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Full text of "Histoire véridique de la conquête de la Nouvelle-Espagne"

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CONQUÊTE 


DE   LA 


NOUVELLE-ESPAGNE 


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CONQUÊTE 


DE   LA 


NOUVELLE-ESPAGNE 


FKINHIPAUX  OUVKÀGES  DU  TRADUCTEUR 


% 


Influence   «le    la    pression   de    Pair   sur    la    vie   de    l'homme     - 

Climats  d'altitude  et  climats  de  montagne.  —  Grand  in-8°  avec  8  cartes 
en  couleur  et  3  chromolithographies.  Paris,  G.  Masson,  1876. 

Accompagné    d'un   Album  contenant    36    belles  gravures    sur    bois. 
par  Boetzel. 

Le    Mexique   et   l'Amérique    tropieale.    —    Climats,    hygiène    et 
maladies.  —  ln-18.  Paris.  1864. 


Typographie  Lahure,  rue  de  Fleurus,  9.  à  Pans. 


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f  BIBLIOTH1 


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HISTOIRE  VtRIDIQUE  DE  LA  CONQUÊTE 


DE    LA 


NOUVELLE-ESPAGNE 


ECRITE    PAR    LE 


Capitaine  BERNAL  DIAZ  DEL  CASTILLO 


L'un  de  ses  conquistadores 


TRADUCTION    PAR 


D.     JOUBDANET 


Deuxième  édition  corrigée 

PRÉCÉDÉE  D'UNE   PRÉFACE   NOUVELLE,  ACCOMPAGNÉE  DE  NOTES 

ET    SUIVIE    D'UNE    ÉTUDE    SUR    LES   SACRIFICES    HUMAINS 

ET    L'ANTHROPOPHAGIE   CHEZ    LES    AZTÈQUES 


PARIS 

G.   MASSON,    ÉDITEUR 

LIBRAIRE      DE      l'aCADEMIE       DE       MÉDECINE 

SOULEVA KD  SAINT-GERMAIN,    EN  FACE   DE   L'ÉCOLE   DE  MÉDECINE 

M  DCCC  LXXVII 


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F 


PRÉFACE  DU  TRADUCTEUR 

SECONDE  ÉDITION 


Déjà  plusieurs  fois,  dans  des  travaux  antérieurs,  j'ai  témoigné  de  mes 
prédilections  pour  des  études  ayant  pour  base  les  pays  montagneux  de 
l'Amérique  tropicale;  mais,  retenu,  non  moins  par  goût  que  par  des  devoirs 
professionnels,  dans  le  cercle  de  considérations  qui  se  rapportent  à  la  santé 
de  l'homme,  je  suis  resté  étranger  à  tous  les  autres  points  de  vue  que  le  sujet 
comporte,  afin  de  ne  pas  distraire  l'attention  de  mes  lecteurs  du  but  que  je 
m'étais  proposé  d'atteindre.  Je  voulais  alors,  dans  ces  merveilleux  pays,  si 
puissamment  accidentés  par  les  soulèvements  du  sol,  faire  voir  l'inlluence 
des  niveaux  sur  la  vie. 

Contrairement  aux  croyances  générales,  je  me  suis  efforcé  de  démontrer 
et  j'ai  réussi  à  prouver,  je  l'espère,  que  l'établissement  des  races  euro- 
péennes dans  les  pays  américains  n'a  pas  été  indifférent  aux  conditions  qui 
lui  étaient  imposées  par  la  présence  des  montagnes.  Je  voudrais  aujourd'hui 
présenter,  au  triple  point  de  vue  de  la  philosophie,  de  la  médecine  et  de 
l'histoire,  le  tableau  des  péripéties  émouvantes  qui  accompagnèrent  les  pas 
des  conquérants  dans  les  premières  régions  montagneuses  de  l'Amérique 
visitées  par  les  Espagnols.  Outre  l'intérêt  essentiel  du  fait  lui-même,  à  cause 
des  considérations  romanesques  qui  s'en  dégagent,  on  y  voit  poindre  à  son 
origine  le  développement  de  la  race  qui  domine  actuellement  dans  ces  pays, 
avec  toutes  les  originalités  locales  dont  l'observateur  est  aujourd'hui  frappé. 
Dire  d'ailleurs  quelles  furent  dans  le  temps  d'alors  et  quelles  sont  mainte 
nant  les  conditions  qui  caractérisent  l'Européen  américanisé,  ce  n'est  pas 
s'arrêter  uniquement  à  une  étude  de  colonisation  telle  qu'elle  pourrait  être 
comprise  dans  tous  les  autres  lieux  de  la  terre.  Nous  ne  voyons  pas  ici  en 
effet  ce  qu'on  voit  aux  Grandes-Indes,  où  l'Anglais  règne  et  gouverne  en 
maître  souverain.  Personne  n'ignore  que,  tandis  qu'il  s'ingénie  à  implanter 
son  originalité  nationale  sur  cette  terre  d'Orient,  la  nature  féconde  répond 
à  son  exiguïté  numérique  et  à  ses  efforts  souvent  maladifs,  par  l'exubérance 
de  deux  cent  millions  d'indigènes  et  par  la  ténacité  de  mœurs  des  religions 
de  Bouddha  et  de  Mahomet.  Telle  n'est  pas  actuellement  et  telle  ne  saurait 
être  dans  l'avenir  la  situation  de  l'Amérique,  par  rapport  aux  races  euro- 
péennes. Celles-ci  s'y  trouvent  à  jamais  implantées  à  des  degrés  chaque  joui- 
moins  perceptibles  de  mélange,  et  Ton  peut  dire  qu'elles  forment  la  répu- 
blique des  Etats-Unis,  à  l'exclusion  à  peu  près  absolue  de  toute  race  améri- 
caine. L'Amérique,  c'est  donc  l'Europe  dans  les  institutions  sociales  non 
moins  que  dans  la  nature  ethnique  de  ses  habitants.  Cette  considération 

a 


Il  PREFACE  DU  TRADUCTEUR. 

donne  sans  nul  doute  une  importance  exceptionnelle  à  toute  étude  qui  a 
pour  but  de  mettre  en  évidence  les  influences  que  les  conditions  du  sol  peu- 
vent y  exercer  sur  les  émigrants  de  l'ancien  monde,  et  c'est  à  ce  point  de 
vue  surtout  que  je  verrais  un  intérêt  très-grand  à  porter  l'attention  sur 
les  premiers  pas  des  hommes  d'Europe  dans  ce  monde  nouveau  devenu  défi- 
nitivement le  nôtre. 

Ce  n'est  pas  que  j'aie  le  moins  du  monde  la  pensée  d'en  écrire  moi-même 
l'histoire.  Un  tel  soin  est  d'ailleurs  inutile,  car  un  grand  nombre  d'historiens 
d'incontestable  mérite  ont  étudié  et  décrit  l'arrivée  des  Espagnols  aux  pays 
montagneux  de  l'Amérique  inter-tropicale.  Mais  on  voit,  en  les  lisant,  que 
la  plupart  d'entre  eux  se  sont  inspirés  de  la  chronique  de  Bernai  Diaz  del 
Castillo,  compagnon  d'armes  de  Fernand  Cortès,  et  ils  en  parlent  de  manière 
à  faire  comprendre  à  leurs  lecteurs  l'importance  considérable  qu'ils  attri- 
buent à  ces  mémoires  du  vétéran  de  la  conquête.  Le  soin  que  j'ai  mis  à  les 
méditer  m'a  donné  à  moi-même  la  conviction  que  cet  écrit  estimable,  quoique 
très-répréhensible  dans  la  forme,  est  en  substance  la  meilleure  histoire  qui 
existe  de  la  campagne  mémorable  de  Fernand  Cortès,  et  je  ne  puis  com- 
prendre que  Bernai  Diaz,  malgré  son  mérite,  n'ait  pas  trouvé  jusqu'au- 
jourd'hui un  interprète  qui  le  rende  accessible  à  des  lecteurs  français. 


II 

Il  m'a  donc  semblé  que  je  ferais  moi-même  une  œuvre  utile  en  traduisant 
cet  auteur  dans  notre  langue.  «  Ce  livre,  a  dit  Robertson,  renferme  le  ta- 
bleau, confus  et  plein  de  détails,  de  toutes  les  opérations  de  la  campagne  de 
Cortès,  dans  le  style  rude  et  vulgaire  qui  convenait  à  un  soldat  illettré  et 
sans  nulle  instruction.  Mais,  comme  il  assista  et  prit  une  part  active  aux 
faits  qu'il  raconte,  sa  narration  porte  le  cachet  d'une  incontestable  authen- 
ticité. Elle  respire  d'ailleurs  un  tel  naturel,  une  telle  grâce;  l'auteur  raconte 
des  détails  si  intéressants  mêlés  des  manifestations  d'un  amour-propre  et 
d'une  vanité  si  gracieusement  naïfs,  que  son  livre  est  une  œuvre  des  plus 
originales  qu'on  puisse  lire  en  n'importe  quelle  langue.  » 

L'historien  Herrera,  qui  publia  sa  vaste  et  très-intéressante  histoire  des 
Faits  des  conquérants  espagnols  en  Amérique  dans  les  dix  premières  années 
du  dix-septième  siècle,  fait  rarement  allusion  aux  mémoires  de  Bernai  Diaz 
del  Castillo.  A  la  vérité,  ils  n'étaient  point  imprimés  encore  à  cette  époque; 
mais  le  manuscrit  avait  sans  nul  doute  été  transporté  déjà  en  Espagne;  car 
Herrera,  à  la  disposition  duquel  furent  mis  tous  les  documents  qui  pou- 
vaient servir  à  la  confection  de  son  immense  travail,  eut  connaissance  de 
l'œuvre  de  ce  soldat  conquérant.  Des  chapitres  entiers  de  Bernai  Diaz  sont 
presque  littéralement  reproduits  dans  les  pages  de  cet  historien  qui  a  été  en 
général  peu  soucieux  de  dire  les  sources  où  il  a  puisé.  Je  n'en  veux  pour 
exemple  que  le  passage  dans  lequel  il  rend  compte  des  campagnes  de  Cor- 
dova  et  de  Grijalva,  où  l'on  voit  de  la  manière  la  plus  évidente  que  le  ma- 
nuscrit du  chroniqueur  a  été  presque  en  entier  reproduit1.  Je  ne  mentionne 
du  reste  les  nombreux  emprunts  qu'il  a  faits  à  Bernai  Diaz  qu'afin  de  les 
présenter  comme  un  témoignage  de  la  grande  estime  qu'il  professait  pour  la 

1.  Herrera  s'appuie  nominativement  sur  l'autorité  de  B.  Diaz,  entre  autres  passa- 
ges, dans  la  décade  IL  livre  II,  chap.  xvm,  et  livre  III.  chap.  i. 


PRÉFACE   DU   TRADUCTEUR.  m 

chronique  du  vieux  conquistador,  sans  laquelle  certainement  beaucoup  de 
faits  intéressants  fussent  restés  ignorés. 

<  ilavijero,  écrivain  consciencieux  et  des  plus  érudits,  apprécie  notre  chro- 
niqueur dans  les  termes  suivants  :  «  L'Histoire  véridique  delà  conquête  de 
la  Nouvelle- Espagne,  écrite  par  Bernai  Diaz  del  Castillo,  fut  imprimée  à 
Madrid  en  1632  en  un  volume  in-folio.  Malgré  l'imperfection  de  ses  rapports 
et  la  rudesse  de  son  langage,  cette  histoire  est  très-digne  d'estime  à  cause 
de  la  naïveté  et  de  la  sincérité  de  fauteur,  dont  on  a  la  preuve  à  chaque 
page.  Il  fut  témoin  oculaire  de  tout  ce  qu'il  raconte;  mais  parfois  il  explique 
mal  les  choses  par  suite  de  son  manque  de  culture;  parfois  aussi  il  parait 
avoir  oublié  les  faits,  sans  doute  parce  qu'il  les  écrivit  un  grand  nombre 
d'années  après  la  conquête.  »  Gela  dit,  Clavijero  commence  son  histoire  et, 
pendant  le  cours  de  son  long  récit,  il  ne  perd  pas  une  occasion  d'évoquer  le 
témoignage  du  vétéran  de  Fernand  Gortès,  prouvant  ainsi  que  ce  chroni- 
queur était  encore  plus  digne  d'éloges  qu'on  ne  pourrait  le  croire  par  l'ap- 
préciation sommaire  et  insuffisante  que  l'on  vient  de  lire. 

Il  en  est  de  même  de  l'historien  Solis,  dont  l'ouvrage  classique  porte  sou- 
vent des  jugements  sévères  sur  l'incorrection  de  style  et  le  prétendu  manque 
de  mémoire  de  notre  auteur,  mais  n'omet  jamais  de  faire  son  plus  sûr  élo°-e 
en  mettant  en  avant  son  autorité  dans  tout  le  cours  de  sa  narration. 

Quant  à  Prescott,  le  dernier  en  date  des  historiens  de  la  conquête  de  la 
Nouvelle-Espagne,  on  peut  se  demander  réellement  si  son  écrit,  tel  qu'il  est, 
eût  été  possible  dans  le  cas  où  les  mémoires  de  notre  chroniqueur  n'eussent 
pas  existé;  car  on  en  voit  la  reproduction  presque  toujours  fidèle  dans  l'his- 
toire justement  estimée  de  l'écrivain  américain.  «  Le  style  de  Bernai  Diaz, 
dit-il  d'ailleurs,  est  du  genre  le  plus  commun  ;  il  abonde  en  locutions  d'une 
familiarité  incorrecte,  et  il  est  parfois  assaisonné  de  la  plaisanterie  du 
camp.  Il  a,  toutefois,  le  mérite  de  rendre  clairement  les  idées  de  l'auteur. 
Le  récit,  conduit  sans  aucun  art,  abonde  en  digressions  et  en  redites  du 
genre  de  celles  qu'emploient  les  commères  en  contant  leurs  histoires.  Mais 
il  ne  faut  pas  juger  d'après  les  règles  de  l'art  un  livre  évidemment  écrit 
dans  une  ignorance  complète  de  ces  règles,  et  qui,  malgré  toutes  les  criti- 
ques qu'on  en  peut  faire,  sera  lu  et  relu  par  le  savant  et  l'écolier,  tandis 
que  les  compositions  de  chroniqueurs  plus  classiques  dorment  paisiblement 
sur  les  rayons  des  bibliothèques.  » 

En  somme  donc,  le  livre  de  Bernai  Diaz  est  un  écrit  des  plus  estimables, 
sinon  comme  œuvre  littéraire,  du  moins  comme  monument  historique,  et 
c'est  à  ce  titre  que  j'ai  pu,  plus  haut,  témoigner  de  ma  surprise  à  la  pensée 
que  Y  Histoire  véridique  de  la  conquête  de  la  Nouvelle-Espagne  n'eùl  pas 
encore  été  traduite  dans  notre  langue  pendant  les  deux  siècles  et  demi  qu'il 
en  a  existé  des  éditions  en  langue  espagnole.  La  première  fut  publiée  par 
le  moine  Alonso  Remon  en  1632.  La  censure  qui  en  donne  l'autorisation  et 
la  dédicace  au  roi  qui  en  fut  la  conséquence  sont  deux  pièces  très-curieuses 
à  reproduire.  En  voici  la  traduction  littérale  : 

Censure  du  chroniqueur  de  Sa  Majesté  et  premier  chroniqueur  des 
Indes,  Luiz  Tribaldos  de  Toledo. 

«  Monseigneur,  par  ordre  de  Votre  Altesse  j'ai  lu  avec  attention  «vit.' 
Histoire  de  la  con<iuétc  de  la  Nouvelle-Espagne  écrite  par  le  capitaine  Ber- 


IV  PRÉFACE  DU  TRADUCTEUR. 

nal  Diaz  del  Gastillo,  témoin  oculaire  de  tous  les  événements  qui  s'y  rap- 
portent. Je  ne  vois,  en  toute  son  étendue,  rien  qui  empêche  son  impression 
et  je  trouve  beaucoup  de  raisons  pour  qu'elle  doive  être  imprimée,  attendu 
qu'elle  n'a  point  été  écrite  sous  l'influence  de  renseignements  étrangers,  mais 
bien  par  un  homme  qui  assista,  avec  tous  les  conquistadores  de  ce  royaume, 
à  l'exécution  de  la  campagne.  C'est  une  histoire  d'une  particulière  impor- 
tance, parce  qu'on  y  trouve,  ce  qui  manque  à  beaucoup  d'autres,  la  vérité 
exacte  de  tous  les  événements  les  plus  considérables.  On  doit  beaucoup  de 
reconnaissance  au  zèle  du  vénérable  et  savant  Père  et  Maître  fray  Alonso 
Remon,  dont  l'érudition  et  la  vie  dévote  sont  bien  connues  de  cette  Cour  et 
de  beaucoup  d'autres  royaumes  étrangers,  puisque  par  ses  soins  se  trouve 
portée  à  la  connaissance  du  monde  entier,  avec  une  autorité  sans  réplique, 
la  vérité  exacte  qui  brille  éminemment  dans  cette  histoire  et  qui  manquait 
à  tant  d'autres,  pendant  qu'elle  était  ensevelie  en  un  interminable  oubli,  au 
grand  détriment  de  l'honneur  espagnol.  Tel  est  mon  avis.  —  Madrid,  20 
août  1630. 
«  Signé  :  Luiz  Tribal  dos  de  Toledo.  »      < 

DÉDICACE. 

A  La  Majesté  catholique  du  plus  grand  monarque  don  Felipe  IV ',  Roi  des 
Espagnes  et  du  Nouveau-Monde,  et  notre  maître. 

«  Je  dépose  humblement  aux  pieds  de  Votre  Majesté  la  véridique  histoire 
de  la  conquête  de  la  Nouvelle-Espagne  écrite,  conformément  aux  événements, 
par  le  capitaine  conquérant  BernalDiazdelCastillo,quienfutletémoinoculai- 
re  et  mise  au  jour  par  le  zèle  bienveillant  du  Père  et  Maître  fray  Alonso  Remon, 
chroniqueur  général  de  votre  sacrée  et  royale  Famille,  qui  la  retira  de  l'ou- 
bli d'une  retraite  où  elle  était  soigneusement  conservée,  avec  le  désir  d'a- 
jouter un  nouveau  lustre  à  la  réputation  de  notre  Espagne  ternie  dans  les 
écrits  par  l'envie  étrangère.  C'est  en  son  nom  que  je  prie  Votre  Majesté  de 
vouloir  bien  prendre  connaissance  de  ce  livre,  lorsqu'Elle  n'en  sera  pas  em- 
pêchée par  le  soin  d'affaires  plus  importantes.  Si  Votre  Majesté  y  porte  l'at- 
tention en  aspirant  à  de  nouvelles  victoires,  Elle  se  convaincra  qu'Elle  pourra 
toujours  trouver  dans  ses  sujets  espagnols  du  courage  pour  la  guerre,  de  la 
prudence  pour  la  paix,  de  la  patience  pour  les  fatigues,  de  la  prévoyance 
contre  les  calamités,  de  la  persévérance  pour  la  conquête,  de  l'ardeur  pour 
l'attaque,  des  bras  pour  l'exécution,  du  sang  à  sacrifier  et  des  apôtres  pour 
évangéliser.  Pour  tout  homme  qui  lira  sans  passion,  en  effet,  l'illustre  et 
valeureux  chevalier  don  Fernando  Cortès  et  les  autres  conquistadores  qui 
l'accompagnèrent  furent  les  modèles  des  hommes  en  tout  ce  qui  touche  au 
temporel   de  même  que  le  fut  aussi,  relativement  au  divin  et  au  spirituel, 
le  Père  fray  Bartolomé  de  Olmedo,  Frère  de  notre  Ordre,  Fils  de  la  province 
de  Castille,  esprit  véritablement  apostolique,  qui  sut  allier  la  ferveur  de  son 
saint  zèle  pour  la  foi  avec  la  sagacité  d'une  fine  prudence,  restant  toujours 
un  exemple  digne  d'être  suivi  pour  tous  les  Frères  et  Fils  de  cet  Ordre 
roval  qui  depuis  lors  lui  ont  succédé  dans  le  saint  ministère  de  la  prédica- 
tion   de  la  diffusion  de  l'Église  et  de  la  conservation  de  votre  auguste  em- 
pire' quelquefois  au  prix  de  leur  sang,  ainsi  qu'en  portent  chaque  jour  té- 
nioi°"na0"e  devant  Votre  Majesté  les  vice-rois  et  les  conseillers  de  justice  du 
ISouveau-Monde.  Ensemble  ils   partirent  pour  la  conquête,  ensemble  ils 


PREFACE   DU  TRADUCTEUR.  v 

arrivèrent,  ensemble  ils  triomphèrent,  donnant  des  âmes  à  Dieu,  des  fils  à 
l'Église,  des  sujets  à  leur  Roi,  du  lustre  à  l'Espagne,  de  l'aliment  à  la  re- 
nommée, et  à  Votre  Majesté  des  victoires  que  le  ciel  daignera  multiplier,  en 
conservant  Votre  Royale  Personne  avec  augmentation  de  ses  royaumes  et 
paix  dans  ceux  qu'Elle  possède!  —  Fait  en  notre  couvent  de  Madrid,  le  6 
novembre  1632. 

«  De  Votre  Majesté  Catholique  l'humble  serf  et  chapelain  indigne. 

«  Signé  :  fray  Diego  Serrano,  Maître  général  de  la  Merced.  » 

Peu  de  temps  après  l'impression  du  manuscrit  de  Bernai  Diaz,  et  dans  la 
même  année,  il  en  fut  fait  une  seconde  édition  qui  n'est  peut-être  que  la 
reproduction  de  la  première,  avec  un  simple  changement  du  papier  et  du 
frontispice. 

Je  ne  saurais  dire  à  quelles  époques,  mais  il  est  très-certain  qu'il  en  a 
été  fait  deux  traductions,  l'une  en  allemand,  l'autre  en  anglais;  celle-ci  a 
même  été  éditée  deux  fois  :  à  Liverpool  et  à  Boston.  Quant  au  texte  espa- 
gnol, il  n'avait  pas  été  réimprimé  jusqu'au  commencement  de  ce  siècle, 
lorsque,  par  les  soins  de  Benito  Cano,  de  Madrid,  il  fut  fait  une  édition  en 
quatre  volumes,  petit  in-12. 

En  1837,  la  librairie  Rosa,  de  Paris,  mit  en  vente  une  reproduction  dans 
ce  même  format,  sortant  de  l'imprimerie  de  A.  Éverat  et  Cie.  C'est  de 
cette  édition  que  je  me  suis  servi,  en  prenant  soin  de  la  comparer  dans  les 
passages  importants  à  la  première  édition  de  1632,  et  même  à  celle  qui  a  été 
faite  à  Mexico,  en  1854:  car  il  y  a  aussi  une  édition  mexicaine  qui  semble 
avoir  été  inspirée  par  celle  de  Cano  ou  de  Rosa,  puisqu'elle  est  partagée 
aussi  en  quatre  volumes  et  porte  les  mêmes  notes.  Du  reste,  ces  éditeurs 
paraissent  s'être  donné  le  mot  pour  reproduire,  avec  un  soin  que  je  dirai 
blâmable,  toutes  les  fautes  du  manuscrit  de  Bernai  Diaz,  ou  plutôt  de  la 
première  édition  de  Madrid. 

On  aurait  pu  croire  que  M.  Enrique  de  Vedia,  qui  a  dirigé  en  1861  la  plus 
récente  réimpression  de  la  chronique  de  Bernai  Diaz  dans  la  collection  de 
Rivadeneyra,  ferait  une  étude  sérieuse  de  cet  écrit  estimable  pour  corriger 
certaines  fautes  typographiques  et  même  redresser  les  défectuosités  de 
ponctuation  de  l'auteur,  afin  de  rendre  quelques  passages  plus  compréhen- 
sibles. 11  est  vrai  que  ce  soin  a  été  pris  en  partie,  mais  il  a  été  négligé 
dans  les  endroits  les  plus  contestables,  qui  auraient  eu  besoin  des  commen- 
taires de  cet  éditeur  aussi  sérieux  que  compétent.  Quoi  qu'il  en  soit,  il  ré- 
sulte, soit  de  la  négligence  du  premier  éditeur,  soit  de  l'imperfection  du 
manuscrit  lui-même,  des  fautes  graves  et  des  phrases  obscures  dont  le  sens 
est  trop- douteux  pour  qu'on  puisse  y  aspirer  sûrement  à  la  reproduction 
fidèle  de  la  pensée  de  l'auteur.  Je  prendrai  soin  de  signaler  ces  difficultés 
dans  quelques-uns  de  ces  passages  les  plus  importants. 

Je  n'ai  pas  besoin  de  faire  dans  cette  préface  l'histoire  de  Bernai  Diaz 
del  Castillo.  On  ne  connaît  guère  de  lui  que  ce  qu'il  en  dit  lui-même  dans 
son  intéressante  chronique.  Je  me  bornerai  donc  à  répéter  qu'il  naquit  à 
Médina  del  Campo,  dans  la  Vieille-Castille,  vers  la  fin  du  quinzième  siècle. 
En  supposant  qu'il  fût  parti  d'Espagne  à  l'âge  de  dix-huit  ans,  l'époque  de  sa 
naissance  devrait  se  placer  à  l'année  1496;  car  il  nous  dit  lui-même  que  son 
départ  pour  l'Amérique  eut  lieu  en  1514.  Comme  d'ailleurs  il  nous  apprend, 
dans  l'Introduction  de  son  livre,  qu'il  termina  ses  Mémoires  en  1568,  nous 


VI  PRÉFACE  DU  TRADUCTEUR. 

pouvons  en  conclure  que  le  manuscrit  dont  nous  donnons  ici  la  traduction 
fut  achevé  par  Bernai  Diaz  à  l'âge  de  soixante-douze  ans. 

Quelque  peu  éclairés  que  nous  soyons,  du  reste,  sur  la  vie  de  notre  au- 
teur, nous  savons  qu'il  mourut  à  Guatemala  dans  une  position  des  plus  ho- 
norables, puisqu'il  était  regidor  perpétuel  de  la  capitale  de  la  province  et 
gratifié,  en  qualité  de  conquistador,  de  commanderies  plus  ou  moins  con- 
sidérables d'Indiens.  Nous  pouvons  voir  d'ailleurs,  par  les  courts  rensei- 
gnements qui  se  lisent  en  tête  de  l'édition  de  Rivadeneyra,  que  Bernai  Diaz 
appartenait  à  une  famille  noble  et  distinguée,  puisque  son  père  occupait 
l'emploi  de  regidor  dans  une  ville  aussi  importante  que  l'était  alors  Médina 
del  Campo. 

Le  fait  de  traduire  une  œuvre  de  longue  haleine,  comme  celle  que  nous 
a  léguée  Bernai  Diaz,  est  toujours  une  entreprise  laborieuse,  souvent  péni- 
ble et  quelquefois  hérissée  de  sérieuses  difficultés.  On  ne  peut  céder  à  la 
tentation  de  la  réaliser  qu'après  avoir  été  entraîné  par  le  double  attrait  de 
reproduire  des  faits  dont  on  est  soi-même  captivé  et  de  refléter  les  tableaux, 
les  pensées  et  les  sentiments  d'un  livre  par  lequel  on  s'est  laissé  séduire. 
Dans  le  cas  présent,  cette  séduction  n'est  pas  au  premier  abord  des  plus 
explicables,  car  jusqu'à  un  certain  point  Prescott  aurait  eu  raison  de  traiter 
le  livre  de  B.  Diaz,  comme  il  l'a  fait,  de  grossière  histoire.  Mais  cette  ap- 
préciation sévère  est-elle  néanmoins  absolument  justifiée?  Il  est  vrai  qu'il  y 
a  très-souvent,  dans  l'expression,  des  termes  peu  choisis  qui  décèlent  le 
soldat  sans  culture;  mais,  à  côté  de  ces  défaillances,  naturelles  à  un  homme 
absolument  illettré,  dont  l'éducation  a  reçu  son  couronnement  dans  les  bi- 
vouacs et  dans  la  vie  d'aventures,  on  voit  un  réel  mérite  de  fine  observation, 
ainsi  qu'un  bon  sens  naturel  fort  sympathique,  lors   même  qu'il  n'est  pas 
des  plus  distingués.  On  est  donc  frappé  du  contraste  qui  règne  dans  tout 
le  livre  entre  la  netteté  du  jugement  et  le  fouillis  d'un  langage  trop  souvent 
incorrect.  Mais,  malgré  cette  regrettable  imperfection,  le  lecteur,  cédant  aux 
attraits  cachés  d'une  exposition  des  plus  attachantes,  s'en  laisse  saisir  au 
point  d'oublier  la  main  inexpérinentée  qui  tient  le  pinceau  et  brosse  son 
étude,  pour  ne  voir  que  les  couleurs  qui  animent  les  tableaux  les  plus  va- 
riés et  les  plus  dramatiques.  Diaz  avait  vu  presque  tout  ce  qu'il  a  décrit.  Je 
ne  suis  pas  éloigné  de  penser  qu'il  était  l'homme  du  monde  qui  convenait  le 
mieux  pour  représenter  avec  vérité  les  scènes  qui  se  déroulèrent  en  sa  pré- 
sence. Il  y  eut  en  effet,  dans  les  événements  qu'il  retrace,  un  imprévu,  une 
bizarrerie,  un  fantastique,  un  horrible  même,  qui  gagnent  à  être  reproduits 
sans  art,  par  un  interprète  original,  ignorant  de  toute  méthode,  et  disant 
d'une  façon  inattendue  des  scènes  jusque  là  sans  exemple.  Peut-être  est-il 
vrai  de  dire  que,  pour  ces  raisons,  la  chronique  de  Bernai  Diaz  sera  tou- 
jours la  meilleure  histoire  de  la  conquête  de  la  Nouvelle-Espagne. 

Il  n'en  est  pas  moins  certain  qu'en  la  lisant,  la  première  pensée  qui  vient 
à  l'esprit,  c'est  qu'elle  est  intraduisible.  L'incorrection  du  langage,  en  effet, 
quand  elle  vient  d'un  homme  d'ailleurs  distingué  par  les  qualités  les  plus 
essentielles  de  l'intelligence,  l'incorrection,  dis-je,  a  quelque  chose  qui,  s'ex- 
primant  dans  de  certains  milieux,  ne  serait  pas  dépourvu  de  toute  grâce. 
L'illettré  n'est  pas  toujours  un  homme  sans  esprit,  tant  s'en  faut,  et  ses 
saillies  gagnent  souvent  en  originalité  ce  qu'elles  perdent  en  valeur  acadé- 
mique. Personne  n'ignore,  par  exemple,  qu'il  est  des  peintures  pour  les- 
quelles l'art  dramatique  fait  intervenir,  au  mépris  de  toute  grammaire,  le 


PREFACE  DU  TRADUCTEUR.  VII 

langage  qui  en  donne  les  couleurs  les  plus  appropriées.  Mais  alors,  la  grâce 
ou  la  force  qui  fait  excuser  ces  écarts  réside  tout  entière  dans  une  conven- 
tion dont  la  manière  originale  et  comique  d'estropier  une  langue  fait  tous 
les  frais.  Traduisez  ces  mots  informes  ou  ces  tournures  drolatiques  dans 
une  langue  toute  différente,  l'originalité  disparaîtra  et  sera  remplacée  par 
une  naïveté  ou  par  une  platitude,  quand  cela  ne  deviendra  pas  une  grossiè- 
reté inadmissible. 

On  se  trouve  tout  à  fait  dans  ce  cas  lorsqu'on  a  la  prétention  de  traduire 
Bernai  Diaz.  On  s'expose  réellement  à  remplacer  sa  grâce  naïve  et  sa  fami- 
liarité triviale  par  des  mots  niais  et  par  une  autre  trivialité  que  la  langue 
nouvelle  rend  grossière  et  absolument  inacceptable.  Ce  fut  la  pensée  qui  me 
domina  au  premier  abord  en  lisant  Bernai  Diaz,  et  qui  m' éloigna  de  tout 
projet  de  traduction.  Mais  la  tentation  n'en  fut  jamais  effacée;  elle  se  pré- 
sentait sans  cesse  à  mon  esprit;  c'était  une  obsession,  et  je  dus  enfin  y  cé- 
der, non  sans  me  dire  qu'une  traduction  est  applicable  à  tous  les  sujets,  à 
toutes  les  langues  et  à  tous  les  livres,  pourvu  que  le  traducteur  prenne  soin 
de  varier  ses  méthodes  et  qu'il  les  sache  mettre  en  harmonie  avec  les  diffé- 
rents genres  dont  il  se  rend  l'interprète.  Les  auteurs,  en  effet,  n*ont  pas 
qu'un  mérite  commun  à  tous.  L'un  acquiert  une  juste  renommée  pour  l'art 
exquis  avec  lequel  il  a  l'habitude  de  présenter  l'expression  de  sa  pensée. 
L'autre,  négligent  dans  la  forme,  attire  le  lecteur  par  l'élévation  des  idées, 
l'exactitude  vivante  des  peintures  ou  la  manière  séduisante  de  saisir  un  ca- 
ractère. En  présence  du  premier,  le  traducteur  est  obligé,  de  s'arrêter  aux 
mots,  d'en  peser  l'harmonie,  la  justesse  et  l'élégance;  il  doit  tous  les  res- 
pecter, les  imiter,  si  c'est  possible,  dans  leur  choix  méthodique  et  dans  le 
cadencement  des  phrases  qu'ils  engendrent.  S'il  oubliait  ce  devoir,  il  ne 
travaillerait  qu'à  faire  évanouir  son  modèle  en  tout  ce  qui  motive  les  séduc- 
tions qu'il  exerce,  et  les  lecteurs  de  la  forme  nouvelle  se  croiraient  victimes 
d'une  mystification  imméritée,  car  ils  ne  verraient  plus  que  le  contraste  en- 
tre une  réputation  acquise  et  des  platitudes  inattendues. 

Lorsqu'au  contraire  l'auteur  qu'on  veut  traduire  n'a  fixé  sa  réputation 
que  par  le  fond  de  ses  œuvres,  par  l'exactitude  des  détails,  par  la  fidélité  à 
reproduire  des  événements  dont  il  a  été  le  témoin  ou  le  contemporain,  il 
peut  être  encore  utile,  et  il  est  généralement  désirable  sans  doute  que  la 
forme  soit  justement  saisie  et  fidèlement  reproduite  par  celui  qui  se  propose 
d'en  être  l'interprète  ;  mais,  néanmoins,  un  écart  sur  cette  forme  n'enlève 
rien  au  mérite  intrinsèque  du  livre,  pourvu  que  l'exposition,  les  pensées, 
l'ordre  des  phrases  et  la  plus  grande  partie  des  mots  soient  sévèrement  res- 
pectés. C'est  dans  ces  cas  qu'un  auteur  incorrect  peut  gagner  bien  souvent 
à  passer  dans  une  langue  nouvelle,  car  il  n'est  pas  naturel  de  croire  que 
l'interprète  poussera  la  servilité  jusqu'à  imiter  les  incorrections  de  son  mo- 
dèle. 

Bernai  Diaz  doit  s'inscrire  dans  cette  dernière  catégorie  d'écrivains.  On 
a  même  le  regret  de  devoir  dire  qu'il  mérite  d'y  figurer  parmi  les  plus  in- 
corrects. Mais  croirait-on  que,  pour  bien  des  gens  qui  goûtent  tout  en  lui, 
l'incorrection  du  langage  ne  serait  pas  son  moindre  mérite?  Ils  y  trouvent 
une  saveur  et  une  grâce  qui  s'expliquent  assurément  si  l'on  veut  les  com- 
parer à  ce  que  nous  avons  nous-mêmes  bien  souvent  applaudi  dans  ces 
récits  fantaisistes  et  pleins  de  couleur  qu'un  grognard  d'âge  mûr  daigne 
adresser  à  un  auditoire  de  sa  classe  peu  distinguée.  Mais  c'est  faire  peu 
d'honneur  au  compagnon  de  Cor  Lès  que  de  chercher  son  mérite  le  plus 


Vin  PRÉFACE  DU  TRADUCTEUR. 

di°-ne  d'estime  dans  un  style  qui  révèle  de  la  sorte  l'absence  de  toute  cul- 
ture. Il  serait  plus  juste,  en  déplorant  cet  accident,  de  réserver  l'admiration 
pour  la  netteté,  la  supériorité  de  jugement  et  la  rectitude  de  conduite  dont 
cet  excellent  soldat,  homme  inculte  de  la  nature,  esclave  de  ses  devoirs,  n'a 
jamais  cessé  de  faire  preuve  au  milieu  des  vicissitudes  souvent  désolantes 
de  sa  pénible  et  longue  carrière.  Le  vrai  mérite  de  sa  chronique  ressort,  en 
effet,  de  ces  respectables  qualités.  L'amour  de  la  vérité  le  domine  d'ailleurs 
dans  son  livre,  et  son  enthousiasme  pour  les  hauts  faits  qu'il  raconte  et 
auxquels  il  prit  une  si  large  part  y  répand  une  grâce  naïve  et  un  entrain 
qui  enchantent  le  lecteur.  La  vie  dont  sa  narration  s'anime  fait  aisément 
oublier  l'aspérité  de  la  forme,  et  c'est  avec  raison  que  Bernai  Diaz  a  pu 
dire  lui-même,  pour  faire  excuser  son  style  :  «  La  vérité  voilera  ma  ru- 
desse. » 

Quoi  qu'il  en  soit,  il  est  certain  que  les  défauts  de  l'écrivain-conquérant 
sont  singulièrement  dissimulés  par  le  génie  propre  de  la  langue  dans 
laquelle  il  a  écrit.  Les  répétitions  de  mots,  les  phrases  inachevées,  la  fami- 
liarité des  termes  s'y  allient  quelquefois  à  la  nature  des  choses  décrites  de 
manière  à  former  une  résonnance  qui  déplairait  certainement  à  l'esprit  si 
l'on  voulait  y  réfléchir,  mais  qui  flatte  l'oreille  et  fait  sourire  de  plaisir,  à 
la  pensée  de  causeries  librement  originales  qui,  dans  l'usage,  empruntent 
souvent  des  couleurs  analogues  aux  licences  propres  de  la  langue  espagnole. 
J'ai  voulu,  dans  mes  exercices,  essayer  de  voir  ce  qu'il  adviendrait  en  fran- 
çais d'une  translation  absolument  conforme  de  tournures,  d'expressions  et 
de  phraséologie  :  cela  produisait  un  résultat  singulièrement  inepte  et  tout  à 
fait  indigne  d'être  lu.  Après  cette  expérience,  j'ai  dû  m'appliquer  à  rendre 
exactement  toutes  les  pensées  de  mon  auteur,  à  respecter  toutes  ses  phrases, 
sans  en  adopter  la  coupe  qui,  trop  souvent,  les  rend  obscures  ou  inachevées, 
et  à  conserver  tous  ses  mots  quand  ils  n'ont  pas  représenté  un  sens  douteux, 
une  grossièreté  ou  un  rabâchage  trop  manifeste.  Je  me  suis  d'ailleurs  efforcé 
de  reproduire  une  certaine  originalité  de  tournures  et  d'expressions  qui 
rappelle  sous  quelques  rapports  la  langue  originaire  et  le  mode  de  l'auteur- 
mais  je  n'ai  pu  m'empècher  de  reconnaître  qu'un  grand  nombre  de  passages 
demanderaient  beaucoup  moins  un  traducteur  qu'un  interprète,  et  j'ai  dû 
alors  forcément  me  permettre,  quoique  bien  rarement,  ce  qu'en  ternies 
d'écrivain  l'on  désigne  par  les  mots  de  «  traduction  libre.  »  Quoi  qu'il  en 
soit,  il  résultera  probablement  de  mes  efforts  que  j'aurai  conservé  quelques- 
uns  des  défauts  de  mon  modèle,  sans  jamais  atteindre  à  la  grâce  inimitable 
qui  ressort  de  l'ensemble  de  son  œuvre*,  mais  je  présente  ce  travail  avec 
la  conviction  d'avoir  fait  une  chose  utile  et  désirable. 


III 

Outre  l'importance  incontestable  de  l'œuvre  de  Bernai  Diaz  en  elle-même, 
il  est  hors  dm  doute  que  la  célèbre  campagne  qui  eut  pour  résultat  la  for- 
mation de  la  vice-royauté  de  la  Nouvelle-Espagne  est  un  des  faits  histo- 
riques les  plus  dignes  d'être  racontés  et  les  plus  capables  d'attacher  le 
lecteur  par  l'intérêt  romanesque  qui  s'en  dégage.  Il  est  d'ailleurs  vrai  de 
dire  qu'après  lu  premier  voyage  de  Christophe  Colomb,  qui  représente  le 
tait  primordial  deladécouvrrle  de  l'Amérique,  il  n'est  aucun  événement  dont 
l'importance  puisse  être  comparée  à  colle  qui  ressort  de  l'expédition  mémo- 


PREFACE  DU  TRADUCTEUR.  IX 

rable  de  Fernand  Cortès.  Celui-ci  peut  même,  à  certains  points  de  vue, 
occuper,  parmi  les  laits  qui  résument  l'intervention  de  l'Europe  dans  les 
destinées  du  Nouveau  Monde,  une  place  aussi  distinguée  que  son  illustre 
devancier.  Si  Christophe  Colomb  en  effet  eut  le  mérite  de  révéler  l'existence 
de  contrées  inconnues,  Cortès,  à  son  tour,  apporta  à  l'Ancien  Monde  la 
découverte  d'une  civilisation  américaine  très-digne  d'intérêt,  et  il  eut  la 
gloire  de  subjuguer  par  les  armes  un  peuple  réellement  aguerri  et  de  con- 
quérir un  pays  aussi  merveilleusement  doué  par  la  nature  que  soigneuse- 
ment mis  à  profit  pour  le  bien-être  de  ses  possesseurs. 

Les  pages  de  l'histoire  qui  racontent  les  détails  de  cet  événement  célèbre 
sont  utiles  à  lire  dans  tous  les  temps;  mais  elles  le  sont  plus  encore  à  notre 
époque,  en  France,  au  moment  où  ceux  qui  nous  guident  vers  nos  destinées, 
hélas!  problématiques,  ont  plus  que  jamais  besoin  de  savoir  ce  que  peu- 
vent la  constance  et  la  volonté  dans  l'accomplissement  des  actions  humaines. 
Jamais  homme  au  monde  en  effet  ne  poursuivit  avec  plus  de  ténacité  que 
Cortès  un  but  unique  :  «  aller  à  Mexico  et  s'en  rendre  maître  »,  dès  lors 
qu'il  reconnut  que  les  habitudes  de  servilisme  de  tout  le  pays  aboutissaient 
à  ce  point  prestigieux  et  que  là  venait  s'éteindre  toute  aspiration  d'indépen- 
dance. Rien  ne  l'intimide,  aucune  considération  ne  l'arrête,  et,  avant  d'ar- 
river à  ses  fins,  tant  de  fautes  l'en  font  dévier  qu'il  eût  dû  plus  d'une  fois 
trouver  sa  ruine  dans  son  entreprise,  s'il  n'eût  puisé  dans  sa  ténacité  la 
force  de  tendre  toujours  à  son  but,  au  mépris  de  tous  les  revers  et  des  con- 
seils contraires. 

En  suivant  les  pas  de  ce  grand  capitaine,  on  apprend  à  juger  ce  que  vaut 
l'étude  attentive  des  hommes,  afin  de  pouvoir  les  combattre  plus  sûrement 
si  on  les  a  pour  ennemis,  ou  les  mieux  mettre  dans  ses  intérêts  en  parais- 
sant épouser  les  leurs,  quand  on  a  besoin  de  s'en  faire  des  alliés.  Cortès 
enseigne  encore  à  réagir  contre  la  mauvaise  fortune  et  à  s'en  relever  à 
force  de  sagesse.  On  apprend  enfin  avec  lui  à  s'oublier  soi-même,  ou  du 
moins  à  mettre  au-dessus  de  soi  et  au  premier  rang  de  ses  préoccupations 
les  intérêts  sacrés  de  la  patrie  et  les  droits  de  la  civilisation.  Et  je  n'ai  pas 
tout  dit,  car  l'histoire  de  ce  grand  capitaine  sert  encore  à  nous  confirmer 
dans  la  pensée  que  la  perfection  humaine  ne  saurait  devenir  l'apanage  d'une 
individualité,  quelque  considérable  qu'elle  puisse  être.  Rien  n'est  plus 
triste,  en  effet,  que  le  spectacle  des  inconséquences  de  conduite  du  héros 
de  la  conquête,  dès  l'instant  que  la  prise  de  Mexico  et  les  premières  me- 
sures pour  relever  cette  grande  capitale  de  ses  ruines  eurent  assuré  à  l'Es- 
pagne les  bases  définitives  d'un  vaste  empire  américain.  Je  pourrais  encore, 
à  ce  propos,  faire  ressortir  l'immoralité  de  la  conquête  elle-même  et  blâmer 
justement  bien  des  moyens  employés  pour  la  réaliser;  mais  ce  sont  là  des 
taches  historiques  qui  caractérisent  une  époque  beaucoup  plus  qu'une  per- 
sonnalité, et  je  ne  me  propose  nullement  de  faire  ressortir  ce  point  de  vue 
des  événements  de  la  campagne. 


IV 

Une  autre  conquête  —  inconsciente,  celle-là,  mais  bien  réelle  aussi,  — 
devait  se  réaliser  dans  ce  seizième  siècle  si  fécond  en  événements  extraor- 
dinaires, et  c'est  à  Cortès  qu'elle  était  réservée.  Jusque-là,  les  hommes  d'Eu- 
rope s'étaient  grandement  éloignés,  en  différentes  directions,  des  lieux  de 


X  PRÉFACE  DU  TRADUCTEUR. 

leur  origine.  Mais  ils  n'avaient  tenté  les  hasards  de  climats  nouveaux  que 
terre  à  terre,  peut-on  dire,  sans  beaucoup  s'élever  au-dessus  des  niveaux 
baignés  par  les  océans.  Aujourd'hui  la  scène  habituelle  de  ces  migrations  va 
changer.  Portés  subitement  vers  les  régions  supérieures  de  l'air,  les  com- 
pagnons du  conquistador  vont  fonder  un  empire  européen  sur  ces  plaines  de 
l'Anahuac  que  les  soulèvements  du  sol  ont  élevées  à  la  hauteur  de 
2,200  mètres,  et,  rayonnant  ensuite  de  ce  centre  exhaussé,  ils  vont  éche- 
lonner la  puissance  de  l'Espagne  sur  des  niveaux  variés  jusqu'aux  deux 
océans,  avec  des  partages  infinis  de  températures  et  de  productions  du  sol. 
Des  chaleurs  équatoriales  vont  se  combiner  avec  des  froids  de  glace  pour 
prodiguer  tour  à  tour  aux  nouveaux  habitants  les  produits  déjà  connus  de  la 
brûlante  Afrique  et  les  denrées  des  climats  tempérés  de  l'Europe  méri- 
dionale. Mais  que  va-t-il  résulter  pour  eux-mêmes  de  l'habitation  de  ce 
milieu  inusité  qui  a  le  pouvoir  de  modifier  les  productions  du  sol  d'une 
manière  si  radicale,  au  mépris  d'une  latitude? 

Je  ne  sache  pas  que  pendant  les  trois  siècles  et  demi  qui  se  sont  écoulés 
depuis  la  conquête,  cette  question  ait  jamais  été  posée  par  des  hommes 
sérieux,  avec  la  conviction  d'y  trouver  une  vérité  intéressante  à  constater. 
L'idée  préconçue  y  a  tenu  la  place  d'un  examen  méthodique  et  l'indifférence 
avec  laquelle  on  l'a  vue  est  cause  encore  aujourd'hui  qu'on  n'y  puisse  porter 
un  jugement  définitif,  faute  des  éléments  d'information  indispensables 
qu'une  observation  soutenue  aurait  seule  pu  produire.  J'ai  rempli  person- 
nellement le  devoir  d'appeler  l'attention  sur  ce  point  important  de  clima- 
tologie et  je  me  propose  ici  même  d'initier  ceux  de  mes  lecteurs,  pour 
lesquels  ces  considérations  seraient  nouvelles,  aux  principes  les  plus 
élémentaires  qui  leur  servent  de  base.  C'est  là  un  point  de  vue  nouveau, 
qui  nous  permettra  d'envisager  les  faits  historiques  et  sociaux  dont  il  sera 
question  dans  ce  livre,  dans  leurs  rapports  avec  les  climats  qui  en  ont  été 
le  théâtre  depuis  la  conquête  des  Amériques  jusqu'à  nos  jours.  Des  écrivains 
d'un  mérite  reconnu  ont  sondé  avec  une  grande  sagacité  le  passé  des  géné- 
rations qui  ont  précédé  dans  le  Nouveau-Monde  l'arrivée  des  Espagnols.  Le 
tour  est  venu  de  ceux  qui,  prenant  souci  des  choses  qui  nous  touchent  plus 
directement  par  leur  actualité,  se  demandent  quelle  a  été  l'influence  des 
climats  et  du  mélange  des  races  sur  les  successeurs  de  ces  vigoureux 
hommes  d'armes  qui  implantèrent  en  Amérique  le  sang  de  la  vieille  Ibérie. 
C'est  à  l'accomplissement  de  ce  devoir  que  je  vais  consacrer  l'exposé  des 
quelques  réflexions  qu'on  va  lire. 


Quand  il  s'agit  de  géographie  américaine,  les  considérations  qui  me  pa- 
raissent devoir  primer  toutes  les  autres  sont  celles  qui  se  rattachent  au  co- 
lossal développement,  aux  formes  infinies  et  aux  étages  successifs  de  la  Cor- 
dillère des  Andes,  qui,  débutant  dans  la  partie  la  plus  méridionale,  s'étend 
jusqu'aux  régions  glacées  du  nord  de  ce  vaste  et  double  continent.  D'une 
part,  en  effet,  c'est  là  que  l'attention  des  Européens  se  fixa  tout  d'abord,  à 
cause  des  richesses  minérales  dont  ils  étaient  avides,  et  d'autre  part  ils  y 
crurent  trouver,  dès  leurs  débuts,  des  conditions  de  température  qui  s'ap- 
proprieraient davantage  aux  habitudes  climatériques  acquises  dans  les  pays 
de  leur  origine.  (Je  sont  donc  ces  régions  qui  doivent  arrêter  de  préférence 


PREFACE  DU  TRADUCTEUR.  NI 

notre  étude,  puisque  c'est  sur  elles  que  vont  avoir  lieu  les  premiers  déve- 
loppements des  hommes  venus  de  l'ancien  monde.  Elles  sont  d'ailleurs  par 
elles-mêmes  d'un  attrait  peu  vulgaire-,  mais  on  comprendra  sans  peine  qu'il 
ne  nous  convienne  aucunement  d'envisager  ce  sujet  dans  tous  ses  détails 
géologiques,  et  qu'il  nous  suffise  d'y  faire  entrevoir  au  lecteur  les  diffé- 
rentes conditions  de  soulèvement  qui  ont  transporté  le  séjour  permanent 
des  hommes  à  des  niveaux  très-variés.  Limitant  notre  attention  à  ce  point 
de  vue  unique,  nous  devons  faire  remarquer  que  la  Cordillère,  considérée 
d'une  manière  générale,  se  dirige  du  sud  au  nord  avec  une  légère  déviation 
vers  le  nord-ouest,  à  partir  de  l'isthme  de  Panama.  Elle  n'occupe  pas,  dans 
son  immense  parcours  ,  moins  de  cinquante  degrés  au  sud  et  environ 
soixante-sept  degrés  au  nord  de  l'équateur.  Après  avoir  débuté  enPatagonie 
par  une  chaîne  unique,  elle  ne.  tarde  pas  à  s'écarter  en  deux  grands  embran- 
chements, lesquels,  entraînant  avec  eux  le  sol  qui  les  sépare,  portent  à  une 
moyenne  qui  approche  de  3000  mètres  le  grand  plateau  de  la  Bolivie,  au-des- 
sus duquel  les  pics  du  Sorata  et  de  l'Ilimani  atteignent  7314  et  7694  mètres 
d'altitude.  Là  s'étale  le  lac  Titicaca,  à  3914  mètres  de  hauteur,  à  côté  de 
la  ville  de  Puno  qui  dépasse  à  peine  le  niveau  de  ses  eaux.  Là  se  voient  en- 
core les  villes  de  Potosi,  la  Paz,  Chuquizaca,  etc.,  aux  altitudes  de  4060, 
3756  et  2843  mètres. 

C'est  par  ce  même  procédé  de  division  que  la  Cordillère,  triple  d'abord, 
double  plus  loin,  va  formerles  vallées  élevées  du  Pérou  et  de  la  répubiiqne 
de  l'Equateur.  Mais  ici,  au  Pérou  surtout,  les  versants  vers  la  mer  Pacifi- 
que et  vers  les  terres  orientales  du  continent  s'arrêtent  successivement  pour 
étager  l'habitation  de  l'homme  sur  de  nombreux  plateaux  secondaires,  à  des 
hauteurs  très-variées.  Bientôt,  en  remontant  vers  le  nord,  les  Andes  se 
divisent  encore  en  trois  cordillères  importantes  et  partagent  la  république 
de  la  Nouvelle-Grenade  en  vallées  infinies,  très-variablement  exhaussées. 
C'est  la  chaîne  occidentale  de  cette  division  qui  se  prolonge,  à  travers  l'isthme 
de  Panama  et  l'Amérique  centrale,  jusqu'au  système  de  montagnes  et  de  pla- 
teaux qui  constituent  la  république  mexicaine.  A  partir  de  la  Bolivie,  nous 
avons  négligé  de  nommer  les  centres  habités  les  plus  intéressants.  Reve- 
vons  donc  sur  nos  pas  pour  rappeler  à  l'attention  du  lecteur  Cuzco  (à  3468m 
d'altitude),  Arequipa  (2292m),  Caxamarca  (2860m),  Tarma  (2968™),  Bella- 
vista  (3628™),  Ancomarca  (4330m),  Pasco  (4352'"),  Bogota  (2660'»),  etc. 

Une  première  remarque  digne  d'être  faite  tout  d'abord,  c'est  que,  à  l'ex- 
ception de  la  Nouvelle-Grenade,  tous  les  pays  parcourus  par  la  Cordillère 
méridionale  sont  plus  naturellement  accessibles  par  l'océan  Pacifique.  La 
raison  en  est  que  la  chaîne,  vers  l'occident,  se  rapproche  fortement  de  la 
mer  et  qu'au  surplus  les  niveaux  inférieurs  sont  généralement  favorisés 
d'une  température  plus  douce,  à  cause  des  vents  du  sud-ouest  qui  y  régnent 
d'habitude  et  des  courants  marins,  lesquels,  partis  des  régions  froides,  vien- 
nent tempérer  sur  les  côtes  les  ardeurs  naturelles  de  la  latitude.  Les  hom- 
mes d'Europe  se  portèrent  d'ailleurs  de  prime  abord  sur  les  régions  mon- 
tueuses,  attirés  par  les  richesses  métalliques  dont  ils  étaient  particulièrement 
avides.  Ce  furent  donc  les  pays  des  Andes  que  les  Espagnols  colonisèrent 
avant  tout,  d'une  manière  sérieuse,  sur  le  continent  américain,  et  comme 
c'est  sur  ces  contrées  montagneuses  que,  pendant  un  grand  nombre  d'années, 
ils  firent  tendre  les  plus  sérieux  efforts  des  immigrants  et  y  maintinrent  du- 
rant tout  le  temps  de  leur  domination  leurs  sympathies  privilégiées,  c'est  à 
ces  pays  surtout  que  nous  devons  demander  compte  des  progrès  des  Euro- 


XII  PRÉFACE  DU  TRADUCTEUR. 

péens  dans  l'Amérique,  depuis  sa  découverte  jusqu'à  nos  jours.  Mais,  avant 
de  nous  livrer  à  cet  examen,  achevons  d'étudier  les  régions  conquises  en  nous 
arrêtant  avec  prédilection  sur  celle  qui  va  servir  de  théâtre  aux  événements 
dont  Bernai  Diaz  nous  retrace  l'histoire.  Outre  que  les  dispositions  natu- 
relles de  la  montagne  ont  permis  aux  Espagnols,  au  Mexique,  mieux  que 
partout  ailleurs,  de  s'établir  en  société  à  des  hauteurs  considérables  sur  des 
plateaux  très-étendus,  ce  fut  le  premier  pays  des  Andes  que  les  Européens 
envahirent  après  la  découverte  de  l'Amérique.  Ce  fut  aussi  la  contrée  célè- 
bre où  ils  rencontrèrent,  pour  la  première  fois  dans  le  Nouveau  Monde,  une 
résistance  obstinée  de  la  part  d'un  peuple  habitué  au  maniement  des  armes, 
par  suite  de  guerres  incessantes  conduites  avec  une  sérieuse  entente  des 
procédés  d'attaque  et  de  défense. 


VI 

Le  développement  de  la  Cordillère  du  Mexique  est  bien  différent  de  celui 
de  l'Amérique  méridionale.  Ainsi  que  nous  l'avons  vu,  en  effet,  les  Andes 
du  Sud  ne  se  divisent  en  chaînes  séparées  que  pour  former  des  vallées  lon- 
gues et  étroites  auxquelles  on  n'a  accès,  à  l'est  et  à  l'occident,  qu'en  fran- 
chissant des  crêtes  très-élevées  qui  n'interrompent  leur  cours,  de  loin  en 
loin,  que  pour  former  des  passages  dont  la  hauteur  cesse  rarement  d'offrir 
de  grandes  difficultés  aux  communications  des  hommes.  Bien  plus,  les  val- 
lées elles-mêmes  sont  souvent  entrecoupées  de  chaînons  transversaux,  qui 
sont  un  obstacle  sérieux  aux  mouvements  des  habitants  et  rendent  leur 
commerce  pénible  du  sud  au  nord  de  ce  continent.  Ce  n'est  plus  cela  que 
nous  sommes  appelés  à  voir  au  Mexique.  Ici,  la  Cordillère,  après  s'être  di- 
visée en  sortant  de  Guatemala,  d'une  part  se  rapproche  beaucoup  des  eaux 
du  golfe,  s'éloigne  d'un  autre  côté  vers  l'océan  Pacifique,  mais  maintient 
les  rapports  de  ces  deux  chaînes  par  le  soulèvement  général  du  sol  qui  les 
sépare.  11  s'ensuit  la  formation  d'un  plateau  considérable  soutenu  par  deux 
rampes  par  lesquelles  on  y  monte,  en  procédant  des  deux  océans,  à  travers 
des  accidents  variés  de  surface  analogues  à  ceux  que  présentent  générale- 
ment les  pays  montueux.  La  rampe  à  laquelle  on  arrive  en  venant  du  golfe 
du  Mexique  présente  un  versant  rapide,  souvent  abrupt,  sur  lequel  les  cul- 
tures sont  rarement  possibles  par  suite  de  cette  conformation  même.  Le 
versant  occidental,  au  contraire,  est  remarquable  par  ses  étages  graduels, 
élargis,  qui  prolongent  d'une  façon  pittoresque  et  variée  la  distance  qui 
sépare  la  mer  du  haut  plateau.  Quant  au  plateau  lui-même,  si  nous  pre- 
nons son  origine  aux  points  où  l'on  y  arrive  en  procédant  de  Vera  Cruz, 
«  il  se  développe  dans  la  direction  du  nord-ouest  avec  une  telle  uniformité 
que,  jusqu'aux  environs  de  Durango,  c'est-à-dire,  pour  une  distance  de  1000 
kilomètres,  il  se  soutient  à  une  altitude  de  2000  mètres  et  dépasse  même 
cette  hauteur  pour  les  localités  les  plus  intéressantes  du  parcours1.  En  s'é- 
loignant  de  Durango  et  passant  par  Chihuahua,  le  terrain  baisse  lentement; 
mais  il  se  relève  à  Santa-Fé  du  Nouveau-Mexique.  Ce  sont  donc  1225  kilo- 
mètres de  plus  en  plan  de  descente,  et,  en  somme  :  de  Perote  à  Santa  Fé, 

1.  Tout  le  passage  composé  entre  guillemets  est  extrait  de  mon  livre  :  Influence 
de  la  pression  de  Vair  sur  la  vie  de  l'homme.  Climats  d'altitude  et  climats  de  mon- 
tagne, p.  139.  Paris,  187G. 


PREFACE  DU  TRADUCTEUR.  XIII 

2225  kilomètres  de  plateau,  sur  lequel  les  routes  carrossables  sont  partout 
faciles  à  établir.  Des  diligences  faisaient  naguères  un  service  régulier  de 
Vera  Cruz  à  Durango,  parcourant  250  lieues  de  hauteurs  souvent  supé- 
rieures à  2000  mètres.  On  a  même  inauguré  récemment  une  voie  ferrée  de 
Vera  Cruz  à  Mexico.  Les  difficultés  de  son  établissement  n'ont  été  réelles 
que  dans  un  petit  nombre  de  points  de  la  Terre-Chaude  et  pour  franchir 
tout  à  coup  la  hauteur  qui  sépare  Maltrata  du  plateau.  Mais,  après  ce  der- 
nier effort,  les  travaux  de  terrassement,  les  vides  à  remplir  et  les  obstacles 
à  percer  ont  été  d'une  minime  importance.  Pour  un  parcours  d'environ  250 
kilomètres,  appartenant  en  entier  au  haut  plateau,  on  a  trouvé  le  nivelle- 
ment fait  d'avance  par  la  nature. 

«  Vous  me  direz  que  les  Incas  aussi  avaient  construit  des  chaussées  qui  al- 
laient de  Cuzco  à  Quito,  et  que,  de  nos  jours,  une  voie  ferrée  met  en  com- 
munication la  côte  et  le  lac  Titicaca.  Je  ne  le  nie  pas  et  je  reconnais  que  ce 
sont  là  des  prodiges  industriels  bien  dignes  d'attirer  notre  admiration.  Mais 
la  route  des  Péruviens  de  l'antiquité  traversait  l'épouvantable  paramo  dcl 
Asuay  (4700  mètres)  et  transportait  ainsi  le  voyageur  à  des  hauteurs  que 
le  soroche-1  désole.  La  voie  ferrée  contemporaine  n'a  été  praticable  non  plus 
qu'en  dépassant,  en  certains  points,  l'altitude  de  4000  mètres.  Les  difficultés 
vaincues  proclament  sans  doute  le  mérite  des  industriels  et  des  ingénieurs 
qui  ont  accompli  ces  merveilles;  mais  plus  est  grand  ce  mérite,  plus  il  nous 
assure  l'extrême  inégalité  du  sol  sur  lequel  ces  travaux  se  sont  accomplis, 
et  c'est  la  seule  chose  que  nous  ayons  à  apprécier  dans  le  parallèle  que  nous 
établissons  entre  l'Amérique  méridionale  et  le  Mexique.  Les  difficultés  d'exé- 
cution ont  été  considérables,  d'une  part;  elles  sont  nulles  ou  de  peu  d'im- 
portance relative,  d'un  autre  côté;  tant  il  est  vrai  que  la  régularité  de  sur- 
face sur  différents  lieux  fort  étendus  du  plateau  mexicain  est  réellement  sans 
exemple  partout  ailleurs,  à  de  pareilles  hauteurs. 

«  Je  ne  veux  pas  dire  que  la  montagne  en  soit  absolument  exclue.  Il  est, 
au  contraire,  incontestable  que  ce  plateau  extraordinaire  n'est  lui-même  au- 
tre chose  que  les  crêtes  aplaties  d'une  chaîne  énorme  qui  a  perdu  sa  forme 
habituelle  en  s'élargissant  et  en  nivelant  les  sommets.  Cela  est  tellement  vrai 
que,  sur  plusieurs  points,  l'effort  géologique  y  a  projeté  avec  plus  de  vigueur 
des  masses  considérables  qui  font  saillie,  tantôt  isolément,  tantôt  avec  une 
régularité  qui  produit  les  effets  ordinaires  des  pays  montagneux.  C'est  à 
une  de  ces  impulsions  plus  régulières  que  le  sol  paraît  avoir  obéi  dans  la 
constitution  de  la  chaîne  circulaire  qui  a  formé  la  prodigieuse  vallée  de 
Mexico.  Je  n'en  ferai  pas  ici  la  description  minutieuse.  Les  développements 
naturels  de  ce  livre  la  présenteront  ailleurs  avec  plus  d'opportunité.  Cette 
intention  néanmoins  ne  doit  pas  nous  empêcher  de  fixer  nos  regards,  dès  à 
présent,  sur  le  majestueux  ensemble  de  montagnes  qui  a  rompu  tout  à  coup 
la  monotonie  d'une  immense  plaine,  pour  élever  vers  les  régions  supérieures 
de  l'air  une  des  plus  imposantes  masses  de  l'Amérique.  Là  se  trouve  le  vol- 
can fameux  du  Popocatepetl,  qui  excita  avec  tant  de  raison  la  surprise  et 
l'admiration  des  conquérants  venus  de  l'Espagne,  et  qui,  secondé  par  l'im- 
posante sierra  de  l'Istatsiliuatl,  sa  voisine,  couronne  avec  une  majesté  élé- 
gante le  groupe  circulaire  qui  forme  la  grande  vallée  de  Mexico.  Avant  d'ar- 
river à  ce  soulèvement,  de  même  qu'après  l'avoir  dépassé,  les  hautes  plaines 
de  l'Anahuac,  dépourvues  de  grands  arbres  et  desséchées  par  le  manque 

J.  Le  mal  de  montagne  ou  l'anoxyhémie  des  altitudes. 


XIV  PRÉFACE  DU   TRADUCTEUR. 

d'humidité  sur  le  sol  et  dans  l'atmosphère,  ont  généralement  un  aspect 
triste  et  monotone.  De  loin  en  loin,  la  montagne  s'est  souvenue  que  c'est  là 
son  domaine  et  elle  en  présente  le  morne  témoignage  par  quelque  mame- 
lon isolé,  noirâtre  et  dépourvu  de  végétation.  Quelquefois,  l'accident  prend 
des  proportions  imposantes,  ainsi  qu'on  le  voit  arriver  à  Puebla,  où  la  Ma- 
linche  élève  sa  cime  élégante  à  l'altitude  de  4120  mètres  et  projette  au  loin 
des  versants  doucement  inclinés,  couverts  de  belles  forêts  de  sapins  et  même 
animés  par  des  cultures  rémunératrices.  C'est  en  somme  un  curieux  spec- 
tacle et  comme  un  jeu  malin  de  la  Nature,  qui  paraît  conspirer  pour  nous 
voiler  la  réalité  de  la  situation  par  l'aspect  d'une  plaine  unie,  et  qui  tout  à 
coup  oublie  son  dessein  et  se  trahit  en  laissant  surgir  quelque  éminence 
indiscrète  dont  la  forme  accentuée  nous  ramène  à  la  vérité.  Au-dessus  de 
cette  nature  bizarre,  un  ciel  généralement  serein  vous  attire  ;  une  lumière 
resplendissante  de  clarté  vous  éblouit;  une  température  douce  vous  caresse. 
Mais,  au  dedans  de  vous-même,  vous  sentez  je  ne  sais  quel  effet  sec  et  cas- 
sant qui  vous  énerve  et  vous  empêche  de  savourer  avec  délice  le  spectacle 
réellement  extraordinaire  qui  vous  entoure.  » 

Nous  interpréterons,  plus  loin,  les  causes  de  ces  sensations  étranges  et 
incontestablement  originales. 


vu 

En  attendant,  si  nous  voulons  bien  porter  nos  regards  sur  l'en  semble  du 
tableau,  que  nous  venons  d'esquisser,  de  la  Cordillère  des  Andes,  nous 
verrons  que  l'homme  d'Europe,  guidé  par  ses  caprices,  ses  intérêts  ou  son 
avidité,  a  établi  son  séjour  à  des  niveaux  très-variés  de  ce  double  continent. 
Mais  hâtons-nous  de  dire  pour  la  seconde  fois  que  les  attraits  d'une  douce 
température,  non  moins  que  les  riches  filons  d'un  métal  précieux,  l'atti- 
rèrent d'abord  et  fixèrent  ses  préférences  sur  les  lieux  élevés.  L'hygiéniste 
a  dû  se  demander  si  la  santé  reste  indifférente  à  ces  conditions  si  diverses 
de  nivellement  qui  tour  à  tour  élèvent  l'homme  vers  les  régions  supérieure?» 
de  l'air  et  le  rapprochent  du  niveau  des  mers  voisines.  Il  a  dû  se  préoccuper 
du  sort  réservé  à  la  respiration,  à  mesure  que  les  ressources  de  l'atmosphère 
s'altéraient  par  le  fait  d'altitudes  trop  considérables.  Il  a  fallu  encore  que 
l'homme  de  science  se  demandât  si  l'habitant  des  grandes  hauteurs  n'aurait 
jamais  à  souffrir  des  circonstances  exceptionnelles  qui  modifient  profondé- 
ment autour  de  lui  les  phénomènes  de  calorification.  Le  lecteur  ne  l'ignore 
pas  en  effet,  soit  qu'on  gravisse  de  très-hautes  montagnes,  soit  qu'on  s'élève 
en  ballon  vers  les  couches  supérieures  de  l'air,  on  sent  autour  de  soi  la 
température  baisser,  et  l'on  est  averti  de  la  constance  de  ce  phénomène  on 
apprenant  que  sous  toutes  les  latitudes  il  existe  un  point  d'élévation  au- 
dessus  duquel  les  neiges  ne  fondent  jamais.  Plus  on  monte,  du  reste,  plus 
le  froid  devient  intense,  et,  comme  il  n'est  pas  possible  d'admettre  que  le 
soleil  nous  envoie  moins  de  chaleur  à  mesure  que  nous  nous  rapprochons 
de  lui  davantage,  on  est  forcé  de  reconnaître  que,  sur  les  grandes  altitudes, 
le  refroidissement  se  fait  sentir  parce  que  l'on  est  impuissant  à  conserver 
le  calorique  qu'on  reçoit  et  celui  qu'on  produit  soi-même.  Nous  sommes 
ainsi  amenés  à  comprendre  que  la  masse  de  l'air  est  nécessaire  à  la  conser- 
vation de  la  chaleur  sur  la  terre.  Que  d'autres  conditions,  comme  la  vapeur 
d'eau  qui  trouble  sa  transparence,  soient  propres  à  aider  l'atmosphère  dans 


PRÉFACE  DU  TRADUCTEUR.  XV 

l'exercice  de  cette  propriété  conservatrice,  je  le  veux  bien,  et  cela  est  incon- 
testable; mais  le  poids  de  l'air  et  l'épaisseur  de  sa  couche  sont  l'élément 
principal  destiné  à  perpétuer  la  vie  sur  la  terre  au  moyen  de  la  conservation 
incessante  de  la  chaleur  indispensable  à  tous  les  êtres. 

Pour  vivre  sans  inconvénients  sur  les  grandes  altitudes  où  la  diminution 
de  pression  atmosphérique  rend  les  refroidissements  plus  faciles,  il  faudrait 
donc  que  le  résident  pût  y  jouir  de  ressources  exceptionnelles  qui  lui  per- 
missent de  produire  plus  que  partout  ailleurs  une  dose  de  calorique  consi- 
dérable. Malheureusement,  c'est  le  contraire  qui  arrive,  car  la  respiration, 
source  principale  de  la  chaleur  vitale,  ne  trouve  dans  l'oxygène  amoindri 
de  l'air  ambiant  qu'un  élément  insuffisant  de  combustion.  Personne  ne 
peut  ignorer,  en  effet,  que  lorsque  plusieurs  couches  d'une  substance  élas- 
tique se  trouvent  superposées  jusqu'à  une  grande  hauteur,  les  couches 
inférieures,  pressées  par  celles  qui  suivent,  diminuent  d'autant  plus  de 
volume  qu'elles  sont  placées  plus  bas.  Cela  ne  veut  pas  dire  que  cette 
substance  variablement  rétrècie  perde  quoi  que  ce  soit  de  la  matière  dont 
elle  est  composée.  La  vérité  est  que  ses  molécules  se  rapprochent  de  manière 
à  donner  au  corps  qu'elles  composent  un  volume  moindre  dans  l'espace. 

C'est  là,  précisément,  ce  qui  arrive  à  l'atmosphère. 

L'air  est,  en  effet,  éminemment  élastique,  à  ce  point  même  que  l'espace 
qu'il  peut  occuper  n'a  d'autres  limites  que  les  barrières  résistantes  dont  on 
l'entoure  artificiellement.  Les  physiciens  ont  découvert  la  loi  qui  préside  à 
cette  propriété  de  l'air,  et  ils  la  formulent  en  disant  que  son  volume 
augmente  ou  diminue  en  raison  inverse  des  poids  qui  le  compriment.  C'est- 
à-dire  qu'un  volume  d'air  étant  donné  sous  une  pression  bien  connue,  ce 
volume  deviendra  moitié  moindre  si  la  pression  est  doublée*,  il  sera  trois 
fois  plus  petit  si  la  pression  devient  trois  fois  plus  grande.  Il  est  également 
vrai  de  dire  que  l'air  occupera  un  espace  quatre  fois  plus  considérable,  si 
les  poids  qui  le  compriment  deviennent  quatre  fois  moindres. 

D'après  cette  loi,  il  est  aisé  de  comprendre  que  des  couches  d'air  super- 
posées sont  plus  ou  moins  réduites  dans  leur  volume,  selon  qu'on  les  consi- 
dère dans  des  parties  plus  ou  moins  inférieures  de  l'atmosphère,  puisque 
chacune  d'elles,  abstraction  faite  de  toutes  celles  qui  sont  placées  plus  bas, 
n'obéit  qu'à  la  pression  des  couches  supérieures.  Il  s'ensuit  que  les  parties 
constituantes  de  l'air  se  trouvent,  à  volumes  égaux,  en  plus  grande  quantité 
dans  les  couches  qui  se  rapprochent  le  plus  des  niveaux  les  plus  inférieurs. 

Il  est  donc  évident  que  le  demi-litre  d'air  atmosphérique  introduit  dans 
notre  poitrine  à  chaque  inspiration  contient  d'autant  plus  de  molécules  de 
ce  fluide  que  le  sujet  qui  le  respire  se  trouve  plus  rapproché  du  niveau  de  la 
mer.  C'est  là  une  première  vérité  dont  il  importe  de  tenir  note;  caries  tra- 
vaux de  M.  Paul  Bert  ont  démontré  que  la  quantité  d'oxygène  absorbé  par 
le  sang  artériel  est  en  rapport  avec  la  densité  que  ce  gaz  possède  dans  l'air 
que  l'on  respire.  Or,  à  la  pression  barométrique  de  76e,  c'est-à-dire  au  ni- 
veau de  la  mer,  l'oxygène,  qui  ne  figure  que  pour  21  centièmes  dans  l'air 
atmosphérique,  est  réduit  aux  21  centièmes  de  la  densisé  qu'il  aurait  s'il 
était  seul  sous  une  pression  absolument  égale.  Si,  à  partir  de  ce  point,  on 
s'élève  dans  l'atmosphère,  l'air  en  se  dilatant  contiendra  l'oxygène  à  un 
degré  de  densité  de  plus  en  plus  amoindri.  J'ai  voulu  rendre  le  fait  sen- 
sible par  le  tableau  suivant.  Il  indique  les  hauteurs  de  l'atmosphère  de 
0  à  8400  mètres.  Chaque  centimètre  du  baromètre  s'y  trouve  en  regard 
de  l'altitude  qui  lui  correspond,  et  j'ai  pris  soin  d'inscrire,  de  5  en  5  centi- 


XVI  PRÉFACE  DU   TRADUCTEUR. 

mètres,  la  quantité  de  litres  d'oxygène  qui  passent  par  heure  dans  le  pou- 
mon, à  chacun  de  ces  degrés  d'altitude,  en  supposant  qu'un  individu  respire 
uniformément  15  fois  par  minute,  et  en  ramenant  toujours  l'air  respiré  à 
sa  valeur  sous  0n,,76  de  pression.  De  sorte  que  la  première  colonne  de  ce 
tableau  marque  la  pression  barométrique-,  la  seconde  marque  l'altitude  au- 
dessus  du  niveau  de  la  mer;  la  troisième  colonne  désigne  le  nombre  de 
litres  d'oxygène  (ramenés  à  76l)  respires  en  une  heure;  la  quatrième  signale 
la  densité  de  l'oxygène  à  chacune  de  ces  hauteurs. 


Colonne 

Hauteur 

Oxygène 

Densité 

Colonne 

Hauteur 

Oxygène 

Densité 

baromèt. 

en 

respiré 

de 

baromét. 

en 

respiré 

de 

en  centim. 

mètres. 

une  heure. 

l'oxygène. 

en  centim. 

mètres. 

une  heure. 

l'oxygène. 

76 

0 

90  lit. 

0,210 

50 

3334 

75 

105 

49 

3495 

74 

212 

48 

3659 

73 

321 

47 

3827 

72 

430 

46 

3998 

54,4 

0,127 

71 

542 

84 

0,196 

45 

4173 

70 

655 

44 

4352 

69 

769 

43 

4535 

68 

886 

42 

4723 

67 

1004 

41 

4914 

48,5 

0,113 

66 

1123 

78,1 

0,181 

40 

5111 

65 

1245 

39 

5313 

64 

1368 

38 

5520 

63 

1494 

37 

5732 

62 

1621 

36 

5950 

42,6 

0,099 

61 

1751 

72,2 

0,16.8 

35 

6174 

60 

1882 

34 

6405 

59 

2016 

33 

6643 

58 

2152 

32 

6888 

57 

2291 

31 

7141 

36,7 

0,085 

56 

2432 

66,3 

0,154 

30 

7402 

55 

2575 

29 

7674 

54 

2721 

28 

7951 

53 

2874 

27 

8241 

52 

3022 

26,5 

8390 

31,3 

0,073 

51 

3176 

60 

0,140 

On  voit  par  ce  tableau  que,  à  la  hauteur  de  8400  mètres  qui  est  mortelle 
pour  les  aéronautes,  ainsi  que  nous  le  verrons  plus  loin,  l'oxygène  respiré 
représente  le  tiers  seulement  de  sa  valeur  initiale,  et  que,  déjà  à  2300, 
celle-ci  est  diminuée  de  plus  d'un  quart  (0,27). 

Comme  conclusion  de  cette  importante  série  de  vérités,  je  crois  pouvoir 
avancer  que  l'imperfection  de  l'acte  respiratoire  produit  sur  les  grandes 
altitudes  une  situation  originale,  paradoxale,  pourrait-on  dire,  car,  tandis 
qu'une  respiration  incomplète  y  est  un  obstacle,  d'une  part,  au  renouvelle- 
ment constant  de  la  chaleur  animale  et  au  libre  exercice  de  la  force  muscu- 
laire, d'un  autre  côté,  le  rayonnement  de  notre  calorique  par  défaut  de 
pression  et  sa  diminution  par  une  évaporation  plus  facile  de  nos  liquides 
tendraient  à  nous  refroidir  au  delà  des  proportions  habituelles  au  niveau 
de  la  mer1.  Il  est  cependant  évident  que  le  résident  des  grandes  altitudes 

1.  Je  n'oserais,  dans  ce  travail,  répéter  tout  ce  que  j'ai  dit  déjà  à  ce  sujet  dans 
mon  livre  de  l'Influence  de  la  pression  de  Vair  sur  là  vie  de  Vhommc,  2e  édition. 
(G.  Masson,  1876).  J'y  renvoie  le  lecteur. 


PRÉFACE   DU   TRADUCTEUR,  xvn 

se  maintient  à  peu  près  réchauffé  et  suffit  aux  dépenses  de  calorique  de  ma- 
nière à  rendre  possible  l'exercice  de  ses  fonctions.  Nous  devons  donc  nous 
demander  de  quelle  manière  il  y  peut  parvenir.  Est-ce  par  une  économie 
d'oxygène,  en  prenant  le  soin  d'éviter  tout  effort?  est-ce  en  se  livrant  à  un 
fonctionnement  respiratoire  exceptionnel?  Je  crois  pouvoir  affirmer  que  la 
vérité  de  la  situation  se  trouve  dans  l'accomplissement  plus  ou  moins  com- 
plet, plus  ou  moins  continu,  de  ces  deux  conditions  impérieusement  exigées 
par  les  circonstances.  Il  m'a  paru  évident,  en  effet,  que  l'habitant  des  hauts 
séjours  possède  des  aptitudes  incontestables  pour  une  gymnastique  plus  que 
vulgaire  de  ses  organes  respiratoires,  lorsque  la  nécessité  se  présente  d'un 
travail  musculaire  exagéré.  Mais  il  n'est  pas  moins  vrai  que  ce  sont  là  des 
manœuvres  exceptionnelles,  difficilement  pratiquées  par  la  généralité  des 
hommes  des  hauteurs.  En  réalité,  l'instinct  paraît  dominer  chez  eux  en 
demandant  le  repos  des  organes  principaux  dont  le  jeu  préside  aux  mouve- 
ments et  aux  efforts  dépassant  le  travail  ordinaire.  Il  est,  en  effet,  d'obser- 
vation que  la  résidence  des  altitudes  conduit  naturellement  aux  habitudes 
d'une  existence  apathique.  Cela  me  paraît  autoriser  à  dire  que  l'originalité 
réelle  de  la  vie  des  hauteurs  consiste  dans  la  coutume  d'une  économie  cons- 
tante d'efforts  musculaires,  quoique,  dans  un  moment  donné,  l'homme  y 
possède  des  aptitudes  capables  de  suffire  aux  exigences  d'un  travail  ma- 
tériel considérable.  Mais  alors,  l'originalité  de  la  position  apparaît  encore 
dans  la  nécessité  de  limiter  l'effort  à  une  courte  durée. 

Toujours  est-il  cependant  que  ce  sont  en  réalité  les  phénomènes  de  re- 
froidissement et  de  calorification  qui  règlent  le  degré  de  possibilité  de  séjour 
sur  les  hauts  niveaux.  Nous  savons,  en  effet,  que  l'homme  peut  habiter  sans 
grande  souffrance  des  hauteurs  tropicales  qui  atteignent  3  et  4000  mètres. 
Mais,  nous  savons  aussi  que  les  moines  du  mont  Saint-Bernard  ne  sauraient 
s'habituer,  malgré  les  soins  dont  ils  s'abritent,  à  l'existence  qui  leur  est 
faite  par  le  séjour  de  2400  mètres.  Les  révélations  d'un  prieur  distingué  de 
leur  ordre,  le  P.  Bisela,  nous  ont  appris  qu'ils  n'y  atteignent  pas  40  ans 
d'âge,  s'ils  persistent  à  vouloir  braver  le  danger  par  la  prolongation  du 
séjour.  L'observation  n'a  pas  été  faite,  à  ces  hauteurs,  pour  des  latitudes 
plus  septentrionales-,  mais  on  ne  saurait  douter  qu'un  froid  plus  rigoureux 
n'y  relègue  à  des  niveaux  plus  inférieurs  la  durée  de  l'existence.  L'habitation 
constante  des  altitudes  est  donc  astreinte  à  des  conditions  qui  n'ont  pas  seu- 
lement pour  base  la  raréfaction  de  l'air.  Elles  ont  aussi  pour  mesure  la  lutte 
qui  s'établit  entre  la  chaleur  qu'on  doit  s'approprier  pour  le  soutien  de  la 
vie  et  celle  qu'on  dépense  en  rayonnant  vers  les  objets  extérieurs.  Il  en 
résulte  que  les  dangers  pour  la  vitalité,  sur  les  hauteurs,  dépendent  de 
deux  causes  essentielles  :  la  difficulté  de  produire  du  calorique  et  la  néces- 
sité d'en  dépenser  davantage.  La  possibilité  de  vivre,  par  conséquent,  sur  les 
grandes  altitudes,  se  mesure  par  le  terme  moyen  entre  ces  deux  conditions 
faites  à  l'habitant.  En  général,  la  vie  pourra  se  soutenir  et  prospérer  sur  des 
hauteurs  plus  considérables  dans  des  pays  équatoriaux  où  les  conditions 
ambiantes  demanderont  moins  de  pertes  de  chaleur,  tandis  que  la  raréfac- 
tion de  l'air  sera  déjà  mortelle  sur  des  lieux  moins  élevés  dont  la  tempéra- 
ture plus  froide  exigera  un  rayonnement  plus  marqué  de  la  part  des  habi- 
tants. 

Sur  les  grandes  hauteurs,  donc,  la  vie  se  proportionne  au  degré  de  cha- 
leur gardée.  C'est  du  reste  en  cela  que  consistent  l'harmonie  générale  de  la 

6 


XVII!  PRÉFACE  DU  TRADUCTEUR. 

nature  et  la  condition  essentielle  de  tous  les  êtres.  La  chaleur  circule  sans 
cesse,  pénètre  tout  ce  qui  existe,  établit  des  courants  à  travers  tous  les 
corps  et  assure  toujours  leur  manière  d'être  en  ne  s' accumulant  pas  au-delà 
et  ne  les  abandonnant  pas  au-dessous  des  chiffres  qui  forment  les  limites 
extrêmes  de  leur  sécurité.  Dans  ce  mouvement  thermique  continuel  qui  est 
une  des  conditions  les  plus  générales  et  les  plus  impérieuses  de  la  nature, 
chaque  être  vivant  trouve  dans  le  fonctionnement  de  ses  organes  les  moyens 
qui  lui  garantissent  la  température  dont  le  degré  constant  est  indispen- 
sable à  la  continuité  de  son  existence.  Mais,  pour  y  réussir,  encore  faut-il 
que  la  chaleur  qui  le  traverse  sans  cesse  et  le  fuit  pour  courir  vers  les 
objets  dont  il  est  entouré,  ne  l'abandonne  jamais  dans  des  proportions 
supérieures  à  ce  qu'il  a  reçu  et  produit.  C'est  pour  arriver  à  ce  résultat  que 
la  pression  barométrique  lui  est  indispensable.  Privés  d'une  part  successi- 
vement plus  notable  de  leur  abri  naturel,  à  mesure  qu'ils  s'élèvent  davan- 
tage vers  les  hauteurs  de  l'atmosphère,  les  êtres  organisés  chancellent 
d"abord  ou  changent  de  nature:  bientôt  ils  se  flétrissent  et  succombent  en 
témoignant,  par  le  refroidissement,  de  leur  impuissance  à  retenir  la  chaleur 
nécessaire,  sans  le  secours  protecteur  du  poids  de  l'air. 


C'est  dans  l'ensemble  exagéré  des  conditions  dont  nous  venons  de  donner 
un  aperçu  que  les  infortunés  Crocé-Spinelli  et  Sivel  trouvèrent  une  mort 
glorieuse  au  mois  d'avril  1875.  On  se  rappelle  qu'ils  succombèrent  au  re- 
froidissement et  à  l'asphyxie,  à  l'altitude  de  8500  mètres.  La  vie  est  donc 
absolument  impossible  à  cette  hauteur,  et  il  est  raisonnable  de  croire  que  les 
causes  naturelles  qui  sont  susceptibles  de  produire  la  mort,  à  8500  mètres, 
agissent  déjà,  d'une  façon  qui  peut  devenir  dangereuse,  à  des  altitudes  moins 
considérables.  On  n'en  était  pas  arrivé  à  pouvoir  connaître  une  catastrophe 
de  ce  genre,  en  l'année  1534,  lorsque  Pedro  de  Alvarado,  que  son  avidité 
poussait  vers  Quito,  rendit  sa  troupe  victime  de  pareils  malheurs  en  l'aven- 
turant dans  les  neiges  qui  couvraient  les  crêtes  des  Andes  en  des  lieux 
non  explorés  jusqu'alors.  L'historien  Herrera  en  a  rendu  compte  d'une  fa- 
çon peut-être  exagérée,  mais  vraie  dans  le  fond  et  très-saisissante  dans  la 
forme. 

c  Diego  de  Alvarado,  dit-il,  après  en  avoir  donné  avis  à  son  frère  et  ayant 
pris  conseil  de  ceux  qui  étaient  avec  lui,  poursuivit  sa  marche  en  avant.  A 
peine  avait-il  franchi  quelques  lieues  qu'il  atteignit  des  montagnes  couvertes 
de  neige,  sur  lesquelles  soufflait  un  vent  glacé.  Comme  il  ne  voyait  pas  le 
moyen  de  les  éviter  sans  faire  un  long  détour,  il  se  résolut  à  y  pénétrer  :  con- 
duite qui  fut  regardée  par  quelques-uns  comme  téméraire,  en  considérant 
l'ignorance  où  l'on  était  de  la  route  et  de  la  largeur  du  passage.  En  y  péné- 
trant plus  avant,  on  sentit  le  froid  devenir  plus  intense;  les  hommes  étaient 
aveuglés  par  les  flocons  de  neige  qui  tombaient.  Les  Indiens  et  tous  ceux 
qui  marchaient  à  pied  ne  pouvaient  plus  remuer  leurs  membres.  Les  cava- 
liers prirent  en  croupe  ceux  qu'ils  purent  et,  après  avoir  fait  six  lieues  de  la 
sorte  au  milieu  de  fatigues  excessives,  ils  réussirent  à  sortir  de  ces  monta- 
gnes et  atteignirent  un  village  à  moitié  habitable  où  ils  trouvèrent  quelques 
ressources.  Ils  avertirent  l'adelantado  de  tout  ce  qui  leur  était  arrivé  et  pri- 
rent soin  de  l'instruire  sur  la  manière  dont  il  devait  faire  sa  traversée 

Comme  il  ne  pouvait  point  s'arrêter  au  lieu  où  il  recevait  cet  avis,  il  en- 
gagea son  monde  par  ces  mauvais  passages  tandis  que  le  vent  soufflait  et 


PREFACE   DU   TRADUCTEUR.  \:\ 

que  la  neige  tombait  en  tempête  plus  encore  que  lorsque  Diego  de Alvarado 
en  avait  fait  la  traversée.  Les  Indien-  de  Guatemala  et  du  pays  même  sont 
en  général  de  faible  complexion  :  aussi  périssaient-ils  au  milieu  de  ce  froid 
extrême,  perdant  la  vie  sous  les  efforts  de  la  neige,  tandis  que  les  doigt-  de 
leurs  pieds  et  de  leurs  mains  restaient  sans  vie  et  que  quelques-uns  avaient 
le  corps  entier  gelé.  Les  Castillans,  plus  robustes,  poursuivaient  leur  route 
avec  d'inconcevables  fatigues-,  mais  bientôt,  la  nuit  étant  venue,  les  tour- 
ments s'aggravèrent  et  on  arriva  aux  plus  dures  angoisses,  sans  feu.  sans  abri, 
puisqu'on  n'avait  qu'un  nombre  minime  de  tentes.  On  n'entendait  que  sou- 
pirs, gémissements,  sans  que  personne  consolât  les  plus  malheureux.  Quel 
ques  nègres  et  plusieurs  Indiens  furent  gelés. 

«  ....  Il  y  en  eut  beaucoup  que  leurs  fatigues  faisaient  -'approcher  des 
rochers  pour  s'y  étendre  et  s'y  reposer,  et  à  l'instant  ils  y  perdaient  la  vie. 
Les  Castillans,  qui  poursuivaient  leur  route  sans  s'arrêter,  résistaient  mieux. 
Les  cavaliers,  qui  allaient  en  avant  sans  tenir  les  rênes  et  sans  regarder 
derrière  eux.  eurent  tous  la  chance  d'échapper:  mais  quelques-uns,  qui  ne 
prirent  pas  ces  précautions,  y  moururent.  On  voyait  sur  la  neige  les  armes, 
les  bagages  et  en  un  mot  tout  ce  qu'on  possédait;  car  on  ne  cherchait  plus 
qu'à  conserver  sa  vie.  Il  était  impossible  de  songer  à  se  secourir  les  un-  les 
autres,  fut-on  père,  enfant  ou  frère.  Le  senor  Pedro  Gomez  se  gela  avec  son 
cheval,   tout   chargé   des  nombreuses   émeraudes  dont  iJ  s'était   emparé. 
Huelmo  fut  également  victime  avec  sa  femme  et  deux  jeunes  filles  qu'il 
amenait  avec  lui  :  touché  de  leurs  gémissements,  il  aima  mieux  périr  avec 
elles  que  se  sauver  en  les  abandonnant.  Un  Castillan  très-vigoureux  avant 
mis  pied  à  terre  pour  sangler  son  cheval,  expira  à  l'instant  avec  sa  bête. 
En  ce  passage  moururent  quinze  Castillans,  six  femmes  espagnoles,  plu- 
sieurs nègres  et  deux  mille  Indiens.  Ceux  qui  eurent  la  chance  de  sortir  dé- 
neiges avaient  l'aspect  de  cadavres,  et  parmi  eux  plusieurs  Indiens  perdirent 
leurs  doigts,  leurs  pieds,  tandis  que  quelques  autres  restèrent  aveugles.  » 
Je  n'oserais  pas  assurer  qu'il  n'y  ait  point  quelque  exagération  dan- 
passage  de  l'historien  Herrera  :  mais  ce  qui  est  bien  certain,  c'est  que  l'exa- 
gération même  n'a  été  possible  que  parce  qu'en  réalité  il  y  eut  de  très- 
grand  malheurs  à  déplorer  dans  cette  funeste  campagne  d'Alvarado.  Combien 
de  catastrophes  analogues  sont,  venues  depuis  lors  confirmer  la  pensée  que 
l'homme  ne  saurait  faire  usage  de  ses  forces  ni  conserver  la  vie  au  milieu 
de  pareilles  fatigues,  à  des  hauteurs  considérables  de  l'atmosphère  !  Si  j'ai 
choisi,  pour  en  donner  un  exemple,  ce  fait  si  éloigné  de  nous,  c'est  parce 
qu'il  nous  ramène,  sinon  à  l'époque  exacte  de  la  conquête  de  la  Nouvelle- 
Espagne  dont  Bernai  Diaz  va  nous  entretenir,  du  moins  à  un  petit  nombre 
d'années  plus  tard,  à  propos  d'une  campagne  qui  était  commandée  par  un 
des  plus  vigoureux  compagnons  d'armes  de  Cortès ,   Pedro   de   Alvarado 
lui-même. 


VIII 

Il  existe  donc  une  hauteur  de  l'atmosphère  où  décidément  il  n'est  plu- 
possible  de  vivre.  Cette  vérité  découle  de  conditions  tellement  puissant  s  ' 
d'une  essence  si  radicale,  que  la  chaleur  équatoriale  elle-même  n'en  est 
un  correctif  que  dans  des  proportions  dont  il  n'est  pas  du  reste  impossible 
de   trouver  la  mesure.   Or.  je  le  demande,   oserait-on  admettre  que  l'un 


XX  PRÉFACE  DU  TRADUCTEUR. 

arrive  au  degré  mortel  d'altitude,  subitement,  sans  transition,  sans  que  des 
symptômes  de  malaise  d'abord,  d'angoisse  vive  plus  tard,  viennent  faire 
pressentir  le  dénoûment  final  ?  La  pratique  des  voyages  a  appris  qu'il  n'en 
est  pas  ainsi.  On  a  dit,  il  est  vrai,  que  la  coutume  de  vivre  sur  les  grandes 
altitudes  avait  pour  premier  résultat  d'augmenter  le  volume  de  la  poitrine, 
afin  de  mieux  adapter  l'organisme  au  milieu  ambiant,  en  permettant  de 
compenser  par  une  plus  grande  quantité  d'air  respiré  la  diminution  de  sa 
densité.  Cela  ne  m'a  pas  paru  conforme  à  la  réalité  des  faits-,  car  trois 
siècles  et  demi  de  séjour  n'ont  point  permis  de  constater  un  pareil  change- 
ment chez  les  Européens  qui  se  sont  fixés  dans  les  régions  montagneuses 
de  l'Amérique  :  résultat  négatif  qui  fait  justement  croire  qu'une  semblable 
ampleur  thoracique  observée  chez  les  Indiens  est  la  conséquence  d'une 
conformation  de  race  existant  à  tous  les  niveaux . 

Il  est  d'ailleurs  évident  que  l'impossibilité  de  respirer  et  de  se  tenir  suffi- 
samment échauffé,  sur  les  lieux  élevés  de  la  terre  entière,  a  relégué  l'habi- 
tation à  des  degrés  toujours  plus  bas  d'altitude,  selon  qu'on  s'éloigne  davan- 
tage de  l'Equateur.  Mais  on  peut  assurer  que  nulle  part  les  conditions  ne 
sont  assez  favorables  pour  que  l'habitant  puisse  dépasser  sensiblement  la 
hauteur  de  cinq  mille  mètres  s'il  s'agit  de  résidence  définitive.  En  ne  con- 
sidérant donc  que  l'impossibilité  absolue  de  vivre,  on  peut  assurer  que 
l'observation  l'a  placée  entre  huit  mille  et  neuf  mille  mètres  pour  l'aéronante 
et  entre  cinq  mille  et  cinq  mille  cinq  cent  mètres  en  ce  qui  regarde  la  rési- 
dence permanente  sur  les  montagnes.  Il  va  sans  dire,  ainsi  que  nous  l'avons 
fait  déjà  pressentir,  que  des  conditions  de  latitude  et  autres  ramènent  ces 
points  extrêmes  à  des  chiffres  plus  modestes.  Mais,  quels  que  soient  les 
degrés  d'élévation  auxquels  la  vie  devient  impossible  dans  des  lieux  donnés, 
on  ne  saurait  douter  qu'on  n'y  souffre  déjà  par  des  séjours  qui  se  rappro- 
chent des  altitudes  nécessairement  mortelles.  Où  commencent  ces  souf- 
frances? Là  est  le  doute.  J'ai  cru  pouvoir  dire  d'une  manière  générale  que 
la  plupart  des  hommes  s'en  ressentent  plus  ou  moins  en  dépassant  la 
hauteur  qui  signale  la  demi-distance  verticale  du  niveau  des  mers  à  la 
ligne  des  neiges  éternelles,  calculée  dans  la  région  que  l'on  habite.  Je  ne 
prétends  pas  représenter  mathématiquement  le  phénomène  et  le  réduire 
exactement  à  un  chiffre.  Mais  je  suis  sûr  que  la  vérité  que  nous  cherchons 
oscille,  sans  s'en  éloigner  beaucoup,  autour  de  la  proposition  que  je  viens 
de  dire,  et  que  si  Ton  n'en  a  pas  immédiatement  la  preuve  par  l'aspect  de 
l'homme  bien  portant,  la  marche  et  la  nature  des  maladies,  sur  les  très- 
hautes  régions,  ne  permettent  pas  à  l'observateur  d'avoir  le  moindre  doute 
à  cet  égard;  car  «  la  vraie  nature  des  influences  extérieures  se  juge  bien 
mieux  par  les  maladies  qu'elles  causent  à  l'homme  que  par  la  santé  dont 
elles  le  favorisent.  » 

«  Dire  d'ailleurs  que  l'habitant  des  altitudes  est  habitué  aux  atmosphères 
raréfiées  qu'il  respire,  c'est  énoncer  une  vérité  qui,  à  certains  égards,  nie 
paraît  incontestable.  L'homme  s'habitue,  en  effet,  et  s'harmonise  naturelle- 
ment aux  grandes  hauteurs.  Mais — qu'on  me  permette  de  le  dire  — jamais 
on  n'a  compris  à  quelles  conditions  et  par  quels  sacrifices  de  vitalité  il  y 
peut  parvenir.  On  a  pensé,  on  a  écrit  qu'en  respirant  une  atmosphère  moins 
dense,  le  montagnard  remplace  la  richesse  absente  par  une  inspiration  d'air 
plus  considérable  :  il  respire  plus  vite  et  plus  amplement,  d'où  il  résulte 
que  son  acclimatement  consisterait  à  produire,  par  cette  manœuvre  exagérée, 
une  vitalité  absolument  identique  à  celle  qu'on  observe  au  niveau  de  la  mur. 


PRÉFACE  DU  TRADUCTEUR.  XXI 

Nul  doute  que  cette  croyance  ne  soit  erronée.  J'ai  démontré  ailleurs  que 
l'homme  des  hauteurs  tropicales,  au  delà  de  deux  mille  mètres,  respire 
moins  que  l'habitant  des  niveaux  inférieurs,  et  je  m'exprime  ainsi,  en  don- 
nant à  la  respiration  son  sens  le  plus  étendu.  L'acclimatation  alors  consiste 
dans  ce  fait  absolument  véridique  que  le  montagnard  des  hautes  stations 
s'habitue  à  sa  manière  d'être  et  reste  satisfait  de  cette  pénurie  d'oxygène 
qui  lui  est  imposée  par  les  conditions  extérieures.  Mais,  quoi  que  l'on  puisse 
dire,  avec  justice,  des  aptitudes  individuelles,  chaque  tempérament  est 
obligé  de  calculer  sa  puissance  sur  ces  ressources  affaiblies.  Quel  qu'il  soit, 
il  brûle  moins  de  carbone;  il  produit  moins  d'urée;  il  s'échauffe  et  s'use, 
par  conséquent,  dans  des  proportions  amoindries.  Tel  est  le  sort  de  l'habi- 
tant des  grandes  altitudes;  telle  est  la  mesure  originale  de  sa  vitalité.  Ce 
n'est  plus  là,  assurément,  l'homme  du  niveau  des  mers;  mais  c'est  bien, 
comme  on  l'a  dit  justement,  un  homme  acclimaté,  en  ce  sens  qu'il  ne 
succombe  point  aux  influences  qui  l'entourent  et  qu'il  réussit  à  donner  une 
somme  d'existence  dont  les  superficielles  apparences  n'excitent  aucune  sur- 
prise. » 

11  n'est  pas  douteux,  néanmoins,  qu'il  n'y  ait  sur  les  hauteurs  tropicales 
de  l'Amérique  des  conditions  d'existence  auxquelles  les  races  européennes 
pures  ne  s'habitueront  jamais.  Les  différences  de  température,  à  l'air  libre, 
entre  les  ombres  de  la  nuit  et  le  rayonnement  solaire  du  milieu  du  jour, 
sont  habituellement  excessives  au  delà  de  deux  mille  mètres.  Le  thermo- 
mètre n'est  généralement  pas  loin  de  zéro,  aux  approches  de  l'aurore  et  du 
soleil  levant,  tandis  que  les  rayons  solaires  directs  de  midi  lui  font  dépas- 
ser 45  et  même  50  degrés  centigrades.  L'abri  du  domicile  fait  aisément 
ignorer  ces  écarts  en  donnant  des  ombres  délicieuses  qui  oscillent  de  15  à 
23  degrés.  Le  citadin  que  la  pratique  des  affaires  retient  dans  ces  dernières 
conditions  comprendrait  difficilement  qu'on  ne  puisse  point  s'y  acclimater; 
mais  celui  qui  aurait  quitté  l'Europe  pour  demander  ses  progrès  futurs  à 
des  établissements  agricoles  pour  lesquels  il  compterait  sur  l'intervention 
personnelle  de  son  travail,  celui-là  arriverait  nécessairement  à  des  mé- 
comptes; car  l'Européen,  très-apte  à  braver  les  changements  excessifs  de 
température  qui  établissent  graduellement  les  saisons  annuelles,  résiste 
rarement  aux  changements  brusques  et  réguliers  qui  portent  sur  la  succes- 
sion constante  du  jour  et  de  la  nuit.  Il  s'y  affaiblit  outre  mesure,  y  devient 
dyspeptique  et  y  périt  souvent  par  le  typhus  ou  par  les  abcès  du  foie.  On 
fera  difficilement  des  populations  robustes  d'Européens  dans  des  conditions 
pareilles.  Leur  établissement  ne  serait  pas  précisément  impossible,  dans 
les  régions  tropicales,  avec  le  travail  agricole  personnel,  entre  quinze 
cents  et  deux  mille  mètres;  mais  si  l'on  réfléchit  à  la  facilité  avec  laquelle 
sévit  l'impaludisme  aussitôt  que  les  effets  de  l'altitude  disparaissent,  on 
est  forcé  de  reconnaître  qu'on  trouvera  difficilement  sous  les  tropiques  des 
conditions  favorables  à  la  conservation  des  hommes  d'Europe  adonnés  aux 
travaux  des  champs. 

11  n'est  pas  difficile  de  démontrer  au  surplus  que  le  degré  de  propaga- 
tion des  Européens  de  toutes  conditions  dans  les  pays  hispano-américains 
ne  prouve  nullement  qu'ils  y  aient  trouvé  des  conditions  bien  favorables  à 
leurs  progrès;  car  les  races  pures  ont  une  tendance  manifeste  à  s'y  étein- 
dre, au  bénéfice  d'une  grande  majorité  créée  sur  le  pays  même  par  le  mé- 
tissage. 

Voici  en  effet  ce  que  la  statistique  nous  enseigne  : 


XXII  PRÉFACE  DU  TRADUCTEUR. 

Toute  l'Amérique  du  Sud,  en  y  ajoutant  le  Mexique,  comprend  kO  785  000 
habitants  répartis  comme  il  suit  : 

Superficie 
en  kilomètres     Population, 
carrés. 

Guatemala 105.612  1 .200.000 

San  Salvador 18  997  600. C00 

Honduras  150.633  400.000 

Nicaragua 121.964  400.000 

Costarica ••    •  45.669  150.000 

Républiques  argentines 1.406.000  1.850.000 

Territoires  y  annexés  :  firan  Chaco.  Patagonie  et  Pampas. .  3.460.000  900.000 

Pérou                         1.321.000  2.500.000 

Bolivie                  1.388.000  2.000.000 

Brésil          8.368.000  11.800.000 

Chili              353.500  2.000.000 

Nouvelle-Grenade 1.331.300  2.800.000 

Equateur 555.000  1.300.000 

Mexique    2.000.000  8.200.000 

Paraguay 330.000  1 .800.000 

Surinam  et  îles  voisines 155.000  90.000 

Guvane  française 91.000  25.000 

Guyane  et  Honduras  anglais 330.000  1,130.000 

Uruguay 175.000  40.000 

Venezuela 983.000  1,600.000 

Total 40,785,000 

Si  nous  extrayons  de  cette  énumération  les  pays  les  plus  essentiellement 
montagneux,  nous  formerons  la  liste  suivante  : 

Mexique 8 .  567 .000 

Amérique  centrale 2.750.000 

Nouvelle-Grenade 2.800.000 

Venezuela 1.600.000 

Equateur 1 .  300 .000 

Pérou ' 2.500.000 

Bolivie. 2 .000  .  000 

Chili, 2.000.000 

Partie  montueuse  des  provinces  Argentines  (environ) 600.000 

Total 24,117,000 

Il  ne  serait  pas  facile  de  dire  exactement,  sans  en  faire  l'objet  d'une 
étude  bien  approfondie,  le  nombre  d'habitants  qui  correspond,  dans  cette 
statistique,  à  tel  ou  tel  degré  de  hauteur;  mais  par  un  examen  déjà  assez 
satisfaisant,  on  arrive  à  la  conviction  que  plus  des  deux  tiers  du  total  sont 
soustraits  par  l'élévation  du  sol  aux  influences  naturelles  de  la  latitude. 
Cela  veut  dire  que  16  millions  d'hommes  environ  vivent  sous  des  conditions 
de  pression  atmosphérique  susceptibles  d'agir  sur  leur  santé.  Je  ne  dirai 
pas  que  cela  ait  lieu  d'une  manière  essentiellement  nuisible  à  tous  les  de- 
grés de  hauteur,  mais  il  ressort  de  ces  conditions  atmosphériques  origi- 
nales, des  manières  d'être  originales  aussi,  qui  obligent  à  des  soins  excep- 
tionnels et  peuvent  devenir  la  source  de  souffrances,  inattendues  partout 
ailleurs. 

Si  nous  voulons,  pour  nous  en  convaincre,  porter  l'attention  sur  la  somme 
d'attraits  que,  depuis  plus  de  trois  siècles,  les  émigrants  ont  trouvée  dans 
les  causes  qui  les  entraînaient  de  préférence  vers  les  lieux  élevés  de  l'Amé- 
rique; si  nous  considérons  en  outre  que  les  Espagnols  trouvèrent  quelques- 
unes  de  ces  contrées  occupées  par  une  fourmilière  d'habitants,  n'aurons- 
nous   pas   le  droit   d'être   surpris   que  350   ans  se  soient  écoulés  depuis 


PRÉFACE   DU  TRADUCTEUR.  XXlll 

l'occupation  de  ces  pays  réellement  enchanteurs  et  qu'on  n'y  compte 
aujourd'hui  que  2k  millions  d'habitants?  Cet  examen  arrive  à  constater  un 
résultat  plus  décevant  encore,  si  l'on  y  cherche  le  chiffre  qui  représente  la 
race  européenne  pure;  car,  dans  un  travail1  auquel  je  renvoie  le  lecteur, 
j'ai  dit  les  raisons  qui  portent  à  croire  que  les  24  millions  d'âmes  qui 
peuplent  les  pays  montagneux  hispano-américains  renferment  : 

De  16    à  18  millions  de  métis. 

De    .">    à    6  millions  d'Indiens 

De     1  i  à    2  millions  de  blancs  sans  aucun  mélange. 


L'habitude  qu'on  a  prise  de  supposer  et  de  dire  que  les  races  latines 
peuplent  actuellement  les  contrées  hispano-américaines  de  la  même  manière 
que  la  race  anglo-saxonne  peuple  le  nord  du  même  continent,  renferme  donc 
une  erreur  flagrante  qu'il  importe  de  ne  pas  laisser  subsister  plus  long- 
temps. S'il  est  vrai  que  le  sang  européen  s'est  implanté  aux  Etats-Unis  et 
y  a  persisté  dans  sa  pureté  native,  à  l'exclusion  à  peu  près  absolue  de 
tout  mélange,  il  n'en  a  pas  été  de  même  dans  les  pays  découverts  et 
conquis  par  les  Espagnols.  Les  détails  de  Bernai  Diaz  révéleront  au  lecteur 
le  goût  avec  lequel  les  conquistadores  couraient  à  toutes  sortes  d'unions 
avec  les  femmes  indigènes,  et  ce  que  l'on  peut  voir,  après  plus  de  trois 
siècles,  dans  les  traits  de  leurs  successeurs  prouve  bien  clairement  que  ce 
goût  leur  avait  survécu.  Je  ne  veux  pas  dire  que  tous  les  visages  vous  pré- 
sentent, dans  ces  intéressants  pays,  le  type  bien  caractérisé  de  l'indigénat 
ancien  de  ces  parties  de  l'Amérique.  L'on  sait,  au  contraire,  et  je  sais  mieux 
que  tout  le  monde,  que  la  race  qui  y  domine  aujourd'hui  se  présente  à 
l'observateur  avec  les  franches  allures  de  ce  qu'il  y  a  de  plus  sympathique 
dans  les  traits  européens  les  mieux  caractérisés.  Mais,  veuillez  ne  pas  céder 
à  une  illusion.  L'éducation,  les  mœurs,  les  habitudes,  les  manières  d'être 
européennes  ont  passé  les  mers  et  se  sont  implantées  là  comme  chez  nous- 
mêmes.  Cela  trompe  l'œil  aisément  et  il  faudrait  se  livrer  à  un  examen  scru- 
tateur qui  répugne  pour  distinguer  des  nuances  physiques  éloignées  à  tra- 
vers les  qualités  européennes  de  tout  ordre  qui  conspirent  pour  vous  en 
distraire.  Si,  au  lieu  de  vous  fier  à  vous-même  pour  cette  étude,  vous  en 
appelez  à  l'art  du  photographe,  cette  invention  brutale,  mettant  de  côté  les 
finesses  de  l'expression,  manquera  rarement  d'évoquer  sur  les  visages  cer- 
tains traits  qui  proclament  une  parenté  américaine,  quelque  éloignée  qu'elle 
puisse  être.  Le  type  qui  en  résulte  n'est  encore  que  bien  vaguement  arrêté, 
je  le  sais;  il  tend  à  se  rapprocher  chaque  jour  davantage  de  la  meilleure 
part  de  sa  double  ou  triple  origine;  «  mais,  quelles  que  doivent  être  un  jour 
les  formes  extérieures,  les  forces  physiques  et  les  aspirations  morales  des 
peuples  hispano-américains  des  régions  montagneuses,  j'ai  cru  qu'il  y  avait 
un  grand  intérêt  à  faire  remarquer  les  modifications  qu'ils  ont  subies  et 
celles  qu'ils  éprouvent  de  notre  temps.  Au  milieu  du  mouvement  qui  s'opère 
dans  les  esprits  vers  le  passé,  peut-être  trop  poétisé,  des  peuples  qui  se  sont 
éteints  dans  ces  pays,  il  n'est  pas  sans  intérêt  d'éclairer  le  présent  de  toutes 
les    lumières  dont    il  est  susceptible.  Parmi   les  choses  actuelles  dignes 

1.  Influence  de  la  pression  de  Vair  sur  la  vie  de  l'homme.  T  édition.  Taris. 
G.  Masson;  1876. 


XXIV  PRÉFACE  DU  TRADUCTEUR. 

d'attention,  on  ne  saurait  négliger  de  faire  remarquer  avant  tout  que  l'élé- 
ment dominant  de  la  population,  l'élément  qui  sera  bientôt  l'Amérique 
espagnole  tout  entière,  c'est  le  métis.  C'est  lui  qui  se  révèle  par  des  aspi- 
rations inattendues;  c'est  lui  évidemment  qui  forme  la  partie  remuante  de 
ces  nationalités  diverses,  comme  c'est  à  lui  qu'est  réservé  l'avenir  de  ces 
intéressants  pays.  L'originalité  nationale  est  là  tout  entière.  Vous  la  cher- 
cheriez vainement  dans  les  souvenirs  d'une  époque  lointaine  de  nature  amé- 
ricaine; vous  ne  la  trouveriez  pas  davantage  dans  l'incarnation  absolue  des 
caractères  européens.  Ce  sont  bien  des  peuples  neufs,  procédant  de  deux 
types  principaux,  s'acheminant  à  l'homogénéité  par  le  temps  et  les  influences 
climatériques.  Dans  cet  état  original,  cette  création  nouvelle  s'élève  à  plus 
de  16  millions  d'habitants1.  On  a  donc  tort  aujourd'hui  de  parler  de  race 
latine  à  propos  de  pays  américains  ;  c'est  race  américo-latine  qu'il  faut  dire 
et  c'est  elle  qui  doit  attirer  vers  ces  régions  l'attention  et  les  sympathies  de 
l'Europe.  » 


Jusqu'aux  premières  années  de  ce  siècle,  ces  nuances  variées  vivaient 
unies,  sans  initiative  personnelle  apparente,  sous  la  tutelle  ou  le  joug  du 
Conseil  des  Indes  siégeant  en  Espagne.  Si  les  aspirations  étaient  en  réalité 
diverses,  elles  baissaient  la  tête,  uniformément  contenues,  et  l'on  a  pu  croire 
pendant  trois  siècles  à  l'unité  de  leurs  goûts  et  de  leurs  caractères.  Mais  il 
me  semble  que  depuis  les  guerres  qui  se  sont  terminées  par  l'indépendance 
du  continent  tout  entier,  il  n'est  plus  possible  de  constater  cette  harmonie 
dans  les  pensées,  dans  les  inspirations  morales  et  dans  la  recherche  des 
biens  matériels  ou  sociaux.  On  dirait  au  contraire  qu'un  malaise  inconscient, 
provenant  d'un  manque  d'équilibre,  agite  les  âmes  et  les  pousse  vers  des 
destinées  auxquelles  on  aspire,  à  travers  des  désordres  qui  proviennent  eux- 
mêmes  en  grande  partie  de  l'ignorance  où  l'on  est  des  causes  réelles  d'une 
situation  plus  exceptionnelle  qu'on  ne  pense.  Bientôt  le  plus  grand  malheur 
de  cet  état  de  choses  sera  que  les  désordres  sociaux  auxquels  on  s'habitue 
puiseront  leur  principale  source  dans  l'éducation;  car  on  sera  révolution- 
naire ou  remuant  par  héritage.  Déjà  même  on  peut  constater  le  résultat  fu- 
neste de  ce  speclacle,  dont  les  scènes  se  perpétuent  en  habituant  les  habi- 
tants de  ces  régions  à  y  trouver  leur  passe-temps,  par  la  discussion  spécu- 
lative et  par  le  jeu  des  convoitises  personnelles,  au  détriment  des  intérêts 
de  la  patrie. 

Il  serait  temps  de  faire  un  retour  sur  les  origines  et  sur  les  causes  réelles 
de  ce  défaut  d'entente,  afin  de  réfléchir  aux  moyens  d'en  conjurer  la  durée 
et  les  graves  conséquences.  Ainsi  que  je  viens  de  l'insinuer,  la  diversité  de 
nuances  dans  la  race  peut  avoir  contribué  à  compliquer  les  aspirations  au 
point  de  nuire  à  l'ensemble  en  en  troublant  l'harmonie.  Mais  ce  qui,  dans 
les  pays  montagneux,  conspire  sans  nul  doute  contre  l'unité  tranquille  des 
esprits,  c'est  la>  multiplicité  des  niveaux  entraîoant  des  conditions  diverses 
de  température.  Ce  ne  peut  être  en  effet  par  amour  platonique  pour  les 
distinctions  arbitraires  que  les  habitants  des  régions  montueuses  des  pays 
tropicaux  ont  pris  l'habitude  de  distinguer  les  contrées  dont  ils  sont  ori- 
ginaires au  moyen  de  désignations  prenant  leur  point  de  départ  dans  les 
divers  degrés  d'altitude.  Au   Mexique,  les   trois  dénominations  de  Terres- 

1.  Pour  les  récrions  montagneuses  seulement. 


PRÉFACE  DU  TRADUCTEUR.  XXV 

Chaudes,  Terres-Tempérées  et  Terres-Froides  s'appliquent  à  trois  régions  : 
basse,  moyenne  et  élevée,  dont  les  hauteurs  différentes  ont  pour  effet  de 
mettre  les  produits  du  sol  en  harmonie  avec  des  températures  qui  rappel- 
lent les  climats  équatoriaux,  froids  et  tempérés. 

Les  Péruviens,  avec  des  mots  différents,  ont  constaté  des  situations  ana- 
logues, et  si,  revenant  à  l'ancien  monde,  nous  portons  les  yeux  sur  la  vieille 
Ethiopie,  nous  y  trouvons  l'usage  de  trois  mots  :  Kuella,  Dega  et  Waina- 
Dega,  pour  désigner  :  1°  les  régions  au-dessous  de  2  000  ;  2°  les  pays  au- 
dessus  de  2  400;  3°  les  contrées  intermédiaires  entre  1  900  et  2  500  mètres. 
Or,  douze  années  de  séjour  dans  ce  pays  africain  ont  permis  à  M.  Arnauld 
d'Abbadie  de  constater  la  diversité  d'influences  de  ces  différents  degrés  d'al- 
titude sur  les  caractères  physiques  et  moraux  des  habitants,  et  il  en  a  résumé 
les  résultats  dans  une  rédaction  claire  et  fort  élégante  dont  les  conclusions 
se  terminent  par  l'aveu  qu'on  va  lire  : 

«A  ces  traits  distinctifs  des  populations  des  contrées  deugas,  waïna- 
deugas  et  kouallas,  on  pourrait  en  ajouter  bien  d'autres,  tant  le  moindre 
changement  dans  les  conditions  de  son  existence  peut  modifier  l'être  humain, 
variant  à  l'infini  et  échappant  d'autant  plus  à  la  définition  et  au  classement, 
que  tout  jugement  est  conjectural  ou  porte  sur  des  formes  changeantes 
comme  l'onde  qui  s'entr'ouvre  et  se  referme  de  mille  façons  diverses  sous  la 
quille  des  vaisseaux  qui  la  sillonnent.  Aussi  ne  me  serais-je  peut-être  pas 
hasardé,  d'après  mes  seules  observations,  à  diviser  une  population  entière 
en  trois  classes  basées  non-seulement  sur  les  différences  sensibles  aux 
yeux,  mais  encore  sur  les  nuances  morales,  si  je  n'avais  eu  pour  me  guider 
l'expérience  d'indigènes  réputés  sages  et  habiles  dans  les  choses  de  leur 
pays.  C'est  donc  surtout  d'après  leurs  jugements  que  j'ai  tracé  les  portraits 
typiques  autour  desquels  gravitent  les  ressemblances  individuelles.  Du  reste, 
ces  populations  s'harmonisent  merveilleusement  avec  les  contrastes  qu'offre 
la  nature  physique  du  pays,  et,  s'il  est  vrai  que  l'uniformité  ne  retient  que 
faiblement  les  affections,  qu'il  leur  faille  des  inégalités,  des  aspérités  même 
où  se  prendre,  on  pourrait  attribuer,  en  partie  du  moins,  à  tous  ces  con- 
trastes dans  les  hommes  et  dans  les  choses,  l'ardent  amour  de  l'Ethiopien 
pour  sa  patrie1.  » 

Ramenant  maintenant  nos  pensées  au  Nouveau  Monde,  nous  y  trouvons 
un  observateur  distingué,  M.  Samper,  qui  dans  un  livre  intéressant  sur  la 
Nouvelle-Grenade,  décrit  les  caractères  distinctifs  des  hommes  qui  habitent 
divers  degrés  de  hauteur  de  cette  importante  république.  Ses  conclusions 
sont  les  suivantes  : 

«  1°  Sur  les  hauts  plateaux,  dans  la  région  froide, — pays  de  \a.chicha,  du 
blé  et  des  papas,  —  douceur  dans  l'impassibilité,  force  d'inertie,  isolement 
frisant  l'égoïsme,  méfiance,  esprit  absolu  de  conservation,  immobilité 
morale,  vie  sédentaire,  caractères  passifs,  superstition  religieuse  poussée 
parfois  jusqu'au  fanatisme,  peu  d'intelligence,  force  physique  propre  à 
supporter  de  grands  poids,  mais  pas  d'élan,  pas  de  passion,  pas  de  rapidité. 

«  2°  Sur  les  versants  occidentaux  de  la  Cordillère,  dans  la  région  tem- 
pérée, pays  du  guarapo,  de  l'arracacha  et  de  la  canne  à  sucre,  caractères 
candides  et  bons,  aptitudes  industrielles,  un  certain  goût  pour  la  loco- 
motion, mœurs  paisibles,  sans  esprit  de  servitude,  un  type  et  une  façon  de 
vivre  qui  tiennent  un  peu  de  la  manière  d'être  des  habitants  du  haut  plateau 

1.  Arnauld  d'Abhadio.  Douze  ans  <l<ms  lu.  Haute-Ethiopie,  p.  106. 


XXVI  PRÉFACE  DU  TRADUCTEUR. 

et  de  la  vallée,  sans  caractère  bien  tranché  et  sans  aucun  mélange  de  sang 
africain. 

«  3°  Au  fond  des  prairies  et  des  forêts  de  la  vallée,  —  le  pays  brûlant  de 
l'eau-de-vie,  de  la  banane  et  du  maïs,  du  cacao  et  du  tabac,  où  coulent  de 
nombreux  cours  d'eau  très-poissonneux,  —  un  croisement  de  races  beau- 
coup plus  intense  que  dans  les  deux  autres  zones,  organisations  ardentes, 
amour  du  plaisir  et  du  bien-être,  enthousiasme,  hardiesse,  sentiment  de  la 
personnalité,  habitudes  hospitalières,  franchise,  fortes  passions;  en  un  mot, 
une  population  tout  à  fait  différente  de  celle  qui  occupe  les  plateaux 
des  Andes.  » 

Dès  1861,  dans  un  premier  écrit  à  ce  sujet  *,  j'avais  porté  l'attention  sur 
les  traits  distinctifs  des  hommes  qui  ont  peuplé  les  différents  niveaux  du 
Mexique.  Je  terminais  par  cette  conclusion  la  peinture  que  je  venais  de 
faire  des  caractères  des  habitants  par  rapport  aux  niveaux  du  sol  :  «  Le 
souvenir  de  ce  que  j'ai  connu  parmi  les  habitants  de  ce  pays  m'a  fait  entre- 
voir un  heureux  assemblage  de  qualités  diverses  capables  d'engendrer  les 
progrès  d'un  grand  peuple.  Ces  progrès  existeront  un  jour,  n'en  doutons 
pas-,  mais  nous  ne  saurions  nous  aveugler  sur  les  difficultés  qui  s'opposent 
à  la  réalisation  de  ces  justes  espérances.  Former  un  tout  compacte  avec 
des  éléments  divers  qui  deviennent  solidaires  dans  l'accomplissement  d'as- 
pirations communes,  c'est  chose  non-seulement  possible,  mais  facile  dans 
les  pays  où  les  intérêts  et  les  instincts  n'ont  dé  différence  que  dans  les 
nuances,  ou  ne  diffèrent  essentiellement  qu'à  de  grandes  distances  géogra- 
phiques. Les  divisions  administratives  peuvent  alors  concilier,  jusqu'à  un 
certain  point,  des  aspirations  souvent  opposées;  mais,  au  Mexique,  chaque 
Etat  est  une  réunion  de  températures,  de  hauteurs,  de  productions  et  de 
races  qui  créent  des  passions,  des  caractères,  des  intérêts  tout  à  fait  diffé- 
rents. Cène  sont  pas  les  latitudes,  mais  les  niveaux  qui  forment  cet  ensem- 
ble, dangereux  pour  une  administration,  quoique  éminemment  fécond  par 
sa  variété  même...  » 

Voilà  donc  dans  toutes  ces  régions  montagneuses  d'Amériqne  et  pour 
chaque  pays  en  particulier  un  assemblage  d'hommes  pour  ainsi  dire  en  con- 
tact, avec  des  aspirations,  des  intérêts  et  des  activités  très-variés.  Une  seule 
constitution  les  unit  à  un  centre  discutable  et  différemment  toléré.  Ce  que 
l'un  désire  platoniquement,  l'autre  le  déteste  et  est  toujours  prêt  à  courir 
aux  armes  pour  s'en  débarrasser.  Les  capitales,  placées  généralement  sur 
les  plateaux,  ont  pris  l'habitude  de  s'y  complaire,  et,  lorsque  les  circons- 
tances l'exigent,  elles  ne  se  décident  que  tardivement,  presque  toujours 
avec  apathie,  à  faire  campagne  vers  les  points  éloignés,  à  des  niveaux  infé- 
rieurs, où  la  santé  des  habitants  des  hauts  plateaux  s'altère  et  aboutit  par- 
fois à  une  mort  prompte.  Je  ne  dis  pas  qu'il  en  soit  toujours  ainsi,  mais 
c'est  la  règle.  Les  expéditions  heureuses  en  ce  genre,  au  point  de  vue  de 
l'hygiène  et  de  l'absence  des  maladies,  passent  assez  pour  exception  dans 
le  pays  même  pour  qu'on  n'y  compte  jamais  d'une  manière  absolue. 

Nul  doute  que  toutes  ces  considérations  ne  contribuent  à  expliquer  les 
difficultés  d'organisation  sociale  des  pays  montagneux  de  l'Amérique  dans 
les  temps  modernes.  Mais,  si  nous  les  ramenons  de  nouveau  à  leurs  rap- 
ports avec  l'expédition  que  nous  allons  voir  aboutir  à  la  conquête  de  la  Nou- 
velle-Espagne, sous  le  commandement  de  Fernand  Cortès,  nous  sentirons 

1.  Le  Mexique  et  V Amérique  tropicale.  Paris,  J.-B.  Baillière  et  iils. 


PRÉFACE  DU  TRADUCTEUR.  xxvil 

redoubler  notre  admiration  pour  l'intrépidité,  la  ténacité  de  caractère  et  la 
force  physique  de  cette  poignée  d'hommes  qui  bravent  tous  les  climats  et 
exécutent  les  marches  les  plus  fatigantes,  passant  des  nuits  sans  abri,  dans 
des  contrées  où  le  refroidissement  nocturne  est  funeste,  et  dans  d'autres 
aussi  où  les  émanations  paludéennes  sont  mortelles  quand  le  soleil  n'est 
plus  sur  l'horizon  :  spectacle  assurément  curieux  à  tous  égards,  mais  qui 
acquiert  pour  nous  un  intérêt  exceptionnel  si  nous  mettons  en  regard  de 
cette  vigueur  incomparable  des  représentants  primitifs  de  la  race  conqué- 
rante les  déceptions  qui  ont  accompagné  les  progrès  de  leurs  successeurs 
dans  le  Nouveau  Monde! 


Paris,  juillet  18" 


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AVERTISSEMENT   AU    LECTEUR 


En  faisant  une  première  édition  du  livre  traduit  de  Bernai  Diaz,  j'étais  à  la  fois 
dominé  par  la  conviction  que  c'était  une  œuvre  difficile,  et  pénétré  du  désir  de  livrer 
ce  travail  au  public  après  y  avoir  mis  tous  les  soins  dont  je  puis  être  capable.  Je  ne 
crus  donc  pas  qu'il  suffirait,  pour  arriver  à  une  édition  définitive,  de  m'arrêtcr  aux 
résultats  d'un  premier  essai,  et  c'est  ce  qui  motiva  ma  résolution  de  ne  produire 
d'abord  qu'un  très-petit  nombre  d'exemplaires,  que  je  considérais  comme  devant 
être  la  base  de  mes  propres  réflexions  ultérieures  et  des  conseils  d'autrui.  Après 
avoir  rempli  cette  formalité  d'un  premier  travail,  plein  de  respect  à  la  fois  pour 
l'auteur  que  je  traduis  et  pour  le  lecteur  auquel  je  destine  mon  œuvre,  je  livre  au 
public  cette  seconde  édition,  qui  serait  en  réalité  irréprochable  si  elle  avait  tous  les 
mérites  que  je  me  suis  efforcé  d'y  réunir.  Je  n'hésite  pas  à  dire,  du  moins,  qu'elle  aura 
celui  de  la  fidélité. 

Quant  aux  accessoires,  j'ai  cru  devoir  faire  précéder  cette  traduction  de  la  préface 
qu'on  vient  de  lire.  L'étude  à  laquelle  je  m'y  suis  livré  embrasse  des  questions  rela- 
tives à  l'Amérique  entière,  qui  m'ont  paru  demander  le  secours  de  quelques  caries 
géographiques.  Il  m'était  d'autant  plus  facile  de  donner  cette  addition  utile  à  mon 
livre  actuel,  que  je  possédais  déjà  les  planches  des  cartes  qui  m'ont  servi  pour  mon 
ouvrage  antérieur:  Influence  de  la  pression  de  l'air  sur  la  vie  de  Vhomme.  Quel- 
ques modifications  de  peu  d'importance  les  ont  rendues  applicables  à  mon  travail 
nouveau. 

La  première  de  ces  cartes  indique,  d'après  Ilumboldt,  les  divisions  et  les  nœuds  de 
la  Cordillère  des  Andes  méridionales,  avec  des  coupes  verticales  qui  donneront  à 
mes  lecteurs  une  idée  très-exacte  des  altitudes  foulées  par  les  hommes  dans  celte 
partie  du  monde,  qui  intéresse  le  sujet  dont  nous  nous  occupons. 

La  seconde  carte  donne  la  République  mexicaine  avec  ses  divisions  modernes  et  ses 
niveaux  signalés  à  l'œil  par  des  couleurs  dont  l'explication  se  trouve  dans  la  légende 
qui  accompagne  la  carte.  On  ne  verra  pas,  sans  doute,  dans  ce  travail  graphique  la 
reproduction  de  tous  les  noms  qui  se  trouvent  dans  l'itinéraire  de  la  campagne  de 
Cortès;  mais  les  principales  dénominations  actuelles  rappellent  assez  les  anciennes 
pour  que  cette  carte  ne  soit  pas  sans  utilité.  Elle  aura  du  moins  le  mérite  de  faire 
comprendre  au  lecteur  l'hypsométric  exacte  du  pays. 

La  troisième  carte  et  la  quatrième  sont  d'un  intérêt  plus  grand  pour  les  lecteurs  de 
Bernai  Diaz.  Elles  représentent  comparativement  l'étendue  des  lagunes  de  la  vallée  île 
Mexico  au  temps  de  Cortès  et  de  nos  jours.  Celle  qui  figure  cette  situation  à  [époque 
de  la  conquête  est  copiée  exactement  sur  le  livre  de  Clavijero.  Je  ne  lui  connais  pas 
d'autre  mérite  que  de  donner  approximativement  l'étendue  des  terrains  envahis  par 


XXX  AVERTISSEMENT  AU  LECTEUR 

les  eaux,  la  disposition  certaine  des  chaussées  par  lesquelles  on  arrivait  à  la  capitale, 
ce  qui  permet  de  comprendre  aisément  les  opérations  du  siège  par  Gortès.  L'autre 
carte,  absolument  moderne,  est  la  reproduction  exacte  et  irréprochable  du  travail  le 
plus  estimable  qui  ait  été  fait  à  Mexico  sur  ce  sujet.  Je  crois  devoir  la  présenter  aux 
lecteurs  comme  très-digne  de  leur  attention. 

Le  cinquième  travail  graphique  a  pour  but  de  donner  à  ceux  qui  me  lisent  une  re- 
présentation figurée  des  hauteurs  habitées  en  Amérique,  et  des  niveaux  propres  à 
certaines  végétations  nécessaires  ou  utiles  à  l'homme.  La  légende  qui  accompagne  ce 
plan  insiste  surtout  sur  les  appellations  de  lieux  propres  au  Pérou,  parce  que  ce  tra- 
vail est  inspiré  par  le  traité  de  géographie  de  Paz  Soldan. 

Comme  il  aurait  été  difficile  de  représenter  par  leurs  équivalents  en  français  cer- 
tains mots  espagnols  qui  désignent  des  dignités  ou  des  charges  publiques,  j'ai  pris  la 
résolution  de  les  conserver,  dans  mon  texte,  tels  qu'ils  sont  dans  B.  Diaz.  C'est  pour 
cette  raison  que  le  mot  alcalde,  qui  aurait  pu  se  traduire  en  français  par  «  alcade  », 
figurera  dans  ma  traduction  avec  son  orthographe  espagnole,  comme  les  mots  regi- 
dor,  adelantado,  factor1  veedor,  etc.,  qui  désignent  des  emplois  royaux  souvent 
mentionnés  dans  le  livre  de  B.  Diaz. 


PREFACE    DE    L'AUTEUR 


Moi,  Bernai  Diaz  del  Castillo,  Regidor  de  cette  ville  de  San- 
tiago de  Guatemala,  auteur  de  cette  véridique  et  claire  Histoire, 
j'ai  achevé  de  la  mettre  à  jour,  en  commençant  par  la  décou- 
verte et  parcourant  toutes  les  conquêtes  de  la  Nouvelle-Espa- 
gne :  comment  on  prit  la  grande  capitale  de  Mexico  et  comment 
on  pacifia  beaucoup  d'autres  villes;  comme  quoi,  après  avoir 
peuplé  d'Espagnols  plusieurs  villes  et  villages,  nous  les  fîmes 
livrer  à  notre  Seigneur  et  Roi,  ainsi  que  c'était  notre  devoir. 
On  y  verra  de  très-remarquables  choses,  bien  dignes  d'être  ap- 
prises. J'y  signale  aussi  les  erreurs  et  fautes  écrites  en  un  livre 
de  Francisco  de  Gomara,  qui  non-seulement  se  trompe  en  ce 
qu'il  dit  de  la  Nouvelle-Espagne,  mais  encore  a  induit  en  er- 
reur deux  fameux  historiens  ses  imitateurs  :  le  docteur  Illescas 
et  l'évêque  Pablo  Jovio.  Et,  à  ce  propos,  je  dis  et  j'affirme  que 
ce  qui  est  contenu  dans  ce  livre  est  très-véridique  et  que,  comme 
témoin  oculaire,  j'assistai  à  toutes  les  batailles  et  rencontres. 
Ce  ne  sont  pas  là  de  vieux  contes  et  des  histoires  de  Romains 
de  plus  de  sept  cents  ans  de  date;  c'est  hier,  peut-on  dire,  que 


XXXII  PRÉFACE  DE  L'AUTEUR. 

se  passèrent  les  événements  qu'on  lira  dans  cette  Histoire,  avec 
le  comme  et  le  quand  et  la  véritable  manière.  On  a  de  bons  té- 
moignages dans  le  très-vaillant  et  très-valeureux  capitaine  don 
Hernando  Cortès,  marquis  del  Yalle,  qui  en  lit  le  rapport  en 
une  lettre  qu'il  écrivit  du  Mexique  au  Sérônissime  Empereur 
Charles-Quint,  de  glorieuse  mémoire;  non  moins  que  dans  une 
lettre  du  Vice-Roi  don  Antonio  de  Mendoza,  ainsi  que  dans  d'au- 
tres preuves  dûment  justifiées.  Au  surplus,  il  suffira  de  lire  mon 
Histoire  pour  avoir  le  témoignage  et  l'éclaircissement  de  toutes 
ces  choses.  J'ai  achevé  de  la  mettre  au  net,  d'après  mes  notes  et 
mes  brouillons,  dans  cette  ville  loyale  de  Guatemala,  où  réside 
le  Tribunal  suprême,  le  26  du  mois  de  février  de  l'an  1568.  Je 
dois  mettre  la  dernière  main  à  certains  événements  qui  ne  sont 
pas  encore  terminés.  Je  signale  en  plusieurs  endroits  ce  qui  ne 
doit  pas  se  lire.  Je  prie  en  grâce  messieurs  les  imprimeurs  de  ne 
rien  supprimer,  de  ne  pas  mettre  plus  de  lettres  qu'il  n'y  en  a 
dans  mon  manuscrit,  de  ne  pas  ajouter  des  suppléments,  etc. 


CONQUÊTE 


DE    LA 


NOUVELLE-ESPAGNE 


HISTOIRE  VÉRIDIQUE  DES   ÉVÉNEMENTS 


CHAPITRE  I 

A  quelle  époque  je  partis  de  Castille  et  ce  qui  m'advint. 

En  l'an  quinze  cent  quatorze,  je  partis  de  Castille  en  compagnie 
du  gouverneur  Pedro  Arias  de  Avila,  à  qui  l'on  venait  de  confier 
l'administration  de  la  Terre-Ferme.  Après  avoir  navigué  tantôt  avec 
beau  temps,  tantôt  par  des  vents  contraires,  nous  abordâmes  à 
Nombre  de  Dïos1.  Nous  y  fûmes  accueillis  par  une  épidémie  qui 
nous  tua  beaucoup  de  nos  hommes  d'armes.  La  plupart  d'entre  nous 
tombèrent  malades,  et  nous  eûmes  à  souffrir  d'une  sorte  de  mauvaises 
plaies  qui  envahissaient  nos  jambes.  Sur  ces  entrefaites  aussi,  le 
gouverneur  lui-même  eut  des  désaccords  avec  un  hidalgo  qui  com- 
mandait les  troupes  et  qui  avait  fait  la  conquête  de  cette  province. 
C'était  Vasco  Nunez  de  Balboa,  homme  riche,  à  qui  Arias  de  Avila 
venait  de  donner  une  de  ses  filles  en  mariage.  Or,  lorsque  déjà  cette 
alliance  était  contractée,  il  eut  le  soupçon  que  son  gendre  voulait  se 
soulever  et  s'enfuir  par  mer,  vers  le  sud,  avec  une  troupe  d'hommes 
armés.  Sur  ces  indices,  il  le  fit  juger  et  ordonna  qu'on  l'égorgeât  en 
exécution  de  la  sentence. 

Ayant  vu  ce  que  je  viens  de  dire  et  bien  d'autres  querelles  entre 
soldats  et  capitaines,  sachant  d'ailleurs  qu'on  venait  de  conquérir  l'île 
de  Cuba  et  qu'un  hidalgo,  natif  de  Cuellar,  nommé  Diego  Velasquez, 

1.  Situé  sur  la  côte  orientale  de  l'isthme  de  Panama,  dans  les  environs  du  lieu 
occupé  aujourd'hui  par  Aspinwal,  point  de  départ  du  chemin  de  fer  interocéanique. 

1 


2  CONQUÊTE 

en  était  le  gouverneur,  nous  nous  concertâmes  ensemble,  plusieurs 
hidalgos  et  militaires,  tous  gens  de  qualité  qui  étions  venus  avec  Pe- 
dro Arias  de  Avila,  et  nous  résolûmes  de  lui  demander  l'autorisation 
de  partir  pour  cette  île.  Il  nous  la  donna  très-volontiers,  parce  qu'il 
n'avait  pas  besoin  de  tous  les  soldats  dont  il  s'était  renforcé  en  sor- 
tant de  Gastille  dans  le  but  de  guerroyer.  Il  n'avait  plus  à  combattre, 
en  effet;  tout  était  pacifié  autour  de  lui;  car  Vasco  Nunez  de  Balboa, 
son  gendre,  avait  soumis  le  pays  qui  est  petit  et  peu  peuplé. 

Munis  de  notre  congé,  nous  nous  embarquâmes  sur  un  bon  navire. 
Grâce  au  beau  temps,  nous  arrivâmes  à  l'île  de  Cuba  et  nous  nous 
empressâmes  d'aller  baiser  les  mains  au  gouverneur,  qui  nous  fit  un 
accueil  très-affectueux,  nous  promettant  qu'il  nous  donnerait  des 
premiers  Indiens  dont  on  lui  annoncerait  la  vacance. 

En  ajoutant  aux  journées  que  nous  passâmes  en  Terre-Ferme  le 
temps  que  nous  perdîmes  à  attendre  vainement  les  Indiens  qu'on 
nous  avait  promis,  trois  ans  s'écoulèrent  sans  que  nous  fissions  abso- 
lument rien  qui  mérite  d'être  conté.  Nous  nous  réunîmes  alors  cent 
dix  camarades,  recrutés  entre  les  hommes  qui  étaient  venus  avec 
nous  de  Terre-Ferme,  et  parmi  les  habitants  de  l'île  qui  n'avaient 
pas  d'Indiens.  Nous  tombâmes  d'accord  pour  donner  le  commande- 
ment à  un  hidalgo  nommé  Francisco  Hernandez  de  Cordova,  homme 
riche  qui  possédait  des  villages  d'Indiens,  et  nous  résolûmes  d'aller, 
à  nos  risques  et  périls,  découvrir  des  terres  nouvelles  où  nous  pus- 
sions trouver  l'occasion  d'employer  nos  personnes.  Nous  achetâmes 
trois  navires.  Deux  étaient  d'un  bon  tonnage.  Le  troisième  nous  fut 
offert  à  crédit  par  le  gouverneur  lui-même,  à  la  condition  que  nous 
tous  prendrions  l'engagement  d'aborder  avec  ces  trois  navires  aux 
îles  actuellement  appelées  G-uanajes,  qui  se  trouvent  entre  Cuba  et 
Honduras.  Nous  devions  les  traiter  en  gens  de  guerre  et  y  charger 
d'Indiens  nos  trois  bâtiments,  afin  de  les  livrer  à  Velasquez  comme 
esclaves  en  payement  de  son  navire.  Il  nous  sembla  que  ce  que  le 
gouverneur  exigeait  de  nous  n'était  pas  chose  juste.  Nous  lui  répon- 
dîmes donc  que  ni  Dieu  ni  le  Roi  n'avait  commandé  que  nous  fis- 
sions des  esclaves  avec  des  hommes  libres.  Se  pénétrant  mieux  alors 
de  nos  intentions,  il  nous  dit  que  notre  projet  d'aller  à  la  découverte 
de  terres  nouvelles  lui  paraissait  meilleur  que  le  sien,  et  il  vint  à 
notre  secours  en  nous  fournissant  des  provisions  pour  le  voyage. 

Nous  voyant  alors  à  la  tête  de  trois  navires,  pourvus  de  pain  de 
cassave  que  l'on  fait  avec  des  racines  appelées  yucas,  nous  achetâmes 
des  porcs,  au  prix  de  trois  piastres;  car  il  n'y  avait  alors  dans  l'île 
ni  vaches  ni  moutons.  Nous  nous  procurâmes  quelques  vivres  pau- 
vrement classés;  nous  acquîmes  des  verroteries  pour  faire  des 
échanges,  et  nous  nous  assurâmes  trois  pilotes.  Le  principal,  celui 
qui  devait  gouverner  notre  flottille,  s'appelait  Anton  de  Alaminos, 


DE  LA  NOUVELLE-ESPAGNE.  3 

originaire  de  Palos.  Un  autre  portait  le  nom  de  Camacho,  de  Triana; 
le  troisième  était  Juan  Alvarez,  le  Manchot,  de  Huelva.  Nous  réu- 
nîmes aussi  tous  les  matelots  qui  nous  étaient  nécessaires;  nous  nous 
procurâmes,  à  nos  frais,  les  meilleurs  agrès  que  nous  pûmes  trou- 
ver :  cordages,  haubans,  ancres,  barriques  d'eau  et  tout  ce  qui  pou- 
vait convenir  à  notre  voyage.  Nous  étant  réunis,  au  nombre  de  cent 
dix  soldats,  nous  nous  rendîmes  à  un  port  qu'on  appelle  Ajaruco  en 
langue  de  Cuba.  Il  est  situé  au  nord,  à  huit  lieues  d'un  bourg  alors 
peuplé  sous  le  nom  de  San  Gristobal  et  que  l'on  a  transporté  au  point 
où  se  trouve  actuellement  la  ville  de  la  Havane.  Et  pour  que  notre 
flottille  naviguât  sur  un  solide  appui,  nous  dûmes  nous  adjoindre 
un  aumônier,  Alonzo  Gonzalez,  qui  se  trouvait  à  San  Gristobal  et  que 
nos  bonnes  raisons,  aussi  bien  que  nos  promesses,  décidèrent  à  partir 
avec  nous.  Nous  élûmes,  en  outre,  pour  commissaire,  au  nom  de 
Sa  Majesté,  un  soldat  nommé  Bcrnardino  Iniguez,  natif  de  Santo- 
Domingo  de  la  Galzada,  afin  que  si,  par  la  grâce  de  Dieu,  nous  abor- 
dions des  pays  riches  en  or,  en  perles  ou  en  argent,  il  y  eût  une 
personne  légalement  qualifiée  pour  recevoir  le  quint l  du  Roi.  Tout 
étant  organisé  de  la  sorte,  nous  entendîmes  la  messe  et,  après  nous 
être  recommandés  à  Dieu  Notre  Seigneur  et  à  la  Vierge  Marie,  sa 
Mère  et  Notre  Dame,  nous  entreprîmes  notre  voyage  de  la  façon  que 
je  vais  dire. 

CHAPITRE  II 

De  la  découverte  de  Yucatan  et  d'une  rencontre  que  nous  eûmes  avec  les  naturels. 

Nous  abandonnâmes  la  Havane  le  huitième  jour  du  mois  de  février 
de  l'an  quinze  cent  dix-sept,  et  nous  fîmes  voile  en  partant  du  port 
de  Jaruco,  ainsi  nommé  par  les  naturels  de  l'île.  Il  est  situé  vers  le 
nord.  Nous  longeâmes  la  côte  de  San  Antonio  que  les  Cubains  ap- 
pellent la  contrée  des  Guanatavis,  Indiens  qu'on  peut  dire  sauvages. 
Après  en  avoir  doublé  la  pointe,  nous  trouvant  en  pleine  mer,  nous 
naviguâmes  au  hasard  vers  le  couchant,  sans  avoir  aucune  idée  des 
bancs,  des  courants,  des  vents  qui  régnent  dans  ces  parages,  expo- 


1.  Quinto  real.  Cette  expression  correspond  à  la  somme  d'objets  ou  de  numéraire 
qui  était  prélevée  sur  le  butin  en  faveur  de  la  couronne.  C'était,  d*habitude.  le  cin- 
quième du  total  et  c'est  pour  cela  que  j'avais  cru  d'abord  devoir  traduire  par  les  mots 
«  cinquième  royal  ».  Je  me  reproebe  aujourd'bui  d'avoir  employé  cette  expression, 
exacte  sans  doute,  mais  d'un  sens  trop  précis  au  point  de  vue  mathématique.  Ce  cin- 
quième royal  n'était  pas  toujours,  eu  effet,  un  cinquième  réel.  S'il  en  lui  ainsi  de 
prime  abord,  les  babitudes  de  prélèvement  fiscal  le  tirent  souvent  varier  dans  la 
somme  représentée,  de  manière  à  enlever  au  mot  toute  valeur  absolue. 


4  CONQUÊTE 

sant  nos  personnes  aux  risques  les  plus  sérieux.  Il  nous  survint  en 
effet,  au  premier  moment,  une  tourmente  qui  dura  deux  jours  et 
deux  nuits  avec  une  telle  violence,  que  nous  fûmes  sur  le  point  d'y 
périr.  Le  beau  temps  étant  revenu,  nous  naviguâmes  dans  une  autre 
direction  et,  vingt  et  un  jours  après  notre  départ  de  Cuba,  nous 
aperçûmes  la  terre,  à  notre  grande  joie,  et  nous  rendîmes  grâces  à 
Dieu  pour  cet  événement.  Or,  ce  pays  n'avait  pas  encore  été  décou- 
vert et  l'on  n'en  avait  eu  jusqu'alors  aucune  connaissance.  Nous  voyions, 
du  pont  de  nos  navires,  un  grand  village  qui  paraissait  situé  à  deux 
lieues  de  la  côte.  Jugeant  à  la  vue  que  c'était  un  centre  considérable 
de  population,  supérieur  à  tout  ce  que  nous  avions  pu  voir  à  Cuba, 
nous  lui  donnâmes  le  nom  de  Grand-Caire.  Nous  convînmes  que  celui 
de  nos  navires  qui  calait  le  moins  d'eau  s'approcherait  le  plus  pos- 
sible de  la  côte,  pour  mieux  juger  le  pays  et  voir  si  le  fond  nous 
permettrait  de  mouiller  près  de  terre.  Or,  un  matin,  c'était  le  4  mars, 
nous  vîmes  venir  cinq  grands  canots  remplis  de  naturels  de  ce  vil- 
lage; ils  ramaient  et  s'aidaient  de  la  voile.  Leurs  embarcations  sont 
comme  une  sorte  de  pétrin,  grandes  et  faites  de  gros  troncs  d'arbres 
creusés  en  dedans,  formant  un  vide  dans  du  bois  massif.  Plusieurs 
d'entre  elles  peuvent  contenir  quarante  et  cinquante  Indiens  se  tenant 
debout. 

Revenons  à  mon  récit. 

Les  Indiens  s'approchèrent  de  nos  navires  avec  leurs  cinq  embar- 
cations. Ils  s'y  résolurent  sur  l'invitation  pacifique  que  nous  leur  en 
fîmes  avec  nos  mains  et  par  des  signaux  à  l'aide  de  nos  manteaux, 
les  engageant  ainsi  à  nous  parler,  car  nous  n'avions  point  encore 
d'interprètes  qui  comprissent  les  langues  yucatèque  et  mexicaine. 
Ils  nous  abordèrent  sans  nulle  crainte  et  une  trentaine  d'entre  eux 
montèrent  sur  le  navire  du  commandant.  Nous  leur  offrîmes  à  man- 
ger du  pain  de  cassave  et  du  porc.  Nous  donnâmes  à  chacun  d'eux 
quelques  verroteries  de  couleur  verte  enfilées  en  colliers.  Après  qu'ils 
eurent  considéré  le  bâtiment  quelques  instants,  le  plus  autorisé  du 
groupe,  qui  était  cacique,  nous  fit  entendre  par  signes  qu'il  voulait 
se  rembarquer  dans  ses  canots  et  retourner  à  son  village,  ajoutant 
qu'un  autre  jour  ils  viendraient  avec  un  plus  grand  nombre  d'embar- 
cations et  nous  inviteraient  à  descendre  à  terre.  Ces  Indiens  étaient 
vêtus  de  jaquettes  en  coton.  Ils  couvraient  leurs  nudités  à  l'aide  de 
bandes  étroites  qu'ils  appellent  rnaltates,  ce  qui  nous  les  fit  réputer 
pour  gens  plus  civilisés  que  ceux  de  Cuba  qui  montraient  tout  à  dé- 
couvert, excepté  les  femmes  dont  l'habitude  était  de  porter  un  vête- 
ment de  coton  descendant  jusqu'aux  cuisses,  connu  parmi  eux  sous 
le  nom  de  naguas.  Reprenons  le  fil  de  notre  histoire,  pour  dire  que 
le  lendemain  matin  le  même  cacique  revint  sur  douze  embarcations 
plus  grandes,  avec  plusieurs  Indiens  rameurs.  Il  se  livrait  à  des  dé- 


DE  LA  NOUVELLE-ESPAGNE.  5 

monstrations  pacifiques  et  priait  notre  commandant  de  nous  con- 
duire au  village,  assurant  qu'on  nous  y  donnerait  à  manger  et  tout  le 
nécessaire,  ajoutant  encore  que  ses  douze  canots  suffiraient  à  nous  des- 
cendre tous  à  ferre.  Et  comme  il  faisait  cette  invitation  en  sa  langue, 
je  me  rappelle  qu'il  disait  :  Con  escotoch,  con  escotoch,  ce  qui  signi- 
fie :  «  Allons  chez  nous.  »  C'est  pour  cela  qu'en  ce  moment  même 
nous  appelâmes  ce  point  de  la  côte  :  pointe  de  Cotochey  et  c'est  ainsi 
qu'il  figure  dans  les  cartes  marines. 

Voyant  les  agaceries  obséquieuses  du  cacique  pour  nous  résoudre 
à  le  suivre  au  village,  notre  commandant  demanda  notre  avis.  Il  fut 
convenu  que  nous  mettrions  nos  canots  à  la  mer  et  que  nous  nous 
rendrions  à  terre  tous  ensemble  sur  les  douze  embarcations  et  sur 
notre  plus  petit  navire.  Gomme  d'ailleurs  nous  voyions  la  côte  se 
remplir  d'habitants  venus  du  village,  nous  nous  embarquâmes  tous 
en  un  seul  convoi.  Nous  voyant  débarqués  et  remarquant  que  nous 
ne  prenions  pas  la  direction  des  habitations,  le  cacique  pria  de  nou- 
veau notre  capitaine,  au  moyen  de  signes,  de  visiter  avec  lui  leurs 
demeures,  et  il  se  livrait  à  tant  de  démonstrations  pacifiques  que  le 
commandant  nous  demanda  conseil  pour  résoudre  si,  oui  ou  non, 
nous  devions  le  suivre.  Nous  fûmes  presque  tous  d'avis  que,  nous 
armant  le  mieux  possible  et  marchant  en  bon  ordre,  nous  irions  au 
village. 

Nous  emportâmes  quinze  arbalètes  et  dix  espingoles  (c'était  bien 
ainsi  qu'on  les  nommait  en  ce  temps-là:  espingoles  ou  escopettes), 
et  nous  nous  mîmes  en  marche  par  un  chemin  où  nous  avions  pour 
guide  le  cacique  accompagné  d'un  grand  nombre  d'Indiens.  Nous 
avancions  dans  le  Kon  ordre  dont  j'ai  parlé,  en  longeant  une  forêt  à 
sol  raboteux,  lorsque  le  cacique  commença  à  appeler  et  à  crier,  afin 
que  tombassent  sur  nous  des  bataillons  d'hommes  de  guerre  apostés 
là  en  embuscade  pour  nous  détruire.  Entendant  cet  appel,  les  batail- 
lons s'élancèrent  avec  une  grande  impétuosité  et  ils  commencèrent  à 
nous  cribler  de  flèches  avec  beaucoup  d'adresse,  de  telle  sorte  que 
du  premier  jet  ils  nous  blessèrent  quinze  soldats.  Ils  avaient  des  dé- 
fenses de  coton,  des  lances,  des  boucliers,  des  arcs,  des  flèches,  des 
frondes  avec  grande  provision  de  pierres,  et  sur  leurs  têtes  des  pa- 
naches. Après  nous  avoir  lancé  leurs  traits,  ils  coururent  à  la  mêlée 
et,  tenant  leurs  lances  à  deux  mains,  ils  nous  firent  beaucoup  de  mal. 
Mais  bientôt  nous  les  mîmes  en  fuite  en  leur  faisant  sentir  le  fil  de 
nos  épées;  nos  arbalètes,  non  moins  que  nos  espingoles,  leur  firent 
tant  de  dommage  que  quinze  d'entre  eux  restèrent  morts  sur  le  car- 
reau. 

A  peu  de  distance  du  lieu  du  combat,  nous  trouvâmes  une  petite 
place  avec  trois  maisons  bâties  à  chaux  et  à  sable.  C'étaient  des  ora- 
toires où  l'on  avait  dressé  plusieurs  idoles  en  terre  cuite.  Les  unes 


6  CONQUETE 

avaient  des  figures  diaboliques;  d'autres  présentaient  des  formes  fémi- 
nines, avec  des  tailles  élevées;  il  y  en  avait  d'un  fort  mauvais  aspect 
et  se  groupant  de  façon  qu'on  aurait  pu  dire  que  les  personnages  se 
livraient  à  des  exercices  réprouvés  par  la  morale1.  Dans  leurs  mai- 
sons les  habitants  avaient  des  cassettes  en  bois  contenant  d'autres 
idoles  qui  faisaient  des  grimaces  diaboliques,  avec  des  médaillons 
de  mauvais  or,  des  pendeloques,  trois  diadèmes  et  d'autres  menues 
pièces  figurant  des  poissons  ou  des  canards  en  or  mélangé.  Et  ce 
voyant,  l'or  et  les  maisons  bâties  à  chaux  et  à  sable,  nous  nous  ré- 
jouissions d'avoir  découvert  un  semblable  pays;  car  on  n'avait  pas 
encore  eu  connaissance  du  Pérou  en  ce  temps-là,  et  on  ne  le  découvrit 
même  que  seize  ans  plus  tard. 

Pendant  que  nous  nous  battions  avec  les  Indiens  comme  j'ai  dit,  le 
prêtre  Gonzalez,  qui  venait  avec  nous,  aidé  par  deux  naturels  de  Cuba, 
fit  main  basse  sur  les  cassettes,  l'or  et  les  idoles,  et  les  porta  sur  les 
navires.  Dans  cette  escarmouche,  nous  prîmes  deux  Indiens  qui,  plus 
tard,  furent  baptisés  en  devenant  chrétiens.  Ils  s'appelèrent  l'un  Mel- 
chior  et  l'autre  Julien;  les  deux  avaient  les  yeux  bridés.  L'attaque 
ayant  du  reste  pris  fin,  nous  résolûmes  de  nous  rembarquer  et  de 
continuer  nos  découvertes  en  suivant  la  côte  dans  la  direction  du  cou- 
chant. Après  avoir  pansé  nos  blessures,  nous  commençâmes  à  dé- 
ployer les  voiles. 

CHAPITRE  III 

De  la  découverte  de  Campêche. 

Gomme  nous  étions  convenus  de  suivre  la  côte  vers  le  couchant, 
découvrant  les  caps,  les  bancs,  les  ports,  les  récifs,  dans  la  croyance 
que  nous  longions  une  île,  ainsi  que  l'affirmait  le  pilote  Anton  de 
Alaminos,  nous  avancions  avec  grande  précaution,  naviguant  le  jour 
et  mouillant  pendant  la  nuit.  Après  avoir  marché  quinze  jours  de  la 
sorte,  des  ponts  de  nos  navires  nous  aperçûmes  une  ville 2  qui  parais- 

1.  Sicuti  sodomiler  peccaverint,  dit  le  texte. 

2.  Pueblo,  villa,  ciudad.  J'ai  été  fort  embarrassé  pour  employer  d'une  manière 
exacte  les  termes  correspondant  en  français  à  ces  trois  dénominations,  qui  signifient 
littéralement  village,  bourg  et  ville.  Dans  le  début  de  son  récit  et  jusqu'à  coque  la 
conquête  est  à  peu  près  définitive,  Bernai  Diaz  emploie  presque  toujours  le  mot 
pueblo  qui  paraît  alors  désigner  sous  sa  plume,  d'une  manière  générale,  un  centre 
de  population.  11  est  très-difficile  de  distinguer,  en  traduisant,  ce  qu'il  serait  conve- 
nable de  mettre  en  français.  Je  me  décidai  tout  d'abord  à  employer  le  mot  «village»; 
plus  tard  je  devins  hésitant  et  le  lecteur  verra  peut-être  dans  mon  texte  les  deux 
expressions  de  «  ville  »  et  de  «  village  »  paraître  successivement  désigner  une  même 
localité.  Je  le  préviens  ici  que  mon  hésitai  ion  vient  de  ce  que  mon  auteur  n'est  pas 
lui-même  très-précis  dans  les  distinctions  à  faire  en  ce  genre.  Plus  tard,  lorsque  la 


DE  LA  NOUVELLE-ESPAGNE.  7 

sait  importante,  et  près  d'elle  on  voyait  une  grande  anse  et  une  baie. 
Nous  crûmes  qu'il  y  aurait  une  rivière  où   nous  pourrions  faire  de 
l'eau,  car  notre  provision  nous  manquait  sérieusement.  Elle  s'achevait 
dans  les  barriques  et  dans  tous  nos  fûts  qui  étaient  en  mauvais  état  ; 
car  notre  flottille  se  ressentait  de  la  pauvreté  de  ses  maîtres;  nous 
n'avions  pas  été   assez   riches  pour  nous  pourvoir  de  bonnes  pipes. 
L'eau  s'épuisa.  Il  fallut  loucher  terre  près  de  la  ville;  c'était  un  di- 
manche, jour  de  saint  Lazare,  et  c'est  pour  cela  que  nous  donnâmes 
ce  nom  à  la  localité,  quoiqu'il  vînt  à  notre  connaissance  que  les  In- 
diens l'appelaient  Gampêchc.  Afin  d'aller  tous  en  un  seul  convoi,  nous 
résolûmes  de  monter  notre  plus  petit  navire  et  les  trois  canots,  bien 
sur  nos  gardes,  de  peur  qu'il   ne  nous  arrivât  comme  à  la  pointe  de 
Cotochc.  Mais,   dans   les   ports  et  baies  de  ce  pays  la  mer  baissant 
considérablement,  nous  laissâmes  nos  navires  mouillés  à  plus  d'une 
lieue  de  distance  de  la  terre  et  nous  fûmes  débarquer  près  de  la  ville, 
au  passage  d'une  eau  potable  dont  les  naturels  faisaient  usage  pour 
leur  consommation.  Dans  cette  contrée,  d'après  ce  que  nous   avons 
vu,  il  n'y  a  pas  de  rivières1.   Nous  portâmes  nos  barriques  à  terre 
pour  les  remplir  d'eau  et  revenir  à  bord  de  nos  navires.  Notre  provi- 
sion était  déjà  faite  et  nous  allions  partir,  lorsque  nous  vîmes  venir 
vers  nous ,   avec   des   démonstrations   pacifiques ,  une  cinquantaine 
d'Indiens,  bien  vêtus  de  bonnes  étoffes  de  coton.  Ils  paraissaient  être 
des  caciques  et  leurs  signes  semblaient  nous  demander  ce  que  nous 
cherchions.  Nous  leur  fîmes  comprendre  que  nous  étions  venus  faire 
provision  d'eau  et  que  nous  allions  retourner  à  nos  bâtiments.  Leurs 
mains  nous  demandaient  si  nous  venions  d'où  le  soleil  se  lève,  et  ils 
disaient  :  «  Castila,  Gastila,  »  sans  réussir  à  attirer  notre  attention 
sur  cette  parole.  Après  cette  introduction,  ils  nous  firent  des  gestes 
d'invitation  pour  aller  à  leur  ville.  Ayant  délibéré  à  ce  sujet,  nous 
convînmes  que  nous  irions  en  bon  ordre  et  en  nous  tenant  bien  sur 
nos  gardes.  Ils  nous  conduisirent  à  de  très-vastes  constructions  qui 
renfermaient  les  oratoires  de  leurs  idoles.  Elles  étaient  parfaitement 
travaillées  à  chaux  et  à  sable.  Sur  les  murs  se  voyaient  des  dessins 
figurant  des  serpents,  à  côté  de  peintures  représentant  des  idoles, 

conquête  achevée  multiplia  le  nombre  des  centres  habités  fondés  par  les  Espagnols, 
Bernai  Diaz  appelle  villas  les  fondations  nouvelles.  Quelques-unes  d'entre  elles  ac- 
quirent bien  vite  des  dimensions  qui  ne  permettaient  guère  de  les  qualifier  de  sim- 
ples bourgs,  d'autant  que  cela  formait  des  chefs-lieux  importants.  Je  deviens  alors 
hésitant  dans  ma  traduction  et  j'appelle  successivement  «  ville  »  et  «  bourg  »  ce  que 
B.  Diaz  désigne  par  le  mot  de  villa,  quoique  je  n'ignore  nullement  que  ces  qualifica- 
tions n'étaient  pas  arbitraires,  au  temps  dont  il  s'agit,  mais  bien  le  résultat  d'une 
décision  administrative. 

].  Ce  que  dit  là  Bernai  Diaz  est  très-exact.  Pourquoi  donc  tous  les  atlas  de  géogra- 
phie dessinent-ils  les  sinuosités  d'un  fleuve  de  San  Francisco  venant  déboucher  à 
Cam  pêche? 


8  CONQUÊTE 

tout  autour  d'une  sorte  d'autel  taché  de  gouttelettes  de  sang  encore 
frais.  Des  groupes  d'Indiens  peints  de  l'autre  côté  des  idoles  se  mas- 
saient comme  en  forme  de  croix. 

Nous  restâmes  stupéfaits  d'étonnement  en  présence  de  ces  choses 
que  jamais  on  n'avait  vues,  ni  jamais  entendues  jusqu'alors.  Il 
est  certain  qu'ils  venaient  de  sacrifier  des  victimes  humaines  à  leurs 
idoles  afin  d'en  obtenir  la  victoire  contre  nos  armes.  On  voyait  arriver 
un  grand  nombre  d'Indiens  et  d'Indiennes,  le  rire  aux  lèvres  et  de 
l'air  le  plus  pacifique,  paraissant  poussés  par  le  désir  de  nous  voir. 
Mais  comme  ils  se  réunissaient  en  grand  nombre,  il  nous  vint  la 
crainte  que  ce  pourrait  être  quelque  piège  semblable  à  l'événement 
du  cap  Cotoche. 

Nous  en  étions  là,  lorsque  vinrent  beaucoup  d'autres  Indiens,  mal 
vêtus,  chargés  de  roseaux  desséchés,  qu'ils  placèrent  sur  une  étendue 
plate  de  terrain.  Après  eux,  s'avancèrent  deux  bataillons  d'arbalé- 
triers, portant  des  lances,  des  boucliers,  des  frondes,  des  pierres,  et 
protégés  par  leurs  défenses  de  coton.  lis  se  mirent  en  bon  ordre, 
ayant  un  capitaine  par  bataillon,  et  ils  s'éloignèrent  un  peu  de  nous. 
Aussitôt  nous  vîmes  sortir  d'un  autre  édifice,  qui  était  leur  oratoire, 
dix  Indiens  revêtus  de  longues  tuniques  blanches  en  coton.  Ils  avaient 
de  grandes  chevelures,  pleines  de  sang  et  enchevêtrées  de  telle  sorte 
qu'on  ne  les  pouvait  ni  démêler,  ni  peigner  autrement  qu'en  les  cou- 
pant. C'étaient  les  ministres  des  idoles.  On  les  nomme  ordinairement 
papes,  dans  la  Nouvelle-Espagne.  Je  dis  pour  la  seconde  fois  que 
c'est  ainsi  qu'on  les  appelle,  et  je  les  désignerai  de  la  sorte  dans  la 
suite  de  ce  récit.  Ils  apportèrent  des  parfums  semblables  à  de  la 
résine,  connus  parmi  eux  sous  le  nom  de  copal,  et,  au  moyen  de  cas- 
solettes pleines  de  braise,  ils  commencèrent  à  nous  encenser,  nous 
faisant,  au  surplus,  comprendre,  par  des  signes,  que  nous  eussions 
à  quitter  le  pays  avant  que  ce  bûcher  qu'ils  avaient  préparé  fût  en 
feu  et  finît  de  se  consumer;  faute  de  quoi,  ils  nous  combattraient  et 
nous  donneraient  la  mort.  Sur-le-champ,  ils  firent  allumer  les 
roseaux;  le  feu  prit,  et  les  papes  silencieux  s'en  furent  sans  proférer 
une  parole.  Ceux  qui  en  avaient  mission  dans  les  bataillons  commen- 
cèrent aussitôt  à  souffler  dans  leurs  trompettes  et  à  battre  sur  leurs 
atabales.  Les  voyant  ainsi  pleins  d'ardeur,  tandis  que  nous  n'étions 
point  encore  guéris  des  blessures  de  Cotoche,  et  qu'il  nous  avait 
fallu  jeter  à  la  mer  deux  soldats  qui  avaient  succombé;  apercevant, 
en  outre,  de  gros  bataillons  d'Indiens  prêts  à  fondre  sur  nous,  nous 
devînmes  inquiets,  et  tombâmes  d'accord  qu'il  fallait  revenir  à  la  côte 
en  bon  ordre.  Nous  commençâmes  à  marcher  en  remontant  la  plage, 
jusqu'à  ce  que  nous  arrivâmes  en  face  d'un  rocher  placé  dans  la  mer. 
Les  bateaux  et  le  petit  navire  portant  nos  barils  pleins  s'avançaient 
aussi  en  voguant  près  de  terre;  car  nous  n'osâmes  nous  embarquer, 


DE  LA  NOUVELLE-ESPAGNE.  9 

devant  la  ville,  au  point  où  nous  étions  descendus,  à  cause  du  grand 
nombre  d'Indiens  qui  s'étaient  déjà  réunis,  tenant  pour  certain  qu'ils 
nous  eussent  attaqués  au  moment  de  l'embarquement.  Ayant  mis 
notre  eau  à  bord  de  nos  navires,  nous  nous  embarquâmes  nous- 
mêmes  dans  une  baie  qui  formait,  en  ce  lieu,  comme  un  petit  port, 
et  nous  naviguâmes,  pendant  six  jours  et  six  nuits,  avec  beau  temps. 
Mais  le  vent  du  nord,  qui  prend  cette  côte  par  le  travers,  se  mit 
ensuite  à  souffler  en  si  forte  tempête,  pendant  quatre  jours  et  quatre 
nuits,  que  nous  fûmes  sur  le  point  d'échouer.  Il  fallut  jeter  l'ancre 
pour  éviter  ce  malheur.  Deux  câbles  se  rompirent,  et  le  navire  chas- 
sait vers  la  terre.  Oh!  dans  quel  péril  nous  nous  vîmes!  Si  notre 
dernière  amarre  s'était  rompue,  nous  nous  serions  brisés  sur  la  côte. 
Mais,  grâce  à  Dieu,  on  réussit  à  la  consolider  avec  de  vieux  cordages 
et  des  guinderesses. 

Le  temps  se  calma,  et  nous  recommençâmes  à  suivre  la  côte,  nous 
approchant  de  terre  le  plus  possible  pour  tâcher  de  faire  de  l'eau  ; 
car,  ainsi  que  je  l'ai  dit,  les  barriques  que  nous  avions  étaient  bien 
mal  jointes,  et  d'ailleurs  on  y  buvait  sans  mesure.  Gomme  nous 
côtoyions  le  rivage,  il  nous  semblait  qu'en  descendant  à  terre,  n'im- 
porte en  quel  endroit,  nous  trouverions  de  l'eau  dans  quelque  étang 
ou  dans  des  puits  que  nous  creuserions  nous-mêmes.  En  faisant  route, 
nous  aperçûmes  un  village,  et,  environ  une  lieue  avant  d'y  arriver, 
on  voyait  une  sorte  d'anse,  où  semblait  déboucher  une  rivière  ou  un 
petit  courant  d'eau.  Nous  fûmes  d'avis  de  mouiller  près  de  là.  Gomme 
d'ailleurs,  sur  cette  côte,  la  mer  baisse  beaucoup  et  laisse  les  navires 
à  sec,  la  crainte  de  cet  accident  nous  fit  ancrer  notre  petit  navire  à 
plus  d'une  lieue  de  terre,  et  il  fut  convenu  que  nous  débarquerions 
dans  cette  anse  au  moyen  de  tous  nos  canots,  portant  nos  fûts,  en 
bon  ordre,  bien  armés  de  nos  arbalètes  et  de  nos  escopettes.  Nous 
prîmes  terre,  un  peu  après  midi,  sur  un  point  distant  du  village  d'en- 
viron une  lieue.  Il  y  avait  là  des  puits,  des  champs  de  maïs  et  des 
maisons  bâties  à  chaux  et  à  sable.  On  appelle  ce  village  Potonchan1. 
Nous  remplîmes  nos  barriques,  mais  il  nous  fut  impossible  de  les 
emporter  et  de  les  embarquer  dans  nos  canots,  à  cause  de  la  multi- 
tude de  guerriers  qui  tomba  sur  nous.  J'en  resterai  là,  et  je  dirai 
ensuite  les  combats  qu'ils  nous  livrèrent. 

J.  Le  village  moderne  qui  a  remplacé  l'ancien  est  bâti  sur  le  même  emplacement 
et  porte  le  nom  de  Champoton. 


10  CONQUÊTE 


CHAPITRE  IV 

Comme  quoi  nous  débarquâmes  dans  une  baie  entourée  de  plantations  de  mais, 
non  loin  du  port  de  Potonchan.  Combats  qu'on  nous  y  livra. 

Tandis  que  nous  étions  dans  les  établissements  et  dans  les  champs 
de  maïs  dont  j'ai  parlé,  occupés  à  faire  notre  provision  d'eau,  plusieurs 
attroupements  d'Indiens  s'avancèrent  vers  nous  par  la  côte.  Ils 
venaient  de  Potonchan  (c'est  ainsi  qu'on  le  nomme),  avec  leur  défense 
de  coton,  qui  leur  descendait  jusqu'aux  genoux,  et  bien  armés  d'arcs 
et  de  flèches,  de  lances,  de  rondachcs,  de  frondes  garnies  de  pierres, 
et  de  leurs  épées,  qui  étaient  comme  une  sorte  d'espadon  à  deux 
mains.  Ils  portaient  sur  leurs  têtes  les  panaches  dont  ils  ont  l'habi- 
tude ;  leurs  figures  étaient  peintes  de  blanc  et  noir,  et  quelques-unes 
en  ocre  rouge.  S'étant  avancés  en  silence,  ils  nous  abordèrent  fran- 
chement, comme  s'ils  avaient  eu  les  intentions  les  plus  pacifiques.  Ils 
nous  demandèrent  par  signes  si  nous  venions  d'où  le  soleil  se  lève, 
ajoutant  l'expression  Castilan,  que  nous  avions  déjà  entendue  à  Saint- 
Lazare.  Nous  répondîmes,  aussi  par  signes,  que  nous  venions,  en 
effet,  d'où  le  soleil  se  lève.  Et  alors  nous  nous  demandâmes  ce  que 
pouvaient  bien  signifier  ces  paroles,  car  les  habitants  de  Saint-Lazare 
nous  les  avaient  adressées  également;  mais  nous  ne  pûmes  pas  en 
comprendre  le  véritable  sens. 

Cela  se  passait  vers  l'heure  matinale  de  Y  Angélus.  Les  Indiens 
s'étant  réunis  se  réfugièrent  dans  un  groupe  de  maisons.  De  notre 
côté,  nous  plaçâmes  des  sentinelles,  nous  tenant  bien  sur  nos  gardes; 
car  nous  n'augurions  rien  de  bon  de  cet  ensemble  de  manœuvres. 
Or,  tandis  que  nous  faisions  tous  fort  bonne  garde,  nous  entendîmes 
accourir,  du  côté  du  village  et  des  établissements,  grand  nombre 
d'Indiens  armés  en  guerre,  qui  marchaient  en  faisant  grand  fracas 
sur  leur  chemin.  Ce  voyant,  nous  pensâmes  qu'ils  ne  se  groupaient 
pas  ainsi  pour  nous  faire  du  bien,  et  nous  délibérâmes  avec  notre 
capitaine  sur  ce  qu'il  conviendrait  de  faire.  Quelques  soldats  vou- 
laient que  nous  nous  embarquassions  sans  retard;  et,  comme  il 
arrive  d'habitude  en  pareil  cas  que  les  opinions  diffèrent,  d'autres 
prétendirent  que  si  nous  prenions  le  chemin  de  nos  embarcations,  les 
Indiens,  qui  étaient  fort  nombreux,  se  précipiteraient  sur  nous,  au 
grand  péril  de  nos  existences.  Quelques-uns  furent  d'avis  de  tomber 
sur  eux  cette  nuit  même,  comptant  sur  la  justesse  du  proverbe  :  «  Qui 
attaque  remporte  victoire.  »  Mais,  malheureusement,  nous  ne  pou- 
vions nous  empêcher  de  voir  que  chacun  de  nous  aurait  trois  cents 


DE  LA  NOUVELLE-ESPAGNE.  1  1 

Indiens  à  combattre.  Or,  pendant  que  nous  discourions  ainsi,  le  jour 
venait  ;  nous  nous  exhortâmes  les  uns  les  autres  à  avoir  confiance  en 
Dieu,  le  cœur  solide  au  combat;  et  qu'après  nous  être  recommandés  à 
la  Providence,  chacun  fît  son  possible  pour  garder  sa  vie. 

Le  jour  se  leva  tout  à  fait.  Nous  vîmes  alors  venir  par  la  plage 
beaucoup  d'autres  bataillons  de  gens  de  guerre,  avec  leurs  enseignes 
déployées,  leurs  panaches,  leur  tambours,  leurs  lances,  leurs  arcs, 
leurs  flèches  et  leurs  boucliers.  Ils  se  joignirent  à  ceux  qui  étaient 
venus  la  veille;  et  aussitôt,  formant  les  rangs,  ils  nous  entourent  do 
toutes  parts,  et  ils  font  pleuvoir  sur  nous  une  telle  quantité  de  flèches, 
de  pieux  et  de  pierres,  que  quatre-vingts  de  nos  soldats  en  sont 
atteints.  Bientôt  ils  courent  à  la  mêlée;  nos  pieds  se  lient;  les  uns 
nous  attaquent  à  la  lance,  les  autres  nous  lâchent  leurs  traits,  quel- 
ques-uns nous  criblent  de  leurs  sabres  affilés....  et,  certes,  ils  nous 
en  faisaient  voir  de  cruelles  !  Mais,  de  notre  côté,  nous  leur  laissions 
peu  de  repos  avec  nos  estocades,  nos  coups  de  pointe,  nos  escopettes 
et  nos  arbalètes  qui  n'arrêtaient  pas  :  les  unes  partant,  pendant  que 
les  autres  se  chargeaient.  Lorsque  l'ennemi  reculait  un  peu  sous  nos 
coups,  il  n'allait  guère  loin,  et  c'était  le  plus  souvent  pour  mieux 
lancer  ses  flèches  et  se  garder  en  tirant.  Or,  au  plus  fort  de  la 
bataille,  les  Indiens  s'appelaient  et  criaient  dans  leur  langue  :  Al 
calachoni!  al  calachoni!  c'est-à-dire  :  «  Mort  au  capitaine!  »  Ils  le 
blessèrent  en  effet  de  douze  coups  de  flèches  ;  j'en  reçus  trois  pour 
ma  part,  et  l'un  d'eux  bien  dangereux,  au  côté  gauche,  pénétrant 
jusqu'à  la  cavité.  D'autres  de  nos  soldats  furent  atteints  de  grands 
coups  de  lances,  et  deux  furent  pris  vivants.  L'un  s'appelait  Alonso 
Bote,  l'autre  était  un  vieux  Portugais. 

Or,  notre  capitaine  vit  bien  que  notre  bonne  conduite  au  combat 
ne  suffisait  pas  à  sauver  nos  vies  ;  qu'on  nous  entourait  de  plus  en 
plus;  que  de  nouveaux  renforts  venaient  sans  cesse  du  village,  et 
qu'on  leur  apportait  des  vivres  et  des  flèches.  Alors,  nous  tous  bles- 
sés, quelques-uns  traversés  à  la  gorge,  voyant  qu'on  nous  avait  déjà 
tué  plus  de  cinquante  soldats,  et  que  nos  forces  s'épuisaient,  nous 
résolûmes,  en  gens  de  cœur,  de  nous  ouvrir  un  passage  à  travers  les 
bataillons  ennemis,  pour  nous  réfugier  dans  nos  canots  qui  étaient  à 
la  côte.  Certes,  ce  fut  pour  nous  un  heureux  appui!  Nous  nous  grou- 
pâmes tous  en  une  seule  masse,  et  nous  entreprîmes  notre  trouée  à 
travers  nos  adversaires.  Il  fallait  entendre  alors  et  leurs  cris,  et  leurs 
sifflets,  et  leur  clameur!  Avec  quelle  prestesse  ils  nous  lançaient 
leurs  flèches  et  en  venaient  aux  mains  avec  leurs  lances,  nous  frap- 
pant sans  merci  !  Nous  eûmes  un  autre  malheur  :  comme  nous  nous 
précipitâmes  ensemble  et  en  grand  nombre  sur  nos  canots,  ils  cou- 
laient sous  le  poids;  de  sorte  que,  nous  accrochant  le  mieux  possible 
aux  bords  des  bateaux,  nageant  à  moitié  entre  deux  eaux,  nous  uni- 


12  CONQUETE 

vâmes  au  plus  petit  de  nos  navires,  qui  n'était  pas  loin  et  qui  venait 
promptement  à  notre  secours.  Mais  pendant  que  nous  embarquions, 
l'ennemi  blessa  plusieurs  de  nos  soldats,  surtout  parmi  ceux  qui  se 
trouvaient  accrochés  à  l'arrière  des  canots.  Les  Indiens  les  visaient  à 
leur  aise.  Ils  descendirent  d'ailleurs  à  la  mer  avec  leurs  bateaux,  et 
ils  frappaient  à  main  levée  sur  les  nôtres.  Ce  ne  fut  pas  sans  peine 
que,  grâce  à  Dieu,  nous  pûmes  échapper  vivants  au  pouvoir  de  pareils 
hommes. 

Revenus  à  bord  de  nos  navires,  nous  ne  tardâmes  pas  à  constater 
qu'il  nous  manquait  cinquante-sept  de  nos  camarades,  en  comptant 
les  deux  qui  furent  pris  vivants  et  les  cinq  qu'il  nous  fallut  jeter  à  la 
mer,  après  qu'ils  eurent  succombé  à  leurs  blessures  et  à  la  privation 
d'eau. 

Ces  combats  durèrent  un  peu  plus  d'une  demi-heure.  Le  village 
s'appelle  Potonchan.  Dans  les  cartes  marines,  les  pilotes  et  les  mate- 
lots lui  donnèrent  le  nom  de  baie  du  Méchant  Combat.  Nous  voyant 
dégagés  de  cette  rencontre,  nous  adressâmes  à  Dieu  de  grandes 
actions  de  grâce.  Mais  quand  nos  soldats  pansaient  leurs  blessures, 
ils  se  plaignaient  beaucoup  de  la  douleur  qu'ils  en  ressentaient  ;  car, 
le  contact  de  l'eau  salée  les  ayant  refroidies,  elles  étaient  enflées  et 
envenimées;  ce  qui  soulevait  les  malédictions  de  ces  malheureux 
contre  le  pilote  Anton  de  Alaminos,  ses  découvertes,  ses  voyages  et 
son  obstination  à  assurer  que  nous  avions  affaire  à  une  île  et  non  à  la 
terre  ferme. 

Nous  allons  voir  ce  qui  nous  advint  encore. 


CHAPITRE  V 

Comme  quoi  nous  convînmes  de  retourner  à  l'île  de  Cuba.  De  la  soif  et  des  difficultés 
qu'il  nous  fallut  surmonter  jusqu'à  notre  arrivée  au  port  de  la  Havane. 

Lorsque  nous  fûmes  à  bord  de  nos  navires,  ainsi  que  je  l'ai  dit, 
nous  rendîmes  à  Dieu  de  grandes  grâces,  et,  après  avoir  pansé  nos 
blessés  (pas  un  de  nous,  parmi  tous  ceux  qui  étaient  là  présents, 
n'avait  moins  de  deux,  trois  ou  quatre  blessures;  le  capitaine  avait 
reçu  douze  flèches;  un  seul  soldat  était  sans  aucune  atteinte),  nous 
résolûmes  de  retourner  à  l'île  de  Cuba.  Mais  comme  la  plupart  de 
nos  matelots  étaient  également  blessés  —  car  ils  vinrent  à  terre 
et  se  trouvèrent  mêlés  au  combat,  —  nous  n'avions  pas  d'hommes 
pour  manœuvrer  les  voiles.  Nous  tombâmes  d'accord  pour  abandon- 
ner le  plus  petit  de  nos  navires,  en  y  mettant  le  feu,  après  avoir  sauvé 
les  voiles,  les  ancres  et  les  cordages,  dans  le  but  de  répartir  ses  ma- 


DE  LA  NOUVELLE-ESPAGNE.  13 

lelots  non  blessés  entre  les  deux  autres  vaisseaux  d'un  plus  fort  ton- 
nage. Un  autre  malheur  était  à  déplorer,  c'est  le  manque  d'eau;  car 
les  fûts  que  nous  avions  remplis  à  Ghampoton  ne  purent  être  embar- 
qués; ils  restèrent  à  terre,  et  la  provision  fut  abandonnée,  à  cause 
des  combats  qu'on  nous  livra,  et  par  suite  de  l'empressement  avec 
lequel  nous  cherchâmes  un  refuge  sur  nos  canots.  Je  dis  que  nous 
souffrîmes  de  la  soif  à  ce  point,  que  nos  langues  et  nos  bouches  se 
gerçaient  de  sécheresse,  car  nous  n'avions  absolument  rien  pour  nous 
rafraîchir.  Oh!  quelle  pénible  chose  que  d'aller  découvrir  des  terres 
nouvelles,  surtout  avec  notre  manière  d'en  courir  l'aventure!  Ceux-là 
seuls  pourront  s'en  former  une  juste  idée,  qui  ont  enduré,  comme 
nous,  ces  fatigues  extrêmes.  Il  résultait  de  tout  cela  que  nous  navi- 
guions très-près  de  terre,  espérant  arriver  à  l'embouchure  de  quelque 
rivière,  ou  dans  quelque  baie  où  nous  pussions  faire  de  l'eau.  Or, 
au  bout  de  trois  jours,  nous  aperçûmes  une  sorte  de  havre  ou  d'es- 
tuaire, qui  nous  donna  l'espoir  d'avoir  enfin  rencontré  de  l'eau  douce. 
Quinze  matelots  descendirent  à  terre,  et  trois  soldats  des  moins  dange- 
reusement blessés  les  accompagnèrent.  Ils  se  munirent  de  pioches, 
et  prirent  trois  barils  pour  les  remplir.  Mais,  l'estuaire  étant  salé,  ils 
se  mirent  à  creuser  des  puits  sur  la  côte  ;  ils  en  obtinrent  une  eau 
qui  n'était  pas  moins  amère.  Malgré  qu'elle  fût  fort  mauvaise,  ils  en 
remplirent  les  barils  ;  mais  personne  ne  la  put  supporter  à  cause 
de  son  goût  saumâtre.  Deux  soldats  qui  s'obstinèrent  à  la  boire  en 
eurent  le  corps  et  la  bouche  malades.  Or,  dans  cet  endroit,  il  y  avait 
de  fort  grands  et  très-nombreux  caïmans,  ce  qui  nous  le  fit  ap- 
peler, dès  lors,  rio  Lagartos  ;  et  c'est  ainsi  qu'il  est  indiqué  dans 
les  cartes  marines. 

Je  dirai  maintenant  que,  pendant  qu'on  faisait  de  l'eau,  il  se  leva 
un  vent  si  fort  du  nord-est,  que  nos  navires  couraient  à  terre  et 
comme  ce  vent  tombe  par  le  travers  de  cette  côte  où  le  nord  et  le 
nord-est  régnent  toujours,  nous  nous  vîmes  dans  un  grand  danger 
provenant  de  nos  amarres.  Les  matelots  qui  étaient  allés  faire  de  l'eau 
s'en  aperçurent  ;  ils  accoururent  précipitamment  avec  leurs  canots  et 
ils  eurent  le  temps  de  placer  d'autres  ancres  avec  d'autres  câbles  ■  ce 
qui  mit  nos  navires  en  sûreté  pour  deux  jours  et  deux  nuits.  Après 
quoi,  nous  levâmes  l'ancre  et  nous  fîmes  voile  en  suivant  la  direction 
de  Cuba.  Mais  il  paraît  que  notre  capitaine  Alaminos  se  concerta 
avec  les  deux  autres  pilotes  pour  aller  du  point  où  nous  étions  cà  la 
Floride.  Leurs  calculs  leur  faisaient  juger  en  effet  que  nous  en  étions 
à  environ  soixante-dix  lieues  ;  ils  pensaient  d'ailleurs  qu'une  fois  en 
Floride  nous  ferions  meilleure  et  plus  prompte  route  pour  la  Havane 
comparativement  à  celle  que  nous  avions  suivie  en  allant  à  la  décou- 
verte. Et  ainsi  le  jugea  notre  capitaine,  parce  qu'il  était  allé  découvrir 
la  Floride,  dix  ou  douze  ans  auparavant,  avec  Juan  Ponce  de  Léon. 


14  CONQUÊTE 

Revenons  à  notre  sujet.  Ayant  traversé  ce  golfe  en  quatre  jours  de 
navigation,  nous  vîmes  la  terre  même  de  la  Floride;  et  ce  qui  nous  y 
arriva,  je  le  vais  dire  à  la  suite. 


CHAPITRE  VI 

Comme  quoi  vingt  soldats  débarquèrent  à  la  baie  de  la  Floride,  et  avec  nous  le  pilote 
Alaminos,  pour  chercher  de  l'eau;  guerre  que  les  naturels  du  pays  nous  firent,  et 
ce  qui  advint  encore  avant  notre  arrivée  à  la  Havane. 

En  arrivant  à  la  Floride,  nous  fûmes  d'avis  d'envoyer  à  terre  vingt 
soldats  choisis  parmi  ceux  qui  souffraient  le  moins  de  leurs  bles- 
sures. J'y  fus  avec  eux,  et  le  pilote  Alaminos  y  alla  également.  Nous 
emportâmes  les  fûts  qui  restaient,  ainsi  que  nos  pioches,  nos  arba- 
lètes et  nos  espingoles.  Gomme  notre  capitaine  était  très-grièvement 
blessé  et  fort  affaibli  par  la  privation  de  boisson,  il  nous  supplia, 
pour  l'amour  de  Dieu,  de  lui  apporter  de  l'eau  douce,  ajoutant  qu'il 
séchait  et  mourait  de  soif.  L'eau  que  nous  avions  était  en  effet  très- 
salée  et  on  ne  pouvait  la  boire,  ainsi  que  je  l'ai  dit  précédemment. 
En  arrivant  à  terre,  au  bord  d'un  estuaire  i  qui  débouchait  à  la  mer, 
le  pilote  reconnut  la  côte  et  nous  dit  que  dix  ou  douze  ans  auparavant 
il  avait  touché  ces  parages,  lorsqu'il  vint  avec  Juan  Ponce  de  Léon  à 
la  découverte  du  pays.  Les  Indiens  du  lieu,  disait-il,  les  avaient  atta- 
qués, leur  tuant  plusieurs  soldats,  ce  qui  lui  paraissait  une  raison 
pour  nous  tenir  maintenant  sur  nos  gardes  ;  car  ces  Indiens  avaient 
fait  leur  irruption  fort  subitement,  en  ce  temps-là,  lorsqu'ils  mirent 
Ponce  de  Léon  en  pleine  déroute.  Nous  plaçâmes  tout  de  suite  deux 
soldats  en  sentinelle  sur  une  plage  largement  découverte  et,  profitant 
des  heures  de  la  basse  mer,  nous  creusâmes  des  puits  très-profonds 
en  un  endroit  qui  nous  parut  propice.  Dieu  voulut  que  nous  trouvas- 
sions une  eau  excellente.  Dans  notre  joie,  nous  passâmes  au  moins 
une  heure  à  nous  en  rassasier  et  à  laver  les  linges  qui  pansaient  nos 
plaies.  Mais  lorsque  nous  allions  nous  embarquer  avec  notre  eau, 
nous  vîmes  venir  à  nous  un  des  soldats  que  nous  avions  placés  sur  la 
plage,  jetant  des  cris  et  disant  :  «  Aux  armes!  aux  armes!  un  grand 
nombre  d'Indiens  armés  viennent  par  terre  et  d'autres  en  canot  par 
la  rivière....  »   Et  le  soldat  criait,   et  il    venait  en  courant.  Or,  les 

1.  J'avoue  que  le  mot  estuario^  employé  souvent  par  l'auteur,  et  que  je  traduira 
toujours  par  «  estuaire  »,  ne  m'indique  pas  bien  le  sens  que  Bernai  Diaz  a  pu  y  atta- 
cher. Il  me  semble  cependant  qu'il  l'emploie  indifféremment  à  propos  de  mer  et  de 
rivière  pour  indiquer  de  longs  enfoncements  semblables  au  lit  d'un  fleuve  et  qui  re- 
çoivent l'excédant  des  eaux  sorties  de  leur  lit  naturel  sur  lequel  ils  maintiennent  une 
embouchure. 


DE  LA  NOUVELLE-ESPAGNE.  15 

Indiens  arrivèrent  sur  nous  presque  aussitôt  que  notre  camarade.  Ils 
avaient  de  très-grands  arcs,  de  bonnes  flèches,  des  lances  et  une 
arme  en  forme  d'épée  ;  ils  étaient  vêtus  de  peaux  de  chevreuil  et  leur 
stature  était  fort  élevée.  Ils  vinrent  droit  sur  nous,  nous  lançant  des 
flèches,  dont  ils  blessèrent  à  l'instant  six  de  nos  camarades.  Ils  me 
firent  au  bras  une  blessure  légère.  Mais  nous  mîmes  une  telle  ardeur 
à  les  cribler  de  nos  coups  de  sabre,  de  nos  arbalètes  et  de  nos  espin- 
goles,  qu'ils  nous  abandonnèrent,  nous  tous  qui  prenions  l'eau  dans 
les  puits,  et  coururent  à  la  rivière  et  à  la  mer  pour  secourir  ceux  de 
leurs  compagnons  qui  se  trouvaient  en  canots  à  l'endroit  môme  où 
était  stationné  le  bateau  monté  par  nos  marins.  Ceux-ci  se  bat- 
taient également  corps  à  corps  avec  les  Indiens  embarqués,  qui  leur 
avaient  même  déjà  pris  le  bateau  et  le  remorquaient  avec  leurs 
embarcations  en  remontant  la  rivière.  Ils  avaient  blessé  quatre  de  nos 
matelots  et  fait  au  pilote  Alaminos  une  mauvaise  blessure  à  la  gorge. 
Nous  nous  précipitâmes  sur  eux,  ayant  de  l'eau  au-dessus  de  la  cein- 
ture, et,  à  coups  de  sabre,  nous  leur  fîmes  lâcher  le  bateau.  Vingt- 
deux  des  leurs  restèrent  morts  sur  la  côte  ou  dans  l'eau,  et  nous  en 
prîmes  trois  qui  étaient  légèrement  blessés  et  qui  moururent  sur  nos 
navires. 

Le  combat  étant  fini,  nous  demandâmes  au  soldat  que  nous  avions 
placé  en  .sentinelle  ce  qu'était  devenu  son  camarade  Berrio  (c'était 
son  nom).  Il  nous  dit  qu;il  l'avait  vu  s'écarter,  une  hache  à  la  main, 
pour  couper  une  palme  au  bord  de  l'eau,  vers  l'endroit  par  où  les 
Indiens  armés  étaient  venus;  qu'il  entendit  des  cris  poussés  en  espa- 
gnol; qu'à  cause  de  ces  cris  il  avait  couru  en  toute  hâte  vers  la  mer 
conformément  à  la  consigne,  et  que  sans  doute  alors  on  donna  la 
mort  à  son  compagnon.  C'est  ce  même  soldat  qui  était  sorti  de  Poton- 
chan  sans  aucune  blessure;  son  mauvais  sort  voulut  qu'il  vînt  en  ce 
lieu  trouver  sa  fin.  Nous  fûmes  prestement  à  sa  recherche,  suivant 
les  traces  laissées  par  les  Indiens  ennemis  ;  nous  trouvâmes  une 
palme  qu'il  avait  commencé  à  couper,  et  auprès  d'elle  beaucoup  de 
pas  sur  le  sol,  bien  plus  qu'en  tout  autre  endroit.  Ce  qui  nous  fit 
penser  qu'on  l'avait  certainement  emmené  vivant,  c'est  qu'il  n'y  avait 
aucune  trace  de  sang.  Nous  le  cherchâmes  plus  d'une  heure  dans 
toutes  les  directions;  nous  l'appelâmes,  mais  nous  dûmes  nous  rem- 
barquer et  nous  n'entendîmes  jamais  plus  parler  de  lui.  Nous  empor- 
tâmes l'eau  douce  à  bord  de  nos  navires  et  tous  les  soldats  s'en 
réjouirent  comme  si  nous  leur  avions  donné  la  vie  ce  jour-là  même. 
Un  d'eux  se  lança  du  navire  sur  le  bateau,  poussé  par  la  soif;  il 
prit  une  jarre  avec  tant  d'ardeur  et  il  but  tant  d'eau,  qu'il  s'en  enfla 
et  mourut. 

Nous  étant  donc  embarques  avec   notre  eau,  et  nos  bateaux  étant 
remontés  à  bord,  nous  fîmes   voile   vers  la  Havane.   Ce  jour-là  et  la 


16  CONQUÊTE 

nuit  suivante  nous  marchâmes  avec  beau  temps,  côtoyant  de  petites 
îles  dites  des  Martyrs,  sur  des  bancs  que  l'on  appelle  aussi  bancs  des 
Martyrs,  où  nous  naviguions  par  quatre  brasses  au  plus.  Le  vaisseau 
de  commandement  toucha  fond  entre  deux  sortes  d'îlots,  et  lit  tant 
d'eau  que  nous  tous  qui  nous  trouvions  à  bord  nous  travaillions  aux 
pompes  sans  pouvoir  l'épuiser,  de  sorte  que  nous  avancions  avec  la 
crainte  de  couler.  Je  me  rappelle  à  ce  propos  que  nous  comptions 
parmi  nos  matelots  deux  Levantins  auxquels  nous  disions  :  «  Frères, 
aidez-nous  à  manœuvrer  les  pompes,  car  vous  voyez  que  nous  sommes 
très-grièvement  blessés  et  bien  fatigués  du  travail  du  jour  et  de  la 
nuit,  et  nous  allons  à  fond....  »  Et  ils  répondaient  :  «  Faites  vous- 
mêmes  ;  car  nous  n'avons  pas  de  solde  et  nous  ne  gagnons  que  la 
faim,  la  soif,  les  fatigues  et  les  blessures  comme  vous.  »  Mais  nous 
les  forcions  à  pomper  malgré  eux,  et,  quant  à  nous,  malades  et  bles- 
sés comme  nous  étions,  nous  manœuvrâmes  les  voiles  et  nous  travail- 
lâmes aux  pompes  jusqu'à  ce  qu'il  plut  à  Notre  Seigneur  Jésus-Christ 
de  nous  conduire  au  port  de  Garenas,  là  même  où  se  trouve  établie 
maintenant  la  ville  de  la  Havane.  C'est  port  de  Carénas  et  non 
Havane  qu'on  avait  autrefois  l'habitude  de  l'appeler.  Nous  rendîmes 
grâces  à  Dieu  en  arrivant  à  terre,  et  un  certain  Buzano  Porluguès1, 
qui  montait  un  autre  navire  du  port,  s'empara  de  l'eau  douce  de  notre 
vaisseau  commandant.  Nous  écrivîmes  par  bons  courriers  à  Diego 
Velasquez,  gouverneur  de  l'île,  pour  lui  faire  savoir  que  nous  avions 
découvert  des  pays  à  grands  villages,  composés  de  maisons  construites 
à  chaux  et  à  sable,  dont  les  habitants,  qui  portaient  des  habillements 
de  coton,  prenaient  soin  de  couvrir  leurs  nudités;  ils  possédaient  au 
surplus  de  l'or  et  des  plantations  de  maïs.  Notre  capitaine  Francisco 
Hernandez  s'en  fut  par  terre  à  la  ville  de  Saint-Esprit  (c'est  ainsi 
qu'on  la  nomme),  où  il  avait  son  établissement  d'Indiens,  et  comme 
il  partait  fort  grièvement  blessé,  il  mourut  dix  jours  après  être  arrivé 
dans  son  habitation.  Nous  tous,  les  soldats,  nous  nous  dispersâmes 
de  côtés  et  d'autres  dans  l'île.  Trois  des  nôtres  moururent  à  la 
Havane  de  leurs  blessures. 

Les  navires  s'en  furent  à  Santiago  de  Cuba  où  résidait  le  gouver- 
neur, et,  lorsqu'on  eut  débarqué  les  deux  Indiens  pris  à  Cotoche, 
dont  j'ai  déjà  parlé,  qui  s'appelaient  Melchorejo  et  Julianillo  ;  quand 
on  eut  fait  voir  le  petit  arceau  avec  les  diadèmes  et  les  canards, 
les  petits  poissons  et  les  idoles  en  or  mélangé,  ce  maigre  butin  fut 

1.  L'auteur  a-t-il  voulu  dire  que  Buzano  était  Portugais  ou  bien  qu'il  portait  le 
double  nom  patronymique  de  Buzano  Portuguès?  Je  l'ignore;  mais  le  défaut  de  virgule 
obligerait  à  accepter  celte  dernière  interprétation.  Il  y  a  plus,  l'éditeur  de  Bernai  Diaz 
de  la  collection  de  Rivadeneyra  (Madrid,  1851)  a  jugé  convenable  de  remplacer  les 
lettres  capitales  de  Buzano  Portuguès  par  des  lettres  simples,  qui  changent  le  sens  du 
texte  primitif  et  forceraient  à  traduire  par  «  un  filou  portugais  ». 


DE  LÀ  NOUVELLE-ESPAGNE.  17 

tellement  grossi  par  la  renommée,  que  le  bruit  s'en  répandit  dans  les 
îles  entières  de  Saint-Domingue  et  de  Cuba,  et  même  en  Gastille. 
On  y  disait  que  jamais  pays  meilleurs  n'avaient  été  découverts,  avec 
des  habitations  si  bien  bâties  à  chaux  et  à  sable.  A  la  vue  des  idoles 
en  terre  cuite,  de  formes  si  diverses,  les  uns  prétendaient  qu'elles 
provenaient  du  temps  des  Gentils  et  d'autres  affirmaient  que  les  juifs 
les  avaient  apportées  lorsque  Titus  et  Vespasien  les  exilèrent  en  les 
parquant  dans  des  navires  avariés.  Gomme  d'ailleurs  le  Pérou  n'était 
pas  encore  découvert,  ce  pays-ci  excita  une  admiration  très-grande. 

Diego  Velasquez  s'inquiétait  d'autre  chose  :  il  voulait  savoir  de  nos 
Indiens  s'il  y  avait  des  mines  d'or  dans  leur  pays  ;  à  quoi  ils  répon- 
daient affirmativement,  et  quand  on  leur  montrait  l'or  en  poudre  qu'on 
trouvait  dans  l'île  de  Cuba,  ils  disaient  qu'il  y  en  avait  beaucoup  dans 
leur  province  :  assertion  mensongère,  car  il  est  clair  que  vers  le  cap 
Gotoche  et  dans  tout  Yucatan  on  ne  voit  point  démines  d'or.  En  indi- 
quant les  amas  de  terre  sur  lesquels  on  sème  la  plante  dont  les 
racines  servent  à  faire  le  pain  de  cassave  et  qu'à  Guba  l'on  appelle 
yuca,  nos  Indiens  assuraient  qu'il  y  en  avait  aussi  dans  leur  pays  et 
ils  disaient  to/epour  désigner  les  terrains  sur  lesquels  on  les  cultivait; 
de  façon  que  yuca  et  taie  réunis  font  :  Yutacan.  Les  Espagnols  qui  se 
trouvaient  avec  nos  Indiens  et  Diego  Velasquez  dirent  alors  :  «  Se- 
rïor,  ces  Indiens  prétendent  que  leur  pays  s'appelle  Yucatan.  »  Et 
ce  nom  lui  resta,  quoiqu'on  le  désigne  autrement  en  langue  nationale  *. 
Toujours  est-il  que  nous  tous,  qui  fûmes  à  cette  découverte,  nous 
dépensâmes  notre  avoir  et  nous  revînmes  blessés  et  pauvres  à  Guba, 
nous  donnant  pour  bien  heureux  de  notre  retour  et  de  n'être  pas 
restés  sans  vie  avec  nos  autres  camarades. 

Chaque  soldat  s'en  fut  de  son  côté  ;  notre  capitaine,  ainsi  que  je 
l'ai  dit,  ne  tarda  pas  à  mourir  de  ses  blessures  ;  quant  à  nous,  les 
blessés,  nous  attendîmes  longtemps  notre  guérison  et,  à  mon  compte, 
soixante-dix  environ  y  trouvèrent  la  mort.  Voilà  ce  que  nous  gagnâmes 
à  cette  découverte.  Au  surplus,  Diego  Velasquez  écrivit  en  Gastille, 
aux  personnages  qui  avaient  le  gouvernement  des  Indes,  que  c'était 
lui  qui  avait  tout  découvert,  en  y  dépensant  de  grandes  sommes  en 
pièces  d'or.  C'est  ainsi  que  le  proclamait  don  Juan  Rodriguez  deFon- 
seca,  évêque  de  Burgos,  archevêque  de  Rosano  et  président  du  Conseil 
des  Indes.  Il  l'écrivit  à  Sa  Majesté,  en  Flandre,  louant  beaucoup 
Diego  Velasquez,  sans  faire  mémoire  d'aucun  de  nous  qui  décou- 
vrîmes à  nos  dépens.  Nous  en  resterons  là,  et  je  dirai  les  misères  qui 
nous  advinrent,  à  moi  et  à  trois  autres  soldats. 

1.  On  l'appelait  alors  la  province  de  Maya.  Aujourd'hui  on  appelle  de  ce  nom  la 
langue  qui  s'y  parle. 


CONQUÊTE 


CHAPITRE  VII 

Des  souffrances  que  j'endurai  pour  arriver  à  un  bourg  appelé  Trinidad. 

J'ai  déjà  dit  que  je  restai  à  la  Havane  avec  quelques  soldats  qui 
n'étaient  pas  guéris  de  leurs  blessures.  Lorsque  nous  fûmes  sou- 
lagés, nous  nous  réunîmes  trois  compagnons  d'armes  pour  aller  à 
Trinidad,  traitant  avec  un  habitant  de  la  Havane,  appelé  Pedro  de 
Avila,  qui  devait  aussi  faire  ce  voyage  en  gagnant  la  côte  sud  avec 
une  embarcation  chargée  de  chemisettes  de  coton  qn'il  allait  vendre 
dans  ce  bourg.  J'ai  dit  ailleurs  que  ces  embarcations  sont  comme  de 
grands  pétrins  faits  avec  des  troncs  d'arbres  creusés  et  évidés.  Dans 
ce  pays  c'est  avec  elles  qu'on  navigue  d'une  côte  à  l'autre.  Notre  con- 
vention avec  Pedro  de  Avila  fut  de  lui  donner  dix  piastres  en  or 
pour  passer  dans  sa  chaloupe. 

Nous  avancions  en  suivant  la  côte,  tantôt  à  la  rame,  tantôt  en  fai- 
sant voile.  Nous  avions  déjà  navigué  onze  jours,  lorsque,  nous  trouvant 
en  vue  d'un  village  d'Indiens  soumis,  du  nom  de  Ganarreon,  qui 
confinait  aux  terrains  de  Trinidad,  il  s'éleva  pendant  la  nuit  un  vent 
si  fort,  qu'il  nous  fut  impossible  de  tenir  la  mer,  quelques  efforts 
que  nous  fissions  tous  avec  nos  rames.  Il  en  résulta  qu'avec  Pedro  de 
Avila,  avec  les  Indiens  de  la  Havane  et  avec  les  bons  rameurs  que 
nous  avions  amenés,  nous  échouâmes  sur  des  récifs1  qui  sont  con- 
sidérables sur  cette  côte.  Notre  embarcation  se  brisa;  Avila  perdit 
son  avoir,  et  nous  tous,  meurtris  par  les  récifs,  nous  restâmes  litté- 
ralement nus,  parce  que  nous  avions  abandonné  nos  vêtements,  afin 
de  mieux  aider  à  préserver  l'embarcation  et  pouvoir  nager  plus  à 
l'aise.  Nous  sortîmes  vivants  de  ces  écueils;  mais  il  n'y  avait  pas  de  che- 
min pour  aller  à  Trinidad  en  suivant  la  côte.  C'étaient  de  mauvais  en- 
droits couverts  de  roches  pointues  qui  entrent  dans  la  plante  des  pieds; 
et  nous  n'avions  rien  à  manger.  Les  vagues  nous  enveloppaient  en  se 
brisant  sur  les  écueils.  Comme  d'ailleurs  il  faisait  grand  vent,  des 
gerçures  se  formèrent  dans  les  parties  de  notre  corps  habituellement 
abritées  et  le  sang  en  découlait,  quoique  nous  eussions  pris  soin  de 
nous  couvrir  avec  beaucoup  de  feuilles  d'arbre  et  avec  d'autres 
herbes  que  nous  avions  recueillies  dans  ce  but.  Comme  nous  ne  pou- 
vions point  marcher  sur  la  côte,  parce  que  les  pointes  des  rochers 
nous  entraient  dans  les  pieds,  nous  nous  enfonçâmes  à  grand'peine 

1.  Je  dis  récifs  et  je  crois  bien  dire,  dans  l'impossibilité  où  je  suis  de  traduire  lé 
mot  ceborucos  qui  est  dans  le  texte,  et  dont  j'ignore  la  signification  véritable. 


