarqué pour repafler en Europe , où il croyoit arriver
bien-tôt. Il ne prit pas affezde vivres, & ils lui manquèrent?
le paflage fe trouvant plus long qu'il ne l'avoit penfé. Il ne
fe découvrit point , de peur de fe faire mocquer 5 mais un
gentilhomme Allemand , paflager dans le même vaifleau ,
s'en étant apperçu , lui donna libéralement de quoi fubfifter i
fes forces étoient déjà fi affoiblies , qu'il mourut peu de temps
après-, dans l'Iile de Zante, où le vaifleau alla mouiller. Les
paflagers lui rendirent les derniers devoirs dans cet endroit.
Voilà ce que j'ai appris à Bruxelles au mois de May fui-
vant, à mon retour d'Efpagne. La veuve de Wefal époufa
peu de temps après , un gentilhomme appelle Vandernoot.
Monjtear Dupuy ^ dans l'exemplaire qui efl dans la bibliothc*
DE J. A. DE THOU. 31^
^ue de Alonfieur Guillaume LloydEvêque de If^orchejler , ajoute
à cette note de rEclufe cette autre remarque , tirée de Melchior
Adam, llubert Languet , dont Monlieur de Thou parie avec
beaucoup d'éloge au foixante & quatrième livre de fon Hif-
toire , rapporte une autre caufe du voyage de Wefal en Pa-
leftine. Il s'en explique ainiî dans une lettre à G. Peucer.
^' On dit que Wefal eft mort. Vous avez fans doute appris
» qu'il avoir entreprit le voyage de Jerufalem. On m'a
» écrit d'Efpagne la caufe de fon voyage , qui eft tout-à-
» fait furprenante. Il fut chargé de traiter un Seigneur Efpa-
ï'gnol d'une maladie. Croyant que fon malade étoit mort , &
>' qu'il n'avûit pas allez connu la caufe de fon mal , il de-
to manda aux parens du mort la permiffion de l'ouvrir. Les
*> parens y ayant confenti , Wefal trouva le cœur encore pal-
10 pitant. Il fut accufé par les parens d'avoir tué le malade.
*> Non contens de cela ils le déférèrent encore comme un im-
•^ pie , àTlnquifition, où ils efperoient qu'il feroit plus rigou-
«^ reufement puni. En examinant le meurtre, dont on l'accu-
» foit , on ne put excufer une pareille erreur dans un Médecin
» auffi habile 3 aind l'Inquifition vouloit abfolument l'en punir.
«» Le Roi eut beaucoup de peine à le fauver. Il y employa
m> fon autorité , ou plutôt fes inftances auprès des Inquifiteurs.
» Enfin , on accorda à fa prière , & à celle de toute la Cour la
t» grâce de Wefal, à condition qu'il iroit en pénitence à Jeru-
w falem ôcau Mont Sinaï. » Voilà ce qu'en dit Melchior Adam
dans la vie des Médecins Allemands.
Accompagné de Lamoral Comte d'Egmont 3 &c. Cela ne Tom. v, Lir.
peut être vrai ; car il avoit quitté l'Efpagne avant qu'Eli- ^^^xvm.p*
fabeth fe préparât à aller à Bayonne. Je ne partis que *
quelques femaines après lui. Pour moi je féjournai quelque
temps à Medina-del-Campo , enfuite à Valladolid , pour
voir l'entrée de la Reine dans cqs Villes. Cette PrincefTe
s'étant arrêtée à ValladoUd , je pris le parti d'aller à Bur-
:gos , où je vis aufii les préparatifs de réception qu'on y
faifoit : mais fans attendre l'arrivée de la Reine , je retour-
nai en pofte dans ma patrie. Le Roi Charles étoit alors au
Montmarfan. Je fus obligé en fortant de Bayonne de paiTer
par-là , parce que tous les chevaux de pofte avoient ordre
de s'y tendre.
320 PIECES CONCERNANT L'HISTOIRE
Sur la fin de l'été en i^^^. Marguerite d'Autriche DucheC*
fe de Parme , gouvernante des Pays-Bas , envoya par mer
Pierre Erneft Comte de Mansfeld avec fa femme j fœur de
Philippe de Montmorency à Lisbone , pour conduire en
Flandres la Princefle Marie petite fille d'Emmanuel roi de
Portugal , qui étoit fiancée à fon fils Alexandre Farnefe.
Le Comte revint l'année fuivante avec la Princefle , & fes
officiers. Il y avoir à fa fuite im Evêque fi imbécile , qu'un
Seigneur appelle Jean d'Hallevvin de Sweveghen qui étoit
de la Cour de la Gouvernante , l'ayant falué en Latin, &
félicité de fon heureux voyage , il lui demanda en Efpagnol
Sois Clerigo , êtes-vous Prêtre ? parce qu'il lui voyoit une
longue robe noire , qui étoit le deuil de fa femme morte
depuis quelque temps. Ce bon Evêque s'imaginoit qu'on ne
pouvoit parler Latin , fans être Ecclefiafl:ique.
Tom. V. iiv. Je crois que Monfieur de Thou , en rapportant les cir-
xtni p. 433. confiances de la mort de Dom Carlos fils de Philippe 1 1.
a parlé trop favorablement en faveur du père de ce jeune
Prince , trompé fans doute par l'architeâie François (i) fur
la foi duquel il écrivoit. Je ne défavouerai pas que le beau
naturel , qui faifoit fi bien efperer de Dom Carlos , n'ait
cté altéré par l'accident qui lui arriva à Alcala , en y fai-
faut fes études dans le palais bâti par le cardinal Ximenes
archevêque de Tolède , & reftaurateur de cette univerfité,
JJc Prince demeuroit au premier étage avec fes officiers >
le rez de chauflee étoit occupé par une Comtefie , qui étoit
veuve. Je me fouviens que derrière ce palais il y avoit un
verger , planté de myrtes d'Andaloufie à feuilles larges , dont
\qs arbres étoient difpofez en quinconce 5 & je remarquerai en
pallant , que c'eft le premier endroit, oit j'aie vu de cette efpe-
ce d'arbres, La Comtefle, dont je viens de parler, avoit parmi
fes femmes une jeune fille afiez belle , dont le Prince de-
vint amoureux. En cherchant les moyens de la voir en fe-
cret , il découvrit en un coin derrière la tapiflerie de fa
chambre un efcalier dérobé , par où il pouvoit defcendre
dans l'appartement d'enbas. Cette découverte lui parut très-
propre à venir à bout de fon deilein •■> c'efi: pourquoi l'ayant
communiqué à un de fes Menins , il voulut defcendre une
rO Nommé Louis de Foix, qui a donné, à ce qu on prétend, les dclTcins de l'Efcurial.
Jiui^
DE J, A. DE T HOU. 521
tiiût fans lumière par cet efcalier. Mais le pied venant à lui
manquer dès le premier degré, il tomba du haut en bas,
& alla fe caiïer la tête contre le mur voilin de la porte
d'enbas de l'efcalier. On accourut auffi-tôt au bruit, & on
emporta le Prince qui étoit fans connoilTance. J'appris qu'il
avoir long-temps été en danger de mourir de cette blefîu-
re. Dans mon voyage d'Efpagne , étant allé en 1^6^. au
commencement de Septembre à Alcala , j'eus la curiofité
de voir ce palais , où l'on me montra le mur qui eil près
de la porte du bas de cet efcalier , encore teint de fang.
Perfonne n'ignoroit que cet accident avoit extrêmement af-
foibli le tempérament de Doni Carlos. En effet lorfque je vis
ce Prince à la Cour , fon tein étoit encore pâle , il étoit mê-
me livide après tant d'années. Il y avoit des gens qui ofoient
adurer que les Médecins étoient en doute , s'il n'étoit pas
impullfant , ce qui avoit fait agir les Efpagnols à Rome ,
pour obtenir du Pape la permiifion de lui faire époufer la
Prince He Jeanne fa tante , veuve du Prince de Portugal ,
qui n'étoit pas trop éloignée de ce mariage. Mais ce jeune
Prince avoit de l'inclination pour Elifabeth de France fille
de Henri 1 1. Philippe fon père lui enleva cette Princeife en
l'époufant lui-même , fuivant un article de la paix qu'il fît avec
la France en i^jp. Il eft certain que Dom Carlos conferva
toujours de l'inclination pour fa belle-mere , il paroiflbit l'ai-
mer comme fa propre mère 5 c'eft ce que j'ai vu dans mon
féjour en Efpagne. On fit efperer à ce Prince dans le mê-
me temps , de lui donner en mariage l'Archiducheffe An-
ne fille de l'Empereur Maximilien 1 1. On lui envoya même le
portrait de cette Princeife : cette fatale peinture alluma encore
des feux dans le cœur de Philippe 1 1. Je fis connoiffance à
Madrid avec un jeune graveur Milanois (i) très-habile dans
fon art , & que Dom Carlos aimoit beaucoup : il me don-
na un portrait de ce Prince en plomb , que j'ai encore j
cette image étoit une empreinte du portrait du Prince que cet
artifte avoit gravé en creux fur un diamant. Il m'aflura que Dom
Carlos avoit réfolu d'envoyer ce diamant monté en or à la
Princede Anne , comme un gage de fon amour. Le même
(i) II fe nommoit Ciemcnt Biragc. V. Faoh Lcmax^ao , Idea liel teynfto dell^
^htiira. pxg. 151.
Tom; XK S f
-i4
522 PIECES CONCERNANT L'HISTOIRÎ,
graveur avoir gravé fur un autre diamant de la même grandeut
que le premier , les armes du Prince , pour fervir de cachet.
Au commencement des troubles des Pays-Bas , le Roi
d'Efpagne ayant formé le deflein d'y envoyer le Duc d'x\l-
be , Dom Carlos , pour le prévenir , réfolut de s'y rendre
en pofte, à l'inf^û du Roi , avec le Duc d'Infatafgo. Mais
Dom Juan d'Autriche y qui étoit entré dans ce projet , le
découvrit au Roi , qui fit mettre le Duc en prifon , d'où
il ne fortit qu'après la mort du Prince. Cependant on don-
na des gardes à Dom Carlos pour épier fes démarches. Le
Prince fut outré de cette conduite du Roi à fon égard :
peut-être laifla-t'il échaper des paroles indifcretes , qui mar--
quoient les difpofitions , oii il fe trouvoit , & qui firent pren-
dre la réfolution de fe défaire de lui. L'amour de Phihppe
pour la Princeiîe Anne , fut une nouvelle raifon de perdre
Dom Carlos. Phihppe ne pouvoit Fépoufer avec honneur;
du vivant de fon fils; & fans fouler aux pieds la religion ,^
du vivant de la Reine Elifabeth de France. Ce nouvel amour
du Roi fut peut-être le plus preflant motif de faire périr cet-
te Princeiîe. Enfuite après la mort de la Reine Anne d'Au-
triche , comme fi Philippe n'eût pas déjà été aflez crimi-
nel d'avoir contradé un mariage inceftueux , il eut le front
de faire propofer à Ehfabeth, fœur de fa dernière femme j
& veuve de Charles I X. Roi de France , de l'époufer.
L'Impératrice mère de cette Reine , & les Jefuites la pref»
ferent de confentir à cette alliance , en lui faifant efperer
que le Pape accorderoit facilement une difpenfe '; mais cet-
te fage Princefle ayant un femblable mariage en horreur,
refufa conftamment de fe rendre à ces follicitations. Cette rai-
fon l'engagea, après avoir quitté Prague, de n'accompagner
que jufqu'a Vienne l'Imperatice qui devoit aller en Efpagne ,
& qui eût fouhaité qu'elle eût fait le voyage avec elle. Elle loua
un palais dans cette Ville , ou elle demeura jufqu'à famort.
Je me fouviens que j'eus un entretien fur la mort de Dom
Carlos, l'année même qu'elle arriva, avec Juhen Romero
mon ami , & avec quelques Officiers de fon régiment , donfe-
la moitié étoit alors à Malines , 011 je demeurois , avant que
l'Empereur Maximilien m'eût fait venir auprès de lui , & l'au-
tre moitié compofée de cinq compagnies étoit à Bruxelles au-
T>1 l A. DETHOU. - 323 :
près 'du Duc d'Albe 5 je n'appris alors rien de femblable à ^ J
ce qui a été rapporté par l'architede François j ils me dirent ]
feulement que le Prince & la Reine avoient été emportez [
par la fièvre -, mais ce n'étoit qu'un prétexte , pour couvrir
la cruauté du Roi d'Efpagne. Ils avoient coutume de dire du l
Marquis de Bergh , & de Montmorency baron de Montigni : •
MuTto de una calentura[ï) y & j'ajoutois, de Efpa^a. Cepen-
dant le PiéiidentViglius, fur la foi de ceux qui étoient à la Couj:
d'Efpagne, a appliqué à Dom Carlos ce vers d'Ovide. i
FilàiS ante d/em patrios inquirit in annos, \
Parce que les lettres numérales de ce vers , marquent l'an- «
née de la mort de ce jeune Prince. '
Lorfque j'étoisà Grenade, les Morifques qui étoient en- Tom.Vi.tiV<t i
core dans ce pays avoient confervé leur langue & leurs coutu- xlyih. p. 72.: !
mes , en payant pour cela im tribut au Pvoi. Ayant fait connoiC- -•
fance avec leur Iman ou Curé , qui étoit Efpagnol , afin d'avoir ]
par fon moyen la facilité d'examiner leurs ufages , il me mena j
•dans deux endroits, où l'on célebroit un mariage. Les hom-
mes chantoient dans une faleenleur langue, y joùoient de i
la Guitare , & d'autres inftrumens. Les femmes accompa- !
gnoient la mariée dans une chambre plus grande que celle des , . j
hommes ; à ceux-ci il n'étoit pas permis d'y entrer. Elles s'en- ]
tretenoient fur différentes chofes. Je fuivis le Curé, quia feul *
la permiillon d'entrer dans l'aflemblée des femmes. Il les pré- i
vint en leur langue, & leur dit de n'être point fcandalifées de |
voir venir un homme avec lui 5 que j'étois un étranger , qui
voyageoit pour mon plai(îr, & pour connoître les mœurs des
différentes Provinces de l'Efpagne. Ceci fe paiïa après le dî-
-né. Avant midi j'avois vu les cérémonies qu'ils pratiquent en ;
fe mariant. Je fus obligé de quitter le grand chemin en for-
tant de Grenade, à caufe de quelques voleurs Maures qui I
avoient leur retraite dans les montagnes voifines , d'où ils ve- j
noient attaquer les voyageurs. Ayant paifé par Afnolloz , ]
Guadix , Baça , Lorca connue des anciens fous le nom à'Elio- j
crotay j'arrivai à Murcie , anciennement Murgis , où fe termi- j
namon voyage. Les Efpagnols appellent A^/w// le fleuve Gf«- Ibid. p. 77'i i
Wilim , appelle autrefois Singlis. ;
(ij Cefl-à-cIIre , ileft mort delà Eévre.
Sfij
314 PIECES CONCERNANT L'HISTORE
., . , j 11 faut lire Faffardo ôc non Fajardo. Faffardo eft le nom de k
' famille de Vêlez.
Voyageant en Angleterre en 1571. dans le temps que le
ïi!l'.]'ol''' I^uc de Nortfolc fut arrêté & mis à la Tour de Londres 5 je
partis de Kingfton , éloigné d'un mille d'Angleterre d'Hamp-
toncourt, maifon royale, pour aller à Nonfuch , afin de voir
ce Château , dont on me difoit de 11 belles chofes. Il a été
bâti par Henri VIII. & enfuite vendu , après la mort du Roi
Edouard , par la Reine Marie au Comte d' Arondel , qui l'a ,
dit-on , beaucoup embelli. Les domeftiques de ce Seigneur
me dirent qu'ils ne pouvoient me lailfer entrer dans le châ-
teau , parce que le Comte y étoit. Ils me firent beaucoup de
politefles , & me montrèrent les jardins. Je retournai le même
jour à Kingfton , où je paflai la nuit. De là j'allai à Pvichemont,
autre maifon royale, oui j'appris la prifon du duc de Norfok
& le commandement que le Comte d'Arondel , gendre de
ce Seigneur avoir eu de ne point fortir de fon château , fur le
foupçon que la Reine eut , qu'il étoit entré dans le parti de
fon beau-pere. Il y a toute apparence que ce fut la caufe pour
laquelle on ne me laifta pas voir le château de Nonfuch.
Extrait d'une Lettre de Jacques Augufie de Thou , à Jofeph de la
Scala ou Scaliger.
TîréduKe- T\^ Onsieur. J'ay receu deux lettres de vous^ l'une
ceuiidesEpj/- Wl du IV. Febvricr , l'autre duxxii. du prefent, avec les
très Francoijes ••'*. iii/'i-
À M. de u Mémoires de Monlieur de lEclufe^ dont je vous remercie
SfW^p.sop. tres-humblement &de toute aftedion, & d'aultant plus qu'il
vous a pieu prendre la peine de les efcrire de voftre main , en
quoy je recognoy , non feulement l'élégance de voftre efcri-
ture , mais aufli voftre ftyle , dont je me ferviray à propos, en
la première édition de noftre Hiftoire , laquelle fe commen-
cera incontinent après cefte fefte , in 1 2° , afin qu'on ne la con-
trefafle en Allemagne, où ils brouillent tout. De Paris Ie_io
Avril i5o7.
Lettre de Jofeph de la Scala ou Scaliger , à Jac. Aug. de Thou,
IrÛZ^iàl T\ /T Onsi EUR. Je vous envoyé une lettre de M. de l'E-
i V| clufe. Je lis tousjours dans voftre Hiftoire , non feule^
ment pour l'amour de vous , mais auiTi pour le plaijûr que j'y
DE J. A. DE TKOU, 525'
prends , tant à caufe de la variété des chofes y contenues, que
de la beauté du ftyle. Il y a quelque chofe qu'il me femble
devoir eftre corrigé , comme l'année de la mort de David
Rizzi en Ecofie, ôc la naiflànce de Jacques à prefent régnant,,
qui fuftl'an i$66. comme je puis tefmoigner, quienladitte
année eftois en Ecofle avec les MeirieursdeRochepozay,ôc
vis tout l'appareil de la tragédie. Et en voftre livre cela eft
rapporté à l'année précédente ly^;. Le pauvre Miniftre Ta-
chard , natif de Montauban ,- fuft pendu , non à Ramies , mais
à Touloufe , la veille de la Magdeleine , pour avoir prefché
en ville non contenue au nombre de celles efqueîles il eftoit
permis de prefcher par l'Edit du Roy. Son innocence & in-
tégrité de vie eftoit fi bien connue , que tout Miniftre qu'il
eftoit , il fut regretté mefme des plus feditieux de Touloufe.
Viret eftoit d'Orbe , & non de Laufanne. LePréfidial de Car-
caftbne dés l'an i j 7 1 . jufques à préfent , eft en la ville haulte,
& non en la bafle , & penfe qu'il y a toujours efté. Pour le
moins audit an if?!. je fuis tefmoin qu'il y eftoit 5 & les
confeillers qui demeuroient en la bafle ville , alloient à che-
val ou fur mulets à la haulte. Peut-eftre que pour quelque in-
cident vous l'aurez veu en ladite bafle ville.
J'aimerois mieux dire Ekfis , comme les annales de plus
que Dccans, que B/œJt s ^ qui eft corrompu de l'ancien nom.
Albia CadurcoYum. Faut changer Divonce Cadurcorum. Le
bon ip^t£ï OÛavio Pamagatho que j'ay connu l'appelloit ainfi,
comme les autres moines, nonpom* fpeciale confideration.
Je l'ay connu & vilîté. Trimethus non eft Nicofta. Nam Trime^
îhi appellatio adhuc manet. Declinandum Tpi/Ae'^aô T^t^iJ^v^ j
Ces petites chofes ne valent pas le parler, n'eftoit la jalou-
fie , ou pluftoft mefchanceté de ceux qui fe méfient des Let-
tres en ce maudit fiecle , qui feroient bien un gros livre de
ce que defllis , comme font les ^coxaUp ct*Joi Loiolitce. Je priera-
Dieu , Monfieur j vous maintenir en fa fainte garde.
DeLeyden^i Avril K^oTi Jos. Delescalf,
SfUj
Tiré du Re-
ceiiil des Epif-
S26 PIECES CONCERNANT L'HISTOIRE
Extrait cPme Lettre de Jac. Aug. deThoUi à Jofeph Scaligetl
O N s I E u R. J'ay receu la voftre du xxi du pafTé , pa?
■r ^ ' ^ laquelle je cognoy qu'il vous plaift perdre quelques
très Francoies ,^ "** lin. J xitl • i • V.
h M. de U heures en la ledure de nos Hiftoires, dont je vous fuis ex-
ScaU, p. |io. tremenient obligé; après infinies autres obligations que je vouS
. ay j & defquelles je n'efpere jamais me pouvoir acquitter. Ce
que vous & Monfieur de l'Eclufe m'efcrivez de Tannée de la
mort du Roy Henry d'EcofTe , me met en peine, d'autant
plus que deflors que j'efcrivis ce qui en eft imprimé , ce fcru-
puleme vint en l'efprit, que l'année n'eftoit celle que j'ay
mife , & que j'ay neantmoins trouvé telle en Buchanan. J'en
ay contefté fort avec des EcofTois qui eftoyent lors au pays;
lefquels toutesfois m'ont confirmé que la mort advint en l'an-
née 1 5* 6f. au mois de Febvrier , que l'on compte encores en
Angleterre 66 ; car , comme vous fçavez , l'année à eux ( je ne
- fçay fi aulîl en Ecofle ) commence au jour de l'Annonciation
feulement , & lors mefmes nous ne comptions Tannée qu'après
Pafques, & encores que Tordonnance de Monfieur de THof-
pital fuft dés Tan i ; (^4. & publiée deflors en la Chambre des
Comptes , fi eft ce que n'ayant efté publiée es Parlements ,
qu'après Taflemblée de Moulins en Tan i5'6'(5. aufti elle n'euft
lieu qu'en cefte année : cela peut avoir donné lieu à ce qui
eft dit de la mort de David Rizzi, que j'ay mis aufil félon Bu-
chanan. Du furplus de vos bons advertiftemcns je feray fort
bien mon profit , comme de Divona Cadurcorum. De Paris le
20 May 1^07.
Lettre dUfaac Cafaubon , à Jean de Meurs ow Meurfms.
Traduite du T'Ai reçu , Monfieur ^ la Lettre que vous m'écrivez au fu«
Latin, & tirée I j^j. de Monfieur le Préfident de Thou. Vous lui avez fait
du Sylloge E- T^ ' j 1 -r î • / N 1 -1
pifi. cafaub. Dcaucoup QC plaifir , en lui envoyant vos remarques , ( i ) dont u
p. 548.
cependant avoit agi avec un peu trop
a'aigreiir dans fa critique, & Monfieur de
Thou ne put s'empêcher de s'en plaindre
à Cafaubon , dans ia Lettre c^u'il lui écri-
vit le 10 Décembre 1613. Voyez ci-
deflus, p. 184.
(1) On n'a pas jugé à propos de rap-
porter ces remarques , qui ue confîftcnt
prefque toutes , que dans des noms de
lieux ou de perfonnes que Monfieur de
Thou avoit altérez dans la première édi-
tion de Ton Hiftoire , & qu'il a reformées
depuis fur les avis de Meurfius. Celui- ci
Ï)E J. A. D E T H O U. 327'
iera fon profit. Il m'a fouvent dit que quelques foins que lui
ait coûté fon ouvrage , il ne doutoit pas qu'il ne fe fût trompé
fouvent dans les affaires étrangères. Je fuis témoin de la do-
cilité avec laquelle il a toujours reçu les avis de ceux qui
ont bien voulu lui en donner. Ainfi je ne doute pas qu'il ne
foit charmé de votre attention. Quand publierez-vous votre
Hiftoire ? Je brûle de lire ce que vous dites que vous avez
écrit du duc d'Albe. Je fouhaite que ceux, qui n'ont pas eu
horreur de commettre de iî noires barbaries , rougiffent du
moins en leslifant. A Londres le 12 de Novembre 161^.
Lettre cPIJaac Cafauhon à Jean de Meurs y Frofejfcur en Hifioire ^ ^
de l'Univerfité de Leyde, .
J'AI communique à Monfieur de Thou (i) les notes que Traduite da
vous avez faites fur fon Hiftoire. Je me flate que vous ne Latin, & tirée
m'en fcaurez pas mauvais gré : il m'a dit qu'il vous avoir de t^a^^^i^^f 5'
grandes obligations, & vous remercioit. Il vous prie d acné- p. jn»
ver ce que vous avez commencé , pourvu que cela ne vous
fafle point de peine. Je vous en prie aulTi très-inftamment. A
Londres le 27 Février 1(5" 14.
Lettre de Jean de Meurs à Ifaac Cafaubon,^^
MONSIEUR. Votre lettre m'a fait beaucoup de plai-= Traduite da>
fir. Je n'en ai pas moins reflenti en apprenant que i-atin for le
Monfieur de Thou avoir bien reçu mes remarques fur fon Hif- ^'^^""^"^'^*
toire. Je n'attendois pas moins de fa politeffe & de fa can-
deur 5 mais je fuis furpris qu'il ne m'ait point fait réponfe. Ce-
pendant j'avois quelque intérêt à ce qu'il voulût bien le faire»
Je le priois dans ma lettre de me faire copier par fon fécre-
taire quelque chofe , qui manque à une page de mon exem-
plaire de VHiftoria Laufiaca de Palladius, parce que cette
lacune m'empêche de donner l'édition de cet ouvrage au
public. Vous voyez par là que j'ai fujet de fouhaiter une ré-
ponfe. Je vous prie d'engager Monfieur de Thou à me faire
(i) Ces deux Scavans ajoutent dans
leurs lettres , au nom de Monfieur de
Thouj celui de ttmu , qui en Grec veut
dire Tout, par alliifion à fon nom di
Thou. C'eft une dotftc pointe. -
^2^ PIECES CONCERNANT L'HISTOIRE
ce plaifir , vous m'obligerez beaucoup. Adieu , Monfîeur. A»
Leyde le 8 de Mars i<5i^.
Lettre d'Ijaac Cafauhon à Jean de Meurs,
Traduite ii\ "^ /f O N S i E u R. Je n'aurois pas tardé fi long-temps à ré«
latin fur ie | V I poiidre à votre dernière, fi je n'eufle été incommo-
' ^'^"'^^ • (^é. Je fuis étonné que vous vous plaigniez de ce que Monfieur
de Thou ne vous ait point écrit. Vous croyez fans doute que
vous avez joint une lettre pour lui aux fçavantes notes que
vous m'avez envoyées. Vous vous trompez aflurément , fi
vous êtes dans cette idée j car je ne reçus alors de votre part
qu'une lettre qui contenoit les notes en queftion , que j'en-
voyai à Monfieur de Thou. Si vous avez fait une autre lettre >
elle ne m'a pas été rendue. Ainfi Monfieur de Thou n'a ja-
mais eu connoiflance de Cje que vous lui demandez. Je ne
vous alTurerai cependant pas bien certainement qu il n'en fut
point parlé dans votre lettre^ que je lui fis tenir alors. Je ne
•crois pas y avoir rien vu de femblable. A l'égard de ce grand
homme , il m'a prié îrès-inftamment de vous remercier de fa
part , & de vous ailurer que vos remarques lui ont fait beau*
coup de plaifir. A Londres le 25 Avril 1 5i^.
Lettre de Jac. Aiig. de Thou à George Michel Lingehheim >
€onfeiller d; PEle6hur Palatin , a Heidelherg.
^ , . , Ti yff O N S I E u R. Te n€ fcaurois vous exprimer toute la
Traduite du r\/i ... .,.''-,,.* ^ ^ i .
latin (ur le IVl. joie que j ai relîentie, en apprenant par votre ietne,
Manufcrit. qQÎ nfa été rendue par Monfieur Bongars , que mon prefent
vous a été agréable. J'ai reçu une grande confolation , en
voyant qu'un homme aufll équitable , & aufil judicieux que
vous, approuve ce qui eft tous les jours l'objet des critiques
de mes ennemis en tous Ueux. Car quoique ma confcience
me rendît témoignage de n'avoir jamais écrit avec partialité,
je ne laifibis pas cependant d'avoir du chagrin de me voir
taxer d'imprudence par nos courtifans François , gens bien c^.-
pables de juger, & par d'autres gens à peu près aufil éclairez.
J'ai , difent-ils , foulevé les Grands par une liberté trop gran-
de, 6c qui ne convenoit point à ma fituation. Ils ajoutent qu'il
étoit
D E J. A. DE THOU. 329
etoit de mon intérêt & du bien de l'Etat , à caufe de la charge
dont je fuis revêtu , de ne point m'attirer leur inimitié. Je n'ai
qu'un mot à leur répondre. Je n'ai pas feulement écrit pour
mes contemporains , mais encore , & principalement pour la
pofteritc , dont je préfère le fuffrage à la honte de flater les vi-
ces de mon fiécle. Je n'ai rien à me reprocher , fi ce n'eft d'a-
voir entrepris, étant dans la Magiftrature , d'écrire l'Hiftoire du
temps préfent. Mais je n'ai jamais lu , ni entendu dire , qu'il fût
défendu d'écrire l'Hiftoire à un homme, qui avoitune charge
dans l'Etat. Peut-être ceux qui font plus de cas d'une politi-
que adroite , fi fort d'ufage aujourd'hui dans les cours des
Princes, (Scdans les négociations, que de la droituie de con-
fcience , qui peut feule nous rendre heureux , m'accuferont
d'imprudence. Ils diront que je me fuis fait par ma fincerité ^
une foule d'ennemis , & fort peu d'amis. Preuve éclatante
qu'il y a bien peu de perfonnes qui ne tremblent au redou-
table nom de la vérité , & qui ne frémilTent à la vue d'un
ami fincere. Mais j'appelle Dieu à témoin de mon innocen-
ce. Je me repofe dans l'attente delà jufte vengeance des in-
jures qu'on me fait. Cette penfée, & le témoignage de mes
amis 3 font en fecret toute ma confolation. J'ai reçu dans mes
peines beaucoup de foulagement de vos fages avis , & de
la manière obligeante avec laquelle vous me demandez
mon amitié, dans le temps que jefouhaitoisla vôtre de tout
mon cœur. Je crois que le plus grand plaifir , dont on puifle
jouir fur la terre , eft de goûter les douceurs d'un commer-
ce d'amitié. J'ai donc réfolu de profiter, puifque vous me
l'ordonnez , des avantages de celle qu'une occafion honnête a
fait naître entre nous. Ainfi je vous demande en grâce de
me dire fincerement ce que vous trouverez de repréhenfi-
ble dans mon livre, ou je ne doute pas qu'il n'y ait bien des
fautes. Je fuis perfuadé qu'il m'en eft bien échappé dans les
affaires d'Allemagne , de Hongrie , & des pays les plus fep-
tentrionaux, parce que jen'enétois pas inftruit parfaitement.
Je voudrois pouvoir vous envoyer l'Hiftoire entière avant de
la donner au PubUc j mais l'ouvrage eft de trop longue ha-
leine. D'ailleurs je n'en ai qu'un exemplaire, qu'il ne feroit
pas fur d'expofer aux rifques d'un envoi. Si les Imprimeurs
avancent affez pour cela, vous aurez à la foire prochaine les
Tome XK T t
350 PIECES CONCERNAîsfT L'HISTOIRE
vingt livres fuivans, qui vont jufquau commencement de
l'année 1572. Je n'irai pas plus loin 5 la malice de plufieurs
perfonnes , & l'ingratitude du fiécle me le défendent. J'ai con-
duit mon Hiftoire jufqu'en 155) y. dans le deffein d'aller juf-
qu'en 1602. mais tout cela eft dans mon cabinet, & y de-
meurera jufqu' après ma mort , à moins que Dieu ne change
les temps, ou mes réfolutions j mais je vous arrête trop long-
temps. Je vous prie de faluer de ma part Monfieur Marquard
Freher que j'aime & que j'honore , & à qui j'ai envoyé un
exemplaire de mon Hiftoire. Confervez-moi votre amitié. A
Paris le 13 de Mars 1(^05.
Lettre de Jac. ^ug. de Thon , à George-Michel Lingelsheim,
Traduite du X 7"Ous avez enfin, Monfieur, la féconde partie démon
Latin fur le y Hiftoirc , que vous m'avez écrit , qu'on attendoit avec
Manufcnt. ^^^^ d'impatience en Allemagne j mais je crains bien que
votre attente ne foit trompée , & que mon livre n'irrite vos
defirs , bien loin de les contenter. J'ai enfin achevé , le der-
nier mois d'Avril, cet ouvrage divifé en cent vingt-fix livres ,
commencé il y a douze ans & demi. Délivré à prefent du péni-
ble travail de la compofition , tant de fois interrompu par les
affaires , j'ai réfolu d'employer tout le temps, que je pourrai
dérober au public , à revoir mon Hiftoire 5 ce que je n'ai pu
faire encore. J'implore donc le fecours de tous les gens de
lettres , je les prie de m'aider de leurs avis & de leurs lu-
mières 5 dans un ouvrage entrepris pour l'utilité publique. Je
m' adrefte fur-tout à vous, Monfieur, qui m'avez donné plus de
^ marques d'amitié, que je ne méritois. Parlez-moi à cœur ou-
vert j dites-moi ce que vous en penfez , parce que je veux
donner une féconde Edition plus correde , & plus travaillée
que la première. Je n'ai encore rien déterminé au fujet du
refte de l'ouvrage. Si vous croyez qu'il puifte être utile au
public , il feroit fâcheux de le laifler dans l'obfcurité ; mais
ai.ffi d'un autre côté, il ne peutparoître en entier, eu égard
au temps , fans exciter contre moi des orages , & m' attirer
l'envie des courtifans , contre laquelle je ne fçaurois tenir.
Je crois aufti qu'il vaudroit mieux le fupprimer que de le
àonner mutilé , & en partie. La place que j'occupe m'oi
DE J. A. DE THOU. 531
blige à rendre raifon à bien des gens de plufieurs cliofes, .■
clont je m'embaraflTerois fort peu dans une condition privée. l
Ainfi mes amis ne doivent pas me fçavoir mauvais gré ^ fi j
je ne les contente pas en ce point. Les grands font trop dé- " j
iicats pour que je puille leur plaire en difant la vérité. Ce-
pendant il vaut mieux qu'ils ne me veuillent point de mal, \
que de les avoir pour ennemis 5 & cela à caufe de ma charge ,
fans aucun motif de poffeder la faveur, dont je n'ai jamais
été l'efclave. Si vous aviez en Allemagne quelque copifte ,
qui fçût palTablement le latin , & qui écrivît bien , ce qui nous
manque ici , je lui ferois copier très-volontiers les foixante-
dix livres qui refient , & j'envoyerois mon exemplaire à
Monfieur Bongars,afin de le faire lire à mes amis, & fur-
tout à vous , Monfieur , pour fçavoir ce que vous en pen-
feriez. Je fouhaiterois qu'on n'en fit point de copie , ou
qu'on n'imprimât point cet ouvrage , fans ma participation j
mais ces chofes ne font pas allez importantes , pour abufer
davantage de votre temps. Si vous avez des nouvelles cer-
taines des affaires d'Allemagne du côté du Nord , & de la
Tranfylvanie , je vous conjure par notre amitié de m'en faire
part, car je n'en ai rien appris ici que par le Mercure qui a
paru dans chaque foire de Francfort. Adieu , Monfieur, aimez-
moi toujours. De Villebon le 18. Août 1606.
Lettre de George-Michel Lingehheim , à Jac. Aug. de Thou,
MONSIEUR. J'ay reçu votre magnifique prefent. La Traduite du
politeffe & la bonté , dont votre lettre eft remplie , Latin fur k
m'ont comblé de joie. La première partie de votre Hifloi-
re ,• qui eft ce qui a paru de meilleur , & de plus parfait
dans ce fiécle , m' avoir fait un plaifir fenfible. Je goûtois
d'avance celui que je me promettois de la ledure du refte.
Je me flatois d'une entière fatisfadion , lorfque les fentimens -
que vous me témoignez dans votre lettre ont redoublé ma
joie, fur-tout en apprenant que l'ouvrage étoit achevé. Quel-
les raifons vous engagent à fupprimer ce précieux refte .' Celles
que vous m'avez apportées m'ont pleinement fatisfait. Ne
vous fufïit-il pas en effet que la pofterité jouifTe de ce tréfor .^,
Mais quels remercimens ne vous dois-je pas f Vous m-e promtet-
Tt ij
552 PIECES CONCERNANT L'HISTOIRE
tez de me faire part d'un fi grand bien , avant de le donner au
public. Je fuis tout à vous , ordonnez , il n'y a rien que je
ne fafle pour vous obéir.
Comme je fouhaite avec ardeur , de jouir au plutôt du
bonheur que vous me faites efperer , j'ai cherché ce que
vous me demandez. Il y a ici parmi les étudians un jeune
homme appelle Ciriacus Herdefllanus, parent du fameux ju-
rifconfulte de Nuremberg , qui porte le même nom. Il s'of-
fre avec beaucoup d'ardeur à copier les foixante-dix livres ,
dont vous m'avez parlé. Il a de la littérature & de la poli-
tefle. Je lui ai fait écrire cette lettre , afin que vous voyez
qu'il écrit lifiblement. Sa droiture, fes mœurs , fon attention ,
fa modeftie , & fon application aux beaux arts , doivent lui
attirer la protedion des gens de bien j & il mérite par ces
bonnes qualitez que vous le receviez dans votre maifon ,
pour faire ce que vous fouhaitez. Si vous êtes content de
fon écriture , & que vous vouliez bien me marquer quand
il faudra vous l'envoyer , je le ferai partir fur le champ.
J'aurai foin de recueillir les nouvelles les plus interefTantes
des affaires d'Allemagne , & de Tranfylvanie. Le bruit que
la paix efl: faite avec la Hongrie , & qu'on pourra faire quel-
que accommodement avec les Turcs , fe confirme. Lorfque
j'aurai quelque chofe de plus certain , je vous en informerai.
Je vous prie , Monfieur , de me compter parmi vos fervi-
teurs, & parmi ceux qui vous honorent, &vous refpedent
le plus. Je ferai tous mes efforts pour mériter votre ami-
tié. Que Dieu vous conferve à notre fiécle , dont vous fai-,
tes l'ornement. A Heildeberg le 5 i Odobre 1606..
Lettre de Geerge- Michel Lingehheim 3 à lac, Aug. de Thon»
i^Jûn^Tt 1" ^ /T O N S I E u R. Ayant obtenu ces jours paffez de Jean
M^anufair. 1 V| PretoriuSjce vieillard vénérable ^ célèbre mathéma-
ticien & Profeffeur à Al torff , qu'il me communiquât quel-
ques lettres de l'admirable André Dudith, j'ai cru que vous
ne feriez pas fâché que je vous envoyalfe copie de la der-
nière. Ce n'eft pas à caufe du fujet qui roule fur certaines
queftions ; mais parce qu'il y a quelques lignes affez curieu-
Us écrites de fa main j fur-tout, ce grand homme ayant coUr
DE J. A. DE THOU. 555
tume de faire voir de plusieurs manières la vanité de Taftro-
logie judiciaire. Outre plufieurs autres chofes fur ce fujet,
j'ai une lettre de lui adrelTée à Tadée Haggefîus médecin
de l'Empereur , qui eft un témoignage de fes fentimens fur
cette matière. Cependant l'événement confirma ce qu'il avoir
remarqué qui devoir lui arriver , fuivant les opérations aftro-
iogiques , qu'il avoit faites pour lui-même. Car il mourut deux
jours après avoir écrit ces lettres , comme Vous pouvez le
voir par la lettre de Thomas Savill , que j'ai auiïi copiée. Ce
dernier étoit frère puifné de Henri Savill , cet homme illuftre ,
qui vit encore , & qui s'eft fait un fi grand nom parmi les
fçavans. Il avoit embraffé le même genre d'étude que fon
frère 5 mais à peine étoit-il de retour en Angleterre , qu'il y
mourut dans la fleur de fon âge. Il étoit moins âgé que fon
aîné de quinze années. J'aurois mauvaife grâce fi je man-
quois à vous remercier des complimens, que vous m'avez
fait faire par Monfieur Bongars , le meilleur de tous les hom-
mes. Je ne fuis pas moins fenfible à ceux que vous avez
mis pour moi dans la lettre , que vous avez écrite à mon
ami Gruter. Vous m'avez comblé de joie en m' apprenant
que vous continuiez d'achever votre Hifl:oire immortelle.
Vous obligez par-là de plus en plus les gens de bien , ôc
les amis de la vérité. Vous ajoutez aux éloges qui vous font
dus , celui que mérite la fermeté , qui vous fait négliger la
haine des grands , & vous encourage à pourfuivre le loua-
ble projet, que vous avez formé. Laiffez murmurer le petit
nombre vendu à la paflion d' autrui. La vérité agréable à
Dieu & aux gens de bien , triomphera des vains murmures
de ces vils efclaves. Je vous fouhaite une longue vie &
vine fanté parfaite. Adieu , Monfieur : Méprifez toujours l'en-
vie , comme vous le faites. A Heildeberg le 28 Avril
160J.
Lettre de Jac. Aug. de Thou 3 à George-Michel Lingeilshem,
O N s I E u R. Vous aurez à la prochaine foire le refte Traduite é\i
du règne de Charles I X. qui ne fe trouve pas dans Latin fur le
la dernière édition 5 car j'ai tellement divifé l'ouvrage , que ^"" ^"^'
ciiaque partie contient le règne d'un Roi. Ainfi dans la pre^
Jtiij
334 PIECES CONCERNANT L'HISTOIRE
Tniere édition qu'on fera de ce qui a déjà été imprimé , îa
féconde partie commencera au vingt-troifiéme livre , où
commence le règne de François 1 1. Cette partie a d'abord
été confondue avec la première , parce que le règne de ce
Prince , qui eft fort court , ne contient que quatre livres.
La troifiéme partie compofée de trente-un livres du règne
de Charles I X. paroîtra enfuite. Je donnerai après cela les
vingt-trois livres fuivans , qui appartiennent à la quatrième
partie h c'eft l'Hiftoire des évenemens arrivez fous le règne
de Henri III. jufqu'en 1584. Enfin, fi la malignité du fié-
cle , & la jaloufie de mes ennemis me le permettent , &
que l'animofité des grands s'appaife , je prendrai des mefu-
r.es , pour donner le refte de mon Hiftoire , pourvu qu'elle
puiflè être utile au public. Je veux contenter les gens de
bien , en apportant autant d' exactitude & de foin à faire
imprimer mon ouvrage , que j'en ai mis à le compofer. Je
vous écris à ce fujet , Monfieur , afin de vous apprendre
ma réfolution là delfus h je crois devoir ces égards à votre
bonne volonté pour moi. D'ailleurs je fuis bien aife de vous
faire voir qu'il eft inutile de copier les livres en queftion,
comme je vous le difois dans ma dernière lettre.
Vous me mandiez dans la votre du 31. d'Odobre , que
Ciriacus Herdeffianus , jeune homme d'une grande politelfe ,
de bonnes mœurs , & plein d'érudition s'étoit offert avec
joie à faire cette copie. Je dois le remercier avant tout ,
de fa bonne volonté , & me réjouir avec lui de ce que je
lui ai épargné le travail pénible & dégoûtant de tranfcrire
mon ouvrage. Je ne doute pas qu'il ne puifTe faire un meil-
leur ufage de fon temps , je ne voudrois pas employer à
copier l'ouvrage d'autrui une perfonne en état de travailler
par lui-même.
Je vais répondre à votre lettre dattée du 28. d'Avril à
Heidelberg. Je fuis charmé que vous m'aïez fait naître Foc*
cafion de parler dans mon Hiftoire d'un homme au deftlis
de tout éloge. Je reflens un vrai plaifir , & je fuis mon
penchant , lorfque je puis tranfmettre à la pofterité les noms
à.QS hommes , que je crois dignes de l'eftime publique. J'ofe
me flater qu'on m'en fçait dès à prefent quelque gré. Je n'i-
gnore pas que cela m'a fait auiïi un grand nombre d'enne-
DE J. A. DE THOU. ssf
rnîs , fur-tout a, Rome , & parmi ces nouveaux cenfeurs ,
qui foumettent tout à leur tribunal. Vous pouvez avoir vu
de certaines lettres écrites contre moi fur ce fujet j T'auteur
n'y juge pas fevorablement de ma perfonne , & de ma can-
deur. Des juges plus équitables que lui décideront entre
l'un ôc l'autre, & la pofterité me rendra juftice , lorfque l'envie
fera étouffée. Mais ni lui , ni fes femblables ne viendront ja-
mais à bout par leurs cris , & leur acharnement contre les
gens de lettres , de changer mon caradere , & de me fai-
re repentir de ma modération. Content de prendre Dieu pouï
arbitre entre eux & moi , je ne relèverai ni leurs injures ,
ni leurs mépris. Ce que je vous dis ici n'eft que pour vous.
Je ferois fâché que cela tranfpirât , & donnât occafion de
troubler mon repos à des gens , qui faififfent tout ce qui fe
préfente , pour m'inquieter.
A l'égard de Dudith , j'ai ajouté à fon éloge , que j'a-
vois déjà fait depuis long-temps fur le bruit de fa réputation,
& fur les lettres de Thomas Savill , qui m'avoient été don-
nées par Monfieur Bongars , ce que j'ai trouvé dans celles
de Jean Pretorius , ce Içavant , & vénérable vieillard. Je
vous envoyé cet éloge (i) parce que je ne fuis pas encore
déterminé à faire imprimer l'année lySp. où il doit être pla-
cé. J'y ai joint l'éloge de François Salinas Efpagnol ; vous
pourrez juger par-là , auiïi bien que tous les honnêtes gens ,
que je penfe bien fur le compte des Elpagnols , quoiqu'on
me reproche le contraire. Il manque quelque chofe à l'éloge
de Dudith , comme vous pourrez le voir. Je vous prie de
m'aider à l'achever , je fouhaiterois que vous me donnafTiez-
de plus grands éclaircifîemens fur le nom de fa femme , fur la
famille & le nom de fon père , fur le nom de fes enfans , & leur
caradere , & que vous m'inftruifiez plus particulièrement de
ce qui regarde fon mariage , (es affaires domeftiques , & fes
études : vous pouvez fçavoir cela par vous-même, ou par d'au-
tres. Pretorius eft plus en eftat que perfonne , de vous appren-
dre toutes ces chofes , fi vous les ignorez. D'ailleurs vous n'ê-
tes pas fi éloigné de Breftaw que vous ne puifllez vous en in-
former à la veuve de Dudith , fi elle eft encore au monde 5 ou
(i) Cet éloge de Dudith fe trouve à la fin du 96. livre , & celui de Salinas à la fin
^u>»>). livre.
55^ PIECES CONCERNANT L'HISTOIRE
à fes enfans , par le moyen de vos amis. J'apprens qu'il y a
plufieurs lettres de ce grand homme , la plupart écrites fur
<1qs matières interelTantes , & qui font répandues en Alle-
magne. Je crois qu'il eft important , non-feulement de les re-
cueillir, mais encore de les donner bien-tôt au public, pour
l'honneur de leur fçavant auteur , & pour l'utilité de la Répu^
blique des Lettres. Vous me ferez plaifir de me communi-
quer ce que vous pouvez avoir de fes ouvrages •■> auflTi-bien que
tout ce que vous pourrez trouver à votre loifir d'écrit fur les
affaires de Silefie & de Hongrie. Car fi mes occupations me
le permettent , j'ai réfolu de conduire mon Hiftoire jufqu'au
temps où la paix a , pour ainfi-dire , été donnée à l'Europe
entière , fans m'arrêter à mon premier deffein , qui étoit de
finir à l'année i6oi. Mais comme j'ai befoin de m'inftruire
des affaires étrangères, & que je ne puis avoir ces connoif-
fances fans le fecours d'autrui, je vous prie de me faire ce
plaifir , par vous & par vos amis. Confervez-moi votre ami-
tié. Saluez de ma part Monfieur Hyppolite de Colli. A Paris
le 15 Juillet idoy.
Lettre de George-Michel Lingelsheirri) à Jac, Aug. de Thou,
Traduite du Ti yC O N S I E u R. Je n'ay tardé fi long-renips à répondre
Kanufcrït. ^ !▼ A ^ votre lettre, en datte du 18. Août de l'année paf-
fée , que parce que je n'ai pas voulu payer d'une réponfe
frivole , les chofes curieufes que vous m'avez écrites , &
que je fouhaitois apprendre. J'avois auffi delfein de vous
contenter entièrement , au fujet du célèbre Dudith, & de
vous fournir des mémoires touchant les affaires d'Allema-
gne. J'ai cru que je ne pouvois mieux faire, que de vous en-
voyer la lettre de Jean Pretorius , afin que vous puiffiez
achever féloge de Dudith , dont vous voulez immortalifer
le nom. Je n'ai encore pu rien recouvrer touchant les aftai-
res du Nord. J'ai prié le peu d'amis que j'ai en ces quar-
tiers, de m'apprendre tout ce qu'ils en fçauront. Dès que
je pourrai vous envoyer quelque chofe fur ce fujet , je le
ferai avec toute la diligence pofllble.
Je ne fçai quels remercimens vous faire , de l'affedion
5iue vous me témoignez, en m' accablant fans celfe de vos
prefens*
r
DE J. A. DE THOU. 537 1
préfens. Vous perfiftez toujours à me faire part de vos écrits. 1
Je vous ailure que rien ne ma fait plus de plaifir que de -î
connoître l'ordre & la diftribution de votre ouvrage imaior- . J
tel,& que d'apprendre que malgré les cris d'une foule de j
critiques, vous perfeverez dans une réfolution fi louable.
Vous avez aufll des motifs de confolation. Les gens de bien <
vous félicitent de tous cotez , & publient les obligations que t ;
la république des lettres & la pofterité vous auront. Ils fe ré-
joùiltent de ce que la vérité a trouvé dans un homme tel i
que vous, revêtu d'une grande dignité, un protedeur con- .!
tre tant d'écrivains , qui femblent avoir juré de l'étouffer. \
Continuez à la protéger : Vous êtes au-deiîus de l'envie. Que
vous dirai- je pour vous remercier du préfent de votre
Poëme(i)queMonfieur Bongars, notre ami commun , m'a
envoyé. Quel homme / dont les délallemens & les jeux fe-
ront l'admiration de la pofterité. Ce dernier trait de votre
bienveillance m'a paru il flateur , que je ne fouhaite rien
tant que de me rendre digne des boutez que vous avez
pour moi. Adieu, Monfieur. A Heidelberg le 13 de Eé*
vrier 160S.
Lettre de George-Michel Lingelsheim , à Jacques-Augnjîe de Thoiu
O N s I E u R. On vient de donner au public ces jours Traduite cîiî
paflez, un livre dont la lecture pourra vous faire plaifir, }^^^^<^^l^^ ^^
M
parce qu'il découvre les artifices des méchans. Il eft du bien pu-
blic , que ceux qui font en place , foient inftruits de leurs ma-
nœuvres. Nous fommes menacez de grands troubles : l'Empe-
reur eft réduit à d'étranges extrémitezj P Archiduc Mathias fon
frère eft aux portes de Prague qu'il ferre de fi près, que l'Empe-
reur n'a pu fe fauver. Les EledeursdeSaxe ôc de Brandebourg
ont envoyé des Ambafladeurs à l'Archiduc, pour l'engager
à pofer les armes. Il leur a fait réponfe , qu'il ne pouvoir les
quitter, qu'après qu'on lui auroit donné des sûretez fufli^
fautes de la confirmation, pour lui & pour ceux de fon parti,
de ce qu'on avoir arrêté à Presbourg , & que lorfqu'il feroit
à couvert du reftentiment de fon frère , qui ne rcfpiroit que la
vengeance.
fi) Intitulé Cr^w^^.
TomeXK Va
/•
Traduite du
Latin fur le
^lûnufcfit.
33g PIECES CONCERNANT L'HISTOIRE
Beljoyeux , cet homme fameux , qui a exercé tant de
cruautez fur les Tranfylvains , & qui s'eft noirci par tant de
meurtres , vient d'être pris & étranglé en Hongrie. La Moravie
toute entière a pafle du coté de l'Archiduc Mathias , avec pref-
que toute la Bohême, On croit que l'Empereur a été mal con-
feillé dans cette affaire. Son frère demande la tête de quelques-
uns de fes Confeillers, & entr' autres de Hanniwald, & de
Barvic. Ces troubles & d'autres intrigues tiennent l'Empire
en fufpens. La diète de Ratisbonne s'eft féparée fans rien
faire à caufe de la retraite des Evangéliques. Quelque-temps
après , l'archiduc Ferdinand qui avoir tenu la place de l'Em-
pereur dans la diète , a laiffé , à la nouvelle de la mort de fa
mère, la plus grande partie defamaifon à Ratisbonne, pour
partir en diligence. Je vous écris à la hâte quelques nouvelles
de nos affaires. Vous excuferez cette liberté avec votre bonté
ordinaire. Je fuis, 6cc. A Heidelberg le 16 ÔlQ May 1608.
Lettre de George-Michel Lingelsheim , à Jac. Aug. de Tlwit.
MONSIEUR. J'aurois cru manquer à ce que je vous
dois , fi j'avois laifTé partir le Confeiller Charles Pau-
îus, envoyé de l'Eledeur mon maître vers le Roi de France,
fans le charger d'une lettre pour vous, quand ce ne feroit que
pour vous affurer de mes très-humbles refpeds , n'ayant aucu-
nes nouvelles intérelfantes à vous écrire. Je ne doute pas
que vous n'en ayez de certaines , touchant ce qui s'eft pafTé
en Bohême. Ce revers de l'Empereur eft étonnant j il a été
forcé de fe foiunettre à de honteufes conditions , qui ont été
portées jufqu'à lui faire céder la Hongrie, l'Autriche, & la
Moravie à l'Archiduc , qui de fon côté a renoncé à la fuc-
celTion des autres provinces. C'eft ainfi que la guerre s'eft
terminée en ces quartiers. La difpute de ces Princes a dé-
rangé les mefures de quelques efprits remuans, quiavoient
defièin d'exciter des troubles , ou du moins en a reculé l'ef-
fet. Je fouhaite que la Providence nous préfen^e de ces
maux. Monfieur Bongars 3 qu'on ne peut nommer fans élo-
ge, m'a fait une vifite d'ami ces jours derniers. Nous avons
beaucoup parlé de vous, Monfieur , & nous avons fait des
voeux pour votre profperité. Je ne voulois voys aflurer par
DE J. A. D E T H O U. 339
cette lettre que de mon parfait dévouement , & du defir
que j'ai de vous être bon à quelque chofc. Je finis donc
en priant la divine bonté de vous conferver à la République.
A Heidelberg le 4 de Juillet 160S.
Extrait d*une Lettre de Jac. Aug. de Thon , à George Michel
Lingelsheim.
L*Injustice & l'ingratitude du fiécle m'empêcheront Traôuît iû
de continuer mon Hiftoire, que j'ai conduite jufqu'à J-,^^'"/"/ ^^
i année 16^01. il y a deja lept ans. J ai d ailleurs des attaires
qui me dérobent aujourd'hui tout mon loifir , quiétoit bien
mieux employé à ce travail. Elles ne me lailTent pas un mo-
ment libre. Si cependant Dieu me conferve la vie , j'ai ré-
folu d'aller jufqu'à l'année 1612.. C'eft le terme que je me
luis prefcrit & je n'irai pas au-delà, &c. De Villebon le 28
Avril 1613.
Extrait d'une Lettre de MarquardFreher , à Melchior Goldaft.
Goldaft qui réfidoit à Francfort , avoir écrit à Marqiiard Freher , de-
meurant à Heidelsheim , pour lui demander fi on pourroit accorder la
permiflion d'imprimer dans le Palatinat, l'Hiftoire de Monfîeur de
Thou : Voici la rcponfe de Freher.
LE Chancelier, dans Tabfencede Monfîeur Lingelsheim Tracîuît dii
a lu votre lettre dans leConfeil. On permet d'imprimer a^^^rf intk! ■
dans quelque lieu que ce foit du Palatinat, l'Hifloire de Mon- boH. virer. aA
fieur de Thou. Mais le Prince ne goûte point le projet de ^'Iff^^jf'
feindre , que l'imprefTion en auroit été faite à Manheim.
Qu'importe en quel lieu elle fe fafle. Elle fera honneur à
celui qu on choifira. A Heidelberg le i^. Odobre 1^08.
Remarques de Jean Bockjladyfur r Hiftoire de Jac.Aug. de
Thou J -par rapport aux affaires d'Allemagne,
AN ne'e i^^^. Monfieur de Thou dit que Jean Mat- S!&t*rélï
thefius de Rockliz mourut âgé de cinquante-un ans. du Livre intit,
Buckholfer qui a écrit exadement fur les affaires du Nord , ^^i''^Q^[^*i
dit exprelfément qu'il mourut à l'âge de foixante-un ans, E^ii?. f, x84..
yuij
540 PIECES CONCERNANT L'HISTOIRE
Année 1 5 (^7. Ce que l'auteur dit de la faufle Elifabeth eft
un conte 5 méprifé de toutes les perfonnes fenfées.
Melchior Zobel Evêque de Wirzbourg fut tué en 15 5:8. le
15: d'Avril^ & non pas le 13. Grumbach ne fut pas pris au
bout de huit ans , mais au bout de neuf
Ceux qui fçavent ce qui s'eft paffé dans la guerre de Gotha;
afifurent que la raifon pour laquelle on fit battre les tambours
durant le difcours de Grumbach , fut pour empêcher qu'on
n'entendît ce qu'il alléguoit pour fa juftification. » Tout ce
» que j'ai fait contre ceux de Wirzbourg , difoit ce Général ,
y> je l'ai fait au fçu & à i'inftigation d' Augufte , Eledeur de Sa-
» xe y qui me foutenoit , & me fourniifoit même des foldats.
a> C'eft lui cependant , qui , pour complaire aux Papiftes , ôc
« par des vues d'ambition , me perfécute aujourd'hi^i.
Année 15'6'p. Vidor Strigelius n'affilia jamais à la confé-
rence d'Altembourg. Il y avoir long-temps qu'il étoit paiii
pour Heildelberg. De Thou fe trompe encore , lorfqu il dit
que Paul Eber étoit né à Cittaw. Il naquit à Kitzing.
Aixnée i;7i. Au fujet de la conférence de Frankendal.
Pierre Dathen étoit à la vérité Théologien , & Miniilrc à la
Cour de i'Eiedeur Palatin. Mais Wolfgand Zuleger n'étoit
pas Théologien, il faifoit fon étude de la politique. De Thoufe
contredit lui-même , comme on peut voir à l'année 1 5* 6j,
Michel Neander s'eft rendu célèbre par plufieurs livres
qu'il a publiez. Mais il ne fut jamais ni dans le Palatinat , ni
Notaire. Le Neander dont il s'agit, s'appelle Martin, & eft
encore vivant à Heidelberg. Il exerce l'emploi d'œconome
dans l'Eglife de la Sapience 5 & il porte outre cela le titre de
Notaire. C'eft fous lui que s'eft formé Quirinus Reuter.
Année 1573. Daniel Brendel Henherg^W faut lire Daniel
Brendel de Homberg , au lieu de Vifmgi , lifez Vierra , & au
lieu de Vahicum ,\ï{ç.ï Tacha , qui eft lUie ville aflez connue ^
à ime journée de l'Abbaye de Fulde , & qui en dépend. Ce
fut là que Henri lîl. s'arrêta quelques jours 3 & j'en peux ren^,
dre témoignage j parce que j'y étois alors,
DE J. A. DE THOU. s^i
'Extrûii; d'une Lettre deQuirinus Reuter i{i)à Meîchior Goldajl:
JE fçai que quelques-uns trouvent mauvais qu'on imprime à Traduit mi
Francfort THiftoire de Monfieur de Thou. Mais ne crai- M^an"fcrîf. *"
gnez rien , & continuez. Vous rendrez fervice à l'Allemagne,
& toutes les perfonnes picufes vous loueront. Que les Fran-
çois & les Italiens faflent ufage de l'Edition de Paris , où l'Au-
teur fait des changemens , pour obéir à ceux de qui il dé-
pend. Je crois que vous avez vu un petit livre (2) c[ui con-
tient ce que Monfieur de Tliou a retranché par l'ordre du
Roi. On y voit le récit du parricide des Medicis , commis
par le père & par le frère, & les friponneries du pape Pie IV.
Il faut que vous reftituïez ces endroits , & que par des notes
tirées d'Auteurs véridiques , vous indiquiez les fautes échap-
pées à Monfieur de Thou. Si je n'étois pas accablé d'occupa-
tions par le devoir de mon emploi , je vous aiderois dans ce
travail. J'avoue que ce que je vous ai envoyé dernièrement
eft peu de chofe , & ne regarde que l'orthographe. Mais on
pourroit vous communiquer plufieurs obfervations hiftori-
ques, &c. A Heidelberg le 13 Janvier 160^,
Lettre de Pierre Denais y Confeiller ordinaire de VEleBeur Vala-'
tin j & Affeffeur de la Chambre Impériale à Spre j à
mffi Jac. Aug. de Thou,
IL y a long-temps ^ Monfieur , que je veux avoir Phonneur Traduite an
de répondre à votre lettre polie & obligeante. Dans la réfo- J^\" "fcriJ.
lution de m'acquitter de ce devoir , j'ai plus d'une fois pris
la plume , mais le refped que m'infpire votre haute réputa-
tion me l'a toujours fait quitter. J'ai enfin furmonté cette ef-
pece de timidité, & après avoir reçu de. vous un préfent fi
eftimable , & une lettre où vous me comblez d'honnêtetez j
(i) Quirinus Reuter aida beaucoup
Goldaft& Pierre Kopf Libraire de Franc-
fort , dans l'édition qui fut faite en cette
ville de l'Hiftoire du Préfîdent de Thou.
(2) Ce petit livre qui eft extrêmement
rare , fut imprimé clandeftinement à Pa-
Vis , fous k tire de Omijfn in Bijloria
Thuani ad annos i^6z. é^ ij^j. in-rx^
Monfieur de Thou n'en fit tirer qu'un
très- petit nombre d'exemplaires & feule-
ment pour faire prefent à quelques amis
de confiance. Voyez la troifiéme lettre
de l'éditeur Anglois au Dodeur Mea4
pag. 66'
y.uiij
342 PIECES CONCERNANT L'HISTOIRE
j*ai appréhendé de paroître indigne de ce double honneur ;
ôc coupable d'ingratitude , fi je demeurois plus long-temps
dans le filence. J'avois déjà oui dire qu'on fe préparoit à criti-
quer votre Hiftoire. Connoiffant les mœurs de ce fiécle , je
n'étois point furpris de cette audace 5 & je riois d'avance de
la folie d'un écrivain qui auroit choifi un tel ouvrage & un tel
Auteur, pour faire publiquement l'effai de fon mauvais fens
& de fa malignité. Car qu'eft-ce que cet écrivain trouvera à
reprendre dans votre Hiftoire ? Vous avez eu toute l'attention
pollible à la fidélité dans le récit des faits. Qui voudra fe faire
pafler pour plus habile que vous en ce genre, doit chercher
un autre monde , &c d'autres hommes à qui il puifle faire illu-
lufion. Quand même il y auroit quelques meprifes dans un ou-
vrage fi long & fi pénible , feroit-ce un crime impardonnable .'*
Tout ce qu'on pourra vous reprocher eft la liberté avec la-
quelle vous avez écrit jc'eft-à-dire, votre candeur & votre
amour pour la vérité. Mais que ce reproche eft indigne d'un
homme d'honneur .' Peut-on en faire un plus glorieux à un
homme de bien ? Je ne foupçonnerai jamais Marc Velfer d'un
deflein il honteux & fi peu fenfé. Je croirois plutôt , que le
coup partiroit de quelques amis de ce fçavant homme , ( ce
que je regarde comme une action indigne ) , c'eft-à-dire , de
ces gens qui difent hautement, qu'il eft louable & glorieux ,
non-feulement de mentir en faveur de l'homme (i) qui eft le
îeul Dieu qu'ils adorent 5 mais encore d'attenter fur la vie d^
Rois , par le fer ou par le poifon. Ces gens qui n'ont aucune
Religion , employent toujours la Religion pour prétexte; car
ceux qui en ont , (bit Catholiques , foit Proteftans , font égale-
ment ennemis du menfonge , & ne veulent point que la vérité
hiftorique foit fardée. Ils ne peuvent manquer de vous applau-
dir , & de fe ftjavoir bon gré , en voyant que vous penfez com-
me eux. Quoique nous autres Proteftans , nous rejettions les
noms odieux de Novateurs & de Sedaires , & que nos oreilles
en foient bleftees ; perfonne néanmoins parmi nous n'eft aflez
injufte^ en voyant que vous rempliftez parfaitement les devoirs
d'un Hiftorien, pour trouver mauvais que vous vous expri-
miez conformément à vos idées, & que vous ne parliez pas
comme nous. Nous avons d'ailleurs allez d'adions de grâces à
(ij Ceft. à-dire, du Pape.
DE J. A. DE THOU. sn
vous rendre , outre l'obligation que nous vous avons d'avoi^
clairement expofé les faits. Que de calomnies intentées contre
nous , n'avez-vous pas folidement refutées ! Combien de
grands hommes, que l'impofture avoit noircis, avez-vous ju-
ftifîez & vengez ! Avec quelle douceur ne nous avez-vous pas
trairez ? La Religion que vous avez n'elV pas, comme celle de
bien d'autres , un motif de haine , & un inftrument de cruauté j,
mais un lien de charité, & une école de douceur. Vous aimez
la vertu par tout oi^i elle fe trouve , & vous voulez que ceux qui
l'aiment, s'aiment aulll réciproquement. Renonçons aux noms
odieux de fadion & de parti. Je vous avoue , que lorfque je
me repréfente votre efprit pacifique & impartial, lorfque je
me rappelle les dernières paroles de Charles V. mourant , que
vous rapportez & que vous louez ; je me fens animé du même
efprit de charités je m'arrête à ce point fixe, & je m'écrie :
Voilà la vraie foi , voilà fes véritables fruits. Il penfe comme
moi, & nous marchons l'un & l'autre, dans le même chemin
qui conduit au falut.
Je conclus de ce que je viens de dire , que comme dans les
deux Religions , vous avez pour partifans & pour admirateurs
de votre excellent ouvrage , tous ceux qui ont vraiment de la
Religion dans le cœur ^ vous ne devez avoir égard qu'à leurs
fentimens & à leurs fuffrages , & ne faire aucun cas des juge-
mens de ces efprits corrompus, qui bravent également Dieu &
les hommes , & qui n'ont aucuns fentimens de vertu. Comme
leur perverfité ne peut nuire à vos écrits immortels, elle ne
doit pas non plus arrêter votre plume , & vous empêcher de
continuer à bien mériter de ce fiécle & des fiécles futurs. Tous
les gens de bien vous y invitent : Nous vous conjurons inftam-
ment de le vouloir ^ & nous prions Dieu de vous accorder de
la vie & de la fanté, afin que vous le puiillez. Adieu, Monfieur,
Confervez - moi toujours cette amitié dont vous m'honores^
A Spire le ^ d'Août id'oy.
Tom. I, Liv.
il. pag. 82.
544 PIECES CONCERNANT L*HIST0ÏRH
Remarques critiqMes , que Pon conjeÛure être de Pierre Denaisl
Traduites du Latin fur le Manufcrit.
O N s I E u R. de Thou fe trompe (i) lorfqu'il dit que
c'eft l'Empereur Othon III. qui a inftitué la dignité
edorale. Il eftauffi certain quelle n'a été connue, ni fous
le règne de ce Prince, ni deux cens ans après , & même plus,
qu'il eft douteux & incertain quand & comment elle a com-
mencé , fuivant la remarque d'Aventinus , de Peucerus ôc
d'Onuphrius.
On n'eft pas mieux fondé à dire , que le Roi de Bohême
doit intervenir, lorfque les fufFrages font égaux de part &
d'autre, puifque la bulle d'or de Charles IV. lui donne le droit
d'opiner le troifiéme. Dans le même endroit , l'Hiftorien dit
que l'Empire eft compofé de trois membres 5 fçavoir, de l'Em-
pereur , des Princes , & des villes. Je ne fçai fî cela convient
à l'Etat préfent de l'Empire , dont les Eledeurs font aujour-
d'hui un membre à part; & même le principal. Les autres
Princes compofent le fécond '■> le troifiéme comprend les vil-
les. L'Empereur eft également le chef de ces trois membres.
Tbid.pag. Sj. Il eft dit, que dans chacune des différentes clajfes ^ quicompo^
fent le Collège des Princes de l'Empire , quatre Seigneurs princi-»_
paux tiennent le premier rang.
Il ne paroît pas qu'autrefois cela fût ainfi. Il femble au con-
traire qu'il n'y avoir que quatre Princes dans chaque clafle ,
îefquels compofoient tout le Collège des Princes de l'Empire,
Aujourd'hui on ne peut pas dire que ces Princes foient les
principaux , ni qu'ils foient bornez au nombre de quatre. Je
ne crois pas qu'on ait encore découvert l'origine de cette
divifion , ni en quel temps , ni pour quelle raifon elle a été
introduite. M. de Thou ajoute , qu'eu égard aux circonftan-
ces, & fans autre raifon que fa volonté, l'Empereur peut faire
fur cela des changemens, ou diminuer , ou augmenter le
nombre de ces Princes. C'eft un pouvoir qu'on attribuë^r^-
îis à l'Empereur. Car c'eft la naiftance , qui donne ces digni-
tez , qu'il n'eft pas au pouvoir de l'Empereur de changer ou
fi) Cette erreur, dans laquelle étoit j rigée dans la dernière édition fur laquel-
tombé Monficur de Thou , fe troojve cor- i le a été faite notre traduction.
doter;
DE J. A. D E T H O U. 34;
d'ôter, quoiqu'il transfère , & donne au mérite, ou à la fa-
veur, non-feulement les titres, mais encore les Etats, lorl-
qu'ils vaquent. Je crois qu'il n'y auroit pas de prudence à aflli-
rer en général , que les domaines & les biens de ces Princes ,
retournent à l'Empereur , au défaut de mâles dans leurs mai-
fons. Car cela n'etl pas purement & fuiiplement vrai par tout ,
même par rapporr aux fiefs qui tombent en quenouille, &
aux terres non-féodaies, dont il y a grand nombre, unième
de confidérablesj qui appartiennent aux polTelTeurs, par un
droit qui leur eft propre , & defquelles on peut tefter , ou qui
peuvent entrer dans le commerce & être échangées.
Alais comme tant de domaines voifmsfont quelquefois fi mêlez ibid. pag. 844
(fr fi confondus :, quUl efi impoffi/?Ie qu^il ne naf/J} fouvent entr^eux
de grands différends ^ &c. Il y a deux chofes dans cet endroit,
qui ne fatisfont pas pleinement. Car en premier lieu , la vue
de couper court aux difputes des Princes , touchant leurs fron-
tières , & à leurs autres conteftations particulières, n'a pas été
le motif d'établir les dix Cercles. Ce fut dans la vue de com-
pofer la chambre Impériale , alors établie avec une authorité
fuprême. Enfuite pour entretenir la paix dans l'Empire , &
enfin pour faire exécuter les loix de l'Empire & les jugemens
de la Chambre. Il paroît que l'Hiflorien regarde ces confeils
communs des Cercles , ainfi qu'il les appelle, comme des ju-
ges ou des tribunaux ordinaires , qu'il diftingue tellement de
la Chambre , qu'il prétend que les conteftations d'entre les
Princes & les Seigneiu-s y font vuidées ^ tandis que la Cham^
bre connoît des procès des Princes contre les villes.
Les confeils des Cercles n'ont aucune jurifdidion. Ils s'y
délibère feulement de la manière d'exécuter les réfolutions ;
^QS mefures à prendre pour la guerre , & des fecours qu'on
doit fournir.
A l'égard de la chambre Impériale , fa jurifdidion s'étend
feule fur tous les fujets de l'Empire , foit fpécialement fou-
rnis à l'Empereur & à FEmpire , foit à quelque tribunal inter-
médiaire , fans préjudice toutesfois des inftances , & privilè-
ges d'un corps , ou de chaque fujet en particulier.
Les Confeillersde la Chambre font nommez par différen-
tes perfonnes, & dans l'ordre qui fuit. L'Empereur en nom-
me cinq, du nombre defquels il yen a trois qui préfident.
Tome XK X x
54'< PIECES CONCERNANT L'HISTOIRE
cipale Eglife depuis vingt-un ans. Que me confeiilez-vous ?
Ceux-ci, doivent être Comtes ou Barons. Les Eledeurs
en nomment dix , l'Autriche un , la Bourgogne aufli un j les
fix Cercles dix-huit , les huit autres Cercles tour à tour en nom-
ment fix , l'Autriche &c la Bourgogne comprifes dans ces Cer-
cles. Ce qui fait en tout quarante & un membres de la Cham-
bre ^ préfidez en chef par un des Princes, Comtes ou Barons
nommé par l'Empereur, fous le titre de Juge de la Chambre.
L'Evêque de Spire occupe à prcfent cette place. Je crois qu'il
eft bon de remarquer que l'Empereur ne convoque pas les
diètes quand , & où bon lui femble ; mais qu'il ne peut le faire
que du confentement , 6c avec la participation de fix Elec-
teurs.
Lettre de Jean Roftnus Minifire à Naumbourg , à J. A. de Thon,
L-H^r A^ 1 '\ T ^ u s m'avez fait beaucoup de plaifir , Monfieur le Pre-
Maïuifa-it. V aident , vous à qui je dois, en reconnoilTance de la pro-
tedion que vous m'avez accordée , toutes fortes d'égards &
de refpeds, lorfque vous m'avez envoyé le privilège Royal,
que je vous avois prié de m'obtenir. (i) Je fuis auifi très-fen-
fible à la politelîe & aux bornez dont votre lettre eft rem-
plie j j'ai de grandes obligations à Monfieur Godefroi profef-
feur en droit, de m' avoir remis votre paquet , & à vous , Mon-
fieur , pour m'avoir fait connoiftre à cette occafîon ce célè-
bre jurifconfulte , qui m'a honoré d'une lettre très-obligean-
te. Je me fervirai de votre privilège , moyennant la grâce
de Dieu , d'une manière à vous prouver que vous n'avez
pas obligé un ingrat. Je prierai la divine bonté de vous com-
bler des biens qu'elle a répandus fur moi , fans que je les
méritaîîe. La République des lettres à laquelle je m'interef-
fe , vous doit , & vous rendra de publiques adions de grâ-
ces de ce que vous faites pour elle. Je fuis embaraflé fur un
point , je vous prie de me lever cette difficulté : en me dé-
ligne dans le privilège LL. Doâor : cependant je ne le fus
jamais 5 je n'ai pas même étudié en droit ; je ne me fuis ap-
pHqué qu'à la philofophie & à la théologie , & j'ai palle ma
vie , partie à enfeigner , partie dans le miniftere ecclefiafti-
que , que j'exerce aduellement à_, Naumbourg dans la pi'in-
(0 Pour une nouvelle édition du livre , Roma/iS, Antifuitates J. Rojini,
DE J. A. DE THOU. 347
Dois-je rayer du privilège la qualité qu'on m'y donne.
Permettez-moi prefentement de vous parler d'autres cho-
fes. Je conçois aifcment par ma fenfibilité au fujet de la mort
do Monfieur Bongars , dont j'ai redenti mille fois la protec-
tion , quelle a été votre douleiu" à une fi trifte nouvelle. La
Erance , & fur tout l'Allemagne qu'il aimoit beaucoup , per-
dent infiniment à fa mort. Il me difoit quelquefois qu'il étoit
François , mais qu'ayant palTé la plus grande partie de fa vie
en Allemagne , il ne le cedoit à aucun Allemand en affec-
tion pour ce pays : qu'elle étoit même plus grande que cel-
le de plufieurs Allemands j je n'ai pas fait ditliculté de rap-
porter ces paroles à plufieurs grands perfonnages. Je crains
que bientôt nous ne foyons obligez de dire avec Plaute ,
( que Dieu cependant détourne ce malheur 5 )
(i) Titm déni que homines nojîra intelligimus hona >
Cum qua inpoîejîate habttimus j ea amifimus.
Et avec un autre Poëte : "
{2.)l'^irtutem incoîumemodhnus , "
Sublatam ex ocuUs qttarimiis invidi.
Mais cela fufîit au fujet de Monfieur Bongars. Je voudrols
fçavoir , s'il a donné quelque chofe au public avant fa mort ,
comme j'ai compris qu'il devoit le faire 5 & fi quelqu'un a
écrit quelque chofe après fon décès , en fon honneur 5 car je
n'ai encore rien vu fur ce fujet. Ce que vous me dites fi clai-
rement , & fi diftinctement de votre Hiftoire, m'a fait un grand
plaifir. J'ai lu les premiers livres avec beaucoup de fatisfac-
tion ; j'ai été étonné comment vous aviez pu avoir des con-
noiilances fi exades des affaires même d'Allemagne. Je n'ai
remarqué qu'un petit nombre de fautes, dont je parlai dans
le temps à Monfieur Bongars, & que je vous dirai, fi vous
le trouvez bon. J'ai la première édition de votre Hiftoire
contenant 6^. livres ^ mais je n'ai pas vu la dernière. Dès
que j'aurai fini ce qui m'occupe aduellement , je tâcherai
(i) C'eft-à-dire les hommes ne com-
n:iertcent à çonnoître leurs avantages
que ioi-rqu'ils leur font enkvez. Plant.
CAf.aci, i. Se, i.
(i) La vertu nous déplaît tant que
nous la voyons , nous la recherchons , fî-
tôt que nous l'avons perdue. Horace. Odi
liV' }.
Xxij
3 4-8 PIECES CONCERNANT L'HISTOIRE
d'avoir cette belle édition , dont vous me faites l'honneur
de me parler. Je la lirai promptement , & avec beaucoup
d'attention , fi Dieu me conferve la vie & la fanté. Je vous
écrirai lincerement , s'il y a quelque chofe d'omis , ou qui
ne foit pas conforme à la vérité : je vous envoyerai même ^
s'il eft nécell'aire, les pièces écrites fur ces matières , com-
me par exemple, les oraifons funèbres , & les épitaphes de
Frédéric Guillaume adminiftrateur de l'Eledorat de Saxe , de
Jean fon frère ( i ) & de Chriftiern IL Eledeur de Saxe , & tels
autres mémoires que vous voudrez. Je ne vous cacherai point
que quelques perfonnes ont été bleffées de ce que vous dites ait
fujet de Maurice Eledeur de Saxe , dans la première partie ^
livre huitième , page 884. , première édition , que ce Prin-
Tom. II. Lîv. ^^ avoir afpiré à l'Empire ; & à la page fuivante , que queî-
î-if. p. 543.cie que temps devant fa mort, il avoit traité avec Henri I I. Roi
la traciudiun. ^g France , pour faire un mauvais parti à FEmpereur dans
les Pays-Bas. J'ajouterai que ces perfonnes veulent que le fait
fe foit paflé autrement que vous ne le rapportez. Monfieur
Bongars m'a dit qu'il le tenoit du Comte d'Ottembourg , à
qui Scherte l'avoir raconté. J'ai moi-même été dans la der-
nière furprife de ce que vous dites dans le même tome , li-
vre neuvième^ P^ge P5?4. de la première édition 5 Que l'E-
ledeur Jean Frédéric I. étoit mort le 2. de Mars ; Que ce
Prince regardé parfes ennemis même comme un homme d'u-
ne grande fermeté , d'un courage invincible , & d'une extrême
iiberalité^avoit enfin,après des malheurs continuels qui avoient
traverfé fa vie , trouvé le repos dans le fein de la mort 5 Que
fa réputation n'avoit pas été 11 éclatante après fon décès , parce
qu'il avoir laiffé des enfans , qui ne lui relTembloient pas. (2)
C'eft ce dernier trait qui m'a furpris 5 car les trois Princes
fes enfans , outre les belles qualitez qui leur étoient propres^
ont hérité de la fermeté de leur pcre. Il eft vrai que l'aîné
a fait une faute en excitant allez inutilement ime guerre par
l'avis de quelques perfonnes , & du ChanceUer Chriftien
Bruck. Mon père d heureufe mémoire a été Miniftre à Vit-
temberg oii ces Princes tenoient leur Cour j ils l'avoient ad-
(i) ~^n( de Saxe-Vcymar.
Ci) y nfieurdeThou a reformé cet
fendroji dans les cditions fuivantes. V.
tome II. Liv. xiii.p.'îg. 440. de la trsi;
dii<Sion.
DE J. A. DE T H O U. ^4-} ^ \
mis à leur confeil de confcience : ce fut lui qui exhorta à la <
mort Jean Guillaume père des Princes Frédéric Guillaume , i
& Jean. Mais en voilà adez pour le prefent. Je vous éeri- \
rai une autrefois plus au long fur ce fujet , fî vous voulez 1
bien me le permettre. Je prie Dieu avec ardeur qu'il vous
ait en fa fainte garde , & je me recommande aulTi à fa di-
vine bonté. A Naumbourg le 14. de Décembre ( jour de ma
naillance en 1 5" 5* i . ) fur la fin de l'an 1 5 1 3 . Je fuis , Monfieur ^
entièrement à votre fervice.
Notes de Jean Rofinus adrejfées à Jacques-Augiifte de Thotu
Traduites du Latin fur le Manufcrit.
1
i
de la traduc:
N lifant l'Hiftoire du célèbre Monfieur de Thou , j'ai.
remarqué en paflant des faits autrement rapportez , que.
les Allemands ne les racontent.
Il eft fait mention dans le livre quarante-unième de la fauiïe Tom. v. LiV.
Elifabeth Reine d'Angleterre, qui rechercha , dit-on, fallian- 2^1-1. pag. 315
ce de Jean Frédéric fécond , Duc de Saxe , qui fut pris enfuite
à Gotha. On dit qu'elle quitta fon Royaume pour fe rendre en
Thuringe, & qu'elle fut conduite' au Duc de Saxe, qui pour j
i'époufer voulut répudier Agnès fa femme , fille du Landgrave j
de Hefle ,& veuve de l'Eledeur Maurice. Je n'ay jamais rien ■
entendu dire de femblable dans le pays. Je me fouviens bien i
qu'on difoit qu'il étoit venu en Thuringe , pîufieurs années . '
avant la guerre de Gotha, une femme qui fe donnoit pour
Anne de Cleves, qui ayant époufé Henri VIII. Roi d'Angle-
terre en 1 5" 5 p. en avoir été répudiée l'année fuivante , comme
on le voit dans Sleïdan livre 1 2. & 13. dans Michel Benterus <
livre cinquième , & dans d'autres Auteurs. Qu'enfuite fa four- i
berie ayant été découverte , elle avoit été mife en prifon pour !
le refte defes jours. Je m'informerai exadement de ces cho- •
fes , & je vous en écrirai à la première occafion , fi vous le jii- ]
gez à propos. i
On dit à l'occafion de la conférence d' Altembourg , que Vi- ibid. lîv, i
ctorin Strigel y a aflifté , & qu'on le regarda comme le' princi- ^^^^' P- ^7i- ;
pal auteur de la difiention. Je ne fçache pas qu'il s'y foit trouvé , ]
ni qu'il ait été le premier mobile de la défunion dont il s'agit. :
Ce furent plutôt d'autres perfonnes 3 car Strigel s'étoit retiré ;
Xxiij i
'5 5-0 PIECES CONCERNANT L'HISTOIRE
depuis long-temps à Heidelberg , où il mourut le 26" de Juin
en 15(55?. Les ades de cette aiTemblée, qui ne font aucune
mention de lui , font une preuve inconteftabie de ce que j'a-
vance ici. J'étois moi-même Secrétaire delà conférence, où.
mon père fe trouvoit auffi; & je n'ai jamais entendu parler de
Strigel comme s'il eût été préfent.
îbû^. Tom. Monfieur de Thou appelle les deux Greffiers de la conferen-
vi.Liv. L. p. ce de Frankendal , Guillaume Xilander & Michel Neander.
Cependant ce dernier eft appelle Martin Neander de Silefie ,
dans la Relation imprimée de cette conférence. Voilà à quoi
fe bornent les remarques que j'ai faites jufqu'à préfent.
Notes â'Ofivald Gobelkofer , Doâeur en Médecine y & HiJIorla^
graphe du Duc de Vinemherg. Traduites du Latin fur le
Aîanufcrit,
T 7* O I CI le peu de remarques dont je fouhaiterois que
y Monfieur de Thou fut informé. Ce n'eft: pas dans le del^
fein de l'engager à faire dans fon Hiftoire quelque change-
ment qui l'embarafferoitjmais plutôt dans la vue de lui faire
connoître la vérité des chofes.
Tom. i.Ux, Le Duc Ulric eft accufé de cruauté , & l'on n'explique pas
'* ^* ^^* affez les caufes de la guerre entreprife contre lui par les Prin-
.ces de la hgue de Souabs.
Voici le fait. En 1514. on fît quelque diminution du poids
de la viande & de la mefuredu vin , & on mit d'autres impôts
extraordinaires, pour acquitter les grandes dettes occafion-
nées par la magnificence des prédecefieurs d' Ulric & celles
qu'il avoit contradées lui-même, pour foutenir avec éclat fa
-Cour^ qui étoit la plus brillante de toute l'Allemagne. Les
.feulshabitans de Remferthal, car fes autres fu jets portoient allez
patiemment ces nouvelles taxes , protefterent , non pas même
-tous , mais les plus féditieux , qui entraînèrent le refte bon
gré malgré, qu'ils nepayeroient point cesimpofitions, & ilss'af-
femblerent en armes en afiez grand nombre. Pour couper
court à ces troubles , on en ôta la caufe , & l'affaire fut renvoyée
à la diettc du pays. Ainfi chacun retourna chez foi , & les au-
teurs de la révolte fe fauverent en partie 5 & furent partie prof-
<:rits, partie punis du dernier fupplice. Le calme fe rétablit , ôz
on ne leva plus de troupes à ce fujet.
DE J. A. DE THOU. j5"ï
Quelques années après les habitans de Reutlingen, ville
impériale , (îtuce au milieu des terres de ce duché , ayant laiffé
tuer dans leur ville un certain grand maître des forêts du duc
Ulric , & n'ayant pas voulu permettre qu'on fe faisît des meur-
triers 5 ce prince dont la grande ame ne pouvoir fouBfrir qu'on
le choquât en rien , partit en hâte à cette nouvelle de Stugard,
où il faifoit célébrer alors les obfeques de l'Empereur Maxi-
milieu premier, & fe rendit en diligence à Reutlingen avec la
la Cavalerie qu'il avoir avec lui , & dont une grande partie
n'étoit venue que pour contribuer à la pompe des obfeques. Il
donna ordre au reile de le fuivre. Le mauvais temps, les nei-
ges, la rigueur d'un rude hiver, n'empêchèrent pas le Duc
d'afîiéger la place, qui fe rendit le 28. Janvier lyij?. Il n'en
feroit rien arrivé de fâcheux à ce Prince, Il après avoir puni les
habitans de cette ville , il l'eût remife dans fon premier état 5.
mais voulant la retenir^ ôcparoiflant dans le dellein de faire
fubir le même fort, tant aux villes enclavées dans fon Duché ,.
qu'à celles du voifmage 5 les Princes & les villes de la hgue de
Souabe , le dépouillèrent de tout ce qu'il poffedoit en deçà da
Rhin, environ vers la fin du mois de May. Mais y étant retour-
né au mois de Septembre, à la tête d'une poignée de monde ,
il rentra dans une grande partie de fes Etats ^ par l'affedion de
fesfujets. Cette révolution obhgealesconfederezàlever des
troupes pour le chafler une féconde fois, avant qu'il pût s'affer-
mir davantage dans fes Etats. Mais d'tm autre côté, craignant ,
11 celaarrivoit fouvent, d'être obligez à des frais immenfes , &
fans fruit , ils trouvèrent moyen de vendre à l'Empereur Char-
les V. leurs conquêtes fur le Duc Ulric, qu'ils prétendoient
leur appartenir par le droit de la guerre. Le prix de cette vente
devoit les indemnifer des frais qu'ils avoient faits. L'Empereur
dans le partage qu'il fit avec l'Archiduc Ferdinand fon frère
des Provinces héréditaires , lui céda les droits qu'il croyoit
avoir fur les Etats du Duc Ulric. Ce fut par cette raifon que pen-
dant les quinze ansd'éxil de ce Prince, les Etats, dont il avoit
été dépouillé , furent gouvernez au nom de l'Empereur , & de
l'Archiduc Ferdinand fon frère. Telle eft l'origine des droits,
prétendus par les Princes de la maifon d'Autriche fur ce Du-
ché , jufqu'à ce qu'Ulric après la défaite des Princes confederez.
à Smalcald , ayant été abandonné en Souabe par fes alliez , fut
3^2 PIECES CONCERNANT L'HISTOIRE
contraint d'accepter les conditions qu'il plut à l'Empereur dé
lui impofer. Les Princes Chriftophe fon fils ^ & Louis fon petit
fils , s'affranchirent de la plupart de ces conditions , au moyen
de grandes fommes d'argent qu'ils payèrent. Il en fubfifla
cependant encore quelqu'unes , jufqu'au temps du Duc Fré-
déric, qui plaida lui-même fa caufe en iyp4. à la diette de
Ratisbonne j en préfence de l'Empereur , des Eledeurs , ôc
autres Princes , & refufa même de faire hommage à la maifon
d'Autriche, pour ces prétendus droits , comme les fuccelleurs
d'Ulric l'avoient fait. Ses raifons furent , qu'il ne fuccedoit pas
à ce Duché en qualité d'héritier du dernier Duc Louis 5 mais
de fon chef, fuivant les régies étabhes par fes ancêtres, étant
fils de George frère d'Ulric. Enfin, par l'intervention des Ele-
illeurs, des Princes & du confentement de la maifon d'Autri-
che, il racheta quatre cens mille florins la redevance que cette
maifon prétendoit, & rendit fes Etats, & fa maifon à leur an-
cienne liberté. Les deux frères de la maifon de Bavière , loin
d'aider le Duc Ulric à rentrer dans fes biens , comme l'Auteur
le dit au même endroit , furent au contraire , & fur-tout Guil-
laume l'aîné , fes plus grands ennemis. Louis le cadet fut le
moins animé contre fon allié : Guillaume qui fut le chef de la
ligue de Souabe.étoit fi acharné contre Ulric qu'il n'oublia rien
pour le faire chailer de fes états j ôc pour lui en fermer à jamais
l'entrée par voie de reftitution.
Tom. I. Liv. Le Duc cf A Ibe mit au pliage les vilks de Bertazv Ô" de ïF'e-
ïv. p. n6. àing. Il falloit dire,, le Duc d'Albe s'empara de Marpach fur
le Necker , & de Waiblingen fur le Remz. Il força cette der-
nière place i oii il exerça des cruautez inoùies , fans diftinc-
tion d'âge ni de fexe. Ce fut par la trahifon de Léonard Schla-
her Gouverneur de cette place , qui ayant ouvert fes por-
tes aux Efpagnols, s'enfuit, & n'ofa jamais remettre le pied
dans la ville , quoique les habitans ignoralîent fa trahifon & ne
s'en doutaiïent même pas.
Dans le même endroit il eft parlé de Kirchen fur le Nec-
ker. Il y a deux villes de ce nom j l'une au-deflbus du châ-
teau des anciens Ducs de Theck, dont ils prenoient leur
nom. Cette ville s'appelle Kirchen-under-Theck. Le peuple l'ap-
pelle par corruption Kirchen-an-der-Elck , parce que la monta-
gne où étoit bâti le château de Theck , dont il ne refte plus
<iue
DE J. A. DE THOU. 3^3
que les ruines ^ s'avance comme un promontoire. L'autre
ville de même nom eft aiini fitaée furie Necker, d'où elle
'.a pris le nom de Kirchen-am-N^ecker ; mais elle n'eft nullement
fortifiée , & ne refiemble pas mcme à une ville.
Le reil:e des notes ne regarde que quelques noms propres
-étrangers que Monfieur de Thou n'avoir pas bien pris. L'au-
teur de ces remarques lui offre tous les fecours qui dépen-
dent de lui, pour l'empêcher de tomber dans la fuite dans
de femblables méprifes.
Remarques que Gafpar Laurent , Profejjeur à Genève j envoya
en 1 6 1 3 . à Jacques-Augujle de Thou ) er qui demeurèrent , oit
furent perdues en chemin. Traduites du, Latin fur le Ma-
nufcrit.
O T R E dignité , Monfieur y les fervices que vous avez
rendus à la République des Lettres , & à votre Patrie t
cette Hiiloire ( monument illuftre des évenemens de notre
fiecle, dont l'utilité fe répandra fur l'avenir, & dans tous les
pais ) font aux gens de lettres un puiilant motif de célébrer
votre nom. J'unis ma voix à la leur , pour vous offrir du moins
mes devoirs & mes très-humbles refpeds. Recevez donc avec
bonté ces remarques que j'ai faites fur voftre Hiftoire, qui
doit faire l'admiration de tous les fiecles. On ne peut pas digne-
ment exprimer l'éloge qu'elle mérite. Quel travail , & que
de recherches immenfes ne vous a-t-il pas fallu faire pour y
parvenir ! Il y a cependant des chofes fur lefquelles je me fuis
cru obligé de vous faire faire des obfervations. Il n'eft pas
pollible de ne broncher jamais , quelque foin qu'on y apporte,
iorfqu'on entreprend de rapporter les faits dans un certain
détail. Je ne parlerai que des chofes, dont j'ai été , pour ain-
fidire, témoin oculaire. Je fuis perfuadé qu'elles méritent
votre attention.
Dans la narration de ce qui fe paffa à Cifteron & dans la Tom. n%Lîr.
Provence, il eft parié de Soreze & de Cipierre ,^ comme de xxxi.p. 30p.
deux perfonnes. Cependant ce Cipierre qui favorifoit les Pro-
.-teflans en i^()2. eftce même Soreze que j'ai vu très -fou-
vent à Ciileron. Il ^toit fils du Comte de Tende , Gouverneur
de Provence. Après la mort de fon père il prit le nom de Ci-
pierre. Ilavoit un frère d'un premier lit, appelle le Comte de
Tome XK Y y
5^4 PIECES CONCERNANT L'HISTOIRE
Sommcnve , qui fut Comte de Tende après fon père, & le
dernier de fa maifon. Le cadet nommé tantôt Soreze , tantôt
Cipierre , fuivit ouvertement le parti & la Religion des Pro-
tertans. ( Le Cipierre qui fut Gouverneur de Charles IX. né-
roit pas de cette famille , qui eft originaire du duché de Bour-
gogne, ) Il défendit dans la fuite en 15 «57. la ville de Cifte-
ron , plus heureufement que d'autres ne l'avoient fait en 1 5" 61.
Enfin , il fut indignement maflacré à la faveur de cette famcu-
fe paix de iy6'8. Sa mort eft rapportée au quarante-deuxième
livre de vôtre Hiftoire.
En 1 5" (Î2. Claude, Comte de Tende , Gouverneur de Pro-
vence, fuyant les armes de Sommerive fon fils, pafTa la Duran-
ce pour ne pas tomber entre les mains du Comte de Carces ,
de Flaflan & de Ventabren. Il vint àManofque , d'où il fe re-
tira à Cifteron avec fa femme, & leur fils nommé alors So-
reze. Ils étoient accompagnez du célèbre Cardet, des Barons
de Cenas & du Bar , de Maligé frère de ce dernier , de Mou-
vans & d'Efpinoufe , gentilhomme de la première noblelfe.
Tous ces Seigneurs étoient de la Religion reformée. Je les
ai vus à Cifteron afllfter au Prêche dans les mois d'Avril & de
Mai. J'ai même été , n'étant encore qu'enfant , dans la com-
pagnie de ceux qui vinrent de Manofque à Cifteron , hom-
mes , femmes & gens de toutes conditions , conduits par la
noblelfe que je viens de nommer. Ce fut en 1^62,
Tom.v.Liv. La fituation & ks noms des villes de Privas, d'Albenas ,
xLiv. &c. Je Bais & de Poufm font confondus. Il faut donc les donner
Tomevi.Liv. 1 ,.1 n
tels qu ils iont.
Bais eft dans le Vivarez fur le Rhône. On nomme cette
ville Bais fur Bais, à caufe de deux Châteaux qui comman-
dent la ville. Le Rhône feul y pafle ; le torrent ou ruifteau qui
coule à une portée de canon, du côté de Poufin , fe nomme
Paira.
Poufin , ville fituée fur le Rhône , eft éloignée de Bais d'en-
viron une petite heure de chemin. Tout le païs entre ces deux
villes eft couvert de jardins.
La ville de Loriole , dont il eft fouvent parlé dans cette
Hiftoire , eft en Dauphiné au-delà du Rhône à l'Orient , éloi-
gnée d'un grand mille de Bais & de Poufin , 6c feparée du
JRhône par une plaine.
XLVII,
DE J. A. DE THOU. SSS
Priva? ville du Vivarez dans les montagnes , difvante de
Bais , de PouHn , & par confequent du Rhône, de deux heu-
res de chemin , eft confondue par Monfieur de Thou avec
Smm-li ny^s ou Sûn-Frivas j bourg ou château alfez voifin de
Nîmes , près du Pont du Gard. La ville de Privas , dont il s'a-
git ici, eft éloignée de Nîmes de vingt grands milles.
Albenas eft encore dans le Vivarez. Elle eft fituée du côté
des Sevennes ou monts Cimmeniens , à cinq heures de che-
min de Privas , & à fept du Rhône. La fidélité de FHiftoire
& lesévenemens remarquables arrivez en ces quartiers, de-
mandent qu'on étabUfle d'une manière nette ôc précife la po-
li tion de ces" ditferens lieux.
Les affaires importantes qui fe font paffées en ces mêmes
endroits en i^6S. doivent aulfi être racontées clairement ôc
fans confulîon. Je vais .en faire le récit , pour être comparé
avec celui de Monfieur de Thou. J'étois alors à Privas , à
Poufin , ou à Bais. J'écrirai avec la dernière exactitude ce que
j'ai vu moi-même.
Cette année Mouvans & Valavoire s'étant mis à la tête des
troupes des Réformez qui étoient en Provence , & ayant aban-
donné leur maifon , allèrent joindre le Prince de Condé &
l'Amiral de Coligni. Ils furent les premiers qui fe rendirent
fur les bords du Rhône , près de Bais , ville de leur parti. Là
ils conftruifirent fur le rivage , du côté du Dauphiné , un
fort , pour fe mettre à couvert des infultes qu'ils auroient pu
recevoir des habitans de cette Province , au paffage du Rhô*
ne. Ils étoient au nombre de quinze cens hommes de pied ,
ôz de cent chevaux , qui ayant traverfé le Rhône , marchè-
rent vers Privas , & de là à Albenas. Le fîeur de Leftrange ,
gentilhomme d'une noblefte diftinguée du Vivarez , orné de
plufieurs belles qualitez , fe joignit à eux. Il n'eft pas indif-
fèrent de remarquer en paflant qu'il étoit à la fleur de fonâge,
parce qu'on le donne dans quelques Hiftoirespour un hom-
me déjà fur l'âge.
Pierre Gourde , qui avoir deux mille hommes du Vivarez
dans fon régiment, fe joignit auftlàeux. Le même jour que
Mouvans fortit du fort qu'il avoit fait conftruire pour paflei^
le Rhône , le régiment de Blacons , gentilhomme de très-bon-
ne noblefte , ôc celui d' Ancons de Blacons fon allié , arri-*
Yyii
^^6 PIECES CONCERNANT L'HISTOIRE
verent de Dauphiné , & traverferent le fleuve à Bais. Le ré-
giment de Mimbel de Dauphiné , enfuite les regimens du
Cheilar & de Piégros frère de ce dernier prirent dans le forr
la place des troupes de Blacons. Le régiment de 6ap con-
duit par Orofe , y vint entuite : Lcfdiguieres étoit alors cor-
nette d'Orofe dans ce régiment.
Toutes ces troupes étant paflees les jours fuivans , Mont-
brun arriva le dernier à Bais avec fon régiment compofé de
deux mille hommes de pied , aufquels te joignirent encore
fept cens hommes de la Principauté d'Orange. Ces troupes
qui fe montoient à dix-huit mille hommes fe rendirent du
Vivarez par les Sevenes à Mirialde , où ils joignirent les trou-
pes de Languedoc , qui ayant abandonné leurs familles , 6c
leur patrie, paflerent en Guyenne.
Tom. V. Liv. La dv'faite de Poncenac n'eil pas. rapportée fidèlement?
xLii. p. 3§3^. elle n'arriva pas (ïirement dans le Forés 5 car Cefar place ce
pays entre le Rhône & la Saône , & cette affaire fe paHa
au-delà de la Loire près de la Ville de Tliiers , & prés de
Croprere en Auvergne.
Tom. VI. Liv. Je dirai , fans héfiter , que le récit de ce que firent Mont-
jcLvii. p. 33 brun ^ & les troupes de Dauphiné après la bataille de Mon^
contour , lorfqu'ils furent retournez dans le Languedoc , de
le Vivarez , efl: tout-à-fait confus. J'érois à Privas, lorfque
Montbrun y arriva au commencement de i J70. Il avoit avec
lui la meilleure nobleiTe de Dauphiné , tous gens à cheval ; c'é-
toient les fieurs de Mirabel , Lefdiguieres alors âgé de vingt-
huit à trente ans, Cugy , Quintel, Pantaife, & Piégros , d'autres
Gentillîommes de Gap , & Gouverner , & du Pouet , qui s' arrê-
tèrent à Poufin avec Montbrun. Le refte demeura à Privas ^
en attendant qu'ils pufient repafler le Rhône , & que le grand
froid fût adouci. Pendant leur féjour à Poufin , ils bâtirent
à l'oppofite du Dauphiné , pour aflurer le pafîage du fleuve ,
un fort femblable à celui , que Mouvans avoit élevé deux ans
auparavant à l'oppofite de Bais. Saint Ange en fut le premier
Gouverneur , & enfuite Pipet de la famille du Chevalier
Bayard. L'un ôc l'autre furent tuez dans cette forterefle en
ia défendant.
Monfieur de Thou confond le nom de du Pouet avec un
autre nom à peu près femblable. Du Pouet étoit de Dauphi-
DE J. A. DE T HO U, s^r
né'yil fut tué en duel par Gouvemet , qui avoit été autre-
fois fon ami intime. Poyet dont il eft parlé dans cet endroit
de l'Hiiloire , n'étoit pas de Dauphiné , encore moins de Sa-
voye 5 mais il étoit du haut Vivarez , où il avoit été quelque
temps Gouverneur d'Albenas. C'étoit un vieil officier que
Dandelot aimoit beaucoup : je les ai vus l'un & l'autre à Privas,
ou à Poufin.
C'eft à tort que Monfieur de Tliou appelle AUobroges , ou
Savoyards Montbrun , & la noblelle de Dauphiné ; l'on n'i-
gnore pas que les peuples-que Cefar appelle AUobroges , ha-
bitoient le pays qui eft entre le lac de Genève , & la rivière"
d'ifere , entre les Alpes & le Rhône : ceux du bas Dauphiné ,
d'où étoit Moutbiim doivent donc être plutôt regardez , com-
me faifànt partie des peuples renfermez dans l'étendue de la; '
Provence j telle qu'elle étoit du temps des Romains.
Pont Gentilhomme de Bais a été Gouverneur de la vilU'
du Saint Efprit, qui tenoit pour les Proteftans en 156^2. Il
flittuéen i5'6"7. aullege d'une petite place appellée la Cha-
pelle dans le haut Vivarez 5 l'on frère appelle Ollier fut Gou-
verneur de Bais pour Henri IV. & parvint à une extrême viel-
ielTe. Ces noms font confondus dans l'Hiftoire de M. de Thou,
En iy7o.( ce qu'il ne faut pas omettre dans le récit q(^s
cvenemens de ce temps-là ) Montbrun vint à Nifmes après
la bataille de Montcontour ; enfuite la ville de Nifmes ayant:
été prife, il alla à Albenas , à Privas , & à Pouîm , fit paf-
fer le Rhône à fes troupes y battit de Gordes dans la plaine ,
à l'oppofite de Poufin , mais il ne fe rendit pas maître ds
Loriole 5 & ayant été blefle à la jambe , il fut rapporté à Pou-
fin. Saint Romain ayant pris la conduite des troupes en Dau-
phiné , les mena dans les montagnes 5 il fortifia Granes petite
ville à un mille de Loriole. Valavoire qui commandoit dans
cette place foutint un rude fiege contre de Gordes Gouver-
neur de la Province , & le repoufTa. On ne trouve dans les
Hiftoriens aucune trace de ce fiege , cependant fî mémorable.
De Gordes affiégeant le fort bâti à l'oppofite de Poulin , avok
fait avancer quatre frégates j qui refterent en prefence , juf^
qu'à l'arrivée du Comte Louis de Naffau avec fon frère le
Prince Henri fon cadet. Le Comte menoit l'avant-garde dô
l'armée des Princes j c'eil-à~dire du Roi de Navarre ,.& du
Y y iij .
'5^8 PIECES CONCERNANT L'HISTOIRE
Prince de Condé 5 il vint de Nifmes à Aibenas avec environ
fept cens chevaux. Il amena de cette dernière place deux
canons qu'il fit conduire difficilement par des chemins efcar- .
pez à Privas , & à Poulln. A la première décharge , il y eut
une frégate de fracaiiee , les autres levèrent l'ancre , & fc
laiilerent aller au fil de l'eau: le Comte de Naffau s'étant
avancé avec fon infanterie compofée la plus grande partie
de foldats du Vivarez commandez par Collante , dont la fille
unique époufa dans la fuite le brave , & fameux Chambard ,
s'empara de la ville de Loriole avec fes cornettes Alleman-
des , & s'approcha de Montelimart , pour en faire le fiege.
Il ne réufilt pas dans cette dernière entreprife à caufe de la
mort de Collante , qui fut tué par Beaufort Gentilhomme de
Dauphiné , à l'occafion d'ime querelle au fujet de leur grade.
Sur ces entrefaites le Roi de Navarre , & le Prince de
Condé quittèrent Nifiiies j pour aller à Privas , où ils s'ar-
rêtèrent pendant quinze jours. Ils étoient fortis d' Aibenas,
iorfque j'eus l'honneur de les voir 5 ils avoient avec eux Wol-
rade Comte de Mansfeld , le vieux Genlis , & le Vicomte
de Bonneguiie , quelques cornettes de Cavalerie , leurs com-
pagnies des Gardes , & d'autres Gentilshommes de la premiè-
re diftindion. L'Amiral & le Comte de Montgommeri étant
de leur coté partis de Nifmes , prirent fur la droite du che-
min qui conduit au Rhône , & fe rendirent à Bais & à Poufin.
L'infanterie étoit commandée par Rovere , par Daillan , de
Piles , & autres. L'Amiral fe retira à Volte , ville avec une
citadelle qui appartient au Comte de Ventadour , & éloignée
d'une heure de chemin de Pounn , en tirant vers Lyon. Il
y fut malade pendant douze ou quinze jours : fa fanté étant
rétablie , le Prince de Condé , & le Roi de Navarre fe joi-
gnirent à lui.
Le Comte de Naffau quitta le Dauphiné , pafla le Rhône
une féconde fois, & joignit les Princes & l'Amiral à faint
Btienne en Forés , d'où ils entrèrent dans la Bourgogne. Après
leur départ, de Gordes mit le fiege devant Loriole, où com-
mandoit MirabelGentilhomme de Dauphiné. Celui-ci fit une
vigoureufe réfiflance , & repouila trois ou quatre aflauts mal-
gré la largeur des brèches, que l'artillerie avoit faites. La
paix qui furvi^t fit lever le fiege.
DE J. A. DE THOU, 3S9 ,
Il eft fait mention d'un linode tenu à la Rochelle en 1 5 7 1 . Tom. vi. Liv. ^
On afluie que Beze n'y a pas airifté ; cependant il y prcfi- ^' ^^^' ^^^' \
doit , comme on peut le voir par les ades de cette alîem- j
blée , & par le livre des confelîlons. Dans un endroit de fon ;
Hiftoire Monfieur de Thou nous donne Macardus pour le 1
premier Miniftre des Réformez à Paris. Il y a eu d'autres mi- 1
niilres dans cette ville avant i ^ 5; 3 . c'eft-à-dire , dans le temps j
de la perfecution , ôc c^eft fans doute ce qui a empêché que ]
Monfieur de Thou ii^en ait eu une pleine connoilTance.
J'avois écris ces notes de ma main avec une lettre pour 1
Monfieur de Thou 5 j'ai appris depuis la mort de ce grand
homme ^ & que le paquet avoit été perdu en chemin. j
I
■ /,
Remarques d'un Anonyme. Traduites du Latin fur le Manufcrit,
IL s'asfit de l'Archevêque de Colosjne , cité à Rome & ^ ^ '
de ce même Archevêque excommunie par le Pape. Il eft n. pag. i>^. &
bon defçavoirque l'an 15*45'. le Chapitre de Cologne écrivit ^s. .:
à rUnivedîté de Paris, pour le prier d'intervenir dans fon ap-
pel au fouverain Pontife contre ce Prélat, qui vouloir refor-
mer fon diocéfe , & introduire de nouveaux ufages contraires i
aux règles de l'Eghfe. L'Univerfité jugea qu'elle ne devoit |
faire aucune démarche , fans avoir confulté le Seigneur Roi, i
qui ordonna à l'Univerfité de répondre au Chapitre de Co- \
logne , qu'elle fe réjoùiQbit du zèle que les Chanoines fai-
foient paroître contre les ennemis de la foi Catholique ••> mais
qu elle ne pouvoit intervenir , ni prendre fait & canfe , dans
une affaire qui ne concernoit point les fujets du Royaume.
S/eïdanpaJJa prefque toute fa jeuneffe en France , attaché à ■
la maifon des Seigneurs du Bel/ai j &c. On peut ajouter. Sleïdan "^o'»- iJi-î-îv.
tant qu'il vécut, jouit d'une penfion honnête, queleCardi- ''^^^* ^■*'^'
nal du Bellai lui faifoit payer.
le Manufcrit.
•5^0 PIECES CONCERNANT L'HISTOIRE
Lntre de Dom P^incent Nogueyra , Confeiller de Sa Majefté
Catholique à Lisbonne j a Jac. Aug, de Thou. ( i )
Tradime de 'C^ ''■ ^^ '^'^^^^ difois ^ Monficur , qu ayant parcouru ^ comme
rEfpagnoi fui' ^ j'ay fait,, la plus-part des Hiftoires^ je n'en ay point leu
de meilleure que la voflre , ni, à mon avis , aucune autre
X|ui y foit égale , ce ne feroitni flaterie ni exaggeration ;
& quiconque voudra y regarder avec foin, verra fort bien
qu'elle peut fervir de modèle , à aulïi juile titre que les
-Leçons de Lucien , pour toutes celles qui paroîtront à l'a-
venir. Je la loue par mille raifons , mais fur-tout pour la
vérité, laquelle , dépouillée de toutes affedions, vous fui-
vez avec tant de liberté, que peut-eflre certaines perfomies
atteintes de quelque petit préjugé s'en fcandaliferont - el-
ies 5 mais la pofterité^ en qui les pallions feront mortes, ou
du moins éloignées , ne manquera pas de la louer félon fon
mérite. Ce que quelques-uns d'ici condamnent , qui eft ,
que vous ne verfez pas beaucoup du fang des Sedaires, &,
.que vous donnez des louanges à leurs vertus lors qu'elles
font éclatantes , ne mérite point que l'on s'y arrête î puis
qu étant Gentilhomme Catholique & Religieux , vous çenfu-
rés ailés par là même leurs Dogmes , comme en elfe t ils le
.méritent j mais quant aux perfomies, mieux on les traite de
fait & de parole , & plus on les .difpofe à quitter leurs, er-
^reurs pour embraflèr la Foi orthodoxe de la. fainte Eglife.Ro-
maine-nollre Mère , qui eft la feule chofe que nous préten-
dons d'eux : un point lequel fi l'on l'euft bien confulté en
^JEfpagne , Ton n'auroit pas tronqué en vous des paflàges^qui
.font très admiflibles. Je conclus donc ce point j Monlicur,
çn répétant que je la tiens pour l'Kiftoire la plus véritable
que les hommes aient écrite. Paifons à la phrafe & à la di-
dion , qui mérite affeurément ce qui a été dit- de celle de
Plante , car il n'en peut être de plus propre , de plus pure ,
ni de plus naturelle : elle elt d'une élégance parfaite fans af-
fedation 5 les couleurs y font des plus belles dans toutes les
defcriptions , & elle eft fi remplie de penfées &; de fentences
(i) On a employé l'ancienne Traciudion de cette Lettre , qui s'cfl trouvée parmi
les papiers de Monfieur de Thou,
DE J. A. DE T H ou. ^6i,
qui fe prefentent naturellement ( chofe que j*admire beau-
coup , ) que qui en aura leu une feule page , en tirera plus
d' Apopthegnies & de Maximes, qu'il ne lefauroit faire de Sal-
lufte ou de Tacite.
Autre chofe toute nouvelle, mais très convenable, ôc
qui mérite grande louange ; c'eft qu'à la tête des évenemens
de chaque Royaume , il ie trouve une defcriprion fort exa-
die de fes limites , qualités , formes , & changemens de Gou-s
vernement , fuffifante pour mettre qui la lira en eftat d'en
pouvoir parler & juger. De plus, l'amour que vous montrés'
pour les Belles-Lettres & pour ceux qui en font profeflion ;
mérite de n'eftre pas paffé fous (îlence , mais au contraire
d'eftre relevé avec de grands éloges , tels que je ferois vo-
lontiers ôc avec juftice , s'il s'agiflbit ici d'un Panégyrique ;
6c non d'une Lettre qui n'eft d'ailleurs que trop courte , en
égard à l'eftime ôc à l'affeclion que j'ai pour vous. Je vous
fupplie avec empredement , Monlîeur , de vouloir bien me
reconnoître pour un grand ami ôc ferviteur que vous vous
êtes acquis par vos mérites , ôc de me commander comme
tel dans tout ce qui fe préfentera pour vous faire plaifir en
Efpagne , ôc fur-tout en Portugal , où je fais prefentement
mon féjour dans la ville de Lisbonne , fer vaut le Roy dans
le Confeil fuprême des caufes civiles ôc criminelles , que
l'on appelle Confeil de la Supplication. Et parce que , no^
nobftant la connoiflance que l'on a de moy icy ôc ailleurs ;
il fe peut qu'il n'y ait perfonne dans le pais où vous êtes
qui vous parle de moi, je m'en vais le faire moi-même ,
en combattant ma honte par la necelfité où je me trouve
de faire une démarche qui eft d'ailleurs fî éloignée de ma
coutume. Mes parens & ayeux ont été les uns de Caftille ,
les autres de Portugal où nôtre famille des Nogueyra s'eft
plantée. Mon Père, chef de cette famille , fut une perfon-
ne de grande littérature ôc pieté 5 quaUtés qui l' élevèrent Ôa
l'an iy5?8. au rang de Confeiller au Confeil d'Eftat de Por-
tugal , lequel fe tient en préfence du Roy , & il y mourue
en 1^12. Je naquis en i^S6, Ôc dès l'âge de douze ans je
pofledois le Latin : âge auquel le Roy me prit pour Page <
qui eft une marque de la première Clafle de Noblefle. Les
Hivers je faifois mes études aux Univeriltez d' Alcala , Val^.
TomeXK ILz
^^62 PIECES CONCERNAIT L'HTSTÔIHE
ladolid, & Salamanque, & les Etés au Palais 5 car au lieu de
me relâchera cet égard eniuivant la Cour, je m'y avançois
par l'accès familier que les grands Miniftres m'accordoient ,
jeune comme j'eftois, à leurs importans entretiens, tandis
qu'ils s'imaginoient prévoir en moy une affés grande capa-
cité , & qu'ils fe fornioient de grandes efperances de mes
talens. C'eftoient , par exemple , Monfieur le Connétable ( qui
me piocuroit en parent des honneurs publics , & des oc-
cafioas de fervir le Roy , ) les Comtes de Mirande , & de
Chinchon , le Sieur Bernardin de Mendoça , & le Duc de
Eeria. Par cette protedion , quand je fus parvenu à l'âge de
2. ^ ans , le Roy me créa fon Confeiîler au Confeil de la Sup-
pHcation ; charge qui quoyque très grande , & dans laquelle
on n'avoit veu entrer perfonne au deflbus de 50 ans, que
je n'ay pas encore , m'a détourné de la pourfuite des avan-
ce mens & des poftes fort avantageux, que j'eufle fans doute
obtenus, (î je ne me fade adonné à ces Emplois Littéraires,
que même les plus vieilles gens occupent. Après la Phiïo-
fophie, je pris mes Degrés en Droit Canon & Coùtumier ,
& je me fuis toujours appliqué avec tant de curiofité aux
Humanités , que pour apprendre feulement le Grec , je fis
venir de Rome Conftanrin Sophie , Smyrnois, Dodeur en
Théologie, & membre du Collège Grec, que je retins chés
moy cinq ans, pendant lefquels nous parcourûmes avec une
profonde application la plufpart des Auteurs , & mcme quel-
ques-uns d'un bout à l'antre ; comme Homère , Hérodote ,
Platon , Thucydide , &c. Je poflede l'Hébreu comme ma
langue propre ; les langues Caldéenne & Arabe , médiocre-
ment 5 l'Italien & le François, aiîez bien 5 l'Allemand pas fi
bien. Quant à l'Hiftoire , il n'eft pas croyable combien j'en
ai leu de générales & de particulières j combien de Chro-
niques , de Geographies , &c. Je fuis bien verfé dans toutes
1^ parties de la Mathématique, d'où j'ay tiré la Théorie de
îa Mufique ; mais celle que je recherche le plus c'eft l'Al-
gèbre, fur laquelle j'ay tout leu, à la referve des Oeuvres
• de Vieta , me fervant d'un très excellent Maître natif de
Maroc, Cour du Cherif, où il enfeignoit l'Algèbre d'une
manière Arabe qui furpafle la nôtre. Et afin de pourfuivre
les Lettres avec plus de repos , je me fis Ecclefiaftique ,
DE J. A. DE THOU. ^^3
aySnt obtenu afics de Beneiices & de Penfions pour n'élire-
pa5 détourné des études par le foin de ma fubfiliance. Le
plus grand défaut que je trouve en moy , c'eil de n'avoir pas
voyagé ; mais une fois que j'auray obtenu le congé que j'ay
demandé , vous me verres , Monileur , dans votre cabinet
réfolu d'apprendre & d'ouïr cet Oracle de Sagefle , bien
plus digne que Tite Live , qu'on aille d'Efpagne pour le con-
fulter. Au refte je vous fupplie avec inilance que tout ceci
Ibit pour vous feul > car je ferois dans la dernière confurion
fi l'on fçavoit que j'eufle rapporté des chofes qui me regar-
dent, quelque bien connues qu'elles foient. Que fi la ledure
de cette Lettre vous devient ennuyante , je vous prie de me
îe pardonner, & de croire que ce n'a efté que pour vous mon-
trer que vous avés toutes fortes de raifons de me mettre au:
nombre de vos plus grands amis , & que fi je fuffe né ait>
delà , comme je le fuis au dec^à des Pirenées , j'aurois eu de-
quoi me faire un nom. Mais je me contenterai que vous me
connoifliés aflfés pour m'efcrire icy à Lisbonne, en faifant re-
mettre voftre Lettre à la Pofte ordinaire fous mon adrefie»
Dieu conferve voftre perfonne comme je îe fouhaite.
A Lisbonne ce xxviii. Sep-
tembre i6i^. DoM Vincent NogueVra»
Lettre de Jac. Aug. de Thou , à Dom Vincent Nogueyra.
^\/T ^^SïEUR. J'ai balancé long-temps, pour fçavoir fi -xtzMte cTii
^V \ je ferois réponfe en François, que vous me marquez Latin fur le
fçavoir , ou en Latin , à l'obligeante lettre que j'ai reçue de ^^'*^""^"?'=«
votre part , il n'y a pas un mois. J'étois pour lors à Poitiers , à la
fuite du Roi à mon retour de Bordeaux. Il m'étoitbien plus faci^
îe de vous écrire en François ; mais je craignois que, fi ma lettre
tomboit en d'autres mains que les vôtres, on ne lui donnât uit
fens oppofé à celui que j'y aiu'ois exprimé , & cela par ignoran-
ce de notre langue , ou qu'un interprète malin ne l'expliquât
de manière à me calomnier. Ces raifons m'ont déterminé à
vous écrire en Latin. Je vous remercie, autant qu'il eft en moit
pouvoir, de la politefte avec laquelle vous m'avez prévenu,'
Pouvois-je efperer quelque chofe qui me flatât davantage, &
me fit plus d'honneur que l'amitié que vous m'offrez fi obli-
geamment? Aurois-je du m'attendre qu'un Efpagnol voulue
Z.Z ij
^^ PIECES CONCERNANT L'HISTOIRE
non-feulement combler de louanges un François , mais encore
l'en accabler ? prefage certain que l'envie s'évanouira, & que la
pofterité me fera plus favorable que mon fiécle.Vous n'ignorez
pas les jaloufies, qui divifent la France & l'Efpagne depuis plus
de cent ans : Jaloufies qui ont enfin éclaté par des guerres fan-
giantes ; mais la vertu ne fe lailTe préocuper , ni par la faveiK ni
par la haine , & dépouillant toute affedion déréglée , eftime fin-
cerement la droiture & la probité, fans avoir égard au pays. Elle
parcourt en efprit la terre entière , franchit les mers , traverfe
les montagnes , & les fleuves marquez par la nature pour fé-
parer des peuples , ou devenus frontières d'états par des trai-
tez , afin de terminer la guerre entre des peuples voifins. Vous
êtes un exemple fenfible de cette vérité : Né dans le fond du
Portugal ^ féparé de la France par les Pirenées , l'eftime que
vous avez pour la vertu , vous a faitfouhaiter de lier amitié avec
un François, qui n'eft pas né dans la Guyenne près des frontiè-
res de l'Efpagne, mais à l'extrémité de la France , fur les bords
de la Seine. Vous n'avez pas dédaigné de le prévenir. Vous
avez même, fans en être follicité, pris fa défenfe en Efpagne^
ou il eft (i vivement attaqué de tous cotez. Je puis dire qu'a-
près avoir échappé à la malignité de mes calomniateurs , &
.avoir bravé les efforts d'un nombre infini de gens fans hon-
neur en France , & chez les étrangers , quoique j'eufle, eu la
confolation de trouver des défenfeurs de mon Hiftoire dans
toute l'Europe , même en Italie j je n'ofois me flatter qu elle
pût être en sûreté dans aucun endroit de l'Efpagne. Cependant
vous vous êtes levé pour ma défenfe au milieu d'une foule
d'ennemis. Vous n'êtes point forti de Pobfcurité , mais du plus
floriffant Royaume des Efpagnes. Votre pénétration vous a
d'abord fait découvrir que l'amour de la vérité étoit mon pre-
mier objet. Délivré des préjugez de la patrie , vous avez ap-
plaudi à cette noble liberté , qui ne connoît ni faveur, ni hai-
ne. Vous m'avez fait efperer que le torrent de l'envie , qui m'a
prefque emporté , étant pafie , la pofterité me rendroit au
centuple la juflice , que le lîécle me refufe. Ces flateufes
efperances de votre part, vont me faire porter plus patiem-
ment l'ingratitude , dont la France ma patrie a payé de pé-
nibles travaux, entrepris pour Futilité du genre humain. Quoi ,
la divine bonté a bien voulu me fuciter un défenfeur en vous
DE J. A. DE THOtr. 36^
^ançTErpagne même ! Cette penfée me confoleî la faveur du
Ciel prévient mes fouhaits par votre moyen. Je jouis de mon
vivant d'un bien que je n'ofois me promettre après ma mort :
Car les Grands du Royaume qui ne fçavent pas le Latin ,
trompez par de malignes interprétations, fe croyoient bief-
fez, comme ils le difoient , par ma trop grande liberté ; mais
mieux informez depuis par des gens de bien , confiderant
d'ailleurs l'innocence de ma vie paffée , ils ont oublié leur
relfentiment , fe font reconciliez d'eux-mêmes avec moi ,
m'ont donné des marques particulières d'amitié , & m'ont
fait entrer dans des négociations importantes. Monfieur le
Duc de Mayenne a commencé le premier : Il avoir tant
d'eftime de ma fidélité & de ma candeur , qu'il ne fe fai-
foit rien dans fa maifon qu'il n'en eût communiqué avec
moi par le moyen de ma femme. ( i ) Le prince fon fils ,
que vous avez vu dernièrement en Efpagne , a la' même con-
fiance en moi. Leduc de Guife, chef de cette illufi-re maifon
en France, a fuivi leur exemple, il a même poulie plus loin
la politelle , qui lui eft fi naturelle. Je fuis en poilefîlon d'en
iifer très-librement à la Cour avec ce Prince. Il penfe & parle
fi fort à mon avantage , qu'il n'eft pas pofiible qu'il lui foie
refté le moindre reiTentiment de l'offenfe prétendue , que
mes ennemis lui fuggeroient , qu'il avoit reçue de moi. Je
fçai qu'on me reproche un trop grand attachement pour la
Royale maifon de Bourbon : Mais qu'eft-ce que cela ? N'a-
t'on pas accufé Tite-Live, cet Hifrorien fi fidèle , d'une péné-
tration & d'un jugement ii grand, d'avoir favorifé Pompée?
Mais ce reproche ne lui a été fait que parce qu'il y avoit de
plus vils dans le parti de Céfar. Ce grand homme n'en a pas
été moins eftimé de fon fiécle,& par la pofterité. Pourquoi,
par un zélé déplacé de religion, trouve-t' on mauvais en Ca-
ftille, àAlcala, à Valladolid ôc à Salamanque , que je traite
doucement les Sedaires .? ce que vous excufez avec jufte rai-
fon, & par un motif tout Chrétien, qui eft de ramener plus
facilement par les voyes de la douceur , & par des œuvres
de charité , ceux qui s'écartent du bon chemin. Outre cela
il y a des raifons particulières à la France , qui m'ont im-
pofé la néceflité de parler avec modération des Proteftans ,
(i) Eik étoit de la maifon de la Châtre , & alliée à la maifon de Lorraine.
Zziij
^66 PIECES CONCERNANT L'HISTOIRE
& de ménager les termes à leur égard , à caufe des circoi^
llances des temps , & de la lîtuation de nos aftaires. Je fuis
bien aiîe de l'expliquer à vous , Monfîeur , & à tous ceux qui
liront mon Hiftoire , afin de faire voir que j'ai été obligé d'eu
ufer comme j'ai fait.
Il y a vingt ans que les Proteftans de France préfenterenc
à contre-temps au Roi , alors occupé au fiége de la Fere en
Picardie , une Requête pour obtenir un nouvel Edit en leur
faveur , fous prétexte que les anciens avoient été révoquez ,
( par force à la vérité , ) & violez de tous cotez par les li-
gueurs. Le Roi me donna des ordres précis de traiter avec
eux. Je m'en excufai d'abord : Je priai Sa Majellé de con-
fier à d'autres un emploi capable de m'attirer des ennemis.
Dans cette commiflTion qui ne regardoit d'abord que moi ,
on m'aflbcia le Comte de Nanteuil , que j'avois accompagné
en Bretagne , pour traiter avec le Duc de Mercœur. Enfin ,
je reliai feul avec Sofrede Calignon, après le départ du Comte
de Nanteuil , pour arranger les aftaires en Bretagne. J'em-
ployai deux ans entiers avec mon collègue à traiter avec les
Proteftans. L'Edit de Nantes , qui eft en France une loi de
pacification , fut enfin donné & porté au Parlement 5 chaque
article y fut examiné, difcuté avec grand foin & comparé
aux Edits précedens, comme je l'avois déjà fait, autant que
je l'avois pu. Cet examen fe fit en ma préfence , afin qu'ayant
elFuyé les principales diiïicultez des députez de la Réforme ,
en travaillant à cet Edit , j'en procuraile encore l'enregiftre-
ment par mon futfrage. Il défend entr'autres chofes en ter-
mes précis , d'ufer en particulier ou en public , de paroles
injurieufes à l'égard des Proteftans. Je répondis moi-même
au nom du Roi, de l'obfervation des articles contenus en
cet Edit: Après cela aurois-je eu bonne grâce de faire d rai >
un Livre, dont le froniifpice porte mon nom, ce qu'une loi
d'Etat m'interdifoit , dans le particulier, au bareau, «5c dans le
Confeil d'Etat ? Mais fans conliderer ces motifs , les raifons
que vous m'avez apportées m'en ont elles feules empêché :
Suppofé que j'eufte eu deflein de le faire , n'aurois-je pas
été arrêté par celles que je viens de vous dire ? Ainfi dans
l'obligation d'adoucir les termes , en traitant avec eux , j'ai
du le faire dans la fuite en écrivant fur leiur compte , pour
D E J. A. D E T H O U. 3(Î7
éviter le reproche d'avoir violé îa parole donnée par le Roi.
Je fçai encore qu'on m'a fait un crime en Efpagne & à Ro-
me, d'avoir faifi l'occafion de relever les droits du Royau-
me de France , qui font très-confiderables , comme étant la
plus ancienne & la plus floriflante des Monarchies , fes im-
munitez , fes prérogatives & fes libertez. Je ne doute pas
qu'on ne m'eût traité plus favorablement, fi l'on eût fçu qu'en
écrivant mon Hiftoire , j'occupois ime des premières places
duParlement de Paris, où ces fortes d'affaires font difcutées,
& que je f ai encore occupée long-temps après. Je me perfuade
qu'ils ne pourroient pas s'empêcher d'avouer qu'il m'étoit
impodlble , fans me deshonorer, & fans encourir le blâme
d'une prévarication honteufe, de palier fous iilence de Ci cé-
lèbres monumens,qui relèvent l'éclat du Royaume, ôcfont
la sûreté publique. Vous voyez par-là que je n'ai pu parler avec
aigreur des Proteftans , & diffimuler par une faulle pruden-
ce , nos libertez & nos droits. A l'égard de ce que vous
dites de mon amour pour la vérité & delà hberté , dont je
fais profeffion ; je reconnois votre candeur. Comme j'ai tou-
jours prié Dieu de les mettre dans mon cœur, l'éloge que
vous leur donnez n'a pu que me faire beaucoup de plaifir ;
mais les louanges que vous donnez au ftile , aux maximes ?
ce que vous dites des ornemens, & des Heurs du difcours^
font un effet de votre politeffe à mon égard , & non de cet
amour de la vérité , que vous poiTedcz au fuprême degré.
C'eft à vous de prendre garde , que votre aftediôn pour moi
ne vous fafle illulion, & ne fafte tort au jugement que vous
avez porté fur mon amour pour la vérité & la noble liberté ,
dont vous me louez. Je profelTe de bonne-foi , & fans often-
tation, la Religion de mes ancêtres: Je ne m'enfuis jamais
départi : J'ai appris de mon père, qui a long-temps été à la
tête du Parlement , à être véridique. J'ai cru qu'il valoit
mieux être modefle, & paffer pour fimple , que de recher-
cher la réputation d'être éloquent 6c d'avoir de Pefprit , ou
du fçavoir. D'ailleurs , je n'ai pas eu le temps d'acquérir
toutes les connoiffances que vous voulez bien m'attribuer.
Ma jeunelTe s'eft paffée à voyager, & dans le Bareau : Dans
un âge plus mûr , des négociations m'ont occupé. Enfin , pen-
dant les troubles de France, toujours dans le Camp du Roi
^6^ PIECES CONCERNANT L'HISTOÏRÊ
& à fa fuite , j'ai blanchi fous des tentes , & dans le tumulte
des armes. A peine avois-je donné quelque-temps à l'étude
dans ma première jeunefle , qu'il fallut débrouiller des affai-
res épineufes , & que des occupations fâcheufes emportèrent
tout mon temps. Il ne m'eft donc refté qu'une tegere tein-
ture des lettres 5 mais aufli j'ai conçu pour elles , & pour
ceux qui les cultivent , un amour inexprimable. Voilà la four-
ce de ces éloges , que vous trouvez à la fin de chaque an-
née dans mon Hiftoire. Je prendrai de-là occafion de met-
tre votre amitié à l'épreuve : Je vous demande donc en grâ-
ce , Monfieur , de m'écrire à votre loifir , le jour que font
morts Jean de Barros, qui a écrit l'Hilloire des Indes, le célè-
bre Mathématicien Pierre Nonius , le fameux Médecin Ama-
tus, Pierre Stella Francifcain , N — d'Alcantara : Envoyez-moi
aufTi tous les éloges que vous pourrez trouver des autres
écrivains Efpagnols î car je ne fçai fi ce que j'ai écrit de
Barros & de Nonius eft bien certain. Si j'ai dit la vérité ,
je ferai ravi d'en être affuré par votre moyen. Vous voyez
que j'en agis bien librement avec vous : Aufli eft-ce vous
qui m'y engagez par vos offres obligeantes. Attendez-vous
à me voir devenir auffi importun à votre égard ,_ que vous
çtes poli au mien. Je finis en priant la divine bonté de vous
çonferver en fanté pour les vôtres & pour moi. Adieu ,
Monfieur , çonfervez-moi l'amitié dont vous ne m'avez pas
jugé indigne. De Loudun , dans l'affemblée où j'ai été envoyé
par Sa M^jefté , avec Meflieurs de Briffac & de Villeroy^
pour appaifer les troubles de France. I^e 2p de Février de l'an-.,
née Biffextile 1616,
Lenre de Dom Louis Lobo de Silveis à Jac.Aug. de Thon, (i)
T 'V 3 Tl. Monsieur. Encore que vous n'ayez aucune con-
TraauUe on I». /g , , . r i •
Portugais fur \y J^ noiffancc de moy , delu'e-je que vous Içacniez que je
rcManufcrit. ^^ j^j^-^ p^^ d'etke voftre très affeuré & vray ferviteur, & en-
tièrement defireux qu'il fe montre quelque occafion de vous
pouvoir telmojgner ma bonne volonté ; & bien que ce foit
de ioing, cela fe peut toutesfois afiez fouvent rencontrer.
fi) Ons'cftfervî de l'ancienne tradudion qui s'cft trouvée enu-e ks Manufcrits d<3
Mejiik'UtdeThûii.
DE J. A. DE THOU. ^ 5,^p.
J'ay toujours été particulièrement affedionné envers la Cou-
ronne de France , voire que tant bien que je n'aye jamais été
encepaïs-là, je n'ay pas laifle de rechercher curieufement
& avec beaucoup de travail les livres efcrits de delà, & de
les ramaflerj outre la pratique & conférence que j'ay eue avec *
les François au temps que j'cftois en la cour d'Efpagne. Sur
quoy je me fuis mis à écrire l'Hiftoire générale de ce Royau-
me-là , depuis la mort de Henry IL de glorieufe mémoire , juf-
qu'au dernier Edit de la paix que le Roy Henry IV. que Dieu,
abfolve , fit à Rouen , par lequel fe finirent & achevèrent tou-
tes les guerres civiles de fes Etats , qui y avoient duré par qua- .
rante ans entières , comme cette paix a duré tour le temps que j
ledit Roy a vefcu. Or eftantfur le point de faire imprimer ces |
miens efcrits, vous devez entendre , comme je crois que vous !
fçavez , que c'eft la même Hiftoire que la voftre , dont nous |
n'avons veu icy que ce qui eft jufqu'eni'an 1^72. avant que ' j
fe commençaflent les guerres de la Ligue ••> & d'autant que i
vous avez écrit en Latin , qui eft une Langue dont j'ay bien \
peu de connoiflance, je fuis entré en efperance que ces li- i
vres-là fe traduiroient en langue Françoife , dont j'ay affez d'in-
telligence h à ce que venant reconnoiftre clairement ce que
vous efcrivez de cqs guerres-là, je peufle corriger plufieurs i
fautes que parnéceiïité , je pourrois avoir faites en mes efcrits, ^ |
étant fait de fi loing & de chofes dont je ne pouvois avoir af-
fez de connoiflànce. Et parce que lefdits livres font défendus '
à Rome , & que icy en Caftille & en Portugal on a comman- ;
dé de les corriger , je ne m'en fuis pas voulu ayder 5 mais fça- ]
chant qu'ils eftoient traduits en François, j'ay pris la hardiefte> ]
pour le plus feur , de vous prier par cette Lettre , de me vou- ■
loir faire tant de bien & de faveur que de me les envoyer en ^
efchange de ceux que vous defirerez de deçà : comme par- i
ticulierement , je m'offre à vous envoyer les Décades de :
Jean de Barros traduites en Italien , qui eft- un autheur , qui ' :
pour fa grande dodrine , & mêmement en la géographie de ;
i'Afie , & des parties Orientales , mérite d'eftre grandement - -
eftimé par touts les dodes & fçavants en l'Hiftoire tels que ,
vous. Que Ç\ vous me daignez obliger tant que de m' envoyer
iefdits livres traduits en François , vous pourrez vous fervir de j
Ja voye & entremife de Monfieur T Ambafladeur de France »
Tome XK Aaa
37b PIECES CONCERNANT L'HISTORE
qui réfide en la Cour d'Efpagne , & qui pourra les mettre en
main du Seigneur Francifco de Lucena fecretaire de l'Eûat de
Portugal qui me les fera tenir 5 & par la mefme voyejepour-
l-ay vous envoyer les Décades de Jean de Barros , & tous les
autres livres que vous délirerez par deçà. Et d'autant que ce-
iuy qui requiert une faveur d'un autre , il eft raifonnable qu'il
fe mette en devoir de rendre quelque fervice & récompenfe ,
il m'a femblé ne vous en pouvoir faire un plus grand & 11'
gnalé , que de vous efclaircir franchement ( encore que d'au--
tres puiflent l'avoir desja fait ) de toutes les raifons générales,
pourquoy vos livres ne font pas bien receus ; aufTi des particu-
laritez que j'y ai remarquées moy-mefme , & qui font con-
noiftre que vous pouviez ufer de plus de modération es chofes
que vous avez efcrites. Pour les raifons ôc plaintes générales,
elles font telles.
i.QuE vous eftant fi bon & vray Catholique, & fils d'un
Père qui Fa tant été , vous ne le montrez pas toutesfois en vos
livres 5 mais il femble bien pluftoft que vous foyez en la nou-
velle Religion prétendue Reformée. En effet , vous allez tou-
jours defchargeant tous ceux qui en font profeiTion , comme
entr'autres l'Admirai & fes frères , la Reine de Navarre , & le
Prince deCondé, & autres Seigneurs qui prirent les armes,
& profeilerent cette nouvelle dodrine. Et au contraire , vous
accufez toujours le Duc de Guife , le cardinal de Lorraine &
leurs frères , & bref tous ceux de cette maifon 5 veu qu'ils ont
été de fi grands Princes es armes & au bien de l'Eglife , voire
tels que malaifement en pourroit-on trouver en France & ail-
leurs qui les peufîent égaler. Et pofez le cas qu'ils ayent eu
quelque ambition & convoitife de gouverner , il eft certain
qu'ils défendoient le parti le plus jufte , qui eft la Religion &
ie fervice du Roy , de forte qu'ils ne méritoient pas d'eftre fi
maltraitez comme vous faites j & d'autant plus , que s'ils ef-
toient portez de quelque ambition , on fçait bien que le Prin-
ce de Condé & fes frères n'en avoient pas moins , puis qu'il
eft aifé de croire qu'ils ne furent jamais pouffez du zèle de
Religion , mefme en l'âge où ils eftoient , & ayans avec eux
un cardinal de Chaftillon desja vieux 5 ains ils croyoient pluf-
toft à un Calvin & Beze , qu'à tant de faints Dodeurs de l'E-
glife Catholique , qui ont enfeigné le contraire de ce que les
DE J. A. DE THOU. 371
.ftiitres difent. Et cependant vous ne balancez pas feulement
également un party avec l'autre , mais pluftoft , toutes les fois
qu'il fe prefente occafion , vous blafmez les Catholiques &
favorifez les Calviniftes 5 qui eil une chofe qui fcandalife mer-
veilleufement tout le monde par deçà. Et bien que ceux qui
maintenant font profefllon de cette Sede , & fe font nourris
fie élevez en icelle , ne penfent pas certainement faillir , pour-
ce que s'ils le penfoient, ils ne leferoient pas , cela ne fe peut
pas dire toutesfois des premiers , qui ont embraifé cette opi-
nion en un âge qui ne pouvoit eftre fi capable de tromperie
& d'erreur, ou pour le moins la plufpart d'entr'eux. Etant
aufïî à croire , que Jacques Spifame Evêque deNevers^ qui
eftoit Aumônier du Roy Henry II. & qui quitta fon Evêché,
& s'enfuit pour fe faire de cette nouvelle opinion , & Jean Ca-
racciol Evêque de Troyes , ne penfoient pas errer pour cela.
Et pour les autres prélats qui fe firent aufil Hérétiques, il n'y
a pas apparence non plus qu'ils cr enflent faillir en ce q.. i^ pro-
feflbient j mais bien qu'ils le creufîent, on ne les peut pas excu-
fer d'avoir laifle la vraye Religion de leurs predecefleurs, pour
en prendre une nouvelle , non approuvée d'aucuns faints Doc-
teurs , ni authorifée par miracles.
C'est auiïl une plainte générale que l'on fait de vous, de
ce que vous blâmez tant la punition de l'Admirai, & que par^
lant de fa mort , vous dites qu'il avoit la confcience nette de
ce dont on l'accufoit , veu qu'on fçait aflez le contraire. Ce
font là les plaintes & repréhenfions générales que l'on fait en*
vers vos livres , & qui font caufe que l'on les reçoit il mal. Et
combien qu'un certain Portugais , à qui vous refpondez à ces
plaintes & blafmes , dife qu'en temps de paix faite par Edit
auquel vous fuites prefent , il ne feroit pas raifonnable de
dire des paroles injurieufes contre perfonne î toutesfois tous
ceux qui calomnient & reprennent voftre Hifl:oire , difent que
c'efl: auflTi contre le mefme édit que vous ne gardez pas une
neutralité , mais pluftoft vous vous montrez en tout partial pour
cette nouvelle opinion. Et voilà pour ce qui eft des repréhen*
fions générales.
Quant aux miennes particulières maintenant , ce font ce!-
îes-cy. I. De ce que vous contez plufieurs Hiftoires de nos
lours, de Pologne, Tranfilvanie, des Turcs, des Mores, 5c
Aaaij
372 PIECES CONCERNANT L'HISTOIRE
mefme de Caftille & Portugal , dont vous pouviez vous paf--
fer , pour ne toucher que les affaires de France , que vous
faites profelTion particulière d'écrire. Que fi vous faites ainfy
l'Hitloire Univerfelle , pourquoy l'appeliez vous particulière ?
2. Il femble qu'en la vie du Roy François IL vous fuivez
les impietez de l'Hiftoire du Préfident de la Place, & parti-
culièrement en ce que vous rapportez de cette fable de Théo-
phile, qui eft chofe du tout indigne d'eftre inférée en une
Hiftoire véritable ^ poiu eftre du tout faufie , & qui ne fe de-
voit pas mefme conter , & moins mettre par efcrit.
3. En la mort du Roy de Navarre vous fuivez l'opinion des
Calviniiles , qui difent que ce Prince mourut en leur Religion?
étant certain qu'ils difent cela pour donner autant de crédit
à la leur, que c'eft pour amoindrir celuy de la Catholique j
puis qu'il eft très alfeuré , que ce Roy mourut très catholique-
ment , n'y ayant aucun qui dife le contraire 5 & y a une Let-
tre de Jean de Pereira Dantez , qui pour lors eftoit Ambalfa-
deur en France pour le Roy Dom Sebaftien de Portugal, &
par icelle il conte la mort de ce Roy de Navarre en très bon
Catholique ; difant qu'il mourut avec la ConfelTion , Commu-
nion & Extreme-Ondion.
Il en eft de mefme de cettp Ambaflade qu'après la mort du
Duc de Guife à Orléans, vous^dites, que la Reine Mère envoya
au Duc de Wirtemberg , pour le convier à venir gouverner
i'Eftat de France : il n'y a aucun autheur qui dife cela.
Quand auffi vous parlez de la venue de la Reine de Na-
varre à Paris pour préparer les chofes néceflaires au mariage
du Prince fon fils avec Madame Marguerite , vous dites qu' ef-
toit avec elle l'Evêque de Chartres , que vous nommez Jean
Guillard , s'il m'en fouvient bien 5 & qu'iceluy avec douze au-
tres Evêques forent privez de leurs Evêchez par le Pape, com-
me vous dites avoir dit auparavant en fon lieu j & toutesfois
je ne fçache point , fi je ne me trompe , que vous faftlez men-
tion en voftre Hiftoire des noms de ces Evêques , ni quand le
Pape les depoîà. Que fi je me mefprends en cela, je vous prie
me faire ce bien de me marquer l'année & le livre auquel vous
faites mention de ces Evêques, comme aulTi de leurs noms,
& du Pape qui les a privez. Car vous eftes le premier Efcri-
vain François qui , avec grand honneur ôc louange , nommez
D E J. A. DE T H O U. 57^-
aflez exadement les perfonnes par leurs noms, ainfy qu'on
le peut remarquer en plulleurs. Cela vous fera aulTi chofe allez,
aifée à fçavoir.
Aussi en cette guerre que fit le Comte de Montgomery en
Bearn, quand il fit lever le liège de Navarreins, prit le Sieur
de Terrides , & fit mettre à mort plufieurs autres Seigneurs , il
me femble que vous pafTez fort brièvement en cette affaire. Et
de mefme , quand vous contez la venue du Roy de Pologne
durant les divifions qu'il y avoit au Royaume , jufqties à ce que
la paix fe fit. Vous ufez aulTi de la mefme brièveté en parlant
de la rupture de paix après les Eftats de Blois , du (iege dlilbi-
re par le Duc d'Alençon , & de la rédudion du Marefchat
d'Amville au fervice du Roy ; aulTi des fîeges que luy & le
Marefchal de Bellegarde firent à Nifmes & Montpellier. Vous
contez avec aufTi peu de paroles les progrez du Marefchal de
Bellegarde au Marquifatde SalulTes^ étant une affaire de tel-
le importance. De mefme tout ce que fît le Duc d'Alençon en
Flandres , & la rupture de paix faite par ceux de la nouvelle
Religion , quand le Prince de Condé prit la Fere en Picardie^
àc le fieur de Lefdiguieres la Merue , & autres places en Dau-
phiné , que reprit- depuis le Due du Maine j puis la prife de
Cahors en Gafcogne , & la vidoire du Marefchal de Biron fur
le Sieur de Lavardin en Guienne. En tout cela vous efles un
peu bref ^ à caufe que cela va à la charge & aux pertes de ceux
delà nouvelle Religion. Et en ce qui peut fembler aller à la
charge ôcblafme des Catholiques, vous vous eftendez eftran-
gement. Je fçay fort bien & Tay tousjours ainfy bierr compris
que tout ce que vous en avez fait en cela , a été pour juflifier
la caufe du Roy Henry IV. au temps duquel vous avez efcrit 5
d'autant que fa mère , & fon oncle , & luy-mefme auffi, défen-
dirent tousjours ce party-là , auquel furent toujours contraires
tous ceux de la Maifon de Guife, & tous les autres Seigneurs
bons Catholiques. Ainfy il femble que vous pouviez ufer de
plus de modération en la façon de parler d'une chofe fi pieufe
comme eft la Religion Catholique, & de telles principales
perfonnes fi relevées , & qui ont fi bien mérité & de toute la
Chreflienté en gênerai & de la Couronne de France en parti-
cuHer, comme font ceux de la Maifon de Guife , avec laquelle
je f(^ay que Madame y oflre feiiune a quelque Alliance.
Aaaiij
^74 PIECES CONCERNANT L'HISTOIRE ^
Cependant je vous demande pardon de ces miennes anî-
iiiadverfions libres en ce qu'elles le peuvent mériter, & vous
prie vouloir attribuer cela à ignorance, qui ne peut eftre que
trop grande en moy , parlant de chofes fi efloignées. Auftl me
fera-ce une très particulière faveur , Ci vous me daignez ef-
claircir de qui étoit fils George Cardinal d'Armagnac , qui
eftant un fi grand Prélat de France , je n'ay jamais pu fçavoiï
d'où il étoit.
Que fi en tout ce que je requiers de vous , ce me fera une
très grande obligation de la faveur que vous m'y ferez ; je la
recevray encore plus grande , fi vous me daignez tenir au
nombre de vos plus intimes & affedionnez ferviteurs , & en
cette qualité me commander quelque chofe pour voftre fer-
vice. Au refte , fi vous defirez fçavoir combien vous aurez
bien employé une faveur ôccourtoifie en mon endroit,, vous
le pourrez par le moyen de Monfieur le Baron ;de Vau-
celas , qui a été Ambaffadeur en la Cour d'Efpagne, & de qui
lors j'ay été très intime & fidel ferviteur. ;Et pour la reponfe
de celle-cy , vous la pourrez envoyer par la voye du Secré-
taire Francifco de Lucena, comme j'ay dit cy-delTus. Et d'au-
tant que j'ay efcrit en Portugais pour :ne fçavoir pas le Latin ,
vous pourrez me refpondre en François , qui me fera une fin-
guUere faveur. Priant Dieu, Monfieur ^ qu'il luy plaife confer«»
ver voftre perfonnnç.
A Lisbonne ce 7
Juillet 1(5 1(5. DoM Luis Lobo da Silveij,
Cette Lettre va par deux voyes , afin qu'elle ne manque
de tomber -entre vos mains.
JJon n a -point la réponfe de Monfieur de Thou à cette Lettre. Il
fe pourroit même faire qu^il rfy eût pas répondu. La mort de fa
femme , qui arriva à peu près dans ce temps-là , les chagrins cui-
fans i dont ilfe trouva pour lors environné de toutes parts , & qui
lui cauferent à lui-même la mort 3 auront pu fans doute l'en dé"
tourner.
DE J. A. DE T H O U. ^jj
Remarques de Philippe du Plejjls-Mornay 3 fur le Tome troiftQHê
de ['Hijîoire de Jacques-Augujîe de ThoUy de l'Edition de
Drouart in-folio.
A Fer RARE arriva un courier, homme d'affaires de la
part delà Reyne fa Mère ( i ) , qui luy dit qu'elle lui avoir .Tome vî i *
fauve le Royaume 5 défait les rebelles , pris les Marefchaux , gî^aeia^Tr^
retenu fon frère , & levé tous les empefchemens 5 qu'il ne te- duaion,
noit plus qu'à luy qu'il ne régnât abfolument s'il la vouloit
croire j ce qu'elle attendoit de luy , encore qu'elle n'ignoraft
pas qu'il y avoir des gens qui luy donneroient d'autres confeils.
Oh le vit fort efmeu & perplex là-delTus : fa reponfe néantmoins
fut^ qu'il la tenoit pour Mère, non de luy feulement, mais
de fon Etat j qu'il l'affuraft qu'il l'en croiroit entièrement ^
deuft-il eftre le plus pauvre berger de fon Royaume. Ce que
j'av fcû de Monfieur du Ferrier fon Ambafladeur à Venife qui
l'airiftoit.
J'ay oui plufieurs fois de la propre bouche du Roy Henry
ÎV. qu'à l'heure que le Cardinal ( Charle de Lorraine ) mou- ibid. Lîv. lixv
rut , il eftoit avec la Reyne fa belle mère en fon cabinet, avec P* ^^^'
laquelle il difoit fes Vefpres verfet à verfet , & qu'elle , levant
k tefte , s'écria qu'elle voyoit le Cardinal de Lorraine , qui luy
faifoit figne du doigt comme la menaçant, fort pafle & af-
freux 5 fur qiToy il n'ofa jamais lever la tefte, quoy qu'elle kiy
dît. A ce cry entra Madame de Sauve ( depuis Marquife de
Noirmonftier ) dans le cabinet , qui eftoit afllfe fur le feuil j &
lors difparut lefantofme. La Reyne envoya aufli-toft voir ce
qu'il faifoit, & fe trouva être décédé environ cetinftant. Mon-
fieur de Foix me difoit qu'il avoit été empoifonné par le Cardi-
nal d'Armagnac avec lequel il eftoit en broùillerie , ce qui
s'accorde bien avec ce qui en eft dit icy.
Je fus avec le Comte Ludovic ( de Naftau) en cette armée,
envoyé de la part de Monfieur, lors Duc d'Alençon, frère du îbid.p. né,
Roy , pour luy perfuader , puis qu'il avoit failly fon entreprife
de Maeftricht , d'entrer en France avec fes forces , réfolu dez
qu'il le fentiroit fur la frontière de s'échapper de la Cour. Mais
il ne s'y voulut refoudre, partie pour l'incertitude de l'entre-
prife de ce Prince , partie pour les eîperances qu'on lui don-
(0 Catherine de Mçdicis , merc de Henri IlL
57^ PIECES CONCERNANT L'HISTOIRE
noit d'Angleterre , où il fe déliberoit de pafîèr après avoîf
veu le Prince d'Orange. Son armée n'eftoit pas pour tenir
coup , compofée qu'elle eftoit de gens empruntez pour la plu-
part , qui n'efcoient tenus qu'à un Renter-dienfi ou fervice de
îîx femaines aux Princes & Comtes qui les preftoient ; & déjà
s'efloient mutinez à Galpen. Environ un an après , allant traiter
delà part de Madame Françoife de Bourbon, Douairière de
Bouillon avec le Duc Guillaume de Cleves, pourluy faire ac-
cepter la tutelle à luy déférée par Monfieur Robert de la Mark
fon mary décédé, je paflày à Heuy chez Monficur FEvêque
de Liège de la Maifon de Groesbec , qui eftoit en quelque
doute qu'il ne fe fifl une armée pour le Prince d'Orange en
Allemagne j & fur ce que je luy difois qu'il y en avoit peu
d'apparence après la mort du Comte Ludovic , il me répliqua
omniatma r/wf 5 ajoutant que depuis peu il avoit faitoùir en
jiifticc l'hode de la Campane , qui avoit maintenu l'avoir veu
& logé luy dixième , & avoit efté payé de quelque petite ce-
dule qu'il luy devoit. La Dame de Vogelfang de la Maifon de
Brederode réfugiée à Aix, m'afùira de me le faire voir iî je
voulois tarder quelques jours : le Marefchal de Wachtendonck
en Cleves me dit avoir eu la charge de rechercher les corps
le lendemain de la bataille , & qu'ils n'avoient point efté trou-
vez. A mon retour à Sedan, vinrent Lettres de Heidelberg
que Monfieur l'Eledeur Frédéric attendoit tous ces trois Sei-
gneurs à fouper avec une joye incroyable '•> & de fait eftoit ve-
nu un certain homme qui difoit les avoir laiflez en un carofte
auprès de Spire : caufe que Monfieur l'Eledeur Frédéric juf-
ques à fa mort buvoit toujours à eux où qu'ils fuffent. Comme
suffi fut cru qu'ils avoient efté décapitez en un château prés de
Cologne , ôc un exécuteur de la ville enlevé les yeux bandez
pour cet eftet. Mais ce qui rend tous ces difcours fabuleux eft ,
qu'en même temps je vis Lettres de Monfieur le Prince d'O-
xange fe plaignant fort de ceux qui faifoient courir ces bruits ,
êc les aflurant qu'il n'avoit aucunes nouvelles de luy,, & qu'il
les croyoit morts. Ce qu'il lui importoit que chacun f(^ût ,
parce que tandis qu'on croiroit fon frère en vie, nul ne vou-
dront s'obliger à lever gens de guerre pour luy en Allemagne ,
fçachant qu'il feroit préféré à tout autre. De fait, j'ayfçu de-
puis de fa propre bouche , que depuis la défaite il n'avoit rien
.eu
DE J. A. DE THOU. 377 '
eudeluy, Se qu'il lescroyoit engloutis dans les marais en fe .|
penfant retirer. ]
J'ay apris de la bouche de Monfieur le Prince d'Orange, m^^^^ i^^. \
qu'il propofa aux Etats cet expédient de fauver la ville de î
Leiden par la perte & inondation du pays , comme un fon-
ge , qu'il avoir eu , pour les fonder , fur quoi ils s'écrièrent ; [
que leurs pères leur avoient toujours dit que cette digue-là j
ne pouvoit eftre forcée fans hazarder toute la Hollande : néan- ï
moins comme ]e péril & extrémité de la ville croiûbit, ôc [
tout aunre efpoir de fecours leur eftoit levé , l'auroit remis fus , 1
iion plus comme un fonge , mais comme un difcours qui me^ ;
ritoit d'eftre examiné, lequel derechef ils auroient rejette î '
enfin , les auroit amenez à ce poind de fe tranfporter avec j
luy fur le lieu, ou le temps eftant fans vent, il auroit fait
trouver bon de percer à demy , fauf à percer tout outre à i
l'extrême befoin, fi tel temps continuoit. Ce qui auroit été
fait avec tel fuccés, que l'eau entrant plus doucement meC=
me qu'on euft voulu , on euft loifir de fauver les hommes
& le beftail , & s'en enfuivit le ravitaillement inefperé de la
ville.
Monfieur de Bouillon duquel eft fait icy mention, avoit Ibid.p.iofi
toujours langui depuis le fiege de la Rochelle, où on dou-
toit qu'il euft efté empoifonné. De fait , l'eftomac luy fut
rrou^•é tout livide , & percé en divers endroits. Sa mère quel-
ques jours auparavant l'eftoit venu voir, fur quoy il dit à fes
plus confidens , qu'on fe prift garde qu'en diverfes grieves
maladies qu'il avoir eues , jamais elle n'avoit eu ce foin ^ que
fans doute elle le tenoit pour mort , & vouloir s'aiTurer de
ia place. S'afFoibliiTant , on fuft d'avis d'en avertir Madame
fa femme , qui eftoit en couche, laquelle luy efcrivit, le fup-
pliant de penfer à fes enfans : fur quoy il trouva bon qu'elle
fe fit apporter auprès de fon lit , où ils fe refolurent enfem-
ble & fe dirent le dernier adieu. Le matin il envoya que-
rir les Sieur d'Efpaux , & du Pleffis , auxquels il déclara fa re-
folution d'ofter les clefs au Sieur des Avelles Gouverneur
à luy fufpect d'intelligence avec fa mère 5 ce qu'il fit l'ayant
mandé, & les leur bailla jufqucs à ce qu'autrement enfuit
ordonné : lefquels d'avis commun ordonnèrent de la garde ,
ce que la mère porta fort impatiemment , ôc le mefmc jouï
Tome XK Bbb
378 PIECES CONCERNANT L'HISTOIRE
des Avelles fe retira. Le mal eftoit que le Sieur d'Efpaux
faifoit l'amour à une fille qui lui reftoit à marier, en efpe-
rance de laquelle il changea depuis de Religion. Mais com-
me on euft l'œil fur fes deportemens , & que deux jours après
ledit Sieur flit decedé , la veuve en pourveut le Sieur de
Nue Gentilhomme de Mirebalais de la Religion , & ancien
ferviteur du deffunt. Il mourut fort Chreftiennement , & fou-
vent repetoit ces mots quon fe gardaft des traiftres. Partant
pour le fiege de la Rochelle il avoir fait fon Teftament , &
montra à Madame fa femme certaine cache où il le dcpo-
foit, luy difant que là dedans elle trouveroit après fa mort
tout ce qu'elle auroit à faire. Depuis il l'avoit reveu para-
vant fa mort, comme il efticy dit. Il y ordonnoit pour exé-
cuteur de fon Teftament Mohfieur l'Eledeur Palatin Frédéric,
& Monfieur le Duc de Cleves Guillaume 5 ceftuy-là comme
amy , ceftuy-cy comme chef de fa Maifon. Je fus prié d'al-
ler vers ceftuy-cy pour luy faire accepter l'éxecution , doût
il s'excufa pour fon indifpoiition , qui de fait eftoit eftrange $
le reconnoiflant neantmoins plus proche reftant de fa Mai-
fon , envoya un Ambaftade devers le Roy pour luy recom-
mander fa veuve Ôc fes enfans.
ïbid. Liv. Le Roy fur cette nouvelle de la mort de Monfieur de
ixi. p, z9%. Pamville , avoir refolu de faire eftrangier Monfieur le Ma-
refchal fon frère en la Baftille , & étoient de ce Confeil la
Reyne , le Chanceher de Birague , & Monfieur de Matignon.
Il entra de fon Cabinet en l'Antichambre où eftoit Monfieur
de Souvray , lors Maitre de fa Garderobbe , qu'il cheriflbit
fort , & luy dit cette refolution. Il luy dit , Sire , y avés vous
bien penfé ?& confiderez vous point que Monfieur le Chan-
celier eft fon ennemy , & que Monfieur de Matignon a pro-
méfie du premier état de Marefchal vacant ? & voudriez
vous tacher votre honneur & voftre confcience pour leurs
hiterefts ? & avec telles & femblables paroles arrefta cette
exécution.
Ibid p. 253 Monfieur de Mouy & moy partifmes de Sedan enfcmble ;
proches parens & intimes amis que nous eftions , ayant en-
femble environ quatre vingt Gentilhommes , & cinq cens
hommes de pied ; ôc à grandes journées le rencontrafmes
lur la frontière d'Allemagne à l'entrée des terres du ComtQ
DE J. A. DE TKOU. 37P
de Naflau. Il féjourna de fait à Attigny plus qu'il ne devoit j
mais le pis fut qu'il ne fut jamais rcfolu ni de combatre ni
de fe retirer j caufe que faifant tantoft ce qui eftoit du com-
bat , & tantoft ce qui eftoit de la retraite , il perdit l'occa-
lion de l'un & de l'autre , & donna loifir à Monfieur de Guife
qui retardoit fon chemin par légères efcarmouches, de le com-
battre premier qu'il fut palle la Marne. Se voyant donc prefte
il commande d'aller à la charge , ce que firent les Sieurs
de Mouy & du Plelfis avec leurs amis j fon enfeigne mefme
le Sieur de Pontillaut puifné de Marivaut y mena parti-e de
la troupe , & fur la main droite donna Monfieur de Clervant
avec quelques rangs de fes Reiftres : mais il tourna auffi-toft
la tefte vers la Marne pour prendre temps de fe fauver tandis
qu'ils feroient au combat ; ainfi n'entra point plus de quaran-
te Gentilhommes François en la charge qui donnèrent, & fe
rompirent dedans l'avant-garde conduite par le Marefchal de
Biron , & furent la plupart tuez , bleflez j & prifonniers , en-
tr'autres Pontillaut tué j Monfieur de Mouy pris & blefle d'un
coup de piftolet en la gorge , Monfieur du Pleffis pris & bleifé
d'un coup de lance. Les Reiftres avoienr pafle la Marne >
& gagné jufques à Marigny fur Orbaye , quand ils envoyè-
rent leurs trompettes pour fe rendre , & n'eftant pas fuivis
de cinquante chevaux •-, tellement que s'ils flifîent venus à la
charge ils en euftent eu bon marché. Ce que je fçay par-
ce que j'eftois à la troupe , où Meffieurs les Marefchaux de
Biron & de Rais m'interrogèrent , qui n'eftoient pas fans
peur.
Il alla droit ( le Roi de Navarre ) à Alençon , où il fît pro- Ib. Liv. lxs;
feflion publique de la Religion Reformée, & abjuration de P-438.
la Romaine , & ne voulut point pafler à Vendofme , ne pour
vaut garder la ville , pour ne mettre en peine fes fujets qui
i'auroient receu. Il donna d'une traite jufqu'à Chafteauneuf
en Thimerais , place de fon Doir.aine diftante vingt lieues
de Paris , où il dormit fous la garde des habitans. Monfieur
de Roquelaure eftoit avec luy , qui lors avoir à fuite le Sieur
de Caumont , depuis Duc d'Efoernon par la faveur de Hen-
ry III.
La paix fut traitée en Gaftinois près de Chafteau-Landon , ïbld.p.4ï6;
en une maifon appellée Chaftenoy appartenante à un Coa-'
Bbbij
38o PIECES CONCERNANT L'HISTOIRE
feiller nommé Picot , où j'eftois même député ; & enfin con-
clue à Pafly près Sens , où après la publication d'icelle , la
Reyne fejourna quelques jours , & là je receus fes comman-
démens & à Paris du Roy , eftant dépefché de Monfieur vers
la Reyne d'Angleterre. Les Eglifes faifoient principale inf-
tance d'avoir une ville de feureté en chaque Province , mais
on éblouïflbit les (impies de ce grand apanage de Monfieur ,
qui leur devoir tenir lieu de feureté , comme ainlî fuft qu'il
avoit ja donné fa parole par le Comte de St. Aignan à la
Reyne de ne leur en faire que bien petite part. De fait il avoit
promis beaucoup à Monfieur de Turenne , & ne s'en pou-
voir defdire : il luy donna le Gouvernement de Touraine ,
mais il n'en jouît point , & ainfi celuy de Loches à mou
frère,
îbid. Liv. LavilledeMarmande fut battue, & vinrent Mefïîeurs de
i.xin. p. 471» Biron & de Foix à Sainte Bazeille trouver le Roy de Navarre ,
iefquels craignant qu'elle ne fuft forcée , firent une trêve ,
par laquelle il fuft dit que ceux de Marmande reconnoiftroient
le Roy de Navarre pour leur Gouverneur ^ & recevroient gens
de fa part , qui de fait y entrèrent 5 mais il eftoit convenu fous
' main qu'ils en fortiroient auffi-toft après y avoir feit publier
la trêve. MefTieurs de Segur & du PlelTis la traitèrent avec
eux , & ceftuy-cy nommément la hafta fur ce qu'il vit quer la
batterie qui n'étoit que d'un canon & d'une couleVrine eftoit
interrompue , le canonier ayant efté tué par la feneftre du ca-
non , & que les boulets failloient à la coulevrine ; tant eftoit
mal aflbrti cette équipage. Mais il remontra à Monfieur de
Poix quel regret ce luy feroit de voir emporter cette place
d'affaut en leur prefence , ce qui ne fe pourroit fans grand
excès , & leur faiibit entendre que ce qu'ils n'oyoient point
tirer eftoit que la brèche eftoit fuffifante , & qu'on fe pie-
paroit à l'aflault : à quoy fe laiftà aifement perfuader Monfieur
de Foix.
Ibîd. Liv. La Reyne d'Angleterre fit faire au Duc Cafimir plus grande
X-^îvi. p. 66$, levée que le Prince d'Orange , & les Etats ne vouloient 5 caufe
qu'ils entrèrent en foupqon de fon intention : & pour demeu-
rer les maîtres en leurs pays , firent de leur part des levées
plus grandes qu'ils ne pouvoient porter j caufe de confufion
<en l'armçe.
DE J. A. DE THOU. 5gr
Cette Remontrance qu'ils publièrent eftoit la mefme que ï^^^- P« <^78.
j'avois faite en France l'an i^'j6. addrefice aux Etats de Blois ,
laquelle mutatis mutandis ils avoient accommodée à leurs
pays.
J'y intervins pour le Roy de Navarre , étant lors de fa part ibid. p. ési.
au pays.
Contre ces defordres je mis lors en lumière un petit Traité , ibid.
par lequel je montrois que toutes telles voyes eiloient pro'
près à deftruire & nullement à inftruire.
Comme Monfieur de la Noue fut arrivé, Monfîeur de Bufiy Ibîd. p. <58§;
le mena reconnoitre la place , & le menoit allez avant pour
fonder fa valeur; luy qui s'en apperceut, comme l'autre dit
qu'ils avoient allez veu , luy dit qu'il falloit voir plus outre
telle & telle chofe, & ainfi faoula la vanité de cet homme.
Monfieur le Prince d'Orange faifoit grande difficulté d' al- Ibid.p.v^j. '
1er à Gand, craignant d'y recevoir un affront, d'autant plus
que Monfieur de la Noue avec toute fa modeftie ne l'avoit
pu éviter. JeFeuprefibis, alléguant la confequencc de cette
ville pour toute la Comté de Flandres , que l'Empereur Char-
les Vn'avoit pas defdaigné de venir remettre au devoir, tra-
verfant du fonds d'Efpagne par le miheu de la France : il me
pria donc de paiîer en Flandres parler à fes amis^ & vifi-
ter les villes fous ombre des affaires du Roy de Navarre
mon Maitre , dont je luy apportay telle affeurance & paro-
le des plus gens de bien , qu'il fe refolut d'y aller en per-
fonne , y fut receu à fouhait , & en changea l'état.
La vérité eft que les Sieurs de Bouch & de Borluyt fre- Ibid. p. €9^.
res principaux Gentilhommes de Gand , eftoient contraires
à la violence d'Embife , & que je m'eftois aydé & affuré d'eux
pour Monfieur le Prince d'Orange.
Traitant nommément la trêve avec îny ( Henry III.) &: Tom. mr;
le Roy de Navarre à Tours en l'an 15 8p , il me dit , de com- ^^^- i-^viii.
bien je rachepterois maintenant un Marefchal de Montmo- ^^^* ^^*
rency & un Chancelier de l'Hofpital ?
Le Roy de Navarre m'avoit commandé de paffer des Pays- ibid. Liv,
Bas en Angleterre , refolu de prendre les armes au xv Avril , i-x^ip- 330-
donc je partis du camp de Gavre en Flandre où eftoit Mon-
fieur de la Noue ; & luy difant adieu , luy mis entre les mains
une entreprife qui depuis quelques jours fe tramoit fur 1^
B b b iij
3S2 PIECES CONCERNANT L'HISTOIRE
ville de Lille appartenant au Roy de Navarre , par le moyen
d'un pefcheur qui avoit affermé les foflez de la ville , qui
ailuroit qu'en certain lieu entre deux nids de cignes n'y avoit
de l'eau que jufques aux genouils : ce que j'avois fait recon-
noitre & trouvé véritable , le gravier s'y étant amoncelé avec
le temps 5 & n'y avoit qu'une barrière à ouvrir , pour l'ouver-
ture de laquelle j'avois fait faire une clef fur la forme prife
par une empreinte de cire. Moniîeur de la Noue ayant donc in-
vefti Ingelmunfter penfe pouvoir dérober ce coup à l'ennemy,
& marche avec ce qu'il avoit de plus lefte pour cette exé-
cution , laiiTant pour exploiter ce iiege le Sieur de Marquette
peu expérimenté en telles affaires. Mais il trouva en tefte le
Vicomte de Gand , autrement le Marquis de Roubais ou Ris-
bourg qui s'en venoit lever ce fiege, & le contraignit de
rebroufler. Les caufes de ce defallre furent , premièrement
que le pont que Monfîeur de la Noue , arrivé la nuit, avoit
commandé de rompre , le fut de forte , qu'avec des échelles
foncées il fut aifé de le rendre palîàble. Secondement, que le
Sieur de Marquette , qui eftoit en bataille en un champ où
on ne pouvoit entrer que par deux brèches , au lieu de char-
ger & renverfer dans le pallage les premiers qui l'enfileroient ,
donna loifir aux Albanois d'y pafîer ôc prendre leur ordre.
En troifiéme lieu , l'arquebuferie des Efcoflbis mal ménagée.
Monfieur de la Noue fe pouvoit fauver, mais voyant ce de-
faftre aima mieux eftre pris. Les François qui eftoient de-
meurez à Walken à deux lieues de là , commandez par le Sieur
de Cormont , pouvoient vanger cette perte arrivant fur le pil-
lage 5 ce qui fut propofé par quelques-uns. J'eflois tout preft
à m'embarquer à Dunkerque quand je receus cette nouvel-
le par un Député des Etats de Flandres , qui me prioient
de retourner pour recueillir ce débris , & empefcher que le
mal ne pafsât outre 5 ce que je fis , mettant garnifon à tous
les lieux neceflaires , & vifitant les villes pour les aifurer ,
dont je fus remercié par Monfieur le Prince d'Orange & les
Etats Généraux.
Ibitl. p "5? Monfieur le Prince de Condé après avoir furpris la Fere ,
& laide Monfieur de Mouy dedans pour y commander , palla
en Allemagne, où il traita du fecours avec le Duc Cafimir , qui
Faifilta du Confeiller Schre^el pour aller avec luy en Angleter-
DE J. A. D E THOU. 389
re. Le Roy de Navarre avoir refolii la prife des armes comme
deÛlis , & à moy commandé d'aller traiter avec la Reyne ,
laquelle m'avoit déjà accorde partie de ce que je luy deman-
dois. Quand elle fçut qu'il avoir pris terre à Sandwich , j'eus
peine à luy perfuader de le voir , parce qu'elle eftoit en train
de traiter avec Monfieur , & ne vouloir pas par une occafîon
ouverte offenfer la France 5 joint qu'elle fe doutoit bien qu'il
luy demanderoit plus qu'elle ne vouloit bailler. Enfin elle
fe refolut de le voir fecretement en la Maifon de Nonfuch ,
& pour ce le fit loger dedans le parc 5 mais elle ne voulut rien
traiter avec luy , & paiïerent leurs difcours en plaintes. Néant*
moins me faifoit elle dire que je demeurafle, Ôc qu'elle me
donneroit contentement : mais M. le Prince me déclara que je
luy ferois plaifir de demeurer après luy , & qu'il m'en dechar-
geroit vers le Roy de Navarre. Ainfy repaffa-t-il en Flandres,
& moy avec luy. Quant à l'entreprife de Gand , elle fut tentée
la féconde nuit qu'il y coucha , & ne fçavoit point le Marquis
( de Richebourg ) qu'il y fuft. Il prefentoit une efcalade à l' épau-
le d'un baftion de terre imparfait qui n'avoit point encore de
fo (lez, où je faifoistousjours mettre double garder & partant
pour Angleterre leur avois fort recommandé ceft endroit-là. A
la pointe du jour la fentinelle donna l'alarme , le penfionnaire de
la ville nommé Burgrave me vint éveiller , me difant que l'en-
nemy eftoit dedans. J'y courus, & n'eus le loilir que de luy
dire qu'il fit mander les Ecoflbis qui eftoient à Menin^ &
les François d' Audenarde , 6c rompre tels & tels ponts , parce
qu'il faudroit pluftoft hazarder une bataille dans la ville. Mais
je trouvay arrivant à ce baftion que l'ennemi fe retiroit , Mon-
fieur de la Motte Gouverneur de Graveline qui tenoit le pied
de la première échelle croyant eftre bleifé au bras , joint que
la compagnie de gens de cheval du Sieur de Rion eftant
commandée pour conduire Monfieur le Prince de grand matin
à Anvers , la trompette fonna à cheval , qui leur fit croire
qu'on les attendoit & que la mefche eftoit découverte.
Monfieur le Prince d'Orange nous appella Monfieur Lan- ibûl.p. i€t.
guet ôc moy un matin , pour avoir notre avis fur cette Apo-
logie , laquelle en fa prefence nous fut leuë par Monfieur
Pierre Loyfeleur dit de Villiers qui en eftoit l'auteur. La véri-
té eft qu'il fut confeillé par nous de la modérer j & de fait ,
3 ^4- PIECES CONCERNANT LTîISTOIRE
encoïc en ofta-t-on beaucoup d'aigreur. Mais nous apperce-
vions bien que rien ne luy touchoit tant le cœur que ce qui
avoit efté dit contre fon mariage,
ïbid. Liv. Cette Hiftoire appartient à l'an ijSy.
Lxxi I. pag. Cette Rivière ( la Baife ) ne pafle point à Nerac. La Baife de
Ibîd p ;9o Nerac vient des Monts Pyrénées , & a fa fource prés de la val-
lée d'Aure , & fe rend dans la Garonne à une bonne lieuë ôc
demie de Nerac , bien loin de Bayonne.
Ibid. p. 199. Parce que les Etats confideroient aflez que le fecours de
Monfieur leur eftoit pluftoft à charge qu'autrement, s'il n'e-
ftoit alTifté puiflamment du Roy , il fallut que Monfieur leur
fit apparoir de fa bonne volonté envers fon deifein , ce qu'il
fit par une Lettre du Roy qui luy fut apportée par Monfieur de
Vilieroy , par laquelle il lui promettoit de l'affifter de tout
fon pouvoir mefme jufqu'à fa chemife ; mais ce fut fous pro-
mefle qu'aufll-toft après la leur avoir montrée , il la luy re-
mettroit entre les mains pour la rendre au Roy , & qu'il ne
s'en prevaudroir point, pour l'importuner plus avant qu'il ne
voLidroit.
Ibid. Liv. Partant des Pays-bas pour aller trouver le Roy de Na-
rxxiv, pag. ^^j.j-g ^ jg £^5 pj.j^ ^Q^ lc.ï2Lts de voir Monfieur de leur part;
ce que je fis à la Ferté-Gaucher premièrement , & puis en
fon rendez-vous de Chafteau-Thierry. Le fujet eftoit de le
requérir & lui perfuader ^ après avoir fecouru Cambray, de
traverfer le pays avec fon armée , qui feroit rencontrée de
la leur pour venir prendre pofleffion de ces Provinces ; que
par ce moyen il refoudroit tant plus à fon fervice celles
qui luy eftoient entièrement affedionnées , & y affedion-
neroit les doureufes , & les obligeroit toutes ; que cette en-
trée aufiTi luy feroit glorieufe au regard des ennemis , fur lef-
quels il y avoit moyen d'exécuter de bonnes entreprifes, &
faire fentir,àfon avènement; aux uns l'utilité, aux autres la
terreur de fes armes. Cette propofition fut par moy faite en
plein Confeil , & approuvée de tous ; mais elle ne fut fuivie ,
Ibit parce que l'armée eftoit pour la plupart compofée de no-
blefte volontaire qu'on ne peut retenir , foit parce que Mon-
fieur eftoit bien aife de faire durer la necefllté des Etats pour fe
faire pius^ reclamer par les provinces moins refoluès, & pour ce
prit excufe de la neceftité de fon voyage d'Angleterre pour un
mariage
DE JV A; DE THOU: 5^; i
mariage , duquel ils avoient à efperer un grand fupport, j
Le régiment François commandé par le Sieur de la Garde ibld. p. 51$,: ■
eftoit en Garnifon à Bergue , lequel à faute du payement fe \
mutinoit , & menaçoit de traiter avec l'ennemi. Les Etats
donc me requirent d'y aller pour effayer de les ramener à
leur devoir. Arrivé ^ le Colonel me donne à fouper , pendant
lequel eut avis que le Sieur de Hautepenne eftoit en cam- J
pagne. Surquoy nous nous refolumes de vi(iter les gardes. A
l'aube du jour ils donnent par le lit de la rivière de Zoom ,
qui paflbit fous la voûte d'une tour ou il y avoir un corps '
de garde, n'ayant de l'eau que jufques au genouil, tellement !
qu'ils y marchèrent en bataille , parce que le Marquis de Ber- ^ 1
ghen Seigneur du lieu avoir gagné deux charpentiers , qui en-' j
trez par le canal d'un privé avoient levé les eclufes. Ainfy font \
faifîr le marché au bled , & pofer un corps de garde devant la j
porte du Colonel qui ne put fortir de fon logis, & eftoient j
bien entrez 400 hommes dans la ville : eftoit queftion d'ouvrir ï
une porte pour faire entrer la Cavalerie , & faifoient eftat '
que ce feroit la porte du Havre non loin de Teclufe aifée à
rompre. Mais les guides par la fimilitude du mot les menèrent i
à celle de Voren , qui eftoit plus loing & garnie d'une forte \
herfe, dont ils crurent eftre trompez ; joint qu'en mefme '
temps Monfieur d'Alems Lieutenant Colonel d'une part,& ]
Fouquerolles qui faifoit fa ronde de l'autre , vinrent à les -.
charger j ayant rallié chacun vingt ou vingt-cinq hommes aa i
plus , lefquels en ce doute les renverferent fur les autres oit ]
il y eut un grand conflit. J'étois logé au logis du Sieur de j
Fouquerolles, & n'eus loifir que de prendre une rcrdache 1
qui pendoit à la paroi pour courir demy nud à la grande place
que je trouvay abandonnée , & le Sergent Major nommé la \
Tour à cheval qui fe retiroit m'aftiirant avoir veu plus de i
400 de l'ennemy en bataille, &difoit vray, & m' offrant les i
clefs à la mam de m'ouvrit la porte d'Anvers , 6c de fait il
pafla outre. Mais Dieu me fit la grâce de vouloir voir l'en-
nemi de plus près , & ayant rallié environ vingt hommes, en-
filay la grande rue , où je trouvay l'ennemy en tefte , mais
déjà chancellant , & vins aflez à temps pour en avoir ma
part. Il en fut tué environ lxx tous Capitaines ou appoin-
tez , & autant de Prifonniers qui furent amenez à mon logis;
Tome Xf^* C ç ç
38-^ PIECES CONCERNANT L'HISTOIRE
Grand nombre auffi furent tuez ou bleflez dehors , de
delTus la courtine , dont ils chargèrent jufques à feize cha-
rettes. Le procès fut fait le lendemain aux Charpentiers qui
chargèrent le Marquis. Le falut de la ville vint humaine-
ment partie de l'équivoque fufdit , partie de ce que les Capi-
taines avoient eu charge de doubler leurs Gardes, afin que
je rapportafle que leurs Compagnies eftoient fortes. Il me
fut aifé de faire leur paix avec les Etats , & de les faire con-
tenter après une fi notable preuve de leur valeur.
Ifcid. p." ;37.\ Monfieur le Prince d'Orange eftoit lors à Gand où je l'a-
vois fuivi, lequel ayant cette nouvelle m'envoya aufii-toft
les Lettres de Monfieur de Sainde Aldegonde j m'appel-
lant incrédule , parce que j'avois tousjours contellé , pour la
connoiflance que je penfois avoir de l'humeur de la Rey-
ne , que le mariage ne fe feroit point. Le lendemain s'en
rendirent grâces à Dieu en la grande Eglife , qui dévoient
eflre fui vies de coups d'Artillerie & de feux de joye. Sur le
milieu de Padlion luy vinrent contraires Lettres de Monfieur
de Sainde Aldegonde , fur lefquelles aflls que j'eftois au-
près de luy , je luy vis changer de vifage , & lors me les
bailla , me difant que j'avois dit trop vray. Surquoi fut ar-
refté le furplus de la joye. Il en fut fortmarry,pour ce qu'il
javoit fait grand état au peuple des utilités qui lui viendroienc
de là pour luy faire plus aifement accepter Monfieur. Difoit
la Lettre que comme la Reyne eutlaplimie en la main pour
iîgner , tremblant de colère elle Tavoit jettée j & tournée
vers les Seigneurs de fon Confeil j elle leur avoir dit : « Mal-
» heureux, êtes vous fi aveugles , que vous ne voyez qu'après
» ma mort vous vous entrecouperés la gorge , & ne fçavez
3" vous pas que me mariant , je ne la feray pas longue i' ^
Ce qu'on interpretoit de quelque défaut naturel connu de peu;
Ibid. p. s6é. Le duc de Saxe jufques à fa mort luy continua fa penfion & ne
tint qu'à luy ( Hubert Languet ) qu'il n'y demeuraft, parce qu'il
avoit tousjours ditfincerement quelle eftoit fa créance, fe plai-
gnant ledit Duc que les autres l' avoient pallié. Ma femme l'afii-
fta jufqu'au dernier foupir , laquelle il pria de requérir de moy ,
qui m'en eftois allé en Gafcogne vers le Roy de Navarre ,
qu'au premier livre que je mettrois en lumière , je fifie men-
tion de nôtre amitié. Ce que je fi$ en la première page de
«•^ •«■'V
DE J. X. DE THOU. 587 I
l'édition Latine de mon livre de la Mérité de la Religion Chré- i
tienne. Il avoit efté employé particulièrement par Monfieur i
le Prince d'Orange vers Monfieur, pour faire fa condition, , \
& de fa Maifon avec lui , par laquelle il kiy laifToit la Hol- \
lande & Zelande en propriété , dont il eftoit d'accord avec les '\
principaux du peuple. J'en ay veu le Contrat , mais la per- «
fidie d'Anvers ruina cette affaire , & plufieurs autres. \
Le Roy écrivit lors au Roy de Navarre ? s'affurant que le ibij, i.,>: ï
Concile de Trente ne fe publieroit point, pour lu v enlever wxv.p. 571.
l'allarme ; & moy étant à Paris , trouva bon que j'écriviUe un \
oetit Traité contre iceluy , qui fut imprimé de l'avis de Mon- . i
fieur le Chancelier de Chiverny , & de Monfieur l'Avocat |
du Roy, d'Efpeflè , qui ajouta parlant au Roy , que s'il luy \
plaifoit on en pourrait dire beaucoup plus. ;
J'eftois lors à Anvers , & Monfieur le Prince d'Orange Ibid. p. eu; !
m'avoit au fortir du Prêche voulu retenir à diner. Les Gar- 1
des avoient voulu chaffer ce miferable de la falle , Ôc il les ]
en avoit tancez , difant que c'eftoit quelque Bourgeois qui ^
vouloir voir. Il paflfoit de fa falle en fa chambre , Ôc s'eftoit '
arrefté à montrer la tapilTerie à Monfieur de Laval , par def- i
fus l'épaule duquel il tira fon coup. J'y accourus auifi-toft, \
& vis le meurtrier le corps enveloppé de pentacles & toil- '
les conjurées de Nôtre Dame d'Oviedo. Monfieur le Prince \
d'Orange ayant repris fes efprits me dit ces mots : Je penfois '
que la maifon fut tombée fur moy. Il eut un grand foin de faire '
fçavoir qu'il n'y avoit rien du fait de Moniieur , lequel avec :
les fiens n'eftoit pas fans peur. Mais on y-envoya une forte \
garde pour empefcher l'abord du peuple , & fut en moins \
d'un quart d'heure donné un tel ordre par toute la ville qu'il \
n'y avoit ny bruit ni murmure. Le meurtrier avoit quelque 1
envie de referverfon coup au foir au feftin de Monfieur : '
fi cela fuft arrivé là , on n'eût jamais pu croire que ce n'euft
été de fon fait , & premier que la vérité euil été connue tout
euft été en combuftion & en carnage. i
La vérité eft , que le coup de piftolet tiré de fi prés avoit Ibîd. p. ^i^ti \
cauterifé le rameau de la veine jugulaire en le perçant , & !
par confequent eftanché le fang jufques à ce que l'cfcarre \
tomba. Mais ce ne fut pas l'invention de Botal qui la fit fer- \
mer , car quelque bien qu'on y tint les poulces, le fang tom*
C c c ij \
583 niZES CONCERNANT L'HISTOIRE
boit par le dedans , tellement qu'en un matin je luy en vis
rejetter par la bouche plus de cinq livres ; mais les chirur-
giens par mefgarde ayant poufle une tente en la playe ^ ointe
de quelque onguent, plus avant qu'ils ne vouloient, & ayant
en vain tafché de la retirer ; au bout de quelques jours na-
ture , avec un peu d'ayde , la repoufla , & y fut trouvé un pus
blanc au bout , qui donna argument que la veine eftoit fer-
mée, ce qui fe trouva vray. Pendant l'incertitude de cette
blefTure n'eft point croyable en quel foin en eftoit tout ce
peuple. Cette grande place entre la ville & la citadelle dez
le poind du jour eftoit pleine de perfonnes de tout fexe »
âge , & condition , qui fe venoient enquérir de fon état ; vraye
recompenfe de ce qu'il avoit travaillé pour ce peuple. Beau-
coup imputoient ce malheur à punition de ce qu'on avoit re-
mis la Mefle. Pour la Princefle fa femme , fa maladie fut une
pleurefie procedée des fangmefleures qu'elle avoit eues pen-
dant fon mal , paflant à tous momens d'efperance en crainte,
& au rebours. Elle mourut fort chreftiennement , & l'aiïifta
ma femme jufques à la mort , qui en remarquoit une parti-
cularité rare , que quelques heures après avoir jette le der-
nier foupir j il luy vint un faignement par le nez qui dura
bien deux heures. Quant à Monfieur le Prince , il eft di-
gne de mémoire , que fe croyant mort il fut confolé par
le Sieur de Villiers Pierre Loifeleur fon Miniftre ; & com-
me n'efperant plus rien de fa vie , fe difpenfa de la def-
fenfe que les Médecins luy avoient faite de parler. S'en-
^uerant donc quel compte il poiurroit rendre à Dieu de tant
d'excès commis en la guerre , de tant de fang répandu j il luy
difoit qu'il avoit fait la guerre fous l'Empereur Charles, &
qu'eftant commandé par fon Prince légitime , il n'en eftoit
pas tenu. Pour les Guerres Civiles auffi démenées pour une
jufte querelle , foit de la religion , foit de la patrie , y ayant ap-
porté une bonne confcience, que tout cela eftoit couvert de
la juftice de la caofe , &c. Lors le Prince , « A la mifericorde ,
30 Monfieur de Villiers mon amy , à la mifericorde , à la mife-
» ricorde ! c'eft là mon recours , & n'y en a point d'autre , &c. »
Feue ma femme y eftoit prefente , avec feue Madame la Prin-
cefle d'Orange , en cette extrémité. N'eft aufli à oublier que
Monfieur fuft fupplié de ratifier en faveur de MonHeiir le
t) E J. A. D E T H O U. ^Sp
Prince Maurice fon fils , le Contrad de Hollande & Zelande
cy-deiTus mentionné j ce qu'il fit aOfez mal volontiers , les
fîens difans qu'il prenoit le liquide & lui laiflbit le conten-
tieux , & fit voir des fignes que la mort luy euft été plus agréa-
ble que la convalefcence.
Je crois que ces Afterifques (i) à l'entrée du propos de Sal- Ibid. p. ^n
fede , nous dénotent qu'il retient beaucoup à dire. Salfede fut
pris à Bruges accufé d'avoir pris exprès un régiment au fervice
de Monfieur , afin qu'eftant mis en garnifon en quelques pla-
ces il les rendît à l'ennemy. Il avoir un Italien avec luy , le-
quel comme les Archers du Grand Prevoft le faifoient diner
à l'Hôtellerie , s'appuyant contre la table fe donna d'un cou-
teau dans le ventre j & fe tua. Cela fit croire qu'il y avoir quel-
que plus profond myflere. Ainfi fut palle Salfede par la tor-
ture , & fur ce qu'on connût qu'il y alloit des menées de
ceux de Guife contre la France , en fut donné avis au Roy,
qui aufii-toft envoya Meflleurs de Bellievre & Brulart pour
requérir qu'il lui fuft envoyé , ce qui fut fait. Je les ren-
contray entre Montreuil & Abbeviile , & s'arrefta plus d'u-
ne heure Monfieur de Bellievre avec moy , pour fçavoir ce
que j'en fçavois & penfois ; me répétant fouvent , fi tous
ceux que cet homme accufe en font , l'Etat eft perdu fans
relTource : tout eftonné , & plus capable d'effrayer le Roy
que de le refoudre. Monfieur de Thou n'a pas fçu qu'en ce
temps avoir été refolu par Monfieur avec les Etats , qu'il en-
yoyeroit fes ambaiîadeurs à la Diète , qui lors fe devoit te-
nir j 6c de fait fe tint à Ausbourg , pour fe prefenter à faire
l'hommage de la Duché de Brabant , &c. à l'Empereur & à
l'Empire. Guillaume Robert de la Mark Duc de Bouillon &
moy fufmes nommés pour cette charge , & envoyé un Gen-
tilhomme à Ausbourg pour y retenir nos logis. J'en avois
drefié tous les pouvoirs & defpefches que je portois avec moy,
avec les mandements pour le voyage & pour les prefcns qu'il
y convenoit de faire 5 mais Monfieur qui dez lors minutoit
ce qu'il fit depuis, & ce que je prevoyoisalfez, contreman-
da le tout , non fans grande indignation des Etats. Je rerN
yoyay donc ma depefche avec les proteftations requifes. Une
(i) Cette remarque regarde l'édition 1 flerieures, la conjuration de Salfede eft
iJes Drouarts j car dans les éditions po- | rapportée dans un très- grand détail.
Çcc iij
5po PIECES CONCEPvNANT L'HISTOIRE
des principales pièces d'icelle eftoit une harangue en Latîn
par moi dreflee , pour la juftification de toute la procédure des
Etats en cette affaire,
ibid. Lir. One depuis le Roy Henry III. n'en eut la cervelle
Lxxvi. pag.
^,^. nette.
Tom.«.lbîd. Monfieur d'Avantigny n'y eftoit point, au contraire quel-
I.XXVII. pag. ques mois auparavant Monfieur luy avoir fuppofé une Lettre
ii' de Vaufin, fon intime ami & voiiin , qui luy donnoit avis que
fa femme eftoit morte : furquoy il avoir pris congé de luy
pour s'en retourner en France , & le premier qu'il rencon-
tra à Paris fut Vaufin, qui fut tout esbahi de le voir habil-
lé de deuil , & luy fit reconnoiftre la fourbe. En mefme in-
tention s'eftoit il desfait de M. de Buhi mon ftere , l'en-
voyant vers le Roy pour eftre afllfté de cent mille écus,
jbid.pag. J5. Le Sieur de la Perrière frère de Monfieur d'O vint trou^
ver le jour précédent le Sieur de Villiers , Miniftre de M.
le Prince d'Orange , auquel fous grand ferment il déclara
l'entreprife 5 caufe qu'il entra en cette défiance. Le pauvre
Gentilhomme y fut tué.
Ibid. pag. 37. Monfieur de Montpenfier luy demanda que devenoit fon
beaufrere , fçavoir le Prince d'Orange. Il luy dit « qu'il y
» avoit donné ordre , » J^uel ordre ! dit-il en jurant 5 m^ appelles
vous cela ordre !
îb'd ^^ quidam Gallus eftoit Sainteval , non Sefleval baftard ,'
qui feignit avoir la jambe rompue d'un coup de pied.
îbid.pag. 3^. Monfieur le Marefchal de Biron conclut à ce confeil ? &
s'il y euft refifté, conmie il pouvoir & devoir, il n'eut point
efté entrepris.
Ibid. Comme Monfieur vit plufieurs fe jetter par les murailles ,
il dit à ceux qui eftoient près de lui : « Voyez comme ces
:» pauvres Bourgeois fe jettent, &c. » Mais M. de Laval qui
eftoit auprès de luy fir connoiftre que c' eftoient des fiens ,
dont il fut bien étonné.
Ibid. Le Comte de Saind Aignan fe noya dans lefofle,&fon
fils après luy. Monfieur luy demandant fon avis au Confeil ,
il y avoit fait de grandes difficultés 5 furquoy il luy dit :
« Quoi , Comte , le nez vous faigne ? 39 II luy repond qu'il
luy feroit voir le contraire , parce qu'il y mourroit pour fon
fervice j & depuis n'en dit plus mot. Etant preft de partijc
DE J. A. DE THOa. 35?i
pour ce voyage , il eftoit venu voir ma mère fa coufîiie ger-
maine chez elle , & comme s'il prefîentoit fon malheur ,
luy dit , & à moy mefme , plufieurs fois qu'il euft voulu en
eftre quitte pour un bras. Monfieur de Fervacques eftant pris
dans la ville , fut fauve en difant qu'il eftoit Monfieur de
Laval , & s'en defchargeoit fur Monfieur de la Rochepot ,
qui de fait fous ombre d'achepter des pierreries pour Mon-
fieur, avoit fait voir les jours precedens les plus belles pie-
ces, qui eftoient chez les orfèvres pour les piller ce jour-là.
Un Synode national des Edifes reformées de France s'e- ,^v,v ^V.^.
ftoit tenu à Vitre en May 1583. ou j avois ailifte de la part
du Roy de Navarre , & propofé deux poinds : l'un , qu'ils
perfuadallent , chacun à fa province , de tenir une ou deux per-
fonnes qualifiées & capables auprès de fa perfonne , par l'a-
vis defquels il conduisît fes affaires publiques. A quoy il
fut fatisfait quelques mois après. L'autre , qu'ils nommaflent
d'entre les Pafteurs & Dodeurs , deux ou trois qui afilftaflent
une ambaffade qu'il defiroit envoyer vers les Princes & Etats
de mefme profeftlon , pour la reunion des différends qui
eftoient entre les Confeffions : furquoy ils en avoient nom-
mé trois, entre lefquels eftoit Monfieur de Chandieu , &
député pareil nombre vers le Roy de Navarre , par lefquels
il eftoit remercié & loué de ce foin & zèle envers la paix
de l'Eglife , & prié d'avoir agréable que je fuffe chef de cette
Le^tion. A quoy de fait il s'eftoit refolu : mais Monfieur
de Segur homme violent , & qui gouvernant les Finances
n'eut pas confenti à cette depenfe pour un autre , voulut y
aller 3 & le Roy de Navarre qui fefentoit chargé de fon humeur
bifarre, y confentit aifément. J'en dreflay neantmoins toutes
les dépefches, & nos égUfes n'eftimant pas que telle négocia-
tion fut bien en fa main^ n'y envoyèrent point. N'eft à ou-
blier qu'en ce Synode de Vitré fe trouvèrent deux Pafteurs
des Eglifes du Pays-bas , qui au nom d'icelles s'unirent à la
confeffion de Foy & Police Ecclefiaftique de nos Eglifes ,
Prefident en iceluy M. Merhn.
En ce temps je fus envoyé du Roy de Navarre vers le Roy Ibid. p. lîx,
Henry III. pour luy déclarer ce que le Roy Philippe avoit
voulu traiter avec lui par l'entremife du Vicomte de Chaux,
^ d'un d'Undianofonbeau-fi'cre^fçavoir de luy fournir trois
5pï l^IECES CONCERNAKT L'HISTOIRE
cens mille ecus comptant , & cent mille par mois pour faire
la guerre au Roy, fans s'enquérir de la Religion. Les parti-
cularités en f?roient trop longues icy,& feront déclarées à
Monfieur de Thou quand il luy plaira. La négociation avoit
commencé dez l'an pafle. Je luy menay tout enfemble un
Capitaine , Beauregard Dauphinois , que Monfieur de Savoye
avoit employé en diverfes recjnnoilTances , qui declaroit
entr'autres une entreprife d'Efpiart fur Arles , & une autre
fur Briançon 5 luy donnay auflfi avis que ceux de Guife
eftoient alTeurez d'Orléans j & d'une Lettre trouvée dans la
pofche du Viceroy de Valence , par un lien valet de cham-
bre François, à luy efcrite par un Secrétaire d'Etat d'Efpagne ,
qui portoit : <r Aujourd'huy a été refoluë la guerre contre la
a» France. Le Roy me dit qu'il avoit eu divers foupçons ,
mais que j'eftois le premier qui luy avoit donné lumière. Pour-
veut à Arles où les engins d'Efpiart furent pris & luy tué , &
ailleurs où il pût 5 fit defpeches partout, qu'il me commanda
de concerter avec Monfieur de Villeroy , & manda Monfieur
pour luy en communiquer, qui coucha deux nuits avec luy.
Il me commanda de dire le tout à la Reyne : je m'en ex-
cufay , n'ayant cette charge , mais il m'y mena , & luy conta
le tout en ma prefence Cen'efloit pas pour en tirer le fruit.
Il me fit offrir cent mille livres pour ce fervice par l'Abbé Del-
bene , que je refufay. Mais je luy demanday cent mille écus
pour le Roy mon maître , qu'il m'accorda. Les negotiat,eur3
du Roy d'Efpagne fur les difïicultés que je leur faifois trai-
tant avec eux , me dirent en partant , ^ He bien vous refu-
» fez ce party, nos marchands fpnt prefts,» entendant ceux
de Guife.
Xbid. p. 184. ïl ^^ ^^^ ^^^ fervice de Monfieur Pierre Loifeleur dit de
Villiers , fon Miniflre , auquel il fe confioit de fes plus fe-
cretes affaires. Le matin Madame fa femme luy avoit dit com-
me il apportoit certaines defpefches , qu'il avoit mauvaife
mine^ & luy repondit que c'eftoit parce qu'on neTexpediciC
pas affez toft.
ibid. Liv. Cette affemblée fut tenue fur l'automne après Tentreveuë
Lxxx. p. 1^8. de Monfieur d'Epernon , & en icelle fufmes députez Mon-
fieur de Laval & moy vers le Roy Henry III. pour luy pre-j
fenter les plaintes de ceux de la Religion , & le requérir ;
attendu
DE J. A. D E THO U. 5^5 l
attendu la continuation des animofités , de la prolongation !
des places de feureté ; laquelle nous fut premièrement refu* ']
fée , puis accordée pour deux ans, fur ce qu'un foir étant al- <
lé voir Monfieur de Bellievre je luy fis allez clairement en- i
tendre les difficultés qui fe rencontreroient en cette exécu-
tion. Prenant congé de Monfieur le Cardinal de Bourbon ; j
il me demanda ce que nous avions obtenu , & en demeura
étonné , parce qu'ils avoient refolu de prendre leur prétexte \
fur le refus des places , & voyoit que par là il leur manquoir. i
Monfieur de Villeroy qui s'abftenoit des affaires , retiré en fa ■
maifon de Paris pour une fièvre quarte, me dit fort bien que
s'il euft été en famé , nous ne les eulîlons pas obtenues. Cet- \
te affemblée de Montauban fut fort célèbre , où efloient avec i
îe Roy de Navarre , Monfeigneur le Prince de Condé , & les
plus notables Gentilhommes & Capitaines de toutes les Pro- :
vinces. A mon retour près du Roy de Navarre je fus ouï !
d'eux à Sainte Foy fur Dordogne , où je les affuray qu'ils •
auroient la guerre au Primemps. Mais à peine aucun m'en \
voulut croire. Le Roy de Navarre qui avoir cent mille ecus , i
au lieu de les garder pour une neceffité , les employa pour \
la Ferté au Vidamc , dont il fe repentit bien après. ^
Cette difpute de Monfieur du Ferrier avec Monfieur de Ibîd.p. 19^ 1
Roquelaure à Nerac fut un conte à plaifir. L'entreveuë du
Roy de Navarre avec Monfieur d'Epernon fe fit à Pamiers , !
non à Nerac là où j'eflois. Monfieur du Ferrier ne fut point '
appelle à ce Confeil , ny la chofe mife en délibération. Et \
quant au difcours à moy attribué, il eft par devers moy tout ■
autre ; & fut fait en l'an 1^82 lorfque Monfieur de Segur vou- i
lait mener le Roy de Navarre en Cour, auquel je mis par ' '
efcrit fommairement les raifons & inconveniens de part ôc
d'autre. Pour Monfieur du Ferrier , luy revenant d'Italie , ôc
moy allant en pofte en Gafcogne , je le rencontray à Arte- '
nay , où après avoir renouvelle l'ancienne amitié , louant Dieu
de le voir en tel âge fe porter fi bien , il luy efchut de me dire
qu'il avoit foixante-feize ans : fur quoy je pris occafion de luy ]
dire s'il n'efloit point temps de penfer à Dieu & à fa confcien- ]
ce , luy ramentevant les propos qu'il m'avoit autrefois tenus à ^ j
Venife , & ne nous departifmf^s point qu'il ne m'euft promis de ]
faire profeffion de la Religion. Une affignation de quatorze i
Tome XK Ddd 1
-5P4 HECES CONCERNANT L'HISTOIRE
mille écLis qu'il efperoit de la Cour , le faifoit dilayer. Mais
j'efcrivis à un de mes amis en Cour pour le tenir de près , &
arrivé que je fias près du Roy de Navarre , luy perfuaday de
luy donner fes Sceaux , qu'il accepta , & le vint trouver. Là
il fit déclaration publique de fa Religion en l'Eglife reformée ;
mais s'il m'eut cru, comme il appert par plufieurs Lettres, c'eufl
été par fa propre bouche , & avec un écrit adreflfé à la
chreftienté , par lequel on euft reconnu par quelles caufes il
eufl été meu à fe départir de l'Eglife Romaine. Monfieur de
Montagne me difoit fouvent , que nous leur avions gagné une
bataille , par avoir retiré ce perfonnage j honorant la vertu
qu'ils avoient méprifée.
Remarque tirée de la vie de David Parey j écrite par Philippe forp
fils 3 <ù" qui ejî à la tête des Oeuvres de David Parey , impri^
mées en i(52 8. fol. Traduite du Latin.
*Tom. VI ir. T\ Jf Onsieur de Thou dit ^ que Zacharie Urftn de Sile^
Liv. Lxxvi. J^\^ J^ fie prêcha devant les Protejrans affembkz à Mechteren.
Tradudion. ^ C'eft une faute. Urfin n'a jamais été Prédicateur. Il s'agit ici
de Jean Stibellius mon oncle, homme aufil verfé dans le Droit
Civil que dans la Théologie. Le Prince Cafimir l'avoit alors
auprès de lui dans fon armée , où il faifoit les fondions de
Prédicateur.
Remarque d'un Anonyme , fur P ancienneté du Royaume de France. -
Monfieur de Thou ayant avancé clans le premier livre de fon Hiftoire,
pag. I 5. que la A^ï anarchie des François commença fous Childeric ^'
fon fils Clovis , vers l'an 480. un Anonyme a fait la remarque fui-
van te.
Imprimée fur Y E Royaume de France a commencé environ l'an de
le Manufcrit. [ ^ Nôtre Seigneur 43 8. Car le Roy Clodion avoir ja con-
qiii^ audit an laBatavie, Gueldres, Cleves , Juliers , Colo-
gne, Mayence, Trêves, Tongres devers Liège , Namur, le
Hainault, le Tournaifis , le Cambrefis, l'Artois, Tcrouenne
entre Arras & Calais, Amiens, le Bcauvoiiin, Orléans, Soif-
fons , Rheims 5 & généralement tout le pays entre la rivierre
DE J. A. DE THOU. 5^; /
de Loire & la Province de Bavière en Allemagne, (i) Et en
cette conquête ( peu excepte ) fe maintaindrent fes fuccefleurg
le Roy Merovée qui fe trouva à la campagne de Chaalons en
la bataille contre Attila Roy des Huns , & le Roy Childeric ,
lequel , après fon retour de Turinge , eftendit fon Royaume
jufqu'à Angers qui fe rendit à luy. Ce qui foit rema/qué , de
peur que li on efcrit que le Royaume de France n'ait con>
mencé qu'environ l'an 480. les Anglois viennent à foutenir
que le Royaume d'Angleterre foit de quelques années plus
ancien que le Royaume de France : ce qui importe en matière
de préféance,
Obfervations écrites de la propre main de Monfieur Dupuy , qui Je
trouvent à la tête d'un exemplaire de PHiftoire de Jac. Aug, de
Thou , appartenant à Monfieur tAhhé de Thou.
E N A p 1 1. Parce nom M. de Thou entend ceux de in^pj-îméesTuf
__ Cleves, Juliers, Bergh,le pays deGueldres, quoi- le Manufcriu
qu'il ne contienne de ce Duchc ( /. e. de Gueldres ) que la par-
tie qiîi eft au deçà du Rhin, car au refte les Menapiens coinx-
prennent la plus grande partie du Brabant , fitué entre les ri-
vières de la Meufe , du Demer & de l'Efcaut, & la Zelande i
les villes de Sevenberghen & Gertrudenberg qui font de la
Hollande ••, ce qu'il y a du Duché de Cleves , & de l' Archevef-
ché de Cologne au deçà du Rhin ; les villes d'Ordinghen ,
Nus & Suns, & Brugge : Gladbeck , Dalen, Waflemberg &
Hein^berg , qui font du Duché de Juliers.
Triboci. Strasbourg en Allace fuperieure avec la moitié de
l'inférieure.
Vangiones. Ceux de Wormes & de Mayence.
Nemeîes. Ceux de Spire.
Treviri. L'Archevêché de Trêves , qui comprend outre ce--
îa la Bafle Auikafie fituée entre la Mofelle & la rivière de
Nahe, le Duché de Bouillon , & la fouveraineté de Sedan,
le pays aux environs de Mezieres , & la plus grande parde
(i) Marîanus Scotus clron. l. ii. in
Jheodopojuniore A. D. 4^ 8. Otlo Frijtn-
gen/is Chron.L iv. f. jz. Godcfr'uLs Vi-
terbienjis Chron.^urt, \yii.in ^rincifio ;
Abb.^,s Vrfpcrgeiijîs in Chron. an ^67. ^
JEnec.s Sjlvius in Europ&fiattt fub Frede^
rico m. Jmperntere cap. xaxi.
Dddij
5p<? PIECES CONCERNANT L'HISTOIRE
du Duché de Luxembourg avec quelques villes qui dépen-
dent de Cologne.
Tungri. Dans ce pays eft contenue la moitié du Comté de
Namur ; cette partie du Brabant oii font les villes de Tienen ,
liannuy , Landen ôc Halen ; ime partie du Liège j tout le Du-
ché de Limbourg , partie du Duché de Juhers j une petite
partie du Duché de Luxembourg , & encore une partie de l'E-
vefché de Cologne.
Sicambri. M. de Thou les prend pour ceux de Gueldres au
deçà du Rhin 5 mais il eft certain qu'ils ont demeuré au delà ,
6c ont tenu le pays où eft maintenant une grande partie de
la Weftfahe autant qu'elle s'eftend entre la rivière de Lippe
& le pays de Weften. Ils ont encore occupé la moitié du Dur-
ché de Berg , tout le Comté de la Marck , & la partie du Du-
ché de Cleves qui eft au delà du Rhin , mais ils furent exter-
minez de la Germanie par Tibère , qui les transfera dans la
Gaule & en abolit le nom.
Ubii. En ce pays eft compris prefque tout ce qui dépend
de r Archevefché de Cologne , & la plus grande partie du Du-
ché de Juliers.
Eburones. Ce font les mefmes c\\xQTungri.
Atuatici. Ils contiennent aujourd'hui une grande partie du
Brabant , une petite portion de la France , une partie du He-
nault & de Namur.
N.B. M., de Thou les prend pour le Brabant.
Fleumofii. Onnefçauroit dire quel pays c'eft^ d'autant qu'il
y avoit cinq peuples joints enfemble qui n'eftoient pas fort
grands , lefquels furent depuis appeliez Succomi , entre lef-
quels eftoient Pkumojti, Tout ce que l'on peut faire , c'eft de
deviner que c'eft ou Tournay ou quelque autre lieu qui n'eft
pas loing de là 5 mais cela feroit contraire à la narration de M.
de Thou , qui dit que ces Fleumofii parlent la langue Germa-
nique.
N, B. M. de Thou les prend pour la Flandre.
Livonia. Les habitans l'appellent Lieffland. Elle eft divifée
en quatre pardes , Eften , Lotten, Curland & Semigallen. La
première eft occupée par le Roy de Suéde , les autres trois
font fous la domination du Roy de Pologne. L'ifle d'Oefd >
qui eft de la Livonie , appartient m Roy de Dannemarck.
DE J. A. DE T H O U. ^97
Marcomanni. Quoique M. de Thou les prend pour ceux
de Moravie , il eft néanmoins certain que ce font ceux de Bo-
hême qui doivent eftre entendus parce nom.
^^/iS'^/. C'eft proprement la Moravie, contre l'opinion de
M. de Thou qui les prend pour la Silefie.
Sequani. La Franche Comté , la Brefle , & la haute Alface.
Sclabi, Il n'y a aucun auteur ancien qui parle de ces gens
fous ce nom ^ par lequel font entendus ceux de f^erdttn qui a
été autrefois appelle la cité de Cloux, d'où eft venu le mot de
Clabi par le changement fi fréquent de l'^en B , & par fuite de
temps la lettre *S a été adjouûée , comme il arrive aiïez fouvent
aux noms propres des lieux.
LeucL Tout. Ils contenoient encore Nancy , & une partie d-e
la Lorraine.
Mediomatrices. Metz. Ils contiennent la plus grande partie
ide la Lorraine;
LAujîrafie. Le Palatinat au deçà du Rhin , & la bafle Al-
face.
Segîiftam. Le pays de Foreft & le Lionnoi-s.
Viheri. C'eft une partie du pays de Vallay,
Veragri. Une autre partie du pays de Vallay.
'Allobroges. La Savoie ôc le Dauphiné font compris fous ce
nom. M. de Thou les confond bien fouvent.
Arelatenfe regnum. Le Royaume d'Arles , ou de Provence,
Pannonia-. Ces pays contiennent la Carniole j la Croatie, la
Carinthie,la Stirie, & la plus grande partie de l'Auftriche^
îa Bofnie , la Sclavonie , & tout ce quil y a de la Hongrie entre
le Danube & le Save. Il eft feparé de fancienne Germanie par
les montagnes, qui fe nomment aujourdhni Pleyfz , Hengft-
berg, Demlberg, Heisberg , Schnegberg, & Kalenberg.
Alpes Lepontia. Ce font des montagnes qui font une partie
de celles des Grifons. — Rhetic^. Les Alpes des Grifons.
— Vindeliciie. Les Alpes du TiroL qui feparent le Tirol d'a-
vec le Duché de Bavière. — JuliiS. Les Alpes des Vénitiens'^
ou les Alpes de Frioul. — Carnica, Les Alpes de Carniok,
' — Coîtice,
Dacia. Elle contient toute la Tranfilvanie , une partie de la
Hongrie , de la Valachie , 6c prefque toute la Moldavie.
D d d ii j
3 5? 8 PIECES CONCERNANT L'HISTOIRE
Extrait d'un endroit du Livre de G a/par Scioppius 3 intitulé Scûi-
ger Hypobolimaeus , imprimé à May ence en lôoj. in-4^. (i)
* Depuis la C Cioppius fe pi'opofe dcLix points dans cet endroit de
^age 3 2-6. juf- J^ fon livre. ^ Le premier eft de faire voir quelle doit être la
qualap. 33;. ^Q^^çjyite des Catholiques envers les Sedaires ; & le fécond
de prouver qu'il eft permis , utile , & même nécefTaire de févir
contre eux. Il en prend occafion d'attaquer de Thou qui veut
qu'on les ramené au fein de l'unité par les voies de la dou-
ceur , & qui ne peut voir couler leur fang pour caufe d'erreur,
fans blâmer une féverité, qui félon lui, iiefert qu'à aigrir les
efprits.
La critique de Scioppius eft amere , pleine de fiel ôc d'em«
. portement. Les termes les plus durs n'y font point épargnez ;
& l'ironie la plus offenfante , eft ce qu'il y a de moins groflier
dans cet ouvrage.
Il entre en matière par un paOage du treizième chapitre des
Ades des Apôtres. A/ors Paul rempli du Saint-Efprit , & regar^
Barjefu ou dant fixement ce Magicien '^ 3 lui dit : 0 malheureux plein de toute
fourberie & de méchanceté y enfant du diable , ennemi de toute jufti--
ce ,jufquà quand pervertiras-tu les voies du Seigneur?
Le Cenfeur conclut de cqs paroles de f Apôtre , que nous
-devons maudire les hérétiques., & ne pas imiter certaines
gens , qui éblouis de la pourpre , dont ils font revêtus , & en-
nivrez de leur fortune, ofent faire l'éloge des Proteftans, & les
loiier plus que les Catholiques , pour je ne fçai quel mérite de
petite littérature. Dire avec eux que les partifans de Luther
les plus zelez , ont trouvé dans la mort un repos dont ils n'ont
pu jouir dans cette vie mortelle , d'où ils font paiîez à une
meilleure ? Eft-ce là, demande- t-il , le langage de T Apôtre des
Nations , qui donne aux hérétiques le nom d'ennemis de toute
juftice & d'enfansdu diable / J'avouë,continue Scioppius^ qu'il
faut donner quelque chofe à la charité clirérienne. Mais le nou-
vel Hiftorien de Thou eft-il le feul qui connoiffe les devoirs de
ia charité / Eft-il embrafé d'un feu plus ardent que S. Paul , qui
(i) UncTradiiâion entière des Criti-
ques de Scioppius eut été aufll pcuutilc,
qu'elle auroit été ennuyante. On a cru
«ju'ii fuffifoic.d'cn donner des extraits, &
l'on a taché de faire connoître l'efprit de
TAuteur, en y réfumant i4Vec exaClitudc
Tes fcntimcns fînguiiers.
DE J. A. DE THOU. 5<pp i
fe feroît facrifîé pour fes frères , & qui cependant avertit Tite |
& Timothée d'éviter les hérétiques? Sa charité eft-elle plus vi- '
ve que celle de Saint Jean, qui défend de faluer les héréti- '
ques ? Si cjuclqu^un , dit cet Apôtre , vom apporte une autre do^tri- ]
ne que celle que je vous enfeigne , ne le recevez point dans votre - !
maifon i & ne le faluezpas.
Scioppius s'appuie aulll de l'autorité des pères , comme de i
Tertulien , de Saint Cyprien , & fur-tout de Saint Antoine , qui
au rapport de Saint Athanafe ^ dans la vie de ce faint folitaire , i
laiila comme une efpece d'héritage à fes difciplesja haine qu'il ; \
avoit pour les hérétiques. Lucifer Evêque de Sardaigne , ajou-
te notre Cenfeur , écrivant à Confiance , dit hardiment à cet i
Empereur, qu'il le regarde comme un Gentil, un Juif, un
adorateur des démons avec tous fes Ariens. Saint Ambroife
dit qu'il a moins d'horreur pour les Juifs , qui ont crucifié ]
Jefus-Chrift j que pour les hérétiques. Saint Chrifoftome dans ;
Sa, troiliéme homélie fur Saint Matthieu ne doute point que ■^^^- 5- ^^ fi^" i
les hérétiques ne foient poiledez du démon j & qu'ils ne ''^* \
ibient plus abominables que les Gentils. Ce Père raiionnoit •
même ainli. Vous ejles Arrien , donc vous efies un diable. Sciop-
pius triomphe , après avoir rapporté tous ces paiîages. Peut- i
on fe faire gloire, dit-il avec un air infultant& ironique, d'à- -,
voir donné des noms honorables à des hommes à qui les \
Saints Pères ont prodigué des titres fi glorieux ? Qu'on ofe i
accufer ces lumières de l'Eghfe de zèle déplacé , d'ambition ! j
Il ajoute qu'il veut être traité comme un hérétique ^ & qu'on j
l'évite comme im oifeau de mauvais augure, s'il ne vient à ' \
bout de convaincre de Thou d'avoir employé hardiment la
fraude & l'artifice en faveur des hérétiques. Il lui reproche i
enfuite beaucoup de fuffifance , & de fe croire plus habile
que les Pères, dans la conduite qu'il faut tenir envers les i
Novateurs 5 ce qui n'étoit^ dit-il, venu dans l'efprit qu'à trois i
ou quatres laïcs avant lui. !
De Thou bien éloigné de fuivre de fi grands exemples , ne fe I
borne pas, continuë-t-il, à prodiguer fes louanges aux héréti- j
ques 5 il fe plaît à les accueiUir , fa maifon leur eft ouverte jils y \
trouvent-auiazyle fur ; il foUicite pour eux des emplois honora- I
blés. C'eft à fes foins & à fa recommandation que la garde d"u- - î
ne des premières bibliothèques du monde a été confiée àun de !
,4oo PIECES CONCERNANT L'HISTOIRE
-ces hommes dangereux, (i) Eft-ce donc là agir par un efprit de
modération / L'amour de la paix enfeigne-t-il qu'il faille verfer
de l'huile dans le feu le plus ardent pour l'éteindre ?
Ce protedeur des hérétiques , ( c'eft toujours Scioppius qui
parle ) appelle l'héréfie un différend de religion , religionis dif'
fidiîtm. Il prétend qu'on ne peut le terminer par les moyens,
dont on s'eft iervi jufqu'à prefent, tels que l'exil, le fer, &
le feu, qui ne font qu'irriter les efprits, au lieu de les rame-
ner: Qu'il faut fubftituer à ces expédiens des remèdes plus
doux , comme Tinftrudion , les lumières de la fcience , les
conférences & les entretiens fans aigreur. Le Cenfeur dit qu'il
a fait voir aiTez clairement par les paflages qu'il a citez, com-
bien CQS fentimens font oppofez à l'Ecriture & aux Pères.
Il cite après cela l'endroit de l'Hiftoire , ou le Préfident
de Thou blâmant la conduite de l'Empereur Maxime à l'é-
gard de Prifcillien, dit qu'il le fit mourir avec fes parti-
fans , à la foUicitation de l'Evêque Itacius , malgré les re-
montrances de Saint Martin. A ce récit, Scioppius avoue
qu'il ne peut fe contenir. Il a recours à l'exclamation. Il s'é-
tonne comment le papier ne s'eft pas fouftrait de lui-même
à la plume de l'Auteur, lorfqu'eUe écrivoit des faufïetez auffi
groifieres. Pourquoi , dit-il , fi cet Hiftorien n'a pu trouver
des exemples d'hérétiques j punis pour caufe d'héréfie dans
toute l'antiquité , n'a-t-il pas eu recours à Calvin & à Beze
fes amis ? Que ne leur demandoit-il pour quelle raifon ils
ont fait mourir Michel Servet, & Valentin Gentiiis ? Qui l'em-
pêchoit de lire leurs écrits ? Il y auroit appris qu on peut ver-
fer le fang des hérétiques. Enfuite pour infulter à de Thou , il
cite un endroit du livre intitulé , Colloquia convivialia , de Lu-
ther , où cet héréfiarque parlant du devoir d'un JurifconfulteV
lui défend en termes pleins de mépris (2) de fe mêler des cho-
ies divines. Scioppius ajoute, que fi de Thou s'excufe fur ce
qu'il n'a pas lu les livres de fes amis, il ne peut du moins
en qualité de Jurifconfulte ignorer les loix pénales du Code,
au titre des hérétiques , Scelles qui ont été faites par lesEni-
(ij Scioppius dé/îcne en cet enJroit
Ifaac Cafaubon , qu'Henry IV. à la rc-
-Cpmmandation de de Thou, avoit fiùt
j:fon Bibliothécaire.
{i)-Otnnii yurijîa efi aut nequifia aut
ignorijla , qui in divinis rébus minus fa-
pit quam occifa fus. Luth. coUoq. con-
viv. Francof.ij6^. pag. 40^.
jpereurs
DE J. A. DE THOU. 4or
pereurs Valentinien & Marcien , qui portent que ceux qui
écoutent les héréfiarques , payeront une amende de dix livres
d'or, & que ceux qui enfeignent l'erreur, feront punis du
dernier fupplice , ultimo fupplicio coerceantur. Ce font les pa-
rôles de la loi.
Enfuite pour développer davantage les fentimens des Pères
fur ce fujet , Scioppius rapporte que Macaire Gouverneur d'A-
frique ayant excité les plaintes des Donatiftes par le fupplice
<ie quelques-uns de ces hérétiques. Optât que Saint Auguftin,
dans fon premier livre contre Parmenien , appelle un Evêque
Catholique , digne d'être mis en parallèle avec Saint Ambroi-
fe. Optât que Saint Fulgence regarde comme un Saint & com-
me un homme aufTi habile dans l'interprétation de l'Ecriture ,
que les Ambroifes , & les Auguftins , ce même Optât juftifie
la conduite du Gouverneur d'Afrique dans fon livre m. à Par-
menien où il dit, en s' adreflànt aux Donatiftes, que s'ils condam-
nent Macaire, il faut qu'ils condamnent aufll Moyfe, qui fit égor-
ger trois mille hommes en defcendant du Mont Sinaï 5 qu'ils
blâment le zèle de Phinées , qui a mérité les éloges du Saint
Efprit, & l'adion d'Elie qui fit maftacrer quatre cens cinquan-
te perfonnes. Ilfortifie ce raifonnement d'Optat par despaf-
fages de Saint Jérôme , de Saint Léon & de Saint Auguftin.
Ce dernier Père dans fon fécond livre des retradations, dans fes
iettres & dans d'autres ouvrages , dit qu'il eft utile que les
Princes repriment & corrigent les Donatiftes : Qu'une rigueur
falutaire en a déjà ramené un grand nombre , qui ont fince-
rement abjuré leurs erreurs : Qu'il avoir d'abord été d'avis
qu'il ne falloit point forcer les hérétiques à rentrer dans le
chemin de la vérité , mais qu'une heureufe expérience lui
avoir fait changer de fentiment : Que fi l'on demande pour
quel crime on punit de mort les hérétiques, il eft aifé de répon-
dre qu'ils tuent les âmes , & donnent la mort éternelle î
qu'ainfi ils n'ont pas droit de fe plaindre qu'on leur en faffe
fouffrir une temporelle : Que la crainte & la douleur avoit
rendu plufieurs Donatiftes dociles aux inftruftions , & qu'ils
s'étoient enfuite accoutumez à la pratique de ce qu'on leur
enfeignoit.
Ciceron fournit auffi des armes à Scioppius , qui cite cet
endroit de la huitième Philippique contre Fufius Calenus , ou
Tome XV. E e e
40^ PIECES CONCERNANT L'HISTOIRE
K cet Orateur dit', qu'il faut retrancher du corps de la Républî
que les membres gangrenez, quidquid eji peftiferum ampmetur.
Enfin notre Cenfeur ramaffe toutes fes forces pour porter
îe dernier coup à fon adverfaire : voici fon raifonnement. Il
paroît par-tout ce que nous venons de dire , que Saint Au-
guftin approuve que les Héréfiarques foient punis de mort,
& que l'on force leurs partifans à rentrer dans le chemin de
la vérité 5 or Saint Auguftin , fuivant de Thou , étoit un Evê-
que pieux , & d'un naturel porté à la douceur , donc quel-
ques Evêques pieux & d'un naturel porté à la douceur ont
approuvé ce qui eft condamné par de Thou.
Après ce grand effort il revient , comme il l'a promis , à
convaincre de faux l'Hiflorien , dont il s'agit. Il foutient que
l'exemple de Saint Ambroife & de Saint Martin qui fe font
féparez de la communion de ceux qui avoient accufé les hé-
rétiques , ne conclut rien en faveur de ces derniers , parce
que Saint Martin , par exemple , qui ne voulut pas commu-
niquer avec l'Evêque Itacius , ne tint cette conduite à fon
égard , & n'intercéda auprès de l'Empereur pour Prifcillien ,
& fes fedateurs , au rapport de Sulpice Severe , que parce
que ce Saint Evêque ne vouloir pas fouffrir que l'Empereur
fut juge dans une affaire ecclefiaflique , & qu'un Evcque fe
portât pour accufateur dans un cas de mort , & non , comme
le dit de Thou , parce qu'il croyoit qu'il n'étoit pas permis
de faire mourir les hérétiques.
Telles font les autoritez, & les raifons qu'employé Sciop-
pius pour prouver qu'il faut fe féparer des hétérodoxes , &
employer la force pour les convertir , ou les empêcher de fé-
duire les fidèles. Il conclut , en fe flatant que les amis & les
partifans même du Prefident de Thou , ne lui f<çauront pas mau-
vais gré d'avoir découvert les faufletez de fon Hiftoire, &
de les avoir combattues.
Monfieur de Thou méprifa en homme fage une cenfure
fi injufle & fi peu méfurée. Un adverfaire tel que Scioppius
univerfellement décrié parmi les fçavans , étoit indigne de fon
attention. Il connoiffoit fa malignité , & que la jaloufie feule
lui dictoit tant de calomnies & de grofTieretez qu'il répandok
fur \qs gens de lettres les plus eftimables , & qui lui méri-
tèrent enfin le nom de Chien Grammairien. L'on a déjà vu
D E J. A. DE THOU. 405
<3ans quelques lettres que l'on a rapportées cy-devant , ce que
Monfieur de Thou penloit fur fon fujct. En voici encore quel- pag. i^3ci<5'4.
ques-unes du même ftile , où ce fâcheux Critique n eft pas "-"^ ^^^*
mieux traité.
Extrait d'une Lettre de Jac. Aug. de Thou 3 à Jofeph Scaliger.
LE S mérites que vous vous eftes acquis fur le public vous Tiré aes Epif.
ont desjafufcité beaucoup d'envieux & obtre dateurs : [^^^ Franfoifeg
c'eftl'exercice continuel de la vertu & de l'excellent fçavoiren ^^j)^ v! s%;
cefte vie , & principalement en ce fiecle plein de monftres , ■
ôc ne faut douter que ce grand chef d' œuvre (i) ne vous
en fufcite de nouveaux. Il y a un maraud de pédant à Rome
que l'on did eftre gagé pour abboyer après tous ceux qui
par leur induftrie & dodrine fervent au public : il le faut laifler
pour ce qu'il vault , & le mefprifer fans vous en travailler ny
vous divertir de vos bonnes & ferieufes eftudes. La polie-
rite vous rendra ce que l'ingratitude de prefent vous envie >
& ce peu qui refte de blanches âmes aujourd'huy , dés cefte
heure prife & honnore tout ce qui vient de vous , fans s'ar-
refter au jappement de ces chiens importuns. A Paris ce <î
Novembre 1606.
Autre extrait d^une Lettre de Jac. Aug. de Thou à Jofeph Scaligeri
MA I s que dirons nous de ce maraut de Schoppius , que i^jj^ p^
Monfîeur Heinfîus a fi bien defcrit fans le nommer l
c'eft aflez & trop pour tel clabaut maftin : il eft indigne de
la cholere des gens de bien , & de la voftre principalement.
Son livre (2) eft fi bien receu icy , bien que foigneufement
imprimé à Mayence , que perfonne n'en achepte , & croy
qu'il mourra dés fa naiflance s'il eft négligé , comme il doibt
eftre. On m'efcrit de Rome qu'il y en a un pareil contre Mon-
fieur de Cafaubon. Idem <& de eo efio judicium. Tels vilains:
voudroyent occuper les bons & ferieux efprits à refpondre
à leurs fales conviées , & les irriter , voire defpiter contre
le public. Le vray moyen de fe venger d'eux genereufe-
ment eft de ne faire pas ce qu'ils défirent. Monfieur Ca«
fi) Son Edition d'Eufeb'd Thefaurus Temporum,
fx) Le Scaliger Hypobolim^us,
E e e 1)
p. ji»^
404 PIECES CONCERNANT L'HISTOIRE
faubon a pris cefte refolution par le confeil de fes amis. Vous
devez faire le mefme , & ne penfer pas qu'un fi deteftable
livre ait jamais veu la lumière. A Paris le 20 Mars lôo-j.
iChap, cTiii.
Extraits de quelques Chapitres , oh Scioppius attaque le Prejidenf
de Thou j tirez du Livre intitulé Ecclefiafticus audoritati fere-
nifllmi D. Jacobi Magnae Britannise Régis oppofitus , impri'^
mè à Hartberg {i)en 161 1. in-quarto,
^ C I o p p I u s ne fe contenta pas de s'être déchaîné contre
1^ le Prefîdent de Thou dans fon Scaliger Hypobolimaus ,
il le fit encore dans fon Livre contre P autorité du Roi Jacques.
Sa critique commence au 108. chapitre , & finit au 116. Il y
adrefîe la parole aux Princes de la maifon d'Autriche j & il
leur donne fouvent des éloges, qui font quelquefois fuivis
de traits amers contr'eux.
Quoique le Saint-Efprit nous apprenne , dit Scioppius , que
les héréfiarques , qui réfiftent en face au Prêtre ne fe con-
vertiffent point j qu'ainfi il faut les punir de mort, parce que
la crainte d'un pareil traitement retire leurs partifans de la
létargie , où l'erreur les a plongez ; cependant de Thou ,. ce
Prefident du Parlement de Paris , quelque claire que foit la
manière dont l'écriture s'explique fur ce fujet, fait un crime
dans la préface de fon Hiftoire à l'Eglife Romaine , & aux
Efpagnols , de ce qu'ils verfent le fang des hérétiques , & de
ce qu^ils regardent cette conduite , comme un puiffant moyen
pour ramener les fedaires. De Thou, ajoute Scioppius , leur
donne pour motifs un zèle indifcret, ôc déplacé, l'ambition;
& l'amour des nouveautez.
Le Cenfeur ajoute que , quoiqu'il ait déjà convaincu de
Thou de fauffeté , & de fourberie dans fon Scaliger Hipobo-
limaus , il réparoît néanmoins encore fur les rangs contre cet
Hiftorien, qui fous des dehors de Catholicité s'efforce de
féduire fes compatriotes , tantôt en profcrivant des livres pu^
(ij Hartberg eft une petite ville de
"Wetfphalie , où Ton a remarque qu'il n'y
avoir pas alors d'Imprimerie -, ainiî il y
a tout lieu de croire que c'cft un nom
fuppofé. Scioppius prévoyant que fon
cuyrage rempli 4'invei>ives contre des
Puiflances refpeftables feroit attaqué,'
voulut du moins le mettre à couvert , en
cachant le lieu , où rimprcffion en avoir
été faite. L'on trouvera à la fin de cet
Extrait l'Arreft du Parlement de Paris
qui en ordonna la fuppreffiQii.
D E J. A. D E T H O U, ~^o^ ]
Tblicz contre les hérétiques , tantôt en déchirant par des ca- i
lomnies odieufes la Compagnie de Jefus, qui s'eft fignalée ;
par une fainte vigueur à la défenfe de l'Eglife. Scioppius appel-
le cette Société pratoria Cohors caftrorum Dei , c'eft-à-dire la
Cohorte prétorienne de Dieu , ou le régiment des Gardes de j
Jedis-Chrift. Enfuite adrefïant la parole aux Princes de la mai- :;
fon d'Autriche , il leur dit , que l'autorité du Prefident de Thou {
regardé comme catholique , & comme Prefident au Parlement I
de Paris , avoit rendu leurs fujets hérétiques d'Allemagne aflez '
hardis, pour leur prefenter des requeftes, afin d'obtenir lali- :
berté de confcience : que ces rebelles appuïez des raifons fpe- j
cieufes de cet Hiftorien, avoient pris les armes pour extorquer i
d'eux cette funefte liberté , & , ce qui ctoit de plus horrible , . \
qu'ils avoient appris dans fon livre à regarder leurs Souverains \
comme des tirans , & des opprelfeurs. \
Après avoir rapporté l'endroit , où le Prefident de Thou ^ i
dit dans fon Hiftoire , qu'il faut traiter les hérétiques avec j
douceur , Scioppius cite une foule de paflages de l'écriture ;
pour accabler fon adverfaire j il fufïit de rapporter le plus fort , !
& le plus favorable au Cenfeur : il eft du Prophète Zacharie : zach. c. miir. i
S'il s élevé quelque faux Prophète , fon propre père & fa propre ■
mère le feront mourir, Scioppius expHque ainfi ce pallage. Si i
quelqu'un interprète l'Ecriture dans un mauvais fens , il eft \
digne de mort. Après cela il demande auquel des deux on
doit plutôt s'en rapporter ; & fi le fentiment du Prefident
de Thou doit être préféré à la décifion de l'elprit de Dieu.
Il cite au.iïi Seneque le Philofophe , qui dans fon traité de la !
Colère dit , chapitre 1 5 . qu'il faut ôter de ce monde les hom-
mes incorrigibles , corrigi nequcunt , tollantur è cœtu morîalium. \
Scioppius à l'endroit, oii de Thou affure que Saint Au- \
guftin n'a jamais approuvé qu'on ufât de violence envers les i
hérétiques , s'élève contre notre Hiftorien. Pour prouver que \
ce Père , quoique d'un naturel fort humain , étoit d'avis qu'il ■
falloit punir de mort les fedaires , il cite la quarante-huitième |
lettre de ce fçavant Evêque à Vincent. Saint Auguftin y dit :.
qu'il avoit penfé d'abord qu'il ne falloit contraindre perfon-
ne à fe réunir à l'Eglife , qu'il falloit au contraite éclaircir les \
doutes par la difpute , & n'employer que la raifon contre rer-
ieur, pour ne point avoir dans le fein de PEglife des hom- i
Eeeiij \
4o5 PIECES CONCERNANT L'HISTOIRE
mes , qui feigniffent d'être Catholiques. Mais ce Père ajou-
te qu'il a reconnu par l'exemple de la ville d'Hippone , que
la crainte des loix Impériales avoit arraché plufîeurs Dona-
tiftes à l'erreur; & qu'ainfi on pouvoit févir contre les hé-
rétiques , fuivant ce paflage de l'Ecriture : Donnez occafion au
fage y & fa fageffe ^augmentera.
Le Cenfeur après cela ne peut aflez s'étonner de quel front
le Prefident de Thou ofe paroître au Parlement , & fe mê-
ler parmi des collègues vertueux , & pleins d'érudition ; tandis
qu'en Allemagne les plus vils artifans éviteroient la com-
pagnie d'un homme de leur profellion, qui feroit convaincu
d'un menfonge aulTi groiïier, que celui dans lequel il pré-
tend qu'il vient de furprendre notre Hiftorien ; & que cet
artifan feroit obligé de fermer fa boutique par ordre de fa
Communauté. Il lailfe à juger aux membres du Parlement ,
s'il efl permis aux Prefidens des Cours Souveraines de Fran-
ce de mentir fi impudemment , de rendre l'Eglife Romaine
odieufe^ & d'exciter à la révolte les fujets de l'Empereur,
du Roi Catholique, & des Princes d'Autriche. Il fe flate qu'ils
ne défaprouveront point le zèle qu'il fait paroître pour dé-
fendre l'honneur de l'Eglife , & pour le fervice de fes au-
guftes protedeurs , en démafquant la fourberie , ôc l'impofture
du Prefident de Thou.
Chap. cix. Ce chapitre ell encore rempli d'exemples tirez de l'Ecriture
Sainte , pour prouver qu'il faut employer le fer & le feu contre
les hérétiques. Ainfi Moïfe , dit Scioppius , fit égorger autrefois
vingt-trois mille Ifraëlites , & le Prophète Elie fit périr par le
glaive, fuivant l'expreffion de l'Ecriture, huit cens cinquante
Prêtres & Prophètes de Baal. David , ajoute le Cenfeur j ce Roi
dont la douceur étoit fi grande , qu'il eut toujours en horreur
de verfer le fang de fes fujets rebelles , faifoit néanmoins mou-
rir les pécheurs qui engageoient les autres à pécher , com-
me il le dit dans le centième Pfeaume.
Après avoir jugé le Prefident de Thou par l'Ecriture, Sciop-
pius le cite au tribunal du fens commun. Il dit que la rai-
fon feule devroit lui enfeigner , qu'il faut haïr les hérétiques ,
parce que plus on efl: religieux , plus on conc^oit de haine
contre l'impie qui efl: oppofé à la Religion que nous pro-
fcffons , & que nou5 croyons vraie. Il ajoute que la nature
DE J. A. DE T HOU. 407 j
nous porte à aimer ceux qui s'accordent avec nous par la ï
conformité de volonté, de penchant, de genre de vie, & ;
fur tout de Religion , tandis qu'elle nous infpire de la haine
ou du moins de l'indifférence pour ceux qui veulent le con-
traire de ce que nous voulons , ôc qui ne veulent pas même ;
avoir de commun avec nous la moindre des chofes , que '
nous fouhaiterions avec plus d'ardeur. Ces fentimens font en- ;
cote fondez, continue Scioppius, fur l'idée que nous avons !
que tout profpere aux vrais adorateurs de la Divinité , tandis '
que rien ne réulîit aux hérétiques , & à ceux qui font en com- ;
merce avec ces obfervateurs d'un culte réprouvé , comme j
il l'a , dit-il , fait voir dans fon ouvrage intitulé Confultaîio de \
Germania Jîatu. \
En effet , dit Scioppius , fi j'allois à Paris , & que les enfans 1
de l'Hiftorien de Thou, n'ignorant pas que je l'ai accufé de '
menfonge,& d'impofture, me fiffent un accueil favorable, !
n'en feroit-il pas irrité contr'eux ? Qu'elle doit donc être la |
colère de Dieu, à la vue du traitement que de Thou veut \
qu'on fade aux hérétiques ennemis de Dieu , ôc qui ofent ■
porter le blafpheme jufqu'à l'accufer de menfonge ? Car il a * \
fait une alliance éternelle avec fon Eglife , fuivant ces paroles ^
d'Ofée : Je vous rendrai mon Epoufe pour jamais. Il lui a juré ofée da^, xi \
que l'Efprit divin feroit toujours avec elle , & que fa foi ne ^' '^' !
ne feroit jamais altérée. Or les hérétiques , continue Sciop- ;
plus , affurent que l'Eglife eft une proftituée , une adultère > \
que fes pafreurs ont été privez de i'efprit de Dieu , & de j
l'intelligence de la parole divine depuis les Apôtres jufqu'à j
Luther, qui a eu l'audace impie de dire des Pères du con- |
cile de Nicée , qu'il n'y avoit pas un feul de cette affemblée I
qui eût flairé la moindre odeur du Saint-Efprit , qui vel mi- '
nimum de Spiritu San5îo olfecerit. Scioppius ajoute ce raifon-
nement : il eft indubitable , dit-il , que Jefus-Chrift nous st
diftribué la parole de Dieuj donc celui qui croit en Jefus^
Chrift figne, & met, pour ainfi dire, fon cachet qu'il croit |
Dieu veridique 5 donc au contraire celui qui n'ajoute pas foi
à Jefus-Chrift figne que Dieu eft menteur , & qu'il ne rem- ,
plit pas fes promeffes. Or Dieu a promis à fes Apôtres & par j
confequent aux Evêques , d'être avec eux , & de parler par '
îeur bouche , comme on peut le voir dans l'Evangile , d'oi\ '
40 9 PIECES CONCERNANT L'HISTOIRE
il conclut , que celui qui ajoute foi aux Apôtres , & aux Eve-
ques leurs fuccefleurs , reconnoit que Dieu eft veridique , ôc
qu'au contraire celui qui ne les croit pas , regarde Dieu com-
me un menteur. Le cenfeur en conclut encore que la co-
lère de Dieu allumée fur nos têtes confondra le jufte & l'impie
dans ceux qui communiquent avec fes plus cruels ennemis ,
Euch, chat, fuivant ces menaces du Prophète Ezechiel : Je m en vais tirer
?Éxi. V, 3. mon épèe hors du four eau , &je tuerai dans vous le jufte & P impie.
Mais quels feront , demande Scioppius , les fentimens de Dieu
en voyant Çqs enfans en bonne intelligence avec les blafphe-
mateurs de fon nom ?
Enfuite il met Henri le Grand , fans cependant nommée
ce Prince , en parallèle avec Jofaphat Roi de Juda. Ce Roi
détruifit , dit-il , les bois confacrez aux Idoles , & envoya des
Prêtres , & des Lévites dans toutes les villes de Juda pour
inftruire le peuple des devoirs de la loi. 'Un autre Prince a
profcrit Phéréfie de Luther, & de Calvin dans fon Royau-
me j il a bâti des Eglifes, des Monafteres, & des Collèges
pour les Jefuites > mais il fait alliance avec un Roi hérétique.
Cette alliance a allumé la colère de Dieu fur lui , comme
1. Tarai, ck leProphete l'annonce à Jofaphat : Fous donnez dufecours à rim^
Kîx, pie j (^ yous faites alliance avec ceux qui haiffent le Seigneur :
vous méritiez que Dieu vous fît reffentir les effets de fa colère ;
mais il a trouvé de bonnes œuvres en vous, Scioppius applique
ce paiTage à Henri le Grand, & l'explique de cette maniè-
re : Vous êtes bon catholique , vous croyez les bonnes œuvres
neceflaires au falut , & que la foi feule ne fufïit pas 5 voilà
ce qui a détourné le bras de Dieu de deffus votre tête. Après
avoir dit que Jofaphat ne fe rendit point aux avis du Pro-
phète 5 que ce Roi joignit fa flote à celle d'Ochofias ? que
le Seigneur pour punir la perfeverance de ce Prince dans
l'amitié du Roi d'ifraël , brifa fes vaiffeaux , Scioppius con-
clut , que quoiqu'il eût abandonné l'alliance des Idolâtres , i)
n'a pas été mis au nombre des bons Rois de Juda , fuivant
ce paffage de l'Ecriture. Tous les Rois de Juda ont péché à l'ex'
ception de David , âEzeçhias , & de Jofias , car ils ont aban-
donné la loi du Très-Haut , & ils ont méprifé la crainte du
Seigneur.
Il eft vrai , continue le Cenfeur , que Jofaphat n'a pas aban-î
donné
g.Rf^.V. XXII.
DE J. A; DE THOU. 40^
<3omié la loi de Dieu , mais il n'a pas craint d'attirer fa colère
en faifant alliance avec des hérétiques. Scioppius s'adrefTe
enfuite aux Princes de la maifon d'Autriche j il les loue d'a-
voir en horreur toutes fortes d'alliances avec les fedaires , il
attribue tous les malheurs de la France depuis le règne de
François I. à l'appuy que ce Royaume a donné aux Proteftans
contre les Princes de la maifon d'Autriche. Enfin il fait des vœux
pour que le fang d'Autriche qu'un jeune Roi (i) a reçu de fa
mère, infpire à ce Prince tout le refped de la maifon d'Autriche
pour le faint Siège j qu'il allume dans fon fein un zèle ar-
dent pour défendre par les armes & par les loix , la Religion
Catholique contre les hérétiques & les infidèles : que ce Mo-
narque ne fe laiffe jamais féduire par les maximes du Prefi-
dent de Thou , &• par d'autres apoftats femblables à lui , ou
par des hérétiques relaps , qui fe difent Catholiques.
Rien de fi facile , ajoute-t-il , que de les convaincre de firau-
de. De Thou lui-même eft un menteur , lorfqu'il avance cette
maxime , qu'il eft au pouvoir des Rois , & des Magiftrats
d'établir des loix , & de régler toutes chofes j mais qu'ils n'ont
aucun empire fur les confciences , & que les tourmens &
les fupplices font de foibles moyens pour ébranler les efprits
prévenus en matière de Religion. Le Prophète Royal , dit
Scioppius , fappe ces maximes par les fondemens dans le 7p.
•Pfeaume , où il dit : I/s nom pas ajouté foi aux merveilles du
Seigneur , la colère de Dieu s'^ejî allumée fur leurs têtes : fa main
a frappé les puijjans d^ entre eux ; pendant quil les ptmijfoit de
mort y ils le cher choient , & revendent à lui •■, c'eft-à-dire , com-
me l'explique le Cenfeur , à la véritable Religion. On ne cite
point ici plufieurs autres palTages de l'Ecriture rapportez pat
Scioppius. Cet Auteur oubliant , que la loi de l'Évangile eft
une Loi de douceur , & de charité , & beaucoup plus par-
faite que l'ancienne Loi , ne cite que des pallages de l'ancien
Teftament pour prouver que le peuple de Dieu doit exter-
miner fes ennemis. Que de paffages n'y trouveroit-on pas
aufli, pour autorifer le raenfonge , le vol, le concubinage,
rairaffinat , la vengeance , & la plus horrible cruauté ! Toutes
ces autoritez mal-entenduës ne tirent point à confequencepouc
^ (i) Louis XIII. fils de Marie de Me- j de Medicis , & de Jeanne d'Autriche 61^
^eis , iaqtîelle étoit fille de François I. 1 le de l'Empereur Ferdinand I.
TomeXK ^ F f f
4io PIECES CONCERNANT L'HISTOIRE
la Loi Chrétienne , qui défend expreffément toutes ces adions
contraires aux principes de la Morale , ôc qui renverfent la
focieté civile.
Chap. ex. Le Cenfeur prétend prouver dans le chapitre cent dixième
qu'il faut punir , même de mort , les hérétiques, dont la con-
verfion eft défefperée , ôc fur lelquels on prévoit que la dou-
leur, & les tourmens ne feront aucun effet.
Dieu a livré à la mort , dit-il, ceux que les fupplices ne fçau-
roient ébranler, & dont la malice fortifiée par l'habitude ,
par l'autorité , ou par quelque paflion , introduit des Sedes
de perdition , & blafphéme contre Dieu. Semblables à Pha-
raon , ils font abandonnez à l'efprit de ténèbres , pour qu'ils
foient endurcis , & aveuglez. Il ne faut pas efperer que les
îrov.ch.x-], tourmens leur ouvrent les yeux,fuivant ces paroles des Pro-
verbes : Quand vous broyeriez nnfenfé dans un mortier avec un
pion , vous ne luy oterez pas fa folie. Mais l'exemple intimi-
dera les efprits , & arrêtera le cours de la contagion. Cette
conduite eft néceflaire pour empêcher, comme dit Saint Jean ,
Jean ch, lo. Qu'un loup dévorant n enlevé les brebis & ne difperfe le troupeau,
Scioppius fait faire ces raifonnemens à de Thou. Ce mem-
bre eft déjà attaqué de la pefte, donc il ne faut pas^ le couper ,
parce que l'incifion feroit inutile, & ne le guériroit pas. Le
loup emportera toujours les brebis, & difperfera le troupeau;
donc il ne fervira de rien au berger de pourfuivre , & de
tuer le loup. Il apporte enfuite plufieurs paflages de l'Ecri-
ture , où Dieu dit , qu'il faut exterminer les loups , & qu'il
les exterminera lui-même , afin que fes fidèles ferviteurs re-
pofent en sûreté fur la terre. Il ajoute que l'exemple des ri-
gueurs falutaires , préferve de la contagion ceux qu'elle n'a
point gagnez, & rend la fanté à ceux qui en font déjà infe-
frov,cKi9. dez^fuivant ces paroles des Proverbes : La punition du pé-
cheur rendra Pinfenfé plus fagc.
Il y a donc de l'impudence, continue Scioppius, on une
ignorance lionteufe , à foutenir qu'il eft inutile de contrain-
dre par la crainte , & par les tourmens , les Sedaires à ren-
trer dans le fein de l'Eglife. Telles font les raifons , dir-il ,
que de Thou apporte pour prouver fon fentiment. Les bre-
bis font déjà loin du bercail 5 c'eft donc en vain que le ber-
ger court après elles. Il agit à leur égard avec dureté fi les
DE J. A. DE THOU. ^ 4ir
ayant trouvées , il les charge fur fes épaules malgré elles ,
ou même de leur bon gré. Il lui fait faire plufieurs raifon-
nemens à peu près femblables, d'où il conclut que cet Hi-
ftorien eft forcé d'avouer, ou que les Proteftans ne font pas
dans l'erreur, & que la contagion ne les a pas gagnez , ( ce qui
eft dire que Luther & Calvin ne font pas des loups dévorans ,
des empoifonneurs , & que leurs fedateurs ne font pas retran-
chez de TEglife Catholique , ) ou qu'il n'eft pas du devoir
d'un bon pafteur de courir après fes brebis égarées , de les
rapporter fur fes épaules, & de guérir leurs maux. L'alterna-
tive eft néceflaire , continue Scioppius. Si de Thou s'arrête au
premier parti , n'y a-t-il pas de l'impudence & de l'effronterie
à lui, à fe dire Catholique ? S'il prend le fécond , n'eft-il pas
plus digne de commander à des infenfez , que d'occuper une
place dans le Confeil de fon Roy.
Après avoir cité Seneque , qui dit qu'il faut contraindre un
malade à faire & à fouffrir bien des chofes , il examine quel eft
le fentiment de Saint Auguftin , fur lequel le Préfident de Thou
fe fonde, pour defapprouver la violence à f égard des héréti-
ques. Il rapporte plufieurs autoritez de ce Père , qui dit que
quoi que la maladie de plufieurs foit incurable , il faut néan-
moins recourir au remède : Que les égards ne font pas tou-
jours des marques d'amitié , comme les traitemens fâcheux
ne font pas toujours des preuves de haine 5 II cite enfuite les
paroles de cette lumière de l'Eglife aux Donatiftes : Vous êtes ,
leur dit ce Père, les ouailles du Seigneur : Vous portez fur vous
le fceau de Jefus-Chrift, qui vous a été imprimé dans le bap-
tême 5 mais helas ! vous errez , & vous périflez. Devez-vous
nous fçavoir mauvais gré de courir après vous , & de vous
chercher , quand vous vous perdez ? Nous nous conformons
par-là davantage à la volonté de Dieu , qui nous avertit de
vous forcer plutôt à rentrer dans le bercail, que de vous aban-
donner à vos erreurs , comme vous le fouhaitez. On ne peut
douter qu'il ne foit plus à propos de ramener les hommes au
culte de Dieu par la voye de î'inftrud-ion que par la crainte de
la peine , ou par les toiu-mens. Mais parce que quelques-uns
n'en deviennent pas meilleurs, faut-il néghger pour cela ceux
qui ne font pas incorrigibles f L'expérience nous a fait voir
que la crainte ôc la douleur ont été falutaires à un grand nom-
Fffij
412 PIECES CONCERNANT L'HISTORE
bre, qui ont profité des inftmdions qu'on leur a données , Se
qui les ont mifes en pratique. C^eft ainfi que parle Saint Au-
guflin.
Le fentiment du Préfident de Thou , dit Scioppius , fe
foutient-t'il contre une telle autorité? D'ailleurs les héréti-
, ques méritent bien un traitement rigoureux , puifqu'ils in-
fultent Dieu , qui venge fon injure en reflerrant les liens des
îf^ïechap.is. blafphémateurs de fon nom, fuivant ces paroles d'Ifaïe : Et
maintenant r^infultez pas j de peur que vos liens ri! en [oient ref-
ferrez. D'un côté , Dieu affure que la violence qu'on exerce
contre l'infenfé le guérit de fa folie : De Thou aflfure au contrai-
re qu elle eft inutile. Balancerons-nous entre l'un ou l'autre l
iChap. CXI. On vous repréfente , dit Scioppius , dans ce chapitre , adref-
fant la parole aux Princes de la maifon d'Autriche ^ & au
Roy d'Efpagne en particulier , que votre refus d'accorder aux
Proteftans la liberté de confcience vous a fait perdre quelques
Provinces , tandis que le Roy de France , qui vient d'être aflaf-
iiné par Ravaillac a réùfTi dans fes entreprifes, pour avoir per-
mis aux Calviniftes de profeifer leur Religion. Y a-t'il moins
de folie dans ce raifonnement que dans les précedens , con-
tinue Scioppius ? Car fuppofé que Philippe II. père de votre
Majefté , ait commis une faute en refufant d'accorder aux
hérétiques le libre exercice de leur impiété, & que ce re-
fus ait occafionné la perte des Provinces de Zelande & de
Hollande ; quels noms donnera-t'on à l'imprudence ou plutôt
à la folie de Henri de Bourbon , qui pour avoir pris la def-
fenfe des hérétiques ^ a perdu la vie plus chère que tous les
Royaumes enfemble. Qui peut s'empêcher de dire avec le
prophète Roi , à la vue du funefte accident qui vient de ravir
ce Prince à la France : f'^oilà Phomme qui rHa -point mis fon ef-
perance en Dieu 3 mais qui a compté fur fes grandes richeffes 3
ér qui ne s^ejî repofé que fur fes forces. Des provinces per-
dues fe recouvrent 5 mais la perte de la vie eft irréparable.
Ne peut-on pas dire de Henri de Bourbon avec David : ^ue
fes yeux ont vu fa mort j & quilabu dans la coupe de la fu-
reur du Tout-puijfant^
Scioppius pour corriger en quelque façon ce qu^il y a
d'odieux dans ces applications , dit que Henri a eu recours à
Dieu en mourant, & qu'il ne faut pas defefperer de la mi-
DE J. A. DE THOU. 415
îërîcorde divine fur ce Prince. Mais je veux , continuë-t'il ^
que la maifon d'Autriche ait fait des pertes plus confidera-
bles que celle de la Hollande , & même fans aucune efpe-
rance de les reparer , faut-il pour cela les attribuer à la haine
contlante de ces Princes pour les hérétiques ? Il répond que
non-, & il affure qu'il y a d'autres caiifes du peu de fuccès
de leurs armes contre leurs fujets hérétiques & rebelles ■> qu'ils
n'ont pas agi avec toute la promptitude néceffaire dans une
affaire fi importante ; qu'ils fe font livrez fans réferve à des
niiniftres qui les ont trompez : qu'en examinant les chofes
avec les yeux de la - politique , on verra aifément que com-
me la trop grande facilité de David fut la fource d^s mal-
heurs de fa vie 5 de même la bonté naturelle à la maifon d'Au-
triche , donne quelquefois occafion à leurs miniftres de com- ■
mettre des prévarications •-, qu'après cela il n'eft pas éton-
nant, que les entreprifes de ces Princes ne réùdlffent point ,
parce que l'anathême eft au milieu d'eux 5 que des mini-
ftres avides ont dépouillé l'Eghfe de fes biens , & defes droits j -
& que fi l'on interroge le- Seigneur, il répondra comme au-
trefois à Jofué : îfiaél y ranathême eft au milieu de toi , tu ne
pourras foutenir Pafpeâ de tes ennemis ^ que h coupable ne foit^
exterminé du milieu de mon peuple.
Il rapporte enfuite l'exemple d' Ananie & de Saphira , pu-
nis de mort fubite , pour avoir retenu une partie de l'offran-
de qu'ils avoient promis d'apporter aux pieds des Apôtres.
S'ils ont été. fi rigoureufement traitez, ajoute-il, parce qu'ils
avoient gardé un bien qui étoit à eux , quel crime ne com-
mettent point ceux qui envahiffent à^s biens qui ont été don-
nez à l'Eghfe ."^ S'emparer d'un bien deftiné au culte àts au-
tels, c'efl fe déclarer ouvertement ennemi de Dieu, & ceux
qui par une lâche complaifance confeillent à leurs maîtres
d'en ufer ainfi, n'ont-ils pas tout lieu de craindre que Diea •
ne leur dife, comme dans le Prophète Sophonie : /<? /^î^m- soploji. ch. a
rai tous ceux qui entrent infolemment dans le temple j & qui rem-
pliJJ^ent d'.iniquité & de tromperie la maifon du Seigneur.
Charîemagne, ce Prince fi grand & fi magnanime, s'efl
rendu encore plus illuflre par la protedion marquée qu'il a ^
accordé à l'Eglife. Combien de loix , combien de fages re-
glemens n'a-t-ii pas fait en effet pour s'oppofer à rufurpation,
fffiij
414 I^IECES CONCERNANT L'HISTOIRE
des biens eccléfiaftiques , & pour empêcher qu'on ne fît la
moindre injure au Clergé ? Ce Prince religieux étoit perfuadé
que ces vexations avoient occafionnée la ruine de plufieur.9
Princes , & de leurs Etats.
En un mot , le but de Scioppius dans ce chapitre , eft de
mettre les armes à la main des Princes de la maifon d'Au-
triche , contre les Princes proteftans de l'Empire , qui font ,
félon lui, chargez de i'anathême, quis'oppofe à laprolperité
des armes de cette maifon.
C3iap; CXI j. Le chapitre fuivant roule fur le même fujet que la fin du pré-
cédent. L'invafîon des Normands en France doit être attribué ,
félon Scioppius , à l'imprudence de Charles le Chauv'ê , qui
donna les biens de l'Eglife aux Seigneurs qui i'accompa-
gnoient. Il prétend que Charles le Cros ne perdit fes deux
Couronnes , que pour avoir acheté des Normands la paix avec
les tréfors de fEglife de Metz. Qu'Arnolphe fuccelTeur à
l'Empire , & neveu de ce Prince , ne mourut couvert de poux ,
qu'à caufe du mépris qu'il faifoit de la Jurifdidion Eccléfiafti-
que , au préjudice de laquelle on traînoit , comme Luitprand
ie rapporte ^ les Prêtres & les Clercs en prifon. Que Charles
Duc de Lorraine ne fut pris par Hugues Capet, & que fa race ,
dont il étoit le dernier, ne fut éteinte , qu'en punition des ra-
vages commis par fon armée dans l'Evêché de Rheims. Ces
exemples, & quelques autres à peu près femblables, paroif-
fent concluans à Scioppius.
Enfuite il adrelTe encore la parole aux Princes de la mai-
fon d'Autriche. Si Charlemagne & Othon le Grand reve-
noient, dit-il, fur la terre ^ & que vous demandafTiez à ces
Empereurs religieux la caufe du peu de fuccès de vos armes
contre les hérétiques & les infidèles > ils vous répondroient que
i'anathême eft au milieu de vous. Que vous devez examiner
fi vos miniftres n'ont point ufurpé les biens de l'Eglife pour
leur utilité particulière , ou pour la vôtre. Qu'enfin il n'eft pas
furprenant que vos armes ne profperent point, tandis que vos
armées font pleines de foldats , de capitaines & de colonels
-hérétiques, à qui vous confiez les boulevarts delà Chrétienté.
Une foule de paftages de FEcritute font citez en cet endroit pour
prouver qu'il ne faut pas fe fervir des hérétiques. En effet , ajoute
Scioppius , c'eil employer le fecoursdu diable ôc de fes enfans
DE J. A. DE THOU: 41 ^
à défendre les intérêts de Dieu. Il appuie ce raiforinement de
l'autorité des capitulaires de Charlemagne , où ce Prince dit
qu'il ne comprend pas comment ceux qui défobéiflent à Dieu
ôc aux Prêtres , peuvent demeurer fidèles à leur Souverain.
Dans ce chapitre Scioppius entreprend de prouver, par ua chap.cxm
grand nombre de partages & d'exemples, tirez de l'Ecriture,
qu'il ne faut jamais compter fur fes forces : Qu'avec un petit
nombre de troupes & une grande confiance en Dieu , on vient
à bout de tailler en pièces des armées innombrables: Qu'ainfi.
on ne doit pas être furpris que Dieu ait fouvent refufé la victoire "
aux Princes de la maifon d'Autriche , qui s'appuy oient trop fur
leurs propres forces : Que quelquefois Dieu fait fortir les hé-
rétiques vainqueurs des combats livrez contre les infidèles ,
à caufe de l'intérêt de fa gloire , comme il arriva fous le
règne de l'impie Achab, qui avec des troupes, que l'Ecriture
compare à deux foibles troupeaux de chèvres , fit un horrible
maifacre de l'armée desSyriens, dont la multitude avoit cou-
vert la face de la Terre. Le Dieu d'ifraël , dit Scioppius , ne
voulut pas que les Syriens , s'ils étoient vainqueurs^ le con-
fondaient dans leur mépris avec l'impuifiante idole de Baal.
Scioppius prend de là occafion de répondre à ime objedion
qu'on pouvoir lui faire. Vous dites que le malheur des armes
de la maifon d'Autriche , vient de ce qu'ils fouifrent des hé-
rétiques dans l'Empire & dans leurs armées : mais ces mêmes
hérétiques défont des armées Turques , remportent des vic-
toires : la Religion n'entre donc pour rien dans les vidoires
ou dans les défaites?
Scioppius entreprend de prouver le contraire. Il employé chap, cxjv.
encore le chapitre fuivant à montrer que Dieu donne la vic-
toire aux hérétiques contre les infidèles , parce que fa gloire
y eft intereflée , fuivant ces paroles d'Ifaïe : Péloigneray ma co- jj-^^^ ^^ ^g^
lere de dejjus toi , à caufe de mon nom. Et enfuite : Je te protégerai
pour r intérêt de ma gloire y & je ne la céderai pas à un autre.
Ainfi lorfque les hérétiques remportent , dit-il , la vidoire ,
Dieu ne la leur accorde que pour que fon nom ne foit pas
blafphêmé par les infidèles. Scioppius prétend que l'aveu de
nos fautes , quoique fans delTein de nous en corriger , fufiit
pour nous rendre favorable le Dieu des armées, à l'exemple
d'Achab , qui s'humilia devant le Seigneur , & qu'en faveur
:^i6 PIECES CONCERNANT rHISTOîRE
-de quelques bonnes œuvres, la vengeance divine fufpendi
-fes coups dans cette vie mortelle. Ce font toujours les mê-«
.mes objedions que Scioppius prévient.
4CJaap« cxv. ^^ Charles-Quint avoit eu plus de confiance en Dieu ^
.dit Scioppius , il n'auroitpas fait un fi grand nombre de fautes,
qui ont été la fource de tant de révoltes en Allemagne. Il n'au-
roitj.ni laifîe fortir Luther de Wormes , ni fouffert qu'on re-
.çut la confeflion de foi des hérétiques à la diète d'Ausbourg.
Scioppius compte encore parmi ces fautes de Charles-
Quint la trêve qu'il fit en 1530. avec les Luthériens ; la fuf-
penfion du décret donné contre eux dans la diète 5 la démar-
che de ce Prince, lorfqu'il leur accorda la paix parunédit^
afin d'en obtenir des fecours contre le Turc ; le pouvoir qu'il"
leur donna contre les intérêts de l'Eglife & des ordres catho-
liques de TEmoire , en admettant ces hérétiques dans la chanv
bre de Spire , par des lettres particulières en 15*4 1. Sa con-
fiance en Joachim Eledeur de Brandebourg, Prince Luthé-
rien qu'il mit à la tête de Parmce contre les Turcs 5 la hgue
qu'il fit avec le Roi d'Angleterre contre la France en 15*45.
.la conceiïlon de la liberté de confcience , ôc la permilTion de
/retenir les biens de l'Eglife, pour obtenir des Luthériens du
Tecours contre les Turcs, & afin que fon frère Ferdinand fut
reconnu Roi des Romains de tout le monde; l'ade par le-
quel il déclara en i^^6. qu'il n'avoir deflein de punir que
-les rebelles & les criminels de leze-Majefté , & non leshéréti-
<ques opiniâtres , & ceux d'entre eux qui avoient pillé les biens
de l'Eglife. Scioppius ne peut pardonner à cet empereur qu'il
fe foit fervi des hérétiques dans fes armées, & qu'il n'ait pas
détruit la ville de Wittemberg & le tombeau de Luther.
Pour prouver que cette conduite de Charles-Quint a caufé
un grand fcandale, il rapporte ce que dit à cette occafion
Mathieu Drefferus dans la defcription de cette ville : Qu'il
n'y a rien de plus furprenant que la clémence de l'Empereur
^ l'égard de Wittemberg , qu'on regardoit comme l'égout de
loutes les héréfies, & où cependant il ne détruifit pas .le
moindre édifice. • Qu'à la vérité les Efpagnols infulterent le
tombeau de Luther , mais qu'ils n'oferent exhumer cet hé-
léfiarque : Qu'ayant preffé l'Empereur de leur permettre de
jd^tçrrcj: fon corps pour le brûler , ce Prince leur avoit dit de
te
DE J. A. D E THOU. 417
îelailTer i-eporcr jufqu'aLi jour du jugement dernier. Drelîe-
rus attribue la clémence de Charles-Quint pour Wittem-
berg , au refped qu'il crut devoir à l'azilc des Mufes , 6c au
fanduaire de la Religion , comme autrefois Alexandre le
Grand épargna la ville de Jerufalem , à la coniidération du
Grand Prêtre Jaddus & des Lévites.
Scioppius révoque cependant le fait en doute. Il ne peut
pas croire que l'Empereur ait parlé comme Drellerus le rap-
porte. Il fe fonde fur une relation de l'état de la Saxe écrite
depuis treize ans par un Saxon , qui n'eft pas d'accord avec
Dreflerus. J'ai appris , dit cet écrivain , d'un certain Mar-
chand Italien établi à Wittemberg, & qui n'étoit pas trop bon
Catholique, que les Efpagnols étant entrez dans la ville,
cherchèrent le cadavre de Luther , qu'ils ne purent trouver.
Que cependant ne voulant pas épargner fon tombeaujils le con-
vertirent en latrines. Scioppius dit que ce Marchand Italien
en prenoit occafion de fe moquer des Luthériens , en difant
qu'il fc^avoit mieux qu'eux mêmes ce qu'il y avoit fous cette
tombe. Il ajoute, qu'en effet le cadavre de Luther ne fe trouve
point dans fon tombeau, foit que fes fedateurs , ou plutôt le
diable^ l'ayent enlevé. Après cette djfgrefTion Scioppius con-
clut que la clémence de Charles-Quint a confirmé les héréti-
ques dans l'erreur, & qu'elle leur a donné occafion de croire ,
que Dieu qui tient le cœur des Rois dans fa main , n'a pas per-
mis que ce Prince exerçât aucune violence contre une ville
qui eft le centre de leur foi.
Il blâme encore plufieurs autres adions de Charles-
Quint. Il attribue à fon peu de confiance en Dieu l'échec hon-
teux qu'il reçut devant la ville de Mets. Enfuite il paile à la
fameufe paix de Religion , arrêtée à la diète d' Ausbourg en
ijjj. du confentement unanime de tous les ordres de TEnv
pire , Caj:holiques & Proteftans. Il dit qu'il ne doute pas que
Mathias Heldus confeiller de Charles-Quint ne l'eût averti
combien cette paix avec les Proteftans oftenfoit le Ciel 5 mais
que Ferdinand qui avoit delTein de fe fervir du fecours des
Luthériens en Hongrie , & de mettre la couronne Impériale
fur fa tête & fiir celle de fon fils , avoit engagé l'Empereur fon
frère par le moyen du Cardinal de Granvelle à difgracier Hel-
dus , & à donner fa place à un autre.
Tome KK . Ggg
41 8 PIECES CONCERNANT L'HISTOIRE
On a cm devoir détailler les fautes que Scioppius attribue
à l'Empereur Charles-Quint , pour faire voir combien un zeie
aveugle eft injufte. To.ut le monde fçait que ce Prince a été
forcé par la necefïité des temps à commettre plufieurs de ces
fautes prétendues , -mais pourvu que Scioppius contredife le
Prefident de Thou , & qu'il blâme ce qui eft approuvé par ce
dernier, il n'examine rien 5 & tout eft fournis à fa critique injufte.
Scioppius reproche au Prefident de Thou dans ce chapitre ,
Çhap. cxvi. d'avoir infinué , en donnant des éloges à l'Empereur Charles-
Quint , que ce Prince avoir manqué de prudence «5c de bonne
foi. C'eft fur ce qui eft dit dans le fécond livre de l'Hiftoire
de Monfieur de Thou , que Scioppius fonde fon accufation.
On y lit que Charles-Quint voyant les troubles caufez en
Allemagne à l'occafion de l'héréfie de Luther , voulut en pro-
fiter pour afflirer l'Empire à fa maifon , & qu'il jugea que cette
tentative , qui ne pouvoit que donner de l'éclat à fon nom ,
étoit néceilaire. N'eft-ce pas , dit Scioppius , accufer de par-
jure & de perfidie ce Prince qui , au rapport de Sleïdan , avoit
juré , & promis même par écrit , qu'il n'entreprendroit jamais
rien pour rendre le thrône de l'Empire héréditaire dans fa
maifon , & qu'il laifteroit aux Eledeurs la liberté de l'éledion ,
fuivant la bulle d'or de Charles I V, & les loix de l'Empire f
Après cette première flétrifture, pourfuit Scioppius, de Thou
dans le quatrième livre de fon Hiftoire s'efforce de convain-
cre d'imprudence ce Prince j en difant qu'il n'ufa pas bien
de la vidoire qu'il avoit reniportée fur les Proteftans, que
n'ayant ni afiez d'étendue de génie pour changer la face de
la République d'Allemagne , & en former un Royaume hé-
réditaire , ni affez de forces pour contenir dans l'obéiflance
tant de villes, de peuples, & de Princes, qu'il avoit fubju-
guez avec un bonheur extraordinaire , il ne lui reftoit plus
qu'à prendre le parti de la clémence , pour foutenir la fplen-
deur de fon rang , & fa majefté. Il eft évident , ajoute Sciop-
pius , qu'il y a de l'imprudence , & de la folie à regarder
comme glorieux , & même comme néceftaire en quelque fà-
<^on , une entreprife pour la réufilte de laquelle on n'a ni aflfez
de forces , ni allez d^ lumières: mais de Thou, dit-il, ment
ici, félon fa coutume, il ne faut que lire Sleïdan pour s'en
convaincre. Cet Hiftorien dit que l'Empereur n'employa d au-
DE J. A. D E T H OU. 4rp
très armes que celles de ia raifon, pour engager les Elec-
teurs à nommer Ferdinand fon frère Roi des Romains. Ainfi ,
continue Scioppius , il faut être de bien mauvaife foi , pour
accufer Charles-Quint, d'avoir mis en ufage la force & la
crainte , & d'avoir violé la foi qu'il avoir fi folemnellement
jurée. A l'égard des proteftations de l'Eledeur de Saxe , elles
n'étoient d'aucun poids j il les faifoit feul , il étoit hérétique.
D'ailleurs tous les ordres de l'Empire venoient de le décla-.
rer ennemi de Dieu , & de la République.
Enfuite Scioppius dit , que fi l'Empereur avoir voulu créer
Roi des Romains fon frère , malgré tous les Princes d'Alle-
magne catholiques , ou hérétiques , fon Confeil & fes Théo-
logiens n'auroient pas manqué de lui fournir des prétextes
fpecieux , pris même dans le ferment qu'il avoir fait à fon
avènement à l'Empire 5 qu'ils auroient pu en tirer des con-
clufions favorables , en raifonnant ainfi : L'empereur a juré
de défendre l'Eglife , & le Pape ; il eft donc néceffaire qu'il
prenne les moyens d'accomplir fon ferment. Il ne peut le
faire qu'en mettant la Religion en fureté dans l'Empire , 6c
cette Religion n'y peut être en fureté , qu'en foumettant toute
l'Allemagne à l'Empereur , & en réduifantla licence des Prin-
ces , & des peuples dans une jufle liberté , qui confifle dans
i'obéifTance à la droite raifon & aux loix ; il efl donc necefîaire
d'arrêter le cours de cette licence , 6c de ruiner les forces des
hérétiques j ce qui efl impofTible , tant que l'Allemagne ne
reconnoitra pas l'Empereur pour fon unique fouverain.
Il dit encore que les créatures de l'Empereur auroient pu
conclure du ferment, que l'Empereur fait à fon couronne-
ment de rendre à l'Empire fon ancienne fplendeur ; que ce
Prince pouvoir revendiquer les aliénations faites par fes pré-
decefïeurs , 6c les ôter aux Princes comme à des polTefleurs
de mauvaife foi ; 6c que rout cela ne pouvoit fe faire qu'en
fubjugant tout l'Empire , 6c qu'en afllirant la Couronne Im^
pénale dans fa maifon.
Telles font , pourfuit Scioppius, les raifons dont les flateurs
pouvoient fe fervir. Il ajoute qu'il y en avoit encore d'au-
tres , que des Courtifans n'ont pas honte d'alléguer quelques
injufles qu'elles foient. Il finit, en difant qu'il fera voir ailleurs 3
avec l'aide de Dieu, que rien ne lui efl plus cher que
Gggij
420 PIECES CONCERNANT L'HISTOIRE
liberté de fa Patrie , ( i ) & qu'il examinera plus particulière*
ment la faufleté de ces fophifmes.
Il iemble que tout ce que dit Scioppius dans la fin de ce
chapitre n'a aucune liaifon avec l'Hiftoire du Prefident de
Thou , & qu'ainfi il n'étoit pas nécefiaire de le rapporter. Mais
on a cru devoir le faire , pour montrer toute la malignité
de ce Critique , qui fous ombre de faire voir que l'Empe-
reur n'a pas employé la force pour faire élire Ferdinand fon
frère Roi des Romains , fuggere aux Princes de la maifon
d'Autriche des raifons appareutes , & des prétextes pour ne
faire qu'un Etat de l'Empire. Il met ces motifs dans la bou-
che des Courtifans , pour cacher fon véritable but ; dans la
vue de mieux déguifer fon deflein , il blâme ces motifs , &
il promet d'en découvrir ailleurs la faufleté. S'il eût eu un
deflein formé de le faire , ôc que cette promefie n'eût pas
cté une efpece d'excufe , il n'auroit pas manqué d'en mon-
trer toute la foiblefle fur le champ , lui qui relevé fi avide-
ment tout ce qui lui paroît mériter fa colère dans l'Hifloire
du Prefident de Thou.
Un ouvrage rempli de maximes fi dangereufes , & dans
lequel i'Aïueur abufoit fi malignement des paroles de TE-
criture Sainte, & de l'autorité des faints Pères, fouleva con-
tre lui toute la France. On fut juflement indigné de la ma-
nière injurieufe , avec laquelle , fans aucun refped , il s'y étoit
déchaîné contre les Princes , même les plus Catholiques ,
mais qui ne lui paroiflbient pas aflez zelez , parce qu'ils né-
toient pas aflez cruels. Ceux qui auront lu Pextrait que nous
avons donné de cet ouvrage , n'auront pu lire fans frémir
d'horreur , l'endroit où cet écrivain furieux a eu la témérité
d'attaquer la mémoire de Henri IV. ce grand Prince , qui
par fa modération , autant que par fa magnanimité , s'étoit
rendu fi cher à fes peuples. On a vu avec quelle impuden-
ce il ofa même emprunter le langage du Saint-Efprit , pour
jufliifier l'horrible parricide qui venoit d'être commis en fa
perfonne facrée. Ce fut principalement ce qui engagea le
Parlement de Paris , toujours attentif à fe fignaler lorfqu'il s'a-
git de maintenir l'autorité & le refped dû à la Majefté Roya-
le , à profcrire le livre auflfi-tôt qu'il parut. Voici l'Arrêt qu'il
donna en cette occafion,
CO Scioppius étoit Allemand.
DE J. A. DE THOU. $2r i
Extraiâ des Regijîres de Parlement*
» T T Eu par la Cour les Grand'Chambre , Tournelle , & de
» y l'Edict aflèmblées le Libvre fait par Gafpar Schoppius , « ]
X intitulé Ecclefiajiicus , imprimé à Hertberg l'an mil fix cent \
» unze , contenant plufieurs blalphemes & diffamations exécra- ;
» blés contre la très-heureure & louable mémoire du feu Roy j
»> Henry IV. ( que Dieuabfolve ) & aultres propofitions , ten- - '
» dants à troubler le repos de toute la Chreftienté , & contre '
7» la feureté de la vie & eflat des Roys & Princes Souverains î '
3» Conclunons du Procureur General du Roy. La matière mife !
» en délibération. Ladicte Cour a ordonné & ordonne, \
3» que ledid Libvre fera bruflé par l'Exécuteur de la Haulte j
» Juftice en la place publique de la Cour du Palais. A faid ÔC ;;
» faict inhibitions & deffenfes à touts Imprimeurs & Libraires ]
» de l'imprimer , expofer en vente , recevoir , publier : Et à . ]
30 euls 5c touts aultres de quelque qualité & conditions qu'ils \
» foient d'en avoir, retenir, ny communiquer : Et fi aulcuns \
» en ont , leur enjoind dans vingt & quatre heures après la , \
» publication du prefent Arreft, qui fera faide, tantencefte
» Ville à fon de trompe & cry pubhc , que aus Baillages & Se-
» néchauilees de ce Reffort ^ les apporter ou envoyer au Greffe 1
» Criminel de ladicte Cour,& aus aultres Villes aus Greffes d'i-
» celles , pour eftre bruflez j le tout à peine aux contrevenants ;
» d'eftre punis comme criminels de leze-Majefté. Prononcé \
» & exécuté le vingt & quatrième Novembre mil fix cents - |
» douze. Signé V o y s i N. j
Mais fi ce livre reçut en France une fl étrifure fi ignominieu- ]
îe , il trouva à Rome des admirateuis 5 chez ceux même qui \
ne dévoient pas avoir encore oublié f injure que Scioppius leur
avoir faite dans une autre occafion. Le Cardinal Bellarmin écri-
vit à l'Auteur cette lettre de congratulation.
:o Je fuis fort content de votre ouvrage (i) contre le Roy Traduite un
» d'Angleterre, & j'en ai dit à fa Sainteté tout le bien qu'il Latin & tirée
» méritoit. La différence de vos fentimens aux miens fur quel- sTiopHam p;
» ques points de Dodrine , ne m'a fait aucune peine. Je ne 30- i
» porte pas l'amour propre jufqu'à me picquer de voir pen- ^ ;
^i) Intitulé Eccle/iajiicus. C'eft celui dont nous venons de donner un Extrait. I
• j^-y • • • '
G g g n) i
.^
j^22 PIECES CONCERNANT LUîSTOIRE
3^ fer autuement que moi. J'ai fait reniarquer à fa Sainteté
y> que vous pofledez FEcriture à fond : Je me fuis fait un plai-
^ fir de loiier votre zélé pour la converfion des hérétiques , la
» noble liberté qui vous a fait attaquer le Préfident de Thou ,
» la fagelTe & la prudence qui vous ont guidé contre le Roi
3> Jacques. Enfin, plufieurs autres chofes dont je ne me fou-
» viens pas , & qui font développées dans cet ouvrage , m'ont
» fourni la matière de vos louanges. Remerciez Dieu de vous
» avoir donné du génie & la facilité d'écrire avec grâce 6c
» de vous exprimer de même. Vous ne me devez aucun re-
» merciment, je n'ay fait que ce que j'ai du faire. Du refte,
» je fuis un ferviteur inutile. Adieu , confervez-moi toujours
» votre amitié. A Rome le 22 Janvier 1612.
Outre les deux ouvrages que nous avons donné en extrait ,
Scioppius a encore attaqué le Préfident de Thou , dans fon
livre intitulé : Judicium de Stilo Hiftorico. Il lui reproche plu-
jfieurs fautes contre la langue Latine , mais comme ces dif-
cuffions grammaticales ,, ne font point de notre fujet , nous
avons cru fort inutile de les rapporter ici.
Extrait des obfervations critiques [i) du Jefuite Machaud , fous
le nom de Joan. Bapt. Gallus , au fujet de PHiJîoire de
Jacques Augujîe de Thou,
Se I o p p I u s ne fut pas le feul qui fe déchaîna contre le
Préfident de Thou j il parut encore des obfervations cri-
tiques fur fon Hiftoire. Les opinions ont varié fur le vrai
nom de l'Auteur , qui fe déguifa fous le nom de Joannes
Baptifia Gallus,
L'on penfa dans le temps que ce libelle pouvoir être l'ou-
vrage .du Jefuite Jacques Gretfer. François Swertius s'en
expliqua ainii dans une lettre qu'il écrivit à Guillaume Cam-
den le premier Juillet 1(^14. & Ifaac Cafaubon parle de la
même manière dans une de fes lettres dattée de Londres le
fix Juin de la même année.
(i) Ce livre cft intitulé : InJacsbiAu-
gufti Thuani Hij?oriarum libros , notOr-
îiones atictore ^oan. Eapt, Gallo. "J. C.
Ingolfladii , Typis Ederianls , per Elifabe-
tham Angermayrinam t Anno 1614, în-
qmrto. Nous nous contenterons d'en
donner l'extrait , .enfuite duquel Ton
trouvera la Sentence du Châtclet de
Paris, qui défendit le débit du livre dans
cette ville.
»
3>
DE J. A. DE TPÎOU, 425
» Nous avons vu, dit- il, ici le livre que le Jefuite Gretfer
«vient de faire paroître contre l'illudre Monfieur de Thou.
» Le Roi Jacques I. quin'eft pas moins Chrétien , que cette
»focieté eft diabolique, a obfervé que Ton y faifoit un cri-
me à ce Préfident de n'avoir pas approuvé l'horrible maf-
facre de 15:72. Cafaubon s'écrie : Que cet Hiftorien eft heu-
reux , de s'être noirci d'un tel crime !
Il eft encore vrai que Philippe Alegambe Jefuite , dans la
Bibliothèque des écrivains de fa Compagnie , attribue un fem-
blable ouvrage à Gretfer , fous le fimple titre de Remarques
fur PHtjîoire de Jacques Âugufte de Thou. L'on ne croit pas
cependant qu'il y ait eu d'autre part , que d'avoir eu foin de
l'impreflion. L'on a découvert depuis, & c'eft une chofe cer-
taine , que le véritable Auteur de cqs Remarques , eft Jean de
Machaud Jefuite, mort en 161^. (i)
Le foin qu'a eu cet Auteur de fe cacher fous un nom étran-
ger , fait en quelque manière la juftilîcation de Monfieur de
Thou. Ces déguifemens font en effet toujours fufpeds^l'on
n'en a pas befoin quand on fe renferme dans les bornes d'une
critique jufte & modérée , & qu'on ne cherche pas , comme
cet Auteur , à noircir la réputation de fon adverfaire , & à atta-
quer fon honneur de la manière la plus outrageante.
Son ouvrage eft divifé en douze chapitres , dont chacun
contient un chef d'accufation contre le Préfident de Thou.
On voit à la tête de ces remarques une préface fort courte ,
où il dit que l'Hiftorien s' eft flatté d'immortalifer fon nom
par fon ouvrage 5 qu'il y a inféré plufieurs traits , qui font des
preuves évidentes de fon inclination pour les hérétiques 5 &
que cette Hiftoire a été condamnée à Rome en 1(^10. Il pro-
met enfin d'expofer ce qu'il y a remarqué de plus téméraire , &
de plus irreligieux.
Chapitre I. Des Auteurs que de Thou a fuïvis & de la faujfetè
de fon Hîjloire en général,
LEs femmes de mauvaife vie , dit l'Auteur de cet ouvra=-
ge, ont coutume de parler mal des femmes de bien,
& de fe juftifier des reproches qu'on pourroit leur faire y
(i) Jacques le Long, Bibliothèque desHiftoriens de France , pag. ^\o.
\
424 PIECES CONCEPvNANT L'HISTOIRE
avant qu'on les leur fade réellement. C'eft la conduite ;
ajoute-t-il , que de Thou tient dans fa préface. Il dit qu'il a
interrogé fa conicience, pour s'affurer s'il écrivoit fans au-
cun reilentiment -, mais il ne nous dit pas ce que fa con»
fcience a pu lui répondre, lî ce n'eft , comme il 1 avoue plus
bas , qu'il avoir oublié toutes fortes d'injures de quelque na-
ture qu'elles puflent être. Mais ce ne fonr que de vaines pa-
roles dont le peuple pourroit être leuré. Pour bien connoître
de Thou 3 dit-il, entendons-le parler : lifons fes écrits , tout y
refîent la paffion. Tantôt il fe déchaîne comme un furieux
contre les fouverains pontifes j tantôt il invedive contre les
Rois de France , parce qu'ils ont puni les hérétiques. La mai-
fon de Guife ell maltraitée à chaque page de cette Hiftoi-
re j on y rencontre par tout des éloges affedueux de Me-
îanchton, d'Ofiander, de Scaliger, de Bucer, ^c, les aclions
des Catholiques les plus éclatantes y font rabaiflces. La mê-
me paillon anime tout le corps çie l'ouvrage. Après cela
croira-t'on de Thou fur fa parole ? Viefidra-t'il aifément à
bout de perfuader qu'il eft impartial ?
Dans quelle fource , pourfuit l'Auteur , a-t'il puifé les faits
de fon Hiftoire ? Ce font, comme il l'avoue lui-même dans Iqs
ades mêmes , & dans les libelles écrits durant la chaleur de
la haine des fadions ; libelles qu'il n'a fuivis qu'après avoir
confulté les plus honnêtes-gens : il n'eft pas difficile de l'eu
croire. On nç doutera jamais qu'il n'ait écrit fur les mémoi-
res , tracez avec tout le fiel , & toute, la fureur des fadions.
Il parpît d'abord ouvertement prendre parti pour les héréti-
ques. Ce ne font qu'éloges de la dodrine , de la pieté , de
l'innocence des Calviniftes, & des autres fedaires , & de leur
conftance fur les échafauts. A l'entendre , la violence & l'ar-
tifice ont préfidé à toutes les adions de Henri II. de Pran-
«çois II. & de Charles IX. Les Guifes ont allumé l'incendie
en France -, les magiftrats Catholiques , qui ont opiné dîins le
Parlement contre les novateurs , font des lâches , vendus à
la maifon de Guife , des brouillons , ou des voluptueux. Du-
bourg , de Poix , du V^l , du Ferrier , de la Place , & autres
pareils fedaires , notez d'infamie à caufe de leur opiniâtreté
dans l'erreur , font au contraire des hommes d'un courage
élevé , d'une pénétration admirable , ôc d'une exade probité ;
cnfiîî
DE J. A. DE THOU. 42;
clifîn des modèles propofez à la pofterité par un Hiftorien
fans paflion , tel que de Thou.
Je reviens , continue le cenfeur , aux mémoires dont de
Thou s'eft fervi pour écrire fon Hiftoire. Il s'eft répandu un
bruit qu'il a trouvé dans la bibliothèque de fon père un ton-
neau plein de ces hbelles , qu'une licence effrénée mettoit
alors tous les jours fous la preffe , & qu'il en a tiré fon hiftoi-
re. C'eft ce qu'il fait entendre alfez obfcurement, en difant
qu'il a confulté des mémoires écrits dans la chaleur de la
haine des fadions, mais aufquels il n'a donné créance que
fur le témoignage de gens de probité. Y a-t'il de la pruden-
ce à s'en tenir à de pareils monumens ? La vérité ofe-t'elle
fe montrer dans les écrits didez parla paflion / Quoi ! un Hifto-
rien fe flate d'écrire fans partialité , lorfqu'il fe fonde fur ces
niercures François (i) dont on reconnoît tous les jours la
faufleté ! Avouer de tels mémoires , & vouloir en impofer à
des hommes éclairez , c'eft poufler loin la confiance.
Il eft vrai , dit ironiquement l'Auteur , que de Thou cor-
rige l'ingénuité de cet aveu , en ajoutant qu'il n'a fuivi ces
mémoires qu'après avoir confulté des hommes d'une grande
probité. Ce ne font pas aflurement des Cathohques j ils font
trop ouvertement déchirez dans fon Hiftoire, & l'encens y
eft trop fouvent prodigué à des apoftats & à des hérétiques ,
pour que les Catholiques enflent approuvé fon ouvrage.
Tout le monde f<çait que les fauifetez, dont cette Hiftoire
eft remplie , ayant obligé plulieurs graves perfonnages d'en
faire des plaintes au Roy, fa Majefté donna des ordres pré-
cis à de Thou de la corriger î ce qu'il fit , dit-on y dans une
féconde édition 5 mais les Sedaires s'en tinrent à la premie-*
re , & firent réniiprinier l'ouvrage tel qu'il avoit paru d'à-
bord.
Je ne fçai pas trop , continué le cenfeur , quels font ces
hommes de probité , dont les lumières l'ont éclairé fiu: ces
prétendus mémoires ; à moins que ce ne foient les écrivains
Calviniftes , & Luthériens , qu'il a grand foin de déterrer du
fond de la Pruffe , de la Pomeranie , de la Hongrie & de la Hol-
lande , pour les placer dans fon Hiftoire , afin que la pofteri-
té n'ignore pas qu'ils ont vécu. Voilà les guides de notre
( ij GMohelgic'r.
TomeXF. Hhb
42(^ PIECES CONCERNANT L'HISTOIRE
Pliftorien. Ne faut-il pas être dépourvu de bon fcns pour faire--
un pareil aveu ? Quelles fources que ces libelles , pour y pui-
fer des faits ! Paul Emile & Philippe de Comines, ont-ils écrit
fur de pareils mémoires ?
En effets continuë-t'il, c'eft dans les mémoires des Prote-
ftans, tels que le libelle intitulé le Tl^r^^ & d'autres fembla-
blés, que de Thoua cherché la vérité. On peut en juger
par la manière odieufe , dont le Cardinal de Lorraine eft
peint dans fon Hiftoire , & par fes plaintes au fujet du Li-
braire Martin l'Hommet , qui fut puni pour avoir vendu le
libelle intitulé le Tigre. Ne diroit-on pas que de Thou igno-
re la feverité des loix contre ceux qui répandent des libel-
les injurieux ?
C'eft dans le même efprit, pourfuit-il, que de Thou fait
attribuer par les Proteftans la mort tragique de Pontfenas & de
l'Aubefpine , à la perfécution que ceux-ci avoient exercée
contre les B^eformez 5 & que lorfque Henri II. fut rapporté
du Tournoi , où il avoir été bleilé , il met dans la bouche de
ce Prince , à la vue de la Baftillj , où l'on retenoit Anne Du-
bourg & d'autres Confeillers du Parlement, ces paroles :/(?
crains bien à^ avoir perfecuté l'innocence. Il infinuë que tous ces
malheurs ne font qu'une punition du traitement qu'on faifoit
aux hérétiques. Il rabaille toutes les belles adions des Catholi-
ques. Jamais ni la pieté , ni l'amour du bien public ne les font
agir ; l'ambition & l'avarice font leurs feuls mobiles.
Il eft aifé de comprendre ( ajoute le Jefuite , en s'adreftant
au Prefident de Thou ) que vous avez puifé dans les fources
bourbeufeSj que vous nous avez d'abord indiquées. Je pour-
rois citer plufieurs traits pour le prouver 5 mais il fuffira d'en
rapporter quelques-uns. Vous attribuez , dit-il, la perféveran-
ce du Roi d'Angleterre dans fes erreurs à la dureté de l'Eglife
Romaine. Les Papes, fi Ton vous en croit, ne voulurent ja-
mais accepter aucunes conditions. Que ne vous expliquiez-
vous fur ce fujet ? Pourquoi ne pas dire de quelles conditions
vous aviez intention de parler .'' Vouhez-vous que le fouverain
Pontife admît dans le fein de l'Eglife un Prince plongé dans la-
débauche des femmes , un Prince qui , comme vous le recon-
noiftez vous-même, en parlant d'Anne de Cleves, faifoit chaque
jour des divorces fcandaleux 5 un Prince qui ouvroit les cloî-
DE J. A. DE THOU. 427
très , afin d'avoir des femblables dans fes honteufes diflblu-
tions, & qui s'étoit noirci de mille facrileges ? Ceft fans doute
fur la foi de Fagius , de Bucer & de Cranmer , que vous avez
écrit ce que vous dites de ce Roy , & leur témoignage fuflit
pour qu'on n'en puifle douter.
Il n'eil pas plus vrai de dire, continuë-t-il , que Herman;
autrefois Archevêque de Cologne , étoit un homme plein de
douceur, qui abandonna fon fiége , plutôt pour ne pas expo-
fer les fiens , que par aucune crainte. Vous.dites quelques li-
vres auparavant , que ce prélat avoit été condamné , & excom-
munié à Rome^ & que l'Empereur avoit envoyé des gens pour
faire exécuter le décret du Pape 5 mais vous gardez maligne-
ment le filence fur la caufe de cette conduite du Saint Siège
à l'égard d'Herman. Vous ajoutez qu'il fe retira volontaire*
ment, à la perfaafîon de quelques Princes. Pourquoi ne pas
examiner davantage les chofes ? Mais il vous fuffit de faire voir
que la cenfure de Rome & l'autorité Impériale n'ont été d'au-
cun poids dans cette affaire.
Telles font, ditMachaud, les faulfetez répandues en mille
endroits de cette Hiftoire. Les faits fuivans font de cette natu-
re. De Thou rapporte que le château de Nanteùil fut enlevé à
la maifon de Lenoncour , par les artifices du Cardinal Jean de
Lorraine , & que Longueval fut dépouillé de la terre de Mar-
chez , dont le Cardinal Charles de Lorraine , neveu de Jean ,
s'empara ; cependant on a les contrats de vente de ces deux
acquifîrions.
Mais quelle reconnoilTance , pourfuit l'auteur , les Minif-
très de la Religion Reformée ne doivent-ils pas à cet Hiftorien^
qui n'épargnant pas même fon père , dans la vue de favorifeï
les Proteftans , ofe avancer que ce Magiftrat trahit fes fenti-
mens, le lendemain du maflacre de la Saint Barthelemi, en
préfence de Charles IX. qui vint au Parlement ? Que ce Pre*
mier Préfident fit un difcours politique , accommodé au temps.
Qu'il avoit cependant toujours détefté cette fanelie journée à
laquelle il appliquoit ces vers de Stace :
Excidaî illa aies avo , &c.
Et qu'enfin s'il loue le Pvoi fur fa prudence, fon cœur y eut
peu de part, & que ce ne fut que pour s'accommoder au
Hhhij
428 PIECES CONCERNANT ^HISTOIRE
temps & au lieu. C'eft ainfi que de Thou , ajoute-t-il , a facrî*
fié l'honneur de fon père même , qu'il fait palTer pour un four-
be, à fa paiTion pour l honneur des fedaires.
Chapitre II. Prévention du Préjtdent de Thott pour les Ecri^
vains hérétiques^
E Thou, dit leCenfeur, eft l'admirateur continuel
des hérétiques. Sa plume leur prodigue à chaque inf-
tant les éloges les plus flateurs. Il eft le Panegyrifte zélé de
Philippe Melancthon , dont Jean Camerarius a écrit la vie
qu'il dit avoir lue avec un grand plaifir. Il loue l'efprit mode-
ré & pacifique de ce grand Apôtre du Lutheranifme. Il fait
l'éloge de Jean Sleïdan Calvinifte , auteur d'une hiftoire pleine
de faufletez , au jugement de l'Empereur Charles V. même ,
& qui en traduifant en latin l'Hiftoire de Philippe de Comi"
nés , en a ôté tous les traits de catholicité 5 de Nicolas Ger^
bellius , de Cufpinien , de Jean Knox Ecoflbis , Prêtre Ca-
tholique, qui fe fitProteftant h de Jufte Jonas , qu'il reprefente
comme l'ami & le fidèle compagnon de Luther 5 de manière
qu'on diroit que c'eft un autre Silas, oui accompagne un autre
Paul.
On voit dans fon Hiftoire les louanges d'Ohmpia Fulvia
Morata de Ferrare. Cette femme digne , félon de Thou , par
l'innocence de fes mœurs, par la force de fon efprit & par
fon érudition , d'entrer en parallèle avec tout ce que l'antiqui-
té a eu de femmes illuftres. Cependant , pourfuit le Cenfeur ,
cette Héroïne avoit abandonné la Religion de fes pères & fa
patrie , pour embrafler la dodrine de Luther : Voilà celle qu'il
met au deftus des Catherines , des Eudoxies , des Proba , &c.
C'eft avec la même partialité, pourfuit-il, qu'il loue Rhena^
nus , homme bien digne d'être comparé à Erafme 5 l'un &
l'autre font également ennemis de la pieté , & partifans des
nouveautez.
Peut-on , fans étonnement, entendre de Thou louer la féve-
rité de Pierre Martyr , qui renonça à fes vœux , & quitta le
cloître pour fe hvrer à l'amour des femmes , dont il traînoit
toujours un grand nombre à fa fuite ? Calvin même, & Beze,
ces fléaux de l'Eghfe ne font pas oubliez il' un eft- un excel-
DE J. A. DE T H O U. 425
lent Orateur & un grand génie ; le dernier un excellent Poëte.
Je m'étonne, ajoute-t-il, qu'il ne compare pas fes vers, où
il fait le parallèle de Candida & du jeune Audebert , aux
Cantiques de Salomon. Buchanan^ dont les écrits font tra-
cez en caraderes de fang, n'eft qu'un peu trop amer, par
im défaut commun à tous les EcoiTois. Les Libelles féditieux
d'Hotman & de la Boëtie ne font pas plus cenfurez dans
i'Hiftoire du Préfident de Thou. Ramus à l'entendre, a aidé
ia République des Lettres de fonbien 5 c'eft ce Ramus infedé
du poifon de l'erreur , qui s'étoit attiré un fi grand nombre
d'ennemis , par la nouveauté de fa méthode d'enfeigner :
Quelle indignation ne conçoit pas de Thou , à la vue de Char-
les Dumoulin , obhgé de fortir de fa patrie ? Ignore-t-il les ju-
gemens civils & eccléfiaftiques portez contre ce Jurifconful^-
te ? Claude Gaudimel , exécuté à Paris pour caufe d'héréfie ,
a aufll part aux Paranimphes de l'Hiftorien , qui nous apprend
que cet hérétique a fait la mufique des Pfeaumes mis en vers
François par Clément Marot & par Beze. Il l'appelle un Mu-
ficien excellent : L'éloge qu'il fait de fon talent n'eft-il pas ca-
pable de rendre inutiles tous les efforts que les gens de bien
font pour détourner les CathoUques d'aller entendre fes chantG>
dont le poifon fe communique de l'oreille à l'efprit ?
On pafle à de Thou , continue le Cenfeur , d'avoir fait l'é-
îoge de Scaliger. Les grandes lumières de ce fçavant hom-
me , fa profonde érudition, fahtterature peu commune, font
bien dignes de louange ; mais qu il lui donne un efprit divin
& une probité rare, c'eftce qui n'eft pas fupportable. Peut-
on flater à ce point le portrait d'un homme fuperbe , qui
étoit àfes propres yeux le feul & l'unique fçavant qui eût pa-
ru ? Il a pu encore loiier Cafaubon^ fans révolter les efprits j
il devoit des éloges à fa littérature. Mais je fuis blcilé de l'en-
tendre dire que le Roi de France le fit venir ^ pour être le Ref-
taurateur de l'Univerlité de Paris. Le nom de Reftaurateur
convient-il bien à un hérétique , qu'on ne voulut jamais fouf-
frir y enfeigner , de peur qu'il ne vînt à bout de gliiîer le poi-
fon de l'erreur àla faveur des belles Lettres? Il feroit trop
long de rapporter tous les noms des Proteftans qui vivent dans.
i'Hiftoire de leur admirateur»
Hhh iij
430 PIECES CONCERNANT L'HISTOIRE
Chapitre III. Exprejftons particulières à de Thou.
LEs exprelïions, dit Machaud, découvrent les affedioiiâ
du cœur , & nos penfées. Notre Hillorien fe conforme
aux hérétiques , en parlant des Saints ; il ne dit jamais Saint
Denis, Saint Quentin, mais Denis, Quentin, ôcc. Il appelle
les Miniftres hérétiques les Pafteurs de l'Eglife , Chanàieu ^ dit-
il , Pafteur de l^Eglife de Paris. En parlant des Eglifes bâties à
l'honneur de quelques Saints , dont elles portent les noms , il
fe fertdu terme à^fana , qui félon Saint Auguftin , eft le nom
le plus propre à lignifier un Temple de faux Dieux. Pourquoi
appeller ftatuës & fimulacres ce que la primitive Eglife ap-«
pelle de faintes images? De Thou ne donne-t-il pas lieu de
lbup(^onner qu'il eft dans les fentimens de ceux dont il adopte
les façons de parler f Les Catholiques font fort fouvent nom-
mez Papiftes , Pontificii, dans fon Kiltoire. Le Myftere de l'Eu-
chariftie eftdéfignépar le terme de Cène y nom que l'erreur
a confacré.
Les hérétiques , pourfuit le Cenfeur , enfeignent la théolo-
gie , fuivant de Thou j comme lî abufer de FEcriture & ren-
verfer la Foi , qui font les fondemens de la théologie , étoit
ctre Théologien. La Théologie des hérétiques mérite plutôt
le nom de Matéologie , qui ne parle ni ne penfe bien de l'Etre
Suprême.
De Thou , continue le Cenfeur, ne manque jamais , en par-
lant des hérétiques condamnez pour caufe d'héréfie 3 de dire
qu'ils ont été punis du dernier fupplice à caufe de la Religion ,
& qu'ils ont foufFert la mort avec conftance. Cependant il n'y
a qu'im Dieu ^ qu'une Eoi & qu'une Religion : Que de Thou
dife donc plutôt qu'ils ont été punis à caufe de leur attache-
ment à l'erreur , & qu'ils font morts avec opiniâtreté , ou qu'il
ne fe mette plus au rang des Catholiques.
Chapitre IV. Apophtegmes receuillis par de Thou,
LE s anciens , dit Machaud , en écrivant l'Hiftoire, avoient
foin de recueillir les maximes des hommes graves , &
leurs fentences , afin de les tranfmettre à la poilerité. De Thou
DE J. A. DE TIÏOU. 45F
femble avoir pris une autre route ; il a ramaffc tout ce que les
Grands ont dit de ridicule & d'impie , ou ce qu'on leur a at-
tribué dans CCS deux genres. C'eft pour cela qu'un homme
fage avoir coutume d'appeller l'Hiftoire du Prélîdent de
Thou , le fupplément de Rabelais.
Notre Hiftorien, continue Machaud , fait dire au Pape-
Marcel II. qu'il ne comprenoit pas comment les Souverains
Pontifes pouvoient faire leur falut. Paroles qui avoient déjà
été prononcées par Adrien IV. en déplorant la malheiu'eufe
condition des Papes. Le but de rHiliorien a été fans doute d'in-
iinuer qu'ils devroient tons, à l'exemple de Pierre de Mourrhon
(i) fouler aux pieds les grandeurs de la thiarre , & s'enfevelir
dans le fond d'un défert. Y a-t-il la moindre apparence que ce
Pape ait jamais dit ce que de Thou lui fait dire / Quoi , le Père
des Fidèles & le Pafteur d^s âmes n'aura pas les moyens de^
fe fauver ! Peut-on être Catholique , & penfer de cette ma-
nière ? La pompe , continue le Cenfeur , les honneurs & le'
fafte de la pourpre font, dites-vous , autant d'écueils : EIi.
depuis quand fait-on ces reproches aux Princes de l'Eglife/
Parcourez les premiers temps de l'Eglife du Chriftianifme,
vous y verrez les honneurs rendus à Saint Epiphane, & au Pa-
pe Saint Damafe , qui l'emportoit , au rapport de Saint Jérô-
me , fur tous les Prêtres des faux Dieux par la magnificence ôc
la pompe de fes ornemens. Mais on fçait , ajoute-t-il , ce que
vous penfez des Souverains Pontifes , de concert avec les hé-
rétiques : On le voit alfez par vos vers que je citerai bien-tôt.
Que peut-on penfer , pourfuivit Machaud , de ce qu'on fait
dire dans cette Hiftoire au Pape Jules ÎII. àl'occaiion de Cor-
nia , qui s'étoit laiilé furprendre par Santaccio , nom , qui en*,
langue Italienne fignifie un petit Saint. Je fuis bien étonné y
lui fait-on dire , que Cornia qui ne croit ni en Dieu, ni en fes-
Saints , ait eu de la foi pour un Santaccio. Cette plaifanterie ,.
que l'auteur met dans la bouche du Pape Jules IIL fent bien le*
Calvinifte, aufll-bien que ce qu'il fait dire au Cardinal Ca-
raffe , en faifant fon entrée à Paris , en qualité de légat de fa
fi) C'eftlc Pape CeleflînV. à qiuBo- 1 depcur qu'il ne lui prît envie de remon--
niface Vlîl, perfuada d'abdiquer ia Pa- 1 ter £iir ie thrône de Saint Pierre,
pautc, & qu'il fît enfuite périr en prifon, '
43 2 PIECES CONCERNANT L'HISTOIRE
Sainteté. Pmfque ce peuple (c'étoit les Parifiens qui fe mettoîent
à genoux pour recevoir la bénédidion de ce Cardinal ) veut
être trompé, qu il foit trompé. Ce qu'il fait répondre par Jean
Mendofe aux Dodeurs de Sorbonne, aufujet du Purgatoire,
n'eft gueres moins fcandaleux.
Voilà , ajoute le Cenfeur , des traits propres à rendre le Pa-
pe &.les Cardinaux odieux. Jepancherois aflez à croire qu'ils
ont été inferez dans l'Hiftoire du Préfident de Thou par quel-
que Luthérien , ou par quelque Calvinifte, fiTégalité du ftile ne
prouvoit qu'il font de la même main que le relie de l'Hiftoire*'
De Thou aflure , continue le Cenfeur , que Claude d'Ef-
pence Dodeur en Théologie , ne fut pas fait Cardinal pour
avoir déclamé en chaire contre la légende dorée, & avoir dit
qu'elle méritoit plutôt le nom de légende de fer ; ce qu'il avoit
été obligé de retrader publiquement dans la fuite. Ce fait eft
rapporté , continue le Cenfeur, fur la foi de Jean Sleïdan Hif-
torien Calvinifte. Cependant ce n'eft pas ce trait hardi que
de Thou adopte avec i^ne tendreife paternelle , qui ferma
l'entrée du facré Collège à ce Dodeur ; ce furent des fautes
plus confidérables , que l'ignorance de la Scolaftique lui fit
coimiiettre dans l'interprétation de l'Ecriture & des Pères. Ce
furent aufTi des fentimens nouveaux fur la difcipline de l'E-
glife.
Que peut-on penfer, ajoute Machaud , de ce que cet Hif-
ftorien rapporte d'Anne Dubourg, cet infâme apoftat, qu'il
femble regarder comme un martir de la primitive Eglife / Il
dit que cet hérétique ayant été condamné à être privé du ca-
radere facerdotal , témoigna qu'il endureroit volontiers un fup-
plice i qui alloit lui oter ce qtUil avoit de commun avec la bejîe de
PÂpocalypfe <ù' avec PAntechriJî , entendant par ces noms le Pon-
tife Romain. Il ne refte plus à de Thou qu'à rapporter toutes
les invedives & toutes les injures qu'ont vomi Calvin, Beze
& Luther : Rien de ce que Marfac , Dubourg , Coligni & tous
les ennemis du Saint Siège ont dit en mourant , ne lui échap-
|)e. Il n eft pas hors de propos, continuë-t-il , de remarquer en
paflànt fon ignorance : il donne le nom de caradere facerdo-
tal à cette tonfure que le Clergé porte fur la tête. Il dit qu'on
alloit ôter ce caradere à Dubourg. On voit bienpourfuit-il qu'il
ne
DE X A. DE THOU, 4,^j
ne fçaif pas que le caïadere ell inelïacabie , 6c quels facremens
rimpriment ( i )
Voilà, dit-il, quelques apophthegaies que de Thou rap-
porte , pour rendre ridicules les ennemis de l'erreur , ou pour
faire douter de leur Religion > mais quelques efforts qu'il em-
ployé contre les Papes, leur fiége fondé fur la pierre fera tou-
jours inébranlable. Il a réfiftc à des fecouflfes plus violentes
que les foibles atteintes d'une mauvaife plaifanterie.
Chapitre V. Inclination de de Thou pour les hérétiques^
DE Thou ne fçauroît s*empêcher , dit Machaud , de laif-
fer paroître le penchant qu'il a pour les fedaires. La fc-
vérité des Rois très-Chrétiens François II. & Charles IX. con-
tre les hérétiques , le révolte. Avec quelle exaditude ne tranf-
crit-il pas du Martirologe des hérétiques^ jufqu'aux noms des
plus vils artifans , que leur attachement opiniâtre à l'erreur a
conduit au fupplice en Angleterre & ailleurs ? Ne diroit-on
pas qu'il a eu deflein de recueillir des ades de Martirs , fen>
blables à ceux des anciens Martirs de la foi ? Car rien ne lui
échappe , pas même la moindre circonftance. Ses entrailles
font déchirées au fouvenir de la jufte rigueur exercée contre
les fedaires. Si quelqu'un d'entr'eux a dit quelque chofe à la
mort , il le rapporte avec la dernière exaditude. Les expref-
fions les plus touchantes & les peintures les plus vives ne lui
coûtent rien , lorfqu'il déplore la défolation des Reformez.
Anne Dubourg , continue le Jefuite , paroît dans cette Hif-
toire répondant à fes Juges , comme un autre Saint Laurent
en prefence de l'Empereur Dece. Sa mort , à l'entendre , tira
les larmes des yeux aux plus honnêtes gens : mille révoltes
& mille conjurations font nées de fon fang répandu. Mais
de Thou s'émeut , & s'anime bien davantage au récit deç
fupplices que l'Inquifition d'Efpagne fit Cauffrir à quelques hé-
rétiques en prefence <le Philippe 1 1. qui voulut y alTifter. Il
peint avec des couleurs attendriifantes un jeune Luthérien
de vingt-un ans , allant à la mort avec une confiance admis-
cable. Tout ce qui touche les hérétiques , excite fa compaffion,;
fi) Comme fî, dans le leas moral, 1 ceux que les Sacremens impriment. Cd^
y n'yavoit pa<? .l'autres Caraderes que 1 la s'appelle pointiHer.
T9me KK lil
454 PIECES CONCERNANT L'HISTOIRE
tandis qu'il ne dit pas un feul mot de Thomas Morus , & de
tant d'autres Catholiques qui ont fouffert la mort pour la Re-^
ligion , fous les régnes de Henri VIII. d'Edouard fon fils;
êc de la Reine Elifabeth. Si les récits touchans font fi fort du
goût de notre Hiftorien , ajoute le Ceiifeur , quelle plus belle
matière pouvoir s'offrir à un Ecrivain ? Quelles horreurs que
les fupplices affteux au milieu defquels les Catholiques ex-
pirèrent fous ces Nerons modernes ? Avec quelle effufion de
cœur de Thou ne fait-il pas l'éloge des fedaires, dont l'o-
piniâtreté fut punie du dernier fupplice , foit en France , foie
en Angleterre fous le régne de la Reine Marie ? Qui ne fe-
roit choqué , pour peu qu'il foit attaché à la Religion Catholi-
que , de la rapidité avec laquelle l'Hiftorien , après avoir rap-
porté en peu de mots l'Arrêt du Parlement contre les cadavres
de quelques hérétiques qui furent exhumez fous le règne de
Marie , palfe , fans aucun égard à l'ordre des temps , au régne
d'Elifabéth , où la mémoire de ces fedaires fut réhabilitée î
Ne femble-t-il pas que fon ftile fe relfent du triomphe des
hérétiques ? Il va même jufqu'à dire que les Papes Etienne
V I. & Sergius III. avoient fait la même chofe à l'égard du
Pape Formofe. Avec quelle affedation ne dit-il pas que Ma-
thieu Parker Archevêque de Cantorberi, Edmond Grindall
Evêque de Londres , & Richard Evêque de Glocefter con-
tribuèrent de leur autorité à cette réhabilitation ? Il ne feit
point difficulté de donner le nom d'Evêques à des hommes
revêtus de leur dignité par une femme audacieufe , qui s'arro^
geoit le titre de chef de l'Eglife Anglicane.
Dans le récit des évenemens de l'an i$6(^.{ pourfuit le Je*
fuite ) Dandelot j dont notre Hiftorien rapporte la mort , eft re-
prefenté comme un homme d'une prudence confommée &
d'une équité parfaite. Quoi ! un chef de parti qui , comm?e de
Thou le dit lui-même un peu auparavant , étoit allé en Poitou
pour y lever de l'argent , & principalement fur le Clergé , afin
de rétablir les affaires des Proteftans , eftun homme prudent Se
rempli d'équité ! Quelles vertus y a t'il à piller les biens de
l'Eglife , fur tout pour faire la guerre à l'Eglife ?
. Odet de Coligny frère de Dandelot , continuë-t-il , ce Car-*
dinal qui deshonora la pourpre Romaine par fes crimes , n'efl:
pas oublié par le Panegirifte des fedaires> De la Place qui
DE J. A. DE T H O U. "45;
qui fut tué le jour de Saint Barthelemi eft, au jugement de
cet Hiftorien , un homme recommandable par fa fermeté ,
fa dodrine, & fon intégrité.
Le fupplice de Cavagne, & de Briquemaut eft encore peint,
dit le Cenfeur , avec des couleurs touchantes. De Thou fait
fentir toute l'indignation qu'excite en lui le traitement que le
peuple fit à leurs cadavres. C'eft alors qu'il étoit à propos d'at-
tribuer ce traitement à la vengeance divine , & en particulier
celui qu'on fit à Briquemaut , qui coupoit les parties honteufes
aux Prêtres qui tomboient entre fes mains , & qui s'étoit fait
un colher de leurs oreilles y dont il fe paroit. Ces faits connus
de toute la France ne feroient-ils point parvenus jufqu'à notre
Hiftorien f
Avec quelle artifice , ajoute le Jefuite , ne raconte-t-il pas
la punition des conjurez d' Amboife , pour déguifer la véri-
té ? On auroit de la peine à donner d'autres couleurs à la
cruauté àQS Empereurs Romains , les plus altérez du fang des
Chrétiens. Mais il fe montre tout entier dans la defcription
du maftacre de la Saint Barthelemi. Beze n'eut jamais rap-
porté cet événement tragique en termes plus forts , & plus
énergiques. On ne trouve point , dit de Thou , d'exemple
d'une pareille fureur dans l'antiquité j la vengeance divine
aveugloit les François , en punition des blafphemes du Roi ,
& de fes fujets. Mais reprend Machaud, les blafphemes de
ceux qui font Dieu l'auteur du péché , qui difent que fes com-
mandemens font impoftlbles, qu'il refufe des fecours aux hom-
mes pour accomplir fes préceptes , que cependant il damnc-
ceux qui les ont violez ; qu'il nous a promis à la vérité fon
Corps , mais qu'il ne nous en a laifle que la figure '■> ces blafphet-
mes ne bleftent-ils pas plus vivement la Majefté divine ?
Enfin , dit le Cenfeur , de Thou ofe trahir fans pudeur la
vérité en faveur des hérétiques. L'Amiral de Coligny étoit
le chef des Huguenots en France. Cependant de Thou n'ou-
blie rien pour le juftifier. Si on veut Pen croire , on ne trouva
rien dans les papiers de l'Amiral , qui ne marquât fon affec-
tion fincere pour le Roi , & pour les Princes fes frères. Quoi ,
s'écrie le Jefuite , tant de places furprifes & forcées par l'A-
miral , fes combats contre les armées du Roi , des troupes
étrangères introduites au fein de l'Etat , & dix ans de révolte i
1. . .. =
45^ PIECES CONCERNAIT L'HISTOIRE
dont il étoit Famé , & le mobile , ne font pas d'aflez fortes
preuves de fa haine pour la Maifon Royale ! Avec quelle
douleur la mort de ce chef de parti n'eft-elle pas racontée ?
On voit le peuple traîner dans les rues fon cadavre mutilé ,
fpedacle attendrilTant , & décrit par notre Hiftorien de la ma-
nière la plus touchante , afin d'intereffer le ledeur pour fon
héros , digne néanmoins d'un pareil traitement. Un Religieux
de l'ordre de Saint François, fameux Prédicateur, que Coli-
gny fit pendre à Amboife , lui prédit, comme à une autre Jefa-
bel, qu'on le précipiterait d'une fenêtre en punition de fes
crimes j ce fait, & l'accompliffement de la prédidion , euffent-
ils échapé à notre Hiftorien , s'il n'eut pas été auffi favorable
aux hérétiques , qu'il i'eft en effet dans toute fon Hiftoire.
Chapitre VI. Haine de de Thou four tous les défenfeurs
de la Religion Catholique,
AP R e's avoir fait , dit l'Auteur , des portraits avantageux
de la plupart des hérétiques , il n'eft pas étonnant que
de Thou employé les couleurs les plus noires pour peindre
les Catholiques zelez ; qu'il empoifonne leurs adions, & rem-
place toujours leurs vrais motifs par des motifs fuppofez. Il
ne faut que l'entendre déclamer contre la maifon de Guife
pour en être convaincu '■> ce furent , félon lui , les Princes de
cette maifon, qui prêtèrent des intentions criminelles aux com-
plices des conjurations d'Amboife , & de Meaux. Les conju-
rez n'eu vouloient point à la perfonne des Rois ; tout leur
but étoit de délivrer la France de l'oppreffion des Guifes , dont
les manœuvres , & les artifices facrifierent , félon lui , tant de
têtes à leur ambition. Les biens des profcrits entrèrent moins
dans le Trefor Royal , que dans les coffres de ces tirans de
la France
Que peut-on , pourfuit l'Auteur , attendre de ces idées gé-
nérales de la maifon de Guife, que des portraits odieux de tous
ces Princes en particulier ? Le Cardinal Jean de Lorraine, à
l'entendre , ne gagna la faveur du Roi , qu'en fervant les paffions
de ce Prince ,& qu'en fe diftinguant par une folle libéralité.