DE  LA  NOUVELLE-ESPAGNE.  19 

dans  un  bois  et,  avec  d'autres  pierres  que  l'on  y  trouve,  n'ayant  point 
d'épées,  nous  coupâmes  des  écorces  solides  que  nous  accommodâmes 
en  semelles,  les  fixant  à  l'aide  d'une  sorte  de  cordelettes  qui  naissent 
entre  les  arbres  et  qu'on  nomme  lianes.  Nous  en  entourâmes  le  mieux 
possible  nos  pieds  et  les  écorces,  et,  après  de  grandes  difficultés, 
nous  arrivâmes  à  une  plage  de  sable  qui  nous  conduisit  en  deux 
jours  de  marche  à  un  village  d'Indiens  appelé  Yaguarama. 

Ce  village  était,  en  ce  temps-là,  sous  la  dépendance  du  Père  Bar- 
tolomé  de  Las  Casas,  alors  prêtre  desservant,  que  je  connus  plus  tard 
frère  dominicain  et  qui  devint  évêque  de  Chiapas.  Les  Indiens  du 
lieu  nous  donnèrent  à  manger.  Le  jour  suivant  nous  avançâmes 
jusqu'à  un  autre  village  qu'on  appelait  Chipiona.  Il  appartenait  à  un 
certain  Alonso  de  Avila  et  à  un  Sandoval  (je  ne  parle  pas  du  capitaine 
Sandoval,  celui  de  la  Nouvelle-Espagne);  et  de  là  nous  fûmes  à  Tri- 
nidad.  Un  de  mes  amis,  Antonio  de  Médina,  m'habilla  à  la  mode  du 
pays,  et  d'autres  habitants  de  la  ville  en  firent  autant  pour  mes 
camarades.  De  là,  avec  ma  misère,  à  travers  mille  fatigues,  je  m'en 
fus  à  Santiago  de  Cuba,  où  se  trouvait  le  gouverneur  Diego  Velasquez 
qui  se  préparait  en  grande  hâte  à  envoyer  une  autre  expédition. 
Quand  je  fus  lui  baiser  les  mains  —  nous  étions  parents,  — il  se  ré- 
jouit avec  moi  et,  passant  d'un  sujet  à  l'autre  dans  la  conversation,  il 
me  demanda  si  j'étais  assez  rétabli  de  mes  blessures  pour  revenir  à 
Yucatan.  Et  je  lui  demandai  en  riant  qui  lui  avait  donné  ce  nom-là, 
ajoutant  que  là-bas  on  n'appelait  pas  ce  pays  de  la  sorte.  Il  me  répon- 
dit :  «  Melchorejo,  celui  que  tu  as  amené,  l'appelle  ainsi.  »  Et  moi  je 
repartis  :  «Il  serait  plus  juste  de  le  nommer  :  Pays  où  l'on  nous  tua 
la  moitié  des  soldats  qui  l'abordâmes  et  ajoutons  les  autres  sortirent 
blessés.  —  Je  sais,  ajouta-t-il,  que  tu  enduras  mille  fatigues  :  c'est  ce 
qui  arrive  à  ceux  qui  font  métier  de  découvrir  et  qui  en  ont  la  gloire. 
Sa  Majesté  vous  en  récompensera  et  je  ne  manquerai  pas  de  lui  en 
écrire  ;  pour  à  présent,  mon  fils,  allez  encore  avec  l'expédition  que 
j'apprête;  je  ferai  en  sorte  qu'on  vous  en  fasse  grand  honneur  et  je 
publierai  ce  qui  sera  arrivé.  » 


CHAPITRE   VIII 


Gomme  quoi  Diego  Velasquez,  gouverneur  de  Cuba,  envoya  une  autre  flotte  aux  pays 

que  nous  découvrîmes. 

En  l'an  quinze  cent  dix-huit,  Diego  Velasquez,  gouverneur  de  Cuba, 
mu  par  le  rapport  que  nous  avions  fait  de  nos  découvertes,  prit  des 
mesures  pour  envoyer  une  autre  flotte.  Dans  ce  but,  on  chercha  quatre 


20  CONQUÊTE 

navires.  Les  deux  premiers  furent  ceux-là  mêmes  que  nous  avions 
achetés,  nous,  les  soldats  qui  fûmes  découvrir  Yucatan  en  compagnie 
du  capitaine  Francisco  Hernandez  de  Cordova,  ainsi  que  je  l'ai  dit  en 
traitant  de  cet  événement.  Diego  Velasquez  acheta  de  ses  deniers  les 
deux  autres  navires.  Or,  à  l'époque  même  où  il  armait  la  flotte,  étaient 
présents  à  Santiago  de  Cuba  :  Juan  de  Grrijalva,  Pedro  de  Alvarado, 
Francisco  de  Montejo  et  Alonso  de  Avila,  qui  avaient  affaire  au  gou- 
verneur, parce  qu'ils  possédaient  des  encomiendas  d'Indiens  dans  ces 
mêmes  îles.  Et  comme  c'étaient  des  gens  de  valeur,  il  convint  avec 
eux  que  Juan  de  Grrijalva,  qui  était  son  parent,  s'embarquerait  en 
qualité  de  capitaine  général  de  la  flotte,  tandis  que  Pedro  de  Alvarado 
commanderait  sur  un  navire,  Francisco  de  Montejo  sur  un  autre  et 
Alonso  de  Avila  sur  un  troisième1.  De  sorte  que  chacun  de  ces  capi- 
taines se  mit  en  mesure  de  réunir  des  provisions  et  des  vivres  en  pain 
de  cassave  et  en  porc  salé.  Diego  Yelasquez  les  pourvut  d'arbalètes, 
de  fusils,  de  quelques  objets  d'échange  et  d'autres  minuties;  au  sur- 
plus, il  fournit  les  navires.  Et  comme  on  avait  répandu  le  bruit  que  ces 
pays  étaient  fort  riches  et  possédaient  des  maisons  en  pierre;  l'Indien 
Melchorejo  ayant  d'ailleurs  donné  à  entendre  par  signes  qu'il  y  avait 
de  l'or,  les  soldats  et  habitants  de  l'île  qui  n'étaient  pas  propriétaires 
d'Indiens  ambitionnaient  fort  d'aller  en  expédition.  De  sorte  que  nous 
nous  réunîmes  tout  de  suite  deux  cent  quarante.  Chacun  de  nous  y 
mit  aussi  du  sien  en  provisions,  en  armes  et  en  objets  utiles. 

Je  refis  donc  ce  voyage,  et  encore  une  fois  avec  les  mêmes  capitaines. 
Selon  ce  que  je  compris,  les  instructions  de  Diego  Velasquez  étaient 
d'acquérir  tout  l'or  et  l'argent  qu'il  serait  possible,  de  coloniser  si 
cela  paraissait  convenable  et  de  revenir  à  Cuba  dans  le  cas  contraire. 
Un  certain  Penalosa,  natif  de  Ségovie,  s'embarqua  à  titre  de  commis- 
saire de  la  flotte,  et  nous  emmenâmes  un  prêtre  qui  s'appelait  Juan 
Diaz.  Quant  aux  trois  pilotes,  que  nous  avions  eus  auparavant  dans 
notre  premier  voyage,  j'ai  déjà  dit  leurs  noms  :  Anton  de  Alaminos, 
de  Palos  ;  Gamacho,  de  Triana,  et  Juan  Alvarez  le  Manchot,  de  Huelva. 
Alaminos  fut  le  pilote  en  premier.  Quant  à  l'autre  commandant  qui 
vint  aussi,  je  ne  me  rappelle  pas  son  nom.  Avant  d'aller  plus  avant, 
je  dois  dire  que  je  mentionnerai  quelquefois  ces  hidalgos  qui  furent 
nos  capitaines;  il  paraîtra  peut-être  inconvenant  que  je  dise  sèchement 
leurs  noms  propres  :  Pedro  de  Alvarado,  Francisco  de  Montejo,  Alonso 
de  Avila,  sans  les  accompagner  de  leurs  titres  et  dignités.  Sachez  que 
ce  Pedro  de  Alvarado  fut  un  hidalgo  d'un  grand  courage  qui,  après  la 
conquête  de  la  Nouvelle-Espagne,  devint  gouverneur  et  adelantadodes 
provinces  de  Guatemala,  de  Honduras  et  de  Chiapas,  et  commandeur 

1.  Entendons-nous.  L'auteur  veut  dire  que  ces  trois  capitaines  devaient  avoir  le 
commandement  des  hommes  embarqués  sur  les  navires. 


DE  LA  NOUVELLE-ESPAGNE.  21 

de  l'ordre  de  Santiago;  et  de  même,  Francisco  de  Montejo,  hidalgo 
de  grande  valeur,  fut  gouverneur  civil  et  militaire  de  Yucatan.  Jusqu'au 
temps  où  Sa  Majesté  leur  fera  ces  grandes  faveurs  et  qu'ils  auront 
des  seigneuries,  je  ne  les  désignerai  que  par  leurs  noms  et  nullement 
par  leurs  qualités. 

Revenons  à  notre  sujet.  Les  quatre  navires  voguant  vers  le  nord 
allèrent  à  Matanzas,  port  situé  près  de  l'ancienne  Havane,  qui  alors 
n'avait  pas  sa  population  là  où  elle  est  aujourd'hui.  C'est  dans  ce  port, 
ou  aux  environs,  que  la  plupart  des  habitants  de  la  Havane  avaient 
leurs  dépôts  de  porcs  et  de  cassave.  Nos  navires  s'y  pourvurent  de  tout 
ce  qui  leur  manquait  et  ce  fut  là  que  nous  nous  réunîmes,  les  capitaines 
aussi  bien  que  les  soldats,  pour  faire  voile  et  entreprendre  notre  voyage. 
Et  avant  d'aller  plus  loin,  —  quoique  cela  soit  hors  de  propos,  — je  veux 
dire  pourquoi  l'on  donnait  à  ce  lieu  le  nom  de  Matanzas.  Gela  me 
vient  actuellement  à  la  mémoire  parce  que  quelques  personnes  m'ont 
demandé  la  raison  de  cette  dénomination;  or  cette  raison,  la  voici. 
Avant  que  l'île  de  Cuba  fût  pacifiée,  un  navire  qui  était  venu  de  Saint- 
Domingue  échoua  sur  la  côte  nord,  tandis  qu'il  allait  chercher  des 
Indiens  aux  îles  qui  se  trouvent  entre  Cuba  et  le  canal  de  Bahama  et 
qui  s'appellent  les  Lucayes.  Il  échoua  donc  sur  cette  côte  près  de  la 
rivière  et  du  port  que  j'ai  dit  s'appeler  Matanzas.  Environ  trente  Espa- 
gnols, dont  deux  femmes,  se  trouvaient  à  bord.  Plusieurs  Indiens  de 
la  Havane  et  d'autres  lieux  vinrent  comme  pour  les  visiter  en  bonne 
amitié  et  pour  les  aider  à  franchir  la  rivière,  disant  qu'ils  les  passe- 
raient dans  leurs  canots  et  les  conduiraient  aux  villages  afin  de  leur 
donner  des  vivres.  Or,  quand  ils  furent  arrivés  avec  eux  au  milieu  du 
courant,  ils  firent  chavirer  leurs  canots  et  ils  les  tuèrent  :  de  sorte  qu'il 
ne  resta  vivants  que  trois  hommes  et  une  femme,  fort  belle,  que  s'ap- 
propria l'un  des  caciques  qui  avaient  été  les  principaux  auteurs  de  la 
trahison.  Les  trois  Espagnols  furent  répartis  entre  les  autres  chefs. 
Et  voilà  la  cause  qui  fit  donner  à  ce  port  le  nom  de  Matanzas  (mas- 
sacres). J'ai  connu  la  femme  dont  je  parle  :  après  la  conquête  de  Cuba, 
on  l'enleva  au  cacique  qui  l'avait  en  son  pouvoir,  et  je  la  vis  mariée 
avec  un  habitant  de  Trinidad,  qu'on  appelait  Pedro  Sanchez  Farfan. 
J'ai  connu  aussi  les  trois  Espagnols,  qu'on  nommait,  l'un  Gronzalo  Mejia, 
homme  âgé,  natif  de  Xerez  ;  l'autre,  Juan  de  Santisteban,  natif  de  Madri- 
gal, et  le  troisième,  Gascorro,  homme  de  mer,  pêcheur  de  Huelva,  à 
qui  un  cacique  chez  lequel  il  vivait  donna  sa  fille  en  mariage.  Il  avait  déjà 
les  oreilles  et  le  nez  percés  comme  les  Indiens. 

Je  me  suis  arrêté  trop  longtemps  à  conter  de  vieilles  histoires. 
Revenons  à  notre  récit.  Quand  nous  fûmes  réunis,  capitaines  et  soldats, 
lorsque  les  instructions  furent  données  aux  pilotes  et  le  langage  de 
fanaux  convenu,  nous  entendîmes  la  messe  avec  grande  dévotion  et  nous 
mîmes  à  la  voile  le  cinquième  jour  du  mois  d'avril  de  l'an  quinze  cent 


22  CONQUÊTE 

dix-huit.  En  dix  jours  nous  doublâmes  la  pointe  de  Guaniguanico, 
que  les  pilotes  appellent  de  San  Antonio  ;  et  huit  jours  plus  tard, 
vers  la  Sainte-Croix,  nous  aperçûmes  l'île  de  Gozumel.  Nous  la  décou- 
vrîmes alors,  parce  que  les  navires  dévièrent  sous  les  courants  beau- 
coup plus  bas  que  lorsque  nous  vînmes  avec  Francisco  Hernandez  de 
Gordova.  Nous  abordâmes  l'île  par  sa  côte  sud.  Un  village  était  en  vue, 
et  près  de  lui  un  bon  mouillage  sans  nul  écueil.  Nous  descendîmes. 
à  terre  avec  Juan  de  Grijalva  et  un  bon  nombre  de  soldats.  Les  habi- 
tants de  ce  port  prirent  la  fuite  aussitôt  qu'ils  virent  approcher  les 
navires  sous  voiles,  car  ils  n'avaient  jamais  vu  pareille  chose;  de  sorte 
que  les  soldats  débarqués  ne  trouvèrent  personne  dans  le  village.  On 
découvrit  seulement  dans  des  champs  de  maïs  deux  vieillards  qui  ne 
pouvaient  pas  courir.  Nous  les  conduisîmes  au  capitaine  et,  au  moyen 
de  Juanillo  et  de  Melchorejo,  ceux-là  mêmes  que  nous  avions  pris  à 
la  pointe  de  Gotoche  et  qui  comprenaient  très-bien  ces  Indiens,  on  put 
leur  parler;  car,  de  Yucatan  à  l'île  de  Gozumel,  il  n'y  a  pas  plus  de 
quatre  lieues  de  traversée  et  on  y  parle  la  même  langue.  Le  capitaine 
flatta  ces  vieillards,  leur  donna  des  perles  vertes  et  les  commissionna 
pour  aller  chercher  le  calachoni  du  village  —  c'est  ainsi  qu'on  appelle 
les  caciques  dans  ce  pays.  —  Ils  partirent;  mais  ils  ne  revinrent  jamais 
plus.  Pendant  qu'on  les  attendait,  il  vint  une  jeune  Indienne  de  bel 
aspect,  qui  se  mit  à  parler  la  langue  de  Jamaïque,  disant  que  tous  les 
Indiens  et  Indiennes  de  cette  île  et  du  village  s'étaient  enfuis  épou- 
vantés dans  les  bois;  et,  comme  plusieurs  soldats  et  moi  nous  compre-' 
nions  très-bien  cette  langue  qui  est  aussi  celle  de  Cuba,  nous  fûmes 
surpris  et  nous  lui  demandâmes  comment  elle  se  trouvait  là;  à  quoi 
elle  répondit  que  deux  ans  auparavant  elle  avait  échoué  avec  une  grande 
chaloupe  dans  laquelle  dix  Indiens  de  la  Jamaïque  allaient  à  la  pêche 
vers  des  îlots  voisins.  Les  courants  les  jetèrent  sur  ce  pays  où  l'on 
tua  son  mari  et  ses  autres  compatriotes,  les  sacrifiant  aux  idoles.  Dès 
que  notre  capitaine  l'entendit,  il  comprit  qu'elle  serait  une  bonne 
messagère.  Il  l'envoya  appeler  les  Indiens  et  les  caciques  du  village, 
lui  assignant  un  délai  de  trois  jours  pour  revenir.  Quant  aux  Indiens 
Juanillo  et  Melchorejo  que  nous  avions  pris  à  la  pointe  de  Gotoche,  nous 
craignîmes  qu'ils  ne  s'enfuissent  aussitôt  qu'ils  seraient  séparés  de 
nous,  et  c'est  pour  cette  raison  que  nous  ne  fîmes  pas  appeler  par  eux 
les  fugitifs.  Or,  la  messagère  revint  le  jour  suivant,  disant  qu'aucun 
Indien  ni  Indienne  n'avait  voulu  venir,  quelques  discours  qu'elle  leur 
adressât. 

Nous  donnâmes  à  ce  village  le  nom  de  Santa-Cruz,  parce  que  nous 
l'aperçûmes  quatre  ou  cinq  jours  avant  cette  fête.  Il  y  avait  de 
bonnes  ruches  à  miel,  beaucoup  de  boniates  *  et  de  patates  douces, 

1.  Doniato  (et  plutôt  monialo)  est  une  plante  dont  la  racine  est  alimentaire.  Dans 
certains  pays  on  désigne  par  ces  mots  la  patate  douce. 


DE  LA   NOUVELLE-ESPAGNE.  23 

ainsi  que  do  grandes  troupes  de  porcs  du  pays,  qui  ont  le  nombril 
sur  le  dos  *.  On  y  comptait  trois  villages.  Celui  où  nous  débarquâmes 
était  le  plus  grand.  Les  deux  plus  petits  occupaient  chacun  une 
pointe  de  l'île,  qui  a  environ  deux  lieues  de  contour.  Mais  comme  le 
capitaine  Juan  de  Grijalva  comprit  qu'il  perdrait  son  temps  à  attendre 
davantage,  il  ordonna  que  l'on  s'embarquât  aussitôt.  L'Indienne  de 
la  Jamaïque  vint  avec  nous,  et   nous  continuâmes  notre  voyage. 


CHAPITRE  IX 

Comme  quoi  nous  fûmes  débarquer  à  Champoton. 

Nous  étant  donc  rembarques  et  suivant  la  route  parcourue  autrefois 
par  Francisco  de  Cordoba,  nous  arrivâmes  en  huit  jours  au  village 
de  Champoton  où  les  Indiens  de  cette  province  nous  avaient  mis  en 
déroute,  ainsi  que  je  l'ai  dit  au  chapitre  qui  en  a  parlé.  Comme  la 
mer  baisse  beaucoup  dans  cette  anse,  nous  jetâmes  l'ancre  à  une  lieue 
de  terre  et,  à  l'aide  de  nos  canots,  la  moitié  de  nos  soldats  débarqua 
près  des  maisons  du  village.  Les  Indiens  qui  l'habitaient  et  d'autres 
des  environs  se  réunirent  comme  à  l'époque  où  ils  nous  tuèrent  cin- 
quante-six soldats,  blessant  la  plupart  des  autres,  ainsi  que  je  l'ai  dit 
en  son  lieu.  Très-glorieux  et  très-fanfarons  pour  cette  raison,  ils 
étaient  fort  bien  armés,  à  leur  manière,  d'arcs,  de  flèches,  de  ron- 
daches,  de  massues,  d'épées  à  deux  mains,  de  pierres  à  frondes  et  de 
défenses  de  coton.  Ils  portaient  aussi  des  trompettes  et  des  tambours, 
et  la  plupart  avaient  la  figure  peinte  en  noir,  rouge  et  blanc.  Ils 
étaient  parfaitement  en  ordre  sur  la  plage,  avec  le  dessein  de  tomber 
sur  nous  aussitôt  que  nous  arriverions.  Gomme  nous  avions  l'expé- 
rience du  passé,  nous  emportions  des  fauconneaux  dans  nos  canots, 
et  nous  étions  pourvus  d'arbalètes  et  d'escopettes.  Tandis  que  nous 
abordions,  ils  se  mirent  à  nous  cribler  de  flèches  et  à  nous  piquer 
rudement  de  leurs  lances.  Ils  firent  pleuvoir  sur  nos  têtes  une  telle 
grêle  de  coups,  avant  notre  descente,  qu'ils  blessèrent  la  moitié 
d'entre  nous.  Quand  nous  quittâmes  nos  canots,  nous  refroidîmes 
leur  ardeur,  en  frappant  sur  eux  d'estoc  et  de  taille.  Ils  nous  lan- 
çaient leurs  flèches  comme  à  la  cible;  mais  nous  avions  tous  des  dé- 
fenses de  coton.  Ils  soutinrent  le  combat  encore  un  bon  moment, 
jusqu'à  l'arrivée  d'un  autre  convoi  de  nos  soldats;  alors  nous  les 
fîmes  reculer  jusqu'aux  marécages  qui  touchent  aux  habitations. 

1.  L'auteur  désigne  ici  le  pécari  ou  sanglier  musqué,  animal  très-commun  encore 
aujourd'hui  sur  certaines  parties  basses  du  Mexique.  Il  est  porteur  d'une  glande  située 
sur  la  région  lombaire,  d'où  suinte  une  liqueur  d'une  odeur  fétide. 


24  CONQUÊTE 

Dans  ce  combat,  on  nous  tua  Juan  de  Quiteria  et  deux  autres  sol- 
dats. Juan  de  Grijalva  reçut  trois  coups  de  flèche   et  on  lui  brisa 
deux  dents  avec  un  projectile  naturel1  très-abondant  sur  cette  côte. 
Environ  soixante  des  nôtres  furent  blessés.  Voyant  que  tous  nos  enne- 
mis avaient  pris  la  fuite,  nous  nous  rendîmes  au  village.  Les  bles- 
sés furent  pansés  et  nous  enterrâmes  les  morts.  Nous  ne  trouvâmes 
personne  dans  le  bourg,   et   ceux  qui  avaient  gagné  les  marécages 
étaient  déjà  partis  ;  de  sorte  que  tous  avaient  mis  leur  avoir  en  sû- 
reté. Nous  prîmes  trois  Indiens  dans    ces  escarmouches;  l'un  d'eux 
paraissait  être  un  chef.  Notre  capitaine  les   envoya  pour  mander  le 
cacique  de  ce  village,  leur  donnant  des  perles  vertes  et  des  grelots  à 
répartir,  afin  que  les  Indiens  revinssent  en  paix.  On  flatta  aussi  beau- 
coup ces  trois  prisonniers;  on  les  gratifia  de  perles  pour  eux-mêmes, 
dans  le  but  de  dissiper  leur  crainte.  Ils  partirent  et  ne  revinrent  pas; 
ce  qui  nous  fit  penser  que  Julianillo  et  Melchorejo   ne  leur  avaient 
pas  traduit  exactement  nos  paroles  et  qu'ils  leur  avaient  exprimé  le 
contraire  de  notre  pensée.  Nous  restâmes    quatre  jours  dans  le  vil- 
lage. Je  me  rappelle  que  lorsque  nous  nous  battions  dans  ces  escarmou- 
ches, il  y  avait  là  des  prés  pierreux  où  se  trouvaient  des  sauterelles 
qui  se  levaient  pendant  le  combat.  Elles  venaient  sur  nous  en  volant 
et  nous  tombaient  sur  le  visage.  Gomme,  d'autre  part,  les  archers 
ennemis  étaient  si  nombreux  que  les  flèches  pleuvaient  comme  grêle, 
nous  prenions  celles-ci  pour  une  volée  de  sauterelles  :  nous  ne  leur 
opposions  pas  nos  boucliers  et  les  flèches  nous  blessaient.  D'autres 
fois,  nous  croyions  voir  arriver  une  flèche  et  c'étaient  des  sauterelles 
qui  venaient  en  volant.  Ce  fut  un  gros  embarras. 


CHAPITRE  X 


Comme  quoi  nous  continuâmes  notre  voyage  et  entrâmes  à  la  bouche  de  Terminos 

nom  que  nous  lui  donnâmes  alors. 

Poursuivant  notre  navigation  en  avant,  nous  arrivâmes  à  une  em- 
bouchure qu'on  eût  dite  celle  d'un  très-grand  fleuve.  Or,  ce  n'était 
pas  précisément  un  fleuve,  comme  nous  le  crûmes  d'abord,  mais  un 
excellent  port,  et,  parce  qu'il  était  entre  deux  côtes,  on  aurait  pris 
son  entrée  pour  un  détroit.  Gomme  d'ailleurs  le  pilote  Anton  de  Ala- 
minos  disait  que  nous  venions  de  longer  une  île  et  que  cette  grande 
embouchure  séparait  les  extrémités  de  deux  pays,  ce  fut  pour  cette 

1.  L'auteur  appelle  ce  projectile  cobaco.  Herrera  dit  que  ce  fut  un  coup  de  flèche 
(Dec.  2.  liv.III  ch.  i). 


DP]  LA   NOUVELLE-ESPAGNE.  25 

raison  que  nous  lui  donnâmes  le  nom  de  «  bouche  de  Terminos  ». 
C'est  ainsi  qu'on  la  marque  dans  les  cartes  marines.  Le  capitaine 
Juan  de  Grijalva  descendit  à  terre  avec  la  plupart  des  capitaines  que 
j'ai  nommés,  et  plusieurs  soldats  s'occupèrent  pendant  trois  jours  à 
sonder  cette  grande  embouchure.  Après  avoir  bien  examiné  la  baie 
dans  tous  les  sens  et  recherché  les  points  où  nous  croyions  que  la  terre 
s'arrêtait,  nous  reconnûmes  que  ce  n'était  pas  la  fin  d'une  île,  mais 
une  anse  et  un  bon  port.  Nous  y  trouvâmes  des  oratoires  bâtis  à  la 
chaux,  avec  grand  nombre  d'idoles  en  terre  et  en  bois,  qui  étaient 
les  unes  des  images  de  divinités,  d'autres  des  figures  de  femmes, 
et  plusieurs,  des  corps  de  serpents;  on  y  voyait  aussi  beaucoup  de 
cornes  de  cerfs.  Nous  pensions,  au  surplus,  qu'il  y  aurait  dans  les 
environs  quelque  village  et  que,  le  port  étant  bon,  ce  serait  un  lieu 
propre  à  coloniser.  Mais  il  n'en  fut  pas  ainsi  ;  la  localité  était  déserte, 
et  ces  oratoires  appartenaient  à  des  marchands  ou  à  des  chasseurs 
qui  entraient  en  passagers  dans  le  port  avec  des  canots  et  y  faisaient 
leurs  sacrifices.  Il  y  avait  une  grande  quantité  de  lapins  et  de  che- 
vreuils. Nous  en  tuâmes  beaucoup,  à  l'aide  d'une  levrette.  Et  bien- 
tôt, ayant  tout  vu  et  tout  sondé,  nous  nous  rembarquâmes,  oubliant 
notre  levrette,  que  nous  retrouvâmes,  du  reste,  très-grasse  et  très- 
brillante,  lorsque  nous  revînmes  avec  Gortès.  Les  marins  appellent 
ce  port  :  port  de  Terminos.  Nous  étant  rembarques,  nous  naviguâmes 
en  côtoyant  la  terre,  jusqu'à  ce  que  nous  arrivâmes  au  fleuve  Tabasco, 
qu'on  appelle  aujourd'hui  fleuve  Grijalva,  parce  que  Juan  de  Grijalva 
le  découvrit. 


CHAPITRE  XI 

Comme  quoi  nous  arrivâmes  au  fleuve  de  Tabasco,  appelé  Grijalva,  et  ce  qui 

nous  y  advint. 

En  naviguant  près  de  terre  dans  la  direction  du  couchant  —  de 
jour  seulement,  parce  que  la  nuit  nous  n'osions  pas,  par  crainte  d'é- 
cueils  et  de  récifs  —,  au  bout  de  trois  jours  nous  aperçûmes  une  large 
embouchure  de  fleuve.  Nous  approchâmes  beaucoup  de  terre  avec 
nos  navires  et  cela  nous  parut  être  un  bon  port.  Mais,  nous  étant 
portés  encore  un  peu  plus  près  de  cette  embouchure,  nous  vîmes  des 
brisants  avant  d'entrer  dans  le  courant,  ce  qui  nous  fit  mettre  les 
canots  à  l'eau,  et,  la  sonde  en  main,  nous  trouvâmes  que  nos  deux 
plus  gros  navires  ne  pourraient  pas  entrer.  Il  fut  convenu  qu'ils 
mouilleraient  en  mer,  hors  du  port,  tandis  que  nous  tous  nous  re- 
monterions le  fleuve  avec  les  deux  autres  navires  qui  calaient  moins 
d'eau,  et  avec  les  canots;  car  nous  apercevions  dans  des  embarca- 


26  CONQUETE 

tions,  près  des  rives,  un  grand  nombre  d'Indiens  pourvus  d'arcs  et 
de  flèches,  avec  leur  armement  pareil  à  celui  des  naturels  de  Cham- 
poton.  Gela  nous  fit  comprendre  que  par  là  se  trouvait  quelque  grand 
village;  d'autant  plus  que,  lorsque  nous  naviguions  près  de  terre, 
nous  avions  vu  des  nasses  placées  dans  la  mer  pour  la  pêche  ;  nous 
prîmes  le  poisson  de  deux  d'entre  elles,  au  moyen  d'une  embarcation 
que  le  navire  commandant  traînait  à  la  remorque.  Ce  fleuve  porte  le 
nom  de  Tabasco,  parce  que  le  cacique  du  pays  s'appelle  de  même. 
Mais  comme  nous  le  découvrîmes  dans  ce  voyage  et  que  Juan  de 
Grijalva  fut  l'auteur  de  la  découverte,  on  le  nomme  fleuve  de  Grijalva, 
etc'est  ainsi  qu'il  figure  dans  les  cartes  marines.  Dès  que  nous  arrivâ- 
mes à  environ  une  demi-lieue  du  village,  nous  entendîmes  le  fracas 
qu'on  faisait  en  coupant  du  bois,  pour  élever  de  grandes  palissades,  les 
habitants  se  préparant  à  nous  combattre  ;  car  ils  avaient  su  ce  qui 
était  arrivé  à  Potonchan  et  ils  tenaient  la  guerre  pour  certaine.  Lors- 
que nous  le  comprîmes  ainsi,  nous  débarquâmes  sur  une  pointe  de 
terrain  plantée  de  palmiers,  qui  était  à  une  demi-lieue  du  village. 
Nous  voyant  en  cet  endroit,  environ  cinquante  canots  s'approchè- 
rent, chargés  de  gens  de  guerre  avec  des  arcs,  des  flèches,  des  dé- 
fenses de  coton,  des  rondaches,  des  lances  et  leurs  tambours  et  pa- 
naches. D'autres  canots  en  grand  nombre,  montés  par  des  guerriers, 
occupaient  des  enfoncements  du  rivage  et  se  tenaient  un  peu  éloi- 
gnés de  nous,  n'osant  approcher  comme  les  premiers. 

Les  voyant  en  cet  état,  nous  fûmes  sur  le  point  de  tirer  sur  eux 
avec  nos  escopettes  et  nos  arbalètes;  mais  Notre  Seigneur  voulut  que 
nous  prissions  le  parti  de  les  appeler  et,  au  moyen  de  Julianillo  et 
Melchorejo,  du  cap  Cotoche,  qui  connaissaient  très-bien  leur  langue, 
notre  capitaine  dit  à  leurs  chefs  de  n'avoir  aucune  crainte,  que  nous 
avions  à  leur  communiquer  des  choses  qui  leur  feraient  tenir  notre 
arrivée  chez  eux  pour  un  événement  favorable,  et  qu'au  surplus  nous 
leur  voulions  donner  de  ce  que  nous  apportions.  Aussitôt  qu'ils  eurent 
compris  notre  pensée,  quatre  canots  arrivèrent  avec  trente  Indiens, 
auxquels  nous  montrâmes  des  colliers  de  perles  vertes,  de  petits 
miroirs  et  des  diamants  bleus.  En  les  voyant,  ils  parurent  prendre 
meilleure  figure,  dans  la  croyance  que  c'étaient  des  chalchihuis,  chose 
qu'ils  ont  en  grande  estime.  Et  alors  notre  capitaine  leur  fit  dire,  par 
nos  interprètes  Julianillo  et  Melchorejo,  que  nous  venions  de  pays 
lointains,  que  nous  étions  sujets  d'un  grand  Empereur  du  nom  de 
don  Carlos,  ayant  pour  vassaux  plusieurs  grands  seigneurs  et  cala- 
chiones;  qu'eux  aussi  le  doivent  prendre  pour  maître,  et  qu'ils  s'en 
trouveront  bien;  qu'ils  veuillent  bien  du  reste  nous  donner  des 
poules  à  manger,  en  échange  de  nos  perles.  Deux  d'entre  eux  nous 
répondirent  (l'un  était  leur  chef,  l'autre  un  de  leurs  papes,  sorte  de 
prêtres  chargés  des  idoles;  j'ai  déjà  dit  que  c'est  papes  qu'on  les 


DE  LA   NOUVELLE-ESPAGNE.  i~ 

nommc  dans  Ja  Nouvelle-Espagne);  ils  nous  dirent  qu'ils  fourni- 
raient les  provisions  que  nous  demandions  et  qu'ils  échangeraient 

leurs  produits  avec  les  nôtres;  mais  qu'ils  avaient  déjà  un  souverain 
et  qu'ils  ne  comprenaient  pas  qu'à  peine  débarqués  nous  leur  en  offris- 
sions un  autre  avant  de  les  connaître;  que  nous  prissions  bien  garde 
de  ne  pas  leur  faire  la  guerre  comme  à  Potonchan,  parce  qu'ils  avaient 
équipé  contre  nous  deux  xiquipiles  de  gens  de  guerre  provenant  de 
tous  ces  districts  (chaque  xiquipil  se  compose  de  huit  mille  hommes)  ; 
ils  ajoutaient  qu'ils  n'ignoraient  pas  que  peu  de  jours  auparavant 
nous  avions  tué  ou  blessé  au  moins  deux  cents  Indiens  à  Potonchan; 
mais  qu'ils  disposaient  de  plus  de  forces  que  leurs  voisins  et  qu'ils 
venaient  nous  parler  afin  de  connaître  nos  intentions  et  de  trans- 
mettre notre  réponse  aux  caciques  de  plusieurs  villages  ailiés,  dans  le 
but  de  décider  la  paix  ou  la  guerre.  Aussitôt  notre  capitaine  les  em- 
brassa en  signe  de  paix  et  leur  offrit  des  colliers  de  verroteries,  les 
exhortant  à  revenir  au  plus  tôt  avec  une  réponse  et  ajoutant  que,  s'ils 
ne  reparaissaient  pas,  nous  nous  verrions  obligés  d'aller  au  village, 
sans  nulle  intention  de  les  fâcher. 

Ces  messagers  parlèrent  aux  caciques,  ainsi  qu'aux  papes,  qui  ont 
voix  délibérative  parmi  eux.  La  réponse  fut  que  la  paix  était  acceptée, 
qu'on  donnerait  des  provisions,  et  qu'entre  eux  tous  et  les  villages 
voisins  on  formerait  tout  de  suite  un  présent  en  or,  pour  nous  l'offrir 
et  cimenter  l'amitié,  de  peur  qu'il  ne  leur  arrivât  comme  à  Potonchan. 
J'eus  occasion  de  savoir  plus  tard  que,  dans  ces  provinces,  on  avait 
l'habitude  d'envoyer  des  présents,  lorsqu'on  traitait  de  la  paix.  Or, 
une  trentaine  d'Indiens  vinrent  à  la  pointe  des  Palmiers,  où  nous 
étions.  Ils  portaient  du  poisson  grillé,  des  poules,  du  fruit  et  du  pain 
de  maïs.  Ils  avaient  aussi  des  cassolettes  allumées  et  des  parfums, 
avec  lesquels  ils  nous  encensèrent  tous.  Ils  mirent  ensuite  sur  le  sol 
des  nattes,  qu'ils  appellent  petates;  ils  les  couvrirent  d'un  tapis  et  y 
étalèrent  des  bijoux  en  or,  en  forme  de  canards,  comme  on  en  voit  en 
Gastille,  et  d'autres  joailleries  représentant  des  lézards,  avec  trois 
colliers  de  grains  vides,  suivis  de  quelques  objets  de  peu  de  prix,  Je 
tout  ne  valant  pas  deux  cents  piastres.  Ils  apportaient  aussi  des  cou- 
vertures et  des  chemisettes  en  usage  parmi  eux,  nous  priant  d'accepter 
de  bonne  grâce  et  disant  qu'ils  n'avaient  plus  d'or  à  nous  offrir,  mais 
que,  plus  loin,  dans  la  direction  du  soleil  couchant,  il  en  existait 
beaucoup;  et  ils  ajoutaient  :  Gulua,  Gulua,  Mexico,  Mexico,  sans  que 
nous  sussions  encore  ce  qu'était  Gulua,  ni  même  Mexico.  Quoique  le 
présent  qu'ils  apportaient  ne  fût  pas  de  grande  valeur,  il  eut  pour 
nous  le  mérite  de  révéler  comme  chose  certaine  qu'ils  possédaient  de 
l'or.  Après  nous  l'avoir  offert,  ils  nous  dirent  de  nous  transporter 
ailleurs  sans  retard.  Notre  capitaine,  les  ayant  remerciés,  leur  donna 
des  perles  vertes,  et  nous  convînmes  de  nous  embarquer  sur-le-champ, 


28  CONQUETE 

parce  que  nos  deux  grands  navires  étaient  en  péril  à  cause  des  vents 
du  nord,  et  aussi  pour  nous  approcher  des  pays  où  l'on  disait  qu'il 
y  avait  de  l'or. 


CHAPITRE  Xll 

Comme  quoi  nous  vîmos  le  village  d'Aguayaluco,  auquel  nous  donnâmes  le  nom 

de  Rambla. 

Nous  étant  rembarques,  nous  avançâmes  en  suivant  la  côte,  et,  au 
bout  de   deux  jours,  nous  aperçûmes,  près  de  la  côte,    un  village 
appelé  Aguayaluco.  Plusieurs  de  ses  habitants  marchaient  sur  le  ri- 
vage avec  des  boucliers  faits  de  carapaces  de  tortue,  et,  comme  ceux-ci 
reluisaient  au  soleil,  quelques-uns  de  nos  soldats  s'obstinaient  à  dire 
qu'ils  étaient  en  or  mélangé.  Les  Indiens  qui  en  étaient  armés  se 
livraient  à  de  grands  mouvements  sur  le  sable,  en  remontant  la  plage. 
Nous  donnâmes  à  ce  village  le  nom  de  Rambla,  et  c'est  ainsi  qu'il 
figure  dans  les  cartes  marines.  Tandis  que  nous  avancions  en  suivant 
la  côte,  nous  aperçûmes  une  anse,  où  nous  laissâmes  derrière  nous  le 
fleuve  de  Fenole.  A  notre  retour,  nous  y  entrâmes,  et  le  nom  de  San 
Antonio  lui  fut  par  nous  appliqué.  Ce  nom  lui  est  conservé  dans  les 
cartes.  Plus  loin,  nous  vîmes  l'endroit  où  débouchait  le  grand  fleuve 
Guazacualco,  et  nous  serions  entrés  dans  la  baie  qui  s'y  forme,  pour 
la  connaître,  si  le  temps  n'eût  été  contraire.  Nous  aperçûmes  bientôt 
les  grandes  sierras  couvertes  de  neige.  Nous  vîmes  aussi,  plus  près  de 
la  mer,  d'autres  montagnes,  qui  s'appellent  aujourd'hui  de  San  Mar- 
tin, nom  que  nous  leur  donnâmes  alors,  parce  que  le  premier  qui  les 
vit  fut  un  soldat  de  la  Havane,  appelé  San  Martin.  En  suivant  la  côte, 
le  capitaine  Pedro  de  Alvarado  prit  les  devants  avec  son  navire  et 
entra  dans  une  rivière  qui,  dans  le  pays,  se  nomme  Papalohuna.  Nous 
lui  appliquâmes  alors  le  nom  de  fleuve  d'Alvarado,  parce  qu 'Alvarado 
lui-même  en  fit  la  découverte.  Là,  des  Indiens  pêcheurs,  naturels  d'un 
village  dit  Tlacotalpa,  lui  donnèrent  du  poisson.  Nous  l'attendîmes 
jusqu'à  sa  sortie,  avec  les  trois  navires,  à  la  hauteur  du  fleuve  où  il 
entra;  et  comme  il  s'y  était  engagé  sans  l'ordre  du  commandant  gé- 
néral, celui-ci  lui  en  témoigna  de  l'humeur  et  lui  enjoignit  de  ne  plus 
se  séparer  de  la  flotte,  parce  qu'il  pourrait  lui  arriver  des  contre- 
temps, dans  des  lieux  où  nous   ne  pourrions   plus  le  secourir.  Et 
aussitôt  nous  naviguâmes  tous  de  conserve  jusqu'à  l'embouchure  d'un 
autre  fleuve,  que  nous  appelâmes  rio  Banderas,  parce  qu'il  y  avait 
beaucoup  d'Indiens  avec  de  grandes  lances,  dont  chacune  portait  un 
petit  drapeau  d'étoffe  blanche;  les  Indiens  les  agitaient  en  nous  appe- 
lant. Je  vais  dire  ce  qui  advint. 


DE  LA   NOUVELLE-ESPAGNE.  29 


CHAPITRE  XIII 


Comme  quoi  nous  arrivâmes  à  un  fleuve  que  nous  nommâmes  rio  Banderas 
et  nous  acquîmes  quatorze  mille  piastres. 

On  aura  déjà  entendu  dire,  dans  la  plus  grande  partie  de  l'Espagne 
et  de  la  chrétienté,  à  quel  point  Mexico  est  une  grande  cité,  bâtie  sur 
l'eau,  comme  Venise.  Or,  il  y  avait  là  un  puissant  seigneur,  roi  de 
plusieurs  provinces,  qui  commandait  à  toute  cette  contrée,  plus  grande 
que  quatre  fois  notre  Gastille1.  Il  s'appelait  Montezuma.  Et,  comme 
il  était  si  puissant,  il  prétendait  maîtriser  et  connaître  ce  qui  était  en 
dehors  de  son  pouvoir,  et  même  l'impossible.  Il  eut  donc  la  nouvelle 
de  notre  première  arrivée  avec  Francisco  Hernandez  de  Gordoba;  il 
sut  ce  qui  nous  arriva  aux  batailles  de  Gotoche  et  de  Ghampoton, 
n'ignorant  pas  non  plus  que  nous  avions  peu  de  combattants,  tandis 
que  nos  ennemis  étaient  fort  nombreux  ;  et,  enfin,  il  comprit  que 
notre  but  était  d'obtenir  de  l'or  en  échange  de  nos  produits.  Tout  cela 
lui  avait  été  décrit  sur  des  étoffes  faites  de  nequien2,  qui  est  comme 
une  sorte  de  fil  de  lin.  Ayant  été  informé  que  nous  suivions  la  côte 
vers  ses  provinces,  il  ordonna  à  ses  gouverneurs,  si  nous  abordions 
leurs  terres,  d'échanger  de  l'or  avec  nos  perles,  les  vertes  surtout, 
parce  qu'elles  ressemblaient  beaucoup  à  leurs  chalchihuis* .  Ces  or- 
dres avaient  particulièrement  pour  but  de  mieux  s'informer  de  tout 
ce  qui  concernait  nos  personnes  et  connaître  nos  desseins.  La  vérité 
est,  —  d'après  ce  que  nous  comprîmes,  —  que  leurs  ancêtres  avaient 
prédit  qu'il  arriverait  des  hommes  d'où  le  soleil  se  lève,  et  qu'ils  de- 
viendraient leurs  maîtres. 

Soit  pour  l'une  ou  pour  l'autre  de  ces  raisons,  des  émissaires  du 
grand  Montezuma  se  tenaient  sous  voiles  dans  la  rivière  que  je  viens 
de  dire,  avec  de  grandes  lances  portant  chacune  un  petit  drapeau.  Ils 
nous  invitaient  à  venir  où  ils  stationnaient.  Lorsque,  de  nos  navires, 
nous  aperçûmes  ces  choses  si  nouvelles,  le  général,  désireux  de  les 
connaître,  convint  avec  tous  nos  capitaines  et  soldats  que  nous  met- 
trions deux  canots  à  la  mer  et  que  nous  y  embarquerions  tous  nos 
arbalétriers,  nos  fusiliers  et  vingt  soldats,  commandés  par  Francisco 

1.  Le  lecteur  doit  être  prévenu  que  Bernai  Diaz  emploie  le  mot  «  Castille  »  pour 
Espagne,  ou  du  moins  pour  tous  les  points  du  pays  formant  le  domaine  de  la  cou- 
ronne de  Castille. 

"2.  C'est-à-dire  d'aloès  ou  d'agave.  Des  fils  semblables  sont  encore  exploités  aujour- 
d'hui et,  sous  le  nom  de  jcnequen,  le  Yucatan  en  fait  un  commerce  d'exportation 
très-considérable. 

3.  Chalchihui  ou  chaîchihiiUl^  pierre  précieuse  verte,  sorte  d'émeraude. 


30  CONQUÊTE 

de  Montejo.  Si  nous  arrivions  à  comprendre  que  les  gens  aux  dra- 
peaux nous  étaient  hostiles,  ou  n'importe  quelle  autre  chose,  nous 
devions  nous  empresser  de  le  notifier  au  commandant.  Dieu  voulut 
qu'en  ce  moment  le  temps  fut  propice,  chose  assez  rare  sur  cette  côte. 
En  arrivant  à  terre,  nous  trouvâmes  trois  caciques;  l'un  d'eux,  gou- 
verneur de  Montezuma,  était  accompagné  d'un  grand  nombre  de 
courriers  indiens.  Ils  apportaient  des  poules  du  pays1,  du  pain  de  maïs 
dont  ils  font  usage,  des  fruits,  des  ananas,  des  zapotes^,  qu'ailleurs 
on  appelle  mameyes.  Ils  se  tenaient  à  l'ombre  des  arbres.  Des  nattes, 
nommées  pelâtes  dans  le  pays,  étaient  étendues  sur  le  sol.  Ils  nous 
invitèrent  à  nous  y  asseoir,  et  tout  cela  par  signes,  car  Julianillo,  de 
Gotoche,  ne  comprenait  pas  leur  langue. 

Bientôt  on  apporta  des  cassolettes  en  terre  et  ils  nous  parfumèrent 
au  moyen  d'une  résine  qui  a  l'odeur  de  l'encens.  Le  capitaine  Mon- 
tejo s'empressa  défaire  tout  savoir  au  général  qui,  aussitôt  qu'il  l'ap- 
prit, résolut  de  remonter  jusqu'à  cet  endroit  avec  ses  navires.  Il  sauta 
à  terre,  accompagné  de  tous  ses  capitaines  et  soldats.  Les  caciques  et 
gouverneurs,  le  voyant  descendre  et  comprenant  qu'il  était  notre  com- 
mandant général,  lui  témoignèrent,  à  leur  manière,  le  plus  grand 
respect  et  ils  l'encensèrent.  Le  capitaine  les  remercia,  leur  prodigua 
mille  politesses,  leur  fit  donner  des  diamants  et  des  perles  vertes  et 
les  pria,  par  signes,  d'apporter  de  l'or  en  échange  de  nos  produits.  A 
l'instant,  le  gouverneur  ordonna,  par  l'entremise  de  ses  Indiens,  que 
tous  les  villages  des  environs  eussent  à  présenter  les  bijoux  qu'ils 
auraient  pour  l'échange.  Pendant  six  jours  que  nous  passâmes  en  ce 
lieu,  on  apporta  pour  plus  de  quinze  mille  piastres  de  petits  joyaux 
en  or  bas,  de  plusieurs  formes  différentes.  C'est  cela,  sans  doute,  que 
Francisco  Lopez  de  G-omara  et  Gonzalo  Hernandez  de  Oviedo,  dans 
leurs  chroniques,  disent  avoir  été  donné  par  les  Indiens  de  Tabasco. 
Tel  est  le  rapport  qu'on  leur  a  fait,  et  ils  le  répètent  comme  si  c'était 
la  vérité»  Mais  il  est  bien  reconnu  qu'il  n'y  a  pas  d'or,  mais  seulement 
quelques  bijoux,  dans  la  province  du  fleuve  Grijalva. 

Quoi  qu'il  en  soit,  nous  prîmes  possession  du  pays  pour  Sa  Majesté 
et,  en  son  royal  nom,  pour  le  gouverneur  de  Cuba,  Diego  Velasquez. 
Gela  fait,  le  général  s'adressant  aux  Indiens  présents  leur  dit  qu'il 
voulait  s'embarquer,  et  il  leur  donna  des  chemises  de  Gastille.  Nous 
prîmes  là  un  naturel  que  nous  amenâmes  abord  de  nos  navires.  Quand 
il  sut  notre  langue,  il  se  fit  chrétien,  et  se  nomma  Francisco  ;  après 
la  prise  de  Mexico,  je  le  vis  marié  dans  un  village  appelé  Santa  Fé. 
Voyant  qu'on  n'apportait  plus  d'or  à  vendre  et  que  nous  avions  passé 
six  jours  en  ce  lieu,  tandis  que  les  navires  couraient  des  dangers  à 

1;  C'est  de  là  que  sont  venus  nos  dindons  ou  poules  d'Indô. 
2;  Nous  appelons  ce  fruit  sapotille  ou  nèfle  d'Amérique; 


DE  LA  NOUVELLE-ESPAGNE.  31 

cause  du  vent  du  nord,  notre  général  nous  donna  l'ordre  d'embar- 
quer.  En  remontant  la  côte,  nous  vîmes  une  petite  île  couverte  de  sable 
blanc.  Elle  paraissait  être  à  trois  lieues  de  distance.  Nous  rappelâmes 
île  Blanche,  et  c'est  ainsi  qu'elle  ligure  dans  les  cartes  marines.  Non 
loin  de  cet  îlot,  nous  vîmes  encore  une  île  qui  paraissait  plus  grande 
que  les  autres,  éloignée  de  terre  d'environ  une  lieue  et  demie.  En 
face  d'elle  était  un  bon  mouillage;  le  général  ordonna  d'y  jeter  l'an- 
cre. Après  avoir  mis  nos  bateaux  à  l'eau,  Juan  de  Grijalva,  avec  plu- 
sieurs d'entre  nous,  alla  visiter  l'île.  Nous  y  trouvâmes  deux  maisons 
bâties  à  chaux  et  à  sable,  bien  travaillées,  ayant  chacune  des  marches 
par  lesquelles  on  montait  à  une  sorte  d'autel  où  l'on  entretenait  des 
idoles  de  mauvais  aspect.  C'étaient  leurs  dieux.  Là  se  voyaient  cinq 
Indiens  sacrifiés  depuis  la  veille.  Us  avaient  la  poitrine  ouverte,  les 
bras  et  les  cuisses  coupés.  Les  murailles  dégouttaient  de  sang.  Rem- 
plis d'étonnement  à  la  vue  de  ces  choses,  nous  appelâmes  cette  île  : 
l'île  des  Sacrifices.  En  face  d'elle  nous  gagnâmes  la  terre  ferme,  et  là, 
sur  de  grands  amas  de  sable,  nous  campâmes  dans  des  baraques  con- 
struites avec  des  branchages  et  avec  les  voiles  de  nos  navires.  Grand 
nombre  d'Indiens  se  transportèrent  à  la  côte,  apportant  pour  l'échange 
de  petits  objets  en  or,  comme  sur  le  fleuve  Banderas.  Nous  avons  su, 
depuis,  que  Montezuma,  lui-même,  avait  fait  ordonner  à  ces  Indiens 
de  nous  les  présenter.  Us  paraissaient  craintifs  et  portaient  peu  de 
chose.  Le  capitaine  Juan  de  Grijalva  donna  Tordre  aux  navires  de  lever 
l'ancre,  de  faire  voile  et  d'aller  mouiller  plus  loin,  devant  une  autre 
île  qui  se  voyait  à  une  demi-lieue  de  terre,  dans  l'endroit  où  se  trouve 
le  port  actuellement.  Je  vais  dire  ce  qui  nous  y  arriva. 


CHAPITRE  XIV 

Comme  <{uoi  nous  arrivâmes  au  port  de  San  Juan  de  Culua. 

Ayant  débarqué  sur  une  plage  sablonneuse,  nous  bâtîmes  des  bara- 
ques avec  des  troncs  d'arbres  sur  des  monticules  de  sable,  qui  sont 
très-considérables  en  cet  endroit,  dans  le  but  de  nous  préserver  des 
moustiques  dont  l'abondance  y  est  fort  grande.  Les  bateaux  furent 
employés  à  sonder  le  port;  on  reconnut  que  le  fond  était  bon  et  que 
les  navires  seraient  bien  abrités  du  nord  par  cette  île.  Gela  étant  fait, 
le  général  et  trente  soldats,  bien  sur  leurs  gardes,  se  rendirent  à  l'île 
à  l'aide  des  canots;  Nous  y  trouvâmes  un  temple  où  nous  vîmes  une 
grande  et  laide  idole  appelée  Tezcatepuca.  Quatre  Indiens  étaient  là, 
vêtus  de  longues  robes  noires,  avec  des  capuces  simulant  la  manière 
des  dominicains  ou  des  chanoines.  C'étaient  les  prêtres  de  cette  divi- 


32  CONQUÊTE 

nité  à  laquelle  ils  avaient  sacrifié  ce  jour-là  même  deux  jeunes  hommes 
dont  les  poitrines  étaient  ouvertes;  les  cœurs  et  le  sang  avaient  été 
offerts  à  la  maudite  idole.  Ces  ministres  venaient  nous  encenser  avec 
ce  même  parfum  qui  a  l'odeur  d'encens  et  qu'ils  adressaient  à  leur 
dieu  ;  mais  nous  ne  voulûmes  pas  y  consentir,  émus  que  nous  étions 
de  pitié  et  de  regret  pour  ces  jeunes  malheureux,  en  les  voyant  au 
moment  où  ils  venaient  de  tomber  victimes  d'une  cruauté  si  grande. 
Le  général  s'adressa  à  Francisco,  l'Indien  que  nous  amenâmes  du  rio 
Banderas1 ,  et  qui  paraissait  intelligent,  lui  demandant  pourquoi  l'on 
commettait  ces  horreurs;  —  et  cela  se  disait  moitié  par  signes,  car 
nous  n'avions  pas  alors  d'interprète,  ainsi  que  je  l'ai  dit.  —  Il  répondit 
que  les  habitants  de  Gulua2  ordonnaient  ces  sacrifices.  Or,  ayant  la 
langue  peu  déliée,  il  disait  :  Olua,  Olua;  et  comme  notre  capitaine, 
qui  était  présent,  s'appelait  Juan  et  que  d'ailleurs  ce  jour-là  était  le 
jour  de  la  Saint-Jean,  nous  donnâmes  à  cette  île  le  nom  de  Saint- 
Jean  d'Uloa.  Ce  port  est  maintenant  très-renommé  ;  on  y  a  construit 
de  grands  chantiers  pour  les  navires,  et  c'est  là  que  viennent  débar- 
quer les  marchandises  pour  Mexico  et  pour  la  Nouvelle-Espagne. 

Revenons  à  notre  sujet.  Pendant  que  nous  étions  sur  cette  plage  de 
sable,  des  Indiens  des  villages  environnants  vinrent  nous  offrir  leurs 
joyaux  d'or  en  échange  de  nos  produits.  Mais  c'était  si  peu  de  chose 
et  de  si  mince  valeur  que  nous  n'en  tenions  aucun  compte.  Nous  res- 
tâmes sept  jours  en  l'état  que  j'ai  dit,  tourmentés  par  une  nuée  de 
moustiques  dont  nous  ne  pouvions  nous  défendre.  Voyant  d'ailleurs 
que  le  temps  passait,  certains  désormais  que  ce  pays  n'était  pas  une 
île,  mais  terre  ferme,  et  qu'il  y  avait  de  grands  centres  de  population; 
considérant  que  notre  pain  de  cassave  moisissait  et  devenait  amer; 
comme,  au  surplus,  nous  tous  qui  étions  venus,  nous  ne  formions 
pas  un  nombre  suffisant  pour  coloniser,  d'autant  moins  que  nous 
avions  perdu  dix  soldats  morts  de  leurs  blessures  et  que  quatre  étaient 
encore  souffrants  ;  tout  cela  bien  examiné,  il  fut  résolu  que  nous  le 
ferions  savoir  au  gouverneur  Diego  Velasquez,  pour  lui  demander 
secours.  Juan  de  Grijalva  témoignait  fermement  sa  volonté  de  nous 
établir  avec  le  peu  de  monde  que  nous  étions  ;  car  il  montra  toujours 
le  ferme  courage  d'un  valeureux  capitaine,  et  nullement  comme  dit 
(jomara  en  sa  chronique.  Or,  pour  le  message,  il  fut  convenu  que  le 
capitaine  Pedro  de  Alvarado  irait  dans  le  navire  que  nous  appelions 

1.  Bandera  veut  dire  «  drapeau  ». 

2.  Olua,  Culua  (Uloa).  Cette  expression,  qui  se  présente  ici  pour  la  seconde  fois, 
a  besoin  d'une  explication,  car  elle  va  revenir  bien  souvent  ensuite  dans  le  récit. 
Culua,  avant  l'époque  de  la  conquête,  était  devenu  synonyme  de  Mexico,  et  l'on  disait, 
au  dehors  de  la  capitale,  indistinctement  :  Culuans  ou  Mexicains.  Cela  provenait  de  ce 
que  la  monarchie  mexicaine,  à  son  origine,  eut  des  points  de  contact  avec  le  royaume 
d'Aculhuacan  dont  l'ancienne  gloire  et  les  domaines  vinrent  enfin  se  confondre  dans 
la  couronne  des  rois  de  Mexico. 


DE  LA  NOUVELLE-ESPAGNE.  33 

le  Saint-Sébastien.  Gomme  il  faisait  eau  —  Lien  peu,  à  la  vérité  —  on 
pourrait  le  caréner  à  l'île  de  Cuba  et  l'utiliser  pour  nous  apporter  des 
provisions  et  des  secours.  Il  fut  aussi  décidé  qu'il  emporterait  tout 
l'or  que  nous  avions  acquis,  des  étoffes  de  coton  et  nos  malades.  Les 
capitaines  écrivirent  à  Diego  Velasquez,  chacun  ce  qui  lui  convint,  et 
le  navire  fit  voile  vers  Cuba.  Je  vais  dire  comme  quoi  Diego  Velas- 
quez avait  envoyé  à  notre  recherche. 


CHAPITRE  XV 

Comme  quoi  Diego  Velasquez  envoya  un  petit  navire  à  notre  recherche. 

Après  notre  départ  de  Cuba  avec  Juan  de  Grijalva,  Diego  Velas- 
quez devint  triste  et  pensif,  dans  la  crainte  qu'il  ne  nous  fût  arrivé 
quelque  malheur.  Désireux  d'avoir  de  nos  nouvelles,  il  envoya  à  notre 
recherche  un  petit  navire  avec  sept  soldats  auxquels  il  donna  pour 
capitaine  Ghristovalde  Oli,  homme  de  valeur  et  de  grande  bravoure. 
Il  lui  ordonna  de  suivre  la  route  de  Francisco  Hernandez  de  Cordova, 
jusqu'à  ce  qu'il  nous  découvrît.  Or,  il  paraît  qu'en  allant  à  notre  ren- 
contre Ghristoval  de  Oli  fut  assailli  par  une  tempête,  tandis  qu'il 
était  mouillé  près  de  terre  ;  et,  pour  ne  pas  sombrer  sur  les  amarres, 
le  pilote  qui  les  accompagnait  fit  couper  les  câbles  et  perdit  les  an- 
cres. On  revint  à  Santiago  de  Cuba  dont  on  était  parti.  Là  se  trou- 
vait Diego  Velasquez  qui,  les  voyant  sans  nouvelles  de  nous,  devint 
plus  triste  et  plus  pensif  qu'il  ne  l'était  avant  d'envoyer  Ghristoval 
de  Oli.  Ge  fut  sur  ces  entrefaites  que  Pedro  de  Alvarado,  porteur  du 
rapport  détaillé  de  tout  ce  que  nous  venions  de  découvrir,  arriva  avec 
l'or,  les  étoffes  et  aussi  les  malades.  Lorsque  Velasquez  le  vit  chargé 
de  bijoux  dont  l'effet  dépassait  la  valeur,  et  que  le  virent  aussi 
grand  nombre  d'habitants  de  l'île,  venus  pour  leurs  affaires,  qui  se 
trouvaient  avec  le  gouverneur  ;  quand  d'ailleurs  les  officiers  de  la 
couronne  eurent  pris  possession  du  quint  royal  qui  revenait  à  Sa  Ma- 
jesté, ils  furent  tous  saisis  d'admiration  en  considérant  les  richesses 
des  pays  que  nous  avions  découverts.  Gomme  d'ailleurs  Pedro  de  Al- 
varado le  savait  très-bien  raconter,  Diego  Velasquez  ne  cessait  pas 
de  l'embrasser.  Il  donna  pendant  huit  jours  des  fêtes  et  des  carrou- 
sels ;  de  sorte  que,  si  jusque-là  les  pays  découverts  avaient  eu  grande 
réputation  de  richesse,  maintenant  cet  or  y  mit  le  comble  dans  les 
îles  et  en  Gastille,  ainsi  que  je  le  dirai  bientôt.  Pour  le  moment,  je 
laisserai  Diego  se  divertir  et  je  reviendrai  à  nos  navires,  avec  lesquels 
nous  étions  à  Saint -Jean  d'Uloa. 


34  CONQUÊTE 


CHAPITRE   XVI 

Ce  qui  nous  arriva  en  côtoyant  les  sierras  de  Tusta  et  de  Tuspa. 

Après  que  le  capitaine  Pedro  de  Alvarado  se  fut  séparé  de  nous 
pour  aller  à  l'île  de  Cuba,  notre  général,  d'accord  avec  les  autres 
commandants  et  les  pilotes,  résolut  de  continuer  à  suivre  la  côte,  en 
découvrant  tout  ce  qu'il  serait  possible.  Tandis  que  nous  naviguions, 
nous  vîmes  les  sierras  de  Tusta,  et  un  peu  plus  loin,  au  bout  de  deux 
jours,  nous  aperçûmes  d'autres  élévations  beaucoup  plus  considéra- 
bles, qu'on  appelle  les  sierras  de  Tuspa,  de  sorte  que  les  unes  sont 
nommées  Tusta  parce  qu'elles  se  trouvent  près  d'un  village  de  même 
nom;  les  autres  s'appellent  Tuspa  parce  que  c'est  ainsi  qu'on  nomme 
le  bourg  auprès  duquel  elles  s'élèvent.  En  allant  plus  loin,  nous  vî- 
mes encore  grand  nombre  de  villages  qui  paraissaient  être  à  deux  ou 
trois  lieues  de  la  côte;  c'était  déjà  la  province  de  Panuco.  Tandis  que 
nous  continuions  notre  route,  nous  arrivâmes  à  une  grande  rivière  que 
nous  appelâmes  rio  de  Canoas1,  et  nous  jetâmes  l'ancre  près  de  son 
embouchure. 

Or,  pendant  que  nous  étions  fort  peu  sur  nos  gardes  dans  notre 
mouillage,  seize  embarcations  très-grandes  vinrent  sur  nous  par  le 
fleuve;  elles  étaient  pleines  d'Indiens  armés  d'arcs,  de  flèches  et  de 
lances.  Ils  vont  droit  au  navire  plus  petit  qui  avait  pour  capitaine 
Alonso  de  Avila  et  qui  se  trouvait  plus  rapproché  de  terre;  ils  font 
pleuvoir  sur  lui  une  grêle  de  flèches  qui  blessent  deux  de  nos  soldats, 
et,  portant  les  mains  sur  le  navire  lui-même  comme  pour  l'emme- 
ner, ils  parviennent  à  couper  une  de  ses  amarres.  Mais  comme  le  ca- 
pitaine et  ses  soldats  se  battaient  bien,  ils  avaient  déjà  renversé 
trois  bateaux,  lorsque  nous  arrivâmes  très-prestement  à  leur  secours 
avec  nos  canots,  nos  fusils  et  nos  arbalètes.  Nous  blessâmes  plus  du 
tiers  de  ces  gens-là,  de  sorte  qu'ils  s'en  retournèrent  fort  maltraités 
par  où  ils  étaient  venus.  Nous  levâmes  l'ancre  et  nous  fîmes  voile 
sans  retard;  nous  suivîmes  la  côte  jusqu'à  une  grande  pointe  de  terre 
fort  difficile  à  doubler.  Les  courants  étaient  d'ailleurs  si  considéra- 
bles, qu'il  ne  nous  était  plus  possible  d'avancer.  Le  pilote  Alaminos 
dit  alors  au  général  qu'il  ne  convenait  pas  de  suivre  cette  route,  et  il 

1.  Cela  veut  dire:  la  rivière  aux  embarcations.  Le  lecteur  reverra  souvent  cette 
expression  de  canoas.  Elle  sert  à  désigner,  selon  les  lieux,  des  embarcations  plus  ou 
moins  considérables.  L'auteur  me  paraît  l'appliquer  seulement  aux  canots  creuses 
d'une  pièce  dans  un  tronc  d'arbre.  Ainsi  faites,  au  Yucatan,  elles  s'appellent  cayucos, 
tandis  que  dans  le  mémo  pays  àanoa  désigne  une  embarcation,  une  grande  chaloupe 
qui  Irise  les  dimensions  d'une  petite  goélette. 


DE  LA  NOUVELLE-ESPAGNE.  35 

on  donna  de  nombreuses  raisons.  On  mit  en  délibération  ce  qu'il  fau- 
drait faire,  et  il  fut  convenu  que  nous  retournerions  à  l'île  de  Cuba; 
d'abord,  parce  que  l'hiver  allait  commencer  et  que  les  provisions  nous 
manquaient;  ensuite,  parce  qu'un  des  navires  faisait  eau.  Les  capi- 
taines, du  reste,  n'étaient  pas  d'accord;  car  Juan  de  Grijalva  disait 
qu'il  voulait  coloniser,  tandis  que  Francisco  de  Montejo  et  Alonso 
de  Avila  prétendaient  qu'on  ne  pourrait  se  maintenir,  à  cause  de 
la  multitude  de  guerriers  qu'il  y  avait  dans  le  pays.  Enfin  nous 
tous,  les  soldats,  nous  étions  rebutés  et  très-fatigués  du  voyage 
de  mer. 

Aussi  entreprîmes-nous  le  retour  toutes  voiles  dehors,  et,  les  cou- 
rants nous  aidant,  nous  arrivâmes  en  peu  de  jours  près  du  rio  Gua- 
zacualco  ;  mais  nous  ne  pûmes  pas  nous  y  arrêter,  à  cause  du  mauvais 
temps.  Grillés,  du  reste,  par  le  climat,  nous  entrâmes  dans  le  fleuve 
de  Tonala,  auquel  nous  donnâmes  alors  pour  nom  «  San  Anton  ». 
Nous  y  carénâmes  le  navire  parce  qu'il  se  mit  à  faire  beaucoup  d'eau, 
après  avoir  touché  trois  fois  sur  la  barre  qui  est  très-basse.  Pendant 
que  nous  le  réparions,  beaucoup  d'Indiens  vinrent  du  port  de  Tonala 
qui  se  trouve  à  une  lieue  plus  loin.  Ils  apportaient  du  pain  de  maïs, 
du  poisson,  du  fruit,  et  ils  nous  les  offrirent  de  fort  bonne  grâce.  Le 
capitaine  leur  fit  de  grandes  caresses,  ordonna  qu'on  leur  distribuât 
des  perles  vertes  et  des  diamants,  et  les  pria  par  signes  d'apporter 
de  l'or  en  échange  des  produits  que  nous  leur  fournirions.  Ils  nous 
présentaient  des  joyaux  en  or  mélangé  et  nous  leur  donnions  des  ver- 
roteries en  retour.  Les  habitants  de  Guazacualco  et  d'autres  villages 
des  environs,  ayant  su  que  nous  achetions,  vinrent  aussi  avec  leurs 
bijoux,  et  ils  emportèrent  des  perles  vertes  qu'ils  avaient  en  grande 
estime.  Outre  ces  produits,  les  Indiens  de  cette  province  nous  propo- 
sèrent des  haches  de  cuivre  très-brillantes,  à  la  manière  d'armes  d'ap- 
parat, avec  manches   de  bois  bariolés  de  peintures.  Nous  crûmes 
qu'elles  étaient  en  or  mélangé,  et  comme  on  vit  que  nous  commen- 
cions à  en  acheter,  nous  eûmes,  en  trois  jours,  l'occasion  d'en  acqué- 
rir plus  de  six  cents,  et  nous  en  étions  fort  satisfaits,  les  croyant  en 
or;  tandis  que  les  Indiens  étaient  encore  plus  contents  avec  nos  perles. 
Or,  tout  cela  ne  fut  que  chimère  :  les  haches,  en  effet,  étaient  en  cui- 
vre, et  les  perles  presqu'en  rien  du  tout.  Un  matelot  avait  acheté  sept 
haches  et  il  en  était  tout  joyeux.  Un  de  ses  camarades  l'ayant  dit  au 
capitaine,   celui-ci  lui  donna  l'ordre  de  les  livrer;  mais  nous  intercé- 
dâmes et  on  les  lui  laissa,  quoiqu'on  les  crût  en  or.  Je  me  rappelle 
aussi  qu'un   soldat,  nommé  Bartolomé  Prado,  entra  dans  un  bâtiment 
d'idoles  (j'ai  déjà  dit  qu'on  les  nomme  eues  :  c'est,  peut-on  dire,  1;> 
maison  de  leurs  dieux)*  Ce  bâtiment  était  situé  sur  une  éminence.  Il  y 
trouva  beaucoup  d'idoles,  du  copal  pareil  à  notre  encens  et  qui  leur 
sert  au  même  usage,  des  couteaux  d'obsidienne  avec  lesquels  ils  font 


36  CONQUETE 

des  sacrifices  et  dépècent  les  victimes,  des  caisses  en  bois  qui  con- 
tenaient des  pièces  en  or  formant  des  diadèmes,  des  colliers,  deux 
idoles  et  quelque  chose  comme  des  grains  de  chapelet.  Le  soldat  prit 
pour  lui  tout  ce  qui  était  en  or  et  apporta  au  capitaine  les  idoles  des 
sacrifices.  Nos  gens  s'en  aperçurent  et  le  dirent  à  Grijalva  qui  voulut 
tout  reprendre.  Nous  le  priâmes  de  le  lui  laisser,  et,  comme  il  était 
d'un  naturel  bienveillant,  il  décida  qu'on  prendrait  le  quint  de  Sa 
Majesté  et  qu'on  abandonnerait  le  reste  au  soldat.  Gela  ne  valait  pas 
quatre-vingts  piastres. 

Je  dois  dire  aussi  que  je  semai  des  pépins  d'orange  auprès  d'autres 
temples  d'idoles;  voici  à  quel  propos.  Gomme  il  y  avait  beaucoup  de 
moustiques  sur  la  rivière,  je  montai  me  reposer  dans  un  temple  élevé. 
J'en  pris  occasion  pour  semer  près  de  ce  bâtiment  sept  ou  huit  pépins 
d'oranges  que  j'avais  apportées  de  Cuba.  Ils  poussèrent  très-bien,  parce 
que,  paraît-il,  les  papes  de  ces  idoles  les  protégèrent  de  défenses  con- 
tre les  fourmis.  Ils  prenaient  soin  de  les  arroser  et  de  les  nettoyer,  en 
voyant  que  c'étaient  des  plantes  différentes  des  leurs.  J'ai  rapporté 
le  fait  pour  qu'on  sache  que  ce  furent  les  premiers  orangers  plantés 
dans  la  Nouvelle-Espagne.  Après  la  prise  de  Mexico  et  la  pacification 
des  villages  dépendant  de  Gruazacualco,  cette  province  passa  pour  être 
la  meilleure  de  la  Nouvelle-Espagne  à  cause  de  la  supériorité  des  con- 
ditions qui  la  distinguent,  tant  sous  le  rapport  de  ses  mines,  que  pour 
l'excellence  de  son  port.  Le  sol  était  naturellement  riche  en  or  et  en 
pâturages.  C'est  pour  cela  que  le  pays  fut  colonisé  par  les  principaux 
conquistadores  du  Mexique,  et  je  fus  du  nombre.  Ayant  été  chercher 
mes  orangers,  je  les  transplantai  et  ils  furent  excellents. 

On  ne  manquera  pas  de  dire,  je  le  sais,  que  ces  vieilles  histoires 
n'intéressent  nullement  le  sujet  de  ma  narration;  je  les  laisserai  donc, 
pour  conter  comme  quoi  tous  les  Indiens  de  ces  provinces  furent  très- 
satisfaits  de  notre  venue.  Nous  ne  tardâmes  pas  à  leur  faire  nos  adieux 
et  nous  reprîmes  notre  route  vers  Cuba.  En  quarante-cinq  jours,  tantôt 
avec  beau  temps,  tantôt  avec  vent  contraire,  nous  arrivâmes  à  Santiago 
où  se  trouvait  Diego  Velasquez  qui  nous  fit  bon  accueil.  Il  admira  l'or 
que  nous  apportions,  montant  à  environ  quatre  mille  piastres,  ce  qui, 
réuni  à  celui  que  le  capitaine  Pedro  de  Alvarado  avait  rapporté,  for- 
mait un  total  de  vingt  mille  piastres,  —  d'aucuns  disaient  plus,  d'au- 
tres disaient  moins.  —  Les  officiers  de  la  couronne  y  prélevèrent  le 
quint  du  Roi.  On  apporta  aussi  les  six  cents  haches  qui  paraissaient 
être  en  or;  mais  quand  on  les  présenta  au  partage  royal,  elles  étaient 
si  rouillées  qu'elles  dénotaient  bien  le  cuivre  dont  elles  étaient  faites. 
Il  y  eut  là  de  quoi  rire  et  plaisanter,  et  sur  l'achat,  et  sur  la  mystifi- 
cation. Tout  cela  rendit  Diego  Velasquez  très-joyeux,  d'autant  plus 
qu'il  était  en  mauvais  termes  avec  son  parent  Grijalva,  et  cela  sans  mo- 
tifs, si  ce  n'est  qu'Alonso  de  Avila,  qui  avait  un  méchant  naturel,  di- 


DE   LA  NOUVELLE-ESPAGNE.  37 

sait  que  Grijalva  valait  peu  de  chose,  et  le  capitaine  Montejo  ne  se  fit 
pas  faute  de  l'aider  à  mal.  Lorsque  tout  cela  se  passait,  on  était  déjà 
en  pourparlers  pour  l'envoi  dune  autre  flotte  et  pour  le  choix  de  son 
commandant. 


CHAPITRE  XVII 

Comme  quoi  Diego  Velasquez  envoya  son  procureur  en  Castille 

Quoiqu'il  puisse  paraître  au  lecteur  que  ce  qui  me  vient  actuellement 
à  la  mémoire  est  étranger  à  notre  récit,  il  convient  de  le  dire  avant  de 
commencer  ce  qui  se  rapporte  au  capitaine  Fernand  Gortès,  pour  des 
motifs  qu'on  verra  dans  la  suite  de  ce  livre.  Deux  ou  trois  choses,  d'ail- 
leurs, sont  arrivées  dans  le  même  temps,  et  nous  devons  forcément 
choisir,  pour  en  parler,  celle  qui  se  rapporte  le  plus  au  sujet.  Or,  ainsi 
que  je  l'ai  dit,  lorsque  le  capitaine  Alvarado  arriva  à  Santiago  de  Cuba 
avec  l'or  acquis  dans  les  pays  que  nous  avions  découverts,  Diego  Ve- 
lasquez craignit  qu'avant  qu'il  en  fît  lui-même  le  rapporta  Sa  Majesté, 
quelque  favori  de  la  cour  en  eût  connaissance  et  lui  dérobât  les  avan- 
tages de  la  nouvelle.  C'est  pour  ce  motif  que  Diego  Velasquez  en- 
voya en  Castille  son  chapelain,  nommé  Benito  Martinez,  homme  très- 
entendu  en  affaires,  avec  des  témoignages  authentiques  et  des  lettres 
pour  don  Juan  Rodriguez  de  Fonseca,  évêque  de  Burgos,  appelé  aussi 
archevêque  de  Rosano,  pour  le  licencié  Luis  Zapata,  et  pour  le  secré- 
taire Lope  Gonchillos,  personnages  qui  étaient  alors  chargés  des  affaires 
des  Indes.  Velasquez  était  grandement  à  la  dévotion  de  l'évêque  et  des 
autres  auditeurs,  auxquels  il  avait  donné,  dans  l'île  de  Cuba,  des  vil- 
lages d'Indiens  qui  exploitaient  des  mines  d'or  à  leur  profit.  C'est  pour 
cela  que  l'évêque  de  Burgos  surtout  faisait  beaucoup  pour  lui.  On  n'as- 
signa point  d'Indiens  à  Sa  Majesté,  parce  qu'Elle  se  trouvait  alors  en 
Flandres.  Mais,  outre  les  Indiens  qu'il  avait  déjà  donnés  aux  auditeurs, 
ainsi  que  je  l'ai  dit,  Velasquez  leur  adressa  nouvellement  plusieurs 
joyaux  d'or,  pris  parmi  ceux  que  nous  avions  envoyés  par  le  capitaine 
Alvarado,  s'élevant  en  totalité  à  la  valeur  de  vingt  mille  piastres.  Or 
rien  ne  se  décidait,  dans  le  Conseil  royal  des  Indes,  que  par  ordre  de 
ces  personnages.  Ce  que  Diego  Velasquez  faisait  solliciter  par  son  en- 
voyé, c'étaient  des  pouvoirs  pour  acquérir  par  échange,  faire  des  con- 
quêtes et  coloniser  tout  ce  qu'il  avait  déjà  découvert  et  tout  ce  qu'il 
découvrirait  à  l'avenir.  Il  disait,  dans  son  rapport  et  dans  ses  lettres, 
qu'il  avait  dépensé  beaucoup  de  milliers  de  piastres  d'or  dans  ses  dé- 
couvertes. Le  chapelain  Benito  Martinez  fut  donc  en  Castille  où  il  né- 
gocia tout  ce  que  Velasquez  demandait  et  même  au  delà,  puisqu'il  rap- 
porta des  lettres  patentes  lui  conférant  le  titre  d'adelantado  de  l'île  de 


38  CONQUÊTE 

Cuba.  Mais,  cela  étant  obtenu,  les  lettres  n'arrivèrent  pas  tellement 
vite  que  Cortès  ne  fût  parti  auparavant  avec  une  autre  flotte.  Nous  lais- 
serons là  et  les  dépêches  de  Diego  Velasquez  et  la  flotte  de  Gortès,  et 
je  dirai  comme  quoi,  pendant  que  j'écrivais  ce  récit,  je  vis  une  histoire 
du  chroniqueur  Francisco  Lopez  de  Gomara,  qui  traite  de  la  conquête 
de  la  Nouvelle-Espagne  et  de  Mexico.  Je  dirai  en  quoi  la  réalité  des 
événements  est  en  contradiction  avec  ce  que  le  Gomara  avance.  Je  con- 
terai la  manière  dont  ces  faits  se  sont  passés  dans  la  conquête,  et  l'on 
verra  que  c'est  fort  différent  de  ce  que  Gomara  a  écrit  au  mépris  de 
la  vérité. 

CHAPITRE  XVIII 


De  quelques  réflexions  au  sujet  de  ce  que  Francisco  Lopez  de  Gomara,  mal  informé, 

a  écrit  dans  son  histoire  *. 

Lorsque  j'écrivais  ce  récit,  je  vis  par  hasard  une  histoire  en  bon  style, 
qui  porte  le  nom  d'un  certain  Francisco  de  Gomara,  et  traite  de  la 
conquête  de  Mexico  et  de  la  Nouvelle-Espagne.  Or,  ayant  vu  sa  belle 
rhétorique,  tandis  que  mon  travail  est  si  dépoli,  je  cessai  de  l'écrire 
et  j'eus  même  honte  qu'il  pût  tomber  entre  les  mains  de  gens  de  mé- 
rite. J'en  étais  à  ce  degré  de  perplexité,  lorque  je  me  remis  à  lire  et 
à  considérer  les  arguments  et  les  récits  que  Gomara  écrivit  dans  ses 
livres.  Je  vis  alors  que,  depuis  le  commencement  jusqu'à  la  fin,  sa  re- 


1.  C'est  ici  que  pour  la  première  fois  Bernai  Diaz  nous  met  en  présence  de  ses  res- 
sentiments contre  l'écrivain  Gomara,  auteur  d'une  chronique  célèbre  de  la  campagne 
du  Mexique  par  Fernand  Cortès.  Une  explication  devient  nécessaire;  car  Bernai  Diaz 
se  contente  de  faire  allusion,  sans  les  expliquer,  à  des  raisons  qui  avaient  pu  porter 
cet  historien  à  écrire  avec  partialité  l'histoire  de  la  conquête  de  la  Nouvelle-Espagne. 
Notre  auteur  exagère  sans  doute  en  certains  points,  mais  il  est  fondé  d'une  manière 
générale  en  ce  qu'il  avance.  Gomara  fut  en  effet  le  chapelain  de  Fernand  Cortès  dans 
les  dernières  années  de  la  vie  de  ce  guerrier,  et  il  continua  à  vivre  au  même  titre  au- 
près de  son  fils,  après  la  mort  du  conquistador.  Cette  position  à  gages  était  très-déli- 
cate pour  le  narrateur  d'événements  qui  concernaient  d'une  manière  essentielle  la 
famille  dont  dépendait  son  bénéfice.  C'est  du  reste  à  ce  foyer  à  peu  près  unique  qu'il 
puisait  ses  connaissances  sur  les  faits  mémorables  qu'il  se  proposait  de  décrire.  Il 
est  bien  naturel  de  penser  qu'il  ne  recevrait  point,  dans  ce  cercle  de  confidences,  des 
révélations  nuisibles  au  chef  qui  personnifiait  en  lui-même  cette  expédition  célèbre. 
Bernai  Diaz  signale  comme  point  de  départ  de  l'irritation  qu'il  a  ressentie  à  la  lecture 
de  Gomara  le  soin  que  prend  cet  auteur  de  faire  retomber  sur  Cortès  l'honneur  des 
événements  les  plus  remarquables  de  la  campagne,  et  son  peu  de  souci  de  mettre  en 
relief  la  valeur  et  le  dévouement  de  ses  compagnons  d'armes.  C'est  avec  raison  sans 
doute  que  Diaz  repousse  un  grand  nombre  d'assertions  qui  lui  paraissent  injustes  ou 
peu  conformes  aux  véritables  faits  dont  il  a  lui-même  été  témoin;  mais  il  faut  con- 
venir qu'il  met  en  général  peu  d'adresse  à  relever  ces  erreurs,  et  très-souvent  il  se 
fait  tort  à  lui-même  et  il  obscurcit  sa  narration  par  des  rabâchages  de  critique  que 
le  lecteur  ne  supporte  pas  toujours  avec  patience. 


DE  LA  NOUVELLE-ESPAGNE.  39 

lation  est  mauvaise  et  bien  contraire  à  ce  qui  se  passa  dans  la  Nouvelle- 
Espagne.  Quand  il  se  met  à  parler  de  ses  grandes  villes  et  du  grand 
nombre  de  ses  habitants,  il  ne  fait  pas  plus  de  cas  d'écrire  huit  que 
huit  mille.  Pour  ce  qui  est  des  nombreuses  tueries  que,  selon  lui,  nous 
faisions,  on  peut  dire  que  nous  n'étions,  en  tout,  qu'environ  quatre 
cents  soldats,  que  nous  avions  bien  assez  de  peine  à  empêcher  qu'on 
nous  tuât  ou  qu'on  nous  prît  vivants,  et  que,  lors  même  qu'on  nous 
eût  amené  les  Indiens  attachés,  nous  n'aurions  pas  pu  nous  rendre  cou- 
pables de  tant  de  meurtres  et  de  tant  de  cruautés  qu'il  dit  que  nous 
commîmes.  Je  jure  —  amen!  —  que  chaque  jour  nous  suppliions,  au 
contraire,  le  Seigneur  notre  Dieu  de  nous  préserver  d'une  déroute  com- 
plète. Poursuivons  ce  sujet.  Le  vaillant  roi  Athalaric  et  l'orgueilleux 
guerrier  Attila  firent  moins  de  carnage  sur  les  champs  catalauniens 
que  nous  n'en  fîmes,  d'après  Gomara.il  dit  aussi  que  nous  détruisîmes 
plusieurs  villes  et  eues,  qui  sont  les  temples  de  leurs  idoles.  Il  a  cru 
qu'en  cela  il  faisait  grand  plaisir  à  ceux  qui  lisent  son  histoire,  et  il 
n'a  pas  voulu  comprendre,  en  l'écrivant,  que  les  vrais  conquistadores 
et  les  curieux  lecteurs  qui  savent  ce  qui  s'est  passé  pourront  lui  dire 
qu'il  se  trompe  en  tout  ce  qu'il  écrit.  Si  dans  toutes  les  autres  his- 
toires  qu'il  rédige  il  se  conduit  comme  pour  la  Nouvelle-Espagne,  on 
peut  dire  qu'il  y  est  aussi  dans  l'erreur.  Ge  qui  est  remarquable,  c'est 
qu'il  élève  les  uns  et  rabaisse  les  autres  ;  ceux  qui  ne  se  trouvèrent 
pas  dans  la  campagne,  il  les  y  fait  capitaines  ;  il  dit  qu'un  Pedro  de 
Ircio  commandait  lors  de  la  déroute  en  un  village  que  nous  appelâ- 
mes Almeria,  tandis  que  le  vrai  commandant  fut  un  certain  Juan  de 
Escalante,  qui  mourut  des  suites  de  cette  affaire  avec  sept  autres  sol- 
dats. Il  prétend  que  Juan  Velasquez  de  Léon  fut  coloniser  Cruazacualco; 
tandis  que  ce  qui  est  vrai,  c'est  que  Gronzalo  de  Sandoval,  natif  d'Avila, 
fut  ce  colonisateur.  Il  dit  aussi  que  Cortès  fit  brûler  un  Indien,  offi- 
cier de  Montezuma,  nommé  Quezalpopoca,  outre  la  ville  qu'on 
incendia  *. 

Gromara  n'est  pas  plus  fidèle  en  parlant  de  notre  attaque  contre  le 
village  de  la  forteresse  à'Anga-Panga  ;  il  conte  cet  événement,  mais 
nullement  de  la  manière  dont  les  choses  se  passèrent.  Pour  ce  qui  est 
de  la  proclamation  que  nous  fîmes  sur  la  plage  de  sable  en  nommant 
Cortès  capitaine  général  et  grand  justicier,  on  l'a  induit  totalement 
en  erreur.  Au  sujet  de  la  prise  d'un  village  de  la  province  de  Chiapa, 
appelé  Ghamula,  il  n'est  pas  exact,  non  plus,  en  ce  qu'il  dit.  C'est  bien 

1.  Je  ne  suis  pas  sûr  que  tel  soit  le  sens,  car  l'auteur  a  dit  :  Cortcz  mando  que- 
mar  un  ludio  que  se  decia  Quezal  Popoca,  capitan  de  Montezuma,  sobre  la  po- 
blacion  que  se  quetno.  On  pourrait  également  traduire:  1°  outre  la  ville  qui  fut  brûlée; 
2"  sur  la  ville  qui  fut  brûlée  ;  3U  au  sujet  de  la  ville  que  Ton  brûla.  De  toute  façon, 
cela  me  paraît  être  une  accusation  injuste  contre  Gomara,  car  je  ne  vois  dans  le 
texte  de  cet  auteur  absolument  rien  qui  la  légitime. 


40  CONQUÊTE 

pis  encore  quand  il  prétend  que  Gortès  fit  percer  secrètement  les  na- 
vires qui  nous  avaient  amenés  ;  tandis  qu'il  est  notoire  que  ce  fut  sur 
l'avis  de  toute  l'armée  qu'il  les  fit  échouer  ostensiblement,  afin  que 
les  marins  qui  les  montaient  pussent  nous  aider  à  nous  défendre  et 
à  nous  battre.  En  ce  qui  touche  Juan  de  Grijalva,  qui  était  un  bon  ca- 
pitaine, il  l'entame  et  l'amoindrit.  Quant  à  ce  qui  regarde  don  Fran- 
cisco Hernandez  de  Gordoba,  il  ne  dit  nullement  qu'il  eût  découvert  le 
Yucatan.  Pour  ce  qui  est  de  Francisco  de  G-aray,  il  prétend  qu'il  était 
déjà  venu  au  Panuco  avec  quatre  navires,  avant  qu'il  y  vînt  avec  la 
dernière  flotte;  sur  quoi  il  se  trompe  comme  en  tout  le  reste.  Au  sur- 
plus, tout  ce  qu'il  dit  de  l'arrivée  du  capitaine  Narvaez  et  de  la  déroute 
que  nous  lui  infligeâmes,  il  l'écrit  comme  on  le  lui  a  conté.  Relati- 
vement aux  batailles  de  Tlascala  jusqu'à  la  conclusion  de  la  paix,  il 
reste  bien  loin  de  la  réalité  des  événements. 

En  ce  qui  regarde  les  combats  de  Mexico,  quand  nous  fûmes  dé- 
faits et  chassés  de  la  ville,  on  nous  tua  ou  sacrifia  huit  cent  soixante 
hommes, — je  répète  et  dis:  environ  huit  cent  soixante  soldats,  car 
les  hommes  de  Gortès  et  de  Narvaez  qui  se  réunirent  pour  soutenir 
Alvarado  montaient  réellement  à  treize  cents  ;  or  nous  n'en  conser- 
vâmes que  quatre  cent  quarante,  tous  blessés.  — Eh  bien!  G-omara  le 
raconte  comme  si  rien  n'était.  Et  lorsque  nous  revînmes  sur  Mexico,  il 
ne  dit  rien  non  plus  des  soldats  qu'on  nous  tua  ou  blessa  dans  les  as- 
sauts ;  on  croirait  que  tout  se  passait  pour  nous  comme  si  nous  eussions 
été  à  la  noce  et  en  partie  de  plaisir.  Mais  pourquoi  donc  m'escrimé-je 
tant  de  la  plume,  pour  tout  conter,  et  à  quoi  bon  tant  de  frais  d'encre 
et  de  papier?  Car  si  dans  tout  ce  que  Gomara  écrit  il  y  va  de  ce  train, 
c'est  vraiment  dommage;  et  puisqu'il  brille  par  le  bon  style,  il  devrait 
s'évertuer  à  en  faire  usage  pour  prouver  ce  qu'il  écrit.  Laissons  ce 
propos  et  revenons  à  mon  sujet.  Après  avoir  reconnu  que  tout  ce  qu'a 
dit  Gomara  est  bien  loin  delà  vérité  et  que,  par  conséquent,  beaucoup 
de  gens  s'en  trouvent  lésés,  je  reprends  le  fil  de  mon  récit  et  de  mon 
histoire,  bien  persuadé,  comme  disent  les  Sages,  que  la  meilleure  ma- 
nière de  polir  le  style  et  de  lui  donner  de  la  grâce,  c'est  de  dire  vrai 
dans  tout  ce  qu'on  écrit;  la  vérité  voilera  ma  rudesse.  Tout  bien  con- 
sidéré, j'ai  donc  résolu  de  poursuivre  mon  dessein  avec  le  style  et  les 
arguments  qu'on  verra  plus  loin,  afin  que  mon  travail  soit  mis  à  jour 
et  qu'on  voie  les  conquêtes  de  la  Nouvelle-Espagne  avec  la  clarté  qui 
leur  est  due,  et  qu'ainsi  Sa  Majesté  daigne  reconnaître  les  grands  et 
remarquables  services  que  nous,  les  vrais  auteurs  de  la  conquête,  lui 
rendîmes;  car,  venus  en  bien  petit  nombre  avec  le  bon  et  fortuné 
capitaine  Fernand  Gortès,  nous  courûmes  les  plus  grands  dangers  et 
nous  lui  conquîmes  ces  pays,  part  notable  de  tout  le  Nouveau-Monde, 
service  pour  lequel  Sa  Majesté  nous  a  souvent  récompensés,  en  sa 
qualité  de  notre  souverain  seigneur  et  Roi  très-chrétien. 


DE  LA  NOUVELLE-ESPAGNE.  41 

Je  reprendrai  donc  la  plume  en  main  et  je  ferai  comme  le  pilote 
prudent  qui,  soupçonnant  les  écueils,  avance  en  s'aidant  de  la  sonde  : 
je  ramènerai  au  chemin  de  la  vérité  ce  que  le  chroniqueur  Gomara 
a  écrit,  et  je  ne  le  ferai  pas  pour  tout  ce  qu'il  a  dit;  car  s'il  fallait, 
point  par  point,  tout  relever,  il  en  coûterait  plus  pour  glaner  que  pour 
faire  la  première  et  vraie  moisson.  Sur  le  récit  que  je  vais  faire,  les 
chroniques  pourront  embellir,  en  comblant  d'éloges  et  le  capitaine 
Fernand  Cortès  et  les  valeureux  conquistadores;  car  une  si  grande  et 
si  sainte  entreprise  fut  couronnée  par  nos  mains,  ainsi  que  les  événe- 
ments eux-mêmes  l'ont  prouvé.  Et  ce  ne  sont  pas  des  contes  de  pays 
inconnus;  ce  ne  sont  ni  rêves,  ni  renchérissements.  Grest  hier,  peut- 
on  dire,  que  cela  est  arrivé.  Qu'on  examine  bien  ce  qu'est  aujourd'hui 
la  Nouvelle-Espagne,  etqu'on  le  compare  à  ce  que,  sur  elle,  l'on  écrit. 
Nous,  nous  ne  dirons  que  ce  que  nous  avons  vu  de  nos  propres  yeux 
comme  étant  la  vérité,  et  nous  ne  suivrons  nullement  les  contradic- 
tions et  les  faux  rapports  de  ceux  qui  écrivent  sur  ouï-dire  ;  car  nous 
savons  que  la  vérité  est  chose  sacrée.  Mais  cessons  de  récriminer, 
quoiqu'on  pût  encore  trouver  beaucoup  à  dire,,  surtout  au  sujet  des 
soupçons  qu'on  a  eus  de  faux  renseignements  qui  furent  donnés  au 
chroniqueur,  lorsqu'il  écrivit  son  histoire;  car  tout  l'honneur  et 
toute  la  gloire  y  sont  attribués  à  Cortès,  sans  faire  mémoire  d'aucun 
de  nos  valeureux  capitaines  et  vaillants  soldats.  On  voit  bien,  par 
tout  ce  que  Gomara  écrit  dans  son  livre,  qu'il  était  dévoué  à  Cortès, 
car  il  Ta  dédié  à  son  fils,  à  qui  le  marquisat  appartient  actuellement, 
au  lieu  d'en  faire  hommage  à  notre  seigneur  et  Roi.  Non-seulement, 
donc,  Francisco  Lopez  de  Gomara  écrivit  tant  de  faussetés,  mais 
encore  il  a  fait  tort  à  plusieurs  écrivains  et  chroniqueurs  qui  ont 
parlé  après  lui  des  choses  de  la  Nouvelle-Espagne,  comme  le  docteur 
Ulescas  et  Pablo  Jovio,  qui  se  guident  sur  son  dire  et  écrivent  ni  plus 
ni  moins  comme  lui-même.  De  sorte  que,  s'ils  ont  ainsi  parlé  à  ce 
sujet,  c'est  parce  que  Gomara  les  a  induits  en  erreur. 


CHAPITRE  XIX 


Comme  quoi  nous  revînmes  encore  avec  une  autre  flotte  aux  pays  récemment  dé- 
couverts, ayant  pour  capitaine  Fernand  Cortès,  qui  fut  plus  tard  marquis  delYalle 
et  posséda  d'autres  dignités.  Difficultés  qui  s'élevèrent  pour  empêcher  qu'il  fût 
nommé  commandant. 

Vers  le  quinzième  jour  du  mois  de  novembre  de  l'an  quinze  cent 
dix-huit,  le  capitaine  Juan  de  Grijalva  étant  de  retour  de  ses  nou- 
velles découvertes  —  ainsi  que  nous  l'avons  raconté,  —  le  gouverneur 
Diego  Velasquez  prenait  ses  mesures  pour  envoyer  une  autre  flotte 


42  CONQUÊTE 

beaucoup  plus  considérable  que  les  précédentes.  A  cette  fin,  il  avait 
déjà  réuni  dix  navires  dans  le  port  de  Santiago  de  Cuba.  Quatre 
d'entre  eux  étaient  ceux-là  mêmes  avec  lesquels  nous  étions  revenus 
lors  de  l'affaire  de  Juan  de  Grrijalva.  On  les  avait  carénés  et  remis  en 
état.  Les  six  autres  avaient  été  réquisitionnés  partout  dans  l'île.  Le 
gouverneur  les  fit  approvisionner  de  pain  de  cassave  et  de  porc  salé; 
car  il  n'y  avait  alors  dans  l'île  ni  bœufs,  ni  moutons.  Ces  provisions, 
du  reste,  ne  devaient  servir  que  pour  arriver  à  la  Havane,  puisque 
c'est  là  qu'on  se  proposait  de  faire  et  qu'on  fit  en  effet  tous  les  vivres. 
Mais  c'est  le  moment  de  dire  les  désaccords  qui  eurent  lieu  pour  élire 
le  commandant  de  cette  expédition.  Il  y  eut  des  contestations  nom- 
breuses, parce  que  quelques  personnes  de  distinction  voulaient 
qu'on  envoyât  un  certain  capitaine,  très-qualifié,  appelé  Vasco  Por- 
callo,  proche  parent  du  comte  de  Ferias.  Mais  Velasquez  eut  peur 
qu'il  ne  se  soulevât  avec  la  flotte,  parce  qu'il  était  très-audacieux. 
D'autres  prétendaient  qu'on  choisît  Agustin  Bermudez,  ou  Antonio 
Velasquez  Borrego,  ou  Bernardino  Velasquez,  parents  du  gouverneur 
Diego  Velasquez.  Quant  à  nous,  les  soldats  qui  nous  trouvions  pré- 
sents, nous  demandions  qu'on  nous  envoyât  encore  une  fois  Juan 
de  Grijalva,  parce  qu'il  était  bon  capitaine  et  qu'il  ne  donnait  prise 
à  aucune  inculpation,  ni  dans  sa  personne,  ni  dans  ses  aptitudes  à 
commander. 

Tandis  que  les  choses  et  les  pourparlers  se  poursuivaient  comme 
je  viens  de  dire,  deux  grands  favoris  de  Diego  Velasquez,  Andrès  de 
Duero,  son  secrétaire,  et  Amador  de  Lares,  contrôleur  de  Sa  Majesté, 
s'associèrent  secrètement  avec  un  bon  hidalgo  nommé  Fernand 
Gortès,  natif  de  Medellin.  Il  était  fils  de  Martin  Gortès  de 
Monroy  et  de  Gatalina  Pizarro  Altamirano,  hidalgos  tous  les  deux, 
quoique  pauvres.  Fernand  était  donc  un  Gortès  y  Monroy  par  son 
père,  et  un  Pizarro  y  Altamirano  par  origine  maternelle.  Il  appar- 
tenait à  l'une  des  bonnes  descendances  de  l'Estramadure  ;  il  avait  à 
Cuba  une  commanderie  d'Indiens,  et,  peu  de  temps  auparavant,  il 
avait  contracté  mariage,  par  suite  d'amourettes,  avec  une  dame  ap- 
pelée dona  Gatalina  Juarez  Pacheco ,  fille  de  Diego  Juarez  Pa- 
checo,  natif  d'Avila,  déjà  défunt,  et  de  Marie  de  Mercaida,  origi- 
naire de  Biscaye.  Elle  était  sœur  de  Juan  Juarez  Pacheco,  lequel, 
après  la  conquête  de  la  Nouvelle-Espagne }  devint  habitant  de  Mexico 
et  fut  gratifié  à'encomiendas.  A  propos  de  ce  mariage,  Gortès  eut 
bien  des  chagrins  et  souffrit  même  la  prison,  parce  que  Diego  Ve- 
lasquez embrassa  les  intérêts  de  la  future,  ainsi  que  d'autres  le  ra- 
conteront en  détail.  Pour  moi,  je  me  bornerai  à  expliquer  l'associa- 
tion que  je  vais  dire. 

Les  deux  grands  favoris  de  Velasquez  complotèrent  de  faire  donner 
à  Fernand  Gortès  le  commandement  général  de  toute  la  flotte,  à  la 


DE  LA  NOUVELLE-ESPAGNE.  43 

condition  de  partager  entre  eux  trois  l'apport  en  or,  argent  et  joyaux 
qui  formerait  la  part  de  Gortès  ;  car  Diego  Velasquez,  sous  le  sceau 
(lu  secret,  envoyait  l'expédition  pour  qu'on  fît  des  échanges,  et  non 
dans  un  Lut  de  colonisation.  Ayant  fait  cet  accord,  Duero  et  le  con- 
trôleur commencèrent  à  agir  sur  Velasquez  de  telle  sorte;  ils  s'expri- 
mèrent en  termes  si  bons  et  si  mielleux,  faisant  de  grands  éloges  de 
Gortès,  assurant  que  c'était  bien  l'homme  à  qui  convenait  cet  emploi, 
que  ce  serait  un  chef  intrépide  et  certainement  très-fidèle  à  Velas- 
quez, dont  il  était  le  filleul,  —  car  le  gouverneur  avait  été  le  parrain 
de  son  mariage  avec  Gatalina  Juarez  Pacheco;  —  tant  ils  firent  enfin, 
qu'ils  le  laissèrent  convaincu,  et  Gortès  fut  nommé  capitaine  général. 
Et,  comme  Andrès  de  Duero  était  le  secrétaire  du  gouverneur,  il 
s'empressa  de  formuler  les  pouvoirs  par  écrit  :  il  les  fit,  comme  on 
dit,  de  bonne  encre,  bien  amples,  au  gré  de  Gortès,  et  il  les  lui 
apporta  dûment  signés. 

Lorsque  son  élection  fut  rendue  publique,  elle  plut  à  quelques 
personnes,  tandis  que  d'autres  en  eurent  du  dépit.  Un  dimanche, 
Diego  Velasquez  se  rendait  à  la  messe;  et,  en  sa  qualité  de  gouver- 
neur, il  était  accompagné  des  personnes  les  plus  qualifiées  de  la 
ville,  ayant  pris  soin  de  placer  Gortès  à  sa  droite,  pour  lui  faire 
honneur.  Une  sorte  de  truand,  que  l'on  appelait  Cervantes  le  Fou, 
marchait  devant  eux,  grimaçant  et  disant  des  bouffonneries  pour 
l'amusement  de  ses  patrons  :  «  Diego!  Diego!  quel  capitaine  tu 
choisis  là!  Il  est  de  Medellin,  en  Estramadure;  capitaine  bien  for- 
tuné! J'ai  peur,  Diego,  qu'il  ne  t'échappe  en  se  soulevant  avec  sa 
flotte.  Je  le  tiens  pour  très-expert  en  ses  affaires....  ».  Il  lançait 
d'autres  folies,  toutes  empreintes  de  mauvais  desseins.  Et  parce  qu'il 
les  disait  dans  ce  sens,  Andrès  de  Duero,  qui  marchait  à  côté  de 
Gortès,  le  frappait  sur  la  nuque  en  lui  criant  :  «  Tais-toi,  ivrogne, 
bouffon!  Gesse  d'être  un  coquin;  nous  savons  bien  que  ce  n'est  pas 
de  toi  que  viennent  ces  malices,  sous  le  couvert  de  plaisanteries.  » 
Mais  le  fou  continuait  :  «  Vive,  vive  mon  patron  Diego!  Vive  son 
fortuné  capitaine  Gortès  !  Et  je  te  le  jure,  mon  maître  Diego,  pour 
ne  pas  te  voir  pleurer  la  mauvaise  emplette  que  tu  viens  de  faire,  je 
veux  m'en  aller  avec  Gortès  vers  ces  riches  contrées.  »  On  tint  pour 
sûr  que  les  Velasquez,  parents  du  gouverneur,  donnèrent  des  pièces 
d'or  à  ce  mauvais  plaisant  pour  qu'il  lançât  ces  malices  sous  le  cou- 
vert de  bouffonneries.  Or,  tout  cela  devint  vérité,  comme  il  l'avait 
annoncé;  car  on  dit  que  les  fous  frappent  souvent  juste  quand  ils 
parlent. 

Fcrnand  Gortès  fut  donc  élu,  grâce  à  Dieu,  pour  l'exaltation  de 
notre  sainte  foi  et  pour  le  service  de  Sa  Majesté,  ainsi  qu'il  sera  dit 
par  la  suite. 


44  CONQUÊTE 


CHAPITRE  XX 

Des  choses  que  fit  et  disposa  Fernand  Cortès  après  avoir  été  élu  commandant, 

comme  j'ai  dit. 

Cortès,  ayant  donc  été  choisi  pour  général  de  la  flotte  dont  j'ai 
parlé,  se  mit  à  chercher  toutes  sortes  d'armes,  aussi  bien  les  fusils 
que  la  poudre  et  les  arbalètes,  et  tout  autant  de  munitions  de  guerre 
qu'il  fut  possible  d'en  acquérir.  Il  prit  soin  aussi  de  se  prémunir  de 
tous  les  moyens  d'échange,  ainsi  que  de  bien  d'autres  choses  d'utilité 
pour  ce  voyage.  Au  surplus,  il  commença  à  soigner  et  à  parer  sa 
personne  beaucoup  plus  qu'il  n'en  avait  l'habitude.  Il  mit  un  panache 
à  plumes  et  un  médaillon  d'or,  qui  lui  allaient  fort  bien.  Mais  il 
n'avait  réellement  pas  de  quoi  subvenir  à  toutes  ces  dépenses,  car  il 
était  alors  pauvre  et  couvert  de  dettes.  Il  avait  k  la  vérité  une  bonne 
commanderie  d'Indiens  et  des  mines  d'or  qui  donnaient  un  revenu 
satisfaisant;  mais,  comme  il  était  nouvellement  marié,  il  dépensait 
tout  à  se  bien  tenir,  et  en  parures  pour  sa  compagne.  Doué  d'un 
naturel  affable,  il  était  recherché  et  plaisait  par  sa  conversation.  Il 
avait  été  deux  fois  alcalde  dans  le  bourg  de  Santiago  de  Boroco,  où 
il  résidait.  C'est  un  emploi  qui,  dans  ces  pays-là,  fait  beaucoup 
d'honneur.  Or,  deux  négociants  de  ses  amis,  Jacques  ou  Jérôme  Trias 
et  Pedro  de  Jerez,  le  voyant  capitaine  et  en  voie  de  prospérité,  lui 
prêtèrent  quatre  mille  piastres,  et  lui  avancèrent  des  marchandises 
à  payer  sur  le  revenu  de  ses  Indiens. 

Il  fit  aussitôt  fabriquer  des  torsades  dorées,  qu'il  ajusta  sur  des 
vêtements  de  velours.  Il  commanda  des  étendards  et  des  drapeaux 
brodés  d'or,  ajoutant  aux  armes  de  notre  Roi  et  seigneur  une  croix 
sur  chaque  face,  avec  cette  inscription  en  latin  :  «  Frères,  suivons  le 
signe  de  la  croix  sainte,  animés  d'une  foi  sincère;  avec  elle  nous 
vaincrons.  »  En  même  temps,  il  fit  crier  ses  proclamations,  battre 
ses  tambours,  sonner  ses  trompettes,  au  nom  de  Sa  Majesté  et,  pour 
Elle,  au  nom  de  Diego  Velasquez,  afin  que  toutes  personnes  qui 
voudraient  aller  avec  lui  aux  terres  nouvellement  découvertes,  pour 
en  faire  la  conquête  et  les  coloniser,  sussent  bien  qu'il  leur  serait 
donné  leur  part  sur  for,  l'argent  ou  les  bijoux  qu'on  y  gagnerait, 
ainsi  que  des  commanderies  d'Indiens  après  pacification  complète, 
conformément  aux  pouvoirs  que  Velasquez  tenait  de  Sa  Majesté.  Or, 
ces  pouvoirs,  dont  les  crieurs  parlaient,  n'étaient  pas  encore  arrivés 
de  Castillc  avec  le  chapelain  Benito  Martinez  que  Velasquez  y  avait 
envoyé  dans  le  but  de  les  demander,  ainsi  que  je  l'ai  dit  dans  le  cha- 
pitre qui  en  a  traité.  La  nouvelle  de  l'expédition  s'étant  répandue 


DE  LÀ  NOUVELLE-ESPAGNE.  45 

dans  l'île  entière  de  Cuba ,  et  Gortès  ayant  écrit  partout  à  ses 
amis  qu'ils  se  préparassent  à  entreprendre  avec  lui  ce  voyage,  les  uns 
vendaient  leurs  propriétés  pour  se  procurer  des  armes  et  des  chevaux 
d'autres  s'occupaient  à  faire  de  la  cassave  et  du  porc  salé  ;  ils  piquaient 
leurs  armures  et  s'approvisionnaient  le  mieux  possible  du  nécessaire. 
De  sorte  que  nous  nous  réunîmes  plus  de  trois  cents  soldats  à  San- 
tiago de  Cuba,  où  s'effectua  le  départ  de  la  flotte.  De  la  maison  même 
de  Diego  Velasquez  partirent  les  principaux  parmi  les  employés  à  son 
service,  entre  autres  un  certain  Diego  Ordas,  son  premier  majordome 
que  le  gouverneur  lui-même  prit  soin  d'envoyer,  pour  qu'il  surveillât 
et  pût  éviter  tout  mauvais  complot  dans  l'expédition;  car  il  se  défia 
toujours  de  Gortès,  sans  le  laisser  comprendre.  Partirent  aussi  un 
Francisco  de  Morla  et  un  Escobar,  un  Basque  nommé  Martin  Ramos 
de  Lares,  et  plusieurs  autres  amis  et  commensaux  de  Diego  Velas- 
quez. Et  moi,  je  m'inscris  à  la  suite  de  ce  petit  nombre  de  soldats 
dont  je  fais  ici  mémoire,  sans  parler  des  autres;  mais,  quand  il  en 
sera  temps,  je  nommerai  tous  ceux  dont  j'aurai  gardé  le  souvenir. 
Gortès  mettait  beaucoup  d'ardeur  à  hâter  le  départ  de  sa  flotte;  il  se 
montrait  très-pressé  en  toutes  choses  :  c'est  que  la  malveillance  et 
l'envie  régnaient  toujours  dans  les  cœurs  des  parents  de  Diego  Velas- 
quez. Ils  tenaient  pour  affront  que  le  gouverneur  se  fût  méfié  d'eux, 
et  donnât  cet  emploi  et  ce  commandement  à  Gortès,  sachant  fort  bien 
qu'il  l'avait  eu  pour  ennemi  peu  de  jours  auparavant,  à  propos  de  son 
mariage  avec  Gatalina  Juarez  la  Mercaida,  ainsi  que  je  l'ai  déjà 
raconté.  Pour  ces  raisons,  ils  propageaient  partout  leurs  médisances 
contre  leur  parent  et  même  sur  Gortès,  employant  tous  les  moyens 
pour  faire  naître  la  discorde  entre  eux  et  obtenir,  n'importe  par  quelle 
voie,  que  les  pouvoirs  de  Gortès  fussent  révoqués. 

Gortès  était  bien  averti  de  toutes  ces  intrigues;  aussi  ne  s'éloignait-il 
point  du  gouverneur,  auquel  il  ne  cessait  de  faire  toutes  les  dé- 
monstrations d'un  serviteur  dévoué,  assurant  qu'il  ferait  de  lui  un 
seigneur  illustre  et  riche,  en  peu  de  temps.  Au  surplus,  Andrès  de 
Duero  donnait  avis  à  Gortès  de  presser  son  embarquement;  car  on 
avait  réussi  à  changer  les  résolutions  de  Velasquez,  au  moyen  des 
importunités  de  ses  parents.  Dès  que  Gortès  en  eut  connaissance,  il 
pria  sa  femme,  dona  Gatalina  Juarez  la  Mercaida,  d'embarquer  sur- 
le-champ  tout  ce  qu'elle  se  proposait  d'envoyer,  en  provisions  et 
autres  douceurs  habituellement  réservées  aux  maris  en  pareilles  cir- 
constances. Il  avait,  du  reste,  déjà  fait  publier  à  son  de  trompe  et 
avertir  maîtres,  pilotes  et  soldats,  qu'à  tels  jour  et  nuit  personne  ne 
restât  à  terre.  Et  après  ces  ordres  donnés,  les  voyant  tous  à  bord,  il 
fut  prendre  congé  de  Diego  Velasquez,  en  compagnie  de  ses  grands 
amis  et  camarades  Andrès  de  Duero,  le  contrôleur  Amador  de  Lares 
et  la  plupart  des  gens  de  qualité  qui  habitaient  cette  ville.  Après 


46  CONQUÊTE 

force  promesses  et  embrassements  nombreux  de  Gortès  au  gouver- 
neur, et  du  gouverneur  à  Gortès,  celui-ci  prit  enfin  congé;  et  le  jour 
suivant,  de  fort  bonne  heure,  ayant  entendu  la  messe,  nous  gagnâmes 
nos  navires.  Diego  Yelasquez  en  personne,  avec  grand  nombre  d'hi- 
dalgos, vint  de  nouveau  accompagner  Gortès  jusqu'au  moment  de  faire 
voile.  Le  temps  étant  favorable,  nous  arrivâmes  en  peu  de  jours  au 
bourg  de  la  Trinidad.  Je  dirai  bientôt  ce  qui  advint  à  Gortès  en  ce 
lieu,  après  que  nous  fûmes  entrés  au  port  et  descendus  à  terre  ;  de 
même  qu'on  vient  de  voir  les  contrariétés  qu'il  éprouva  jusqu'à  ce 
qu'il  eût  été  choisi  pour  commandant,  et  tout  ce  que  j'ai  déjà  raconté. 
Et,  à  ce  sujet,  voyez  ce  que  dit  Gromara  en  sa  chronique,  et  vous  nous 
trouverez  bien  en  désaccord.  Tandis  qu'Andrès  de  Duero  était  le 
secrétaire  du  commandement  de  Cuba,  i]  en  fait  un  négociant.  Quant 
à  Diego  de  Ordas,  qui  part  actuellement  avec  Gortès,  il  le  fait  partir 
avec  Grijalva.  Laissons  là  le  Gomara  et  sa  mauvaise  histoire,  et  disons 
comment  nous  débarquâmes  avec  Gortès  au  bourg  de  la  Trinidad. 


CHAPITRE  XXI 

De  ce  que  fit  Gortès  à  son  arrivée  au  bourg  de  la  Trinidad;  des  civils  et  militaires 
qui  s'y  réunirent  pour  partir  en  sa  compagnie,  et  de  ce  qui  nous  advint  encore. 

Après  que  nous  eûmes  débarqué  au  port  de  la  Trinidad  et  que  la 
nouvelle  s'en  fut  répandue  parmi  ses  habitants,  ceux-ci  se  hâtèrent 
d'aller  à  la  rencontre  de  Gortès  pour  le  recevoir,  ainsi  que  nous  tous 
qui  venions  avec  lui,  et  pour  nous  donner  la  bienvenue.  Et  comme  il 
y  avait  déjà  d'excellents  hidalgos  dans   cette   résidence,  ils   prirent 
Gortès  pour  leur  hôte  et  l'emmenèrent  avec  eux.  Notre  capitaine,  ayant 
placé  son  étendard  devant  sa  demeure  et  fait  crier  ses  rappels  comme 
à  Santiago,  ordonna  la  recherche  de  toutes  les  arbalètes  et  espingoles 
qu'il  serait  possible  de  trouver,  ainsi  que  l'achat  de  bien  d'autres 
choses  nécessaires,  y  compris  les  provisions  de  bouche.  Une  nom- 
breuse famille  d'hidalgos,  tous  frères,  partit  de  cette  ville  pour  venir 
avec  nous  :  ce  furent  le  capitaine  Pedro  de  Alvarado,  et  Gonzalo,  et 
Jorge,  et  Gomez,  et  Juan  de  Alvarado.  Ce  dernier,  surnommé  «  le 
Vieux  »,  était  un  bâtard.  Le  capitaine  Pedro  de  Alvarado  est  celui-là 
même  que  je  mentionnerai  si  souvent  dans  ce  récit.  Partirent  aussi 
de  cette  ville  Alonso  de  Avila,  natif  d'Avila,  qui  avait  été  déjà  notre 
commandant  dans  l'expédition  de  Grijalva;  et  Juan  de  Escalanle;  et 
Pedro  San  chez  Farfan,  natif  de  Sévi]  le  ;  et  Gonzalo  Mcxia,  qui  devint 
trésorier  dans  les  affaires  de  Mexico;  et  un  certain  Vaena;  et  Juanès, 
de  Fontarabie  ;   et  Ghristoval  de  Oli,  homme  valeureux  qui  devint 


DE  LA  NOUVELLE-ESÇAGNE.  47 

meslre  de  camp  lors  de  la  prise  de  Mexico  cl  dans   toutes  les  cam- 
pagnes de  la  Nouvelle-Espagne;  et  Ortiz,  le  musicien;  et  un  Gaspar 
Sanehcz,  neveu  du  trésorier  de  Cuba;  et  un  Diego  de  Pineda,  ou  Pi- 
nedo;  et  un  Alonso  Rodrigucz,  qui  possédait   des  mines  d'or  fort 
riches;  et  un  Bartolomé  Garcia,  et  bien  d'autres  hidalgos  dont  je  ne 
me  rappelle  pas  les  noms,  tous  gens  de  grande  valeur.  Gortès  écrivit 
de  la  Trinidad  au  bourg  de  Santispiritus,  situe  dix-huit  lieues  plus 
loin,  pour  faire  savoir  à  tous  ses  habitants  comme  quoi  il  entrepre- 
nait ce  voyage  au  service  de  Sa  Majesté  ;  il  s'exprimait  en  paroles 
séduisantes  et  faisait  des  promesses   bien  propres  à  lui  attirer  un 
grand  nombre  de  personnes  de  qualité  qui  résidaient  dans  ce  bourg. 
C'étaient  Alonso  Hernandez  Puertocarrcro,  cousin  du  comte  de  Me- 
dcllin,  et  Gonzalo  de  Sandoval,  alguazil  mayor,  qui  devint  huit  mois 
gouverneur  et  fut  capitaine  dans  la  Nouvelle-Espagne,  et  Juan  Ve- 
lasquez  de  Léon,  parent  du  gouverneur  Velasquez,  et  Rodrigo  Ran- 
gel,  Gonzalo  Lopez  de  Ximena,  avec  son  frère  Juan  Lopez,  et  Juan 
Sedeno.  Ce  Juan  Sedeno  était  un  habitant  de  ce  bourg,  et  je  le  dis 
ici,  parce  qu'il  y  avait  dans  l'expédition   deux  autres  Juan  Sedeno. 
Tous  ceux  que  je  viens  de  nommer,  gens  au  cœur  généreux,  partirent 
pour  la  Trinidad,  où  Gortès  se  trouvait  ;  et  comme  il  en  reçut  avis, 
il  fut  à  leur  rencontre,  pour  les  recevoir,  avec  nous  tous  qui  venions 
en  sa  compagnie.  On  tira  des  salves  d'artillerie;  Gortès  leur  témoigna 
grande  affection  et  ils  le  traitèrent  avec  respect. 

Disons  maintenant  que  toutes  les  personnes  que  je  viens  de  nom- 
mer possédaient  dans  leurs  habitations  des  fabriques  de  pain  de 
cassave  et  des  troupeaux  de  porcs,  non  loin  du  bourg.  Chacun  prit 
soin  d'augmenter  les  provisions  le  plus  possible.  Pendant  qu'on  recru- 
tait ainsi  des  hommes,  on  cherchait  aussi  des  chevaux,  mais  ils 
étaient  fort  rares  et  chers  en  ce  temps-là.  Or,  comme  Alonso  Her- 
nandez Puertocarrero,  l'hidalgo  que  j'ai  déjà  nommé,  n'avait  ni 
cheval,  ni  moyen  d'en  acheter,  Gortès  fit  pour  lui  l'acquisition  d'une 
jument  grise,  qu'il  paya  avec  les  torsades  d'or  dont  il  avait  orné  son 
pourpoint  de  velours  —  ainsi  que  je  l'ai  dit  plus  haut.  —  Sur  ces 
entrefaites,  un  navire  de  la  Havane  arriva  à  la  Trinidad,  conduit  par 
un  Juan  Sedeno,  habitant  de  la  Havane,  avec  une  cargaison  de  pain 
de  cassave  et  de  porcs  qu'il  allait  vendre  à  un  établissement  de  mines 
d'or  situé  près  de  Santiago  de  Cuba.  En  descendant  à  terre,  le  Juan 
Sedeno  fut  baiser  les  mains  à  Cortès  qui,  après  de  longs  pourparlers, 
finit  par  lui  acheter  à  crédit,  et  le  navire,  et  les  porcs,  et  la  cassave... 
et  le  Juan  Sedeno  s'en  vint  avec  nous.  Nous  avions  ainsi  onze  na- 
vires et,  grâce  à  Dieu!  tout  procédait  pour  nous  avec  bonheur.  Les 
choses  en  étaient  là,  lorsque  Diego  Velasquez  envoya  des  lettres  et 
des  ordres  pour  mettre  empêchement  au  départ  de  Cortès.  On  va  voir 
ce  qui  en  arriva* 


48  CONQUÊTE 

CHAPITRE  XXII 

Comme  quoi  Diego  Velasquez  envoya  en  poste  deux  de  ses  serviteurs  à  la  Trinitad  avec 
des  pouvoirs  et  des  ordres  pour  enlever  à  Cortès  son  commandement  et  prendre  sa 
flotte;  et  ce  qui  se  passa,  je  vais  le  dire  à  la  suite. 

Je  veux  revenir  un  peu  sur  mes  pas  dans  ce  récit,  pour  dire  qu'a- 
près notre  départ  de  Santiago  de  Cuba,  avec  tous  nos  navires,  ainsi 
que  je  l'ai  raconté,  on  tint  à  Velasquez  de  tels  propos  contre  Cortès 
qu'on  réussit  à  changer  ses  desseins.  On  l'accusait,  en  effet,  d'être 
déjà  en  révolte,  assurant  qu'il  était  parti  du  port  comme  à  la  sour- 
dine et  qu'on  l'avait  entendu  se  vanter  qu'il  serait  capitaine,  quel  que 
pût  être  le  regret  de  Velasquez  à  ce  sujet,  et  que,  pour  ce  motif,  il 
avait  fait  embarquer  nuitamment  ses  soldats,  afin  que,  si  le  comman- 
dement lui  était  retiré,  il  fût  en  mesure,  malgré  tout,  de  faire  voile. 
On  ajoutait  que  Velasquez  avait  été  trompé  par  son  secrétaire  Andrès 
de  Duero  et  par  son  contrôleur  Amador  de  Lares,  qui,  par  suite  de 
conventions  avec  Cortès,  avaient  réussi  à  lui  faire  donner  ce  comman- 
dement. Ceux  qui  trempèrent  surtout  dans  le  complot  ayant  pour 
but  le  retrait  des  pouvoirs  de  Cortès,  ce  furent  les  parents  de  Velas- 
quez et  un  vieillard  appelé  Juan  Millan,  qu'on  surnommait  i'Astrolo- 
o-ue.  D'aucuns  disaient  qu'il  avait  son  grain  de  folie  et  que  c'était  un 
étourdi;  mais  le  fait  est  que  le  vieillard  disait  souvent  à  Diego  Ve- 
lasquez :  «  Maître,  prenez  garde  !  C'est  maintenant  que  Cortès  va  ti- 
rer vengeance  de  ce  que  vous  le  fîtes  mettre  en  prison  ;  et  comme  il 
est  rusé,  il  vous  perdra,  si  vous  n'y  portez  remède  promptement.  » 
Ayant  donné  crédit  à  ces  paroles  et  à  bien  d'autres  encore,  il  envoya 
sans  délai  deux  écuyers  de  confiance  avec  des  ordres  et  des  lettres 
patentes  pour  Yalcalde  mayoràe  la  Trinidad,  Francisco  Verdugo,  qui 
était  son  beau-frère.  Par  ces  lettres,  il  ordonnait  qu'en  tout  état  de 
choses  on  retirât  la  flotte  à  Cortès,  puisqu'il  n'en  était  plus  comman- 
dant ses  pouvoirs  ayant  été  révoqués  et  confiés  à  Vasco  Porcallo. 
Les  envoyés  portaient  aussi  des  lettres  pour  Diego  Ordas,  pour  Fran- 
cisco de  Morla  et  pour  tous  les  amis  et  parents  de  Velasquez,  afin 
que,  de  toutes  façons,  la  flotte  lui  fût  retirée. 

Cortès,  instruit  de  tout  cela,  parla  secrètement  à  Ordas,  ainsi  qu'à 
tous  les  soldats  et  habitants  de  Trinidad  qui  lui  parurent  suscepti- 
bles de  faire  un  bon  accueil  aux  dispositions  du  gouverneur  Diego 
Velasquez  :  il  leur  adressa  de  tels  discours  et  les  captiva  par  de  telles 
promesses,  qu'il  s'en  fit  des  serviteurs  dévoues,  et  même  Diego  Ordas 
s'adressa  de  suite  à  Francisco  Verdugo,  Yalcalde  mayor,  conseillant 
qu'on  ne  parlât  pas  de  l'affaire  et  qu'on  la  tînt  secrète.  Il  lui  donna 
pour  raison  que  jusqu'alors  il  n'avait  remarqué  rien  d'étrange  en  Cor- 


DE  LA  NOUVELLE-ESPAGNE.  49 

tes  qui,  au  contraire,  se  montrait  très-digne  serviteur  de  Velasquez.  Il 
ajoutait  que  si  l'on  prétendait  agir  pour  le  gouverneur  en  reprenant 
la  flotte,  il  ne  fallait  pas  oublier  que  Cortès  comptait  pour  appui 
grand  nombre  d'hidalgos  devenus  ennemis  de  Velasquez  pour  n'en 
avoir  pas  obtenu  de  bons  Indiens  ;  que  d'ailleurs,  en  sus  des  hidal- 
gos ses  amis,  il  avait  sous  la  main  une  bonne  troupe  de  soldats,   et 

qu'au  surplus  il  était  très-entreprenant toutes  choses  qui  faisaient 

craindre  la  discorde  dans  la  ville,  avec  le  risque  de  se  voir  soi-même 
saccagé,  volé  et  peut-être  pis  encore. 

Les  choses  s'arrêtèrent  ainsi  sans  bruit.  L'un  des  commissionnés 
pour  porter  les  lettres  s'en  vint  avec  nous;  on  l'appelait  Laso.  Quant 
à  l'autre  messager,  Gortès  le  mit  à  profit  pour  écrire  à  Velasquez, 
en  termes  très-soumis  et  très-affectueux,  qu'il  était  émerveillé  de 
voir  que  Sa  Grâce  eût  pu  prendre  une  semblable  mesure,  et  que 
son  plus  grand  désir  serait  de  servir  Dieu,  Sa  Majesté  et  lui-même 
au  nom  du  Roi;  qu'il  le  suppliait  de  ne  pas  écouter  davantage  ses 
parents  les  Velasquez,  et  de  ne  plus  varier  dans  ses  desseins  pour  un 
vieux  fou  comme  Juan  Millan.  Il  écrivit  aussi  à  tous  ses  amis,  et  par- 
ticulièrement à  Duero  et  au  contrôleur,  ses  deux  associés.  Gela  fait, 
il  occupa  ses  soldats  à  mettre  les  armes  en  état;  il  employa  les  forge- 
rons du  lieu  à  fabriquer  sans  cesse  des  fers  de  lance;  il  ordonna  aux 
arbalétriers  d'épuiser  les  entrepôts,  pour  qu'ils  eussent  grandes  provi- 
sions de  flèches  ;  il  invita  les  forgerons  à  partir  avec  nous  et  ils  par- 
tirent en  effet.  Notre  séjour  dans  cette  ville  dura  douze  jours.  Je  m'ar- 
rêterai là,  pour  dire  que  nous  nous  embarquâmes  pour  la  Havane.  Je 
désire  aussi  que  ceux  qui  me  liront  voient  bien  la  différence  qu'il  y  a 
entre  mon  dire  et  la  relation  de  Francisco  de  Gomara,  lorsqu'il  prétend 
que  Diego  Velasquez  fit  parvenir  à  Ordas  l'ordre  d'inviter  Gortès  à 
dîner  à  bord  d'un  navire  avec  lequel  il  devrait  l'amener  prisonnier  à 
Santiago.  Il  inscrit  dans  sa  chronique  encore  bien  d'autres  choses 
dont  je  ne  parle  point,  pour  ne  pas  allonger  mon  récit.  C'est  aux  cu- 
rieux lecteurs  qu'il  appartient  de  décider  si  l'on  reste  en  meilleur 
chemin  en  suivant  ce  que  les  yeux  ont  vu,  qu'en  prenant  pour  guide 
Gromara,  qui  d'après  son  aveu  même  ne  vit  rien.  Revenons  à  notre  sujet. 


CHAPITRE  XXIII 


Comme  quoi  le  capitaine  Fernand  Cortès  s'embarqua  avec  tous  ses  hommes,  civils  et 
militaires,  pour  aller  à  la  Havane,  par  la  route  du  sud,  et  envoya  au  même  port  un 
de  ses  navires  par  la  route  nord;  et  ce  qui  advint  encore. 

Gortès,  ayant  vu  que  nous  n'avions  plus  rien  à  faire  à  Trinidad,  fit 
avertir  tous  les  civils  et  militaires  qui  s'étaient  rassemblés  pour  mar- 

4 


50  CONQUÊTE 

cher  en  sa  compagnie,  qu'ils  eussent  à  s'embarquer  avec  lui  à  bord 
des  navires  qui  se  trouvaient  sur  la  côte  du  sud.  Quant  à  ceux  qui 
voudraient  aller  par  terre  à  la  Havane,  ils  devaient  se  joindre  à  Pedro 
de  Alvarado,  qui  avait  mission  de  recruter  d'autres  gens  de  guerre 
dans  des  établissements  placés  sur  la  route  même  de  cette  ville  ;  car 
Alvarado  était  très-affable  et  possédait  un  tact  particulier  pour  le  re- 
crutement. Je  fus  par  terre  avec  lui  et  avec  plus  de  cinquante  autres 
soldats. 

D'autre  part,  je  dois  dire  que  Cortès  ordonna  à  un  hidalgo  de  son 
intimité,  nommé  Juan  de  Escalante,  de  gagner  la  Havane  par  le  nord  de 
l'île  avec  un  navire.  Il  donna  l'ordre  aussi  que  tous  les  cavaliers  de  l'ex- 
pédition s'en  fussent  par  terre.  Les  dispositions  étant  prises  de  la 
sorte,  Gortès  s'embarqua  abord  du  navire  amiral  pour  faire  voile  vers 
la  Havane.  Tous  les  autres  navires  le  suivirent;  mais  il  paraît  qu'en 
naviguant  de  conserve,  ils  perdirent  de  vue  pendant  la  nuit  le  vais- 
seau commandant,  et  qu'ils  arrivèrent  seuls  à  bon  port.  De  notre 
côté,  nous  atteignîmes  par  terre  la  Havane  avec  Pedro  de  Alvarado  ; 
le  navire  avec  lequel  Juan  de  Escalante  avait  fait  route  vers  le  nord 
était  arrivé  pareillement,  et  les  chevaux  aussi  par  la  voie  de  terre.... 
Mais  Gortès  ne  venait  pas,  et  personne  ne  savait  rien  de  lui,  ni  du 
lieu  où  il  se  trouvait.  Cinq  jours  se  passèrent  sans  nouvelles  de  son 
navire  ;  de  sorte  que  la  crainte  nous  vint  qu'il  se  fût  perdu  sur  les 
Jardines,  près  de  l'île  de  Pinos,  passage  rempli  de  récifs,  à  dix  ou 
douze  lieues  de  la  Havane.  Nous  fûmes  tous  d'avis  que  les  trois  na- 
vires qui  calaient  le  moins  d'eau  iraient  à  sa  recherche.  Or,  en  apprêts 
de  départ  et  en  débats  pour  savoir  si  l'un,  si  l'autre,  si  Pedro  ou  San- 
cho  partirait,  deux  jours  se  passèrent  encore,  et  Gortès  ne  paraissait 
pas.  Il  y  eut  alors  entre  nous  des  pourparlers  et  des  réunions  en  se- 
mi-goguette, pour  savoir  qui  serait  le  capitaine  en  l'absence  de  Gor- 
tès. Celui  qui  intrigua  le  plus  en  cette  affaire,  ce  fut  Diego  Ordas, 
en  sa  qualité  de  majordome  de  Velasquez,  qui  l'avait  envoyé  dans 
l'unique  but  d'éviter  que  le  commandant  se  révoltât  avec  la  flotte. 

Quoi  qu'il  en  soit,  comme  Gortès  montait  le  navire  du  plus  fort 
tonnage,  ainsi  que  je  l'ai  déjà  dit,  il  toucha  fond  et  resta  en  quelque 
sorte  à  sec,  vers  l'île  de  Pinos,  près  des  Jardines,  où  il  y  a  abondance 
d'écueils.  Le  navire  ne  put  plus  naviguer;  de  sorte  qu'il  fallut  donner 
l'ordre  de  le  décharger  le  plus  tôt  possible,  au  moyen  du  canot,  en 
transportant  le  chargement  à  terre,  près  de  là.  Aussitôt  qu'il  fut  mis 
à  flot  et  put  nager,  on  le  conduisit  en  lieu  plus  profond,  on  remit  à 
bord  ce  qui  avait  été  transporté  à  terre,  on  fit  voile,  et  on  poursuivit 
la  route  jusqu'à  la  Havane.  Quand  Gortès  débarqua,  la  plupart  d'entre 
nous,  civils  et  militaires,  se  réjouirent  de  son  arrivée.  Il  faut  excepter 
ceux  qui  aspiraient  au  commandement;  mais  les  intrigues  cessèrent. 
Après  que  nous  l'eûmes  installé  dans  la  maison  de  Pedro  Barba,  lieu- 


DE  LA  NOUVELLE-ESPAGNE.  M 

tenant  de  la  ville  au  nom  de  Diego  Velasquez,  il  déploya  ses  étendards 
et  les  fit  arborer  devant  sa  demeure.  Il  ordonna  des  rappels  comme 
précédemment.  C'est  de  là,  de  la  Havane  même,  que  vint  avec  nous 
l'hidalgo  Francisco  de  Montejo.  J'en  parle  bien  souvent  dans  mon  récit, 
car  après  la  prise  de  Mexico  il  fut  adelantado  et  gouverneur  de  Yuca- 
tanet  de  Honduras.  Partirent  aussi  :  Diego  Soto,  de  Toro,  qui  devint 
majordome  de  Gortès  dans  les  affaires  de  Mexico;  un  certain  Angulo; 
et  Garci  Garo  ;  et  Sébastian  Rodriguez  ;  et  un  Pacheco  ;  et  un  certain 
Gutierrez;  et  un  Rojas  (je  ne  veux  pas  dire  Rojas  le  riche);  et  un 
jeune  garçon  appelé  Santa  Clara;  et  deux  frères  qu'on  nommait  les 
Martinez  del  Frejenal;  et  un  Juan  de  Najara  (je  ne  veux  pas  dire  le 
Sourd  du  jeu  de  paume  de  Mexico).  Tous  ces  hommes  étaient  des 
gens  de  qualité,  et  je  n'en  mentionne  pas  d'autres,  parce  que  je  ne  me 
rappelle  pas  leurs  noms.  Les  voyant  tous  réunis,  Gortès  se  réjouit 
extrêmement,  et  aussitôt  il  envoya  un  navire  à  un  village  d'Indiens 
qui  se  trouvait  à  la  pointe  de  Guaniguanico,  où  l'on  faisait  du  pain  de 
cassave  et  grand  commerce  de  porcs,  afin  qu'on  en  prît  un  plein  char- 
gement. Cet  établissement  appartenait  au  gouverneur  Diego  Velasquez. 
Il  choisit  pour  commandant  de  cette  petite  expédition  Diego  Ordas, 
en  sa  qualité  de  majordome  des  possessions  de  Velasquez,  et  il  l'en- 
voya, en  réalité,  dans  le  but  de  l'éloigner  de  sa  personne,  n'ignorant 
point  qu'il  ne  lui  avait  pas  été  favorable  quand  on  mit  en  question  qui 
serait  capitaine,  pendant  que  lui  Cortès  était  retenu  à  l'île  dePinos  où- 
son  navire  avait  échoué.  Il  l'expédia  donc,  afin  de  n'avoir  pas  un  con- 
trôleur de  ses  actes,  lui  enjoignant  de  rester,  après  avoir  fait  son  char- 
gement, dans  le  port  même  de  Guaniguanico,  jusqu'à  ce  que  vînt  le  re- 
joindre un  autre  navire  qui  arriverait  par  le  nord.  Ils  devaient  aller 
tous  deux  de  conserve  jusqu'à  Cozumel,  ou  bien  on  lui  donnerait  avis, 
par  des  Indiens  en  canot,  de  ce  qu'il  aurait  à  faire. 

Redisons  encore  que  Francisco  de  Montejo  et  tous  les  habitants  de 
la  Havane  nous  approvisionnèrent  grandement  en  pain  de  cassave  et 
en  porcs,  vu  qu'il  n'y  avait  pas  autre  chose  sur  place.  En  même  temps, 
Cortès  fit  retirer  des  navires  toute  l'artillerie,  qui  consistait  en  dix 
pièces  de  bronze  et  quelques  fauconneaux,  et  ileommissionna  un  artil- 
leur nommé  Juan  de  Mesa,  un  Levantin  appelé  Arbenga,  et  un  Juan 
Catalan,  pour  qu'on  les  nettoyât  et  mît  àl'épreuve  et  pour  que,  boulets 
et  poudre,  tout  fût  bien  en  état.  Il  leur  donna  du  vin  et  du  vinaigre 
pour  servir  à  ce  nettoyage,  leur  adjoignant,  comme  auxiliaire,  un 
certain  Bartolomé  Usagre.  Il  ordonna  aussi  qu'on  apprêtât  les  arba- 
lètes, les  cordes,  les  noix,  les  magasins  ;  qu'on  s'exerçât  au  tir  et  qu'on 
calculât  à  combien  de  pas  arrivait  la  portée  de  chaque  arme.  Comme, 
d'ailleurs,  il  y  avait  beaucoup  de  coton  en  ce  pays  de  Havane,  nous 
fîmes  des  armures  très-bien  matelassées,  ce  qui  est  excellent  pour  des 
engagements  avec  des  Indiens,  parce  qu'ils  font  beaucoup  usage  de  la 


52  CONQUÊTE 

pique,  de  la  flèche  et  de  la  lance,  et  tirent  des  pierres  comme 
grêle. 

Ce  fut  à  la  Havane  que  Cortès  commença  à  monter  sa  maison  et  à 
se  traiter  en  grand  seigneur.  Son  premier  maître  d'hôtel  fut  un  Guz- 
man,  qui  ne  tarda  pas  à  mourir  ou  fut  tué  par  les  Indiens.  Je  ne  veux 
pas  dire  Ghristoval  de  Guzman,  qui  devint  majordome  de  Cortès  et  prit 
Guatemuz,  lors  du  siège  de  Mexico.  Il  eut  aussi  pour  camarero  *  un 
Rodrigo  Rangel,  et,  pour  majordome,  un  Juan  de  Gaceres,  qui  devint 
fort  riche  après  la  prise  de  Mexico. 

Tout  cela  étant  en  ordre,  il  nous  fit  avertir  que  nous  eussions  à 
nous  embarquer,  et  que  les  chevaux  fussent  distribués  sur  tous  les 
navires.  On  installa  des  râteliers,  et  on  fit  provision  de  beaucoup  de 
maïs  et  d'herbe  sèche.  Je  veux  ici,  pour  mémoire,  mentionner  tous  les 
chevaux  et  juments  qui  furent  embarqués  : 

Capitaine  Cortès  :  un  cheval  châtain  zain,  qui  mourut  à  Saint-Jean 
d'Uloa; 

Pedro  de  Alvarado  et  Hernando  Lopezde  Avila  :  une  jument  châtain, 
très-bonne,  de  brio  et  de  course.  En  arrivant  à  la  Nouvelle-Espagne, 
Pedro  de  Alvarado  acheta  sa  moitié  à  son  associé  ou  la  prit  par  force  ; 

Alonso  Hernandez  Puertocarrero  :  une  jument  grise,  bonne  à  la 
course,  que  Gorlès  lui  procura  en  échange  de  ses  torsades  d'or  ; 

Juan  Yelasquez  de  Léon  :  une  autre  jument  grise,  très-puissante, 
que  nous  appelions  YÈcourtêe,  très-vive  et  bonne  coureuse  ; 

Ghristoval  de  Oli  :  un  cheval  bai  brun,  très-bon  ; 

Francisco  de  Montejo  et  Alonso  de  Avila  :  un  cheval  alezan  brûlé, 
bien  peu  propre  à  la  guerre  ; 

Francisco  de  Morla  :  un  cheval  bai  brun,  vif  et  bon  coureur  ; 

Juan  de  Escalante  :  un  cheval  bai  clair.  Il  ne  fut  pas  bon  ; 

Diego  de  Ordas  :  une  jument  grise,  stérile,  passable,  bien  que  mau- 
vaise coureuse; 

Gonzalo  Dominguez,  cavalier  consommé  :  un  cheval  bai  brun,  très- 
bon  et  excellent  coureur  ; 

Pedro  Gonzalez  de  Truxillo  :  un  bon  cheval  bai,  qui  courait  fort 
bien; 

Moron,  habitant  de  Vaimo  :  un  cheval  aubère,  aux  pieds  tachés, 
très-tracassier ; 

Vaena,  de  la  Trinidad  :  un  cheval  aubère,  un  peu  tacheté  de  noir; 
ne  fut  pas  bon; 

1.  Je  n'ai  su  comment  traduire  ce  mot,  qui  peut  vouloir  dire  à  la  fois  valet  de 
chambre  et  chambellan.  Valet  de  chambre!  ce  serait  peu  noble  à  propos  d'un  homme 
appelé  à  jouer  un  rôle  distingué  dans  l'expédition.  Chambellan!  ce  serait  bien  pré- 
tentieux pour  un  moment  où  le  défaut  d'organisation  donne  encore  aux  futurs  con- 
quistadores tout  l'aspect  d'un  ramassis  d'aventuriers,  sans  aucune  prétention  à  la 
dignité  des  allures. 


DE  LA  NOUVELLE-ESPAGNE.  53 

Lares,  l'excellent  cavalier  :  un  cheval  très-bon,  bai  un  peu  clair, 
bon  coureur; 

Ortiz,  le  musicien,  et  Bartolomé  Garcia,  propriétaire  de  mines  d'or  : 
un  très-bon  cheval  noir  dit  le  Muletier.  Ce  fut  un  des  meilleurs  che- 
vaux qui  vinrent  avec  la  flotte  ; 

Juan  Sedeno,  de  la  Havane  :  une  jument  baie,  qui  mit  bas  à  bord. 
Ce  Juan  Sedeno  fut  le  plus  riche  de  l'expédition,  puisqu'il  vint  avec 
son  navire,  sa  jument,  un  nègre,  du  pain  de  cassaveet  des  porcs,  et 
alors  qu'on  ne  pouvait  trouver  ni  chevaux  ni  nègres,  si  ce  n'est  à  prix 
d'or;  ce  qui  explique,  du  reste,  que  nous  n'eussions  pas  nous-mêmes 
plus  de  chevaux,  puisqu'il  n'y  en  avait  point. 

Je  les  laisserai  là,  et  je  dirai  ce  qui  advint  au  moment  où  nous 
allions  nous  embarquer. 


CHAPITRE  XXIV 

Comme  quoi  Diego  Velasquez  envoya  son  employé,  appelé  Gaspar  de  Garnica,  avec 
pouvoirs  et  commandements,  pour  que,  en  tout  état  de  choses,  on  arrêtât  Cortès  et 
qu'on  lui  retirât  la  flotte;  et  de  ce  qui  se  fit  à  ce  propos. 

Il  est  indispensable  que  quelques-uns  des  événements  de  ce  récit 
retournent  sur  leurs  pas,  pour  constater  leur  raison  d'être,  afin  que 
ce  qui  en  est  ici  décrit  puisse  être  bien  compris.  Et  je  dis  cela  parce 
que,  aussitôt  que  Diego  Velasquez  sut  et  tint  pour  certain  que  Fran- 
cisco Verdugo,  son  beau-frère  et  son  lieutenant  au  bourg  de  la  Trini- 
dad,  n'avait  pas  voulu  obliger  Cortès  à  abandonner  la  flotte,  et  qu'au 
contraire  il  s'était  joint  à  Diego  de  Ordas  pour  favoriser  son  départ, 
on  dit  qu'il  entra  dans  une  telle  fureur,  qu'il  en  poussait  des  rugis- 
sements. Il  accusait  le  secrétaire  Andrès  de  Duero  et  le  contrôleur 
Amador  de  Lares  de  l'avoir  trompé  en  traitant  avec  Cortès,  qui  déjà 
s'éloignait  insoumis.  Il  résolut  d'envoyer  un  de  ses  employés  à  Pedro 
Barba,  son  lieutenant  à  la  Havane,  avec  des  lettres  et  des  ordres.  Il 
écrivit  aussi  à  tous  ses  parents  qui  résidaient  dans  cette  ville,  surtout 
à  Diego  de  Ordas  et  à  Juan  Velasquez  de  Léon,  qui  étaient  ses  amis 
et  appartenaient  à  sa  parenté,  les  suppliant  en  termes  affectueux  que, 
ni  volontairement,  ni  par  force,  ils  ne  laissassent  échapper  la  flotte; 
que  l'on  arrêtât  Cortès  sans  délai,  et  qu'on  le  lui  envoyât  à  Santiago 
de  Cuba,  sous  bonne  garde,  en  qualité  de  prisonnier.  Lorsqu'arriva 
Carnica,  —  c'est  ainsi  qu'on  appelait  l'émissaire  qui  fut  envoyé  à  la 
Havane  avec  lettres  et  commandements,  —  on  sut  de  quels  ordres  il 
était  porteur.  C'est  par  ce  messager  lui-même  que  Cortès  eut  avis  de 
ce  que  Velasquez  avait  expédié,  et  voici  comment  :  il  paraît  qu'un 
Frère  de  la  Merced,  qui  se  donnait  pour  serviteur  de  Velasquez  et  qui 


54  CONQUÊTE 

vivait  dans  son  entourage,  écrivit  à  un  autre  Frère  de  son  ordre,  appelé 
fray  Bartolomé  de  Olmedo,  qui  était  de  l'expédition;  or,  dans  cette 
lettre,  ses  deux  associés,  Andrès  de  Duero  et  le  contrôleur,  instrui- 
saient Gortès  de  ce  qui  se  passait. 

Reprenons  le  fil  de  notre  récit.  Gomme  Gortès  avait  envoyé  Ordas 
en  approvisionnement  avec  un  navire,  ainsi  que  je  l'ai  conté,  il  n'y 
avait  plus  que  Juan  Velasquez  de  Léon  qui  pût  lui  faire  opposition. 
Mais  à  peine  lui  parla-t-il,  qu'il  le  mit  dans  ses  intérêts,  parce  que 
le  Juan  Velasquez  de  Léon  n'était  pas  au  mieux  avec  son  parent,  qui 
ne  lui  avait  pas  donné  de  bons  Indiens.  De  sorte  que,  parmi  ceux  qui 
avaient  reçu  des  lettres  du  gouverneur,  aucun  n'embrassait  sa  cause  ; 
tous,  au  contraire,  se  prononçaient  pour  Gortès,  et  le  lieutenant  Pedro 
Barba  avec  plus  d'ardeur  que  les  autres.  Au  surplus,  les  frères  hidalgos 
Alvarado,  Alonso  Hernandez  Puertocarrero,  Francisco  de  Montejo, 
Christoval  de  Oli,  Juan  de  Escalante,  Andrès  de  Monjaraz  et  son  frère 
Gregorio  de  Monjaraz,  et  nous  tous,  enfin,  nous  aurions  donné  nos 
vies  pour  Gortès.  Il  s'ensuivit  que,  si  à  Trinidad  on  passa  sous  silence 
les  ordres  reçus,  on  en  fit  moins  de  cas  encore  à  la  Havane.  Ge  fut 
par  Garnica  lui-même  que  le  lieutenant  Pedro  Barba  écrivit  à  Diego 
Velasquez,  lui  disant  «  qu'il  n'avait  pas  osé  arrêter  Gortès,  parce  qu'il 
était  fort  appuyé  par  ses  hommes,  et  qu'on  eut  la  crainte  de  les  voir 
mettre  la  ville  à  sac,  la  piller,  embarquer  ses  habitants  et  les  emmener 
avec  eux;  que,  du  reste,  il  a  pu  se  convaincre  que  Gortès  est  un  fidèle 
serviteur,  et  qu'au  surplus  il  n'a  pas  osé  faire  autre  chose.  »  D'autre 
part,  Gortès  écrivit  à  Velasquez  en  termes  fort  soumis,  avec  mille  pro- 
messes, —  comme  il  les  savait  très-bien  faire,  —  l'avertissant  qu'il 
partirait  le  lendemain,  et  qu'il  serait  son  serviteur. 


CHAPITRE  XXV 

Comme  quoi  Cortès  fit  voile  avec  tout  son  monde,  caballeros  et  soldats,  vers  l'île 
de  Cozumel,  et  ce  qui  lui  advint  en  ce  lieu. 

Nous  ne  devions  passer  revue  qu'en  arrivant  à  Gozumel.  Gortès  fit 
embarquer  les  chevaux  et  ordonna  à  Pedro  de  Alvarado  de  longer  la 
côte  nord  avec  un  bon  navire  appelé  San  Sébastian,  enjoignant  à  son 
pilote  de  l'attendre  à  la  pointe  de  San  Antonio,  où  il  devait  rallier  les 
autres  bâtiments  pour  naviguer  de  conserve  jusqu'à  Gozumel.  Il  en- 
voya un  messager  à  Diego  de  Ordas  qui  avait  été  aux  provisions  et 
se  trouvait  sur  la  côte  nord,  avec  ordre  d'attendre  aussi  pour  suivre 
la  même  conduite.  Gela  fait,  le  dixième  jour  du  mois  de  février  de  l'an 
quinze  cent  dix-neuf,  après  avoir  entendu  la  messe,  nous  fîmes  voile 


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DE  LA  NOUVELLE-ESPAGNE.  55 

vers  le  sud  avec  neuf  navires  et  le  nombre  d'hommes  que  j'ai  dit. 
C'étaient  donc  onze  navires,  en  comptant  les  deux  qui  longeraient  la 
côte  nord  et  dont  l'un  était  celui-là  même  que  montait  Pedro  de  Alva- 
rado  avec  soixante  soldats  au  nombre  desquels  je  me  trouvais.  Le 
pilote  qui  nous  conduisait,  qui  s'appelait  Gamacho,  ne  tint  nullement 
compte  de  ce  que  Cortès  lui  avait  ordonné;  il  continua  sa  route,  et 
nous  arrivâmes  à  Gozumel  deux  jours  avant  notre  chef.  Nous  mouil- 
lâmes dans  le  port  dont  j'ai  parlé  à  propos  de  la  campagne  de  Grijalva. 
Gortès  n'était  pas  encore  arrivé  avec  sa  flotte,  parce  qu'un  navire, 
dans  lequel  venait  Francisco  de  Morla,  perdit  son  gouvernail  par  un 
gros  temps.  On  le  secourut  d'un  autre  timon  pris  dans  la  flotte  et  ils 
naviguèrent  tous  de  conserve. 

Revenons  à  Pedro  de  Alvarado.  Aussitôt  arrivés  au  port,  nous  sau- 
tâmes à  terre  au  village  de  Gozumel,  avec  tous  nos  soldats.  Nous  n'y 
trouvâmes  pas  d'Indiens,  tous  avaient  pris  la  fuite.  Notre  capitaine 
donna  ordre  d'aller  à  un  autre  village  situé  une  lieue  plus  loin.  Les 
naturels  du  lieuVétaient  enfuis  aussi  vers  les  bois;  mais,  n'ayant  pas 
eu  le  temps  d'emporter  tout  leur  avoir,  ils  avaient  laissé,  entre  bien 
d'autres  objets,  des  poules  dont  Alvarado  ordonna  qu'on  prît  au  moins 
quarante.  Il  y  avait  aussi,  dans  un  temple  d'idoles,  des  ornements  en 
vieilles  étoffes  et  des  cassettes  où  l'on  trouvait  des  sortes  de  diadèmes, 
de  chapelets  et  de  médaillons  en  or  bas.  On  prit  tout  cela,  et  on  en- 
leva deux  Indiens  et  une  Indienne  avec  lesquels  on  revint  au  village 
où  nous  avions  débarqué.  On  en  était  là,  lorsque  Gortès  arriva  avec 
tous  les  navires.  Après  avoir  pris  logement,  sa  première  mesure  fut 
de  faire  arrêter  et  mettre  aux  fers  le  pilote  Gamacho,  pour  n'avoir  pas 
attendu  en  mer  ainsi  qu'il  en  avait  reçu  l'ordre.  Voyant  le  port  sans 
habitants  et  ayant  su   comment  Alvarado  avait  été  au  village  voisin 
prendre  les  poules,  les  ornements  avec  d'autres  objets  de  peu  de  va- 
leur appartenant  aux  idoles,  et  l'or  moitié  cuivre,  il  s'en  montra  très- 
irrité  et  il  en  fit  un  reproche  sévère  à  Pedro  de  Alvarado,  lui  disant 
que  ce  n'était  pas  en  leur  prenant  ainsi  leurs  biens  que  l'on  apaiserait 
les  pays  conquis.  Il  fit  amener  devant  lui  les  deux  Indiens  et  l'In- 
dienne que  nous  avions  pris  et,  au  moyen  de  Melchorejo,  du  cap  Go- 
toche  (Julianillo  était  mort),  qui  comprenait  très-bien  leur  langue,  il 
leur  parla  pour  qu'ils  appelassent  les  caciques  et  habitants  du  village, 
les  priant  de  bannir  toute  crainte.  Il  leur  fit  rendre  l'or,  les  ornements 
et  tout  le   reste.  Quant  aux  poules,  on   les  avait  mangées;  mais  il 
ordonna  qu'on  leur  offrît  en  échange  des  verroteries  et  des  grelots  et 
à  chacun  une  chemise  de  Gastille.  Ils  allèrent  donc  appeler  le  cacique 
du  village,  qui  vint  le  lendemain,  accompagné  de  tout   son  monde, 
avec  les  femmes  et  les  enfants  des  habitants  du  lieu.  Ils  allaient  et 
venaient  parmi  nous  comme  s'ils  nous  avaient  connus  toute  leur  vie. 
Gortès  donna  l'ordre  qu'on  ne  leur  causât  aucun  ennui.  Ge  fut  dans 


56  CONQUETE 

cette  île  que  notre  capitaine  commença  à  prendre  le  commandement 
au  sérieux.  Le  bon  Dieu  lui  avait  départi  tous  les  dons  ;  partout  où  il 
mettait  la  main,  il  était  assuré  de  réussir,  ayant  surtout  un  tact  spé- 
cial pour  pacifier  les  villages  et  les  habitants  de  ces  contrées,  comme 
l'on  verra  par  la  suite. 


CHAPITRE  XXVI 


Comme  quoi  Cortès  commanda  une  revue  de  toute  son  armée  et  de  ce  qui  nous  advint 

encore. 

Il  y  avait  trois  jours  que  nous  étions  à  Gozumel,  lorsque  Cortès 
ordonna  une  revue,  aiin  de  reconnaître  le  nombre  de  ses  soldats.  Il  en 
trouva  cinq  cent  huit,  sans  compter  les  pilotes,  les  maîtres  d'équi- 
page et  les  matelots,  au  nombre  de  cent  neuf;  plus  seize  chevaux  ou 
juments  (celles-ci  toutes  de  brio  et  fortes  coureuses).  Nous  avions 
onze  navires  grands  et  petits;  l'un  d'eux  était  une  sorte  de  brick  dont 
Ginès  Nortes  avait  le  commandement.  Il  y  avait  trente-deux  arbalé- 
triers et  treize  fusiliers  (escopeteros),  c'est  ainsi  qu'on  les  nommait 
alors;  des  canons  en  bronze,  quatre  fauconneaux  et  grande  provision 
de  poudre,  de  balles  et  boulets.  Ce  que  j'ai  dit  du  nombre  des  arba- 
létriers, je  n'en  suis  pas  bien  sûr;  mais  cela  n'importe  guère  à  notre 
récit. 

La  revue  étant  finie,  Cortès  ordonna  à  l'artilleur  Mesa,  à  Bartolomé 
de  Usagre,  à  Arbenga  et  à  un  certain  Catalan,  tous  artilleurs,  de  tenir 
toutes  choses  très-propres  et  en  bon  état,  et  que  les  armes  à  feu,  les 
balles  et  les  poudres  fussent  toujours  prêtes.  Il  nomma  commandant 
de  l'artillerie  un  Francisco  Orozco,  qui  avait  été  fort  bon  soldat  en 
Italie.  Il  ordonna  en  même  temps  à  deux  archers,  maîtres-fabricants 
d'arbalètes,  nommés  Juan  Benitez  et  Pedro  de  Gruzman  l'Arbaletier, 
de  prendre  bien  soin  que  toutes  leurs  armes  eussent  chacune  trois 
noix  et  autant  de  cordes  et  que  les  provisions  en  fussent  toujours 
faites;  que  l'on  eût  des  époussettes,  que  l'on  s'exerçât  au  tir  et  que  les 
chevaux  fussent  toujours  prêts....  Mais,  en  vérité,  je  ne  sais  pour- 
quoi je  barbouillerais  tant  de  papier  à  me  mêler  de  questions  d'ar- 
mement et  autres,  si  ce  n'était  pour  faire  voir  que  vraiment  Cortès 
était  d'une  extrême  vigilance  en  toutes  choses. 


DE  LA   NOUVELLE-ESPAGNE.  57 


CHAPITRE  XXVII 


Comme  quoi  Cortès  eut  connaissance  que  deux  Espagnols  se  trouvaient  au  pouvoir 
des  Indiens,  vers  le  cap  Cotoche,  et  ce  qu'on  fit  à  ce  propos. 

Comme  Cortès  donnait  à  tout  ses  meilleurs  soins,  il  me  fit  appeler, 
ainsi  qu'un  Basque,  nommé  Martin  Ramos,  et  il  nous  demanda  notre 
sentiment  au  sujet  de  l'expression  «  Castilan,  Castilan  »,  que  nous 
adressèrent  les  Indiens  de  Campêche,  lors  de  notre  expédition  avec 
Hernandez  de  Cordova,  selon  que  je  l'ai  dit  au  chapitre  qui  en  a  parlé. 
Nous  lui  racontâmes  donc,  encore  une  fois,  comment  et  de  quelle 
façon  nous  l'avions  entendue.  Il  nous  dit  alors  qu'il  avait  souvent  ré- 
fléchi à  tout  cela  et  pensé  que  peut-être  quelques  Espagnols  se  trou- 
vaient dans  ce  pays.  Il  ajouta  :  «  Je  suis  d'avis  qu'il  convient  de 
demander  aux  caciques  de  Cozumel  s'ils  en  ont  connaissance.  »  On 
interrogea  donc  tous  les  principaux  personnages,  au  moyen  de  Mel- 
chorejo,  qui  comprenait  déjà  quelque  peu  la  langue  de  Castille  et 
savait  très-bien  celle  de  Cozumel.  Ils  furent  tous  unanimes  à  ré- 
pondre qu'ils  avaient  connu  des  Espagnols;  ils  en  donnaient  les 
signalements  et  assuraient  qu'à  deux  journées  de  distance,  dans  l'in- 
térieur du  pays,  des  Indiens  les  possédaient  comme  esclaves;  qu'au 
surplus,  il  y  avait  à  Cozumel  des  trafiquants  qui  s'étaient  entretenus 
avec  eux  peu  de  jours  auparavant. 

Nous  nous  réjouîmes  de  ces  nouvelles  et  Cortès  dit  qu'il  fallait  les 
aller  chercher  en  leur  portant  des  lettres,  connues  dans  le  pays  sous 
le  nom  à'amales.  Il  donna  des  chemises  aux  caciques  et  aux  Indiens 
qui  en  devaient  être  porteurs,  les  flattant  beaucoup  et  promettant 
qu'on  leur  donnerait  encore  des  perles  à  leur  retour.  Le  chef  cacique 
conseilla  à  Cortès  d'envoyer  aussi  des  objets  de  rachat  pour  les  maîtres 
qui  les  tenaient  en  esclavage,  afin  qu'ils  les  laissassent  partir.  On  le 
fit  ainsi;  on  donna  aux  messagers  toutes  sortes  de  verroteries  et  l'on 
fit  mettre  en  partance  les  deux  plus  petits  navires,  dont  l'un  dépas- 
sait un  peu  les  proportions  d'un  brick.  On  y  embarqua  vingt  arbalé- 
triers ou  fusiliers  avec  Diego  de  Ordas  pour  capitaine,  leur  donnant 
l'ordre  d'attendre  huit  jours  près  de  la  côte  du  cap  Cotoche  avec  le 
plus  fort  navire,  et  de  mettre  à  profit  le  plus  petit  pour  tenir  Cortès 
au  courant  de  ce  qui  se  passerait,  pendant  que  les  messagers  iraient 
porter  les  lettres  et  reviendraient  avec  la  réponse;  car  il  n'y  a  qu'une 
distance  de  quatre  lieues  entre  Cozumel  et  la  pointe  de  Gotoche,  et  les 
deux  pays  se  distinguent,  de  l'un  à  l'autre,  à  la  simple  vue.  La  lettre 
écrite  par  Cortès  disait  ainsi  :  «  Frères  et  senores,  c'est  ici  même,  à 
Cozumel,  que  j'ai  su  que  vous  étiez  retenus  au  pouvoir  d'un  cacique, 


58  CONQUÊTE 

Je  vous  demande  en  grâce  que  vous  veniez  ici,  et  j'envoie  pour  cela 
un  navire,  pourvu  de  soldats  en  cas  que  vous  en  ayez  besoin,  et  por- 
teur de  moyens  de  rachat  pour  les  Indiens  chez  lesquels  vous  êtes. 
Le  navire  a  l'ordre  de  vous  attendre  huit  jours.  Venez-vous-en  sans 
retard.  Vous  serez  par  moi  bien  vus  et  bien  traités.  Je  suis  dans  cette 
île  avec  cinq  cents  soldats  et  onze  navires,  en  route,  Dieu  aidant, 
pour  un  pays  appelé  Tabasco  ou  Potonchan,  etc.  »  On  s'embarqua 
avec  les  lettres  et  avec  les  trafiquants  qui  en  étaient  porteurs.  Le 
golfe  fut  traversé  en  trois  heures.  Les  messagers  furent  conduits  à 
terre  avec  les  lettres  et  les  moyens  de  rachat.  Au  bout  de  deux  jours, 
ils  les  mirent  aux  mains  d'un  Espagnol  nommé  G-eronimo  Aguilar  * 
(nous  apprîmes  alors  que  tel  était  son  nom,  et  c'est  ainsi  que  je  l'ap- 
pellerai désormais).  En  les  lisant  et  en  recevant  sa  rançon,  il  éprouva 
une  grande  joie.  Il  se  hâta  d'apporter  les  verroteries  à  son  maître 
pour  en  obtenir  sa  liberté,  qui  lui  fut  en  effet  donnée  sur-le-champ, 
pour  aller  où  il  jugerait  convenable.  Aguilar  se  dirigea  alors  vers  les 
lieux  où  habitait  son  camarade  appelé  Gronzalo  Guerrero.Mais  celui-ci 
lui  répondit  :  «  Aguilar,  mon  frère,  je  suis  marié,  j'ai  trois  enfants, 
on  m'a  fait  cacique  et  même  capitaine  pour  les  temps  de  guerre; 
partez,  vous,  et  que  Dieu  vous  garde  !  Quant  à  moi,  j'ai  des  tatouages 
sur  la  figure  et  des  trous  aux  oreilles;  que  diraient  de  moi  les  Es- 
pagnols en  me  voyant  ainsi  fait?  Et  regardez  combien  sont  gentils 
mes  trois  petits  enfants;  donnez-moi,  de  grâce,  pour  eux,  de  ces  ver- 
roteries vertes  que  vous  portez;  je  dirai  que  mes  frères  me  les  en- 
voient de  mon  pays.  »  De  son  côté,  l'Indienne  sa  femme  adressa  la 
parole  à  Aguilar,  en  sa  langue,  et  fort  en  colère  :  «  Voyez,  dit-elle, 
voyez  cet  esclave  qui  vient  chercher  mon  mari  !  Allez-vous-en,  vous, 
et  ne  parlez  pas  davantage.» Mais  Aguilar  revint  à  Gonzalo  et  lui  dit 
de  faire  bien  attention  qu'il  était  chrétien  et  de  ne  point  perdre  son 
âme  pour  une  Indienne  ;  s'il  les  tenait  pour  fils  et  femme,  et  s'il  ne 
voulait  pas  les  abandonner,  qu'il  les  amenât  avec  lui.  Mais  il  eut 
beau  dire,  et  lui  faire  des  admonitions,  Gronzalo  ne  voulut  pas  s'en 
aller.  Il  paraît  que  ce  Gronzalo  G-uerrero  était  matelot,  natif  de  Palos. 
Voyant  qu'il  se  refusait  à  partir,  Geronimo  Aguilar,  accompagné  des 
messagers  indiens,  se  rendit  à  l'endroit  où  le  navire  avait  ordre  de 
l'attendre.  Mais  il  ne  le  trouva  pas  en  y  arrivant.  On  était  parti,  parce 
que  les  huit  jours  d'attente  prescrits  à  Ordas,  et  même  un  de  plus 


1.  Geronimo  de  Aguilar.  Cette  page  nous  entretient  pour  la  première  fois  d'un 
Espagnol  qui  venait  de  passer  quelques  années,  à  titre  d'esclave,  dans  la  péninsule 
du  Yucatan.  La  rencontre  que  Fernand  Cortès  fit  de  ce  captif  au  début  môme  de 
son  expédition  est  le  fait  qui  paraît  le  plus  providentiellement  heureux  pour  les  évé- 
nements futurs  de  la  campagne.  Geronimo  de  Aguilar,  en  effet,  fut  un  serviteur  dé- 
voué, et,  par  la  connaissance  qu'il  acquit  des  langues  des  différents  pays  parcourus, 
il  devint  l'interprète  nécessaire  et  très-souvent  l'élément  le  plus  sûr  de  réussite. 


DE  LA   NOUVELLE-ESPAGNE.  59 

étaient  expirés.  Aguilar  ne  paraissant  pas,  le  navire  était  retourné  à 
Gozumel  sans  avoir  trouvé  ce  qu'il  était  allé  chercher.  Aguilar  devint 
fort  triste  en  voyant  que  le  navire  n'était  plus  là,  et  il  s'en  fut  re- 
joindre son  maître  au  village  où  il  résidait.  Je  l'y  laisserai  pour  dire 
que  lorsque  Gortès  vit  revenir  Ordas  sans  recrues  et  sans  nouvelles,  ni 
des  Espagnols,  ni  des  Indiens  messagers,  il  se  fâcha  tellement  qu'il  dit 
à  Ordas,  d'un  ton  fort  arrogant,  qu'il  attendait  de  lui  un  meilleur 
résultat  de  sa  mission  et  non  ce  retour  sans  les  Espagnols  et  sans 
nouvelles  de  leurs  personnes;  car  ils  étaient  certainement  dans  ce  pays. 

En  ce  moment  aussi,  il  advint  que  des  matelots,  appelés  les  Pé- 
nates, natifs  de  Cribraleon,  avaient  volé  des  porcs  salés  à  un  soldat 
nommé  Berrio  et  se  refusaient  à  les  rendre.  Berrio  se  plaignit  à  Gor- 
tès. On  exigea  le  serment  des  prévenus  qui  furent  bientôt  convaincus 
de  parjure,  car  des  perquisitions  découvrirent  le  vol  :  les  porcs 
avaient  été  répartis  entre  les  sept  matelots.  Gortès  ordonna  qu'on  les 
fouettât  tous,  et  aucune  supplique  d'aucun  chef  ne  les  put  préserver. 
Je  laisserai  là  l'affaire  des  matelots  et  même  ce  qui  concerne  Aguilar; 
nous  poursuivrons  sans  celui-ci  notre  voyage,  jusqu'à  ce  que  son  tour 
revienne  de  nous  en  occuper.  Je  dirai  comme  quoi  il  se  faisait  dans 
cette  île  de  grands  pèlerinages  d'Indiens,  natifs  des  villages  situés 
vers  le  cap  Gotoche  et  dans  d'autres  points  du  pays  d'Yucatan;  car  il 
y  avait,  paraît-il,  dans  un  temple  de  Gozumel,  certaines  idoles  d'un 
hideux  aspect,  auxquelles  on  avait  coutume  de  faire  des  sacrifices  à 
cette  époque  de  l'année.  Un  matin,  le  grand  préau  où  se  trouvaient 
ces  idoles  était  rempli  d'Indiens  et  d'Indiennes  brûlant  du  copal. 
Gomme  c'était  pour  nous  un  spectacle  nouveau,  nous  nous  arrêtâmes 
à  le  considérer  avec  attention. 

Tout  à  coup  un  vieillard  indien,  couvert  d'un  long  vêtement,  monta 
au-dessus  d'un  oratoire.  C'était  un  prêtre  de  ces  idoles  (j'ai  déjà  dit 
qu'on  les  nomme  papes  dans  la  Nouvelle-Espagne).  Il  se  mit  à  leur 
prêcher,  tandis  que  Gortès  et  nous  attendions  pour  voir  où  en  arri- 
verait ce  sinistre  sermon.  Or,  Gortès  demanda  à  Melchorejo,  qui  com- 
prenait très-bien  la  langue,  ce  que  disait  ce  vieil  Indien.  Ayant  appris 
qu'il  prêchait  de  méchantes   choses,  il   fit  appeler  sur-le-champ  le 
cacique,  les  personnages  les  plus  marquants  et  le  pape  lui-même,  et 
il  leur  dit  le  mieux  qu'il  put,  au  moyen  de  son  interprète,  que  «  s'ils 
prétendaient  être  nos  frères,  ils  devaient  enlever  de   cet  édifice  ces 
mauvaises  idoles  qui  les  tiendraient  dans  l'erreur,  attendu  que  ce 
n'étaient  point  des  dieux,  mais  de  méchantes  choses  qui  emporteraient 
leurs  âmes  en  enfer.  »  On  leur  fit  comprendre  d'autres  saintes  et  sa- 
lutaires  vérités,  les   priant  de  placer  là  une  croix  et  une  image  de 
Notre  Dame,  qu'il  leur  donna,  en  leur  promettant   qu'ils  en    rece- 
vraient toujours   assistance,  bonnes  moissons   et   le   salut  de  leurs 
âmes.  On  leur  prêcha  encore,  en  bons  termes,  d'autres  choses  sur 


60  CONQUÊTE 

notre  sainte  foi.  Le  pape  et  les  caciques  répondirent  que  leurs  aïeux 
avaient  adoré  ces  divinités  parce  qu'elles  étaient  bonnes,  et  qu'ils 
n'oseraient  faire  eux-mêmes  différemment;  que  nous  enlevassions, 
nous,  ces  idoles  et  nous  verrions  combien  il  nous  en  arriverait 
malheur;  car  nous  nous  perdrions  certainement  en  mer.  Gortès  or- 
donna aussitôt  qu'on  les  brisât  et  qu'on  en  fît  rouler  les  morceaux  du 
haut  en  bas  des  degrés;  et  on  le  fit  ainsi  sur-le-champ.  Incontinent, 
il  ordonna  qu'on  apportât  beaucoup  de  chaux  (il  y  en  avait  grande 
provision  dans  le  village)  et  qu'on  fît  venir  des  maçons  indiens.  On 
construisit  un  autel  fort  propre,  pour  y  placer  l'image  de  Notre 
Dame.  Gortès  commanda,  en  outre,  à  deux  de  nos  charpentiers,  nom- 
més Alonso  Yanez  et  Alvaro  Lopez,  de  faire  une  croix  avec  du  bois 
neuf  qu'on  avait  sous  la  main,  et  on  la  plaça  sur  une  sorte  de  pié- 
destal qui  était  construit  auprès  de  l'autel.  Un  prêtre  appelé  Juan 
Diaz  dit  la  messe,  tandis  que  le  pape,  le  cacique  et  les  Indiens  sui- 
vaient la  cérémonie  avec  attention.  En  langue  de  Gozumel,  on  appelle 
les  caciques  calachionis,  ainsi  que  je  l'ai  dit  à  propos  de  l'affaire  de 
Potonchan.  Je  les  laisserai  là,  je  poursuivrai  mon  récit  et  je  dirai  comme 
quoi  nous  nous  embarquâmes. 


CHAPITRE  XXVIII 

Comme  quoiCortès  fit  la  répartition  des  navires  et  désignales  capitaines  qui  devaient 
s'embarquer  dans  chacun  d'eux  ;  on  instruisit  les  pilotes  de  ce  qu'ils  auraient  à  faire  ; 
on  convint  des  signaux  de  nuit;  et  autres  choses  qui  nous  advinrent. 

Gortès  occupait  le  navire  de  commandement. 

Pedro  de  Alvarado  et  ses  frères  :  un  bon  navire  appelé  San  Sébastian, 

Alonso  Hernandez  Puertocarrero  :  un  autre. 

Francisco  de  Montejo  :  un  autre  bon  navire. 

Christoval  de  Oli  :  un  autre. 

Diego  de  Ordas  :  un  autre. 

Juan  Velasquez  de  Léon  :  un  autre. 

Juan  de  Escalante  :  un  autre. 

Francisco  de  Morla  :  un  autre. 

Un  autre  à  Escobar,  le  Page. 

Et  le  plus  petit,  une  sorte  de  brick  :  à  Ginès  Nortes. 

A  chaque  navire,  son  pilote. 

Le  pilote  en  chef  :  Anton  de  Alaminos. 

On  convint  des  instructions  qui  devraient  régler  leur  conduite,  ce 
qu'ils  auraient  à  faire,  et  les  signaux  de  nuit. 

Gortès  prit  congé  des  caciques  et  des  papes,  après  leur  avoir 
recommandé  l'image  de  Notre  Dame,  les  exhortant  à  révérer  la  croix 


DE  LA  NOUVELLE-ESPAGNE.  61 

et  à  tenir  l'autel  propre  et  garni  de  fleurs;  qu'ils  verraient  bien  les 
bénéfices  qui  en  seraient  la  suite.  Ils  promirent  de  le  faire  ainsi.  Us 
offrirent  à  Cortès  quatre  poules,  avec  deux  bocaux  de  miel,  et  l'em- 
brassèrent. Nous  nous  embarquâmes  un  certain  jour  du  mois  de  mars 
de  Tan  quinze  cent  dix-neuf.  Nous  avions  déjà  fait  voile  et  nous  sui- 
vions notre  route  avec  fort  beau  temps,  lorsque  ce  jour-là  même,  vers 
dix  heures,  des  cris  partirent  de  l'un  des  navires,  qui  faisait  des 
signaux  et  qui  tira  un  coup  de  canon,  afin  que  tous  les  autres  qui 
naviguaient  de  conserve  pussent  l'entendre.  Et  comme  Gortès  l'eut 
entendu,  il  s'approcha  de  ses  sabords  et  vit  que  le  navire  monté  par 
Juan  de  Escalante  rebroussait  chemin  et  revenait  à  Gozumel.  Il  cria 
alors  à  ceux  qui  voguaient  le  plus  près  de  lui  :  «  Qu'est-ce?  qu'est 
cela?  »  Un  soldat  nommé  Zaragozalui  répondit  que  le  vaisseau  d'Es- 
calante  faisait  eau.  Or  c'était  là  que  se  trouvait  la  cassave.  Cortès 
s'écria  :  «  Plaise  à  Dieu  qu'il  ne  nous  arrive  pas  malheur!  »  Et  il 
ordonna  au  pilote  Alaminos  de  faire  à  tous  les  navires  le  signal  de 
retourner  à  Gozumel.  Nous  rentrâmes  en  effet  le  même  jour  au  port 
d'où  nous  étions  partis  et  nous  déchargeâmes  notre  cassave.  Nous 
trouvâmes  l'image  de  Notre  Dame  et  la  croix  très-propres  et  entourées 
d'encens,  ce  qui  nous  causa  une  grande  joie.  Le  cacique  et  les  papes 
ne  tardèrent  pas  à  venir  parler  à  Gortès,  et  comme  ils  lui  deman- 
daient pourquoi  nous  revenions,  il  répondit  que  c'était  parce  qu'un 
de  nos  navires  faisait  eau  et  qu'il  voulait  le  caréner.  Il  les  pria  de 
nous  aider,  avec  tous  leurs  canots,  à  débarquer  le  pain  de  cassave,  et 
ils  s'empressèrent  de  le  faire.  Nous  employâmes  quatre  jours  à  mettre 
le  navire  en  état.  Et  n'en  parlons  plus,  et  je  dirai  comme  quoi  notre 
retour  vint  à  la  connaissance  d'Aguilar,  l'Espagnol  qui  était  en  escla- 
vage chez  les  Indiens,  et  ce  que  nous  fîmes  encore. 


CHAPITRE  XXIX 

Comme  quoi  l'Espagnol  esclave  des  Indiens,  qu'on  appelait  Geronimo  Aguilar,  sut 
que  nous  avions  relâché  à  Cozumel  et  s'en  vint  avec  nous,  et  ce  qui  arriva  encore. 

Lorsque  l'Espagnol  qui  était  tombé  au  pouvoir  des  Indiens  eut  la 
nouvelle  certaine  de  notre  retour  à  Gozumel  avec  nos  navires,  il  en 
éprouva  une  grande  joie,  il  rendit  grâces  à  Dieu  et  il  se  mit  en  route 
avec  un  grand  empressement,  accompagné  des  Indiens  qui  lui  avaient 
apporté  les  lettres  et  la  rançon.  Grâce  au  bon  prix  qu'il  offrit  aux 
canotiers,  en  verroteries  vertes  qui  lui  étaient  restées  de  sa  rançon,  il 
trouva  promptement  un  canot  avec  six  bons  rameurs.  Ceux-ci  ramè- 
rent avec  tant  de  zèle  qu'en  peu  de  temps  ils  passèrent  sans  accident 


62  CONQUÊTE 

le  petit  bras  de  mer  qui  sépare  les  deux  côtes  par  une  distance  de 
quatre  lieues.  Après  qu'ils  eurent  débarqué  à  Cozumel,  des  soldats 
qui  allaient  chasser  le  sanglier  du  pays  dirent  à  Gortès  qu'un  grand 
canot  de  Cotoche  avait  abordé  près  du  village.  Gortès  ordonna  à  Andrès 
de  Tapia  et  à  d'autres  soldats  d'aller  voir  comment  il  se  faisait  que 
des  Indiens  vinssent  ainsi  tout  près  de  nous,  avec  de  grandes  embar- 
cations et  sans  aucune  crainte.  Gela  fut  fait  immédiatement.  Or,  aus- 
sitôt que  les  Indiens  du  canot  loué  par  Aguilar  virent  les  Espagnols, 
ils  se  troublèrent   et  voulurent  se   rembarquer  tout  de  suite  pour 
prendre  le  large.  Mais  Aguilar,  parlant  dans  leur  langue,  leur  dit  de 
ne  pas  avoir  peur;  que  ces  hommes  étaient  ses  frères.  Andrès  de 
Tapia,  les  croyant  tous  Indiens  (car  Aguilar  paraissait  ni  plus   ni 
moins  un  des  leurs),  fit  dire  à  Gortès  par  un  soldat  que  les  gens 
arrivés  dans  le  canot  étaient  sept  indigènes.  Or,  à'peine  eurent-ils  mis 
le  pied  sur  le  rivage  que  l'Espagnol  s'écria  en  mâchant  ses  mots  et 
en  les  prononçant  fort  mal  :  «  Mon  Dieu,  Sainte  Marie  et  Séville  !  » 
Tapia  courut  l'embrasser  aussitôt,  et  un  soldat  de  ceux  qui  avaient 
approché  avec  lui  pour  voir  ce  que  cela  pouvait  être,  partit  en  toute 
hâte  demander   ses  étrennes  à  Gortès  pour  la  bonne  nouvelle  que 
c'était  un  Espagnol  qui  venait  dans  le  canot.  Cet  événement  nous 
causa  à  tous  une  grande  joie.  Effectivement,  Tapia  ne   tarda  pas   à 
paraître  avec  le  nouveau  venu;  or,  plusieurs  de  ses  camarades  lui 
demandaient  :  «  Et  l'Espagnol,  où  est-il?  »  quoiqu'il  marchât  près  de 
lui.  Ils  le  prenaient  pour  un  Indien,  parce  qu'en  sus  d'être  naturelle- 
ment brun,  il  avait  les  cheveux  coupés  ras  comme  les  Indiens  esclaves. 
Il  portait  une  rame  sur  l'épaule,  une  vieille  sandale  au  pied  et  l'autre 
attachée  à  la  ceinture,  une   mauvaise  cape  très-usée,  et  un  brayer 
pire  encore,  pour  couvrir  ses  nudités.  Un  vieux  livre  d'heures  pen- 
dait attaché  à  sa  cape.   Gortès  en  le  voyant  y  fut  pris  comme  les 
autres;  il  demanda  à  Tapia  ce  qu'était  devenu  l'Espagnol.  Or  l'Es- 
pagnol qui  le  comprit  s'assit  sur  ses  talons,  à  la  manière  des  Indiens  , 
en  disant  :  «  C'est  moi!  »  Gortès  lui  fit  donner  aussitôt,  pour  l'ha- 
biller, une  chemise,  un  pourpoint,  des  culottes,  un  chaperon  et  des 
sandales.  On  ne  possédait  pas  d'autres  vêtements.  Il  l'interrogea  sur 
sa  vie,  son  nom  et  l'époque  de  son  arrivée  dans  le  pays.  L'Espagnol 
répondit,  en  prononçant  fort  mal,  qu'il  s'appelait  Geronimo  Aguilar, 
était  natif  d'Ecija  et  ordonné  diacre  :  il  s'était  perdu,  huit  ans  aupa- 
ravant, avec  quinze  hommes  et  deux  femmes,  en  allant  de  Darien  à 
l'île  de  Saint-Domingue,  à  la  suite  d'un  différend  et  de  disputes  occa- 
sionnés par  un  certain  Enciso  y  Valdivia;  ils  emportaient,  ajouta-t-il, 
dix  mille  piastres  en  or  et  les  pièces  des  procès.  Le  navire  qui  les 
amenait  donna    sur  les   AlaCrans1   et  il  ne  put    se  relever.  Ils  se 

1:  L'auteur  se  trompe;  il  veut  dire  «  les  Vivoras  »; 


DE  LA  NOUVELLE-ESPAGNE.  63 

sauvèrent  tous  sur  le  canot  du  navire,  lui,  ses  compagnons  et  les  deux 
femmes,  avec  la  pensée  d'arriver  à  Cuba  ou  à  la  Jamaïque;  mais  les 
courants,  qui  étaient  très  forts,  les  jetèrent  sur  ce  pays.  Les  caciques 
de  la  contrée  se  les  répartirent  entre  eux.  On  en  sacrifia  plusieurs  aux 
idoles;  quelques-uns  moururent  de  maladie  et  les  femmes  avaient 
succombé  aussi  à  leurs  fatigues,  peu  de  temps  auparavant,  parce 
qu'on  les  obligeait  à  moudre.  Quant  à  lui,  on  allait  le  sacrifier, 
lorsqu'une  nuit  il  put  s'enfuir  et  se  réfugier  chez  le  cacique  avec 
lequel  il  se  trouvait  actuellement  (je  ne  sais  plus  comment  il  nous 
l'appela).  Il  n'était  resté  que  lui  et  un  Gonzalo  Guerrero  «  qui  a  refusé 
de  venir,  ajoutait  Aguilar,  quand  j'ai  été  l'appeler.  »  Gortès  l'ayant 
entendu  rendit  grâces  à  Dieu  pour  toutes  choses,  et  lui  promit  que, 
Dieu  aidant,  il  serait  par  lui  bien  vu  et  bien  traité.  Il  s'informa  du 
pays  et  de  ses  habitants.  Mais  Aguilar  répondit  que,  comme  on  le 
tenait  en  esclavage,  il  n'avait  appris  qu'à  charrier  du  bois  et  de  l'eau, 
et  à  gratter  la  terre  pour  cultiver  le  maïs  ;  que  le  plus  qu'il  s'était  éloi- 
gné n'avait  pas  dépassé  quatre  lieues,  un  jour  qu'on  l'amenait  chargé 
d'un  fardeau  qu'il  ne  put  porter  et  qui  le  rendit  malade;  du  reste, 
il  était  convaincu  qu'il  existait  beaucoup  de  grands  centres  habités. 
Gortès  l'interrogea  ensuite  sur  Gonzalo  Guerrero  et  il  répondit  qu'il 
était  marié  et  qu'il  avait  trois  enfants  ;  que  sa  figure  était  tatouée,  ses 
oreilles  percées  et  la  lèvre  inférieure  également;  qu'il  était  marin, 
natif  de  Palos,  et  que  les  Indiens  le  tenaient  pour  homme  de  valeur  ; 
qu'un  an  auparavant,  une  compagnie  d'Espagnols  étant  venue  au 
cap  Gotoche  (il  s'agissait,  paraît-il,  de  notre  voyage  avec  Francisco  de 
Gordova),  il  donna  le  conseil  de  nous  combattre  comme  on  le  fit  ;  qu'il 
commandait  alors  conjointement  avec  le  cacique  d'un  grand  village, 
ainsi  que  je  l'ai  conté  en  parlant  de  l'expédition  de  Francisco  de  Gor- 
dova. En  entendant  ce  détail,  Gortès  dit  :  «  En  vérité,  je  voudrais 
l'avoir  en  mon  pouvoir  ;  car  il  n'est  pas  bon  de  le  leur  laisser.  »  Il 
faut  dire  que  les  caciques  de  Gozumel,  entendant  qu'Aguilar  parlait 
leur  langue,  lui  donnaient  très-bien  à  manger;  et  de  son  côté,  il  leur 
conseillait  d'avoir  toujours  de  la  dévotion  et  du  respect  pour  Notre 
Dame  et  pour  la  croix  ;  qu'ils  s'apercevraient  bientôt  du  bien  qui  leur 
en  arriverait.  Les  caciques,  conformément  au  conseil  d'Aguilar, 
demandèrent  à  Gortès  une  lettre  de  recommandation,  afin  que,  s'il 
venait  encore  des  Espagnols  dans  ce  pays,  ils  en  fussent  bien  traités 
au  lieu  d'en  recevoir  du  dommage.  Nous  prîmes  congé  avec  mille 
flatteries  et  des  offres  nombreuses,  et  nous  fîmes  voile  pour  le  fleuve 
de  Grijalva.  G'est  bien  de  cette  manière  et  comme  je  le  dis  qu'Aguilar 
fut  retrouvé,  et  nullement  d'une  autre  façon,  comme  l'écrivit  le  chro- 
niqueur Gomara.  Je  ne  m'en  étonne  pas;  car  ce  qu'il  en  raconte  n'est 
que  comme  un  on-dit.  Retournons  à  notre  récit. 


64  CONQUÊTE 


CHAPITRE  XXX 

Comment  nous  nous  rembarquâmes  et  nous  fîmes  voile  vers  le  rio  Grijalva, 
et  de  ce  qui  nous  advint  dans  le  voyage. 

Le  quatre  du  mois  de  mars  de  Tan  quinze  cent  dix-neuf,  ayant  eu 
la  chance  de  s'adjoindre  un  si  bon  et  si  fidèle  interprète,  Gortès 
donna  l'ordre  d'embarquer  et  de  faire  route  de  la  façon  que  nous 
l'avions  entreprise  avant  notre  retour  à  Cozumel,  en  suivant  les  mêmes 
instructions  et  maintenant  les  mêmes  signaux  déjà  convenus  pour  la 
nuit.  Nous  naviguions  avec  beau  temps,  lorsque  tout  à  coup,  vers  le 
soir,  s'éleva  un  vent  debout  si  fort  que  chaque  navire  fut  différem- 
ment emporté,  avec  grand  risque  de  courir  à  la  côte.  Il  se  calma, 
grâce  à  Dieu,  vers  minuit,  et,  au  lever  du  jour,  tous  les  navires 
purent  se  rejoindre,  excepté  celui  que  montait  Velasquez  de  Léon. 
Nous  avions  repris  notre  route  et  navigué  jusqu'à  midi,  sans  rien 
savoir  sur  son  compte.  Nous  craignions  déjà  qu'il  n'eût  été  jeté  sur 
les  récifs,  lorsque  Gortès,  voyant  que  le  jour  avançait  et  qu'il  ne  pa- 
raissait point,  dit  à  Alaminos  qu'il  ne  lui  semblait  pas  convenable 
d'aller  plus  avant  sans  avoir  de  ses  nouvelles.  Le  pilote  fit  le  signal 
à  tous  les  navires  de  se  mettre  en  observation  et  d'attendre  pour  voir 
s'il  n'aurait  pas  été  obligé  d'entrer  dans  quelque  anse  où  il  se  serait 
attardé  à  cause  du  vent  contraire.  Voyant  qu'il  ne  venait  pas,  le  pilote 
dit  à  Gortès  :  «  Senor,  soyez  sûr  qu'il  s'est  réfugié  dans  une  espèce 
de  port  que  nous  avons  laissé  derrière  nous  et  que  le  vent  ne  lui  en 
permet  plus  la  sortie;  car  son  pilote  est  le  même  qui  vint  autrefois 
avec  Francisco  de  Gordova  et  revint  avec  Grijalva  ;  c'est  Juan  Alvarez, 
le  Manchot;  il  connaît  très-bien  cette  entrée.  »  Il  fut  dès  lors  con- 
venu qu'on  irait  l'y  chercher  avec  toute  la  flotte  ;  on  le  trouva,  en 
effet,  mouillé  dans  la  baie  désignée  par  Alaminos,  et  tout  le  monde 
s'en  réjouit.  Nous  restâmes  là  tout  un  jour.  Nous  mîmes  deux  canots 
à  la  mer  :  le  pilote  et  un  capitaine,  nommé  Francisco  de  Lugo,  furent 
à  terre.  Il  y  avait  là  des  établissements,  avec  champs  de  maïs,  où 
l'on  faisait  du  sel.  On  y  voyait  quatre  eues,  ou  maisons  d'idoles,  ren- 
fermant grand  nombre  de  statues,  dont  la  plupart  figuraient  des 
femmes  de  haute  taille.  Nous  appelâmes  ce  lieu  :  «  la  punta  de  Mu- 
geres  »  (pointe  des  Femmes).  Je  me  rappelle  qu'Aguilar  disait  que 
le  village  où  il  avait  vécu  comme  esclave  se  trouvait  près  de  ces  éta- 
blissements. C'est  là  que  son  maître  le  mena  chargé  d'un  fardeau  qui 
le  fit  tomber  malade.  Il  ajoutait  que  le  village  où  demeurait  Gonzalo 
Guerrero  n'était  pas  loin  de  là;  que  tout  le  monde  avait  de  l'or, 
quoique  on  petite  quantité,  et  que  si  l'on  voulait  y  aller  il  servirait 


DE  LA  NOUVELLE-ESPAGNE.  65 

de  guide.  Cortès  lui  répondit  en  riant  qu'il  n'était  pas  venu  pour  de 
si  petites  choses,  mais  pour  servir  Dieu  et  le  Roi,  et,  sans  plus  de 
retard,  il  donna  l'ordre  à  un  de  ses  capitaines,  nommé  Escobar, 
d'aller  à  la  bouche  de  Terminos  avec  le  navire  dont  il  commandait  la 
troupe,  parce  que  ce  navire  était  bon  voilier  et  qu'il  calait  peu  d'eau. 
Ce  chef  avait  mission  de  voir  ce  qu'était  le  pays,  si  le  port  était  propre 
à  coloniser  et  si  le  gibier  y  abondait  ainsi  qu'on  le  lui  avait  assuré. 
Cortès  donna  cet  ordre  d'après  l'avis  du  pilote,  afin  que,  lorsque  nous 
passerions  par  là  avec  tous  les  navires,  il  ne  fût  pas  nécessaire  de 
retarder  notre  voyage  en  y  entrant.  Il  fut  convenu  qu'Escobar,  après 
avoir  tout  vu,  planterait  un  signal  et  briserait  des  arbres  à  l'entrée 
du  port,  ou  écrirait  un  avis  sur  papier  en  le  plaçant  de  manière 
qu'on  pût  le  voir  de 'tous  les  points  de  la  baie  et  savoir  qu'il  y  était 
entré,  ou  bien  qu'il  attendrait  la  flotte  au  dehors,  en  louvoyant,  après 
avoir  fait  sa  visite. 

Escobar  partit  aussitôt,  arriva  au  port  de  Terminos  (c'est  ainsi 
qu'on  l'appelle)  et  fit  tout  ce  qui  lui  avait  été  commandé.  Il  trouva 
fort  grasse  et  fort  luisante  la  levrette  qui  y  était  restée  lors  du  voyage 
de   Grijalva.  Escobar  nous  rapporta  qu'aussitôt   qu'elle  aperçut   le 
navire  dans  le  port,  elle  se  mit  à  remuer  la  queue  et  à  faire  d'autres 
démonstrations  caressantes  ;   elle  se  mêla  aux  soldats  et  sauta  avec 
eux  sur  le  navire.  Après  cela,  Escobar  gagna  la  mer  et  attendit  la 
flotte.  Mais  il  paraît  qu'il  s'éleva  un  vent  du  sud  qui  ne  lui  permit 
pas  de  rester  aux  aguets,  et  il  s'éloigna  vers  la  pleine  mer.  Revenons 
à  notre  flotte  avec  laquelle  nous  étions  à  la  pointe  de  Mugeres.  Le 
jour  suivant,  étant  partis  de  bonne  heure  avec  un  bon  vent  de  terre, 
nous  arrivâmes  à  la  bouche  de  Terminos  et  nous  n'y  trouvâmes  pas 
Escobar.  Cortès  fit  mettre  le  canot  à  la  mer  et  ordonna  que  vingt 
arbalétriers  fussent  le  chercher  dans  la  baie  et  s'assurassent  bien  s'il 
y  avait  quelque  signal.  Ils  trouvèrent,  en  effet,  des  arbres  coupés  et 
une  lettre  dans  laquelle  il  disait  que  c'était  un  très-bon  port  et  un 
bon  pays  bien  pourvu  de  gibier,  sans  oublier  l'histoire  de  la  levrette. 
Le  pilote  Alaminos  dit  alors  à  Cortès  qu'il  fallait  continuer  notre 
route,  parce  que,  avec  le  vent  du  sud,  Escobar  avait  dû  gagner  la 
mer,  mais  qu'il  ne  pouvait  être  loin,  obligé  qu'il  était  de  naviguer  avec 
vent  contraire.  Il  paraît  que  Cortès  devint  chagrin,  craignant  qu'il  ne 
lui  fût  arrivé  quelque  malheur;  il  fit  forcer  les  voiles  et  nous  ne  tar- 
dâmes pas  à  l'atteindre.  Escobar  s'excusa  en  exposant  les  raisons  qui 
l'avaient  empêché  d'attendre. 

Nous  en  étions  là,  lorsque  nous  arrivâmes  à  la  hauteur  du  village  de 
Potonchan.  Cortès  voulut  ordonner  au  pilote  de  mouiller  en  cet 
endroit;  mais  Alaminos  répondit  que  c'était  un  mauvais  port,  les 
navires  étant  forcés  de  jeter  l'ancre  à  plus  de  deux  lieues  de  terre,  à 
cause  du  peu  de  fond.  Cortès  aurait  voulu  donner  là  une  bonne  leçon, 

5 


66  CONQUÊTE 

en  souvenir  de  la  déroute  de  Francisco  de  Gordova  et  de  Grijalva.  Moi 
et  plusieurs  soldats  qui  avions  assisté  à  ces  batailles,  nous  le  sup- 
pliions d'entrer  au  port  pour  que  ces  Indiens  n'échappassent  pas  à  un 
bon  châtiment,  fallût-il  s'arrêter  deux  ou  trois  jours.  Mais  Alaminos 
et  un  autre  pilote  s'obstinèrent  à  prétendre  que,  si  nous  entrions  au 
port,  il  nous  serait  impossible  d'en  sortir  pendant  huit  jours,  à  cause 
du  vent  contraire,  tandis  que  nous  l'avions  fort  bon  en  ce  moment  et 
qu'en  deux  jours  nous  arriverions  à  Tabasco.  Gela  fit  que  nous  pas- 
sâmes sans  nous  arrêter  et  qu'en  trois  jours  de  navigation  nous  attei- 
gnîmes le  fleuve  de  Grijalva.  Et  ce  qui  nous  arriva  là,  et  les  combats 
qu'on  nous  y  livra,  tout  cela  je  vais  le  dire  à  la  suite. 


CHAPITRE   XXXI 

Comment  nous  arrivâmes  au  fleuve  Grijalva,  appelé  Tabasco  en  langue  indienne; 
des  combats  qu'on  nous  y  livra,  et  ce  qui  nous  arriva  encore  avec  les  habitants. 

Le  12  du  mois  de  mars  de  l'an  1519,  nous  arrivâmes  avec  toute  la 
flotte  au  fleuve  Grijalva,  qu'on  appelle  Tabasco,  et  comme  nous 
avions  appris  par  le  voyage  de  Grijalva  que  des  vaisseaux  d'un  fort 
tonnage  ne  pouvaient  pas  franchir  l'entrée  et  naviguer  dans  la  rivière, 
nos  plus  grands  navires  jetèrent  l'ancre  en  mer,  et,  avec  les  petits  et 
à  l'aide  des  canots,  nous  tous  —  les  soldats  —  nous  fûmes  débar- 
quer à  la  pointe  des  Palmiers,  comme  nous  l'avions  fait  du  temps  de 
Grijalva.  La  ville  de  Tabasco  était  une  demi-lieue  plus  loin.  Des 
Indiens  armés  marchaient  en  foule  entre  des  mangliers,  sur  le  bord 
du  fleuve,  chose  qui  nous  surprit  beaucoup,  nous  qui  étions  déjà 
venus  avec  Grijalva.  En  outre,  plus  de  douze  mille  guerriers  étaient 
réunis  dans  la  ville,  prêts  à  nous  livrer  bataille;  car,  en  ce  temps-là, 
ce  centre  étant  d'un  grand  trafic,  d'autres  villages  considérables  en 
dépendaient,  et  tous  s'étaient  pourvus  des  armes  dont  ils  avaient 
l'habitude.  Ge  qui  motivait  cette  conduite,  c'est  qu'ils  avaient  été 
traités  de  lâches  par  les  gens  de  Potonchan  et  de  Saint-Lazare,  qui 
leur  lançaient  cette  injure  à  la  face,  pour  avoir  donné  à  Grijalva  leurs 
bijoux  d'or,  —  ainsi  que  je  l'ai  dit  dans  le  chapitre  qui  en  a  parlé, 
—  leur  reprochant  que,  par  timidité,  ils  n'eussent  pas  voulu  nous 
combattre,  quoique  les  peuplades  et  les  guerriers  de  Tabasco  fussent 
plus  nombreux  qu'à  Potonchan;  et  ils  disaient  encore,  pour  leur  faire 
honte,  que,  quant  à  eux,  ils  nous  avaient  battus  en  nous  tuant  cin- 
quante-six hommes.  De  sorte  que,  excités  par  ces  paroles,  les  gens 
de  Tabasco  s'étaient  résolus  à  prendre  les  armes. 

Gortès,  les  voyant  ainsi  disposés,  dit  à  l'interprète  Aguilar,  qui 


DE  LA  NOUVELLE-ESPAGNE.  67 

comprenait  très-bien  la  langue  de  Tabasco,  de  demander  à  des 
Indiens  qui  paraissaient  être  des  chefs  et  passaient  près  de  nous  dans 
une  grande  embarcation,  pourquoi  ils  étaient  si  agités,  en  ajoutant 
que,  quant  à  nous,  nous  ne  venions  leur  faire  aucun  mal,  mais  sim- 
plement leur  offrir  ce  que  nous  apportions,  comme  à  des  frères.  On 
devait  les  prier,  d'ailleurs,  de  ne  pas  commencer  la  guerre,  parce 
qu'ils  en  auraient  du  repentir,  et  leur  dire  bien  d'autres  choses  encore 
au  sujet  de  la  paix;  mais  plus  Aguilar  leur  en  parlait,  plus  ils  se 
montraient  intraitables,  assurant  qu'ils  nous  tueraient  tous,  si  nous 
entrions  dans  la  ville  ;  qu'ils  y  avaient  fait  une  enceinte  fortifiée  avec 
de  gros  arbres  formant  haies  et  palissades.  Aguilar  leur  parla  encore, 
les  engageant  à  se  tenir  en  paix  et  demandant  qu'on  nous  laissât 
prendre  de  l'eau  et  acheter  des  vivres  en  échange  de  nos  produits, 
non  sans  adresser  aux  calachonis  des  choses  à  leur  avantage,  pour  le 
service  de  Dieu  Notre  Seigneur;  mais,  malgré  tout,  ils  s'obstinaient 
à  nous  défendre  de  passer  outre,  au  delà  des  Palmiers;  sans  quoi,  ils 
nous  tueraient.  Voyant  toutes  ces  choses,  Gortès  fit  préparer  les 
canots  et  les  petits  navires,  mettre  trois  pièces  à  feu  dans  chaque 
bateau  et  répartir  dans  les  embarcations  les  arbalétriers  et  les  fusi- 
liers. La  campagne  de  Grijalva  nous  avait  laissé  le  souvenir  qu'un 
chemin  étroit  allait  des  Palmiers  à  la  ville,  en  longeant  des  ruisseaux 
et  des  marécages.  Gortès  ordonna  à  trois  soldats  de  voir,  cette  nuit 
même,  si  ce  chemin  arrivait  aux  maisons,  et  de  ne  pas  tarder  à  rap- 
porter la  réponse.  Les  messagers  s'assurèrent  qu'il  y  arrivait.  Gela 
étant  bien  vu  et  bien  examiné,  on  passa  toute  cette  journée  à  donner 
des  ordres  relatifs  à  la  manière  de  nous  conduire  dans  les  embar- 
cations. 

Le  lendemain,  de  bonne  heure,  après  avoir  entendu  la  messe,  nos 
armes  étant  bien  à  point,  Gortès  ordonna  à  Alonso  de  Avila,  qui  était 
capitaine,  d'aller  avec  cent  soldats,  dont  dix  arbalétriers,  par  le  petit 
chemin  qui  conduisait  à  la  ville,  et  qu'aussitôt  qu'une  décharge  se 
ferait  entendre,  lui  d'un  côté  et  nous  de  l'autre,  nous  tombassions  en 
même  temps  sur  la  place.  Gortès,  suivi  de  la  plupart  des  soldats  et 
capitaines,  remonta  par  le  fleuve  avec  les  canots  et  avec  les  plus  petits 
navires.  Lorsque  les  Indiens  qui  étaient  sur  la  rive  et  entre  les  man- 
gliers  virent  réellement  que  nous  avancions,  ils  se  précipitèrent  sur 
nous  vers  le  point  du  port  où  nous  devions  débarquer,  pour  nous 
empêcher  de  prendre  terre.  Sur  la  rive  entière,  on  ne  voyait  qu'In- 
diens guerriers  avec  toutes  sortes  d'armes  en  usage  parmi  eux,  souf- 
flant dans  des  trompettes  et  des  conques  marines,  et  battant  leurs 
atabalcs.  En  les  voyant  ainsi,  Gortès  donna  l'ordre  d'arrêter  un  mo- 
ment, sans  faire  usage  ni  de  nos  canons,  ni  des  espingolcs,  ni  des 
arbalètes,  et  comme  il  ne  voulait  rien  exécuter  qui  ne  fût  justifiable, 
il  adressa  aux  Indiens  une  autre  sommation,  par-devant  un  notaire 


68  CONQUETE 

du  Roi,  nommé  Diego  de  Godoy,  qui  était  avec  nous,  leur  disant, 
au  moyen  de  notre  interprète  Aguilar,  de  nous  laisser  descendre  à 
terre  pour  faire  provision  d'eau  et  pour  leur  parler  de  Dieu  Notre 
Seigneur  et  de  Sa  Majesté;  que  s'ils  nous  attaquaient,  et  si  pour  nous 
défendre  nous  occasionnions  la  mort  de  quelqu'un  ou  n'importe  quel 
autre  malheur,  ils  en  auraient  la  faute  et  la  responsabilité,  et  nulle- 
ment nous-mêmes.  Gela  ne  les  empêcha  pas  de  continuer  leurs  bra- 
vades et  leur  défense  de  descendre  à  terre,  en  assurant  que  sans  cela 
ils  nous  tueraient.  Ils  commencèrent  aussitôt  à  nous  lancer  des  flèches 
avec  acharnement,  et  à  faire  donner  par  leurs  tambours  le  signal  de 
tomber  sur  nous  à  tous  leurs  bataillons. 

Us  avancèrent  en  gens  de  cœur  et,  nous  entourant  avec  leurs  canots, 
ils  firent  pleuvoir  sur  nous  une  telle  grêle  de  flèches,  qu'ils  nous 
blessèrent  et  nous  obligèrent  à  nous  arrêter,  ayant  de  l'eau  jusqu'à 
la  ceinture  et  dans  quelques  endroits  bien  plus  encore.  Gomme  d'ail- 
leurs il  y  avait  là  beaucoup  de  boue  et  de  marécage,  nous  ne  pouvions 
y  passer  vite.  Tant  d'Indiens,  au  surplus,  nous  y  chargèrent  la  lance 
au  poing  et  à  coups  de  flèches,  qu'ils  nous  empêchaient  de  prendre 
terre  aussi  tôt  que  nous  eussions  voulu.  Gortès  se  battait  aussi  dans 
ce  bourbier;  une  de  ses  sandales,  qu'il  ne  put  retirer,  resta  dans  la 
fange,  et  il  arriva  sur  la  rive  avec  un  pied  nu.  Nous  nous  trouvâmes 
là  en  grand  danger,  jusqu'à  ce  que  notre  chef,  comme  j'ai  dit,  par- 
vint à  terre  avec  nous  tous.  Mais  alors,  invoquant  notre  seigneur 
saint  Jacques,  nous  nous  précipitâmes  valeureusement  sur  nos  enne- 
mis et  nous  les  forçâmes  à  reculer,  peu  loin,  à  la  vérité,  à  cause  de 
leurs  grandes  palissades  faites  de  gros  troncs  d'arbres,  derrière  les- 
quelles ils  purent  se  réfugier  jusqu'à  ce  que  nous  réussîmes  à  les 
démolir  et  à  entrer  par  les  brèches  dans  la  ville.  Là  nous  nous  bat- 
tîmes avec  eux,  les  obligeant  à  lâcher  pied  par  une  rue  jusqu'à  l'en- 
droit où  ils  avaient  élevé  encore  des  palissades  et  d'autres  défenses', 
derrière  lesquelles  ils  recommencèrent  à  résister  et  à  nous  tenir  tête, 
se  battant  courageusement  et  avec  vigueur  en  disant,  au  milieu  des 
sifflets  et  des  cris  :  Ala  lala  ai  calachoni!  chose  qui  signifie,  en 
leur  langue,  qu'il  fallait  tuer  notre  chef.  Nous  étions  de  la  sorte  aux 
prises  avec  eux,  lorsqu'arriva  Alonso  de  Avila  avec  ses  hommes. 

Il  était  allé  par  terre  depuis  les  Palmiers,  ainsi  que  je  l'ai  dit.  Or 
il  paraît  qu'il  lui  fut  impossible  d'arriver  plus  tôt,  à  cause  des  maré- 
cages et  des  estuaires  qu'il  eut  à  traverser  ;  et  certes  son  retard  était 
bien  désirable,  puisque  nous  avions  été  retenus  nous-mêmes  par  les 
sommations  et  par  la  nécessité  de  pratiquer  des  brèches  dans  les 
palissades,  pour  combattre  nos  ennemis.  Maintenant,  tous  ensemble, 
nous  les  chassâmes  encore  une  fois  des  dérenscs  où  ils  s'abritaient  et 
les  obligeâmes  à  se  replier.  Mais,  se  conduisant  en  bons  soldats,  ils 
reculèrent  sans  tourner  le  dos,   en  lançant  sur  nous    une  grêle  de 


DE  LA  NOUVELLE-ESPAGNE.  69 

flèches  et  de  pieux  durcis  au  feu,  jusqu'à  une  grande  place  où  l'on 
voyait  des  logements,  de  vastes  salles  et  trois  temples  d'idoles.  Ils 
emportèrent  tout  ce  qui  s'y  trouvait.  Gortès  nous  ordonna  alors  d'ar- 
rêter et  de  ne  pas  essayer  de  les  atteindre,  puisqu'ils  étaient  en  fuite. 
Ce  fut  là  qu'il  prit  possession  de  ce  pays  pour  Sa  Majesté,  et  pour 
lui-même  en  son  royal  nom.  Gela  se  passa  de  cette  manière  :  il 
dégaina  son  épée  et  fit,  en  signe  de  possession,  trois  grandes  entailles 
en  un  gros  arbre  appelé  ceiba1  qui  s'élevait  sur  la  place,  disant  que 
s'il  se  présentait  quelqu'un  pour  le  contredire,  il  défendrait  son  droit 
avec  son  épée  et  le  bouclier  qu'il  portait  au  bras.  Et  tous  les  soldats 
qui  étions  là  présents  lorsque  cela  se  passait,  nous  dîmes  que  c'était 
bien  fait  de  prendre  ainsi  cette  royale  possession  au  nom  de  Sa 
Majesté,  et  que  nous  courrions  à  son  aide  si  quelqu'un  prétendait  le 
contraire.  On  en  dressa  acte  par-devant  le  notaire  du  Roi;  mais  les 
partisans  de  Diego  Velasquez  y  trouvèrent  une  occasion  de  mur- 
murer. 