Charles de Lorraine fon neveu , aulïî Cardinal , effaya de tous
les crimes ^ & tiempa dans tous ceiw qui fe commirent cî>
DE J. A. DE THO U; 4jt
France j c'étoit un traître , qui traita fecretement avec Per-
renot , pour livrer la France. Il n'entra dans la faveur du
Roi que par de honteufes fouplefles auprès de la Ducliefle
de Valentinois : fon ambition fut fatale à fa maifon , & à l'Etat.
La profperité le rendoit infolent , & il fe laiflToit abattre dans
Fadveriité. Mais ce n étoit pas alTez de l'attaquer du côté des
mœurs , il falloir encore lui donner de la légèreté dans la
Religion. De Thou dit qu'il avoit eu quelque penchant pour
embrafler la confefllon d'Ausbourg , Ôc qu'il mourut chargé
de la haine publique. Quels traits odieux ! Il n'eft pas dif-
ficile de fçavoir où l'Hiftorien les a pris. Il pouvoir fe difpen-
fer de nous avertir qu'il avoit fuivi des mémoires écrits dans
la chaleur encore récente des fadions j auroit-on pu s'y mé^
prendre à ces tableaux. Si ce Cardinal établit une Univerfîtê
à Reims , dont il étoit Archevêque , c'eft par ambition , pour
acquérir l'eftime du public , afin d'en tirer parti dans Foc-*
cafion , & pour remuer le peuple à fon gré. N'eft-ce pas
empoifonner jufqu'aux adions les plus utiles , & les plus loua-
bles ?
La maifon de Guife , dit encore Machaud , n'eft pas la
feule en bute à la haine irreconcihable de notre Hiftorien pour
les Catholiques zelez. Le Maréchal de Saint André fut un
homme perdu de débauches : le Cardinal d'Armagnac un
Caméléon , glorieux & vain. Pierre Lizet , aiitrefois Premier
Prendent du Parlement de Paris , s'eft rendu ridicule en écri-
vant fur des matières théologique^ dans fa retraite de Saint
Viâior : Jacques le Maiftre aufll Premier Prefident a outré
la feverité contre les fedaires ; d'autres membres du Parlement
ont été de lâches efclaves de la Cour , & des débauchez j tan-
dis qu'Anne Duboug , Louis Faut , Arnauld du Ferrier , Paul
de Foix , Euftache de la Porte & d'autres Confeillers infedez
du poifon de l'erreur , font des hommes recommandables par
leur probité , par une grande pureté de mœurs , des hommes
enfin dignes d'entrer en parallèle avec les plus vénérables
Magiftrats de f antiquité. Q^^ J^^^ ^^ Tillet Greffier en chef
du Parlement défende l'autorité du Roi & de la Reine mè-
re j qu'il écrive qu'il eft permis , & même qu'on eft obligé
de févir contre les hérétiques : notre Auteur qui ne peut dis-
convenir que cet Ecrivain ne fut verfé dans nos loix , affoi-
i i i iii
43 B PIECES CONCERNANT L'HISTOIRE
blit fon autorité , en difant qu'il fervoit la paffion de la Cour.
Quelles dénominations odieufes , continue toujours le Cen-
feur , de Thon ne donne-t'il pas à ceux qui executoient les
ordres du Roi contre les hérétiques dans les Provinces , à
Meaux , à Lion , à Rouen & à Touloufe f Ce font des hom-
mes fans pudeur , des fcelerats noircis de toutes fortes de
crimes , & des infâmes. Les Proteftans au contraire font des
agneaux qu'on mené à la boucherie. Après cela je crois que
les hérétiques doivent élever à leur défenfeur une Statue
équeftrc , ou plutôt afinaire, & y mettre pour infcription
i'épitaphe du vieux Ennius , en y faifant quelque change-
ment. .
'Afpicite , 0 Cives , Livî novi imagina formam ;
Hic vcfirâm panxit maxima faBa patrum.
Chapitre VII. ^ue de Thou efi hnnemi mortel des Jefuites,
JL n'eft pas étonnant , dit Machaud , que le deffenfeur
des hérétiques, attaque la Compagnie de Jefusavec tant,
d'acharnement ; quoique je ne doute pas que quelqu'un de
ces Pères ne réfute les calomnies répandues dans fon Hiftoi^
re i je me charge néanmoins de ce foin ; je le dois à la vé-
rité que je deffends , & à la probité des Jefuites , avec qui
j'ai eu d'étroites liaifons à Bourges il y a trente ans.
De Thou , continue le Cenfeur , dit que cet Ordre , à la fa-
veur d'une feinte renonciation aux honneurs , & aux richet
fes , s'eft accru fi prodigieufement , qu'il s'eft rendu formida-
ble aux fouverains : calomnie odieufe ôc facile à réfuter. En
effet , n'eft-ce pas renoncer réellemement aux honneurs &
aux richeffes / que d'obferver les vœux qu'on fait dans la
focieté. On n'a encore vu que deux Jefuites revêtus de la
pourpre Romaine î ils n'ont même accepté cette dignité émi-
nente que fur des ordres exprès de fa Sainteté. Il eft vrai
qu'il y a eu plufieurs Pères de cette focieté , qui ont été fait^
Patriarches , Evêques Ôc Archevêques > mais ces dignitez ne
leur ont été conférées que pour aller porter la foy aux In-
des & au Japon , à travers mille dangers.
Cette focieté , dites-vous , ( pourfuit Machaud , adreflaiit
DE J. A. DE THOU. 45p;
la parole au Préfident de Thou ) s'eft rendue forrhidable aux
fouverainj. Eft-ce aux Princes Catholiques , ou aux Princes
hérétiques ? Si les premiers redoutent la focieté , pourquoi
l'appellent-ils dans leurs Etats , pour lui confier l'éducation
de la jeunefle , & même pour s'en fervir dans les affaires les
plus importantes ? Ce font donc les hérétiques qui la crai-
gnent. Si vous étiez dans les Etats de ces Princes , vous
foufcririez avec joye à tous les Edits qu'ils donnent contre
les Catholiques, & fur- tout contre les Jefuites. Si ces Prin-
ces perfécutent leurs fujets CathoHques , vous ne dites ja-
mais que c'eft pour la Religion j vous peignez toujours ces
vidimes infortunées comme des rebelles, qui ont juftement
attiré fur eux la colère de leurs maîtres j femblable à ces
délateurs du Paganifme , qui ^ au rapport de Tertullien, (i)
n'accufoient jamais les Chrétiens auprès des Empereurs, que
du crime de leze-Majefté.
Quels font , demande le Jefuite , les fentimens de notre
Hiftorien , au fujet des Milfionnaires qui vont tous les ans
chez les Sauvages , pour travailler à la converfion de ces
peuples ? Irréconciliable ennemi des Jefuites , il ne leur don-
ne jamais la gloire qu'ils méritent. Jacques Soria Calvinifte 3
après s'être emparé d'un vaiiTeau Efpagnol , fait mourir Igna-
ce Azeveda , & Diego Andxada Jefuites, qui alloient au Bre-
fil. Notre Hiftorien , loin de rapporter la véritable caufe de
leur mort , l'attribue à la colère que la perte des fîens avoit
allumée dans l'ame du Corfaire. Cependant il eft certain que
Soria les fit maffacrer avec foixante de leurs confrères , par-
ce qu'ils alloient au Brefil pour convertir les habitans du
pays. Il eft vrai que ces Millionnaires n'auroient pas bien fi-
guré, ( ajoute le Jefuite ) , comme des Martirs, dans une hi-
ftoire , où les noms des Miniftres reformez , qui s'embarquè-
rent avec Villegagnon pour la nouvelle France , font mar-%
quez avec tant d'affedation.
Non content , dit encore Machaud , d'enfevelir dans un
oubli profond , ce quipourroit relever la gloire de la focieté,
de Thou faifit avec ardeur tout ce qu'il croit lui être peu
favorable. Il dit , par exemple , que le Corfaire Soria jetta
dans la mer les chapelets , les rofaires , ôc autres inftrumens
(i) Dans fon Apologie des Chrétiens,
440 PIECES CONCERNANT L'HISTOIRE
de dévotion , dont les Jefuites fe fervoient pour initier les
Neophites Indiens aux myfteres de la Religion ; voulant in-
fînuer par-là que ces Pères ne baptifent point ces nouveaux
Chrétiens, & ne font point de différence entre les points
fondamentaux de la Religion , & les pratiques qui fervent à
entretenir la pieté , comme on peut le voir par fon Poème
contre les parricides y (i) où il dit que les Jefuites ne prêchent
point la parole de Dieu j mais qu'ils s'en tiennent à faire re-
citer le Rofaire aux Indiens , & qu'ils font fervir à l'étabhf-
Cement de la foi dans le nouveau monde , les moyens qui
la décreditenc en Europe. (2) C'eft , ajoute-t'il , attaquer de
firent une pratique pieufe , que les Dominicains tiennent de-
puis quatre cens ans de leur faint fondateur , qui Tavoit reçue
du Ciel.
J'ai honte , continue le deffenfeur des Jefuites , de rele-
ver tous les traits que de Thou lance contre cet Ordre 5 il
fufïira de réfuter ce qu'il dit au fujet de cette riche dona-
tion de François Baulon, Confeiller au Parlement de Bor-
deaux. Le Jefuite Edmond Auger perfuada,dit de Thou,
à ce Confeiller qui étoit fort riche , de fe féparer de fa fem-
me , & l'engagea à donner des fonds pour bâtir un Collège,
Cependant» continuë-t-il , il eft certain que Baulon étoit déjà
feparé de fa femme , quand le Père Auger arriva à Bordeaux ;
& que cette donation fi confiderable fe réduit à deux mille
livres , comme le fait eft conftaté au Procès , que les Jefuites
effuyerent à cette occalîon de la part du frère du donateur.
Dans ces difpofîtions , dit l'Auteur , de Thou n'a jamais
rendu juftice aux Jefuites, Il eft choqué de ce que Jacques
Laynés , dans le colloque de Poiffy , traita les hérétiques de
Renards , de Singes & de Monjîres , lui qui dans fon Poème
contre les Parricides , appelle les Jefuites des Renards , des
Harpies , & des Monjîres. La focieté loin d'être jaloufe de
recevoir des éloges d'une plume fi favorable à l'herefie , doit
fc glorifier de la haine irréconciliable que de Thou lui 'a
vouée.
(]) Imprimé à Paris, pat Mamert | [t) His , quihus internss périt ^ arti^
PatKfon i5<)^. m-itp hus y induit illtc
^elligiQ,
Chapitre VIII;
DE J. A. DE THOtr. ^^i,
Chapitre VIII. Manière outrageante dont le Prêftdent ds
Tliou parle des Rois Tr es-Chrétiens,
NOtre Hiftorien, dit le CenfeuL-, a ramaffé dans fon
livre tous les outrages répandus dans une infinité de
libelles contre les Rois de France j & la calomnie n'a jamais
été mieux fervie que par cet écrivain. Louis XII. ce bon
Prince , qui porte à C\ jufte titre le nom de Père du peuple >
n'échappe point à la plume téméraire de cet écrivain injufte:
Il dit qu'après la mort du Pape Jules II. ce P.oi vaincu par
les murmures de plufieurs perfonnes, & par les plaintes de
la Reine j femme imperieuCe , renonça au Concile de Pife &
foufcrivit à celui de Latran , pour complaire au Pape Léon
X. Auroit-on cru , reprend le Jefuite , qu'une at^ion aufll loua-
ble que celle d'un Prince, qui relâche de fes droits pour ré-.
moigner fa déférence au Saint Siège , & pour fe confoimec
à la volonté de l'Eglife, dût être blâmée par un CaJiolique l
Que doit-on penfer de ce qu'ajoute de Thou , que le Roi
auroit mieux fait de continuer dans la rcfolution de refor-
mer la difciphne Ecclefiaftique f Ainfi au jugement de notre
Hiftorien , le conciliabule de Pife affemblé contre toutes les
règles , étoit plus capable de corriger les abus , que le Con-
cile de Latran tenu dans toutes les formes. C'eft aifurement
fe laiiTer aveugler par la haine , 6c fe livrer tout entier à fes im-
prefllons dangereufes.
De Thou, pourfuit-il , attribue les malheurs de l'Etat & du
Prince à fa foumiffion au Concile de Latran. Ainfî les Payens
attribuerent-ils autrefois la décadence de l'Empire Romain,
& l'irruption des barbares jufques dans Rome, à l'établifle-
ment de la Religion Chrétienne , fur les ruines du paganif-
me. Saint Auguftin , Saint Cyprien & d'autres lumières de
l'Eghfe , ont fait voir aiîez aifement le peu de folidité de
ces plaintes.
Mais , ajoute-t'il, ce n'étoit pas aflez de blâmer la conduite
de ce Prince ; il a plu à de Thou d'en faire un deffenfeur de
l'impiété de Luther , même avant la naiiïànce de cet hère-,
fîarque 5 car il rapporte que Louis XII. fit frapper une mé-
daille d'or , qui reprefentoit d'un côté ce Prince , avec cette
.Tome XK Kkk
/^42 PIECES CONCERNANT L'HISTOIRE
légende 3 Perdam Babylonis nomen. Machaud s'étonne que de
Thou ne dife pas auiïï que la figure de l'ante-chrift paroii-
foit ilir le revers. C'eft là route la dode réponfe du Je-
fuite.
De Thou , continuë-t'il , alîure avec la même gravité que le
malheur à^s entreprifes du même Roi ^ eut fa fource dans les
îiaifons qu'il eut avec le Pape Alexandre VI. comme fi c'é-
toit un crime d'honorer le Vicaire de Jefus-Chrift fur la
terre. Le Fils de Dieu ne recommande-t'il pas expreflement
aux Juifs dans l'Evangile , d'obéir aux fuccefleurs de Moyfe ,
quelques indignes qu'ils puiflent être de cette qualité , par
l'irrégularité de leur conduite ?
Quelle peinture , pourfuit l'Auteur, ne fait-il pasdesplai-
fîrs de Henri II ? Il les appelle des Orgies. Ne diroit-on pas
que c'efl un Caton 3 ou un ancien Père de l'Eglife qui ton-
ne contre la volupté , lorfqu'il s'élève contre les amours de
ce Prince 3 & contre la puilfance de la DuchefTe de Valen-
tinois ? Pourquoi cette grande feverité à l'égard de ce Roi ,
tandis qu'il ne dit qu'un mot , & même ailez légèrement ,
des mariages inceftueux de Henri VIII. Roy d'Angleterre ?
Peut-être n'efl-il 11 indulgent envers le Monarque Anglois ,
qu'en faveur de fa haine pour le Saint Siège. S'il vouloit
exercer une critique fevere fur à^s vices fcandaleux , le ma-
riage de Luther avec une Religieufe , les adultères de Cal-
vin , & les débauches de Beze, n'offroient-ils pas ime ma-
tière allez ample à fon zélé ? Peut-être aufli, ( dit le Cenfeur ^
adreffant la parole au Préfident de Thou , ) n'avez-vous pas
voulu falir votre Hifloire du récit de tant d'infamies. Cette
déhcatefle eft digne d'éloge dans un Magiftrat ; mais pour-
quoi fortir de cette gravité à l'occafion des vers un peu li-
bres que Bembo a faits dans fa jeunefle ? Quelle raifon vous
eut engagé à dire avec malignité^que cela s'accommodoit aux
mœurs du maître qu'il fervoit, fi vous ne vous étiez pas fait
un plaifir de noircir la mémoire de Léon X. dont Bembo
ne fut néanmoins Secrétaire que dans un âge mûr ?
N'eft-ce pas encore dans le même efprit que vous dites,
que les Cardinaux étant enfermez dans le Conclave, on in-
tercepta des lettres de quelques-uns de leurs Conclaviftes
à de jeunes garçons, dans lefquelles ils témoignoiem conv
D E J. A. D E T H O U. 443
bien ils fouffroient de leur abfence î ce qui fît conjedurer
qu'un Conclave, d'où il étoit forri de telles infamies, ne pou-
voit produire qu'un Pape infime ?Ici Machaud fe récrie iro-
niquement fur la gravité de nôtre Hiftorien , qu'il compare à
Thucidide. Il remet à une autre fois à faire voir fa légèreté 5
il fe plaint de ce qu'il eft fi clairvoyant fur les défauts des
Catholiques , tandis qu'il ferme les yeux fur les turpitudes
des hérétiques. Enfuite il examine pourquoi de Thou blâ-
me i\ hautement la conduite de Henri II. Il dit qu'il croit
que c'eil parce que ce Prince a toujours déployé la rigueui:
des loix contre les hérétiques.
Après cela , le Cenfeur ajoute, qu'il y a eu des Auteurs de
libelles bien moins outrageans que l'Hiftoire de de Thou,
qui ont porté la peine de leur témérité. Pour faire voir tout
le venin qu'il prétend découvrir dans cet Hiilorien , il en
appelle à cet endroit de fon Hiftoire , oii il eft dit que le
Pape Clément VIL fe félicitoit, dit-on, d'avoir trouvé moyen
d'atlbuvir fa haine implacable pour la France par le mariage
de Catherine de Medicis, fille de fon couiin germain, avec
Henri IL parce qu'il fe fîatoit qu'un jour cette Princefle em-
braferoit le Royaume. En effet, dit le Cenfeur , de Thou pour
juft-ifier ces préfages , reprefente cette Reine , comme une
autre Brunehault , ou telle qu'une Medée en fureur. Il a fait
fon portrait d'après un fameux libelle intitulé : La vie de Sainte
Catherine , qui contient une fatyre violente contre Catherine
de Medicis , qu'on y noirciflbit de toutes foites de crimes.
L'Auteur accufe notre Hiftorien d'artifice , au fujet des
bruits qu'il rapporte qu'on fit courir fur la maladie (i) de Fran-
çois IL 11 lui reproche de ce qu'après avoir dit que ce bruit
n étoit fondé que fur l'impudence & la malignité, il en dé-
crit toutes les fuites , de manière à rendre la ciiofe vraifem-^
blable ; & cela pour faire voir que ce Prince avoir été puni de
Dieu 3 pour avoir fouffert que fous fon règne , on eût fait mou-
rir les hérétiques.
A l'égard de Charles IX. flere ôcfuccefteur de François IL
de Thou , ( dit Machaud ) ne trouve point de termes aftez forts
pour invediver contre ce Prince , à l'occafion du maftacre de
la Saint Barthelemi j cette barbarie eft fi énorme à fes yeux,
il) Cétoit la ladrerie.
Kkkij
444 PIECES CONCERNANT L'HISTOIRE
qu'il ne trouve rien de femblable dans toute l'antiquité ; c'eft
alors qu'il parle ouvertement. Il ne fe cache plus, il donne
hardiment au Roi les noms de fanguinaire & de perfide.
Enfin , l'Auteur rapporte ce que penfe de Thou des éloges
qu'on donna à cette conduite du Roi , & ce qu'il dit des
médailles alors frappées pour conferver le fouvenir de cette
aâiion. Il ajoute que cet Hiftorien verroit avec plus de plai-
fir la médaille , qui portoit cette légende : FerdamBabylonis
Tiomen, ou celle qui avoit été frappée quarante ans aupara-
vant à Saint Denis, qui étoit alors au pouvoir du Prince de
Condé , fur laquelle on lifoit cette légende : Ludovicus XIÎL
Rex Francorum.
Chapitre IX. InveÛives répandues dans toute PHîJIûhe du
Prefident de Thou cotitre les Papes.
I de Thou , dit le Cenfeur , a donné quelque preuve de
fes mauvais fentimens au fujet de la Religion Catholique 5
c'eft certainement lorfqu'il a raifemblé tout ce que la fureur
& l'ivrefle ont jamais fuggeré d'infultes & d'outrages aux
hérétiques contre les fouverains Pontifes. Il femble que le
but de cet Hiftorien a été de faire une bibliothèque de ca-
lomnies , & un Arfenal de traits odieux , pour fournir aux en-
nemis de la Religion , des armes contre le chef de l'Egîife. En
etfet, toutes les fois qu'il fait mention d'Alexandre VI. ( fou-
vent affez hors de propos ) il ne manque jamais de dire que
Céfar de Borgia , & Lucrèce étoient fes enfans. Il dit en-
core en parlant de Léon X. qu'il étoit naturellement porté à
toutes fortes de débauches. Son ftile n'eft jamais plus vif &
plus preîTant , que lorfqu'il déchire les Vicaires de Jefus-
CHrift. Que ne dit-il pas fur la conduite de ceux qui prê-
chèrent les Indulgences fous le pontificat de Léon X. Il ofe
affurer que Luther réfuta (i) les Sermons de ceux qui prê-
choient les Indulgences. Seroit-ce votre fentiment, ( ajoute
le Cenfeur, en s'adreiîant au Prefident de Thou , ) que Luther
ait véritablement réfuté la Doctrine de l'Egîife touchant le
Purgatoire ? Ici les exclamations partent avec véhémence de
la bouche du Jefuite , qui continuant d'apoflropher notre Hi-
(i) Machaiid prend le terme de réfuter j prouva folidemcnt que les Prédicateurs
a ia rigueur ;, c efl-à-dire , i^ue Liuher I à(:i Indulgences raifonnoicnt mslt
DE J. A. DE T H O U. 44^
ftorien, lui demande s'il ofcra encore fe montrer parmi les
Catholiques.
Le Cenfeur examine enfuite ce que dit le Prefident de
'J'hou i au fujet de Paul III. qui ell: accufé par notre Hifto-
rien, d'avoir couvé long-temps fous des dehors fpecieux une
ambition demefurée , qui parut dès qu'il fut monté fur le trône
de l'Eglife. Il ne fuffit pas , dit Machaud , de former au hazard
une telle accufation , il faut apporter des preuves de cette
ambition cachée , & citer les effets qui la trahirent enfuite 5
ce que de Thou ne fe met pas en peine de faire.
Jules III. pourfuit-il , i\ l'on s'en rapporte à de Thou , eft le
premier fcelerat de l'Univers. Ce menteur impudent, après
avoir reprefenté ce Pape avec les couleurs les plus noires à
fon avènement à la Papauté , le pourfuit avec le même achar-
nement jufqu à fa mort , qu'il attribue plutôt à fes mœurs dé-
réglées , qu'à fa vieilielTe.
L'Auteur s'emporte ici vivement contre le Prefident de
Thou. Il lui reproche de croire avec Néron, que perfonne ne
peut-être chafte , parce qu'il ne l'eft pas lui-même. Il lui re-
proche le penchant qu'il a pour les femmes, (i) Que cette
paiTion lui a fait rompre par deux mariages confecutifs les
vœux qu'il avoir , dit-il , faits en prenant les ordres facrez.
Que fans crainte de Dieu ni des hommes il adopte aveugle-
ment toutes les calomnies des hérétiques, contre les fuccef-
feurs de Saint Pierre , & les tranfmet à la pofterité , telles qu'il
les a reçues.
Marcel Cervin , continue Machaud , ce Pape que le Ciel
n'a fait que montrer à la terre fur le Saint Siège, n'eft pas à
couvert de la malignité du Prefident de Thou. Il dit que la
mère de Cervin Payant preffé de fe marier , il n'en voulut rien
faire 5 fondé fur ce que les Aftres lui promettoient une grande
place dans l'Eglife , fuivant les obfervations de Richard fon
père , fameux^Aftrologue. Peut-on raconter de femblables
puerilitez fur le compte d'une perfonne qu'on nous a peint
comme un homme d'un fçavoir éminent , comme un hom-
me d'une extrême régularité de mœurs, & enfin comme un
homme prudent , & toujours attaché à la ledure des Pères ôc
de l'EcriturefDe Thou ignore-t'il que les lumières delà fcien-»
(i) Vir flâne uxorius.
Kkk iij
44^ PIECES CONCERNANT L'HISTOIRE
ce diftlpent les illufions de l'aftrologie , que la prudence & la
pîcté n'ont que du mépris pour elle , & qu'enfin on apprend
dans les Pères & dans les livres Saints à la détefter/
Examinons , pourfuit le Jefuite, ce que notre Momus dit de
Paul IV. Il oie afllirer que l'auftere fe vérité de ce Pape ,
dont il vient de faire l'éloge un peu au-deilus , fe changea
bien-tôt en orgueil. Il eft bon de remarquer , ajoute l'Au-
teur , que cette décifion n'eft appuyée que fur la pompe du
couronnement de ce fouverain pontife. De Thou , à ce qu'on
peut voir par ce jugement, décide allez légèrement j & il
n'y a perfonne qui n'aimât mieux être jugé par un furieux que
par un tel arbitre. Quoique les amis l'excufent , & qu'ils
avouent qu'il écrit quelquefois allez vivement , même con-
tre les plus honnêtes gens, ils conviennent néanmoins qu'il
ne ferait ce qu'il dit quand il opine , & qu'il reflemble alors
à un enfant 5 de forte qu'ils n'ont pas été peu furpris, qu'il ait
fongé à la place de premier Prefident , lui , à qui tout le mon-
de faifoit grâce, en le croïant capable tout au plus de rem-
plir la dernière place de fa compagnie. Enfin Machaud aver-
tit notre Hiftorien de ne fe flater d'aucune reflemblance avec
îe Prefident de Thou fon père, dont il n'a , dit-il , hérité ni
la pieté , ni la prudence.
Pie IV. dit Machaud , eft entré pour quelque chofe dans
îes éloges que de Thou fait des Souverains Pontifes. Notre
Panegirifte , ajoute-t-il , dit de ce Pape qu'il fembla , en
montant fur le Saint Siège , quitter fes bonnes qualitez , aufr
quelles fuccederent des vices oppofez.
Pie V. ne devoit pas échapper à la cenfure d'un Hiftorien
auiÏÏ grave que de Thou , dit ironiquement le Jefuite 5 auiîl
eft-il choqué de la féverité de ce faint Pape , qui faifoit faire
d'exades recherches des amis de notre Hiftorien , pour les
-empêcher d'infeder Rome de leurs erreurs.
Chapitre X, Haine implacable de de Thon contre le
Saint Sic'ge.
DE Thou, dit Machaud, non content d'avoir attaqué
la réputation des Papes en particulier j faifit toutes les
joccanons d'invediver contre eux en gênerai , & voudroit , s'il
etoit poftiblp , anéantir toute leur autorité. Il dit qu'Henri
DE J. A. DE THOU 447
VIII. Roi d'Angleterre n'eût jamais poulîé les chofes au point
où elles font venues, fi les Papes euflent été plus équitables &
plus prudens. Il faut avouer que l'Eglife a beaucoup perdu
que de Thou ne fut pas alors aftis fur le Saint Siège 5 il auroit
trouvé quelque moyen de faire époufer à Henri VIII. Anne
de Boulen, qu'on difoit être la fille de ce Prince, quoique
les loix du mariage, & les liens qui l'unifroientindiiToluble-
ment à Catherine d' A rragon depuis plufieurs années, fuflent
des obftacles infurmontables.
L'Auteur paife enfuite à ce que dit le Préfident de Thou;
au fujetdela dépofition d'Herman. Il foutient qu'il faut être
ennemi du Saint Siège, pour defaprouver que le Pape eût
privé d'une dignité eccléfiaftique un homme qui s'en étoit
privé lui-même par fon attachement à l'héréfie , à moins ,
ajoute le Jefuite un peu après, que de Thou veuille ne point
regarder le Lutheranifme comme une héréfie , ou defaprouver
les décrets du Concile de Trente.
Le Cenfeur reproche encore au Préfident de Thou de met-
tre dans la bouche des Proteftans ce qu'il brûle de dire par
lui-même : Que cette manière de déclamer contre le Saint
Siège lui eft familière : Qu'il s'eft fervi de cet artifice , en fai-
fant dire aux Proteftans , que l'Empereur Charles V. avoir tour-
né contre l'Allemagne les armes qu'il deftinoit contre les in-
fidèles : Que ce Prince n'avoir ainli changé qu'à la perfuafion
du Pape , & que la Cour de Pvome étoit dans la coutume per-
nicieufe de porter plus de haine aux Chrétiens, qui révoquent
en doute la grandeur de fa puilTance , qu'aux infidèles mêmes.
Machaud ajoute que ce trait hiRorique n'eft placé dans l'Hif-
toire avec tant d'artifice , que pour rendre le Saint Siège
odieux en Allemagne , où cependant on voit une infinité de
monumens de l'affeclion des Souverains Pontifes pour la na-
tion Allemande : Que fi de Thouavoit écrit avec fidélité, il
n'auroit pas manqué de dire que le Pape Jules III, avoir fondé
un beau collège à Rome , en faveur de la jeuneiTe Allemande?
au lieu de recueillir tous les bruits faux & vagues , répandus
fur le compte de ce Pontife.
Il accufe encore de Thou d'avoir une affedion marquée
pour tous ceux qui ont écrit contre le Saint Siège. Il lui repro-
che de rapporter avec foin leurs noms & leurs plaintes cou-
44g PIECES CONCERNANT L'HISTOIRE
tre l'Eglife Romaine, & de mettre dans la bouche des Prin-
ces Allemands , tel que le Comte Palatin , le Duc de Saxe ôc
le Marquis de Brandebourg , tout ce que Nicolas Clemangis ,
Jean Gerfon ôc Mathieu Paris , (ï) que de Thou appelle , dit-
il allez mal-à-propos, Guillaume , ont écrit contre Rome. Ce-
pendant , ajoute-il, il n'eft pas probable que ces livres, à peine
connus des gens de Lettres j fuflent entre les mains de gens
de guerre , & fur-tout de gens de guerre Allemands.
Il recherche enfuite la caufe de cette haine qu'il attribue à
de Thou contre le Saint Siège , qui l'avoir nommé , dit-il ,
coadjuteur de l'Evêque de Chartres fon oncle, & qui lui avoit
conféré de riches bénéfices , lorfqu'il étoit dans les Ordres Sa-
crez. Il ne peut pas fe perfuader que ces bienfaits répandus fur
lui , fuffent la fource de cette haine ^ ni que la condamnation de
fon Hiftoire l'ait fait naître, parce qu'elle avoit déjà éclaté avant
la cenfure de Rome ^ par des vers, ôz par fon Hiftoire même fî
pleine de fiel contre le Saint Siège. Il conclut donc qu'elle
part d'une antipathie naturelle.
Enfin pour prouver , qu'il ne dit pas fans fondement que de
Thou a fait des vers contre Rome , il en rapporte en eftet plu-
fieurs , où de Thou dit que la guerre , qui embrafoit l'Univers
entier , étoit une punition du Ciel irrité des crimes de Rome >
& de la corruption de fes mœurs.
Il cite d'autres vers, où le Pape eft appelle Bellua Vaticana ,
fiptifrons bellua , Ouirinalis prcedo. Il en rapporte encore d'au-
tres, où F Auteur dit que le Pape fait illulîon au vulgaire^ Ôc
lui promet en vain de lui ouvrir les Cieux. On trouvera la plu-
part de ces pièces de vers à la fin des Mémoires de la vie du
Préfidentde Thou,
Chapitre XI. De Thou faux Théologien.
LE Cenfeur accufe le Préfident de Thou de parler fur
u ne matière , qui lui eft tout-à-fait étrangère , lorfqu'il
touche quelque point de théologie. Il l'arrête d'abord fur ce
qu'il dit, que lorfque Henri VIII. Roi d'Angleterre fe fit re-
connoître pour Chef de l'EgUfe Anglicane par le Clergé d'An-
^(i) Cette remarque ne fait pas honneur
à Machaud. L'envie de reprendre M. de
Thou le fait tomber lui-mêine dans une
^teur groffiere. En eifec , ce judicieux
écrivain n'a jamais prétendu citer en ctt
endroit l'Hiftorien Mathieu Paris, mais
Guillaume Evêque de Paris, célèbre
Théologien du xin. fîécle.
gleterre
D £ J. A. DE Ti-IOU. 44P
gleterre & d'Irlande, il n'y eut du changement que dans la
difcipline , fans que la doctrine en foutfrît la moindre altéra-
tion. Croyez-vous bien véritablement , demande Machaud au
Préfident de Thou , queladodrine ne fouffrit aucune altéra-
tion de la conduite d'un Prince, qui fecoûale joug de l'au-
torité Pontificale , que Jefus-Chrift a lui-même impofée aux
membres de fon Eglife 5 de la complaifance criminelle des
Evêques qui délièrent les nœuds indiflblubles du mariage j de
l'irréligion des Moines, qui violoient fans fcrupule leurs vœux
fous la protedion du nouveau Chef de l'Eglife d'Angleterre ;
Ôc enfin des impietez de Briand, que le Roi d'Angleterre ap-
pelloit y par manière de raillerie , fon vicaire aux enfers ?
Il s'efforce enfuite de renverfer cette maxime avancée dans
la Préface , & répandue dans l'Hifloire du Préfident de Thou :
Qu'il ne faut forcer perfonne à croire ou à embraffer la Reli-
gion Catholique j d'où l'Hiflorien conclut que les Princes Ca^
tholiques fe font mal comportez , toutes les fois qu'ils ont agi
par les voies de fait contre les hérétiques. Pour réfuter ce fen-
timent , le Jefuite foutient , que dès qu'on a donné fa foi à l'E-
glife , on ne peut la lui retirer y parce qu'on efl fournis aux
ioix qu'on s'efl volontairement impofées : Que Saint Auguflin
qui avoir d'abord été d'un fentiment contraire , fe rendit à l'ex-
périence , & convint qu'il falloit ufer de féverité envers les hé-
rétiques: Qu'il fufïifoit délire Sulpice Scvere, pour être inf-
truit du motif des prières que de Thou dit que Saint Martin
fit à l'Empereur en faveur des Prifcillianiftes j & qu'enfin il ne
pouvoir manquer d'avoir lu le livre de Calvin fur la punition
des hérétiques. Il attaque enfuite cette autre maxime qui fe
trouve avancée dans l'Hifloire du Préfident j fçavoir , que les
Rois de France ne font pas foimiis aux cenfures du Pape. Ses
raifons pour détruire cette maxime font , que le Pape ayant
reçu de Jefus-Chrifl un pouvoir qui s'étend fur toute l'Eghfe ,'
îe Roi de France qui eft dans l'Eglife efl foumis, comme les
autres fidèles , à ce pouvoir. Il ajoute, que les Rois Très-Chré-
tiens , perfuadez eux-mêmes de cette vérité , ont toujours eu
une fainte frayeur de l'excommunication , & qu'ils ont fait
tous leurs efforts pour s'en faire relever, àks qu'ils l'avoient
encourue. Machaud dit encore que de Thou n'avance pas tant
cette maxime en faveur des Rois de France , que par hainQ
Tome KK L i l
45-0 PIECES CONCERNANT L'HISTOIRE
contre les Papes, & pour diminuer leur autorité.
De quel front , continue Machaud, de Thou vient-il nous
dire , que le Pape s'arroge le droit de convoquer les con-
ciles ? A qui ce droit appartiendra-t-il donc , fi le Pape ne
l'a point ? Il ne faut , ajoute-t-il , que lire l'Hiftoire Eccle-
fiaftique de Socrate pour s'en convaincre •■, on y verra que ,
fuivant un ancien canon , un concile ne paflbit pour légitime ,
que lorfque l'autorité du fouverain Pontife l'aflembloit. Les
décrets des conciles n'avoient d'autenticité , comme on peut
le voir par les lettres finodales envoyées de tous cotez à Ro-
me , qu'autant qu'ils étoient fcellez de l'approbation du faint
Siège. Ainfi le droit de convoquer les conciles appartient
aux Papes , & ce n'eft pas une ufurpation de leur part , comme
notre Hiftorien le prétend.
De Thou, continue l'Auteur, reproche encore aux Papes
de s'arroger le droit de fonder des Univerfitez où bon leur
femble : mais rien n'eft moins appuyé que ce reproche 5 car
ils ne penfent jamais à former de femblables établiffemens ,
fans le confentement des Princes Chrétiens , dans les Etats
de qui ils ont defTein de les faire. C'eft ce qu'on peut voir
par la formule dont les Chanceliers des Univerfitez fe fer-
vent en donnant les grades : ils difent qu'ils les confèrent de
l'autorité Pontificale & Royale.Enfin, s'il y a quelque Univer-
fité établie par l'autorité feule des Papes , de Thou peut la
citer : c'eft ce qu'il n'a point fait , & ce qu'il ne peut faire.
Le Cenfeur ne peut fouffrir que le Prefident de Thou dife ,
que l'Empereur Charles-Quint s'apperçut trop tard , quel avoit
été le but des Papes en s'attribuant le droit de facrer les Em-
pereurs d'Allemagne 5 que c'étoit pour impofer des loix à ceux,
dont ils devroient en recevoir. Il ajoute que , fi on ne fça-
voit pas que cette reflexion cft tirée de l'Hiftoire du Prefident
de Thou , on ne pourroit l'attribuer qu'à Luther , à Calvin , ou
aux Centuriateurs de Magdebourg -■, que cet Hiftorien n'avoit
qu'à lire ce que Bellarmin a écrit fur l'Empire tranfporté aux
Allemands , pour ne pas deshonnorer fon nom par une igno-
rance fi grofiiere j que c'étoit vouloir perfuader que les Papes
avoient fait une injure à cette nation , en lui tranfportant l'Em-
pire à certaines conditions. Je ne fçai , dit Machaud , en s'a-
dreftant au Prefident de Thou , qui l'emporte de votre igno-?
D E J. A. D E T H OU. 4;i
îance , ou de votre impieté. Vous ofez dire que les loix im-
pofées par le Pape aux Empereurs font la récompenfe de les
avoir facrez : je fuis furpris qu'on n'ait pas fait le même re-
proche au grand Prêtre Joïada , lorfque facrant le Roi Joas ,
& lui mettant le livre de la Loi entre les mains , il lui fit
jurer une nouvelle alliance avec le Dieu de fes pères. Vos
yeux font bleflez de voir la couronne Impériale fléchir fous
la Thiare. Avec quelle joie ne verriez-vous pas renaître ces
temps de calamitez , où les Empereurs d'Allemagne mar-
choient à Rome enfeignes déployées , & où les Barbares ac-»
couroient en foule pour opprimer le faint Siège.
Si de Thou , pourfuit l'Auteur, eût eu la moindre teinture
de théologie , il n'auroit jamais mis au nombre des erreurs
d'Ofiander cette propofîtion que ce dernier foutenoit , que
quand même Adam n'auroit pas péché, Jefus-Chrift fe feroit
néanmoins incarné : ce fentiment eft permis , & plufieurs
Théologiens foutiennent que Dieu auroit donné à la créature
cette preuve de fon amour.
Enfuite le Jefuite reproche au Prefident de Thou de n'avoir
choifi parmi toutes les raifons pour lefquelles on défendit de
faire les prières de l'Eglife en langue vulgaire , que celle que
les hérétiques ont coutume de rapporter pour rendre l'Eglife
odieufe 5 fçavoir , que fi les prières fe faifoient dans une langue
entendue du peuple , elles en feroient méprifées 5 & de ne
mettre que cette feule raifon dans la bouche du Clergé. Il
le raille de fon zèle à défendre les décrets de l'Eglife , fur-
tout ceux qui ont été portez contre les Elagellans. Il ajoute ;
que fans doute Calvin n'a pas eu de peine à lui perfuader
que le cilice & la cendre étoient des fardeaux de l'ancienne
Loi, dont la nouvelle nous a déchargez.
Enfin il accufe de Thou de produire fes propres fentimens ; •
îorfqu'il fait parler une perfonne dans fon Hiftoire contre le
célibat des Prêtres , & qu'il lui fait rapporter tout ce qu'on
a dit contre cette difcipHne de l'Eghfe , fans réfuter lui-même ^
comme il le pouvoir fort aifément , des objedions foibles
que le moindre Théologien eft en état de détruire. Il l'ac^
cufe encore de donner dans le fentiment du dodeur d'Ef.
pence qui vouloir qu'on fupprimât toutes les images , & qu'on
ne confervât que la Croix fur les Autels j ce que de Thoiî
LU ï)
45*2 PIECES CONCERNANT L'HISTOIRE
fait aflez voir en difant , dans le récit qu'il fait de ce qui f*^
pafla à raflenibiée où d'Efpence propofa cet avis, que Maillard
Doyen de Sorbonne s'y oppofa opiniâtrement , prafraBè.
Le Cenfeur lui fait aulTi un crime de rapporter tout ce que
les Iconoclaftes modernes difent contre le culte des images ,
fans le réfuter j de forte , conclut l'Auteur , que ceux qui liront
ce que j'ai tiré de l'ouvrage du Prefident de Thou , ne vou-
dront pas croire qu'il ait écrit de pareilles chofes , ou qu'il
fut Catholique.
Chapitre XII. Artifices particuliers du Prefident de Thou»
E Cenfeur reproche ici à notre Hiftorien d'avoir mis
dans les harangues qu'il fait faire aux hérétiques , tout
ce qu'il y a de plus favorable à l'hérélie , lans introduire per-
fonne pour réfuter ces raifonnemens captieux ; d'avoir exhalé
fous le nom de la Renaudie , toute fa bile contre la maifon de
Guife, dans le difcours qu'il prête à ce chef de la conju-
ration d'Amboife pour animer fes complices. Il eft encore
blefle de lui voir peindre d' Andelot répondant au Roy , com-
me un autre Saint Sebaftien en prefence de l'Empereur Dio-
cletien.
Enfuite il pafle à ce que le Prefident de Thou dit au com-
mencement de fon Hiftoire, que fans fiel, comme fans flaterie ,
il donnera des éloges aux vertus d'un homme de parti oppofé
au fien , & blâmera les vices d'un ami. Il ajoute que de Thou
ne tient pas ce qu'il a promis, & que fon Hiftoire reifemble
à ces boëtes qu'on voit chez les Apoticaires , lefquelles por-
tent des titres magnifiques de remèdes pour la fanté , quoiqu'il
y en ait plufieurs qui foient vuides.
Il lui demande enfuite pourquoi il paffe fi légèrement Ra-
ie retour de Villegagnon à l'Eglife Romaine , & ce qui l'a
empêché de louer lejzele du Cardinal de Lorraine qui avoit
opéré la converfion de ce Gentilhomme Proteftant. Il lui fait
un crime d'avoir dit , que les prédidions faites par quelques
hérétiques liez au poteau pour être brûlez , tels que Geor-
ge (i) Wishartôc Anne Dubourg, avoient été confirmées par
l'événement, pour infinuer que Dieu tiroir vengeance du fup,
CO Monfîeur dç Thou le nomme Claude»
DE J. A. DE THOU. 4^3
flicc de ces fcdaires. L'Auteur ajoute , que de Thou ne fait
reloge que d'un petit nombre de Içavans Catholiques , tan-
dis que fa plume prodigue les louanges les plus fîateufes à
une foule d'hérétiques , dans la vûë de faire entendre que
TEglife Romaine elt dénuée de fcience , & que l'héréiie en
regorge. Il vante par exemple, ajoute-t-il, l'Hiftoire écrite
par Jean Leri , parce que cet Auteur eft hérétique j mais il
parle avec le dernier mépris d'André Thevet , parce que cet
Ecrivain étoit un bon Catholique. S'il eut voulu embrafler
la dodrine des Novateurs , quelles louanges de Thou
ne lui auroit-il pas données ? Cet Hiftorien a néanmoins l'a-
drelTe , pourfuit-il , de joindre toujours l'éloge d'un ou deux
Docteurs Catholiques, aux éloges nombreux & magnifiques
qu'il fait des fçavans hétérodoxes. C'eft , dit-il , un artifice
qu'on a remarqué. Il obferve enfuite que le Préfident de Thou
comprend & Luthériens & Calviniiles fous le nom. général de
ProtePcans , afin , dit-il , de faire croire qu'ils font réunis defen-
timens;&que s'ils difputent fur quelque point, ce ne peut
être que fur des articles de peu d'importance.
Enfin le Jefuite finit fon ouvrage , en difant qu'il feroit plus
facile de nettoyer l'étable d'Augias , que de purger l'Hiftoire
du Préfident de Thou des faufletez, & de toutes les fautes con-
fidérablesquiyfont répandues, & qu'on peut dire de lui ce
que Photius dit de l'Hiftorien Philoftorges Arien : Que fon
ouvrage étoit moins une hiftoire qu'un panegirique des héré-
tiques , & une philippique contre les CathoHques.
Sentence du Prevofi de Paris , contre un Libelle diffamatoire , in-»
îitulé , in Jacobi Augufti Thuani Hiftoriarum libros
Notationes , audore Jo. Baptifta Gallo*
\ Tous ceux qui ces préfentes lettres verront , Louys
{\ Seguier, Chevalier, Baron de Saint Briiîbn ^ fieur des
Reaulx , & faind Firmain , Confeiller du Roy , Gentil-hom-
me ordinaire de fa Chambre , & garde de la Prevofté de Pa-
ris , falut : Sçavoir faifons qu'aujourd'huy fur la remonftrance à
nous faide par le Procureur du Roy en la Cour de céans j
qu'à la dernière foire de Francfort, quelques Libraires de
ÇQÙ.Q ville de Paris , ont apporté un libelle diifamatoire , inti-
Llliij
4^4 PIECES CONCERNANT L'HISTOIRE
tuié , in Jacobi Augu^À Thuani , Hijîoriarum libros Notationes >
Aucîore Joanne ^aptifta Gallo J. C. impriiiié à Ingolftad , l'an
prefent , mil fix cents quatorze , chez Elifabeth Angermayrinaj
Nous veu ledid livre j ôc les concliiiîons dudift Procureur du
Roy , difons que lediû livre , comme pernicieux , contenant
plufîeurs difcours tendans à fédition , contre le repos public Ôc
Edits de pacification, plein d'impoftures & calomnies contre
les Magiftrats ôc Officiers du Roy , fera fupprimé : Faifons
inhibitions «5c deffenfes à tous Marchans , Libraires & Impri-
meurs de le recevoir , retenir , communiquer , imprimer ,
faire imprimer, ou expofet en vente , fur peine de cinq cents
livres parifis d'amende , & de punition corporelle : Et fera
noftre prefent jugement à la diligence du Procureur du Roy,
fignifié aux Sindics defdits Libraires , & enjoint aufdidls Sin-
dics de le faire figniffier à tous les Libraires & Imprimeurs,
à ce qu'ils ri' en prétendent caufe dignorance , & que dans huic-
taine ils ayent à rapporter au Greffe dudid Chaftelet , tous
les exemplaires qu'ils auront d'iceîuy Livre , foubs pareilles
peines à ceux qui n'y auront obéy , & que de la fignification
faide aufdids Libraires , lefdids Sindics en certifieront le Pro-
cureur du Roy à peine d'en refpondre en leurs propres & pri-
vez noms. En tefmoing de ce nous avons faid mettre à ces
préfentes le fcel de la Prevofté de Paris. Ce fut faid & donné
par MeiTire Henry de Mesmes, lieur d'Yrval, Confeiller du
Roy en fes Confeils d'Eftat & Privé , & Lieutenant Civil de
ladide Prevofté , le famedy feptiefme Juin mil fix cents qua-
torze. Signé , D R o u A R T.
Cette Sentence au Vtevot de Paris fut d'abord imprimée en cette
ville y in-quarto y chez Pierre Durand en i6i^.&' enfuite elle
fut imprimée à la fin des Mémoires de la vie du Préfident de
. Thou ) avec un averti ffement. Si on en juge par le file , il nejî
pas de Monfieur de Tlwu. Le voici traduit du Latin,
E ne fiçai quel fanatique , mafqué fous le nom de Joan:
_ Baptifia Gallus y s'eftavifé depuis peu d'exhaler fa fureur
ëc de diftiller fon venin dans un déteftable livre , que les Im«
primeurs d'Ingolftad , au lieu de le fupprimer comme un ou-
vrage monftreux , ont expofé en vente à la dernière foire do-
DE J. A. DE THOU. 45-^
Francfort. Le titre trompeur de ce livre promettoit feulement j
quelques remarques fur l'Hiftoire du Prélident de Thou ; mais
il eft l'effet delà plus noire confpiration 5 c'eft un tiflu abomi- 1
iiable d'injures , d'impoftures & de menfonges artificieux pour !
flétrir , s'il étoit polTible , la réputation du Préfident de Thou. ,
Cet illuftre Auteur , qui eft d'une famille très-diftinguée , Ôc
qui a reçu du Ciel autant de jugement que d'efprit , a com- j
pofé l'Hiftoire de tout ce qui eft arrivé de fon temps. Mais I
malheureufementil vit dansun fiécle, où l'on regarde com- . !
me un grand crime , qu'il ait dit librement , quoiqu'avec mo- ;
dération , ce qu'il penfoit , & ce qui étoit conforme à la vé- ,
rite. Ennemi des nouveautez en matière de Religion , il a !
jugé qu'il étoit d'abord néceflaire de reprimer par l'autorité
des Magiftrats les auteurs des dangereufes opinions, comme
des perturbateurs de la tranquillité publique. Mais depuis que :
ce mal s'eft répandu de tous cotez dans les Provinces , ôc j
que des royaumes entiers en font atteints , il a cru que ce
n'étoit ni par le fer, ni par le feu, ni par d'affreux ravages ^
qu'il falloir travailler à la guérifon de ce mal , mais par de j
pieufes exhortations , & par des exemples édifîans ; & il a fait 1
des vœux ardens pour la réunion de tous les Chrétiens. Voilà '
ce qu'il a eu envûë de faire fentir atout le monde ^ comme ^
un principe indubitable , dans l'Hiftoire de tout ce qui s'eft
pafle de fon temps. Hiftoire écrite avec toute la bonne foi •
poftlble & fans aucune partialité. Cependant il s'eft élevé (1) ;
un ténébreux auteur , forti d'un funefte tripot , qui a ofé avan- \
cer témérairement que toutes les autoritez fur lefquelles de ]
Thou s'eft appuyé J c'eft-à-dire, les ades les plus autentiques, j
îes diplômes & les lettres des Rois & des perfonnes les plus 1
conlidérables ^ n'étoient que de miferables brochures, ren-
fermées dans un tonneau qui étoit dans la bibliothèque de fon ]
père. Cependant ce font des ades , & des originaux mémoi- i
res dreflez par des Ofïiciers généraux, par desEvêques^ par j
des Magiftrats , par des Ambafiadeurs & d'autres perfonnes 1
dignes de foi. Ces pièces font encore dans la bibliothèque du
Préfident de Thou, non dans un tonneau, & elles font partie
d'un des plus riches tréfors Littéraires qu'il y ait dans le
(t) GdluUJcens btibo. Un Hibou contrefaif^nt le Coq. On fcnt qwe cela ne Te peut
traduire.
45 (^ PiECHS CONCERNANT L'HISTOIP.E
monde. C'eft une impoftiu-e manifefte & une méchanceté
horrible, d'avoir prétendu que de Thou dans le vingt-troificmc
livre de fon Hiftoire avoit attribué au Roi François II. une-
maladie deshonorante qu'il avoit contracté dans le ventre de
fa mère. Cependant dans ce même livre , THiftorien a fait fon
po.Tible pour expofer la vraye caufe de la maladie du Roy ,
telle que les plus habiles Médecins l'avoient expUquée 5 ôc
pour faire voir que ce que les Gallus de ce temps-là , & tous
les coquins de cette trempe avoient publié , étoit un pur men-
fonge. Mais que ne peut pas feindre un miferable écrivain,
fans honneur & fans confcience , qui a ofé reprocher à de Thou
de s'être marié , & d'avoir violé fes vœux , parce qu'il a au-
trefois reçu les quatre Ordres Mineurs , & qu'il étoit defriné
îi remplacer fon oncle l'Evêque de Chartres ? Cet infenfé igno-
re ou diffimule fortement ce que les enfàns même fçaveilt,
que le Pape difpenfe aifément des obHgarions qu'on a pu con-
trader parces commencemens du facerdoce : Que par con-
fequent le Préfident de Thou n'avoit aucun obftacle qui Fem-
péchât d'engager fa foi à une femme , & de vivre légitime-
ment dans l'état du mariage. L'Eglife l'a fçû 5 il l'a fait à la fa-
ce du Ciel , & Dieu l'a approuvé. On ne peut lui en faire crl-
>^ me , fans être ou un fou , ou un fripon. Tous les François fça-
vent , quoique Gallus le nie éfrontement , que de Thou eft
très-attaché à la foi Catholique &: à l'Eglife Romaine , que les
Saints Apôtres Pierre ^ Paul ont fondée par des écrits fcellez
de leurfang, & qu'il a toujours cru que c'étoir un grand pé-
ché de s'éloigner tant foit peu des dogmes qu'elle enfeigne.
Que cet infolcnt celle donc de vouloir flétrir la réputation
d'iui écrivain célèbre. Malheur à cqs clabaudeurs, qui ont ann
mé contre lui cet importun déclamateur.
ti^oiogi^
DE J. A. DE THOU; ^^f
Apologie pour Monfieur le Prefident de Thou fur fon Hijloire ; (ij'
copiée fur l'Original qui eft entre les mains de M. PAbbé
de ThoH,
L'Histoire de Monfieur de Thou ) publiée entière
quelques années après fon déceds, a reçu divers juge-,
mens du tout contraire les uns aux autres. Les uns admi-
rent cet ouvrage , grand & merveilleux , & s'étonnent qu'il
fe foit trouvé en ce ûécle un homme, qui fans détourner
l'œil de deifus la vérité , & avec ime liberté bien réglée , a
dit les chofes comme elles fe font palfées, a pénétré dans les
confeils les plus fecrets , & qui a , en cette divifion générale
de l'Europe, gardé en tout ce grand corps une proportion &
juftice admirable & inimitable. Les autres y confiderent un
ftile élégant & égal, 6c une dilucidité en la narration , ce qui eft
certes à eftimer, mais qui fe rencontre en des âmes balles &
méchantes j aulfi eft-ce louer l'ouvrage par la moindre de fes
parties. Ce n'ell pas aulTi, contre ceux-ci que nous avons af-
faire ; mais bien contre une forte de gens, reftes de la ligue ,
& leurs émiflaires , ennemis de la vérité de fHiftoire , parce
qu'ils s'y voyent en toutes les pages , non pas pour avoir
bien fait, mais pour s'y voir embrouillez en toutes fortes de
conjurations publiques & particulières j contre ces gens ,
dis-je,qui tiennent les Rois, les Grands, les fimples & les
ignorans tellement a(llégez,qu'ils ne voient que par leurs yeux,
ne parlent que par leur bouche , ne font cas que de ce qui
touche leur fadion, leur donnent les chofes faufîes pour véri-
tables , leur font voir par de faux jours ce qui n'eft pas, les tien-
nent dans une perpétuelle inquiétude de leurs fautes , leur ou-
vrant le Paradis , félon qu'ils les voient ployans à leurs def-
feins, & les menaçans des peines éternelles au moindre figne
qu'ils font paroître d'un contraire fentiment. Par ces quali-»
tez, il faut avouer que ces gens ont, principalement en deux
points, de grands avantages fur ceux qui lifent avec admira-
tion cet ouvrage 6c qui le deffendent. L'un , qu'ils font voir ui>
Ci] Cette pièce fur compofée en \6zo,
par M. Pierre Dupuy quelque- tems après
que J'Hiftoire de Moniieur de Thou
Tome XF^ M m n>
complète eut été imprimée pour la prç;^
miere fois à Genève.
4y§ PIECES CONCERNANT L'HISTOIRE
grand afcendant qu'ils ont fur les Rois & leurs principaux Ma-
giftrats, ou qui font Magiftrats eux-mêmes > & comme ils ont
le pouvoir d'étouffer tout ce que les efprits les plus relevez
peuvent produire 5 6c l'autre, qu'il eft comme naturel à tous
îes hommes d'oûir avec plaifir les médifances & calomnies ,
inêmes les plus éloignées de vrai-femblance. Mais il eft à ef-
perer que l'un & l'autre de ces avantages tourneront à leur
confufion, étant vrai que les faveurs extraordinaires étant ta-
chées de violences , ne peuvent gagner fur des cœurs francs
& généreux , & que les calomnies feront d'autant moins crues
parmi les gens de bien , qu'on les verra être publiées par
ceux-ci, qui n'ont autre couverture de leur honte, que cette
miférable feuille & cette faveur momentanée , qui n'en cou-
vre que la moindre partie 5 & c'eft pour cela que l'on doit ren-
dre grâces immortelles à Dieu , qui permet qu'à l'inftigation
de telles gens, cet ouvrage foit ainfi agité 5 car combien qu'il
ne foit rien tant à defirer , que de palier non-feulement cette
vie fans aucune mauvaife rencontre , mais même que notre
mémoire foit entière après notre mort , toutefois fi toutes
chofes fuffent venues à fouhait & que cette grande Hiftoire eût
paflfé par le monde, fans faire rencontre de la haine de cette
forte de gens & de leurs fedateurs , nous aurions perdu l'a-
vantage de ce témoignage qui eft rendu par tels ennemis , qui
doit être , à le bien prendre , le plus excellent éloge d'hon-
neur , que la mémoire de l'Auteur puifle recevoir après fa
mort. Car qui y a-t-il de plus agréable en ce monde , principa-
lement à celui qui a entrepris, écrivant l'Hiftoire , de dire la
vérité , que d'être mortellement haï par fes ennemis 5 ennemis
de la patrie & du repos ; & par leur propre bouche rece-
voir un doux témoignage de fa fideUté envers fon Roi Ôc
fon Etat , & de fa conftance inflexible contre les méchans .^
Si l'Auteur n'avoir mis par écrit fon origine , comme il a été
nourri , quelles ont été fes habitudes & les fervices qu'il a
rendus à nos Rois , non en petites charges 5 les peines & tra-
vaux qu'il a fupportez pour rendre , félon fa vocation, la paix
& le repos à ce Royaume , pendant que les autres prêchoient
la guerre & le fang , il feroit pofTible à propos de les déduire,
èc la dédudion fans doute en feroit agréable 5 mais il femble ,
après ce qu'il en a dit ^qui eft net , véritable , ôcfans vanité , quil
D E J. A. D E T H O ir. 45'>
ne nous refte maintenant que défaire voir à la France , que ce
qui fait crier ces gens & leur cabale , eft tout public , con-
cerne les droits & l'autorité Royale maintenue en ce livre
très-conftamnient. C'eft quand il dcteite l'ambition Efpagno*
le fur cette Couronne, qu'il improuve & abomine les entre-
prifes fur la vie des Princes , & toutes les Ligues , principa*
lement la dernière , la plus déteftable qui fut jamais ; quand
il découvre clairement & fans paillon tout ce qui s'eft palle
depuis foixante ou quatre-vingt ans , avec la plus refpedueu*
fe modeftie ôc franche liberté qu'aucun Hiftorien ait gardée
aux plus périlleux Aécles où il fe foit rencontré.
Disent donc les Jefuites , pour exciter toutes les PuiC'
fances contre cet œuvre , que l'Eglife ( la confondant par
artifice avec la Cour de Rome ) que l'Eglife , dis-je , y eft
bleffée par tant de rudes atteintes contre les. Papes & leurs
Cours i que les vices qui y régnent y font notez par la dé-
dudion hiftorique du Concile de Trente , tirée néanmoins
des inftrudions des Ambafladeurs , & fur les dépêches de
nos Rois j par la remarque qu'il fait, & très-judicieufement ,
imputant le mauvais fuccès des affaires de notre Louis XII
à l'alliance qu'il contrada ( lib. i.)avec Alexandre VI. Les
Hiftoricns d'Italie nous découvrent aflez fes ordures , il faut
être ftupide pour en penfer autrement. Ils noteront fans dou-
te les injuftes fulminations de Jules II. contre ce même Roi L-b. r^
ôc le peu de cas qu'il en fait. Qui eft le Fran(;ois qui ne les
juge telles? Que ne dit-il point , difent-ils , de i'Inquifition , Lîb. xxvir»
qui eft , à vrai dire , la perfécution des beaTux efprits f De véri-
té, il remarque les Etats qui fe fontfoulevez pour s'en défen-
dre 5 étoit-il pas de fa charge , écrivant les guerres & fédi-
îions populaires , d'en dire les origines ? Et puis y a-t-il rien de
fi contraire à notre air François que cette forte de procédure
barbare & extraordinaire ? N'apprenons-nous pas paria, que
cette tyrannie ne fe peut établir fans rébellion , ni fans trou-
bler les Etats .^ Ils fe formalifent de ce que fi librement il
parle contre l'avancement trop grand des neveux des Papes
& de leurs parens ; que ne dira-t-on après le Concile de Tren-
te , qui le défend à tous les Eccléfiaftiques f Ils ne peuvent
fouffrir que l'on n'approuve pas cette authorité que les Papes
«attribuent de transférer les Roiaumes, comme celui de Na*
M m m i j
46-0 PIECES CONCERNANT L'HISTOIRE
varre, celui d'Angleterre l'an 1588. celui de France durant
J.ib. xcvin. ia Ligue. Ils ne trouvent non plus jufte Foppofition que fit
le Roi à la venue du Légat Cajetan en France pendant la
Ligue , foutenant que les Légats ne dévoient entrer en fon
J-ib. cm. Royaume fans fa permilTion. Non plus auffi quand il rapporte
les Arrêts des Parlemens contre le cardinal Séga , partifan
d'Efpagne , venu en France pour l'éledion d'un Roi en ce
Royaume, qui étoit troubler tout l'ordre de nôtre Monar-
î.îb. CI. chie : & toutefois cette oppofition leur bielle l'efprit. Les Ar-
rêts des Parlemens de Tours , de Châlons & autres Compa-
gnies Souveraines , contre Landriano , ne leur plaifent non
plus; & néanmoins qu'etoit-ce faire de les laiiler fous filen-
ce, fmon être partifan de la Ligue & de fes crimes .f* Si cela
n'eût été , il n'eût pas rapporté l'Arrêt du prétendu Parlement
de Paris au contraire , qui ne leur déplaît pas, bien que ce ne
foit qu'un impudent Libelle, contenant autant de crimes que
de lignes.
Ils trouvent mauvais que l'on remarque les droits qu'a
Lib. VI. le Roi de faire voir par fon Parlement les facultez des Lé-
gats, & les modérer félon les Loix de cette Monarchie. La
remarque de l'Arrêt donné fur l'établilTement de fUniverfité
lib. vni.& de Rheims, où il eft déclaré que notre Roi eft exempt des Cen-
icxYi. fures, les offenfe merveilleufement 5 comme auffi quand il
remarque particulièrement comme on s'eft gouverné en Fran-
ce pour la provifion des bénéfices pendant les défenfes d'al-
î,ib. xxnr. 1er à Rome 5 & quand il a dit combien la pratique des ap-
pellations comme d'abus , eft utile à ce Royaume & neceflài-
re , non pour en abufer , mais pour en ufer fuivant les Ordon-
tlh. xxvï. & nances. Les Arrêts tant célèbres , rendus contre Tanquercl
cxïv. Florentin ^ Jacob & Georges Criton ^ qui avoient dans des
propofitions Théologiqu^s' donné au Pape une fouveraine
puiflance temporelle, ne leiu" peuvent plaire; non plus que
Lîb. cxx. les Arrêts contre Rofe Evêque de Senlis , contre l'Archevê-
cxxvi. cxxix q^e d' Aix , contre le Cardinal de Sourdis , & contre un nom-*
^xxxvi. l'^'^é Flavian : Arrêts tous notables , tant pour la qualité des par-
ties , que pour le fujet dont ils traitent, qui ne fe pouvoient
obmettre, fans être prévaricateur des droits du Roi & de cette
Couronne.
■ I L n'y a pas jufqu'à la Préface , qui ne leur foit à fcandale j
DE J. A. DE THOU. 4^i
5c toutefois il n'y a rien de fi faint, de Ci chrétien, defi bien
fonde en pafîages des Pères , de fi conforme à la charité :
bref, la violence dont on ufa au mois d'Août 1572. & la
ligue , leur font également agréables j qui détefte l'une ou
l'autre les oftenfe, parce qu'ils ont l'une ôc l'autre en l'ima-
gination. Les voies douces & amiables ne font , difent-ils ,
que pour les tiédes , que pour ceux qui fomentent l'herefie.
Ils ne peuvent trouver bon qu'il foit fouvent reprefenté aux
Rois, combien il leur eft avantageux de tenir leur parole, de
faire obferver leurs Edits ^ & combien il en a mal pris à ceux
qui ont méprifé l'un & l'autre ; l'exemple de Battori eft ex^
cellent 5 il en fera parlé ci-après.
Combien font-ils indignez de ce qu'il parle de l'excom-
munication fulminée contre la Reine de Navarre , du temps
du Roi Charles IX. & lors de la Magiftrature du Chancelier
de l'Hofpital, déduite comme elle eft, avec toutes fes cir-
conftances, & les remèdes qui y furent apportez pour s'en dé-
fendre ?Il parut lors combien peut un homme je dis un hom-
me tel que ce grand Chancelier , le dernier de fa Robe j près
d'un Roi qui veut exécuter un bon confeil
Est-il pofTible qu'ils nefe fornialifent de ce qu'il remar- Uh.xciîu
que , qu'en crime de leze-Majefté,les Ecclefiaftiques font obli-
gez de répondre aux Juges Royaux , quoique cela n'ait ja-
mais été révoqué en doute en France que depuis peu d'ai>
nées , que l'on a réduit en art le crime de leze-Majefté 5 qu'il
s'eft depuis trouvé aufli fréquent parmi toutes fortes de per-
fonnes , que l'adultère ou le larcin f
La Ligue découfuë & découverte, comme elle eft dans
cet ouvrage, ne leur peut plaire, au contraire les offenfe,
quand ils voient que les mémoires de l'Avocat David y font
inférez , la plus honteufe Pièce de leur cabale ; quand on .
voit leur rage , telle que d'avoir fait oter des Prières de fE-
glife le Roi Henri III. Prince très-Catholique. Que les livres
de ce fanguinaire Boucher y font notez , le plus méchant &
déteftable qui ait écrit pendant cette miférable faifon. Que
l'on avoir contraint un pauvre Carme de fe retrader à la mort ,
pour avoir faintement écrit qu'il n'y avoit aucune jufte caufe
de prendre les armes contre fon Prince. Quand il parle avec Lib. xcv,
la liberté bienféante à un homme de bien, de l'excommu- Lib. xcti.
Mmmiij
4^2 PIECES CONCERNANT L'HISTOIRE
nication fulminée contre Henri III. par le Pape Sixte V. ex*'
communication autantinjufte ^ qu'ctoient abominables lésai-
légrefles qu'il témoigna en plein Confiftoire de la mort de ce
3:ib. cxiv. Prince. Ils trouvent très-mauvais les remarques qu'il fait, des
Arrêts donnez contre ceux , qui au lieu d'inftruire le peuple
à la pieté & le conduire à la pénitence dans la chaire de la vé-
rité , difcourent féditieufement des affaires d'Etat , excitent les
Grands & les Peuples à la prife des armes , ne font éloquena
que fur cette matière ; c'eft leur donner droit à la face que d'en
parler fî ouvertement & li fincerement. Combien leur eft-il
fâcheux d'y voir cette miférable Affemblée tenue à Paris, fous
le nom d'États , dépeinte de toutes fes couleurs ? Affemblée
la plus hardie , la plus téméraire qui fût jamais tenue en Fran-
ce , où les Ambaffadeurs du Roi d'Efpagne préfidoient , oii
ils furent oûis pour donner un Roi à ce Royaume , où les loix
fondamentales de cet Etat furent tellement ébranlées , & y re-
çurent une telle atteinte , qu'il femble que les efprits qui fe
trouvèrent embarraffez en ce miférable Parti , en ont été at^»
teints pour jamais , tant le Catholicon d'Efpagne préparé pac
ces gens eft pénétrant & corrofif.
Ils ne peuvent fupporter patiemment , quand on remarque
l'injufte poffeffion du Roïaume de Navarre , ufurpé par Ferdi-
nand Roi de Caftille fur Jean d'AlbretjÔc comme les Rois
d'Efpagne depuis , fentant leur confcience chargée de cette
ufurpation , ont recommandé par leurs dernières difpolitions
d'en faire la raifon ; reconnoiffance certaine , & par eux-mê-
mes, de leurinjufte détention, quoique tardive, 6c jufques
ici demeurée à ces termes ; & par le Roi Philippe II. & pac
fon Succeffeur qui régne à préfent. Il ne peuvent auffi fouf-
frir que l'on faffe voir à l'Europe , combien eft évident le def-
fein de l'Efpagnol de fe rendre Monarque de tout le monde ;
fous le fpécieux prétexte de la Religion ; & toutesfois les en*
treprifes qu'il fait fur tous les Etats de la Chrétienté font fi
communes , font fi vifibles ; il a tant d'émiffaires par tout , qu'il
n'y a année qu'il n'emporte quelque pièce & qu'il ne fatisfaffe
à fon ambition 5 & tout fraîchement la Valteline fur les Gri-
fons , à notre honte ôc à notre grand préjudice. N'avons-nous
pas fenti combien fon deffein eft yafte , par les effets de la der-
mere Ligue / N'avons-nous pas vu qu'il n'y a Traité de Paix ,
XJ
DE J. A. DE THOU. 4(?5
tant faint , tant inviolable qu'il puille être , qu'il ne tâche , con-
tre la foi publique, de corrompre , non feulement les plus
grands , mais va jufques aux plus petits ? Les exemples du Ma-
réchal de Biron , du Comte d'Auvergne , de la Marquife de
Vcrnueil, de Merargues , de l'Hôte, de Cartier de Gionvel-
le , de Ridicaux , de quelques habitans de Marfeille , d' Ar-
tus Defiré,&de quantité d'autres font récents, font exami-
nez dans cette Hiftoire & déduits véritablement fur les ori-
ginaux. C'eft ce qui les fâche •> car ils veulent que ces def-
feins , ayant une fois manqué , foient étouffez 5 afin de rendre
la pofterité ignorante , moins foupçonneufe , & plus fufcepti-
ble de pareilles trames & conjurations , n'ayant point d'exem-
ples pour les rendre fages. La remarque de l'affaffinat du Car- Ljb.
dinal Martinufius , avoué par l'Archiduc Ferdinand d'Autri-
che, & la mort cruelle du Cardinal Battori , procurée par Lib. cx^iri
ceux de cette Maifon , aufTi peu vengez par le Pape , comme
s'ils euffent été de petits Curez de Village , nous font voir ,
les fautes étant égales , combien étoit peu jufte cette rude pro-
cédure du Pape Sixte V. contre le Roi Henri III. pour la mort
du Cardinal de Guife.
Les remarques de mauvais traitemens faits , fans aucune
forme de ju{lice,au Grand Confalve , au Duc d'Albe , au
Prince de Parme , à Michel Prince de Valachie , à Chrifto-
phe RufwormiuSjà Sigifmond Battori, & autres grands Ca-
pitaines 3 par l'Efpagnol & ceux de la Maifon d'Autriche en
Allemagne , après avoir expofé leurs vies pour agrandir leur
Empire , ne leur plaifent nullement ^ relevez qu'ils font à la
la vue de l'Europe , étant très-déplaifans que la vérité fe dé-
couvre contre la nation Efpagnole , & qu'elle fe dit avec une
liberté non affedée.
Toutes ces confîderations , toutes ces obfervations , font
les Livres avec lefquels ils trompent les Ecclefiaftiques 5 ôc
les Séculiers s'infînuent près d'eux pour décrier cet ouvrage >
c'eft par ces artifices qu'ils pipent les fimples & les idiots ,
fans leur découvrir ouvertement ce qui les bleffe le plus ,
qui eft bien autre chofe que ce que nous avons remarqué
ci-defllis.
Ce qui les offenfe donc jufqu'au vif, eft qu'en une in^
finité d'endroits de ce grand œuvre, ils s'y rencontrent, non
^6^ PIECES CONCERNANT L'HISTOIRE
pas aux bonnes ni aux belles adions ; mais en celles qui nô
peuvent être commifes qu'avec crime , voire des plus énor-
aies. L'on les voit donc , en faveur de i'Efpagne , confeil-
1er au pauvre Doni Sebaftien , Roi de Portugal , leur Roi na-
turel, de faire la guerre aux Infidelles , que ce jeune Prince
aveuglé de gloire , peu fin contre la rufe de ces gens , eni*
bralTa avec telle ardeur , qu'il lailTa fon Royaume ouvert à
toutes fortes cjes pratiques de l'Efpagnol , y perdit la vie ÔC
fon Etat , que le Roi d'Efpagne envahit à fon aife , ayant
gagné la fimplicité de Henri Cardinal Roi ^ par le moyen
des Jefuites qui le pofledoient. Les Hitloires écrites en Ita-
lie par perfonnes qui étoient, non à Genève , comme ils on£
dit , mais à Gènes, y font fi claires , qu'il n'y a plus A'îen à dou-
ter en ce point. Si cet exemple eft notable pour l'avantage
qu'en a reçu l'Efpagnol , celui qui fuit ne l'eft pas moins ;
pour faire voir de quel efprit ces gens font portez pour ce
Roi , en quelque coin de la terre qu'ils foient. Sigifmond
ilb. ex. Battori Prince de Tranfilvanie jeune & courageux , fut en-
gagé par Alphonfe Carille Jefuite Efpagnol, défaire la guer-
re au Turc , fans confiderer ni la puiifance de ce grand en-
nemi du nom Chrétien , ni les Traitez & Confédérations qu'il
avoir avec lui. Il en prit fi mal à ce miférable Prince , qui
fut réduit à de fi preffantes extrêmitez , alfiegé par ce Jefui-
te , qu'il fut perfuadé de céder la Tranfilvanie à l'Empereur ;
de quoi il ne fut pas long-temps à fe repentir , prenant les
armes contre l'Empereur , pour conferver fon Païs , d'où s'en-
fuivit fa ruine , le progrès du Turc dans fon Païs , la mort
cruelle du Cardinal Battori fon oncle. Bref, le miférable état
de ce Prince, qui fut contraint fe jeiter aux pieds de Geor-
ges Bafte, Général de l'Armée Impériale , qui le réduifit de
Prince puiflant qu'il étoit , vaillant & courageux , mais trop
crédule & peu fin pour ces gens , à demander par grâce d'être
jreçii fimple Baron de Bohême avec une légère penfion ;
pour palier le refte de fes jours , comme il a fait , en la plus
miférable condition qu'un homme de fa qualité puifle finie
fa vie. Cet exemple récent , n'eft pas arrivé loin de nous 5
il nous peut rendre fages , & feulement en cela qu'il nous faut
j^i'endre ailleurs nos confeils , que nous n'en devons efperet
4ç .meilleurs de ce côté ^ ôc que la confpiration de cqs gens
eft
ex.
DE J. A. DE THOU. 4(?; i
•eft générale en Portugal , en Allemagne , en Hongrie , en i
France , en Italie , & par tout ailleurs.
Pour donc continuer nôtre premier deflein , l'on les ]
voit d'entrée dans cette Hiftoire , troubler l'Univerfité dePa- ^
ris qui s'oppofa à leur établiflement. L'Evêque de Paris , bailla ^
fes moyens pour empêcher leur progrès , & la Sorbonne en Lib.
donna fon avis j les Plaidoyers faits de part & d'autre y font
au long : ce qui ne fe pouvoit obmettte , non plus que leur j
Caufe plaidée en l'année 15P4. contre l'Univerfité de Paris , |
agitée avec tant de contention & d'apparat qu'aucune autre I
depuis cent ans en ce Parlement. L'Arrêt de l'an i<^g'] don- r-, i
né contre Porfena & toute la Société , où fut ouï Monfieur '
Marion pour le Roi , n'y eft pas oublié ; non plus que les Arrêts ;
donnez en l'an ij^8 en divers Parlemens qui fe trouvèrent Lib. cxx,' 1
contraires j tant leurs artifices font puifîans, & certes leurs
intérêts font fi grands , font tant mêlez de brigues , fe trou- 1
vent de fi grand poids en toutes fortes d'Etats , qu'il eft plus ;
à pardonner à un Hiftorien de pafler les adions des plus grands j
Princes, que de toucher légèrement fur ce qui concerne ces '
gens-ci 5 voilà pourquoi l'on voit en cette Hiftoire les Plai-
doyers entiers , les défenfes des uns & des autres , comme el-
les ont été publiées. i
L'on les voit d'autre part envelopez en plufieurs conju- |
rations, contre la Reine d'Angleterre & contre le Roi fon fuc- : ;
cefleur , en la plus déteftable & horrible qui fut jamais , qui eft j
la Fougade ; pour celle-ci ils ne l'ont pas niée , au contraire ;
l'ont louée , l'ont exaltée par écrits publics , & toutefois leur \
deflein étoit fi horrible , qu'ils emportoient l'innocent avec le \
coupable ; toute la Noblefle de ce Royaume , tous les Grands ■
enflent été étouftez en un moment. i
Combien trouve~t-on d'entreprifes fur la vie des Princes Lib. cxx; \
d'Orange, Père & Fils .?L'on fçait ce qu'ils ont à répondre à \
ces exemples, & par quelles diftindions ils font croire que ^
tels attentats font permis , font méritoires. Toutefois un de ;
leur Société , nommé Criton , difluada l'aftaftln Parry Anglois , Lib. lxxi»^ \
d'entreprendre fur la vie de la Reine d'Angleterre, par ce \
commandement de Saint Paul, qu'il ne faut pas faire le mal ;
pour en attendre du bien. Cette Théologie, comme trop an- \
cienne , n'eft plus tenue dans leurs Ecoles 5 leurs Livres pu- \
Tome XK N n n \
^66 PIECES CONCERNANT L'HISTOIRE
bîiez depuis quelques années ^ qui ont été déchirez par les
mains des Bouureaux& brûlez publiquement, enieignent une
dodrine du tout contraire ; & pour le montrer par les exem-
pies , à nôtre grand mal , & qui ne s'adrellent feulement pas à
des Princes hérétiques , avons-nous pas l'exemple de Barrière ,
que Varade Jefuite excita & anima pour entreprendre fur la
vie de nôtre Grand Henri f Avons-nous pas l'adion de Cha-
ftel , qu'ils ne peuvent nier d'avoir étudié chez eux , avoir
été admis en leurs plus fecrettes Aflemblées, avoir appris en
leur Ecole cette déteftable Dodrine , pendant leur rage con=
tre la Maifon Royale , qui le porta à cette méchante adion l
Ce lieu de l'Hiftoire fans doute les offenfe. Que pourroit-on
dire autrement, que de faire voir à la pofteritéla caufe d'un
fi célèbre Arrêt, & qui avoit donné fujet à la condamnation
de Guignard Jefuite & de toute la Société. C'eût été faire
en très-mauvais Hiftorien, d'inférer l'Arrêt de la Cour fans
en déduire les caufes 5 il importoit trop au Roi & au Parle-
ment de faire voir les motifs de cet Arrêt fi célèbre & de
Il grande conféquence, les preuves qu'il y avoit pour en ve-
nir à une fi notable exécution 5 & puis , qu'y a-t-il qui ne foit
pas véritable ? Les Procès y font formels 5 ce n'eft qu'une fim-
ple narration , il ne faut pas faire le Rhéteur pour exagérer le
fait, il parle de lui-même.
Lib. xciv. Apre's cela , ils fe voyent chaflez de Bordeaux par le
Maréchal de Matignon, pour conferver cette Ville en l'o-
béiffance du Roi •■, ils en fortirent , mais pour fe retirer en
des Villes rebelles à leur Roi, qui étoit Catholique. La fuite
de la conjuration de Charles Pvidicauve déduite clairement >.
fuivant ce qui en fut vu en plein Parlement, les offenfera
fans doute 5 car l'on y voit un de leur robe exciter l'affanin
à entreprendre fur la perfonne du feu Pvoi & lui defirer plus
de force & de courage qu'il n'en avoit pas pour cette exé-
cution : cet exemple eft connu de peu ; il eft néanmoins
d'autant plus excellent ^ qu'il contient une infinité de notables
circonftanGes,qui vontài'inftrudionde la pofterité. Ceci ne
s'apprend pas dans ces petits Livrets, dont nous parlerons tan-
tôt, & dont quelques impertinens difent que cette Hiftoire
eft compofée : mais dans les Archives & les Greftes des Cours
Souveraines , où l'Auteur a tenu un des premiers rangs : & en-
DE J. A. DE THOU. ^67 .
core importe-t-il grandement au public , que ces a£l:ions lî
notables & de fi grande conféquence foient imniortalifées & ■
écrites dans les grands ouvrages qui doivent pafler à la pofte- !
rite, n'étant plus déformais en sûreté dans les Greffes & au- '^
très lieux réputez facrez par nos Pères , étant la Cabale de ces '\
gens fi forte , & Ci puilfante , que l'on en fouftrait tous les jours
les principaux monumens,, afin que la mémoire en foit éteinte. j
Si leur trop grande & prolixe harangue, qu'un de leur corps !
fit à Mets , au feu Roi , pour leur rétablifiement en ce. Royau- Lîb. cxkxni j
me , leur eft agréable 5 celle que fit le premier Prefident de " ;
Harlay, pour détourner ce coup, ne peut qu'elle ne les fâ- ;
che 5 elle fe trouve néanmoins telle dans les Regifires de la i
Cour. Cette pièce étoit de trop grande conféquence pour ne '■
la mettre pas 5 prophétique qu'elle eft ^ remplie de belles & ']
relevées confidéiations , qui n'eurent néanmoins aucun effet , i
tant leur brigue fut forte. Elle fert toutefois pour faire voira j
la poilerité que les grands Princes font quelquefois de très- . i
grandes fautes, & que cette Compagnie ne s'eft pas endor- I
mie à fon devoir, & qu'elle avoit bien jugé combien l'éta- ]
bliffement de cette Société importoit à nôtre repos. i
La Pyramide , érigée en mémoire de l'afiaftin Chaftel ; I
pour la fatisfadion du public & des gens de bien , & dé- .
mohe à leur pourfuite ^ non fans l'indignation publique , fait |
paroître qu'il leur importe que la mémoire des affaiïins des '
Rois foit abolie 5 & que leurs intérêts font tellement joints i
avec ceux de ces Parricides, qu'il a fallu ^ pour leur plaire, ■ |
faire violence aux Loix , brifer les marbres & les monumens
dreffez pour la pofterité. C'eft ce qui les offenfe, quand ils j
voyent qu'ils n'ont rien fait, & que cette pièce eft dans cet j
ouvrage , qui durera malgré eux & leur faveur , & contre l'ef- ^
fort des fiécles. Les queftions extravagantes que fit le Père ihid. ]
Coton à une prétendue démoniaque les offenfera poffible , & ]
diront que cette action fait peu ou point de part en l'Hiftoi- \
re 5 fi cela fut arrivé à un autre qu'à un Jefuite , & à ce Jefuite ; j
ils auroicnt raifon ; mais à un de cette robe , & de la qualité ;
qu'il avoit auprès du Roi , il n'y a rien que d'important , & tel-
lement important , que le Roi s'en entremit fi avant, qu'il fe \
fit reprefenter les billets où étoient ces queftions. Le Duc de i
Sulli , employé lors aux plus grandes affaires de l'Etat , travailla j
Nnn ï] I
4^8 PIECES CONCERNANT L'HISTOIRE
fort pour les retirer & les fupprimer. Et puis peut-on dire que
e'eft une matière de peu d'importance? Rien moins, la lec-
ture en fera la preuve : l'on y voit une enquête fur la vie
des Rois , qui eft un crime punifîable par les Loix divines
& humaines ; & par les régies mêmes établies par les maî-
tres en l'Aftrologie.
C E n'eft pas feulement en France où ils ont excité des trou-
bles , mais en tous les lieux où ils mettent le pied. Vous voïez
lïb. Lxxxiii. ^^ fédition qui fut à Riga en Livonie , pour y avoir été re-
çus. L'on fçait que les mauvais traitemens , que reçoivent
lib, cxxvi. les pauvres Catholiques en Angleterre ne viennent d'autre
caufe , que des fréquentes confpirations de ceux de cette So-
ciété , contre la Perfonne de ce Roi & de fon Eftat. L'on
voit les Décrets donnez contre leurs entreprifes à Danzic
lîb. cxxxvi. ôc à Torn en Pruffe , & puis le célèbre donné à Venife , déduit
lib. cxxxvii. avec fes circonftances , & qui s'obferve encore à prefent , tant
cette fage République fçait bien maintenir ce qu'elle a une
fois prudemment arrêté. Voilà en gros ce qui les offenfe juf-
qu'au vif Voilà les points qui font caufe qu'ils recherchent
d'autres fujets , que ceux qui les concernent diredement , pouîj
exciter les Grands de les Ecclefîaftiques pour décrier cet ex-
cellent Ouvrage.
Restent maintenant d'autres légères & frivoles obferva-
tions , qui fe font fur toute l'Hiftoire. Les plus grofllers &
ftupides, qui parlent par la bouche d'autrui fans en avoir lu
une feule ligne , difent que c'eft fHiftoire de la Popelinie-
re tranfcrite , & rien plus. Ces pauvres ignorans montrent
par cette objedion , qu'ils jugent des chofes fans les voir :
car s'ils avoient conféré les Livres , ils verroient que la Po-
peliniere finit en foixante & dix-fept, & que cette Hiftoire
va jufqu'en i6oj. qui font près de 30 années plus avant j &
puis (î Ton regarde ce que l'un & l'autre a écrit, l'on voit
la différence aux jugemens, aux circonftances & en l'ordre ,
telle & Cl grande , que fans ôter la gloire due à la Popeliniere ,
l'on peut dire que fun parle en Confeiller d'Etat , né en haute
fortune , aiant beaucoup de chofes au deffous de lui , qui a
vu les affaires , en a manié une partie , & pénétré dans les
Confeils , a eu communication des inftrudions & dépêches
des Anibaffadeurs 5 bref, qui n'a riea épargné de fon foin &.
DE J. À. DE THOU. ^^^
ée fes peines , pour rendre fon Ouvrage parfait & accompli
L'on voit en l'autre au contraire des adions & rencontres
dénuées de leurs circonftances & traitées fort légèrement j
l'on le voit au deifous de toutes chofes ; s'eft trouvé enve-
lopé dans un parti troublé Ôc agité de perpétuelles craintes y
tantôt chaire, tantôt rapellé par les Edits, naïant eu l'entrée
des Cabinets des Grands , naïant fçû les chofes que par le
raport d'autrui , ni eu la communication entière , pour l'a-
eompliflement de fon deflein î il ne fe peut faire toutefois
que l'un & l'autre écrivant la même Hiftoire , allant le mê-
me chemin ne fe foient rencontrez à dire cette vérité, qui^
eft fimple , qui ne peut recevoir deux vifages.
Ils ajoutent, avec autant d'impofture que d^ignorance ,
que cet ouvrage eft compofé par les moiens de ces petits li-
vrets du temps , qui courent par les rues , remplis de faulTes-
êc paflîonnées relations. S'ils apellent livrets faux & paiïion-
nez , les Edits & Lettres Patentes des Rois , les Arrêts des
Cours Souveraines , les Traitez avec les Princes étrangers ,-
les Relations mêmes qui fe publient par ordre du Roi , ôc
autres Adies importans que l'on imprime pour être commu-
niquez au public, pour le bien des afiFaires^ ils ont quelque
raifon en leur ftupidité. Mais au contraire , fi l' Hiftoire eft man-
que & défedueufe fans ces particularitez , que diront-ils l rien
qu'inepties & pures fadaifes: mais il faut prendre garde que
ces deux objedions ne font faites que par des âmes foibles
& fîmples , qui craignent toutes chofes fûtes, qui n'ofent ou-
vrir un Livre fans permiftlon: car à l'ouverture ils verroienr
les Auteurs & les bons Livres , dont cet ouvrage a été com-
pilé î le jugement équitable qu'a aporté l'Auteur, parmi une
fi grande variété d'Ecrits & d'Auteurs. Enfuite ils difent que
la loiiange de tant de dodes Hérétiques eft infuportable aux
oreilles des bons Catholiques, qui font fi délicates, qu'elles
ne peuvent rien oûir qui puiffe bleffer leur confcience. Les
Proteftans à la vérité y font louez, non pas pour leurs er-
reurs & leur nouvelle Dodrine au fait de la Religion; mais
pour avoir été grands en quelques fciences ; & y a tel de ces
gens qui fait grande part en l'Hiftoire, pour avoir été pro-
tégez par les Rois & par les Princes, & attiré à leur opinion^
les Provinces ôcles Roiaumesp & puis , quelle envie malir
Nnniii
470 PIECES CONCERNANT L'HISTOIRE
a:ne, quelle injudice de vouloir dénier à deux cens Protef-
tans, dont les éloges font en cette Hiftoire , ce qu'il donne
fi libéralement à quatre cens Catholiques f Valdefius Dodeur
Efpagnol , louant rEfpagne & tous ceux qu'elle a produit ,
met en ligne Averoës & Avicenne , & autres Juifs ou Maho-
■metans , les exaltans à l'honneur de la Nation , par-delTus
beaucoup de Chrétiens. De celui-ci ils n'en difent rien , aulîl
eft-il de leurs amis. D'ailleurs cette objedion eft indigne des
perfonnes tant foit peu aimans les Lettres ^ tant foit peu che-
riilans la vertu , de ne la vouloir pas reconnoître en leurs
ennemis : & puis quelle partialité en un Hiftoire , partialité
indigne d'un homme de bien , digne de ces Chronologues
nouveaux de leur Société, qui remplilTent les colomnes de
leurs Hiftoires d'injures , contre ceux qui ont tant foit peu
montré ne favorifer leurs opinions. C'eft à telle forte de Livres
où il faut que les Magiftrats prennent garde ; aux Livres , dis-
je , qui fortent de leurs mains. Ils ont été un tems vifitez
de près , & ne paffoit année qu'il n'en fut livré trois ou qua-
tre au Bourreau ; mais à prelënt tout a changé , rien ne fe
fait plus fans leur atache,fans leur permiflîon, ou bien l'on
diftribuë les Livres à peine de l'honneur ou de la vie j nos
Magiftrats ne font plus qu'executeiu's de leurs volontez & de
leurs paillons , ôc s'ils ne leur obéiiTent , courent fortune d'être
tenus pour Hérétiques ou Athéïftes. Pauvres gens 1 qui , pour
une faveur de deux jours, faveur déréglée & mal aillirée >
d'autant plus près de fa fin qu'elle eft éclatante , penfent pou-
voir crever les yeux à la pofterité. C'eft en cela qu'ils fe trom-
pent , & qu'ils font voir la fureur dont ils font agitez : l'on
■va droit à la vérité ; ils font découverts jufqu'au fond. Ce
;point de la condamnation des Livres , principalement des
Hiftoires , doit être manié avec une grande prudence par ceux
qui ont les premières Charges dans les Etats. Entre les me-
<chans ades de Tibère , la cruauté qu il exerça contre Cre-
^mutius Cordas , fage & prudent Hiftorien , eft remarquée,
il étoit accufé d'avoir loué les uns , & déclaré les mauvaifes
x^ualitez des autres. Ilfe fit mourir lui-même pour éviter l'i-
gnominie du fupplice , fes Livres enfuite furent brûlez. Mais
qu'en avint-il? Ils furent recherchez plus que devant l'éxe-
i:ution , farent tenus pour véritables , l'Auteur en reçut de
DE J. A. D E T H O U. 47r
la gloire après fa mort , ôc fes ennemis de ia honte. H eft fanS
doute que les écrits fatyriques, remplis de médiiances j les
Hiftoires injurieufes contre les Rois , contre l'Etat & les
Grands , font prudemment défendues , font juftement con-
damnées : mais de défendre aux Hifcoriens de blâmer les mau-
vaifes adions des Princes & des particuliers, il eft autant in-
fuportabie & méchant , que de leur défendre de dire les bel-
les & vertueufes adions des uns & des autres. Et certes ,
c'eft le propre des Hiftoriens de découvrir les vertus & les
vices, les belles adions & les mauvaifes, ce font autant de
leçons pour la pofterité. Voions-nous pas , comment Tacite ,
grand maître en ce genre d'écrire , en a ufé ? Que dit-il de
Tibère , de Galba , d'Orhon , de Vitellius Empereurs , & d'au-
tres Grands qui ont palTé par fa cenfure ? Qu'en eft il arri-
vé , finon que ce Livre eft admiré , lu & relu , fert de leçons
aux Grands , qui doivent s'aflurer qu'il fe trouvera encore
d'auflfi hbres efprits pour écrire leurs vertus & leurs vices?
Mais quelle plus grande preuve devons-nous avoir , que les
Hiftoriens fages & prudens ne doivent être repris ni châtiez ,
au contraire bien venus , & benignement traitez ; que les
Livres Saints , que le Nouveau Teftament^ ouvrage du Saint
Efprit , où les fautes des grands perfonnages font découver-
tes , font décrites , jufqu'à écrire ce que les Juifs difoient
fauftement de nôtre Seigneur. La Madelene y eft appellée
pecherefTe , & Mathieu publicain , S. Thomas incrédule , S.
Paul perfécuteur du nom Chrétien , & S. Pierre y eft remar-
qué pour avoir abandonné fon Maître & l'avoir renié en fes
angoiifes -, & toutefois c'eft la Sainte Ecriture , c'eft le Livre
des Livres , c'eft où nous nous devons former. Si Dieu a
permis que ces chofes aient été écrites, s'il les a écrites lui-
même , pourquoi aujourd'hui ne dirons-nous pas, finon avec
pareille autorité , au moins avec pareille liberté , ce que les
grands & particuliers font de bien & de mal î C'eft pourquoi;
je ne feindrai pas de dire encore une fois qu'il y a de Imi-
prudence, pour ne dire pis, d'ufer de rigueur contre ceux
qui écrivent l'Hiftoire , d'autant plus grande aujourd'hui , que
nous ne fommes pas maîtres de tout le monde , comme étoient.
les Romains 5 que nous fommes afturez que ce qui ne fe peut
écrire en Italie , fe publiera librement en Allemagne 5 que*-
472 PIECES CONCERNANT L'HISTOIRE
ce que les Allemands n'oferoient écrire , l'on le verra en
Prance & en Efpagne , avec mérite & toute liberté ; & que
ce que nous n'oferions faire ici , fe fera en Allemagne & ail-
leurs , fans craindre la puiflance des Jéfuites & de leur Ca-
bale. Au refte, fi au préjudice de ces maximes, l'envie, la
palfion, & la rage de ces gens ont tellement furpris & ga-
gné les foibles & fîmples efprits de ce fîécle , que de don-
ner des jugemens finiftres contre cet ouvrage , il eft certain
que la poftérité ne lui enviera pas fa gloire. Au contraire ,
elle croîtra avec les années : elle eft fi grande , que l'on dé-
teftera l'ingratitude du fîécle , admirateur des inepties & fadai-
fes , qui a voulu étouffer cette lumière à fon origines lumiè-
re fi refplendiffante , que toutes les parties du monde en font
cclaircies & illuftrées. Signé, P. Dupuy,
Extrait de VHiJîoire de France, depuis la mort de Henri IF'.jufqu^en
1 62^. écrite en Latin par Gabriel de Barthellemi de Grammont,
& imprimée à T ouloufe en 16^^. in-fol. pag. i p o .
Traduit du |/^^ Et TE année i(5'i7. mourut Jacques- Augufle de Thou;
l^atin fur le \^^ Prcfideut à Mortier au Parlement de Paris, homme dif-
tingué par fa naiffance , par fon habileté dans les affaires , Se
par fon fçavoir. L'Hiftoire qu'il a compofée avec exaditude,
depuis la mort de François I. jufqu'aux dernières années du
régne d'Henri I V. fait affez connoître que , dès fa plus ten-
dre jeuneffe , il s'étoit extrêmement appliqi]é à l'étude j qu'il
aimoit beaucoup tous les fçavans , & qu'il brûloit d'un zèle
ardent pour fa Patrie. Les Etrangers lui ont obligation de leur
avoir donné une pleine connoiffance de l'Hiftoire Françoife >
auffi lui ont-ils prodigué les louanges. La conduite qu'il a
tenue , tz les ouvrages qu'il a écrits le mettent au-deffus de
tous les éloges. Sa didion eft pure & bien latine , & fon ftile
eft aifé. Il eft cependant quelquefois un peu trop diffus. Il
femble avoir affedé de ne rien omettre , ôc d'éclaircir tout.
Les uns goûtent cette manière d'écrire , qui met les chofes dans
tout leur jour , & les autres veulent un ftile majeftueux , qui
renferme beaucoup de chofes en peu de paroles. Ces deux
genres font eftimables , l'un par le tour fententieux , l'autre
^ar le tour éloquent 5 l'un U l'autre a de la dignité. Au refte
D E J. A. D E T H O U. 47^-
de Thou fe rendit fufped à Rome , pour avoir foutenu vive*
ment dans fon ouvrage les libertez de l'Eglife Gallicane , Ôc
l'autorité des Rois. Les foupçons qu'on eu de fa Religion
furent très injuftes, puifqu'il fut toujours attaché à la Reli-
gion Catholique & Romaine , & qu'il pratiqua conftamment
les vertus chrétiennes. Il fit aufQ une profeflion publique de
fa foi dans fon Teftamenr.
Extrait de PHiftoire de France par François Eudes de Mezeray
Paris 16^1. in-fol. Tome Ill.page 282.
C^ Hristofle de Thou premier Prefident , également
__j zélé , mais avec une parfaite difcretion , pour le bien
public & pour l'authorité Royale , deux chofes qu'il avoit har-
diment maintenues contre les mauvais confeils des flateurs,
ôc les attentats de la Ligue , mourut à Paris le premier jour
de Novembre ( 15*82 ) 5 de regret, à ce qu'on crut, de voir
la France fur le penchant de fa ruine. Car ayant voulu re-
monftrer au Roy ( Henry III) que la multipUcation des Edits
onéreux pourroit enfin caufer de périlleux fouslevemens , le
Roy le traita de mépris , & fe tournant vers les flateurs qui
i'environnoient , leur dit que ce bon homme radotoit j paro-
les qui le frappèrent fi vivement au cœur , non pour le reiîen-
timent de fa propre injure , mais pour le déplaifir du miferable
eflat où il voyoit la France^ que cette blefleure ne fe put
guérir que par la mort : luy faifant parmy les deniers fouf-
pirs de fa vie , poufler des foufpirs de douleur , & des paro-
les prophétiques fur les malheurs prochains dont le Roy ôc
le Royaume eftoient menacez. Il laifla à tous les bons ci-
toyens un regret extrême de fa perte , & un fouvenir éterne!
des obligations que la France luy avoit ; parmy lefquelies ,
à mon advis , on doit compter pour la plus grande , celle
de luy avoir donné Jacques-Àugufte de Thou , dont les ouvra-
ges immortels , malgré la cenfure de l'envie & des mauvais
François , tefmoigneront à toute la pofterité fa rare dodrine ,
fa merveilleufe lincerité & candeur , fa pieté fans fard , fon
intégrité defintereffée , & fur tout fon zèle équitable pour U
grandeur de l'Eftat, & pour le public.
Tome XK O o o
474 PIECES CONCEB.NANT L'HISTOIRE
Extrait de la Bibliothèque Françoife de Charles Sorel ^ Paris
1 66 j. in-douze page 337.
IL faut placer en un honorable rang l'Hiftoire de M. le
Prelîdent de Thou , qu'il a faite de ce qui s'eft paffé de
fon temps depuis l'an 1^45. jufques à 1^07. ... Toutes les
perfonnes illuftres & fameufes de ce fiécle là y ont leur Elo-
ge , & l'Auteur n'y oublie aucun des accidens remarquables.
Quelques Critiques fe font perfuadez qu'il avoir mis trop
de digreflions dans fon Hiftoire j mais ayant eu deffein de
la faire de longue étendue, il y a pu mettre ce qu'il a vou-
lu 5 on ne doit point fe fâcher qu'il nous ait appris quantité
de belles chofes ; car en ce qui eft des Hiftoires particuliè-
res, les plus longues font les meilleures. M. Scipion du Pleix
parlant de la mort de M. le Prefident de Thou dans fon Hiftoi-
re de France , a voulu faire l'Eloge de ceîuy qui a fait l'E-
loge de tant d'autres. Il dit , « Que c'eftoit un perfonnage
^ illuftre en extradion , alliance , dignité , intégrité & dodri-
30 ne ; Qu'il a écrit l'Hiftoire en ftile élégant & fiorillant , mais
3^ qu'ayant donné quelques atteintes au S. Siège & à quelques
» Ordres de F.eligieux , ôc ayant témoigné une horrible avér-
ai (ion contre tous les partifans de la Ligue , cela eftoit caufe
» que quelques Gens de fon temps avoient mauvaife opinion
» de fa croyance 5 mais que la profelTion qu'il avoit faite toute
» fa vie de la Religion Catholique , Apoftolique & Romaine ^
a> & la foigneufe inftitution de fes Enfans à la Dévotion , à
=0 la Pieté & à toute forte de Vertus , eftoient de tres-puif-
» fans argumens pour en faire un jugement contraire : « Ce
n'eftoit pas affez dire pour M. du Pleix , il ne s'eft pas ar-
refté au fait. Il falloit fouftenir que M. de Thou n'avoit parlé
du Pape , des Moines , & de la Ligue , que comme devoir
faire un bon Serviteur de fon Roy. On connoift que cet Hif-
torien veut le blâmer en l'excufant. Voila un mauvais office
qu'il luy rend, ce qui fait croire que l'envie le faifoit parler,
voulant attaquer ceux qui fe mefloient d'écrire l'Hiftoire. Cela
fe connoift encore en ce qu'il allègue, qu'on a imputé au Préfî-
dent de Thou de n'avoir compofé fon Hiftoire que des Li-
belles de fon temps : cela eft de peu de confideration. Il n'y
DE J. A. DE T H O U. 47;
a point de Libelle , ny de Mémoire , qu'il ne faille qu'un bon
Hitlorien prenne la peine de voir 5 cela n'empefche pas qu'a-
vec cela il ne fe ferve de bons Mémoires particuliers. Au
refte de foutenir que l'illuftre Hiftorien dont nous parlons s'eft
fervi des Mémoires des Huguenots , plûtoft que de ceux des
Catholiques, cela n'eft pas d'une preuve facile 5 & quand il
i'auroit fait , il a fceu diftinguer le bon d'avec le mauvais , &
prendre les choies qui eftoient les plus certaines. Enfin il n'y
a point de malice fi noire j ny fi fubtile, qu'elle puiile ofter à
M. le Prefident de Thou l'honneur qu'il s'eft acquis par fes
beaux Ecrits & par fes Vertus particulières. Nous avons encore
à dire touchant fon langage Latin, que véritablement chacun
n'a pas trouvé bon qu'il ait déguifé des Noms propres des lieux
ou des Hommes , de telle forte qu'ils font un peu malaifez à
reconnoiftre j mais on doit confiderer que les Noms François
n'ont aucune grâce dans les Difcours Latins , & que le Dic-
tionnaire qu'on a fait de ceux que M. de Thou a inventez ,
fdfiit à ceux qui auront la curiofité de voir l'original de fon
Hiftoire.
Extrait des Jugemens des Sfavanspar Adrien Bail/et , Paris
1722. in-quarto. Tome IL page 155».
LE caradere de la critique de Monfieur de Thou eft cette
liberté Françoife qui règne par toute fon Hiftoire , qui l'a
fait 11 fort diftinguer d'avec la plufpart des Ecrivains de fon
lîecle , qui luy a fait éviter avec tant de fageftè les deux ex-
trémités 011 fe font jettes d'un côté quelques zélés Catholi-
ques , & de l'autre la plufpart des Proteftans , & qui luy a
donné en particuHer l'avantage fur les trois célèbres Cardi-
naux [ Baronius j Bellarmin , du Perron ] dont nous venons de
parler, en ce qu'étant tout-à-fait exempt des préjugés & des
intérêts qui les occupoient , ni la crainte , ni l'efperance , ni
aucune autre paftion n'a été capable de corrompre fa plume
& fon efprit. On ne prétend pas néanmoins que tous les ju-
gemens qu'il a rendus en faveur de tant d'Ecrivains médio-
cres foient toujours fort juftes & irrévocables. Ce font des
Eloges que l'on trouve répandus dans fon Hiftoire à la fin
de chaque année. Ils font une des plus curieufes parties ds
cette Hiftoire.
Qo oij
47<^ PIECES CONCERNANT L'HISTOIRE
Extrait du même Ouvrage j Tome I. page 175?;
CE ne font pas les François feulement, mais les Etrangers
fur tout qui ont donné à Monfieur le Préfident de Thon
la préféance fur tous les Hiftoriens de ces derniers temps , &
qui l'ont égalé aux anciens , foit pour la grandeur du fujet ,
foit pour la difpofition & la proportion des parties , foit enfin
pour le choix d'un ftyle convenable à la majefté de l'Hiftoire.
Extrait des Mélanges d'HiJJoire & de Littérature par de Plgneulz
Marville 3 Paris 1 725 . in- 1 2. Tome Ill.pag. 312.
LA France ne peut-elle pas fe vanter d'avoir fon Tite-Lî-
ve dans M. de Thou ? Perfonne n'a poiledé mieux que
lui toutes les parties qui forment un parfait Hiftorien , & per-
fonne ne les a employées plus heureufement. La pureté & l'é-
loquence de fon ftile peuvent le faire aller de pair avec les
meilleurs Hiftoriens de Rome. Il étoit à portée par les diffe-
rens emplois qu'il a remplis, defe mettre bien au fait desaf^
faires , de pénétrer les differens reflbrts qui les faifoient en-
treprendre j échouer ou réùffir. Les intrigues du Cabinet n'é-
toient pas un myftere pour lui :il connoiflbit à fonds les inté-
rêts des Princes de l'Europe, & le manège de leurs négotia-
tions 5 aufti le trouve-t-on par tout également exaft & judi-
cieux , & ce qui eft encore plus nécefîaire à un Hiftorien , tou-
jours dégagé des préjugez & des paffions. Ne devroit-on pas ,
dans le temps où Ton a une fi grande fureur de compofer &
de faire imprimer tant d'ouvrages , ou pernicieux ou médio-
cres , donner une bonne édition de l'Hiftoire de ce fcavant
homme ^ & ne mériteroit-il pas qu'ony joignît un bon Com-
mentaire , où l'on feroit entrer tant de Pièces & de Mémoi-
res qu'on a découverts depuis un fiécle, & qui ferviroient à
cclaircir ou à confirmer les faits principaux de cette Hiftoire.
Un des plus grands défauts qu'on ait reprochez à M. de Thou ,
c'eftd'avoirlatinifé les noms propres d'une manière qui les rend
quelquefois inintelligibles , & d'avoir nommé les Villes dont
îl I arle .. par leurs anciens noms 5 il n'y auroit rien de plus aifé
à un Commentateur , que de remédier à ces deux inconve-
DE J. A. DE THOU. 477
niens. On a le nianufcrit original de ce grand homme ; on en
a une autre copié par M. Rigaud , & on trouve à la Bibliothè-
que du Roy un exemplaire de l'cdition de Genève , chargé
des notes de MeflTieurs Rigaud & Dupuy. Tout cela feroit d'ua
grand fecours pour l'Edition & pour le Commentaire.
Extrait de PHiJîoire de France par Louis le Gendre ^ Paris
1 7 1 8. in-folio. Tome I. page 5 6,
JAcQUES-AuGuSTE DE Thou, Préfidcnt à Mottier au
Parlement de Paris , a fait en Latin une Hiftoire 3 qu'on
n'eftime guère moins que les Hiftoires Grecques ou Romai-
nes , qui font le plus en réputation. Il excelle à peindre les -
hommes & à décrire leurs adions , il aime à dire la vérité , & -
eft d'autant mieux informé, qu'en ce qui regarde les chofes
de France , il a vu tout ce qu'il écrit , ou s'en eft enquis avec
foin , à gens qui étoient à la fource. Son Latin eit pur, fon ftile
grave & net. On lui reproche les fréquentes & longues ha-
langues , qu'il met fouvent à la bouche de pcrfonnes peu pro-
pres à en faire. On lui reproche encore fon peu de ménage-
ment pour le Pape , pour le Clergé , pour les Princes de la
maifon de Guife , ôc un peu trop de difpofition à adoucir les
fautes , & à faire valoir le mérite des Huguenots. D'autres
voudroient que fon Hiftoire fut plus ferrée , ôc que fans faire
de courfes jufqu'aux extrémitez du monde , pour nous dire ce
qui s'y eft pafle , il fe fut renfermé davantage. A tout prendre il
n'y a point d'Hiftoire qui fit plus de plaiûr , fi elle étoit moins
longue»
Extrait d'une Lettre de Gui Patin à M. G.D. M. en datte du
^, février i ^72. Cejl la 15)7. & dernière dans P Edition
de Rotterdam i62>i^.
MONSIEUR, je vous envoyé un Catalogue des fau-
tes que j'ay trouvées en l'Hiftoire de M. de Thou^
qu'il faut tâcher de faire corriger en l'impreftion Françoife qui
fe doit faire bien- tôt.
Quand M. le Prélldent de Thou parle d'une certaine conf- '^<'"^-/^; P^S*
piration de bayonne enl an 15 c. 2. il en iait coupable un cer- ducibn,
O o o iij
47S PIECES CONCERNANT L'HÎSTOÎRE
tain médecin nommé Blampignon , & dit qu'il fut exécuté à
mort : ce qui eft faux , veu que ce Blampignon , natif de Troyes
en Champagne , eft mort depuis cinq ans à Bayonne , âgé de
plus de quatre-vingt ans, & que de mémoire d'homme il n'y
Tom. XIII. a eu que luy de ce nom dans Bayonne.
^* ^^'^* Quand il parle des Médecins qui vifiterent Marthe BroiTier.
qui prétendoit être démoniaque , pour Jean Duret il nomme
Tom, XIV. p. t>ouis iD^r^?? qui mourut dès Tan lySô".
'^°' Quand il parle du voyage de M. le Préfident Myron à
Mets^ ilfe trompe difant que le Préfident Jeannin y fut en-
voyé le premier. Il faut encore remarquer une autre faute;
car le premier voyage fe fit l'an i <^o i .& le fécond voyage,
ou fut pareillement le Roy, en 160^. pour l'affaire de So-
bole 5 que M. de Thou a confondu avec le premier, & n'en
a fait qu'un des deux qui doivent eftre defcripts en divers
Tom.xiii. p. temps.
^^^' Quand il parle de Charpentier, il nomme fon compagnon
Cruceius , duquel le propre furnom étoit DeJIoges , fils d'un
Avocat de ce nom. Il l'appelle juvenis Bellovacenfis , quoiqu'il
fut natif de Paris, rue St. Antoine, paroiffe de St. Paul : ce
que m'a raconté mon peremefme, qui en l'an 1586'. étoit
penfionnaire chez le père de ce Deiloges , lequel père étoit
Tom. XI. p. de Beauvais.
"^' Toutes les fois que M. de Thou parle de M. de Fillars
'Hottdan ; il l'appelle Louis de Monceaux j il s'appelloit François
Tom. VII. p. àc non Louis.
l53^» Sous Henry III. parlant de la mort de P. Danefius,il dit
qu'il eft mort dans le monaftere des Bernardins ; ce qui n'eft
pas , car il mourut dans Saint Germain des Prés , où il s'étoit
^ Mémoires , retiré.
liY. u. p.M. Parlant des Médecins qui traitèrent Monfieur fon père
en la maladie dont il mourut , il en nomme mal trois de ceux-
là ; car il faut dire Antoine du Val , Nicolas le Grand , & Si-
mon Piètre.
DE J. A. DE THOU. 47p;
Remarques critiques fur /'H istoire de J. A.
D E T H o u , tirées ^w Dictionnaire de Bayle,
édition d^ÂmJlerdaîn 1730.
Rticle d'AsDissi , Remarque {B). Monfîenr de Tom iv. p.
Thon dit que ce Patriarche étoit Ytnwad Apofiolorum 54i-_cîclatia-
limina pontificemfalîitaturus^ut ab eo confirmatus -partem de corpore
fanBi Pétri acciperet. Qui ne s'imagineroit là-deffus , qu'il étoit
venu pour demander le bras , ou quelque autre morceau du
corps de Saint Pierre : car c'eft faire fa cour à Rome , que de
déclarer qu'on y eft venu pour en remporter de tels prefens l
Mais je fuis perfuadé, qu'au lieu de partem, \\ faut lire Pal^
lium, comme il y a dans Mondeur de Sponde, qui à cela près
fe fert des mêmes expreflions que Monfieur de Thou. C'eft
ce qu'on peut voir dans fa continuation des Annales de Ba-
ronius , à l'année 1 5; 62.
Alciat {André) Rem. {E). Monfieur de Thou dippo- Tom. n. pag.
fe. I. Qu' Alciat après avoir enfeigné long-temps à Bourges , H4.
fut profeffeur à Avignon ; c'eft tout le contraire. 2. Qu'Alciat
fortit de France fur le déclin de fon âge 5 il n'avoir qu'une
quarantaine d'années plus ou moins. 3. Qu'Alciat de retour
en Italie , lut premièrement à Boulogne , & puis à Ferrare î
il lut à Pavie avant que d'aller à Boulogne. 4. Qu'Alciat mou-
rut l'an 15*51 :fon Epitaphe marque le 12 de Janvier i^j'o.
Il eft vrai que quelques Auteurs rapportent qu'elle donne
5 8 ans , 8 mois & 4 jours , à Alciat h ce qui prouveroit qu'il
mourut le 12 de Janvier i$$i : mais d'autres rapportent qu'el-
le ne lui donne que 57 ans, 8 mois & 4 jours, (i)
B E L L A i ( Jean du ) Rem. [B). M. de Thou rappo'rte à Fin- Tom. m; p:
vafion de la Champagne , en 1 544. , les foins du Cardinal du ^^°-
Bellai pour la ville de Paris. Il fe trompe. L'irruption de
Charles-Quint, qui fit peur aux Parifiens, & à Foccafion de
laquelle Jean du Bellai fit fortifier leur Ville , eft de Fannée
15 3^: mais elle regarde la Picardie.
B o D I N ( Jean ) Rem. ( J) Remarquons ime contradidion Xom. vu. p.
de M. de Thou. Il dit dans le livre l x 1 1 1. que Bodin ayant 4éo.
apperçu que fes remonftrances contre les complots de ceux
( I ) Ghilinl , Teatro de i^etterati , farte l, p. ii l,
/Î^So PIECES CONCERNANT L'HÎSTOIR,E
qui voLiloient enfraindre les Edits de pacification feroient
inutiles ^ s'abftint de parler de cette matière : Cum -uideret ho-
mofuturiprovidus, &c. Mais quelques pages enfuite il nous ap-
prend que ce même Jurifconfulte s'oppofa vigoureufement
à la fadion de Mrs. de Guife , lors même que les cahiers
des Etats ayant été prefentez au Roi, il fembloit que la com-
miiTion des députez étoit expirée. L'opofition rouloit fur le
defïein de renouveller la guerre contre ceux de la Religion.
Les partifans du Duc de Guife avoient gagné le Clergé &
la Noblelle : ces deux corps formoient fouvent des conven-
ticules pour éloigner les propofitions de paix. Bodin , qui à
caufe que les députez de Paris étoientabfens,fe voyoit alors
à la tête du Tiers Etat , s'oppofa avec beaucoup de courage
à ces pratiques 5 & quand on lui eut dit que la chofe avoit
été ainfi réfoluë dans les Etats , & que l'aflemblée n' avoit
plus d'autorité : « Vous êtes donc des rebelles , leur répondit-
il hardiment , &c. » Et cum illi ita in comitiis conventum di^
. cerent, &c. Il étoit neceffaire que je fifle voir la contradidioii
de M. de Thou : il avoit diminué notablement, & fans fujet,
l'honneur de Bodin.
Tom. vil. p. BusBEc {Auger Gijlen) Rem. {H). M. de Thou ne de-
?;5' volt pas oublier qm5 Busbec étoit Ambadadeur de l'Empe-
reur à la Cour de France. Il a fait tout ce qu'il falloit pour
que fes Lefteurs s-imaginaffent que Busbec n'y avoit eu au-
tre caradere , que celui d'Agent de la veuve de Charles
iX.
(/) Il acheta des terres m France ^ & fembloit vouloir s'y fixer. ]
C'eft M. de Thou qui me l'apprend : je rapporterai le pailage
tout entier , parce qu il confirme ce que j'obfervois tantôt 5
lavoir , qu'il ne tient pas à M. de Thou que nous n'ignorions
abfolument le caradere que Bufbec avoit en France de la
part de fa Majetté Impériale. Il y a d'ailleurs dans ce pailage je
ne fai quoi qui pourroit furprendre les Ledeurs. Elizabetha
Caroli uxor vidua — in Germanium ad Maximilianum patrem
fe contulit j reliâo in Gallia qui res fuas procuraret ^ Augerio
Gijlenio Bujhequio — qui toto vita Elifabethce tempore in Gai--
lia manjit j dr pofi mortem ejus ,fiv^ loci commoditate y fiye in-
geniorum amœnitate captus , comparatis apud nos pradiis larem
fi^it ^ donec his calamitofis uhimis temp.oribm cum ncvam paîriam
déférer ç
D E J. A. D E T H O U. 48 r |
deferere èogeretur 3 eum cegre fe itineri accingentem mors opprejjit. 1
On concluroit de là naturellement: i. Qu'après la mort de \
la veuve de Charles IX , rien ne retint le Sieur de Busbec \
en France que les agrémens qu'il y trouvoit: 2. Qu'il fe paffa j
beaucoup de temps depuis la mort de cette Reine jufques ■
au départ de fon réfident ; car acheter des Terres dans un, I
pays, & y fixer fa demeure jufques à ce que la dernière des
fept ou huit guerres civiles vous en chaile , font des chofes
qiii (ignifient plus de fept ou huit mois. Cependant voilà tout i
le fejour de cet honnête homme , depuis la mort de la Reine l
fa maitreffe. Je n'en veux point d'autre témoin que M. de ',
Thou. Il dit que cette Reine mourut fur la fin du mois de
Janvier 1 5-5)2 , & que Busbec deceda vers la fin du mois d'O- ;
â:obre de la même année. En cet endroit-là , l'Hiftorien ne Tom. xi.p; \
donne pour caufe du départ que la mort d'Elifabeth. Cum î^7. i
vero ille ( Busbequius ) pofl principis bene de fe mérita obitum \
in Belgium , hoc eft j inpatriam , cwn tota familia remeaturus ad 1
iter fe açcinxif^eî. \
BuTEO {Jean) La guerre civile de Religion, qui defola Tom. iv.p^ i
le Royaume & qui caufa fur tout dans le Dauphiné un fu- ^'^* !
rieux bouleverfement — le fepara de fes Livres , car il fut ;
contraint de quitter fa refidence & de s'en aller à Romans , j
où il mourut de chagrin l'an 1 5'6'4, âgé de foixante & quinze 1
ans. C'eft M. de Thou qui le débite > mais un autre Hillo- !
rien plus croyable là-deflus que M. de Thou , afTure que Buteo
mourut l'an 15" (5o. dans TAbbaïe de Saint Antoine. Rem. (5) . !
Cet Hiftorien eft M. Chorier ( i ) : La préférence que je lui j
donne vient de ce que fon ouvrage fe renferme dans la Pro^ j
vince de Dauphiné. Par confequent la prefomption eft qu'il
a travaillé fur des Mémoires plus exads que M. de Thou , j
en ce qui regarde les hommes illuftres de cette Province ; car |
M. de Thou ramaftbit indifféremment des Mémoires touchant 1
les hommes illuftres de tout pais , & il ne traitoit cela que com- |
niç un petit acceftbire. Son application principale regardoit '
l'Hiftoire de France , & même celle de toute l'Europe.
Camden {Guillaume) Rem. (F) &c. [ M. Bayle fait
ici plufieurs reflexions fur la correfpondence que M. de Thou - . ,
eut avec Camden au fujet de fon Hiftoire : mais il n'avoic '
(i) QX\on^x Ahregé àiï mfioin ik D/tu^kiné, cité par Teiffier , E/^je/ to. II. p. 40 3, ;
Tome J(K Ppp 1
4^2 PIECES CONCERNANT L'HISTOIRE
pas les fecoLirs neceiTaires pour mettre cette affaire dans tout
fon jour. Il lui manquoit pîufieurs pièces , qui n avoient point
encore vu le jour , & que nous avons inférées dans notre
quinzième Tome , pag. 224. 6c fuiv. ]
Tom. în . p. C A N I N I u s ( Angelus ) Rem. {A) Al et oit d'une petite vil-
ïS8. & ton e /^ ^g Tofcane , qit'on nomme en Latin Anglara. ] M. de Thou
ne fçavoit pas que cette Ville eft dans la Tofcane : il l'a con-
fondue avec une ville du Milanez nommée Angleria , ou
Anglaria ; car ayant dit que Magius étoit né à Anglara , ville
de la Duché de Milan , il ajoute que cette ville nous avoit
déjà donné Angelus Caninius.
{B) M. de Thou met fa mort à Pan i5'5'7. ]Il l'avoltmife
à l'an 15 5" 4-. dans les premières Editions. Voyez la dernière
page du I Tome de l'Edition in-S^^ à Paris 1 60^.
Tom. ï. pag. Castellan ( Pierre ) Rem. ( U). M. Bayle obferve que
ïSi. M. de Thou a cru que François I. donna la charge de grand
Aumônier à Caftellan : mais que c'eft une faute , puis qu'il
n'eut cette charge que fous le règne d'Henri II. le 25 de
Novembre 15" 47.
Tom. IV. p. Caval GANTE ( G?//Jo). N'ajoutcz point de foi à M. de
^ ^' Thou , quand il dit que Guido vécut en même tems que Pé-
trarque , & que nous avons encore des vers que Pétrarque lui
adrefla. Guido mourut avant que l'autre fut né.
Tom. XI, pag. DoNEAu {Hugues)]kQw\.{D). Selon le narré de M. de
3^^* Thou il faudroit croire que Doneau en fortant de France s'en
alla à Leide : or cela eft faux 5 il fut depuis fa fuite Profefteur
à Heidelberg avant que de l'être dans la Hollande. Outre ce-
la, M. de Thou s' eft trompé à l'âge de ce Profefleur : il lui
donne autant de vie qu'à Cujas , c'eft-à-dire , foixante-huit
ans ••> & néanmoins l'Epitaphe de Doneau ( i ) témoigne qu'il
mourut la foixante-quatriéme année de fa vie. Je m'étonne
que M, de Thou ait ignoré que le Zacharie Furnefterus dont
Tom. VI. pag. il parle eft notre Doneau : c'eft lui , qui fous ce faux nom re-
^^^' futa l'Apologie dumaflacre de Paris, envoïée à la diète de
Pologne en i5'72. par l'Evêque de Valence. [Si Mr. Bayle
avoit confulté l'Epitome du Livre li 1 1 , il auroit trouvé que
M. de Thou y dit exprelfément que c'étoit Doneau qui fe dé-
guifa fous le nom de FurneJIerus.^
(i ) A^ud Meurjfum Athen. Bat. p. 1 3 i»
DE J. A. DE T HOU. 483
G A R D I E ( Pontus de la ) Rem. {A). M. de Thou dit , Pon- Tom. vm. p.
îus GardÏHS nobili loco apudnos in Petrocoriis natus ; voulant fans +^'^-
doute marquer par-là que Poiitus de la Gardie étoit né dans
îe Perigord 5 ce qui n'eft pas vrai. Sa faute peut-être vient de
ce qu'il avoit oui dire que Pontus de la Gardie étoit né à Pei-
regoux. C'eft une Seigneurie au Diocefe de Cadres : elle ap-
partenoit à lafomillede la Gardie, 6cc'étoit toujours le par-
tage de l'aîné.
HospiTAL {Michel de /')Rem. (^). M. Bayle fait voir Tom.vi. pâg;
que le Chancelier de rHofpital étoit mort âgé d'environ foi- '^°'^'
xante-huit ans , & non pas d'environ foixante & dix ans , com-
me Fa dit M. de Thou.
HoTMAN (François) Rem. (D). Si M. de Thou avoit Tom.xi.p;
confulté les dates , il n'auroit pas dit que Jean de Monluc tira ii?»
Hotman de Laufane pour l'établir à Valence : Laufana pri-
màm docuit , &c. — Ceux qui voient dans la vie de François
Hotman la fuite de fes déménagemens d'une Ville à l'autre ,
ne feront gueres de cas des Mémoires qui furent fournis à M.
de Thou y puifqu'il dit qu'après le maflacre de l'an 15:72. Hot-
man s'en alla à Montbelliard , & de là à Baie. Il falloir dire
qu'il s'en alla à Genève , & puis à Montbelliard , enfuite à Ge-
nève , & enfin à Baie. )
Rem. (G). Le Brutum fulmen n'eft pas un écrit burlefque , Tom. ix. p:
comme M. de Thou le débite. C'eft un ouvrage tout à fait ^7^*
férieux , oii François Hotman réfute la Bulle que Sixte V. pu-
blia l'an 1^85*. contre le Roi de Navarre , & le Prince de
Condé. PoJIea^ dit M. de Thou, & incenfuram illamfcripfit
Franc if CMS Hotmanus J. C.jocularifylo , lihroque Brutum Fulmen
titulum fecit , quo & de B. Francifci & B. Dominici vira ac mo-
ribus veteres hijloria ah obfoletè devotis viris fcriptdc ridicule dif-
cutiuntur. Il ne s'agit rien moins que de cela dans ce Traité
de François Hotman.
JovE (P^«/)Rem. (//). Je crains bien que M. de Thou Tom. ir.pag?
n'ait fait une faute : il prétend que ce fut Clément VII. qui re- 5-^.«.
fufa à Paul Jove l'Evêché de Corne , & que ce refus lui attira
des durerez dans les Livres du poftulant. Cum ad Novocomen^
fem epifcopatum omnibus votis anhelaret , &c.
• J u N I u s ( Hadrien ) Rem. {A). Monfîeur de Thou parlant Xom. vn. p^
d'Adrien Junius dit. Ad Armuydam juxta Mildeburgum in î^^»
Pppij
4S4: PIECES CONCERNANT UHISTOIRE
Mattiacîs fe contulerat ^ ubi cumfrufira confilio & diligentiafud
ccncivîbus lahorantibus opem ferre conatus ejfet ^ ex cœli muta-
tione — in lethalem morbum incidh. Il s'agit du Siège de Har-
lem. Or il eft très taux que Junius ait Congé au foulagement
de cette Ville lorfqu'il étoit à Armuyden ; car il n'y alla qu'a-
près la prife de Harlem. M. de Thou ne fe feroit jamais expri-
. me comme il a fait , s'il avoit cru que Junius n'étoit paf-
fé en Zelande qu'après la prife de Harlem. On ne peut pas
dire qu'il s'agit là , ou du Siège de Middelbourg , ou du Siège
d' Armuyden , vu que ces deux places ne furent point affie-
gées pendant que Junius vécut en Zelande.
Tom. XI7. p. J u N I u s ( François) Rem. ( 0 ). M. de Thou s'eft fort trom-
3t\ pé en parlant de lui. Voyons fes paroles, i^ir defultorio ingenio ,
qui mulîa conatus j an adfecutus fit quod moliebatur doâforum
erit judicium. Lugduno Batavorum , ubi diu profejfius efi ^ ob re-
rum novarum fufpicionem ah Ordinibus Belgii exaâus , ficutifuo
loco diximus , & Ahorfii , ubi defecit ^ à Norimbergenft Rep. ho^
norifico fiipendio invitatus. Je n'examine point fî l'on a raifoii
de dire que Junius étoit un efprit volage , & qu'il fe mêla de
trop de chofes. Voffius fon gendre l'a juftifié folidement Li-
deffus ( I ) 5 mais je remarquerai après lui, que M. de Thoa
s'eft étrangement abufé, enfuppofant. i. Que Junius futchaf-
fé par les Etats de Hollande , pour quelques foupcons de ca-
bale politique. 2. Qu'il fut attiré par les Magiftrats de Nurem-
berg, & qu'il mourut à Altorf 3. Que lui M. de Thou a par-
ié de cet exil fous l'année convenable. Pour commencer par
cette dernière faute , je dis que M. de Thou n'a point parlé de
Junius, mais de Donellus, lorfqu'il a décrit la cabale qui fut
découverte l'an 15" 87. Junius étoit alors au Palatinat, & ne
Tom. xi.pag. vint à Leidc que cinq ans après. Perfonne n'ignore que de-
^'^' puis i5'jp2. jufques à fa mort, il exerça à Leide la profeffion
en Théologie. Ce fut Donellus qui fe retira à Altorf , & qui
y mourut.
Tom. vil. p: Leovitius( Cyprien ) Rem. ( D ). M. de Thou s'eft troni-
^^^' pé quant à la ville oii Leovitius mourut : il dit que ce fut à
Augsbourg. Il mourut à Lawingem , ville de Suabe fur le
Danube.
Tom. X. pag. L o G N A c , Rem. (F). M. de Thou dit que quand Jacque
( I ) VoJfiHs in PrAf. de Hijlor. Lat,
DE J. A. DE T HOU. 4Sf
Clément donna un coup de couteau à Henri III. Morttpefacus ;
LoniacHS , & Joannes Levius j qui aderant , hominem — innii-
meris vulneribus confojjum interficiunt. Je ci'oi que la virgule en-
tre les deux premiers noms eft une faute : car Montpezat étoit
l'un des noms de notre Lognac , ( un de ceux qui eurent
part à la mort du Duc de Guife : ) mais fi M. de Thou entend
ici ce Lognac, il fe trompe ; car il n'étoit plus à la Cour loifque
Jacques Clément aflaffina Henri III.
L o N G V I G ( Jaqueline de ) Rem. ( Y). Charlotte , la quatrié- '^^"^- ^'^' 1^*
me fille du Duc de Montpenfier , avoit été mifc dans un Couvent
contre Pavis de fa mère. ] Ceci me donne lieu de toucher à une
contradidion de Monlleur de Thou. Il dit dans le Livre
xxvî 1 1 , que Jaqueline de Longvic étoit indignée de la clôture
de fa Charlotte pour deux raifons 5 l'une qu'elle l'avoir defti-
née au Duc de Longueville j l'autre qu'elle lui avoit déjà re-
marqué de la répugnance pour la vie religieufe. Fremente ma-
tre , qu£ Carlottam Longavillano duci uxorcm dejîinaverat 3 &
jam tum animad,verterefibi videbatur <£gre filiam in monafiicam
'vitam confentire. Dans le li livre il dit qu'elle Féleva à la Re- Tom.vi.pag.
ligion Proteftante , mais en fecret par la crainte de fonmarij 3^?»
& qu'enfuite cette Charlotte n'aïant à peine qu'un an , fut jet-
tée dans le Couvent de Joûare : yix annicula in Jouanenfe
A'ïonajlerium conjeBa. Si elle n'avoir qu'un an , tout ce qu'on
a dit de fon inftruclion & des marques de fa répugnance eft
faux & impofTible. Il faut fans doute , ou que ce grand Hifto-
rien ait été dans des diftraclions d'efpritpeu ordinaires ; ou , ce
qui eft plus vraifemblable , qu'il ait entendu par anniculus un
âge plus avancé que celui d'un an. Mais fe trouve-t-il de bon-
nes autoritez pour ce fens-là ?
LoTicHius {Pierre) {wïnovnmé Secundus , Rem. (£). Il Tora:iiî, pj
mourut le 7 de Novembre ly^o. M. de Thou, qui a mis trois ^^4.
ans entre la mort de Lotichius & la publication de fes Poèfies
par Camerariuss'eft trompé de deux années. Il s'eft auftl trompé
en mettant cette même mort au premier jour de Novembre.
M A G I u s ( Jérôme ) Rem. (A). Magius étoit né à Anghiari r^^^^ ,
àans la Tofcane.'] En Latin on nomme cette ville Anglara , & zh,
il ne faut pas la confondre avec celle qu'on nomme en Latin
Angleria ou Anglaria , ou en Italien Angiera , & qui eft dans
le Milanezfur le Lac Majeur, C'eft à tort que M. de Thou
Pppiij
^^6 PIECES CONCERNANT L'HISTOIRE
& plu fieurs autres ont donné cette dernière Ville (i)pour patrie
à Magius : car il nous apprend lui-même qu'il étoit d'Anghian
dans la Tofcane.
Rem. (C). M. de Thou n'a pas été allez bien inftruit fur
l'article de Magius. Il avoit bien oui dire que Magius avoir
écrit quelque chofe 5 mais, i. Il ignoroit ce que c'étoitj &
ainfi M. Moreri ne devoit pas lui faire dire que c étoit un
Traité de Culeo (2) , & un autre de Tintinnabulis. 2. Il ignoroit
que Magius eut dédié l'un de ces deux livres à l' Ambaffadeur
de FEmpereur , & l'autre à l'Ambafladeur de France , & les
eut fuppliez de travailler à fa liberté. 3. Il ignoroit qu'ils y
euffent travaillé. 4. Il ignoroit que celui qui fit étrangler
Magius n'étoit point fon maître : l'auteur de cette barbarie
étoit Mahomet Baffa , mais le maître de Magius n'étoit
qu'un Capitaine de Vaillèau (3). 5:. Il ignoroit la raifon
pourquoi on fit mourir cet illuftre prifonnier, puis qu'il croit
qu'on fe porta à cette fureur par avarice ^ quafi bos , dit-il, ve-
tulus ab ingrat 0 aratro fajîiditus ^ ab immani herofumptibus par-
cente Jîrangulatus efl. 6. Enfin ^ il n'a pas dû dire que Magius
fut amené en Afie ( ce que bien d'autres ont dit après lui (4) :
il fut amené à Conflantinople , & y palTa tout le tems de fa fer-
vitude. Concluez de tout cela hardiment que le didionnaire
de Moreri avoit bon befoin d'être redifié fur cet article , qui
n'y eft compofé que des paroles de M. de Thou.
Tom. II. pag, Majoragius ( Marc-Antoine ) Rem. (G) i. M. de Thou ne
6+6. devoit pas dire que Majoragius fut appelle de ce nom, d'un
bourg où fon père demeuroit : à Majoragio vico in quo ejus
pater habit abat y ita vocatus : j'ai déjà fait voir que fon père
s'appelloit Majoragius. 2. Son Epitaphe dans le Alufemn d'Im-
perialis porte qu'il enfeigna pendant quatorze ans : mais dans
le Théâtre de Ghilini elle porte qu'il n' enfeigna que neuf
ans. M. de Thou dans M. Teilller fait ceiler la profeûlon de
Majoragio au bout de huit ans, & fuppofe qu'il la quitta
pour s'appliquer entièrement à l'étude de la Théologie. Mon édi-
tion de M. de Thou ( de Francfort ) porte que Majoragius
CO Remarquez que M. de Thou la \ (^3; Trichetdu Frefne , i« E/^^is M^
nomme AngLira^-àinCi il ne fe trompe
pas au nom , mais à ia pofition.
( i) Nouvelle faute : il falloît dire
'EiHuleo , & non pas Culeo. ^
gïi.
( 4 ) S'vvert in Llog. Konïg, Biblioth.
DE J. A. DE THOU. 4S7 i
ne commença cette étude qu après avoir employé treize ans i
à inftruire la jeiinetle. 3. Il dit dans le même M. Teiflier que ;
Majoragius a vécu quarante-deux ans. L'Edition Latine (de i
Francfort ) ne lui en donne que quarante. La vérité eft qu'il
vécut quarante ans & près de fix mois. ,
Maldonat (Jean) Jefuite Efpagnol , Rem. (^). Le Tom.ix.p. i
lieu de (a naillance s'appelle /as Cafas de la Reina : il eft fitué ^°' ■
proche de Lerena dans la Province d'Eftramadure , & ap-
partient au grand Maître des Chevaliers de Saint Jacques.^ '
Maldonat attefte toutes ces chofes dans un Ecrit ligné de fa •
main, qui eft confervé à Rome dans les Archives des Jefui-
tes(i). Ainfi George Cardofe , M. de Thou , & M. Thiersfe ',
trompent , quand il le font Portugais. ;
M o L s A ( François Marie ) Rem. ( C). Il mourut , non pas Tom; i. p. j
l'an 1548, comme l'aflure M. de Thou , mais au mois de Fé- ^^^' ,
vrier 15" 44, &c. \
MuscuLus (l^olfgang) Rem. (E). Il fe borna aux Le- l'om.iv. p: i
fons de Théologie y & refufa la Chaire de Prédicateur qui lui fut ' \
offerte. ] Ceci montre que M. de Thou ne devoir pas dire j
que Mufculus exerçoit à Berne la charge de Pafteur , Pa/io- ^
ris munere defungens. i
Navarre (Marguerite de Valois Reine de ) Sœur de Fran- Tom, i. p; .
cois I. Rem. (M). Le lieu où elle mourut eft en Bigorre. ^^^' ]
Olhagaray le nomme Endos , d'autres le nomment Odos. \
Odofii Bigerronum decejfït, dit M. de Thou. Je croi que M. de
Sponde qui étoit de ces quartiers-là marque mieux que tous I
les autres Ecrivains le nom du Château où elle mourut. Il le !
nomme Audos. y^pud Âudojjium Caftrum in Bigerronibus vi- \
îamfinivit (2) J'ai dit ailleurs que les Pariiiens prononcent la ;
diphtongue au comme Xo : c'eft qui aura trompé M. de i
Thou. i
NuLLY (3) (Charles de) ad an. 1 5*48. M. de Thou & Mezeray Tom. r. p; \
après lui, fe font trompés en l'appellant Eftienne au lieu de H^. •
Charles. Ils conviennent tout deux que celui qui alla à Bour- ;
deaux étoit au Traité de Crefpyror c'étoit Charles de Nully . j
qui étoit certainement Plénipotentiaire à cette Paix , & de !
(i) Tiré de Natan. Sotuel. Biklioth. j (i) Cet article a été communiqué a '
Scriptor. Societ pag. 475. j M. Bayle par M Marais , Avocat aif '
(z) S^ondanus ad a». 1549. 1 Parlement de Paris. ;
1
■ \
488 PIECES CONCERNANT L'HISTOIRE
plus il n'y a point eu à'EJîienne de Ntilly Maître des Requê-
tes que le Prefident, qui ne le fut qu'en 1571.
Toai.vii.p. K AS AK\o{ Je an-Baptijîe) Rem. (C). Ce que M. de Thou
^■^^' dit de i'eftime de Philippe II. pour Rafario a été inconnu au
Ghilini , & je m'en étonne. Ce Prince commen(^a à con-
noître le mérite de Rafario , lorfqu'il palîa par Milan pour
aller en Allemagne l'an i5'48. M. de Thou ajoute qu'il lui
promit de grands avantages pour l'attirer en Portugal , & pour
lui faire accepter une Charge de Profefleur dans l'Académie
de Conimbre h mais que Rafario s'en excufa fur fon âge , &
ne pût néanmoins lui refufer d'aller cnfeigner l'éloquence
dans Pavie , lui ayant l'obligation de la liberté & de la reftitu-
tion des biens de fon frère qui avoient été déjà confifquez.
M. de Thou fe trompe à l'égard de la Chaire de Profefleur
à Conimbre : car Philippe II. ne fe rendit maître du Portugal
qu'en 1580, & Rafario mourut l'an 15* 7 8, après avoir enfei^
gné pendant quatre années dans rUniverfité de Pavie. Ce
grand Hiftorien , attentif à d'autres chofes plus eflentielles à
fon Ouvrage , n'examinoit pas aiïèz ce qui concernoit la vie
des hommes dodes : mais ceux qui ont recueilli ce qu'il
en a dit , dévoient y joindre les corredions neceflaites.
Tom.iii.p. RoHAN {Renée de) '^Gw\. (A). Au refte , je ne prétend
ïSo» pas que le Vidame de Chartres foit mort quinze ou feize
jours après le Roi J'ai feulement voulu dire qu'en fe réglant
fur M. de Thou, il faudroit en juger à peu près ainfi : mais
au fond je ne confeillerois à perfonne de s'y régler. Ma rai-
fon eft que M. de Thou a fuivi le Prefident de la Place ,
qui n'a obfervé en cet endroit aucune exaditude Chrono-
logique. Car voici fon ordre , &c,
Tom. ïx p. Ronsard {Pierre de) Rem. [B) Aprez avoir ccnfu-
4^3» ré Claude Binet d'avoir dit que la nailTance de Ronfard »
arrivée le même jour que François I. fut pris devant Pavie ,
dedommageoit la France de la prifon de fon Roi^M.Bayle
ajoute : ce Mais que dira-t-on de M. de Thou , ce grave , ce
» vénérable Magillrat , qui a débité fort ferieufement la même
» penfée, dans une Hiftoire générale qui efl: un chef-d'œuvre ?
» Natus erat (Petrus Ronfardus ) dit-il , eodem quo infeliciter à
o> noftris ad Ticinum ptignatum eft amio y ut ipfe in Ekgia ad
» Kemigium Bella^Heum fcribit j quafi Dens ja^uram nominis
» Gai/ici
DE J. A. DE THOU. 4^5?
» Gain ci eo pralio faBam , & fecutum ex illo veluti nojîrantm
x> remm interitum , tanti viri ortu compenjare voluerit. Remar-
» qiiez bien que M. de Thou ne met pas à un même jour
» la naiilance de ce Poëte & la bataille de Pavie : il ne les met
« qu'à la même année. Mais Claude Binet ne trouvant point
?j là un allez beau jeu, ni allez de merveilleux, alTura que ces
35 deux chofes arrivèrent le même jour, &c.
Rosier ( Hugues Sureau du ) en Latin Hugo Surceus Rofarius.
Dans la note marginale [b) M. Bayle remarque que M. de
Thou dit Sorellus Roferius au livre xxxiv , & Sorelius Rofarius au
livre LUI.
Sturmius( /^tr^wfx) Rem. (A). M. de Thou fe trompe en Tom. n.pi
difant que Jacques Sturmius mourut dans fon année Clima- ^^^'
Ûerique. Son Epitaphe (i) porte qu il mourut dans fa foixante
& quatrième année.
TwoT [Jacques) Rem. (C). Il mourut non pas l'an i6o^, Tom.xir. pi
comme le dit Monfieur de Thou, mais quelque tems aupa- ^.^^s
ravant. Cette faute de M. de Thou a été remarquée par M.
Morellus dans fes additions au Suecia Litterata de Jean Schef-
fer (2) Il y a un livre imprimé l'an 1602. (3) où l'on trou-
ve l'éloge fuiiebre que Jean Jeffenius à Jeflen Médecin de
FEmpereur confacra à Jacques Typot. Quelques Auteurs di-
fent que Typot mourut l'an 1 6'oo. (4) On trouve dans la
Préface du fécond Tome, Symbolorum Pontificum , Regum ,
ô" Principum O^avii de Strada , datée du 15 de Mars i6'02,
qu'il étoit mort après avoir achevé l'explication des fymboles
d^ CQ fécond Tome.
VERGERfus ( P/>fT^ PW) Rcm. (F). M. de Thou dit que Tom.iv.pi
Vergerius publia fon livre contre l'indidion du Concile fous ^"^-*
Pie iV. peu de tems après avoir quitté la Rehgion Romaine j
montra diploma ilhid Raulus Vergerius Jujîinopoiitanus quondam
Epifcopus & magnis legationibus fub Pontificibus defunôîus , qui
paulo ante ab iis âefecerat 5 mais il fe trompe : il y avoit plus
de XII ans que Vergerius faifoit profelTion du Protedantifme.
Ursin ( Z^f/^^r/>)Rem. (C). M. de Thou n'avoit pas de ^ J°"^" ^^^^^
[i) Apud Mehh. A'famum in Vitiiju-
r'ijc. p3<^, 95.
(i) Pag. 443-
(0 C'ert le fécond tome Symhoïorum
Qct^'ViiStr-7d& Voiez M. MolÏQtUS Hj'
669'
po7/2n. ad St'.eciam Litteratam , p. 444.
{■^j Wîtte 3 in D:arîo 'Biograph. Moilc-
rus ubifnpra. Valere André Biblioth. Bel-
^i<r. pag. 4J2. dit qu'il mourut environ
i'an 1600.
Tome XK Q ^ ^.
Tom. xï. p.
if$o ]?ÎECES CONCERNANT L'HÎSTOÎRH
bons Mémoires , lorCqu'il publia que les Froteftans du dioce-
fcàQ Cologne s'aifemblerent l'an 1582 , pour ouïr le Prédi-
cateur Zacharie Urfin que le Prince Jean Cafmiir leur avoit
envoyé. Uriin renonça au métier de Prédicateur après quel-
ques tentatives dont il fut lui-même peu fatisfait. Il ne bou-
gea de Neuftad depuis qu'il y eut été établi : & il étoit 11
caffé & Il infirme en 15" 82, qu'il n'éroit nullement propre à
la Million de Cologne. Ce fut Jean Stibelius qui alla au
pays de Cologne avec le Prince Jean Cafimir, en qualité de
fon Miniilre. Philippe Pareus(i) fon neveu a relevé cette faute
de Monfieur de Thou , & nous a fait fçavoir en même temps
que ce Jean Stibelius fut depuis Minidre de Coiu-àHeidel-
berg, & Confeiller du Prince, & qu'il mourut Pan 155)5',
premier Miniftrc de Creutznac.
Zanchius ( Jérôme ) Rem. (£). i. Martyr quitta l'Italie Pan
i5'42. Zanchius fit la même cliofe l'an 1550. Ainfi ces paro-
les de M. de Tliou ne font point exades : lîieronymus Zan-
chius — paulû pojl Pétri Aiarîyris — difcejfum ob eandem
caufam Avgentinam concejjit. 2. Elles font fautives d'un au-
tre côté '■> car Zanchius n'alla à Strasbourg qu'après avoir fé-
journé environ neuf mois dans le païs des Grifons , & au-
tant de temps à Genève (2) 3. Vermilio in Angliam evocato
anno 54 inînunere fuccejjlt. Ce Latin peut fignifier que Pierre
Martyr s'en alla en Angleterre l'an 1554. Mais cela eft faux,
il y alla en 1547. Ne prenons point les chofes à la rigueur 5
accordons à M. de Thou que l'année dont il parle ne con-
cerne que Pinftallation de Zanchius 5 nous ne laifferons pas
de le critiquer juftement, puifqu'il eft sûr que Zanchius fut
inftallé l'an 1$$^ > non en la place de Martyr, mais en celle
d'Hedion. SucceJJit ei ( Cafpari Hedioni) in jirofefjlone Hiero-
nymiis Zanchius îtalus. (3) Gim anno quinquagefimo tertio , in
demortui Gajparis Hedioni s lociim theokgus , cjui in fchola fa-
cras lîteras àoceret 3 effet fu^ciendus , ah amplijjimo illius reipubL
inagifiratu <& fcJiolarchis decretum eft ) îtaîum quemdayn , Mar-
tyri non abftmilem , vocandum. ïttîm ergo primum eft à Cœlio
Jecundo Curione j cui ea cura ab Argentoraîenfibus demandata ,
[\)In vita Tyanjid. Parei p m. ip.
(2.) Melch. jidam- in Vit. Theol. exler.
(7,) Melch, Adam, in Vit, Theol. Germy ^
p. 242. ,;
DE J. A. DE T HO U. ^pt
ûà comitem Martinengum : <& , cum hic Ecclefiam Genève plan^
tatam defiituere nollct , ad îjîum Zanchium quem deinde Ar^
gentoratum ipji etiam fcholarch<e , miffis benevolentiœ plenis lite-*
ris i invitarunt. Il eft vrai que la Lettre, (i) qui lui fut écrite
par Jacques Sturmius au nom des Scholarques de Strasbourg ,
lui offroit les mêmes emplois , ôc les m^êmes gages que Pierre
Martyr avoit eus 5 mais cela n'emporte point qu'il lui fucceda
proprement parlant. 4. Il ne fortit de Chiavenne que pour
aller profeffer la Théologie à Heidelberg : on a donc tort
de lui affigner un pofte dans Baie entre fa fortie de Chia-
venne & la vocation au Palatinat. 5. On fe trompe encore
davantage lorfqu'on allure , qu'il n'alla" au Palatinat qu'en
ijyS. Il y alla dix années auparavant. 6. On ne devoir pas
omettre qu'il y alla pour enfeigner la Théologie dans Hei-
delberg , & qu'il l'enleigna dans cette Univerfité jufques aux
troubles qui s'élevèrent contre les Dodeurs Calviniiles ,
après la mort de l'Eledeur Frideric troifiéme : on ne de voit
pas , dis-je , l'envoyer tout droit de Baie à Neuftad , puis qu'il
n'enfeigna dans cette dernière ville qu'après avoir profefTé huit
ans à Heidelberg. Ajoutons une erreur de droit à ces lix fau-
tes de fait. 7. ce On remarque une grande modération en fes
3J Ecrits , & il a toujours fait connoître le fmcere deiir qu'il
y> avoit de terminer tous les differens que la Religion a eau-
» fez : C A R étant âgé de foixante & dix ans , il adreila fa con-
» feiïlon de Foi à Uliûe Martinengue Noble Vénitien , Comte
» de Barco , & il la donna au pubUc tant en fon nom , qu'au
» nom de fa famille , car c'eft le titre qu'elle porte. Or dans
M cette confellion il protefte qu'il n'a pas renoncé limplement
:;> & en toutes chofes à l'Eglife Romaine & à tous fes dogmes ,
?^ mais feulement à ceux qui ne font pas conformes aux Ecrits
» des Apôtres & à la doctrine qu'elle-même enieignoit autre-
M fois , & qui étoit crue par l'ancienne & par la pure Eglife , &
3> que quand il avoit abandonné la communion Romaine ,
=1 ç'avoit été dans le deifein d'y retourner, en cas que cor-
33 rigeantfes erreurs, elle reprit fa première forme : qu'il fou-
31 haitoit de tout fon cœur que cet heureux changement arri-
7i vât un jour ; car qu'eft-ce qu'une bonne ame peut fouhaiter
» avec plus d'ardeur, que de vivre jufqu'à la fin de fes jours
{ i ) Elle eft la premierç du fécond Livre des Lettres de Zanchius.-
Qqq ii
4p2 PIECES CONCERNANT L'HISTOIRE
» dans TEglife , où l'on a eu l'avantage de renaître parle Baptê-
» me, pourvu que la communion que l'on entretient avec elle
30 n'oifenfe pas le Seigneur ? » Luther, Calvin , Jacques André
dont M. de Thou fait mention tout aufli-tôt comme d'un
Théologien beaucoup plus envenimé contre î'Eglife Pvomai-
ne ôc contre le Pape , auroient figné très-fincerement cette
confeflion.fde Foi de Zanchius ; elle n'eft donc point une bon-
ne preuve que Zanchius différât des autres Miniftres.
Notes fur rHiJloire de lac. Aiig. de Thou y -par M.IeDuchat y
Confeilkr du Roi de Prujje , Membre de la Société Royale
de Berlin j &c. Imprimées fur le Adanufcrit.
Mem. p. 7. ^^ Ermain Brice. ] Germain de Eric. Voyez les Notes de
Ton:. I. de la 1 "^ M. dc la Monnovc fur les Juzemens des Scavans de Bail-
letjtom. II. ai Article i3r/r^,n. 344-. pag. 285. edit. de raris
1722, in-4°.
Ib. p. 39. & Aonius Pakarius qui fut brûlé. ] M. de Thou Ta dit aufll dans
li^,'^' ^^S- fon Hiiioire, mais & lui, & M. Dupuy fe font trompez. Le
corps fut brûlé , il eft vrai, mais Palearius avoit été auparavant
pendu & étranglé. C'eft ce qu'a remarqué M. de la Monnoye
dans fon Menagiana , Paris 1 7 1 <> . tom. I. pag. 2 1 ^ . & fuiv.
lilà. p,ioo. ^(^^^^ Jacques Stracelles. ] M. Dupuy n'a pas bien fçu le pré-
nom de ce Profeiïeur , puis que dans la vie de Guillaume
Budé par Louis le P.oy j il y a de ce même Profeifeur une
Epigramme Grecque fousfignée Joannes Stracelius. L'abrégé
de Gefner le nomme Joannes Strafelius , d'où peut-être Strazel y
comme on lit dans Brantôme , tom. L pag. 23 8. de la première
édition de fes Hommes îlluftres François. M. Bayle dans le
texte de l'Ait. Samblançai ( Renaud de Beaune ) le nomme
mal Stracel , en quoi M. Difs Tradudeur du De Vitaj &c.
de M. de Thou , ne l'a pas imité, aïant rendu Stracelius par Stra-
celles, conformément à Y Index Thuani,
Hîft.Tonî.ï, Olivier Maillard qui étoit un traître & un /ce 1er at "] Olivier
P* ^^' Maillard Cordelier , Breton de nailîance , mort dans fon Cou-
vent de Narbonne fan 1^02. Selon la Croix du Maine, il:
avoit été ConfelTeur du Roi Charles VIII. & l'Hiftoire lui
reproche de s'être lailfé corrompre par un barillet de pièces
d'or j pour porter ce Prince fon pénitent, à reflituer le Rouf-
D E J. A. D E T H O U. 45)5
filloii au Roi d'Armgon^jfans rembourfement de la fomme,
pour laquc4le ce Comté avoir été engagé à la France. Le
Verger d'Honneur , &c. Ouvrage de ce temps-là , au feuil-
let 14.1,^.
One que î Frère Olivier Maillart ,
Ne fit mieiilx du gros Pape/art ,
Pjteferay , iV/y pièce quelcune ,
Qui f oit d'or y ïHen euffè-je que une .^'
Pour chacer ce divers hazart.
'Martin Fan-Rojfiem ] De Rojfheim ; & non pas de Rof- ibid. p. i<^
fem comme dans Y Index Thuani. Il ne tint alors qu'à Martin
de Rofsheim de s'emparer d'Anvers ^ mais il en perdit l'oc-
cafion , & fe fît mocquer de lui. Voyez Hubert Thomas , vie
de TEledeur Palatin Frideric II , Francf. in-4 -. i ^24. pag. 248.
Du refte , Rojfemium Se Rcffemum , comme on lit ailleurs dans
M. de Thou,c'eft toujours Rojf/ieim en François, & non pas
Rojfiim , ni Rojfem , comme on lit dans le même Inde:)^
Thuani.
Ce Chriftierne II. eftîe même, qu'Erafme, dans celui de ,,., ^ .
fes Colloques qu'il a intitulé Puerpera , qualifie de pius Evan-
gelîi fautor , apparemment parceque Chriftierne étant beau-
frère de l'Empereur , la Politique obligeoit le bon Erafme à
louer ce méchant Prince , au moins par quelque endroit. Il
mourut en lyjp. dépouillé de fon Royaume. Voyez la Nate
de Pierre Rabus j fur cet endroit de ce Colloque
RoccandG/fe,']Le nom de cette famille eft Roggendorff, Se ibid.p. <?;]
félon Buddeus , celui-ci s'appelloit Guillaume. Ces Comtes ,
originaires de la Styrie , mais établis dans l'Autriche depuis
environ l'an i45'o, n'étoient d'abord que Barons. Dans la fuite
l'Empereur leur conféra la dignité de Comtes h ôcc'eft d'un de
ces Meffieurs que dans Faenefte iv. 20. il eft dit qu'il mourut de
faim à Paris , après avoir amené & exploité quatre armées au
Je cour s de nos Rois.
Foreft-moufrier ] On lit Fer-monfiier dans Brantôme , pag. ibid. f, 77}
340. du tome i. de fes Hommes lUuftres François, ce qui
îemble approcher plus du Latin de Monfieur de Thou ,
i^Firmum-Monaficïium) que non pas Forejî-Moujîier ou Mon-^
Qqqiij
^94 PIECES CO>XERNANTX'HîSTOIRE
y//>r, comme on lit dans les Mémoires de du Bellay , fous
l'année i )45 . & dans Y Index Thuani.
Jbid.p. 179. Il ne plaça dans l'Evifcopat que des gens pleins de fcience ô^
de vertu. ] Il y a dans le latin , Ferè honos & doclos. Sanderus ,
dansfonLivre^^f/Y??^^ Ecckfi^s ^wg-//c^ , parlant de ces Eve-
ques , avoit dit minime malos , ce qui leur étoit encore plus
honorable. Cependant ce que M. de Thou ne difoit ici que
fur la foi d'un tel garant , fut pris en mauvaife part par les
Jefuites , qui en firent une groile affaire. Voyez les Epures
Franfoifes écrites à Jofeph Scaiiger , pag. i6o. du Recueil
de Jacques de Rêves.
Ibid. p. I8^ Jean de Mendoze , &c. ] Il ne feroit pas aifé de fçavoir
quelle étoit fa charge, fi on ne trouvoit dans Beze,tom. I.
pag. 80. ôc 81. de fon Hift. Eccl. que Jean Mendoze étoit
Maître - d'Hôtel chez le Roi. Ainfi regiorum difpenfatorum
princeps , figniiîe proprement ici premier Maître-d' Hôtel. Slei-
dan,iiv. 18. fous l'année 15*47^ dit que le Roi François I.
avoit pris à fon fervice ce même Mendoze , après que l'Em-
pereur Feut banni de l'Efpagne.
|;bia. ^. zio. Jacques Toufan ] Jacques Toufan , ou plutôt Thoufan étoit
de Troyes en Champagne^ &non pas de Rheims. Voyez le
Baiilet de Monfieur delaMonnoye, tom. II. art. ^82. pag.
|:bid.p;z87; Come Gheri Eveque de Tayence. ] Sleidan mal -informé- a
ici trompé M. de Thou. Côme Gheri étoit Evêque , non
pas de Faenza , mais de Fano. Beaucaire , liv. xxv. de fon
Kiftoire , ne le qualifie pas autrement : & Côme Gheri lui-
même , au devant de neuf de fes Lettres , inférées parmi
les Epiftolde Clarorum Virorum , &c. Venife 1556". met tou-
jours Epifcopus Fanenfis.
^id. p. 3i?f. Je Cardinal de Guife.'] Louis de Lorraine , Cardinal de
Guife. Il avoit donc reçu le chapeau fous Paul III. pour le
moins àhs l'année i J4p. Et cependant Meff. de Ste Marthe,
au mot Semnenfes de leur Gallia Chrifiiana , mettent fa pro-
motion feulement au 11 Décembre 1 5" 5" 3 .
Tom. ïi. p: Le Çieur de Jours.'] Claude d'Anglure , Seigneur de Jours,
^'^'^' Colonel de la Légion de Champagne , dès Tannée 1 5" 5" 2 , fé-
lon M. de Thou 5 quoique fuivant le P. Z^aniel, dans fon Hifl,
de la Milice Francoife j éditd'Amft. 1722. tom. II. pag. 234.,
Ï3 E jr. A. D E T K O U. 4P^
î'înflitutlon des Légions fous Henri II. ne foit que de Tannce
175-8. Brantôme, au relie, tom. IV. pag. ^8. de fes hommes
iilurtres François remarque que le bon M. de Jours fe fit de
la Religion 5 & il laifle entrevoir que pour cela même , la Cour
ne voulut point i'emploïer aux premières guerres de Reli-
gion.
La Seille. ] Il y a dans le latin Sara. Saar , dit VlndexThuani, ibîd. p. 304^
mais mal. Voïez le Lexicon de Ferrari , au mot Sala. En eifet,
la Sare , Sara , & la Seille , Sala , quoi qu'allez voilines , font
deux rivières différentes. La Seille fort de Fctang de Lindre ,
entre Dieufe & Marfal , & paffe à Metz, s'y jettant dans la
Mofelle , à un coin des murailles de la ville appelle la Tour au
Diable j au lieu que la Sare a fa fource dans la Lorraine Alle-
mande, & entre dans la Mofelle feulement au deffous de
Thionville , fans approcher de la ville de Metz de plus de dix
îieuës. M, de Thou auroit donc du dire Salam , & non pas Sa-
ram.
Xifie Betulée mourut à Auihourg , oà il ctoit né. ] Birck ( Xyfle) ibid. p. 44?.,
en Latin Betuleius éroit de Memmingen , Âugnjla Drufi , &
non pas d'AugHJla f^ndelicorum , qui eft Augsbourg. Voïez
ia note de Monfleur l'Abbé d'Olivet, au bas d'une des pa-
ges de la Préface de fa Traduction de Ciceron de N attira
Deorum.
Le Comte de Vulenfort. ] l'^ulfenfort dans Brantôme , hom- ibid. p: 4(rr<
lues illuftres François tom. III. pag. 38.
On découvrit alors que les Cordeliers de Aletz dévoient livrer xbid. p. 5^0,
la Ville aux Impériaux. ] Il n'y a plus de Cordeliers à Metz ,
& c'eft , je penfe , depuis & à l'occafion de cette entreprife.
Ceux qui la firent y étoient connus fous le nom de Ireres Bau-
des, efpece de CordeUers du Tiers- Ordre, appeliez par les
Ecrivains Latins Fratres Gaudentes , parce qu'à la différence
des Obfervantins , ils poffédoient des biens-fonds qu'ils ad-
miniftroient par eux-mêmes , & des revenus defquels ils joûif-
foient jufqu'à s'en ébaudir, Beze, tom. III. pag. 457. & fuiv.
defonHiftoire Ecclefiaftique , parlant de cette conjuration^
Bomme pour chef du complot certain Frère Léonard, Gar-
dien des Pieds-defchaux qui feroientdonc les mêmes qu'on ap-
j^elloit communément Frères Baudes.
ÇhriJIopkle Baron de Polleviller j frère de Nicolas j &c, ] C'é- 6^j^^' ^'^' ^
495 PIECES CONCERNAIT L'HISTOIRE
îoient des Gentilshommes d' Aiface , où celui-ci , Baron de
PoUweiler , avoir de belles terres. Il étoit d'ailleurs Gouverneur
de Haguenau , & Colonel entretenu au fervice d'Efpagne , à
la manière de ce tems-là. Voyez le projet de la vie du Cardi-
nal de Granvelle par T Abbé Boifot , dans les Mémoires de Lit-
térature du P. Des xMolets ^ toni. IV. p. ij-j.
ibld. p. i85. Le moine Luc de Bruges. ] Il y a dans ie texte Latin Bruç^enjt y
iifez Burgenfi y s'agiûant ici de Lucas Paciolus Religieux^Fran-
cifcain, iurnommé Burgenfis du Bourg S. Sépulcre fa patrie.
Luc de Bruges eit le nom d'un autre Auteur.
îbid.p. 3^). Guillaume de Paris ] Guillaume furnommé Parifienfts , Eve-
que de Paris en 1228. L'Auteur des Noxatïones in Tlmant Hif-
îorias , 1^14. pag. 6^. ( Voïez cy-deilus dans l'extrait qui en a
été donné p. 448, ) fuppofant avec fa fuffiifance ordinaire, qu'il
s'agit ici de l'Hiftorien Matthieu Paris , reprend avec infulte
Al. de Thou , de l'avoir mal nommé Guillaume & ne s'apper-^
çoit pas que l'Auteur pade d'un Théologien François du xiii.
lîécle , & non pas de Adatthieu Paris moine Anglois , qui n'a
rien écrit en Théologie.
^îlft. P.41Î. Gilles nommJ àPEvêché de Tortone.'] Il y a dans le Latin;
Epifcopus Drqffenfis. Comme il n'y a point d'Evêché de ce nom
en Elpagne , ï Index Thuani remarque qu'ici Droffenfis elt un
nom corrompu. En effet , il faut lire ou Dertqffenfîs , ou. Der-
îufcnfis , s'agilfant icy d'un Gilles Prédicateur de FEmpereur,
qui l'avoir nommé àï'Evêché de Tortofe. Bayle, au mot Char*
les- Quint, Rem. vS'. not. marg. (70) edit de 1730.
îbicî;p,48;. C'^cjl du Roi Hugon, quon appella Huguenots &c. ] On a
long-temps appelle en France Hu'éts les hérétiques du pays ,
& cela apparemment parce qu'aufli-tôt qu'on en remarquoit
quelqu'un dans les rues , lesenfans, les écoliers^ & le peu-
ple crioîent fur lui hohu ^ hchu , comme dans Rabelais livre V,
chap. 12. Frère Jean fur Grippeminaud , qu'il prenoit pour un
hérétique j qui vouloit marier les Moines. Ue bonne preuve
de ce fait, c'eft ce que rapporte le Valcfiana , pag. 120. Ôc
Î2I. comme tiré de nos Annales, qu'en Tannée 1584. un
certain Frère Prêcheur dit en chaire , qu'il vouloit ctre appelle
Huët , s'il ne prouvoit évidemment & par de folides railons,
que la Ste Vierge avoir et i conçue dans le péché originel. Huét
li'eft pourtant qu'un dlmiiutif de Hué corrompu du prenons
DE J. A. DE T HOU. 4P7
Nugtte : mais ce fobriquet avoit cela de commode qu'il fem-
bloit tout propre à défigner les hérétiques comme gens qu'on
devoit huer j & il y a bien de l'apparence que ce même fobri-
quet n'a ceflTé tout-à-fait en France que pour faire place à ce*
lui de Huguenot , qui n'étant auffi qu'un diminutif de Hugue,
ou plutôt de Hugon , a femblé très-propre à caraderifer par-
mi nous, cette nouvelle efpéce de //«m que jufques-là nous
avions confondus avec les Luthériens d'Allemagne. Hugo ,
Hugoms , Hugonottus , dit Ménage dans fes origines Fran-
^oifes. Huguenot y au refte , eft le nom d'une famille de Chau-
mont en BafTigni , & lui Jean Hugenot de cette famille figna
comme fubftitut du Procureur Général la clôture du Procès-
verbal de la Coutume de fa ville en ijjp. lorfque les Hu-
guenots de France n'étoient encore connus que fous le nom
de nouveaux Luthériens. De prétendre avec quelques-uns, que
les Réformez du Royaume de France ayent été nommez Hu-
guenots , par rapport aux defcendans de Hugues Capet , qu'ils
appuyoient contre les prétentions de la maifon de Guife à
la Couronne , je n'y vois nulle apparence , puifque , dans le
fonds , un tel fobriquet auroit fait honneur aux Réformez,
& que cependant il eft fur que ce furent leurs ennemis qui
le leur donnèrent. Le nom ridicule & odieux de Huguenot , dit
plus haut M. de Thou.
Un Libelle . . . intitulé le Tigre. ] Un ennemi déclare du Ju- ibid.p. $iif
rifconfulte François Hotman lui attribua ce Libelle. Voyez
M. Bayle à l'Article Hotman Rem. N. & Guife ( François de )
Rem. L édit. de 1750. C'étoit une infolente Satire qui, dès ce
tems-là , reprochoit apparemment au Cardinal de Lorraine ,
ces mêmes Amours reprefentées quatorze ans après dans un
Tableau dont parle le chap. 7. du I L Livre de la Confefllon
de Sanci.
Jean de Bretagne, ] Vierg ( ^ergobretus ) de la Ville & Cité Tom. ir. f;
d'Autun. Beze tom. L pag. 474. de fon Hiftoire Ecclefiaftique. ^^*
Du Chefne Lallier, ] La Chefnaye Lalier, C'eft ainfi , & non Ibid. p. n; j
pas Du Chefne Lallier , comme dans l'Index Thuani , qu^eft
nommé ce Gentilhomme par Beze, tom. IL pag. j(^p. de
fon Hift. Eccl. Dans Brantôme pag. 2 5'p. de fon Traité des
Duels , on lit mal Mailler pour Lalier > mais , à cela près , fott
Qom eft auftl La Chefnaye,
Tome XF. Rrr
4^)7 PIECES CONCERNANT L'HISTOIRE
Ibîd. p. 6C0. Jean-Baptijîe Gello j Cordonnier, ] Le Gelli étoit Chaufletîef, 1
Calzaimlo 5 & non pas Cordonnier , Calzolaio. De plus , il fa- \
voit fort bien le Latin. Voïez le Baillet de M. de la M^nnoye j
au mot Gelli N*^ 1004, tom. III. p. i;jo.
Xbîd. p. 601. Cafialion. ] Son nom de famille eft Cafiillon,
Ibid. p. «3?. Jean Boteon.'] Cefavant à qui M. Bayle n'a donné d'autre |
nom , que celui du Latin de M. de Thou , s'appelloit Bourrelé \
d'im nom que les payfans du Dauphiné donnent au Bufard j j
parce que cet Oifcau eft le bourreau de leur volaille. Or corn- |
me Buteo eft le nom Latin du Bufard 3 de là vient que dans le i
Latin de M. de Thou Buteo eft le furnom de Jean Bourreh \
Guillaume des Autels , pag. 2p. d'un Receuil de fes Poëfies j
intitulé Repos de plus grand travail , 'Lyon chés Jean de Tour- |
nés 1 5* 5 0 , adrefle une Epigramme à M. Severin Bourrel , Cha- \
noine en l'Eglife de S. Bernard de Romans. Cette Eglife ôc ;
quelques autres encore , comme le remarque Du Chefne , liv. ;
IV. chap. 3. de fes Antiquitez &c. avoient été ruinées dans \
les premières Guerres de Religion. Ainfi , il eft probable que i
ce fera le Chanoine Bourrel , qui en fera mort de chagrin à
Komains en i ^ 54 ; puifque comme on voit dans Bayle au mot :
^«?^o ,1e Mathématicien £o;/rr^/ étoit mort dès l'année 15 do , ]
dans l'Abbaye de S. Antoine à quelques lieues de là. j
Tom. T. p. "^^ -^^^ ^^ Navarre qui protège oit Françoife de Rohanfa paren* j
-ï«;« te.2 Françoife de Rohan étoit fille d'Ifabelle d'Albret, fille \
de Catherine de Foix & de Jean d'Albret , fur lequel Fer- i
<linand le Catholique avoit ufurpé la Haute-Navarre , détenue '
alors par Charles V. petit fils de Ferdinand. Le Roi François I. j
avoit voulu marier cette Ifabelle avec le Comte Palatin , qui !
depuis , fous le nom de Frideric 1 1. fucceda à fon frère dans ]
l'EÎedorat j mais ce mariage n'eut pas lieu , parce qu'Ifabelle 1
s étoit déjà engagée avec René I. du nom. Vicomte de Rohan, j
Comte de Porhoet, qu'elle époufa effedivement en i y 3 5". I
Touchant ce deflein qu'avoit eu François I. de marier Ifabelle
d'Albret au Comte Palatin Frideric, voyez Hubert Thomas
dans la vie de ce Prince , liv. x. p. 15) j, où , foit dit en paflant, {
on trouve que l'Empereur Charles V. qui comme détenteur j
aduel du Patrimoine de la maifon d'Albret , vivoit en inimitié i
ouverte avec cette maifon , parloit d'Ifabelle comme d'une j
perfonije que Frideric fe feroit fait tort d'avoir cpoufée. £"£ ;
DE J. A. DE THOU. 4PP
cur , difoit un jour Charles à l'Auteur de cette Hiftoire,/r^ ;
à me Vienna difcejfit mus Pnnceps ( le Comte Palatin ) ? Die , i
inquam ,pertuamjidem, Quamvoluenint ilUGalli in matrimo^ j
nium dure / Nonne Ifabellam Navarraam , bellam illam IfubeU j
lam / Daho modo illiprobam & pudicam j optimis moribus injîruc^ j
îam. L'offenfeur , dit-on , ne pardonne jamais. Oh , que ces ^
paroles de Charles vérifient bien ce Proverbe ! Du refte , - \
la perfonne que l'Empereur deftinoit pour femme à Frideric, ]
étoit la propre nièce de ce Monarque , fille ainée de Chriftier- \
ne Roi de Dannemarck j & en effet , Frideric époufa depuis i
cette Princefle. i
Il en fut depuis blâmé. "] A la page (^8p d'une HiJIoire du' Ibîd.p. <4^ ;
tems &c, imprimée en 1 5*70 , on reproche au Baron de Miram- ;
beau d'avoir rendu le Château de Lufignan, non pas faute \
de vivres , ni de munitions , \x\2is faute de moutarde pour manger |
fon bœuffalé. Mais d' Aubigné , tom. I. pag. 440 , de fon Hiftoi- j
re , édit. de 1 6*2 6", fait à cette occafion l'Apologie du Baron, •
& blâme la licence que quelques uns s'étoient donnée , de ]
dire que ce Gentilhomme n'y avoit pas fait fon devoir. |
Verbelet. ] On lit dans le Texte Latin Verbelio Pontefio. Vin- ibid. p. ?4 j; !
dex Thuani eft demeuré court fur le nom François de ce Gen- ;
tilhomme , duquel , plus haut, M. de Thou dit qu'il étoit j
frère de l'Evêque du Puy en Vêlai. Or , dans le Gallia Chrifiia^
na , l'Evêque de cette ville-là en i ^ ^p étoit Antoine de Sene- i
taire , nom qui n'a de rapport , ni avec P^erbelius , ni avec \
Pontejtus. Du refle , ce frère de l'Evêque du Puy efl nommé !
Verbelet dans l'Hifloire de France du P. Daniel , édit. d'Amft. j
tom. V. pag. P42. ;
Guillaume Kir kadey."] Kircadius, Lifez Kircaldius. Le nom ibid.p;^^7; j
de cette famille efl Kircaldy , & Burnet dans fon Hift. de la '^
Réf. d'Angl. fous la première année du régne d'Edouard VI,
parle du Chevalier Kircaldy Ecoflbis.
Maggi Milanois naquit à Anghiari'\ Magius étoit né, non Totn.vï.p; \
pas à Angiara dans le Milanois , mais à Anghiari dans la Tofca- *^^* ^
ne. Voyez Bayle au mot Magius. Vlndex Thuani , au mot '
ylnglara , fuppofe mal qu'il y ait un Anghiari dans le Mila- j
nois. ;
Jaqueline d^ Entremont, ] Cette Dame qui , après la mort de ibîd. p. z;^ '
i'Amiral fon fécond mari , avoit ofé retourner en Savoye , fut i
R r r i j 1
5Û0 PIECES Concernant ^histoire
înife en prifon , & y refta jufqu'à fa mort , arrivée feulement eri
15pp. Oflatj Lettre 1^6. Du refte , une fi longue captivité
qu'effuya la Dame d'Entremont, n'eut pour but que de la ré-
duire à céder au Duc de Savoye le Château d'Entremont, do ù
ce Prince auroit pu fort incommoder le Dauphiné , où ce Chai
teau eft fitué. Oflat, Lettre 102.
Itii p. 319. On mit Charlotte dés fa plus tendre jeunejje j &€."} lî y a dans
le Latin vix annicula. Si Charlotte de Bourbon avoit à peine
un an , lorfque fa mère la mit en Religion , quelle inftruc-
tionfecrette celle-ci pouvoit-elle lui avoir donnée précédem-
ment , qui lui eût donné du goût pour la Religion Reformée ?
11 y a fans doute ici faute dans le texte. Voyez Bayle au mot
Longvic,
Ibîa.p. 4»9. Jean Coras ] Le Clergé de N. D. de Roquemadour en
Querci fe vantoit de pofleder en chair & en os le corps de
St. Amadour , d^où , foit dit en paflant , le Proverbe rapporté
par Châtelain , au mot Amator de fon Vocabulaire Hagiolo-
gique : en chair & en os y comme S. Amadour. En 1^62 , Coras
arrivé en ce lieu avec l'armée Huguenote 3 découvrit que ce
prétendu Corps-Saint n'étoit qu'un os qui fembloit avoir ap-
partenu à une épaule de mouton. Beze , Hift. Eccl. tom. 1 1 L'
pag. 85). & po. En falloit-il davantage à des gens bien plus
avares encore que fuperftitieux, pour faire mourir cet homme f
îbid.p. ^35. -^^ Capitaine Mirant.'] Le nom de ce brave Officier de
mer étoit , non pas Mirant , comme on lit dans X Index Thuani ,
mais Mirande. C'eft ainfî que le nomme d'Aubigné , tomv
IL liv. I. ch. II. fous l'année i5"73. Cette famille eft Ro-
cheloife , & depuis trente ans réfugiée à Berlin.
Tom. Tii. p. Pendant trente ans qu'ils entretinrent entr*eux un commerce de
^^7* /mr^j,], Ajoutez huit à ce no^iibre d'années. M. de Thou ^
qui parle du Volume des Lettres de Melanchton à Came^
rarius, publiées par celui-ci, & imprimées /« 8. à Leipfic en
i j^p , n'ignoroit pas que la première de ces Lettres eft de
l'année 1^22, & la dernière du 22 Mars ij(5'o.
Ibid. p. ^4j. ^'^ Cardinal de Guife ... aujfi débauché & aimant afttant la
table 3 &c, 3 C'eft lui que le Paflavant de Beze déligne fous
le 'bbriquet de Cardinalis lagenifer , ou de Cardinal des bouteil^
les i & c'eft lui-même qui fous ce dernier nom , eft encore
défigné au chap. 22. de l'Apologie pour Hérodote, Le Jour-
DE J. A. DE THOU. Jor I
nal de Pierre de l'Etoile , Cologne 1715?- tom. I. pag. p i. dit :
qu'on l'appelloit le Cardinal des Bouteilles , parce qu'il les ai- j
moit fort , & ne fe mêloit guéres d'autres affaires que de celles i
de la cuifine.
Paul Smart de Caujfade de Saint Megrin,"] Madame de la
Vauguion fœur du Marquis de S. Mégrin de cette famille , fi- ibid. p. 717* !
gnoit Marie Stuart de Caujfade •■> & comme apparemment elle j
n'étoit pas la première de fon nom , qui eût pris celui de '
Stuart y de là vient fans doute ici le Stuartus de M. de Thou.
Mais le nom de la famille eft EJihuer , & il ne fe lit pas au-
trement dans les Regiftres de l'Ordre du Saint Efprit. Mem. '
d'Amelot de la Houflaie , Amft. 1722. tom. I. pag. 418. D'au- \
très l'écrivent EJIuer , &c c'eft comme on lit dans le Journal '
de P. de l'Etoile, tom. I. à la marge de la page py. ~^ :
De Merle avoit fait fondre deux canons de la cloche de Mende ; ,
&c. ] D'Aubigné fous l'année i J77. tom. 1 1. liv. 3. chap. 20. Tom, vm. p; i
parle d'un Capitaine Merle , Huguenot, comme ayant furpris '^^- \
la Ville de Mande une veille de Noël, à la faveur du bruit ;
des Cloches , & entre elles d'une qui étoit eftimée ti'avoir point \
fa pareille engrojfeur. C'eft fans doute celle que ledit Merle ^ |
chef des Huguenots du Givaudan , fit fondre pour en faire
du canon. Le prénom de cet homme étoit Mathieu , ôc ce j
Mathieu étoit fils d'un cardeur de laine. V. Mémoires de la î
vie de M. de Thou liv. 4. p. i$S.
Chiverni ...le déclara criminel de Léze-Majefîé. ] Voilà en j
1^83. un Archidiacre de Toul déclaré criminel de léze-Ma- Tom. ix,p;
jefté. Le nommé yl^^c^ow fuccefleur de François de Rofiéres ^^»
en la même dignité , frifa la corde , & fut banni pour crime de \
faux fceaux. C'eft ce que nous apprend Gui Patin dans deux de |
fes Lettres à Charles Spon, du 5. Septembre i6^(j> & 5. Mai \
i(5jo ,OLiron voit aufli que ce Machon étoit curieux en Li-
vres , & que même il en avoit récemment fait un , où il s'étoit î
déclaré grand Frondeur. C'eft le même duquel , fous le nom de |
Manchon , on a imprimé à la fuite de la Satire Ménippée , cdit.
de 1^26. un chétif abrégé de l'Hiftoire de Henri III. trouvé ;
apparemment dans quelque Bibliothèque , en Flandre , où
l'Auteur s'étoit retiré. î
François Torriano. ] Turrianus. Lifez TorriaHus , en Efpagnol Ibid. p. i-ioî ]
Torrès , 6c non pas Tmrimo , comme on lit dans P Index Thuani, \
Rrriij ]
yo2 PIECES CONCERNANT L'HISTOIRE
îbid. p. } 5^. Jean Comte Pepoli . . .fut étranglé. ] Le prénom de ce Comte
de Pepoli étoit Jean-Baptijie. Selon d'Aubigné , & félon la
Vie de Sixte V, attribuée à Grég. Léti , ce Seigneur fat dé-
capité fur un échafaut , & non pas étranglé dans le Palais du
Légat.
îbid. p. }7S. Hotmanchoifitunjîylebadin.'\ Ce que dit ici M. deThou;
& d'après lui xVlezerai , que François Hotman écrivit d'un ^)Aq
burlefque fon Brutum Fulmen , regarde à mon avis , moins le
ftyle du Livre , que plufîeurs Légendes feriales dont l'Au-
teur l'a égaie , fans parler de ce conte qu'on trouve dans la
Nullité ^^. au. Gentilhomme, qui comparoit les clameurs de
Sixte V. dans fa Bulie , au brayement de ces Anes de la Tof-
cane , dont parle le Médecin Mathiol. M. de Thou fe con-
noiflbit en ftyles , & vraifemblablement il avoit lii le Fulmen
Brutum.
jbid. Pierre du Belloi compofa aujftfur Ce fujet un grand ouvrage. ]
Ce font les Moyens d'abus 3 &c. contre la Bulle de Sixte V.
mal-à-propos confondus par quelques uns avec le Brutum Ful-
men de Hotman. Belloi avoit été emprifonné le 4 Juin 1587,
par le crédit des Ligueurs , pour raifon de fon Apologie Catholi--
que i &c. publiée en i y 85*. Ayant depuis encore compofé ces
Moyens dahus ,&c. imprimés d'abord à Tours , puis à Am-
brun , & même à Cologne , à en juger par le titre de queU
ques exemplaires , ce dernier Ecrit fut caufe que Belloi , trans-
féré de la Conciergerie à la Baftille, y refta jufqu'en i^jpi >
au lieu que l'Elu Roland grand Ligueur , prifonnier comme
lui, par ordre du Roi, pour avoir infolemment parlé de ce
Prince , avoit été relâché quatre jours après. Voïez la Chrono-
logie Novenaire de Cayet , tom. I. au feuillet 20, b. le Journal
de l'Etoile, Col. 171p. tom. I. pag. 223. ôc 251. le Journal
du règne de Henri III. 171P tom. II. pag. 17. & le Die-
tionaire de Bayle à l'Article Belloi.
Ibîd. p. 3S5. Charles de Cojfé Comte de BriJJac. ] Brijjac eft le nom d'un
Château fitué fur une Montagne proche la Ville de Mande
en Givaudan. Origine des Cardinaux édit. de 1(^70. pag. 108,
Jbid. p. 411. Jean Crato. ] Le furnom de ce Médecin Allemand étoit von
Krafftheim , à quoi répond Crato , du Grec Kparo^ robur. Voïe^
la Vie de Mélancthon, édit. de i5'p2, p. ^6. où l'Auteur
;iomme Adam Crato un autre favant Allemand , qui fe nom-.
DE J. A. DE THOU. ^of
liiolt Kraphth en fa Langue. Dans Vander Linden , le Méde-
cin Crato fe furn Jînmoit à Crafftheim , au devant des Ouvrages
qu'il publioit en Latin.
Les Députez du Clergé , de la Nohlejfe & du Peuple au nombre Ibîd. p. èiyi
de quatre cens , &c. ] Le nombre des Commiflaires nommez
n'étoit que de quarante-deux , encore n'y en eut-il que trente
fix qui aÏÏifterent au jugement. Abrégé Hiftorique des Ades
Publics de Rymer , tom. II. pag. 570. de l'édit. in 8^.
Oweveington. ] Lifez If^erkington dans le Cumberland. Ra- ib;a. p. ^441
pin Hift. d'Angl. tom. VI. pag. 25*5. U Index Thuani n'a pu
rendre le Latin Overcingtonus portus.
Guillaume Alan de Lancafire ] Guill. Allen y mal-nommé Toi». x. p:
^ Alain dans V Index Thuani. Ici, par Lancajîrenfis , faut-il en- ^ih
tendre que le Cardiual Allen étoit de la ville de Lancafire ,
ou bien , comme on TaffLire dans la Vie de Sixte V. que ce
Cardinal étoit de l'illuftre maifon de Lancafire ? Si c'eft ce
dernier, un autre y^Z/^-w, Juge de la Cour du Légat Wolfey
en I y 19 , ne devoit pas être de la même famille , puifque Ra*
pin , tom. V. pag. 150. de fon Hift. d'Angl. ne le traite g^ue
de certain Jean Allen*
Ilfomma Teftu de remettre la Bajîille , & il eut la lâcheté de ibid, p: xC9.
lui obéir. ] Dans le Journal de l'Etoile , 17 ip. tom I. pag. 75*.
le Chevalier du Guet Laurent Teftu , Gouverneur de la Ba-
ftille depuis l'année i$'76 y eft dépeint comme plus propre,
difoit-on , pour le Gouvernement d'une bouteille que d'une
telle place. Auftî eft il dit de lui dans le Catholique François ,
Pièce compofée pour la défenfe de la Reine-Mére , qu'il ren-
dit la Baftille au Duc de Gm^Q , fautes d'Oranges pour faire
une capyrotade de perdrix j & que cette excufe lui avoit mis
à couvert l'honneur & la vie.
Jean le Fevre"] Lifez Jacques, & voïez Launoi, Hift. du ibia. p. pj^
Collège de Navarre, Paris lôyj. pag. 3^7.
Comneaux."] Ce village eft de la Sergenterie du Mefnil , ibid.p. ^«i;
dans l'Eledion d'Argentan.
Gilk des Urfins-dArmentieres.'] Au lieu des UrHns, lifez ibid. p.^57:
d'Auchi, Ce Gentilhomme étoit fils du Vicomte d'Auchi , il
étoit Seigneur à'Armentieres , & fon véritable nom étoit Gilles
ie Conjians. Voïez les Annotations fur les Amours du Grand
Alcandre , n. 1 0*
504- PIECES CONCERNANT L'HISTOIRE
Ibid.p. tfjo. Faire ripaille fe dit proprement de ces petites débauches
de Gargottes , où dQS Ecoliers fripons fe régalent en côtelettes
ÔL en rufieries , comme on appelloit autrefois les têtes de mou-
ton que vendent les Tripières : & , félon moi , ripaille pourroit
bien venir de ripp , comme l'Allemand nomme ces os plat$
& courbes , que nous appelions cotes. Ceux , au refte , qui
ont crû que faire ripaille, ipour faire bonne chère, s'étoit dit origi^
nairement par rapport à ce Duc de Savoye^ qui s' étant re^
tiré à Ripaille , y faifoit , dit-on , chère entière fous l'habit de
Moine , ceux-là , dis-je , n'ont pas fait réflexion que ce Prince ,
loin de vivre en délices dans fa retraite de Ripaille , y vivoit
au contraire très-frugalement aux yeux de tout le monde j &
que , comme d'un côté , il s'étoit réfervé tout le revenu de fes
pays , ce furent les grandes épargnes qu'il avoir faites à Ripail-
le , qui jointes à la réputation qu'il s'y étoit faite , de ne vivre
plus que pour le ciel , lui frayèrent le chemin à la Papauté.
Voyez Spon Hiftoire de Genève, z édit. tom. I. pag. 107
ôc 108.
Tom, XI. pi La Croix de Malhara. ] Cette fameufe Croix , appelle Mal-^
Sî'H hara àznsV Index Thîiani , eft nommée A/^/c^âir^ par Rabelais
dans l'ancien Prologue du i v Livre , à propos de ce que ce
fut près de là qu'en 1^88 arriva un fanglant combat entre
les Pies $c les Geais, Peut-être que dans Malchara, comme
Rabelais a ortographié ce mot , la lettre c ne fert qu'à marquer
plus fortement l'afpiration de Vh.
Pag. 44S. Adrien Cocher i ] par corruption pour Gaulcheri , comme on
lit dans le Journal de l'Etoile tom. II. pag. 6^.
pag ,.j^ Un Médecin nommé Blancpigmn.'] M. de Thou à tiré ce
fait ex ABis publicatis ^ des Mem. de la Ligue , tom. V. p.
16 j del'édit. de lypS. Mais ces Mémoires l'auront trompé,
fi , comme l'a prétendu Gui Patin dans une Lettre écrite en
16^2 i le Médecin Blancpigmn y natif de Troyes en Cham-«
pagne , étoit mort à Bayonne , depuis cinq ans feulement ;
âgé de plus de quatre vingts ans , & que de mémoire d'hom-
me , il n'y avoir eu que lui de ce nom dans Bayonne. Ce
n'eft pas qu'en 15*^2, il n'y ait eu à Bayonne un Médecin
d'exécuté au fujet de la conjuration dont parle ici M. de Thou,
mais , félon Mézerai , il fe nommoit Roffius , & non pas Blanc"
pgnon. Si l'on demande ce qui peut avoir trompé le eompilateui:
d€5
DE J. A. DE THOU. jgj-
des Mémoires de la Ligue , fur le nom du Médecin complice
de la conjuration dont il s'agit , voici ma penfce là-defTus. Le
Médecin Blampignon, jeune encore , s'étoit apparemment
ùik Catholique , ou à Troyes même , ou à Bayonne. Or , com-
me parmi les Huguenots , on ne favoit qu'en gros , qu'en
1 5*5)2 un Médecin de Bayonne y avoir paffé le pas pour conf-
piration , il eft probable , que celui qui a recueilli les Mémoi«
res de la Ligue , bon Huguenot , a fuppofé que ce Medecia
de Bayonne , traitre à l'Etat , n'étoit autre que ce même Blam-^
pignon ) qui avoir déjà trahi fa confcience en changeant de
Religion. D'Aubigné tom. III. liv. 3. chap. 24. parle de Jean
Sponde autre nouveau converti , lequel ayant tramé une nou-
velle entreprife fur la même ville ,fe démêla de fes compagnons
qui furent rouez,
AMoleque."] Suivant l'/wi^^cTy^w^w/, ce mot eft corrompu. Ibid p.jj^,^
Il faudroit pouvoir confulter le Journal militaire de LeJUiguieres,
d'où eft tiré cet endroit , à en juger par VEx Autoribus du
liv. 105.
Mendoza qi^on nommoit par dérifion le Lettré. ] L'Efpagnol Ibid. p. 7iti
ktrado défigne proprement un de ces Legiftes , qui abufent
de leurs talens pour troubler les familles •-, & c'eft fuivant l'idée
attachée à ce mot, que les Efpagnols de Cuba ne voulurent
plus qu'il paflat de ces letrados dans leur Ifle , où ils mettoient
tout en confufion par leurs chicanes. Voyez le Didionnaire
de Trévoux de 1721 au mot Advocat. Le mot letrado ne
doit donc être rendu en François, ni par Lettré , ni par Sa^
vantas , comme il l'eft dans les nouvelles Notes fur le Ca^
tholicon d'Efpagne , mais par Chicaneur,
De Marins. ] V Index Thuani nomme cet homme De Ma^ Tom; xn. p.
vins. Dans les Mémoires de l'Etoile , imprimez en 171p. tom. "i*
1 1. pag. 187. fon nom eft Marines.
Chrifiophle Auhry.l Mort à Rome le 1 1 May ii^oi. Oftat, ibid. p. 141;
Lettre 166,
René Chopin^ Si, comme le dit le P. le Long pag. 875:. Ibid. p. 151:
de fa Biblotheque Hiftorique , Chopin mourut en 1606 y quelle
raifon peut avoir eue M. de Thou pour ne point parler de
la mort d'un homme qui a tant écrit?
A Aquapendente en Tofcane ] Il y a dans le Latin Patrimo^ Ibij. p. i^g^
piali Etruria oppido. Du Ryer a traduit ces paroles comm#
Tome^XK SfC
^o'6 PIECES CONCERNANT L'HISTOIRE
fi la ville à' Aquapendente étoit un village , dont le père de
Bencius eût été Seigneur 5 & M. Bayle au mot Bencius Remar-
que (y^) a adopté en partie cette tradudion, fans s'apperce-
voir, non plus que M. Teiffier, qu'en cet endroit de M. de
Thon , Paîrimoniali Etrurice oppido ne vouloit dire autre chofe 3
finon que la ville à' Aquapendente en Tofcane eft du Patrimoine
de S. Pierre en ce pays-là. Acula feu Aquula ( Acquapenden-
. te ) urhs efl Hetruria in ditione Pontijicia , dit le Lexicon Geogr.
de Ferrari , au mot Acula.
Ibici. p. 3 3 1. Efperant que s'il étoit condamné à huit dégrés de tourmens, &c. ]
Ad oâfo j terme de l'ancienne Phyfique , lequel Jean Châtel
avoit appris chez les Jefuites , où il avoit fait fa Philofophie.
îbid. p. 4; 8. Anecy en Faucigny, ] Depuis le changement arrivé à Genè-
ve l'an i$sS > Anecy a été faite capitale du Genevois , & n'eft
plus du Faucigny , comme l'a cru aufli l'Auteur de X Index Thua-
ni. C'eft de quoi avertit Guichenon , dans fon Hift. Généal.
de la Maifon de Savoye , tom. I. pag. 7.
pid. p. 4S3. Jérôme Anroux,'] Le Joiu-nal de l'Etoile 171p. tom. IL p.
6, nomme Auroux ce Magiftrat : mais comme dans les Lettres
de Pâquier , tom. 1 1. pag. 5 o(5. fon nom eft Henroux , le com-
mentateur de ce Journal ne fait fî le nom du Magiftrat en quef-
tion eft Auroux , ou Anroux. Or l'Hift. Chronol. de la Chan-
cellerie de France par Tefîereau, Paris i6q6. pag. 305). &
324. fous l'année i5ip,&fous celle de 1^23. parlant d'un
Hiérôme Auroux Conf. Référendaire en la Chancellerie de
Paris , & cet Auteur étant très-exad , & cette édition de fon Li-
vre très-correde , fi , comme je le fuppofe, le Référendaire
Hiérôme Auroux étoit de mên^e famille que cet autre Hiercme
dont parle M. de Thou , il y a bien de l'apparence que le nom
de cette famille eft Auroux & non pas Anroux , comme s'ap-
pelloit ceLigueur qui fut pendu en 15*^1.
îbid. p. 4^0. Ambroife Eve que ddAuria. ] Auria dans la Mauritanie fut
long tems on ne fait pas bien quel Evêché in partibus , que,
peu avant la conquête d'Oran par Ferdinand le Catholique 3
le Pape s'avifa de faire revivre en faveur d'un frère Louis
Guillaume Cordelier. Cette ville qui pourroit bien être VA^
riana de Léon d'Afrique , étoit fi peu connue fous le nom
^ Auria , que d'abord on la prit pour Or an. Elle eft , dit-on ,
fituée à 80. milles de Carthage. Voïez Alvara Gomés, dansfa
vie du Cardinal Ximenés , Liv. V.
DE J. A. DE THOU. 507
' François de Mendoze. ] Frère de cet Inigo de même nom, ibicl.p.(îtp.
lequel , envoyé d'Efpagne à Paris , vouloit enfeigner aux Fran-
çois ce que c'étoit que la Loi Salique. Oflat , lettr. y i & 137.
Il prédit le mois & F année que la paix fer oit conclue. Non Tom. xm. p.
pas la Paix avec l'Efpagne, qui ne fe fit qu'en ijpS , mais 3j..
peut-être le changement de Religion du Roi Henri IV. en
Juillet 15*5)3. depuis quoi en effet la Ligue vit peu à peu défiler
fon chapelet. Le Journal de P. de l'Etoile , 171p. fous le
4-. Avril i5'P3. tom. IL pag. 1 10. a Ce jour Dauger Advo-
» cat monftra des Lettres que j'ay vues , & que Bodin , à qui
» il avoit fauve la vie aux barricades , lui écrivoit de Laon :
30 par ces Lettres , il lui mandoit qu'avant la révolution de
» l'année nous aurions du repos. ^ Mais , falloit-il donc être
Prophète , pour deviner alors que Henri I V. ne feroit plus
gueres long-tems Huguenot \
Marefcot ne laijfa pas cet écrit fans réponfe. ] Ou plutôt , ibid. p.'j^fi
fous le nom de Marefcot , le dode Médecin Simon Piètre
fon gendre. G. Patin, dans fes Lettres à Charles Spon, Amft.
17 18. tom. I. pag. 49.
Butetfils de Claude Butet. ] Le nom de cet Auteur efl Marc" ibid. p. 551;
Antoine de Buttet. Il étoit Gentilhomme & fils de Claude ( Marc )
de Buttet Avocat à Chamberi , dont on a un petit in 40. de
Poëfies , imprimées à Paris en 1 5" jp. Guichenon dans la Préfa-
ce de fon Hift. Généal. de la Maifon de Savoie. Voïez aulli
leLong, Biblioth. Hiftor. &c. pag. 43p. col. 2.
Majfimo Margunio.'] YdiQz Colomiés, pag. 204.de fa Bi- Xom. xiv.p.
blioth. choifîe, édit. de id'pp. 58.
Un efprit qui ri^ avoit point de but arrêté. ] Teiffier dans fes ibij. p. j^;
Eloges , & Bayle au mot François Junius Rem. ( O ) , ont lu
tout autrement ce que M. de Thou dit ici de Fr. Junius. Leur
édition les a trompez , en ce qu'elle fait dire mal-à-propos
à M. de Thou que Junius fut chafîc de Leyde, & qu'appelle
par le Magiftrat de Nuremberg, il mourut à Altorf; ce qui
regarde Hugues Doneau , comme l'a dit en fon heu M. de
Thou.
Charles de Simiéne , Seigneur d^Albigni j ] lequel, de chef Ibid. p. 114.'
delà Ligue en Dauphiné qu'il étoit en ij88. s'étant donné
au Duc de Savoye , tôt après la mort du Roi Henri III , s'étoit
depuis toujours montré tcès-mauvais François au fer vice de
S f f ij
yoS PIECES CONCERNANT L'HISTOIRE
fon nouveau maître. Le Cardinal d'OfTat , Lettre ^.'jS. le
traitoit de François renégat en i(5o i , à propos de ce que ,
comme pour faire dépit au Roi Henri I V , le Duc venoit
de donner à cet homme le Gouvernement de la Savoye.
Xbid. p. 41 7t Robert Conftantm vécut cent trois ans. ] M. de Thou s'eft trom-
pé , & fur l'année mortuaire de Rob. Conftantin, & fur l'âge
de cet homme. Dans le Scaligerana , Jof Scaliger , né en
1540 , ne fe fait que de dix ans moins âgé que lui. Ain fi ,
en i6q^, Rob. Conftantin auroit eu feulement 75- ans , & n'en
auroit pas eu cent trois , comme l'a cru M. de Thou Suivant
les Mémoires de l'Etoile 17 ip , tom. 1 1. pag. 3 ^8 , Rob. Conf-
tantin n'eft mort qu'en May 16 1\. Mais comme d'ailleurs l'Au-
teur de ces Mémoires lui donne cent dix ans de vie, on voit
qu'à l'égard de l'âge de ce vieillard , cet Auteur étoit dans
la même erreur que M. de Thou.
ibid. p. 43 5- La Pyramide fut abbattue. ] Les Statues àts quatre Vertus fu-
rent fur le champ tranfportées dans le jardin de l'Hôtel du
Marquis de la Varenne , qui avoit le plus ardemment foUicité ,
& le rappel des Jefuites , & la démolition de la Pyramide.
Ceux qui favent quel étoit le métier de la Varenne auprès
du Roi fon maître, favent aufll que le Sixain fuivant le regarde.
Il fait partie de certain Poëme compofé en ce tems-là fur l'a
démolition de la Pyramide.
Nous avons veupar un f aie mefnage
Traîner honteufement 3 comme on fait au pliage ,
Du Palais au bourdeau les vertus en plein jour ^
Pourfervir de trophée au jardin d^Epicure 3
Ou pour tenir la place en une grotte obfcure
De Flore & de Lais au grand Fourrier d^ Amour,
îbïd.p. 578. J^« M. Antoine Capello.'] peut-être Copelli. Du moins ai-je
trouvé ce nom-là écrit de la forte , dans un Traité qui parut en
I ^07 , fans nom de heu , mais où l'Auteur fe nomme Nicolaus
ÇraJJus Junior j Venetus Civis ^ Philofoplms & J, U, C
DE J. A. D E T H O U,
'50;?
Extrait iune Lettre de M. Poquet de la Livoniere Profejjhfr du
Droit en PUniverfité d^ Angers , à M» Carte.
MO N s I E u R de Thou dit au 3 7 livre que dans T Affem- imprimé fut
blée des Notables tenue à ivloulins en i$66 , M. de *« Manufçm.
Largebafton Premier Prélîdent au Parlement de Bourdeaux
fiega le troifiéme & avant M.Truchon Premier Prefident du Par-
lement de Grenoble : cette petite erreur eft relevée par M. d'Ex*
piliy Prefident au Parlement de Grenoble , qui dans le chap.
1 6. de fes Arrêts pag. 6pS. fait voir que le Parlement de Gre- ^
noble^comme plus ancien que celuy de Bourdeaux , a toujours
eu la préfeance , fur tout en l'aiTemblée de i$66 , en vertu
d'im Arrêt du Confeil prononcé par M. le Chancelier de l'Hô-
pital. A Angers le 28 Avril 1732.
Médaille de Louis Xll. expliquée par le P. Hardouin Jefuitel
Extrait du Supplément du Journal des Sçavans du dernier Janvier
1707. Paris, m-4P, fag. 31.
LA Médaille de Louis XII. dont parle Monfieur de Thou
dans fon Hiftoire , eft afllirément finguliere ; mais il l'ex-
plique mal. Elle eft d'or^ au Cabinet du Roy. M. Petau
Confeiller au Parlemenr l'a publiée , & après lui M. le Blanc
dans fes Monnoyes de France. Elle a pour infcription du
côté de la tête : LVDO. FR AN. REGNIQ. NEAP. R. avec
la tête de Louis XII. couronnée. Au revers fe voyent les
armes de France , qui font trois Fleurs de Lys : la Couron-
ne eft ouverte. La Devife : * PERDAM. BABYLONIS.
NOMEN. Elle eft prife du Chap. xiv. de la Prophétie d'I-
faïe, verf. 22.
Monsieur de Thou s'eft imaginé, que c'étoît une
menace que faifoit le Roi Louis XIL de ruiner Ro;^
S f f iij
<îo PIECES CONCERNANT L'HISTOIRE
me , à roccafion de fes brouilleries avec le Pape Jules II : Et
que par un terme de mépris il a voulu dénoter Rome par le
nom de Babylone. Les ennemis du Saint Siège adoptent vo-
lontiers cette explication , parce qu'ils y trouvent ce qui ell
de leur goût î fçavoir , Rome méprifée , même par un Roy
Très-Chrétien : mais cette explication eft très-faulTe , & in-
jurieufe à la mémoire Ôc à la pieté de Louis XII.
Il faut remarquer i. Que cette Médaille a été frappée à
Naples. Cela eft vifible par la légende : Ludovicm Franco^
rum Regnique Nea-politani Rex. i. Que les Rois de Naples
font aufll Rois de Jerufalem depuis l'Empereur Frédéric II.
5. Que Louis XII. prit Naples en 1 5*0 1. 4. Qu'il prit alors les
titres de Roy de France , de Jerufalem , & de Naples, com-
me Guicciardinle rapporte dans fon 5 livre : ou bien, comme
il fe lit dans l'Edit de Louis XII. pour la création du Par-
lement de Provence, l'an ijoi.chez Monfieur Jolly au pre-
mier tome des Offices de France, page 472. àe France j de
Naples , & àe Jerufalem. y. Que cette année-là même que
Louis XII. prit Naples , ou du moins l'année fuivante , cette
Médaille y fut frappée , neuf ans auparavant qu'il fe fut brouillé
avec le Pape Jules IL Car pafle l'an 1^05. il ne prit plus
le titre de Roy de Naples. Ce n'eft donc pas Rome que
Louis XII. menace par ces mots-ci : Fer dam Babylonis nomen.
Mais étant devenu Roy de Jerufalem par la conquête de
Naples , il promet par cette légende ^ d'aller dans la Terre-
Sainte , recouvrer fon Royaume , & enfuite ruiner l'Egypte
jufqu'au Grand Caire , qui étoit la capitale du Sultan d'E^
gypte : parce que ce Sultan étoit en même temps le Maî-
tre de Jerufalem & de la Terre-Sainte. Le Grand Caire alors
s'appelloit dans notre Occident, Babylone , par une erreur
populaire j qui avoir commencé, à ce que croyent plufieurs
Sçavans, du temps des Croifades. Car pour ce qui eft de l'Epi-
gramme de Martial, au livre 14. Epigr. 150.
Hac tibi Memphitis tellus dat munera : viBa ejl ,
Pecîine Niliaco jam Babylonis actis,
où Ferrariu" dins fa Géographie a cru voir la Babylone d'E-
gypte , le. LOÊte a'a vouiu^pader quq de la Babylone qui
DE J. A. DE THOU. jiï
ctok fur PEuphrate. Il n^a fait que mettre en vers cette pen-
fée de Pline, au liv. 8. pag. 251. comme le P. H. l'aremar^
que là-même: Acufacere ià Phryges invenemnt — . colores diver-
fos p6iura intexere Babylon maxime celebravit , & nomen im-
fofuit» Plurimis vero Itciis texere , quas polymita appellant ,
Alexandria inftituit.
Les Sultans d'Egypte faifoient donc leur fejour à Baby-^
îone , comme les Occidentaux l'entendoient , c'eft-à-dire ,
au Grand Caire : & ils furent les maîtres de la Terre-Sainte
jufqu'àl'an 1^16 , que Selim I. empereur àQS Turcs s'en em-
para , auiïi-bien que de l'Egypte l'année fuivante. Ce fut luy
^qui exécuta en effet ce que Louis XII. projettoit de faire , ou
ce que fes fujets du Royaume de Naples fouhaitoient qu'il
fift , en luy faifant dire fur cette Médaille : PERDAM BABY-
LONIS NOMEN.
Réfutation du fyfieme du Père Hardouin ) fur la Médaille
de Louis XI L Roy de France.
Nous publions cette réfutation , traduite en François fur le Manufcrie
Latin , envoyé par un gentilhomme étranger , ôc inférée dans l'édi-
tion Latine de l'Hiftoire de M. de Thou , faite à Londres. Elle pa-
roît pour la première fois : Nous ne doutons pas que la leélure de
cet écrit ne découvre aux plus habiles dans la littérature tout le mé-
rite de l'Auteur , fon érudition , & l'excellence de fon jugement,
JE AN HardoLÎin de la focieté de Jefus , qui n'eft pas
moins connu dans la littérature par la bizarerie , & la
nouveauté de fes fyftêmes abfurdes , que par la fubtilité &
la hardiefle de fes interprétations , qui font à la vérité quelque-
fois affez heureufes , s'eft imaginé avoir trouvé la véritable
explication de cette Médaille. Ce qu'il y avoit de plus fla-
teur pour un homme tel que lui , c'eft que fon opinion étoit
diamétralement oppofée à celles des autres écrivains Fran-
çois. Charmé de fa découverte , il fe preffa de la publier à
la première occafion 5 & plein d'impatience , il la fit inférer
en extrait dans le Journal des Sçavans de Paris, au Supplé-
ment du mois de Janvier 1707. Il ne fe contenta pas de
l'avoir donnée en Frant;ois , il la fit encore imprimer en
512 PIECES CONCERNANT L'HÎSTOÎRE
Latin , augmentée & corrigée dans le Recueil de fes œuvres
choifies, (i) imprimées à Amfterdam en 171p.
Jacques Augufte de Thou , au fentiment du Père Har-
doûin eft le premier qui a expliqué la légende de cette
Médaille , dans le fens qu'il lui donne au premier livre de
l'Hiftoire de fon temps jfçavoir, que Louis XII. par les pa-
roles de la légende , tirées du 14. chapitre d'Ifaïe v. 22.
menace la ville de Rome , qu'il appelle Babykne , avec les
anciens écrivains , & avec ceux de ce temps , à caufe de
l'horrible dépravation des mœurs de cette Cour. Cet hi-
ilorien fait fentir que les différends qui s'élevèrent entre le
Roi de France & Jules II. & dont l'aigreur s'augmenta fuï
la fin du Pontificat dé ce Pape , fi.irent Toccafion des me-
naces exprimées dans cette Médaille. Le P. Hardoûin repro-»
che à M. de Thou d'en avoir donné une interprétation fauf-
fe , & auffi injurieufe à la mémoire d'un Prince Religieux
qu'à l'honneur du Saint Siège , & il la rejette pour y fubfti-
tuer une autre explication nouvelle , & fophiftique qu'il éta-
blit fur le titre de Roi de Naples que Louis XII. prend dans
cette Médaille : Francomm regnique Neapolitani Rex. Il en
conclut que Louis ^ comme Roi de Naples , l'étoit aufTi de
Jerufalem , & qu'il n' avoir eu intention de faire entendre par
cette légende : Perdant Babylonis nomen , autre chofe , finon
qu'il vouloit non - feulement retirer Jerufalem , & la Terre
Sainte des mains du Roi d'Egypte , qu'on appelle vulgaire-
ment le Soudan j mais encore le chafier de la capitale de fes
Btats , en renverfant cette Babilone ; de manière que tout ,
jufqu'au nom même de cette ville fut détruit. On fcait ,
ajoute-t'il , que le Soudan faifoit fa réfidence au grand Caire ,
ville que les écrivains Occidentaux avoient coutume d'ap-
peller Babylone , depuis le temps des Croifades.
Enfuite le Père Hardoûin fixe le temps , où il prétend que
cette Médaille a été frappée , à l'année i^oi. ou à l'année
fuivante. Il met pour la bafe de fon fyftême , que Louis XII.
a ceiTé de porter le titre de Roi de Naples depuis l'an 15*05.
d'où il infère qu'il n'a pu défigner Rome par le nom de Ba<
tyîone. Je conviens que fi ces faits étoient confiants, le fy-
ftême du Jefuite ne feroit pas mal imaginé i du moins pour
(l) Hftrduini o^era felecia»
faire
DE J. A. DE THOU. 51^
faire tomber l'explication du Prelident de Thon : car il n'y avoit
alors en effet aucun démêlé entre Louis XII. & le Pape >
au contraire il eft certain par l'Hiftoire que le Pape Ale-
xandre VI. avoit alors d'étroites liaifons avec ce Prince ; ainfi
Louis XII. étoit bien éloigné dans ce temps-là , de menacer
de détruire la ville de Rome , fous le nom de Babilone. Quel
triomphe pour le Père Hardoùin , s'il avoit fçu que dans les
premières éditions de l'Hiftoire du Prefident de Thou , fai-
tes à Paris en 160^. & i6oç. & dans celles qui fe firent en
Allemagne en 1^14. & lô'iy. l'Hiftorien rapporte en termes
exprès que cette Médaille fut frappée à Naples : Cufo etiam
Neapoli aureo nummo ? Quelles conclufions favorables à fon
fyftême , ce Jefuite n'en auroit-il pas tirées ? Car fi le Roi
fit frapper cette Médaille à Naples , il eft certain que ce ne
put être qu'en 1501 , i$oi» ou dans les premiers mois de
lyo^. & qu'il ne put le faire après ce temps-là, parce que
tous les Hiftoriens difent que Gonfalve de Cordoùe Gé-
néral des Efpagnols , l'obligea de fortir de Naples , & de
cette partie du Royaume qui étoit échue à ce Prince dans
le partage qui s'étoit fait entre lui & le Roi Ferdinand : Que
cette retraite du Roi de France fe fit le 14. de May 1J05.
jour dans lequel Averfe & Capouë fe rendirent aufll aux
Efpagnols j & qu'enfin les François ayant rendu la ville &
le Château de Galette le premier jour de l'an i5'04. & tou-
tes les autres places qu'ils tenoient dans le Royaume de
Naples , ils en fortirent alors , comme on peut le voir dans;
Guichardin , & dans tous les Hiftoriens François & Ita-
liens.
Un fyftême établi fur des fondemens ruineux n'eft pas
difficile à détruire. Tel eft celui du Père Hardoùin. D'a-
bord il met en fait que le Prefident de Thou eft le premier
qui a cru que Rome étoit defignée fous le nom de Babi-
lone î il dit enfuite que Louis XIL a cefle de porter le ti-
tre de Roi de Naples depuis l'an 15*03. d'où il infère que
ia Médaille dont il s'agit a été frappée dans ces premières
années , & non après. Un autre principe de fon fyftême eft
que Jerufalem, & la Terre-fainte étoient foumifes au Sou-
dan d'Egypte.
Le fyftême du Père Hardoùin tombe de lui-même, (î g^
514 PIECES CONCERNANT L'HISTOIRE
fait voir la fàufTeté de fes principes ^ & s'il eft prouvé que
cette Médaille n'a pas été frappée à Naples ; qu'elle a pu l'ê-
tre en France depuis l'an 1503. qu'elle a du rapport aux in-
jures que la France avoit remues du Pape Jule j & qu'en-
fin Louis XII. a porté toute fa vie le titre de Roi de Na-
ples.
D'abord , il eft faux que le Prefident de Thcu foit le pre-
iTiier qui ait expliqué cette Médaille dans le fens qu'il lui
donne ; car les Hiftoriens François qui approchent le plus des
temps de la guerre fanglante , qui s'alluma entre Louis XII.
& le Pape Jule , conviennent tous , ( quoiqu'ils nous don-
nent différentes defcriptions de cette Médaille , parce qu'ils
ne l'avoient pas vue , ) qu'elle fut frappée en France par les
ordres du Roy , après que Jule pour lui marquer toute fa
haine , eut jette l'interdit fur fes Etats , & qu'ayant pris l'é-
pée , & endofle la cuirafle , il fe fiit mis à la tête d'une armée
pour marcher contre les François. Les plus célèbres écrivains
Italiens & François , & entr'autres Arnaud du Ferron dans la
vie de Louis XII. rapportent que le Pape Jule armé, com-
me nous venons de le marquer , dit affez haut pour être en-
tendu de tout le monde , en paffant fur le Pont du Tibre :
Puifque les clefs de Pierre ne me font é^ aucun fecours , je me
fervirai de Pépée de Paul y Et qu'en difant cela il jetta les
clefs dans le Tibre , & tira fon épée ; adion qui a fourni
une ample matière d'épigrammes aux Poètes de ce temps-
là : Telle eft celle-ci qui eut un fi grand cours en France,
& qui a été rapportée par du Ferron,
In Gallum , utfama efl 3 hélium gefiurus acerhum »
Armatam educit Julius urbe manum.
Accin^us gladio 3 claves in Tibridis amnem
Projicit j & fa vu s tait a verbafacit :
Cum Pétri nihil effciant ad pralia claves ,
Auxilio Pauli forfitan enfts erit.
Cette conduite du Pape Jule aiàit dire à Budée , Ecrivaîit
de ce temps-là , dans fon cinquième livre de Affe, en parlant
des attentats & des entreprifes violentes de ce Pape, que c'é-
toit un furieux , un facrilege , &; un homme de fang , qiû ( ee
DE J. A. DE THOU. 51;
font les paroîes de Budée) plus cruel que les Gladiateurs les plus
avides de fang , faifoit tous fes efforts , au grand étonnemem de
PUnivers , pour détruire un Prince chrétien dans la peffonne du
Roi de France. Il ajoute : Le chef fanguinaire du Clergé foulant
aux pieds la crainte de Dieu y envoyoit des barbares contre le
peuple du Seigneur , & excommuniant les François <& leurs alliez ^
foulevoit contre des Chrétiens prefque tout P univers , qui oublioit
fa Religion. En effet , le Pape Jule , dans les accès boûillans
de fa haine & de fa fureur , menaçoit le Roi , & remuoit le
ciel & la terre pour l'enfevelir , s'il étoit poffible , fous les
ruines de fon trône. Ce fut dans ces temps-là que Louis XII.
fit frapper cette Médaille par repréfailles contre ce Pape j ainlî
ie Préfident de Thou dit avec raifon à ce fujet que ce Roi
cppofa courageufement aux vains foudres d^un vieillard décrépit
é:r mourant , une dénonciation <& un appel au futur Concile , &fit
en même temps battre une Monnoye d'or 3 &c. Cet Hidorien n'eft
pas le feul , qui rapporte ce fait. Avant lui François Hotman
Jurifconfulte , aufll célèbre en France que Budée , & qui a
écrit contre les attentats de Sixte V. fur la France , comme
Budée a écrit contre Jule II. a fait un livre intitulé , Sixti
V. Fulmen brutum. Ce livre , comme le rapporte Placcius dans
fon onvrsigQ de fcript. anonym. n. 6^1. p. 84. parut en 1585".
environ vingt ans avant l'Hiftoire du Préfident de Thou :
Hotman y dit à la page 177. que Louis XII. après l'excom-
mimication lancée fur lui par Jule II. avoit fait frapper des
Médailles d'or en France, avec cette légende, Perdam &c.
Louis XIL dit-il , notre Roi , appelle le Père du Peuple , laffé de
cette fervitude y donna enfin cette preuve de fa fermeté , lorfqu^a-
près cette excommunication furieufe du Pape Jules il fit frapper
en France des Médailles âor avec cette infcription : Ludovicus
XII. D. G. Franc. Rex. Dux. Mediolani. On voyoit de P autre
coté les Armes de France & de Milan , avec ces paroles j Per-
dam Babylonem.
Quoique cette Médaille, telle qu elle eft décrite par Hot-
man , ne fe trouve , ni dans le cabinet du Roi , ni dans d'au^
très cabinets , du moins que je fçache, & que Petau ôcle Blanc
ne parlent que d'une Médaille d'or, telle qu'elle eft décrite
dans les éditions de l'Hiftoire du Préfident de Thou les plus
çorre^es 3 cela n'affoiblit en aucune manière l'autorité de ce
T 1 1 i j
51^ PIECES CONCERNANT L'HISTOIRE
grave Jiirifconfulte , parce qu'on pouvoit avoir encore de
fon temps ces deux Médailles d'or, dont l'une qu'il avoit vue
portoit ces titres j Franc. Rex Dux Mediolani y avec les ar-
mes de France & de Milan , & avec cette légende perdam
Babylonem^ & dont l'autre , qu'il n'avoit pas vue, portoit ces
titres , Francorum Regnique Neapolitani Rex , avec les armes de
France & cette légende Perdam Babylonis nomen.
Si le temps ne nous eut pas fait perdre la Médaille, qui eft
décrite par Hotman ^ elle feroit tomber le fyftême du P. Har-
doûin 5 car comme il n'y a que le titre de Roi de Naples qui
lui ferve de fondement, & que ce titre ne fe trouve point
dans la Médaille d'Hotman , où l'on en voit un autre , qui eft
celui de Duc de Milan , ( titre qui ne donnoit aucun droit à
Louis XII. fur Jerufalem ; ) il eft évident que tout ce que ce
Jefuite a imaginé du grand Caire & de l'Egypte , n'auroit pas
beaucoup ctayé fon fyftême. Mais je veux pour un moment
que la Médaille d'Hotman n'ait jamais exifté , ôc que la vé-
ritable lui ait été inconnue j cette fuppofition ne porte néan-
moins aucune atteinte au fentiment des écrivains Prançois ,
qui font les plus voifins du Pontificat de Jule II. ils pouvoient
fe foiivenir eux-mêmes , ou du moins leurs Pères, que Louis
XII. avoit fait frapper une Médaille d'or en France, pour re-
primer la fureur & l'audace de Jule , avec cette légende ,
perdam Babylonem y ou Babylonis nomen , ( ce qui , comme nous
allons le démontrer , ne peut s'entendre que de Rome ) moyen
le plus efficace pour reprimer la rage de Jule II. qui mettoit
tout en oeuvre , comme le dit Budée , pour détruire le Roi
très-Chrétien.
Hotman n'eft pas le feul qui rapporte que le Roi fît frapper
cette xMédaille en France. François Pithou , dans fon livre de
la grandeur ^ droits , &c. des Rois & du Royaume de France j dit
que cette Médaille avoit été frappée pour reprimer l'audace
de Jule : il en fait la defcription de la même manière qu'Hot-
man , avec le titre Dux A4ediolani , & la légende perdam Ba-
bylonem , ce qui prouve qu'il n'avoit pas vîi la Médaille dont
il eft parlé dans Petau , le Blanc & autres. Il eft fi certain , que
tous les Ecrivains François afTurent de concert , que ces Mé-
dailles furent frappées en France dans ces temps , & à cette
©ccafion 5 que Paul Petau Confeiiier au Parlement de Paris
DE J. A: DE THOU. 51^
eft le premier, comme le Père Hardoûin nous Ivapprend lui-
même , qui a écrit au fujet de la Médaille , qui a pour lé-
gende ^fr^f^m Babylonis nomen , avec le titre de Roi de Na-
pies, & qui l'a fait graver, avec celle que le Pape Jule avoit
fait frapper, après avoir chafle Bentivoglio de Boulogne ;
Médaille où le Pontife fit mettre cette infolente & fuperbe lé-,
gende: Bononiaper Julium à tiranno liberata. Par ces paroles il
accufoit ce Seigneur d'avoir été im tiran, & ce reproche re-
tomboit indiredement fur Louis XII. qui étoit l'appui de Ben-
tivoglio. Petau croit que cette offenfe fut caufe , outre les mo-
tifs dont nous avons parlé, que Louis XII. fit frapper une Mé-
daille par repréfailles , avec ces paroles perdant Babylonis no^
mem.
Quoiqu'il en foit, il eft certain que tous les écrivains Fran-
çois ou contemporains du Préfident deThou, ou ceux qui
ont écrit avant lui , ont regardé comme une ehofe certaine ,
que c'étoit dans les dernières années de la vie du Pape Jule
que le Roi Louis fît frapper cette Médaille , à l'occafion cqs
differens qu'il avoit avec ce Pontife. Cela ne feroit pas la moin-
dre difficulté fi l'on trouvoit dans quelque cabinet la Médail-
le, telle que l'a décrite Luckiuspag. 23. de fon livre impri-
mé à Strasbourg 1620. fol. Elle eft femblable à celle que Pe-.
tau, le Blanc & d'autres décrivent, avec cette différence que
dans celle de Luckius , l'année où elle a été frappée eft mar-
quée du côté des armes de France 5 fçavoir, 1 5 1 2. temps où la
guerre étoit plus fortement allumée entre le Pape & le Roi,
On ne peut pas douter que cette Médaille ne foit telle qu'el-
le eft décrite 7 car Luckius la fit graver en 1^20. lorfque per-
fonnen' avoit encore penfé à dire, que le Roi Louis XII. ne
l'avoir pas fait firapper dans le temps , &: à l'occafion que nous
•r w ' • • •
Tttjij
yi8 PIECES CONCERNANT L'HISTOIRE
avons dit, mais vers l'année i;oi. ou dans les deux fuivan-
tes, parce qu'il avoit formé le projet de retirer le Royaume
de Jerufalem des mains du Soudan , & de détruire la Babylo^
ne , où il faifoit fa réfidence. Le Père Hardoûin a enfin fa-
briqué ce fyftême fingulier & fophiflique , & s'eft fait gloire
de le publier hardiment, félon fa coutume. Ainfionne peut
foupçonner en aucune manière Luckius d'avoir ajouté de fon
chef la datte de l'année , pour détruire l'interprétation de ce
Jefuite.
Nous ne fommes pas beaucoup embaraflez de ce que dit
le Blanc dans fon livre des Monnayes de France pag. 2j8. fça-
voir , que ce fut Henri II. qui établit l'ufage de mettre la datte
de l'année fur les Monnoyes. Cela doit s'entendre d'un ufage
confiant, parce que nous voïons des Médailles fabriquées
avant Henri II. où la datte de l'année fe trouve. Le Blanc lui-
même parle d'une Médaille de la Reine Anne , qui porte la
datte de l'année 14^4. Luckius fait mention dans l'endroit
cité ci-devant d'une Médaille de Louis XII. frappée à Milan en
1 5 12. & Mezerai dans l'Hiftoire de ce Roi , rapporte plufieurs
Médailles frappées fous fon règne , où l'on voit les dattes des
années j;o7. & 1^09, Il eft donc évident que tous les écri-
vains François ou contemporains du Préfîdent de Thou , ou
qui ont écrit avant lui , n'ont point donné d'autre explication
à cette Médaille , & qu'ils ont tous cru qu'elle avoit été frap-
pée dans ce temps & à cette occafion.
De Thou étoit certain de la vérité de la chofe en écrivant
fon Hiftoire : mais n'ayant vu cette Médaille , ni dans les cabi-
nets , ni dans aucun livre , puifque c'eft Petau qui l'a fait
graver le premier , & que Luckius ne publia fon livre qu'en
j 520. à Strasbourg î il s'en rapporta au témoignage de gens,
qui n'av oient pas vu cette Médaille , & qui n'en avoient pas
une connoiflance certaine ; ce qui eft caufe qu'il s'eft trompé ,
& qu'il a fauffement écrit qu'elle avoit été frappée à Naples , &
qu'on y voyoit les armes de Naples & de Sicile. C'eft pourquoi
on lit dans les Editions de Paris de l'année i6'o4. i<^o6". & 1(^05?,'
& dans celle d'Allemagne , faite du vivant de l'auteur en 1 514,
& 1611. ces paroles. Il fit plus yfans avoir égard aux remon-^
trances réitérées de plufieurs perfonnes , auf quelles il avoit coutume
dç déférer , // oppofa courageufemsnt aux vains foudres ^un vieil^
DE J. A. DE TttOU. ^ip
iard décreprit €7" mourant une dénonciation €^ un appel au futur
concile , èr il fit en même temps battre à Naples une monnme
d'or j ou d^un coté étoitfon effigie j &" de l'autre les armes de Nch
pies & de Sicile avec ces mots Perdam Babylonis nomen. On
'voit encore aujourdhui plufieurs de ces Médailles.
Si les Ecrivains qui publient leurs ouvrages de leur vivant ,
efluient la mauvaife humeur des critiques , auiïi ont-ils l'avan-
tage , fur-tout dans les ouvrages de longue haleine , où il eft
impoflible qu'il ne fe glifîe quelques fautes , de pouvoir , lorf-
qu'ils font expofez aux yeux du public , être avertis par leurs
amis, & corriger facilement ces fautes. C'eft de cette ma-
nière que de Thou , averti que cette Médaille n'avoit pas
€té frapée à Naples , & qu'elle ne portoit pas les armes de
Naples & de Sicile , mais celle de France , corrigea cet en-
droit de fon Hiftoire dans l'édition qu'il fit faire chez Robert
Etienne. Quoique cet Imprimeur ne l'ait publiée qu'en 1 61 8.
un an après la mort de l'Hiftorien , il eft néanmoins certain
que les premiers livres avoient été imprimez du vivant de
l'Auteur, & que par cette raifon il avoit corrigé lui-même cet
endroit. Enfin fentant que fa mort approchoit , il chargea Du-
puy & Rigault fes meilleurs amis , de faire imprimer le refte
de fon ouvrage , & d'en publier une édition plus ample Ôc
plus parfaite , en ajoutant aux livres qui avoient déjà paru cor-
rigez par l'Auteur , ceux que le public n'avoit point encore
vus. Dupuy & Rigault n'ayant pu exécuter la volonté de leur
ami , Lingelsheim , à qui il avoit envoyé avant fa mort une
copie corrigée & complette de fon Hiftoire , la fit imprimer.
Satisfaifant ainfi aux devoirs de l'amitié , il donna au public
en 1 620. cette belle & fameufe édition de Genève , qui a été
regardée partout le monde, &même par le Père Hardoùin,
comme la plus parfaite. Ce fut d'après cette édition qu'on
imprima celle qui parut à Francfort cinq ans après. Dans ces
deux éditions on a ôté le mot Neapoli ; on y a ajouté le titre
franc. Regnique Neap. Rex. Et aux armes de Naples & de
Sicile on a fubftitué les armes de France , comme elles font
fur plufieurs Médailles d'or , qu'on peut voir aujourd'hui en
differens cabinets , & dans les ouvrages de Petau , de Luckius ,
de le Blanc , du Père Hardoùin , de Deylinge & autres. Car on
Jit ainfi dans ces éditions. Il fit en^même tçmps battre une monnoye
3-20 PIECES CONCEPvNANT , L'HISTOIRE
dor i ou d'un coté étoitfon effigie avec les titres de Roi de France ô^.
de A'apks , & au revers les armes de France avec ces mots Perdam
Bablyonis nomen.
Depuis ce temps-là tous les Ecrivains ont abandonné les
anciennes éditions pour fuivre celle de Genève , non feule-
ment en ce point , mais encore dans tout le refte. Enfin tous
les Auteurs , tant François qu'Etrangers , qui ont écrit après le
Prefident de Thou , n'ont point fixé l'époque de cette Médaille
à d'autre temps , & ne fe font point écartez du fentiment de
ceux qui l'ont expliquée les premiers. Elle eft ainlî expliquée
par Luckius dans l'endroit cité par le Blanc p. 26^. parStruvius
dans fa Differtation Latine de nummo perdam Babylon. inférée
dans la Bibl. ancienne au mois de Février lycô". p. 73. Tous
les autres Ecrivains Allemands , tels que Corneille Thierry
Koch , (i) Deylinge , (2) Sigifmond Liebe & plufîeurs autres
ont rejette cette opinion du Père Hardoûin.
Une autre hypotefe faufle de ce Jefuite , par laquelle il
prétend prouver que Louis X I L n'a pii faire frapper cette Mé-
daille , au plus tard , qu'en 1 5'05. & qu'ainfî elle ne peut avoir
aucun rapport avec les démêlez de ce Prince avec Jule I L
eft de dire que Louis X I L ne porta plus le titre de Roi de
J^aples depuis l'an 1 503. Ainfi dès qu'on aura fait voir claire-
ment que ce Prince , après que les François eurent abandonne
le Royaume de Naples ( ce qui arriva dans cette année , )
conferva toute fa vie le titre de Roi de Naples , un fyfteme
^uffi ruineux d'ailleurs que celui du Pef e Hardoûin , doit tom-
ber entièrement.
On voit par les traitez publics de paix , qui fe firent l'année
fuivante entre Louis X I L & Ferdinand le Catholique , que le
Roi de France , quoique dépouillé de cette partie du Royau-
me de Naples , qui lui étoit échue en partage , en retint tou-
jours le titre de Roi. Il efl certain qu'il l'a porté jufqu'à la
paix de Blois , qui fe fit le 4. d'Odobre lyo;. Les deux Rois
convinrent alors que Ferdinand épouferoit Germaine de Foix
nièce du Roi de France , & que fon oncle lui cederoit pout
fa dot le droit qu'il avoir à cette partie du Royaume de Na-
ples 4^1 lui étoit échue. On mit au nombre des articles Isi
(ij Corn. Di5ier. Koch. StriBura thccl. J (i) Ohferv.fdcr. fAYt, 3. obf. $. §. lO^
in J. Harduim O^er, Sckéi, ^. 3.6» '
çondmo^
DE J. A. DE THOU. 5ir
condition expreffe, qu'après l'accompliiTement du ilianage;
îe Roi de France quitteroit le titre de Roi de Jerufalem 8c
de Naples 5 & l'on arrêta par un autre article , que il Ger-
maine mouroit avant Ferdinand , ce Prince hériteroit de fa
dot , & qu'au contraire , s'il venoit à mourir avant elle fans
enfans , cette partie du Pvoyaume de Naples retourneroit au
Roi Louis. Guichardin livre 6. Paul Jove livre 5. de la vie
de Gonfalve, &de Thou livre i. rapportent ainfî ces condi-
tions , qu'on peut voir encore dans le traité de cette alliance
inÇeïé d^nslc Recueil des traitez de paix de Frédéric Léonard
tom. 2. folio 35". d'où, il eft évident que Louis XIL a tou-
jours regardé cette partie du Royaume comme lui apparte-
nant, quoiqu'il n'en fut pas en poiTefllon j & qu'ainfi il a voit
pu en conftituer une dot , & le céder à fa nièce & à Ferdinand.
Il s'enfuit aulTi qu'il dut ceifer alors de porter le titre de Roi
de Jerufalem & de Naples. S'il a dû quitter alors ce titre ,
il eft certain qu'il n'avoit ceffé de le porter jufqu'à ce temps-
là, & qu'il i'avoit pris tant dans les ades publics que dans
les monnoyes.
Il eft vrai qu'on pourrok nous objeder que le Roi ne le
porta plus après ce mariage , & qu'ainfi la Médaille , dont il
s'agit , n'a pu être frapée du temps des différends du Roi avec
Jule 1 1. qui , fuivant tous les Ecrivains , ( & fur-tout fuivant
Blaife Bonacurfi Hiftorien contemporain à l'année 1 5 op. de fou
Journal, Guichardin & Paul Jove ) ne commencèrent qu'en
1 5* 10. Rien ne feroit plus folide que cette objedion , Ci Ferdi-
nand n'avoit violé le premier les conditions du traité. En effet
aulîi-tôt après fon mariage avec Germaine de Foix , de peur
que , s'il venoit à mourir avant elle fans enfans , la dot de cette
Princefle ne retournât au Pvoi de France fon oncle , il déclara
hautement qu'il tenoit tout le Royaume de Naples de la fuc-
ceftiGn d' Alfonfe I. & par droit héréditaire , fans avoir befoin
d'aucuns droits dotaux , droits qu'il étendoit fur Naples , fur la
terr€ de Labour & fur une partie de l'Abruzze. Il pouîfa mê-
me les chofes jufqu'à ne pas permettre que le nom de la
Reine fut mis dans les ades publics , & il exigea en fon pro-
pre nom à Naples le ferment de fidélité des Barons Se des
Villes , ainfi que le rapportent les Hiftoriens & de Thou liv. i.
,en ces termes, Ferdinand nefm pas plus Jidek à ce traité qiiaux^
Tome XK Vuu
fui PIECES CONCERNANT rHISTOIRE
autres ; car fans avoir égard aux articles du contrat , il déclara >
dès qu^il fut marié ^ que le Royaume de Naples lui appartenoit
tout entier du chef d^Alfonfe père de Ferdinand le Bâtard j û*
que fa femme rùy avoit aucun droit.
Louis XII. JLiftement irrité de la conduite de Ferdinand ,
voyant que ce Prince violoit les conditions du traité , reprit
le titre de Roi de Naples , pour conferver fes droits. Il afFeda
même davantage de le porter , après avoir découvert la haine
du Pape Jule , qui faifoit tous fes efforts pour engager les Prin-
ces de l'Europe à fe liguer contre lui ••> ce qu'ils refuferent
tous de faire , à l'exception de Ferdinand , qui réfolut de profi-
ter adroitement des démêlez de Jule avec la France.
Dans ces difpofitions , Ferdinand , ( comme Bonarcufi , Hif-
torien contemporain , le rapporte dans fon Journal à l'année
15* 10.) fit une ligue défenfive avec le Pape , à condition, de
fournir tous les ans à fa Sainteté pour quelque entreprife que
ce pût être , trois cens Gensdarmes entretenus à fes propres
dépens 5 outre cela il y eut encore un traité fecret. Le Par
pe de fon côté s'engagea à donner rinveftiture du Royaimie
de Naples à Ferdinand , qui la fouhaitoit avec ardeur. Il n'a-
voit pu jufqu'alors amener le Pape à fon but 5 mais ayant pris ,
pour demander cette inveftiture qui lui avoit toujours été re-
fufée comme contraire au traité de Blois , un temps ( c'étoit
en 1510.) où le Pape & le Roi de France étoient déjà aigris
Fun contre l'autre, il obtint fans peine l'inveftiture en gê-
nerai de tout le Royaume en fon nom , comme héritier d' Al-
fonfe , & non pas feulement de la partie qui avoit été donnée
en dot à la Reine fon époufe , fçavoir Naples , la terre de
Labour & une partie de T Abruzze. Il eft aifé de comprendre
quelle fut alors l'indignation de Louis X I L Cette conduite
de Ferdinand lui donna plus de droit qu'auparavant de por-
ter le titre de Roi de Naples , afin de maintenir fes droits
fur ce Royaume contre les artifices du Roi d'Arragon, qui
vouloit les détruire. L'infradion du traité de Blois l'autori-
foit à conferver îq'^ droits , & à ne pas fouffrir qu'on y donnât
atteinte.
, Ce fait eft encore plus évidemment prouvé par un autre
traité conclu à Blois le premier Décembre 1 5* 1 3 . entre Louis
ôc Ferdinand. Le temps ayant fait naître d'auu:e§ circonftaji-
DE J. A. DE T H O U. p^
ces , ces deux Monarques commencèrent à craindre que leurs
différends ne fulTent préjudiciables à leurs états. La puiilance
de la maifon d'Autriche leur donna de l'inquiétude , c'eft
pourquoi , entre autres conditions , Louis par ce traité céda
une féconde fois fes prétentions fur le Royaume de Naples ,
& il en quitta le titre de Roi , comme on le voit dans le 2.
tome du Recueil des traitez de paix p. 3 5". imprimé à Amfter-
dam. Ainiî il paroît que Ferdinand ne ftipula que Louis ce-
deroit encore fes droits fur ce Royaume & qu'il n'en pren-
droit plus le titre de Roi , que par ce qu'ayant enfraint lui-mê-
me le premier traité de Blois , le Roi de France avoir retenu
fes droits , & fon titre de Roi de Naples avec juftice pour évi-
ter le préjudice qu'il auroit fouffert de fa négligence en cette
occafion ; de forte qu'en mettant l'époque de la fabrique de
cette Médaille à l'année 15' 12. il ne doit pas paroître furpre-
nant que Louis XII. joignit au titre de Roi de France, le titre
de Roi de Naples , quoiqu'il eût été dépouillé de ce Royau-
me.
On voit bien que le P. Hardoûin ne fçait pas Thiftoire , &
qu'il ignore la coutume des Princes, qui prennent fur les Mé-
dailles , & dans les acles , les titres des Etats qu'ils ne pofledent
point , & cela pour conferver leurs droits & adions , afin de
les exercer 6c de les confirmer dans l'occafion. Sans aller cher-
cher de ces fortes d'exemples chez les Etrangers , où il y en a
une infinité, nous en avons un dans le Royaume de Naples, ôc
dans la conduite des Rois de France au fujet de cet Etat.
Avant que Louis XII. pofledât la partie de ce Royaume,
qui lui échut dans le partage qu'il en fit avec Ferdinand,
les Rois de France portèrent les titres de Rois de Naples ,
& de Jerufalem , pour s'aflurer les droits de René d'An-
jou dernier Roi de Naples de la maifon d'Anjou. C'eft de
ce Prince que les droits des Rois de France fur ce Royau-
me ont pris leur origine. Ce dernier fait découvre un au-
tre ignorance du Père Hardoûin dans l'Hiftoire h il fait dé-
river de l'Empereur Frédéric IL le droit des Rois de Fran-
ce au Royaume de Jerufalem 5 tandis que la maifon d'Ar-
ragon & la maifon d'Autriche peuvent auffi les prétendre
du chef d'Iolande qui fut recherchée par Frédéric à caufe
de (a dot. La maifon d'Anjou tire fes droits de Chades
Vuu ij
■^2^ ÎIECES CONCERNANT L'HISTOIRE
d'Anjou premier du nom, à qui Marie fille du Prince d'An-
tioche les avoir cédez 5 comme cela eft démontré à n'en
pouvoir douter, dans PHiJîme civile du Royaume de Nafks ^
iiv. 20. chap. 2. n. i.
René d'Anjou ayant été chafle , & dépouillé de fon royau-
me } & Jean fon fils étant mort , il inftitua pour fon héritier
Charles d'Anjou fils du Comte du Maine fon frère. Ce
Prince étant mort fans enfans peu de temps après , il laifla
fes droits par fon teftament à Louis XI. Roi de France ,
fils de la fœur de P.ené d'Anjou. Charles fit ce teftament à
Marfeille le 8. de Décembre 1481. comme le rapporte Fré-
déric Léonard dans fon recueil des traitez de paix imprimes
à Paris en i ô^-j. Il inftitiië par cet ade Louis XI. pour fon
héritier univerfel, & lui fubftitue Charles Dauphin de Fran-
ce fon fils. Ce jeune Prince , après la mort de fon père ^
brûlant d'acquérir de la gloire , & fe fondant fur ces droits ^
entreprit la conquête du Royaume de Naples , s'en empara
& ne le garda que fix mois. Charles VllI. étant malheu-
reufement mort à Amboife dans la fleur de fon âge , le Duc
d'Orléans fon plus proche parent lui fucceda à la couronne
de France , & fut appelle Louis XII. Son premier foin fu2
de recouvrer le Royaume de Naples , comme un bien hé-
réditaire j c'eft pourquoi peu de jours après la mort du Roi
Charles , il prit non-feulement le titre de Roi de France ,
mais encore par l'avis de fon confeil , celui de Roi de Je-
rufalem &: des deux Siciles ^ à caufe du Royaume de Na*
pies.
Non-feulement tous les Ecrivains que nous avons citez
font d'accord en ce point 5 mais le fait eft encore attefté par
les Médailles , qui furent frappées alors par ordre de Louis
XII. On voit fur quelques-unes y dont le Blanc parle dans
fon ouvrage , les titres de Roi de Jerufalem & de Sicile ^
cutre le titre de Roi de France : Rex Franc. Sicil. Hil. C'eft
ce qui fut caufe que dans le traité de partage que Louis
fit avec Ferdinand, on convint que le premier quitteroit le
titre de Roi de Sicile & qu'il ne conferveroit que celui de
Roi de Naples & de Jerufalem 5 & que Ferdinand de fon
côté , dans le partage duquel la Poùille & la Calabre étoient
tombées^ feroit appelle Duc de Cakbre ac de la PgùiUe.Ii
DB J. A. DE THOU. ^2f
eft donc certain par-là que Louis XII. avoir pris le nom de
Roy des deux Siciles & de Jerufalem avant l'année 15-01.
en confcquence feulement des anciens droits des Rois de
France fur le Royaume de Naples. Quelle raifon auroit donc
pu empêcher ce Prince de prendre ce ritre les années fui-
vantes , fur-tout après que Ferdinand ayant violé le traité de
Blois , fe fut ligué avec Jule II. ennemi mortel de Louis ?
Les Ducs de Lorraine avoient coutume , comme ont fàk
les Rois de France , de prendre le titre de Rois de Naples
& de Jerufalem ., & de Ducs de Calabre , tant dans les ades
publics que fur leur monnoie, & de joindre à leurs armes
celles de Naples & de Jerufalem. 5 en vertu des mêmes droits
qu'ils prétendent leur avoir été tranfmis par René d'Anjou le
dernier de cette maifon qui a pofledé le Royaume de Na-
ples.
L'Hiftoire nous apprend que René d'Anjou , mort fans
enfans mâles ne lailla qu'une fille nommée Violente , qui
époufa Frédéric II. Comte de Vaudemont, & que René II.
Duc de Lorraine eft forti de ce mariage. Ce René préten-
dit contre Charles VIII. que le Royaume de Naples n'avoit
pu être laiffé au Comte du Maine par René d'Anjou , mais
qu'il auroit dû en qualité de fils de Violente fa fille , être
préféré à ce Comte , qui n'étoit que neveu de ce même René.
Fondé fur ces prétendus droits, il revendiquoit non-feule-
ment le Duché d'Anjou , & le Comté de Provence 5 mais
à plus forte raifon , le Royaume de Naples qui tombe en que»-
nouille > ( de forte que les femmes y fuccedent dans la ligne
direde à l'exclufion des mâles collatéraux ,. ) étant fur-tout
mâle lui-même , quoique né d'une femme.
Si le duc de Lorraine avoir eu aifez de forces pour foutenii!
Tes droits, & féconder les vœux du Pape, qui l'invitoit à cette
expédition , & ceux des Napolitains qui n'obéillbient qu'à re*
gret aux Arragonois , il eft certain que les defteins qu'avoit
ce Pontife > ainfi que les Barons du Royaume, de reconnoitre
ce Prince pour Roi , enflent eu un heureux fuccès 5 mais quoi-
que tous fes efforts ayent été inutiles , & qu'il n'eût aucune ef-
perance de faire cette conquête t cela n'a pas depuis empêché
les Ducs de Lorraine de prendre le titre de Rois de Naples &
de Jerufalem j afin de confeiver leurs droits , qu'ils fondent
y u u iij
■^2S ' PIECES CONCERNANT L'HISTOIRE
fur le mariage de Violente avec Frédéric de Vaudemont. Ce
îi'eft que depuis cette alUance qu'ils ont écartelé de Naples &
de Jerufalem , comme Baleicourt Ta fort bien remarqué dans
le catalogue des Médailles de Lorraine qu'il a inféré dans foii
traité hiftorique & critique fur P origine & Généalogie de la mai-
(on de Lorraine. On voit dans cet ouvrage plulîeurs Médailles
des Ducs de Lorraine, avec les armes de ces deux Royaumes ,
&: la plupart avec le titre de Duc de Calabre.
Or la Médaille dont il s'agit ayant été frappée en France par
les ordres de Louis XII. qui pouvoir porter le titre de Roi de
Naples & fur tout dans le temps qu'il étoit en différend avec
Jule II. qu'y a-t'il de plus conforme à la raifon & au bon fens,
que l'explication de cette légende : Ferdam Babylonis nomen ,
par laquelle le Roi rabaiflbit la fierté de ce Pape , & répondoit
aux menaces qu'il lui faifoit de le perdre .? Que pouvoit-il y
^voir en effet de plus propre à réprimer l'audace & la férocité
de Jule f Le Roi avoit pris ces paroles du Prophète Ifaïe , &
les avoit heureufement appliquées à la ville de Rome, à laquel-
le le nom de Babylone convenoit mieux alors qu'auparavant ,
à caufe de la corruption honteufe des mœurs de cette Cour ,
qui étoient encore plus dépravées depuis le Pontificat d'Ale-
xandre VI. D'ailleurs le nom de Babylone avoit toujours été
donné à la ville de Rome pour différentes raifons. Saint Jean
chap. 1 8. de FApocalipfe v. 4. fuivant l'interprétation com-
mune des plus anciens Pères de i'Eglife , n'a point eu d'autre
ville en vue en parlant de Babylone , que Rome livrée à l'ido-
îàtrie. Nos Théologiens, pour prouver que Saint Pierre a été
à Rome , citent cet endroit de fa première Epitre : UEglife qui
a été c ho i fie dans Babylone , vousfalué. Ils nous enfeignent qu'on
donnoit ce nom à Rome encore dans les ténèbres du Paganif.
me. Voyez le Père Noël Alexandre , dans fon Hiftoire Eccle-
fiaflique. (i) Il y établit ce fentiment ^ contre ceux qui foutien^
lient que Saint Pierre n'a pas eu deffein de parler de Rome ,
mais plutôt de la Babylone des Afiiriens , ou de celle d'Egypte.
On lui donna aulTile nom de Babylone , après qu'elle eut em-
braffé la foi de Jefus-Chrift. Ce ne fut pas à caufe de l'étabiif-
fement de la Religion dans cette ville ; mais à caufe de la
corruption de fes mœurs, même après fon changement. Ceft
(1) S&ciilo. 10. dijfcrt. 13. to. 2.
t)E J. A. DE THO U. $ij
ainfî que Saint Jérôme , déplorant les vices & les débauches
de Rome , l'appelle dans fa fepticme Epitre à Marcella. Lifez,
dit ce Père , PÂpocalipfe de Saint Jean ^ & refléchijfezfur ceqt^il
y prédit de la femme revêtue de pourpre yù' du blafphème écrit fur
fon front , des fept montagnes ^ deplufteurs eaux ^ & de la defru^
âîon de Babylone. Le même Père dans fa Préface aux livres de
Didime d'Alexandrie fur le Saint Efprit , donne ouvertement
le nom de Babylone à la ville de Rome : LorfquefétoiSy dit-
il, dans Babylone y & que fétois dans le fein de la Courtifane ,
revêtue de pourpre > & Citoyen de Rome hfai voulu dire quelque
chofe du Saint Efprit y (i) er dédier ce petit ouvrage déjà com"
mencé au Pontife de cette même ville.
Mais ce fut à plus jufte titre que les écrivains des fiécles fui-
vains donnèrent le nom de Babylone à la ville de Rome. Plu»
fîeurs fouverains Pontifes , fur-tout après le pontificat de Gré-
goire VIL fembloient avoir fixé à leur Cour l'ambition , la dé-
bauche , l'avarice & la fimonie. Ce fut alors qu'on appella
communément la ville de Rome du nom de Babylone. C'eft
ainfi que les Evêqués , & tout le clergé du diocéfe de Liège
avoient coutume d'appeller Rome , comme on peut le voir
dans leurs lettres à Pafchal fécond , qui font inférées dans le
fécond tome des Conciles, & dans Aventinus liv. j. Elle eft
aulTi appellée de ce nom par Pierre de Blois , Epitre 44. par
Eberhard de Salsbourg , cité par le même Aventinus hv. 7. p,
420. & 42 1. Les Fratricelles même en Italie ne lui donnoient
point d'autre nom. De-là vient que dans le quatorzième fîécle
François Pétrarque Archidiacre de i'Eglife de Parme , & en-
fuite Chanoine de I'Eglife de Padoùe , appelle fouvent la ville
de Rome une Babylone avare , lorfqu'il déclame contre la
corruption des mœurs Romaines dans fes Sonets & dans fes
Lettres. (2) Pia Roma hor Babilonia falfa eria. (3) C'eft ainll
qu'il s'exprime dans un de fes Sonets.
Dans des temps plus voifins du règne de Louis XII. Thierry
de Niem , Nicolas Ciemangis & autres , fur-tout Jean Gé-
rard , dans fon livre intitulé : Confejfw CathoUca , & Heidegge-
rus dans fon Hiftoire de la Papauté (4) l'ont toujours appellée
{ I ) Volui Garrire aliquid de S^iritu
Sancto. Hier.
(1} Epift. f. 14. 17, 18. & 19.
1------- -'- - - \ *y — 00 J
i^j. 110. 13J. & 144.
qui e(î aujourd'hui la Babylone ou rè-
gne le mcnlonge & le vice.
C4J Heidegger Hijioria Pa^a.tus §, 10,
'528 PIECES CONCERNANT L'HISTOIRE
^infî. Pouvoit il y avoir un temps plus convenable pour mettre
ces paroles d'Ifaïe fur la Médaille , que Louis XII. fuivant tous
les écrivains François fit frapper , pour réprimer l'audace du
Pape Jule ?
D'un autre côté examinons toutes les abfurditez qui fui-
vroient de l'explication du Père Hardouin.
Premièrement, fi le Roi avoit eu en vue de menacer le
grand Caire , parce qu'il fongeoit à fe remettre en poîTelTion
de la Terre Sainte , à caufe de fes droits fur le Royaume de
Jerufalem , il ne fe feroit pas contenté de mettre feulement
fur cette Médaille le titre de Roi de Naples ; mais pour
donner plus de forée à fes menaces , ôc les déclarer plus ou-
vertement, il auroitpris le titre de Roi de Jerufalem en par-
ticulier , fur-tout l'ayant déjà pris dans quelques Médailles.
Ce titre occupoit fi peu de place dans une Médaille, qu'on
auroit pu l'ajouter de l'autre côté. Car les Graveurs Fran-
çois exprimoient le nom de Jerufalem par ces trois lettres
HiL : comme on le voit dans quelques Médailles , dont le
Elanc fait mention, & fur lefqueiles on lit ces mots : Franc.
SiciL. HiL. Ces Médailles avoient été frappées par ordre de
Louis XÏI. avant le traité de partage du Royaume de Na-
ples avec Ferdinand. Le Roi de France quitta par ce traité le
titre de Roi de Sicile , en coufervant cependant celui de Roi
de Jerufalem.
Secondement, des projets fi vaftes & fi romanefques , ne
pouvoient pas tomber dans l'efprit du Roi , bien éloigné de
les exprimer dans ces Médailles , qui n'auroient fervi qu'à
le rendre méprifable au peuple , & à lui faire perdre la ré-
putation de fagelTe ôc de prudence , dont il joùifToit Ci jufle-
ment^pour le faire regarder de fes fujets comme un Prince
vain & léger. Y a-t'il du bon fens à croire que ce Prince , em-
baraffé d'affaires importantes & épineufes , put fonger à l'ex-
pédition de la Terre Sainte , & de la retirer non-leulement
des mains du Soudan, mais encore à renverfer la capitale de
fes Etats , de manière que le nom même de cette ville en fût
détruit f Louis avoit alors en tçte deux ennemis fâcheux, qui
lui donnoient affez d'inquiétude pour fes propres Etats. La
puiflance ôc la fortune de Fetdinand Roi d' Arragon s'étoient
fi fort accrues , que Loui$ ayoit été obligé de fe retirer de
k
DE J. A. DE TIÎOU. y^p
îa partie du Royaume de Naples qui lui etoit échue , & qu'il
avoit été contraint d'efliiyer l'aftront de voir chailer honteu-
fement par la force & l'artifice , ks troupes de toutes les villes
de cet Etat. D'un autre côté il avoit à craindre la grande
puiiiance de la maifon d'Autriche, fous le Prince Charles, (i)
La grandeur de cette maifon lui caufoit des ombrages pour
la fuite , aulîl-bien qu'au Roi d'Arragon. Il falloir toute la
hardielTe du Père Hardouin , pour faire alors former à Louis
XII. des projets fi téméraires.
Troifiémement , l'état des affaires de ce temps-là deman-
doit que les Princes Chrétiens fe réunifient contre le Turc ,
dont les progrez étoient fi rapides en Europe & en Afie , que
ce torrent menaçoit d'entraîner tous leurs Etats, fi on ne s'op-
pofoit à fa fureur ; ainfi ce n'étoit pas contre le Soudan qu'il
falloit faire la guerre , mais contre Bajazet II. Ce Prince ajou^
toit chaque jour de nouvelles conquêtes à celles de Maho-
met II. fon père , dont les armes avoient réduit fous fa puif-
fance deux Empires & douze Royaumes , & plus de deux cens
Villes dont il avoit chalfé les Chrétiens j ce qui lui avoit fait
prendre le premier le titre d'Empereur des Turcs. Bajazetfon
fils & fon fucceifeur pouila fes conquêtes encore plus loin. Il
foumit la Valachieen 1484. les Monts Cerauniens (2) & tou-
te l'Albanie en 1492. Modon & Coron dans la Morée en
I4P5;. & Tannée fuivanteil enleva encore aux Vénitiens plu-
fieurs autres places. Des fuccès fi prodigieux dévoient donner
des fujets de crainte au Pape & aux Princes Chrétiens. Tous
leurs foins , tous leurs traitez ôc tous leurs efforts étoient em^
ployez à fe garantir du péril, & on ne penfoit en aucime ma-
nière à inquiéter le Soudan , qui n'avoit pas moins à craindre
que tous les Princes de l'Europe. Etant plus près du péril, il
avoit des craintes plus prelfantes de voir engloutir fes Etats pat
cette puiffance énorme , comme en effet il arriva bien-tôt ; cac
quelques années après , Selim I. fils de Bajazet ayant vaincu le
Soudan en i j 1 6. il le força à fe tuer , & s'empara du Caire ,
d'Alexandrie & de toute l'Egypte l'année fuivante. Ce n'étoit
donc pas alors au Soudan , qui étoit fort embaralfé de fon côté
(i) Charles d'Autriche, Duc deBour- j (z) Les Monts de la Chimère en AI^
^ogne qui fut enfuite Empereur. l banie.
Tome XK X x s
53Ô PIECES CONCERNANT L'HÎSTOïRE
qu'on en vouloit^ mais à l'Empereur des Turcs, quineme-
naçoit pas moins d'envahir l'Alie & l'Afrique , que toute PEu^
rope.
Enfin la fauffeté du fiftême du Père Hardoûin paroîtra toute
entière ^ dès qu'il fera prouvé que le Soudan ne polfedoit pas
alors la Terre Sainte , mais qu'elle obéiïlbit au Sultan de Da-
mas, ville capitale du Royaume de Syrie. Car l'Hiftoire nous
apprend que le Roi de Babylone ou du grand Caire polfedoit
auiïi la Syrie dans les premiers temps de l'Empire d'Egypte 3
comme SaladinRoi de Damas & de Babylone , vulgairement
appelle Soudan. Ce Prince étant mort fans pofterité , il eut
pour fuccefleur fon frère Sephadin , qui laiffa plufieurs en-
fans. Melahadin l'aîné, & Corradin le cadet partagèrent fes
Etats. La Syrie échut en partage à ce dernier , qui prit le nom
de Roi de Damas ou de Soudan. Il fit, à l'imitation de fon
père tous fes efforts, pour reprendre fur les Chrétiens la Terre
Sainte , qui étoit dépendante de fes Etats. On peut voir ces
faits dans la Cronique de Richard de Saint-Germain à l'année
1214.011 il rapporte l'état de ce pays tel qu'il étoit de fon
temps, fçavoir fous l'empire de Frédéric II. «Saladin étant
9> mort , dit cette cronique , fans pofterité , Sephadin régna
» après lui. Ce Prince laifla quinze enfans , dont fept héritèrent
» de fes Etats. Melkekeme l'aîné eut en partage Alexandrie ,
» Babylone, le Caire, ôc toute l'Egypte méridionale & fep-
X tentrionale 5 il devoir , par une difpofition générale de fon
a^ pere , être le maître de tous fes Etats ôc le Seigneur de tous
» fes frères. Corradin eut Damas , Jerufalem & toute la Terre
^ Sainte , qui avoit appartenu aux Chrétiens , & dont ils pof-
» fedoient encore une petite partie.
L'Empereur Frédéric II. ayant pris la Croix, pour le voïage
d'Outremer , ôc s'étant rendu en Syrie , fut obligé , fur l'avis
qu'il reçut que le Pape Grégoire IX. lui enlevoit à main ar-
mée le Royaume de Naples , de traiter avec le Soudan d'E-
gypte , aux conditions les plus favorables qu'il put obtenir ,
afin de pouvoir retourner en Italie pour reconquérir ce Roïau-
me. Ceux qui accufoient Frédéric d'agir fans réflexion , lui
reprochèrent entr'autres chofes d'avoir fait un traité injurieux
aux Chrétiens , en convenant que le faint Sépulcre feroit gar-<
DE J. A. DE T KOU. ss^
dé par les Sarafins , & d'avoir conclu la trêve feulement avec
le Soudan d'Egypte fans y appeller le Roi de Damas, qui avoit
des droits fur le Royaume de Jerufalem , qu'il tenoit en effet
fous fa puiffance. Grégoire IX. écrivant à l'Archevêque de
Milan , fe plaint en ces termes dans cette lettre rapportée pac
Oderic Raynaud > tom. 1 3 . à l'année 1 22p. n. 2. » Frédéric a
w fait le même traité avec le Soudan de Babylone, qui ne pof-
» fede ni de droit ni de fait Jerufalem > ou fon tert-itoire , &
» fans y appeller le Roi de Damas. » Gerauld Patriarche de Je-
rufalem fait le même reproche à Frédéric , & dit que ce trai-
té ne fera , ni fur ni durable , parce qu'il a été conclu fans y
faire accéder le Roi de Damas. Les plaintes de ce Patriar-
che font rapportées par plufieurs Compilateurs. Elles fe trou-
vent dans l'Epître 34. du Regefti Gregoriani , liv.^. & dans
Kaynauld à l'an 1 22p. & mot à mot par Simon Hanfous Fré-
déric II. dans l'Hiftoire qui a paru depuis peu.
Il falloir donc diftinguer deux Sultans , f^çavoir , celui d'E»
gypte , qui réfidoit au Grand Caire, & le Sultan de Damas à
qui Jerufalem & la Terre Sainte appartenoient , & qui de-
meuroit à Damas , capitale du Royaume de Syrie.
Campfon Gaury étoit Soudan d'Egypte du temps de Louis
XI I. & il y avoit un autre Soudan à Damas qui polfedoit la Sy-
rie & Jerufalem , comme on peut le voir dans FHiftoire.
Ainfi Louis XII. n' avoit rien à démêler avec Gaury , à qui il
eût inutilement fait des menaces au fujet de la Terre Sainte ,
qui étoit au pouvoir du Soudan de Damas.
Ce fait prouve encore que les deux lettres que Jean le
Maire rapporte , comme de Campfon à Louis XII. & de ce
Prince au Soudan , font apocryphes. Gaury promet dans fa
lettre au Roi de France de remettre à fes Ambafladeurs le
Saint Sépulcre & les Saints lieux , ce qu'il n'étoit pas en fou
pouvoir de faire , puifque le Sultan de Damas les pofledoit.
Ces deux Princes furent bien-tôt opprimez par Selim I. fils de
Bajazet. Ce conquérant dans le même temps qu'il ôta le
Royaume & la vie à Campfon, fit un traitement plus bar*
bare & plus inhumain au Sultan de Damas : car après l'avoir
pris dans im combat , il le dépouilla de tous fes Etats, le jet*
ta dans une prifonaffreufe , & le fit enfin cruellement empaler»
Xxx i]
^^2 PIECES CONCERNANT L'HISTOIRE
Scipion Ammirato dans le huitième difcours de fes mélanges
rapporte ces faits -, mais il dit que ce Prince fut étranglé.
On a fait voir aflez clairement que les menaces de Louis
XII. ne pouvoient regarderie Soudan d'Egypte, mais plutôt
la ville de Rome , à qui le nom de Babylone convenoit beau-
coup mieux après le Pontificat d'Alexandre VI. & de Jules
H. qu'auparavant ; car la Cour de Rome n'avoit jamais été fi
corrompue , que fous ces deux Pontifes Romains.
,1
DE J. A. DE T H O U; J^f
LETTRES
H I s T o R I Q.U E S
D E
TAC Q^U ES-AUGUSTE
E THOU-
Lettre de JacqueS'ÂuguJîe de Thou contre la Ligue , &fur les
moyens de parvenir à la Paix , écrite en i$^2.
MONSIEUR. Ilya long temps que je defirois que Imprimée fiit
l'oGcafion s'offrît de vous efcrire : les recomman- ^^ M"nu^criç?
dations que l'aumofuier qui vous rendra la pre-
fente m'a faites de voftre part , m'en ont rafraif*
chy la mémoire. Pleuft à Dieu que fuffiés maintenant au Ser-
rin, & moy avec vous, pour pouvoir avec plus de liberté
& de privante devifer des affaires publiques j mais puifque
le malheur du temps nous en empefche, autant qu'il fe peut
par lettres, je vous diray que je plains extrêmement l'eflat
miferable de voftre ville , tant pour ce qu'elle a fouffert cy-
devant & fouffre encores de prefent , que pour le mal que
je prevoys & appréhende à Fadvenir , qui enfin la conduira
à fa totale ruine. Desja l'on en voit les commencements es
fauxbourgs , qui font , au moins faifoient , la meilleure partie
de la ville 5 & mefmes beaucoup de maifons de la ville ont
fenty ou la cruauté ^ ou la neceffité de la guerre. Ce n'eft
ce que l'on s'étoit promis à ce commencement, où tout rioit
aux entrepreneurs de l'œuvre : lors l'on promettoit toute liber-
té & immimité au peuple, au lieu, comme l'on difoit, àeg
X X X ii j
^34 PIECES CONCERNANT L'HISTOIRE
oppreffions & tyrannies qu'il avoit enduré par le pafle. Et
toutesfois, fi l'on veut mettre toute paflion àpart , & confiderer
l'eftat de la ville durant qu'elle eftoit obeiflante au feu Roi
( cHjus memoriaftt in benediâione ) & celuy de prefent , & faire
comparaifon de l'un & de l'autre , il faut confefler qu'elle s'eft
précipitée du comble de félicité en l'abyfme de toutes ca-
lamités i quand elle a quitté l'obeiflance de fon Prince légiti-
me , pour s'abandonner à ceux qui l'ont pofledée depuis in-
juftement. Excufés moy fi j'en parle en cette façon •-, ce n'eft
pour accufer tous ceux qui y font demeurés , & ont participé
au gouvernement d'icelle durant ces guerres j je parle en gê-
nerai, & fçay en particulier, que plufieurs y font demeurés,
partie pour n efperer feureté ailleurs & la trouver là , partie
pour empefcher par leur prefence les defordres , qui ont ac^
couftumé d'arriver en tels changements , en quoy toutesfois
je crois qu'ils fe font trouvés deceus foit en l'un, foit en Pau-
tre : car enfin cette ville que l'on eftimoit un rampart inex-
pugnable , une grandeur incomparable , & une force invinci-
ble , s'eft veu en moins d'un an par trois fois comme alfiegée
& prefque forcée , ce qui euft efté , fans que Ton efperoit la
pouvoir avoir entière fans fac ; d'ailleurs tous fes moyens ef-
puifés , & la ville reduitte à ce point , que les plus médiocres
de ce Royaume luy peuvent eftre efgalées j & au lieu que fon
ïiom feul eftoit effroyable auparavant , maintenant elle eft le
mépris d'un chacun, & jugée prenable par un petit nombre
d'hommes. Voila quant à la feureté , en laquelle fi ceux que
j*ay dit fe font trompés , ils ne Pont çfté moins en ce qu'ils
s'eftoient perfuadés de pouvoir eftablir quelque ordre en ces
defordres 5 car le mal a furmonté la médecine , & la tem-
pefte l'art du nocher. Vous avés veu & efté tefmoin des injuf-
tices, violences, opprefles, blafphemes, menfonges, calom-
nies qui fe font faides & dides pendant ce temps , & m'alfurc
que vous en avés fouvent pleuré & gémi en fecret. Je ne
puis penfer que le temps vous ait changé , & que ne foyés
encore celuy mefme que j'ay veu & conneu cy-devant, c'eft ^
dire , amateur du vray honneur de Dieu & du repos public;
ennemy de Pinjuftice & de la licence effrénée '•> & toutesfois
vous voyés le nom de Dieu aujourd'huy pris en vain , par
ceux qui fe dilent protedeurs de la Religion , 6c fervir d^
- DE J. A. D E T HO U. S3S
mafqne Se de prétexte à leur ambition. Il y a long-temps que
cela fe crie , & que les fages l'ont creu , mais diillmulé par
mode{l:ie : maintenant le mafque eft levé, ôc fe voit claire-
ment leur impofture dcfcouverte , quand eux mefmes mettent
îa confulion en la Religion , & par l'obftinée continuation
de la guerre ils efteignent toute charité Chrétienne, quâ fub-
latâ quid attinet de do5lrina digladiari ? Je m'afflire que le jugés
ainfy , & qu'il en faut venir enfin à la paix ; nom fî doux
aux bons & vrays Catholiques , au contraire odieux aux fe~
ditieux & fadieux: & bien que témérairement l'on ait juré
cy-devant plufieurs fois de ne faire jamais la paix , fi faut-il
que la neceffité , qui eft la plus puifiante de toutes les Déef-
fes , difoit un ancien , & TimpolTibiliié de continuer la guerre ,
la faiïent contre le gré & en defpit de ceux qui en ont plus
de befoing. Je crois que ceux qui s'eftoient fichés en cette
refolution de ne faire jamais la paix , ont tantoft efprouvé tous
îes moyens de pouvoir faire la guerre , & l'entretenir tant de-
dans que dehors; ils ont jugé ce qui leur en pouvoit revenir
d'utilité , & d'avancement en leurs affaires : qu'en ont ils rap-
porté jufques icy que de la honte , ôc de la ruine à l'advenir
pour eux & leur pofterité ? Ils fe font fiés au commencement
en la facihté des peuples , lefquels fous le prétexte de la Reli-
gion ils ont par moyens obliques diftraits de l'obeifiance deuë
aux magiftrats , & enfin induit à fe foullever contre leur Prin-
ce ; mais ils ont connu enfin que c'eft peu de chofe du peuple
fans la Noblefiè , car le peuple bien que puidant en nombre
eft une befte à plufieurs teftes , & par confequent qui ne peut
eftre reteneu par aucune bride ; depuis qu'il a une fois quit-
té l'obeiflance & violé les loix : voila pourquoy ce nombre
ne luy fert que de confufion non de force , & enfin par faute
de chef & d'ordre s'accable & fe deffait fov mefme. Cette
befte a aulfi un autre naturel , qui eft d'eftre légère & incon-
ftante , s'attacher aux apparences & chofes prefentes , aymer
fes commodités , & porter impatiemment les incommo-
dités de la guerre , principalement de la part de ceux def
quels elle s'eftoit propofé tout foulagement : c'eft pourquoy
le peuple s'efmeut aifement, & embraife volontiers les nou-
veautés, qui font ordinairement colorées de beaux & fpe-
cieux prétextes j mais foudain comme il fe voit fruftré de fes
^5^ riECES CONCErvNANT L'HÎSTOÎRE
efperances & privé de fes commodités accoutlumées , auiïi-
toit cet amour inconilant fe tourne en haine , & veut amender
par raifon ce qu'il a fait par imprudence & légèreté j & d'ail-
leurs d'autant qu'il fait eftre moins formidable & fufped aux
Grands , il craint moins la reconciliation. Pour ces raifons la
force populaire n'eft de grand poids en telles entreprifes , qui
tendent au changement non d'une ville ou d'un petit pays ,
ains de plufieurs provinces, & d'un grand Royaume, à la
confervation duquel la Noblefle ayant très grand intereft , cac
les remuements ne fe peuvent faire fans l'extindion de la No-
blefle, il ne fe faut efmerveiller li elle s'eft 11 courageufe-
ment évertuée jufques icy pour empefcher rinvafion & Te-
verfion de cet Eftat. Donques que peuvent dire ceux qui font
chefs de ces feditions qu'ils ayent profïité depuis deux ans ,
finon d'avoir chafsé leurs concitoyens de leurs maifons, pillé
6c ravagé leurs biens , exercé infinies cruautés fur eux , s'eftre
confommés eux mefmes j & enfin reconnoiflans leur foiblef-
fe , s'eilre proftitués aux eftrangers ennemis de cet Eitat,
& leur avoir abandonné la Provence d'un cofté , la Cham-
pagne & la Bretagne de l'autre ? Et en tout cela quelle part
y a l'honneur de Dieu ? Le cœur me faigne quand je fonge
aux barbaries qui fe font commifes depuis ce temps , & fous
prétexte de Religion ; comme fi la Religion pouvoit eftre
où l'injuftice règne , contre ce que nous dit Ladance en quel-
que lieu o^UQ fmnma Religio efi juftitia muneribus defungi. Que
refte-t-il donc plus pour l'advenir d'efperance & de moyens
pour continuer la guerre à ceux qui ont en telle horreur la
paix ? Deux chofes , defquelles l'une fe tient fecrette , & ne
le peut honneftement dire par ceux qui la défirent plus ; de
l'autre l'on murmure & donne-t-on l'efperance au pauvre peu-
ple abufé : la première eft la mort du Roy attendue & pour-
chafsée par tous moyens reprouvés de Dieu & des hommes ;
les confpirations pour ce faites en ont efté ja plufieurs fois
defcouvertes , mais il me femble que l'exemple dernier de-
vroit faire fages les plus infenfésî car qu'ont gagné les con-
jurés à la mort du feu Roy , finon d'avoir mis une tache d'infa-
mie perpétuelle en la Religion , & au nom François ? Au
refte , quel avantage ont ils eu finon d'avoir reculé le moyen
de pacifier les troubles, 6c de donner repos à ce pauvre Royau-
me ;
D E J. A. D E T H O U. 557
me, travaille par leur ambition. Ils efperoient fous prétexte
de la Religion que l'on fe diviferoit, & que par noilre di-
vifîon ils fe fortineroient , mais Dieu vengeur de l'outrage
qui fe fait à fon faint nom , quand il eO: pris en vain , a difTipé
tous ces malheureux confeils, & tant à l'occafion de l'indi-
gnité du fait que pour fon falut particulier ^ a réuni la No-
blefle plus eftroitement que devant fous l'obeiffance de fon
Prince , pour venger une lî grande injure faite au nom Fraiv
^ois , & empefcher la difllpation de cet Eftat , c'eft à dire la
ruine & everfîon de la Noblefle. Cela ne leur avoir efté pref-
ché , ny dit en confeffion , ny fouilé aux oreilles dix ans aupara-
vant , ou perfuadé par iniques efperances : au contraire , la plufr
part de ceux qui l'aflTiftent aujourd'huy font ceux mefmes qui
es années pafsées fous le règne de fon predecefleur , ont efté
pris , bleffés , perdu leurs pères , frères , parens & amis es guer-
res contre luy , & toutesfois en un moment chafcun s'eft refolii
de le reconnoiftre , comme le falut du gênerai & du particulier
dépendant de cette reconnoiflance ; qui me fait croire cer-
tainement que cette infpiration vient du ciel , eftant impolTible
que tant d'ames agitées de tant de diverfes pafllons., en un
temps il débordé & plein de rebellions , euiTent pu eftre en
mefme temps touchées d'un mefme fentiment. Il elles n'eut-
fent efté touchées de Dieu. Pour cescaufes je ne puis penfee
que Dieu ayant contre tant d'entreprifes , embûches & ca-
lomnies deffendu , prefervé & maintenu depuis vingts ans ce
Prince , & depuis appelle en Pextrefme neceftité , pour fecou-
rir fon Prince & Seigneur , & enfin miraculeufement contre
tous difcours humains eftabli au throne de fes predecefleurs ,
ne l'ait choify en ces derniers jours pour inftrument de quel-
que grande chofe qui tournera enfin à fa gloire ^ & à noftre
repos j c'eft à dire , pour mettre la paix en l'Eglife , & y rappel-
ier fous fa foy non feulement tous les François dévoyés , mais
aufty les Allemans , Polonois , Suédois , Danois 3 Anglois &
Efcoftbis 5 ce qu'un autre Prince ne pourroit faire. En particu-
lier je fçay que c'eft fon intention pour luy avoir ouï dire
fouvent , & qu'il n'avoit regret en la longueur de cette cruelle
guerre, que pour ce qu'elle retardoit les effets de cette re-
folution. Icy fe pouroient dire pîufieurs chofes de fes mœurs
^ deportement , ôc de ce qu'on doit efperer de luy à la vérité ^
538 PIECES CONCERNANT L'HISTOIRE
contre ce qui fe dit & publie par delà par les artifices de fes
ennemis ; mais le temps ny le papier ne le permet. L'au-
tre point duquel je fçay que l'on bruit fort par delà , &où l'ou
met la principale efperance , eft la divifion de fa maifon & des
liens > chofe à quoy Ton fe doit auiïy peu attendre : je le
f(^ay , & en puis parler. J'ay cet honneur d'eftre près de ceux
que pouvés penfer , d'affifter à leurs confeils , où ils m'appel-
lent , car d'ailleurs de mon naturel Je me retire le plus loin des
Grands que je puis : je les voy & oy parler tous les jours.
Je vous fupplie de croire , & le vous dis en amy , qu'ils font
fort éloignés de ces confeils , & (i l'on a fait courir d'icy ces
biuits , ou que l'on ait donné efperance , croyés que ce a eflé
pour quelque autre effet , & brief pour tromper & gagner
le temps , comme de vos quartiers l'on fait courir beaucoup
de bruits pour amufer ceux de deçà. L'exemple de leur oncle
eft trop récent, lequel eftoit le plus heureux Prélat qui naf-
quit jamais , comme ils difent , s'il n'eut trempé en la fadion j
d'ailleurs ils reconnoiiTent l'obligation qu'ils ont à leur aifné ,
par lequel la couronne eft entrée en leur maifon , & fans lequel
ils fçavent qu'ils en eftoient exclus. Ils ont oublié l'indigne
traitement qu'ils ont receu des Députés des prétendus Eftats
tenus dernièrement à Blois , lorfque leurs ennemis fembloient
eftre au defliis de leurs affaires, la feditieufe oppofition qui
fut formée contre l'un d'eux durant ce temps au Parlement >
ôc pour ce tout ce qui viendra de cette part , d'orefnavant
leur fera , comme il doit eftre , fufped : mais furtout ils ont
leur confcience & leur honneur en recommandation , qui font
cefler toutes autres confiderations en leur endroit. Si vous
avés par delà des Théologiens qui authorifent la rébellion,
6c fous prétexte de Religion appellent le peuple à la licence
pour fouler aux pieds la juftice & introduire impunité de tous
crimes ; nous en avons d'autres icy auffy catholiques , qui
prefchent l'obeiflance , qui exhortent le peuple fur peine d'en-
courir le jugement & l'indignation de Dieu , qui deteftent les
voleries & maflacres , incitent le peuple à la paix, à l'amour.
de leur prochain , & à la charité Chreftienne. Qui des deux
font poufsés de l'Efprit de Dieu , ou ne le font pas ? ce n'eft
à moy à en juger maintenant : les effets le démontrent chacun
jour j ôt Dieu meliîie par le fuccés des combats k fembls
DE J. A. DE THOU. j5P
juger tous les jours, oftant le courage aux uns, & le redou-
blant aux autres. Quoy qu'il en foir , les Princes qui ont l'efprit
doux & clément , non fanguinaire & plein de haine , adhèrent
aux Théologiens qui prefchent la douceur & la manfuetude ,
& quand bien ils autoient perdu toute fouvenance du temps
de la perfecution de leur maifon , la mémoire leur en eft tous
les jours rafraichie par les deportemens de leurs ennemis. Ils
fçavent que le prifonnier de Loches a did plufieurs fois , qu'il
falloir que l'une ou l'autre des deux maifons donnaft du eu!
en terre j que le Commandeur de Diou a efcrit au Sieur de
Villeroy , mefme durant la vie du feu Monf. le Cardinal de
Bourbon , que puifque toute la maifon de Bourbon eftoit fuf-
pede à leur party , & que le lieutenant de l'eftat royal n'eftoit
fuffifant pour fouftenir ce faix, qu'il falloir avoir recours à
l'Efpagnol ou au Savoyard : que le cardinal Montalte à efcrit
au cardinal Cajetan qu'il avoit fait faute de n'avoir recherché
le cardinal qui eft icy , fous efperance de luy donner la cou-
ronne , encore qu'il fut refolu de n'en rien faire puis après ,
pour par ce moyen attirer fon jeune frère , & ainfy les
defunir tous deux d'avec leur chef, ôc par la defunion les
affoiblir & ruiner totalement. Nous en avons icy les Lettres ,
véritables non controuvées , comme celles qui fe publient par
delà. Ceux qui gouvernent par delà , s'ils veulent mettre la
main fur la confcience , fçavent que je vous efcrits la vérité ;
brief ces Princes font François & enfans de la maifon j pour
ce ils ont intereft à la confervation de cet eftat, à la ruine
duquel ils voyent que tous les confeils de delà tendent. Ils
voyent la refolution de la Noblefle qui eft leur principal appuy.
Ils voyent que Dieu benift leur œuvre , & femble maudire
le voftre , ayant réduit vos grandes & populeufes villes , de-
puis cette rébellion , à la folitude & à l'indigence : au con-
traire , ayant augmenté les petites villes qui fe font confervées
fous l'obeiflance de leur Prince & multipliées en biens , telle-
ment que cette ville où nous fommes , qui n'eftoit auparavant
la dixième de ce Royaume, eft maintenant la plus grande
& la plus floriflante. Pourquoi f pource que l'on y fert Dieu
fans hypocrifie , l'on n'y blafpheme fon faint nom , le peu-
ple y eft obeiftant , la juftice révérée , & le fouverain ma^
giftrat qui eft le Roi , reconniu
Yyy ij
J40 PIECES CONCERNANT L'HISTOIRE
Voilà les difcours & réfolution de ces Princes : vous juge-
rés par-là quelle efpérance doivent avoir ceux qui fe promet-
tent de les defunir d'avec celuy , duquel leur falut , comme
ils diîent , dépend , & fans lequel il y a long-temps que leurs
ennemis fuffent venus à chef de leur entreprife , c'eft-à-dire ,
euflent du tout ruiné leur maifon.
Quand à la Religion , de laquelle ils font fort grands zéla-
teurs , & n'en cèdent à perfonne , ils n'eftiment qu'il en foit
queftion maintenant j il eft préalable d'eftablir la paix & la re-
connoiflance du fouverain & légitime magiftrat en ce Royau-
me 5 que la Religion eft en l'Eftat , & non l'Eftat en Religion ,
comme a dit un ancien 5 que la Religion eft comme la tefte
en l'Eftat, & par confequent n'en fait que la partie 5 fi tout le
corps meurt , qu'en vain fe travaille-t-on pour guérir le mal
de la tefte, il faut donc fauver ce corps entier pour pourveoir
au mal qui eft en la tefte, c'eft-à-dire^ en la Religion; que
l'on ne peut guérir tout le corps 3 & par confequent la tefte ,
que par le repos , c'eft-à-dire , la paix. Voilà le hic. Je fçay
bien que l'on dira que ce font langages de politiques 5 mais
je l'avoue , car c'eft une qualité fort néceflàire aux princes j &
à ceux qui font appelles au gouvernement des Eftats pour les
bien policer , & les y maintenir en paix & en repos : & c'eft
pourquoy auffy que ceux qui défeignoient il y a fi long-temps
de planter la defobéiftance , & par la rébellion introduire toute
confufion & defordre , ont rendu par leurs impoftures ce nom^
fpécieux en foy j fi odieux au fimple peuple , auquel ils ont fait
haïr leur bien, pour embrafter ce qui devoit eftre enfin leuir
rtune.
Lettre de Jac. Aug. àc Thou à Henri de la Tour , Duc de Bouil-
lon i fur la converfion du Roi Henri /A''. ( i )
Imprimé fur T\ yjT Onsieur, J'ay différé jufqucs à ccttc heiu'e à vous
le Manufcm. J[ y j[ efcrire , attendant de voir plus' clair en cette négo-
ciation : maintenant que les chofes font fur le point , ou de
rompre du tout fans efpérance de les pouvoir renouer à l'ad-
(i) Cette Lettre fut écrite pendant la
conférence, tenue à Surefne en 15^}.
De Thou y étoit im dçs députez de la
part de Sa Majcfté. Voyez Ton Hiftoire ,
tom. xi.Iiv.cvi.pag. 74^,
D E J. A. DE THOU. ^41 :
venir, pour les raifons qui vous feront repréfentces par Mef- ]
iieurs de Schomberg & Revol , ou de produire le fruit defîré
de tous les bons î j'ay pris la hardielle de vous faire la prefen^ *
te , & vous fupplier , félon voftre prudence accouftumée , con-
fiderer l'eftat auquel font les affaires, & ne perdre roccafion i
d'embrafler les volontés du gênerai qui eft fort difpofé à re- \
connoiftre fa Majefté, &y femble porté d'une bienveillance
extraordinaire , ne requérant rien en elle que la qualité tant
agitée en nos temps , laquelle a fervi de prétexte à ceux qui i
ont voulu troubler l'Eftat , mais en vérité a touché au cœur |
des peuples, à plulleurs des moins prudents delà Noblelîe. Il j
eft à craindre que û ceux qui font il bien aftedionnés envers |
S. M. fe voyent à ce coup defcheus de cette efperance , ne I
tournent cette bienveillance en haine , & foient contraints ^ ^ \
comme ils en font fort follicités , de faire par défefpoir ce qu'ils j
ne pourront puis après amender par raifon. Je ne vous efcri- l
rois cecy il hardiment , fi je l'avois appris feulement defdids , ]
ou de ceux qui traittent leurs affaires ^ lefquels efpoufent vclon- \
tiers les interefts de leurs maiftres , & donnent bien fouvent des
efperances palliées de belles couleurs ^ & en apparence avan- '
tageufes pour nous , en quoi vous pourries penfer que j'aurois * \
pu eftre aifément trompé 5 mais j'ay pris cette affeurance par ;
la communication d'infinies perfonnes que je connois de ion- i
gue main atfedionnées au bien & à la paix de l'Eglife , lef- j
quelles j'ay veu depuis que je fuis icy , la furfeance àcs armes !
nous ayant donné cefte liberté ; & vous fupplie de croire que j
les chofes font en tel eftat , que fi nous fçavons prendre le ^
temps & le niefnager bien à propos , il y a lieu d'efpérer en ce i
défefpoir. Je fçay que la Religion ne fe commande point , 6c. j
n'entre en traité ny condition ; mais en cela il y a différence " ;
entre les perfonnes privées , êc les Princes defquels le bien & *
le mal touche au public , & lefquels pour le repos de leurs l
peuples font obligés de fe contraindre en beaucoup de chofes 5 l
qnoy faifant , tant s'en fault que j'eftime qu'ils bleffent leu^rs 1
confciences , qu'au contraire je crois qu'ils font afte agréable ;
à Dieu & plein de pieté, donnant à leurs fubjets le contente- ;
ment neceffaire pour parvenir à la paix , par le moyen de la- \
quelle l'honneur de Dieu eft confervé ; qui autrement eft fou- :
lé aux pieds par la continuation des guerres civiles. Dieu qui
Yyyiij i
^.^2 riECES CONCERNANT L'HISTOIRE
e£t fcrutateiu* de nos penfées , & en la main duquel font les
cœurs des Rois , prend pour facrifice d'eux ce qu'ils font pour
le bien & repos de leurs peuples : les moyens de ce faire en fe-
ront faciles, s'il plait à fa Majefté de les entendre lorfque Mef-
fieurs de Schomberg & Revol les luy repréfenteront , & ce qui
dépend en cela de fa perfonne fe fera entre les Evefques (es
ferviteurs , avec tel tempérament & modération que fa qualité
& l'aifedion des liens le requiert 5 le refte fe fera par Ambaf-
fadeurs & perfonnes tierces. Je fcay que fa Majefté , pour luy
avoir ouy dire plufieurs fois , délire fur toutes chofes d'eftre
moyen de mettre la paix en la maifon de Dieu ; le chemin par
là luy en eft ouvert , & femble comme Dieu miraculeufement
l'a mené parla main à cette couronne. Aufll les vœux publics
de ceux , qui jufqu'icy l'avoient rejette du tout , le convient à
rentrer dans noftrc Eglife , pour eftre en icelle inftrument de
fa gloire , & en ofter les abus qui ont efté caufe que plufieurs
fe font feparés de nous, A ces raifons pleines de religion & de
pieté, vouspouvés adjouter les cqnfîderations du temps, ôc
femences fecrettes de divifion qui fe coulent parmy nous , lef-
quelles nous menacent d'une nouvelle fubdivilion, & qui
pourront néantmoins eftre aftoupies tout d'un coup par ce
moyen. Je laifle à examiner le tout à voftre prudence , pour
vous en fervir aiiify que verres eftre à propos 5 vous fuppliant
de prendre ce que je vous en efcrits , comme de celui qui ne
délire rien tant que de voir ce Royaume en paix , & par cette
paix les moyens ouverts à la paix de l'Eglife, à quoy j'eftime
que la conclufion de cette négotiation pourroit donner ache-
minement , 11 les chofes eftoient conduites avec la prudence
ôc lincerité que l'affaire le mérite. Je vous baife très humble-
ment les mains , & fuis , Monfieur ,
De Surefne ce 1 1 Voftre très humble ferviteur ;
Avril ijpj. DE Thou.
Lettre de lac. Aug, de Thon j à Jean de TImmery , Sieur de
Eoijfife ifur la conférence de Londun.
Tradiùte du •'X N ne s'eft jamais repenti d'avoir fuivi vos confeils. Pour
Manufcric. V_^ ^^01 » J ^^ ph^s de confiance en vos kimieres qu aux mien-
nes , par rapport à ce qui me regarde , ôc je déférerai toujours
DE J. A. DE THOU. 5-43
à vos avis ; car une probité qui vous eft naturelle, jointe à beau-
coup de difcernement & de candeur , ne permet pas que vous
vous trompiez jamais , dans les confeils que vous donnez.
Vous m'avez donc facilement perfuadé d'entseprendre le
voïage de Bordeaux, quoique ma famé fut alors très-foible,
& que mon efprit fut aufli abattu que mon corps. Pendant
une féparation de neuf mois , nous nous fommes à la vérité
écrit régulièrement j mais comme mon voïage eft enfin ter-
miné , & que le calme a fuccedé aux troubles qui agitoient la
France, je veux vous faire un détail plus particulier de ce
qui s'eft paflfé , depuis que je fuis éloigné de vous.
Vous connoiflez celui qui a confeillé & ménagé ce mariage
fi fanefte à ce Royaume 5(1) mariage qui a allumé deux fois
le feu de la divifion (2). Je vous ai envoyé il y a deux ans
un Poëme à ce fujet. Cet homme voïant que ce qu'il avoit
cru faire pour la tranquillité de l'Etat , ôc l'utilité de la Reli-
gion, étoit au contraire funefte à l'un & à l'autre ^ fe repentit de
fa démarche ; mais comme le mal ne pouvoir pas entière-
ment fe réparer , il réfolut de fufpendre du moins la conclu-
fion de cette affaire. Ses ennemis lui en firent un crime, de il
fe vit deux fois prêt à faire naufrage 5 en forte que pour con-
jurer l'orage qui le menaçoit , il changea de conduite en ha-
bile courtifan, & fe laifTa aller au gré de ces vents impétueux,
qui regnoient alors à la Cour. Tout fon but fut de calmer
la tempête qu'il avoit excitée par un confeil pernicieux , & il
a heureufement réûffi. Il devoir à l'Etat la tranquih té qu'il lui
avoit ôtée par fon imprudence ? ainfi je l'appellerai le Débi-
teur (5) , & je donnerai avec Clément VIII. ce Pontife fi judi-
cieux ,1e nom de Renard (4) à un homme qui a été notre Am-
baffadeur à Rome , & avec qui le Débiteur a autrefois été
étroitement lié.
Des fîateurs qui foufîloient à la Cour le feu de la difcor-
de, & qui av oient autant de haine, que de mépris pour le
Prince de Condé, furent jaloux de la faveur du Débiteur ,,
(i) Le double mariage de l'Infante
Anne d'Autriche avec Louis XIII. &
d'Elifabeth de France avec le Prince
d'tfpagne.
(2) En iéi4. & cniéij.
(?; Villeroi.
(4) Le Chancelier de Silkrj,]
^^44 PIECES CONCERNANT L'HISTOIRE
& tâchèrent de diminuer fa gloire. Ainfi le maître Larron (i)
aïant été chargé de l'ambaflade d'Efpagne , ils preflerent autant
qu'il leur fut poflible le voïage du Roi , (2) quoi qu'au fond
cette démarche fut très-préjudiciable à l'Etat, ce Doit-on crain-
30 drc , difoient-ils , le Prince de Condé j il eft fans amis, & fans
» argent. Depuis l'affront qu'il a reçu à Poitiers , (3) il a perdu
35 tout le crédit qu'il pouvoit avoir dans l'affemblée des Etats ,
t» & s'il n'eût pris la fuite avec le Maréchal de Bouillon , on ■
x l'auroit arrêté. Ils ajout oient qu'on ne de voit appréhender
aucun trouble , tant que nos réformez feroient tranquiles ; &
qu'on avoit prévenu tout leurs mouvemens , en fixant leur af-
femblée à Grenoble , où Lefdiguieres, quiétoit bon Roïalifte,
étoit en état de s'oppofer à leurs defleins. Cet Hérififon de
Cour , (4) que vous connoiflez , faifoit gloire d'être auteur
de ce Confeil. Il faifoit agir une femme ^ qu'il avoit gagnée
•par fes largefles , & qui pour ne vous rien cacher , lui fai-
faifoit part de fes favv-^urs.
Le HérilTon rempli d'une confiance trop préfomptueufe ;
difoit hautement que tous les efforts du Prince de Condé fe-
roient inutiles ; mais je n'étois pas de fon fentiment, & je tâ-
chai de lui perfuader, par des motifs que vous fçavez auf-
fi-bien que moi ^ qu'il falloit prendre de juftes mefures ,
pour prévenir l'incendie que la plus légère étincelle pou-
voit caufer. « En effet , lui dis-je alors , fi ce mariage qui
» caufe le voïage du Roi, ne peut être différé, on peut du
3> moins faire cette alliance que vous defirez tant , fans ex-
» pofer l'Etat à un danger prefque certain. Il fuffit de con-
a» duire fur les frontières la nouvelle époufe, (5) avec une
a> nombreufe efcorte , qui en fera l'échange avec la Princefle
tf' Efpagnole , & l'amènera à la Cour. On peut même ordonner
» à la nobleffe des Provinces , qui font fur le paffage , d'ac-
» compagner notre Reine (6) : Mais fi le Roi va lui-même
» au-devant d'elle, d'un côtéfaprefeuce troublera la Guyenne ,
(î) Le Commandeur de Sillery.
( a ) En Guyenne , pour la conclufîon
de fon mariage avec Tlfifante.
(3) En 1614. Henri de Chateignier
de la Ro^-hepolay , Eyêque de Poitiers,
et fermer les portes de cette Ville au
Prince de Condé , qui vouloît s'en ren^
dre maître.
{ 4) Bullion.
(i) Madame Elifàbeth de France,
(6) Anne d'Autriche.
DE J. A. DE THOU, ^4^
» ne , «Se de l'autre , rabCence de S. M. facilitera Fincendie
» qui eft déjà prêt à s'allumer en Picardie , & en Cliampa-
» gne. Au contraire , fi le Roi refte à Paris , les Provinces éloi-
» gnées refteront tranquiles , & la prefence du Prince retien-
» dra les autres dans le devoir. » J'ajoutai avec une efpece
d'indignation , que toutes les promefles du Hériflbn étoient
fans fondement , puifqu'il n'y avoit rien de plus inconftant
qu'une femme : Qu'ainîi ceux qui répandoient de faux bruits
dans le Royaume , & qui flatoient ainfi les efprits , agiflbient
fort imprudemment. Que des courtifans flateurs, quiofoient
fe charger de l'événement d'une affaire de cette importance ,
n' étoient pas des garands aflez sûrs de cette tranquilité , qu'ils
promettoient avec tant de confiance.
Enfin , ces boutefeux firent rappeller le Débiteur , qui étoit
allé à Coucy^ (i) pour ménager un accommodement , 6c
rompirent entièrement la négociation. Le Débiteur étant de
retour , fut contraint d'approuver le voïage du Roi , dont
ils avoient déjà formé le deffein entre eux. Nous partîmes
donc fous ces mauvais aufpices , & nous trouvâmes à Tours
les députez de nos réformez alfemblez à Grenoble.
Ceux qui avoient confeillé le voyage du Roi avoient afTuré
que les réformez ne feroient aucun mouvement, quelques
follicitations que le Prince de Condé pût employer. Mais
comme il paroifibit qu'ils étoient étroitement unis à ce Prin-
ce , puifqu'ils demandoient dans leur cahier qu'on eût égard
à fes prières , ces impofteurs eurent recours à leurs artifices
ordinaires. Ils dirent que la demande des Députez n'étoit faite
que par quelques féditieux , qui fans la permifllon du Roi
étoient fortis de Grenoble , pour aller à Nifme en Langue-
doc. Que la défobéiffance de ces particuliers rendoit nul tout
ce qu'ils feroient , & leur ôtoit le droit de s'alfembler. Qu'é-
tant ainfi défunis , le Prince de Condé ne pouvoit former
avec eux aucune liaifon préjudiciable à l'Etat , & qu'enfin
le plus grand nombre défaprouveroit la conduite de ces re-
belles ^ & ne communiqueroit point avec eux. On parloit
ainfi , pour foutenir ce que Lefdiguieres avoit écrit î car à
l'inftigation de cette femme, dont je vous ai déjà parlé, il
envoïoit des couriers,qui inftruits par le Herifibn n'appoîrtoient
(i) En i(<iï.
Tome XK Z z z
^^6 PIECES CONCERNANT L'HISTOIRE
que de bonnes nouvelles , & nous pouffoient encore vers
l'abîme, où nous allions de nous-mêmes à grands pas.
Les chofes étant dans cette fituation , & les efprits ainfi
difpofez , nous arrivâmes à Poitiers , où les députez avoient
eu ordre de nous fuivre. Comme leurs demandes étoient
exorbitantes , à peine obtinrent-ils ce qu'il étoit jufte de leur
accorder. Quoiqu'ils eulTent recufé le Heriflbn , comme fuf-
ped , cependant il eut le front de venir à la conférence qui
fe tint chez moi. Sur mon rapport , leur cahier fut difcuté
en prefence du Roi & de la Reine, (i) Le même jour on pu-
blia une déclaration contre ceux qui , difoit-on , avoient pris
les armes. Le Prince de Condé n'y fut pas d'abord nommé ,
à caufe de fa qualité de Prince du Sang ; mais ceux qui por-
toient tout à l'extrême, & qui croïoient que la guerre leur
feroit plus favorable que la paix , n'approuvèrent pas ce mé-
nagement j & fur leurs remontrances , on tint uu confeil fe-
cret , dans lequel il fut réfolu de comprendre nommément
ce Prince dans la déclaration. Moncaffin qui étoit fon enne-
mi déclaré , fut chargé de le faire enregiftrer au Parlement
fans délai, & fans aucune modification.
Vous fçavez ce qui s'eft enfuite pafle dans cette affaire,
puifque vous étiez à Paris. La Majefté Royale , & l'autorité
du Parlement furent impunément compromifes , & expofées
à la rifée publique. Ce fot, ce nigaud , (2) qui préfidoit ,
lorfqu'on apporta la déclaration du Roi , obligea Courtin, qui
étoit rapporteur , & que Moncaffin avoir déjà intimidé par fes
menaces, à figner un enregiflrement pur ôcfimple^ quoique
le plus grand nombre des Confeillers s'y fut pppofé. Il eut
enfuîte l'impudence d'envoyer à la Cour, par le même Cou-
rier, l'Arrêt d'enregiftrement qu'il avoit lui-même fabriqué,
& les motifs fur lefquels le Parlement avoit refufé d'enre-
giflrer la déclaration, qui étoient, comme je l'ai dit, la qua-
lité de Prince du Sang , dont le Prince de Condé étoit re-
vêtu. La conduite de cet homme fut approuvée dans une
cour pleine de fadions , & on le loua de ce que par la
fauffeté la plus téméraire , il avoit enfraint la loi Cornelie ,
pour fatisfaire la paffion de quelques vils courtifans. Dans
.(0 La Reine Mcre, Marie de Medi- 1 /i)Le Premkr Préfidem Nicolas de
<îi5. Verdyq,
DE J. A. DE THOU. 5-47
quel embarras avons-nous été dans la fuite , lorfqu'il a fallu
fe retrader de tout ce qui avoit été fait , & chercher un voile
fpecieux pour couvrir toutes ces indignitez !
Comme je prévoyois tout ce qui eft arrivé , je demandai ;
avant que les députez, fuflent congédiez ^ la permifllon d'al-
ler en Perigord , fous prétexte d'y voir le Vicomte de Bour-
deilles (i) mon bea^-firere , mais en effet , pour ne prendre
aucune part à des démarches fî tumultueufes , & fî violen-
tes. Pendant mon abfence, le voyage du Roi futprefque in-
terrompu par pluiîeurs incidens qui arrivèrent tout à coup.
La maladie de l'Epoufe , (2) jetta toute la Cour dans le
deuil , & l'on fongeoit déjà à lui fubftituer fa fœur Chrifti-
ne. On ne fut pas moins allarmé de la liaifon que le Comte
de Saint Pol qui étoit allé quelque-temps auparavant en Guïen-
ne , avoit formé avec le Duc de Rohan , & les autres chefs
de ce parti. Après avoir communiqué fon deiïein au Duc de
Longueville , (3) chef de fa maifon, & par conféquent au
Prince de Condé , il s'étoit rendu à Fronfac , & enfuite à Cau-
mont, places fortes qui lui appartiennent , & qui peuvent bou-
cher le palfage de la Dordogne & de la Garonne. Il n'avoit
mené avec lui aucun équipage ; ce qui fit dire aux brouillons
de la Cour , qu'il avoit agi fort imprudemment. Montefpan ,
Lauzun, & Grammont, premiers Seigneurs de la Province ;
étant venu le joindre, il traita par la médiation du Sieur de
la Force, (4) Gouverneur de Bearn & parent de fa femme,
avec le Duc de Rohan, & ils convinrent enfemble de join.-.
dre leurs forces, pour empêcher le paflage du Roi.
Dans le même-temps le Père (j) & le Fils {6) fe brouillèrent
& recommencèrent leurs fecretes cabales. Enfin l'époufe re-
couvra fa fanté ; le Comte de Saint Pol changea de deflein ;
& Candale après avoir congédié la nobleffe de la Saintonge ;
& de l'Angoumois qu'il avoit aflèmblée pour recevoir le
Roi , fe reconcilia avec fon père. Ce dernier avoit preffé
avec chaleur le voyage du Roi , ôc la confideration des dan-
gers qui ne regardoient que l'Etat , ne Tavoit pas beaucoup
Ci) Il avoit époufé la fœur du Pré(î-
dent dé Thou.
(2) Elifabeth de France.
(5) Henri d'Orléans II. Duc de Lon-
gueville.
(4) Jacques Nompar de Caumont ,"
fieur de la Force.
(5 ) J ean Louis de Nogaret Duc d'Ef^
pcrnon.
{6)Hemi de Nogarct,Comte deCandale.'
Zzzij
548 PIECES CONCERNANT L'HISTOIRE
touché ; mais dès qu'il s'apperçut qu'on pourroit lui imputer
l'événement de ce voïage , il changea de fentimens. S. M.
étoit encore à Poitiers , lorfqu'il reprefenta au Débiteur qu'il
falloit demeurer dans cette ville : Qu'il étoit plus à propos
de conduire la nouvelle époufe fur la frontière , avec une
nombreufe efcorte , que d'aller plus loin : Que les mêmes
troupes , aufquelles on en joindroit encore d'autres , s'il en
jétoir befoin, efcorteroient la Reine (i) dans leur retour , &
l'ameneroient à la Cour ; mais que fi le Roi alloit plus loin ,
on devoit craindre qu'il ne trouvât de grandes ditïicultez en
.Guyenne.
Le Débiteur lui répondit que dans l'état où étoient les
chofes, il étoit impofTible d'exécuter ce nouveau projet, &
qu'il falloit necejGfairement achever un voyage, qu'on ne pou-
voit interrompre fans compromettre la gloire , & l'autorité
du Roi. Le Père (2) fruftré de fon efperance eut alors des
craintes fi terribles pour l'avenir , qu'il tomba malade , dans
îe temps que le Roi fortoit d'Angoulême. Sa maladie étoit
extraordinaire , il n'avoir point de fièvre j mais ayant l'efprit
aufil abattu que le corps , il ne pouvoir ni parler , ni pren-
dre de nourriture , ou feignoit de ne le pouvoir faire. Tou-
te la Guyenne crut qu'il étoit mort 5 plufieurs s'en réjoui-
rent, d'autres le pleurèrent , comme fi la Religion dont il
avoit fait accroire aux Jefuites qu'il étoit le principal défen-
feur, eût été en danger 5 d'autres enfin fufpendirent leur ju-
gement , pour fe déterminer fur ce qui fuivroit.
Avant mon départ de Poitiers , j'eus une converfation par-
ticulière avec le Débiteur. Après quelques difcours fur les
affaires prefentes, je le prelfai, en lui prenant familièrement
la main , de s'expliquer fur ce qu'il en penfoit. Cet homme
qui fut toujours d'une profonde diffimulation me dit enfin :
» Attendez que l'échange des Princefles ait été faite 5 autant
3> qu'aujourd'hui on appréhende peu la guerre à la Cour, (3)
30 autant on y aura de goût pour la paix. Je pris ce difcours
pour une défaite ; cependant l'événement a prouvé que le
Débiteur parloir férieufement.
La Cour arriva enfin à Bordeaux. Le Père reffentoit tou-
Il ) Anne d'Autriche. j ( i ) II s'agiflbit d'une guerre ciyiJe.
(OUDucd'Erpernon, | %/ &
V
DE J. A. DE THOU. 54P
Jouts les atteintes de fon épilepfie. Je fiiis perfuadé que les
craintes qu'il avoit eues , & dont je vous ai parlé , ont caufé fa
maladie. Cependant plufieurs ont cru qu'il y avoit plus d'af-
fedation que de realité , & qu'il ne feignit cette maladie que
pour fe tirer d'affaire , en cas que l'événement du voyage
du Roi ne répondît pas aux magnifiques promeffes qu'il avoit
faites.
Le mariage ayant été fait par Procureur, quatorze jours
après l'arrivée de la Cour à Bordeaux, l'Epoufe (i) marcha vers
la frontière , avec une nombreufe efcorte , & fous la conduite
du Duc de Guife. Les deux Princeffes furent échangées le p.
de Novembre , & la Reine (2) arriva à la Cour le 2 1 du mê-
me mois. Les époux ayant reçu la bénédidion nuptiale , elle
fit quatre jours après une entrée triomphante dans la ville. On
fit coucher les nouveaux mariez , mais pour la forme feule-
ment , & fans confommation du mariage.
Le même jour le Duc de Nevers , ( 3 ) qui depuis le paf^
fage de la Loire par le Prince de Condé , avoit fouvent écrit
à la Reine (4) , dans la vue de ménager un accommodement,
vint à la Cour. L'Ambaffadeur d'Angleterre (j) s'y étoit ren-
du avant lui. Après que le Roi eut quitté Paris , ce Miniftre
écrivit à notre Dèbiteur^qu'il avoit reçu des inflrudions de fon
maître , au fujet de la paix 5 mais par le confeil du Débiteur qui
l'avoit affuré qu'il n'étoit pas encore temps d'agir , il avoit
diferé de venir à la Cour. Quoique la guerre fût déjà allumée
de tous cotez , cependant on nefe repentoit pas encore d'une
démarche qui avoit coûté tant de peines , & qui devoit être
Il funefte. Ce ne fut qu'après plusieurs conteftations & avec
beaucoup de difficulté qu'on permit au Miniftre Anglois &
au Duc de Nevers d'aller trouver le Prince de Condé, & de
i'affurer que le Roi auroit égard à fes prières. Le Prince étoit
alors à Pons en Saintonge avec les Seigneurs & les chefs de
fon parti. Ils compoferent enfemble un cahier ;, qui fat porté au
Roi.
Après que le Prince de Condé eut paffé la Loire , la Cour
(i ) Elîfabeth de France.
(i) Anne d'Autriche.
(}) Charles de Gonzague-CIeves ,
pue de Nevers,
(4) La Reine Régente.
^5) Le Chevalier Edmonds , Anv-
balîadeur d'Angleterre.
Z z z iij
5-^0 PIECES CONCERNANT L'HISTOIRE
étant encore à Bordeaux , je me plaignis hautement des con-
feils violens de quelques émiflaires nodurnes , & particulier
rement du HérilTon ; car les malheurs publics ne me permet-
toient pas d'avoir le moindre ménagement , enforte que mes
amis m'avertirent fouvent que mes difcours fur la néceffité de
ia paix 3 & la liberté avec laquelle j'agiffois , pourroient m' être
funeftes. Malgré leurs avis , je travaillai avec zélé à ménager
un accommodement j & ayant donné un rendez-vous au Hé-
riflbn dans le jardin de la maifon où je demeurois, qui étoit
aflez grand , je me fouviens que je lui repréfentai^ que fi l'on
nefaifoit au plutôt un accommodement, le Prince de Con-
dé après avoir palle la Loire , fe joindroit aux Proteftans , &
que leur union rendroit l'affaire de la paix plus difficile : Que
d'un côté le Prince feroit tout pour les gagner , & fe ferviroit
d'un moyen fi favorable pour rétablir fon crédit & fe venger
des mépris qu'il avoir elfuïez : Que de l'autre côté les Protef-
tans s'étoient déjà affez déclarez en fa faveur, en priant le
Roi par leur cahier , d'avoir égard aux demandes du Prince :
Que par confequent on ne pouvoit douter qu'ils ne fe joignif-
fent à lui , & ne le reconnuffent pour leur chef ^ fur-tout dans
les circonftances préfentes j où ils le voy oient foutenupar de
bonnes troupes , & par toutes les forces d'une Province fi beî-
liqueufe : Qu'il falloir donc traiter avec lui avant que cette
union fat faite.
Dans le même temps un homme inconnu me rendit une let-
tre du Duc de Bouillon , qui l'avoir lui-même écrite. Elle étoit
dattée du Camp^ & je la reçus à Saint Gervais. Ce Seigneur y
témoignoit beaucoup d'ardeur pour la paix. Dans la crainte
qu'on ne me fit un crime de cette lej:tre, je la montrai fur le
champ au Débiteur , qui demeuroit dans une maifon voifine
de la mienne 5 car je fuis depuis long-temps expofé aux traits
de la calomnie. Comme une légère indifpofition m'empêcha
defortir, le Débiteur me renvoya par un Secrétaire cette let-
tre , après l'avoir fait envelopper & cacheter. Il ne m'en a ja-
mais parlé depuis j mais le Préfident Jeannin à quiil l'avoit
communiquée, m'a dit depuis qu'il l'avoit vue chez le Débi-
teur , & qu il ne falloir pas négliger les bonnes difpofitions où
étoit le Duc de Bouillon.
Ces émilfaires nodurnes , dont je viens de vous parler, di-
DE J. A. DE THOU. 5-5-1
foient que plufieiu'S perfonnes propofoient imprudemment la
paix, tandis que le Prince deCondé ne la demandoit pas. Se
que ce nétoit pas au Roi à la demander, mais à la donner.
La crainte faifoit taire les courtifans -, moi feul perfuadé que îc
inoindre retardement etoit préjudiciable à l'Etat, je répondii
que c'étoit là les difcours & les artifices ordinaires de ceux
qui trouvoient leur intérêt dans les calamitez publiques : Qu'on
devoit convenir que la paix étoit non-feulement avantageufe
au Roi ÔcàTEtat, mais encore néceflaire : Que ce principe
étant certain j on prendroit des mefures (i juftes^ que ni la
négociation , ni le traité ne blefiferoient point le refped dû à la
Majefté du Souverain , 6c ne préjudiciroient en aucune ma-
nière à fes droits.
Le Père d'un fils fufped, (i) connoiffant mes fentimens,
vint familièrement me prendre par les épaules , dans l'appar-
tement de la Reine , & me dit qu'il contribueroit autant qu'il
lui feroit pofTible à la paix , dont on le croïoit cependant fort
éloigné. Il n'oublia pas , lorfqu'il me parla , cette claufe fi fo-
lemnelle , & qu'on faifoit alors retentir de tous cotez : « Pour-
» vu, ajouta-t-il , qu'on ne préjudicie dans cette négociation ,
» ni à la Religion , ni aux droits du Roi. Je fentis fur le
champ ce qu'il vouloir me faire penfer 5 je lui répondis que
je me fouviendrois de ce qu'il venoit de me dire , ôc que
j'attefterois , quand il en feroit befoin , l'ardeur qu'il avoit
pour la tranquilité de l'Etat.
Le Roi fe préparant à partir, la noblelTe de Guyenne, où
tout étoit déjà dans la confufion , fe plaignit de ce que S. M.
dont l'arrivée avoit troublé la tranquilité de la Province , la
iaiiïbit à fon départ fans défenfe , & expofée à tous les maux
de la guerre. « Le Roi; difoient ces gentilshommes , a rec^u-
» de nous toutes les marques du refped, & de l'obéiifance
» que nous lui devons , n'y a-t'il pas quelque obligation de
» fa part de défendre des fujets fidèles, & de terminer par
» la force des armes , ou par un traité , la guerre qui nous
» menace ? C'étoit là mon fentiment 5 mais en vain tous les or-
dres de la ville firent au Roi de trés-humbles remontrances
àcefujet. On n'y eut aucun égard. Quelques-uns ajoutoient ,
que fi le Roi quittoit la Guyenne dans un temps fi fâcheux ^
(0 Le Duc d'Epernon pcre de Candale,
5- 5-2 PIECES CONCERNANT L'HISTOIRE
cette Province étoit perdue fans reflburce,&: que Bordeaux
ouvriroit fes portes dès que le Prince de Condé paroîtroit.
Ces confiderations firent peu d'impreffion fur des efprits que
la crainte ou l'ennui d'un plus long féjour dans cette ville ,
avoient préoccupez. On quitta Bordeaux avec autant de pré-
cipitation , qu'il y avoit eu d'imprudence de fortir de Paris. On
partit quelques jours avant Noël j ce qui fit dire à quelques-
uns, que du moins par refped pour une fête fi folemnelle , la
Cour auroit du fufpendre fon départ.
Le Roi étoit arrivé à Bordeaux le fept d'Odobre , il en
partit le 20. de Décembre. Si vous me demandez ce quife
paflà pendant ce temps-là de plus particulier au milieu des
troubles, & des bruits tumultueux qui agitoient la Cour, je
vous repondrai que Moncaflln , pour récompenfe des fervi-
ces qu'il avoit rendus à Paris, en procurant un faux Arrêt
du Parlement , fut déclaré grand Prévôt de Guyenne. Il avoit
.déjà fait inutilement quelques tentatives pour obtenir cet em^
ploi. Cette Province eft dans le reffort des Parlemens de Tou-
îoufe & de Bordeaux , qui après celui de Paris font les deux
premières Cours fouveraines du Royaume. Le Parlement de
Bordeaux où étoit le Roi , fur les remontrances des Couver^
neurs des places de la Province , refufa abfolument de re-
cevoir MoncaflTin dans cette charge ; mais le Parlement
de Touloufe Ty admit à la foUicitation de Mafurier qui étoit
depuis peu premier Prefident. Ce dernier approuvoit haute-
ment tout ce qu'on avoit fait contre le Prince de Condé ,
Ôc le traitoit de rebelle , & de fauteur des Religionnaires ,
( c'eft le nom qu'on donne à nos Proteftans. ) Je ne puis
vous dire fi Moncaflln fera reconnu dans les paï's de Confe-?
rans, d'Aufch, & de Comminges ; la fuite des chofes nous
l'apprendra. Comme tout étoit alors dans le défordre , ôc
que les Gouverneurs étoient occupez à d'autres affaires , il
fut facile à Moncafiin de fe faire recevoir au Parlement de
Touloufe , qui lui accorda cet emploi pour trois ans.
Il y eut encore à Bordeaux ^ & fous les yeux du Roi , m\
attentat inoui , qui partoit de la plus audacieufe témérité.'
Le parlement de cette ville étoit prêt à juger le Procès d'un
certain gentilhomme ( i ) qui étoit açcufé de plufieurs crj-
(i) Nommé Hautcaftel.
DE J. A. DE THOU; ^ff
me5,& dont par grâce on avoit fufpendii depuis long-temps
la condamnation. Enfin la Cour alloit rendre contre lui un
Arrêt de mort, lorfque le Cardinal de Sourdis, à la prière
,du Sieur de Themines , demanda au Roi la grâce du crimi-
nel. Le Prélat s'étant vanté de l'avoir obtenue, le Parlement
alla faire des remontrances au Roi & à la Reine , leur ex-
pofa le fait , & obtint la permilllon de continuer le Procès.
Le criminel fut condamné dès le lendemain , & de crainte
que l'appareil de fon fupplice n'excitât dans la ville quelque
tumulte j le Parlement ordonna que ce gentilhomme feroit
exécuté dans la prifon. Mais le cardinal fans s'embarafler
des ordres de leurs Majeftez , raflembla le plus grand nom-
bre qu'il put de gentilshommes, qui la plupart ignoroient
fon deffein , 6c vint à la prifon avant que le Boureau y fût
entré. Le Concierge (i) qui étoit honnête-homme , ôc qui
même étoit connu du Cardinal , aïant refufé de lui ouvrir les
portes , on les força aufll-tôt. Le Concierge fut tué, ôc tomba
mort aux pieds du Prélat. Le criminel fut enlevé, ôc échapa
ainfi au fupplice qu'il mcritoit.
Une entreprife fi téméraire , ôc fi violente bleffoit l'autorité
Roïale. Toute la Cour en fut émue , ôc l'on demanda de
tous cotez vengeance d'un coup fi hardi. Le Renard , (2)
félon fa coutume , en parut d'abord indigné , ôc dit haute-
ment qu'il puniroit d'une manière éclatante l'outrage fait à
la Majefté du Roi , ôc qu'il feroit tout ce que le devoir
de fa charge exigeroit de lui. Sourdis fut même contraint
de fortir hors de la ville j mais quelques jours après , le
Parlement ayant rendu contre lui un Arrêt par (3) contumace ,
on vit bien-tôt le Nonce du Pape intervenir en faveur du
Cardinal. Il fut défendu de le citer à fon de trompe dans
le Marché public , comme il eft d'ufage , ôc l'on permit feu-
lement de le faire clamer par un HuifTier aux portes de l'Ar-
chevêché , ôc fans bruit. Le Parlement continuant fes pourfui-
tes, le Nonce fçut enfin les arrêter, ôc le Renard contre la
parole qu'il avoit donnée , fit ôter au Parlement la connoif-
fance de cette affaire. Ces courageux Antagoniftes de la Ma-
jefté Royale , firent pieufement fignifier au Nonce que le Roi
(1) Nommé Caftets. 1 (3) Un décret de prife de corps.
{2.) Le Cha,nccr?er de Sillery.' 1
TçmeXK Aaaa
5f4 PIECES CONCERNANT L'HISTOIRE
en agifToit ainfi , par refped pour le Pape , & <iue quelque
neceffité qu'il y eût de ne pas laifler cet attentat impuni ,
S. M. aimoit mieux diflimuler l'injure qui lui avoit été fai-
te , & paroître négliger fes droits , que de ne pas déférer aux
prières qui lui avoient été faites au nom du fouverain Pon-
tife. Ainfî le Pape s'étant attribué la connoiflance de cette
affaire :, affeda quelque feverité pendant un certain temps ,
& interdit au Cardinal la célébration des Saints Myfteres >
mais de fa pleine puiffance , il lui remit bien-tôt cette pei-
ne. Ce Prélat triomphe en quelque façon du Roi & de fes
Magiftrats, & dans i'inftant que je vous écris, il faitfon en-
trée dans la ville , prêt de commettre encore un pareil at-
tentat, & de fouler aux pieds , fi l'occafion s'en prefcnte, la
Alajeiié Royale j pour établir de plus en plus l'autorité Pa-
pale.
Enfin , il n'y avoit à la Cour , ni fincerité, ni prudence , ni
ordre : il fembloit que l'on y combattoit à l'aveugle; au lieu
d'attaquer l'ennemi , nous portions les coups les plus funeftes à
nos amis. Cen'étoit que dilTimulation, & que fourberie j tout
étoit dans la confufion & le défordre. Le Renard (i) fe fervant
de ^^% artifices ordinaires , croïoit élever fa fortune par fon indi-
gne politique , & faire fes affaires aux dépens de l'Etat. Cepen-
dant fur les fréquentes conférences que le Débiteur avoit à
des heures indues avec Canidie , (2) on prévoïoit que les
chofes changeroient bien-tôt de face , & l'on commenqoit à
croire qu'ilm'avoit parlé férieufement danslaconverfation que
j'avois eue avec lui à Poitiers. Les curieux remarquoient toutes
ces circonilances 5 mais pour moi , comme j'ai peu de curio-
lité , je n'allois chez le Débiteur que rarement , & feulement
lorfque l'occafion s'en prefentoit^ quoiqu'il fût mon voifin.
Moins oifif , qu'accablé d'ennui & de chagrin de voir le
Royaume dans une fi trifte fituation , je reftois chez moi.
Plufieurs de mes amis venoient m'informer de ce qui fe paf-
foit , quelque peu d'envie que j'eufie d'entendre des nou-
velles fi fàcheufes. Le Cardinal de Sourdis même me ren-
doit quelques vifites : & quoiqu'il eût des fentimens très-op-
pofez aux miens 5 cependant comme il efl mon parent , il me
parloit fort familièrement, & avec beaucoup de liberté , des
CO Le Chancelier de Siilery.. (i) La Maréchale d'Ancre.