Je  me  souviens  que,  dans  les  rudes  combats  de  cette  journée,  on 
nous  blessa  quatorze  hommes  et  l'on  m'atteignit  d'une  flèche  à  la 
cuisse;  mais  ma  blessure  fut  peu  de  chose.  Dix-huit  Indiens  restèrent 
étendus  dans  l'eau  et  sur  la  pointe  de  terre  où  nous  débarquâmes. 
Nous  passâmes  là  cette  nuit,  protégés  par  de  bonnes  gardes  et  par 
des  sentinelles.  Je  m'arrêterai  un  instant,  pour  conter  bientôt  ce  qui 
nous  advint  encore. 


CHAPITRE  XXXII 

Comment  Cortès  commanda  à  tous  les  capitaines  d'aller  avec  des  groupes  de  cent 
hommes  voir  l'intérieur  du  pays,  et  de  ce  qui  nous  advint  à  ce  propos. 

Le  jour  suivant,  Gortès  ordonna  à  Pedro  de  Alvarado  de  partir  en 
qualité  de  commandant  avec  cent  hommes  dont  quinze  arbalétriers  et 
fusiliers,  pour  examiner  l'intérieur  du  pays  jusqu'à  deux  lieues  de 
distance.  Il  devait  emmener  avec  lui  Melchorejo,  l'interprète  de  la 
pointe  de  Gotoche.  Mais,  lorsqu'on  fut  l'appeler,  on  ne  le  trouva  plus  ; 
il  avait  pris  la  fuite  et  s'était  réfugié  chez  les  gens  de  Tabasco.  Il 
paraît  que  le  jour  précédent,  à  la  pointe  des  Palmiers,  il  avait  aban- 
donné ses  vêtements  de  Castille  et  était  parti  dans  une  embarcation. 
Cette  fuite  causa  d3  l'ennui  à  Gortès,  craignant  qu'il  ne  découvrît  aux 
Indiens  certaines  choses  qui  ne  nous  seraient  pas  avantageuses. 
Laissons-le  fuir  pour  notre  malheur,  et  revenons  à  notre  récit.  Cortès 

1.  Bombax  cciba  (fromager). 


70  CONQUÊTE  >  :    ' , 

ordonna  également  à  un  autre  capitaine,  nommé  Francisco  de  Lugo, 
de  partir  dans  une  direction  différente,  avec  cent  autres  soldats  et 
douze  arbalétriers  ou  fusiliers,  lui  donnant  pour  instruction  de  ne  pas 
dépasser  deux  lieues  et  de  revenir  le  soir  même  coucher  au  quartier 
royal.  Or,  lorsque  ce  capitaine  arriva  avec  sa  compagnie  à  environ 
une  lieue  du  quartier,  il  se  trouva  en  présence  d'un  grand  nombre 
de  chefs  et  de  bataillons  indiens  armés  de  flèches,  avec  lances  et 
boucliers,  tambours  et  panaches.  Ils  tombèrent  sur  nos  soldats  en  les 
entourant  de  tous  côtés,  et  commencèrent  aussitôt  à  les  attaquer  de 
leurs  flèches  avec  beaucoup  d'adresse.  Nos  hommes  ne  pouvaient  se 
soutenir  contre  une  si  forte  multitude  d'Indiens  qui  lançaient  des 
pieux  grillés  en  grand  nombre,  des  pierres  à  fronde  comme  grêle,  et 
nous  attaquaient  tenant  à  deux  mains  des  sabres  affilés.  Francisco 
de  Lugo  et  ses  soldats  avaient  beau  combattre  vaillamment,  ils  ne 
pouvaient  éloigner  leurs  ennemis.  Et  ce  voyant,  il  entreprit  sa  retraite 
en  bon  ordre  vers  le  quartier  royal,  ayant  pris  soin  d'envoyer  à  Cortès 
un  Indien  de  Cuba,  bon  coureur  et  très-agile,  pour  que  nous  fussions 
lui  porter  secours.   Malgré  tout,  grâce  à  la  bonne    entente  de  ses 
archers  et  de  ses  fusiliers,  les  uns  chargeant  les  armes,  les  autres 
tirant  ;  grâce  aussi  à  quelques  mouvements  offensifs,  Francisco  de 
Lugo  parvenait  à  se  soutenir  contre  les  nombreux  bataillons  qui  le 
harcelaient.  Laissons-le  dans  les  périls  de  cette  situation  et  revenons 
au  capitaine  Pedro  de  Alvarado. 

Il  paraît  qu'après  avoir  marché  plus  d'une  lieue,  ce  chef  arriva  au 
bord  d'un  estuaire  très-difficile  à  traverser,  et  il  plut  à  Dieu  Notre 
Seigneur  de  le  pousser,  par  un  autre  chemin,  vers  le  lieu  où  Fran- 
cisco de  Lugo  se  battait,  comme  je  l'ai  dit.  Entendant  les  coups  de 
feu,  le  grand  fracas  des  tambours  et  des  trompettes,  les  cris  et  les 
sifflets  des  Indiens,  il  comprit  qu'une  bataille  était  engagée.  Il  courut 
aux  détonations  et  aux  clameurs,  en  bon  ordre  et  en  grande  diligence. 
Il  trouva  Francisco  de  Lugo  bataillant  avec  ses  hommes  et  tenant  tête 
à  ses  adversaires.   Cinq  Indiens  étaient  déjà  morts.  Après  avoir  fait 
leur  jonction,  ils  tombent  ensemble  sur  l'ennemi  et  le  font  reculer, 
mais  sans  le  mettre  en  fuite,  car  il  continue  à  suivre  les  nôtres  jus- 
qu'au quartier  royal.  D'autres  chefs  et  gens  armés  étaient  également 
venus  nous  attaquer   et  nous  harceler  jusqu'à    l'endroit   même   où 
Gortès  se  tenait  avec  les  blessés.  Mais  nous  les  fîmes  bien  prestement 
reculer  sous  nos  coups  de  feu,  qui  en  blessèrent  plusieurs,  et  sous 
nos  chocs  d'estoc  et  de  taille. 

Revenons  un  peu  sur  notre  récit  pour  dire  que  lorsque  Gortès 
apprit,  par  l'Indien  de  Cuba  qui  venait  réclamer  du  secours,  la  situa- 
tion dans  laquelle  Francisco  de  Lugo  se  trouvait,  nous  nous  prépa- 
râmes à  courir  à  son  aide,  et  nous  nous  mettions  en  route,  lorsque 
nous  sûmes  que  nos  deux  capitaines  avec  leurs  hommes  revenaient  et 


DE  LA   NOUVELLE-ESPAGNE.  71 

se  trouvaient  à  une  demi-lieue  du  quartier  royal.  Deux  soldats  de  Lugo 
perdirent  la  vie;  il  y  eut  huit  blessés  dans  sa  compagnie  et  trois 
dans  le  bataillon  d'Alvarado.  Après  le  retour  au  quartier,  on  pansa 
les  blessures  et  on  enterra  les  morts;  on  fit  bonne  garde  et  on  plaça 
des  sentinelles.  Nous  tuâmes  quinze  Indiens  dans  ces  combats  et  nous 
en  prîmes  trois,  dont  l'un  paraissait  être  un  homme  de  qualité.  Notre 
interprète  Aguilar  leur  demanda  pourquoi  ils  étaient  assez  fous  pour 
nous  faire  la  guerre,  et  l'on  se  décida  bientôt  à  envoyer  l'un  deux  avec 
des  verroteries  vertes  pour  les  caciques;  afin  d'en  obtenir  la  paix.  Or, 
ce  messager  nous  dit  que  l'Indien  Melchorejo,  de  la  pointe  de  Cotoche, 
s'était  joint  à  eux  la  nuit  précédente,  et  leur  avait  conseillé  de  nous 
attaquer  nuit  et  jour,  assurant  qu'ils  nous  vaincraient,  parce  que 
nous  étions  peu  nombreux.  De  sorte  que  nous  avions  amené  avec 
nous  un  bien  mauvais  auxiliaire,  et  même  un  ennemi.  Quant  à  l'In- 
dien que  nous  envoyâmes  en  message,  il  partit  et  ne  revint  pas  avec 
la  réponse.  Aguilar,  l'interprète,  apprit  des  deux  autres  prisonniers 
que  tous  les  caciques  des  villages  étaient  réunis  avec  les  armes  dont 
ils  avaient  l'habitude  de  faire  usage,  se  tenant  prêts  à  nous  livrer 
bataille,  et  qu'ils  se  proposaient  de  venir  nous  entourer  le  lendemain 
dans  notre  quartier  royal.  C'était  le  conseil  donné  par  Melchorejo.  Je 
dirai  ce  que  nous  fîmes  à  ce  propos. 


CHAPITRE  XXXIII 

Comment  Cortès  nous  ordonna  de  nous  tenir  prêts  à  aller  le  lendemain  au-devant  des 
bataillons  ennemis  et  fit  sortir  les  chevaux  des  navires;  ce  qui  nous  advint  encore 
dans  la  bataille  que  nous  eûmes  avec  les  habitants. 

Cortès  sut  donc  qu'on  viendrait  nous  attaquer  le  lendemain;  il 
donna  l'ordre  de  retirer,  sur-le-champ,  les  chevaux  des  navires  pour 
les  amener  à  terre,  et  que  les  fusiliers,  les  archers,  tous  les  soldats 
enfin,  même  les  blessés,  nous  fussions  prêts  avec  nos  armes.  Quand 
les  chevaux  arrivèrent  à  terre,  ils  étaient  embarrassés  et  timides  à  la 
course,  parce  qu'il  y  avait  plusieurs  jours  qu'ils  étaient  embarqués  ; 
mais  ils  reprirent  leurs  allures  dès  le  lendemain.  Il  advint  alors  une 
chose  à  six  ou  sept  soldats  jeunes  et  bien  constitués  :  c'est  qu'ils 
furent  atteints  d'un  mal  de  reins  qui  ne  leur  permettait  nullement 
de  se  tenir  sur  leurs  jambes  ;  il  fallait  les  porter.  Nous  ne  pûmes 
en  deviner  la  cause  et  l'on  se  contenta  de  dire  qu'après  avoir  été 
trop  gâtés  à  Cuba,  le  poids  et  la  chaleur  produits  par  l'armement 
leur  avaient  causé  la  maladie.  Cortès  les  fit  donc  ramener  aux  navires, 
ne  voulant  pas  qu'ils  restassent  à  terre.  Il  fit  avertir  les  cavaliers  que 
les  plus  habiles  d'entre  eux  auraient  à  partir,  après  avoir  pris  soin  de 


72  CONQUÊTE 

garnir  de  grelots  les  poitrails  de  leurs  chevaux.  Il  leur  enjoignit  de 
ne  pas  s'obstiner  sur  chaque  ennemi,  mais  de  courir  en  leur  balafrant 
la  figure  avec  les  lances. 

Il  choisit  treize  cavaliers  :  Ghristoval  de  Oli,  et  Pedro  de  Alvarado, 
et  Alonso  Hernandez  Puertocarrero,  et  Juan  de  Escalante,  et  Fran- 
cisco Montejo  ;  on  donna  à  Alonso  de  Avila  un  cheval  qui  appartenait 
à  Ortiz,  le  musicien,  et  à  un  Bartolomé  Garcia,  mauvais  cavaliers 
tous  les  deux.  Furent  choisis  aussi  Juan  Velasquez  de  Léon,  et  Fran- 
cisco de  Morla.  et  Lares  le  bon  cavalier  (je  le  qualifie  ainsi,  parce 
que  nous  avions  un  autre  bon  cavalier,  et  un  autre  Lares  aussi),  et 
Gronzalo  Dominguez,  non  moins  habile  que  le  précédent.  On  prit  en- 
core Moyon  de  Bayamo  et  Pedro  Gonzalez  de  Truxillo.  Tous  ces  cava- 
liers ayant  été  choisis  par  Gortès,  il  se  mit  à  leur  tête.  Il  ordonna  à 
Mesa  d'apprêter  son  artillerie  ;  à  Diego  de  Ordas  de  venir  avec  nous 
comme  commandant,  parce  qu'il  n'était  pas  cavalier;  il  devait  com- 
mander aussi  les  archers  et  les  artilleurs. 

Le  jour  suivant,  bien  de  boune  heure  (c'était  la  fête  de  Notre  Dame 
de  mars),  après  avoir  entendu  la  messe,  nous  formâmes  nos  rangs  à 
côté  de  notre  enseigne.  Cet  emploi  était  alors  tenu  par  Antonio  de  Vil- 
laroel,  mari  d'une  dame  nommée  Isabel  de  Ogeda;  trois  ans  plus  tard, 
il  changea  son  nom  en  Villareal  et  se  fit  appeler  aussi  Antonio  Ser- 
rano  de  Gardona.  Revenons  au  fait.  Nous  entreprîmes  notre  marche 
par  la  grande  savane  où  l'on  avait  attaqué  déjà  Francisco  de  Lugo  et 
Pedro  de  Alvarado.  On  appelait  Gintla  cette  plaine  et  le  village  qui 
s'y  trouvait  ;  c'était  une  dépendance  de  la  capitale  de  Tabasco,  à  une 
lieue  des  bâtiments  d'où  nous  étions  partis.  Gortès  fui  obligé  de  s'éloi- 
gner un  peu  de  nous,  à  cause  de  marécages  que  les  chevaux  ne  pu- 
rent traverser.  Quant  à  nous,  avançant  comme  j'ai  dit  sous  la  con- 
duite d'Ordas,  nous  rencontrâmes  toutes  les  forces  des  Indiens  qui 
étaient  en  marche  pour  tomber  sur  nos  logements.  Notre  rencontre 
eut  lieu  sur  une  bonne  plaine,  à  côté  du  village  de  Gintla,  et  s'il  est 
vrai  de  dire  que  ces  hardis  hommes  de  guerre  étaient  animés  du  dé- 
sir de  se  mesurer  avec  nous  et  nous  cherchaient  dans  ce  but,  il  n'est 
pas  moins  certain  que  nous  étions  mus  par  les  mêmes  sentiments 
lorsque  nous  les  rencontrâmes.  Je  m'arrêterai  en  ce  point  et  je  dirai 
ce  qui  advint  dans  la  bataille  ;  car  on  peut  bien  l'appeler  bataille,  et 
terrible  encore,  comme  on  va  le  voir. 


DE    LA  NOUVEIXE-ESPAGNE.  73 


CHAPITRE  XXXIV 

Comme  quoi  tous  les  caciques  de  ïabasco  et  de  ses  provinces  nous  livrèrent  bataille, 

et  de  ce  qui  arriva  à  ce  propos. 

J'ai  déjà  dit  comment  et  avec  quel  ordre  nous  marchions  lorsque 
nous  donnâmes  dans  les  forces  entières  de  nos  ennemis,  qui  allaient 
nous  chercher.  Leurs  figures  étaient  peintes  en  rouge,  blanc  et  noir; 
ils  avaient  de  grands  panaches,  des  tambours  et  des  trompettes  ;  ils 
marchaient  armés  de  grands  arcs  et  flèches,  de  lances,  de  boucliers 
et  d'espadons  à  deux  mains;  ils  avaient  aussi  beaucoup  de  frondes, 
de  pierres  et  de  pieux  à  bout  grillé,  et  chacun  sa  défense  matelassée 
de  coton.  Étant  arrivés  près  de  nous  en  si  grand  nombre  qu'ils  cou- 
vraient toute  la  plaine,  ils  s'élancent  sur  nos  rangs  comme  des  chiens 
enragés;  ils  nous  entourent  de  toutes  parts  et  nous  tirent  tant  de  flè- 
ches, de  pierres  et  de  pieux  durcis  que,  du  premier  choc,  ils  nous 
blessent  plus  de  soixante-dix  hommes.  A  la  mêlée,  leurs  lances  nous 
faisaient  beaucoup  de  mal.  Un  soldat,  nommé  Saldana,  tomba  mort, 
frappé  d'un  trait  qui  lui  entra  par  l'oreille.  Leurs  flèches  et  leurs 
atteintes  ne  nous  laissaient  aucun  répit.  Quant  à  nous,  grâce  à  nos 
canons,  à  nos  fusils,  à  nos  arbalètes  et  à  nos  grands  coups  d'estoc, 
nous  ne  perdions  aucun  avantage  au  combat. 

Bientôt,  ayant  compris  le  mal  que  nos  estocades  leur  faisaient,  ils 
commencèrent  à  s'éloigner  de  nous;  mais  c'était  pour  être  plus  en 
sûreté  en  nous  lançant  leurs  flèches.  Mesa  leur  tuait  beaucoup  de 
monde  avec  ses  canons,  parce  qu'ils  se  tenaient  en  grandes  masses,  et, 
comme  d'ailleurs  ils  ne  s'écartaient  guère  de  nos  rangs,  ses  coups 
portaient  à  sa  fantaisie.  Mais  nous  avions  beau  les  blesser  et  leur  faire 
du  mal,  nous  ne  réussissions  pas  à  les  mettre  en  fuite.  Je  dis  alors 
à  Diego  de  Ordas  :  «  Il  me  semble  que  nous  devrions  serrer  nos  rangs 
et  tomber  sur  eux  avec  vigueur;  parce  qu'ils  redoutent  vraiment  le  fil 
de  nos  épées,  et  qu'ils  se  tiennent  à  distance  à  cause  de  la  peur  qu'ils 
en  ont  et  afin  de  mieux  lancer  leurs  flèches,  leurs  piques  et  des 
pierres  comme  grêle.  »  Ordas  me  répondit  que  ce  n'était  pas  un  bon 
avis,  parce  qu'ils  étaient  trois  cents  Indiens  pour  chacun  de  nous,  et 
que  nous  ne  pourrions  pas  nous  soutenir  contre  une  si  grande  multi- 
tude. Nous  nous  soutînmes  cependant  ainsi,  et  nous  finîmes  par  tomber 
d'accord  pour  nous  approcher  d'eux  autant  que  possible, — ainsi  que 
je  l'avais  conseillé  à  Ordas,  —  afin  de  leur  faire  mieux  sentir  le  pouvoir 
de  nos  estocades.  Ils  l'éprouvèrent  à  leurs  dépens  et  ils  ne  tardèrent 
pas  à  gagner  le  côté  opposé  d'un  marais. 

Et  cependant  Gortès  ne  venait  pas  avec  ses  cavaliers,  malgré  nos 


1k  CONQUÊTE 

désirs  d'en  être  secourus.  Nous  commencions  à  craindre  qu'il  ne  lui 
fût  arrivé  quelque  malheur.  Je  me  rappelle  que  lorsque  nos  canons 
faisaient  feu,  les  Indiens  lançaient  de  grands  cris  et  des  sifflets,  fai- 
sant voler  de  la  terre  et  des  herbes,  pour  nous  empêcher  de  voir  le 
mal  que  nous  leur  causions.  Us  sonnaient  alors  de  la  trompette,  criaient 
et  sifflaient  en  disant  :  A  la  lala  !  Mais  tout  à  coup  nous  vîmes  pa- 
raître nos  cavaliers,  tandis  que  ces  énormes  bataillons,  absorbés  par 
le  combat  qu'ils  nous  livraient,  ne  s'aperçurent  pas  tout  d'abord  que 
nos  chevaux  venaient  par  derrière.  Gomme  d'ailleurs  le  champ  de  ba- 
taille était  en  plaine,  les  cavaliers  excellents,  quelques-uns  des  che- 
vaux fort  à  la  main  et  très-bons  coureurs,  les  survenants  traitèrent 
l'ennemi  durement,  en  jouant  de  la  lance  comme  il  convenait  à  la  si- 
tuation. De  notre  côté,  nous  reprîmes  courage  quand  nous  vîmes  ar- 
river ce  secours,  et  nous  nous  acharnâmes  tellement  contre  les  In- 
diens, les  cavaliers  d'une  part  et  nous  d'un  autre  côté,  qu'ils  tournèrent 
le  dos  tout  à  coup.  Ce  fut  là  que  nos  ennemis  crurent  que  cheval  et  ca- 
valier ne  faisaient  qu'un  ;  car  ils  n'avaient  point  vu  de  chevaux  jus- 
qu'alors. Ces  champs  et  ces  savanes  étaient  remplis  de  fuyards  qui 
couraient  se  réfugier  dans  les  forêts  des  environs.  Leur  déroute  étant 
complète,  Gortès  nous  conta  comme  quoi  il  lui  avait  été  impossible 
d'arriver  plus  tôt,  à  cause  des  marécages  et  parce  qu'il  s'était  vu  aux 
prises  avec  d'autres  bataillons  ennemis  avant  d'arriver  jusqu'à  nous. 
Cinq  de  ses  cavaliers  et  huit  chevaux  avaient  été  blessés.  Ils  mirent, 
pied  à  terre  sous  des  arbres  qu'il  y  avait  en  cet  endroit.  Alors,  élevant 
nos  bras  vers  le  ciel,  nous  rendîmes  grâces  et  louanges  à  Dieu  et  à 
Notre  Dame,  sa  Mère  bénie,  pour  nous  avoir  assuré  une  victoire  si 
complète.  Et  comme  ce  jour-là  était  la  fête  de  Notre  Dame  de  mars, 
on  fonda  en  ce  lieu,  sous  le  nom  de  Santa  Maria  de  la  Victoria,  une 
ville  qui  se  peupla  avec  le  temps  ;  non-seulement  parce  que  c'était 
le  jour  de  Notre  Dame,  mais  encore  à  cause  de  la  grande  victoire  que 
nous  venions  de  remporter.  Ce  fut  là  la  première  action  de  guerre 
que  nous  eûmes  avec  Gortès  dans  la  Nouvelle-Espagne. 

Après  le  combat  nous  bandâmes  les  blessures  avec  du  linge;  il  n'y 
avait  pas  autre  chose.  On  pansa  les  chevaux  avec  de  la  graisse  d'In- 
dien, prise  sur  les  morts  que  nous  ouvrîmes  pour  nous  la  procurer. 
Nous  fûmes  visiter  les  cadavres  du  champ  de  bataille,  il  y  en  avait 
plus  de  huit  cents,  tués  la  plupart  par  des  estocades,  un  petit 
nombre  par  le  canon,  l'escopette  ou  l'arbalète.  Quelques  Indiens  res- 
piraient encore.  Partout  où  nos  cavaliers  avaient  passé,  on  Voyait  une 
bonne  provision  de  cadavres  et  de  malheureux  que  leurs  blessures 
faisaient  gémir.  Cette  bataille  dura  plus  d'une  heure,  pendant  la- 
quelle nous  ne  pûmes  porter  atteinte  à  leur  réputation  de  bons  guer- 
riers, jusqu'à  ce  que  parurent  nos  cavaliers,  ainsi  que  je  l'ai  dit. 
Nous  prîmes  cinq  Indiens,  dont  deux  capitaines.  Gomme  il  se  faisait 


DE  LA  NOUVELLE-ESPAGNE.  75 

tard,  que  nous  étions  fatigues  de  combattre  et  que  nous  n'avions  rien 
mangé,  nous  rentrâmes  au  quartier  royal.  Nous  enterrâmes  deux 
soldats  qui  avaient  été  atteints  à  la  gorge  et  à  l'oreille;  nous  réchauf- 
fâmes les  plaies  des  blessés;  nous  pansâmes  les  chevaux  avec  de  la 
graisso  d'Indien;  nous  plaçâmes  de  bonnes  gardes  et  sentinelles; 
nous  soupâmes  et  nous  nous  livrâmes  au  repos. 

C'est  ici  que  Francisco  Lopez  de  G-omara  prétend  que  Francisco  de 
Morla  sembla  prendre  les  devants  sur  un  cheval  gris  pommelé,  pré- 
cédant l'arrivée  de  Gortès  et  de  ses  cavaliers  ;  mais  qu'il  n'était  autre 
que  l'un   des  saints  Apôtres  saint  Jacques  ou  saint  Pierre.  Je  dis, 
moi,  que  toutes  nos  œuvres  et  victoires  nous  viennent  de  la  faveur  de 
Notre  Seigneur  Jésus-Christ,  et  que,  dans  cette  bataille,  il  y  avait 
tant  d'Indiens  pour  chacun  de  nous,  que  seulement  à  coups  de  poi- 
gnées de  terre  ils  auraient  pu  nous  ensevelir,  si  la  grande  miséri- 
corde de  Dieu  ne  nous  eût  aidés  en  toutes  choses.  Il  se  pourrait,  en 
effet,  que  celui  dont  parle  Gromara  fût  le  glorieux  Apôtre  saint  Jacques 
ou  saint  Pierre,  et  que  moi,  en  ma  qualité  de  grand  pécheur,  je  ne 
fusse  pas  digne  de  le  voir.  Ce  que  je  vis  alors  et  reconnus  très-bien, 
ce  fut  Francisco  de  Morla  sur  un  cheval  bai,  venant   avec  Cortès. 
Maintenant  que  j'écris  cet  événement,  je  crois  voir  de  mes  yeux  de 
pécheur  toute  la  bataille,  avec  les  péripéties  par  où  nous  passâmes; 
et,  dès  lors  que,  comme  pécheur  indigne,  je  ne  méritais  pas  de  voir 
n'importe  lequel  de  ces  glorieux  Apôtres,  il  y  avait  là,  en  ma  compa- 
gnie, environ  quatre  cents  soldats,  et  Cortès,  et  plusieurs  autres  cava- 
liers.... On  en  aurait  parlé,  on  en  aurait  certifié  sur  témoignage,  on 
aurait  bâti  une  église  quand  on  fonda  la  ville;  et  cette  ville  on  l'aurait 
appelée  Saint-Jacques  de  la  Victoire  ou  Saint-Pierre  de  la  Victoire, 
aussi   bien    qu'on   la    nomma  Sainte-Marie    de    la  Victoire.    Et    si 
les  choses  s'étaient  passées  comme  le  dit  G-omara,  nous   serions  de 
bien  mauvais  chrétiens,  après  que  Dieu  Notre  Seigneur  nous  aurait 
envoyé  ses  saints  Apôtres,  de  ne  point  reconnaître  la  prodigieuse  fa- 
veur qu'il  nous  aurait  faite,  et  de  ne  pas  révérer  chaque  jour  cette 
église.  Plût  à  Dieu  que  les  choses  se  fussent  passées  comme  le  chro- 
niqueur l'a  dit  !  Mais  jusqu'à  ce  que  je  lus  sa  chronique,  jamais  on 
n'entendit  parler  d'un  tel  événement  parmi  les  conquistadores  qui  se 
trouvèrent  en  ces  lieux.  Laissons  donc  la  chose  et  disons  ce  qui  ar- 
riva encore. 


76  CONQUÊTE 


CHAPITRE  XXXV 

Comment  Cortès  fit  appeler  tous  les  caciques  de  ces  provinces  et  de  ce  qui  se  passa 

encore  à  ce  sujet. 

J'ai  dit  déjà  que  nous  prîmes  cinq  Indiens,  dont  deux  chefs.  Agui- 
lar, l'interprète,  eut  avec  eux  des  conversations  dans  lesquelles  il 
comprit  que  ce  seraient  des  messagers  convenables.  Il  conseilla  donc 
à  Cortès  de  les  délivrer,  pour  qu'ils  pussent  parler  aux  caciques  de 
la  ville  et  d'autres  lieux  quelconques.  On  donna  aux  deux  Indiens 
choisis  dans  ce  but  des  verroteries  vertes  et  des  diamants  bleus. 
Aguilar  leur  adressa  de  bien  douces  paroles  avec  beaucoup  de  flatte- 
ries, assurant  que  nous  les  voulions  avoir  pour  frères  et  qu'ils  ne  de- 
vaient nourrir  aucune  crainte;  que  quant  à  ce  qui  s'était  passé  dans 
cette  bataille,  eux  seuls  en  avaient  la  faute;  qu'ils  appelassent  les 
caciques  de  tous  les  villages;  que  nous  voulions  leur  parler.  On  les 
avertit  de  beaucoup  d'autres  choses  encore,  en  termes  mesurés,  pour 
les  gagner  à  la  paix.  Ils  partirent  animés  d'un  bon  esprit;  ils  parlè- 
rent avec  les  principaux  du  lieu  et  avec  les  caciques,  leur  disant  tout 
ce  que  nous  voulions  qu'ils  sussent  au  sujet  de  nos  intentions  paci- 
fiques. Nos  envoyés  étant  entendus,  on  convint  de  nous  expédier  à 
l'instant  quinze  esclaves,  à  figures  malpropres  et  mesquinement 
pourvus  de  brayers  et  de  couvertures.  C'est  par  eux  qu'on  nous  envoya 
des  poules,  du  poisson  sec  et  du  pain  de  maïs.  Quand  ils  arrivèrent 
devant  lui,  Cortès  les  reçut  avec  bonté;  mais  l'interprète  Aguilar 
leur  demanda,  d'un  ton  presque  fâché,  comment  ils  osaient  se  pré- 
senter avec  des  figures  ainsi  faites;  qu'on  les  prendrait  pour  des  gens 
qui  viennent  en  ennemis  plutôt  qu'en  émissaires  pacifiques;  qu'ils 
aient  à  s'en  retourner  pour  dire  à  leurs  caciques  que,  s'ils  veulent 
sincèrement  la  paix  demandée,  ils  doivent  envoyer  des  hommes  de 
qualité,  et  non  des  esclaves,  pour  en  traiter.  Nous  fîmes  néanmoins 
quelques  politesses  à  ces  hommes  malpropres  et  nous  envoyâmes 
par  eux  des  verroteries  bleues,  en  signe  de  paix,  afin  d'inspirer  à  ces 
gens-là  des  pensées  plus  traitables. 

Le  jour  suivant  donc,  trente  Indiens  de  qualité  vinrent  bien  habil- 
lés, avec  des  poules,  du  poisson,  du  fruit  et  du  pain  de  maïs.  Ils 
demandèrent  à  Cortès  la  permission  de  brûler  et  d'enterrer  les  corps 
de  ceux  qui  étaient  morts  dans  les  dernières  batailles,  pour  éviter 
leurs  mauvaises  exhalaisons  et  empêcher  que  les  tigres  et  les  lions  les 
dévorassent,  ce  qui  fut  accordé  sur-le-champ.  Ils  s'empressèrent  donc 
de  venir  avec  beaucoup  de  monde  pour  inhumer  et  brûler  les  morts 
comme  ils  en  ont  l'habitude.  Cortès  sut  par  eux  qu'il  leur  manquait 


DE  LA  NOUVELLE-ESPAGNE.  77 

environ  huit  cents  hommes,  sans  compter  les  blessés.  Ils  dirent  d'ail- 
leurs qu'ils  ne  pouvaient  s'étendre  avec  nous  en  conversations  et  en 
traités,  parce  que  les  principaux  et  seigneurs  de  tous  les  villages  de- 
vaient venir  ensemble  le  lendemain  pour  régler  les  conditions  de  la 
paix.  Et  comme  Gortès  était  en  tout  très-clairvoyant,  il  dit  en  riant 
aux  soldats  qui  se  trouvaient  près  de  lui  :  «  Savez-vous,  senores,  que 
ces  Indiens  me  paraissent  avoir  grand'peur  des  chevaux  et  croire 
qu'ils  font  tout  seuls  la  guerre,  de  même  que  les  bombardes?  J'ai 
imaginé  une  chose,  pour  qu'ils  le  croient  encore  mieux:  qu'on  amène 
la  jument  de  Juan  Sedeno,  qui  a  mis  bas  dernièrement  dans  le  na- 
vire, qu'on  l'attache  ici  même  où  je  suis,  et  qu'on  amène  aussi  le 
cheval  d'Ortiz  le  musicien,  qui  hennit  si  fort  ;  qu'on  lui  fasse  sentir 
la  jument  et  qu'on  les  conduise,  après  cela,  chacun  de  son  côté,  en 
un  lieu  où  l'on  ne  puisse  les  entendre  ni  les  voir,  avant  que  les  ca- 
ciques soient  arrivés  près  de  moi  et  que  nous  ayons  commencé  à 
parler.  »  On  le  fit  ainsi  que  c'était  ordonné  :  on  amena  la  jument,  et 
le  cheval  en  perçut  l'odeur  dans  le  logement  même  de  Gortès.  Au  sur- 
plus notre  chef  fit  charger  notre  plus  grand  canon  avec  un  gros  bou- 
let et  une  bonne  quantité  de  poudre. 

On  en  était  là,  lorsqu'arrivèrent,  vers  midi,  quarante  Indiens,  tous 
caciques,  d'un  maintien  convenable  et  richement  vêtus  selon  l'usage 
du  pays.  Ils  saluèrent  Gortès  ainsi  que  nous  tous.  Ils  encensèrent  ceux 
d'entre  nous  qui  étaient  présents,  avec  les  résines  qu'ils  avaient  ap- 
portées ;  ils  demandèrent  le  pardon  du  passé,  promettantqu'ils  seraient 
sages  à  l'avenir.  D'un  ton  un  peu  grave  et  simulant  le  ressentiment, 
Gortès  leur  répondit,  au  moyen  de  l'interprète  Aguilar,  qu'ils  avaient 
pu  voir  combien  de  fois  on  leur  avait  proposé  la  paix,  et  à  quel 
point  ils  mériteraient  qu'on  massacrât  tout  le  district;  que  nous 
sommes  les  sujets  d'un  grand  Roi  et  Seigneur,  appelé  l'Empereur 
don  Garlos,  qui  nous  a  envoyés  dans  ces  pays  avec  ordre  de  secourir 
et  de  favoriser  tous  ceux  qui  entreront  à  son  royal  service;  que  nous 
en  agirons  ainsi  avec  eux,  s'ils  sont  sages,  comme  ils  le  promettent; 
que,  sinon,  nous  lâcherons  ces  tepustles  pour  qu'ils  les  tuent,  car 
quelques-uns  de  ces  engins  leur  gardent  rancune  pour  la  guerre  qu'on 
nous  a  faite  (ils  appellent  le  fer  lepustli  en  leur  langue).  En  ce  mo- 
ment, il  donna  secrètement  l'ordre  de  mettre  le  feu  à  la  bombarde 
qui  était  chargée.  Elle  partit  en  faisant  tout  le  fracas  qu'il  convenait. 
Le  boulet  passait  sur  les  bois  en  bourdonnant.  Gomme  il  était  midi 
et  que  l'air  était  calme,  le  bruit  était  considérable.  Les  caciques  fu- 
rent effrayés  de  l'entendre,  et  comme  ils  n'avaient  jamais  vu  pareille 
chose,  ils  crurent  à  la  réalité  de  ce  que  Gortès  leur  avait  assuré.  Mais, 
pour  les  tranquilliser,  il  leur  fit  dire  par  Aguilar  de  bannir  toute 
crainte,  attendu  qu'il  avait  pris  soin  d'ordonner  au  boulet  de  ne  faire 
aucun  mal. 


78  CONQUÊTE 

En  cet  instant  même,  on  ramena  le  cheval;  on  l'attacha  non  loin 
de  l'endroit  où   Cortès  s'entretenait  avec  les  caciques,  et  comme  on 
avait  maintenu  la  jument  dans  le  même  appartement,  le  cheval  frap- 
pait du  pied,  hennissait  et  mugissait,  tenant  l'œil  fixé  sur  les  Indiens 
et  sur  la  pièce  où  il  avait  senti  sa  compagne.  Les  caciques  crurent  que 
c'était  pour  eux  qu'il  faisait  tout  ce  bruit  en  hennissant  et  en  frap- 
pant du  pied.  Cortès,  les  voyant  en  cet  état,  se  leva  de  son  siège  et  se 
dirigea  vers  le  cheval.  Il  le  prit  par  le  mors  et  chargea  Aguilar  de  dire 
aux  Indiens  présents  qu'il  venait  de  lui  recommander  de  ne  leur  faire 
aucun  mal;  et  aussitôt  il  ordonna  à  deux  palefreniers  de  l'emmener 
bien  loin,  de  manière  que  les  caciques  ne  le  revissent  plus.  On  en  était 
là  lorsqu'arrivèrent  trente  Indiens  chargés,  nommés  tamemes  parmi 
eux.  Ils  apportaient  à  manger  des  poules,  du  poisson  sec  et  divers 
fruits,  et  il  paraît  qu'ils  s'étaient  attardés,  ou  qu'ils  n'avaient  pas  pu 
se  mettre  en  route  en  même  temps  que  les  caciques.  Cortès  eut  là 
beaucoup  de  conversations  avec  ces  délégués  de  distinction.  Ils  lui 
dirent  que,  le  lendemain,  tous  viendraient,  avec  un  présent,  pour 
parler  davantage  de  leurs  affaires,  et  ils  s'en  furent  très-satisfaits.  Je 
les  laisserai  là  jusqu'à  demain. 


CHAPITRE  XXXVI 

Comme  quoi  tous  les  caciques  et  calachonis  vinrent  avec  un  présent,  et  ce  qui  arriva 

à  ce  sujet. 

Le  lendemain,  de  bonne  heure  (c'était  aux  derniers  jours  du  mois 
de  mars  de  1519),  arrivèrent  plusieurs  caciques  et  gens  distingués  du 
bourg  de  Tabasco  et  d'autres  villages  des  environs,  nous  faisant  à 
tous  des  démonstrations  fort  respectueuses.  Ils  portaient  un  présent 
en  or,  formé  de  quatre  diadèmes,  quelques  lézards,  deux  sortes  de 
chiens  et  d'oreillettes,  cinq  canards,  deux  figures  d'Indiens,  deux 
semelles  en  or,  semblables  à  celles  de  leurs  chaussures  \  et  d'autres 
menus  objets  de  peu  de  prix.  Je  ne  me  rappelle  pas  le  montant  de 
toutes  ces  choses.  Ils  nous  offrirent  aussi  de  ces  étoffes  fort  grossières 
dont  ils  font  usage,  et  qu'ils  fabriquent  eux-mêmes.  Ceux  qui  con- 
naissent cette  proyince  auront  entendu  dire,  en  effet,  qu'on  n'y  trouve 
que  des  tissus  de  peu  de  valeur. 

Or  tout  ce  présent  n'était  rien,  en  comparaison  des  vingt  femmes 
qu'ils  nous  offrirent;  et  entre  elles  une  excellente  personne  qui 
s'appela  dona  Marina  en  devenant  chrétienne.  Mais  je  ne  parlerai 

1.  Les  éditions  espagnoles  écrivent  cotora.  C'est  colara  (sandale)  qu'il  faut  dire. 


DE  LA  NOUVELLE-ESPAGNE. 

maintenant  ni  d'elle  ni  de  ses  compagnes,  pour  dire  que  Go 
reçu  tous  ces  dons  avec  des  démonstrations  de  joie,  attira  a  x 
caciques,  et,  au  moyen  d'Aguilar,  l'interprète,  leur  dit  qu'il  recon- 
naissait la  valeur  d'un  tel  présent,  mais  qu'il  avait  une  prière  à  leur 
adresser  :  c'est  qu'ils  fissent  habiter  sans  retard  le  village  par  tous 
ses  résidents  avec  leurs  femmes  et  leurs  enfants,  son  désir  étant  de  le 
voir  peuplé  dans  deux  jours  ;  que  c'est  en  cela  qu'il  verrait  le  témoi- 
gnage d'une  paix  véritable.  Aussitôt  les  caciques  firent  appeler  tous 
les  habitants,  avec  leurs  femmes  et  leurs  enfants  ;  et  en  deux  jours, 
le  village  fut  repeuplé.  Quant  à  l'ordre  que  notre  général  leur  donna, 
d'abandonner  leurs  idoles  et  leurs  sacrifices,  ils  répondirent  qu'ils 
obéiraient  également. 

Nous  leur  fîmes  proclamer  par  Aguilar,  le  mieux  que  Cortès  le  put 
faire,  les  vérités  sur  notre  foi,  en  leur  expliquant  que  nous  étions 
chrétiens  et  adorions  un  seul  Dieu  véritable.  On  leur  fit  voir  une 
image  vénérée  de  Notre  Dame,  avec  son  précieux  Fils  dans  les  bras, 
leur  déclarant  que  nous  révérions  cette  sainte  madone,  parce  qu'elle 
est  révérée  dans  le  ciel  et  qu'elle  est  la  Mère  de  Notre  Seigneur.  Les 
caciques  répondirent  que  cette  grande  tecleciguata  leur  paraissait 
respectable,  et  ils  demandèrent  à  la  posséder  dans  leur  village  :  —  en 
leur  langue,  ils  appelent  les  grandes  dames  teclecigualas  *.  — Cortès 
la  leur  promit,  les  exhortant  à  faire  un  autel  bien  ouvragé,. qu'ils 
s'empressèrent  de  construire.  Le  jour  suivant,  de  bonne  heure,  il  or- 
donna à  deux  de  nos  charpentiers,  nommés  Alonso  Yanez  et  Alvaro 
Lopez,  déjà  mentionnés  dans  ce  récit,  de  faire  immédiatement  une 
croix  très-haute. 

Ces  ordres  étant  donnés,  il  demanda  aux  caciques  pourquoi  ils  nous 
avaient  attaqués,  malgré  nos  invitations  à  vivre  en  paix.  Ils  répondi- 
rent qu'ils  avaient  demandé  et  obtenu  pardon  pour  cela;  que  leur 
frère,  le  cacique  de  Ghampoton,  leur  conseilla  cette  conduite;  qu'on 
l'avait  suivie,  afin  de  ne  plus  passer  pour  lâches  :  car  on  les  avait 
accusés  de  s'être  déshonorés  en  ne  nous  attaquant  pas  lorsque,  quelque 
temps  auparavant,  un  autre  capitaine  se  présenta  chez  eux  avec  quatre 
navires  (c'est  apparemment  de  Juan  de  Grijalva  qu'ils  voulaient  parler). 
Ils  ajoutèrent  que  l'Indien,  notre  interprète,  qui  s'était  enfui  pendant  la 
nuit,  leur  avait  conseillé  de  nous  faire  la  guerre  nuit  et  jour,  car  nous 
étions  fort  peu  nombreux.  Gortès  pria  les  caciques  de  lui  ramener  le 
fugitif;  mais  ils  répondirent  qu'ayant  vu  la  mauvaise  issue  de  la 
bataille,  il  s'était  dérobé  par  la  fuite,  et  qu'on  ne  savait  rien  de  lui, 
malgré  le  soin  qu'on  avait  mis  à  le  chercher.  La  vérité  est  qu'on  le 
sacrifia  aux  idoles,  en  expiation  de  ce  que  ses  conseils  avaient  coûté. 
Gortès  demanda  aux  caciques  d'où  ils  tiraient  leur  or,  et  d'où  prové- 

1.  Tlatocacihuapilli  veut  dire  grande  dame;  et  même  reine,  en  langue  nahuatl. 


80  CONQUÊTE 

naient  leurs  joyaux.  Ils  dirent  que  cela  venait  d'où  le  soleil  se  couche, 
ajoutant  :  Culua  et  Mexico  ;  et  comme  nous  ne  savions  pas  ce  que 
c'était  que  Mexico  ou  Culua,  nous  n'y  faisions  aucune  attention.  Nous 
avions  un  autre  interprète  appelé  Francisco,  dont  j'ai  déjà  parlé,  que 
nous  prîmes  lors  de  l'expédition  de  Grrijalva.  Il  ne  comprenait  nullement 
la  langue  de  Tabasco,  mais  il  parlait  bien  celle  de  Culua,  qui  est  la 
mexicaine.  Ce  fut  moitié  par  signes  qu'il  fit  entendre  à  Cortès  que  Culua 
était  fort  loin  ;  il  nommait  aussi  Mexico,  sans  réussir  à  nous  éclairer. 
La  conférence  se  termina  là,  jusqu'au  jour  suivant  qu'on  mit  à 
profit  pour  placer  sur  l'autel  la  sainte  image  de  Notre  Dame  ;  on 
planta  la  croix  en  même  temps,  et  nous  nous  mîmes  en  adoration.  Le 
Père  fray  Bartolomé  de  Olmedo  dit  la  messe,  à  laquelle  les  caciques 
et  principaux  envoyés  assistèrent  aux  premiers  rangs.  Nous  appelâmes 
ce  village  Santa  Maria  de  la  Victoria,  et  c'est  le  nom  que  porte 
actuellement  le  bourg  de  Tabasco.  Le  même  Frère,  aidé  par  Aguilar, 
prêcha  aux  vingt  Indiennes  données  en  présent  plusieurs  bonnes  vé- 
rités sur  notre  sainte  foi,  leur  conseillant  de  ne  plus  croire  aux  idoles, 
auxquelles  elles  avaient  cru  jusque-là;  que  c'étaient  de  méchantes 
choses,  et  nullement  des  divinités:  qu'il  ne  fallait  plus  leur  faire  de 
sacrifices  ;  qu'on  les  instruisait  dans  l'erreur,  et  qu'elles  devaient 
adorer  Notre  Seigneur  Jésus-Christ.  On  les  baptisa  sur-le-champ. 
La  dame  indienne  qu'on  nous  donna  prit  le  nom  de  dona  Marina1. 
C'était  bien  réellement  une  grande  dame,  fille  de  grands  caciques, 
ayant  possédé  des  vassaux  ;  et,  certes,  on  s'en  apercevait  bien  à  sa 
belle  prestance.  J'aurai  à  dire  bientôt  comment  elle  fut  amenée  dans 
ces  lieux.  Je  ne  me  rappelle  pas  bien  les  noms  des  autres  femmes, 
et  il  n'importe  guère  à  l'intérêt  du  récit  qu'elles  soient  ici  nommées; 
mais  ce  furent  les  premières  chrétiennes  de  la  Nouvelle-Espagne. 
Cortès  les  répartit  en  en  donnant  une  à  chaque  capitaine  ;  et  comme 
dona  Marina  était  de  bel  aspect,  insinuante  et  fort  alerte,  il  la  donna 
à  Hernandez  Puertocarrero,  que  j'ai  déjà  dit  être  de  bonne  race,  cousin 
du  comte  de  Medellin.  Lorsque,  plus  tard,  Puertocarrero  fut  en  Es- 
pagne, dona  Marina  se   lia  avec  Cortès,  qui   en  eut  un  fils  qu'on 

1.  Marina.  Après  la  rencontre  d'Aguilar,  aucun  fait  ne  pouvait  être  plus  intéres- 
sant pour  Cortès,  au  début  de  son  expédition,  que  l'acquisition  de  cette  jeune  femme 
appelée  Marina  par  les  Espagnols;  elle  devint  en  effet  un  des  éléments  les  plus  néces- 
saires au  développement  des  faits  qui  vont  suivre.  Elle  était  d'une  finesse  instinctive 
qui  la  rendait  éminemment  propre  au  rôle  intéressant  d'interprète  ;  car  elle  ne  disait 
pas  seulement,  en  traducteur  fidèle,  ce  qu'elle  était  chargée  de  transmettre  ;  elle  y 
ajoutait  ses  déductions  personnelles  et  ses  insinuations  sympathiques. —  kv&c  Marina, 
Cortès  acquiert  ici  plusieurs  autres  jeunes  filles  dont  les  caciques  lui  font  présent.  Le 
lecteur  ne  manquera  pas  de  remarquer  que  les  compagnons  de  Cortès  et  Cortès  lui- 
môme  témoignent  de  singuliers  scrupules  en  refusant  de  manquer  à  leurs  devoirs  de 
morale  avec  ces  jeunes  femmes  pendant  qu'elles  sont  idolâtres,  tandis  qu'ils  se  hâtent 
d'en  faire  leurs  compagnes  illégitimes  immédiatement  après  les  avoir  baptisées. 


DE  LA  NOUVELLE-ESPAGNE.  81 

nomma  Martin  Gortès,  et  qui  fut  par  la  suite  commandeur  de  San- 
tiago. 

Nous  restâmes  cinq  jours  dans  ce  village,  autant  pour  donner  aux 
blessés  le  loisir  de  soigner  leurs  plaies,  que  pour  le  repos  de  ceux 
qui  souffraient  du  mal  de  reins,  et  qui  guérirent.  Au  surplus,  comme 
Gortès  savait  s'emparer  de  l'attention  des  caciques  par  de  bonnes 
paroles,  il  leur  dit  que  l'Empereur,  notre  maître,  dont  nous  sommes 
les  sujets,  tient  sous  ses  ordres  plusieurs  grands  seigneurs,  et  qu'ils 
devraient,  eux  aussi,  lui  jurer  obéissance  ;  que,  dès  lors,  pour  n'im- 
porte quoi  dont  ils  auraient  besoin,  soit  faveur  de  notre  part  ou  autre 
chose  quelconque,  il  suffirait  de  le  lui  faire  savoir,  partout  où  nous 
nous  trouverions,  pour  qu'il  accourût  à  leur  secours.  Tous  les  caci- 
ques l'en  remercièrent  vivement,  et  se  déclarèrent  les  sujets  de  notre 
grand  Empereur.  Ge  furent  les  premiers  qui  jurèrent  obéissance  à 
Sa  Majesté  dans  la  Nouvelle-Espagne.  Gortès  s'empressa  de  leur 
donner  l'ordre  de  venir  de  bonne  heure  le  lendemain,  qui  était  le  jour 
des  Rameaux,  avec  leurs  femmes  et  leurs  enfants,  au  pied  de  l'autel 
que  nous  avions  construit,  pour  adorer  la  croix  et  la  sainte  image  de 
Notre  Dame.  Il  ordonna  encore  que  six  charpentiers  indiens  vinssent 
s'unir  aux  nôtres,  pour  qu'ils  allassent  sculpter  une  croix  sur  un 
grand  arbre  appelé  ceiba,  qui  se  trouvait  au  village  de  Gintla,  où 
Dieu  eut  la  bonté  de  nous  donner  cette  grande  victoire  dans  la  ba- 
taille que  j'ai  racontée.  Ils  firent  en  effet  cette  croix  dans  l'arbre 
même,  pour  lui  assurer  une  plus  longue  durée,  parce  que  l'empreinte 
est  toujours  visible  dans  la  nouvelle  écorce  qui  repousse. 

Gela  étant  fait,  il  donna  l'ordre  d'appareiller  tous  les  canots  pour 
aider  à  notre  embarquement  ;  car  nous  voulions  faire  voile  dans  cette 
sainte  journée,  deux  pilotes  étant  venus  dire  à  Gortès  que  les  navires 
étaient  en  grand  danger,  à  cause  du  vent  du  nord  qui  soufflait  par  le 
travers.  Le  lendemain,  de  bonne  heure,  tous  les  caciques  et  autres 
gens  de  distinction  vinrent  avec  leurs  femmes  et  leurs  enfants,  et  se 
réunirent  dans  le  préau  où  se  trouvaient  la  croix  et  notre  petite  église, 
tenant  des  rameaux  à  la  main  pour  la  cérémonie. 

Quand  nous  vîmes  les  caciques  rassemblés  et  Gortès  entouré  de  tous 
ses  capitaines,  nous  marchâmes  dévotement  en  procession  avec  le  Père 
de  la  Merced  et  le  prêtre  Juan  Diaz,  revêtus  de  leurs  habits  sacerdo- 
taux. On  dit  la  messe,  et  nous  adorâmes  et  baisâmes  la  sainte  croix, 
tandis  que  les  Indiens  fixaient  sur  nous  leur  attention.  Après  cette 
cérémonie,  faite  en  son  véritable  jour,  les  gens  de  distinction  s'appro- 
chèrent de  Gortès  et  lui  offrirent  dix  poules,  du  poisson  sec  et  des 
légumes.  En  prenant  congé  d'eux,  notre  chef  leur  recommanda  encore 
la  sainte  image  de  Notre  Dame  et  la  sainte  croix,  avec  prière  de  les 
révérer  et  de  les  tenir  en  état  de  propreté,  l'église  bien  nettoyée, 
ornée  de  branchages,  leur  promettant  qu'ils  en  obtiendraient  santé 

6 


82  CONQUETE 

et  récoltes  prospères.  Il  était  déjà  tard  lorsque  nous  nous  embarquâ- 
mes. Le  lendemain,  lundi,  nous  fîmes  voile  de  bonne  heure. 

Nous  naviguâmes  avec  beau  temps,  dans  la  direction  de  San  Juan 
deUloa,  ne  nous  éloignant  jamais  de  terre.  Et,  comme  nous  avancions 
sans  contre-temps,  nous,  les  soldats  qui  étions  déjà  venus  avec  Grijalva 
et  qui  connaissions  cette  route,  nous  disions  à  Gortès  :  «  Senor,  là 
se  trouve  la  Rambla,  appelée  Aguayaluco  en  langue  indienne.  »  Bientôt 
nous  arrivâmes  à  Tonala,  nommé  San  Anton,  et  nous  le  lui  fîmes  voir. 
Plus  loin,  nous  lui  indiquions  le  grand  fleuve  (juazacualco.  Il  vit  les 
grandes  sierras  couvertes  de  neige,  et,  tout  aussitôt,  la  sierra  de  San 
Martin.  Plus  en  avant,  nous  lui  montrâmes  la  Roche  fendue.  C'est 
un  des  plus  grands  rochers  qui  s'avancent  dans  la  mer  où  son  som- 
met s'élève  comme  en  forme  de  chaise.  Plus  loin  encore,  nous  lui 
fîmes  voir  le  fleuve  Alvarado,  où  Pedro  de  Alvarado  pénétra  lors  de 
l'expédition  de  Grijalva.  Nous  vîmes,  après,  le  fleuve  Banderas,  où 
nous  avions  recueilli  seize  mille  piastres.  Nous  lui  indiquâmes  là  l'île 
Blanche,  lui  disant  aussi  où  était  l'île  Verte.  Il  vit,  non  loin  de  terre, 
l'île  des  Sacrifices,  où  nous  trouvâmes,  au  temps  de  Grijalva,  les  autels 
et  les  Indiens  sacrifiés.  Après  quoi,  nous  arrivâmes  heureusement  à 
San  Juan  de  Uloa,  dans  l'après-midi  du  jeudi  saint.  Je  me  rappelle 
qu'en  ce  moment  un  de  nos  caballeros,  appelé  Pucrtocarrero,  s'appro- 
cha de  Gortès  et  lui  dit  :  «  Il  me  semble,  senor,  que  les  camarades 
qui  sont  déjà  venus  deux  fois  avant  nous  vous  disent  :  «  Vois  la  France, 
«  Montesinos  ;  vois  Paris  la  grand'ville;  vois  par  où  les  eaux  du  Duero 
«  débouchent  à  la  mer1  :  »  et  moi  je  vous  dis  de  voir  ces  riches  contrées 
et  que  vous  sachiez  vous  y  bien  conduire  ».  Gortès  répondit  :  «  Que 
Dieu  donne  bonne  chance  à  nos  armes,  comme  au  paladin  Roland,  et? 
quant  au  reste,  vous  ayant,  vous  et  mes  autres  chevaliers,  pour  com- 
pagnons, je  saurai  bien  ce  que  j'ai  à  faire  ».  El  arrêtons-nous,  et 
n'allons  pas  plus  loin.  Et  voilà  ce  qui  arriva,  et  Gortès  entra,  comme 
dit  Gromara,  dans  le  fleuve  Alvarado. 


CHAPITRE  XXXVII 

Comme  quoi  dona  Marina  était  cacique,  fille  de  grands  seigneurs  et  maîtresse 
de  villages  et  vassaux;  et  comment  elle  fut  amenée  à  Tabasco. 

Avant  de  nous  occuper  plus  intimement  du  grand  Montezuma,  et 
des  Mexicains,  et  de  Mexico  la  grande;  je  veux  vous  dire  ce  qui  con- 
cerne dona  Marina;  elle  gouverna  des  pays  et  commanda  à  des  vassaux 

1.  C'est  là  un  vieux  souvenir  de  chanson  espagnole  de  chevalerie. 


DE  LA  NOUVELLE-ESPAGNE.  83 

dès  son  enfance.  Son  père  et  sa  mère  étaient  en  effet  seigneurs  d'une 
ville  nommée  Painala,  à  laquelle  d'autres  villages  étaient  assujettis, 
à  environ  huit  lieues  du  bourg  de  Guazacualco.  Lamort  du  père  l'ayant 
laissée  encore  enfant,  la  mère  se  remaria  avec  un  autre  cacique,  fort 
jeune,  et  en  eut  un  garçon,  sur  lequel  se  porta  toute  leur  affection. 
Ils  convinrent  de  faire  retomber  sur  lui,  après  leur  mort,  les  titres  de 
famille,  et,  pourqu'il  n'y  eût  point  d'obstacle,  ils  donnèrentlajeune  fille, 
pendant  la  nuit,  à  des  Indiens  de  Xicalango,  afin  qu'on  ne  la  vît  plus, 
et  ils  répandirent  le  bruit  qu'elle  était  morte,  mettant  à  profit  la  mort 
de  la  fille  d'une  de  leurs  esclaves,  qu'on  fit  passer  pour  l'héritière.  Il 
en  résulta  que  les  gens  de  Xicalango  la  cédèrent  à  des  habitants  de 
Tabasco,  et  ceux-ci  la  donnèrent  à  Gortès.  J'ai  connu  sa  mère  et  son 
demi-frère,  lorsqu'il  était  déjà  homme  et  qu'il  gouvernait  son  village 
conjointement  avec  sa  mère,  le  second  mari  étant  mort.  En  se  faisant 
chrétiens,  la  vieille  prit  le  nom  de  Marthe  et  le  fils  celui  de  Lazare. 
Je  sais  fort  bien  tout  cela,  parce  que,  en  l'an  quinze  cent  vingt- 
trois,  après  la  conquête  de  Mexico  et  d'autres  provinces,  lorsque  Ghris- 
toval  de  Oli  se  souleva  dans  les  Higueras,  Gortès  s'y  rendit,  en  pas- 
sant par  Guazacualco.  Presque  tous  les  résidents  de  ce  bourg  partirent 
avec  lui  (ainsi  que  je  le  dirai  en  son  lieu).  Gomme  doua  Marina,  en 
toutes  les  guerres  de  la  Nouvelle-Espagne,  fut  une  excellente  femme 
et  une  interprète  utile,  —  ce  que  l'on  verra  dans  la  suite,  —  Gortès 
l'amenait  toujours  avec  lui.  Ce  fut  dans  ce  voyage  qu'elle  se  maria 
avec  un  hidalgo  nommé  Xaramillo,  dans  un  bourg  qu'on  appelait  Ori- 
zaba,  en  présence  de  quelques  témoins,  dont  l'un,  nommé  Àranda, 
devint  résident  de  Tabasco.  Il  racontait  le  mariage  d'une  façon  bien 
différente  du  récit  de  Gomara.  Doua  Marina  était  femme  de  grande 
valeur;  elle  avait  un  extrême  ascendant  sur  tous  les  Indiens  de  la  Nou- 
velle-Espagne. 

Gortès,  étant  arrivé  à  Guazacualco,  fit  appeler  tous  les  caciques  de 
la  province,  pour  leur  faire  une  conférence  au  sujet  de  la  sainte  doc- 
trine et  sur  les  moyens  de  la  bien  pratiquer.  Gela  motiva  l'arrivée  de 
la  mère  de  doua  Marina  et  de  son  demi-frère  Lazare  avec  d'autres 
caciques.  Depuis  longtemps  dofia  Marina  m'avait  dit  qu'elle  était  de 
cette  province,  où  elle  possédait  des  vassaux,  chose  que  savaient  fort 
bien  le  capitaine  Gortès  et  l'interprète  Aguilar.  De  façon  qu'on  vit 
ensemble  la  mère  et  la  fille  avec  son  frère.  Or  il  ne  leur  fut  pas  diffi- 
cile de  reconnaître  la  filiation,  car  la  ressemblance  était  très-grande. 
Ils  en  eurent  peur,  pensant  qu'elle  les  envoyait  chercher  pour  les  faire 
périr,  et  ils  pleuraient.  Mais  dona  Marina,  voyant  leurs  larmes,  les 
Consola,  les  pria  de  bannir  toute  crainte,  et  leur  dit  qu'ils  n'avaient 
pas  compris  Ce  qu'ils  faisaient,  quand  ils  la  donnèrent  aux  gens  de 
Xicalango,  et  qu'elle  leur  pardonnait.  Elle  leur  fit  cadeau  de  plusieurs 
joyaux  d'or  et  de  diverses  pièces  d'habillement,  en   les  renvoyant  à 


84  CONQUÊTE 

leur  village,  ajoutant  que  Dieu  lui  avait  fait  une  bien  grande  grâce 
en  l'enlevant  à  l'adoration  des  idoles  et  en  la  rendant  chrétienne;  que 
maintenant  qu'elle  avait  le  bonheur  d'avoir  eu  un  fils  avec  son  maître 
et  seigneur  Corlès,  et  d'être  mariée  avec  un  caballero  comme  était 
son  mari  Juan  Xaramillo,  voulût-on  la  faire  cacique  d'autant  de  pro- 
vinces qu'il  y  en  a  dans  la  Nouvelle-Espagne,  elle  refuserait  de  l'être; 
qu'elle  estimait  le  plaisir  de  servir  son  mari  et  Gortès  plus  que  toute 
chose  au  monde....  Et  tout  ce  que  je  viens  de  dire  je  l'ai  entendu  de 
sa  bouche,  j'en  puis  certifier  et  je  le  jure,  amen!  Or,  on  dirait  que 
cette  aventure  est  comme  une  contrefaçon  de  ce  qui  arriva  à  Joseph 
en  Egypte  avec  ses  frères,  lesquels,  à  propos  du  blé,  tombèrent  en  son 
pouvoir. 

Voilà  ce  qui  arriva  et  non  ce  que  l'on  raconta  à  Gomara,  qui  dit 
du  reste  bien  d'autres  choses  dont  je  ne  crois  pas  devoir  parler1. 
Dona  Marina  savait  la  langue  de  Gruazacualco,  qui  est  celle  de  Mexico; 
elle  savait  aussi  la  langue  de  Tabasco.  Gomme  Creronimo  de  Aguilar 
connaissait  celle  de  Yucatan  et  de  Tabasco,  qui  n'en  forment  qu'une, 
ils  s'entendaient  entre  eux,  et  Aguilar  traduisait  en  castillan  à  Gortès. 
Ge  fut  un  début  considérable  pour  notre  campagne;  et  c'est  ainsi  que, 
—  loué  soit  Dieu  !  — les  choses  se  déroulaient  pour  notre  bonheur. 
Je  m'empresse  de  le  dire  :  sans  dona  Marina,  nous  n'aurions  pas  pu 
comprendre  la  langue  de  Mexico  et  de  la  Nouvelle-Espagne.  Toujours 
est-il  que  nous  débarquâmes  au  port  de  Saint-Jean  d'Uloa. 


CHAPITRE  XXXVIII 

Comment  nous  arrivâmes  à  Saint-Jean   d'Uloa  avec  tous  nos  navires, 
et  de  ce  qui  nous  y  advint. 

Le  jeudi  saint,  jour  de  la  Gène  de  Notre  Seigneur,  de  l'an  quinze 
cent  dix-neuf,  nous  arrivâmes  avec  toute  la  flotte  au  port  de  Saint-Jean 
d'Uloa,  et  comme  le  pilote  Alaminos  le  connaissait  fort  bien  depuis 
notre  voyage  avec  Juan  de  Grijalva,  il  fit  mouiller  en  un  point  où  les 
navires  seraient  à  l'abri  du  vent  du  nord.  On  arbora  sur  le  vaisseau- 
amiral  l'étendard  royal  et  les  banderoles.  Il  y  avait  une  demi-heure 
que  nous  avions  jeté  l'ancre,  lorsque  s'approchèrent  deux  grandes  em- 
barcations qu'on  appelle  pirogues.  Elles  portaient  plusieurs  Indiens 
mexicains  qui,  voyant  l'étendard  et  la  grandeur  du  navire,  comprirent 

1.  Toutes  les  éditions  de  13.  Diaz  avaient  écrit  :  y  tambien  dicc  otras  cosas  que 
déjà  par  alto,  ce  qui  est  absurde.  Mais  daus  la  collection  de  Kivadcueyra  (Madrid. 
1851,  t.  II,  p.  32),  on  a  supprimé  l'accent  de  déjà:  cela  permet  une  traduction  rai- 
sonnable. 


DE  LA   NOUVELLE-ESPAGNE.  85 

que  c'était  là  qu'ils  devaient  aller  pour  parler  au  commandant.  Us  ra- 
mèrent droit  au  vaisseau,  ils  y  montèrent  et  demandèrent  qui  était  le 
tlatoan1,  ce  qui  en  leur  langue  signifie  le  maître  ou  seigneur.  Doua 
Marina,  qui  les  comprit,  s'empressa  de  le  leur  faire  voir.  Les  Indiens 
firent  à  Gortès,  à  leur  manière,  beaucoup  de  démonstrations  respec- 
tueuses et  lui  donnèrent  la  bienvenue,  ajoutant  qu'un  familier  du  grand 
Montezumales  envoyait  demander  quels  hommes  nous  étions  et  ce  que 
nous  cherchions.  Us  lui  dirent  encore  que,  s'il  avait  besoin  de  quelque 
chose  pour  nous  ou  pour  nos  navires,  nous  n'avions  qu'à  le  dire  et 
qu'aussitôt  ils  apporteraient  ce  qui  serait  nécessaire.  Notre  Gortès  ré- 
pondit, au  moyen  d'Aguilar  et  de  dona  Marina,  qu'il  leur  en  rendait 
grâces,  et  il  leur  fit  donner  des  choses  à  manger,  du  vin  à  boire  et  des 
verroteries  bleues.  Quand  ils  eurent  bu,  Gortès  leur  dit  que  nous  ve- 
nions pour  les  visiter  et  négocier  avec  eux;  qu'on  ne  leur  causerait 
aucun  ennui  et  que  nous  eussions  à  considérer  ensemble  notre  arrivée 
dans  ce  pays  comme  un  heureux  événement.  Les  messagers  s'en  retour- 
nèrent très-satisfaits. 

Le  lendemain,  vendredi  saint,  jour  de  la  Groix,  nous  débarquâmes 
les  chevaux  et  l'artillerie  sur  des  amas  de  sable;  car  il  n'y  avait  pas 
de  sol  terreux,  mais  du  sable  partout.  On  plaça  les  canons  d'après  le 
meilleur  avis  de  l'artilleur  Mesa,  et  nous  fîmes  un  autel  sur  lequel  on 
ne  tarda  pas  à  dire  la  messe.  On  s'empressa  de  faire  des  baraques  et 
des  abris  de  feuillage  pour  Gortès  et  pour  ses  capitaines.  Nous  nous 
réunîmes  de  trois  en  trois  pour  apporter  du  bois,  nous  fîmes  nos  ca- 
banes et  nous  plaçâmes  les  chevaux  en  lieu  sûr.  Nous  passâmes  le  ven- 
dredi saint  à  faire  tous  ces  travaux.  Le  jour  suivant,  samedi  saint, 
veille  de  Pâques,  il  arriva  beaucoup  d'Indiens.  Us  étaient  envoyés  par 
un  personnage,  gouverneur  de  Montezuma,  appelé  Pitalpitoque,  que 
plus  tard  nous  nommâmes  Ovandillo.  Ils  avaient  des  haches.  Après 
avoir  arrangé  les  baraques  de  Gortès  et  les  cabanes  qui  s'en  trouvaient 
le  plus  rapprochées,  ils  les  couvrirent  de  grandes  étoffes,  à  cause  du 
soleil,  car  on  était  en  carême  et  il  faisait  très-chaud.  Ils  apportaient 
des  poules,  du  pain  de  maïs  et  des  prunes  dont  c'était  la  saison.  Il  me 
semble  qu'ils  avaient  aussi  quelques  joyaux  en  or.  Us  offrirent  le  tout 
à  Gortès  en  lui  disant  que,    le  lendemain,  le  gouverneur   lui-même 
tiendrait  avec  d'autres  provisions.  Notre  chef  leur  témoigna  sa  grati- 
tude et  leur  fit  donner  certains  produits  en  échange,  dont  ils  furent 
très-satisfaits.  Le  lendemain,  jour  de  Pâques  de  résurrection,  se  pré- 
senta le  gouverneur  qu'on  nous  avait  annoncé.  C'était  le  nommé  Ten- 
didle,  homme  d'affaires,  qui  amenait  avec  lui  Pitalpitoque,  personnage 
de  distinction,  suivis  tous  deux  de  plusieurs  Indiens  chargés  de  pré- 
sents, de  poules  et  de  légumes.  Après  avoir  ordonné  à  ceux-ci  de  se 

1.  Tlatoani  veut  dire,  en  effet,  maître  ou  seigneur,  en  langue  nahuatl. 


86  CONQUÊTE 

tenir  à  distance,  Tendidle  fit  trois  humbles  révérences,  selon  leur  usage, 
à  Gortès  d'abord,  et  ensuite  à  ceux  de  nous  qui  étions  le  plus  près. 

Gortès,  au  moyen  de  nos  interprètes,  leur  dit  qu'ils  fussent  les  bien- 
venus, les  embrassa  et  les  pria  de  l'excuser  un  instant,  qu'il  ne  tar- 
derait pas  à  leur  parler.  En  attendant,  il  fit  dresser  un  autel,  le  mieux 
que  les  circonstances  permirent.  Fray  Bartolomé  de  Olmedo  dit  une 
messe  chantée,  avec  l'assistance  du  P.  Juan  Diaz.  Les  deux  gouver- 
neurs l'entendirent,  entourés  des  principaux  Indiens  qui  étaient  venus 
avec  eux.  Après  la  messe,  Gortès  et  quelques-uns  de  ses  capitaines  dî- 
nèrent avec  les  deux  employés  du  grand  Montezuma.  Quand  les  tables 
furent  enlevées,  Gortès  prit  à  part  nos  deux  interprètes,  Aguilar  et 
dona  Marina,  avec  les  caciques,  auxquels  il  expliqua  que  nous  étions 
chrétiens  et  sujets  du  plus  grand  seigneur  qui  soit  au  monde,  appelé 
l'Empereur  don  Carlos,  ayant  de  grands  seigneurs  pour  serviteurs  et 
vassaux;  que  c'est  par  ses  ordres  que  nous  sommes  venus  dans  ce  pays, 
attendu  que  depuis  longtemps  il  en  a  connaissance,  ainsi  que  du  grand 
seigneur  qui  le  gouverne  et  dont  nous  briguerons  l'amitié,  après 
l'avoir  entretenu  longuement,  de  la  part  de  notre  souverain,  sur  des 
choses  qui  sans  doute  lui  causeront  grande  joie  aussitôt  qu'il  les  saura. 
Gortès  ajouta  que,  pour  traiter  en  bonne  amitié  avec  lui  et  avec  ses 
Indiens  et  vassaux,  il  voudrait  savoir  le  lieu  que  ses  ordres  désigne- 
ront pour  qu'ils  se  voient  et  se  parlent.  Tendidle  lui  répondit  avec 
quelque  hauteur  :  «  Tu  arrives  à  peine,  et  tu  veux  à  l'instant  lui  par- 
ler ;  reçois  d'abord  ce  présent  que  nous  t'offrons  en  son  nom,  et  tu 
me  diras,  après,  ce  que  tu  désires.  » 

Il  retira  tout  de  suite  d'une  valise  —  espèce  de  coffre  —  plusieurs 
objets  en  or,  bien  et  richement  sculptés,  avec  plus  de  dix  charges  de 
mantas1  blanches  de  coton  et  plumes,  fort  dignes  d'être  admirées,  et 
d'autres  joyaux  dont  je  ne  garde  pas  bien  le  souvenir  après  tant  d'an- 
nées; avec  cela,  beaucoup  de  choses  à  manger  :  poules  du  pays,  fruits  et 
poissons  secs.  Gortès  reçut  le  tout  gracieusement,  le  sourire  aux  lèvres, 
et  leur  donna  en  retour  des  torsades  en  perles  fausses,  avec  d'autres 
produits  de  Castille,  les  priant  de  faire  venir  les  habitants  des  villages 
pour  trafiquer  avec  nous,  parce  qu'il  avait  beaucoup  de  verroteries  à 
échanger  pour  de  l'or..  Ils  promirent  de  le  faire.  Nous  sûmes  par  la 
suite  que  Tendidle  et  Pitalpitoque  étaient  gouverneurs  de  provinces 
appelées  Gotastlan,  Tustepeque,  Gruazpaltepeque,  Tlatalteteco  et  d'au- 
tres villages  qu'ils  avaient  soumis  récemment. 

1.  Il  m'a  semblé  que  ce  mot  de  mantas  employé  très-souvent  par  l'auteur  doit  être 
compris  par  nous  de  deux  manières  différentes.  Il  s'agit  d'étoffes:  mais  parfois  Bernai 
Diaz  emploie  cette  expression  dans  le  sens  d'étoffes  façonnées  en  forme  de  manteau. 
Les  Aztèques,  en  effet,  avaient  l'habitude  de  se  couvrir  d'un  carré  d'étoffe  qu'ils  pla- 
çaient sur  leurs  épaules  en  en  ramenant  deux  des  coins  au-devant  du  cou  et  prati- 
quant nn  nœud  à  bouts  tombant  sur  la  poitrine. 


DE  LA  NOUVELLE-ESPAGNE.  87 

Gortès  fit  apporter  un  fauteuil  en  bois  sculpté  et  peint,  des  pierres 
en  marcassitc,  diversement  veinées,  qui  étaient  enveloppées  dans  du 
coton  parfumé  au  musc,  pour  que  ça  sentît  bon  ;  une  torsade  de  perles 
enfilées;  un  bonnet  cramoisi;  une  médaille  en  or  figurant  saint  Geor- 
ges à  cheval,   la  lance  en  main,  comme  s'il  terrassait  un  dragon.  Il 
recommanda  à  Tendidle  d'envoyer  le  siège  sans  retard,  pour  que  le 
seigneur  Montezuma  s'y  pût  asseoir  lorsque  Gortès  irait  le  voir  et  lui 
parler;  qu'il  couvrît  sa  tête  de  ce  bonnet;   que  ces  pierreries  et  tout 
le  reste,  notre  Seigneur  et  Roi  les  lui  fait  envoyer  en  présent,  en  signe 
d'amitié,  parce  qu'il  sait  qu'il  est  un  grand  seigneur;  et  qu'au  surplus 
il  veuille  bien  désigner  l'heure  et  le  lieu  où  il  voudra  qu'on  aille  le 
voir.  Tendidle  reçut  ces  objets  en  disant  que  son  maître  Montezuma 
est  si  grand  seigneur  qu'il  ne  peut  manquer  de  se  réjouir  de  connaître 
notre  grand  Roi  ;  qu'il  va  incontinent  lui  porter  ce  présent  et  qu'il 
reviendra  bientôt  avec  sa  réponse.  Or,  il  paraît  que  le  Tendidle  avait 
amené  avec  lui  de  grands  peintres  —  il  y  en  a  de  tels  à  Mexico;  — 
il  fit  prendre  sur  nature  le  visage,  le  corps  et  les  traits  de  Gortès  et 
de  tous  les  capitaines  et  soldats;  les  navires,  les  voiles,  les  chevaux, 
et  dona  Marina,  et  Aguilar,  deux  levrettes  même,  et  les  canons  et  les 
boulets,  toute  notre  armée  enfin,  et  il  l'apporta  à  son  maître. 

Gortès  donna  l'ordre  à  nos  artilleurs  de  bien  apprêter  les  bombardes 
avec  de  bonnes  charges  de  poudre,  afin  qu'elles  fissent  grand  bruit. 
Il  ordonna  en  même  temps  à  Pedro  de  Alvarado  qu'il  se  préparât  et 
fît  préparer  tous  les  cavaliers  pour  que  ces  favoris  de  Montezuma  les 
vissent  courir,  avec  les  poitrails  garnis  de  grelots.  Gortès  aussi  monta 
à  cheval  et  il  dit:  «  Si  l'on  pouvait  courir  sur  ces  collines  de  sable, 
nous  serions  bien;  mais  vous  voyez  que,  même  à  pied,  nous  enfonçons 
dans  le  sol  ;  allons-nous-en  sur  la  plage,  quand  l'eau  sera  basse,  et  là 
nous  courrons  de  deux  en  deux.  »  Il  donna  le  soin  de  conduire  la  ca- 
valcade à  Pedro  de  Alvarado,  dont  la  jument  alezane  était  bonne  cou- 
reuse et  très-vive.  Tout  cela  s'exécuta  sous  les  yeux  des  envoyés  ;  et 
afin  qu'ils  vissent  partir  les  canons,  Gortès  leur  dit  qu'il  voulait  leur 
parler  encore,  ainsi  qu'aux  principaux  qui;  les  suivaient.  On  mit  alors 
le  feu  aux  bombardes,  l'air  étant  très-calme.  Les  pierres  roulaient  au 
loin  avec  grand  fracas.  Les  gouverneurs  et  les  Indiens  furent  stupé- 
faits de  choses  si  nouvelles  pour  eux  et  ils  firent  représenter  la  scène 
par  les  peintres,  pour  que  Montezuma  pût  la  voir.  Au  surplus,  un  de 
nos  soldats  portait  un  casque  à  demi  doré;   Tendidle,  qui  était  plus 
insinuant  que  son  collègue,  vit  le  casque  et  dit  qu'il  ressemblait  à 
d'autres  qui  sont  en  leur   pouvoir  et  que  leurs  ancêtres  leur  avaient 
transmis  comme  un  monument  des  races  dont  ils  étaient  descendus. 
Ils  en  ornaient  la  tête  de  leur  divinité  Huichilobos,  idole  de  la  guerre. 
Leur  seigneur  Montezuma  serait  certainement  heureux  de  le  voir.  On 
le  lui  donna  sur-le-champ;  mais  Gortès  leur  dit  que,  voulant  savoir 


88  CONQUÊTE 

si  leur  or  est  comme  celui  que  nous  retirons  de  nos  rivières,  il  les  priait 
de  lui  renvoyer  ce  casque  plein  de  grains  de  ce  métal,  pour  qu'il  le 
remît  à  notre  grand  Empereur.  Après  quoi  Tendidle  prit  congé  de 
Gortès  et  de  nous  tous.  Notre  chef  lui  fit  des  offres  nombreuses,  et 
l'embrassa  en  se  séparant  de  lui.  Tendidle  assura  qu'il  reviendrait 
sans  retard  avec  la  réponse.  Quand  il  fut  parti,  nous  sûmes  que  non- 
seulement  il  avait  de  grandes  affaires  particulières,  mais  était  aussi 
le  serviteur  le  plus  alerte  qui  fût  à  la  dévotion  de  Montezuma.  Il  s'en 
retourna  en  hâte,  fit  un  rapport  sur  toutes  choses  à  son  seigneur  et  lui 
présenta  les  dessins  qu'il  apportait,  ainsi  que  les  cadeaux  que  Gortès 
lui  destinait.  En  les  voyant,  Montezuma  fut  saisi  d'admiration  et  en 
conçut  une  grande  joie.  Comparant  le  casque  avec  celui  qui  coiffait 
son  Huichilobos,  il  eut  la  certitude  que  nous  appartenions  à  la  race  de 
ces  hommes  dont  leurs  aïeux  avaient  dit  qu'ils  viendraient  commander 
dans  ces  contrées.  C'est  ici  que  le  chroniqueur  Gomara  dit  plusieurs 
choses  provenant  de  mauvais  rapports.  Je  les  laisserai  là,  et  je  dirai 
ce  qui  nous  advint  encore. 


CHAPITRE  XXXIX 

Comment  Tendidle  alla  parler  à  son  maître  Montezuma  et  lui  porter  le  présent, 
et  de  ce  que  nous  fîmes  dans  notre  campement. 

Lorsque  Tendidle  fut  parti  avec  le  présent  dont  Cortès  le  chargea 
pour  Montezuma,  l'autre  gouverneur  Pitalpitoque  resta  dans  notre 
campement,  occupant  des  cabanes  séparées  de  nous.  On  y  fit  venir 
des  Indiens  pour  fabriquer  du  pain  de  leur  maïs;  on  y  porta  des 
poules,  du  fruit  et  du  poisson.  C'est  avec  cela  qu'on  faisait  les  provi- 
sions de  Cortès  et  des  capitaines  qui  mangeaient  avec  lui.  Pour  ce  qui 
est  de  nous,  les  soldats,  à  moins  de  faire  la  maraude  ou  d'aller  à  la 
pêche,  nous  n'avions  rien.  Au  surplus,  en  ce  même  temps,  beaucoup 
d'Indiens  vinrent  des  villages  que  j'ai  mentionnés  et  qui  étaient  gou- 
vernés par  les  familiers  de  Montezuma.  Quelques-uns  d'entre  eux 
apportaient  de  l'or  et  des  joyaux  de  peu  de  valeur,  ainsi  que  des 
poules,  en  échange  de  nos  produits  consistant  en  perles  vertes,  dia- 
mants faux  et  autres  objets;  c'est  avec  cela  que  nous  subsistions.  Nous 
avions  tous,  en  effet,  des  objets  d'échange,  ayant  appris  par  le  voyage 
de  Grijalva  qu'il  était  utile  d'être  munis  de  verroteries. 

Six  ou  sept  jours  se  passèrent  ainsi,  après  lesquels  Tendidle  revint 
un  matin  avec  plus  de  cent  Indiens  chargés.  Avec  lui  venait  aussi  un 
grand  cacique  mexicain  qui  ressemblait  à  Cortès  par  sa  figure,  ses 
traits  et  sa  stature.  Montezuma  l'avait  choisi  tout  exprès,  parce  que, 


DE  LA   NOUVELLE-ESPAGNE.  89 

nous  dit-on,  lorsque  Tendidlc  lui  présenta  le  portrait  de  notre  chef, 
tous  les  principaux  qui  étaient  avec  le  souverain  dirent  qu'un  des 
leurs  appelé  Quintalbor  paraissait  être  Cortès  lui-même.  C'est  ainsi 
que  se  nommait  le  grand  cacique  qui  venait  avec  Tendidlc,  et  comme 
il  ressemblait  en  effet  à  Cortès,  nous  l'appelions  de  ce  nom  dans 
notre  camp  :  Cortès  par-ci,  Cortès  par-là!  Reparlons  de  son  arrivée 
et  de  ce  qu'il  fit  en  approchant  des  lieux  où  notre  capitaine  se  trou- 
vait. Avec  la  main  il  porta  de  la  terre  à  ses  lèvres;  puis,  avec  des 
cassolettes  en  grès  qu'ils  munirent  de  leurs  parfums,  ils  encensèrent 
Cortès  et  les  autres  soldats  qui  nous  trouvions  le  plus  près.  Notre 
capitaine  leur  témoigna  beaucoup  de  déférence  et  les  fit  asseoir  près 
de  lui.  L'homme  qualifié  que  j'ai  dit  s'appeler  Quintalbor  et  qui  avait 
apporté  le  présent  était  chargé  de  nous  parler,  conjointement  avec 
Tendidle.  Après  les  compliments  de  bienvenue  et  les  menus  propos, 
il  fit  placer  les  présents  sur  des  nattes  appelées  petates,  recouvertes 
avec  d'autres  tapis  de  coton.  La  première  chose  qu'il  offrit  fut  un 
cercle  en  façon  de  soleil,  en  or  fin,  aussi  grand  que  la  roue  d'une 
charrette,  orné  de  dessins,  beau  travail  digne  d'être  admiré,  valant 
environ  vingt  mille  piastres,  ainsi  qu'on  l'assura  plus  tard  après 
l'avoir  pesé.  Il  offrit  ensuite  une  roue  plus  grande,  en  argent,  figu- 
rant la  lune,  avec  beaucoup  de  rayons  et  d'autres  figures  sculptées. 
Cette  pièce  était  d'un  poids  considérable  et  d'une  grande  valeur.  Il 
apporta  aussi  le  casque  plein  de  grains  d'or  à  surface  rugueuse 
comme  on  les  trouve  dans  les  mines,  d'une  valeur  de  trois  mille 
piastres.  Nous  attachâmes  à  ce  casque  plus  de  prix  que  si  l'on  nous 
avait  apporté  trente  mille  piastres,  parce  qu'il  nous  fit  savoir  comme 
certain  qu'il  y  avait  de  bons  gisements  dans  le  pays. 

Il  portait,  en  outre,  vingt  canards  en  or,  très-bien  travaillés  et 
imitant  parfaitement  la  nature;  des  sortes  de  chiens,  comme  ils  en 
ont  dans  leur  pays,  et  plusieurs  pièces  en  or  figurant  des  tigres,  des 
lions,  des  singes;  dix  colliers  d'un  travail  des  plus  remarquables,  et 
d'autres  pièces  de  ce  genre;  douze  flèches  et  l'arc  avec  sa  corde;  deux 
bâtons  de  justice  d'une  longueur  de  cinq  palmes  :  tout  cela  en  or  fin 
et  coulé  sur  moule.  Il  fit  apporter  ensuite  des  panaches  d'or,  et 
quelques-uns  en  plumes  vertes  fort  riches  et  d'autres  en  argent,  ainsi 
que  des  éventails  du  même  métal;  des  chevreuils  coulés  en  or...,  et 
tant  de  choses,  enfin,  que  je  ne  puis  me  les  rappeler  toutes,  après  un 
si  grand  nombre  d'années.  Il  présenta  aussi  environ  trente  charges 
d'étoffe  de  coton  d'une  qualité  supérieure,  tissue  de  plumes  de  diffé- 
rentes couleurs,  avec  des  dessins  si  variés  que  je  ne  saurais  ici  les 
décrire.  Après  avoir  étalé  toutes  ces  choses,  les  caciques  Quintalbor 
et  Tendidle  dirent  à  Cortès  qu'il  voulût  bien  les  recevoir  avec  la 
même  sincérité  de  sentiments  qui  animait  celui  qui  les  avait  envoyées 
et  les  répartir  entre  les  chefs   qui  venaient  avec  lui.  Cortès  accepta 


90  CONQUÊTE 

avec  joie.  Ces  émissaires  dirent  alors  qu'ils  allaient  lui  rapporter  ce 
que  Montezuma  les  envoyait  dire  :  qu'avant  tout,  il  s'est  réjoui  que 
des  hommes  aussi  valeureux  que  nous  le  sommes  soient  venus  dans 
son  pays  —  car  il  n'ignorait  pas  notre  affaire  de  Tabasco;  —  qu'il 
désirerait  beaucoup  voir  notre  grand  Empereur,  puisqu'il  est  si  grand 
seigneur  et  que  dans  les  contrées  si  lointaines  d'où  nous  venions  il 
avait  eu  connaissance  de  sa  personne,  et  qu'il  lui  enverra  des  pierres 
riches  en  présent;  que  si,  pendant  tout  le  temps  que  nous  resterons 
dans  ce  port,  il  nous  y  peut  être  utile,  il  nous  servira  de  grand  cœur; 
que,  quant  à  l'entrevue,  nous  cessions  de  nous  en  préoccuper,  que 
cela  n'avait  pas  de  raison  d'être  et  qu'il  y  voyait  beaucoup  d'incon- 
vénients. 

Gortès  les  remercia  de  nouveau  d'un  air  satisfait  et  caressant;  il 
donna  à  chacun  des  gouverneurs  deux  chemises  en  toile  de  Hollande, 
des  verroteries  bleues  taillées  en  diamants  et  d'autres  menus  objets, 
les  priant  de  retourner  à  Mexico  pour  dire  à  leur  seigneur,  le  grand 
Montezuma,  que,  puisque  nous  avions  traversé  tant  de  mers  et  que 
nous  étions  venus  de  pays  si  lointains,  seulement  pour  le  voir  et  lui 
parler  en  personne,  notre  seigneur  et  grand  Roi  ne  pourrait  pas 
approuver  notre  conduite,  si  nous  nous  en  retournions  ainsi;  que 
n'importe  où  il  se  trouvera,  nous  voulons  donc  l'aller  voir  et  recevoir 
ses  ordres.  Les  gouverneurs  répondirent  qu'ils  iraient  le  lui  dire; 
mais,  quant  à  l'entrevue  dont  parlait  notre  chef,  elle  leur  paraissait 
inopportune.  Gortès  put  encore  prendre  sur  notre  pauvre  avoir 
quelques  objets  pour  envoyer  à  Montezuma  par  ces  messagers  :  une 
coupe  en  verre  de  Florence,  gravée  et  dorée,  avec  des  dessins  repré- 
sentant des  arbres  et  des  sujets  de  vénerie;  trois  chemises  en  toile  de 
Hollande,  et  autres  objets,  leur  recommandant  d'apporter  la  réponse. 
Les  deux  gouverneurs  prirent  congé;  mais  Pitalpitoque  resta  dans 
notre  campement,  parce  que,  à  ce  qu'il  parait,  il  fut  chargé  par  les 
autres  familiers  de  Montezuma  du  soin  de  nous  faire  venir  des  vivres 
des  villages  les  plus  rapprochés.  J'en  resterai  là  et  je  dirai  bientôt 
ce  qui   se  passa  encore  dans  notre  quartier  royal. 


CHAPITRE  XL 


Comme  quoi  Cortès  envoya  chercher  un  autre  port  et  un  siège  de  colonisation, 
et  de  ce  que  l'on  fit  à  ce  sujet. 

Après  avoir  dépêché  les  messagers  pour  Mexico,  Gortès  envoya 
deux  navires  reconnaître  la  côte  plus  loin.  Il  leur  donna  pour  capi- 
taine Francisco  de  Montejo,  avec  l'ordre  de  se  guider  par  la  route 


DE  LA  NOUVELLE-ESPAGNE.  91 

que  nous  avions  suivie  avec  Juan  de  Grijalva;  car  Montejo  s'était 
trouvé  en  notre  compagnie  avec  ce  capitaine.  Il  était  chargé  de  décou- 
vrir un  port  sûr  et  des  localités  où  nous  pussions  nous  installer  ;  car 
il  voyait  que  sur  les  sables  où  nous  étions,  nous  ne  pouvions  plus 
vivre  au  milieu  de  tant  de  moustiques,  et  si  loin  des  lieux  habités.  Il 
donna  l'ordre  à  Àlaminos  et  à  Juan  Alvarez  le  Manchot  de  partir  en 
qualité  de  pilotes,  puisqu'ils  connaissaient  cette  route,  et  de  naviguer 
en  suivant  la  côte  pendant  dix  jours  le  plus  loin  qu'ils  pourraient.  Ils 
le  firent  comme  c'était  commandé.  Ils  arrivèrent  à  la  hauteur  du  Rio 
Grande  qui  se  trouve  près  du  Panuco,  où  nous  étions  déjà  parvenus 
lors  de  la  campagne  du  capitaine  Juan  Grijalva.  Mais  il  leur  fut  im- 
possible de  dépasser  ce  point,  à  cause  des  courants  contraires.  Voyant 
donc  combien  la  navigation  devenait  difficile,  le  pilote  résolut  de  ne 
pas  aller  plus  loin  et  de  retourner  à  Saint-Jean  d'Uloa,  sans  autre 
résultat  que  la  découverte  d'un  village  situé  à  douze  lieues  du  campe- 
ment, qui  présentait  comme  un  aspect  de  forteresse  et  qui  était  connu 
sous  le  nom  de  Quiavistlan. 

Non  loin  de  ce  point,  se  trouvait  un  port  qui  parut  offrir  au  pilote 
Alaminos  de  la  sécurité  pour  les  navires  contre  le  vent  du  nord.  Il 
lui  appliqua  un  fort  vilain  nom,  celui  de  Bernai ,  dénomination  que 
portait  déjà  une  autre  rade  d'Espagne.  Montejo  passa,  du  reste,  dix 
ou  douze  jours  dans  ces  allées  et  venues. 

D'autre  part,  je  dois  dire  que  l'Indien  Pitalpitoque,  qui  était  resté 
au  camp  dans  le  but  de  veiller  aux  approvisionnements,  en  arriva  à 
de  telles  négligences,  qu'il  ne  prenait  plus  soin  de  rien  apporter  du 
tout;  ce  qui  produisait  parmi  nous  une  grande  pénurie  de  ressources. 
Notre  cassave  devenait  amère  à  force  d'être  moisie;  de  sorte  que 
nous  n'avions  rien  à  manger  si  nous  n'allions  à  la  maraude.  Quant 
aux  Indiens  qui  avaient  pris  l'habitude  de  nous  apporter  de  l'or  et 
des  poules  en  échange  de  nos  produits,  ils  ne  venaient  déjà  plus  en 
aussi  grand  nombre  qu'au  début,  et  ceux  qui  arrivaient  encore  nous 
paraissaient  timides  et  soupçonneux.  Pendant  ce  temps,  nous  atten- 
dions d'heure  en  heure  les  messagers  qui  étaient  allés  à  Mexico.  Nous 
en  étions  là,  lorsque  Tendidle  se  présenta,  accompagné  de  beaucoup 
d'Indiens.  Après  avoir  fait  les  démonstrations  de  respect  qui  sont 
dans  leurs  habitudes  et  encensé  Gortès  ainsi  que  nous  tous,  il  offrit 
dix  charges  d'étoffes  très-fines  et  très-riches,  d'un  tissu  mêlé  de  plu- 
mes; il  offrit  aussi  quatre  chalchihuis,  pierres  précieuses  de  couleur 
verte  d'une  grande  valeur,  qu'ils  ont  en  plus  grande  estime  que  nous 
n'en  avons  parmi  nous  pour  les  émeraudes.  Il  offrit  encore  quelques 
objets  en  or,  dont  nous  évaluions  le  prix  à  trois  mille  piastres,  en  de- 
hors des  pierreries.  Tendidle  et  Pitalpitoque  étaient  venus  seuls;  ear 
l'autre  grand  cacique,  nommé  Quintalbor,  en  avait  été  empêché  par 
une  maladie  dont  il  fut  atteint  pendant  le  voyage.  Ces  deux  gouver- 


92  CONQUÊTE 

neurs  prirent  Gortès  à  l'écart  avec  dona  Marina  et  Aguilar,  et  lui  dirent 
que  leur  maître  Montezuma  avait  reçu  son  présent  avec  la  plus  grande 
joie;  mais  que,  pour  ce  qui  est  de  l'entrevue,  il  ne  faut  plus  absolu- 
ment lui  en  parler;  que  ces  pierreries  riches,  il  les  envoie  pour  le 
grand  Empereur,  parce  qu'elles  sont  d'un  tel  prix  que  chacune  d'elles 
vaut  plus  d'une  charge  d'or  et  qu'il  les  estime  bien  davantage;  au 
surplus,  que  nous  ne  prenions  plus  le  soin  d'envoyer  des  messagers 
à  Mexico.  Gortès  leur  rendit  grâce  en  leur  faisant  de  nouvelles  offres 
de  service;  mais  il  éprouva  un  vif  regret  de  s'entendre  dire  que  nous 
ne  devions  plus  songer  à  voir  Montezuma.  Il  dit  même  à  quelques 
soldats  qui  se  trouvaient  avec  lui  :  «  Ce  doit  être  décidément  un 
grand  et  riche  seigneur;  si  Dieu  le  permet,  nous  irons  quelque  jour 
lui  faire  visite.  »  Et  nous  lui  répondîmes  :  «  Nous  y  voudrions  être 
déjà.  » 

Laissons  pour  à  présent  le  sujet  des  entrevues,  et  disons  qu'il  était 
l'heure  de  Y  Angélus.  Gomme  d'ailleurs  nous  avions  une  cloche  dans 
notre  campement,  nous  tombâmes  tous  à  genoux  en  regardant  la 
croix  que  nous  avions  placée  sur  le  plus  haut  monticule  de  sable,  et 
nous  nous  mîmes  à  réciter  la  prière  de  l'Ave  Maria.  Tendidle  et  Pi- 
talpitoque,  nous  voyant  ainsi  prosternés,  nous  demandèrent,  en  In- 
diens fort  retors ,  pourquoi  nous  nous  humiliions  de  la  sorte  devant 
ce  morceau  de  bois  ainsi  façonné.  Gortès,  les  ayant  entendus,  dit  au 
Père  de  la  Merced  qui  était  présent  :  «  Père,  voilà  le  moment  bien 
opportun  de  leur  faire  comprendre  les  choses  relatives  à  notre  sainte 
foi,  au  moyen  de  nos  interprètes.  »  Et  tout  de  suite,  on  leur  fit  une 
conférence,  si  bien  dite,  eu  égard  aux  circonstances  où  nous  nous 
trouvions,  que  les  meilleurs  théologiens  n'auraient  pu  mieux  faire. 
Après  avoir  déclaré  que  nous  étions  chrétiens  et  dit  ce  qui  con- 
venait le  mieux  relativement  à  notre  foi,  on  ajouta  que  leurs  idoles 
sont  de  nulle  valeur  et  doivent  s'évanouir  devant  cette  croix,  parce 
que  sur  une  autre  de  même  forme  le  Seigneur  du  ciel,  de  la  terre  et 
de  tout  ce  qui  existe  a  souffert  mort  et  passion;  que  c'est  en  lui  que 
nous  croyons,  que  c'est  lui  que  nous  adorons,  lui,  notre  Dieu  vérita- 
ble, nommé  Jésus-Christ,  qui  voulut  souffrir  et  mourir  de  cette  mort 
pour  sauver  tout  le  genre  humain,  qui  ressuscita  le  troisième  jour, 
qui  est  à  présent  dans  les  cieux  et  par  qui  nous  devons  être  jugés. 

On  leur  dit  aussi,  en  très-bons  termes,  beaucoup  d'autres  vérités 
qui  furent  par  eux  bien  comprises.  Ils  assurèrent  même  qu'ils  en  fe- 
raient le  rapport  à  leur  seigneur  Montezuma.  On  leur  déclara  encore 
qu'une  des  raisons  qui  engagèrent  notre  grand  Empereur  à  nous  en- 
voyer dans  ces  lointaines  contrées,  ce  fut  pour  les  empêcher  de  faire 
des  sacrifices  de  leurs  Indiens,  et  tous  autres  de  cette  méchante  na- 
ture, et  pour  éviter  aussi  qu'ils  se  volassent  les  uns  les  autres  et 
qu'ils  se  livrassent  à  l'adoration  de  ces  maudites  idoles.  Il  les  prie 


DE  LA   NOUVELLE-ESPAGNE.  93 

de  placer  dans  leurs  villes  et  dans  leurs  temples,  où  se  trouvent  les 
idoles  qu'ils  adorent  comme  des  dieux,  une  croix  semblable  à  celle 
qu'on  leur  a  fait  voir  et  une  image  de  Notre  Dame,  qu'on  leur  a  déjà 
donnée,  avec  son  précieux  Fils  dans  les  bras;  ils  verront  bien  à  quel 
point  ils  en  seront  récompensés  et  tout  ce  que  notre  Dieu  fera  à  leur 
avantage.  On  leur  adressa  bien  d'autres  paroles  pour  les  convaincre; 
je  ne  les  dirai  pas  en  totalité,  car  je  me  sens  incapable  de  les  trans- 
mettre dans  tous  leurs  détails.  Je  me  souviens  que  dans  cette  visite 
de  Tendidle,  vinrent  avec  lui  plusieurs  Indiens  pour  vendre  des  ob- 
jets en  or  de  peu  de  prix.  Nos  soldats  les  achetèrent.  Cet  or  dont  nous 
faisions  ainsi  l'acquisition,  nous  le  donnions  à  nos  matelots  qui  al- 
laient à  la  pêche  et  nous  fournissaient  du  poisson  en  échange,  pour 
assurer  notre  subsistance;  car,  sans  cela,  nous  nous  serions  trouvés 
en  complète  disette.  Gortès  se  réjouissait  en  voyant  ce  trafic  et  faisait 
semblant  de  ne  pas  l'apercevoir;  mais  quelques  familiers  de  Diego 
Velasquez  venaient  attirer  son  attention  en  lui  reprochant  de  fermer 
les  yeux  sur  cette  conduite.  Ce  qui  arriva  à  ce  sujet,  je  le  dirai  dans 
la  suite  du  récit. 


CHAPITRE  XLÏ 

(le  que  l'on  lit  au  sujet  du  trafic  de  l'or,  et  autres  choses  qui  arrivèrent 

dans  le  campement. 

Quelques  amis  de  Diego  Velasquez,  gouverneur  de  Cuba,  s'étant 
aperçus  que  plusieurs  soldats  se  livraient  au  trafic  de  l'or,  en  averti- 
rent Gortès  en  lui  demandant  pourquoi  il  y  donnait  son  consente- 
ment, et  en  lui  faisant  observer  que  Diego  Velasquez  ne  les  avait  pas 
envoyés  en  expédition  pour  que  la  plus  grande  partie  de  l'or  tombât 
entre  les  mains  des  soldats.  Ils  ajoutaient  qu'il  serait  bien  de  publier 
un  ordre  du  jour  qui  défendît  d'en  acheter  à  l'avenir  autrement  que 
par  ordre  de  Gortès  lui-même,  et  qui  obligeât  à  présenter  tout  celui 
qui  était  déjà  acquis,  afin  qu'on  pût  y  faire  le  prélèvement  du  quint 
royal;  que,  du  reste,  on  nommât  une  personne  qui  remplît  à  ce  sujet 
la  charge  de  trésorier.  Gortès  répondit  à  tout  que  c'était  fort  bien  et 
que  ce  seraient  eux  qui  nommeraient  la  personne  dont  il  était  ques- 
tion. On  convint  donc  que  le  choix  tomberait  sur  un  nommé  Gronzalo 
Mexia,  et,  cela  fait,  Gortès  leur  dit  d'un  air  un  peu  contrarié  :  «  Re- 
marquez, senores,  que  nos  camarades  souffrent  beaucoup  du  manque 
de  subsistances;  c'est  pour  cela  qu'il  eût  été  bon  de  fermer  les  yeux, 
afin  que  tout  le  monde  pût  manger.  Au  surplus,  ce  qu'ils  achètent 
est  une  misère;  Dieu  aidant,  nous  en  aurons  un  jour  bien  davantage, 
car  il  y  a  en  toutes  choses  la  face  et  l'envers.  J'ai  fait  publier  l'ordre 


94  CONQUÊTE 

de  ne  plus  trafiquer  sur  l'or  :  c'est  ce  que  vous  avez  voulu;  nous  ver- 
rons bien  ce  que  nous  mangerons  à  l'avenir.  » 

C'est  ici  que  le  chroniqueur  Gomara  dit  que  Cortès  se  conduisit 
ainsi  pour  faire  croire  à  Montezuma  que  l'or  n'excitait  nullement  no- 
tre envie.  Il  fut  mal  informé,  car,  depuis  les  événements  de  Grijafva 
dans  le  fleuve  Banderas,  Montezuma  savait  au  juste  la  vérité.  Au  sur- 
plus, il  vit  Lien  que  nous  lui  demandâmes  le  casque  rempli  de  grains 
d'or  provenant  des  mines,  et  il  ne  pouvait  ignorer  les  achats  que 
nous  avions  faits.  Ce  ne  sont  pas  d'ailleurs  les  fins  Mexicains  qui  au- 
raient pu  ne  pas  le  comprendre.  Mais  laissons  tout  cela,  puisque  Go- 
mara avoue  qu'il  ne  le  sait  que  par  ouï-dire.  Disons  plutôt  comme 
quoi  un  matin  nous  nous  aperçûmes  qu'il  n'y  avait  plus  aucun  Indien 
dans  les  cabanes,  ni  ceux  qui  nous  apportaient  à  manger,  ni  les  tra- 
fiquants qui  nous  vendaient  de  l'or.  Pitalpitoque  lui-même  avait  fait 
comme  les  autres,  et  c'est  sans  dire  mot  que  tous  avaient  pris  la  fuite. 
Nous  sûmes  plus  tard  que  Montezuma  leur  en  avait  fait  donner  l'ordre, 
afin  qu'ils  n'eussent  plus  de  conférences  avec  Gortès  ou  avec  ceux 
qui  l'accompagnaient,  car  il  paraît  que  Montezuma,  par  suite  de  la 
grande  dévotion  qu'il  avait  pour  ses  idoles  appelées  Tezcatepuca  et 
Huichilobos1  (celui-ci  était  le  dieu  de  la  guerre,  celui-là  le  dieu  des 
enfers),  leur  sacrifiait  tous  les  jours  de  jeunes  enfants  pour  obtenir 
l'inspiration  de  ce  qui  devait  être  fait  à  notre  sujet.  Il  en  était  déjà 
arrivé  à  la  pensée  que,  si  nous  tardions  à  nous  embarquer,  il  devrait 
s'emparer  de  nous,  pour  propager  notre  race,  et  en  même  temps 
pour  en  destiner  quelques-uns  à  ses  sacrifices.  Nous  avons  su  aussi 
qu'il  lui  fut  répondu  par  ses  idoles  qu'il  n'eût  point  d'entrevue  avec 
Gortès,  qu'il  n'écoutât  point  ses  messages,  qu'il  n'admît  nullement  la 
croix  et  qu'on  n'apportât  pas  dans  la  ville  l'image  de  Notre  Dame. 

Ce  fut  pour  ces  raisons  que  les  Indiens  de  notre  campement  prirent 
la  fuite  sans  nous  parler.  Lorsque  nous  nous  en  aperçûmes,  nous 
tombâmes  dans  la  croyance  qu'ils  se  proposaient  de  nous  attaquer, 
et  nous  nous  mîmes  plus  que  jamais  sur  nos  gardes.  Or,  un  jour, 
tandis  que  j'étais  avec  un  autre  soldat  en  sentinelle  avancée  sur  un 
monticule  de  sable,  nous  vîmes  venir  cinq  Indiens  par  la  plage.  Ne 
voulant  pas  causer  une  alarme  au  quartier  royal,  nous  les  laissâmes 
s'avancer  jusqu'à  nous.  Ils  nous  firent  leurs  révérences  accoutumées 
en  nous  présentant  de  joyeux  visages  et  en  nous  priant  de  les  con- 
duire au  campement.  Je  chargeai  donc  mon  camarade  de  garder  le 
poste,  tandis  que  je  m'en  irais  aVeC  eux;  car  alors  je  n'avais  pas  les 
pieds  alourdis  comme  aujourd'hui  que  je  suis  vieux.  Quand  ils  arri- 
vèrent devant  Gortès,  ils  le  traitèrent  avec  grand  respect  en  lui  di- 
sant :  LopeluciOj  Lopeluclo,  Ce  qui  veut  dire  en  langue  totonaque  : 

h  Disons  :  Texcatlipoca  et  Iluitzilopochtli;  afin  de  donner  la  véritable  orthographe. 


DE  LA  NOUVELLE-ESPAGNE.  95 

Seigneur  et  grand  SeigneUr.  Ils  avaient  deux  grands  trous  dans  la 
lèvre  inférieure  avec  deux  pendants  en  pierre  veinée  de  bleu;  quel- 
ques-uns de  ces  ornements  étaient  en  feuilles  d'or  très-amincies.  Ils 
avaient  aussi  de  grands  trous  aux  oreilles,  portant  d'autres  pendants 
en  or  et  en  pierres  précieuses.  Leur  costume  et  leur  langage  étaient 
bien  différents  de  ceux  des  Mexicains  que  Montezuma  nous  avait  en- 
voyés ou  qui  étaient  restés  avec  nous  dans  le  camp.  Or  dona  Marina 
et  Aguilar,  nos  interprètes,  ayant  entendu  l'expression  :  Lopelucio, 
ne  la  comprirent  nullement.  Dona  Marina  leur  demanda  en  langue 
mexicaine  s'il  y  avait  parmi  eux  des  naeyavatos,  qui  sont  les  inter- 
prètes de  cette  langue.  Deux  d'entre  eux  répondirent  affirmativement 
et  dirent  tout  de  suite  en  langue  mexicaine  que  nous  fussions  les  bien- 
venus, que  leur  maître  les  avait  envoyés  pour  savoir  qui  nous  étions, 
les  assurant  qu'il  se  réjouirait  de  rendre  service  à  des  hommes  si  va- 
leureux que  nous.  Il  paraît  qu'il  était  instruit  de  nos  aventures  à  Ta- 
basco  et  à  Potonchan.  Ils  ajoutèrent  qu'ils  seraient  déjà  venus  nous 
voir,  n'eut  été  la  crainte  que  leur  inspiraient  les  gens  de  Gulua  qu'ils 
supposaient  être  avec  nous  (par  Culuans  on  doit  entendre  Mexicains; 
c'est  comme  si  nous  disions  Gordouans  ou  citadins1);  et  que  depuis 
trois  jours  ils  étaient  retournés  à  leur  ville. 

Ge  fut  ainsi  que,  de  paroles  en  paroles,  Gortès  apprit  que  Montezuma 
avait  des  ennemis  et  des  gens  qui  lui  étaient  contraires,  ce  qui  lui 
causa  de  la  satisfaction.  Il  donna  congé  à  ces  cinq  messagers,  en  leur 
faisant  des  présents,  avec  de  grandes  démonstrations  affectueuses,  et 
il  les  pria  de  dire  à  leur  seigneur  qu'il  ne  tarderait  pas  à  lui  faire 
visite.  A  partir  de  ce  moment,  nous  appelâmes  ces  Indiens  :  les 
Lopelucios. 

Je  les  laisserai  là  et,  pour  continuer,  nous  dirons  que  sur  les  sables 
où  nous  nous  étions  établis  il  y  avait  constamment  beaucoup  de 
moustiques  zancudos,  semblables  à  une  petite  espèce  qu'on  appelle 
xexenes,  pires  que  les  grands  et  qui  nous  empêchaient  de  dormir. 
Nous  n'avions  plus  de  provisions;  outre  que  la  cassave  diminuait, 
elle  était  pleine  de  moisissures.  Au  surplus,  quelques-uns  de  nos  sol- 
dats, qui  possédaient  des  Indiens  dans  l'île  de  Cuba,  soupiraient  pour 
le  retour  au  domicile.  Les  favoris  de  Diego  Yelasquez  étaient  surtout 
dans  ce  cas.  Gortès,  voyant  que  les  choses  et  les  esprits  arrivaient  à 
ces  extrémités,  donna  l'ordre  de  partir  pour  le  village  que  Montejo 
et  le  pilote  Alaminos  avaient  découvert  :  celui-là  même  qui  avait 
l'aspect  d'une  forteresse,  qui  portait  le   nom  de  Quiavistlan  et  où, 

1.  Le  texte  espagnol  dit  :  Cordovcses  o  villanos.  Cela  pourrait  vouloir  dire  :  l°Cor- 
douans  ou  vilaines  gens;  2°  Gordouans  ou  villageois;  3"  dans  l'esprit  de  tt.  Diaz,  vil- 
lano  pourrait  signifier  «  habitant  de  villa  »,  quoique  le  mot  ne  s'emploie  point  en 
ce  sens  dans  le  langage  moderne.  On  devrait  alors  le  traduire  par  «  citadin  ».  Toutes 
réflexions  faites,  j'ai  cru  devoir  adopter  cette  version* 


96  CONQUÊTE 

nous  assurait-on,  les  navires  seraient  abrités  des  vents  par  le  monti- 
cule dont  j'ai  parlé. 

Or,  pendant  qu'on  préparait  le  départ,  les  amis,  les  parents  et  les 
familiers  de  Diego  Yelasquez  demandèrent  à  Gortès  pourquoi  il  vou- 
lait entreprendre  ce  voyage  sans  provisions  et  sans  être  dans  la  pos- 
sibilité d'aller  plus  avant,  puisqu'environ  trente-cinq  soldats  étaient 
déjà  morts  dans  ce  camp  de  blessures  reçues  à  Tabasco,  de  faim  et 
de  maladies  ;  que  ce  pays  était  fort  étendu,  les  centres  de  population 
fort  habités,  et  que,  certainement,  on  nous  y  ferait  un  jour  la  guerre; 
qu'il  serait  préférable  de  revenir  à  Cuba,  pour  rendre  compte  à  Diego 
Velasquez  de  la  quantité  d'or,  déjà  considérable,  que  l'on  avait  acquise, 
ainsi  que  des  riches  présents  de  Montezuma  :  ce  grand  soleil  en  or, 
cette  lune  d'argent,  ce  casque  rempli  d'or  retiré  des  mines,  et  toutes 
ces  joailleries  et  étoffes  dont  j'ai  précédemment  parlé.  Cortès  leur  ré- 
pondit qu'il  ne  pouvait  juger  bon  ce  conseil  de  revenir  sans  avoir 
vu;  que  jusque-là  nous  ne  pouvions  point  nous  plaindre  de  la  fortune; 
que  c'était  le  cas,  au  contraire,  de  rendre  grâces  à  Dieu  qui  nous  ai- 
dait en  toutes  choses;  pour  ce  qui  regarde  ceux  qui  sont  morts,  que 
c'est  là  chose  vulgaire  en  fait  de  guerre  et  de  fatigue;  qu'il  serait  bon 
de  savoir  ce  que  ce  pays  renferme,  et  qu'en  attendant,  ou  bien  nos 
mains  auraient  perdu  leur  vigueur,  ou  bien  nous  trouverions  des 
moyens  de  ne  pas  mourir  de  faim  dans  le  maïs  que  possédaient  les 
Indiens  et  les  villages  voisins.  Le  parti  de  Diego  Velasquez  s'apaisa 
quelque  peu  avec  cette  réponse  ;  pas  beaucoup  cependant,  parce  qu'il 
y  avait  dans  le  camp  des  réunions  et  des  conférences  pour  obtenir 
le  retour  à  Cuba.  Mais  je  m'arrêterai  là  et  je  dirai  ce  qui  advint  en- 
core. 


CHAPITRE  XLII 


Comme  quoi  nous  proclamâmes  Fernand  Cortès  capitaine  général  et  grand 
justicier,  jusqu'à  ce  que  Sa  Majesté  en  jugeât  comme  bon  lui  semblerait.  De  ce 
qu'on  fit  à  ce  sujet. 

J'ai  déjà  dit  que  dans  notre  campement  les  parents  et  amis  de 
Diego  Yelasquez  prétendaient  mettre  obstacle  au  départ  en  avant,  et 
voulaient  que  de  Saint-Jean-d'Uloa  nous  prissions  la  route  de  l'île  de 
Cuba.  Mais  il  parait  que  déjà  Gortès  était  en  pourparlers  avec  Alonso 
Hernandez  Puertocarrero,  avec  Pedro  de  Alvarado  et  ses  quatre  frères 
Jorge,  Gonzalo,  Gomez  et  Juan,  tous  des  Alvarado;  avec  Christoval 
de  Oli,  Alonso  de  Avila,  Juan  de  Escalante,  Francisco  de  Lugo,  avec 
moi  et  avec  d'autres  caballeros  et  capitaines,  pour  le  proclamer  notre 
commandant  en  chef.  Francisco  de  Montejo  le  comprit  fort  bien,  et 


DE  LA  NOUVELLE-ESPAGNE.  97 

il  était  aux  aguets.  Or,  un  soir,  vers  minuit,  je  vis  venir  dans  ma  ca- 
bane Alonso  Hernandez  Puertocarrero,  Juan  de  Escalante  et  Francisco 
de  Lugo  qui  était  un  peu  mon  parent  et  tout  à  fait  de  mon  pays.  Ils 
me  dirent  :  «  Senor  Bernai  Diaz  del  Gastillo,  venez  ici  avec  vos  ar- 
mes, nous  ferons  un  tour  avec  Gortès  qui  fait  sa  ronde.  »  Et,  quand 
je  fus  sorti  de  ma  cabane,  ils  ajoutèrent  :  «  Attention,  senor,  conser- 
vez bien  le  secret  de  ce  que  nous  allons  vous  dire,  quoique  ce  soit 
un  peu  lourd  à  porter,  et  faisons  en  sorte  que  ne  puissent  nous  en- 
tendre vos  camarades  de  chambrée  qui  sont  partisans  de  Diego  Ve- 
lasquez....  Vous  paraît-il  juste  que  Fernand  Gortès  nous  ait  ainsi 
tous  trompés,  lorsqu'il  fit  publier  dans  l'île  de  Cuba  que  nous  venions 
ici  pour  coloniser,  tandis  qu'à  présent  il  arrive  à  notre  connaissance 
qu'il  n'a  pas  de  pouvoirs  pour  cela,  mais  uniquement  pour  acquérir 
de  l'or?  Voilà  que  maintenant  ils  veulent  retourner  à  Cuba  avec  tout 
l'or  que  nous  avons  recueilli,  et  nous  tous  serons  dupés,  et  le  Diego 
Velasquez  prendra  pour  lui  l'or  tout  entier  comme  l'autre  fois.  Veuillez 
vous  rappeler,  camarade,  qu'en  comptant  ce  voyage,  vous  êtes  déjà 
venu  trois  fois;  vous  avez  dépensé  votre  avoir  et  vous  vous  êtes  cou- 
vert de  dettes,  mettant  en  péril  votre  vie,  ainsi  que  l'attestent  tant 
de  blessures  que  vous  portez.  Nous  divulguerons  cette  trame  pour 
empêcher  qu'elle  aboutisse;  nous  sommes  déjà  plusieurs  en  bon  ac- 
cord, et  tous  de  vos  amis,  pour  obtenir  que  ce  pays  se  colonise  au 
nom  de  Sa  Majesté  et,  pour  Elle,  au  nom  de  Fernand  Gortès,  avec  la 
résolution  de  le  faire  savoir  à  notre  seigneur  et  Roi,  en  Gastille,  aus- 
sitôt que  nous  en  aurons  la  possibilité  ;  or,  prenez  soin,  camarade, 
de  donner  votre  voix,  afin  d'élire  unanimement  Gortès  pour  notre 
capitaine,  en  considérant  que  c'est  un  service  à  rendre  à  Dieu  et  à 
notre  seigneur  et  Roi.  »  Je  répondis  que  le  retour  à  Cuba  n'était  pas 
une  mesure  judicieuse  ;  qu'il  serait  bon  de  coloniser  ce  pays  et  d'élire 
Gortès  pour  capitaine  général  et  grand  justicier,  jusqu'à  ce  que  Sa 
Majesté  en  disposât  d'autre  sorte. 

Mais  comme  ce  complot  passait  d'un  soldat  à  l'autre,  il  arriva  à  la 
connaissance  des  parents  et  amis  de  Diego  Velasquez,  qui  étaient  plus 
nombreux  que  nous  et  qui  demandèrent  à  Gortès,  en  termes  peu  me- 
surés, pourquoi  il  employait  la  ruse  pour  rester  dans  ce  pays,  sans 
aller  rendre  compte  à  qui  l'avait  élu  pour  son  capitaine;  que  Diego 
Velasquez  ne  l'approuverait  nullement;  qu'il  fallait  s'embarquer  sans 
retard;  qu'il  ne  continuât  point  à  employer  des  détours  et  à  faire  des 
secrets  avec  les  soldats,  attendu  qu'il  n'avait  plus  de  provisions,  ni 
assez  de  monde,  ni  la  possibilité  de  coloniser.  Gortès  leur  répondit, 
sans  paraître  aucunement  fâché,  que  tout  cela  lui  plaisait  fort,  qu  il 
ne  ferait  rien  de  contraire  aux  instructions  et  aux  notes  du  senor 
Diego  Velasquez;  et,  tout  de  suite,  il  fit  mettre  à  l'ordre  du  jour  que 
nous  eussions  tous  à  nous  embarquer  le  lendemain,  chacun  dans  le 

7 


98  CONQUÊTE 

navire  sur  lequel  il  était  venu.  Mais  nous  qui  étions  dans  le  complot, 
nous  lui  répondîmes  que  ce  n'était  pas  bien  de  nous  avoir  ainsi  trom- 
pés; qu'il  avait  proclamé  à  Cuba  que  nous  venions  pour  colo- 
niser, et  que  maintenant  il  se  contentait  de  trafiquer  sur  l'or;  mais 
que  nous  le  requérions,  par  Dieu  notre  Seigneur  et  au  nom  de  Sa 
Majesté,  de  fonder  la  colonie  et  de  ne  prendre  aucune  autre  mesure, 
parce  que  c'était  cela  qui  convenait  au  service  de  Dieu  et  de  Sa  Ma- 
jesté. On  lui  dit  encore  en  très-bons  termes  plusieurs  choses  à  ce 
sujet,  et  surtout,  que  les  naturels  ne  nous  laisseraient  plus  débar- 
quer à  l'avenir  comme  aujourd'hui;  que  si  nous  colonisions  dès  main- 
tenant, des  soldats  ne  manqueraient  pas  de  venir  de  toutes  les  îles 
pour  nous  aider;  que  Velasquez  nous  avait  trompés  en  publiant  qu'il 
avait  des  pouvoirs  de  Sa  Majesté  pour  coloniser  en  son  nom,  tandis 
que  c'était  faux;  mais  que  maintenant  c'était  nous  autres  qui  préten- 
dions rester;  que  s'en  retournât  qui  voudrait  à  Cuba!  Ce  fut  cet  avis 
que  Gortès  accepta,  à  la  vérité  en  se  faisant  beaucoup  prier,  agissant 
comme  dit  le  proverbe  :  «  Toi,  tu  m'en  pries,  et  moi  je  le  veux.  » 
Mais  il  mit  la  condition  que  nous  le  nommerions  grand  justicier  et 
capitaine  général.  Le  pire  fut  que  nous  lui  concédâmes  la  cinquième 
part  de  l'or  restant,  après  soustraction  faite  du  quint  du  Roi.  Nous 
lui  attribuâmes,  en  outre,  par-devant  le  notaire  royal  Diego  de  Crodoy, 
les  pouvoirs  les  plus  amples  pour  tout  ce  que  j'ai  déjà  dit. 

L'ordre  fut  donné  immédiatement  de  fonder  et  peupler  une  ville 
que  nous  nommâmes  la  Villa  Rica  de  la  Yera  Gruz  :  Vera  Cruz, 
parce  que  nous  étions  arrivés  le  jour  de  la  Gène  et  avions  débarqué 
le  vendredi  saint  de  la  croix,  et  Rica  en  souvenir  de  ce  qu'avait  dit  à 
Gortès  ce  caballero  dont  j'ai  parlé  dans  un  autre  chapitre  :  «  Voyez  ce 
riche  pays  et  sachez  vous  y  bien  conduire  »;  ce  qui  signifiait  qu'il 
sût  s'y  établir  en  qualité  de  capitaine  général.  L'auteur  de  ce  conseil 
était  Alonso  Hernandez  Puertocarrero.  Reprenons  notre  récit.  La  ville 
de  Vera  Gruz  étant  décrétée,  nous  songeâmes  à  faire  les  alcaldes  et 
les  regidores1.  Les  premiers  alcaldes  furent  Alonso  Hernandez  Puer- 
tocarrero et  Francisco  de  Montejo.  Ce  dernier  fut  choisi  précisément 
parce  qu'il  n'était  pas  au  mieux  avec  Gortès,  afin  que,  malgré  cela, 
il  parût  le  seconder  dans  l'emploi  le  plus  élevé.  Quant  aux  regidores, 
je  n'en  ferai  pas  mention,  parce  que  cela  n'importe  pas  à  mon  sujet; 
mais  je  dois  dire  qu'on  plaça  un  pilori  sur  la  place  publique  et  une 
potence  hors  de  la  ville.  On  élut  Pedro  de  Alvarado  capitaine  d'expé- 
ditions; on  nomma  Ghristoval  de  Oli  mestre  de  camp,  Juan  de  Esca- 
lante  alguazil  mayor 2,  Gronzalo  Mexia  trésorier,  Alonso  de  Avila  com- 

1.  Rcgidor.  Alcalde.  Ces  deux  titres  servent  à  désigner  les  fonctions  municipales. 
Les  droits  y  afférents  ont  varié  avec  les  divers  régimes  politiques.  Au  temps  dont 
il  est  question  dans  ce  livre,  c'était  une  magistrature  hautement  importante. 

2;  Alguazil.  Ce  mot  sert  h  designer  l'individu  qui  possède  une  charge  do  police  su- 


DE  LA  NOUVELLE-ESPAGNE.  99 

missaire,  et  un  certain  Corral  alfcrez,  parce  que  Villareal,  qui  avait 
occupé  cette  place,  avait  eu  je  ne  sais  quel  démêlé  avec  Gortès  au 
sujet  d'une  Indienne  de  Cuba,  ce  qui  lui  fit  enlever  cet  emploi.  On 
nomma  le  Basque  Ochoa  alguazil  du  quartier  royal,  emploi  qui  fut 
également  attribué  à  Alonso  Romero. 

On  me  demandera  pourquoi,  dans  cette  répartition  de  places,  on 
ne  voit  point  figurer  le  capitaine  Gonzalo  de  Sandoval,  puisque  ce  fut 
un  chef  si  renommé,  au  point  d'être  réputé  comme  étant  le  second 
après  Gortès  ;  homme  considérable,  du  reste,  qui  acquit  un  grand 
crédit  auprès  de  l'Empereur  notre  maître.  A  cela,  je  réponds  que, 
comme  il  était  alors  fort  jeune,  on  n'en  fit  pas  précisément  grand 
cas,  quoique  plus  tard  nous  le  vîmes  grandir  de  telle  manière,  que 
Gortès  et  nous  tous  l'estimions  à  l'égal  de  notre  capitaine  général, 
ainsi  qu'on  le  verra  par  la  suite. 

Je  laisserai  là  ma  relation  pour  dire  que  le  chroniqueur  Gomara 
avoue  qu'il  ne  sait  que  par  ouï-dire  tout  ce  qu'il  a  écrit.  Or,  ce  que 
je  viens  de  conter  s'est  réellement  passé  comme  je  l'ai  dit.  On  l'a 
donc  mal  informé  dans  les  choses  qu'il  raconte.  Au  surplus,  pour 
paraître  plus  vrai  et  plus  conséquent  avec  lui-même,  dans  tout  ce 
qu'il  a  conté  de  ces  événements,  il  ne  dit  rien  qui  ne  soit  le  rebours 
de  la  vérité;  c'est  tout  ce  qu'il  obtient  de  sa  belle  rhétorique  en  l'art 
d'écrire.  Laissons  tout  cela,  afin  de  dire  ce  que  firent  les  partisans  de 
Diego  Velasquez,  pour  empêcher  que  Gortès  fût  élu  et  pour  obtenir 
le  retour  à  l'île  de  Cuba. 


CHAPITRE  XLIII 


Comme  quoi  les  partisans  de  Diego  Velasquez   contrariaient  les  pouvoirs  que  nous 
avions  donnés  à  Gortès.  Ce  que  l'on  fit  à  ce  sujet. 

Lorsque  les  partisans  de  Diego  Velasquez  virent  que  nous  avions 
élu  définitivement  Gortès  pour  capitaine  général  et  grand  justicier, 
donné  un  nom  à  la  ville  nouvelle,  nommé  les  alcaldes  et  les  regidores, 
fait  Pedro  de  Alvarado  capitaine,  choisi  l'alguazil  mayor  et  le  mestre 
de  camp...,  ils  furent  pris  d'une  telle  colère  qu'ils  se  mirent  à  for- 
mer des  cabales  et  à  proférer  des  paroles  peu  mesurées  contre  Gortès 
et  contre  nous  tous  qui  l'avions  élu,  disant  qu'on  avait  fort  mal  fait 
d'agir  ainsi  sans  en  informer  tous  les  capitaines  et  soldats  compo- 
sant l'armée;  que  de  pareils  pouvoirs  n'avaient  pas  été  conférés  par 

périeure.  Valguazil  mayor  était  l'équivalent  approché  de  nos  préfets  de  celte  brandir 
administrative,  ou  des  prévôts  de  nos  armées. 


100  CONQUÊTE 

Diego  Velasquez,  qui  s'était  borné  à  ordonner  l'achat  de  l'or.  Il  en 
résulta  que  nous  tous,  les  partisans  de  Cortès,  nous  avions  fort  à  faire 
pour  empêcher  que  les  choses  fussent  plus  loin  et  qu'on  en  vînt  aux 
mains.  Ce  fut  alors  que  Gortès  pria  secrètement  Juan  de  Escalante  de 
faire  en  sorte  qu'on  l'obligeât  à  montrer  les  instructions  qu'il  tenait 
de  Diego  Yelasquez;  ce  qui  fit  que  Gortès  les  retira  de  dessous  les 
vêtements  qui  couvraient  sa  poitrine  et  les  donna  à  un  notaire  du  Roi 
pour  qu'il  en  fît  la  lecture.  Or,  il  y  était  dit  :  «  Quand  vous  aurez 
acheté  le  plus  d'or  que  vous  pourrez,  vous  vous  en  retournerez.  »  Gela 
se  trouvait  signé  par  Diego  Velasquez,  avec  le  contre-seing  de  son 
secrétaire  Andrès  de  Duero.  Nous  priâmes  Gortès  de  joindre  cette 
pièce  à  celle  qui  contenait  ses  pouvoirs  reçus  de  nous  ;  nous  en  fîmes 
autant  pour  la  constatation  de  ce  qu'il  avait  publié  dans  l'île  de 
Cuba.  Nous  en  agîmes  ainsi  afin  que  Sa  Majesté  sût  en  Espagne  que 
tout  ce  que  nous  faisions,  c'était  bien  pour  son  royal  service,  et  pour 
empêcher  qu'on  inventât  des  bruits  contraires  à  la  vérité.  Ce  fut  cer- 
tainement une  bonne  mesure;  on  n'en  doutera  pas,  si  l'on  considère 
la  manière  dont  nous  traitait  en  Gastille  don  Juan  Rodriguez  de  Fon- 
seca,  évêque  de  Rurgos,  archevêque  deRosano,  qui  se  démenait  beau 
coup  pour  nous  nuire,  et  cela  parce  qu'il  était  mal  informé,  comme 
j'aurai  occasion  de  le  dire  plus  loin. 

Après  tout  cela,  les  amis  de  Diego  Velasquez  recommencèrent  à 
dire  que  ce  n'était  pas  bien  d'avoir  élu  Gortès  sans  leur  aveu,  qu'ils 
ne  voulaient  point  se  trouver  sous  son  commandement,  mais  bien 
retourner  à  l'île  de  Cuba.  Gortès  leur  répondit  qu'il  ne  retenait  per- 
sonne par  force,  qu'il  donnerait  son  congé  très-volontiers  à  quiconque 
le  lui  demanderait,  dût-il  lui-même  rester  tout,  seul.  Ces  paroles 
apaisèrent  quelques-uns  d'entre  eux,  mais  pas  Juan  Velasquez  de 
Léon,  qui  était  parent  de  Diego  Velasquez,  ni  Diego  de  Ordas,  ni 
Escobar,  que  nous  appelions  le  Page  parce  qu'il  avait  été  au  service 
de  Diego  Velasquez,  ni  Pedro  Escudero,  ni  quelques  autres  amis  de 
Diego  Velasquez.  Les  choses  en  vinrent  au  point  qu'ils  ne  voulaient 
plus  lui  obéir  en  aucune  façon.  Gortès  alors,  avec  notre  assentiment, 
prit  la  résolution  de  faire  arrêter  Juan  Velasquez  de  Léon,  Diego  de 
Ordas,  Escobar  le  Page,  Pedro  Escudero  et  quelques-uns  encore  dont 
je  n'ai  pas  gardé  le  souvenir.  Nous  avions  l'œil  ouvert  sur  les  autres 
à  cause  du  bruit  que  cela  pourrait  produire  ;  aussi  prit-on  la  mesure 
de  charger  de  chaînes  les  prisonniers,  et  quelquefois  même  on  les  faisait 
garder  à  vue.  Je  poursuivrai  le  lil  de  mon  récit  en  disant  comme  quoi 
Pedro  de  Alvarado  partit  pour  un  village  situé  non  loin  du  campe- 
ment. C'est  ici  que  le  chroniqueur  G-omara  dit,  en  son  histoire,  le  con- 
traire de  ce  qui  arriva.  Quiconque  lira  son  récit  verra  qu'il  s'excède 
en  parlant.  Au  fait,  si  on  l'eût  bien  informé  il  eût  dit  la  vérité;  mais 
tout  ne  fut  que  mensonges. 


DE   LA   NOUVELLE-ESPAGNE.  101 


CHAPITRE  XL1V 


Comme  quoi  on  prit  la  mesure  d'envoyer  Pedro  de  Alvarado  vers  l'intérieur  du  paya 
pour  chercher  du  mais  et  des  provisions.  Ce  qui  arriva  encore. 

Lorsque  nous  eûmes  fait  et  ordonné  ce  que  je  viens  de  dire,  nous 
convînmes  que  Pedro  de  Alvarado  s'avancerait  vers  des  villages  que 
nous  savions  être  proches,  afin  de  reconnaître  ce  qu'ils  étaient,  et 
pour  rapporter  du  maïs  avec  d'autres  provisions,  parce  que  nous  souf- 
frions beaucoup  de  privations  dans  notre  camp.  Il  emmena  cent  sol- 
dats, dont  quinze  arbalétriers  et  six  fusiliers.  Or,  plus  de  la  moitié 
de  ces  soldats  étaient  des  partisans  de  Diego  Velasquez,  tandis  que 
nous  qui  restâmes  avec  Gortès  étions  tous  de  son  parti.  On  prit  cette 
mesure  par  suite  de  la  crainte  de  quelques  troubles  ou  d'un  soulève- 
ment contre  notre  chef,  et  l'on  crut  qu'il  serait  utile  de  suivre  une 
conduite  prudente,  jusqu'à  ce  que  les  esprits  fussent  plus  tranquilles. 
Alvarado  visita  de  petits  villages  soumis  à  un  bourg  plus  grand  ap- 
pelé Gostastlan,  appartenant  aux  pays  où  l'on  parle  la  langue  de  Gulua. 
(On  emploie  là  le  mot  de  Gulua  comme  nous  dirions  en  Espagne  :  les 
idiomes  romans)1.  C'est  la  langue  de  tout  l'empire  de  Mexico  et  de 


1.  Romanos  hallados.  La  première  édition  de  Bernai  Diaz,  imprimée  en  Espagne 
en  1632  et  exécutée  sans  aucun  luxe  typographique,  comme  c'était  du  reste  naturel  au 
commencement  du  dix-septième  siècle,  m'a  paru  très-estimable  au  point  de  vue  de  la 
correction.  Ce  n'est  point  dire  qu'on  n'y  remarque  aucune  faute;  je  crois  même  qu'il 
y  en  a  quelques-unes  assez  malheureuses  pour  laisser  au  lecteur  la  pensée  d'un  sens 
différent  peut-être  de  celui  de  l'auteur.  Dans  certains  endroits  du  livre,  il  existe  quel- 
ques membres  de  phrases  qui  me  paraîtraient  incompréhensibles  si  l'on  n'admettait 
qu'il  s'y  est  glissé  une  erreur  de  typographie.  Ainsi,  par  exemple,  dans  ce  passage,  on 
lit  ce  qui  suit  :  Y  de  esta  mariera  fué  et  Alvarado  à  unos  pueblos  pequenos,sujelos 
de  otro  pueblo ,  que  se  decia  Costastlan.  que  era  de  lengua  de  Culua  ;  y  este  nombre 
de  Culua  es  en  aquella  tierra,  como  si  dixesen  los  Romanos  hallados  :  asi  es  toda 
la  lengua  delà  par  cialidad  de  Mexico,  y  de  Montezuma.  La  traduction  obligée  de 
ce  passage  me  paraît  devoir  être  la  suivante  :  «  Alvarado  visita  de  petits  villages  soumis 
à  un  bourg  appelé  Costastlan,  appartenant  aux  pays  où  l'on  parle  la  langue  de  Culua. 
Cette  dénomination  de  Culua,  c'est  comme  si  l'on  disait  :  les  Romains  rencontrés.  C'est 
la  langue  de  tout  l'empire  de  Mexico  et  de  Montezuma.  »  Cette  comparaison  des  Romains 
rencontrés  ne  saurait  éveiller  l'idée  d'aucun  sens  applicable  au  cas  dont  il  s'agit,  et, 
quelque  effort  que  l'on  fasse  pour  donner  au  mot  hallados  une  interprétation  plus 
appropriée  au  sujet,  on  reste  dans  l'impossibilité  de  lui  trouver  un  sens  utile  à  ce 
passage.  On  ne  peut  donc  sortir  de  la  difficulté  qu'en  supposant  l'existence  d'une 
erreur  typographique,  d'une  véritable  coquille.  Ce  n'est  pas  hallados,  mais  ha  nia  do  s 
que  Castillo  a  mis  dans  son  manuscrit.  Los  Romanos  hablados  nous  permettrait  alors 
(en  prêtant  à  Bernai  Diaz  une  originalité  d'expression  qui  lui  est  propre)  de  traduire 
comme  il  suit  :  «  ....appartenant  aux  pays  où  l'on  parle  la  langue  de  Culua  Cette 
dénomination  de  Culua,  c'est  comme  si  l'on  disait  chez  nous  :  les  parkrs  romans. 
C'est  du  reste  la  langue  de  tout  l'empire  de  Mexico  et  de  Montezuma.  »  Si  ma  pensée 


102  CONQUÊTE 

Montezuma.  Aussi  lorsque  dans  ce  pays  il  est  question  de  Culuans, 
on  désigne  les  vassaux  et  les  sujets  de  Mexico,  et  c'est  ainsi  que  nous 
devons  le  comprendre.  Lorsque  Pedro  de  Alvarado  arriva  aux  villages, 
il  trouva  que  la  population  les  avait  abandonnés  ce  jour-là  même. 
Des  hommes  et  de  petits  enfants  se  voyaient  sacrifiés  dans  les  eues; 
les  murs  et  les  autels  des  idoles  dégouttaient  de  sang,  et  les  cœurs 
de  ces  malheureux  étaient  là  en  offrande  aux  pieds  des  idoles.  Ils  virent 
aussi  les  tables  en  pierre  sur  lesquelles  on  les  avait  sacrifiés,  ainsi 
que  les  grands  couteaux  d'obsidienne  qui  avaient  servi  à  ouvrir  leurs 
poitrines  pour  en  arracher  les  cœurs.  Pedro  de  Alvarado  nous  rap- 
porta qu'ils  avaient  trouvé  la  plupart  de  ces  corps  morts  privés  de 
bras  et  de  jambes  et  que  quelques  Indiens  leur  avaient  dit  que  ces 
membres  avaient  été  emportés  pour  servir  de  nourriture.  Nos  soldats 
furent  remplis  d'horreur  à  la  vue  et  au  récit  de  ces  grandes  cruautés. 
Mais  ne  parlons  plus  de  tant  de  sacrifices,  car  bientôt  et  désormais 
nous  ne  verrons  pas  autre  chose  dans  tous  les  lieux  habités. 

Revenons  à  Pedro  de  Alvarado.  Il  trouva  tous  ces  villages  parfaite- 
ment approvisionnés  de  vivres  et  si  dépourvus  d'habitants  qu'il  n'y 
put  trouver  que  deux  Indiens  qui  lui  portassent  son  maïs  ;  de  sorte 
qu'il  fut  obligé  de  faire  peser  sur  chaque  soldat  sa  charge  de  poules 
et  de  légumes.  Il  revint  au  camp  sans  infliger  aux  habitants  aucun 
autre  dommage,  quoiqu'il  eût  bien  trouvé  l'occasion  de  le  faire  ;  mais 
Gortès  lui  avait  donné  pour  ordre  sévère  de  ne  point  se  conduire 
comme  à  Gozumel.  Nous  nous  réjouîmes  dans  notre  campement  en 
voyant  ce  mince  approvisionnement,  car  toute  souffrance  et  toute  fa- 
tigue disparaissent  en  mangeant.  G'est  là  que  le  chroniqueur  Gomara 
dit  que  Gortès  s'avança  dans  le  pays  avec  quatre  cents  soldats.  On  l'a 
mal  informé;  le  premier  qui  en  explora  l'intérieur,  c'est  bien  celui 
que  je  viens  de  dire  et  pas  un  autre.  Gomme  Gortès  donnait,  du  reste, 
ses  soins  à  toutes  choses,  il  fit  en  sorte  de  se  créer  des  amitiés  chez 
les  partisans  de  Velasquez.  Il  sut  se  les  attirer  par  de  bonnes  pro- 
messes et  par  l'appât  de  l'or,  dont  la  puissance  renverserait  des  mon- 
tagnes. Il  les  retira  tous  de  prison,  à  l'exception  de  Juan  Velasquez 
de  Léon  et  de  Diego  de  Ordas,  qui  étaient  enchaînés  dans  les  navires. 
Mais,  au  bout  de  peu  de  jours,  il  les  fit  aussi  sortir  de  leur  cachot, 
et  il  eut  l'adresse  de  s'en  faire  d'excellents  et  vrais  amis  —  comme 
nous  le  verrons  par  la  suite,  —  et  cela  encore  avec  de  l'or,  qui  vient 
à  bout  de  tout. 

Nos  affaires  étant  ainsi  ordonnées,  nous  convînmes  que  nous  par- 
tirions pour  le  village  bâti  en  forteresse  appelé  Quiavistlan,  que  j'ai 
déjà  mentionné.  Les  navires  avaient  ordre  de  se  rendre  au  port  qui 


n'est  pas  juste,  je  ne  saurais  vraiment  quelle   interprétation  donner  aux  paroles  de 
I?.  Diaz,  qui,  telles  qu'elles  sont  dans  son  texte,  ne  me  paraissent  avoir  aucun  sens. 


DE  LA  NOUVELLE-ESPAGNE.  103 

se  trouve  en  face  et  à  environ  une  lieue  de  ce  village.  Je  me  rappelle 
que,  tandis  que  nous  naviguions  près  de  la  côte,  nous  tuâmes  un 
très-grand,  poisson  que  la  mer  avait  laissé  à  sec  sur  le  rivage.  Nous 
arrivâmes  à  l'embouchure  de  la  rivière  où  se  trouve  aujourd'hui  bâtie 
la  ville  de  Vera  Cruz1.  Les  eaux  étaient  très-profondes;  nous  les  tra- 
versâmes  sur   de   grosses  embarcations   en   mauvais  état  et  sur  des 
radeaux.  Quant  à  moi,  je  fis  cette  traversée  à  la  nage.  De  l'autre  côté 
du  fleuve  se  trouvaient  bâtis  des  villages  dépendant  d'une  ville  plus 
considérable  appelée  Gempoal;  c'est  de  là  qu'étaient  natifs  les  cinq 
Indiens  dont  les  lèvres  portaient  des  pendants,  et  qui  vinrent  en  qua- 
lité de  messagers  envoyés  à  Gortès,  ceux-là  mêmes  à  qui  nous  avions 
donné  dans  notre  campement  la  dénomination  de  Lopelucios.  Nous 
vîmes  dans  cette  ville   des  temples,  des  prêtres  préposés  aux  sacri- 
fices, du  sang  répandu,  de  l'encens  et  d'autres  objets  appropriés  aux 
idoles,  ainsi  que  les  pierres  sur  lesquelles  on  sacrifiait  les  victimes. 
Nous  y  vîmes  aussi  des  plumes  de  perroquet,  et  des  livres  formés 
avec  le  papier  du  pays,  plies  et  cousus  à  la  manière  de  nos  draps  de 
Gastille.  Mais  nous  ne  trouvâmes  là  aucun  Indien.  Ils  s'étaient  enfuis, 
parce  que,  n'ayant  jamais  vu  de  chevaux,  ni  d'hommes  comme  nous, 
ils  avaient  été  saisis  de  frayeur.  Nous  ne  trouvâmes  rien  à  manger 
pour  notre  souper.  Nous  nous  enfonçâmes  alors  dans  les  terres  vers 
le  couchant,  en  nous  éloignant  de  la  côte,  ignorant  absolument  le 
chemin  que  nous  suivions.  Nous  arrivâmes  sur  des  prairies  que  les 
habitants  appellent  savanes;  là  paissait  tranquillement  un  troupeau 
de  chevreuils.  Pedro  de  Alvarado  courut  sur  l'un  d'eux  avec  sa  jument 
alezane  et  lui  donna  un   coup  de  lance  qui  ne  l'empêcha  pas  de  se 
réfugier  dans  le  bois,  où  nous  ne  pûmes  aller  à  sa  recherche. 

Nous  en  étions  là,  lorsque  nous  vîmes  venir  douze  Indiens  habi- 
tants des  fermes  où  nous  avions  passé  la  nuit.  Par  suite  d'un  entre- 
tien qu'ils  avaient  eu  avec  leur  cacique,  ils  nous  apportaient  des 
poules  et  du  pain  de  maïs,  en  disant  à  Gortès,  au  moyen  de  nos  in- 

1.  On  trouvera  peut-être  quelque  confusion  relativement  au  lieu  de  fondation  de 
cette  ville.  C'est  que  la  place  choisie  a  été  double  dans  l'histoire  de  cette  cite;  on 
compte  la  vieille  et  la  nouvelle,  Vera  Cruz.  Nous  lisons  môme  dans  les  notes  de  Clavi- 
jero  (p.  222)  le  renseignement  qui  suit  : 

«  Quelques  historiens  se  sont  trompés  relativement  à  la  fondation  de  Vera  Cruz  ; 
car  ils  disent  que  la  première  colonie  des  Espagnols  a  été  VAntigua,  fondée  sur  les 
bords  du  fleuve  de  même  nom,  et  ils  croient  qu'il  n'y  a  eu  que  deux  villes  du  nom  de 
Vera  Cruz,  c'est-à-dire  l'ancienne  et  la  nouvelle,  celle-ci  fondée  sur  la  plage  de  sable 
elle-même  où  Cortès  débarqua  d'abord.  Mais  il  n'est  pas  douteux  qu'il  y  a  eu  trois 
villes  devant  porter  le  nom  de  Vera  Cruz  :  la  première  fondée  en  1519,  près  du  port  do 
Chiahuitztla(QuiavistIan),qui  porta  par  la  suite  le  seul  nom  de  Villa  Rica:  la  seconde, 
l'ancienne  Vera  Cruz,  fondée  en  1523  ou  1324,  et  la  troisième,  la  nouvelle  Vera  Cruz, 
laquelle  conserve  ce  nom,  et  fut  fondée  par  ordre  du  comte  de  Montcrey,  vice-roi  du 
Mexique,  à  la  fin  du  seizième  siècle,  ou  au  commencement  du  dix-septième.  Elle  reçut 
le  titre  de  ciudad  (ville)  en  1615,  par  ordonnance  de  Philippe  III.  » 


104  CONQUÊTE 

terprètes,  que  leur  maître  nous  envoyait  ces  provisions  et  nous  priait 
d'aller  à  la  ville,  qui  se  trouvait  à  la  distance  qu'ils  appellent  un 
soleil,  c'est-à-dire  une  journée.  Gortès  les  remercia  avec  des  démon- 
strations affectueuses;  nous  continuâmes  notre  marche  et  nous  pas- 
sâmes la  nuit  dans  un  petit  village  où  l'on  avait  fait  aussi  beaucoup 
de  sacrifices.  Je  suppose  le  lecteur  fatigué  d'entendre  parler  de  tant 
d'Indiens  et  d'Indiennes  que  nous  trouvions  sacrifiés  dans  les  villages 
de  notre  parcours  ;  je  passerai  outre,  par  conséquent,  sans  dire  de 
quelle  façon  ils  étaient  défigurés.  Mais  je  dirai  comment  on  nous 
offrit  à  souper  dans  ce  petit  village,  où  nous  apprîmes,  au  surplus, 
que  nous  devions  passer  par  Gempoal  pour  arriver  à  Quiavistlan  que 
j'ai  déjà  dit  être  placé  sur  un  groupe  de  rochers.  Je  poursuivrai  mon 
récit  et  je  dirai  comment  nous  entrâmes  à  Gempoal1. 


CHAPITRE  XLV 


Comment  nous  entrâmes  à  Cempoal  qui  était  alors  un  point  intéressant. 
De  ce  qui  nous  y  arriva. 

Nous  passâmes  la  nuit  dans  ce  village  où  les  douze  Indiens  nous 
fournirent  des  logements.  Après  nous  être  bien  informés  du  chemin 
que  nous  devions  suivre  pour  arriver  au  bourg  situé  dans  la  mon- 
tagne,  nous  fîmes  dire  aux  caciques  de  Gempoal  que  nous  allions 
chez  eux  et  qu'ils  voulussent  bien  nous  en  savoir  gré.  Gortès  choisit 
six  Indiens  pour  ce  message  ;  les  six  autres  restèrent  pour  nous  ser- 
vir de  guides.  Notre  chef  donna  des  ordres  pour  que  les  canons,  les 
fusils  et  les  arbalètes  fussent  en  état.  Il  fit  battre  la  campagne  par  des 
éclaireurs  et  ordonna  que,  cavaliers  et  tout  le  reste,  nous  fussions 
sans  cesse  sur  nos  gardes.  Nous  marchâmes  ainsi  jusqu'à  une  lieue 
de  la  ville.  Vingt  Indiens  parmi  les  principaux  sortirent  alors,  sur 
l'ordre  du  cacique,  pour  nous  recevoir.  Ils  apportaient  des  ananas  du 
pays,  rougeâtres  et  d'un  arôme  exquis.  Ils  les  donnèrent  à  Gortès  et 

1.  C'est  à  Cempoal  que  Cortès  va  obtenir  les  premières  notions  sur  le  pouvoir  de 
Mexico  et  les  vexations  qui  se  mêlaient  à  l'exercice  de  son  autorité.  Le  mécontente- 
ment qui  en  résultait  pour  beaucoup  de  ceux  qui  en  étaient  victimes  apparut  au 
conquérant  comme  un  puissant  élément  de  secours  pour  lui-même,  et  lui  montra 
comme  possible,  malgré  l'exiguïté  de  ses  forces,  la  conquête  de  ce  puissant  empire, 
au  moyen  d'auxiliaires  qui  en  étaient  eux-mêmes  les  ennemis.  Il  ne  faut  d'ailleurs  pas 
croire  que  l'empire  de  Mexico  s'étendait  alors  à  tout  le  territoire  qui  composa  plus 
tard  la  vice-royauté  de  la  Nouvelle-Espagne;  il  ne  comprenait  guère  que  ce  qui  con- 
stitua ultérieurement  les  intendances  de  Mexico,  Puebla,  Vera  Cruz,  Oajaca  et  une 
fraction  de  celle  de  Valladolid.  Et  encore  faut-il  en  retrancher  la  république  de  Tlas- 
cala,  et  faire  observer  que  plusieurs  royautés  tributaires  en  menaçaient  l'intégrité 
et  la  durée,  aux  portes  mêmes  de  la  capitale. 


DE  LA  NOUVELLE-ESPAGNE.  105 

aux  cavaliers  avec  des  démonstrations  fort  amicales,  disant  que  leur 
maître  nous  attendait  dans  les  habitations  et  que,  vu  son  lourd  étal 
d'obésité,  il  ne  pouvait  venir  lui-même  à  notre  rencontre.  Gortès  les 
remercia  et  ils  prirent  les  devants. 

En  entrant  dans  la  ville,  nous  fûmes  saisis  d'étonnement  par  son 
importance,  car  nous  n'avions  rien  vu  jusque-là  qui  la  surpassât. 
Comme  d'ailleurs  la  végétation  y  était  très-abondante,  on  eût  dit  un 
véritable  jardin,  si  peuplé  d'hommes  et  de  femmes,  que  les  rues 
étaient  remplies  parla  multitude  qui  nous  venait  voir.  Nous  rendîmes 
grâces  à  Dieu  pour  avoir  permis  que  nous  fissions  la  découverte 
d'un  semblable  pays.  Nos  éclaireurs  à  cheval  arrivèrent  jusqu'à  la 
place  principale  et  s'introduisirent  dans  les  cours  autour  desquelles 
étaient  bâties  les  habitations.  Il  leur  sembla  qu'on  les  avait  repeintes 
depuis  peu  de  jours  et  embellies  comme  ces  Indiens  le  savent  très- 
bien  faire.  L'un  des  cavaliers  crut  même  que  cette  blancheur  qui  re- 
flétait la  lumière  était  de  l'argent  et  il  accourut  à  bride  abattue  pour 
dire  à  Gortès  que  les  murailles  étaient  faites  de  ce  métal.  Doîla  Marina 
et  Aguilar  firent  observer  que  ce  n'était  sûrement  que  du  plâtre  ou 
de  la  chaux,  et  nous  rîmes  bien  fort,  et  de  son  argent,  et  de  son  en- 
thousiasme; nous  ne  perdîmes,  depuis  lors,  aucune  occasion  de 
rappeler  au  messager  que  toute  chose  blanche  était  pour  lui  de 
l'argent. 

Mais,  cessons  de  plaisanter  et  disons  comment  nous  arrivâmes  aux 
habitations.  Le  cacique  obèse  nous  vint  recevoir  à  l'entrée  de  la 
grande  cour,  ne  pouvant  aller  plus  loin,  parce  qu'il  était  trop  gros, 
si  gros  même  que  c'est  ainsi  que  je  le  nommerai  désormais.  Il  fit  à 
Gortès  une  grande  révérence  et  il  l'encensa,  ainsi  que  c'était  l'habitude 
du  pays.  Gortès  l'embrassa.  On  nous  logea  dans  des  habitations  fort 
convenables  et  si  grandes  que  nous  y  pûmes  tenir  tous  ;  on  nous 
donna  à  manger  et  l'on  nous  offrit  des  corbeilles  remplies  d'une  sorte 
de  prunes1  qui  étaient  très-abondantes  en  ce  moment,  car  c'en  était 
la  saison.  On  nous  fournit  aussi  du  pain  de  maïs.  Or,  comme  nous 
arrivions  affamés  et  que  nous  n'avions  point  encore  été  approvisionnés 
de  la  sorte,  nous  assignâmes  à  cette  ville  le  nom  de  Villa  Viciosa 
et  quelques-uns  l'appelèrent  Sevilla.  Gortès  donna    des    ordres  pour 

1 .  Prunes.  Il  ne  faut  pas  prendre  ce  mot  au  sérieux,  quoiqu'il  traduise  fidèlement 
l'expression  ciruela  employée  par  Uernal  Diaz.  En  réalité,  il  n'y  avait  pas  de  vraies 
prunes  au  Mexique  avant  la  conquête.  Le  fruit  dont  parle  notre  auteur  était  peut  être 
ce  qu'on  appelle  aujourd'hui  capulin,  car  il  en  existe  une  espèce  qui  est  presque  de 
la  grosseur  de  nos  prunes  ordinaires  et  qui  pourrait  même  passer  pour  une  prune 
sauvage.  L'arbre  qui  la  produit  porte  en  botanique,  d'après  Hernandcz,  la  dénomina- 
tion de  Prunus  capulin.  Mais  je  croirais  que  le  fruit  dont  parle  bernai  Diaz  était 
plutôt  celui  que  l'on  appelle  ciruela  encore  aujourd'hui  dans  divers  endroits  du  pays 
et  qui  est  très-abondant  en  Terre-Chaude.  Il  est  plus  gros  que  le  précédent  et  d*un 
goût  plus  agréable.  Il  paraît  du  reste  correspondre  au  Spondias  de  Linné. 


106  CONQUÊTE 

qu'aucun  soldat  ne  causât  d'ennui  à  personne,  et  que  nul  ne  s'écartât 
de  la  place. 

Le  cacique  gros,  sachant  que  nous  avions  fini  notre  repas,  fit  dire 
à  Cortè-s  qu'il  allait  venir  le  voir.  Il  arriva  en  effet  avec  un  grand 
nombre  des  principaux  Indiens  de  la  ville;  ils  avaient  tous  de  grands 
ornements  en  or  et  de  riches  habits.  Gortès  alla  au-devant  et  l'em- 
brassa de  nouveau  en  lui  adressant  mille  caresses  et  mille  flatteries. 
Le  cacique  aussitôt  donna  ses  ordres  pour  qu'on  lui  apportât  le  pré- 
sent qu'il  avait  préparé,  consistant  en  joailleries  d'or,  et  diverses 
étoffes;  à  la  vérité,  c'était  de  peu  d'importance  et  sans  grande  valeur. 
Il  dit  à  Cortès  :  «  Lopelucio,  lopelucio,  daigne  recevoir  ces  objets  de 
bon  cœur;  si  j'avais  davantage,  je  m'empresserais  de  te  l'offrir.  »  Je 
répète  qu'en  langue  totonaque,  quand  ils  disent  :  lopelucio,  c'est 
tout  comme  «  seigneur  »  et  «  grand  seigneur.  » 

Gortès  lui  répondit,  au  moyen  de  dona  Marina  et  d'Aguilar,  qu'il 
le  payerait  en  bons  offices;  qu'en  attendant,  s'il  avait  quelque 
demande  à  lui  adresser,  il  s'empresserait  de  le  satisfaire,  attendu  que 
nous  étions  les  vassaux  d'un  grand  seigneur,  l'Empereur  don  Carlos, 
gouvernant  plusieurs  royaumes  et  seigneuries,  qui  nous  envoyait 
pour  redresser  les  torts,  châtier  les  méchants  et  empêcher  qu'on  sacri- 
fiât des  êtres  humains.  On  leur  fit  encore  comprendre  plusieurs  autres 
choses  relatives  à  notre  sainte  foi.  Après  que  le  cacique  les  eut  écou- 
tées, il  se  mit  à  soupirer  et  à  se  plaindre  vivement  du  grand  Mon- 
tezuma  et  de  ses  gouverneurs,  disant  que  ce  prince  avait  assujetti  sa 
province  depuis  peu  de  temps,  et  s'était  emparé  de  tous  leurs  joyaux 
d'or  :  depuis  lors  il  les  tenait  dans  un  tel  état  d'oppression,  qu'ils 
n'osaient  plus  faire  que  ce  qui  leur  était  commandé;  car  c'est  un 
seigneur  possédant  de  grandes  villes,  de  vastes  pays,  une  multitude 
de  vassaux  et  de  nombreux  gens  de  guerre.  Et  Cortès,  comprenant 
qu'il  ne  pouvait  rien  faire  pour  le  moment  au  sujet  des  plaintes  qu'on 
lui  portait,  se  contenta  de  répondre  qu'il  prendrait  ses  mesures  pour 
qu'ils  fussent  vengés  ;  qu'il  allait  revenir  à  ses  acales  (c'est  ainsi  que 
les  Indiens  appellent  les  navires),  et  faire  son  principal  établissement 
au  village  de  Quiavistlan,  d'où  ils  pourraient  s'entretenir  plus  lon- 
guement, dès  lors  qu'il  y  serait  bien  établi.  Le  cacique  gros  lui  fit 
une  réponse  bien  en  accord  avec  ce  qu'il  venait  d'entendre. 

Nous  sortîmes  le  lendemain  de  Cempoal;  on  avait  préparé  environ 
quatre  cents  Indiens  porteurs,  qui  sont  appelés  tamemes  dans  le  pays 
et  qui  chargent  leurs  épaules  de  deux  arrobas*  de  poids,  faisant  cinq 
lieues  avec  ce  fardeau.  Nous  nous  réjouîmes  de  voir  tant  d'Indiens 
de  transport,  parce  que  jusqu'alors  nous  avions  chargé  nos  sacs  sur 
nos  épaules,  peu  de  nous  ayant  des  Indiens  de  Cuba  pour  cet  office,  car 

1.  Une  arroba  est  un  poids  de  vingt-cinq  livres. 


DE  LA  NOUVELLE-ESPAGNE.  107 

on  n'en  amena  que  cinq  ou  six  avec  l'armée,  et  nullement  le  nombre 
queditGromara.  Dona  Marina  et  Aguilar  nous  dirent  que  dans  ces  con- 
trées, en  temps  de  paix,  sans  qu'on  soit  obligé  de  chercher  soi-même 
des  porteurs,  les  caciques  se  chargent  de  fournir  de  ces  tamernes;  et 
désormais,  partout  où  nous  irons,  nous  demanderons  des  Indiens  pour 
nos  transports. 

Gortès  ayant  pris  congé  du  cacique  gros,  nous  entreprîmes  notre 
marche  le  lendemain.  Nous  passâmes  la  nuit  dans  un  petit  village  près 
de  Quiavistlan.  Gomme  il  était  dépourvu  d'habitants,  les  gens  de 
Gempoal  nous  apportèrent  à  souper.  C'est  ici  que  le  chroniqueur  Go- 
mara  assure  que  Gortès  demeura  plusieurs  jours  à  Gempoal  et  qu'on 
y  convint  de  la  rébellion  et  de  la  ligue  contre  Montezuma.  Il  fut  mal 
informé,  puisque,  ainsi  que  je  l'ai  dit,  nous  en  partîmes  le  lendemain 
de  notre  arrivée.  Quant  au  lieu  où  la  rébellion  fut  convenue,  et  aux 
causes  qui  intervinrent,  je  les  rapporterai  plus  tard.  Arrêtons-nous 
là  et  disons  comment  nous  entrâmes  à  Quiavistlan. 


CHAPITRE  XLVI 

Comme  quoi  nous  entrâmes  à  Quiavistlan  qui  était  un  village  fortifié, 
et  y  fûmes  reçus  pacifiquement. 

Le  lendemain,  vers  dix  heures,  nous  arrivâmes  au  village  fortifié  de 
Quiavistlan,  qui  est  situé  au  milieu  de  rochers  et  de  grandes  éléva- 
tions de  terrain,  et  qui  serait  fort  difficile  à  prendre  si  l'on  y  faisait 
résistance.  Nous  approchâmes  en  bon  ordre,  dans  la  crainte  qu'il  ne 
nous  fût  hostile.  L'artillerie  marchait  en  avant  et  nous  montions 
nous-mêmes  de  manière  à  faire  notre  devoir  en  cas  d'événement. 
Alonso  de  Avila  était  notre  commandant  dans  cette  affaire  ;  et  comme 
il  était  d'un  caractère  emporté  et  peu  endurant,  un  soldat  appelé  Her- 
nando  Alonso  de  Yillanueva  ne  s'étant  pas  bien  tenu  à  son  rang,  il 
lui  donna  un  si  fort  coup  de  sa  lance,  qu'il  le  rendit  estropié  d'un 
bras,  de  telle  sorte  que  désormais  nous  l'appelâmes  le  petit  Manchot. 
On  me  dira  que  je  sors  toujours  de  mon  affaire,  au  meilleur  moment, 
pour  conter  de  vieilles  histoires  :  nous  en  resterons  donc  là,  pour 
dire  que  nous  avançâmes  jusqu'au  milieu  du  village  sans  trouver 
d'Indiens  à  qui  parler,  ce  qui  nous  surprit  grandement,  en  apprenant 
surtout  qu'ils  avaient  fui  épouvantés,  ce  même  jour,  en  nous  voyanl 
monter  vers  leurs  demeures. 

Quand  nous  arrivâmes  plus  avant  jusqu'à  une  place  où  se  trouvaient 
les  temples  de  leurs  idoles,  nous  vîmes  quinze  Indiens  richement 
habillés,  lesquels,  un  brasier  à  la  main  avec  du  copal,  s'approchèrent 


108  CONQUÊTE 

de  Gortès  et  l'encensèrent,  de  même  que  les  soldats  qui  étaient  le  plus 
près  de  lui.  Après  force  révérences,  ils  le  prièrent  de  leur  pardonner 
de  n'être  pas  sortis  à  notre  rencontre,  ajoutant  que  nous  étions  les 
bienvenus;  que  nous  prissions  du  repos;  que  les  habitants,  ayant 
peur  de  nous  et  de  nos  chevaux,  s'étaient  éloignés  jusqu'à  ce  qu'on 
sût  qui  nous  étions;  mais  que  cette  nuit  même  ils  feraient  repeupler 
tout  le  village.  Gortès  leur  témoigna  beaucoup  d'amitié  et  leur  dit 
plusieurs  choses  relatives  à  notre  sainte  foi,  comme  nous  en  avions 
l'habitude  partout  où  nous  arrivions,  en  notre  qualité  de  vassaux  de 
notre  grand  Empereur  don  Carlos.  Il  leur  donna  ensuite  quelques  ver- 
roteries vertes  et  d'autres  menus  objets  de  Castille.  De  leur  côté,  ils 
apportèrent  des  poules  et  du  pain  de  maïs. 

Nous  étions  occupés  à  cette  conférence  quand  on  vint  annoncer  à 
Gortès  l'arrivée  du  cacique  gros  dans  une  litière  portée  sur  les  épaules 
de  plusieurs  Indiens  de  distinction.  En  mettant  pied  à  terre,  il  parla 
à  Gortès  avec  l'assistance  du  cacique  et  d'autres  habitants  distingués 
de  ce  village,  se  plaignant  beaucoup  de  Montezuma  et  vantant  sa 
grande  puissance.  Il  en  parlait  en  soupirant  et  les  larmes  aux  yeux, 
de  sorte  que  Gortès  et  nous  qui  étions  présents  en  fûmes  vraiment 
affligés.  Il  ne  se  contenta  pas  d'exposer  par  quels  moyens  Montezuma 
les  avait  vaincus;  il  disait  encore  que,  chaque  année,  on  exigeait 
d'eux  grand  nombre  de  leurs  fils  et  de  leurs  filles,  pour  les  sacrifier 
aux  idoles  ou  pour  les  faire  servir  dans  les  maisons  et  sur  les  champs 
ensemencés.  Leurs  griefs  d'ailleurs  étaient  si  nombreux  que  je  puis  à 
peine  m'en  souvenir;  comme,  par  exemple,  que  les  percepteurs  de 
Montezuma  s'emparaient  de  leurs  femmes  et  de  leurs  filles  et  les  ou- 
trageaient quand  elles  attiraient  l'attention  par  leur  beauté  :  horreurs 
qu'ils  commettaient  dans  toute  la  contrée  totonaque,  où  se  trouvaient 
près  de  trente  villages.  Gortès  les  consola  autant  que  possible,  au 
moyen  de  nos  interprètes,  promettant  de  leur  être  favorable  tant 
qu'il  le  pourrait,  et  de  prendre  des  mesures  pour  mettre  fin  à  ce  pil- 
lage et  à  ces  offenses;  car  c'est  pour  cela,  ajoutait-il,  que  l'Empereur 
notre  maître  nous  avait  envoyés  dans  ces  lointaines  contrées;  et  il  finit 
en  les  exhortant  à  abandonner  toute  crainte  et  tout  souci,  dans  la  cer- 
titude qu'ils  ne  tarderaient  pas  à  voir  ce  que  nous  ferions  à  ce  sujet. 
Ces  paroles  les  consolèrent  sans  doute,  mais  leurs  cœurs  restèrent 
néanmoins  agités  par  la  grande  frayeur  que  les  Mexicains  leur 
inspiraient. 

On  en  était  là  de  ces  pourparlers  lorsqu'accoururent  quelques  Indiens 
du  même  village,  pour  dire  aux  caciques  qui  parlaient  avec  Gortès 
que  cinq  Mexicains  étaient  arrivés.  C'étaient  les  percepteurs  de  Mon- 
tezuma. Aussitôt  que  les  caciques  en  entendirent  la  nouvelle,  ils 
changèrent  de  visage  et  commencèrent  à  trembler  de  peur.  Ils  lais- 
sèrent Gortès  seul,  pour  aller  les  recevoir.   On   s'empressa  d'orner 


DE  LA  NOUVELLE-ESPAGNE.  109 

pour  eux  une  salle  avec  des  fleurs,  on  leur  prépara  à  manger  et  sur- 
tout grande  quantité  de  boisson  de   cacao,  qui  est  certainement  la 
meilleure  dont  ils  fassent  usage.  Lorsque  ces  cinq  Indiens  entrèrent 
au  village,  ils  se  dirigèrent  vers  le  point  où  nous  étions,  parce  que  là 
se  trouvaient  les  habitations  du  cacique  et  nos  logements  ;  ils  mar- 
chaient d'un  air  si  orgueilleux,    qu'ils  passèrent  devant  nous   sans 
parler  ni  à  Cortès  ni  à  personne.  Ils  avaient    des  manteaux  et  des 
brayers  brodés  (car  ils  portaient  des  brayers1  en  ce  temps-là  .  Leurs 
cheveux,  fort  luisants,  étaient  relevés  et  attachés  au  haut  de  la  tète. 
Chacun  d'eux   tenait  une  rose  qu'il  portait  aux  narines  ;  des  domes- 
tiques indiens   les  suivaient  avec  des  émouchoirs.   S'appuyant  d'un 
bourdon  surmonté  d'un  crochet,  ils  marchaient  accompagnés  de  gens 
de  distinction  appartenant  aux  villages  totonaques.  Cette  nombreuse 
suite  ne  se  retira  que  lorsque  les  percepteurs  furent  arrivés   à  leurs 
logements  et  s'y  furent  repus  en  abondance.  Lorsqu'ils  eurent  achevé 
leur  repas,  ces  émissaires  envoyèrent  chercher  le  cacique  gros  et  les 
gens  de  distinction  qui  l'accompagnaient.  Ils  les  menacèrent  vivement 
et  les  querellèrent  pour  nous  avoir  donné  l'hospitalité  dans  leurs  vil- 
lages, demandant  ce  qu'on  avait  tant  à  traiter  et  à  examiner  avec  nous; 
que  leur  maître  Montezuina  ne   s'en  trouvait  nullement  satisfait:  et 
pourquoi  donc,  au  surplus,    sans  en  avoir  l'ordre   ou  l'autorisation, 
nous   recevaient-ils    dans    leurs   villages  et  nous    donnaient-ils    des 
joyaux  d'or?  Ce  fut  sur  ce  sujet  que  les  percepteurs  firent  de  grandes 
menaces  au  cacique  gros  et  autres  personnages  principaux  qui  l'accom- 
pagnaient,   exigeant    en   outre   qu'on  leur    donnât  à  l'instant  vingt 
Indiens  et  Indiennes  dans  le  but  d'apaiser  leurs  dieux  pour  le  mal 
qu'on  avait  causé. 

Ils  en  étaient  à  ce  point  de  leur  querelle,  lorsque  Cortès,  qui  les 
observait,  demanda  à  dona  Marina  et  à  Geronimo  de  Aguilar,  nos  in- 
terprètes, pourquoi  les  caciques  paraissaient  si  désolés  depuis  l'arri- 
vée de  ces  Indiens,  et  quelle  était  la  qualité  de  ces  personnages.  Dona 
Marina,  qui  avait  tout  compris,  lui  rapporta  ce  qui  était  arrivé.  Cor- 
tès fit  aussitôt  appeler  le  cacique  gros  et  ses  compagnons  et  leur  de- 
manda quelle  pouvait  être  l'importance  de  ces  Indiens  pour  qu'ils  mé- 


1.  Braguero.  Cette  expression  trouve  sa  traduction  la  plus  naturelle  dans  le  mot 
français  broyer.  Mais  elle  ne  désigne  pas  exactement  la  chose  que  Diaz  veut  dire.  La 
vérité  est  que  la  nudité  des  hommes  était  assez  prononcée  en  certains  lieux  du  Mexi- 
que pour  qu'on  sentit  le  besoin  d'y  remédier  en  cachant  le  point  du  corps  que  l'hon- 
nêteté la  plus  élémentaire  prend  la  coutume  de  soustraire  aux  regards.  Dans  le  Yuca- 
tan  et  autres  lieux  très-chauds,  on  avait  recours  pour  cela  à  un  morceao  exigu  d'étoffe, 
tenu  en  place  par  une  bande  qui  faisait  le  tour  des  reins,  ('.'est  cet  appareil  élémen- 
taire que  H.  Diaz  appelle  braguero,  mot  qui  ne  saurait  être  traduit  autrement  que  par 
«  brayer  ».  En  d'autres  points  moins  chauds  du  pays,  on  faisait  usage  d'un  caleçon  qui 
ne  prenait  qu'environ  le  cinquième  supérieur  des  cuisses,  ou  plutôt  d'une  large  bande 
ou  ceinture  appelée  mo.jjllatl.  dont  les  deux  bouts  pendaient  devant  et  derrière. 


110  CONQUÊTE 

ritassent  qu'on  leur  fît  tant  d'accueil.  Ils  répondirent  que  c'étaient  les 
percepteurs  du  grand  Montezuma  qui  venaient  s'informer  pour  quel 
motif  ils  nous  avaient  reçus  dans  leurs  villages,  sans  l'autorisation  de 
leur  maître,  et  qu'au  surplus  ils  exigeaient  vingt  Indiens  et  Indiennes 
pour  les  sacrifier  à  leur  dieu  Huichilobos,  en  lui  demandant  la  vic- 
toire contre  nos  armes.  «  Ils  disent,  en  effet,  que  Montezuma  prétend 
s'emparer  de  vous  autres  pour  en  faire  ses  esclaves.  »  Cortès  les  con- 
sola, les  exhortant  à  ne  plus  avoir  peur  et  à  considérer  qu'ils  étaient 
avec  nous  tous,  et  qu'on  aurait  bientôt  l'occasion  de  châtier  les  Mexi- 
cains. Passons  à  un  autre  chapitre  où  je  dirai  longuement  ce  qui  ar- 
riva à  ce  sujet. 


CHAPITRE  XLVII 


Comme  quoi  Cortès  fit  arrêter  ces  cinq  percepteurs  de  Montezuma  et  ordonna  que 
désormais  les  Totonaques  n'obéiraient  ni  ne  payeraient  de  tribut.  De  la  rébellion 
qui  s'effectua  contre  Montezuma. 

Après  avoir  entendu  les  plaintes  que  les  caciques  lui  avaient  sou- 
mises, Cortès  leur  dit  qu'il  leur  avait  déjà  expliqué  comme  quoi  le 
Roi  notre  seigneur  l'avait  envoyé  pour  châtier  les  malfaiteurs  et  pour 
empêcher  les  sacrifices.  Attendu  donc  que  ces  percepteurs  se  présen- 
taient avec  une  pareille  exigence,  il  donna  l'ordre  de  les  mettre  en  pri- 
son sans  retard  et  de  les  y  retenir  jusqu'à  ce  que  leur  maître  Monte- 
zuma pût  en  savoir  les  raisons,  c'est-à-dire  :  qu'ils  étaient  venus  vo- 
ler, emmener  en  esclavage  les  hommes  et  les  femmes  et  abuser  de 
leur  force  de  mille  autres  manières.  En  entendant  cet  ordre,  les  caci- 
ques furent  épouvantés  d'une  pareille  audace.  Ordonner  que  les  mes- 
sagers de  Montezuma  fussent  maltraités  !  jamais  ils  n'oseraient  y  prê- 
ter la  main.  Mais  Cortès  insista  pour  qu'on  les  mît  en  prison  ;  ils  se 
hasardèrent  alors  à  obéir  et  ce  fut  de  telle  façon  que  les  messagers, 
attachés  à  de  longs  morceaux  de  bois  avec  de  solides  colliers,  ainsi 
qu'on  a  l'habitude  de  faire  dans  le  pays,  furent,  mis  dans  l'impossibi- 
lité de  s'échapper1. 

Au  surplus,  Cortès  donna  l'ordre  à  tous  les  caciques  de  ne  plus  jurer 
obéissance  ni  payer  tribut  à  Montezuma,  et  que  cela  fût  rendu  pu^ 
blic  dans  tous  les  villages  alliés  et  amis;  que,   s'il  venait  d'autres 

1.  Puisqu'il  s'agit  ici  d'un  usage  des  Aztèques,  je  tiendrais  à  faire  comprendre  en 
quoi  il  consistait.  Les  paroles  de  B.  Diaz  ne  sont  pas  suffisantes  pour  cela.  Gomara 
(ch.  xxxn)  a  dit  :  «  On  les  mit  séparément  au  carcan  en  les  attachant  à  un  long  mor- 
ceau de  bois,  le  cou  et  les  pieds  aux  deux  bouts  et  les  mains  au  milieu,  ce  qui  eut 
forcement  pour  conséquence  de  les  tenir  étendus  sur  le  sol.  »  Cet  historien  avait  pu 
recevoir  le  renseignement  de  Cortès  lui-même,  et  il  n'y  a  pas  de  raison  pour  le  croire 
inexact. 


DE  LA  NOUVELLE-ESPAGNE.  111 

percepteurs  dans  d'autres  villages,  on  le  lui  fît  savoir,  qu'il  les  en- 
verrait arrêter  immédiatement.  La  nouvelle  ne  tarda  pas  à  circuler 
dans  toute  la  province,  car  le  cacique  gros  s'empressa  de  la  faire  sa- 
voir au  moyen  d'émissaires.  Gela  fut  publié  partout  également  parles 
gens  de  qualité  que  ces  percepteurs  avaient  entraînés  à  leur  suite  et 
qui,  les  voyant  emprisonnés,  profitèrent  de  la  liberté  pour  revenir  à 
leurs  villages  et  y  donner  la  nouvelle  de  ce  qui  était  arrivé.  Or,  en 
voyant  des  choses  si  merveilleuses  et  pour  eux  d'un  si  grand  intérêt, 
ils  disaient  qu'aucun  être  humain  n'en  aurait  osé  entreprendre  de  pa- 
reilles, mais  seulement  des  teules  ;  c'est  ainsi  qu'ils  nomment  les  idoles 
qu'ils  adorent,  et  c'est  pour  cela  que  désormais  ils  nous  appelaient 
teules,  ce  qui  veut  dire,  je  le  répète,  ou  dieux  ou  démons.  Aussi,  lors- 
que dans  la  suite  de  ce  récit  j'emploierai  ce  mot,  quand  il  s'agira 
d'événements  se  rapportant  à  nous,  sachez  que  je  le  dis  pour  désigner 
nos  personnes. 

Revenons  à  nos  prisonniers.  On  voulut  les  sacrifier  à  la  suite  du 
conseil  donné  par  tous  les  caciques,  de  crainte  que  quelqu'un  d'eux 
ne  prît  la  fuite  et  ne  portât  la  nouvelle  à  Mexico.  Mais  Gortès,  l'ayant 
appris,  ordonna  qu'on  les  épargnât,  promettant  de  les  surveiller  lui- 
même  ;  et,  à  cette  fin,  il  les  fit  garder  à  vue  par  nos  soldats.  Vers  mi- 
nuit, il  fit  appeler  les  hommes  préposés  à  leur  garde  et  il  leur  dit  : 
«  Faites  en  sorte  de  dégager  deux  de  vos  prisonniers,  qui  vous  paraî- 
tront les  mieux  dispos;  prenez  soin  que  les  Indiens  du  village  ne  puis- 
sent s'en  douter,  et  amenez-les  en  ma  présence.  » 

Gela  fut  ainsi  fait  sans  retard,  et  dès  que  Gortès  les  vit  devant  lui,  il 
leur  demanda,  au  moyen  de  nos  interprètes,  pourquoi  ils  étaient  en 
prison  et  de  quel  pays  ils  venaient,  faisant  semblant  de  ne  les  connaî- 
tre aucunement.  Ils  répondirent  que  les  caciques  de  Gempoal  et  de  ce 
village  les  avaient  arrêtes,  de  leur  autorité  privée  et  de  notre  part.  Mais 
Gortès  répliqua  'qu'il  n'en  savait  rien  et  qu'il  en  avait  du  regret.  Il 
leur  fit  donner  à  manger  et  leur  adressa  des  paroles  flatteuses,  les 
engageant  à  partir  tout  de  suite,  pour  expliquer  à  leur  seigneur  Mon- 
tczuma  que  nous  étions  ses  grands  amis  et  serviteurs.  Il  ajouta  crue, 
ne  pouvant  autoriser  plus  longtemps  leurs  souffrances,  il  les  avait  fait 
sortir  de  prison,  après  avoir  rompu  avec  les  caciques  qui  les  avaient 
arrêtés,  bien  résolu,  du  reste,  à  faire,  en  leur  faveur,  tout  ce  dont  ils 
pourraient  avoir  besoin.  Eu  égard  aux  Indiens,  leurs  camarades,  qui 
se  trouvaient  encore  prisonniers,  il  s'engagea  à  les  faire  élargir  et  à 
les  garder  lui-même  ;  et  quant  à  eux,  qu'ils  partissent  sans  plus  de  re- 
tard, de  crainte  qu'on  ne  les  reprît  et  qu'on  ne  les  mît  cà  mort.  Les 
deux  Indiens  répondirent  qu'ils  lui  en  savaient  gré,  mais  qu'ils  avaient 
grand'peur  de  retomber  aux  mains  des  caciques,  puisqu'ils  devaient 
forcément  passer  sur  leurs  terres.  Gortès  prit,  en  conséquence,  la  me- 
sure d'appeler  six  matelots,  et  il  leur  donna  l'ordre  que,  cette  nu  il 


112  CONQUÊTE 

même,  on  les  transportât  en  bateau,  quatre  lieues  plus  loin,  jusqu'à  ce 
qu'ils  arrivassent  en  lieu  sûr,  au  delà  des  limites  de  Gempoal. 

Le  jour  étant  venu,  les  principaux  chefs  de  ce  village  et  le  cacique 
gros  s'aperçurent  de  l'absence  des  deux  prisonniers;  ils  voulurent 
alors  sacrifier  ceux  qui  restaient  ;  mais  Gortès  les  arracha  de  leurs 
mains  et  se  montra  fort  irrité  de  ce  qu'on  avait  laissé  fuir  les  deux  au- 
tres. Il  envoya  chercher  une  chaîne  de  navire,  les  y  attacha  et  les  fit 
emmener  à  bord,  disant  qu'il  voulait  se  charger  de  les  garder  lui- 
même,  puisque  l'on  s'était  si  mal  assuré  des  deux  qui  manquaient. 
Or,  après  qu'on  les  eut  transportés,  il  les  fit  débarrasser  de  leur  chaîne, 
et,  leur  parlant  dans  les  termes  les  plus  doucereux,  il  leur  promit 
qu  il  ne  tarderait  pas  à  les  renvoyer  à  Mexico. 

Laissons- les  là  et  disons  que,  cela  étant  fait,  tous  les  caciques  de 
Gempoal,  ceux  de  ce  village,  et  ceux  aussi  des  autres  bourgs  totona- 
ques,  qui  s'étaient  réunis  en  ce  lieu,  demandèrent  à  Gortès  ce  qu'ils  au- 
raient à  faire,  maintenant  que  Montezuma  devait  savoir  l'emprisonne- 
ment de  ses  percepteurs;  que  certainement  les  foudres  de  Mexico  et 
du  grand  Montezuma  allaient  fondre  sur  eux,  et  qu'ils  ne  pourraient 
manquer  d'être  massacrés.  Mais  Gortès,  prenant  une  figure  joyeuse, 
leur  dit  que  lui  et  ses  frères  qui  étions  là  présents,  nous  les  défen- 
drions, et  mettrions  à  mort  quiconque  voudrait  leur  causer  de  l'ennui. 
Alors  tous  ces  villages  et  tous  ces  caciques,  d'une  seule  voix,  promi- 
rent qu'ils  seraient  avec  nous  en  toute  chose  qu'il  nous  plairait 
d'ordonner,  et  qu'ils  uniraient  toutes  leurs  forces  contre  Montezuma 
et  ses  alliés.  Ge  fut  en  ce  moment  qu'ils  jurèrent  obéissance  à  Sa  Ma- 
jesté, par-devant  le  notaire  Diego  de  Godoy  ;  et  ils  firent  savoir  ces  évé- 
nements à  la  plus  grande  partie  des  villages  de  cette  province.  Gomme 
d'ailleurs  ils  ne  payaient  plus  tribut  et  ne  voyaient  point  de  percep- 
teurs, ils  ne  se  possédaient  pas  de  joie,  en  pensant  à  la  tyrannie  dont 
ils  étaient  délivrés. 

Laissons  cela,  et  disons  comment  nous  convînmes  de  descendre  en 
plaine,  sur  une  grande  savane,  où  nous  entreprîmes  de  construire 
une  forteresse.  Voici  comment  les  choses  se  passèrent,  et  non  comme 
on  les  raconta  au  chroniqueur  Gomara. 


CHAPITRE  XL VIII 


Comme  quoi  nous  convînmes  de  peupler  la  Villa  Rica  de  la  Vera  Cruz,  de  construire 
une  forteresse  au  milieu  des  savanes  auprès  d'une  saline,  et  non  loin  du  port  vi- 
lainement dénommé  où  se  trouvaient  mouillés  nos  navires:  et  de  ce  qui  arriva. 

Quand    nous  eûmes  fait  alliance  et  amitié    avec    plus   de    trente 
villages  de  la  sierra  qu'on  appelait  les  Totonaques,  et  qui  se  révol- 


DE  LA  NOUVELLE-ESPAGNE.  113 

tèrent  alors  contre  Montezuma ,  préférant  nous  servir  et  jurer 
obéissance  à  Sa  Majesté,  il  nous  sembla  que  ce  secours  était  suffisant 
pour  nous  résoudre  à  fonder  et  à  peupler  la  Villa  Rica  de  la  Yera 
Cruz,  sur  un  terrain  plat,  à  une  demi-lieue  du  village,  élevé  en  for- 
teresse, que  l'on  appelait  Quiavistlan.  Nous  exécutâmes  les  tracés  de 
l'église,  de  la  place,  des  chantiers  et  de  tout  ce  qui  convenait  à  l'édi- 
fication d'une  ville.  Nous  entreprîmes  une  forteresse  dont  nous 
posâmes  tout  de  suite  les  fondations,  et  nous  mîmes  une  telle  activité 
pour  arriver  au  placement  des  charpentes,  faire  les  meurtrières,  les 
tours  et  les  créneaux,  que  Gortès  lui-même  donnait  l'exemple  en 
s'occupant  à  emporter  sur  son  dos  de  la  terre  et  des  pierres  provenant 
du  déblai  des  fondations.  Les  capitaines  et  les  soldats  en  firent  autant, 
s'adonnant  à  l'œuvre  sans  discontinuer;  tout  le  monde  y  mit  la  main 
pour  la  terminer  au  plus  tôt,  les  uns  en  travaillant  à  creuser,  les 
autres  à  élever  les  murailles,  ceux-ci  à  porter  de  l'eau,  ceux-là  à  cuire 
des  briques  et  de  la  tuile,  quelques  autres  à  assurer  les  vivres;  et  les 
charpentiers  sur  leurs  bois  de  construction,  et  les  forgerons  pour 
leur  cloutage,  de  façon  que  nous  travaillâmes  tous  à  cette  œuvre  sans 
nous  donner  de  repos,  du  plus  petit  au  plus  grand,  les  Indiens  nous 
aidant  aussi  de  leur  mieux;  d'où  il  résulta  qu'en  peu  de  temps  furent 
construites  et  les  maisons,  et  l'église,  et  presque  la  forteresse. 

En  ce  même  temps,  il  parait  que  le  grand  Montezuma  reçut  la 
nouvelle,  à  Mexico,  qu'on  avait  mis  en  prison  ses  percepteurs,  et  que 
les  villages  totonaques  s'étaient  soulevés  et  refusaient  l'obéissance. 
Il  se  montra  très-irrité  contre  Gortès  et  contre  nous  tous  ;  il  avait 
déjà  donné  des  ordres  à  sa  grande  armée  pour  marcher  contre  les 
villages  révoltés,  exigeant  qu'à  personne  il  ne  fût  fait  grâce  de  la 
vie;  et,  quant  à  nous,  il  se  préparait  à  nous  combattre  avec  ses 
meilleures  troupes  et  ses  plus  valeureux  capitaines.  Mais,  sur  ces 
entrefaites,  arrivèrent  les  Indiens  prisonniers  que  Gortès  avait  fait 
mettre  en  liberté,  ainsi  que  je  l'ai  dit  dans  le  chapitre  qui  précède. 
Lorsque  Montezuma  eut  entendu  que  Gortès  les  avait  arrachés  de  la 
prison  pour  les  renvoyer  à  Mexico,  et  qu'il  faisait  ses  offres  de  ser- 
vices, le  bon  Dieu,  Notre  Seigneur,  nous  fit  la  grâce  que  sa  colère 
tombât  et  que  la  pensée  lui  vînt  de  faire  prendre  de  nos  nouvelles, 
pour  connaître  nos  intentions.  Dans  ce  but,  il  expédia  deux  jeunes 
hommes,  ses  neveux,  avec  quatre  Indiens  âgés,  grands  caciques,  qui 
étaient  chargés  de  leur  venir  en  aide.  Il  envoya  par  eux  un  présent 
en  or  et  en  étoffes,  avec  l'ordre  de  rendre  grâce  à  Gortès  pour  le  soin 
qu'il  avait  pris  de  mettre  ses  serviteurs  en  liberté.  D'autre  part,  il  se 
plaignait  grandement,  disant  que,  par  notre  fait,  ses  villages  s'étaient 
enhardis  à  se  rendre  coupables  de  cette  grande  trahison,  à  ne  plus 
payer  tribut  et  à  lui  refuser  l'obéissance;  et  au  surplus,  attendu  qu'il 
ne  doutait  pas  que  nous  ne  fussions  les  mêmes  hommes  dont  ses  aïeux 

8 


114  CONQUÊTE 

avaient  dit  qu'ils  devaient  venir  dans  ces  contrées;  considérant 
qu'étant  gens  de  cette  race,  nous  nous  trouvions  reçus  comme  des 
hôtes  dans  les  maisons  des  traîtres,  il  renonçait  à  les  envoyer  détruire 
sur-le-champ,  mais  qu'il  comptait  bien  qu'avec  le  temps  ils  n'auraient 
pas  à  se  louer  de  leur  conduite. 

Gortès  reçut  l'or  et  les  étoffes,  qui  valaient  environ  deux  mille 
piastres.  Il  embrassa  les  envoyés,  en  protestant  que  lui  et  nous  tous 
nous  étions  de  vrais  amis  de  leur  seigneur  Montezuma,  ajoutant  que 
c'était  à  titre  de  son  serviteur  qu'il  avait  gardé  les  trois  percepteurs 
en  son  pouvoir.  Il  les  envoya  chercher  immédiatement  sur  les  navires 
et  les  leur  livra,  bien  habillés  et  bien  repus.  Alors  Gortès,  à  son 
tour  se  plaignit  fortement  de  Montezuma,  et  dit  comment  son  gou- 
verneur Pitalpitoque  s'était  enfui,  une  nuit,  de  son  campement,  sans 
lui  parler,  ce  qui  paraissait  fort  répréhensible.  Il  croyait,  du  reste, 
et  tenait  pour  certain  que  son  seigneur  Montezuma  ne  lui  avait  pas 
donné  l'ordre  de  commettre  une  pareille  vilenie;  mais  c'était  pour 
cela  que  nous  avions  résolu  de  venir  dans  ces  villages,  où  l'on  nous 
avait  honorablement  reçus  ;  il  priait,  en  grâce,  que  Montezuma  par- 
donnât aux  Totonaques  leur  conduite;  pour  ce  qui  regardait  le  tribut 
qu'ils  refusaient,  bien  certainement  ils  ne  pouvaient  servir  deux 
seigneurs  à  la  fois,  et,  dans  le  temps  que  nous  avions  passé  chez  eux, 
ils  s'étaient  mis  au  service  de  nous  tous,  au  nom  du  Roi,  notre 
maître;  enfin,  nous  ne  tarderions  pas,  Gortès  et  tous  ses  frères,  à 
aller  voir  le  prince  et  à  lui  présenter  nos  hommages,  et  alors,  quand 
nous  serions  en  sa  présence,  nous  soumettrions  nos  volontés  à  ses 
ordres. 

Après  ces  conférences  et  beaucoup  d'autres  paroles  qui  en  furent 
la  suite,  il  fit  donner  aux  deux  jeunes  gens,  qui  étaient  de  grands 
caciques,  et  aux  quatre  vieillards  qui  les  accompagnaient  et  qui  étaient 
des  gens  de  distinction,  des  diamants  bleus  et  des  verroteries  vertes, 
et  on  leur  rendit  de  grands  honneurs.  Gomme  d'ailleurs  nous  étions 
sur  un  bon  terrain,  Gortès  ordonna  que  plusieurs  cavaliers  cou- 
russent et  simulassent  un  combat  commandé  par  Pedro  de  Aharado, 
qui  avait  une  très-bonne  jument  alezane,  fort  vive  et  fort  alerte.  Les 
messagers  se  réjouirent  beaucoup  de  ce  spectacle  et  de  cette  course. 
Ayant  pris  congé,  ils  partirent  très-satisfaits  de  Gortès  et  de  nous  tous 
et  s'en  furent  à  Mexico.  En  ce  même  temps  le  cheval  de  Gortès 
mourut  :  il  en  acheta  ou  on  lui  en  donna  un  autre,  qu'on  appelait  le 
Muletier,  cheval  bai  brun  qui  appartenait  à  Ortiz  le  Musicien  et  à 
Bartolomé  Garcia  le  Mineur.  Ge  fut  un  des  meilleurs  qui  prirent  part 
à  l'expédition. 

Cessons  de  parler  de  tout  cela,  et  je  dirai  comment  ces  villages  de 
la  sierra  nos  alliés  actuels,  et  le  village  de  Gempoal,  avaient  tremblé 
de  peur  à  la  pensée  que  le  grand  Montezuma  les  enverrait  mettre  en 


DE  LA  NOUVELLE-ESPAGNE.  115 

pièces  par  sa  multitude  de  guerriers;  mais  quand  ils  virent  les  jeunes 
parents  de  ce  grand  prince  arriver  avec  le  présent  dont  j'ai  parlé,  et 
s'avouer  pour  serviteurs  de  Gortès  et  de  nous  tous,  ils  restèrent 
stupéfaits  et  ils  se  disaient  entre  eux  que  certainement  nous  étions 
des  teules1  puisque  Montezuma  avait  peur  de  nous  et  nous  envoyait 
de  l'or  en  présent.  Or,  si  jusqu'alors  nous  avions  eu  grande  réputa- 
tion d'hommes  valeureux,  désormais  ils  nous  estimèrent  plus  encore. 
Nous  en  resterons  là,  pour  dire  ce  que  firent  le  cacique  gros  et  plu- 
sieurs de  ses  amis. 


CHAPITRE  XLIX 


Comme  quoi  le  cacique  gros  et  d'autres  personnages  vinrent  se  plaindre  à  Cortès 
qu'une  garnison  de  Mexicains  se  trouvait  dans  un  gros  bourg  appelé  Cingapacinga. 
y  causant  beaucoup  de  dommages.  De  ce  qu'on  fit  à  ce  sujet. 

Les  messagers  mexicains  venaient  de  prendre  congé,  lorsque  se 
présenta  le  cacique  gros  avec  d'autres  personnages  de  nos  amis,  pour 
prier  Gortès  d'aller  sans  retard  à  un  bourg  appelé  Cingapacinga, 
situé  à  deux  journées  de  Cempoal,  c'est-à-dire  à  environ  huit  ou 
neuf  lieues,  parce  qu'on  venait  d'apprendre  qu'il  s'y  trouvait  un 
grand  nombre  d'Indiens  guerriers  de  la  caste  culua,  c'est-à-dire 
mexicaine,  lesquels  venaient  détruire  leurs  récoltes  et  leurs  demeures, 
attaquant  les  habitants  et  les  maltraitant  outre  mesure.  Gortès 
ajouta  foi  à  leurs  paroles,  dites  d'ailleurs  avec  les  marques  de  la  plus 
grande  sincérité.  Mais,  en  présence  de  ces  plaintes  si  importunes, 
se  souvenant  qu'il  avait  promis  de  les  aider  et  de  tuer  les  Guluans 
ou  tous  autres  Indiens  qui  les  voudraient  maltraiter,  il  resta  hésitant 
et  ne  vit  guère  ce  qu'il  pourrait  leur  dire,  hors  la  promesse  de 
chasser  l'ennemi.  Il  réfléchit  un  instant,  se  prit  à  rire  et,  se  tournant 
vers  quelques-uns  de  nos  camarades  qui  étaient  présents,  il  leur 
dit  :  «  Savez-vous,  senores,  qu'il  me  paraît  que  dans  ce  pays  nous 
avons  vraiment  la  réputation  d'hommes  valeureux  !  Au  souvenir  de 
ce  qu'ils  nous  ont  vus  faire  à  propos  des  percepteurs  de  Montezuma, 
ces  gens-ci  nous  prennent  pour  des  dieux  ou  pour  quelque  chose  qui 
ressemble  à  leurs  idoles.  Afin  qu'ils  croient  réellement  qu'il  suffit  de 
l'un  de  nous  pour  mettre  en  déroute  tous  ces  Indiens  guerriers  qu'ils 
disent  être  dans  le  village,  j'ai  médité  d'envoyer  le  vieux  Hercdia  le 
Basque.  »  Or,  ce  soldat  avait  une  figure  de  fort  mauvaise  apparence  : 
la  barbe  longue,  la  joue  marquée  d'une  large  cicatrice,  un  œil  poché 
et  une  jambe  boiteuse.  Gortès  l'envoya  chercher  et  lui  dit  :  «  Allez- 

|f   Troll  ou  Teull  veut  dire  Dieu,  eh  langue  naliuatl. 


116  CONQUÊTE 

vous-en  avec  ces  caciques  jusqu'à  la  rivière  qui  se  trouve  à  un  quart 
de  lieue  d'ici.  Lorsque  vous  y  arriverez,  vous  ferez  semblant  de  vou- 
loir vous  arrêter  pour  boire  et  pour  vous  laver  les  mains  ;  tirez  alors 
un  coup  d'escopette;  ne  craignez  rien,  je  vous  ferai  rappeler;  j'agis 
ainsi  pour  qu'ils  croient  que  nous  sommes  réellement  des  dieux,  et 
que  nous  méritons  la  réputation  qu'ils  nous  font  et  le  surnom  qu'ils 
nous  donnent;  comme  d'ailleurs  vous  êtes  assez  mal  bâti,  j'espère 
qu'ils  vous  prendront  pour  une  idole.  » 

Heredia  n'hésita  pas  à  faire  ce  qu'on  lui  commandait,  car  c'était  un 
vieux  soldat  des  guerres  d'Italie.  Gortès  fit  appeler  également  le  ca- 
cique gros  et  tous  les  autres  personnages  qui  attendaient  le  secours 
demandé,  et  il  leur  dit  :  «  Voilà  que  j'envoie  avec  vous  ce  mien  frère, 
pour  qu'il  massacre  ou  chasse  tous  les  Guluans  de  votre  village  et 
m'amène  prisonniers  ceux  qui  n'auront  pas  voulu  fuir.  »  Les  caciques 
restèrent  ébahis  de  ce  qu'ils  entendaient;  ils  ne  savaient  même  s'ils 
devaient  y  croire,  et  ils  cherchaient  à  se  guider  sur  l'expression  de  la 
figure  de  Gortès:  mais  ils  finirent  par  se  convaincre  que  ce  qu'il  di- 
sait était  la  vérité.  Le  vieux  Heredia,  qui  marchait  avec  eux,  ne  tarda 
pas  à  charger  son  escopette  et  à  lâcher  des  coups  de  feu  en  l'air  par  la 
campagne,  afin  que  les  Indiens  le  vissent  et  l'entendissent.  Alors  les 
caciques  envoyèrent  des  émissaires  aux  autres  villages,  afin  de  faire 
savoir  qu'ils  amenaient  avec  eux  un  tenle,  pour  exterminer  les  Mexi- 
cains qui  se  trouvaient  à  Gingapacinga.  Je  raconte  cet  événement 
comme  chose  purement  risible,  pour  qu'on  se  fasse  une  idée  des  ruses 
de  Gortès.  Or,  lorsque  notre  chef  pensa  que  Heredia  était  déjà  ar- 
rivé à  la  rivière,  il  donna  l'ordre  d'aller  le  rappeler. 

Le  vieux  soldat  revint  donc  sur  ses  pas  avec  les  caciques,  auxquels 
Gortès  dit  alors  que,  à  cause  de  sa  bienveillance  pour  eux,  il  irait  en 
personne,  avec  quelques-uns  de  ses  frères,  leur  prêter  le  secours 
qu'ils  demandaient  et  faire  la  connaissance  de  ces  pays  si  bien  dé- 
fendus. Il  demanda  cent  Indiens  tarnemes  pour  transporter  les  ca- 
nons. Ils  vinrent  tous,  le  lendemain  de  bonne  heure,  et  nous  nous 
proposions  de  partir  ce  jour-là  même  avec  quatre  cents  soldats,  qua- 
torze cavaliers,  des  arbalétriers  et  des  fusiliers,  dont  les  munitions 
étaient  déjà  prêtes,  lorsque  quelques  soldats  du  parti  de  Diego  Ve- 
lasquez  dirent  qu'ils  ne  voulaient  point  se  mettre  en  route;  que 
Gortès  s'aventurât  avec  ceux  qu'il  voudrait,  et  que,  quant  à  eux, 
ils  prétendaient  retourner  à  Cuba.  Ge  qu'on  fit  à  ce  sujet,  je  le  vais 
dire  à  la  suite. 


DE  LA  NOUVELLE-ESPAGNE.  117 


CHAPITRE  L 


Comme  quoi  quelques  soldats  du  parti  de  Diego  Velasquez,  voyant  que  décidément 
nous  voulions  rester  et  qu'on  commençait  à  pacifier  les  villages,  dirent  qu'ils  ne 
voulaient  assister  à  aucune  attaque,  mais  s'en  retourner  à  l'île  de  Cuba. 

On  m'aura  entendu  dire  dans  le  chapitre  qui  précède  que  Gortès 
devait  aller  à  un  village  appelé  Cingapacinga,  emmenant  quatre  cents 
soldats  et  quatorze  cavaliers  avec  des  arbalétriers  et  des  gens  d'esco- 
pette.  On  avait  inscrit  pour  marcher  avec  nous  quelques  soldats  du 
parti  de  Diego  Velasquez.  Mais,  lorsque  les  recruteurs  furent  leur 
donner  avis  qu'ils  eussent  à  partir  tout  de  suite  avec  armes  et  chevaux, 
les  cavaliers  répondirent  arrogamment  qu'ils  ne  voulaient  marcher  à 
aucune  attaque;  qu'ils  prétendaient  retourner  à  leurs  demeures  et  à  leurs 
établissements  de  Cuba;  qu'ils  jugaient  avoir  assez  perdu  à  la  suite 
de  l'abandon  de  leurs  maisons,  séduits  par  Gortès  qui  leur  avait  for- 
mellement promis  plus  tard,  à  l'Arenal,  de  donner  congé,  navire  et 
provisions  à  quiconque  voudrait  s'en  retourner  ;  qu'ils  étaient  en 
conséquence  sept  soldats  préparant  leur  départ  pour  Cuba.  Gortès, 
l'ayant  su,  les  fit  appeler,  et,  comme  il  leur  demandait  pourquoi 
ils  méditaient  une  si  vilaine  action,  ils  répondirent  un  peu  émus 
qu'ils  étaient  stupéfaits  qu'on  pensât  à  s'établir  dans  un  pays  où  il  y 
avait  tant  de  milliers  d'Indiens  et  de  si  grandes  villes,  tandis  que 
nous  avions  si  peu  de  soldats,  d'ailleurs  malades  et  fatigués  de  se 
transporter  d'un  lieu  à  un  autre;  qu'ils  voulaient  s'en  retourner  à 
Cuba  dans  leurs  établissements,  et  qu'on  leur  en  donnât  l'autorisa 
tion,  comme  c'était  chose  promise. 

Gortès  leur  répondit  avec  douceur  que  c'était  bien  vrai  qu'il  l'avait 
ainsi  promis,  mais  qu'ils  ne  feraient  point  leur  devoir  en  abandon- 
nant sans  appui  le  drapeau  de  leur  chef;  et  aussitôt,  il  ordonna  que, 
sans  perdre  un  moment,  ils  courussent  s'embarquer;  il  leur  assigna 
un  navire,  leur  fit  donner  de  la  cassave,  une  outre  d'huile  et  d'autres 
vivres  pris  sur  les  provisions  qui  nous  restaient.  Un  de  ces  soldats, 
nommé  Moron,  natif  d'un  bourg  appelé  Delbayamo,  avait  un  bon 
cheval  gris  pommelé  ;  il  le  vendit  à  Juan  Ruano  pour  quelques  biens 
que  celui-ci  possédait  à  Cuba.  Ils  étaient  déjà  sur  le  point  de  dé 
ployer  la  voile  lorsque  nous  tous  réunis,  ayant  à  notre  tête  les  al- 
caldes  et  les  regidores  de  notre  Villa  Rica,  fûmes  trouver  Gortès  et 
le  sommer  de  ne  donnera  personne,  pour  n'importe  quel  motif,  l'au- 
torisation de  sortir  du  pays,  parce  que  cela  convenait  au  service  de 
Dieu  Notre  Seigneur  et  de  Sa  Majesté,  ajoutant  que  quiconque  de- 
manderait une  pareille  autorisation  serait  tenu  pour  homme  méritant 


118  CONQUÊTE      ' 

la.  peine  de  mort,  conformément  aux  lois  de  l'ordonnance  militaire, 
puisqu'il  prétend  abandonner  son  chef  et  son  drapeau  en  temps  de 
guerre  et  de  péril,  au  moment  où  l'on  se  trouve  en  présence  de  tant 
de  villes  et  d'Indiens  guerriers,  ainsi  que  les  mutins  le  disent  eux- 
mêmes.  Gortès  fit  encore  semblant  de  vouloir  maintenir  leur  congé, 
mais  enfin  il  retira  sa  parole.  Les  fugitifs  en  furent  pour  leur  mysti- 
fication et  pour  leur  honte,  et  le  Moron  pour  la  vente  de  son  cheval  ; 
car  Juan  Ruano,  qui  le  tenait,  ne  voulut  pas  le  rendre,  toutes 
choses  que  Gortès  approuva. 

Le  soir  même  nous  partîmes  pour  Gingapacinga. 


CHAPITRE  LI 

De  ce  qui  nous  arriva  à  Cingapacinga;  comme  quoi  à  notre  retour  par  Cempoal  nous 
détruisîmes  les  idoles,  et  d'autres  choses  qui  arrivèrent. 

Les  sept  hommes  qui  voulaient  partir  pour  Cuba  s'apaisèrent,  et 
nous  nous  mîmes  en  marche  avec  les  soldats  d'infanterie  dont  j'ai 
parlé.    Nous   fûmes   coucher  à  Cempoal  où   l'on  avait  préparé,  pour 
marcher  avec  nous,  deux  mille  Indiens  guerriers,  partagés  en  quatre 
bataillons.  Nous  avançâmes  cinq  lieues,  le  premier  jour,  en  très-bon 
ordre,  et  le  lendemain,  après  l'heure  de  vêpres,   nous  arrivâmes  aux 
établissements  qui  se  trouvent  près  de  Gingapacinga.  Les  naturels  du 
lieu  eurent  la  nouvelle  que  nous  approchions.  Or,  lorsque  nous  com- 
mencions à  monter  vers  la  forteresse  et  les  maisons  qui  se  trouvaient 
placées  entre  les  rochers  et  les  escarpements,   huit  Indiens  de  dis- 
tinction et  des  papes  vinrent  pacifiquement  au-devant  de  nous  et  de- 
mandèrent à  Gortès  en  pleurant  pourquoi  il  voulait  les  faire  périr  et 
les    détruire,  tandis  qu'ils  n'avaient  rien  fait  pour  le  mériter,  et  que 
d'ailleurs  nous  avions  la  réputation  de  faire  du  bien  à  tout  le  monde, 
restituant  à  ceux  qui  étaient  volés  et  arrêtant  les  percepteurs  de  Mon- 
tezuma;  que  ces  guerriers  de  Gempoal  qui  venaient  avec  nous  les  pour- 
suivaient d'une  inimitié  de  longue  date,  pour  une  vieille  question  de 
limites  et  de  propriété;  que  maintenant  ils  s'aidaient  de  nous   pour 
les  voler  et  les  faire  périr  ;  qu'il  était  vrai  que  des  Mexicains  avaient 
la  coutume  de  tenir  garnison  dans  leur  village,  mais  que  ces  guer- 
riers étaient  partis  depuis  peu  en  apprenant  que  nous  avions  arrêté 
les  percepteurs  ;   qu'ils  nous   suppliaient  de  ne  pas  aller  plus  avant 
avec  notre  armée  et  que  nous   eussions  pitié  d'eux.  Et  comme  Gortès 
comprit   très-bien   la   situation,  au  moyen  de  nos  interprètes,  doua 
Marina  et  Aguilar,  il  s'empressa  d'ordonner  au  capitaine  Pedro  de  Al- 
varado,  au  mestre  de  camp  Ghristoval  de  Oli  et  à  tous  les  camarades 


DE  LA   NOUVELLE-ESPAGNE.  119 

qui  marchions  avec  lui,  de  nous  opposer  à  ce  que  les  Indiens  de  Gem- 
poal  avançassent  davantage.  Nous  le  fîmes  ainsi;  mais,  malgré  l'em- 
pressement que  nous  mîmes  à  les  retenir,  ils  volaient  déjà  dans  les 
établissements.  Gortès  en  fut  très-irrité.  Il  fit  appeler  à  l'instant  les 
capitaines  qui  commandaient  cette  troupe  de  guerriers,  et  il  leur  dit,, 
en  termes  qui  témoignaient  de  sa  colère  et  avec  de  grandes  menaces, 
qu'ils  eussent  à  lui  amener  tout  de  suite  les  Indiens  et  Indiennes,  et 
rapporter  les  étoffes  et  les  poules  qu'ils  avaient  volées  dans  les  éta- 
blissements, et  qu'aucun  d'eux  n'entrât  dans  le  village;  que,  pour  lui 
avoir  menti  dans  l'intention  de  venir  sacrifier  et  voler  leurs  voisins 
avec  notre  secours,  ils  avaient  mérité  la  mort  ;  que  notre  seigneur  et 
Roi,  dont  nous  sommes  les  sujets,  ne  nous  avait  pas  envoyés  dans  ces 
contrées  pour  qu'ils  se  livrassent  à  de  pareils  méfaits;  qu'ils  ouvris- 
sent bien  les  yeux  et  qu'ils  prissent  garde  de  retomber  dans  la  même 
faute,  parce  qu'il  ne  resterait  pas  parmi  eux  un  seul  homme  vivant. 
Et  aussitôt  les  caciques  et  capitaines  de  Gempoal  apportèrent  à  Gortès 
tout  ce  qu'ils  avaient  volé  :  et  les  Indiens,  et  les  Indiennes,  et  les 
poules.  Il  fit  tout  remettre  à  qui  de  droit,  et,  prenant  un  air  furieux, 
il  leur  commanda  de  nouveau  de  sortir  et  d'aller  camper  en  plein  air, 
ce  qu'ils  s'empressèrent  de  faire. 