DE J. A. DE THOU. 5'^fr
affaires d'Etat. Il avoit fait ôter au Sieur de la Force le gou-
vernement de Bearn , dont le Comte de Grammont avoit
cté pourvu. Le Fevre , Sieur de Caumartin , qui vouloit
faire fa cour , follicita avec beaucoup d'empreflèment la
commilîlon d'aller porter les nouveaux ordres dans cette
Province , & le Cardinal de Sourdis le prefenta à la Reine.
Le Fevre étant prêt à partir pour le Bearn , vint me dire adieu.
Il me communiqua les ordres dont la Cour l'avoit chargé >
Se me demanda mon fentiment. Comme l'affaire étoit entiè-
rement conclue , il étoit hors de faifon de lui faire voir tout
ce que j'en penfois. Je lui prédis feulement que fon voïage
feroit inutile. En effet , comme la Force avoit la faveur des
peuples, on devoir conjedurer qu'il fe foutiendroit contre
tous les efforts de fon ennemi qui n'avoit pas beaucoup de
partifans.
Le Sieur de Vie ne fut pas plus heureux dans le voyage
qu'il fit à Montauban en Querci , pour détacher cette ville de
la fadion des Proteftans affemblez à Nifmes. Je dis à l'un & à
l'autre qu'il falloir fonger à la paix , ôc appliquer le remè-
de à la racine du mal , plutôt que de faire tant de démar-
ches inutiles : Qu'ainfi l'on devoit traiter fans délai avec le
Prince de Condé , & prévenir l'union qu'il étoit prêt de
faire avec les Proteftans de Nifmes. Lorfque je donnois des
avis fi falutaires , il étoit encore temps de s'en fervir. Le
Prince de Condé ne s'étoit pas encore joint à nos Réformez j
car il y eut un mois d'intervalle entre le paffage de la Loire ,
& le traité de Sanfay en Poitou. Pendant tout ce temps-là ,
je fis mon pofûble , pour faire mettre à profit des inftans fi
précieux, ôc outre le premier entretien que j'eus à ce fujet
avec le Hériffon , & dont je vous ai rendu compte , je lui
répétois à tous momens la même chofe j mais je parlois à un
fourd.
Le bruit courut qu'André de Nefmond premier Préfident
au Parlement de Bordeaux étoit mort. On fongea aufli-tôt
à lui donner un fucceffeur. Pour faire croire que dans le
choix des Magiftrats , on avoit à la Cour quelque égard pour
!e mérite & la vertu, le Renard vous propofa , comme un
fujet digne de remplir cette place. On parla enfuite d'Ol-
A a a a ij
^^(f PIECES CONCERNANT L'HISTOIRE
lier, & enfin de celui (i) à qui la fortune, & la faveur ont
donné cette dignité. Mais tous ces difcours n'étoient qu'un
jeu , & une comédie. Nefmond vivoit encore alors , & Ton
ne reçut la nouvelle de fa mort qu'à Poitiers. Dès qu'il fal-
lut agir férieufement , on lança fur vous les traits de la
plus noire calomnie , & l'on ofa propofer des doutes fur la
iincerité de votre Religion. De Vie, à qui l'on demanda fon
fentiment, fit éclater l'indignation , qu'un foupçon fî mal fon-
dé lui caufoit , & répondit que c'étoit là les artifices ordinai-
res des gens mal-intentionnez. Ses remontrances furent inu-
tiles. Vous fûtes rejette , & le Roi de fa pleine puiflance ,
fit don de la charge de premier Préfident à celui dont je
viens de vous parler. Canidie agit dans cette affaire en fa-
veur de ce dernier, & le Renard n^ofa lui réfifter.
Tout cela fe paffa à Bordeaux. Suivons le Roi dans fon
retour. Il paffa avec la Reine les fêtes de Noël à Aubeterre ;
il vint enfuite à la Rochefoucault , où il trouva l'Ambaffa-
deur, (2) & le Duc deNevers. Ils avoient amené avec eux
François de Damas feigneur de Thianges , qui étoit chargé
par le Prince de Condé , & par les feigneurs de fon parti ,
de demander la paix au Roi. Les Emiffaires nodurnes qui
s'étoient fîatez que le Prince ne feroit pas cette démarche ,
débitoient malicieufement que fa foumifllon étoit une mar-
que de fa foibleffe , & de fa crainte. Ces gens qui croïoient
que la guerre feroit avantageufe à leur fortune , faifoient
tous leurs efforts pour empêcher un accommodement ; mais
on commençoit à reconnoître le danger , & depuis les fré-
quentes conférences du Débiteur, avec cette Canidie de la
Cour , on ne prêtoit plus fi facilement l'oreille aux confeils
violens. Ainfi Thianges fut bien reçu , & en le congédiant,
on lui fit efperer que dès que le Roi feroit arrivé à Poi-
tiers , on travaillerroit férieufement à un accommodement;
Je quittai Bordeaux trois jours après que le Roi en fut
forti. Je ne fuivis point la route que la Cour avoir prife ,
tant parce que les chemins étoient remplis de Troupes, que
parce que les Auberges font peu commodes î mais je paf-
fai , fans rien craindre , par la Saintonge avec ceux qui vou-
lurent m'accompagner j & je gagnai Poitiers par cette route.
(0 Le Préfident de Gourgues- (i) D'Angleterre.
DE J. A. DE T H ou. ^j7
Xe premier jour de notre voyage , Luflan qui nous condui-
foit , nous fit arrêter à Blaye , & nous regala fplendidement
pendant deux jours dans le château de cette ville. Peu de
temps auparavant , on en avoir fermé les portes au Duc de
Nevers j car Luflan avoir défendu à fa garnifon de ne rece-
voir perfonne dans la place , fans fa permiillon. Il me pria
de faire fes excufes au Duc , & de lui protefter qu'il avoir été
fâché de ce que ce Prince ne l'avoir pas averti de fon dé-
part , & du deiTein qu'il avoit pris de pafler par Blaye.
Ayant reçu des lettres de Jarnac , & de Mons , je me
remis en chemin , & n'arrivai à Pons que fort tard. On m'y
reçut avec totite ma compagnie de voïage. Le lendemain
veille de Noël , j'arrivai à Saintes. J'appris dans cette ville
ie traité que le Prince de Condé avoit fait un mois aupa-
ravant avec les Proteflans à Sanfay en Poitou. Les Emi flai-
res nodurnes avoient empêché par leurs artifices que cette
nouvelle ne fe répandît à la Cour. Pernay gouverneur de
Saintes me montra les articles de ce traité , qui étoit devenu
pubUc , & qu'on avoit même imprimé.
Ayant pafle le jour de Noël chez l'Evêque , je gagnai Saint
Jean d' Angely. Les Païfans s'enfuy oient devant moi , & les
habitans des villes venoient en foule me recevoir à leurs por-
tes , comme Commiflaire de fa Majefté. Ils s'imaginoient que
j'étois chargé de faire la paix , ôcTon ne me demanda pas les
pafle-ports que le Duc de Nevers m'avoit donnez. Ayant
trouvé à faint Jean d' Angely une efcorte que le Duc de Bouil-
lon avoit envoyée au-devant de moi , je partis dès le lende-
main avec toute ma compagnie 5 & ayant pafle par Fors , j'ar-
rivai le 28 de Décembre à Niort. Les mauvais chemins m'em-
pêchèrent de faire ce trajet en un feul jour. Parabere gouver-
neur de cette place , qui étoit un homme de courage , me
reçut à bras ouverts. Il étoit Roïalifl:e déclaré , & s'étoit joint à
du PleflTis Mornay , gouverneur de Saumur , à Marly de Braf-
fac gouverneur de Châtellerault , à Conftance gouverneur
du Château de Maran & à quelques autres , qui quoiqu'en
petit nombre avoient imité l'exemple du Maréchal de Lefdi-
guieres , & refufé de figner le traité du Prince de Condé avec
ies Proteftans.
Le Duc de Bouillon partit du Camp de faint Symphorien &
Aaaa iij
'^j8 PIECES CONCERNANT L'HISTOIRE
vint nous y trouver^ comme ami de Parabere. S'il n'en eût
pas été connu , on lui auroit fermé les portes de Niort , com-
me on avoit fait au Prince de Condé. Tous les Roïaliftes y en-
troient librement j mais ceux qui fuivoient le parti du Prince ,
n'y étoient reçus que lorfqu ils avoient des connoiflances ôc
des amis dans la place. Nous eûmes fur l'état préfent des af-
faires une converfation de deux heures , à la fin de laquelle
nous convînmes tous que les deux partis avoient également
befoin de la paix , & que celui qui rejettroit l'accommode-
ment , fe rendroit odieux à tous les ordres du Royaume. Pa-
rabere nous fit fervir à dîner dans le Château. Le fieur de
Soubife, frère du Duc de Rohan , la Boulaye , Rainville, &
quelques autres Officiers s'y trouvèrent. Le lendemain après
avoir dîné dans le même endroit , nous demandâmes des paf-
feports à Parabere. Dans ce moment , quelques paroles que
dit le Duc de Boiiiilon donnèrent lieu à Fentreprife que forma
le Duc de Guife. Vous en avez entendu parler 5 la Cour comp-
toir beaucoup farce deilein. En quittant Parabere , avec qui
j'avois eu une converfation fecrete , que je devois rapporter
à la Reine , il me pria de venir coucher le lendemain à fon
Château de S.aint Eloy , dont il vouloit me montrer les jar-
dins & les nouveaux embelliiTemens qu'il y avoit fait faire. J'y
confentis volontiers, & le Duc de Bouillon dit qu'il vouloit
y venir auiîi avec moi pour voir les délicieux jardins de cette
maifon. Ces dernières paroles furent entendues par un gentil-
homme que le Duc de Guife avoit envoyé à Parabere , & qui
les rapporta aulTi-tôt à fon maître. Sur cette nouvelle, le Duc
aiTembla des troupes avec beaucoup de diligence &fans bruit.
Le Duc de Bouillon monta dans moncaroffe, & nous vîn-
mes enfemble à Saint Maixant. Nous parlâmes en chemin de
la fituation où étoit le Royaume , & il s'élevoit de temps en
temps entre nous quelques légères conteftations à ce fujet.
Nous convenions à la vérité que la paix étoit néceîTaire aux
deux partis. Nous ne doutions pas que cette négociation ne
fat très-difficile ; mais nous étions de différent fentiment fur
les moïens dont il falloit fe fervir , pour lever tous les obftacles
quis'yoppofoient.
Je faluai à Saint Maixant le Prince de Condé , qui avoît une
Cour aufn nombreufe que celle du Roi. Mes amis m'ayant
DE J. A. DE THOU. 57^?
demandé ce que je penfois à la vue de ce grand nombre de
gentilshommes, je leur repondis que j'étois ravis de voir le
Prince en fi bonne compagnie 5 mais qu'elle me plairoit da-
vantage, fi comme j'efperois le voir bien-tot, ce Prince lui-
même accompagnoit Sa Majefté. Je faluai auffi les Ducs de
Aiayenne & de Longueville , que nous avons vus & connus
particulièrement dans l'Aflemblée de Soitlbns , & à Sainte
Menehou. (i) Je vis auffi le Duc de Sully , qui ayant été
long-temps indéterminé fur le parti qu'il devoit prendre , &
voyant que la Cour le trompoit , s'étoit jette du côté du
Prince de Condé , & l'avoit reçu dans fa ville avec des trou-
pes. (2)
Dès la première entrevue, le Prince de Condé parla de
cette nouvelle exadion (3) que les Magiftrats, au grand pré-
judice de l'Etat , font obligez de payer tous les ans. Il promit
de faire tous fes efforts pour procurer la nécelTité de fupprimer
un impôt fi odieux,&aflura avec confiance qu'il réùillroit dans
fon defiein. Je lui repréfentai que l'épuifement Aq^ Finan-
ces , la corruption des mœiu's & l'avidité des courtifans étoient
des obflacles fi puiffans à fes bonnes intentions , qu'on n'ofoit
efperer une reforme Ç\ néceflaire que tous les ordres du Royau-
me fouhaitoient avec ardeur. Le Prince me répondit qu'il ne
feroitla paix qu'à cette condition. En effet, il demanda dans
les articles généraux qu'il propofa , la fuppreiîlon de cet impôt j
& dans les commencemeiis de la conférence , on infifla fur ce
chef avec l'empreffement le plus fpécieux > mais cette propo-
fition fut négligée & abandonnée enfuite avec autant d'impru-
dence que de foibleiïe.
Je devois dîner feul dans le Château chez le Duc de Sul-
ly h mais le Prince de Condé , les Ducs de Bouillon & de
Rohan , & Monfieur de Soubife vinrent fe mettre à table.
Thenon Secrétaire du DucdeNeyers arriva dans le même
temps. Le Prince de Condé , & tous les Seigneurs de fon parti
prenoient peu de précautions pour leur fureté , ôc agiflbient
comme fi la conférence avec les Roïaliftes eut été arrêtée v
(1) En 1^14. on y fit un traité, qui
termina ks premiers troubles , caufez
par roppofition du Prince de Condc au
mariage du Roi.
(2) Tous ces Seigneurs s'étoient liguez
pour la guerre du bien public.
(3) LaPauiettç.
j6o PIECES CONCERNANT L'HISTOIRE
inais Thenon rapporta que les chofes n'étoient pas fi avau*»
cées, parce que la Cour refufoit de regarder comme une aflem-
blée légitime le corps des Proteftans , qui avoient quitté Gre-
noble , fans l'agrément du Roi , pour aller en Languedoc. Jo-
fias Mercier des Bordes, qui étoit un habile négociateur, le-
va cette difficulté , en difant que les Proteftans qui s'étoient
unis au Prince de Condé/eroient fatisfaits il l'on appelloit cette
alîemblée , l'aflemblée de Nifmes.
Pendant qu'on déliberoità ce fujet, après avoir demandé
un pafteport , je me retirai fans bruit , & j'arrivai à Saint Eloy
fur la fin du jour. Cette nouvelle affaire , qui étoit furvenuë
tout à coup , empêcha le Duc de Bouillon de venir avec moi >
& perfuadé que ceux qui ne vouloient pas la paix , avoient
cherché ce prétexte , pour empêcher un accommodement ,
il fe rendit à fon camp par un autre chemin que celui de Saint
Eloy. Le Duc de Guife croïant que le Duc de Bouillon étoit
dans cette maifon de plaifance , & fçachant que le Prince de
Condé & les autres chefs de fon parti étoient dans une entière
fécimté , s'avança avec fes troupes à la faveur des ténèbres.
Il envoya quelques foldats vers Saint Eloy , pour fçavoir ii le
Duc de Bouillon y étoit arrivé , ôc il ordonna à un détache-
ment de faire un circuit pour s'emparer par derrière de Pont
de Vaux , qui eft au-delà de Saint Maixant, & par où le Prin-
ce de Condé devoir paffefj pour aller à fon camp. Si cette
entreprife eût reûifi (comme le Duc de Guife & la Princefle
de Conti fafœur en avoient flaté la Cour) on croit que ce
feul coup auroit accablé le parti du Prince de Condé. On au-
roit enlevé le Duc de Bouillon , qui en étoit un des princi-
paux chefs, & le Prince avec la plupart des Seigneurs qui s'é-
toient attachez à lui , auroit été au(li-tôt affiégé dans faint Mai-
xant , qui n' étoit qu'une mauvaife place , où ils n'auroient pu
recevoir de fecours , puifque le paflage de Pont de Vaux étoit
bouché. Maisheureufement le Duc de Bouillon, fanspafler
par Saint Etoy s'étoit rendu au camp. Le Prince de Condé
& le Duc de Longueville ayant été informez de l'approche
des Roïaliftes avoient paffé le Pont , & y avoient mis des
gardes , ainfi l'entreprife du Duc de Guife échoua. Ses troupes
refterent en armes pendant quarante heures , & fouffirirent
Inutilement ^ avec la fatigue d'-iuie longue marche la faim ôc
k
DE J. A. DE T H O U. ^61
le travail d'une nuit fi fôcheufe. Les Ducs de Mayenne & de
Sully étoient reftez à Saint Maixant , dans la réfolution de fe
défendre , s'ils y étoient afilegez ; mais comme Condé , Lon-
gueville & Bouillon, qui s'étoient échappez pouvoient venir
au fecours de la place , le Duc de Guife ne jugea pas à propos
de tenter un fiége , dont l'événement étoit fi incertain.
Tandis que toute la campagne voifine retentiflbit du bruit
des armes, je dormois tranquilement à Saint Eloy , ôc ce tu-
multe ne m'éveilla point. Ma femme qui fçav oit qu'on n'en
vouloit qu'au Duc de Bouillon , & que le Duc de Guife ne
nous attaqueroit pas , puifque Bouillon étoit abfent , empêcha
qu'on m'éveillât. Le lendemain j'eus une violente colique y
ma patience m'a accoutumé à cette maladie , qui cependant
m'empêcha de partir. D'ailleurs je voulus fçavoir quel parti le
Duc de Guife prendroit. Ayant appris qu'il fe retjroit , je me
mis en chemin le premier de Janvier. Après avoir pafle par
Pamprou, j'arrivai à Lufignan le même jour, & deux jours
après à Poitiers. Le Roi , la Reine & toute la Cour , n'arrivè-
rent dans cette ville que le cinq de Janvier. Dès que la Rei-
ne (1) me vit, elle me demanda (i j'avois palfé une bonne nuit
à Saint Eloy ; je lui répondis que je n'avois été informé que le
lendemain , de ce qui étoit arrivé pendant la nuit. Elle me
parla enfuite de Parabere. Je m'acquittai de la commiffion
dont il m'avoit chargé , & j'alTurai Sa Majefté de la fidéUté de
ce Gouverneur.
On commençoit à fe repentir d'un voyage fait avec tant de
précipitation. Alors les auteurs de ce pernicieux confeil de-
vinrent odieux , avec d'autant plus de fondement qu'on eut
quelques foupçons de leurs fecretes cabales. Sauveterre Cham-
bellan du Roi fut chaiïe de la Cour. Le médecin de l'Orme
le fils eut aufll ordre de fe retirer, avec menace de le faire
pendre, s'il n'obéïllbit au plutôt. Ce fut Barbin, homme dé-
voué à Canidic , qui fignifia de grand matin à de l'Orme un
ordre fi fâcheux.
Ainfi tout fe difpofoit à la négociation. L'Ambafladeur
d'Angleterre & le Duc de Ne vers furent envoyez vers le Prin-
ce de Condé, Dès qu'ils furent revenus , le Débiteur & le Ma*
(i) La Reine Mcrc Régente.
TomeXK Bbbb
^62 PIECES CONCERNANT L'HISTOIRE
réchal de Briflac fe rendirent auprès de lui pour faire une tré*^
ve , & fixer le lieu & le temps de la conférence. Ils avoient
efperé trouver le Prince à Saint Eloy 5 mais il les fit venir à
Niort 3 & enfuite à Eontenay-le-Comte. Parabere incertain du
fuccès de cette affaire , fit en forte que la conférence ne fe
tînt point chez lui.
Le Débiteur , avant que de partir, étoit convenu avec Ca-
nidie qu'on exileroit le maître Laron. (i) Villeferin lui flgni-
fia vers le foir un ordre de fortir de la Cour. Comme il s' étoit
flaté que fon AmbafTade d'Efpagne auroit une autre recom-
penfe , il fut accablé par ce revers imprévu. Il fît les plus hum-
bles prières , pour obtenir la permiiTion de parler au Roi 5
mais cette grâce lui fut abfolument refufée. On regarda avec
indignation ceux qui l'avoient fuivi en Efpagne , & quelques
uns d'entr' eux furent maltraitez. Le Renard fon frère eut or-
dre de refier à la Cour & d'y continuer les fondions de fa
charge. Il avoir eu des momens de faveur ; mais depuis ce
temps-là fon crédit diminua tous les jours. Le Hériflbn qui
étoit fon parent & fon ami eut part à fa difgrace. Il efpéroit un
congé honorable , mais toutes fes efperances s'évanouirent
avec le temps.
Guron 3 qui étoît un émifTaire de cette caballe , dit alors
afrezàpropos:j> Que Dieu nous garde des vifites du matin
» de Barbin , & de celles du foir de Villeferin. ^^ Ce mot fut
fatal à fon auteur j car dès le lendemain Barbin lui rendit une
fâcheufe vifite , dans laquelle il lui fignifia un ordre de fe re-r
tirer.
Une révolution fi fubite caufa quelque émotion dans l'et
prit des Courtifans. Le voifinage de l'armée ayant produit
des maladies dans la ville , le Roi fit annoncer fon départ pour
Tours. Le froid devint tout-à-coup fi exceiTif que prefque ton*
tQS les vignes furent gelées , fans aucune efpérance de ven--
dange.
Le Débiteur trouva à Eontenay-le-Comte le Roi qui alloît
à Châtellerault Feignant d'ignorer tout ce qui s' étoit fait pen-
dant fon abfence , il alTura le Renard qu'il n'y avoir aucune
part , & parut avoir pour lui la même confideration qu'au-
paravant. Le Renard ufa aufTi de diffimulation , 6c perfuadç
1 1 ) Le Commandeur de Sillery,
D E J. A. D E T H O U. yfiT^
ique pour foutenir fa réputation, il devoit faire croire qu'il
étoit toujours en bonne intelligence avec le Débiteur, il fei-
gnit d'ajouter foi aux difcours de ce dernier ; mais leur po-
litique ne trompa perfonne , les fujets de leur défunion étoient
trop connus, Ôc quoiqu'ils parulTent amis , on fut perfuadé
qu'ils ne l'étoient pas.
Je partis un jour avant le Roi , avec ceux qui avoient pris
comme moi la route de Saintonge. Je fouffris fur cette route
en quatre jours de marche plus d'incommoditez que je n'en
avois fouffert dans tout ce que j'avois auparavant fait de che-
min. Ayant été expofé à un froid piquant pendant la nuit , &
au milieu de la neige , ma colique , que Fhabitude me fai-
foit trouver moins violente , fe renouvella avec les douleurs
les plus aiguës, en forte que j'en fus incommodé, tant que
je reftai à Tours.
Le temps fixé pour la conférence de Loudun approchoit.
Outre le Maréchal de Briflac & le Débiteur, je fus nommé
pour y aififter avec Mery fieur de Vie & le Comte de Pont-
chartrain. On ne me fit cet honneur , que par une bienféance
politique , & pour ne me pas faire une nouvelle injuftice , après
avoir été fi maltraité par le Renard , dans tout ce voyage.
De Vie, qui étoit intime ami du Duc d'Epernon, fut nom-
mé pour diffiper les foupçons de ce Seigneur , & Pontchartrain
qui avoir contribué au rappel du Débiteur, (i) & qui avoir
fait rompre la négociation de Coucy , ne fut envoyé à Loudun,
que pour lui donner l'occafion de réparer le mal qu'il avoir
fait. Un homme vint de la part du Renard m'annoncer que
j'étois nommé CommifTaire. Ainfi celui qui jufqu' alors m'a-
yoit traité avec tant de mépris , voulut fe faire un mérite
auprès de moi de l'honneur qu'on me faifoit , comme fi j'eulfe
dû lui en avoir obligation.
Etant prêt de partir , la Reine , à qui le Débiteur avoit affuré
que j'avois une étroite liaifon avec le Duc de Bouillon , m'or-
donna de Taffurer de l'affedion de leurs Majeftez pour lui ,
6c de l'exhorter à la paix, qu'elle me parut fouhaiter avec beau-
coup d'ardeur. Canidie , qui avoit un appartement à côté de
îa Reine , m'envoya Barbin pour me prier de paffer chez elle,
( i) Pontchartrain avoit fait rompre la i toit avec le Prince de Condé.
ÊQiiference de Coucy , où Viileroy trai- l
Bbbbij
5?4 PIECES CONCEk^ANT L'HISTOIRE
Elle me répéta ce que la Reine m'avoit dit , & me promît
qu'elle feroit caution envers le Duc de Bouillon de toutes
les promefTes de fa Majefté.
Après quelques momens d'entretien , la converfation tom-
ba fur le lieur de Dole. Canidie faifoit tous fes efforts pour faire
croire qu'il n'a voit eu aucune part au projet d'arrêter le Prince
de Condé & le Duc de Bouillon, & que ceux mêmes qui
avoient découvert au Prince le complot qu'on formoit contre
lui , en étoientles auteurs. Cette entreprife avoit été formée,
dans le temps,que l'Affemblée des Chambres du Parlement
déliberoit fur les affaires de l'Etat ; le maître Larron étoit alors
en Efpagne. La Reine étoit préfente lorfque l'on propofa un
coup fi hardi. Ce confeil violent contribua beaucoup aux trou-
bles qui fuivirent 5 car d'un côté le Prince de Condé & les-
Seigneurs de fon parti , ne fe crurent pas en fureté à la Courv
& de l'autre , il étoit auïïi dur pour eux d'en fortir , que d'être
bannis hors du Royaume. Canidie ne nommoit pas les au-
teurs de ce confeil ; mais elle les défignoitaffez , en affûtant que
fon mari , Dolé & le Hériffon n'y avoient eu aucune part. Ainfi
elle accufoit les autres , & fo'utenoit que ces traîtres , par l'avis
trop précipité qu'ils avoient donné au Prince de Condé, avoient
voulu gagner fes bonnes grâces, & faire retomber fur des per-
fonnes quin'étoient pas coupables, la haine qu'eux feuls méri-
toient. Elle me dit que la Reine vouloir abfolument que le
Prince de Condé ne parlât plus de Dolé , & qu'il fe con-
tentât à ce fujet de l'exil du maître Larron & du Hériffon, En-
fin elle me pria très-inftamment d'infinuer au Duc de Bouillon;
que la Reine l'ordonnoit ainfi. Mais la mort de Dolé , que
fes emportemens & fa brutalité rendoient également odieux:
aux deux partis , prévint la conteftation qui fe feroit fans doute
élevée à ce fujet.
Malgré la rigueur de l'hyver nous nous rendîmes tous a
Loudun. Perfonne ne nous vint recevoir , quoiqu^on eût dû
le faire , par refped pour le Roi que nous reprefentions. Le
Prince qui étoit abfent lorfque nous arrivâmes, nous en fit
fes excufes, & rejetta cette faute fur le Duc de Sully Gou-
verneur de la Province , qui étoit dans la ville. Le Duc , pouc
s'excufer à fon tour , nous dit qu'il n avoit pas été averti de
notre arrivée , & que s'il en eût été informé , il n'auroit pas
D E J. A. D E T H O U. '^g{
lYiatiqué à fon devoir. Il ajouta, que les Maréchaux des logis
du Roi étant arrivez avant nous , pour préparer une maifon
aux Commiflaires de Sa Majefté, le Prince de Condé s'y étoit
oppofé , & avoit voulu que les logis fuflent marquez par feg
Fouriers , parce qu'il étoit maître de la ville. Ce contretemps
fut caufe que nous eûmes des logemens fort incommodes,
(ituez en differens quartiers & dans des rues fi étroites , que
malgré le mauvais temps & le froid , nous étions obligé d'aller
à pied chez le Maréchal de BrilTac & chez le Débiteur , ou
nous nous aflemblions ordinairement.
Après quelques délais plus affedez que tieceflaires, pendant
lefquels les foldats pilloient impunément , & levoient des con-
tributions de tous cotez , l'on ouvrit enfin la conférence chez
la Comtefle de Soiiïbns. ( i ) Le Roi l' avoit fait venir de Paris ,
avec la Duchefle douairière de Longueville , (2) & avoit en-
gagé ces deux Princefles à aflifter à la conférence. La Com-
tefle de Solfions y étoit encore venue à la prière du Prince
de Condé. Elle avoit beaucoup de pouvoir fur fon efprit ,
& elle fit tous fes efforts pour le difpofer à un accommode-
ment. Quant à la Duchefle de Longueville, elle tâcha de
modérer par fes fages confeils la vivacité de fon fils.. Le Prince
de Condé \^ulut que l'on tînt les aflemblées dans la maifon
où demeuroit la Comtefle.
Je ne vous parle point de la contefl:ation qui s'éleva d'abord
fur les pouvoirs que le Roi avoit donnez à fes Commiflai-
res. On convint enfin qu'ils n'étoient pas fufïifans , & qu'il
étoit neceflaire de les étendre davantage. Le Prince de Con-
dé propofa enfuite fes demandes , & les Députez de fon parti
foutinrent qu'il falloit difcuter ces articles , avant de les mettre
par écrit. Nous foutinmes le Contraire , & après une difpute
afîez vive , on arrêta qu'ils écriroient leurs demandes , 5C
que nous y répondrions par écrit. Il y avoit en tout vingt-neuf
articles qui furent enfuite réduits à un plus petit nombre.
Le Prince demanda d'abord qu'on informât de nouveau
contre les coupables & les complices du meurtre du Roi
Henri le Grand , Ôc qu'on adrefsât à cet effet des Lettres Pa-
tentes au Parlement. Les Protefl:ans avoient demandé la mê-
(i) Anne Comteffe douairière de Soif- 1 {i) Catherine de Gonzague-CIeves-
Bbbb ii)
^66 PIECES CONCERNANT L'HISTOIRE
me chofe à Poitiers ; ce qui fit paroître la demande du Prince
plus odieufe. On parla à ce fujet de part & d'autre fort vive-.
ment. Nous repréfentâmes que c'étoit accufer de négligence
& de prévarication les plus fidèles fujets du Roi , que de de-
mander fi inftamment la vengeance de ce crime , comme
s'ils n'avoient pas eux-mêmes aiTez d'intérêt de la pourfuivre.
Nos adverfaires répondirent qu'on avoit intercepté des lettres
du Procureur Général au Renard ? par lefquelles il paroifibit
bien que cette affaire étoit négligée , & qu'on n'agiflbit pas
de bonne foi par rapport à l'accufation intentée par cette
femme (i) que la Reine Marguerite a, comme vous fçavez ,
traduite en juftice : Que ceux qui étoient nommez avoient
perfuadé à la Reine qu'on ne les attaquoit que pour lui por-
ter enfuite les mêmes coups : Que c'eft ce qui avoit em-
péché le Procureur General de pourfuivre , & qu'enfin tou-
tes les plaintes qui avoient été faites à ce fujet, avoient été
ou méprifées, ou éludées par les artifices du Renard. Le Prin-
ce de Condé fe plaignit dans les termes les plus forts de
cette conduite , êc le Duc de Sully en parut tout-à-fait in-
digné.
Enfin le Débiteur obtint avec beaucoup de peine qu'au
lieu d'adrefler des Lettres Patentes au Parlement , on in-
fereroit dans l'Edit cet article en entier. Il fut conçu de
telle façon , que comme chacun tâchoit de fe juftifier de la
négligence à pourfuivre la vengeance du parricide du feu
Roi , elle fut imputée aux Magiftrats , quoiqu'ils ne fulïent
coupables en cela ni de lenteur, ni de prévarication. Je pré-
vois que cela occafîonnera des remontrances de la part du
Parlement & retardera encore cette affaire.
Le Prince de Condé demanda par le même article que
conformément à ce qui avoit été ordonné par le Parlement
dans l'Arrêt rendu contre Ravaillac , le Canon du Concile
de Confiance contre ceux qui ofoient attenter à la perfon-
(i) Jacqueline le Voyer , femme d'I-
faac de Varenne , Ecuyer , Seigneur
d'Efcouman acciifa le Duc d'Epemon ,
& la Marquile de Verneuil , d'avoir fu-
borné l'r.fninmde Henri IV. Elle s'a-
drelfa d'abord à la Reine Marguerite ,
qui en donna auflTi-tôt avis à la Reine
P.egente. Elle accufa pluiîeurs autres
perfonnes ; mais clic foutint fî mal fcs
dépofitions dans la confrontation , que
les prifonnjcrs furent renvoyez abfous ,
& qu'elle fut elle-même condamnée à
finir Tes jours entre quatre murailles. Ce
jugement , & la précaution qu'on prit
pour tenir les interrogatoires fecrets ,
donnèrent lieu à plufieurs foup^ons.
DE J. A. DE THOU. ^6j
ne facrée des Princes , fut renouvelle : Que le décret de la
Sorbonne à ce fujet fût exécute, & qu'il fut enjoint aux évc-
ques du Royaume de le faire publier dans leurs Diocéfes.
Le Parlement l'avoit déjà ordonné j mais l'Evêque de Paris
s Y ctoit oppofé , fous prétexte que ni le Parlement , ni la
iSorbonne n'avoient pas le droit de commander , ni d'en-
joindre quelque chofe aux Evêques. Ce Prélat avoit trouvé
à la Cour des amis puiilans 5 en forte que quoique tous les
bons François pénétrez de la douleur que leur caufoit l'in^
digne alfalllnat de leur Roi , fouhaitalîent ardemment la pu-
nition de ce crime j cependant tous les Arrêts du Parlement';
& les décrets de la Sorbonne firent peu d'effet ; ils font de^
puis fîx ans reftez fans exécution. A la follicitation de quel-
ques perfonnes bien intentionnées , & qui avoient pour mo-
tif la confervation de la perfonne facrée de nos Rois, le
Prince de Condé demanda qu'on renouvellât ces décrets.
Il l'obtint quoiqu'avec peine ; car on lui fit toujours mille
difficultez fur chaque chef qui regardoit le bien de fEtat j
mais le Débiteur ne voulut jamais confentir que le Roi fe fer-
vît dans fon Edit du mot ordinaire : Nous enjoignons. Il foutint
obftinement qu'il fuffifoit que le Roi promît d'écrire à ce
fujet aux Evêques de fon Royaume. Ainfi la Majefté Roïale
s'aviliffoit infenfiblement , & tous les bons François étoient
indignez de voir qu'elle perdoit tous les jours quelqu'un de
fes droits, par une faulfe politique , ou par la foiblefle du gou-
vernement.
Il y eut plus de difficulté par rapport au premier chef des
demandes du tiers Etat , ( i ) que la Cour avoit déjà rejet-
té. Le Prince de Condé le propofa de nouveau , & cet ar-*
ticle fut en conteftation pendant tout le temps de la confé-
rence. Mes collègues diCputoient à ce fujet non-feulement
contre les députez du parti oppofé , mais encore entre eux ,
& dans la maifon du Maréchal de Briffac. Pour moi, je par-
lois peu, quoique je fouffriffe beaucoup de voir les efprits fi
préoccupez par l'efprit de fadion. N^aïant là aucun ami avec qui
jepuffe m' entretenir en liberté, je ne fçavois quel parti pren-
dre. Trois de mes collègues , réCiniffoient leurs efforts pour
attaquer farticle en queftion , & le quatrième par un filence
(1 } Touchant la sûreté de ia perfonne 4n Ro» > & i'in^épendancç de fa couronne»
^6S PIECES CONCERNANT L'HISTOIRE
criminel les approuvoit affez. Le Débiteur foutenoit que les
Pmteftans avoient engagé le Prince à faire cette demande ,
non-feulement pour brouiller le Roi avec la Cour de Ro-
me 5 mais encore pour émouvoir les deux premiers ordres du
Royaume , qui s'étoient oppofez à la réception de cet arti-
cle : Qu'enfin on ne pouvoit en confcience l'admettre. Le
Maréchal de Briflac ajoutoit que cette propofition avoir été
fabriquée en Angleterre, & en faveur du Roi de la grande
Bretagne 5 mais que ni la France , ni fon Roi n'en avoient
ipas befoin.
J'entendois tous les jours les mêmes difcours ; mais quoi-
<^ue je diffimulalTe , jugez vous même de l'émotion où j'é-
tois. Enfin une efpece d'indignation me fit rompre le filenc^j
je déclarai que je ne voulois point entrer dans la conteftation
qui s'étoit élevée fur cet article ^ mais que je croyois néceflaire
d'examiner qui l'avoir dreffé & qui i'avoit propofé j & qu'a-
près une mure délibération , faite de bonne foi , & fans paf-
lîon, on en jugeroit fainement. »Sçachez, Meflleurs, dis-je
3> alors , qu'il n'a point été fait en Angleterre , mais en France
» & à Paris même. Ce font de fidèles fujets du Roi , & des
» perfonnes non fufpedes qui l'ont dreflfé dans le temps qu'on
» compofoit dans la maifon de Ville le cahier que le tiers Etat
33 devoit préfenter à l'aiTemblée des ordres du Royaume. Guil-
a laume des Landes , Gafton Grié , & Claude le Prêtre , Con-
9> feillers ^u Parlement de Paris , Magiftrats d'un mérite gé-
» neralement reconnu , y étoient préfets : c'eft le Prêtre lui-
» même qui a rédigé cet article , dans la forme oii il eft en-
» core aujourd'hui. Il fut enfuite communiqué en fecret à la
» Reine , qui l'aprouva en prefence du Renard , de Pierre
» Jeanin (i) & du Débiteur même.
Alors je demandai au Débiteur , fi ce que j'avançois étoit
vrai ou faux. Le Maréchal de Briflac étoit préfent. Le Débi-
teur ne difcon vint pas de ces faits , mais il dit qu'on av oit eiî
grand tort d'admettre cet article.
w II n'a donc pas été fait, ajoutai-je , en Angleterre , & pouf
»les Anglpis feuls, comme on l'a avancé , pour le rendre
» odieux '-, mais il a été drefîe, examiné , & même approuvé en
la France ; jugez maintenant s'il faut rejetter avec tant de mé-
(i) Le Pré/ïdent Jeanin,
pris^
Dï J. A. DE THOU. ;<^^
i pris ce que des hommes éclairez , non fufpeds & bien in-
» tentionnez ont fak autrefois.
» L'oppofîtion formée,continuai-je,à la demande du tiers Etat
» pa les deux ordres premiers du Royaume,ne mérite pas beau*
coup de confîdération ; car il eft certain que ce n'eft qu a la fol-
» licitation & par les manœuvres d'une cabale fecrete , que la
a^lsTobleiTe a été d'un fentiment contraire 5 & dans Pinftant que
» l'article parut , la plus faine & la plus grande partie de cet or-
» drefut d'avis de s'en rapporter au jugement & à la volonté duf
» Koi. Mais dès que ceux qui avoient aiad opiné furent ab-
»fens, le Prélident profita de leur éioignement, pour mettre
» une féconde fois en délibération ce qui étoit déjà arrêté , &
» il fut ordonné que la Noblefle fe joindroit au Clergé , corn-
» me dans une affaire qui regardoit la Religion. Les bons
X François qui fçavent ce qu'ils doivent à la Religion & à 1»
3> République , ont toujours cru que cette affaire concernoit
» plus l'Etat que la Religion.
» Vous voyez donc que cet article a déjà été propofé & rc-
» çu. Il a enfuite été attaqué par une fadion puilfante. Un
» Prince du fang le propofe de nouveau : c'eft à vous à exami-
» ner , fi la tranquilité publique & la dignité du Souverain que
3i vous repréfentez , exigent que vous rejettiez cette propofî-
^ tion, comme préjudiciable à la Religion , ou fi vous devez
» la refpeder , comme ayant été avancée par des gens bien in-
» tentionnez , & qui avoient pour motif la fureté de nos Rois. »
Je finis , en difant que je n'avois parlé ainfi , que pour éclair-
cir les faits : Que je ne voulois point entrer dans le fond de la
conteftation :.Que même j'avois fouhaité plufîeurs fois que
C€t article n'eût jamais été propofé , puifqu'on y faifoit paroi-
tre tant d'oppofition ( la pofterité jugera (1 elle e(l bien fon-
dée ) & qu'il avoit caufé de fi grands troubles ; mais que puif-
qu'ilavoit été propofé, ilfalloit l'admettre, & que fans cela
la facrée perfonne du Roy feroit expofée à un danger évident.
Un pareil difcours jetta mes collègues dans l'étonnement.'
14s me regardèrent pendant quelque-temps fans rien dire. En-
fin , après un filence afifez long , le Débiteur prit la parole ,
& dit , qu'il ne falloir rien négliger de ce qui pouvoit con-
tribuer à la tuueté de nos Rois j mais qu'il falloit aufll prendre
garde de troubler la bonne intelligence qui regnoit entre la
Tome XK Ç c ç ç
5^70 PIECES CONCERNANT L'HISTOIRE
Cour de France & celle de Rome , & de rompre une union
auffi avantageufe à l'Etat qu'à la Religion.
Nous eûmes entre nous plufieurs conférences à ce fujet , &
îe Duc de Nevers s'y trouva une fois ? mais il s'étoit laifle
prévenir , & il difoit fans feinte , que d'habiles Théologiens
lui avoient allure , qu'il y avoit plufieurs chefs dans l'article
en quellion , qui regardoient plutôt la Religion que l'Etat , ôc
fur lefquels il falloit s'en rapporter à la décifion du Clergé.
Sur ces entrefaites le Débiteur alla à la Cour avec le Ma-
réchal de Briflac & le Duc de Nevers, pour fçavoir la ré-
ponfe que le Roi voudroit faire aux articles fecrets propofez
par le Prince de Condé ôc par les Seigneurs de fon parti. Le
motif de ce voyage fut encore de demander au Nonce fon
avis , fur ce qu'on devoit répondre au fameux article qui cau-
foit tant de conteftations 5 car on ne faifoit rien dans cette af-
faire fans la participation de ce Prélat.
Le Débiteur avoit confeiilé , ou d'éluder par des remifes^
les pourfuites du parti oppofé , ou d'admettre en apparence
l'article difputé, mais d'y ajouter des modincations, ôc de fe
fervir de termes Ci équivoques , ôc de circonlocutions fi am-
biguës , que l'approbation deviendroit inutile. Il fe vantoit
d'avoir le talent d'embrouiller ôc de finir ainfi les affaires. En:
effet il réûfllt , ôc fes artifices' eurent le fuccès qu'il en atten-
doit. Les principaux chefs du parti ayant été gagnez par des
préfens ou par des promelfes ne firent plus de réfiftance. Mais
qu'y gagna-t-on ? On diffimula les véritables intérêts du Roi ,
& on les abandonna.
Dans une vilite que de Vie me rendit , ( car ma colique
m'empêcha fouvent de fortir) je me plaignis de cette hon-
teufe prévarication , qui n'avoit pour motif que de vains fcru-
pules de Religion , & à laquelle je ne participois que malgré
moi. Je lui reprefentai encore que nous expofions notre Sou-
verain à de grands dangers : Qu'on nous en feroit un jour de
jufles reproches : Qu'il auroit mieux valu ne jamais parler de
cet article j mais que puifque la queflion étoit entamée , il fal-
loit du moins en laifler le jugement au Roi même , de crainte
que tant de difputes inutiles ne préjudiciallent à fes droits.
On rapporta ce difcours au Débiteur, qui le faifit auffi-tôt ,
& qui me fit dire que je ferois une chofe très- agréable au
Roi, & à toute la (Cour ^ fi je pouyols faire confemii le
DE J. A. DE THOU. ^71
Prince de Condé au renvoi de cette affaire à S. M. Je m'em-^
ployai volontiers à obtenir ce confentement. J'allai aufli-tot
trouver Gaucourt de Rouveray , & Jofias Mercier des Bor-
des , qui avoient beaucoup de crédit parmi les Proîeftans ;
& leur reprefentai le danger qu'il y avoir , de pouffer trop loin
leurs prétentions. Heureufement ils connoiffbient mes fenti-
mens, & fçachant qu'élevé dans la maifon de mon père ;
j'y avois , pour ainfi dire , fuccé avec le lait un attachement
inviolable aux intérêts du Roi , ils prirent en bonne part ;
& écoutèrent favorablement une propofition qui dans la
bouche d'un autre ne leur auroit pas paru digne d'attention ,
ou auroit excité leurs foupçons. Ainfi je les perfuadai facilement
qu'il ne falloir pas toucher à un mal qu'ils ne pouvoient guérir ,
& qu'il étoit à propos d'attendre une occafion plus favorable.
Dès le lendemain, l'afïaire fut niife en délibération , & le
Prince de Condé leur aïant demandé leur avis, ils ne s'op-
poferent point à ce que j'avois propofé , & leur fentiment
fut fuivi par tout le refte de leur parti. Le Débiteur triom-
pha de ce fuccès , & dans la fuite , il me combla de louan-
ges en préfence de la Reine , & du Cardinal Ubaldin , de
ce que j'avois trouvé cet heureux tempérament, qui avoir
terminé une affaire fi épineufe.
Il falloir , & on le pouvoit , régler de la même façon l'ar-
ticle fuivantpar lequel le Prince de Condé avoir dcmandjé
la main-levée des défenfes d'exécuter les Arrêts de la Cour
rendus à ce fujet , les années précédentes ; mais le Débi-
teur qui en avoit éludé la force par l'obfcurité , & l'ambiguitc
des termes dans lefquels cet article étoit exprimé , aima
mieux le laiiler comme il étoit conçu, que de le foumettre à
la décifion du Roi.
Le quatrième , & le cinquième articles regardoient les
droits de l'Eglife Gallicane. Le Prince de Condé demandoit
qu'on les maintmt dans leur force , & tels que nous les avions
reçus de nos ancêtres. Il demandoit encore la calfation de
ce qui avoit été fait par quelques particuliers , pour la pu-
blication du Concile de Trente , fans un ordre exprès de- S. M.
On foufcrivit en apparence à ces deux demandes. Sur Ja pre-
mière , le Roi prom.it qu'il feroit tous fes efforts pourcon-
ferver leslibertez de l'Eglife de France. Sur la féconde, |S. M,;
CcQç ij
'^'ji PIECES CONCERNANT L'HISTOIRE
déclara que la publication qui avoir été faite fans fon agrément^
îui avoir déplu : Qu'ainfi elle étoit nulle : Qu'elle n'auroir pas
lieu , & qu'il ordonneroit à ce fujer ce qui feroir convenable.
On ccnfîrma les Edirs , & les privilèges accordez par nos
Rois aux Proreftans. On fit même menrion des brevets. Ce-
pendant ceux qui n'onr pas été fuivis de lettres patentes , ni
d'enregiftre ment, n'auront que très-difficilement leur exécu-
tion , & donneront lieu à des remontrances.
La claufe qui portoit que chacun feroit confervé dans fes gou-
vernemens, charges ^ honneurs, dignitez, & offices, & que
ceux qui en avoient été dépouillez feroient rétablis , parut fi
équitable , qu'elle pafla fans contradidion 5 le Duc de Sully dit
cependant qu'il y avoit dans cette adjondion plus d'ambition
&: de fafte , que de neceffité.
Quant aux demandes des Sieurs de Courtenay , qui étoient
contenues dans le huitième article , & qui ont été fi fouvent
agitées dans le Confeil de Henri le Grand, & au Parlement,
on n'y fit aucune réponfe. Ceux qui les avoient propofées
par eonfideration pour un Seigneur de cette maifon qui s'é-
toit attaché au Prince de Condé , étoient eux - mêmes fort
éloignez d'appuyer ces prétentions 5 car à Pexception du Prin*-
ce de Condé, il n'y avoit perfonne qui ne fouhaitât que le
nombre des Princes du fang diminuât plutôt que de le voir
augmenté.
Le Débiteur ne répondit que par un mépris^ au neuviéhie
article , qui concernoit la confervation de l'autorité des Parler
Biens. Vous f<;avez qu'il fait tous fes efforts pour empêcher
que les Cours fouveraines ne recouvrent leur ancien luftre ,
& ce pouvoir dont elles fe fervent fi utilement pour défen-
dre la Majeflé de nos Rois , & foutenir les droits de la Cou-
ronne , contre les entreprifes des Etrangers. Cet homme croit
que plus les Magiflrats auront d'autorité , plus fon crédit di-
minuera, & il craint que le urouvoir ne foit un obflacle aux
pernicieux deffeins d'une cabale , qui n'eft déjà que trop
puinfante.
Le Préfident Nicolas le Jay, a , comme vous fçavez ;
cté enlevé avec violence de fa maifon à Paris , & mis en
prifon à Amboife. Ses ennemis le forcèrent d'avoir recours
^ la protedion du Prince de Condé , quoiqu'il n'eût voulu
devoii h grâce , qu'à h bonté du Roi. On avoit agi fort
DE J. A. DE T H O U. 5-75
imprudemment de le réduire à cette trifle nécefîlté , & le
Prélîdent Jeannin en étoit convaincu par les raifons que je lui
avois dites à ce fujet. Il agit même en faveur de le Jay &
demanda au Roi la liberté du prifonnier ; mais toutes fes dé-
marches furent inutiles , &: la follicitation du Prince de Condé
n'eut pas plus d'effet.
Il y avoit eu un Arrêt du Confeil d'Etat qui non-feule-
ment caflbit & annulloit dans les termes les plus outrageans
les délibérations du Parlement î mais encore avoit ordonné
qu'elles feroient extraites des Regiftres & fupprimées. Il
s'en fallut peu que ce violent décret ne portât que l'arrê-
té d'un Tribunal fi refpedable feroit lacéré & brûle par la
main du bourcau. Le Prince de Condé demanda par le di-
xième article, qu'on révoquât cet Arrêt. Comme le Débi-
teur y avoit eu beaucoup de part , ce chef lui fît de la pei-
ne. Cet Arrêt avoit été fabriqué par ceux qui étoient defî-
gnez dans les remontrances du Parlement 5 enforte qu'ils fii-
rent juges dans leur propre caufe. Vous étiez prefent , lorf-«
qu'il fut rendu , & quoique vous fulTiez d'avis de céder au
temps , & de donner quelque fatisfadion à des feigneurs puiC-
fans qui étoient irritez -, cependant les termes injurieux dont
on fe fervit , vous déplurent. Vous fçavez qu'on ne deman- /
da pas le fentiment de tous les Membres du Confeil , &
entre autres des Ducs de Guife , & de Vendôme , & des
Maréchaux de Briflfac , & de Souvré ; mais qu'après que le
Débiteur eut dit fon avis au Renard, tout bas à l'oreille ,
de crainte qu'on ne l'entendît, les autres fe levèrent en tu-
multe : Que le Hérifîbn , & Dolé , qui étoient particulière^
ment intereflez dans cette affaire , diderent eux - mêmes ;
pour ainfî dire> cet Arrêt: Qu'enfin Jeannin leur fit d'abord
quelque réfiftance ; mais qu'il mollit bien-tôt, comme il a
toujours coutume de faire, & qu'à leur follicitation il ap-
prouva l'Arrêt.
Le Hériflbn avec toute fa cabale fit enfuite tous fes efforts;,
pour fe faire reprefentcr la feuille , fur laquelle l'arrêté du Par^-
lement avoit été écrit. DuTillet l'avoit ôtée des Regiftres ,
& emportée chez lui. Le Parlement la lui fit rapporter , pour
îa remettre dans le Regiftre ,& éluda l'exécution de l'Arrêt
du Confeil qu'on vouloit faire inférer dans les Regiftres de*
CcGC ii;
^74 PIECES CONCERNANT L'HISTOIRE
de la Cour. Nous nous rappellames facilement tous ces faits ;
& le Maréchal de Brillac, à qui l'on n'avoir pas demandé
fon avis, n'avoit pas oublie cette circonftance. Quoique tous
ces difcours ne pluflent pas au Débiteur ; cependant il dit
qu'il confentoit volontiers qu'on eût égard aux demandes du
Parlement , nonobilant l'Arrêt du Confeil , puisqu'on ne le
trouvoit pas équitable , & c[u'on croïoit qu'il avoit été fait con-
tre les règles.
Quant à ce qui regardoit la jurifdidion des Cours fouverai-
nes, & la forme des jugemens à l'égard des particuliers, le Dé-
biteur ,^ dont le but a toujours été de diminuer l'autorité du
Parlement, foùtint d'abord qu'on ne pouvoit accorder tout ce
que les Magiftrats avoient demandé. Alors je me crus obligé
de parler, & je reprefentai que les foins du premier Tribu-
nal du Royaume , dévoient s'étendre non-feulement fur ce
qui regardoit les particuliers , mais encore fur les affaires qui
intereflbient le Public. Que fi l'on craignoit que le Parlement
n'abusât de fautorité qui lui étoit confiée , on ajouteroit que
ce pouvoir demeureroit renfermé dans les bornes qui lui
avoient été données par les anciennes conftitutions de nos
Rois , fans aucune nouvelle ampliation. Cependant on dif-
puta encore à ce fujet en préfence du Prince de Condé ,
lorfqu'onfitla ledure de la réponfe à fa demande.
L'onzième article concernoit la fixation du temps, dans
lequel le Roi fatisferoit aux demandes des trois ordres du
Royaume , par un Edit qu'il adrefleroit aux Parlemens. On y
répondit que le Roi , Ôc fon Confeil n' avoient pu jufqu'alors
remplir l'attente des peuples: Que les troubles qui s'étoient éle-
vez, & le voïage du Roi en Guyenne avoient caufé ce retarde-
ment : Que cependant on avoit déjà fatisfait à quelques chefs ,'
& qu'on acheveroit le refle dans quatre mois.
Dans le douzième article , le Prince de Condé demandoît;
que conformément au décret des Etats de Blois , qui avoient
confirmé les Edits précédemment rendus à ce fujet,on ne don-
nât les dignitez de l'Etat «5c les gouvernemens , & qu'on ne
confiât la garde des places frontières qu'aux François feuls , à
Vexclufion des Etrangers. On lui répliqua qu'à la vérité fa pré-
tention étoit appuyée fur les anciennes loix du Royaume, mais
qu'elles n'avoient pas été régulièrement obfervées : Qu'on
avoit vu. des étrangers s'élever par leur mérite aux plus gran^
DE J. A. D E T H O U. ^yj
àcs dignkez, & y rendre des fervices confiderables à l'Etat.
Vous f(çavcz quel a cté le motif de la demande du Prince de
Condé, & de la réponfe que nous y avons faite. L'article fui-
vant l'indique aflez.
Le Prince de Condé reprefenta dans cet article qu'il ctoit
ncceflaire de démolir les fortifications de la citadelle d'A-
miens , du côté qui regarde la ville , tant pour la tranquillité
de l'Etat , que pour ne pas laifler les bourgeois expofez aux in-
fultes d'une garnifon. Cela a déjà donné lieu à de grands trou-
bles & en caufera encore de nouveaux dans la fuite , car par
les artifices imprudens d'une perfonne que je ne veux pas
nommer, de crainte qu'elle n'entre en fureur, ce chef relia
indécis. On nous prefTa vivement j mais nous réfiftâmes avec
fermeté , & nous nous fervîmes dans nos réponfes de l'auto-
rité de ce grand Roi , qui avoit fait bâtir cette citadelle.
Le Débiteur étant prêt à partir pour la Cour , chacim le
chargea du foin de fes intérêts, & lui expliqua en fecret fes
prétentions. Le Prince de Condé & la Comteffe de Soiffons
n'étoient pas éloignez d'un accommodement. La Duchefle
de Longueville même y confentoit , à condition , qu'au lieu
de la Picardie, on donneroit par une efpece de compenfation
à fon fils le gouvernement de la Normandie,qui a deux fois plus
d'étenduë,& que pour y affermir fon autorité,( cet abus eft à pré-
fentfort ordinaire ) ony joindroit le château de Caën, le Pont
de l'Arche &c Dieppe : ces places étoient comme un domaine
aliéné ^ qu'on ne pouvoit retirer qu'avec de grandes fommes
d'argent des mains des avides Gouverneurs qui y comman-
doient. On fit avec la DuchefTe ce projet d'accommodement.
Son fils l'écouta avec attention , mais il n'y voulut pas confen-
tir 5 car il croïoit qu'il lui étoit honteux de quitter une Provin-
ce , oii la mémoire de fon père & de fon ayeul étoit fi refpec-
îée , & d'en être en quelque façon chafTé par un homme à qui
H ne devoir pas céder , & qu'il avoit toujours regardé comme
l'auteur des troubles. Ce jeune Prince fut inflexible, & quoi-
qu'à la prière du Roi ou de la Reine il eut abandonné quelque
chofe de fes prétentions fur ce qui regardoit la citadelle ; ce-
pendant il conferva toujours la même fermeté par rapport à
Ion gouvernement de Picardie. Prefque tous les Gentilshom-
mes de cette Province , qui forment le corps le plus diftingué
57(? PIECES CONCERNANT L'HISTOIRE
cjans la Noblefle Fran(;oife , avoient préféré l'amitié de leur
Gouverneur aux faveurs de la Cour. Le Duc par reconnoif-
fance crut qu'il ne pouvoir les abandonner , & qu'il étoit de
fon honneur de les foutenir contre des ennemis qui cher-
choient à fe vanger.
Ses amis qui s'étoient déjà unis en fecret avec le mari (i) de
Canidie, leprefTerent vivement d'accepter les offres qu'on lui
faifoit 5 mais comme il leur objedoit toujours labienféance,
& fon honneur , un d'eux lui dit, qu'il falloit croire que l'hon-
neur réfidoit où étoit la fortune. Il lui répliqua fur le champ :
30 Vous me preflez de préférer la fortune à Thonneur-Comment
30 vous qui me donnez un pareil confeil , avez vous donc per-
5* du l'un & l'autre / Je vous ai vu il n'y a pas long-temps ,
» prefque fans bien Ôc fans honneur. Pour moi j'ai toujours mé-
» prifé un vil intérêt j mais je ne fouffrirai jamais la perte de ma
» réputation.
Ces paroles , & quelques difcours un peu trop animez , éloi-
gnèrent entièrement de ce Prince ceux qui tâchoient de ga-
gner la faveur de la Cour. Au contraire , ceux qui n'avoient
pas les mêmes vues s'unirent à lui , enforte que la divifion fe
glifla dès-lors entre les liguez. Quoique le Duc de Longue-
ville ne cherchât pas à tirer en longueur la négociation , Se
qu'il parut au contraire très-fàché des ravages & des exadions
que les troupes faifoient dans la campagne j cependant il eau-
fa de nouvelles difficultez qui retardèrent la conclulîon du
traité.
Sur ces entrefaites , Canidie quitta la Cour pour aller à Pa-
ris. Dès qu'elle eut appris que fon mari fe rendoit odieux en
voulant retenir la citadelle d'Amiens, & qu'on murmuroit
même contre le Roi ôc la Reine, elle eut recours à fes artifices
ordinaires. Elle fit courir le bruit à la Cour , à Paris , & enfin à
Loudun , où elle envoya des lettres par Nereftan , que fon
mari étoit prêt à fortir de la place , & qu'il ne vouloir point
mettre d'obftacle à l'accommodement du Duc de Longue-
ville. Le Débiteur nous ayant fait part de cette nouvelle j de
Vie en levant les mains au Ciel , dit tout haut , qu'il remer-
cioit Dieu d'avoir infpiré au mari de Canidie une réfolution ;
qui lui faifoit tant d'honneur & qui étoit fi utile au Roi j mais
{i; Le Maréchal d'Ancre.
j'arrêtai
DE J. A. DE THOU. ^77
5'arrêtai fur le champ ce tranfport , & priai de Vie de fufpen-
dre fon jugement , jufqu'à ce que révenement eût juflifié des
promeiïes Ci magnifiques.
Mes foupçons n'étoient que trop bien fondez, & dès le
lendemain on changea les conditions du traité. On propofa
une féconde fois la Normandie , à l'exception de la ville de
Dieppe , pour laquelle on promit de donner cent mille écus
d'or , quoique le Tréfor Roïal fut alors épuifé. Ainfi le Roi &
fes Commiflaires furent également trompez ; mais on ne fe^
mocqua pas de même ainfi du Duc de Longueville. Il con-
ferva toujours fa fermeté , & il fe foutint lui feul , lorfque tout
ie monde l'abandonnoit. Ses ennemis qui imputoient aux au-
tres les fentimens qu'ils avoient eux-mêmes , difoient qu'il
ufoit.de difllmulation : Qu'il penfoit autrement qu'il ne parloirs
& par conféquent qu'il étoit très-éloigné de faire ce qu'il pro-
pofoit. Ce jeune Prince ayant appris ces differens bruits, ré-
pondit auflTi-tôt : » Il eft plus facile à ceux qui jugent ainfi de
» moi de me taxer d'inconftance que de mauvaife foi j car il
» eft certain que je n'infifte pas avec aflez de force fur les de-
» mandes que j'ai faites publiquement , & qui ont été propo-
» fées de ma part par ceux mêmes qui cenfurent aujourd'hui
» ma conduite. Qu'ils tâchent d'obtenir ce que je demande,
» de celui avec qui ils ont fait , fans mon avis , un traité fecret;
» & s'ils réûfTiflent, ils me rendront un grand fervice. Si l'article
» de la Citadelle d'Amiens fait quelque difficulté , je confens
» qu'elle fubfifte dans l'état qu'elle eft, pourvu qu'on en donne
9i le gouvernement à un homme fidèle , & qui ne foit point
» fufped ; & que celui qui fe dit prêt à fortir de la Province >
30 n'y retienne aucune place en fa difpofition. Que s'il veut
3> conferver le gouvernement de la Citadelle , j'y confens en-
» core, pourvu qu'il forte de Peronne , qu'il retient à titre par-
» ticulier , avec Mondidier & Roye. Pour finir ce traité il n'eft
» pas befoin de dédommagement, niderécompenfe, nimême
» de faire la moindre dépenfe ; puilque tout ce que je propofe
îo eft jufte , & qu'il dépend de cet homme de l'accorder. ,
Ces reproches & ces difputes , durèrent jufqu'à la fin de
la conférence , fans qu'il fût poftible de rien terminer ; car
le Duc de Longueville refufa conftamment les offres qu'on
lui fit. Ceux qui lui étoiçnt oppofez , penfoient qu'il celfet»
Tome XK Dddd
578 PIECES CONCERNANT L'HISTOIRE
Toit enfin de diiTimuler , lorfqu'on fe prepareroit à figner le
traité ^ qu'alors il accepteroit les conditions qu'on lui avoit
propofées , & qu'il feroit par nécefîlté , ce qu'il n'avoir pas
voulu faire de bon gré ? mais ces politiques qui croyoient
leurs conjedures certaines, fe trompèrent eux-mcmes. Le
Duc de Longueville , vit finir la négociation fans changer de
fentimens, ôclorfqu'il fallut figner le traité, il y auroit fouf-
crit le premier, s'il n'eut pas cru devoir faire cet honneur au
Prince de Condé. Il dit alors que fon intérêt particulier ne
de voit point retarder la paix générale : Que fes plaintes avoient
d'abord été confondues avec celles du Public , & fes deman-
des comprifes dans le cahier général ; mais que puifque par
l'événement fa caufe étoit devenue une affaire particulière ,
il lui reftoit encore affez de forces & d'amis pour la défendre
contre un homme d'une condition fort au-deifous de la Hen-
né ^ (i) & qui n'avoir pour appui que la faveur. Voilà ce qui
fe paflbit à cet égard : Revenons aux autres articles.
On parla cnfuite des compagnies de Gensdarmes qui for-
ment dans nos armées les meilleures troupes. On demanda
qu'on lesrétablîtfurleur ancien pied, & félon les anciennes
ordonnances , & qu'on aîTignât pour leur entretien des fonds ,
qu'on ne pourroit employer à d'autres ufages. On ajouta ( en
haine du Duc d'Epernon Colonel Général de flnfanterie )
que le Colonel du Régiment des Gardes fût nommé par
le Roi, qui nommeroit auili les Colonels de tous les autres
Regimens 5 lefquels auroient droit de nommer tous les Officiers
de chaque compagnie de leur Régiment.
Il y eut plus de diiîiculté par rapport à l'article feiziéme, qui
concernoit les Confeils du Roi. Cette queflion caufera tou-
jours de vives conteftations, & ne fera jamais terminée. Nous
fommes dans un temps malheureux , où l'intérêt d'un parti-
culier l'emporte fouvent fur le bien de la République. Le
Débiteur avoit déjà eu à Coucy une conférence à ce fujet
avec le Prince de Condé. On avoit même fait alors quel-
ques reglemens j mais d'autres affaires avoient interrompu
celle-ci j quoique le Prince eût reftraint fes demandes à ce
qu'il fignâr tous les Arrêts , & qu'en fon abfence , trois an-
ciens Confeillers d'Etat remplirent fa place. Cet article lui
ayoit été contefté j mais l'aïant propofé de nouveau à Lou-
(>) Concini Matéchal d'Ancre.
DE J. A. DE THOU. jyp
dun,le Débiteur l'admit ; l'affaire reftant au furplus dans fon
entier, pour être réglée fuivant l'avis du Prince deCondé,
des autres Princes , & des Seigneurs du Royaume, après la
conclufion de la paix. - -
" Ce qui fut ajouté par rapport au choix des Ambafladeurs
ordinaires auprès des Princes étrangers, fut regardé comme
un trait d'oftentation , & l'on fe perfuada que le Prince de
Condé n'avoit propofé cet article , que poiir ne pas paroître
négliger ce qui concernoit particulièrement la dignité du
Royaume & du Souverain. On porta le même jugement fur
les articles , dans lefquels il fut parlé de la fupprenfion ou di-
minution des penfions exorbitantes, & fur-tout de celles qu'on
avoit accordées fous de vains prétextes à des perfonnes qui
étoient inconnues , ou qui ne les méritoient pas j car il re-
gnoit en ce temps-là une fi grande avidité , que perfonne ,
ni même le Prince de Condé , ne vouloir s'expofer à la hai-
ne des importuns demandeurs. Celui qui pouvoir feul s'en
mettre peu en peine , étoit odieux aux deux partis , & n'a-
voit perfonne pour le foutenir à la Cour , ni dans cette af-
femblée.
Quant à la vénalité des Charges de judicature , & de fi-
nance, & à laPaulette, (i) on convint prefque fans conte-
ftation, comme je l'avois prédit au Prince de Condé , que
tant que le terme accordé par le Roi aux Officiers dureroit ,
on ne feroit aucune réforme à l'égard des charges qui étoient
fujettes au droit annuel 5 mais quant aux gouvernemens des
Provinces , & des places , & aux charges militaires , ou de
la Maifon du Roi , S. M. avoit déclaré à Tours que ces di-
gnitez ne feroient point vénales , à peine contre ceux qui
oferoient les trafiquer d'être déclarez indignes de les polïe-
der. Lorfqu'on fit l'Edit, ceux qui avoient infîfté avec tant
d'ardeur , tant fur l'un que fur l'autre chef, voyant qu'ils ne
pouvoient obtenir le premier , abandonnèrent prefque le fé-
cond. A peine pus- je obtenir que la défenfe de la vénalité
auroit du moins lieu par rapport aux dignitez , aux gouver-
nemens ^ & aux charges , qui n' étoient point fujettes à la
Paulette , & dont cependant on faifoit un commerce aufÏÏ
(i) C'eft une finance que les Officiers paient tous les ans , pour rendre leurs
charges héréditaires»
Pdddij
580 PIECES CONCERNANT L'HISTOIRE
honteux au Roi , que préjudiciable à l'Etat. J'obtins ce que
je demandois à force de prières , & parce qu'on n'ofa me refu-
fer ; mais les défenfes furent exprimées dans les termes les plus
foibles , & l'on ne fit pas mention de la peine que le Roi avoir
lui-même prononcée à Tours contre les contrevenans.
On révoqua les grâces expedatives , & ces conceflîons qui
font fouhaiter la mort des Titulaires. C'eft la Gour de Rome
qui a donné des noms à ces pernicieux abus qui y ont pris
naiflance. On avoir ajouté qu'il ne feroit pas permis de ré-
ligner les dignitez & offices 5 mais cet article fut rejette con>
me Contraire à la bonté du Prince,
On ne fit pas beaucoup d'attention à ce qui fut propofé pouc
le foulagement des peuples qui avoient beaucoup foufFert dans
les derniers troubles. En effet , ceux qui avoient fait les plus
grands ravages dans les Provinces , demandoient au Roi la di-
minution des traitez en faveur des pauvres payfans , &ilsfe fai-
foient honneur de leurs foins à cet égard 5 mais en même tems
ils prétendoient pour eux-mêmes des fommes exorbitantes ,
que le peuple qu'ails vouloiem foulager auroit été obligé de
payer , puifque le Tréfor Roïal étoit épuifé 5 ainli ce ridicule ar-
ticle fut rejette.
On prit en mauvaife part Particïe qui concernoit le renou-
vellement des alliances faites par le feu Roi d'heureufe mé-
moire avec les Princes étrangers & les Républiques voifines ;
& l'on vit bien que ce chef avoit été ajouté par les Proteftans ,
qui vouloient défigner le Roi d'Angleterre , les Etats Géné-
raux des Provinces-Unies, & les Villes d'Allemagne. On ré-
pondit que ces matières avoient toujours été traitées dans le
Confeil du Roi , & ne pouvoient être agitées ailleurs : Qu'ainfi
il étoit inutile d'en parler dansl'Edit. Ce quifutditàcefujet
porta des coups fecrets à notre Débiteur, & lui fit beaucoup
de peine j car il fentit qu'on vouloit par-là cenfurer la conduite
qu'il avoit tenue, & qu'on trouvoit mauvais de ce qu'il peu-
choit trop de l'autre côté. Cette alliance qu'il avoit fait con^
trader, & qu'il avoit ménagée avec tant d'ardeur, le faifoit
foupçonner de vouloir troubler cet équilibre qui eft fi nécef-
faire , pour maintenir la France dans fes droits , ôc pour confer-
,ver la Majefté du trône.
Dans l'article fuivant , on demanda par la même raifon que
DE J. A. D E T H O U. 581
îe Roi interposât fon aiitoritc , pour faire exécuter le traité
d'Aft, fait entre l'Efpagne & le Duc de Savoye, comme Sa
Majefié l'avoit promis à ce Prince. On répondit que Philippe
de Bethune , frère du Duc de Sully partiroit inceflammenc
pour l'Italie , avec desinftrudions fur cette affaire.
On demanda encore qu'on renouvellât avec les Suiffes cette
alliance fî ancienne , qui faifoit autant d'honneur à la France
qu elle lui étoit utile : Qu'on leur payât régulièrement leurs
pendons , «5c particulièrement à ceux qui s'étoient diflinguez
au fervice de l'Etat ; Qu'enfin on acquitât ce qui étoit dû au
canton de Berne , qui après celui de Zurich eft le plus conlî-
derable de cette République. Cette affaire avoit été , comme
vous fçavez , agitée à Paris avant le voyage du Roi , & les dé-
putez de Berne imputèrent mal-à-propos ce défaut de paye-
ment à ceux qui ne font pas à préfent à la Cour.
Sur l'article , dans lequel il étoit parlé de la confervation des
droits de la Principauté de Sedan & de Raucour , qui relevoient
de la Couronne de France dès le temps de François I. On accor-
da en termes très-honorables ce qui fut alors demandé 5 mais ce
ne fut pas fans caufer de la jaloufie. On renouvella en particu-
lier ce qui n'étoit pas compris dans l'article , & qui regardoit
le privilège accordé par François I. par rapport au rang & au
droit d'être aflls au Parlement comme Pair de France.
Les quatre derniers articles regardent le Prince de Condé,fo!t
comme chef de fon parti , foit comme fimple particulier. On
lui accorda fans peine que l'Arrêt rendu contre lui à Bordeaux,
deux ans auparavant , dans un temps où il étoit fi odieux à la
Cour, feroit biffé ftu: les regiftres , comme injurieux. Il y eut
plus de difficulté par rapport à la déclaration du Roy , donnée
à Poitiers au mois de Septembre dernier , ôc adreffée à tous les
Parlemens du Royaume. Car il demanda que cette déclara-
tion fût révoquée , comme étant calomnieufe , remplie dé
faits fuppofez , & faite contre les loix & les ufages du Royau-
me : Qu'on fupprimât tous les Arrêts rendus en exécution dans
les Parlemens & les autres tribunaux , & qu'ils fiaffent rayez
des regiftres : Qu'enfin on informât contre ceux qui avoienC
fabriqué le prétendu Arrêt du Parlement de Paris du 1 8 Sep-
tembre , &; ^u on fit le procès a^x auteurs d'un faux fi témerai-
D d d d iii
'5 §2 PIECES CONCERNANT L'HISTOIRE
i*e. On connoilToit aiïez celui qui étoit défîgné (i) par ces ter-
mes , & Il l'on n'eut été arrêté que par la confîdération que cet
homme méritoit , on eût pu finir bien-tôt cette affaire , en le
facrifiant à la jufte colère du Prince de Condé , mais comme
cet attentat avoit été en quelque façon autorifé & approuvé ,
on jugea qu'il étoit d'un dangereux exemple , quelque mani-
fefte que fut le crime , que le Roi abandonnât un fujet qui avoit
cru agir pour fon fervice. Enfin , après de longues contefla-
tions', on trouva un temperamment , par lequel, fans que le
Roi abandonnât ceux qui étoient accufez de faux , on fatis-
fit le Prince de Condé & les autres Princes de fa maifon , com-
me on peut le voir dans l'Edit.
On promit aufli à ce Prince qu'on repareroit entièrement
l'injure qui lui avoit été faite deux ans auparavant par l'Evêque
de Poitiers , (2) que plufieurs regardoient comme l'auteur des
troubles j mais cet article fut fecret, & l'on ne l'inféra pas dans
i'Edit.
Enfin on ajouta que ceux , qui à ce fujet avoient étéignomi-
nieufement chaffez de la ville , feroient fans délai rétablis
dans leur bonne renommée , honneurs , dignitez & biens.
( Ces bannis , comme vous fçavez , poffedoient les premières
charges de Poitiers) : Que les procédures faites contre eux fe-
roient fupprimées -, & que tous les ades faits contre le Prince
de Condé feroient rayez des Regiftres du Préfidial 6c de la
Maifon de Ville.
Tout étant ainfî réglé , l'on rédigea l'Edit , qui contient cia-
quante trois articles. Il fouffrit cependant encore quelques
changemens, dans le dernier voyage que le Débiteur fît à la
Cour.
Pendant l'abfence du Prince de Condé & des Seigneurs de
fon parti , nous allâmes auffi d'un autre côté. Le Duc de Sul-
ly partit pour la Rochelle j afin , dit-il , de réunir les dépu-
tez qui n'étoient pas d'accord entre eux. L'Ambaflàdeur d'An-
gleterre Paccompagna , à la perfuafion du Duc de Bouillon,
( I ) Il veut parler du Premier Pré/î- (2) Ce Prélat avoit fermé les partes
dent Nicolas de Verdun , qui par le cré- de Poitiers au Prince de Condé , fiit ar-
dit de Villeroi fon parent , fucceda à réter le Duc de Roannez , & maltraité
Achille de Harlay . au préjudice de Jac- un gentilhomme du Prince.
gues-Augufte de ThoM.
DE J. A. DE T HOU. ^85
qu! vouloît donner un contradideiir au Duc de Sully. Quoi^
que je fuilc ami du Miniftre Anglois , je defaprouvai ce voya-
ge. Jecraignois les fuites d'un exemple fi pernicieux, & je
prévoyoisdéja qu'on s'en ferviroitun jour contre nous. V^oyaiu
que le Débiteur y avoit donné fon confentement , je décla^
rai dans une de nos aflemblé es particulières , que le voyage
de l'Ambafladeur fe faifoit contre mon avis , & je priai mes
collègues de fe fouvenirde ma proteftation. Le Maréchal de
Briffac ne me defaprouva pas.
Dans une faifon , où la chaleur étoit déjà grande , le Prince
de Condé , qui étoit d'un temperamment très-vif s'étant peu
ménagé , fut attaqué d'une fièvre maligne à fon retour de
Rochefort en Anjou. Cette maladie nous tint en allarmes,
jufqu'au treizième jour qu'elle commença à diminuer. Pen-
dant ce temps on ne refta pas fans rien faire 5 car la mort de
ce Prince eut rendu inutile tout ce qui avoit été arrêté dan«
nos confercnces.Le parti Catholique auroit acquis la fuperiori-
té , & le parti Proteftant eut été obligé de céder , s'il eût perdu
fon chef. Dès qu'il fut convalefcent , & après que nous eûmes
donné des afilirancesfufïifantes pour les articles fecrets, conve-
nus avec les Princes& Seigneurs qui lui étoient attachez , il fi-
gna le traité dans fon lit 5 carfafantén'etoit pas encore rétablie.
Le Duc de Longue ville ne refufa pas d'y foufcrire, quoique fon
accommodement ne fut pas fait , & il envoya le même jour fon
blanc-figné. Les Princes pouf éviter les difputes fiir le rang , fi-
gnerent chacun féparément, & en particulier , comme vous
devez vous fouvenir qu'on a fait à Sainte Menehoud.
Ceci fe pafla le troifiéme de May , jour de la fête de l'in-
vention de Sainte-Croix ; c'étoit le jour de la naillance du Duc
de Nevers , & ce Prince , qui dans cette affaire avoit été com-
me médiateur, nous donna un repas magnifique , quoiqu'on
ne fut pas encore certain fi le traité feroit figné ce jour là 5 car
plufieurs étoient encore indéterminez, & le Prince de Condé
ne figna même qu'après le repas. Dès qu'il eut figné , nous lui
demandâmes des pafleports. Ses médecins lui ont confeillé d'al-
ler prendre l'air àChinon , & il fe prépare à partir. Pour moi ,
en attendant le départ du Débiteur que j'ai réfolu d'accom-
pagner j je vous ai écrit cette lettre. Je ne puis vous marquer
5S4 PIECES CONCERNANT L'HISTOIRE
par écrit quelles font mes conjediires fur les fuites de ce traité;
ni ce que je penfe des véritables difpofitions, où font ceux de
qui notre fort dépend. Il feroit trop dangereux de le faire
dans une lettre , & je me referve à m'expliquer là-deffus, lorf-
que j'aurai le plaifir de vous embrafler. En attendant ayez foin
de votre fanté , ôc portez vous bien.
A Loudun , ce 6 Mai 1616, jour de mon départ pour Chî^
uon.
TESTAMENT.
DE J. À. DE THOU: ^5/
TESTAMENT
DE
JAC. AU G. DE THOU-
Au nom de la Sainte & indîvifible Trinité.
CO M M E il a plu a Dieu que ma chère époufe , Gafparde Traduit Jii
de la Chaftre , que j'avois toujours efperé & fouhaité qui Latin fur Ig
me furvécLit , foit décedée la première , contre Tordre de la ^^"^^nt.
nature : Je Jacques-Augufte de Thou , le plus grand des pé-
cheurs , me crois averti par cette mort douloureufe de pen-
fer férieufement à la mienne , & de difpofer de mes affaires &
de mes biens , comme je fais à préfent par cet ade de mader-^
niere volonté.
Avant toutes chofes , je rends grâces à Dieu du fond de mon
cœur , de ce qu'il m'a fait naître de père & de mère fidèles j
de ce qu'il m'a régénéré par le faint Baptême dans fon Eghfe ;
de ce qu'il m'y a fait participer à fesfaints facremens , & de ce
qu'il a imprimé dans mon ame une foi vive , & non morte,
avec l'efpéranee de la vie éternelle, qui confîfte en ceci :
Que nous croyons en Dieu «5c en fon Fils bien aimé qu'il a
envoyé , le Verbe éternel, né avant tous les fiécles ; fçavoir;
Jefus-Chrift , qui ayant été conçu par l'opération du Saint-Ef-
prit , a pris notre chair , dans le temps, au fein de la bienheu-
reufe Vierge Marie, eflné, afouffert, eflmort &a été enfe-
veli , qui a reffufcité dans la même chair, & efl monté au Ciel,
menant en captivité la captivité même , d'où il a diftribué li-
brement fes dons aux hommes, en leur envoyant, pour ac-
compUr fes promefles, le Saint Efprit , qui procède du Père &
du Fils.
Je fais profefTion de vivre dans cette foi 5 & je demande à
Dieu par mes prières continuelles & par mes larmes , qu'il me
faffe la grâce d'y perféverer confiamment & fanshéfiter, juf-
qu'au dernier foupir : comm.e aulîi je le conjure par fa bonté
Tome XK E e e e
i
A
58^ PIECES CONCERNANT
ïmmenfe , qu'il luiplaîfe de me nettoyer du péché dans lequel
j'ai été conçu, & de toutes les taches de l'infirmité humaine,
ôc d'indigne que je fuis , de me rendre digne par fa miféricorde
de lui fervir de temple , où il daigne habiter , en m'appliquant
pour l'entière expiation de mes péchez le mérite de la palTion
de fon Fils bien aimé Jefus-Chrift , afin que fi la dernière heu-
re venoitàmefurprendre, je me voye enlevé par fes Anges
dans le fein d'Abraham , pour y jouir avec tous les Saints & fes
élus de la félicité éternelle.
A l'égard de mes enfans que j'ai eusdematrès-chere & très-
débonnaire époufe , laquelle je regrettrai toutema vie , & dont
jeferoisinconfolable fansl'efpérance de la réfurrediqji 5 je leur
affigne & nomme pour tuteurs Henri de la Chaftre, Comte de
Nancey , frère de la défunte , avec Henri Vicomte de Bour-
deille , Lieutenant de Roi en Perigord, & Louis Voifin d'Am-
bres mes beaufreres , & parce qu'à caufe de la diftance des
lieux, ils ne pourroient pas toujours être à portée , je leur ad-
joins Jean de Thumery de Boiiïife, Confeiller d'Etat , René de
Thou deBonnœilmon neveu, avec Jacques Gillot & Cy-
prien Perrot , Confeillers au Parlement de Paris. Je les prie
tous en général, & chacun d'eux en particulier, de prendre
foin de l'éducation de mes enfans & de l'adminiftration de mes
biens , & d'aider de leurs confeils & de leur autorité celui que
je nomme & conftituë tuteur onéraire , Martin Paris , Avocat
au Parlement, mon bon ami, à qui, comme à fon époufe,
que la mienne a toujours fi tendrement aimée , je donne & af-
figne dans la maifon que j'ai en ville, un logement commode^
félon l'avis & diredion des tuteurs , pour en jouir lui Ôc fa fem-
me, aulTi long-temps que durera la tutelle.
Pour ce qui eft de mes meubles & de ma vaiffelle d'argent;
je fouhaite qu'on n'en vende, ni qu'on n'en diftraye aucune
partie , fi faire fe peut , mais que ce qu'on en pourra conferver
foit mis en réferve , jufqu'à ce qu'on en fafle le partage entre
mes héritiers.
A l'égard de ma bibliothèque que j'aiamaffée avec tant
de foin & à de fi grands frais , depuis plus de quarante ans ,
& qu'il importe qui foit confervée en entier , tant pour
îe bien de ma famille , que pour celui des bonnes let-
tres , je défends qu'on la partage , ou qu'on la vende , ou qu'oa
J. A. DE THOU. 587
îa laiffe difllpei* y de quelle manière que ce foit ; mais je veux j
que conjointement avec mes Médailles d'or , d'argent & de
cuivre , elle refte en commun entre ceux de mes fils , qui s'ar-
tacheront aux lettres, de telle forte pourtant qu'elle foit ou-
verte aux Etrangers & aux fçavans , pour l'ufage du Public.
J'en commets la garde à Pierre Dupuy mon allié , qui m'eft
cher par tant d'endroits Jufqu'à ce que mes filsfoient devenus
grands , & je lui permets outre cela d'en prêter les Manufcrits
à ceux qui en auront befoin , pourvu qu'on s' allure d'une ma-
nière convenable de la reftitution.
Je le prie donc lui , & auiTi Nicolas Rigault , Avocat au
Parlement & Bibliothéquaire du Roi , également recommen-
dable par fa fcience & par fa probité , de favorifer de leurs con-
feils 6c de leur diredion l'inftrudion de mes enfans dans les
lettres , de les vifiter ofEcieufement , ôc d'affifter leurs maîtres
de leurs bons avis.
Pour ce qui eft de mon Hiftoire que j'ai compofée (j'en
prends à témoin le ciel & la terre ) àla gloire de Dieu & à l'uti-
lité publique , fans haine & fans flaterie , & doiit j'ai une co-
pie en état d'être imprimée : J'entends ( en cas que je vienne
à mourir avant que l'édition s'en faife ) que cette copie foit re-
mife entre les mains defdits fieurs Dupuy & Rigault , & je les
charge d'exécuter mon intention , en fe fervant pour cet effet
des confeils des Frères de Sainte-Marthe , qui par leurs foins &
leur exaditude m'ont été d'un grand fecours dans la compofl-
tion de l'ouvrage entier.
A l'égard de mes autres compofitions, qui feront trouvées
parmi mes papiers, je les remets & les confie à la fidélité des
deux amis que je viens de nommer.
Au furplus , je conjure avec tout le refped & toute l'ardeur
dont je fuis capable , Madame de Bourdeille & Madame
d'Ambres , les fœurs de ma très-chere défunte , de conferver
pour mes enfans îa même tendrefle & la même affedion , dont
elles ont honoré la mère , & principalement de prendre foin
de mes filles , foit qu ils'agiffe de les placer dignement, ou de
ies mettre en Religion \ ce que je ne fouhaite pas qu'on faffe ,
avant l'âge prefcrit par les loix j ni par contrainte.
Quant à mon corps, en quel temps ou en quel lieu que je
vienne à mourir , je veux qu'on l'enterre à côté de celui de
E e e e i j
^88 PIECES CONCERNANT
mon époufe , que je ne puis ni ne dois jamais nommer fans un
éloge honorable , ni un vif fentiment de fa perte. Pour ce qui
eftdulieu de l'inhumation, je n'ai rien encore déterminé fur
cet article j mais je l'indiquerai dans un codicile à part, iî je
vis 5 ce que je me réferve de faire auffi , par rapport à mes au-
tres biens ou effets , legs ou donations à faire aux préfens ou
aux futurs , dans ma famille j de telle forte néanmoins qu'il ne
foit dérogé en aucune façon à cette mienne volonté teftamen-
taire ^ que je veux oc entends qui foit ferme, valide ôc cer-
taine.
Je Jacques- Augufte de Thou , fain de corps , & du refte
penfant à la mort , comme fi JeCus-Chrift étoit proche 5 j'ai
écrit ceci & l'ai foufcrit de ma propre main. Fait en l'Hôtel
d'Achille de Harlay , cy-devant Premier Préfident du Parle-
ment, mon beau-frere, où je me fuis tranfporté ^ pour cher-
cher dans la fohtude quelque foulagement à ma douleur. Le
13 Juillet de l'an de grâce 1616.
J. A. DE THOU. 58p
Rapport de la maladie dont mourut Jacque-Augufte de Thou ^par
FaulReneaulme de Blois , Médecin.
Ce Rapport efl: écrit fuivant le fyftême des Ecoles du temps, auquel vl- ;
voie rAuteuu , & les Phyficiens modernes ne s'accommodcroient pas j
des raifonnemens qu'il a employez. Onpourroit néanmoins les jufti- |
fier & prouver que les nouvelles découvertes n'ont pas donne de meil- .
leurs fyftêmes , ni des raifons plus folides -, & que de plus, cela n'a rien !
change à la bonne pratique , parcequ'elîe n'eft fondée que fur l'obfer- \
vation , & non fur les raifonnemens pliyfiques.
{
I
Ouelle a été la cauje de la mort de Monfieur de Thou ?
IL y avoit déjà quelques années qu'il s'étoit formé dans le Tratîmt ^ii ''
foye de Monfieur de Thou une obftrudion confidérable. Latin fur le i
occafionnée par les matières gluantes & groffieres que le ven- ^^^"'* ''^"*' '
tricule fourniflbit à ce vifcere , toutes les fois qu il fembloit '
lui demander du Chyle. *
Comme ce foye étoit fi étendu , qu'il touchoit prefque à k
satre, il avoit plusfouvent befoin d'alimens, que la tempe- \
rance de ce grand homme ne lui perfuadoit qu'il fut permis |
d'en prendre , parce qu'il étoit d'une frugalité admirable ôc A
fmguliere. ;
La faculté naturelle , lorfqu'eîle eft foUicitée , ne fouffre au- j
cun retardement 5 fi-tôt que le Chyle étoit épuifé , c'étoit en i
vain que le foye fe trouvoit obhgé à perfedionner ce qui .
avoit été fuccé par les autres parties , telles par exemple que ;
le cerveau , &c. aufquelles le ventricule les envoyoit : Je dis .
en vain, parce que les humeurs excrementeufes , ne peuvent ,
jamais être amenées au point de devenir alimenteufes, ou pro^' , i
près à la nutrition. . '
Ajoutez à cela que ce fçavant homme aimoit très-fort l'é- ^
tude , ce qui le rendoit fi avare du temps , qu'à peine il avoit \
pris fa réfedion qu'il s'en retournoit promptement à fes U- j
vres. '
On fçait que cette contention d'efprit nuit beaucoup aux •
autres fondions naturelles , & que fur-tout elle eft très-con- ;
traire à la difîjeftion. Quand une fois la codion des alimenS' i
E e e e n; i
5i?o PIECES CONCERNANT
eft mal faite , elle ne peut être redifiée j car les défauts de la
première codion ne fe reparent jamais dans la féconde. Il
falloir donc néceffairement que les humeurs crues & indigef-
tes approchantes de la nature des excrémens , s'attachafTent au
foye , & y reftaflent adhérentes : de-là il s'en eft fuivi que le
fang chargé de fèces ou lie , ne pouvoir être porté à la ratte ,
laquelle fruftrée parce moyen de nourriture s'eft fechée & flé-=
trie. Prefque tous les vaiiTeaux du foye étant engorgez , le
fang groffier & trop épais ne trouvoit aucun moyen de s'échap-
per , ainfi il s'eft accumulé dans cette partie en fi grande quan-
tité , qu'il a formé àes tumeurs du caradere des fchires phleg-
moneux, lefquelles fi-tôt qu'elles fe font enflammées, elles
ont caufé une fièvre triple-quarte continue.
Quoique cette efpece de fièvre foit mortelle , elle paroît
néanmoins légère dans fes commencemens 5 mais par fa lon-
gueur elle confume infenfiblement l'humide radical. Les re-
doublemens de cette fièvre revenoient tous les jours , mais
.inégalement 5 car chaque quatrième jour la violence du re-
doublement augmentoit. Pour lors le malade , quoique très-
iiiodefte & plein de courage , devenoit de très-mauvaife hu-
meur, jufquà s'emporter vivement pour de très-légers fu-
jets.
Le mouvement de Thumeur morbifique excitoit des vents^
îefquels faifant une extenfion prompte de la tunique du foye ,
caufoient dans cette partie de très-vives douleurs.
Lorfqu' enfin, par l'augmentation continuelle de cette hu-
meur , l'obftrudîon fut parvenue à fon terme , environ au bout
de trois mois, à compter du commencement de la maladie ,
l'embarras du foye vint au point,que la bile ne paflbit plus dans
dans les inteftins 5 la preuve certaine de cet accident, c'eft que
îes excrémens étoient de couleur cendrée.
Cette humeur s'étant détournée fur les autres partie?, elle
varia l'efpace d'un mois de l'une à l'autre , & fe jetta enfin
fur la jambe droite. Vers le matin toute cette partie s'enfla con-
fiderablement , & forma une grofle tumeur, accompagnée de
douleurs infnrmontables , & le même jour, trois heures après
une faignée de la bafilique droite , il expira.
J. A. DE THOU. ;pï
Jacques- Augude de Thou mourut ie 7. Afay 1(^17. & ce
même jour ii compofa les Vers Latins fuivans fur fa maladie ,
dans lefquels on remarque autant de prefence d'efprit que de
courage. Ils font adreflez à Jean de Thumery de Boiflife ,
Confeilier d'Etat , fon intime ami.
Vlgefimtis prêter Ht & ccfjtejînfus
Dies , reclmi corpore ex quo in fellala
Humtli recumho j flermr aut fupra torum »
Tandemt^ue plane clmicus jaceo domi ,
Inter do l or es languidtim corpus trahens ,
Pejor priore femper ^ fecjHens fuit.
Tentata , te inonente , yiequicqtiam omnid ,
u^mice T H UM eri , debeo cui vit dm h^Menus,-
uifclcpiadum cejjit in vanum labor :
Fritfira rogatus (3 bonus Renealmius
Peculiaris abdtta artis pmdere ,
Stertit profundum nocle , dum crucier mi fer.
Quid jam amplius moramur in terrejlribus y
Graviora morbo ^ experimur remédia ?
Tcntanda cœlo per pias preces via :
Nec vita tanti efi , tamdin , ut vivas ^ mort.
Non. Mau cid iocxviî,
TRADUCTION
A M Y , j'ai vu des nuits l'inégale courrierc
Commencer cjuatre fois & finir fa carrière s,
Depuis que le fommeil n'eft entre dans mes fens.
Un trifte jour amené un jour plus rriûe encore s
D'un corps exténue que la douleur dévore
Je difpute à la mort les reftes languiiTàns.
Reneaume de (es foins voit tomber l'efperance ,
Je ne fçai s'il me pleure » ou s'il craint de me voir.
Amy pour tes confeils ma feule obéïiïance
M'a fait d'un An douteux épuifer le pouvoir.
Eh que m'a t'il fervi ! qu'à prolonger tes craintes ,
Qii'à joindre à tant de maux dont )e fens les atteintes
Des remèdes encor plus cruels à fouffrir.
La vie eft importune à qui ne peut guérir.
Ciel aide ma foibleffe & pardonne à mes plaintes ;
Avant que d'expirer c'efl: trop de fois mourir.
H
'5^2 PIECES CONCERNANT
Monfieur de Thou avoit compofé cette Epitaphe en Vers
Latins pour êtremife fur fon tombeau.
A. jl-. a.
Eic in quiète buccina exfpeclo fonunii
Animas jubebit quum folmas ad fut^
Humi relibla tranfvolare corpora ,
Interque fnnUos ultimA fententitz
"judex fedebit ^ fuperflites Deas,
Ubiqae qnd fervata femper ab omnibus^
Hanc tpfe , quantum corporis non noxit
Hebefve [enfus ingeni non objiitit ,
Tenerïs ab an m s ufqiie fervayi F idem.
M.ihi cuit a corde [anUa nçn fi^o Trias ^
Et criminis Crttx expiatnx non fui.
Aiihi veritatis cura vitA commodis
Antiquiorque charitatibus fuit ;
NulUque faÛo , voce nulli injurius ,
Injurias patienter aliorum tuliy.
Tu , quifquis es , qualifque , quaniufque » o bone f
Si cura veri efi ulla , fi pietas movct y
ji me meifque injuriam j qutzfo , abjitne.
îLa mesme Epitaphe en François,
C Y j'attens le jour où l'éternelle voix
Doit commander aux morts de revoir la lumière.
Jour j où le jufte Juge à la nature entière
Donnera Tes dernières Loix.
Ma docile raifon conferva la Foi pure ,
La Foi de mes Ayeux , ^ leur fimplicité j
Combattit Tans orgueil ^ 8c fouffrit fans murmure
Les défauts de l'humanité.]
Contredit & perfecuté
Je n'oppofai jamais le reproche à l'injure.
Se(^eur de la vérité
Et ma plume ôc ma voix lui fervirent d'organe^
Sans mêler à fon culte ou l'intercfl: profane ,
Ou la haineindifcretcou la timidité.
France, fi je n'eus rien de plus cher que ta gloire ?
Pu nom de Citoyen Ci mon cœur fut épris ,
Donne tes pleurs à ma mémoire
Ja confiance à mes écrits,
I
On
T'jinXP^- f.^7 Si) 3
ya rud'
l\-<nibi.uni l{<.^ JlU' ■^■lii<1i'^'t<' iU'^^/i^^ii t/^xiui /'t^\jlt.>i' ./.■ .'Vv-y/;.//-. • </<'.>.//-.•." ^Ptjfu^ ._
D E J. A. D E T H O U, p^5
On ne peut mieux terminer cet article , dans lequel on a
raflemblé les différentes Pièces qui ont rapport à la mort de
Jacques-Augufte de Thou, que parla defcription de fon Tom-
beau. Il eft dans la .Chapelle de fa famille dans l'Eglife de
Saint André-des-Arcs à Paris , & il lui a été érigé par Jacques-
Augufte de Thou fon fils , Prefident au Parlement & Ambafla^
deur de France en Hollande. Ce Magiftrat étoit magnifique
dans tout ce qu'il entreprenoit. Ce monument en eft une
preuve. Le goût d'architedure en eft excellent , & les fculptu-
res font d'une exécution parfaite. C'eft en faire l'éloge que d'en
nommer feulement l'Auteur qui eft François Anguier, l'un
des plus habiles Sculpteurs que la, France ait produit dans le
dernier fiecle.
Le milieu de ce Tombeau eft occupé par un Sarcophage ;
élevé fur une bafe , fur la face de laquelle (i ) eft gravée fur un
marbre noir cette Infcription Latine à la mémoire de JacqueSf
Augufte de Thou.
A. ±. ^.
Jacobo. AuGi;sTO. Thuano. Christophori. filïo;
iN. Regni. Consiliis. Adsessori. amplissimi,
SeNATUS. PrESIDI. LITTERARUM. QUiE. RES. DIVINAS.
ET. HUMANA S. AMPLECTUNTUR. MAGNO. BONORUM.
ET. ERUDITORUM. CONSENSU. PERITISSIMO. VARIlS,
LEGATIONIBUS. SUMMA. SINCERITATE. AC. PRU-
DENTIA. FUNCTO. VIRIS. PRINCIPIBUS. iEVO. SUO
LAUDATISSIMIS. EXIMIE. CULTO. HISTORIARUM.
SCRIPTORI. QUOD. IPS.Î:. PASSIM. LOQUUNTUR. CE-
LEBERRIMO. CHRISTIAN^. PIETATIS. ANTIQU-^-
RETINENTISSIMO.
V I X I T. A N N. L X I I L M E N S. V L D I E S. XXIX.
Obiit. Lutet. Paris, non. Mail CI3 lOCXVH.
Parcissime. censuisse. videtur.
Qui. tali. viro. seculum. depuis se. dixit. -
(O A l'endroit marqué A. fur la planche.
TomeXK Ffff
55)4 '^-IPÎECÊS ■ CONCÈRN-ANT '
Uii bas- relief de bronze reparé avec un grand art orne la
principale face de ce Sarcophage. L'on y a reprefentél'Hiftoi-
re qui écrit fur un écuffon le titre de l'ouvrage immortel de
de Thou, & des Génies qui l'accompagnent , & qui caraderi-
fent la pieté, l'élégance, la fermetés l'équité & la profonde éru-
dition qui régnent dans ce grand ouvrage. Deux figures d'hom-
mes d'un deflein corred & fçavant, qui font affifes fur ce Sarco-
phage j au milieu des armoiries de la famille des de Thou,fup-
portent un entablement qui règne fur toute la compofition , &
qui eft encore foutenu par quatre colonnes de marbre , d'ordre
d'Ionique j dont les chapiteaux & les bafes font de bronze. Ces
colonnes accompagnent de chaque côté deux grands piedef-
taux fur lefquels on lit en lettres d'or fur des tables de marbre
noir, à droite (i) l'infcription fui vante qui eft l'Epitaphe de
Marie Barbançon-Cani première femme de Jacques-Augufte
de Thou.
D. O. M.
M A R I /E. B A R B A N S O N ^. C A N I ^. F R A N CI S CI. F,
MiCHAELlS. PiCARDIvÈ. LeGATI. N.
Q U .î:. D U M. V I R O. M Ô R I G E R A.
Et. patriti^. cur^. dulce, levamen.
çoncordiam. conjugale m. suavissimam. faciens.
Interiore. ac. sincera. pietate.
ASSIDUA. librorum. sacrorum. lectione.
Alacri. et. animosa. erga. tenuiores. benignitate.
In. omneis. liber al itate.
MORUM. sanctitate.
.VeTERIS. et. CLARIS s. VAMîLim. DEÇUS. AUGE T.
In. hoc. virtutis. vit^que. cursu.
Florentibus. adhuc. annis. krepta. est.
Jacobus. Augustus. Thuanus.
TaNT^. JACTURiï. PROPEMODUM. INTOLERANS.
Hoc. MONUMENTUM. UXORI. INC omp ar abi l u
M ^ s T I s s. p.
VlXiT. ANN. XXXIIIL M. VI. D. XVL
Obiit. a. s. ci 3. I 3 C. I. non. sextilib,
Have. et. va le. dimidium. anim^. me.^.
DlMlDIUM. QUOD. SUPEREST. CUM. DeUS. VOLET»
In. CiELlS. RECIPE RATURA;,
(î) A l'endroit marqué B.
J. A. DE THOU. 5-9 j
■ Et à gauche (1) celle de Gafparde de la Chaftre fa féconde
femme.
A. ±. Cl.
ViRTUTE. ET. GENERE. N O B I L I S S I M A M. GaSPARAM*
Chastream. Gasparl Chastrei. Nanc^eani.
Regi^. Majestatis. Custodum. pr^fecti. fili am.
Jacobus. Augustus. Thuanus. Christophori.
riLIUS. REPETITO. SaCRAMENTO. CONJUX. CONJU-
GEM. NONO. SUPRA. TRICESIMUM. JET ATI S. A N N O.
COELO. RECEPTAM. T N S O L A B I L I. QUANTUM. LICUIT.
DESIDERIO. SEQUUTUS. EST. DeCIMO. POST. MENSE.
ANNO. CL I M ACTERE. DeUS A N N U I T. OPTANT!.
De. conjugio. per. annos. de ce m. et. quatuor.
UTRIMQUE. SANCTISSIME. TRANSACTO. FILII. TRES.
TOTIDEM. FILI^. COMMUNIBUS. votis. optimorum,
parentum. memori^. tumulum. bona. PIAQUE»
MENTE. NUNCUPAVERANT.
Jac. Aug. Thuanus. Jac. Aug. F. ordîNis. am^
PLISSIMI. SeNATOR. ta m. SUIS. QUAM. FRATRUM. AC.
SORORUM. ADFECTIBUS. OBSEQUENS. FACIUNDUM,
CURA VIT.
Les Statues de marbre de ces deux Dames , font pofées au=
deflus de r entablement auiîl-bien que celle de Jacques-Au-
gufte de Thou qui eft au milieu. Elles font reprefenrces à
genoux , chacune devant un prie-Dieu. Celle de Marie Barban-
<^on-Cani première femme de de Thou , eft l'ouvrage de Bar-
thélémy Prieur , ainlî que Monfieur de Thou l'apprend lui-mê-
me à la fin des mémoires de fa vie. Les deux autres Statues
font de François Anguier. Le refte des fculptures & tous les
membres d'architedure font d'une pierre de liais qui par fa
blancheur & la finefte de fon grain égale ie plus beau marbre.
L'on voit encore dans la même Chapelle l'Epitaphe de
Chriftophle de Thou Premier Prefident au Parlement de Paris^
(i) A l'endroit marciué C.
Efffij
^^6 PIECES CONCERNANT J. A. DE THOU.
père de notre Hiftorien. Elle eft ornée de fort belles fculptiires
& du Biifte de ce grand Magiftrat en marbre, qui eft placé dans
une niche , au pied de laquelle on lit cette Infcriptipn Latine.
D. O. M.
Christophoro. Thuano. August. F. Jac, N*'
Equiti. qui. omnib. Tog^. munerib. summa. cum.
eruditionis. inte gritatis. p ru d entite. laude.
perfunctus. amplis s imosque. honores. sub,
Franc. I. H e n r i c. 1 1, F r a n c. IL K a r. IX. H e n r i c*
III. Christi ANiss. Regibus, consecutus. Senatus,'
Paris. Pr/eses. dein. Princeps. sacri. consis-
torii. Consiliarius. mox. Henr. tunc. Aurel.'
Ac. DEMUM. Franc. Andeg. DD. Cancellarius.
tandem. CUM. DE. JuDICIARIO. O R D I NE. EMENDANDOi
Qu-aESTURA. ReGNI. A. FR AUDI BUS. A C. R A P l N l S»
VINDICANDA. ET. ScHOLAR. DISCIPLINA. RESTI-
TUENDA. COGITARET.NULLA. INCLINAT -Œ. ^TATIS,
INCOMMODA. ANTEA. EXPERTUS. EX. IMPROVISA-
FEBRI. DECESSIT.
UXOR. L IBERIQUE. M O E R. P.
VlXiT. ANNOS. LXXI V. ME N SE S. III. D I E S. V. OBIIT.
A N N O. M. D. L X X X I I. K A L. N O V E M iB.
AVERTISSEMENT
AVERTISSEMENT.
Sur les Mémoires fui vans de M. Pierre Du Puy ^
fervans àla Juftificationde M. François
De Thou.
E f une fie fort de M. François de Tbou a été raconté
par plujteurs Ecriyains, L' Hiftoire du Chevalier
Nani , les Mémoires de Vittono Siri , les Mémoires de
M, le Comte de la Chaftre y la Réponfe de M. le Comte
de Brie?me aux Mémoires de M. le Comte de la Chaftre ,
les Pièces ajoutées au Journal de M. le Cardinal de Riche-
lieu y les Mémoires de M. de Mo?itrefer ir de M. de Fon^
tr ailles , iHtJloire de Louis XIIL par M. le Vajjor , le
DiSîiorinaire de M. Bayle , fournijjent , les uns plus ,
les autres moins ^ des particularités ^ ou des réflexions fur ce
fujet.
Si d'un coté , on prenoit fur foi de choijîr de ces dijférens
Auteurs , ce quon jugeroit le mieux fondé , on s'expoferoit
à être accufé de partialité. Si d'autre coté , on recuedloit
fans choix tout ce quils ont débité , tant à V égard des faits ,
que des raifonnemens fur ces faits s on f croit un amas confus
<iS* ennuyeux de paffages , tirés de Livres qui fe trouvent
dans les Bibliothèques les plus communes des Particuliers,
Un tel recueil feroit même ici inutde s la Pièce fuivante
de M' du Puy n ayant hefoin d'aucune forte dLntroduHion
ou i Eclairciffement» Car M. du Puy y fait une déduBion ,
non feulement des Pratiques <jr des Dejfeins , dans lefquels
f on parent fe trouva engagé ^ ou qui luifurenp imputés > mais
Tome XVo J A
e AVERTISSEMENT.
auffl de lu procédure quon fit Id-dejfus contre lui : laquelle
( félon [es allégations ) fut pouffée fort au-delà des bornes
établies y iU" des règles ufitées du Droit public , même en
France : i^ fur cette déduBion , il forme un fyjlème d'ar^
o-umens , <^ de raifonnemens , pour jujiifjer l'Accufé , ^
faire yoir que ceft à tort quil a ete condamné. De forte y
que cefl un Ouyra^e complet, O* qui fe foittient par lui^
même*
^X ^ ^ ^ ^ -a ^, a* ^ ii' ^ ^ ^ ^ n* ^ X\
m m m
MEMOIRES
ET
INST R UC T I ONS
Pour iervir à juftifier l'innocence de Melîîre Francols-
Augufte de Thou , Confeiller du Roi
en fon Confeil d'Eftat.
I. T^RE F AC E.
II. J^ Requefte au Roy.
III. Relation particulière & véritable de tout ce qui se fi pajjé au
procès criminel faiâ à M, de Thou y ù" des moyens qui ont
ejlé tenus pour le faire mourir.
IV. Premier chef d' accufation. Comment M, de Thou a Jceu le
Traiâé faiâ avec le Roi d'EJpagne ^ & quelle preuve il y a
contre lui de ce fai6î.
V. Second chef d'accufation. M. de Thou efi accufé d'avoir lié
d^ amitié M. le Duc de Bouillon avec M. le Grand Efcuyer >
qui fe font depuis unis avec M. le Duc d'Orléans , auquel le
Sieur Duc de Bouillon donnoit la ville de Sedan pour retraite.
Examen des principales allions du Cardinal de Richelieu^ pour
fe maintenir en l' adminifirationfouveraine du Royaume.
VI. Qjis lesformaliîez doivent efire obfervées en jujîice , mais très'^
exaÛement en la criminelle.
Qite la confrontation de f accufé à toutes fortes de tefnoins ,
efi abfolument nécejjaire.
VIL Quelle foi peut-on adjoujîer à la dépofition d^un tefmoin qui
efi accufé & coulpable,
JAij
. >
A ^. ryât^j^
;l5>.-ô
.'^-
4 MEMOIRES POUR JUSTIFIER
yill. Moyens généraux contre ^ordonnance du Roy Louis XI ^
touchant le crime de Leze^MajeJîé j ou efl reprejenté Pejîat du
gouvernement dudiâl Roy»
IX. Moyens particuliers contre ladiâle ordonnance.
X. Confideratîons fur la trop grande rigueur d'aucunes ordonnan-
ces, & ce qui efi à propos d'ejlre obfervé en ce cas par les
Juges,
XI. Si celui qui fçait ftmplement une conjuration contre PEJîat &
ne la révèle , ejl punijfable comme Pautheur principal de la con-
juration.
V opinion de Barthole qui a tenu Paffirmative , ejî examinée
(cT" refutée , avec les lieux de quelques Docîeurs de Padvis
contraire.
XII. Exemples tirez^ de divers HiJIoriens tant anciens que moder^
nés } four monjlrer que ceux qui ont ejîé accufés d'avoir fceu
quelque conjuration , quils nom pas révélée y ou nom pas eflé
punis s ou s'ils Pont efté , la peine a efié beaucoup moindre que
celle des principaux autheurs , <& de leurs complices.
XIII. Examen de deux exemples trh-illujîres , dont P on s* efl fervy
pour jufîifier Paâion des Commijfaires.
XIV. Contre les CommiJJaires en gênerai, <& les Commijfwns ex-
traordinaires.
XV. Relation véritable de ce qui s*ejî pajfé à la mort de M, de
ThoM.
I. Préface.
N Ou s ne doutons point que ces Mémoires ne fa/Tent
horreur à tous ceux qui prendront la peine de les lire ,
Ôc encore plus à ceux qui en confidereront les conféquences.
Nous ne faifons point le mal plus grand qu'il efl: , nous n'in-
ventons rien pour efmouvoir à compalTion : pleuft à Dieu qu'il
y euft quelque artifice pour diminuer les caufes de notre def-
plaifir ! la fimple & nue narration aura afifez de force pour flef-
chir \q5 plus durs ôc impitoyables , pour donner de la chaleur
aux plus froids/ pour efmouvoir les infcnfibles, ôc les plus dé-
vouées créatures du Cardinal de Richelieu. Comme cefte adion
tragique eft une des dernières de fa vie , & poffible la plus noire
& inique, aufli lui a-t-elle autant & plus excité d'ennemis que
MONSIEUR F. A. DE THOU; y
îâ plus grande partie de celles qui noircirent la mémoire de
fon nom.
Nous voyons bien que nos plaintes feront vaines, feront inuti-
leSjque nos veritez feront incroyableS;ne feront pas bien receues:
mais pour cela faut-il cefler de les dire ? nous les devons à la
pofterité, nous les devons à la mémoire de celui que nous pleu-
rons^ 6c dont nous déplorons le fort j nous les devons enfin
déclarer à tout le monde, pour confondre les mefchans, pour
faire cognoiftre leur infamie.
Les plus fages j ôc qui ont jugé plus judicieufement des cho-
fes dès l'inltant que le Cardinal fuft appelle à l'adminiflration
du Royaume, jugèrent qu'il feroit caufe d'une infinité de gran-
des calamitez. Sa vie palTée , quoi qu'aflez obfcure ôc dans
le commun , fa profonde ambition , fon avarice infatiable , ôc
la manière dont il entra dans les affaires , donnèrent lieu au
préjugé 3 mais quand l'on vit les perfonnes qu'il approcha de
luy,gens corrompus, mcfchans, voleurs j 6c nais à lafervitude>
l'on commença à appréhender tous les maux qui ont travaillé
ce Royaume depuis près de vingt années. Car il n'y a partie
dans i'Eftat , ôc cela ne fe peut nier , qui n'ait fouffert en fon
particulier. Le Roy mefmes que n'a-t il point enduré f La
Reine fa mère, la-Reine régnante, M. le Duc d'Orléans ^ les
Princes du Sang, les Grands, les principaux Officiers, plu-
plufieurs Evefques, les Cours Souveraines, la Jullice en gê-
nerai, l'Eglife, la Noblefle , le Peuple , tous les Officiers quels
qu'ils foient, les Villes, les Provinces entières, bref tout le
Royaume , ont pati à diverfes reprifes ôc en pluficurs manières.
Il faut certainement eftimer heureux, Ôc très-heureux ceux
que Dieu a appeliez à lui avant qu'il ait permis que ce fléau de
l'Europe ait empiété le gouvernement de cette Monarchie ;
ils euffent veu vicier les droits de la nature au hault point qu'ils
l'ont été : ils n'ont point veu les violentes injuftices, les em-
prifonnemens , ôc les banniflemens d'un millier de perfonnes
de toutes conditions , à qui l'on n'a pu faire reproche de la
moindre faute : ils n'ont point veu la plus déteftable injuftice ,
la mort du Marefchal de Marillac, où il a fallu violer tout ce
qu'il y a de plus réglé en la juftice , les juges corrompus par des
charges 6c par argent, recompenfez avant Ôc après l'adion.
Enfuite rien n'a efté impoffible , les empoifonnemens de
JAiij
5 MEMOIRES POUR JUSTIFIER
plufieurs perfonnesde grande condition, les rudes ôc barbares
traiiSlemens que les plus innocens ont enduré pendant de lon-
gues & cruelles prifons. Ils n'ont point veu les Parlemens fans
autorité, les peuples faccagés, la création d'un million d'offices
inutiles aux acheteurs ôc à la foule du peuple, la publication
d'un nombre effréné d'Edi£i:s burfaux ôc iniques. Ils n'ont pas
efté la proye des partifans ôc des créatures du Cardinal , ils
n'ont pas veu un tas de faquins eflevez aux plus hautes dignités,
riches des defpouilles des plus illuftres familles > ôc de la plus
pure fubftance du peuple : bref ils verroient noftre Eftat cor-
rompu ôc cangrené en toutes fes plus nobles parties , quoi qu'il
femble vigoureux ôc bien fain en fes extrémités.
Pendant ces tems dangereux la vie privée en des perfonnes
de grand mérite, a efté une marque d'une profonde fagefTe. Il
ne faut pas s'eftonner, fi après un long ôc miférable règne, qui
a duré la meilleure partie de la vie d'un homme , beaucoup ont
péri par les guerres. Les plus généreux ôc magnanimes , impa-
tiens de cette dure fervitude, ont paflfé fous la violence de celui
qui avoit le pouvoir abfoîu dans TEftat. C'eftoit un crime ca-
pital d'eftre eftimé , d'eftre aimé des gens de bien ; la vertu ôc
la bonne réputation d'un homme eftoient les principaux crimes
qui le faifoient périr.
L'avarice de ces tyrans a efté fi extrefme , que tout homme
riche a efté leur ennemi; tout leur a efté bon , les richeffes de
l'Orient ôc de l'Occident n'eftoient pas capables de les con-
tenter : la France autrefois le fiege de la vraye juftice^ a efté
le Théâtre où toutes fortes de violences ôc de voleries ont efté
exercées avec mériter la France, dis- je, pour fe délivrer de
la fervitude , s'eft defpoûillée de tout ce qu'elle avoit de plus
précieux, l'a abandonnée à ces harpyes. Cefte volontaire, ôc
s'il le faut ainfi dire, miférable contribution , a fi peu amolli leurs
cœurs, que nous avons efté contrains de donner noftre plus
pure fubftance pour accroiftre nos miferes. Ils appelloient , tant
ils font effrontez , du nom de Paix l'eftat où ils nous avoient
réduits de n'avoir plus de voix pour nous plaindre, bien loin
de pouvoir faire un pas pour nous deffendre de leurs oppref-
fions. Il n'y a rien, il n'y a nulle forte de bien qui ne foit en
party 5 les partifans font les maiftres de ce qui nous refte de nos
fortunes ôc de nos vies : la moindre parole , non pas de vigueur >
MONSIEUR F. A. DE THOU. 7
mais de plainte, eftoit un crime de leze-Majefté , Ci Ton obéïf-
foit fans murmure , il l'on fe retiroit pour ne point voir rou-
tes ces violences j c'eftoit une cabale , c'eftoit une marque que
l'on ne confentoit pas au mal que l'on nous faifoit. Certes no-
ilre lafcheté , noftre mefintelligence ont acreu l'audace de ces
mefchansj les ont ellevez au point où nous les avons veu , ôc
ou ils font encore : nous avons fai6l comme les chameaux ,
nous avons receu à genoux les charges que Ton a voulu im-
pofer fur nos telles.
Ils n'ont point appréhendé que noftre patience fe tournaft
enfin en fureur : ayant volé tout l'argent de l'Efpargne, ils ont
elle obligés de commettre mille ôc mille cruautés pour fatis-
faire aux grandes & excelTives defpenfes. Eftoient-ils fortis d'un
delTein qui avoit englouti des fommes immenfes, ilsrentroient
aufTy-toft dans un autre plus fpecieux , pour l'execudon duquel
il falloit des millions. Ils ont faid comme ces fourbes d'Alchi-
miftes , qui propofent tousjours chofes nouvelles , autant d'ad-
vis autant d'affronteries , autant de moyens d'extorquer de l'ar-
gent. Ils ont creu que ces infâmes ôc continuelles flatteries ,
dont le Cardinal ôc eux ont efté fi long-temps corrompus, ef-
toient véritables ? que c'eftoient des fentimens de perfonnes du
tout foubmifes , ôc qui adoroient leur puiflance ôc leur con-
duite. Ignoroient-ils qui n'y a que les plus mefchans qui fe laif-
fent furprendre à ces fauffes louanges , que les gens de bien re-
jettent mefmes les véritables , ôc abominent les extraordinaires.
Quelques-uns fe font moquez de leur folle ftupidité de s'eftre
imaginez que leur autorité feroit perpétuelle , ôc d'avoir creu
que leur puiflance tyrannique auroit ce pouvoir , que d'effa-
cer de la mémoire de tous les François leurs mauvaifes adions :
certes la crainte ôc la cruauté font de trop foibles liens pour
conferver l'amitié Ôc la bienveillance, elles fe convertiflent
fort facilement en haine.
Mais, dira quelqu'un, où eftoit le Roy majeur, ôc le plus
autorifé Prince de l'Europe pendant tant de miferes ôc d'op-
preflions fur fon peuple ? Eft-il bien poflible qu'il n'ait pas veu
ce qui s'eft pafle dans fon Royaume , ôc qu'il ne l'ait pas au-
torifé ? Il faut certes avoir participé à tous ces crimes , faut
avoir efté efclave du Cardinal , ou idiot infenfé pour former
cette oppofition. Scait-on pas de la façon qu'ils ont traitté le
2 MEMOIRES POUR JUSTIFIER
Roy , de quelle forte fon efprit a eflé agité voyant tant 6c tant
de chofes contre fon bien propre , contre celui de fon peuple :
quelques profperités en fes affaires l'ont charmé , mais il a
tousjours veu les mauvais deffeins de ces gens-cy fes enne-
mis capitaux. Il a tousjours aflez fait paroiftre la haine qu'il portoit
au Cardinal, depuis le premier jour de fon adminiftration juA
ques à l'heure de fa mort. Sçait-on pas les ardfices dont ils
ont ufé pour feduire ce pauvre Prince j artifices incroyables ,
cogneus de peu de perfonnes , ôc Ci délicatement conduits ,
que les plus clair-voyans y euffent efté pris ; des intelligences
doubles maniées avec toutes les addrelfes imaginables , des
volleries couvertes du mafque du bien public. Ils lui ont fait
vouloir ce qui eftoit contre fon propre bien. Nous ne man-
quons pas d'exemples de plufieurs grands Princes bien advi-
fez , qui on efté feduits ôc trompez par leurs principaux Mi-
niftres. II n'y euft jamais Prince plus advifé , plus rufé que FEm-»
pereur Tibère : que ne fit point Sejan fous lui , combien de
fourbes ôc d'oppreffions de perfonnes -innocentes ? Que ne
firent point Perennis ôc Cleander fous fEmpereur Commode f
Ruffin Ôc Eutropius fous les Empereurs Arcadius ôc Honorius ?
Et pour approcher de noftre temps, Louis XI le plus fin ôc
ôc advifé Prince qui fut jamais , fut-il pas miferablement trahi
par le Cardinal Baluë en tant d'occafions ôc fi importantes ,
que l'on a admiré comme il eftoit parvenu par la faveur de
ce Prince aux plus hautes dignitez de fa robbe. L'Angleterre
a efté maniée comme nous l'avons efté , par le Cardinal Wol-
fey fous le Roy Henry VIII un des plus grands Rois de fon
temps. Il y a certes de l'injuftice d'imputer au Prince tout ce
qui fe fai£t de mal dans fon Eftat , puifqu'il n'y a perfonne
tel que l'on fe le peut imaginer , qui ne puiffe eftre feduitpar
les artifices de ceux qui n'ont autres penfées que de mal faire.
Les Rois bien plus aifez à tromper , diftrai£ls qu'ils font pat
leurs plaifirs , par un nombre infini d'affaires importantes ôc de
toutes fortes , li bien qu'il leur eft impoffible qu'Us ne rejettent
une partie de ce foin fur ceux qu'ils ont choifi pour les aider
à fupporter ce pefant fardeau de la Royauté. C'eft encechoix
que confifte l'heur ou le malheur du Prince ôc de fon peuple i
c'eft là la fource des maux qui ont caufé la fubverfiondetous
les grands Empires, Pour nous qui avons efté fur le bord du
précipice^
MONSIEUR F. A. DE THOU, J
précipice , l'on peut certainement dire que nous avons don-
né une grande preuve de noftre extrefme patience ; & com-
me nos Pères ont joui d'une pleine & entière liberté , nous
au contraire , avec la vertu nous avons perdu noftre liberté.
Nous avons donné un exemple à la pofterité de la plus abjeûe
& honteufe fervitude qui fuft jamais. Nos paroles , chofe dé-
plorable , ont efté examinées jufques aux fyllabes j 6c certes
nous eftions pour perdre la mémoire avec la voix , s'il euft efté
autant en noftre pouvoir d'oublier nos maux > que de nous
taire.
Mais c'eft aflez parlé de nos miferes , & de la lafcheté des
François cogneuë à toute l'Europe. Il faut rendre compte en
peu de paroles de l'ordre que l'on a tenu pour examiner cefte
procédure.
Par le rapport du fai£i: , l'on verra que Monfieur de Thou
eft accufé d'avoir fceu le Traidé faiâ par Monfieur le Duc
d'Orléans avec le Roi d'Efpagne , ôc d'avoir négocié l'union
entre M. le Duc de Bouillon & M. le Grand , & auiïi la re-
traite de Monfieur en la ville de Sedan en cas de la mort du
Roi. On faid voir quelle preuve il y a au procès fur ces ac-
cufations.
Et parce que la preuve confiftoit en la dépofition ou décla-
ration de Monfieur , non confronté aux accufez j l'on faid voie
que cette dépofition fans confrontation eft nulle, eft inutile.
Comme auiïi celle de M. le Grand , criminel & convaincu;
auquel on avoir promis la vie , à la charge de dépofer contre
ledit Sr. de Thou.
Et d'autant qu'il y avoit preuve que ledit Sr. de Thou avoit
fimplement fceu le Traidé d'Efpagne , fans avoir aucunement
participé à la négociation > & qu'il n'avoit pas révélé cefte nue
& fimple fcience j les Commiflaires fe font fervis d'une Or-
donnance du Roy Louis XI , exprefle pour cela , qui porte ;
que ceux qui auront cognoiffance nue ôc fimple d'une conju-
ration contre l'Eftat , ôc ne la révéleront , feront condamnez à
îa mefriie peine que les principaux auteurs de la conjuration.
- 11 a donc efté neceffaire d'examiner cette ordonnance s
monftrer qu'elle eft nulle, qu'elle a efté abrogée , qu'elle n'a
jamais efté obfervée en France , que l'opinion contraire à cefte
.ordonnance eftjufte ôc félon tome forte de droit i ôc enfuit^
îo MEMOIRES POUR JUSTIFIER
on a accumulé nombre d'exemples très précis , tant anciens
que modernes , contraires à cette rigoureufe ordonnance , ôc
en a-t-on refuté deux qu'aucuns ComiiiiiTaires mai informez
ont creu pouvoir fervir à leur juftification.
Enfin l'on faiâ: voir combien les Commiflaires ôc leurs juge-»
mens font dangereux, & qu'ils ont efté deteftez en tout temps
en ce Royaume,
IL Requefie au Roi,
SIRE,
JA c Q u E s Augufte de Thou , Confeiller en voftre Cou?
de Parlement , remonftre très - humblement à V o s T r e
Majesté'^ que l'honneur qu'avoit M""*". François Augufte
de Thou , Confeiller en vos Confeils fon frère , d'eftre allié ,
bien voulu, ôc eftimé deplufieurs perfonnes de très-haute con-
dition, lui ayant acquis la haine du detFun£l S^ Cardinal de
Richelieu , il auroit réfolu d'employer toutes fortes de moyens
& toute fa puiffance pour le perdre : ôc l'ayant faid arrefter
à Narbonne le 6 Juin de l'année 1 6^2 avec le S^ de Cinq-
Mars Grand Efcuyer de France , il auroit fai£l rechercher tou-
tes les adions , les voyages, ôc les vifires dudi£l deffun£t, ôc
ôc n*y ayant rien trouvé qui ne ne fuft que très-innocent , il
auroit mis fon principal foin à faire pratiquer le S"^. de Cinq-
Mars, en lui promettant l'impunité, s'il declaroit quelque chofe
à la charge dudi6l deffun£l S'', de Thou. Et pour faire que dans
rinrtru£tion du procès toutes chofes palfaflTent félon fa volonté,
il auroit nommé tels Commifiaires qu'il auroit voulu , parens
entr'eux ou très-intereffez dans fa fortune : ôc parce qu'aucuns
de ces juges choifis n'avoient pas tefmoigné vouloir adhérer
à la parfion du Cardinal , il les auroit fai£t révoquer pour en
fubflituer d'autres plus faciles à fuivre fes volontez. Ce mau-
vais principe, SIRE, a efté fuivi d'une infinité d'injuftices,
ôc d'infra£lions à vos ordonnances. Car la principale depofi-
tion fur laquelle a efté fondée toute la charge du procès , a efté
dreflee par la fuggeftion de M. le Chancelier qui préfidoit à
la commiiïion , qui fuft feul avec le tefmoin cinq heures du-
rant , fans adjoint ôc fans greffier. Ce principal tefmoin à qui
on avoit fuggeré fa depofition par une nouvelle ôc extraordi-
naire injuftice , n'a point efté confronté aux accufez. Une lettre
MONSIEUR F. A. DE THOU. tt
quî alloit entièrement à la defcharge de l'accufé , & qui dé-
truifoit du tout cefte depofition, a efté fupprimée. LedidS**.
de Cinq-Mars, qui depofe contre ledi6l Sf. de Thouj a efté
allure de la vie , à condition de depofer ainfi que le Cardinal
defireroit. Mais ce qui eft très-extraordinaire & fans exemple,
ledicl S^ de Cinq-Mars eftant fur la felette , fe leva en pre-
fence de tous les Commiflaires , vint parler à l'oreille dudi6l:
S"". Chancelier, ôc déclara auffi-toft ce qu'il avoit promis de
dire contre ledi6l S^ de Thou. Les Commiflaires , quoique
choifis comme di£i: eft, qui propoferent quelques doutes , fu-
rent intimidez par ledi6l Cardinal , qui les manda tous l'un
après l'autre la veille du jug.ement ; ôc lui ayant efté reprefenté
par une perfonne de condition très-haute j que lediâ: S"". Chan-
celier lui avoit dit qu'il ne fe trouvoit point de charges con-
tre ledid Sr. de Thou , il refpondit , il n'importe , il faut qu'il
meure. Cet ordre précis , S I R E , fit tel effed , que le Rap-
porteur du Procès a fai£l quelques procédures feul ôc fans
adjoint, contre ce qui avoit eftérefolu entre ces Commiflai-
res. Ledi£l S^ Chancelier quoyque juftement recufé par l'un
des accufez, a efté juge fans avoir fai£t juger la recufation. Les
gardes dudi6l S^". de Thou ) compofées partie de celles de V.
M. partie de celles dudi6l Cardinal , ont efté follicitées par
argent pour dépofer contre lui : fon Exempt mefme a efté tef-
rnoin contre lui , lui a efté confronté. Trois diverfes perfon-
nes ont fervi de Greffiers au Procès, l'un domeftique dudi£t
S"". Chancelier , qui n'a point de ferment à juftice j ce qui eft:
caufe que le Procès ne fe trouve point dans aucun lieu public,
dans aucun greffe : ôc l'on peut dire qu'il a efté fupprimé j au
moins les principaux a61:es , ôc fur lefquels la juftification de
l'accufé pouvoit eftre fondée , ont efté altérez ôc falfifiez. Au
refte , S I R E , la précipitation à rendre le jugement a efté
telle , qu'à midy du 1 2 de Septembre ledid S^. de Thou eftoit:
innocent j deux heures après il fut jugé comme le plus coul-
pable de tous les hommes. Le Procureur gênerai de la com-
mifîion,fans examiner les premières ôc les dernières charges,
par rindu6lion dudid S^ Chancelier qui parla à lui en tiers
ôc en fecret avec Laubardemont Rapporteur , lui fit prendre
des conclufions verbalement à la mort 5 chofe fans exemple.
Par toutes ces circonftances ^ S I RE , V. M. voit en combien
JBij
12 MEMOIRES POUR JUSTIFIER
de fortes il a fallu violer la juftice & vos ordonnances ,
pour commettre une fi haulte injuftice , pour opprimer une
perfonne innocente. Quelle gloire à V. M. à l'entrée de fon
règne , de faire voir le zèle qu'elle a pour la juftice , de rele-
ver ceux qui font opprimez , de rendre à une famille illuftre
par fon antiquité & par fes fervices » l'honneur qu'on lui a voulu
ravir par cefte injuftice , ôc de ne pas refufer à la pieté d'un
frère de purger la mémoire de fon frère , que toute la France
& tout ce qu'il y a de gens de bien ôc d'honneur dans l'Eu-
rope femblent demander avec le Suppliant, affin qu'il nefoit
pas le feul fur lequel demeurent les veftiges des violences &
oppre/ïîons paffées. A ces causes ^ SIRE , il plaira à V. M.
permettre au Suppliant de juftifier la mémoire dudi£t deffun6î:
Sr. de Thou fon frère , ôc pour cet effe£l lui accorder d^s Let-
tres de revifion addrefiantes à telles de vos Cours de Parle-
ment qu'il plaira à V. M. d'ordonner , autre que celle de Gre-
noble j ôc ordonner aux Greffiers ou autres qui fe trouveront
chargez dudi6î: Procès, qu'ils ayent à le remettre au Greffe
dudit Parlement : ôc le Suppliant fera tenu de continuer fes
prières pour la grandeur , profperité ôc fanté de V o s T R. E
Majesté'.
III. Relation particulière & trh-veritahle de tout ce qui s^ejîpajjé
au F roc es criminel faiâ à Monfieur de Thou , & des moyens
qui ont efié tenus pour le faire mourir»
LE notable changement que le Cardinal de Richelieu re-
cogneut en l'efprit du Roy fur la fin de l'année i (5^ i , lui
fît penfer , non feulement à en rechercher les auteurs , mais
auflî à en détourner les fuites qu'il prévit ne pouvoir eftre que
très-funeftes pour lui ôc pour fes créatures. Il n'euft pas gran-
de difficulté de juger par plufieurs allions qui s eftoient paf-
fées dans la Cour, que M. d'Efiat Cinq-Mars Grand Efcuyer
de France , qui eftoit lors très confident du Roy , pouvoit eftre
caufe de ce refroidiffement. Le mauvais traitement que M,
îe * Chancelier receut du Roy , qui efclata fi fort dans Paris ,
lui fut imputé par le Cardinal , ôc par ledit S»". Chancelier. M,
des Noyers ôc tous ceux qui avoient quelque attache particu-
lière à la fortune du Cardinal , receurent plufieurs difgraces ^
% Mr, Pierre Scguier^
MONSIEUR F. A. DE THOU. 13
fôit du Roy , foit de ceux qui fe trouvèrent efblouis de l'efclat
de ceÛQ nouvelle faveur , qui fe rendoit de jour en jour infu-
portable au Cardinal.
Le Roy pour affeurer & affermir le changement qui s'eftois
faiiSl en Catalogne , refolut la conquefte du Rouiïillon au com-^
mencement de l'année 16^2. Le Marefchal de la Meilleraye
Grand Maiftre de l'Artillerie , le confident du Cardinal , y fut
envoyé pour commander l'armée : mais comme il n'a jamais
rien exécuté d'important que le Roy & le Cardinal ne fuf-
fent proches de lui, le Cardinal qui ne vouloit pas que fa for-
tune receuft de la diminution par quelque difgrace qu'euft pu
recevoir fon parent en cefte entreprife ^ perfuada le Roy avec
beaucoup d'ardfices d'entreprendre ce voyage. Le Roy qui
fentoit fes forces diminuer, y refifta quelque tems 5 à quoi iî
fut fortifié par M. le Grand , ôc fes amis qui firent agir le pre-
mier Médecin, qui reprefenta quelques confîderations tirées
de fon art : mais l'autorité du Cardinal fe trouva fi puifTante ,
<jue le Médecin changea de langage , & le Roy refolut de
faire le voyage. Les advantages que le Cardinal tiroit de la
refolution du Roy eftoient grands. II advançoit la mort de fa
Majefté , qui eftoit le commencement d'un gouvernement plus
abfolu pour lui , ayant en fon pouvoir les armées , l'argent ^
& les meilleures places du Royaume. Il ofloit à M. le Grand
tout fon confeil ôc fes amis 5 l'efloignant de Paris , le reduifant
à peu d'afilftance , n'y ayant près du Roy que des efpions du
Cardinal. Enfin , il afliftoit fa fortune ôc celle du Grand Maif-
tre, qui avoir perdu beaucoup de fa réputation en ce qui s'ei^
toit pafle à Aire.
Le Roy donc partit de Paris fur la fin du mois de Janvier;
<ôc alla à Fontainebleau où il fut jufques au troifiéme du mois
fuivant. Pendant ce fejour plufieurs perfonnes de condition
furent prendre congé de fa Majefté, entr' autres M. deThou;
qui reçut commandement du Roy de le venir voir en Rouf-
(îllon, s'aflurant qu'il ne lui voudroit pas denier ce voyage eri
une fi belle faifon , puifqu'il avoit faià cent lieues en hy ver
pour voir M. de Turenne deux ou trois jours à Lyon. Cefte
particularité eft fi vraye , qu'elle peut eftre certifiée par plu«
îieurs feigneurs ôc gentilshommes qui étoient lors près du Roy*
Le Cardinal peu afTeuré des bonnes grâces du Roy , ne
" 5 S "i
ï4 MEMOIRES POUR JUSTIFIER
voulut abandonner fa Majefté, 6c fit pendant ce voyage ce
qu'il n'avoit jamais fai£l î car il fit les mêmes journées que le
Roy , le voyoit tous les jours foir ôc matin , pour tafcher à
diffiper les pratiques qui s'eftoient faites contre lui: ce qui lui
fucceda afifés bien , par la mauvaife conduite de M. le Grand ,
qui perdit en partie les bonnes grâces du Roy j enforte qu'ef-
tant arrivé à Narbonne , on remarqua qu'il eftoit beaucoup
defcheu de cette faveur Ci efcîatante, ôc qu'il nefubfiftoit plus
que par artifice.
Le Cardinal tomba malade à Narbonne le i8 de Mars: le
mal parut grand à fon commencement, enforte que fes créa-
tures entrèrent en grande apprehenfion, non feulement de le
perdre, maisaulîi que M. le Grand reprendroit cependant fon
premier crédit.
M. de Thou convié par le commandement du Roy partit
de Paris le i Avril en compagnie du comte de CharrofI:. Ils
furent enfemble à Selles chez M. le comte de Bethune , où
ils furent quelques jours. De là ils prirent la pofte, & arrivè-
rent à Carcaflbnne le 14 Avril , où ils rencontrèrent fortui-
tement dans une hôtellerie le S^ de Fontrailies, qui parla en
fecret audit S^ de Thou dans la chambre du comte de Char-
roft, & avec une telle émotion qu'il fit juger qu'ils parlèrent
de quelque chofe de grande confequence.
Le iç) Avril ledid: S^'. de Thou arriva à la Cour qui eftoit
à Narbonne , où il vit le Roy , puis le Cardinal ôc les autres
Miniftres. Le Roy , tant par la necefïité de fes affaires , que
pour d'autres considérations , partit de Narbonne & fut au
Camp devant Perpignan , le fiége ayant commencé dès le 1 8
jour d'Avril.
Ce fut lors que parurent les grandes fimultez proches de rup-
ture entre le Grand Maiftre ôc M. le Grand, qui vouloir faire
paroiftre a toute la Cour poffeder l'efprit du Roy plus qu'il
n'avoit jamais faicl.
Le Cardinal fort malade de corps & d'efprit ne manquolt
pas d'eftre informé à tous momens de ce qui fe paflbit près du
Roy. Les S", de Chavigny ôc des Noyers allèrent inceffam-
ment pour cela du camp à Narbonne ; mais le peu de foin
que le Roy prit de fçavoir de Ces nouvelles pendant quelques
femaines , le mit en telle peine qu'il çreut que le Roy l'avoit
MONSIEUR F. A. DE THOU. ly
abandonné , & enfuire ce bruit s'efpanclit de telle forte par tout
le Royaume que perfonne ne doutoit plus de fa ruine.
Ce qui confirma ce bruit fut la retolution que prit le Car-
dinal , malade à l'extrémité , de fortir de Narbonne par le plus
mauvais temps qu'il pourroit faire. Les advis qu'il donnoit de
la route qu'il vouloir prendre , tantoft d'un coilé , tantoft d'un
autre j & les artifices dont fe fervoient les liens pour couvrir
les pafTages de leur maiilre , firent voir l'apprehenfion où il
eftoit d'eftre arrelté. Enfin il choillt fa retraitte à Tarafcon ,
qui eft dans le gouvernement de Provence, alTeuré du Comte
d'Alez qui en eft gouverneur. Le S'', de Fontrailles qui re-
cogneut la mauvaife conduite de M. le Grand , ôc que la vé-
rité des chofes eftoit fort contraire aux apparences , fe retira
hors le Royaume.
Le Cardinal très-incertain de fa condition , eftant à Taraf-
con receut, à ce qu'on dit, un paquet dans lequel efloit une
copie du Trai6lé qu'avoir fai£l Monfieur le Duc d'Orléans avec
le Roy d'Efpagne, où eftoient compris M. le Duc de Bouillon
ôc M. le Grand. Ce paquet, de quelle part qu'il lui fut envoyé,
lui redonna la vie , lui mit des armes en main pour ruiner fes
ennemis.
Il depefcha aufii-tofl au Roy pour l'informer de cette affaire,
lui fit fentir le danger où il eftoit , confeilla fa Majefté d'en
f<^avoir la vérité ôc en prévenir les inconveniens.
Le Roy qui avoir efté malade jufques à l'agonie devant Per-
pignan , receut cefte depefche par le S"", de Chavigny , fe re-
folut auffi-toft de partir du camp, 6c fe rendit àlNarbonnele
Il Juin 5 ôc le lendemain il fit arrefter M. le Grand ôc ledi£l
S*", de Thou, ôc auffi-toft il partit de Narbonne, fit fuivre ces
prifonniers dans des carofTes feparément. M. le Grand fut con-
duit dans la citadelle de Montpellier fous la garde de Seton
Lieutenant des Gardes Efcoffoifes j ôc M. de Thou fut mené
à Tarafcon , où eftoit le Cardinal , ôc donné en garde à un
Exempt des Gardes Efcoffoifes nommé Crombis , qui avoit
fous lui des gardes du corps du Roy ôc des gardes du Car-
dinal. En mefme temps le Cardinal donna ordre que M. de
Bouillon, qui commandoit l'armée du Roy en Italie , fuft ar-
refté , ce qui fut faiâ:? comme aulTi d'Ozonville Lieutenant
de fes Gardes , qui fut trouvé à Valence retournant en Piedmont,
î^ MEMOIRES POUR JUSTIFIER
M. de Thou fut vifité deux fois par M. de Chavigny > quî
îeprefla de dire franchement tout ce qu'il fçavoit de cefte af-
faire. L'un ôc l'autre des prifonniers furent interrogez , l'un à
Montpellier > l'autre à Tarafcon, fur des chofes fort légères;
ôc où le Cardinal n'eut aucune lumière de ce qu'il defiroit.
Cependant M. de Thou eftoit eftroitement gardé près du Car-
dinal , avec toutes les rigueurs & mauvais traitemens que pou^
voit s'imaginer fon Exempt , qui devoroit en efperance la def-
pouille de fon prifonnier.
Le Roy s'en retournant à Paris pafla par Tarafcon , où il
conféra avec le Cardinal fort malade ; il lui laifla , comme la
fuite nous l'a fai£t voir , à demefler ce grand intrigue de Cour.
M. l'Evefque de Toulon affligé de l'injufte oppreflion que
l'on faifoit audid S^. de Thou fon beau-frere , fut à Tarafcon;
où il parla au S^' des Noyers qui y avoir faid conduire le pri-
fonnier. Il lui dit qu'il avoit telle cognoifTance de M. de Thou,
qu'il ne le croyoit pas capable d'un crime tel que celui qui lui
eftoit impofé. Ledid S^ des Noyers lui refpondit en ces pro-
pres termes: «Nous le verrons avec le temps: mais il eft certain
« qu'il avoit amitié très-eftroite avec M. le Grand, qui a voulu
sî perdre M. le Cardinal , M. le Grand Maître ôc moi , & tous
25 les ferviteurs de M. le Cardinal. "
La vifite du Roy apporta une grande confolation au Car-
dinal : il fe vit en pleine liberté d'agir félon fa palTion , il ufa dç
tous les moyens dont il fe peuft imaginer pour faire mouric
ces deux prifonniers.
Pour M. le Grand , il jugea bien qu'il n'y auroit pas gran-
de difficulté j mais pour M. de Thou qu'il vouloir voir périr;
& qui étoit l'objet de fa rage , il y prevoyoit beaucoup d'ob-
flacles , qu'il fe promit neantmoins de vaincre par divers
moyens tous mefchans , injuftes & tyranniques. Son premier
ôc principal fut le choix des Juges , prefidez par M. le Chan-«.
celier i enfuite la violente ôc indigne pourfuite qu'il fit con-
tre Mo le Duc d'Orléans, qu'il réduifit d'abord au defefpoir,
le menaçant de lui faire quitter le Royaumes puis par les moyens
qui lui eftoient ordinaires il le fit induire par des promefles
d'un plus doux trai£lement à dire non pas ce qu'il fçavoit au
vrai de cefte affaire , mais ce qu'il vouloit , pour parvenir %
fa fin,
MonfieuÊ
MONSIEUR F. A; DE THOU. 17
Lonlîeur donc eftant à Aigueperfe donna fa première Dé-
claration en datte du 7 Juillet : mais à condition , difoit-on*
de n'eftre pas confronté à aucun des accufez , que fa qualité
y repugnoit j moyen bien inventé pour faire pafTer pour vérité
tout ce qu'ils avoient intention de faire dire à ce Prince ^ en lui
fuppofant mille chofes pour parvenir à leurs fins.
Le Cardinal envoya fes ordres de Tarafcon à M. le Chan-
celier pour fe préparer pour le voyage de Lion, pour inftrui-
re & parfaire le procez aux accufez , ôc pour amener avec
lui tels CommifTaires tirez du Confeil du Roy i qu'il jugeroit
à propos. Cet ordre fut fi agréable audiél S^. Chancelier qu'il
ne le pût diflimuler à toute la Cour par une gayeté extraor-
dinaire qui parut fur fon vifage j fe voyant en état de faire
chofe agréable au Cardinal, conduifant celle affaire au point
qu'il defiroit. La première a£tion qu'il fit fut de trouver le
moyen de faire valoir en juftice tout ce que pourroit dire
Monfieur , fans eftre confronté aux accufez 5 jugeant bien que
la confrontation ruineroit en un moment tout ce qu'ils croi-
roient avoir bien eflably.
Le Roy donc eftant à Fontainebleau , M. le Chancelier
manda les Srs. le Bret , Talon , ôc Bignon , Confeillers au Con-
feil d'Eftat,qui avoient autrefois exercé la charge d'Advocats
du Roy au Parlement de Paris , & le S"". Talon Advocat du
Roy. M. le Bret ne s'y trouva pasà caufe de fon indifpofition.
Le fecret de cette a6lion fut communiqué audiâ: S^ Bignoti
feul , en forte que lorfque ceux qui avoient efté mandez comme
lui, furent arrivez, ils trouvèrent la difficulté toute refoluë.
Le Roy donc leur ayant, pour la forme, recommandé très
eftroitement le fecret , on leur dçmanda s'il y avoit exemple
qu'un Prince du Sang ayant efté tefmoin en une affaire cri-
minelle , euft efté confronté , ôc fi l'on ne pouvoit pas fuppléec
au défaut de la confrontation par quelques a£tes folemnels.
Après donc avoir un peu concerté, ils dirent leurs advis en
prefence du Roy , ôc puis fe retirèrent ; Ôc aufÏÏ-toft M,
Bignon di6la ce qui avoit efté refolu, qui fut en un mot;
» Qu'il y avoit exemple où un Prince du Sang euft donné fa
» Déclaration ôc n'avoir point efté confronté , mais qu'il n'y
«> en avoit point où un Prince du Sang euft efté confonté. »
Après cela ils propoferent l'équivalent , qui fut exécuté par
Tome XF', J C
18 MEMOIRES POUR JUSTIFIER
M. le Chancelier à Villefranche & à Vimy , dont il fera parlé
Cy-après.
M. le Chancelier ayant cefte refolution , fe mit en chemin
pour fe trouver à Lion j en mefme temps on réfolut les Coni-
miffaires qui furent :
Jean Martin Sr. de Laubardemont.
Pierre de Marca , Prefident au Parlement de Navarre.
= Diel S^ de Miromefnih = De Paris 5 François Bochart
S^. de Champignigny , Confeiilers au Confeil d'Etat
Henry de la Guette , S^ de Chazé j=:de Sève S^ de Chan-
tignonville 5 = de Chaulnes : Maiftres des Requeftes,
LeSf. Frère, premier Prefident au Parlement de Grenoble.
=De Simiane S^ de la Cofte, Prefident audiâ Parlement.
=De Santereau ;Bermont îPonat j Du Faure S^. de la Ri-
vière i Beatrix Robert S^. de S. Germain ; Jeufirey , ôc la Baul-
me : Confeiilers audit Parlement de Grenoble.
P. du Faure S^ de la Colombiniere> Procureur général au-
di£t Parlement , ôc Procureur du Roy de la CommifFion.
L'on ne peut pas dire qui a efté le Greffier de cefte Com-
midîon ;car l'on voit quelques A£l:es fignez de Baudet Gref-
fier du Parlement de Grenoble > d'autres lignez de Palerne
Greffier criminel du prefidial de Lion î d'autres auffi de Ce-
béret Secrétaire de M. le Chancelier.
Tous les gens d'honneur & qui ont quelque cognoiflance
des chofes juResÔc raifonnables, fe font eftonnez comme M.
3e Chancelier a accepté cefte Commiffion , parce que jamais
Chancelier de France n'en avoir exercé de pareille. Les Chan-
ceHers ne prefident point en femblables aflaires que quand la
Court y vaque,& comme ch^f de la juftice r mais il falloit faire un
exemple , il falloit obéir au Cardinal partie formelle des ac-
cufez , ôc l'on peut dire la feule. Et ainfi M. le Chanceher ne
pouvoit eftre juge en cefte caufe, lui qui eft allié du Cardi-
nah qui eftoit fa créature . ôc qui avoir fa fortune dépendante
de la fienne. Il ne pouvoit, ni ne devoit être juge de M. le
Grand pour les caufes qu'il fçavoit bien ; qu'il a fouvent di-
tes à fes plus confidens. Auffi Ton fçait , tant fa confcience le
preffoit, qu'il en confulta fon Confeffeur avant que partir, qui
le contenta à fa mode, ôc comme il le defiroit , adion cer-
tes^ en une perfonne de cefte condition, qui n'eft que pour
MONSIEUR F. A. DE THOU; i>
tromper les foibles y mais qui l'a rendu ridicule , & fai£l juger
mefchant par les gens de bien ôc de bon fens. M. le Grand
lors qu'il tut interrogé par lui le $ Septembre , ne manqua pas
de luireprefenter, ôc ce font les propres mots tirez du procez,
»' Qu'il euft à fefouvenir des efclatantes plaintes que récemment
» il avoit fai£t de lui , attribuant aux mauvais offices de lui le
3î Grand les remonftrances que lui Chancelier avoit receues du
9' Roy3ce qui de voit faire fouhaiteràl'undene le recevoir point
^ pour juge , ôc à l'autre de ne l'eftre pas. « Ce que ledi£t
Chancelier recogneuft en prefence dudià S"", le Grand ôc des
Commidaires , Ôc dit qu'il fe fouvenoit bien avoir fai£t des
plaintes de lui , ôc lui avoir fai£t dire à lui mefme qu'il croyoit
qu'il lui avoit rendu de mauvais offices prés du Roy : mais
qu'il pouvoit fe refouvenir que fa Alajefté avoit tefmoigné que
ledi6l S', le Grand n'avoit efté caufe du mefcontentement qu'il
lui avoit tefmoigné à S. Germain , ôc que le Roy ne lui au-
roit pas commandé de procéder à l'infl:ru£lion de fon procès
s'il avoit eu une autre créance. Qui eft certes une belle de-
faite : comme Ci le Roy euft deu penfer à ces formalitez de
jufticci comme s'il n'euft pas efté de fa Religion, de remonf-
trer fes raifons à S. M. ôc lui reprefenter que les injures atro-
ces ôcles reproches qui luiavoient eftéfaids par le Roy, pro-
cedoient de la haine que lui portoit ledi6l S', le Grand. Ainlî
ce pauvre acculjg deftitué de confeil , ignorant ce qui fervoit
à fa défenfe , s'engagea à refpondre , s'abandonna entre les
mains de fes ennemis , qui continuèrent l'inftrudion du pro-
cès fans faire juger cette recufation qui eftoit très bonne Ôc
fort bien articulée. Et de vérité, il ne pouvoit faire une re-
cufation plus folennelle ,puis qu'elle eftoit faitle à la perfonne
mefme du recufé, ôc en prefence de tous les CommilTairesj
ôc que ceux qui pouvoient affifter Faccufé en cefte occafion
eftoient reléguez en leurs maifons.
Pour Laubardemont , l'on le cognoift àflfez : en îe nommant
l'on a dit tout ce qui fe peut dire du plus abandonné ôc ignorant
Juge qui fut jamais. Etneantmoins il fut pris pour Rapportent
du procès, eut îe fecret déroute l'affaire, jufques là que M.
ie Chancelier s'eft plaint de lui , fçachant qu'il eftoit l'efpioii
du Cardinal pour avoir l'œil, non feulement fur fes adionsj»
îiiais fur celles des autres commifTaires.
5 c ij
sô MEMOIRES POUR JUSTIFIER
Le S^ de Miromefnil ne fut choifi ni par le Cardinal , ni pac
M. le Chancelier; mais parle Roy feul ,ôc parun pur hazard:
l'événement l'a monftré. Il eft à louer de s'eftre trouvé feul
entre tant de perfonnes qui n'ait point fîechi à la violence, qui
ait ofé dire fon fentiment en toute liberté.
L'on avoit fujet d'efperer quelque chofe de bon du S"*, de
Marca , mais ayant efté choifî par M. le Chancelier, Ôc de plus
fa créature ôc attaché à fa fortune , il a fai£l ce que fon Pre-
fîdent a voulu, ôc ce qui plaifoit au Cardinal. Il eft vrai qu'il
a efté long temps combattu , il s'eft trouvé preffé entre fa con^
fcience ôc le delir de plaire au Cardinal , ou pluftoft par l'ap-
prehenfion de lui defplaire ; entre la crainte de ne pas fatisfaire
à fon devoir ôc aux gens de bien , ôc l'efperance d'un E vefché :
l'on a veu en lui vérifié le dire de l'Evangile , qu'il eft malaifé
de fervir à deux maiftres, à Dieu ôcaux hommes. Il s'eft afleuré
par là l'E vefché de Conferans.
Pour le S^ de Paris, il ne fut pas des Juges; non parcraln^
te que l'on eut qu'il ne feroit pas ce que l'on defiroit , car il
en a donné des preuves ailleurs , mais pour quelque compé-
tence pour le rangôcfe retira. Le S^ de Chaulnes fon gendre,
que l'on avoit fai£t venir d'Auvergne où il eftoit Intendant^
fat rejette pour avoir efté recogneu trop ferme àfuivre fesfen-
timens contraires à ceux du Cardinal. Les S'A de Champigny
Ôc de Chazé beaux frères ^ coufins germains du S^ des Noyers,
ôc c'eft aflez dire ; ôc de plus alliez du Cardinal : par ces con-
fiderations ils furent choifis Juges. Néanmoins ils n'ont pas
l'un ôc l'autre eu aftez de force pour produire leur fennment,
ils attendoient que quelqu'un leur ouvrift le chemin pour le
tenir. S'ils euflent eu un autre chef ôc moins d'attache , ils euf-
fent bien agi.
L^ S"", de Sève fe trouva en quelques a6les de cefte Tra-
gédie t mais enfin il fut rejette ôc renvoyé à fon emploi de
Dauphiné. Il faut croire que l'on n'avoit pas opinion qu'il
peuft fervir au gouft du Cardinal.
Refte à parler des autres Commiftaires tirez du Parlement
de Grenoble. Le premier Prefident le plus dévoué de tous les
hommes à la paffîon du Cardinal ( quoi qu'il euft baillé cin-
quante mille livres à Madame de Comballet pour parvenir
à fa charge Ôc dix mille à Defroches ) promit plus que l'on ne
MONSIEUR F. A. DE T H O U. 21
pouvoitefperer du plus mefchant homme du monde. Et pour
n'y pas manquer il nomma Faure Sieur de la Rivière fon beau-
frere, & Jeuflfrey Procureur General 3 & ce Procureur Ge-
neral Ôc Faure la Rivière coufins germains. Simiane de la Colle
Prefident , outre qu'il ell créature ôc efclave du Cardinal de
Lion , il a efpoufé la fœur de ce Faure la Rivière. Tous gens
afTez cogneus dans la province pour faire tout ce qui fe peut
d'extraordinaire pour fervir à leurs interefts.
Beatrix Robert ôc Ponat furent emportez par la rapidité de
l'adlion, trop foibles pour refifter à une puilTance li violente
que les provinciaux adorent. Pour la Baulme ilfuivit les autres,
engage par des Lettres de Confeiller au Confeil d'Eftat. Santé-
reau fut le feul de ces provinciaux qui fuivit l'advis du S^, de
Miromefnil.
Pour Bermont il eut ordre de fe retirer ^ ayant tefmoigné
quelque averfion à ce qui fe faifoit. Le Procureur General ou-
tre ce qui eft dit cy-defTus , fes affaires domeftiques n'eftant pas
en bon eftat , pour les rendre meilleures il a faid ce que l'on
a voulu en celte occafion , après neantmoins quelques légè-
res reiiftances : tant il a eu en horreur la façon d'agir de ceux qui
conduifoient celle a6lion , qui ont tafché de le gagner par di-
verfes grâces qu'il a obtenues , ôc par un Arrefl: du Confeil
qui règle le Parquet du Parlement de Grenoble fuivant celui
du Parlement de Paris, ce qui autorife fort fa charge.
Voilà fommairement les qualités de ces Commiffaires ^ qui
ne furent enfin que quatorze au jugement du Procès.
M. de Thou Abbé de Bonneval , voulant rendre ce qu'il de-
voir au fang ôc à la nature en telle occafion, partit pour Ta-
rafcon j mais ellant arrivé à Valence , Ôc le Roy n'en ellant
qu'à deux lieues^ eut commandement figné de M. des Noyers
de ne s'approcher pas du quartier du Roy fur peine de la vie,
6c de fe retirer en fon Abbaye, ôc n'en pas partir fans ordre.
Pendant que les Commifiaires ordonnoient comme ils au-
roient à fe gouverner en la conduite de ce Procès , M. de Bouil-
lon arriva de PiedmontàLionfurlafin du mois d'Aoull. L'on
tifa par le chemin de beaucoup d'artifices , continuez par le
Chancelier ellant arrivé à Lion ^ pour l'induire à perdre ceux
qui elloient prifonniers. L'on travailla auffi à mefme fin auprès
de Monfieur , auquel on avoit fait dire de la part du Roy que
5 Cii;
52 MEMOIRES POUR JUSTIFIER
pourveu qu'il fe refolufi: de dire toute la vérité de ce quis'ef-
toit pafieen cefte entreprife , que S. M. le traiteroit en frère,
Ôc oubliroit celle faute. On ne lui parla plus de fortir du Royau-
me, mais feulement qu'il euft à approcher de Lion où eftoient
les Commiiïaires , afin de faciliter la procédure. Ce Prince
embrafla volontiers ce party par la cognoiflance qu'il avoir du
chagrin du Roi , & de la violence du Cardinal qui avoir per-
du toute forte de refpetl non feulement en fon endroit , mais
aufîî envers le Roy.
M. le Chancelier donc partit de Lion le Jeudy 28 Aouft ac-
compagné de ces Commilîairesj Laubardemont^ Marca, Mi-
romefnil, de Paris, Champigny, de Chazé ôc de Sève, alla cou-
cher à Vimy , ôc le 2p ils arrivèrent à Villefranche entre dix
Ôc onze heures du matin , ôc defcendit en une maifon proche
celle de Monfieur pour prendre farobbe ôc fa foutane. Eftant
veftu il fut feul trouver Monfieur, ou il demeura à travailler
avec lui jufques à cinq heures du foir, que tous lesCommif-
faires fus-nommez qui l'avoient accompagnez furent mandez,
ôc fe rendirent chez Monfieur oii ils furent conduits dans un
cabinet, où ils trouvèrent Monfieur afiis dans une chaire au
bout de la table : M. le Chancelier à la première place fur un
iiége pliant. AuflTitoft qu'ils furent entrez , M. le Chancelier
leur dift que fuivant l'ordre du Roy il avoir receu en forme
judiciaire la Déclaration que Monfieur avoit faite au Roy,
mefmes qu'il lui avoit rem.is une copie du Traidé fait avec
îes Efpagnols, ôc de la déclaration faite de fa part par le S', de
Fontrailles 5 ôc que pour efclaircirtous les points qui pouvoient
faire difiiculté, ôc les circonftances qui pouvoient lui eftre
efchappées en fa Déclaration, il avoit adjoufté quelque chofe
dont il s'eftoit fouvenu. Enfuite il ordonna à fon fecretaire,
?iommé Ceberet , de lire le procès verbal qu'il avoit drefi!e,
g la fin duquel il fit inférer qu'il avoit efté leu en la prefen-
ce des Commiffah'es , Monfieur déclarant en foi de Prince
le contenu en icelui eftre véritable , fans y vouloir adjouftec
îii diminuer. Après quoi M. le Chancelier ôc les Commifiai-
res allèrent en une autre maifon, où Monfieur leur avoit fai£l
préparer à manger, puis montèrent en carofle pour retourner
à Lion.
Monfieur ayant par cefte Déclaration chargé en gênerai
MONSIEUR F. A. DETHOU. 2.3
M. de Thoo d'avoir fçeu toute l'affaire , fentit fa confcience
chargée de cefte déclaration , en ce que Ton pouvoit dire que
ledi6t S*", de Thou avoit non feulement fceu la retraite de Se-
dan y mais le particulier du TraïQé d'Efpagne : ce qui l'obli-
gea parPadvis d'un des fiens, d'efcrire à l'Abbé de la Rivière
ep explication de fa Déclaration , difant que leditl S^ de Thoii
n'avoit pas efté informé d'autre chofe que de la retraite de Se-
dan , mais non pas du Trai£té d'Efpagne , ôc qu'il fît voir fa let-
tre à M. le Chancelier.