Les  caciques  et  les  papes  de  ce  bourg  et  d'autres  villages  des  envi- 
rons virent  alors  à  quel  point  nous  pratiquions  la  justice;  ils  écou- 
tèrent les  paroles  affectueuses  que  Gortès  leur  adressait  par  nos  in- 
terprètes, et  les  choses  relatives  à  notre  sainte  foi,  comme  nous  avions 
pris  la  coutume  de  les  dire,  et  nos  exhortations  pour  qu'ils  abandon- 
nassent leurs  habitudes  de  sacrifices,  de  vols  et  de  saletés  contre 
nature;  ils  écoutèrent  nos  conseils  de  ne  plus  adorer  leurs  maudites 
idoles,  et  plusieurs  autres  choses  dignes  de  respect.  Or,  ayant  en- 
tendu tout  ce  que  je  viens  de  dire,  ils  conçurent  pour  nous  de  tels 
sentiments  d'adhésion  qu'ils  convoquèrent  d'autres  villages  des  envi- 
rons, et  tous  ensemble  ils  jurèrent  obéissance  à  Sa  Majesté.  Ils  firent 
alors  entendre  de  grandes  plaintes  contre  Montezuma,  comme  l'avaient 
fait  déjà  les  habitants  de  Gempoal,  lorsque  nous  étions  au  village  de 
Quiavistlan. 

Le  lendemain,  de  bonne  heure,  Gortès  fit  appeler  les  capitaines  et 
caciques  de  Gempoal,  qui  attendaient  nos  ordres  dans  la  campagne, 
tremblant  de  peur  au  sujet  du  mensonge  dont  ils  s'étaient  rendus 
coupables.  Quand  ils  arrivèrent  en  sa  présence,  il  leur  fit  faire  avec 
les  habitants  de  ce  village  un  traité  d'amitié,  qu'aucun  d'eux  n'en- 
freignit jamais  à  l'avenir.  Aussitôt  après,  nous  nous  mîmes  en  marche 
pour  Gempoal  en  suivant  un  autre  chemin  qui  nous  fit  passer  par 
deux  villages  alliés  de  celui  de  Gingapacinga.  Or,  tandis  que  nous 
nous  reposions,  —  parce  que  le  soleil  était  très-vif  et  que  nous  étions 
arrivés  très-fatigués  par  le  poids  de  nos  armes,  —  un  soldat  nommé 


120  CONQUÊTE 

Mora,  natif  de  Ciudad-Rodrigo,  vola  deux  poules  dans  une  maison 
d'Indien  de  ce  village.  Gortès,  qui  s'en  aperçut,  éprouva  une  telle  co- 
lère pour  la  conduite  que  ce  soldat  avait  osé  tenir  sous  ses  yeux  en 
pays  allié,  que  sur-le-champ  il  lui  fit  passer  une  corde  autour  du  cou, 
et  il  serait  resté  pendu  si  Pedro  de  Alvarado,  qui  se  trouvait  près 
de  Gortès,  n'eût  coupé  la  corde  avec  son  sabre;  le  pauvre  homme 
tomba  à  moitié  mort.  J'ai  voulu  faire  mémoire  ici  de  cet  événement 
pour  que  les  curieux  lecteurs  voient  bien  à  quel  point  Gortès  procé- 
dait par  des  exemples,  et  combien  cela  était  important  dans  notre 
situation.  Ge  soldat  mourut  plus  tard  sur  un  penol,  dans  une  cam- 
pagne faite  contre  la  province  de  Guatemala.  Revenons  à  notre  récit. 
Tandis  que  nous  sortions  de  ces  villages,  que  nous  laissâmes  paci- 
fiés, en  route  pour  Gempoal,  le  cacique  gros  et  d'autres  personnages 
nous  attendaient  dans  des  cabanes  avec  des  vivres.  Ge  n'étaient  que 
des  Indiens,  mais  cela  ne  les  empêcha  pas  de  comprendre  que  la  jus- 
tice est  sainte  et  bonne  et  que,  s'il  ressortait  des  paroles  de  Gortès 
que  nous  venions  redresser  des  torts  et  abattre  des  tyrans,  il  n'avait 
pas  manqué  d'être  fidèle  à  ses  principes  dans  ce  qui  se  passa  en 
cette  petite  campagne.  Ils  nous  en  estimèrent  davantage.  Nous  dor- 
mîmes dans  ces  cabanes,  d'où  les  caciques  nous  accompagnèrent  en- 
suite aux  habitations  de  leur  ville.  Ils  auraient  certainement  bien 
voulu  que  nous  n'en  sortissions  jamais  plus,  parce  qu'ils  craignaient 
que  Montezuma  n'envoyât  contre  eux  ses  gens  de  guerre,  et  ils  dirent 
à  Gortès  que,  puisque  nous  étions  déjà  leurs  amis,  ils  nous  voulaient 
avoir  pour  frères  et  qu'il  serait  bien  que  nous  prissions  leurs  filles 
et  leurs  parentes  pour  assurer  notre  lignée.  Et  tout  de  suite,  pour 
mieux  resserrer  nos  liens,  ils  nous  amenèrent  huit  Indiennes,  filles 
de  caciques.  Ils  en  donnèrent  une  à  Gortès;  elle  était  nièce  du  cacique 
gros  lui-même  ;  une  autre  à  Alonso  Hernandez  de  Puertocarrero  :  c'était 
la  fille  d'un  autre  grand  cacique  appelé  Guesco.  Les  huit  étaient  vê- 
tues de  belles  chemises  du  pays  et  bien  ornées,  selon  l'usage  du  lieu; 
chacune  d'elles  portait  au  cou  un  riche  collier  d'or  et  aux  oreilles  des 
pendants  de  même  métal.  Elles  étaient  accompagnées  d'autres  In- 
diennes destinées  à  les  servir.  En  les  présentant,  le  cacique  gros  dit 
à  Gortès:  «  Tecle  (  ce  qui  veut  dire:  sefior),  ces  sept  jeunes  filles 
sont  pour  tes  capitaines,  et  celle-ci,  qui  est  ma  nièce,  est  pour  toi  ;  elle 
est  maîtresse  de  villages  et  de  vassaux.  »  Gortès  les  reçut  allègrement, 
disant  qu'il  leur  en  savait  gré,  mais  que,  pour  les  accepter  de  manière 
que  leurs  parents  deviennent  nos  frères,  il  faut  qu'ils  n'aient  plus  ces 
idoles  en  lesquelles  ils  croient,  qu'ils  adorent  et  qui  les  trompent; 
qu'il  ne  veut  pas  qu'on  leur  sacrifie  désormais,  et  que,  dès  lors  qu'il 
ne  sera  plus  témoin  de  leurs  vilaines  pratiques  et  de  leurs  sacrifices, 
il  les  tiendra  bien  plus  sûrement  pour  frères  ;  qu'il  est,  du  reste,  néces- 
saire que  ces  femmes  deviennent  chrétiennes  avant  qu'on  les  reçoive. 


DE  LA  NOUVELLE-ESPAGNE.  121 

Il  ajouta  qu'Us  devaient  se  rendre  purs  des  vices  honteux  dont  leurs 
jeunes  hommes  donnaient  continuellement  le  scandale1  ;  que  d'ailleurs 
on  sacrifiait  chaque  jour  sous  nos  yeux  quatre  et  cinq  Indiens  dont 
on  offrait  les  cœurs  aux  idoles,  lançant  le  sang  sur  les  murailles,  cou- 
pant les  jambes,  les  cuisses  et  les  bras  pour  les  manger  comme  viande 
qui  sortirait  de  nos  boucheries  (je  crois  même  qu'on  les  vendait  en 
détail  dans  les  tiangues,  qui  sont  leurs  marches)  ;  et,  finalement, 
pourvu  qu'ils  abandonnassent  leurs  mauvaises  habitudes  et  ces  usages 
non-seuloment  nous  serions  leurs  alliés,  mais  nous  ferions  en  sorte 
de  les  rendre  seigneurs  d'autres  provinces. 

Les  caciques  et  les  papes  répondirent  tout  d'une  voix  qu'il  ne  leur 
convenait  pas  d'abandonner  leurs  idoles  et  leurs  sacrifices;  que  leurs 
dieux  leur  donnaient  la  santé,  les  bonnes  récoltes  et  tout  ce  qui  était 
nécessaire  à  leurs  besoins;  que  pour  ce  qui  regardait  les  vices  hon- 
teux, ils  s'y  opposeraient,  afin  d'obtenir  que  l'usage  n'en  fût  plus  suivi. 
Lorsque  Gortès  et  nous  tous  entendîmes  cette  réponse  si  irrespec- 
tueuse, après  avoir  vu  tant  de  cruautés  et  tant  d'ignominies  déjà  ra- 
contées dans  mon  récit,  nous  n'eûmes  pas  la  patience  d'y  tenir  plus 
longtemps.  Gortès  en  prit  occasion  pour  nous  parler  à  ce  sujet  et  nous 
rafraîchir  la  mémoire  sur  des  points  importants  de  la  saine  doctrine  : 
Gomment  nous  serait-il  possible  de  rien  faire  d'utile  si  nous  ne  veil- 
lions au  soutien  de  l'honneur  divin  et  à  la  ruine  des  sacrifices  que  ces 
hommes  faisaient  à  leurs  divinités?  Il  nous  recommanda  d'être  bien 
sur  nos  gardes  et  prêts  à  combattre  pour  le  cas  où  ils  voudraient  nous 
empêcher  de  détruire  ces  idoles,  ajoutant  qu'il  fallait  absolument 
qu'elles  fussent  renversées  ce  jour-là  même.  Nous  eûmes  donc  le  soin 
de  nous  tenir  armés,  comme  nous  en  avions  du  reste  la  coutume,  bien 
préparés  à  en  venir  aux  mains. 

Gortès  dit  alors  aux  caciques  qu'ils  devaient  se  décider  à  détruire 
leurs  idoles.  Ayant  entendu  ces  paroles,  le  cacique  gros  donna  des 
ordres  à  ses  capitaines,  afin  qu'ils  armassent  un  grand  nombre  de 
guerriers  pour  la  défense  de  leurs  dieux.  Lorsqu'ils  nous  virent  prêts 
à  monter  à  un  de  leurs  temples  muni  d'un  escalier  qui  avait  tant  de 
marches  que  je  ne  me  souviens  plus  du  nombre,  le  cacique  gros  et 
d'autres  personnages  de  distinction  s'agitèrent,  devinrent  furieux  et 
demandèrent,  à  Gortès  pour  quel  motif  nous  voulions  ainsi  mettre  en 
pièces  leurs  idoles,  ajoutant  que  si  nous  avions  l'audace  de  déshonorer 
leurs  dieux  et  de  les  leur  enlever,  ils  périraient  tous  ensemble  et  nous 
feraient  périr  avec  eux.  Gortès  leur  répondit  très-irrité  qu'il  les  avait 
déjà  priés  de  ne  pas  sacrifier  à  ces  mauvaises  figures,  afin  de  ne  plus 

1.  Je  no  traduis  pas  littéralement  ce  passage.  B.  Diaz  s'exprime  avec  plus  de  réa- 
lisme, car  il  dit  :  Y  que  tambien  habian  de  ser  Umpios  de  sodomias,  parque  ttnian 
muchachos  vestidos  en  hâbilo  de  mugeres,  que  andabau  â  ganav  en  aquei  nuildilo 
oficio. 


122  CONQUÊTE 

en  être  dupes  ;  que  c'est  pour  cela  que  nous  venions  les  faire  dispa- 
raître; qu'ils  les  enlevassent  eux-mêmes  sans  retard  s'ils  ne  voulaient 
que  nous  les  fissions  rouler  du  haut  en  bas  des  degrés;  il  ajouta  que 
nous  ne  les  tenions  plus  pour  amis,  mais  pour  nos  adversaires,  puis- 
qu'il leur  donnait  un  bon  conseil  et  qu'ils  ne  voulaient  pas  le  suivre  ; 
considérant,  d'ailleurs,  que  leurs  capitaines  s'étaient  présentés  armés 
en  guerre,  il  était  irrité  contre  eux  et  très-disposé  à  en  tirer  vengeance 
en  les  faisant  périr.  Quand  ils  virent  Gortès  leur  adresser  ces  menaces, 
que  notre  interprète  dona  Marina  savait  fort  bien  leur  exprimer, 
quand  ils  entendirent  celle-ci  leur  parler  des  forces  de  Montezuma, 
qu'ils  attendaient  de  jour  en  jour,  la  crainte  leur  fit  dire  qu'ils  ne  se 
croyaient  pas  dignes  de  s'approcher  de  leurs  dieux  ;  que  si  nous  vou- 
lions nous-mêmes  les  détruire,  nous  le  fissions  sans  leur  consente- 
ment, nous  conduisant  selon  notre  volonté. 

A  peine  avaient-ils  dit  ces  paroles  que  nous  nous  réunîmes  cin- 
quante soldats,  nous  montâmes,  et  nous  précipitâmes  les  idoles,  qui 
roulèrent  en  morceaux.  C'étaient  des  sortes  de  dragons  épouvantables, 
grands  comme  des  veaux,  et  d'autres  figures  représentant  des  demi- 
corps  d'hommes  et  des  chiens  de  haute  stature,  le  tout  de  fort  mau- 
vais aspect.  Les  caciques  et  les  papes  qui  étaient  présents,  les  voyant 
ainsi  mis  en  pièces,  se  prirent  à  pleurer  et  à  se  voiler  la  face,  leur 
demandant  pardon  en  langue  totonaque  et  leur  faisant  observer  qu'ils 
n'étaient  pas  coupables,  puisqu'ils  n'avaient  plus  de  pouvoir,  et  que 
le  sacrilège  venait  de  ces  leules  contre  lesquels  ils  n'osaient  s'armer, 
de  crainte  d'être  livrés  ensuite  sans  défense  aux  Mexicains.  Lorsque 
cela  arriva,  les  capitaines  des  Indiens  guerriers  qu'on  avait  armés 
contre  nous  voulaient  commencer  à  nous  lancer  des  flèches.  Nous  en 
étant  aperçus,  nous  mîmes  la  main  sur  le  cacique  gros,  six  papes,  et 
quelques  autres  personnages  de  distinction.  Cortès  leur  dit  que  s'ils 
se  livraient  à  quelque  démonstration  imprudente,  ils  le  payeraient 
tous  de  leur  vie.  Le  cacique  gros  envoya  des  ordres  sur-le-champ  pour 
que  ses  hommes  s'éloignassent  de  nous  sans  commettre  aucun  acte 
d'hostilité.  Gortès,  les  voyant  apaisés,  leur  adressa  un  discours  dont 
je  vais  dire  la  teneur,  et  tout  fut  ainsi  terminé. 

La  petite  campagne  de  Gingapacinga  fut  la  première  de  Gortès  dans 
la  Nouvelle-Espagne.  Elle  fut  très-fructueuse,  et  cela  ne  se  passa 
nullement  comme  dit  le  chroniqueur  Gomara,  qui  prétend  que  nous 
prîmes,  tuâmes  et  désolâmes  tant  de  milliers  d'hommes  dans  l'affaire 
de  Gingapacinga.  Que  les  curieux  qui  me  liront  veuillent  bien  consi- 
dérer la  différence  qu'il  y  a  entre  nous  deux  :  le  chroniqueur  a  beau 
faire  usage  de  son  style  ;  il  n'en  est  pas  moins  certain  que  ce  qu'il 
écrit  ne  s'est  pas  passé  comme  il  le  conte. 


DÉ  LA  NOUVELLE-ESPAGNE.  123 


CHAPITRE  LU 

Comme  quoi  Cortés  fit  construire  un  autel;  on  y  plaça  une  image  do  Notre  Dame 
et  une  croix;  on  dit  la  messe  et  on  baptisa  les  huit  Indiennes. 

Voyant  que  les  caciques,  les  papes  et  les  principaux  habitants  gar- 
daient le  silence,  Gortès  ordonna  qu'on  portât  en  des  lieux  écartés  et 
que  l'on  brûlât  les  morceaux  des  idoles  brisées.  Huit  papes  préposés 
à  leur  culte  sortirent  alors  d'un  logement,  prirent  leurs  dieux,  les 
emportèrent  dans  la  maison  d'où  ils  étaient  sortis  et  les  y  brûlèrent. 
L'habillement  de  ces  ministres  consistait  en  manteaux  noirs  taillés  en 
linceul,  avec  de  longues  soutanes  arrivant  jusqu'aux  pieds  et  des 
béguins  qui  simulaient  ceux  de  nos  chanoines  ;  quelques-uns  les  por- 
taient plus  petits,    comme  nos  dominicains;    d'autres,  au  contraire, 
en  avaient  de  plus  longs,  descendant  jusqu'à  la  ceinture  ou  jusqu'aux 
pieds,  tellement  couverts  de  sang  et  emmêlés,  qu'on  n'eût    pu    les 
séparer;  ils  avaient  les  oreilles  fendues  :  quelques-uns  même  avaient 
fait  le  sacrifice  complet  des  leurs  ;  ils  répandaient  comme  une  odeur 
soufrée,  bien  souvent  pis  encore,  comme  si  c'eût  été  de  la  chair  morte. 
Nous  apprîmes   que  ces  papes  appartenaient  à  des  familles   distin- 
guées ;  ils  n'étaient  pas  mariés,  mais  ils  s'adonnaient  à  des  vices  hon- 
teux, ce  qui  ne  les  empêchait  pas  de  jeûner  à  certains  jours.  Je  les 
vis  se  nourrir  de  graines  de  coton  qu'ils  mangeaient  après  les  avoir 
débarrassées  de  leur  laine,   mais  je  ne  saurais  dire  s'ils  prenaient 
autre  chose  sans  que  je  pusse  le  voir. 

Laissons  là  les  papes  et  revenons  à  Gortès  qui  fit  aux  Indiens  une 
excellente  conférence,  au  moyen  de  dorïa  Marina  et  de  Geronimo  de 
Aguiiar,  nos  interprètes.  Il  leur  dit  que  nous  les  tenions  maintenant 
pour  frères  et  qu'il  les  aiderait  tant  qu'il  pourrait  contre  Montezuma 
et  ses  Mexicains,  auxquels  il  avait  ordonné  de  ne  plus  leur  faire  la 
guerre  et  de  ne  point  exiger  tribut;  que,  puisqu'ils  n'avaient  plus  à 
placer  des  idoles  au  haut  de  leurs  temples,  il  désirait  leur  donner 
une  grande  madone  qui  est  la  Mère  de  Notre  Seigneur  Jésus-Christ, 
en  qui  nous  croyons  et  que  nous  adorons,  afin  qu'eux  aussi  l'eussent 
pour  dame  et  protectrice.  Or,  en  tout  cela  et  sur  bien  d'autres  choses 
dont  il  fut  question,  on  leur  fit  un  bon  discours,  si  bien  conçu,  eu 
égard  aux  circonstances,  qu'on  ne  pouvait  réellement  rien  dire  de 
mieux.  On  leur  déclara  plusieurs  choses  relatives  à  notre  sainte  foi, 
en  aussi  bons  termes  que  le  font  aujourd'hui  les  religieux  qui  les 
instruisent;  et  ils  écoutèrent  tout  cela  de  très-bon  cœur.  Gortès  fit 
appeler  ensuite  tous  les  maçons  indiens  qui  résidaient  dans  la  ville 
et  ordonna  qu'on  apportât  une  grande  provision   de  chaux,  —  elle 


124  CONQUÊTE 

était  là  très-abondante;  —  il  leur  enjoignit  d'enlever  la  couche  de 
sang  qui  se  trouvait  partout  dans  les  temples  et  de  tout  mettre  en 
ordre.  Le  lendemain  on  peignit  à  la  chaux  et  l'on  fit  un  autel  recou- 
vert de  bonnes  draperies.  Il  fit  apporter  une  grande  quantité  de  roses 
du  pays,  qui  répandent  un  grand  parfum,  ainsi  que  beaucoup  de  bran- 
chages verts,  et  il  en  fit  orner  le  temple,  avec  recommandation  de  le 
tenir  propre  et  continuellement  balayé.  Pour  être  préposés  à  ces  soins, 
il  choisit  quatre  papes,  leur  donnant  l'ordre  de  couper  leur  chevelure, 
qui  était  très-longue  comme  j'ai  eu  occasion  de  le  dire,  et  de  se  cou- 
vrir de  manteaux  blancs  après  avoir  abandonné  ceux  dont  ils  faisaient 
usage;  il  leur  enjoignit  de  se  tenir  toujours  propres  et  d'avoir  soin 
de  cette  sainte  image  de  Notre  Dame,  balayant  le  temple  et  l'ornant 
de  rameaux  et  de  fleurs.  Et  pour  qu'ils  fissent  mieux  leur  devoir,  il 
ordonna  à  un  des  soldats,  vieux  et  boiteux,  appelé  Juan  de  Torres, 
de  Gordova,  de  s'établir  là  comme  ermite  et  de  faire  en  sorte  que 
tout  se  passât  comme  il  l'avait  exigé  des  papes. 

Il  donna  l'ordre  à  nos  charpentiers,  dont  j'ai  déjà  dit  les  noms,  de 
faire  une  croix  et  de  la  placer  sur  un  pilier  très-bien  blanchi  à  la 
chaux,  que  nous  avions  construit  récemment.  Le  lendemain,  le  Père 
fray  Bartolomé  de  Olmedo  dit  la  messe  à  cet  autel;  ce  fut  alors  qu'on 
donna  l'ordre  d'encenser  à  l'avenir  avec  l'encens  indigène  l'image  de 
Notre  Dame  et  la  sainte  croix.  On  leur  apprit  aussi  à  faire  des  cierges 
en  cire,  avec  recommandation  de  les  tenir  sans  cesse  allumés  sur  l'autel 
(jusqu'alors  on  n'avait  pas  encore  mis  la  cire  à  profit  dans  le  pays\ 
Les  principaux  caciques  du  village  et  d'autres  des  environs  assistè- 
rent à  la  messe.  On  amena  les  huit  Indiennes  qui  étaient  encore  au 
pouvoir  de  leurs  pères  et  de  leurs  oncles,  pour  les  rendre  chrétiennes. 
On  leur  fit  comprendre  qu'elles  ne  devaient  plus  sacrifier  ni  adorer 
des  idoles,  mais  croire  en  Dieu  Notre  Seigneur.  On  leur  prêcha  diffé- 
rentes vérités  relatives  à  notre  sainte  foi  et  on  les  baptisa.  On  appela 
la  nièce  du  cacique  gros  dorïa  Gatalina  ;  elle  était  fort  laide  ;  on  l'offrit 
à  Gortès  en  la  tenant  par  la  main,  et  il  la  reçut  gracieusement.  On 
nomma  dona  Francisca  la  fille  de  Guesco,  qui  était  un  grand  cacique; 
pour  une  Indienne,  elle  était  fort  belle  ;  Gortès  la  donna  à  Alonso 
Hernandez  de  Puertocarrero.  Les  six  autres,  dont  je  ne  me  rappelle 
pas  les  noms,  furent  réparties  par  Gortès  entre  des  soldats.  Gela  fait, 
nous  prîmes  congé  de  tous  les  caciques  et  des  principaux  habitants. 
Ils  conçurent  pour  nous  et  nous  conservèrent  toujours  de  bons  senti- 
ments, nous  étant  surtout  reconnaissants  de  ce  que  Gortès  voulût  bien 
accepter  leurs  filles  et  les  emmener  avec  nous  ;  et  après  que  notre 
chef  leur  eut  fait  les  meilleures  offres  de  secours,  nous  revînmes  à 
notre  Villa  Rica,  et  ce  que  nous  y  fîmes,  je  vais  vous  le  dire  à  la  suite. 
Voilà  ce  qui  arriva  dans  cette  ville  de  Gempoal  et  nullement  ce  qu'ont 
écrit  à  ce  sujet  Gomara  et  les  autres  chroniqueurs. 


DE  LA  NOUVELLE-ESPAGNE.  125 


CHAPITRE  LUI 

Comme  quoi  nous  arrivâmes  à  notre  Villa  Rica  de  la  Vera  Cruz  et  ce  qui 

nous  y  advint. 

Quand  nous  eûmes  terminé  cette  campagne  et  cimenté  l'alliance 
entre  les  habitants  de  Gingapacinga  et  ceux  de  Gempoal;  quand  les 
villages  environnants  eurent  juré  obéissance  à  Sa  Majesté;  lorsque 
nous  eûmes  brisé  les  idoles  et  placé  l'image  de  Notre  Dame  avec  la 
sainte  croix,  laissant  le  vieux  soldat  pour  ermite,  ainsi  que  tout  le 
reste  que  j'ai  raconté,  nous  revînmes  à  la  Villa,  en  ramenant  avec 
nous  quelques  personnages  de  Gempoal.  Nous  y  trouvâmes  un  navire 
arrivé  le  jour  même  de  l'île  de  Cuba,  ayant  pour  capitaine  un  cer- 
tain Francisco  de  Saucedo,  que  nous  surnommions  le  Gentil,  parce 
qu'il  se  piquait  surabondamment  de  gentillesse  et  de  galanterie;  on 
disait  même  qu'il  avait  été  maître  d'hôtel  de  l'amiral  de  Gastille.  Il 
était  natif  de  Médina  de  Rioseco.  Là  venait  encore  Luis  Marin  qui 
devint  plus  tard  capitaine  dans  les  affaires  de  Mexico  et  fut  homme  de 
grande  importance.  Il  y  avait  aussi  dix  soldats.  Saucedo  amenait  un 
cheval  et  Luis  Marin  une  jument.  Ils  apportaient  au  surplus  de  Guba 
la  nouvelle  que  le  pouvoir  de  trafiquer  et  de  coloniser  était  venu  de 
Gastille  pour  Diego  Velasquez;  ses  amis  s'en  réjouirent  beaucoup,  et 
surtout  en  apprenant  qu'il  avait  reçu  son  titre  à? adelantado  i  de 
Guba. 

Gomme  d'ailleurs  il  n'y  avait  plus  rien  à  faire  dans  la  Villa  que  ter- 
miner la  forteresse  dont  on  s'occupait  encore,  nous  dîmes  à  Gortès,  la 
plupart  d'entre  nous,  qu'il  fallait  laisser  le  travail  où  il  en  était,  puis- 
qu'il n'y  avait  plus  que  la  charpente  à  poser;  que  nous  étions  depuis 
plus  de  trois  mois  déjà  dans  la  localité,  et  qu'il  serait  bon  d'aller  voir 
ce  que  c'était  que  le  grand  Montezuma,  en  cherchant  à  assurer  notre 
subsistance  et  à  mettre  notre  bonne  fortune  à  l'épreuve;  que  du  reste, 
avant  de  nous  mettre  en  route,  nous  devrions  adresser  nos  hommages 
à  Sa  Majesté,  et  lui  rendre  compte  de  tout  ce  qui  nous  était  advenu 
depuis  notre  sortie  de  l'île  de  Guba. 

Nous  mîmes  en  question  en  même  temps  le  projet  d'envoyer  à  Sa 
Majesté  notre  or,  tant  celui  que  nous  avions  acheté  que  celui  qui  était 
arrivé  en  présent  de  Montezuma.  Gortès  répondit  que  c'était  une  bonne 
pensée  et  qu'il  en  avait  déjà  conféré  avec  quelques-uns  des  siens;  mais 

1.  Vadclantado  était  un  dignitaire  qui  réunissait  en  sa  personne  les  pouvoirs  ci- 
vils et  militaires. 


126  CONQUÊTE 

il  pensait,  quant  à  l'or,  qu'il  y  aurait  peut-être  quelques  soldats  qui 
voudraient  garder  leurs  parts  et  que,  si  les  lots  individuels  étaient 
ainsi  distraits,  ce  que  l'on  pourrait  envoyer  serait  trop  peu  de  chose. 
C'est  pour  cela  qu'il  commissionna  Diego  de  Ordas  et  Francisco  de 
Montejo,  qui  étaient  des  gens  d'affaires,  pour  qu'ils  vissent,  un  par 
un,  les  soldats  qu'on  soupçonnait  de  vouloir  garder  leur  part  d'or. 
Les  commissaires  leur  disaient  :  «  Senores1,  vous  voyez  que  nous 
voulons  faire  présent  à  Sa  Majesté  de  tout  l'or  qu'ici  nous  avons  acquis, 
et  comme  c'est  le  premier  envoi  de  ce  pays,  ce  devrait  être  encore  plus 
que  nous  n'en  avons;  il  nous  semble  que  tous  ont  le  devoir  de  contri- 
buer pour  la  part  qui  leur  revient  ;  quant  à  nous,  les  caballeros  et  soldats 
qui  nous  sommes  inscrits  déjà,  nous  avons  signé  que  nous  n'en  vou- 
lons aucune  et  que  nous  cédons  tout  à  Sa  Majesté,  afin  d'obtenir  ses 
bonnes  grâces.  On  ne  refusera  point  sa  part  à  qui  la  réclamera,  mais 
que  celui  qui  n'en  voudra  pas  fasse  comme  nous  :  qu'il  signe  ce  docu- 
ment. »  Cette  conduite  eut  pour  conséquence  que  tout  le  monde  donna 
sa  signature.  Cela  fait,  on  nomma  pour  commissaires  chargés  d'aller 
en  Castille,  Alonso  Hernandez  Puertocarrero  et  Francisco  de  Montejo 
à  qui  Cortès  avait  déjà  donné  environ  deux  mille  piastres  pour  le 
mettre  de  son  parti.  On  fit  apprêter  le  meilleur  navire  de  la  flotte 
avec  deux  pilotes  dont  l'un  était  Anton  de  Alaminos,  qui  savait  se 
conduire  dans  le  canal  de  Bahama,  où  il  navigua  le  premier.  Nous 
choisîmes  aussi  quinze  matelots  et  on  réunit  sur  le  navire  des  provi- 
sions de  toutes  sortes. 

Ces  diverses  mesures  étant  prises,  nous  convînmes  d'écrire  et  de 
faire  savoir  à  Sa  Majesté  tout  ce  qui  était  arrivé.  Cortès  fit,  pour  son 
compte,  une  relation  exacte,  d'après  ce  qu'il  nous  dit;  mais  nous  ne 


1.  J'ai  à  peine  besoin  de  dire  ce  que  signifie  le  mot  senor  (pluriel,  senores)  dans 
notre  langue.  C'est  l'équivalent  du  mot  monsieur;  mais,  outre  que  cette  dernière 
expression  aurait  été  d'un  ridicule  emploi  dans  la  plus  grande  partie  des  passages  où 
son  usage  serait  devenu  nécessaire,  elle  n'aurait  pas  traduit  partout  d'une  manière 
exacte  le  mot  quelquefois  équivalent  de  la  langue  espagnole.  Je  dis  «  quelquefois  » 
car  le  mot  senor  a  beaucoup  plus  de  noblesse  et  acquiert  une  étendue  plus  considé- 
rable dans  la  langue  de  nos  voisins  que  le  mot  monsieur  dans  la  nôtre.  Ainsi  le  mot 
senor  suffît  à  désigner  la  dignité  royale  presqu'à  l'égal  de  notre  «  sire  »,  employé 
aujourd'hui  uniquement  à  propos  de  Majesté.  C'est  à  tel  point,  —  et  cette  explication 
est  ici  des  plus  nécessaires,  —  c'est  à  tel  point,  dis-je,  que  Bernai  Diaz  n'emploie  ja- 
mais ou  presque  jamais  dans  son  livre  le  mot  de  roi  pour  désigner  Montezuma  et  Gua- 
timozin  ;  c'est  toujours  celui  de  senor  et  gran  senor,  que  du  reste,  pour  ce  cas  excep- 
tionnel seulement,  j'ai  traduit  par  «  seigneur  »  et  «  grand  seigneur  ». 

Le  mot  caballero  (prononcer  en  mouillant  le  II)  sert  à  désigner  très-souvent  le 
sens  que  nous  attachons  encore  au  mot  «  monsieur  »;  mais  il  y  a  dans  sa  valeur 
réelle  quelque  chose  qui  s'allie  à  la  noblesse  de  caractère  du  gentilhomme.  Je  me 
permettrai  d'en  donner  un  exemple  remarquable  en  citant  le  bon  mot  de  la  reine 
Christine  à  un  de  ses  généraux  contre  lequel  elle  avait  un  ressentiment.  Elle  lui  di- 
sait: «  Je  t'ai  fait  noble,  je  t'ai  fait  général,  je  t'ai  fait  comte,  duc,  grand  d'Espagne..-, 
mais  j'ai  le  regret  de  n'avoir  pu  te  faire  caballero.  » 


DE  LA  NOUVELLE-ESPAGNE.  127 

vîmes  pas  sa  lettre.  Les  chefs  de  la  municipalité  écrivirent  en  ajoutant 
à  leur  missive  la  signature  de  dix  soldats;  ils  racontaient  ce  qui  s'était 
passé  à  propos  de  la  résolution  de  coloniser  le  pays  et  de  nommer 
Coites  capitaine  général,  le  tout  avec  sincérité,  sans  que  rien  fût  omis 
dans  la  lettre,  à  laquelle  j'appliquai  aussi  ma  signature.  Outre  ces 
lettres  et  ces  relations,  tous  les  capitaines  et  tous  les  soldats  réunis 
nous  écrivîmes  un  autre  récit  en  forme  de  rapport;  ce  qui  s'y  trouvait, 
c'est  ce  qui  suit. 


CHAPITRE  LIV 

Du  rapport  et  de  la  lettre  que  nous  envoyâmes  à  Sa  Majesté  avec  nos  procureurs  Alonso 
Hernandez  Puertocarrero  et  Francisco  de  Montejo,  et  qui  portaient  la  signature  de 
quelques-uns  de  nos  capitaines  et  soldats. 

Nous  commencions  notre  lettre  par  l'expression  du  respect  qui  est 
dû  à  Sa  Majesté  l'Empereur,  notre  seigneur,  en  ces  termes  abrégés  : 
S.  S.  G.  G.  R.  M.  Nous  disions  ensuite  tout  ce  qu'il  convenait  de  con- 
ter au  sujet  de  notre  voyage  et  de  notre  manière  de  vivre.  J'en  omet- 
trai ici  les  détails,  en  exposant  seulement  les  titres  des  chapitres  : 
comment  nous  partîmes  de  l'île  de  Cuba  avec  Fernand  Gortès;  les 
appels  qui  furent  alors  adressés  au  public  ;  comme  quoi  nous  comprî- 
mes que  nous  allions  coloniser,  tandis  que  Diego  Velasquez  envoyait 
en  secret  pour  trafiquer  de  l'or  et  non  pour  la  colonisation  ;  comment 
Gortès  voulut  s'en  retourner  avec  l'or  acquis,   conformément  aux  in- 
structions qu'il  avait  reçues  de  Diego  Velasquez  et  qui  sont  annexées 
aux  pièces  de  cette  affaire;  comme  quoi  nous  demandâmes  à  Gortès  de 
s'établir  en  colonie,  et  nous  le  nommâmes  capitaine  général  et  grand 
justicier,  jusqu'à  ce  qu'il  plût  à  Sa  Majesté  de  disposer  autrement  ; 
comment  nous  lui  promîmes  la  cinquième  partie  de  ce  qui  resterait, 
après  le  prélèvement  du  quint  royal;  comment  nous  arrivâmes  à  Cozu- 
mel  et  par  suite  de  quels  événements  nous  nous  adjoignîmes  Geronimo 
de  Aguilar  sur  la  pointe  de  Gotoche;  quelle  fut  la  relation  faite  par 
lui  au  sujet  de  son  arrivée  dans  ce  pays  en  compagnie  d'un  Gonzalo 
Gruerrero  qui  voulut  rester  avec  les  Indiens,  parce  qu'il  était  marié, 
avait  des  enfants,  et  se  trouvait  habitué  au  régime  des  indigènes;  comme 
quoi  nous  arrivâmes  à  Tabasco  ;  de  l'attaque  que  nous  eûmes  à  y  sup- 
porter et  des  batailles  que  nous  livrâmes  ;  comment  nous  fîmes  la 
paix  avec  les  naturels  de  cette  province  ;  comme  quoi,  partout  où  nous 
arrivions,  nous  adressions  des  discours  bien  raisonnes  pour  que  les 
habitants  abandonnassent  leurs  idoles,  en  prenant  soin  d'expliqué! 
les  choses  relatives  à  notre  sainte  foi  ;  comment  les  indigènes  de  Ta- 
basco jurèrent  obéissance  à  Sa  Majesté  royale  et  furent  ses  premiers 


128  CONQUÊTE 

sujets  dans  ces  contrées;  comment  ils  nous  donnèrent  en  présent  des 
femmes,  parmi  lesquelles  se  trouvait  une  cacique  qui,  pour  une 
Indienne,  avait  une  grande  importance  et  savait  la  langue  de  Mexico 
dont  on  fait  usage  dans  tout  le  pays,  et  comme  quoi,  avec  elle  et 
Aguilar,  nous  avions  à  notre  disposition  de  véritables  interprètes; 
comment  nous  débarquâmes  à  Saint-Jean  d'Uloa;nos  conférences  avec 
les  ambassadeurs  du  grand  Montezuma  ;  ce  qu'était  le  grand  Monte- 
zuma;  ce  que  Ton  disait  de  sa  grandeur,  et  le  présent  qu'il  nous  en- 
voya; comment  nous  fûmes  à  Gempoal,  qui  est  une  ville  considérable, 
et  de  là  à  un  village  fortifié  appelé  Quiavistlan;  comment  les  habitants 
se  liguèrent  avec  nous  en  refusant  l'obéissance  à  Montezuma,  de  même 
que  trente  autres  villages  qui  s'incorporèrent  au  patrimoine  royal  ; 
comment  nous  partîmes  de  Gingapacinga  ;  comme  quoi  nous  fîmes  la 
forteresse  et  comment  nous  sommes  actuellement  en  marche  pour 
l'intérieur  du  pays,  jusqu'à  ce  que  nous  ayons  une  entrevue  avec  Mon- 
tezuma; comme  quoi  ce  pays  est  très-vaste,  très-peuplé,  possédant 
plusieurs  villes  et  des  habitants  très-belliqueux  ;  comment  ils  parlent 
différentes  langues,  et  sont  en  hostilité  les  uns  contre  les  autres  ; 
comme  quoi  ils  sont  idolâtres,  tuent  et  sacrifient  grand  nombre  d'hom- 
mes, d'enfants  et  de  femmes,  mangent  de  la  chair  humaine  et  se 
livrent  à  des  vices  honteux  ;  comme  quoi  le  premier  qui  découvrit  ce 
pays  fut  Francisco  Hernandez  deCordova;  comment  Juan  de  Grijalva 
vint  après  lui;  et  comme  quoi  maintenant  nous  faisons  présent  à  Sa 
Majesté  des  valeurs  que  nous  avons  acquises,  sous  forme  d'un  soleil 
d'or,  d'une  lune  d'argent,  d'un  casque  plein  d'or  en  grains,  ainsi  qu'il 
sort  des  mines;  divers  genres  d'objets  en  or  sous  des  formes  variées; 
des  étoffes  de  coton  très-belles  et  tissues  déplumes;  diverses  pièces 
en  or,  comme  des  émouchoirs,  des  rondaches  et  beaucoup  d'autres 
choses  dont  je  ne  me  souviens  plus  après  tant  d'années. 

Nous  envoyâmes  aussi  quatre  Indiens  que  nous  retirâmes  de  quatre 
cages  en  bois  où  on  les  avait  mis  à  l'engrais,  à  Gempoal,  afin  de  les 
sacrifier  et  de  les  manger  quand  ils  seraient  à  point. 

Après  avoir  terminé  ce  rapport,  nous  expliquâmes  comment  nous 
restions  dans  ces  royaumes  de  Sa  Majesté  quatre  cent  cinquante  sol- 
dats en  grand  péril,  au  milieu  de  tant  de  villes,  d'habitants  belli- 
queux et  de  redoutables  guerriers,  pour  le  service  de  Dieu  et  de  la 
couronne  royale.  Nous  priâmes  notre  Empereur  qu'il  nous  fît  la  grâce 
de  nous  accorder  tout  ce  qui  nous  deviendrait  nécessaire,  mais  qu'il 
eût  la  bonté  de  ne  concéder  à  personne  le  gouvernement  de  ces  pays, 
parce  qu'ils  sont  riches  à  ce  point  et  peuplés  de  si  grandes  villes 
qu'ils  peuvent  convenir  à  un  infant  d'Espagne  ou  à  un  grand  sei- 
gneur. Nous  ajoutâmes  qu'il  était  à  notre  connaissance  que,  comme 
don  Juan  Rodriguez  de  Eonseca,  évêque  de  Burgos  et  archevêque  de 
Rosano,  était  président  du  Gonseil  des  Indes,  il  en  donnerait  le  com- 


DE  LA   NOUVELLE-ESPAGNE.  129 

mandement  à  un  de  ses  parents  ou  amis,  spécialement  à  un  Diego 
Velasquez  qui  était  actuellement  gouverneur  de  l'île  de  Cuba,  la  rai- 
son étant  qu'il  en  avait  reçu  des  présents  en  or  et  des  villages  d'In- 
diens qui  lui  exploitaient  des  mines  d'or  dans  cette  île;  qu'il  résul- 
tait de  tout  cela  que,  ayant  dû  donner  à  Sa  Majesté  et  à  la  couronne 
royale  les  meilleurs  villages,  et  ne  Lui  en  ayant  attribué  aucun,  Ve- 
lasquez n'est  réellement  digne  de  recevoir  aucune  faveur;  comme 
d'ailleurs  nous  sommes  les  plus  loyaux  serviteurs  de  Sa  Majesté, 
disposés  à  La  servir  jusqu'à  la  fin  de  nos  existences,  nous  Lui  faisons 
tout  savoir  pour  qu'Elle  n'ignore  aucune  chose;  que  nous  sommes 
bien  résolus  à  attendre  l'arrivée  de  son  seing  royal,  après  que  Sa 
Majesté  aura  fait  à  nos  procureurs  la  faveur  de  les  recevoir  quand 
ils  iront  se  mettre  à  ses  pieds  et  Lui  présenter  nos  lettres;  et  alors 
nous  inclinerons  nos  poitrines  vers  la  terre  en  signe  d'obéissance  à 
son  royal  commandement;  mais  si  l'évêque  de  Burgos,  de  son  auto- 
rité privée,  nous  envoyait  n'importe  quelle  personne  pour  être  notre 
gouverneur  ou  notre  capitaine  général,  avant  de  lui  donner  obéis- 
sance, nous  nous  empresserions  de  le  faire  savoir  à  Sa  Royale 
Personne  en  tous  lieux  où  Elle  se  trouvera,  et  qu'en  tout  ce  qui  sera 
de  son  royal  commandement,  nous  obéirons,  ainsi  que  nous  sommes 
obligés  de  le  faire  et  qu'il  convient  à  propos  de  tout  ordre  émanant 
de  notre  Roi  et  seigneur.  Outre  ce  que  je  viens  de  dire,  nous  sup- 
pliâmes Sa  Majesté  qu'en  attendant  qu'Elle  nous  fît  la  faveur  d'autres 
ordres,  Elle  voulût  bien  concéder  le  gouvernement  de  ce  pays  à  Fer- 
nand  Cortès;  et  nous  fîmes  tant  d'éloges  de  sa  personne  et  de  son 
zèle  au  service  royal,  que  nous  l'élevâmes  jusqu'aux  nues. 

Après  avoir  écrit  et  fait  toutes  ces  relations  dans  les  termes  les  plus 
respectueux  et  les  plus  soumis,  ainsi  que  c'était  juste,  ayant  soin  d'y 
procéder  par  chapitres  bien  ordonnés;  lorsque  nous  eûmes  expliqué 
chaque  chose  en  précisant  sa  date  et  la  manière  dont  elle  était  arri- 
vée, le  tout  dans  les  termes  qui  convenaient  pour  notre  Roi  et  sei- 
gneur, et  nullement  avec  la  négligence  que  je  mets  dans  cet  écrit, 
nous  signâmes  notre  lettre,  tous  les  capitaines  et  soldats  qui  étions 
du  parti  de  Gortès,  et  nous  en  fîmes  un  duplicata.  Notre  chef  nous 
pria  de  la  lui  communiquer.  Lorsqu'il  vit  le  rapport  si  exact  que  nous 
faisions  et  les  grandes  louanges  que  nous  avions  ajoutées  relative- 
ment à  sa  personne,  il  en  ressentit  beaucoup  de  joie,  nous  dit  qu'il 
nous  en  savait  gré  et  nous  combla  de  promesses  pour  l'avenir.  Mais 
il  n'aurait  pas  voulu  que  nous  fissions  mention  du  cinquième  en  or 
dont  nous  l'avions  gratifié,  ni  des  capitaines  que  nous  prétendions 
avoir  été  les  premiers  à  découvrir  le  pays,  parce  que,  d'après  ce  que 
nous  apprîmes  plus  tard,  il  ne  parlait  dans  son  rapport  ni  de  Fran- 
cisco Hernandcz  de  Gordova,  ni  de  Grijalva,  tandis  qu'il  s'attribuait 
à  lui  seul  la  découverte  et  l'honneur  de  toute  chose.  Il  nous  dit  que7 

9 


130  CONQUETE 

pour  à  présent,  on  aurait  pu  passer  ces  particularités  sous  silence, 
sans  en  donner  connaissance  à  Sa  Majesté;  mais  il  ne  manqua  pas 
quelqu'un  pour  répondre  qu'on  ne  devait  point  omettre  de  dire  à 
notre  seigneur  et  Roi  tout  ce  qui  arrivait.  Ces  lettres  étant  donc 
écrites  et  remises  à  nos  procureurs,  nous  leur  recommandâmes  de  ne 
point  entrer  à  la  Havane  et  de  ne  pas  s'arrêter  à  la  ferme  que  Fran- 
cisco de  Montejo  possédait  dans  l'île  sous  le  nom  de  Marien;  c'était 
un  port  où  les  navires  pouvaient  aborder.  On  voulait  par  cette  me- 
sure éviter  que  Diego  Velasquez  pût  savoir  ce  qui  se  passait;  mais 
nos  messagers  ne  suivirent  pas  nos  ordres,  ainsi  que  je  le  dirai 
bientôt. 

Tout  étant  prêt  pour  l'embarquement,  le  Père  Bartolomé  de  01- 
medo  dit  la  messe  et  recommanda  nos  voyageurs  au  Saint-Esprit, 
pour  qu'il  leur  servît  de  guide.  Ils  partirent  de  Saint-Jean  d'Uloa 
le  26  du  mois  de  juillet  de  l'an  1519,  et  ils  arrivèrent  à  Cuba  avec 
beau  temps.  Francisco  de  Montejo,  à  force  d'instances,  obtint  que  le 
pilote  Alaminos  dirigeât  le  navire  sur  sa  ferme,  sous  le  prétexte  d'y 
prendre  des  provisions  en  porcs  et  cassave.  On  alla  mouiller  au  port 
de  sa  propriété,  sans  faire  aucun  cas  de  la  présence  de  Puertocarrero, 
qui  était  malade.  La  nuit  même  de  leur  arrivée,  ils  dépêchèrent  un 
matelot  à  terre  avec  des  lettres  et  des  avis  pour  Diego  Velasquez. 
Nous  sûmes  plus  tard  qu'on  lui  avait  donné  l'ordre  d'aller  lui-même 
porter  les  lettres  ;  de  sorte  que  le  matelot  partit  en  toute  hâte,  divul- 
guant de  village  en  village,  par  l'île  de  Cuba,  les  événements  que  je 
viens  de  raconter,  jusqu'à  parvenir  à  instruire  Diego  Velasquez  lui- 
même.  Ce  que  celui-ci  fit  à  ce  sujet,  on  va  le  voir  à  la  suite. 


CHAPITRE  LV 


Comment  Diego  Velasquez,  gouverneur  de  Cuba,  eut  avis  certain  par  ces  lettres  que 
nous  envoyions  des  procureurs  avec  un  message  et  des  présents  pour  notre  Roi,  et 
ce  qui  fut  fait  à  ce  sujet. 

Diego  Velasquez,  gouverneur  de  Cuba,  apprit  donc  les  nouvelles 
par  les  lettres  secrètes  que  Montejo  lui  fit  tenir,  et  par  le  récit  du 
matelot  qui  avait  assisté  à  tous  les  événements  dont  j'ai  parlé  et  qui 
s'était  lancé  à  la  nage  pour  pouvoir  lui  porter  le  message.  En  enten- 
dant parler  du  grand  présent  en  or  que  nous  envoyions  à  Sa  Majestéj 
et  en  apprenant  quels  étaient  les  ambassadeurs,  cédant  à  la  crainte; 
il  se  lamentait  en  paroles  dignes  de  pitié  et  lançait  des  malédictions 
contre  Gortès,  contre  le  secrétaire  Ducro  et  contre  le  commissaire 
Amador  de  Lares.  Sans  perdre  de  temps  d'ailleurs,  il  fit  amener  deux 
navires  de  petit  tonnage,  fort  bons   voiliers;  il  y   embarqua   toute 


DE  LA  NOUVELLE-ESPAGNE.  131 

l'artillerie  et  tous  les  soldats  qui  purent  y  tenir,  avec  deux  capitaines 
nommés  l'un  Gabriel  de  Rojas  et  l'autre  Gruzman.  Il  leur  ordonna 
d'aller  jusqu'à  la  Havane  et  que,  en  tout  état  de  choses,  on  ne  man- 
quât pas  de  lui  amener  prisonnier  le  navire  sur  lequel  se  trouvaient 
les  procureurs  et  tout  l'or  dont  il  était  porteur.  Ils  arrivèrent,  en 
effet,  comme  ils  en  avaient  reçu  l'ordre,  en  un  certain  nombre  de 
jours,  au  canal  de  Bahama.  Ils  demandaient  partout  aux  embarca- 
tions de  cabotage  si  l'on  avait  vu  en  mer  un  navire  de  grand  ton- 
nage ;  tous  donnaient  la  nouvelle  de  l'avoir  rencontré,  ajoutant  que 
sans  doute  il  aurait  déjà  débouché  du  canal  de  Bahama,  attendu  qu'il 
naviguait  avec  beau  temps  ;  mais,  après  avoir  louvoyé  entre  le  canal 
et  la  Havane,  les  deux  navires,  ne  rencontrant  nullement  ce  qu'ils  ve- 
naient chercher,  retournèrent  à  Santiago  de  Cuba. 

Or,  si  déjà  Velasquez  était  triste  et  soucieux  lorsqu'il  envoya  ces 
navires,  il  le  fut  bien  plus  encore  quand  il  les  vit  de  retour  sans  être 
parvenus  à  leur  but.  Ses  amis  lui  conseillèrent  alors  d'expédier  des 
plaintes  en  Espagne,  à  l'évêque  de  Burgos,  président  du  Conseil  des 
Indes,  qui  faisait  beaucoup  pour  lui.  Ses  récriminations  furent  adres- 
sées en  même  temps  à  la  grande  Cour  de  justice  qui  résidait  à  Saint- 
Domingue,  et  aux  Frères  hiéronymites,  fray  Luis  de  Figueroa,  fray 
Alonso  de  Santo-Domingo  et  fray  Bernardino  de  Mancanedo,  qui 
gouvernaient  cette  île.  Ces  religieux  avaient  leur  résidence  originaire 
et  habituelle  dans  le  monastère  de  la  Mejorada,  à  deux  lieues  de 
Médina  del  Gampo.  On  envoya  en  toute  hâte  un  navire  à  la  Respi- 
nola,  en  formulant  beaucoup  d'accusations  contre  Gortès  et  contre 
nous  tous.  Mais  la  Gour  royale  de  justice  ne  manqua  pas  d'être  mise 
au  courant  de  l'importance  de  nos  services  ;  la  réponse  que  les  Frères 
donnèrent  assurait  qu'on  ne  pouvait  absolument  accuser  en  rien 
ni  Gortès  ni  ceux  qui  l'aidaient  dans  son  expédition,  puisque  par- 
dessus toutes  choses  c'était  sur  notre  Roi  et  seigneur  que  nous  comp- 
tions, et  c'était  à  lui  que  nous  adressions  un  présent  si  considérable 
qu'on  n'en  avait  pas  vu  un  semblable  depuis  bien  longtemps  dans 
notre  Espagne.  On  le  pouvait  dire  alors  parce  qu'on  ne  savait  encore 
rien  du  Pérou  en  ce  temps-là.  Il  fut  ajouté  que  non-seulement  nous 
ne  méritions  pas  d'être  accusés,  mais  que  nous  étions  en  tout  dignes 
des  bonnes  grâces  de  Sa  Majesté.  On  envoya  en  conséquence,  à 
Diego  Velasquez,  pour  contrôler  ses  actes,  un  licencié  nommé  Zuazo, 
qui  partit  pour  Guba  ou  qui  se  trouvait  déjà  dans  cette  île  depuis  peu 
de  mois. 

Lorsqu'on  apporta  à  Diego  Velasquez  cette  réponse  de  la  Gour  de 
justice,  il  en  éprouva  encore  plus  de  tristesse  ;  ce  fut  même  au  point 
qu'ayant  été  très-gros  jusque-là,  il  devint  en  peu  de  jours  d'une 
grande  maigreur.  Il  fit  rechercher  dans  l'île,  en  toute  diligence, 
les   navires  dont    on  pouvait  disposer;  il    réunit    soldats  et    capi- 


132  CONQUÊTE 

taines  afin  de  rendre  possible  l'envoi  d'une  grande  flotte  pour  arrêter 
Gortès  ainsi  que  nous  tous.  Il  mettait  tant  d'entrain  dans  ses  apprêts 
qu'il  allait  lui-même  courant  de  ville  en  ville,  de  ferme  en  ferme, 
écrivant  à  tous  les  endroits  de  l'île  où  il  ne  pouvait  aller  en  per- 
sonne, pour  prier  ses  amis  de  s'engager  dans  cette  expédition.  De 
telle  manière  que,  en  onze  ou  douze  mois,  il  réunit  dix-huit  navires 
grands  ou  petits  et  environ  treize  cents  soldats,  en  y  comptant  les 
capitaines  et  les  gens  de  mer  ;  parce  que,  en  le  voyant  prendre  à  ce 
point  l'affaire  à  cœur,  les  principaux  habitants  de  Cuba,  entre  pa- 
rents et  propriétaires  d'Indiens,  s'apprêtèrent  à  lui  rendre  ce  service. 
Il  envoya  en  qualité  de  capitaine  général  de  l'expédition  un  hidalgo 
nommé  Pamphilo  de  Narvaez,  homme  corpulent  et  de  taille  élevée, 
affectant  de  parler  d'une  voix  caverneuse1.  Il  était  natif  de  Valladolid 
et  marié,  à  l'île  de  Cuba,  avec  une  veuve  appelée  Maria  de  Valen- 
zuela,  qui  était  fort  riche  et  possédait  de  bons  villages  d'Indiens.  Je 
le  laisserai,  pour  à  présent,  occupé  à  préparer  sa  flotte,  et  je  revien- 
drai à  nos  procureurs  et  à  leur  bon  voyage,  car,  attendu  qu'en  un 
même  temps  trois  ou  quatre  choses  arrivaient  à  la  fois,  il  m'est  im- 
possible de  suivre  le  iil  de  mon  récit  en  omettant  les  accessoires  qui 
s'y  rattachent.  Veuillez  pour  ce  motif  ne  pas  m'en  vouloir  si  je  m'é- 
loigne de  mon  ordre  naturel  pour  dire  ce  qui  se  passa. 


CHAPITRE  LVI 


Comme  quoi  nos  procureurs  débouchèrent  avec  beau  temps  du  canal  de  Bahama, 
arrivèrent  en  Castille  en  peu  de  jours  et  ce  qui  leur  arriva  en  Cour. 

J'ai  déjà  dit  que  nos  procureurs  partirent  du  port  de  Saint-Jean 
d'Uloa  le  26  juillet  1519,  qu'ils  arrivèrent  aux  parages  de  la  Havane 
avec  beau  temps  et  débouchèrent  du  canal  par  des  passages  où  l'on 
naviguait  pour  la  première  fois.  Ils  atteignirent  rapidement  les  îles 
Terceras  et  de  là  Séville,  d'où  ils  partirent  en  poste  pour  la  Cour, 
qui  résidait  alors  à  Valladolid.  Le  président  du  Conseil  royal  des 
Indes  était  don  Juan  Rodriguez  de  Fonseca,  évêque  de  Burgos,  qui 

1.  Le  texte  dit  :  hombre  alto  de  cuerpo,  y  mernbrudo,  y  hablada  algo  entonado, 
como  medio  deboveda.  Le  mot  entonado  indiquant  la  prétention,  j'avais  cru  d'abord 
pouvoir  traduire  par  ces  mots  :  «  Il  se  donnait  des  airs  en  parlant.  »  J'avais  été  con- 
duit à  celle  interprétation  en  rapportant  le  membre  de  phrase  suivant  :  medio  de 
boveda,  «  à  demi  en  voûte  »,  à  l'apparence  du  corps.  Une  plus  juste  réflexion  me  fait 
croire  aujourd'hui  que  ce  second  membre  de  phrase  se  raDporte  à  l'intonation  de  la 
voix  «  qui  résonnait  à  moitié  comme  sous  une  voûte  ».  J'ai  cru  dès  lors  pouvoir  dire  : 
«  Affectant  de  parler  d'une  voix  caverneuse  ».  Je  suis  certain  que  telle  a  été  la  pen- 
sée de  l'auteur. 


DE  LA   NOUVELLE-ESPAGNE.  133 

se  (lisait  archevêque  de  Rosano  et  tenait  alors  la  tête  de  la  Cour 
parce  que  l'Empereur  noire  maître,  encore  fort  jeune,  se  trouvait  en 
Flandre.  En  allant  baiser  les  mains  au  président,  nos  procureurs 
étaient  fort  joyeux,  espérant  de  grandes  faveurs  à  propos  de  la  pré- 
sentation de  nos  lettres,  de  nos  rapports,  de  l'or  et  des  joyaux.  Ils  le 
prièrent  de  dépêcher  sur-le-champ  un  courrier  à  Sa  Majesté  avec  le 
présent  et  les  lettres,  se  disposant  eux-mêmes  à  l'accompagner  pour 
baiser  les  pieds  royaux.  Mais,  au  lieu  de  leur  faire  fête,  le  président 
se  montra  peu  affectueux  et  peu  désireux  de  leur  être  favorable  ;  il 
leur  adressa  même  quelques  paroles  empreintes  de  sécheresse  et  de  du- 
reté. Nos  envoyés  lui  dirent  alors  qu'il  voulût  bien  considérer  les 
grands  services  que  Gortès  et  ses  compagnons  nous  rendions  à  Sa 
Majesté  ;  qu'on  le  suppliait  encore  d'envoyer  à  Sa  Majesté,  sans  per- 
dre de  temps,  et  l'or  et  les  joyaux,  les  lettres  et  les  rapports,  afin 
qu'Elle  pût  savoir  tout  ce  qui  se  passait,  ajoutant  que,  du  reste,  ils 
iraient  eux-mêmes  avec  l'envoyé.  Le  président  leur  fit  de  nouveau 
une  réponse  arrogante  ;  il  leur  ordonna  de  ne  s'occuper  nullement  de 
l'affaire,  et  ajouta  qu'il  écrirait  lui-même  ce  qui  se  passait  et  non  ce 
qu'ils  venaient  de  lui  dire,  la  vérité  étant  qu'ils  s'étaient  soulevés 
contre  Diego  Velasquez.  On  échangea  d'autres  paroles  avec  beaucoup 
d'aigreur. 

Sur  ces  entrefaites  arrivait  à  la  cour  Benito  Martin,  chapelain  de 
Diego  Velasquez,  dont  j'ai  déjà  fait  mention.  Il  fit  de  grandes  plaintes 
contre  Gortès  et  nous  tous,  ce  qui  irrita  beaucoup  plus  l'évêque  à 
notre  sujet.  Alonso  Hernandez  Puertocarrero,  en  sa  double  qualité  de 
caballero  et  de  cousin  du  comte  de  Medellin,  après  avoir  vu  que  Mon- 
tejo  n'osait  pas  contrarier  le  président,  se  hasarda  à  dire  à  l'évêque, 
en  le  suppliant  avec  insistance,  qu'on  voulût  bien  les  écouter  sans 
passion  et  ne  pas  leur  faire  les  réponses  qu'on  venait  d'entendre  ; 
qu'on  envoyât  à  Sa  Majesté  les  messages  tels  qu'ils  venaient  de  les 
apporter  ;  que  nous  étions  tous  serviteurs  de  la  couronne  royale  et 
que,  quant  à  eux-mêmes,  ils  étaient  dignes  d'être  honorés  et  nulle- 
ment qu'on  leur  fît  affront  en  paroles  peu  mesurées.  L'évêque,  ayant 
enlendu  ce  discours,  donna  l'ordre  d'arrêter  Puertocarrero,  se  fondant 
aussi  sur  le  rapport  qu'on  lui  faisait  que,  trois  ans  auparavant,  il 
avait  enlevé  à  Medellin  et  emmené  dans  les  Indes  une  dame  appelée 
Maria  Rodriguez.  Il  en  résultait  que  tous  nos  services  et  tous  nos 
présents  en  or  en  arrivaient  au  succès  que  je  viens  de  dire.  Nos  mes- 
sagers convinrent  de  garder  le  silence  jusqu'à  meilleur  temps.  L'é- 
vêque écrivit  à  Sa  Majesté  en  Flandre,  en  faveur  de  son  protégé  et 
ami  Diego  Velasquez,  s'exprimant  en  fort  mauvais  termes  au  sujet  de 
Fernand  Gortès  et  de  nous  tous.  Mais  il  ne  fit  nullement  mention  des 
lettres  que  nous  avions  envoyées,  se  contentant  de  dire,  sans  ajouter 
grand'chose,  que  Fernand  Cortès  s'était  soulevé  contre  Diego  Velasquez. 


134  CONQUÊTE 

Mais  revenons-en  à  Alonso  Hernandez  Puertocarrero,  à  Francisco  de 
Montejo,  et  à  Martin  Cortès,  le  père  de  notre  chef.  Gomme  ils  s'oc- 
cupaient grandement  de  ses  intérêts,  ils  convinrent  d'envoyer  des 
messagers  en  Flandre  avec  d'autres  lettres  semblables  à  celles  qui 
avaient  été  livrées  à  l'évêque  de  Burgos,  parce  que  nos  procureurs 
les  avaient  apportées  en  duplicata.  Ils  écrivirent  à  Sa  Majesté  tout 
ce  qui  se  passait,  lui  donnèrent  les  détails  relatifs  aux  joyaux  et  aux 
présents  en  or,  et  lui  adressèrent  leurs  plaintes  au  sujet  de  l'évêque, 
dévoilant  en  même  temps  ses  connivences  et  ses  affaires  avec  Diego 
Velasquez.  D'autres  caballeros  leur  vinrent  en  aide,  parmi  ceux  qui 
n'étaient  pas  au  mieux  avec  don  Juan  Rodriguez  de  Fonseca;  car  ses 
excès  et  ses  orgueilleuses  manières  dans  les  grandes  charges  qu'il 
occupait  lui  avaient  suscité  des  inimitiés.  Et  comme  d'ailleurs  nos 
grands  services  étaient  rendus  au  nom  de  Dieu  Notre  Seigneur  et  au 
profit  de  Sa  Majesté,  et  que  nous  puisions  nos  forces  dans  cette  pen- 
sée, le  bon  Dieu  voulut  que  notre  Empereur  arrivât  à  tout  voir  dans 
sa  plus  grande  clarté.  Or,  quand  il  parvint  à  tout  comprendre,  il  en 
témoigna  une  telle  joie,  et  les  ducs,  marquis,  comtes  et  chevaliers  qui 
se  trouvaient  à  la  Cour  s'en  réjouirent  à  ce  point  que,  pendant  plu- 
sieurs jours,  on  ne  parla  plus  que  de  Cortès  et  de  nous  tous  qui  l'ai- 
dions dans  ses  conquêtes,  ainsi  que  des  richesses  que  de  ces  contrées 
nous  envoyâmes.  Aussi,  tant  pour  cela  qu'à  cause  des  lettres  que 
l'évêque  de  Burgos  lui  avait  écrites  à  ce  sujet,  et  que  Sa  Majesté  put 
considérer  comme  étant  le  contraire  de  la  vérité,  l'Empereur  se  méfia 
de  l'évêque  à  partir  de  ce  jour,  tenant  compte  surtout  de  ce  qu'il  n'avait 
pas  envoyé  tous  les  objets  d'or  et  s'en  était  approprié  une  grande 
partie.  Le  président-évêque  en  fut  informé  par  des  lettres  qu'on  lui 
écrivit  de  Flandre  ;  il  en  fut  très-vivement  irrité,  et  si,  avant  que  nos 
lettres  parvinssent  à  Sa  Majesté,  il  avait  pris  plaisir  à  mal  parler,  de 
Cortès  et  de  nous  tous,  dorénavant  ce  fut  pis  encore,  car  il  criait  sur 
les  toits  que  nous  étions  des  traîtres.  Mais,  grâce  à  Dieu,  il  eut  enfin 
à  rabaisser  sa  fougue  et  sa  bravoure  parce  que,  deux  ans  après,  il  fut 
destitué  et  chassé  même  avec  affront.  Nous,  au  contraire,  nous  pas- 
sâmes pour  de  loyaux  serviteurs,  ainsi  que  je  l'expliquerai  quand  le 
moment  en  sera  venu.  Sa  Majesté  s'empressa  d'écrire  qu'Elle  ne  tar- 
derait pas  à  venir  enCastille,  qu'Elle  s'occuperait  en  personne  de  ce 
qui  pourrait  nous  convenir  et  répandrait  sur  nous  ses  faveurs.  Comme 
d'ailleurs  j'aurai  à  dire  plus  tard  en  détail  ce  qui  advint  à  ce  sujet, 
je  n'en  parlerai  plus  actuellement  et  je  laisserai  nos  procureurs  at- 
tendre l'arrivée  de  Sa  Majesté. 

Avant  d'aller  plus  loin,  je  veux  dire  ce  que  certaines  personnes  fort 
curieuses  m'ont  demandé,  —  et  je  trouve  qu'elles  ont  eu  raison  de 
le  faire  :  —  elles  veulent  savoir  comment  il  se  fait  que  je  puisse 
mettre  dans  ce  récit  ce  que  je  n'ai  pas  vu,  puisque  j'étais  occupé  à  la 


DE  LA  NOUVELLE-ESPAGNE.  135 

conquête  de  la  Nouvelle-Espagne  lorsque  nos  procureurs  livrèrent 
les  lettres,  les  rapports,  le  présent  en  or,  apportés  pour  Sa  Majesté, 
et  qu'ils  curent  leur  différend  avec  l'évêque  de  Burgos.  A  cela  je  ré- 
ponds que  nos  procureurs  nous  écrivaient,  à  nous  les  véritables  con- 
quistadores, point  par  point  et  par  chapitres  distincts,  tout  ce  qui  se 
passait,  soit  à  propos  de  l'évêque  de  Burgos,  soit  au  sujet  de  ce  que 
Sa  Majesté  eut  la  bonté  d'ordonner  en  notre  faveur.  Gortès  nous  fai- 
sait part  d'autres  lettres  qu'il  recevait  de  nos  procureurs  dans  les 
villes  où  nous  vivions  alors,  afin  que  nous  pussions  savoir  à  quel 
point  nous  étions  en  bons  termes  avec  Sa  Majesté  et  quel  grand  en- 
nemi nous  avions  en  l'évêque  de  Burgos.  Et  voilà  ce  que  j'avais  à 
répondre  au  sujet  de  ce  que  m'ont  demandé  les  personnes  dont  j'ai 
parlé. 

Laissons  cela  et  disons  dans  un  autre  chapitre  ce  qui  se  passa  dans 
notre  quartier  royal. 


CHAPITRE  LVII 

Comme  quoi  nos  envoyés  partirent  vers  Sa  Majesté  avec  tout  l'or,  les  lettres  et 
les  rapports  combinés  dans  notre  campement.  Événements  de  justice  par  ordre 
de  Cortès. 

Gomme  les  cœurs  des  hommes  sont  ainsi  faits  qu'ils  diffèrent  les 
uns  des  autres  par  leurs  manières  de  voir,  il  paraît  que,  quatre  jours 
après  le  départ  de  nos  procureurs  vers  l'Empereur  notre  seigneur, 
quelques  amis  et  serviteurs  de  Diego  Velasquez  eurent  des  démêlés 
avec  Gortès.  C'étaient  Pedro  Escudero,  Juan  Cermeno,  un  certain 
Gronzalo  de  Umbria,  le  pilote  Bernardino  de  Goria,  qui  devint  plus 
tard  habitant  de  Ghiapa,  un  prêtre,  nommé  Juan  Diaz,  et  certains 
marins  natifs  de  Gibraleon,  appelés  Pénates.  Ils  avaient  pour  motif, 
les  uns  qu'on  ne  leur  avait  pas  donné  leur  congé  pour  retourner  à 
Cuba,  ainsi  qu'on  le  leur  avait  promis;  d'autres,  qu'il  ne  leur  fut  pas 
remis  la  part  d'or  qu'on  envoya  en  Castille;  les  Pénates,  qu'ils  furent 
fouettés  à  Cozumel,  ainsi  que  je  l'ai  dit,  lorsqu'ils  volèrent  les  porcs 
à  un  soldat  nommé  Berrio.  Ils  se  concertèrent  afin  de  s'emparer  d'un 
navire  de  petit  tonnage  et  s'en  aller  ainsi  à  Cuba,  pour  informer 
Diego  Yelasquez,  et  dans  le  but  de  lui  indiquer  comment  il  pourrait 
s'emparer  de  nos  procureurs,  de  l'or  et  de  nos  lettres,  lors  de  leur 
escale  à  Cuba  dans  l'établissement  de  Francisco  de  Montejo  ;  car 
on  avait  su  que  quelques  personnes  de  notre  campement  leur 
avaient  donné  le  conseil  de  s'arrêter  en  route  dans  cette  ferme.  Il  fut 
même  écrit  des  lettres  à  l'avance,  afin  que  Diego  Velasquez  eût  le 
temps  de  s'emparer  de  nos  messagers. 


136  CONQUETE 

Les  conspirateurs  que  j'ai  nommés  avaient  déjà  fait  leurs  provi- 
sions en  pain  de  cassave,  huile,  poisson,  eau  et  quelques  autres  mi- 
nuties qu'on  pouvait  se  procurer. 

Ils  étaient  même  sur  le  point  de  s'embarquer,  un  peu  après  minuit, 
lorsque  Bernardino  de  Goria,  l'un  d'eux,  eut  regret  de  s'en  retourner 
à  Cuba  et  fut  en  avertir  Gortès.  Aussitôt  que  notre  chef  sut  et  les 
moyens  d'action,  et  le  nombre  des  coupables,  et  les  causes  du  départ 
et  tous  ceux  qui  y  avaient  contribué  par  leurs  conseils,  il  s'empressa 
de  faire  retirer  du  navire  les  voiles,  la  boussole  et  le  gouvernail,  et 
il  ordonna  qu'on  les  arrêtât  tous.  Il  procéda  à  leur  interrogatoire  ;  ils 
confessèrent  la  vérité  et  ils  accusèrent  même  comme  étant  leurs  com- 
plices quelques-uns  des  nôtres,  à  propos  desquels  on  usa  de  prudence 
en  se  taisant,  parce  que  les  circonstances  ne  permettaient  pas  autre 
chose.  Il  y  eut  un  jugement  à  la  suite  duquel  fut  donné  l'ordre  de 
pendre  Pedro  Escudero  et  Juan  Cermeno,  de  mutiler  les  pieds1  au 
pilote  Gonzalo  de  Umbria  et  d'appliquer  aux  matelots  Pénates,  à 
chacun,  deux  cents  coups  de  fouet.  On  aurait  également  châtié  le  Père 
Juan  Diaz  s'il  n'eût  été  prêtre  ;  on  se  contenta  de  lui  faire  peur.  Je 
me  rappelle  que  lorsque  Gortès  signa  cette  sentence  il  dit  en  soupirant 
et  avec  les  marques  d'un  grand  regret  :  ci  Qu'on  serait  heureux  de  ne 
savoir  point  écrire,  afin  de  ne  pas  signer  des  morts  d'hommes!  »  Il  me 
semble  que  cette  manière  de  dire  est  très-pratiquée  parmi  les  juges 
qui  condamnent  les  gens  à  des  peines  capitales.  Ils  la  renouvellent  de 
ce  cruel  Néron,  au  temps  où  il  se  montra  bon  empereur. 

Aussitôt  que  l'exécution  fut  faite,  Gortès  partit  à  bride  abattue  pour 
Gempoal,  qui  est  à  cinq  lieues  de  la  Villa,  nous  donnant  l'ordre  de  le 
suivre  au  nombre  de  deux  cents  soldats,  en  y  comprenant  tous  les  ca- 
valiers. Je  me  souviens  aussi  que  trois  jours  auparavant  Gortès  avait 
envoyé  Pedro  de  Alvarado,  avec  deux  cents  soldats  également,  aux 
villages  de  la  sierra,  pour  s'y  procurer  quelques  vivres,  parce  que 
nous  souffrions  beaucoup  de  privations  dans  notre  résidence.  Il  le  fit 


1.  Supplice  de  cortar  los  pies.  On  est  tout  d'abord  fort  embarrassé  pour  savoir  ce 
qu'il  faut  entendre  par  cet  ordre  de  Cortès  de  couper  les  pieds  au  soldat  Umbria; 
car  c'est  là  la  traduction  littérale  des  expressions  de  13.  Diaz  à  ce  sujet.  Mais  on  se  de- 
mande bien  naturellement  s'il  est  possible  que  Cortès  se  donne  ainsi  volontiers  les 
embarras  d'un  homme  désormais  impropre  à  la  marche.  Il  paraît  plutôt  juste  d'adou- 
cir les  termes  dont  notre  auteur  s'est  servi;  d'autant  plus  qu'en  ces  temps-là  il 
n'était  pas  rare  de  voir  appliquer  la  pratique  barbare  d'une  mutilation  portant  sur  les 
orteils  seulement.  Cortès  ordonna  donc  sans  doute  qu'on  coupât,  non  les  pieds,  mais 
les  orteils  au  soldat  Umbria.  Il  est  même  probable  qu'il  ne  lesfitébrécher  que  fort  légè- 
rement ;  car  nous  verrons  bientôt  ce  môme  soldat,  à  Mexico,  choisi  par  son  général 
pour  aller  à  pied  reconnaître  des  gisements  miniers  à  la  distance  de  quatre-vingts 
lieues,  exercice  qui  serait  devenu  par  trop  pénible  après  une  mutilation  considérable. 
Et  d'ailleurs,  tout  à  fait  à  la  fin  de  son  livre,  B.  Diaz,  rendant  compte  de  la  mort 
d'Umbria,  le  désigne  par  ces  mots  :  «  celui-là  même  à  qui  Cortès  fit  couper  les  doigts 
des  pieds.  » 


DE  LA  NOUVELLE-ESPAGNE,  137 

se  diriger  sur  Gempoal,  pour  que  nous  y  prissions  nos  dispositions 
au  sujet  de  notre  voyage  à  Mexico.  Il  résulta  de  cela  que  Pedro  de 
Alvarado  ne  fut  pas  présent  à  l'exécution  dont  j'ai  parlé.  Je  vais  dire, 
à  la  suite,  comment  nous  disposâmes  toutes  choses  lorsque  nous  fumes 
réunis  à  Gempoal. 


CHAPITRE  LVIII 

Comme  quoi  nous  résolûmes  de  marcher  sur  Mexico  et  de  détruire  notre  flotte  avant 
départir  ;  et  ce  qui  se  passa  encore.  Comme  quoi  le  fait  de  détruire  nos  navires  fut 
le  résultat  du  conseil  et  de  l'accord  entre  les  amis  de  Cortès. 

Lorsque  nous  étions  à  Gempoal  et  que  nous  nous  entretenions  avec 
Cortès  sur  les  événements  de  la  guerre  et  sur  notre  départ  pour  l'in- 
térieur du  pays,  la  conversation  nous  entraîna,  nous  tous  qui  étions 
ses  amis,  à  lui  conseiller  de  ne  laisser  aucun  navire  dans  le  port  et  de 
les  détruire  tous,  afin  qu'il  ne  restât  plus  d'occasion  pour  que  quel- 
ques soldats  se  soulevassent,  pendant  que  nous  serions  dans  l'inté- 
rieur, comme  ils  l'avaient  déjà  fait  en  notre  présence.  Au  surplus, 
nous  obtiendrions  ainsi  l'auxiliaire  des  maîtres,  pilotes  et  matelots, 
c'est-à-dire  cent  hommes  environ  qui  nous  seraient  d'un  meilleur  se- 
cours pour  combattre  que  pour  rester  au  port.  Du  reste,  j'eus  lieu  de 
croire  que  la  pensée  d'échouer  les  navires,  que  nous  soumîmes  alors 
à  Cortès,  il  l'avait  lui-même  conçue,  mais  il  avait  désiré  qu'elle  pa- 
rût ressortir  de  nos  conseils,  afin  que  si  quelque  réclamation  lui  re- 
venait un  jour  sur  l'obligation  de  payer  ces  navires,  il  pût  dire  qu'il 
avait  agi  selonnos  avis,  et  que  nous  tous  devions  en  répondre.  Il  donna 
l'ordre  aussitôt  à  Juan  deEscalante,  qui  était  alguazil  mayor,  homme 
de  grande  valeur,  ami  de  Cortès  et  ennemi  de  Velasquez,  —  parce  qu'il 
n'en  avait  pas  obtenu  de  bons  Indiens  à  Cuba — ,  il  lui  ordonna,  dis- 
je,  d'aller  immédiatement  à  la  Villa,  et  de  retirer  des  navires  les  an- 
cres, câbles,  voiles  et  tout  ce  qui  pourrait  avoir  quelque  utilité  parmi 
les  objets  contenus;  qu'ensuite  il  les  fît  tous  échouer,  en  ne  conser- 
vant que  les  bateaux1.  Les  pilotes,  les  maîtres  d'équipage  et  les  ma- 
telots trop  vieux  pour  faire  campagne  devaient  rester  dans  la  Villa 
avec  deux  hommes  munis  de  filets,  qui  seraient  chargés  de  la  pêche; 
car  ce  port  était  poissonneux,  quoique  sans  abondance. 


1.  Destruction  de  la  flotte.  Ce  fait  de  la  campagne  de  Cortès  n'est  pas  seulement 
un  des  plus  extraordinaires  que  l'histoire  nous  ait  transmis,  mais  encore  il  domine 
à  ce  point  les  événements  de  cette  mémorable  conquête,  que  ceux-ci  eussent  tous 
avorté  peut-être,  si  la  présence  des  navires  eût  entretenu  l'espoir  de  la  désertion  et 
du  retour  possible  à  Cuba  parmi  les  hommes  de  l'expédition.  On  a  beaucoup  discuté 
sur  les  mobiles  dune  résolution  si  digne  de  mémoire.  Nous  ne  croyons  pas,  quant  à 


133  CONQUÊTE 

JuandeEscalantefit  toutes  choses  selon  l'ordre  qu'il  avait  reçu,  et  il 
revint  aussitôt  à  Gempoal  avec  une  compagnie  formée  par  des  gens  de 
mer  débarqués.  Quelques-uns  d'entre  eux  devinrent  d'excellents  sol- 
dats. Gela  étant  fait,  Cortès  manda  tous  les  caciques  de  la  montagne, 
appartenant  aux  villages  confédérés  qui  s'étaient  soulevés  contre  Mon- 
tezuma.  Il  leur  expliqua  les  secours  qu'ils  devaient  prêter  à  la  Villa 
Rica,  pour  achever  l'église,  la  forteresse  et  les  maisons.  Il  prit  alors 
devant  eux  la  main  de  Juan  de  Escalante  et  il  ajouta  :  «  Voici  mon 
frère  ;  ce  qu'il  commandera,  vous  devez  l'exécuter  ;  s'il  vous  arrive 
d'avoir  besoin  d'aide  contre  quelques  Indiens  mexicains,  c'est  à  lui 
que  vous  devez  vous  adresser;  il  ira  en  personne  à  votre  secours.  » 
Tous  les  caciques  firent  l'offre  de  se  soumettre  bien  volontiers  à  ses 
ordres,  et  je  me  rappelle  qu'aussitôt  ils  encensèrent  Juan  de  Esca- 
lante avec  leurs  parfums,  malgré  sa  résistance  à  se  laisser  faire.  J'ai 
déjà  dit  que  c'était  un  homme  considérable  et  très-apte  à  occuper 
n'importe  quel  emploi  ;  il  était  d'ailleurs  ami  de  Gortès,  et  c'est  dans 
cette  confiance  que  celui-ci  lui  donna  le  commandement  de  cette  ville, 


nous,  qu'il  soit  opportun  d'y  engager  notre  étude.  Il  suffira  de  rapporter  ce  que  Cortès 
en  a  dit  lui-même  dans  sa  relation  à  l'empereur  Charles-Quint.  Dans  ce  mémorable 
et  court  récit,  ce  qui  est  bien  digne  de  surprendre  au  premier  abord,  c'est  la  simpli- 
cité du  rapport  de  ce  grand  homme  de  guerre.  Il  ne  paraît  pas  se  douter  le  moins  du 
monde  qu'en  détruisant  sa  flotte  il  accomplit  un  fait  héroïque  destiné  à  perpétuer  son 
nom  dans  l'admiration  des  siècles.  C'est  avec  la  plus  grande  froideur  qu'il  dit  natu- 
rellement, dans  son  récit  : 

«  En  sus  du  désir  qu'entretenaient  plusieurs  anciens  familiers  et  amis  de  Diego  Ve- 
lasquez  de  sortir  de  ce  pays,  il  yen  avait  d'autres  qui,  le  voyant  si  étendu,  si  peuplé, 
tandis  que  nous  étions  nous-mêmes  si  peu  nombreux,  vivaient  dans  les  mêmes  aspi- 
rations. J'en  arrivai  à  croire  que  si  je  laissais  subsister  les  navires,  tous  ceux  qui 
nourrissaient  cette  pensée  s'en  prévaudraient  pour  se  soulever  contre  moi  et  fuir  en 
me  laissant  presque  seul,  annulant  ainsi  les  bons  services  rendus  à  Dieu  etàVotre  Al- 
tesse dans  ce  pays.  Je  m'ingéniai  donc  à  démontrer  que  lesdits  navires  n'étaient  plus 
aptes  à  naviguer  et,  sous  ce  prétexte,  je  les  fis  échouer  sur  la  côte.  C'est  par  là  que 
mes  hommes  perdirent  tout  espoir  de  sortir  de  cette  contrée,  et  je  pus  avancer  avec 
plus  de  sécurité,  n'ayant  plus  la  crainte,  à  peine  aurais-je  tourné  le  dos,  de  perdre 
tous  ceux  qui  seraient  restés  à  la  Villa  Rica.  »  (Deuxième  Lettre  de  Cortès,  écrite  de 
Segura  de  la  Sierra,  le  30  octobre  1520.) 

Ce  n'est  pas  sans  motifs  que  Bernai  Diaz  ajoute  à  cette  raison  la  nécessité  où  l'on 
était  d'augmenter  les  forces  de  l'armée  par  l'adjonction  des  matelots  et  marins 
restés  libres  après  la  perte  des  navires.  Mais  où  notre  chroniqueur,  cédant  a  une  va- 
nité naïve,  commet  une  erreur  manifeste,  c'est  lorsqu'il  prétend  que  cet  acte  extraor- 
dinaire fut  le  résultat  du  conseil  que  ses  principaux  subordonnés  et  compagnons  d'ar- 
mes donnèrent  à  Cortès.  Il  se  peut,  comme  le  font  justement  observer  Prescott  et  Ber- 
nai Diaz  lui-même,  que  cet  habile  et  fin  politique  ait  eu  l'adresse  de  se  faire  poussera 
exécuter  cette  grande  résolution,  après  l'avoir  insinuée,  afin  d'écarter  de  lui  le  poids 
unique  de  la  responsabilité  en  cas  de  revers  ;  mais  qui  ne  voit  qu'une  semblable  con- 
ception ne  saurait  naître  d'une  assemblée  ?  car  elle  a  tous  les  caractères  d'une  inspi- 
ration qui  s'élève  au  sublime  de  l'audace  et  elle  doit  être  considérée  par  cela  même 
comme  étant  éminemment  personnelle.  Tout  l'honneur  sans  nul  doute  en  revient  à 
Cortès,  et  c'est  avec  raison  que  Bernai  Diaz,  mieux  avisé,  paraît  en  être  lui-même  à 
peu  près  convaincu. 


DE  LA  NOUVELLE-ESPAGNE.  13!» 

afin  que  la  résistance  fût  certaine  si  quelque  force  de  Diego  Velasquez 
venait  à  se  présenter.  Je  le  laisserai  là  et  je  dirai  ce  qui  advint. 

C'est  là  que  le  chroniqueur  Gomara  assure  que  Gortès  fit  trouer 
les  navires;  il  dit  aussi  que  Cortès  n'osait  pas  divulguer  parmi  les 
soldats  qu'il  voulait  marcher  sur  Mexico,  à  la  recherche  du  grand 
Montezuma.  Gomment  !  de  quelle  pâte  sont  donc  faits  les  Espagnols 
pour  refuser  d'aller  en  avant  et  rester  en  des  endroits  où  il  n'y  aurait 
ni  guerre  ni  profits  !  Gomara  dit  encore  que  ce  fut  Pedro  de  Ircio  qui 
resta  préposé  au  commandement  de  Vera  Gruz  ;  on  l'informa  bien  mal  : 
j'affirme  que  ce  fut  Juan  de  Escalante  qui  resta  en  qualité  de  capi- 
taine et  alguazil  mayor  de  la  Nouvelle-Espagne.  Quant  à  Pedro  de 
Ircio,  on  ne  lui  avait  encore  donné  aucun  emploi,  pas  même  dans  les 
(jiiadrillas.  Ajoutons  qu'il  n'en  était  pas  digne,  et  qu'il  n'est  d'ail- 
leurs pas  juste  d'attribuer  aux  uns  ce  qu'ils  n'ont  pas  eu,  ni  d'enlever 
aux  autres  ce  qui  fut  leur  partage. 


CHAPITRE  LIX 

D'un  discours  que  Cortès  nous  adressa  après  avoir  détruit  les  navires,  et  comment 
nous  disposâmes  notre  départ  pour  Mexico. 

Après  avoir  détruit  notre  flotte  publiquement  (et  non  comme  Go- 
mara le  raconte),  un  matin,  après  avoir  entendu  la  messe,  tandis  que, 
capitaines  et  soldats,  nous  parlions  tous  ensemble  avec  Gortès  des 
choses  de  l'expédition,  il  nous  pria  de  vouloir  bien  l'écouter,  et  il 
nous  exprima  les  pensées  suivantes  :  Que  nous  savions  déjà  quelle 
était  la  campagne  que  nous  allions  entreprendre  ;  que,  par  la  faveur 
de  Notre  Seigneur  Jésus-Christ,  nous  ne  pouvions  manquer  de  vaincre 
en  toutes  les  batailles  et  rencontres,  et  que  nous  devions  nous  y  pré- 
parer par  tous  les  moyens  possibles;  parce  que,  s'il  nous  arrivait  de 
subir  un  échec  (ce  qu'il  plairait  à  Dieu  de  ne  pas  permettre),  il  ne 
nous  serait  plus  possible  de  lever  la  tête,  à  cause  du  petit  nombre 
que  nous  étions;  que  nous  n'avions  à  compter  que  sur  le  secours  du 
bon  Dieu,  puisque  nous  n'avions  plus  aucun  navire  pour  retourner 
à  Cuba,  et  que  notre  salut  dépendait  uniquement  de  la  fermeté  de  nos 
cœurs  et  de  notre  bonne  vigueur  à  combattre.  Après  qu'il  eut  ajouté 
à  ce  sujet  des  paroles  qui  rappelaient  les  faits  héroïques  des  soldats 
de  Rome,  nous  lui  répondîmes  que  nous  ferions  tout  ce  qu'il  com- 
manderait ;  que  le  sort  en  était  jeté,  bon  ou  mauvais,  comme  disait 
Jules  César  sur  le  Rubicon;  que  du  reste  tous  nos  efforts  tendraient 
à  servir  Dieu  et  Sa  Majesté. 

Après  cette  conférence,  dont  les  termes  furent  autrement  choisis, 


140  CONQUETE 

engageants  et  pleins  d'éloquence  que  je  n'aurais  pu  le  dire  en  ce 
récit,  Gortès  fit  appeler  le  cacique  gros,  et  lui  rappela  qu'il  devait 
honorer  de  ses  révérences  et  de  ses  soins  l'église  et  la  croix;  il 
ajouta  qu'il  allait  partir  immédiatement  pour  Mexico,  afin  d'obtenir 
de  Montezuma  qu'il  ne  volât  plus  et  ne  fît  à  l'avenir  aucun  sacrifice  ; 
qu'il  avait  besoin  de  deux  cents  Indiens  tamemes  pour  traîner  l'ar- 
tillerie. (J'ai  déjà  dit  qu'ils  portent  deux  arrobas  sur  leur  dos, 
faisant  cinq  lieues  sous  ce  poids.)  Il  lui  demanda  aussi  cinquante  de 
ses  principaux  hommes  de  guerre,  pour  qu'ils  marchassent  avec 
nous. 

Nous  élions  sur  le  point  de  nous  mettre  en  route,  lorsqu'arriva  de 
la  Villa  Rica  un  soldat  avec  une  lettre  de  Juan  de  Escalante,  à  qui 
Gortès  avait  ordonné  de  se  rendre  au  port  pour  lui  envoyer  quelques 
nouveaux  soldats.  Escalante  disait  qu'un  navire  louvoyait  au  long  de 
la  côte  et  qu'il  lui  avait  déjà  fait  différents  signaux;  que,  quant  à  lui, 
il  avait  arboré  des  pavillons  blancs;  qu'il  s'était  mis  à  se  promener  à 
cheval  sur  le  bord  de  la  mer,  couvert  d'un  manteau  écarlate,  afin 
d'être  vu  par  les  gens  du  navire;  qu'il  lui  avait  semblé  que  les 
marins  avaient  bien  vu  et  les  drapeaux,  et  le  cheval,  et  le  manteau  ; 
mais  qu'ils  n'avaient  point  voulu  descendre  à  terre;  qu'il  avait  expédié 
des  Espagnols  pour  observer  à  quel  endroit  allait  ce  navire;  qu'on 
lui  avait  répondu  que  le  bâtiment  avait  jeté  l'ancre,  à  trois  lieues  de 
là,  à  l'embouchure  d'une  rivière;  qu'il  le  faisait  savoir  à  Gortès  pour 
voir  ce  qu'il  ordonnerait.  Gelui-ci,  ayant  lu  la  lettre,  donna  l'ordre 
immédiatement  à  Pedro  de  Alvarado  de  prendre  le  commandement 
de  toute  l'armée  qui  était  à  Gempoal.  Il  lui  adjoignit  Gonzalo  de 
Sandoval,  qui  déjà  faisait  preuve  des  qualités  d'un  valeureux  soldat, 
comme  il  le  fut  toujours  par  la  suite.  C'est  là  le  premier  commande- 
ment qui  fut  confié  à  Sandoval.  Il  y  eut  même,  au  sujet  de  ce  premier 
emploi  qu'on  refusa  à  Alonso  de  Avila,  certaines  délicatesses  entre 
celui-ci  et  Sandoval. 

Mais  poursuivons  notre  récit,  pour  dire  que  Gortès  se  mit  en  route 
à  cheval  avec  quatre  autres  cavaliers  qui  l'accompagnèrent,  et  il 
ordonna  qu'on  le  fit  suivre  par  cinquante  soldats  des  plus  ingambes; 
il  désigna  lui-même  ceux  qui  devaient  l'accompagner.  J'étais  de  ceux 
qu'il  choisit.  Nous  arrivâmes  vers  la  nuit  du  même  jour  à  la  Villa 
Rica.  Je  vais  dire  ce  qui  nous  y  advint. 


DE  LA  NOUVELLE-ESPAGNE.  141 


CHAPITRE  LX 

Comme  quoi  Cortès  se  rendit  au  point  où  le  navire  était  mouillé  et  prit  six  soldats 
et  matelots  qui  étaient  sortis  du  bord;  de  ce  qui  arriva  à  ce  sujet. 

Lorsque  nous  arrivâmes  à  la  Villa  Rica,  Juan  de  Escalante  vint 
parler  à  Cortès,  et  lui  dit  qu'il  conviendrait  d'aller  cette  nuit  même 
vers  le  navire,  de  crainte  qu'il  ne  fît  voile  et  s'éloignât;  il  priait 
Cortès  de  prendre  du  repos,  tandis  qu'il  irait,  lui,  avec  vingt  soldats. 
Cortès  dit  qu'il  ne  se  reposerait  pas  (chèvre  qui  boîte  ne  dort  pas  la 
sieste),  qu'il  voulait  aller  en  personne  avec  les  soldats  qu'il  avait 
amenés;  de  sorte  que,  sans  prendre  une  bouchée,  nous  recom- 
mençâmes notre  marche  en  remontant  la  côte.  Nous  rencontrâmes 
quatre  Espagnols  qui  venaient  prendre  possession  du  pays  au  nom 
de  Francisco  de  Garay,  gouverneur  de  la  Jamaïque.  Ils  étaient  envoyés 
par  un  capitaine  qui  depuis  peu  de  jours  s'occupait  à  former  un 
établissement  sur  le  fleuve  du  Panuco  ;  son  nom  était  Alonso  Alvarez 
de  Pineda  ou  Pinedo.  Les  quatre  Espagnols  que  nous  rencontrâmes 
s'appelaient  :  Gruillen  de  la  Loa,  qui  venait  en  qualité  de  notaire,  et 
les  témoins  qui  l'assistaient  pour  la  prise  de  possession,  l'un  André 
Nunez,  charpentier;  l'autre,  maître  Pedro,  celui  de  la  harpe,  natif  de 
Valence;  je  ne  me  rappelle  pas  le  nom  du  troisième. 

Cortès,  ayant  bieu  compris  comment  ils  venaient  prendre  possession 
au  nom  de  Francisco  de  Graray,  qui  était  resté  à  la  Jamaïque  et  expé- 
diait des  capitaines  en  son  nom,  demanda  à  quel  titre  et  par  quelle 
voie  ces  capitaines  étaient  venus.  Les   quatre  hommes  répondirent 
que,  l'an  1518,  la  nouvelle  s'étant  répandue,  dans  toutes  les  îles,  des 
terres  que  nous  avions   découvertes  lors  des  voyages  de  Francisco 
Hernandez  de  Cordova  et  de  Juan  de  Grijalva,  ainsi  que  des  vingt 
mille  piastres  en  or  apportées  à  Diego  Velasquez,  Garay  eut  occasion 
de  recevoir  avis,  par  le  pilote  Anton  de  Alaminos  et  un  autre  naviga- 
teur de  l'expédition,  qu'il  pourrait  demander  à  Sa  Majesté  pour  son 
compte  tout  ce  qu'il  aurait  découvert  depuis  le  fleuve  San  Pedro  et 
San  Pablo  vers  le  nord.  Comme  d'ailleurs  Graray  avait  à  la  cour  des 
amis  qui  pouvaient  lui  obtenir  ce  qu'il   demandait ,   il   envoya  un 
sien  majordome,  nommé  Torralva,  chargé,  de  diriger  cette  affaire  et 
d'obtenir  pour  lui  des  titres  qui  le  fissent  commandant  militaire  et 
gouverneur  de  tout  ce  qu'il  découvrirait  au  delà  du  fleuve  San  Pedro 
et  San  Pablo.  Ce  fut  avec  ces  pouvoirs  qu'il  envoya  trois  navires 
montés  par  deux  cent  soixante-dix  soldats,  pourvus  de  provisions  et 
de  chevaux,  avec  le  capitaine  que  j'ai  nommé  Alonso  de  Alvarez  Pineda 


1 42  CONQUÊTE 

ou  Pinedo.  Ce  capitaine  s'était  établi  sur  un  fleuve  appelé  Panuco,  à 
soixante-dix  lieues  de  là.  Quant  à  eux,  ils  avaient  agi  d'après  l'ordre 
du  capitaine  et  n'étaient  pas  en  faute. 

Cortès,  ayant  tout  compris,  chercha  à  les  flatter  par  des  paroles 
affectueuses  et  leur  demanda  s'il  ne  nous  serait  pas  possible  de  nous 
emparer  de  ce  navire.  Le  Gruillen  de  la  Loa,  qui  était  le  principal  de 
ces  quatre  hommes,  répondit  qu'il  ferait  des  signes  avec  son  manteau 
et  tout  ce  qu'il  lui  serait  possible.  Mais  on  eut  beau  les  appeler, 
jouer  du  manteau  et  faire  des  signes;  ils  ne  voulurent  pas  venir, 
parce  que,  dirent  ces  hommes,  leur  capitaine  leur  avait  recommandé 
de  bien  se  tenir  en  garde  pour  éviter  de  donner  dans  la  troupe  de 
Gortès,  car  on  avait  reçu  la  nouvelle  que  nous  étions  dans  le  pays. 
Voyant  du  reste  que  le  canot  du  navire  ne  venait  pas,  nous  com- 
prîmes que  les  gens  du  bord  nous  avaient  aperçus  sur  la  côte  et  que 
si  l'on  n'avait  recours  à  quelque  ruse,  ils  ne  se  résoudraient  pas  à 
descendre  à  terre.  Gortès  pria  donc  les  quatre  hommes  de  se  désha- 
biller, pour  que  quatre  des  siens  pussent  revêtir  leurs  habits  ;  ils  le  firent 
ainsi.  Nous  reprîmes  alors  le  chemin  par  où  nous  étions  venus,  afin 
qu'ils  pussent,  du  navire,  voir  que  nous  nous  en  allions  et  le  crussent 
réellement,  tandis  que  nos  quatre  hommes,  revêtus  des  habits  d'em- 
prunt, resteraient  en  ce  lieu.  Nous  nous  cachâmes  avec  Gortès  dans 
un  bois  pendant  la  moitié  de  la  nuit,  attendant  que  l'obscurité  fût 
complète  et  qu'il  nous  fût  ainsi  possible  de  descendre  jusque  près 
de  la  rivière,  toujours  assez  dissimulés  pour  qu'on  ne  pût  apercevoir 
que  les  quatre  soldats  travestis. 

Lorsque  le  jour  se  leva,  ceux-ci  commencèrent  à  faire  des  signaux 
avec  leurs  capes,  ce  qui  fit  arriver  aussitôt  six  matelots  dans  un 
bateau.  Deux  de  ces  hommes  seulement  vinrent  à  terre,  portant  deux 
jarres  d'eau,  tandis  que  nous  continuions  avec  Gortès  à  observer  de 
notre  cachette,  attendant  que  les  autres  matelots  arrivassent  aussi  ; 
mais  ils  ne  voulurent  point  descendre.  Cependant  nos  quatre  hommes 
qui  étaient  revêtus  des  habits  des  gens  de  Garay  faisaient  semblant 
de  se  laver  les  mains  en  cachant  leur  figure.  Geux  du  bateau  leur 
criaient  :  «Venez,  embarquez-vous!  Qu'est-ce  que  vous  faites?  Pour- 
quoi ne  venez-vous  pas?  »  L'un  des  nôtres  répondit  alors  :  «  Venez 
un  peu  à  terre  et  vous  verrez.  »  Or,  comme  ils  ne  reconnurent  pas 
cette  voix,  ils  repartirent  avec  le  canot.  On  eut  beau  les  appeler,  ils 
se  refusèrent  à  répondre.  Nous  voulûmes  alors  leur  lancer  quelques 
coups  d'escopettes  et  d'arbalètes,  mais  Gortès  nous  défendit  d'en  rien 
faire,  en  disant  que  Dieu  les  gardât  et  qu'ils  fussent  adresser  leur 
rapport  à  leur  capitaine.  11  en  résulta  que  nous  eûmes  six  soldats  de 
ce  navire  :  les  quatre  premiers  d'abord,  et  les  deux  matelots  qui 
vinrent  à  terre  ensuite.  Nous  revînmes  ainsi  à  la  Villa  Rica,  et  tout 
cela  sans  avoir  pris  une  bouchée. 


DE  LA   NOUVELLE-ESPAGNE.  143 

Voilà  ce  que  l'on  fit,  et  nullement  ce  qu'écrit  le  chroniqueur 
Gomara,  lequel  dit  que  Garay  lui-même  vint  alors.  Il  se  trompe,  car, 
avant  de  venir  en  personne,  il  envoya  trois  capitaines  avec  des  navires. 
Je  dirai  plus  loin  en  quel  temps  ils  arrivèrent  et  ce  que  l'on  en  fit. 
Je  dirai  aussi  à  quel  moment  arriva  Garay  en  personne.  Pour  à 
présent,  poursuivons  notre  récit,  et  disons  comment  nous  convînmes 
d'aller  à  Mexico. 


CHAPITRE  LXI 

Comme  quoi  nous  résolûmes  d'aller  à  la  ville  de  Mexico  et  fumes  par  Tlaseala  d'après 
le  conseil  du  cacique;  de  ce  qui  nous  arriva  tant  en  actions  de  guerre  qu'en 
d'autres  choses. 

Après  avoir  bien  pesé  tout  ce  qui  était  relatif  au  départ  pour 
Mexico,  nous  tînmes  un  conseil  au  sujet  de  la  route  que  nous  devions 
suivre.  Les  principaux  habitants  de  Gempoal  furent  d'avis  que  la 
meilleure  et  la  plus  convenable  serait  celle  qui  passe  par  la  province 
de  Tlaseala,  parce  que  les  Tlascaltèques  étaient  leurs  amis  et  les 
ennemis  mortels  des  Mexicains.  Ils  avaient  déjà  préparé  quarante 
hommes  de  choix,  tous  guerriers,  qui  marchèrent  avec  nous  et  nous 
furent  d'un  grand  secours  en  cette  campagne.  Ils  nous  donnèrent 
aussi  deux  cents  tamemes  pour  traîner  l'artillerie.  Quant  à  nous, 
pauvres  soldats,  nous  n'avions  pas  besoin  de  porteurs;  car,  en  ce 
temps-là,  nous  n'avions  rien  à  faire  porter,  puisque  nous  marchions 
et  couchions  avec  nos  armes,  consistant  en  lances,  arbalètes,  esco- 
pettes,  boucliers  et  autres  défenses,  et  nous  n'enlevions  jamais  les 
sandales  qui  formaient  notre  unique  chaussure,  étant  toujours  bien 
sur  nos  gardes  et  prêts  à  combattre. 

Nous  partîmes  de  Gempoal  vers  le  milieu  du  mois  d'août  de  1519^ 
en  bon  ordre,  avec  des  hommes  pour  battre  la  campagne  et  des  éclai- 
reurs  en  avant.  Nous  arrivâmes,  le  premier  jour,  à  un  village  appelé 
Xalapa  et  de  là  à  Socochima^  point  bien  fortifié,  d'un  accès  difficile^ 
où  nous  vîmes  beaucoup  de  plantes  grimpantes  qui  sont  comme  les 
vignes  du  pays.  Nous  aidant  de  dona  Marina  et  de  Geronimo  de  Agui- 
lar,  nos  interprètes,  nous  expliquâmes  dans  ces  villages  les  vérités 
relatives  à  notre  sainte  foi  et  comme  quoi  nous  étions  les  sujets  de 
l'Empereur  don  Carlos  qui  nous  avait  envoyés  pour  empêcher  qu'ils 
sacrifiassent  des  hommes  et  qu'ils  se  volassent  entre  eux.  On  leur  ex- 
posa encore  beaucoup  d'autres  choses  qu'il  convenait  de  leur  dire,  et 
comme  ils  étaient  alliés  de  Gempoal  et  ne  payaient  pas  tribut  à  Mon- 
tezuma,  nous  trouvâmes  en  eux  beaucoup  de  bon  vouloir.  Ils  nous 
donnaient  à  manger  et  nous  laissaient  placer  dans  chaque  village  une 


144  CONQUETE 

croix,  à  propos  de  laquelle  nous  leur  expliquions  ce  qu'elle  signifiait, 
en  les  priant  de  la  traiter  avec  vénération.  Après  Socochima,  nous  tra- 
versâmes des  sierras  élevées  et  un  passage  par  où  nous  parvînmes  à 
un  autre  village  appelé  Texutla.  On  nous  y  reçut  avec  bienveillance, 
car  les  habitants  ne  payaient  pas  tribut  non  plus. 

En  sortant  de  ce  village,  nous  achevâmes  la  montée  et  nous  entrâ- 
mes dans  le  désert  où  il  fit  un  froid  intense  avec  des  giboulées  toute 
la  nuit,  tandis  que  les  vivres  nous  y  manquèrent.  De  la  sierra  Ne- 
vada, qui  est  à  côté  de  la  route,  venait  un  veut  qui  nous  faisait  gre- 
lotter, parce  que,  comme  nous  arrivions  tout  à  coup  à  un  pays  si  froid 
en  venant  de  l'île  de  Cuba  et  de  la  Villa  Rica,  contrée  extrêmement 
chaude,  et  que  d'ailleurs  nous  n'avions  que  nos  armes  pour  nous 
couvrir,  nous  étions  très-sensibles  à  la  gelée,  en  notre  qualité  de  gens 
qui  ont  perdu  l'habitude  des  climats  froids.  De  là  nous  nous  trans- 
portâmes à  un  autre  débouché  où  nous  trouvâmes  de  grands  établis- 
sements et  des  oratoires  d'idoles  comme  j'en  ai  décrit.  Il  y  avait  là 
de  grands  amas  de  bois  pour  le  service  des  dieux  qui  se  trouvaient 
dans  le  temple.  Nous  ne  pûmes  nous  y  pourvoir  de  vivres,  et  le  froid 
y  était  très-vif.  De  là  nous  entrâmes  dans  les  possessions  d'un  village 
appelé  Gocotlan.  Nous  envoyâmes  deux  Indiens  de  Gempoal  dire  aux 
caciques  que  nous  approchions  et  qu'ils  voulussent  bien  approuver 
notre  arrivée  dans  leurs  établissements.  Ce  village  était  soumis  à 
Mexico;  nous  y  marchions  bien  sur  nos  gardes  et  avec  grand  ordre, 
parce  que  nous  nous  apercevions  que  les  choses  y  avaient  un  autre 
aspect.  Quand  nous  vîmes  blanchir  les  terrasses  des  habitations,  et 
les  maisons  du  cacique,  et  les  temples,  et  les  oratoires  très-élevés  et 
peints  à  la  chaux,  nous  y  crûmes  voir  une  ressemblance  avec  quelques 
villages  de  notre  Espagne,  et  nous  donnâmes  alors  à  ce  bourg  le  nom 
de  Gastilblanco,  parce  que  certains  soldats  portugais  nous  dirent 
que  cela  paraissait  être  la  ville  de  Gasteloblanco  de  Portugal.  C'est 
ainsi,  du  reste,  que  ce  bourg  s'appelle  actuellement.  Or,  comme  on  y 
apprit,  par  les  messagers  que  nous  avions  envoyés,  que  nous  allions  y 
entrer,  le  cacique  et  quelques  autres  personnages  sortirent  pour  nous 
recevoir  auprès  de  leurs  maisons.  Ce  cacique  s'appelait  Olintecle.  On 
nous  conduisit  à  des  habitations  où  l'on  nous  apporta  fort  peu  de  vi- 
vres, avec  tous  les  signes  d'un  véritable  mauvais  vouloir. 

Quand  nous  eûmes  fait  notre  repas,  Gortès  leur  demanda,  au  moyen 
de  nos  interprètes,  des  choses  concernant  leur  maître  Montczuma.  Le 
cacique,  en  réponse,  parla  du  grand  nombre  de  guerriers  qu'il  avait 
dans  les  provinces  conquises,  n'oubliant  pas  ses  forces  militaires  qui 
se  trouvaient  sur  les  frontières  et  dans  les  districts  qui  n'en  étaient 
pas  éloignés.  Il  décrivit  la  place  forte  de  Mexico,  les  maisons  bâties 
sur  les  lagunes,  de  telle  façon  qu'on  ne  pouvait  passer  de  l'une  à 
l'autre  si  ce  n'est  au  moyen  de  ponts  et  d'embarcations  ;  leurs  con- 


DE  LA   NOUVELLE-ESPAGNE.  145 


structions  étaient  disposées  en  terrasses,  de  manière  qu'elles  pouvaient 
être  facilement  converties  en  forteresses  en  y  ajoutant  des  parapets. 
Il  racontait  encore  comment,  pour  arriver  dans  la  ville,  on  passait  par 
trois  chaussées  en  travers  desquelles  des  tranchées  étaient  pratiquées 
afin  que  l'eau  pût  circuler  de  l'une  à  l'autre;  que  sur  ces  tranchées 
des  ponts  en  bois  étaient  disposés  de  telle  sorte  qu'il  suffisait  de  re- 
lever n'importe  lequel  d'entre  eux  pour  que  l'entrée  à  Mexico  devînt 
impossible.  Il  nous  dit  la  grande  quantité  d'or,  d'argent  et  de  pierres 
précieuses  qui  formaient  le  trésor  de  son  seigneur  Montezuma.  Il 
s'étendait  du  reste  tellement  sur  mille  autres  conditions  qui  faisaient 
de  celui-ci  un  très-grand  seigneur,  que  Gortès  et  nous  tous  restions 
en  admiration  en  les  écoutant.  Quant  à  nous,  les  soldats  espagnols, 
obéissant  à  notre  nature,  nous  puisions  dans  ce  qu'il  nous  disait  de 
sa  puissance  le  désir  de  nous  lancer  dans  les  aventures,  quoique,  à 
vrai  dire,  il  nous  parût  impossible  d'admettre  la  réalité  de  tout  ce 
que  racontait  le  cacique  Olintecle.  Et  cependant,  Mexico  est  vé- 
ritablement plus  forte  encore  et  mieux  munie  de  forteresses  que  nous 
ne  venions  d'entendre  dire;  car,  autre  chose  est  d'avoir  palpé  et  vu 
soi-même  les  défenses  qui  s'y  trouvent,  et  autre  chose  bien  différente, 
de  les  lire  dans  mon  écrit.  Il  ajouta  que  Montezuma  était  si  grand 
seigneur  qu'il  mêlait  sa  volonté  à  toute  chose  et  que  par  conséquent 
on  ne  pouvait  savoir  s'il  serait  bien  satisfait  d'apprendre  notre  entrée 
dans  le  village  et  le  soin  qu'on  y  avait  pris  de  nous  loger  et  de  nous 
fournir  des  vivres  sans  qu'il  en  eût  donné  l'autorisation. 

Gortès  répondit,  par  nos  interprètes  :  «  Je  vous  fais  savoir  que  nous 
venons  de  pays  lointains  par  ordre  de  notre  seigneur  et  Roi,  l'Em- 
pereur don  Carlos,  de  qui  nous  sommes  les  sujets  et  les  grands  vas- 
saux ;  il  nous  envoie  donner  l'ordre  à  votre  grand  Montezuma  de  ne 
plus  sacrifier  ou  tuer  aucun  Indien,  ni  voler  ses  sujets,  ni  prendre 
possession  d'aucune  autre  contrée,  et  de  jurer  obéissance  à  notre  sei- 
gneur et  Roi.  Je  vous  dis  donc  maintenant,  à  vous  Olintecle  et  à  tous 
les  autres  caciques  ici  présents,  que  vous  cessiez  vos  sacrifices,  que 
vous  ne  mangiez  plus  la  chair  de  vos  semblables,  que  vous  ne  conti- 
nuiez plus  à  vous  livrer  à  des  vices  honteux  et  autres  vilaines  actions 
qui  sont  dans  vos  habitudes,  parce  que  c'est  ainsi  que  Dieu  Notre 
Seigneur  le  commande,  Lui  en  qui  nous  croyons,  qui  donne  la  vie  et 
la  mort,  et  doit  nous  conduire  dans  les  cieux.  »  On  leur  dit  encore 
beaucoup  d'autres  choses  relatives  à  notre  sainte  foi,  tandis  qu'ils  gar- 
daient le  plus  grand  silence.  Gortès  ajouta,  en  s'adressant  aux  soldats 
qui  étaient  présents  :  «  Il  me  semble,  seiïores,  que,  puisqu'il  n'est 
pas  possible  de  tenter  autre  chose,  nous  devons  nous  contenter  de 
planter  une  croix. — Je  pense  au  contraire,  dit  le  Père  fray  Barto- 
lomé  de  Olmedo,  qu'il  n'est  pas  temps  encore  de  proposer  des  croix 
à  ces  villageois,  parce  qu'ils  me  paraissent  être  un  peu  irrévérencieux 

10 


146  CONQUÊTE 

et  sans  nulle  crainte  ;  comme  ils  sont  d'ailleurs  vassaux  de  Monte- 
zuma,  j'ai  peur  qu'ils  ne  les  brûlent  ou  qu'ils  ne  fassent  d'autres  ac- 
tes répréhensibles  ;  ce  qu'on  leur  a  dit  peut,  au  surplus,  être  bien 
suffisant,  jusqu'à  ce  qu'ils  aient  meilleure  connaissance  de  notre  sainte 
foi.  »  Les  choses  en  restèrent  là,  par  conséquent,  sans  que  la  croix 
fût  plantée. 

Laissons  cela,  laissons  aussi  les  saintes  homélies  que  nous  leur 
faisions,  et  disons  comme  quoi  nous  amenions  avec  nous  un  lévrier 
très-haut  de  taille  qui  appartenait  à  Francisco  de  Lugo.  Il  aboyait 
beaucoup  la  nuit,  ce  qui  fut  cause  que  les  caciques  du  village  deman- 
dèrent à  nos  amis  de  Gempoal  si  c'était  un  tigre,  un  lion  ou  autre 
animal  nous  servant  à  tuer  les  Indiens.  Nos  alliés  répondirent  que 
nous  l'amenions  pour  nous  défaire  de  quiconque  nous  causait  du  mal. 
Ils  demandèrent  aussi  ce  que  nous  faisions  avec  nos  bombardes,  et  la 
réponse  fut  que  nous  massacrions  qui  nous  voulions,  au  moyen  de 
pierres  que  l'on  avait  soin  d'y  introduire;  que  les  chevaux  couraient 
comme  des  cerfs  et  que  nous  pouvions  atteindre  avec  eux  tous  ceux  que 
nous  leur  désignions.  Olintecle  et  les  autres  personnages  dirent  alors  : 
«  S'il  en  est  ainsi,  ce  doivent  être  des  leules.  »  (J'ai  déjà  dit  qu'ils  ap- 
pellent teules  les  idoles,  leurs  dieux,  et  les  mauvais  esprits.)  Nos  amis 
leur  répondirent  :  «  Réfléchissez  bien  et  prenez  soin  de  ne  rien  faire 
qui  les  puisse  contrarier;  ils  le  sauraient  à  l'instant;  car  ils  peu- 
vent lire  dans  votre  pensée;  ils  sont  en  effet  ces  mêmes  teules  qui  ar- 
rêtèrent les  percepteurs  de  votre  grand  Montezuma  et  ordonnèrent 
qu'on  ne  lui  payât  plus  tribut  dans  toute  la  sierra  et  dans  notre  ville 
de  Gempoal  ;  ce  sont  eux  qui  brisèrent  nos  dieux  dans  nos  temples  et 
les  remplacèrent  par  les  leurs  ;  ils  ont  vaincu  les  gens  de  Tabasco  et 
de  Gingapacinga.  Vous  avez  vu,  au  surplus,  que  le  grand  Montezuma, 
malgré  sa  puissance,  leur  envoie  de  l'or  et  des  étoffes,  tandis  que, 
maintenant  qu'ils  sont  dans  ce  bourg,  vous  ne  leur  donnez  rien.  Mieux 
vaudrait  se  hâter  de  leur  offrir  un  grand  présent.  »  Nous  pouvions  donc 
nous  flatter  d'avoir  avec  nous  d'excellents  prôneurs  ;  car,  presque  aus- 
sitôt, on  nous  apporta  trois  colliers,  quatre  breloques  et  quelques  lé- 
zards, tout  cela  en  or,  quoique  fortement  mélangé;  ils  nous  amenè- 
rent aussi  quatre  Indiennes  pour  moudre  notre  maïs  et  nous  donnè- 
rent une  charge  d'étoffes.  Gortès  les  reçut  bien  volontiers  et  les  paya 
en  grandes  promesses* 

Je  me  rappelle  que,  sur  une  place  où  s'élevaient  des  oratoires^  les 
habitants  avaient  réuni  tant  de  crânes  humains,  et  d'ailleurs  avec  un 
tel  ordre  que  l'on  en  pouvait  faire  le  compte  :  il  me  sembla  qu'il  y 
en  avait  plus  de  cent  mille;  je  le  répète  encore  :  «  environ  cent 
mille  »  !  Dans  une  autre  partie  de  la  place,  on  voyait  également  des 
monceaux  d'os  dépouillés  de  leur  chair,  en  quantité  innombrable.  De 
longues  solives  retenaient,  d'un  bout  à  l'autre,  un  grand  nombre  de 


DE  LA  NOUVELLE-ESPAGNE.  147 

tètes  qui  pendaient.  Trois  papes  étaient  préposés  à  la  garde  de  ces 
ossements  et  de  ces  crânes,  dont  ils  étaient  responsables.  Du  reste, 
des  spectacles  pareils  nous  attendaient,  à  mesure  que  nous  nous  en- 
foncerions davantage  dans  le  pays;  car  dans  tous  les  villages,  sans  en 
excepter  Tlascala,  ces  horribles  choses  se  présentaient  également  aux 
regards.  Après  tout  ce  que  je  viens  de  dire,  nous  résolûmes  de  pour- 
suivre notre  chemin  par  Tlascala,  que  nos  amis  nous  disaient  être 
fort  près  de  là,  les  frontières  étant  à  peu  de  distance,  ainsi  qu'on  put 
bientôt  s'en  assurer  par  la  vue  des  pierres  limites.  Nous  demandâmes, 
à  ce  sujet,  au  cacique  Olintecle  quel  était  le  meilleur  chemin  et  le 
plus  en  plaine  pour  aller  à  Mexico.  Il  répondit  que  ce  serait  en  pas- 
sant par  une  très-grande  ville  appelée  Gholula  ;  mais  les  gens  de 
Gempoal  dirent  à  Gortès  :  «  Seigneur,  n'allez  pas  par  Gholula;  ses 
habitants  sont  des  traîtres;  Montezuma  y  entretient  toujours  une 
garnison  de  guerriers  ;  passez  plutôt  par  Tlascala,  où  sont  nos  amis, 
qui  se  trouvent  être  en  même  temps  les  ennemis  des  Mexicains.  » 
Nous  convînmes  donc  de  suivre  l'avis  des  gens  de  Gempoal;  car  le 
bon  Dieu  disposait  pour  nous  toutes  choses.  Gortès  demanda  à  Olin- 
tecle vingt  de  ses  principaux  guerriers  pour  qu'ils  fussent  avec  nous, 
et  on  nous  les  donna.  Le  lendemain,  de  bonne  heure,  nous  fîmes 
route  vers  Tlascala.  Nous  arrivâmes  à  un  petit  village  dépendant  de 
Xalacingo.  De  là,  nous  envoyâmes  comme  messagers  deux  Indiens, 
choisis  parmi  ceux  de  Gempoal,  qui  disaient  d'habitude  beaucoup  de 
bien  des  Tlascaltèques  et  qui  étaient  leurs  amis.  Nous  les  chargeâmes 
d'une  lettre  pour  eux,  sachant  bien  qu'ils  ne  pourraient  la  compren- 
dre, et  nous  leur  adressâmes,  en  cadeau,  un  chapeau  rouge  en  feutre 
de  Flandre,  qui  était  alors  de  mode.  Ge  que  l'on  fit,  au  surplus,  je 
vais  le  dire  à  la  suite. 


CHAPITRE  LXII 

Comment  nous  prîmes  la  résolution  d'aller  par  Tlascala  et  y  envoyâmes  des  messagers 
pour  qu'on  trouvât  bon  notre  passage  par  cette  ville.  Comme  quoi  on  arrêta  nos 
messagers;  et  ce  qu'on  fit  encore. 

Nous  partîmes  de  Castilblanco,  en  nous  tenant  bien  sur  nos  gardes. 
Les  éclaireurs  marchaient  en  avant.  Le  bon  ordre  régnait  dans  les 
rangs;  les  fusiliers  et  les  arbalétriers  se  tenaient  à  leur  place,  et  les 
cavaliers  avaient  une  tenue  encore  meilleure.  Nous  étions  tous  revêtus 
de  nos  armes,  selon  notre  habitude.  Je  parle  trop  peut-être  de  cette 
précaution  et  je  laisserais  volontiers  ce  langage  s'il  n'importait  de 
dire  que  nous  étions  tellement  sur  nos  gardes,  le  jour  et  la  nuit,  que, 
nous  eût- on  fait  entendre  dix  fois  le  cri  d'alarme,  on  nous  eût  ton- 


148  CONQUÊTE 

jours  trouvés  prêts,  chaussés  de  nos  sandales,  l'épée,  la  rondache  et  la 
lance  bien  sous  la  main.  Ce  fut  dans  cet  ordre  que  nous  arrivâmes  à 
un  petit  village  de  Xalacingo.  On  nous  y  donna  un  collier  d'or,  des 
étoffes  et  deux  Indiennes. 

De  là,  nous  envoyâmes  à  Tlascala  deux  messagers  choisis  parmi  les 
gens  de  Gempoal,  les  chargeant  de  remettre  une  lettre  et  un  chapeau 
en  feutre  rouge  de  Flandre,  de  mode  en  ce  temps-là.  Nous  savions 
bien  que  la  lettre  ne  pourrait  pas  être  lue;  mais  nous  espérâmes  qu'en 
voyant  un  papier  différent  du  leur  ils  comprendraient  que  c'était  un 
message  de  nous.  Ce  que  nous  fîmes  dire  par  nos  envoyés,  c'est  que 
nous  nous  proposions  de  nous  rendre  à  leur  ville  et  qu'ils  voulussent 
bien  y  consentir,  attendu  que  nous  n'y  allions  point  pour  leur  causer 
de  l'ennui,  mais  pour  nous  en  faire  des  alliés.  Nous  agîmes  ainsi  parce 
que,  dans  la  localité  où  nous  étions,  on  nous  assura  que  Tlascala  tout 
entière  était  armée  contre  nous.  On  y  avait  su  en  effet  que  nous  allions 
nous  y  rendre,  et  que  nous  amenions  avec  nous  plusieurs  alliés  de 
Gempoal,  de  Zocotlan  et  d'autres  villages  par  où  nous  avions  passé, 
tous  tributaires  habituels  de  Montezuma.  Les  Tlascaltèques  en  con- 
clurent que  nous  marchions  dans  l'intention  d'attaquer  leur  ville, 
parce  qu'ils  tenaient  pour  ennemis  ceux  qui  venaient  avec  nous.  Gomme, 
au  surplus,  différentes  fois,  les  Mexicains  étaient  entrés  dans  leur  pays 
en  ayant  recours  à  des  ruses,  et  l'avaient  saccagé,  ils  se  persuadèrent 
qu'il  en  était  de  même  actuellement.  Il  en  résulta  qu'aussitôt  que  nos 
messagers  arrivèrent  avec  la  lettre  et  le  chapeau  et  commencèrent  à 
conter  le  but  de  leur  ambassade,  on  les  arrêta  sans  continuer  à  les 
entendre.  Nous  attendîmes  la  réponse  ce  jour-là  et  le  lendemain;  mais 
nous  ne  les  vîmes  pas  revenir.  Gortès  s'adressa  alors  aux  principaux 
habitants  du  village  où  nous  étions  et  leur  dit  les  choses  qui  conve- 
naient le  mieux  au  sujet  de  notre  sainte  foi,  et  comme  quoi  nous  étions 
les  vassaux  de  notre  seigneur  et  Roi  qui  nous  avait  envoyés  dans  ce 
pays  pour  les  empêcher  de  sacrifier,  de  tuer  des  hommes,  de  manger 
de  la  chair  humaine  et  de  commettre  les  turpitudes  qui  sont  dans  leurs 
habitudes.  Il  ajouta  différentes  autres  choses  que  nous  avions  pris  la 
coutume  de  dire  dans  tous  les  villages  où  nous  passions.  Il  leur  fit 
beaucoup  de  promesses,  leur  offrant  de  les  aider  au  besoin,  et  il  leur 
demanda  vingt  Indiens  guerriers  pour  marcher  avec  nous,  ce  qu'ils 
nous  accordèrent  bien  volontiers. 

Nous  livrant  donc  à  notre  bonne  fortune  et  nous  recommandant  à 
Dieu,  nous  partîmes  le  lendemain  pour  Tlascala.  Nous  étions  en 
route  dans  l'ordre  que  j'ai  déjà  dit,  lorsque  nous  rencontrâmes  nos 
messagers  qu'on  avait  retenus.  Il  paraît  que,  comme  les  Indiens  qui 
étaient  chargés  de  les  garder  ne  pensaient  qu'à  se  préparer  à  la 
guerre  ils  manquèrent  de  soin,  peut-être  même  traitèrent  leurs  pri- 
sonniers en  amis  et  les  laissèrent  s'échapper.  Nos  envoyés  revenaient 


DE  LA    NOUVELLE-ESPAGNE.  149 

si  effrayes  de  cfl  qu'ils  avaient  vu  et  entendu  qu'ils  osaient  à  peine 
nous  en  instruire.  Il  paraît  en  effet  que,  pendant  qu'ils  étaient  en 
prison,  on  leur  adressait  des  menaces  en  disant  :  «  C'est  à  présent  que 
nous  allons  mettre  à  mort  ces  hommes  que  vous  appelez  des  leules,  et 
manger  leur  chair1;  nous  verrons  bien  s'ils  sont  si  vigoureux  que 
vous  l'avez  publié;  nous  mangerons  vos  chairs  aussi,  car  vous  venez 
nous  trahir  en  servant  par  des  ruses  les  projets  du  traître  Monte- 
zuma.  »  Les  messagers  avaient  beau  dire  que  nous  étions  contraires 
aux  Mexicains,  que  nous  tenions  les  Tlascaltèques  pour  frères;  leurs 
assertions  ne  leur  servaient  à  rien.  Lorsque  Gortès  et  nous  tous  ap- 
prîmes ces  arrogants  discours  et  comment  on  s'apprêtait  à  nous  com- 
•battre,  cela  nous  donna  fort  à  penser  ;  mais  nous  nous  écriâmes  tous 
d'une  voix  :  «  Puisqu'il  en  est  ainsi,  à  la  bonne  heure,  et  en  avant  !  » 
Nous  nous  recommandâmes  à  Dieu  et  déployâmes  notre  drapeau, 
qui  était  porté  par  l'alferez  Gorral  ;  car  les  Indiens  du  village  où  nous 
avions  passé  la  nuit  nous  assurèrent  qu'on  viendrait  au-devant  de 
nous  sur  la  route,  pour  nous  empêcher  d'entrer  à  Tlascala.  Nos  mes- 
sagers de  Gempoal  nous  avaient  d'ailleurs  déjà  exprimé  cette  pensée, 
ainsi  que  je  l'ai  dit. 

En  avançant  de  la  façon  que  j'ai  expliquée,  nous  nous  entretenions 
des  soins  à  prendre  pour  que  les  cavaliers  en  chargeant  et  en  recu- 
lant conservassent  l'allure  du  demi-galop,  la  lance  légèrement  croi- 
sée, marchant  de  trois  en  trois,  pour  pouvoir  mieux  se  venir  en  aide  ; 
il  était  entendu  que  lorsque  nous  chargerions  les  troupes  ennemies, 
on  balafrerait  les  figures  avec  la  lance,  sans  s'arrêter  à  donner  de  la 
pointe,  pour  ne  pas  s'exposer  à  ce  que  l'ennemi  y  portât  la  main.  Et 
s'il  arrivait,  malgré  tout,  qu'il  pût  s'en  saisir,  on  aurait  soin  de  rete- 
nir l'arme  avec  force,  prenant  un  solide  appui  sous  le  bras.  En  cette 
position,  il  suffirait  de  donner  un  vigoureux  coup  d'éperon  pour  que 
l'élan  du  cheval  parvînt  à  l'arracher  ou  à  entraîner  l'Indien  qui  la 
tiendrait.  On  me  demandera  maintenant  à  quoi  bon  tant  de  précau- 
tions sans  nous  voir  menacés  encore  de  l'attaque  de  nos  adversaires. 
Je  réponds  à  cela  que  Gortès  avait  l'habitude  de  dire  :  «  Remarquez, 
chers  camarades,  que  nous  sommes  bien  peu  nombreux;  nous  devons 
être  toujours  sur  nos  gardes  et  aussi  bien  préparés  que  si  nous 
voyions  nos  ennemis  courir  à  l'attaque,  et  non-seulement  comme  si 
nous  les  voyions  arriver,  mais  comme  si  déjà  nous  étions  avec  eux  au 

1.  A  partir  de  ce  moment,  les  Espagnols  ne  cesseront  plus  d'entendre  dire  partou 
qu'on  va  les  sacrifier  aux  idoles  en  destinant  leurs  membres  à  d'horribles  festins.  Les 
alliés  qu'ils  vont  acquérir  leur  répéteront  à  tout  instant  que,  s'ils  entrent  à  Mexico,  ils 
y  seront  dévorés.  A  chaque  pas,  ils  vont  avoir  le  spectacle  d'affreux  repas  de  canniba- 
les. Quelque  solidement  trempé  que  fût  leur  courage,  il  est  permis  de  croire  que  beau- 
coup d'entre  eux,  tous  peut-être,  eussent  faibli  en  présence  de  cette  abominable  per- 
spective, et  qu'ils  eussent  organisé  la  retraite  si  les  vaisseaux  n'eussent  pas  été  mis 
à  la  côte. 


150  CONQUETE 

milieu  de  la  bataille.  Or,  il  arrive  alors  souvent  que  l'ennemi  met  la 
main  sur  la  lance,  et  c'est  pour  cela  que  nous  devons  avoir  toujours 
l'habitude  de  la.  manœuvre  nécessaire  à  cette  défense.  Et  non-seule- 
ment pour  cela,  mais  pour  tout  autre  accident  du  combat.  Je  sais  bien 
du  reste  que,  quand  il  s'agira  de  se  battre,  vous  n'aurez  guère  besoin 
de  mes  conseils,  parce  que  j'ai  la  conviction  que,  quelles  que  soient 
la  valeur  et  l'importance  de  mes  paroles,  vous  irez  toujours  au  delà 
dans  l'action.  » 

Ce  fut  ainsi  que  nous  marchâmes  environ  deux  lieues.  Nous  ren- 
contrâmes alors  une  redoute  construite  à  chaux  et  à  sable  et  consoli- 
dée avec  un  bitume  si  dur,  qu'il  fallait  le  pic  pour  le  détruire.  Cette 
construction  était  faite,  du  reste,  de  telle  façon  qu'elle  représentait 
une  défense  difficile  à  prendre.  Nous  nous  arrêtâmes  pour  la  considé- 
rer, et  Gortès  demanda  aux  Indiens  de  Zocotlan  dans  quel  but  on 
avait  fait  ce   travail  avec  cette  solidité.  Ils  répondirent  que,  comme 
les   guerres   étaient  continuelles   entre  Montezuma  et  Tlascala,  les 
Tlascaltèques  avaient  élevé  cette  défense  pour  mieux  se  protéger;  car 
nous  étions  là  dans  leurs  terres.  Nous  réfléchîmes  un  moment,  et  il 
y  avait  bien  de  quoi  le  faire  en  présence  de  cette  forteresse.  Mais 
Gortès  s'écria  tout  à  coup  :  «  Senores,  suivons  notre  drapeau;  il  porte 
le  signe  de  la  sainte  croix  ;  par  elle  nous  vaincrons,  »  Nous  répondîmes 
tous  ensemble  que  nous  marcherions  ainsi  sous  bonne  étoile  et  que 
Dieu  est  la  force  véritable.  Nous  commençâmes  donc  notre  marche 
dans  le  bon  ordre  dont  j'ai  parlé.  Nous  n'étions  pas  arrivés  bien  loin, 
lorsque  nos  éclaireurs  aperçurent  une  trentaine  d'Indiens  placés  en 
observation.  Ils  étaient  armés  d'épées  à  deux  mains,  de  boucliers  et 
de  lances  ;  ils  portaient  à  la  tête  un  panache.  Quant  à  leurs  épées, 
elles  sont  faites  en  obsidienne,  longues  comme  des  espadons,  tran- 
chantes comme  des  rasoirs  et  montées  de  telle  façon  qu'elles  ne  peu- 
vent se  briser  ni  sortir  de  leur  manche.  Aussitôt  que  nos  éclaireurs 
les  eurent  vus,  ils  se  replièrent  vers  nous  pour  en  donner  avis.  Gortès 
ordonna  aux  cavaliers  de  courir  sur  eux  et  de  faire  en  sorte  d'en  pren- 
dre quelques-uns  sans  les  blesser;  il  fit  partir  presqu'aussitôt  cinq 
autres  cavaliers,  afin  que,  si  l'on  tombait  dans  quelque  embuscade, 
on  pût  mutuellement  se  venir  en  aide.  En  même  temps,  nous  fîmes 
doubler  le  pas  à  toute  notre  armée,  recommandant  de  marcher  en 
bon  ordre,  parce  que  les  alliés  qui  venaient  avec  nous  assuraient  que 
nous  aurions  affaire  à  un  grand  nombre  de  guerriers  postés  en  em- 
buscade. Or,  lorsque  les  trente  Indiens  placés  en  observation  virent 
que  nos  cavaliers  couraient  sur  eux  et  les  appelaient  de  la  main,  ils 
ne  voulurent  point  attendre;. on  put  néanmoins  les  atteindre  et  es- 
sayer de  s'en  saisir   Mais  ils  se  défendirent  bravement  et  blessèrent 
nos  chevaux  avec -leurs  espadons.  Les  nôtres,  voyant  leur  obstination 
au  co»mbat  et  les  blessures  de  leurs  chevaux,  se  préparèrent  à  faire 


DE  LA   NOUVELLE-ESPAGNE.  151 

honorablement  leur  devoir  et  réussirent  à  tuer  cinq  hommes  à  l'en- 
nemi. 

On  en  était  là,  lorsqu'un  bataillon  de  Tlascaltèques  composé  de 
trois  mille  hommes,  qui  s'était  tenu  caché,  se  précipita  avec  furie  sur 
le  lieu  du  combat.  Ils  commencèrent  à  cribler  de  leurs  flèches  nos 
cavaliers  qui  s'étaient  déjà  tous  réunis,  et  la  bataille  s'engagea,  car  en 
ce  moment  même  nous  arrivâmes  avec  notre  artillerie,  nos  escopettes 
et  nos  arbalètes.  Insensiblement,  l'ennemi  se  prit  à  reculer,  mais  en 
s'arrêtant  de  temps  en  temps  pour  combattre  en  bon  ordre.  Il  nous 
blessa  dans  cette  rencontre  quatre  soldats,  dont  l'un,  ce  me  semble, 
mourut  peu  de  jours  après  de  ses  blessures.  Gomme  il  était  tard,  les 
Tlascaltèques  se  retirèrent,  et  nous  ne  jugeâmes  pas  à  propos  de  les 
suivre.  Dix-sept  d'entre  eux  restèrent  morts  sur  le  carreau,  mais  ils 
eurent  peu  de  blessés. 

Après  avoir  traversé  des  terrains  accidentés,  nous  tombâmes  en 
plaine  et  nous  découvrîmes  un  grand  nombre  d'établissements  desti- 
nés à  la  culture  du  maïs  et  du  maguey,  plante  qui  sert  à  faire  le  vin 
du  pays.  Nous  passâmes  la  nuit  sur  le  bord  d'un  ruisseau  et,  comme 
nous  n'avions  pas  d'huile,  nous  pansâmes  nos  blessés  avec  la  graisse 
d'un  Indien  tué  dans  le  combat.  Nous  soupâmes  très-bien  avec  de 
petits  chiens  d'une  espèce  qu'on  élève  dans  le  pays.  Toutes  les  mai- 
sons étaient  abandonnées  et  les  provisions  enlevées,  mais  les  chiens 
que  les  fuyards  emmenaient  avec  eux  revenaient  la  nuit  dans  les 
maisons,  où  nous  avions  l'adresse  de  les  prendre,  car  c'était  un 
manger  convenable.  Nous  passâmes  toute  la  nuit  en  alerte,  faisant 
des  rondes,  plaçant  des  hommes  en  observation  et  envoyant  battre 
la  campagne  par  des  éclaireurs  ;  nos  chevaux  étaient  sellés  et  bridés, 
de  crainte  que  l'ennemi  ne  tombât  sur  nous.  Nous  en  resterons  là 
et  je  dirai  les  batailles  qu'on  nous  livra, 


CHAPITRE  LXIII 


Des  guerres  et  des  batailles  que  nous  eûmes  à  soutenir  contre  les  Tlascaltèques, 

et  de  ce  qui  advint  encore. 

Le  lendemain,  après  nous  être  recommandés  à  Dieu,  nous  rangeâ- 
mes nos  compagnies  en  bon  ordre  et  nous  partîmes  en  convenant 
avec  les  cavaliers  de  tout  ce  qu'ils  avaient  à  faire  pour  l'attaque  et 
pour  la  retraite.  Nous  résolûmes  surtout  de  bien  prendre  garde  de 
nous  laisser  couper  et  de  faire  le  moindre  vide  dans  nos  rangs.  Nous 
avancions  dans  ces  dispositions,  lorsque  deux  gros  bataillons  d'environ 
six  mille  hommes  accoururent  à  notre  rencontre,  poussant  des  cris. 


152  CONQUÊTE 

battant  du  tambour  et  sonnant  de  la  trompette.  Ils  lancèrent  sur  nous 
leurs  flèches  et  leurs  pieux  et  entamèrent  le  combat  en  hommes  réso- 
lus. Gortès  donna  à  sa  troupe  l'ordre  d'arrêter  et,  au  moyen  de  trois 
prisonniers  que  nous  avions  faits  la  veille,  il  envoya  sommer  l'ennemi 
de  cesser  la  bataille,  puisque  nous  les  voulions  pour  frères,  et  il 
ajouta,  s'adressant  à  un  des  nôtres,  nommé  Diego  de  Grodoy,  qui  était 
notaire  de  Sa  Majesté  ;  qu'il  vît  bien  ce  qui  se  passerait,  afin  d'en 
rendre  témoignage  s'il  en  était  requis,  de  crainte  que  quelque  jour 
on  ne  voulût  nous  faire  responsables  des  morts  et  préjudices  qui  al- 
laient suivre,  tandis  que  nous  offrions  à  ces  Indiens  de  vivre  en  paix 
avec  nous. 

A  peine  nos  trois  prisonniers  leur  eurent-ils  parlé,  qu'ils  s'animè- 
rent davantage  au  combat  et  nous  attaquèrent  avec  une  telle  fougue, 
que  nous  ne  pouvions  plus  rester  l'arme  au  bras.  Alors  Gortès  s'écria  : 
«  Vive  saint  Jacques  de  Gompostelle,  et  sus,  en  avant!  »  Nous  nous 
précipitâmes  à  l'instant  sur  eux  de  telle  sorte  que  nous  en  blessâmes 
un  très-grand  nombre,  entre  lesquels  se  trouvaient  trois  capitaines.  Ils 
reculèrent  alors  vers  des  ravins  où  se  tenaient  embusqués  une  qua- 
rantaine de  mille  hommes  ayant  à  leur  tête  leur  général  appelé  Xico- 
tenga,  dont  ils  avaient  arboré  les  couleurs,  rouge  et  blanc,  sur  leurs  en- 
seignes déployées. Gomme  d'ailleursnous  avions  àpasser  sur  des  terrains 
raboteux,  nous  ne  pouvions  pas  utiliser  nos  chevaux.  Nous  les  franchî- 
mes néanmoins  en  bon  ordre;  mais  notre  marche  y  offrit  les  plus 
grands  dangers,  parce  que  l'ennemi,  mettant  à  profit  son  adresse  à 
se  servir  de  l'arc,  de  la  lance  et  de  l'espadon,  nous  causait  beaucoup 
de  dommages;  les  frondes  aussi  faisaient  pleuvoir  sur  nous  une  grêle 
de  pierres.  Mais  lorsque  nous  fûmes  arrivés  dans  la  plaine,  l'artille- 
rie et  les  chevaux  leur  firent  bien  payer  le  mal  qu'ils  nous  avaient 
causé;  nous  leur  tuâmes  alors  beaucoup  de  monde.  Nous  n'osions  pas 
néanmoins  rompre  nos  rangs;  car  le  soldat  qui  s'oubliait  à  poursui- 
vre quelqu'un  des  Indiens  armés  d'espadons  ou  quelque  capitaine, 
était  aussitôt  atteint  et  courait  le  plus  grand  danger.  Mais  bientôt,  au 
fort  de  la  bataille,  nous  nous  vîmes  entourés  de  tous  côtés,  de  telle 
sorte  que  nous  ne  pouvions  presque  plus  rien  contre  l'ennemi,  n'osant 
l'attaquer  qu'à  la  condition  de  marcher  tous  ensemble,  de  crainte 
qu'on  ne  fît  une  trouée  dans  nos  rangs  et  qu'on  ne  nous  séparât.  Or, 
quand  nous  voulions  avancer  ainsi  sur  nos  adversaires,  nous  trouvions 
devant  nous  plus  de  vingt  bataillons  acharnés  à  la  résistance.  Nos 
vies  coururent  alors  les  plus  grands  dangers,  les  ennemis  étant  si 
nombreux  qu'il  leur  aurait  suffi  de  lancer  chacun  une  poignée  de 
terre  contre  nous  pour  nous  laisser  ensevelis;  mais  la  grande  miséri- 
corde de  Dieu  nous  secondait  et  nous  préservait  en  toutes  choses. 

Nous  en  étions  à  ce  degré  de  péril  au  milieu  de  ces  hardis  hommes 
de  guerre  et  de  leurs  terribles  espadons,  lorsqu'ils  convinrent  de  se 


DE   LA   NOUVELLE-ESPAGNE.  153 

rassembler  en  force  plus  compacte  pour  se  jeter  sur  nous,  dans  l'in- 
tention de  prendre  vivant  quelqu'un  de  nos  chevaux.  Ils  exécutèrent 
en  effet  leur  projet  en  attaquant  vivement,  et  ils  réussirent  à  porter  la 
main   sur  une   excellente  jument,  très-vive   et  très-bonne  coureuse, 
montée  par  le  nommé  Pedro  Moron,  qui  était  un  fort  adroit  cavalier. 
II  voulut  alors  charger  ses  ennemis,  comme  c'était  la  consigne,  en  s'ac- 
compagnant  de  trois  autres  camarades,  dans  le  but  de  se  secourir  mu- 
tuellement. Mais  ses  adversaires  réussirent  à  se  saisir  de  sa  lance,  et 
il  lui  fut  impossible  de  la  dégager.  D'autres  s'approchèrent  et,  le  cri- 
blant de  coups  d'épée,  le  blessèrent  grièvement.  Les  choses  en  étaient 
là,  lorsqu'on  porta  à  la  jument  un  coup  d'espadon  si  violent,  qu'on 
lui  trancha  absolument  la  tête,  et  qu'elle  resta  morte  sur  place.  Si 
deux  de  ses  camarades  n'avaient  à  l'instant  porté  secours  à  Pedro 
Moron,  il  eût  été  tué  infailliblement   aussi.  Vous   croyez  peut-être 
qu'il  était  bien  facile  à  tous  les  hommes  de  notre  bataillon  de  courir 
en  même  temps  à  son  aide  ?  Mais  je  répète  que  la  crainte  d'être  rompus 
et  définitivement  culbutés  nous  empêchait  de  porter  nos  pas  en  n'im- 
porte quelle  direction.  Nous  avions  assez  à  faire  pour  éviter  qu'on  nous 
enlevât,  tant  notre  situation  était  critique.  Cependant  nous  nous  réso- 
lûmes à  nous  diriger  vers  la  jument  et  nous  eûmes  le  temps  de  sauver 
Moron.  Nous  pûmes  l'arracher  de  leurs  mains,  tandis  qu'ils  l'empor- 
taient à  moitié  mort,  et  nous  coupâmes  les  sangles  de  la  pauvre  bête, 
pour  ne  pas  abandonner  la  selle.  Dans  cette  défense,  nous  eûmes  dix 
hommes  blessés;  mais  je  suis  convaincu  que  nous  tuâmes  à  l'ennemi 
quatre  de  ses  principaux  chefs.  Nous  étions  dans  une  telle  mêlée  que 
les  pieds  s'entrelaçaient.  Nos  épéesleur  causant  beaucoup  de  mal,  ils 
commencèrent  à  plier  en  emportant  la  jument  dans  leur  retraite.  Ils 
la  mirent  en  morceaux,  pour  les  montrer  en  spectacle  dans  tous  les 
villages  de  Tlascala.  Nous   sûmes   plus  tard  qu'ils  offrirent  à  leurs 
idoles  les  ferrures  de  l'animal,  le  chapeau  en  feutre  de  Flandre  et  les 
deux  lettres  que  nous  leur  avions  envoyées  pour  leur  demander  la  paix. 
La  jument  qui  périt  appartenait  à  Juan  Sedeïio.  Gomme  il  avait  reçu 
trois  blessures  la  veille,  il  la  prêta  ce  jour-là  à  Moron,  qui  était  bon 
cavalier;  celui-ci  mourut  deux  jours  après  de  ses  blessures,  car  je  ne 
me  rappelle  pas  l'avoir  jamais  revu. 

Mais  revenons  à  la  bataille,  qui  durait  déjà  depuis  une  heure.  Nos 
canons  faisaient  beaucoup  de  mal  à  nos  ennemis,  parce  que,  comme 
ils  étaient  nombreux,  ils  formaient  des  masses  compactes  qui  étaient 
forcément  très-accessibles  à  nos  coups.  D'autre  part,  nous  tous,  les 
cavaliers,  les  fusiliers,  les  arbalétriers,  les  gens  d'épée  et  de  lance,  nous 
nous  battions  comme  de  valeureux  soldats  pour  sauver  nos  vies  et  faire 
notre  devoir;  car,  certainement,  nos  existences  furent  plus  que  jamais 
en  péril.  Il  vint  plus  tard  à  notre  connaissance  que  nous  tuâmes  beau- 
coup d'Indiens  dans  cette  bataille,  et,  entre  autres,  huit  capitaines, 


154  CONQUÊTE 

personnages  très-qualifiés,  fils  des  vieux  caciques  qui  se  trouvaient 
dans  cette  capitale  du  district.  Ils  enlevèrent  ces  morts  distingués  avec 
le  plus  grand  soin.  Nous  n'en  éprouvâmes  aucun  regret  et  n'eûmes 
nullement  la  pensée  de  les  suivre,  car  nous  étions  si  fatigués  que  nous 
ne  pouvions  plus  nous  tenir  debout'.  Nous  nous  arrêtâmes  dans  ce  petit 
village  au  milieu  de  campagnes  extrêmement  peuplées.  On  y  pratiquait 
même  des  habitations  souterraines  semblables  à  des  cavernes,  où  un 
grand  nombre  d'Indiens  passaient  leur  vie.  L'endroit  où  se  donna  cette 
bataille  s'appelaitTehuacingo  ou  Tehuacacingo;  elle  eut  lieu  le  second 
jour  du  mois  de  septembre  de  l'an  1519. 

Nous  voyant  victorieux,  nous  rendîmes  à  Dieu  de  grandes  grâces 
et  nous  nous  concentrâmes  sur  des  temples  élevés  qui  pouvaient  servir 
de  forteresses.  Nous  pansâmes  nos  blessés,  au  nombre  de  quinze,  avec 
la  graisse  de  l'Indien  dont  j'ai  parlé.  L'un  d'eux  mourut  de  ses  bles- 
sures. Nous  soignâmes  de  même  quatre  ou  cinq  chevaux  qui  avaient 
été  atteints  ;  après  quoi,  nous  prîmes  du  repos  et  nous  soupâmes  ex- 
cellemment ce  soir-là,  parce  que  nous  eûmes  un  grand  nombre  de 
poules  et  de  petits  chiens  que  nous  avions  trouvés  dans  ces  maisons. 
Nous  prîmes  nos  précautions  au  moyen  de  sentinelles,  de  rondes  et 
de  coureurs,  et  nous  nous  livrâmes  au  sommeil  jusqu'au  jour  suivant. 
Dans  cette  bataille,  nous  avions  capturé  quinze  Indiens,  dont  deux 
étaient  des  qersonnages.Les  Tlascaltèques,  du  reste,  nous  dévoilèrent 
alors  une  tactique  que  nous  leur  vîmes  pratiquer  toujours  dans  les 
actions  suivantes.  Elle  consistait  à  emporter  tous  les  Indiens  qu'on 
leur  blessait;  de  sorte  que  nous  ne  pouvions  savoir  exactement  leurs 
pertes. 


CHAPITRE  LXIV 

Comme  quoi  nous  nous  installâmes  dans  des  établissements  et  des  villages  appelés 
Teoacingo  ou  Tcuacingo,  et  de  ce  que  nous  y  fîmes. 

Gomme  nous  étions  très-rompus  par  suite  des  dernières  batailles  et 
que  d'ailleurs  nous  avions  beaucoup  de  soldats  blessés,  comme  aussi 
nous  avions  besoin  de  réparer  les  arbalètes  et  de  renouveler  notre  pro- 
vision de  flèches,  nous  passâmes  une  journée  sans  rien  entreprendre 
qui  mérite  d'être  conté.  Le  lendemain,  de  bonne  heure,  Gortès  dit 
qu'il  serait  bon  de  faire  battre  la  campagne  par  nos  cavaliers,  pour 
que  les  Tlascaltèques  ne  pussent  pas  croire  que  les  derniers  combats 
nous  mettaient  dans  l'impossibilité  de  les  attaquer,  et  qu'ils  vissent 
au  contraire  que  nous  ne  leur  donnerions  aucune  trêve.  Or,  ayant  déjà 
passé  la  journée  de  la  veille  sans  faire  mine  de  les  chercher,  il  nous 
paraissait  dès  lors  qu'il  serait  mieux  de  recommencer  à  les  harceler 


DE  LA  NOUVELLE-ESPAGNE,  155 

que  d'attendre  leurs  attaques,  afin  qu'on  n'en  vînt  pas  à  soupçonner 
notre  faiblesse,  au  milieu  de  ces  campagnes  très-peuplées,  s'étendant 
en  de  vastes  plaines.  De  sorte  que  nous  nous  mîmes  en  mouvement 
avec  sopt  cavaliers,  peu  d'arbalétriers  et  escopettiers,  environ  deux 
cents  soldats  et  les  alliés  qui  nous  suivaient.  Nous  laissions  dans  notre 
quartier  royal  un  noyau  de  forces  aussi  bon  qu'il  nous  fut  possible. 
Nous  prîmes,  dans  les  villages  où  nous  passâmes,  environ  vingt  In- 
diens  et  Indiennes,  sans  leur  faire  aucun  mal;  mais  nos  alliés,  plus 
cruels  que  nous,  brûlèrent  plusieurs  maisons  et  firent  bon  butin  de 
poules  et  de  petits  chiens1. 

1,  Dans  ce  pays  dépourvu  do  grands  mammifères,  les  Espagnols  ne  rencontrèrent 
que  des  ressources  insuffisantes  d'alimentation.  Us  s'en  fussent  trouvés  fort  malheu- 
reux s'ils  n'eussent  été  élevés  eux-mêmes  à  des  habitudes  de  frugalité,  comme  consé- 
quence des  mœurs  nationales.  Toujours  est-il  que,  pour  ne  pas  aggraver  la  situation, 
ils  se  virent  dans  la  nécessité  de  ne  rien  mépriser  parmi  les  objets  en  usage  dans  l'a- 
limentation mexicaine.  C'est  ainsi  qu'ils  furent  réduits  à  imposer  silence  à  leurs  ré- 
pugnances en  faisant  main  basse  sur  un  petit  animal  trapu,  rondelet,  d'allures  tristes 
et  mélancoliques,  qui  leur  parut  avoir  tous  les  caractères  extérieurs  du  chien  et  qu'ils 
qualifièrent  en  effet  de  perrillo  en  leur  langage.  Bernai  Diaz  nous  dit  à  son  propos  : 
«  Nous  trouvâmes  tous  les  établissements  abandonnés  ;  mais  les  petits  chiens  que  les 
fuyards  emmenaient  avec  eux  revenaient  la  nuit  dans  les  maisons,  où  nous  avions 
l'adresse  de  les  prendre,  car  c'était  un  manger  convenable.  »  Et  plus  loin  il  ajoute  : 
«  Nous  soupâmes  excellemment  ce  soir-là  parce  que  nous  eûmes  un  grand  nombre 
de  poules  et  de  petits  chiens  que  nous  avions  trouvés  dans  ces  maisons.  »  Nous  devons 
maintenant  nous  demander  ce  qu'était  ce  petit  quadrupède.  La  réponse  n'est  pas  aussi 
facile  qu'on  pourrait  croire  ;  elle  a  été  donnée  de  manières  bien  diverses  par  diffé- 
rents observateurs.  Sahagun  a  dit  à  ce  propos  :  «  On  élevait  en  ce  pays  une  sorte  de 
chiens  sans  aucun  poil  ou  très-peu  velus.  On  en  élevait  une  autre  variété  sous  le  nom 
de  xoloitzcuintli,  tout  à  fait  sans  poil  aussi,  qu'on  était  dans  l'habitude  de  couvrir  do 
mantes  pour  leur  faire  passer  la  nuit....  D'autres  chiens  appelés  tlalchichi,  trapus  et 
rondelets,  sont  fort  bons  à  manger.  »  (Liv.  XII,  chap.  1,  §  6.) 

Acosta  juge  la  chose  autrement  :  nous  verrons  bientôt  si  c'est  avec  justice.  «  De  vrais 
chiens,  dit-il,  il  n'y  en  avait  point  premièrement  es  Indes,  mais  des  animaux  sembla- 
bles à  de  petits  chiens,  lesquels  les  Indiens  appellent  alco  ;  c'est  pourquoi  ils  appel- 
lent du  môme  non  d'aJco  les  chiens  qu'on  y  a  portés  d'Espagne,  à  cause  de  la  ressem- 
blance entre  eux  :  et  sont  les  Indiens  si  amis  de  ces  petits  chiens  qu'ils  épargneront 
leur  manger  pour  leur  donner  ;  tellement  que,  quand  ils  vont  par  pays,  ils  les  portent 
avec  eux  sur  leurs  épaules  ou  en  leur  sein,  et  quand  ils  sont  malades  ils  tiennent  ces 
petits  chiens  avec  eux,  sans  se  servir  d'eux  en  autre  chose  que  pour  l'amitié  et  com- 
pagnie. »  (Liv.  IV,  chap.  xxxm  ;  traduction  de  Regnault  Cauxois.) 

De  son  côté  Clavijero  nous  a  dit  :  «  Le  techichi,  qui  antérieurement  s'appelait  alco, 
était  un  quadrupède  propre  au  Mexique  et  autres  lieux  d'Amérique.  Comme  il  res- 
semblait à  un  petit  chien  de  lait,  les  Espagnols  l'appelèrent  chien  aussi.  Il  était  abso- 
lument muet  et  d'un  aspect  mélancolique;  de  là  la  fable  propagée  par  quelques  au- 
teurs encore  vivants,  que  tous  les  chiens  qu'on  apporte  de  l'Ancien  dans  le  Nouveau 
Monde  deviennent  muets.  Les  Mexicains  mangeaient  sa  chair,  et  si  nous  en  croyons  les 
Espagnols,  qui  la  mangeaient  aussi,  elle  était  nourrissante  et  de  bon  goût.  Les  Espa- 
gnols, qui  d'abord  n'eurent  ni  bœufs  ni  moutons,  approvisionnaient  leurs  boucheries 
de  ces  petits  quadrupèdes.  Il  en  résulta  qu'ils  en  épuisèrent  l'espèce,  quoiqu'elle  fût 
très-abondante.  »  (Liv.  I,  §  10.) 

D'après  Acosta  et  Clavijero.  donc,  le  petit  quadrupède  dont  il  s'agit  n'aurait  pas  été 
un  chien.  Cependant  Sahagun,  qui  avait  pu  le  voir,  puisqu'il  arriva  au  Mexique  huit 
ans  après  la  conquête,  croit  au  contraire  que  c'était  bien  nu  animal  'le  ce  genre.  Les 


156  CONQUÊTE 

Après  cette  courte  sortie,  nous  revînmes  au  campement,  dont  nous 
nous  étions  peu  éloignés.  Gortès  résolut  de  relâcher  les  prisonniers, 
après  les  avoir  repus  abondamment.  Doila  Marina  et  Aguilar  les  flat- 
tèrent et  leur  donnèrent  des  verroteries,  les  engageante  ne  plus  faire 
de  folies  et  à  songer  à  la  paix,  attendu  que  nous  ne  prétendions  qu'à 
leur  servir  d'aides  et  à  les  avoir  pour  frères.  On  rendit  aussi  la  liberté 
aux  deux  premiers  prisonniers,  qui  étaient  des  personnages,  en  leur 
donnant  une  autre  lettre,  pour  qu'ils  dissent  aux  grands  caciques  de 
la  capitale  de  la  province  que  nous  ne  voulions  leur  causer  ni  mal,  ni 
ennui  d'aucune  sorte,  mais  uniquement  traverser  leur  pays  pour  aller 
à  Mexico  parler  à  Montezuma.  Les  deux  messagers  se  rendirent  au 
quartier  de  Xicotenga,  situé  à  deux  lieues  de  là  dans  un  village  qui, 
je  crois,  s'appelait  Tecuacinpacingo.  Xicotenga,  le  jeune,  donna  pour 
réponse  à  notre  lettre  et  à  notre  ambassade,  que  nous  n'avions  qu'à 
aller  à  la  ville  où  se  trouvait  son  père  et.  que,  là,  leur  manière  de  signer 
la  paix,  ce  serait  de  se  rassasier  de  nos  chairs  et  d'honorer  leurs  dieux 
par  l'offre  de  nos  cœurs  et  de  notre  sang;  que  du  reste  nous  verrions 
le  lendemain  de  bonne  heure  leur  manière  de  nous  répondre. 

En  entendant  ces  orgueilleuses  paroles,  fatigués  comme  nous  l'étions 
par  les  batailles  et  rencontres  qui  avaient  précédé,  ni  Gortès  ni  nous 
tous  ne  pûmes  y  puiser  de  la  satisfaction.  Notre  chef  crut  bon  de  flatter 
les  messagers  par  de  douces  paroles,  voyant  bien  qu'ils  n'avaient  plus 
peur  de  nous.  Il  leur  fit  donner  une  enfilade  de  verroteries,  dans  le 
but  de  les  envoyer  une  seconde  fois  comme  messagers  de  paix.  Il  s'in- 
forma alors  en  détail  de  ce  que  c'était  que  le  chef  Xicotenga  et  quelles 
forces  se  trouvaient  sous  son  commandement.  On  lui  répondit  qu'il 
disposait  de  bien  plus  d'hommes  que  lorsqu'il  nous  livra  bataille  la 
première  fois,  puisqu'il  avait  avec  lui  cinq  capitaines  et  que  chaque 
capitainerie  se  composait  de  dix  mille  guerriers.  La  répartition  de  ces 
forces  se  faisait  comme  suit  :  du  parti  de  Xicotenga,  le  père  du  jeune 
chef,  il  n'y  avait  pas  plus  de  dix  mille  hommes;  du  parti  d'un  autre 
grand  cacique  appelé  Maccescaci,  dix  mille  autres;  d'un  autre  person- 
nage du  nom  de  Ghichimecatecle,  un  égal  nombre;  d'un  autre  grand 
cacique,  seigneur  de  Topeyanco,  nommé  Tecapaneca,  dix  mille  autres  ; 
d'un  cacique  qui  s'appelait  Guaxobcin,  encore  dix  mille.  Il  en  résultait 
un  ensemble  de  cinquante  mille  hommes.  On  devait  arborer  le  drapeau 


conquistadores  eux-mêmes,  dont  quelques-uns  avaient  reçu  une  éducation  soignée, 
n'hésitaient  pas  à  le  qualifier  de  chien,  ainsi  que  l'atteste  l'écrit  de  Bernai  Diaz. 
Qu'anrait-il  pu  être  en  effet,  si  ce  n*cst  une  espèce  appartenant  à  ce  genre  qui  a 
donné  partout  des  ramifications  si  compliquées  ?  C'était  sans  doute  une  variété  de  pe- 
tits chiens  terriers,  ayant  perdu  les  instincts  carnivores  du  genre,  par  éducation  et  par 
héritage,  devenus  d'ailleurs  éminemment  domestiques,  et  acquérant,  par  l'habitude  du 
repos  et  d'une  alimentation  végétale  peu  aninialisée,  les  formes  rondelettes,  c'est-à- 
dire  l'embonpoint  dont  parlent  les  auteurs  que  nous  avons  cités. 


DE  LA   NOUVELLE-ESPAGNE.  157 

national  surmonté  d'un  grand  oiseau  blanc,  semblable  aune  autruche1, 
les  ailes  étendues  comme  prenant  son  vol.  Chaque  capitaine  avait  ses 
insignes  propres  et  son  uniforme,  et  chacun  des  caciques  possédait 
un  écusson  particulier,  à  la  manière  de  nos  ducs  et  de  nos  comtes  dans 
notre  Gastille.  Tous  ces  détails  qu'on  nous  donna,  nous  les  dûmes  tenir 
pour  certains,  caries  Indiens  que  nous  avions  eus  comme  prisonniers, 
et  que  nous  mîmes  en  liberté  ce  jour-là,  nous  l'avaient  dit  bien  claire- 
ment, sans  que  nous  y  eussions  tout  d'abord  ajouté  foi. 

En  présence  de  cette  perspective,  et  puisqu'au  fond  nous  ne  pouvions 
nous  empêcher  d'être  des  hommes,  nous  pensâmes  à  la  mort  ;  aussi 
plusieurs  d'entre  nous,  je  pourrais  même  dire  le  plus  grand  nombre, 
nous  nous  confessâmes  au  Père  de  la  Merced  et  au  prêtre  Juan  Diaz, 
qui  passèrent  la  nuit  à  écouter  des  pénitents  et  à  demander  à  Dieu 
qu'il  nous  préservât  d'être  vaincus.  Nous  arrivâmes  ainsi  au  jour  sui- 
vant, et  la  bataille  qu'on  nous  livra,  je  la  vais  dire  à  la  suite. 


CHAPITRE  LXV 


De  la  grande  bataille  que  nous  eûmes  à  soutenir  contre  le  gouvernement  de  Tlascala; 
comme  quoi  Notre  Seigneur  Dieu  voulut  nous  donner  la  victoire  ;  et  cequi  se  passa 
encore. 

Le  lendemain  matin,  5  septembre  1519,  nous  mîmes  nos  chevaux  en 
état,  sans  qu'aucun  des  blessés  restât  au  repos,  ne  fût-ce  que  pour 
augmenter  l'apparence  et  pour  qu'ils  nous  aidassent  comme  ils  le 
pourraient.  Les  arbalétriers  furent  avertis  de  ne  faire  qu'un  usage 
prudent  de  leurs  munitions,  les  uns  chargeant  l'arme  pendant  que 
d'autres  tireraient.  Les  gens  d'escopette  devaient  suivre  la  même  con- 
duite. Il  fut  dit  que  les  hommes  d'épée  et  de  rondache  viseraient  à 
percer  les  entrailles  de  part  en  part,  afin  de  laisser  à  l'ennemi  moins 
d'envie  d'approcher  que  dans  l'attaque  antérieure.  L'artillerie  était 
prête  et  bien  pourvue;  les  cavaliers  avaient  été  avertis  qu'ils  devaient 
s'appuyer  les  uns  les  autres,  marclier  avec  les  lances  en  travers  et  ne 
pas  s'arrêter  à  procéder  par  pointe,  mais  balafrer  les  figures  et  les 
yeux,  en  avançant  et  reculant  au  demi-galop.  Aucun  soldat  ne  devait 
sortir  du  rang.  Le  drapeau  serait  déployé,  et  quatre  hommes  l'accom- 
pagneraient pour  appuyer  l'alfcrez  Corral. 

Nous  partîmes  du  campement  dans  cette  disposition.  Nous  n'avions 
pas  marché  un  demi-quart  de  lieue,  lorsque  la  campagne  nous  apparut 

1.  Le  texte  espagnol  dit  :  que  parece  como  avestruz.  Je  ne  connais  pas  à  ce  mot 
d'autre  signification  que  celle  d'autruche.  Mais  c'est  évidemment  une  expression  im- 
propre, car  les  Mexicains  ne  connaissaient  pas  cet  oiseau,  (l'est  «  aigle  »  qu'il  aurait 
fallu  dire. 


158  CONQUÊTE 

couverte  de  guerriers  coiffés  de  grands  panaches,  enseignes  déployées, 
faisant  un  grand  bruit  avec  leurs  trompettes  et  leurs  porte-voix.  C'est 
ici  qu'il  y  aurait  de  quoi  écrire  pour  faire  le  récit  de  ce  qui  nous 
arriva  dans  cette  périlleuse  et  critique  bataille.  Nous  fûmes  en  effet 
entourés  par  un  si  grand  nombre  de  guerriers  qu'on  aurait  pu  nous 
figurer  par  un  point  minime,  avec  quatre  cents  hommes  seulement, 
au  milieu  de  grandes  prairies  de  deux  lieues  de  long  sur  autant  de 
large;  car  telle  était  la  situation  :  la  campagne  littéralement  couverte 
par  nos  adversaires,  tandis  que  nous  n'étions  que  quatre  cents  hommes, 
dont  plusieurs  malades  et  blessés.  Nous  sûmes  plus  tard  que,  cette 
fois,  ils  marchèrent  sur  nous  avec  la  conviction  qu'aucun  n'aurait  la 
vie  sauve  et  n'éviterait  d'être  sacrifié  à  leurs  idoles. 

Revenons  à  notre  bataille.  Aussitôt  qu'ils  commencèrent  l'attaque, 
quelle  grêle  de  pierres  leurs  frondes  nous  envoyèrent  !  Et  les  flèches  ! 
il  y  en  avait  partout  des  monceaux  sur  le  sol  :  elles  étaient  à  deux 
dards  et  si  parfaites  qu'elles  pouvaient  traverser  toute  espèce  d'ar- 
mure et  qu'elles  pénétraient  dans  les  entrailles  par  tous  les  points 
sans  défense.  Et  quant  aux  gens  d'épée  et  de  rondache,  il  y  en  avait 
qui  étaient  armés  de  lances  et  de  grands  espadons  à  deux  mains. 
L'ennemi  nous  pressait  sans  relâche!  Et  de  quelle  bravoure  il  faisait 
preuve  en  courant  à  la  mêlée  !  et  avec  quels  cris,  quels  hurlements  ! 
De  notre  côté  nous  mettions  toute  notre  adresse  à  bien  utiliser  notre 
artillerie,  nos  escopettes  et  nos  arbalètes,  qui  leur  causaient  fort 
grand  dommage,  tandis  que,  s'ils  s'approchaient  de  nous,  pour  nous 
menacer  de  leurs  espadons,  nous  les  accueillions  à  coups  de  pointe  et 
nous  les  faisions  reculer;  de  sorte  qu'ils  ne  se  hasardaient  plus  à 
tomber  sur  nous  en  masses  si  compactes  que  dans  la  bataille 
antérieure.  Pour  ce  qui  est  de  nos  cavaliers,  ils  manœuvraient 
avec  tant  de  dextérité  et  il  se  conduisaient  tellement  en  hommes 
résolus,  que,  après  Dieu,  qui  était  en  tout  notre  sauvegarde,  ils 
furent  l'élément  principal  de  notre  force.  Du  reste,  en  ce  moment, 
je  vis  notre  bataillon  presqu'en  déroute.  Les  cris  de  Gortès  et  d'autres 
capitaines,  nous  engageant  à  serrer  nos  rangs,  devenaient  absolument 
inutiles.  Une  grande  multitude  d'Indiens  profita  de  notre  désordre 
pour  tomber  sur  nous;  mais,  à  force  d'estocades,  nous  réussîmes  à  les 
écarter  assez  pour  pouvoir  nous  rallier. 

Nos  vies  dépendirent  alors  de  cette  circonstance  heureuse,  qu'étant 
si  nombreux,  ils  formaient  des  masses  compactes  dans  lesquelles  nos 
canons  produisaient  beaucoup  d'effet.  Au  surplus,  leur  comman- 
dement était  incomplet,  car  les  capitaines  ne  pouvaient  l'exercer  sur 
tout  le  monde.  Il  est  en  outre  important  de  dire,  ainsi  que  nous  le 
sûmes  plus  tard,  qu'il  avaient  été  en  désaccord  depuis  la  dernière 
bataille  et  que  quelques  querelles  avaient  surgi  entre  le  capitaine 
Xicotenga  et  le  fils  de  Chichimccateclc,  «'accusant  mutuellement  de 


DE  LA  NOUVELLE-ESPAGNE.  159 

ne  pas  s'être  convenablement  conduits  dans  les  combats  des  jours 
précédents.  Le  fils  de  Chichimecatecle  avait  envoyé  dire  à  son  collègue 
ffu'il  avait  mieux  fait  les  choses  que  lui  et  qu'il  lui  en  donnerait  la 
preuve  d'homme  à  homme.  Il  en  résulta  que,  dans  la  bataille  actuelle, 
il  refusa  de  porter  secours  à  Xicotcnga.  Nous  sûmes  même  avec  cer- 
titude qu'il  engagea  le  bataillon  de  Gruaxocingo  à  ne  pas  combattre. 
Au  surplus,  depuis  la  dernière  rencontre,  nos  ennemis  avaient  peur 
de  nos  chevaux,  de  nos  canons,  de  nos  épées,  de  nos  arbalètes  et  de 
notre  fermeté  au  combat.  Mais,  par-dessus  tout,  c'était  la  grande 
miséricorde  de  Dieu  qui  nous  donnait  la  force  de  nous  soutenir. 
Xicotenga  ne  fut  donc  pas  obéi  par  deux  de  ses  capitaines.  De  notre 
côté  nous  leur  faisions  le  plus  grand  mal,  leur  tuant  beaucoup  de 
monde,  résultat  qu'ils  savaient  dissimuler,  en  profitant  du  nombre 
exagéré  de  leurs  soldats  pour  enlever  sur  leurs  épaules  tous  les 
hommes  qu'on  leur  blessait  grièvement;  d'où  il  résultait  que,  dans 
cette  action  comme  dans  l'antérieure,  nous  ne  pûmes  voir  aucun  mort. 
Ils  se  battaient  d'ailleurs  sans  grand  enthousiasme,  et,  sentant  que  le 
secours  des  deux  capitaines  que  j'ai  nommés  leur  faisait  défaut,  ils 
commencèrent  à  plier.  Nous  leur  tuâmes  un  de  leurs  principaux 
chefs,  et  je  crois  inutile  de  nommer  les  autres  victimes.  Ils  re- 
culèrent en  bon  ordre;  nos  chevaux  les  suivirent  peu  de  temps, 
car  ils  ne  pouvaient  plus  tenir  sur  pied ,  tant  la  fatigue  était 
grande. 

Quand  nous  nous  vîmes  délivrés  de  cette  multitude  de  combattants, 
nous  rendîmes  à  Dieu  de  grandes  actions  de  grâces.  On  nous  tua  un 
soldat;  plus  de  soixante  furent  blessés,  ainsi  que  tous  nos  chevaux. 
Je  reçus,  quant  à  moi,  deux  blessures  :  un  coup  de  pierre  à  la  tête 
et  une  flèche  à  la  cuisse;  mais  ce  ne  fut  pas  assez  sérieux  pour  m'em- 
pêcher  de  combattre,  de  veiller  et  de  secourir  nos  soldats.  Tous  nos 
blessés,  du  reste,  se  conduisirent  de  même.  Tant  que  les  blessures 
n'étaient  pas  dangereuses,  on  continuait  à  se  battre  et  à  monter  sa 
garde.  Qu'aurions-nous  fait  sans  cela,  puisqu'un  bien  petit  nombre 
restait  absolument  intact?  Nous  revînmes  à  notre  quartier  royal  fort 
satisfaits  et  rendant  grâces  à  Dieu.  Nous  nous  hâtâmes  d'enterrer  les 
morts  dans  une  des  demeures  souterraines,  afin  que  les  Indiens  ne 
pussent  pas  s'apercevoir  que  nous  étions  mortels  et  qu'ils  continuas- 
sent à  nous  prendre  pour  des  teules,  ainsi  qu'ils  disaient.  Nous 
accumulâmes  beaucoup  de  terre  sur  la  maison,  pour  qu'on  ne  sentit 
pas  l'odeur  des  corps,  On  pansa  tous  les  blessés  avec  la  graisse  de 
l'Indien  que  j'ai  déjà  mentionné.  Oh!  quelle  disette  de  provisions 
que  la  nôtre!  Nous  n'avions  ni  huile  pour  les  blessés,  ni  sel  pour 
préparer  nos  aliments.  Un  autre  malheur,  c'est  que  nous  manquions 
de  vêtements  pour  nous  couvrir.  Il  venait  un  vent  si  froid  de  la  sierra 
Nevada  qu'il  nous  faisait  grelotter,  car  les  lances,  les  escopettes  et  les 


160  CONQUÊTE 

arbalètes  nous  fournissaient  un  bien  triste  abri1.  Gela  ne  nous  em- 
pêchait pas  d'être  toujours  pleins  de  courage.  Nous  passâmes  la  nuit 
avec  plus  de  tranquillité  que  la  précédente,  protégés  par  des  coureurs, 
des  éclaireurs,  des  sentinelles  et  des  rondes.  J'en  resterai  là  et  je 
dirai  ce  que  nous  fîmes  le  lendemain  et  comment  nous  prîmes  trois 
Indiens  de  distinction. 


CHAPITRE  LXVI 

Comme  quoi  le  jour  suivant  nous  envoyâmes  des  émissaires  aux  caciques  de  Tlascala, 
les  engageant  à  la  paix,  et  de  ce  qu'ils  firent  à  ce  sujet. 

La  bataille  que  j'ai  racontée  étant  terminée,  Gortès  mit  à  profit  les 
trois  Indiens  que  nous  avions  pris:  réunis  aux  deux  autres  qui  étaient 
au  quartier  royal  et  qui  nous  avaient  déjà  servi  de  messagers,  ils  furent 
envoyés  pour  inviter  les  caciques  de  Tlascala  à  faire  la  paix  avec  nous 
et  à  nous  laisser  passer  sur  leurs  terres  pour  aller  à  Mexico,  ainsi  que 
nous  le  leur  avions  déjà  demandé  plusieurs  fois,  ajoutant  que,  s'ils  n'ac- 
ceptaient pas,  cette  fois  nous  exterminerions  tout  leur  monde  ;  mais  que, 
les  affectionnant  beaucoup,  nous  aimerions  mieux  les  avoir  pour  frères, 
et  nous  ne  leur  aurions  jamais  causé  le  moindre  ennui,  s'ils  ne  nous 
y  avaient  obligés.  On  leur  adressa  donc  les  plus  grandes  flatteries  pour 
les  engager  à  accepter  notre  amitié. 

Les  nouveaux  messagers  partirent  volontiers  pour  la  capitale  de 
Tlascala.  Ils  rendirent  compte  de  leur  ambassade  à  tous  les  caciques, 
lesquels  se  trouvaient  réunis  avec  plusieurs  vieillards  et  avec  les  papes, 
fort  tristes  à  propos  du  mauvais  succès  de  leurs  armes  et  à  cause  de 
la  mort  des  capitaines,  leurs  parents,  et  de  leurs  fils,  tués  dans  la  ba- 
taille. Après  avoir  écouté  le  message  de  fort  mauvaise  humeur,  ils 
tombèrent  d'accord  pour  faire  venir  tous  les  devins,  tous  les  papes  et 
les  diseurs  d'aventure,  espèce  de  sorciers  qu'ils  appellent  tacalnagual. 
On  leur  recommanda  de  rechercher,  dans  leurs  prophéties,  dans  leurs 
enchantements  et  dans  leurs  invocations,  qui  nous  étions  et  si  nous 

1.  Une  des  choses  les  plus  dignes  d'attention  de  cette  bien  extraordinaire  campa- 
gne, c'est  le  manque  absolu  de  prévision  au  sujet  du  changement  considérable  de 
température  auquel  Corlès  et  ses  compagnons  d'armes  se  trouvèrent  inopinément 
soumis.  Les  Espagnols,  en  effet,  venaient  de  s'éloigner  d'une  côte  embrasée  dont  les 
ardeurs  nocturnes  des  derniers  jours  d'août  (date  de  leur  départ)  n'étaient  pas  moin- 
dres de  trente  degrés;  tandis  que  maintenant,  sur  le  plateau,  certaines  nuits  leur  fai- 
saient essuyer  des  froids  approchant  de  la  glace.  Leur  ignorance  de  ce  changement 
les  avait  laissés  sans  moyens  pour  se  préserver  d'une  influence  si  préjudiciable,  ainsi 
que  l'auteur  le  dit  d'une  manière  si  originale  dans  ce  passage.  Plus  lard,  nous  ver- 
rons ces  intrépides  conquistadores  céder  à  celle  influence  et  mourir,  en  assez  grand 
nombre,  de  fluxion  de  poitrine. 


DE  LA   NOUVELLE-ESPAGNE.  161 

pouvions  être  vaincus  par  des  hostilités  de  jour  et  de  nuit;  de  savoir 
aussi  si  nous  étions  des  teules,  comme  les  gens  de  Gempoal  l'affir- 
maient; et  de  découvrir,  au  surplus,  ce  que  nous  mangions:  autant 
de  choses  qu'ils  devraient  faire  en  sorte  d'éclaircir  en  grande  diligence. 
Or,  après  que  les  devins,  les  sorciers  et  les  papes  furent  réunis  et 
qu'il  eurent  exécuté  leurs  manœuvres,  ils  dirent,  paraît-il,  y  avoir 
découvert  que  nous  étions  des  hommes  de  chair  et  d'os,  que  nous 
mangions  des  poules,  des  chiens,  du  pain  et  du  fruit  quand  nous  en 
avions  ;  mais  que  nous  ne  faisions  usage  dans  nos  repas  ni  de  chair 
d'Indien  ni  des  cœurs  de  ceux  que  nous  avions  tués.  Il  faut  dire  que 
les  alliés  que  nous  avions  amenés  de  Gempoal  leur  avaient  fait  croire 
qu'en  notre  qualité  de  teules  nous  mangions  des  cœurs  d'Indiens,  que 
nos  bombardes  lançaient  leur  foudre  comme  celle  qui  tombe  du  ciel, 
que  notre  lévrier  était  un  tigre  ou  un  lion  et  que  les  chevaux  servaient 
à  frapper  les  Indiens  de  la  lance  quand  nous  voulions  les  mettre  à 
mort.  Nos  alliés  avaient  réussi  à  leur  faire  croire  beaucoup  d'autres 
enfantillages  encore. 

Revenons  aux  papes. Le  pire  pour  nous  fut  que  les  ministres  et  les  de- 
vins assurèrent  que  pendant  le  jour  il  était  impossible  de  nous  vain- 
cre, mais  que  les  forces  nous  abandonnaient  pendant  la  nuit.  Les  sor- 
ciers dirent  plus  :  que  nous  étions  très-valeureux,  mais  que  nous  pos- 
sédions toutes  nos  qualités  le  jour  seulement  jusqu'à  ce  que  le  soleil 
se  couchât,  tandis  que,  aussitôt  la  nuit  tombée,  nous  manquions  ab- 
solument de  forces.  Lorsque  les  caciques  reçurent  cette  réponse,  ils 
y  ajoutèrent  une  foi  complète  et  la  firent  connaître  à  leur  capitaine 
général  Xicotenga,  pour  que,  sans  retard,  il  vînt  de  nuit  nous  livrer 
bataille  avec  de  puissantes  troupes.  Aussitôt  qu'il  le  sut,  il  réunit  en- 
viron dix  mille  Indiens  parmi  les  meilleurs,  et  ils  se  précipitèrent  sur 
nos  quartiers  par  trois  points  différents,  nous  criblant  de  flèches  et 
de  piques  armées  d'un  ou  de  deux  crochets,  et  nous  menaçant  de  leurs 
espadons  et  de  leurs  casse-tête  avec  une  telle  confiance  dans  le  succès, 
qu'ils  croyaient  être  certains  d'enlever  quelqu'un  de  nous  pour  le  faire 
servir  à  leurs  sacrifices. 

Mais  le  bon  Dieu  Notre  Seigneur  fit  mieux  les  choses  :  nos  ennemis 
eurent  beau  venir  en  secret,  ils  nous  trouvèrent  parfaitement  sur  nos 
gardes,  parce  que  nos  éclaireurs  et  nos  sentinelles,  les  ayant  entendus 
approcher,  accoururent  à  bride  abattue  nous  donner  l'alarme.  Nous 
étions  d'ailleurs  bien  accoutumés  à  dormir  chaussés  et  revêtus  de 
nos  armures,  avec  nos  chevaux  sellés  et  bridés,  et  toutes  sortes  de 
défenses  toujours  bien  à  point.  Nous  leur  résistâmes  avec  nos  csco- 
pettes  et  nos  arbalètes,  et,  nos  estocades  nous  venant  en  aide,  nous 
leur  fîmes  promptement  tourner  le  dos.  Gomme  d'ailleurs  le  pays  était 
en  plaine  et  qu'il  faisait  clair  de  lune,  nos  cavaliers  les  suivirent  un 
moment;  de  sorte  que,  le  lendemain  matin,  nous  trouvâmes   sur  le 

H 


162  CONQUETE 

sol  une  vingtaine  d'hommes  morts  ou  blessés.  Ils  s'en  retournèrent 
donc  après  avoir  éprouvé  de  grandes  pertes,  avec  le  regret  de  leur  at- 
taque nocturne.  J'ai  même  ouï  dire  que,  comme  le  résultat  n'avait 
pas  été  conforme  à  ce  que  les  papes  et  les  sorciers  leur  avaient  pré- 
dit, ils  en  sacrifièrent  deux  à  leurs  idoles.  Cette  nuit-là,  ou  nous  tua 
un  Indien,  de  nos  amis  de  Gempoal  ;  on  nous  blessa  deux  soldats  et 
un  cheval.  De  notre  côté,  nous  prîmes  quatre  ennemis.  Nous  voyant 
délivrés  de  cette  soudaine  attaque,  nous  rendîmes  grâces  à  Dieu,  nous 
enterrâmes  notre  allié  de  Gempoal,  nous  pansâmes  nos  blessés  et  le 
cheval,  et  nous  dormîmes  le  reste  de  la  nuit,  avec  bonne  surveillance 
dans  nos  quartiers,  comme  nous  en  avions  l'habitude.  Le  jour  se  fit  et 
nous  pûmes  alors  nous  assurer  que  nous  étions  tous  atteints  de  deux 
ou  trois  blessures  et  très-fatigués,  quelques-uns  fort  souffrants  et  cou- 
verts de  bandages,  avec  la  perspective  qui  nous  montrait  toujours 
Xicotenga  à  notre  poursuite;  d'autre  part,  déjà  manquaient  à  l'appel 
cinquante-cinq  soldats  tués  dans  les  batailles  ou  morts  de  maladie  et 
de  froid1  ;  douze  hommes  étaient  souffrants,  notre  capitaine  Gortès 
lui-même  était  atteint  de  fièvres  ;  le  Père  fray  Bartolomé  de  Olmedo, 
de  l'ordre  de  la  Merced,  était  malade  également  ;  ajoutez  à  cela  que 
nous  étions  toujours  sous  le  poids  des  armes  dont  nous  étions  revê- 
tus, avec  les  grands  inconvénients  du  froid  et  de  la  privation  du  sel, 
qui  manquait  à  nos  aliments  et  que  nous  ne  pouvions  nous  procurer. 
Au  surplus,  nous  avions  sans  cesse  présent  à  l'esprit  le  dénoûment 
possible  de  nos  combats  du  moment  ;  et  en  supposant  même  qu'ils 
eussent  une  issue  heureuse,  que  pouvait-il  nous  arriver?  où  irions- 
nous  ?  Car  entrer  à  Mexico  !  cela  nous  paraissait  un  espoir  ridicule 
en  pensant  à  sa  grande  puissance,  et  nous  nous  disions  que  si  les 
gens  de  Tlascala  avaient  pu  nous  mettre  en  cet  état,  tandis  que  nos 
alliés  de  Gempoal  nous  les  présentaient  comme  amis,  que  pourrions- 
nous  faire  lorsque  nous  nous  verrions  en  guerre  avec  les  grandes  for- 
ces de  Montezuma?  Au  surplus,  nous  ne  savions  rien  de  nos  cama- 
rades que  nous  avions  laissés  à  la  Villa  Rica,  et  ils  ne  savaient  rien 
de  nous. 

Or  il  y  avait  parmi  nous  des  caballeros  et  des  soldats  d'un  mérite 
achevé,  valeureux  et  de  bon  conseil,  et  Gortès  ne  faisait  ni  ne  disait 
jamais  rien  avant  de  prendre  notre  avis,  afin  de  procéder  en  bon  ac- 
cord. Que,  maintenant,  le  chroniqueur  Gomara  vienne  nous  dire  :  Gor- 
tès fit  ceci,  il  fut  là-bas,  il  courut  ailleurs,  et  d'autres  choses  qui 
s'écartent  de  la  vérité  !  Gortès  eût-il  été  un  homme  de  fer,  comme  du 
reste  Gomara  le  dit  dans  son  histoire,  il  est  certain  qu'il  ne  pouvait 

1.  Il  est  à  remarquer  que  six  mois  après  le  départ  de  Cuba,  Cortès  se  trouve  avoir 
déjà  perdu  einquante-cinq  hommes,  par  le  fer  et  les  maladies.  11  a  lui-même  des  fiè- 
vres intermittentes.  Tout  cela  devrait  être  examiné  séparément  clans  une  Étude  médi- 
cale sur  la  campagne. 


DE  LA  NOUVELLE-ESPAGNE.  163 

être  partout.  Il  eût  suffi  à  ce  chroniqueur  d'assurer  que  Cortès  se  con- 
duisit en  bon  capitaine,  comme  certainement  il  le  fit  toujours.  Je 
parle  ainsi,  parce  que,  outre  les  grandes  faveurs  dont  Notre  Seigneur 
nous  comblait  dans  tous  nos  faits  d'armes,  en  victoires  et  autres  ré- 
sultats, il  semblait  aussi  éclairer  nos  esprits,  de  manière  à  assurer  à 
Gortès  les  conseils  qui  pouvaient  le  mieux  diriger  sa  conduite. 

Mais  cessons  de  chanter  nos  louanges  passées,  puisqu'elles  n'im- 
portent guère  à  notre  histoire,  et  disons  simplement  que  tous,  d'une 
voix,  nous  encouragions  notre  général,  le  priant  de  bien  prendre 
garde  à  sa  personne;  que  nous  étions  là  et  que,  puisqu'avec  l'aide  de 
Dieu  nous  avions  échappé  à  tant  de  périlleux  combats,  sans  doute 
Notre  Seigneur  nous  réservait  pour  d'honorables  fins.  Nous  ajou- 
tâmes qu'il  fallait  mettre  sur-le-champ  les  prisonniers  en  liberté  et 
les  envoyer  aux  chefs  caciques,  les  invitant  à  faire  la  paix,  avec  pro- 
messe de  pardonner  le  passé,  y  compris  la  mort  de  la  jument. 

Laissons  tout  cela,  et  disons  à  quel  point  dona  Marina,  quoique 
femme  du  pays,  faisait  preuve  d'une. âme  virile.  Quoiqu'elle  entendît 
dire  chaque  jour  qu'on  devait  nous  massacrer  et  se  repaître  de  nos 
chairs  ;  quoiqu'elle  nous  vît  complètement  cernés  dans  les  dernières 
batailles  et  que  maintenant  nous  fussions  tous  blessés  et  malades, 
nous  ne  surprîmes  jamais  en  elle  un  moment  de  faiblesse,  mais  tou- 
jours une  résolution  supérieure  à  son  sexe.  Geronimo  de  Aguilar  et 
dona  Marina  parlèrent  aux  messagers  que  nous  allions  envoyer  et 
leur  dirent  d'engager  leurs  compatriotes  à  la  paix;  que,  s'ils  ne  s'y 
résolvaient  pas  avant  deux  jours,  nous  irions  les  tuer,  ravager  leurs 
champs  et  les  chercher  jusque  dans  leur  capitale.  Ce  fut  sous  l'im- 
pression de  ces  paroles  résolues  qu'ils  se  rendirent  à  la  ville  où  se 
trouvait  Xicotenga  le  vieux. 

Laissons  cela,  pour  rappeler  que  le  chroniqueur  Gomara  ne  dit 
nullement  dans  son  histoire,  ni  ne  s'inquiète  de  savoir  si  l'on  nous 
tuait,  si  l'on  nous  blessait,  si  nous  succombions  à  la  fatigue,  si  nous 
étions  malades....  A  lire  ce  qu'il  raconte,  on  croirait  que  les  choses 
nous  tombaient  toutes  faites  dans  les  mains.  Oh  !  combien  le  trorn-^ 
pèrent  ceux  qui  lui  ont  conseillé  d'écrire  ainsi  son  livre!  Nous  tous 
qui  avons  fait  la  conquête,  nous  nous  sommes  demandé  s'il  a  pu 
croire,  en  écrivant  tant  de  faussetés,  que  nous  ne  rétablirions  pas  la 
réalité  des  faits  après  avoir  lu  son  histoire.  Mais  oublions  le  chroni' 
queur  Gomara  et  disons  comment  nos  messagers  furent  à  la  capitale 
de  Tlascala,  porteurs  de  nos  paroles.  Il  me  semble  qu'ils  avaient  une 
lettre;  nous  savions  bien  qu'on  ne  pourrait  la  lire,  mais  nous  rac- 
compagnâmes d'une  flèche  et  lui  donnâmes  ainsi  le  caractère  qu'on 
tient  dans  ce  pays  pour  un  signe  d'ambassade.  Ils  trouvèrent  les 
deux  caciques  principaux  occupés  à  parler  avec  d'autres  personnages. 
Je  vais  dire  leur  réponse. 


164  CONQUÊTE 


CHAPITRE  LXVII 

Comme  quoi  nous  envoyâmes  encore  des  messagers  aux   caciques  de  Tlascala  pour 
qu'ils  voulussent  bien  conclure  la  paix;  de  ce  qu'ils  firent  et  convinrent  à  ce  sujet. 

En  arrivant  à  Tlascala,  les  messagers  que  nous  envoyâmes  pour 
traiter  de  la  paix  trouvèrent  réunis  en  conseil  les  deux  principaux 
caciques  Maceescaci  et  Xicotenga,  le  vieux,  père  du  capitaine  général 
Xicotenga.  Ils  écoutèrent  les  ambassadeurs  et  restèrent  un  moment 
en  suspens,  sans  proférer  une  parole.  Dieu  voulut  alors  les  inspirer 
dans  leurs  résolutions  et  tourner  leurs  esprits  vers  les  idées  de  paix. 
Ils  envoyèrent  à  l'instant  chercher  la  plupart  des  caciques  ei  capi- 
taines qui  se  trouvaient  dans  les  villages,  sans  oublier  ceux  de  la 
province  voisine  de  Gruaxocingo,  qui  étaient  leurs  amis  et  leurs  con- 
fédérés. Lorsqu'ils  furent  tous  réunis  dans  la  capitale,  Maceescaci  et 
Xicotenga  le  vieux,  personnages  tous  deux  fort  intelligents,  leur  adres- 
sèrent un  discours  dont  le  sens,  que  nous  connûmes  plus  tard,  sinon 
les  termes  mêmes,  fut  tel  que  je  vais  dire  : 

«  Frères  et  amis,  vous  avez  vu  combien  de  fois   ces   teules,  tou- 
jours prêts  à  batailler  sur  nos  campagnes,  nous  ont  envoyé  des  mes- 
sagers pour  demander  la  paix;  ils  disent  qu'ils  viennent  nous  secou- 
rir et  nous  compter  au  nombre  de  leurs  frères;  vous  avez  vu  aussi 
combien  de  fois,  ayant  pris  plusieurs  de  nos  vassaux,  ils  ne  leur  ont 
fait  aucun  mal  et  ont  eu  la  générosité  de  nous  les  renvoyer.  Vous 
n'ignorez  pas  que  nous  sommes  tombés  sur  eux  trois  fois  avec  toutes 
nos  forces,  le  jour  comme  la  nuit,  et  que  nous  n'avons  pu  les  vaincre, 
tandis  qu'ils  nous  ont  tué  dans  les  combats  un  grand  nombre  des 
nôtres,  parmi  nos  fils,  nos  parents  et  nos  capitaines.  Maintenant  en- 
core, ils  nous  redemandent  la  paix,  et  les  gens  de  Gempoal  qu'ils 
amènent  avec  eux  assurent  qu'ils  sont  les  ennemis  de  Montezuma  et 
des  Mexicains,  au  point  d'ordonner  aux  gens  de  Gempoal  et  de  toute 
la  sierra  totonaque  de  ne  plus  leur  payer  tribut.  Or,  vous  n'avez  pas 
oublié  que  depuis  plus  de  cent  ans  les  Mexicains  nous  font  la  guerre 
chaque  année;   vous  voyez    d'ailleurs   fort  bien   que   nous   sommes 
comme  parqués  dans  nos  terres,  d'où  nous  n'osons  sortir,  pas  même 
pour  faire  provision  de  sel,  car  nous  n'en   mangeons  plus,  ou  pour 
nous  procurer  du   coton  dont  les  tissus  nous  couvrent  à  peine.  Si 
quelques-uns  des  nôtres  se  hasardent  à  s'éloigner  pour  faire  provi- 
sion, bien  peu  d'entre  eux  ont  la  chance  de  conserver  la  vie  et  de  re- 
venir; ces  traîtres  de  Mexicains  et  leurs  confédérés  les  tuent  ou  les 
emmènent  en  esclavage.  Déjà  plusieurs  fois  nos  sorciers,  nos  devins 
et  nos  papes  nous  ont  dit  ce  qu'ils  pensent  de  ces  teules  et  à  quel 


DE   LA    NOUVELLE-ESPAGNE.  165 

point  ils  sont  valeureux.  Ce  qu'il  nous  semble,  c'est  que  nous  devons 
rechercher  leur  amitié,  qu'ils  soient  hommes  ou  teules;  que,  dans 
l'un  ou  l'autre  cas,  nous  entrions  en  bon  commerce  avec  eux;  que 
sans  perdre  de  temps  quatre  personnages  distingués,  choisis  parmi 
les  nôtres,  leur  portent  de  bonnes  provisions  et  rendent  témoignage 
de  notre  affection  et  de  nos  désirs  de  paix,  afin  qu'ils  nous  prêtent 
secours  et  nous  défendent  contre  nos  ennemis.  Amenons-les  ici  parmi 
nous  et  donnons-leur  des  femmes,  afin  de  contracter  avec  eux  une 
parenté  véritable;  car  les  ambassadeurs  qu'ils  nous  envoient  pour 
traiter  de  la  paix  assurent  qu'ils  prennent  des  femmes  avec  eux.  » 

Ces  raisonnements  étant  entendus,  tous  les  caciques  les  approu- 
vèrent, les  tenant  pour  choses  judicieuses.  Ils  convinrent  qu'il  fallait 
aller  sur-le-champ  régler  les  conventions  de  paix  ;  qu'on  le  fît  savoir 
au  capitaine  général  Xicotenga  et  aux  autres  chefs  qui  étaient  avec 
lui,  afin  qu'ils  se  relirassent  sans  continuer  les  hostilités,  attendu 
que  la  paix  était  faite.  On  envoya  des  messagers  dans  ce  but;  mais 
le  capitaine  Xicotenga,  le  jeune,  ne  voulut  point  les  écouter;  il  se 
montra  fort  irrité,  leur  adressa  d'insolentes  paroles,  disant  qu'il  n'é- 
tait pas  pour  la  paix,  qu'il  avait  déjà  tué  plusieurs  teules  et  leur 
jument,  et  qu'il  voulait  encore  une  fois  tomber  sur  nous  nuitamment, 
achever  de  nous  vaincre  et  nous  exterminer.  Aussitôt  que  Xicotenga 
le  père,  Maceescaci  et  les  autres  caciques  eurent  connaissance  de 
cette  réponse,  ils  en  furent  à  ce  point  contrariés,  qu'ils  envoyèrent 
aux  commandants  et  à  toute  l'armée  l'ordre  de  ne  point  le  suivre  à  la 
guerre,  de  ne  pas  respecter  son  commandement,  à  moins  que  ce  ne 
fût  pour  traiter  de  la  paix;  mais  le  jeune  chef  ne  voulut  point  se  sou- 
mettre. En  présence  de  cette  désobéissance,  les  caciques  résolurent 
d'envoyer  les  quatre  messagers  à  notre  quartier  royal,  pour  nous  y 
offrir  des  provisions  et  y  traiter  de  la  paix  au  nom  de  tout  le  pays  de 
Tlascala  et  de  Guaxocingo.  Mais  les  quatre  vieillards  n'osèrent  pour 
lors  se  mettre  en  route,  à  cause  de  la  crainte  que  leur  inspirait  le 
jeune  Xicotenga. 

Or,  comme  dans  un  même  moment  divers  événements  se  présen- 
taient, et  dans  notre  quartier  royal,  et  pour  les  préliminaires  de  la 
paix,  je  me  vois  dans  la  nécessité  de  porter  mon  attention  sur  ce  qui 
se  rattache  le  plus  directement  à  mon  récit.  Je  laisserai  donc  pour  un 
instant  les  quatre  Indiens  qui  devaient  venir  traiter  de  la  paix  et  qui 
ne  partaient  pas,  par  crainte  de  Xicotenga,  pour  dire  qu'en  attendant 
nous  fûmes  avec  Gortès  à  un  village  situé  près  de  notre  camp.  Je 
conterai  ce  qui  nous  y  arriva. 


166  CONQUÊTE 


CHAPITRE  LXVIII 


Comme  quoi  nous  convînmes  d'aller  à  un  village  qui  était  près  de  notre  campement, 

et  de  ce  que  l'on  fit  à  ce  sujet. 

Il  y  avait  deux  jours  que  nous  n'avions  rien  fait  qui  mérite  d'être 
conté;  il  fut  alors  convenu  —  et  nous  en  donnâmes  le  conseil  à 
Gortès  —  que  nous  irions  à  un  village  qui  se  trouvait  à  une  lieue  de 
notre  camp.  Nous  avions  déjà  engagé  ses  habitants  à  se  présenter  à 
nous  en  signe  de  paix,  et  comme  nous  n'en  avions  pas  de  nouvelles, 
nous  résolûmes  de  tomber  sur  eux  pendant  la  nuit,  sans  intention  de 
faire  aucun  mal,  je  veux  dire  sans  qu'on  tuât,  blessât  ni  prît  per- 
sonne, mais  dans  le  but  de  leur  inspirer  de  la  crainte,  de  prendre  des 
vivres  et  de  leur  parler  de  paix,  si  leur  conduite  nous  en  donnait  l'oc- 
casion. Ce  village  s'appelle  Zumpacingo;  c'était  le  chef-lieu  d'autres 
petits  villages  dont  faisait  partie  celui  qu'occupait  notre  campement 
et  qui  s'appelait  Tecodcungapacingo.  Tous  les  environs  étaient  con- 
sidérablement peuplés.  Nous  partîmes  donc  un  matin  de  bonne 
heure  dans  la  direction  du  village,  avec  six  de  nos  meilleurs  cava- 
liers, nos  soldats  les  plus  dispos,  dix  arbalétriers  et  huit  hommes 
d'escopette.  Gortès,  qui  était  atteint  de  fièvres  tierces,  marcha  avec 
nous  en  qualité  de  commandant  ;  nous  laissâmes  au  camp  le  plus  de 
forces  qu'il  nous  fut  possible,  pour  le  défendre,  et  nous  nous  mîmes 
en  marche  deux  heures  avant  le  jour.  Il  venait  ce  matin-là  un  vent  si 
froid  de  la  sierra  Nevada,  qu'il  nous  faisait  grelotter.  Les  chevaux 
eux-mêmes  s'en  ressentirent;  ils  tremblaient,  et  deux  d'entre  eux  fu- 
rent atteints  de  tranchées,  chose  que  nous  vîmes  avec  grand  regret, 
craignant  qu'ils  n'en  mourussent.  Aussi  Gortès  ordonna-t-il  à  leurs 
cavaliers  de  les  ramener  au  camp  pour  leur  donner  des  soins. 

Gomme  le  village  n'était  pas  éloigné,  nous  y  arrivâmes  avant  qu'il 
fît  jour.  Les  habitants,  sachant  notre  approche,  se  prirent  à  fuir  de 
leurs  maisons,  criant  et  s'exhortant  à  se  méfier  des  teules,  assurant 
que  nous  venions  pour  les  massacrer  ;  et,  dans  le  désordre,  pères  et 
enfants  s'oubliaient  les  uns  les  autres.  Lorsque  nous  vîmes  leur  con- 
duite, nous  fîmes  halte  sur  une  grande  place  pour  y  attendre  le  jour, 
et  sans  faire  aucun  mal  à  personne.  Des  papes  qui  se  trouvaient  dans 
les  temples  principaux  du  village  et  d'autres  personnages  distingués, 
ayant  vu  que  nous  restions  fort  tranquilles  sans  causer  aucun  ennui  à 
qui  que  ce  fût,  s'approchèrent  de  Gortès  et  le  prièrent  de  leur  par- 
donner de  n'être  point  allés  à  notre  camp,  pour  traiter  de  la  paix  et 
pour  nous  fournir  des  vivres,  lorsque  nous  les  fîmes  appeler;  ils 
avaient  agi  ainsi,    arce  que  le  capitaine  Xicotenga,  qui  se  tenait  près 


DE  LA   NOUVELLE-ESPAGNE.  167 

de  là,  leur  en  avait  donné  l'ordre  ;  que  leur  village  et  les  autres  d'a- 
lentour se  voyaient  obligés  d'approvisionner  son  camp,  où  il  comp- 
tait sous  son  commandement  les  hommes  de  guerre  de  tout  le  pays 
de  Tlascala.  Cortès  leur  dit,  au  moyen  de  nos  interprètes  dona  Ma- 
rina et  Aguilar,  qui  marchaient  toujours  avec  nous  dans  toutes  nos 
entreprises,  même  pendant  la  nuit  :  qu'ils  bannissent  toute  crainte  ; 
qu'ils  allassent  à  la  capitale  dire  à  leurs  caciques  de  se  tenir  en  paix, 
puisque  la  guerre  était  malheureuse  pour  eux. 

Il  envoya  les  papes  ;  car  des  autres  messagers  que  nous  avions  ex- 
pédiés nous  n'avions  encore  aucune  nouvelle,  si  ce  n'est  que  les  ca- 
ciques de  Tlascala  se  préparaient  à  nous  dépêcher,  pour  traiter  de  la 
paix,  les  quatre  personnages  qui  n'étaient  pas  encore  arrivés.  Les 
papes  cherchèrent  et  trouvèrent  aussitôt  plus  de  quarante  poules  et 
deux  Indiennes  pour  moudre  le  maïs.  On  les  présenta  à  Gortès  qui  en 
témoigna  de  la  gratitude  et  ordonna  d'envoyer  à  notre  camp  vingt 
Indiens  de  ce  village.  Ils  y  furent  sans  aucune  crainte,  emportant  les 
provisions,  et  ils  y  restèrent  jusqu'au  soir.  On  leur  donna  des  verro- 
teries grâce  auxquelles  ils  rentrèrent  plus  contents  dans  leurs  mai- 
sons. Nos  voisins  proclamaient  que  nous  étions  bons,  que  nous  ne 
leur  causions  aucun  ennui,  et  ce  fut  ce  que  les  vieillards  et  les  papes 
firent  savoir  au  capitaine  Xicotenga,  en  lui  annonçant  aussi  qu'on 
nous  avait  donné  des  Indiennes  et  des  vivres,  ce  qui  ïe  mit  de  fort 
mauvaise  humeur  contre  eux.  Ils  s'adressèrent  alors  aux  vieux  caci- 
ques de  la  capitale.  Ayant  appris  que  nous  ne  faisions  de  mal  à  per- 
sonne et  qu'ayant  pu  mettre  à  mort  cette  nuit-là  grand  nombre  de 
leurs  hommes,  nous  ne  profitions  des  circonstances  que  pour  faire 
demander  la  paix,  les  caciques  se  réjouirent  beaucoup  et  donnèrent 
l'ordre  de  nous  apporter  chaque  jour  tout  ce  dont  nous  aurions  besoin. 
De  nouveau  ils  insistèrent  pour  que  les  quatre  personnages  qui  avaient 
déjà  été  chargés  de  traiter  de  la  paix  partissent  à  l'instant  même  pour 
notre  campement  afin  d'y  apporter  les  vivres  et  autres  objets  qu'on  y 
allait  envoyer. 

Nous  revînmes  donc  pleins  de  joie  à  nos  quartiers,  avec  nos  provi- 
sions et  les  Indiennes.  Arrêtons-nous  là  et  disons  ce  qui  s'était  passé 
au  camp  pendant  notre  expédition  au  village  voisin. 


CHAPITRE  LXIX 


Comme  quoi,  lorsque  nous  revînmes  de  Cinpacingo  avecCorlès,  nous  fûmes  accueillis 
dans  notre  camp  par  certaines  allocutions;  et  de  ce  que  Cortès  répondit. 

A  notre  retour  de  Cinpacingo  avec  des  provisions,   très-satisfaits 
d'y  avoir  établi  la  paix,  nous  apprîmes  qu'il  s'était  formé  dans  notre 


168  CONQUETE 

camp  de  petites  réunions  et  des  conférences  relatives  aux  grands  pé- 
rils que  nous  courions  chaque  jour  dans  cette  campagne.  Notre  ar- 
rivée ne  fit  qu'aigrir  davantage  les  propos.  Ceux  qui  parlaient  le  plus 
fort  et  avec  le   plus  d'insistance  étaient   ceux-là  mêmes  qui  avaient 
abandonné    dans   l'île    de  Cuba    leurs    établissements  et  leurs  In- 
diens. Sept  d'entre  eux,  dont,  pour  leur  honneur,  je  tairai  les  noms, 
furent  trouver  Gortès  dans  son  logement.  Celui  qui  savait  s'exprimer 
le  plus  aisément  et  qui  avait  d'ailleurs  bien  classé  dans  sa  mémoire 
ce  qu'il  devait  exposer,  dit  à  Gortès,  comme  pour  le  conseiller,  qu'il 
voulût  bien  considérer  à  quel  point  nous  étions  blessés,  faibles  et  fa- 
tigués, toujours  obligés  dépasser  les  nuits  en  sentinelles,  en  rondes  et 
en  courses  d'éclaireurs,  tandis  que  nuit  et  jour  il  fallait  combattre  ; 
que,  d'après  le  compte  qu'ils  avaient  fait,  depuis  le  départ  de  Cuba, 
cinquante-cinq  hommes  avaient  succombé  ;  que  du  reste  nous  ne  sa- 
vions rien  de  nos  compagnons  de  la  Villa  Rica,  restés  au  port  comme 
colons;  que,  si  le  bon  Dieu  nous  avait  fait  obtenir  la  victoire  dans  les  ba- 
tailles et  rencontres  que  nous  avions  soutenues  en  cette  province  et 
si,  dans  sa  grande  miséricorde,  il  nous  y  soutenait  encore,  il  ne  fal- 
lait pas  tant  de  fois  tenter  la  fortune  ;  qu'il  n'eût  point  la  prétention 
d'être  pire  que  Pedro  Gàrbonero  f  ;  qu'il  nous  avait  engagés  dans  une 
entreprise  dont  les  difficultés  dépassaient  ce  qu'on  avait  attendu,  et 
dans  laquelle  nous   serions  enfin,  un  jour  ou  l'autre,  sacrifiés  aux 
idoles  —  ce  qu'à  Dieu  ne  plût!  —  A  les  en  croire,  il  nous  fallait  re- 
venir à  notre  Villa  Rica  et,  sous  les  murs  de  la  forteresse  que  nous  y 
avions  élevée  et  parmi  les  villages  de  nos  amis  les  Totonaques,  nous 
pourrions  établir  résidence  jusqu'à  ce  que  nous  eussions  construit  un 
navire  qui  irait  donner  avis  à  Diego  Velasquez  et  en  d'autres  lieux  des 
îles  pour  qu'on  vînt  à  notre  secours;  maintenant  l'on  voyait  bien  de 
quelle  utilité  seraient  les  navires  que  nous  avions  détruits  et  combien 
il  eût  été  bon  d'en  conserver  au  moins  deux  pour  un  cas  de  néces- 
sité; mais,  sans  leur  en  donner  avis,  et  prenant  conseil  de  qui  ne  sa- 
vait tenir  aucun  compte  des  revers  de   fortune,   Gortès  les  avait  tous 
fait  échouer;  plût  à  Dieu  que  lui  et  ceux  qui  lui  donnèrent  cet  avis 
n'eussent  pas  à  s'en  repentir  un  jour!  Décidément  la  charge  devenait 
trop  lourde,  on  pouvait  bien  dire  la  surcharge  sous   laquelle  nous 
étions  obligés  de  marcher,  plus  opprimés  que  des  bêtes  de  somme, 
puisque  celles-ci,  lorsque  la  journée  est  finie,  on  leur  enlève  le  bât, 
on  leur  donne  à  manger,  et  elles  se  reposent,  tandis  que  nous,  jour 
et  nuit,  nous  avancions  sous  le  faix  de  nos  armes  et  embarrassés  de 
nos  chaussures.  Ils  ajoutèrent  que  Gortès  voulût  bien  considérer  les 


1.  D'après  Gomara,  les  mécontents  disaient  à  Gortès  «  qu'il  prétendait  renouveler 
l'aventure  de  Pedro  Garbonerote.  lequel,  étant  entré  en  pays  de  Maures  en  quête  de 
butin,  y  perdit  la  vie  avec  tout  son  monde.  »  (Gomara,  chap.  xlix.) 


DE   LA   NOUVELLE-ESPAGNE.  169 

histoires  des  temps  anciens,  aussi  Lien  des  Romains  que  d'Alexandre 
et  d'autres  capitaines  des  plus  renommés  dans  le  monde  :  quel  est 
celui  d'entre  eux  qui  se  fût  jamais  hasardé  à  brûler  ses  navires  et  à 
s'aventurer  avec  si  peu  de  monde  à  travers  un  pays  fortement  peu- 
plé de  guerriers,  ainsi  qu'il  venait  lui-même  de  le  faire  comme  pour 
y  chercher  sa  propre  mort  et  la  fin  de  toutes  nos  existences?  On  l'en- 
gageait à  penser  à  sa  vie  et  aux  nôtres,  en  revenant  sans  retard  à  la 
Villa  Rica  où  la  population  était  en  paix  avec  nous.  Toutes  ces 
choses,  on  ne  les  lui  avait  pas  dites  jusque-là,  parce  que  l'occasion 
avait  manqué,  à  cause  de  la  multitude  de  guerriers  qui  fondaient  sur 
nous  de  toutes  parts;  mais,  puisque  l'ennemi  ne  revenait  plus  ainsi 
qu'on  s'y  était  attendu,  et  puisque  Xicotenga  avait  passé  trois  jours 
sans  lancer  sur  nous  ses  nombreuses  forces,  c'est  que  sans  doute  il 
voulait  réunir  plus  de  monde;  or,  serait-il  prudent  d'attendre  une  at- 
taque semblable  aux  précédentes?... 

Les  dissidents  ne  s'arrêtèrent  pas  là;  ils  dirent  bien  d'autres  choses 
sur  ce  sujet;  mais  Cortès,  dédaignant  le  ton  présomptueux  des  con- 
seils qu'ils  prétendaient  lui  donner,  leur  répondit  avec  beaucoup  de 
douceur  qu'il  admettait  volontiers  plusieurs  des  vérités  qu'ils  venaient 
d'exposer  ;  entre  autres  choses,  il  croyait  en  effet  qu'il  n'avait  jamais 
existé  d'Espagnols  plus  valeureux  que  nous-mêmes  ,  qui  eussent 
combattu  avec  autant  de  courage  et  supporté  d'aussi  grandes  fatigues; 
s'il  était  vrai  que  jusqu'ici  nous  n'avions  cessé  de  marcher  sous  les 
armes,  de  faire  sentinelles  et  rondes,  et  supporté  les  grands  froids, 
il  n'était  pas  moins  certain  que,  si  nous  ne  l'eussions  pas  fait,  nous 
aurions  infailliblement  tous  péri;  et  c'est  pour  sauver  nos  vies  que 
nous  aurions  à  supporter  encore  les  mêmes  labeurs  et  peut-être  aussi 
de  plus  considérables.  Il  ajouta  :  «  Pourquoi,  senores,  parler  de  cou- 
rage en  ces  circonstances?  N'est-ce  pas  Notre  Seigneur  qui  est  notre 
soutien  véritable?  Quand  je  pense  aux  nombreux  bataillons  d'ennemis 
qui  nous  ont  entourés,  quand  je  les  vois  s'escrimer  avec  leurs  espa- 
dons et  courir  si  près  de  nous,  je  ne  puis  considérei  sans  horreur 
—  surtout  au  moment  où  l'on  trancha  la  tête  de  la  pauvre  jument  — 
à  quel  point  nous  étions  en  déroute  et  déjà  perdus  ;  c'est  alors  que 
je  connus  plus  que  jamais  votre  grande  résolution.  Mais  puisque  le 
bon  Dieu  nous  délivra  d'un  si  terrible  péril,  j'ai  conçu  l'espoir  qu'il 
en  serait  de  même  à  l'avenir;  je  puis  dire  du  reste  qu'au  milieu  de 
tous  ces  dangers  je  ne  me  tenais  pas  personnellement  en  repos;  c'est 
au  milieu  de  vous  que  vous  avez  pu  m'y  voir  toujours  engagé.  (Il 
avait  raison  de  le  dire,  car  il  est  certain  que  dans  toutes  les  rencontres 
il  était  des  premiers  à  combattre.)  J'ai  voulu,  senores,  vous  remettre 
en  mémoire  que,  puisque  le  Seigneur  a  bien  voulu  nous  préserver 
jusqu'ici,  nous  devons  avoir  l'espoir  qu'il  en  sera  toujours  de  même, 
attendu  qu'à  peine  arrivons-nous  dans  un  pays,  nous  prêchons  aux 


170  CONQUETE 

habitants  la  sainte  doctrine  le  mieux  qu'il  nous  est  possible  et  nous 
nous  efforçons  de  détruire  leurs  idoles.  Nous  voyons  du  reste  que  ni 
Xicotenga  ni  ses  bataillons  ne  se  montrent  déjà  plus,  parce  que  sans 
doute  la  crainte  les  empêche  de  venir,  vu  le  grand  mal  que  nous  leur 
avons  fait  dans  les  dernières  batailles,  et  par  suite  de  l'impossibilité 
de  réunir  leur  monde  après  avoir  été  mis  trois  fois  en  déroute.  C'est 
pour  cela  que  ma  confiance  en  Dieu  et  en  mon  patron  saint  Pierre  me 
fait  espérer  que  la  guerre  est  finie  dans  cette  province  ;  vous  voyez 
en  effet  que  ceux  de  Ginpacingo,  déjà  pacifiés,  nous  apportent  des 
vivres,  tandis  que  nos  voisins  tout  à  l'entour  restent  paisibles  dans 
leurs  habitations.  » 

Cortès  ajouta  que,  pour  ce  qui  était  de  la  destruction  des  navires, 
ce  fut  une  mesure  bien  méditée  ;  que  s'il  n'appela  point  quelques-uns 
d'entre  eux  au  conseil  qui  la  décida,  comme  il  y  avait  appelé  d'autres 
caballeros,  ce  fut  par  suite  des  vexations  qu'ils  lui  causèrent  à 
l'Arenal,  circonstance  regrettable  qu'il  eût  voulu  n'avoir  pas  à  rappeler 
à  leur  souvenir;  quant  au  conseil  qu'ils  lui  donnaient  actuellement, 
il  ne  différait  pas  de  celui  qu'ils  lui  donnèrent  alors.  «  Mais, 
ajouta-t-il,  veuillez  bien  considérer  qu'il  y  a  dans  le  campement 
grand  nombre  de  caballeros  qui  pensent  le  contraire  de  ce  que  vous- 
mêmes  demandez  et  conseillez  ;  au  surplus,  le  meilleur  sera  d'offrir 
à  Dieu  toutes  choses  et  de  les  exécuter  au  mieux  de  son  saint  service. 
Quant  à  ce  que  vous  avancez,  senores,  que  jamais  les  guerriers  les 
plus  renommés  de  Rome  n'entreprirent  d'aussi  hauts  faits  que  les 
nôtres,  vous  dites  certainement  la  vérité;  à  l'avenir,  grâces  à  Dieu, 
on  nous  vantera  dans  l'histoire  au  delà  de  nos  aïeux  ;  mais,  ainsi  que 
je  vous  l'ai  déjà  dit,  toutes  nos  actions  sont  guidées  par  Ja  pensée  de 
servir  Dieu  et  notre  Empereur  don  Carlos,  dont  la  chrétienne  justice 
s'ajoutera  aux  faveurs  de  la  grande  miséricorde  du  Seigneur  auquel 
nous  devrons  de  pouvoir  accroître  nos  succès.  Ce  ne  serait  donc  point, 
senores,  chose  bien  judicieuse  que  de  faire  un  pas  en  arrière;  car  si 
Jes  gens  qui  nous  entourent  et  ceux  que  nous  avons  laissés  derrière 
comme  amis  voyaient  pareille  reculade,  les  pierres  et  les  rochers  se 
soulèveraient  contre  nous;  de  même  qu'ils  nous  prennent  à  présent 
pour  dieux  ou  pour  idoles,  comme  ils  disent,  ils  nous  tiendraient 
alors  pour  lâches  et  pour  gens  de  nulle  valeur.  Quant  à  résider, 
comme  vous  dites,  parmi  nos  alliés  les  Totonaques,  soyez  sûrs  que 
s'ils  nous  voyaient  revenir  sans  être  arrivés  à  Mexico,  ils  s'attroupe- 
raient contre  nous,  prenant  pour  motif  que,  comme  nous  les  avons 
empêchés  de  payer  tribut  à  Montezuma,  les  Mexicains  tomberaient 
sur  eux  pour  les  mettre  de  nouveau  à  contribution,  les  maltraiter  et 
même  les  obliger  à  nous  faire  la  guerre  ;  et  ils  nous  la  feraient  cer- 
tainement, par  pure  frayeur  et  dans  l'espoir  d'éviter  ainsi  d'être  eux- 
mêmes  massacrés.  De  sorte  que,  partout  où  nous  croirions  pouvoir 


DE  LA  NOUVELLE-ESPAGNE.  171 

compter  sur  des  alliés,  nous  ne  trouverions  quo  des  ennemis.  Et 
Montezuma,  que  dirait-il  en  recevant  la  nouvelle  de  notre  retraite  ? 
que  penserait-il  de  nos  paroles  et  de  tout  ce  que  nous  lui  aurions  fait 
dire?  Il  serait  obligé  de  prendre  tout  cela  pour  une  raillerie  et  pour 
des  jeux  d'enfants.  Donc,  senores,  mal  par  là-bas,  pis  encore  plus 
loin!  mieux  vaut  pour  nous  rester  où  nous  sommes  :  c'est  une  belle 
plaine,  bien  peuplée,  et  notre  camp  y  est  dûment  approvisionné  : 
ici  des  poules,  là  de  petits  chiens;  grâce  à  Dieu,  rien  ne  fait  défaut, 
Si  nous  avions  du  sel,  qui  est  notre  plus  grand  besoin,  et  des  vête- 
ments  pour  nous  garantir  du  froid,  que  nous  manquerait-il?  Eu 
égard,  senores,  à  ce  que  vous  dites,  —  que  depuis  notre  départ  de 
l'île  de  Cuba  il  nous  est  mort  cinquante -cinq  soldats,  de  blessures, 
de  faim,  de  froid,  de  maladie  et  de  fatigue,  et  que  nous  sommes  bien 
peu  nombreux,  et  tous  malades,  et  tous  blessés,  —  sachez  que  Dieu 
nous  rend  aussi  forts  que  si  nous  étions  en  grand  nombre,  et  que, 
du  reste,  les  guerres  ont  l'habitude  de  faire  périr  partout  les  hommes 
et  les  chevaux.  Il  est  juste  de  dire  aussi  que  nous  avons  bien  souvent 
des  vivres  en  abondance,  et  qu'au  surplus  nous  n'avons  pas  entrepris 
la  campagne  pour  rester  en  repos,  mais  bien  pour  nous  battre  quand 
l'occasion  s'en  présenterait.  Donc,  senores,  je  demande  en  grâce  que, 
puisque  vous  êtes  des  caballeros,  vous  fassiez  le  possible  pour  encou- 
rager ceux  qui  faiblissent;  veuillez  dorénavant  vous  défaire  de  la 
pensée  du  retour  à  Cuba  et  de  revoir  ce  que  vous  y  possédez;  effor- 
çons-nous de  nous  conduire  en  bons  soldats,  comme  au  surplus  vous 
l'avez  toujours  fait;  car,  après  Dieu  qui  est  notre  secours  et  notre 
appui,  c'est  de  la  force  de  nos  bras  que  nous  devons  tout  attendre.  » 
Après  que  Gortès  leur  eut  tenu  ce  langage,  les  soldats  auxquels  il 
s'adressait  n'en  continuèrent  pas  moins  leurs  menées,  disant  que  sans 
doute  tout  cela  était  fort  bien,  mais  qu'il  n'en  était  pas  moins  vrai  que, 
lorsque  nous  étions  sortis  de  la  Villa, notre  intention  avait  été,  comme  elle 
était  encore  aujourd'hui,  d'aller  à  Mexico  ;  que  cette  ville  passait  pour 
être  très-forte,  très-peuplée  de  guerriers,  tandis  que,  au  dire  des  gens 
de  Gempoal,  les  Tlascaltèques  étaient  pacifiques  et  n'avaient  pas  la 
réputation  de  ceux  de  Mexico;  et  cependant,  nous  venions  de  courir 
avec  eux  de  telles  chances  de  perdre  nos  vies,  que,  si  on  nous  livrait 
encore  une  autre  bataille  comme  les  dernières,  la  fatigue  nous  empê- 
cherait de  nous  y  tenir  debout;  et  puis,  quand  même  on  ne  nous  atta- 
querait plus  où  nous  étions,  aller  à  Mexico  leur  paraissait  une  bien 
terrible  entreprise  ;  il  fallait  réfléchir  mûrement  aux  ordres  qui  seraient 
donnés  à  ce  sujet.  Gortès  leur  répondit  alors,  presque  en  colère,  que, 
comme  le  chantent  les  romanceros,  il  valait  mieux  mourir  avec  hon- 
neur que  vivre  déshonoré.  Il  ajouta  enfin  qu'au  surplus  tous  les  soldats 
qui  le  nommèrent  capitaine  général  et  lui  conseillèrent  de  détruire  les 
navires  lui  dirent  en  même  temps  à  haute  voix  qu'il  ne  prîl  aucun 


172  CONQUÊTE 

souci  des  sourdes  menées,  ni  de  pareils  discours,  et  qu'avec  l'aide  de 
Dieu  et  notre  bon  accord,  nous  fussions  toujours  prêts  à  faire  ce  qu'il 
conviendrait. 

Gela  dit,  les  conférences  prirent  fin.  Il  est  vrai  qu'on  murmurait 
encore  contre  Gortès  et  qu'on  le  maudissait,  de  même  que  nous  tous 
qui  lui  donnions  conseil,  non  moins  que  les  alliés  de  Gempoal  qui 
nous  avaient  indiqué  cette  route;  ils  se  livraient  encore  à  bien  des 
conversations  répréhensibles  ;  mais  les  circonstances  forçaient  à  les 
laisser  comme  inaperçues,  et  d'ailleurs  tous  obéissaient  parfaitement. 

Je  cesserai  de  parler  de  toutes  ces  choses,  et  je  dirai  que  les  vieux 
caciques  de  la  capitale  de  Tlascala  envoyèrent  encore  des  émissaires 
à  leur  capitaine  général  Xicotenga,  pour  que  sous  aucun  prétexte  il 
ne  nous  attaquât,  mais  qu'il  allât  en  paix  nous  rendre  visite  en  nous 
apportant  des  vivres,  attendu  qu'ainsi  l'ordonnaient  tous  les  caciques 
et  les  principaux  personnages  de  la  province  et  de  Guaxocingo.  On  fit 
savoir  en  même  temps  aux  capitaines  qui  étaient  avec  lui  qu'en  toute 
question  où  il  ne  s'agirait  pas  de  traiter  de  la  paix,  on  lui  refusât 
obéissance.  Le  message  lui  fut  adressé  à  trois  reprises  nouvelles, 
car  on  sut  qu'il  ne  voulait  point  obéir  et  qu'il  était  résolu  à  tomber 
de  nuit  sur  notre  camp,  ayant  réussi  à  réunir  vingt  mille  hommes 
dans  ce  but  ;  et  comme  il  était  fort  orgueilleux  et  très-entêté,  il  se  re- 
fusa absolument,  comme  toujours,  à  se  soumettre  aux  ordres  qu'on 
lui  adressait.  Ce  qu'il  fit  à  ce  propos  je  vais  le  dire  à  la  suite. 


CHAPITRE  LXX 

Comme  quoi  le  capitaine  Xicotenga  avait  sous  la  main  vingt  mille  guerriers  de  choix 
pour  tomber  sur  notre  camp,  et  de  ce  que  l'on  fit  à  ce  sujet. 

Maceescaci,  Xicotenga,  le  vieux,  et  la  plupart  des  caciques  de  la 
capitale  de  Tlascala  envoyèrent  donc  dire  quatre  fois  à  leur  capitaine 
qu'il  ne  fallait  plus  nous  traiter  en  ennemis,  mais  venir  nous  parler 
pacifiquement,  puisqu'il  se  trouvait  non  loin  de  notre  camp.  On  en- 
joignit  également  aux  autres  capitaines  qui  étaient  avec  lui  de  ne  pas 
le  suivre  autrement  (rue  pour  l'accompagner  à  des  conférences  sur  la 
paix.  Mais,  comme  Xicotenga  était  d'un  mauvais  caractère,  entêté  et 
orgueilleux,  il  résolut  de  nous  envoyer  quarante  Indiens  porteurs  de 
poules,  de  pains  et  de  fruits,  quatre  vieilles  Indiennes,  pauvrement 
accoutrées,  beaucoup  de  résine  de  copal  et  des  plumes  de  perroquet. 
Nous  pûmes  croire  que  les  Indiens  porteurs  étaient  sincèrement  paci- 
fiés. En  arrivant  à  notre  camp,  ils  encensèrent  Gortès  et,  sans  se  livrer 
aux  humiliations  obséquieuses  dont  ils  ont  l'habitude,  ils  lui  dirent  : 


DE  LA  NOUVELLE-ESPAGNE.  173 

«  Le  capitaine  Xicotenga  vous  envoie  ceci  pour  que  vous  le  mangiez, 
si  vous  êtes  des  t&ules,  comme  le  prétendent  les  gens  de  Gempoal; 
si  vous  aimez  les  sacrifices,  prenez  ces  quatre  femmes  pour  les  sacri- 
fier, et  mangez  leur  chair  avec  leur  cœur;  comme  nous  ne  savons  pas 
quelles  sont  vos  pratiques,  nous  n'avons  point  voulu  les  sacrifier  nous- 
mêmes  devant  vous.  Si  vous  êtes  des  hommes,  mangez  des  poules,  du 
pain  et  du  fruit;  si  vous  êtes  des  tenles  bienfaisants,  vous  avez  là  du 
copal  et  des  plumes  de  perroquet  pour  que  vous  fassiez  votre  sacrifice.  » 
Gortès  leur  répondit,  au  moyen  de  nos  interprètes,  qu'il  leur  avait 
déjà  mandé  qu'il  voulait  la  paix,  qu'il  ne  venait  pas  faire  la  guerre, 
mais  qu'il  se  présentait  au  nom  de  Notre  Seigneur  Jésus-Christ,  en 
qui  nous  croyons  et  que  nous  adorons,  et  de  la  part  de  l'Empereur 
don  Carlos,  dont  nous  sommes  les  vassaux,  pour  les  prier  de  ne  plus 
massacrer  ni  sacrifier  aucun  homme,  comme  c'était  leur  habitude  ;  que 
nous  étions  tous  de  chair  et  d'os  comme  eux-mêmes  et  non  des  dieux, 
mais  des  chrétiens  n'ayant  pas  la  coutume  de  tuer  nos  semblables  ; 
que  si  nous  voulions  tuer,  nous  aurions  eu  bien  des  occasions  d'exer- 
cer notre  cruauté  sur  leurs  personnes,  toutes  les  fois  qu'ils  étaient  venus 
nous  attaquer  de  jour  comme  de  nuit;  quant  aux  vivres  qu'ils  appor- 
taient, nous  leur  en  avions  de  la  reconnaissance,  espérant  qu'ils  ne 
seraient  pas  plus  fous  qu'ils  n'avaient  été  jusqu'ici  et  qu'ils  se  déci- 
deraient à  vivre  en  paix  avec  nous. 

Or  il  paraît  que  ces  Indiens  qu'envoya  Xicotenga  avec  des  vivres 
étaient  des  espions  chargés  d'examiner  nos  demeures,  les  entrées,  les 
sorties  et  tout  ce  qu'il  y  avait  dans  notre  campement  :  les  provisions, 
les  chevaux,  l'artillerie,  le  nombre  d'hommes  que  pouvait  tenir  chaque 
maison.  Ils  restèrent  ce  jour-là  et  la  nuit  suivante,  les  uns  allant  avec 
des  messages  voir  Xicotenga,  et  les  autres  revenant  au  camp.  Nos 
amis  de  Cempoal  fixèrent  sur  eux  leur  attention  et  devinèrent  la  vé- 
rité. Ils  pensèrent  que  ce  n'était  pas  chose  naturelle  de  voir  ainsi  nos 
ennemis  nuit  et  jour  dans  le  camp,  sans  qu'il  y  eût  à  cela  quelque 
motif,  et  que  certainement  c'étaient  là  des  espions.  On  crut  donc  de- 
voir s'en  méfier,  d'autant  plus  que,  lorsque  nous  fûmes  à  Ginpacingo, 
deux  vieillards  de  ce  village  avaient  dit  à  nos  alliés  de  Gempoal  que 
Xicotenga  était  prêt  pour  tomber  avec  un  grand  nombre  de  guerriers, 
pendant  la  nuit,  sur  notre  campement,  dans  l'espoir  de  nous  sur- 
prendre. Les  gens  de  Gempoal  avaient  pris  tout  d'abord  la  confidence 
pour  une  raillerie  et  pour  une  sorte  de  bravade,  et  comme  d'ailleurs 
ils  ne  voyaient  pas  là  l'ombre  d'une  certitude,  ils  ne  crurent  pas  de- 
voir le  dire  à  Gortès  ;  mais  dona  Marina,  l'ayant  su,  s'empressa  de  le 
lui  raconter.  Gortès  voulut  alors  éclaircir  la  chose.  Dans  ce  but,  il  prit 
à  part  deux  Tlascaltèques  qui  lui  paraissaient  animés  de  plus  de  pro- 
bité. Ils  confessèrent  qu'ils  étaient  en  effet  des  espions  de  Xicotenga 
et  ils  dirent  à  quelle  fin  ils  étaient  venus.  Gortès  les  fit  mettre  en 


174  CONQUÊTE 

liberté,  mais  il  en  prit  deux  autres  qui  confessèrent  qu'ils  étaient 
des  espions  ;  deux  autres  encore  dirent  ni  plus  ni  moins  la  même 
chose  :  ils  assurèrent  même  que  Xicotenga  n'attendait  que  leur  ré- 
ponse pour  tomber  sur  nous  la  nuit  suivante  avec  tout  son  monde. 

Après  cette  découverte,  Gortès  en  répandit  la  nouvelle  par  tout  le 
camp,  pour  que  nous  fussions  bien  sur  le  qui-vive,  tenant  pour  certain 
que  l'ennemi  viendrait,  ainsi  qu'il  se  l'était  proposé.  Puis  il  fit  pren- 
dre dix-sept  Indiens  parmi  ces  espions  ;  il  ordonna  qu'on  coupât  le 
poignet  à  certains  d'entre  eux,  à  d'autres  seulement  les  pouces,  et 
nous  les  renvoyâmes,  ainsi  amputés,  à  leur  capitaine  Xicotenga,  en 
leur  disant  que,  pour  les  punir  de  leur  hardiesse  à  venir  chez  nous 
avec  de  pareilles  intentions,  on  se  contentait  quant  à  présent  de  leur 
faire  subir  ce  châtiment;  qu'ils  allassent  annoncer  à  leur  chef  qu'il 
pouvait  venir  quand  il  voudrait,  de  jour  ou  de  nuit,  que  nous  l'atten- 
drions pendant  deux  jours;  mais  que,  s'il  ne  venait  point  dans  ce 
délai,  nous  irions  le  chercher  dans  son  propre  camp,  où,  du  reste, 
nous  aurions  été  les  attaquer  déjà  et  les  détruire,  si  nous  n'en  avions 
pas  été  empêchés  par  l'amitié  que  nous  leur  portions  ;  qu'ils  cessas- 
sent enfin  de  faire  des  folies,  et  se  résolussent  à  la  paix.  On  assure 
que  Xicotenga  allait  partir  avec  tout  son  monde  pour  tomber  nuitam- 
ment sur  nous,  lorsqu'arrivèrent  les  Indiens  amputés  des  poignets  et 
des  doigts.  Les  voyant  ainsi  faits,  il  en  fut  ébahi  et  il  en  demanda  la 
raison.  Quand  on  lui  eut  expliqué  ce  qui  était  arrivé,  il  perdit  beau- 
coup de  son  assurance  et  de  sa  superbe.  Il  faut  dire  aussi  qu'un  ba- 
taillon entier  s'était  enfui  du  camp,  après  avoir  eu  des  querelles  avec 
lui,  à  propos  des  batailles  précédentes.  Voyons  ce  qui  arriva  après 
cela. 


CHAPITRE  LXXI 


Comme  quoi  les  personnages  qu'on  avait  envoyés  pour  traiter  de  la  paix  arrivè- 
rent à  notre  camp  ;  du  discours  qu'ils  nous  adressèrent  et  de  ce  qui  se  passa  en- 
core. 

Nous  étions  dans  notre  camp,  ignorant  qu'on  devait  venir  nous 
parler  de  paix  et  la  désirant  outre  mesure  :  nous  nous  occupions  à 
mettre  nos  armes  en  état  et  à  faire  des  flèches,  chacun  donnant  ses 
soins  à  ce  qui  lui  était  le  plus  nécessaire  en  approvisionnements  de 
guerre.  En  ce  moment  arriva  en  toute  hâte  un  de  nos  éclaireurs  pour 
annoncer  que  par  la  route  principale  de  Tlascala  plusieurs  Indiens  et 
Indiennes  venaient  avec  des  fardeaux;  que  sans  dévier  de  leur  roule 
ils  marchaient  vers  notre  camp  ;  que  du  reste  son  camarade  qui  cou- 
rait avec  lui  la  campagne  s'était  placé  en  observation  pour  voir  où  ils 


DE  LA  NOUVELLE-ESPAGNE.  175 

se  dirigeaient.  Sur  ce,  le  camarade  lui-même  se  présenta,  assurant 
que  les  gens  annoncés  étaient  près  de  là,  venant  droit  au  point  où 
nous  étions,  en  faisant  de  temps  à  autre  de  petites  haltes.  Cortès  et 
nous  tous  nous  réjouîmes  de  ces  nouvelles,  parce  que  nous  les  crûmes 
avant-courrières  de  paix,  ce  qui  fut  en  effet  la  réalité.  Cortès  prescrivit 
qu'on  ne  manifestât  pas  d'émotion,  et  qu'on  s'enfermât  dans  les  ca- 
banes sans  rien  dire.  Tout  aussitôt  quatre  personnages,  qui  étaient 
chargés  de  traiter  de  la  paix  au  nom  des  vieux  caciques,  se  détachè- 
rent du  groupe  des  porteurs  en  faisant  des  signes  pacifiques  qui  con- 
sistent à  tenir  la  tête  Lasse.  Ils  vinrent  droit  à  la  demeure  de  Cortès; 
ils  appuyèrent  la  main  sur  le  sol  et  baisèrent  la  terre;  ils  exécutèrent 
ensuite  trois  révérences,  firent  brûler  leur  copal  et  dirent  que  tous 
les  caciques  de  Tlascala,  tous  les  vassaux  et  alliés,  leurs  amis  et 
leurs  confédérés,  venaient  se  soumettre  à  l'amitié  et  aux  conditions 
de  paix  de  Cortès  et  de  ses  frères  les  teules,  qui  étaient  avec  lui,  nous 
priant  de  leur  pardonner  de  n'être  pas  venus  tout  d'abord  pacifique- 
ment au-devant  de  nous,  et  de  nous  avoir  fait  la  guerre  ;  ils  avaient 
agi  ainsi,  parce  qu'ils  tenaient  pour  certain  que  nous  étions  amis  de 
Montezuma  et  des  Mexicains,  lesquels  sont  leurs  ennemis  mortels 
depuis  des  temps  très-reculés  ;  cette  idée  leur  était  venue,  du  reste, 
en  voyant  que  plusieurs  vassaux  et  tributaires  des  Mexicains  mar- 
chaient avec  nous,  ce  qui  leur  avait  fait  penser  que  nous  voulions 
entrer  dans  leur  pays  en  les  trompant  traîtreusement,  comme  leurs 
ennemis  en  avaient  l'habitude,  pour  voler  leurs  fils  et  leurs  femmes; 
c'était  cela  qui  les  avait  empêchés  de  croire  aux  paroles  des  messagers 
que  nous  leur  avions  envoyés.  D'ailleurs  les  premiers  Indiens  qui 
avaient  marché  contre  nous  aussitôt  après  notre  entrée  dans  leur 
pays,  n'obéirent  nullement  à  leurs  ordres,  mais  bien  aux  conseils  des 
Chontales  Estomies,  gens  peu  civilisés,  sorte  de  coureurs  des  bois, 
qui,  nous  voyant  en  si  petit  nombre,  eurent  l'espoir  de  se  saisir  de 
nous  et  de  nous  amener  prisonniers  à  leurs  seigneurs,  pour  en  obte- 
nir des  faveurs.  Les  messagers  ajoutèrent  que  maintenant  ils  venaient 
demander  pardon  pour  leur  hardiesse ,  avec  promesse  que  chaque 
jour  à  l'avenir  ils  enverraient  plus  de  provisions  qu'ils  n'en  appor- 
taient aujourd'hui;  du  reste  ils  nous  priaient  de  recevoir  ce  présent 
avec  le  même  bon  vouloir  qui  le  leur  avait  fait  envoyer;  dans  deux 
jours  le  capitaine  Xicotenga  viendrait  avec  d'autres  caciques;  il  don- 
nerait alors  plus  d'explications  sur  le  prix  que  tout  Tlascala  attachait 
à  notre  bonne  amitié.  Quand  ils  eurent  achevé  ce  discours,  ils  cour- 
bèrent la  tête,  appliquèrent  la  main  sur  le  sol  et  baisèrent  la  terre. 

Cortès,  au  moyen  de  nos  interprètes,  leur  parla  en  affectant  une 
certaine  gravité  et  quelque  irritation,  disant  qu'il  y  avait  bien  des 
raisons  pour  ne  pas  les  écouter  et  ne  point  contracter  amitié  avec  eux  ; 
que  depuis  notre  entrée  dans  leur  pays,  nous  leur  avions  proposé  la 


176  CONQUETE 

paix,  leur  donnant  l'assurance  de  les  aider  contre  leurs  ennemis  de 
Mexico;  qu'ils  ne  voulurent  point  nous  croire;  qu'ils  prétendirent  tuer 
nos  envoyés,  et,  non  contents  de  cela,  nous  attaquèrent  trois  fois,  même 
de  nuit,  employant  au  surplus  contre  nous  des  espions  etdesembûches  ; 
au  milieu  de  leurs  attaques,  nous  aurions  pu  leur  tuer  beaucoup  de 
monde  et  nous  ne  l'avions  point  voulu,  éprouvant  même  du  regret 
pour  ceux  qui  avaient  péri,  quoiqu'à  eux  seuls  en  revînt  toute  la 
faute;  du  reste,  nous  avions  résolu  d'aller  les  trouver  dans  les  lieux 
mêmes  où  se  tenaient  les  vieux  caciques  ;  mais  puisqu'ils  demandaient 
la  paix  de  la  part  de  cette  province,  notre  général  les  recevait  au  nom 
de  son  seigneur  et  Roi,  les  remerciant  pour  les  provisions  qu'ils  ap- 
portaient. 

Gortès  leur  ordonna  alors  d'aller  sur-le-champ  inviter  leurs  supé- 
rieurs à  venir  ou  à  envoyer  des  gens  plus  autorisés  pour  traiter  de  la 
paix;  s'ils  ne  se  montraient  pas  empressés  à  obéir,  nous  porterions  la 
guerre  dans  leur  propre  résidence.  Il  leur  fit  aussi  donner  des  ver- 
roteries bleues  pour  leurs  caciques,  comme  un  gage  de  paix,  les  avertis- 
sant que  quand  ils  viendraient  à  notre  camp,  ce  devrait  être  de  jour  et 
non  de  nuit,  sans  quoi  nous  les  tuerions.  Gela  dit,  les  quatre  messagers 
se  mirent  en  route.  Ils  laissèrent  dans  quelques  maisons  éloignées 
du  camp  les  Indiennes  qu'ils  avaient  amenées  pour  faire  le  pain, 
cuire  les  poules  et  pour  le  reste  du  service.  Ils  en  firent  autant  de 
vingt  Indiens  porteurs  d'eau  et  de  bois  à  brûler,  et  désormais  on 
nous  apporta  régulièrement  à  manger.  Lorsque  nous  vîmes  cette 
conduite  qui  témoignait  de  la  réalité  de  leurs  intentions  pacifiques, 
nous  rendîmes  grâces  à  Dieu.  Gela  arriva  du  reste  quand  nous  étions, 
autant  qu'on  se  le  pourra  figurer,  faibles,  fatigués  et  mécontents  de 
la  guerre,  incertains  du  dénoûment  qui  en  serait  la  suite. 

En  ce  qui  regarde  le  sujet  des  derniers  chapitres,  le  chroniqueur 
Gromara  dit  que  Gortès  gravit  des  monticules  pour  apercevoir  le  vil- 
lage de  Cinpaeingo;  mais  moi  j'affirme  que  ce  village  était  situé  près 
de  notre  camp  et  qu'il  eût  fallu  que  n'importe  quel  soldat  fût  bien 
aveugle  pour  ne  pas  le  voir  bien  clairement  s'il  en  avait  envie.  Il  dit 
aussi  que  les  hommes  voulurent  se  soulever  contre  Gortès.  et  bien 
d'autres  choses  dont  je  ne  ferai  pas  mention  pour  ne  pas  dépenser 
mes  paroles  en  vain,  car  il  avoue  simplement  qu'on  le  lui  a  dit  ainsi. 
J'aflirme  que  jamais  capitaine  au  monde  ne  fut  mieux  écouté  que 
Gortès,  ainsi  qu'on  le  verra  bien  par  la  suite  ;  que  la  pensée  de  lui 
désobéir  n'était  venue  à  personne  depuis  que  nous  étions  dans  le 
cœur  du  pays,  en  exceptant  l'événement  del'Arenal.  Quant  au  discours 
dont  j'ai  parlé  dans  le  chapitre  qui  précède,  il  faut  le  comprendre 
dans  le  sens  d'un  conseil  que  l'on  croyait  raisonnable,  et  nullement 
comme  chose  dite  dans  un  autre  but;  car,  en  toute  circonstance,  l'o- 
béissance à  notre  chef  fut  sincère  et  très-loyale.  Et  puis,  il  n'est  pas 


DE  LA  NOUVELLE-ESPAGNE.  177 

surprenant  que,  dans  une  si  dure  campagne,  certains  bons  soldats  se 
hasardassent  à  donner  un  conseil  à  leur  capitaine,  surtout  en  se 
voyant  exténues  comme  nous  l'étions.  Et  cependant,  qui  lira  l'histoire 
de  Gomara  croira  qu'il  dit  la  vérité,  tant  il  emploie  d'éloquence  pour 
tout  conter,  quoique  ce  soit  le  contraire  de  ce  qui  arriva.  Nous  en  res- 
terons là,  et  je  dirai  ce  qui  nous  advint  bientôt  avec  des  messagers 
que  le  grand  Montezuma  nous  envoya. 


CHAPITRE  LXXII 

Comme  quoi  des  envoyés  de  Montezuma.  grand  seigneur  de  Mexico,  arrivèrent  à  notre 
camp  ;  du  présent  qu'ils  apportèrent. 

Dieu  Notre  Seigneur  ayant  employé  sa  grande  miséricorde  à  per- 
mettre que  nous  fussions  vainqueurs  dansles  batailles  de  Tlascala,  la 
renommée  fit  voler  nos  hauts  faits  dans  toutes  ces  contrées.  Le  grand 
Montezuma  en  fut  donc  instruit  dans  sa  belle  ville  de  Mexico,  et  si 
auparavant  on  nous  avait  tenus  pour  teules,  comparables  aux  idoles, 
à  présent  on  élevait  plus  haut  encore  notre  réputation  de  puissants 
guerriers.  On  était  en  admiration  dans  tout  le  pays  en  considérant 
qu'étant  si  peu  nombreux,  tandis  que  les  Tlascaltèques  étaient  si  for- 
tement organisés,  nous  eussions  pu  les  vaincre  d'abord  et  leur  accor- 
der ensuite  une  paix  honorable.  De  sorte  que  Montezuma,  grand  sei- 
gneur de  Mexico,  soit  bonté  naturelle,  soit  crainte  de  nous  voir 
prendre  le  chemin  de  sa  capitale,  envoya  à  Tlascala  et  à  notre  camp 
cinq  personnages  de  distinction  pour  nous  souhaiter  la  bienvenue  et 
nous  dire  qu'il  avait  éprouvé  une  grande  joie  à  la  nouvelle  de  la  vic- 
toire que  nous  avions  remportée  sur  tant  de  guerriers  ennemis.  Il 
envoyait  un  présent  d'une  valeur  d'environ  mille  piastres  d'or,  en 
joailleries  fort  riches  et  diversement  gravées,  accompagnées  de  vingt 
charges  de  fines  étoffes  de  coton. 

Il  faisait  dire  qu'il  voulait  être  le  vassal  de  notre  grand  Empereur 
et  qu'il  se  réjouissait  de  nous  voir  si  près  de  sa  capitale,  à  cause  des 
bons  sentiments  qui  l'animaient  envers  Gortès  et  tous  les  teules  ses 
frères  qui  étaient  avec  lui;  que  Gortès  voulût  dire  combien  nous  dési- 
rions qu'il  nous  payât  en  tribut,  chaque  année,  pour  notre  grand  Em- 
pereur; qu'on  le  donnerait  en  or,  en  argent,  en  joailleries  et  en 
étoiles,  à  la  condition  que  nous  n'irions  point  à  Mexico;  ce  qui  ne 
voulait  pas  dire  qu'il  désirait  notre  départ,  car  il  nous  recevrait  de 
grand  cœur;  mais,  considérant  combien  son  pays  était  stérile  et  sca- 
breux, il  regretterait  beaucoup  nos  fatigues  s'il  nous  y  voyait  enga- 
gés, tandis  qu'il  serait  dans  l'impossibilité  de  porter  remède  à  tous 
ces  inconvénients  aussi  bien  qu'il  en  aurait  le  désir. 

12 


178  CONQUÊTE 

Gortès  lui  répondit  qu'il  le  remerciait  de  sa  bonne  volonté,  du 
présent  qu'il  envoyait  et  de  l'offre  qu'il  faisait  de  payer  tribut  à  Sa 
Majesté.  Il  pria  ensuite  les  messagers  de  ne  pas  partir  avant  d'être 
allés  à  la  capitale  de  Tlascala;  c'était  là  qu'il  les  expédierait,  tandis 
qu'on  pourrait  voir  le  résultat  de  nos  batailles.il  ne  lui  était  pas  pos- 
sible d'ailleurs  de  s'occuper  en  cet  instant  de  leur  donner  sa  réponse, 
parce  qu'il  s'était  purgé  la  veille  avec  une  sorte  de  petites  pommes 
qu'il  avait  apportées  de  Cuba  et  qui  sont  excellentes  pour  qui  sait  en 
faire  bon  usage.  Je  laisserai  cela  et  je  dirai  ce  qui  se  passa  encore  dans 
notre  camp. 

CHAPITRE  LXXIII 

Comme  quoi  Xicotenga,  capitaine  général  de  Tlascala,  vint  traiter  de  la  paix  ; 
de  ce  qu'il  nous  dit  et  de  ce  qui  advint. 

Tandis  que  Gortès  était  en  conférence  avec  les  ambassadeurs  de 
Montezuma  et  qu'il  désirait  se  reposer,  parce  qu'atteint  de  fièvres  il 
s'était  purgé  la  veille,  on  vint  lui  dire  que  le  capitaine  Xicotenga  arri- 
vait avec  un  grand  nombre  de  caciques  et  de  capitaines,  tous  revêtus 
de  manias  blanches  et  rouges,  je  veux  dire  moitié  blanches,  moitié 
rouges,  parce  que  telles  étaient  les  couleurs  de  sa  livrée.  Son  main- 
tien était  très-pacifique  et  les  personnages  distingués  qui  lui  tenaient 
compagnie  n'étaient  pas  moins  de  cinquante.  Arrivé  en  présence  de 
Gortès,  il  lui  fit  ses  très-respectueuses  révérences,  selon  l'usage  du 
pays,  et  il  donna  l'ordre  de  brûler  du  copal  en  abondance.  Gortès  le  fit 
asseoir  près  de  lui  avec  beaucoup  d'amabilité. 

Xicotenga  lui  dit  qu'ils  venaient  de  la  part  de  son  père,  de  Macees- 
caci  et  de  tous  les  caciques  et  sujets  de  la  république  de  Tlascala, 
pour  nous  prier  de  les  admettre  dans  notre  amitié;  ils  voulaient  du 
reste  jurer  obéissance  à  notre  seigneur  et  Roi  et  nous  demander  pardon 
pour  avoir  pris  les  armes  et  combattu  contre  nous;  s'ils  avaient  agi 
ainsi,  c'est  parce  qu'ils  ignoraient  qui  nous  étions,  ayant  tenu  pour 
certain  que  nous  venions  de  la  part  de  leur  ennemi  Montezuma,  dont 
les  troupes  avaient  souvent  recours  à  des  ruses  et  à  des  tromperies 
pour  entrer  dans  leur  pays,  les  voler,  les  mettre  à  sac,  calamité  dont 
ils  se  crurent  menacés  lors  de  notre  arrivée;  c'est  pour  cela  qu'ils 
s'étaient  efforcés  de  défendre  leurs  personnes  et  leur  patrie,  chose 
qu'ils  ne  pouvaient  faire  sans  livrer  bataille;  étant  très-pauvres,  il 
leur  était  impossible  de  se  procurer  de  l'or,  de  l'argent,  des  pierres 
précieuses,  des  étoiles  de  colon,  ni  même  du  sel  pour  leurs  aliments, 
parce  que  Montezuma  ne  leur  permettait  pas  de  sortir  de  leur  pays 
pour  aller  acquérir  ces  objets;  s'il  était  vrai  que  leurs  aïeux  eussent 


DE  LA  NOUVELLE-ESPAGNE.  179 

possédé  quelque  or  et  quelques  pierres  de  valeur,  tout  avait  été  livré 
à  Montezuma  en  gage  de  paix  ou  d'armistice,  pour  obtenir  de  ne  pas 
être  massacrés,  et  cela,  à  des  époques  fort  éloignées  de  la  présente;  il 
en  résultait  qu'aujourd'hui  ils  n'avaient  rien  adonner;  que  Gortès  le 
leur  pardonnât,  la  pauvreté  de  leurs  ressources,  et  non  leurs  senti- 
ments, les  empêchant  seule  de  mieux  faire.  Xicotenga  et  les  autres 
chefs  se  plaignirent  beaucoup  de  Montezuma  et  de  ses  alliés  qui  tous 
étaient  contre  eux  et  leur  faisaient  la  guerre  ;  ils  dirent  que  jusqu'à 
présent  on  s'était  bien  défendu  ;  qu'ils  avaient  voulu  se  défendre  de 
même  contre  nous,  mais  qu'ils  n'avaient  pas  obtenu  de  résultat,  mal- 
gré leur  triple  attaque  au  moyen  de  tous  leurs  guerriers;  que  nos 
personnes  étant  invincibles  et  eux  l'ayant  reconnu,  ils  voulaient  être 
nos  alliés  et  les  vassaux  du  grand  Empereur  don  Carlos,  certains 
qu'étant  à  nos  côtés,  leurs  personnes,  leurs  femmes  et  leurs  fils  se- 
raient en  sûreté;  qu'alors  ils  ne  seraient  pas  continuellement  en  sur- 
saut au  sujet  des  traîtres  Mexicains.  Il  ajouta  beaucoup  d'autres  paroles 
tendant  à  nous  offrir  leur  ville  et  leurs  personnes. 

Xicotenga  avait  une  stature  élevée,  de  larges  épaules,  le  corps  bien 
fait,  le  visage  ovale,  les  joues  creuses  et  néanmoins  dénotant  la  santé; 
il  paraissait  avoir  trente-cinq  ans  et  son  maintien  était  grave.  Gortès 
le  remercia  vivement,  lui  faisant  gracieux  accueil  et  lui  disant  qu'il  les 
recevait  pour  nos  alliés  et  pour  vassaux  de  notre  Roi  et  seigneur.  Xi- 
cotenga repartit  qu'il  nous  priait  d'aller  à  la  ville,  parce  que  tous  les 
vieux  caciques  et  les  papes  nous  attendaient  avec  des  préparatifs  de 
réjouissance.  Gortès  lui  promit  d'y  aller  bientôt,  ajoutant  qu'il  parti- 
rait même  tout  de  suite  s'il  n'avait  à  s'occuper  maintenant  de  ses 
affaires  avec  le  grand  Montezuma;  qu'il  se  mettrait  en  route  aussitôt 
qu'il  en  aurait  fini  avec  les  messagers.  Gortès  ne  voulut  pas  terminer 
l'entretien  sans  parler  des  combats  qu'ils  lui  avaient  livrés  de  jour  et 
de  nuit,  et  à  ce  propos  il  prit  un  ton  un  peu  aigre  et  donna  à  son 
maintien  un  aspect  plus  grave;  mais  il  ajouta  qu'il  pardonnait  le  passé 
puisqu'il  n'avait  plus  de  remède;  que  du  reste  ils  voulussent  bien 
remarquer  que  la  paix  concédée  devrait  être  respectée  et  non  exposée 
aux  changements,   étant  bien  entendu  que,  s'ils  variaient  dans  leur 
conduite,  il  les  ferait  périr  et  détruirait  leur  ville,  toutes  paroles    de 
paix  devenant  alors  inutiles  et  la  guerre  sans  merci.  Xicotenga  et  les 
personnages  qui  étaient  avec  lui,  ayant  entendu  ces  paroles,  répondirent 
tous  d'une  voix  que  la  paix  serait  durable  et  sincère  et  qu'ils  étaient 
tout  prêts  à  rester  en  otage  pour  la  garantir.  D'autres  discours  encore 
furent  échangés  entre  Gortès,  Xicotenga  et  la  plupart  des  personnages 
présents,  et  en  finissant,  on  leur  donna  des  verroteries  vertes  et  bleues 
pour  le  vieux  Xicotenga,  pour  lui,  le  jeune,  et  pour  la  plupart  des 
caciques.  Gortès  les  pria  de  dire  qu'il  ne  tarderait  pas  à  aller  à  leur 
capitale.  Tout  cela  —  conférences  et  offres  mutuelles  —  se  passait  de- 


180  CONQUÊTE 

vant  les  ambassadeurs  mexicains,  qui  virent  à  regret  ces  ouvertures 
de  paix,  bien  persuadés  qu'il  n'en  résulterait  rien  de  bon  pour  eux. 
Lorsque  Xicotenga  eut  pris  congé,  les  envoyés  de  Mexico  dirent  à 
Gortès  en  souriant  qu'il  aurait  tort  d'accorder  aucun  crédit  à  ces  offres 
de  paix  faites  par  les  Tlascaltèques;  que  c'étaient  là  plaisanteries, 
paroles  de  traîtres  et  de  menteurs,  auxquelles  il  ne  devait  nullement 
ajouter  foi;  que  tout  cela  était  fait  afin  que,  nous  tenant  dans  leur 
ville,  ils  pussent  sans  rien  risquer  nous  attaquer  et  nous  détruire  ; 
qu'il  fallait  nous  souvenir  du  nombre  de  fois  qu'ils  avaient  tenté  de 
nous  massacrer,  avec  toutes  leurs  forces  ;  que,  ne  l'ayant  pas  pu  et  le 
résultat  ayant  été  de  s'en  retourner  avec  beaucoup  de  morts  et  de 
blessés,  ils  voulaient  maintenant  s'en  venger  en  simulant  la  paix. 
Gortès  répondit  alors,  sur  un  ton  de  crânerie,  qu'il  était  au-dessus  des 
trahisons  dont  ils  parlaient  et  que,  cela  fût-il  vrai,  il  ne  pourrait  que 
s'en  réjouir  pour  l'occasion  que  ses  ennemis  lui  donneraient  de  les 
châtier  en  leur  ôtant  la  vie;  que  peu  lui  importait  qu'on  l'attaquât  de 
jour,  de  nuit,  en  rase  campagne  ou  dans  la  ville;  que  l'une  de  ces 
tentatives  ne  le  gênerait  pas  plus  que  l'autre,  et  que  c'était  précisé- 
ment pour  savoir  si  on  lui  disait  vrai  qu'il  se  décidait  résolument  à 
aller  à  la  ville.  Lorsque  les  ambassadeurs  virent  cette  détermination, 
ils  nous  prièrent  d'attendre  encore  six  jours  dans  le  camp,  parce  qu'ils 
voulaient  envoyer  deux  des  leurs  à  leur  maître  Montezuma,  assurant 
qu'ils  pouvaient  être  de  retour,  avec  la  réponse,  dans  les  six  jours 
demandés.  Gortès  le  promit,  d'abord  parce  qu'il  était  atteint  de  fiè- 
vres, ainsi  que  je  l'ai  dit,  et  ensuite,  comme  ces  ambassadeurs  lui 
avaient  parlé  de  trahison,  bien  qu'il  eût  feint  de  n'en  faire  aucun  cas, 
il  s'était  pris  à  penser  que,  si  par  aventure  c'était  la  vérité,  il  serait 
bon  de  s'assurer  davantage  de  la  sincérité  de  la  paix  promise,  les  cir- 
constances étant  telles  qu'il  valait  bien  la  peine  d'y  réfléchir  mûre- 
ment. Il  lui  revint  alors  à  l'esprit  que,  depuis  la  Villa  Rica  de  laVera 
Gruz,  il  avait  procédé  par  la  paix,  laissant  derrière  nous  des  villages 
amis  et  confédérés.  Il  crut  donc  opportun  d'écrire  à  Juan  deEscalante, 
qui  était  resté  à  la  Villa,  chargé  de  terminer  la  forteresse  et  de  com- 
mander environ  soixante  soldats  vieux  et  malades  qu'on  avait  laissés 
en  ce  lieu.  Dans  ses  lettres,  il  faisait  savoir  les  grandes  faveurs  dont 
Notre  Seigneur  Jésus-Christ  nous  avait  honorés  dans  les  batailles  et 
rencontres  victorieuses  qui  avaient  été  notre  lot  depuis  notre  entrée 
dans  la  province  de  Tlascala,  dont  les  habitants  demandaient  aujour- 
d'hui la  paix  ;  qu'ils  rendissent  tous  grâces  à  Dieu  ;  qu'ils  prissent 
bien  soin  d'être  toujours  favorables  aux  villages  de  nos  alliés  les  To- 
tonaques,  et  qu'on  lui  envoyât,  par  des  moyens  rapides,  deux  jarres 
de  vin  qu'on  avait  enterrées  dans  un  point  bien  marqué  de  leurs  loge- 
ments; qu'on  envoyât  aussi  des  hosties  apportées  de  l'île  de  Cuba, 
parce  que  celles  que  nous  avions  prises  avec  nous  étaient  déjà  finies. 


DE  LA  NOUVELLE-ESPAGNE.  181 

Ces  lettres  causèrent  une  grande  joie  dans  la  Villa.  Escalante  y  répondit 
en  nous  instruisant  de  ce  qui  était  arrivé  près  de  lui,  et  tout  nous 
parvint  très-rapidement.  En  ces  jours-là,  nous  élevâmes  dans  notre 
camp  une  croix  très-haute  et  luxueusement  fabriquée.  Gortès  donna 
l'ordre  aux  Indiens  de  Ginpacingo  et  à  ceux  qui  étaient  autour  de  nous 
de  blanchir  un  temple  et  de  le  mettre  en  bon  état. 

Mais  cessons  de  parler  de  tout  cela  et  revenons  à  nos  amis  les  caci- 
ques de  Tlascala,  lesquels,  voyant  que  nous  ne  nous  décidions  pas  à 
aller  chez  eux,  venaient  à  notre  camp  avec  des  poules  et  des  lunas1, 
dont  c'était  la  saison.  Chaque  jour  du  reste  ils  nous  gratifiaient  des, 
provisions  qu'ils  avaient,  nous  les  offrant  de  bon  cœur  et  ne  voulant 
rien  accepter  en  retour,  quoiqu'on  le  leur  proposât.  Au  surplus,  ils  ne 
cessaient  pas  de  prier  Gortès  d'aller  avec  eux  à  la  ville;  mais,  comme 
nous  attendions  les  Mexicains  pendant  les  six  jours  promis,  au  moyen 
de  douces  paroles  il  faisait  prendre  patience  aux  Tlascaltèques.  Alors 
que  le  terme  expirait,  six  personnages  de  grande  distinction  arrivèrent 
de  Mexico,  porteurs  d'un  riche  présent  envoyé  par  Montezuma.  Sa  va- 
leur dépassait  trois  mille  piastres  d'or,  en  riches  joailleries  diverse- 
ment façonnées,  deux  cents  pièces  d'étoffes  enjolivées  de  plumes  et  de 
différents  dessins.  Les  envoyés  dirent  à  Gortès,  en  le  lui  présentant, 
que  leur  seigneur  Montezuma  se  réjouissait  de  notre  bonne  fortune  ; 
qu'il  nous  priait  de  n'aller  en  aucun  cas  avec  les  Tlascaltèques  à  leur 
capitale;  que  nous  n'eussions  point  confiance  en  eux,  car  on  voulait 
sûrement  nous  entraîner  pour  nous  voler  or  et  étoffes,  attendu  qu'ils 
étaient  si  gueux  qu'une  bonne  étoffe  de  coton  n'était  pas  à  leur  portée  ; 
du  reste,  il  leur  suffirait  de  nous  savoir  les  amis  de  Montezuma,  de 
qui  nous  recevions  cet  or,  ces  bijoux  et  ces  étoffes,  pour  qu'ils  eussent 
mieux  encore  le  désir  de  nous  dépouiller.  Gortès  reçut  le  présent  d'un 
air  joyeux,  disant  qu'il  s'en  trouvait  honoré  et  qu'il  le  payerait  en  bons 
offices  ;  que  si  du  reste  on  s'apercevait  que  les  Tlascaltèques  pensaient 
réellement  à  ce  dont  Montezuma  nous  avertissait,  nous  le  leur  ferions 
payer  par  la  perte  de  leurs  existences;  «  mais,  ajouta  Gortès,  je  sais 
qu'ils  ne  commettront  aucune  vilenie  et,  malgré  tout,  je  veux  voir  ce 
qu'ils  feront  ». 

On  en  était  là,  lorsqu'arrivèrent  plusieurs  autres  messagers  de  Tlas- 
cala pour  dire  à  Gortès  que  les  vieux  caciques  de  la  capitale  de  la  pro- 
vince étaient  là  qui  venaient  le  visiter,  lui  et  nous  tous,  dans  nos  éta- 
blissements et  dans  nos  cabanes,  pour  nous  emmènera  la  ville.  A  cette 
nouvelle,  Gortès  pria  les  envoyés  mexicains  d'attendre  encore  trois 
jours  les  dépêches  qu'il  devait  envoyer  à  leur  maître,  parce  que  tout 
son  temps  était  actuellement  absorbé  par  le  soin  de  terminer  la  guerre 

1.  La  luna,  fruit  du  cactus  vulgaire  appelé  raquelle,  est  ce  que  nous  nommons  on 
français  «  figue  de  Barbarie  ». 


182  CONQUÊTE 

et  les  négociations  relatives  à  la  conclusion  de  la  paix.  Les  ambassa- 
deurs promirent  d'attendre.  Ce  que  les  vieux  caciques  dirent  à  Cortès, 
nous  allons  le  raconter  à  la  suite. 


CHAPITRE  LXXIV 

Comme  quoi  les  vieux  caciques  de  Tlascala  vinrent  à  notre  camp  pour  prier  Cortès  e 
nous  tous  de  ne  plus  tarder  d'aller  à  la  ville,  et  ce  qui  arriva  à  ce  sujet. 

Voyant  que  nous  n'allions  pas  à  Tlascala^  les  vieux  caciques  de  la 
province  convinrent  de  faire  eux-mêmes  le  voyage,  les  uns  en  litière, 
les  autres  en  hamac,  portés  sur  les  épaules  des  Indiens  ;  quelques-uns 
marchaient  à  pied.  Ces  personnages  étaient  ceux-là  mêmes  que  j'ai  déjà 
nommés  :  Maceescaci,  le  vieux  Xicotenga,  qui  était  aveugle,  Gruaxo- 
lacima,  Chichimecatecle  et  Tecapaneca,  de  Topeyanco.  Ils  arrivèrent 
à  notre  camp  en  nombreuse  compagnie  d'hommes  de  distinction.  Ils 
s'humilièrent  devant  Cortès  et  devant  nous  tous  en  faisant  trois  révé- 
rences; ils  brûlèrent  du  copal,  appliquèrent  la  main  sur  le  sol  et  bai- 
sèrent la  terre.  Puis  Xicotenga,  le  vieux,  prit  la  parole  en  ces  termes  : 
«  Malinche,  Malinche,  déjà  plusieurs  fois  nous  t'avons  fait  prier  de 
nous  pardonner  de  t'avoir  déclaré  la  guerre;  nous  t'avons  aussi  exposé 
les  raisons  qui  excusent  notre  conduite,  en  t'affirmant  surtout  qu'en 
agissant  ainsi  nous  pensions  nous  défendre  contre  le  malfaisant  Mon- 
tezuma  et  ses  forces  considérables,  car  nous  vous  prenions  tous  pour 
des  hommes  de  sa  bande  et  ses  confédérés.  Mais  si  nous  avions  su  ce 
dont  nous  ne  pouvons  plus  douter  aujourd'hui,  j'assure  que  non-seule- 
ment nous  aurions  marché  à  votre  rencontre  chargés  de  provisions, 
mais  encore  que  nous  eussions  balayé  les  chemins  par  où  vous  passiez  • 
nous  nous  fussions  même  transportés  au-devant  de  vous  jusqu'à  la 
mer,  où  vous  aviez  vos  habitations,  c'est-à-dire  vos  navires.  Mainte- 
nant que  vous  nous  avez  pardonné,  ce  que  nous  venons  vous  demander, 
moi  et  tous  ces  caciques,  c'est  que  vous  entriez  à  l'instant  avec  nous 
dans  notre  capitale;  nous  vous  y  ferons  part  de  ce  que  nous  possédons 
et  nous  mettrons  à  votre  service  nos  personnes  et  nos  biens.  Et,  vois- 
tu  bien,  Malinche,  ne  décide  pas  autre  chose  que  de  t'en  venir  tout  de 
suite  avec  nous,  car  nous  craignons   que  ces  Mexicains  ne  te  disent 
quelques-unes  de  ces  faussetés,  de  ces  mensonges  qu'ils  ont  coutume 
d'avancer  quand  ils  parlent  de  nous  ;  mais  ne  les  crois  pas,  ne  les  écoute 
point  ;  ils  sont  faux  en  tout  ce  qu'ils  disent.  Nous  ne  serions  du  reste 
pas  surpris  que  telle  fût  la  cause  qui  t'a  empêché  de  venir  dans  notre 
capitale.  » 

Cortès  répondit  d'un  ton  joyeux  que,  bien  des  années  avant  de  venir 


DE  LA   X0UVELLE-ESPAC1NE.  183 

dans  ce  pays,  nous  avions  appris  qu'ils  étaient  bons  ;  nous  étions  donc 
tombés  dans  l'ébahissement  en  voyant  qu'ils  ne  cessaient  de  nous  faire 
la  guerre;  que  du  reste  les  Mexicains  ici  présents  attendaient  nos  dé- 
pêches pour  leur  seigneur  Montezuma  ;  que,  relativement  à  leur  in- 
vitation d'aller  tout  de  suite  à  leur  capitale,  et  pour  ce  qui  regardait 
les  provisions  qu'ils  avaient  soin  de  nous  fournir,  nous  en  témoignions 
notre  grande  reconnaissance,  en  faisant  la  promesse  de  le  leur  rendre 
en  bons  offices  ;  que  du  reste  nous  nous  serions  déjà  transportés  à  la 
ville,  si  nous  avions  eu  à  notre  disposition  des  hommes  pour  traîner 
les  tepustles  (c'est  ainsi  qu'on  appelait  les  bombardes).  En  entendant 
ces  paroles,  les  Tlascaltôques  en  éprouvèrent  tant  de  joie  qu'elle  ap- 
paraissait sur  leurs  visages;  ils  s'empressèrent  de  dire  à  Cortès  :  «  Gom- 
ment! c'est  cela  qui  t'a  empêché,  et  tu  ne  l'as  pas  dit?»  Et,  en  moins 
d'une  demi-heure,  ils  amenèrent  environ  cinq  cents  Indiens  porteurs. 
Aussi,  le  lendemain  de  bonne  heure,  nous  mîmes-nous  en  route  pour 
la  capitale  de  Tlascala,  en  faisant  régner  le  plus  grand  ordre  dans 
l'artillerie,  les  chevaux,  les  escopettes,  les  arbalètes  et  tout  le  reste, 
comme  nous  en  avions  l'habitude.  Cortès  avait  prié  les  messagers  de 
Montezuma  de  venir  avec  nous,  pourvoir  où  aboutiraient  nos  affaires 
avec  Tlascala,  en  promettant  de  les  dépêcher  de  cette  ville.  Il  était 
convenu  d'ailleurs  qu'ils  resteraient  dans  nos  quartiers,  afin  qu'ils  ne 
fussent  pas  exposés  à  recevoir  quelque  injure,  ainsi  que  leur  méfiance 
des  Tlascaltèques  le  leur  faisait  craindre. 

Avant  de  passer  outre,  je  veux  dire  comme  quoi,  dans  tous  les  vil- 
lages que  nous  avions  déjà  traversés  et  dans  d'autres  où  l'on  avait  de 
nos  nouvelles,  on  appelait  Cortès  «  Malinche  »,  et  c'est  du  reste  ainsi 
que  je  l'appellerai  moi-même  désormais,  à  propos  de  toutes  les  confé- 
rences que  nous  aurons  avec  les  Indiens,  tant  dans  cette  province  que 
dans  la  ville  de  Mexico,  Je  ne  l'appellerai  Cortès  que  dans  les  circon- 
stances où  il  conviendra  de  le  faire.  Le  motif  qui  lui  fit  appliquer  ce 
nom,  c'est  que,  comme  notre  interprète  dofïa  Marina  était  toujours 
avec  lui,  surtout  lorsqu'il  venait  des  ambassadeurs  ou  des  messagers 
de  caciques,  comme  aussi  c'était  elle  qui  transmettait  tous  les  discours 
en  langue  mexicaine,  pour  cette  raison  on  s'habitua  à  appeler  Cortès  : 
le  capitaine  de  Marina,  et  bientôt,  par  corruption,  on  le  nomma  «  Ma- 
linche1 ».  Ce  même  nom  fut  appliqué  à  un  certain  Juan  Ferez  de  Ar- 
teaga,  habitant  de  Puebla,  parce  qu'il  était  toujours  dans  la  compagnie 
de  dona  Marina  et  de  Geronimo  de  Aguilar,  pour  apprendre  la  laûgtie. 
Ce  fut  le  motif  qui  le  fit  appeler  Juan  Perez  Malinche  ;  car  nous  n'avons 
su  que  depuis  deux  ans  son  véritable  nom  d'Arteaga.  J'ai  voulu  faire 
mention  de  cette  particularité,  quoique  cela  ne  fût  pas  bien  néeessai'v, 

1    Les  Aztèques  disaient  :  «  Malinzin,  »  et  les  Espagnols,  par  corruption  :  «  Ma- 
linche ». 


184  CONQUETE 

afin  qu'on  comprît  à  l'avenir  le  nom  de  Cortès,  quand  on  l'appellera 
Malniche, 

Je  yeux  dire  aussi  que  depuis  que  nous  arrivâmes  au  pays  de  Tlas 
cala  jusqu'à  notre  entrée  dans    sa  capitale,  il  se  passa  vingt-quatre 
jours.  Nous  y  entrâmes  le  23  septembre  1519.  Passons  à  un  autre  cha- 
pitre, où  je  dirai  ce  qui  nous  y  advint. 


CHAPITRE  LXXV 

Comment  nous  fûmes  à  la  ville  de  Tlascala  et  de  ce  que  firent  les  vieux  caciques;  d'un 
présent  qu'on  nous  offrit,  et  comme  quoi  ils  nous  présentèrent  leurs  lilles  et  leurs 
nièces,  et  de  ce  qui  arriva  encore. 

Lorsque  les  caciques  virent  que  nos  équipages  commençaient  à  che- 
miner vers  la  capitale,  ils  prirent  les  devants,  afin  de  donner  leurs 
ordres  et  de  veiller  à  ce  que  tout  fût  prêt  pour  nous  recevoir,  et  nos 
logements  ornés  de  rameaux.  Nous  n'étions   plus  qu'à  un  quart  de 
lieue  de  la  ville,  lorsque  ces  mêmes  caciques  vinrent   au-devant  de 
nous,  amenant  avec  eux  leurs  filles  et  leurs  nièces,  entourés  d'un  grand 
nombre  de  personnages  distingués  disposés  par  groupes  de  parenté, 
de  catégories  et  de  districts;  car  il  y  avait  dans  la  province   quatre 
districts  différents,  sans  compter  ceux  de  Tecapaneca,  seigneur  de  To- 
peyanco,  qui  en  formaient  cinq.  Là  se  pressaient  les  citoyens  des  dif- 
férents lieux,  se  distinguant  par  la  variété  de  leurs  costumes,  lesquels, 
quoiqu'étant  de  tissu  àencquen,  étaient  de  bonne  qualité  et  de  dessins 
remarquables.  Pour  ce  qui  est  du  coton,  il  leur  était  impossible  de 
s'en  procurer.  Bientôt  arrivèrent  les  papes  de  toute  la  province.  Ils 
étaient  fort  nombreux,  à  cause  de  la  grande  quantité  de  temples  qu'ils 
possédaient,  sous  la  dénomination  de  eues,  pour  l'adoration  des  idoles 
et  pour  leurs  sacrifices.  Ces  papes  portaient  des  cassolettes  allumées, 
au  moyen  desquelles  ils  nous  parfumèrent  tous.  Quelques-uns  d'entre 
eux  étaient  couverts  de  vêtements  blancs  très-longs,  en  forme  de  sur- 
plis, avec  des  capuchons  qui  simulaient  ceux  de  nos  chanoines.  Leurs 
cheveux  étaient  longs  et  tellement  emmêlés  qu'on  n'eût  pu  les  séparer 
autrement  qu'en  les  coupant  ;  le  sang  qui  en   découlait  sortait  aussi 
de  leurs  oreilles,  dénotant  qu'ils  avaient  fait  des  sacrifices  ce  jour-là 
même.  Les  ongles  de  leurs  doigts  étaient  très-longs.  En  nous  voyant, 
il  baissèrent  la  tête  en  signe  d'humilité.  Nous  entendîmes  dire  que 
ces  papes  passaient  pour  être  pieux  et  de  bonne  conduite. 

Plusieurs  personnages  de  distinction  s'étaient  rangés  à  côté  de  Cor- 
tès  pour. lui  faire  honneur.  A  notre  entrée  dans  la  ville,  les  Indiens 
et  Indiennes,  qui  s'empressaient  pour  nous  voir,  étaient  de  gai  visage 
et  si  nombreux  qu'ils  ne  tenaient  plus  dans  les  rues  et  sur  les  ter- 


DE  LA  NOUVELLE-ESPAGNE.  18b 

rasses  des  maisons.  Ils  apportaient  environ  vingt  bouquets  formés  de 
roses  du  pays  et  d'autres  fleurs  odorantes  de  couleur  variée;  on  les 
offrit  à  Gortès  et  à  plusieurs  d'entre  nous  qui  leur  parurent  des  chefs, 
surtout  à  nos  cavaliers.  Nous  arrivâmes  à  de  grandes  places  autour 
desquelles  étaient  disposés  nos  logements.  Xicotcnga,le  vieux,  et  Ma- 
ceescaci  prirent  Gortès  par  la  main  et  le  firent  entrer  dans  les  mai- 
sons. Ils  y  avaient  disposé  pour  chacun  de  nous,  conformément  à  leurs 
usages,  des  sortes  de  lits  formés  de  nattes  et  d'étoffes  d'aloès.  Nos 
amis  de  Gempoal  et  de  Gocotlan  se  logèrent  aussi  près  de  nous.  Gor- 
tès donna  l'ordre  de  placer  les  messagers  mexicains  à  côté  de  son 
appartement.  Quoique,  en  arrivant,  nous  eussions  reconnu  que  nous 
ne  pouvions  douter  du  bon  vouloir  des  Tlascaltèques,  ainsi  que  de 
leur  désir  de  paix,  nous  n'abandonnâmes  pas  pour  cela  le  soin  d'être 
sur  nos  gardes,  comme  nous  en  avions  l'habitude.  Mais  il  paraît  que 
l'officier  à  qui  incombait  le  soin  d'entretenir  les  coureurs,  les  senti- 
nelles et  les  gardes,  dit  à  Gortès  :  «  Il  me  semble,  senor,  que  ces 
gens-ci  sont  bien  pacifiques  et  que  nous  n'avons  plus  besoin  de  tant 
de  vigilance  et  d'être  aussi  bien  gardés  que  de  coutume.  »  Gortès  re- 
partit : 

«  Voyez-vous,  senores,  j'ai  bien  remarqué  ce  que  vous  dites;  mais 
je  suis  d'avis  que,  pour  n'en  pas  perdre  l'habitude,  nous  devons  con- 
tinuer à  nous  garder.  Les  Tlascaltèques  sont  sans  doute  très-bons, 
mais,  sans  refuser  d'ajouter  foi  à  leurs  sentiments  pacifiques,  nous 
devons  nous  conduire  comme  s'ils  devaient  nous  attaquer  et  comme 
si  nous  les  voyions  fondre  sur  nous.  En  aucun  temps,  il  n'a  manqué  de 
capitaines  qui  ont  été  mis  en  déroute  pour  avoir  eu  trop  de  confiance 
et  pas  assez  de  soin.  Et  quant  à  nous,  voyant  le  petit  nombre  que  nous 
sommes  et  remarquant  l'avis  que  nous  a  transmis  le  grand  Montc- 
zuma,  fût-il  peu  sincère  ou  même  absolument  faux,  il  nous  convient 
d'être  toujours  sur  le  qui-vive.  » 

Cessons  de  parler  de  l'exécution  de  certaines  minuties,  et  du  soin 
que  nous  mettions  à  assurer  la  garde  du  camp  ;  revenons  à  dire  comme 
quoi  Xicotenga  ,  le  vieux,  et  Maceescaci,  les  grands  caciques,  se  fâ- 
chèrent vraiment  avec  Gortès  et  lui  firent  dire  par  nos  interprètes  : 
«  Malinche,  ou  tu  nous  crois  encore  tes  ennemis,  ou  bien  tes  actions 
le  feraient  supposer;  tu  ne  parais  pas  avoir  confiance  en  nous,  ni 
croire  à  la  sincérité  de  la  paix  à  laquelle  nous  nous  sommes  engagés 
les  uns  envers  les  autres.  Nous  te  disons  cela,  parce  que  nous  voyons 
que  vous  vous  méfiez  et  que  vous  allez  par  nos  chemins  en  vous  te- 
nant sur  vos  gardes,  comme  lorsque  vous  marchiez  sur  nos  bataillons; 
et  cela,  Malinche,  nous  croyons  que  tu  le  fais  à  cause  des  trahisons 
et  des  méchancetés  dont  les  Mexicains  t'ont  parlé  en  secret  afin  de  te 
tenir  mal  avec  nous;  juge-nous  mieux  et  ne  les  crois  pas.  Mainte- 
nant que  tu  es  ici,  sache  bien  que  nous  te  donnerons  tout  ce  que  tu 


186  CONQUÊTE 

voudras,  même  nos  personnes  et  celles  de  nos  enfants  ;  nous  sommes 
prêts  à  mourir  pour  vous  tous  ;  c'est  pour  cela  que  nous  te  supplions 
de  prendre  en  otages  tous  ceux  que  tu  pourras  désirer.  » 

Gortès  et  nous  tous  fûmes  émerveillés  de  la  dignité  avec  laquelle 
furent  dites  ces  paroles.  Notre  général  répondit  aux  caciques,  au 
moyen  de  dona  Marina,  qu'il  les  croyait  certainement,  qu'il 
n'avait  pas  besoin  d'otages  et  qu'il  lui  suffisait  d'être  convaincu  de 
leur  bon  vouloir;  que,  pour  ce  qui  est  de  nous  tenir  sur  nos  gardes, 
la  chose  nous  était  habituelle  et  ne  devait  pas  exciter  leur  méfiance; 
que,  d'ailleurs,  quant  à  leurs  offres,  nous  nous  en  trouvions  honorés 
et  saurions  les  reconnaître  dans  l'avenir.  Après  ce  discours  on  vit  ve- 
nir plusieurs  autres  personnages  accompagnés  de  porteurs  avec  des 
poules,  des  pains  de  maïs,  des  figues  de  Barbarie,  des  légumes  et  au- 
tres vivres  du  pays,  dont  ils  approvisionnèrent  notre  quartier  très- 
convenablement.  Pendant  les  vingt  jours  que  nous  passâmes  en  ce 
lieu,  tout  nous  y  fut  donné  en  abondance.  Nous  entrâmes  dans  cette 
ville  le  23  du  mois  de  septembre  de  l'an  1519.  Nous  en  resterons  là, 
et  je  dirai  à  la  suite  ce  qui  se  passa  encore. 


CHAPITRE  LXXVI 

Comme  quoi  l'on  dit  la  messe  en  présence  de  plusieurs  chefs,  et  d'un  présent 
que  les  vieux  caciques  apportèrent. 

Le  lendemain  de  bonne  heure,  Gortès  ordonna  la  construction  d'un 
autel,  afin  qu'on  y  dît  la  messe;  car  nous  avions  reçu  du  vin  et  des 
hosties.  Elle  fut  dite  par  le  prêtre  Juan  Diaz,  attendu  que  le  Père  de 
la  Merced  avait  les  fièvres  et  était  tombé  dans  une  très-grande  fai- 
blesse. Maceescaci,  le  vieux  Xicotenga  et  d'autres  caciques  y  assistè- 
rent. Après  la  messe,  Gortès  se  rendit  à  son  logement  et  avec  lui  une 
partie  des  soldats  qui  avaient  l'habitude  de  l'accompagner.  Les  deux 
vieux  caciques  et  nos  interprètes  l'y  suivirent.  Xicotenga  lui  dit  qu'il 
désirait  lui  offrir  un  présent.  Gortès,  qui  les  traitait  d'une  manière 
fort  aimable,  répondit  que  ce  serait  quand  ils  voudraient.  On  étendit 
alors  sur  le  sol  des  nattes  recouvertes  d'étoffes  ;  on  y  plaça  six  ou  sept 
petits  poissons  en  or,  quelques  pierreries  de  peu  de  valeur  et  un  cer- 
tain nombre  de  charges  d'étoffes  d'aloès,  le  tout  fort  pauvre  et  ne  dé- 
passant pas  vingt  piastres.  En  le  donnant,  les  caciques  dirent  en 
riant  :  «  Malinche,  il  est  très-possible  que,  comme  c'est  fort  peu  de 
chose,  tu  ne  le  reçoives  pas  bien  volontiers;  mais  souviens-toi  que 
nous  t'avons  fait  dire  que  nous  sommes  pauvres,  que  nous  n'avons 
ni  or  ni  richesses  d'aucune  sorte  ;  la  raison  en  est  que  ces  méchants 


DP]  LA  NOUVELLE-ESPAGNE.  187 

traîtres  de  Mexicains,  et  Montezuma  qui  est  leur  empereur,  nous  ont  tout 
enlevé  à  propos  de  paix  et  armistices  que  nous  leur  demandions  dans 
notre  désir  de  voir  finir  la  guerre.  Ne  considère  pas  le  peu  de  prix 
que  cela  vaut,  mais  reçois-le  de  bon  cœur  comme  venant  d'amis  et  ser- 
viteurs que  nous  désirons  être.  »  Après  cela  ils  apportèrent  aussi  sé- 
parément beaucoup  de  provisions.  Gortès  reçut  le  tout  avec  joie  et  il 
leur  dit  que,  parce  que  ces  objets  venaient  de  leur  part  et  étaient  offerts 
de  bon  cœur,  il  en  faisait  plus  de  cas  que  si  d'autres  lui  présentaient 
une  maison  entière  remplie  d'or  en  grains  ;  qu'il  les  recevait  donc 
avec  plaisir...  Et  là-dessus  il  leur  témoigna  beaucoup  d'amitié. 

Il  paraît  au  surplus  qu'entre  eux  tous,  les  caciques  avaient  convenu 
de  nous  donner  leurs  filles  et  leurs  nièces,  choisies  parmi  les  plus  bel- 
les des  jeunes  filles  non  mariées.  Xicotenga  dit  à  Gortès  à  ce  propos  : 
«  Malinche,  pour  que  vous  voyiez  plus  clairement  à  quel  point  nous 
vous  affectionnons  et  désirons  en  tout  vous  satisfaire,  nous  voulons 
vous  donner  nos  filles,  pour  que  vous  en  fassiez  vos  femmes  et  en  ayez 
des  enfants,   tant  il   est  vrai  que  nous  aspirons  à  vous   avoir  pour 
frères ,  vous   ayant  connus   si  bons  et  si  valeureux.  J'ai  une   fille 
fort  belle  qui  n'a  jamais  été  mariée,  c'est  à  vous  que  je  la  donne." 
Maceescaci  et  la  plupart  des  caciques  dirent  aussi  qu'ils  amèneraient 
leurs  filles,  nous  priant  de  les  recevoir  pour  femmes.  Ils  firent  encore 
beaucoup  d'autres  offres.  Maceescaci  et  Xicotenga  ne  quittaient  pas 
Gortès  un  seul  instant,  et  comme  le  vieux  Xicotenga  était  aveugle,  il 
portait  la  main  sur  la  tête  de  notre  général  en  tâtonnant,  faisant  de 
même  sur  sa  barbe,  sur  son  visage  et  sur  tout  son  corps.  Gortès  lui 
répondit,  au  sujet  des  femmes,  que  lui  et  tous  les  siens  nous  en  étions 
très-honorés  et  que  nous  le  leur  rendrions  en  bons  services  dans  le 
cours  du  temps.  Gomme  d'ailleurs  le  Père  de  la  Merced  était  présent, 
Gortès  ajouta  :  «  Mon  Père,  il  me  semble  que  l'occasion  est  bonne 
pour  dire  un  mot  à  ces  caciques  au  sujet  de  l'abandon  de  leurs  idoles 
et  de  leurs  sacrifices,  car  ils  me  paraissent  prêts  à  faire  tout  ce  que 
nous  ordonnerons,  à  cause  de  la  grande  frayeur  que  les  Mexicains 
leur  inspirent.  »  Le  Père  lui   répondit  :  «  C'est  bien,  senor;  mais 
réservons  cela  pour  le  moment  où  ils  amèneront  leurs  filles  ;  l'oppor- 
tunité viendra  alors  de  ce  que  vous  refuserez  de  les  recevoir  jusqu'à 
ce  qu'elles  aient  promis  de  ne  plus  sacrifier  ;  si  le  moyen  réussit,  cela 
sera  bien,  et,  dans  le  cas  contraire,  nous  ferons  notre  devoir.  »  De 
façon  que  cela  fut  renvoyé  au  jour  suivant.  Ge  crue  nous  fîmes,  je  vais 
le  dire  à  la  suite. 


188  CONQUÊTE 


CHAPITRE  LXXVII 

Comme  quoi  les  caciques  présentèrent  leurs  filles  à  Cortès  et  à  nous  tous  ;  ce  que  l'on 

fit  à  ce  sujet. 

Le  lendemain,  les  vieux  caciques  nous  amenèrent  cinq  belles  In- 
diennes non  mariées  et  fort  jeunes,  et  il  faut  dire  que,  pour  des  In- 
diennes, elles  n'avaient  pas  mauvais  visage.  Elles  étaient  bien  ornées 
et  chacune  d'elles  en  amenait  une  autre  pour  son  service.  Elles 
étaient  toutes  filles  de  caciques  et,  à  leur  propos,  Xicotenga  dit  à 
Cortès  :  «  Malinche,  celle-ci  est  ma  fille;  elle  n'a  point  été  mariée  et 
elle  est  vierge;  prenez-la  pour  vous.  »  Il  lui  présenta  sa  main,  et, 
passant  aux  autres,  il  le  pria  de  les  donner  à  ses  capitaines.  Cortès 
lui  en  témoigna  de  la  gratitude.  Prenant  d'ailleurs  un  air  joyeux,  il 
répondit  qu'il  les  acceptait  et  les  tenait  pour  compagnes,  mais  que 
pour  le  moment  il  désirait  qu'elles  restassent  encore  chez  leurs  pères. 
Les  caciques  demandèrent  alors  pour  quel  motif  nous  ne  les  gardions 
pas  dès  à  présent.  Cortès  repartit  :  «  C'est  parce  que  je  veux  faire 
d'abord  ce  que  commande  Notre  Seigneur  Dieu  en  qui  nous  croyons 
et  que  nous  adorons,  et  encore  ce  que  notre  Roi  m'a  ordonné  d'exiger, 
c'est-à-dire  que  vous  abandonniez  vos  idoles,  que  vous  ne  sacrifiiez 
plus,  que  vous  ne  tuïez  plus  vos  semblables,  que  vous  ne  fassiez 
plus  les  saletés  qui  sont  dans  vos  habitudes,  et  que  vous  croyiez  comme 
nous  en  un  seul  Dieu  véritable.  »  On  leur  dit  encore  plusieurs  choses 
relatives  à  notre  sainte  foi,  fort  convenablement  exprimées;  car  doîla 
Marina  et  Aguilar,  nos  interprètes,  étaient  déjà  si  experts  qu'ils  sa- 
vaient leur  faire  tout  comprendre  avec  perfection.  On  leur  fit  voir  une 
image  de  Notre  Dame  avec  son  précieux  Fils  dans  les  bras.  On  leur 
donna  à  entendre  que  cette  image  représente  Notre  Dame ,  appelée 
sainte  Marie,  qui  se  trouve  au  plus  haut  des  cieux  et  est  la  Mère  de 
Notre  Seigneur,  ce  même  petit  Jésus  qu'elle  tient  dans  ses  bras; 
qu'elle  le  conçut  par  la  grâce  de  l'Esprit  saint,  en  restant  vierge 
avant,  pendant  et  après  l'enfantement;  que  cette  grande  Dame  adresse 
ses  prières  pour  nous  tous  à  son  précieux  Fils  qui  est  notre  Seigneur 
et  notre  Dieu 

On  ajouta  grand  nombre  d'autres  vérités  qu'il  convenait  de  dire  au 
sujet  de  notre  sainte  foi.  On  leur  dit  encore  que  s'ils  voulaient  être 
nos  frères  et  se  lier  avec  nous  d'une  amitié  véritable,  s'ils  voulaient 
aussi  que  nous  prissions  plus  volontiers  leurs  filles  pour  leur  donner 
le  titre  de  nos  femmes,  ils  devaient  abandonner  au  plus  vite  leurs 
mauvaises  idoles  et  adorer  Dieu  Notre  Seigneur  comme  nous  l'ado- 
rions nous-mêmes;  qu'ils  verraient  le  bien  qui  leur  en  résulterait, 


DE  LA  NOUVELLE-ESPAGNE.  189 

car,  outre  une  bonne  santé  et  des  saisons  heureuses,  toutes  choses 
prospéreraient  pour  eux,  et,  quand  ils  mourraient,  leurs  âmes  s'en- 
voleraient au  ciel  pour  y  jouir  de  la  gloire  éternelle;  que  s'ils  fai- 
saient les  sacrifices  dont  ils  ont  l'habitude  à  leurs  idoles  qui  sont  de 
vrais  démons,  ceux-ci  les  emporteraient  aux  enfers  où  ils  brûleraient 
pour  toujours  au  milieu  de  vives  flammes.  Gomme,  dans  d'autres  con- 
férences, on  leur  avait  déjà  parlé  d'abandonner  leurs  idoles,  on  ne 
leur  en  dit  pas  davantage  en  ce  moment. 

Ils  répondirent  d'ailleurs  à  toutes  ces  choses  :  «  Malinche,  nous 
t'avons  entendu  déjà  d'autres  fois  avant  ce  jour;  nous  croyons  bien 
que  votre  Dieu  et  cette  grande  Dame  sont  excellents;  mais  considère 
bien  que  tu  viens  d'arriver  dans  ce  pays  et  dans  ces  habitations;  avec  le 
temps,  nous  parviendrons  à  comprendre  mieux  et  plus  clairement  les 
choses  qui  vous  concernent;  nous  verrons  ce  qu'elles  sont  et  nous  fe- 
rons ce  qui  conviendra.  Mais  comment  veux-tu  que  nous  abandon- 
nions nos  teules  que  depuis  tant  de  temps  nos  aïeux  ont  pris  pour 
des  dieux,  qu'ils  ont  adorés  et  auxquels  ils  ont  fait  des  sacrifices? 
Quand  même  nous,  qui  sommes  déjà  vieux,  nous  le  voudrions  faire 
pour  te  complaire,  que  diraient  tous  nos  papes,  tous  les  jeunes  hom- 
mes et  tous  les  enfants  de  cette  province?  Ne  se  lèveraient-ils  pas 
contre  nous  en  considérant  que  les  papes  ont  déjà  interrogé  nos 
teules  et  en  ont  obtenu  pour  réponse  que  nous  ne  devions  point 
omettre  de  leur  sacrifier  des  hommes  et  de  pratiquer  tout  ce  dont 
nous  avons  l'habitude;  sans  quoi  la  famine,  la  peste  et  la  guerre  dé- 
truiraient toute  la  province?  »  Ils  ajoutèrent  que  nous  pouvions  per- 
dre le  souci  de  leur  parler  à  cet  égard,  car,  dût-on  les  tuer,  ils  ne  ces- 
seraient pas  de  sacrifier  à  leurs  dieux. 

Lorsque  nous  entendîmes  cette  réponse,  faite  sincèrement  et. sans 
peur,  le  Père  de  la  Merced,  qui  était  homme  entendu  et  bon  théolo- 
gien, dit  à  Cortès  :  «  Seigneur,  ne  vous  donnez  plus  la  peine  de  les 
importuner  à  ce  sujet  ;  il  n'est  pas  juste  que  nous  en  fassions  des 
chrétiens  par  la  force.  Je  ne  voudrais  pas  que,  comme  à  Gempoal,  on 
détruisît  leurs  idoles  avant  qu'ils  aient  eu  occasion  de  connaître  notre 
sainte  foi.  A  quoi  sert,  en  effet,  d'enlever  les  idoles  d'un  temple  et 
d'un  oratoire,  s'ils  doivent  ensuite  les  transporter  dans  d'autres?  Il 
est  bon  qu'ils  s'habituent  à  entendre  nos  sermons,  qui  sont  saints  et 
bons,  afin  qu'ils  comprennent  peu  à  peu  les  utiles  conseils  que  nous 
leur  donnons.  »  Les  mêmes  choses  furent  dites  à  Cortès  par  trois 
caballeros,  Pedro  de  Alvarado,  Juan  Velasquez  de  Léon  et  Francisco 
de  Lugo  :  «  Le  Père  a  fort  bien  dit,  reprirent- ils,  et  Votre  Seigneu- 
rie a  accompli  son  devoir  en  ce  qu'elle  a  fait;  mais  qu'on  ne  moleste 
plus  ces  caciques  à  ce  sujet.  »  La  conclusion  fut  qu'on  agirait  ainsi. 
Mais  nous  priâmes  nos  nouveaux  alliés  de  débarrasser  un  temple 
neuf  qui  était  près  de  là,  d'en  enlever  les  idoles,  de  le  nettoyer  et  de 


190  CONQUÊTE 

le  blanchir  à  la  chaux,  pour  que  nous  y  pussions  placer  une  croix  et 
l'image  de  Notre  Dame.  Ils  le  firent  à  l'instant.  On  y  dit  la  messe  et 
les  jeunes  filles  caciques  y  furent  baptisées.  La  fille  de  Xicotenga  y 
prit  le  nom  de  dona  Luisa.  Gortès,  la  prenant  par  la  main,  la  donna 
à  Pedro  de  Alvarado,  disant  à  Xicotenga  que  celui  à  qui  il  la  donnait 
était  son  frère  et  son  capitaine  et  qu'il  voulût  bien  y  consentir,  dans 
la  confiance  qu'elle  serait  bien  traitée.  Xicotenga  s'en  montra  satis- 
fait. La  fille,  ou  nièce,  de  Macecscaci  prit  le  nom  de  dona  Elvira; 
elle  était  fort  belle.  Il  me  semble  qu'elle  fut  donnée  à  Juan  Velas- 
quez  de  Léon.  Les  autres  prirent  aussi  leur  nom  de  baptême  avec 
la  particule  nobiliaire  dona.  Gortès  les  donna  à  Ghristoval  de  Oli,  à 
Gronzalo  de  Sandoval  et  à  Alonso  de  Avila.  Après  cela,  on  leur  expli- 
qua pour  quel  motif  on  avait  élevé  deux  croix  :  que  c'était  pour  en 
effrayer  leurs  idoles;  que  partout  où  nous  nous  arrêtions  pour  passer 
la  nuit,  nous  en  placions  sur  le  chemin.  Nos  auditeurs  furent  très- 
attentifs  à  ces  explications. 

Avant  d'aller  plus  loin,  je  veux  dire  que  cette  cacique,  fille  de  Xi- 
cotenga, qu'on  appela  dona  Luisa  et  qui  fut  donnée  à  Pedro  de  Alva- 
rado, devint  l'objet  des  plus  grandes  manifestations  de  respect  dans 
tout  Tlascala,  aussitôt  que  cette  union  y  fut  connue.  Tous  la  tenaient 
pour  leur  maîtresse  et  lui  faisaient  des  présents.  Pedro  de  Alvarado, 
étant  garçon,  en  eut  un  fils  qui  fut  appelé  don  Pedro  et  une  fille 
nommée  dona  Leonor.  Celle-ci  est  aujourd'hui  la  femme  de  don 
Francisco  de  la  Gueva,  bon  caballero,  cousin  du  duc  d'Albuquerque. 
Il  est  issu  de  ce  mariage  quatre  ou  cinq  fils,  excellents  caballeros. 
Dona  Leonor  est  une  femme  supérieure,  comme  on  devait  s'y  atten- 
dre de  la  fille  d'un  tel  père,  qui  fut  commandeur  de  Santiago,  adc- 
lantado  et  gouverneur  de  Guatemala;  petite-fille  aussi  de  Xicotenga, 
grand  seigneur  de  Tlascala,  personnage  élevé  à  l'égal  d'un  roi.  Lais- 
sons ces  récits  et  revenons  à  Gortès  pour  dire  qu'il  s'informa  très- 
minutieusement  auprès  des  caciques  de  ce  qui  concernait  Mexico.  Gc 
qu'ils  racontèrent,  je  vais  le  dire  à  la  suite. 


CHAPITRE  LXXV11I 


Connue  quoi  Cortcs  demanda  à  Maceescaci  et  à  Xicotenga  des  renseignements  sur 

Mexico,  et  du  récit  qu'on  lui  fit» 

Gortès  prit  à  part  les  caciques  et  leur  demanda  des  détails  minu- 
tieux sur  Mexico.  Xicotenga,  qui  était  le  plus  avisé  d'entre  eux  et 
plus  grand  seigneur  que  les  autres,  prit  d'abord  la  parole.  Macees- 
CaCij  grand  personnage  aussi,  venait  de  temps  en  temps  à  son  aide. 


DE   LA   NOUVELLE-ESPAGNE.  l'J] 

Us  dirent  que  Montezuma  disposait  d'une  si  puissante  armée,  que, 
quand  il  voulait  prendre  un  grand  village  ou  s'introduire  par  la  force 
dans  une  province,  il  entrait  en  campagne  avec  cent  mille  hommes, 
chose  qu'on  ne  savait  que  trop  à  Tlascala  par  expérience,  à  cause  des 
guerres  et  des  animosités  qui  régnaient  entre  les  deux  pays  depuis 
plus  de  cent  ans.  Gortès  leur  dit  alors  :  «  Gomment  se  fait-il  donc 
qu'avec  tant  de  guerriers  qui  tombaient  sur  vous  on  n'ait  jamais  pu 
vous  vaincre  d'une  manière  définitive?»  Ils  répondirent  qu'ils  étaient 
à  la  vérité  défaits  bien  souvent;  qu'on  leur  tuait  et  qu'on  enlevait 
pour  les  sacrifier  beaucoup  de  leurs  concitoyens;  mais  que,  d'autre 
part,  un  grand  nombre  de  leurs  ennemis  restaient  morts  sur  le  champ 
de  bataille  et  d'autres  étaient  emmenés  prisonniers;  qu'ils  ne  ve- 
naient d'ailleurs  pas  tellement  à  l'improviste  qu'on  n'en  eût  absolu- 
ment aucun  avis;  que,  dès  lors,  on  préparait  toutes  les  forces,  et, 
avec  l'aide  des  habitants  de  Guaxocingo,  on  se  défendait  et  on  cou- 
rait même  à  l'oifensive;  comme  au  surplus  toutes  les  provinces  et 
tous  les  villages  dont  Montezuma  s'était  emparé,  pour  en  augmenter 
ses  domaines,  étaient  au  plus  mal  avec  les  Mexicains,  et  que  cependant 
on  leur  faisait  faire  campagne  malgré  eux,  ils  ne  combattaient  pas 
avec  un  véritable  entrain;  c'était  d'eux  au  contraire  que  les  Tlascal- 
tèques  recevaient  leurs  avis,  services  qu'on  avait  soin  de  reconnaître 
en  ménageant  leur  pays.  Les  caciques  ajoutaient  que  d'où  le  mal  leur 
était  venu  avec  le  plus  de  continuité,  c'était  d'une  ville  très-étendue, 
appelée  Gholula,  éloignée  de  là  d'une  journée  de  marche;  que  c'étaient 
des  gens  très-perfides  au  milieu  desquels  Montezuma  envoyait  secrè- 
tement ses  capitaines,  et  comme  alors  ils  ne  se  trouvaient  pas  éloi- 
gnés, ils  faisaient  irruption  pendant  la  nuit  dans  le  pays  de  Tlas- 
cala. 

Maceescaci  dit  au  surplus  que  Montezuma  entretenait  dans  toutes 
les   provinces   des   garnisons  nombreuses,    sans   compter   le   grand 
nombre  d'hommes  qu'il  levait  dans  la  ville;  que  toutes  ces  provinces 
lui  payaient  des  tributs  en  or,  en  argent,  en  plumes,  en  pierres  pré- 
cieuses, en  étoffes  de  coton  et  en  Indiens  ou  Indiennes  destinés  à 
être  sacrifiés  ou  à  servir  comme  esclaves;  Montezuma  était  puissant 
à  ce  point,  qu'il  avait  tout  ce  qu'il  désirait  et  que  ses  palais  étaient 
pleins  de  trésors,  de  pierres  précieuses  chalchihuis  volées  ou  prises 
par  force  à  qui  ne  voulait  pas  donner  de  bonne  volonté  ;  enfin,  à  vrai 
dire,  toutes  les  richesses  du  pays  se  trouvaient  entre  ses  mains.  Les 
caciques  racontèrent  aussi  l'état  de  sa  maison.  Je  n'en  finirais  pas  si 
je  devais  ici  tout  répéter  :  comme  par  exemple  le  grand  nombre  de 
iemmes  qu'il  possédait  et  dont  il  mariait  quelques-unes  ;  et  puis,  les 
fortes  défenses  de  la  place,  la  forme,  l'étendue  et  la  profondeur  de  la 
lagune;  les  chaussées  par  où  l'on  «st  obligé  de  passer  pour  arriver  à 
la  ville,  les  ponts  de  bois  qui  se  trouvent  sur  toutes  ces  chaussées, 


192  CONQUÊTE 

jetés  sur  des  tranchées  qui  font  communiquer  les  eaux  de  toutes  parts. 
Ils  expliquaient  comment,  en  levant  n'importe  lesquels  de  ces  ponts, 
on  pouvait  se  trouver  engagé  entre  eux  sans  avoir  accès  vers  la  capi- 
tale; comme  quoi  la  plus  grande  partie  de  la  ville  est  construite  dans 
la  lagune  même,  de  sorte  qu'on  n'y  peut  passer  de  maison  en  maison, 
si  ce  n'est  au  moyen  des  ponts-levis  qu'on  y  entretient,  ou  dans  des 
bateaux.  Toutes  les  maisons  sont  bâties  en  terrasses,  au-dessus 
desquelles  on  a  construit  des  sortes  de  parapets  qui  permettent  de 
les  employer  à  combattre.  Ils  dirent  aussi  la  manière  de  pourvoir  la 
ville  d'eau  douce,  grâce  à  une  source  appelée  Chapultepeque,  distante 
de  la  capitale  d'environ  une  demi-lieue,  l'eau  coulant  par  des  aque- 
ducs et  étant  ensuite  transportée  et  vendue  par  les  rues  au  moyen  de 
canots.  Ils  décrivirent  aussi  les  armes  dont  on  fait  usage  ;  les  piques 
doublement  dentelées  qu'on  lance  avec  des  machines  et  qui  traversent 
n'importe  quelle  défense;  les  archers  adroits  et  très-nombreux;  les 
lanciers  armés  de  lances  d'obsidienne,  avec  des  couteaux  longs  d'une 
brasse  et  affilés  de  telle  sorte  qu'ils  coupent  mieux  que  des  ra- 
soirs ;  les  rondaches;  les  défenses  de  coton;  les  hommes  armés  de 
frondes  avec  des  pierres  roulées;  d'autres  lances  encore  plus  lon- 
gues et  les  grands  espadons  à  deux  mains.  Les  caciques  firent 
voir,  sur  des  pièces  d'étoffes  d'aloès,  la  représentation  en  peinture 
des  batailles  qu'ils  avaient  soutenues  contre  eux,  avec  la  manière  de 
combattre. 

Arrivés  à  ce  point,  comme  notre  chef  et  nous  tous  étions  déjà  informés 
de  ce  que  les  caciques  racontaient,  Gortès  leur  coupa  la  parole,  pour 
pénétrer  plus  avant  dans  nos  investigations.  Il  demanda  donc 
comment  ils  étaient  venus  eux-mêmes  peupler  Tlascala,  et  de  quel 
point  ils  avaient  procédé  pour  pouvoir  être  si  différents  et  si  ennemis 
des  Mexicains,  quoique  leurs  pays  fussent  actuellement  si  près  l'un 
de  l'autre.  Ils  répondirent  qu'ils  avaient  su  par  leurs  aïeux  que,  dans 
les  temps  anciens,  avaient  vécu  au  milieu  d'eux  des  hommes  et  des 
femmes  d'une  stature  très-élevée ,  possédant  des  os  d'une  grande 
longueur  ;  comme  d'ailleurs  ils  étaient  fort  méchants  et  avaient  de 
mauvaises  habitudes,  on  en  fit  périr  la  majeure  partie  dans  les  com- 
bats, et  ceux  qui  restèrent  finirent  pas  s'éteindre.  Pour  que  nous 
pussions  juger  de  leur  taille,  ils  nous  présentèrent  un  fémur  d'homme 
de  cette  race.  Il  était  très-gros  et  sa  longueur  dénotait  un  homme  de 
haute  stature.  Il  était  bien  conservé  depuis  le  genou  jusqu'à  la 
hanche  ;  je  le  mesurai  sur  moi  et  je  reconnus  qu'il  représentait  ma 
taille,  qui  est  des  plus  avantagées.  On  apporta  d'autres  fragments 
d'os,  mais  ils  étaient  déjà  rongés  et  défaits.  Nous  restâmes  d'ailleurs 
fort  surpris  à  leur  vue,  et  nous  fûmes  convaincus  que  ce  pays  avait 
été  habité  par  des  géants.  Cortès..  nous  dit  qu'il  serait  convenable 
d'envoyer  ce  grand  os  en  Castille,  pour  le  faire  voir  à  Sa  Majesté.  Il 


DE  LA  NOUVELLE-ESPAGNE.  193 

y  fut  en  effet  adressé  par  l'intermédiaire  des  premiers  commissaires 
qui  firent  le  voyage. 

Les  caciques  dirent  aussi  avoir  appris  de  leurs  aïeux  qu'une  de 
leurs  idoles,  pour  laquelle  ils  avaient  une  très-grande  dévotion,  leur 
avait  assuré  qu'il  viendrait  des  hommes  de  pays  lointains,  du  côté 
où  le  soleil  se  lève,  pour  les  subjuguer  et  les  tenir  sous  leur  empire  ; 
que  s'il  s'agissait  de  nous,  ils  s'en  réjouiraient,  puisque  nous  étions 
si  bons  ;  qu'en  traitant  do  la  paix  ils  pensaient  à  cette  prophétie  de 
leur  idole  et  c'était  la  raison  qui  les  avait  poussés  à  nous  donner  leurs 
filles,  afin  d'avoir  des  parents  qui  les  défendissent  contre  les  Mexi- 
cains. La  fin  de  cette  conversation  nous  rendit  pensifs,  et  nous  nous 
demandions  si  par  hasard  ce  qu'ils  venaient  de  dire  ne  deviendrait 
pas  une  vérité.  Notre  capitaine  Gortès  leur  répondit  que  certainement 
nous  venions  d'où  le  soleil  se  lève,  et  que  la  raison  qui  poussa  notre 
seigneur  et  Roi  à  nous  envoyer,  après  avoir  su  de  leurs  nouvelles,  ce 
fut  le  désir  qu'ils  devinssent  nos  frères,  espérant  qu'il  plairait  à  Dieu 
de  nous  faire  la  grâce  qu'ils  se  sauvassent  par  nos  mains  et  par  notre 
intercession;  et  nous  dîmes  tous  ensemble  :  «Amen!  » 

Les  caballeros  qui  me  liront  se  fatigueront  sans  doute  d'entendre 
tant  de  raisonnements  et  de  causeries  entre  nous  et  les  Tlascallèques. 
Malgré  mon  désir  d'en  finir,  je  dois  forcément  employer  un  moment 
encore  pour  raconter  ce  qui  nous  advint  au  milieu  d'eux  :   c'est  que 
le  volcan  qui  s'élève  près   de  Guaxocingo  vomissait,  pendant  notre 
séjour  à  Tlascala,  beaucoup  plus  de  flammes  que  de  coutume.  Gortès 
et  nous  tous,  qui  n'avions  rien  vu  de  pareil,  en  fûmes  saisis  d'admi- 
ration. Un  de  nos  capitaines,  appelé  Diego  de  Ordas,  eut  envie  d'aller 
voir  ce  que  c'était,  et  demanda  à  notre  général  la  permission  d'y 
monter.  Gortès  la  lui  donna,  et  même  il  lui   en  fit  un  ordre.  Ordas 
emmena  avec  lui  deux  de  nos  soldats  et  un  certain  nombre  de  per- 
sonnages indiens  de  Guaxocingo.  Geux-ci  cherchaient  à  lui  inspirer 
de  la  frayeur  en  lui  disant  que  lorsqu'il  serait  à  moitié  chemin  du 
Popocatepetl   (c'est  ainsi   qu'on   appelle  le  volcan) ,    il   ne  pourrait 
résister  aux  secousses  du  sol,  aux  flammes,  aux  pierres  et  aux  cendres 
qui  s'en  échappaient;  que  quant  à  eux,  ils  ne  se  hasarderaient  pas  à 
dépasser  les  temples  d'idoles  qu'ils  appellent  les  teules  du  Popoca- 
tepetl. Dalgré  tout,  Diego  de  Ordas  et  ses  deux  compagnons  poursui- 
virent leur  chemin  jusqu'au  bout,  tandis  que  les  Indiens  restèrent  en 
bas.  Ordas  et  les  deux  soldats  s'aperçurent  en  montant  que  le  volcan 
commençait  à  lancer  de  grandes  bouffées  de  flammes  et  des  pierres 
légères    à  demi  brûlées,    accompagnées   d'une   grande   quantité  de 
cendres.    Toute  la  sierra   tremblait  autour    d'eux;   ils  s'arrêtèrent, 
n'osant  faire  un  pas   de    plus,   jusqu'à   ce  qu'au  bout  d'une  heurt' 
ils  se  fussent  aperçus  que  les  flammes  s'étaient  apaisées  et  que  les 
cendres  ainsi  que  la  fumée  diminuaient.  Ils  montèrent  alors  jusqu'à 

13 


194  CONQUETE 

l'ouverture  du  cratère  qui  était  ronde  et  présentait  un  diamètre  d'en- 
viron un  quart  de  lieue.  De  là  s'apercevaient  la  grande  ville  de 
Mexico,  et  toute  la  lagune,  et  tous  les  villages  qui  s'y  trouvent 
bâtis.  Ce  volcan  est  éloigné  de  Mexico  d'environ  douze  ou  treize  lieues. 

Après  avoir  joui  de  ce  spectacle,  Ordas,  plein  de  joie  et  d'admira- 
tion pour  avoir  vu  Mexico  et  les  villes  qui  l'entourent,  revint  à  Tlas- 
cala  avec  ses  compagnons  et  les  Indiens  de  Gruaxocingo.  Les  habitants 
de  TJascala  qualifièrent  le  fait  de  grande  hardiesse.  Lorsqu'il  le 
raconta  à  Gortès  et  à  nous  tous,  nous  fûmes  saisis  d'admiration. 
Nous  n'avions  alors,  ni  vu,  ni  entendu  dire  encore  ce  que  nous  savons 
maintenant  très-bien,  car  plusieurs  Espagnols,  et  même  des  Frères 
franciscains,  sont  montés  jusqu'au  cratère.  Lorsque  Diego  de  Ordas 
revint  en  Castille,  il  demanda  à  Sa  Majesté  le  droit  de  s'en  faire  un 
écusson,  Ce  sont  ces  mêmes  armoiries  que  possède  un  de  ses  neveux 
qui  demeure  maintenant  à  Puebla.  Depuis  lors,  nous  n'avons  jamais 
vu  le  Popocatepetl  lancer  tant  de  feu,  ni  faire  un  aussi  grand  bruit. 
Il  passa  même  un  certain  nombre  d'années  sans  vomir  de  flammes, 
jusqu'en  1539  où  il  y  eut  une  forte  éruption  de  feu,  de  pierres  et  de 
cendres.  Cessons  de  raconter  les  choses  du  volcan.  Maintenant  que 
nous  savons  ce  que  c'est  et  que  nous  en  avons  bien  vu  d'autres, 
comme  sont  ceux  du  Nicaragua  et  de  Guatemala,  je  me  figure  que 
j'aurais  bien  pu  passer  sous  silence  celui  de  Guaxocingo  i. 

Je  dois  dire  aussi  comme  quoi  nous  trouvâmes  dans  cette  ville  de 
Tlascala  de  petites  cases  construites  avec  des  barreaux  en  bois.  Elles 
étaient  remplies  d'Indiens  et  d'Indiennes  qu'on  y  tenait  enfermés 
pour  les  engraisser,  attendant  qu'ils  fussent  à  point  pour  être  sacrifiés 
et  mangés.  Nous  brisâmes  et  défîmes  ces  prisons,  pour  que  les 
malheureux  qui  s'y  trouvaient  prissent  la  fuite.  Mais  ces  pauvres 
Indiens  n'osaient  s'en  aller  dans  aucune  direction;  ils  restaient  avec 
nous,  après  avoir  ainsi  conservé  leurs  existences.  Dorénavant,  dans 
tous  les  villages  où  nous  entrions,  le  premier  ordre  donné  par  notre 
capitaine  était  de  briser  ces  affreuses  cages  qu'on  voyait  dans  presque 
tout  le  pays,  et  de  mettre  les  prisonniers  en  liberté.  Après  que  nous 
eûmes  été  témoins  de  cette  grande  cruauté,  Gortès  s'en  montra  très- 
irrité  contre  les  caciques  de  Tlascala;  il  leur  en  fit  de  sévères  remon- 
trances. De  leur  côté,  ils  parurent  se  soumettre  en  promettant  qu'à 
l'avenir  ils  ne  tueraient  ni  ne  mangeraient  plus  d'Indiens  de  cette 
manière.  Et  moi  je  dirai  :  Que  gagnions-nous  à  ces  promesses?..* 
A  peine  avions-nous  tourné  la  tête  qu'on  recommençait  les  mêmes 
cruautés. 

1  II  ne  faut  pas  oublier  que  l'auteur  termina  cette  histoire  en  1568,  c'est-à-dire 
quarante-huit  ans  après  les  événements  dont  il  parle  actuellement.  Dans  ce  long  in- 
tervallej  il  avait  en  effet,  comme  il  le  dit,  eu  le  temps  de  s'instruire  au  sujet  du  grand 
nombre  de  volcans  qui  existent  surtout  vers  les  parties  centrales  de  l'Amérique. 


DE  LA  NOUVELLE-ESPAGNE.  I95 

Restons-en  là,    cl  disons   comme    quoi    nous  résolûmes  d'aller  à 
Mexico. 


CHAPITRE  LXXIX 

Comme  quoi  notre  capitaine  Fcrnand  Certes  eonvint  avec  tous  nos  autres  capitaines 
et  soldats  que  nous  irions  à  Mexico  ;  de  ce  qui  advint  à  ce  propos. 

Voyant  que  depuis  dix-sept  jours  nous  ne  faisions  que  nous  reposer 
à  Tlascala ,  comme  d'ailleurs  nous  entendions  parler  des  grandes 
richesses  de  Montezuma  et  des  prospérités  de  sa  capitale,  Gortès  se 
résolut  à  prendre  conseil  de  tous  ceux  d'entre  nous  auxquels  il 
supposait  le  bon  désir  de  marcher  en  avant ,  et  nous  convînmes 
ensemble  que  le  départ  s'effectuerait  le  plus  tôt  possible.  Il  y  eut  à 
ce  propos,  dans  notre  quartier,  beaucoup  de  conférences  contraires 
au  projet,  quelques-uns  disant  qu'il  était  téméraire  de  penser  à  s'in- 
troduire dans  une  ville  si  bien  fortifiée,  tandis  que  nous  étions  nous- 
mêmes  si  peu  nombreux;  ils  appuyaient  leur  opinion  sur  la  grande 
puissance  de  Montezuma.  Gortès  répondit  qu'il  n'y  avait  pas  possi- 
bilité de  faire  autre  chose  ;  que,  d'ailleurs,  notre  aspiration  et  notre 
plan  avaient  toujours  été  de  voir  Montezuma,  et  que  par  conséquent 
tout  autre  avis  était  déplacé.  Quand  on  vit  le  ton  résolu  de  cette 
réponse,  quand  les  opposants  comprirent  la  fermeté  de  la  détermi- 
nation et  qu'au  reste  plusieurs  d'entre  nous  appuyaient  Gortès  de 
leur  adhésion  en  criant  :  «  A  la  bonne  heure  et  en  avant!  »  les  con- 
tradicteurs gardèrent  le  silence.  Les  adversaires  du  plan  de  Gortès 
étaient  ceux-là  mêmes  qui  avaient  des  possessions  à  Cuba.  Quant  à  moi 
et  à  d'autres  pauvres  soldats,  nous  avions  fait  pour  toujours  l'offre 
de  nos  âmes  à  Dieu  qui  les  a  créées,  vouant  en  même  temps  nos  corps 
aux  blessures  et  à  la  fatigue,  jusqu'à  mourir  [au  service  de  Notre 
Seigneur  et  de  Sa  Majesté. 

Lorsque  Xicotenga  et  Maceescaci,  seigneurs  de  Tlascala,  virent  que 
nous  voulions  réellement  aller  à  Mexico,  ils  en  éprouvèrent  un  profond 
regret.  Ils  ne  cessaient  de  prier  Gortès  de  ne  pas  penser  à  entre- 
prendre cette  marche,  disant  qu'il  ne  devait  avoir  nulle  confiance  en 
Montezuma  ni  en  aucun  Mexicain  ;  qu'il  ne  fît  pas  cas  de  ces  grandes 
révérences,  ni  de  ces  paroles  humbles  et  courtoises,  ni  des  présents 
qu'on  lui  avait  offerts,  ni  de  nulle  autre  sorte  de  promesses;  que  tout 
cela  n'était  qu'un  ensemble  de  manœuvres  traîtresses  ;  qu'en  une 
heure  on  nous  reprendrait  tout  ce  qu'on  nous  aurait  donné;  qu'il  se 
gardât  jour  et  nuit,  parce  que  leur  conviction  était  qu'on  nous  al  la- 
querait aussitôt  que  nous  aurions  cessé  d'être  sur  nos  gardes;  que  si, 
du   reste,  nous  en  venions  aux  prises  avec  les  guerriers  mexicains, 


196         •  CONQUÊTE 

nous  ne  devions  faire  grâce  delà  vie  à  personne  :  ni  aux  jeunes  hommes, 
pour  qu'ils  ne  prissent  plus  les  armes;  ni  aux  vieillards,  pour  qu'il 
ne  donnassent  plus  de  mauvais  conseils.  A  tout  cela  les  caciques  ajou- 
tèrent beaucoup  d'autres  avis,  auxquels  notre  capitaine  répondit  qu'il 
en  avait  de  la  reconnaissance,  et  il  témoigna  de  sa  vive  sympathie  par 
des  offres  et  des  présents  qu'il  fit  au  vieux  Xicotenga,  à  Maceescaci 
et  à  la  plupart  des  autres  caciques.  Il  leur  donna  une  grande  partie  des 
fines  étoffes  que  Montezuma  lui  avait  envoyées,  et  il  dit  qu'il  serait 
bon  de  traiter  de  la  paix  entre  eux  et  les  Mexicains,  afin  de  vivre  à 
l'avenir  en  bonne  harmonie,  et  qu'ils  pussent  acquérir  du  sel,  du 
coton  et  autres  denrées.  Mais  Xicotenga  répondit  que  songer  à  la  paix 
était  chose  inutile,  l'inimitié  restant  enracinée  dans  les  cœurs,  et  les 
Mexicains  étant  ainsi  faits  que,  sous  les  apparences  les  plus  paci- 
fiques, ils  tramaient  les  plus  grandes  trahisons,  et  ils  n'accomplissaient 
jamais  leurs  promesses.  Les  caciques  ajoutèrent  que  Gortès  ne  devait 
plus  songer  à  cette  réconciliation,  et  ils  le  supplièrent  encore  de  ne 
pas  se  mettre  entre  les  mains  de  pareils  hommes. 

On  parla  alors  du  chemin  qu'il  conviendrait  de  suivre  pour  aller  à 
Mexico.  Les  ambassadeurs  de  Montezuma,  qui  étaient  avec  nous  et  qui 
devaient  nous  servir  de  guides,  disaient  que  la  meilleure  route  serait 
par  Gholula,  parce  que  ses  habitants  étaient  les  vassaux  de  Montezuma, 
et  crue  nous  y  recevrions  par  conséquent  de  véritables  services.  Il 
nous  parut  à  tous  convenable  en  effet  de  passer  par  cette  ville.  Mais 
les  caciques  de  Tlascala  devinrent  fort  tristes  quand  ils  surent  que 
nous  voulions  suivre  la  route  qui  nous  était  indiquée  par  les  Mexi- 
cains. Ils  nous  dirent  qu'en  tout  état  de  choses  il  serait  mieux  de 
passer  par  Guaxocingo,  dont  les  habitants  étaient  leurs  parents  et 
nos  amis,  et  nullement  par  Gholula  qu'ils  regardaient  comme  le  chef- 
lieu  des  manœuvres  secrètes  et  perfides  de  Montezuma.  Les  caciques 
eurent  beau  faire  pour  nous  convaincre  de  ne  pas  entrer  dans  cette 
ville;  notre  général,  d'accord  avec  notre  avis  bien  raisonné,  continua 
à  vouloir  passer  par  Gholula.  Les  uns  donnèrent  pour  raison  que 
c'était  une  grande  ville,  très-bien  pourvue  de  tours  et  de  temples  fort 
élevés,  assise  sur  une  belle  plaine  où  de  loin  elle  nous  faisait  réelle- 
ment l'effet  de  notre  grande  Yalladolid  de  la  Vieille-Gastille.  D'autres 
s'appuyaient  sur  le  motif  que  c'était  le  centre  de  villages  importants  ; 
que  ses  ressources  étaient  considérables  et  que  nous  y  aurions  pour 
ainsi  dire  sous  la  main  nos  amis  de  Tlascala,  lorsque    nous  exécu- 
terions le  projet  de  nous  y  fixer  jusqu'à  ce  que  nous  eussions  bien 
éclairci  tous  les  moyens  d'arriver  à  Mexico  sans  combattre,  attendu 
que  la  grande  puissance  des  Mexicains  était  propre  à  inspirer  la  crainte. 
Il  paraissait  évident  en  effet  que  nous  ne  pourrions  jamais  y  entrer, 
si  Dieu  Notre  Seigneur   n'intervenait  de  sa  main  divine  et  de  sa  mi- 
séricorde,   qui    nous   avaient  aidés  et  toujours   fortifiés  jusqu'alors. 


DE  LA    NOUVELLE-ESPAGNE.  197 

Après  de  nombreux  débats  et  avis  divers,    il  fut  convenu  que  nous 
passerions  par  Gholula. 

Gortès  envoya  donc  des  messagers  pour  demander  aux  habitants 
comment  il  se  faisait  qu'étant  si  près  de  nous  ils  ne  nous  eussent  pas 
fait  rendre  visite  et  témoigner  de  leur  respect,  ainsi  qu'ils  auraient 
dû  s'y  croire  obligés  envers  nous,  les  envoyés  d'un  grand  seigneur  et 
Roi  qui  étions  venus  avec  la  mission  de  les  sauver.  Il  ajoutait  qu'il 
les  priait  d'envoyer  les  caciques  et  les  papes  de  cette  ville  pour  nous 
visiter  et  jurer  obéissance  à  notre  seigneur  et  Roi;  faute  de  quoi,  il 
leur  supposerait  des  intentions  mauvaises.  On  en  était  là  de  ces  confé- 
rences, avec  addition  de  bien  d'autres  choses  qu'il  convenait  de  faire 
dire  dans  les  circonstances  où  nous  nous  trouvions,  lorsqu'on  vint 
annoncer  à  Gortès  quatre  ambassadeurs  du  grand  Montezuma,  avec 
des  présents  en  or;  car,  d'après  ce  que  nous  avons  su,  jamais  il  n'en 
envoyait  sans  présents  ;  il  eût  considéré  comme  une  offense  d'expédier 
des  messagers  sans  que  quelques  dons  les  accompagnassent.  Ce  que 
dirent  ces  ambassadeurs,  je  le  vais  contera  la  suite. 


CHAPITRE  LXXX 


Comment  le  grand  Montezuma  envoya  quatre  personnages  de  grande  distinction  avec 
un  présent  en  or  et  des  étoffes  ;  de  ce  qu'ils  dirent  à  notre  capitaine. 

Tandis  que  Gortès  conférait  avec  nous  tous  et  avec  les  caciques  de 
Tlascala,  au  sujet  de  notre  départ  et  sur  des  questions  de  guerre,  on 
vint  lui  dire  que  quatre  ambassadeurs  de  Montezuma,  hauts  person- 
nages de  distinction,  porteurs  de  présents,  venaient  d'arriver  dans 
cette  ville.  Gortès  donna  l'ordre  qu'on  les  lui  amenât.  Quand  ils 
furent  en  sa  présence,  ils  lui  firent,  ainsi  qu'à  nous  tous,  de  grandes 
démonstrations  respectueuses.  Ils  offrirent  le  présent,  consistant  en 
bijoux  d'or  sous  des  formes  variées,  d'une  valeur  d'environ  dix  mille 
piastres,  accompagnés  de  dix  charges  de  mantas  tissues  de  plumes  et 
brodées  de  dessins  remarquables.  Gortès  les  reçut  avec  des  manières 
affables.  Les  ambassadeurs  dirent  alors  à  notre  général  que  leur  sei- 
gneur Montezuma  était  fort  surpris  que  nous  pussions  rester  si  long- 
temps au  milieu  de  ces  pauvres  gens,  mal  policés,  qui  ne  sont  même 
pas  bons  pour  être  esclaves,  étant  à  ce  point  méchants,  traîtres  et  voleurs , 
que,  si  nous  cessions  d'être  sur  nos  gardes,  de  jour  et  de  nuit,  ils 
nous  assassineraient  pour  nous  piller.  Il  nous  priait  d'aller  le  plus 
tôt  possible  à  sa  capitale,  ajoutant  qu'il  nous  y  donnerait  de  ce  qu'il 
possédait,  quoiqu'en  restant  au-dessous  de  ses  désirs  et  de  nos  mé- 
rites ;  que  d'ailleurs,  rien  ne  venant  que  par  transports  dans  la  ville, 


198  CONQUÊTE 

il  prendrait  ses  mesures  pour  nous  approvisionner  le  mieux  qu'il  lui 
serait  possible. 

Montezuma  adoptait  cette  conduite  pour  nous  faire  sortir  de  Tlas- 
cala,  parce  qu'il  sut  que  nous  avions  fait  alliance  avec  ses  habitants, 
ainsi  que  je  l'ai  dit  dans  le  chapitre  qui  en  a  traité,  et  qu'au  surplus 
nous  avions  scellé  notre  amitié  par  ie  don  de  leurs  filles,  que  les 
Tlascaltèques  offrirent  à  Malinche.  Montezuma  avait  compris  en  effet 
qu'il  ne  résulterait  aucun  bien  pour  lui  de  cette  alliance.  C'est  pour 
cette  raison  qu'il  nous  comblait  de  son  or  et  de  ses  présents,  espérant 
que  nous  irions  dans  ses  domaines,  ou  que  du  moins  nous  sortirions 
de  Tlascala.  Revenons  aux  ambassadeurs.  Les  gens  de  Tlascala,  qui 
les  reconnurent  fort  bien,  dirent  à  notre  capitaine  qu'ils  étaient  sei- 
gneurs de  villages  et  possédaient  des  vassaux,  et  que  Montezuma 
avait  l'habitude  de  les  employer  à  des  négociations  de  grande  impor- 
tance. Cortès  remercia  beaucoup  les  messagers,  les  comblant  de 
démonstrations  amicales.  Il  leur  répondit  qu'il  irait  bientôt  rendre 
visite  à  leur  seigneur  Montezuma,  et  les  pria  de  rester  quelques 
jours  avec  nous.  C'est  que,  dans  ce  même  temps,  Cortès  avait  résolu 
que  deux  de  nos  chefs  les  plus  distingués  iraient  rendre  visite  et 
parler  au  grand  Montezuma,  pour  examiner  la  capitale  de  Mexico, 
ses  puissantes  défenses  et  ses  forteresses.  Pedro  de  Alvarado  et  Ber- 
nardino  Yasquez  de  Tapia  étaient  déjà  en  route  avec  cette  mission,  et 
quelques-uns  des  messagers  de  Montezuma,  qui  déjà  auparavant 
étaient  nos  hôtes,  marchaient  en  leur  compagnie,  tandis  que  les 
quatre  qui  venaient  d'apporter  le  présent  restèrent  avec  nous  comme 
otages.  En  ce  moment-là,  j'étais  fort  mal  de  mes  blessures;  la  fièvre 
me  tenait  et  j'avais  assez  à  faire  de  m'occuper  à  me  soigner.  Je  ne 
me  rappelle  donc  pas  jusqu'où  nos  messagers  allèrent;  mais  je  sais 
bien  qu'en  apprenant  que  Cortès  avait  ainsi  envoyé  ces  deux  cabal- 
leros  à  l'aventure,  nous  réprouvâmes  la  mesure  prise  par  lui  et  l'en 
dissuadâmes  en  disant  que  les  envoyer  ainsi,  seulement  pour  voir  la 
ville  et  ses  défenses,  ce  n'était  pas  une  mesure  bien  sensée;  qu'il 
serait  mieux  de  les  rappeler  et  qu'ils  n'allassent  pas  plus  avant. 

Cortès  leur  écrivit  donc  de  revenir  sur-le-champ.  D'ailleurs  Ber- 
nardino  Vasquez  de  Tapia  avait  déjà  souffert  de  la  fièvre  en  route. 
Au  reçu  de  ces  lettres,  nos  messagers  s'empressèrent  de  regagner 
Tlascala,  tandis  que  les  ambassadeurs  qui  les  accompagnaient  furent 
rendre  compte  de  l'événement  à  Montezuma.  Il  leur  demanda  quels 
étaient  l'aspect  du  visage  et  la  proportion  du  corps  de  ces  deux  teules 
qui  venaient  à  Mexico,  et  s'ils  étaient  capitaines.  Il  paraît  qu'il  fut 
répondu  que  Pedro  de  Alvarado  avait  gentille  grâce  sur  sa  figure  et 
dans  sa  personne  ;  ils  le  comparaient  au  soleil  et  le  disaient  capitaine. 
Au  surplus,  on  rapportait  un  dessin  qui  le  représentait  fort  au  natu- 
rel. Depuis  lors,  les  Mexicains  lui  appliquèrent  le  surnom  de  Tona- 


DE  LA   NOUVELLE-ESPAGNE.  199 

lio,  qui  signifie  :  soleil,  fils  du  soleil;  et  c'est  ainsi  qu'on  l'appela 
désormais.  Ils  dirent  aussi  que  Bernardino  Vasquez  de  Tapia  était 
un  homme  robuste  et  bien  pris,  également  capitaine.  Montczuma 
regretta  qu'ils  fussent  revenus  sur  leurs  pas.  Ces  ambassadeurs  du 
reste  les  apprécièrent  justement  tous  deux,  tant  au  sujet  de  leur 
figure  que  pour  l'aspect  de  leurs  personnes;  car  Pedro  de  Alvarado 
avait  bonne  tournure;  il  était  fort  agile;  ses  traits,  son  aspect,  son 
visage,  son  expression  en  parlant,  tout  était  plein  de  grâce  et  comme 
accompagné  d'un  continuel  sourire.  Bernardino  Vasquez  de  Tapia 
était  un  peu  gros,  mais  de  belle  prestance. 

Quand  ils  furent  de  retour  à  notre  quartier,  nous  nous  livrâmes 
ensemble  à  la  joie  et  nous  convînmes  que  ce  que  Gortès  leur  avait 
ordonné  n'était  pas  chose  bien  raisonnable.  Laissons  ce  sujet,  puis- 
qu'il n'importe  guère  à  notre  récit,  pour  parler  des  messagers  que 
Gortès  envoya  à  Cholula  et  de  la  réponse  qu'on  en  reçut. 


CHAPITRE  LXXXI 

Comment  les  gens  de  Cholula  envoyèrent  quatre  Indiens  d'un  rang  peu  distingué  pour 
se  disculper  de  ne  pas  être  venus  à  Tlascala;  de  ce  qui  arriva  à  ce  sujet. 

J'ai  dit  dans  le  chapitre  qui  précède  que  notre  capitaine  avait  en- 
voyé des  messagers  à  Cholula  pour  demander  qu'on  vînt  nous  voir  à 
Tlascala.  Lorsque  les  caciques  de  cette  ville  eurent  entendu  ce  que 
Cortès  leur  faisait  prescrire,  il  leur  parut  qu'il  serait  bon  d'envoyer 
quatre  Indiens  de  peu  d'importance,  pour  les  disculper  en  disant  que 
la  maladie  les  empêchait  de  venir  eux-mêmes.  Ces  envoyés  n'appor- 
taient du  reste  ni  provisions  ni  quoi  que  ce  fût,  et  ils  se  contentèrent 
de  donner  sèchement  cette  réponse.  Or,  quand  ils  se  présentèrent, 
les  caciques  de  Tlascala  se  trouvaient  avec  Cortès.  Ils  lui  dirent  que 
c'était  pour  le  railler,  ainsi  que  nous  tous,  que  les  habitants  de  Cho- 
lula envoyaient  ces  Indiens,  pris  parmi  les  gens  de  basse  condition. 
Cortès  résolut  alors  de  les  renvoyer  avec  quatre  Indiens  de  Cempoal 
pour  dire  aux  Gholultèques  d'expédier  sous  trois  jours  des  person- 
nages plus  distingués,  ce  qui  leur  serait  facile  puisque  la  distance 
n'était  que  de  cinq  lieues;  et  que,  s'ils  ne  venaient  pas,  il  les  tien- 
drait pour  rebelles;  que  du  reste,  s'ils  obéissaient,  il  se  proposait  de 
leur  expliquer  des  choses  utiles  au  salut  de  leurs  âmes  et  à  la  régu- 
larité de  leur  vie.  Il  ajouta  qu'il  les  voulait  pour  nos  alliés  et  nos 
frères,  comme  l'étaient  déjà  leurs  voisins  les  habitants  de  Tlascala, 
mais  que  s'ils  décidaient  autre  chose  et  refusaient  notre  amitié,  nous 
n'en  prendrions  nullement  sujet  pour  chercher  à  leur  déplaire  et  à 


200  CONQUÊTE 

leur  causer  de  l'ennui.  Ayant  reçu  cette  ambassade  amicale,  ils  répon- 
dirent qu'ils  ne  viendraient  pas  à  Tlascala,  parce  que  ses  habitants 
étaient  leurs  ennemis  et  qu'on  n'ignorait  pas  le  mal  qu'ils  avaient  dit 
d'eux  et  de  leur  seigneur  Montezuma;  que,  quant  à  nous,  nous  pou- 
vions prendre  le  chemin  de  la  ville  et  si,  lorsque  nous  serions  sortis 
des  limites  de  Tlascala,  ils  ne  s'empressaient  pas  de  faire  leur  devoir 
à  notre  égard,  nous  pourrions  justement  les  qualifier  comme  nous  le 
leur  avions  déjà  fait  dire.  Notre  capitaine  comprit  que  l'excuse  était 
juste,  et  nous  résolûmes  d'aller  nous-mêmes  à  Gholula. 

Lorsque  les  caciques  de  Tlascala  virent  que  décidément  notre 
voyage  se  ferait  par  Gholula,  ils  dirent  à  Gortès  :  «  Eh  quoi  !  c'est 
ainsi  que  tu  crois  aux  Mexicains  et  non  à  nous  qui  sommes  tes  amis! 
Nous  t'avons  déjà  dit  plusieurs  fois  que  tu  dois  te  tenir  en  garde 
contre  les  gens  de  Gholula  et  contre  la  puissance  de  Mexico;  pour 
que  tu  puisses  mieux  compter  sur  notre  appui,  nous  avons  apprêté 
dix  mille  hommes  de  guerre  pour  vous  accompagner.  a  Gortès  les  en 
remercia  beaucoup,  mais  il  nous  consulta  sur  le  point  de  savoir  s'il 
conviendrait  d'aller  avec  tant  de  guerriers  dans  un  pays  dont  nous 
recherchions  l'amitié.  Il  fut  résolu  que  nous  en  emmènerions  seule- 
ment deux  mille.  C'est  ce  nombre  que  Gortès  demanda,  ajoutant  que 
les  autres  resteraient  chez  eux.  Mais  laissons  là  ces  conférences,  pour 
parler  de  notre  marche. 


CHAPITRE  LXXXII 

Comment  nous  fûmes  à  la  ville  de  Cholula,  et  de  la  réception  que  l'on 

nous  y  fît. 

Un  matin,  nous  entreprîmes  notre  marche  vers  la  ville  de  Gholula. 
Nous  cheminions  dans  le  plus  grand  ordre,  parce  que,  comme  j'ai  déjà 
eu  occasion  de  le  dire,  partout  où  nous  craignions  qu'il  pût  y  avoir 
des  troubles  ou  des  attaques,  nous  nous  tenions  davantage  sur  nos 
gardes.  Nous  passâmes  la  nuit  sur  le  bord  d'une  rivière  qui  coule  à 
une  petite  lieue  de  Gholula  et  sur  laquelle  existe  aujourd'hui  un  pont 
de  pierre1.  On  nous  y  construisit  des  cabanes  et  des  abris.  Ce  fut  là 
que,  cette  nuit  même,  les  caciques  de  Cholula  envoyèrent,  en  qualité 
de  messagers,  quelques  personnages  de  distinction  pour  nous  donner 
la  bienvenue  sur  leur  territoire.  Ils  apportaient  des  provisions  en 
poules  et  en  pain  de  maïs  ;  ils  nous  dirent  que,  le  lendemain  matin, 

1.  C'est  près  de  ce  point  que  se  trouve   actuellement  la  belle  et  grande  ville  de 
Puebla,  à  quatre  ou  cinq  kilomètres  de  Cholula. 


DE  LA   NOUVELLE-ESPACxNE.  201 

tous  les  caciques  et  tous  les  papes  iraient  nous  recevoir  en  s'excusant 
de  ne  pas  être  venus  plus  tôt.  Gortès  leur  répondit,  au  moyen  de  nos 
interprètes  dona  Marina  et  Aguilar,  qu'il  leur  était  reconnaissant, 
tant  pour  les  provisions  qu'ils  avaient  apportées,  que  pour  le  bon 
vouloir  dont  ils  faisaient  preuve.  Nous  nous  reposâmes  là  cette  nuit, 
sous  la  garde  de  bonnes  sentinelles  et  de  nos  coureurs.  Aussitôt  que 
le  jour  parut,  nous  prîmes  le  chemin  de  la  ville. 

Nous  poursuivions  notre  route  et  étions  déjà  près  du  but,  lorsque 
vinrent  à  notre  rencontre  les  caciques,  les  papes  et  un  grand  nombre 
d'autres  Indiens.  La  plupart  étaient  revêtus  d'un  costume  en  coton 
imitant  les  marlottes  moresques,  à  la  manière  des  Indiens  Zapotèqucs. 
Ceux  qui  ont  résidé  dans  cette  province  savent  bien,  en  effet,  que  c'est 
ainsi  que  l'on  s'y  habille.  Ils  nous  abordèrent,  du  reste,  de  l'air  le 
plus  pacifique  et  avec  les  meilleurs  témoignages  de  bon  vouloir.  Les 
papes  avaient  des  cassolettes  avec  lesquelles  ils  encensèrent  notre 
capitaine,  ainsi  que  tous  les  soldats  qui  étaient  près  de  lui  ;  mais  lors- 
que les  papes  et  les  personnages  distingués  aperçurent  les  Indiens 
Tlascaltèques  qui  venaient  avec  nous,  ils  prièrent  dona  Marina  de 
dire  à  Gortès  que  ce  n'était  pas  bien  de  faire  entrer  ainsi  leurs  ennemis 
armés  dans  la  ville.  Sur  cette  observation,  Gortès  donna  l'ordre  à  nos 
chefs,  aux  soldats  et  aux  équipages  d'arrêter,  et  lorsqu'il  nous  vit 
immobiles  et  tous  réunis  il  nous  dit  :  «  Il  me  semble  qu'avant  d'en- 
trer à  Gholula,  il  nous  importe  de  sonder  ces  caciques  et  ces  papes, 
pour  connaître  ce  qu'ils  désirent,  car  ils  murmurent  contre  nos  amis 
de  Tlascala,  et  j'avoue  que  leur  plainte  n'est  pas  dénuée  de  raison.  Je 
veux  donc  leur  expliquer  sincèrement  les  motifs  qui  nous  font  passer 
par  leur  capitale.  Or,  vous  savez  bien  ce  que  les  Tlascaltèques  nous 
ont  dit  de  leur  humeur  tracassière;  il  sera  donc  utile,  avant  tout,  qu'ils 
se  prêtent  volontairement  à  jurer  obéissance  à  Sa  Majesté.  » 

Il  donna  par  conséquent  l'ordre  à  dona  Marina  d'appeler  les  caci- 
ques et  les  papes,  les  invitant  à  venir  à  l'endroit  où  il  se  tenait  achevai 
au  milieu  de  nous  tous.  Trois  personnages  et  deux  papes  se  présen- 
tèrent et  s'exprimèrent  comme  il  suit  :  «  Malinche,  pardonnez-nous 
si  nous  n'avons  pas  été  vous  faire  visite  à  Tlascala  et  vous  y  porter 
des  vivres;  ce  n'a  pas  été  par  mauvaise  volonté,  mais  bien  parce  que 
Maceescaci,  Xicotenga  et  tous  les  Tlascaltèques  sont  nos  ennemis  et 
qu'ils  vous  ont  dit  beaucoup  de  mal  de  nous  et  du  grand  Montezuma 
notre  seigneur;  et  ce  n'est  pas  assez  pour  eux  de  nous  avoir  offensés 
par  ce  langage,  il  faut  encore  qu'ils  aient  la  grande  hardiesse  de  se 
couvrir  de  votre  protection  pour  venir  armés  dans  notre  ville.  Nous 
demandons  donc  en  grâce  qu'on  les  renvoie  en  leur  pays  ou  que,  du 
moins,  ils  restent  en  rase  campagne  et  n'entrent  pas  ainsi  dans  notre 
capitale.  Quant  à  vous,  à  la  bonne  heure,  entrez-y  dès  que  bon  vous 
semblera.  »  Gortès  comprit  fort  bien  qu'ils  avaient  raison.  Il  s'em- 


202  CONQUÊTE 

pressa  d'ordonner  à  Pedro  de  Alvarado  et  au  mestre  de  camp  Chris- 
toval  de  Oli  de  prier  les  Tlascaltèques  de  s'établir  au  milieu  des  champs 
et  de  ne  pas  pénétrer  avec  nous  dans  la  ville,  en  exceptant  ceux  qui 
traînaient  l'artillerie  et  nos  amis  de  Gempoal  ;  du  reste,  disait-il,  le 
motif  de  cette  mesure  venait  de  ce  que  les  caciques  et  les  papes  se 
méfiaient  d'eux;  au  surplus,  lorsqu'il  s'agirait  de  passer  de  Gholula 
à  Mexico,  il  les  ferait  appeler,  espérant  qu'ils  ne  garderaient  aucun 
ressentiment  de  la  mesure  qu'on  prenait  aujourd'hui. 

En  recevant  communication  de  cet  ordre,  les  habitants  de  Gholula 
nous  parurent  plus  tranquilles  et  Cortès  crut  opportun  de  leur  adres- 
ser la  parole,  en  disant  que  notre  Roi  et  seigneur,  dont  nous  sommes 
les  sujets,  commande  de  puissantes  armées  et  tient  sous  ses  ordres 
bon  nombre  de  princes  et  caciques  ;  qu'il  nous  envoyait  dans  ces  pays 
pour  les  requérir  de  ne  plus  adorer  les  idoles,  de  ne  pas  sacrifier  des 
hommes,  ni  manger  de  leur  chair,  de  ne  plus  se  livrer  à  toutes  sortes 
d'immoralités  et  de  turpitudes  ;  que,  devant  aller  à  Mexico  pour  parler 
à  Montezuma,  et  considérant  que  le  plus  court  et  le  meilleur  chemin 
était  celui  que  nous  suivions,  nous  nous  étions  vus  dans  la  nécessité 
de  passer  par  leur  capitale,  où  nous  attirait  en  outre  le  désir  de  les 
compter  eux-mêmes  au  nombre  de  nos  frères  ;  que  d'ailleurs  d'autres 
grands  caciques  ayant  déjà  juré  obéissance  à  Sa  Majesté,  il  serait  bien 
qu'ils  fissent  comme  eux.  Ils  répondirent  en  s'étonnant  qu'à  peine 
entrés  dans  leur  pays  déjà  nous  leur  donnions  l'ordre  d'abandonner 
leurs  teules,  chose  qu'ils  ne  feraient  certainement  jamais;  que,  quant 
à  jurer  obéissance  à  notre  Roi,  cela  leur  agréait  et  qu'ils  en  donnaient 
leur  parole.  C'est  ainsi  que  les  choses  se  passèrent  et  ce  fut  sans  l'in- 
tervention du  notaire.  Nous  commençâmes  à  marcher  vers  la  ville.  La 
multitude  qui  nous  voulait  voir  était  si  considérable  que  les  rues  et 
les  terrasses  des  maisons  en  étaient  remplies;  ce  qui  ne  doit  pas  sur- 
prendre, puisqu'ils  n'avaient  jamais  vu  ni  chevaux,  ni  hommes  comme 
nous.  On  nous  fit  loger  dans  de  grandes  salles  où  nous  nous  réunî- 
mes tous,  même  nos  amis  de  Gempoal,  ainsi  que  les  Tlascaltèques 
qui  avaient  porté  nos  équipages.  On  nous  donna  à  manger,  ce  jour-là 
et  le  suivant,  fort  bien  et  en  abondance.  Nous  en  resterons  là  et  je 
dirai  ce  qui  nous  advint  encore. 


CHAPITRE  LXXXIII 


Comme  quoi  dans  la  ville  de  Gholula  on  avait  formé  le  projet  de  nous  massacrer  par 
ordre  de  Montezuma,  et  de  ce  qui  nous  arriva  à  ce  sujet. 

Notre  réception  fut  solennelle  et  très-certainement  faite  de  bon  cœur. 
Cependant,  ainsi  que  nous  le  sûmes  plus  tard,  Montezuma  avait  déjà 


DE  LA  NOUVELLE-ESPAGNE.  203 

envoyé  des  ordres  aux  ambassadeurs  qui  étaient  avec  nous,  pour  qu'ils 
traitassent  avec  les  habitants  de  Gholula  et  qu'on  mît  à  profit  une 
armée  de  vingt  mille  hommes  qui  s'y  trouvait  réunie,  afin  que,  à  peine 
entrés  dans  la  ville,  on  nous  fît  la  guerre  nuit  et  jour,  et  qu'on  ame- 
nât à  Mexico,  bien  attachés,  tous  ceux  d'entre  nous  que  l'on  pourrait, 
prendre  vivants.  Ce  prince  fit  aussi  de  grandes  promesses  à  ses  am- 
bassadeurs et  leur  envoya  beaucoup  de  bijoux,  des  étoffes  et  un  tam- 
bour en  or.  On  devait  assurer  aux  papes  de  cette  ville  qu'il  leur  serait 
donné  vingt  d'entre  nous  pour  être  sacrifiés  à  leurs  idoles.  Tout  était 
bien  concerté  :  les  guerriers  envoyés  par  Montezuma  étaient  à  une 
demi-lieue  de  la  ville  dans  des  fermes  et  dans  des  ravins  ;  d'autres  se 
trouvaient  déjà  établis  dans  les  maisons  mêmes  de  la  capitale,  avec 
leurs  armes  bien  à  point;  des  parapets  étaient  construits  sur  les  ter- 
rasses, tandis  qu'on  avait  pratiqué  des  tranchées  et  des  barricades 
dans  les  rues  pour  que  les  chevaux  n'y  pussent  pas  circuler.  Ils  avaient 
même  des  maisons  pleines  de  longues  piques  et  de  colliers  en  cuir, 
avec  des  cordes,  qui  devaient  servir  à  nous  attacher  pour  nous  emme- 
ner à  Mexico.  Mais  le  bon  Dieu  fit  mieux  les  choses,  et  tout  se  déroula 
au  rebours  de  leurs  projets.  Nous  n'en  parlerons  pas  pour  à  présent, 
afin  de  dire  qu'ils  nous  logèrent  et  nous  donnèrent  parfaitement  à 
manger  les  premiers  jours,  comme  je  l'ai  déjà  expliqué.  Du  reste, 
quoique  nous  les  vissions  très-tranquilles,  nous  ne  cessions  pas  de 
nous  tenir  sur  nos  gardes,  à  cause  de  la  bonne  habitude  que  nous  en 
avions  contractée.  Mais,  dès  le  troisième  jour,  on  ne  nous  apporta 
plus  de  vivres  ;  les  caciques  ne  paraissaient  point,  et  l'on  ne  voyait 
pas  davantage  les  papes.  Si  quelques  Indiens  nous  venaient  voir,  ils 
se  tenaient  à  une  certaine  distance  de  nous,  en  riant  comme  pour  nous 
railler. 

Notre  chef,  voyant  cette  conduite,  ordonna  à  dona  Marina  et  à 
Aguilar,  nos  interprètes,  de  dire  aux  ambassadeurs  du  grand  Mon- 
tezuma, qui  étaient  là,  qu'ils  ordonnassent  aux  caciques  de  nous 
envoyer  des  vivres.  Malgré  tout,  on  ne  nous  apportait  que  de  l'eau 
et  du  bois  ;  les  vieillards  que  l'on  employait  à  ce  travail  nous  disaient 
qu'il  n'y  avait  plus  de  maïs.  Au  surplus,  ce  jour-là  même,  arrivèrent 
d'autres  messagers  de  Montezuma,  qui  se  joignirent  à  ceux  qui 
étaient  déjà  au  milieu  de  nous.  Ils  disaient,  sans  la  moindre  retenue 
et  sans  aucun  signe  de  respect,  que  leur  seigneur  les  envoyait  pour 
nous  avertir  de  ne  pas  aller  à  sa  capitale,  parce  qu'il  n'avait  pas  de 
vivres  à  nous  donner;  ils  ajoutaient  qu'ils  devaient,  sans  retard,  re- 
partir pour  Mexico  avec  notre  réponse.  Gortès  n'augura  rien  de  bon 
de  ce  message.  Il  employa  de  douces  paroles  pour  dire  aux  ambassa- 
deurs qu'il  était  surpris  qu'un  grand  seigneur  tel  que  Montezuma 
changeât  ainsi  de  résolutions,  et  qu'il  les  priait  de  ne  pas  partir  en- 
core, parce  qu'il  avait  projeté  de  se  mettre  en  marche  dès  le  lende- 


204  CONQUÊTE 

main  pour  rendre  visite  à  Montezuma  et  se  soumettre  à  ses  ordres, 
Il  me  semble  que  notre  chef  accompagna  ces  paroles  du  don  de  quel- 
ques verroteries.  Les  ambassadeurs,  du  reste,  assurèrent  qu'ils  atten- 
draient. 

Gela  fait,  Gortès  nous  réunit  pour  nous  dire  :  «  Je  vois  du  trouble 
parmi  les  gens  qui  nous  entourent;  soyons  sur  le  qui-vive;  ils  tra- 
ment certainement  quelque  méchanceté.  »  Il  fit  appeler  sur  le-champ 
le  principal  cacique,  dont  je  ne  me  rappelle  pas  le  nom,  ou,  à  son 
défaut,  les  personnages  qu'il  enverrait  à  sa  place.  Il  répondit  qu'il 
était  malade  et  que  ni  lui  ni  les  autres  ne  pouvaient  venir.  Alors 
notre  chef  donna  l'ordre  de  lui  amener  deux  papes  d'un  grand  temple 
où  plusieurs  se  trouvaient  réunis,  recommandant  de  bons  procédés 
à  leur  égard.  Nous  en  amenâmes  deux,  sans  les  maltraiter.  Gortès 
leur  fit  donner  à  chacun  un  chalchihui,  pierre  précieuse  qu'ils  ont 
en  grande  estime,  et  qui  simule  nos  émeraudes.  Il  leur  dit  ensuite, 
en  leur  parlant  très-affectueusement,  qu'il  voudrait  bien  savoir  pour- 
quoi le  cacique,  les  personnages  de  distinction  et  tous  les  papes  pa- 
raissaient troublés  ;  qu'il  les  avait  envoyé  chercher  et  qu'ils  s'étaient 
refusés  à  venir.  Or  il  paraît  qu'un  de  ces  papes  était  d'une  haute 
catégorie  dans  son  ordre,  ayant  sous  son  autorité  la  plus  grande 
partie  des  temples  de  la  ville  :  c'était  quelque  chose  comme  unévêque 
parmi  les  siens  et  il  inspirait  un  grand  respect  à  ses  ministres.  Il 
dit  à  Gortès  que,  pour  ce  qui  était  des  papes,  ils  n'avaient  nullement 
peur  de  nous;  que  si  le  cacique  et  les  autres  personnages  ne  voulaient 
point  venir,  il  s'emploierait  à  les  aller  chercher,  certain  que,  dès  qu'il 
leur  aurait  parlé,  ils  ne  décideraient  rien  autre  chose  que  d'obéir 
sur-le-champ.  Gortès  lui  répondit  que  c'était  bien  et  qu'il  y  allât, 
tandis  que  son  confrère  attendrait  là  son  retour. 

Le  pape  fut  donc  les  appeler  et  il  en  résulta  qu'ils  vinrent  immé- 
diatement avec  lui  au  logement  de  Gortès,  qui  s'empressa  de  leur 
demander,  au  moyen  de  nos  interprètes,  pourquoi  ils  avaient  peur  et 
pour  quel  motif  on  ne  nous  donnait  plus  à  manger;  il  dit  que  s'ils 
éprouvaient  du  regret  de  nous  voir  dans  la  ville,  ils  devaient  se  tran- 
quilliser par  la  pensée  que  nous  voulions  partir  pour  Mexico  le  len- 
demain de  bonne  heure,  dans  le  but  de  rendre  visite  et  de  parler  au 
seigneur  Montezuma;  qu'on  voulût  bien  réunir  des  ta/m&mes  pour 
porter  nos  bagages  et  traîner  les  bombardes  ;  et  qu'au  surplus  on  ne 
tardât  pas  à  apporter  des  vivres.  Le  cacique  était  si  troublé  qu'il  ne 
parvenait  pas  à  prendre  la  parole;  il  dit  enfin  qu'ils  allaient  réunir 
des  vivres,  mais  que  leur  seigneur  Montezuma  leur  avait  fait  parvenir 
l'ordre  de  n'en  plus  donner  et  de  ne  pas  nous  laisser  aller  plus  avant. 

Les  conférences  en  étaient  là,  lorsque  se  présentèrent  trois  Indiens 
de  nos  amis  de  Gempoal.  Ils  dirent  secrètement  à  Gortès  que,  tout 
près  de  l'endroit  où  nous  étions  logés,  ils  avaient  découvert  des  tran- 


DE  LA  NOUVELLE-ESPAGNE.  205 

chécs  pratiquées  dans  les  rues,  recouvertes  avec  du  bois  et  de  la  terre 
et  tellement  arrangées  qu'il  était  impossible  de  les  apercevoir  si  l'on 
n'y  portait  beaucoup  d'attention  ;  qu'ayant  pris  soin  d'écarter  la  terre 
qui  couvrait  une  de  ces  tranchées,  ils  y  avaient  aperçu  des  pieux 
très-bien  aiguisés  pour  faire  périr  les  chevaux  qui  viendraient  tomber 
dessus;  que  toutes  les  terrasses  des  maisons  étaient  garnies  de 
pierres  et  de  parapets  construits  en  briques  séchées  au  soleil;  que 
certainement  les  habitants  s'étaient  bien  préparés,  parce  que  dans 
une  autre  rue  on  avait  vu  des  palissades  faites  de  gros  madriers.  En 
même  temps,  se  présentaient  aussi  huit  Indiens  Tlascaltèques,  de 
ceux  qui  étaient  restés  dans  la  campagne.  Ils  dirent  à  Gortès  :  «  Fais 
attention,  Malinche  ;  cette  ville  est  fort  mal  disposée,  car  nous  savons 
que  cette  nuit  on  a  sacrifié  à  l'idole  de  la  guerre  sept  personnes,  dont 
cinq  enfants,  pour  obtenir  la  victoire  contre  vous.  Nous  avons  vu 
aussi  que  les  habitants  font  sortir  leurs  biens  avec  leurs  femmes  et 
leurs  enfants.  » 

Gortès,  les  ayant  entendus,  les  dépêcha  à  l'instant  pour  qu'ils  fus- 
sent prier  leurs  capitaines  tlascaltèques  de  se  tenir  prêts,  en  cas  que 
nous  les  fissions  appeler.  D'autre  part,  il  reprit  la  conversation  avec 
les  papes  et  personnages  deCholula,  les  priant  de  ne  pas  avoir  peur  et 
de  ne  point  se  montrer  si  troublés  ;  qu'ils  se  rappelassent  l'obéissance 
qu'ils  avaient  jurée;  qu'ils  eussent  soin  de  n'y  pas  manquer,  de  crainte 
d'en  recevoir  châtiment  ;  que  déjà  il  leur  avait  annoncé  son  départ  pour 
le  lendemain;  qu'il  lui  fallait  deux  mille  hommes  de  guerre  de  cette 
ville  pour  marcher  avec  nous  comme  les  Tlascaltèques,  parce  qu'ils 
deviendraient  peut-être  nécessaires  en  route.  Les  Cholultèques  répon- 
dirent qu'ils  donneraient  aussi  bien  les  hommes  de  guerre  que  ceux 
destinés  aux  transports.  Ils  demandèrent  ensuite  la  permission  d'aller 
à  l'instant  les  préparer. 

Ils  partirent  fort  contents,  croyant  qu'avec  les  guerriers  qu'ils  devaient 
nous  donner  et  les  capitaineries  de  Montezuma  qui  étaient  cachées  dans 
les  ravins  nous  ne  pourrions  pas  échapper  et  que  nous  tomberions  morts 
ou  prisonniers  entre  leurs  mains,  vu  surtout  l'impossibilité  où  seraient 
nos  chevaux  de  courir.  Les  caciques  firent  d'ailleurs  circuler  l'avis,  parmi 
les  hommes  qui  constituaient  la  garnison,  déformer  comme  des  ruelles 
étroites  avec  des  palissades,  au  moyen  desquelles  il  leur  serait  facile 
de  nous  empêcher  de  passer.  Ils  firent  savoir  que  nous  devions  partir 
le  lendemain;  que  l'on  se  préparât  avec  soin  dans  l'espoir  que,  si 
nous  n'étions  pas  bien  sur  nos  gardes,  grâce  aux  deux  mille  hommes 
de  guerre  qui  allaient  être  fournis,  il  deviendrait  facile  aux  uns  et 
aux  autres  de  s'emparer  de  leur  proie  et  de  nous  garrotter;  qu'ils  eus- 
sent à  tenir  ces  choses  pour  certaines,  parce  que  leurs  idoles  de  la 
guerre,  auxquelles  ils  avaient  fait  des  sacrifices,  leur  promettaient  la 
victoire.  Arrêtons-nous  là  en  constatant  qu'ils  pensaient  réellement 


206  CONQUÊTE 

que  les  choses  se  passeraient  ainsi,  et  revenons  à  notre  capitaine 
Gortès,  qui  voulut  savoir  toutes  les  circonstances  de  la  conspiration  et 
ce  qui  se  passait  à  son  sujet. 

Il  pria  donc  doïîa  Marina,  qui  n'était  pas  timide,  d'aller  porter 
d'autres  pierreries  aux  deux  papes  auxquels  il  avait  parlé  d'abord,  et 
de  leur  adresser  des  paroles  affectueuses  pour  obtenir  qu'ils  vinssent 
avec  elle  se  présenter  à  Malinche.  Dona  Marina  y  fut  à  l'instant;  elle 
leur  parla  de  telle  manière,  —  comme  elle  le  savait  très-bien  faire 
d'ailleurs,  —  et  elle  leur  offrit  des  dons  avec  tant  de  grâce,  qu'ils  se 
résolurent  tout  de  suite  à  la  suivre.  Cortès  les  reçut  en  les  priant  de 
dire  la  vérité  en  tout  ce  qui  serait  à  leur  connaissance,  leur  faisant 
d'ailleurs  observer  qu'en  leur  qualité  de  principaux  ministres  des 
idoles,  le  mensonge  leur  devait  être  inconnu;  qu'au  surplus  ce  qu'ils 
nous  découvriraient  ne  serait  jamais  divulgué  par  aucun  moyen, 
puisque  nous  devions  partir  le  lendemain.  Son  dernier  argument  fut 
qu'il  leur  donnerait  une  grande  quantité  d'étoffes. 

Ils  répondirent  qu'en  réalité  Montezuma,  ayant  su  que  nous  de- 
vions aller  dans  sa  capitale,  s'était  mis  avec  eux  en  rapports  journa- 
liers à  ce  sujet,  mais  sans  déterminer  nettement  ce  qu'il  désirait  ; 
qu'un  jour  il  leur  faisait  ordonner  que,  si  nous  venions  à  Gholula, 
on  nous  y  rendît  tous  les  honneurs,  en  nous  guidant  vers  Mexico; 
qu'un  autre  jour  il  leur  mandait  qu'il  ne  voulait  plus  que  nous  fus- 
sions dans  sa  capitale;  et  qu'enfin  tout  récemment  ses  dieux  Tezca- 
tepuca  et  Huichilobos,  en  qui  il  avait  la  plus  grande  confiance,  lui 
avaient  conseillé  de  nous  faire  tous  tuer  à  Gholula  ou  d'obtenir  qu'on 
nous  y  garrottât  pour  nous  amener  vivants  à  Mexico.  Les  prêtres 
ajoutèrent  qu'il  avait  envoyé  la  veille  vingt  mille  hommes  de  guerre 
dont  la  moitié  se  trouvait  déjà  dans  la  ville,  tandis  que  les  autres  se 
cachaient  dans  des  ravins  à  peu  de  distance,  qu'on  avait  déjà  à  Mexico 
l'avis  de  notre  départ  pour  le  jour  suivant  ;  on  y  connaissait  aussi  les 
soins  qu'on  avait  pris,  à  Gholula,  d'élever  des  palissades,  non  moins 
que  la  promesse  de  nous  donner  deux  mille  Indiens.  Les  prêtres  di- 
rent enfin  qu'eux-mêmes,  d'après  les  conventions  faites,  devaient  re- 
cevoir vingt  de  nos  hommes  pour  les  sacrifier  aux  idoles  de  Gholula. 
En  apprenant  tous  ces  projets,  Cortès  leur  fit  donner  des  étoffes  très- 
bien  travaillées,  les  priant  de  ne  rien  dire,  car  s'ils  divulguaient  cette 
conversation  nous  les  punirions  de  mort  à  notre  retour  de  Mexico;  il 
dit  aussi  que  nous  voulions  partir  le  lendemain  de  bonne  heure;  qu'on 
fît  venir  tous  les  caciques  pour  qu'il  leur  parlât,  ainsi  qu'il  leur  en 
avait  déjà  témoigné  le  désir. 

Gortès  passa  la  nuit  à  prendre  nos  avis  sur  la  conduite  à  suivre. 
Car  il  n'ignorait  pas  qu'il  avait  à  ses  côtés  des  hommes  solides  et  <i< 
bon  conseil.  Ainsi  qu'il  arrive  d'ailleurs  en  pareil  cas,  les  uns  disaient 
qu'il   serait  convenable    de   faire  un  détour^   en  nous  en  allant  par 


DE  LA  NOUVELLE-ESPAGNE.  207 

Giiaxocingo;  d'autres  voulaient  qu'on  s'efforçât  de  conserver  la  paix 
parlons  les  moyens,  et  que  nous  revinssions  à  TJaseala.  Nous  lûmes 
quelques-uns  à  prétendre  que  si  nous  laissions  passer  ces  trames 
sans  châtiment,  on  en  ourdirait  de  pires  en  tous  lieux  où  nous  irions; 
que,  puisque  nous  étions  dans  cette  grande  ville  où  les  provisions  ne 
manquaient  pas,  nous  devrions  avertir  les  Tlascaltèques  de  venir  à 
notre  aide  et  attaquer  les  traîtres  dans  leur  capitale  même,  avec  l'es- 
poir qu'ils  nous  redouteraient  plus  dans  leurs  maisons  qu'en  rase 
campagne.  Ge  fut  enfin  à  ce  plan  que  tout  le  monde  s'arrêta. 

Il  fut  donc  résolu  que,  puisque  Gortès  leur  avait  déjà  annoncé  notre 
départ  pour  le  lendemain,  nous  feindrions  de  faire  nos  paquets, —  qui 
n'étaient  pas  lourds,  —  et  que,  dans  l'intérieur  même  des  vastes  places 
entourées  de  palissades  où  nous  avions  établi  notre  camp,  nous  tombe 
rions  à  l'improviste  sur  les  Indiens  guerriers,  qui  l'avaient  certes  bien 
mérité.  Eii attendant,  Gortès  crut  devoir  recourir  àla  dissimulation  vis- 
à-vis  des  ambassadeurs  de  Montezuma,  et  il  leur  dit  que  ces  maudits 
Gholultèques  avaient  voulu  nous  rendre  victimes  de  leur  trahison,  en 
en  faisant  faussement  peser  toute  la  responsabilité  sur  Montezuma  et 
sur  eux-mêmes,  à  titre  d'ambassadeurs  ;  que  nous  n'avions  nullement 
cru  à  l'existence  de  cet  accord;  qu'on  les  priait  de  rester  dans  le  lo- 
gement de  Gortès  et  de  ne  plus  avoir  de  communications  avec  les  gens 
de  la  ville,  afin  que  nous  ne  pussions  concevoir  aucun  soupçon  de  leur 
connivence,  et  qu'ainsi  ils  fussent  aptes  à  partir  avec  nous  pour 
Mexico  et  nous  servir  de  guides. 

Ils  répondirent  que  ni  eux  ni  leur  seigneur  Montezuma  ne  savaient 
absolument  rien  de  ce  que  nous  venions  de  dire.  Gela  n'empêcha  pas 
que,  malgré  leurs  protestations,  nous  les  fîmes  garder  à  vue,  pour 
qu'il  ne  leur  fût  point  possible  de  s'échapper  sans  notre  permission, 
et  qu'ainsi  Montezuma  ne  pût  apprendre  que  nous  connaissions  ses 
ordres  contre  nous. 

Nous  passâmes  la  nuit  sur  le  qui-vive,  bien  armés,  les  chevaux 
prêts,  ayant  de  bonnes  rondes  et  de  bons  veilleurs,  dans  la  pensée 
que  toutes  les  forces  des  Mexicains  et  des  Gholultôques  tomberaient 
sur  nous  cette  nuit  même.  Cependant  une  vieille  Indienne,  femme 
d'un  cacique,  bien  au  courant  de  la  trame  ourdie  contre  nous,  vint 
trouver  secrètement  dona  Marina.  Sa  jeunesse,  sa  beauté  et  ses  ri- 
ches parures  l'avaient  séduite;  l'Indienne  lui  conseilla  de  se  réfugier 
dans  sa  maison,  si  elle  tenait  à  la  vie,  attendu  que  trôs-certainemcnl 
on  devait  tous  nous  massacrer  cette  nuit  ou  le  lendemain;  l'ordre 
en  était  donné,  disait-elle,  par  le  grand  Montezuma  lui-même, 
et  il  était  convenu  que  les  habitants  de  cette  ville  se  réuniraient 
aux  Mexicains,  pour  qu'aucun  de  nous  n'eût  la  vie  sauve, 
ou  pour  qu'on  nous  emmenât  garrottés  à  Mexico.  La  vieille 
ajoutait    que,    sachant    tous   ces    secrets    et    pressée     par     un    re- 


208  CONQUÊTE 

mords  à  l'endroit  de  dona  Marina,  elle  venait  l'en  avertir,  afin  qu'elle 
prît  tout  son  avoir  et  se  réfugiât  chez  elle,  où  elle  avait  formé  le  des- 
sein de  la  marier  avec  un  de  ses  fils,  frère  du  jeune  homme  qui  l'ac- 
compagnait en  ce  moment.  A  peine  dona  Marina,  qui  était  fort  rusée, 
eut-elle  entendu  ce  discours,  qu'elle  s'écria  :  «  0  ma  mère,  combien 
je  vous  dois  de  reconnaissance  pour  ce  que  vous  me  dites  là!  Je  par- 
tirais dès  à  présent;  mais  je  n'ai  personne  qui  m'inspire  confiance 
pour  porter  mes  étoffes  et  mes  bijoux,  qui  sont  considérables.  Pour 
Dieu,  mère,  attendez  quelques  instants  avec  votre  fils;  nous  partirons 
cette  nuit  même  ;  mais  vous  voyez  qu'en  cet  instant  les  teules  veillent 
et  qu'ils  pourraient  nous  apercevoir.  » 

La  vieille  ajouta  foi  à  ces  paroles  et  continua  à  causer  avec  elle. 
Marina  lui  demanda  de  quelle  manière  on  devait  attenter  à  nos  vies, 
et  quand,  et  comment  on  en  avait  formé  le  plan.  La  vieille  dit  ni  plus 
ni  moins  tout  ce  que  les  papes  avaient  déjà  avoué.  «  Mais  comment, 
repartit  dona  Marina,  la  chose  étant  si  secrète,  avez-vous  pu  parvenir 
à  la  savoir?  »  Elle  répondit  qu'elle  avait  appris  le  complot  par  son 
mari,  capitaine  d'un  quartier  de  la  ville,  qui,  en  cette  qualité,  se 
trouvait  actuellement  avec  les  hommes  de  guerre,  donnant  des  ordres 
pour  qu'ils  fissent  leur  jonction  dans  les  ravins  avec  les  bataillons  de 
Montezuma;  qu'elle  croyait  du  reste  la  jonction  déjà  opérée  et  les 
hommes  attendant  notre  passage  pour  tomber  sur  nous  et  nous  mas- 
sacrer ;  qu'elle  avait  connaissance  de  cet  accord  depuis  trois  jours, 
parce  qu'un  tambour  en  or  avait  été  envoyé  de  Mexico  à  son  mari, 
en  même  temps  que  des  étoffes  riches  et  des  bijoux  pour  les  capitai- 
neries1 qui  devaient  être  chargées  de  nous  amener  prisonniers  à 
Montezuma.  Dona  Marina  sut  très-bien  dissimuler  ses  sentiments  en 
entendant  ces  révélations.  «  Oh  !  dit-elle,  combien  je  me  réjouis  en 
apprenant  que  votre  fils,  à  qui  vous  destinez  ma  main,  est  un  des 
principaux  personnages  du  lieu!...  Mais  nous  avons  parlé  trop  long- 
temps; je  ne  voudrais  pas  qu'on  nous  aperçût  :  aussi  vous  prierai-je, 
ma  mère,  de  m'attendre  en  cet  endroit;  je  commencerai  à  y  apporter 
ce  que  je  possède;  comme  je  ne  le  pourrais  faire  en  une  seule  fois, 
vous  vous  chargerez  de  tout  surveiller,  vous  et  votre  fils,  et  nous  par- 
tirons ensuite  tous  ensemble.  »  La  vieille  s'y  laissa  très-bien  prendre. 
En  compagnie  de  son  fils,  elle  s'assit  tranquillement  et  attendit,  tan- 
dis que  Marina  se  rendait  près  de  Gortès  et  lui  racontait  tout  ce  qui 
s'était  passé  avec  l'Indienne.  Notre  chef  la  fit  venir  à  l'instant  et  s'em- 
pressa de  l'interroger  sur  les  plans  de  la  conspiration.  Elle  dit  ni  plus 
ni  moins  ce  que  les  papes  avaient  déjà  révélé.  On  la  garda  à  vue, 
pour  qu'elle  ne  pût  disparaître. 

1.  Je  demande  la  permission  de  continuer  à  faire  usage  de  ce  mot  peu  français, 
dans  le  but  de  traduire  exactement  l'expression  capitania  par  laquelle  Bernai  Diaz 
désigne  l'ensemble  des  forces  confiées  à  un  chef  principal  qu'il  appelle  capitaine. 


DE   LA  NOUVELLE-ESPAGNE.  209 

Le  jour  se  leva;  il  fut  alors  fort  curieux  de  voir  les  éclats  de  rire, 
les  démonstrations  de  joie  des  caciques  et  des  papes,  courant  parmi 
les  Indiens  guerriers.  On  eût  dit  qu'ils  nous  tenaient  déjà  dans  leurs 
pièges  et  dans  leurs  filets.  Ils  nous  amenèrent,  du  reste,  encore  de 
nouveaux  Indiens,  de  ceux  que  nous  leur  avions  déjà  demandés  ;  ce 
fut  même  à  ce  point  qu'ils  ne  tenaient  plus  dans  notre  vaste  enceinte, 
qui  était  cependant  très-étendue,  ainsi  qu'on  peut  s'en  assurer  encore, 
car  on  Fa  conservée  telle  qu'elle  était  alors,  par  respect  pour  la  mé- 
moire de  cet  événement.  Les  Cholultèques  curent  beau  choisir  la  pre- 
mière heure  du  jour  pour  s'approcher  de  nous  avec  les  gens  de  guerre  ; 
nous  étions  déjà  prêts  pour  exécuter  nos  résolutions.  Nos  soldats, 
pourvus  d'épées  et  de  boucliers,  se  tenaient  postés  à  l'entrée  de  la 
grande  cour,  pour  ne  plus  laisser  sortir  aucun  Indien  armé.  Notre 
capitaine  était  à  cheval,  entouré  de  plusieurs  des  nôtres  qui  formaient 
sa  garde.  Quandil  vit  que  les  caciques  et  les  papes,  ainsi  que  les  gens  en 
armes,  se  présentaient  de  si  bonne  heure,  il  dit  :  «  Remarquez  l'envie 
que  ces  traîtres  ont  de  nous  voir  arriver  dans  les  ravins,  pour  se  ras- 
sasier de  nos  chairs  meurtries;  le  bon  Dieu  fera  mieux  les  choses, 
je  l'espère.  »  Il  demanda  où  étaient  les  papes  qui  avaient  découvert 
la  conspiration.  On  lui  répondit  qu'ils  se  trouvaient  près  de  la  porte 
de  la  cour,  priant  qu'on  les  laissât  entrer.  Cortès  donna  l'ordre  à  Aguilar 
de  leur  dire  qu'ils  retournassent  en  leurs  maisons,  et  qu'on  n'avait 
nul  besoin  d'eux  en  ce  moment.  Il  se  conduisit  ainsi  en  considération 
du  service  qu'ils  nous  avaient  rendu,  désirant  qu'ils  ne  fussent  pas 
compris  dans  le  massacre  sans  l'avoir  mérité. 

Notre  chef,  à  cheval,  avec  dona  Marina  à  ses  côtés,  demanda  alors 
aux  caciques  et  aux  papes  comment  il  se  faisait  qu'ils  eussent  voulu 
nous  massacrer  la  nuit  dernière  sans  que  nous  leur  eussions  causé 
aucun  mal;  que  pour  nous  attirer  ces  trahisons  nous  n'avions  pas  fait 
autre  chose  que  ce  qui  était  notre  coutume  dans  tous  les  endroits  où 
nous  passions  :  leur  recommander  de  ne  plus  être  de  méchantes  gens, 
de  ne  plus  sacrifier  des  hommes,  de  ne  pas  adorer  leurs  idoles,  de  ne 
point  manger  la  chjur  de  leurs  semblables,  de  ne  pas  avoir  de  vices 
honteux,  et  de  suivre  les  pratiques  d'une  bonne  vie.  Nous  leur  avions 
prêché  les  vérités  relatives  à  notre  sainte  foi,  sans  les  opprimer  en 
quoi  que  ce  fût  ;    pourquoi  donc   avaient-ils  préparé   récemment  de 
longs  pieux,  des  colliers  en  cuir,  une  grande  quantité  de  cordes,  re- 
misés dans  un  de  leurs  temples?  pourquoi,  dans  ces   trois   derniers 
jours,  élever  des  palissades  dans  les  rues,  creuser  des   tranchées,  et 
accumuler  des  provisions  de  guerre  sur  les  terrasses  de  leurs  maisons? 
pourquoi  aussi  faire  sortir  de  la  ville  leurs  enfants,  leurs  femmes  et 
leurs  biens?  Cortès  ajouta  qu'on  avait  déjà  pu  voir  leurs  mauvaises 
dispositions   et    leurs   intentions  traîtresses,  lorsqu'ils  refusaient  d«> 
nous  donner  à  manger  et  n'apportaient  que  de  l'eau  et  du  bois,  pré- 

14 


210  CONQUETE 

tendant  n'avoir  plus  de  maïs  ;  il  n'ignorait  pas  du  reste  qu'il  y  avait, 
non  loin  de  là,  dans  les  ravins,  plusieurs  bataillons  de  guerriers  nous 
attendant,  et  prêts  à  agir  en  traîtres  avec  les  autres  gens  de  guerre 
qui  s'étaient  joints  à  eux  cette  nuit  même,  dans  la  croyance  que  nous 
devions  passer  par  ce  chemin  pour  aller  à  Mexico  ;  eux,  en  retour  de 
notre  désir  de  les  avoir  pour  frères  et  de  leur  dire  ce  qui  plaît  à  notre 
Dieu  et  à  notre  Roi,  ils  voulaient  maintenant  nous  tuer  et  manger 
nos  chairs,  et  avaient  pris  soin  d'apprêter  les  grandes  jarres  qui  de- 
vaient nous  recevoir,  avec  l'assaisonnement  de  sel,  d'ail  et  de  tomates 
dont  ils  font  usage;  au  lieu  de  ces  horreurs,  ils  auraient  dû  nous 
attaquer  en  rase  campagne,  comme  des  hommes  de  valeur  et  de  bons 
guerriers,  ainsi  que  l'avaient  fait  leurs  voisins  les  Tlascaltèques.  No- 
tre général  leur  dit  aussi  qu'il  savait  à  n'en  pas  douter  tous  les  projets 
qu'on  avait  formés  dans  la  ville,  la  promesse  faite  à  leur  dieu  de  la 
guerre  de  lui  sacrifier  vingt  d'entre  nous,  de  même  que  trois  nuits 
auparavant  on  lui  avait  fait  le  sacrifice  de  sept  Indiens  pour  en  obte- 
nir la  victoire  contre  nos  armes  ;  que  ce  résultat  leur  avait  été  en  effet 
garanti  par  leur  fausse  divinité,  mais  que  cette  idole  n'avait  que  sa 
haine  et  nullement  un  pouvoir  réel  contre  nos  forces  ;  qu'enfin  toutes 
les  trames  et  les  mauvaises  actions  qu'ils  avaient  ourdies  retombe- 
raient sur  eux. 

Doua  Marina  était  chargée  de  leur  transmettre  ce  discours,  et  elle 
s'en  faisait  très-bien  comprendre.  Les  papes,  les  caciques  et  les  capi- 
taines répondirent  que  ce  qu'ils  venaient  d'entendre  était  la  vérité, 
mais  qu'ils  n'étaient  nullement  responsables  de  ce  dont  on  les  accu- 
sait, parce  que  l'ordre  leur  en  avait  été  donné  par  les  ambassadeurs, 
d'après  les  instructions  de  Montezuma  lui-même.  Cortès  leur  dit  alors 
que  les  lois  de  notre  pays  exigeaient  que  de  pareilles  trahisons  ne 
restassent  pas  sans  châtiment  et  que  le  crime  qu'ils  avaient  commis 
méritait  la  mort.  A  peine  avait-il  prononcé  ces  paroles,  qu'il  donna 
l'ordre  de  tirer  un  coup  d'escopette.  C'était  le  signal  convenu.  On 
tomba  donc  sur  eux  et  on  leur  donna  une  leçon  qui  ne  pourra  jamais 
s'oublier  dans  le  pays,  car  on  en  tua  un  grand  nombre,  et  d'autres 
furent  brûlés  vivants,  sans  que  les  promesses  de  leurs  faux  dieux 
pussent  leur  être  d'aucun  secours.  Nos  amis  les  Tlascaltèques,  que 
nous  avions  laissés  dans  la  campagne,  ne  tardèrent  pas  plus  de  deux 
heures  à  venir.  Ils  combattirent  vaillamment  dans  les  rues  occupées 
par  d'autres  capitaineries  ennemies  qui  devaient  nous  en  interdire 
l'accès.  Nos  alliés,  après  les  avoir  mises  en  déroute,  parcoururent  la 
ville  en  pillant  et  en  faisant  des  prisonniers,  sans  qu'il  nous  fût  pos- 
sible d'y  mettre  obstacle.  Les  jours  suivants,  arrivèrent  des  villages 
de  la  province  de  Tlascala  d'autres  bataillons  qui,  ayant  eu  déjà  des 
démêlés  avec  Gholula,  firent  le  plus  de  mal  possible  à  cette  ville. 
Témoins  de  ces  horreurs,  Cortès,  nos  capitaines  et  nous  tous,  nous 


DE  LÀ   NOUVELLE-ESPAGNE.  211 

prîmes  les  Cholultèques  en  pitié  et  nous  empêchâmes  les  Tlascal ti- 
ques de  continuer  à  les  maltraiter.  Notre  chef  donna  l'ordre  à  Pedro 
de  Alvarado  et  à  Ghristoval  de  Oli  de  lui  amener  tous  les  capitaines 
de  Tlascala  pour  qu'il  leur  parlât.  Ils  ne  tardèrent  pas  à  venir.  On 
leur  enjoignit  de  rallier  tout  leur  monde  et  de  se  retirer  dans  la  cam- 
pagne, chose  qu'ils  exécutèrent  sans  retard;  de  manière  qu'il  ne  resta 
avec  nous  que  les  Cempoaltèques. 

En  ce  moment  se  présentèrent  à  nous  certains  caciques  et  papes 
cholultèques  qui  habitaient  des  faubourgs  où  l'on  n'avait  pas  prêté 
la  main  à  la  trahison,  ou  du  moins  ils  le  prétendirent;  on  le  put 
croire,  du  reste,  car,  la  ville  étant  très-étendue,  ils  appartenaient  à 
un  quartier  qui  faisait,  pour  ainsi  dire,  bande  à  part.  Ils  prièrent 
Cortès  et  nous  tous  de  mettre  fin  à  la  colère  que  nous  avait  causée  la 
conjuration,  attendu  que  les  traîtres  avaient  payé  leur  crime  de  la  vie. 
Les  papes  nos  amis,  — ceux  qui  nous  avaient  découvert  le  secret  des 
conspirateurs,  —  ainsi  que  la  vieille  Indienne,  femme  d'un  capitaine, 
qui  avait  prétendu  à  être  la  belle-mère  de  doïia  Marina,  se  présentè- 
rent à  leur  tour,  et  tous  ensemble  demandèrent  à  Cortès  l'oubli  et  le 
pardon.  Notre  chef,  en  les  entendant,  se  montra  très-irrité.  Il  envoya 
quérir  les  ambassadeurs  de  Montczuma  qui  étaient  enfermés  dans 
nos  logements;  il  leur  dit  que  la  ville  avait  mérité  la  destruction  et 
la  mort  de  ses  habitants;  mais,  considérant  qu'ils  étaient  les  sujets 
de  Montezuma,  à  qui  nous  avions  voué  le  plus  grand  respect,  il  par- 
donnait à  tout  le  monde,  dans  l'espérance  qu'ils  seraient  meilleurs  à 
l'avenir;  au  surplus,  ajouta-t-il,  s'il  leur  arrivait  de  se  conduire 
comme  ils  venaient  de  faire,  ils  seraient  tous  massacrés.  Il  manda 
ensuite  les  caciques  de  Tlascala  cantonnés  dans  la  campagne,  pour 
leur  donner  l'ordre  de  mettre  en  liberté  les  hommes  et  les  femmes 
qu'ils  retenaient  captifs,  leur  disant  que  les  maux  qu'ils  avaient 
causés  devaient  suffire.  Quoi  qu'il  en  soit,  cette  restitution  n'était 
pas  de  leur  goût  :  ils  prétendaient  que  leurs  voisins  méritaient  pis 
encore,  à  cause  des  trahisons  dont  ils  s'étaient  toujours  rendus  cou- 
pables à  leur  égard.  Cependant,  par  respect  pour  l'ordre  de  Cortès 
ils  rendirent  beaucoup  de  monde;  mais,  malgré  tout,  ils  restèrent 
fort  riches  en  or,  en  étoffes,  en  coton,  en  sel  et  en  esclaves. 

Cortès  sut  retirer  des  événements  un  résultat  heureux,  car  il  obli- 
gea les  Tlascaltèques  à  devenir  les  alliés  de  Cholula.  Je  crois  même, 
d'après  ce  que  j'ai  vu  et  su  par  la  suite,  que  jamais  cette  alliance 
n'a  été  rompue  depuis  lors.  Au  surplus,  il  donna  l'ordre  aux  papes  et 
aux  caciques  cholultèques  de  repeupler  la  ville  et  d'ouvrir  de  nouveau 
les  marchés,  assurant  qu'on  ne  devait  avoir  aucune  crainte  et  qu'il 
ne  ferait  de  mal  à  personne.  Ils  répondirent  que  dans  le  délai  de  cinq 
jours  ils  ramèneraient  dans  la  ville  les  habitants  qui,  pour  la  plupart, 
s'étaient  enfuis  dans  les  bois  de  la  montagne,  et  ils  témoignèrent 


212  CONQUÊTE 

leur  embarras  au  sujet  de  la  nomination  d'an  nouveau  cacique,  at- 
tendu que  celui  qui  l'était  auparavant  avait  été  compris  dans  le  mas- 
sacre de  la  place  ;  mais  notre  chef  demanda  à  qui  l'emploi  devait  re- 
venir de  droit.  On  l'informa  que  c'était  à  un  frère  du  défunt.  C'est 
précisément  celui-là  que  Cortès  désigna  pour  gouverneur,  jusqu'à  ce 
qu'il  en  fût  autrement  ordonné. 

Lorsque  nous  vîmes  que  la  ville  était  repeuplée  et  la  sécurité  re- 
venue dans  tous  les  marchés,  Cortès  convoqua  une  réunion  de  tous 
les  papes,  de  tous  les  capitaines  et  des  principaux  personnages  de  la 
ville.  Là,  on  leur  expliqua  avec  clarté  les  vérités  relatives  à  notre 
sainte  foi,  et  comme  quoi  ils  devaient  abandonner  leurs  idoles,  ne 
plus  sacrifier,  ne  pas  manger  de  la  chair  humaine,  ne  point  se  voler 
les  uns  les  autres  et  mettre  fin  aux  turpitudes  qu'ils  commettaient 
entre  eux.  On  les  pria  de  considérer  que  leurs  idoles  les  trompaient, 
qu'elles  sont  pleines  de  méchanceté  et  ne  disent  que  des  mensonges, 
la  preuve  en  étant  que,  cinq  jours  auparavant,  elles  leur  avaient  pro- 
mis la  victoire,  lorsqu'on  leur  fit  le  sacrifice  de  sept  personnes;  que 
du  reste  tout  ce  que  ces  idoles  disent  aux  papes  et  à  eux  tous  est 
plein  de  malice.  On  les  priait  en  conséquence  de  les  détruire  et  de  les 
mettre  en  morceaux  sur-le-champ,  ajoutant  que  nous  offrions  de  le 
faire  nous-mêmes,  dans  le  cas  où  ils  s'y  refuseraient  personnelle- 
ment. Nous  les  suppliâmes  encore  de  blanchir  à  la  chaux  un  de  leurs 
oratoires,  où  nous  placerions  une  croix.  Ils  exécutèrent  sur-le-champ 
ce  qui  était  relatif  à  la  croix,  et  répondirent  qu'ils  s'occuperaient 
aussi  d'enlever  leurs  idoles.  Mais  on  eut  beau  le  leur  rappeler  à  di- 
verses reprises,  ils  différaient  toujours  de  le  faire.  Le  Père  de  la 
Merced  dit  alors  que  ce  serait  une  mesure  inopportune  que  de  leur 
enlever  leurs  idoles  avant  qu'ils  comprissent  mieux  les  choses,  et 
qu'on  pût  voir  ce  qui  résulterait  de  notre  entrée  à  Mexico;  que  le 
temps  nous  indiquerait  ce  que  nous  aurions  à  faire,  et  que,  pour  le 
moment,  il  fallait  se  contenter  des  sermons  qu'on  leur  avait  adressés 
et  de  l'érection  de  la  sainte  croix. 

J'abandonnerai  ce  sujet,  pour  dire  que  cette  ville  est  située  sur 
une  plaine  où  se  trouvaient  en  même  temps  beaucoup  de  villes  et 
villages  peu  éloignés,  comme  Tepeaca,  Tlascala,  Ghalco,  Tecama- 
chalco,  Gruaxocingo,  et  bien  d'autres,  si  nombreux  que  je  ne  pour- 
rais les  énumérer  ici.  Le  pays  produit  beaucoup  de  maïs,  de  légumes 
et  à'azi1.  On  y  voit  une  grande  abondance  de  magueys,  qui  servent 
à  faire  leur  vin  2.  On  y  fabrique  de  bonne  vaisselle  rouge,  de  couleur 

I.  Sorte  de  piment. 

'2.  Le  rnaguey,  mes  lecteurs  le  savent  sans  doute,  est  une  très -fraude  agave  dont  la 
hampe,  coupée  et  creusée  à  sa  base  au  moment  où  elle  commence  à  pousser,  produit 
pendant  un  très-grand  nombre  de  jours  un  suc  abondant  que  la  fermentation  trans- 
forme en  une  boisson  alcoolique  appelée  pulque. 


DE  LA   NOUVELLE-ESPAGNE.  213 

foncée,  et  blanche,  à  dessins  très-variés,  qui  se  vend  à  Mexico  el  dans 
toutes  les  provinces  environnantes,  comme  cela  se  voit,  en  Gastille, 
pour  Talavera  et  Palencia.  La  ville  comptait  alors  environ  cent  tours 
très-élevées  formant  les  temples  et  les  oratoires  où  se  trouvaient  les 
idoles.  Le  grand  temple  dépassait  même  en  élévation  celui  de  Mexico, 
quoique  ce  dernier  fût  déjà  très-haut  et  très-remarquable.  On  y 
voyait  encore  cent  préaux  disposés  pour  le  service  des  temples.  Nous 
apprîmes  qu'on  y  adorait  une  grande  idole,  dont  je  ne  me  rappelle 
pas  le  nom,  pour  laquelle  existait  une  telle  dévotion  qu'on  venait  de 
beaucoup  d'endroits  lui  faire  des  sacrifices  et  des  neuvaines,  y  ajou- 
tant l'offrande  de  différents  objets  qu'on  possédait.  Je  me  représente 
maintenant  le  moment  où  nous  entrâmes  dans  cette  ville;  la  vue  de 
tant  de  tours  blanchies  nous  lit  l'effet  de  Valladolid. 

Cessons  de  parler  de  la  cité  et  de  tout  ce  qui  nous  y  arriva,  pour 
porter  notre  attention  sur  les  bataillons  que  le  grand  Montezuma 
avait  envoyés  et  qui  se  trouvaient  près  de  la  ville  dans  les  ravins, 
derrière  leurs  parapets,  dans  leurs  ruelles,  disposées  pour  que  les 
chevaux  n'y  pussent  pas  pénétrer.  A  peine  eurent-ils  connaissance 
des  événements  qu'ils  reprirent  en  toute  hâte  la  route  de  Mexico,  où 
ils  firent  à  Montezuma  le  récit  de  ce  qui  était  arrivé.  Hommes  et 
choses  marchèrent  si  rapidement  que  nous  ne  tardâmes  pas  à  savoir, 
par  l'entremise  de  deux  personnages  qui  étaient  avec  nous  et  dont  le 
voyage  s'était  fait  rapidement,  que  lorsque  Montezuma  fut  instruit 
de  ce  qui  s'était  passé,  il  en  éprouva  de  l'irritation  et  une  grande 
douleur.  Il  fit  sacrifier  quelques  Indiens  à  Huichilobos,  qui  était  son 
dieu  de  la  guerre,  afin  d'en  obtenir  la  révélation  de  ce  qui  devait  arri- 
ver relativement  à  notre  voyage  à  Mexico,  et  de  s'éclairer  sur  la 
question  de  notre  entrée  dans  la  ville.  Nous  sûmes  même  qu'il  s'en- 
ferma pendant  deux  jours  dans  le  temple  avec  dix  des  principaux 
papes,  pour  y  faire  ses  dévotions  et  ses  sacrifices.  La  réponse  de  ces 
idoles,  qu'ils  honoraient  comme  leurs  dieux,  fut  qu'on  devait  en- 
voyer des  messagers  pour  les  disculper  des  événements  de  Gholula, 
et  prendre  la  résolution  pacifique  de  nous  laisser  entrer  à  Mexico, 
tout  en  conservant  l'espoir  que,  une  fois  dans  l'intérieur  de  la  ville, 
il  suffirait  de  nous  refuser  les  vivres  et  l'eau,  et  de  lever  quelques-uns 
des  ponts,  pour  assurer  notre  perte;  que  d'ailleurs,  si  on  voulait  se 
résoudre  à  nous  combattre,  en  une  seule  journée  pas  un  de  nous  ne 
resterait  vivant;  que  ce  serait  alors  qu'on  pourrait  nous  sacrifier  à 
Huichilobos,  auteur  de  ce  conseil,  ainsi  qu'à  Tezcatepuca,  le  dieu  de 
l'enfer,  et  se  rassasier  de  nos  membres,  en  réservant  les  intestins,  je 
tronc  et  tout  le  reste  pour  les  serpents  et  les  tigres  qu'on  entretenait 
dans  des  cages  de  bois,  comme  j'aurai  l'occasion  de  le  dire  en  son  lieu. 

Finissons-en  avec  ce  que  Montezuma  ressentit  à  cette  nouvelle,  et 
disons  comme  quoi  les  événements  de  Gholula  et  le  châtiment  qui 


214  CONQUÊTE 

les  suivit  furent  portés  à  la  connaissance  des  provinces  de  la  Nou- 
velle-Espagne. Or,  si  auparavant  nous  avions  eu  la  réputation 
d'hommes  valeureux  et  si  l'on  nous  appelait  teules  à  la  suite  de  ce 
qu'on  avait  su  des  guerres  de  Potonchan,  de  Tabasco,  de  Gingapa- 
cinga  et  de  Tlascala,  à  l'avenir  on  nous  respecta  comme  devins,  et 
l'on  disait  qu'il  était  impossible  de  nous  cacher  aucune  méchan- 
ceté ourdie  contre  nous;  que  tout  arrivait  à  notre  connaissance;  et 
c'est  pour  cela  qu'ils  témoignaient  de  leur  bon  vouloir  vis-à-vis  de 
nous. 

Je  crois  bien  que  les  curieux  lecteurs  seront  fatigués  d'entendre  ce 
récit  de  Gholula  et  je  voudrais  bien  moi-même  avoir  fini  de  l'écrire  ; 
mais  je  ne  saurais  m'empêcher  de  faire  mémoire  de  certaines  cages 
en  gros  madriers  que  nous  y  trouvâmes.  Elles  étaient  pleines  d'In- 
diens et  d'enfants  mis  à  l'engrais  pour  qu'on  se  repût  de  leur  chair, 
après  qu'ils  auraient  été  sacrifiés.  Nous  mîmes  ces  cages  en  morceaux 
et  Gortès  renvoya  les  prisonniers  aux  lieux  où  ils  étaient  nés.  Il 
donna  l'ordre,  accompagné  de  menaces,  aux  capitaines  et  aux  papes 
de  ne  pas  enfermer  d'Indiens  de  la  sorte  et  de  ne  point  manger  de 
chair  humaine.  Ils  s'empressèrent  de  le  promettre;  mais  à  quoi  cela 
servait-il,  puisqu'ils  ne  faisaient  jamais  ce  qu'ils  avaient  promis?  Nous 
passerons  outre,  pour  dire  que  telles  furent  ces  grandes  cruautés 
écrites  et  répétées  à  satiété  par  monseigneur  l'évêque  de  Ghiapa, 
Bartolomé  de  Las  Casas,  qui  affirme  que,  sans  motif  aucun,  et  seule- 
ment par  caprice  et  pour  notre  passe-temps,  nous  avions  infligé  ce 
grand  châtiment  à  Gholula. 

Je  veux  rappeler  aussi  que  quelques  bons  religieux  franciscains, 
les  premiers  que  Sa  Majesté  envoya  dans  la  Nouvelle-Espagne,  fu- 
rent à  Gholula  après  la  prise  de  Mexico,  que  je  raconterai  bientôt. 
Leur  but  était  d'ouvrir  une  enquête  pour  arriver  à  savoir  comment 
s'était  exercée  notre  vengeance  et  quel  en  avait  été  le  vrai  motif.  Ces 
recherches  se  firent  au  moyen  des  papes  et  des  anciens  de  la  ville.  Or, 
d'après  leurs  propres  dépositions,  les  religieux  constatèrent  que  l'évé- 
nement s'était  passé,  ni  plus  ni  moins,  comme  je  viens  de  l'écrire. 
On  en  put  conclure  que,  si  ce  châtiment  n'avait  pas  été  appliqué,  nos 
vies  eussent  couru  le  plus  grand  danger  au  milieu  de  ces  bataillons 
de  guerriers  mexicains  et  de  naturels  de  Gholula,  qui  étaient  là  réunis 
à  l'abri  de  leurs  palissades  et  pourvus  d'une  grande  quantité  de 
moyens  d'attaque.  Si,  pour  notre  malheur,  on  nous  eût  massacrés  en 
ce  moment,  la  Nouvelle-Espagne  n'aurait  pas  été  si  vite  conquise. 
Peut-être  une  autre  flotte  ne  se  serait-elle  pas  hasardée  à  venir,  ou, 
fût-elle  venue,  les  difficultés  auraient  été  des  plus  grandes,  parce  que 
les  habitants  eussent  mieux  défendu  leurs  ports,  et,  pour  résultat 
final,  ils  seraient  restés  idolâtres.  J'ai  entendu  dire  par  un  Frère  fran- 
ciscain, de  conduite  irréprochable,  appelé   fray  Torribio  Motclmea, 


DE   LA  NOUVELLE-ESPAGNE.  215 

que  si  cette  vengeance  eût  pu  s'éviter  et  que  les  Gholultèques  n'y 
eussent  pas  donné  lieu  par  leur  conspiration,  cela  eût  mieux  valu 
pour  la  morale;  mais  puisque  l'événement  avait  été  inévitable,  il 
fallait  le  considérer  comme  louable,  en  ce  sens  que  les  Indiens  de 
toutes  les  provinces  de  la  Nouvelle-Espagne  y  purent  voir  que  ces 
idoles,  et  n'importe  quelles  autres,  sont  trompeuses  et  de  méchante 
nature.  Il  en  dut  résulter  qu'en  voyant  tout  se  passer  au  rebours  de 
leurs  promesses,  les  Indiens  abandonnassent  leur  dévotion  pour  ces 
divinités.  La  vérité  est  que  désormais  on  cessa  de  faire  des  sacrifices  à 
Gholula  et  qu'on  n'y  vint  plus  en  grande  foule  comme  on  en  avait 
auparavant  l'habitude.  Cette  fameuse  idole  ne  reçut  plus  les  mêmes 
soins;  on  l'enleva  même  du  principal  temple  où  elle  se  trouvait. 
Qu'on  la  cachât  ou  qu'on  la  brisât,  Je  fait  est  qu'on  ne  la  vit  plus  et 
qu'on  la  remplaça  par  une  autre.  Mais  abandonnons  ce  sujet,  pour 
dire  ce  qui  nous  advint  par  la  suite. 


CHAPITRE  LXXXIV 

Dos  messagers  et  des  propositions  que  nous  envoyâmes  au  grand  Monlezuma. 

Il  y  avait  déjà  quatorze  jours  que  nous  étions  à  Cholula.  Nous  n'a- 
vions plus  rien  à  y  faire  ;  car  la  ville  était  repeuplée,  les  marchés  ou- 
verts, la  paix  établie  entre  les  habitants  de  Cholula  et  les  Tlascaltè- 
ques;  nous  avions  élevé  une  croix  et  prêché  les  vérités  relatives  à 
notre  sainte  foi.  D'un  autre  côté,  le  grand  Montezuma  nous  envoyait 
des  espions  pour  découvrir  quels  étaient  nos  projets  et  s'assurer  si 
nous  avions  l'intention  de  marcher  en  avant  jusqu'à  sa  capitale, 
toutes  choses  qu'il  arrivait  à  savoir  parfaitement  au  moyen  de  deux 
ambassadeurs  qui  étaient  toujours  en  notre  compagnie.  Notre  chef 
voulut  alors  consulter  certains  de  nos  capitaines  et  quelques  soldats 
qu'il  savait  animés  de  bons  sentiments  à  son  égard.  N'ignorant  pas 
d'ailleurs  qu'indépendamment  de  leur  valeur  incontestable  ils  étaient 
hommes  de  bon  conseil,  Cortès  n'entreprenait  rien  avant  d'avoir  pris 
leur  avis.  Nous  convînmes  qu'on  emploierait  les  termes  les  plus  af- 
fectueux pour  envoyer  dire  au  grand  Montezuma  que  nous  avions 
traversé  bien  des  mers,  venant  de  pays  lointains,  afin  d'exécuter  les 
desseins  qui  poussaient  notre  seigneur  et  Roi  à  nous  envoyer  dans 
ces  contrées,  desseins  qui  avaient  surtout  pour  mobile  la  pensée  de  le 
voir  et  de  lui  dire  des  choses  dont  la  connaissance  ne  pouvait  man- 
quer de  lui  être  utile;  que  nous  étions  en  route  pour  sa  capitale  en 
passant  par  Gholula  que  ses  propres  ambassadeurs  nous  avaient  dé- 
signée comme  étant  peuplée  par  ses  vassaux  ;  que,  les  deux  premiers 


216  CONQUETE 

jours  que  nous  y  passâmes,  nous  y  fûmes  très-bien  traités,  tandis 
que  l'on  avait  ourdi  une  conspiration  dans  ie  but  de  nous  massacrer 
le  troisième  jour;  mais  que  nous  sommes  des  hommes  de  telle  trempe 
que  l'on  ne  peut  méditer  contre  nous,  ni  tramer  de  trahison  ou  de 
méchanceté  d'aucune  sorte,  sans  que  nous  le  sachions  à  l'instant,  et 
que  cette  clairvoyance  nous  avait  mis  en  mesure  de  châtier  quelques- 
uns  de  ceux  qui  nous  voulaient  trahir.  Nos  envoyés  devaient  ajouter 
que  la  pensée  d'avoir  affaire  à  des  sujets  du  grand  Montezuma,  le 
respect  et  l'amitié  que  nous  avions  pour  sa  personne  avaient  poussé 
Gortès  à  épargner  beaucoup  des  conspirateurs  ;  que  d'ailleurs  — 
c'était  le  pire  —  les  papes  et  les  caciques  affirmaient  que  leur  con- 
duite avait  été  guidée  par  les  propres  conseils  de  Montezuma  et  par 
les  avis  de  ses  ambassadeurs  ;  mais  que  jamais  nous  n'avions  voulu 
croire  qu'un  grand  seigneur  comme  lui  pût  donner  de  pareils  ordres, 
surtout  après  s'être  vanté  d'une  sincère  amitié  pour  nous  ;  au  sur- 
plus, ce  que  nous  connaissions  de  sa  haute  personne  nous  portait  à 
penser  que  si  ses  idoles  lui  eussent  inspiré  la  mauvaise  idée  de  nous 
faire  la  guerre,  il  nous  eût  attaqués  ouvertement  ;  mais  en  réalité 
peu  nous  importait  qu'il  nous  attaquât  en  rase  campagne  ou  dans  la 
ville,  de  jour  ou  de  nuit,  étant  bien  assurés  que  quiconque  oserait 
l'essayer  ne  pouvait  manquer  d'être  détruit.  Gortès  lui  faisait  dire 
encore  que,  malgré  tout,  il  le  tenait  pour  un  allié  et  grand  ami  ;  qu'il 
désirait  le  voir,  lui  parler,  et  que,  en  conséquence,  nous  partions 
pour  sa  capitale,  dans  le  but  de  lui  rendre  compte  de  ce  que  notre 
seigneur  et  Roi  nous  avait  commandé. 

Lorsque  Montezuma  entendit  ce  message  et  comprit  que  nous  ne 
faisions  pas  peser  sur  lui  la  faute  des  événements  de  Gholula,  il 
recommença,  nous  assura-t-on,  ses  jeûnes  et  ses  sacrifices  avec  ses 
papes  et  ses  idoles,  afin  qu'on  vérifiât  de  nouveau  s'il  devait,  oui  ou 
non,  nous  laisser  entrer  dans  la  ville,  désirant  savoir  si  le  conseil 
qu'on  lui  donnerait  serait  conforme  au  premier  qu'il  avait  reçu.  La 
réponse  des  idoles  fut,  comme  la  précédente,  qu'on  nous  laissât 
entrer,  et  qu'ensuite,  une  fois  enfermés,  on  nous  massacrerait  quand 
on  voudrait.  Les  capitaines  et  les  papes  de  Montezuma  lui  dirent 
encore  que,  s'il  empêchait  notre  entrée,  nous  attaquerions  les  villages 
qui  lui  étaient  assujettis,  avec  l'aide  de  nos  alliés  les  Tlascaltèques, 
des  Totonaquies  de  la  sierra  et  d'autres  peuplades  entrées  dans  notre 
alliance;  que,  pour  éviter  ces  malheurs,  le  meilleur  avis  et  le  plus 
salutaire  était  celui  que  Huichilobos  venait  de  donner. 

Ne  parlons  plus  des  projets  de  Montezuma,  mais  disons  ce  qu'il  fit 
et  comme  quoi  nous  résolûmes  de  marcher  sur  Mexico.  Disons  aussi 
qu'au  moment  où  nous  allions  partir,  arrivèrent  des  messagers  de 
Montezuma  avec  un  présent;  et  rapportons  ce  qu'il  nous  faisait 
savoir. 


DE  LA   NOUVELLE-ESPAGNE.  "217 


CHAPITRE  LXXXV 

Comme  quoi  Montezuma  envoya  un  grand  présent  en  or  ;  de  ce  qu'il  nous  faisait  dire  ; 
comment  nous  convînmes  d'aller  à  Mexico,  et  de  ce  qui  advint  ensuite. 

Le  grand  Montezuma  avait  donc  encore  une  fois  demandé  l'avis  de 
son  Huichilobos,  de  ses  papes  et  de  ses  capitaines,  et  tous  lui  avaient 
conseillé  de  nous  laisser  entrer  dans  la  ville,  où  l'on  pourrait  nous 
tuer  impunément.  Il  s'était  d'ailleurs  bien  pénétré  des  paroles  que 
nous  lui  fîmes  dire  au  sujet  de  nos  désirs  d'amitié:  il  avait  pu  en 
même  temps  porter  son  attention  sur  la  bravade  qui  nous  dépeignait 
comme  des  hommes  pour  qui  aucune  trahison  ne  peut  rester  secrète 
et  contre  lesquels  aucune  trame  ne  saurait  s'ourdir  sans  qu'ils  la 
découvrent;  et,  en  ce  qui  regarde  la  guerre,  que  peu  nous  importait 
qu'on  nous  attaquât  dans  la  ville  ou  en  rase  campagne,  de  jour  ou  de 
nuit,  ou  de  toute  autre  façon;  comme  d'ailleurs  il  avait  appris  nos 
batailles  de  Tlascala,  de  Potonchan,  de  Tabasco,  de  Gingapacinga  et 
maintenant  les  événements  de  Gholula,  il  était  stupéfait  et  plein 
d'effroi.  Après  plusieurs  débats  en  conseil,  il  se  décida  à  nous 
envoyer  six  personnages  avec  un  présent  en  or  et  en  bijoux  diverse- 
ment travaillés,  d'une  valeur,  à  première  vue,  d'environ  mille  piastres. 
11  y  joignait  un  certain,  nombre  de  charges  d'étoffes  fort  riches  et 
très-bien  travaillées.  Lorsque  ces  personnages  arrivèrent  devant 
Cortès  avec  leur  offrande,  ils  prirent  de  la  terre  avec  leurs  mains  et 
la  baisèrent,  et,  du  ton  le  plus  respectueux,  dont  ils  ont  l'habitude,  ils 
dirent  :  «  Malinche,  notre  seigneur  le  grand  Montezuma  vous  envoie 
ce  présent,  à  toi  et  à  tous  tes  frères,  te  priant  de  le  recevoir  avec  les 
sentiments  qu'il  ressent  lui-même  en  te  l'adressant.  »  Ils  ajoutèrent 
que  leur  maître  regrettait  les  ennuis  causés  par  les  habitants  de  Gho- 
lula; qu'il  désirait  qu'on  les  châtiât  plus  encore  en  leurs  personnes; 
qu'ils  étaient  méchants  et  menteurs,  ayant  essayé  de  faire  retomber 
sur  lui  et  sur  ses  ambassadeurs  la  faute  de  toutes  les  perversités  dont 
ils  voulaient  se  rendre  coupables;  il  nous  invitait  à  le  tenir  pour 
notre  ami,  disant  que  du  reste  nous  viendrions  à  sa  capitale  quand 
cela  nous  ferait  plaisir  ;  qu'il  se  proposait  de  nous  y  rendre  les  plus 
grands  honneurs  comme  à  des  hommes  valeureux  et  aux  messagers 
d'un  si  grand  Roi  ;  que  sans  doute  il  n'avait  pas  de  quoi  nous  appro- 
visionner, parce  qu'il  n'y  avait  dans  la  ville  que  ce  qui  y  était  trans- 
porté, vu  qu'elle  est  située  complètement  dans  la  lagune;  qu'il  ne 
pourrait,  par  conséquent,  faire  parfaitement  les  choses,  mais  qu'il 
s'efforcerait  de  nous  honorer  le  mieux  possible  ;  qu'au  surplus  il  avait 
déjà  envoyé  des  ordres  pour   qu'on  nous  donnât  le  nécessaire  dans 


218  CONQUÊTE 

tous  les  villages  où  nous  devions  passer.  On  ajouta  verbalement 
beaucoup  d'autres  compliments  à  notre  adresse.  Gortès,  ayant  tout 
compris,  au  moyen  de  nos  interprètes,  reçut  cet  envoi  avec  des 
démonstrations  affectueuses.  Il  embrassa  les  messagers  et  leur  fit 
donner  des  torsades  en  verroteries.  Tous  nos  capitaines  et  soldats  se 
réjouirent  de  ces  bonnes  nouvelles  et  de  l'autorisation  donnée  d'aller 
à  la  capitale,  car  la  plupart  d'entre  nous  le  désiraient  chaque  jour 
davantage,  surtout  nous  autres  qui  n'avions  laissé  aucun  bien  dans 
l'île  de  Cuba  et  qui  étions  déjà  venus  deux  fois  avant  Gortès  à  la 
découverte  de  ce  pays. 

Quoi  qu'il  en  soit,  nous  devons  dire  que  notre  capitaine  leur  fit 
une  réponse  très- amicale.  Il  voulut  que  trois  des  messagers  qui 
avaient  apporté  le  présent  restassent  avec  nous  pour  servir  de  guides  ; 
les  trois  autres  devaient  porter  sa  réponse  à  leur  maître  avec  la  nou- 
velle que  nous  étions  en  route.  Lorsque  notre  départ  fut  connu  des 
grands  caciques  de  Tlascala,  Maceescaci  et  Xicotenga  l'aveugle,  ils 
en  éprouvèrent  un  vif  regret  et  envoyèrent  dire  à  Gortès  qu'ils 
l'avaient  déjà  prié  plusieurs  fois  de  bien  réfléchir  à  ce  qu'il  faisait  et 
de  ne  pas  entrer  dans  cette  grande  cité  où  il  y  avait  tant  de  guerriers 
et  tant  d'éléments  de  résistance.  Ils  ajoutaient  qu'un  jour  ou  l'autre 
on  nous  y  ferait  la  guerre  ;  qu'ils  craignaient  que  nous  ne  pussions 
en  échapper  vivants,  et  que  par  conséquent  ils  voulaient  nous  donner 
le  secours  de  dix  mille  hommes  bien  commandés,  destinés  à  marcher 
avec  nous,  pourvus  de  tous  les  approvisionnements  pour  la  route. 
Gortès  les  remercia  pour  leur  bon  vouloir,  mais  il  leur  dit  qu'il 
n'était  pas  raisonnable  d'entrer  à  Mexico  avec  une  si  grande  quantité 
d'hommes  armés,  en  considérant  surtout  que  Tlascaltèques  et  Mexi- 
cains étaient  ennemis  les  uns  des  autres;  que  mille  hommes  suffi- 
raient pour  traîner  les  canons,  porter  le  bagage  et  réparer  les  che- 
mins. Ils  envoyèrent  immédiatement  les  mille  Indiens,  très-bien 
équipés. 