Cette lettre excita du bruit auprès du Cardinal , qui dift que,
c'eftoit une cabale des amis du S»". deMontrefor pour fauver
ledict S"", de Thou , ôc qu'il y mettroit ordre. La RTviere pouir
fe garentir de la fureur du Cardinal, lui difl: qu'il falloir que
ce fuft le ConfefTeur qui eufl obligé Monfieur à cela. Or le
Confeffeur ordinaire ne s'eflant pas trouvé lors, il fut vérifié
que Monfieur s'eftoit confeflé au confeffeur du commun de
fa maifon preftre feculier , dequoi le Cardinal efcant informé
dift : " Voila un fort habile ConfefTeur 3 nous y mettrons ordre. »
Le Cardinal quoique malade partit de Tarafconle 17 Aouft,
fe mit fur le Rofne jufques à Valence , faifant traifner après
îuiledi£l S^'. de Thou dans un batteau attaché au fien, qui ré-
cent pendant quatre journées que dura ce voyage^ mille in-
dignitez des domeftiques du Cardinal, ôc de fes Gardes.
Le Cardinal fit quelque féjour à Valence , pendant lequel
eftant adverti que M. le Grand eftoit arrivé à Lion , il y fît
conduire leditt S^.àQ Thou dans un caroffe, ôc y arriva le 3
Septembre.
Pendant ce tems M. le Chancelier interrogea M. de Bouil-
lon le dernier jour d'Aouft , ôc les i , 7 , 6 , 7 ôc 5) jours de
Septembre. Les Sieurs le Grand & de Thou furent interrogez^
ôc auiïi d'Ozonvile Lieutenant des Gardes de M. de Bouillon,
Ceton Ôc Crombis qui avoient gardé lefdids Sieurs le Grand
ôc de Thou. Enfuite de ce fe firent toutes les confrontations
des accufez les uns aux autres ôc aux tefmoins.
Monfieur le Prince paiTa lors par Lion pour aller vifiter le
Cardinal qui eftoit à Valence : en pafi^ant il vit M. le Chan-
celier qui lui communiqua ce qui efioit des charges du pro-
cès, ôc lui déclara que jufques alors il n'y avoit point de char-
ges contre ledict S'', de Thou, fupplia Monfieur le Prince de
24 MEMOIRES POUR JUSTIFIER
vouloir en parler de la forte au Cardinal , afin de le préparer
à tout ce qui en pourroit arriver. M. le Prince paffa jufques
à Valence, & rapporta au Cardinal ce que lui avoir dit M. le
Chancelier, de quoi il s'efmeut en forte qu'il dift à Monfieur
le Prince ces mots : M, le Chancelier a beau dire ; il faut que
M. de Thou meure.
- Tous les parens de M. de Bouillon eurent permiflion du Roi
de fe trouver à Lion pour folliciter. Le fieur d'Eftrades en-
voyé parle prince d'Orange à mefme fin, y futauffi. Les uns
6c les autres ne firent pas grand effe£t.
Les parens de M. de Thou creurent pouvoir efperer une
pareille grâce : on la demanda au Roy par M. des Noyers, qui
la refufa , difant qu'il n'y avoit rien à craindre , ôc que la chofe
ne preflfoit pas, qu'il falloir s'addrefier à M. le Chancelier que
le Roy avoit chargé de toute cefte affaire. L'on en efcrivit à
M. le Chancelier , 6c de plus on lui demanda diftribution de
confeil pour ledid fieur de Thou ; à quoi il ne fit point de
refponfe. Ce refus injufte du fieur des Noyers obligea de voie
M. de Chavigny , qui obtint du Roi fans difficulté cefte grâce
de pouvoir aller à Lyon. M. l'Evefque de Toulon qui eftoit
lors à Paris , y alla en pofte , où il trouva Madame la Prefidente
de Pontac, fœur dudid fieur de Thou ,qui a travaillé en cefte
affaire avec toute Paddreffe qui fe peut imaginer , vit plufieurs
fois les Commiffaires , parla à eux avec tant de refpefl , d'élo-
quence, ôc de reffentiment de douleur, qu'elle les efmeut tous
à compadîon. Elle ne perdit point courage par le refus que
fit le Cardinal de la voir , par les mauvais trai6temens qu'elle
receut de M. le Chancelier, 6c de ceux qui travailloient de con-
cert avec lui. Elle fubfifta courageufement feize jours que du-
rèrent ces fafcheufes 6c continuelles foliicitations.
M. l'Abbé de Bonneval au temps qu'il eut permifîîon de
partir, par la Lettre de M. de Chavigny , eftoit fort malade. Il
ne laiffa néanmoins de partir , mais la précipitation du juge-
ment fut fi extraordinaire, que quelque diligence qu'il peuft
faire , il n'arriva à Lion que le lendemain de la mort de M.
Ion frère.
Le Cardinal voyant le procès preft d'eftre jugé , vint à Lion :
fa préfence donna de l'audace aux mefchans , 6c de la terreur
aux timides. Il infmua à fes çonfidens qu'il falloir faire mourir
M,
MONSIEUR F. A. DE THOU. 5^
M. de Thou, qu'il falloir travailler par tous moyens de le ren-
dre coupable : il fît commander par M. de la Vrilliere à M. de
Toulon, qu'il euft à fe retirer en fon diocefei lui, qui avoir
eu permiflion du Roy de folliciter pour fon beaufrere , & qui
voyoit les juges avec beaucoup d'affection ôc de fuffifance.
M. le Chancelier lui refufa & à Madame de Pontac , diftribu-
tion de confeil pour fon frère. Laubardemont Rapporteur, qui
faifoit office non pas déjuge mais d'infâme foliiciteur, dit dans
Lion plus d'une fois : « Que le Théâtre ne feroit pas affez fan-
9> glant par la mort d'un feul homme. 3> M. le Cardinal Mazariti
qui avoir eftime pour M. de Thou , ôc qui en confequence des
offices qu'il lui avoir rendus en une affaire de Court affez dé-
licate , continuoit ceux que l'humeur du Cardinal ôc la qualité
de l'affaire lui pouvoient permettre , fe trouva lors que M. le
Chancelier difoit au Cardinal de Richelieu .> qu'il n'y avoir point
de charges pour faire mourir M. de Thou , il lui dir : ce Et bien
35 M. le Chancelier , il le faut condamner en une prifon , pour-
~ veu que M. le Grand ne dife rien contre lui : " nous verrons
tantoft quelle fuite ont eu ces paroles.
M, le Chancelier propofoit ces difficuîtez au Cardinal , non
point à deffein de favorifer ledift fieur de Thou, contre lequel
il n'y avoir point de preuve , mais pour faire valoir fon fervi-
ce : car de fon cofté il travailloit avec autant de violence que
Laubardemont , ôc c'eft tout dire. Quatre jours avant le juge-
ment du procès , il manda le Procureur General fur les huit
heures du foir , ôc fut feul avec lui jufques à dix heures. Le fu-
jet de cette conférence fut de donner au Procureur General
une plus exa£le cognoiffance de tout ce qui refultoit du pro-
cès , particuHerement contre M. de Thou , parce , lui di6t-ii >
qu'il falloir bien toft achever cefte affaire , dont il n'avoit en-
cores eu communication des pièces , fi bien qu'il auroit fort
peu de temps pour prendre fes conclufions.
Tout le difcours donc qu'il euft avec le Procureur General fut
en premier lieu , que l'on ne defiroit que la juftice , que l'on
vouloit que l'affaire fur examinée en confcience. Après il taf»
cha de lui faire comprendre la force des preuves qui eftoient
au procès contre ledi£lfieur de Thou, qu'il déduifitune heure
durant. Nonobftant les difcours dudi6l fieur Chancelier rem-
plis de chaleur ôc de paffion , le Procureur General demeura
7 orne XV, J D
2^ MEMOIRES POUR JUSTIFIER
ferme à déclarer qu*il ne pouvoit point conclure à la mort con-
tre ledid fleur de Thou , mais qu'après qu'il auroit veu exade-
ment le procès, il jugeroit quelles autres conclufions il pour-
roit prendre. M. le Chancelier, pour finir la conférence , de-
meura d'accord , que le fentiment du Procureur General , au-
quel il perfifta , pouvoit eftre fuivi en juftice , mais qu'il croyoit
que Ton pouvoit aufTi en bonne jufîice fuivre l'autre parti.
Le 9 Septembre au madn M. le Chancelier fut chez le Car-,
dinal lui rendre compte de ce qui s'efloit paffé en cefte con-
férence Car le mefme jour un homme de condition envoyé
fous main par le Cardinal , vint vifiter le Procureur General
qui le mit fur le difcours qu'il avoir eu avec M. le Chance-
lier. Après plufieurs confiderations qu'il lui fit fur cette affaire;
il lui ditj que les Ordonnances eftoient exprelTes contre M. de
Thou , contre lequel le Cardinal n'avoit pas moins de pafFion
que contre M. le Grand. Le Procureur General perlilta à fa
première réfoluûon , & dit qu'il fçavoit ce que portoient les
Ordonnances , mais qu'il eftoit queftion de preuve : pour con-
clufion , qu'il ne croyoit pas qu'il y en euft de fuffifantes pour
la conviction de M. de Thou , & qu'il ne pouvoit faire autre
chofe.
Ce mefme jour M. le Chancelier fut vifîter une fille nom-
mée la Mère Matel , qui avoit grande réputation de faindeté ;
à laquelle , tant il eft foible , il découvrit fon fendment , ôc
ce qu'il avoit tenté de faire envers le Cardinal en faveur dudict
fleur de Thou, enfuite de la conférence qu'il avoit eue avec le
Procureur General , fans avoir pu adoucir fon efprit.
Le jour fuivant ledid fieur Chancelier pria le Procureur
General de venir difner avec lui. Après le difner il le tira à
part, ôc lui dit, qu'il lui feroit porter les pièces ce jour-là , ôc
qu'il n'auroit que le lendemain pour conclure : mais que puif-
que fur le rapport qu'il lui en aVoit fai6l, il ne trouvoit pas
qu'il y en euft affez contre M. de Thou , il ne falloit pas qu'il
en parlaft dans fes conclufions. Il lui refpondit que c'eftoit
chofe qu'il ne lui pouvoit pas promettre, parce qu'il eftoit obligé
de conclure félon i'efti^t du procès ôc la qualité des preuves.
M. le Chanceher répliqua , que ce qu'il lui difoit n'efloit pas
de la part du Roy. Le Procureur General infifta , ôc difl , qu'il
lui avoit fait l'honneur de lui donner cefte commiffion de la part
MONSIEUR F. A. DE THOU. 27
du Roy , qu'il efloit preft de la lui remettre , ou qu'il falloit
le laifler agir librement ôc félon fon devoir. Sur cela M. le
Chancelier lui dift, que s'il ne fe contentoit de fa parole, qu'il
lui donneroit un ordre du Roy en la mefme forme qu'eftoit
fa commiffion. Le Procureur General lui reprefenta que cela
feroit grand préjudice à toute la procédure. Enfin , après quel-
que conteftation , il demeura en ces termes , qu'ayant pris fes
Conclufions contre M. le Grand, telles qu'il jugeroit à propos ,
il demanderoit que cependant il fuft furcis au jugement du pro-
cès des (leurs de Bouillon & de Thou.
Après ces particularitez qui font très- véritables , peut -on
qualifier la mort dudicl fieur de Thou autrement que d'aflalîi-
nat ôc de guet à pens ? Voyons le refte qui nous confirmera en
cefte vérité.
Il eft dit cy-defTus comme Monfieur avoit fait fa déclaration ,
comme elle avoit efté receue 5 mais d'autant que le droit 6c
les Ordonnances veulent fans exception que tous tefmoins foient
confrontez, le Procureur General creut nonobftant l'ufage de
la confrontation figurative pratiquée en certains cas , ôc Tadvis
des gens du Roy du Parlement de Paris que l'on vouloit fui-
vre, que fi l'on exemptoit Monfieur de la confrontation, il fal-
loit ufer de quejque formalité équivalente, ôc qui donnaft les
mefmes moyens ôc facilitez aux accufez de fe juftifier.
Il demanda donc pour cet effed que la déclaration de ?vlon-
fieur leur fuft leuë., après qu'ils auroient déclaré s'ils avoient des
reproches à donner contre lui ; ce qu'il croyoit , difoit-il , qu'ils
pourroient faire avec plus de liberté en l'abfence du Prince ,
que s'il euft efté prefent , ôc qu'enfuite les reproches ôc les ref-
ponfes des accufez fuffent communiquez à Monfieur : ce qui
fut ordonné pararreft du 5* Septembre.
Pour exécuter cet arreft M. le Chancelier , accompagné de
tous les CommiiTaires , fors de Laubardemont , alla le 10 de ce
îiioîs à Vimy pour dire à Monfieur les refponfes que les accufez
faifoient à fa déclaration. Laubardemont ne fit pas ce voyage,
lui qui y eftoit necefifaire plus qu'aucun autre eftant Rappor-
teur du procès , demeura à Lion, ou il ne fut pas inutile. Car
il alla à Pierre-Encife fous prétexte d'y faire une confronta-
tion du Lieutenant des Gardes du Duc de Bouillon de peu
d'importance j mais en efîecl pour avoir le temps de voir leul
2§ MEMOIRES POUR JUSTIFIER
M. le Grand , auquel après mille difcours artificieux il lui pro-
mit la vie de la part du Cardinal, au cas qu'il vouluft depofer
co ntre ledit fieur de Thou , lui faifant croire qu'il avoit de-.
pCé contre lui.
M. de Thou ( fans s'arreîler aux autres accufez que l'on ne
prétend pas juftifier ) fut chargé par Monfieur & M. de Bouil-
lon , d'avoir eu cognoifTance de tout ce qui s'eftoit pafTé , à
la referve du Traiûé d'Efpagne j c'eft- à-dire , de la retraite de
Monfieur à Sedan , au cas que le Cardinal le vouluft faire ar-
refter j d'avoir mefnagé la liaifon de M. de Bouillon & de M.
le Grand ; d'avoir faid un voyage à Limeuil vers ledit fieur de
Bouillon , un voyage à Vendofme pour rechercher M. de
Beaufort de fe joindre à ceftc ligue, ôc toutes les allées ôc ve-
nues à Saint-Germain & à Paris j mais dit , qu'il fe tenoit re-
culé ôc n'entendoit pas ce qui fe difoit dans leurs conférences;
croyoit que ce n'eftoit qu'une liaifon d'amitié, & que fi c'ef-
toit à heure indeuë , c'eftoit parce que M. le Grand n'avoit
point d'autre temps libre.
Neantmoins Monfieur dit, que la dernière fois que M. de
Thou lui avoit parlé , il l'avoit trouvé inftruit de tout^ ôc que
fi M. de Thou ne lui avoit tefmoigné fi-toft , c'eftoit parce que
Monfieur avoit dit à M. le Grand , qu'il ne defiroit pas que M.
de Thou euft cognoififance du Traiûé d'Efpagne, à caufe
^qu'ayant grand nombre de parens ôc d'amis la chofe ne feroit
pas fecrette.
Sur ces charges la procédure eftant achevée, le Procureur
General requift que M. le Grand fuft déclaré atteint ôc con-
vaincu du crime de leze-Majefté , condamné d'avoir la tefte
tranchée , ôc qu'avant l'exécution il fuft appliqué à la queftion
pour déclarer les autres complices ; ôc jufques à ce, que le
jugement du Procès des fieurs de Bouillon ôc de Thou feroit
furcis.
Le Procureur General par ordre de M. le Chancelier, dreiïa
Farreft fuivant fes conclufions.
Le Cardinal voyant que le jugement approchoit , craignant
quelque événement contraire à fon intention , traita rudement
Marca ôc autres Commiffaires , qui avoient tefmoigné quelque
fentiment de juftice : avec réfolution de dire leurs advis en bon-
ne confcience. Laubardemont qui obeifToit aveugleaieut à la
MONSIEUR F. A. DE THOU. 2i>,
buiiïance du Cardinal, portoit par tout un extrait de l'Ordon-
nance de Louis XI tiré du Code Henry j par lequel ceux qui
auront cognoiflance de quelque crime de leze-Majefté , s'ils
ne le révèlent feront punis des melnies peines que les princi-
paux autheurs.
L'Elcot Confefieur du Cardinal , porta cet extrait à M. le
Chancelier de la part de-fon maiflre , pour faire valoir cefle Or-
donnance en cefte occafion. Il la rejetta d'abord pour n'en avoir
ouï parler , pour n'avoir jamais efté pratiquée 5 mais cefl:e lé-
gère refiftance ne lui dura gueres : ce dodeur n'euii pas grand
peme à le converdr.
Le Cardinal pour tousjours afleurer fon fai£l:, confuîta ce
mefme Confefleur , s'il pouvoir en bonne confcience folliciter
les Commiffaires de rendre juftice, n'y ayant que le Roy de
partie y quoique tout le monde vit bien qu'il eftoit la vraye ôc
feule partie des accufez. Ce Confefleur Tafieura , qu'il pouvoit
recommander Faffaire en la qualité qu'il avoir dans l'Eflat, le-
quel on avoir eu defl"ein de troubler; que puifqu'il y avoir une
OrdonnancCjil eftoit en quelque forte obligé de folliciter qu'elle
fuft obfervée : ôc de faict il ne fe pafla rien durant la fin de ce
procès qu'à l'inftance du Cardinal. M. le Chancelier 6c Lau-
bardemont ne lui en ayant rendu compte exa£t, le Cardinal
iui-mefme ordonnoit ce qu'il vouloit eftre faiâ , tant de vive
voix , que par billets efcrits fous lui par Cheré fon fecretaire.
Enfin il manda par plufieurs fois les Commiffaires en parti-
culier 5 les uns plus fou vent que les autres ^ félon qu'il les co-
gnoiffoit aiïeurez. Et le onziefme jour de Septembre , veille du
jour de la condamnation, quoiqu'il fuft fort indifpofé, il les
fit venir l'un après l'autre fecrettement par fa garderobbe ; parla
à eux feparément , reprocha à quelques-uns qu'ils n'avoient pas
de bons fentimens pour le fervice du Roy , pour avoir dit en
paffant quelques raifons à la defcharge de M. de Thou.
M. le Chancelier mefme blafma le fieur de Prienfac fon
confident, qui avoir eu quelque conférence avec Marca l'un
des Commiflaires , qui tendoit à favorifer l'innocence dudi£l:
fieur de Thou, & lui dift, que s'il ne vouloit avoir de meilleurs
fentimens en cefte affaire qu'il pouvoit fe retirer d*auprès de lui.
Le Cardinal donc jugeant que fon intention feroit fuivie, partit
jde Lion le 1 2 Septembre au matin. Ledid S\ le Grand ayant cftéj
5Diij
jo MEMOIRES POUR JUSTIFIER
comme nous avons dit, afTeuré delà vie par Laubarmont,fut ledit
jour 12 Septembre amené devant les Commiflaires. Il creut qu'il
n'eftoit mandé que pour depofer contre M. de Thou , comme il
l'avoit promis à Laubardemont, ayant refolu de prendre méde-
cine (i toft qu'il feroit de retour en fa prifon.
Eftant devant fes Commiflaires^ M. le Chancelier le voulut
interroger fur le fai£l dont Laubardemont eftoit convenu avec
lui, concernant la charge contre ledid S^ de Thou : mais avant
que rien dire il fe leva de deflfus la fellette , ôc vint parler à l'o-
reille à M. le Chancelier, ôc puis fe vint r'afîeoir, M. le Chan-
celier affedant à faire voir à fes aflefleurs qu'il ignoroit ce qui
s'eftoit pafl^c entre M. le Grand & Laubardemont , reprit l'affaire
à fon origine. Surquoi M. le Grand l'interrompit , impatient
de retourner en fa prifon pour prendre fon remède , ôc dift :
« Je voi bien, Monfieur , où vous voulez venir, pour abre-
3> ger l'affaire , je vous dirai tout ce que j'en fçai : puifquel'on
» m'a manqué de parole ( croyant que M. de Thou l'avoit char-
3»gé, comme lui avoit dit Laubardemont) je fuis difpenféde
a» tenir la mienne. ^^ Et enfuite il déclara toutes les particula-
ritez qu'il fçavoit du Trai£lé , duquel il dit que M. de Thou
avoit efté amplement inflruit. Il eft à remarquer que M. le
Chancelier ne l'interrompit point que lorfqu'il chargeoit ledi£l
S"", de Thou, lui faifant repeter le temps Ôc les lieux ^ où il
avoit eu cognoiffance de l'affaire.
Ayant fini , on le conduifit en une chambre , ôc fut ordonné
quoiqu'il fuft près de midi , que M. de Thou feroit amené.,
rendant ce temps M. le Grand monftra de l'impatience pour
élite renvoyé au Chafteau , parlant tousjours de fa médecine;
preuve certaine qu'il avoit affeurance de la vie.
Ledit S^ de Thou arriva fi tard , ellant une heure après
midy , que quelques uns des Commiffaires furent d'advis de
remettre au lendemain : mais M. le Chancelier paffa outre j ôc
interrogea ledid S'', de Thou fur le Trai£lé d'Èfpagne , qu'il
nia abfolument d'avoir fceu : ôc à l'inilant on lui leut la de-
pofuion de M. le Grandi après laquelle il fut ordonné d'office,
fans que le Procureur General le demandaft , que lefdids S^s,
le Grand & de Thou feroient confrontez. M. le Grand voyant
à la confrontation que M. de Thou eftoit efmeu de fa depo-
fition , lui ayant demandé s'il avoit dit ce qui lui avoit efté
MONSIEUR F. A. DE THOU. 3t
îeu , il lui refpondit , « Donnez-vous patience , Monfieur , je
»» vais m'expliquer ; « voulant fans doute efclaircir ce qu'il avoit
dit, recognoiiîant que l'on le trompoit. Lors M. de Thou
craignant que ledidt S'', le Grand s'embaraflafl: d'avantage, ôc
jugeant qu'il pourroit mieux que lui defduire ce faiiSl à la def-
charge de l'un ôc de l'autre, ne le voulut laiffer parler, ôc s'a-
dredant aux Commiflaires leur dit : « Mefiieurs , je vous dirai
3' l'affaire au vrai ôc en peu de paroles, feion la cognoiffance
o' que j'en ay eue ôc mieux poflible que M. le Grand , vous
35 déclarant neantmoins que ce n'efi: point pour chicaner ma
« vie. 3' Il defduifit donc comme il avoit Iceu le Trai61é par
le S'', de Fontrailles à fon retour d'Efpagne , l'ayant rencon-
tré par hazard à Carcafîbnne ; les reproches qu'il avoit faids
audi6l S^ de Fontrailles ôc audid S^ le Grand ôc beaucoup
d'autres particularitez , pour monftrer ce qu'il avoit fai£t pour
Jes divertir de leur deffein: dequoi ledit S"", le Grand demeura
d'accord. Il fçavoit , ellant dellitué de toutes fortes de preu-
ves pour convaincre les autheurs du Traitlé , qu'il eftoit ôc
par la loi de la nature Ôc par la raifon , difpenfé de révéler ce
qu'il fçavoit il imparfaitement. H fçavoit qu'il n'y eftoit pas
obligé par aucun droit public , au moins qui euft efté obfervé
jufques à lui : il jugeoit aufïï à quelles perfonne sil avoit affaire,
ôc de quelle confideration elles eftoient dans le Royaume : il
les voyoit en eftat de ne rien faire i l'un dans le milieu de la
France en repos, l'autre dans un grand employ en Italie ,ôc
l'autre près du Roy : bref qu'ils n'eftoient pas en cftat de tra-
verfer les affaires de fa Majefté. M. le Grand mefme lui avoit
impofé, ôc lui avoit fai£t croire quelques articles du Traiâé qui
n'y eftoient pas , pour le divertir de l'inquiétude où il le voyoit
pour ce Trai6lé.
Ledict S^. de Thou après cela avoit tout fujet d'efperer fa
defcharge s'il euft eu une autre partie , Ôc des Juges non pas
des Commiffaires. Il ne pouvoir pas fe deffendre avec plus de
jugement : ce qui paroift par la refponfe qu'il fit au Prevoft
des Marefchaux de Lyon, Thomé, lequel lui ayant après fa
condamnation demandé pourquoi il n'avoit pas abfolument nié
avoit jamais eu cognoiffance du Traitlé fçachant qu'il n'y avoit
eu qu'un feul tefmoin qui le chargeaft, qui eftoit M. le Grand:
il refpondit, « M. le Grand en a affez dit pour me faire
Yè MEMOIRES POUR JUSTIFIER
M appliquer à la queftion , où on avoit refolu de me faire flra-
M paiTer pour me taire dire par rigueur des tourmens plus que
M je ne f(^avois j & fi je perliftois dans la négative , j'eftois af-
« feuré de mourir miferable dans une prifon fans afîiftance ni
■wconfolation fpirituelle j telle que j'ai à prefent. C'eft ce qui
M m'a fai6l prendre leparty de la mort, au moment que'jeme
M fuis veu fur la fellette. «
Ledit S^ de Thou fans doute avoit efté adverty du defiein
que l'on avoit de le perdre î car l'on trouva par des rapports
véritables qu'aucuns des principaux Commiffaires j M. le Chan-
celier mefmes, ont dit que quand M. le Grand n'euft rien
dit à la charge dudict S^ de Thou, on n'euft pas laifle de lui
donner la queftion. D'autres ont ouï dire audid S'". Chance-
lier defcendant de fa Chambre avec les Commiflaires pour
aller au Palais pour juger le procès y qu'ils verroient dans peu
quel effeâ: avoit la condamnation à la queftion : ôc fur ce
qu'il fçavoit qu'aucuns d'eux avoient peine de s'y refoudre
qui alléguèrent le fai6l du Marefchal de Biron dont le crime
eftoit bien juftifié ^ ajoufta qu'il ne leur en pouvoir dire la rai-
fon , mais que par l'événement ils en demeurercient fatisfaits
en leurs confciences. M. le Chancelier tint ces propos aux
CommifTaires furie doute qu'il avoit que M. le Grand vouluft:
fans y eftre forcé par la queftion , depofer contre M. de Thou 3
comme il avoit promis le jour précèdent à Laubardemont.
Ledi£l: S^ de Thou donc ayant dit ce qu'il avoit à dire pour
fa deffenfe, que l'on verra particulièrement en un autre lieu ,
l'on le fit retirer. Le Procureur General qui fut prefent à cefte
dernière a£lion , ne fe leva point pour prendre de nouvelles
conclufions, quoy qu'il en fuftfoUicité parles yeux & les geftes
de quelques uns des Commiflaires. Sur ce M. le Chancelier
fortit de fa place, ôc traverfa toute la compagnie pour venir
parler audiÔ: Procureur General , qui ne fe leva point qu'il
ne fuft à deux pas de lui , ôc lui dift ces propres paroles : « Eh
» bien , Monfieur , ne trouvez vous pas à cefte heure qu'il y
« en ait aflez contre M. de Thou ? ^ Il lui refpondit qu'il
eftimoit que la confeiïion dudi£l S»*, de Thou ôc la depofition
de M. le Grand jointes à ce qui refultoit du procès, faifoit
une preuve entière, ôc qu'il eftoit obhgé plus que tout autre
de fouftenir le crime eftre capital, mais qu'il doutoit que fou
advis
MONSIEUR F. A. DE THOU. ^f
advis fufl: fuivi. Le Chancelier répliqua : <« Prenez feulement
" vos conclurions, je mefnagerai bien le relie. » Le Procureur
General dit qu^il croyoit que c'eftoit beaucoup bazarder , ôc
qu'il vau droit peut-eftre mieux de différer. M. le Chancelier
repéra ce qu'il lui avoir di£tj de conclure, & qu'il conduiroit
le refte , & retourna prendre fa place ; fit feoir les Juges com-
me il vouluft , c'efl à dire fort artificieufement pour parvenir
à fesfins. Le S"", de Miromefnil dont il avoit grande desfiance,
fut mis en lieu où. il devoit opiner le dernier , afin qu'aucun
des Commiffaires ne fufl perfuadé par la force de fon difcours
à fauver la vie audi£t S^ de Thou. Incontinent le Procureur
General fans davantage confulter ni faire reflexion fur tout le
procès qu'il avoit veu fuperficiellement , conclud comme il
avoit fai6t par efcrit contre M. le Grand, à la referve de la
queflion.
Ces conclurions furent fuivies contre l'un & l'autre des ac-
cufez : contre M. le Graod , tous d'une voix ; contre M. de
Thou, Santereau fut d'avis des galères perpétuelles, & apporta
l'exemple du Baron de S. Romans , ôc le S^ de Miromefnil
conclud à toute autre peine qu'à la mort, où revint Santereau.
Le refte des Commiffaires furent à la mort , de la mefme forte
que contre M. le Grand autheur de la conjuration , ôc con-
vaincu par fa bouche propre de la participation du Traidé
d'Efpagne. Le principal foin qu'eufl: M. le Chancelier en fon
opinion , fuft de réfuter tout ce qu'avoit dit ledi£l S"^ de Mi-
romefnil à la defcharge dudicl S^ de Thou , afin qu'aucun des
Commiffaires ne changeafl: d'advis. Il conclud fon opinion par
cette belle conlideration , fupplia les Commiffaires de penfer
ce que le Roy pourroit dire d'eux , qu'ils auroyent faid mou-
rir un fien confident, une perfonne qu'il avoit tant aimé, ôc
fauve un de leurs frères , un de leur robbe.
L'Arrefl ainfi refolu , M. le Chancelier fe leva, ôc fur le
bureau de la Chambre , fans divertir , efcrivit au Cardinal par
Picault fon Exempt ce qui s'efloit paffé. Picault arrivant dans
la chambre du Cardinal , qu'il trouva à deux iieuës de Lion ,
il lui demanda ce qu'il y avoit de nouveau. Il lui dit le ju-
gement contre M. le Grand Ôc M. de Thou : le Cardinal à
cefie dernière parole fe fouleva de fa chaire , ôc répéta par
trois fois, M. de Thou! « M. le Chancelier, dit-il, m'a délivré
Tome XK 5 E
54 MEMOIRES POUR JUSTIFIER
s> d'un grand fardeau. « Et puis adjoufta ces mots : « Mais »
wPicault, ils n'ont point de bourreau.» Le rapport fai£t à M.
le Chancelier le remplit de joye, voyant qu'il avoit contenté
le Cardinal, mit ordre à ce défaut de bourreau 5 car il bailla
de fa bourfe cent efcus à un pauvre gaigne-denier pour faire
ce miferable office 5 dont il s'acquitta Ci barbarement ôc fi cruels
lement en la perfonne de M. de Thou.
On trouva M. le Chancelier durant celle journée agité de
diverfes confiderations. Il voyoit d'un côté , qu'il avoit fai£t
chofe agréable au Cardinal, auquel il falloir obéir, exageroit
le fervice qu'il lui avoit rendu en cefte importante occafion qui
i'affermiffoit en fa fortune, dill que M. de Thou avoit efté
i'autheur de toute la haine que M. le Grand portoit au Cardi-
nal > qui eftoit lors un crime plus que de Leze-Majefté. D'autre
cofté, il confideroit qu'il avoit fait mourir injuftement un hom-
me de bien pour obéir aux volontez du Tyran le plus mef-
chant homme du monde , qu'il fe rendoit pour jamais lui ôc
les fiens ennemi irréconciliable d'une infinité de perfonnes de
condidon, parens ôc amis dudid S^ de Thou , & que la mé-
moire de cefte infâme injuftice denieureroit à jamais dans la
mémoire de la pofterité.
Le relie de celle funelle journée fut employé à l'exécution
de l'arreft. Le principal foin qu'euft M. le Chancelier & les
confidens du Cardinal, fut de donner des Confefieurs aux con-
damnez : car il ne leur fut pas permis d'en avoir le choix. L'on
leur donna deux Jefuites : le P. Malavalette fut mis près de
M. le Grand , ôc celui de M. de Thou fe nommoit le Père
Mambrun : ils travaillèrent pofiible félon les inltiuclions de
celui qui les employoit.
La refolution qu'euft M. de Thou à fouffirir la mort fut ad-
mirable > il ne fe vit jamais rien de plus généreux, ni déplus
Chreftien : les tranfports d'amour ôc de charité envers Dieu
& d'humilité extraordinaires furent extrêmes. Les Relations de
celle conftance Chreftienne ont couru par le monde avec ap-
plaudifiement , ôc quoiqu'elles foyent remplies de deux ou
trois fauifes circonftances , ôc publiées à deffein de juftifier
Fadion des Commiflaires , elles ont neantmoins fervi à faire
voir leur injuftice , ôcà deteller la cruelle tyrannie du Car-
dinal.
MONSIEUR F. A. DE THOU. ^j-
L'exécution ne fut pasfitoft achevée, que M. le Chanceliec
en depefcha un courrier au Cardinal. Le Procureur Ge-
neral deux jours après l'exécution donna fes conclufions pac
efcrit à la mort contre l'un Ôc l'autre des accufez. L'Arreft
fut changé & rechangé plufieurs fois à la charge dudiâS^ de
Thou. L'on a veu la Lettre d'un homme de qualité qui eftoit
lors à Lion, en datte du 22 Septembre qui porte ces mots :
ce Toute l'occupation de M. le Chancelier depuis le procès des
»5 accufez jugé ôc eux exécutez , a efté jufques à celle heure
w à reformer toutes les dépofitions ôc a6les, afin de tafcher ren--
» dre au moins le jugement plus apparemment jufte. 3>
M. le Chancelier non content d'avoir terni en ce qu'il avoit
pu l'honneur de la Maifon de Thou par la mort de l'aifné de
cefte famille, a voulu par arrefh la ruiner de biens. Car outre
la confifcation qui fuit d'ordinaire la condamnation de mort;
il a ordonnné que fur les biens defditls Srs. le Grand ôc de
Thou , il feroit pris la fomme de foixante mille livres applica-
bles en œuvres pies, faifant eftat que le Roy remettant la con-
fifcation à la famille , elle fe trouveroit d'autant plus aflfoiblie
par celle fomme aflez notable , ayant au/Ti-toll décerné fes or-
donnances à diverfes Communautez monaftiques , qui fe font
moquez ôc de lui ôc de fes charitez du bien d'autrui.
A cela il adjoufta une autre malignité ôc une féconde injuftl-
ce. Ledi£l S^. de Thou avoit defiré qu'une partie d'environ
cinq mille livres, qu'il avoit dans fes coffres , fuft employée
en une fondation pieufe, qu'il defiroit eftrefaitie en l'Eglife des
Cordeliers de l'Obfervance de Tarafcon , au lieu de ne point
traverfer une fi fainte ôc louable charité , il aima mieux en
recompenfer la trahifon de Crombis, qui l'avoit gardé avec
toutes fortes de mauvais trai£lemens Ôc de rigueurs , jufques
à élire tefmoin contre lui, ôclui foûtenirà la confrontation des
chofes qu'il jugeoit pouvoir fervir à le perdre pour profiter de
celle defpouille. C'ell ce qui elloit au pouvoir abfolu de M.
le Chancelier de ne point faire , c'eft à quoi le Cardinal n'a-
voit point d'interefi: , c'ell où il a fai£l voir fa pafi^ion particu-
lière contre cefte Maifon, qui demeurera neantmoins en hon-
neur Ôc en vénération dans l'Europe , malgré la rage de fes
malveillans. De vérité, les biens de cefle Maifon font médio-
cres : mais ils font bien acquis , font acquis depuis longues
SEij
55 MEMOIRES POUR JUSTIFIER
années. Il ne s'y trouvera rien du bien d'autruy j rien du domai-
ne du Roy ; l'on ne verra point ce nom avec celui des parti-
fans , ces fangfuës du peuple; point de friponeries avec cefte
forte de gens , point de participation avec eux.
Par ce que deflus , quieft très véritable , il n'y a perfonne qui
ne voye manifeftement par quels moyens le Cardinal eft parvenu
à faire mourir M. deThou. Le Chancelier , les Commmiflaires,
bref tous leurs fateîlites y ont tous contribué, ont abandonné
leur honneur & leur confcience pour fervir au Tyran , ont ufé
de tous les artifices les plus mefchants qui fe peuvent imagi-
ner , ont violé tout l'ordre de la juftice , pour commettre cefte
liaute injuftice. La précipitation a efté extraordinaire , de la-
quelle ils ne fe peuvent juftifier ; la feverité injufte ôc barbare,
contraire à l'équité & à la raifon. Ils advouent l'un & l'autre ,
preflfez qu'ils font en leurs confciences qui les travaillent in-
ceffamment , mais bien plus par le fenfible defplaifir qu'ils ont
d'eftre tenus pour mefchans ôc injuftes , ôc d'en eftre chaftiez
comme ils le méritent.
IV. Premier chef d' accufation. Comment M. de Thou a fceu le
Trai5ié faî6i avec le Roy d'EJpagne , & quelle preuve il y a
contre lui de ce faiôi.
LE foin particulier qu'ont eu Monfîeur le Duc d'Orléans,
M. le Grand , ôc ceux qui ont travaillé à faire le Traidé
avec le Roy d'Efpagne, a efté que M. deThou n'en euft au-
cune cognoifTance : cela fe prouve par la déclaration de Mon-
fîeur Article i8, qui porte ledid fieur avoir dit à M. le Grand
qu'il ne vouloit pas que ledift S"", de Thou fuft dans fes affai-
res , qu'il avoit beaucoup de parens & d'amis j & que ledicl
S^ le Grand lui avoit dià que pour ledi£t Traidé d'Efpagne
le Sr. de Thou n'en fçavoit rien : ce qui eft conforme à l'm-
terrogatoire du Duc de Bouillon du 15 Aouft , ôc à fa con-
frontation avec ledid S^ le Grand.
La raifon de cefte précaution eftoit fondée fur ce qu'ils fçâ-
voient que ledid S^ de Thou eftoit fort contraires unefi mau-
vaife adion , ôc qu'il l'euft empefchée par toutes fortes de
moyens. Et lorfque ledi£t S^ le Grand par i(i^ répoitfes fur la
Monsieur f. a. de thou. 57
fellette du 12 Septembre , a dit que lediâ: S"", de Thou a eu
entière connoifTance dudiél Traidé , cela fe doit entendre de*
puis qu'il fuft arrivé près du Roy à Narbonne. Car il dit en
une de fes réponfes , que Iedi£l S^ de Thou n'a eu cognoifTan-
ce du Traidé j avant le partement du Roy , mais quand il
vint près de fa Majefté à Perpignan , qu'il le fçavoit, ce qui effc
vrai ; car paflant à Carcaflbnne allant à la Court , il y trouva
Fontrailles qui l'informa fuperficiellement du Traitté.
Adjoufte qu'eftant ledi£l S^ de Thou avec lui à Perpignan^
ils en ont fouvent parlé enfemble 5 mais qu'il l'avoit tousjours
improuvé , & prefTé de rompre tout ce qui s'cftoit fai£l , lui re-
prefentant les interefts de confcience ôc d'honneur , les liens
propres ôc la foibleffe des Efpagnoîs. Lediâ: S^, le Grand fur
la fin de la confrontation recogneut que cela eftoit très vé-
ritable. Mais une preuve certaine que ledict S'", de Thou ne
fçavoitleTraifSlc que très fuperficiellement eft^ que Icdid S^Ie
Grand lui voulant faire croire qu'il eftoit impoiïibie de l'exé-
cuter, il lui dift que le Traidé portoit uneclaufe par laquelle
Monfieur & M. de Bouillon eftoient difpenfez de rien entre-
prendre, que le Marefchal de Guebriand ne fuft chaffé des
poftes qu'il avoit fur le Rhin. Ce qui n'eft pas, ôc n'en eft
parié en aucune façon dans ce Trai£lé , ainfi qu'il a efté im-
primé , ni du Marefchal de Guebriand , ni des poftes qu'il te-
noit fur le Rhin : & ainfi il eft vrai de dire que ledid S^. le
Grand avoit inventé cefle impofture ( affeuré qu'il eftoit que
ledid S'', de Thou n'avoit rien fceu de particulier du Traicté)
pour fatisfaire îedi£t S^ de Thou qui s'en pîaignoit perpétuel-
lement , lui faifant croire par cette faufîe cîaufe qu'il n'y avoit
rien à craindre, eftant impofFible d'en entreprendre l'exécution^
6c enfuite le divertir de la refolution qu'il voyoit qu'il pouvoit
prendre d'en donner advis au Roy ou à fes Miniftres.
De là l'on conclud entièrement que ledid S^. de Thou n'a
point efté participant du Traidé 3 c'eftàdire qu'il ne lui a point
efté communiqué à fon origine ni à fon progrés ', n'a rien con-
tribué pour le faire reuffir , ni l'a jamais veu , a fceu par Fon-
trailles en paflant à Carcaflfonne , allant à la Court qui eftoit
lors à Narbonne, que ledi£l Trai£té eftoit fait fans autre par-
ticularité; a blafmé Fontrailles de cefte negotiation^ l'a fort
improuvée à M. le Grand , l'a importuné pour la détruire,
JEiij
5S MEMOIRES POUR JUSTIFIER
jufques-là que ledict S*", le Grand a inventé un faux faid pour le
contenter.
Ainfi la cognoifTance que ledi£l S"", de Thou a eue de ce
Traicbé ne peut eftre qualifiée de ce mot de participation , mais
de fimple fcience ôc tués fimple , puifque tout lui a efté caché>
& que les autheurs du malavoient pris enfemble cefte refolu-
tion , 6c l'avoient exécutée.
Cette affaire donc fe réduit à cq^.q queftion : Si une nue
ôc fimple fcience eft crime de Leze-Majeflé , ôc fi celui qui
fçait quelque crime d'Elîat de celle forte > ôc n'en ayant au-;
cune preuve , eft obligé de le révéler.
Outre cela il faut confiderer quels font ceux qui ont de^
pofé que ledicb S'', de Thou fçavoit le Traidté , Monfieur le
Duc d'Orléans , ôc M. le Grand. Pour Monfieur , quoiqu'on
a voulu remédier , mais foiblement ôc inutilement au défaut
de la confrontation dudiâ: Seigneur à l'accufé , il ne s'eft pu
rien faire qui la puiiTe fuppléer j ce qu'il a dit eft du tout inu-
tile fans cefte formalité effentieile , à laquelle il ne peut eftre
dérogé par qui que ce foit , d'autant que ces formalitez judi-
ciaires font de Droid public. L'on a fatisfaid à ce point très
pertinemment par un Mémoire particulier.
Mais l'on adjoufte pour affoiblir du tout la Déclaration ju-
diciaire de Monfieur , qu'il ne l'a pas faite librement , ni fans
indu£lion. Car il eft vrai que M. le Chancelier fut feul avec
iedid Seigneur depuis onze heures du matin du 28 Aouft juf-
ques à cinq heures du foir qu'ils fabriquèrent enfemble cette
déclaration : après quoi les Commilfaires furent appeliez pour
ouir la le£lure de ce que ledi£l S"". Chanceher avoir faid feul
îix heures entières avec Monfieur. AufTi ledi£l Seigneur fen-
tant fa confcience bleffée d'avoir chargé par cefte declaradon
îedi£l S"", de Thou d'avoir fceu le Traiâ:é d'Efpagne , efcri-
vit une Lettre qui l'en defchargeoit entièrement j ce qu'eftant
recogneu par ceux qui conduifoient l'affaire par les ordres du
Cardinal 3 outre qu'ils fupprimerent cette Lettre , ils firent tous
leurs efforts pour obliger M. le Grand à déclarer que ledi6l
S"", de Thou eftoit participant du Traifté. Ce qui leur donna
l'audace d'entreprendre cefte infigne mefchanceté^ eft , qu'ils
fçavoient que Ceton Lieutenant des Gardes Efcofi!bifes , qui
fiyoit gardé ledid S'\ le Grand , avoir dépofé que ledict S^ le
DJ
3Î
MONSIEUR F. A. DE T H O U. 55»
Grand lui avoit dit fouvent en ces propres termes : « Qu'on
« m'afi'eure de ma grâce , je vous dirai des chofes que je ne
3' dirai pas à un autre. Je vois qu'on me veult faire parler ,
mais on ne m'afleure de rien. On veult que je confefle, mais
on ne me promet rien. Si on me vouloit donner la moin-
dre afleurance par quelqu'un de crédit ôc d'autorité , je taf-
« cherois de fuivre le conlëil qu'on me donne , de dire ce que
05 je fçai. »
Sur ces ouvertures Laubardemont, Rapporteur du procès,
ne fut point à Vimy avec les autres Commiflaires,pour eitrc
prefent à la le6lure qui fe fit à Monfieur des refponlès des ac-
cufez à fa déclaration ; mais il demeura à Lyon , où il vit M;
le Grand /auquel il promit la vie de la part du Cardinal ^ au
cas qu'il vouluft depofer contre ledi6l S^ de Thou,luiim-
pofant que ledi£l: S»", de Thou avoit depofé contre lui.
Ledit S'', le Grand creut trop légèrement aux blandices 6c
impoftures de Laubardemont , promit de faire ce que l'on de-
firoit de lui pour l'afieurance qu'il lui donna de la vie.
Le lendemain 12 Septembre, il fut conduit devant les Com-
miflaires , où il creut n'eftre mandé que pour depofer contre
ledi61: S^ de Thou , comme il l'avoir promis à Laubardemont.'
Et de faid , il avoit refolu fi-tofl qu'il feroit de retour du Pa-
lais en fa prifon de prendre médecine j preuve certaine qu'il
eftoit aiïeuré de la vie. , Eftant donc devant les Commiffaires
il fit ce qu'il avoit promis , il chargea lediâ: S^^^de Thou d'a-
voir fceu le Traidé en la forte qu'il eft di£l cy-defTus.
Mais un tefmoin de cette qualité , criminel de Leze-Maje-
ûé , ôc convaincu , à qui fon Rapporteur a promis la vie pour
charger lediâ: S^ de Thou , que peut-il dire qui puifie porter
préjudice à qui que ce foit , non pas mefnie audi£t S^ de
Thou contre lequel il n'y a rien de concluant dans tout le
procès.
Ainfî toute la charge qui peut refter contre ledid Sr. de
Thou fe tire de ce que lui mefme advouë , d'avoir fceu fim-
plement le Trai£té par Fontrailles en paffant à Carcaflbnne.
40 MEMOIRES POUR JUSTIFIER
V. Second chef d'accufation. M. de Thou eft accufé d'avoir lié
d amitié M. le Duc de Bouillon avec M. le Grand Efcuyer ,
qui fe font depuis unis avec M. le Duc d'Orléans , auquel le
Sieur Duc de Bouillon donnott la ville de Sedan pour retraiûe.
Examen des principales allions du Cardinal de Richelieu pour
fe maintenir en PadminiJIration fouveraine du Royaume.
CEux qui ont condamné M. de Thou fe fervent de tous
moyens pour juftitier leur injuilice. Ils jugent que le fai6t
de la fimple fcience du Traiclé d'Efpagne eft fi foible qu'il
n'y a que les ignorans qui y font furpris , & qui ne meritoit
pas de le porter jufques aux extremitez.
Pour leur juftification ils adjouftent, qu'il y a preuve évi-
dente au procès des entremifes dudi£l S'', de Thou pour lier
d'amitié M. le Duc de Bouillon avec M. le Grand :, qu'il a
aiïifté aux entrevues : & ce qui augmente , difent-ils , fon cri-
me eft le temps de fix femaines qu'il a demeuré avec M. le
Grand , logeant avec lui au Camp devant Perpignan , lui don-
nant confeil de fes affaires j après mefme avoir eu cognoiffan-
ce que ledid S'', le Grand eftoit criminel de Leze-Majefté ,
pour avoir trai£lé avec le Roy d'Efpagne. A cela ils adjouftent
une Lettre du Chevalier de Jars , qui par fon obfcurité fem-
ble charger en quelque chofe ledicl S^ de Thou.
Tout homme de bon fens ne s'imaginera jamais que M.
de Thou ait commis un crime capital voulant rendre fervice
à M. de Bouillon fon amy^ après l'avoir veu reconcilié avec
le Roy , après avoir faiâ; un Traiâé Ci public & fi folennel
avec fa Majefté , après l'avoir veu lié d'amitié avec le Cardi-
nal de Richelieu , qui pouvoir tout dans le Royaume. L'on
nie formellement, & cela ne fe peut prouver , que ledid S^ de
Thou ait travaillé auprès de Monfieur , pour lui faire perdra
3es relTentimens de ce qui s'eftoit paffé entre lediâ: Seigneur
& lediâ S"", de Bouillon il y avoir quelques années , & dont
toute la Court avoit cognoillance. Mais il eft vrai que ledid
S'", de Thou jugea que ledid S^ de Bouillon ne pouvoiteftre
en bonne afTiette à la Court ôc auprès du Roy , fans l'amitié de
M. le Grand , qui avoit lors l'entière confidence & très eftroite
de fa Majefté, ôc qu'il falloit qu'ils fuffent amis.
I)
MONSIEUR F. A. DE THOU. 41
Il faut eflre barbare pour trouver à redire à une fi fainte en-
treprife. Le Roy n'en pouvoir prendre de jaloufie , puifqu'il
eftoit utile à PEftat que des perfonnes de cède condition fuf-
fent en bonne intelligence enfemble.
M. le Grand qui penfoit non feulement à s'élever dans le
Royaume, mais à s'y fortifier d'amis puilTans ôc utiles, ne re-
jetta pas la propofition que lui en fit ledid S»^. de Thouj la
creut d'autant plus advantageufe pour fa fortune , que Iedi£t
S^ de Bouillon eftoit en un hault point d'eftime après la vic-
toire de Sedan qui eftoit deuë à fa conduite , & à fa valeur.
Il efl: vrai que ces propofitions fe firent afiez fecretement ,
parce qu'il ne fe faifoit rien autrement à la Cour de cette na-
ture , quoique fans mauvais deffein ; les efpions ôc les emif-
fairesdu Cardmal eftoientpar tout , qui pour gagner leurs pen-
fions Ôc mériter auprès de lui i adjoufterent à ce qu'ils avoient
veu ce qui n'eftoit pas : fur ces faux rapports mille ôc mille
perfonnes ont péri en ce Royaume durant fon adminiftration.
Ce fecret donc ne peut pas eftre qualifié crime , puif u'il
avoit une bonne fin, puifqu'il eftoit innocent, Ôc qu'il eftoit
difficile d'en prévoir une mauvaife fuite.
L'on ne nie pas que M. de Thou n'ait mefnagé les entre-
veuës de M. de Bouillon ôc de M. le Grand : mais l'on nie
abfolument qu'il ait efté prefent à ce qu'ils difoient , ni affifté
en tiers ôc en quart 5 bref ^ qu'il ait ouï aucune chofe de leur
négociation. Les depofitions de M. de Bouillon ôc fes con-
frontations y font formelles : bref, par tout ce que l'on a veu
dans le procès , il ne fe trouvera pas qu'il ait efté appelle à au-
cune de ces conférences bien loin d'avoir oui ce que s'y traie-
toit. Et cela eft fort difertement couché dans le procès par
l'inftance affez preffante que fit le S^. de Chaze l'un des Com-
miflaires , qui maintint à M. le Chancelier qui eftoit d'inten-
tion contraire , que cefte circonftance ne devoir eftre obmife ,
puifqu'elle eftoit véritable, ôc que le tefmoin la fouftenoit
telle.
Enfuite ledi£t Sf. de Bouillon par une autre confrontation re-
cogneut ingenuement n'avoir communiqué aucun de fes deifeins
audiaSr. de Thou. De là l'on peut juger quelle foy peut eftre ad-
jouftée aux Intendits du Procureur General de cefte commiffion,
qui ne mer aucune différence entre avoir efté entremetteur à^s
Tome XF. . J F
42 MEMOIRES POUR JUSTIFIER
entreveuës , & avoir efté prefent aux entreveuës & participé
aux defleins qui s'y trai^loient : ce qui monftre ou qu'il eft
ignorant, ou mefchant j ôc poflible l'un & laurre. Ainfi M.
de Thou n'a point fceu par cette voye le Trai6lé d'Efpagne,
a du tout ignoré la parole donnée par M. de Bouillon àMon-
fieur de lui bailler la ville de Sedan pour retraite.
Ces conférences no6turnes ôc à heures indeuës font réputées
crimes de Leze-Majefté audi£l S^ de Thou , tant on a recher-
ché de moyens pour le perdre. Ceux qui l'ont jugé, au moins
une bonne partie , fçavoient-ils pas la condition où eftoit M.
le Grand , telle qu'il lui eftoit impoffiblede perdre le Roy de
veuë , & qu'il n'avoit d'heures libres , foit pour les plaifirs ,
foit pour fes affaires , que celles de la nui£l après que le Roy
eftoit endormy ? Ce qu'il faifoit avec tant de précipitation qu'il
falloit qu'il fuft de retour avant le lever du Roy , à peine de
perdre les bonnes grâces de fa Majefté.
L'on dit que ledi6l S^ de Thou a voulu deftourner M. de
Bouillon de fa refoîution de venir demeurer en France avec fa
famille. Quel crime ? Un vrai ami fçachant l'air du gouverne-
ment en devoit-il ufer autrement ? Si ce confeil euft efté fuivi,
& pleuft à Dieu qu'il l'euft efté! tout ce que nous avons veu,
ôc dont nous nous plaignons, ne fuft pas advenu. M. le Grand
n'euft point noué fes intelligences avec M. de Bouillon j Mon-
fieur n'euft point penfé ni à Sedan ni à M. de Bouillon : les
chofes euiTent pris un autre chemin. Ce confeil fembloit très
fage pour faire comprendre à M. de Bouillon , fans s'expliquer
davantage, que ce qui s'eftoit paifé près de Sedan le pouvoir
perdre , qu'il trouveroit dans la Cour mille occafions de s'em-
barraffer que fon abfence divertiroit^ que le Cardinal par la
viftoire de Sedan , s'eftoit veu à la veille de fa ruine , 6c qu'il
s'en fouviendroit toute fa vie, ôc ainfi ce qui eftoit imputé à
crime auditt Sr. de Thou devoir fervir à fon innocence.
L'on s'eft fervi enfuite d'une Lettre du Chevalier de Jars
qui eft un énigme ridicule, une vraye fadaife digne de ceux
qui l'ont mife au jour: preuve certaine que les folides moyens
d'opprimer un homme, leur ont manqué: ledi£t S'', de Ihou
par fon interrogatoire a fi bien fatisfaid à cefte lettre, qu'il eft
inutile de s'y arrefter davantage.
Mais pour rendre le crime dudid S^ de Thou plus atroce
MONSIEUR F. A. DE THOU. 45
en apparence ^ ils ont dit qu'il a demeuré iîx femaines avec
M. le Grand , logeant avec lui devant Perpignan après avoic
fceu qu'il avoir fait le Traiûé d'Efpagne.
De vérité, il a efté fix femaines à la Cour depuis avoir fceu
ce Trai6lé j l'on ne le peut pas denier : quel danger a couru
i'Eilat parcelle demeure, pour n'avoir pas révélé ce qu'il fça-
voit ? S'il a fceu le particulier du Traicté , ce qui n'eft pas ,
fçavoit-il pas la foibleffe du Roy d'Efpagne , ôc l'impolTibilité
où il efloit d'appuyer ce Traitté par une armée ^ puifqu'elle
avoir efté defaicle par le ?»iarefcal de Guebriand ? Sçavoit-il
pas que M. de Bouillon eftoit en Italie commandant l'armée
du Roy , employ très important , bien efioigné de Sedan ^
voyoit Madame de Bouillon dans le cœur du Royaume bien
loind'eftre proche du lieu où toutes les forces fe dévoient join-
dre. Aladame la Douairière de Bouillon eftoit dans Sedan ,
fort contraire à tout ce qui fuft venu à elle portant le nom
d'Efpagne. Bref ^ il fçavoit que Monfieur eftoit en Auvergne
au centre du Royaume ne penfant qu'à fes plaifirs , fe prépa-
rant d'aller à la Cour ou à Bourbon prendre les eaux , qui eftoit
en efîe£t tourner le dos à fon Traidé : Traidé qui fe pouvoit
dire un ade inutile , un acle abandonné par fes auteurs , puif-
qu'ils ne faifoient rien pour l'exécuter , puifque M. ne l'avoir
pas ratifié , ni aucuns de ceux qui y eftoient nommez , ainlî
qu'il a efté publié.
Au refte^ que M. de Thou euft-il peu apprendre au Roy de
ce Traidé f Un paffant lui a di£l que Monfieur avoir fai£t un
Traiclé avec le Roy d'Efpagne qu'il n'a pas veu , dont il n'a
nulle lumière, dont il n'a point de copie , dont il ne fçait au-
cune circonftance que fort générale. L'on i'avoit mefme trom^
pé , lui faifant croire qu'il contenoit des conditions qui n'y
eftoient pas , comme il eft prouvé au procès. S'il en euft ufé
de la forte, euft-il pas efté pris pour calomniateur , pour un
mefchant ; accufer le frère du Roy , un confident ôc favori de
fa Majefté , ôc autres grands qui pouvoient avoir part encefte
affaire , fans avoir les preuves en main , fans des preuves con-
vaincantes. L'eftatmefmes des chofes le pouvoit faire juger
mefchant &: calomniateur : c'eft ce que ledi£l S^, de Thou re-
marqua très judicieufement le dernier jour devant fes Com-
miilairçs : mais ils en avoient refolu autrement.
^^ MEMOIRES POUR JUSTIFIER
Monfieur par fa déclaration du 2p Aoufl: 16^2 receuë en
forme d'acte judiciaire par M. le Chancelier ôc les autres Corn-
miffaires , qui contient tant la première déclaration du 7 Juil-
let faite à Aigue-perfe , que les additions que lediâ: Seigneur
y fit , prefent ledi6l S"". Chancelier , dit Art. 4 de fa première
déclaration , après avoir parlé du Trai6lé d'Efpagne : « Dans
3> toute cette affaire je n'en ai parlé que deux fois au S^ de Thou
w que j'ai trouvé informé.
Dans l'addition faiâ:e avec M. le Chancelier Art. 18 , il eft
porté en ces mots : « Sur quoi lui Monfieur ayant di£l audiâ;
:>' Sr. le Grand qu'il ne vouloit pas que ledi£t S»', de Thou fuft
« dans fes affaires , à caufe qu'ayant beaucoup de parens ôc
» d'amis , il ne pourroit pas garder le fecret ; ledict S^ le
« Grand dift , que pour l'aifaire de M. de Bouillon , il ne pour-
== roit pas empefcher que ledi6l S^ de Thou n'en euft cognoif-
3' fance 5 que pour le Traicté d'Efpagne ^ il n'en fçavoit rien. 33
L'Article 25 porte ces mots : « Quelque temps après ^ lui
»' Monfieur , vit lediâ: S\ de Thou allant à Saint Germain à la
w chafle , auquel il parla des iiaifons qu'il avoit avec lefdids
»> S", de Bouillon ôc le Grand contre M. le Cardinal , & du
3' crédit qu'avoit ledi£t S»^. le Grand auprès du Roy. Sur quoi
3> ledi£t S'', de Thou dift , à lui Monfieur , que ledi£l S', le
0' Grand eftoit bien auprès du Roy , ôc qu'il fçavoit bien que
« lediiSl Sr. de Bouillon avoit offert à lui Monfieur fa place
» de Sedan pour fe retirer fi befoin eftoit, ôc en difpoferconv
» me il voudroit. »
L'Article 24 porte ces mots : «c Monfieur dit qu'il avoit veu
w cinq ou Cix fois auparavant ledi£l S'', de Thou , qu*il ne lui
« avoit parlé d'aucune affaire , ôc qu'en cefte dernière veuë
3' ledi£l S^. de Thou lui dift qu'il n'avoir ofé entrer dans le dif-
»> cours de cette affaire, à caufe que lui Monfieur ne lui en
=' parloit point, ôc ne s'en eftoit ouvert avec lui j ce qui don-
»' na fujet à lui Monfieur , de croire que ledicl S'', le Grand
« avoit dit quelque chofe audid S^ de Thou , dont il nevou-
^^ ioit pas que lui Monfieur euft cognoiffance , ôc qu'il croit
» que ledicl S'', de Thou ne lui en euft parlé, à caufe que lui
» Monfieuj: avoit tefmoigné audidt S^le Grand qu'il ne der oit
« qu'il fuft employé en cefte affaire. ^^
Il eftoit à propos de joindre ces Articles à la déclaration
MONSIEUR F. A. DE THOU. 45*
de Monfieur , pour faire voir qu'il y a entr'eux beaucoup de
contradidion. II dit en un lieu , qu'il n'a veu ledidS''. de Thou
que deux fois j en un autre lieu cinq ou fix fois : il dit qu'il a
parlé à lui de l'affaire, qu'il l'en avoir trouvé informée & puis
il dit qu'il eftoit convenu avec M. le Grand qu'il ne lui en
feroit rien dit , & qu'il ne vouloit pas qu'il en euft cognoiffan-
ce. De plus , il faut remarquer que la principale charge con-
tenue en ces articles eft dans l'addition à la première décla-
ration j que cette addition a elle faite après plufieurs agita-
tions , après de grandes apprehenfions de perdre fa liberté , ou
d'eftre le jouet des étrangers , errant çà & là fans fubfîftance j
addition faite avec M. le Chancelier feul : & qui peut dire
qu'elle ne lui a pas efté fuggerée ôc didée pour charger ceux
que l'on vouloit perdre f Et certes, Monfieur ôc fes confîdens
eftoient lors en eftat de ne rien denier aux volontez du Car-
dinal, qui lui furent portées, & par fon confident, ôcparM.
le Chancelier.
Mais ce qui décide toute forte de difficulté , efl cefle de-
pofiùon ou déclaration deflituée de fa principale forme pour
pouvoir fervir de preuve; puifque Monfieur n'a efté confronté.
Recours au Mémoire par lequel il eft prouvé , 6c par raifons
très pertinentes, ôc par noftre ufagede France, que la confron-
tation de toutes fortes de tefmoins aux accufez eft abfolument
necefTaire ; les équivalens ridicules , inventez pour flatter les
Tyrans , ôc que la depofition d'un tefmoin non confronté eft
inutile j n'eft pas mefme leuë en jugement.
Pour rendre ledi£l S^ de Thou plus criminel, l'on veult qu'il
ait fai£l un voyage à Vendofme pour defbaucher M. le Duc de
Beaufort ôc le joindre aux conjurez.
Monfieur en fa première déclaration dit que ledi£l: Sr. de
Thou lui avoit dit qu'il avoit veu M. de Beaufort de la part
de M. le Grand ^ ôc qu'il l'avoit trouvé fort froid : ce qu'il con-
firme en l'Article 25 de la féconde déclaration , ôc adjoufte
queledi£l S^. de Beaufort lui avoit dit qu'il dependoit de Mon-
fieur fon père , ôc rien plus qui aille à la charge dudiâ: S^ de
Thou. Enfuite de cela toute la France a veu comme l'on a
pouffé M. de Beaufort , ôc avec quelle violence il fut preffé
de venir trouver le Roy pour déclarer le fujet du voyage dudid
S"", de Thou à Vendofme i quels difcours il lui avoit tenu.
JFiij
4^ MEMOIRES POUR JUSTIFIER
Les Lettres du Roy à cet efFecc & les refponfes dudiâ: S^ de
Beaufort ont efté fi publiques , & fi cogneuës à toute la France,
qu'il n'y a eu que de la honte pour le Cardinal ôc fes fateili-
tes d'avoir faid efciater un fai6l fi hault , qui s'eft trouvé enfin
fi foible & fi futile.
Voila quelles font cq5 grandes preuves & ces charges fî
convaincantes qui ont obligé ces Commifiaires à faire perdre
la vie audi£l S"^. de Thou : ou pluflofl: voila le prétexte qu'ils
ont pris pour obéir aveuglement au commandement du Car-
dinal. Car de c'roire qu'Us ayent examiné les preuves qui font
au procès , qu'ils ayent faicl la reflexion necefl^aire fur le dé-
faut eiTentiel delà confrontation de Monfieur j c'eft ce que l'on
ne peut imaginer en des Commiflaires , principalement en
ceux-cy gens corrompus ôc dévouez , qui n'ont veu l'affaire
que fuperficiellement y & tant que l'on a voulu qu'ils l'ayent
veuë. De croire qu'ils ayent conilderé l'Ordonnance de Louis
XI comme elle le doit eftre , ôc comme elle efl: examinée
dans ces Mémoires , ils ne Tont pu , ôç n'en ont pas eu le
loifir. Car à midy du 12 Septembre , il n'y avoit point de
charge contre ledi6l S^ de Thou parleur confelfion niefme,
ôc par les conclufions du Procureur General > ôc une heure
après il fut condamné à la mort : ôc ainfi celle précipitation
horrible leur ofta le moyen de penfer à ce qu'ils faifoient.
Deux ou trois perfonnes dévouées ont conduit celle malheu-
reufe conjuration , les autres ont fuivi comme bufles ôc des
gens fans cœur ôc fans confcience.
Pour cognoiftre clairement tant d'injuftices , il ne faut que
voir le procès , quoiqu'il ait elle tant ôc tant de fois changé
ôc altéré, ôc admirer la voix pubhque , qui au moment de la
condamnation, ôc depuis encore, a detefté fi hautement une
a6lion fi barbare Ôc fi extraordinaire , qui a tellement efclaté
que l'Italie , l'Allemagne , ôc les Pays-bas en ont tefmoigné
de l'indignation.
Mais avant que finir , il efl à propos de faire quelques con-
fiderations fur la conduite du Cardinal pour fervir à la jullifi-
cation de ceux qui ont elle opprimez.
Monfieur de Thou /traidé de la forte que nous avons di£l,
après une inftitution digne de fa naifiance , par une grâce très
particulière , ôc qui ne s'eftoit jamais communiquée à perfonne.
MONSIEUR F. A. DE THOU. 47
entra dans les charges en l'âge de dix-neuf ans. L'on donna
cefte faveur à la mémoire de fes anceftres , particulièrement
à la vertu & aux mérites de iVlonfieur Ton Père :, l'un des plus
illuftres perionnages d'Europe, & ài'efperance que l'on con-
cevoir d'une fi belle infticurion.
Le cours de fa vie, qu'il commença par l'exercice de tou-
tes les plus hautes vertus , ôc l'alliance qu'il avoit avec les plus
grandes & principales familles du Royaume , lui acquirent
beaucoup d'amis de toutes fortes de qualitez. 11 tefmoigna en
toutes fes allions un zèle fi extraordinaire , ôc , s'il fe peut dire,
jufques à l'excès envers celle Eilat, & particulièrement pour la
perfonne du Roy & de la Maifon Royale , ( dont il refte quel-
ques vertiges dans le procès, quoiqu'on ait tafché d'eftoufFer
tout ce qui pouvoit faire à fa defcharge ) qu'il lui eftoit im-
poiïible de fuppo; ter les allions de ceux qui allèrent à en efi^ran-
1er les fondemens, ôc changer l'ordre du gouvernement:
Ces fentimens qui lui eftoient naturels Ôc attachez à fon
nom , ne purent jamais eftre eftouffez en lui : fes interefts do-
meftiques ôc de fa fortune n'ont point empefché qu'il n'ait con-
fideré le cours rapide de la fortune du Cardinal de Richelieu ,
qu'il a tousjours eu en horreur , l'ayant recogneu ambitieux,
cruel, avare, hypocrite, lalche, ôc qui approchoit près delui
des perfonnes qui lui reffembloient , pour exécuter fes pafiions,
ôc fes defi^eins qui pafloient les bornes de l'ambition ordinai-
re. Ces mauvaifes qualitez le rendoient naturellement enne-
mi des gens de bien ^ Ôc des perfonnes genereufes qui faifoient
profeflion d'honneur ôc de vertu. De là font fortis tous les
maux que nous avons veu durant près de vingt années j de là
la defolation de tant d'illuftres familles dans ce Royaume i de
là la ruine de toute la France , de tous les Eftars voifins , bref
de toute l'Europe. Nous ne confiderons point en ce Memiçi-
re^ ni fes adtions , ni fes vices particuliers, ôc moins encore
les tyrannies qu'il a exercées contre les fiens , ôc fes domefti-
ques. Ces défauts touchent peu ou point le public } ôc per-
fonne n'a loi de s'en méfier ôc d'y trouver à redire : mais nous
nous attacherons feulement ôc fommairement aux moyens
qu'ils a tenu , ôc qu'il a changé de temps en temps pour par-
venir à la Royauté , ou du moins pour fe maintenir en fonad-
miniflration fouveraine.
48 MEMOIRES POUR JUSTIFIER
Les plus advifez jugèrent par les principales adions du Car-
dinal , eftant lors prés de la Reine Mère j quelle eftoit fon
ambition ôc fes deiTeins de gouverner. Cefte PrincefTe aveu-
glée par les apparences de la fublimité de l'efprit de ce Mi-
niftre^ qui avoir paru dans lesdefordres de la Court, comme
ces excremens qui font produits & ne vivent qu'avec les ora-
ges ; la Reine , dis-je , l'admit dans fes plus fecrettcs ôc im-
portantes affaires, 6c il s'infinua avec tant d'addreffes & de
flateries dans fes bonnes grâces , qu'il exerça prés d'elle tout
ce qu'on peut s'imaginer d'un efprit violent. Il y eftablit fes
parens , chaffa par toutes fortes de fourbes ceux qui lui fai-
foient ombre; fon avarice le pouffa à un tel excès qu'il ab-
forba les grands revenus de celle Princeffe : ôc en enrichit lui
& les fiens.
L'autorité abfoluë qu'il empiéta fur l'efprit de la Reine , lui
ouvrit le chemin au gouvernement de l'Eftat î il y trouva cçïïq
Princeffe en une haute puiffance que la nature 6c la longue
Régence lui avoient acquife 5 il y trouva les Princes du Sang
6c les autres Princes très puiffans, les Grands, les Officiers
delà Couronne, 6c lesParlemens qui s'eftoient maintenus dans
le pouvoir qui leur eft attribué parles Loix du Royaume. Ces
parties , bien unies comme elles eftoient , traverfoient direde-
ment les deffeins ambitieux du Cardinal 3 il fçavoit que leur
union confervoit la paix dans l'Eftat 6c l'autorité Royale j que
chacun exerçoit librement fes fondions , qu'il eftoit impoffible
de troubler tout à coup cefte belle harmonie , qu'il falloir agir
lentement ôc avec dilîimulation ^ 6c paroiftre tourner le dos à
fon deffein, ayant affaire à des puiffances fi clair-voyantes 6c
il autorifées dans l'Eftat , qu'il les falloit deftruire l'une après
l'autre, avec efperance que le temsen donneroit les moyens
ou les prétextes.
Les preftiges ôc les artifices qu'il pratiqua auprès de la Rei-
ne, furent conduits fi adroitement, que cefte bonne Princeffe,
peu pour fi un rufé Miniftre , ne les apperceut que trop tard.
Car les principaux de fes domeftiques eftoient de la caballe.
Toute l'Europe a veu où cefte pauvre Dame a efté réduite.
Premièrement il la fît emprifonner , d'où elle trouva moyen
d'efchapper parce qu'il le voulut ainfi , ôc de là il la pouffa
hors le Royaume , où elle a pati non comme une grande Reine
mais
MONSIEUR F. A, DE THOU. 4i>;
mais Comme une fimple Dame, fans que ce mondre d'in-
gratitude lui ait tendu la main pour la foulager ; lui qui pofTe-
doit tous les trefors du Royaume » & qui avoir ravi tout le bien
de cefte Princefle.
L'cfloignement de la Reine lui ouvrit le chemin au gouver-
nement abfolu ? ôc craignant fon retour , & que la nature agift
fur le Roy , il lui lit voir par la plus mauvaife Théologie du
monde, car il n'en avoit point d'autre, ôc par des avis con-
certez par fes efclaves dans le gouvernement , comme il n'efloit
pas obligé de rendre à la Reine fa Mère les moindres devoirs,
iion pas mefme un teflon pour foulager fa mifere.
Le Roy n'ayant point d'enfans , & avec peu d*efperance
d'en avoir, ôc de plus travaillé de diverfes maladies & efloi-
gné de la Reine fa Mère , la perfonue la plus confiderablo
cfto.it Monfieur le Duc d'Orléans, plus proche à fucceder à
la Couronne. Le Cardinal pour fe perpétuer dans l'autorité
du gouvernement lui fit infinuer par mille artifices le ma-
riage de fa nièce veuve de Combalet , fit chaffer ou difgra-
cier toutes les perfonnes d'honneur ôc de condition qui eftoient
prés de Monfieur qui pouvoient empefcher ce deflein, lui en
fuppofa d'autres, ôc corrompit ceux qu'il jugea pouvoir fer^
,vir à fon ambition.
Ce moyen, s'il lui euftréùfîî, lerendoit non feulement maif-
tre du gouvernement , mais Viceroy ôc le tout-puiflant dans
i'Eftat, ayant fa bonne & chère nièce Reine de France, qui
ne manquoit pas d'addrelTe ôc d'efprit pour féconder une ani-^.
bition Cl déréglée Ôc extraordinaire.
A-t-on pas veu , ce moyen lui ayant manqué par le maria-
ge de Monfieur » de quelle fureur il s'eft porté à le faire dif-p
foudre ? mais fon aveuglement fuft tel , que fans confiderer ce
qu'il devoir faire pour le bien de l'Eftat ôc pour la conferva-^
tion de l'autorité du Roy, ce qui lui eftoitfort facile , il fe fer^
vit de voyes obliques , mais qui lui eftoient ordinaires , ôc cor-
rompit par divers artifices des Archevefques , des Evefques,
des Doàeurs de Sorbonne , Ôc des Moines de tous les Ordres
pour donner leurs fuffrages contre ce mariage. Qu'en reùffit-
jl ? rien que de la hont^ ôc de la confufion au Roy ôc à fori
autorité.
Cependant continuant fon defleiii par une impudence fsns
Tome XF, 5 G
50 MEMOIRES POUR JUSTIFIER
exemple , il fit publier dans le Royaume des livres de fa gé-
néalogie falfîfiée en plufieurs parties 5 où lui petit fils d'un
Avocat l'on le faifoit non feulement de haulte ôc noble ex-
tradions efgale aux plus nobles familles du Royaume, mais
iflfu de la race Royale, afin d'effacer peu à peu de l'efpritdes
François que fon ambition n'eftoit point vaine ôc fans fon-^
dément.
Cependant fon pouvoir alloit croiflant de jour en jour par
l'efloignement de Monfieur ôc des Princes du Sang par la rui-
ne des autres Princes, par la mort ou par la prifon des Grands,
par l'anneantiflement de tout ce qu'il y avoit d'autorité légi-
time dans l'Eftat , ôc par la détention d'un millier de perfon-
nes innocentes de diverfes conditions , qui rempliffoient tou-;
tes les prifons du Royaume.
Mais ce qui le travaiiloit davantage , efl; cefte autorité fi
bien fondée, ôc comme née avec la Monarchie, denosPar-
lemens ; feuls, s'il le faut dire ^ capables de s'oppofer à fes in-
juftes ôc vaftes pretenfions. Que n'a-t-il point fai6t pour affoi-
blir leur pouvoir ? Le Confeil d'Eftat , quin'avoit mouvement
ôc efprit que celui qu'il lui donnoit, avoit pris la cognoifi^ance
de toutes les plus importantes affaires. Les Intendans dans les
Provinces, fes emiffaires Ôc fes efclaves, avoient attiré à eux tou«
te l'autorité. Les Parlemens n'ont jamais eu la liberté d'en dire
leurs advis, moins de s'en plaindre; les uns ont efté intimidez,
les autres chaffez de leurs maifons , les autres emprifonnez,
d'autres ont péri laiffant leurs familles miferables : ôc enfin pour
combler la ruine de ces grandes compagnies , il les a divifées
entre elles, a commis les anciens avec les jeunes, leur a per-
fuadé de faire un corps féparé capable de tout faire , les
a corrompu, chofe indigne, par des penfions fort modiques
fur l'Efpargne , pour travailler de concert à la ruine de leurs
compagnies Ôc de l'Eftat : ôc cela fi utilement pour lui , ôc à
l'anneantififement de l'autorité royale , qu'il n'a rien defiré de
ces Meffieurs qu'il ne l'ait obtenu fans juffion , mais à fa fim-
ple parole, tellement que cefte puiffance légitime des Parle-
mens , qui confiftoit en la bonne harmonie de ^toutes les
parties de ces grands corps, a efté rendue foible , vaine, ôc
inutile.
Le Parlement de Paris a reflfenti principalement les effeds
MONSIEUR F. A. DE THOU. p
de fa tyrannie , & l'on remarque qu'il n'a efté rien fai£l: de
plus violent contre cette compagnie que durant le cours de la
miferable domination de ce Mmillre.
Il ne faut pas penferque le refte des perfonnes qui fe pou-
voient oppofer à lui ayent efté moins travaillez. La Reine fans
enfans que n'a-t-elle point fouffert des outrages à fon honneur
ôc à f a bonne conduite par de fauffes fuppofitions que l'enfer
lui avoir fuggerées , par des interrogatoires injurieux , par
des a£les qu'on lui fît figner à reffe£l de la rendre odieufe au
Roy, 6c à tout le refte de la France?
Cependant il continua la guerre, lefepuchrede tant d'hom-
mes , i'abyfme de tant de deniers 5 mais le véritable moyen
de parvenir àfes deffeins :il a toujours entretenu neuf ou dix
armées foit de terre foit de mer , qui ont tellement affoibli le
Royaume qu'il n'a pas encore aujourd'hui la voix pour fe plain-
dre. 11 jugeoit bien, le mefchant Ôc abominable qu'il eftoit;
qu'un fi grand Eftat, riche ôc opulent en toutes fes parties,
pourroit fort difficilement fouffrir un changement tel qu'il le
meditoit, qu*il falloit évacuer ce corps athlétique de telle forte
qu'il demeuraft infenfible, fans force ôc fans vigueur.
Mais ce qui l'eftonna , ôc qui lui fit penfer non pas à chan-
ger de deffein, mais de moyens pour y parvenir, fut la naif-
fance du Roy à prefent régnant ; naiffance miraculeufe , qui
fut fuivie de celle de Monfieut d'Anjou.
La famé du Roy peu ferme, ôc dont il avoit des advis cer-
tains par le premier Médecin qui defpendoit de lui , lui fai-
foit redoubler fes artifices. Il avoit réduit ce pauvre Prince
à mener une vie folitaire, miferable, ôc languiffante fous le joug
infupportable de fa tyrannie, lui ayant oftéfes plus confidens
domeftiques , ôc ne lui permettant que le feul paffe-temps de-
la chaffe dans les bois parmi les beftes ôc des veneurs , où
tout lui eftoit caché , l'eftat de fes affaires , la mifere de fon
peuple : les cruautez ôc les barbaries du Cardinal lui eftoient
reprefentées comme des juftices , ôc des allions de vertu. Bref,
ce Prince ne voyoit que par les yeux du Cardinal Ôc de fes
émiffaires , ne fçavoit rien que par eux. Les Grands , que dis-
je les Grands ? il n'y en avoit plus , car ou ils eftoient ban-
nis , ou prifonniers , ou exécutez par les mains des boureaux:
perfonne, dis- je, n'approchoit plus du Roy, fa Court eftoit
5Gij
$2 MEMOIRES POUR JUSTIFIER
un monaftere, une folimde ; les armées commandées pai' fes
païens , ou par fes alliez , ou fes favoris 5 gens abandonnez à
tout ce qu'il vouloit faire , arrogans , glorieux , infupportables,
voleurs de l'argent du public, & riches comme des Souverains.
Les principales villes du Royaume, foit pour la force, foit pour
l'importance de leur afliette, eftoient tenues par lui , par fes amis,
6c par fes créatures.
L'efprit du Cardinal enflé d'une fifouveraineôc abfoluë au-
torité , recevoir avec joye les flateries infâmes de tant de pe-
tits Poètes affamez , de tant de plumes vénales , de tant de
miferables panegyriftes qui l'ont eflevé par deffus tous les mor-
tels , l'ont fai6l efgal à Dieu, 6c à tout ce qu'il y a deplusfaind;
6c vénérable parmi les hommes. Cet efprit fi corrompu & alté-
ré par ces continuelles flateries , ignoroit qu'il n'y a que les
mauvais Princes 6c les Tyrans qui fe plaifent à ces vaines Ôc
faufles louanges.
L'affoibliffement ou pluftoft la ruine du parti Huguenot a
efté achevée pendant fon adminiftration 6c par fa conduite. Si
l'on lui peut donner quelque gloire , c'eft pour cette a£lion :
mais qui la confiderera de près, ileft certain que ce n'a pas efté
ni par le principe de la Religion^ qu'il n'avoir que fur les lè-
vres , ni pour le bien de l'Eftat, mais pour fervir à fon defiein
de la Royauté. Il avoir bien jugé que tant que ce parti fub-
fifteroit en France, il lui eftoit impofllble de ruiner les Prin-»
ces , difliper les Grands , 6c de fe rendre lemaiftre abfolu des
plus importantes provinces du Royaume. Cette affaire termi-
née , il s'eft veu en poffeflion des plus riches falines du Royau-
me, de toute la navigation de l'une 6c de l'autre mer, a fup-
primé la charge de Conneftable Ôc celle d'Admiral , a fup-
porté impatiemment de voir en France une puiffance au-def-
lus de la fienne j la royale mefme lui faifoit de la peine.
Le Roy à prefent régnant n'euft pas fi toft veu le jour;
qu'il penfa à s'affeurer de fa perfonne , à le fouftraire à la Rei-
ne , &: lui ravir cefte confolation qui n'efi: pas déniée à toutes
les mères. Il lui donna une gouvernante fa confidente , enne-
mie de la Reine , 6c qui efpioit toutes fes allions les plus par-
ticulières. Bref j une femme qui euft faid de la Mère ôc des
enfans, ce que le Cardinal euft commandé.
Ceux qui aiment cet Eftat , ôc qui ayoient quelque lumierç
MONSIEUR F. A. DE THOU. n
de ces deffeins , ont mille ôc mille fois penfé à la mifeiabîe con-
dition où nous eftions réduits ; puifque la vie de ces pents
Princes defpendoit du caprice & de l'ambidon de ce Tyran,
qui tenoit pour maxime , ôc l'on lui a fouvent oui dire , « Qu'un
« Favori, qu'un Miniftre ne périt jamais pour faire trop de mal,
M mais pour n'en faire pas aflez^ » On fçait ôc très certainement,
qu'il avoir hiQ. inftance par le Cardinal Bagni , d'obtenir fous
le nom du Roy un Bref du Pape , pour faire mourir fans char-
ge de confcience des perfonnes dans les prifons par des voyes
lecrettes , fans forme ni figure de procès , contre lefquelles il
n'y auroit point de preuves fuffifantes pour les faire mourir en
juilice, ce qui lui fut dénié avec horreur de fa Sainteté, ôc
avec cefte confideration qu'il plaignoit grandement le Roy ÔC
ia France d'eflre entre des mains fi barbares ôc fi cruelles.
A mefure que la fin de fa vie approchoit , fes defleins am-
bitieux croiffoient au delà de la penféedes hommes. Ilvoyoic
îe Roy fort valétudinaire, il croyoitle furvivre 5 ou plulioft,
voyant fa partie bien eftablie , ufer des moyens que fon malin
efprit euft pu fuggerer. En l'année 16^1 il fit publier dans le
Parlement, le Roy yfeant en fon li£lde Jufbice, un Edit qui
lui applaniflbit la voye à la Régence , le Roy venant à faillir,
ôc ruinoit du tout l'autorité du Parlement de Paris, Car après
avoir fai£l par une affe£lation injurieufe une enumeration de
divers Arrefts de colère donnez par nos Roys contre celle
compagnie, ilblafme ôc condamne l'Arrefl: de Fan 1610, qui
adjuge à la Reine Marie la Régence du feu Roy , comme
une adion qui n'a point d'exemple , qui bleffe les loix fon-
damentales de cefte Monarchie , que c'eiloit une entreprife
faite par des perfonnes fans pouvoir en ce regard j faid nom-
mément defenfes à la Cour de Parlement de Paris , ôc à tou-
tes les autres Cours , de prendre à l'avenir cognoiflance d'au-
cunes affaires femblables, ôc généralement de toutes celles qui
concernent l'Eftat, l'adminiftrarion ôc gouvernement d'icelui,
il ce n'eil par un pouvoir fpecial ôc par Lettres patentes.
Le Cardinal n'a point poffible faicl d'adion qui ait fai£l plus
efclater fon deffein que celle-là. Les gens de bien qui furent
furpris par la publication de cetEdi£t, firent un très mauvais
jugement de cet Eftat 3 Ôc plus encore de la vie du Roy , de
yoir que le Cardinal âgé de plus de feize ans que fa Majeflé,
5G"J
54 MEMOIRES POUR JUSTIFIER
faifoit des ellabliflemens comme s'il euft elle affeuré delefuf-
vivre, anneantifToit l'autorité du Parlement, abbatoitles def-
fenfes pour s'emparer plus facilement du gouvernement abfola
de PEftat , avoit refolu d'ofter les enfans de France à la Rei-
ne , les mettre dans le bois de Vincennes , 6c enfuite ruinée
en toutes façons la Reine , foit auprès du Roy par mille mau-
vais rapports, foit envers le peuple par fes emiflaires, en fe- -
niant des bruits de fa conduite , ôc de fon inclination contraire
au bien de la France.
Et parce que Moniteur eftoit celui que les Loix du Royau-
me appelloient avec la Reine au gouvernement de l'Eftat , il
avoit rendu fa perfonne fi odieufe au Roy , ôc lui avoit don-
né tant de fujet de mefcontentement , que l'on pouvoit impu-
ter à ces damnables artifices tout ce que nous avons veu faire
à ce Prince qui a defpleu au Roy ôc aux gens de bien.
Ces particularitez afiez fenfibles fortifiées d'une infinité d'au-
tres circonftances, comme l'alliance qu'il avoit contractée avec
Monfieur le Prince > les efcrits qu'il avoit fai£l publier pour
faire voir qu'une perfonne de fa qualité pouvoit eftre Régente
du Royaume, eftoient prefentes à ceux qui y avoient le pre-
mier intereft. Et puis , Monfieur qui jugea le danger certain
qui menaçoit le Royaume par le voyage du RoufliUon que le
Roy fut forcé de faire au commencement de l'année 1 6^2 , qui
avançoit certainement les jours de fa Majefté que l'on voyoit
diminuer à veuë d'oeil de vigueur & de force ; que les armées
de mer ôc de terre , les places fortes , l'argent , ôc ceux qui
tenoient toutes les premières charges, bref tout ce qu'il y avoit
de plus puiflant dans l'Eftat eftoit à la dévotion du Cardinal;
les chefs des compagnies fouveraines fes créatures, le confeil
du Roy fes efclaves j ceux qui pouvoient s'oppofer à la rapi-
dité de cette puifîance bannis ou prifonniers , ou trop foibles;
ceux qui reftoient connivans ou par crainte , ou par deffeïn.
de prendre part à la tyrannie : Monfieur donc communiqua
fa penfée à Monfieur le Grand, qui fçavoit tout ce qu'on pou-
voit imaginer en cefte conjoncture : ils jugèrent qu'ils avoient
befoin d'une place qui fuft bonne pour garentir la Reine de
la violence du Cardinal, ôc y fauver les enfans de France en
casque le Roy vint à mourir, ils jetterent les yeux fur la ville
de Sedan place forte ôctrès importante, nongueres eiloignée
MONSIEUR F. A. DE THOU. Jj»
de Paris. M. de Bouillon ne voulant défaillira l'Eftatencefte
neceffité, donna fa parole à Monfieur qu'il feroit receu dans
la place quand il lui plairoit. L'on parla lors au fieur de Mon-
tigny qui gardoit la Reine ôc les enfans à Saint Germain, on
lui reprefenta le mal qui menaçoit non feulement la Reine qui
s'aflTeuroit en fa fidélité , mais aufîi ce qu'elle avoit de plus cher.
11 promit que pourveu qu'on euft une bonne place de feureté,
qu'il y conduiroit la Reine 6c ces petits Princes. Sedan lui
fut deilgnéfur la parole que Monfieur avoit de M. de Bouillon.
Voilà quel eft ce crime d'Eftat , dont on a parlé dans ce
procès, qui ne touche point la perfonne du Roy , puifque
l'exécution du defîein n'eftoit qu'en cas que fa Majefté vint à
décéder, puifque c'eftoit fervir le Roy fuccefleur,le fouftraire
lui & la Reine à la violence 6c à la tyrannie du Cardinal , ôc
conferver par ce moyen le Royaume , 6c le tirer des mains
d'un ufurpateur. Car fans la perfonne du Roy que pouvoit-
on faire, quel lieu feurpouvoit-on choifir dans le Royaume
qui ne fuft point au pouvoir du Cardinal , où l'on n'euft
efté aufii-toft opprimé, où toutes les forces de l'Eftat n'euflTent
efté employées pour perdre 6c le Roy Ôc l'Eftat ?
L'on ne pouvoit donc point dire que ce deffein fuft contre
le Roy, fi le Cardinal n'eftoit auparavant qualifié Roy Ôcnof-
tre Prince naturel : au contraire, l'on pourroit fouftenir que
ceux qui avoient fait cefte jufte 6c légitime entreprife , s'ar-
moient pour affranchir le Roy de la fervitude en laquelle ce
Tyran 6c fes miniftres avoient refolu de le mettre , s'armoient
pour donner vigueur aux loix de l'Eftat ^ 6c pour nous mettre
en pleine liberté.
Mais l'on pourroit demander à Monfieur ôc à fes amis , où
eftoient les tiltres de leur vocation ? comme fi ce Prince en
la qualité qu'il a , ôc la perfonne plus confiderable de l'Eftat
après la mort du Roy fon frère , eftoit obligé à ces formes >
comme fi le mal n'eftoit pas imminent j comme s'il eftoit à pro-
pos de s'amufer à ces chicaneries quand par la trahifon des gar-
des 6c des fentinelles l'ennemi eft entré dans la ville : en ce
cas le moindre habitant n'a que trop de vocation à le repoufler.
Le feu Roy , dira-t-on , ne confentoit point à cela î au con-
traire , maintenoit le Cardinal en toute fon adminiftration.
Cefte objedion ne peut cftre faite que par un efclave du
fS MEMOIRES POUR JUSTIFIER
Cardinal , que par un homme qui aime la fervitude , & par des
gens hors du fensqui ignorent du tout ce quis'ed pafle en Fran-
ce, avant ôc depuis la mort du Cardinal , & que le feu Roy
mefme l'a deteflé comme fon plus capital ennemy. Le Droit
commun nous apprend que celui quieft abufé ôc trahi necon-
fent pas quoiqu'il fafle, quoiqu'il die. Le Cardinal a tousjours
faid ce qu'il a pu pourtenirie Roy en perpétuelle ignorance
defes affaires pubhqu es ôc particulières , l'amufanten chofes de
néant , pour couvrir d'autant mieux fes infidelitez. Henry III
efloit creu grand fauteur de la Ligue , lorfqu'il fourniffoit fes
armes Ôc fes finances à ceux qui en eftoient les chefs : néant-
moins on recogneut bientoft après que ce n'avoir efté d'efprit
êc de volonté j quand la vengeance divine fît tomber les au-
theurs du mal à Blois, lors le mafque fut levé. Ce que le Roy
Henry III fit au commencement par crainte de fes ennemis,
le feu Roy le faifoir pour ne pas cognoiftre Ces affaires au fonds,
êc par la defloyauté ôc perfidie du Cardinal ôc de fes minif-
très qui raffiegeoient.
N'efl-ce pas chofe defplorable que parmi un fi grand nom-
bre de généreux perfonnagesquieltoient en ce Royaume, ôc qui
en leur ame ne deteftoient pas moins la tyrannie du Cardinal,
quefaifoient ceux qui lui avoient déclare la guerre, il ne s'en
eft trouvé un feul qui en ce commun péril de l'Eflat ait monf-
tré affez de courage pour délivrer la France de ce fieau auteuE
de tous nos maux?
C'eft certes renoncer à Finterefl de la partie commune;
c'efl ne prendre aucune part à la maifon qui brufle n'aydant
à eileindre le feu. Au heu de pilotes c'eftoient des pyrates qui
lenoiene le gouvernail du navire François : ceux qui efloient
dedansavoientplusd'intereft de l'arracher de leurs mains^ qu'ils
n'avoient de vocation à nous perdre , à nous fubmerger. Com-
me fi un Preftre avec quatre ou cinq de fes parens , eftoient
plus autorifez de perdre le Roy ôc le Royaume , que les Prin-
ces du Sang ôc les principaux officiers de la Couronne ne le
font pour Fempefcber,
Ne nous efblouifTons point par les belles apparences de fes
fervicesî ne nous laiffons point charmer par les viâoires que
Dieu nous a données pendant fon adminiflration. Confide-
pons les moaiens dçs chofes, ôc rep^ffons fur Fhiftoire de foa
adminifîratioq
MONSIEUR F. A. DE THOU. J?
adminlftration telle qu'il a faicl publier, nous verrons la Fran-
ce en une infinité de conjon£lures à deux doigts de fa ruine,
Pennemy à nos portes , tout corrompu au dedans , les moeurs
defplorez ^ les loix non moins vénales que les offices , un luxe
hors de toute imagination : les richeîTes qui autrefois eftoient
un enbonpoint de tout le corps réduites à peu de perfonnesj
ôc par de fales & mauvais moyens , tumeurs proprement con-;
tre la nature, ôc vrayes peftes du corps : les chefs gens nou-
veaux ôc fans expérience , plus prefomptueux fortans de page
que nos capitaines du temps pafîe après trois batailles : les plus
importantes places ôc gouvernemens occupez par fes parensj
les Parlemens fans vigueur ôc fans autorité : en fomme l'Eftat
entre les mains du Cardinal de race folle ôc lui fol ôc furieux
ôc fans religion , ôc qui n'avoit pour toute vertu qu'une aveu^
gle mais heureufe témérité ! Après cela peut-on blafmer le def-
fein de Monfieur ^ ôc de ceux qui l'aiïiftoient, de s'aiTeurer de
la ville de Sedan aux fimples conditions cy-devant reprefen-
tées, c'eft-à-dire, fans le Traidé d'Efpagne pour n'avoirrien
de commun avec ce deffein , deffein qui femble auffi jufte
que la perfidie de ceux qui pofTedoient le Roy eftoit manifefte,
eftoit mortelle, ôcle remède pour les reprimer neceflaire ? Cer-
tes il n'y a point de mal qu'il ne faille guérir par un autre, ce
n'eft pas fans péril que l'on fort d'un péril. Il y avoir moins
de mal d'exécuter ce qui eftoit refolu après la mort du Roy,
que d'eflre vendu ôc livré à jamais à la tyrannie du Cardina!
Ôc des fiens. Que n'euft-il point entrepris fous un enfant de
quatre ans, lui qui avoir ufurpé une autorité abfoluë fous uri
Roy majeur, lui qui eftoit polTedé d'une indomptable ôc infi-
nie ambition qui n'a pu eftre tempérée par l'apprehenfion de
la ruine de l'Eftat, par l'extrefme mifere de tant de millions
d'hommes qu'il enveloppe, qui n'a pu eftre afîbuvie de tant
d'autorité , de biens , de grandeurs , ôc d'honneurs , fuffifans,
s'ils euffent efté bien partagez, pour contenter toute la France.
Refte à remarquer quelques a£lions du Cardinal qui tefmoi-î
gnent la continuation de fon deffein de fe rendre le Régent
& le Tyran du Royaume , qui font autant de faits juilifica-
tifs de l'entreprife de Monfieur & de ceux qui l'avoient affifté,
Y a-t-il rien de plus manifefte que l'Ediâ qu'il fit faire ayant
îa mort fur les lèvres , par lequel Monfieur eft declarç
Tome Xy, J H
çS MEMOIRES POUR JUSTIFIER
incapable de la Régence , & de jamais pouvoir à l'advenir
avoir aucune adminiflration en ce Royaume f Monfieur^ qui
eftoit la feule perfonne qui pouvoit par les loix du Royaume
s'oppofer à fon ufurpation ; Prince que la nature appelioit au
fecours de fes neveux ; qui pour ce fujet eftoit agité perpétuel-
lement parle Cardinal pour le faire tomber en des defordres
& rebellions qui lerendoient irréconciliable au Roy ôc à tous
ceux qui ne regardent les chofes que par les apparences. ■
A cela faut joindre ce que toute la France a veu , qui eft
bien la plus infolente de toutes les adions de ce cruel Mi-
niftre , lorfqu'après qu'il euft déclaré au Roy qu'il ne le poii-
voit plus voir , il obtint de fa Majefté par fes emiflaires , tou-
tesfois miniftres du Roy , qui trai£loient avec fa Majefté com-
me de la part d'un Prince fouverain , de faire chafter de la
Court les (ieurs de Treville, Tilladet,ôc autres fes confidens
& officiers domeftiques : il voulut , tant il eftoit aveuglé de
paffion, ne plus approcher du Roy que le plus fort, il voulut
voir fon maiftre defarmé ôc fans gardes , lui affifté des fiennes
de d'une armée de gens choifis & les mieux fai£ts du Royaume.
Ne fçait-on pas à quel delïein il fit lever un régiment de
Gardes EcolToifeSjfinonpour anéantir celui des Gardes Fran-
çoifes & Suiffes , dont il n'avoit pu corrompre la fidélité des
officiers ni par argent , ni par fon autorité l Ne fçait-on pas
pourquoi il fit donner au Marefchal Horn Suédois cent milje
efcus pour amener une armée d'eftrangers en France , finon
pour s'en fervir contre le Roy , ôc fe rendre maiftre d'une
province du Royaume f
Après toutes ces allions qui juftifient affez fes deteftables ÔC
efpouventables deffeins, la mort en délivra laFrance au plus haut
point de fa grandeur, à la veille de fe voir affermi dans la plus
abfoluë adminiflration de l'Eftat. Enfuite parut fon Teftament
marque évidente de fon ambition, de fon avarice, de fes ri-
cheffes plus que royales , ôc defa vanité. Certes fur la feule lec-
ture de ce Teftament on peut juftement faire le procès à fa
mémoire. Avant que mourir il difpofa en Roy des plus grands
bénéfices dont il eftoit pourveu , ôc des plus importantes pla-
ces , des premières charges Ôc gouvernemens du Royaume.
Ceux qu'il laiffa auprès du Roy inftruits dans ï^ts maximes,
enflez de la profperité paffée , fuivant fes inftrudions , abufant
MONSIEUR F. A. DE THOU. t<>
de la foiblefTe du Roy malade à rextremité, firent paroiftre
la plus honteufe pièce qui fuft jamais , cefte impudente Décla-
ration pour le gouvernement du Royaume ^ qu'ils firent pu-
blier dans le Parlement 5 où la Reine ôc Monfieur eftoient
traitiez comme des perfonnes indignes du gouvernement, puif-
que l'on leur donnoit non feulement des collègues ôc des ef-
gaux y mais des maiftres & des fuperieurs , par le moyen de
cefte claufe ridicule de la pluralité des voix , en vertu de la-
quelle ils demeuroient gouverneurs abfolus du Royaume, vou-
lant , s'ils en euflent efté creus , continuer la mefiiie domination
ôc tyrannie du Cardinal.
Mais Dieu a foufflé fur leurs defleins defreglez, ôc fans au-
cune violence l'on a laifTé agir les loix : les gens de bien ont
paru , ont repris la parole , ôc ce qui fe paffa dans le Parle-
ment le 1 8 de May a arrefté le cours de la roue qui nous jet-
toit dans le précipice. Cefte heureufe journée nous a fai£l co-
gnoiftre que les François font du nombre de ceux qui ne peu-
veut pas tousjours fouffrir la fervitude.
VI. j^ie lesformalitez doivent ejîre ohfervées en jujîice , mais trh-
exaâement en la criminelle.
Que la confrontation de faccufé à toutes fortes de tefmoins »
ejî abfolument nécejfaire,
LA véritable fin de la juftice eft la prote£lion des perfon-
nes innocentes ', ôc tant s'en fault que fon deffein foit de
travailler à la perte des hommes ^ qu'au contraire elle ne con-
fent jamais à prononcer leur condemnation que quand elle re-
cognoiftleur crime fi certain ôc fi déterminé, que le faîut leur
feroit nuifible , ôc leur confervation perilleufe. Et la faveur de
l'innocence a efté fi grande , que jamais perfonne n'a douté
qu'il ne fuft plus expédient de laiffer cent coulpables impunis^
que de condamner une feule perfonne innocente : qu'il n'y a
jamais de délibération trop longue , de prudence trop exadte,
ôc de vérité trop certaine , quand il s'agit delà tefte d'un hom-
me, ôc d'un homme de condition. Que dans la moindre in-
certitude il faut pancher perpétuellement à l'abfolution , jamais
à la condemnation : que les Juges font obligez en confcience
5 Hij
^o MEMOIRES POUR JUSTIFIER
& par humanité de fuppléer à tout ce qui peut fervir à la juf-
tification d'un Innocent 5 mais qu'ils ne doivent jamais eftre
artificieux , jamais rien contribuer , non pas mefme de leur
fcience , à rendre un homme coulpable.
Mais il eft bien certain qu il ne fe peuvent.pour quelque caufe
que ce foit, difpenfer des formes qui ont efté introduites pour
l'inftrudion des procès criminels : & ce n'efl: pas fans raifon
qu'un ancien difoit que la précipitation eftoit la maraftre de
la juftice, parce que toute la bonté , la prudence , ôc la vé-
rité qui fe trouvent dans la juftice, ne fe confervent certaine-
ment que par l'obfervation des formes qui y ont efté fagement
eftablies. Et bien que toutes les formes introduites par les or-
donnances de nos Rois pour l'inftrudion des procès criminels^
foient de Droit eftroit ôc doivent eftre obfervées à la rigueur,
ôc qu'il n'y ait point d'occafion particulière pour laquelle on
doive rompre des Loix qui font faites pour le falut ôc pour
l'utilité publique : neantmoins on peut dire qu'il y à des for-
mes qui font plus efTentielles , plus faindes ôc plus religieufes
que les autres j comme font celles qui concernent la foi ôc la
confrontation des tefmoins : car puifque dans la foi des tef-
moins confifte toute la fubftance d'un procès criminel, puifque
c'eftie feul fondement des Juges ; c'eft là principalement où la
diligence de la juftice doit eftre occupée à rendre la vérité claire
6c certaine par toutes les formes Ôc les règles qui ont efté pref-
crites pour aileurer la foi des tefmoins ôc la convidion des
coulpables.
Entre toutes ces formes la confrontation des tefmoins eft
fans doute la plus neceffaire : ôc pour les autres formes de
i'inftru£lion , l'on peut dire qu'elles ont efté différentes parmi
les peuples ; mais pour la confrontation des tefmoins , il fem-
Mq qu'elle eft aulîi ancienne que la juftice , ôc que par tout
où elle a eu quelque forte de règles , on n'a jamais condam-
né perfonne fur la dépofition d'un tefmoin qui ne lui euft point
efté prefenté. Autrefois on n'entendoir point les tefmoins qu'en
la prefence mefms des accufez qui les pouvoient reprocher
fur le champ 5 mais on a creu depuis qu'il eftoit plus expédient
d'entendre les tefmoins ôc de les confronter par après : ôc en
cela il y a quelque defayantage pour les aççufez , parce qu'un
MONSIEUR f. A. DE THOU. €t
tefmoin fe peut engager en l'abfence de l'aecufé, & eftant
engagé il n'a pas toute la • liberté de fe defdire , quand mefme
la perfonne de l'accufé & la force de la vérité l'y obligeroient.
Mais que l'on puiiTe affeoirune condemnation furladépo-
fition ou déclaration d'un tefmoin fans qu'il foit befoin de
confrontation, c'eft ce qui répugne diredement au fens com-
mun > aux elemens ôcaux principes de la juftice. Caria con-
frontation comprend quatre a6les effentiellement neceflaires à
la confedion d'un procès criminel j ou pour mieux dire , elle
comprend en effence le ramas de tous les a£les d'un procès
criminel.
Premièrement , comme datis un procès civil le deffendeur
doit avoir communication des pièces fur lefquelles la deman-
de eft fondée , 6c a droit de la requérir dès l'heure qu'il efl
aifigné, de demander à faute de ce faire d'eftre envoyé abfous
de la demande , ôc fi on lui refufoit la communication fa con-
demnation feroit injufte : de mefme dans un procès criminel
la confrontation eft la communication des preuves fur lefquel-
les l'accufation eft fondée, par confequentdeneceflltéabroluëa
Le fécond ade eft la recognoiflance de l'accufé ôc du tef-
moin i afin de voir fi les tefmoins qui chargent l'accufé eftans
reprefentez à face le recognoiftront , pour fcavoir fi par mef-
prife ou par calomnie ils n'auroient point pris une perfonne
pour l'autre : ce qui eft arrivé fouvent, ôc dans des occafions
fort importantes.
Le troifiéme ade font les reproches que l'accufé eft obli-
gé de propofer fur le champ ôc par fa bouche : ôc comme il
n'y a point de raifon qui le puiffe difpenfer de cefte rigueur^
qu'il ne foit pas recevable à propofer des reproches après avoic
entendu la dépofition j aufii n'ya-t-il point de raifon quipuifie
difpenfer le tefmoin de fe reprefenter pour fouffrir les repro-
ches. Car il arrivera poiïible , comme il arrive tous les jours,
que le tefmoin demeurera d'accord des reproches, ôc s'il en
demeure d'accord dès l'heure fa dépofition n'eft plus confide-
rable î ôc partant on ne peut ofter cetadvantage à l'accufé de
fe pouvoir défendre par la confcience mefme de celui par la
bouche duquel on le prétend charger.
Mais le dernier a£le , qui eft le plus important , eft que dans
la confrontation des tefmoins Ôc de l'accufé fe trouvera la plus
JHiij
62 MEMOIRES POUR JUSTIFIER
forte convidion , non feulement parce que la face de l'hom-
me fur laquelle l'image de Dieu eft imprimée , a une force
fenfible for les coeurs ôc fur les confciences , mais auiïi que
l'on fe laifTe quelquefois porter à calomnier une perfonne ab-
fente , en la prefence de laquelle on n'aura pas le courage de
perfifter.
Mais quand on fuppoferoit une chofe , ce qui eft impofïî-
ble d'affeurer , fc^avoir que le tefmoin perfifteroit , n'arrive-t-il
pas tous les jours que les accufez preffantles tefmoins furdi-
verfes circonftances proches ou efloignées , tirent de leur bou-
che plus de juftification qu'on n'en aura tiré de charges ? Et
comment eft-ce que tout cela fe pourroit faire , fi l'on fe con-
tente de lire à un accufé une déclaration muette & morte ôc
qui n'a point de refponfe.
AufTi par cefte raifon l'on appelle la confrontation la véri-
table conteftation du procès, c'eft la perfedion de l'informa-
tion qui auparavant ne faifoit point de foi , c'eft la confirma-
tion de l'interrogatoire qui autrement eftoit inutile. Et eft tel-
lement vrai que la confrontadon eft la feule pièce fur laquelle
eft fondée toute la foi du procès : que fi un tefmoin n'a point
efté confronté , on ne lit pas fa dépofition ? Ôc l'on commen-
ce à juger un procès criminel par les reproches , parce que (î
les tefmoins font valablement reprochez , leur dépofition n'eft
plus confiderable. Mais d'adjoufter foi à de fimples attefta-
tions, ôc dans un procès criminel, c'eft ce qui ne s'eft jamais
veu en juftice. En matière civile une atteftation ne pafla ja-
mais pour une preuve, ôc ne font lors confiderables que quand
elles font fignées de plufieurs perfonnes , ôc fur quelque chofe
de notoriété publique : mais en matière criminelle telles dé-
clarations ont efté perpétuellement rejettées : teftibus non tefii^
moniis credendum t difoit l'Empereur Adrian ^ 5 ôc par la mef-
me raifon l'on n'a jamais fouÔert que des perfonnes , de quel-
que condition qu'ils fuflent, envoyaflent leurs dépofitions par
efcrit , mais on les a perpétuellement obligez de les prefter
devant le Juge. Et l'on ne peut pas dire que la grande qua-
lité, ou la probité recogneuë d'une perfonne , puifiTe jamais
faire valoir en juftice une atteftation qu'il auroit baillée hors Ja
face ôc la prefence du Juge. Car pour monftrer queles perfonnes
iL. 3, de Teftibus,
MONSIEUR F. A. DE THOU. 63
les plus relevées ne font point exemptes de prefter leur dépo-
fition devant le Juge , n eft-ce pas pour cela qu'a efté faide
la Loi ad egregias C de Tejîibus i par laquelle les Juges fe doi-
vent tranfportcr aux maifons des perfonnes de condition , ou
malades, pour recevoir leurs dépolitionsf ce quifai£l voir trop
clairement qu'il n'y a point de perfonne , pour illuftre qu'elle
foit , qui puifTe eftre difpenfée de prefter fa dépofuion en juf-<
tice , s'il veut fervir de tefmoin.
Et bien que la confideration des Princes, ôc des Princes du
fang Royal , foit très grande , leurs perfonnes ôc leurs dignitez
facrées > neantmoins leurs privilèges ne peuvent pas aller con-
tre les Loix, ils font fubjeds du Roy comme les autres , par
confequent fubjeds aux loix de l'Eftat 5 ôc s'ils contrattent , s'ils
viennent en jugement j toutes les Ordonnances , ôc pour le
fond de leurs biens , ôc pour les formalitez mefme des allions,
ont lieu contre eux, comme contre les autres particuliers, ôc
ieur principale gloire eft de foûtenir en leur perfonne la force
ôc l'autorité des loix qui s'affermiffent par leur exemple : ôc fi
on commençoit à les violer en leur perfonne, la confequence
en feroit infinie. Car comme il n'y pourroit avoir de raifon
qui exemptaft un Prince de prefter fa dépofition ou fa confron-
tation en juftice,que fa dignité que l'on pretendroit eftre exempte
de reproche , que la prefomption de la vérité ôc de la bonne
foi que l'on'voudroit croire eftre perpétuellement en fa bou-
che j cefte confideration de dignité , de réputation, de probité,
n'eft pas reftrainte en la feule perfonne des Princes , ôc il fe
trouveroit quantité d'autres perfonnes irréprochables par ieur
dignité ôc probité recogneuë.
Et bien que fhonneur qu'ils ont de tenir leur naiffance
d'une tige fi pure , mérite que l'on confidere toutes leurs ac-
tions Ôc leurs paroles avec un refped fingulier ; neantmoins
il faut advoûer que fi la feule condition des perfonnes fuffi-
foit pour les rendre irréprochables, il y a des perfonnes par-
ticulières qui font de fain£le vie, qui fembleroient eftre autant
exemptes de reproche , ôc l'on pourroit dire que les dignitez
Ecciefiaftiques feroient une efpreuve plus certaine delà con-
fcience ôc de îa foi , que les grandeurs ôc \qs puiflances fecu-
îieres. Et mefmes autrefois les Evefques eftoient difpenfez de
jurer devant les Magiftrats , parce qu'on eftimoit que leur
^4 MEMOIRES POUR JUSTIFIER.
dignité en eftoit en quelque chofe ravalée j ce qui ne fut jamais
dit pour aucune perroane feculiere , non pas mefmes pour les
Princes. Mais depuis ayant efté jugé que les Evefques , non
plus que les autres perfonnes , n'eftoient pas difpenfez de jurer
en toutes fortes de rencontres , ôc eftant confiant que 11 un
Evefque vouloir eftre tefmoin^ il faudroit qu'il fuft entendu
par le Juge & confronté, comment en peut-on faire difficulté
pour un Prince feculier ? Car peut-on dire qu'il foit exempt
de furprife Ôc de haine ? Eft-il pas agité de toutes fortes de
paillons comme les autres hommes , ôc le plus fouvent avec
plus de violence , ôc avec des fuites plus funeftes f
Que fi on dit que c'eft un privilège des Rois d'eftre creus
fur leur parole , ôc que ce privilège doit eflre eftendu aux Prin-
ces: premièrement, il feroit malaifé de faire voir que les Rois
ayent jamais voulu ufer de ce privilège de faire condamner
des perfonnes fur leur fimple atteftation : ils ont trop de bonté
& de clémence pour vouloir que leur fuffrage , qui doit eftre
falutaire à tout le monde , foit le feul inftrument de la perte
de leurs fubje6ls 5 ôc fi dans les contrants qu'ils font , dans les
traidez , ôc les a61;es publics , ils ne fe difpenfent pas de faire
les fermens qui font neceffaires pour la validité des adies ^
peut-on dire qu'ils voulurent que l'on decidaft de la vie d'un
homme par leur fimple atteftation ? Mais fuppofé que ce pri-
vilège , qui eft non-feulement par-deffus , mais contre les Loix ^
appartienne à la perfonne facrée des Rois , il feroit de leuc
Majefté ôc de leur autorité de ne le communiquer à aucun
de leurs fubje£ls de quelque condition qu'il fuft. Et quant aux
exemples que l'on rapporte du procès fai(Sl au Chancelier Poye
dans lequel le Roy François 1 fit fa déclaration , ôc du procès
de la Mole où onfe fervit de la deçlaradon du Duc d'Alençon,
il eft fort facile d'y refpondre.
Au procès qui fut faiâ: au Chancelier Poyet en Pannée-
15*44, le Roy François I avoir depofé furplufieurs fai61:sfort
importans à l'honneur ôc à la vie de ce Chancelier , il fut or-
donné que la depofition fai6!:e par le Roy feroit leuë à l'accu-'
fé , fur quoi le Chancelier accufé dift : « Qu'il avoir tousjours
55 eftimé ôc eftimoit la bonté , excellence ôc magnanimité du
î» Roy , qui ne voudroit jamais dire ne faire chofe qui por-
5' taft préjudice à autruy i toutesfois pour la grande affluence
d'affaires
MONSIEUR F. A. DEÏHOU. (T;
« d'affaires qu'ont les Rois ôc grands Seigneurs , ils ne peuvent à
« caufe de la fragilité humaine eftre tant parfaits , que par im-
» preffions ôc faux donnez à entendre le chemin de la vérité
« ne foit quelquefois deftourné, &i ce par la permiffion de Dieu,
« pour telles occafions qui nous font occultes & incogneuës. »
Ce font les propres termes tirez de PA£le qui ell au Procès
du 17 Juin 15' 44. Et le 24 jour dudidlmois, ledi£î; Chance-
lier continuant à refpondre à quelque article de la dépofition
du Roy dift : « Combien que le Roy fuit indigné contre lui,
»> neantmoins defireroit avoir parlé à lui , comme eux qui lui
3' ont voulu imprimer le contenu aux Articles fur lefquels ledi£t
« Seigneur a depofé , pour lui faire entendre : car il eft cer-
« tain que ledi6l Seigneur eft tant bon , magnanime , ôc hu-
« main , qu'il voudroit pluiloft l'innocence de lui Chancelier
« que fa charge. »
Le 26 dudid mois , le procès verbal porte que l'on leut
audid Chancelier depuis le 17 Article jufques au 25* de ladé-
pofition du Roy, fur lefquels il dift ces paroles : « Qu'il lui
»> fembîe que par le procès qui lui a efté fait , il n'eftoit char-
35 gé d'un feul mot du contenu auxdiâs Articles ^ & que ceux
=5 qui faifoient la pourfuite contre lui avoient fai£l interroger le
>' Roy fur lefdidls Articles , pour lui imprimer chofes que ledi6t
« Chancelier n'avoit jamais penfées,ôc a fupplié ladide] Court
» de confiderer que par le procès ne fe trouvera un feul mot
35 du contenu auxdids Articles. ^■>
Par cesextraitts l'on peut faire cefte confideration j que bien
que les dépofitions des Rois foient de grand poids , elles font
neantmoins fujettes à contradiction , & les accufez receus à les
impugner avec refpetl , & propofer leurs defFenfes. Mais ce
qui eft tiré du mefme procès eft fort confiderable : car le Roy
s'eftant plaint à la Court du jugement qu'elle avoit arrefté con-
tre le Chancelier , ôc reproché qu'ils n'avoient jugé fuivant ce
qu'il avoit did , ôc qu'il y reftoit encore à faire droit j lui fut
remonftré par le Prefident Minart : ce Que ce qu'il lui avoit
*> pieu déclarer avoit efté grandement confideré , ôc pris pouc
35 l'une des principales charges dudicl Poyet : mais qu'es ma-
S5 tieres criminelles la difficulté eftoit aux preuves , efquelles
»» eft requis certaine forme pour affeoir jugement^ ôc que pa^'
Tome XV. 5 1
6'^ MEMOIRES POUR JUSTIFIER
« le jugement de la Court ledid Chancelier ne demeurolc
33 impuni. «
Celte refponfe du Parlement fai£l afiez voir que toutes fortes
de Juges (car cette compagnie qui jugea ce Chancelier eftoit
compofée de Juges tirez de tous les Parlemens de France )
font de ce fentiment, que toutes ces dépofitions , mefmes celles
des Rois, font fort foibles eftant deftituées de leur principale
& effentielle formalité, qui eft la confrontation. Ce Chance-
lier fut enfin par Arreft privé de fa charge j déclaré incapable
de tenir aucun office royal, condamné en cent mille livres d'a-
mende envers le Roy , & confiné pour cinq ans en tel lieu
qu'il plairoit au Roy d'ordonner.
Le fécond exemple eft celui de la Mole , qui eft le plus pré-
cis Ôc le feul dont l'on s'eft fervi. M. le Duc d'Alenc^on fit fa
déclaration en prefence du Roy, de la Reine fa mère , &: de
plufieurs Grands. Le Roy de Navarre donna auffi la fienne.
Ces deux Princes ne furent point confrontez aux accufez , ôc
neantmoins leur dépofition fut confideréeau procès, Ôc futleuë:
ce qui n'euft efté fait fans la confideration de leur qualité.
A cela l'on peut dire, que la prefence du Roy ôc de la
Reine donnèrent quelque poids à la chofe, qu'il y avoit beau-
coup d'autres preuves au procès contre les accufez , ôc par leur
propre confeffion. Que la déclaration du Roy de Navarre ne
touchoit point le fait^ partant inutile d'eftre confronte ; que de
vérité le Duc d'Alençon non confronté declaroit l'affaire ,
mais qu'il eftoit fuperflu, s'il faut ainfi dire, de le confronter,
pource qu'il y avoit trop de lumière au procès de la conjura-
tion , foit par la confeffion mefme des accufez, foit par la dé-
pofition de plufieurs tefmoins , ôc par divers actes.
En cefte affaire il fe rencontra deux chofes confiderables :
l'une dire£lement oppofée aux Ordonnances, qui eft que M.
îeDuc d'Alençon ne fut point confronté: l'autre que l'on peut
remarquer aujourd'huy comme une chofe rare , que le procès
fut jugé par la grande Chambre entière du Parlement de Paris,
Juges non clioiiis ; le premier Prefident , un autre Prefident ,
ôc deux Confeillers travaillèrent à finftruâion du Procès , le
Chancelier de Birague ne fut point des Juges , ne fut en au-
cun ade de finârudion.
MONSIEUR F. A. DE T H O U. ^7
Ceux qui ont aflifté le Cardinal en la refolution qu'il avoit
àe faire périr M. de Thou ^ ont recherché tous les moyens
pour la faire reuffir j & fur la crainte qu'ils eurent que la char-
ge feroit trop légère contre l'accufé , i\ l'on ne faifoit valoir ce
que Monfieur promettoit de dire à condition de n'eftrc pas
confronté , .s'adviferent de demander advis à ceux qui avoient
fervi autrefois en la charge d'Advocats du Roy au Parlement
de Paris. La conférence qu'ils eurent avec M. le Chancelier
fut fort fecrette , Ôc telle qu'à peine a-t-on pu pénétrer ce
qu'ils firent. Les uns difoient qu'ils avoient allégué que l'un
des privilèges des Princes du Sang eftoit de ne devoir eftre
confrontez , ce qui eft ridicule : mais enfin on a fceu que
i'ade qu'ils fignerent ne contenoit autre chofe, fmon qu'il ne
fe trouvoit point d'exemple, où un Prince ayant fervi de tef-
moin euft efté confronté, mais qu'il y en avoit un où un Prin-
ce qui avoit dépofé , n'avoit point efté confronté j qui efl: ce
feul exemple tiré du procès de la Mole , qui eft une refolution
futile ôc fophiftique inventée pour flater la paffion de ceux qui
les confultoient.
Il eft certes très-rude de vouloir aujourd'huy tirer en exemple
ce qui fe pafla au procès de la Mole , pour le défaut eflentiel de la
confrontationqui eft contre l'Ordonnance; ôclaiffer l'autre point
desjuges naturels & ordinaires qui eftlegitime, pour faire un
choix de perfonnes tirées de diverfes provinces ôc compagnies.
En un rencontre où la déclaration d'un Prince fe trouve-
roit feule, il eft certain qu'elle ne pourroit faire de preuve ;
non pas mefmes quand il auroit efté entendu Ôc confronté par
les voyes ordinaires. Car c'eft une maxime qui pourroit eftre
prouvée par cent autoritez : mais il n'en eft point de befoin ,
parce qu'elle a efté prononcée par la bouche de la vérité éter-
nelle afin que jamais on ne l'en peuft douter , que la dépofirion
d'un feul ne fai£t point de foi en juftice; ôc n'y a point de con-
dition ni de dignité aiïèz relevée pour donner force à une preuve
naturellement imparfaite. Mais de prétendre que la feule at-
teftation d'un prince puifle Jamais faire foi en juftice , fans au-
tre inftruction ni confrontation, la confequence en feroit ex-
trêmement dangereufe. Car outre que les Princes ne font pas
exempts, comme il eft dit cy-devant, de toutes les furprifes
qui peuvent faire faillir les hommes , ôc les engager en de
il')
€S MEMOIRES FOUR JUSTIFIER
mauvaifes accufations i ce font eux au contraire dont la fran-
chife ôc la confcience eft plus expofée à la malice de ceux qui
les environnent , Ôc l'accouilumance qu'ils contra£tent d'ac-
corder tous les jours quelque chofe à rimportunité, fait qu'on
ne peut jamais eftre trop alfeuré de leur intention : ôc fi les
Rois mefmes ont voulu que l'on ne s'arreftaft point à leurs let-
tres de cachet , quelques favorables qu'elles fuifent , parce
qu'elles peuvent eftre facilement furprifes 5 quelle apparence
que l'atteftation feule d'un Prince fué un fondement légitime
d'une condemnation f
Et tant s'en faut que la déclaration foit plus confiderable ;
pour eftre faite en prefence d'un Juge , Ôc quelque formalité
qu'on y euft obfervée ; qu'au contraire c'eft parla qu'il eft aifé
à juger qu'elle n'eft pas fuffifante , ôc par une raifon fans ref-
ponfe : car fi la déclaration eft faite en prefence d'un Juge ,
c'eft que l'on aura bien penfé que la fimple déclaration d'un
Prince feroit inutile, tant à caufeque ce feroit un tefmoigna-
ge privé , que parce qu'on ne peut adjoufter foi en juftice à
un tefmoin qui n'a point fai£l de ferment. Or il eft conftant
que la confrontation eft plus necefiaire ôc plus efTentielle que
l'information , ôc partant il l'on a jugé que la déclaration ne pou-
voir de rien fervir il elle n'eftoir faide en la forme que des
tefmoins doivent dépofer en l'information j c'eft une confe-
quence neceffaire qu'elle ne peut de rien fervir fans confron-
tation.
Et bien que dans un procès criminel aucune formalité ne
puiffe eftre impunément obmife , ôc que s'il n'y avoir point
d'information , la dépofition des tefmoins que l'on ameneroit
pour eftre confrontez ôc depofer fur le champ ne vaudroit rien ,
ôc quand il y auroit information ôc connontation on ne pour-
roit afleoir de condamnation s'il n'y avoit Interrogatoire j à
beaucoup moins de raifon le peut-on faire quand il n'y a point
de confrontation , puifque c'eft le feul aâe qui conclut la
preuve , ôc que tous \^s autres font imparfaits. Car fi la dépo-
îition a efté précipitée, ou par la crainte ou par quelque paf-
fion , elle eft redifiée par la confrontarion ; la prefence de
l'accufé peut efmouvoir le tefmoin , lui peut remettre en mé-
moire pluf ieurs chofes que fon premier mouvement ou la crainte
lui auroit faid perdre : il employé lors tout ce qu'il a de plus
MONSIEUR F. A. DE THOU. e<^
fort pour fegarentir, 6c pour confondre le tefmoin quel qu'il
foit. Bref, fi la dépofition e(t inique , la confrontation faite
félon les formes la rend jufte , foit à la confufion de l'accufé,
foit à fa defcharge , ôc les Juges font obligez à l'un ôc l'autre.
Monfieur le Duc d'Orléans a fi fort appréhendé la force de la
confrontation;»qu'il a ftipulé qu'il ne feroit point confronte avant
que faire fa déclaration; il a fallu violer les îoix pour lecontenter«
Ce Prince jugeoit fort bien que la prefence des accufez lui
euft mis en mémoire beaucoup de chofes qui lui efloient ef-
chappées, beaucoup de circonftances qui lui eufientfaidl pen-
fer déplus près à ce qu'il avoir dit , à re£lifier fa déclaration.
Monfieur 3 de vérité , a chargé M. de Thou par fa première
déclaration fur le premier advis qu'il euft que les S>«. le Grand
& de Thou avoient efté arreftez , ôc agité qu'il eftoit de la
terreur qu'on lui donnoit de la colère du Roy , ôc bien plus
de la fureur du Cardinal. Depuis fe voyant en une afiiette plus
afleurée, mais neantmoins en prefence de M. le Chancelier ,
dift qu'il avoir tousjours déclaré qu'il ne vouloit pas que ledi6t:
S^ de Thou fuft dans fes affaires, ôc que lediâ S^. le Grand
lui avoir promis qu'il ne fçauroit rien du Trai£té avec lEfpa-
gne. Enfuite qu'arriva-t-il? Monfieur eftant feul ôc libre hors
la prefence du Chancelier , prefie de fa confcience efcrivit
une Lettre pour eftre communiquée au Chancelier , par la-
quelle il defchargeoit à pur ôc à plein ledid S^. de Thou du
Traidlé d'Efpagne : niais la Lettre a efté fupprimée , les Com-
miflaires ne l'ont pas vue , Ôc ce pour faire valoir la déclara-
tion de Monfieur qui eftoit deftruite par cette Lettre. Si la
confrontation euft efté faite , Ton ne peut douter que Monfieur
euft dit ce qu'il avoit dit par fa Lettre, ôc avec bien plus d'ef-
fe£l y car cela fe fuft fai£l en prefence de l'accufé ôc des Com-
mifiaires , ôc l'aâe n'en euft pas efté fupprimé : ainfi l'on voit
que ce que la crainte avoit extorqué , le temps ôc la vérité l'ont
re£lifié , ôc l'euft efté bien plus abfolument ôc utilement fi les
formes de la juftice euflent efté obfervées. Certes fi un Prince
s'oblige à eftre tefmoin , s'il s'y engage , il contrarie par ce
moyen avec la loi ; il faut qu'il obferve ce qu'elle ordonne à
tous les tefmoins, la loi ne l'excepte pas, elle n'a pas confideré
îa qualité des perfonnes , elle a veu qu'il eftoit queftion de la
vie ôc de l'honneur des hommes : il n'y a rien en juftice qui ne
fe doive faire pour les çonferver. 5 I iij
-70 MEMOIRES POUR JUSTIFIER.
Un Prince délateur ou principal refmoin n'a point plus de
privilège qu'un autre perfonne : s'il a eflé fi mal confeilié , ou
ji fa paflTion l'a fi fort emporté que d'avoir rendu un tefmoi-
gnage qui va à faire perdre la vie ôc honneur à des perfonnes
de condition : il n'y a privilège , il n'y a loi j il n'y a point
de raifon qui le puifle garantir d'eftre confronté à celui qu'il
accufe. Au contraire , Pordonnance y oblige tous les tefmoins
à peine de nullité de tout ce qu'ils peuvent dire : leur dépo-
fidon mefmesn'eft pas îeuë , bien loin d'eftre de quelque poids.
La grandeur d'un Prince ne reçoit pas plus de diminution en
la confrontation qu'en la dépofition : au contraire , fi fa perfon-
ne ôt fa dignité font bleflees en cefte occafion , c'eft lui-mef-
me qui s'eft faicl le mal par fa première adion qui eft la dé-
pofition , qui eft un a£le volontaire 5 la confrontanon n'eft
qu'une fuite neceffaire , ôc la dépofition n'eft rien fans elle ,
eft inutile.
Et tant s'en faut que la qualité du crime puifi!e difpenfer
des règles, & fur tout de la confrontation ? au contraire , c'eft
ce qui la rend plus necefiaire. Car il eft tellement vrai que
îa confrontation eft de necefiité abfoluë,ôc de l'eflence d'un pro-
cès qui va à la vie , que quand un accufé confefleroit , quand il
prendroit droit par les charges , on ne le pourroit pas condam-
ner à mort j fans lui confronter les tefmoins. Et dans des cri-
mes légers quelquesfois on ne confidere pas fi les preuves font
fi parfaites : mais toutes les fois qu'il eft queftion de la vie,
jamais on ne condamne qu'il n'y ait preuve formelle, & plus
claire que le jour, parce que la vie des hommes eft fi chère
6c fi precieufe qu'il n'y a point de raifon pour laquelle on doi-
ve hazarder leur innocence ', ôc les Juges qui la tiennent ea
leurs mains , ôc qui en doivent rendre compte , en doivent
eiuOî eftre bons mefnagers , ôc plus que de leur propre fang.
Il falloir certainement que noftre accufé fuft bien convain-
cu , pour obmetrre une fi efientielle formalité que celle de la
confrontation j ôc neantmoins l'on fçait combien eftoit foible
!a preuve contre lui j ou pluftoft qu'il n'y en avoit point. Il
ialloit que la paffion que l'on a eu de le faire mourir fuft vio-
jente, puifque pour y fatisfaire on a violé la juftice, la cho-
fe h plus fainâe qui foit entre les hommes.
Le fiççle fefa noté dç cefte marque , que pour faire perij:
MONSIEUR F. A. DE T H O U. yr
des perfonnes de condiîion , il a fallu condamner nos meil-
leures loix ôc les plus fain£les ; on a attribué à des perfonnes
bien qu'éminentes^ des privilèges exhorbitans, ôc qui ne font
attachez qu'à la feule perfonne du Roy, qui perd par une telle
introdu£lion fon autorité ôc les privilèges attachez à fa per-
fonne faerée , puifque l'on les rend communs à fes fubje6ls ;■
chofes inouie àc fans exemple.
Après ces confiderations, qui font tirées de la chofemefme,
il efl: impo/Tible de s'imaginer que l'on puiffe faire des A6i:es
équivalens à une confrontation j équivalens inventez à l'op-
preiïion des plus innocens, au lieu de les introduire pour les
favorifer.
L'on peut de vérité remédier en quelque forte aa defFaut
de la fuppofition d'une perfonne pour une autre; mais à ce-
lui de l'évidente utilité que l'accufé peut tirer de fe voir pre-
fent avec le tcfmoin qu'il peut interroger, qu'il peut exami-
ner par toutes les parties de fa dépofition , cela ne fe peut dire
fans faire une extrefme violence au bon fens Ôc à la jufticer
VIL Ouelle foi peut-on aâjoufler à la dépofttion d^un tefmoin
qui ejl accuje & coulpable,
LEs tefmoins , fur la foi defquels on veult afifeoir le fonde*
ment ôc les preuves d'un procès criminel , doivent eftre
au-deflus de toute forte d'exception.
S'il y a quelque reproche contre eux , gênerai ou particu-
lier i leur dépofition doit eftre rejettée.
Les reproches généraux font ceux qui refultent de la con-
dition ôc des mœurs des tefmoins , qui les peuvent rendre fuf-
pe6ts y mais les reproches particuliers font infiniment plus pref-
fans, qui refultent delà confideration que le tefmoin peut avoir
pour les perfonnes qui agilTent, de la haine contre les accufez,
ou de l'intereft qu'il peut avoir dans l'affaire mefme.
Et ce reproche le plus fort de tous , n'eft jamais plus puifTant
que quand on veut faire fervir de tefmoin une perfonne accu--
fée , ôc tirer toute la preuve du procès de la feule dépofition du
complice. Car il fe rencontre par ce moyen deux fortes de re-
proches en fa perfonne : le premier, qu'il eft coupable , ôc par
confequent reprochablej le fécond, que d'ordinaire un accufé
72 MEMOIRES POUR JUSTIFIER
qui confefle ôc qui en charge d'autres , cherche fa décharge
dans fon accufation.
Car fans confiderer toutes les raifons particulières , par lef-
quelles un accufé peut eftre moins coupable ^ quand il impute
à d'autres la faute qu'il a commife , ôc que c'efl: une deffenfe
naturelle de fe juftifier en accufant d'autres perfonnes par lef-
quelles on a efté corrompu ) dont il ne faut point d'autre
preuve que la première prévarication qui fuft commife dans
le monde, il femble que tout homme qui confeife eft deflors
afleuré de fon impunité j ôc fans cette efperance de demeurée
impuni, ou d'eftre plus doucement traidé, il n'y a gueres de
perfonnes qui fe puilfent refoudre à confelTer un crime. Et de
vérité, on peut dire qu'un homme eft hors du bon fens qui s'ac-
cufe lui-mefme, ôc que toute confedion volontaire doit eftre
tenue fort fufpedte» C'eft pourquoi, foit que le coulpable qui
confeffe doive eftre puni , foit qu'on lui a fai£t efperer l'impu-
nité, fa dépofidon ne peut faire foi. Car s'il doit eftre puni^
comment eftre que fa dépofition feroit foi contre les autres »
puifqu'elle ne fuffiroit pas à faire foi contre lui-mefme: s'il
doit eftre impuni , comment peut-on dire que fa dépofition
faffe foi, parce que s'il eft coulpable, il eft impoftible de croire
à une confeffion par laquelle il a acheté fon abfoludon , im-
poflible d'adjoufter une foi certaine à un tefmoin qui eft cor-
rompu par la promefie de fa vie f
Mais tout cela eft beaucoup plus indubitable , quand il ne
fe rencontre point d'autre preuve que celle qui refulte de la
confeflion d'un complice : car quand il y a d'autres preuves
concluantes , une accufation précédente inftruite de toutes fes
formes, par laquelle on peut dire que îa confcience a efté preffée
par une évidente convi£lion j en ce cas la confeflion pourroit
eftre de plus grand poids , parce qu'elle ne feroit pas abfolu-
nient volontaire, ôc qu'elle feroit précédée ôc appuyée d'autres
preuves : mais une perfonne qui confefle fans aucune accufa-
tion précédente, ne tient heu que d'un fimple délateur , non
point d'un tefmoin qui dépofe, d'un accufé qui confeflTe par la
force de fa confcience , ôc l'autorité de la juftice.
Et de ces veritez la preuve eft toute conftante dans le Droit
Civil ôc Canonique. La Loi 17 ôc dernière au Code de Ac-
cufatiombus pafle jufques au point qu'elle ne veut pas qu'un
homme
MONSIEUR F. A. DE THOU. 7>
homme qui confefle avoir commis un crime , foit interrogé
fur le fai6t ôc le crime d'autruy, Qimveteris juris autoritas defe
confeljbs ne interrogari quidem de aliorum confcientia finat , nemo
igitur de proprio crimine confitentem de confcientia fcrutetur aliénai
& dans la loi Repetit §, i. de quajîionibus : Is qui de fe confejjks
ejî , in caput aliorum non torquebiturh le Canon Neganda ^. q. 2.
le Canon Si tejîes 4. ^. 3. le Chap. veniens de tejitbus. La con-
felîion des accufez qui en chargent d'autres , efl: beaucoup
moins confiderable que la depofition d'un tefmoin, dont la
foi feroit toute entière j & faut fans doute un plus grand nom-
bre de confefîions , que de dépofidons de tefmoins qui ne fe-
roient point fufpe£ts , pour rendre un homme coulpable h &
autrement il feroit extrêmement périlleux de commettre le
falut des perfonnes innocentes à ceux qui confeffent volontai-
rement , foit qu'ils defefperent de leur falut , foit qu'ils en
foient afleurez. Et il pourroit arriver non feulement que des
perfonnes innocentes, mais ceux qui feroient les plus elloignez
du crime , s'y trouveroient engagez. Et celas'eft rencontré une
infinité de fois, que des perfonnes accufées , ou par defefpoir,
par haine , ou par efperance d'efchapper , ou par crainte , ou
par afFedion de fatisfaire à ceux qui les avoient accufez , y ont
compris des perfonnes incogneuës avec lefquelles ils n'avoient
jamais eu de commerce.
Mais l'on peut oppofer une decifion qui femble fort ôc très-
confiderable tirée du Canon $. Nemini c. 15*. q. 5. & du ch. i*
ex de confefjis , qui deffendent expreffement d'adjoufter foi à la
depofition d'un homme qui fe fera accufé lui-mefme fors qu'au
crime de leze-Majefté.
Cefte exception femble adjouftée contre le fens de l'anti-
quité , en deteftation pofTible du crime de leze-Majefté. Ils en
fçavoient neantmoins pour le moins autant que nous de cette
matière. De vérité , comme ce crime eft grand ôc horrible, ôe
par defiTus tout ce qui fe peut imaginer t car il y va du falut
d'unEftat, du falut d'un nombre infini de perfonnes, il feni'
ble que l'on ne peut y apporter trop de feverité. Cela néant-
moins ne peut faire qu'un homme innocent foit coulpable ,
parce qu'on le veut faire mourir. La faveur de ce grand crime
ne doit pas aller jufques dans l'oppreflion des perfonnes in-
îiocentes. Ne fçait - on pas que dans les gouvernemens
Jome XV, J K.
74 MEMOIRES POUR JUSTIFIER
tyranniques c'eft le crime de ceux qui n'en ont point, de ceux
cjue ion veut perdre ? L^on a fouvent veu des perfonnes accu-
fées de ce crime , fauflement accufées, l'on en fort comme d'une
autre faufle accufation , pourveu que l'on foit innocent , les
accufations feules ne fuffifent pas , car qui ne feroit point
coulpable ? Il faut des preuves bonnes 6c concluantes î il ne
faut pas qu'elles viennent d'un criminel corrompu par la pro-.
mefle de la vie , criminel qui foit l'accufateur ôc le tefmoin.
Mais il faut venir au faiâ particulier de ces Canons. Le
Canon Nemini ainfi qu'il eft dans Gratian , porte ces mots :
Ncmini praterquam de crimine iafa-MajeJîatis défe confejfo créât
poîeft Jiiper crimen alienum , ejufque omnijque rei confeffio perictilo-
fa & admitti non débet. La corredion du Droit Canon faide
à Rome ôc de l'autorité du Pape , finit cette note fur les mots
de ce Canon , Praterquam de crimine lafa-Majefiatis. Hac ex-
ceptio y difent-ils , in nullo ex locis indicatis habetur praterquam
apud Anfelmum. Ce qui eft fi vray qu'ils ne fe trouvent point
dans le Décret d'Ives de Chartres parte 5. can. 288. ni dans fa
Pannomie, Ub. 4. c. (5p. ni dans Ennodius , Epift. 4. lib. i.
mais feulement dans la ColIeâ:ion d'Anfelme, lib. 3. cayi. 75-,
ôc de plus Ives de Chartres n'allègue point ce Canon , com-
me fai£t Gratian, du Pape Jule, qui vivoit l'an 5355 mais du
Pape Denis qui tenoit le fiege l'an 2.60.
Mais ce qui tranche toute forte de doute eft , que l'une Ôc
l'autre de ces Epiftres, foit de Denis ou de Jules, font abfo-
lument fauffes , ôc recogneuës telles en toutes leurs parties par
tous ceux qui ont la moindre cognoiflance des Lettres. Ce
font rapfodies d'un impofteur pommé Ifidorus> tirées de divers
auteurs 3 ce qui a efté tellement efclairci en ce dernier temps ,
qu'il ne faut pas avoir du fens pour en douter. Et certes il y a
fujet de s'eftonner que M. Cujas n'a pas efté efclairé de cette
vérité , lui qui avoir veu fi clair en chofes bien plus obfcures.
Aufli le Pape Léon IV, au Canon (i^ Libellis dtft. 21. fai-
fant le dénombrement des Papes , dont les décrets doivent
eftre receus en l'Eglife , ne faià: aucune mention de ceux des
Papes Denis ôc Jules ; auffi il ne fe trouve aucun décret de
Pape, compris dans le Code des Canons de l'Eghfe Romaine,
qui précède le Pape Siricius qui vivoit l'an 58p. long-temps
depuis les Papes Denis ôc Jules.
MONSIEUR F. A. DE THOU. 7r ;
Pour ce qui eft du Chapitre i . de confejfts qui eft du Pape \
Clément III. il eft tiré de mot à mot de ce Canon Nemini > \
& ainfi il n'eft pas de plus grande autorité, ayant un fonde-"
ment fi faux, comme il eft remarqué cy-deflus.
Paultis /. C. lib. I . Sememiar. Tit. 20. §. j : \
^i de fe confejjus eft in alium torqueri non poteft , ne alienani \
falmem in dabium deducat qui de fia dejperavir, I
VIII. Moyens généraux contre ^ordonnance du Roy Louis XI ^ ,
touchant le crime de Leze-Majefté , ou eft reprejenté Peftat ]
du gouvernement dudiâ Roy, \
IL eft à propos & très-necefTaire pour deftruire du tout l'Or* i
donnance du Roy Louis XI , qui devoit mourir avec fon \
autheur, au moins ne devoit eftre obfervée après tant d'années,
de déduire fommairement les a£lions principales de ce Roy ; j
quelles ont efté fes inclinations 6c fon gouvernement. ]
Dez l'âge de xi ans il fit une Ligue contre le Roy Charles
"VII fon père , appellée la Praguerie 5 attira à lui plufieurs Grands Commhtes ]
du Royaume : & par ces commencemens il fit juger quelle fe- • ' ^' ^^ |
roit la fuite de fa vie. _
Il fafcha le Roy fon père contre lui, pouravoir excédé la belle i
'Agnès qu'il aimoit chèrement. Enfin après plufieurs menées 1
qu'il fit dans le Royaume, àc pour éviter la prefence de fon
père, qui le traiâoit pofiible avec trop de feverité, il fe retira ;
en Dauphiné, où il trai£la fon mariage avec la fille du Duc i
de Savoye fans le confentement du Roy. « 11 euft , dit Corn- Commlnes
« mines > toft après débat avec fonbeau-pere^ &fe firent très ^* ^•'^' ^3* ;
^ afpre guerre. « Il fit aufi[î des levées de gens de guerre pour s'af- '
feurer du Dauphiné 5 mais n'y pouvant demeurer en feureté, •
il fe retira en Flandre vers le Duc de Bourgogne, où il fut jufques ■
à la mort du Roy. Avant que de partir de Flandre le Duc de |
de Bourgogne le pria de pardonner à tous ceux qui l'avoient \
ofFenfé. Il le promit t à l'exception de fept perfonnes.
Afonadvenementàlacouronne^il defapointa tous les ofîî- \
ciers ôc ferviteurs de fon père , dont mal lui en prit. Les pre-
mières années de fon règne furent très rudes , Ôc les fuivantes j
du tout infupportables, les Grands defpouilîez de leurs char- |
ges , le peuple accablé d'impofts 5 ce qui caufa diverfes fédi- '
lions ôc beaucoup de violences. J K i j
76 MEMOIRES POUR JUSTIFIER
La guerre qui avoir pour prétexte le bien public, n'eufî: au-
tre origine que fa conduite violente. Tous les Princes & les
I 4 <^ 5*. Grands qu'il avoir travaillez par divers moyens .prirent les ar-
Commmes mcs Contre luî. Ceftehiftoire ell commune. Il fe vit à la veille
Selljèl p. 8i ^^ perdre fon eftat ôc la vie 3 mais par fon addrefle il diflipa
ces troubles, & fe vengea de tant d'ennemis, ce qui l'obligea
d'ufer de toutes fortes de rufes , de manquemens de foi , de
dureté qu'il exerça depuis fur les Grands , ne penfant à autre
chofe qu'à mefnager lesoccafions de divifer les uns d'avec les
autres, emprifonner ôc faire le procès aux uns, donner par ex-
cès aux autres pour les attacher à fon fervice.
D'autre cofté, le Royaume eftoit travaillé par les frequens
paffages de gens de guerre. Car le Roy n'eftoit pas fi-toft forti
d'une guerre avec le Duc de Bourgogne, qu'il attaquoit l'An-
glois j ôc faifant la paix d'un cofté , il recherchoit les moyens
débrouiller d'un autre : toute fa viefe paffa en ces exercices.
Ch. li.l 6. « Je croy , dit Commines, que depuis fon enfance il n'eufl: ja-
3' mais que tout mal Ôc travail jufques à la mort : ôc croy que
» fi tous les bons jours qu'il a eu en fa vie , efquels il eut plus
M de joye ôc de plaifirque de travail Ôc d'ennuy, eftoient bien
w nombrez , qu'il s'en trouveroit bien vingt de peine ôc travail
« contre un de plaifir ôc d'aife. «
Comm'mes Quelques- uns ontefcritque la mort de fon frère le Duc de
^'J'-ffl ^'^ Guienne fut avancée. Aufîi quandil fçeut la mort du frère du
îhietiyp. 23p. Roy de Caftille, il dit : « Ce Roy eft bienheureux d'avoir per-
»4o- 3î du fon frère. « Il fît faire le procès à Jean II Duc d'Alen-
çon ôc à René Duc d'Alençon fon fils, à René Roy de Sici-
le fon oncle maternel , à Jean Duc de Bourbon , à Jacques
p. 83. d'Armagnac Duc de Nemours ôc fut exécuté à mort. SeifTel
remarque que quelques Confeillers du Parlement furent fuf-
pendus de leurs charges pour avoir efté d'advis de mitiger la
peine de ce Duc.
Commines II fit aufiTi faire le procès à Louis de Luxembourg ^ Connef-
^ ^Mathieu p *^^'^ ^^ Saint Paul, qui fut exécuté dans Paris 3 comme aufïï
Si. PP7. * aux Seigneurs de Nantouillet , du Lau , au Comte deDam-
martin , ôc à Charles de Melun.
Il commanda l'afTaflinat de Jean Comte d'Armagnac à Leic-
n/r./' ^ toute; Ôc les horribles cruautez commifes contre fon frère. Il
Mathieu P' n c • 1 V ■ • 1 1 s • • • rr • J
j^^^. nt taire le procès criminellement a trois principaux omciers du
MONSIEUR F. A. DE THOU. 77
Parlement de Grenoble , pour avoir fervi fon père pendant
qu'il elloit Dauphin.
Il tint quatorze ans entiers le Cardinal Baluë & l'Evefque Commhei
de Verdun dans des cages de fer , & les fit délivrer pendant '* ^* '' '^'
fa dernière maladie t & en voulut avoir une abfolution du Pape.
L'on ne peut pas dire qu'aucuns de ces Seigneurs n'ayent efté
juftement punis j mais aufli il eft vrai que les rigueurs duRoyôC
fes mauvais trai£temens avoient précédé leurs fautes^ ôc que dif-
ficilement les Princes ôc les Grands peuvent fouffrir défi lon^
gués Ôc continuelles perfecutions. Auffi la Chronique Scan-
daleufe fur la fin porte , « Nonobftant que ce Prince eufl:
05 durant fon règne plufieurs affaires ^ il mit toutefois fes enne-
o' mis en telle fubjedion qu'ils vindrent tous par devers lui à
w mercy , Ôc fut fi craint ôc redouté qu'il n'y avoit fi grand en
»> ce Royaume, ôc mefmes ceux de fon fang, qui dormift ne
93 repofaft feurement en fa maifon. -n
Les atlions de ce Prince feroient incroyables fi l'on n'en
avoit des tefmoignages afleurez. Ceux de Ph. de Commines ,fon
principal confident,font certains ôc fans reproches:en voicy quel-
ques-uns. Parlant des armées des Princes foulevez pour le bien CL 3. & f,
public, «Ils avoient ^dit-il, en leurs compagnies de fagesôc nota- ^' ^•^•^■^•^'
3> blés Chevaliers que le Roy avoit tous defapointez ôc desfaits
3' de leurs eftats quand il vint à la couronne, nonobftant qu'ils
0' euffent bien fervi le Roy fon père es conqueftes de Normandie,
o' ôc en plufieurs autres guerres ; ôc maintesfois après s'eft repenti
=' de les avoir ainfi traitiez en recognoifiant fon erreur,ôc eftoient
« partis d'ordonnances du Roy bien cinq cens hommes d'ar-
as mesj qui tous s'eftoient retirez vers le Duc de Bretagne. »
En un autre lieu, « Il eftoit naturellement ami des gens de l. i.c. ig»
M moyen eftat , ôc ennemi de tous Grands qui fe pouvoient paf-
w fer de lui. Et fes termes ôc façons qu'il tenoit , lui ont fau-
M vé la couronne , veu les ennemis qu'il s' eftoit lui-mefme ac-
3> quis à fon advenement au Royaume. Dès qu'il cuidoit eftre
w à feur , il mefcontentoit fes gens par petits moyens qui peu
35 lui fervoient , ôc à grand peine pouvoir endurer paix. II eftoit
=> léger à parler des gens , ôc aufii-toft en leur prefence qu'en
3' leur abfence 5 fauf de ceux qu'il craignoit : qui eftoit beau-
» coup , car il eftoit craintif de fa nature propre. Comme il fe
» trouva grand ôc Roy couronné , d'entrée ne penfa qu'aux
J K iij
7^ MEMOIRES POUR JUSTIFIER
» vengences ; mais toft lui en vint le dommage ôc quant &
» quant la repentence. »
c. 1$. 1 6. « Quand , dit-il , en un autre lieu , il avoit la guerre, il dé-
w firoit la paix ou trêves i quand il avoit paix ou trêves j à grand
35 peine les pouvoit-il endurer. «
c. 8./. 5. « Noftre Roy > dit-il, qui règne à prefent, a trouvé fon
a> Royaume en paix avec tous fes voifms 6c fubjets , & lui
M avoit le Roy fon père fai£t mieux que jamais n'avoir voulu
» ou fceu faire pour lui. Car de mon temps ne le vis jamais
3» fans guerre , fauf bien peu de temps avant fon trefpas. »
c. I. /. 5. « Si le Roy , dit-il , n avoit débat par le dehors ôc contre
« les Grands , qu'il falloir qu'il l'euft avec fes domeftiques ôc
o> officiers , & que fon efprit ne pouvoit eftre en repos. »
I A -7 2. L^s conditions de paix que fit ce Roy avec le Duc de Bour-
e. s>. /. s. gogne font eftranges. Le Roy rendoit audi6l Duc Amiens ôc
Saint Quentin, ôc lui abandonnoit les Comtes de Nevers ôc
de Saint PauU ôc toutes leurs terres, pour en faire à fon plai-
(îr ôc les prendre comme fiennes. Le Duc abandonnoit au
Roy les Ducs de Guienne ôc de Bretagne , ôc leurs feigneu-
ries , pour faire ce qu'il pourroit.
c, 6.1. 6. Self- « Le Roy, dit Commines, avoit fort opprefTé fon Royau-
fi^ P- 50- sï me , Ôc plus que jamais Roy ne fift i mais par autorité ôc re-
« monftrance l'on ne lui a fceu faire le foulager , il falloir que
« cela vint de lui. ^^
Commines « Quant à eftre fufpicionneux tous les grands Princes le font,
7. /. 6. 3, ^ par efpecial les fages ôc ceux qui ont eu beaucoup d'enne-
^ ' » mis ôc ofFenfé plufieurs , comme avoit fait ceftui-cy ; ôc da-
« vantage il fçavoit n'eftre point aimé des grands perfonnages
» de ce Royaume ne de beaucoup de menus , ôc fi avoit char-
a» gé plus le peuple que jamais Roy ne fit. ^^
Mais voicy l'eftat auquel il eftoit fur les dernières années
de fon règne ^ ôc par Commines mefmes : ^ En premier
« lieu , dit-il , n'entroit gueres de gens dans le Plellis-du-
^» Parc ( qui eftoit le lieu où il fe tenoit ) excepté gens domefti-
«' ques , & les Archers, dont avoit 400 qui en bon nombre fai-
3î foient tous les joursle guet, Ôcfe pourmenoient parla place ôc
!» gardoient la porte. Nul Seigneur ne grand perfonnage ne lo-
<» geoit dedans ; ne n'y entroit gueres compagnie de grands
•' Seigneurs. Nul n'y yenoit que M. de Beaujeu qui eftoit fon
c
SeiJJèl,
MONSIEUR F. A. DE THOU. yp
9» gendre. Tout à l'environ de la place du PlefTis , il fit faire un
» treillis de gros barreaux de fer , ôc planter dedans la muraille
=» des broches de fer ayans plufieurs pointes , comme à l'en-
» trée par où on euft peu entrer aux foffez dudiâ: Pleffis. Auflî
» fît faire quatre moineaux de fer bien épais , & lieu par ou
» l'on pouvoir bien tirer à fon aife, ôc eftoit chofe bien triom-
» phante , ôc coufta plus de vingt mille francs ; ôc à la fin y
» mit 40 Arbaleftriers , qui jour ôc nui£l eftoient en ces foffez ,
»' Ôc avoient commifTion de tirer à tout homme qui en appro-
» cheroit de nui£t , jufques à ce que la porte fufl ouverte le
» matin. Il lui fembloit que fes fubjedts efloient un peu cha-
» toûilleux à entreprendre authorité , quand ils verroient le
»> temps. A la vérité, il fut quelques paroles entre aucuns d'en-
» trer dans le Pleffis , ôc depefcher les chofes félon leur advis ,
«> parce que rien ne fe depefchoit j mais ne l'oferent entre-
* prendre , dont ils firent fagement , car il y avoit bien pour-»
^ veu. Il changeoit fouvent de Valet chambre ôc de toutes au-
« très gens , difant que la nature s'esjouït en chofes nouvelles.
« Pour compagnie tenoit leans un homme ou deux auprès de
» lui j gens de petite condition ôc affez mal renommez , ôc à
a' qui il pouvoir bien fembler , s'ils efloient fages , qu'inconti-
wnant qu'il feroit mort ils feroient defapointez de toutes cho-
» fes pour le mieux qui leur en f<^auroit venir , ôc ainfi en ad-
a* vint.
« Ceux-là ne lui rapportoient rien de quelque chofe qu'on
» lui efcrivift ne mandaft , s'il ne touchoit à la prefervation de
»' TEflat ôc deffenfe du Royaume. Car de toute autre chofe ,
» il ne lui chaloir d'eftre en trêve ou en paix avec chafcun. A
«' fon Médecin donnoit tous les mois dix mille efcus , qui en
a» cinq mois en receut 54000. De terres donna grande quantité
» aux Eglifes , mais ce don de terres n'a point tenu , aulli ils
3' en avoient trop. »
En un autre lieu. « Il faifoit d'afpres puninons pour eftre c.ZJ.6,
» craint ôc de peur de perdre obeifTance , car ainfi me le dit
« lui-mefme ; il renvoyoit officiers ôc cafToit gens d'armes, ro-
» gnoit penfions , ôc en oftoit de tous points i ôc me dift peu
»' de jours avant fa mort , qu'il palToit temps à faire ôc défaire
w gens 5 ôc faifoit plus parler de lui parmi le Royaume que ne
»î fift jamais Roy j ôc le faifoit de peur qu'on ne le tint pour
go MEMOIRES POUR JUSTIFIER
» mort : car comme j'ai dit peu le voyoient.
>> One homme ne craignit plus la mort que lui, ôc ne fit tant
3» de chofes pour y cuider mettre remède.
« Il voulut fur toutes chofes qu'après fon trefpas on tint le
3' Royaume en paix cinq ou fix ans ; ce qu'il n'avoit jamais pu
35 foufFrir en fa vie. Et à la vérité le Royaume en avoit bon be-
35 foin , car combien qu'il fuft grand Ôc ellendu , Ci eftoit-il bien
M maigre ôc pauvre , ôc par fpecial pour les pafTages des gens
3» de guerre qui alloient d'un pays à un autre. «
Au mefme chapitre , Commines après avoir parlé de la fin
de ce Roy, dit : « Voilà comme lui fut fîgnifîée fa mortj ce
3> que j'ai bien voulu reciter , pour ce qu'en un autre article
39 précèdent , j'ai commencé à faire comparaifon des maux qu'il
3' avoit faid fouffrir à aucuns , ôc plufieurs qui vivoient fous lui ,
35 avec ceux qu'il fouffrit avant la mort , afin que l'on voye
3» s'ils n'eftoient fi grands ni fi longs , que neanttnoins eftoient
« ils bien grands , veuë fa nature qui plus demandoit d'obeilTance
M que nul autre en fon temps , ôc qui plus Pavoit eue : parquoi
*> un petit mot de refponfe , contre fon vouloir , lui eftoit bien
3' grande punition de l'endurer. Quelques fix mois avant celle
M mort avoit fufpicion de tous hommes , ôc fpecialement de
3' tous ceux qui eftoient dignes d'avoir authorité. Il avoit crainte
« de fon fils , ôc le faifoit eftroitement garder , ne nul homme
3> ne le voyoit, ne parloit à lui finon par fon commandement.
3» Il avoit doute à la fin de fa fille , ôc de fon gendre à prefent
a> Duc de Bourbon ; ôc vouloir fçavoir quelles gens entroient
3' au Piefiis quant ôc eux. A la fin , rompit «n confeil que le Duc
3' de Bourbon fon gendre tenoit leans par fon commandement.
3' A l'heure que fondid gendre Ôc le Comte de Dunois revin-
3' drent de remener l'AmbalTade qui eftoit venue aux noces du
3» Roi fon fils ôc de la Reine à Amboife , ôc qu'ils retournèrent
3' au PleflTis , ôc entrèrent beaucoup de gens avec eux , led'idi
35 Seigneur qui fort faifoit garder les portes eftant en la galerie
»> qui regarde en la Court , fit appeller un de fes Capitaines des
" Gardes , ôc lui commanda aller tafter aux gens des Seigneurs
o> deflus di£ls voir s'ils n'avoient point de Brigandines fous leurs
3' robes, Ôc qu'il le fit comme en devifant à eux fans trop en
^' faire de femblant. Or regardez s'il avoit fai£l beaucoup vivre
=» de gens en crainte fous luij s'il en eftoit bien payé, ôc de quelles
w gens
MONSIEUR F. A. DE THOU. ^f
M gens il pouvoit avoir fenreté , puifque de fon fils ^ fille , 6c
^'gendre il avoit fufpicion. Je ne dis point pour lui feule-
»' ment, mais pour tous autres Seigneurs qui défirent eftre craints.