Nous  étions  déjà  prêts  à  marcher,  lorsque  s'approchèrent  de  Gortès 
les  caciques  et  tous  les  personnages  de  Gempoal  qui  étaient  avec 
nous  et  nous  avaient  servis  loyalement.  Ils  dirent  qu'ils  voulaient 
retourner  à  Gempoal,  sans  dépasser  Gholula  et  sans  entreprendre  la 
route  de  Mexico,  parce  qu'ils  tenaient  pour  certain  qu'ils  y  perdraient 
la  vie  avec  nous  tous.  Ils  prétendaient  que  Montezuma  les  condamne- 
rait à  mourir,  attendu  qu'ils  étaient  des  plus  notables  parmi  les  per- 
sonnages de  Gempoal,  et  qu'ils  avaient  été,  en  cette  qualité,  les  pre- 
miers à  refuser  l'obéissance  et  les  tributs  à  Mexico,  mettant  du  reste 
en  prison  les  percepteurs,  lors  de  la  rébellion  dont  j'ai  déjà  fait  le 
récit.  Gortès,  voyant  qu'ils  demandaient  si  résolument  cette  autorisa- 
tion, leur  répondit,  au  moyen  de  doua  Marina  et  d'Àguilar,  qu'ils  ne 
devaient    craindre  de   recevoir  aucune   injure,  puisqu'en  les  voyant 


DE  LA  NOUVELLE-ESPAGNE.  219 

on  notre  compagnie,  personne  n'oserait  maltraiter  en  quoi  que  ce  fût 
ni  eux,  ni  nous-mêmes.  Il  les  pria  de  changer  de  résolution  et  devenir 
avec  nous,  leur  promettant  qu'il  les  comblerait  de  richesses.  Mais 
Cortès  eut  beau  prier  ;  ni  ses  prières,  ni  le  ton  affectueux  de  doua 
Marina  ne  purent  les  résoudre  à  rester;  ils  persistèrent  à  vouloir 
partir.  Gortès  dit  alors  :  «  A  Dieu  ne  plaise  que  nous  employions  la 
force  pour  emmener  ces  Indiens  qui  nous  ont  si  bien  servis  !  »  Il  fit 
apporter  plusieurs  charges  de  riches  étoffes,  les  distribua  entre  eux 
tous  et  envoya  deux  charges  de  ces  mêmes  objets  au  cacique  gros, 
notre  allié,  et  à  son  cousin  Guesco,  cacique  aussi  de  grande  impor- 
tance. Gortès  écrivit  en  même  temps  au  lieutenant  Juan  de  Escalante, 
qui  était  resté  au  port  comme  capitaine  avec  la  qualité  d'alguazil 
mayor.  Il  lui  disait  tout  ce  qui  nous  était  arrivé  ;  comme  quoi  nous 
allions  à  Mexico  ;  qu'il  prît  bien  soin  de  tous  les  habitants  ;  qu'il  fût 
nuit  et  jour  en  alerte;  qu'il  achevât  la  forteresse;  qu'il  protégeât  les 
naturels  des  villages  environnants  contre  les  Mexicains,  et  que  ni 
lui  ni  les  soldats  ne  leur  fissent  jamais  aucun  mal. 

Les  lettres    étant   écrites    et   nos   amis   de  Gempoal   partis,  nous 
commençâmes  notre  voyage  en  nous  tenant  bien  sur  nos  gardes. 


CHAPITRE  LXXXVI 

Comme  quoi  nous  commençâmes  à  marcher  vers  la  ville  de  Mexico;  de  ce  qui  arriva 
en  route5  et  de  ce  que  Montezuma  nous  lit  dire. 

Nous  partîmes  de  Gholula  dans  le  meilleur  ordre,  comme  nous  en 
avions  l'habitude  ;  nos  éclaireurs  découvraient  le  pays  au-devant  de 
nous,  emmenant  avec  eux  des  pionniers,  afin  que,  si  l'on  rencontrait 
un  mauvais  pas  et  des  embarras  sur  la  route,  on  pût  s'aider  les  uns 
les  autres;  nos  canons,  nos  escopettes  et  nos  arbalètes  étaient  en 
bon  état;  nos  cavaliers  marchaient  .de  trois  en  trois  pour  être  en 
mesure  de  se  venir  en  aide,  et  tous  nos  autres  soldats  avançaient  dans 
le  plus  grand  ordre.  Je  ne  sais  pourquoi  je  fais  mémoire  de  tout  cela; 
mais  cependant,  puisqu'il  est  question  de  choses  de  guerre,  il  est 
naturel  que  je  donne  tous  ces  détails,  pour  qu'on  voie  à  quel  point 
nous  avions  l'œil  au  guet.  Nous  arrivâmes  ce  jour-là  à  de  petits  éta- 
blissements situés  à  quatre  lieues  de  Gholula,  sur  un  monticule,  appar- 
tenant à  Gruaxocingo,  et  nommés,  je  crois,  ferme  d'Iscalpan.  Là  nous 
reçûmes  la  visite  des  caciques  et  papes  des  villages  de  Gruaxocingo, 
amis  et  confédérés  des  Tlascaltèques.  Vinrent  aussi  d'autres  habitants 
des  villages  bâtis  sur  le  versant  du  grand  volcan  et  situés  non  loin 
des  précédents.  Ils  apportaient  beaucoup  de  provisions  et  un  présent 


220  CONQUETE 

en  bijoux  d'or,  de  valeur  minime,  priant  Gortès  de  ne  pas  considérer 
son  peu  de  mérite,  mais  uniquement  le  bon  vouloir  qui  l'accompa- 
gnait. Ils  lui  conseillèrent  de  ne  pas  aller  à  Mexico,  ville  bien  forti- 
fiée, pleine  de  guerriers,  dans  laquelle  nous  courrions  les  plus  grands 
risques  ;  mais,  puisque  nous  étions  résolus  à  y  aller,  nous  devions 
du  moins  savoir  qu'après  avoir  franchi  ce  passage  nous  trouverions 
deux  chemins  très-larges,  l'un  allant  à  la  ville  de  Ghalco,  l'autre  à 
Talmanalco,  deux  points  importants  dépendant  de  Mexico  ;  que  l'un 
de  ces  chemins  était  resté  ouvert  et  sans  obstacles  comme  pour  nous 
inviter  à  y  passer,  mais  que  l'autre  avait  été  barré  par  un  grand  nom- 
bre d'arbres  et  de  longs  sapins,  afin  d'empêcher  le  passage  des  che- 
vaux et  notre  marche  en  avant;  que,  du  reste,  plus  bas  sur  le  versant 
de  la  sierra,  dans  le  chemin  qui  était  libre  et  que  les  Mexicains  espé- 
raient nous  voir  prendre,  on  avait  pratiqué  une  tranchée  où  se  trou- 
vaient des  palissades  et  des  retranchements,  et  que  là  devaient  se 
tenir  plusieurs  bataillons  en  embuscade  pour  nous  massacrer;  ils 
nous  conseillaient  par  conséquent  de  ne  pas  avancer  par  le  chemin 
ouvert,  mais  bien  par  celui  qui  était  barré  par  des  arbres,  parce  qu'on 
allait  nous  donner  beaucoup  de  monde,  afin  que,  réunis  aux  Tlascal- 
tèques  qui  étaient  avec  nous,  ils  pussent  enlever  les  arbres  accumulés 
sur  le  chemin  de  Talmanalco.  Gortès  reçut  le  présent  d'un  ton  affec- 
tueux, disant  qu'il  les  remerciait  de  l'avis  qui  lui  était  donné,  et 
qu'avec  l'aide  de  Dieu  il  poursuivrait  sa  route  dans  la  direction  que 
l'on  venait  de  lui  conseiller. 

Le  lendemain,  de  bonne  heure,  nous  nous  mîmes  en  marche,  et  il 
était  près  de  midi  lorsque  nous  arivâmes  au  haut  de  la  sierra,  où 
nous  trouvâmes  en  effet  les  deux  chemins,  comme  les  gens  de  Guaxo- 
cingo  nous  en  avaient  prévenus.  Nous  fîmes  halte  un  moment  et 
nous  restâmes  dans  un  bien  juste  recueillement  en  pensant  aux  Mexi- 
cains qui  nous  attendaient  dans  les  tranchées  et  derrière  les  palissades 
dont  on  venait  de  nous  entretenir.  Gortès  envoya  chercher  les  ambassa- 
deurs du  grand  Montezuma,  qui  marchaient  en  notre  compagnie;  il 
leur  demanda  comment  il  se  faisait  que  ces  deux  chemins  fussent  ainsi 
disposés  :  l'un  très-ouvert  et  libre  d'obstacles,  l'autre  rempli  d'arbres 
coupés  tout  récemment.  Ils  répondirent  que  c'était  pour  que  nous 
prissions  le  plus  libre  des  deux,  qui  menait  aune  ville  appelée  Ghalco, 
appartenant  à  leur  seigneur  Montezuma,  où  tout  était  disposé  pour 
nous  bien  recevoir;  que  l'autre  chemin,  on  l'avait  barré  et  rempli  ainsi 
d'arbres,  pour  nous  indiquer  qu'il  n'y  fallait  point  passer,  vu  qu'il  y 
avait  de  fort  mauvais  pas,  qu'il  allait  à  Mexico  par  un  détour  et 
aboutissait  à  une  ville  moins  importante  que  Ghalco.  Gortès  dit  alors 
qu'il  choisissait  le  chemin  barré.  Nous  commençâmes  à  gravir  la 
sierra  en  bon  ordre;  au  prix  des  plus  grandes  difficultés,  partout  où 
nous  devions  passer,  nos  alliés  écartaient  les  plus  gros  troncs  d'ar- 


DE  LA   NOUVELLE-ESPAGNE.  221 

bres,  dont  on  pourrait  encore  voir  les  restes  aujourd'hui,  sur  les 
bords  du  chemin.  Quand  nous  arrivâmes  au  haut  de  la  montée,  il 
commença  à  tomber  de  la  neige  qui  couvrit  le  sol  autour  de  nous. 
Ayant  entrepris  notre  descente,  nous  fûmes  passer  la  nuit  dans  une 
réunion  de  maisonnettes  formant  des  logements  où  les  Indiens  mar- 
chands avaient  coutume  de  s'héberger.  Nous  y  trouvâmes  de  quoi 
souper  convenablement,  mais  nous  y  ressentîmes  un  froid  très-vif.  On 
plaça  des  sentinelles,  on  organisa  des  rondes  et  on  lança  des  éclai- 
re urs. 

Le  lendemain  nous  reprîmes  notre  marche  et  nous  arrivâmes,  vers 
l'heure  de  la  grand'messe,  à  la  ville  que  j'ai  déjà  dite  s'appeler  Tal- 
manalco.  On  nous  y  reçut  très-bien,  et  les  vivres  ne  firent  pas  défaut. 
La  nouvelle  de  notre  arrivée  se  répandit  immédiatement  dans  la 
contrée  ;  les  habitants  de  Ghalco  et  ceux  d'Amecameca  se  réunirent 
aux  gens  de  Talmanalco;  vinrent  aussi  les  habitants  d'Acingo,  petit 
port  où  se  tiennent  les  bateliers  du  lac.  La  foule  s'augmenta  encore 
par  l'affluence  d'autres  villages  dont  je  ne  me  rappelle  pas  les  noms. 
Tous  ensemble  nous  offrirent  un  présent  en  or,  deux  charges  d'étoffes 
et  huit  Indiennes  (l'or  seul  valait  environ  cent  cinquante  piastres^. 
S'adressant  à  Oortès,  ils  lui  dirent  :  «  Malinche,  reçois  ces  présents 
que  nous  t'offrons  et  compte-nous  au  nombre  de  tes  amis.  »  Gortès 
les  accueillit  d'un  ton  affectueux  et  leur  promit  de  les  secourir  en 
tout  ce  qui  pourrait  leur  être  nécessaire. 

Les  voyant  du  reste  réunis,  il  pria  le  Père  de  la  Merced  de  leur 
parler  des  vérités  relatives  à  notre  sainte  foi  et  de  leur  conseiller 
d'abandonner  leurs  idoles.  En  conséquence,  on  leur  dit  tout  ce  que 
nous  avions  déjà  prêché  dans  les  autres  villages  où  nous  étions  passés. 
A  tout  ils  répondirent  que  c'était  bien  et  qu'ils  verraient  plus  tard. 
On  leur  fit  comprendre  aussi  la  grande  puissance  de  notre  Empereur 
et  seigneur,  au  nom  duquel  nous  venions  redresser  les  torts  et  sup- 
primer les  pillages,  disant  que  c'était  pour  cela  qu'il  nous  avait  en- 
voyés dans  ces  contrées.  Les  habitants  de  ces  villages,  s'étant  arrangés 
de  façon  à  ne  pouvoir  être  entendus  par  les  ambassadeurs,  formulè- 
rent de  vives  plaintes  contre  Montezuma  et  surtout  contre  ses  per- 
cepteurs, disant  qu'ils  leur  volaient  tout  ce  qu'ils  possédaient  et  que, 
si  leurs  femmes  et  leurs  filles  leur  paraissaient  dignes  d'attention, 
ils  leur  faisaient  subir  les  derniers  outrages,  en  présence  des  maris, 
et  quelquefois  ils  les  enlevaient  définitivement;  que  par  leur  ordre  ils 
étdent  obligés  de  travailler  comme  s'ils  fussent  des  esclaves,  et  de 
transporter  en  canots,  ou  même  par  terre,  du  bois  de  sapin,  des 
pierres,  du  maïs,  sans  cesser  d'autre  part  le  travail  de  leurs  bras, 
pour  des  semailles  et  pour  d'autres  services  en  grand  nombre,  tandis 
qu'on  leur  prenait  leurs  terres  au  bénéfice  des  idoles.  Et  à  tout  cela 
ils  ajoutaient  bien  d'autres  plaintes  dont  je  ne  puis  me  souvenir  après 


222  CONQUÊTE 

tant  d'années.  Gor'tès  les  consola  en  paroles  amicales,  que  lui  et  dona 
Marina  savaient  très-bien  employer,  leur  disant  que  pour  le  moment 
il  n'avait  pas  le  pouvoir  de  leur  faire  justice;  qu'on  eût  encore  de  la 
patience  et  que  bientôt  il  les  délivrerait  de  ce  despotisme. 

Prenant  ensuite  à  part  deux  personnages  principaux,  il  les  pria 
d'aller,  avec  quatre  de  nos  amis  de  Tlascala,  voir  le  chemin  ouvert 
que  les  gens  de  G-uaxocingo  nous  avaient  conseillé  de  suivre  ;  cet 
examen  avait  pour  but  de  savoir  quelles  sortes  de  palissades  on  y 
avait  élevées,  et  s'il  était  vrai  qu'il  y  eût  des  bataillons  armés.  Les 
caciques  répondirent  :  «  Malinche,  il  n'est  nullement  nécessaire  d'y 
aller  voir,  parce  qu'à  présent  tout  est  aplani  et  bien  en  ordre.  Mais 
il  faut  que  tu  saches  qu'il  y  a  six  jours  les  Mexicains  avaient  choisi 
un  endroit  difficile  pour  faire  une  tranchée  dans  la  montagne,  afin 
de  vous  y  barrer  le  passage  au  moyen  d'un  grand  nombre  de  gens 
armés.  Nous  avons  su  que  Huichilobos,  qui  est  leur  dieu  de  la  guerre, 
leur  a  conseillé  de  vous  laisser  passer,  pour  qu'on  vous  mette  à  mort 
plus  facilement  lorsque  vous  serez  entrés  à  Mexico.  Il  nous  paraît 
par  conséquent  que  vous  devez  rester  ici  avec  nous;  nous  vous  y  don- 
nerons de  ce  que  nous  possédons,  et,  de  cette  manière,  vous  n'irez 
point  chez  les  gens  de  Mexico,  où  nous  savons  que  certainement,  à 
en  juger  par  leurs  défenses  et  par  le  nombre  de  leurs  combattants, 
pas  un  de  vous  n'aura  la  vie  sauve. 

Cortès  leur  répondit  en  souriant  que  ni  les  Mexicains  ni  aucun 
autre  peuple  n'avaient  la  puissance  nécessaire  pour  nous  détruire, 
excepté  Notre  Seigneur  Dieu  en  qui  nous  croyons;  que,  pour  leur 
prouver  que  nous  allions  faire  entendre  à  Montezuma,  à  tous  les  ca- 
ciques et  à  tous  les  papes  ce  que  Dieu  commande,  nous  nous  propo- 
sions de  nous  mettre  en  route  à  l'instant;  qu'on  voulût  bien  nous 
donner  vingt  hommes  choisis  parmi  les  personnages  principaux,  afin 
qu'ils  vinssent  en  notre  compagnie  ;  qu'on  ferait  beaucoup  pour  eux  ; 
que  justice  leur  serait  rendue  aussitôt  que  nous  entrerions  à  Mexico, 
et  qu'enfin  ni  Montezuma  ni  ses  commissaires  ne  commettraient 
plus  les  excès  et  les  violences  dont  les  plaignants  prétendaient  être 
victimes.  Ce  fut  avec  des  visages  joyeux  que  les  habitants  de  ces 
villages  répondirent  à  ces  promesses  et  nous  amenèrent  les  vingt  In- 
diens demandés.  Nous  allions  partir,  lorsqu'arrivèrent  les  messagers 
du  grand  Montezuma.  Ce  qu'ils  dirent,  je  le  vais  conter  à  la  suite. 


DE  LA  NOUVELLE-ESPAGNE.  223 


CHAPITRE  LXXXVII 

Comme  quoi  le  grand  Montezuma  nous  envoya  d'autres  ambassadeurs  avec  un  présent 
en  or  et  des  étoffes;  ec  qu'ils  dirent  à  Certes  et  ce  qu  il  répondit. 

Nous  étions  sur  le  point  de  partir  et  de  continuer  notre  route  sur 
Mexico,  lorsque  quatre  personnages  envoyés  par  Montezuma  se  pré- 
sentèrent devant  Cortès.  Ils  portaient  un  présent  en  or  et  des  étoffes. 
Après  avoir  fait  leurs  salutations  habituelles,  ils  dirent  :  «  Malinchc, 
notre  seigneur  le  grand  Montezuma  t'envoie  ce  présent  et  t'assure 
qu'il  est  bien  peiné  des  fatigues  que  vous  avez  endurées  en  venant 
de  pays  si  lointains,  et  cela  seulement  pour  le  voir.  Il  t'a  déjà  fait  dire 
une  autre  fois  qu'il  te  donnerait  beaucoup  d'or  et  d'argent  ainsi  que 
des  chalchiliuis  en  tribut  pour  votre  Empereur  et  pour  vous  tous,  à 
la  condition  de  ne  point  venir  à  Mexico.  Maintenant,  à  nouveau,  il  te 
prie  en  grâce  de  ne  pas  aller  plus  loin  et  de  t'en  retourner  par  où  tu 
es  venu.  Il  te  promet  de  t'adresscr  au  port  beaucoup  d'or  et  d'argent, 
et  des  pierreries  riches  pour  votre  Roi;  quant  à  toi,  il  te  donnera 
quatre  charges  d'or,  et  une  charge  à  chacun  de  tes  frères.  Pour  ce 
qui  est  de  ton  voyage  à  Mexico,  il  est  inutile  que  tu  penses  à  y  en- 
trer, parce  que  tous  ses  vassaux  sont  en  armes  pour  y  mettre  ob- 
stacle. »  Ils  ajoutèrent  que  les  chemins  étaient  partout  trop  étroits 
pour  nous  et  qu'on  n'avait  pas  de  provisions  de  bouche  suffisantes. 
Ils  parlèrent  de  mille  inconvénients  encore,  afin  de  nous  détourner  de 
poursuivre  notre  route.  Gortès  embrassa  les  envoyés  très-amicale- 
ment, mais  il  reçut  le  message  avec  regret.  Il  accepta  néanmoins  le 
présent,  dont  j'ai  oublié  la  valeur.  J'ai  su  d'ailleurs  que  jamais  Mon- 
tezuma, en  nous  envoyant  des  messagers,  n'omit  de  leur  adjoindre 
une  quantité  plus  ou  moins  grande  d'or. 

Mais  je  reviens  à  notre  récit.  Gortès  répondit  qu'il  était  surpris  que 
Montezuma,  qui  était  si  grand  seigneur  et  qui  d'ailleurs  s'était  dé- 
claré notre  ami,  se  montrât  si  versatile,  voulant  un  jour  une  chose 
et  envoyant,  peu  après,  dire  le  contraire;  quant  à  l'or  qu'il  nous  pro- 
mettait pour  l'Empereur  et  pour  nous  tous,  le  général  lui  en  expri- 
mait ses  remercîments,  ainsi  que  pour  le  présent  qu'il  nous  faisait 
remettre  aujourd'hui  même,  et  il  saurait  le  reconnaître  et  le  payer  à 
l'avenir  en  bons  offices.  Lui  paraissait-il,  du  reste,  qu'étant  si  près 
de  sa  capitale  il  fût  juste  de  nous  en  retourner  sans  avoir  fait  ce  que 
notre  Empereur  nous  commandait?  Si  le  roi  Montezuma  eût  envoyé 
des  ambassadeurs  à  quelque  grand  seigneur  comme  lui,  et  si  ses 
messagers  s'en  retournaient  sans  dire  à  ce  grand  seigneur  le  but  de 
leur  voyage,  que  ferait  le  roi  Montezuma  quand  ils  reviendraient  en 


224  CONQUETE 

sa  présence  avec  un  tel  résultat  de  leur  mission,  sinon  les  tenir  pour 
des  lâches  et  des  gens  de  nulle  valeur?  C'est  précisément  ce  que  notre 
Empereur  penserait  aussi  de  nous.  Gortès  ajouta  que,  n'importe  com- 
ment il  entrerait  dans  la  capitale;  que  Montezuma  voulût  bien  à  l'a- 
venir ne  plus  s'en  défendre,  car  il  était  résolu  à  le  voir,  à  lui  parler, 
à  lui  rendre  compte  de  tout  ce  qui  nous  avait  conduits  dans  ce  pays, 
et  que  cela  serait  en  nous  adressant  à  sa  propre  personne  ;  que,  du 
reste  une  fois  qu'il  nous  aurait  entendus,  si  notre  séjour  dans  la  ville 
ne  lui  paraissait  pas  opportun,  nous  nous  en  retournerions  par  le 
même  chemin  qui  nous  y  aurait  amenés;  qu'au  surplus,  eu  égard  à 
ce  qu'il  disait  de  l'absence  de  provisions  ou  de  leur  rareté  qui  nous 
empêcherait  d'y  trouver  notre  subsistance,  nous  étions  gens  à  nous 
contenter  de  peu  ;  que  décidément  nous  irions  à  sa  capitale  et  qu'il 
eût  à  le  trouver  bon. 

Sur  ce  on  dépêcha  les  messagers  et  l'on  se  mit  en  route  pour 
Mexico.  Or  l'on  nous  avait  bien  avertis,  à  Guaxocingo  et  à  Ghalco, 
que  Montezuma  avait  consulté  ses  idoles  et  ses  papes  pour  savoir  s'il 
devait  nous  laisser  entrer  dans  la  capitale  ou  nous  combattre  aupara- 
vant. Nous  savions  que  tous  ses  papes  avaient  répondu,  d'après  l'avis 
de  Huichilobos,  qu'il  fallait  nous  laisser  venir,  parce  que  l'on  pour- 
rait ensuite  aisément  nous  massacrer.  Donc,  puisqu'enfm  nous  som- 
mes des  hommes  et  comme  tels  craignons  un  peu  la  mort,  nous  ne 
laissions  pas  que  de  réfléchir  à  toutes  ces  circonstances.  Le  pays 
étant  d'ailleurs  très-peuplé,  nous  avancions  à  petites  journées,  nous 
recommandant  au  bon  Dieu  et  à  Notre  Dame  sa  Mère  bénie.  Nous 
nous  entretenions  en  même  temps  sur  la  manière  de  faire  notre  en- 
trée fortifiant  du  reste  nos  cœurs  par  l'espérance  que,  si  Notre  Sei- 
gneur Jésus-Christ  nous  avait  fait  la  grâce  de  nous  préserver  des 
périls  passés,  il  nous  protégerait  encore  contre  la  grande  puissance 
de  Mexico.  Nous  fûmes  passer  la  nuit  dans  un  village  appelé  Iztapa- 
latengo,  dont  la  moitié  des  maisons  est  dans  l'eau  et  l'autre  moitié  à 
sec  sur  le  sol.  Là  se  trouve  un  monticule  au  pied  duquel  on  a  établi 
actuellement  une  hôtellerie.  Nous  trouvâmes  dans  ce  village  de  quoi 
souper  très-convenablement. 

Revenons  actuellement  au  grand  Montezuma.  Lorsque  ses  messa- 
gers arrivèrent  et  qu'il  eut  entendu  la  réponse  de  Cortès,  il  résolut 
d'envoyer  son  neveu,  appelé  Cacamatzin,  seigneur  de  Tezcuco,  en 
très-grand  apparat,  pour  donner  la  bienvenue  au  général  et  à  nous 
tous.  Comme  d'ailleurs  nous  avions  l'habitude  de  lancer  des  coureurs 
dans  la  campagne,  l'un  d'eux  nous  vint  avertir  qu'un  grand  nombre 
de  Mexicains,  aux  allures  pacifiques,  venaient  par  la  route,  et  qu'au- 
tant que  l'on  en  pouvait  juger,  ils  étaient  très-richement  vêtus. 
C'était  à  une  heure  très-matinale,  et  nous  allions  nous  mettre  en 
route;  mais  Gortès  nous  dit.  qu'il  fallait  rester  à  notre  halte  jusqu'à 


DE  LA  NOUVELLE-ESPAGNE.  225 

ce  que  nous  eussions  vu  ce  qu'il  en  était.  Or,  en  cet  instant,  quatre 
personnages  se  présentèrent,  faisant  à  Cortès  de  grandes  révérences 
et  lui  disant  que  près  de  là  s'avançait  Gacaraatzin,  seigneur  de  Tez- 
cuco,  neveu  du  grand  Montezuma.  Ils  nous  priaient  en  grâce  d'at- 
tendre son  arrivée.  Ge  ne  fut  pas  long,  car  il  se  présenta  bientôt,  avec 
un  faste  grandiose,  comme  nous  n'en  avions  pas  encore  vu  chez  les 
Mexicains.  Il  était  venu  dans  une  litière  très-richement  ornée  de 
plumes  vertes,  de  plaques  d'argent,  de  pierres  précieuses  enchaton- 
nées  dans  des  arborisations  en  or.  Cette  litière  était  portée  sur  les 
épaules  par  huit  personnages  de  distinction  que  l'on  nous  dit  être  des 
seigneurs  de  villages. 

Lorsqu'il  approcha  du  logement  do  Cortès,  on  s'empressa  pour 
l'aider  à  sortir  de  la  litière,  balayer  le  sol  et  enlever  jusqu'aux  pailles 
sur  le  chemin  que  ses  pieds  devaient  fouler.  Quand  le  prince  arriva 
devant  notre  capitaine  avec  sa  suite,  on  lui  fit  beaucoup  de  démon- 
strations de  respect,  et  Cacamatzin  dit  à  Cortès  :  «  Malinche,  nous 
venons  ici,  moi  et  ces  seigneurs,  pour  nous  mettre  à  ton  service,  vous 
procurer  tout  ce  dont  vous  aurez  besoin,  toi  et  tes  compagnons  et 
vous  conduire  chez  vous,  c'est-à-dire  dans  notre  ville,  parce  que  tel  est 
l'ordre  de  notre  seigneur  le  grand  Montezuma,  qui,  du  reste,  te  fait 
dire  qu'ayant  compté  sur  nous  il  s'abstient  de  venir  lui-même,  mais 
non  parce  que  la  bonne  volonté  lui  en  a  manqué.  » 

Quant  à  nous,  lorsque  nous  vîmes  ce  grand  apparat  et  cette  majesté 
des  caciques  et  surtout  du  neveu  de  Montezuma,  nous  en  conçûmes 
la  plus  haute  idée.  Nous  disions  entre  nous  que  si  un  cacique  s'en- 
tourait de  tant  de  pompe,  que  serait-ce  du  grand  Montezuma  lui- 
même?  Quoi  qu'il  en  soit,  lorsque  Cacamatzin  eut  fini  son  discours 
Cortès  l'embrassa  et  lui  fit  mille  démonstrations  d'amitié,  ainsi  qu'aux 
personnages  de  sa  suite.  Il  lui  donna  trois  pierres  précieuses,  appe- 
lées marguerites,  qui  sont  veinées  en  dedans  de  différentes  couleurs; 
aux  autres  personnages  il  offrit  des  verroteries  bleues  en  les  remer- 
ciant de  leur  présence,  et  il  ajouta:  «  Quand  donc  me  sera-t-il  donné 
de  payer  au  grand  Montezuma  les  faveurs  dont  il  nous  comble  chaque 
jour?» Les  pourparlers  terminés,  nous  nous  mîmes  en  route. Beaucoup 
de  gens  avaient  suivi  les  caciques  ;  beaucoup  encore  étaient  venus  des 
villages  voisins  pour  nous  voir  ;  de  sorte  que  tous  les  chemins  étaient 
couverts  de  monde. 

Le  lendemain,  de  bon  matin,  nous  arrivâmes  à  la  grande  chaussée 
sur  la  route  d'Iztapalapa.  Nous  restâmes  saisis  d'admiration  en 
voyant  tant  de  villes  et  de  bourgs  construits  au  milieu  de  l'eau, 
d'autres  grands  villages  s'éle\ant  sur  le  sol,  et  celte  belle  chaussée 
parfaitement  nivelée  jusqu'à  Mexico.  Nous  disions  entre  nous  que 
c'était  comparable  aux  maisons  enchantées  décrites  dans  VAmadis}  à 
cause  des  tours  élevées,  des  temples  et  de  toutes  sortes  d'édifices  bâ- 

15 


226  CONQUÊTE 

tis  à  chaux  et  à  sable,  dans  l'eau  même  de  la  lagune.  Quelques-uns 
d'entre  nous  se  demandaient  si  tout  ce  que  nous  voyions  là  n'était 
pas  un  rêve;  et  il  ne  faut  pas  être  surpris  que  je  l'écrive  de  cette 
façon,  car  il  y  aurait  beaucoup  à  dire  au  delà  de  ce  que  je  pourrais 
raconter  sur  ces  choses  que  nous  n'avions  ni  jamais  vues,  ni  jamais 
entendu  décrire,  ni  jamais  aperçues  dans  nos  rêves,  aussi  grandioses 
qu'elles  apparaissaient  maintenant  à  nos  regards. 

Quand  nous  arrivâmes  près  d'Iztapalapa,  il  fallait  voir  la  magni- 
ficence des  caciques  qui   sortirent  pour  nous  recevoir  !  Ce  furent  le 
grand  seigneur  de  cette  ville,  appelé  Goadlavaca,  et  celui  de  Guyoacan, 
proches  parents  tous  les  deux  de  Montezuma.  Il  fallait  voir  encore, 
lors   de  notre   entrée  à  Iztapalapa,  la  grandeur  des  palais  où  nous 
fûmes  logés  !  Ils  étaient  vastes  et  construits  en  pierre  finement  cise- 
lée. Les  boiseries  étaient  en  cèdre  et  en  d'autres  essences  odorantes. 
Les  cours  étaient  très-spacieuses  et  les  appartements  intérieurs,  vrai- 
ment admirables,  tapissés  de   belles    étoffes   de   coton.  Après   avoir 
parcouru  toutes  ces  choses,  nous  fûmes  voir  l'enclos  et  les  jardins;  ce 
ne  fut  certes  pas  un  spectacle  moins  digne  de  notre  contemplation;  je 
ne  me  fatiguais  jamais  de  m'y  promener  en  tous  les  sens,  de  les  con- 
sidérer, de  voir  la  diversité  des  arbres,  d'aspirer  l'odeur  de  chacun, 
de  fouler  ces  allées  pleines  de  fleurs,  d'arbres  fruitiers  et  de  nom- 
breux rosiers  du  pays,  le  tout  rafraîchi  par  un  élégant  étang  d'eau 
douce.  Une  autre  particularité  digne  d'attention,  c'est  que  de  grandes 
embarcations  pouvaient  entrer  dans  ce  verdoyant  enclos  par  un  canal 
qu'on  y  avait  pratiqué.  Tout  était  peint  à  la  chaux  et  brillait  des 
couleurs  diverses  dont  les  pierres  étaient  rehaussées.  Ajoutez   à  tout 
cela  que  des  oiseaux  de  différentes  espèces  venaient  s'ébattre  dans 
l'étang.  Je  dis  encore  qu'en  voyant  ce  spectacle  je  ne  pus  croire  qu'on 
eût  découvert  dans  le  monde  un  autre   pays  comparable  à  celui  où 
nous  étions,  car  en  ce  temps-là  il  n'y  avait  encore  ni  Pérou  ni  soup- 
çon de  son  existence.  Aujourd'hui  toute  celte  ville  est  détruite  et  rien 
n'en  reste  debout. 

Poursuivons,  pour  dire  que  les  caciques  de  cette  ville  et  ceux  de 
Cuyoacan  apportèrent  un  présent  en  or  d'une  valeur  d'environ  deux 
mille  piastres.  Gortès  en  témoigna  sa  reconnaissance  par  les  dehors 
les  plus  affectueux.  On  leur  dit,  au  moyen  de  nos  interprètes,  les  vé- 
rités relatives  à  notre  sainte  foi,  leur  déclarant  en  même  temps  la 
grande  puissance  de  notre  seigneur  l'Empereur.  Il  y  eut  encore  beau- 
coup d'autres  pourparlers  dont  je  n'exposerai  point  le  détail,  et  je  dirai 
qu'alors  c'était  là  une  très-grande  ville,  édifiée  moitié  sur  un  sol  sec 
et  moitié  dans  les  eaux  de  la  lagune.  Maintenant  elle  est  tout  entière 
à  sec  et  l'on  fait  des  semailles  sur  le  sol  qui  était  auparavant  couvert 
par  les  eaux.  Le  changement  qui  s'est  opéré  est  si  grand  que,  si  je  ne 
l'avais  jamais  vu  auparavant,  je  ne  saurais  croire  aujourd'hui  que  ce 


DE  LA  NOUVELLE-ESPAGNE.  227 

lieu  fût  autrefois  tel  que  je  l'avais  admiré;  je  ne  pourrais  surtout  me 
persuader  que  ce  qui  fut  en  d'autres  temps  couvert  par  les  eaux  soit 
de  nos  jours  occupé  par  des  plantations  de  maïs,  et  le  tout  fort  ruiné 
comparativement  à  son  passé. 

Arrêtons-nous  là  pour  dire  la  réception  solennelle  que  Montezuma 
fit  à  Gortès  et  à  nous  tous,  lors  de  notre  entrée  dans  la  grande  ville 
de  Mexico. 


CHAPITRE  LXXXVIII 

De  la  solennelle  réception  que  le  grand  Montezuma  nous  fit,  à  Cortès  et  à  nous  tous, 
lors  de  notre  entrée  dans  sa  capitale  de  Mexico. 

Le  lendemain  nous  partîmes  d'Iztapalapa  accompagnés  des  grands 
caciques  dont  je  viens  de  parler.  Nous  marchions  par  la  chaussée,  qui 
est  d'une  largeur  de  huit  pas  et  tellement  en  droite  ligne  sur  Mexico 
qu'on  ne  la  voit  dévier  nulle  part.  Malgré  sa  largeur  elle  était  absolu- 
ment couverte  de  gens  qui  sortaient  de  Mexico  et  d'autres  qui  y  re- 
venaient, dans  un  continuel   mouvement  qui  avait  pour  but  de  voir 
nos  personnes.  La  foule  était  telle  qu'il  nous  devenait  impossible  de 
garder  nos  rangs.  D'autre  part,  les  tours,  les  temples,  les  embarcations 
de  la  lagune,  tout  était  plein  de    monde.  Nous  n'en  devons  pas  être 
surpris,  puisque  jamais  les  habitants  du  pays  n'avaient  vu  ni  chevaux, 
ni  hommes  comme  nous.  Quant  à  nous,  en  présence  de  cet  admirable 
spectacle,  nous  ne  savions  que  dire,  sinon  nous  demander  si  tout  ce 
que  nous  voyions  était  la  réalité.  D'une  part,  en  effet,  il  y  avait  de 
grandes  villes  et  sur  terre  et  sur  la  lagune  ;  tout  était  plein  d'embar- 
cations ;  la  chaussée  coupée  de  distance  en  distance  par  des  tranchées 
que  des  ponts  recouvraient  ;  devant  nous  s'étalait  la  grande  capitale 
de  Mexico...;  tandis  que,  d'autre  part,  nous,  nous  n'arrivions  pas  au 
nombre  de  quatre  cent  cinquante  hommes,  et  nous  n'avions  rien  oublié 
des  conversations  et  des  avis  de  nos  alliés  de  Gruaxocingo,  de  Tlascala 
et  de/Talmanalco;  nous  avions  présents  à  la  mémoire  leurs  conseils  de 
ne  pas  entrer  à  Mexico  où  l'on  devait  tous  nous  massacrer.  Que  les 
curieux  lecteurs  veuillent  bien  voir  si  dans  ce  que  j'écris  ici  il  serait 
possible  d'exagérer  l'éloge  ;  y  a-t-il  jamais  eu  dans  le  monde  des  hom- 
mes qui  aient  fait  preuve  d'une  égale  hardiesse? 

Continuons;  avançons  sur  notre  route.  Nous  atteignîmes  un  point 
où  s'embranchait  une  autre  petite  chaussée  qui  conduisait  à  la  ville 
deCuyoacan,  etoùl'on  voyaitplusieurs  grandes  tours  appartenant  à  des 
oratoires.  De  là  nous  arrivèrent  plusieurs  personnages  et  des  caciques 
couverts  de  riches  étoffes,  différemment  galonnées  pour  distinguer  les 
catégories  de  chacun  d'eux.  La  chaussée  était  remplie  de  tout  ce  monde 


228  CONQUETE 

et  de  ces  grands  caciques  que  Montezuma  lui-même  avait  envoyés  pour 
nous  recevoir.  En  arrivant  devant  Gortès,  ils  lui  donnèrent  la  bien- 
venue et,  en  signe  de  paix,  ils  touchèrent  la  terre  avec  la  main,  qu'ils 
portaient  ensuite  à  leurs  lèvres.  Après  un  moment  de  halte,  Caca- 
matzin,  seigneur  deTezcuco,  les  seigneurs  d'Iztapalapa,  de  Tacuba  et 
de  Guyoacan  prirent  les  devants  pour  aller  à  la  rencontre  de  Monte- 
zuma qui  s'avançait  dans  une  riche  litière  en  compagnie  d'autres  sei- 
gneurs et  caciques  entourés  de  leurs  vassaux.  Nous  étions  tout  près 
de  Mexico.  Alors,  en  un  point  où  s'élevaient  de  petites  tourelles,  le 
grand  Montezuma  sortit  de  sa  litière;  les  caciques  les  plus  distingués 
prirent  son  bras  et  le  conduisirent  sous  un  dais  merveilleusement  orné: 
ses  draperies,  tissues  de  plumes  vertes,  étaient  ornementées  de  dessins 
en  fil  d'or;  des  plaques  d'argent,  des  perles,  des  chalchihuis  rehaus- 
saient luxueusement  une  large  bordure  bien  digne  d'admiration. 

Le  grand  Montezuma  s'avançait,  superbement  vêtu,  comme  il  en  avait 
l'habitude.  Ses  pieds  étaient  chaussés  de  sandales  aux  semelles  d'or, 
et  enrichies  de  pierreries.  Les  quatre  seigneurs  qui  se  tenaient  à  ses 
côtés  étaient  aussi  très-brillamment  vêtus  (ils  avaient  sans  doute  pris 
en  route  les  riches  vêtements  dont  ils  étaient  ornés,  pour  aborder  Mon- 
tezuma et  venir  avec  lui,  car  nous  les  avions  vus  autrement  habillés 
lorsqu'ils  marchaient  en  notre  compagnie).  Outre  ces  seigneurs, 
d'autres  grands  caciques  s'occupaient  à  porter  le  dais  qui  recouvrait 
leurs  têtes,  tandis  que  quelques-uns  encore  s'avançaient  devant  Mon- 
tezuma en  balayant  le  sol  sur  lequel  ses  pieds  devaient  se  poser,  pre- 
nant soin  de  le  couvrir  de  tapis,  afin  qu'il  ne  foulât  jamais  la  terre. 
Aucun  de  ces  grands  seigneurs  n'osait  lever  les  yeux  sur  lui;  ils  mar- 
chaient le  regard  baissé  en  affectant  le  plus  profond  respect,  excepté 
cependant  ses  quatre  parents  et  neveux  qui  se  tenaient  à  ses  côtés  ou 
lui  donnaient  le  bras. 

Gortès,  prévenu  que  le  seigneur  Montezuma  était  proche,  descendit 
de  cheval,  et,  quand  ils  furent  en  présence,  ils  se  livrèrent  l'un  envers 
l'autre  à  de  grandes  démonstrations  de  respect.  Montezuma  s'empressa 
de  donner  à  Gortès  la  bienvenue,  et  notre  chef  employa  dona  Marina 
pour  lui  traduire  son  compliment.  Il  me  semble  que  Gortès  voulut 
placer  Montezuma  à  sa  droite  et  que  celui-ci  refusa,  offrant  à  notre 
chef  cette  place  d'honneur.  En  cet  instant,  Gortès  prit  un  collier  de 
pierres  marguerites  enfilées  dans  un  cordon  en  fil  d'or  et  parfumé  de 
musc;  il  s'empressa  de  le  passer  au  cou  de  Montezuma  et  il  s'apprêtait 
en  même  temps  à  lui  donner  l'embrassade,  lorsque  les  grands  sei- 
gneurs qui  étaient  à  ses  côtés  lui  retinrent  le  bras,  car  ils  considèrent 
cet  acte  comme  un  signe  de  mépris.  Gortès  alors  lui  dit,  au  moyen  de 
dona  Marina,  que  son  cœur  était  au  comble  de  la  joie,  pour  avoir  vu 
un  si  grand  prince;  que  Montezuma  lui  faisait  beaucoup  d'honneur  en 
venant  personnellement  le  recevoir,  et  qu'il  ressentait  les  sentiments 


DE  LA  NOUVELLE-ESPAGNE.  220 

de  la  plus  sincère  gratitude  pour  les  faveurs  qu'il  en  recevait  sans 
cesse.  Le  prince  lui  répondit  par  des  politesses  de  circonstance  et  il 
ordonna  à  ses  deux  neveux,  les  seigneurs  de  Tezcuco  et  de  Guyoacan, 
qui  lui  donnaient  le  bras,  d'aller  avec  nous  jusqu'à  nos  logements, 
tandis  que  lui,  accompagné  de  ses  deux  autres  parents,  Goadlavaca  et 
le  seigneur  de  Tacuba,  revenait  immédiatement  à  la  ville.  Il  fut  suivi 
par  la  grande  foule  de  caciques  et  de  personnages  de  distinction  qui 
l'avait  accompagné.  Nous  remarquâmes  encore  à  quel  point,  en  le  sui- 
vant, ils  baissaient  les  yeux  vers  la  terre  sans  le  regarder,  s'éloignant 
le  plus  possible  vers  les  murs  latéraux,  avec  les  signes  du  plus  grand 
respect  '. 

De  cette  façon  nous  pûmes  entrer  dans  les  rues  de  Mexico  avec  moins 
d'embarras.  Et  cependant,  qui  pourrait  dire  la  multitude  d'hommes, 
de  femmes,  d'enfants  qui  se  tenaient,  à  notre  passage,  sur  les  terrasses 
des  maisons  et  dans  les  canots  àesacequias2,  pour  nous  contempler? 
C'était  une  admirable  chose!  Et  maintenant  que  je  l'écris,  je  vois  tout 
passer  devant  mes  yeux  comme  si  c'était  un  événement  d'hier;  je  sens 
en  même  temps  la  grande  faveur  que  Notre  Seigneur  Jésus-Christ  nous 
fit  en  nous  donnant  l'habileté  et  la  force  nécessaires  pour  entrer  dans 
une  telle  ville,  et  aussi  en  m'y  préservant  de  tant  de  périls  de  mort, 
comme  on  va  bientôt  le  voir.  Je  lui  en  rends  les  grâces  les  plus  sincères 
et,  de  plus,  je  le  remercie  d'avoir  assez  prolongé  ma  vie  pour  que  je 
puisse  écrire  ces  événements,  quoique  je  le  fasse  d'une  façon  inférieure 
à  ce  que  le  sujet  réclamerait.  Mais  soyons  plus  avare  de  paroles;  les 
actes  rendent  suffisamment  témoignage  de  ce  que  j'avance. 

Revenons  à  notre  entrée  dans  la  capitale.  On  nous  conduisit  dans  de 
grandes  bâtisses  où  il  y  avait  du  logement  pour  nous  tous.  Ces  maisons 
avaient  appartenu  au  père  du  grand  Montezuma,  nommé  Axayaca.  Pour 
le  moment,  Montezuma  y  avait  établi  les  oratoires  de  ses  idoles  et  il 
y  entretenait  une  chambre  très-secrète,  pleine  de  joailleries  d'or;  c'était 
le  trésor  qu'il  avait  hérité  de  son  père  et  auquel  il  ne  touchait  jamais. 
On  choisit  ces  maisons  pour  nous  loger,  parce  que,,  en  notre  qualité 
de  toutes  (ils  nous  tenaient  pour  tels),  nous  nous  trouverions  au  milieu 


1.  Humilité  des  Mexicains  devant  leur  roi.  On  a  la  preuve  de  cette  humilité  ex- 
trême dans  ce  passage  de  B.  Diaz.  Ce  respect  exagéré  contribue  plus  que  toute  autre 
chose  à  faire  comprendre  que  les  guerriers  mexicains,  malgré  leur  aversion  pour  les 
Espagnols,  en  aient  supporté  la  présence,  pour  obéir  aux  ordres  de  leur  monarque 
qui  leur  en  lit  une  loi.  Si,  à  cette  particularité  des  jours  pacifiques,  on  ajoute  la  réso- 
lution des  Mexicains  de  ne  pas  tuer  les  Espagnols  dans  le  combat  et  de  les  enlever 
vivants  pour  les  sacrifier,  on  comprend  qu'ils  aient  pu  vivre  paisiblement  d'abord 
dans  la  capitale,  et  échapper,  plus  tard,  à  la  mort  au  milieu  d'une  telle  multitude  de 
guerriers. 

2.  C'est  le  nom  que  portent  habituellement  les  canaux  creusés  artificiellement  pour 
divers  usages.  Le  mot  est  actuellement  employé  à  Mexico  et  adopté  dans  notre  langue 
par  la  colonie  française  de  cette  capitale. 


230  CONQUÊTE 

de  leurs  idoles,  c'est-à-dire  des  divinités  qu'ils  y  entretenaient.  Quoi 
qu'il  en  soit,  on  y  avait  préparé  de  grands  salons  et  des  boudoirs  ta- 
pissés de  belles  étoffes  du  pays  pour  notre  capitaine;  et  quant  à  nous, 
on  avait  formé  des  lits  au  moyen  de  nattes  avec  de  petits  baldaquins 
au-dessus;  il  n'eût  pas  été  possible  de  nous  en  donner  d'autres,  quel- 
que grands  seigneurs  que  nous  eussions  été,  parce  qu'on  n'en  fait  pas 
usage  dans  la  contrée.  Ces  constructions  étaient  très-brillantes,  blan- 
chies à  la  chaux,  bien  balayées  et  ornées  de  rameaux. 

Lorsque  nous  arrivâmes  à  une  grande  cour,  Montezuma,  qui  avait 
été  nous  y  attendre,  prit  notre  général  par  la  main  et  l'introduisit  dans 
l'appartement  qu'il  devait  occuper;  il  était  très-richement  orné,  eu 
égard  aux  habitudes  du  pays.  Le  prince  avait  fait  apporter  un  magni- 
fique collier  en  or1,  d'un  travail  merveilleux.  Il  le  prit  et  le  passa  au 
cou  de  notre  chef,  grand  honneur  qui  excita  l'attention  de  tous  les 
capitaines  indiens.  Gortès,  en  le  recevant,  employa  ses  interprètes  pour 
témoigner  sa  gratitude.  Montezuma  lui  dit  alors  :  «  Malinche,  vous  êtes 
chez  vous  et  dans  vos  maisons,  prenez-y  du  repos,  en  compagnie  de 
vos  frères.  »Et  il  s'éloigna  immédiatement,  pour  regagner  son  palais 
qui  était  près  de  là.  Quant  à  nous,  nous  partageâmes  les  logements 
entre  nos  compagnies;  notre  artillerie  fut  placée  en  un  lieu  convenable; 
on  convint  minutieusement  de  l'ordre  qui  devait  être  gardé  et  du  soin 
de  rester  sur  le  qui-vive,  aussi  bien  les  cavaliers  que  tous  les  autres 
soldats.  On  nous  avait  préparé  un  somptueux  repas,  selon  leur  usage, 
et  nous  le  mîmes  à  profit  sans  retard.  Cette  entrée  heureuse  et  hardie 
dans  la  capitale  de  Tcnustitlan-Mexico  eut  lieu  le  huitième  jour  du 
mois  de  novembre  de  l'an  de  Notre  Seigneur  Jésus-Christ  1519.  Grâ- 
ces soient  rendues  à  Notre  Seigneur  Jésus-Christ  pour  toutes  choses  ! 
Qu'on  me  pardonne  de  ne  pas  mettre  ici  d'autres  détails  qu'il  serait 
bon  peut-être  d'y  placer  :  pour  à  présent  je  ne  saurais  mieux  dire; 
nous  en  reparlerons  en  temps  opportun.  Revenons-en  au  récit  de  ce 
qui  advint  encore,  ainsi  que  je  vais  le  dire  à  la  suite  l. 

1.  Le  texte  dit  :  collar  de  oro,  de  hechura  de  camarones,  obra  muy  maravillosa. 
.l'ai  passé  sans  le  traduire  de  hechura  de  camaroncs,  mot  à  mot  :  façon  de  crabe  on 
d'écrevisse. 

1.  Population  considérable  de  Mexico  et  force  de  cette  place.  Torquemada  affirme 
qu'il  y  avait  à  Mexico  cent  vingt  mille  maisons.  C'est  évidemment  une  exagération, 
car  Gomara,  Herrera  et  le  Conquérant  Anonyme  n'en  admettent  que  soixante  mille. 
Mais,  d'après  Clavijero,  «  dans  ce  nombre  ne  sont  pas  comprises  les  maisons  des  fau- 
bourgs. Or  il  ressort  des  écrits  de  R.  Diaz  et  de  Herrera  que  vers  le  couebant  elles  se 
continuaient  de  l'un  et  de  l'autre  côté  de  la  ebaussée  de  Tacuba  jusqu'à  la  terre  fer- 
me, c'est-à-dire  l'espace  de  deux  milles.  Le  faubourg-  d'Aztacalco  s'étendait  au  sud- 
est;  ceux  d'Acatlan,  Malcuitlapilco,  Atenco  et  Ixtacalco  se  trouvaient  au  sud;  Zanco- 
pinca,  lluitznabuac,  Xocolitlan,  Coltonco  et  d'autres  encore  s'étalaient  au  nord-est.  Il 
est  à  croire  que  Torquemada  comprenait  les  maisons  des  faubourgs  dans  ses  suppu- 
tations. Je  crois  malgré  tout  que  son  cbifl're  de  cent  vingt  mille  maisons  est  exces- 
sif. »  (Clavijero,  Histoire  ancienne  du  Mexique,  édition  de  Mexico,  page  243.) 

Quoi  qu'il  en  soit;  il  n'est  pas  douteux  que  la  population  de  cette  ville  était  consi- 


DE  LA  NOUVELLE-ESPAGNE.  231 


CHAPITRE  LXXXIX 

Comment  le  grand  Montezuma  vint  nous  visiter  dans  nos  logements  avec  plusieurs 
caciques  ;  de  la  conversation  qu'il  eut  avec  notre  général. 

Lorsque  nous  eûmes  terminé  notre  repas,  Montezuma,  qui  en  avait 
été  prévenu  et  qui  avait  lui-même  fini  de  dîner,  vint  en  grande  pompe 
nous  rendre  visite  dans  nos  quartiers,  accompagné  d'une  quantité  de 
personnages  appartenant  à  sa  parenté. 

Gortès,  averti  de  son  arrivée,  s'empressa  de  faire  la  moitié  du  che- 
min de  ses  appartements  pour  le  recevoir.  Montezuma  le  prit  par  la 
main.  On  apporta  des  sièges  à  la  mode  du  pays,  fort  riches  et  luxueu- 
sement ornementés  de  dorures.  Le  prince  invita  notre  chef  à  s'asseoir 
et  ils  s'assirent  en  même  temps  chacun  de  son  côté.  Montezuma  lui 
adressa  un  éloquent  discours,  disant  qu'il  se  réjouissait  vivement  de 
posséder  dans  sa  maison  et  dans  son  royaume  des  chevaliers  aussi 
valeureux  que  l'étaient  le  capitaine  Gortès  et  nous  tous  ;  que,  deux 
ans  auparavant,  il  avait  reçu  des  nouvelles  relatives  à  un  de  nos  ca- 
pitaines, qui  était  venu  à  Champoton;  que  même,  un  an  plus  tard, 
on  lui  avait  parlé  d'un  autre  qui  s'était  présenté  avec  quatre  navires; 
que  son  désir  avait  été  de  les  voir,  et  qu'il  était  heureux  maintenant 
de  nous  tenir  en  sa  compagnie  pour  nous  offrir  de  tout  ce  qu'il  pos- 
sédait; que  certainement  nous  étions  ceux-là  mêmes  que  ses  aïeux 
avaient  prédits  en  disant  qu'il  viendrait  des  hommes  d'où  le  soleil  se 
lève,  pour  régner  sur  ces  contrées;  que  sans  aucun  doute  il  s'agis- 
sait bien  de  nous,  puisque  nous  nous  étions  si  bien  battus  avec  tant 
de  valeur  dans  les  affaires  de  Potonchan,  de  Tabasco  et  de  Tlascaia, 
affaires  et  batailles  dont  on  lui  avait  présenté  la  peinture  prise  sur  le 
vif  des  événements. 

Gortès  lui  répondit,  par  l'entremise  de  nos  interprètes  et  surtout 
de   doïia  Marina,  qu'il  ne  savait  comment  payer,  pour  lui   et  pour 

dérable,  fort  aguerrie  et  familiarisée  avec  l'effusion  du  sang,  tant  par  le  spectacle  des 
sacrifices  que  par  la  pratique  de  guerres  incessantes.  Les  Mexicains  étaient  donc  d'au- 
tant plus  redoutables  dans  leur  capitale  que  celle  ci  se  trouvait  protégée  par  les  eaux 
qui  l'entouraient  de  tous  côtés  et  qui  ne  permettaient  d'autre  accès  que  par  trois  chaus- 
sées, admirablement  défendues  d'ailleurs  au  moyen  des  tranchées  qui  les  coupaient 
de  distance  en  distance.  C'était  donc  comme  une  forteresse  immense  dont  les  appro- 
ches étaient  des  mieux  gardées  et  dans  l'intérieur  de  laquelle  de  nouveaux  canaux 
protégeaient  les  maisons,  tandis  que  celles-ci,  construites  en  terrasses  et  munies  de 
petites  ouvertures  pour  fenêtres,  présentaient  les  meilleurs  éléments  de  défense.  On 
se  demande,  d'abord  comment  les  Espagnols,  avertis  de  ces  particularités  redouta- 
bles, eurent  l'audace  inouïe  de  les  braver,  et  ensuite  comment  ils  ne  furent  pas  tons 
anéantis. 


232  CONQUETE 

ses  camarades,  les  grandes  faveurs  reçues  chaque  jour;  que  cer- 
tainement nous  venions  d'où  le  soleil  se  lève,  étant  les  vassaux 
et  serviteurs  d'un  grand  seigneur  appelé  l'Empereur  don  Garlos, 
qui  compte  parmi  ses  sujets  un  grand  nombre  de  princes;  que 
des  nouvelles  lui  étaient  venues  concernant  le  monarque  qui  gou- 
vernait ces  pays  et  lui  apprenant  combien  il  était  grand  prince  ; 
qu'il  nous  avait  donc  envoyés  pour  lui  rendre  visite  et  le  prier, 
lui  et  les  siens,  de  se  faire  chrétiens,  ainsi  que  l'était  notre 
Empereur  et  que  nous  l'étions  nous-mêmes  ;  qu'ils  sauveraient  ainsi 
leurs  âmes  par  des  pratiques  dont  il  lui  donnerait  plus  tard  les  dé- 
tails, lui  déclarant  en  même  temps  comme  quoi  nous  adorons  un  seul 
Dieu  véritable,  et  lui  expliquant  quel  est  ce  Dieu  et  quelles  sont  aussi 
d'autres  vérités  déjà  prêchées  à  ses  envoyés  Tendidle,  Pitalpitoque  et 
Quintalbor,  lorsque  nous  étions  sur  la  plage  de  sable. 

Le  colloque  étant  fini,  le  grand  Montezuma  remit  à  notre  général 
plusieurs  joyaux  d'or  fort  riches  et  diversement  travaillés.  Il  donna 
aussi  à  nos  capitaines  différents  objets  en  or,  avec  deux  charges  d'é- 
toffes ornées  de  riches  dessins  en  plumes.  Il  répartit  également  entre 
les  soldats  deux  charges  d'étoffes  pour  chacun,  avec  les  manières  aima- 
bles d'un  véritable  grand  seigneur.  Quand  il  eut  achevé  ce  partage,  il 
demanda  à  Gortès  si  nous  étions  tous  frères  et  sujets  de  notre  grand 
Empereur  ;  à  quoi  notre  chef  répondit  que  nous  étions  frères  en  effet 
par  les  sentiments  et  par  l'amitié,  tous  gens  de  distinction  et  servi- 
teurs de  notre  grand  Roi  et  seigneur.  Montezuma  et  Gortès  échangè- 
rent encore  quelques  paroles  de  bonne  politesse;  mais  comme  cette 
entrevue  était  la  première,  afin  de  ne  pas  la  rendre  fastidieuse  on  mit 
fin  à  tous  les  discours.  Montezuma  avait  donné  des  ordres  à  ses  ma- 
jordomes pour  que  nous  fussions  pourvus  de  tout,  conformément  à 
nos  usages  :  de  maïs,  de  pierres  et  d'Indiennes  pour  faire  le  pain,  de 
poules,  de  fruits  et  d'herbages  en  abondance  pour  nos  chevaux.  Le 
monarque  prit  congé  de  notre  général  et  de  nous  tous  avec  la  plus 
grande  courtoisie.  Nous  l'accompagnâmes  jusqu'à  la  rue,  et  Gortès 
nous  recommanda  d'avoir,  pour  le  moment,  à  ne  pas  trop  nous  éloi- 
gner des  logements,  jusqu'à  ce  que  nous  eussions  pu  mieux  nous 
rendre  compte  de  ce  qu'il  convenait  de  faire. 

J'en  resterai  là  et  je  dirai  ce  qui  nous  arriva  par  la  suite. 


DE  LA   NOUVELLE-ESPAGNE.  233 


CHAPITRE  XC 

Comme  quoi,  dès  le  lendemain,  notre  général  fut  rendre  visite  à  Montezuma,  et  des 
conversations  qu'ils  curent  ensemble. 

Le  jour  suivant,  Gortès  fut  d'avis  de  se  rendre  au  palais  de  Monte- 
zuma. Mais,  avant  tout,  il  s'informa  de  ce  qu'il  y  avait  à  faire  et 
comment  nous  devions  nous  présenter.  Il  emmena  avec  lui  ses  quatre 
capitaines,  Pedro  de  Alvarado,  Juan  Yelasquez  de  Léon,  Diego  de 
Ordas,  Gonzalo  de  Sandoval,  et  cinq  de  nos  soldats.  Montezuma, 
l'ayant  su,  fit  la  moitié  du  chemin  dans  ses  appartements  pour  nous 
recevoir.  Il  était  accompagné  de  ses  neveux,  car  aucune  autre  per- 
sonne ne  pouvait  entrer,  ni  communiquer  avec  lui,  sinon  pour  des 
affaires  d'une  haute  importance.  Après  s'être  adressé  mutuellement 
des  démonstrations  de  respect,  ils  se  prirent  par  la  main,  et  Monte- 
zuma, faisant  franchir  son  estrade  à  Gortès,  l'invita  à  s'asseoir  à  sa 
droite.  Puis  il  nous  fit  signe  de  prendre  aussi  les  sièges  qu'il  avait 
fait  apporter.  Gortès  prit  la  parole  au  moyen  de  nos  interprètes  dona 
Marina  et  Aguilar,  et  dit  que  puisqu'il  avait  eu  le  bonheur  de  se 
trouver  en  présence  d'un  si  grand  seigneur  et  de  lui  parler,  il  pouvait 
enfin  rester  en  repos  et  nous  tous  avec  lui,  attendu  qu'il  avait  atteint 
le  Lut  du  voyage  et  accompli  le  désir  de  notre  grand  Roi  et  seigneur; 
que  ce  qu'avant  tout  nous  voulions  lui  dire  de  Notre  Seigneur  Dieu, 
il  l'avait  déjà  su  par  les  rapports  que  ses  messagers  Tendidle,  Pital- 
pitoque  et  Quintalhor  lui  firent,  à  la  suite  du  présent  qui  figurait  la 
lune  en  argent  et  le  soleil  en  or  et  qui  nous  fut  offert  sur  les  sables 
de  la  plage  ;  il  apprit  alors  comme  quoi  nous  avions  dit  que  nous 
sommes  chrétiens  et  adorons  un  seul  Dieu  véritable,  appelé  Jésus- 
Ghrist,  qui  souffrit  mort  et  passion  pour  nous  sauver;  et  que,  quand 
ces  messagers  nous  avaient  demandé  pourquoi  nous  adorions  la  croix 
nous  leur  avions  répondu  que  c'était  en  représentation  d'une  autre 
semblable,  sur  laquelle  Notre  Seigneur  fut  crucifié  pour  notre  rédemp- 
tion; que  cette  mort  et  cette  passion,  Dieu  les  voulut  pour  les  faire 
servir  à  sauver  tout  le  genre  humain,  jusqu'alors  condamné  ;  que  ce 
Dieu  ressuscita  le  troisième  jour  et  qu'il  est  maintenant  dans  les 
cieux;  que  c'est  lui-même  qui  fit  le  ciel,  la  terre,  les  mers  et  créa 
tout  ce  qui  est  dans  le  monde;  que  ni  les  pluies,  ni  la  rosée,  que  rien 
enfin  ne  se  fait  sans  l'intervention  de  sa  volonté,  que  c'est  en  lui  que 
nous  croyons,  lui  que  nous  adorons  ;  que  ces  choses  qu'eux,  Indiens, 
tenaient  pour  des  divinités  ne  l'étaient  nullement,  mais  bien  des  dé- 
mons, c'est-à-dire  de  mauvaises  créatures  dont  les  actes  sont  encore 


234  CONQUÊTE 

plus  horribles  que  leurs  figures  ;  qu'ils  voulussent  bien  considérer 
que  ces  dieux  étaient  si  mauvais  et  de  si  peu  de  valeur  que  partout  où 
nous  placions  des  croix,  —  les  messagers  l'avaient  vu,  —  ils  étaient 
saisis  de  frayeur  et  n'en  osaient  pas  soutenir  la  présence,  ainsi  que 
le  temps  le  ferait  encore  mieux  voir. 

Gortès  ajouta  que  ce  qu'il  demandait  en  grâce  c'était  que  le  prince 
daignât  écouter  encore  ses  paroles.  Et  alors  il  lui  dit,  en  termes  très- 
compréhensibles,  nos  croyances  sur  la  création  du  monde  ;  comme 
quoi  nous  sommes  tous  frères,  fils  du  même  père  et  de  la  même  mère 
appelés  Adam  et  Eve  ;  et  c'est  en  cette  qualité  de  frère  que  notre  grand 
Empereur,  affligé  de  la  perte  de  tant  d'âmes  que  leurs  idoles  empor- 
tent en  enfer  où  elles  brûlent  au  milieu  de  vives  flammes,  nous  a 
envoyés  pour  qu'on  remédie  à  ce  triste  état  de  choses,  qu'on  n'adore 
plus  ces  idoles,  et  que  des  Indiens  ne  leur  soient  plus  sacrifiés;  et 
puisque  nous  sommes  tous  frères,  qu'on  n'autorise  plus  les  actes  cra- 
puleux et  les  vols;  que,  dans  des  temps  prochains,  notre  seigneur  et 
Roi  enverra  des  hommes  meilleurs  que  nous,  qui  vivent  saintement 
dans  nos  pays,  pour  qu'ils  leur  expliquent  ces  vérités  et  les  leur  fas- 
sent comprendre;  que,  quanta  nous,  nous  venons  seulement  en  don- 
ner la  nouvelle.  Gortès  ajouta  enfin  qu'il  demandait  en  grâce  qu'on 
accomplît  ce  qu'il  venait  de  dire.  Gomme  il  parut  que  Montezuma 
voulait  répondre,  Gortès  cessa  de  parler,  se  retournant  pour  nous  dire, 
à  nous  qui  étions  avec  lui,  que,  pour  une  première  fois,  cela  devait 
suffire  à  l'accomplissement  de  notre  devoir. 

Montezuma  répondit  :  «  Seigneur  Malinche,  j'étais  au  courant  de 
vos  conversations  et  de  vos  discours  antérieurs  adressés  à  mes  ser- 
viteurs sur  la  plage  de  sable,  relativement  à  votre  Dieu.  Nous  ne  vous 
avons  rien  dit  ni  sur  la  croix  ni  sur  ce  que  vous  avez  prêché  dans  tous 
les  villages  où  vous  êtes  passés  ;  nous  n'avons  fait  de  réponse  à  au- 
cune de  ces  choses,  parce  que  depuis  le  commencement  du  monde 
nous  adorons  nos  dieux  et  nous  les  croyons  bons;  les  vôtres  le  sont 
sans  doute  aussi,  mais  ne  prenez  plus  le  soin  de  nous  parler  d'eux. 
Pour  ce  qui  est  de  la  création  du  monde,  nous  le  croyons  de  même 
depuis  les  temps  les  plus  reculés.  La  foi  qui  accompagne  nos  croyances 
nous  fait  d'ailleurs  accepter  comme  certain  que  vous  êtes  ces  mêmes 
hommes  dont  nos  aïeux  ont  dit  qu'ils  viendraient  d'où  le  soleil  se 
lève.  Quant  à  votre  grand  Roi,  je  suis  son  serviteur  et  je  me  tiens 
prêt  à  lui  faire  part  de  ce  que  je  possède.  H  y  a  deux  ans,  j'ai  reçu  la 
nouvelle  que  d'autres  capitaines  étaient  venus  avec  des  vaisseaux  par 
la  route  que  vous  avez  suivie,  et  ils  se  prétendaient  les  sujets  de  ce 
grand  Roi  que  vous  dites.  Je  voudrais  savoir  si  vous  êtes  tous  les 
mêmes.  » 

Gortès   lui  dit  qu'oui,   que  nous  étions  tous  les  vassaux  de   notre 
Empereur;  que  nos  prédécesseurs  étaient  venus  reconnaître  les  che- 


DE  LA   NOUVELLE-ESPAGNE.  235 

mins,  los  mers  et  les  ports,  pour  que  nous  pussions  mieux  y  venir 
comme  nous  avions  fait.  —  Montezuma  voulait  parler  de  Francisco 
Hernandez  de  Gordova  et  de  Juan  de  Grijalva,  au  sujet  de  notre  pre- 
mier voyage.  —  Il  ajouta  du  reste  que,  dès  lors,  il  eut  la  pensée  de 
voir  quelques-uns  de  ces  hommes  qui  étaient  arrives,  pour  leur  rendre 
les  honneurs  et  les  avoir  dans  ses  royaumes  et  dans  ses  villes  ;  que 
puisque  ses  dieux  avaient  exaucé  ses  bons  souhaits  et  que  nous 
étions  dans  ses  palais  que  nous  pouvions  regarder  comme  nôtres, 
nous  ne  devions  penser  qu'au  repos  et  àla  jouissance,  certains  que  nous 
y  serions  servis  à  souhait  en  toutes  choses;  que  s'il  nous  avait  plu- 
sieurs fois  envoyé  dire  de  ne  pas  venir  dans  sa  capitale,  telle  n'était 
pas  sa  volonté,  mais  ses  sujets  s'étaient  effrayés  de  la  foudre  et  des 
éclairs  qu'on  disait  que  nous  lancions,  non  moins  que  des  chevaux 
avec  lesquels,  prétendait-on,  nous  massacrions  beaucoup  d'Indiens, 
car  on  nous  prenait  pour  des  dieux,  et  autres  enfantillages  semblables. 
Aujourd'hui,  après  avoir  vu,  par  nos  personnes,  que  nous  étions  gens 
de  chair  et  d'os  et  de  raison  élevée,  en  même  temps  que  des  guer- 
riers valeureux,  il  nous  estimait  encore  plus  qu'auparavant,  et,  pour 
toutes  ces  raisons,  il  nous  ferait  part  de  ses  richesses. 

Gortès  et  nous  tous  répondîmes  que  nous  étions  pleins  de  recon- 
naissance pour  son  bon  vouloir.  Alors,  Montezuma  se  prit  à  rire,  — 
car  il  était  d'humeur  très-joviale  dans  son  noble  parler  de  grand 
seigneur.  —  «  Malinche,  dit-il,  je  sais  bien  que  les  gens  de  Tlas- 
cala,  avec  lesquels  vous  vous  êtes  liés  de  tant  d'amitié,  t'ont  dit  que 
je  suis  l'égal  d'un  dieu,  ou  teule,  et  que  tout  ce  qu'il  y  a  dans  mes 
palais  n'est  qu'or,  argent  et  pierres  précieuses.  J'entends  bien  qu'en 
gens  d'esprit  vous  n'en  aviez  rien  cru  et  que  vous  preniez  cela  pour 
raillerie;  c'était  bien  justement  pensé,  seigneur  Malinche,  puisque 
vous  voyez  maintenant  que  mon  corps  est  de  chair  et  d'os,  comme  les 
vôtres,  et  que  mes  maisons  et  mes  palais  sont  en  pierre,  en  chaux  et 
en  boiserie.  Que  je  sois  un  grand  roi,  oui  certainement,  je  le  suis  ; 
que  j'aie  reçu  des  richesses  de  mes  aïeux,  oui,  j'en  ai;  mais  il  n'y  a 
là  rien  qui  ressemble  aux  folies  et  aux  mensonges  qu'on  vous  a  dits 
de  moi;  prenez-les  donc  pour  moquerie,  comme  je  le  fais  moi-même 
au  sujet  de  vos  tonnerres  et  de  vos  éclairs.  »  Gortès  lui  dit,  en  riant 
aussi,  que  c'est  la  coutume  des  ennemis  de  médire  et  de  s'écarter  de 
la  vérité  au  sujet  de  ceux  qu'ils  haïssent;  que  nous  avions  bien  com- 
pris que,  dans  ces  contrées,  on  ne  saurait  voir  une  magnificence 
égale  à  la  sienne,  et  que  ce  n'était  pas  sans  raison  qu'il  était  si  re- 
nommé auprès  de  notre  Empereur. 

On  en  était  là  des  pourparlers,  lorsque  Montezuma  dit  à  un  grand 
cacique  son  neveu,  là  présent  avec  les  autres,  qu'il  ordonnât  à  ses 
majordomes  d'apporter  certaines  pièces  d'or  qu'on  avait  sans  doute 
déjà  choisies  pour  Gortès,  et  dix  charges  de  fines  étoffes.  Il  partagea 


236  CONQUÊTE 

l'or  et  les  étoffes  entre  notre  général  et  les  quatre  capitaines.  Quant 
à  nous  les  soldats,  il  nous  donna  à  chacun  deux  colliers  en  or  d'une 
valeur  de  dix  piastres  l'un,  et  deux  charges  d'étoffes.  Tout  l'or  qu'il 
répartit  en  ce  moment  valait  bien  environ  mille  piastres;  il  le  donnait 
avec  le  visage  joyeux  d'un  généreux  et  grand  seigneur.  Gomme  il 
était  plus  de  midi,  Cortès,  ne  voulant  pas  être  importun,  dit  :  «  Le 
seigneur  Montezuma  continue,  selon  son  habitude,  de  renchérir  sur 
les  faveurs  que  chaque  jour  il  nous  prodigue;  mais  il  est  déjà  l'heure 
du  dîner  de  Votre  Majesté.  »  Montezuma  répondit  qu'au  contraire 
c'était  nous  qui  lui  avions  fait  honneur  en  le  visitant.  C'est  ainsi  que 
nous  prîmes  congé  de  lui  avec  de  grandes  cérémonies.  Nous  revînmes 
à  nos  logements,  en  nous  entretenant  de  ce  ton  d'homme  bien  élevé 
que  le  prince  avait  en  toutes  choses,  nous  promettant  de  le  combler 
de  nos  respects,  et  de  ne  jamais  passer  devant  lui  sans  quitter  nos 
bonnets  matelassés,  que  nous  portions  comme  armure  défensive;  et 
nous  ne  manquions  pas  de  le  faire.  Laissons  cela  et  passons  à  autre 
chose. 


CHAPITRE  XCI 

Des  manières  et  de  la  personne  de  Montezuma,  et  comme  quoi  c'était  un  grand 

seigneur. 

Le  grand  Montezuma  avait  environ  quarante  ans  ;  il  était  d'une 
stature  au-dessus  de  la  moyenne,  élancé,  un  peu  maigre,  avec  de 
l'harmonie  dans  les  formes.  Son  leint  n'était  pas  très-foncé  et  ne 
s'éloignait  nullement  de  la  couleur  habituelle  de  l'Indien.  Il  portait 
les  cheveux  peu  longs,  descendant  seulement  de  manière  à  couvrir 
les  oreilles.  Il  avait  la  barbe  rare,  noire  et  bien  plantée.  Son  visage 
était  gai  et  d'un  ovale  un  peu  allongé.  Son  regard  avait  de  la  dignité, 
témoignant  d'ordinaire  des  sentiments  de  bienveillance  et  prenant  de 
la  gravité  lorsque  les  circonstances  l'exigeaient.  Il  était  propre  et 
bien  mis;  il  se  baignait  tous  les  jours  une  fois,  dans  l'après-midi. 
Il  avait  un  grand  nombre  de  concubines,  filles  de  grands  seigneurs, 
et  deux  caciques  de  distinction  pour  femmes  légitimes,  avec  lesquelles 
il  n'avait  de  communications  intimes  que  par  des  voies  très-secrètes, 
au  point  que  quelques  serviteurs  seulement  le  pouvaient  savoir.  Il 
n'avait  point  de  vices  crapuleux.  D'après  ses  habitudes  de  toilette, 
un  vêtement  dont  il  avait  fait  usage  un  jour  n'était  repris  que  quatre 
jours  plus  tard.  Sa  garde  se  composait  d'environ  deux  cents  person- 
nages de  distinction  qui  occupaient  de  vastes  salles  à  côté  de  ses 
salons  ;  tous  n'étaient  pas  admis  à  lui  parler,  mais  bien  quelques- 
uns  seulement,  et  quand  ils  s'approchaient  de  lui,  ils  devaient  enlever 


DE  LA   NOUVELLE-ESPAGNE.  237 

leurs  riches  habits  et  se  couvrir  de  vêtements  de  peu  de  valeur  et 
d'une  grande  propreté.  Ils  entraient  nu-pieds,  les  yeux  baissés  vers 
la  terre,  sans  jamais  les  lever  sur  son  visage;  ils  avançaient  en  faisant 
trois  révérences,  disant,  à  chacune  d'elles  :  «  Seigneur,  mon  seigneur, 
grand  seigneur.  »  Il  répondait  en  peu  de  mots  aux  rapports  qu'on 
lui  présentait;  et,  lorsque  le  visiteur  prenait  congé,  il  devait  se  tenir 
toujours  les  yeux  baissés,  sans  lever  la  tête  et  sans  tourner  le  dos, 
jusqu'à  ce  qu'il  fût  sorti  du  salon  de  réception. 

Lorsque  d'autres  grands  seigneurs  venaient  de  provinces  éloignées 
pour  des  affaires  ou  des  procès,  ils  étaient  obligés,  avant  d'entrer 
aux  appartements  du  grand  Montezuma,  de  se  déchausser,  de  se 
vêtir  pauvrement  et  de  ne  pas  s'introduire  en  droite  ligne  dans  le 
palais,  mais  bien  de  faire  un  détour  sur  les  côtés  de  l'édifice;  y  entrer 
sans  façon  passait  pour  inconvenance.  Pour  son  dîner,  ses  cuisiniers 
lui  servaient,  à  leur  façon,  une  trentaine  de  plats;  on  les  plaçait  sur 
de  petits  réchauds,  pour  empêcher  qu'ils  se  refroidissent.  Mais,  d'une 
manière  générale,  à  propos  de  son  manger,  on  préparait  des  vivres 
pour  plus  de  trois  cents  couverts,  et  on  peut  dire  mille,  en  ajoutant 
ce  qui  était  destiné  à  sa  garde.  Lorsque  l'heure  du  dîner  arrivait, 
Montezuma  allait  quelquefois  voir  ses  cuisiniers  avec  ses  familiers  et 
ses  majordomes  ;  on  lui  signalait  ce  qui  était  jugé  le  meilleur,  en 
lui  disant  quel  oiseau  ou  quelle  autre  chose  en  formait  la  base  ;  d'ha- 
bitude c'était  cela  même  qu'il  choisissait  pour  son  repas;  mais  il 
faut  avouer  qu'il  faisait  rarement  ces  sortes  de  visites  préparatoires. 
J'entendis  dire  dans  des  conversations  oiseuses  que  ses  cuisiniers 
avaient  l'habitude  de  lui  accommoder  des  chairs  d'enfants  de  l'âge  le 
plus  tendre.  Gomme  d'ailleurs  on  lui  servait  des  plats  si  divers  à 
base  si  compliquée,  nous  ne  distinguâmes  pas  si  c'était  de  la  chair 
humaine  ou  autre  chose.  Ce  qui  est  certain,  c'est  qu'on  lui  donnait 
chaque  jour  des  poules,  des  coqs  d'Inde,  des  faisans,  des  perdrix  du 
pays,  des  cailles,  des  canards  sauvages  et  domestiques,  du  chevreuil, 
du  sanglier,  des  pigeons,  des  lièvres,  des  lapins,  une  grande  variété 
d'oiseaux,  et  tant  d'autres  denrées  que  produit  la  contrée,  que  je 
n'achèverais  pas  de  les  énumérer.  Cette  complication  des  mets  nous 
empêchait  de  distinguer  s'il  en  était  ainsi;  mais  ce  que  je  sais,  c'est 
que,  depuis  les  représentations  de  notre  général  au  sujet  des  sacri- 
fices et  de  l'usage  de  la  chair  humaine,  Montezuma  avait  ordonné 
qu'on  ne  lui  servît  plus  un  pareil  manger. 

Mais  disons  comment  se  pratiquait  son  service  de  table.  S'il  faisait 
froid,  on  lui  allumait  du  feu  avec  de  petits  morceaux  d'une  écorce 
d'arbre  qui  ne  produisait  pas  de  fumée  et  qui  répandait  une  odeur 
agréable;  pour  que  ce  foyer  ne  lui  envoyât  pas  plus  de  chaleur  qu'il 
ne  désirait,  on  plaçait,  par  devant,  une  sorte  d'écran  émaillé  d'or, 
représentant  comme  des  images  d'idoles.  Il  s'asseyait  sur  un  siège 


238  CONQUÊTE 

bas,  riche  et  douillet  ;  la  table  était  basse  aussi  et  travaillée  comme 
les  sièges;  on  étendait,  par  dessus,  des  nappes  blanches  et  quelques 
petites  serviettes  allongées  faites  de  la  même  toile.  Quatre  femmes, 
fort  belles  et  proprement  vêtues,  lui  apportaient  des  lavabos  profon- 
dément creusés,  nommés  xicales  en  leur  langue;  on  plaçait,  au 
dessous,  de  grands  plateaux  pour  recevoir  l'eau  qui  tombait.  On  lui 
présentait  en  même  temps  ses  essuie-mains,  et,  tout  aussitôt,  deux 
autres  femmes  lui  offraient  des  galettes  de  pain  de  maïs.  Au  moment 
où  il  commençait  son  repas,  on  mettait  devant  lui  comme  une  espèce 
de  paravent  orné  de  dorures,  afin  qu'on  ne  pût  le  voir  manger.  Les 
quatre  femmes  s'écartaient  et,  à  leur  place,  quatre  grands  seigneurs 
âgés  se  tenaient  debout  à  côté  de  Montezuma  qui  de  temps  en  temps 
leur  adressait  la  parole,  s'informant  de  différentes  choses;  et,  parfois, 
il  daignait  faire  la  faveur,  à  chacun  de  ces  vieillards,  d'un  plat  de 
sa  table.  On  disait  que  ces  serviteurs  âgés  étaient  ses  proches 
parents,  ses  conseillers,  et  qu'ils  jugeaient  dans  les  grands  procès. 
Du  reste,  c'est  debout  qu'ils  mangeaient  le  plat  que  Montezuma  leur 
avait  donné,  conservant  un  air  respectueux  et  toujours  sans  regarder 
son  visage.  Le  service  se  faisait  avec  de  la  vaisselle  rouge  et  brune 
de  Gholula. 

Pendant  que  Montezuma  dînait,  on  ne  devait  ni  faire  du  bruit,  ni 
parler  à  haute  voix  dans  les  salles  de  sa  garde,  qui  se  trouvait  dans 
les  pièces  voisines.  On  lui  servait  de  toutes  sortes  de  fruits  du  pays, 
mais  il  en  mangeait  fort  peu.  De  temps  en  temps,  on  lui  apportait 
des  tasses  d'or  très-fm,  contenant  une  boisson  fabriquée  avec  du 
cacao;  on  disait  qu'elle  avait  des  vertus  aphrodisiaques,  mais  alors 
nous  ne  faisions  pas  attention  à  ce  détail.  Ce  que  je  vis  réellement, 
c'est  qu'on  servit  environ  cinquante  grands  pots  d'une  boisson  faite 
de  cacao  avec  beaucoup  d'écume;  c'est  de  cela  qu'il  buvait,  et  les 
femmes  le  lui  présentaient  avec  le  plus  grand  respect.  Quelquefois, 
pendant  le  dîner,  on  faisait  venir  des  Indiens  bossus,  très-laids,  de 
petite  taille,  qui  remplissaient  leur  rôle  de  bouffons.  D'autres  Indiens, 
espèces  de  truands,  étaient  chargés  de  lui  dire  des  paroles  plai- 
santes; quelques-uns  chantaient  et  dansaient,  car  Montezuma  aimai I 
les  plaisirs  et  les  chansons.  C'est  à  ces  gens-là  qu'il  faisait  donner 
les  reliefs  et  des  pots  de  cacao.  Ensuite,  les  mêmes  femmes  enlevaient 
les  nappes  et  présentaient  de  nouveau,  avec  le  plus  grand  respect, 
l'eau  et  les  essuie-mains.  Montezuma  parlait  encore  un  moment, 
avec  les  quatre  vieillards,  de  quelques  points  qui  l'intéressaient, 
puis  il  leur  donnait  congé  et  se  livrait  un  instant  au  sommeil. 

Après  le  repas  du  monarque  commençait  celui  des  soldats  de  sa 
garde  et  des  autres  gens  à  son  service.  C'était  une  affaire  d'environ 
mille  couverts,  servis  avec  les  mets  dont  j'ai  déjà  parlé.  On  v 
employait  plus  de  deux  mille  pots  de  cacao  avec  son  écume,  comme 


DE   LA   XOUVELLE-ESPAGXK.  239 

on  a  l'habitude  de  le  faire  entre  Mexicains.  On  servait  aussi  une 
quantité  infinie  de  fruits.  Certainement  que  pour  ses  femmes,  ses 
servantes,  ses  boulangères,  ses  échansons,  la  dépense,  devait  être 
très-considérable. 

Mais  cessons  de  nous  entretenir  de  la  dépense  et  des  repas  de  la 
maison  de  Montezuma,  et  parlons  des  majordomes,  des  trésoriers, 
des  offices,  des  dépôts  de  vivres  et  des  employés  à  la  manutention  du 
maïs....  Je  dis  qu'à  ce  sujet  il  y  aurait  tant  à  écrire,   en  prenant 
chaque  chose  en  particulier,  que  je  ne  saurais  par  où  commencer,  et 
je  dois  me  borner  à  affirmer  que  nous  fûmes  tous  remplis  d'admira- 
tion en  voyant  l'abondance  et  l'ordre  qu'il  y  avait  en  toutes  choses. 
Mais  je  m'aperçois  que  j'ai  fait  un  oubli,  et  il  vaut  bien  la  peine  que 
je  revienne  un  peu  en  arrière  pour  le  réparer  :  c'est  que,  lorsque 
Montezuma  était  assis  à  table  pour  prendre  ses  repas,  deux  femmes 
fort  gracieuses  lui  servaient  des  tortillas  de  maïs  dont  la  pâte  était 
préparée  aux  œufs,  avec  addition  d'autres  produits  substantiels.  Ces 
tortillas  ^  d'une  grande  blancheur,  lui  étaient  apportées  dans  des  as- 
siettes couvertes  d'un  linge  très-propre.  On  lui  servait  aussi  d'autres 
pains  allongés,  faits  d'une  masse  combinée  avec  des  substances  nu- 
tritives. Puis,  venait  encore  une  sorte  de  pain,  nommé  pachôi  en  in- 
dien, qui  est  aplati  comme  des  oublies.  On  présentait  encore  sur  sa 
table  trois  cylindres,  peints  et  dorés,  remplis  de  liquidambar  mélangé 
avec  une  plante  nommée  tabaco.  Lorsque,  après  son  dîner,  il  avait 
assisté  aux  chants   et  à  la  danse,  et  que  la  table  était  desservie,  il 
avait  l'habitude  de  prendre  un  de  ces  cylindres  et  il  en  aspirait  un 

instant  la  fumée,  qui  l'aidait  à  s'endormir Mais  laissons  ce  sujet 

du  service  de  la  table,  et  reprenons  notre  récit.  Je  me  rappelle  qu'un 
grand  cacique  était  alors  le  premier  majordome.  Nous  l'avions  sur- 
nommé Tapia.  Il  tenait  la  comptabilité  de  tous  les  tributs  qu'on 
payait  à  Montezuma,  se  servant  de  livres  faits  avec  un  papier  que 
dans  le  pays  on  appelle  amatl,  et  dont  il  avait  une  maison  pleine. 

Cessons  de  parler  de  livres  et  de  comptabilité,  puisque  cela  nous 
écarte  de  notre  récit,  et  disons  comme  quoi  Montezuma  avait  des 
maisons  remplies  de  toutes  sortes  d'armes.  Quelques-unes  étaient  ri- 
chement ornées  de  pierres  précieuses  et  d'or  fin  :  c'étaient  des  sortes 
de  rondaches  grandes  et  petites;  des  casse^tête,  des  espadons  à  deux 
mains,  formés  de  lames  en  obsidienne  qui  coupaient  mieux  que  nos 
épées;  des  lances  plus  longues  que  les  nôtres,  dont  le  couteau  avait 
bien  une  brasse,  et  si  résistantes  au  choc  qu'elles  ne  se  brisaient  ni 
ne  s'ébréchaient  en  frappant  sur  des  boucliers  ou  sur  des  rondaches. 
Elles  étaient  si  bien  affilées,  du  reste,  qu'elles  coupaient  comme  des 
rasoirs,  au  point  d'être  utilisées  pour  raser  ia  tête.  On  y  voyait  des 

I.  Galette  mince  de  maïs. 


240  CONQUÊTE 

arcs  et  des  flèches  excellents;  des  piques,  les  unes  simples,  les  autres 
à  deux  dents,  avec  la  machine  qui  sert  à  les  lancer;  beaucoup  de 
frondes,  avec  leurs  pierres  arrondies,  façonnées  à  la  main.  On  y  re- 
marquait aussi  une  sorte  de  bouclier  si  artistemcnt  fait  qu'on  le 
peut  plier  au-dessus  de  la  tête,  afin  d'en  être  moins  embarrassé 
alors  qu'on  n'a  pas  à  se  battre,  tandis  qu'au  moment  du  combat, 
quand  on  en  a  besoin,  on  le  laisse  s'ouvrir  et  on  a  le  corps  presque 
couvert  du  haut  en  bas.  Il  y  avait  aussi  des  armures  matelassées  en 
coton,  très-richement  ouvragées  à  l'extérieur  avec  des  plumes  de 
couleurs  variées  formant  comme  des  devises  et  des  dessins  capricieux. 
Nous  y  vîmes  encore  des  cabassets,  quelques  casques  en  bois  et 
d'autres  en  os,  très-bien  ornés  de  plumes.  Nous  remarquâmes,  au 
surplus,  des  armes  de  bien  d'autres  formes,  mais  que  je  ne  décrirai 
pas,  afin  d'éviter  de  m'étendre  davantage.  Des  ouvriers  étaient  là, 
constamment  occupés  à  leur  confection  et  à  leur  entretien,  tandis  que 
des  majordomes  avaient  reçu  la  mission  de  surveiller  ces  dépôts. 

Laissons  cela  et  allons  au  palais  des  oiseaux.  Je  m'y  attacherai  à 
énumérer  leurs  espèces  et  les  propriétés  de  chacune  d'elles.  Je  dirai 
donc  que,  depuis  les  grands  aigles  royaux,  les  aigles  d'une  taille 
moindre  et  beaucoup  d'autres  oiseaux  de  grandeur  considérable,  jus- 
qu'aux espèces  les  plus  petites,  ornées  de  plumages  aux  couleurs  va- 
riées, on  voyait  tout  réuni  dans  ce  palais.  On  y  admirait  aussi  la  fa- 
brique de  ces  riches  étoffes,  brodées  de  plumes  vertes,  en  même  temps 
que  les  oiseaux  qui  les  fournissent  et  dont  le  corps  représente  à  peu 
près  les  pies  de  notre  Espagne.  On  les  appelle  quezales  dans  ces  con- 
trées. Je  vis  encore  d'autres  oiseaux,  dont  j'ignore  le  nom,  qui  pré- 
sentent un  plumage  de  cinq  couleurs  :  vert,  rouge,  blanc,  jaune  et 
bleu.  Quant  aux  perroquets,  aux  nuances  très-variées,  il  y  en  avait 
tant  que  je  ne  saurais  tlire  comment  on  les  appelle.  Et  combien  l'on 
voyait  de  canards  aux  douces  plumes,  ainsi  que  d'autres  oiseaux  plus 
gros  qui  leur  ressemblaient!  On  avait  l'habitude  de  les  plumer  en 
temps  opportun  et  ils  ne  tardaient  pas  à  former  un  nouveau  plu- 
mage. On  élevait  toutes  ces  espèces  dans  le  palais  même.  A  l'époque 
de  la  couvaison,  des  Indiens  et  des  Indiennes  étaient  occupés  à  ré- 
partir et  à  surveiller  les  œufs;  ils  soignaient  en  même  temps  tous  les 
autres  oiseaux,  tenant  leurs  nids  en  état  et  leur  donnant  à  manger, 
avec  la  précaution  de  choisir  l'aliment  qui  convenait  à  chaque  espèce. 
Dans  ce  palais,  il  y  avait  aussi  un  grand  étang  d'eau  douce  où  l'on 
voyait  une  sorte  d'oiseau  à  jambes  très-allongées,  dont  le  corps,  les 
ailes  et  la  queue  étaient  de  couleur  rouge.  Je  ne  sais  pas  son  nom, 
mais  dans  l'île  de  Cuba  on  appelle  ipiris  une  espèce  qui  lui  ressem- 
ble. Sur  cet  étang,  il  y  avait  encore  d'autres  volatiles  qui  étaient  tou- 
jours dans  l'eau. 

Laissons  cela  et  rendons-nous  dans  un  autre  édifice  où  l'on  avait 


DE  LA  NOUVELLE-ESPAGNE.  241 

installé  plusieurs  idoles  que  l'on  disait  représenter  les  divinités  fé- 
roces. Autour  d'elles  on  voyait  des  animaux  d'espèces  diverses;  des 
tigres1  et  deux  variétés  de  lions  dont  l'une  ressemble  à  nos  loups  :  ce 
sont  les  actives  et  les  zorros  (chacals  et  renards).  On  y  remarejuait  en 
môme  temps  un  grand  nombre  d'autres  carnassiers  plus  petits.  Tous 
ces  animaux  étaient  nourris  de  chairs  diverses;  la  plupart  naissaient 
dans  l'établissement  même,  où  on  leur  donnait  à  manger  des  che- 
vreuils, des  poules,  des  chiens  et  d'autres  produits  de  vénerie.  J'en- 
tendis même  dire  qu'on  leur  jetait  de  la  chair  d'Indien  provenant  des 
sacrifices.  On  a  du  reste  lu  déjà  dans  mon  récit  que,  quand  on  sacri- 
fiait un  pauvre  Indien,  on  lui  ouvrait  la  poitrine  avec  un  coutelas 
d'obsidienne  ;  le  cœur  avec  le  sang  qu'il  contenait  était  arraché  à 
l'instant  et  offert  aux  idoles  en  l'honneur  desquelles  se  faisait  le  sa- 
crifice. Immédiatement  après,  on  coupait  les  cuisses  et  les  bras,  qui 
étaient  mis  à  profit  pour  les  fêtes  et  banquets  ;  tandis  que  la  tête, 
qu'on  tranchait  aussi,  s'attachait  pendante  à  des  poteaux.  Le  tronc 
n'était  pas  mangé  d'habitude  par  les  Indiens;  on  le  donnait  aux  ani- 
maux féroces  dont  je  viens  de  parler.  On  entretenait  encore  dans  cette 
maudite  maison  grand  nombre  de  serpents  très-venimeux,  de  ceux-là 
mêmes  qui  portent  comme  des  grelots  à  la  queue;  c'est  la  pire  espèce 
que  l'on  connaisse.  On  les  mettait  dans  des  cuves  ou  dans  de  gros 
cruchons  au  milieu  d'un  amas  de  plumes,  qui  leur  servaient  à  ré- 
chauffer leurs  œufs  et  à  élever  leurs  petits.  On  leur  donnait  à  manger 
de  la  chair  d'Indiens  et  du  chien  de  l'espèce  propre  au  pays.  Plus 
tard  nous  sûmes  même  que,  quand  on  nous  chassa  de  Mexico  et 
qu'on  nous  tua  environ  huit  cent  cinquante  de  nos  soldats,  y  compris 
ceux  de  Narvaez,  nos  malheureux  compatriotes  furent  jetés  en  pâture 
à  ces  animaux  sauvages  et  à  ces  serpents,  ainsi  que  je  le  dirai  lors- 
que le  moment  sera  venu.  Ces  reptiles  et  ces  bêtes  féroces  avaient  été 
offerts  aux  divinités  implacables  afin  qu'elles  vécussent  en  leur  com- 
pagnie. Disons  aussi  le  tapage  infernal  que  l'on  entendait,  le  rugis- 
sement des  tigres  et  des  lions,  le  glapissement  des  renards  et  des 
chacals  et  le  sifflement  des  serpents. 

Nous  continuerons  nos  descriptions,  pour  dire  l'adresse  des  Indiens 
en  toute  espèce  de  métiers  usités  parmi  eux.  Nous  commencerons 
par  les  artistes  lapidaires,  les  orfèvres  travaillant  l'or  et  l'argent  et 
les  modeleurs  en  tout  genre,  que  les  plus  fameux  joailliers  espagnols 
tiennent  en  haute  estime;  il  y  en  avait  un  très-grand  nombre,  d'un 
mérite  très-élcvé,  dans  un  village  situé  à  une  lieue  de  Mexico,  et 
qu'on  appelle  Escapuzalco.  Il  existait  de  grands  maîtres  dans  l'art  de 
tailler  les  pierres  précieuses  et  les  chalchihuis,  qui  ressemblent  à 
nos    émeraudes.    Parlons    aussi    des    adroits    ouvriers    qui    exécu- 

1.  Le  lecteur  aura  compris  quo  l'auteur  veul  parler  du  jaguar, 

16 


242  CONQUÊTE 

taient  des  travaux  en  plumes;  parlons  des  peintres  et  des  grands 
sculpteurs  dont  les  œuvres  modernes  nous  disent  assez  ce  qu'ils  fu- 
rent en  d'autres  temps.  Nous  connaissons  à  Mexico  trois  Indiens, 
nommés  Marcos  de  Aquino,  Juan  de  la  Cruz  el  le  Crespillo,  artistes 
d'un  mérite  si  élevé  comme  sculpteurs  et  peintres,  que,  s'ils  avaient 
vécu  au  temps  du  célèbre  Appelles  ou  si  on  les  rapprochait  de  Mi- 
chel-Ange ou  du  Berruguete,  qui  sont  nos  contemporains,  on  les  in- 
scrirait à  côté  de  ces  grands  hommes. 

Allons  plus  loin  et  parlons  des  Indiennes  occupées  au  tissage  et 
aux  broderies,  dont  la  main  habile  produisait  de  grandes  quantités  de 
fines  étoffes  ornées  de  plumes.  Ces  étoffes  venaient  journellement  de 
la  province  et  des  villages  situés  vers  la  partie  nord  des  côtes  de  la 
Vera  Cruz,  appelée  Gostatlan.  Ce  pays  n'est  pas  éloigné  de  Saint-Jean 
d'Uloa,  où  nous  avions  débarqué  quand  nous  arrivâmes  avec  Gortès. 
Dans  le  palais  même  de  Montezuma,  toutes  les  filles  de  grands  sei- 
gneurs qu'il  avait  pour  concubines  s'occupaient  à  tisser  des  œuvres 
exquises.  D'autres  jeunes  filles  mexicaines,  qui  vivaient  dans  la  re- 
traite, comme  nos  religieuses  cloîtrées,  employaient  également  leur 
temps  à  tisser,  et  toujours  avec  de  la  plume.  Ces  recluses  occupaient 
des  maisons  rapprochées  du  grand  temple  de  Huichilobos;  c'est  par 
dévotion  pour  cette  divinité,  et  aussi  pour  la  déesse  que  l'on  disait 
être  la  patronne  des  mariages,  que  les  parents  les  soumettaient  aux 
règles  de  ce  couvent,  dont  elles  ne  sortaient  que  pour  se  marier. 

Disons  encore  la  grande  quantité  de  danseurs  que  Montezuma  en- 
tretenait, ainsi  que  d'autres  qui  jonglaient  avec  un  bâton,  se  ser- 
vant pour  cela  de  leurs  pieds;  quelques-uns  de  ces  danseurs  s'élan- 
çaient si  haut  qu'ils  paraissaient  voler  en  sautant;  plusieurs,  dont 
l'office  était  d'égayer  le  monarque,  ressemblaient  à  nos  matassins;  il 
y  avait  tout  un  quartier  qui  s'adonnait  à  cette  industrie  amusante  et 
ne  travaillait  pas  à  autre  chose.  Parlons  encore  du  grand  nombre 
d'artisans  que  Montezuma  occupait  :  des  tailleurs  de  pierre,  des  ma- 
çons, des  charpentiers  qui  étaient  employés  constamment  aux  tra- 
vaux de  ses  palais,  pour  lesquels  il  avait  toujours  à  sa  disposition  le 
nombre  d'ouvriers  qu'il  pouvait  désirer. 

N'oublions  pas  de  mentionner  les  jardins  fleuristes,  les  arbres  odo 
rants  d'espèces  très-variées,  l'ordre  avec  lequel  ils  étaient  plantés,  les 
sentiers,  les  bassins,  les  étangs  d'eau  douce  où  l'on  voyait  l'eau  en- 
trer d'un  côté  et  sortir  par  l'autre  bout,  les  bains  qui  s'y  trouvaient 
disposés,  et  la  multitude  de  potits  oiseaux  qui  nichaient  dans  les  ar- 
bustes. La  quantité  d'herbes  médicinales  et  utiles  que  l'on  cultivait 
était  vraiment  digne  d'être  admirée. 

Le  nombre  des  jardiniers  était  considérable  ;  tout  était  construit  en 
pierre  de  taille,  aussi  bien  les  bains  que  les  allées,  les  rctiros,  les 
petits  réduits,  les  pavillons,  les  endroits  destinés  au  chant  et  à  la 


DE  LA   NOUVELLE-ESPAGNE.  243 

danse.  Tout  était  plein  d'attrait  dans  ces  jardins,  comme  dans  tout 
le  reste,  et  nous  ne  pouvions  nous  lasser  d'en  admirer  la  magnifi- 
cence. Il  est  donc  certain  que  Montezuma  avait  une  grande  quantité 
de  maîtres  en  tous  les  arts  et  métiers  pratiqués  dans  la  contrée. 

Mais  je  commence  à  me  fatiguer  d'écrire  en  cette  matière,  et  sans 
doute  les  lecteurs  en  sont  plus  las  que  moi-même  :  je  m'arrêterai  donc 
ici,  et  je  dirai  que  notre  général  Gortès,  accompagné  de  plusieurs  de 
nos  capitaines  et  soldats,  fut  voir  le  Tatelulco,  qui  est  la  grande 
place  de  Mexico  ;  comme  quoi  aussi  nous  montâmes  au  grand  temple 
où  se  trouvaient  les  idoles  Tezcatepuca  et  Huichilobos.  Ce  fut  la  pre- 
mière fois  que  notre  général  sortit  pour  visiter  la  ville  de  Mexico. 
Disons  ce  qui  arriva  à  ce  sujet. 


CHAPITRE  XGIi 

omme  quoi  notre  capitaine  sortit  pour  voir  la  ville  de  Mexico,  le  Tatelulco  qui  est 
sa  grande  place,  et  le  temple  de  Huichilobos  ;  et  de  ce  qui  advint  encore. 

Il  y  avait  déjà  quatre  jours  que  nous  étions  à  Mexico.  Ni  Gortès  ni 
ancun  de  nous  ne  sortait  des  logements,  si  ce  n'est  pour  parcourir  le 
palais  et  les  jardins.  Gortès  nous  dit  qu'il  serait  bon  d'aller  voir  la 
grande  place  et  de  visiter  le  temple  de  Huichilobos.  Il  résolut  donc 
de  laire  dire  à  Montezuma  qu'il  voulût  bien  le  trouver  bon,  et  pour 
ce  message  il  choisit  Creronimo  de  Aguilar  et  doila  Marina,  accompa- 
gnés du  petit  page  de  Gortès,  appelé  Orteguilla,  qui  commençait  déjà 
à  comprendre  la  langue.  Instruit  de  notre  projet,  Montezuma  répondit 
que  c'était  bien,  et  que  nous  fissions  notre  visite.  Pourtant  il  eut  la 
crainte  que  nous  pussions  nous  rendre  coupables  de  quelque  manque 
de  respect  envers  les  idoles.  Il  résolut  donc  d'y  aller  en  personne 
avec  plusieurs  de  ses  familiers.  Il  sortit  de  son  palais  dans  une  riche 
litière  et  fit  ainsi  la  moitié  du  chemin.  Alors  il  mit  pied  à  terre  tout 
près  des  premiers  oratoires,  parce  qu'il  tenait  pour  conduite  peu  res- 
pectueuse envers  ses  idoles  d'arriver  en  grande  pompe,  et  non  à  pied, 
au  plus  grand  de  leurs  temples.  Deux  personnages  lui  donnaient  le 
bras.   Des  seigneurs,  ses  vassaux,   marchaient   devant  lui,   portant 
élevés  deux  bâtons,  comme  des  sceptres,  ce  qui  était  l'annonce  du 
passage  du  grand  Montezuma.  Quand  il  était  en  litière,  il  portait  lui- 
même  à  la  main  un  petit  bâton,  moitié  or,  moitié  bois,  et  il  le  tenait 
élevé  comme  on  fait  d'une  main  de  justice.  C'est  donc  ainsi  qu'il  s'ap- 
procha du  grand  temple  et  qu'il  y  monta,  accompagné  de  plusieurs 
papes.  Il  encensa  Huichilobos  en  arrivant  et  lui  fit  diverses  autres 
cérémonies. 


244  CONQUETE 

Mais  laissons  là  Montezuma,  qui  a  pris  les  devants,  et  revenons  à 
Gortès  et  à  nos  capitaines  et  soldats.  Gomme  nous  avions  adopté  la 
coutume  d'être  nuit  et  jour  armés,  et  que  Montezuma  nous  voyait 
toujours  ainsi,  même  quand  nous  allions  lui  faire  visite,  on  ne  pou- 
vait maintenant  trouver  la  chose  extraordinaire.  Je  dis  cela  parce  que 
nous  fûmes  au  Tatelulco  bien  sur  nos  gardes,  notre  général  à  cheval, 
ayant  à  ses  côtés  la  plupart  de  nos  cavaliers  et  aussi  un  grand  nombre 
de  nos  soldats  ;  plusieurs  caciques  nous  suivaient,  ayant  reçu  de 
Montezuma  l'ordre  de  nous  accompagner.  En  arrivant  à  la  grande 
place,  comme  nous  n'avions  jamais  vu  jusque-là  pareille  chose,  nous 
tombâmes  en  admiration  devant  l'immense  quantité  de  monde  et  de 
marchandises  qui  s'y  trouvait,  non  moins  qu'à  l'aspect  de  l'ordre  et 
bonne  réglementation  que  l'on  y  observait  en  toutes  choses.  Les  per- 
sonnages qui  venaient  avec  nous  nous  faisaient  tout  voir.  Chaque 
espèce  de  marchandise  était  à  part,  dans  les  locaux  qui  lui  étaient 
assignés.  Commençons  par  les  marchands  d'or,  d'argent,  de  pierres 
précieuses,  déplumes,  d'étoffes,  de  broderies  et  autres  produits;  puis 
les  esclaves,  hommes  et  femmes,  dont  il  y  avait  une  telle  quantité  à 
vendre,  qu'on  les  pouvait  comparer  à  ceux  que  les  Portugais  amènent 
de  Guinée.  La  plupart  étaient  attachés  par  le  cou  à  de  longues 
perches  formant  collier l  pour  qu'ils  ne  pussent  point  prendre  la  fuite  ; 
mais  quelques-uns  étaient  laissés  en  liberté.  D'autres  marchands  se 
trouvaient  là,  vendant  des  étoffes  ordinaires  en  coton,  ainsi  que  divers 
ouvrages  en  fil  tordu.  On  y  voyait  aussi  des  marchands  de  cacao.  Il  y 
avait  donc  dans  cette  place  autant  d'espèces  de  marchandises  qu'il  y 
en  a  dans  la  Nouvelle-Espagne  entière,  et  tout  y  était  disposé  dans 
le  plus  grand  ordre.  C'est  absolument  la  même  chose  que  dans  mon 
pays,  qui  est  Médina  del  Campo,  où  se  tiennent  des  foires  pendant 
lesquelles  chaque  marchandise  se  vend  dans  la  rue  qui  lui  est  désignée. 
Ceux  qui  vendaient  des  étoffes  de  nequen,  des  cordages,  des  cotaras 
(ce  sont  des  chaussures  en  usage  dans  le  pays  et  qui  sont  faites  de 
nequen),  les  racines  de  la  même  plante  qui  deviennent  sucrées  par 
la  cuisson  et  d'autres  produits  qui  en  sont  extraits,  tout  cela  occupait 

1.  Le  texte  espagnol  dit  :  traianlos  alados  en  unas  varas  largas:  como  cnlla- 
res  à  los  pescuezos,  porque  no  se  les  huyesen.  Cette  rédaction  est  un  peu  différente 
de  celle  dont  on  a  vu  la  traduction  à  la  page  110.  Dans  ce  premier  passage,  nous 
voyons  que  les  captifs  étaient  attachés  à  des  morceaux  de  bois  avec  des  colliers;  tan- 
dis qu'ici  on  les  amène  avec  de  longs  morceaux  de  bois  [como  collares)  qui  ont  Pair 
de  former  des  colliers.  Il  est  donc  probable  que  les  carcans  variaient  de  forme  selon 
les  besoins,  chez  les  Aztèques,  et  que  dans  le  cas  dont  il  s'agit  présentement,  on  em- 
ployait deux  longues  perches  qui  passaient  sur  les  deux  épaules  et  permettaient  de 
placer  plusieurs  captifs  l'un  devant  l'autre,  en  ayant  soin,  pour  chacun  d'eux,  d'à j ou 
ter  des  liens  devant  et  derrière  le  cou,  avec  points  d'attache  sur  les  deux  perches,  de 
manière  à  former  un  collier.  Ce  procédé  aurait  permis  aux  captifs  de  marcher,  tout 
en  rendant  la  fuite  difficile  à  cause  de  la  solidarité  de  tous  ceux  qui  seraient  réunis 
dans  le  même  appareil. 


DE  LA  NOUVELLE-ESPAGNE.  245 

un  local  à  part  dans  le  marché.  Il  y  avait  aussi  des  peaux  de  tigre, 
de  lion,  de  loutre,  de  chacal,  de  chevreuil,  de  blaireau  et  de  chat  sau- 
vage; quelques-unes  étaient  tannées,  tandis  que  d'autres  se  vendaient 
sans  préparation. 

Dans  un  autre  quartier  de  la  place,  on  remarquait  encore  des  spé- 
cialités différentes.  Citons,  par  exemple,  les  marchands  de  haricots, 
de  chiax  et  d'autres  légumes.  Passons  aux  vendeurs  de  poules,  de 
coqs  d'Inde,  de  lapins,  de  lièvres,  de  chevreuils,  de  canards,  de  petits 
chiens  et  autres  denrées  de  ce  genre,  qui  occupaient  aussi  leur  local 
dans  le  marché.  Parlons  des  fruitières  et  des  femmes  qui  vendaient 
des  choses  cuites,  des  reliefs,  des  tripes,  etc.;  elles  avaient  aussi  leur 
place  désignée.  Il  y  avait  encore  le  département  de  la  poterie,  faite 
de  mille  façons,  depuis  les  jarres  d'une  taille  gigantesque  jusqu'aux 
plus  petits  pots.  Nous  vîmes  aussi  des  marchands  de  miel,  de  sucre 
candi  et  autres  friandises  ressemblant  au  nougat. 

Ailleurs,  on  vendait  des  boiseries,  des  planches,  de  la  vieille  literie, 
des  hachoirs,  des  bancs,  le  tout  à  sa  place  ;  voire  même  les  vendeurs 
de  bois  à  brûler,  de  bûches  de  pin  et  autres  objets  de  même  usage. 
Que  voulez-vous  que  je  dise  encore?  Permettez  qu'en  parlant  par  res 
pect,  je  vous  raconte  qu'on  vendait  des  canots  remplis  de  déjections 
humaines.  On  les  tenait  un  peu  écartés  dans  les  estuaires.  Ce  produit 
s'employait,  disait-on,  au  tannage  des  peaux,  et  l'on  prétendait  que 
l'opération  réussissait  mal  sans  ce  secours.  Je  sais  bien  qu'il  ne  man- 
quera pas  de  gens  pour  rire  de  ce  détail  ;  j 'affirme  cependant  que  cela 
se  passait  ainsi;  et  je  dis  plus  :  dans  le  pays,  on  avait  la  coutume 
d'établir,  sur  le  bord  des  chemins,  des  abris  en  roseau,  en  paille  ou 
en  herbages,  pour  cacher  aux  regards  les  gens  qui  y  entraient, 
poussés  par  un  certain  besoin  naturel,  afin  que  le  produit  en  fût  re- 
cueilli et  ne  restât  pas  sans  usage. 

Mais  pourquoi  donc  m'essoufflé-je  tant  pour  énumérer  ce  que  l'on 
vendait  sur  cette  grande  place?  car,  enfin,  ce  serait  à  n'en  plus  finir, 
s'il  fallait  que  je  racontasse  chaque  chose  dans  tous  ses  détails.  Je 
me  vois  cependant  obligé  de  mentionner  le  papier  appelé  aniatl  dans 
le  pays,  ainsi  que  de  petits  cylindres  odorants  pleins  de  liquidambar 
et  de  tabac,  non  moins  que  d'autres  liniments  jaunes  qui  se  vendaient 
ensemble  dans  le  même  local.  On  voyait  aussi  beaucoup  de  cochenille 
sous  tes  arcades  qui  entouraient  la  place.  Il  y  avait  également  un 
grand  nombre  d'herboristes  et  de  marchandises  de  je  ne  sais  com- 
bien de  façons.  Je  vis  même  des  pavillons  pour  abriter  trois  juges 
dans  leurs  fonctions,  et  des  espèces  d'alguazils  vérificateurs  qui  sur- 
veillaient les  objets  mis  en  vente.  J'oubliais  de  mentionner  le  marché 

1.  Cliia  (Salvia  hispanica).  C'est  une  graine,  petite  comme  du  chènevis,  mutila-» 
gineuse  <'l  rafraîchissante. 


246  CONQUÊTE 

du  sel  et  les  fabricants  de  couteaux  d'obsidienne,  exposant  au  public 
la  manière  de  les  extraire  de  la  masse  pierreuse.  Et  encore,  les  gens 
qui  s'occupaient  à  la  pêche,  et  parmi  eux  j'en  citerai  quelques-uns 
qui  vendaient  des  petits  pains  fabriqués  avec  une  sorte  de  limon 
recueilli  sur  la  lagune.  Ce  limon  se  fige  et  devient  apte  à  être  partagé 
en  tablettes,  dont  le  goût  rappelle  un  peu  nos  fromages.  On  vendait 
encore  des  haches  de  laiton,  c'est-à-dire  de  cuivre  et  d'étain.  Nous  vîmes 
aussi  des  tasses  et  des  pots  faits  avec  du  bois  et  ornés  de  peintures. 
Je  voudrais  bien  en  avoir  fini  avec  tous  les  objets  qui  étaient  là  en 
vente.  En  réalité,  le  nombre  en  était  tel  et  les  qualités  si  diverses 
qu'il  aurait  fallu  plus  de  loisir  et  de  calme  pour  tout  voir  et  tout  étu- 
dier. D'ailleurs  cette  grande  place  était  pleine  de  monde  et  environ- 
née de  maisons  à  arcades,  et  il  était  absolument  impossible  de  tout 
observer  en  un  jour. 

Nous  nous  dirigeâmes  donc  vers  le  temple.  Nous  étions  déjà  presque 
arrivés  à  ses  grands  préaux,  lorsque,  étant  encore  sur  la  place,  nous 
vîmes  d'autres  marchands  qui,  nous  dit-on,  vendaient  de  l'or  en  grains 
comme  on  le  sort  des  mines.  Il  était  enfermé  dans  de  petits  tubes  faits 
avec  des  plumes  d'oies  du  pays,  et  assez  transparents  pour  qu'on  pût 
voir  l'or  à  travers  les  parois.  C'était  d'après  la  longueur  et  l'épais- 
seur des  tubes  qu'on  faisait  les  marchés  :  cela  valait  tant  d'étoffes, 
tant  de  milliers  de  grains  de  cacao,  tel  esclave  ou  n'importe  quel  autre 
objet  servant  à  l'échange.  Ce  fut  là,  du  reste,  que  nous  abandon- 
nâmes la  place  sans  l'examiner  davantage.  Nous  arrivâmes  aux  vastes 
clôtures  et  aux  préaux  du  grand  temple,  lequel  était  précédé  d'une 
étendue  considérable  de  cours  qui  me  parurent  dépasser  les  dimen- 
sions de  la  place  de  Salamanca.  Le  tout  était  clos  de  murs  construits 
à  chaux  et  à  sable.  Cette  cour  était  pavée  de  grandes  pierres  plates, 
blanches  et  très-lisses;  partout  où  ces  dalles  manquaient,  le  sol,  fait 
en  maçonnerie,  avait  une  surface  très  polie  ;  tout  était  du  reste  pro- 
pre à  ce  point  qu'on  n'y  voyait  ni  pailles  ni  poussière  nulle  part.  Lors- 
qu'on nous  vit  approcher  du  temple,  et  avant  que  nous  en  eussions 
franchi  aucun  degré,  Montezuma,  qui  était  au  sommet,  occupé  aux 
sacrifices,  envoya  six  papes  et  deux  personnages  de  distinction  pour 
accompagner  notre  général.  Au  moment  où  celui-ci  allait  commencer 
à  monter  les  degrés,  qui  s'élèvent  au  nombre  de  cent  quatorze,  ces 
personnages  allèrent  lui  prendre  le  bras  pour  l'aider  à  monter, 
croyant  qu'il  en  éprouverait  delà  fatigue,  et  voulant  faire  pour  lui  ce 
qu'ils  faisaient  pour  leur  seigneur  Montezuma;  mais  Cortès  ne  le  leur 
permit  point. 

Arrivés  au  haut  du  temple,  nous  vîmes  une  petite  plate-forme  dont 
le  milieu  était  occupé  par  un  échafaudage  sur  lequel  s'élevaient  de 
grandes  pierres  ;  c'était  sur  elles  que  l'on  étendait  les  pauvres  Indiens 
qui  devaient  être  sacrifiés.  Là  se  voyait  une  énorme  masse  roprésen- 


DE  LA  NOUVELLE-ESPAGNE.  247 

tant  une  sorte  de  dragon  et  d'autres  méchantes  figures.  Autour  do  cet 
ensemble,  beaucoup  de  sang  avait  été  répandu  ce  jour-là  même.  Aus- 
sitôt que  nous  arrivâmes,»Montezuma  sortit  d'un  oratoire  où  se  trou- 
vaient ses  maudites  idoles,  situées  au  sommet  du  grand  temple  ;  deux 
papes  l'accompagnaient.  Après  les  démonstrations  respectueuses  faites 
à  Gortès  et  à  nous,  il  lui  dit:  «Vous  êtes  sans  doute  fatigué,  seigneur 
Malinche,  d'être  monté  jusqu'au  haut  de  cet  édifice.  »  A  quoi  Gortès 
répondit,  au  moyen  de  nos  interprètes,  que  ni  lui  ni  aucun  de  nous 
ne  se  fatiguait  jamais,  quelle  qu'en  fût  la  raison.  Le  prince  le  prit 
aussitôt  par  la  main,  le  priant  de  regarder  sa  grande  capitale  et  toutes 
les  autres  villes  que  l'on  voyait  situées  dans  les  eaux  du  lac,  ainsi 
que  les  nombreux  villages  bâtis  tout  autour  sur  la  terre  ferme.  Il  ajou- 
tait que  si  nous  n'avions  pas  vu  suffisamment  sa  grande  place,  de  là 
nous  la  pourrions  examiner  beaucoup  mieux.  Nous  admirâmes  en 
effet  toutes  ces  choses  ;  car  cet  énorme  et  maudit  temple  était  d'une 
hauteur  qui  dominait  au  loin  les  alentours. 

De  là,  nous  vîmes  les  trois  chaussées  qui  conduisent  à  Mexico  : 
celle  d'Iztapalapa,  par  où  nous  étions  arrivés  quatre  jours  auparavant; 
celle  de  Tacuba,  par  laquelle,  dans  huit  mois,  nous  devions  sortir 
en  fuyards,  après  notre  grande  déroute,  lorsque  Goadlavaca,  le  nou- 
veau monarque,  nous  chasserait  de  la  ville,  comme  nous  le  verrons 
plus  loin.  On  apercevait  enfin,  d'un  autre  côté,  la  chaussée  de  Tepea- 
quilla.  Nous  voyions  encore  l'eau  douce  qui  venait  de  Ghapultepeque 
pour  l'approvisionnement  de  la  ville.  Les  trois  chaussées  nous  mon- 
traient les  ponts  établis  de  distance  en  distance,  sous  lesquels  l'eau 
de  la  lagune  entrait  et  sortait  de  toutes  parts.  Sur  le  lac  on  voyait  cir- 
culer une  multitude  de  canots  apportant,  les  uns  des  provisions  de 
bouche,  les  autres  des  marchandises.  Nous  remarquions  que  le  ser- 
vice des  maisons  situées  dans  l'eau  et  la  circulation  de  l'une  à  l'autre 
ne  se  pouvaient  faire  qu'au  moyen  de  canots  et  de  ponts-levis  en  bois. 
Toutes  ces  villes  étaient  remarquables  par  leur  grand  inmbre  d'ora- 
toires et  de  temples,  simulant  des  tours  et  des  forteresses  et  reflétant 
leur  admirable  blancheur.  Toutes  les  maisons  étaient  bâties  en  ter- 
rasses et  les  chaussées  elles-mêmes  offraient  à  la  vue  des  tours  et  des 
oratoires  qui  paraissaient  construits  pour  la  défense.  Après  avoir  ad- 
miré tout  ce  que  nos  regards  embrassaient,  nous  baissâmes  de  nou- 
veau les  yeux  sur  la  grande  place  et  sur  la  multitude  de  gens  qui  s'y 
trouvait,  les  uns  pour  vendre,  et  les  autres  pour  acheter;  leurs  voix 
formaient  comme  une  rumeur  et  un  bourdonnement  qu'on  aurait  cru 
venir  de  plus  d'une  lieue  de  distance.  Nous  comptions  parmi  nous 
des  soldats  qui  avaient  parcouru  différentes  parties  du  inonde  :  Con- 
stantinople,  l'Italie,  Rome;  ils  disaient  qu'ils  n'avaient  vu  nulle  part 
une  place  si  bien  alignée,  si  vaste,  ordonnée  avec  tant  d'art  et  cou- 
verte de  tant  de  monde. 


248  CONQUETE 

Laissons  cela  et  revenons  à  notre  général  qui  dit  à  fray  Bartolomé 
de  Olmedo,  là  présent  :  «  Il  me  semble,  mon  Père,  qu'il  serait  bon 
de  sonder  un  peu  Montezuma  sur  la  question  de  nous  laisser  bâtir  ici 
une  église.  »  Le  Père  répondit  que  ce  serait  fort  bien  si  cela  devait 
réussir,  mais  qu'il  lui  paraissait  peu  convenable  d'en  parler  dans  une 
pareille  circontance,  Montezuma  ne  lui  faisant  point  l'effet  d'être  en 
disposition  d'y  consentir.  Gortès  dit  alors  à  Montezuma,  par  l'entre- 
mise de  doua  Marina  :  «  Vous  êtes  un  bien  grand  seigneur,  et  je  devrais 
dire  plus  encore.  Nous  avons  été  certainement  fort  heureux  de  contem- 
pler vos  grandes  villes  ;  mais  ce  qu'en  grâce  je  voudrais  vous  deman- 
der maintenant,  puisque  nous  sommes  dans  ce  temple,  ce  serait  de 
nous  montrer  vos  dieux,  vos  teules.  »  Montezuma  répondit  qu'il  avait 
besoin  d'en  conférer  d'abord  avec  ses  papes.  Aussitôt  qu'il  leur  eut 
parlé,  il  nous  invita  à  entrer  dans  une  tour  et  dans  une  pièce  en  forme 
de  grande  salle  où  se  trouvaient  comme  deux  autels  recouverts  de 
riches  boiseries.  Sur  chaque  autel  s'élevaient  deux  masses  comme  de 
géants  avec  des  corps  obèses.  Le  premier,  situé  à  droite,  était,  disait- 
on,  Huichilobos,  leur  dieu  de  la  guerre.  Son  visage  était  très-large, 
les  yeux  énormes  et  épouvantables;  tout  son  corps,  y  compris  la  tête, 
était  recouvert  de  pierreries,  d'or,  de  perles  grosses  et  petites  adhé- 
rant à  la  divinité  au  moyen  d'une  colle  faite  avec  des  racines  farineuses. 
Le  corps  était  ceint  de  grands  serpents  fabriqués  avec  de  l'or  et  des 
pierres  précieuses;  d'une  main  il  tenait  un  arc  et,  de  l'autre,  des  flè- 
ches. Une  seconde  petiîe  idole,  qui  se  tenait  à  côté  de  la  grande  di- 
vinité, en  qualité  de  page,  lui  portait  une  lance  de  peu  de  longueur 
et  une  rondache  très-riche  en  or  et  pierreries.  Du  cou  de  Huichilobos 
pendaient  des  visages  d'Indiens,  et  des  cœurs  en  or,  quelques-uns  en 
argent  surmontés  de  pierreries  bleues.  Non  loin,  se  voyaient  des  cas- 
solettes contenant  de  l'encens  fait  avec  le  copal;  trois  cœurs  d'Indiens, 
sacrifiés  ce  jour-là  même,  y  brûlaient  et  continuaient  avec  l'encens 
le  sacrifice  qui  venait  d'avoir  lieu.  Les  murs  et  le  parquet  de  cet  ora- 
toire étaient  à  ce  point  baignés  par  le  sang  qui  s'y  figeait,  qu'il  s'en 
exhalait  une  odeur  repoussante. 

Portant  nos  regards  à  gauche,  nous  vîmes  une  autre  grande  masse, 
de  la  hauteur  de  Huichilobos;  sa  figure  ressemblait  au  museau  d'un 
ours,  et  ses  yeux  reluisants  étaient  faits  de  miroirs  nommés  tezcatl  en 
langue  de  ce  pays;  son  corps  était  couvert  de  riches  pierreries,  de  la 
même  manière  que  Huichilobos,  car  on  les  disait  frères.  On  adorait 
le  Tezcatepuca  comme  dieu  des  enfers.  On  lui  attribuait  le  soin  des 
âmes  des  Mexicains.  Son  corps  était  ceint  par  de  petits  diables  qui 
portaient  des  queues  de  serpent.  Autour  de  lui,  il  y  avait  aussi  sur 
les  murs  une  telle  couche  de  sang  et  le  sol  en  était  baigné  à  ce  point, 
que  les  abattoirs  de  Gastille  n'exhalent  pas  une  pareille  puanteur.  On 
y  voyait,  du  reste,  l'offrande  de  cinq  cœurs  de  victimes  sacrifiées  ce 


DE   LA   NOUVELLE-ESPAGNE.  240 

jour-là  même.  Au  point  culminant  du  temple  s'élevait  une  niche  doni 
la  boiserie  était  très-richement  sculptée.  Là  se  trouvait  une  statue 
représentant  un  être  semi-homme  et  semi-crocodile,  enrichi  de  pier- 
reries et  à  moitié  recouvert  par  une  mante.  On  disait  que  cetle  idole 
était  le  dieu  des  semailles  et  des  fruits;  la  moitié  de  son  corps  ren- 
fermait toutes  les  graines  cfu'il  y  a  dans  le  pays  entier.  Je  ne  me  rap- 
pelle pas  Je  nom  de  cette  divinité;  ce  que  je  sais,  c'est  que  là  aussi 
tout  était  souillé  de  sang,  tant  les  murs  que  l'autel,  et  que  la  puanteur 
y  était  telle,  qu'il  nous  tardait  fort  d'aller  prendre  l'air.  Là  se  trouvait 
un  tambour  d'une  dimension  démesurée;  quand  on  le  battait,  il  ren- 
dait un  son  lugubre  comme  ne  pouvait  manquer  de  faire  un  instru- 
ment infernal.  On  l'entendait  du  reste  de  deux  lieues  à  la  ronde,  et 
on  le  disait  tendu  de  peaux  de  serpents  d'une  taille  gigantesque. 

Sur  cette  terrasse  se  voyait  encore  un  nombre  infini  de  choses  d'un 
aspect  diabolique  :  des  porte-voix,  des  trompettes,  des  coutelas,  plu- 
sieurs cœurs  d'Indiens,  que  l'on  brûlait  en  encensant  les  idoles  ;  le 
tout  recouvert  de  sang  et  en  si  grande  quantité  que  je  les  voue  à  la 
malédiction!  Gomme  d'ailleurs  partout  s'exhalait  une  odeur  de  char- 
nier, il  nous  tardait  fort  de  nous  éloigner  de  ces  exhalaisons  et  surtout 
de  cette  vue  repoussante. 

Ce  fut  alors  que  notre  général,  au  moyen  de  notre  interprète,  dit  à 
Monteziima  en  souriant  :  «  Monseigneur,  je  ne  comprends  pas  qu'é- 
tant un  grand  prince  et  un  grand  sage  comme  vous  êtes,  vous  n'ayez 
pas  entrevu,  dans  vos  réflexions,  que  vos  idoles  ne  sont  pas  des  dieux, 
mais  des  objets  maudits  qui  se  nomment  démons.  Pour  que  Votre 
Majesté  le  reconnaisse  et  que  tous  vos  papes  en  restent  convaincus, 
faites-moi  la  grâce  de  trouver  bon  que  j'érige  une  croix  sur  le  haut 
de  cette  tour,  et  que,  dans  la  partie  même  de  cet  oratoire  où  se  trou- 
vent vos  Huichilobos  et  Tezcatepuca,  nous  construisions  un  pavillon 
où  s'élèvera  l'image  de  Notre  Dame  (Montczumala  connaissait  déjà); 
et  vous  verrez  la  crainte  qu'elle  inspire  à  ces  idoles,  dont  vous  êtes  les 
dupes.  »  Montezuma  répondit  à  moitié  en  colère,  tandis  que  les  papes 
présents  faisaient  des  démonstrations  menaçantes  :  «  Seigneur  Ma- 
linche,  si  j'avais  pu  penser  que  tu  dusses  proférer  des  blasphèmes 
comme  tu  viens  de  le  faire,  je  ne  t'eusse  pas  montré  mes  divinités. 
Nos  dieux,  nous  les  tenons  pour  bons  ;  ce  sont  eux  qui  nous  donnent 
la  santé,  les  pluies,  les  bonnes  récoltes,  les  orages,  les  victoires  et 
tout  ce  que  nous  désirons.  Nous  devons  les  adorer  et  leur  faire  des 
sacrifices.  Ce  dont  je  vous  prie,  c'est  qu'il  ne  se  dise  plus  un  mot  qui 
ne  soit  en  leur  honneur.  » 

Notre  général,  l'ayant  entendu  et  voyant  son  émotion,  ne  crut  pas 
devoir  répondre;  mais  il  lui  dit  en  affectant  un  air  gai  :  «  Il  est  déjà 
l'heure  que  nous  et  Votre  Majesté  nous  partions.  »  A  quoi  Monte- 
zuma  répliqua  que  c'était  vrai,  mais  que,  quant  à  lui,  il  avait  à  prier 


2  50  CONQUETE 

et  à  faire  certains  sacrifices,  pour  l'expiation  du  péché  qu'il  venait  de 
commettre  en  nous  donnant  accès  dans  son  temple,  et  qui  avait  eu 
pour  conséquence  notre  présentation  à  ses  dieux  et  le  manque  de  res- 
pect dont  nous  nous  étions  rendus  coupables  en  blasphémant  contre 
eux;  qu'avant  de  partir  il  devait  leur  adresser  des  prières  et  les  ado- 
rer. Cortès  répondit  :  «  Puisqu'il  en  est  ainsi,  que  Votre  Seigneurie 
pardonne;  »  et  nous  nous  mîmes  aussitôt  à  descendre  les  degrés  du 
temple.  Or,  comme  il  y  en  avait  cent  quatorze  et  que  quelques-uns  de 
nos  soldats  étaient  malades  de  bubas1  ou  de  mauvaises  humeurs,  ils 
eurent  mal  aux  cuisses  en  descendant. 

Je  cesserai  de  parler  de  l'oratoire  pour  dire  quelque  chose  de  l'éten- 
due et  de  la  forme  du  temple.  Or,  si  je  ne  le  représente  pas,  dans  mon 
écrit,  tel  qu'il  était  au  naturel,  que  l'on  n'en  soit  pas  surpris,  parce 
qu'en  ce  temps-là  j'étais  dominé  par  d'autres  pensées  relatives  à  notre 
entreprise,  c'est-à-dire  aux  choses  militaires  et  à  ce  que  mon  général 
me  commandait,  et  nullement  à  des  narrations  descriptives.  Mais 
reprenons  notre  sujet.  Il  me  semble  que  le  périmètre  du  grand  temple 
occupait  environ  six  grands  solares1^  tels  qu'on  les  calcule  dans  le 
pays.  La  construction  diminuait  dans  ses  dimensions  depuis  la  base 
jusqu'au  niveau  supérieur  où  s'élevait  la  petite  tour  et  se  trouvaient 
les  idoles.  A  partir  de  la  moitié  de  la  hauteur  jusqu'à  la  plus  grande 
élévation  se  comptent  cinq  étages  dont  chacun  est  en  retrait  sur  le 
précédent,  et  qui  forment  comme  des  barbacanes  découvertes  et  sans 
parapets.  Du  reste,  on  a  peint  beaucoup  de  ces  temples  sur  les  cou- 
vertures dont  font  usage  les  conquistadores;  quiconque  verrait  celle 
que  je  possède  aurait  une  idée  exacte  de  la  vue  extérieure  qu'ils 
présentent. 

Mais  voici  un  fait  que  j'ai  vu  et  dont  je  suis  bien  sûr  :  il  a  son  point 
de  départ  dans  la  tradition  se  rattachant  à  l'érection  de  ce  grand  tem- 
ple. Tous  les  habitants  de  cette  capitale  offrirent  de  l'or,  de  l'argent, 
des  perles  et  des  pierres  précieuses  qui  furent  enfouis  dans  ses  fonda- 
tions ;  on  y  fit  ruisseler  aussi  le  sang  d'une  multitude  d'Indiens  pri- 
sonniers de  guerre,  sacrifiés  à  cette  occasion;  on  y  répandit  encore 
toutes  sortes  de  graines  du  pays  entier,  afin  que  leurs  idoles  leur 
donnassent  victoires,  richesses  et  grande  variété  de  fruits.  Quelques 
lecteurs  des  plus  curieux  demanderont  maintenant  comment  nous 
pûmes  savoir  qu'on  avait  mis  dans  les  fondations  de  ce  temple  de  l'or, 

1.  Buhas  est  l'expression  par  laquelle,  à  la  lin  du  quinzième  siècle,  les  Espagnols 
désignèrent  rensemble  des  symptômes  de  la  syphilis. 

2.  Le  mot  salai'  signifie  proprement  ici  l'aire  occupée  par  une  habitation  et  ses  dé- 
pendances. C'est  par  conséquent  un  terme  fort  vague  quand  il  s'agit  de  le  considérer 
comme  moyen  d'évaluation  d'une  étendue  quelconque  du  sol,  à  moins  qu'on  en  fasse 
usage  dans  un  pays  où  l'habitude  existe  de  lui  faire  désigner  une  surface  déterminée. 
C'était  peut-être  le  cas  pour  l'époque  dont  il  est  ici  question,  mais  j'avoue  que  je  l'i- 
gnore absolument, 


DE  LA   NOUVELLE-ESPAGNE.  251 

de  l'argent,  des  pierres  chalchihuis,  des  graines,  et  (ju'on  les  avait 
arrosées  du  sang  des  Indiens  que  l'on  sacrifiait,  puisque  mille  ans 
environ  s'étaient  écoulés  depuis  l'édification  du  monument.  A  cela  je 
réponds  qu'après  la  prise  de  cette  puissante  ville  et  lorsqu'on  avait 
déjà  fait  la  répartition  de  ses  solares,  nous  nous  proposâmes  d'élever 
une  église  à  notre  patron  et  guide  le  seigneur  Santiago,  sur  l'empla- 
cement même  de  ce  grand  temple.  On  employa  à  cette  œuvre  une 
bonne  partie  de  l'étendue  occupée  par  l'ancien  édifice.  Or,  comme  on 
creusait  les  fondations  pour  mieux  assurer  ce  que  l'on  allait  construire, 
on  trouva  beaucoup  d'or,  d'argent,  de  chalchihuis,  de  perles  et  d'autres 
pierres  précieuses.  Même  chose  arriva  à  un  habitant  de  Mexico  au- 
quel était  échue  en  partage  une  autre  portion  du  sol  occupé  par  Je 
temple.  C'est  à  ce  point  que  les  employés  du  fisc  réclamaient  la  trou- 
vaille pour  Sa  Majesté,  prétendant  qu'elle  lui  revenait  de  droit.  Il  y 
eut  un  procès  et  je  ne  me  souviens  pas  de  son  résultat;  mais  je  me 
rappelle  qu'en  s'informant  auprès  des  caciques,  des  principaux  per- 
sonnages de  Mexico,  et  de  Guatemuz,  qui  existait  encore,  on  obtint 
pour  réponse  que  c'était  vrai  :  tous  les  habitants  de  Mexico  qui  vivaient 
au  temps  de  l'érection  du  temple  avaient  jeté  dans  ses  fondations  ces 
bijoux  et  tout  lé  reste,  chose  qui  était  inscrite  dans  les  livres  publics 
et  figurée  même  parmi  les  peintures  représentant  des  antiquités.  Gela 
étant  ainsi,  ces  trésors  furent  consacrés  à  l'œuvre  de  l'édification  de 
l'église  de  Santiago. 

Laissons  cela,  pour  décrire  les  grands  et  magnifiques  préaux  qui 
précédaient  le  temple  de  Huichilobos  et  où  s'élève  à  présent  l'édi- 
fice de  Santiago,  appelé  le  Tatelulco,  parce  que  c'est  ainsi  qu'on  nom- 
mait ce  lieu  d'habitude.  J'ai  déjà  dit  que  ces  vastes  cours  étaient  closes 
par  un  mur  de  pierre  et  de  ciment  et  pavées  de  dalles  blanches,  le 
tout  très-bien  peint  à  la  chaux,  poli  et  d'une  grande  propreté.  J'ai 
ajouté  que  son  étendue  égalerait  à  peu  près  celle  de  la  place  de  Sala- 
manca.  Là,  quelque  peu  éloignée  du  grand  temple,  s'élevait  une 
maison  d'idoles,  disons  plutôt  un  enfer,  car,  à  l'entrée,  se  trouvait 
une  grande  gueule,  comme  celle  qu'on  dépeint  à  la  porte  des  enfers, 
ouverte,  montrant  ses  grosses  dents,  pouravaler  les  pauvres  âmes.  On 
voyait  aussi,  près  de  l'entrée  de  la  petite  tour,  des  groupes  diaboli- 
ques et  des  corps  de  serpents,  tandis  que,  non  loin  de  là,  se  dres- 
sait une  pierre  pour  les  sacrifices  ;  tout  cela  plein  de  sang  et  noirci 
par  la  fumée.  Au  dedans  de  la  tour  se  trouvaient  de  grandes  marmi- 
tes, des  jarres  et  des  cruchons.  C'était  là  qu'on  faisait  cuire  les  chairs 
des  malheureux  Indiens  sacrifiés,  pour  servir  aux  repas  des  papes. 
Près  de  la  pierre  des  sacrifices  se  voyaient  plusieurs  coutelas  et  des 
billots  semblables  à  ceux  qui  servent  à  dépecer  la  viande  dans  les  bou- 
cheries. Derrière  la  tour,  et  assez  loin,  s'élevaient  des  amas  de  boisa 
brûler,  et,  à  peu  de  distance,  s'étalait  un  bassin  qui  se  remplissait 


252  CONQUÊTE 

et  se  vidait  à  volonté,  «'alimentant,  par  des  canaux  couverts,  aux  con- 
duites d'eau  qui  venaient  de  Ghapultepeque.  J'avais,  pour  ma  part, 
l'habitude  d'appeler  cet  édifice  :  l'Enfer. 

Continuons  l'examen  de  ce  préau  et  voyons  un  autre  pavillon  qui 
servait  à  l'inhumation  des  grands  seigneurs  mexicains.  Il  y  avait  tou- 
jours des  idoles,  du  sang,  de  la  fumée,  et  des  portes  avec  leurs  figures 
infernales.  Non  loin  de  cet  édifice  s'en  trouvait  encore  un  autre,  plein 
de  crânes  et  de  fémurs  arrangés  avec  tant  d'ordre  qu'on  pouvait  tous 
les  voirs,  mais  non  les  compter,  à  cause  de  leur  grand  nombre;  du 
reste,  les  crânes  étaient  d'un  côté,  et  les  fémurs,  séparés,  de  l'autre. 
Il  y  avait  là  de  nouvelles  idoles  et  dans  chaque  édifice  se  trouvaient 
des  papes  avec  leurs  longs  manteaux  de  couleur  foncée,  surmontés  de 
capuchons  comme  en  ont  les  dominicains  et  ressemblant  un  peu  à 
ceux  de  nos  chanoines;  leur  chevelure  était  longue  et  en  tel  état  que 
les  cheveux  ne  pouvaient  en  être  démêlés;  la  plupart  avaient  sacrifié 
leurs  oreilles,  et  leur  tête  dégouttait  de  sang.  Allons  un  peu  plus  loin: 
au  delà  des  édifices  où  se  trouvaient  les  crânes,  il  y  avait  encore 
d'autres  idoles  auxquelles  on  sacrifiait  et  qui  étaient  représentées 
sous  de  vilaines  formes.  On  les  disait  préposées  au  patronage  des 
mariages  des  hommes.  Je  ne  veux  pas  m'arrêter  davantage  à  la  pein- 
ture de  tant  de  divinités.  Je  mebornerai  à  dire  que  tout  autour  de  ce 
grand  préau  il  y  avait  un  nombre  considérable  de  maisons  basses; 
c'est  là  que  résidaient  les  papes  et  les  Indiens  chargés  des  idoles.  Il 
y  avait  encore  un  bassin  beaucoup  plus  grand,  rempli  d'eau  très-claire 
et  destiné  au  service  de  Huichilobos  et  de  Tezcatepuca.  On  l'alimen- 
tait aussi  par  des  canaux  couverts  qui  venaient  de  Ghapultepeque. 
Tout  près  de  ce  bassin  se  voyaient  de  grandes  constructions  compa- 
rables à  nos  monastères,  où  étaient  recueillies  un  grand  nombre  de 
filles  d'habitants  de  Mexico,  y  vivant  comme  des  religieuses  cloîtrées, 
jusqu'à  ce  qu'elles  se  mariassent.  Là  se  trouvaient  aussi  deux  idoles 
féminines,  patronnes  des  mariages  pour  les  femmes.  On  leur  faisait 
des  sacrifices  et  de  grandes  fêtes  pour  en  obtenir  de  bons  maris. 

Je  me  suis  arrêté  bien  longtemps  à  décrire  ce  grand  temple  du 
Tatelulco  et  ses  préaux,  parce  que  c'était  le  plus  vaste  de  toute  la  ca- 
pitale, où  il  y  en  avait  bien  d'autres  somptueusement  édifiés,  et  si 
nombreux  que  Ton  y  comptait  un  grand  oratoire  avec  ses  idoles  pour 
chaque  réunion  de  quatre  quartiers.  Je  n'en  pourrais  dire  le  total; 
j'affirmerai  seulement  qu'il  était  considérable.  Je  puis  ajouter  que  le 
temple  de  Gholula  s'élevait  à  une  hauteur  plus  grande  que  celui  de 
Mexico,  puisqu'on  comptait  cent  vingt-cinq  marches  à  ses  escaliers. 
Onassuraitdu  reste  que  la  divinité  de  Gholula  passait  pour  excellente; 
on  y  allait  en  pèlerinage  de  toutes  les  parties  de  la  Nouvelle-Espagne 
afin  de  gagner  des  indulgences;  c'est  pour  ce  motif  que  sa  demeure 
fut  édifiée  avec  tant  de  magnificence,  quoique  sous  une  forme  dilfé- 


DE  LA   NOUVELLE-ESPAGNE.  253 

rente  de  l'oratoire  de  Mexico.  Ses  préaux  étaient  également  très-grands 
et  entourés  d'une  double  muraille.  Le  temple  de  la  ville  de  Tezcuco 
passait  pour  être  très-haut,  son  escalier  se  composait  de  cent  dix-sept 
marches,  ses  cours  étaient  spacieuses  et  belles,  mais  sa  forme  diffé- 
rait de  tous  les  autres  édifices  de  ce  genre.  Une  particularité  qui  don- 
nait envie  de  rire,  c'est  que,  chaque  province  ayant  ses  idoles,  celles 
d'un  district  ou  d'une  ville  ne  réussissaient  pas  toujours  en  d'autres 
lieux;  de  là  la  complication  infinie  de  leur  nombre.  Mais,  quelles 
qu'elles  fussent,  on  sacrifiait  à  toutes. 

Notre  capitaine,  et  nous  aussi,  las  de  considérer  une  si  grande  di- 
versité d'idoles  et  de  sacrifices,  revînmes  à  nos  logements,  accompa- 
gnés des  personnages  et  des  caciques  dont  Montezuma  nous  faisait 
honneur.  J'en  resterai  là  et  je  dirai  ce  qui  advint  encore. 


CHAPITRE  XCIII 

Comme  quoi  nous  bâtîmes  une  église  avec  son  autel  dans  nos  logements  et  érigeâmes 
une  croix  au  dehors.  Comme  quoi  encore  nous  découvrîmes  la  salle  et  !a  chambre 
cachée  où  se  trouvait  le  trésor  du  père  de  Montezuma;  et  comment  on  convint  de 
faire  le  monarque  prisonnier. 

Notre  général  Gortès  et  le  Père  de  la  Merced  ayant  vu  que  Monte- 
zuma ne  témoignait  pas  beaucoup  de  bonne  volonté  pour  nous  per- 
mettre d'élever  une  croix  et  de  bâtir  une  église  dans  le  temple  même 
de  son  Huichilobos  ;  comme  d'ailleurs,  depuis  notre  entrée  à  Mexico, 
nous  nous  voyions  obligés,  pour  dire  la  messe,  de  faire  un  autel 
sur  des  tables  et  de  le  défaire  chaque  fois,  nous  tombâmes  d'accord 
pour  demander  des  maçons  aux  majordomes  de  Montezuma,  afin  de 
construire  une  chapelle  dans  nos  logements  mêmes.  Les  majordomes 
répondirent  qu'ils  le  feraient  savoir  au  prince.  Mais  alors  Gortès  aima 
mieux  le  lui  envoyer  dire  lui-même,  par  doua  Marina,  Aguilar  et  le 
page  Orteguilla,  qui  comprenait  déjà  la  langue.  Montezuma  s'empressa 
de  donner  l'autorisation  et  de  fournir  le  nécessaire.  En  trois  journées 
notre  église  fut  achevée  et  la  croix  placée  devant  nos  logements.  On 
y  dit  la  messe  chaque  jour,  jusqu'à  ce  que  ic  vin  manquât.  Gomme 
Gortès,  d'autres  chefs  et  le  Frère  avaient  été  malades  lors  des  combats 
de  Tlascala,  ils  avaient  fait  un  large  usage  du  vin  destiné  aux  messes. 
Après  qu'il  fut  fini,  nous  continuions  à  fréquenter  l'église  chaque  jour, 
priant  agenouillés  devant  l'autel  et  devant  les  images,  d'abord  parce 
qu'en  bons  chrétiens,  et  afin  d'en  continuer  l'habitude,  c'était  pour 
nous  une  obligation,  et  ensuite  dans  le  but  d'obtenir  que  Montezuma 
et  ses  officiers,  en  en  étant  témoins,  éprouvassent  la  tentation  de  Faire 


254  CONQUÊTE 

de  même,  surtout  lorsqu'ils  nous  verraient  dans  notre  oratoire,  pros- 
ternés devant  la  croix,  aux  heures  de  ï Angélus. 

Or,  préoccupés  que  nous  étions  par  l'idée  de  choisir  le  lieu  le  plus 
convenable  pour  y  dresser  notre  autel,  comme  nous  étions  d'un  ca- 
ractère à  vouloir  tout  connaître  et  tout  maîtriser,  deux  de  nos  soldats, 
dont  l'un  était  charpentier  et  se  nommait  Alonzo  Yaiïez,  virent  sur 
un  mur  certaines  marques  qui  y  indiquaient  l'existence  d'une  porte 
actuellement  fermée,  très-bien  blanchie  et  soigneusement  polie.  Nous 
avions   d'abord   connu  le   bruit  qui  courait   au  sujet  de  l'existence, 
dans  nos  logements,  du  trésor  d'Axayaca,  père   de  Montezuma.  Le 
soupçon  nous  vint  donc  qu'il  pourrait  bien  se  trouver  en  cette  salle, 
dont  on   aurait  depuis  peu  de  jours  fermé  la  porte  en  prenant   soin 
de  blanchir  par  dessus.  Le  Yanez  en  parla  à  Yelasquez  de  Léon  et  à 
Francisco  de  Lugo,  capitaines  tous  les  deux  et  un  peu  mes  parents. 
Ce  charpenlier  se  trouvait  souvent  avec  eux  en  qualité  de  domestique. 
Les  capitaines  s'empressèrent  de  faire  part  à  Cortès  de  la  découverte, 
ce  qui  eut  pour  résultat  qu'on   ouvrit  la  porte   secrètement  et  que 
Cortès,  avec  quelques-uns  des   capitaines,  entra  d'abord   dans  cette 
salle.  Ils  y  virent  une  si  grande  quantité  de  bijoux  d'or,  de  feuilles 
et  de  disques  de  métaux  précieux,  de  chalchihuis  et  d'autres  objets 
d'une  grande  valeur,  qu'ils  en  restèrent  ébahis,  sans  savoir  que  dire 
ni  que  penser  de  cet  amas  de  richesses.   Nous   ne  tardâmes  pas  à  le 
savoir  entre  tous  les  autres  capitaines  et  soldats,  et  nous  y  entrâmes, 
à  notre  tour,  dans  le  plus  grand  secret.  Je  vis  alors  ces  merveilles 
et  j'avoue   que  je  fus  saisi   d'admiration:  comme    d'ailleurs  j'étais 
jeune  alors  et  que  je  n'avais  pas  eu  occasion  de  contempler  dans  ma 
vie  de  semblables  trésors,  je  restai  convaincu  qu'il  ne  pouvait  y  avoir 
au  monde  rien  de  comparable  à  ce  que  je  voyais.  Il  fut  convenu  entre 
nous  tous  qu'on  ne  penserait  nullement  à  porter  la  main  sur  aucun 
de  ces  objets,  mais  bien  que  la  porte   serait  murée  avec  les  mêmes 
pierres,  fermée  et  cimentée  de  la  façon  que  nous  l'avions  déjà  vue,  et 
que  du  reste  on  garderait  le  plus  grand  silence,  afin  que  Montezuma 
ne  sût  pas  notre  découverte,  en  attendant  ce  que  les  circonstances 
commanderaient. 

Laissons  là  ces  richesses,  pour  dire  qu'il  y  avait  parmi  nous  des 
capitaines  et  des  soldats  fort  résolus  et  de  bon  conseil  et  que  d'ailleurs, 
et  surtout,  Notre  Seigneur  Jésus-Christ  mettait  sa  divine  main  en 
toutes  nos  affaires,  comme  nous  n'en  doutions  nullement.  Or,  quatre 
capitaines  et  douze  soldats  —  dont  j'étais,  —  auxquels  notre  chef 
témoignait  la  plus  grande  confiance  et  faisait  part  de  ses  desseins, 
s'approchèrent  de  Cortès  pour  le  prier  de  considérer  dans  quel  piège 
nous  étions  tombés  et  de  quelles  forces  disposait  cette  grande  ville; 
de  porter  l'attention  sur  les  chaussées  et  les  poiits,  non  moins  que 
sur  les  avis  qu'on  nous  avait  donnés  dans  tous  les  villages  où  nous 


DE  LA  NOUVELLE-ESPAGNE.  255 

passions,  nous  disant  que  Huichilobos  avait  conseille  à  Montezu ma 
de  nous  laisser  entrer  dans  sa  capitale  afin  de  nous  y  massacrer. 
Nous  priâmes  encore  notre  chef  de  réfléchir  à  l'inconstance  du  cœur 
des  hommes,  particulièrement  chez  les  Indiens,  pour  se  défier  des 
apparences  d'affection  et  de  bon  vouloir  que  Montezuma  nous  témoi- 
gnait; il  fallait  craindre  d'heure  en  heure,  ajoutâmes-nous,  un  chan- 
gement dans  ses  intentions  ;  dès  lors  que  l'envie  lui  viendrait  de  nous 
faire  la  guerre,  il  lui  suffirait  de  nous  supprimer  nos  ressources  en 
vivres  et  en  eau,  et  de  lever  n'importe  lequel  de  ses  ponts,  pour  qu'il 
nous  fût  impossible  de  rien  entreprendre;  il  s'agissait  de  considérer 
la  quantité  des  guerriers  qui  formaient  sa  garde  ;  que  pourrions-nous 
faire  pour  les  attaquer  ou  pour  nous  défendre,  puisque  toutes  leurs 
maisons  étaient  construites  dans  l'eau?  par  où  pourrions-nous  recevoir 
du  secours  de  nos  amis  de  Tlascala?  par  où  pourraient-ils  entrer? 
Tout  bien  considéré,  nous  n'avions  pas  d'autre  ressource  que  de  nous 
emparer  sans  retard  de  la  personne  de  Montezuma,  si  nous  voulions 
entourer  nos  existences  de  quelques  garanties;  et  même  il  n'était  pas 
prudent  d'attendre  un  jour  de  plus  pour  exécuter  ce  dessein.  Nous 
dîmes  encore  à  Gortès  de  considérer  que  tout  l'or  que  Montezuma  nous 
donnait,  tout  le  trésor  d'Axayaca  que  nous  avions  vu,  tous  les  vivres 
que  nous  consommions,  tout  cela,  au  milieu  de  soucis,  se  convertissait 
pour  nous  en  véritable  poison;  que  nous  ne  dormions  ni  jour  ni  nuit, 
ni  ne  pouvions  nous  livrer  un  moment  au  repos  en  pensant  à  notre 
situation;  qu'enfin,  s'il  y  avait  parmi  nous  quelques  soldats  qui  n'é- 
prouvassent pas  cette  torture,  c'étaient  sans  doute  des  êtres  sans  rai- 
sonnement, qui  s'endormaient  dans  les  douceurs  de  l'or,  sans  voir  la 
mort  qui  se  montrait  à  leurs  yeux. 

Gortès  nous  répondit  :  «  Ne  croyez  pas,  caballeros,  que  je  dorme 
tranquille  et  sans  souci  ;  vous  devez  bien  d'ailleurs  vous  en  être  aper- 
çus. Mais  quelle  est  notre  force  pour  avoir  l'audace  de  nous  emparer 
d'un  si  grand  seigneur  dans  ses  palais  mêmes,  entouré  de  sa  garde 
et  de  ses  gens  de  guerre?  A  quelle  ruse  avoir  recours  pour  exécuter 
ce  projet  sans  qu'il  appelle  immédiatement  ses  guerriers  et  que  ceux- 
ci  tombent  sur  nous?  »  Nos  capitaines  Juan  Vclasquez  de  Léon,  Diego 
de  Ordas,  Gonzalo  de  Sandoval  et  Pedro  de  Alvarado  repartirent  qu'il 
fallait  avoir  recours  à  des  paroles  mielleuses  pour  le  faire  sortir  de 
ses  appartements  et  l'amener  dans  nos  quartiers,  où  nous  lui  dirions 
qu'il  est  prisonnier,  en  ajoutant  que  s'il  se  met  en  colère  et  s'il  crie, 
il  le  payera  de  sa  vie  ;  que,  si  Gortès  ne  voulait  pas  accomplir  lui- 
même  ce  plan,  il  en  donnât  l'autorisation  ;  qu'ils  iraient  le  prendre, 
eux,  en  exécution  de  nos  projets;  que  certainement,  entre  les  deua 
périls  qui  nous  menaçaient,  celui  qu'il  convenait  le  mieux  de  braver, 
c'était  de  faire  Montezuma  prisonnier,  au  lieu  d'attendre  qu'on  nous 
attaquât,  car  si  l'on  se  jetait  sur  notre  faible  troupe,  comment  pourrait* 


256  CONQUÊTE 

elle  se  défendre?  Certains  de  nos  soldats  assurèrent  en  même  temps 
à  notre  chef  que  déjà  les  majordomes  de  Montezuma  qui  étaient  char- 
gés de  nous  approvisionner  paraissaient  perdre  toute  retenue  et  ne 
s'acquittaient  plus  de  leur  office  comme  dans  les  premiers  jours.  Nos 
amis  les  Indiens  Tlascaltèques  avertirent  aussi  notre  interprète  Ge- 
ronimo  de  Aguilar  que  les  dispositions  des  Mexicains  paraissaient 
changées  depuis  deux  jours.  Gomme  conséquence  de  tout  cela,  nous 
passâmes  bien  une  heure  à  débattre  si  nous  nous  emparerions  ou  non 
de  la  personne  de  Montezuma,  et  à  délibérer  sur  les  moyens  d'y 
réussir.  Quant  à  notre  général,  il  parut  se  rattacher  à.  cet  avis,  qu'il 
convenait  de  retarder  la  chose  jusqu'au  jour  suivant,  mais  qu'alors 
il  fallait  s'assurer  de  la  personne  du  monarque.  De  sorte  que  nous 
passâmes  toute  la  nuit  avec  le  Père  de  la  Merced,  priant  le  bon  Dieu 
de  guider  nos  mains  pour  le  mieux  de  son  saint  service. 

Le  lendemain  de  ces  conférences  se  présentèrent  très-secrètement 
deux  Indiens  de  Tlascala  avec  une  lettre  de  la  Villa  Rica,  annonçant 
que  Juan  de  Escalante,  que  nous  y  avions  laissé  en  qualité  d'alguazil 
mayor,  venait  de  périr  avec  six  autres  soldats  dans  un  combat  que  lui 
avaient  livré  les  Mexicains.  On  lui  avait  tué  également  son  cheval,  et 
plusieurs  de  nos  alliés  totonaques  qui  l'accompagnaient  dans  sa  sor- 
tie. La  lettre  ajoutait  que  Gempoal  et  tous  les  villages  de  la  sierra 
étaient  changés  à  notre  égard,  refusant  de  donner  des  vivres  et  de 
concourir  au  service  de  la  forteresse  ;  aussi  ne  savait- on  plus  que  faire. 
«  Au  surplus,  disait  encore  la  lettre,  comme  auparavant  on  nous  pre- 
nait pour  des  dieux,  tandis  qu'à  présent  on  voit  la  déroute  dont  nous 
avons  été  victimes,  on  se  montre  fier  à  notre  égard,  les  Totonaques 
aussi  bien  que  les  Mexicains;  il  s'en  suit  qu'on  nous  regarde  comme 
rien  qui  vaille,  et  il  résulte  de  la  situation  que  nous  ne  savons  plus 
comment  y  porter  remède.  » 

Dieu  sait  le  chagrin  que  nous  causa  l'arrivée  de  ces  nouvelles. 
C'était  la  première  défaite  que  nous  éprouvions  depuis  notre  entrée 
dans  la  Nouvelle-Espagne.  Que  les  curieux  lecteurs  veuillent  bien 
considérer  à  quel  point  la  fortune  est  changeante  !  Nous  être  vus  en- 
trer triomphants  dans  la  capitale  au  milieu  d'une  réception  solen- 
nelle, nager  dans  la  richesse  grâce  aux  grands  présents  que  Monte- 
zuma nous  faisait  chaque  jour,  avoir  entrevu  la  salle  pleine  d'or  dont 
j'ai  parlé,  avoir  été  tenus  pour  teilles,  c'est-à-dire  pour  des  êtres 
égaux  à  des  divinités,  avoir  vaincu  jusque-là  dans  toutes  les  batail- 
les..., et  maintenant,  nous  voir  atteints  de  ce  malheur  inattendu  d'où 
devait  résulter  que  notre  réputation  ne  serait  plus  respectée  parmi 
nos  ennemis,  que  nous  passerions  pour  des  hommes  susceptibles 
d'être  vaincus,  et  que  les  Mexicains  commenceraient  à  perdre  envers 
nous  toute  retenue!...  Enfin,  après  toutes  ces  réflexions,  il  fut  con- 
venu que  ce  même  jour  et  n'importe  de  quelle  façon,  nous  nous  em- 


DE  LA  NOUVELLE-ESPAGNE.  257 

parerions  de  Montezuma  ou  nous  succomberions  tous  dans  l'entre- 
prise. 

Mais,  pour  que  l'on  puisse  savoir  dans  quelle  bataille  furent  tués 
Juan  de  Escalante,  six  soldats,  le  cheval  et  les  alliés  totonaques  qui 
marchaient  avec  le  capitaine,  je  vais  le  dire  ici  avant  de  parler  de 
l'emprisonnement  de  Montezuma,  afin  de  ne  pas  laisser  le  fait  en  ar- 
rière, parce  qu'il  importe  de  le  bien  connaître. 


CHAPITRE  XCIV 

Comment  eut  lieu  la  bataille  que  les  chefs  mexicains  livrèrent  à  Juan  de  Escalante, 
et  comment  on  le  tua,  lui,  le  cheval,  six  autres  soldats  et  plusieurs  de  ncs  amis 
totonaques. 

On  m'a  déjà  entendu  dire,  dans  le  chapitre  qui  en  a  traité,  qu'à  l'épo- 
que où  nous  nous  trouvions  dans  un  bourg  appelé  Quiavistlan,  plu- 
sieurs villages  alliés,  qui  étaient  en  même  temps  amis  des  habitants 
de  Gempoal,  cédèrent  aux  instances  de  notre  général,  qui  sut  se  les 
attirer  et  leur  inspirer  la  résolution  de  ne  plus  payer  tribut  à  Monte- 
zuma. La  rébellion  de  trente  villages  en  avait  été  la  conséquence.  Ce 
fut  alors  qu'on  arrêta  les  percepteurs  de  Mexico,  ainsi  que  je  l'ai  dit 
déjà.  Lorsque  nous  partîmes  de  Gempoal  pour  venir  à  Mexico,  Juan 
de  Escalante,  homme  de  valeur  et  ami  de  Gortès,  resta  dans  la  Ailla 
Rica  en  qualité  de  commandant  de  la  place  et  d'alguazil  mayor  de  la 
Nouvelle-Espagne.  Notre  chef  lui  recommanda  de  secourir  ces  villa- 
ges en  tout  ce  qui  pourrait  leur  devenir  nécessaire.  Or,  il  paraît  que 
le  grand  Montezuma  entretenait  des  garnisons  avec  leurs  commandants 
militaires  dans  toutes  les  provinces  voisines  des  frontières.  Il  y  en 
avait  une  à  Soconusco  pour  veiller  sur  Guatemala  et  Chiapa;  une  aussi 
à  Guazacualco;  une  autre  à  Mechoacan,  et  une  encore  aux  confins  du 
Panuco,  entre  Tuzpan  et  une  ville  de  la  côte  nord  que  nous  avions  ap- 
pelée Almeria.  Or,  c'est  précisément  cette  dernière  garnison  qui  de- 
manda un  tribut  d'Indiens  et  d'Indiennes,  et  des  provisions  pour  ses 
hommes,  à  certains  villages  situés  près  de  là,  alliés  de  Gempoal  et 
dévoués  à  Juan  de  Escalante  ainsi  qu'aux  habitants  de  la  Villa  Rica, 
qu'ils  aidaient  à  construire  la  forteresse.    Ces  villages,   sommés  de 
payer  tribut  aux  Mexicains,   répondirent  qu'ils    n'en  feraient    rien, 
parce  que  Malin che  leur  avait  ordonné  de  le  refuser  et  que  Monte- 
zuma y  avait  consenti.  Les  capitaines  mexicains  les  avertirent  alors 
que,  s'ils  persistaient  dans  leur  refus,  ils  iraient  détruire  leurs  villa- 
ges et  les  emmener  captifs,  conformément  à  l'ordre  qu'ils  en  avaient 
reçu  récemment  du  seigneur  Montezuma  lui-même. 

Lorsqu'ils  entendirent  ces  menaces,  nos  amis  les  Totonaques  s'adres- 

17 


258  CONQUÊTE 

sèrent  au  capitaine  Juan  de  Escalante,  se  plaignant  amèrement  que 
les  Mexicains  pussent  venir  ainsi  les  rançonner  et  ravager  leur  pays. 
A  cette  nouvelle,  Escalante  envoya  des  messagers  aux  Mexicains,  leur 
enjoignant  de  ne  point  menacer  ni  voler  ces  populations,  attendu  que 
Montezuma  lui-même  en  était  convenu,  et  que  par  conséquent,  s'ils 
persistaient,  on  serait  obligé  de  marcher  contre  eux  et  de  leur  faire 
la  guerre,  puisque  les  gens  menacés  étaient  nos  alliés. 

Les  Mexicains  ne  firent  aucun  cas  de  cette  réponse  et  de  ces  mena- 
ces; ils  dirent  même  qu'on  les  trouverait  en  rase  campagne.  Il  en  ré- 
sulta que  Juan  de  Escalante,  homme  de  vigueur  et  d'un  caractère  ar- 
dent, envoya  dire  aux  villages  amis  de  la  sierra  qu'ils  eussent  à  venir 
avec  leur  armement  qui  se  composait  d'arcs,  de  flèches,  de  lances  et 
de  rondaches.  Il  prépara  de  même  les  soldats  les  plus  ingambes  et 
les  plus  valides  parmi  ceux  qui  lui  étaient  restés.  (J'ai  déjà  dit  que  la 
plupart  des  soldats  qui  demeurèrent  en  qualité  d'habitants  de  la  Villa 
Rica  étaient  malades,  et  tous  matelots.)  Il  pourvut  quarante  soldats 
du  nécessaire,  y  compris  deux  canons,  un  peu  de  poudre,  trois  arba- 
lètes et  deux  escopettes;  il  s'adjoignit  deux  mille  Indiens  totonaques, 
et  il  partit  à  la  rencontre  des  garnisons  de  Mexicains  qui,  déjà,  avaient 
marché  en  avant  et  étaient  en  train  de  piller  un  village  de  nos  amis 
les  Totonaques.  Les  forces  opposées  se  trouvèrent  en  présence  au 
point  du  jour. 

Les  Mexicains  étaient  plus  robustes  que  nos  alliés  qui,  d'ailleurs, 
tremblaient  de  peur  au  souvenir  des  combats  d'autrefois.  Il  s'en  sui- 
vit que  les  Totonaques  prirent  la  fuite  au  premier  choc,  aussitôt 
qu'ils  sentirent  les  flèches,  les  piques  et  les  pierres  et  qu'ils  entendi- 
rent les  vociférations  de  l'ennemi.  Ils  laissèrent  Juan  de  Escalante 
aux  prises  avec  les  Mexicains.  Notre  capitaine  se  conduisit,  du  reste, 
de  telle  façon  qu'à  l'aide  de  ses  pauvres  soldats  il  put  arriver  à  la 
ville  d'Almeria,  y  mettre  le  feu  et  en  brûler  toutes  les  maisons.  Il  s'y 
reposa  un  peu,  car  il  était  grièvement  blessé.  Dans  le  combat  les 
Mexicains  lui  enlevèrent  vivant  un  soldat  appelé  Argùello,  natif  de 
Léon,  homme  à  grosse  tête,  à  barbe  noire  et  frisée,  épais  de  corps, 
jeune  et  très-vigoureux.  La  blessure  d'Escalante  était  fort  mauvaise; 
six  de  ses  soldats  furent  blessés,  et  son  cheval  y  perdit  la  vie.  Il  re- 
tourna à  la  Villa  Rica,  où  lui  et  les  six  blessés  moururent  dans  les  trois 
jours  qui  suivirent. 

C'est  ainsi  que  les  choses  se  passèrent  dans  l'affaire  d'Almeriaj  et 
non  comme  les  a  contées  le  chroniqueur  Gromara,  qui  prétend  dans 
son  histoire  que  cela  eut  lieu  lorsque  Pedro  de  Ircio  allait  coloniser 
le  Panuco  avec  quelques  soldats.  Or,  remarquez-le  bien,  nous  n'a- 
vions même  pas  les  soldats  voulus  pour  faire  sentinelle,  et  encore 
moins  pour  aller  coloniser  le  Panuco.  Il  dit  aussi  que  Pedro  de  Ircio 
marchait  comme  capitaine;  mais,  à  cette  époque,   il  n'était  pas  en- 


DE  LA   NOUVELLE-ESPAGNE.  250 

core  capitaine,  ni  même  chef  de  quadrilla;  il  ne  lui  avait  point  été 
donné  de  commandement,  et  il  se  trouvait  avec  nous  à  Mexico.  Le 
même  chroniqueur  dit  bien  d'autres  choses  au  sujet  de  l'empri- 
sonnement de  Montezuma.  A  ce  propos,  je  ferai  observer  qu'il  au- 
rait dû  considérer,  quand  il  écrivait  son  histoire,  que  quelques-uns 
des  conquistadores  de  cette  époque  vivaient  encore  et  qu'en  prenant 
connaissance  de  son  écrit  ils  lui  diraient  que  les  choses  se  sont  pas- 
sées d'autre  sorte. 

Je  le  laisserai  là  et  je  reviendrai  à  mon  sujet  pour  dire  comme 
quoi  les  capitaines  mexicains,  après  avoir  livré  bataille  à  Juan  de 
Escalante,  en  envoyèrent  la  nouvelle  à  Montezuma;  on  lui  apporta 
même  la  tête  d'Argùello,  qu'on  amenait  vivant  et  qui  mourut  en 
route  de  ses  blessures.  Nous  sûmes  que  lorsque  Montezuma  vit  cette 
tête,  comme  elle  était  grande,  grosse,  barbue  et  frisée,  il  en  éprouva 
une  certaine  terreur;  il  ne  voulut  pas  la  regarder  et  il  ordonna  qu'on 
n'en  fît  l'offrande  à  aucun  temple  de  Mexico,  mais  qu'on  l'adressât 
aux  idoles  d'autres  endroits.  Il  demanda  d'ailleurs  comment  il  se  fai- 
sait que  ses  forces,  se  composant  de  milliers  d'hommes,  n'eussent  pu 
vaincre  complètement  un  si  petit  nombre  de  teules.  Les  envoyés  ré- 
pondirent que  ni  leurs  piques,  ni  leurs  flèches,  ni  leur  ardeur  au 
combat  ne  servaient  à  rien  ;  qu'il  avait  été  impossible  de  les  faire  re- 
culer, parce  qu'une  grande  tequeciguata  de  Gastille  marchait  devant 
eux,  que  cette  grande  dame  effrayait  les  Mexicains  et  disait  aux  teules 
des  paroles  qui  leur  donnaient  du  courage.  Le  grand  Montezuma  se 
persuada  que  cette  dame  était  sainte  Marie,  que  nous  lui  avions  pré- 
sentée comme  étant  notre  protectrice,  et  dont  nous  lui  avions  même 
donné  l'image,  avec  son  précieux  Fils  dans  les  bras.  Ce  miracle,  je 
ne  l'ai  pas  vu,  puisque  j'étais  à  Mexico,  mais  certains  conquistadores 
qui  assistèrent  à  Faction  l'ont  rapporté.  Plût  à  Dieu  que  cela  fût 
vrai  !  Certainement  nous  tous  qui  fîmes  campagne  avec  Gortès  nous 
sommes  convaincus  et  tenons  pour  certain  que  la  miséricorde  divine 
et  Notre  Dame  la  Vierge  Marie  furent  toujours  avec  nous  ;  c'est  pour- 
quoi je  leur  rends  des  grâces  infinies. 

J'en  resterai  là  et  je  dirai  ce  qui  advint  à  propos  de  l'emprisonne- 
ment de  Montezuma. 


CHAPITRE  XCV 

De  l'emprisonnement  de  Montezuma  et  de  ce  qui  fut  fait  à  ce  sujet. 

Gomme  nous  avions  résolu  la  veille  d'enlever  décidément  Monte- 
zuma, nous  passâmes  toute  la  nuit  en  oraisons  avec  le  Père  de  la 


260  CONQUÊTE 

Merced,  priant  Dieu  de  faire  tourner  les  choses  de  telle  manière 
qu'elles  aboutissent  au  meilleur  avantage  de  son  saint  service.  A  la 
première  heure  du  jour  on  convint  du  plan  qu'on  devait  suivre. 
Gortès  emmena  avec  lui  cinq  capitaines  :  Pedro  de  Alvarado,  Gron- 
zalo  de  Sandoval,  Juan  Velasquez  de  Léon,  Francisco  de  Lugo  et 
Alonso  de  Avila,  accompagnés  de  nos  interprètes  dona  Marina  et 
Aguilar.  Il  ordonna  que  nous  fussions  tous  préparés  le  mieux  pos- 
sible les  chevaux  sellés  et  bridés  et  les  armes  en  état.  Il  était  cer- 
tainement bien  inutile  d'insister  sur  ce  dernier  point,  puisque  nous 
étions  armés  nuit  et  jour,  ne  quittant  même  jamais  nos  sandales, 
qui  étaient  alors  notre  unique  chaussure.  C'est  au  point  que,  quand 
nous  allions  rendre  visite  à  Montezuma,  il  nous  voyait  toujours 
armés  de  la  même  manière.  Il  est  bon  de  le  dire  ici,  attendu  que, 
Cortès  ayant  résolu  que  lui  et  ses  cinq  capitaines  iraient  armés  de 
toutes  armes  pour  s'emparer  de  sa  personne,  on  comprendra  que 
Montezuma  ne  trouvât  rien  d'insolite  dans  cet  appareil  et  n'en  conçût 
aucune  inquiétude.  Tout  étant  prêt,  notre  chef  envoya  dire  au  mo- 
narque qu'il  se  proposait  d'aller  à  son  palais.  Gomme  il  avait  la  cou- 
tume d'agir  ainsi,  il  fit  de  même  encore,  pour  éviter  tout  étonnement 
de  la  part  de  Montezuma.  Or,  ce  que  celui-ci  crut  comprendre,  c'est 
que  Gortès  était  courroucé  à  cause  de  l'événement  d'Almeria,  et  celte 
pensée  ne  le  mettait  pas  bien  à  l'aise.  Néanmoins  il  fit  répondre  à 
notre  chef  qu'il  serait  le  bienvenu. 

Gortès  entra  au  palais.  Après  avoir  adressé  au  monarque  des  salu- 
tations respectueuses,  comme  d'habitude,  il  lui  dit  au  moyen  de  nos 
interprètes  :  «  Seigneur  Montezuma,  je  suis  grandement  étonné  qu'é- 
tant un  prince  si  valeureux  et  après  vous  être  déclaré  notre  ami, 
vous  ayez  donné  à  vos  capitaines  qui  se  trouvaient  à  la  côte,  près  de 
Tuzpan,  l'ordre  de  prendre  les  armes  contre  mes  Espagnols,  et  qu'ils 
s'en  soient  autorisés  pour  piller  les  villages  qui  se  sont  mis  sous  la 
protection  de  notre  seigneur  et  Roi,  ainsi  que  pour  exiger  les  Indiens 
et  les  Indiennes  qu'on  destinait  aux  sacrifices,  d'où  il  est  résulté  qu'on 
a  fait  périr  un  Espagnol  mon  frère,  et  tué  son  cheval.  »  Il  ne  voulut 
point  lui  parler  du  capitaine  ni  des  six  soldats  qui  étaient  morts 
après  leur  retour  à  la  Villa  Rica,  attendu  que  Montezuma  ne  l'avait 
point  appris  et  que  même  les  capitaines  indiens,  auteurs  de  l'attaque, 
n'étaient  pas  encore  instruits  de  ce  résultat.  Gortès  dit  en  outre  à 
Montezuma  :  «  Je  vous  croyais  notre  allié  à  ce  point  que  j'ai  donné 
ordre  depuis  longtemps  à  mes  capitaines  de  vous  servir  et  de  vous 
être  soumis  en  tout  ce  qui  leur  serait  possible;  mais  je  vois  que  vous 
avez  fait  le  contraire  à  notre  égard.  Dans  les  affaires  de  Gholula,  vos 
chefs,  à  la  tête  d'un  grand  nombre  de  guerriers,  devaient  nous  mas- 
sacrer en  obéissant  à  vos  ordres.  L'amitié  que  j'ai  pour  vous  m'a 
porté  à  dissimuler  mes  ressentiments.  Mais,  en  ce  moment  même, 


DE  LA   NOUVELLE-ESPAGNE.  26] 

vos  sujets  et  vos  officiers  semblent  perdre  envers  nous  toute  retenue 
et  ils  disent  entre  eux  que  vous  devez  nous  faire  périr.  Ce  ne  sont  pas 
encore  là  des  raisons  suffisantes  pour  que  je  commence  l'attaque  et 
que  je  détruise  votre  capitale;  j'ai  cru  qu'il  serait  mieux  que,  pour 
tout  prévenir,  vous  vinssiez  immédiatement  avec  nous  dans  nos  loge- 
ments, en  silence  et  sans  faire  aucun  esclandre.  Vous  y  serez  consi- 
déré et  servi  comme  dans  votre  propre  palais.  Mais  si  vous  élevez  la 
voix  et  si  vous  méditez  n'importe  quel  scandale,  vous  tomberez  mort 
immédiatement  sous  les  coups  de  mes  officiers,  qui  ne  sont  venus  ici 
que  pour  ce  motif.  » 

Lorsque  Montezuma  entendit  ces  paroles,  il  en  fut  stupéfait  et 
resta  sans  mouvement.  Il  répondit  néanmoins  que  jamais  il  n'avait 
ordonné  qu'on  prît  les  armes  contre  nous  ;  qu'il  enverrait  chercher 
sur-le-champ  ses  officiers,  et  qu'après  s'être  assuré  de  la  vérité,  il 
leur  infligerait  un  juste  châtiment.  Et,  aussitôt,  d'un  nœud  fait  à  sa 
large  manche  il  retira  son  sceau  à  l'effigie  de  Huichilobos,  dont  il  ne 
se  servait  qu'à  l'occasion  des  ordres  les  plus  graves  et  pour  en  ob- 
tenir un  prompt  accomplissement.  Il  dit  alors  à  Gortès  que,  quant  à 
sortir  de  son  palais  contre  sa  volonté  et  en  prisonnier,  ce  n'était  pas 
à  un  personnage  comme  lui  qu'on  pouvait  adresser  de  pareils  ordres, 
et  qu'au  surplus  il  ne  lui  plaisait  point  de  nous  suivre.  Gortès  lui 
répondit  par  de  bonnes  raisons  ;  mais  Montezuma  lui  en  donna  de 
meilleures  encore,  répétant  qu'il  ne  quitterait  pas  son  palais.  Ce 
débat  durait  déjà  depuis  plus  d'une  demi-heure,  lorsque  Juan  Velas- 
quez  de  Léon  et  les  autres  capitaines,  voyant  qu'on  y  perdait  du 
temps,  tandis  qu'il  leur  tardait  d'en  finir  et  de  voir  le  monarque  hors 
de  chez  lui  et  entre  leurs  mains,  s'adressèrent  à  Gortès  d'un  ton  un 
peu  irrité,  et  lui  dirent  :  «  Que  fait  donc  Votre  Grâce?  à  quoi  bon 
tant  de  paroles?  Enlevons-le  ou  perçons-le  de  nos  épées.  Répétez-lui 
bien  que,  s'il  crie  et  se  démène,  on  va  le  tuer;  car  enfin,  mieux  vaut 
que  d'une  bonne  fois  nous  assurions  nos  existences,  ou  que  nous  en 
fassions  définitivement  le  sacrifice  !  »  Gomme  d'ailleurs  Juan  Velas- 
quez  parlait  d'une  voix  haute  et  menaçante,  car  il  en  avait  un  peu 
l'habitude,  Montezuma,  voyant  l'irritation  de  nos  capitaines,  de- 
manda à  doua  Marina  ce  qu'ils  disaient  en  élevant  ainsi  le  ton.  Doua 
Marina  lui  répondit  avec  sa  finesse  habituelle  :  «  Seigneur  Monte- 
zuma, ce  que  je  vous  conseille,  c'est  d'aller  immédiatement  avec  eux 
à  leurs  quartiers,  sans  faire  aucun  bruit;  je  sais  que  vous  y  serez 
fort  honoré  et  qu'on  vous  traitera  en  grand  seigneur  que  vous  êtes  ; 
d'autre  façon,  vous  allez  infailliblement  tomber  mort  ici  mêrn,©; 
tandis  que,  dans  leur  logement,  la  connaissance  de  la  vérité  vous  as- 
surerait   une  meilleure  justice1.  »  Montezuma  dit  alors  à   Gortès    : 

1.  Ce  j>;iss;un-  est  obscur  dans  le  texte  espagnol,  car  on  }  lit  :  Lo  que  ;/"  os  <"""- 


262  CONQUÊTE 

«  Seigneur  Malmche,  puisque  vous  insistez,  sachez  que  j'ai  un  fils 
et  deux  filles  légitimes;  prenez-les  en  otages  et  ne  me  laites  point  cet 
affront.  Que  diraient  mes  dignitaires  s'ils  vous  voyaient  m'emmener 
prisonnier  ?  »  Mais  le  général  lui  répondit  que  c'était  sa  personne  et 
non  une  autre  qui  devait  venir  avec  nous. 

Après  beaucoup  d'autres  paroles  et  raisonnements,  le  monarque  dit 
enfin  qu'il  partirait  de  sa  propre  volonté.  A  ces  mots,  nos  capitaines 
s'empressèrent  de  lui  faire  mille  amitiés,  le  priant  en  grâce  de  ne 
point  se  fâcher  et  de  dire  à  ses  officiers  et  à  tous  les  gens  de  sa  garde 
qu'il  partait  volontairement,  attendu  qu'il  résultait  de  ses  consulta- 
tions avec  Huichilobos  et  ses  papes  qu'il  convenait  à  sa  santé  et  à  la 
durée  de  son  existence  que  sa  personne  fût  avec  nous.  Immédiate- 
ment on  fit  avancer  la  riche  litière  avec  laquelle  il  avait  l'habitude  de 
sortir,  et  il  partit  entouré  de  ses  capitaines.  Il  se  rendit  ainsi  à  nos 
quartiers  où  nous  lui  composâmes  une  garde  et  plaçâmes  des  senti- 
nelles1. 

Tout  ce  que  Gortès  et  nous  pouvions  inventer  pour  le  mieux  servir 
et  le  distraire,  nous  avions  soin  de  le  mettre  en  usage.  On  se  garda 
bien  surtout  de  le  tenir  enfermé  comme  un  prisonnier.  Les  princi- 
paux personnages  mexicains  et  ses  neveux  s'empressèrent  de  venir  lui 
parler  pour  lui  demander  la  cause  de  son  arrestation  et  pour  prendre 
ses  ordres  sur  le  fait  de  nous  déclarer  immédiatement  la  guerre. 
Montezuma  leur  répondait  qu'il  avait  beaucoup  de  plaisir  à  passer 
quelques  jours  avec  nous,  de  sa  propre  volonté  et  nullement  parce 
qu'on  l'y  obligeait.  Il  ajoutait  que  quand  il  désirerait  quelque  chose, 

sejo  es,  que  vais  luego  con  ellos  à  su  aposenlo  sin  ruido  ninguno,  que  yo  se  que  os 
harân  mucha  honra,  corno  gran  seîior  que  sois,  y  de  otra  mariera  aqui  quedareis 
muerto,  y  en  su  ajjosento  se  sabra  la  verdad. 

L'éminent  directeur  de  la  réimpression  de  B.  Diaz  dans  la  collection  Hivadeneyra 
(Madrid  1861)  a  jugé  plus  à  propos  de  changer  la  ponctuation  du  texte  espagnol  ci- 
dessus  en  faisant  précéder  y  eu  su  aposento  se  sabra  la  verdad  d'un  point-et-virgule. 
Il  en  résulte  une  phrase,  à  la  vérité  toujours  mal  bâtie  et  sans  signification  bien  rai- 
sonnable; mais  elle  peut  vouloir  dire,  en  forçant  l'interprétation  :  «  Vous  allez  tom- 
ber mort  ici  môme;  tandis  que,  au  quartier  des  Espagnols,  la  vérité  pourrait  s'é- 
claircir.  » 

1 .  Cet  événement,  sans  contredit  l'un  des  plus  extraordinaires  de  l'expédition  de 
Fernand  Cortès,  est  raconté  par  Bernai  Diaz  de  ce  ton  naïf  qui  domine  dans  tout  son 
écrit  et  contribue  le  mieux  à  faire  croire  à  sa  complète  sincérité.  Clavijero  exprime 
comme  il  suit  la  résolution  que  le  malheureux  monarque  se  vit  forcé  de  prendre  dans 
cette  circonstance  critique  : 

«  Ce  roi  infortuné,  que  la  première  nouvelle  de  l'arrivée  des  Espagnols  avait  plongé 
dans  une  frayeur  superstitieuse,  et  qui  chaque  jour  devenait  plus  pusillanime,  se 
voyant  ainsi  mis  au  pied  du  mur  et  persuadé  qu'avant  l'arrivée  de  ses  gardes,  s'il  criait 
au  secours,  il  aurait  le  temps  de  tomber  mort  sous  les  coups  de  ces  hommes  aussi 
audacieux  que  résolus,  se  décida  enfin  à  céder  à  leurs  instances  :  «  Je  veux,  s'écria-t-il, 
«  me  fier  à  vous  ;  marchons  donc,  marchons,  puisque  les  dieux  le  veulent  !  »>  B  ordonna 
immédiatement  qu'on  avançât  sa  litière  et  il  y  monta  pour  se  rendre  au  quartier  des 
Espagnols.  » 


DE  LA  NOUVELLE-ESPAGNE.  263 

il  aurait  soin  de  le  dire;  que  ni  eux  ni  la  capitale  ne  devaient  s'é- 
mouvoir pour  ce  qui  arrivait,  attendu  que  Huichilo'bos  approuvait 
son  transport  en  ce  lieu,  ainsi  que  le  lui  assuraient  certains  papes 
qui  l'avaient  appris  à  la  suite  d'entretiens  avec  cette  divinité. 

Ce  fut  ainsi  que  les  choses  se  passèrent  à  propos  de  l'enlèvement 
du  grand  Montezuma.  On  organisa  son  service  dans  le  quartier  même, 
avec  ses  femmes  et  les  bains  dont  il  faisait  usage.  En  sa  compagnie 
se  trouvaient  continuellement  vingt  grands  seigneurs,  ainsi  que  ses 
conseillers  et  ses  capitaines.  Il  s'habituait  à  sa  prison  et  ne  s'en  mon- 
trait point  affecté.  On  venait  le  voir  de  pays  éloignés  pour  des  pro- 
cès ;  on  lui  apportait  les  tributs  et  il  dépêchait  des  affaires  de  haute 
importance.  Je  me  souviens  très-bien  que  lorsque  des  grands  caci- 
ques arrivaient  de  contrées  lointaines  pour  le  consulter  sur  des  questions 
de  limites,  de  graves  affaires  de  villages  ou  d'autres  sujets  de  ce 
genre,  on  avait  beau  être  grand  seigneur,  celui  qui  se  présentait 
avait  soin  d'enlever  ses  riches  vêtements  et  de  se  couvrir  d'habits  de 
nequen  de  peu  de  valeur  ;  il  lui  fallait  aussi  ôter  ses  chaussures  ;  il 
prenait  même  la  précaution,  en  arrivant  au  quartier,  de  ne  pas  y  en- 
trer en  droite  ligne,  mais  en  faisant  au  préalable  un  détour.  Quand 
les  sollicitants  se  trouvaient  en  présence  du  grand  Montezuma,  ils 
se  tenaient  les  yeux  baissés,  observant  l'étiquette  qui  les  obligeait, 
avant  d'arriver  à  lui,  d'exécuter  trois  révérences  en  disant  :  «Seigneur, 
mon  seigneur,  grand  seigneur.  »  Après  quoi  ils  lui  présentaient  en 
peinture,  sur  des  étoffes  de  nequen,  le  procès  ou  l'affaire  qui  moti- 
vait leur  voyage,  et,  au  moyen  de  petites  baguettes  très-minces  et 
très-polies,  on  lui  démontrait  le  sujet  du  litige,  en  présence  de  deux 
vieillards,  grands  caciques,  debout  aux  côtés  de  Montezuma.  Lorsque 
ces  vieillards  avaient  bien  compris  le  procès  et  expliqué  à  Montezuma 
le  vrai  côté  de  la  justice,  le  monarque  dépêchait  les  intéressés  en  peu 
de  paroles,  en  disant  quel  était  celui  qui  devait  se  considérer  comme 
propriétaire  des  terres  ou  des  villages.  Les  plaideurs  se  retiraient 
sans  répliquer  et  sans  tourner  le  dos,  en  faisant  trois  profondes  révé- 
rences. Ce  n'est  qu'après  être  sortis  qu'ils  reprenaient  leurs  riches 
vêtements;  puis  ils  allaient  se  promener  dans  la  ville. 

Je  laisserai  pour  un  moment  le  sujet  de  la  prison,  pour  dire  que 
Ton  amena  devant  Montezuma  les  officiers  qui  avaient  causé  la  mort 
de  nos  soldats  et  qu'on  avait  été  chercher  sur  un  ordre  marqué  du 
grand  sceau.  Je  ne  sais  ce  que  le  prince  leur  dit,  mais  il  les  envoya 
à  Gortès  pour  qu'il  en  fît  justice.  On  procéda  à  leur  interrogatoire 
sans  que  Montezuma  fût  présent.  Ils  confessèrent  que  le  récit  que 
j'ai  mentionné  plus  haut  était  la  vérité,  ajoutant  que  leur  seigneur 
leur  avait  donné  l'ordre  de  l'attaque  des  villages  et  du  recouvrement 
des  tributs,  en  spécifiant  que,  si  quelqu'un  des  nôtres  participait  à 
la  défense,  on  le  combattît  également  et  qu'on  le  tuât.  Cotte  confes- 


264  CONQUÊTE 

sion  obtenue,  Gortès  fit  connaître  à  Montezuma  comment  l'accusation 
tournait  contre  lui;  mais  il  se  disculpa  autant  qu'il  put,  ce  qui  n'em- 
pêcha pas  que  le  général  lui  fît  dire  qu'il  ajoutait  entièrement  foi  à 
cette  accusation  et  qu'il  le  jugeait  digne  de  châtiment,  conformément 
à  ce  que  notre  Roi  commande  :  que  celui  qui  en  fait  périr  d'autres, 
avec  ou  sans  motifs,  doit  mourir  à  son  tour.  Mais,  ajoutait  Gortès, 
son  affection  pour  le  prince  était  si  grande,  et  il  lui  voulait  du  bien 
à  ce  point,  qu'en  admettant  qu'il  eût  commis  cette  faute,  il  aimerait 
mieux  la  payer,  lui-même,  de  sa  propre  vie  que  de  voir  Montezuma 
en  subir  les  conséquences. 

Malgré  tout  ce  que  notre  chef  lui  faisait  dire,  le  prince  n'était  pas 
sans  appréhension.  Sans  s'arrêter  d'ailleurs  à  d'autres  formes,  Gortès 
prononça  une  sentence  de  mort  contre  les  capitaines  coupables,  ordon- 
nant qu'ils  fussent  brûlés  vifs  devant  les  palais  mêmes  de  Monte- 
zuma. Et  cela  fut  exécuté  sans  retard.  En  prévision  de  quelques  trou- 
bles pendant  qu'on  les  brûlait,  l'ordre  fut  donné  de  mettre  aux  fers 
le  prisonnier,  ce  qui  le  fit  hurler  de  désespoir;  et  si  jusque-là  il  avait 
été  craintif  à  notre  endroit,  il  le  devint  bien  davantage  désormais. 
Du  reste,  l'exécution  terminée,  Gortès,  avec  cinq  de  nos  capitaines, 
s'empressa  de  se  rendre  à  l'appartement  du  prince  pour  lui  enlever 
les  fers  de  sa  propre  main1.  Il  lui  dit  alors  qu'il  le  tenait  non-seu- 
lement pour  frère,  mais  pour  bien  plus  encore;  que  quoiqu'il  fût 
déjà  roi  et  seigneur  de  tant  de  villages  et  de  provinces,  lui  Gortès 
ferait  en  sorte  à  l'avenir  de  soumettre  à  son  pouvoir  beaucoup  d'au- 
tres pays  qu'il  n'avait  pu  conquérir  lui-même  et  qui  ne  lui  avaient 
pas  juré  obéissance;  que  s'il  voulait  rentrer  dans  ses  palais,  on  lui 
en  donnerait  l'autorisation  sur  l'heure.  Pendant  que  notre  général 
lui  faisait  dire  ces  choses  au  moyen  de  nos  interprètes,  Montezuma 
avait  les  larmes  aux  yeux.  Il  répondit  avec  la  plus  grande  courtoisie 
qu'il  lui  en  savait  gré;  mais  il  resta  bien  convaincu  que  ce  n'étaient 
là  que  des  paroles  en  l'air.  Aussi  ajouta-t-il  que  pour  le  moment  il 
lui  convenait  de  demeurer  prisonnier,  attendu  que  ses  dignitaires 
étant  nombreux,  et  ses  neveux  venant  lui  demander  chaque  jour  la 


1.  Avilissement  d'esprit  de  Montezuma.  —  Rien  n'est  plus  propre  à  donner  une 
idée  de  cet  avilissement  que  les  réflexions  suivantes  de  Clavijero,  à  propos  de  la  mise 
aux  fers  de  ce  monarque  pendant  le  supplice  de  Quetzalpopoia  :  «  Aussitôt  après  le 
supplice  des  coupables,  Cortès  se  rendit  aux  appartements  de  Montezuma.  11  salua  af- 
fectueusement le  monarque  et  lui  fit  ôter  ses  fers  en  exaltant  la  grande  générosité 
qui  le  portait  à  lui  faire  grâce  de  la  vie.  La  joie  que  Montezuma  ressentit  n'avait  d'é- 
gale que  la  tristesse  causée  par  l'ignominie  à  laquelle  il  venait  d'être  soumis.  Il  sentit 
s'évanouir  sa  peur  de  perdre  la  vie,  et  il  considéra  la  levée  de  ses  fers  comme  un  in- 
comparable bienfait.  C'est  à  ce  point  que  l'esprit  de  ce  monarque  s'était  avili!  Il  em- 
brassa Cortès  avec  une  effusion  extrême,  lui  témoignant  sa  gratitude  par  de  singu- 
lières démonstrations,  et  il  fit  ce  jour-là  même  des  largesses  extraordinaires  aux  Es- 
pagnols  et  à  ses  propres  sujets.  » 


DE   LA   NOUVELLE-ESPAGNE.  265 

permission  de  nous  attaquer  et  de  le  tirer  de  captivité,  il  se  pourrait 
que,  lorsqu'ils  le  verraient  libre,  ils  le  fissent  tourner  à  leurs  propres 
idées,  malgré  son  désir  d'éviter  tout  désordre  dans  sa  capitale;  que, 
dans  le  cas  où  ils  ne  réussiraient  pas  à  lui  imposer  leur  volonté,  ils 
voudraient  peut-être  mettre  un  grand  seigneur  à  sa  place;  tandis  que, 
en  l'état,  il  les  dissuadait  de  ces  pensées  en  leur  disant  que  son  Hui- 
chilobos  lui  avait  fait  conseiller  de  rester  prisonnier.  La  vérité  est 
que  Gortès  avait  enjoint  à  son  interprète  Aguilar  de  lui  révéler, 
comme  en  secret,  que  Malinchc  aurait  beau  donner  des  ordres  pour 
qu'il  sortît  de  prison,  que  nous,  capitaines  et  soldats,  ne  le  permet- 
trions nullement.  Quoi  qu'il  en  soit,  aussitôt  que  Montezuma  eut 
exprimé  son  refus  de  sortir,  notre  général  le  serra  dans  ses  bras  en 
lui  disant  :  «•  Ce  n'est  pas  en  vain,  seigneur  Montezuma,  que  je  vous 
aime  comme  moi-même.  » 

A  la  suite  de  cette  scène,  le  prince  demanda  à  Gortès  un  page 
espagnol  qui  était  à  son  service  et  qui  connaissait  déjà  la  langue 
aztèque.  On  l'appelait  Orteguilla.  Ce  fut  certainement  d'un  bon  profit 
pour  Montezuma  comme  pour  nous-mêmes,  parce  que,  au  moyen  du 
petit  page,  Montezuma  demandait  et  apprenait  bien  des  choses  sur 
notre  Gastille;  de  notre  côté,  nous  savions  ce  que  disaient  ses  capi- 
taines; en  somme,  cela  fut  un  très-bon  service  pour  le  prince,  parce 
qu'il  se  prit  de  grande  affection  pour  Orteguilla.  Quoi  qu'il  en  soit, 
il  est  certain  que  Montezuma  en  était  arrivé  à  vivre  satisfait,  à  cause 
des  grandes  flatteries,  des  bons  offices  et  des  conversations  qu'il  trou- 
vait en  notre  compagnie;  toutes  les  fois  que  nous  passions  devant 
lui,  fût-ce  Gortès  lui'  même,  nous  nous  découvrions  de  nos  bonnets 
ou  de  nos  casques,  car  nous  étions  sans  cesse  armés;  et  quant  à  lui, 
il  nous  faisait  toujours  grand  honneur. 

Disons  maintenant  les  noms  des  capitaines  de  Montezuma  qui  fu- 
rent bridés  vifs.  Le  commandanl  s'appelait  Quetzalpopoca,  un  autre 
Coati,  un  autre  encore  Quiathuitlc,  et  le  quatrième,  je  ne  m'en  sou- 
viens pas.  D'ailleurs  ces  noms  sont  de  peu  d'importance  pour  notre 
récit.  Mais  notons  que  ce  châtiment  fut  connu  de  toutes  les  provinces 
de  la  Nouvelle-Espagne  et  que  la  crainte  renaquit  ;  les  villages  de  la 
côte,  où  nos  soldats  avaient  été  tués,  recommencèrent  à  rendre  les 
mêmes  services  aux  babitanls  de  la  Villa  Rica.  Et  maintenant,  les 
curieux  qui  liront  ce  récit  ne  manqueront  pas  de  remarquer  les 
grandes  choses  que  nous  fimes  :  d'abord  détruire  nos  navires;  ensuite 
avoir  la  hardiesse  de  pénétrer  dans  une  ville  si  bien  fortifiée,  avec  un 
si  grand  nombre  d'habitants,  tandis  que  nous  n'ignorions  nullement 
qu'on  devait  nous  massacrer  après  que  nous  y  serions  entrés:  et 
encore,  porter  l'audace  jusqu'à  nous  emparer  du  grand  Montezuma 
qui  était  le  roi  du  pays,  au  milieu  de  sa  capitale,  dans  son  palais 
même,  entouré  qu'il  était  de  la  quantité  de  guerriers  qui  composaient 


266  CONQUETE 

sa  garde  ;  plus  encore,  oser  faire  périr  dans  les  flammes  ses  propres 
capitaines,  devant  les  palais  impériaux,  et  mettre  le  monarque  aux 
fers  pendant  cette  exécution...  Eh  bien!  moi,  maintenant  que  je  suis 
vieux,  bien  souvent  je  me  prends  à  considérer  les  choses  héroïques 
que  nous  fîmes  alors,  et  il  me  semble  les  voir  passer  devant  mes 
yeux.  Or,  j'affirme  que  tous  ces  grands  faits,  ce  n'est  pas  nous  qui 
en  étions  les  auteurs,  mais  bien  Dieu  lui-même  qui  les  préparait 
sur  notre  route;  car  enfin  quels  sont  les  hommes  au  monde  qui  ose- 
raient entrer,  au  nombre  de  quatre  cent  cinquante  soldats  seulement 
(et  nous  n'arrivions  pas  à  ce  chiffre),  dans  une  ville  aussi  forte  que 
l'était  Mexico,  laquelle  dépasse  la  grandeur  de  Venise,  en  considé- 
rant surtout  que  nous  étions  éloignés  de  plus  de  quinze  cents  lieues 
de  notre  Gastille?  Et,  je  le  répète,  qui  aurait  osé  s'emparer  d'un  si 
grand  empereur  et  exercer  une  telle  justice,  devant  lui-même,  contre 
ses  capitaines?  Certes,  il  y  aurait  beaucoup  à  proclamer  à  l'éloge  de 
ce  passé,  au  lieu  de  l'écrire  sèchement  comme  je  le  fais  dans  cette 
histoire. 

Je  continuerai  mon  récit  pour  dire  que  Gortès  nomma  et  envoya 
un  autre  capitaine  pour  commander  à  la  Villa  Rica,  à  la  place  de 
Juan  de  Escalantc  qui  avait  été  tué. 


CHAPITRE  XCVI 

Comme  quoi  notre  général  envoya  à  la  Villa  Rica  pour  lieutenant  et  commandant  de 
place  un  hidalgo  nommé  Alonso  de  Grado,  en  remplacement  de  l'alguazil  mayor 
Juan  de  Escalante.  tandis  qu'il  fit  retomber  ce  titre  sur  Gonzalo  de  Sandoval  qui 
fut  alguazil  mayor  depuis  ce  moment.  Ce  qui  arriva  à  ce  sujet  je  le  vais  dire  à  la 
suite. 

Après  l'exécution  de  Quetzalpopoca  et  de  ses  officiers,  Montezuma 
étant  remis  de  son  émotion,  notre  général  résolut  d'envoyer  pour 
lieutenant  à  la  Villa  Rica  un  de  nos  camarades,  nommé  Alonso  de 
Grado,  parce  qu'il  était  intelligent,  bon  causeur,  de  bel  aspect,  mu- 
sicien et  écrivain  facile.  Il  fut  toujours  homme  d'opposition  contre 
Gortès,  n'étant  pas  d'avis  d'aller  à  Mexico,  mais  partisan  du  retour 
à  la  Villa  Rica.  A  l'époque  où  l'on  tint  à  Tlascala  les  colloques  se- 
crets dont  j'ai  déjà  parlé  dans  un  chapitre  antérieur,  Alonso  de 
Grado  en  était  le  promoteur  et  il  les  animait  de  son  éloquence.  S'il 
eût  été  aussi  bon  soldat  qu'homme  de  belles  manières,  il  eût  fait  un 
ensemble  très-respectable.  Je  m'exprime  ainsi  pour  en  arriver  à  dire 
que  lorsque  cet  emploi  lui  fut  donné,  Gortès,  qui  s'exprimait  avec 
esprit  et  qui  savait  fort  bien  que  Grado  n'était  pas  un  pourfendeur, 
lui  parla  en 'ces  termes  :  «  Voilà  donc,  seiïor  Alonso  de  Grado,  vos 


DE  LA  NOUVELLE-ESPAGNE.  267 

souhaits  accomplis  :  vous  allez  partir  pour  la  Villa  Rica,  comme  vous 
l'avoz  désiré,  et  vous  aurez  à  vous  occuper  de  la  construction  de  la 
forteresse.  Mais,  attention....  n'allez  pas  vous  fourvoyer  dans  quelque 
attaque  à  l'exemple  de  Juan  de  Escalante  et  vous  faire  tuer.  »  Or, 
lorsque  notre  général  lui  parlait  ainsi,  il  clignait  de  l'œil  à  l'adresse 
de  nous  autres  qui  étions  là,  pour  que  nous  saisissions  son  idée; 
car  le  général  était  bien  convaincu  que,  s'il  lui  avait  donné  l'ordre 
d'agir  comme  Escalante,  Grado  ne  l'aurait  pas  fait,  dût-il  en  être 
puni. 

Lorsque  sa  nomination  fut  signée  et  ses  instructions  au  complet, 
Alonso  de  Grado  pria  Gortès  de  lui  concéder  le  bâton  d'alguazil 
mayor,  ainsi  que  l'avait  Escalante  ;  mais  il  lui  fut  répondu  que  l'em- 
ploi était  déjà  assigné  à  Gonzalo  de  SandovaJ.  Il  fut  ajouté  qu'avec 
le  temps  on  ne  manquerait  pas  de  lui  offrira  lui-même  une  situation 
fort  honorable;  mais,  pour  à  présent,  on  se  contenta  du  souhait  ordi- 
naire de  «  Dieu  vous  conduise  !  »  Il  lui  fut  bien  recommandé  aussi 
de  prendre  soin  des  habitants  de  la  Villa,  de  les  traiter  honorable- 
ment, de  ne  faire  aucun  tort  aux  Indiens  alliés,  et  de  ne  pas  avoir 
recours  à  la  force  pour  leur  prendre  quoi  que  ce  fût.  On  lui  recom- 
manda de  se  souvenir  que  Gortès  avait  envoyé  dire  aux  forgerons  du 
port  de  fabriquer  deux  grosses  chaînes  avec  les  ferrures  et  les  ancres 
qu'on  avait  retirées  des  navires  avant  de  les  faire  échouer;  il  devait 
les  envoyer  sans  retard  et  faire  en  sorte  d'achever  les  charpentes  de 
la  forteresse  et  d'y  ajouter  une  couverture  en  tuiles. 

Étant  arrivé  au  port,  Alonso  de  Grado  prit  un  ton  très-hautain 
avec  les  habitants;  il  prétendait  les  employer  à  son  service  comme 
aurait  fait  un  grand  seigneur;  il  réclamait  des  bijoux  en  or  et  de 
belles  Indiennes  aux  villages  pacifiés,  qui  dépassaient  le  nombre  de 
trente.  Quant  à  la  forteresse,  peu  lui  importait  d'y  donner  des  soins  ; 
il  passait  son  temps  à  jouer  et  à  bien  manger.  Ce  qui  fut  pire  encore, 
c'est  qu'il  convoquait  secrètement  ses  amis  et  ceux  qui  ne  l'étaient 
guère,  pour  les  convaincre  que  si  Diego  Velasqucz  ou  quelqu'un  de 
ses  capitaines  venait  de  Cuba,  il  fallait  s'unir  à  lui  et  lui  livrer  le 
pays.  Tout  cela  fut  rapporté,  par  lettres,  à  Gortès,  à  Mexico.  En  l'ap- 
prenant, il  se  révolta  contre  lui-même  pour  le  choix  qu'il  avait  fait 
d'Alonso  de  Grado,  bien  que  connaissant  son  mauvais  cœur  et  son 
naturel  pervers.  Gortès  était  d'ailleurs  bien  convaincu  que  Diego 
Velasquez,  gouverneur  de  Guba,  devait  arriver  à  savoir,  n'importe 
par  quel  moyen,  que  nous  avions  envoyé  nos  procureurs  à  Sa  Majesté 
et  que  ce  ne  serait  pas  à  lui  que  nous  aurions  recours  pour  quoi  que 
ce  fût.  Il  en  résulterait  l'envoi  de  quelque  flotte  contre  nous. 

Cette  prévision  pénétra  Cortès  de  la  nécessité  d'envoyer  à  la  Villa 
un  homme  de  confiance.  Pour  ce  motif,  il  choisit  Sandoval,  qui  avait 
été  déjà  nommé  alguazil  mayor  après  la  mort  de  Juan  de  Escalante. 


268  CONQUÊTE 

Le  nouveau  commandant  emmenait  avec  lui  Pedro  de  Ircio,  celui-là 
même  par  qui  le  chroniqueur  Gomara  veut  faire  coloniser  le  Panuco. 
Cet  officier  fut  donc  à  la  Villa.  Gonzalo  de  Sandoval  le  prit  en  grande 
amitié  parce  que  Pedro  de  Ircio,  qui  avait  été  écuyer  chez  le  comte 
de  Urena  et  chez  don  Pedro  Giron,  racontait  sans  cesse  leurs  aven- 
tures. Gomme  d'ailleurs  Gonzalo  de  Sandoval  était  bienveillant  et 
sans  malice  aucune,  son  subalterne  l'amusait  de  ses  contes,  gagnant 
ainsi  ses  bonnes  grâces  et  obtenant  de  monter  en  grade  jusqu'au 
rang  de  capitaine.  Or  Pedro  de  Ircio,  au  lieu  de  plaisanteries,  lais- 
sait quelquefois  échapper  des  paroles  qui  n'auraient  pas  dû  se  dire  et 
que  Gonzalo  de  Sandoval  relevait,  du  reste,  vertement  ;  ces  discours 
étaient  tels  que,  si  on  les  entendait  en  notre  temps,  Jes  tribunaux 
interviendraient  pour  les  punir. 

Mais  cessons  de  nous  occuper  de  la  conduite  des  autres  et  reve- 
nons à  Gonzalo  de  Sandoval  qui,  aussitôt  arrivé  à  la  Villa  Rica,  s'em- 
pressa d'envoyer  prisonnier  à  Mexico  Alonso  de  Grado  avec  une 
escorte  d'Indiens,  conformément  aux  ordres  qu'il  avait  reçus  de 
Gortès.  Les  habitants  du  port  se  prirent  d'affection  pour  Gonzalo  de 
Sandoval,  car  il  avait  grand  soin  des  malades,  mettant  à  leur  dispo- 
sition des  vivres  choisis,  les  meilleurs  possible,  et  leur  prodiguant 
les  témoignages  du  plus  franc  attachement.  Il  pratiquait  exactement 
la  justice  vis-à-^is  des  villages  alliés  et  les  favorisait  en  toute  occa- 
sion; il  commença  la  charpente  et  la  toiture  de  la  forteresse,  et,  en 
somme,  il  agissait  en  toutes  choses  comme  les  bons  capitaines  ne 
manquent  jamais  de  le  faire,  conformément  à  leurs  obligations.  Son 
commandement  fut  très-fructueux  pour  Gortès  et  pour  nous,  ainsi 
qu'on  le  verra  par  la  suite. 

Laissons  Sandoval  dans  sa  Villa  Rica,  et  revenons  à  Alonso  de 
Grado,  amené  prisonnier  à  Mexico.  Il  prétendit  parler  à  Gortès,  qui 
ne  lui  permit  pas  de  paraître  en  sa  présence.  L'ordre  fut  même  donné 
de  le  mettre  aux  ceps  qu'on  avait  installés  récemment.  Il  y  resta 
deux  jours,  —  il  m'en  souvient  —  tandis  que  le  bois  dont  ces  ceps 
étaient  faits*  exhalait  une  odeur  repoussante  d'oignon  et  d'ail1. 
Mais  comme  Alonso  de  Grado  était  beau  parleur  et  homme  de  res- 
sources, il  fit  à  Gortès  de  grandes  promesses  et  obtint  d'être  mis  en 
liberté.  Je  pus  même  m 'apercevoir  que  le  général  en  faisait  sa  société.  A 
la  vérité  il  ne  l'employait  pas  à  des  choses  militaires,  mais  bien  en 
des  services  qui  répondaient  mieux  à  son  caractère.  Avec  le  temps,  il 

1.  Cet  instrument,  dont  on  n'ose  guère  plus  faire  usage  aujourd'hui,  n'est  pas  tout 
à  fait  délaisse  encore,  surtout  dans  quelques  haciendas  (fermes),  où  il  sert  à  châtier 
l'indocilité  des  travailleurs.  Je  l'ai  vu  employer  une  fois  dans  une  hacienda  de  canne  à 
sucre.  11  est  fait  de  deux  lourds  morceaux  de  bois  longs  et  équarris.  Chacun  d'eux 
est  creusé  en  demi-lune,  de  distance  en  distance,  et  de  telle  façon  qu'en  les  juxtapo- 
sant on  fait  coïncider  les  échancrurcs  qui  forment  des  trous  ronds.  C'est  dans  ces 
Irons  qu'on  engage  les  jambes  ou  même  te  cou  du  patient, 


DE  LA   NOUVELLE-ESPAGNE.  269 

en  vint  à  lui  confier  l'intendance,  qui  appartenait  à  Alonso  de  Avila, 
lequel  fut  envoyé  à  l'île  de  Saint-Domingue  en  qualité  de  procureur, 
ainsi  que  j'aurai  occasion  de  le  dire  en  son  lieu.  Je  ne  dois  pas  oublier 
de  rappeler  ici  que  lorsque  Cortès  expédia  (jonzalo  de  Sandoval  à  la 
Villa  Rica  à  titre  de  lieutenant,  commandant  de  place  et  alguazil 
mayor,  il  lui  avait  donné  l'ordre  d'envoyer,  aussitôt  qu'il  arriverait, 
deux  forgerons,  avec  leurs  outils  et  ustensiles,  les  soufflets,  beau- 
coup de  la  ferrure  des  navires  échoués,  les  chaînes  qui  sans  doute 
étaient  déjà  faites,  des  voiles,  des  agrès,  de  la  poix,  de  l'étoupe,  une 
boussole  et  tous  autres  objets  pouvant  servir  à  l'installation  de  deux 
bricks  destinés  à  naviguer  sur  le  lac  de  Mexico.  Sandoval  envoya  le 
tout  exactement,  ainsi  qu'il  en  avait  reçu  l'ordre. 


CHAPITRE  XGVII 

Comme  quoi,  Montezuma  étant  notre  prisonnier,  Gortès  et  nous  tous  lui  faisions  fête; 
comment  on  l'autorisa  môme  à  visiter  ses  temples. 

Gomme  notre  général  ne  cessait  de  donner  son  attention  à  toulcs 
choses,  ne  pouvant  méconnaître  que  Montezuma  était  réellement  pri- 
sonnier   et  craignant  qu'il  n'en  éprouvât  une  grande   angoisse,    il 
prenait  soin  d'aller  tous  les  jours  lui  faire  sa  cour,  après  avoir  récité 
ses  prières,  car  nous  n'avions  point  de  vin  pour  dire  la  messe.  Quatre 
capitaines  l'accompagnaient,  parmi  lesquels  étaient  le  plus  souvent 
Pedro  de  Alvarado,  Juan  Velasquez  de  Léon  et  Diego  de  Ordas.  Il 
s'adressait  à  Montezuma  avec  beaucoup  de  courtoisie,    s'informant 
comment  il  allait,  le  priant  de  demander  tout  ce  qu'il  désirerait  et  de 
bannir  tout  ennui   dans  sa  prison,  bien    persuadé  que   ses    ordres 
seraient  exécutés.  Le  prince  répondait  qu'il  était  fort  content  d'être 
notre  prisonnier,  puique  nos  dieux  nous  en  donnaient  le  pouvoir  et 
que  son  Huichilobos  daignait  le  permettre.  De  propos  en  propos,  on 
en  arrivait  à  lui  exposer  avec  plus  de  détails,  au  moyen  du  Frère  de 
la  Merced,  les  vérités  de  notre  sainte  foi  et  la  grande  puissance  de 
l'Empereur  notre  maître. 

Quelquefois  Montezuma  jouait  avec  Gortès  au  totoloque,  jeu  ainsi 
nommé  par  les  Indiens  et  pour  lequel  on  se  servait  de  petits  jalets 
coulés  en  or  et  très-polis;  on  les  lançait  d'un  peu  loin,  sur  des  palets 
en  or  aussi.  Cinq  marques  suffisaient  pour  qu'on  perdît  ou  qu'on  gagnât 
certaine  pièce  ou  quelque  joaillerie  qui  formait  l'enjeu.  Je  me  rappelle 
que  Pedro  de  Alvarado  marquait  les  points  de  Gortès,  tandis  que  ceux 
de  Montezuma  étaient  aux  soins  d'un  grand  seigneur,  son  neveu.  Or, 
Pedro  de  Alvrado  mettait  toujours  un  point  de  trop,  et,  comme  Mon- 


270  CONQUÊTE 

tezuma  s'en  apercevait,  il  disait  en  riant  très-gracieusement  qu'il  ne 
voulait  pas  que  le  Tonatio  se  chargeât  de  marquer  (c'est  ainsi  que 
les  Indiens  appelaient  Pedro  de  Alvarado),  parce  qu'il  faisait  beau- 
coup à'ixoxol  dans  ses  comptes,  ce  qui  veut  dire  en  leur  langage 
qu'il  trichait  en  marquant  un  point  de  trop.  Gortès  et  les  soldats  qui 
dans  le  moment  montaient  la  garde  ne  pouvaient  se  tenir  de  rire  en 
entendant  les  plaintes  de  Montezuma.  On  demandera  maintenant 
pourquoi  cela  nous  faisait  rire.  C'était  parce  que  Pedro  de  AJvarado , 
homme  élégant  et  de  belles  manières,  aimait  à  plaisanter  en  parlant, 
et,  comme  nous  connaissions  sa  manie,  nous  rîmes  alors  par  habi- 
tude. Mais  revenons  à  notre  jeu.  Lorsque  Gortès  gagnait,  il  faisait 
cadeau  de  l'enjeu  aux  neveux  et  aux  familiers  de  Montezuma  qui  se 
trouvaient  de  service;  si  c'était  Montezuma  qui  gagnait,  il  le  répar- 
tissait  entre  les  soldats  qui  montaient  sa  garde.  Non  content  même  de 
l'enjeu  qu'il  nous  donnait,  chaque  jour  il  nous  offrait  des  présents  en 
or  et  en  étoffes,  ainsi  qu'au  capitaine  des  gardes  qui  était  alors  Juan 
Velasquez  de  Léon,  lequel  se  montrait  toujours  très-affectueux  et 
très-empressé  au  service  de  Montezuma. 

Je  me  rappelle  aussi  que  parfois  était  de  garde  un  certain  soldat 
de  haute  stature,  très-dispo^  et  très-vigoureux,  appelé  Truxillo; 
c'était  un  matelot.  Or  lorsque  son  tour  de  garde  venait  pendant  la 
nuit,  il  était  si  mal  élevé  que,  —  parlant  par  respect  à  mes  lecteurs, 
—  je  suis  forcé  de  dire  qu'il  faisait  des  choses  malhonnêtes  dont  le 
bruit  arrivait  aux  oreilles  de  Montezuma.  En  sa  qualité  de  roi  du 
pays  et  d'homme  de  cœur,  le  prince  trouva  la  chose  de  mauvais  goût 
et  fut  surpris  qu'on  se  la  permit  dans  un  endroit  où  il  pouvait  l'en- 
tendre, oubliant  ainsi  le  respect  dû  à  sa  personne.  Il  demanda  à  son 
page  Orteguilla  qui  pouvait  être  cet  homme  malpropre  et  mal  élevé. 
Il  lui  fut  répondu  que  c'était  un  marin  qui  n'entendait  rien  à  la  poli- 
tesse et  aux  bonnes  manières.  Le  page  en  prit  occasion  pour  lui  dire 
ce  que  valait  chacun  des  soldats  qui  étaient  là  présents,  quel  était 
caballero  et  quel  ne  l'était  pas,  ajoutant  beaucoup  d'autres  choses 
que  Montezuma  désirait  fort  connaître.  Mais  revenons  à  notre  Truxillo. 
Le  jour  venu,  Montezuma  le  fit  appeler  et  lui  demanda  pourquoi  il 
était  si  malappris ,  ajoutant  que,  sans  égard  pour  sa  personne,  il 
sortait  des  limites  d'un  juste  respect.  Il  le  pria  de  ne  pas  com- 
mettre de  nouveau  la  même  faute  et  lui  fit  donner  un  bijou  en  or  du 
poids  de  cinq  piastres.  Truxillo  ne  tint  aucun  compte  de  la  prière, 
et,  la  nuit  suivante,  il  se  rendit  coupable,  à  dessein,  de  la  même  in- 
convenance, dans  l'espoir  qu'il  en  serait  encore  récompensé.  Or  Mon- 
tezuma se  plaignit  à  Juan  Velasquez,  capitaine  du  service,  qui  donna 
l'ordre  de  relever  cet  homme  et  de  ne  plus  l'employer  à  monter  la 
garde,  lui  faisant  dire  en  même  temps  quelques  paroles  fort  sévères. 

11  arriva  encore  qu'un  autre  soldat,   nommé  Pedro  Lopez,  grand 


DE  LA  NOUVELLE-ESPAGNE.  271 

arbalétrier,  bien  dispos,  incompréhensible  parfois,  fut  désigné  pour 
la  garde  de  nuit  de  Montezuma.  Il  eut  une  petite  discussion  avec  un 
de  ses  camarades  de  quart,  sur  le  point  de  savoir  si  c'était  déjà  son 
tour  ou  non.  Dans  le  feu  du  débat,  il  s'écria  :  «  Maudit  soit  ce  chien, 
puisque,  de  lui  monter  continuellement  la  garde,  je  suis  si  malade 
de  l'estomac  que  j'en  meurs!  »  Montezuma  entendit  le  propos  et  en 
éprouva  un  vif  regret.  Gortès  apprit  la  chose  lorsqu'il  vint  pour  faire 
sa  cour.  Il  en  fut  tellement  irrité  qu'il  ordonna  d'appliquer  le  fouet 
à  Pedro  Lopez,  tout  bon  soldat  qu'il  était.  A  partir  de  ce  moment, 
ceux  qui  furent  obligés  de  monter  la  garde  s'en  acquittèrent  en  si- 
lence et  avec  de  bonnes  manières.  Quant  à  moi  et  à  quelques  autres 
camarades,  il  n'était  pas  nécessaire  de  nous  rappeler  le  grand  res- 
pect que  nous  devions  au  prince  captif. 

Montezuma,  au  surplus,  nous  connaissait  tous;  il  savait  nos  noms 
et  qualités,  et  il  était  si  bon  qu'il  nous  donnait  des  bijoux,  des  étoffes 
et  de  belles  filles  indigènes.  Or,  en  ce  temps-là,  j'étais  jeune  et,  toutes 
les  fois  que  je  montais  sa  garde  ou  que  je  passais  devant  lui,  je  té- 
moignais de  mon  respect  en  ayant  soin  de  me  découvrir  de  mon  bon- 
net d'uniforme.  D'ailleurs  le  page  Orteguilla  lui  avait  dit  que  j'étais 
venu  deux  fois,  avant  Gortès,  à  la  découverte  de  la  Nouvelle-Es- 
pagne; et,  comme  j'avais  avoué  moi-même  au  page  que  je  désirais 
prier  Montezuma  de  me  faire  présent  d'une  belle  Indienne,  le  prince 
le  sut  et,  m'ayant  mandé,  il  me  dit  :  «  Bernai  Diaz  del  Gastillo,  on 
m'a  conté  que  vous  avez  maigre  provision1  d'or  et  de  linge;  je  vous 
ferai  donner  aujourd'hui  une  belle  fille;  traitez-la  bien,  elle  est  de 
bonne  condition.  On  aura  soin  de  vous  remettre  en  même  temps  de 
l'or  et  des  étoffes.  »  Je  lui  répondis  très-respectueusement  que  je  lui 
baisais  les  mains  pour  une  si  grande  faveur  et  priais  Notre  Seigneur 
Dieu  de  le  faire  prospérer  en  toutes  choses.  Il  paraît  qu'il  demanda 
au  page  le  sens  de  ma  réponse,  qui  lui  fut  transmis;  sur  quoi  il 
exprima  cette  pensée  que  Bernai  Diaz  lui  semblait  être  un  homme  de 
noble  condition;  car  il  savait  tous  nos  noms,  ainsi  que  je  l'ai  dit. 
Du  reste,  on  me  donna  de  sa  part  trois  disques  d'or  et  deux  char- 
ges d'étoffes. 

Laissons  tout  cela  de  côté  pour  dire  que  le  matin3  lorsqu'il  faisait 
ses  prières  et  ses  sacrifices  aux  idoles,  Montezuma  déjeunait  légère- 
ment; il  ne  mangeait  pas  de  viande  à  ce  repas,  mais  seulement  du 
piment.  Il  passait  une  heure  à  connaître  de  divers  procès  entre  ca- 
ciques venus  de  provinces  éloignées.  J'ai  déjà  dit  dans  un  autre  cha- 
pitre comment  ils  s'introduisaient  au  palais  à  propos  de  leurs 
affaires  et  le  respect  dont  ils  témoignaient.  J'ai  dit  aussi,  et  c'est 

1.  Le  texte  espagnol  dit  :  kanme  dichu  que  toieis  motolinea  de  uro  >j  vopa,  U 
met  motolinea  n'est  pas  espagnol,  mais  aztèque  ;  il  signifie  pauvreté. 


272  CONQUÊTE 

pour  cela  que  je  n'ai  pas  besoin  de  le  répéter,  que  Montezuma,  en  ce 
moment-là,  s'entourait  d'une  vingtaine  de  vieillards  dont  la  mission 
était  de  juger.  Nous  sûmes  alors  que  le  prince  avait  un  grand  nombre 
de  concubines;  il  en  donnait  en  mariage  à  ses  capitaines  et  aux  per- 
sonnes de  distinction  parmi  ses  favoris;  il  en  offrit  même  à  nos  sol- 
dats :  celle  dont  il  me  fit  présent  était  du  nombre,  et  certes  cette 
noble  provenance  se  voyait  dans  son  air  distingué;  elle  prit  le  nom 
de  dona  Francisca.  C'est  ainsi,  du  reste,  que  Montezuma  passait  son 
temps,  riant  quelquefois,  quelquefois  aussi  songeant  à  sa  prison. 

Je  ferai  maintenant  une  réflexion,  non  qu'elle  intéresse  mon  récit, 
mais  parce  que  quelques  personnes  curieuses  m'ont  questionné  à  ce 
sujet.  Gomment  se  fait-il  que,  seulement  pour  avoir  appelé  et  chien  » 
Montezuma,  sans  même  être  en  sa  présence,  Cortès  ait  condamné  un 
soldat  à  être  fouetté,  tandis  que  nous  étions  si  peu  nombreux  et  que 
les  Indiens  ne  pouvaient  manquer  d'en  avoir  connaissance?  Je  ré- 
ponds à  cela  que  nous  tous,  sans  en  excepter  Cortès,  lorsque  nous 
passions  devant  le  prince,  nous  témoignions  de  notre  respect  en  dé- 
couvrant nos  têtes;  que  de  son  côté  il  était  si  bon  et  si  poli  que  nous 
nous  en  tenions  pour  très-bonorés,  non-seulement  parce  qu'il  était 
roi  de  la  Nouvelle-Espagne,  mais  à  cause  des  qualités  mêmes  et  de 
la   distinction   de   sa  personne,  qui  méritait  tous  nos   égards.  Outre 
cela,  si  l'on  veut   raisonner  justement,  nos  vies  ne  dépendaient-elles 
pas  de  l'ordre  qu'il  aurait  pu  donner  à  ses  sujets  de  le  tirer  de  pri- 
son et  de  se  jeter  sur  nous?  Très-certainement  il  leur  aurait  suffi  de 
le  voir  libre  et  d'être  en  sa  présence  pour  agir  ainsi  à  l'instant.  Nous 
voyions,  du  reste,  que  plusieurs  grands  seigneurs  l'accompagnaient 
sans  cesse,  que  beaucoup  d'autres  venaient  de  provinces  éloignées; 
que  tous  lui  formaient  une  cour  brillante;  qu'il  donnait  à  boire  et  à 
manger  continuellement  à  un  nombre  considérable  de  personnes,  ni 
plus  ni  moins  que  lorsqu'il  était  libre....  Cortès,    considérant  tout 
cela,  éprouva  une  très-grande  irritation    lorsqu'il  apprit  qu'on  lui 
avait  adressé  une  parole  si  malsonnante,  et,  dans  son  état  d'excita- 
tion,  sans  y  réfléchir  plus  longtemps,  il  ordonna  qu'on  en  châtiât 
l'auteur,  ainsi  que  je  l'ai  conté;  et  cela  fut  très-bien  fait. 

Continuons  et  disons  qu'en  ce  moment  arrivèrent  de  la  Villa  Rica 
des  Indiens,  porteurs  des  chaînes  que  Cortès  avaient  commandées  aux 
forgerons.  Ils  apportaient  aussi  tout  ce  qui  était  nécessaire  à  la  con- 
fection des  bricks  dont  j'ai  parlé.  Notre  général  s'empressa  de  le 
faire  savoir  à  Montezuma.  J'en  resterai  là  et  je  dirai  ce  qui  se  passa 
à  ce  sujet. 


DE   LA   NOUVELLE-ESPAGNE.  273 


CHAPITRE  XCVill 


Comment  Coftès  donna  l'ordre  de  construire  deux  bricks  solides  et  bons  voiliers  pou! 
naviguer  sur  la  lagune  ;  comme  quoi  aussi  Montezuma  demanda  à  Cortès  l'autori- 
sation d'aller  faire  ses  prières  au  temple;  ce  que  Cortès  répondit  et  comment  il 
accorda  cette  permission. 

Gomme  venait  d'arriver  tout  ce  qui  était  nécessaire  à  la  construction 
des  bricks,  Cortès  fut  en  instruire  Montezuma,  Jui  expliqua  qu'il 
voulait  fabriquer  deux  petits  navires  pour  faire  des  parties  de  plaisir 
sur  la  lagune  et  le  pria  de  donner  ordre  à  ses  charpentiers  pour 
qu'ils  fussent  couper  le  bois  indispensable,  en  compagnie  de  nos 
maîtres  constructeurs,  appelés  Martin  Lopez  et  Alonso  Nuiïez.  Les 
chênes  propres  à  ce  travail  poussent  à  quatre  lieues  de  là.  On  put 
donc  les  amener  sans  retard  et  en  former  les  carènes.  Comme  aussi 
les  charpentiers  indiens  étaient  fort  nombreux,  les  bricks  furent  très- 
vite  construits,  calfatés,  goudronnés,  munis  de  leurs  agrès,  de  leurs 
voiles,  et  les  ponts  couverts  de  leurs  tentes.  Ils  étaient  aussi  solides 
et  aussi  bons  voiliers  que  si  l'on  eût  passé  un  mois  à  faire  leurs  carè- 
nes, car  Martin  Lopez  était  un  maître  consomme.  C'est  lui,  du  reste 
qui  fit  les  treize  bricks  qu'on  employa  au  siège  de  Mexico,  comme  je 
le  dirai  plus  loin.  Ajoutons  qu'il  était  un  excellent  soldat  en  cam- 
pagne. 

Laissons  cela  de  côté  pour  dire  que  Montezuma  annonça  à  Cortès 
qu'il  voulait  sortir,  visiter  ses  temples,  faire  ses  sacrifices  et  accom- 
plir ses  dévotions,  ainsi  qu'il  y  était  obligé  envers  ses  divinités.  Il  dit 
ensuite  qu'il  importait  que  ses  capitaines,  ses  dignitaires  et  particu- 
lièrement ses  neveux  fussent  témoins  de  cette  sortie,  attendu  que 
chaque  jour  ils  venaient  lui  dire  qu'ils  voulaient  le  délivrer  et  tomber 
sur  nous,  tandis  que  Jui  leur  répondait  sans  cesse  qu'il  se  réjouissait 
d'être  en  notre  compagnie.  Montezuma  ajouta  que  ses  sujets  puise- 
raient dans  cette  sortie  un  nouveau  motif  de  croire  à  ses  paroles  et 
d'être  persuadés  que  Huichilobos  le  voulait  ainsi,  comme  du  reste 
on  les  en  avait  déjà  convaincus.  Contes  lui  répondit  en  le  priant  de 
ne  rien  faire  qui  pût  l'exposer  à  perdre  la  vie,  attendu  que,  dans  le 
but  de  voir  si  l'on  tenterait  des  choses  indues  et  s'il  ordonnerait  lui- 
même  à  ses  capitaines  et  à  ses  papes  de  le  délivrer  et  de  nous  faire 
la  guerre,  on  allait  envoyer  quelques-uns  de  nos  capitaines  et  de  nos 
soldats  avec  mission  de  le  faire  à  l'instant  tomber  mort  sous  le  fil  de  leurs 
épées,  pour  la  moindre  chose  répréhensible  qu'on  remarquerait  en 
sa  personne;  et  là-dessus  bonne  chance!  qu'il  pouvait  partir;  mais 
qu'il  ne  sacrifiât  personne,  attendu  que  c'est  un  grand  péché  contre 

18 


274  CONQUÊTE 

notre  Dieu  qui  est  le  Dieu  véritable  et  celui-là  même  que  nous  avons 
prêché  ;  qu'au  surplus,  nos  autels  étant  ici  et  l'image  de  Notre  Dame 
également,  il  pourrait  fort  bien  y  réciter  ses  prières,  sans  aller  dans 
son  temple. 

Montezuma  répondit  qu'il  ne  sacrifierait  personne,  et  il  partit  dans 
sa  riche  litière,  en  grande  pompe,  accompagné  de  hauts  caciques, 
comme  il  en  avait  l'habitude.  Au  devant  du  cortège  marchaient  ses 
insignes,  c'est-à-dire  son  sceptre  royal  qui  indiquait  la  présence  de 
sa  personne,  ainsi  que  font  du  reste,  aujourd'hui,  les  vice-rois  de  la 
Nouvelle-Espagne.  Avec  lui,  et  pour  le  surveiller,  marchaient  quatre 
de  nos  capitaines  :  Juan  Yelasquez  de  Léon,  Pedro  de  Alvarado, 
Alonso  de  Avila  et  Francisco  de  Lugo,  avec  cent  cinquante  soldats. 
Le  Père  fray  Bartolomé  deOlmedo  venait  également  avec  nous,  pour 
empêcher  les  sacrifices  humains,  si  l'on  tentait  d'en  faire.  Lorsque 
nous  approchâmes  du  maudit  édifice,  Montezuma  ordonna  qu'on  le 
descendît  de  sa  litière  et  il  continua  sa  marche  en  s'appuyant  sur  les 
épaules  de  ses  neveux  et  des  autres  caciques,  jusqu'à  ce  qu'il  arrivât 
au  temple.  J'ai  déjà  dit  que  partout  où  il  passait  ses  dignitaires  de- 
vaient marcher  les  yeux  baissés,  sans  lui  regarder  la  face.  Quand  il 
arriva  au  pied  de  l'escalier  de  l'oratoire,  il  y  trouva  un  grand  nombre 
de  papes  qui  l'attendaient  pour  lui  offrir  leurs  bras  en  montant.  On 
avait  fait  en  son  honneur  le  sacrifice  de  quatre  Indiens  la  veille  au 
soir.  Notre  général  avait  beau  dire  et  fray  Bartolomé  également;  le 
prince  n'en  tenait  aucun  compte;  il  fallait  absolument  qu'il  sacrifiât 
des  hommes  et  des  enfants,  et  nous  nous  voyions  obligés  de  fermer 
les  yeux;  car  déjà  Mexico  et  plusieurs  autres  grandes  villes  étaient 
fortement  agitées  par  les  manœuvres  des  neveux  de  Montezuma,  ainsi 
que  je  le  dirai  bientôt.  Quand  ses  sacrifices  furent  terminés  —  il  n'y 
employa  pas  beaucoup  de  temps,  —  nous  revînmes  avec  lui  à  nos 
quartiers.  Il  était  très-gai,  et  il  donna  divers  joyaux  d'or  à  tous  les 
soldats  qui  l'avaient  accompagné. 

Arrêtons-nous  ici,  et  je  dirai  ce  qui  advint  encore. 


CHAPITRE  XCiX 


Comme  quoi  nous  lançâmes  les  bricks;  comme  quoi  aussi  le  grand  Montezuma  dit 
qu'il  voulait  aller  à  la  chasse  ;  il  fut  avec  les  brigantins  jusqu'à  un  pcnol  où  il  y 
avait  beaucoup  de  chevreuils  et  quantité  d'autre  gibier,  et  où  personne  n'entrait 
sans  s'exposer  à  de  graves  peines. 

Les  bricks  étant  achevés,  lancés  dans  la  lagune,  munis  de  leurs 
mâts  et  de  leurs  agrès,  surmontés  des  pavillons  royaux  et  impériaux, 
pourvus  de  matelots  pour  la  manœuvre,  on  les  essaya  à  la  voile  et  à 


DE  LA  NOUVELLE-ESPAGNE.  275 

la  rame,  et  l'on  s'aperçut  qu'ils  étaient  très-bons  voiliers.  Lorsque 
Montezuma  sut  cela,  il  dit  à  Gortès  qu'il  désirait  aller  à  la  ehassc  sur 
la  lagune  et  dans  un  penol  parqué,  où  personne,  quel  que  fût  son 
rang,  ne  pouvait  chasser   sous  peine  de  mort.     Notre  général    lui 
répondit  qu'il  le  permettait  très-volontiers,  mais  que  Sa  Seigneurie 
voulût  bien  se  rappeler  ce  qui  avait  déjà  été  convenu  quand  il  fut  voir 
ses  idoles  :  que  sa  vie  serait  en  jeu,  s'il  était  l'occasion  de  quelque 
trouble;  que  du  reste  il  ferait  une  meilleure  navigation  sur  les  bricks 
que  dans  ses  pirogues,  même  les  plus  grandes.  Montezuma  se  réjouit 
de   pouvoir   aller  sur  le  meilleur  voilier  des  deux  navires.  Il  y  lit 
monter  avec  lui  plusieurs  seigneurs  et  dignitaires.  L'autre  brick  se 
remplit  de  caciques  ayant  à  leur  tête  le  propre  fils  de  Montezuma. 
Les  gens  de  service  de  la  vénerie   occupèrent   des  pirogues  et  des 
canots.  Mais,  auparavant,  Gortès  avait  donné  l'ordre  à  Juan  Velas- 
quez  de  Léon,  qui  était  capitaine  de  la  garde,  à  Pedro  de  Alvarado, 
à  Christoval  de  Oli  et  à  Alonso  de  Avila,  de  l'accompagner  avec  deux 
cents  soldats,  les  avertissant  de  se  bien  conformer  à  ses  ordres  et 
d'avoir  l'œil  ouvert  sur  Montezuma.  Or,  comme  tous  ces  capitaines 
que  je  viens  de  nommer  étaient  gens  de  précaution,  ils  avaient  rangé 
sur  le  brick  tous  les  soldats  que  j'ai  dits  et  placé  quatre  canons  ac- 
compagnés de  la  poudre  qu'on  avait  et  de  nos  artilleurs  nommés  Mesa 
et  Arbcnga.  On  couvrit   le  navire   d'une  tente  qu'on  orna  le  mieux 
possible. 

Montezuma  vint  à  bord  avec  ses  dignitaires.  Le  vent  souffla  très- 
frais  et  comme  les  matelots  se  réjouissaient  d'être  agréables  à  Mon- 
tezuma, ils  manœuvrèrent  les  voiles  de  telle  sorte  que  le  brick  volait 
sur  le  lac  et  laissait  bien  loin  derrière  lui  les  embarcations  montées 
par  des  personnages  de  distinction,  quels  que  fussent  d'ailleurs  le 
nombre  et  la  force  de  leurs  rameurs.  Montezuma  était  très-content; 
il  disait  que  l'ensemble  résultant  des  voiles  et  des  rames  était  une 
grande  chose.  Il  arriva  au  pénal,  qui  n'était  pas  du  reste  très-éloigné. 
Après  avoir  tué  ce  qu'il  voulut  de  chevreuils,  de  lièvres,  de  lapins,  il 
revint  fort  heureux  à  la  ville.  Mais,  avant  d'y  arriver,  et  lorsque  nous 
en  étions  déjà  très-près,  Pedro  de  Alvarado,  Juan  Yelasqucz  de  Léon 
et  les  autres  capitaines  donnèrent  l'ordre  de  faire  partir  les  canons. 
Cette  manœuvre  excita  la  joie  de  Montezuma,  dont  nous  honorions  la 
bonté  familière,  l'entourant  toujours  de  ce  respect  qu'on  réserve  aux 
rois  dans  ces  contrées.  Il  avait  soin  de  nous  le  rendre  en  fort  bons 
procédés. 

Je  n'en  finirais  pas,  du  reste,  si  je  voulais  dépeindre  en  détail  ses 
manières  de  grand  seigneur,  non  moins  que  les  témoignages  de  res- 
pect et  de  soumission  que  lui  prodiguaient  tous  les  caciques  de  la 
Nouvelle-Espagne  et  même  d'autres  provinces  éloignées.  Rien  ne 
pouvait  être  désiré  par  lui  sans  qu'on  le  lui  présentât  avec  la  plus 


276  CONQUETE 

grande  diligence,  et  je  dis  ceJa  pour  citer  le  fait  suivant.  Un  jour  que 
nous  étions  trois  capitaines  et  quelques  soldats  dans  la  compagnie 
de  Montezuma,  un  épervier  s'abattit,  dans  les  corridors  du  palais, 
sur  une  caille  qui  faisait  partie  des  oiseaux  apprivoises  que  l'Indien 
majordome  entretenait  dans  les  appartements  dont  il  était  chargé. 
L'épervier  emporta  sa  proie,  sous  les  yeux  de  nos  capitaines.  L'un 
d'eux,  Francisco  de  Azevedo,  le  Gentil,  qui  fut  maître  d'hôtel  de 
l'amiral  de  Gastille,  s'écria:  «  Quel  joli  épervier!  qu'il  a  bien  pris 
sa  proie,  et  quel  superbe  vol  il  a!  »  Nous  répondîmes  tous  qu'il 
était  fort  bon  en  effet  et  qu'il  y  avait  dans  ce  pays  d'excellents 
oiseaux  chasseurs.  Montezuma  resta  attentif  à  ce  que  nous  di- 
sions, et  il  demanda  à  Orteguilla  le  sens  de  nos  paroles.  Le 
page  lui  répondit  que  les  capitaines  prétendaient  que  l'épervier  qui 
était  entré  dans  le  palais  était  très-bon  et  que,  si  nous  en  avions  un 
semblable,  nous  lui  enseignerions  à  se  tenir  à  la  main,  disposé  à 
obéir  en  se  lançant  sur  n'importe  quel  volatile,  pour  en  faire  sa  proie, 
dès  que  nous  lui  en  donnerions  le  commandement.  Montezuma  dit 
alors  :  «  C'est  bien;  je  vais  ordonner  à  l'instant  de  prendre  ce  même 
épervier;  nous  verrons  si  on  l'apprivoise  et  si  l'on  chasse  avec 
lui.  »  Tous  alors  nous  nous  découvrîmes  pour  le  remercier.  Il  fit 
appeler  ses  chasseurs  d'oiseaux  et  leur  commanda  de  lui  apporter 
l'épervier.  Or,  ils  mirent  tant  d'adresse  à  lui  faire  la  chasse  qu'ils 
revinrent  à  la  nuit  tombante,  apportant  l'oiseau  même,  qu'ils  donnè- 
rent à  Francisco  de  Azevedo.  Celui-ci  le  mit  à  l'instant  en  présence 
de  ses  appeaux....  Mais  les  événements  ne  tardèrent  pas  à  se  déve- 
lopper au-delà  de  l'intérêt  d'une  chasse;  aussi  cesserai-jc  de  parler 
de  l'épervier,  en  prévenant  le  lecteur  que  je  n'ai  raconté  le  fait  que 
pour  donner  à  entendre  à  quel  point  Montezuma  était  grand  prince, 
puisque  non-seulement  il  régnait  sur  un  vaste  pays  et  recevait  tribut 
de  toute  la  Nouvelle-Espagne,  mais  encore,  bien  que  prisonnier,  il 
faisait  trembler  ses  vassaux  et  avait  assez  d'autorité  pour  s'emparer 
même  des  oiseaux  qui  volaient  dans  les  airs. 

Mettons  cela  de  côté  et  montrons  comme  quoi  la  Fortune  fait  par- 
fois tourner  sa  roue  vers  le  sort  adverse.  Dans  ce  moment  même,  elle 
avait  inspiré  aux  parents  du  grand  Montezuma,  à  d'autres  caciques  et 
à  tout  le  pays  la  pensée  de  nous  faire  la  guerre,  de  délivrer  Monte- 
zuma ou  de  mettre  à  sa  place  quelqu'un  d'entre  eux  pour  régner  sur 
Mexico.  C'est  ce  que  je  vais  dire  à  la  suite. 


DE   LA   NOUVELLE-ESPAGNE.  277 


CHAPITRE  0 

Comme  quoi  les  neveux  du  grand  Montczuma  s'efforçaient  de  réunir  aulour  d'eux 
plusieurs  autres  seigneurs,  pour  que  Ton  mît  Montezuma  en  liberté  en  nous  chas- 
sant  de  la  capitale. 

Cacamatzin,  seigneur  de  Tezcuco,  ville  la  plus  considérable  de  la 
Nouvelle-Espagne  après  Mexico,  eut  connaissance  que  son  oncle 
Montezuma  était  en  prison  depuis  quelques  jours  et  que  nous  nous 
efforcions  de  prendre  la  haute  main  en  tout  ce  qu'il  nous  était  pos- 
sible. Il  sut  même  que  nous  avions  ouvert  la  chambre  qui  renfermait 
le  trésor  de  son  aïeul  Axayaca,  sans  rien  toucher  à  son  contenu.  Avant 
que  la  pensée  nous  vînt  d'en  prendre  possession,  il  voulut  réunir  tous 
les  seigneurs  de  Tezcuco,  ses  sujets,  le  seigneur  de  Guyoacan,  son 
cousin  et  le  plus  influent  des  neveux  de  Montezuma,  le  seigneur  de 
Tacuba,  celui  d'Iztapalapa  et  un  autre  grand  cacique,  seigneur  de 
Matalcingo,  proche  parent  de  Montezuma,  et  même,  disait-on,  héri- 
tier légitime  des  royaume  et  seigneurie  de  Mexico.  Ce  personnage 
était  réputé  pour  sa  valeur  parmi  les  Indiens.  Or,  tandis  que  le  con- 
cert se  faisait  entre  eux  et  d'autres  seigneurs  mexicains  pour  tomber 
sur  nous  avec  toutes  leurs  forces,  il  paraît  que  ce  vaillant  cacique,  dont 
je  ne  sais  pas  le  nom,  fit  observer  que  si  on  lui  donnait  la  seigneurie 
de  Mexico,  à  laquelle  il  avait  droit,  ils  viendraient,  lui  et  ses  parents, 
de  la  province  de  Matalcingo,  pour  se  mettre  à  la  tête  des  conjurés 
avec  toutes  leurs  forces,  et  délivrer  Mexico  de  notre  présence,  assu- 
rant que  pas  un  Espagnol  n'échapperait  vivant.  Mais  Gacamatzin,  dit- 
on,  répondit  que  c'était  à  lui  que  revenait  la  couronne,  puisqu'il  était 
neveu  de  Montezuma,  et  que  si  son  compétiteur  ne  voulait  pas  venir 
à  cette  condition,  on  ferait  la  guerre  sans  lui. 

Gacamatzin  avait  gagné  à  sa  cause  leo  villages  et  les  seigneurs  que 
j'ai  dits,  et  il  était  convenu  qu'un  certain  jour  ils  tomberaient  sur 
Mexico  tandis  que  d'autres  conjurés,  qui  étaient  dans  la  ville,  leur 
en  faciliteraient  l'entrée.  On  en  était  là  de  ces  pourparlers,  lorsque 
Montezuma  en  fut  instruit  par  le  seigneur  son  parent  qui  n'était  pas 
d'accord  avec  Gacamatzin.  Pour  mieux  connaître  la  vérité,  le  monar- 
que fit  appeler  tous  les  caciques  et  dignitaires  de  la  capitale,  lesquels 
confessèrent  que  Cacamatzin  cherchait  en  effet  à  les  attirer  à  lui  par 
ses  paroles  et  par  ses  dons,  pour  qu'on  l'aidât  à  tomber  sur  nous  et  à 
délivrer  son  oncle.  Or,  comme  Montezuma  était  homme  de  jugement 
et  ne  voulait  pas  voir  sa  capitale  en  armes  et  livrée  au  désordre,  il 
avoua  à  Gortès  tout  ce  qui  se  passait.  Notre  général  connaissait  très- 
bien  ces  préparatifs,  et  aucun  de  nous  ne  les  ignorait;  mais  nous  ne 


278  CONQUÊTE 

savions  pas  les  choses  d'une  manière  aussi  complète.  Gortès  était 
d'avis  que  Montezuma  nous  offrît  le  secours  de  ses  soldats  pour 
marcher  sur  Tezcuco  et  en  prendre  le  seigneur,  en  détruisant  la  ville 
et  ses  environs.  Ce  plan  ne  fut  pas  du  goût  de  Montezuma;  aussi 
notre  général  prit-il  le  parti  d'envoyer  inviter  Gacamatzin  à  abandon- 
ner ses  projets  de  guerre,  de  peur  qu'il  n'y  trouvât  sa  ruine;  il  vou- 
lait, disait-il,  l'avoir  pour  allié,  et  offrait  de  faire  pour  lui  tout 
ce  dont  il  aurait  besoin....  et  mille  autres  compliments  de  cette 
nature. 

Gomme  Gacamatzin  était  jeune  et  qu'il  avait  gagné  à  son  parti  beau- 
coup de  gens  qui  promettaient  de  l'aider  de  leurs  armes,  il  fit  répon- 
dre à  Gortès  qu'il  connaissait  fort  bien  ses  habitudes  de  flatteries, 
qu'il  n'en  voulait  plus  entendre,  mais  qu'il  lai  donnerait  bientôt  l'oc- 
casion de  lui  dire  tout  ce  qu'on  voudrait  en  allant  à  lui.  Gortès  l'en- 
voya prier  encore  de  ne  rien  entreprendre  de  contraire  au  service  de 
notre  Roi  et  seigneur,  l'assurant  qu'il  le  payerait  de  la  vie.  La  réponse 
de  Gacamatzin  fut  qu'il  ne   connaissait  pas  de  roi   et  qu'il  voudrait 
bien  n'avoir  pas  connu   ce   Gortès   qui,  par  des  paroles  mielleuses, 
avait  emmené  son  oncle  en  captivité.  Sur  ce,  notre  général  s'entretint 
avec  Montezuma,  lui  faisant  voir  qu'étant  aussi  grand  seigneur  qu'il 
'était,  et  comptant  parmi  les  capitaines  de  Tezcuco  un  grand  nombre 
de  parents  et  de  caciques  qui  ne  pouvaient  souffrir  Gacamatzin  à 
cause  de  sa  malveillance  et  de  ses  airs  hautains,  tandis  que  se  trou- 
vait à  Mexico,  près  du  prince,  un  de  ses  frères,  très-bon  sujet,  qui 
avait  fui   des  mains  de  Gacamatzin  par  crainte  d'en  être  massacré; 
considérant  d'ailleurs  qu'il  était  l'héritier  du   royaume   de  Tezcuco 
après  le  roi  actuel,  on  devrait  trouver  le  moyen  de  se  mettre  d'accord 
avec  les  gens  de  Tezcuco  pour  qu'ils  arrêtassent  Gacamatzin;  ou  bien 
encore  Montezuma  pourrait  l'envoyer  prier  de  venir  secrètement,  avec 
l'intention  de  mettre  la  main  sur  lui  et  de  le  retenir  en  son  pouvoir 
jusqu'à  ce  qu'il  devînt  plus  calme.  Puisqu'au  surplus  l'autre  neveu 
se  trouvait  au  palais,  fuyant  les  mauvais  procédés  de  son  frère,  Gortès 
conseillait  à  Montezuma  de  le  proclamer  tout  de  suite  roi  de  Tezcuco 
à  la  place  de  Gacamatzin,  à  qui  l'on  ôterait  la  couronne  pour  le  punir 
des  mauvais  services  qu'il  rendait  en  provoquant  le  désordre   dans 
ies  villes  et  parmi  les  caciques  du  pays,  afin  de  s'emparer  du  pou- 
voir. 

Montezuma  répondit  qu'il  le  ferait  appeler,  quoique  ce  fût  avec  le 
pressentiment  qu'il  ne  voudrait  pas  venir;  que,  du  reste,  s'il  n'obéis- 
sait pas,  on  tâcherait  de  se  concerter  avec  ses  officiers  et  ses  parents 
pour  s'emparer  de  lui.  Cortès  le  remercia  vivement  et  lui  dit  :  «  Sei- 
gneur Montezuma,  croyez  bien  que  si  vous  voulez  retourner  dans  vos 
palais,  vous  en  avez  la  liberté.  Dès  lors  que  j'ai  la  certitude  que  vous 
êtes  plein  de  bon  vouloir  pour  moi,  et  puisqu'au  surplus  je  ressens 


DE  LA  NOUVELLE-ESPAGNE.  279 

pour  vous  l'affection  la  plus  grande,  je  serais  répréhensible  si  je  ne 
vous  accompagnais  moi-même  à  votre  royal  domicile  avec  tous  les 
gens  et  officiers  qui  vous  entourent.  Si  je  ne  l'ai  pas  fait  jusqu'ici, 
c'est  à  cause  de  mes  capitaines,  car  ce  sont  eux  qui  vous  ont  arrêté 
et  qui  ne  veulent  pas  que  je  vous  délivre  ;  c'est  aussi  parce  que  vous- 
même  désirez  rester  en  prison,  afin  d'éviter  les  révolutions  que  vos 
neveux  méditent  dans  le  but  de  se  rendre  maîtres  de  la  ville  et  de 
vous  enlever  le  commandement.  »  Montezuma  répondit  à  Gortès  qu'il 
le  remerciait  ;  mais  comme  il  connaissait  la  valeur  des  paroles  flat- 
teuses de  celui-ci,  il  savait  très-bien  qu'il  les  disait  dans  le  but,  non 
de  lui  rendre  sa  liberté,  mais  de  mettre  ses  intentions  à  l'épreuve. 
Au  surplus,  il  savait  par  Orteguilla  que  c'étaient  nos  capitaines  qui 
avaient  conseillé  à  notre  général  de  l'arrêter  et  il  ne  devait  pas  espé- 
rer que  Gortès  lui  rendît  la  liberté  sans  leur  aveu. 

A  la  suite  de  ces  conversations,  le  prince  dit  à  notre  général  qu'il 
se  trouverait  bien  en  prison  jusqu'à  ce  que  l'on  .vît  où  aboutiraient 
les  manœuvres  de  ses  neveux;  qu'il  allait  envoyer  tout  de  suite  des 
messagers  à  Gacamatzin  pour  le  prier  de  se  présenter  devant  lui, 
dans  le  but  de  se  réconcilier  avec  nous.  Il  lui  fit  dire  en  effet  qu'il 
eût  à  ne  pas  s'inquiéter  au  sujet  de  la  perte  de  sa  liberté;  que  s'il 
avait  voulu  s'échapper  de  nos  mains,  il  en  aurait  eu  beaucoup  d'occa- 
sions; que  Malinche  lui  avait  proposé  deux  fois  de  s'en  retourner  a 
ses  palais,  chose  que  lui,  Montezuma,  n'avait  pas  voulu  faire,  afin 
d'accomplir  la  volonté  de  ses  dieux  qui  lui  commandaient  de  rester 
en  prison,  faute  de  quoi  il  périrait  infailliblement,  ainsi  que  le  lui 
avaient  assuré  les  papes  préposés  au  service  des  idoles;  que,  pour 
tous  ces  motifs,  il  importait  que-  Gao?imatzin  se  liât  d'amitié  avec 
Malinche  et  avec  ses  frères  d'armes.  Montezuma  envoya  dire  en 
même  temps  aux  capitaines  de  Tezcuco  comme  quoi  il  faisait  appeler 
son  neveu  pour  qu'il  contractât  alliance  avec  Gortès,  espérant  bien 
qu'ils  ne  se  laisseraient  pas  tourner  la  tête  par  ce  jeune  homme  au 
point  de  prendre  les  armes  contre  nous. 

Finissons-en  avec  ces  pourparlers,  en  disant  que  Gacamatzin  les 
comprit  à  merveille.  Ses  dignitaires  entrèrent  du  reste  en  conseil 
pour  délibérer  sur  ce  qu'il  y  avait  à  faire.  Gacamatzin  y  proféra  des 
paroles  de  bravade,  prétendant  que  dans  quatre  jours  il  irait  nous 
massacrer,  que  son  oncle  était  une  poule  mouillée,  et  qu'il  en  avait 
donné  la  preuve  en  refusant  de  nous  faire  attaquer,  ainsi  qu'on  le 
lui  conseillait,  lorsque  nous  descendîmes  la  sierra  de  Ghalco  où  l'on 
avait  accumulé  de  si  bons  préparatifs  de  défense;  c'était  encore  Mon- 
tezuma, disait  son  neveu,  qui  nous  avait  introduits  dans  la  capitale, 
comme  si  l'on  eût  pu  croire  que  nous  nous  y  rendions  pour  lui  faire 
du  bien  ;  tout  l'or  qu'on  lui  payait  en  tribut,  il  nous  le  donnait;  bien 
plus,  nous  avions  forcé  et  ouvert  la  chambre  où  se  trouvait  le  trésor 


280  CONQUÊTE 

do  son  aïeul  Axayaca;  et,  pour  comble,  nous  le  retenions  en  prison, 
exigeant  de  lui  qu'il  ôtât  du  temple  les  idoles  du  grand  Huichilobos 
pour  y  placer  les  nôtres.  Gacamatzin  ajoutait  que,  sans  attendre  que 
la  situation  devînt  pire,  et  dans  le  but  de  châtier  tant  de  mauvais 
procédés,  il  réclamait  l'aide  des  caciques  présents  ;  qu'ils  avaient  vu 
de  leurs  yeux  tout  ce  qu'il  venait  de  retracer,  et  aussi  comment  nous 
brûlâmes  vifs  les  officiers  de  Montezuma;  qu'il  n'était  pas  possible 
de  supporter  d'autres  outrages  et  que  tous  ensemble  ils  se  devaient 
concerter  pour  nous  détruire.  Là-dessus,  Gacamatzin  promit  à  ses 
conseillers  de  les  faire  tous  grands  seigneurs,  s'il  gagnait  le  trône 
de  Mexico.  Puis  il  leur  distribua  des  joailleries  en  or,  en  ajoutant 
qu'il  avait  obtenu  la  promesse  de  secours  de  ses  cousins  les  seigneurs 
de  Guyoacan,  d'Iztapalapa,  de  Tacuba  et  de  plusieurs  autres  parents; 
que,  dans  Mexico  même,  il  y  avait  de  hauts  personnages  de  son 
parti,  qui  lui  faciliteraient  l'entrée  de  la  ville  et  se  joindraient  à  lui  à 
l'heure  qu'il  voudrait;  que,  les  uns  par  les  chaussées,  les  autres  en 
pirogues  et  dans  leurs  petits  canots,  ils  pourraient  tous  s'introduire 
dans  la  ville  sans  rien  craindre  de  personne,  attendu  que  l'oncle 
était  en  captivité;  du  reste,  il  ne  fallait  nullement  avoir  peur  de 
nous,  sachant  que,  peu  de  jours  auparavant,  dans  l'affaire  d'Almeria, 
les  capitaines  de  Montezuma  avaient  tué  plusieurs  teules  et  un  cheval, 
dont  le  corps  leur  avait  été  présenté  en  même  temps  que  la  tête  d'un 
leule  vaincu  ;  une  heure  suffirait  pour  nous  massacrer  tous,  et  ils 
auraient  la  joie  de  faire  de  grandes  fêtes  et  des  bombances  avec  nos 
cadavres. 

A  peine  avait-il  terminé  ce  discours,  que  les  capitaines,  dit-on,  se 
regardèrent  les  uns  les    autres,  invitant  à  parler  ceux  qui   avaient 
l'habitude  de  prendre  la  parole  les  premiers  dans  les  affaires  de  guerre. 
Quatre  ou  cinq  d'entre  eux  se  hasardèrent  enfin  à  dire  qu'il  ne  con- 
venait pas  de  marcher  sans  l'autorisation  du  grand  seigneur  Monte- 
zuma, pas  plus  que  de  porter  la  guerre  dans  sa  ville  et  dans  sa  propre 
maison  ;  il  fallait  d'abord  le  lui  faire  savoir  ;  s'il    y   consentait,  ils 
étaient  prêts  à  suivre  leur  prince  avec  la   meilleure    volonté;   mais 
dans  le  cas  contraire  ils  ne  voulaient  nullement  se  conduire  en  traîtres 
vis-à-vis  de  Montezuma.  Il  paraît  que  Gacamatzinse  fâcha  contreceux 
qui  formulèrent  cette  réponse.  Il  lit  même  arrêter  trois  d'entre  eux- 
D'ailleurs,  comme  il  y  avait  là,  dans  le  conseil,  quelques   autres  de 
ses  parents,  d'un  caractère  inquiet  et  remuant,  ceux-ci  promirent  de 
le  seconder  jusqu'à   la  mort.  En  conséquence,  il  envoya  dire  à  son 
oncle,  le  grand  Montezuma,  qu'il  était  sans  doute  fatigué  de  lui  expé- 
dier des  messages  par  lesquels  il  l'invitait  à  se  lier  d'amitié  avec  des 
gens  qui  avaient  osé  le  déshonorer  en  le  mettant  en  prison  ;  qu'il  était 
impossible  de  croire  autre  chose,  sinon  que  nous  étions  des  sorciers 
et  que  nous  avions  eu  recours  à  nos  sortilèges  pour  abattre  son  cou- 


DE  LA  NOUVELLE-ESPAGNE.  281 

rage  et  son  grand  cœur;  que,  sans  doute  aucun,  nos  dieux  et  cette 
grande  dame  de  Gaslille,  que  nous  lui  avions  présentée  comme  notre 
protectrice,  nous  donnaient  la  puissance  d'accomplir  ce  que  nous 
faisions. 

Il  avait  certainement  raison  en  ce  qu'il  disait  à  la  fin  de  son  mes- 
sage ;  car  il  est  bien  sûr  que  la  grande  miséricorde  de  Dieu  et  Notre 
Dame,    sa  Mère  bénie,   venaient   sans  cesse  à  notre  secours.  Mais 
la  conclusion  de  tous  ces  pourparlers  fut  que  Gacamalzin  répondit 
qu'il  viendrait,  malgré  nous  et  malgré  son  oncle,  pour  nous  parler  à 
sa  façon  et  nous  faire  périr.  Monlezuma,  en   recevant  cette  réponse 
effrontée,    en   ressentit  une  grande  irritation.  Sur   l'heure  même  il 
envoya  chercher  six  de  ses  meilleurs  capitaines  ;  il  les  munit  de  son 
sceau  royal,  leur  fit  présent  de   quelques  joyaux  d'or  et  leur  donna 
l'ordre  d'aller  à  l'instant  à  Tezcuco,  où  ils  devraient  montrer  secrète- 
ment ses  ordres  scellés  à  certains  capitaines  et  parents  qui   étaient 
au  plus  mal  avec  Gacamatzin,   à  cause  de  son  arrogance;  ils  auraient 
d'ailleurs  à  s'arranger  de  manière  à  arrêter  et  le  prince  et  ceux  qui 
formaient  son  conseil,  pour  les  amener  à  Mexico.  Ces  envoyés  parti- 
rent et,  conformément  aux  ordres  de  Montezuma,  comme  Gacamatzin 
était  fort  mal  vu  à  Tezcuco,  ils  n'eurent  pas  de  difficulté  à  le  prendre 
dans  son  propre  palais,  tandis  qu'il  était  en  conférence  avec  ses  alliés 
au  sujet  de  son  expédition.  On   fit   en  même  temps  cinq  autres  pri- 
sonniers pour  les  amener  avec  lui.  Gomme   d'ailleurs   cette  ville   se 
trouve  non  loin  de  l'eau,  on  les  embarqua  tout  de  suite  dans  des   pi- 
rogues recouvertes  d'une  toile  pour  servir  détente,  et  on  les  conduisit 
à  Mexico  à  force  de  rames.  Quand   ils  débarquèrent,  Gacamatzin  fut 
placé  dans  une  riche  litière,  en  sa  qualité  de  roi,  et,  sans  cesser  de 
le  traiter  avec  respect,  on  le  mena  devant  Montezuma.  Dans  la  conver- 
sation  avec  son  oncle,   il  se  montra  plus  effronté  que  jamais,  lais- 
sant percer  ses  prétentions  de  s'élever  à  la  dignité  de  grand  seigneur 
de  tout  le  pays.  On  en  eut  du  reste  encore  plus  la  certitude  par  les 
dépositions  des  autres  prisonniers.  Il  en  résulta  que    si  Montezuma 
était  déjà  mécontent  de   son   neveu,    il  le  fut  dès  lors  bien  davan- 
tage. 

Le  prince  conspirateur  fut  envoyé  à  notre  général  pour  qu'il  le  re- 
tînt prisonnier,  tandis  qu'on  donna  la  liberté  à  tous  les  autres.  Gortès 
s'empressa  de  se  rendre  à  l'appartement  de  Montezuma  pour  le  remer- 
cier de  ce  grand  service.  L'ordre  fut  donné  d'élever  à  la  dignité  royale 
de  Tezcuco  le  jeune  prince  neveu  de  Montezuma  et  frère  de  Gacamatzin, 
que  la  crainte  d'être  tué  avait  fait  se  réfugier  auprès  de  son  oncle; 
il  était  du  reste  héritier  présomptif  de  ce  royaume.  Pour  que  la  chose 
se  passât  avec  solennité  et  avec  le  consentement  de  toute  la  ville, 
Montezuma  envoya  l'ordre  aux  principaux  personnages  de  cette  pro- 
vince de  venir  près  de  lui.  Les  choses  étant   bien  entendues,    on  le 


282  CONQUÊTE 

proclama  roi  et  seigneur  de  Tezcuco  en  lui  donnant  le  nom  de  don 
Carlos. 

Gela  fait,  quand  les  caciques  et  roitelets  de  Cuyoacan,  d'Iztapalapa 
et  de  Tacuba,  neveux  de  Montezuma,  virent  que  Gacamatzin  était  en 
prison  et  apprirent  que  leur  oncle  n'ignorait  nullement  qu'ils  avaient 
eux-mêmes  conspiré  pour  le  déposséder  de  la  couronne  et  la  donner 
à  leur  cousin,  ils  devinrent  fort  inquiets  et  cessèrent  de  le  voir  et  de 
lui  faire  leur  cour.  Gortès  se  mit  d'accord  avec  Montezuma,  qu'il  ga- 
gna à  la  pensée  de  les  arrêter  tous;  et  huit  jours  après  on  les  put  voir 
attachés  à  la  grande  chaîne,  ce  qui  satisfit  beaucoup  notre  capitaine 
ot  nous.  Que  les  curieux  lecteurs  veuillent  bien  considérer  mainte- 
nant les  risques  qu'auraient  courus  nos  existences  au  milieu  de  ces 
projets  incessants  de  nous  massacrer  et  de  nous  dévorer,  si  la  grande 
miséricorde  de  Dieu,  qui  était  toujours  avec  nous,  ne  nous  eût, con- 
stamment secourus!  Quant  à  ce  bon  Montezuma,  il  donnait  une  so- 
lution heureuse  à  toutes  nos  affaires.  Et  qu'on  remarque  bien  à  quel 
point  il  était  grand  seigneur,  puisque,  même  au  temps  de  sa  captivité, 
on  lui  obéissait  comme  on  vient  de  voir. 

Tout  étant  apaisé  et  les  conspirateurs  en  prison,  Gortès,  nos  capi- 
taines et  le  Frère  Bartolomé  de  Olmedo  ne  cessaient  de  faire  leur 
cour  à  Montezuma,  cherchant  à  lui  complaire  autant  que  possible  et 
plaisantant  avec  lui,  sans  jamais  s'écarter  du  respect.  Aucun  d'eux  ne 
s'asseyait  en  sa  présence  avant  que  Montezuma  eût  donné  ordre  qu'on 
avançât  des  sièges.  Il  mettait,  du  reste,  tant  d'égards  dans  nos  rela- 
tions, qu'il  nous  inspirait  une  affection  réelle  ;  car  il  était  véritable- 
ment grand  seigneur  en  toutes  les  choses  que  nous  lui  voyions  faire. 
Dans  nos  conversations,  quelquefois  le  Frère,  aidé  d'Orleguilla,  lui 
faisait  entendre  les  vérités  relatives  à  notre  sainte  foi  ;  et  l'on  peut 
dire  que  ce  n'était  pas  sans  succès,  puisque  quelques-uns  des  bons 
raisonnements  entraient  dans  son  cœur,  ainsi  que  le  prouvait  l'atten- 
tion qu'il  y  prêtait  bien  autrement  qu'au  début.  On  lui  faisait  aussi 
comprendre  la  grande  puissance  de  l'Empereur  notre  seigneur,  en 
expliquant  comme  quoi  de  grands  personnages  étaient  ses  vassaux  et 
lui  juraient  obéissance,  même  en  des  pays  lointains.  On  ajoutait 
beaucoup  d'autres  choses  qu'il  prenait  plaisir  à  entendre.  D'autres 
fois,  Gortès  jouait  avec  lui  au  tololoquc,  et  comme,  d'ailleurs,  il  n'é- 
tait nullement  avare,  il  nous  donnait  un  jour  des  bijoux  en  or,  un 
autre  jour  de  bonnes  étoffes. 

Je  mettrai  fin  à  ce  sujet,  et  je  poursuivrai  mon  récit. 


DE   LA  NOUVELLE-ESPAGNE.  283 


CHAPITRE  Cl 

Comme  quoi  Montezuma,  plusieurs  caciques  et  bon  nombre  de  personnages  des 
districts  jurèrent  obéissance  à  Sa  Majesté,  et  de  plusieurs  autres  eboses  qui  se 
passèrent. 

Voyant  que  tous  ces  petits  rois  que  j'ai  nommés  étaient  en  prison, 
et  que  la  paix  régnait  dans  leurs  villes,  Gortès  rappela  à  Montezuma 
qu'avant  notre  entrée  à  Mexico  Sa  Seigneurie  lui  avait  par  deux  fois 
envoyé  dire  qu'il  serait  payé  tribut  à  Sa  Majesté  don  Carlos;  on  pou- 
vait croire  par  conséquent  qu'ayant  appris  la  grandeur  de  notre  Roi 
et  seigneur,  comme  quoi  plusieurs  royaumes  lui  payent  des  tributs 
tandis  que  grand  nombre  de  princes  lui  sont  soumis,  Montezuma  et 
tous  ses  vassaux  s'empresseraient  de  jurer  obéissance  à  notre  maître, 
attendu  que  c'est  ainsi  que  cela  se  pratique  :  l'obéissance  d'abord 
et  les  tributs  ensuite.  Montezuma  répondit  qu'il  convoquerait  ses 
vassaux  et  s'en  entretiendrait  avec  eux.  En  dix  jours,  la  plus  grande 
partie  des  caciques  du  pays  fut  réunie;  mais  on  ne  vit  pas  venir  ce 
proche  parent  de  Montezuma  que  j'ai  dit  être  très-vaillant  et  qui  lui 
ressemblait  par  son  air  et  par  sa  stature;  il  était  du  reste  d'un  ca- 
ractère inconstant.  Pour  le  moment  il  se  trouvait  dans  une  de  ses 
villes,  appelée  Tula.  C'est  à  lui,  disait-on,  qu'après  Montezuma  la 
couronne  devait  appartenir.  Quand  on  l'appela,  il  fit  répondre  qu'il 
ne  voulait  point  venir,  ni  payer  tribut,  par  la  raison  que  le  rende- 
ment de  ses  provinces  ne  suflisait  pas  même  à  ses  besoins.  Monte- 
zuma en  fut  irrité  au  point  qu'il  envoya  quelques  capitaines  avec 
ordre  de  l'arrêter;  mais  comme  c'était  un  grand  seigneur  et  qu'il 
avait  de  nombreuses  alliances,  il  fut  averti  assez  à  temps  pour  se  re- 
tirer dans  l'intérieur  de  sa  province,  où  il  ne  fut  pas  possible  de  le 
prendre  pour  le  moment. 

Je  le  laisserai  là,  et  je  dirai  la  conférence  que  Montezuma  tint  avec 
tous  les  caciques  du  pays,  dont  il  avait  provoqué  la  réunion.  Il  leur 
adressa  la  parole  en  l'absence  de  Cortès  et  de  nous  tous,  à  l'exception 
du  page  Orteguilla.  Il  leur  dit  que  depuis  longtemps,  —  ils  le  savaient 
fort  bien,  —  leurs  aïeux  avaient  annoncé,  ainsi  qu'on  le  pouvait  voir 
dans  les  livres  de  leurs  annales,  qu'il  viendrait  des  hommes  d'où  le 
soleil  se  lève,  pour  gouverner  ces  contrées,  et  qu'alors  finirait  le  règne 
des  Mexicains  ;  que,  quant  à  lui,  il  croyait,  d'après  le  dire  de  ses 
dieux,  que  nous  étions  ces  hommes-là;  que  les  papes  avaient  prié 
Huichilobos  de  se  déclarer  à  ce  sujet,  mais  que  jusqu'à  présent,  mal- 
gré d'abondants  sacrifices,  il  gardait  le  silence,  contrairement  à  ses 
habitudes,  se  contentant  de  dire  pour   unique   réponse  qu'il  n'avait 


28k  CONQUÊTE 

pas  changé  d'avis,  qu'il  donnait  le  même  conseil  qu'autrefois  et  qu'on 
eût  à  ne  plus  l'interroger  à  ce  sujet  :  paroles  significatives  qui  don- 
naient clairement  à  entendre  que  l'on  devait  jurer  obéissance  au  Roi 
de  Castille  dont  ces  teules  se  prétendaient  les  sujets.  «  A  vrai  dire, 
ajouta-t-il,  je  ne  crois  pas  que  pour  l'heure  il  y  ait  le  moindre  incon- 
vénient à  le  faire,  sauf  à  voir  si  plus  tard  nos  dieux  nous  donnent  un 
meilleur  conseil;  tenons-nous,  du  reste,  toujours  disposés  à  agir  selon 
que  les  circonstances  nous  paraîtront  le  permettre.  Ce  que,  pour  le  mo- 
ment, je  vous  commande  et  même  vous  supplie  de  faire,  c'est  que  tous, 
volontairement,  nous  jurions  obéissance  et  nous  nous  décidions  à  quel- 
que acte  de  vasselage.  Je  ne  tarderai  pas  à  vous  dire  ce  qu'il  nous  sera 
plus  convenable  de  faire;  mais  comme  en  ce  moment  Malinche  m'im- 
portune à  ce  sujet,  que  personne  ne  refuse  de  se  soumettre.  Consi- 
dérez que  depuis  vingt-huit  ans  que  je  vous  gouverne  vous  m'avez 
toujours  servi  avec  loyauté.  Je  vous  ai  enrichis,  j'ai  agrandi  vos  do- 
maines, je  vous  ai  donné  des  commandements  importants  et  de  grandes 
richesses.  Si  maintenant  nos  dieux  permettent  que  je  sois  en  captivité, 
vous  devez  être  convaincus  que  j'y  reste  uniquement  parce  que  la  vo- 
lonté de  mon  grand  Huichilobos  m'en  fait  une  loi.  » 

Ayant  entendu  ce  discours,  tous  répondirent  qu'ils  obéiraient  à 
son  commandement,  et,  en  proférant  ces  paroles,  eux  tous,  et  Mon- 
tezuma  plus  encore,  poussaient  de  grands  soupirs  et  répandaient  des 
larmes  abondantes.  Un  des  dignitaires  fut  chargé  d'aller  dire  que  le 
lendemain  on  jurerait  obéissance  et  vasselage  à  Sa  Majesté1.  Le  mo- 
ment venu.  Montezuma  adressa  encore  la  parole  à  ses  caciques  sur  ce 
sujet  en  présence  de  Gortès,  de  nos  capitaines,  de  plusieurs  soldats  et 
de  Pedro  Hernandez,  secrétaire  du  général.  A  la  suite  de  ce  discours, 
tous  firent  serment  d'obéir  à  Sa  Majesté,  en  témoignant  de  la  plus 
grande  tristesse.  Montezuma  ne  put  alors  retenir  ses  larmes,  et,  quant 
à  nous,  nous  l'aimions  à  ce  point  et  de  si  bon  cœur  que,  de  le  voir 

1.  Montezuma  jure  obéissance  au  roi  d'Espagne.  Cette  scène  est  réellement 
pitoyable,  et  Ton  se  demande  en  quoi  elle  était  motivée.  On  n'y  trouve  pas  d'autre 
motif  que  la  soumission  obstinément  respectueuse  à  la  prophétie  de  ses  ancêtres,  et 
surtout  cet  affaissement  de  ca;ur  et  d'àme  dont  nous  venons  de  parler  dans  une 
note  précédente.  La  funeste  habitude  dune  vie  voluptueuse,  au  milieu  d'un  faste 
oriental,  avait  préparé  de  longue  main  cette  décadence  morale,  que  les  événements 
actuels  mettaient  en  évidence.  La  faiblesse  d'attitude  qui  en  résulta  pour  le  chef  dé  la 
nation  amena  cette  abdication  honteuse  de  droits  séculaires  et  procura  à  l'Espagne 
l'avantage  de  pouvoir  dire  qu'elle  avait  hérité  et  non  conquis  un  royaume,  une  royauté 
avec  toutes  les  prérogatives  qui  l'accompagnaient.  «  La  Cour  d'Espagne,  dit  Clavijero, 
déclare,  dans  quelques  décrets  rendus  en  faveur  de  la  descendance  de  Montezuma, 
qu'aucune  autre  famille  ne  pourrait  arguer  à  son  profit  de  ces  privilèges  exception- 
nels; car  personne  n'a  rendu  à  l'Espagne  un  service  comparable  à  celui  que  l'empe- 
reur Montezuma  rendit  en  incorporant  à  l'Espagne,  par  une  cession  volontaire,  un 
grand  et  riche  royaume  comme  l'étail  celui  du  Mexique....  Betancourt,  en  la  u'  partie, 
traité  L',  de  son  Teatro  mejicano,  cite  les  susdits  décrets.  »  (Clavijero.  loc.  cit., 
page  251.) 


DE  LA  NOUVELLE-ESPAGNE.  285 

plcurci',  nos  yeux  aussi  se  mouillèrent  et  il  y  eut  parmi  nous  des  sol- 
dais qui  versèrent  autant  de  pleurs  que  Montczuma  lui-même. 

Je  m'arrêterai  là  pour  dire  que  Gortès  et  l'intelligent  Père  fray 
Barlolomé  de  Olmedo  étaient  constamment  dans  l'appartement  de 
Montczuma,  tâchant  de  le  divertir  cl  de  l'amener  à  abandonner  ses 
idoles.  Je  reprendrai  bientôt  mon  récit. 


CHAPITRE  Cil 

Connue  quoi  Corlès  lit  en  sorle  d'être  renseigné  sur  les  mines  d'or,  en  quoi  elles 
consistaient,  dans  quelles  rivières  elles  se  trouvaient  ;  el  aussi  sur  les  bons  ports, 
depuis  le  Panuco  jusqu'à  Tabasco,  surtout  le  fleuve  Guazacualco.  De  ce  qui  arriva 
à  ce  sujet. 

Cortès  et  ses  capitaines  étant  avec  Montezuma,  auquel  ils  tenaient 
compagnie,  entre  autres  sujets  de  conversation  suivis  au  moyen  de 
dona  Marina,  de  Geronimo  de  Aguilar  et  d'Ortcguilla,  on  demanda 
au  monarque  où  et  dans  quelles  rivières  se  trouvaient  les  mines  *,  et 
quelle  méthode  on  employait  pour  recueillir  l'or  qu'on  apportait  en 
grains,  parce  que  nous  désirions  envoyer  deux  de  nos  soldats,  grands 
mineurs,  pour  y  aller  voir.  Montczuma  répondit  qu'on  l'extrayait  de 
trois  endroits,  mais  qu'on  en  apportait  la  plus  grande  partie  d'une 
province  appelée  Zacatula,  située  vers  le  sud,  à  dix  ou  douze  jour- 
nées de  marche  de  la  capitale;  qu'on  le  recueillait  au  moyen  de  ba- 
quets au  fond  desquels  les  grains  d'or  se  déposaient,  après  que  la 
terre  avait  été  convenablement  lavée  ;  pour  le  moment  on  le  lui  ap- 
portait de  la  province  de  Tuztepcquc.  Il  y  était  recueilli  dans  deux 
rivières,  non  loin  du  point  où  nous  débarquâmes;  près  de  cette  pro- 
vince il  y  avait  d'autres  bonnes  mines  dans  deux  pays  non  soumis, 
habités  par  les  Chinantèqucs  et  les  Zapotèques;  si  nous  voulions  y 
envoyer  nos  soldats,  il  fournirait  des  personnages  de  distinction  qui 
iraient  avec  nous. 

Gortès  le  remercia  vivement  et  il  s'empressa  d'envoyer  à  Zacatula 
un  pilote  appelé  Gonzalo  de  Umbria,  avec  deux  soldats  mineurs.  Or 
ce  Gonzalo  de  Umbria  était  celui-là  même  auquel  notre  général  avait 
fait  mutiler  les  pieds,  en  même  temps  qu'on  pendait  Pedro  Escudero 
et  Juan  Germciio  et  qu'on  donnait  le  fouet  aux  Pénates,  à  la  suite  de 
leur  tentative  de  soulèvement  avec  un  de  nos  navires,  ainsi  que  je 
l'ai  longuement   écrit   dans  le  chapitre  qui  en  a  parlé.  Mais  cessons 

t.  J'emploie  le  mot  «  mine  »,  parce  que  l'auteur  fait  usage  du  terme  espagnol  qui 
lui  correspond.  Le  lecteur  aura  compris  sans  doute  que  ce  n'est  pas  de  mines  qu'il 
s'agit  ici,  mais  de  gisements.  Cette  réflexion  doit  cire  appliquée  aux  passages  ana- 
logues qui  vont  se  présenter  souvent  dans  la  suite  de  ce  récit. 


286  CONQUÊTE 

de  raconter  les  faits  passés  et  disons  comme  quoi  partirent  Umbria 
et  ses  compagnons,  auxquels  on  assigna  un  délai  de  quarante  jours 
pour  revenir.  Gortès  envoya  en  même  temps  vers  le  nord  un  capitaine 
du  nom  de  Pizarro,  jeune  homme  d'environ  vingt-cinq  ans,  que  Gortès 
traitait  comme  parent.  Or,  rappelons-nous  qu'en  ce  temps-là  on  n'a- 
vait aucune  connaissance  du  Pérou,  qui  ne  connaissait  pas  davantage 
n'importe  quel  Pizarro.  Quoi  qu'il  en  soit,  ce  capitaine,  accompagné 
de  quatre  soldats  et  de  quatre  dignitaires  mexicains,  partit  avec  l'in- 
jonction de  revenir  sous  quarante  jours;  il  y  avait  une  distance  de 
quatre-vingts  lieues  de  Mexico  à  la  localité  où  il  se  rendait. 

Après  ces  deux  départs,  le  grand  Montezuma  donna  à  notre  chef 
une  toile  de  nequen  sur  laquelle  on  avait  dessiné  au  naturel  toutes 
les  rivières  et  les  baies  de  la  côte  du  nord,  du  Panuco  à  Tabasco,  soit 
une  distance   de   cent  quarante  lieues,  en   y   comprenant  la  rivière 
Guazacualco.  Nous  connaissions  tous  les  ports  qui  étaient  signalés 
sur  cette  toile,  depuis  que  nous  en  avions  fait  la  découverte  avec 
Grijalva,  à  l'exception  du  Cruazacualco,  qu'on  nous  dit  être  très-con- 
sidérable et  très-profond.  Gortès  résolut  d'envoyer  voir  ce  que  c'était 
et  de  donner  l'ordre  de  sonder  le  port  et  l'entrée  du  fleuve.  Diego  de 
Ordas,  dont  j'ai  déjà  parlé  tant  de  fois,  homme  intelligent  et  coura- 
geux, dit  à  notre  général  qu'il  irait  volontier  étudier  cette  rivière  et 
les  terres  qui  l'entouraient,  ainsi  que  les  qualités  de  leurs  habitants, 
pourvu  qu'on  lui  donnât  des  soldats  et  des  Indiens  de  distinction  qui 
marchassent  avec  lui.  Gortès  hésitait  à  lui  en  accorder  l'autorisation, 
parce  qu'il  le  tenait  pour  homme  de  bon  conseil,  et  qu'il  désirait  le 
garder  près   de  lui.  Cependant,  ne   voulant  pas  le  désobliger,  il  lui 
permit  de  tenter  cette  expédition.  Montezuma  fit  alors  observer  à  Or- 
das que  son  autorité  ne  s'étendait  pas  jusqu'au  Guazacualco,  dont  les 
habitants  étaient  très-belliqueux;  qu'il  devait  réfléchir  à  ce  qu'il  al- 
lait faire,  sachant  bien  que  s'il  arrivait  quelque  malheur,  ce  ne  serait 
pas  sur  lui  Montezuma  qu'il  en  faudrait  rejeter  la  faute  ;  du  reste, 
avant  d'entrer  dans  cette  province,  Ordas  trouverait  des   garnisons 
mexicaines  sur  la  frontière;  il  en  pourrait  prendre  avec  lui  des  sol- 
dats, s'il  en   avait  besoin.  A   toutes   ces  choses,  Montezuma  ajouta 
bien  d'autres  gracieusetés.  Gortès  et  Diego  de  Ordas  lui  en  expri- 
mèrent leur  reconnaissance;  après  quoi,  celui-ci  se  mit  en  route  avec 
deux  soldats  et  quelques  dignitaires  que  Montezuma  lui  donna. 

C'est  ici  que  le  chroniqueur  Francisco  Lopez  de  Gomara  prétend 
que  Juan  Vclasquez  fut  avec  cent  soldats  coloniser  le  Guazacualco, 
tandis  que  Pedro  de  Ircio  était  déjà  allé  en  faire  autant  sur  le  Pa- 
nuco ;  et  comme  je  suis  déjà  fatigue  de  voir  combien  ce  chroniqueur 
reste  en  dehors  de  ce  qui  arriva,  j'omettrai  d'en  parler  ici,  pour  dire 
ce  que  lit  chacun  des  capitaines  que  notre  général  envoya  et  comme 
quoi  ils  revinrent  avec  des  échantillons  d'or, 


DE  LA  NOUVELLE-ESPAGNE.  287 


CHAPITRE  ClII 

Comme  quoi  revinrent  les  capitaines  que  notre  général  avait  envoyés  visiter  les 
mines  et  sonder  le  port  et  la  rivière  Guazacualco. 

Le  premier  qui  revint  à  la  ville  de  Mexico  rendre  compte  à  Cortès 
du  résultat,  de  l'expédition  fut  Gonzalo  de  Umbria  avec  ses  compa- 
gnons. Ils  apportèrent  une  valeur  de  trois  cents  piastres  en  grains 
d'or  qu'ils  avaient  recueillis,  à  côté  des  Indiens  d'un  village  appelé 
Zacatula.  Les  caciques  de  cette  province,  d'après  le  rapport  d'Umbria, 
employaient  beaucoup  d'Indiens  sur  deux  rivières,  lesquels,  au  moyen 
de  petites  auges,  lavaient  le  limon  et  recueillaient  l'or  après  le  la- 
vage. Les  voyageurs  ajoutaient  que  s'ils  étaient  meilleurs  mineurs  et 
opéraient  comme  on  fait  à  l'île  de  Saint-Domingue  ou  à  Cuba,  ces 
dépôts  seraient  très-riches.  Avec  eux  venaient  deux  personnages,  au 
nom  de  cette  province,  apportant  cà  Cortès  un  présent  en  or  travaillé, 
d'une  valeur  d'environ  deux  cents  piastres;  ils  s'offraient  en  même 
temps  à  être  les  serviteurs  de  Sa  Majesté.  La  vue  de  cet  or  réjouit 
notre  général  autant  que  s'il  eût  valu  trente  mille  piastres,  parce 
qu'il  était  le  témoignage  de  l'existence  de  bons  gisements.  Il  se  mon- 
tra très-affectueux  envers  les  caciques  qui  avaient  apporté  ce  présent. 
Il  leur  fit  donner  des  verroteries  vertes  de  Castille,  ajoutant  mille 
démonstrations  verbales,  après  lesquelles  ils  s'en  retournèrent  très- 
satisfaits  dans  leur  pays.  Umbria  disait  du  reste  que,  non  loin  de 
Mexico,  il  y  avait  de  grands  centres  de  population  et  une  autre  pro- 
vince appelée  Matalcingo.  Ce  qu'il  lut  au  surplus  bien  facile  de  com- 
prendre, c'est  que  Umbria  et  ses  compagnons  revinrent  riches  et  bien 
lestés  d'or;  c'est  justement  pour  cela  que  Cortès  avait  choisi  ce  ca- 
pitaine, afin  de  gagner  son  amitié  et  de  lui  faire  oublier  qu'en  d'au- 
tres temps  il  avait  donné  l'ordre  de  lui  mutiler  les  pieds.  Nous  n'en 
parlerons  plus,  puisqu'il  avait  bien  mis  son  voyage  à  profit. 

Nous  reviendrons  au  capitaine  Diego  de  Ordas,  envoyé,  lui,  au 
lleuvc  Guazacualco,  à  cent  vingt  lieues  de  Mexico.  Il  racontait  qu'il 
avait  passé  par  de  grands  villages  dont  il  donnait  les  noms;  que  par- 
tout on  lui  faisait  fête;  que,  sur  la  route  de  Guazacualco,  il  avait 
1  encontre  à  la  frontière  les  garnisons  de  Montezuma,  dont  se  plai- 
gnaient amèrement  tous  les  pays  environnants,  tant  à  cause  des  vols 
que  ces  Indiens  commettaient  que  pour  leur  audace  à  s'emparer  des 
femmes  et  à  imposer  leurs  tributs.  Ordas,  secondé  par  les  person- 
nages mexicains  qui  étaient  avec  lui,  réprimanda  fortement  les  capi- 
taines de  Montezuma  qui  exerçaient  l'autorité  dans  la  province.  Il  les 
menaça,  s'ils  continuaient,  de  porter  leurs  méfaits  à  la  connaissance 


288  CONQUÊTE 

de  leur  souverain,  qui  sans  doute  les  enverrait  chercher  et  les  châ- 
tierait comme  il  avait  châtié  déjà  Quetzalpopoca  et  ses  compagnons, 
à  la  suite  des  vols  qu'ils  avaient  commis  dans  les  villages  de  nos 
alliés.  Il  réussit  de  la  sorte  à  leur  inspirer  quelque  crainte.  Il  conti- 
nua ensuite  sa  route  vers  Guazacualco,  n'emmenant  avec  lui  qu'un 
seul  personnage  mexicain.  Lorsque  le  cacique  de  cette  province,  ap- 
pelé Tochel,  apprit  sa  prochaine  arrivée,  il  envoya  à  sa  rencontre  ses 
dignitaires,  qui  témoignèrent  de  leurs  bons  sentiments  à  son  égard, 
car  tout  le  monde  dans  ce  pays  avait  entendu  parler  de  nous  à  pro- 
pos de  notre  expédition  sous  Grijalva,  ainsi  que  je  l'ai  longuement 
conté  dans  le  chapitre  qui  s'y  rapporte. 

Arrivons  maintenant  à  dire  que  lorsque  les  caciques  de  Guaza- 
cualco  apprirent  le  but  du  voyage  de  Ordas,  ils  mirent  à  sa  disposi- 
tion de  grandes  pirogues  au  moyen  desquelles  le  cacique  Tochel 
lui-même  et  plusieurs  autres  personnages  de  distinction  l'aidèrent  à 
sonder  l'embouchure  du  fleuve.  Ils  trouvèrent  trois  grandes  brasses 
aux  endroits  les  plus  profonds;  mais,  en  remontant  un  peu  la  rivière, 
les  gros  bâtiments  y  pouvaient  naviguer,  et  plus  on  montait,  plus  la 
profondeur  était  grande.  11  était  même  certain  que  des  karaques 
pourraient  circuler  près  d'une  ville  située  sur  la  rive.  Ordas,  ayant 
pratiqué  le  sondage,  entra  avec  les  caciques  dans  cette  ville,  où  on  lui 
donna  quelques  joyaux  en  or  et  une  belle  Indienne,  après  avoir  fait 
soumission  à  Sa  Majesté.  On  se  plaignait  beaucoup  de  Montezuma  et 
de  ses  troupes,  avec  lesquelles  on  avait  eu,  peu  de  temps  auparavant, 
une  rencontre.  Une  autre  fois,  les  gens  de  cette  province  tuèrent  tant 
de  Mexicains  tout  près  d'un  petit  village,  qu'on  donna  depuis  lors  à 
cet  endroit  le  nom  de  Guilonemiqui,  ce  qui  signifie  en  leur  langue  : 
«  lieu  où  l'on  tua  ces  crapuleux  Mexicains.  »  Ordas  les  remercia  beau- 
coup pour  leurs  bons  procédés,  et  après  leur  avoir  donné  des  verrote- 
ries de  Castille  qu'il  apportait  dans  ce  but,  il  retourna  à  Mexico,  où 
il  fut  joyeusement  reçu  par  Gortès  et  par  nous  tous.  Il  racontait  que 
c'était  un  beau  pays  pour  l'élevage  des  bestiaux,  dont  le  port  était 
très-avantageux  pour  les  communications  avec  les  îles  de  Cuba,  de 
Saint-Domingue  et  de  la  Jamaïque,  sauf  pourtant  l'inconvénient  d'être 
situé  fort  loin  de  Mexico  et  d'être  avoisiné  par  de  grands  marécages. 
C'est  précisément  là  la  raison  qui  fit  qu'on  lui  refusa  tout  mérite 
comme  port  de  transit  pour  la  capitale. 

Mais  laissons  là  Ordas,  et  parlons  du  capitaine  Pizarro  et  de  ses 
compagnons  qui  furent  à  Tuztcpequc  étudier  les  gisements  d'or.  Pi- 
zarro revint  avec  un  soldat  seulement,  pour  rendre  compte  à  Gortès 
de  son  voyage,  rapportant  pour  environ  mille  piastres  de  grains  d'or. 
•Ils  disaient  que  dans  les  provinces  de  Tuztepequc,de  Malinaltcpequc 
et  d'autres  villages  environnants,  ils  arrivèrent  aux  rivières  avec 
beaucoup  d'hommes  qu'on  leur  donna  pour  les  accompagner.  Ils  y 


DE   LA  NOUVELLE-ESPAGNE.  28«J 

ramassèrent  Je  tiers  environ  de  l'or  qu'ils  apportaient.  Us  ajoutaient 
qu'ils  remontèrent  la  sierra  vers  une  autre  province  habitée  par  les 
Chinantèqucs;  mais  qu'à  leur  arrivée  un  très-grand  nombre  d'Indiens 
armés  vinrent  à  leur  rencontre,  bien  munis  de  lances  plus  grandes 
que  les  nôtres,  d'arcs,  de  flèches  et  de  boucliers,  et  disant  qu'aucun 
Mexicain  ne  devait  entrer  dans  leur  pays,  sous  peine  de  mort,  mais 
que  les  teules  pouvaient   avancer  autant  qu'ils  le  voudraient.  Les 
voyageurs  profitèrent  de  l'autorisation,  tandis  que  les  Mexicains  n'al- 
lèrent pas  plus  loin.  Lorsque  les  caciques  de  Chinanta  connurent  le 
but  du  voyage,  ils  réunirent  beaucoup  de  leurs  hommes  habitués  au 
lavage  du  sable  et  en  firent  accompagner  nos  soldats  jusqu'aux  ri- 
vières, où  ils  recueillirent  le  reste  de  leur  provision  d'or;  ce  dernier 
se  distinguait  par  sa  surface  rugueuse,  qualité  qui,  d'après  les  In- 
diens, donne  l'espoir  d'une  longue  durée  des  gisements,  parce  que 
c'est  l'indice  d'une  plus  grande  proximité  de  l'émergence.  Le  capi- 
taine Pizarro  amenait  au  surplus  deux  caciques  de  ce  pays,  qui  ve- 
naient se  déclarer  vassaux  de  Sa  Majesté  et  briguer  notre  alliance. 
Ils  apportaient  un  présent  en  or,  et,  à  l'égal  des  autres  caciques,  ils 
disaient  tout   le    mal   possible   des   Mexicains,   dont   ces   provinces 
étaient  fatiguées,  à  cause  de  leurs  déprédations,  au  point  qu'on  ne 
pouvait  plus  ni  les  voir  ni   même  proférer  leur  nom  parmi  les  ha- 
bitants. 

Gortès  accueillit  très-bien  Pizarro  et  les  personnages  venus  avec 
lui.  Il  accepta  le  présent  qu'on  lui  offrit  et  dont  je  ne  me  rappelle 
plus  la  valeur  après  tant  d'années.  Il  leur  promit  gracieusement  de 
leur  venir  en  aide,  d'être  l'ami  des  Chinantèqucs  et  il  employa  les 
meilleurs  termes  pour  les  congédier  vers  leurs  provinces.  Pour  évi- 
ter du  reste  qu'il  leur  arrivât  malheur  en  chemin,  il  les  fit  accom- 
pagner par  deux  personnages  mexicains,  avec  ordre  de  ne  pas  les 
abandonner   avant   qu'ils   fussent  hors   de   danger,    dans   leur  pays 
même.  Ces  messagers  partirent  ainsi  très-satisfaits.  Reprenons  main- 
tenant la  suite  de  notre   récit,  pour  dire   que  Cortès  demanda   ce 
qu'étaient  devenus  les   autres  soldats  que  Pizarro  avait  emmenés; 
c'étaient  :  Barrientos,  Escalona  le  Jeune,  Cervantes   le  Farceur   et 
Heredia  le  Vieux.  Pizarro  répondit  que  le  pays  leur  ayant  paru  bon 
et  riche  en  mines,  tandis  que  tous  les  villages  étaient  très-pacifiques, 
il  leur  donna  l'ordre  d'établir  une  plantation  de  maïs  et  des  cacaovè- 
res,  en  y  ajoutant  l'élevage  de  beaucoup  d'oiseaux  du  pays  et  la  cul- 
ture du  coton,  leur  recommandant,  du  reste,  d'examiner  toutes  les 
rivières,  pour  s'assurer  des  gisements  qu'il  pourrait  y  avoir.  Cortès 
garda  pour  l'instant  le  silence,  mais  il  n'approuva  pas  que  son  parent 
eût  ainsi  dépassé  ses  ordres.  Il  vint  à  notre  connaissance  que,  l'ayant, 
pris  à  part,  il  lui  adressa  des  paroles  sévères  et  lui  dit  qu'il  voyait 
peu  de  distinction  à  la  manie  d'élever  des  oiseaux  et  de  soigner  des 

10 


290  CONQUÊTE 

cacaoyères.  Sans  perdre  de  temps  d'ailleurs,  il  envoya  un  soldat 
nommé  Alonso  Luis ,  porteur  d'un  ordre  de  retour,  pour  aller  cher- 
cher les  hommes  que  Pizarro  avait  abandonnés.  Je  dirai  en  son  lieu 
ce  que  firent  ces  soldats. 


CHAPITRE  CIV 

Comme  quoi  Cortès  dit  au  grand  Montezuma  qu'il  ordonnât  à  tous  les  caciques  du 
pays  de  payer  tribut  à  Sa  Majesté,  et  de  ce  qu'on  fit  à  ce  sujet. 

Gomme  le  capitaine  Diego  de  Ordas  et  les  soldats  que  j'ai  nommés 
revinrent  avec  des  échantillons  d'or,  annonçant  que  le  pays  était  ri- 
che, Cortès,  conseillé  par  Ordas  et  d'autres  capitaines  et  soldats,  ré- 
solut de  dire  à  Montezuma  que  tous  les  caciques  et  tous  les  villages 
du  royaume  eussent  à  payer  tribut  à  Sa  Majesté  l'Empereur  et  que 
le  prince  lui-même,  en  sa  qualité  de  premier  grand  seigneur,  donnât 
partie  de  ses  trésors.  Il  répondit  qu'il  ferait  demander  de  l'or  à  tous 
les  villages,  mais  que  beaucoup  d'entre  eux  ne  pourraient  s'en  pro- 
curer, ne  possédant  que  des  bijoux  de  peu  de  valeur  qu'ils  avaient 
hérités  de  leurs  aïeux.  En  conséquence,  il  envoya  des  délégués  par- 
tout où  il  y  avait  des  gisements,  avec  ordre  de  faire  donner  par  cha- 
que pays  un  certain  nombre  de  disques  en  or  fin,  de  la  grandeur  de 
ceux  qu'on  lui  payait  à  lui-même.  Il  adressait,  du  reste,  deux  disques 
comme  échantillon  de  ce  qu'il  voulait.  Quant  aux  autres  localités 
non  minières,  elles  étaient  dans  l'habitude  de  n'offrir  à  la  couronne 
que  des  joyaux  de  peu  de  valeur. 

Il  adressa  aussi  des  messagers  à  la  province  de  ce  grand  seigneur, 
son  proche  parent,  qui  s'était  refusé  à  lui  obéir,  et  dont  la  résidence 
était  à  environ  douze  lieues  de  Mexico.  Sa  réponse  fut  qu'il  ne  don- 
nerait point  d'or  et  qu'il  n'obéirait  pas  à  Montezuma,  puisqu'il  était 
seigneur  de  Mexico  aussi  bien  que  ce  prince  et  que  la  couronne  lui 
revenait  à  l'égal  de  Montezuma,  qui  osait  lui  demander  tribut.  Le 
monarque ,  ayant  entendu  ces  choses ,  en  éprouva  une  irritation  si 
grande  qu'il  donna  des  ordres,  marqués  de  son  sceau,  à  des  capitai- 
nes de  confiance,  pour  qu'on  lui  amenât  prisonnier  le  rebelle.  On  le 
conduisit  en  effet  en  sa  présence.  Les  paroles  qu'il  adressa  à  Monte- 
zuma furent  très-effrontées.  Il  ne  témoigna  aucune  crainte;  était-ce 
l'effet  de  son  grand  courage,  ou  bien  fallait-il  supposer  qu'on  disait 
vrai  lorsqu'on  prétendait,  en  le  voyant  un  peu  étourdi,  qu'il' avait  un 
grain  de  folie?  Cortès,  ayant  su  tout  cela,  envoya  prier  Montezuma  de 
lui  confier  le  prisonnier,  lui  promettant  de  le  garder  lui-même,  car  on 
assurait  que  l'ordre  était  donné  de  le  tuer.  On  l'amena  donc  à  notre 


DE  LA  NOUVELLE-ESPAGNE.  291 

général,  qui  lui  parla  affectueusement,  le  priant  de  ne  pas  faire  de 
folies  contre  son  roi;  au  surplus,  il  lui  promit  de  le  mettre  en  liberté. 
Mais  Montezuma,  en  ayant  eu  connaissance,  pria  qu'on  ne  le  délivrât 
nullement  et  qu'on  l'attachât  à  la  grande  chaîne,  comme  on  avait  fait 
à  propos  des  petits  rois  dont  j'ai  déjà  parlé. 

Arrivons-en  à  dire  qu'au  bout  de  vingt  jours  revinrent  tous  les  dé- 
légués que  Montezuma  avait  envoyés  pour  le  recouvrement  des  tri- 
buts en  or.  Immédiatement  le  prince  fit  appeler  Gortès,  nos  capitai- 
nes et  quelques  soldats  de  garde  qu'il  connaissait.  Il  s'exprima  alors 
en  ces  termes  ou  à  peu  près  :  «  A  vous,  seigneur  Malinche,  et  à 
vous,  seigneurs  capitaines  et  soldats,  je  fais  savoir  que  je  me  recon- 
nais des  devoirs  envers  votre  grand  Empereur,  et  que  des  sentiments 
de  bon  vouloir  m'animent  envers  lui,  non-seulement  parce  que  je  le 
liens  pour  seigneur  et  grand  seigneur,  mais  encore  parce  qu'il  vous 
a  envoyés  de  si  lointains  pays,  pour  prendre  de  mes  nouvelles.  La 
pensée  qui  me  domine,  c'est  que  c'est  lui  qui  doit  nous  commander, 
selon  la  prophétie  de  nos  aïeux  et  conformément  à  ce  que  nos  divi- 
nités nous  disent  chaque  jour.  Prenez  cet  or  que  l'on  vient  de  recueil- 
lir et  que  l'empressement  de  nos  délégués  a  empêché  d'être  plus  con- 
sidérable; quant  à  moi,  ce  que  je  me  propose  d'offrir  à  l'Empereur, 
c'est  tout  le  trésor  que  j'ai  hérité  de  mon  père  et  qui  est  actuellement 
en  votre  pouvoir,  dans  vos  propres  quartiers;  je  n'ignore  pas,  même, 
que,  peu  de  temps  après  votre  arrivée,  vous  ouvrîtes  la  salle,  que 
vous  considérâtes  tout  ce  qu'il  y  avait,  et  prîtes  la  précaution  de  fer- 
mer l'entrée  ainsi  qu'elle  l'était  auparavant.  Quand  vous  l'enverrez  à 
votre  Empereur,  dites-lui  dans  vos  mémoires  et  vos  lettres  :  Voilà  ce 
que  vous  envoie  votre  bon  vassal  Montezuma.  Je  vous  donnerai  en- 
core des  pierres  d'une  grande  valeur,  pour  que  vous  les  lui  envoyiez 
en  mon  nom  :  ce  sont  des  chalchihuis  que  seul  votre  Empereur  est 
digne  de  posséder,  chaque  pierre  valant  deux  charges  d'or.  Je  veux 
lui  envoyer  aussi  trois  sarbacanes  avec  leurs  projectiles  dans  des  gi- 
becières, tellement  ornées  de  pierreries  qu'il  se  réjouira  certainement 
de  les  voir.  Je  prétends  en  outre  offrir  de  ce  que  je  possède  person- 
nellement, quoique  ce  soit  maintenant  peu  de  chose,  parce  que  la 
plus  grande  partie  de  l'or  et  des  joyaux  que  j'avais,  je  vous  l'ai  don- 
né cp  eu  à  peu.  » 

Lorsque  Gortès  et  nous  tous  entendîmes  ces  paroles ,  nous  fû- 
mes vraiment  émus  de  la  grande  bonté  et  de  la  libéralité  de  Monte- 
zuma; le  plus  respectueusement  possible  et  nous  découvrant  de  nos 
coiffures  militaires ,  nous  lui  dîmes  que  nous  reconnaissions  cette 
grande  faveur.  Gortès,  dans  les  termes  les  plus  affectueux,  ajouta  que 
nous  écririons  à  notre  Empereur,  pour  louer  sa  magnificence  et  la 
simplicité  avec  laquelle  il  nous  offrait  son  or  pour  sa  royale  personne. 
Après  quelques  autres  compliments  de  pure  convenance,  Montezuma 


292  CONQUÊTE 

chargea  ses  majordormes  de  mettre  à  notre  disposition  les  richesses  en 
or  et  tous  les  trésors  qui  étaient  contenus  dans  la  salle  murée.  Nous 
passâmes  trois  jours  à  tout  examiner  et  à  retirer  les  valeurs  des  mon- 
tures où  elles  se  trouvaient  enchâssées.  Il  fallut  même  que,  pour  ce 
travail  de  démontage,  vinssent  les  joailliers  de  Montezuma,  qui  rési- 
daient au  village  d'Escapuzalco.  J'assure  que  la  quantité  d'or  était  si 
grande  que,  le  triage  fait,  il  en  résulta  trois  piles  qui  donnèrent  en- 
semble un  poids  de  six  cent  mille  piastres,  sans  compter  l'argent  et 
grand  nombre  d'autres  valeurs,  ainsi  que  je  le  dirai  plus  loin.  Et  re- 
marquez que  je  ne  tiens  pas  compte  ici  des  feuilles  et  des  disques  d'or, 
ni   des  grains  de  même  métal  provenant  des    mines.    On  se  mit  à 
l'œuvre  pour  fondre  le  tout,  avec  l'aide  des  joailliers  indiens  dont 
j'ai  parlé.  Il  en  résulta  des  lingots  très-volumineux  de  la  largeur  de 
trois  doigts.  Cette  opération  finie,  on  apporta  le  présent  que  Monte- 
zuma  avait  promis  de  donner  personnellement.  Ce  fut  vraiment  une 
merveille  de  voir  tant  d'or  et  la  richesse  de  plusieurs  des  joyaux  qui 
composaient  cet  envoi  :  les  pierres  chalchihuis,  entre  autres,  qui, 
pour  les  caciques  eux-mêmes,  représentaient  une  valeur  considérable 
en  or.  Les  trois  sarbacanes  avec  leurs  gibecières  étaient  ornées  de 
pierres  et  de  perles  soigneusement  enchatonnées.  Des  dessins  en  plu- 
mes, de  petits  oiseaux  couverts  de  perles  :  tout  était  riche  et  d'une 
valeur  considérable.  Je  n'en  finirais  pas  si  je  voulais  tout  énumérer. 

Disons  maintenant  comme  quoi  on  timbra  tout  l'or  dont  j'ai  parlé, 
avec  un  poinçon  en  fer  que  Gortès  fit  fabriquer  d'accord  avec  les  offi- 
ciers du  Roi  et  avec  nous  tous,  au  nom  de  Sa  Majesté,  en  attendant 
qu'Elle  daignât  ordonner  d'autres  mesures.  Ce  poinçon  se  composait 
des  armes  royales  figurées  en  la  grandeur  d'une  pièce  d'or  de  quatre 
piastres.  Je  ne  parle  pas  ici  des  joyaux  riches  que  l'on  crut  convena- 
ble de  ne  pas  démonter.  Nous  n'avions  ni  poids  ni  balances  pour  pe- 
ser tous  ces  lingots  d'or  et  d'argent,  ainsi  que  les  joyaux  qu'on  ne 
démonta  pas.  Il  parut  donc  opportun  à  Gortès  et  aux  commissaires 
de  Sa  Majesté  de  faire  fabriquer  des  poids  pesant  au  maximum  une 
arroba,  d'autres  d'une  demi-arroba,  de  deux  livres,  d'une  livre,  d'une 
demi-livre  et  de  quatre  onces,  non  dans  l'espoir  d'en  obtenir  un  ré- 
sultat exact,  mais  d'approcher  de  la  réalité  à  une  demi-once  près.  Les 
commissaires  du  Roi  dirent  qu'il  y  avait  une  valeur  de  plus  de  six 
cent  mille  piastres  en  or,  tant  de  celui  qui  était  fondu  en  arrobas  que 
des  espèces  en  grains,  en  disques  et  en  joyaux,  sans  compter  l'ar- 
gent et  beaucoup  de  bijoux  dont  on  ne  signala  pas  la  valeur.  Quel- 
ques-uns des  soldats  prétendaient  que  c'était  bien  plus  encore.  Il  n'y 
avait  dès  lors  autre  chose  à  faire  que  prélever  le  quint  royal  et  don- 
ner leur  part  à  chaque  capitaine,  à  chaque  soldat  et  à  ceux  qui  étaient 
restés  à  la  Villa  Rica.  Mais  Gortès  ne  semblait  pas  vouloir  se  presser 
d'opérer  le  partage,  prétendant  attendre  qu'il  eût  plus  d'or,  que  ses 


DE  LA   NOUVELLE-ESPAGNE.  293 

poids  fussent  plus  exacts  et  qu'on  pût  ainsi  mieux  savoir  ce  qui  re- 
venait à  chacun.  Cependant  la  plupart  d'entre  nous,  soldats  et  capi- 
taines nous  prétendîmes  que  la  répartition  s'en  fît  immédiatement; 
car  nous  avions  observé  que,  lorsque  l'on  démonta  les  pièces  du  tré- 
sor de  Montezuma,  il  y  avait  dans  les  tas  beaucoup  plus  d'or  que 
maintenant;  il  en  manquait  bien  au  moins  le  tiers,  qu'avaient  fait 
disparaître  en  le  cachant,  tantôt  Gortès,  tantôt  les  capitaines,  tantôt 
même  on  ne  savait  qui;  le  fait  est  qu'avec  le  temps  il  diminuait  visi- 
blement. Après  plusieurs  pourparlers,  on  se  résolut  à  peser  ce  qui 
restait;  on  trouva  environ  six  cent  mille  piastres,  sans  compter  les 
disques  et  les  joyaux.  Le  partage  fut  résolu  pour  le  lendemain.  Je 
dirai  comment  cela  se  passa  et  comme  quoi  le  général  Cortès  et  quel- 
ques autres  personnes  s'attribuèrent  la  plus  grande  part.  Ce  que  Ton 
fit  à  ce  sujet,  je  le  dirai  à  la  suite. 


CHAPITRE  GV 

Comme  quoi  l'on  partagea  l'or  que  l'on  avait  acquis,  tant  celui  que  Montezuma  avait 
donné  que  ce  que  l'on  recueillit  dans  les  villages.  De  ce  qui  advint  à  un  soldat  à 
ce  propos. 

On  préleva  d'abord  le  quint  royal.  Cortès  dit  ensuite  qu'on  en  mît 
à  part  pour  lui  un  autre  égal  à  celui  de  Sa  Majesté,  attendu  que  nous 
le  lui  avions  promis  sur  la  plage  de  sable,  lorsque  nous  le  proclamâ- 
mes capitaine  général  et  grand  justicier,  ainsi  que  je  l'ai  dit  dans  le 
chapitre  qui  en  a  traité.  Après  cela,  il  prétendit  qu'il  fallait  distraire 
du  total  certains  frais  qu'il  avait  été  obligé  de  faire  dans  l'île  de  Cuba 
pour  l'équipement  de  la  flotte;  plus,  le  montant  de  la  dépense  de 
Diego  Velasquez  en  achat  des  navires  que  nous  tous  avions  fait 
échouer  sur  la  plage;  plus,  encore,  pour  les  frais  occasionnés  par  les 
commissaires  que  l'on  envoya  en  Castille;  outre  cela,  pour  les  hom- 
mes restés  à  la  Villa  Rica,  au  nombre  de  soixante-dix;  pour  le  cheval 
que  lui  Cortès  avait  perdu;  pour  la  jument  de  Juan  Sedeno,  que  l'on 
tua  à  Tlascala  d'un  coup  de  sabre...;  doubles  parts  pour  le  Père  de 
la  Merced,  pour  le  prêtre  Juan  Diaz,  pour  les  capitaines  et  pour  tous 
ceux  qui  étaient  propriétaires  de  chevaux.  On  en  fit  autant  pour  les 
escopettiers,  pour  les  arbalétriers,  pour  d'autres  encore....  De  sorte 
que  ce  qui  resta  était  si  peu  de  chose,  qu'il  y  eut  plusieurs  soldats 
qui  ne  voulurent  point  recevoir  leur  part,  dont  s'augmentait  en  ce 
cas  celle  de  Cortès.  En  ce  temps-là,  il  n'y  avait  pas  possibilité  de 
faire  autrement  que  se  taire,  car  il  eût  été  bien  inutile  de  réclamer 
devant  la  justice.  Quelques  soldats  acceptèrent  même  cent  piastres 
pour  leur  part,  non  sans  pousser  des  vociférations  contre  ce  qui  man- 


294  CONQUÊTE 

quait  Mais  Cortès  donnait  secrètement  aux  uns  et  aux  autres,  comme 
par  faveur,  de  façon  que,  en  y  ajoutant  quelques  bonnes  paroles,  il 
obtenait  leur  silence.  Quant  aux  parts  destinées  aux  hommes  de  la 
Villa  Rica,  on  les  transporta  à  Tlascala  en  dépôt,  mais  cela  ne  fut  pas 
mieux  réparti  que  le  reste,  ainsi  que  je  l'expliquerai  par  la  suite. 

Ce  fut  alors  que  plusieurs  de  nos  capitaines  firent  fabriquer  de 
grandes  chaînes  d'or  par  les  orfèvres  de  Montezuma,  qui  formaient  un 
gros  village  nommé  Escapuzalco,  à  une  demi-lieue  de  Mexico.  Cor- 
tès lui-même  commanda  un  grand  nombre  de  bijoux  et  un  beau  ser- 
vice de  vaisselle  plate.  Ajoutons  que  quelques-uns  de  nos  soldats  s'en 
tirèrent  aussi  les  mains  pleines.  Aussi  voyait-on  circuler  publique- 
ment grand  nombre  de  palets  en  or,  timbrés  ou  non,  ainsi  que  des 
joyaux  diversement  façonnés.  On  jouait  gros  jeu  au  moyen  de  car- 
tes confectionnées  avec  des  peaux  de  tambours,  aussi  bonnes  et  aussi 
bien  peintes  que  celles  qu'on  voit  en  Espagne  ;  c'était  un  certain  Pe- 
dro Valenciano  qui  les  fabriquait....  C'est  ainsi  que  nous  passions  le 
temps. 

Cessons  de  parler  de  l'or,  de  son  partage  mal  exécuté  et  du  pire 
usage  que  l'on  en  fit,  pour  dire  ce  qui  arriva  à  un  soldat  nommé  Car- 
denas.  C'était  un  pilote,  natif  de  Triana.  Le  pauvre  homme  avait  femme 
et  enfants  dans  son  pays.  Étant  probablement  sans  fortune,  comme 
beaucoup  d'entre  nous,  il  vint  tenter  le  sort,  dans  l'espoir  de  rejoin- 
dre un  jour  sa  femme  et  ses  enfants.  Lorsqu'il  vit  tant  d'or,  en  lin- 
gots, en  grains  et  en  palets,  tandis  qu'il  ne  lui  revenait  que  cent 
piastres  pour  sa  part,  il  tomba  malade  de  tristesse  et  de  chagrin.  Un 
de  ses  amis,  remarquant  qu'il  était  pensif  et  si  mal  portant,  le  visita 
et  lui  demanda  pourquoi  il  se  trouvait  dans  cet  état  et  soupirait  si 
fort.  Le  pilote  Cardenas  répondit:  «  Peste  soit  de  mon  sort  !  Comment 
voulez-vous  que  je  ne  sois  pas  malade  en  voyant  que  Cortès  prend 
ainsi  tout  pour  lui;  qu'il  s'attribue  un  cinquième  comme  s'il  était  le 
Roi,  et  tant  pour  le  cheval  qu'il  a  perdu,  et  tant  pour  les  navires  de 

Diego  Velasquez,  et  tant  pour  d'autres  bagatelles pendant  que  ma 

femme  et  mes  enfants  meurent  de  faim?  J'aurais  cependant  pu' leur 
venir  en  aide  à  l'époque  où  nos  procureurs  furent  en  Castille  avec 
nos  lettres  et  avec  tout  l'or  et  l'argent  que  nous  avions  recueillis  jus- 
qu'alors. » 

Son  ami  lui  repartit  :  «  Mais  quel  or  aviez-vous  donc  en  ce  temps- 
là  pour  leur  envoyer?  —  Si  Cortès,  répondit  Cardenas,  m'eût  donné 
la  part  qui  me  revenait,  mes  fils  et  ma  femme  s'en  fussent  entrete- 
nus, et  il  leur  en  resterait  même  encore.  Mais  remarquez  à  quelle 
ruse  il  eut  recours:  nous  faire  signer  l'engagement  d'abandonner  nos 
parts  pour  Sa  Majesté,  tandis  qu'il  en  sut  soustraire  environ  six  mille 
piastres  pour  son  père  Martin  Cortès  et  qu'il  en  cacha  encore  davan- 
tage, pendant  que  moi  et  tant  d'autres  pauvres  gens  étions  occupés 


DE  LA  NOUVELLE-ESPAGNE.  295 

nuit  et  jour  à  batailler,  comme  vous  avez  vu,  dans   les  combats  de 
Tabasco,  de  Tlascala,  de  Gingapaeinga  et  de  Cholula,  pour  aboutir 
aux  dangers  que  maintenant  nous  courons,  avec  la  mort  en  perspec- 
tive pour  le  jour  où  on  se  soulèvera  dans  cette  capitale....  et  qu'après 
cela,   Cortès  prenne   tout  l'or  et  s'en  attribue  le  cinquième  comme 
s'il  était  roi!...  »  Il  ajouta  quelques  paroles  encore  sur  le  même  ton  : 
que  nous  ne  devions  point  permettre  qu'on  prélevât  ce  cinquième, 
ni  souffrir  d'autre  roi  que  Sa  Majesté.  Son  camarade  lui  répondit  : 
(c  Eh  quoi!  c'est  donc  là  la  peine  qui  vous  tue?  Vous  voyez  bien  que 
ce  que  les  caciques  et  Montezuma  nous  donnent  se  consume  comme 
le  reste  :  ceci  en  payements,  cela  en  tombant  dans  le  sac,  autre  chose 
dans  la  cachette;  et  tout  va  où  Cortès  a  voulu,  tandis  que,  d'autre 
part,  nos  capitaines  prennent  même  ce  qui  est  destiné  aux  provisions. 
Chassez  donc  vos  tristes  pensées  et  bornez-vous  à  prier  Dieu  que 
nous  ne  perdions  pas  la  vie  dans  cette  capitale.  » 

Là  cessèrent  ces  confidences  ;  mais  Cortès  en  eut  connaissance,  et 
comme  d'ailleurs  on  lui  assurait  que  beaucoup  de  soldats  étaient 
mécontents  à  propos  du  partage  de  l'or  et  à  cause  de  la  quantité  qui 
en  avait  été  détournée,  il  résolut  de  nous  entretenir  en  employant  les 
paroles  les  plus  mielleuses.  Il  nous  dit  alors  que  tout  ce  qu'il  avait 
était  à  nous;  qu'il  ne  voulait  pas  autre  chose  que  la  part  qui  lui  reve- 
nait comme  capitaine  général  ;  que  si  quelqu'un  de  nous  avait  besoin 
de  n'importe  quoi,  il  le  lui  donnerait;  que  l'or  acquis  jusqu'à  ce  jour 
n'était  que  bagatelle,  si  l'on  voulait  considérer  les  grandes  villes,  les 
puissantes  mines  dont  nous  serions  un  jour  les  possesseurs  riches  et 
prospères.  Il  ajouta  bien  d'autres  raisons  qu'il  avait  l'art  d'exposer 
avec  adresse.  Au  surplus,  il  donnait  secrètement  des  joyaux  d'or  aux 
uns;  à  d'autres  il  faisait  de  grandes  promesses;  il  ordonna  que  les 
provisions  apportées  par  les  majordomes  de  Montezuma  fussent 
distribuées  entre  tous,  chacun  recevant  autant  que  lui-même.  Quanta 
Cardenas,  il  le  prit  à  part,  le  flatta  par  de  bonnes  paroles,  lui  pro- 
mettant que  par  le  plus  prochain  convoi  il  l'enverrait  rejoindre  en 
Castille  sa  femme  et  ses  enfants;  et  pour  à  présent  il  lui  donna  trois 
cents  piastres  qui  le  rendirent  très-content. 

Nous  en  resterons  là;  mais  je  dirai,  quand  il  en  sera  temps,  ce 
qu'il  advint  de  Cardenas  lorsqu'il  alla  en  Castille,  et  comme  quoi  il 
fut  contraire  à  Cortès  dans  les  affaires  que  ce  général  eut  à  débattre 
avec  Sa  Majesté. 


296  CONQUÊTE 


CHAPITRE  GVI 

Comme  quoi  il  y  eut  des  discussions  entre  Juan  Velasquez  de  Léon  et  le  trésorier 
Gregorio  Mexia  au  sujet  de  l'or  qui  manquait  dans  les  tas  avant  qu'on  le  fondit.  Ce 
que  Cortès  fit  à  cet  égard. 

Il  est  Lien  connu  que  tous  les  hommes  aspirent  à  avoir  de  l'or  et 
que  même   il    en  est   qui,  plus  ils  en  ont,  plus  ils  en  désirent.  Il 
arriva  donc  qu'il  manqua  dans  les  tas  qu'on  avait  formés  plusieurs 
objets  d'or  qui  étaient  bien  connus  de  nous  ;  et,  comme  Juan  Velas- 
quez de  Léon  faisait  confectionner  par   les  Indiens  d'Escapuzalco, 
orfèvres  de  Montezuma,  de  grandes  chaînes  d'or  et  des  pièces  de 
vaisselle  pour  son  service,  le  trésorier  Gronzalo  Mexia  les  lui  réclama, 
parce    qu'on   n'y   avait    pas  prélevé    le    quint   royal,    quoique   cela 
appartînt  bien  ostensiblement  à  ce  qui  venait  de  Montezuma.  Mais 
Juan  Velasquez  de  Léon,   qui  était  un   grand  familier  de   Cortès, 
répondit  qu'il  ne  donnerait  rien,  attendu  que  ces  valeurs  n'avaient 
point  été  prises  dans  les  tas  ni  nulle  part,  Cortès  lui  ayant  tout 
donné  avant  qu'on  fondît  les  lingots.   Gronzalo  Mexia  répliqua  que 
Cortès  avait  bien  assez  caché  d'objets  dont  il  privait  ses  compagnons 
d'armes;  que,   comme  trésorier,  il  devait  réclamer  encore  beaucoup 
d'or  sur   lequel   on  n'avait   pas    payé    le   quint  royal.   Les  paroles 
s'échauffèrent  et  finirent  par  dépasser  toute  mesure,  au  point  qu'on 
en  vint  aux  épées,  et  si  l'on  ne  s'était  pas  jeté  entre  eux  pour  rétablir 
la  paix,  c'en  était  fait  de  leurs  vies,   car   c'étaient  deux  puissants 
soldats  et  d'un  grand  courage  les  armes  à  la  main.  Ils  se  firent  du 
reste  à  chacun  deux  blessures.  Cortès  l'ayant  su  ordonna  qu'on  les 
mît  aux  fers  tous  deux.  Or  il  paraît  qu'au  dire  de  plusieurs  soldats, 
Cortès  alla  parler  secrètement  à  Juan  Velasquez  de  Léon,  qui  était 
son  grand  ami.  Il  l'engagea  à  rester  deux  jours  enchaîné,  tandis  qu'il 
rendrait  la  liberté  à  Gronzalo  Mexia,  en  sa  qualité  de  trésorier.  Cortès 
en  agissait  ainsi  pour  que  capitaines  et  soldats  vissent  bien  à  quel 
point  il  pratiquait  la  justice,  puisqu'il  maintenait  la  prison  de  Juan 
Velasquez,  quoiqu'il  vécût  avec  lui  dans  la  plus  grande  intimité. 

Du  reste,  il  se  passa  bien  d'autres  choses  avec  Gronzalo  Mexia,  à 
propos  de  ce  qu'il  dit  à  Cortès  de  la  grande  quantité  d'or  qui  man- 
quait, chose  qui  faisait  crier  tous  les  soldats,  lui  demandant  à  l'envi 
que,  en  sa  qualité  de  trésorier,  il  le  réclamât  au  général.  Mais  comme 
cela  nous  mènerait  trop  loin,  j'en  finirai  avec  ce  sujet,  pour  dire  que 
Juan  Velasquez  de  Léon  était  emprisonné  et  enchaîné  dans  une  salle 
voisine  de  l'appartement  de  Montezuma.  Comme  d'ailleurs  il  était 
de  taille  élevée  et  fortement  membre,  il  traînait  après  lui  la  lourde 


DE  LA  NOUVELLE-ESPAGNE.  297 

chaîne  en  se  promenant.  Il  en  résultait  un  grand  bruit  que  Montezuma 
put  entendre;  de  sorte  qu'il  demanda  au  page  Ortcguilla  quel  était 
le  prisonnier  que  Cortès  avait  mis  aux  fers.  Le  page  répondit  que 
c'était  Juan  Velasqucz,  le  môme  qui  avait  longtemps  commandé  sa 
garde  (en  ce  moment  cet  emploi  était  dévolu  à  Christoval  de  Oli).  Le 
monarque  s'informa  de  la  cause  de  l'emprisonnement;  à  quoi  le  page 
répliqua  que  c'était  à  propos  d'une  certaine  quantité  d'or  qui  avait 
disparu. 

Ce  jour-là  même,  Cortès  fut  faire  sa  cour  à  Montezuma.  Après  les 
compliments  d'usage  et  quelques  autres  paroles,  Montezuma  demanda 
à  Cortès  pourquoi  il  retenait  en  prison  Juan  Velasquez,  quoiqu'il 
fût  un  bon  et  vaillant  capitaine;  —  car  le  prince,  ainsi  que  je  l'ai  dit, 
nous  connaissait  tous  et  il  n'ignorait  pas  nos  qualités.  —  Cortès  lui 
répondit  en  riant  qu'il  l'avait  fait  arrêter  parce  qu'il  était  un  fou  ; 
que,  n'étant  pas  satisfait  de  l'or  qu'on  lui  donnait,  il  prétendait  aller 
en  personne  dans  les  villages  et  dans  les  villes  en  réclamer  aux 
caciques,  et  qu'il  le  tenait  enfermé  pour  éviter  qu'il  allât  tuer  les 
gens,  Montezuma,  alors,  demanda  en  grâce  qu'on  le  mît  en  liberté, 
ajoutant  qu'il  enverrait  recueillir  plus  d'or  et  qu'il  le  lui  donnerait. 
Cortès,  après  avoir  feint  d'en  éprouver  du  regret,  promit  qu'il  lui 
rendrait  la  liberté  pour  faire  plaisir  à  Montezuma.  Il  me  semble 
qu'on  le  condamna  à  s'exiler  du  quartier  pour  aller  à  la  ville  de 
Cholula,  en  compagnie  d'un  messager  de  Montezuma,  dans  le  but 
d'y  réclamer  de  l'or;  mais,  avant  son  départ,  notre  général  le  força 
à  se  réconcilier  avec  Gonzalo  Mexia.  Je  le  vis  revenir  au  bout  de  six 
jours  qui  lui  suffirent  à  purger  son  exil  et  à  compléter  sa  provision 
d'or;  mais  Gonzalo  Mexia  et  Cortès  cessèrent  d'être  bien  ensemble. 
Je  mentionne  ici  ce  souvenir,  quoiqu'il  s'écarte  un  peu  de  mon  récit, 
pour  qu'on  voie  que  Cortès,  sous  le  prétexte  d'appliquer  la  justice 
pour  obtenir  notre  respect,  ne  faisait  autre  chose  que  pratiquer  ses 
ruses  habituelles.  Nous  en  resterons  là. 


CHAPITRE  CV1I 


Comme  quoi  le  grand  Montezuma  dit  à  Cortès  qu'il  voulait  lui  donner  une  de  ses  filles 
en  mariage.  Ce  que  Cortès  lui  répondit  :  il  la  prit  cependant.  Comme  quoi  elle  était 
servie  et  honorée  au  titre  de  fille  d'un  si  grand  seigneur. 

Ainsi  que  je  l'ai  déjà  dit  plusieurs  fois,  Cortès  et  nous  tous,  en 
faisant  notre  cour  à  Montezuma,  nous  nous  efforcions  de  lui  être 
agréables  et  d'être  toujours  à  son  service.  Or,  un  jour,  le  prince  dit  à 
notre  général  :  a  Je  vous  aime  tant,  voyez-vous,  Malinche,  que  je 
veux  vous  donner  une  de  mes  filles,  fort  belle,  pour  que  vous  vous 


298  CONQUÊTE 

mariiez  avec  elle  et  la  teniez  pour  votre  femme  légitime.  »  Cortès  se 
découvrit  pour  le  remercier  de  cette  faveur  et  il  dit  que  sans  nul 
doute  c'était  lui  faire  un  grand  honneur,  mais  qu'il  était  déjà  marié 
et  que,  dans  nos  pays,  on  ne  peut  posséder  qu'une  seule  femme;  qu'il 
la  prendrait  néanmoins  et  la  maintiendrait  dans  le  rang  que  méritait 
la  fille  d'un  si  grand  seigneur  ;  mais  avant  tout  il  fallait  qu'elle  fût 
chrétienne,  comme  l'étaient  déjà  devenues  d'autres  dames,  filles  de 
grands  personnages.  Montezuma  approuva  ce  dessein,  témoignant 
ainsi,  comme  toujours,  de  sa  grande  bienveillance.  Cependant  il  ne 
cessait  pas  ses  sacrifices  :  chaque  jour  mouraient  des  Indiens.  Cortès 
avait  beau  le  désapprouver,  il  ne  réussissait  à  rien  obtenir.  Il  se 
décida  alors  à  prendre  conseil  de  nos  capitaines,  demandant  ce  qu'en 
cotte  situation  il  y  avait  à  faire;  car  il  ne  se  hasardait  pas  personnelle- 
ment à  y  porter  remède,  par  crainte  de  soulever  la  ville  et  les 
ministres  de  ïïuichilobos.  L'avis  de  nos  officiers  et  soldats  fut  que 
Cortès  feignît  de  vouloir  aller  détruire  les  idoles  du  grand  temple, 
mais  que,  dans  le  cas  où  l'on  voudrait  s'y  opposer  et  faire  du 
tumulte,  il  se  contentât  de  demander  l'autorisation  d'élever  un  autel 
dans  une  partie  du  temple,  pour  y  placer  un  crucifix  et  l'image  de 
Notre  Dame. 

Cela  étant  ainsi  convenu,  Cortès  se  rendit  aux  appartements  où 
Montezuma  était  prisonnier.  Il  emmenait  avec  lui  sept  capitaines  et 
soldats.  Voici  les  paroles  qu'il  adressa  au  prince  :  «  Je  vous  ai  déjà 
prié  plusieurs  fois,  seigneur,  de  ne  plus  sacrifier  d'hommes  à  vos 
trompeuses  divinités;  mais,  comme  vous  n'avez  point  voulu  y  con- 
descendre, je  viens  vous  annoncer  que  tous  mes  compagnons  d'armes 
et  les  capitaines  ici  présents  vous  veulent  demander  en  grâce  l'auto- 
risation d'aller  eux-mêmes  enlever  les  idoles  de  leur  temple  et  de 
mettre  à  leur  place  une  croix  et  l'image  de  Notre  Lame.  Si  vous 
refusez  ce  qu'ils  réclament,  ils  iront,  malgré  tout,  exécuter  leur 
dessein,  avec  le  regret  d'être  exposés  à  causer  la  mort  de  quelques 
papes.  » 

En  entendant  ces  paroles  et  voyant  les  capitaines  un  peu  émus, 
Montezuma  s'écria  :  «  Oh!  Malinchc,  vous  voulez  donc  troubler  cette 
capitale?  car  nos  dieux  vont  être  fort  irrités  contre  nous,  et  je  ne 
saurais  dire  jusqu'où  pourront  aller  les  périls  courus  par  vos  exis- 
tences. Ce  dont  je  vous  prie,  c'est  que,  pour  le  moment,  vous  vous 
conteniez;  je  manderai  tous  les  papes  et  je  verrai  leur  réponse.  » 
Lorsque  Cortès  eut  entendu  ces  paroles,  il  fit  des  signes  indiquant 
qu'il  avait  le  désir  de  parler  à  part  à  Montezuma,  sans  autre  témoin 
que  le  Père  de  la  Merced,  à  l'exclusion  de  ceux  de  nos  capitaines  qui 
l'accompagnaient,  auxquels  il  donna  l'ordre  de  se  retirer  et  de  le 
laisser  seul  avec  le  prince.  Ils  sortirent  en  effet,  et  alors  Cortès  dit  à 
Montezuma  que,  pour  éviter  des  troubles  et  le  désagrément  que  eau- 


DE  LA  NOUVELLE-ESPAGNE.  299 

serait  aux  papes  la  destruction  de  leurs  idoles,  il  était  disposé  à  prier 
nos  capitaines  d'abandonner  cette  idée ,  à  la  condition  que  nous 
pussions  ériger,  dans  un  local  du  grand  temple,  un  autel  où  seraient 
placées  une  croix  et  l'image  de  Notre  Dame;  qu'ils  verraient  plus 
tard  à  quel  point  cela  serait  utile  à  leurs  âmes  et  propre  à  leur 
assurer  la  santé,  la  prospérité  et  de  bonnes  récoltes.  Montezuma, 
poussant  de  gros  soupirs  et  témoignant  d'une  profonde  tristesse, 
répondit  qu'il  traiterait  le  cas  avec  les  papes. 

Après  beaucoup  de  pourparlers  qui  s'ensuivirent,  nous  pûmes 
élever  enfin  un  autel,  avec  la  croix  et  l'image  de  Notre  Dame,  dans 
un  local  séparé  de  leurs  idoles.  Nous  en  rendîmes  tous  grâces  à  Dieu, 
et  ce  fut  avec  la  plus  grande  dévotion  que  le  Père  de  la  Merced,  aidé 
du  prêtre  Juan  Diaz  et  de  quelques-uns  de  nos  soldats,  y  célébra 
une  grand'messe.  Gortès  nomma  un  vieux  soldat  pour  y  monter  la 
garde,  et  il  pria  Montezuma  d'ordonner  aux  papes  de  ne  pas  s'en 
occuper  autrement  que  pour  balayer,  brûler  de  l'encens,  allumer 
des  cierges  la  nuit  entière  et  orner  le  local  de  rameaux  et  de  fleurs. 
J'en  resterai  là  et  je  dirai  ce  qui  advint  à  ce  sujet. 


CHAPITRE  CVIII 

Comme  quoi  le  grand  Montezuma  dit  à  Cortès  de  sortir  de  Mexico  avec  tous  ses  sol- 
dats, parce  que  les  caciques  et  les  papes  voulaient  se  soulever  et  nous  faire  une 
guerre  à  mort,  attendu  que  c'était  ainsi  convenu  à  la  suite  du  conseil  qu'en  avaient 
donné  les  idoles.  Ce  que  Cortès  fit  à  ce  sujet. 

Nous  ne  manquions  jamais  de  motifs  d'alarme;  c'était  même  au 
point  que  nous  y  aurions  succombé,  si  Notre  Seigneur  Dieu  n'y  eût 
porté  remède.  Cette  fois,  la  cause  en  fut  dans  la  mesure  que  nous 
avions  prise  de  placer  l'image  de  Notre  Dame  et  la  croix  dans  le  grand 
temple  et  d'y  dire  la  messe  en  prêchant  le  saint  Évangile.  Il  en 
résulta,  paraît-il,  que  Huichilobos  et  Tezcatepuca  parlèrent  aux  papes 
et  leur  dirent  qu'ils  voulaient  s'en  aller  de  cette  province,  puisqu'ils 
y  étaient  si  mal  traités  par  les  teules;  qu'ils  ne  resteraient  point  là 
où  se  trouvaient  cette  image  et  cette  croix,  et  qu'ils  s'en  iraient,  à 
moins  qu'on  ne  nous  massacrât;  que  telle  était  leur  réponse;  qu'on 
n'en  attendît  pas  d'autre,  et  que  l'on  dît  à  Montezuma  et  à  tous  ses 
capitaines  de  nous  attaquer  et  de  nous  faire  une  guerre  à  mort.  Les 
idoles  ajoutèrent  que  tout  l'or  dont  on  profitait  autrefois  pour  les 
honorer,  nous  l'avions  fondu  et  réduit  en  lingots;  que  l'on  voulût 
bien  voir  à  quel  point  nous  nous  rendions  maîtres  du  pays,  ayant 
déjà  mis  en  prison  cinq  de  leurs  plus  grands  caciques....  Les  dieux 
leur  dirent  encore  plusieurs  autres  choses   malicieuses  afin  de   les 


300  CONQUÊTE 

décider  à  nous  faire  la  guerre.  Pour  que  ni  Gortès  ni  nous  ne  pussions 
l'ignorer,  Montezuma  envoya  chercher  notre  général,  lui  annonçant 
qu'il  avait  à  l'entretenir  de  choses  qui  nous  intéressaient  fort.  Le 
page  Orteguilla  avoua  que  Montezuma  était  très-ému  et  très-triste  ; 
que  la  nuit  passée  et  une  partie  du  jour,  plusieurs  papes  et  quelques- 
uns  de  ses  principaux  capitaines  étaient  restés  près  de  lui,  parlant 
assez  Las  pour  qu'on  ne  les  pût  entendre. 

Lorsque  Gortès  reçut  cette  nouvelle,  il  fut  immédiatement  trouver 
Montezuma,  emmenant  avec  lui  Ghristoval  de  Oli,  qui  commandait  la 
garde,  quatre  autres  capitaines,  doua  Marina  et  Geronimo  de  Aguilar. 
Après  les  démonstrations  respectueuses  habituelles,  Montezuma  dit  : 
«  0  seigneur  Malinche,  et  vous,  capitaines,  combien  je  regrette  la 
réponse  et  les  ordres  que  les  dieux  ont  donnés  à  nos  papes,  à  moi  et 
à  tous  mes  officiers  !  Il  s'agit  en  effet  de  vous  faire  une  guerre  à  mort, 
ou  de  vous  forcer  à  regagner  la  mer.  Ge  que  j'en  conclus,  c'est 
qu'avant  qu'on  vous  attaque,  vous  devriez  sortir  de  cette  capitale, 
tous  jusqu'au  dernier.  Je  vous  répète,  seigneur  Malinche,  qu'il  vous 
convient  à  tous  égards  de  prendre  ce  parti,  car  il  y  va  de  vos  exis- 
tences, attendu  que  certainement  on  vous  massacrera.  » 

Gortès  et  nos  capitaines  ne  purent  entendre  ces  paroles  sans  tris- 
tesse et  sans  émotion.  On  ne  doit  pas  en  être  surpris,  puisque  la 
situation  était  devenue  subitement  à  ce  point  critique  qu'elle  mettait 
nos  vies  en  un  péril  immédiat,  comme  le  prouvait  le  ton  déterminé 
avec  lequel  on  nous  en  avertissait.  Gortès  répondit  à  Montezuma  qu'il 
le  remerciait,  mais  que,  pour  le  moment,  il  ne  pouvait  regretter  que 
deux  choses  :  la  première,  c'est  qu'il  ne  lui  restait  point  de  navires 
pour  partir,  puisqu'il  les  avait  fait  détruire;  la  seconde,  c'est  qu'il 
faudrait  bien  que  Montezuma  vînt  avec  nous,  pour  que  notre 
grand  Empereur  le  vît.  Il  priait  instamment  Sa  Seigneurie  de  vouloir 
bien  faire  prendre  patience  à  ses  papes  et  à  ses  capitaines,  jusqu'à 
ce  qu'on  eût  pu  fabriquer  trois  navires  sur  la  plage  de  sable;  c'était 
là  le  meilleur  parti  à  prendre,  attendu  que,  s'ils  commençaient  la 
guerre,  il  les  y  ferait  tous  périr.  Il  ajouta  que,  pour  prouver  à  Mon- 
tezuma sa  volonté  d'exécuter  ce  qu'il  disait,  il  le  priait  de  donner 
l'ordre  à  ses  charpentiers  d'aller  avec  deux  de  nos  soldats,  maîtres 
constructeurs  de  navires,  pour  couper  le  bois  nécessaire  près  de 
l'Arenal.  La  tristesse  de  Montezuma  augmenta  quand  il  entendit  de 
la  bouche  de  Gortès  qu'il  devrait  aller  avec  nous  se  présenter  à  l'Em- 
pereur. Il  promit  de  fournir  les  charpentiers  et  ajouta  qu'on  se  hâtât, 
qu'on  ne  parlât  plus,  mais  qu'on  agît;  qu'en  attendant  il  s'entretien- 
drait avec  les  papes  et  avec  ses  officiers,  pour  en  obtenir  qu'on  ne 
soulevât  pas  la  ville;  quant  à  son  Huichilobos,  il  donnerait  l'ordre 
qu'on  cherchât  à  le  calmer  par  des  sacrifices,  mais  en  s'abstenant  de 
répandre  de  sang  humain. 


DE  LA  NOUVELLE-ESPAGNE.  301 

Ce  fut  sur  ces  graves  paroles  que  Cortès  prit  congé  de  Monte- 
zuma.  Nous  étions  tous  en  grande  angoisse,  dans  l'attente  du 
moment  où  les  hostilités  commenceraient.  Notre  général  fit  appeler 
Martin  Lopez  et  Andrès  Nunez,  et  les  réunit  aux  charpentiers  indiens 
que  Montezuma  lui  avait  procurés.  Après  avoir  discuté  la  grandeur 
des  trois  bâtiments,  il  donna  l'ordre  de  mettre  la  main  à  l'œuvre  pour 
les  construire  immédiatement  et  les  munir  de  toutes  choses  qu'on 
trouverait  dans  la  Villa  Rica,  puisqu'il  y  avait  du  fer,  des  forgerons, 
des  cordages,  de  l'étoupe,  des  calfats  et  du  goudron.  Ils  partirent 
donc.  On  coupa  le  bois  sur  la  côte  de  la  Villa  Rica,  et,  après  en  avoir 
réuni  la  provision  nécessaire,  on  commença  la  construction  dcs.navircs. 
Du  reste,  ce  que  Cortès  a  pu  dire  à  Martin  Lopez  à  ce  sujet,  je  l'ignore  ; 
et  je  m'exprime  ainsi  parce  que  le  chroniqueur  Gomara  prétend  dans 
son  histoire  qu'il  lui  recommanda,  comme  si  c'était  une  plaisanterie, 
de  faire  seulement  semblant  de  s'occuper  de  ce  travail,  pour  que  Mon- 
tezuma en  pût  être  instruit.  Je  m'en  remets,  pour  ma  part,  à  ce  qu'ils 
auront  pu  dire  ensemble;  grâces  à  Dieu,  on  ne  manquait  pas  d'esprit 
en  ce  temps-là.  Ce  que  je  sais  pourtant,  c'est  que  Martin  Lopez  me 
dit  en  secret  qu'il  construisait  réellement  les  navires  en  toute  hâte,  et 
très-certainement  il  en  mit  trois  en  train  sur  les  chantiers. 

Nous  le  laisserons  à  ce  travail,  pour  dire  à  quel  point  nous  étions 
tristes  et  pensifs  dans  cette  grande  capitale,  nous  attendant  d'un 
moment  à  l'autre  à  ce  qu'on  vînt  troubler  parla  guerre  la  tranquillité 
de  nos  quartiers.  Dona  Marina  l'affirmait  ainsi  à  notre  chef.  Quant  au 
page  Orteguilla,  il  pleurait  continuellement.  Il  s'ensuivait  que  nous 
nous  tenions  tous  prêts,  ayant  soin  de  faire  bonne  garde  autour  de 
Montezuma.  Et  si  j'ai  dit  que  nous  étions  prêts,  je  reconnais  qu'il 
n'était  pas  nécessaire  de  le  répéter  encore;  car  nous  avions  l'habitude 
de  n'abandonner  nos  armures  ni  jour  ni  nuit,  portant  toujours  nos 
gorgerets  et  nos  guêtres,  avec  lesquels  nous  dormions.  On  me  deman- 
dera maintenant  sur  quoi  nous  couchions.  Hélas  !  de  quoi  se  compo- 
saient nos  lits?  d'un  peu  de  paille,  d'une  natte;  ceux  qui  en  avaient 

ajoutaient  sous  eux  une  grosse  toile Et  nous,  toujours  chaussés, 

toujours  couverts  de  toutes  nos  armes....  et  les  chevaux,  sans  cesse 
sellés  et  bridés  ;  et  tous,  à  tel  point  préparés,  qu'au  premier  signal 
d'alarme,  au  moindre  appel,  on  nous  trouvaiteomme  si  nous  eussions  été 
commandés  pour  ce  moment  même;  quant  aux  veilles,  il  n'y  avait  pas 
de  soldat  qui  n'en  fît  chaque  nuit.  Qu'on  me  permette  de  dire  —  ce 
n'est  pas  pour  me  vanter  —  que  je  m'étais  tellement  habitué  à  être 
toujours  en  armes  et  à  me  coucher  comme  j'ai  dit,  qu'après  la  con- 
quête de  la  Nouvelle-Espagne  j'avais  conservé  la  coutume  de  m 'étendre 
tout  habillé,  sans  faire  usage  de  lit,  et  je  dormais  mieux  que  je  ne  le 
saurais  faire  sur  de  bons  matelas....  Et  encore  à  présent,  lorsque  je 
vais  en  tournée  dans  les  villages  de  mon  encomienijn,  je  n'emporte 


302  CONQUÊTE 

pas  de  lit  avec  moi.  S'il  m'arrive  quelquefois  de  m'en  munir,  ce  n'est 
pas  que  je  l'aie  désiré,  mais  pour  éviter  que  les  gens  que  je  rencontre 
puissent  penser  que  je  n'en  emporte  pas,  faute  d'en  avoir  un  présen- 
table; mais  la  réalité  est  que  je  m'étends  dessus  tout  habillé.  J'ajou- 
terai que  je  ne  puis  dormir  que  quelques  instants  chaque  nuit; 
je  sens  le  besoin  de  me  lever,  de  voir  le  ciel,  les  étoiles,  de  me  pro- 
mener un  moment  en  plein  air,  et  cela  sans  couvrir  ma  tête  d'un 
bonnet,  d'un  mouchoir  ou  de  n'importe  quelle  autre  coiffure....  Et, 
grâces  à  Dieu,  cela  ne  me  fait  aucun  mal,  à  cause  de  l'habitude  que 
j'en  avais  prise.  J'ai  dit  tout  cela,  afin  qu'on  sache  comment  nous 
vivions,  nous  les  vrais  conquistadores,  et  à  quel  point  nous  étions 
accoutumés  à  veiller  et  à  porter  nos  armes. 

Cessons  de  nous  entretenir  de  ces  choses,  puisqu'elles  nous  font 
sortir  de  notre  récit,  et  expliquons  comme  quoi  Notre  Seigneur  Jésus- 
Christ  continua  à  nous  accompagner  de  ses  faveurs,  tandis  que,  dans 
l'île  de  Cuba,  Diego  Velasquez  mettait  grande  hâte  à  préparer  sa 
flotte,  ainsi  que  je  vais  le  dire  à  la  suite;  et  il  en  résulta  qu'un  capi- 
taine, nommé  Pam philo  de  Narvaez,  vint  en  ce  même  temps  à  la 
Nouvelle-Espagne. 


CHAPITRE  CIX 

Comme  quoi  Diego  Velasquez,  gouverneur  de  Cuba,  se  hâta  d'envoyer  sa  flotte  confie 
nous,  avec  Pamphilo  de  Narvaez  pour  capitaine  général,  et  comment  vint  avec  lui 
le  licencié  Lucas  Vasquez  de  Aillon,  auditeur  du  Haut  Tribunal  de  Saint-Domingue. 
Ce  que  l'on  fit  à  ce  sujet. 

Reportons  notre  récit  un  peu  en  arrière,  pour  que  l'on  puisse  bien 
comprendre  ce  qui  me  reste  à  conter.  J'ai  déjà  dit,  dans  le  chapitre  qui 
en  a  traité,  comment  Diego  Velasquez,  gouverneur  de  Cuba,  apprit  que 
nous  avions  envoyé  nos  procureurs  à  Sa  Majesté,  avec  de  l'or  qui  avait 
été  recueilli  :  et  le  soleil,  et  la  lune,  et  plusieurs  joailleries  variées, 
et  l'or  en  grains  provenant  des  mines,  ainsi  que  bien  d'autres  choses 
d'une  grande  valeur.  Il  savait  aussi  que  nous  n'avions  recours  à  lui 
pour  aucune  affaire.  Il  n'ignorait  pas  non  plus  comme  quoi  nos  pro- 
cureurs avaient  été  très-mal  accueillis  par  don  Juan  Rodrigucz  de 
Fonseca,  évoque  de  Burgos,  archevêque  de  Rosano,  alors  président 
du  Conseil  des  Indes,  qui  avait  des  pouvoirs  absolus  en  toutes  choses, 
en  l'absence  de  Sa  Majesté,  retenue  en  Flandre.  On  assure  que  l'é- 
vêque  adressa  de  Castille  de  grandes  distinctions  à  Diego  Velasquez, 
lui  recommandant  de  nous  faire  tous  arrêter  et  lui  envoyant  toute 
espèce  de  pouvoirs  dans  ce  but.  Diego  Velasquez,  ainsi  autorisé,  arma 
une  flotte  de  dix-neuf  navires,   montée  par  quatorze  cents  soldats i 


DE  LA  NOUVELLE-ESPAGNE.  303 

avec  vingt  canons,  beaucoup  de  poudre,  un  outillage  complet,  des 
boulets  de  pierre,  des  balles,  et  deux  artilleurs,  dont  le  principal 
s'appelait  Rodrigo  Martin.  Il  y  avait  aussi  quatre-vingts  chevaux, 
soixante  escopettiers  et  quatre-vingts  arbalétriers.  Diego  Velasqucz 
en  personne,  quoiqu'il  fût  bien  gros  et  bien  lourd,  parcourait  l'île  de 
Cuba,  allant  de  ville  en  ville,  de  village  en  village,  approvisionnant 
la  flotte,  engageant  les  habitants  qui  possédaient  des  Indiens,  les 
parents,  les  amis,  à  partir  avec  Pamphilo  de  Narvaez  pour  qu'on  lui 
amenât  Gortès  prisonnier,  ainsi  que  tous  ses  capitaines  et  soldats,  ou 
que  du  moins  on  nous  exterminât  tous.  Il  mêlait  du  reste  son  irrita- 
tion de  tant  d'activité  qu'il  alla  jusqu'à  Guaniguanico,  point  situé  à 
plus  de  soixante  lieues  de  la  Havane. 

Les  choses  en  étaient  là  lorsque,  avant  le  départ  de  la  flotte,  le 
Haut  Tribunal  de  Saint-Domingue  et  les  Frères  hiéronymites,  gou- 
verneurs de  l'île,  en  eurent  connaissance.  L'avis  leur  en  fut  donné  de 
Cuba  par  le  licencié  Zuazo,  qui  était  allé  dans  cette  île  pour  contrôler 
l'administration  de  Diego  Velasquez.  Or  le  Haut  Tribunal  avait  déjà 
reçu  la  nouvelle  des  bons  et  loyaux  services  que  nous  rendions  à  Dieu 
et  à  Sa  Majesté;  il  savait  également  que  nous  avions  envoyé  au  Roi 
notre  seigneur  nos  commissaires  avec  de  grands  présents,  et  que  par 
conséquent  Diego  Velasquez  n'avait  nulle  raison  et  ne  s'appuyait  sur 
aucune  justice,  pour  prétendre  tirer  vengeance  de  nous  au  moyen 
d'une  flotte.  Aussi  disait-on  que,  si  le  gouverneur  croyait  avoir  des 
droits,  il  pouvait  les  faire  valoir  devant  le  Tribunal;  car  l'envoi  d'une 
flotte  devrait  mettre  un  sérieux  obstacle  à  notre  conquête.  Les  juges 
du  Tribunal  convinrent  donc  d'envoyer  un  licencié,  nommé  Lucas  Vas- 
quez  de  Aillon,  qui  en  était  auditeur,  pour  qu'il  empêchât  le  départ 
de  la  flotte  de  Diego  Velasquez,  sous  les  peines  les  plus  sévères. 

L'auditeur  arriva  à  Cuba;  il  fit  ses  démarches,  lança  ses  protesta- 
tions, ainsi  que  le  Tribunal  lui  en  avait  donné  l'ordre,  afin  que  Velas- 
quez n'arrivât  pas  à  ses  fins.  Mais  il  eut  beau  le  requérir,  le  menacer 
des  peines  légales,  il  n'en  put  rien  obtenir.  Gomme  le  gouverneur  de 
Cuba  était  grand  favori  de  l'évêque  de  Rurgos,  et  que  d'ailleurs  il 
avait  dépensé  tout  ce  qu'il  possédait  dans  l'armement  qui  se  fit  contre 
nous,  il  tint  pour  bagatelle  toutes  les  sommations  qu'on  lui  adressa 
et  il  ne  s'en  montra  que  plus  irrité.  Ce  que  voyant,  l'auditeur  résolut 
de  partir  lui-même  avec  Narvaez,  dans  le  but  d'intervenir  pacifique- 
ment entre  celui-ci  et  Cortès.  D'autres  soldats  prétendirent  qu'il  vint 
dans  l'intention  de  nous  couvrir  de  son  autorité;  et,  si  cela  ne  lui 
paraissait  pas  possible,  il  se  déciderait,  en  sa  qualité  d'auditeur,  à 
prendre  possession  légale  de  ce  pays  pour  Sa  Majesté.  C'est  ainsi  qu'il 
arriva  au  port  de  Saint-Jean  d'Uloa.  Nous  en  resterons  là,  et  je  con- 
tinuerai en  disant  ce  que  Ton  fit  à  ce  sujet, 


304  CONQUÊTE 


CHAPITRE  CX 

Comme  quoi  Pamphilo  de  Narvaez  arriva  au  port  de  Saint-Jean  d'Uloa,  qu'on  appelle 
Vera  Cruz, avec  toute  sa  flotte;  et  de  ce  qui  lui  advint. 

Tandis  que  Pamphilo  de  Narvaez  faisait  route  avec  les  dix-neuf 
navires  dont  se  composait  sa  flotte,  il  paraît  que,  vers  la  sierra  de 
San  Martin,  il  éprouva  un  coup  de  vent  du  nord  qui  fit  échouer  pen- 
dant la  nuit  un  de  ses  plus  petits  bâtiments.  Le  capitaine  qui  le  mon- 
tait s'appelait  Ghristoval  de  Morante,  natif  de  Médina  del  Gampo.  On 
perdit  là  quelque  monde,  et  l'on  continua  le  voyage  jusqu'à  Saint- 
Jean  d'Uloa  avec  les  autres  navires.  Le  bruit  de  l'arrivée  de  cette 
grande  flotte  se  répandit  bientôt,  et  certes  on  pouvait  bien  la  tenir 
pour  considérable,  eu  égard  à  ce  qu'elle  avait  été  construite  tout 
entière  dans   les  chantiers  de  l'île  de  Cuba.  Les  soldats  que  Gortès 
avait  envoyés  à  la  recherche  des  mines  en  reçurent  bien  vite  la  nou- 
velle. Sans  perdre  de  temps,  trois  d'entre  eux,  appelés  Cervantes  le 
Farceur,  Escalona  et  Alonso  Hernandez  Garretero,  se  rendirent  à  bord 
des  navires  de  Narvaez.  Quand  ils  y  furent  arrivés  et   se  virent  en 
présence  du  commandant,  ils  élevèrent,  dit-on,  leurs  bras  vers  le  ciel, 
lui  rendant  grâce  de  les  avoir  délivrés  de  Gortès  et  de  la  grande  ville 
de  Mexico,  où  chaque  jour  ils  attendaient  la  mort.  Gomme  d'ailleurs 
ils  mangeaient  à  la  table  de  Narvaez,  qui  leur  servait  copieusement  à 
boire,  ils  se  disaient  l'un  à  l'autre  devant  le  général  :  «Regarde  un  peu 
s'il  n'est  pas  préférable  de  boire  ici  du  bon  vin,  plutôt  que  d'être  en 
état  d'esclavage  dans  les  mains  de  ce  Gortès,  qui  nous  tenait  nuit  et 
jour  tellement  assujettis,  que  nous  n'osions  proférer  une  parole,  ayant 
en  outre  continuellement  la  mort  devant  les  yeux.  »  Et  Cervantes, 
qui  était  un  véritable  truand,   ajoutait  en  manière  de  plaisanterie  : 
«  0  Narvaez,  Narvaez!  l'heureux  homme  que  tu  es,  et  quelle  bonne 
occasion  tu  as   saisie  pour  arriver!  Ce  traître  de  Gortès  tient  en  sa 
main  plus   de  sept  cent  mille  piastres  en  or,  tandis  que  tous  les 
soldats   sont  au  plus  mal  avec  lui,  parce    qu'il  s'est   approprié  la 
meilleure  partie  de  ce  qui  en  revenait  à  chacun  d'eux;  d'où  résulte 
qu'ils  ne  veulent  pas  recevoir  la  part  qu'on  leur  propose.  » 

On  peut  donc  dire  que  ces  déserteurs  étaient  de  vils  misérables, 
qui  racontaient  à  Narvaez  bien  au  delà  de  ce  qu'il  voulait  savoir.  On 
lui  donna  aussi  la  nouvelle  qu'à  douze  lieues  de  là  se  trouvait  une  ville 
nouvellement  fondée,  portant  le  nom  de  Villa  Rica  de  la  Vera  Cruz,  et 
qu'un  certain  Gonzalo  de  Sandoval  en  avait  le  commandement  avec 
soixante  soldats  vieux  et  malades,  lesquels  se  donneraient  à  lui  aussitôt 


DE  LA  NOUVELLE-ESPAGNE.  305 

qu'il  leur  enverrait  quelques  hommes  armés.» On  lui  dit  encore  bien 
d'autreschoscs;  mais  je  n'en  parlerai  pointpouràprésent,  afinde  pouvoir 
dire  que  Montczuma  ne  tarda  pas  à  savoir  ce  qui  se  passait  :  c'est-à- 
dire  que  les  navires  étaient  mouillés  en  ce  lieu  avec  un  grand  nombre 
de  chefs  et  de  soldats.  Il  s'empressa  d'envoyer,  à  l'insu  de  Cortès, 
certains  de  ses  dignitaires,  avec  ordre  d'apporter  aux  nouveaux  venus 
des  vivres,  de  l'or  et  des  étoffes,  en  adressant  aussi  aux  villages 
environnants  l'injonction  de  leur  fournir  le  nécessaire. 

De  son  côté,  Narvaez  envoya  dire  au  monarque  des  choses  excessives 
contre  Cortès  et  contre  nous  tous,  assurant  que  nous  étions  de  mau- 
vaises gens,  des  voleurs,  partis  de  Gastille  sans  l'autorisation  de  notre 
Roi  et  seigneur;  que  la  nouvelle  était  parvenue  à  Sa  Majesté  de  notre 
débarquement  dans  ce  pays,  ainsi  que  des  vols  et  méchantes  actions 
que  nous  y  commettions,  y  compris  surtout  l'emprisonnement  de 
Montezuma  ;  qu'aussitôt  l'Empereur  s'était  empressé,  pour  mettre  fin 
à  tant  de  maux,  d'ordonner  à  Narvaez  de  partir  avec  tous  ces  vais- 
seaux, soldats  et  cavaliers,  dans  le  but  de  rendre  la  liberté  au  prince 
captif  et  d'arrêter  Cortès  et  nous  tous  comme  des  malfaiteurs,  afin 
de  nous  punir  de  mort,  à  moins  de  nous  embarquer  pour  la  Castille, 
où  la  peine  capitale  nous  serait  appliquée.  Il  faisait  dire  encore  mille 
extravagances,  pour  lesquelles  il  avait  recours  aux  trois  soldats  fugitifs 
qui  savaient  déjà  la  langue  et  servaient  d'interprètes  auprès  des  mes- 
sagers indiens.  Outre  ces  propos,  Narvaez  envoya  à  Montezuma  quel- 
ques objets  de  Gastille.  Or,  lorsque  celui-ci  fut  instruit  de  tout  cela, 
il  ne  se  tenait  pas  de  joie  à  l'annonce  de  ces  nouvelles  :  il  espérait,  en 
effet,  qu'avec  tant  de  navires,  de  chevaux,  de  canons,  d'escopettes. 
d'arbalètes  et  au  moins  treize  cents  soldats,  Narvaez  ne  pouvait  man- 
quer de  nous  prendre.  Comme  d'ailleurs  les  dignitaires  envoyés  par 
lui  avaient  vu  avec  Narvaez  les  trois  fugitifs,  traîtres  et  méchants 
drôles,  s'exprimant  dans  les  plus  mauvais  termes  contre  Cortès,  il 
n'eut  pas  de  peine  à  ajouter  foi  à  tout  ce  que  le  Narvaez  lui  faisait 
dire.  Au  surplus,  toute  la  nouvelle  armée  lui  fut  dessinée  sur  de 
grandes  toiles. 

Sur  ces  renseignements,  Montezuma  envoya  aux  arrivants  encore 
plus  d'or  et  d'étoffes,  avec  l'ordre  aux  villages  d'alentour  de  leur 
fournir  des  vivres  en  abondance.  Or  Montezuma  savait  ces  événe- 
ments depuis  plus  de  trois  jours,  tandis  que  Cortès  les  ignorait 
absolument;  mais,  dans  une  de  ses  visites  accoutumées,  celui-ci, 
après  les  politesses  d'usage,  crut  voir  que  le  prince  témoignait  d'une 
joie  inusitée  et  reflétait  une  meilleure  santé  sur  son  visage,  ce  qui  lit 
que  notre  général  lui  demanda  comment  il  se  trouvait....  «Beaucoup 
mieux,  »  lui  répondit  son  royal  interlocuteur.  Ce  ne  fut  pas  tout  : 
Cortès  revint  dans  la  journée,  et  Montezuma,  craignant,  en  présence 
de  cette  double  visite,  que  Cortès  ne  fût  instruit  de  tout,  et  ne  vou- 

20 


306  CONQUÊTE 

lant  pas  donner  lieu  à'  des  soupçons,  crut  devoir  prendre  les  devants 
et  lui  dit  :  «Seigneur  Malinche,  je  viens  de  recevoir  à  l'instant  des 
messagers  qui  m'informent  que,  dans  le  port  même  où  vous  débar- 
quâtes, sont  arrivés  dix-huit  navires,  avec  beaucoup  d'hommes  et  de 
chevaux*  le  tout  m'a  été  montré  peint  sur  des  toiles.  Or,  comme  vous 
êtes  venus  me  visiter  deux  fois  aujourd'hui,  j'ai  pensé  que  vous  vou- 
liez m'en  instruire;  quoi  qu'il  en  soit,  vous  n'avez  plus  besoin  main- 
tenant de  construire  des  navires.  Gomme  vous  ne  m'en  disiez  rien, 
d'un  côté  je  vous  en  voulais  pour  cette  discrétion,  et  d'autre  part  je 
me  réjouissais  en  pensant  que  voilà  vos  frères,  que  vous  allez  tous 
vous  en  retourner  en  Gastille  et  qu'il  n'en  sera  plus  question  entre 

nous.  » 

Lorsque  Gortès  apprit  ainsi  l'arrivée  des  navires  et  qu'il  vit  la  toile 
peinte,  il  en  manifesta  un  grand  contentement,  et  il  s'écria  :  «Rendons 
grâces  à  Dieu  qui  nous  pourvoit  au  moment  le  plus  opportun  !  »  Quant 
à  nous,  les  soldats,  notre  allégresse  allait  au  point  que  nous  ne  pou- 
vions tenir  en  place,  et,  dans  notre  joie,  nous  fîmes  grand  bruit  en 
cavalcades  militaires  et  en  coups  de  canon.  Quant  à  Gortès,  il  resta 
pensif,  car  il  ne  pouvait  méconnaître  que  cette  flotte  était  envoyée 
contre  lui  et  contre  nous  tous  par  le  gouverneur  Vclasquez.  Il  sut  du 
reste  bientôt  ce  qu'il  en  était  et  s'empressa  de  communiquer  à  ses 
capitaines  et  soldats  les  sentiments  qu'il  en  éprouvait.  Avant  de 
savoir  quel  était  le  commandant  de  cette  expédition,  il  s'efforçait  de 
nous  attirer  à  lui  par  des  offres,  par  des  dons  et  par  la  promesse  de 
faire  la  fortune  de  chacun  de  nous.  Quoi  qu'il  en  soit,  la  nouvelle 
nous  rendait  très-joyeux,  et  nous  étions  satisfaits  aussi  de  l'or  que 
Gortès  venait  de  nous  distribuer,  soi-disant  par  faveur,  comme  s'il 
avait  été  pris  sur  son  avoir  et  non  sur  ce  qui  nous  était  dû.  Nous  nous 
réjouissions  encore  en  voyant  cet  appui  et  ce  grand  secours  que  Notre 
Seigneur  Jésus-Christ  venait  de  nous  envoyer.  J'en  resterai  là  et  je 
dirai  ce  qui  se  passa  dans  le  quartier  de  Narvacz. 


CHAPITRE  CXI 

Comme  quoi  Pamphilo  de  Narvaez  envoya  sommer  de  se  rendre  avec  tous  les  siens 
Gonzalo  de  Sandoval,  qui  commandait  à  la  Villa  Rica.  Ce  qui  arriva  à  ce  sujet. 

Ces  trois  maudits  soldats  qui  se  joignirent  à  Narvaez  lui  donnaient 
avis  de  tout  ce  que  Gortès,  avec  notre  aide,  avait  fait  depuis  notre 
arrivée  dans  la  Nouvelle-Espagne.  Ils  lui  dirent  par  conséquent  que 
le  capitaine  Gonzalo  de  Sandoval  se  trouvait  à  une  douzaine  de  lieues 
de  là    dans  un  établissement  appelé  la  Villa  Rica  de  la  Vera  Gruz, 


DE  LA   NOUVELLE-ESPAGNE.  307 

avec  soixante  hommes,  la  plupart  vieux  et  malades.  Narvaez  résolut 
alors  d'envoyer  là  un  aumônier  appelé  Guevara,  qui  s'exprimait  avec 
facilité,  accompagné  d'un  homme  important,  nommé  Amaya,  parent 
de  Diego  Velasquez.  Le  notaire  royal  Yergara  les  suivait  avec  trois 
témoins  dont  je  ne  me  rappelle  pas  les  noms.  Ils  avaient  mission  d'in- 
timer à  Gonzalo  de  Sandoval  Tordre  de  se  rendre  à  Narvaez.  Ils  de- 
vaient se  présenter  du  reste  en  disant  qu'ils  étaient  porteurs  de  la 
copie  des  provisions  royales. 

Gonzalo  de  Sandoval  avait,  dit-on,  été  mis  au  courant  de  l'arrivée 
des  navires  par  des  Indiens.  Il  savait  aussi  la  grande  quantité  d'hom- 
mes qui  les  montait.  Gomme  au  surplus  c'était  un  officier  de  grande 
vigueur,  il  se  trouvait  toujours  prêt,  avec  ses  soldats  bien  armés.  Il 
ne  pouvait  douter  que  cette  flotte  ne  vînt  de  Diego  Yelasquez  et  qu'elle 
n'envoyât  des  gens  à  la  Villa  Rica  dans  le  but  d'en  prendre  posses- 
sion. Voulant  se  débarrasser  des  soldats  vieux  et  infirmes,  il  les  diri- 
gea sur  un  village  d'Indiens  nommé  Papalotc,  et  il  ne  garda  que  les 
valides.  Il  eut  soin  de  faire  bien  surveiller  les  chemins  de  Ccmpoal, 
par  lesquels  on  devait  arriver  à  la  Villa;  il  prit  aussi  ses  mesures 
pour  animer  ses  soldats  et  les  tenir  dans  la  pensée  que,  si  Diego 
Velasquez  ou  quelque  autre  personne  se  présentait,  il  ne  fallait  point 
rendre  la  ville.  Tous  ses  soldats,  dit-on,  promirent  d'obéir  à  sa  vo- 
lonté. Néanmoins,  il  fit  élever  un  gibet  sur  un  monticule. 

Les  sentinelles  avancées  que  Sandoval  avait  établies  sur  la  route 
accoururent  tout  à  coup  lui  donner  la  nouvelle  de  l'arrivée  près  de  la 
Villa  de  six  Espagnols  avec  des  Indiens  de  Cuba.  Sandoval  n'alla  pas 
au-devant  d'eux  :  il  les  attendit  dans  son  logement,  après  avoir  donné 
l'ordre  qu'aucun  de  ses  soldats  ne  sortît  ni  ne  leur  adressât  la  parole, 
de  sorte  que  l'aumônier  et  ceux  qui  venaient  en  sa  compagnie  ne  ren- 
contraient aucun  Espagnol  à  qui  parler  et  ne  trouvaient  que  des  In- 
diens occupés  aux  travaux  de  la  forteresse.  Ayant  pénétré  dans  la  ville, 
ils  entrèrent  d'abord  faire  leurs  prières  dans  l'église,  et  ensuite  ils 
prirent  la  direction  de  ce  qui  leur  parut  être  la  maison  de  Sandoval,  à 
cause  de  ses  plus  grandes  dimensions. 

Après  le  «  Dieu  vous  garde  !  »  de  l'aumônier,  auquel  Sandoval  ré- 
pondit aussi  parle  «  Dieu  vous  garde!  »  de  rigueur,  le  prêtre  Gruevara 
entama  un  discours  dans  lequel  il  disait  que  le  senor  Velasquez,  gou- 
verneur de  Cuba,  avait  fait  beaucoup  de  dépenses  pour  la  flotte,  que 
Gortès  et  ses  compagnons  d'armes  l'avaient  trahi,  et  qu'ils  venaient 
les  sommer  de  jurer  obéissance  au  senor  Pamphilo  de  Narvaez  qui  ar- 
rivait comme  capitaine  général,  par  ordre  de  Diego  Velasquez.  San- 
doval, entendant  les  paroles  outrecuidantes  du  Père  Guevara,  s'en 
mordait  les  lèvres  de  dépit  :  «  Mon  Père,  lui  dit-il,  c'est  fort  ma  par- 
ler que  nous  appeler  traîtres;  nous  sommes  ici  meilleurs  serviteurs 
de  Sa  Majesté  que  Diego  Velasquez  et  vos  capitaines  ;  vous  devez,  à. 


308  CONQUETE 

votre  qualité  de  prêtre  que  je  ne  vous  châtie  pas  comme  vos  paroles 
malhonnêtes  l'auraient  mérité.  Allez  à  Mexico,  et  que  Dieu  vous  garde 
en  route;  c'est  là  que  vous  trouverez  Cortès,  qui  est  le  vrai  capitaine 
général  et  grand  justicier  de  la  Nouvelle-Espagne  ;  c'est  à  lui  de  vous 
répondre,  et  vous  n'avez  plus  rien  à  dire  ici.  » 

A  ces  mots,  l'aumônier,  prenant  un  air  fanfaron  et  s'adressant  au 
notaire,  nommé  Vergara,  qui  l'accompagnait,  lui  donna  l'ordre  d'ou- 
vrir les  provisions  qu'il  cachait  sur  sa  poitrine  et  de  les  notifier  à  San- 
doval  ainsi  qu'aux  hommes  qu'il  commandait.  Mais  Sandoval  arrêta  le 
notaire  en  lui  défendant  délire  quoi  que  ce  fût,  attendu  qu'il  ignorait 
si  c'étaient  des  provisions  véritables  ou  d'autres  écritures.  Les  contes- 
tations continuèrent  et  déjà  le  notaire  commençait  à  tirer  de  sous  son 
pourpoint  l'acte  dont  il  était  porteur,  lorsque  Sandoval  lui  dit  :  «  Re- 
marquez, Vergara,  que  je  vous  ai  déjà  recommandé  de  ne  lire  aucun 
papier,  et  d'aller  à  Mexico  ;  là-dessus,  je  vous  affirme  que  si  vous  per- 
sistez à  vouloir  lire,  je  vous  ferai  donner  cent  coups  de  fouet,  car  nous 
ignorons  ici  si  vous  êtes  ou  si  vous  n'êtes  pas  notaire  royal.  Montrez 
vos  diplômes,  si  vous  les  avez;  vous  pouvez  les  lire;  quant  aux  pro- 
visions dont  vous  parlez,  savons-nous  si  ce  sont  les  originaux,  les 
copies,  ou  des  papiers  vulgaires?  »  L'aumônier,  qui  était  d'un  carac- 
tère emporté,  répondit  dans  un  état  de  grande  irritation,  en  s'adres- 
sant au  notaire  :  «  Que  faites-vous  avec  ces  traîtres?  Exhibez  nos  pou- 
voirs et  notifiez-les-lui.  »  En  entendant  cette  expression  de  traîtres, 
Sandoval  s'écria  qu'il  mentait  comme  un  méchant  prêtre  qu'il  était; 
et  immédiatement  il  commanda  à  ses  soldats  de  les  envoyer  prison- 
niers à  Mexico. 

A  peine  cet  ordre  était-il  donné,  qu'on  les  enveloppa  dans  les  mail- 
les de  plusieurs  hamacs,  et  quelques  Indiens,  les  traitant  en  âmes 
pécheresses,  les  entraînèrent  et  se  mirent  en  route  en  les  portant  sur 
leurs  épaules.  Ils  arrivèrent  en  quatre  journées  aux  portes  de  Mexico, 
en  cheminant  jour  et  nuit  au  moyen  de  relais  d'Indiens.  Or,  en  route, 
ils  tombaient  dans  l'ébahissement  en  voyant  tant  de  villes  et  de  grands 
villages  où  on  leur  apportait  à  manger,  et  en  remarquant  la  prestesse 
avec  laquelle  ils  étaient  transmis  de  relais  en  relais  en  avançant  vers 
le  but  du  voyage.  Ils  se  demandaient  s'ils  rêvaient  ou  s'ils  étaient 
dupes  d'un  enchantement.  Sandoval  avait  envoyé  à  titre  d'alguazil, 
jusqu'à  leur  arrivée  à  Mexico,  Pedro  de  Solis,  qui  fut  gendre  d'Or- 
duna  et  qu'on  appelle  maintenant  Solis  de  Atras  de  la  Puerto,*.  En 
les  mettant  en  route,  Sandoval  eut  soin  d'en  prévenir  Gortès  par  un 
courrier  plus  rapide,  lui  nommant  le  capitaine  de  la  Hotte  et  annon- 
çant tout  ce  qui  était  arrivé. 

1.  Cela  pourrait  se  traduire  par  «  Solis  de  derrière  la  porte  ».  L'explication  de  ce 
sobriquet  se  verra  dans  la  suite  du  livre  (chap.ccv). 


DE  LA   NOUVELLE-ESPAGNE.  309 

Notre  général,  apprenant  que  les  prisonniers  étaient  en  route  et 
approchaient  de  Mexico,  leur  envoya  des  vivres  choisis,  et  des  chevaux 
pour  les  trois  principaux,  avec  ordre  qu'on  cessât  de  les  traiter  en  pri- 
sonniers. Il  leur  écrivit  en  outre  pour  exprimer  ses  regrets  que  Gronzalo 
de  Sandoval  eût  commis  une  pareille  folie,  tandis  que  son  désir  eût 
été  qu'on  les  reçût  en  leur  rendant  tous  les  honneurs.  Il  fut  au-devant 
d'eux  à  leur  entrée  à  Mexico  et  leur  fit  traverser  très  honorablement 
la  ville.  Lorsque  l'aumônier  et  ses  compagnons  virent  à  quel  point 
c'était  une  grande  capitale,  et  les  richesses  en  or  que  nous  avions  ac- 
quises, et  d'autres  villes  encore  s'élevant  sur  les  eaux  de  la  lagune, 
et  tous  nos  capitaines,  et  tous  nos  soldats,  et  la  grande  libéralité  de 
Gortès,  ils  restèrent  plongés  dans  la  plus  grande  admiration.  Au  bout 
de  deux  jours  qu'ils  venaient  de  passer  en  notre  compagnie,  Gortès, 
après  leur  avoir  adressé  les  plus  grandes  flatteries  et  fait  mille  pro- 
messes, les  dépêcha  vers  Narvaez,  comblés  de  présents  en  disques  et 
joyaux  d'or,  avec  toutes  les  provisions  qui  leur  étaient  nécessaires 
pour  la  route;  de  sorte  que,  étant  partis  comme  des  lions,  ils  s'en 
retournèrent  apprivoisés,  après  avoir  assuré  à  Gortès  qu'ils  étaient 
ses  serviteurs.  Et,  en  effet,  aussitôt  qu'ils  arrivèrent  à  Gempoal,  pour 
informer  leur  commandant,  ils  commencèrent  à  inviter  tout  le  quar- 
tier de  Narvaez  à  passer  sous  notre  bannière. 

Nous  en  resterons  là  et  je  dirai  comme  quoi  Gortès  écrivit  à  Nar- 
vaez et  ce  qui  advint  à  ce  sujet. 

\ 
CHAPITRE  GXII 


Comme  quoi  Cortès  écrivit  à  Narvaez  et  à  quelques-uns  de  ses  amis  personnels,  en 
particulier  à  Andrès  de  Duero,  secrétaire  de  Diego  Velasquez,  après  s'être  bien  ren- 
seigne sur  le  fait  de  savoir  quel  était  le  commandant  de  l'expédition,  combien  elle 
avait  d'hommes,  quelles  étaient  ses  provisions  de  guerre  et  les  faits  et  gestes  de 
nos  trois  déserteurs  passés  à  Narvaez.  Comme  quoi  notre  général  apprit  que  Mon- 
tezuma  envoyait  de  l'or  et  des  étoffes  à  Narvaez,  ainsi  que  les  réponses  de  celui-ci  ; 
comme  quoi  encore  le  licencié  Lucas  Yasquez  de  Aillon,  auditeur  du  Tribunal  de 
Saint-Domingue,  venait  avec  l'expédition,  et  de  quels  ordres  il  était  porteur. 

Gortès  pensait  à  tout  ;  il  était  fort  avisé,  il  ne  restait  dans  l'ignorance 
d'aucun  événement  et  faisait  en  sorte  de  porter  remède  à  ce  qui  aurait 
pu  devenir  nuisible.  Gomme  d'ailleurs  il  était  entouré  de  bons  capi- 
taines et  de  solides  soldats,  qui,  outre  leur  courage,  lui  assuraient  au 
besoin  de  fort  utiles  conseils,  il  fut  résolu  en  commun  qu'on  écrirait 
à  Narvaez  par  des  courriers  rapides,  porteurs  de  protestations  amicales 
et  de  grandes  promesses,  et  qui  devraient  arriver  avant  le  prêtre  Gue- 
vara.  Dans  ces  lettres,  nous  devions  tous  assurer  au  commandant  de 
l'expédition  que  nous  ferions  absolument  ce  qu'il  voudrait  bien  nous 


310  CONQUÊTE 

commander  ;  nous  lui  demanderions  en  grâce  qu'il  ne  troublât  point 
le  pays  et  ne  contribuât  pas  à  faire  que  les  Indiens  pussent  soupçonner 
l'existence  de  quelque  désaccord  entre  nous.  Cette  déférence  de  notre 
part  prenait  son  origine  dans  cette  considération  que  nous,  gens  de 
Cortès,  nous  formions  un  nombre  bien  réduit  en  comparaison  de  ceux 
qui  accompagnaient  Narvaez,  d'où  résultait  que  nous  briguions  la 
bienveillance  de  celui-ci,  en  attendant  les  événements.  Nous  nous  of- 
frîmes donc  à  lui  pour  humbles  serviteurs;  mais  ces  apparences  d'hu- 
milité ne  nous  empêchèrent  pas  de  chercher  des  amis  parmi  les  offi- 
ciers nouveaux  venus  ;  car  le  Père  Guevara  et  le  notaire  Yergara  avaient 
dit  à  Cortès  que  Narvaez  n'était  pas  au  mieux  avec  ses  capitaines,  aux- 
quels il  serait  bon  d'envoyer  quelques  disques  et  quelques  chaînes  en 
or,  attendu,  comme  dit  le  proverbe,  que  «  les  cadeaux  brisent  les 
rochers  ». 

Quoi  qu'il  en  soit,  notre  général  écrivit  à  Narvaez  que  lui,  non  moins 
que  tous  ses  compagnons  d'armes,  se  réjouissait  de  l'arrivée  de  sa  flotte  ; 
qu'étant  son  ami  de  longue  date,  il  le  priait  en  grâce  de  ne  point  donner 
lieu  à  la  délivrance  de  Montezuma  et  au  soulèvement  de  sa  capitale, 
ce  qui  serait  le  signal  de  la  ruine  de  son  expédition,  avec  la  certitude 
que  nous  y  perdrions  la  vie,  lui  comme  nous  tous,  à  cause  des  grandes 
forces  dont  Montezuma  disposait  ;  qu'on  pouvait  sans  nul  doute  en 
donner  l'assurance  en  voyant  à  quel  point  Montezuma  s'était  ému  et 
la  capitale  s'était  mise  en  mouvement  à  la  suite  des  paroles  arrivées 
de  sa  flotte;  quant  à  lui,  Gortès,  il  ne  croyait  nullement,  —  sachant 
à  quel  point  Narvaez  était  prudent  ei  avisé,  —  que  de  pareilles  expres- 
sions eussent  pu  sortir  de  sa  bouche  et  être  proférées  en  de  telles  cir- 
constances, mais  plutôt  qu'elles  avaient  uniquement  pour  origine  les 
propos  de  Cervantes  le  Farceur  et  des  misérables  soldats  qui  étaient 
avec  lui.  Outre  ces  protestations,  Gortès  fit  à  Narvaez,  dans  sa  lettre, 
l'offre  soumise  de  sa  personne  et  de  son  avoir,  assurant  qu'il  agirait 
en  tout  selon  ses  ordres. 

Il  écrivit  aussi  au  secrétaire  Andrès  de  Duero  et  à  l'auditeur  Lucas 
Yasquez  de  Aillon.  Cette  lettre  était  accompagnée  de  joyaux  d'or  pour 
ses  amis.  En  l'envoyant  secrètement,  il  donna  l'ordre  d'offrir  a  l'audi- 
teur des  chaînes  et  des  palets  fort  riches.  Il  pria  au  surplus  le  Père  de 
la  Merced  de  vouloir  bien  se  rendre  au  quartier  de  Narvaez  pour  y 
arriver  peu  de  temps  après  ses  lettres  ;  il  le  fit  porteur  de  plusieurs  au- 
tres chaînes  et  de  disques  d'or,  avec  des  joailleries  de  haut  prix,  pour 
distribuer  le  tout  entre  ses  amis.  Or,  quand  la  première  lettre  arriva, 
celle-là  même  que  Gortès  avait  envoyée  par  des  courriers  indiens,  et 
qui  devait  parvenir  au  but  avant  le  Père  Guevara,  Narvaez  la  montrait 
partout  à  ses  capitaines  en  en  faisant  l'objet  d'une  moquerie  à  laquelle 
il  mêlait  nos  personnes.  Un  des  officiers  de  Narvaez,  nommé  Salva- 
tierra,  qui  venait  en  qualité  de  commissaire  de  l'expédition,  poussait, 


DE  LA  NOUVELLE-ESPAGNE.  311 

dit-on,  les  hauts  cris  en  l'entendant  lire,  et  reprochait  à  Narvaez  d'y 
daigner  porter  les  yeux,  puisqu'elle  provenait  d'un  traître  comme 
Gortès  et  de  ceux  qui  étaient  avec  lui.  Il  ajoutait  qu'on  devrait  marcher 
contre  nous  et  n'en  laisser  aucun  avec  la  vie  sauve;  quant  à  lui, 
il  jurait  qu'après  avoir  grillé  les  oreilles  de  Gortès,  il  se  régalerait 
d'une  d'elles,  joignant  à  cela  d'autres  légèretés  de  même  nature. 

Il  en  résulta  que  Narvaez  ne  voulut  point  répondre  à  la  lettre,  don- 
nant à  entendre  qu'à  son  avis  nous  ne  valions  pas  une  chiquenaude. 
Sur  ces  entrefaites,  arrivent  le  Père  Gruevara  et  ses  compagnons  de 
voyage.  Ils  assurent  à  Narvaez  que  Gortès  est  un  excellent  caballero  et 
très-hon  serviteur  du  Roi;  ils  exaltent  la  grande  puissance  de  Mexico 
et  des  superbes  villes  qu'ils  ont  rencontrées  en  chemin;  ils  affirment 
que  Gortès  se  soumettra  volontiers  à  ses  ordres  et  qu'il  est  opportun 
que  la  paix  et  l'accord  s'établissent  entre  eux  sans  bruit;  que  le  senor 
Narvaez  choisisse  les  points  du  pays  qu'il  voudra  occuper  avec  les  hom- 
mes qu'il  amène,  et  qu'il  s'y  rende  en  laissant  Gortès  agir  en  d'autres 
provinces,  car  il  ne  manque  pas  de  vastes  contrées  où  ils  pourront  tous 
les  deux  s'établir.  On  dit  que  lorsque  Narvaez  entendit  ces  paroles,  il 
se  fâcha  tellement  contre  le  Père  Guevara  et  contre  Amaya;  qu'il  ne 
voulait  plus  les  voir  ni  les  écouter.  Mais  quand  les  hommes  de  l'expé- 
dition virent  Guevara,  le  notaire  Vergara  et  les  autres  gens  du  voyage 
couverts  de  richesses  et  disant  en  secret  atout  le  monde  le  plus  grand 
bien  de  Gortès  et  de  nous,  en  ajoutant  que  l'or  roulait  partout  à  Mexico 
sur  les  tapis,  dans  les  jeux  de  cartes...,  un  grand  nombre  d'hommes 
brûlaient  déjà  du  désir  d'être  avec  nous. 

C'est  alors  que  le  Père  de  la  Merced  arriva  au  quartier  de  Narvaez 
avec  les  lingots  de  Gortès  et  des  lettres  secrètes.  Il  s'empressa  d'aller 
baiser  les  mains  au  commandant  et  de  lui  assurer  que  Gortès  suivrait 
ses  ordres  en  toutes  choses;  il  le  priait  en  conséquence  de  se  tenir  en 
paix  et  d'accepter  son  amitié.  Mais  comme  Narvaez  était  entêté  et  dé- 
barquait très-orgueilleux  de  sa  force,  il  refusa  de  l'écouter,  et  il  se 
permit  même  de  dire  devant  le  Père  que  Gortès  et  nous  tous  n'étions 
que  des  traîtres.  Le  religieux  ayant  assuré  que  nous  étions  au  con- 
traire les  très-loyaux  serviteurs  du  Roi,  Narvaez  le  traita  fort  mal  dans 
sa  réponse.  Gela  n'empêcha  pas  le  Père  de  distribuer  secrètement  ses 
présents  entre  les  personnes  que  Gortès  lui  avait  désignées,  et  de  s'at- 
tirer le  bon  vouloir  des  principaux  personnages  du  quartier. 

J'en  resterai  là  et  je  dirai  ce  qui  arriva  entre  l'auditeur  Lucas  Vas- 
quez  de  Aillon  et  Narvaez,  et  ce  qui  advint  à  ce  sujet. 


312  CONQUÊTE 


CHAPITRE  GXIII 

Comme  quoi  des  paroles  irritantes  furent  échangées  entre  le  capitaine  Pamphilo  de 
Narvaez  et  l'auditeur  Lucas  Vasquez  de  Aillon,  qui  fut  arrêté  et  envoyé  prisonnier 
à  Cuba  ou  en  Castille.  Ce  qui  advint  à  ce  propos. 

D'après  ce  qui  a  été  dit  précédemment,  il  paraît  certain  que  l'audi- 
teur Lucas  Vasquez  de  Aillon  était  venu  dans  l'intention  de  favoriser 
les  desseins  de  Cortès  et  de  nous  tous.  C'était  cela  en  effet  que  le 
Tribunal  royal  de  Saint-Domingue  et  les  Frères  hiéronymites,  gou- 
verneurs de  l'île,  avaient  cru  devoir  ordonner,  après  s'être  assurés  des 
nombreux,  bons  et  loyaux  services  que  nous  rendions  à  Dieu  d'abord 
et  ensuite  à  notre  seigneur  le  Roi.  Ils  n'ignoraient  d'ailleurs  pas  le 
grand  présent  que  nous  avions  envoyé  par  nos  procureurs.  En  sus  des 
ordres  émanés  du  Tribunal,  l'auditeur  reçut  des  lettres  de  Cortès  et 
avec  elles  quelques  petits  lingots  d'or.  Il  en  résulta  que,  si  déjà  aupa- 
ravant il  avait  tenu  pour  injuste  et  dénué  de  droit  l'envoi  de  cette  flotte 
contre  de  si  bons  serviteurs  du  Roi  que  nous  étions  tous,  désormais 
il  ne  se  contentait  plus  de  le  penser,  mais  il  l'assurait  ouvertement 
et  avec  la  plus  grande  clarté,  disant  au  surplus  tant  de  bien  de  Cortès 
et  de  nous,  que  Tonne  parlait  plus  d'autre  chose  dans  tout  le  quartier 
de  Narvaez. 

D'ailleurs,  celui-ci  passait  pour  être  la  mesquinerie  en  personne. 
L'or  et  les  étoffes  que  Montezuma  lui  envoyait  étaient  entièrement 
mis  de  côté,  sans  que  la  moindre  parcelle  en  fût  donnée  ni  aux  capi- 
taines ni  aux  soldats.  Il  avait  au  contraire  l'habitude  de  dire  à  son  ma- 
îordome  en  affectant  une  attitude  altière  et  une  voix  caverneuse  :  «  Pre- 
nez garde  qu'il  ne  manque  aucune  pièce  d'étoffe  ;  le  nombre  en  est  bien 
compté.  »  Or,  comme  cela  était  très-connu  et  que  d'autre  part  on  savait, 
par  les  rapports  dont  j'ai  fait  mention,  les  libéralités  de  Cortès  et  de 
ses  compagnons  d'armes,  toute  l'armée  de  Narvaez  était  en  émoi;  ce 
qui  fit  croire  à  ce  général  que  l'auditeur  en  était  la  cause  et  qu'il  souf- 
flait Ja  discorde.  Aussi,  lorsque  Montezuma  envoyait  des  provisions 
et  que  le  majordome  de  Narvaez  en  opérait  le  partage,  l'auditeur  et 
tous  ses  gens  étaient-ils  oubliés  injustement  dans  la  distribution.  Cela 
causa  quelque  bruit  et  excita  des  rancunes  dans  le  quartier.  D'ailleurs, 
à  la  suite  des  conseils  que  Narvaez  recevait  du  commissaire  Salvatierra, 
du  Basque  Juan  Bono  et  d'un  certain  Gamarra,  se  prévalant  surtout 
de  l'appui  habituel  qu'il  recevait  en  Castille  de  don  Juan  Rodriguez 
de  Fonseca,  évêquede  Burgos,  il  eut  la  hardiesse  de  faire  arrêter  l'au- 
diteur du  Roi,  son  greflier  et  plusieurs  de  leurs  amis.  Il  les  embarqua 
sur  un  navire  et  les  envoya  prisonniers  en  Castille  ou  à  l'île  de  Cuba. 


DE  LA   NOUVELLE-ESPAGNE.  313 

Il  lit  plus  :  il  emprisonna  un  certain  Oblanco,  homme  instruit,  pour 
avoir  dit  que  Cortès  et  nous  tous,  ses  compagnons  d'armes,  étions  de 
bons  serviteurs  duRoi,  très-dignesde  ses  faveurs;  que  par  conséquent 
il  n'était  pas  juste  de  nous  lancer  la  qualification  de  traîtres,  et  qu'en 
outre  le  fait  d'arrêter  un  auditeur  de  Sa  Majesté  était  une  mauvaise 
action.  Or,  Gkmzalo  de  Oblanco  étant  homme  d'un  noble  caractère,  le 
chagrin  et  l'humiliation  le  tuèrent  en  quatre  jours.  Narvaez  fit  incar- 
cérer aussi  trois  soldats  de  sa  flotte  qui  passaient  pour  des  hommes 
parlant  bien  de  Cortès.  L'un  d'eux  était  un  certain  Sancho  deBarahona, 
qui  devint  plus  tard  habitant  de  Guatemala. 

Revenons  à  l'auditeur,  que  l'on  devait  conduire  en  Castille.  L'idée 
lui  vint  de  flatter  d'une  part  et  d'intimider  d'un  autre  côté  le  capitaine 
du  navire,  le  maître  d'équipage  et  le  pilote  qui  étaient  responsables 
de  sa  personne.  Il  leur  disait  qu'en  arrivant  en  Castille,  au  lieu  de 
recevoir  une  récompense  pour  leur  conduite,  ils  seraient  pendus  par 
ordre  de  Sa  Majesté.  Sur  ce,  ils  promirent  de  le  mener  à  Saint-Do- 
mingue, pourvu  qu'il  payât  leur  service;  et  de  la  sorte  la  route  fut 
changée.  Quand  l'auditeur  eut  débarqué  à  Saint-Domingue,  et  lorsque 
le  Tribunal  et  les  Frères  hiéronymites  qui  gouvernaient  l'île  eurent 
entendu  sa  plainte  sur  l'outrageante  folie  commise  contre  sa  personne, 
ils  en  éprouvèrent  autant  de  regret  que  de  ressentiment  et  ils  s'em- 
pressèrent de  l'écrire  en  Castille  au  Conseil  royal  de  Sa  Majesté. Mais 
l'évêque  de  Burgos  en  était  le  président,  et  tout  dépendait  de  lui,  en 
l'absence  du  Roi  qui  n'était  pas  revenu  de  Flandre.  Ce  fut  pour  cela 
qu'aucune  mesure  ne  put  être  prise  en  notre  faveur.  Bien  au  contraire, 
dit-on,  Rodriguez  de  Fonseca  en  éprouva  une  grande  joie,  pensant  que 
Narvaez  nous  aurait  déjà  vaincus  et  capturés.  Heureusement  que  plus 
tard,  Sa  Majesté  étant  encore  en  Flandre,  nos  procureurs  purent  lui 
faire  savoir  que  Velasquez  et  Narvaez,  en  armant  cette  flotte,  avaient 
agi  sans  l'autorisation  du  Roi.  En  ajoutant  à  cela  le  délit  de  s'emparer 
de  la  personne  de  l'auditeur,  on  arrivait  à  un  ensemble  de  faits  qui 
tournèrent  au  plus  grand  avantage  de  Cortès  et  de  nous  tous,  dans  les 
procès  auxquels  nous  fûmes  en  butte  plus  tard,  quoiqu'il  fût  allégué 
qu'on  avait  eu  parfaitement  le  droit  de  faire  cette  expédition  en  l'ap- 
puyant sur  les  pouvoirs  reçus  de  l'évêque  de  Burgos  en  sa  qualité  de 
président. 

Quoi  qu'il  en  soit,  certains  soldats,  parents  et  amis  de  l'auditeur 
Lucas  Vasquez,  ayant  vu  que  Narvaez  l'avait  fait  arrêter,  craignirent 
pour  eux  le  sort  du  lettré  Gronzalo  de  Oblanco.  Ils  étaient  en  effet  vus 
de  mauvais  œil  par  le  général,  avec  lequel  ils  croyaient  être  au  plus 
mal.  Ils  jugèrent  donc  prudent  de  fuir  la  plage  de  sable  pour  gagner 
la  Villa,  où  se  trouvait  le  capitaine  Sandoval  avec  sa  garnison  de 
malades.  Lorsqu'ils  se  présentèrent  pour  lui  baiser  les  mains,  San- 
doval leur  fit  mille  politesses;  il  apprit  d'eux  tout  ce  que  je  viens  de 


314  CONQUÊTE 

raconter  et  aussi  la  résolution  de  Narvaez  d'envoyer  des  soldats  dans 
cette  ville  pour  l'arrêter.  Ce  qui  arriva  encore,  je  le  vais  dire  à  la 
suite. 


CHAPITRE  CXIV 

Comme  quoi  Narvaez,  avec  toute  son  armée,  s'en  vint  à  la  ville  de  Cempoal;  ce  qu'il 
fit  à  ce  sujet  et  ce  que  nous  faisions  en  même  temps  dans  la  ville  de  Mexico.  Comme 
quoi  nous  résolûmes  de  marcher  contre  Narvaez. 

Après  avoir  arrêté  l'auditeur  du  Tribunal  de  Saint-Domingue, 
Narvaez,  avec  tout  son  bagage  et  ses  munitions  de  guerre,  s'en  fut 
camper  à  Cempoal,  ville  qui  dans  ce  temps-là  était  très-peuplée.  Sa 
première  mesure  fut  d'enlever  au  cacique  gros  toutes  les  étoffes  et 
tentures  brodées,  ainsi  que  les  joailleries  qu'il  possédait  ;  il  s'empara 
aussi  des  jeunes  Indiennes  que  les  personnages  de  cette  ville  nous 
avaient  données  et  que  nous  laissâmes,  en  partant,  chez  leurs  parents, 
parce  qu'elles  étaient  issues  de  bonnes  maisons  et  nous  avaient  paru 
d'une  santé  trop  délicate  pour  faire  campagne.  Le  cacique  gros  disait 
et  répétait  à  Narvaez  de  ne  rien  prendre  de  ce  que  Cortès  lui  avait 
confié,  soit  les  objets  d'or,  soit  les  étoffes  ou  les  jeunes  filles,  parce 
que  celui-ci  s'en  montrerait  irrité  et  ne  manquerait  pas  de  venir  de 
Mexico  les  massacrer,  Narvaez  aussi  bien  que  lui-même,  pour  les 
avoir  laissés  faire.  Il  se  plaignit  en  même  temps  des  vols  dont  le 
village  était  victime  de  la  part  des  soldats,  disant  que,  lorsque  Ma- 
linche  était  parmi  eux  avec  ses  hommes,  on  ne  leur  prenait  absolu- 
ment rien,  et  que  lui  et  ses  teules  étaient  d'excellentes  gens. 

En  entendant  ces  paroles,  Narvaez  se  prit  à  tourner  notre  général 
en  ridicule,  et  le  commissaire  Salvatierra,  qui  était  le  plus  menaçant 
et  le  plus  intraitable,  se  mit  à  dire  à  Narvaez  et  aux  officiers  :  «  Avez- 
vous  vu  la  peur  qu'ils  ont  de  ce  gringalet  de  petit  Cortès  ?  »  Or,  que 
les  curieux  lecteurs  veuillent  bien  remarquer  combien  il  importe, 
pour  médire,  de  ne  pas  s'en  prendre  à  ce  qui  a  de  la  valeur,  car  je 
puis  faire  serment  —  et  je  le  fais,  amen!  —  que,  lorsque  nous  tom- 
bâmes sur  Narvaez,  un  des  plus  lâches  et  des  moins  utiles  fut  juste- 
ment ce  même  Salvatierra,  ainsi  que  je  le  dirai  bientôt.  Certes,  ce 
n'était  pas  faute  d'une  solide  charpente,  quoiqu'il  fût  réellement  mal 
bâti  sous  tous  les  rapports,  moins  la  langue.  On  le  disait  natif  de  la 
ville  de  Burgos. 

Cessons  de  parler  de  Salvatierra,  pour  dire  que  Narvaez  envoya  des 
sommations  à  notre  général  en  lui  faisant  présenter  la  copie  des  pou- 
voirs qui  le  constituaient  capitaine  général  par  disposition  de  Diego 
Yelasquez.  Tout  cela  devait  nous  être  légalement  notifié  par  le  notaire 


DE  LA  NOUVELLE-ESPAGNE.  315 

Alonso  de  Mata,  qui  était  en  même  temps  arbalétrier  et  qui  plus  tard 
habita  Puebla.  Trois  autres  personnes  accompagnèrent  Mata  à  Mexico. 
Je  mettrai  de  côté  un  moment  et  le  Mata  et  Narvaez,  pour  en  revenir 
à  Cortès  qui  chaque  jour  recevait  lettres  et  avis,  soit  du  camp  de 
Narvaez,  soit  du  capitaine  Gonzalo  de  Sandoval.  Celui-ci  n'avait  pas 
quitté  la  Villa  Rica.  Il  annonçait  qu'il  avait  près  de  lui  cinq  hommes 
distingués,  amis  du  licencié  Lucas  Vasquez  de  Aillon,  que  Narvaez 
venait  d'envoyer  en  Gastille  ou  à  l'île  de  Cuba.  La  raison  qu'ils  don- 
naient pour  expliquer  leur  fuite  est  que  Narvaez,  n'ayant  eu  nul  égard 
pour  un  auditeur  du  Roi,  en  aurait,  disaient-ils,  beaucoup  moins 
pour  eux-mêmes  qui  étaient  les  parents  du  prisonnier.  Sandoval  fut 
mis  au  courant,  par  ces  réfugiés,  de  tout  ce  qui  se  passait  dans  le 
camp  de  Narvaez  et  du  dessein  que  celui-ci  avait  formé  de  marcher 
sur  Mexico  dans  le  but  de  s'y  emparer  de  nous  tous. 

Poursuivons  ce  récit  pour  dire  que  Cortès  appela  en  conseil  ses 
capitaines  et  ceux  de  ses  soldats  dont  il  connaissait  le  dévouement  et 
qu'il  avait  coutume  de  consulter  dans  des  cas  graves  comme  celui  qui 
se  présentait  actuellement.  Il  fut  convenu  que,  sans  nul  retard  et 
sans  plus  attendre  ni  lettres  ni  autres  réflexions,  on  marcherait  con- 
tre Narvaez,  tandis  que  Pedro  de  Alvarado  resterait  à  Mexico  pour 
garder  Montczuma,  avec  tous  les  soldats  qui  ne  paraîtraient  pas  pro- 
pres à  faire  cette  campagne,  en  y  comprenant,  bien  entendu,  ceux  qui 
pouvaient  être  justement  soupçonnés  de  devoir  se  conduire  en  amis 
de  Diego  Velasquez  et  de  son  général.  Or,  en  ce  temps  et  avant  l'ar- 
rivée de  Narvaez,  Cortès  avait  formé  à  Tlascala  un  grand  dépôt  de 
maïs,  parce  que  la  récolte  de  cette  denrée  avait  été  mauvaise,  à  la 
suite  du  manque  d'eau,  dans  les  environs  de  Mexico,  et  que,  ayant 
avec  nous  beaucoup  d'ouvriers  indiens  et  d'auxiliaires  tlascaltèques, 
il  nous  fallait  des  provisions  pour  tout  ce  monde.  Ce  maïs  qui  était 
en  dépôt  fut  expédié  pour  être  mis  à  la  disposition  de  Pedro  de  Al- 
varado ;  on  y  ajouta  beaucoup  de  poules  et  d'autres  provisions.  Nous 
élevâmes  pour  la  défense  de  ce  capitaine  des  palissades  et  des  para- 
pets en  manière  de  fortifications,  qu'on  arma  de  fauconneaux  et  de 
quatre  gros  canons.  On  laissa  à  Alvarado  toute  la  poudre  que  nous 
avions,  dix  arbalétriers,  quatorze  fusiliers  et  sept  chevaux,  quoique 
nous  fussions  persuadés  que  la  cavalerie  ne  pouvait  être  bien  utile 
dans  la  cour  même  des  maisons  où  nous  étions  logés.  De  sorte  que, 
en  comptant  les  cavaliers,  les  fusiliers  et  les  arbalétriers,  il  resta  en 
tout  quatre-vingt-trois  soldats  à  Mexico. 

Montezuma  sut  que  nous  étions  disposés  à  marcher  contre  Narvaez 
et,  bien  que  Cortès  allât  le  voir  tous  les  jours,  notre  général  ne  voulut 
jamais  lui  donner  à  entendre  qnc  sa  conduite  à  l'égard  de  Narvaez 
lui  était  connue  et  qu'il  n'ignorait  pas  les  envois  qu'il  lui  faisait  d'or, 
d'étoffes  et  de  provisions.  Mais,  en  causant,  Montezuma  en  arriva  à 


316  CONQUÊTE 

demander  à  Cortès  où  il  prétendait  aller  et  pourquoi  nous  avions 
construit  nouvellement  des  défenses  et  préparé  des  munitions  de 
guerre,  tandis  qu'on  remarquait  parmi  nous  une  grande  agitation.  Ce 
que  Gortès  répondit  et  à  quoi  aboutit  l'entretien,  je  le  vais  dire  à  la 
suite. 


CHAPITRE  CXV 

Comment  le  grand  Montezuma  demanda  à  Gortès  s'il  était  vrai  qu'il  voulût  marcher 
contre  Narvaez.  quoique  les  forces  de  celui-ci  fussent  bien  supérieures  aux  nôtres, 
ajoutant  que,  s'il  nous  arrivait  malheur,  il  en  éprouverait  beaucoup  de  regret. 

Gortès  étant  venu  visiter  Montezuma  comme  il  en  avait  l'habitude, 
celui-ci  lui  dit  :  «  Seigneur  Malinche,  je  vous  vois  très-inquiets,  vous 
et  tous  vos  compagnons  d'armes.  Je  me  suis  d'ailleurs  aperçu  que  vos 
visites  sont  plus  rares,  et  le  page  Orteguilla  m'assure  que  vous  vous 
disposez  à  marcher  en  guerre  contre  vos  frères  qui  sont  arrivés  dans 
les  navires,  après  avoir  confié  ma  garde  au  Tonatio.  Je  vous  prie  en 
grâce  de  vouloir  bien  me  l'avouer,  parce  que  je  ferais  très-volontiers 
tout  ce  que  je  pourrais  pour  votre  service.  Je  ne  voudrais  pas  qu'il 
vous  arrivât  malheur,  et  cependant  je  le  crains,  car  vous  avez  peu  de 
monde,  tandis  que  les  nouveaux  venus  en  ont  cinq  fois  davantage;  ils 
disent  du  reste  qu'ils  sont  chrétiens  comme  vous  et  vassaux  de  votre 
Empereur;  ils  ont  des  images,  ils  plantent  des  croix,  on  leur  dit  la 
messe,  et  ils  prétendent  que  vous  êtes  sortis  de  Gastille  en  fuyards, 
abandonnant  votre  Roi  et  seigneur,  méfait  pour  lequel  ils  vous  vien- 
nent prendre  et  punir  de  mort.  En  vérité,  je  ne  vous  comprends  pas. 
Quoi  qu'il  en  soit,  réfléchissez  bien  à  ce  que  vous  allez  faire.  » 

Gortès  lui  répondit  d'un  ton  joyeux,  au  moyen  de  nos  interprètes 
dona  Marina  et  Geronimo  de  Aguilar,  que  s'il  n'était  pas  venu  l'in- 
struire lui-même  de  toutes  ces  choses,  c'est  à  cause  de  la  grande 
affection  qu'il  lui  portait  et  parce  qu'il  ne  voulait  pas  lui  causer  le 
chagrin  de  notre  départ;  que  tel  était  l'unique  motif  de  son  silence, 
car  il  ne  doutait  pas  du  bon  vouloir  de  Montezuma  pour  sa  personne; 
que  nous  étions,  il  est  vrai,  ainsi  qu'il  le  disait,  tous  vassaux  de  notre 
grand  Empereur.  «  Quant  à  être  chrétiens  comme  nous-mêmes,  il  est 
exact,  dit-il,  que  les  nouveaux  venus  le  sont;  mais,  en  ce  qui  regarde 
notre  prétendue  désertion  du  service  de  notre  seigneur  et  Roi,  cela 
n'est  pas  ainsi,  puisque  notre  Roi  nous  a  réellement  envoyés  pour 
voir  Votre  Seigneurie,  en  son  nom,  et  lui  dire  tout  ce  que  nous  lui 
avons  déjà  rapporté  ;  pour  ce  qu'on  raconte  du  grand  nombre  de 
soldats  que  Narvaez  amène,  et  ses  quatre-vingt-dix  chevaux,  et  plu- 
sieurs canons,  et  de  la  poudre,  tandis  que  nous  sommes  peu  nom- 


DE   LA   NOUVELLE-ESPAGNE.  317 

brcux....  et  qu'ils  viennent  s'emparer  de  nos  personnes....  ou  nous 
donner  la  mort....,  Notre  Seigneur  Jésus-Christ,  en  qui  nous  croyons 
et  que  nous  adorons,  et  sainte  Marie,  sa  Mère  bénie,  nous  donneront 
une  force  supérieure  à  la  leur,  puisqu'ils  sont  méchants  et  qu'ils  se 
présentent  de  cette  façon.  Gomme  notre  Empereur  possède  plusieurs 
royaumes  et  seigneuries,  il  y  a  une  grande  variété  parmi  ses  sujets, 
les  uns  étant  valeureux  et  les  autres  davantage  encore;  quant  à  nous, 
on  nous  appelle  «  Castillans  »,  parce  que  nous  sommes  du  centre  de 
la  Castillc  qu'on  nomme  la  «  Vieille  »,  tandis  que  le  général  qui  se 
trouve  actuellement  à  Gempoal  amène  des  hommes  d'une  autre  pro- 
vince appelée  «  Vizcaya  »,  dont  le  parler  est  étrange,  comme  qui  di- 
rait Votomi  dans  le  pays  de  Mexico.  »  Cortès  ajouta  que  Montczuma 
pouvait  compter  que  nous  les  lui  amènerions  prisonniers,  et  cesser 
de  se  chagriner  au  sujet  de  notre  départ,  puisque  nous  devions  bien- 
tôt revenir  victorieux.  Il  dit  aussi  qu'il  lui  demandait  en  grâce  de 
considérer  qu'il  le  laissait  aux  mains  de  son  frère  Tonatio,  avec 
quatre-vingts  soldats;  qu'il  prît  bien  soin  d'éviter  toute  espèce  de 
trouble  dans  la  ville  après  notre  départ;  qu'il  n'autorisât  pas  ses  ca- 
pitaines et  ses  papes  à  faire  des  choses  déplacées,  afin  qu'à  son  retour 
les  agitateurs  n'eussent  pas  à  payer  de  leur  vie  leurs  mauvaises  ac- 
tions ;  que,  du  reste,  il  veillât  à  fournir  à  nos  hommes  toutes  les 
provisions  dont  ils  pourraient  avoir  besoin. 

Là-dessus  Cortès  embrassa  deux  fois  Monlezuma  ,  et  celui-ci  fit  de 
même.  Gomme  dona  Marina  était  très-avisée,  elle  interpréta  tout  le 
colloque  d'un  ton  qui  inspirait  réellement  de  la  tristesse  au  sujet  de 
notre  départ.  Le  prince  promit  à  notre  général  de  faire  tout  ce  qu'il 
venait  de  lui  recommander  et  même  de  donner,  pour  marcher  avec 
nous,  cinq  mille  hommes  de  guerre.  Cortès  s'empressa  de  l'en  remer- 
cier, sachant  bien  qu'il  ne  les  fournirait  nullement;  aussi  lui  dit-il 
qu'il  n'avait  pas  besoin  de  son  appui,  mais  de  celui  de  Notre  Sei- 
gneur Dieu  qui  est  la  force  véritable,  et  qu'au  surplus  il  comptait  sur 
ses  compagnons  d'armes.  Il  recommanda  encore  de  veiller  à  ce  que 
l'image  de  Notre  Dame  et  la  croix  fussent  toujours  ornées  de  rameaux 
l'église  propre,  les  cierges  allumés  nuit  et  jour,  sans  souffrir  jamais 
que  les  papes  prissent  aucune  autre  mesure  ;  en  se  conduisant  de  la  sorte 
le  prince  témoignerait  de  son  bon  vouloir  et  de  la  sincérité  de  son 
amitié.  Ils  s'embrassèrent  de  nouveau  et  Cortès  se  retira  en  s'excusant 
de  ne  pouvoir  prolonger  davantage  l'entretien,  à  cause  des  apprêts 
du  départ. 

Notre  général  parla  ensuite  à  Alvarado  et  à  tous  les  soldats  qui  de- 
vaient rester  avec  lui,  recommandant  à  ceux-ci  de  bien  surveiller 
Montezuma,  pour  qu'il  ne  pût  leur  échapper,  et  d'obéir  à  Pedro  de 
Alvarado;  il  leur  promit  du  reste  que,  Dieu  aidant,  il  les  ferait  tous 
riches  un  jour.  Le  prêtre  Juan  Diaz  resta  avec  eux,  ainsi  que  quel- 


318  CONQUÊTE 

ques  soldats  suspects,  que  je  ne  crois  pas  devoir  nommer  ici.  Nous 
nous  embrassâmes  les  uns  les  autres  et  nous  partîmes.  Sans  nous  don- 
ner l'embarras  d'aucune  Indienne  ni  d'aucun  genre  de  service,  allant  à 
la  légère,  nous  entreprîmes  notre  marche  dans  la  direction  de  Cho- 
lula.  Gortès  envoya  des  émissaires  à  Tlascala  pour  prier  nos  amis  Xi- 
cotcnga  et  Maceescaci,  ainsi  que  tous  les  autres  caciques,  d'envoyer 
quatre  mille  hommes  à  notre  secours.  Ils  répondirent  que  si  c'était 
pour  se  battre  contre  des  Indiens  comme  eux,  ils  le  feraient  volon- 
tiers et  en  donneraient  même  davantage  ;  mais  contre  des  teules 
comme  nous,  contre  des  bombardes  et  des  chevaux...,  que  nous  vou- 
lussions bien  leur  pardonner  s'ils  se  refusaient  à  notre  demande.  Du 
reste,  ils  envoyèrent  vingt  charges  de  poules. 

Gortès  dépêcha  des  courriers  à  Sandoval  pour  lui  ordonner  de  se 
joindre  à  nous  avec  tout  son  monde  dans  des  villages  situés  à  douze 
lieues  de  Gempoal,  nommés  Tampaniquita  et  Mitalaguita,  lesquels 
sont  à  présent  sous  la  dépendance  de  Pedro  Moreno  Medrano,  qui 
habite  Puebla.  Notre  général  recommandait  à  Sandoval  de  ne  pas 
se  laisser  enlever  par  Narvacz  et  d'éviter  toute  rencontre  avec  lui  ou 
avec  ses  soldats.  Nous  marchions  dans  le  plus  grand  ordre,  nos  éclai- 
reurs  en  avant,  prêts  à  en  venir  aux  mains  si  nous  donnions  dans 
l'ennemi  sans  nous  y  attendre.  Deux  hommes  de  confiance  nous  pré- 
cédaient d'une  journée,  — non  par  la  grand'  route,  mais  par  des  sen- 
tiers détournés  où  des  cavaliers  ne  pouvaient  pénétrer,  —  afin  de 
prendre  parmi  les  Indiens  toute  espèce  d'informations  sur  les  gens 
de  Narvaez. 

Or,  tandis  que  nos  éclaireurs  faisaient  leur  office,  ils  virent  venir 
un  certain  Alonso  de  Mata,  —  notaire,  disait-on,  —  qui  était  en  route 
pour  aller  nous  notifier  les  copies  des  pouvoirs  dont  j'ai  déjà  parlé. 
Les  quatre  Espagnols  qui  devaient  servir  de  témoins  étaient  avec  lui. 
Nos  éclaireurs  à  cheval  vinrent  immédiatement  nous  en  donner  avis, 
tandis  que  nos  deux  autres  coureurs  tenaient  compagnie  à  Alonso  de 
Mata  et  à  ses  quatre  compagnons.  Nous  doublâmes  alors  le  pas.  En 
arrivant  près  de  nous,  les  messagers  firent  un  respectueux  salut  à  Gor- 
tès et  à  nous  tous.  Le  général  mit  pied  à  terre  et  s'informa  de  l'objet 
de  leur  voyage.  Au  moment  où  Alonso  de  Mata  allait  exhiber  les  or- 
dres dont  il  était  porteur,  Gortès  lui  demanda  s'il  était  notaire  du 
Roi.  Sur  une  réponse  affirmative,  le  général  exigea  son  diplôme,  di- 
sant que,  s'il  l'avait  réellement,  il  l'autoriserait  à  lire  ses  dépêches, 
en  promettant  de  faire  ce  qui  conviendrait  au  service  de  Dieu  et  de 
Sa  Majesté  ;  mais  que,  s'il  n'avait  point  ses  titres  personnels,  il  s'abs- 
tînt de  lire  quoi  que  ce  fût;  qu'en  tout  cas  on  ne  respecterait  que 
l'ordre  impérial  de  Sa  Majesté.  Il  en  résulta  que  Mata,  qui  en  réa- 
lité n'était  pas  notaire  royal,  s'intimida,  et  ceux  qui  venaient  avec  lui 
ne  surent  absolument  que  dire. 


DE  LA   NOUVELLE-ESPAGNE.  319 

Cortès  leur  fit  donner  à  manger,  et  nous  nous  arrêtâmes  un  instant 
pour  qu'ils  prissent  leurrepas.  Notre  général  leurdit  que  nous  nousren- 
tlions  dans  le  village  de  Tampaniquita,  non  loin  du  campement  du 
sefior  Narvaez,  et  que  Mata  pourrait  nous  y  notifier  tout  ce  que  son 
capitaine  lui  aurait  commandé.  Cortès  avait  du  reste  tellement  l'habi- 
tude de  se  contenir,  qu'il  ne  proféra  pas  un  seul  mot  désobligeant 
pour  Narvaez.  Il  prit  à  part  les  voyageurs  et  leur  remplit  les  mains 
de  pièces  d'or.  Gelafitqu'ils  s'enretournèrent  au  campement  en  disant 
le  plus  grand  bien  de  Cortès  et  de  tout  son  monde.  Comme  d'ailleurs 
quelques-uns  d'entre  nous,  au  moment  de  leur  visite,  s'étaient  parés 
de  colliers  d'or  et  avaient  couvert  leurs  armes  de  joyaux  que  les  visi- 
teurs purent  fort  bien  considérer,  ceux-ci  revinrent  à  Gempoal  en  di- 
sant merveille  de  nous  tous.  Il  s'ensuivit  que  plusieurs  personnages 
qualifiés,  du  campement  de  Narvaez,  après  avoir  vu  que  tout  le 
monde  revenait  riche  de  chez  nous,  se  proposaient  comme  médiateurs 
pour  traiter  de  la  paix  entre  Cortès  et  leur  général. 