=>' Jamais ne fe fentent de la revanche jufques à la vieillefle : car
" pour la pénitence ils craignent tout homme ; ôc quelle dou-
»» leur à ce Roy d'avoir cefte peur & ces paflions ? Il eft vrai
" qu'il avoit fai£t de rigoureufes prifons, comme cages de fer
>' & autres de bois couvertes de pattes de fer dehors , 6c de-
« dans avec terribles ferremens de huid: pieds de large de la
« hauteur d'un homme 6c un pied plus. Le premier qui les
•' devifa fut l'Evefque de Verdun , qui en la première qui fut
a»fai£le fut mis incontinant , 6c y a couché 14 ans. Plufieurs
»' depuis l'ont maudit, 6c moi auffi qui en ay tafté fous le Roy
5î de prefent huid; mois. Autrefois avoit faid faire aux Alle-
*> mands des fers très-pefans 6c terribles pour mettre aux pieds ,
M 6c y eftoit un anneau pour mettre au pied fort malaifé à ou-
» vrir comme à un carquant, la chaifne grofi!e 6c pefante , 6c
«une grofife boule de fer au bout beaucoup plus pefante que
w n'eftoit de raifon , 6c les appeiloit-on les fillettes du Roy,
M Toutesfois j'ai veu beaucoup de gens de bien prifonniers les
savoir aux pieds , qui depuis en font faillis à grand honneur;
« 6c qui depuis ont eu de grands biens de lui. Et entre les
»' autres un fils de M. de la Gruture pris en bataille , lequel
»' leditl Seigneur maria , fit fon Chambellan 6c Senefchal d'An-
«jou5 aufli au Seigneur de Piennes prifonnier de guerre^ 6c
3- au Seigneur de Vergy. «
Et plus bas. ce Ledit Seigneur , vers la fin de fes jours , fît
3> clorre tout au tour fa maifon du Plefiis-lez-Tours de gros
S5 barreaux de fer, en forme de greffes grilles j 6c aux quatre
03 coins de fa maifon , quatre moineaux de fer bons, grands, 6c
35 efpais. Lefdites grilles eftoient contre le mur , du cofté delà
35 place de l'autre part du fofi^e i 6c y fit mettre plufieurs bro-
03 ches de fer mafifonnées au-dedans le mur , qui avoient cha-
03 cune trois ou quatre pointes , 6c les fit mettre fort prez l'une
05 de l'autre : 6c davantage ordonna des Arbaleftriers dedans les
»5 foflez , pour tirer à ceux qui en approcheroient avant que la
05 porte fuft ouverte j 6c entendoit qu'ils couchaffent aufdits
05 foffez , ôc fe retiraflent aufdits moineaux de fer. Il entendoit
95 bien aue cefte fortification ne fuffifoit pas contre beaucoup de
Tome XV. 5 L
Î2 MEMOIRES POUR JUSTIFIER
» gens : mais de cela il n'en avoit point de peur , feulement
=> craignoit que quelque Seigneur ou plufieurs ne fiflent une
M entreprife de prendre la place de nui£l , demy par amour ,
33 demy par force, avec quelque peu d'intelligence 5 & que ceux-
» là priflTent l'autorité ôc le fiflent vivre comme homme fans fens
« & indigne de gouverner. La porte du PlefTis ne s'ouvroit
» qu'à huid heures du matin, ny ne baifîoit-on le pont jufques
« à ladite heure , ôc lors y entroient les ofEciers 5 ôc les Capi-
« taines des gardes mettoient les portiers ordinaires , ôc puis or-
w donnoient leur guet d'Archers comme en une place frontie-
a»re, ôc n'y entroit nul que par le guichet , ôc que ce ne fufî
» du fceu du Roy , excepté quelque Maiftre-d'Hoftel , ôc gens
3' de cette forte qui n'alloient point devers luy. Efi: - il donc
=« poffible de tenir un Roy , pour le garder plus honneftement ,
» ôc en eftroite prifon , que luy-mefmes fe tenoit f Les cages
»> où il avoit fait tenir les autres avoient quelques huit pieds en
M quarré , ôc luy qui eftoit Ci grand Roy avoit une petite cour
w de chafteau à fe pourmener , encores n'y venoit-il gueres ,
«mais fe tenoit en la galerie fans partir delà, finon par les
6» chambres , ôc alloit à la méfie fans pafler par ladite cour,'
»' Voudroit-on dire que ce Roy ne fouffrift pas , qui ainfi s'en-
«fermoit, qui fe faifoit garder , qui avoit peur de tes enfans ÔC
» de tous fes proches parens, ôc qui changeoit de jour en jour
»fes ferviteurs , tellement qu'en nul d'eux ne s'ofoit fier a. ÔC
=» s'enchaifnoit ainfi de fi eftranges chaifnes ôc cloftures ? On
«pourroit dire que d'autres ont efté plus fufpicionneux que luy,
S5 mais ce n'a pas efté de noilre temps , ny paravanture homme
M fi fage que luy , ne qui euft fi bons fubjeâs. »
Claude de Seiflel auteur grave, Maiflre des Requeftes, puis
Evefque de Marfeille , ôc enfin Archevefque de Turin du rè-
gne de Louis XII , ôc qui avoit vefcu du temps de Louis
XI, a efcrit beaucoup de chofes qui fe rapportent à ce que
nous a laifle Ph. de Commines qui ne feront point répétées ;
mais parce qu'il a dit quelques particularitez qui fervent à no-
ftre propos , il eft bon de ne pas les obmettre.
J^a^e 84, « Après la mort , dit-il , de Charles Duc d'Orléans , le Roy
» Louis XI n'ufa pas de plus grande humanité envers fon pa-
«rent (depuis Louis XII, ) ains tafcha de le faire nourir de
"forte, qu'il n'euft coeur ne entendement pour mal faire à lui
MONSIEUR F. A. DE THOU. 8|
»5 ne à fes enfans j tant eftoit foubçonneux j 6c ufa envers lui de
c> beaucoup de rudefles, mais entr'autres le contraignit, par for-
«ces & menaces d'efpoufer Madame Jeanne fa fille, femme
« toutesfois bien fage , dévote , & honefte j mais moult dif-
5» forme de fa perfonne , ôc inhabile à porter enfans > voulant
S' par la fterilité de fa fille lui tolîer le pouvoir d'avoir lignée ,
•' tant avoit en haine le fang royal »
Et en un autre lieu, p. 87.
« Excepté feulement Pierre de Bourbon , Seigneur de Beau-
» jeu , tous fes autres parens il deffit, rabaiffa, ou mefprifa. Tant
sîfut grand le foubçon & crainte qu'il eut de fes parens , que
» de fon feul fils mefme, qui encores eftoit enfant , avoit foucy
» qu'il n'euft le cœur trop grand, ôc par ce moyen venant en
» âge , par l'inftigation des Princes , ne lui fift quelquesfois ce
» qu'il avoit faitt à fon père. Et à cefte caufe il le faifoit nourrir
» au Chafteau d'Amboife entre les femmes avec un petit nom-
» bre d'hommes qui n'eftoient pas de grande eftoffe , 6c ne
» vouloir en manière quelconque qu'autres gens l'allaflent voir,
= ne paffaflent par Amboife , mefmement nobles hommes ôc
» gens d'Eftat , donc par long-temps 3 efté grand doute entre
» plufieurs s'il eftoit mort ou vif »
Et plus bas. « Envers fa femme la Reine Charlotte de Sa-
'»voye, il ne fut pas plus humain , ne plus courtois qu'envers
sales autres j car outre que par un bien long-temps 6c tant qu'il
»' fut en âge vigoureux , il lui tint mauvaife loyauté de fa per-
» fonne , il la tint toujours petitement accompagnée ôc ac-
»>couftrée, la plufpart du temps en un chafteau où il l'alloit
»' voir quelquefois plus pour defir d'avoir lignée que pour plai-
se fir qu'il prift avec elle. Et pour la crainte qu'elle avoit de
" lui , 6c pour autres rudeffes qu'il lui faifoit fouvent , eft à
» croire qu'elle n'avoir pas grandes voluptez ne grands paffe-
55 temps en fa compagnie. Mais qui pis eft , à la fin de fes jours
85 l'envoya en Dauphiné , ôc défendit expreffement qu'elle ne
» fuft point auprès de fon fils quand il feroit Roy. Au regard
s* de fes ferviteurs domeftiques , jaçoit qu'il leur fift de grands
9» biens ôc les enrichift en peu de temps , & pareillement tou-
M tes autres gens dont il vouloit fe fervir , autant ou plus que
» jamais fit Roy ■> il avoit autrefois un efprit fi variable 6c in-
P ^onii:ant , & eftoij au furplus fi craint de tous , qu'il n'y avoii:
S^ MEMOIRES POUR JUSTIFIER
»» celui tant fui} près de lui ni en fa grâce qui ne le regardai!
=»' en grande crainte. Car bien fouvent par petites occafions ôc
" légers foubçons , ceux qu'il avoir eflevez jufqu'au ciel , ôC
" defquels fembloit qu'il fe fiaft du tout , il les chafToit à leur
" grande honte ôc confufion. Mais par effeâ: il n'y avoit celui
« autour de lui , tant le cognoifToient dangereux ôc muable ,'
=' qui fuil feur de fon eftat. Et de là, comme jecuide, advint
« pludeurs fois que ceux dont plus il fe fîoit , ôc que plus il
w avoit honorez ôc eflevez y craignant fa légèreté ôc variation ,
=9 fe font trouvez avoir confpiré contre fa perfonne ôc fon eftat.
» Entre lefquels > ne les voulant pas tous nommer, furent Ghar-
»» les de Melum ôc le Cardinal Balluë. Or s'il eftoit craint ôc
M peu aimé des Princes ôc des Grands en gênerai , fi eftoit-iî
=>■> encore plus haï du peuple , lequel il chargea de fon temps (r
»' fort de tailles pour l'horrible dépenfe qu'il faifoit à la guerre>
=» ôc aufTi pour les grands dons qu'il faifoit aux Eglifes ôc gens
« particuliers , que plufieurs mefnages en Normandie, en Lan-
=' guedoc , ôc autres lieux de fon Royaume eftoient contraints
=' abandonner leurs héritages , ôc s'en aller hors du Royaume r
» ôc quelque remonftrance qui lui fut faille par aucuns bons
« prélats ôc religieux de rabaifler lefdites tailles , jamais on ne
«» lui peuft perfuaderen quelque extrémité de maladie qu'il fufti
» difant qu'il eftoit forcé ainfi faire, ou laiffer perdre ou gafter
•> le Royaume, ôc ceux qui fe forçoient lui perfuader il les ef-
«' timoit fes ennemis & du Royaume, ou gens ignoransles af-'
» faires , du nombre defquels furent l'Archevefque de Tours
»' Cardinal , ôc TEvefque d'Alby , gens fages , de grande doc-
» trine, ôc de vie exemplaire. En fomme toute fon eftude, i^QS
=' defirs ôc fes fins eftoient d'eftre craint ôc obeï de tous , ôc
» pour cefte caufe tafchoit à rabaiffer les Grands , afin qu'ils
93 fufTem plus craintifs ôc obeïfTans , ôc avançoit Ôc enrichiftbit
« promptement les petits ôc moyens dont il fe vouloit fervir,
* afin qu'ils obeiffent à toutes fes volontez fans avoir autre re-
^ gard à Dieu ne aux hommes. Il tafchoit auiTi d'avoir grand
î»^ nombre de gens de guerre ôc les bien entretenir , non pas
a^ feulement pour refifter à fes ennemis ôc les opprefler , mais
» aufli pour tenir fes fujets en crainte ôc obeifTance , ôc mefme
=^ les Grands. Car pour l'imagination qu'il avoit contre eux: il
« entroit facilement en foubcon de plufieurs gens, ôc croyoit
MONSIEUR F. A. DE TIIOU. 85-
» légèrement aux rapporteurs. De forte que bien fouventrans
« grands indices il faifoit prendre ôc gehenner plufieurs gens
3' tant nobles qu'autres , Ôc quelquefois , comme l'on dit ,
»' mourir. Donc puis après eftant adverty de leur innocence,
» fe repentoit ôc tafchoit l'amender en quelque façon. Et s'il
=> le commandoit chaudement , il avoit Triftan l'Hermite fon
M Prevoft des Marcfchaux , homme fans pitié qui l'exécutoic
« auiïi promptement j ôc n'y avoit de lui aucun appel j telle-
3' ment que l'on voyoit autour des lieux oii leditl Roy fe te-
3' noit , grand nombre de gens pendus aux arbres i ôc les pri-
w fons ôc maifons circonvoiïines pleines de prifonniers , lef-
» quels on oyoit de jour ôc de nui6t crier pour les tourmens
^' qu'on leur faifoit, fans ceux qui eiloient fecretement jettes
a^ en la rivière. »
Et en un autre lieu Seiflel dit page 93.
« Sa dévotion fembloit plus fuperilitieufe que religieu-*
« fe : car à quelque image ou Eglife de Dieu , ou des
« Saints , ôc mefme de Noftre - Dame qu'il entendift que le
3> peuple euft dévotion , ôc où fe fifl: des miracles , il y alloic
o» faire fes offrandes. Il avoit au furpîusfon chapeau tout plein
o> d'images , la plufpart de plombou d'eftain, lefquellesà tout
35 propos quand il lui venoit quelques nouvelles bonnes oiî
^ mauvaifes , ou que fa fantailie lui prenoit , il baifoit j fe
M ruant à genoux quelque part qu'il fe trouvafl: , fi foudaine-
y> ment quelquesfois qu'il fembloit plus blefi'é d'entendement
que fage homme : ôc s'il fçavoit quelque^ homme que l'on
eftimaft de fainde vie, il tafchoit de l'avoir en quelque pays
qu'il fufl: , ôc quoi qu'il lui couftafî:. Ainft qu'il fit de frère
Francifque de Paule, qui fonda l'Ordre des Minimes , le-
» quel à grande difficulté il fit venir de Calabre i efperantpar
» fes prières Ôc mérites obtenir fanté. »
Et en un autre lieu p. py.
»c Et bien fe déclara évidemment la crainte qu'il avoit de
0^ fes fubje£ls , quand il ouït dire que le Duc Galeas Sforze
M avoit efté occis en la Cité de IVÎilan en jour de fefle , ôc en
« l'Egîife. Car U creufi: la garde autour de fa perfonne , ôc dé-
=5 fendoit qu'on ne laiffaft homme approcher de lui j ôc fi au-
=5 cun s'en efforçoit, commandoit qu'on le tuaft. Et outre plus
:>y faifoit porter par un auprès lui un efpieu , poux foi défendis
î L iij
W)
03
26 MEMOIRES POUR JUSTIFIER
« de qui le voudroit outrager , lequel après qu'il eftoit en fa
» chambre tenoit au chevet de fon Ii£t : Ôc véritablement il ap-
M parut bien à fa mort s'il eftoit haï ou aimé. Car là où tou«
9> tes fortes de gens s'en resjouiiïbient , bien peu y en eut qui
9» en fuflent marris, non pas mefmes de fes ferviteurs , êc de
p> ceux aufquels il avoit faid de grands biens. Et plufieurs cho-
« fes qu'il avoit faides ôc ordonnées en fon vivant , furent par
?î ordonnance des Eftats , Ôc par arrefts des Parlemens revo-
sî quées comme tortionaires ôc tyranniques , enfemble ce qui
w en eftoit enfuivi. Et des Miniftres dont il ufoit pour exécu*
3' ter fes volontez , les uns furent condamnez à mourir , les
93 autres à amendes pécuniaires î ôc plus grand nombre y en
s> euft eu de punis fi la mort ne les en euft exemptez. «
La feverité de ce Roy ôc la terreur qu'il avoit donnée à
tous fes fubjeds, principalement fur les dernières années de fon
règne > furent fi grandes que les Officiers fouverains n'avoient
nulle fondion libre. Les gens du Roy du Parlement de Paris
en l'année 1470 firent une oppofition générale aux dons im-
menfes de fon domaine , qu'il faifoit fans aucun choix , com-
me auffi de plufieurs droits, terres ôcfeigneuries qui lui étoient
acquifes par confifcation ou autrement. Ils firent cefte oppofi-
tion en fecret crainte que le Roy en fuft adverti; ôc en l'an-
née 1474 la Court ordonna que tous ces dons ôc afienations
feroient fans préjudice de cefte oppofition, ôc depuis arreftde
Fan 1477 par lequel en continuant les premières refolutions ,
& fur les conclurions du Procureur General , il fut dit que
les expéditions defdits dons ôc celles qui fe feroient à l'adve-
venir de l'aliénation du domaine royal , feroient fans préjudi-
ce de cette oppofition , ôc ordonné que le GreflSer tiendroit
un regiftre ferré de ces dons ôc ces aliénations pour n'eftre com-
muniqué à perfonne, craignans la colère du Roy,
Il fe trouve encores en la Chambre des Comptes deux Re-
giftres remplis de ces profufions ôc dons des terres domania-
les qui lui appartenoient^ tant par confifcation des biens de
ceux qui avoient fuivi le Duc de Bourgogne , que autrement?
ôc auffi des Lettres de cachet de ce Roy pleines de mena-
ces ôc paroles fafcheufes contre fes officiers qui rejettoient tel-
les difîipations du Domaine. Ces oppofitious ôc ces arrefts eu-
j-ent tel effed , que du règne de Louis XII le Procureui;
MONSIEUR F. A. DE THOU. Sy
General s'en fervit fort à propos & utiiementj pour la confer-
vation du Domaine en l'affaire de Nemours.
Cecy fert pour monftrer le dérèglement des adions de ce
Roy 3 combien peu l'on a confideré fes Ordonnances, com-
me de fon vivant mefme elles ont efté improuvées j Ôc parles
officiers principaux, nonobftant les violences 6c traitements
injurieux qu'il exerçoit fur eux. Ce qui doit apporter une gran-
de confufion à ceux qui ont rempli ces mefmes charges ers
ce dernier fiecle, de n'avoir pas en un temps auffi falcheux ôc
miferabie faid la moindre oppofition à tant ôc tant d'injuftes
entreprifes fur les droits de la Couronne , ôc à tant de barba-
res actions qui ont travaillé cet Eftat ôc les gens de bien; au
contraire , ont abandonné à yeux clos le public ôc leur hon-
neur. Voilà ce que Ton peut remarquer du vivant du Roy
Louis XI.
Par ce qulefl: did cy-defiusl'on voit clairement Ôc par bon$
ôc fidèles tefmoins quelle a efté la conduite de ce Roy, quelles
ont efté fes humeurs violentes, ôc de quelle forte il exécutoit
fes paflions contre toutes fortes de perfonnes , ôc cela fans par-
ler de fes abjesStes fuperftitions , plus foibles que ne fe peu-
vent imaginer , mais tousjours à quelques fin ; fans parler aufii
de fa vie privée ôc de fes adions envers la Reine fa femme
ôc fes enfans. Après cela a-t-il pu rien faire de bien réglé par
îa raifon ôc par l'équité ? Car qui voudra examiner de près fes
ordonnances, qui femblent avoir quelque ombre de juftice,
l'on y recognoiftra tousjours des motifs de vengeance, des in-
terefts injuftes, ôc des pièges pour furprendre les hommes : de
là le mefpris de fes loix , ôc la haine de tous les Ordres de foa
Royaume ', de là les conjurations fréquentes contre lui , ôc fes
défiances continuelles, ôc enfuite fes Ordonnancés injuftes
ôc cruelles.
Mais quand l'on confiderera ce qui fe pafîa après fa mort
fous le Roy Charles VIII fon fils ôc fon fucceffeur , qui eftoit
fous le gouvernement de Madame deBeaujeu fa fille, obligez
ce me femble à conferver îa mémoire de leur père î que peut-
on dire finon que ceux qui ont renouvelle cefte Ordonnance,
après tant d'années , font ignorans de noftre Hiftoire ôc mef-
chans ?
En la mefme année de la mort de Louis XI l'on affembla 1483
*■
SS MEMOIRES POUR JUSTIFIER
les Eftats du Royaume à Tours, pour ordonner du gouverne-
ment de l'Eftat, ôc donner ordre à une infinité de maux qui
avoient pris racine pendant la longue & miferable adminiflra-
tion de ce Roy. On reprefentaen cefte affemblée diverfes fortes
d'in juftices qui avoient durant le règne pafle affligé le peuple.
Pluiieurs Seigneurs fe prc Tentèrent pour eftre reftabiis en leurs
biens & en leurs charges , dont ils avoient efté defpouillez j
pour reformer ce qui regardoit la police , foit en la guerre ,
foit en lajuftice 5 bref, tout ce qui avoitreceu quelque attein-
te durant ce malheureux règne. Les Eftats demandèrent per-
pétuellement que ce qui avoit efté obfervé auparavant jufques
au Roy Charles VII inclulivement fuft reftabli , fans parler en
aucune façon des loix ôc des ordonnances qu'avolt faid Louis
XI. Voicy ce que porte l'article de leur cahier :
ce Item , ôc pour ce que les ordonnances des deffunds Rois
» ont efté très-mal gardées ôc obfervées, dontplufieurs Ôc quaft
" infinis inconveniens font advenus en ce Royaume , Dau-
tî phiné ôc pays adjacens , femble aufdirs Eftats eftre conve-
33 nable , Ôc requièrent que les Ordonnances fai6les parles Rois
» deffunds Philippes le Bel, le Roy Jean , Charles V ôc Char-
3» les VII ^ ôc les prédeceffeurs Rois de France, ôc par les
» Cours fouveraines , qu'en chacune contrée félon les loixôc
0» couftumes des contrées ôc pays foient maintenues ôc gar^
M dées, Ôc quelles foient leues ôc publiées es cours ôcjurifdic*
3j tions des baillifs ôc fenefchaux , ÔC autres juges qu'il appar-
tiendra chacun an une fois. «
« Item y ôc au temps pafTé quand un homme eftoit accufé,
» fuppofé que ce fuft à tort, il eftoit pendu : car là où il n'y
»» avoit information ni aucun droit requis en forme de droit,
0» il eftoit pris ôc appréhendé, ôc tranfporté, ôc mis hors de
05 fa juftice ordinaire entre les mains des Prevofts des Maref-»
»j chaux ou d'aucuns Commiffaires trouvez à pofte , ôc très fou-
» vent les accufateurs avoient dons des forfaiélures ou amen-
» dps, ôc avoient les procès à conduire comme Commifiai-
» res ôc juges, ôc s'ils n'eftoient Commiffaires, fi en avoient^
s» ils les Lettres expreffes pour eftre prefens avec les Juges à
3> faire leurs procès ôc de ce font enfuivis plufieurs injuftices. 0^
Voilà en peu de mots l'abolition générale des Ordonnan-
ces du Roy Louis XI , ôc par cgnfçquent de celle dont cft
queftion
MONSIEUR F. A. DE THOU: Sp
queftion -, abolition importante , faide meurement , & par une
grande délibération par une aflemblée légitime d'Eftats Gé-
néraux, qui a eu en telle abomination la mémoire de ce Prin-
ce , qu'il ne fut nomme dans pas un ade de celle aflemblée ,
que pour en faire perdre la mémoire, ôc pour détefter fes ac-
tions : ce qui eft il vrai que Seiflel Evefque de Marfeille a
efcrit en ces propres termes : « Que plufieurs chofes que Louis"
3> XI avoir faites & ordonnées, furent par Ordonnances des
0» Eftats ôc par Arrefts des Parlements , révoquées comme tor-
» tionnaires & tyranniques , enfemble en ce que s'en eft en-
o> fuivi. 35 Ces Eftats Généraux portèrent leurs penfées contre
la mémoire de ce Roy jufques à cefte extrémité , que par un
arrefté gênerai les ferviteurs ôc familiers du Roy Charles VII
furent recommandez au Roy Charles VIII , ôc pas un mot
en faveur de ceux de Louis XL Au contraire , ils dirent qu'il
y en avoir beaucoup de mcfchans , qui avoient recherché les
biens d'autruy ôc les conlifcations î demandèrent avec inftan-
ce qu'ils fuflent chaflez ôc n'euflentà approcher de faMajefté,
& qu'il eftoit neceffaire de pourvoir à leurs charges.
Et bien que Louis XI euft recommandé à (on fils , peu
avant que mourir j Olivier le Diable did le Dain fon barbier,
ôc Jean de Doyac gouverneur d'Auvergne, difant qu'il avoit
efté bien fervi d'eux; qu'Olivier lui avoit rendu de grands
fervices, ôc qu'il ne fuft rien de lui, porte i'Hiftoire fcan- page 325.
daleufe , fi n'euft efté ledi£l Olivier , qu'il euft à fe fervir de
lui , ôc qu'il lui confervaft biens Ôc offices qu'il lui avoit don-
nez j neantmoins ils furent l'un ôc l'autre peu après fa mort
condamnez par juftice ôc pendus à Paris.
Enfuite les Eftats déclarèrent les extrefmes defordres qui
eftoient en France pendant la vie de ce Roy , i'Eglife mifera-
ble 5 les éle£lions aux Prelatures abolies •■> les promotions aux
Evefchez faites par faveur à des perfonnes indignes i les biens
des Eglifes ufurpez ; la Nobleffe en mefpris ôc privée de ks
privilèges 5 les calomniateurs & délateurs avancez dans les prin-
cipales charges ôc recompenfez des biens des Innocens h les
partifans ôc donneurs d'advis en honneur ; les procès crimi-
nels commencez par l'exécution 3 le peuple opprimé par les
gens de guerre, ôc par les impofitions extraordinaires 5 en telle
lorte qu'il fuft dift en pleins Eftats qu'en plufieurs provinces
7 orne XV, f M
pô MEMOIRES POUR JUSTIFIER
du Royaume , les hommes , femmes , ôc enfans par faute de
beftes , labouroient à la charrue, ôc encores de nui£l à caufe
des commifTaires des tailles qui les couroient. Ils adjourterent
que le Roy recevoit par avance de ces CommifTaires les fom-
mes qu'ils exigeoient des peuples par toutes fortes de rigueurs.
11 fut remarqué dans les Provinces d'Anjou, ôc du Maine, ôc
pays Chartrain l'on avoit fait mourir par ordre du Roy envi-
ron cinq cens hommes , la plufpart innocens , pour raifon de
ces impofitions , ôc ordonnances.
Ces remarques fuffifent pour faire voir quel eftoit Louis XI
ôc en quelle eftime doivent eftre fes ordonnances.
IX. Moyens particuliers corare l'Ordonnance du Roy Louis Xî,
Quoique les moyens généraux contre cède Ordonnance
de Louis XI fur le crime de leze-Majefté , foient affez
futtilans pour en deftruire l'autorité, il faut neantmoins l'exa-
miner particulièrement,
La datte eft du 22 Décembre 1^77^ ôc la publication ÔC
regiftrement au Parlement eft du 5* jour de Novembre 14.79,
deux ans après qu'elle a efté faicle j marque certaine qu'elle
avoit efté rejettée par le Parlement durant un il long temps
pour fa trop grande feverité , pour n'en avoir eu jamais de pa-
reille , foit en France , foit ai leurs , mais enfin publiée com-
me il eft facile de conje£lurer , après beaucoup de violentes
pourfuitesdu Roy Louis XI.
Le Regiftre de la Cour où fe trouve enregiftrée cefte or-
donnance^ porte ces mots : Collatio faâa eft cum originali Re-
verendi M. Joannis receptoris emendarum Curi^. L'on ne peut
dire pourquoi l'original de cette ordonnance eftoit entre les
mains de ce receveur des amendes, pofTible comme une Or-
donnance abandonnée , regiftrée fans doute à la diligence de
quelque confident du Roy , de quelque confifcataire qui avoit
deffein d'opprimer un innocent pour avoir fon bien j ce qui
eftoit fort ordinaire durant ce règne.
Dans les diverfes compilations des Ordonnances de nos
Rois anciennes ou modernes , où l'on a conféré une infinité
qui ne s'obfervent plus, feulement pour fervir à PHiftoire ôc à
la curiofité , celle-cy ne fe trouve poiat , ôc neantmoins il y
■H
}j
MONSIEUR F. A. DE THOU. pf
en a beaucoup de Louis XI des années 1477, 147P, 1480,
148 1 ôc 1485 î qui faitl croire que celle-cy n'a efté nullement
confiderée , non pas mefme pour la feule curiofité t tenue donc
pour nulle, comme fai£te à la pourfuite ôc fuggeftion d'au-
cuns , le Roy non deuement adverti 3 qui font les termes dont
ufa ce mefme Roy lorfqu'il révoqua fon ordonnance de la def-
titution des officiers hors des cas de mort ôc de forfaidure.
Tout ce qui fe voit en public de cette ordonnance avant ce
procès, fe trouve dans le Code de Henri lîl, qui n'eft qu'un
fimple extraidl, altéré en quelque çhofe , deftitué de fes motifs,
èc delà préface de la loi. La datte mefme de Penregiftrement
n'efi: pas , ce qui euft polTible donné fujet à quelques juges de
faire les réflexions telles qui fe peuvent faire fur celle circonf-
tance. Ce Code Henry de nulle autorité , ne peut faire foi ,
ne doit eftre allégué , ôc ne i'eft pas mefme en aucune jullice
ordinaire de France. Recours aux Lettres patentes du Roy
Henry III qui fervent de préface à ce Code,parlefquellesS. M.
fufpend l'autorité de cette compilation , jufques à ce qu'elle ait
efté examinée par les Parlemens ; ce qui n'a point efté fai£t.
Il y a mefnies dans ce Code un très-grand nombre d'articles de
l'invention du Prelldent Briflbn , autheur de cefte compilanon,
qui n'ont jamais efté inferez dans aucune ordonnance , mais
qu'il entendoit faire paffer pour ordonnance, en cas que fon
Code fuft authorifé par le Roy. Et ainfi cet Extrait n'a deu
eftre fuivi par ces Commiffaires avant que d'avoir veu l'origi-
nal , qui n'a efté veu qu'après leur retour à Paris '•> ce qu'ils ne
peuvent dire? ôc celafert pour monftrer la précipitation dont
on a ufé pour juger ce procès pour faire périr une perfonne
innocente.
L'Ordonnance dont eft queftionreprefente en fa préface l'i-
mage du règne de Louis XI , agité de diverfes confpirations,
ôc Dieu fçait qui en eftoit la caufe ; l'on la cognoift allez dans
ces Mémoires. Elle ordonne donc que dorefnavant ceux qui
fçauront ou auront cognoiffance de quelque confpiration con-
tre le Roy, la Reine, le Dauphin, ôc fEftat , feront tenus
(ôc reputez criminels de leze- Majefté , ôc punis de femblables
peines que les principaux autheurs, confpirateurs ôc conduâeuis
defdits crimes , s'ils ne les révèlent ou envoient révéler au Roy
ou à fes principaux Juges & Officiers de Pays oti ils feront^
5Mii
p2 MEMOIRES POUR JUSTIFIER
îe pîuftofi; que poiïible leur femblera , après qu'ils en auront eCi
cognoifTance ; auquel cas, ôc quand ainfi le révéleront^ ils ne
feront en aucun danger de punition defdits crimes , mais fe-
ront dignes de rémunération : toutesfois en autres chofes le-
did Roy veult que les autres Loix Ôc ordonnances des Rois
fes prédecefTeurs, ou qui de droit font introduites, ôc lesufa-
ges anciens obfervez en ce Royaume , demeurent en leur for-
ce & vertu.
Celle ordonnance de vérité femble claire , & très-fevere ;
pour ne pas dire injufte , fent tout-à-fait l'efprit du Legilla-
teur, eft unique en fon efpece ; la fage antiquité Grecque ou
Latine n'en a point de pareilles aucun Roy de France, foit
avant , foit après Louis XI , n'a rien publié de tel , au contraire
celle matière quoique chatouilleufe Ôc importante , n'a point
efté portée fi avant ôc jufques à cet excès, excès vicieux qui
trahit la nature qui nous a donné le fens de fouie dont la fonc-
tion eft forcée, extrémité contraire à l'ufage de ce Royaume,
contraire à toutes les Loix divines ôc humaines, ôc qui don-
ne l'audace aux Tyrans ôc aux Miniftres furieux de faire agir
comme bourreaux les Commiffaires contre toutes fortes de
perfonnes.
Maiscefte loiquoiqu'inhumaine ôc barbare ,adjoufte un mot
qui fert de correctif, qui femble deftruire tout le fondement
de nos Commiffaires , rend la loi vaine ôc fans effetl ; elle
porte ces mots : « Ceux qui auront fceu quelque confpira-
w tion , feront punis de mefme peine que les principaux au-
» theurs , s'ils ne la révèlent à nous ou à nos principaux juges
a> des pays où ils feront, le pluftoft que poffible leur femblera,
o> après qu'ils en auront eu cognoiflance. ^^ L'ordonnance a
voulu qu'il fuft en l'arbitre de celui qui fçavoit une conjura-
tion de juger quand il lui femblera poiïible de la révéler, ÔC
ce mot pojfible fe doit expliquer en plufieurs manières , ôc à
l'advantage de l'accufé , s'il fa pu en fauvant fon honneur ôc
fa vie , s'il l'a pu faire n'ayant des preuves alfez fortes pour
convaincre les autheurs de la confpiration , s'il a eu le temps
de le pouvoir faire. Car qui peut douter que celui qui fans
preuve accufe le frère d'un Roy , ôc un confident du Roy ,
ne foit en un manifcfte péril de la vie^ foit par voye de droit,
foit par voye de fai£tf Au refte, peut-on appeller Loi ceile-cy
MONSIEUR F. A. DE THOU. ^^
qui dépend entièrement de la volonté de ceux contre qui elle
eft fai6le, ne plus ne moins qu'une obligation ne fe peut dire tella
qui dépend de la volonté d'autruy de celui qui la doibt.
Ainli cefte Ordonnance qui a fervi de fondement à une (î
haute injuftice, eft inique, eft nulle, eft ridicule, nepeuteftre
appellée Loi. Auiïi depuis le temps qu'elle a eftéfaide n'a efté
mife en ufage , n'a pas efté alléguée , eft demeurée enfevelie avec
une infinité d'aâes imparfaits ôc inutiles. AufTi autant de fois
que nos Rois ont fai(Sldes ordonnances pour reprimer les confpi-
radons Ôc le crime de leze-MajeftéJoità larequifidon des Eftats
Généraux, foit pour remédier aux mauxpreffans qui travailloient
leur Eftats > n'ont fai£t nulle reflexion fur cette loi, ne l'ont
jamais cottée , n'ont rien ordonné fur cette flmple fcience.
Le Roy François I en Aouft i^3p eftant à Villiers Cofte-
rets , ordonna que ceux qui auront aucune chofe confpiré, ma-
chiné, ou entrepris contre fa perfonne, fes enfans , ôc fa pof-
terité , ou contre l'Eftat , feront eftroitement & rigoureufement
punis tant en leurs perfonnes qu'en leurs biens , tellement que
ce foit chofe exemplaire à tousjours.
L'Ordonnance de Blois de l'an lyyp regiftrée au Parle-
ment Fan 1580, fai£le fur les plaintes des ^.ftats du Royau-
me , porte ces mots en l'article 183 : « Nou^ faifons très-eftroi-
oî tes inhibitions ôc deffenfes à toutes perfonnes de quelque
» eftat , autorité , qualité, ôc condition qu'elles foient, fans nul
s» excepter , de dorefnavant entrer en aucune affociation , in-
» telligence , participation , ou Hgue offenfive ôc delFenfive
» avec Princes, Potentats, Republiques, Communautez, de-
35 dans ou dehors le Royaume, direâement ou indirectement,
sî par eux ou par perfonnes interpofées , verbalement ou pac
85 efcrit, faire aucune levée de gens de guerre fans noftre ex-
S5 preffe permifFion, congé , ôc licence 5 ôc déclarons tous ceux
35 qui foubfleveronttant que d'y contrevenir, criminels de leze-
05 Majefté , ôc proditeurs de leurs patrie , incapables Ôc indi-
e> gnes eux ôc leur pofterité , de tous Eftats , oiîices , tiltres ;
35 honneurs j privilèges, ôc de tous autres droits , ôc en outre
S5 leurs vies ôc bien confifquez^ fans que lefdi£tes peines leur
s> puiffent eftre jamais remifes à i'advenir par Lettres ou au-
sî trement, en quelque manière que ce foit. »
Cet article ne contient rien de femblable à l'ordonnance
JMiij
p^ MEMOIRES POUR JUSTIFIER
de Louis XI, ne comprend que les autheurs des confpiratîons;
ne parle point de ceux qui les auront fimplement fceues,bien
loin de les condamner comme les principaux de la conjura^
tion j preuve certaine que les Eftats Généraux ont improuve
cefte ordonnance de Louis XI , l'ont abrogée par cet article
qui n'ordonne rien de pareil en cas femblabîe , ôc fur lequel
ils doivent ordonner la mefme chofe la trouvant jufte.
En l'afTemblée des Notables du Royaume tenue à Saint
Germain l'an 1583, qui fut afTez célèbre j compofée qu'elle
eftoit d'un grand nombre de perfonnes graves pourveues des
premières dignitez du Royaume , le Roy propofa plufieurs
chapitres , entres autres celui dont le titre eft tel :
« Articles des crimes ôc forfaicls qui fe commettent contre
35 la Majefté du Roy , dont il eft befoin de rafraifchir la me-
s> moire; lefquels comme ils ne reçoivent doute quelconque,
3' auiïi n'entend fa Majefté les mettre en difpute , mais feule-
0' ment les propofer pour avoir l'advis de la forme de l'exe-.
s» cution d'iceux, tant pour le palTé que pour l'advenir.
« Ardcle I. Tous fuje£ts ôc vaflaux du Roy de quelque
8' eftat , qualité , ôc condition qu'ils foient, entreprenans , con-
s' jurans, Ôc attentans contre laperfonne, majefté, ôc autorité
o> du Roy ôc de fon Eftat , ôc s'eflevans en armes contre fes
35 commandemens , font coulpables ôc criminels de leze-Ma-
33 jefté au premier chef. «
" Article IL Pareil crime commettent ceux qui ayans afiifté
wà telles confpirations ôc machinations, ne le viennent révéler
s> ôc dénoncer. Le crime de prodition , ôc trahifon , ôc de re-
sîdu6lion des villes ôc places à l'ennemi^ eft crime de leze-
s» Majefté au premier chef. "
Le Roy ôc ceux de fon confeil qui drefferent ces articles de
fa part , ont , ou ignoré l'Ordonnance de Louis XI, ce qui n'eft
pas vraifemblable 5 ou la fçachant l'ont jugée inique, puis qu'ils
n'ont pas mis entre les crimes de leze - Majefté le cas de la
fimple fcience fans participation , compris en cefte Ordon-;
nance.
Les Notables qui eftoient en cefte aftemblée, qui avoient
bien autant de cognoiflance de la juftice que ces CommifTai-
res , donnans advis au Roy fur ces Articles ; uferent de çe§
termes:
MONSIEUR F. A. DE THOU. pf
« Et partant il femble que ces Articles de la Loi de leze-
8' Majefté que vous propofez maintenant, Sire, de renouvel-
^ 1er , feront univerfellement receus Ôc approuvez de tous, pour
» ce que les mefchans auront honte de s'oppofer à chofe fi
*' convenable à l'homme , fi propre au Chreftien , ôc fi natu-
»' relie aux François j & les gens de bien feront très - contents
3^ de voir raffraichir publiquement la mémoire de ce qu'ils ap-
3' prennent ôc obfervent par une inclination née avec eux , ôc
« qui eft tirée des anciennes Ordonnances de France , con*
o^fervée par l'ufage commun de ce Royaume. Or, Sire, corn-
to me ces Loix font fans aucune doute , aufii n'a ce pas efté
a' voflre intention de mettre en délibération leur valeur ôc leur
« autorité , ôc pour ce n'en difcourerons rien davantage fur
s'icelles, comme eftant chofe que nous penfons avoir efté de
3' long-temps ordonnée ôc obfervée. «
Et plus bas : « Et ne fe pourroient tels criminels plaindre de
»> cette Ordonnance , parce qu'elle n'apporte rien d'augmen-
S5 ration de peine, ni n'ordonne rien de nouveau. Car ils ne fe-
« ront pas moins coulpables ôc puniflables, quand cette Ordon-
35 nence ne fe feroit maintenant , parce que c'eft une loi ancien-
« ne qui n'a jamais efté mife hors d'ufage. «
i Cefte Afiemblée des plus notables du Royaume n'a fai£l
nulle reflexion fur noftrc Ordonnance ; ils la tenoient inique,
non jamais obfervé, puifqu'ils eftendent feulement le crime de
leze-Majefté contre ceux qui entreprennent, confpirent, ôc
attentent contre la perfonne du Roy , fon authorité , ôc fon
Eftat , ôç ceux qui affifteront aufdidtes confpirations, ôc non plus
avant.
L'article po de TEdit non publié, fai£l ôc fcellé au mois de
Juillet 1 5i8 , envoyé au Parlement pour l'examiner, drefle fur
les cahiers des Eftats tenus à Paris l'an 1(^15" , ôc fur ceux de
i'afiemblée des Notables tenue à Rouen l'an 1^17, porte ces
mots :
« Deffendons à tous nos fuje£ls d'avoir afibciation, intelli-
59gence, ou ligue avec aucuns Princes ou Potentats eftrangers,
o> foubs quelque prétexte que ce foit , foubs les peines portées
3' par le 183 article de l'Ordonnance de Blois, laquelle nous
^'Voons eftreeftroitement gardée ôc obfervée. ^'
En l'Aflemblée des Notables tenue à Paris es années 1626
S^â MEMOIRES POUR JUSTIFIER
Ôc 162J , il fut fai£t quelques propofitions de la part du Roy,
pour réprimer avec feverité les fadions qui fe pourroient for-
mer contre l'Eftat : TAflemblée fut bien de cet advis î -mais
il ne fut point parlé que la fimple fciencefuftun crime de leze-
Majefté , au contraire il fut dit , que l'inobfervation des Loix
eftoit la caufe des plus grands defordres ; que pour eftre leur
feverité trop grande , le plus fouvent elles ne s'executoient
point du tout , ainfi les crimes ôc les fa£lions demeuroient im-
punis j qu'il fembloit plus expédient d'impofer des peines plus
douces , Ôc les faire exécuter fur le champ fans modération ;
que de demeurer dans l'aufterité des premières , aufquelles tour
tesfois l'on n'entend pas déroger.
Voilà quelles font les Ordonnances de ce Royaume depuis
le Roy Louis XI, contre les criminels de leze-Majefté j en
quoi confifte ce crime , ôc qui font ceux qui le commettent ;
où il n'eft parlé un feul mot de la fimple fcience telle qu'efl:
celle dont il eft à prefentqueftion, fcience nuëôc très-fimple>
apprife fortuitement par un pafTant , fcience fans dol , fans au-
cune participation des particularitez du Traidé , n'en ayant au-
cune information qui pût rendre fon accufation véritable.
Si cette Ordonnance de Louis XI , qui promet recompenfe
à la fin du difpofitif à ceux qui révéleront^ euft ofté la crainte de
la peine du calomniateur, il y auroit apparence de faire encou-
rir la peine de l'Ordonnance par celui qui auroit appris la conf-
piration d'un feul homme , puifqu'il l'avoit pu faire impuné-
ment : mais tant s'en faut que cela foit , qu'au contraire par un
terme taxatif, l'ordonnance dit : « Toutesfois qu'elle veuît que
3s les anciennes loix ôc ufages gardez ôc obfervez en ce Royau-
S5 me , demeurent en leur force ôc vertu , ^^ c'eft à dire > que
le calomniateur ou le dénonciateur , qui ne prouvera par con^
vidion , ôc par des indices très manifelles , qu'il fuccombera
aux peines de la loi. Nous en avons d'anciens exemples , mais
un nouveau très formel du fieur de G. lequel ayant accufé un
Prince d'un crime très attroce contre la perfonne du Roy , ôc
ne l'ayant pu prouver ^ fut condamné à mort, ôc exécuté par
arrell du Parlement de Paris du 4 06lobre i<5i7 : exemple
d'autant plus confiderable , qu'il ell récent dans la mémoire
de tous les courtifans j l'affaire ayant efçlaté dans Paris ^ ôc à
la face de toute Ja Court,
MONSIEUR F. A. DE THOU. pj
Il faut neantmoins confiderer la claufe de cefte Ordonnan-
ce tirée de la Loi Ouifquis C. ad Legem Juliam Majejlatis mal
entendue, qui porte que ceux qui révéleront leur fimple fcien-
ce ne feront en aucun danger de la vie , au contraire feront
dignes de rémunération.
Un ancien a fort bien dit , « S'il fuffit d'accufer , qui fera
»> innocent? » Si cette Ordonnance a lieu , l'on peut dire ,
S'il fuffit d'accufer avec efperance de recompenfe , beaucoup
de louange & de gloire, qui peut eftre en feureté de la vie ?
Unmiferable, un idiot, un foible , un mefchant , corrompus
par l'efperance d'une recompenfe , induits ôc forcez par l'au-
torité d'un Miniftre puiffant , ou par le defir immodéré de fe
venger , ôc pour fatisfaire à quelque violente palTion , peuvent
perdre qui bon leur femblera » garentis qu'ils feront de la peine,
exempts de prouver leur accufation, ôc affeurez d'eftre bienre-
compenfez.
Que ne peut produire une loi fi pernicieufe > qui favorifc
manifeftement la calomnie ôc les calomniateurs , pervertit la
focieté civile, donne lieu aux perfidies, ôc à toutes fortes de
defloyautez ?
Doncques une Ordonnance de cefte nature, fi inique Ôc
injufte , qui n'a point eft confiderée depuis qu'elle a efté faide,
qui n'a pas efté obfervée jufques à prefent en aucun cas , qui
a efté eftouflfée à fa naifiance , qui n'a efté imprimée en au-
cune compilation des Edi6ts Ôc Ordonnances, qui eft aujour-
d'huy la vraye publication ; après i^y ans Ton la faid revivre
pour opprimer une perfonne innocente , non par la voye or-
dinaire d'une Juftice réglée , mais par des Commifi^aires choi-
fis dans un grand nombre de mefchans juges , que la longue ,
miferable ôc tyrannique domination du Cardinal de Richelieu
avoir eflevez à la ruine ôc defolation du public , ôc à l'oppref-
fion des gens de bien.
L'Empereur Trajan bon ôc fage Prince, confuké par Pline
le jeune fon Confeiller corifident fur l'obfervation d'une cer-
taine loy qui n'eftoit plus en ufage , lui refpondit qu'il avoit
grande laifon de faire reflexion fur l'autorité de la Loy , ôc fur
la longue couftume obfervée contre la loi , qu'il vouloir pour
ne pas troubler le public que l'on ne travaillaft perfonne pour
ks chofes paflees , mais qu'à l'advenir la loy fuft obfervée
Tome XV. ' ^ N
p^ MEMOIRES POUR JUSTIFIER
exatlement ôc fans aucune connivence. Refponf^ certainement
très fage ôc très prudente , ôc qui devoir eftre bien confiderée
en cefte occurrence par de bons ôc fages Juges , qui eufTent
reprefentéau Roy qu'il n'eftoit pas jufîe , au contraire très ini-
que , de tromper ainfi le public ôc les particuliers , en faifant
revivre une loy abrogée par un confentement fi gênerai ôc fi
ancien , ôc par tant d'importantes confiderations ; qu'il étoit
befoin, voire très neceflaire de faire fçavoir l'intention du Roy
en ce points de la faire voir en public avec commandement
exprès à toutes fortes de Juges d'y obéir 3 ôc celle répétition ôc
renouvellement de cefte ordonnance euft eu force pour i'adr
venir feulement : ce qui fouvent a efté faid à Rome.
Les bons Juges , c'eft à dire, les Juges ordinaires, nefe fer-
vent point des Ordonnances pour furprendre les hommes; ils
confiderent les temps qu'elles ont efté produites , fi elles ont
efté obfervées , s'il eft important pour le bien du public ôc des
particuliers qu'elles foient exécutées, ôc cela en toutes matiè-
res , en toutes fortes d'affaires de petite ôc grande importance,
d'Eftat , beneficiales , de juftice , de formalitez ; n'ont jamais
condamné les contrevenans , ont confideré l'inobfervance de
ces Ordonnances , ont faid eftat de les faire obferver , pour-
veu qu'il pleuft au Roy , ôc faire fçavoir de nouveau fa volonté
à fes peuples ; bien loin de faire perdre la vie ôc l'honneur à
des gens de bien par le moyen d'une vieille Ordonnance non
jamais obfervée. Les Regiftres des Parlemens ôc du Grand
Confeil font remplis de ces exemples. Les principales mar-
ques de l'abrogation d'une Loy fe trouvent expreffement en
celle-cy. Premièrement j parl'ufage contraire , non feulement
dans l'Eftat du Prince qui a faid la loy , mais aux autres pays
Toifins j ce que Ton fera voir par un bon nombre d'exemples.
En fécond lieu , par la rigueur extraordinaire ôc injufte de
eefte loi efcrite avec du fang , comme les loix de ce Legif-
îateur d'Athènes , qui fe trouvèrent pour cefte caufe du tout
abolies, non par un décret exprès ôc déterminé , mais par un
tacite confentement de ces peuples. Et enfin par les ineonve-
niens qui peuvent fuivre l'exécution de cette loi en l'oppref-
fion des innocens , ôc en l'obligation qu'auront à fadvenir
les conjurez , de fe tenir plus couverts en leurs deifeins.
Et certes ceux qui veulent introduire cefte forte de barbare
JVÎONSIEUR F. A. DE THOU. 99
injuftice, ne font point de diftin£lion entre le cas fortuit, en-
tre celui qui a refolu un mefchant a£le , & celui qui l'a ap-
pris contre fa volonté. Ceft faire injure à Dieu autheur de
la nature ; qui a donné à l'homme l'organe de l'ouïe tousjours
ouverte, ôc qui n'eft pas en fon pouvoir de la fermer & ou-
vrir comme les yeux 6c le bouche 5 6c c'eft pofTible ce fens-
là feul dont nous ne nous pouvons pas empefcher l'ufage
quand nous voulons. Le fiege de ce fens en Thomme , eftant
comme une maifon fans porte qui y reçoit ceux qui y veu-
lent entrer.
Cette loi donc envieillie , abrogée , morte à fa naiffance ,
n'a efté mife en jeu ni publiée que pour couper la gorge à un
innocent. Le Cardinal s'en eft fervi pour aflbuvir ik rage 5 6c
par le confeil de fon confelfeur , DoÔeur fanguinaire , il a efté
affeuré qu'il pouvoir en bonne ccnfcience , ( comme s'il en
euft eu une ) voir tous les commiffaires 6c leur recommander
la caufe du Roy , puifqu'il y avoit une Ordonnance qui la fa^
vorifoit : confeil fi pon£luellement exécuté que tous les Com-
miffaires furent l'un après l'autre , les uns jufques à cinq fois ,
trouver le Cardinal la veille du jugement, qui leur comman-
da ce qu'il vouloir eftre faid.
X. Conftderations JiîY la trop granâe rigueur d'aucunes Ordonnan-
ces t <& ce qui ejî à propos d'ejire obfervé en ce cas par les
Juges,
ILeft très afleuré quelesCommiffaires n^ont point veu l'Ordon-
nance de Louis XI entière , que depuis leur retour à Pa-
ris : ils Font fuivie 6c exécutée , fans l'examiner , fur l'extraiÊI:
tiré du Code de Henry, livre de nulle autorité.
Mais pofons le cas qu'ils l'ayent veuë , ôc qu'ils en ayent
confideré les circonftances 6c les fuites , il eftoit de la pruden-
ce d'un bon ôc fage confeil de s'oppofer par la raifon 6c par
l'équité à cet ordre rigoureux, à cefte loi abfoîuë , aveugle
certes en ce point ôc très redoutable, mife entre les mains de
Juges ignorans ôc furieux , maispropofée à de bons Juges à des
Juges ordinaires , euft efté tempérée par une équité naturelle >
ôcpar la cognoifTance particulière du faid qui fe propofoir.
La loi de vérité eft ce qui eft contenu en l'efcrit , mais il
'^Nij
loo MJEMOIRES POUR JUSTIFIER
ne comprend pas toutes les efpeces des faiûs qoi peuvent arri-
ver. Ce défaut eft fuppléé par l'équité , qui ajoufte à la loi la
bonté du Droit de nature, pour déclarer ou modérer la vraye
intention du Legiflateur. Ce Droit n'efl: autre chofe que la
raifon que Dieu a empreinte à tous les efprits des hommes ,
qui commande de faire les chofes vertueufes ^ ôc fuir ce qui
leur eft oppofé.
En confequence de cefte vérité l'on a tousjours detefté cefte
tyrrannique ciefinition de la Loi , qui porte que ce qui plaift
au Prince, ou ce qui lui eft utile , eft le Droit ôcla Loi, en-
core qu'il répugne au Droit de Nature ; c'eft là la faufle opi-
nion des Tyrans qui n^ont autre Loi que leur volonté, ni moyen
de la faire garder que la force. Audi quand les anciens ont
donné la définition du Droit , ils n'ont pas dit que c'eftoitun
art d*une Loi efcrite , mais un art d'équité Ôc de bonté.
Il faut donc que les bonnes Loix naiflent du Droit de na-
ture > qui a cet effe£t que de produire l'équité qui eft la cor-
reélion de la Loi , qui nous enfeigne de fuppîéer à la loi efcrite
& faire ce que l'autheur de la loi euft faiâ: s'il euft penfé aux
cas qui pouvoient arriver , ôc euft tellement déclaré ce qui eft
obmis ou trop dur en fa loi , que l'effed euft efté pour le fa-
iut du public.
Qui voudroit autrement ufer de la Loi aux cas où elle dok
eftre tempérée , ce feroit une pure calomnie , une manifefte
tromperie , faite fous prétexte des mots de la Loi j ce feroit
une fouveraine injuftice , une pure tyrannie : ôc certes ceux
qui fe fervent des Loix de cette forte , ôc qui s'attachent ef-
troitement à leurs paroles , font de vrais calomniateurs , font
des fycophantes , font des fophiftes ôc declamateurs.
Cefte équité naturelle tant recommandée dans les jugemens
par les plus grands politiques de l'Antiquité , à cefte force que
de corriger la loi pour fervir à la chofe publique ; c'eft une
modération de la Loi , une voye du milieu ^ par le moyen de
laquelle nous efvitons la trop grande douceur ôc l'exceffive
rigueur : à celle-là , nous y fommes portez d'ordinaire par la
faveur Ôc la grâce i à l'autre , la haine ou le defir de plaire à
un tyran y forcent les juges mefchans , avares ôc ambitieux.
Les exemples n'en ont efté que trop frequens en ce derniei
fiecle tout à fai^i: cruel ôc fanguinaire. -
.MONSIEUR F. A. DE THOU, Ioï
Auiïi les Empereurs Conftantin ôc Licinius ont fort bien
dit, qu'en toutes chofes , ils difent en toutes , l'on doit avoir
efgard pluftoft à la juftice & à l'équité qu'à la rigueur du Droit
appeilée Droit eftroit, qui eft pour en dire la vérité ne plus ne
moins qu'un corps fans lang ôc fans ame, inutile à tout,com*
me la loi deftituée d'équité eft la defolation de la chofe publi*
que , ôc la ruine des Eftats.
C'eft ce qui a fai6t blafmer le Legiflateur Charondas ,pour
avoir ordonné que les Juges n'euffent à fe defpartir pour quel-
que fai£t que ce fuft des termes précis de fes Loix. Les Char-
latans ôc les Empiriques en font ainfi , qui n'ont qu'une dro-
gue pour toutes fortes de maladies. Quelle ineptie de s'ima*
giner qu'une Ci grande diverfité de faids ôc d'accidens qui ar-
rivent dans le monde puifTent eftre décidez par une feule loi,
& qu'il ne foit neceflfaire d'y apporter des confiderations qui
obligent les bons Juges à fuivre l'équité qui refulte des fai6ts
particuliers ?
Un ancien a fort bien di£l , qu'il falloir en la punition des
crimes diminuer ou augmenter les peines par la qualité des cir-
conftances, qu'il falloit confiderer la caufe,les perfonnes,le
temps , l'événement 5 ce qui vient des diverfitez ôc des efpe-
ces innombrables , autant que les vifages des hommes font dif-
ferens les uns des autres bien qu'ils foient compofez de mefr
mes parties.
Aulîî tous les grands Docteurs , Bartoîe mefmes , de l'auto*
rite duquel l'on fe fert pour juftifiercefte a6lion injufte, n'ont
point feint d'advertir les Juges que bien que par tous les fta-
ruts d'Italie il leur foit défendu de fe defpartir d'un feul point
de leurs Loix , ils n'y font point tellement obligez qu'il ne
leur foit permis, paflant par defTus cefte rigueur efcrite , de
donner une bénigne interprétation au ftatut étirée du fai6l par-
ticulier qu'ils ont à juger.
L'advertiffement que donne ce grand Chancelier aux Ju-
ges eft mémorable , de ne faire aucune adion contraire à eux-
mefmes, c'eft à dire, de ne rien faire que ce que doit faire
un homme de bien. Or le devoir d'un homme de bien eft de
garder une modération en tous les exercices de la vertu , prin-,
cipalement en la Juftice , qui confifte pour eftre parfaite à évi^
ter les deux extremitez , la cruauté ôc la mifericorde , comme
JNiij
îe)2 MEMOIRES POUR JUSTIFIER
cllans l'une & l'autre la ruine de la focieté civile.
11 eft bien vrai que l'autorité de modérer ou expliquer les
Loix dépend proprement du Souverain. L'ordre ancien vou-
ioit que fi les Loix eftoient obfcures ou trop dures pour les
faids qui fe prefentoient , que les Magiftrats & Gouverneurs
des Provinces en refcrivifient au Prince , qui mandoit ce qui
eftoit de fa volonté. Nos livres font pleins de cet ordre , ce
•qui a duré jufques à l'Empereur Juftinien , qui défendit à tous
Juges de ne plus référer au Prince les caufes des parties , pour
les grandes confufions qui en arrivoient , leur ordonnant de
faire droit ainfi qu'ils cognoiftroient jufte Ôc raifonnable. Cet
■ordre a eu lieu en toutes caufes civiles ôc criminelles.
Ceci neantmoins ne doit eftre entendu d'une licence de
juger félon le caprice des Juges. L'on ne va pas jufques à
cefte penfée extraordinaire. Pieuft à Dieu qu'au fiecle pailé ,
miferable & malheureux s'il en fuit jamais ^ les Commiifaires
êc les Juges plus autorifez euffent apporté autant de circonf-
pedion à fuivre les Ordonnances à la rigueur ! nous n'euf-
iîons pas tant fouffert d'injuftices & d'opprelfions publiques ôc
particulières. Les Loix n'ont fervi que de piège ôc de pré-
texte pour furprendre les innocens ', ôc tout ce qui fe peut
imaginer d'injufte ôc de violent a efté foigneufement exécuté
par ceux mefmes qui font prepofez pour tenir la main à faire
obferver les Ordonnances : tant ils ont pris de peine d'obéir
aveuglement aux volontez ôc à la paflîon violente d'un feui
homme cruel Ôc barbare l
XI. Si celui qui Jfaitfimplement une conjuration contre PE/lat &
ne la révèle , ejî punijjable de mejme peine que Pautheur de la con^
juration. U opinion de Bartole , qui a tmu V affirmative , efl exa^
minée & réfutée , avec les lieux de quelques Doreurs qui ont
tenu Padvis contraire.
'On dira qu'il efl inutile de traiâ:er en France la Queftion;
^Si la fimple fcience en matière de crime d'Ellat, eft un
crime de leze-Majellé 5 puifque l'on a l'Ordonnance du Roy
Louis XI/ qu'on prétend avoir décidé ce point. Neantmoins
ce que nous avons remarqué contre cette Ordonnance fera
polfibletrouvéû fort ôc fi çonilderable, ^ue l'on jugera à projpos
^MONSIEUR F. A. DE THOU. ïoj
de voir ce que les Do£leurs ont penfé fur cette quefiion ,
foit qu'ils ayent tenu l'affirmative , que la fimple fcience fuft
criminelle, & puniiTable de mort 5 foit qu'ils ayent elle de con-
traire ad vis.
Bartole eft le premier Doâeur ôc le plus célèbre qui a tenu
que la fimple fcience non révélée eftoit puniflable de mort.
V oici comme il en parle fur la loi 6* D. de leg. Pompeia de
Parricidiis , n''. 5.
« Item dicitîir quod hic confiius tenetur de parricidio , contra >
» qtùa de fcientîafola quis non débet puniri. L culpa caret de Re^uL
^■yjuris. C. non ejl fine culpa de Reg. jur, in 6°. Glof hujus timoré
0» dicit hic , confcii fubatidi & participes j & mhtl ail egat, forte mot a
» eft per illud quod net. in aliis legtb. Contra hanc Glof. videtur
^■>cafusinl. 2. i. eod. foL Domini fi volumus fuftinere Gloffam
3' dicamus fie. Ouod ex fola fcientia quis non débet puniri > nifi
w quando maleficium débet committi in perfonam cujus poteftati efi
o^fùbjeâfus , ut fit fervus eft fciens de morte Domini L i. §. fervus
^^ad S. C. Syllan. Vel in filio fit fuit fciens de morte patris r eod»
« /. 2. Idem de Vafallo 3 fit fuit fciens de morte Domini eadem ra-
» tione. Idem de eo qui fuit fciens de turbatione civitatis fuse vel
» de alio commiffo in civitatem fuam vel in Principem, L Quif-
as> quis ad L. Jul. Majeft. In altis autem videtur quod non fufftcit
^■>fola ficientia nifi fit partie ep s deliBi. not. hic. & d. l. culpa caret »
» & in D. C. non eftfiine culpa fed contra hanc glof. videtur lexfor-
» îiter Inft. de public, judic, §. alla ubi ponit de confciis perfe ù*,
M de parttcipîb. per fe , fed pojjumus eam intelligere fecundum di"
^^ftinâionetn pracedentem , licet videatur fieri violentia illi Iiter œ^
3'Additio ad h^ec verba BarthoU ^ Turbatione civitatis fux*
M Nota quod fciens proditiones Ô" non revelans tenetur pœna , &c^
^^fed Baldus apud Florentiam de Dom. Donato de Barbadoris
» confulutt (& ideo dictt quod anima Bartholi cb" omnium qui eunt
••^fequuntur cruciatur in inferno : & Not. C an. fin. de his quifiL
t» occ. & de hac revelatione vide etiam quod notât Jo. Andr. c,
Si Petrus de Henric. & fpes tit. de Légat. §. juxta v. quod fi ami*
!àci , &" quod dixi poft Bart. l. incivile c. de Furtis. f^idetur ta"
sî men quod Pater non tenetur rêve lare fiUum per textum l. Mi-*
3> lites. §. defertorem de re militari. Et an ex fiimplici cognitione
f^five ordinatione faciendo traBatum quis debeat puniri v. in L ù*
^fi amiçï de Âduher. C, & his adde Bart» L i. §, occiforum ad
104 MEMOIRES POUR JUSTIFIEp:
03 Syllanian. & not. quod fi flatutum punit traâamm facientem
3> non requiritur conjhmmatio deli5ii. ha àtcit Abbas hic c, tua nU"
»^per ext. de his qua fiunt à Pralat. per text. & Gl. ibt & quod
a» not. Bald. l. adverfus C. defurtis. »
Idem Barthol. ad 1. i . §. Occiforum ad S. C. Syllanian. n^ 5.
ce Ultimo hic in fine y quod confia puniumur , fid 5 . ead. L §,
»yfid in eo dicitur quod non puniuntur nifi participes , qualiter tn-
3> telltgatur hoc / Refp, fila ficientia de maleficio committendo , non
mfactt quem teneri > nifi maleficium de beat committi in Domtnum.
w Ut hic. vel in Patrem vel in Remp. cui quis fiubefi L quifiquis C,
*5 ad L. Jul. Majefl. in alium vero fi débet committi non punitur
» quis ex fiola ficientia nifi fuerit particeps ut in §. fid in eo , &*.
» quod ibi dixi & in L utrum ad Leg. Pompeiam de Panicidiis. »i
Bartole voulant réfuter ce qu'Accurfe a fort bien dit en fa
Glof. fur la loi b. de Lege Pompeia de Panicidiis > quand il a
expliqué le mot de Confictus par celui de Particeps j parce, dit
Accurfej que la feule fcienee ne rend pas un homme crimi-
nel : Bartole, dis-je , réfutant cefte Glofe , advouë que cefte
do£lrine eft véritable , fçavoir, que la fcienee fans participa-
tion n eft pas capitale , fors en quatre cas : fi un fils a advis
qu'on veuille tuer fon Père i un efclave fon Maiftre i un vaflal
Ion Seigneurs ôc lorfqu'un Citoyen ou un fujet fçait une con-
juration contre la Republique , ou contre fon Prince. Pour
prouver fon opinion il allègue des Loix où les Jurifconfultes
ôc les Empereurs ufent de ce mot de confiius, qui fignifie conir
plice & participant du crime , ôc rien autre chofe. Ceux qui
ont cognoiffance de la propriété de la langue Latine ne l'en-
tendent pas autrement , ôc principalement les Jurifconfultes ;
qui font obligez plus que tous les autheurs; d'ufer des termes
propres à fignifier les chofes qu'ils veulent exprimer. Si Bar-
iole a efté d'opinion contraire à Accurfe , l'on peut dire ce
que Cujas a dit : Accurfitum longe magis corona donaverim à
quo quidquid aberrat Bartholus vana fiôîiones & aegri fimnia vi^
n-Ohfervat ^^^^^^' Ce lieu- cy eft preuve entière & indubitable du juge<
il, ' ment de Cujas. Car Bartole veult qu'en tous les lieux qu'il
allègue pour prouver fes exceptions , que le mot de Confeius
s'entende d'une perfonne qui^ fceu fimplement fans participation
ce qui eft ridicule , ôc une refverie d'un homme qui ignore
h force de ce mot , ôc fa yraye Ôc naturelle Ijgniii.cation.
Confçiu^
]V|ONSIEUR F. A. DE THOU. loj
Conjcitts proprement ejî qui ope i confilio , & voluntate adfmt ; ^Vc^mW Mar^
qui rem occultam una fcit > fciens cum altero , particeps (ir foetus, ceil. Conamu
Confcire vel confcifcere , d'où vient le mot conjcius ) efl communi
confilio Jîatuere j ne fignifiepas fçavoir , mais confentir, ôc beau-
coup davantage. Les pafTages dans les bons autheurs de l'an-
tiquité y font exprès, & en grand nombre. Glof.veter. Confcius
cTxirfVû^/qui vient de awiTst^^i qui fignifie cœo ,c ç.^-2i-âi\ïQ,conjuro,
conjpiro , va bien plus avant que fçavoir fimplement ; Ôc en tout
autant de lieux pareils à celuy-cy , c'eft-à-dire , où il eft quef-
tion de conjuration , où le mot de conjctus fe trouve em-
ployé, il ne fe peut entendre autrement que pour un homme
participant à la conjuration : ôc les anciens Jurifconfultes ont
efté fî exa£ts à ne point abufer de la propre fignification des
mots , que lorfque le Prêteur a ufé , ou pluftoft abufé du mot
àQ fciens , ils ont creu eftre obligez de l'expliquer comme en la
loi 10. §. quod ait D, quce in fraude créditer. _Quod ait Prator
fciente fie accipimus de confcio & fraudent participante , non
enimfifimpltciterfcioillum creditores habere , hoc fufficit ad con-
îendendum teneri eum infaâlum aâione , Jed fi particeps fraudis eft>
La Glofe d'Accurfe , au fiecle où il vivoit , eftoit necedaire >
mais dans la lumière des Lettres où nous fommes ^ elle eft
inutile. Car puifque le Jurifconfulte avoit ufé du mot àQ con-
fcius , c'eftoit affez dire pour defigner un criminel , un partici-
pant d'un crime autant que le principal autheuri ôc perfonne
ne le peut interpréter autrement fans erreur ôc ignorance.
Tous ces vieux Dodeurs, ôc particulièrement Bartole^pour
appuyer leurs opinions allèguent perpétuellement cefte Loi .:
Ùufquis ad Legem JuL Majeft. dont l'autheur eft l'Empereur Clauâknup
Arcadius> qui eftoit lors fous la tyrannie de fon Miniftre Eu- ^'^^^^^^'^
tropius, mefchant ôc malheureux Eunuque , ôc qui mania l'Em-
pire durant fon autorité avec beaucoup de violence. Cefte
loi ne parle point des Princes , mais très-expreife pour la dé-
fenfe de leurs Aliniftres, ôc jufques aux moindres officiers. Eu^
tropius euft plus de foin de fa confervation , ôc de celle de
fes créatures qu'il avoit eflevées dans les charges , que de la
perfonne de fon maiftre. L'Empereur donc après avoir parlé
des peines dont il veut que les principaux autheurs foient pu-
nis , il adjoufte , Id quod de praediâlis eorumque fiUis cavemus »
(tiam de fatellittbus confciis » ac minijîris fidîfque eorum fimiU
Tome XV, J O
io6 MEMOIRES POUR JUSÏIFIE^R
Jeveritate cenfemm. Sane fi qms ex his in exordio inita faSîionis ,
initam prodiderit fa6iionem , pramio à nobis donabimr. Is vero
qui ufus fuerit fa^iione j fi veljèro > incognita tamen adhuc conÇi-*
lionim arcana patefecerit , abfolutione tantum <& venia dignus ha^
bebitur. Voilà la claufe dans laquelle celuy qui a funplement
fceu doibt eftre compris. Il ne peut eftre appelle Satelles , parce
que ce mot ne convient qu'à ceux qui doivent eftre employez
a l'exécution du defTein. Il n'eft point Confcius > puifqu'il n'a
aiTifté au confeil de la conjuration. Il n'eft pas Minifier y puif-
qu'il n'a aucun employ dans le Traiûé , qui n'eft pas mefme
congneu des conjurateurs , ôc ce font ceux que l'Empereur en-
tend qu'ils foient punis , comme les principaux aatheurs de la
eonfpiration. C'eft auflTi de la part de ceux-là Amplement , que
le Prince peut s'attendre d'eftre informé , parce qu'ils fçavent
la conjuration ? ceux qui f<çavent amplement , ne peuvent rien
dire de précis y ni de convaincant , nulle preuve de leur part ,
nulle circonftance , bref ne peuvent que donner des deffiances
& du trouble dans un Eftat, fans y pouvoir apporter aucun
remède : aufli l'Empereur veult que celui qui defcouvrira le
deffein, lui révèle conftliorum arcana , ce que ne peut pas faire
un qui a une légère fcience ôc fuperficielle. Ainfi l'on peut
conclure j que puifqu'il eftoit au pouvoir de l'Empereur & de
fon Confeil de s'expliquer davantage > & de defigner Ôc tenir
coupables ceux qui auront feulement une fimple congnoilTanceî
qu'il ne l'a pas creu devoir faire juftement , lui qui a or-
donné par cefte loi des chofes , fi non du tout injuftes ôc bar-
bares , au moins rudes ôc trop feveres.
C'eft-là ce femble îe vrai fens de cette Loi fî célèbre , ôt
néanmoins ceux qui ont dreffé l'Ordonnance de Louis XI ,
dont on s'eft fervi en cefte affaire , n'ont eu autre fondement
que cefte loi , qu'ils ont entendue par le fens de Bartole con-
traire au bon fens , ôc à l'intention du Legiflateur ôc des Ju-
îifconfultes anciens.
J'adjoufte à ce que deflus , ce qui fert aulfi à noftre propos;
ce que M. Cujas (quia veu en la Jurifprudence ancienne plus
que tous ces bons Dofteurs) a dit fur la Loi 225" ,.de Verhor.
fignijicatione. Ex lege ^ftifquis ad Legem Jttl. Majefi. dit - il j
zemere fiaîuunt in crtmme Majefi atis folam voluntatem puniri',
quod efifalfam ; fol a vo lamas perduelltonem nonfacit ,fed tnitium
MONSIEUR F. A. DE THOU; 107
fa5tiy ideflfaâio vel conjuratio. Et déganter in l. i.C, Th. ad
Leg. Juliam de ambitu : Nihil interefi inter cœptum ambitum &
perfeBum > cum pari forte leges tant fcelus quamfceleris volunta-
tem puniant ; non nudam voluntatem , fed faBi initium y nam <jms
erit explorator nudce voluntatis ni cœperit faôîo aliquo aut fa6li
initio aliqtto voluntatem Juam prodere f quo prodito tamen coercebi-
îur ea voluntas , non ■ tantum ex caufa Majeftatis , fed etiam ex
aliis caufis : quo modo accipiendum eft quod Servius in f^irgil. dixit ;
hune ejfe morem Komanorum ut non tantum exitus ^uniatur fed
Û' voluntas , à qua fcilicet cœperit initium aliquod fa6li. '
Guill. Fornerius au Commentaire qu'il a fait fur cefte mef-
me Loi 225* , de verbor. fignif. faid une remarque à ce propos,
rapportant ces mots de noftre loi. Quifquis : eadem enim fève-
ritate voluntatem fieleris qua effeâîum puniri jura voluerunt. Vo--
luntatem , dit-il , cogitationem & conatum ( ex vejlibulo ejufdem
conjiitmionis) interpretor , fcelejlam inierit faôîionem , autfaâionis
ipfius fufceperit facramentum vel dederit. Cicero lib. 3. Officier, in
îpfa deliberatione facinus inejl , etiamfi ad ià non pervenerit. Quod
qui de nuda fceleris cogitatione exaudiret , jus civile calumniaretur.
lib. 2. feudorum Tit. y i. Oui laboravit ^ fi non eft infidiatus , non
privatur feudo. L'interprétation de ces deux grands Dodeurs
eft bien différente de celle de Bartole & de ceux qui l'ont
fuivi. lis nient formellement , appuyez de la raifon & par de
bonnes authoritez, que la nuë volonté en crime d'Eftat , qui
n'eft jamais fans un mauvais principe , foit criminelle : ils veu-
lent pour pouvoir eftre dite telle qu'elle paroifle par quelque
commencement en l'exécution du deflein j bien loing d'eftrc
d'advis qu'une fimple fcience foit criminelle , qui eft deftituée
non feubment d'une nuë volonté , mais de tout mauvais prin-
cipe , qui peut tomber en une perfonne fortuitement ôc fans
aucun deflein par le moyen du fens de l'ouïe > dont nous ne
nous pouvons pas empêcher l'ufage. C'eft ce qu'a fort bien
remarqué Themiftius Euphrates en une occafion femblabîe à
celle-cy , parlant à l'Empereur Theodofe : OUm in ejufmodi Orat. y. f.
criminibus mhil inter culpam <& fortunam difeernebantur , parque ^'^^'
& idem noxde genus nefarimn aliquid & fcelefium moliri > e^" id
ipfum praeter voluntatem audijfe : atque hoc erat naturam hominis
arguere , quod apertas ac patulas aures dedijje , nec quemadmo-'
fium palpebras & os fie etiam âmes claudere aut diducere in pot eft at s,
J O ij
ïo8 MEIVÎOIRES POUR JUSTIFIER
nojira effe voluijfet : cum fere unus hic fenfus potejlatem nojïram
aï que libertatem effugtat y ac quicquià in eum incunerit velutjanua
carenttbus ^edibus j tta neceffario fint illi omnia fifcipienda. Tu
vero i Imperator 3 audiîum prorfiis à crimine feparafli.
Le lieu tiré du livre de Fendis allégué par Fornerius , réfute
un des quatre cas excepté par Bartoie , en forte que toutes
ces exceptions fe trouveront vaines ôc fans fondement : neant-
nioins elles ont efté favorablement embraflees ôc trouvées plau-
fibles par leurs Miniftres j car , difent-ils , qu'y a-til de plus
confiderable que le repos d'un Eftat , la vie d'un Prince , la
vie d'un Père , d'un Maiftre ôc d'un Seigneur de Fief; croyans
que peu de perfonnes en chofes fi favorables d'une part , ôc
fi odieufes de l'autre , voudroient entreprendre d'y contredire >
ôc ainfi que cefte opinion feroit authorifée. Le Texte le plus
fort qu'a Bartoie pour foutenir fon opinion, eft la Loi 2. D.
de Lege Pompeia de parricid. dans laquelle après qu'un enfant
a achetté du poifon pour faire mourir fon père , la Loi dit :
Frater ejus , qui cognoverat tanîum nec Fatri indicaverat , relega"
tus efi , & medicus fuppUcio faâus. Il y a bien de la différence
entre l'efprit de cefte loi , ôc le fai6l que nous traitions j parce
qu'un fils qui fçait que fon frère a achetté du poifon, qui fçait
fon defiein, ôc le nom de celui qui a vendu le poifon, ôc qu'il
a efté baillé à cefte fin, il ne peut pas douter de la vérité, il
a un très-grand advantage parce qu'il peut advertir fon père
fans crainte d'eftre réputé calomniateur? advertiffant fon père
il lui fauve la vie , ôc à fon frère , il peut demouvoir fon frère
de fa mauvaife volonté. Le père en ayant congnoiifance , ôc
faifant fçavoir à fon fils la mauvaife volonté qu'il a eue ^ lui peut
donner un repentir , fans eftre obligé de recourir à la rigueur
de la Loi.
Il n'en eft pas de mefme en crime de leze-Majefté: un par-
ticulier qui n'a aucune congnoiffance que par le rapport d'un
homme feul, n'a pas la liberté d'advertir fon Prince fans crain-
te de fuccomber aux peines de la calomnie ; s'il ne prouve fon
accufation il pafiera pour un mefchant , pour un calomniateur >
ôc fuccombera aux peines de la Loi. S'il eft homme d'efprit,
il ne donnera pas l'advis au Prince pour ne le pas troubler >
il faut le confefi^er aux Miniftres , qui font obligez de faire
inftruire le procès. Le Confeil du Prince croira difficilement
MONSIEUR F. A. DE THOU. 109
qu'un fubjeû ait autant de bonne volonté pour Ton Roy , qu'un
enfant a pour Ton père 5 le mefme Confeil n'aura pas la puif-
fance d'eftoufîer l'accufation par prudence , autrement il fe-
roit lui-mefme coulpable s'il en arrivoit un mauvais efFe6t.
Il faut par la neceiïité des Loix que le procès foit faid, ou à lî.C.adLeg.
l'accufé ou à l'accufateur, Ôc quelquefois à l'un & à l'autre. 5^"^'^^)'
Bartole mefme, bien entendu, ne dit pas, que celui qui fçait
une confpiration d'un homme feul , foit coulpable s'il ne le
dénonce. Il faudroit qu'il appuyaft fon raifonnement, & qu'il
refpondill aux inconveniens qui peuvent arriver à celui qui ne
prouvera pas le crime dont il a eu congnoiflance.
Il faut qu'un accufé foit convaincu par des indices très- v. h i.aâl
manifeftes , pour mefmes en venir à lui faire donner la quef- 5«^- Majefi,
tion. L'accufateur ou le dénonciateur font en pareille peine,
au faid que nous traitons , très-manifeftement , parce que le
fleur de Thou eftoit feul , il avoit la congnoifTance du faiâ trop '
légère pour faire appliquer à la queftion les accufez y quoi-
qu'ils euflTent elle de la qualité d'eftre condamnez à ce fup-
plice , ainfi fon accufation le perdoit manifeftement.
Un tefmoin, dit-on, quoi c^q ïo'^Iq eft -probatiofemiplena} CujacadTa.
comme parlent les Docteurs , ôc ils difent deux tefmoins font ^^f ^j ^f^^
une preuve entière, un teimoin une demi-preuvei ce qui eii
faux. La vérité eft femblable à la preuve , qui ne reçoit point
de divifion. Car fi la vérité n'eft pas pleine ôc entière , elle n'eft
pas feulement une demi-verité, mais une fauffetéj ainfi oii la
preuve n'eft pas pleine , il n'y en a point du tout. Les Jurif-
confultes n'ont jamais congneu ce que c'eftoit que femiplena
probatio.
Ainfi ce tefmoin qui fçait fimplement, à qui Bartole inipofe
une obligation de révéler fur peine de la vie , ne peut rien
dire qui ne le conduife dans les tourmens , ôc de-là à mort :
s'il ne defcouvre le mal qu'imparfai£tement , il peut produire
beaucoup de divisions dans un Eftat par l'obfcurité de fa depo-
ficion , par les défiances que l'on peut prendre de diverfes per-
fonnes innocentes.
Quelle preuve pouvoit-on attendre dudi£l fieur de Thou ,
qui avoit fceu le Traiûé par un paffant qui pouvoit lui avoir
impofé pour le perdre, l'engageant dans une fauffe accufation.
L'authorité de ceux qu'il devoit accufer eftoit telle , qu'il eftoit
5 o iij
lia ME?vIOIRES POUR JUSTIFIER
affeurement perdu s'il euft dénoncé fi peu qu'il en fçavoit. Il
voyoit M. le Grand , qu'on lui avoir ait eftre un des princi-
paux de la conjuration , eftre près du Roy en faveur, qui ne
penfoit pas à fe retirer , qui ne penfoit à rien moins qu'au -
Traidé i il voyoit M. le Duc d'Orléans au centre du Royau-
me avec fes feuls domeftiques en fes pafTetemps ordinaires , ou
dans les remèdes pour fa fanté. Il voyoit M. de Bouillon en
Italie commandant l'armée du Roy ; qu'euft-il pu dire au Roy ?
Il euft efté creu hors de fens d'accufer des perfonnes fans au^
cune preuve, eux que l'on voyoit occupez en des emplois fi
oppofez à cefte accufation. Il euft dit feulement , il y a un
Traidé faid avec le Roy d'Efpagne par tels & tels 5 quelle
preuve? aucune : il a ouï dire ? à qui f au fieur de Fontrailles>
qu'il ne voyoit plus , qui s'eftoit retiré en payis eftranger ? après
cela , que n'euflent point fai£l les accufez très-puiflans ? certes ;
il y perdoit & l'honneur ôc la vie.
Mais l'on dit que la demeure à la Court , 6c près de M. le
Grand augmentent beaucoup fon crime : au contraire, fi l'on
confidere cefte circonftance, elle va à fa defcharge. Eftant
à la Court il a veu de près qu'il n'y avoit rien à craindre ,
il a pu congnoiftre que la conjuration n'eftoit point contre la
•perfonne du Roy 5 il voyoit M. le Grand près de fa Majefté ,
fans deflein qui approchaft de l'exécution d'unTraiâ:é, ileftoit
affeuré que tant qu'il feroit près de lui , qu'il ne feroit rien
contre fon devoir : s'il fe fuft abfenté,il euft pu appréhender quel-
que progrès à ce mal, tout lui euft efté caché, tellement que
ce que l'on a voulu qui fuft à fa ruine , a deu eftre confidere
comme une marque de prudence , pour voir que le mal ne
paffaft outre : aufli vit-il que les conjurez avoient abandonné
leur Trai£lé, & qu'ils n'y penfoient plus.
Voilà comme l'on peut détruire la do£lrine de Bartole en
ce point. Mais comme il n'y a rien de fi extravagant en quel-
que fcience que ce foit , qui n'ait fes fe£lateurs , Bartole en
a eu, ôc qui ont adjoufté àfesraifons ', mais rien que d'inutile
& fans fondement. Les Princes , principalement les foibles ,
pour ne dire Tyrans , confeillez par de mefchans Miniftres
ont faicl valoir cefte doârine aux occafions, & c'eft ce qui
faid qu'il s'en trouve quelques exemples dans les Hiftoires,
particulièrement dans celles d'Italie. Ne^ntmoins ceux qui oni
MONSIEUR R A. DE THOU. m \
tenu le party contraire ont prévalu en beaucoup d'Eftats , 6c I
a-t-on trouvé à propos de produire icy quelques lieux de ■
Do£i:eurs, pour faire voir les raifons qu'ils ont eu de s'oppo- ]
fer à l'opinion de Bartole, raifons qui font tirées du Droit de
nature , qui font de bon fens , ôc dans la vraye juftice. i
Nous commencerons par André Alciat Milanois, quieftle ]
premier qui a entendu la pureté du Droit Romain , qui le trou- \
voit enfevely dans la barbarie des fiecles précedens. '
^ N D R jT. A s ^hci AT u s in l. boïia fides» D, dcpofir, ^
n, i6i îj , &c, \
i
a Quid de crimine patrando dicemus .♦* Et etiam tune minora :
»> pœna puniendum eo argumento confiât , quod frater à fratre co-- j
»' gitatum parricidmm fctens ,fi tacnerit , non pcena Legis Pompetce ]
^ fed relegatione mediûcrique Jiipplicio ajfcitur. l.i.adLeg. Pomp. |
« de Panicid. licet hac humanhate cum Jervis lex non agat. /. u 1
?» §. occîferum. §. fi quos in villa ad Syllanianam, ^y i
» Sed finge ^ aliquis in Rempubl.vel Principem conjurât , fmtm? ■:
» idque arcanum Tttio communicat , an Titius detegere tenebitur f \
« ratio naturalis arcani non detegendi &" fidei fervandce nonpa- -i
^^ titur. Bdidus confit. 34. lib. i, contrariuna fitadet favor publi-
ai eus y quem hic confiât magis attende , & îdeo Banholus cenjuit ta- i
» lent puniendum mft detexerit , fed an pTorJus eadem pœna qua /. uînm He y ■
^y principalis !* <& al i qui recentiores aiunt : qudc fententia tn eo qui Parric.&D.
a^ adverfiis Jltpremum principem conjurationis faâa confcius efi ex ^''^W^^^^.
»> Arcadîi confiitutione defendi pot efi. L quifquis §. penult. C. ad . •
3> Leg. JuL Majefi. Ego confcium ab eo qui fiimplictter fiiverit ^
9î differre arbitror : ut confiius is dicatur qui ejufdem confiilii par-*
91 ticeps efi. d. L utrum. junâla. d. L 1. ft igitur altqms fociusfue* \
« rit & confitlio aut infiinâu , aut favore rem profècutus fit > is con-^ >
^> fcius dicetur d. §.ft quistn villa & l. ^.C. ad Leg. JuL Ala- [
35 jefi. & merito pari pœna tenebitur d. L utrum. ^ui vero fimpïi-* \
M citer fciverit , lenius punietur. d. L 2. perinde ac perjurus qui ex>
^^ formula juramenti fidclitatis revelare debuit c. i. de nova forma \
o^fid: m Feudis Bart. in Extravag. ad reprim. 9. /. 31. » 1
» Sed fi aliquis non crecUditindicanti , vel quialevis erat authr:^ \
» vel ille per ambages tentando tantum loquutus fit.^ & non ■•.
*> wdepur confcius his effe y cum in confcientia nefiterit^ imo n^i-ï 3
1
1T2 MEMOIRES POUR JUSTIFIER
3» crediderit y & ideo ex qualitate rei effet difcernendum & dolus
w à culpafecernendus y licet aliudAlexander Magnus adverfus Phi';
3> lotam objervaverit. Sed hujuJiTiodi exempla mhil cum Philo fopho
s* legali commune habent : nam ô" Legijlator nofter Jujîinianus ^
3» cum hac Jpecies incaput fuum indijjet , haudcjuaquam exemplum
«» Alexandri imitari voluit , ut ejî apud Procopium lih. 3. adde
» quod etiam plerique cenjuerunt fi quisprobare crtmen nonpoffit,
9' fubfitque periculumne qucejltoni fubdatur d. l. 3. impune eum ta-
»' cuijje vider i. 2. q. 7. c. quapr opter. Quamvis enim favor fit
3' pubïicus i ut^ indicium qualecunque detegatur t ei favori prava-
3> let naturalis ratio , qua quis Je aperto periculo fiibjicere cogi
Moàer. Ci. d» non débet L i. de bonis eor. qui fit mort. c. officii ex de pœnis 3
ds ojpc, deleg. ^^ idquefieri communiter recentiores tradiderunt . qua de re nos alibi
3ï plura. Hincque apparet aquitatem eam juris avilis , ut deliôîa
3> denuntientur , contraria quandoque naturali aequitate ojfufcari,
3> & vinci, Argmn. L Imper ator injî. de appellat, »
HlERONV MUS GlGAS FoROSEMPRONIENSIS TraC-*
tam deçrimine laefaç Majeftatis ut de plurib. & variis qucefiion.
quafl. 1 1 .
$yZi%&i^l te Quaro an fola fcientia punibilis in crimine lafa Majefiatis
»♦ non fubfecuto aliquo confenfu confitlio vel faâîo. Breviter videtur
3' dicendum quod fie , propter atrocitatem criminis. Limita tamen
3> pradiâam conclufionem quando talis fcientia probari non poffiit,
3> Nimis enim abfurdum effet quod quid teneretur revelare quod
^■>probare non pojfit , cum nemo fetormentisfubmittere debeatjqui-
j» bus hujufmodi criminis delator fupponitur L 3. c. ad Leg. JuL
« Majeft. & fimiliter fqualori carceris L fin. C. de accufat. Nec
w culpa efi in difcrimine vitce fe ponerc y ut inquit G lof in l. ne^
sî minem C. de infamia. Oui enim tantum audivit & non reve^
» lavit ex eo quod id non poterat probare immunis efi à deli6lo L
3^ nofiris C. de cahimniat. & hanc opinionemfequutum fuiffe Bald,
a» in quodam confitlio teftatur Angélus in Traàatu malefic. fubdi-
5' tis ; quod Bald. in d.fuo confitlio dicebat , quod judices fequentes
M opinioncm Bartholiin l.utrum& homines occident is. Ex ea fia
3» caufià quod fer et um non révélant , quod probare non poffiint,
» omnes funt homiciddc. Et quod Bald. in diâo Juo confitlio deplo^
M rat memoriam fidelis milttis Dom. Joannis Barbadoriqui ob hanc
caufam.
MONSIEUR F. A. DE THOU. ir^
« caufam cum aliquib, ejus fequacibus fuit decapitatus , quod rf-
^fert Jo. de Plat, in §. pub lie o de Puplic, Jud. Inji. Ifiam opinio^
« nem tenuit etiam Alciat. in L bonafides depofiti. Ô" in l. 4. §,
" « Cato de Xbor, oblig. ubï dicit hancilli opinionem communem^fub^
o' dit tamenfe dubttare de hac opimone , dicens non ejje verum quod
»> talis fciens & revelans tormentis fabjici debeat , quia textus in
»> d. L ^. C. ad leg. Jul. Majejî. loquitur de accujante aliquem
»» ad pœnam non in révélante , ut prmceps caveat , allegat. not,
n per hoc in Conf, 2.02. 40. vol. Opinionem Ban. & Salie, in
» praâica fervari tejiatur ipfe Angel. loco cit. & ibid. Aug. de
»> Arminio injuaadditione quae incipit tu autem. In hac materia
» adde quod alias , dicit illam/èrvajje , <& allegat Barth. in l. i.
» §. occiforiim. D. ad Syllan. & ibi Angel. & Abb. in C. 1. de
» reft. Jpol. & in c. i. de offic. de Leg. & ita etiam tenuit Mati
« de Affltui. tn c. i. §. & bona committentium col. 8. Xs. 40. Ui
3> 103. Tit. quafint régal, in ufib, Feudor. îjla ultima opinio mihi
.»> nimis rigorofa videtur. »
JOACHIMUS Mr N SI NGERUS A FrU N DECK J. C
Singùlarium Obfervationum Imperialis Camer^e Centur. 5",
Obfer. 40. Sciens machinationem contra Frincipem , nequere^
velans j quomodo puniendus,
et Vulgare dogma efi id quod DoÛores confentiunt & aquo om^
» nés i quod fctens tra5îatum feu confpirationem adverfus Princi^
« pem & illam non revelans capitali pœna fit afpciendus , mortis
9^fcilicet & amifionis omnium bonorum per text. in l. quifquis §.
ai id quod tibi Doôfores communiter C. ad Leg. Jul. Alajefi. Bart.
» in l. utrum. D. ad L Pomp. de Par. (& l. i. §. occforum. ubi
»> etiam Ang. & Rom. D. ad Syllan. faL in L propter infidias
af>n. 5, C. qui accuf non pof Abb. c. i. n. f. de ojf. de leg. û*
»> r. 1. w. (?. de reft. fpoliat. ubi dicit hoc procédera etfi deliâlum
a> non fit fubfecuîum. Aug. in add. de Ang. de Malef. Xb. che hai
a» tradito. n. \o.& 11. Jaf l. ut vim. n. 32. & feq. de Juft. &,
s» Jur. & ibi Curt. n. 60. Mart. Laud. de crim. laf Majeft. n.
» 13, Carre inpraâl. Crim. §. circa quartum. n. 6^. Capy decif.
M 135). n, 6']. & Dec. in l. culpa caret n. ii.D. de Reg. Jur.
» An autem hoc indifferenter procédât j five quis Traâatum contra
sà Principem probare poffit , five illum fecreto fciat / confit^antur
Tome XV. •-•'—- ^ p
ÎI4 MEMOIRES POUR JUSTIFIER
« interprètes. Bart. enim ad D. l. utrum , indtflincïe tenet non re-
«' vêlant em capitîs pœna pleâendum ejje , fubfcribunt Fel. in c, 2.
^^ facit & Dec. thid. Xs, Ex quo de off. de kg. & Bertachtn. v.
*o fcire Xs. 14.. ubi hanc opinionem pajfim fervari ait. Alii vero
3' cenfent fi quis fecreto talem traBatunfi fciat y quia ei fecreto ù*
tn Jhbfide fuerit révélât us y <& fie tllumcerto docerenequeat, ipfim
« non teneri ad revelandum ^ quia indefeBu probationis forte fubji-
s; ceretur carceribus & tortura l. 3. C ad l. Jul. Majefi. Nemo
» autem revelare obnoxius efl quando imminet pericuhtm in corpus
•' Juum C. officii Extrav. de pœn. Ita tenet Aug. Tra5î. de malejic,
6'>Xb. che hai tradito Xs. quod crimen & in l. 2. D. de Parric,
»> Jafon. l. I . §.ft tibi Xs. 4. limitât a D. de condiB. ob. turp. cauf,
«> Neviz. in Sylv. nupt. Xb. non efl nubendum n. ^6. Sum. Syl-
M vefl. Xb. refiitutio 3. in 2. quaefl. Xs. 3. cum in crimine , &
•5 Deci. d. l. culpa caret. Xs. fiimiliter y Hipp. d. l. utrum. &fing,
•» 154. Ripa in Traôf. de pejle quajl. 2. ait que Cagnol. in d. L culp,
«> w. 21. hanc ejje veriorem magifque communem , quia valde du^
w rum & iniquum- ejfe altquem ex fola fcientia mortis pœna affici»
t> Nonnulli denique conciliant dijlinâione hac pugnantes inter Je
w opiniones , ut hac procédât in accufatione , quam non tenetur inf-
» tituere etiam in crimine lafœ Majejîatis ille ^ qui deinde probare
» nequeat : Bartholi vero opinio locum habeat infim.plici denuncia*
aï tionefeu potius admonitione facienda ad hoc ut princeps fibi pra-
« c avère pojfit. îta Alciat. in l. 4. Cato. n. 4. notab. n. 3, 7^. de
w Xb. oblig. idemque exprejje refert & fequitur Cagnol, in d, l. cul-
Si pa caret, n. zi,
Men ocHiu s de arbitrariis judiciis Lib. 3. Centur. 4,
Caf. sSS-
« Œiod ad jus civile j receptaejî omnium fententia , hune conf-
» cium criminis non teneri detegere , e>^ obviam ire deliâlo , & ob
05 id nulla pœna pleBi poffe. Ita G lof. in C. culpa caret de ReguL
^i juris , ubi Dec. n. 4. <& Cagnol. n. 10. pojl Barth. in L i. §.fed
o> in eo D. ad Syllan. & in l. metum. §.fed Ucet D. quod me-
»' tus caufa. Idem in L ut vim n. 12. & alibi Jafon. n. 32. e?*
« Dec. n. 33. de Jujî. & Jure qui alios recenfet. Abbasinc. i.
« n. 7. &ibi Félin n. 6. Decius n. 7. 8. & Bero n. 74. & offic,
* deleg. l^erum Did, Covarruvias in Clemen, i.part. 2, §. 2,n*
MONSIEUR F. A. DE THOU. n;
w 7. de homicid. in ea opinione fuit ^utroque jure defidiam aut ne-
»> gligentiam illius , quifuturo deliâlo obviare potuit , e^ non objîi-
» ?^'? j ejje aliqua pœna arbitraria puniendum , quod ut fatis juri
M e^ (squitati conjonum non dijpltcet. Nam & Cic. i . Offic. ita
^^ fcripjit : Oui non défendit aut obfiflit fipotefl injuria , tam eft in
M vitio quam fi parente s } aut amicos, aut patriam déférât. Hic ace e-
^y dit quod non caret fcrupulo focietatis occultcje qui futuro facinori
» obviam non ivit. C. deliÛo de fent. Excom, in h. Abhas in C.
a> cum non, n. 1 4. de jud. Et ad hujus traâiationis expianationem
V V. Navarr. in cap. non inferenda 25. ^. 3. »
« Declaratur primo ut non procédât in crimtne Idefa Majejîatis^
« quoniam fi quis fcit aliquos contra Princtpem fuum confpiraffe
» eos detegere débet , alioqui punitur. Ita probat l. quifquis §. id
!» quod. C. ad Leg. Jul. Maj. Bart. in L i. §. occifor. D. ad Syl-
3> lan. & in l. utrum in fi. D. ad L. Pomp. de Parricid. Abbas
M in D. c. I. n. 8. & ibi Dec. n. 8. Mantua. n. 24. ac Bero. n,
» 62, de offic. deleg. id Decius d. L culpa caret n. p. de reg.jur»
» <& ibi Cagnol. n. \2. <& alti plures. »
« Hanc declarationem ita demum veram noftri fere omnes in^
M telligunt y quando hic confcius criminis lafa Majejlatis foîejî illud
»> crimen deteâum à fe probare y fecusfi non poteji ^ quia inquiunt
âî Doâores i non débet hic detegendo fe in illud periculum (ponte
3> conjicere. Ita poft Bald. fcripfit Angel.inTraâ. Malef.v. che hai
M tradito n. 10. Dec. in d. L culpa caret n. p. Xs. <& hoc fane ubi
» alios recenjèt , quibus addo Marfil. ftngul. 16^. nemo <& in d. L
M utrum n. Capicium decif i^ j. n. 10. Neviz. lib. i. Silv. Nupt.
» n. jo. Brun, conf 28. n. 2. Socinus junior conf 305". n. 43.
s> lib. 3. Nattan conf. 619. Itb. 3. Ita etiam inforo quem Con-
ai feiemiae appellant hune non denuntiantem atque revelantem
M effe tutum memoriae prodiderunt D. Thomas ^uodlib. i . art.
M 16. & jQuodlîb, 14. art. 12. &in 4. Sent. d. A. Ang. Clavas
M in fumma Xbo. denuntiatio , excommunicatio q. S. ô" hoc
a> cafii defendi potefl quod fcribit Dec. d. c. novit. n. 23. de Jud,
» Hoc ego fequor rejeëîa illa contraria opinione Bart. in L utrum
» de Parric. qui indiftinfte vifus eft fentire 3 five probare pojfit
!"■> five non, teneri omnino detegere , <& quem fint fecuti aliqui
» relati à Firmia infuo répertoria v. feire n. 4. & Barthol. opi-
» nionem in foro fervari fcribit Angel. loco cit. & ibi Aug.
P Arimin. Affli^, in c* i. §. ad bona n. 103. qucs funt reguU
5 Pi;
93
97
116 MEMOIRES POUR JUSTIFIER
» EJI enim hdsc Bartholi opinio rigoroja nimis , ut etiam inquît
« Gigas in traâf. de crimine lasjcs A4ajejîatis q. 2. n. lo. & à
« Bart, non recedit Placit. lib. i. Epit. deh6î. c. 22. n. ij, JuL
^^ Clams lib, $. fent, Jur. §. fin. q. Sj. Xs. ptmitm eft. H as ta-
men opiniones conciliant Alciat. in l. 4. §. Cato 4. Notab. de
Xb. oblig. & CagnoL d. L culpa n. 12. de reg, jur. Ut opinio
Bartholi procédât per modum admonitionis quam is confcius fa-*
cere tenetur detegendo quicquidfcit , eo modo quofcit , & commu-
ai nis opinio procédât , quandoper modum accufationis is confcius de-
»' tegit. Namfiprobationes non habet accufare non débet } ne pe-
*' riculum tormentorum Jùbeatjuxta l. ^, ad leg, Jul, Majeft. Quce
9' vero de accufatione loquitur , Ô" alia nonnullafcrtbit Alciat. lib,
* S.parerg. c, p. In hoc itaqtie cafu amhigitur , quœ pœnafttin-
« diùîa contra confcios non révélantes conjurationem hanc Roman,
9-> fingul. 787. nunquid teneatur. Scripfit ejje pœnam relegationis.
» Ex L MetrodorusD. de PœniS} quafane pœna cum hodte in tifh
»> eJJe defierit i facit ut locus fit pœna arbitrarice. Id quod injpe-
» cie docuit Bero in d. c. i. n. 70. de Ojfic. deleg, Etfi Roman. veL
altos non référât , quam fententiam probavit Cagnol. in d. l. cul--
pa caret, n. 10. dé Reg. jur. pofi Félin, in c. i. n. 7. de Offic,
deleg. & in c. quant ds de Sent. Excom. Ofzfcus decif 60. n. 3'.
» & ibi déclarât , quid in Pâtre an teneatur revelare confpiratio^
» nemfilii. Brunus vero Conf. 2S. fentit pœnam ejfie or dinar tam ipfi
» reo principali hujuS criminis indiâam. Ex. d. /. qui/quis C. ad
w Leg. JuL Majeft. qni quidem textus multum urget in illis [ftmih
^Jèveritate cenjemus) nifi dicamus loqui de iis confciis qui cri-
•» minis participes funt , dum dicit conjciis & miniftris , quemad-
«S5 modum Interpret. Glof. L utrum. ad Leg. Pomp. de Parricid.
» à qua non dtjjentit Capol. Conf. 3 . col. (5. qnt intelligit confcimn
iopro confocio. ^^
Regn ERU s S ixTi NU s dQ KegdMhus lib. 2, c. 20. §. 31;
32. 33. & 34.
« Atque eft hoc jus defubditis adeo rigidum , ut etiam confcii
'^ criminis Icefie Majeflatis puniantur d. l. qmfquis §. id quod,ubt
a> etiam communiter Doâores id tradunt , & communem effe hanc
» fententiam t eft atur Gabriel, commun, concluf. lib. 7. concluf 37.'
« w. I . & rêvera receptiftîma dtci poteft. Ideo Mynfinger obfer,
^ 40. n. i. cent. 5. aitvulgare hoc ejfe dogma j & in îllud Doâores
05
a»
a»
MONSIEUR F. A. DE THOU. 117
» ex (Cquo omnes confentire. Atque hoc dogma eo verius efl , quod
idem locum habet inconfcîis nonnullorum aliomm crtminum y cu-
jufmodi ejl paniddmm L utrum. D. ad leg. Pomp. de Parric,
Venejicium. L i. §.f. quod fi quis, & ibi Jo. îgn. n. 2. d. ad
•» Syllan. Rapttis L unica §. pœnas C. raptu virginum. Non ta-*
»» men ordinaria fed mitiori pœna pro arbttrio judicis delinquentes
ô> puniendi fum exmagis communi fententia de qua teflatur Roland
»' Conf. 88. n. 10. lib, 2. ubi& humaniorem eam efje dicit y con^
^^ firmaturque hdsc fententia textu in L Metrodorum D. de Pœnis,
î» ubifola relegatione in Infulam punitur qui non prodit commit-
»» tentem crimen laefœ Majejîatis. Obfîare videtur textus in d. §,
9' id quod in Xb. fimili feveritate , fed attendenduna ejl eum textum
» uti his verbis fatellttibus confciis ac mimflris , & fie loqui de iis
»» qui fimul funt criminis participes & minifiri. Menoch. de arbitra
a* Jud. quap. lib. 2. Cent. 4. Caf 5^5". n. 14. ubi addit ita in^
« tevpretan glofafn in L utrum. D. ad Leg. Pomp. de Parricid,
M d^ CapoL Conf ^,CoL 6.intelligere confcium pro confocio.Ne-'
» que etiam de iis confciis hoc jus accipiendum efi qui tantum fe^
M creto fciunt <& probationibus defiituuntur ^fed de iis qui itafciunt
a5 ut etiam probare traâlatum pojjint. arg. L noflris in fi, C. de
sî Calumnia , & Clément, nolemis §. notarii de Hceretic. cum ne^
=> mo illud quod fibi periculum creare pojfet rêve lare teneatur L ofii-
» cii D. de Pœnis , & ab aquitate ac humanitate alienum fit ali-
9» quem ex fola fcientia gravem pœnam, fubire. Atque hancfenten-
û» tiam contra Barthol. & plures altos difiinâionem inter eum
»' qui probare traâatum pojfit vel nonhaud admittentes tenent Dec,
» & Cagnol. in L culpa caret, de Reg. Jur. Ripa in traâ, de Pefte
a5 quafl. 2. Marfil. fing. 1^4. Menoch. d. caf 3; 5:. n^ 10. Alyn-
"^^ feng. D. obf 40. n. 3. 4. 5*. Ccntur. 5". Socin. Jun. Conf 105'.
9> n. 43. lîb. 3. & non folum veriorem fed & magis communem
95 effe an Cagnol. in d. L. Culpa n. 21* omnefque fere tenere affi"
9> rit Menoch. diâlo loco. »
Pour conclure cefte matière, l'on voit que par la Loi de
nature, par la raifon, par les textes du Droit Romain bien
entendus, & par la plus faine partie des Doâ:eurs, que celui
qui fçait fimplement une conjuration contre l'Eftat fans au-
cune participation, n'eft pas obligé à la révéler, parce qu'il
n'a nulle preuve pour appuyer fa dénonciation ou fon accufa-
tion : Que s'il elt fi malheureux que d'eftre mis en juftice, ce
ti8 MEMOIRES POUR JUSTIFIER
crime, s'il y en a> n'eft pas capital, tant s'en faut quHl foit
punifTable de la mefme peine que l'autheur de la conjuration,
& fes complices ; ainfi l'opinion contraire de Bartole , & de
fes fe6lateurs, qui procède d'une pure ignorance du Droit Ro-
main, eft unique, barbare > ôc tyrannique.
XII. Exemples tire'x^ de divers Hifioriens tant anciens que moder*
- nés , pour monjîrer que ceux qui ont ejîê accufés d'avoir fçeu
quelque conjuration , quils nom pas révélée y ou nom pas efîé
punis , ou s'ils l'ont ejlé , la peine a efté beaucoup moindre que
celle des principaux autheurs ^ ou des complices.
Themistocles à Athènes.
LEs Lacedemoniens deplaifans de ce qu'ils eftoîent en
mauvaife odeur dans la Grèce à caufe de la trahifon de
Pauianias î les Athéniens , au contraire , fort eftimez de ce
qu'aucun de leurs citoyens n'avoit efté accufé de trahifon 5 ils
accuferent Themiftocles , qui eftoit en grande réputation à
Athènes , d'avoir eu intelligence avec Paufanias, & trai£lé avec
le Roy Xerxes pour envahir la Grèce. Ils firent fçavoir les
Ï)articularitez de ce deflein aux ennemis de Themiftocles ,
eur firent voir quelques ades par lefquels ils prouvoient que
Paufanias avoit communiqué avec Themiftocles , & l'avoir
invité de fe joindre à lui pour faire reuffir l'entreprife de
Xerxes. Themiftocles rejetta les propofitions de Paufanias ,
mais il ne creut pas eftre obligé d'accufer fon ami. La caufe
fut examinée , & bien que Themiftocles fuft convaincu par
de fortes preuves , & des parties puiflantes , il fut neantmoins
abfous du crime de trahifon.
Cefte hiftoire eft tirée mot à mot du onziefme Livre de
Diodorus Siculus p. 40,
G E RMA NU s & Makcellu S y fous P Empereur Jufiinien*
Arsaces Arménien ayant commis un crime contre l'Em-
pereur Juftinien > pour lequel il fut honteufement chaftié , il
refolut de s'en refentir par une conjuration contre la vie de
l'Empereur. Il communiqua fon defTein à Artabanus fon parent ,
MONSIEUR F. A. DE THOU. iip
lequel quoique malcontent il trouva fort froid , foit par ti-
midité , foit que l'entreprife lui femblaft impoffible. Croyant
neantmoins l'avoir perfuadé , lui monftrant les moyens de tuer
l'Empereur fans beaucoup de péril, lui fit voir que Germanus
& les fiens feroient de la partie , qui eftoit une perfonne très
puiflante dans l'Eftat, & qui haiffoit l'Empereur. A rfac es en-
fuite parla de fon deffein à Charafanges , jeune homme hardi
& généreux , mais de peu d'expérience , qui fe joignit auflî-
toft à lui , ôc l'ayant fai6t voir ils arrefterent enfemble de tirer
de Germanus une dernière refolution. Germanus avoir un fils
nommé Juftin fort courageux, Arfaces lui fit dire qu'il avoit
quelque chofe d'importance à lui communiquer. Ils fe trou-
vèrent dans une Eglife où Arfaces fit jurer Juftin qu'il ne re-
veleroit point qu'à fon père Germanus ce qu'il lui vouloir direj
6c aufii-toft Arfaces lui reprocha la lafcheté de fon père ôc la
iienne de fouffrir aux proches parens de l'Empereur tant de
perfonnes de fi petite qualité 6c fans mérite remplir les gran-
des charges de TEmpire, 6c qu'eux eftoient dans le mefpris
ôc fans employ. Arfaces lui fit voir les moyens qu'il avoit
d*execurer fon entreprife. Cefte propofition eftonna Juftin , 6c
il déclara que fon père ni lui ne pcuvoient confentir à une
telle trahifon. Juftin déclara à fon père Germanus ce que lui
avoit dit Arfaces, 6c Germanus le communiqua à Marcellus
qui tenoit une des premières charges près l'Empereur. Ce
Marcellus tenu pour fort homme de bien , jugea par l'impor-
tance de la chofe qu'il falloir , ou la découvrir à l'Empereur ,
ou l'eftoufer du tout. Il difoit en lui-même fe trouvant fort
perplex y que s'il en donnoit la moindre part à l'Empereur ,
qu'Artabanus ou quelqu'un de fes amis en defcouvriroient quel-
que chofe , qu'Artabanus fe retireroit , ôc Arfaces avec lui >
6c d'ailleurs qu'il n'avoit rien pour les convaincre. Enfin , il
fe refolut , 6c dift à Germanus qu'il falloir pour donner advis
à l'Empereur de cette entreprife qu'il lui en donnaft plus de
lumière , 6c des perfonnes de foi. Alors Germanus commanda
à fon fils de faire ce que Marcellus defiroit. Juftin jugeant
qu'Arfaces ne penfoit plus à lui pour l'accompliiTement de fon
deffein , parce qu'il croyoit l'avoir du tout rebuté , s'addreffa
à Charafanges , 6c lui demanda fi Artabanus n'avoit pas don-
né ordre à Arfaces de le voir, 6c s'il avoit quelque chofe de
i2d MEMOIRES POUR JUSTIFIER
plus à lui dire, ôc comme il falloit travailler , 6c qu'ils en.
viendroicnt bien à bout enfemble. Alors Charafanges fe def-
couvrit à Juftin , qui promit que fon père 6c lui y travaille-
roient de bonne forte , 6c prirent jour pour en parler enfem-
ble. Juftin donna advis de tout ce qu'il avoit fai6l à Marcel-
lus , qui pria Leontius fon ami de fe trouver en lieu d'où il
pourroit ouïr fans être veu ce que Charafanges lui diroit. Ger-
manus mit ordre à cela , 6c Leontius ne manqua pas à ce qui
lui avoit efté ordonné. Les conjurez fe trouvèrent au jouraf-
figné. Charafanges defduifit amplement ce qu'Arcabanus ôc
Arfaces lui avoient dit, les moyens qu'il y avoit de faire Ger-
nianus Empereur î mais que l'affaire fembloit recevoir quelque
difficulté , parce queBeliffaire n'eftoit pas loin de Bizance avec
fon armée , qui leur feroit perdre le fruit de leur entreprife :
qu'il falloit différer l'exécution de ce deffein jufques à ce que
Beliffaire fuft venu , 6c prendre le temps qu'il feroit au Palais, où
ils tueroient l'Empereur, Beliffaire 6c Marcellus. Bien que Mar-
çellusfuft affeuré de toute cefte confpiration par Leontius , il fut
fort long-temps fans en donner advis, ne voulantpas qu'on euft
pu dire qu'il euft par précipitation ôc un defir extraordinaire de
mériter, voulu faire mourir Artabanus. Germanus d'autre cofté
voyant la vie de l'Empereur en hazard, impatient de lui en don-
ner advis , ôc craignant ce que lui arriva , que le délai qu'il ap-
portoit en cefte occafion ne lui tournaft à crime , fe defcou-
vrit à Buzes ôc à Conftantianus. Enfin Marcellus après avoir
différé plufieurs jours à fe refoudre de ce qu'il feroit , 6c voyant
que Beliffaire approchoit de Byzance , defcouvrit tout à l'Em-
pereur qui fit auffi-toft arrefter plufieurs de la fuite d'Artaba-
nus , auxquels l'on donna la queftion pour fçavoir la vérité de
l'aft^aire. L'on apprit par les informations que Germanus ôc fon
fils Juftin eftoient de la partie ; mais ils furent juftifiezpar Mar-
cellus ôc Leontius. Buzes ôc Conftantianus déclarèrent coura-
geufement qu'ils ne pouvoient condamner Germanus, que
l'affaire eftoit ainfi que Marcellus 6c Leontius l'avoient decla-
lée. Le Sénat recogneut que Germanus eftoit innocent: mais
lorfque les Sénateurs furent communiquer leur refolution à
l'Empereur , il fe plaignit hauîtement de cette horrible con-
juration, fe mit en colère principalement contre Germanus,
lui reprochant fon crime d'avoii: efté fi lent à lui defçouvrir h
perij
MONSIEUR F. A. DE THOU. i2f
iperll de la vie où il eftoit. Deux des juges flaterent l'Empe-
reur en fa colère contre Germanus , 6c le confirmèrent dans
fon reffentiment. Les autres craintifs n'oferent parler , ôc ne
voulurent pas forcer l'Empereur en fon naturel, lui difans qu'il
eftoit libre d'en faire à fa volonté. Marcellus feul ayant dit
toute riiiftoire de la conjuration , fauva Germanus, & appaifa
l'Empereur j qui fe contenta d'ofter les charges à Artabanus,
le faifant garder lui & les autres conjurez en prifon fans leuc
faire autre mal,
Cefte hiftoire tirée du troifiefme livre des Gothiques de
Procope,eft fort finguliere : l'on en peut tirer de belles con-
fiderations. L'on y voit Germanus ôc fon fils communiquer
long-temps 6c fouvent avec ceux qui avoient conjuré de tuer
l'Empereur : Que le delTein des conjurateurs eftoit de faire
Germanus Empereur î ce qu'il ne rejettoit pas , en ce qu'il
n'en advertit l'Empereur. Il en donna bien advis à Marcellus,
qui tenoit une des premières charges dans la Court. Ce Mar-
cellus defira de grandes preuves pour en venir à une révéla-
tion , mais fi claires , certaines 6c convainquantes que l'on
n'euft pas pii dire qu'il eftoit calomniateur : fans cela il ne
creut pas eftre obligé à accufer légèrement des perfonnes de
qualité.
L'Empereur fçachant par Marcellus ce qui s'eftoit pratiqué
contre lui , quoiqu'il euft beaucoup différé à lui en donner
advis , ne lui en fit aucune peine , au contraire fe fervit de fon
tefmoignage pour fauver la vie 6c l'honneur à Germanus qui
ne lui avoir rien defcouvert , mais feulement à deux Sénateurs.
Enfin Juftinien ne voulut pas que la fimple fcience qu'avoient
eu Marcellus 6c Germanus leur fuft imputée à crime , 6c fe
montra d'ailleurs doux ôc clément envers les autheurs de la
conjuration.
Ainfi l'on voit que du temps de l'Empereur Juftinien , la
feule cognoiffance non révélée n'a pas efté tenue pour caufe
fuffifante à condamner à la mort, mais confiderée avec d'au-
tres circonftances qui font juger s'il y a dol ou non. Tel eft
le fai6l de Philotas dans fhiftoire d'Alexandre le Grand : il
ne fut pas condamné pour la feule ôc fimple fcience', Ôc
pour ne l'avoir pas révélée. Il y avoit d'autres indices contre
lui > qui firent juger qu'il y avoit du dol i ôc pour ce il fut
Tome ^K 5 q
122 MEMOIRES POUR JUSTIFIER
appliqué à la queftion , où il confeffa fon mauvais defTela
contre le Roy.
S I D O N I U s J^POLLJNARIS & Au X A î^ lU S
fous l'Empereur Anthemius Pan 4.(58.
Arvandus Gaulois , & qui avoit deux fois exercé la Pré-
fecture aux Gaules , fut par un décret de ceux de Narbonne
accufé du crime de Lezc-Majefté devant l'Empereur Anthe-
mius. Ayant elle arrefté , il fut conduit à Rome ; ôc incon-
tinant après Tonantius, Ferreolus, Thaumaftus , Ôc Petronius,
gens de grande confideration envoyez des Gaules pourpour-
fuivre celle accufation ^ atriverent à Rome. Ils eftoient por-
teurs d'une Lettre qu'avoit efcrit Arvandus à Euric Roy des
Gots^ qui le diffuadoit de faire la paix avec Anthemius , ôc
lui confeilioit de faire la guerre aux Bretons , Ôc de partager
îes Gaules avec les Bourguignons. Outre cefte principale ac-
cufation , on lui mettoit fus d'avoir fai£l beaucoup d'exa£lions
pendant fa féconde Préfecture 3 mais comme le crime de Leze-
Majefté eftoit le principal, il fut caufe de la ruine d' Arvandus.
Sidonius Apollinaris eftoit lors à Rome en quelque confide-
ration. Il advoua que par l'amitié qu'il avoit eu avec Arvan-
dus , il avoit fceu , ôc auffi Auxanius , les deffeins d'Arvan-
dus 5 mais tant s'en faut que Sidonius Ôc Auxanius fuffent en
peine de ce qu'ils avoient fceu cefte conjuration i qu'ils alTif-
terent de leur crédit leur ami prévenu d'un fi grand crime, ôc
•bien qu'ils ne peurent pas empefcher qu'il ne fuft condamné
comme criminel de Leze-Majefté , il ne fut pas neantmoins
condamné à mort, mais en un exil.
Cefte hiftoire eft tirée de l'Epiftre 7, livre I de Sidonius
Apollinaris.
Ma GNU s fous Faldemar /, roy de Dannemark Pan 1 17B.
M A G N u s fils d'Eric non content de fa fortune , qui eftoit
grande , en partie par la libéralité de Valdemar I , roy de Dan-
nemark , conjura d'attenter à la perfonne de ce Roy , avec
Canut ôc Charles parens du Roy ôc les (iens. Le Roy defcou-
yrit cefte conjuration, par un Hermite chez lequel quelques
MONSIEUR F. A. DE THOU; 12^
amis de Magnus furent obligez de fe retirer faifans voyage.
Ces gens pendant le fouper parlèrent de la bonne fortune du
Roy , & comme Dieu l'avoit garenti de tous les deffeins que
Magnus ôc les enfans du Duc Charles avoient fur fa vie. Cet
Hermite eftoit fi proche du lieu où ces gens difcouroient, qu'il
apprit tous les deiïeins qui eftoient contre le Roy: il enad-
vertit fon Supérieur pour en donner advis au Roy. Le Roy
le creut facilement , & fit venir devant lui Abfalon parent des
conjurez , ôc lui fit dire l'hiftoire par l'Hermite. Magnus , Ca-
nut & Charles advertis que le Roy fçavoitune partie de leur
deflein , fe retirèrent. Abfalon qui avoir beaucoup de créan-
ce auprès du Roy , fit enforte que Magnus euft un faufcon-
duit pour venir foûtenir fon innocence. 11 vint. Le Roy en
prefence des Eftats affemblez à cefte fin , fit voir des lettres de
Magnus, qui le confondirent de forte que tout ce que put faire
Abfalon, fut de demander un délai pour Magnus , afin defa-
tisfaire à ce qui lui eftoir objedé i ce qu'il obtint. Magnus
voyant qu'il ne lui eftoit pas pofiible de fe défendre , fuivitle
confeil d'Abfalon de confeiTer fa faute , ôc demander pardon :
ce qu'il fit , ôc par un efcrit il defduifit les deffeins qu'il avoir
eu fur la vie du Roy, s'eftonnant comme le Roy avoir efchap-
pé tant de fois. Le Roy lui pardonna en confideration de ce
qu'il eftoit fon parent : mais il ne lui permit pas fa privante ;
au contraire, il s'afiTeura de lui, Ôc lui deffendit d'avoir com-
munication avec Canut Ôc Charles. Chriftierne fils de Suenon
accufé d'eftre un des complices, fut banni, fes biens confervez.
Les Eftats finis, Efchellus l'un des premiers Prélats duRoyau-
me , envoya au Roy deux de fes neveux Abfalon ôc Afcerus,
contre lefquels le Roy fe monftra plus rude que contre Ma-
gnus. Afcerus interrogé par le Roy s'il avoir participé à cefte
conjuration , refpondit que de vérité il l'avoit fceue , mais
qu'il n'y avoit apporté aucun confentement. Après cefte con?
feffion il fut banny.
Cefte hiftoire eft tirée du fixiefme livre de i'Hiftoire de
Dannemark de Jo, Pontanus pag. 3C>3.
/îrrep de la Cour contre H e n N e ^u i N l^A lem a n s , ûs
Pan 1 3 40.
Le Samedy avant Noël l'an 13^0, Hennequin l'Alemans
Î24 MEMOIP.ES POUR JUSTIFIER
fut pîlorié par Arrefi: de la Court , à avoir une cedule mife
fur fa tefte , de laquelle la teneur eft telle : « C'eft Hennequin
S' l'Alemans qui a fceu que M. Robert l'Anglois , ôc deux
M moines Allemans qui demeuroient à S. Bernard , machi-
s' noient la mort du Roy ôc de la Reine , ôc en la perdition
a> de tout le Royaume, par mauvais art ôc par invocation du^.
M Diable , fe venir en un cerne qu'ils firent es jardins de l'hof-
» tel de la Comtefie de Valois i lefquels M. Robert ôc moines
=' font fuitifs pour ce faid j & pource que ledit Hennequin
=> l'Alemans ne le dit! ne révéla à Juftice ^ ôc fut mis en pri-
ai fon à Sainâ: Martin des Champs , laquelle prifon il brifa ,
» ôc fut repris quand il s'enfuit j à cefte caufe il ell mis au
3> pillory. »
Extrait d'un ancien Regiftre.
Bernardo DEL N E R o Tloremin.
En l'année 1497 , Pierre de Medicis qui avoir efté chaffc
de Florence^ travailla par divers moyens pour y rentrer. Ceux
qui avoient l'autorité dans la ville eurent advis de quelque in-
telligence qu'il y avoit : auffi-toft Bernardo del Nero qui ve-
noit de fortir de la charge de Gonfalonnier , la principale du
gouvernement, fuft arrefté, ôc avec lui Nicolas Ridolfi, Lau-
rent Tornaboni , Jean Pucci , ôc Jean Cambi. Le procès fut
fai£l à tous ces prifonniers , ôc furent condamnez Ôc exécutez
à mort. Guicciardin parlant de cette hiftoire, dit que Bernar-
L. 3.^,158. do del Nero ne fut convaincu d'autre chofe che d'havere fa-
puta quefla pratica , & non fhavere rivelata j il quale errore , che
perje é punit 0 inpena capitale , da glijiatuti Fiorentini, ù" dalla
interpretatione data délia maggiore parte dé'JurifconJiilti aile leggi
communi. Mais Guicciardin adjoufte une particularité très conii-
derable ôc effentielle , que la faute de Bernardo del Nero elloit
d'autant plus grande qu'il eftoit Gonfalonnier de la Republi-
que , lors que Pierre de Medicis fe prefenta pour exécuter îow
deffein ; ôc par ainfi plus obligé à faire ufficio piu di perfona pu-
blica che di privata. Ce qui femble deftruire du tout la pre-
mière caufe , fur laquelle les juges avoient condamné Nero;
qui eft d'avoir fceu la conjuration , ôc ne l'avoir révélée 5
puifqu'il avoiî une charge qui l'obligeoit plus eftroitement que
MONSIEUR F. A. DE T H O U. i2y
tous les autres à la défenfe de la République. AufTi rHiftorien
Nardi Florentin , qui a pour but d'efcrire l'Hiftoire particu-
lière de la Republique de Florence , au lieu que Guicciardin
cmbraiïe généralement i'Hiftoire d'Italie , parlant de ce faiâ: ,
dit que fur 1 advis qui en fut donné , les Seigneurs de la Re-
publique firent arrefter tout le premier ce Bernard del Nero
âgé de 75* ans, ôc qui avoir elle Gonfalonnier peu de mois au-
paravant , ôc enfuite les conjurez qui furent tous condamnez
à un mefme fupplice. Nardi ne defcharge point Nero , le faict
coulpable autant qu'aucun autre des accufez.
Raphaël Riario dit le Cardinal de Sain6t George ;^
& A^. Ban DiNELLi dit \q Cardinal Sauli .fous le Pape
. Léo X , l'an 1 5" 1 7.
A L F o N s E Petrucci , dit le Cardinal de Siene , ayant refolu
de faire mourir le. Pape Léon X , fe voulut fervir pour cela
d'un Chirurgien nommé Vercelii. Le Pape adverti de cedef-
fein , trouva moyen de faire venir à R orne ce Cardinal , fur
un faufconduit qu'il bailla à l'Ambafladeur d'Efpagne. Ce Car-
dinal vint à Rome :, fut faluer le Pape accompagné de Bandi-
nelli , dit le Cardinal Sauli , Génois fon ami. Ces deux Car-
dinaux furent arreftez à l'antichambre du Pape , & conduits
au Chafteau Saint Ange. Vercelii , ce chirurgien qui elloit lors
à Florence , fut pris & mené à Rome.
L'Ambafladeur fe plaignit de l'infra^lion du faufconduit :
mais le Pape lui refpondit qu'il ne s'eftendoit point aux cri-
mes de celle nature.
Les prifonniers examinez, plufieurs tefmoins ouïs , la conju-
ration du Cardinal de Siene vérifiée , il fut convaincu & juf-'
tifié que le Cardinal Sauli la fçavoit. Le Chirurgien ôc un
nommé Pocointefta furent exécutez fort cruellement en public.
Enfuite le Pape fit arrefter Raphaël Riario , dit le Cardinal
S. George > Camerlingue , qui dift qu'il n'avoir eu nulle com-
munication de cette conjuration , mais que le Cardinal de
Siene s'eftoit plaint à lui que le Pape lui vouloit mal. Quel-
ques jours après , le Pape sellant plaint en confiftoire de la
haine que ces Cardinaux lui portoient , qu'il eftoit neantmoins
prell d'oublier leur faute 3 Adrian dit le Cardinal Cornetto ,
5Q"i
126 MEMOIRES POUR justifier:
ôc François Soderin Cardinal de Volterre, fe jetterent aux pieds
de fa Sainteté , 6c lui dirent que le Cardinal Sauli leur avoit
tenu le mefme difcours qu'au Cardinal de S. George.
Enfin le procès ayant efté faitl: , le Cardinal de Siene ôc le
Cardinal Sauli furent privez du Cardinalat , dégradez , & li-
vrez au bras feculier. Et la nuicl fuivante le Cardinal de Siene
fut eftranglé en prifon , ôc la peine de mort du Cardinal Sauli
fut commuée en une prifon perpétuelle , d'où il fut délivré peu
après moyennant une bonne fomme d'argent , ôc reftabli en
fa dignité. Guicciardin efcrit qu'avant fortir de prifon l'on lui
bailla un poifon lent qui le confuma peu après. Mais voici
comme en parle P. Jove p. py. Saulio vitam impetravit Iran^
cifcus e Ciboa familia foYoris Leonis maritm , ei qiwque mox hono-
ïempilei cumulât a benignitate reflituit , quum eum aunbus tantum,
non atroci voluntate peccavijfe judicaret. Le Cardinal de Saint
George , Guicciardin en parle ainfi ; Col Cardinale di San
L.i^.p.641. CjJQYgio per ejjere il delitto minore , ancora che le leggi fane
Û" interpreîate da Principi per ficurtà de loro jlati y vogliano che
net crimine délia Maejia lefa , fia foîtopofio aWultimo fup-
plicio y non filo chi macchina , ma chi fa , chi accenna contro
allô fiato y & molîo piu quando fi tratta contro alla vita del
Principe ; procedette il Pontefice piu manfuetamente havendo
nfpetto alla fua et à , & autorità , & alla congiuntion grande
che tnnanzi al Pomificato era lungamente fiata tra loro : pero
fe ben fujfe per ntener C autorità délia feverità , nella fenîenza
medefima privato del Cardinalato y fu quafi incontinente obligan-
dofi egli a pagar quantita grandijfima "^ di danari 3 refiituito per
* P. Jove dit nyatia , eccetto che alla voce attiva] ô" paffwa , alla maie fu
cent mille • ■ ^ rr rr i J
cfcus. tnnanzi pajjajje un anno reintegrato.
Pour ce qui eft des Cardinaux Cornetto ôc Volterre > ils
n'eurent aucun mal , finon qu'ils en fortirent pour une grande
fomme d'argent. Le Cardinal de Volterre fe retira à Fondi,
ôc l'autre craignant la rigueur du Pape fortit de nuit de Rome j
ôc oncques depuis ne futveu.
Ce que l'on peut confiderer fur ce faid y eft que le Pape fit
mourir ceux qui eftoient vrayement coulpables. Les autres
Cardinaux ne l'eftoient pas , l'on en vouloit à leur argent y qu'ils
donnèrent. Et quoi que Guicciardin parlant du Cardinal de
Saint- George , dit^ qu'il eftoit digne de mort par la maxime
MONSIEUR F. A. DE THOU. 127
tenue par les Princes , qui eft que ceux qui ne révèlent pas les
conjurations, font coulpables de mort ; toutesfois l'on voit par
ce qu'il en efcrit , que ce Cardinal fut délivré pleinement en
baillant cent mille efcus. Le Cardinal Sauli en fortit par la
mefme voye , n'ayant eu , dit P. Jove , que les oreilles crimi-
nelles : & ainfi nonobftant cefte maxime, que Guicciardin dit
eflre tenue ôc obfervée par les Princes î ces Cardinaux qui
avoient fceu cefte conjuration contre la vie du Pape , ne fu-
rent punis de mort ^ mais furent délivrez pour de l'argent.
Meffîre Em ard de P ryE) Sieur de P ry e & de Toussr?
A4. Pierre P o p i llo n , Sieur de P aray >
fous le Roy Fr an fois /, 1525.
E M AR D de Prye fut arreflé prifonnier pour la conjuration
du Conneftable de Bourbon. 11 fut interrogé par le premier
Prefident de Rouen , ôc recogneut qu'il y avoit trois mois
qu'il avoit veu le Conneftable à Varennes , qu'il le tira à part^
ôc lui dift , qu'il eftoit en propos de fe marier à la fœur de l'Em-
pereur , ôc qu'il ne tiendroit qu'à lui. Ce difcours depleut au
depofant , qui dift au Conneftable , qu'il ne devoit rien faire
fans le confentement du Roy, ôc qu'il s'en repentiroit: & luy
ayant efté remonftré qu'il devoit donner advis de cela au Roy,
dift 3 qu'il ne penfoit pas que les chofes deuffent tirer fi avant^
ôc qu'il ne vouloit mettre débat entre le Roi ôc le Conneftable.
L'affaire renvoyé au Parlement le 20 Décembre ï>25 , cet
accufé perfifta en fes premières dépofitions.
Le Roy mefcontent du Parlement, qu'il jugeoit trop facile ,
il y lit venir d'autres juges. Ledid fieur de Prye , en prefen-
ce de tous ces juges dit, qu'il y avoit vérité en fes premières
dépofitions , ôc rien plus 3 fe deffendit de n'avoir point donné
advis au Roy de la venue des Lanfquenetz en Bourgogne , di-
fant que le fieur de Jonville l'avoir fai6l.
M. Pierre Popilîon , fieur de Paray , Chancelier du Bour-
bonnois , autre accufé dit , interrogé à Blois le 27 Septembre
1525 par le Chancelier , que le Conneftable lui ayant com-
muniqué fon deiTein de fon mariage avec la fœur de l'Empe-
reur , qu'il l'en voulut difiuader , lui mettant devant les yeux
l'inimitié entre le Roy ôc l'Empereur : de quoi le Conneftable
128 MEMOIRES POUR JUSTIFIER
fe colera fort contre lui , ôc Jura que fi l'Empereur vouîoît
ce mariage qu'il le feroitnoiiobftantfesremonftrances. Neant-
moins que le Conneftable penfant à ce que lui avoir dit ledi£î:
depofant, fe repentit fur l'heure, ôc manda fon Confefreur pouc
fe confefTer du ferment qu'il avoir fait, ce qu'il fit ; ôc depuis
le depofant parla au ConfelTeur , pour fçavoir fi le Connefta^
ble perfiftoit en ce deffein, qui luydift que non, ôc ce par fer-
ment, ce que fit auffi le Conneftable le lendemain 3 ôc ainfi i!
croyoit avoir laifle le Conneftable hors de ce deffein.
Popillon perfifta en fa depofition à Efcures , puis à Loches ;
OLi il fut interrogé , ôc advoua que le Conneftable lui avoit
communiqué par trois fois le deffein de ce mariage j mefme
avant la mort de Madame fa femme.
Cet accufé en prefence de la Cour perfifta à tout ce qu'il
avoit dit, comme aufii le 3 Juin i J24., tant en prefence de la
Cour que des Commiflaires des autres Parlemens.
Enfin intervint arreft du 2 Juillet 15:24^, par lequel la Cour
eflargift iefdi£ts de Prye ôc Popillon , en faifant les foubmif-.
fions ordinaires î ôc neantmoins ordonna que les prifonniers
feroient mis en telle ville du Royaume qu'il plairoit au Roy
ordonner , d'où il leur feroit deifendu de partir à peine de la
vie, main-levée de leurs biens , l'aliénation neantmoins de leurs
immeubles à eux interdite.
Le Roy trouva mauvais cet Arreft , défendit à la Cour Jut
-peine de la vie , ce font les mots de la Lettre , de l'exécuter.
Il y a deux Lettres du Roy pour ce faid, qui font fort rudes :
elles font des 12 ôc 18 Juillet 1524.
Madame , Mère du Roy , Régente en France , efcrivit au
Parlement le 17 May 1525", qu'elle vouloit que l'arreft con-
tre le fieur de Prye fuft exécuté , excepté en ce qui touchoit
la perfonne dudià de Prye , attendu fon ancien âge , voulant
qu'il puifie aller où bon lui femblera. Ce que la Cour exécuta.
Depuis, ladite Dame fit délivrer pleinement ledi6l de Prye.
• Pour le fai6l dudi£i: Popillon , il mourut dans la Baftille le
îj Aouft i5'24, ôc fut par Arreft permis à fa veuve ôc à fes
enfans faire enlever fon corps de nuid fans pompe.
Ces deux accufez fçavoient la conjuration du Conneftable
de Bourbon , ÔC fon defl*ein arrefté de fon mariage beaucoup
avant fa fortie du Royaume. Ils eurent du temps pour en
advenir
MONSIEUR F. A. DE THOU. ï2p
advenir le Roy. Leur excufe d'avoir voulu divertir le Connefta-
ble, n'eft allégué que par eux , par confequent inutile pour
eux , ôc ne les décharge pas. Car il fe peut faire qu'ils n'en ont
rien fai6t , ou pluftoft ne l'ont ofé envers une perfonne de il
haute condition. Le grand nombre de Juges de divers Par-
lemens après avoir ouï les accufez pl'jfieurs fois , leur ouvrit les
prifons, bien loin de les juger dignes de mort.
Extrait du Procès faitl au Conneftable de Bourbon.
Le Sieur Descars ifous le Roy Fr an foi s I, 1 5* 2 j.
François Defcars , Chevalier , fieur de Vauguion , fut ar-
refté fur l'advis qu'eut le Roy qu'il fçait la conjuration du Con-
neftable de Bourbon.
Il fut interrogé plufieurs fois. M. de la Trimouille l'inter-
rogea la première fois , par ordre du Roy & de Madame fa
mère i ôc ce en prefence de trois hommes d'armes de fa com-
pagnie. Il defnia tout ce que lui fut demandé, mais parce que
par fes refponfes il paroifToit qu'il avoit fceu fuperficiellement
quelque chofe de cette affaire ^ lediâ fieur de la Trimouille
l'interrogea , pourquoi il n'advertiffoit le Roy de ce qu'il fça-
voit, dit qu'il n'en fçavoit rien au vrai , & qu'il n'euft jamais
penfé qu'il fe fuft faid i ôc d'advertir d'une chofe dequoi il
eftoit en doute , il lui euft femblé qu'il eufl: faid une grande
mefchanceté : car il ne luy avoit rien déclaré. Ce font fes pro=;
près termes.
Extrait du Procès fai£l au Conneftable de Bourbon.
Bertrand Simon, dit Brio n ^ [Antoine Desguieres ^
Sieur de Ch i rang r , fous le Roy François /, ij^S'
Bertrand Simon , dit Brion , Efcuyer, fut arrefté en la Fran-
ehe-Comté à caufe de la confpiration du Conneftable de Bour-
bon. Il fut interrogé le 27 Septembre i5'23 , ôc confeffa qu'il
ii*y avoit qu'un an qu'il frequentoit en la maifon de Bourbon
par le moyen du fieur du Peloux 5 que le bruit eftoit commun
dans la maifon , qu'il eftoit venu un gentilhomme de la part
de l'Empereur au Conneftable, qui luy avoit apporté des Let-^
ues Ôc un diamant , ôc difoit-on que c'eftoit à caufe des paroles
TomeXr. JR
j50 MEMOIRES POUR JUSTIFIER
du mariage d'entre ledi6l Conneftable & la fœur de l'Empe-
reur , à laquelle le Conneftable envoya un autre diamant :
fceut auiïi que le fieur de Beaurain eftoit venu vers le Con-
neftable.
Sçachant que le Roy vouloir faire arrefler le Connefl:abIe>
il le vint trouver , ôc fut depefché aufTi-toft par Peloux de l'or-
dre du Conneftable , pour aller trouver Saint-Bonnet qui eftoit
à la Palice , Ôc revindrent Saint-Bonnet ôc lui trouver le Con-
neftable , qu'il accompagna jufques à Hermen î que là , le Con-
neftable fe defroba de fes gens , ne menant avec lui qu'un valet
de chambre 6c Pomperanr.
Dit que la fuite du Conneftable eftonna tous fes gens , qui
craignoient de tomber entre les mains du Roy. Au fortir du
Puy pour gaigner les montagnes, Efguieres 6c luij trouvèrent
Laîliere , Saint-Bonnet , 6c Peloux, 6c allèrent jufques au lieu
où il fut pris.
Que par les chemins Laîliere 6c Peloux , difoient que le
mariage du Conneftable avec la fœur de l'Empereur fe faifoit,
que les Allemands dévoient entrer en Champagne , les An-
glois en Picardie, les Efpagnols en Guiennej qu'il y avoit
grand nombre de Lanfquenets en Bourgogne , qui dévoient
venir à Lion, que le Conneftable avec ce qu'il avoit de forces
fe devoir joindre à eux, qu'il devoir avoir dix mille hommes,
dont Peloux en commanderoit mille , Laîliere autant , Godi-
niere autant, 6c plufieurs autres qu'il ne pouvoir nommer.
Adjoufta que Ci le Roy n'euft arrefté à Lion, 6c qu'il en fuft
parti le jour qu'il y eftoit entré, qu'on lui euft faid un Ci beau
fer vice , qu'il ne fuft pas retourné à fon aife en France j dit
aufîi qu'il a fai£t quelques voyages vers les fleurs de Saint-
Valier 6c du Peloux.
Dit que le Conneftable fe retira avec feize jaques , à cha-
cune defquelles il y avoit deux mille cinquante efcus ; 6c en
portèrent Efguieres 6c lui chacun une qu'ils laifferent à Saint-
Amour entre les mains de Laîliere 6c Peloux qui les leur avoient
baillées.
Le mefme jour les mefmes Commiffaires interrogèrent An-
toine d'Efguieres , fieur de Charancy , homme d'armes de la
compagnie du Conneftable , qui dit , que Laîliere le mit au
fer vice du Conneftable , 6c lui dift , qu'il eftoit choili pour eftre
MONSIEUR F. A. DE THOU. û^t
du nombre des douze hommes d'armes que le Conneftable l
vouloir mener avec lui de-là les monts. ]
Ce d'Efguieres dit prefque les mefmes chofes que Brion , Ôc '
fut un de ceux qui conduifit le Conneftable fur la frontière > 6c
qui portoit de l'argent en jaques. i
Ces deux accufez perfifterent tousjours à ce qu'ils avoient -\
dit. Le Roy voulut avoir l'advis des CommifTaires fur la charge
qui eftoit contre tous les prifonniers. Voici ce qu'ils dirent fur ■
ceux-cy. Pour Brion n'y a lieu de géhenne > nilnlque reftat cum \
eo agendum. Sur la confeiïion de d'Efguieres , nihil cum ea ]
agendum. j
Sur ce le Roy renvoya au Parlement de Paris pour parfaire ^o. Dec. ;
le procès des accufez qui furent hui£l en nombre. Arreft du 27 ïps» \
Janvier ly^^ , particulièrement contre lefdids d'Efguieres j
& Brion, accufez d'avoir accompagné le Conneftable jufques \
à Hermen , après le bruit que le Roy le vouloit faire prendre ,
& dudicl lieu de Hermen ledid Conneftable parti , avoient
fuivi Lalhere & Peloux, qui leur dirent le defifeindu Connefta-
ble , ainfi qu'ils l'ont depofé , ôc qu'ils avoient porté partie de
l'argent du Conneftable en jaques , ce qu'ils avoient celé fans
en advertir le Roy ; pour ce ils font condamnez à faire amende
honorable au parquet de Iadi£le Cour , à la Table de Mar-
bre , ôc fur les grands degrez du Palais , en chemife , pieds
nuds ôc tefte nuë , tenans une torche en leurs mains , difans ,
que mal confeillez ils avoient commis les chofes fufdides ; ôc
icelles teuës Ôc cellées fans en advertir le Roy , dont ils en de-
mandent pardon au Roy, ôc à Jufticej ôc ce fai£t eftre reléguez
en tel lieu qu'il plaira au Roy jufques à trois ans ; ôc a privé
iedi6t d'Efguieres à tousjours de tous honneurs ôc ftipendie
qu'il euft pu avoir du Roy, ôc l'a dçclaré, enfembîe ledicl de
Brion , indignes à jamais d'eftre des Ordonnances dudid
Seigneur.
Le p Mars le*Roy vint en Parlement , où il demanda raifon
des jugemens rendus contre les prifonniers : ce que fit le pre- >
mier Prefident. Pour le fai6t defdi£ls de Brion ôc d'Efguieres >
il dift , qu'ils avoient efté plulieurs fois interrogez , ainfi qu'il
eft di£t cy-deffus. Sur quoi le Chancelier demanda : Et de leurs
biens, les avez-vous point confifquez ? Il refpondit que non , ôc
que ce n'eftoit qu'une relegation qui n'emporte confifcation.
'Rij
132 MEMOIRES POUR JUSTIFIER
Sur ce 3 le Roy diil , que l'on devoit en telles affaires , qui
concernent de Ci près fa pérfonne ôc fon Royaume, y regar-
der autrement que l'on ne faidl en une matière civile? ôc que
d'Efguieres ôc Brion , quand ils furent pris à Lion , ils pen-
foient bien eftre pendus ôc eftranglez , qu'il ne vouloit tolé-
rer telles voyes , ôc qu'il entendoit faire venir des cours de
Parlemens ôc autres lieux, ainfi qu'il advifera ,plurieursbons &
gros perfonnages , par lefquels en la compagnie de(Tufdi£le ,
il fera revoir lefdi£ls procès, ôc cependant vouloit que ces pri-
fonniers demeuraffent oli ils eftoient.
Le ip May le Roy efcrivit au Parlement , qu'il eftoit à pro-
pos que les procès des complices du Conneftable fuffent bien
veus , qu'il avoit mis ordre qu'aucuns Prefidens ôc Confeillers
des autres Parlemens , fe tranfporteroient en fa Cour de Par-
lement de Paris, pour vacquer avec eux à la revifion defdi6ls
procès. Sur ces Lettres le Procureur General requift , que très-
humbles remonftrances fuffent faites au Roy , que la confe-
quence de faire revoir les procès jà jugez eftoit très-periileufe.
Surce, Arreft, les Chambres affemblées, par lequel fut dit , que
quant au procès de ceux où il n'y avoit eu arreft , qu'ils feroient
jugez par trente des Prefidens ôc Confeillers de ladide Cour
qu'elle députera, ôc au jugement d'iceux feront appeliez les
Commiffaires des autres Parlemens nommez par le Roy.
8. Juin i^i^. Tous ces Juges, tant ordinaires que Commiffaires affemblez,
interrogèrent de nouveau les accufez , ôc entr autres d'Efguie-
res ôc Brion, qui recogneurent tout ce qu'ils avoient dit aupa-
ravant , qu'ils avoient accompagné le Conneftable jufques à la
frontière.
Ces juges n'ordonnèrent rien de nouveau contre ces deux
accufez, ôc le premier Arreft demeura. Ils furent retenus dans
les prifons jufques en May i J28 , que le Roy efcrivift au Par-
lement, qu'ayant fceu T Arreft contre ces deux accufez , il en-
tendoit qu'ils fuffent délivrez , ayans obeï à juftice ôc exécuté
leur Arreft , afin qu'ils peuffent aller en Italie pour fon fervice.
Surquoi la Cour , après avoir veu l'Arreft donné contre eux
depuis quatre ans ôc neuf mois , arrefta qu'il feroit exécuté :
ce qui fut faid , ôc eux délivrez.
Par cefte hiftoire on voit que ces deux accufez ont fceu le
deffein du mariage du Conneftable , fes pratiques pour troubler-
MONSIEUR F. A. DE THOIT. 155
le Royaume avec l'Empereur & le Roy d'Angleterre ^ enne-
mis du Roy ôc du' Royaumes fçavoient melme le complot
qu'il y avoit eu contre la perfonne du Roy, ont fervi à lare-
traite du Conneftable, ont porté partie de fon argent , après
la cognoifTance qu'ils avoient que le Roy le vouloit faire ar-
refter : ôc neantmoins ils ne furent condamnez à la mort i Ôc
ce qui eft à remarquer, eft que l'Arreftfut donné par trente
Juges du Parlement de Paris, ôc vingt -trois Juges tirez des
Parlemens de Touloufe, Bourdeaux, ôc Rouen, ôc du Grand-
Confeih qui revirent ce procès jà jugé, qui ne trouvèrent pas
jufte de faire perdre la vie à des perfonnes qui avoit fceu bien
plus que fuperficiellement une conjuration Ci grande ôc dan-
ger eu fe.
Extrait du Procès fai£l au Conneftable de Bourbon.
Julien Girolami, fous Cojme de Médias Duc
de Florence,
En l'année ly^p, il fe fit une grande conjuration à Flo*
rence contre la perfonne de Cofme de Aiedicis. Pandolfe
Pucci , chef de cette entreprife , communiqua fon deffein à
Alftoldo Cavalcanti , à Laurent de Medicis , Ricard Mila-
nois , Bernard Corbinelli ôc à Puccio Pucci* Ce chef Pandolfe
Pucci tafcha d'induire ces gens-ci à affafTmer le Duc > leur pro-
pofant divers moyens qu'il jugeoit faciles. Ces gens tant s'en
faut qu'ils improuvaffent le delïein de Pandolfe , qu'ils tafche-
rent de le perfuader de faire l'attentat lui-mefme , ayant grande
privauté avec le Duc ; mais il n'eut pas affez de cœur , ôc re-
jetta cette propofinon , comme impoffible. Pandolfe recher-
cha aufîi pour le mefme faiâ Julian Girolami , ôc Laurent de
Libri : à celui-ci il ne fe defcouvrit pas abfolument, mais il
le pria de l'affifter au befoin. Pour Girolami il entendit afiez
ce que Pandolfe lui avoit voulu dire , quoiqu'en paroles cou-
vertes, improuva fon entreprife, mais lui promit le fecret. Fran-
çois Nafi en fit autant , ôc le defconfeilla. Les conjurez furent
quelques mois fans rien entreprendre 3 ils menèrent cepen-
dant une vie fi desbordée , que Cavalcanti ôc Laurent de Me-
dicis furent pris pour quelques fales adions. Le Duc néant-
moins leur fit grâce , fit défivrer Cavalcanti l'exhortant de mieux
JRiij
,34 MEMOIRES POUR JUSTIFIER
viv^e-JLaurent de Medicis fut envoyé à Pife. Pandolfe ce-
pendant fut à Rome , où il fe defcouvrit à quelques bannis
Florentins, dont le Duc euft advis, ce qui l'obligea de con-
fiderer de près les actions des autres conjurez , ôc fe trouvant
alTez bien informé, il fit arrefter Cavalcanti à Florence, & Lau-
rent de Medicis à Pife. Pandolfe Pucci fut pris ôc examiné
fort exactement j il fut exhorté de dire la vérité , & fur l'aiTeu-
rance qu'il euft que l'on confidereroit les mérites de fes pre-
decefleurs , il fe refolut de dire ingenuement ce qu'il avoit vou-
lu faire , & d'en donner un efcrit, où il enveloppa non feule-
ment plufieurs perfonnes vivantes, mais aufli aucuns qui eftoient
morts. Corbinelii & Ricciardi advertis de cette confellîon ,
fe retirèrent. Tous les conjurez furent convaincus par Pan-
dolfe ôc par fon efcrit j & après quelques légères tortures , ils
furent jugez. Pandolfe , chef de la conjuration, fut pendu pu-
bliquement. Laurent de Medicis , Cavalcanti, Ôc Puccio Pucci
eurent les teftes tranchées, Corbinelii ôc Ricciardi fuitifs furent
contumacez. Nafi qui s'eftoit retiré à Venife , ôc peu après
juftifié comme il pût , fut abfous après une légère peine. Pour
Girolami , pour n'avoir révélé le fecret de la conjuration , il fut
condamné en une prifon pour tant de temps qu'il plairoit au
Duc. Libri fut déclaré innocent.
Cefte hiftoire tirée de G. B. Adriani , livre t5. p. 53 y. ôc
de l'Hiftoire de M. de Thou , livre 25 , eft fort remarquable.
Girolami avoit fceu la conjuration, l'avoir improuvée, n'avoit
rien révélé , il ne fut pas aufîî condamné à la mort : ôc de
plus, ce qui rend cet exemple plus notable , eft qu'il faut con-
fiderer l'eftat où eftoit lors le Duc de Florence , agité ôc tra-
vaillé de diverfes conjurations contre fa perfonne, luiquis'efta-
bliffoit en fa Souveraineté qui lui eftoit conteftée j ôc neant-
moins fes juges, dont il eftoit le maiftre, ne pafferent les bor-
nes de la raifon ôc de la juftice , ôc diftinguerent les peines fui-
yant les fautes des conjurez.
Un Efpagnol feus Philippe II Roy d'Ejpagne 1^60.
En l'expédition de Tripoli que fit le Roy d'Efpagne l'an
jj^o, il y a un exemple qui fert à la preuve de ce Chapi-
tre. L'on découvrit une conjuration de deux Efpagnols, l'un
MONSIEUR F. A. DE THOU. j^^
defquels, qui avoir elle efclave des Turcs à Tripoli , avoir pro-
mis à Dragur ce fameux pirare de merrre le feux aux poudres,
& aurres munirions de l'armée Efpagnole. Le rraiftre fur in-
continenr pendu , mais fon compagnon pour n'avoir pas ré-
vélé cefte conjurarion , furrazé, & mis en galère.
Ce jugemenr miliraire rendu par des gens de mer, ordi-
nairemenr cruels & impiroyables, eftforr judicieux , car il dif-
tingue les peines : le principal aurheur y perd la vie , mais
celui qui n'avoir pas révélé ^ fur rrai£lé plus doucemenr.
Cefte hiftoire eft rirée de l'Hiftoire de M. de Thou liv. 26.
Laurens du Bois fleur de Saint M art in ,& Pierre
DE Grandry i fous le Roy Charles IX.
En l'année i$l^ l'on defcouvrir une conjurarion qu'on di-
foir aller contre la perfonne du Roy Charles IX , ôc contre
i'Eftar. Beaucoup de Grands s'y rrouverenr engagez , & fur
la délation d'un nommé Brinon , l'on arrefta Jofeph de Bo-
niface dir la Mole , le Comte Hannibal de Cocconas , Lau-
rent du Bois dir Sainr Martin , Pierre de Grandry Maiftre
d'Hoftel du Roy, qui avoir efté AmbalTadeur auxGrifons, ôc
François Tourrray. Cesprifonniers furenr envoyez à la Con-
ciergerie du Palais, & le premier Prefidenr, un Prefidenr,
ôc deux Confeillers furent commis à Finftru^lion du procès.
L'affaire alla fi avanr que la Mole, Cocconas, ôc Tourtray
furenr jugez ôc execurez à morr, convaincus de cefte con-
juration.
Reftoienrprifonniers Sainr Martin ôc Grandry , qui furent
abfous quoiqu'ils euffenr fceu la conjuration , ôcy euffent par-
ticipé i car par les charges qui font imprimées Ôc publiées Ton
voir : Que Grandry eftoir frère du lleurGrandchamp , l'un des
aurheurs de cefte conjuration : Que Monfieur le Duc d'Alen-
çon frère du Roy lui bailloir mille efcus, ôc pjromerroit parle
moyen d'un fecret qu'il avoir , de converrir l'argenr en or
pour fournir aux frais de la guerre : Qu'au département des
grandes Charges , ce Grandry devoir eftre Grand Maiftre :
Que fon frère Grandchamp lui avoir comm.uniqué de ce
deffein.
Tourtray l'un des accufez , dit que la Mole ôc Grandry fe
il6 MEMOIRES POUR JUSTIFIER
fi'equentoient fort. Brinon le délateur confronté à Grandry lui
fouftient qu'il eftoit prefent^ ôc Grandchamp fon frère, lorf-
que l'on avoit tenu les propos de l'entreprife contre le Roy,
à veu Monfieur le Duc en particulier le jour du Vendredy
faindavec la Nocle, Grandchamp, ôc Grandry j ce que Gran-
dry recognoift en partie.
Tourtray à la queftion le chargea fort , & dit qu'il devoit
eftre Surintendant des finances de Monfieur le Duc , & pro-
mettoit de convertir l'argent en or, pour donner les moyens
audi£l Duc d'entretenir fon armée.
La Mole eftant fur l'efchaffault preft d'eftre exécuté , dit
que Grandry, Grandchamp, Ôc Nocle fçavoient la confpi-
ration: ce qu'il répéta par deux fois pour le regard de Grandry.
Pour ce qui concerne Laurens du Bois fieur de Saint Mar-
tin, il eftoit neveu du fieur de Saint Paul Maiftre des Requef-
tes. Ce Saint Paul fut ouï , & dift beaucoup de chofes qu'il
avoit fceues dudift Saint Martin , par lefquelles l'on voit qu'il
fçavoit la confpiration i ayant eu grande communication avec
Grandchamp,
Ces deux , fçavoir Grandry ôc Saint Martin , quoiqu'ils euf-
fent cognoiflance de cefte conjuration ôc très-particulière , ôc
qu'il y euft contre eux grandes charges, pour avoir eu com-
munication avec les principaux de l'entreprife , avec Grand-
champ , ôc avec Tourtray autrefois fecretaire dudi£l Grand-
champ , eftant agent pour le Roy à Conftantinople ; neant-
moins quand il fut queftion de les juger, le Parlement con-
damna à mort la Mole, Cocconas, ôc Tourtray , mais Saint
Martin ôc Grandry en fortirent la vie fauve : celui-cy par la
recommendation de l'Evefque de Limoges fon oncle.
S. Paul Maiftre des Requeftes oncle de Saint Martin , ôc
qui en avoit aflez fceu par fon neveu pour venir à révélation,
ne fut point en peine '■> feulement il fut ouï ôc déclara ce qu'il
avoit fceu de fon neveu , non point en paffant ôc legereiaient,
ràiais à plufieurs fois ôc en diverfes conférences,
Ainfi la Cour de Parlement n'a pas confideré en ce juge-
ment l'ordonnance du Roy Louis XI , qui l'obligeoit de ju-
ger % mort Grandry Ôc Sain£t Martin , Ôc encore Saint Paul
mefmes qui ne fut pas feulement prifonnier. S'ils euffent et;
^,lfaire à des ÇominifT^ires , ils çftoieqt perdus,,
PlERRfi
MONSIEUR F. A, DE THOU. 157
Pierre Chastel', fous le Roy Henry IV.
Le 27 Décembre i J94 , Jean Chaftel natif de Paris , âgé
de ip ans, donna un coup de coufteau au Roy Henry IV.
Ce parricide pris fut mis entre les mains du Prevoft de l'Hof-
tel , 6c mené au fort l'Evefque , où il déclara le deflein for-
mé, qu'il avoit refolu de l'exécuter , confefla que fouventcefte
penfée déteftable lui eftoit venues, qu'il en avoit parlé à Pier-
re Chaftel fon père, qui l'en avoit difîuadé, lui difant que le
malin efprit lui avoit perfuadé de commettre ce crime.
Le lendemain la procédure ôc le criminel furent envoyez
au Parlement , où il fut interrogé de nouveau , 6c répéta ce
qu'il avoit dit par devant le Prevoft de l'Hoftel : 6c comme
il avoit communiqué fon defTein à fon père , qui l'en avoit
difruadé. Incontinant Jean Gueret Jefuite , précepteur de Chaf-
tel, Pierre Chaftel fon père, 6c Denife Hezard fa mère furent
arreftez, 6c fes fœurs auffi.
Arreft de la Cour du 2.^ Décembre audi£l an contre Iedi£l
Jean Chaft;ei exécuté à mort ; 6c tiré à quatre chevaux.
Le 7 Janvier de Tannée fuivante 1595" , le procès futfai£l
à Jean Gueret Jefuite précepteur du parricide, à Pierre Chaf-
tel père, à fa mère, 6c à fes fœurs, tous confrontez au par-
ricide Jean Chaftel. Après que par Arreft la queftion euft efté
baillée à Gueret, 6c au père du parricide, la Cour par Arreft
du 10 Janvier i Jp5',bannitlediâ:GueretàperpetuitéduRoyau-
me,6c ledi£l Chaftel père pour le temps de neuf ans, ôc à
perpétuité de la ville de Paris , 6c en deux mille efcus d'amen-
de envers le Roy ; 6c pour le regard de la mère 6c des foeurs
du parricide , les prifons leur furent ouvertes.
Pierre Chaftel père a fceu le defTein qu'avoir fon fils de tuer
le Roy , 6c l'a diÎTuadé , le fils nonobftant les remonftrances
de fon père a exécuté fa réfolution.
Le père pouvoir fans accufer fon fils, feul autheur de cefte
conjuration, 6c feul complice > empefcher que le mal n'arri-
vaft , en arreftant fon fils , foit en fa maifon > foit en le faifant
mettre en des prifons feures , où les pères font mettre leurs
enfans defbauchez , 6c reduifent le plus fouvent leurs efprits à
la raifon.
Tome XF, f S
îjS MEMOIRES POUR JUSTIFIER
En y procédant de cefte forte facile , commode , ôc quin'ap-
portoit point de honte à fa famille, ilempefchoit l'attentat, ÔC
fauvoit fa famille de la ruine qui l'a accablée , il n'y avoit en
ce cas nul péril pour lui.
Et neantmoins la Cour , où préfidoit Monfieur le premier
Prefidentde Harlay ,ne condamna pas le père à la mort, mais
à un banniiïement de neuf ans, ne précipita pas le jugement
du pere^ & le jugea douze jours après l'exécution du Parrici-
de j bien que le coup qu'avoir receu le Roy fufi: récent & la
playe encore fanglante 5 bien loin de le juger le jour mefme
de Parreft donné contre l'autheur de la conjuration.
Ainfila Courcompofée de Juges ordinaires, non Commif^
faires, a jugé qu'une perfonne qui a fceu un tel crime fans
le révéler , quoique l'attentat fuft fur le point d'eftre exécuté 5
& qui mefme avoit efté exécuté j n'eftoit digne de mort. L'Ar-
refh donné en un temps où la chaleur de la Ligue eftoit gran-
de , où les partis eftoient encore en vigueur , où la haine eftoie
extrefme contre les Jefuites.
Carondas Celui qui a fai£l des Annotations fur la conférence des Or-
^îlcedesOr- ^^o^'^^ances a faid celle remarque furl'extraiâ de l'Ordonnan-
dor.naiices r CQ du Roy Louis XI , dont il eft queftion en cefte affaire :
ïroFiéû^^ " Du règne, dit-il, du Roy Henry IV, il a efté difputé au
f" 4^1! Ttt. ' '» Parlement de Paris après l'exécution de Jean Chaflel, fi Pier-
du crime de a, re Chaftel fon père qui avoit fceu fa confpiration & détef-
lezQ-Majejie. ,, j^j^jg entreprife, eftoit puniiTable comme criminel de leze-
M Majefté. Que fi la loi des Perfes avoit lieu en France, n'y
» auroit doute que le père fuft digne de mort , y ayant des
»» exemples d'autres nations i mais le Parlement ufant d'un
s> grand tempérament par arreft de l'an lypy, ne condamna
» pas le père à la mort , mais feulement le bannit hors du
» Royaume , ordonna fa maifon eftre razée & mis une pyra-
35 mide au lieu , 6c le condamna en deux mille efcus d'à-
3» mende, j=
MONSIEUR F. A. DE THOU. i55>
XIII. Examen de deux exemples dont Pon s'ejî fervi pour juflijier
l'avion des Commijfaires,
IL faut maintenant examiner deux exemples fort remarqua-
bles dont nos Commiflaires ont tafché de pallier leur a6lion.
Ils ont par ce moyen prévenu quelques perfonnes foibles , de
peu de jugement, & qui ne confiderent les chofesque fuper-
îîciellement. Ils leur ont faid croire qu'ils avoient raifon , 6c que
l'on avoir grand tort de fe plaindre d'une 11 manifefte injufti-
ce. Nous commencerons par Thiftoire de la condemnation
des Barons de Naples de l'an i^%6 , ôc puis nous examinerons
celle du fieur de Saint Valier , tirée du procès fai6t au Con-»
neftable de Bourbon en l'année 1^24.
La révolte des Barons du Royaume de Naples contre le
Roy Ferdinand I eft fort fignalée dans l'hiftoire. Elle com-
mença l'an 1 48 5*, & fut terminée fept ans après par l'exécution qui
fut faite d'aucuns de ces Seigneurs conjurez. Le Roy de Na-
ples animé par fon fils Alfonfe, Duc de Calabre, qui portoit
impatiemment cefte révolte, fit arrefter Antonelli Petrucci fon
Secrétaire confident 6c ancien ferviteur , 6c deux defes enfans
François Petrucci Comte de Carinola , 6c Jean Antoine Pe-
trucci Comte de Policaftro , 6c aufll François Coppola Comte
de Sarno, Anello Arcamone Comte de Burello beau-pere du
Secrétaire , 6c un Catalan nommé Impou.
Ce Secrétaire venu de bas lieu s'eftoit eflevé par fon mé-
rite^ entra fi avant dans le fecret du Roy fon maiftre que tou-
tes les affaires fe faifoient par lui. Il acquit par ce moyen des
biens immenfes , 6c fes enfans aufll qui s'allièrent aux plusilluf-»
très familles du Royaume.
Pour le Comte de Sarno , il entra dans les fecrets de l'Ellat
par la faveur du Secrétaire. Ces gens acquirent de fi grands
biens , que le Duc de Calabre rechercha toutes fortes d'oc-
cafions pour avoir leur confifcation.
Camiilo Portio qui aefcrit particulièrement cefte hiftoire,
remarque les momens de cefte conjuration. Il dit que ces pri-
fonniers informez du defiein du Duc de Calabre , travaillèrent
à leur confervation , 6c n'en creurent point avoir un meilleuîr
moyen que de fe joindre aux Barons révoltez.
JSij
140 MEMOIRES POUR JUSTIFIER
Que le Secrétaire alloit plus couvert que fes enfans ôc le
Comte de Sarno , pour fe conferver la confiance du Roy î
neantmoins l'entreprife lui fut propolée par Sarno , qu'il y prit
tel gouft qu'il rompit fou voyage d'Efpagne où il avoit refolu
de fe retirer.
f.73.74i-<52» Q"^ 'g Secrétaire avoit fai£l le mariage de fon fils, le Com-
te de PoUcaftro , avec la fille du Comte de Lauria l'un des
Barons révoltez , ôc qu'il avoit afleuré le Comte de Sarno qu'il
ne quiteroit point le Roy que le Pape ôc les Barons n'eufient
Laprîfedes levé les armes , ôc fai£l quelque progrès.
amies fut l'an Qu'il efi; vrai que le Prince de Salerne avoit defiré que le
p,ii6. ' Secrétaire fignaft la ligue , mais que le Comte de Sarno l'ex-
eufa fur fa timidité.
Quele Secrétaire fut arrefté parles Barons, (les uns difent
par collufion ) pour n'avoir voulu figner le Trai£lédela ligue.
Qu'il fit mille rufes pour faire voir au Roy qu'il eftoit pri-
fonnier des Barons, ôc eftant deflivré vint trouver le Roy, ôc
p. 204. fe purgea de tout ce qu'on, lui impofoit , ôc fut reftabli en. fa pre*
miere confidence.
f. 335. Lorfque le Comte de Burello , beau-pere du Secrétaire ,
cftoit Ambaifadeur pour les Barons à Rome , il fceut du Pape
que le Secrétaire eftoit entré dans cefte ligue , Ôc n'en avoic
adverti le Roy fon maiftre.
Ces Seigneurs pris , leur procès fjt faicSl par les formes , afin,
dit l'hiftoire , que l'on ne penfaft pas que leur plus grand cri-
me fuû d'avoir trop de biens.
Le SecTCtaire, fes deux enfans , ôc le Comte de Sarno fu-
rent condamnez à avoir îatefîe tranchée, Ôc leurs biens con-
?' 534- fifquezî fçavoir, dit Thilloire , les deux enfans du Secrétaire,
ôc Sarno , pour avoir confefi^é eftre de la conjuration des Ba-
rons , ÔL pour ce criminels de leze-Majefté 5 Ôc le Secrétaire,
pour avoir eu cognoiflance de la conjuration , ôc ne l'avoir
révélée.
Pour le regard du Comte de Burello' ôc Iinpou, ils ne fu-
ient ni abfou3 , ni condamnez.
Voicy comme parle l'HiIlorien Portlo de ces quatre con-
damnez : Li primi îre > ciae Sarno i Carinola , & Polkaflro-
condennati alla tefia per haver confcjfato e/Jere flati nella congiuray
i^iiltiino i cjçe il Secreîario ; p^r havere havmo riotiua dei Cornîi di
MONSIEUR F. A. DE THOU. i^t
Sarno & non lllaver revelato al Re : per h quale mancamento è
cpinione dt Bartolo Gturifconfulto poterfi condennare il confcio alla
morte , e qttanîunque d'altri Giurifii ella non fia approvata o co^
me non ver a, o corne troppo rigoroja, è nondimcno da Principi mo"
demi inviolabilmente cujlodita.
L'exécution des Comtes de Carinola & Policaftro fe fît le
13 Novembre 1^85. Celle du Secrétaire leur père, ôc du
Comte de Sarno, fuft différée jufques au 1; May 1487.
L'hiftorien Portio fai£l affez cognoiftre par la fuite de fa
narration , que le Roy faifant condamner le Secrétaire pour
crime d'Eftat, ne penfoic à autre chofe qu'à profiter de fes
biens j car avant que lui faire donner la queftion pour fçavoir
où efloient fes trefors , le Roy lui efcrivit pour Texhorter de
ne point s'expofer à la rigueur des tourmens pour fauver fon
bien & perdre fes bonnes grâces. L'hifloireneantmoins quand
elle parle de fes biens , marque qu'on ne lui trouva en argent
que liuicl mille efcus.
Mais pour revenir à noftre fujet : par le paffage cy-defFus
de Portio il efl expreffement dit , que le Secrétaire fut con--
damné à mort 6c exécuté pour avoir feulement fceu cefte con-
juration, ôc ne l'avoir révélée au Roy. Il eft bien certain que
ce Secrétaire prudent & advifé ne fe déclara pasfî ouvertement
que fes deux enfans , ôc le Comte de Sarno , qui traitèrent
publiquement avec les Barons ; toutesfois quand l'on confide-
rera fa qualité de Miniftre principal très-confident du Roy „
qui avoit manié durant piufreurs années toutes les affaires de
l'Eftat , qui avoit le fecret de fon Maif^re , l'on jugera tous-
jours qu'il eftoit obligé à une fidélité plus particulière qu'aucurc
autre , qu'il devoit détourner fes enfans de leur deffein , & de-
voir avertir le Roy fur les moindres indices qu'il en avoit.
Mais l'on a bien de plus grandes charges contre lui, car
outre tout ce qui eft dit cy-defTus tiré en fommaire de Portio, ii
refte encore affez de lumière pour convaincre ce Secrétaire
d'avoir trempé plus avant en cefte conjuration que par une
iîmple fcience.
La preuve plus ample de eefte fcience, ou pluftoft de b
participation qu'eut le Secrétaire de cefte ligue , fe tire du?
procès qui fut imprimé à Naples incontinent après l'exécutior^
des Barons.
î S iij
1^2 MEMOIRES POUR JUSTIFIER
L'on y trouve que le Comte de Carinola , fon fils ,recognoift
p. i- & 4' ^"^ ^^ Prince de Salerne lui avoir dit que François Coppola
ôcle Secrétaire eftoient de la partie, ôc qu'il n'avoit eftéfai^l
aucun efcrit do celle ligue.
Que le Comte de Poiicaftro , fon autre fils , confefle que
fon père eftant à Salerne dift , que pour bien exécuter leuc
p, 6. deflein il falloit arrefter le Roy à Sarno ; qu'il donna charge
à fes enfans de le dire aux Barons , ce qu'ils firent : enfuite de
quoi les Barons efcrivirent une l^tre pour faire venir le Roy
à Sarno , 6c l'arrefter.
p. 10. h Que ce Secrétaire ( que Portio dit avoir efté condamné feu-
lement pour avoir fceu ) recognut avoir donné ce confeil >
ce qui pafTe bien au-delà d'une fimple fcience.
7. 8. Q"^ ^^ Comte de Sarno dit : que toutes les conférences fai-
tes avec les Barons rebelles avoientefté faites du confeil, par-
ticipation , & advis du Secrétaire , & que c'eftoit lui qui avoit
donné les premiers deffeins de celle conjuration.
p. p. Que le Secrétaire confeffa qu'il avoit fai6l le mariage du
Comte de Policaftro fon fils avec la fille du Comte de Lauria
Baron rebelle, depuis la prife des armes contre le Roy. Con-
feffa aufiî que celle ligue avoit efté fai£le par fon confentement,
& qu'il n'en avoit rien dit au Roy.
p. 10. Il y a des tefmoins qui difent que le Secrétaire reveloit à
fes enfans les fecrets de l'Ellat, ôc eux aux Barons.
I?. 38, 19. Il y a aulTi preuve que le Secrétaire avoit donné un efcrit
pour affeurance de fa parole, qu'il y avoit quantité de let-
tres de lui qui tefmoignoient qn'ii eftoit fort informé de celle
menée.
p. îi. Que fes enfans neantmoins monllroient avoir grande dé-
fiance de leur père , croyans qu'il manqueroit à ce qu'il avoit
promis.
p. 39. h. Que le Secrétaire avoit confenti au confeil tenu pour alTaf*
finer le Duc de Calabre fils aifé du Roy.
p 4J- 4<î.^ Que le Procureur fifcal par fes conclufions, les vœux des
onze Do£leurs ôc des quatre Barons tenans lieu de Pairs , con-
damnèrent les quatre accufez en une mefme peine pour le
mefme crime de leze-Majefté au premier chef j c'ell à fça-
voir, pour avoir confpiré ôc machiné contre le Roy ôc fon Ellar,
êc contre fon fils le Duc de Calabre. Les quatre Sentences
Monsieur f. a. de thou. 143
contre les accufez font uniformes pour la punition d'un mef-
me crime.
La première contre le Secrétaire femblable aux autres, por-
te qu'il avoir commis crime de leze-Majefté, & qu'il avoit
encouru toutes les peines de tels criminels par les conftitutions
du Royaume , qui t(i la perte de la vie & confifcation des
biens, tant ceux quieftoient dans le Royaume que hors iceluy.
Après toutes ces charges ôc plufieurs autres particularitez
que Ton peut tirer tant de l'hiftoire de Portio , mais bien
plus du procès imprimé à Naples , il y a dequoi s'eftonner com-
me Portio a efcrit qu'il fuft mis en queftion fi la fimple fcien-
çe d'un tel crime eftoit digne de mort j veu que le Secrétaire
dont nous parlons n'avoir pas feulement fceu, mais avoit conf-
piré , avoit coopéré avec les Liguez , eftoit un des principaux
de lafacllon , fon beau perele Comte de Burello employé par
les Barons près du Pape en qualité de leur AmbafTadeur, fes
deux enfans principaux moteurs de cefte affaire convaincus ôc
condamnez pour cela , ôc le Comte de Sarno fon grand ami
ôc confident.
Il faut maintenant examiner l'exemple du fteur de Saint Valier^
qui fe trouvera beaucoup moins confiderable que le précèdent.
Le 15* Aoufi: i$2-^ , Madame mère du Roy François I,
eftant à Clery receut une Lettre du fieur de Brezay Grand
Senefchal de Normandie } qui portoit qu'il avoit fceu par un
homme d'Eglife que deux Gentilshommes de Normandie lui
avoient dit en confeflion plufieurs chofes importantes à la feureté
du Roy , ôc de l'Eftat j qu'un des gros perfonnages du Royau-
me ^ (ce font les termes de la lettre ) ôc du fang royal avoit
intelligence avec l'Empereur ôc le Roy d'Angleterre, qu'il y
avoit mefmes deffein fur la vie du Roy. Sur cet avis le Chan-
celier du Pratôc Robertet Secrétaire des finances , eurent or-
dre d'interroger ces deux Gentilshommes , que le Grand Se-
nefchal avoient envoyez. Ils déclarerenr qu'ils avoient appris
à Vendofme d'un nommé Lurcy que MefTire Charles de Bour-
bon Conneftable de France avoit de grands deffeins contre-
le Roy ôc l'Eftat , trai£lant mariage avec la fœur de l'Empe-
îeur ,. ôc de plus un Trai6lé pour faire la guerre en France?
ï44- MEMOIRES POUR JUSTIFIER
que le Roy d'Angleterre eftoit de la partie , ôc piufieurs autres
particularitez.
Sur ces difpofitions le Roy fit arrefter le $ de Septembre
Antoine de Chabanes Evefque du Puy , Jean de Poitiers fieuc
de Saint Valier , & Emard de Prye. Auflî-toft l'on donna com-
miflîon au fieur Brinon premier Prefident de Rouen & Gar-
de du petit fceau près du Roy , d'aller à Tarare en compagnie
du Grand Maiftre , ôc du Marefchal de Chabanes, avec un
Maiftre des Requeftes pour adjoint, pour interroger cespri-
fonniers.
Saint Valier , c'eft de lui feul dont il eft à prefent queftion;
ne defcouvrit lors rien de la conjuration ; mais les Commifiai-
res ayant interrogé piufieurs autres tefmoins , eurent une telle
cognoifiance de l'affaire que le Roy par Lettres patentes du
1 1 Septembre renvoya le tout à M. Jean de SqIvq premier
Prefident au Parlement de Paris , à Jean Salât Maiftre des Re-
queftes , François de Loynes Prefident aux Enqueftes , & Jean
Popillon Confeiller en ladi£le Cour, pour faire le procès au-
à'ià Conneftable , aux Evefques du Puy & d'Autun , audid fieur
de Saint Valier, ôc autres prifonniers au Chafteau de Loches,
jufquesà fentence définitive inclufivement, ôc quant au Con^
neftable exclufivemenr.
Saint Valier fut interrogé de nouveau à Loches , perfifta en
fa dénégation ; néanmoins preffé par He£lor Dangerey qui lui
fut confronté , qui lui fouftint qu'il eftoit prefent lorfqu'il fuE
dépefché en Efpagne, il fe refolut deux jours après de décla-
rer ce qu'il fçavoit de cefte çonfpiration. Voici ce qu'il dift.
Que l'Efté dernier eftant à Montbrifon , M. le Connefta^
ble, qui lui avoir tousjours monftré grand figne d'amitié, l'ap-
pella feul en un cabinet ; après lui avoir donné quelques ba-
gues, lui dift qu'il l'aimoit, ôc fe fioit en lui plus qu'en per-
fonne du monde j qu'il lui vouloir dire quelque chofe, mais
qu'il falloir qu'il juraft fur un reliquaire où il y avoit du bois
de la vraye croix , qu'il n'en diroit rien. Après avoir juré ôc
i^iis la main fur cefte croix, le Conneftable lui dift que l'Em-
pereur lui offroit de lui donner en mariage Madame Eleonor
fa fœur veuve du Roy de Portugal , avec deux cens mille li-
vres de dot, ôc pour fix cens mille livres de bagues; ôc au cas
que l'Empereur ôc i'Archidqc fon frère jiiourufient fans hoirs.
il
MONSIEUR F. A. DETHOU. 14;
il faifoit ladite Eleonou héritière de tous fes Royaumes. Tu
verras , lui dit-il , le Seigneur de Beaurain Chambellan de l'Em-
pereur qui viendra ce loir devers moi. Je t'envoyerai quérir
quand il fera venu, ôc tu oiras ce qu'il me dira. Saint Vaîier
s'eftant retiré , le Conneltable l'envoya quérir fur les onze heu-
res de nuiâ: : quand il fut à la chambre du Conneftable , il le
mena en un cabinet où il vit ledid fieur de Beaurain feul, ayant
laiiTé en une chambre un gentilhomme nommé Lolinghen, fon
fecretaire , ôc fon barbier , qui entrèrent peu après dans le ca-
binet. Beaurain receut de grandes careiTes du Conneftable , qui
lui dift : Monlieur de Beaurain , voicy moncoufin M. de Saint
Vaîier qui eft un des principaux amis que j'aye j & fe faluerenr.
A l'inftant Beaurain prefenta les lettres de l'Emperenr au Con-
neftable lui difant , Monfieur , l'Empereur fe recommande à
vous. Ces lettres furent communiquées à Saint Vaîier , qui
portoient ces mots : ce Mon Coufin , je vous envoyé le fieur
« de Beaurain mon Chambellan, lequel vous dira aucunes pa-
» rôles de par moy. Je vous prie le vouloir croire comme moy-
=' mefme, « ligné Charles. Enfuite Beaurain dift au Connefta-
ble que l'Empereur avoit efté ad verti que le Roy le traidoit mal>
&au(îi que le Roy n'avoit tenu aucune promefle à l'Empereur,
combien que l'Empereur de fa part euft tousjours tenu ce qu'il
avoit promis au Roy ; que l'Empereur vouloir eftre ami du Con-
neftable envers ôc contre tous fans aucuns excepter , ôc qu'il ne
tiendroit qu'au Conneftable s'il ne le faifoit un des plus grands
hommes de la Chreftienté 5 dont le Conneftable remercia l'Em-
pereur. Puis il demanda à Beaurain fes inftru£lions & pouvoirs:
il dift qu'il n'eftoit tenu de les lui faire voir , mais neantmoins
qu'il en eftoit content. Il lui communiqua donc le pouvoir
pour traiâer le mariage entre le Conneftable ôc ladite Eleo-
nor, fœur de l'Empereur , ou à fon deffaut de Madame Cathe-
rine fon autre fœur, ôc accorder les articles du mariage , qui
furent faids en prefence du Conneftable , Ôc efcris par le Se-
crétaire dudid de Beaurain. Ils portoient en fubftance , que
l'Empereur donnoit fa fœur en mariage au Conneftable, ou
bien fon autre fœur, avec deux cens mille livres de dot. Le
Conneftable donnoit en douaire le pays de Beaujolois qu'ii
faifoitvaloir 25*000 livres de rente j ôc au cas que l'Empereur ôc
l'Archiduc fon frère aliaffent de vieàtrefpas fans hoirs, ladide
Eleonor fuçcederoit aux Royaumes & Seigneuries quetenoii:
Tome XV, J T
t4^ MEMOIRES POUR JUSTIFIER
l'Empereur, quipromettoit faire ratifier ledi£t Trai£lé de ma-
riage à l'Archiduc. L'Empereur enfuite promettoitdene pren-
dre parti ailleurs , fans le confentement du Conneilable. Ou-
tre ce , Beaurain fit voir les articles du Traiclé entre l'Em-
pereur & le Roy d'Angleterre , où il promettoit faire entrer le
Conneftable. CeTrai6té portoit que l'Empereurdevoit entrer
en France du cofté de Narbonneavec 18000 Efpagnols, dix
mille Lanfquenets, 2000 hommes d'armes, ôc 4000 Genetaires
avec de l'artillerie à i'advenant. Le Roy d'Angleterre devoit
defcendre en France avec i^coo Anglois , ôc yooo chevaux,
6c de l'artillerie, L'Empereur lui devoit envoyer 3oooLanfque-
netSjÔC30oo chevauxiôc Madame Marguerite qui eftoit en Flan-
dre, devoit envoyer 4000 Hannuyers pour commencer la guer-
re fur la frontière de Picardie. Toutes ces defcentes fe dévoient
faire en mefme-temps , ôc au temps que le Roy auroit pafTé
les ?Aonts pour Milan. Le Conneftable ne fe devoit déclarer
qu'après que l'Empereur ôc le Roy d'Angleterre auroient efté
dix jours devant une des villes de France.
L'Empereur outre ce promit cent mille livres au Connef-
table , Ôc l'Anglois autant : ce qu'il refufa , ôc confentit que ceûe
fomme fut employée à une levée de Lanfquenets que faifoit
le Comte Félix.
Saint Valier adjoufte que le Conneftable ne jura pas d'ob-
ferver ces articles, mais dit à Beaurain qu'ils en parleroient
enfemble. La réponfe du Conneftable à l'Empereur fut bail-
lée à Beaurain , contenant afieurance d'affeélion Ôc créance fur
ledi6L Beaurain. Que le Conneftable commanda à Saint Bon-
net d'aller avec Beaurain en Efpagne.
Que cefte defpefche fut faicle en prefence de lui Saint Va-
lier , comme aufli celle que fit Beaurain pour l'Archiduc frère
de l'Empereur, ôc pour le Roy d'Angleterre, pour leur faire
fçavoir cefte alliance, ôc que Lolinghen Ôc le Secrétaire de
Beaurain furent dépefchez à cet efîe£l.
Saint Valier adjoufte que Beaurain aiïeura le Connétable
que les Suiffes ne feroient pour le Roy, ôc que l'Empereur
en eftoit affeuré , moyennant deux cens mille livres qu'il avoit
envoyé î que les Vénitiens eftoient alliez de l'Empereur en-
vers ôc contre tous , ôc lui donnoient deux cens mille livres 5
que Beaurin difant , au Conneftable , ce qu'il avoit négocié en
Angleterre , le Roy d'Angleterre lui parlant de ce delTein lui
•MONSIEUR F. A. DE THOU. 147
dift : Et moi Beaurain qu'auray-je? Qu'il lui rerpondit: Sire,
vous ferez B.oy de France. Que le Roy d'Angleterre répli-
qua : 11 y aura bien affaire que M. le Conneftable m'obeilie.
Saint Valier difl: qu'il eftoit certain que le Royaume de
France ni aucune partie n'eftoit divifée, ni butinée. Après cela
ledid Saint Valier fai£l: la defcription des papiers dont Beau-
rain eftoit chargé , fon pouvoir, le Trai£lé avec l'Angleterre,
comme ils eftoïent fceilez ôc fsgnez , Ôc un troiiiefme qui eftoit
l'alliance entre l'Empereur ôc 1 e Roy d'Angleterre, oùefloit
compris le Conneftable.
Dit auiïi que le Conneflable n'edoit lié ni de parole, ni par
efcrit à Madame Eleonor ; que Beaurain avoir did au Con-
neftable que ladide Dameavoit efcrit à l'Empereur qu'elle fe
rendroit près de lui , pour faire tout ce qu'il lui piairoit ; que
cela faifoit croire qu'elle confentoit au mariage. i:i..ji..^j»v
Adjoufta que le iîeur de Prye ne fçavoit rien de cefte af-
faire, ni l'Evefqued'Autun, ni le Chancelier de Bourbonnois,
Le lendemain que Beaurain ôc Saint Bonnet eurent efté def-
pefchezpour Efpagne, Saint Valier dit qu'il fuft trouver le Con-
neftable pour lui remonftrer la faute qu'il faifoit , lui dift tout
ce qui fe peut imaginer pour le détourner de ce deffein. Que le
Conneftable fur ces remonftances changea de refolution en
apparence, lui promit de nepaffer outre, mais de tenir le tout
fecret. Deux jours après en fe feparant ils fe promirent, l'un
de rompre le deflcin , l'autre d'eftre fecret.
Dit auffi qu'il eft vray qu'il vit le Roy à Lion ; qu'il ne ré-
véla cefte conjuration , croyant l'avoir deftournée ? qu'il n'a-
voit pu trouver l'opportunité d'en parler au Roy , ayant nief-
mes fceu que S. M. d^voit mener le Conneftable avec lui en
Italie : le bruit en eftant tout commun.
- Que lorfqu'il fuft arrefté par le (ieur d'Aubigny , il lui dit
que fi le Roy vouloir avoir fiance eu lui, qu'il lui promettoit
d'aller quérir le Conneftable.
Saint Valier defira faire cefte confeftîon au premier Prefi-
dent feul j ce qu'il refufa , difant que l'affaire eftoit fi gros ( ce
font fes mots ) qu'il ne vouloit rien entendre fans compagnon i
ce qui fut faitl , ôc le fieur de Loynes Prefident y fut prefent.
Saint Valier demande pardon au Roy de ne lui avoir pas ré-
vélé cefte confpiraîion fi-toft qu'il euft deu ôc pu faire , mais qu'il
avoit creu l'avoir deftournée, S T ij
p. 131.
HS MEMOIRES pour justifier
Ledi6l Saint Valier par l'interrogatoire du 2 5 NovembrCj
dit qu il avoit fouvent'veu le Roy fan:îilierement , depuis avoir
fceu le defiein du Conneftable 5 mais que l'on difoit dans la
Court que le Conneftable venoit trouver le Roy , Ôc ainfi la
conjuration diiïipée.
A tout ce que deflus il faut adjoufter que par une lettre de
ce Lolinghen , qui avoit efté flirprife , qu'il efcrivoit au fieuc
de Beaurain lui mandant la prife de Saint Valier, il y a ces
'- La Lettre ^^^^^^^ • " J^ ^'^^ P^^ déchiffrer vos lettres faute du déchifre qu'a
efiau procès d^ M. de Saint Valier en garde. « Un courrier arrefté à Tou-
loufedefcouvrant la conjuration du Conneftable, dit, qu'eftanc
en une Abbaye près de Bourg en Breffe , il fe trouva avec
quatre Gentilshommes qui alloient en divers pays pour avan-
cer les defteins du Conneftable , qu'ils tefmoignerent eftre fore
déplaifans de la prife de Saint Valier , de l'Evefque du Puy,
6c autres.
Voilà la cognolffance qu'avoit Saint Valier de la confpira-
tion du Conneftable : il a efté très-neceffaire de remarquer
particulièrement tant de circonftances , pour faire voir qu'il
n'avoitpas une fimple fcience de cefte conjuration, mais qu'il
en eftoit autant inftruit que le Conneftable mefme.
Le Roy enfin renvoya l'affaire au Parlement de Paris j
oh Saint Valier perfifta , 6c adjoufta qu'il n'avoitpas ad-
verti le Roy de ce que Beaurain efperoit de divertir les Suif-
fes de fon alliance, parce qu'il fçavoit, dit-il , que les Suiffes
eftoient pour le Roy.
Enfin Arreft contre Saint Valier, qui porte pour raifon de
plufieurs feditions, confpirations , conjurations , 6c machina-
tions commifes par lui contre le Roy ftc fon Royaume , il eft
déclaré criminel de leze-Majefté,6c condamné à avoir la tefte
tranchée , fes biens acquis 6c confifquez au Roy > qu'avant
l'exécution ledid Saint Valier aura la queftion extraordinaire
pour fçavoir les complices.
Le Roy eut advis de l'Arreft, 6c l'indifpofition de Saint Va-
lier en empefcha l'exécution. Cependant le Colier de l'Ordre
lui fut ofté avec cérémonie j ce qui n'appartient point au faicl
que nous traiclons.
Enfin la queftion fut feulement prefentée à Saint Valier;
pu il perfifta à ce qu'il avoit dit, 6c le temps de l'exécution
MONSIEUR F. A. DE THOU. 14^
approchant, l'on lui leut fon Arrefl:^ ôc après quelques inter-
rogatoires il renvoya à tout ce qu'il avoit dit au Procès , &
donna congé à fon confefleur de déclarer toute fa confeflTion.
Eftant conduit au lieu où il devoit eftre exécuté furvint un Ar-
cher de la Garde du Roy, qui apporta lettres de fa Majefté
de commutation de peine en une prifon perpétuelle. Le pri-
fonnier fut remené en la prifon , l'exécution de ces lettres de
commutation de peine fuft furcife, ôc le dernier Mars 172^
le Roy fit tirer Saint Valier de la tour quarrée , pour le mener
au lieu qu'il avoit ordonné. Depuis en l'année 1527 , le Roy
lui donna fes Lettres de reflitution, abolition, grâce & rap-
pel, addreflantesà toutes les Cours de Parlements de ce Royau-
nie^ dans lefquelîes tout le fai£l cy-defTus eft narré particuliè-
rement , enfemble les caufes qu'avoit allégué Saint Vaher de
n'avoir pas révélé au Roy celle conjuration , qui font les mef-
mes dont il s'efl fervi au procès.
Voilà quelle eft la vertu de l'affaire de Saint Valier, quelles
eftoient les charges contre lui, qui font telles que fans la grâce du
du Roy il eftoit couîpable de mort. Il n'y a perfonne qui ne
voye combien il eftoit engagé dans cefte conjuration : l'on voit
qu'il avoit eu une entière participation des deffeins du Connefta-
ble ôc par le Conneftable mefme. L'on voit qu'il a efté la feule
perfonne de condition qui a fceu le particulier de la conjuration »
jla efléprefent à l'aâiion la plus importante ôc poiTible la feule
du Trai£té faicl entre l'Empereur 6c le Conneftable ? a veule
Traidé; enafceu les circonftances, en a leules inftrudions ôc
les a£les , en a communiqué avec l'Agent de l'Empereur , a
veu les defpefches du Conneftable en refponfe de celles de
l'Empereur : il eftoit mefme dépofitaire du chiffre que l'Em-
pereur avoit envoyé au Conneftable , pour fe communiquer
plus fecretement leurs deffeins. Il avoit juré de ne jamais rien
révéler de ce fecret , a perfifté jufques à l'extrémité à dire
qu'il n'avoir aucune cognoiffance de l'affaire , n'a rien confeffé
qu'après avoir efté convaincu par celui mefme que le Connef-
table envoya en Efpagne,a efté fou vent auprès du Roy ôc pri-
vement depuis avoir eu participation de ce Traidé : il fçavoit
que ie mal preffoit , il voyoit le Roy preft de paffer en Italie>
il voyoit les Efpagnols ôc les Anglois prefts avec de grandes
armées pour entrer en France par divers endroits en exécution
JTiij
lyo MEMOIRES POUR JUSTIFIER
de ce Trai6té, ilfçavoit la refolution déterminée du Connef-
table de fuivre le parti de l'Empereur, ôc qu'il eftoit fur le
point de fortir du Royaume i comme il lit.
Tout ce qu'il diflpour fa deffenfe ed qu'il remonftra au Con-
neftable> avec autant de véhémence qu'il peuft, les maux que
pouvoit produire fon entreprife , qu'il croyoit l'avoir diverti,
lui ayant promis la larme à l'œil , touché de fon difcours , que
l'affaire en demeureroit là 3 mais à condition qu'il tiendroit fe-
cret ce qu'il lui avoit confié.
Cefte juftification n'eft prouvée au procès que par ce qu'en
dit Saint Valier mcfme, qui n'avoir que cefte feule deffenfe,
fbible à la vérité 6c inutile, puifqu'elle n'eft appuyée que de
lui feul , puifqu'aucun des tefmoins n'en a parlé ; auffi a-t-ii
tousjours dit qu'il avoit pris le Conneftable feul pour lui faire
ces remonftrances j ôc le divertir de cefte conjuration.
Si nos Commiffaires ont tant foit peu de raifon , ôc s'il leur
refte affez de jugement, ils verront qu'ils ont befoin d'autres
exemples que ces deux-cy , pour juftifier leur a£lion. 11 eft
neantmoins difficile en cefte vafte mer d'exemples Ôc d'hiftoi-
res , de n'en point trouver quelqu'un qui foit à leur advanta-
ge; mais tousjours fous quelque infâme Tyran. Pour nous^
nous en faifons voir un affez bon nombre ôc de très-illuftres,
anciens ôc modernes , qui condamnent ce qu'ils ont faid pour
obéir au plus injufte Tyran qui fuft jamais.
XIV. . Contre les Commiffaires en gênerai y & les Commijfions
extraordinaires.
IL n'eft pas difficile aujourd'huy de faire croire à toute la
France que ce jugement eft injufte ôc inique , puifqu'il a
efté rendu par des Commiffaires, après que nous avons veu
ce qui s'eft paffé dans le Parlement en plufieurs occafions im-
portantes , foit en l'affaire du duc d'Efpernon jugée le Roy
prefent ôc prononçant, foit aux affaires du duc d'Elboeuf ôc du
Prefident Coigneux , foit auffi en ce qu'il a efté ordonné pour
certains Confeillers receus à Rouen par des Commiffaires
Confeillers du Parlement de Paris; bref, en toutes les occa-
fions qui fe font prefentées où les Commiffaires ont travaillé,
Neantmoins il femble à propos de reprefenter ce que l'on erj
MONSIEUR F. A, DE THCU. ip
a creu avant ce fiecîe , & comme cette forte de Juges a edc
en perpétuelle abomination dans la France.
JI eft certain que par les anciens eflabliflemens de ce Royau-
me, la juftice civile ou criminelle doit élire exercée par les Ju-
ges ordinaires eftablis par les ordonnances.- Cela eft fi vrai
qu'il nes'eft jamais faicl affemblée d'Eftats , ou autre telle con-
vocation légitime , que l'on n'ait improuvé tout ce qui s'eftoit
faitl au contraire. Enfuite on a foutenu que la confervation
de ce fondement efloit fi neceffaire à l'Eftat , qu'il n'y pouvoit
eftre en façon aucune dérogé, foit par les attributions de ju-
rifdidion à autres perfonnes j foit par une authorité abfoluë , ,
fans une manifefte oppreilion Ôc fans violer la juflice y qui eft
le lien de la Société Civile. De là eft venu ce mot qui eft com- -
mun , mais très excellent , du Moine de Marcouffis- au Roy-
François I, fur la condamnation de mort du Grand Maiftre
de Montaigu juftifié après fa mort: « Jl n'a point efté condam-
3> né. Sire, par des Juges, mais par des Commiflaires j« com-
me s'il euft voulu dire , Que tels Commiïïaires choifis par la
paflion du Seigneur qui pouvoit lors dans le Royaume , n'ap-
portèrent en leur jugement la confcience ordinaire de bons
juges. A quoi bon tant de Parlemens dans ce Royaume ï pour-
quoi tant de juftices ordinaires , & s'il le faut ainfi dire, une
armée de Juges non fufpeds, mais tels que l'âge ôc lehazard
les a portez dans les charges fil non pour donner cefte fatis-
fa£tion aux peuples, qu'ils feront jugés par des perfonnes ni
fufpedes ni interefices , par des juges non choifis , non commis
pour une feule affaire, bref par des hommes exercez à rendre
la juftice , qui n'ont autre but que l'équité , n'ont autre refpe£t
' que de fatisfaire à leur devoir ôc à leur confcience.
Les Commiflaires, au contraire , gens choifis, fufpeds ôc
intereflez, ignorans la plufpart Tordre de la juftice , tendans
tous à avoir des recompenfes de ceux qui les employ&nt, n'ont
autre foin que de plaire à celui qui les prefide , corrompent
leur confcience j abandonnent leur propre fens pour fuivre
celui d'autruy .; ôc d'autant plus dangereux, qu'eftansleplus fou-
vent noircis de crimes en recherchent l'impunité par des ac-
tions infâmes , agréables à celui qui a la principale autorité
dans le gouvernement.
Philippes de Commines a fort bien remarqué ce points -r. i8. /. j-.
1^1 MEMOIRES POUR JUSTIFIER
parlant des Princes qui gouvernent mal. « Les uns , dit-il , pu-
»> niflent fous ombre de juflice, ôc ont gens de ce meftier prefts
3' à leur complaire > qui d'un péché véniel font un péché mor-
3» tel j s'il n'y a matière , ils trouvent les façons de difîimuleï
w à ouïr les parties & les tefmoins , pour tenir la perfonne >
«» ôc la détruire en defpenfe , attendant tousjours fi nul ne fe
« veut plaindre de celui qui eft détenu , ôc à qui ils en veu-
w lent : fi cefte voye ne leur eft feure aflez , àc bonne pour
0» venir à leur intention, ils en ont d'autres plus foud aines ^
M ôc difent , qu'il eftoit bien neceflaire pour donner exemple ?
a> ôc font les cas tels qu'ils veulent ôc que bon leur femble. «
Le cahier des Eftats tenus à Tours l'an 1483 eft fort confi-
derable fur cefte matière , ôc qui nous reprefente l'eftat mife^
rable où eftoit la France fous Louis XI. Voici ce qu'il porte.
ce Item, ôc au temps pafle ( c^eft à dire du temps de Louis
« XI ) quand un homme eftoit accufé , fuppofé que ce fuft à
» tort , il eftoit pendu , car là où il n'y avoir information , ne
5' aucun droit requis en forme de droit , il eftoit pris ôc ap-
M prehendé ôc tranfporté ôc mis hors de la juftice ordinaire
« entre les mains du Prevoft des Marefchaux ou d'aucuns Com^
oî miffaires quis ôc trouvez à pofte , ôc très fouvent les accu-
w fateurs avoient dons des forfaitures ôc amendes , ôc avoient
« les procès à conduire comme CommiiTaires ôc juges, ôc s'ils
9> n'eftoient Commiftaires fi en avoient ils les Lettres expreftes
a> pour eftre prefens avec les juges à faire leur procès j Ôc de
33 ce font ensuivies plufieurs injuftices. Si femble aufdi^ls Ef-
« tats que telles manières d'accufations doivent cefter , ôc ne
o> doit l'on jamais donner ne foufFrir tels Commifiaires extraor-
05 dinaires j mais fi aucuns font accufez de quelques cas ou
« crimes , bonnes ôc deuës informations foient faites par les ju-
9î ges ordinaires , Ôc fur tout foient gardées en tels procès les
w formes de droit en délivrant les innocens , Ôc punifiant leâ
55 delinquans ôc faux accufateurs par les Juges ordinaires ainfî
w que de raifon. Et avec ce requièrent lefdids Eftats queiceux
3^ Commifiaires ôc autres juges ordinaires ôc extraordinaires ôc
3^ officiers de juftice , qui ainfi fe font mal verfez en leurs char-
"^ ges ôc offices , foient punis ôc corrigez , ôc qu'ils en foient
a> tenus defdommager ceux qui par eux ont efté induement in-
»> tereffez , ôc que les Cours fou veraines foubs le refTort defquelles
lefditls
MONSÎEUR F. A. DE THOU. ï^
»> îefdiâis delinquans ôc abufeurs font demeurans , faflent de
'i» ce les punitions & réparations y tellement que ce foit exem-
»' pie à tous autres , ôc que déformais tels abus ôc injuftices
p n'ayent lieu en ce R.oyaume. »
Voila à peu près l'image d'un règne tel que celui que nous
avons veu.
Ceux qui ont voulu rendre ces Commiiîions en quelque
forte légitimes, ont déliré qu'elles fuffent addrefleeb Ôc vérifiées
dans les Parlemens 3 feuls juges de la vie ôc de l'honneur des
hommes? ôc s'ils ne peuvent fufEre(ce qui ne fe peut dire y
en ayant un aflez bon nombre) ou que par autre caufe il en
foit befoin , ils vérifient les pouvoirs d'autres juges qui y fa-
tisfont 5 comme ceux des Prefidiaux ôc des Prevofts des Maref-
chaux contre certaines perfonnes ôc en certains cas. Mais fans
vérification on ne peut en France licitement ufurper une jurif^
di6lion criminelle en dernier refibrt.
En une Mercuriale tenue du temps de Charles ÎX , le Par- Pafquier c. 8,
lement arrefta par ferment folennel , qu'aucun Confeiller de ^' 6. de fès
la Cour n entreroit en Commiffion , fi tous les Commifiaires ^^ ^^^ ^^'
& députez n'efloient tirez du mefme corps , ôc non mandez
de diverfes Cours Souveraines 5 qui eft bien un tempérament
au mal , mais non pas un remède.
Les exemples illuftres , mais miferables , des jugemens ren^
dus par des Commiflaires , font frequens dans noftre Hiftoire ,
ne fe peuvent lire fans horreur ôc deteftation. Se peut-il rien
voir de plus extraordinaire ôc furieux que le fai£l d'Enguer-
rand de Marigny fous le règne du Roy Louis Hutin ? fans
obferver aucune formalité, fans ouïr l'accufé, il fut condam-
né ôc exécuté à mort par des CommifTaires qui travaillèrent
félon la pa0ion du comte de Valois ennemi capital de l'ac- ijri,
cufé ? mais enfin après quelques années fa mémoire fut refta-
biie, il receut tous les honneurs qui fe peuvent imaginer pour
abolir la mémoire d'une fi infâme injuflice.
Olivier de Cliflbn fut condamné à avoir la tefte tranchée, j.^,
fut exécuté à Paris pour crime de Leze-Majefté par jugement
donné par le Roy Philippe de Valois , aflifté de plufieurs
Commiflaires. Depuis il fut trouvé innocent , fa mémoire juf-
tifiée, fonfilsde mefme nom, qui avoir efté banni avec Jeaa-
iie de Belleville fa mère ^ furent remis en honneur , ôc lui fut
Jome XF, ' J V
ly^ MEMOIRES POUR JUSTIFIER
faiâ: Conneftable de France fous Charles V.
i4oi?. Du règne de Charles VI nous avons ce notable exemple
de Jean de Montaigu Seigneur de MarcoufiTis, Grand Maiftre
de France^ qui avoir rendu de grands fervices à l'Eftat 3 l'en*
vie que lui porta le Duc de Bourgogne le reduifit à tels ter-
mes qu'il fut condamné à moit par des Commiflaires ôc exé-
cuté fort précipitamment : après fa mott il fut déclaré inno-
cent, fes os recueillis & portez aux Celeftins de Marcouflis
avec pompe. De ce jugement eft venu ce mot fi commun
dont eft païjlé cy-defius, « Qu'il avoit efté jugé, non par des
» Juges , mais par des Commiflaires. »
Î481. René d'Alençon Comte du Perche , Prince du Sang , fut
accufé de crime d'Eftat. Le Chancelier d'Oriole inftruifit le
procès afTifté de quelques Seigneurs & officiers du Parlement.
Le Parlement en cogneut , il fut condamné à tenir prifon du
règne de Louis XL Son fuccefleur Charles VIII la première
année de fon règne , fit déclarer qu'il avoit efté injuftement ac-
cufé , ôc le fit pleinement délivrer comme innocent l'an 148^.
JSH' L'exemple de Jacques de Beaune St. de Semblançay, du
règne du Roy François I, eft déplorable. Les Commiflai-
res le condamnèrent à eftre pendu, il fut exécuté. Quelques
années après à la pourfuite de fes parens il fut juftifîé , déclaré
innocent , ôc jugé que les CommifTaires qui l'avoient fai£t
mourir , avoient obéi aveuglement aux ordres de ceux qui
avoient la principale autorité dans le Royaume.
Eftienne Poncher du mefme règne, fut jugé à mort par des
Commiflaires, 6c exécuté pour unfaid de finances. Leur ju-
gement fut trouvé peu après fi inique , qu'aucuns de ces Com-
miflaires furent ignominieufement chaftiez , le corps de Pon-
cher tiré du lieu d'ignominie où il avoit efté mis , ôc porté en
lieu honorable par ceux mefmes qui l'avoient injuftement
condamné.
1540. Le procès fai£l à l'Admirai Chabot eft digne de remarque:
il fut fai£l par des Commiflfaires tirez des Parlemens de Paris ^
Touloufe ôc Rouen , d'aucuns des Maiftres des Requeftesdes
premiers de leur temps, le Chancelier Poyet prefida, lacom-
miflion fut vérifiée au Parlement , le Roy mefme fut ouï , l'ac-
cufé fut condamné pour infidélité, oppreflion du peuple, con-
cuflions ôc exactions ôcc. Il n'y euft jamais jugement plus
MONSIEUR F. A. DE THOU. i^^*
Jufte en apparence , ni mieux concerté, ni plus célèbre. Car
outre la condamnation de l'accufé , il contient de beaux re-
glemens pour le bien de l'Eftat. Le jugement eft du 8 Février,
& neantmoins au mois de Mars enfuivant, le Roy defchargea
i'Admiral des amendes qui eftoient grandes , ôc de la confif-
cation. L'année fuivante le procès fut reveu par une partie des
mefmes Commiflaires , qui recogneurent que l'Admirai n'eftoit
point coupable du crime de Leze-Majefté 5 enfuite dequoyil
fut abfous, & eut une abolition générale. Peu de temps après
le procès criminel fut fait au Chancelier Poyet qui avoit prefidé à
celui de l'Admirai : la principale accufation contre Poyet fut
d'avoir forcé les juges de l'Admirai à donner leur advis contre
lui , ôc pour cela il fut convaincu ôc condamné.
Comme par cet exemple , qui eft illuftre , l'on voit qu'une
compagnie de Commiflaires , quels qu'ils peuvent eftre , eft
emportée par la partie choifie, ôc par celui qui les prefide ,
qui par fon autorité ôc par fon addrefle conduit l'affaire où veut
celui qui ordonne des chofes ', l'on en peut aufli tirer cette
inftrudion , que la prefence du Chancelier ne rend point la
chofe de plus grand poids i au contraire eft un moyen prin-
cipal pour faire juger que Faction n'a pas efté libre , mais for-
cée ôc extorquée des juges.
Cette affaire fut trouvée fi odieufe par le Roy François ,
qu'il jura qu'il ne lui adviendroit jamais de donner des Com^
miflions pour faire le procès à qui que ce foit par telles voyes
extraordinaires.
Les Princes quoique foibîes ont le plus fouvent de ces bon-
nes lumières , mais elles font aufli-toft eftoufées par leurs prin-
cipaux Miniftres , qui n'ont pas cefte afFe£lion naturelle que
Dieu attache volontiers à la perfonne de celui qui en a la vo-
cation.
Nous avons un exemple aflez remarquable du règne de j^^,
Henri II en la perfonne du Seigneur du Biez Marefchal de
France , ôc de Jacques de Coucy Seigneur de Vervin fon
gendre. Ils furent condamnez par des CommifTaires. Vervin
fut exécuté à mort , du Biez fut long-temps en peine : il mou-
rut libre , mais en difgrace 3 la mémoire de l'un ôc de Pautre
fut juftifiée fous le règne de Henri III , ôc receurent de grands
honneurs en une pompe funèbre qui fut faide l'an içyj ? ôc
JVij
,;5 MEMOIRES POUR JUSTIFIER
fut dit que les tefmoins fur lefquels les CommifTaires avoietit
jugé, eftoient faux. C'eft ce qui a faitl dire aifez naïvement
à celui qui a efcrit la Vie de Louis de Bourbon ; dit le Bon,
parlant du Seigneur de Vervin : « Il fut condamné , dit-il , à
o' avoir la tefte tranchée , mais il en a efté déclaré innocent
35 parce qu'il avoit efté jugé par des Commillaires , » qui eft
certes une bonne raifon & certaine.
Le plus illuftre de tous ces exemples eft celui du Prince de
Condé l'an 1^60. Il futarrefté à Orléans peu de jours avant
la mort du Roy François II j fon procès fut précipitamment
inftruit par des CommifTaires: il appella perpétuellement d'eux
au Parlement, dont il fut aufli-toft débouté par divers arrefts
du Confeil , fans eftre ouï. Cette affaire fut conduite avec une
telle chaleur , que fi le Roy euft encores vefcu deux ou trois
jours , ce Prince mouroit affeurement par le jugement des Com^
miffaires ; mais en un moment la face de la Cour fut changée.
Il fut déclaré pur & innocent de ce dont il eftoit accufé.
Depuis ce temps nous n'avons rien de confiderable en cefte
matière que ce qui s'eft pafTé en ce det nier règne , le plus aban-
donné en ce point qu'aucun autre. Car il n'y a ville en ce
Royaume où les CommiUaires n'ayent exercé leur fureur; mais
principalement dans Paris , où l'on a veu les juftices ordinai^
res defpouillées de leurs fondions principales , ôc les Juges
choifis occupez à fervirextraordinairement contre les Princes
du Sang , contre les Grands , contre les Officiers des Cours
Souveraines , contre des Evefques ôc autres perfonnes Eccle-
liaftiques : les privilèges des Princes du Sang , des Ducs ôc
Pairs , des Officiers de la Couronne , ôc des Cours Souve-
raines abolis.
L'on a veu des perfonnes fur une fimple Lettre de Cachet
du Roy , fans autre forme ni figure de procès , périr par la
main des bourreaux. L'on a veu M. le Chancelier en l'année
16'^Oi après avoir ouï par un feul des Maiftres des Requeftes
le rapport de quelques informations contre cmq ou fix habi-
tans de Rouen , non pris en flagrant deîi6l , mais prifonniers
quatre mois auparavant, les condamner lui leuî à la mort par
fon ordonnance verbale , fans y appeiler perConne, fans fen-
tence ni jugement par efcrit , ôc en commander l'exécution
au Prevoft de Flfle , à quoi il obeift : il en fut faict autant
/. 6.
MONSIEUR F. A. DE THOU. i;7
contre quatre miferablcs qui furent pris à Couftances.
Toute l'Europe fçait combien de perfonnes ont efté oppri-
mées en ce dernier temps par la voye des Commifiaires ; &: qui
peut dire ne l'avoir point efté ? L'on a creu donner quelque
couleur à aucune de ces principales actions , ôc publiques in-
juftices , par la prefence du Chancelier : au contraire , l'on s'eft
fervi de ce moyen comme du plus puifî'ant pour opprimer plus
facilement ôc promptement.
Les CommifTaires gens foibles , ôc on n'en vouloir pas d'au-
tres ^ ont efté intimidez par la prefence d'une perfonne fi au-
torifée, les fuffrages n'ont pas elle libres. L'exemple du pro-
cès de l'Admirai Chabot ell notable , oh le Chancelier Poyet
fît voir aux juges ce qu'il voulut , leur fit croire ce qui plaifoit
aux puiflfances fuperieures, fit i'arrefl: & le fit figner , comme
il l'avoit projette j mais il ne porta pas loing celle injuftice.
Le juftice de Dieu fe monftra fi contraire à celle des hommes,
que ce miferable Chancelier y perdit l'honneur ôc les biens,
11 n'ignoroit pas, car les moindres le fçavent , que les Chan- Pafquler c.
ceîiers de France n'ont jamais prefidé aux commilfions extraor-
dinaiies , pour faire le procès criminel à qui que ce foit j mais
feulement quand la Cour y vacque : en ce cas le Chancelier
y peut prefider comme chef de la Juftice.
Jl fçavoit que les CommifTaires ne peuvent ufurper une ju-
rifdiélion extraordinaire criminelle fouveraine en France fans
vérification en Parlement contre les ordonnances qui le défen-
dent exprefiement 5 que ces ordonnances eftant vrayes loix ir-
ritent d'elles mefmes ce qui eft contraire à leur prohibition.
Il fuffit au Legiflateur de défendre ce qu'il ne veut pas eftre
faift ', ôc néantmoins la violence de ceux qui avoient 1 autorité
dans la Court , Ôc fa paffion particulière , lui éblouirent telle-
ment les fens qu'il fe porta à toutes les extremitez indignes
d'un homme de bien.
, Un ancien de grand nom a elle blafmé de fuir la prefence
de la juftice, qui eftlefeul ciment qui lie ôc eftreint lafocieté,
la feureté ôc tranquillité publique; ôc néantmoins oneftquel-
quesfois contraint de confefifer qu'il avoir raifon de dire ,
qu'il ne fe fieroit pas de fa vie à fa propre mère. Et certes
il le faut avouer j puis qu'au fai£l que nous trai£lons , un hom-
me de bien fe trouve livré au bourreau par les mains du
5Viij
ijS MEMOIRES POUR JUSTIFIER
premier Miniftre de la Juftice , afliflé de plufieurs Commiflaires,
tellement afleurés pour faire ce que le Cardinal avoir refolu ,
qu'il n'y euft que le Sr. de Miromefnil , non choifi , ni par
le Cardinal, ni par le Chancelier, mais nommé fortuitement
par le Roy mefme, qui fut à lui fauverla vie j ce qui lui a ac«-
quis une gloire immortelle.
Le Chancelier prévoyant , faute de bourreau , que fon juge-
ment ne pourroit eftre exécuté , donna cent efcus de fa bourfe
à un miferable gagne-denier , qui fe hazarda pour cefte fom--
me de faire cefte exécution : chofe horrible 6c indigne adion
qu'on pourroit à peine approuver en la perfonne d'un Prevoft:
des bandes.
Par là l'on peut juger combien il eft dangereux de tomber
entre les mains des CommifTaires , quels qu'ils foient , dé-
vouez à tout faire , qui n'ayans gain qu'aux fupplices ne refpi-
rent que les fupplices : leur ambition leur fert d'accufateur ôc
detefmoin , ils ne fe propofent autre chofe que d'acquérir des
biens , ou de fubfifter dans leurs charges par le fang ôc par l'o-
beiflance aveugle aux volontez d'un tyran. Au lieu de l'hu-
manité ôc de la douceur que les hommes ont efcrite en leuc
nom ôc imprimée aux traits de leur vifage , ôc qui convient
particulièrement à ceux à la religion defquels les biens , la
fortune ôc la vie des autres eft commife ; ils font tous remplis
d'inhumanité ôc de cruauté , ils font difpofez à trouver coupa-
bles ceux qui leur font abandonnez : ôc bien que les loix obli-
gent les juges à eftre pluftoft enclins à recevoir, voire recher-^
cher tout ce qui peut fervir à la juftification des accufez , ôc
qu'ils ne doivent ufer des dernières peines qu'à toute extrémi-
té , ôc lorfque l'enormité des crimes ôc leur évidence les y
contraignent j ceux - cy au contraire jugent félon ce qui leuc
eft prefcript, n'ont autre loi que la volonté d'un violent Mi-
niftre , regardent leurs interefts propres, leurs avancemensdans
les charges Ecclefiaftiques Ôc feculieres , ôc rien davantage^
L'on ne nie pas que le chaftiment des coulpables eft deu au
public, mais la juftice doit eftre remplie de tant d'équité, les
preuves doivent eftre Ci claires , fi certaines ôc indubitables ,
que ceux qui periffent ne contredifent pas.
Il eftoit en la puiflance de l'accufé de ne point mal faire »
mais il ne fe pouvoit empefcher d'eftre accufé, d'eftye opprime.
MONSIEUR F. A. DE T H O U. lyp
Il a efté gardé par le Cardinal , par fes gardes mefmes^ traifné
à Lion dans un batteau attaché à celui du Cardinal j adion
déteftée de toute la France , ôc par fes domeftiques mefme >
qui le livra aux Commiflaires pour le faire mourir. Son mal a
eu cela de plus infupportable , qu'il ne lui a point efté caché,
qu'il a tousjours efté rempli de menaces , il a tousjours veu
la mort prefente , fes gardes ont efté fes accufateurs & fes
bourreaux , ôc fes Juges avoient promis de le faire mourir avant
que de l'avoir interrogé. Celui qui donne la gefne , d'autant
plus qu'il apprefte d'inftrumens , d'autant plus il tourmente ,
la patience eft vaincue par l'apparence 5 auiTi les maux de la
fortune qui viennent avec pompe ôc grand appareil , font bien
plus rudes que ceux de la nature qui viennent tout à coup.
Le Commandement du Cardinal fut exécuté avec tout l'ar-
tifice ôc la précipitation imaginables. L'artifice fut en l'ordre
de la feance , fi induftrieufementeftabli, que ceux qu'on avoit
recogneu avoir quelque inclination à favorifer l'innocence de
l'accufé, opinèrent les derniers, afin de ne pas fortifier aucuns
des Commifl*aires qui n'ont ni fens ni vigueur , ou pluftoft qui
n'ofoient ouvrir un advis généreux en faveur de l'accufé. La
précipitation fut telle qu'elle eft fouvent reprefentée dans ces
Mémoires, ôc ainfi l'accufé condamné au mefme fupplice que
l'autheur de la conjuration. Il falloir qu'ils euflent une entière
cognoifiance du crime > impofé par des preuves que la loi
defire eftre plus claires que le jour j ils y dévoient marcher d'ua
pas lent ôc mefuré , ôc après une longue ôc meure délibération.
Cette précipitation certes eft criminelle : ceux qui agiflent
de la façon ne laiflent rien au confeil i c'eft fai£t du public ,
ôc c'eft une grande mifere, quand la puiflance permet à telles
gens ce que la crainte , leur paiïion , ôc leur ambition leur
confeille.
Le Procureur General , après que M. le Chancelier lui euft
parlé à l'oreille , prit fes conclufions verbalement ôc fur le
champ , fans confiderer le poids de l'affaire, ôc les confequences.
Il n'y a point de rigueur, point d'outrage, point d'injuftice
fi dure ôc infupportable que celle qui nous vient de ceux qui
nous devroient garentir. Laubardemont Rapporteur j ôc qu'on
cognoift pour le plus mefchant homme du Royaume , fut (î
effronté que de dire dans Lion, que le Théâtre ne feroit pas
t6o MEMOIRES POUPv JUSTIFIER
aflfez fanglant par la mort d*un feul homme, qu'il y en falloît
davantage. Le mefcham voulant un jour flatter le Cardinal ,
lui dit, qu'il avoit un extrefme regret de ne pouvoir fervir fou
Eminence en cefte occafion du jugement contre M. de Thou :
à cefte parole cefte Eminence changea de vifage , croyant
qu'il ne fe trouvoit pas affez de preuves pour le faire mou-
rir i foudain Laubardemont repartit : « J'entends , Monfei-
oîgneur, que la chofe eft fi claire qu'il n'y a point de fujet d'y
oîhefiter. » M. le Chancelier concluant fon advis, creut dire
une belle penfée pour perfuader la mort dudi£t (leur de Thou;
« Que le Roi auroit fujet de leur reprocher , qu'ils auroient
35 faidl mourir une perfonne qu'il avoit chérie ôc aimée j ôc
« qu'ils auroient voulu efpargner le fang d'un de leurs frères ,
« d'un de la Robbe j » difcours ôc a£lions de vrais Commif-
faires , ôc qui ne partent jamais des Juges ordinaires , ôc qui
ont tant foit peu d'humanité ôc de raifon.
Ces confiderations , ces raifons , ces exemples , celuy - cy
particulièrement, font aflez puiflans pour faire voit quel eftat
l'on doit faire des jugemens des Commiffaires , ôc des Com-^
miffaires mefmes , quelles gens font choifis pour exécuter ces
infâmes ôc miferables actions , quelle juftice l'on peut efperer
d'eux , ôc s'ils peuvent rien ordonner de jufte. Car après avoir
appelle un Juge injufte , fcelerat^ concuflîonnaire, ôc voleur,
que peut-on enchérir , fmon que de l'appeller Commiflaire î
X V, Relation véritable de ce qui s'ejî paffe à la mort de M,
de Thotfo
IL ne faut pas s'eftonner que ceux qui ont apporté tant d'ar-'
tifices ôc de mauvais moyens pour faire mourir M. de Thou,
ayent pris grand foin après fa mort de juftifîer leur a6lion par
toutes fortes d'inventions. La principale a efté de faire impri-
mer des Relations qu'ils ont faiâ publier par tout le Royau-
me , qui contiennent ce qui s'eft paffé en l'exécution de l'ar^
reft qu'ils ont donné , tant contre M. le Grand Cinq-Mars , "'
que contre lui ', oii ils ont employé un nombre infini de faux
faiâs pour la juftificadon de leur adion , font advouer aux
condamnez qu'ils ont efté bien jugez félon les Loix , par des
gens de bien ;, &: félon les formes 5 qu'ils eftoient coulpable? ;
Jeu^
MONSIEUR F. A. DE THOU. i^i
etîrfont remerciei* les Commiflaires , font qu'ils les embraffenr,
bref qu'ils baifent les bourreaux qui leur ont coupé la gorge.
Laubardemont mefmes a efté fi effronté que de faire mettre
dans ces Relations , que M. le Grand Pavoit remercié de fou
jugement, qu'il le baifa, lui difant, qu'il l'avoit jugé en hom-
me de bien j lui , qui l'avoit trompé ôc fuborné j lui qui lui
avoir promis la vie à la charge de depofer contre M. de Thou >
lui qui avoit fai6t en cefte affaire ce que le plus capital enne-
mi des accufez n'euft pas voulu faire : aufTî ledld fieur le
Grand reprocha aigrement à Laubardemont qu'il l'avoit trom-
pé, ôclui dit fi hauk ces mefmes paroles, entendues de tout
le monde : l^ous en rejpondrez devant Dieu.
Ils ont creu par un fi grand nombre de faux fai£l:s, qui font
à leur defcharge Ôc à leur juftification , faire perdre la mémoire
de leur injuftice j ils ont creu par-là donner fatisfa6lion aux
gens de bien , qui ont perpétuellement defiré de voir les a6tes
du Procès, qu'on fçait avoir efté aherez & falfifiez, qui n'ont
efté depofez en aucune greffe , qu'on fçait eftre fupprimez en
tout ou en partie.
Neantmoins le Cardinal de Richelieu j pour fatisfaire à fa
violente paflîon , avoit efté {\ mal confeillé que de faire faire
une impreflion de ce Procès , toute falfifiée , tant par lui que
par ceux qui avoientles acles en leur pofTelTion, qu'ils ont de-
puis du tout fupprimée j jugeans bien , le Cardinal n'eftant plus>
qu'ils n'avoient pas alTez de crédit & d'autorité pour la faire
valoir , qu'ils n'avoient pas aflez de front ni d'audace pour en
foutenir la vérité.
Pour donc rapporter au vrai ce qui fe pafTa en cefte funefte
aûion , tant pour ce qui regarde leditt fieur de Cinq-Mars
que M. de Thou, qui ne peuvent eftre feparez en cefte occa-
fion , il faut fçavoir que Laubardemont qui avoit efté rappor-
teur > ôc Robert de Saint-Germain l'un des Commiffaires , foc-
tirent de la Chambre pour difpofer les prifonniers à la ledure
de leur Arreft , ôc les refoudre à la mort.
A cefte nouvelle ils affermirent leur efprit , ôc tefmoigne-
rent une refoîution extraordinaire. Alors M. de Thou dift à
M. de Cinq-Mars en foufriant : » Et bien , Monfieur , hu-
3^ mainement je me pourrois plaindre de vous , vous m'avez
» accufé , vous me faites mourir ^ mais Dieu fcait combien
Tome XF, ' JX
i62 MEMOIRES POUR JUSTIFIER
«je vous aime; mourons , Monfieur , mourons courageufe-
« ment ôc gagnons le paradis. » Ils s'embraflerent l'un l'autre
d'une grande tendreffe i s'entredifans que puifqu'iis avoient
efté fi bons amis durant leur vie , ce leur fera une grande
confolation de mourir enfemble.
Enfuite on appella Palerne , Greffier criminel du Prefidial
de Lion , pour leur prononcer leur Arreft , lequel s'appro-
chant , M. de Thou s'efcria : Quam fpeciofi pedes evangeltfan^
tmn pacem , evangelifanîium hona '■> & s'eftans mis tous deux à
genoux, tefte nue , l'Arreft leur fuft prononcé en ces mots :
« Entre le Procureur General du Roy demandeur en cas de
» crime de leze-Majefté d'une part, ôc Meffires Henry Defiat
«de Cinq-Mars, Grand Efcuyer de France, & François-
»> Augufte de Thou j Confeiller du Roy en fon Confeil d'Eftat ,
«prifonniers au Chafteau de Pierre- cize de Lion, defFendeurs
!>' ôc accufez d'autre 5 Veu le procès extraordinairement faid
»> à la Requefte dudiâ: Procureur General du Roy , à l'encon-
» tre defdi£ts Defiat ôc de Thou , informations , interroga-
« toires , confefTions , dénégations , ôc confrontations , copies
»> recogneues du Trai6lé en datte du 1 3 Mars dernier , arreft
«du 6 de ce mois de Septembre , ôc pièces contenues en
» iceluy > ôc tout ce que le Procureur General du Roy a pro-
»' duit ôc remis j ledid: Defiat ouï ôc interrogé en la chambre
»' du Confeil du Prefidial de Lion fur les cas à lui impofez , fa
» déclaration, recognoiffance, ôc confefTion, confrontation du-
di£t Defiat audi£t de Thou , contenant auffi l'adveu , re-
cognoiffance, ôc confeffion d'iceluy de Thou j ledi£t de Thou
pareillement ouï ôc interrogé en ladite Chambre , conclu-
* lions dudi£l Procureur General du Roy , ôc tout confédéré :
» Les Commiffaires députez par fa Majefté , aufquels M. le
35 Chancelier a prefidé , faifant droid fur les conclufions du-
o> di£l Procureur General , ont déclaré lefdits Defiat ôc de
« Thou atteints ôc convaincus du crime de leze-Majefté : fça-
« voir, ledid Defiat pour les confpirations ôc entreprifes , pro-
additions, ligues, ôc Tr aidez fai£ts par lui avec les eftrangers
05 contre TEftat , ôc ledid de Thou pour avoir eu cognoiffance
35 ôc participation defdides confpirations , entreprifes , prédi-
se tions , ligues , ôc Traidez : pour réparation defquels crimes
M les ont privez de tous honneurs , eftats , ôc dignitez , ôc les
jj
n
MONSIEUR F. A. DE THOU. i6^
* ont condamnez 6c condamnent d'avoir la tefte tranchée fur
» un efchaffault , qui pour cet efFe£l fera drefTé en la place des
M Terreaux de cette ville ; ont déclaré ôc déclarent tous 6c cha-
o> cuns leurs biens meubles 6c immeubles généralement quel-
« conques , en quelque lieu qu'ils foient fituez , aquis ôc con-
»> fifquez au Roy , 6c à ceux par eux tenus immédiatement de
»la couronne reunis au domaine d'icelle , fur eux prealable-
» ment pris 6c levé la fomme de foixante mille livres appli-
M cable à des œuvres pies; 6c neantmoins ordonnent que le-
ndit Defiat avant l'exécution fera appliqué à la queftion or-
3»dinaire 6c extraordinaire, pour avoir plus ample révélation
»de fes complices. Prononcé le 12 du mois de Septembre
» 1 6^2. »
Après la prononciation de cet Arrell (qui n'eftoit pas neant-
moins conceu en cefte forme pour ce qui concerne ledi£l:
(leur de Thou , car il n'y avoir point ce mot de participation )
leditl fleur de Thou dift d'un grand fentiment , Dieu fin béni ,
Dieu fitt loué 3 6c dit enfuite plufieurs belles paroles , ce qui
lui dura jufques à la mort.
M. de Cinq-Mars après la le£lure de l'Arreft, s'eflant levé,
dift : « La mort ne m'eilonne point , mais il faut avouer que
oî l'infamie de cefte queftion choque puiflamment mon efprit :
a'ouïj MeiTieurs, je trouve cefte queftion tout-à-fait extraor-
» dinaire à un homme de ma condition, 6c de mon âge. Je
» croi que les Loix m'en difpenfent, au moins je l'ai ouï dire.
3' La mort ne me fai^t point de peur î mais, Meffieurs , j'avoue
w ma foiblefle , j'ai de la peine à digérer cette queftion. =0
lis demandèrent chacun leur ConfelTeur , fçavoir , ?vL de
Cinq-Mars, le P. Malavalette Jefuite , 6c M. de Thou, le P.
Manobrun auflî Jefuite. Celui qui jufques alors avcit eu la
charge de les garder , les remit par ordre de M. le Chance-
lier entre les mains du fieur Thomé, Prevoft gênerai des Ma-
refchaux de Lionnois, puis prit congé d'eux, & enfuite leurs
Gardes tous les larmes aux yeux. M. de Cinq-Mars les remer-
cia , 6c leur dift : « Mes amis , ne pleurez point , les larmes
» font inutiles ; priez Dieu pour moi , 6c afîeurez-vous que la
» mort ne me fit jamais peur. « M. de Thou les baifa ôc em-
brafla tous. Ils fortirent du Palais les yeux baignez de larmes 3
fe couvrans le vifage de leurs manteaux. Après quoi les
JXij
1(^4 MEMOIRES POUR JUSTIFIER
condamnez allèrent embrafîer ledid fieur Thomé , & lui firent
compliment. Le P. Malavalette venu y lediâ: fieur de Cinq-
Mars l'alla embrafler, ôc lui dift : « Mon Père , on me veuit
« donner la queftion , j'ai bien de la peine à m'y refoudre. »
Le Père le confola , ôc fortifia fon efprit autant qu'il pût. Il fe
refolut enfin , ôc comme Laubardemont ôc le Greffier le vin-
drent prendre pour le mener dans la Chambre de la gefne ,
il fe rafleura , ôc paflant près de M. de Thou , il lui dift froide-
ment : « Monfieur, nous fommes tous deux condamnez à mou-
» rir , mais je fuis bien plus malheureux que vous , car outre la
5' mort je dois foufFrir la queftion ordinaire ôc extraordinaire. »
On le mena à la chambre de la gefne , ôc paflant par une cham-
bre des prifonniers , il dift : « Mon Dieu , où me menez- vous ?
» ôc puis , Qu'il fent mal icy ? « Il fut environ une demie heure
dans cefte chambre de la gefne , puis on le remena fans avoir
efté tiré j d'autant que par le retentum de l'Arreft , il avoit efté
dit, qu'il feroit feulement prefenté à la queftion.
Au retour , fon Rapporteur après avoir parlé à lui quelque
ttemps j lui dift adieu dans la fale de l'Audience. Après quoi
M. de Thou l'alla embrafler , l'exhortant de vouloir mourir
conftamment , ôc de ne point appréhender la mort. Il lui re-
partit j qu'il ne l'avoit jamais appréhendée, ôc que quelque
mine qu'il euft faide depuis fa prife , il avoit tousjours bien
creu qu'il n'en efchapperoit pas. Ils demeurèrent enfemble en-
viron un petit quart d'heure , pendant lequel temps ils s'em-
brafferent deux ou trois fois , ôc fe demandèrent pardon l'un
à l'autre avec les demonftrations d'une amitié parfaite. Leur
conférence finit par ce mot de M. de Cinq-Mars , Il ejî temps
de mettre ordre à nojlre falut.
Quittant M. de Thou , il demanda une chambre à part pour
fe confeflTer , qu'il euft peine d'obtenir. Il fit une confeflion gé-
nérale de toute fa vie avec grande repentance de fes péchez ,
ôc beaucoup de fentimens d'avoir ofFenfé Dieu. Il pria fon
Confefieur de tefmoigner au Roy ôc au Cardinal de Riche-
lieu , les regrets qu'il avoit de fa faute.
Sa confefTion dura une heure , à la fin de laquelle il dift
au Percp qu'il n'avoit rien pris il y avoit vingt-quatre heures:
ce qui obligea le Père de faire apporter des œufs frais ôc du
vin 5 mais il ne voulut qu'un peu de pain , ôc du vin duquel
MONSIEUR F. A. DE THOU. i^;
il ne fit que fe laver la bouche. Il tefmoigna à ce Père que
rien ne l'avoit tant eftonné que de fe voir abandonné de tous
fes amis , ce qu'il n'auroit jamais creu 5 & lui dift , que depuis
qu'il avoir eu l'honneur des bonnes grâces du Roy , il avoit
tousjours tafché de faire des amis, Ôc qu'il s'eftoit perfuadé d'y
avoir réufli : mais qu'il cognoiflbit enfin qu'il ne s'y falloit point
fier, & que toutes les amitiez de Court n'eftoient que difli-
mulation. Le Père luirefpondit , que telle avoit tousjours efté
l'humeur du monde , & qu'il ne s'en falloir pas eftonner. Il
demanda du papier ôc de l'ancre pour efcrire, comme il fit ^ à
Madame fa mère , qu'il prioit entre autres chofes de vouloir
payer fes debtes , dont il lui envoya les mémoires , qu'il re-
mit au Père pour faire voir le tout à M. le Chancelier. Il fi-
nit ainfi fa Lettre : « Au refte , Madame , autant de pas que
s> je vais faire j font autant de pas qui me portent à la mort. »
Cependant M. de Thou elf oit en la fale de l'Audience avec
fon Confefleur dans des tranfports divins , difficiles à expri-
mer. D'abord qu'il vit fon Confefleur , il courut l'embrafler
avec ces paroles : « Mon Père > je fuis hors de peine , nous
» fommes condamnez à mort , & vous venez pour me mener
« dans le ciel. Ah ! qu'il y a peu de diftance de la vie à la
* mort i que c'eft un chemin bien court ! Allons , mon Père ,
a^ allons à la mort , allons au Ciel . allons à la vraye gloire,
3»Helas ! quel bien puis- je avoir fai6l en ma vie, qui m'ait pu
o> obtenir la faveur que je reçois aujourd'hui de fouffrir une
o> mort ignominieufe , pour arriver pluftoft à la vie éterneîle-
» ment glorieufe ! »
L'on fe fervira icy de la Relation du Père Mambrun : voicy
comme il a publié toute cefte tragique a£lion. M. de Thou ,
dit-il y me voyant près de foy en la fale de l'Audience m'em-
brafla , & me dift qu'il eftoit condamné à mort , qu'il falloit
bien employer le peu de temps qui lui reftoit de vie , ôc
me pria de l'aflifter jufques à la fin. Il me dift encores : « Mon
««Père, depuis qu'on m'a prononcé ma fentence, je fuis plus
oî content & plus tranquille qu'auparavant : l'attente de ce qu'on
«ordonneroit, ôc l'ifluë de ceftc affaire me tenoit en quelque
« perplexité ôc inquiétude , maintenant je ne veux plus penfer
oî aux chofes de ce monde , mais au paradis , ôc me difpofer
-Ȉ la mort. Je n'ai aucuwe amertume ni malveillance contre
\
i6S MEMOIRES POUR JUSTIFIER
Mperfoniie. Dieu s'eft voulu fervir de mes juges pour me met-
» tre en fon paradis , ôc m'a voulu prendre en ce temps au-
« quel par fa bonté ôc mifericorde je croy eftre bien difpolé
» à la mort. Je ne puis rien de moi-mefme : cette confiance ,
» ôc ce peu de courage que j'ai , provient de fa grâce. «
Après il fe mit à faire des a£les d'amour de Dieu , de con-
trition , ôc repentance de fes péchez , ôc plufieurs Oraifons
jaculatoires.
Il faut remarquer que durant les trois mois de fa prifon ,
il s'eftoit difpofé à la mort par la fréquentation des facremens,
par l'oraifon , ôc méditation , ôc confideration des myfteres
divins s par la communication avec fes pères fpirituels , ôc
ledure des livres de dévotion , particulièrement du livre de
Bellarmin fur les Pfeaumes , ôc du livret de Arte bene mortendi
du mefme Autheur. Il choififfoit pendant ce temps certains
verfets de Pfeaumes , pour faire fes Oraifons jaculatoires ôc
élévations d'efprit , qu'il difoit ôc repetoit fouvent fort dévo-
tement ; ôc me difoit qu'il entendoit ôc penerroit beaucoup
mieux ôc avec plus de reffentiment en cette fienne affli£tioii
ces fentences de la Sainte Efcriture, qu'auparavant.
Il rendoit grâces à Dieu , ôc admiroit fa divine bonté Ôc
providence qui lui donnoit tant de commoditez , ôc un temps
îî propre pour fe difpofer à la mort , qui n'avoit pas permis
qu'il mouruft lors qu'il eftoit en péché mortel, ôc en mauvais
eftat : ôc deux ou trois fois fe recommanda à mes prières { ce
fut le Mercredy lo de ce mois) ôc me pria de demander à
Dieu i non pas qu'il fuft délivré de ce danger prefent de la
mort auquel il fe voyoit , mais que la volonté de Dieu fuft
faite ôc accomplie en lui. Il recitoit fouvent avec beaucoup
de reffentiment le Pfalme li^. Credidi , propter quod locuuts
Jum , ôc particulièrement ce verfet , dirupifîi vincula meaj tibi
facrificabo hofliam laudis 0" nomen Domini invocabo y rendant
grâces à Dieu fort affe£tueufement, de ce que par fa miferi-
corde il avoir rompu les liens qui le tenoient attaché à la terre
ôc à cette vie. Il difoit aufîi , Ôc reiteroit fouvent quelques-
autres pafîages de l'Efcriture Sain£le avec de grands fentimens
de dévotion ôc ferveur d'efprit ; particulièrement ceux-cy tirez
du Chap. 4. de la féconde Epiftre de faint Paul aux Corin-
thiens : îd enim mod in praefemi eft momenîaneum & kve
MONSIEUR F. A. DE THOU. i^y
tribulatîonis mjîra ^/upra modum injublimitate aternum gloride pon-
dus operatur in nobis , non contemplantibus nobis qua videmur ,fed
quce non videntur / quce enim videmur temporalia fimt , qtue au-
te?n non videntur , aterna funt. Comme auffi ces beaux mots
du Chap. 8. de l'Epiftreaux Romains : Quis ergo nos feparabit
à charitate Chriflt i* tribut atio an angujlia f an famés r' an nuditasj*
an periculum .^ an perfecutto f an gladius r* ficut fcriptum eji ^ quia
propter te mortificamur tôt a die , aeftimatifumusfîcut oves occifionis.
Sed in his omnibus fuperamus propter eum qui dilexit nos, Jl re-
petoit aufli fou vent ce verfet du Pfalme ^o. Sacrificium Dea
fpiritus contribuiatus : cor contritum & humiliatum Deus non def-
picies. Ces mefmes verfets de l'Efcriture lui fervoient d'entre-
tien dans la fale de l'Audience, après la prononciation de fon
Arreftj il les proferoit avec de grands fentimens d'amour de
Dieu, ôc avec un grand mefpris de toutes les vanitez du mon-
de. Il faluoit ceux qu'il voyoit en cette fale où nous eftions ,
fe recommandoit à leurs prières , leur tefmoignoit qu'il mou-
roit content.
Un homme envoyé de la part de Madame de Pontac fa
fœur , lui vint dire fes derniers adieux. II lui dift : « Mon ami j
3' dis à ma fœur que je la prie de continuer en fes dévotions ,
»' comme elle a faid jufques à prefent i que je cognois main-
» tenant mieux que jamais que ce monde n'eft que menfonge
» ôc vanité , ôc que je meurs très-content ôc en bon Chrétien î
»' qu'elle prie Dieu pour moy , ôc qu'elle ne me plaigne point,
» puifque j'efpere trouver mon falut en ma mort. Adieu. «
Cet homme fe retira fans pouvoir dire une feule parole. Il
fentoit une force Ôc un courage fi extraordinaire à bien fouf-
frir cette mort , qu'il craignoit qu'il n'y euft de la vanité j ôc
fe tournant vers moy , me dift : « Mon Père , n'y a-t-il point
» de vanité en cela ? Mon Dieu , je protefte devant voftre di-
vine Majefté, que de moy-mefme je ne puis rien, ôc que
toute ma force vient tellement de voftre bonté ôc miferi-
corde, que fi vous me delaiffiez je tomberois à chaque pas. »
Il fe confefla à moy au bout de la fale. Après fa confellîon
il continua fes élévations d'efprit à Dieu , ôc difcours fpirituels,
avec un grand foin de bien employer le temps qui lui reftoit.
Jufques ici ce font les paroles du P. Mambrun. Son com-
pagnon remarqua , que comme M. de Thou fe pourmenoit
33
an
\
't6s MEMOIRES POUR JUSTIFIER
dans la fale de l'Audience , il dift : « He bien , on dira que
»> je fuis un poltron & eftourdi , que je n'ai point eu de con-
« duite , que je n'ai pas fceu mefnager mes affaires j ôc c'eft ce
» que je defire : je veux bien qu'on ait cefte opinion-là de moy ,
» qu'on me mefprife , qu'on me blafme > je le fouhaite pour
aï l'amour de Dieu. »
Après fa confefTîon il fut vifité par le P. Jean Terraffe ;
Gardien du Couvent de l'Obfervance de S. François de Ta-
rafcon , qui l'avoit alTifté & confolé durant fa prifon de Taraf-
con. Il fut bien aife de le voir , fe pourmena avec lui §c fon
Confefleur quelque temps dans un entretien fpirituel. Ce Père
eftoit venu à l'occafion d'un vœu que M. de Thou avoit faid
à Tarafcon pour fa délivrance , qui eftoit de fonder un Cha-
pelle de trois cens livres de rente dans l'Eglife des Cordeliers
à Tarafcon. Il donna ordre pour cefte fondation , voulant
s'aquitter de fon vœu , puifque Dieu , difoit-il , le delivroit
non feulement d'une prifon de pierre , mais encores de la
prifon de fon corps j demanda de l'ancre ôc du papier , ôc
efcrivit cefte belle Infcription qu'il vouloit eftre mife en cefte
Chapelle :
Chrijlo Liberatori
Votum in carcere pro Itbertate conceptum
Franc. Au g u st. T h u a n u s
E carcere vita jamjam Uberandus
Merito folvit xii Septemb. cididçxlii.
Confitebor tibi Domine , quoniam exaudijîi me , & faâus es
mihi infaluîem.
Cette Infcription fera admirer la prefence ôc la netteté de
fon efprit, ôc fera advouer à ceux qui la confidereront , que
Tapprehenfion de la mort n'avoit pas eu le pouvoir de lui eau-
fer aucun trouble. Il pria ledi£l fieur Thomé de faire compli-
ment de fa part à M. le Cardinal de Lion , ôc lui tefmoigner
que s'il euft pieu à Dieu de le fortir de ce péril , il avoit dQ^~
fein de quitter le monde, Ôc fe donner entièrement au fervice
de Dieu.
11 efcrivit deux Lettres , qui furent portées ouvertes à M.
k Chancelier, ôc puis rçmifes entre Içs mains de fon Confefleur
pour
ONSIEUR F. A. DE THOU. i6>
pour ïes faire tenir '. Ces Lettres eflans ferme'es , il dift : « Voilà
»' la dernière penfée que je veux avoir pour le monde , par-
s» Ions du paradis. ^^ Et dehors il reprit fans interruption avec
la mefme ferveur d'eîi^rit fes difcours fpirituels, Ôc fe confefla
une féconde fois. Il demanda parfois^ fi l'heure de partir pour
aller au fupplice approchoit, quand on le devoir lier, ôc prioit
que l'on l'advertift quand l'Exécuteur de la Juftice feroit-là ,
afin de l'embraiïer ; mais il ne le vit point que fur l'efcbaffault.
Sur les trois heures après midy , quatre compagnies des Bour-
geois de Lion , faifans environ douze cens hommes , furent
rangées au milieu de la place des Terreaux, enforte qu'elles
enfermoient un efpace quarré d'environ quatre - vingt pas de
chaque codé, dans lequel on ne laifToit entrer perfonne, finon
ceux qui eftoient neceflaires. Au milieu de cet efpace fut drefle
l'efchaffault avec tout ce qui eftoit neceffaire à cefte exécution.
Environ les cinq heures du foir , les officiers prièrent le com-
pagnon du P. Malavalette de l'advertir qu'il eftoit temps de
partir. M. de Cinq-Mars jugea ce que l'on vouloit dire, « On
» nous prefTe , dit- il, il s'en faut aller. =^ Pourtant l'un des offi-
ciers l'entretint encores quelque temps dans la chambre ; d'où
fortant, le Valet de chambre qui l'avoit fervi depuis Mont-
pellier, fe prefenta , lui demandant quelque recompenfe. « Je
»n'ai plus rien, dit-il, j'ai tout donné." De-là il vint vers M.
de Thou en la fale de l'Audience. <^ Allons , Monfieur , allons,
3' il eft temps. » M. de Thou alors s'efcria : Ld^tatiis jhm in hts
quds diâa Junt mihi : in domum Domini ibimus* Là-deflus ils
s'embrafTerent , ôc fortirent.
M. de Cinq-Mars marchoit le premier, tenant fon Confef-
feur par la main jufques fur le perron , où il faîua de fi bon-
ne grâce tout le peuple , qu'il tira les larmes des yeux d'un
chacun. Lui feul demeura ferme fans s'efmouvoirj & garda
cette fermeté d'efprit le long du chemin , jufques-là , que voyant
fon ConfefTeur furpris d'un fentiment de tendrefle , à la veuë
des larmes de quelques perfonnes, « Qu*eft-ce à dirececy , mon
» Père , vous eftes plus fenfibie à mes interefts que moi- mefme ? »
I . L'une de ces Lettres s'aàdreflbit à
une Dame , le nom de laquelle il dit feu-
lement à fon ConfefTeur. L'autre elloit
efcrite à M. Dupuy. M. le Chancelier
rendit ces Lettres pour en faire ce qu a-
voit defiré ledit fieur de Thou ; mais
depuis il retira celle qui eftoit efcrite à
la Dame , & ne l'a pas rendue. [On
trouvera à la fuite de ces Mémoires la
Lettre à M. Dupuy. ]
Toms XF. J Y
170 MEMOIRES POUR JUSTIFIER
Le fleur Thomé Prevoft de Lion avec les Archers deRobbe-
côurte , ôc le Chevalier du Guet avec fa compagnie , eurent
ordre de les mener au fuppiice en carofle ; ils fe mirent tous
deux au fond du carofTe fur le derrière, y ayant deux Jefuites
à chaque portière. L'exécuteur fuivoit à pied, qui eftoit un
gaigne-denier , qui n'avoit jamais faid aucune exécution , finon
de donner la gefne.
Dans le carolTe ils récitèrent avec leurs ConfefTeurs les Li-
tanies de Noftre-Dame , le Miferere , & autres prières ôc orai-
fons jaculatoires , firent plufieurs a£i:es de contrition & d'a-
mour de Dieu , tinrent plufieurs difcours de l'éternité , de la
confiance des Martyrs , & des tourmens qu'ils avoient foufferts.
Ils faluoient fort civilement de temps en temps le peuple qui
rempliffoit les rues par o\x ils pafToient. M. de Thou demanda
encores une fois pardon à M. de Cinq-Mars avec humilité ,
Jui difant : « Monfieur, je vous demande très - humblement
» pardon fi j'ai efté 11 malheureux que de vous avoir offenfé
« en quoi que ce foir. « Helas ! Monfieur , c'efl moi , refpondit
M. de Cinq- Mars , qui vous ai bien offenfé ^ & je vous en demande
pardon : & là-deffus ils s'embrafferent tendrement.
Quelque temps après M. de Thou difV à M. de Cinq-Mars:
« Monfieur , il femble que vous devez avoir plus de regret de
sî mourir que non pas moi, vous eftes plus jeune, vous eftes
» plus grand dans le monde , vous aviez de plus grandes ef-
w perances , vous eftiez le favori d'un grand Roy 5 mais je vous
S' affeure pourtant , Monfieur , que vous ne devez point re-
« greîter tout cela qui n'efl que du vent , car alTeurement nous
» nous allions perdre, nous nous fufïions damnez, ôc Dieu nous
w veult fauver. Je tiens nolîre mort pour une marque infaillî-
able de noftre predeflination , pour laquelle nous avons mille
53 fois plus d'obhgation à Dieu , que s'il nousavoit donné tous
85 les biens du monde 5 nous ne le fçaurions jamais affez re-
-»' mercier. " Ces paroles efmeurent M. de Cinq-Mars prefque
jufqu'aux larmes. Après il continua : « Monfieur, mon cher
»amy, qu'avons nous fai£l de fi agréable à Dieu durant no-
» flre vie qui fait obligé de nous faire cefle grâce de mourir
M enfemble , de mourir comme fon fils, d'effacer tous nos pe-
=> chez par un peu d'infamie ? de conquérir le ciel par un peu
^' de honte ? Ah ! n'efl-il pas vrai, que nous n'avons rien faid
MONSIEUR F. A. DE THOU. 171
3»pour lui ? Fondons nos cœurs , efpuifons nos forces en ac-
w fions de grâces, recevons la mort avec toutes les aifedions
« de nos âmes. « M. de Cinq-Mars refpondoit à tout cecy par
divers a£tes de vertu , de foi , de contrition , ôc autres.
Ils demandèrent de temps en temps s'ils eftoient encores
bien loin de l'efchaffault : furquoi le P. Malavaiette prit oc-
cafion de demander à M. de Cinq-Mars, S^il ne craignoit point
la mort. « Point du tout , mon Père, refpondit-il , & c'eft ce
» qui me donne de l'apprehenîion de voir que je n'en ay point :
«helas ! je ne crains rien que mes péchez. " Cefte crainte
l'avoit fort touché depuis fa confefîion générale j ôc comme le
Père l'euft affeuré fur la bonté de Dieu , & fur la paiïion du
Sauveur, luy difant de plus , qu'acceptant de bon cœur cette
mort ignominieufe , il pouvoit eftre certain d'entrer bien avant
dans la gloire : « O ! que Dieu eft bon , dit-il plufieurs fois , de
« me vouloir recevoir en fa grâce , après l'avoir tant ôc tant
''offenfé. Mais, mon Père, comme -puis-je mériter par cette
» mort qui n'eft pas à mon choix , car il eftoit au choix des
» Martyrs de ne pas mourir ? ^^ Le Père luy ayant refpondu >
qu'il la pouvoit rendre méritoire en acceptant volontairement
ôc offrant à Dieu par amour ce fupplice infâme, celui des Mar-
tyrs eftant honorable? il offrit à Dieu fon fupplice tant de fois
par le chemin, que fon Confeffeur n'en remarqua pas le
nombre.
Enfuite ils contefterent à qui mourroit le premier. M. de
Cinq-Mars dift que c'eftoit à lui , comme le plus coulpable>
ôc le premier jugé > adjoufla que ce feroit le faire mourir deux
fois s'il mouroit le dernier. M. de Thou demanda ce droit
comme plus âgé. Le Père Malavaiette dit à M. de Thou : Il
eil vrai que vous eftes le plus âgé , vous devez auffi eftre plus
généreux. Ce que M. de Cinq-Mars ayant confirmé , Bien »
Monfieur 3 repartit M. de Thou , vous voulez m^ ouvrir le chemin
à la gloire, « Ah ! dit M. de Cinq-Mars , je vous ai ouvert le
8' précipice : mais precipitons-nous dans la mort pour furgir àla
sî vie éternelle. ^ Il fut doncarrefté que M. de Cinq-Mars mour-
roit le premier. Eftans proche de l'efchaffault , on remarqua que
M. de Thou s'eftant baiffé , ôc ayant veu l'efchaffault , eften-
dit fes bras, ôc puis frappa des mains l'une contre l'autre d'une
action vive, ôc d'un vifage joyeux 5 ôc dift à ?vl. de Cina-Mars :
!Yij
172 MEMOIRES POUR JUSTIFIER
«Monfieur , c'eft d'icy, c'eft d'icy , Monfieur, que nous de-
» vons aller au paradis , » ôc fe tournant à fon Confefleur :
« Mon Père , eft-il bien pofTible qu'une créature Ci chetive corn-
« me moy , doive aujourd'huy prendre pofTefTion d une éternité
» bien-heureufe ? »
Le carofle arrefté au pied de l'efcbaffault , le Prevoft dift a
M. de Cinq-Mars , que c'eftoit à luy de monter le premier.
Il dift adieu à M. de ïhou , ôc fe feparerent d'une grande aiTe-
dion , difans qu'ils fe reverroient bien-toft en l'autre monde ,
où ils feroient éternellement unis avec Dieu. Ainfi M. de
Cinq-Mars defcendit du carrofTe ^ parut le vifage gay , & don-
na fon manteau au Jefuite , compagnon de fon Confeffeur ,
pour faire prier Dieu pour luy. Sur ce le Greffier criminel
ieut l'Arreft , que l'un ôc l'autre n'efcouterent : & on abatit
lemantelet de la portière du carrofife qui regardoit l'erchafTault,
afin d'en ofter la veuë à M. de Thou.
M. de Cinq -Mars ayant falué ceux qui eftoient près de
refchafFault fe couvrit , & monta gayement Pefchelle : au fé-
cond efchellon un archer s'avança, Ôc lui ofta par derrière fon
chapeau. Lors il s'arrefta tout court , & dift : « Ha ! laiffez-moi
«mon chapeau.-» Le Prevoft fe fafcha contre fon archer, ôc
lui remit fon chapeau fur la tefte , Ôc il acheva de monter fur
i'efchafFaut s où eftantil falua ceux qui eftoient à fa veuë , d'un
vifage riant. Après , s'eftant couvert il fe mit en une bonne
pofture j ayant avancé un pied ôc mis la main au cofté , il con-
fidera haut ôc bas toute cefte grande afiemblée d'un vifage
affeuré , ôc fit encores deux ou trois belles defmarches.
Son ConfefTeur eftant monté, il le falua, puis jetta fon cha-
peau devant lui fur l'efcbaffault > ôcbaifantla main la prefenra
à fon ConfefTeur qu'il embraffa, ôc celuy-cy l'exhorta d'une
voix baffe de produire quelques aûes d'amour de Dieu , ce
qu'il fit d'une grande ardeur > parlant bas , tenant fon bras gau-
che prefque fur l'efpaule droite de fon ConfefTeur. Il demeura
affez long-temps en cefte pofture , tenant le plus fouvent les
yeux levez au ciel , le vifage riant , pendant que fon Confeffeur
lui parloit fort bas à l'oreille. On lui entendit fouvent repeter
ces paroles : Ouï , mon Père , & de tout mon cœur , vin million de
fois, ôc autres femblables. Puis il prit un cruciiix que le com-
pagnon du Confeffeur lui oifiii; , le baifa avec ardeur , ôc le
MONSIEUR F. A. DE THOU. 17^
rendit. De-là il fe mit à genoux aux pieds de fon Confefleur ,
qui lui donna la dernière abfolution, qu'il receut avec humi-
lité, & fe leva ôc s'alla mettre à genoux fur le bloc , ôc deman-
da : Eft-c€ icy , mon Père y ou il me faut mettre s' Ôc comme il
fceut que c'eftoit-là ^ il y eflaya fon col , l'appliquant fur le
poteau ; puis s'eftant relevé , il demanda s'il falloit ofter fon
pourpoint. Le Père ôc fon compagnon aidèrent à le débou-
tonner , ôc lui ofter fon pourpoint. II garda tousjours fes gands
aux mains , qui lui furent oftez après fa mort. Son pourpoint ofté,
il s'approcha du poteau avec joye , ôc tout debout elîaya fi fon
col iroit bien fur le poteau par deux fois ; puis s'en eftant un
peu éloigné, il prit le Crucifix, le baifa aux pieds , ôc le ren-
dit 5 ôc eftendant fes bras il s'alla jetter à genoux fur le bloc ,
cmbrafla le poteau , mit fon col defTus , leva les yeux au ciel ,
ôc demanda au Confefieur , Aion F ère , ferai- je bien tcyf S'eftant
relevé, l'exécuteur s'approcha avec des cifeaux, que M. de
Cinq-Mars lui ofta , ne voulant pas qu'il le touchaft, ôc Tes
ayant baifé , les prefenta au Père : « Mon Père , je vous prie,
» rendez-moi ce dernier fervice > coupez-moi mes cheveux. »
Le Père les donna à fon compagnon pour faire cet office , ce
qu'il fit j lui difant, coupez les moi bien près, je vous prie. Puis
eflevant les yeux vers le Ciel , dit : Ah ! mon Dieu 3 qu^e/}-ce de
ce monde! Après qu'ils furent coupez , il porta les deux mains à fa
tefte , comme pour accommoder ceux qui reftoient à cofté.
Le bourreau s'approchant , il lui fit figne de fe retirer , ôc prit
encores le Crucifix ôc le baifa , puis s'agenouilla derechef fur
le bloc devant le poteau qu'il embrafla , ôc voyant en bas un
homme qui eftoit à M. le Grand-Maiftre , il le falua , ôc lui
dift : « Je vous prie d'affeurer M. de la Meilleraye , que je fuis
» fon très-humble ferviteur. « Puis s'arrefta un peu , ôc continua:
« Dites-lui que je le prie de faire prier Dieu pour moi, «
L'Exécuteur lui ayant ofté le collet de fa chemife, ôc lui-
inefme ayant ouvert fa poitrine pour defcouvrir mieux fon col ,
ayant les mains jointes fur le poteau , dit avec grand fentiment
ces paroles : « Mon Dieu , je vous confacre ma vie, ôc vous
» offre mon fupplice en fatisfadion de tous mes péchez. Si j'a-
sjvois à vivre plus long-temps, je ferois tout autre que je n'ai
sicfté, mais, mon Dieu, puifqu'il vous plaift que je meure,
» je vous offre ma mort ôc mon fang pour l'expiation de mes
83 fautes , ôc de tout mon cœur. » J Y iij
174. MEMOIPvES POUPv JUSTIFIER
A ces mots on lui prefenta le Crucifix , qu'il prit de ia maîn
droite , tenant le poteau embraflé de la gauche , le baifa , le
rendit, Ôc demanda fes médailles au compagnon de fon Con-
feffeur , lefquelles il baifa , difant trois fois Jefus , ôc les lu y rendit.
Et fe tournant à l'Exécuteur, lui dit : « Que fais-tu là ? Qu'at-
3> tends-tu. « Son Confefleur s'eiiant retiré, il le rappella , ôc lui
dift : " Mon Père , venez-moi ayder à prier Dieu. » Il fe rap-
procha Ôc s'agenouilla près de luy , lequel recita de grande
afFe£lîon le Salve Regina , fans heliter , pefant toutes les paro-
les , ôc particulièrement celles-cy , & Jefum benediôlum fmcîum
ventris tui > ôcc. Il fe baiffoit ôc ievoit les yeux aux ciel avec
une dévotion ôc une façon toute raviflante. Après , fon Con-
fefleur pria ceux qui eftoient prefens de dire pour lui un VateT
ôc un Ave Aîaria, lui fit dire ces paroles : Maria mater gratiap ^
mater mifericordide t tunosab hojle protège , & hora morîis pjfcipe»
Et enfuite : In manus tuas Domine commendo fpiritum iiieum.
Pendant ce temps ^ l'exécuteur tirade fon fac fon couperet.
Enfin , ayant levé les yeux au ciel > il dit : « Allons , il faut
mourir 5 mon Dieu, ayez pitié de moi. ^ Puis d'une grande
confiance, fans eflre bandé, pofa fon col fur le poteau , ôc
FembrafTant il ferma les yeux ôc attendit le coup qui lui fut
donné lentement. En recevant le coup il pouffa une voix forte
comme Ah ! qui fut efloufFée par le fang. Il leva les genoux
de deflus le bloc ôc retomba auflî-tofl. La tefle n'eilant pas
entièrement feparée du corps , l'exécuteur acheva avec fon
couperet , ôc jetta la tefte fur l'efchafFaut , qui de là bondit à
terre , où elle fît encore un demi tour , ôç palpita aflTez long
temps , les yeux ouverts.
Son corps demeura droit contre le poteau tant que l'exc-
cuteur le tira de là pour le defpouiller , ce qu'il fit 3 ôc puis
îe couvrit d'un drap. La tefte ayant efté rendue fur l'efchaf-
faut , elle fut mife près du corps fous le drap.
C'eft une chofe eftrange , qu'il ne tefmoigna jamais aucune
peur ni trouble , mais parut gay , affeuré , ôc dans une grande
fermeté d'efprit.
M. de Cinq Mars mort, M. de Thou fortit du carroffe le
vifage riant , ôc ayant falué ceux qui eftoient là , monta affez
vifte fur l'efchafî'aut , tenant fon manteau plié fur le bras droit.
D'abord il jetta fon manteau , ôc courut les bras ouverts vers
MONSIEUR F. A. DE THOU. ^ 17^
l'exécuteur qu'il embrafia , difant : « Ah ! mon frère , moucher
» amy , que je t'aime , il faut que je t'embrafie , puifque tu me
« dois ajourd'huy caufer un bonheur éternel. Tu me dois
o> mettre dans le Paradis. « Puis fe tournant fur le devant de
l'efchafl'aut il fe découvrit , falua le monde , 6c jetta fon cha-
peau derrière lui , qui tomba fur les pieds de M. de Cinq
Mars. De là fe tournant vers fon Confefleur dit d'une grande
ardeur : « Mon Père , Speciaciilum facîi Jiimus munào & an-
!>\gelis ô" hominibus. Et enfuite : ^tas tv.as Domine demonjîra
3ï mïhi & femhas tuas edoce me ; mon Dieu , enfeignez moi
â' vos voyes , monftrez moi le chemin que je dois tenir pour
« aller au ciel. »
Le Père lui ayant dit quelques paroles de dévotion qu'il
efcoutoit fort attentivement , il lui dift qu'il avoit encore quel-
que chofe à dire touchant fa confciencej fe mit à genoux ,
lui déclara ce que c'eftoit, ôc receut la dernière abfolurion ,
s'inclinant fort bas. Cela fai£t il ofta fon pourpoint , fe mit à
genoux , recita le Pfalme 115: , ôc le paraphrafa en François
prefque tout du long d'une voix afiez haute ôc d'une adion
vigoureufe avec une ferveur indicible , qui paroiflbit fur fon
vilage, méfiée d'une fainte joye. Voicy la paraphrafe qu'il en
fît , qu'il faudroit animer de l'adion pareille à la fienne :
ce Credidi propter quod locuîus fum. Mon Dieu , credtdi je l'ay
^ crû 6c je le crois fermement que vous eftes mon créateur 6c
w mon bon Père, que vous avez fouffert pour moi, que vous
35 m'avez racheté , qu'au prix de votre fang vous m'avez ouvert
» ie Paradis. Credidi 5 je vous demande , mon Dieu , un grain ,
« un petit grain de cette foi vive, qui enfiammoit le cœur des
s» premiers Chreftiens. Credidi propter quod locutus fum j faites
» mon Dieu que je ne vous parle pas feulement des lèvres ,
M mais que mon cœur s'accorde à toutes mes paroles , 6c que
» ma volonté ne démente point ma bouche. Credidi •■> je ne
s» vous adore pas , mon Dieu , de la langue , je ne fuis point
œ afiez éloquent , mais je vous adore d'efprit , ouy d'efprit.
» Mon Dieu , je vous adore en Efprit ôc en vérité. Ah ! credidi ^
» je me fuis fié en vous, mon Dieu, 6c me fuis abandonné
oî à voftre mifericorde , après tant de grâces que vous m'avez
9> faites ; propter quod locutus Jum, 6c dans cette confiance j'ai
3> parlé , j'ai tout dit , je me fuis accufé.
1-76 MEMOIRES POUR JUSTIFIER
w Ego amem humiliatus fum nimis. Il eft vrai , Seigneur, me
v> voila extrêmement humilié , mais non pas encore tant que
•'je le mérite.
3> Ego dtxi y in excejju meo , omnis homo mendax. Ah ! qu'il
*• n'eft que trop véritable que tout ce monde n'eft que men-
« fonge , que folie , que vanité ! ah ! qu'il eft vray , omnis homo
»> mendax,
» ^uid retribuam Domino. Mon Vqïq ^quid retribuam Domi^
wno, pro omnibus qua retribuit mihi ? (Il repetoit cecy d'une
w grande véhémence. ) Caltcem falmaris accipiam. Mon Père ,
« il le faut boire courageufement ce calice de la mort ; ouï je
»' le reçois d'un grand cœur , ôc je fuis preft de le boire tout
" entier. Et nomen Domini invccabo : vous m'aiderez , mon
» Père, à invoquer l'afliftançe divine, afin qu'il plaife à Dieu
« de fortifier ma foiblefle , ôc me donner du courage autant
• qu'il en faut pour avaler ce calice , que le bon Dieu me pre-
» pare pour mon falut.
Il pafla les deux verfets qui fuivent dans ce Pfeaume , &
s'efcria d'une voix forte & animée :
« Dimpifti Domine vincula mea j ah ! mon Dieu , que vous
^ avez fai^l un grand coup , vous avez brifé ces Hens qui me
05 tenoient fi fort attaché au monde, il falloit une puifl*ance di^
V vine pour m'en dégager. Dirupijii Domine vincula mea : Que
3 ceux qui m'ont amené icy m'ont fai£t un grand plaifir , que
»> je leur ai d'obligation. Ah ! qu'ils m'ont fai£l un grand bien ,
?» puifqu'ils ni'ont tiré de ce monde pour me loger dans le
w Ciel. »?
Icy fon Confeffeur lui dift , qu'il falloit tout oublier , qu'il
ne falloit point avoir de refientiment contr'eux. A ces pa-
roles il fe tourna vers le Père , tout à genoux comme il
cftoit , ôc d'une belle a£lion : «Quoi, mon Père, dit-iî, des
» reffentimens ? Ah ! Dieu le fçait , Dieu m'eft tefmoin que je
9? les aime de tout mon cœur , ôc qu'il n'y a dans mon ame
*> aucune averfion pour qui que ce foit au monde. Dirupifii
y> vincula mea. Tibi facrificabo hojîiam laudis : la voila l'hoftie ,
^ Seigneur (fe monftrant foi-mefme)la voila cefte hofticqui
w vous doit eftre maintenant immolée. Ttbi facnficabo hojliam
^■^ laudis <ù* nomen Pomini invocabo. Vota mea Domino reddara
«? ( eftepdant les deux bras ^ le vifage riant ôc enflammé ) i^
«3 conjpeâln
MONSIEUR F. A. DE THOU; 177
95 conJpeÛH omnis populi ejus (hauflant un peu fa voix) in conf-
'^^ peau omnis populi ejm. Oui, Seigneur, je veux vous rendre
w mes vœux , mon efprit > mon ame > ma vie i in confpeâu
M omnis populi ejus , devant tout ce peuple , devant toute cefte
» aflemblée. In atriis domus Domini , in medio tui Jerufalem. In
M atriis domus Domini : nous y voici à l'entrée de la maifon du
5> Seigneur 5 oui c'eft d'icy , c'eft de Lion , de Lion qu il faut
a» monter là hault , ( levant les bras vers le ciel 5 ) Lion , que je
35 t'ay bien plus d'obligation qu'au lieu de ma naiflfance , qui
« m'a feulement donné une vie miferable , ôc tu me donnes
» aujourd'huy une vie éternelle , in medio tui Jerufalem. îi eft
w vrai que j'ai trop de paffion pour cefte mort , mon Père ,
« dit- il plus bas en foufriant , j'ai trop d'aife , n'y a-t-il point
M de vanité f pour moi je n'en veux point, »
Tout cela fut accompagné d'une a6lion fi vive, ôc fi gaye,
que plufieurs de ceux qui en eftoient efioignez penfoient que
ce fuft des impatiences.
Après ce Pfeaume , eftant encores à genoux , il tourna la
veuë à main droite , il advifa un homme qu'il avoit embrafle
dans le Palais , il le falua de la tefte Ôc du corps , Ôc lui dit
gayement, «Monfieur, je fuis voftre ferviteur. «
Il fe leva , ôc l'exécuteur s'approchant pour lui couper les
cheveux , le Père lui ofta les cifeaux pour les donner à fon com-
pagnon , ce que M. deThou voyant , il les prit, difant : «c Quoi,
35 mon Père , croyez vous que je le crains f n'avez vous pas
3' bien veu que je l'ai embraffé ? je le baife cet honime-îà , je le
m baife. Tien mon Amy, fais ton devoir^ coupe moi mes che-
35 veux. « Ce qu'il commença de faire, mais comme il eftoit
maladroit , le Père lui ofta les cifeaux , ôc les fit couper par
fon compagnon. Pendant quoi il regardoit d'un vifage afieurç
& riant ceux qui eftoient les plus proches , ôc s'eftant teu peu
de temps il profera cefte fentence de S. Paul : Non contemplan-
tibus nobis qude videntur , fed qu^ non videntur ; qua enim viden-
tur temporalia funt , qu(S autem non videntur aîerna. Ses che-
veux coupez il fe mit à genoux fur le bloc , ôc fit une offran-
de de foi-mefme à Dieu avec des paroles ôc des fentimens
très-grands : il s'advoua le plus grand pécheur ôc le plus cri-
minel de tous les hommes j mais que Dieu lui donnoit une
fi grande confiance en fa bonté , qu'il craignoit qu'il n'y euft
Tome XV. S Z
î73 MEMOIRES POUR JUSTIFTER
de l'excès; tefmoigna un grand regret de fa vie paflee , difant
que fi on lui euft lailTé la vie , il croyoit qu'il l'euft employée
tout autrement qu'il n'avoit pas faiâ: i demanda à tous un Pater
& un y^ve Maria avec des paroles qui perçoient le cœur de
ceux qui l'entendoient j baifale Crucifix avec grand fentiment
d'amour ôc de joye. Puis il dit : « Mon Père , ne me veult-on
M point bander ? » ôc comme le Père lui euft refpondu que cela
dependoit de lui , il dit, « Oui , mon Père , il me faut bander j »
& en foufriant ôc regardant ceux qui eftoient proches de lui ,
dit: « Meilleurs , je l'advouë , je fuis poltron , je crains de
3' mourir. Quand je penfe à la mort > je tremble , je frémis , les
o> cheveux me heriffent , Ôc li vous voyez quelque peu de con-
» ftance en moi , attribuez cela à noftre Seigneur qui fai6l un
5> miracle pour me fauver ; car effe£l:ivement pour bien mourir
o» en l'eftatoi^i je fuis, il faut de la refolution , je n'en ay point;
i»> mais Dieu m'en donne ôc me fortifie puiflamment. »
Puis il chercha fon mouchoir pour fe bander , pria ceux
qui eftoient près de l'efchaffaut de lui en jetter un : aufîi-toft
on lui en jetta deux ou trois > il en prit un , ôc fit grande ci-
vilité à ceux qui lui avoient jette , les remerciant , ôc promet-
tant de prier Dieu pour eux au ciel , n'eftant pas en fon pou-
voir de leur rendre ce fervice en ce monde. L'exécuteur en-
fin le banda.
Après il mit fon col fur le poteau , demanda s'il eftoit bien.
L'exécuteur voyant que les cordons de fa chemife eftoient
nouez , lui porta la main au col pour les dénouer ; ce qu'ayant
fenti, il demanda: « Qu'y a-t-il , faut-il encores ofter la che-
3> mife ? '> ôc fe difpofoit à Pofter. On lui dit que non , qu'il
falloit feulement dénouer les cordons , ce qui fut fai£l i ôc
ayant mis fa tefte fur le poteau , il prononça fes dernières pa-
roles , qui ïunent Maria mater grati(;e j mater mifericordia j tu
nos ab hojie -protège , & hora mortis fafcipe. Puis In manus tuas
-&c. ôc lors fes mains commencèrent à tremblotter en atten-
dant le coup, qui lui fut donné tout au haut du col trop près
de la tefte , duquel coup fon col n'eftant coupé qu'à demy >
le corps tomba à cofté gauche du poteau à la renverfe ) le
vifage contre le ciel , rerhuant les jambes Ôc les pieds, ôc haul^
fant foiblement les mains. Le bourreau le voulut renverfer
pour achever : mais effrayé des cris du peuple , il lui donna
MONSIEUR F. A. DE THOU. 17^
trois ou quatre coups fur la gorge , ôc ainfi lui coupa la teâe
qui demeura fur l'efcbafFaut.
L'exécuteur l'ayant defpouillc , porta fon corps couvert d'un
drap dans le carroffe qui les avoit amenez. Puis il y mit aulît
celui de M. de Cinq-Mars, 6c leurs telles qui avoient encores
les yeux ouverts , particulièrement celle de M. de Thou , qui
fembloit vivante. De là ils furent portez aux Feuiilans , où
M. de Cinq - Mars fut enterré devant le maiftre Autel. M.
de Thou fut ofté des Feuiilans , ôc porté aux Carmélites de
Lion , où il fut embaumé ôc mis dans Un cercueil de plomb
où il eft encores. Pour fon cœur il a efté porté à Paris , ôc
mis en la fepulture de fes Anceftres dans l'Eglife S. André.
Trois Lettres de M, de Thou à M, Dupuy écrites après
fon emprifonnement , copiées fur les originaux écrits de la
propre main de M, de Thou,
A Monfieur Dupuy.
De Terault près de Montpellier ce Lundy i^l\mi6^2*
Monsieur;
Encores que j'eftois une perfonne afTez peu confiderable
dans l'Eftat , fi ne doute-je pas que le bruit commun ne vous
ait desja appris mon malheur , qui eft le plus grand qui me
put jamais arriver. Tous ceux qui ont eu un pareil accident ,
n*ont jamais manqué d'alléguer d'abord leur innocence. Pour
moi je prens un ftile tout contraire , me jugeant coupable ,
puifque j'ay efté fi malheureux que d'avoir depleu au Roy j
mais après cette faute qui n'eft pas petite , je vous jure que
ma confcience ne m'en reproche aucune autre, ôc j'ofe me
promettre que mes amis n'auront point de honte d'avoir eu
quelque bonté pour moi. Vous devez croire que je vous met$
un des premiers en ce nombre , ôc que j'attens de voftre ge-
nerofité que vous ne m'abandonnerez point dans mon malheur.
Ce que j'en defire eft la continuation de vos foins pour mes
petites affaires domeftiques , tous les autres eftant à prefent
iSo MEMOIRES POUR JUSTIFIER
inutiles. J'ai receu jufques ici toutes les civilitez que l'on peut
faire à un prifonnier. Pour l'avenir , Dieu feul le fçait. Je viens
d'avoir tout prefentement des nouvelles de M. de Toulon. Il
a receu la nouvelle de la mort de fon fils , ôc la permiffion que
je lui ay envoyée d'aller à Paris en mefme temps ce qui lui
donnera quelque confolation. Je vous prie de faire part de
ma Lettre à mon frère Ôc au voîlre j & de dire au mien qu'il
ne s'afflige point, ni ne fonge pas à venir ici. Toutes ces la-
mentations-là ne fervent de rien h qu'il me conferve feulement
fon amitié. Je vous demande la mefme grâce, ôc que vous
croyez qu'en quelque eftat que je foye , je ferai au tousjours
autant que vous m'y avez obligé.
Si vous voulez prendre la peine de m'efcrire , il faudra met-
tre une lettre ouverte dans un pacquet fermé que vous pren-
drez la peine d'addreffer à M. de Charroft î auffi bien eft-ce
par fon ordre que je fuis gardé. J'ay receu îa Lettre de M:
de Saint Sauveur aujourd'huy par les mains de M. de Char-
roft. Déformais il ne prendra plus la peine de me mander des
nouvelles , s'il lui plaift.
Monsieur
yojîre très humble & ajfeBionnè
Serviteur <& -parent,
DE THOU,
Au Mefme.
Du Chafteau de Tarafcon ce 21 Juin i^^a.
Monsieur , '^''
Je vous ay desja efcrit une fois depuis ma prifon. Nous
avons efté transferez aujourd'huy en ce lieu : ce qui me don-
ne fubjet de renvoyer ce peu de gens que j'ay avec moi, qui
me feroient inutiles , puifque je n'en puis garder qu'un auprès
de moi. J'ay choifi petit Jean, parce que Mignoneau eft marié;
& que j'ay creu qu'il fcroit bien aife de revoir fa femme. Je
JUONSIEUR F. A. DE THOU. i§i
defîre pourtant qu'il demeure à mon fervice. Pour tous mes
autres domeftiques , je penfe qu'il eft à propos de les licen-
cier, en leur donnant quelque recompenfe félon le temps qu'ils
m'ont fervi i ce que je laifle à voftre difcretion. Vous ferez
mettre , s'il vous plaifl, le Bafquechez Prudhomme ,& faites
ce en lui faifant donner ce qu'il faudra pour apprendre. Je
defire que les chevaux de carroiïe qui font à Celles demeu-
rent à M. le comte de Bethune : pour le cocher il pourra pren-
dre parti, mais vous lui continuerez, s'il vous plaîft ,fes gages
en quelque Heu qu'il foit , parce qu'il m'a bien fervi. Jedeîire
auiïi que toutes mes debtes fe payent , & que de celles qui
portent intereft , fi l'on ne les peut amortir, (je fçaibien que
l'eftat de mes affaires prefentement ne le permet pas) que Ton
en paye pon£l:uellement l'intereft. Enfin , je vous recomman-
de les miens , autant qu'il m'eft pofiTible 5 ôc que ma mauvaife
fortune ne vous faffe point changer les fentimens que vous
avez eus pour moi j puifque aflurement je ne fuis que malheti»;
reux 6c point du tout coupable, ôc abfolument
Vous recevrez une Lettre de- Mon sieur :,
vant celle-cy par la voye de M.
de Charroft j où je vous entre-
tiendray plus au long. Je faluë Vo^re nèS'Jmmhle Serviteur*
M. mon frère , ôc le voftre.
D E T H O U,
Au Mefmer
Monsieur , mon cher eoufin ,
Je vous fais ce mot avant que de mourir ] pour vous corî-
jurer de vous fouvenir de moi. Je vous promets la mefme
chofe en l'autre monde , où j'efpere que Dieu me recevra
en la gloire de fes efieus. Je vous recommande mon frère ôt
M. de Toulon. Ma fœur de Pontac eft icy , que je plains
extrêmement. Je vous prie d'employer nos amis pour faire don=
ner ma confifcation à mon frère. L'intereft que je fuis capa-
ble d'y prendre eft pour le payement de mes debtes ; outre
SZiij
i82 MEMOIRES POUR JUSTIFIER:
que j'ay fait un vœu pendant ma prifon, dont le P. Gardien
des Cordeliers de Tarafcon eft tefmoin. C'eft de fonder une
MefTe à leur Eglife de cent efcus de rente. Je vous recom-
mande petit Jean mon Valet j ôc meurs voftre Serviteur,
Ce 1 2 Septembre à Lyon 1 6^2, DE T H O U.
LAISSONS ces Mémoires fe perpétuer , par le bon fens,
la force, & l'éloquence qui y règne, comme un mo-
nument éternel confacré à l'amitié ôc à la pieté : ôcpafTonsau
Cardinal de Richelieu. On fait que ce Miniftre eftoit fi ja-
loux de fa gloire j qu'il ne pardonnoit jamais à ceux qu'il croyoit
l'avoir en aucune manière ternie :'ôc il en donna un exemple
* Foyez^ Le terrible en la perfonne d'Urbain Grandier. * Cette humeur
feM^Bayieà vindicative fit juger à plufieurs perfonnes de ce tems-là, que
VartideOtàn- le Cardinal piqué de ce que noftrc Hiftorien avoir dit au fu-
^^"'' jet d'Antoine du PlefiTîs Richelieu fon grand oncle , voulut
s'en vanger fur le fils, en le pourfuivant avec toute la rigueur
ôc la violence que M. du Puy lui reproche dans ces Mé-
moires.
Il court mefme une çfpece de tradition , laquelle porte
qu'il échapa au Cardinal de parler du jeune de Thou en ces
termes : Ton père a mis mon grand oncle dans fon hiftoire , tu
feras dans la mienne. Mais il nous femble que c'eft une fup-
pofition imaginaire pluftofl: qu'un fait réel , puifque M. Patin
dans une lettre du 2 Mars 1(^43 (environ cinq mois après la
mort de François de Thou) s'exprime de cette manière, (qui
peut avoir donné lieu à ce bruit ) « Le Cardinal qui tune régna-
a' bat avoit refolu & dit en fon efprit , ton père a mis mon grand
65 oncle dans fon hiftoire > tu feras dans la mienne. «
Quoiqu'il en foit , les endroits del'Hiftoire de M. de Thou
qu'on fuppofe avoir tant ofFenfé le Cardinal, font dans la pre-
mière partie de cet Ouvrage : ôc comme on voit par les Let-
tres de Patin que l'Epitaphe fuivant de M. de Thou le fils
couroit de main en main bien-toft après fa mort ; on ne faU'
roit douter, vu la liaifon qu'il y a entre cefte Epitaphe ôcces
endroits de l'Hiftoire du père, qu'on ne les fit auffi courir dans
ce tems-là joints enfemble. En effed , on les trouve imprimez
çnfemble à la fin des pièces adjouftées au Journal du Cardinal
MONSIEUR F. A. DE THOD. i8;
de Richelieu, édition de Paris en i66^ in 12. Les voici,
Epitaphe de Monfieur François de Thon,
Hijîoriam quifquis vuh fcribere , fcribere veram
Niinc vetat exitium j magne Thuane , tuum,
Rkhelia ftirpis proavos lafijje , Paterni
Crimen erat calami , quo tibi vit a périt.
Sanguine delentur Nati monument a Parentis $
Qu(e nomen dederant fcrtpta » dedere necem.
Tanti morte viri fie eft fancita Tyrannis :
Ver a loqui fi vis 3 difce cruenta pati.
Extrait du 1 7 Livre del'Hiftoire de M. le Prefident de Thoiî;,
de l'impreffion de PatiiTon l'an \6o^i fervant à l'intelligence
de l'Epitaphe précédente :
Ad Anmtm 1^60. p. 6^$,{vîd,p, 850. Edit.Lond.Tom. I.)
In STîTUT A & nova equitum fdoppetariorum cujlodia , qui-
Bus prapofitus efl Antonius Plejfiacus Richelius , vulgo diâîus Mo^
nachus , quod eam vitam olim profejjus fuijjet , dein , voto ejera^
to i omni fe licentiae ac libidinis génère c ont aminaffet. Hoc à Gui-
fianis tanquam falutis regia fludiofis faâum ) plures quo privat<ff^
fecuritati conjûlerent excogitatum interpretabantur.
Et paulo pofi pag, 6^^. {p. 7. Edit, Lond, Tom. IL )
P R^Missus /intonius Plejfius Richelius , homo perdit a vttce^
cum feloppetariis equitib us plane fui ftmiltbus , ad cuftodiam régis,
fîcuti diximus , defiinatis. Is motus excitandi , ex eoque urbis diri"
piendae occafionem circumjpiciens , cum nullo injuria génère ftbi tem"
perajjet , prater Jpem tamen cives ohfirmato ad patientiam contra
adfe6îatas injurias ù* irritamenta animo expertus efi : quippe qui
de confilio ejus cognovijjent 9 & régis' adventumfme offenfioneop^
periri Jlatuijfem,
i84 MEMOIRES POUR JUSTIFIER
Item pojl pauca pag. (^40. (^. 7. Eâit. Lond.Tom. IL)
' Ric HELius, qui i nullo opéra pretio faÛo , inde difiedere >
tinde opimne prcedae/pes ajjulferat , œgrc ferebat t adfinem hoc com-
mémo ufas ejl , m oppidanos aut in fraude m trakeret, autfraudis
aliéna reosfaceret : Pjalmis vernaculis alta voce , ut paffim exau-
diretur > decantandis intentus ^ cum profunda jam noÙeper urbem
dm difcurrifjet , nec ullus , quod ille fper avérât , ad eumfe aggre^
garet , tandem ad cantiones ludicras , & injuriojos in Regem , Ca-
tharinam , ac Guifianos verjits , pulfatis per lafciviam obviis , e^
fenejîris lapidum, iâibus confra5lts , noâfem cum Jiiis exegit ; quod
tànquam à feditiofis y quos ille tumultus Ambofiani reUquias vo~
cabat,faâum, pofiridie ad Regem <& Catharinam detulit^ eo confilio
tit Regem adpœnas de Ccsfarodunenfibusjamfibifujpeëîisfumendas
pracipiti ira accenderet , & antequam de veritate conflaret 3 urbs
Jibi ac milîti in pr a dam permitteretur y <& fane urbs pope à péri"
culo abfait y exulcerato Régis animo, vixque Prator & édiles
apud eum precibus pervicerunt , ut inquifttione diligenti fa6îa ,
rei Veritas indagaretur. Tandem pudenda calumnia probrum in
auÛores recidit , & civium innocentia Régi approbata eft.
M. de Thou a fait incidemment une reflexion dans le fécond
Tome de fon Hiftoire^ Livre XXXV. pag. 372 de l'édi-
tion de Londres , que nous jugeons mériter l'attention de nos
Ledeursj c'eft pourquoy nous l'ajoufterons ici. Après avoir dit
qu'au fiege du Havre de Grâce en 1 5* 55 ,1a place étant alors
defFenduë par les Anglois ; un ouvrage fut emporté d'aflaut
par les François ; il ajoufte , Non citra periculum ac multorum
perniciem nam N. Plejfius Richelius legionis dux, prudentia ac mo-
ÛQicdiùonQ mjîgnis , atque ad patrui differentiam fapiens cognomina^
tus y in eo impetufcloppeto in humero iâfus ejîy ex quo vulnere aliquan-
to pojî dëceffit. N'eft-ce pas là une preuve que M. de Thou
diftinguoit dans les hommes ce qu'ils avoient de bon ou de mau-
vais , ôc les reprefentoit félon leur propre cara6tere ? Mais agir
alnd i eft-ce commettre le crime irremifTible d'avoir noirci le
nom & la race des Richelieu ? Que les autres difputent fi le
Cardinal eftoit cruel ou non au Fils , à ce compte nous tenons
pour affuré qu'il eftoit fort injufte envers le père.
Mettons
MONSIEUR F. A. DE THOU. i8f
Mettons ici un partage tiré des Mémoires pour fervir à l'Hif-
toire de France, par M. de rEftoiIe> Tom. i. p. <5i. de TE-
dition de Cologne (ou pluftofl de Bruxelles) lyip en 2 vol,
in 8.
« 15*7^ le ip Janvier le * Capitaine Richelieu > dit le
••> Moine Richelieu, qui avoit charge de vingt Enfeignes de
•• pied, homme mal famé pour fes voleries & blafphemes,
*> fut tué à Paris en la rue des Lavandières, par des ruffiens
» comme lui , qu'il vouloit chafTer d'une maifon prochaine à la
»• fienne. «
Mais revenons à M. François de Thou. M. Menaee loue le
Diftique fuivantde Conftantin Huygens fur la mort decQ Gen-
tilhomme, qui périt ( pourfuit M. Ménage) pour n'avoir pas
voulu trahir fon ami M. de Cinq- Mars en révélant la conf-
piration qu'il faifoit contre M. le Cardinal de Richelieu :
0 Legum fubtile nefas , quibus inter amicos
Nolle jidem fiuftra prodere t proditio ejî.
D'autres Ecrivains François parlent avec éloge de ce que
fit Madame de Pontac fœur de François de Ihou, « lorf-
9' qu'allant en la Chapelle de la Sorbonne jetter de l'eau be-
» nite à fon Eminence le Cardinal de Richelieu , elle lui dit
« ce que la fceur de Lazare dit à N. S. Domine fi fuijjes hic,
» frater meus non ftitjjet mortuus. » Penfée qui fe pouvoit pre-
fenter fort naturellement , fur ce que le Cardinal ne furvecut
M. de Thou que de trois mois.
Ex Hugonis Grotii Epiftolis, Amftelodami i6Sj, in Folio.
* Hugo Grotius Adriano Hoogerbeets, p. 711. Ep, 158 1.
LAu D o etiam pium affeâum tuum pro y heu , cjuondam nof-
tro Thuano j quem amavi femper , amatus fumme à vi-'
ro jummo ejus pâtre ; reveriîus femper <& patris <& avi nO'
men ut virorum quibus vix ullos Gallia pares tulit. Vides quce
fint in rébus humanis TrifioSoi. Experti nosjumus , experientur alii,
ï On a mis à la marge Antoine du
Pleffîs de Richelieu, Capitaine des Ar-
qiiebujiers de la garda du Roy , Cheva-
lier de fon Ordre , Gouverneur de Tours,
grand oncle du Cardinal de Richelieu,
M. de Thou en parle peu avantageufe"
ment liv. 17. de fon Hijioire, ce qui a
confié la vie à fon fils.
z Tune temporis Suecice apnd Regem
Chrifiianiffimwn Legatus.
Tome XF. 5 A a
ÏÎ6 MEMOIRES POUR JUSTIFIER
Solarium tinicum in bona confciemia > quam Deus adfpicit, Lti^
teîi^ y 2p Novembris y 16^2,
Hugo G rotins Gulieîmo Grotio Tratrifuo,p. P42. Èp. 620.
I Frater. Eft ira tit dicis. Exitum Thuani nojje trifîe efl
nobis. Et tamen melius id quam ignorare ea qua ad fa-*
mam ej us pitrgandam pertinent : ro yàp yi^ai iç\ '^atô^flav. Vcrueratt
cum Tarafcone libertatem fperaret , faceîlum. Id fôlvH mortijam
addtÛus, jujfa pont hac infiriptione : Y otum in carcere pro li-
bertate fufceptum , Francifcus Auguftus Thuanus corporis car-
cere liberandus merito fol vit , Chrifto liberatori. IVos etiam nof-
tra cogitata ad eum finem dirigamus ; Jerviamus Deo > profimui
quam plurimis. Lut et i a , 2 OÙ. 16^2.
Eidem.p. ^^^, Ep. 621,
I Frater. Cinqmarcius darnnatus ob fœdus arcanum cum
Hjfpanis faâum tnenfe Martio : Thuanus idco quod id
JaJJet , quanquatn improbaverat. Non aperuerat autem Régi, qui a
Ù" mutât a evant confilia : & fi aperuijjet cum documenta non ha-
béret , potuerat ut calumniator & tmbaior amicitia intcr Regem
& Ffatrem ejus torqueri & puni ri. ^ OB^
Ëidem yJhid. Ep. 622.
I Frater. Videmus plane propofitum fuijje potentihus per^
dere Thuanum. Nihil ei objici potuit , nifi quod fœderis
cum riijpano initi notitiam habuerk : idque in tpfum ut diceret
Cinqmarcius adduclus fuit arcano cancellarii colloquio , tormenta
ei minantis ni ûgmfireret y <àr fi agndfceret fpem dantis vit^ , Jed
inancm, Fntellexerat autem hoc Thuanus aUquo pofi; tempore yCum
jam mutata effent eonfitlia. Ipfe vehementer id improbavtt, ^uod fi
ad regem pertuliffet indjcmm ^ nulla habens documenta j pericU-^
taturus fuerat haberi pro falfo delatore. Staîim atque hoc Cinq-
marcius dixity & ipfe coram eo fajfus efi , ivere judices ad fen^
tentiam : qua eode?n diefcrtpta , pronuncmta , & exfecutioni man-^
data eft. Magnus ubique efi mosYor ex hac morte, Liiteti<e , i0'
O^. lC^2,
MONSIEUR F. A. DE THOU, 1^7
PRo r/iemoria boni Thuani fuppcditat mihi LabbatiS amicuî
fiojler locum Hieronymi Gigantis , qui fcripfit de crimine lafds
Alajeflatis : qm circa firiem libri quœjlione prima variarum quas
ad opus fuuni adjecît quo'fîiormm, quafiione liait , fctentiamqua
probari poteft in crtmine lœjœ Maiejîatis non ejje punibilem. Ojten-»
dit idem mihi Chaflellt, qui regem Henricum IV occiderevoluits^
patrem, qui hoc pejfimum confilium, ut régis caput tangens ^Jcive-^
rat ô" improbaverat j non ultra quam extlio punitum. Hac , quia
ad noftram artem pertinent , te fcire volui Addam & hoc no-^
tatu dignum , fententia in Thuanum bis poft mortem ejus mutata',.
Ù' cum mutatione édita efi. Lutetia ,2,1 Novembris i5^2,
Eidem,p, P45'. Ep. 6^0,
PR o Thuano incipient Uberiores eJJe voces y mortuo jam carài*
nali RiceUaco j quanquam régnant adhuc ejus clientelne, 1 j
Decembris ^ i^-^a,
Eidem. p. p^S. Ep. 6^go
RE X negat fe voïente ajfeâos morte Cinqmarcium aut Thua-*
num , ér Jpes aliquafuturum , ut in hune qu<s lata efifeU'»
tentta aliquando refcindatur. 14 Febr^ x^^j.
Ex Pet. Burmanni fylloge Epiftoîarura Gudii, Sarravii, &c.
in 4. Ultraj. 1 6$^. p. 47. Ep. Sarravii.
Claudîus Sarravius, Senator Parificnfts , Eriderico Gronovio,
Uo D iîluftriffimi Thuani necem défies , facis quod boni viré
efi <& îiterarum amantis. Tarn atrocis favitide autori non
dîu fuit impune. Pofi innumera de facerrimo capite dira elogia un^
verbo ei parentatus ero , fe mihi diôfus fit
Vir férus & Erancos cupienti perdere fato
Stifficiens.
jQuodolim una vocç mutât a de Mario Lucanus dixeraî> Superefl is
iSB MEMOIRES POUR JUSTIFIER
Thuana domo unus Jacohus Augujîus brevi cooptandus in Senatum
noprum ^ in quo pater , Avus ) y^tavus primas fe des Jummo cum
honore & pari dtgniîate tenuere : polletque hic fuperjîes iis dotibuSy
quitus fe tanti nominis dignum heredem probet. Bibliothecue nihtl
aeperiit , qua cum omni defunâfi patrimonio , poft Cardinalis de^
mum ohtîum ^fratri à Rege donaîa efl. Lut. Par, îdtb. Mart*
Ex Hugonis Grotii Epiftolis, AmModami i6Sj. m Folio.
Hug, Grotius FratriJuoGulieimo Grotio ^p. pyp. Ep, 6j6.
EDiDiT paulo antequam Mazarini potentia in hoc fajîigium
crefcereî , Ifmael Bullialdus , in Itteris & mathematîs hene
verJatus^Theonem Smyrnaum Platonicum.Dedicavit Augufto Thua-
no confiliario Parlamenti. In epijioia dedicatoria hacfunt verbai
« Tu unus illuftris generis Jiirps reltâfus es : In te uno domus tua
'>->fata volvuntur, poft lugendum cajumfratris tut tS fisfitcLpiry illius
« Francifci Augufti , quem dira ac durijfima tempera , in bonorum
i>^perniciemfavt]Jimedecurrentiay Europe ,patrta j bonis omnibus ,
95 ac fuis abripuerunt. Tarn lachrimabilts cajus memoria , etfi om^
» nem vel acerbiffimum dolorem fuperet , memini/Je tamen juvat
» viri patrice fuœ bono nati , pracipiti ( ne quid ajperius dicam )
M juàicio opprejji ; dum obviam ire contenait Tyranno legum pa-
a» triarum everfionem moliemi , ù" convellere famtliam regiam me-*
» ditanti. Kal. Nov. 154-3. »
FiniflTons ce fujet > en faifant fçavoir au Le£teur que la Re-
quefte au Roy , qu'on voit au commencement des Mémoires
cy-defTus , n'eut point d'effet , comme nous l'apprend un célè-
bre Advocat du Parlement de Paris, que l'on a confultélà-def-
fus. Voici fa reponfe :
« La mémoire de François de Thou , qui fut décapité en
» 1(^42, n'a jamais efté rehabilitée, & il n'a point eu de Let-
« très pour cela. Il y eut une Requefte, mais elle ne fut point
« pourfuivie, ôcla famille fe contenta d'une rehabilitation bien
» enregidrée dans tous les coeurs François. »
T A B L
DES PIECES
Concernant la Perfonne &C les Ouvrages de
J. A. de Thou , contenues dans ce Volume.
Jiigemens portez à la Cour de Rome fur l'Hiftoire de J. A.'
de Thou.
LETTR E de Jacques- AHgHfle de Thou a Chrijîophle Dupuj à RotJfél
du 1^. Janvier 1604. Pag. 1 19
Lettre de M. le CardiMal de Joyeufe à M. de Thou du 1^. Janvier 1(304.
I ^l
Lettre de M. de Thou a Ai. le Cardinal de Jojeufe , en Février i (304 ibid.
Lettre de A4, de Tioou a M. D^puy à Rome ,dux^. Février i ^04. 125
Lettre ds Ai. de Tîoau à A4. Dfipuy à Rome ^ du 3. Avril 1(504. ^^4
hettre de A4, de TIjou a M. Dapuy à Rome , du 9. Avril 16 o-^. iid
Lettre de A4, le Cardinal de Joyeufe à M. de Thou y du 4. xMay i6q\. i ij
Lettre de Ai. de Thou a Ad. Dupuy a Rome ^ i^^. Novembre 128
Lettre de A4, de Thou à M. Dupuy a Rome ^ 10. Février 1^05. i 3 l
Lettre de Ai. de Thou à Ai. Dupuy à Rome ,28- Juin i (jO 5. 155
Lettre de A4, de Thou a A4. Dupuy a Rome , 20. Septembre iGo<^. i 5 5
Lettre de A4, de Thou à A4. Dupuy a Rome , 4. OElobre i6o<^. 15^
Lettre de Ai. de T7jou à A4. Dupuy à Rome, 257. Novembre \Go^. 1 5S
Lettre de Ai. de Thou à A4, Dupuy à Rome ^ 29. Décembre 160^, 139
Lettre de A4, de Thou à A4. Dupuy à Rome i 12. Février 1606. 141
I^ettre de Ai. de Thou a Ai. Dupuy à Rome y 18. Mars 1^06, 144
Ijettre de Ai. de Thou à A4. Dupuy à Rome ,12. AvrtI 160G, 14^
Lettre de A4, de Thou a M. le Cardinal Sforze y i. Aiay i6o6- 14$
Lettre de Ai. de Thou à A4. Dupuy a Rome y z, Aiay 1606. 151
Lettre de Ai. de Thou à A4. Dupuy à Rome y i 2. Juin 1606. i 5 j
Extrait d'une Lettre de Pierre Dupuy à Jofeph fujle de la Se al a , du 20»
Aiay i6q6. 154
Lettre de Ai. Cafaubon à Ai. GouUrt ,27. Janvier 1606. 155
Tome XV. JBb
TABLE DES PIECES. •
Lettre de j/fd. le Cardwal Sforz,e à M. de T^ou, 3 1. May 1606. Pag. 156
JLettre de M. de Thon à Ad. TiHftty à Rome^ 1 1* Juillet \6q6. i 58
hettre de M. 4e Thon à M. le Cardinal du Perron a Rome , 12. 'jn'm
\(>o6. ^ 159
lettre de M. le Cardinal du Perron à M> de Thou , 1 2* Juillet 1 606. ibid*
Lettre de Aï, de Thou a Ai. Dupuy à Rome t 14. AohJI 1606. 161
Lettre de M. de Thon a Ai. DtifHj À Rome, 1 5. Décembre 1606. 162.
£xtrait d'une Lettre de Pierre Dupuy a Jofeph Jnjle de U ScaUy dn 11,
Janvier 16 oj, 16^
Lettre de M> le Cdrdtnal Sforz.e à M. de Thou , I o. Novembre 1 606. ibid*
Lettre de AI. de Thou à AI, Dupuy a Rome , i. Avrils 6 oj* i(j 5
L'ttre de M» de Thou à Aï. Duptty à Rome , 1 1. Juin 1 607. 1 67
Lettre de Ai, de Thou à M, le Cardinal du Perron > 2 2. Aoufl i6oy. i6<)
Lettre de Ai. de Thou à Ai, Dupuy a Rome , dernier Juillet 160-/. 171
Lettre de M, de Thou à Ai. le Cardinal du Perron , dernier Juillet léoy,
171
Lettre de Ai. le Cardinal du Perron à M. de Thou , 6. Aoufl i6oj. 173
Lettre de Ai. le Cardinal Frédéric Borromée à Ai. de Thou y 23. Aouji
16OJ. ^ Ï74
Lettre de Aï. le Cardinal Séraphin a Ad, de Thou, 9, Septembre \6oj* ibid*
Lettre de Jaccjues Seguier à J, A. de Thou , i i « Septembre 1611. 1 7 j
Lettre de Ai, le Cardinal Frédéric Borromée à Ai. de Thou , 4. Mars i <j 08.
177
Lettre de M, de Thou k Ai, le Cardinal S force , 14, Juillet i (jo8. ibid.
Le^'re de Ai, le Card.mal S force k M, de Thou ,10. Septemdre 160%. i 7 S
)Fdu du maître du Sacré Palais , portant defenfes deplufeurs Livres , ^ en
particulier de IHifîoire du Prefidcnt de Thou, du 5?. Novembre 1^09»
Lettre du Père Richeome Jefuite k Ai. de Thou ,22. Juin lôio. 181
Lettre de Ai, Rtbere k Ai. de Thou ,23. Juin 1610. 7 8 j
Lettre de Ai. le Cardinal de la Roche foucault k Ai. de Thou . 13. OU.obre
I (j I o. ibid»
Lettre du même Cardinal a Ad. de Thou ^ 25?» Janvier fans date d'annég
184
Lettre du même Cardinal k Ai. de Thon , du 11. Mars» 1 8 5
Lettre du même Cardinal k M. de Thou , fans date. ibidr
Lettre du mime Cardinal k M, de Thou , du i6. May, î S ^
Lettre du même Cardinal k M. de Thou ^du i^. Juin. ibid.
Lettre du même Cardinal à M, de Thou ^du ii. juillet, j 8 7
Lettre du Père Richeome Jefuite À Ai. de Thou ,12. Janvier 1611, i S 8
Extrait du Mercure François , aujujet de la Cenfure faite a Rome de l'Hif-
toire du Prefident (k ThoHs 1^0
TABLE DES PIECES.
Jugemens portez à la Cour de France fur l'Hiftoire de
Jacques- Augufte de Thou.
LETTR E dn Rojf Henry IF. k Jac. At4g. de Thou y 4. Novembre
iG^%. Pag. 191
Lettre dn Roy Hen ry IV.k Jac. Aug. de Thou ,10. Novembre 1 6 9 8 • 1 9 i
Lettre d'ifaac Cufauboft a Jufte Lipfe ,21. Mars i Gq 4. ibid.
Extrait dune Lettre de Henry I F. à M. de Bethune [on Ambajfadeur k
Rome y du ^. May 1(^04. 195
Extrait dune Lettre de J. Gillot a fofefih de la S cala, 30. Mars fans date
d'année. ibid.
Extrait dune Lettre de Vertunien a Jof. de la Scala , 14, Juin i(»o4. 194
Extrait dune Lettre de Pierre Dupuy k Jojeph de la Scala , 1 9. Novembre
1604. ibid.
Lettre de M, de Thou a M, le Comte de Beaumont , Ambajfadeur de France
en Angleterre , 5. Septembre i (Î04. 195
Extrait dune^ Lettre de M. de Vtlleroy k M. de Be thune t Ambajfadeur de
France k Rome. i()S
Lettre de J. A, de Thou k Pierre Jeannin , Premier Prejldent du Parlement
ds Bourgogne , le dernier Mars i <? i r , ibid.
Lettre de M, le Cardinal de Joyeufe k M. le Prejîdent de Thou , .', 5 , Avril
161 1, 2 I j
Lettre d Ifaac Cafaubon k J^ A. de Thou ,21. Avril 16 ïi, 214
Lettre de J. A. de Thou k Ifaac Cafaubon , 7. May 1 6 i î . 217
Lettre de M. le Cardinal de 'joysufe k -M, le Prefiâent de Thou , 2 4. Juin
\Gi\. 218
Lettre écrite par M^ le Cardinal de Joyeufe k Monjîeur & Afadame de Thou »
quelques heures avant que de mounr j 2 3 . Aouji 161 ^. zif
Jugemens portez à la Cour de Jacques I. Roy de la Grands
Bretagne fur l'Hiftoire de Jacques- Augufte de Thou.
LET T R E de J, A. de Thou k Jacques /. Roy de la Grande Bretâ^
gne , 31. Décembre 1(303. ^^^
Lettre de Chrijlophle de Harlay Comte de Beaumont , Ambaffadeur de France
en Angleterre ^kj, A. ds Thou, 10. Mars 1604. 12^
Lettre de Jacques I. Roy de la Grande Bretagne k J. A. de Tloou , 4. Mari
1605. •2-2.J
l,ettre de J. A. de Thou k Guillaume Camden , 10. Février 1(^05. 224
Lettre de Gmll, Caritdcn k J. A, de Thou , i(». Avnl 1^0 5 . Vhhx Stile, Z],^
JBbij
TABLE DES PIECES. •
Lettre de Gmllamne Camden a J. A. de Thou , i. Juillet \6o6. Pag. 231
Lettre de J» A. de Thou à Guillaume Cmnden , 3 1. Juillet 1606. 232,
Lettre de % A, de Thon à Henry de S avilie ,27. Juillet 1606. 255
Lettre de Henry de S avilie à J. A, ds Thou , /(? 30. Novembre i (> 07. 23^
Lettre de Guill, Camden à /. A. de Thou ,22. Novembre 1607. 241
Lettre de /. A. de Thou à GuJl. Camden ^ 13. Avril 1608. A-". Stile 245
Lettre d'Ifaac Cafaubon a f. A. de Thou , 24. Février \6ii. 245
Lettre dJîfaac Cafaubon k j. A. de Thou ,24. Février 16 11. 248
Lettre de J. A. de Thou à Jfaac Cafaubon ,22. Mars 1611. 251
Lettre de '^. A. de Thou à Ifaae Cafaubon ,17. Juin \G\\, 252
Lettre d Ifaac Cafaubon a J. A. de Thou ,11. Juillet \6\i. V. St. 255
Lettre d'/faac Cafaubon a J. A, de Thou , 3 1. Décembre 1611. ibid.
Lettre du même au même , premier jour de l^anni'e 16 iz. V. St, 254.
Lettre d Jfaac Cafaubon à J. A. de Thou , i. Afars 16 \i, TV. St^ ibid.
Lettre d Jfaac Cajaubon à J, A. de Thou , 27. Février 1612. 2 5 5
Lettre de J. A. de Thou a Ifaac Cafaubon ,15. Mars i <? 1 2 . 258
Lettre de J. A. de Thou a JJaac Cafaubon > ï^. Mars 1611» 160
Lettre de Jean Pory au Chevalier Cotton ^ fans date 2(^1
Lettre d Jfaac Cafaubon à J. A. de Thou ,19. Avril \6iz»^ 16 ^
Lettre de J. A. de Thou à Ifaac Cafaubon , g. May i6ii. ibid.
Lettre d Ifaac Cafaubon a J. A. de Thou ,11. May N. St.^ 16 ^
Lettre de J. A. de Thou a Ifaac Cafaubon , 27. May \6\ 2. ibid.
Lettte d Ifaac Cafaubon a J. A, de Thou ^ 20. Jf^in i(5i2» iGj
Lettre de J. A> de Thou à Ifaac Cafaubon , 10. Juin iGiz. ibid.
Lettre d Ifaac Cafaubon à J. A. de Thou , i. Juillet \G\i. 268
Lettre de Guillaume Camden à /» A. de Thou. ,10. Aoufl 1611. 169
Lettre de Georges Carew à J. A. de Thou , 3 . O^obre j6ii. 270
Lettre d'/faac Cafaubon à J. A. de Thou , 9. Novembre 1612.. N. St. 27 j
Lettre de J. A. de Thou à Ifaac Cafaubon 22. Décembre 1611.. 274
Lettre de J. A. de Thou à Ifaac Cafaubon > 2 5. Janvier 1(313. ijC
Lettre de J.. A. de Thou a GmIL Camden ^ les fêtes de Pâques 1^1 j. 277
Lettre de Guill. Camden a J. A. de Thou ,17. Juillet i(ji 3. 279
Lettre de J. A. de Thou a Ifaac Cafaubon , 2 a. Avril 1 6 1 5. ibid.
Extrait des Lettres de Fra-Paolo au fujet du Chevalier Henry Wotton. 2 8 r
Lettre de J. A. de Thou a Ifaac Cafaubon ,11. Aoufi 1 6 1 3 . 282
Lettre de J. A. de Thou a, Ifaac Cafaubon ,10. Décembre 1(713. 284
Lettre de J. A. de Thm a Ifaac Cafaubon ,30. Janvier iCi^* ■ 285
Lettre d Ifaac Cafaubon a J. A. de Thou , fans date. i%6
Lettre de J, A. de Thou a Ifaac Cafaubon , 24. Février i($'i4. 287
Notes fur les évenemens concernant les affaires d'Ecoffe rapportez dans le
cinquième Volume de PHifoire de Jacques- A ugujle de Thou. 290
Lettre de Guillaume Camden a Jean Gruter ■> 10. Aoufl KJ14. 294
Lettre de Guillaume Camden a J. A, de Thou ,11. Juin 161 ^» 295
Lettre dç J, A. de Thot-i à Gmllaume Camden ,15. Juillet 161 y z*j6
TABLE DES PTECES.
Jugemens des Sqavans fur l'Hiftoire de Jac. Aug. de Thou.
LJE" T TR E de Frédéric Comte Palatin du Rhin à 'jacques-Augufle de
Thou ■, 10' T>ecembre 1606. Pag. 198
Lettre de Philippe Canaye Sieur du Frefne , Ambaffadeur de France à Ve*
nife , 4 Jac^Hes-AtigHJîe de Thon , 10. Mars 1 60 a^. 299
Lettre de Guillaume du Vair Premier Prejtdent du Parlement de Provence s
<3 depuis Carde des Sceaux de France ^aj. A. de Thou ,11. Aiars 1^04.
301
Extrait d'une Lettre de J. A, de Thou à Jofeph Scaliger , C. "janvier 1^04
305
Lettre de 'jofeph Scaliger à J. A. de Thou ,15. Afars 1^04. ibid.
Lettre de Jojeph Scaliger à 'j. A. de Thou , 20. Juin 1604. ?04
Lettre de jufte Lipfe à Jfaac Cafaubon, 12. Février 1(104. 305
Lettre de Ju/te Lipfe a, f. A. de Thou , 7. Nover^brei6oÂ^' ^o6-
Extrait dune Lettre de ?. A. de Thou a, Jofeph Scaliger ^ 20» Janvier.
1605. ibicf.
Extrait d'une Lettre d' Ifaac Cafaubon à Jujle Lipfe, 30. Avril KjOj. 307
Lettre de Jofeph Scaliger a J. A. de Thou^ %. Avril Kjoj. ibid.
Lettre de Sctpion Gennli à Jaccjues Bongars de la Boâerte 310
Lettre de Charles de l Eclufe ou Chtfus , Médecin & Profejfeur en Bot an i'
a^ue en l'Univerfté de Leide , à, J. A, de Thou , du i$. "janvier l6oy. 311
Ilotes de Charles de t Efclufe fur l'Hifloire de J. A. de Thou. 3 i 2
Extrait dune Lettre de J. A, de Thou a Jofeph Scaliger , 10. Avril 16 oj»
324
Lettre de Jofeph Scaliger à J. A. de Thou , 21. Avril i(j 07. 3 2 j
Extrait dune Lettre de J. A. de Thou a Jofeph Scaliger , 20. May \Gq-j,
32^
Lettre d Ifaac Cafaubon à Jean de Meurs, ou Meurfus, 1 1 . 2Vovemki6i 3 .
ibid.
Lettre dlfaac Cafaubon a Jean de Meurs , ProfeJJeur en Hifioire dans
rUniverfte' de Leide ,27. Février 1(^14. 327
Lettre de fean de Meurs à Ifa.tc Cafaubon , 8. Mars 161 ^> ibid.
Lettre dlfaac Cafaubon à '^ean de Meurs ^ 23. Avril 161^. 32S
Lettre de J, A. de Thou a George- Michel Lmgelsheim ■i Confeiller de V E~
leUeur Palatin à Heidelberg ,13. Mars 1605 ibid.
Lettre de f. A, de Thou à George-Michel Lingelsheimt 18* Aûuji 160S.
330
Lettre de George-Michel Lingelsheim a J, A.deTlioUy 31. OElobre 1606*
Lettre de George-Michel Lingelsheim a ^ A, de Thou y 28. Avril îGoj.
jBbii)
TABLE DES PIECES.
Lettre de J, A, de Thon à George- Michel Lingdsheim'i 15. '^Hillet iSoj*
Lettre de George-Michel LingeUheim a J. A, de Thou , i^. Janvier 160S,
Lettre de George- Michel Lingehheim à /, A. de Thou^ 16. May 1608.
337
Lettre de George-Michel LingeUheim à. J, A, de ThoH^ 4, Juillet 1^08.
338
JExtratf d'une Lettre de J. A. de Thoti k George- Michel Lifjgelshehr , 28.
Avril 161^. 339
Extrait d'une Lettre de Marquard Freher a Melchior Goldafi , 14. OUobre
i(3o8. ibid.
Remar(jHes de Jean Bockjtad fur tHifioire de J, A. de Thon, par rapport
aux affaires d' Allemagne* ibid.
Extrait d'une Lettre de Quirinus Rettter à Melchior Goldafi , 13, fanvier
1609. 541
Lettre de Pierre Denais C on feiller ordinaire de P EleHeur Palatin, (^ AJ^
feffeur de la Chambre Impériale à Spire ^ a J, A, de Thou , 4. Aoufi
1(^05. ibid.
Remarcjues critii^ues cjue Hon conje^ure être de Pierre Denais. 344
Lettre de Jean Rofinus^ Miniftre k Naumbourg^ a f. A, de Thou > 14»
Décembre 161 1, ' 34(»
"Remarques de Jean Rofinus. 349
JSIotes d'Ofvvald Gobelkofer , Do5l:ur en médecine , £^ Hifioriographe du
D'dc de Virtemberg, 350
Remarques de Gafpard^ Laurent , Prcfejfeur a Genève, 3 5 j
Remarques dun Anonyme. 35^
Lettre de Dom Vincent de Nogmyra , Çonfeiller de Sa Majefie Catholique À
Ltjbone ,kJ.A.de Thou , i 8 • Septembre i <* i 5 . 3 <j *
Lettre de J. A, de Thou a D. Vincent de Nogueyra ,29. Tév, \G\C>. 3 6,5
Lettre de Dom Louis Lobo de Silveis k J. A, de Thou , 7, Juillet \G\G. 3 (j J
Remarques de Philippe du PkJfu-JMornay ,fur le tome 11 L de rHijiotre de
J. A. de Thou , de t édition de Dvouart in-folio. 375
Remarque tirée de la vie de David Parey, • 394
Remarque dun Anonyme fur t ancienneté du Royaume de France ibid.
Objervutions écrites de la propre main de M. Dupuy, qui je trouvent a U
tête iun exemplaire de l Hifioire de f, Arde Thou , appartenant k Mf
r Abbé de Thou. 395
Extrait d'un endroit du Livre de Gafpar S cioppius , intitulé Scaliger Hypo-
bolim.TUS , où cet Ecrivain cenfure t Hijloire de J, A, de Thou, 398
Extrait CL une Lettre de J, A, de Thou k Jofeph Scaliger au fujet de Sciop-
pius , 6. Novembre 16 q6. 405
^ titre Extra t d'une Lettre de J, A, de Thou k Jofeph Scaliger ^ [ur lemê*
me fujet , 10, Adars 160- * ibid.
. TABLE DES PIECES.
extrait de (jtielques Chapitres , eh Scsoppifts atta<^ue le Prejideftt de Thou »
ùrez. du Livre intitulé ^ Ecclchafticus auéloritati Jacobi Magnx Bri-
rannis Régis oppolinis. Pag. 404
^rrêt du Parlement de Paris , cftn condamne le Livre de Scioppitts intitulé
Eccle/îafticus &c. à, être brûlé par l' Exécuteur de la haute Jujltce. 4 2 1
JExtrait des Ohfervations criticfues de 'Jean de Machaud jefuite , fous le nom
de Joan. B.ipt. Gallus » aufujet de t Htjloire de J. A. de Thou* 412
Sentence du Chaflelet de Paris ^qm/upprime le Livre du Jefutte Machaud ^
& en interdit la vente, 4 < j
Avertijfemcnt d'un Anonyme fur le Livre du fefuite. Machaud* 454
jipologie pour M. lePrefident de Thou fur fon Htjloire , par Pierre Dupny,
457
jugement de Gabriel de Barthélémy de Grammont ^ fur P Hifloirc dt* Prejident
de Thopf* 47 i
Jugement de Françoii Eudes de Mez.eray, 47 j
Jugement de Jacques Sorel* 474
Jugemens d Adrien B aille 1 4 47 c
Jugement de Vigneul Mar ville* 47(>
Jugement de Louis le Gendre, 47 7
Obfervations critiques de Guy Patin* ibid.
Remarques Critiques fur l' Hiftoire de J* A* de Thou , tire'es du Di£îionnaire
de Bayle. ^-jcf
Notes fur t Htjloire de J* A* de Thou par M, le Duchat , Conjeiller du Roy
de Pruffe j Membre de la Société Royale de Berlin 45J1 j
Remarque de M* Poquet de la Livoniere , Profejfeur du Droit en tUniverJtte
d Angers* f05>
Explication de la Médaille de Louis X II. par le P* Hardomn Jejuite, ibid.
Réfutation du Syjîéme du P, Hardoiiin ,fur la Médaille de Louis XIL Roy de
France ,par un Anonyme* < 1 1
Lettres Hiftoriques de Jacques- Augufte de Thou.
LE TTR E de J. A. de Thou contre la Ligue , (^ fur les moyens de par»
venir a la paix , écrite ^«1591. 555
Lettre de f. A* de Thou à Henry de la Tour , Duc de Bouillon , fur la
converjton du Roy Henry 11^. écrite en i^ç^, 540
Lettre de J* A. de Thou a ^. de Thumery Sieur de Boiffife , fur la confé-
rence de Loudun en 1616 54Z
Tejlament de Jacquss-Augujle de Thou. 585
Rapport de la maladie dont mourut J* A* de Thou 3 par Paul Renaulme de
Blois, Médecin. 589
Vers de Ai. de Thou fur fa maladie* 591
TABLE DES PIECES.
JEpifOphe de M. de ThoUiCompofée par lui-même, Pag. 592
Defcription du Tombeau de M. de Thon. 595
Mémoires Ç3 tn^yuUions pour (ervir a )uflifier T innocence de M. François
Augujie di Thou^ Conjfeiller d'Eftat^par P, Dupuj, J,
Fin de la Table des Pièces.
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