Nous  arrivâmes  à  Panguaniqui  ta,  et  le  lendemain  le  capitaine  Sandoval 
se  joignit  à  nous  avec  ses  soldats,  au  nombre  d'environ  soixante,  les 
vieux  et  les  malades  étant  restés  dans  un  village  allié,  nommé  Papalotc, 
où  ils  devaient  recevoir  des  vivres.  Avec  lui  étaient  aussi  les  cinq  sol- 
dats, amis  du  licencié  Lucas  Vasqucz  de  Aillon,  qui  avaient  fui  le 
campement  de  Narvaez  et  venaient  offrir  leurs  hommages  à  notre  gé- 
néral, dont  l'accueil  fut  des  plus  gracieux.  Sandoval  raconta  ce  qui 
lui  était  arrivé  avec  l'irascible  aumônier  Grucvara,  ainsi  qu'avec  Ver- 
gara  et  ses  autres  compagnons;  comme  quoi  il  les  envoya  prison- 
niers à  Mexico,  de  la  manière  que  j'ai  dite  dans  un  des  chapitres 
précédents.  Il  racontait  qu'il  avait  dépêché  au  quartier  de  Narvaez 
deux  soldats  très-bien  déguisés  avec  des  vêtements  d'indigènes. 
Comme  ils  étaient  naturellement  bruns,  on  les  aurait  réellement  pris 
pour  des  Indiens.  Chacun  d'eux  portait  une  petite  charge  de  prunes 
à  vendre,  car  c'était  la  saison  de  ce  fruit  lorsque  Narvaez  se  trouvait 
sur  l'Arenal  avant  d'aller  s'établir  à  Ccmpoal.  Ils  furent  au  logement 
du  valeureux  Salvaticrra  qui  leur  offrit  pour  leurs  peines  une  grande 
enfilade  de  verroteries  jaunes.  Quand  ils  eurent  vendu  leurs  fruits, 
Salvaticrra,  les  prenant  réellement  pour  des  Indiens,  leur  donna 
mission  de  lui  aller  chercher  de  l'herbe  fraîche  à  peu  de  distance, 
sur  les  bords  d'un  ruisseau,  pour  la  nourriture  de  son  cheval.  Ils  re- 
vinrent chargés,  vers  l'heure  de  Y  Angélus,  et  ils  prirent  place  dans  le 
quartier  en  s'asseyant  sur  leurs  talons,  à  la  manière  indienne,  jusqu'à 
ce  que  la  nuit  fût  tombée.  Ils  prêtèrent  une  attention  soutenue  aux 
paroles  de  quelques  soldats  de  Narvaez  qui  vcnaienl  tenir  compagnie 
à  Salvatierra.  Celui-ci  leur  disait  :  «  En  quelle  heureuse  occasion 
nous  sommes  arrivés  !  Ce  traître  de  Cortès  a  recueilli  plus  de  sept 
cent  mille  piastres  qui  vont  nous  rendre  tous  riches  ;  car  il  n'est  pas 


320  CONQUÊTE 

possible  que  ses  capitaines  et  ses  soldats  ne  soient  cousus  d'or.  » 
Leur  conversation  continuait  dans  ce  sens  lorsque  la  nuit  se  fit  com- 
plètement. Nos  camarades  déguisés  en  Indiens  profitèrent  de  l'obscu- 
rité pour  gagner  en  silence  l'endroit  où  se  trouvait  le  cheval  de  Sal- 
vatierra.  Ils  le  sellent,  le  brident,  montent  dessus  et  se  mettent  en 
route.  En  marchant  vers  la  Villa,  ils  rencontrent  un  autre  cheval, 
boiteux,  près  d'un  ruisseau,  s'en  emparent  et  l'amènent  également. 

Précisément  en  ce  même  moment,  Cortès  demandait  à  Sandoval  ce 
qu'il  avait  fait  des  chevaux,  et  en  recevait  la  réponse  qu'ils  étaient  restés 
au  village  de  Papalote  avec  les  malades,  parce  qu'il  aurait  été  im- 
possible de  les  amener  par  les  chemins  qu'on  avait  suivis,  le  sol  en 
étant  friable  et  par  trop  difficile.  Il  avait  été  indispensable  d'y  passer, 
afin  d'éviter  les  hommes  de  Narvacz.  Cette  explication  le  mit  en  voie 
d'apprendre  qu'un  des  chevaux  qu'on  amenait  était  à  Salvatierra; 
Cortès  s'en  égaya  fort  et  dit  :  «  Il  va  se  mettre  encore  plus  en  fureur 
en  constatant  l'absence  de  sa  bête  !  »  Et  en  effet,  pour  en  revenir  à 
Salvatierra,  lorsque  le  jour  se  leva,  il  s'aperçut  de  la  disparition  des 
Indiens  vendeurs  de  prunes  et  il  vit  en  même  temps  que  son  cheval, 
avec  selle  et  bride,  avait  également  disparu.  Les  soldats  de  Narvaez 
nous  dirent  plus  tard  que  le  commissaire  dupé  se  livra  à  des  excla- 
mations qui  les  faisaient  mourir  de  rire  ;  car  il  en  arriva  à  compren- 
dre que  les  chevaux  avaient  été  enlevés  par  des  Espagnols  de  Cortès. 
Il  en  résulta  du  reste  que  désormais  on  fit  meilleure  garde. 

Mais  revenons  à  notre  sujet  pour  dire  que  notre  général,  ayant 
réuni  ses  capitaines  et  soldats,  tint  conseil  pour  savoir  de  quelle 
manière  nous  tomberions  sur  le  camp  de  Narvaez.  Je  vais  dire  à  la 
suite  ce  que  nous  convînmes  de  faire  avant  de  partir. 


CHAPITRE  CXVI 


Comme  quoi  Cortès  résolut  avec  tous  nos  capitaines  et  soldats  d'envoyer  encore  une 
fois  au  quartier  de  Narvaez  le  Père  de  la  Merced,  homme  fin  et  à  ressources,  qui 
devait  se  présenter  en  humble  serviteur  de  Narvaez,  dont  il  aurait  l'air  d'embrasser 
la  cause  plutôt  que  celle  de  Cortès.  Il  devait  aussi  s'aboucher  secrètement  avec  les 
artilleurs  Rodrigo  Martin  et  Usagre,  et  parler  à  Andrès  de  Duero,  le  priant  de  venir 
s'entendre  avec  Cortès.  Il  lui  était  enjoint  de  donner  en  mains  propres  la  lettre 
qu'il  apportait  à  Narvaez  et  de  faire  bien  attention  à  toutes  choses.  Du  reste  il 
était  porteur  de  plusieurs  disques  et  chaînes  d'or  pour  en  faire  le  partage. 

Étant  réunis  tous  ensemble  dans  le  village,  on  convint  qu'on  ferait 
porter  par  le  Père  de  la  Merced  une  autre  lettre  à  Narvaez.  Après 
l'avoir  commencée  par  des  protestations  courtoises,  on  y  disait,  sinon 
en  propres  termes,  du  moins  à  peu  près,  ce  qui  suit  :  que  nous  nous 
sommes  beaucoup  réjouis  de  son  arrivée,  persuadés  qu'avec  le  secours 


DE   LA   NOUVELLE-ESPAGNE.  321 

généreux  de  sa  personne  nous  rendrons  de  grands  services  à  Dieu  et 
à  Sa  Majesté;  qu'il  n'a  pas  daigné  nous  répondre,  aimant  mieux  nous 
qualifier  de  traîtres,  tandis  que  nous  sommes  de  bons  serviteurs  du 
Roi,  et  mettre  tout  le  pays  en  émoi  par  les  expressions  qu'il  a  adres- 
sées à  Montezuma;  que  Gortès  lui  a  déjà  fait  dire  de  vouloir  bien 
choisir  la  province  qu'il  aurait  le  désir  d'occuper  avec  les  hommes 
qu'il  amène,  à  moins  qu'il  ne  préfère  poursuivre  sa  route,  nous  lais- 
sant alors  le  soin  de  faire  élection  pour  nous-mêmes  d'une  autre 
contrée,  afin  qu'on  puisse  mieux  s'acquitter  de  ce  qui  convient  au 
service  de  Sa  Majesté,  ainsi  que  c'est  notre  devoir;  que  nous  lui 
avons  demandé  en  grâce,  dans  le  cas  où  il  serait  muni  de  provisions 
royales,  de  daigner  nous  en  montrer  les  originaux,  pour  que  nous  y 
constations  la  signature  du  Roi  et  en  lisions  le  contenu,  afin  que,  les 
choses  étant  éclaircies,  nous  inclinions  nos  poitrines  vers  la  terre  en 
signe  d'obéissance  ;  qu'il  n'a  voulu  suivre  ni  l'une  ni  l'autre  de  ces 
deux  conduites,  mais  bien  nous  adresser  des  paroles  malsonnantes  et 
troubler  le  pays  ;  que  nous  le  sommons,  au  nom  de  Dieu  et  du  Roi 
notre  seigneur,  de  nous  envoyer  notifier  sous  trois  jours  ses  pouvoirs 
par  un  notaire  de  Sa  Majesté,  et  nous  promettons  d'accomplir  tout  ce 
qui  s'y  trouvera  écrit  comme  étant  la  volonté  de  notre  seigneur  et 
Roi;  que  ce  sont  là  les  intentions  qui  nous  ont  conduits  à  ce  village 
de  Panguaniquita,  afin  d'être  plus  près  de  son  quartier;  s'il  n'a  réel- 
lement pas  ces  pouvoirs  et  s'il  veut  retourner  à  Cuba,  qu'il  s'en  aille 
et  qu'il  ne  trouble  plus  le  pays,  pouvant  être  bien  convaincu  que,  s'il 
agit  autrement,  nous  marcherons  contre  lui  dans  le  but  de  l'arrêter 
et  l'envoyer  à  notre  R.oi,  pour  être  venu,  sans  pouvoirs  constatés, 
nous  faire  la  guerre  et  mettre  le  désordre  dans  les  villes;  qu'en  ce 
cas,  tous  les  malheurs,  les  morts,  les  incendies  et  les  ruines  qui  en 
seront  les  conséquences,  retomberont  sur  lui  et  non  sur  nous-mêmes; 
que  toutes  ces  choses  seront  portées  à  sa  connaissance  par  simple 
missive,  parce  que  nous  n'avons  pas  de  notaire  royal  qui  ose  les  lui 
aller  notifier,  par  crainte  d'être  traité  comme  l'auditeur  de  Sa  Majesté 
qu'une  audace  inouïe  a  rendu  prisonnier;  qu'en  sus  de  tout  ce  qu'on 
vient  de  dire,  lui,  Gortès  se  voit  obligé,  en  qualité  de  capitaine  géné- 
ral et  de  grand  justicier  de  la  Nouvelle-Espagne,  et  pour  l'honneur  et 
justice  de  notre  Roi,  de  châtier  cette  folie  et  ce  grand  délit  pour  le- 
quel il  le  cite  à  comparaître;  et  il  l'y  obligera  par  procédure  légale, 
attendu  que  c'est  un  crime  de  lèse-majesté  et  qu'il  en  prend  Dieu  à 
témoin. 

On  ajoutait  qu'il  eût  à  rendre  au  cacique  gros  les  étoffes  et  les 
joailleries  d'or  qu'on  lui  avait  dérobées,  ainsi  que  les  filles  de  grands 
seigneurs  que  leurs  pères  nous  avaient  confiées;  qu'au  surplus  il  fût 
donné  ordre  aux  soldats  de  ne  plus  piller  les  Indiens,  soit  dans  cette 
ville,  soit  dans  les  autres  villages.  On  terminait  par  les  compliments 

21 


322  CONQUÊTE 

d'usage;  puis  vinrent  les  signatures  de  Cortès,  de  nos  capitaines  et 
de  quelques  soldats,  dont,  je  fus.  Avec  le  Père  Olmedo  partit  un  soldat 
nommé  Bartolomé  de  Usagre,  frère  du  canonnier  de  même  nom  qui 
commandait  l'artillerie  de  Narvaez.  Ils  arrivèrent  à  Gempoal.  Je  vais 
dire  ce  qui  s'y  passa. 


CHAPITRE  CXVII 

Comme  quoi  le  Père  Bartolomé  de  Olmedo,  de  l'ordre  de  Notre  Dame  de  la  Merced, 
fut  à  Gempoal  où  se  trouvait  Narvaez  avec  tous  ses  officiers;  ce  qui  se  passa  à  ce 
sujet  et  la  remise  de  la  lettre. 

En  arrivant  au  quartier  de  Narvaez,  fray  Bartolomé  de  Olmedo  fit 
ce  qui  lui  était  ordonné  par  Cortès.  Il  s'aboucha  donc  avec  certains 
caballeros  de  l'expédition  de  Narvaez  et  vit  l'artilleur  Rodrigo  Mino 
ainsi  que  son  collègue  Usagre.  Pour  mieux  s'emparer  de  l'esprit  de 
ce  dernier,  un  de  ses  frères  était  venu  du  quartier  de  Cortès  avec  des 
pièces  d'or  qu'il  lui  donna  en  secret.  Le  Père  Bartolomé  de  Olmedo 
répartit  de  son  côté  les  présents  dont  son  général  l'avait  chargé;  il 
parla  à  Andrès  de  Duero,  l'engageant  à  s'en  venir  à  notre  camp  con- 
férer avec  Cortès.  S'entend  que  le  Père  avait  commencé  ses  visites 
par  Narvaez,  en  se  présentant  à  lui  comme  un  dévoué  serviteur. 

Au  milieu  de  toutes  ces  démarches,  on  ne  manqua  pas  de  soupçon- 
ner le  but  des  manœuvres  de  notre  moine;  on  conseilla  à  Narvaez  de 
l'arrêter,  et  déjà  on  allait  exécuter  ce  conseil,  lorsque  Andrès  de 
Duero,  secrétaire  de  Diego  Velasquez,  en  fut  instruit.  Or,  il  était 
natif  de  Tudèle  de  Duero,  ce  qui  le  faisait  considérer  comme  le  parent 
de  Narvaez,  attendu  que.  celui-ci  était  également  du  pays  de  Valla- 
dolid.  Au  surplus,  Andrès  de  Duero  occupait  un  rang  élevé  dans 
l'expédition  et  était  fort  estimé  de  tout  le  monde.  Il  fut  donc  trouver 
Narvaez  et  lui  dit  savoir  son  dessein  de  faire  arrêter  fray  Bartolomé 
de  Olmedo,  le  messager  de  Cortès  ;  il  le  priait  de  réfléchir  et  de  con- 
sidérer que,  même  sur  le  soupçon  de  démarches  faites  par  le  Père  en 
faveur  de  Cortès,  il  n'était  pas  prudent  de  porter  la  main  sur  sa  per- 
sonne, après  les  grands  égards  que  Cortès  avait  témoignés  aux  gens 
de  Narvaez,  sans  compter  les  nombreux  présents  qu'il  avait  eu  la  li- 
béralité de  distribuer;  que,  depuis  son  arrivée  au  camp,  fray  Barto- 
lomé de  Olmedo  s'était  d'ailleurs  exprimé  de  façon  à  laisser  croire 
qu'il  n'avait  d'autre  désir  que  celui  d'être  délégué,  avec  d'autres  offi- 
ciers de  Cortès,  pour  venir  au-devant  de  Narvaez  et  pour  tâcher  de 
tout  terminer  en  établissant  entre  eux  l'union  et  de  bonnes  relations 
d'amitié;  qu'on  voulût  bien  considérer  les  choses  flatteuses  que  Cor- 
tès disait  aux  messagers  envoyés  du  camp  :  tant  lui  que  ses  compa- 


DE  LA  NOUVELLE-ESPAGNE.  323 

gnons  ne  cessaient  de  prononcer  respectueusement  le  nom  du  seiïor 
capitaine  Narvaez. 

Andrès  de  Ducro  ajouta  encore  que  ce  serait  une  misérable  con- 
duite que  d'arrêter  un  moine;  quant  à  l'officier  qui  l'accompagnait, 
c'était  le  frère  de  l'artilleur  Usagrc,  auquel  il  venait  rendre  visite  ; 
bref,  le  plus  sage  serait  d'inviter  à  dîner  fray  Bartolomé  de  Olmedo 
pour  mieux  lui  soutirer  la  vérité  au  sujet  du  bon  vouloir  de  Gortès  et 
des  siens....  Ce  fut  avec  ces  paroles  et  beaucoup  d'autres  tout  aussi 
mielleuses,  que  Narvaez  se  laissa  apaiser.  Andrès  de  Duero  prit  alors 
congé  de  lui  et  s'en  fut  communiquer  secrètement  au  Père  tout  ce 
qui  s'était  passé. 

Quoi  qu'il  en  soit,  le  général  fit  appeler  fray  Bartolomé  de  Olmedo. 
Le  Frère  se  présenta  avec  des  démonstrations  respectueuses  et 
comme  il  était  intelligent  et  fort  habile,  il  pria  le  général  en  sou- 
riant de  vouloir  bien  le  recevoir  et  l'entendre  en  particulier.  Ils  pas- 
sèrent alors  dans  une  cour  où  ils  se  mirent  à  se  promener  ensemble. 
Ce  fut  là  que  le  Père  lui  dit  :  «  Je  n'ignore  pas  que  vous  avez  voulu 
me  faire  arrêter;  c'est  pour  moi  l'occasion  de  vous  assurer  que  vous 
n'avez  pas  dans  votre  camp  de  meilleur  serviteur  que  moi;  j'ajouterai 
que  plusieurs  capitaines  et  soldats  de  Gortès  voudraient  déjà  voir  leur 
général  entre  vos  mains,  de  même  qu'à  mon  avis  nous  finirons  par  y 
tomber  tous.  Du  reste,  pour  mieux  obtenir  qu'il  dévie  de  ses  plans 
on  lui  a  persuadé  de  vous  écrire  une  lettre  pleine  de  folies  et  contre- 
signée par  ses  soldats;  on  me  l'a  confiée  pour  vous  la  donner,  mais 
je  n'en  ai  rien  voulu  faire  avant  cette  conversation.  J'avoue  même  que 
j'ai  eu  la  tentation  de  la  jeter  à  la  rivière,  à  cause  des  inepties  qu'elle 
contient.  Je  puis  du  reste  affirmer  que  les  capitaines  et  les  soldats 
n'y  ont  prêté  la  main  que  pour  contribuer  à  porter  Gortès  hors  de  sa 
voie.  » 

Narvaez  demanda  cette  lettre  à  fray  Bartolomé  de  Olmedo,  qui  pré- 
tendit l'avoir  laissée  dans  son  logement.  C'était  là  un  prétexte  pour 
prendre  congé,  comme  s'il  Fallait  chercher.  En  ce  moment  Salva- 
tierra,  le  furibond,  se  présenta  à  son  général.  De  son  côté,  le  Père 
fit  appeler  Duero,  le  priant  d'aller  tout  de  suite  chez  Narvaez  pour 
être  présent  à  l'ouverture  de  la  lettre,  —  car  Duero  en  connaissait 
l'existence,  de  même  que  d'autres  officiers  de  Narvaez  qui  parais- 
saient bien  disposés  pour  Gortès.  —  La  vérité,  d'ailleurs,  c'est  que 
fray  Bartolomé  de  Olmedo  portait  la  lettre  sur  lui;  mais  il  avait 
voulu  se  ménager  une  occasion  d'en  faire  faire  la  lecture  devant  un 
grand  nombre  de  témoins.  La  chose  étant  ainsi  préparée,  il  se  pré- 
senta de  nouveau  chez  le  général  et  lui  remit  son  pli  cacheté  en  di- 
sant :  «  Que  rien  ne  vous  surprenne  dans  cette  lettre;  Gortès  com- 
mence déjà  à  perdre  la  tête  et  je  ne  doute  pas  que,  si  vous  lui  parlez 
avec  quelque  douceur,  il  ne  s'empresse  de  se  livrer  avec  tous  ceux 


324  CONQUÊTE 

qui  l'accompagnent....  »  Mais  laissons  les  raisonnements  de  fray 
Bartolomé,  quoiqu'ils  ne  soient  pas  dénués  d'adresse,  et  racontons 
comme  quoi  les  hommes  de  Narvaez,  soldats  et  capitaines,  le  prièrent 
de  lire  la  lettre.  Or,  quand  elle  eut  été  lue,  Narvaez  et  Salvatierra  se 
mirent  à  pousser  les  hauts  cris  et  tous  les  autres  se  prirent  à  rire  en 
se  moquant  d'elle.  Quant  à  Andrès  de  Duero,  il  protesta  qu'il  n'y 
comprenait  plus  rien,  le  moine  lui  ayant  assuré  que  Cortès  était  prêt 
à  se  livrer  avec  tout  son  monde,  ce  qui  n'était  guère  d'accord  avec  ce 
qu'on  venait  d'entendre.  Un  certain  Agustin  Bermudez,  qui  était 
alguazil  major  du  quartier  de  Narvaez,  renchérit  sur  ces  dernières 
paroles,  en  disant  :  «  J'ai  appris  avec  certitude,  par  le  Père  Barto- 
lomé  de  Olmedo,  me  parlant  en  secret,  que  si  vous  envoyiez  de  bons 
médiateurs,  Gortès  lui-même  viendrait  nous  voir  pour  traiter  de  sa 
soumission  avec  tous  ses  soldats;  aussi  vous  conseil] erai-je  d'envoyer 
à  son  camp,  qui  n'est  pas  éloigné,  le  commissaire  Salvatierra,  accom- 
pagné d'Andrès  de  Duero,  auxquels  je  pourrais  moi-même  me  join- 
dre. »  On  comprend  que  cette  proposition  n'était  faite  que  pour  savoir 
ce  qu'en  dirait  Salvatierra,  lequel  répondit  qu'il  se  trouvait  un  peu 
indisposé  et  que  d'ailleurs  il  n'irait  jamais  voir  un  traître.  Sur  quoi 
le  Père  Bartolomé  de  Olmedo,  s'adressant  à  Salvatierra  :  «  Il  sera 
bon,  dit-il,  qu'on  use  de  modération,  car  certainement  Gortès  sera 
votre  prisonnier  avant  peu.  » 

On  convint  qu'Andrès  de  Duero  partirait;  mais  il  paraît  certain 
que  Narvaez  prétendit  arranger  les  choses  avec  Duero  lui-même  et 
trois  autres  capitaines,  de  manière  à  obtenir  de  Gortès  une  entrevue 
dans  des  établissements  d'Indiens,  situés  entre  les  deux  camps.  Là  on 
devait  entamer  des  pourpalers  au  sujet  des  localités  qui  nous  seraient 
désignées  pour  aller  coloniser  avec  Gortès,  et  l'on  s'arrangerait  de 
façon  à  s'emparer  de  sa  personne  pendant  ces  entrevues;  on  avait 
même  préparé  vingt  soldats  pour  cette  opération.  Fray  Bartolomé  eut 
connaissance  du  complot  par  Narvaez  lui-même  et  par  Andrès  de 
Duero,  et  il  en  résulta  que  Gortès  fut  mis  au  courant  du  projet. 
Laissons  le  moine  dans  le  quartier  de  Narvaez.  Il  y  était  devenu  le 
grand  ami  et  comme  le  parent  de  Salvatierra,  parce  que  le  Frère 
était  de  la  ville  d'Olmedo,  et  Salvatierra  de  Burgos  ;  ils  mangeaient 
d'ailleurs  ensemble  tous  les  jours.  Portons  notre  attention  sur  Andrès 
de  Duero,  qui  se  préparait  à  partir  pour  le  camp  de  Gortès  avec  notre 
soldat  Bartolomé  de  Usagre,  parce  qu'il  en  était  arrivé  à  craindre  que 
Narvaez  ne  sût  par  celui-ci  la  marche  des  événements.  Je  dirai  ce 
que  nous  fîmes  dans  notre  campement. 


DE  LA   NOUVELLE-ESPAGNE.  325 


CHAPITRE  CXVIII 

Comme  quoi  notre  camp  fut  passé  en  revue.  On  apporta  deux  cent  cinquante  piques 
très-longues,  ayant  des  lames  en  cuivre,  que  Cortès  avait  fait  fabriquer  dans  le  pays 
des  Chichinatèques  ;  nous  nous  exercions  à  les  manier  dans  le  but  d'attaquer  les 
cavaliers  de  Narvaez.  De  beaucoup  d'autres  eboses  qui  advinrent  dans  le  campe- 
ment. 

Revenons  un  peu  sur  le  passé,  pour  y  trouver  l'occasion  d'ajouter 
encore  quelques  faits  à  notre  récit.  Lorsque  Cortès  reçut  la  nouvelle 
de  l'arrivée  de  la  flotte  de  Narvaez,  il  s'empressa  d'envoyer  à  la  pro- 
vince des  Chichinatèques  un  ancien  soldat  des  guerres  d'Italie,  très- 
adroit  à  toutes  les  armes,  mais  qui  maniait  surtout  supérieurement 
la  pique.  Cette  province  est  voisine  du  lieu  où  nos  soldats  furent  en- 
voyés pour  chercher  des  mines  d'or.  Ses  habitants  étaient  les  plus 
grands  ennemis  des  Mexicains,  et,  peu  de  jours  auparavant,  ils  avaient 
brigué  notre  amitié.  Ils  faisaient  usage  de  lances  plus  longues  que 
celles  dont  nous  nous  servons  en  Castille,  puisque  leur  fer  bien  affilé, 
remplacé  ici  par  de  l'obsidienne,  avait  deux  brasses  de  longueur. 
Cortès  les  pria  de  lui  en  envoyer  trois  cents,  à  la  condition  d'en  en- 
lever la  lame  d'obsidienne  tranchante  et  de  la  remplacer  par  du  cuivre, 
métal  qu'ils  avaient  en  abondance.  Le  messager  était  chargé  d'expli- 
quer la  forme  qu'on  devrait  donner  à  cette  lame  et  d'exiger  qu'on  en 
fabriquât  deux  pour  chaque  arme.  Le  soldat  étant  arrivé,  on  chercha 
des  manches  et  on  les  trouva  dans  les  quatre  ou  cinq  villages  de  cette 
province,  où  il  n'y  avait  pas,  du  reste,  grand  nombre  d'habitations. 
On  fabriqua  les  lames  avec  plus  de  perfection  que  ce  n'était  requis. 
Le  messager,  qui  se  nommait  Tovilla,  fut  en  même  temps  chargé  de 
demander  deux  mille  hommes,  armés  de  lances,  et  il  lui  était  ordonné 
de  venir  avec  eux,  le  jour  de  la  Pentecôte,  au  village  de  Panguene- 
quita1,  ou  de  s'informer  en  quel  autre  endroit  nous  serions.  Les  caci- 
ques s'empressèrent  d'accéder  à  cette  demande  et  offrirent  de  marcher 
eux-mêmes  avec  leurs  gens  de  guerre.  Le  soldat  s'en  revint  amenant 
seulement  deux  cents  Indiens,  chargés  de  porter  les  lances.  Il  était 
convenu  que  les  Indiens  armés  viendraient  avec  un  autre  de  nos  sol- 
dats, appelé  Barrientos,  alors  occupé  aux  mines  dont  j'ai  précédem- 
ment parlé,  et  qui  devait  rejoindre  notre  campement,  situé  à  douze 
lieues  de  là,  en  se  conformant  à  nos  instructions. 

1.  Nous  avons  dans  l'auteur  trois  orthographes  que  j'ai  cru  devoir  respecter  quoi- 
qu'elles me  paraissent  désigner  le  même  village,  ainsi  que  l'indique  le  sens  de  ce 
passage.  Ces  trois  orthographes  sont  :  Tampaniquita,  Panguaniquita,  et  Panguene- 
quita.  Il  y  a  môme  dans  un  endroit  Panguenezquita. 


326  CONQUÊTE 

Tovilla  étant  arrivé  avec  les  lances,  nous  trouvâmes  celles-ci  excel- 
lentes. L'ordre  fut  donné  du  reste  à  ce  messager  de  nous  mettre  en 
mesure  de  bien  manier  cette  arme  et  de  comprendre  comment  nous 
devions  nous  conduire  contre  des  gens  à  cheval.  Une  revue  ayant  été 
faite,  ainsi  que  l'inscription  de  tous  les  soldats  et  capitaines  de  notre 
troupe,  nous  constatâmes  que  nous  étions  deux  cent  soixante-six 
hommes,  en  y  comprenant  le  tambour  et  le  fifre  et  sans  compter  le 
Père  de  la  Merced.  Il  y  avait  cinq  cavaliers,  deux  artilleurs,  peu  d'ar- 
balétriers et  encore  moins  d'escopettiers.  Ce  sur  quoi  notre  espoir  se 
fondait  le  plus,  à  propos  de  notre  rencontre  avec  Narvaez,  c'étaient 
les  piques  qui,  du  reste,  nous  servirent  à  souhait,  comme  on  le  verra 
plus  loin. 

Mais  cessons  de  parler  de  la  revue  et  des  lances,  et  je  dirai  comme 
quoi  Andrès  de  Duero,  envoyé  par  Narvaez,  arriva  à  notre  camp.  Avec 
lui  venaient  notre  soldat  Usagre  et  deux  Indiens  travailleurs  de  Cuba. 
Voyons  aussi  ce  qui  se  passa  entre  Gortès  et  Duero,  ainsi  que  nous 
l'apprîmes  plus  tard. 


CHAPITRE  GXIX 


Comme  quoi  vinrent  à  notre  campement  Andrès  de  Duero;  le  soldat  Usagre  et  deux 
Indiens  de  Cuba,  domestiques  de  Duero  ;  quel  était  ce  Duero  et  pourquoi  il  venait  ; 
ce  que  nous  en  sûmes  et  ce  qui  fut  convenu. 

Je  me  vois  encore  dans  la  nécessité  de  revenir  beaucoup  sur  mes 
pas  et  de  m'occuper  du  passé.  J'ai  déjà  dit  dans  un  chapitre  éloigné, 
relatif  à  notre  séjour  à  Santiago  de  Cuba,  que  Gortès  fit  un  accord  avec 
Andrès  de  Duero  et  avec  Amador  de  Lares,  amis  de  Diego  Velasquez. 
Ceux-ci  engagèrent  le  gouverneur  à  choisir  Gortès  pour  capitaine  gé- 
néral de  la  flotte,  à  la  condition,  convenue  entre  eux,  de  partager  tout 
l'or,  l'argent  et  les  joailleries  qui  formeraient  la  part  de  l'élu.  Lorsque 
Andrès  de  Duero,  arrivé  en  présence  de  Gortès,  son  associé,  le  vit  si 
puissant  et  si  riche,  il  considéra  la  mission  de  servir  d'intermédiaire 
de  paix  et  de  favoriser  les  intérêts  de  Narvaez,  uniquement  comme  un 
prétexte  et  comme  une  occasion  de  venir  réclamer  sa  part  de  socié- 
taire,  n'ayant  nullement  à   s'occuper  d'Amador  de  Lares,  qui  était 
mort.  Gomme,  d'ailleurs,  Gortès  était  très-avenant  et  fort  rusé,  non- 
seulement  il  lui  promit  de  grands  trésors,  mais  encore  il  s'engagea  à 
lui  confier  un  grand  commandement  dans  l'expédition,  quelque  chose 
qui  le  fît  l'égal  de  sa  propre  personne.  Il  ajoutait  qu'après  la  con- 
quête de  la  Nouvelle-Espagne,  il  lui  donnerait  autant  de  villages  qu'il 
s'en  assignerait  à  lui-même,  à  la  condition  que  dans  ce  moment  Duero 
s'entendît  avec  Agustin  Bermudez,   alguazil  mayor  du  quartier  de 


DE  LA  NOUVELLE-ESPAGNE.  327 

Narvaez,  et  avec  quelques  autres  membres  de  l'expédition,  que  je  ne 
nomme  pas  ici,  pour  que  Ton  fît  faire  fausse  route  au  général,  de  ma- 
nière à  mettre  sa  vie  et  son  honneur  en  péril  en  préparant  sa  pro- 
chaine déroute.  Cortès  affirmait  que,  Narvaez  une  fois  mort  ou  prison- 
nier et  son  armée  vaincue,  eux  tous  resteraient  les  maîtres  de  la 
situation  et  prendraient  leur  part  de  l'or  et  des  villages  de  la  Nouvelle- 
Espagne.  D'ailleurs,  pour  mieux  assurer  le  résultat,  il  chargea  d'or  les 
deux  Indiens  de  Cuba,  et  il  paraît  certain  queDuero  prit  des  engage- 
ments comme  déjà  Agustin  Bermudez  en  avait  signé  dans  plusieurs 
lettres. 

Gortès  envoya  encore  des  disques  et  des  joyaux  d'or  à  ce  même 
Bermudez,  à  un  abbé  nommé  Juan  de  Léon,  au  Père  Gruevara,  premier 
émissaire  de  Narvaez,  et  à  d'autres  de  ses  amis.  Il  leur  écrivit  ce  qui 
lui  parut  propre  à  s'en  faire  aider  en  toutes  choses.  Andrès  de  Duero 
resta  dans  notre  camp  depuis  son  arrivée  jusqu'au  lendemain,  jour  de 
la  Pentecôte,  après  dîner.  Il  fit  son  repas  en  compagnie  de  Gortès,  et 
tous  deux  s'entretinrent  longuement  en  particulier.  Après  avoir  dîné, 
Duero  prit  congé  de  nous  tous,  capitaines  et  soldats  ;  il  monta  à  cheval 
et  alla  encore  trouver  Gortès  pour  lui  dire  :  «  Quels  sont  vos  ordres, 
car  je  pars  décidément?  —  Que  Dieu  vous  garde,  seïlor  Andrès  Duero, 
répondit  le  général  ;  attention  à  bien  se  conduire  comme  c'est  con- 
venu; autrement,  je  le  jure  sur  ma  conscience  (c'est  ainsi  qu'il  avait 
l'habitude  de  jurer),  lorsque  j'arriverai,  sous  trois  jours,  dans  votre 
quartier,  le  premier  sur  lequel  ma  lance  s'exercera,  ce  sera  vous,  si 
j'observe  quelque  chose  de  contraire  à  ce  qui  ressort  de  notre  entre- 
tien. »  Duero  se  prit  à  rire  en  assurant  qu'il  ne  manquerait  pas  d'éviter 
tout  ce  qui  pourrait  être  contraire  à  le  servir  loyalement.  Sur  ce,  il 
partit,  arriva  au  camp  et  dit  à  Narvaez  que  Gortès  et  tous  ceux  qui 
étaient  avec  lui  avaient  paru  disposés  le  mieux  du  monde  à  passer 
sous  ses  drapeaux. 

Laissons  là  le  Duero,  pour  dire  que  Gortès  manda  un  de  ses  capi- 
taines, Juan  Velasquez  de  Léon,  homme  fort  important  et  son  ami 
particulier.  Il  était  proche  parent  du  gouverneur  de  Cuba,   et  nous 
avons  toujours  pensé  que  Gortès  se  l'était  attaché  au  moyen  de  dons 
considérables  et  de  belles  promesses,  assurant  qu'il  lui  donnerait  un 
grand  commandement  dans  la  Nouvelle-Espagne  et  le  ferait  en  quelque 
sorte  son  égal  ;  car  cet  officier  se  conduisit  toujours  envers  son  chef 
en  véritable  ami  et  serviteur  très-dévoué,  ainsi  qu'on  le  verra  par  la 
suite.  En  se  présentant  à  Cortès,  il  s'empressa  de  lui  demander  quels 
étaient  ses  ordres  ;  le  général,  qui  parlait  souvent  d'un  ton  mielleux 
et  le  rire  aux  lèvres,  lui  dit  en  souriant  :  «  Je  vous  ai  fait  appeler, 
sefîor  Juan  Velasquez,  parce  que,  d'après  ce  qu'Andrès  de  Duero  rap- 
porte, Narvaez  se  vanterait,  —  et  on  l'assure  dans  tout  son  camp,  — 
que,  si  vous  vous  rendez  parmi  eux,  c'en  est  fait  de  moi  ;  car  on  compte 


328  CONQUETE 

sur  vous  comme  devant  embrasser  le  parti  de  Narvaez.  C'est  pour  ce 
motif  que  la  pensée  m'est  venue  de  vous  prier  de  me  témoigner  votre 
affection  en  partant  tout  de  suite  pour  leur  camp  avec  votre  bonne 
jumeut,  emportant  tout  votre  or  et  la  Fanfarona  (c'était  sa  plus 
grosse  chaîne  d'or),  sans  oublier  d'autres  petites  choses  que  je  vous 
donnerai  et  que  vous  distribuerez  en  mon  nom  à  qui  j'aurai  soin  de 
vous  dire.  Quant  à  la  Fanfarona,  qui  pèse  beaucoup,  vous  la  porte- 
rez sur  l'épaule,  et  l'autre  chaîne,  qui  est  encore  plus  lourde,  vous 
lui  ferez  faire  deux  fois  le  tour  sur  la  nuque.  Vous  verrez  là-bas  ce 
que  Narvaez  veut  de  vous.  Après  votre  retour  j'enverrai  le  senor  Diego 
de  Ordas,  parce  que  je  sais  que  son  ancienne  qualité  de  majordome 
de  Diego  Velasquez  inspire  à  nos  ennemis  un  grand  désir  de  le 
voir.  » 

Juan  Velasquez  répondit  qu'il  se  soumettrait  en  tout  à  ses  ordres, 
mais  qu'il  n'emporterait  ni  ses  chaînes,  ni  son  or  personnel;  qu'il  se 
contenterait  de  recevoir  ce  que  son  général  lui  confierait  pour  le  donner 
selon  ses  instructions,  attendu  que,  n'importe  où  il  se  trouverait,  il 
préférerait  toujours  le  plaisir  de  le  servir  à  tous  les  joyaux  et  à  tout 
l'or  du  monde.  «  Je  le  crois  ainsi,  lui  dit  Gortès,  et  c'est  dans  cette 
ferme  confiance  que  je  vous  envoie  ;  mais  je  ne  veux  pas  que  vous  par- 
tiez si  vous  ne  respectez  mon  commandement  en  emportant  tout  votre 
or  et  vos  bijoux.  »  A  quoi  Velasquez  répondit  qu'il  serait  fait  selon  la 
volonté  du  général,  mais  qu'il  n'emporterait  pas  son  or1.  Gortès  le 
prit  alors  à  part,  et,  à  la  suite  de  cette  conversation,  Velasquez  partit, 
emmenant  avec  lui  un  écuyer  de  Gortès,  nommé  Juan  del  Rio,  qui 
était,  chargé  de  le  servir  dans  son  voyage.  Laissons  ce  départ  de  Juan 
Velasquez,  qui  n'avait,  dit-on,  dans  la  pensée  de  Cortès,  d'autre  but 
que  d'occuper  l'attention  de  Narvaez,  et  disons  ce  qui  se  passa  dans 
notre  camp. 

Deux  heures  après  ce  départ,  Gortès  donna  l'ordre  au  tambour  Ga- 
nillas  de  battre  sa  caisse  et  au  fifre  Benito  Veguer  de  jouer  du  tam- 
bourin. Il  ordonna  en  même  temps  à  Gronzalo  de  Sandoval,  l'alguazil 
mayor,  de  réunir  tout  le  monde  ;  et  nous  partîmes  sur-le-champ,  au 
pas  accéléré,  vers  Gempoal.  Nous  eûmes  occasion  de  tuer  en  route 
deux  de  ces  porcs  du  pays  qui  ont  le  nombril  sur  le  dos,  ce  que  nous 
considérâmes  comme  un  signe  de  victoire.  Nous  passâmes  la  nuit  sur 
la  rive  en  pente  d'un  petit  ruisseau,  les  pierres  nous  servant  d'oreil- 

1.  Je  suis  sûr  d'avoir  très-fidèlement  traduit  ce  passage  de  mon  auteur.  On  n'y 
comprend  pas  bien  les  raisons  qui  poussent  Cortès  à  exiger  de  Velasquez  qu'il  parte 
avec  tout  son  or,  à  moins  de  croire  qu'il  y  est  conduit  par  le  désir  de  donner  à  son 
officier  une  preuve  de  la  confiance  qu'il  lui  inspire.  Il  est  clair  en  effet  que  si  Velas- 
quez avait  eu  quelque  tentation  de  changer  de  drapeau,  il  lui  aurait  été  plus  facile 
d'y  céder  en  étant  porteur  de  toutes  ses  richesses  et  en  ne  laissant  aucune  valeur  der- 
rière lui 


DE  LA  NOUVELLE-ESPAGNE.  329 

lers  selon  notre  habitude,  après  avoir  eu  soin  de  lancer  des  éclaireurs 
et  de  placer  des  sentinelles.  Au  lever  du  jour,  nous  reprîmes  notre 
route  en  droite  ligne  et  arrivâmes  vers  midi  à  une  rivière  située  dans 
l'endroit  où  se  trouve  actuellement  la  Villa  Rica  de  la  Vera  Cruz,  qui 
est  le  port  même  où  l'on  vient  débarquer  avec  les  marchandises  de 
Gastille.  En  ce  temps-là  s'élevaient  sur  les  bords  de  la  rivière  quel- 
ques cases  d'Indiens  et  de  grands  arbres;  comme  d'ailleurs  dans  ce 
pays  le  soleil  est  extrêmement  vif,  nous  nous  reposâmes  en  ce  lieu, 
fatigués  que  nous  étions  aussi  du  poids  de  nos  armes  et  de  nos  piques. 
Ne  nous  occupons  pas  pour  le  moment  de  notre  marche  et  disons 
ce  qui  arriva  à  Juan  Velasquez  de  Léon  avec  Narvaez  et  avec  un  de 
ses  capitaines,  nommé  Diego  Velasquez,  neveu  du  gouverneur  de 
Cuba. 


CHAPITRE  GXX 

Comme  quoi  arrivèrent  au  camp  de  Narvaez  Juan  Velasquez  de  Léon  et  son  écuyer 
appelé  Juan  del  Rio,  et  de  ce  qui  advint. 

J'ai  dit  comment  Gortès  envoya  à  Gempoal  Juan  Velasquez  de  Léon, 
accompagné  d'un  écuyer  à  pied,  pour  savoir  ce  qui  faisait  tant  dési- 
rer à  Narvaez  de  l'avoir  en  sa  compagnie,  Le  voyageur  fit  telle 
diligence  qu'il  arriva  à  Gempoal  au  point  du  jour.  Il  alla  descendre 
au  domicile  du  cacique  gros,  et  de  là  il  s'en  fut  à  pied  avec  son 
écuyer  au  quartier  de  Narvaez.  Les  Indiens  de  Gempoal,  l'ayant 
reconnu,  se  réjouirent  beaucoup  de  le  voir  et  de  lui  parler.  Ils  disaient 
avec  de  grands  cris,  à  quelques  soldats  logés  chez  le  cacique,  que 
c'était  Juan  Velasquez  de  Léon,  capitaine  de  Malinche  ;  et  aussitôt 
ces  soldats  se  mirent  à  courir  pour  être  les  premiers  à  annoncer  à 
Narvaez  l'arrivée  de  Juan  Velasquez  et  obtenir  leur  étrenne  pour  la 
bonne  nouvelle. 

Il  en  résulta  que  Narvaez,  averti,  ne  l'attendit  pas  chez  lui  et  qu'il 
fut  le  recevoir  dans  la  rue,  accompagné  de  quelques-uns  de  ses 
hommes.  A  peine  se  furent-ils  rencontrés  qu'ils  se  livrèrent  l'un  en- 
vers l'autre  à  de  grandes  démonstrations  d'amitié  ;  Narvaez  embrassa 
Juan  Velasquez  et  le  fit  asseoir,  car  on  s'était  empressé  d'apporter 
des  sièges  ;  il  lui  reprocha  de  n'être  point  descendu  chez  lui  et  il 
donna  l'ordre  aux  gens  de  son  service  d'aller  chercher  le  cheval  du 
voyageur  et  son  bagage,  s'il  en  avait,  afin  de  l'installer  dans  sa  propre 
maison  et  dans  ses  écuries.  Mais  Juan  Velasquez  s'empressa  de  lui 
faire  observer  qu'il  allait  repartir,  n'étant  venu  que  pour  lui  baiser  les 
mains,  ainsi  qu'à  tous  les  caballeros  de  son  camp,  et  voir  s'il  ne 
serait  pas  possible  d'obtenir  que  l'union  s'établît  entre  Gortès  et  lui. 


330  CONQUÊTE 

Alors,  paraît-il,  Narvaez  prit  à  part  Juan  Velasquez  et  lui  dit  d'un 
ton  dédaigneux  qu'il  ne  s'attendait  pas  à  ce  que  la  proposition  lui  fût 
faite  d'entrer  en  accord  avec  un  traître  qui  avait  soulevé  toute  sa 
flotte  contre  son  cousin  Diego  Velasquez.  Juan  Velasquez  s'empressa 
de  répondre  que,  loin  d'être  un  traître,  Gortès  était  un  bon  serviteur 
de  Sa  Majesté;  qu'on  ne  pouvait  confondre  avec  une  trahison  le  fait 
de  nous  être  mis  en  communication  directe  avec  notre  Roi  et  seigneur, 
comme  nous  l'avions  fait  ;  qu'au  surplus  il  le  priait  de  ne  plus  proférer 
devant  lui  une  semblable  expression.  Narvaez  se  prit  alors  à  faire  à 
son  interlocuteur  les  offres  les  plus  empressées,  afin  d'obtenir  qu'il 
restât  avec  lui,  l'engageant  à  séduire  les  gens  de  Gortès  pour  les 
décider  à  passer  sous  sa  bannière  et  à  lui  promettre  obéissance.  Il 
ajouta,  —  il  en  jurait,  —  qu'il  ferait  de  lui  la  seconde  personne  de 
son  expédition,  et  qu'il  le  mettrait  à  la  tête  de  tous  ses  autres  capi- 
taines. Juan  Velasquez  répondit  qu'une  pareille  trahison  et  un  sem- 
blable abandon  seraient  des  plus  abominables,  surtout  envers  un 
capitaine  auquel  il  avait  juré  d'obéir,  avec  la  conviction  que  tout  ce 
qu'il  exécutait  dans  la  Nouvelle-Espagne  avait  pour  but  le  service 
de  Dieu  Notre  Seigneur  et  de  Sa  Majesté.  Il  assura  du  reste  que 
Gortès  continuerait  à  maintenir  des  relations  directes,  comme  il  les 
avait  déjà  établies,  avec  notre  Roi  et  seigneur,  et  il  pria  qu'on  ne  lui 
parlât  plus  à  ce  sujet. 

Les  principaux  capitaines  de  Narvaez  s'étaient  empressés  de  rendre 
visite  à  Juan  Velasquez.  Ils  lui  prodiguaient  les  démonstrations  les 
plus  courtoises,  car  il  avait  les  manières  distinguées  d'un  homme 
de  cour;  il  était  bien  fait  de  corps,  bien  membre, de  bel  aspect,  d'un 
visage  agréable,  avec  une  barbe  très-bien  plantée.  Il  portait  une 
grosse  chaîne  d'or  mise  sur  l'épaule  et  faisant  le  tour  sous  l'aisselle. 
Il  avait  la  tournure  d'un  bon  et  brave  capitaine.  Les  officiers  de 
Narvaez  étaient  en  admiration  devant  sa  personne.  Le  Père  Barto- 
lomé  de  Olmedo  vint  le  voir  à  son  tour  et  lui  parla  en  secret.  Andrès 
de  Duero  et  l'alguazil  mayor  Bermudez  en  firent  autant.  Ce  fut  alors 
que  certains  capitaines  de  l'expédition  :  Gamarra,  Juan  Yuste,  Juan 
Bono  de  Quexo,  le  Basque,  et  Salvatierra  le  furibond,  donnèrent  à 
Narvaez  le  conseil  d'arrêter  sur-le-champ  Juan  Velasquez,  attendu 
qu'il  parlait  trop  résolument  en  faveur  de  Gortès.  Ils  réussirent  à 
persuader  le  général,  et  déjà  Narvaez  avait  donné  les  ordres  secrets  à 
ses  capitaines  et  à  ses  alguazils  pour  qu'on  s'emparât  de  Velasquez, 
lorsque  cela  fut  porté  à  la  connaissance  d'Agustin  Bermudez,  d'An- 
drès  de  Duero,  du  Père  Bartolomé  de  Olmedo,  du  prêtre  Juan  de 
Léon  et  de  quelques  autres  personnes  qui  étaient  les  amis  de  Gortès. 
Ils  s'empressèrent  de  venir  dire  à  Narvaez  qu'ils  étaient  surpris  de  sa 
résolution  de  faire  arrêter  Juan  Velasquez;  que  pourrait  en  effet 
Cortès  contre  l'expédition,  quand  bien  même  il  aurait  à  son  service 


DE  LA  NOUVELLE-ESPAGNE.  331 

cent  autres  Juan  Vclasquez?  Ils  priaient  le  général  de  bien  consi- 
dérer les  honneurs  rendus  par  Gortès  à  tous  ceux  qui  se  présentaient 
dans  son  camp  ;  il  allait  à  leur  rencontre,  à  tous  il  donnait  de  l'or  et 
des  bijoux  et  tous  en  revenaient  chargés  comme  des  abeilles  retour- 
nant à  la  ruche,  même  avec  des  provisions  d'étoffes  et  d'émouchoirs. 
Gortès,  disaient-ils,  aurait  bien  pu  faire  prisonniers,  s'il  l'avait  voulu, 
et  Andrès  de  Duero,  et  le  prêtre  Gruevara,  et  Amaya,  et  le  notaire 
Vergara,  et  Alonso  de  Mata,  et  tant  d'autres  qui  étaient  allés  à  son 
quartier;  cependant  il  n'avait  fait  que  les  combler  de  faveurs;  par 
conséquent  il  serait  bon  que  Narvaez  eût  encore  une  entrevue  très- 
courtoise  avec  Juan  Velasquez  et  qu'il  l'invitât  à  dîner  pour  le  len- 
demain. 

Le  conseil  parut  bon  et  eut  pour  conséquence  que  Narvaez  parla 
encore  une  fois  fort  affectueusement  au  voyageur,  le  priant  de  servir 
d'intermédiaire  pour  que  Gortès  se  livrât  avec  tout  son  monde;  bref, 
il  l'invita  à  dîner  pour  le  lendemain.  Vclasquez  répondit  qu'il 
essayerait  tout  ce  qu'en  pareil  cas  l'on  pouvait  tenter,  mais  qu'il 
tenait  Gortès  pour  un  homme  entêté  dans  cette  question.  Le  capitaine 
ajoutait  qu'à  son  avis  le  mieux  serait  de  faire  un  partage  des  pro- 
vinces et  que  le  général  Narvaez  choisît  la  part  qui  serait  le  plus  à  sa 
convenance.  Cette  proposition  n'avait  pas  d'autre  but  que  de  l'ama- 
douer. 

Sur  ces  entrefaites,  le  Père  Bartolomé  de  Olmcdo  se  présenta  et, 
en  sa  qualité  de  familier  et  de  conseiller,  il  dit  à  Narvaez  :  «  Vous 
devriez  passer  une  revue  de  toute  l'artillerie,  des  cavaliers,  des  esco- 
pettiers,  des  arbalétriers  et  soldats,  afin  que  Juan  Velasquez  et  son 
écuyer  pussent  tout  voir  et  réussissent  à  intimider  Gortès  au  sujet  de 
vos  forces  et  à  le  décider,  quelque  regret  qu'il  en  éprouve,  à  se 
ranger  sous  votre  loi.  »  Le  Père  avait  l'air  de  s'exprimer  ainsi  comme 
un  bon  serviteur  et  ami  le  doit  faire;  mais,  en  réalité,  c'était  dans 
le  but  de  mettre  en  évidence  tous  les  cavaliers  et  soldats  dont  dispo- 
sait Narvaez.  Il  en  résulta  que,  conformément  à  l'avis  du  moine,  on 
passa  la  revue  devant  Juan  Velasquez  de  Léon  et  Juan  del  Rio,  en 
présence  du  Père.  Quand  cela  fut  fini,  Juan  Velasquez  dit  à  Narvaez  : 
«Votre  Grâce  dispose  d'une  grande  force;  que  le  bon  Dieu  la  lui 
augmente  !  »  A  quoi  Narvaez  répondit  :  «  Vous  voyez  donc  bien  que 
si  j'avais  voulu  marcher  contre  Gortès,  je  l'aurais  fait  prisonnier 
ainsi  que  vous  tous  qui  êtes  avec  lui.  »  Mais  Juan  Vclasquez 
repartit  aussitôt  :  «  Soyez  bien  convaincu  que  tant  lui  que  nous  tous 
sommes  gens  à  savoir  lDien  défendre  nos  personnes.  »  Gela  mit  fin  à 
la  conversation. 

Le  lendemain  eut  lieu  le  dîner  dont  j'ai  parlé.  Un  capitaine,  neveu 
du  gouverneur  de  Cuba,  y  assistait.  Pendant  le  repas  on  parla  du 
retard  que  Gortès  mettait  à  se  rendre,  et  de  la  lettre,  et  des  somma- 


332  CONQUÊTE 

tions  qni  y  étaient  contenues.  De  propos  en  propos,  le  neveu  du  gou- 
verneur, qui  s'appelait  Diego  Velasquez  comme  son  oncle,  s'écarta  de 
la  prudence  en  disant  que  Gortès  et  tous  ceux  qui  le  suivaient  n'étaient 
que  des  traîtres,  puisqu'ils  ne  s'empressaient  pas  de  se  soumettre  à 
Narvaez.En  entendant  ces  paroles,  Juan  Velasquez  se  leva  et,s'adres- 
sant  respectueusement  à  Narvaez,  il  lui  dit  :  «  Général,  je  vous  ai 
déjà  prié  de  ne  pas  permettre  qu'on  s'exprimât  ainsi  à  l'égard  de 
Gortès  et  de  ceux  qui  sont  avec  lui,  attendu  que  ces  paroles  sont 
déplacées  et  qu'on  ne  peut  dire  aucun  mal  de  gens  qui  ont  servi  loya- 
lement Sa  Majesté.  »  Mais  le  Diego  Velasquez  répliqua  qu'il  avait  fort 
biendit  ;  qu'au  surplus,  en  défendant  un  traître,  Velasquez  était  aussi 
traître  que  lui  et  qu'il  ne  l'estimait  pas  digne  de  compter  parmi  les 
bons  de  sa  famille.  A  quoi  son  interlocuteur  répondit,  en  portant  la 
main  à  son  épée,  qu'il  mentait,  et  que,  quant  à  lui,  il  se  tenait  pour 
meilleur  gentilhomme  que  celui  qui  venait  de  parler,  et  pour  meil- 
leur Velasquez  que  lui-même  ou  son  oncle;  que,  du  reste,  il  était 
prêt  à  lui  en  donner  la  preuve,  si  le  général  Narvaez  daignait  le  leur 
permettre.  Sur  ce,  comme  il  y  avait  là  plusieurs  capitaines  de  Nar- 
vaez et  quelques  personnes  du  camp  de  Gortès,  on  s'interposa,  car 
certainement  Juan  Velasquez  allait  lancer  un  coup  d'épée  à  son 
adversaire. 

À  la  suite  de  cette  altercation,  on  conseilla  à  Narvaez  de  le  ren- 
voyer du  camp,  en  compagnie  du  Frère  Bartolomé  de  Olmedo  et  de 
Juan  del  Rio,  avec  la  conviction  que  leur  présence  n'était  d'aucune 
utilité.  Sans  plus  attendre  donc,  on  leur  ordonna  de  partir,  et  comme 
d'ailleurs  il  leur  tardait  fort  de  rentrer  à  notre  campement,  ils  s'em- 
pressèrent d'obéir.  Juan  Velasquez  monta  sur  sa  bonne  jument, 
armé  de  sa  cotte  dont  il  ne  se  défaisait  jamais,  coiffé  de  son  cabasset 
et  orné  de  sa  belle  chaîne.  Ge  fut  ainsi  qu'il  se  rendit  chez  Narvaez 
pour  prendre  congé.  Là  se  trouvait  le  jeune  Diego  Velasquez, 
l'homme  à  la  querelle.  S'adressant  au  général,  le  voyageur  lui  dit  : 
«  Qu'ordonne  Votre  Grâce  pour  notre  camp  ?  »  Narvaez  lui  répondit, 
fort  irrité,  qu'il  partît  et  que  mieux  aurait  valu  qu'il  ne  vînt  pas.  Le 
jeune  Velasquez  ajouta  quelques  paroles  menaçantes  et  injurieuses  à 
l'adresse  de  Juan  Velasquez,  qui  fit  observer  que  c'était  trop  de  har- 
diesse et  que  ses  paroles  méritaient  châtiment  ;  prenant  alors  sa 
barbe  dans  la  main,  il  ajouta  :  «  Par  ma  barbe,  je  jure  qu'avant 
longtemps  je  saurai  si  votre  bras  est  aussi  fort  que  votre  langue.  » 
Se  trouvaient  alors  avec  Juan  Velasquez  six  ou  sept  personnages  du 
camp  de  Narvaez  qui  étaient  gagnés  par  Gortès;  ils  étaient  venus 
pour  assister  au  congé  de  Juan  Velasquez.  Ils  firent  semblant  de  lui 
parler  en  gens  irrités  et  dirent  :  «  Allez-vous-en  donc,  et  ne  parlez 
plus  !  »  Et  ce  fut  ainsi  qu'on  se  sépara.  Les  voyageurs  prirent  le 
chemin  de  notre  camp  en  poussant  vigoureusement  leurs  montures, 


DE  LA  NOUVELLE-ESPAGNE.  333 

parce  qu'ils  avaient  reçu  avis  que  Narvaez,  qui  voulait  les  faire  arrê- 
ter, donnait  à  quelques  cavaliers  l'ordre  de  les  suivre.  Or,  en  route, 
ils  nous  rencontrèrent  au  bord  de  la  rivière  que  j'ai  dit  être  non  loin 
de  la  Vcra  Gruz. 

Nous  étions  donc  près  de  cette  rivière,  faisant  la  sieste,  à  cause  de 
la  chaleur,  très-forte  en  ce  point  du  pays,   et  aussi  parce  que  nous 
nous  sentions  très-fatigués,  obligés  que  nous  avions  été  de  marcher 
en  portant  nos  armes  et  une  pique  chacun.  En  ce  moment  se  présenta 
un  de  nos  éclaireurs  pour  donner  avis  à  Gortès  qu'on  voyait  venir  à 
peu  de  distance  deux  ou   trois  personnes  à  cheval,  et  nous  ne  nous 
trompâmes  pas  en  pensant  que  c'étaient  nos  envoyés  Juan  Yclasqucz 
de  Léon,   Bartolomé   de   Olmedo  et  Juan  del  Rio.   Ils  arrivaient  en 
effet  là  où  nous  nous  trouvions,  et  avec  quelle  joie  nous  les  reçûmes! 
que  de  démonstrations,  que  de  politesses  Gortès  fit  à  Juan  Yelasquez 
et  à  fray  Bartolomé  de  Olmedo  !  Et  certes,  il  avait  bien  raison,  car 
ce  furent   de  loyaux  serviteurs.  Juan  Velasquez    raconta  point  par 
point  tout  ce  qui  lui  était  arrivé   avec  Narvaez,  ainsi  que  je  viens  de 
le  détailler  moi-même,  ajoutant  comme  quoi  il  avait  fait   distribuer 
secrètement  les  chaînes  et  les  pièces  d'or  aux  personnes  à  lui  dési- 
gnées. Il  fallait  aussi  entendre  notre  moine...  !  Gomme  il  était  habi- 
tuellement  gai,  il   sut   très-bien  narrer  son   aventure,   disant  com- 
ment  il    s'était  fait    l'humble    serviteur    de  Narvaez,    comme    quoi 
encore  il  s'était  raillé  de  lui  en  lui  conseillant  de  passer  une  revue  et 
de  mettre  son  artillerie  en  évidence  ;  avec  quelle  adresse  aussi  il  avait 
remis  la  lettre  dont  il  était  porteur.  Était-il  plaisant  encore  lorsqu'il 
racontait  ce  qui  lui  était  arrivé  avec  Salvatierra,  comment  il  se  fit 
son  familier1  à  titre  de  compatriote,  le  Frère  étant  d'Olmedo  et  Sal- 
vatierra de  Burgos....  etles  fureurs  de  Salvatierra...!  qu'il  ferait  ceci 
qu'il  arriverait  ça  quand  on  prendrait  Gortès  et  nous  tous....  et  com- 
ment il  criait  contre  les  soldats  qui  volèrent  son  cheval  et  celui  d'un 
autre  capitaine.  En  entendant  tout  cela,    nous    nous    réjouissions 
comme  si  nous  étions  en  train  d'aller  à  la  noce  ou  à  une  partie  de 
plaisir.  Et    cependant  nous  ne  pouvions    ignorer  que  le  lendemain 
nous  livrerions  bataille  et  que  nous  nous  verrions  dans  l'alternative 
de  vaincre  ou  de  mourir  dans  la  mêlée,  quoique  nous  fussions  tous 
frères,  avec  cette   particularité    que    nous    n'étions   que   deux   cent 
soixante-six  soldats,  en  présence  de  ceux  de  Narvaez,  cinq  fois  plus 
nombreux. 

1 .  Le  texte  espagnol  dit:  panente  (littéralement  parent).  Ce  m'estime  occasion 
de  dire  que  Bernai  Diaz  dit  d'autres  fois,  dans  de  pareilles  circonstances  :  deudo,  qui 
est  un  mot  absolument  synonyme.  Il  m'a  été  le  plus  souvent  impossible  de  deviner  si 
l'auteur  prétendait  par  ce  mot  désigner  une  parenté  réelle,  ou  simplement,  comme 
dans  le  cas  actuel,  une  familiarité  ou  de  bons  sentiments  analogues  à  ceux  que  la 
parenté  entraîne.  Quelquefois  môme  le  mot  peut  avoir  été  employé  par  Bernai  Diaz 
dans  le  sens  de  «  compatriote  ». 


334  CONQUÊTE 

Revenons  à  notre  récit.  Nous  nous  mîmes  tous  en  route  pour  Cem- 
poal  et  nous  fûmes  passer  la  nuit  à  une  lieue  de  la  ville,  à  côté  d'un 
pont,  en  un  lieu  où  se  trouve  actuellement  un  établissement  de  bêtes 
à  cornes.  J'en  resterai  là  pour  dire  ce  qu'on  fit  dans  le  quartier  de 
Narvaez  après  le  départ  de  Juan  Velasquez,  du  moine  et  de  Juan  del 
Rio  ;  ensuite  j'en  viendrai  à  notre  camp,  car  enfin,  à  propos  des 
choses  qui  arrivent  dans  le  même  temps,  il  faut  bien  laisser  les  unes 
pour  raconter  celles  qui  se  rapportent  le  mieux  au  récit  du 
moment. 


CHAPITRE  CXXI 

De  ce  que  l'on  fit  dans  le  quartier  de  Narvaez  après  que  nos  émissaires 

en  furent  partis. 

Après  le  départ  de  Juan  Velasquez,  du  moine  et  de  Juan  del  Rio, 
les  capitaines  de  Narvaez  dirent  à  leur  général  qu'il  était  bien  évident 
que  Gortès  avait  envoyé  dans  leur  camp  beaucoup  de  joailleries  d'or 
et  qu'il  s'y  était  fait  de  grands  amis  ;  cette  circonstance  obligeait  à  être 
bien  sur  ses  gardes  et  montrait  l'importance  qu'il  y  avait  à  donner 
avis  à  tous  les  soldats  qu'ils  eussent  à  se  tenir  armés  et  les  chevaux 
toujours  prêts.  Outre  cela  le  cacique  gros,  qui  redoutait  la  vengeance 
de  Gortès  parce  qu'il  avait  permis  à  Narvaez  de  prendre  les  étoffes, 
l'or  et  les  Indiennes  dont  il  s'était  emparé,  prenait  soin  de  nous 
espionner,  de  savoir  où  nous  passions  la  nuit  et  par  quels  chemins 
nous  venions  ;  et  d'ailleurs  Narvaez  lui  en  avait  donné  l'ordre.  Lors- 
qu'il apprit  que  nous  approchions  de  Gempoal,  il  s'empressa  de  dire 
au  général  :  «  Que  faites-vous?  pourquoi  vous  gardez-vous  si  mal? 
Pensez-vous  que  Malinche  et  les  teules  qui  l'accompagnent  se  con- 
duisent comme  vous?  Eh  bien!  je  vous  assure  qu'il  vous  surprendra, 
avec  vos  négligences,  et  que  vous  serez  massacrés.  »  Quoiqu'ils 
parussent  se  moquer  des  paroles  du  cacique  gros,  les  gens  de  Nar- 
vaez se  tinrent  décidément  sur  leurs  gardes.  La  première  chose  qu'ils 
firent  ce  fut  de  proclamer  contre  nous  une  guerre  sans  merci.  Nous 
en  fûmes  avertis  par  un  soldat  surnommé  le  Galleguillo,  qui  avait 
déserté  la  nuit  précédente  ;  peut-être  même  était-il  envoyé  par  Andrcs 
de  Duero.  Il  donna  avis  à  Gortès  de  la  proclamation  et  d'autres  choses 
qu'il  importait  de  savoir. 

Revenons  à  Narvaez,  qui  disposa  toute  l'artillerie,  rassembla  les 
cavaliers,  fusiliers,  arbalétriers  et  soldats,  et  prit  position  en  rase 
campagne  à  un  quart  de  lieue  de  la  ville,  dans  le  but  de  nous  y  atten- 
dre, donnant  pour  instruction  que  nous  fussions  tous  ou  tués  ou  faits 
prisonniers.  Or  il  plut  beaucoup  ce  jour-là;  les  hommes  de  Narvaez 


DE   LA  NOUVELLE-ESPAGNE.  335 

se  fatiguèrent  à  nous  attendre  sous  les  averses,  et  comme  ils  n'étaient 
pas  habitués  à  la  pluie  et  à  la  peine  et  que  d'ailleurs  les  capitaines  ne 
faisaient  aucun  cas  de  nous,  ils  conseillèrent  à  leur  général  de  reve- 
nir aux  quartiers,  considérant  qu'il  était  honteux  de  passer  son  temps 
à  attendre  des  myrmidons  comme  nous;  qu'il  fallait  tout  simplement 
placer  l'artillerie  devant  les  quartiers  et  laisser  quarante  cavaliers 
pour  surveiller  le  chemin  par  lequel  nous  devions  venir  à  Gempoal  ; 
on  aurait  des  espions  au  passage  de  la  rivière,  choisissant  pour  cela 
quelques  hommes  à  cheval  et  quelques  piétons  habitués  à  la  course, 
capables  de  donner  avis  promptement;  de  plus,  vingt  cavaliers  res- 
teraient montés  dans  la  cour  de  la  maison  occupée  par  Narvaez. 
Telles  furent  les  dispositions  que  l'on  conseilla  au  général  pour  le 
décider  à  retourner  à  Gempoal.  Ils  ajoutèrent  du  reste  :  «  Gomment, 
senor,  pouvez-vous  croire  que  Gortès  se  hasarde  à  marcher  contre 
nous  avec  sa  petite  poignée  d'hommes,  et  cela  parce  que  le  gros 
Indien  nous  l'affirme?  Détrompez-vous  et  soyez  plutôt  persuadé  que 
ses  défis  et  ses  simulacres  de  marche  en  avant  n'ont  pas  d'autre  but 
que  de  vous  amener  à  un  arrangement  avec  lui.  » 

Il  en  résulta  que  Narvaez  revint  à  ses  quartiers.  Après  son  retour 
il  promit  publiquement  une  récompense  de  deux  mille  piastres  à 
quiconque  tuerait  Gortès  ou  Gonzalo  de  Sandoval.  Il  posta  comme 
espions  sur  la  rivière  un  nommé  Hurtado  et  Gonzalo  Garrasco  qui 
actuellement  habite  Puebla.  Le  mot  d'ordre  pendant  la  bataille 
contre  nous  devait  être  :  Santa  Maria!  santa  Maria!  Outre  ces  pré- 
paratifs, Narvaez  ordonna  que  plusieurs  soldats,  avec  escopettes, 
arbalètes  et  pertuisanes,  passassent  la  nuit  dans  la  maison  qu'il 
habitait.  Il  fit  de  même  pour  les  logements  de  Salvatierra,  de 
Gamarra  et  de  Juan  Bono.  Telles  furent  les  mesures  que  Narvaez 
prit  dans  ses  quartiers.  Je  dirai  maintenant  les  ordres  qui  se  don- 
nèrent dans  notre  camp. 


CHAPITRE  GXXII 


De  ce  qui  fut  convenu  dans  notre  camp  pour  marcher  contre  Narvaez;  le  discours 
que  Cortès  nous  adressa,  et  ce  que  nous  répondîmes. 

Quand  nous  fûmes  arrivés  au  petit  ruisseau  dont  j'ai  parlé,  et  qui 
se  trouve  à  environ  une  lieue  de  Gempoal,  au  milieu  d'excellentes 
prairies,  nous  choisîmes  pour  éclaireurs  des  hommes  de  confiance  et 
les  envoyâmes  en  avant.  Notre  capitaine  Gortès,  déjà  à  cheval,  nous 
lit  tous  appeler,  officiers  et  soldats.  Nous  voyant  réunis,  il  nous  pria 
en  grâce  de  garder  le  silence  et  il  commença  immédiatement  à  nous 


336  CONQUÊTE 

adresser  la  parole  en  termes  si  bien  choisis,  si  mielleux,  si  pleins  de 
promesses,  qu'il  me  serait  impossible  de  les  transcrire  ici.  Il  nous 
rappelait  tous  les  événements,  depuis  notre  sortie  de  Cuba  jusqu'au 
moment  présent,  et  il  disait  : 

«  Vous  savez  fort  bien  que  Diego  Velasquez,  gouverneur  de  Cuba, 
fit  choix  de  ma  personne  pour  capitaine  général,  sans  pourtant  mé- 
connaître que  parmi  vous  il  y  en  a  plusieurs  dignes  de  cet  honneur. 
Vous  dûtes  croire  alors  que  nous  venions  ici  pour  coloniser  ces  pro- 
vinces, puisque  cela  fut  ainsi  proclamé,  et  cependant  vous  n'ignorez 
pas  maintenant  que  le  but  de  celui  qui  vous  envoyait  était  le  trafic 
de  l'or.  Vous  n'avez  pas  oublié  ce  qui  se  passa  lorsque  je  prétendis 
revenir  à  l'île  de  Cuba,  pour  rendre  compte  à  Diego  Velasquez  de 
l'exécution  de  ses  ordres,  conformément  à  ses  instructions.  Vous 
crûtes  alors  devoir  me  sommer  de  coloniser  le  pays  au  nom  de  Sa 
Majesté,  ainsi  que,  grâce  à  Notre  Seigneur,  nous  l'avons  déjà  fait, 
en  agissant  de  la  manière  la  plus  raisonnable.  Vous  me  nommâtes, 
en  outre,  capitaine  général  et  grand  justicier,  jusqu'à  ce  qu'il  plût  à 
Sa  Majesté  de  donner  d'autres  ordres.  Parmi  vous  il  y  eut  quelques 
personnes  qui  prétendirent  retourner  à  Cuba.  Mais  je  n'ai  pas  besoin 
d'insister  sur  ces  faits,  puisque  c'est  hier,  pour  ainsi  parler,  qu'ils 
se  sont  passés.  Ce  qu'il  convient  de  dire,  c'est  que  notre  résolution 
de  rester  fut  sainte  et  louable,  et  il  est  clair  que  nous  rendîmes  ainsi 
un  grand  service  à  Dieu  et  à  notre  Roi.  Vous  n'ignorez  pas  ce  que 
nous  avons  promis  à  Sa  Majesté,  après  lui  avoir  fait  le  récit  des  évé- 
nements qui  nous  concernent,  et  à  ce  dernier  propos  nous  n'avons 
rien  oublié.  Nous  avons  dit  que  ce  pays,  tel  que  nous  l'avons  vu  et 
connu,  est  quatre  fois  plus  étendu  que  la  Gastille  *  ;  qu'il  possède  de 
grands  centres  de  population  ;  qu'il  est  très-riche  en  or  et  en  mines, 
et  qu'il  est  entouré  d'autres  vastes  contrées.  Vous  savez  que  nous 
suppliâmes  Sa  Majesté  de  n'en  donner  le  commandement  à  aucune 
autre  personne,  craignant  qu'il  ne  Lui  fût  demandé  par  l'évêque  de 
Burgos,  don  Juan  Rodriguez  de  Fonseca,  alors  président  du  Conseil 
des  Indes  et  homme  tout-puissant,  pour  Diego  Velasquez  ou  pour 
quelque  autre  ami  de  l'évêque.  Or  ce  pays  est  si  important  et  paraît  à 
tel  point  convenir  à  un  Infant  ou  grand  seigneur,  que  nous  avions 
résolu  de  ne  le  mettre  à  la  disposition  de  personne,  jusqu'à  ce  que 
nos  procureurs  pussent  parler  à  Sa  Majesté,  ou  que  nous  eussions 
l'occasion  de  voir  un  ordre  signé  du  Roi;  et  il  était  bien  entendu 
qu'en  voyant  la  royale  signature,  n'importe  quel  en  fût  l'objet,  nous 
inclinerions  nos  poitrines  vers  la  terre  en  signe  d'obéissance.  Vous 
n'avez  pas  du  reste  oublié  que,  lorsque  nous  écrivîmes  à  Sa  Majesté, 

ï.  N'oublions  lias  que  l'auteur  emploie  ici  le  mot  de  Castille  pour  désigner  l'Espagne 
entière,  ou  du  moins  tous  les  domaines  de  la  eouronne  de  Castille. 


DE  LA  NOUVELLE-ESPAGNE.  337 

nous  Lui  adressâmes  tout  l'or,   tout  l'argent  et   tous  les  bijoux  que 
nous  avions  pu  acquérir  jusqu'alors.  » 

Gortès  ajouta  :  «  Vous  vous  souviendrez  sans  doute,  sefiorcs,  com- 
bien de  ibis  nous  avons  été  sur  le  point  de  périr  dans  les  batailles 
qu'on  nous  a  livrées;  mais  il  est  inutile  d'en  parler,  puisque  nous 
comptons  comme  faisant  partie  de  notre  existence  les  marches,  le 
vent,  la  pluie,  la  faim,  le  poids  de  nos  armes,  coucher  sur  la  dure, 
sous  la  neige  et  les  averses;  de  telle  façon  qu'à  bien  considérer  les 
choses  nos  peaux  ne  sont  plus  que  de  véritables  cuirs  tannés  par  les 
fatigues.  Je  ne  vous  redirai  pas  que  plus  de  cinquante  de  nos  com- 
pagnons sont  morts  dans  les  combats,  et  combien  d'entre  vous  sont 
embarrassés  de  bandages,  empêchés  par  des  blessures  qui  ne  sont 
pas  encore  cicatrisées.  Je  voudrais  bien  rappeler  à  votre  souvenir  et 
nos  souffrances  pendant  la  traversée,  et  les  batailles  de  Tabasco,  et 
nos  compagnons  qui  se  trouvèrent  au  combat  d'Almeria,  et  l'événe- 
ment de  Gingapacinga,  et  le  nombre  de  fois  que  nos  vies  furent  en 
danger  par  les  chemins  à  travers  les  sierras;  et  dans  les  batailles  de 
Tlascala,  à  quelles  extrémités  nous  fûmes  réduits,  et  comment  on 
nous  y  traita;  comme  quoi,  à  Gholula,  on  avait  déjà  préparé  les  mar- 
mites où  bouilliraient  nos  corps  pour  servir  de  nourriture.  Vous 
n'avez  pas  oublié  notre  ascension  au  passage  de  la  sierra  où  les  forces 
de  Montezuma  s'étaient  concentrées  pour  ne  laisser  aucun  de  nous 
vivant;  vous  vous  rappelez  ces  chemins  coupés  et  tout  remplis 
d'obstacles  par  les  arbres  qu'on  y  avait  abattus  ;  et  les  périls  de  notre 
entrée  et  de  notre  séjour  dans  la  grande  ville  de  Mexico.  Combien 
de  fois  nous  avons  vu  la  mort  devant  nous  !  Qui  pourrait  faire  trop 
l'éloge  de  tous  ces  événements?  Que  ceux  d'entre  vous  qui  étaient  déjà 
venus  dans  ce  pays  deux  fois  avant  nous,  avec  Francisco  Hernandez 
de  Gordova  d'abord  et  ensuite  avec  Juan  de  Grijalva,  se  rappellent  les 
fatigues,  la  faim,  la  soif,  les  blessures,  la  mort  de  plusieurs  cama- 
rades qu'ils  eurent  à  déplorer  en  découvrant  ce  pays;  sans  oublier 
ce  qu'ils  dépensèrent  de  leur  avoir  dans  ces  deux  voyages.  » 

Gortès  ajouta  qu'il  aurait  à  raconter  bien  d'autres  choses  en  détail, 
mais  qu'il  ne  le  ferait  pas,  faute  de  temps,  car  il  était  tard  et  la  nuit 
approchait.  Il  dit  encore  cependant  :  «  Mais  voyez,  senores  :  Pam- 
philo  de  Narvaez  marche  contre  nous  avec  une  véritable  rage  et  avec 
le  désir  ardent  que  nous  tombions  entre  ses  mains.  A  peine  débar- 
qué, il  nous  qualifiait  de  traîtres  et  de  méchantes  gens;  il  adressait 
à  Montezuma,  sur  notre  compte,  non  les  paroles  d'un  sage  capitaine, 
mais  celles  d'un  véritable  perturbateur  ;  il  avait  en  outre  l'audace 
d'arrêter  un  auditeur  de  Sa  Majesté,  et,  ne  fût-ce  que  pour  ce  délit, 
il  mériterait  châtiment.  Vous  avez  su  qu'il  faisait  proclamer  dans  son 
quartier  contre  nous  une  guerre  sans  merci,  comme  si  nous  étions 
des  Maures.  »  Après  ces  paroles,  Gortès  commença  à  exalter  nos  per- 

22 


338  CONQUÊTE 

sonnes,  notre  courage  à  la  guerre  et  dans  les  batailles,  rappelant  que 
jusque-là  nous  avions  combattu  pour  nos  vies,  tandis  qu'à  présent  nos 
existences  et  notre  honneur  étaient  en  jeu  ;  qu'on  venait  nous  arrêter, 
nous  chasser  de  nos  logements  et  y  prendre  nos  biens  ;  que  cepen- 
dant nous  ignorions  si  ce  Narvaez  était  porteur  de  pouvoirs  de  notre 
Roi  et  seigneur,  car  nous  devions  plutôt  croire  qu'il  tenait  ceux  dont 
il  était  porteur  de  la  faveur  de  l'évêque  de  Burgos  notre  ennemi  ; 
que  si  nous  avions  le  malheur  de  tomber  en  ses  mains  (ce  qu'à  Dieu 
ne  plût!),  tous  les  services  par  nous  rendus  à  Dieu  et  à  Sa  Majesté 
passeraient  pour  mauvaises  actions  ;  on  nous  ferait  des  procès  ;  on 
dirait  que  nous  avions  tué,  pillé,  détruit  dans  ce  pays,  tandis  que 
c'étaient  eux  les  pillards,  les  perturbateurs  et  les  ennemis  de  notre 
Roi  et  seigneur,  auprès  de  qui  ils  vanteraient  néanmoins  leurs  ser- 
vices. «  Nous  voyons  clairement,  ajoutait  Gortès,  que  tout  ce  que 
j'ai  dit  est  la  vérité  et  que  nous  devons  veiller  à  notre  honneur  et  à 
celui  de  Sa  Majesté,  non  moins  qu'à  la  défense  de  nos  vies  et  de  nos 
biens;  voilà  dans  quelle  intention  je  suis  parti  de  Mexico,  mettant 
ma  confiance  en  Dieu  et  espérant  tout  de  votre  secours.  »  C'est  ainsi 
qu'il  termina,  car  il  avait  l'habitude  de  tout  remettre  entre  les  mains 
de  Dieu  d'abord  et  d'en  appeler  ensuite  à  nos  efforts. 

Gela  dit,  il  nous  demanda  ce  que  nous  en  pensions.  Nous  répon- 
dîmes ensemble,  à  l'aide  surtout  de  Juan  Yelasquez  de  Léon,  de 
Francisco  de  Lugo  et  de  quelques  autres  capitaines,  qu'il  voulût  bien 
tenir  pour  assuré  que,  Dieu  aidant,  nous  remporterions  la  victoire, 
ou  que  nous  mourrions  dans  le  combat;  qu'il  ne  se  laissât  gagner  par 
aucun  parti,  attendu  que,  s'il  entreprenait  quelque  chose  de  répré- 
hcnsible,  il  tomberait  sous  nos  coups.  En  voyant  notre  résolution,  il 
témoigna  de  sa  joie,  assurant  qu'il  s'était  mis  en  marche  plein  de 
confiance  en  nous,  et  il  continua  son  discours  en  faisant  mille  pro- 
messes et  en  affirmant  que  nous  deviendrions  tous  riches  et  puissants. 
Il  ne  s'en  tint  pas  là  :  il  nous  pria  en  grâce  de  garder  le  silence, 
puisqu'on  fait  de  guerres  et  de  campagnes  il  faut  de  la  prudence  et 
du  savoir-faire  plus  encore  que  de  la  hardiesse,  pour  arriver  à  vaincre 
son  ennemi;  il  ajouta  qu'il  n'ignorait  nullement  le  valeureux  élan 
dont  nous  étions  capables;  qu'il  savait  fort  bien  que,  pour  gagner 
plus  d'honneur,  chacun  de  nous  s'efforcerait  d'arriver  le  premier  à 
l'ennemi;  qu'il  ne  voulait  pas  cela,  mais  bien  qu'on  avançât  avec 
ordre  et  par  compagnies.  Il  recommandait  qu'avant  tout  on  s'emparât 
de  l'artillerie,  composée  de  dix-huit  pièces  rangées  au-devant  des 
logements  de  Narvaez;  il  confiait  le  soin  de  cette  affaire  à  un  certain 
Pizarro.  (J'ai  déjà  dit  qu'en  ce  temps-là  il  n'était  encore  question  ni 
d'un  Pizarro,  ni  d'un  Pérou,  puisque  ce  pays  n'était  point  découvert.: 
Or  ce  Pizarro  était  jeune  et  fort  alerte;  notre  général  le  fit  accompa- 
gner de  soixante  soldats  jeunes  aussi,  parmi  lesquels  mon  nom  figura. 


DE  LA  NOUVELLE-ESPAGNE.  339 

Gortès  ordonna  que,  l'artillerie  prise,  on  se  dirigeât  sur  le  logement 
de  Narvacz,  situé  à  la  partie  la  plus  élevée  d'un  temple;  il  fit  choix 
de  Sandoval  avec  soixante  hommes  pour  s'emparer  de  sa  personne; 
et  comme  cet  officier  était  en  même  temps  alguazil  mayor,  on  lui 
donna  un  ordre  écrit,  ainsi  conçu  :  «  Gonzalo  de  Sandoval,  alguazil 
mayor  de  la  Nouvelle-Espagne  pour  Sa  Majesté,  je  vous  ordonne 
de  vous  emparer  de  Pamphilo  de  Narvaez  et  de  le  tuer  s'il  se  dé- 
fend, parce  que  cela  convient  au  service  de  Dieu  et  de  Sa  Majesté, 
à  laquelle  il  a  pris  un  de  ses  auditeurs.  Donné  en  ce  quartier  royal. 
Signé  :  Hernando  Gortès.  »  Suivait  le  contre-seing  de  son  secrétaire, 
Pedro  Hernandez. 

Cet  ordre  étant  donné,  il  promit  trois  mille  piastres  au  premier 
qui  mettrait  la  main  sur  Narvaez,  deux  mille  à  celui  qui  arriverait 
second,  et  mille  au  troisième,  ajoutant  que  cette  promesse  était  seu- 
lement pour  les  gants,  mais  qu'en  réalité  nous  pouvions  voir  déjà 
que  la  fortune  allait  s'ouvrir  devant  nous.  Le  général  donna  l'ordre  à 
Juan  Velasquez  de  Léon  de  prendre  le  jeune  Velasquez,  avec  lequel 
il  avait  eu  sa  querelle,  et  lui  confia  soixante  autres  soldats.  Quant  à 
Gortès  lui-même,  considérant  sa  valeur  personnelle,  il  ne  garda  que 
vingt  soldats,  se  réservant  de  se-  porter  où  besoin  serait.  Mais  où  il 
désirait  surtout  se  trouver,  c'était  à  la  prise  de  Salvatierra  et  de  Nar- 
vaez, qui  logeaient  sur  les  hauteurs  fortifiées  du  temple.  Ayant  signé 
les  ordres  donnés  à  ses  capitaines,  il  dit  encore  :  «  Je  n'ignore  pas 
que  la  force  de  Narvaez  représente  au  moins  quatre  fois  la  nôtre; 
mais  ses  gens  ne  sont  pas  habitués  au  métier  des  armes.  Gomme 
d'alleurs  la  plupart  sont  en  mauvais  termes  avec  leur  général  et  que 
plusieurs  sont  malades,  nous  les  prendrons  à  l'improviste.  J'ai  la 
confiance  que  Dieu  nous  donnera  la  victoire  et  que  nos  ennemis  ne 
mettront  pas  grande  ardeur  à  la  défense,  sachant  bien  qu'ils  auront 
plus  à  gagner  avec  nous  qu'avec  Narvaez.  Ainsi  donc,  senores,  puis- 
que nos  vies  et  notre  honneur  reposent  aujourd'hui,  après  Dieu,  sur 
vos  efforts  et  sur  la  vigueur  de  vos  bras,  je  n'ai  pas  besoin  de  vous 
rappeler  autre  chose,  sinon  que  notre  renommée  future  dépend  de 
l'action  que  nous  allons  entreprendre,  et  qu'il  vaut  mieux  mourir 
pour  l'honneur  que  conserver  honteusement  sa  vie.  »  Gomme  il  pleu- 
vait fort  en  ce  moment  et  que  d'ailleurs  il  était  très-tard,  les  discours 
s'arrêtèrent  là. 

Une  chose  à  laquelle  j'ai  pensé  depuis,  c'est  que  Gortès  ne  nous  dit 
pas  un  mot  des  connivences  sur  lesquelles  il  comptait  dans  le  camp 
ennemi;  il  ne  se  vanta  pas  que  l'un,  que  l'autre  nous  dussent  être 
favorables.  Rien  de  tout  cela  ne  lui  sortit  de  la  bouche,  sinon  qu'il 
fallait  combattre  en  gens  de  cœur;  et  certes,  ne  nous  rien  dire  au 
sujet  des  amis  qu'il  avait  dans  l'entourage  de  Narvaez,  c'était  le  fait 
d'un  capitaine  bien  avisé  :  il  ne  voulait  pas  que  ce  fut  là  pour  nous 


340  CONQUÊTE 

un  motif  de  combattre  avec  moins  de  vigueur,  mais  bien  que,  n'ayant 
à  compter  sur  personne  que  sur  Dieu  seul,  nous  missions  davantage 
en  jeu  notre  bonne  résolution. 

Laissons  cela  et  disons  comme  quoi  les  capitaines  que  j'ai  nommés 
s'entourèrent  des  soldats  qui  leur  étaient  assignés  et  s'animèrent  les 
uns  les  autres.  De  son  côté,  mon  capitaine  Pizarro,  avec  lequel  nous 
allions  nous  emparer  de  l'artillerie,  —  entreprise  des  plus  périlleu- 
ses, qui  devait  signaler  le  début  de  l'attaque  et  nous  mener  jusque 
sur  les  pièces,  —  nous  disait  d'un  ton  très-animé  comment  il  fallait 
attaquer,  la  pique  en  avant,  jusqu'à  ce  que  nous  fussions  maîtres  des 
canons.  Il  ordonnait  en  même  temps  à  Mesa  et  au  Sicilien  Aruega 
de  retourner  les  pièces  aussitôt  qu'elles  seraient  prises,  et  d'envoyer 
sur  le  logement  de  Salvatierra  les  boulets  dont  elles  se  trouveraient 
chargées.  Je  veux  dire  la  grande  pénurie  d'armes  défensives  où  nous 
étions  :  pour  une  cotte  de  mailles,  pour  un  morion,  pour  un  casque 
ou  pour  une  mentonnière  en  fer,  nous  aurions  donné  ce  soir-là  tout 
ce  qu'on  nous  eût  demandé  et  même  tout  ce  que  nous  avions  gagné 
jusqu'alors.  On  nous  fit  passer  secrètement  le  mot  d'ordre  de  la  bataille  : 
Espiritu  Santo,  Espirilu  Santo  !  On  sait  que  c'est  là  une  mesure  en 
usage  à  la  guerre,  afin  qu'on  puisse  se  reconnaître  sur  un  signe  qui 
est  ignoré  de  l'ennemi.  Ceux  de  Narvaez  avaient,  eux,  pour  mot  d'or- 
dre :  Santa  Maria,  santa  Maria  ! 

Tout  cela  convenu,  comme  j'étais  grand  ami  et  serviteur  du  capi- 
taine Sandoval,  il  me  dit  ce  soir-là  que,  si  j'avais  la  chance  de  con- 
server la  vie,  je  ne  le  perdisse  pas  de  vue,  après  que  nous  aurions 
pris  l'artillerie,  mais  que  je  me  misse  à  sa  suite.  Je  le  lui  promis  et  je 
tins  parole,  comme  on  va  le  voir.  Mais,  auparavant,  parlons  de  ce  que 
l'on  fit  pendant  la  nuit.  Nous  préparâmes  tout  avec  soin  et  nous  réflé- 
chîmes bien  à  ce  qui  était  devant  nous.  Pour  ce  qui  est  du  souper, 
nous  n'avions  absolument  rien.  Nos  éclaireurs  prirent  les  devants.  Je 
fus  choisi  avec  deux  autres  soldats  pour  veiller  en  sentinelle  avancée. 
Bientôt  un  de  nos  éclaireurs  vint  à  moi  et  me  demanda  si  j'avais  en- 
tendu quelque  chose  :  je  répondis  que  non.  Un  instant  après,  apparut 
un  homme  de  quadrilla  nous  disant  que  le  Galleguillo,  qui  était  venu 
du  quartier  ennemi,  avait  disparu,  ce  qui  indiquait  un  espion  de 
Narvaez  et  obligeait  Gortès  à  donner  l'ordre  de  marcher  immédiate- 
ment sur  Gcmpoal.  Nous  entendîmes  en  effet  le  fifre  et  le  tambour; 
nous  vîmes  les  capitaines  ranger  leurs  soldats  et  nous  entreprîmes 
tous  ensemble  notre  marche.  Quant  au  Galleguillo,  nous  le  trouvâ- 
mes dormant  sous  des  couvertures  :  comme  il  pleuvait  et  que  le  pau- 
vre garçon  n'était  pas  habitué  au  froid  et  aux  averses,  il  s'était  mis  à 
l'abri  pour  se  reposer. 

Nous  prîmes  le  pas  accéléré,  faisant  taire  le  fifre  et  le  tambour,  et 
nos  éclaireurs  marchant  en  avant  pour  reconnaître  les  lieux.  Nous 


DE  LA  NOUVELLE-ESPAGNE.  341 

arrivâmes  ainsi  à  la  rivière  où   se  tenaient  les  espions  de  Narvaez, 
nommés  Gronzalo  Garrasco  et  Hurtado.    Nous   tombâmes   sur  eux  à 
l'improviste  et  réussîmes  à  nous  emparer  de  Garrasco;  mais  l'autre 
s'enfuit  vers  le  quartier,  criant  aux  armes  et  disant  :  «  Voilà  Gorlès 
qui  avance!  »  Je  me   rappelle  qu'en  traversant   la  rivière,  qui  était 
profonde,   comme  il  pleuvait  et  que   d'ailleurs  les  pierres   du  fond 
étaient  glissantes,  les  piques  et  tout  l'armement  dont  nous  étions 
chargés  nous  causèrent  bien  de  l'embarras.  Je  n'ai  pas  oublié  non 
plus  que,  quand  on  prit  Garrasco,  il  disait  à  Gortès  à  haute  voix  : 
«  Attention,  senor,  n'allez  pas  à  la  ville,  car  je  jure  que  Narvaez  vous 
attend  avec  toute  son  armée.  »  Gortès  chargea  son  secrétaire,  Pedro 
Hernandez,  de  le  garder.  Nous  n'oubliâmes  pas  d'ailleurs  que  Hur- 
tado avait  été  donner  avis  de  notre  approche  ;  nous  ne  nous  arrêtâmes 
donc   guère,  car  nous  l'entendions  pousser  de  grands  cris  en  appe- 
lant aux  armes,  et  nous  distinguions  la  voix  de  Narvaez  lui-même 
mandant  ses  capitaines. 

Nous  mîmes  alors  la  pique  en  avant  et  nous  tombâmes  sur  l'artil- 
lerie avec  un  élan  qui  ne  laissa  pas  aux  canonniers  le  temps  de  faire 
feu  sur  nous;  ils  y  réussirent  pourtant  avec  quatre  pièces,  dont  trois 
envoyèrent  leurs  boulets  trop  haut,  tandis  que  la  quatrième  tua  trois 
de  nos  camarades.  En  ce  même  moment  arrivèrent  tous  nos  capi- 
taines, au  bruit  du  tambour  et  du  fifre,  qui  sonnaient  la  charge.  Ils 
donnèrent  dans  les  cavaliers  de  Narvaez,  s'y  arrêtèrent  un  instant  et 
mirent  hors  de  combat  six  ou  sept  d'entre  eux.  Quant  à  nous  qui 
avions  pris  l'artillerie,  nous  n'osions  pas  l'abandonner,  car  Narvaez  y 
dirigeait  l'attaque  en  lançant,  de  ses  logements,  des  flèches  et  des 
coups  d'escopette.  Mais  voilà  que  le  capitaine  Sandoval  arrive  à  son 
tour;  il  entreprend  la  montée  des  degrés  du  temple;  les  gens  de  Nar- 
vaez ont  beau  faire  résistance  avec  leurs  flèches,  leurs  escopettes, 
leurs  pertuisanes  et  leurs  lances  :  il  gravit  les  pentes  avec  tous  ses 
soldats.  Nous  qui  avions  pris  l'artillerie,  voyant  alors  qu'on  n'avait 
plus  besoin  de  nous  pour  la  défendre,  nous  la  confiâmes  définitive- 
ment aux  artilleurs. 

Plusieurs  de  nous,  ayant  le  capitaine  Pizarro  à  notre  tête,  mar- 
châmes au  secours  de  Sandoval  ;  les  gens  de  Narvaez  l'avaient  obligé 
à  descendre  six  ou  sept  degrés  du  temple,  mais  notre  arrivée  lui 
permit  de  reprendre  le  terrain  perdu.  Nous  nous  battîmes  un  instant 
avec  nos  longues  piques,  et  tout  à  coup  nous  reconnûmes  la  voix  de 
Narvaez  s'écriant  :  «  Sainte  Marie,  venez  à  mon  aide....  on  m'a  tué.... 
on  m'a  crevé  un  œil!  »  Quand  nous  entendîmes  ces  plaintes,  nous 
nous  mîmes  à  crier  de  notre  côté  :  «  Victoire,  victoire  pour  le  parti 
de  YEspiritu  Santof  Narvaez  est  mort  !  »  Quoi  qu'il  en  soit,  il  nous 
avait  été  impossible  jusque-là  d'arriver  au  sommet  du  temple  où 
l'ennemi   s'était  réfugié;  mais  un  nommé  Martin  Lopez,  celui   des 


342  CONQUÊTE 

brigantins,  homme  de  taille  élevée,  mit  le  feu  à  un  amas  de  paille 
qui  s'y  trouvait,  ce  qui  fut  pour  les  gens  de  Narvaez  l'occasion  de 
rouler  ensemble  jusqu'au  bas  des  degrés.  C'est  en  ce  moment  qu'on 
prit  Narvaez;  le  premier  qui  mit  la  main  dessus  fut  un  certain  Pe- 
dro Sanchez  Farfan;  c'est  moi  qui  le  présentai  à  Sandoval  en  même 
temps  que  quelques-uns  de  ses  capitaines  qui  se  trouvaient  avec  lui, 
tandis  qu'on  entendait  les  cris  :  «  Vive  le  Roi  !  vive  le  Roi  !  et  en  son 
nom  vive  Gortès!  Victoire!  victoire!  Narvaez  est  mort!  » 

Mais  voyons  d'un  autre  côté  ce  qui  arrivait  à  Gortès  et  aux  capi- 
taines qui  étaient  encore  à  se  battre  contre  les  gens  de  Narvaez,  dont 
la  reddition  n'était  pas  complète,  parce  qu'ils  avaient  l'avantage  de 
leur  position  sur  les  hauteurs  des  temples.  Nos  artilleurs  tiraient  sur 
eux  et  nos  cris  de:  «Narvaez  est  mort!  »  ne  cessaient  pas  de  se  faire 
entendre.  Les  choses  en  étaient  là,  lorsque  Gortès,  qui  était  en  tout 
très-avisé,  fit  proclamer  que  les  hommes  de  Narvaez  eussent  à  re- 
joindre, sous  peine  de  mort,  la  bannière  de  sa  Majesté,  et  à  se  ran- 
ger aux  ordres  de  Gortès.  Malgré  tout,  les  soldats  de  Diego  Velasquez 
le  jeune  et  de  Salvatierra  ne  se  rendaient  pas  et  il  avait  été  impos- 
sible d'arriver  jusqu'aux  hauteurs  des  temples  où  ils  s'étaient  établis, 
lorsque  Gonzalo  de  Sandoval  prit  la  moitié  de  ses  gens  et,  tant  sous 
l'influence  de  nos  coups  que  par  l'effet  de  nos  sommations,  on  réussit 
enfin  et  l'on  s'empara  de  Salvatierra  avec  tous  ses  hommes  et  de 
Diego  Velasquez  le  jeune.  Gela  fait,  Sandoval  s'en  vint  avec  ceux  qui 
avaient  pris  Narvaez,  dans  le  but  de  le  mettre  sous  bien  meilleure 
garde,  quoique  nous  l'eussions  déjà  attaché  avec  deux  solides  chaînes 
aux  pieds. 

Lorsque  Salvatierra,  Diego  Velasquez  le  jeune,  Gamarra,  Juan 
Yuste  et  Juan  Rono  le  Rasque  eurent  été  mis  en  sûreté  par  les  soins 
de  Gortès,  de  Juan  Velasquez  et  de  Ordas,  notre  général  vint  sans  se 
faire  annoncer  à  l'endroit  où  se  trouvait  Narvaez.  Or  la  chaleur  était 
si  forte,  le  poids  des  armes  si  considérable,  il  avait  tant  marché  et 
couru  d'un  côté  et  de  l'autre,  appelant  les  soldats  et  faisant  faire  des 
sommations,  qu'il  arriva  couvert  de  sueur,  fatigué,  hors  d'haleine, 
et  pouvant  à  peine  se  faire  comprendre  en  parlant,  tant  il  était  ha- 
rassé de  fatigue.  S'adressant  à  Sandoval,  il  dit  par  deux  fois  :  «  Qu'ar- 
rive-t-il  avec  Narvaez?  Que  se  passe-t-il  avec  Narvaez?  »  Et  Sandoval 
répondit  :  «  Il  est  là,  il  est  là,  et  bien  en  sûreté.  »  Cortès,  toujours 
sans  haleine,  dit  alors  à  Sandoval  :  «  Attention,  mon  fils,  que  ni  vous 
ni  vos  camarades  ne  vous  éloigniez  de  lui;  qu'il  n'aille  pas  vous 
échapper,  pendant  que  je  vais  m'occuper  d'autre  chose;  attention 
aussi  à  ces  capitaines  que  vous  avez  pris  avec  lui,  et  veillez  bien  à 
tout.  »  Sur  ce,  il  disparut,  pour  aller  faire  proclamer  de  nouveau 
que,  sous  peine  de  mort,  tous  les  partisans  de  Narvaez  devaient  venir 
jurer  soumission  au  drapeau  de  Sa  Majesté,  et  en  son  nom  royal  à 


DE  LA  NOUVELLE-ESPAGNE.  343 

FcrnandCortès,  son  capitaine  général  et  son  grand  justicier;  que  per- 
sonne du  reste  ne  gardât  ses  armes,  qui  devaient  toutes  être  remises 
à  nos  alguazils. 

Le  jour  n'avait  pas  encore   paru;  la   pluie  tombait  de  temps  en 
temps.  Cependant   la   lune  nous  éclairait,   tandis  que,   quand  nous 
arrivâmes,  la  nuit  était  obscure  et  la  pluie  battante,  ce  qui  ne  fut 
pas  inutile  au  succès  de  notre  attaque.  Gomme  d'ailleurs  au  milieu 
de  l'obscurité  tout  à  coup  brillaient  une  foule  de  mouches  luisantes, 
plusieurs  soldats  de  Narvaez  les  prenaient  pour  des  coups   d'esco- 
pette.  Quoi  qu'il  en  soit,  Narvaez,  grièvement  blessé,  ayant  un  œil 
crevé,  demanda  à  Sandoval  qu'un  chirurgien  de  l'expédition,  nommé 
maître  Jean,  vînt  le  panser,  ainsi  que  'd'autres  capitaines  qui  étaient 
blessés.  Gortès,  l'ayant  permis,   s'approcha  en  secret  pour  assister 
au  pansement.  On  en  avertit  Narvaez  qui  s'écria  :  «  Capitaine  Cortès, 
estimez  hautement  la  victoire  que  vous  avez  remportée  et  l'honneur 
d'avoir  mis  la  main  sur  ma  personne.  »  Cortès  lui  répondit  qu'il 
rendait  grâces  à  Dieu  pour  cette  faveur,  non  moins  qu'aux  valeureux 
soldats   et  compagnons  qui  y  avaient   si  puissament  contribué.   Il 
ajouta  néanmoins  que  le  fait  d'armes  par  lequel  il  venait  de  le  battre 
et  de  s'emparer   de    lui  était  certainement  un  des  plus  petits   évé- 
nements de  sa  campagne  dans  la  Nouvelle-Espagne.  Il  demanda  en 
outre  au  blessé  s'il  continuait  à  considérer  comme  une  bonne  action 
d'avoir  eu  la  hardiesse  de  mettre  Ja  main  sur  un  auditeur  de  Sa  Ma- 
jesté. Il  partit  sans  lui  adresser  une  parole  de  plus,  ordonnant  à  San- 
doval de  le  tenir  sous  bonne  garde,  d'y  employer  des  hommes  de 
confiance  et  d'avoir  soin  lui-même  de  ne  pas  le  perdre  de  vue.  On 
lui  avait  jdéjà  mis  les  fers  aux  pieds,  en  l'amenant  dans  un  logement 
où  l'on  choisit  les  soldats  qui  seraient  chargés  de  le  garder.  Sando- 
val, qui  avait  décidé  que  j'en  ferais  partie,  m'ordonna  secrètement  de 
ne  laisser  approcher  de  lui  aucun  de  ses  hommes,  jusqu'à  ce  qu'il  fit 
jour  et  que  Cortès  pût  prendre  des  mesures  pour  le  mettre  mieux 
en  sûreté. 

Disons  maintenant  que  Narvaez  avait  envoyé  précédemment  qua- 
rante cavaliers  pour  nous  attendre  au  passage  de  la  rivière  quand 
nous  marchions  sur  Cempoal.  Nous  apprîmes  que  ces  hommes  se  trou- 
vaient encore  dans  ces  localités  ;  la  crainte  nous  vint  qu'il  ne  leur  prît 
fantaisie  de  nous  attaquer  dans  le  but  de  délivrer  leurs  officiers  et  Nar- 
vaez lui-même  que  nous  avions  faits  prisonniers.  Aussi  fîmes-nous 
bonne  garde  pendant  que  Cortès  les  envoyait  prier  de  se  rendre  à  lui, 
en  ajoutant  à  ses  prières  les  plus  belles  promesses.  Pour  les  mieux 
attirer,  il  leur  envoya  le  mestre  de  camp  Christoval  de  Oli  et  Diego  de 
Ordas.Ils  y  furent,  montés  sur  des  chevaux  appartenant  à  l'expédition 
de  Narvaez.  Nous  n'avions  pas  amené  les  nôtres  qui  étaient  restés  at- 
tachés sur  un  petit  monticule,  près  de  Cempoal;  nous  n'avions  em- 


344  CONQUETE 

porté  avec  nous  que  des  piques,  des  épées,  des  rondaches  et  des 
poignards.  Nos  messagers  prirent  pour  guide  un  soldat  de  Narvaez, 
qui  leur  indiqua  le  chemin  suivi  par  ces  cavaliers;  ils  ne  tardèrent 
pas  à  les  rencontrer  et  ils  les  gagnèrent  par  les  offres  et  les  pro- 
messes qu'ils  leur  firent  de  la  part  de  Gortès. 

Le  jour  se  leva  avant  que  les  cavaliers  arrivassent  à  Gempoal.  Là, 
sans  que  notre  général  ni  personne  en  eût  donné  l'ordre,  les  soldats 
de  Narvaez  se  mirent  à  battre  leurs  atabales  et  leurs  tambours  en 
criant  :  «  Vivent  les  fameux  Romains  qui,  malgré  leur  petit  nombre, 
ont  vaincu  Narvaez  et  ses  guerriers  !  »  Un  nègre,  nommé  Guidela, 
truand  fort  comique  de  Narvaez,  poussait  des  vociférations  en  disant  : 
«  Voyez  un  peu  comme  les  Romains  nous  ont  fait  ce  bel  exploit  !  » 
Nous  avions  beau  leur  dire  de  se  taire  et  de  cesser  de  battre  leurs 
tambours  ;  impossible  de  l'obtenir,  jusqu'à  ce  que  Gortès  fit  arrêter 
l'homme  aux  atabales;  c'était  un  nommé  Tapia,  qui,  du  reste,  était 
atteint  d'un  grain  de  folie.  En  ce  moment  arrivèrent  Ghristoval  de  Oli 
et  Diego  de  Ordas,  conduisant  les  cavaliers,  au  nombre  desquels 
étaient  Andrès  de  Duero,  Agustin  Bermudez  et  plusieurs  amis  de 
notre  général.  Dès  qu'ils  arrivaient,  ils  s'empressaient  d'aller  baiser 
la  main  à  Gortès  qui  était  assis  sur  un  fauteuil  et  se  tenait  enveloppé 
d'un  manteau  de  couleur  orangée,  qui  recouvrait  ses  armes.  Nous 
étions  rangés  à  ses  côtés.  Il  fut  alors  curieux  de  voir  la  grâce  avec 
laquelle  il  leur  parlait;  quelles  embrassades!  quels  compliments!  et 
quelle  joie  éclatait  sur  son  visage  !  Et  certes  il  avait  bien  raison  d'af- 
ficher ces  manières  de  maître  et  de  guerrier  puissant.  Après  le  baise- 
main, chacun  gagna  son  logement. 

Nous  parlerons  maintenant  des  morts  et  des  blessés  de  ce  combat 
nocturne.  Furent  tués  :  l'alferez  de  Narvaez,  appelé  Fuentes,  qui  était 
un  hidalgo  de  Séville;  un  autre  capitaine,  nommé  Roxas,  natif  de  la 
Vieille-Gastille  ;  deux  autres  hommes  de  Narvaez  ;  un  des  trois  sol- 
dats qui  nous  avaient  abandonnés  pour  passer  à  Narvaez  ;  on  l'appe- 
lait Alonso  Garcia  le  Charretier.  Le  nom  lire  des  blessés  de  Narvaez 
fut  considérable.  De  notre  côté  quatre  hommes  furent  tués  et  un  plus 
grand  nombre  blessés.  Le  cacique  gros  reçut  une  blessure,  parce  que, 
en  apprenant  que  nous  approchions  de  Gempoal,  il  s'était  réfugié  au 
logement  de  Narvaez;  c'est  là  qu'il  fut  blessé.  Gortès  le  fit  transpor- 
ter chez  lui  et  soigner  en  donnant  l'ordre  qu'on  ne  lui  causât  aucun 
ennui.  Quant  à  Cervantes  le  Fou  et  à  Escalonilla,  deux  des  soldats 
déserteurs,  ils  n'eurent  pas  de  chance  non  plus  :  celui-ci  fut  griève- 
ment blessé,  celui-là  reçut  la  bastonnade.  J'ai  déjà  dit  que  le  Charre- 
tier, leur  camarade,  perdit  la  vie.  Parlons  maintenant  des  gens  de 
Salvatierra  le  Furibond.  Ses  soldats  nous  assurèrent  qu'on  n'avait 
jamais  vu  un  homme  plus  inutile.  Il  tomba  presque  en  pâmoison 
lorsqu'il  entendit  l'appel  aux  armes;  et  quand  nous  criâmes  :  «  Vie- 


DE  LA  NOUVELLE-ESPAGNE.  3i5 

toire!  Narvaez  est  mort!  »  il  dit  qu'il  se  sentait  malade  du  ventre,  do 
sorte  qu'il  ne  servit  à  rien.  Je  me  plais  à  dire  tout  cela  à  cause  de  ses 
grandes  bravades.  Au  surplus,  il  y  eut  des  blessés  dans  sa  compa- 
gnie. Parlons  aussi  du  quartier  de  Diego  Velasquez  et  des  autres  ca- 
pitaines qui  se  trouvaient  avec  lui.  Des  hommes  furent  blessés  là 
aussi.  Notre  capitaine  Juan  Velasquez  mit  lui-même  la  main  sur  son 
parent  Diego,  avec  lequel  il  avait  eu  la  querelle,  le  jour  qu'il  dîna 
chez  Narvaez.  Il  l'emmena  chez  lui,  le  fit  panser  et  le  traita  très-ho- 
norablement. 

J'ai  rendu  compte  de  tout  ce  qui  concerne  cette  bataille,  je  dirai 
donc  ce  qui  arriva  ensuite. 


CHAPITRE  CXXIII 

Comme  quoi,  après  la  défaite  de  Narvaez,  que  je  viens  de  conter,  se  présentèrent  les 
Indiens  de  Chinanta  que  Cortès  avait  fait  appeler,  et  de  quelques  autres  choses  qui 
arrivèrent. 

J'ai  déjà  dit,  dans  le  chapitre  qui  en  a  traité,  que  Cortès  avait  fait 
prier  les  habitants  de  Chinanta,  d'où  l'on  apporta  les  grandes  piques, 
d'envoyer  à  notre  secours  deux  mille  Indiens  avec  leurs  lances,  qui 
sont  plus  longues  que  les  nôtres.  Ils  arrivèrent  ce  jour-là  même,  un 
peu  tard  à  la  vérité,  puisque  déjà  Narvaez  était  notre  prisonnier.  A 
leur  tête  se  trouvaient  les  caciques  de  ces  villages  et  notre  soldat 
nommé  Barrientos,  qui  s'était  attardé  à  Chinanta  à  cause  d'eux.  Ils 
entrèrent  à  Cempoal  dans  un  ordre  parfait,  marchant  deux  à  deux  : 
leurs  lances,  très-grandes,  se  terminaient  par  des  lames  en  obsidienne, 
coupant  comme  des  rasoirs  et  longues  d'une  brasse,  ainsi  que  je 
l'ai  dit. 

Chaque  Indien  portait  une  rondache  ;  leurs  drapeaux  étaient  dé- 
ployés, leurs  têtes  surmontées  de  panaches;  ils  avaient  tambours  et 
trompettes  et  marchaient  en  ordre,  archers  et  lanciers  alternant,  criant, 
sifflant  et  disant  :  «  Vive  le  Roi  !  vive  le  Roi  !  vive  Fernand  Cortès  au 
nom  de  Sa  Majesté!  »  avec  une  crânerie  très-digne  d'être  admirée. 
Quoiqu'ils  ne  fussent  que  quinze  cents,  on  aurait  dit  trois  mille 
hommes,  à  cause  de  la  manière  de  former  leurs  rangs.  Quand  les 
soldats  de  Narvaez  les  virent,  ils  en  furent  saisis  et  ils  se  dirent  les 
uns  aux  autres  que  s'ils  eussent  été  attaqués  par  de  telles  gens  ou 
que  ces  Indiens  fussent  venus  avec  nous  autres,  qui  aurait  pu  les 
arrêter?  Cortès  parla  très-affectueusement  aux  chefs,  les  remercia  de 
leur  démarche,  leur  donna  des  verroteries  de  Gastille  et  les  pria  de 
retourner  immédiatement  en  leurs  demeures,  les  suppliant  en  même 
temps  de  ne  causer  aucun  dommage  aux  villages  qui  se  trouvaient  sur 


346  CONQUÊTE 

leur  chemin.  Du  reste  il  envoya  encore  Barrientos  avec  eux.  Je  m'ar- 
rêterai là  et  je  dirai  ce  que  fit  Gortès. 


CHAPITRE  CXXIV 

Comme  quoi  Cortès  envoya  au  port  Francisco  de  Lugo  avec  deux  soldats,  charpentiers 
de  navires,  pour  amener  à  Cempoal  tous  les  maîtres  et  pilotes  de  la  flotte  de  Nar- 
vaez, avec  ordre  aussi  d'enlever  des  vaisseaux  les  voiles,  les  gouvernails  et  les 
boussoles,  afin  qu'il  ne  fût  pas  possible  de  donner  avis  à  Cuba,  à  Diego  Velasquez, 
de  ce  qui  était  arrivé.  Comme  quoi  encore  on  nomma  un  amiral. 

A  peine  venait-on  de  défaire  Pamphilo  de  Narvaez,  de  le  prendre 
lui  et  ses  capitaines  et  de  désarmer  tous  ses  hommes,  que  Gortès 
s'empressa  de  donner  à  Francisco  de  Lugo  la  mission  d'aller  au  port, 
où  se  trouvaient  les  dix-huit  navires  composant  la  flotte  de  Narvaez. 
Il  devait  amener  à  Gempoal  tous  les  pilotes  et  maîtres  d'équipage  et 
retirer  des  vaisseaux  les  voiles,  les  gouvernails  et  les  boussoles,  afin 
que  personne  ne  pût  aller  à  Cuba  pour  avertir  Diego  Velasquez.  Dans 
le  cas  de  refus  d'obéissance,  ordre  était  donné  de  les  faire  prison- 
niers. Francisco  de  Lugo  emmenait  avec  lui  deux  de  nos  soldats,  an- 
ciens marins,  pour  le  seconder.  Gortès  ordonna  aussi  qu'on  lui  en- 
voyât sur-le-champ  un  certain  Sancho  de  Barahona,  que  Narvaez  avait 
retenu  prisonnier  avec  quelques  autres  soldats.  Ce  Barahona  devint 
plus  tard  un  riche  colon  de  G-uatemala.  Je  me  rappelle  qu'il  était 
maigre  et  malade  quand  il  arriva  devant  notre  général,  lequel  donna 
des  ordres  pour  qu'il  fût  honorablement  traité.  Quant  aux  maîtres  et 
pilotes,  ils  vinrent  baiser  les  mains  à  notre  général,  auquel  ils  firent 
le  serment  d'obéir  et  de  ne  point  chercher  à  se  soustraire  à  son  com- 
mandement. 

Gortès  nomma  amiral  et  capitaine  de  la  mer  un  certain  Pedro  Ga- 
ballero,  qui  avait  été  maître  à  bord  d'un  navire  de  Narvaez.  C'était  un 
homme  en  qui  Gortès  eut  toujours  la  plus  grande  confiance;  il  le 
gagna,  dit-on,  tout  d'abord  au  moyen  de  bonnes  pièces  d'or.  Il  lui 
ordonna  de  ne  laisser  partir  aucun  navire  dans  n'importe  quelle  di- 
rection; il  exigea  que  tous,  maîtres,  pilotes  et  matelots,  lui  fussent 
soumis.  Au  surplus,  comme  il  avait  reçu  avis  que  deux  vaisseaux 
étaient  encore  prêts  à  partir  de  Cuba,  il  recommanda  à  l'amiral  que, 
s'ils  venaient,  on  fît  prisonniers  les  capitaines,  que  les  gouvernails, 
les  voiles  et  boussoles  fussent  enlevés,  en  attendant  qu'il  plût  à  Gortès 
d'en  disposer  autrement.  Tout  cela  fut  très-bien  exécuté  par  Pedro 
Gaballero,  ainsi  que  je  le  dirai  plus  loin. 

Pour  à  présent,  abandonnons  les  navires,  en  sûreté  dans  leur  port, 
et  disons  ce  qui  fut  convenu  dans  notre  quartier  royal,  d'accord  avec 


DE  LA  NOUVELLE-ESPAGNE.  347 

les  hommes  de  Narvacz.  On  résolut  que  Juan  Velasquez  de  Léon  irait 
conquérir  et  coloniser  la  province  de  Panuco.  Gortôs  lui  assigna  dans 
ce  but  cent  vingt  soldats  :  cent  pris  à  la  troupe  de  Narvaez,  et  vingt 
des  nôtres,  Lien  mêlés  à  leurs  rangs,  parce  qu'ils  avaient  plus  d'ex- 
périence à  la  guerre.  Cet  officier  devait  emmener  deux  navires,  dans 
le  Lut  d'aller  reconnaître  la  côte  au  delà  du  fleuve  Panuco.  Gortès 
donna  aussi  à  Ordas  cent  vingt  autres  hommes,  pour  aller  coloniser 
le  Gruazacualco.  Cette  troupe  se  composerait,  comme  celle  de  Juan 
Velasquez,  de  cent  des  hommes  de  Narvaez  et  de  vingt  des  nôtres. 
On  lui  donnait  aussi  deux  navires,  afin  qu'il  pût  envoyer,  du  fleuve 
Gruazacualco,  à  l'île  de  la  Jamaïque  pour  s'approvisionner  d'un  trou- 
peau de  juments,  veaux,  porcs,  LreLis,  poules  de  Gastille  et  chèvres, 
dans  le  Lut  d'en  peupler  le  pays,  attendu  que  la  province  de  Guaza- 
cualco  devait  s'y  prêter  à  merveille.  Gortès  ordonna  qu'on  rendît  leurs 
armes  aux  soldats  et  aux  capitaines  qui  allaient  entreprendre  ce 
voyage  ;  il  fit  en  même  temps  mettre  en  liberté  tous  les  prisonniers, 
capitaines  de  Narvaez,  mais  nullement  Narvaez  lui-même,  ni  Salva- 
tierra,  qui  se  plaignait  encore  du  ventre. 

Mais  pour  donner  leurs  armes  à  ces  soldats  il  y  eut  une  difficulté  : 
c'est  que  quelques-uns  de  nous  avaient  déjà  pris  chevaux,  épées  et 
autres  oLjets.  Gortès  ordonna  qu'on  rendît  le  tout.  Or,  le  refus  d'o- 
Léir  entraîna  quelques  entretiens  irritants  dans  lesquels  on  disait  de 
notre  côté  que  nous  possédions  ces  armes  fort  légitimement  et  que 
nous  ne  les  rendrions  pas,  attendu  que  dans  le  quartier  de  Narvaez 
on  avait  proclamé  contre  nous  une  guerre  sans  merci  devant  aLoutir 
à  nous  faire  prisonniers  et  à  s'emparer  de  tout  notre  avoir,  nous  qua- 
lifiant de  traîtres  tandis  que  nous  étions  les  meilleurs  serviteurs  de 
Sa  Majesté;  que,  par  conséquent,  nous  ne  rendrions  rien.  Gortès  n'en 
persista  pas  moins  à  exiger  que  tout  fût  restitué,  et  comme  en  somme 
il  était  le  capitaine  général,  il  fallut  Lien  faire  ce  qu'il  ordonnait.  Il 
en  résulta  que,  pour  ma  part,  je  livrai  un  cheval  sellé  et  Lridé  que 
j'avais  déjà  mis  de  côté,  ainsi  que  deux  épées,  trois  poignards  et  une 
adargue.  Beaucoup  de  nos  soldats  rendirent  de  même  des  chevaux  et  des 
armes.  Mais,  en  sa  qualité  de  capitaine,  Alonso  de  Avila,  homme  de 
caractère,  qui  ne  Lalançait  pas  pour  dire  à  Gortès  ce  qui  lui  paraissait 
juste,  ainsi  que  le  Père  Bartolomé  de  Olmedo,  prirent  à  part  notre 
général  et  lui  dirent  qu'il  paraissait  vouloir  singer  Alexandre  de  Ma- 
cédoine, lequel,  après  un  grand  fait  d'armes,  mettait  plus  de  soin  à 
honorer  de  ses  faveurs  les  vaincus  que  ses  propres  capitaines  et  sol- 
dats dont  les  efforts  lui  avaient  donné  la  victoire;  qu'ils  disaient  cela 
parce  que  tous  les  Lijoux  d'or  et  les  provisions  qui  lui  furent  offerts 
par  les  Indiens  après  la  déroute  de  Narvaez,  il  les  distriLuait  aux  ca- 
pitaines ennemis,  tandis  qu'il  ne  faisait  pas  pour  nous  plus  que  si 
jamais  il  ne  nous  avait  connus  :  conduite  répréhensihle  et  certaine- 


348  CONQUÊTE 

ment  ingrate,  après  le  concours  que  nous  lui  avions  apporté  pour 
arriver  à  la  situation  où  il  se  voyait. 

A  cela  Gortès  répondit  que  ce  qu'il  possédait,  aussi  bien  que  sa 
personne,  tout  était  à  nous  ;  mais  que  pour  le  moment  il  ne  pouvait 
faire  autre  chose  qu'honorer  et  attirer  les  gens  de  Narvaez  par  des 
dons,  par  de  bonnes  paroles  et  par  des  promesses,  attendu  qu'étant 
nombreux  et  nous  en  petit  nombre,  ils  pourraient  se  soulever  contre 
lui  et  contre  nous  tous  et  se  défaire  de  sa  personne.  Alonso  de  Avila 
se  permit  de  lui  répondre  par  quelques  expressions  orgueilleuses  qui 
lui  attirèrent  cette  réflexion  de  Gortès  :  que  peu  lui  importait  qu'on 
ne  voulût  pas  le  suivre,  attendu  que  les  femmes  en  Gastille  ont  pro- 
duit depuis  longtemps  et  mettent  encore  au  monde  de  fort  bons  sol- 
dats. A  quoi  Alonso  de  Avila  répliqua,  toujours  avec  fierté,  et  cette 
fois  sans  aucun  respect,  que  c'était  vrai  :  que  les  femmes  de  Gas- 
tille ne  nous  laissaient  pas  manquer  de  soldats;  mais  qu'elles  fourni- 
raient aussi  des  capitaines  et  des  gouverneurs,  et  que  nous  méritions 
bien  qu'il  ne  l'oubliât  pas.  Or,  en  ce  moment  les  choses  se  trouvaient 
en  tel  état  que  Gortès  était  obligé  de  se  taire  ;  ce  fut  donc  avec  des 
cadeaux  et  des  promesses  qu'il  s'attacha  ce  capitaine,  car  il  le  savait 
très-audacieux  et  le  croyait  capable  d'entreprendre  n'importe  quoi  à 
son  préjudice  ;  aussi  prit-il  le  parti  de  dissimuler.  Plus  tard  nous 
verrons  Gortès  le  charger  d'affaires  de  grande  importance,  et  pour 
Saint-Domingue  et  pour  l'Espagne,  à  propos  de  l'envoi  du  trésor  et 
de  la  garde-robe  de  Montezuma,  qui  tombèrent  du  reste  au  pou- 
voir d'un  corsaire  français,  Jean  Florin,  ainsi  que  je  le  dirai  en  son 
lieu. 

Revenons  maintenant  à  Narvaez  et  parlons  d'un  nègre  de  sa  suite, 
qui  arriva  atteint  de  la  petite  vérole;  et  certes  ce  fut  là  bien  réelle- 
ment une  grande  noirceur  pour  la  Nouvelle-Espagne,  puisque  ce  fut 
l'origine  de  la  contagion  qui  s'étendit  dans  tout  le  pays.  La  morta- 
lité fut  si  grande  que,  d'après  les  Indiens,  jamais  pareil  fléau  ne  les 
avait  atteints  ;  comme  ils  ne  connaissaient  pas  la  maladie,  ils  se  la- 
vaient plusieurs  fois  pendant  sa  durée,  ce  qui  en  fit  périr  encore  un 
plus  grand  nombre.  On  peut  donc  dire  que  si  Narvaez  fut  victime 
personnellement  d'une  noire  aventure,  plus  noir  fut  encore  le  sort  de 
tant  d'hommes  qui  moururent  sans  être  chrétiens1. 

Quoi  qu'il  en  soit,  les  habitants  de  la  Villa  Rica,  qui  n'avaient  pas 
été  à  Mexico,  demandèrent  à  Gortès  la  part  d'or  qui  leur  revenait, 
disant  qu'étant  restés  au  port  par  son  ordre,  ils  avaient  continué  à  y 
servi  Dieu  et  le  Roi  aussi  bien  que  ceux  qui  allaient  à  la  capitale, 
puisqu'ils  étaient  employés  à  garder  le  pays  et  à  construire  la  forte- 

1.  Herrera  prétend  que  la  petite  vérole  existait  en  Amérique  avant  l'arrivée  des 
Espagnols.  (Dec.  2,  lib.  III,  cap.  xiv.) 


DE  LA   NOUVELLE-ESPAGNE.  349 

resse;  que  quelques-uns  d'entre  eux  s'étaient  trouvés  à  l'affaire  d'Al- 
meria  et  que  même  ils  n'étaient  pas  encore  guéris  de  leurs  bles- 
sures ;  qu'au  surplus  ils  avaient  presque  tous  coopéré  à  la  déroute  de 
Narvaez,  et  qu'en  somme  on  devait  leur  donner  leur  part.  Gortès  re- 
connut que  c'était  fort  juste  ;  aussi  décida-t-il  que  deux  hommes, 
porteurs  des  pouvoirs  de  tous  les  habitants  de  la  ville,  iraient  cher- 
cher le  lot  qui  leur  avait  été  assigné  et  qui  leur  serait  remis.  Il  me 
semble,  mais  je  n'en  suis  pas  sûr,  que  notre  général  leur  dit  que  cette 
part  se  trouvait  en  dépôt  à  Tlascala.  Le  fait  est  que  l'on  dépêcha  de 
la  Villa,  à  la  recherche  de  cet  or,  deux  habitants  dont  l'un  se  nommait 
Juan  de  Alcantara  le  vieux.  Mais  cessons  de  traiter  ce  sujet  pour  le 
moment  ;  bientôt  nous  dirons  ce  qui  arriva  à  l'or  et  à  Alcantara.  Ce 
qui  importe  actuellement,  c'est  de  montrer  que  la  fortune  ne  cesse  de 
tourner  sa  roue,  de  manière  que  les  bonnes  chances  et  les  plaisirs 
font  place  aux  jours  de  tristesse. 

C'est  en  ce  même  moment,  en  effet,  qu'arriva  la  nouvelle  d'un  sou- 
lèvement à  Mexico  :  Pedro  de  Alvarado  était  assiégé  dans  son  quar- 
tier, auquel  on  s'efforçait  de  mettre  le  feu  de  tous  les  côtés  ;  on  lui 
avait  tué  sept  soldats  et  blessé  plusieurs  autres  ;  il  demandait  du  se- 
cours avec  instance  et  sans  retard.  Ce  furent  des  Tlascaltèques  qui 
apportèrent  la  nouvelle,  sans  aucune  lettre  ;  mais,  bientôt  après,  en 
vinrent  d'autres  avec  des  dépêches  de  Pedro  de  Alvarado  qui  disaient 
la  même  chose.  Dieu  sait  quelle  peine  nous  éprouvâmes  en  recevant 
ce  message  !  Nous  nous  mîmes  immédiatement  en  route,  à  marches 
forcées,  sur  Mexico.  Narvaez  et  Salvatierra  restaient  prisonniers  à  la 
Villa  Rica,  dont  Rodrigo  Rangrc1  fut  nommé  commandant,  avec  l'o- 
bligation de  garder  Narvaez  et  de  se  charger  de  plusieurs  de  ses 
hommes  qui  étaient  malades. 

Mais,  au  moment  même  où  nous  allions  partir,  se  présentèrent 
deux  personnages  envoyés  par  Montezuma  à  Gortès  pour  se  plaindre 
de  Pedro  de  Alvarado.  Ils  dirent  en  pleurant  amèrement  que  ce  ca- 
pitaine était  sorti  inopinément  de  son  quartier  avec  tous  les  soldats 
que  Gortès  lui  avait  laissés,  et  que,  sans  aucun  motif,  il  était  tombé 
sur  une  réunion  de  dignitaires  et  caciques,  au  moment  où  ils  dan- 
saient dans  une  fête  en  l'honneur  de  Huichilobos  et  de  Tezcatepuca 
avec  l'autorisation  de  Pedro  de  Alvarado  lui-même  ;  celui-ci  en  avait 
tué  plusieurs,  tandis  que  de  leur  côté  les  Mexicains,  obligés  de  se 
défendre,  avaient  causé  la  mort  de  six  soldats.  Ils  ajoutaient  beau- 
coup de  griefs  contre  Pedro  de  Alvarado.  Gortès  répondit  aux  messa- 
gers d'un  ton  sec  qu'il  irait  à  Mexico  et  qu'il  'porterait  remède  à 

1.  Toutes  les  éditions  de  liernal  Diaz  écrivent  de  môme  ce  nom-là;  mais  c'est  évi- 
demment une  faute  :  c'est  Rodrigo  Rangel  qu'il  faut  lire.  Nous  savons  en  eflet  que  ce 
capitaine  n'assista  pas  plus  tard  au  siège  de  Mexico,  étant  retenu  à  la  Yera  Cruz  en 
qualité  de  commandant  de  cette  place. 


350  CONQUÊTE 

toutes  choses.  Ils  retournèrent  auprès  de  Montezuma  avec  cette  ré- 
ponse, qui  lui  parut  mauvaise  et  lui  causa  beaucoup  de  peine.  Gortès 
envoya  en  même  temps  une  lettre  à  Pedro  de  Alvarado,  lui  recom- 
mandant de  bien  prendre  garde  que  Montezuma  ne  s'échappât,  et 
disant  que  nous  allions  à  lui  à  marches  forcées  ;  il  lui  annonçait  en 
même  temps  la  victoire  remportée  sur  Narvaez,  et  que  Montezuma 
connaissait  déjà.  J'en  resterai  là  et  je  dirai  ce  qui  arriva  ensuite. 


CHAPITRE  CXXV 

Comme  quoi  nous  nous  mîmes  en  route  à  marches  forcées  avec  Cortès  et  ses  capi- 
taines, ainsi  que  tous  les  hommes  de  Narvaez,  excepté  ce  général  lui-même  et 
Salvatierra,  qui  restèrent  prisonniers. 

La  nouvelle  étant  arrivée  que  Mexico  était  soulevée  et  Alvarado  as- 
siégé, on  ne  pensa  plus  aux  compagnies  qui  devaient  aller  coloniser 
le  Panuco  et  le  Gruazacualco  avec  Juan  Velasquez  de  Léon  et  Diego 
de  Ordas.  Tout  le  monde  partit  avec  nous.  Gortès,  qui  comprit  que 
les  gens  de  Narvaez  ne  feraient  pas  volontiers  cette  campagne,  les 
pria  d'oublier  les  inimitiés  passées  et  leur  promit  de  les  faire  riches 
et  de  leur  donner  des  emplois,  ajoutant  que,  puisqu'ils  venaient  pour 
gagner  leur  vie  et  qu'ils  se  trouvaient  dans  un  pays  où  l'on  pouvait 
rendre  des  services  à  Dieu  et  à  Sa  Majesté  en  s'enrichissant,  il  fallait 
saisir  l'occasion  qui  leur  en  était  offerte;  tant  il  dit  enfin  que  tous 
d'une  voix  s'offrirent  à  marcher  avec  nous.  Mais  la  vérité  est  qu'au- 
cun d'eux  n'y  serait  allé  s'ils  avaient  bien  connu  la  puissance  de 
Mexico.  Nous  marchâmes  à  grandes  journées  jusqu'à  Tlascala,  où 
nous  apprîmes  que,  jusqu'au  moment  de  savoir  la  défaite  de  Nar- 
vaez, les  gens  de  Montezuma  ne  laissèrent  pas  un  moment  de  répit  à 
Pedro  de  Alvarado  ;  qu'on  lui  avait  déjà  tué  sept  hommes  et  brûlé 
ses  logements.  A  l'annonce  de  notre  victoire,  les  Mexicains  avaient 
mis  fin  à  l'offensive,  mais  nos  compatriotes  continuaient  à  être  fort 
mal  à  l'aise,  par  suite  du  manque  d'eau  et  de  vivres;  car  Montezuma 
n'avait  jamais  eu  l'habitude  de  donner  des  ordres  pour  leur  en  four- 
nir1. Des  Indiens  de  Tlascala  venaient  d'apporter  cette  nouvelle  au 
moment  où  nous  arrivions. 


1.  Le  texte  espagnol  dit  :  ...iôstaban  muy  fatigados  por  (alla  de  agita  y  basli- 
mento,  lo  quai  nunca  se  lo  habia  mandado  dur  Montezuma.  Ces  expressions,  au 
premier  abord,  paraissent  indiquer  que  Montezuma  contribuait  par  ses  ordres  à  la 
disette  des  Espagnols.  Mais  cela  serait  en  contradiction  avec  ce  que  1>.  Diaz  dit  lui- 
même  des  démarches  bienveillantes  du  prince  pour  calmer  son  peuple.  J'ai  donc  cru 
devoir  m'arrêter  à  la  pensée  d'interpréter  mon  auteur  dans  le  sens  qu'on  vient  de 
lire. 


DE  LA  NOUVELLE-ESPAGNE.  351 

Cortès  passa  une  revue  de  ses  troupes  :  il  constata  la  présence  de 
treize  cents  soldats,  tant  ceux  de  Narvaez  que  les  nôtres;  quatre-vingt- 
seize  chevaux,  quatre-vingts  arbalétriers  et  autant  de  gens  d'esco- 
pette.  Il  lui  parut  donc  qu'il  avait  assez  de  monde  pour  entrer  à 
Mexico  en  toute  sûreté.  En  outre,  on  nous  donna  à  Tlascala  deux 
mille  Indiens  guerriers.  Nous  reprîmes  notre  marche  forcée  jusqu'à 
la  grande  ville  de  Tezcuco,  où  l'on  ne  fit  aucuns  frais  pour  nous  re- 
cevoir; nous  ne  vîmes  paraître  aucun  personnage  et  partout  régnait 
un  air  dédaigneux.  Nous  arrivâmes  à  Mexico  le  jour  de  la  Saint-Jean, 
en  juin  1520.  On  ne  voyait  dans  les  rues  ni  caciques,  ni  capitaines, 
ni  Indiens  connus  ;  les  maisons  étaient  vides  d'habitants.  Quand  nous 
arrivâmes  à  nos  quartiers,  le  grand  Montezuma  vint  au-devant  de 
nous  dans  la  cour  pour  parler  à  Gortès,  l'embrasser,  lui  donner  la 
bienvenue  et  le  féliciter  de  sa  victoire  sur  Narvaez.  Mais  Gortès,  fier 
de  son  triomphe,  se  refusa  à  l'entendre,  et  Montezuma,  triste  et  pen- 
sif, regagna  son  appartement. 

Chacun  de  nous  reprit  la  place  qui  lui  était  assignée  avant  notre 
départ  de  Mexico  pour  marcher  contre  Narvaez.  Les  hommes  de  ce- 
lui-ci occupèrent  d'autres  logements.  Nous  avions  déjà  vu  Pedro  de 
Alvarado  et  les  soldats  restés  avec  lui.  Ceux-ci  nous  racontèrent  les 
combats  que  les  Mexicains  leur  avaient  livrés  et  les  difficultés  qui 
en  avaient  été  la  suite;  de  notre  côté  nous  les  informions  de  toutes 
les  particularités  de  notre  victoire  sur  Narvaez.  Mais  disons  comme 
quoi  Gortès  voulut  savoir  la  cause  du  soulèvement  de  Mexico;  car 
nous  crûmes  comprendre  que  Montezuma  en  avait  éprouvé  du  re- 
gret et  que,  s'il  en  eût  été  l'auteur  et  le  conseiller,  de  l'avis  du  plus 
grand  nombre  des  soldats  de  Pedro  de  Alvarado,  ils  eussent  été  tous 
massacrés.  Mais  la  réalité  était  que  Montezuma  cherchait  à  apaiser 
ses  sujets  et  les  engageait  à  cesser  leurs  attaques. 

D'après  Pedro  de  Alvarado,  la  cause  du  soulèvement  était  dans  le 
désir  des  Mexicains  de  délivrer  Montezuma,  parce  que  Huichilobos 
le  leur  avait  commandé,  à  la  suite  de  la  mesure  que  nous  avions  prise 
de  planter  la  croix  dans  le  temple  avec  la  Yierge  sainte  Marie.  Il  dit 
plus  :  c'est  qu'un  grand  nombre  d'Indiens  étant  venus  pour  enlever 
de  l'autel  la  sainte  image,  il  leur  fut  absolument  impossible  de  réa- 
liser leur  projet,  ce  qu'ils  considérèrent  comme  un  grand  miracle. 
Montezuma,  l'ayant  su,  leur  ordonna  de  laisser  l'image  où  elle  était, 
et  de  ne  pas  renouveler  cette  tentative;  il  en  résulta  qu'ils  y  renon- 
cèrent. Pedro  de  Alvarado  dit  encore  que  Narvaez  avait  fait  dire  à 
Montezuma  qu'il  venait  le  mettre  en  liberté  et  nous  faire  prisonniers, 
chosa  qui  ne  se  réalisa  pas.  D'autre  part,  Gortès  avait  promis  à  Mon- 
tezuma de  sortir  du  pays  et  de  nous  embarquer  dès  que  nous  aurions 
des  navires,  tandis  qu'en  réalité  nous  ne  partions  point,  que  ce  n'é- 
tait là  que  paroles  en  l'air  et  qu'on  revenait  avec  un  plus  grand  nom- 


352  CONQUÊTE 

bre  de  teules.  Avant  donc  que  tous  les  soldats  de  Narvaez  et  les 
nôtres  entrassent  de  nouveau  à  Mexico,  il  avait  paru  opportun  de  mas- 
sacrer Pedro  de  Alvarado  et  sa  petite  troupe,  et  de  mettre  Montezuma 
en  liberté,  dans  l'espoir  qu'on  se  déferait  ensuite  plus  facilement  de 
nous  et  des  gens  de  Narvaez;  ils  avaient  surtout  cette  espérance  dans 
le  moment  où  ils  s'attendaient  à  nous  voir  vaincus  par  celui-ci. 

Telles  furent  les  paroles  qu'Alvarado  adressa  à  Gortès  pour  se  dis- 
culper ;  mais  celui-ci  demanda  encore  pourquoi  on  avait  attaqué  les 
Mexicains  pendant  qu'ils  étaient  en  fête,  dansant  et  faisant  des  sacri- 
fices à  Huichilobos  et  à  Tezcatepuca.  Alvarado  répondit  que  ce  fut  à 
cause  de  la  conviction  où  il  était  qu'on  devait  venir  le  surprendre, 
conformément  au  plan  qu'ils  s'étaient  tracé;  que  tout  cela  lui  avait  été 
révélé  par  un  pape,  deux  dignitaires  et  quelques  autres  Mexicains. 
«  Mais  on  m'assure,  repartit  Gortès,  que  ces  gens-là  vous  avaient  de- 
mandé l'autorisation  de  se  réunir  en  fête  et  de  se  livrer  à  la  danse.  » 
La  réponse  fut  que  c'était  vrai  et  que,  s'il  avait  cru  devoir  tomber  sur 
eux,  c'était  pour  leur  inspirer  de  la  crainte  et  les  empêcher  eux-mê- 
mes de  tomber  sur  lui.  A  quoi  Cortès  répliqua,  fort  irrité,  qu'Alva- 
rado avait  très-mal  agi  et  commis  une  grande  folie,  et  qu'il  était  peu 
sincère  en  ses  explications.  «  Plût  à  Dieu,  ajouta-t-il,  que  Montezuma 
se  fût  échappé  et  qu'il  n'eût  pu  savoir  les  ordres  de  ses  idoles!  *  » 
Là-dessus,  Gortès  se  tut,  et  il  ne  revint  plus  sur  ce  sujet.  Mais  Pe- 
dro de  Alvarado  lui  avait  dit  encore  que,  dans  l'attaque  qu'il  eut  à 
subir,  il  voulut  faire  mettre  le  feu  à  un  canon  qui  était  chargé  d'un 
boulet  et  de  grenailles;  comme  d'ailleurs  ceux  qui  venaient  pour  in- 
cendier son  quartier  étaient  en  grand  nombre,  il  sortit  et  marcha  à  leur 
rencontre,  car  le  canon  n'avait  pas  pris  feu;  mais  la  foule  d'Indiens 
qui  tomba  sur  lui  était  si  considérable  qu'il  fut  obligé  de  reculer  vers 
ses  logements.  C'est  alors  que,  sans  savoir  pourquoi  ni  comment,  le 
canon  prit  feu  et  tua  beaucoup  d'ennemis  :  circonstance  heureuse 
sans  laquelle  nos  soldats  auraient  tous  péri.  Du  reste,  nous  en  perdî- 
mes deux  qui  furent  pris  vivants.  Pedro  de  Alvarado  dit  ensuite,  et 
c'est  la  seule  chose  en  quoi  il  fut  appuyé  par  ses  hommes,  que, 
n'ayant  pas  d'eau  à  boire,  il  avait  creusé  un  puits  dans  la  cour  et  que 
l'eau  en  était  douce,  bien  qu'elle  fût  salée  partout  ailleurs.  Ge  fut  un 
grand  bienfait,  entre  tant  d'autres  que  nous  recevions  de  Notre  Sei- 
gneur Dieu.  Pour  moi,  j'assure  qu'il  y  avait  en  effet  à  Mexico  une 
fontaine  qui  donnait  de  temps  en  temps  de  l'eau  un  peu  douce. 

1.  Tous  ces  détails  de  Bernai  Diaz  sont  très-confus.  Le  fait  est  si  étrange,  si  illo- 
gique dans  sa  cruauté  même,  qu'aucun  historien  n'a  pu  le  rendre  compréhensible. 
Les  uns  ont  imaginé  des  causes  douteuses  pour  le  rendre  en  quelque  sorte  excu- 
sable ;  d'autres  lui  ont  attribué  de  méprisables  mobiles  pour  en  augmenter  l'horreur; 
mais  aucun  d'eux  ne  s'est  appuyé  sur  des  preuves  réelles,  et  l'attentat  est  resté  mys- 
térieux. 


DE  LA  NOUVELLE-ESPAGNE.  353 

Quant  à  ce  qu'on  a  dit,  que  Pedro  de  Alvarado  fit  cette  attaque 
pour  s'emparer  de  l'or  et  des  bijoux  de  grand  prix  dont  les  Indiens  de 
la  fête  étaient  couverts,  je  n'en  crois  rien  et  je  ne  l'entendis  jamais  conter 
alors.  Il  n'est  pas  croyable,  au  surplus,  qu'Alvarado  se  soit  oublié 
à  ce  point ,  quoique  l'évêque  fray  Bartolomé  de  Las  Casas  l'affirme, 
comme  il  le  fait,  du  reste,  pour  bien  d'autres  choses  qui  n'ont  jamais 
existé.  La  vérité  est  qu'Alvarado  se  jeta  sur  les  Mexicains  réellement 
pour  leur  inspirer  de  la  terreur  et  afin  de  leur  donner  assez  à  faire, 
avec  le  soin  de  panser  et  de  pleurer  leurs  blessures,  pour  qu'ils  ces- 
sassent de  l'attaquer  lui-même.  Il  voulait  d'ailleurs  mettre  de  son 
côté  les  avantages  du  proverbe  :  «  Qui  attaque  remporte  victoire.  » 
Au  surplus  il  paraît  que  les  choses  se  passèrent  bien  plus  mal  qu'il 
ne  le  raconta.  Nous  sûmes  également  que  Montezuma  ne  donna  ja- 
mais Tordre  d'attaquer  Alvarado;  qu'au  contraire,  lorsqu'on  combat- 
tait contre  lui,  il  faisait  son  possible  pour  s'y  opposer.  Mais  ses  su- 
jets lui  répondaient  qu'ils  ne  pouvaient  plus  souffrir  que  leur  prince 
fût  en  prison  et  qu'Alvarado  eût  l'audace  de  les  massacrer  ainsi  au 
moment  où  ils  ne  pensaient  qu'à  danser;  qu'il  fallait  absolument 
qu'on  délivrât  le  captif  et  qu'on  tuât  tous  les  teules  qui  le  gar- 
daient. 

Je  puis  assurer  que  ce  que  je  viens  de  raconter,  et  bien  d'autres 
choses,  je  l'entendis  dire  par  des  personnes  dignes  de  foi,  qui  s'étaient 
trouvées  avec  Alvarado  lorsque  tout  cela  se  passait.  J'en  resterai  là 
pour  dire  la  grande  guerre  qu'on  nous  fit;  ce  fut  comme  on  va  voir. 


CHAPITRE  CXXVI 

Comme  quoi  on  nous  attaqua  à  Mexico  ;  les  combats  qu'on  nous  livra, 
et  autres  choses  qui  nous  arrivèrent. 

Gortès  avait  pu  voir  en  passant  à  Tezcuco  qu'il  ne  lui  était  fait 
aucune  réception,  qu'on  lui  offrait  à  manger  fort  mal  et  de  très- 
mauvaise  grâce,  que  nous  ne  trouvâmes  personne  à  qui  parler,  tout 
ayant  pris  pour  nous  le  pire  aspect;  il  avait  pu  voir  encore,  en  en- 
trant à  Mexico,  que  les  choses  y  étaient  au  même  point  :  il  n'y  avait 
pas  de  marché  et  tout  était  fermé.  Il  fallait  ajouter  à  tout  cela  l'im- 
pression produite  par  le  récit  de  la  folie  avec  laquelle  Alvarado  avait 
fait  son  massacre.  Or  Gortès  s'était  vanté  pendant  la  route,  auprès 
de  ses  nouveaux  capitaines,  du  grand  ascendant  qu'il  exerçait  et  du 
respect  dont  il  était  entouré;  à  l'en  croire,  partout  sur  son  chemin 
on  devait  l'accueillir  par  des  fêtes  ;  à  Mexico,  disait-il,  son  autorité 
était  absolue,  tant  sur  Montezuma  que  sur  ses  officiers;  dès  son  arri- 

23 


354  CONQUÊTE 

vée,  on  s'empresserait  de  lui  apporter  des  présents  en  or....  Mais  on 
vit  se  passer  tout  le  contraire  :  on  ne  nous  offrait  même  pas  à  man- 
ger, tandis  que  Gortès  affichait,  avec  une  grande  ostentation,  le 
nombre  considérable  d'Espagnols  qu'il  amenait.  Il  en  devint  triste  et 
de  mauvaise  humeur. 

Dans  ce  même  moment,  Montezuma  lui  envoya  deux  de  ses  digni- 
taires pour  le  prier  de  le  venir  voir,  car  il  désirait  lui  parler.  «  Qu'il 
s'en  aille  à  tous  les  chiens  !  repartit  Gortès,  puisqu'il  ferme  ses  mar- 
chés et  qu'il  nous  refuse  même  les  vivres.  »  En  entendant  ces  pa- 
roles, les  capitaines  Juan  Velasquez  de  Léon,  Ghristoval  de  Oli, 
Alonso  de  Avila  et  Francisco  de  Lugo  lui  dirent  :  «  Senor,  calmez 
votre  colère  et  veuillez  considérer  le  bien  que  le  roi  de  ce  pays  nous 
a  fait  et  les  honneurs  qu'il  nous  a  rendus;  il  est  si  bon  qu'il  a  été 
jusqu'à  vous  offrir  ses  tilles,  et,  n'était  lui,  il  est  certain  que  nous 
serions  déjà  morts  et  dévorés.  »  Ces  paroles  indignèrent  Gortès, 
parce  qu'elles  étaient  dites  avec  un  ton  de  reproche.  «  Quelle  mesure, 
reprit-il,  dois-je  garder  avec  un  chien  comme  lui,  qui  complotait 
avec  Narvaez  et  qui  à  présent  nous  refuse  à  manger?  »  Les  capitaines 
répondirent  :  «  C'est  ce  qu'il  doit  faire  et  il  remplit  ses  vrais  devoirs 
en  agissant  ainsi.  »  Or,  comme  Gortès  comptait  actuellement  à  Mexico 
sur  un  grand  nombre  d'Espagnols,  en  ajoutant  à  nous  ceux  de  Nar- 
vaez, il  ne  faisait  cas  de  rien  et  il  continuait  à  parler  fièrement  et 
d'une  manière  peu  sensée.  Il  en  résulta  que,  s'adressant  de  nouveau 
aux  dignitaires,  il  les  envoya  dire  à  Montezuma  qu'il  se  hâtât  de 
donner  l'ordre  de  rouvrir  les  marchés;  sinon  il  ferait,  déferait,  etc. 

Les  dignitaires  comprirent  les  paroles  injurieuses  que  Gortès 
adressait  à  leur  seigneur;  ils  ne  méconnurent  pas  non  plus  les 
reproches  que  nos  capitaines  lui  firent  à  ce  sujet,  car  ils  les  con- 
naissaient pour  avoir  souvent  commandé  la  garde  de  Montezuma  et 
les  tenaient  pour  grands  et  bons  serviteurs  du  prince.  Ils  rapportè- 
rent du  reste  à  celui-ci  les  choses  telles  qu'ils  les  avaient  entendues 
et  comprises.  Alors,  fut-ce  l'indignation  ou  bien  est-ce  qu'on  avait 
déjà  formé  le  projet  de  nous  attaquer?  le  fait  est  qu'un  quart  d'heure 
s'était  à  peine  écoulé,  qu'on  vit  accourir,  grièvement  blessé,  un  soldat 
qui  venait  d'une  ville,  voisine  de  Mexico,  appelée  Tacuba.  Il  avait 
été  chargé  d'amener  à  Gortès  des  Indiennes,  dont  l'une  était  fille  de 
Montezuma;  notre  général  les  avait  données  en  garde  au  seigneur 
de  Tacuba,  leur  parent,  pendant  la  campagne  contre  Narvaez.  Le 
soldat  disait  que  toute  la  ville  et  la  chaussée  par  où  il  venait  de 
passer  étaient  pleines  de  guerriers  munis  de  toutes  sortes  d'armes, 
qu'on  lui  avait  enlevé  les  Indiennes  qu'il  ramenait  et  fait  deux  bles- 
sures ;  il  avait  eu  la  chance  de  leur  échapper  au  moment  où  ils  le 
tenaient  déjà,  se  préparant  à  le  mettre  dans  un  canot  et  à  l'emporter 
pour  le  sacrifier;  que  du  reste  un  pont  était  déjà  levé. 


DE  LA  NOUVELLE-ESPAGNK.  355 

Lorsque  Gortès  et  plusieurs  de  nous  entendîmes  ces  paroles,  nous 
en  eûmes  assurément  bien  du  regret.  Notre  habitude  de  batailler 
avec  les  Indiens  nous  permettait  en  effet  d'être  renseignés  sur  les 
grandes  masses  qu'ils  ont  la  coutume  de  former.  Il  devenait  certain 
que  nous  aurions  beau  nous  bien  défendre  et  nous  présenter  en  plus 
grand  nombre  qu'autrefois;  cela  ne  nous  empêcherait  pas  de  voir 
nos  existences  en  grand  danger  et  d'être  exposés  à  la  faim,  aux  fati- 
gues, surtout  au  milieu  d'une  ville  si  bien  défendue. 

Disons  donc  que  Gortès  envoya  tout  de  suite  Diego  de  Ordas  avec 
quatre  cents  hommes,  la  plupart  arbalétriers  ou  fusiliers,  et  quel- 
ques-uns à  cheval,  lui  donnant  l'ordre  de  s'assurer  de  la  vérité  sur  ce 
que  le  soldat  blessé  racontait,  et  de  tout  apaiser,  s'il  voyait  la  possi- 
bilité de  le  faire  sans  bruit  et  sans  effusion  de  sang.  Ordas  partit, 
comme  on  le  lui  commandait,  avec  ses  quatre  cents  soldats  ;  mais  il 
avait  à  peine  parcouru  la  moitié  de  la  rue,  lorsque  se  précipitèrent 
sur  lui  tant  de  bataillons  de  gens  armés,  tant  d'autres  l'assaillirent 
du  haut  des  terrasses,  le  tout  avec  une  telle  ardeur,  qu'ils  lui  tuèrent 
du  premier  choc  huit  soldats  et  blessèrent  la  plupart  des  autres,  lui 
faisant  à  lui-même  trois  blessures.  Il  ne  put  donc  avancer  d'un  pas 
de  plus  et  il  fut  obligé  de  se  replier  vers  nos  quartiers.  Dans  sa  re- 
traite, on  lui  tua  encore  un  bon  soldat,  nommé  Lezcano,  qui  venait 
de  faire  des  prodiges  avec  un  grand  espadon. 

En  même  temps  un  plus  grand  nombre  de  bataillons  se  jetaient 
sur  nos  logements  et  nous  lançaient  tant  de  pieux,  de  pierres  à  fronde 
et  de  flèches  qu'ils  blessèrent  quarante-six  hommes,  dont  douze  mou- 
rurent de  leurs  blessures.  Le  nombre  des  assaillants  était  si  considé- 
rable que  Diego  de  Ordas,  revenu  sur  ses  pas,  ne  pouvait  arriver  aux 
logements,  à  cause  des  vives  attaques  dont  il  était  l'objet,  par  der- 
rière, par  devant,  et  aussi  du  haut  des  terrasses.  Nos  canons,  nos 
escopettes,  nos  arbalètes,  nos  lances,  nos  estocades  et  notre  ardeur 
au  combat  ne  nous  étaient  d'aucun  secours.  Nous  avions  beau  en 
tuer  et  en  blesser  beaucoup,  ils  n'en  venaient  pas  moins  sur  nous, 
sans  souci  des  pointes  de  nos  piques  et  de  nos  lances.  Ils  serraient 
leurs  rangs,  ne  lâchaient  jamais  pied,  et  il  nous  était  impossible  de 
les  écarter.  Enfin  cependant,  à  force  de  coups  de  canon  et  de  décharges 
d'escopettes  et  d'arbalètes,  à  force  aussi  d'estocades,  Ordas  put  rentrer 
au  quartier,  après  l'avoir  essayé  vainement  pendant  longtemps,  ra- 
menant ses  soldats  sérieusement  blessés,  avec  la  douleur  d'en  avoir 
perdu  vingt-trois  en  route.  Plusieurs  bataillons  ennemis  ne  cessèrent 
pas  encore  leurs  attaques;  ils  nous  criaient  que  nous  n'étions  que 
des  femmes,  nous  traitaient  de  drôles  et  nous  adressaient  encore 
d'autres  outrages.  Mais  le  mal  qu'ils  nous  avaient  fait  jusque-là 
n'était  rien  en  comparaison  de  celui  qui  suivit.  En  nous  atta- 
quant les  uns   d'un  côté,   les  autres  d'un   autre,  ils  poussèrent  en 


356  CONQUETE 

effet  la  hardiesse  jusqu'à  mettre  le  feu  à  nos  logements,  de  sorte  que 
la  flamme  et  la  fumée  nous  rendaient  la  défense  difficile.  Heureuse- 
ment qu'il  nous  fut  possible  de  faire  tomber  un  grand  amas  de  terre 
sur  les  points  incendiés  et  de  couper  leur  communication  avec  plu- 
sieurs salles  où  nos  ennemis  avaient  eu  l'espérance  de  nous  brûler 
vifs.  Ces  combats  durèrent  tout  le  jour  et  la  nuit  suivante.  Pendant 
cette  nuit  même,  un  nombre  considérable  de  bataillons  resta  sur  nous, 
lançant  au  hasard  tant  de  pieux,  de  pierres  et  de  flèches,  que  nos 
cours  en  étaient  jonchées.  Nous  passâmes  cette  malheureuse  nuit  à 
panser  nos  blessés,  à  fermer  les  brèches  qu'on  nous  avait  faites  et  à 
nous  préparer  pour  les  jours  suivants. 

Quand  l'aube  parut,  notre  général  fut  d'avis  que,  nous  réunissant 
aux  hommes  de  Narvaez,  nous  sortissions  de  nos  logements  avec  nos 
canons,  escopettes  et  arbalètes,  pour  combattre   nos  adversaires  et 
tâcher,  sinon  de  les  vaincre  complètement,  du  moins  de  leur  faire 
sentir  mieux  que  la  veille  la  force  de  nos  attaques.  Mais  il  faut  dire 
que  si  de  notre  côté  nous  avions  pris  cette  résolution,  les  Mexicains, 
eux,  avaient  pensé  de  même;  de  sorte  que  le  combat  fut  des  plus 
vigoureux.  Ces  Indiens  disposaient  de  si  nombreux  bataillons,  qu'ils 
pouvaient  se  relever  de  temps  en  temps.  Il  en  résulta  que,  lors  même 
que  nous  eussions   eu  pour  nous  dix  mille  Hectors  troyens  et  un 
nombre  égal  de  Rolands,  il  nous  aurait  été  impossible  de  rompre  les 
rangs  ennemis.  Me  souvenir  exactement  de  ce  qui  arriva,  c'est  facile  ; 
mais  dire  cette  valeur  au  combat,  en  vérité,  je  ne  saurais  le  faire.  Ni 
canons,  ni  escopettes,  ni  arbalètes,  ni  notre  ardeur  à  la  mêlée,  ni  les 
trente  ou  quarante  hommes  que  nous  leur  tuions  à  chaque  attaque, 
rien  ne  pouvait  les  abattre  ;  ils  se  reformaient,  restaient  aussi  com- 
pactes et  retombaient  toujours  sur  nous  avec  plus  d'acharnement.  Si 
parfois  nous  gagnions  un  peu  de  terrain   ou  une  partie  de  la  rue, 
c'est  qu'ils  reculaient  à  dessein  pour   être  suivis  et  nous  éloigner 
ainsi  de  notre  quartier,  afin  de  tomber  sur  nous  plus  à  découvert  et 
dans  l'espérance  qu'aucun  Espagnol  ne  rentrerait  vivant  dans  nos 
logements  ;   car  c'était  au  moment  où   nous  revenions  sur  nos  pas 
qu'ils  nous  causaient  le  plus  de  mal. 

Nous  aurions  bien  voulu  pouvoir  mettre  le  feu  à  leurs  maisons  ; 
mais  j'ai  déjà  dit  dans  un  autre  chapitre  que  leurs  constructions 
communiquaient  ensemble  au  moyen  de  ponts-levis.  Ils  prenaient 
soin  de  lever  ceux-ci,  de  sorte  que  nous  ne  pouvions  passer,  à  moins 
d'entrer  dans  une  eau  très-profonde.  En  attendant,  ils  faisaient  pleu- 
voir sur  nous,  des  terrasses  des  maisons,  tant  de  pierres  et  de  pieux 
qu'il  n'était  plus  possible  d'y  résister  et  que  plusieurs  des  nôtres 
sortaient  de  là  blessés  et  fort  maltraités.  Et  je  ne  sais  vraiment 
pourquoi  j'écris  cela  avec  tant  de  froideur,  tandis  que  trois  ou  quatre 
soldats  de  nos  camarades,  qui  s'étaient  déjà  trouvés  dans  les  guerres 


DE  LA   NOUVELLE-ESPAGNE.  357 

d'Italie,  juraient  leurs  grands  dieux  qu'ils  n'avaient  jamais  vu  chose 
pareille  dans  les  combats  acharnés  auxquels  ils  avaient  assisté 
entre  chrétiens,  contre  l'artillerie  du  roi  de  France,  et  même  contre 
le  Grand-Turc;  ils  assuraient  n'avoir  jamais  eu  affaire  à  des  adver- 
saires qui  serrassent  leurs  rangs  avec  autant  de  courage  que  ces 
Indiens.  Ils  disaient  encore  bien  d'autres  choses  et  en  interprétaient 
les  causes,  comme  on  le  verra  bientôt. 

Disons  maintenant  que  nous  eûmes  la  plus  grande  peine  à  rentrer 
dans  nos  logements;  il  nous  fallut  soutenir  dans  notre  retraite  le 
choc  de  nombreux  bataillons,  criant,  sifflant,  battant  du  tambour, 
sonnant  de  la  trompette,  nous  traitant  de  drôles  et  de  vauriens,  tandis 
qu'il  nous  était  impossible,  fatigués  de  ce  long  combat,  de  faire 
autre  chose  que  nous  défendre  en  reculant.  On  nous  tua  ce  jour-là 
dix  ou  douze  soldats  et  nous  fûmes  tous  blessés.  Nous  passâmes  la 
nuit  à  délibérer  et  tombâmes  d'accord  que  dans  deux  jours  tous  les 
hommes  valides  sortiraient  protégés  par  quatre  tours  construites  en 
madriers  et  dont  chacune  fût  capable  d'abriter  vingt-cinq  soldats.  On 
y  pratiqua  des  meurtrières  par  où  l'on  pût  faire  feu  de  nos  canons  et 
de  nos  escopettes,  et  tirer  avec  nos  arbalètes.  A  côté  de  ces  engins 
devaient  marcher  d'autres  soldats,  des  canons  et  tous  nos  cavaliers, 
pour  opérer  quelques  charges.  Après  avoir  conçu  ce  plan,  nous  pas- 
sâmes la  journée  à  préparer  ce  qui  était  convenu  et  à  fermer  les 
brèches  de  nos  défenses  ;  nous  ne  sortîmes  donc  pas  ce  jour-là.  Il 
m'est  impossible  de  dire  le  nombre  considérable  des  bataillons  qui 
se  précipitèrent  sur  nous,  non  point  par  dix  ou  douze,  mais  bien  par 
plus  de  vingt  endroits  différents. 

Chacun  des  nôtres  avait  son  poste  :  quelques-uns  couraient  d'un 
lieu  à  l'autre,  et,  pendant  que  nous  consolidions  les  points  faibles, 
un  grand  nombre  d'ennemis  tentèrent  de  nous  envahir  au  moyen 
d'échelles  découvertes,  sans  que  ni  les  canons,  ni  les  arbalètes,  ni  les 
escopettes,  ni  nos  sorties,  ni  nos  estocades  les  pussent  faire  reculer. 
Ils  criaient  qu'ils  devaient  nous  achever  ce  jour-là  même,  qu'aucun 
de  nous  ne  resterait  vivant,  qu'ils  allaient  sacrifier  à  leurs  dieux  nos 
cœurs  et  notre  sang,  réservant  nos  jambes  et  nos  bras  pour  fêtes  et 
bombances,  tandis  qu'ils  abandonneraient  nos  troncs  aux  tigres,  aux 
lions  et  aux  serpents  de  leurs  ménageries  pour  qu'ils  en  mangeassent 
à  satiété  ;  ils  assuraient  avoir  pris  soin  de  ne  rien  donner  à  ces  bêtes 
féroces  pendant  deux  jours,  afin  d'être  plus  sûrs  qu'elles  nous  dévo- 
reraient. Ils  nous  raillaient  sur  l'usage  que  nous  ferions  ainsi  de  l'or 
et  des  étoffes  que  nous  avions  amassés.  Ils  disaient  aux  Tlascaltèques 
qui  étaient  avec  nous  qu'on  les  mettrait  à  l'engrais  dans  des  cages 
et  qu'on  les  sacrifierait  peu  à  peu.  Bientôt  ils  changeaient  de  ton, 
réclamant  qu'on  leur  livrât  leur  seigneur  Montezuma. 

La  nuit  suivante  ils  continuèrent  à  nous  assourdir  de  leurs  cris  et 


358  CONQUÊTE 

de  leurs  sifflets  et  à  nous  cribler  de  pieux,  de  pierres  et  de  flèches. 
Au  lever  du  jour,  après  nous  être  recommandés  à  Dieu,  nous  sor- 
tîmes avec  nos  tours  (il  me  semble  qu'en  d'autres  pays  où  j'ai  fait  la 
guerre  et  où  l'on  s'en  est  servi,  on  les  appelle  «  mantelets  »);  les 
canons,  les  escopettes,  les  arbalètes  et  les  cavaliers  marchaient  devant, 
poussant  de  temps  en  temps  une  charge.  Il  est  certain  que  nous 
tuïons  beaucoup  de  nos  ennemis,  mais  cela  ne  suffisait  pas  pour  leur 
faire  tourner  le  dos,  et  si,  les  jours  précédents,  ils  avaient  valeureu- 
sement combattu,  aujourd'hui  ils  se  présentaient  plus  résolus  encore 
et  plus  nombreux.  Malgré  tout,  dût-il  nous  en  coûter  la  vie  jusqu'au 
dernier,  nous  résolûmes  d'aller  avec  nos  tours  jusqu'au  grand  temple 
de  Huichilobos.  Je  ne  dirai  pas  en  détail  les  terribles  combats  que 
nous  eûmes  à  soutenir  devant  une  maison  fortifiée  située  sur  le  par- 
cours ;  je  ne  dirai  pas  non  plus  à  quel  point  l'on  blessait  nos  chevaux, 
tandis  que  leur  concours  nous  était  inutile.  Il  est  vrai  que  les  cavaliers 
chargeaient  les  bataillons  dans  le  but  de  les  rompre,  mais  ils  rece- 
vaient tant  de  flèches,  de  pieux  et  de  pierres  qu'il  leur  était  impos- 
sible de  rien  faire  de  bon  avec  leurs  armes;  bien  plus,  s'ils  arrivaient 
jusqu'à  l'ennemi,  celui-ci  se  laissait  glisser  dans  l'eau  de  la  lagune 
où  il  était  en  sûreté,  protégé  qu'il  s'y  trouvait  contre  les  chevaux  par 
différents  obstacles  dont  il  s'était  ménagé  l'appui,  tandis  que  beau- 
coup d'autres  Indiens  se  tenaient  prêts  à  tuer  nos  montures  avec 
leurs  lances.  Il  en  résultait  que  notre  cavalerie  nous  était  inutile. 

Impossible  de  penser  à  mettre  le  feu  quelque  part  et  à  détruire 
n'importe  quoi  de  leurs  défenses,  puisque,  comme  je  l'ai  dit,  les  mai- 
sons sont  dans  l'eau  et  communiquent  entre  elles  par  des  ponts-levis. 
Il  était  d'ailleurs  fort  dangereux  d'essayer  quoi  que  ce  fût  à  la  nage, 
parce  qu'on  lançait  des  terrasses  trop  de  pierres  et  de  moellons.  Au  sur- 
plus, quand  nous  réussissions  à  incendier  une  maison  il  fallait  un  jour 
entier  pour  qu'elle  achevât  de  se  consumer,  et  jamais  le  feu  ne  passait 
de  l'une  à  l'autre,  d'abord  parce  qu'elles  se  trouvaient  écartées  et  sé- 
parées par  de  l'eau,  et  ensuite  parce  qu'elles  étaient  bâties  en  terras- 
ses. Aussi  peut-on  assurer  que  nous  nous  épuisions  et  que  nous  ex- 
posions inutilement  nos  personnes  à  cette  besogne. 

Nous  arrivons  cependant  au  grand  temple  des  idoles;  mais  aussitôt 
plus  de  quatre  mille  Mexicains  l'envahissent,  sans  compter  les  batail- 
lons qui  déjà  s'y  trouvaient,  avec  de  longues  lances,  des  pierres  et  des 
pieux.  Ils  se  mettent  en  défense  et  nous  empêchent  pour  un  moment  de 
monter,  sans  que  tours,  canons,  arbalètes  ni  escopettes  puissent  nous 
frayer  la  route.  Nos  cavaliers  se  lançaient  parfois  à  la  charge,  mais  les 
pieds  des  chevaux  glissaient  sur  les  grandes  dalles  polies  dont  toute 
la  cour  était  pavée,  et  ils  tombaient.  D'autre  part  nos  adversaires, 
postés  au  haut  du  temple,  en  défendaient  la  montée,  et  des  deux  cô- 
tés des  marches  leur  nombre  était  si  considérable  qu'il  nous  était  im- 


DE  LA   NOUVELLE-ESPAGNE.  359 

possible  d'avancer,  quoique  chaque  coup  de  canon  en  abattît  douze  ou 
quinze  et  que  nous  en  missions  beaucoup  hors  de  combat  avec  nos 
estocades. 

Nous  résolûmes  alors  d'abandonner  nos  tours,  qui  d'ailleurs  étaient 
déjà  endommagées  ;  nous  revînmes  à  la  charge  et  réussîmes  à  attein- 
dre le  haut  du  temple.  C'est  là  que  Gortès  se  montra,  comme  du  reste 
il  le  fut  toujours,  un  grand  homme  de  guerre.  Oh!  quelle  bataille 
nous  y  eûmes  à  soutenir  !  Quel  spectacle  de  nous  voir  tous  ruisseler 
de  sang,  criblés  de  blessures,  avec  quarante  de  nos  soldats  déjà  morts  ! 
Malgré  tout,  Notre  Seigneur  voulut  que  nous  arrivassions  à  l'endroit 
occupé  par  l'image  de  Notre  Dame  ;  mais  nous  ne  l'y  trouvâmes  pas, 
parce  que,  nons  assura-on,  Montezuma,  à  qui  elle  inspirait  ou  de  la 
dévotion  ou  de  la  crainte,  l'avait  fait  placer  en  sûreté.  Nous  mîmes  le 
feu  aux  idoles  et  brûlâmes  une  certaine  étendue  de  la  grande  salle 
avec  Huichilobos  et  Tezcatepuca.  Nous  fûmes  très-bien  secondés  par 
lesTlascaltèques. 

Pendant  que  nous  étions  occupés  les  uns  à  combattre,  les  autres  à 
mettre  le  feu,  il  fallait  voir  la  fureur  des  papes  qui  étaient  dans  le  tem- 
ple et  l'entrain  de  trois  ou  quatre  mille  Indiens,  tous  dignitaires,  pour 
nous  faire  rouler  dix  ou  douze  marches  àlafois,  tandis  que  nous  des- 
cendions le  grand  escalier.  Et  que  dire  d'autres  bataillons  ennemis 
qui  se  tenaient  derrière  les  parapets  et  dans  les  encoignures  du  tem- 
ple, lançant  sur  nous  des  pieux  et  des  flèches,  sans  qu'il  nous  fût 
possible  de  faire  front  à  tous  à  la  fois  et  de  nous  soutenir  contre  eux  ! 
Il  fallut  donc  convenir  que  nous  rentrerions  à  notre  quartier  en  couran  t 
les  risques  les  plus  sérieux,  tous  blessés,  nos  tours  détruites  et  qua- 
rante-six soldats  tués.  Les  Indiens  nous  serraient  toujours  de  près, 
sur  les  côtés  et  par  derrière,  nous  mettant  en  tel  état  que  je  ne  saurais 
le  faire  comprendre  à  qui  n'a  pu  nous  y  voir. 

Mais  je  n'ai  pas  dit  les  attaques  des  Mexicains  sur  nos  logements 
et  leur  insistance  à  les  brûler,  tandis  que  nous  opérions  cette  sortie. 
Pendant  la  bataille,  nous  prîmes  deux  papes  que  Gortès  nous  recom- 
manda de  bien  garder.  J'ai  vu  souvent  chez  les  Mexicains  et  les  Tlas- 
caltèques  des  peintures  représentant  ces  combats  et  notre  montée  au 
grand  temple  :  ils  considèrent  le  fait  comme  héroïque,  et  quoiqu'ils 
nous  représentent  tous  couverts  de  blessures,  ensanglantés  et  entou- 
rés de  cadavres,  ils  tiennent  pour  un  haut  fait  d'armes  que  nous  ayons 
pu  monter  et  osé  incendier  leurs  grandes  idoles,  tandis  que  tant  de 
guerriers  se  massaient  dans  les  enfoncements  de  l'édifice,  d'autres  en 
plus  grand  nombre  remplissant  les  cours  et  les  degrés  eux-mêmes, 
et  que  d'autre  part  nos  tours  étaient  déjà  détruites.  Quoi  qu'il  en  soit, 
disons  que  nous  revînmes  dans  nos  quartiers,  au  prix  des  plus  extrê- 
mes fatigues.  Beaucoup  d'Indiens  nous  suivirent  dans  notre  retraite 
en  bataillant  sans  cesse,  mais  un  plus  grand  nombre  encore  s'achar- 


360  CONQUÊTE 

nait  contre  nos  logements  où  l'on  avait  déjà  pratiqué  dans  un  mur 
une  brèche  par  où  ils  allaient  entrer,  lorsque  notre  retour  les  fit  re- 
culer. Ce  répit  ne  les  empêcha  nullement  de  continuer  le  reste  du 
jour  à  lancer  des  pieux,  des  pierres  et  des  flèches,  de  même  que  la 
nuit  suivante,  au  milieu  de  cris  furieux. 

Mais  cessons  un  moment  de  parler  de  leur  constance  à  nous  har- 
celer, comme  je  viens  de  le  conter,  et  disons  que  nous  passâmes  la 
nuit  à  panser  les  blessés,  à  enterrer  les  morts,  à  préparer  notre  sortie 
du  lendemain,  à  boucher  les  trouées  et  les  brèches,  à  consolider  les 
murs  et  à  tenir  conseil  sur  les  moyens  que  nous  pourrions  employer 
pour  combattre  sans  courir  autant  de  risques  de  mort.  Mais  nous  eûmes 
beau  délibérer,  nous  ne  trouvions  pas  de  remède  à  la  situation.  Disons 
aussi  les  malédictions  que  les  gens  de  Narvaez  lançaient  contre  Gortès, 
leurs  paroles  peu  mesurées,  maudissant  le  pays  et  Diego  Velasquez 
qui  les  y  avait  envoyés  tandis  qu'ils  vivaient  paisiblement  dans  leurs 
établissements  de  Cuba;  ils  en  étaient  hors  d'eux-mêmes  et  privés  de 
toute  raison.  Revenons  à  notre  conseil  :  il  y  fut  décidé  que  nous  de- 
manderions une  trêve  pour  sortir  de  Mexico.  Mais,  lorsque  le  jour  se 
leva,  un  plus  grand  nombre  de  guerriers,  tombant  sur  nous,  inves- 
tirent absolument  notre  quartier,  nous  lançant  plus  de  flèches,  plus 
de  pierres,  accompagnées  de  cris  plus  désordonnés  que  les  jours  pré- 
cédents. D'autres  bataillons  s'efforçaient  d'entrer,  sans  que  les  canons 
ni  les  escopettes  les  fissent  reculer,  malgré  les  pertes  qu'ils  éprou- 
vaient. 

Alors  Gortès  résolut  d'inviter  le  grand  Montezuma  à  parler  aux  as- 
saillants du  haut  d'une  terrasse  pour  leur  enjoindre  de  cesser  le  com- 
bat, puisque  nous  voulions  sortir  de  la  ville.  On  assure  que  Monte- 
zuma répondit,  lorsqu'on  lui  donna  connaissance  du  désir  de  Gortès  : 
«  Qu'est-ce  que  Malinche  réclame  de  moi?  Je  ne  veux  ni  vivre  ni 
l'entendre,  puisque  je  me  vois  en  cet  état  à  cause  de  lui.  »  Et  il  re- 
fusa de  bouger.  Il  ajouta  du  reste,  à  ce  qu'on  prétend,  que  ses  sujets 
ne  voulaient  plus  ni  voir  Gortès  ni  écouter  ses  promesses  trompeuses 
et  ses  mensonges.  Le  Père  de  la  Merced  et  Christoval  de  Oli  se  pré- 
sentèrent alors  à  lui  avec  de  grandes  marques  de  respect  et  lui  adres- 
sèrent des  paroles  très-affectueuses.  Montezuma  répondit  :  «  Je  suis 
convaincu  que  je  n'obtiendrai  nullement  qu'ils  cessent  la  guerre, 
parce  qu'ils  se  sont  donné  un  autre  souverain  et  se  promettent  de  ne 
laisser  vivant  aucun  de  vous.  Je  crois  donc  que  vous  allez  tous  mou- 
rir dans  cette  capitale.  » 

Cependant,  au  fort  d'une  des  grandes  attaques  du  dehors,  Monte- 
zuma se  résolut  à  s'avancer  vers  le  parapet  d'une  terrasse,  entouré 
d'un  grand  nombre  de  nos  soldats  qui  le  couvraient.  Il  se  mit  à 
adresser  à  ses  sujets  les  paroles  les  plus  affectueuses,  les  engageant  à 
cesser  leurs  attaques  pour  nous  laisser  sortir  de  Mexico.  Beaucoup 


L.   de   Zumpango 


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LAGUNE  DE  MEXICO 
lors  du  Siég'eparF.COTlTES 

d'après  l'écËticniMexicaiae 

de  CLAVDERO 

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Gravé  par  Erhard. 


Bnp  Erhard 


DE  LA  NOUVELLE-ESPAGNE.  361 

de  dignitaires  et  d'officiers  mexicains  Je  reconnurent  ;  ils  firent  aussi- 
tôt garder  le  silence  à  leurs  hommes  et  en  obtinrent  qu'ils  cessassent 
de  lancer  leurs  projectiles.  Quatre  d'entre  eux  s'approchèrent  au 
point  de  pouvoir  parler  au  prince  et  de  l'entendre.  Ils  lui  dirent  les 
larmes  aux  yeux  :  «  0  seigneur  et  notre  grand  seigneur,  combien  vos 
souffrances  nous  inspirent  de  regrets,  non  moins  que  les  malheurs 
de  vos  fils  et  de  vos  parents  !  Nous  vous  faisons  savoir  que  nous 
avons  pris  pour  souverain  un  de  vos  cousins.  »  Ils  lui  dirent  son  nom  ; 
c'était  Goadlavaca,  seigneur  d'Iztapalapa,  et  non  Guatemuz,  qui  ne 
fut  roi  que  deux  mois  après.  Les  quatre  dignitaires  dirent  encore  à 
Montezuma  qu'il  fallait  en  finir  ;  qu'ils  avaient  promis  à  leurs  idoles 
de  ne  mettre  bas  les  armes  qu'après  notre  massacre  à  tous  ;  que  du 
reste  ils  priaient  chaque  jour  Huichilobos  et  Tezcatepuca  de  le  pré- 
server de  tout  mal  tant  qu'il  serait  en  notre  pouvoir;  que  s'il  en  sor- 
tait, comme  ils  en  avaient  l'espoir,  ils  l'auraient  encore,  et  mieux 
qu'avant,  pour  leur  roi  ;  que  pour  à  présent  il  voulût  bien  leur  par- 
donner. 

A  peine  avaient-ils  fini  ces  paroles  qu'une  grêle  de  pierres  et  de 
pieux  tomba  sur  la  terrasse.  Nos  soldats  avaient  pris  soin  de  couvrir 
la  personne  du  prince  ;  mais  comme  ils  s'aperçurent  qu'on  cessait  de 
tirer  pendant  qu'il  parlait  à  ses  sujets,  ils  manquèrent  de  prendre  la 
même  précaution  dans  un  de  ces  moments,  et  c'est  alors  que  le  mal- 
heureux monarque  fut  frappé  de  trois  pierres  et  d'une  flèche,  à  la 
tête,  au  bras  et  à  la  jambe.  A  la  suite  de  l'accident,  on  le  pria  de  se 
laisser  soigner  et  de  manger;  mais  on  eut  beau  user  auprès  de  lui 
des  plus  douces  paroles,  il  se  refusa  à  rien  faire,  et  tout  d'un  coup, 
sans  nous  y  attendre  aucunement,  nous  apprîmes  qu'il  était  mort. 
Gortès  le  pleura  et  tous  nos  capitaines  et  soldats  en  firent  autant. 
Plusieurs  de  nous,  qui  l'avions  connu  et  fréquenté,  le  pleurâmes 
comme  un  père;  et  certes  on  ne  saurait  en  être  surpris,  si  l'on  songe 
combien  il  était  bon.  Il  avait  gouverné,  dit-on,  dix-sept  ans.  Ce  fut. 
le  meilleur  roi  qui  régna  sur  les  Mexicains.  Personnellement,  il 
avait  vaincu  en  trois  combats  singuliers  à  propos  de  pays  qu'il  sou- 
mit à  son  empire1. 


1.  Clavijero  dit  :  «  Relativement  aux  causes  de  la  mort  de  Montezuma  et  aux  cir- 
constances qui  s'y  rattachent,  les  récits  des  historiens  sont  si  variés  et  si  contradic- 
toires, qu'il  est  absolument  impossible  d'y  démêler  la  vérité.  Les  Mexicains  en  accu- 
sent les  Espagnols  qui  à  leur  tour  en  rejettent  la  faute  sur  les  Mexicains.  Je  ne  saurais, 
quant  à  moi.  me  résoudre  à  croire  que  les  Espagnols  se  fussent  décidés  à  ôter  la 
vie  à  un  roi  dont  ils  avaient  reçu  tant  de  bienfaits  et  dont  la  mort  ne  pouvait  leur 
faire  attendre  que  des  malheurs.,..  Cortès  et  Gomara  affirment  que  Montezuma  mouru  t 
du  coup  de  pierre  de  ses  propres  sujets;  Solis  assure  que  la  mort  fut  la  conséquence 
de  son  refus  de  se  laisser  panser.  Bernai  Diaz  ajoute  qu'il  s'obstina  à  se  laisser  mourir 
de  faim.  Le  chroniqueur  Herrera  dit  que  la  blessure  n'était  pas  mortelle  et  que  le  ro  i 
mourut  de  colère  et  de  chagrin.   Le  l'ère  Sakaffun  et  les  historiens  mexicains  »>t  tez- 


362  CONQUÊTE 


CHAPITRE  CXXVII 

Montczuma  étant  mort,  Cortès  résolut  de  le  faire  savoir  aux  capitaines  et  dignitaires 
qui  nous  faisaient  la  guerre;  ce  qui  arriva  à  ce  sujet. 

J'ai  dit  la  tristesse  qui  s'empara  de  nous  lorsque  nous  vîmes  que 
Montezuma  était  mort.  Le  Père  de  la  Merced  s'en  affligea  beaucoup 
aussi,  car,  bien  qu'il  ne  l'eût  pas  quitté  un  instant,  il  n'avait  pu  par- 
venir à  le  rendre  chrétien.  Il  eut  beau  le  presser  de  devenir  croyant 
en  lui  représentant  qu'il  allait  mourir  de  ses  blessures  :  Montezuma 
lui  répondait  qu'il  s'occupât  seulement  du  soin  de  les  faire  panser. 

Après  beaucoup  de  délibérations,  Cortès  résolut  d'envoyer  un  pape 
et  un  dignitaire,  de  ceux  que  nous  gardions  prisonniers,  pour  aller 
annoncer  au  cacique  Goadlavaca,  élevé  à  la  dignité  royale,  ainsi  qu'à 
ses  officiers,  que  le  grand  Montezuma  avait  cessé  de  vivre,  chargeant 
ces  émissaires  de  dire  qu'eux-mêmes  l'avaient  vu  mourir;  qu'ils 
avaient  été  témoins  de  la  manière  dont  s'était  passé  ce  triste  événe- 
ment, causé  sans  nul  doute  par  les  blessures  que  ses  propres  sujets 
lui  avaient  faites.  Ils  devaient  dire  aussi  que  nous  en  étions  tous 
grandement  peines  ;  que  nous  désirions  qu'il  fût  enterré  en  grand 
seigneur  qu'il  était  et  que  l'on  élût  pour  lui  succéder  son  cousin  qui 
se  trouvait  avec  nous,  attendu  que  c'était  à  ce  prince  ou  à  quelques 
autres  de  ses  enfants  que  l'héritage  appartenait,  et  nullement  à  celui 
dont  on  avait  fait  choix  ;  que  l'on  convînt  d'un  armistice  pour  que 
nous  sortissions  de  Mexico;  que  si  l'on  ne  s'empressait  pas  de  le 
faire,  maintenant  que  Montezuma  n'était  plus,  lui  qui  nous  inspi- 
rait du  respect  et  nous  avait  empêchés  de  ruiner  la  capital  nous 
exécuterions  une  sortie  dans  laquelle  nous  brûlerions  leurs  maisons 
et  leur  causerions  les  plus  grands  dommages. 

Pour  qu'on  ne  pût  douter  de  la  mort  du  monarque,  Cortès  or- 
donna que  six  dignitaires  mexicains  et  presque  tous  les  papes  que 
nous  retenions  captifs  prissent  le  corps  du  défunt  sur  leurs  épaules 
pour  le  remettre  aux  capitaines  mexicains,  en  leur  rapportant  les  der- 
nières paroles  du  mourant,  qu'eux-mêmes  avaient  pu  entendre, 
puisqu'ils  étaient  présents.  Ils  dirent  en  effet  à  Coadlavaca  toute  la 
vérité,  à  savoir  que  ses  propres  sujets  l'avaient  tué  d'une  flèche  et 
de  trois  coups  de  pierre.  En  le  voyant  mort,  les  Mexicains  firent  en- 
tendre de  grands  gémissements  et  des  cris  lugubres  qui  parvenaient 

cucans  affirment  que  les  Espagnols  le  tuèrent  ;  l'un  d'eux  assure  même  qu'un  soldat 
lui  enfonça  son  épée  dans  la  région  de  l'aine....  Acosta,  Torquemada  et  Betancourt 
renvoient  ce  malheur  au  jugement  de  Dieu.  »  (Clavijero,  livre  IX.) 


DE  LA  NOUVELLE-ESPAGNE.  363 

jusqu'à  nos  oreilles.  Mais  cela  ne  fut  pas  une  raison  de  cesser  leurs 
attaques  contre  nous  ;  ils  continuèrent  de  nous  lancer  une  grêle  de 
pieux,  de  pierres  et  de  flèches;  ce  fut  même  pis  qu'auparavant.  Ils 
nous  criaient  avec  plus  de  défi  que  jamais  :  «  C'est  à  présent  que 
vous  allez  payer  la  mort  de  notre  roi  et  vos  outrages  à  nos  divinités  ! 

L'armistice  que  vous  nous   demandez sortez,   venez  ici,   et  nous 

vous  ferons  voir  de  quelle  manière  cela  se  traite  !  »  Ils  disaient  en- 
core tant  d'autres  choses  que  je  ne  m'en  souviens  plus,  mais  ils 
ajoutaient  qu'ils  avaient  élu  un  excellent  roi,  dont  le  cœur  n'était 
pas  assez  amolli  pour  qu'on  pût  le  tromper  par  de  fausses  paroles, 
comme  on  avait  fait  avec  le  bon  Montezuma;  quant  aux  funérailles 
du  roi,  nous  n'avions  pas  besoin  de  nous  en  inquiéter,  mais  de  son- 
ger plutôt  à  nos  existences,  car  dans  deux  jours  il  ne  resterait  pas 
un  seul  de  nous  pour  envoyer  de  pareils  messages.  Ces  paroles  se 
mêlaient  aux  cris,  aux  sifflets  et  à  une  grêle  de  projectiles,  tandis 
que  d'autres  bataillons  s'efforçaient  toujours  d'incendier  nos  quar- 
tiers. 

Voyant  cela,  Cortès  et  nous  tous  fûmes  d'avis  de  faire  une  sortie  le 
lendemain  et  de  porter  nos  attaques  en  un  point  de  la  ville  bâti  un 
peu  hors  de  l'eau,  dans  le  but  d'y  causer  le  plus  de  mal  possible. 
Nous  devions  aller  aussi  vers  la  chaussée,  nos  cavaliers  chargeant  les 
bataillons  ennemis  et  les  forçant  avec  leurs  lances  à  reculer  jusqu'à 
tomber  dans  la  lagune,  dût-on  dans  ces  charges  risquer  la  vie  des 
chevaux.  On  concerta  cette  mesure  afin  de  voir  si  les  morts  et  les 
ruines  qui  en  seraient  la  conséquence  auraient  pour  résultat  de  faire 
cesser  la  guerre  ou  de  diminuer  assez  les  hostilités  pour  qu'il  nous  fût 
permis  de  sortir  de  la  ville  sans  éprouver  d'autres  pertes  en  hommes. 
Le  lendemain,  nous  nous  conduisîmes  en  effet  en  gens  de  cœur, 
nous  tuâmes  beaucoup  d'ennemis,  on  brûla  plus  de  vingt  maisons, 
et  nous  arrivâmes  bien  près  de  la  terre  ferme  ;  mais  tout  cela  ne  fut 
rien  en  comparaison  de  la  perte  que  nous  fîmes  de  plus  de  vingt 
soldats  et  des  nombreuses  blessures  que  nous  reçûmes,  sans  pouvoir 
nous  emparer  d'aucun  des  ponts,  qui  du  reste  étaient  presque  tous 
détruits.  Une  multitude  de  Mexicains  tomba  sur  nous  ;  ils  avaient 
pris  soin  de  placer  des  obstacles  et  des  palissades  sur  tous  les  points 
qui  leur  paraissaient  accessibles  à  nos  chevaux. 

Nos  malheurs  furent  donc  bien  grands  ce  jour-là,  et  cependant  l'on 
va  voir  qu'ils  devinrent  plus  déplorables  encore.  Gela  nous  amènera 
à  dire  que  nous  résolûmes  de  sortir  de  Mexico.  Mais  auparavant, 
rappelons  que  notre  attaque  de  ce  jour  avec  nos  cavaliers  eut  lieu 
un  jeudi.  Il  me  souvient  que  là  se  trouvaient  Sandoval,  et  Lares  le 
bon  cavalier,  et  Gonzalo  Dominguez,  et  Juan  Velasquez  de  Léon,  et 
Francisco  de  Morla  et  quelques  autres  des  plus  solides  cavaliers 
de  Cortès   et    de    Narvaez   :    mais  les    soldats   de   celui-ci    étaient 


364  CONQUÊTE 

réellement  épouvantés  et  pleins  d'inquiétude,  car  ils  ne  s'étaient  pas 
vus  jusque-là,  comme  nous,  aux  prises  avec  les  Indiens1. 


CHAPITRE  GXXVIII 


Comme  quoi  nous  convînmes  que  nous  sortirions  de  Mexico  et  ce  que  l'on  fit 

à  ce  sujet. 

Nous  ne  pouvions  plus  douter  que  chaque  jour  nos  forces  dimi- 
nuaient, tandis  que  celles  des  Mexicains  allaient  croissant;  nous 
voyions  que  beaucoup  des  nôtres  avaient  péri,  que  la  plupart  étaient 
blessés,  que  nous  avions  beau  nous  battre  en  gens  de  cœur,  nous  ne 

1.  Bernai  Diaz  ne  fait  pas  de  Mexico  une  description  qui  puisse  éclairer  suffisam- 
ment le  lecteur  et  lui  permettre  de  bien  comprendre  la  longue  série  des  événements 
qui  vont  suivre  et  qui  emprunteront  la  plus  grande  partie  de  leur  originalité  à  la 
présence  des  eaux.  La  relation  de  Cortès  à  ce  sujet  est  très-curieuse  à  connaître.  En 
voici  la  partie  la  plus  intéressante  au  point  de  vue  hydrographique  : 

«  ....  La  province  de  Mexico  est  circulaire  et  entourée  de  tous  côtés  de  montagnes 
hautes  et  escarpées.  La  plaine  dont  elle  se  compose  possède  environ  soixante-dix 
lieues  de  circuit.  Deux  lagunes,  l'une  d'eau  douce  et  l'autre,  plus  grande,  d'eau  salée, 
occupent  presque  toute  son  étendue,  car  des  embarcations  y  naviguent  dans  l'inté- 
rieur d'une  circonférence  de  plus  de  cinquante  lieues.  Elles  sont  séparées  par  un 
groupe  de  hauts  monticules  qui  occupent  le  centre  de  la  plaine  et  elles  finissent  par 
se  joindre  en  un  étroit  espace  qui  s'abaisse  entre  ces  monticules  et  la  grande  sierra. 
Cet  espèce  de  défilé  ne  dépasse  pas  en  largeur  la  portée  d'une  arbalète.  Les  villes  et 
villages  construits  sur  ces  deux  lacs  trafiquent  ensemble  au  moyen  d'embarcations, 
sans  qu'il  soit  nécessaire  de  communiquer  par  terre.  Comme  d'ailleurs  la  lagune  d'eau 
salée  s'élève  et  décroît  comme  la  mer,  son  excédant  des  crues  se  déverse  dans  la 
lagune  d'eau  douce  par  un  courant  rapide,  ainsi  que  le  pourrait  faire  un  grand  fleuve, 
et  par  conséquent  l'eau  douce  se  précipite  dans  le  lac  salé  lorsque  le  niveau  de 
celui-ci  s'abaisse. 

«  Cette  grande  ville  de  Mexico  est  fondée  dans  la  lagune  d'eau  salée,  de  manière 
que,  de  n'importe  quelle  partie  de  ses  bords  au  cœur  de  la  ville,  il  y  a  deux  lieues  de  . 
distance.  Elle  a  quatre  entrées  au  moyen  de  chaussées  artificielles  d'une  largeur  de 
deux  lances  de  cavalerie.  Son  étendue  égale  celles  de  Séville  et  de  Cordoue.  Ses  rues 
principales  sont  fort  larges  et  très-droites.  Quelques-unes  parmi  celles-ci  sont  par- 
tagées de  manière  qu'une  moitié  de  la  rue  est  en  terre  ferme  et  l'autre  moitié  en 
canaux  dans  lesquels  les  embarcations  circulent.  De  distance  en  distance  des  tran- 
chées coupent  les  terre-pleins  des  rues  pour  en  faire  communiquer  les  eaux  de  l'une 
à  l'autre,  et  sur  toutes  ces  tranchées,  dont  quelques-unes  sont  fort  larges,  sont  posés 
des  ponts  construits  en  madriers  épais,  bien  joints  et  artistement  travaillés.  Il  y  en  a 
sur  lesquels  pourraient  passer  dix  cavaliers  de  front.  Je  reconnus  donc  aisément  que 
si  les  habitants  de  la  capitale  en  arrivaient  à  la  pensée  de  quelque  trahison,  les 
moyens  ne  leur  en  manqueraient  pas,  la  ville  étant  construite  comme  je  viens  de 
dire  et  de  telle  sorte  qu'il  suffirait  de  lever  les  ponts  aux  entrées  et  aux  sorties  pour 
nous  faire  mourir  de  faim,  sans  qu'il  nous  fût  possible  de  nous  rendre  à  terre.  Aussi, 
à  peine  entré  dans  la  ville,  je  me  hâtai  de  construire  quatre  brigantins  et  les  achevai 
en  peu  de  temps,  de  telle  sorte  qu'ils  pouvaient  transporter  à  terre  trois  cents  hommes 
et  y  conduire  les  chevaux  au  moment  voulu.  »  (2*  Caria  relation  al  Emperador 
Carlos  V.) 


DP:  LA   NOUVELLE-ESPAGNE.  565 

pouvions  réussir  à  écarter  nos  ennemis  qui,  jour  et  nuit,  étaient 
constamment  sur  nous.  D'autre  part  les  poudres  s'épuisaient;  les 
vivres  et  l'eau  allaient  finir;  le  grand  Montezuma  était  mort;  on  refu- 
sait l'armistice  que  nous  proposions;  enfin  la  mort  partout  devant 
nos  yeux,  la  rupture  des  ponts  nous  coupant  la  retraite.  Dans  cette 
situation,  Gortès  et  nous  tous  capitaines  et  soldats  convînmes  de 
nous  échapper  pendant  la  nuit,  à  l'heure  où  les  bataillons  ennemis 
seraient  le  moins  sur  leurs  gardes.  Afin  de  les  mieux  abuser,  nous 
leur  envoyâmes  ce  jour-là  même  un  de  leurs  papes,  que  nous  avions 
capturé  et  qui  occupait  parmi  eux  un  rang  des  plus  élevés,  en  le  fai- 
sant accompagner  par  quelques  autres  prisonniers.  Nous  les  priions 
de  nous  laisser  partir  paisiblement  dans  huit  jours,  moyennant  quoi 
nous  leur  donnerions  tout  l'or  qui  était  en  notre  pouvoir.  Cette  pro- 
position était  faite  pour  qu'ils  reHchassent  momentanément  leur 
surveillance,  et  afin  de  pouvoir  nous  en  aller  cette  nuit  même. 

Il  faut  dire  aussi  que  nous  avions  un  soldat  appelé  Botello,  homme 
honorable,  instruit  dans  les  lettres  latines,  qui  avait  résidé  à  Rome, 
et  possédait  la  réputation  d'un  nécromancien;  on  disait  qu'il  avait 
son  petit  démon  familier;  quelques-uns  l'appelaient  :  l'Astrologue. 
Or  il  avait  annoncé  quatre  jours  auparavant  que,  d'après  l'aspect  des 
astres  et  ses  augures,  si  nous  ne  quittions  point  Mexico  la  nuit 
prochaine  et  si  nous  attendions  encore,  aucun  soldat  n'en  sortirait 
plus  vivant.  Plusieurs  fois  déjà  il  nous  avait  dit  que  Gortès  éprou- 
verait de  grandes  difficultés,  qu'il  perdrait  momentanément  sa  position 
et  ses  honneurs,  mais  qu'il  reprendrait  ensuite  son  rang  de  grand 
seigneur  et  d'homme  riche.  Il  disait  encore  bien  d'autres  choses  de 
cette  nature. 

Mais  laissons  là  Botello;  nous  aurons  à  le  reprendre  plus  tard.  Di- 
sons l'ordre  qui  fut  donné  immédiatement  de  fabriquer,  avec  des  ma- 
driers et  de  fortes  cordes  à  balistes,  un  pont  destiné  à  être  porté  par 
nos  hommes,  pour  remplacer  ceux  qui  étaient  détruits.  On  désigna 
quatre  cents  Indiens  Tlascaltèques  et  cent  cinquante  de  nos  soldats 
pour  le  transporter,  le  placer  et  le  garder,  pendant  que  toute  notre 
armée,  nos  cavaliers  et  nos  bagages  effectueraient  le  passage  ;   on 
choisit  deux  cent  cinquante  Tlascaltèques  avec  cinquante  des  nôtres 
pour  emporter  l'artillerie;   on  devait  envoyer  en  avant-garde,  avec 
mission  de  frayer  le  chemin,    Gronzalo  de    Sandoval,   Francisco  de 
Azcvcdo  le  Gentil,  Francisco  de  Lugo,  Diego  de  Ordas,  Andrès  de 
Tapia,  huit  officiers  de  Narvaez  et  cent  soldats,  jeunes  et  très-alertes, 
pour  leur  venir  en  aide.  Gortès  lui-même,   Alonso  de  Avila,  Ghris- 
toval  de  Oli,  Bernardino  Vasquez  de  Tapia,  quelques  autres  de  nos 
capitaines  dont  je  ne  me  rappelle  pas  les  noms,  et  cinquante  soldats, 
devaient  se  tenir  au  centre,  avec  les  bagages,  les  gens  du  service  et 
les  prisonniers,  prêts  à  courir  vers  l'endroit  où  leur  présence  serait  le 


366  CONQUETE 

plus  nécessaire.  Pour  l' arrière-garde  on  choisit  Juan  Velasquez  de 
Léon  Pedro  de  Alvarado,  plusieurs  cavaliers  et  cent  soldats,  ainsi 
que  la  plus  grande  partie  des  hommes  de  Narvaez.  On  désigna  trois 
cents  Tlascaltèques,  avec  trente  soldats,  pour  garder  les  prisonniers 
et  veiller  sur  dona  Marina  et  dona  Luisa. 

Tout  étant  ainsi  convenu,  la  nuit  arriva.  Gortès  pensa  aux  soins  à 
prendre  pour  enlever  le  trésor,  après  en  avoir  opéré  la  répartition.  Il 
donna  l'ordre  en  conséquence  à  son  camarero  Ghristoval  de  Guzman 
et  à  quelques  autres  de  ses  domestiques  de  retirer  l'or,  l'argent  et  les 
joailleries  de  la  chambre  où  ils  se  trouvaient  et  de  les  porter  à  la 
grande  salle,  avec  l'aide  de  plusieurs  Tlascaltèques.  Il  ordonna  en 
même  temps  aux  officiers  du  Roi,  Alonso  de  Avila  et  Gonzalo  Mexia, 
de  mettre  à  part  tout  l'or  de  Sa  Majesté,  pour  le  transport  duquel  il 
donna  sept  chevaux  blessés  et  boiteux,  une  jument  et  plus  de  quatre- 
vingts  Indiens  de  Tlascala.  On  prit  ainsi  pour  le  Roi  tout  ce  qu'il  fut 
possible  d'emporter  en  grands  lingots  ;  mais  il  resta  encore  dans  la 
salle  beaucoup  d'or  entassé.  Ce  fut  alors  que  Gortès  appela  son  secré- 
taire Pedro  Hernandez,  ainsi  que  quelques  notaires  du  Roi,  et  il  leur 
dit  :  «  Veuillez  rendre  témoignagne  que  je  ne  puis  rien  faire  pour 
conserver  plus  d'or.  Nous  possédons  dans  ce  palais  ensemble  pour 
environ  sept  cent  mille  piastres;  vous  voyez  qu'il  nous  est  impossible 
de  tout  emporter  et  de  mettre  en  sûreté  au  delà  de  ce  que  nous  avons 
fait.  Par  conséquent,  s'il  est  des  soldats  qui  veuillent  prendre  de  l'or, 
dès  à  présent  je  le  leur  donne,  puisqu'autrement  il  est  destiné  à  se 
perdre  parmi  ces  chiens  d'Indiens.  » 

Entendant  cela,  plusieurs  soldat0  de  Narvaez  et  quelques-uns  des 
nôtres  se  chargèrent  de  ces  richesses.  Quant  à  moi,  j'avoue  que  jamais 
l'or  n'excita  mon  envie  et  que  je  ne  pensais  qu'à  sauver  mon  existence 
que  je  voyais  en  grand  péril.  Je  pris  soin  néanmoins  de  mettre  la 
main  dans  une  valise  et  d'en  retirer  quatre  chalchihuis,  pierres  pré- 
cieuses que  les  Indiens  ont  en  grande  estime,  et  j'eus  la  précaution 
de  les  bien  cacher  sous  les  armures  qui  couvraient  ma  poitrine. 
Gortès  s'empressa  de  faire  serrer  la  valise  avec  les  chalchihuis  qui  y 
étaient  encore  et  il  la  donna  en  garde  à  son  majordome.  Je  ne  doute 
pas  que,  si  je  n'avais  déjà  eu  soin  de  cacher  sur  ma  poitrine  les  quatre 
pierres  que  j'avais  prises,  le  général  ne  les  eût  demandées;  or,  plus 
tard,  cette  épargne  me  fut  très-utile  pour  soigner  mes  blessures  cl 
me  procurer  des  vivres. 

Reprenons  notre  récit.  On  nous  instruisit  de  ce  qui  était  convenu 
avec  Gortès  sur  la  manière  d'effectuer  le  départ  et  de  transporter  les 
pièces  de  bois  destinées  à  former  les  ponts.  La  nuit  était  obscure,  il 
il  y  avait  un  peu  de  brouillard,  et  il  bruinait;  il  n'était  pas  encore 
minuit.  On  commença  à  filer  avec  les  madriers  de  nos  ponts,  placés 
dans  les  rangs  convenus,  et  les  équipages,  l'artillerie,  quelque)?.  Cava- 


DE  LA   NOUVELLE-ESPAGNE.  367 

liers  et  les  Indiens  Tlascaltèques  avec  l'or  se  mirent  en  route.  Le  pont 
fut  construit  et  le  passage  commença  dans  l'ordre  que  j'ai  dit  : 
d'abord  Sandoval  et  plusieurs  cavaliers;  après  eux,  Cortès,  ceux  qui 
l'accompagnaient  à  cheval  et  plusieurs  autres  soldats  à  pied.  Mais, 
en  cet  instant,  s'élevèrent  tout  à  coup  des  cris,  des  sifflets  et  les  sons 
des  trompettes,  du  côté  des  Mexicains  qui  criaient  en  leur  langue  : 
«Tatelulco!  Tatelulco  !  partez  en  grande  hâte  avec  vos  canots!  les 
teules  s'en  vont,  arrêtez-les  au  passage  des  ponts  !  » 

Et  à  l'instant,  sans  nous  y  attendre,  nous  vîmes  tant  de  guerriers 
fondre  sur  nous,  et  la  lagune  couverte  de  tant  d'embarcations,  qu'il 
nous  était  impossible  de  plus  rien  faire,  tandis  que  déjà  plusieurs 
de  nos  soldats  avaient  passé.  Une  multitude  énorme  de  Mexicains  se 
jeta  sur  le  pont  pour  le  détruire  et  ils  se  hâtaient  tellement  à  blesser 
et  à  massacrer  nos  hommes  que  chacun  en  prenait  à  sa  guise,  sans 
attendre  et  sans  aider  son  voisin.  Et  comme  d'ailleurs  il  est  vrai  de 
dire  qu'un  mal  ne  vient  jamais  seul,  il  pleuvait,  les  chevaux  glissaient 
sur  le  sol,  l'épouvante  les  gagnait  et  ils  allaient  tomber  dans  la  la- 
gune. Le  pont,  du  reste,  ne  tarda  pas  être  complètement  détruit,  car 
le  nombre  des  Mexicains  s'efforçant  d'en  enlever  les  derniers  restes 
était  si  considérable  que  nous  avions  beau  nous  en  défendre  et  les  tuer 
en  foule,  il  devint  désormais  impossible  de  mettre  le  moins  du  monde 
ce  pont  à  profit.  Il  en  résulta  que  la  tranchée  se  combla  bien  vite  de 
chevaux  morts,  de  cavaliers  —  car,  n'ayant  pu  se  sauver  à  la  nage, 
ils  succombèrent  pour  la  plupart,  —  de  Tlascaltèques,  d'Indiens  na- 
borias,  de  bagages,  de  valises  et  de  canons. 

C'était  une  horreur  de  voir  et  d'entendre  la  multitude  des  nôtres 
qui  se  noyaient,  eux  et  leurs  chevaux;  le  grand  nombre  de  soldats 
qu'on  tuait  dans  l'eau  et  d'autres  qu'on  plaçait  dans  les  embarcations; 
les  plaintes,  les  pleurs,  les  gémissements  de  ceux  qui  criaient  :  «  Au 
secours!  aidez-moi!  je  me  noie!  on  me  tue!  »  D'autres  appelaient  à 
leur  aide  Notre  Dame  sainte  Marie  et  le  seigneur  saint  Jacques  ; 
quelques-uns  demandaient  un  appui  pour  arriver  aux  madriers  du 
pont;  c'étaient  ceux  qui,  se  jetant  à  la  nage,  s'aidaient  des  cadavres  et 
des  bagages  pour  se  hisser  jusqu'à  l'endroit  où  se  voyaient  encore 
des  restes  de  nos  madriers.  Quelques-uns  de  ces  malheureux  étaient 
déjà  montés  et  se  croyaient  délivrés  de  tout  péril,  lorsque  se  préci- 
pitaient sur  eux  de  nombreux  guerriers  ennemis  qui  les  assommaient 
à  coups  de  casse-tête  ou  les  achevaient  avec  leurs  lances  et  leurs 
llèches. 

Groit-on  que  le  départ  et  la  marche  aient  été  effectués  par  nous 
dans  l'ordre  convenu?  Maudit  sort!  rien  de  pareil  n'eut  lieu.  Cortès, 
les  capitaines  et  les  soldats  qui  passèrent  les  premiers  à  cheval  se  vi- 
rent obligés,  pour  sauver  leur  vie  et  arriver  en  terre  ferme,  de  jouer 
de  l'éperon,  sur  la  chaussée,  sans  s'attendre  les  uns  les  autres  ;  cl  ils 


368  CONQUÊTE 

firent  bien;  caries  hommes  à  cheval  ne  pouvaient  se  livrer  à  aucune 
attaque,  attendu  que  les  Mexicains  se  laissaient  glisser  dans  la  la- 
gune aussitôt  qu'on  les  chargeait.  D'ailleurs,  des  canots,  des  ter- 
rasses et  de  la  rue,  l'ennemi  criblait  nos  cavaliers  de  flèches,  de  pieux 
et  de  pierres,  et  tuait  leurs  chevaux  avec  de  longues  lances  en  ma- 
nière de  pertuisanes,  fabriquées  par  nos  adversaires  avec  les  espadons 
qu'ils  nous  avaient  pris.  Toutes  les  fois,  au  surplus,  qu'un  cavalier 
en  chargeant  tuait  quelque  Indien,  il  était  sûr  qu'immédiatement  on 
massacrait  sa  monture,  de  sorte  qu'il  fallut  ménager  l'ennemi  en  sui- 
vant la  chaussée  sans  charger.  Il  est  bien  aisé  de  voir  d'ailleurs  que, 
d'une  part, il  nous  était  impossible  de  nous  défendre  dans  l'eau;  d'un 
autre  côté,  sans  escopettes,  sans  arbalètes  et  par  une  nuit  obscure, 
que  pouvions-nous  faire  de  plus  que  ce  que  nous  faisions,  c'est-à-dire 
nous  réunir  trente  ou  quarante,  tomber  sur  nos  ennemis,  nous  débar- 
rasser à  coups  d'épée  de  ceux  qui  nous  mettaient  la  main  dessus, 
marcher  et  avancer  jusqu'à  ce  que  nous  fussions  sortis  de  la  chaus- 
sée? Pensera  s'attendre  les  uns  les  autres,  c'eût  été  folie,  personne  de 
nous  n'y  aurait  sauvé  sa  vie.  Et  s'il  eût  fait  jour,  les  choses  se  fus- 
sent passées  pis  encore.  De  toutes  façons,  nous  qui  eûmes  la  chance 
d'échapper,  nous  devons  avouer  que  Notre  Seigneur  Dieu  put  seul 
nous  donner  la  force  qui  nous  sauva;  car  il  est  impossible,  pour  qui- 
conque ne  l'a  pas  vu,  de  se  figurer  la  multitude  de  guerriers  qui  se 
tenaient  sur  nous,  et  les  embarcations  qui  s'emparaient  de  nos  hommes 
et  les  enlevaient  pour  les  aller  sacrifier.  C'était  épouvantable  ! 

Nous  nous  étions  réunis  cinquante  soldats  de  Gortès  avec  quelques- 
uns  de  Narvaez;  nous  remontions  la  chaussée;  de  distance  en  distance 
survenaient  des  bataillons  ennemis  qui  voulaient  mettre  la  main  sur 
nous.  Je  me  rappelle  qu'ils  nous  criaient  :  «  Ho  1  ho!  ho!  luilones! 
(c'est-à-dire  :  vils  crapuleux!)  vous  êtes  encore  vivants, nos  braves1  ne 
vous  ont  pas  encore  tués  !  »  Nous  les  recevions  à  coups  de  taille  et 
d'estoc,  et  nous  avions  la  chance  de  passer  outre.  Nous  arrivâmes 
enfin  près  de  la  terre  ferme,  non  loin  du  village  de  Tacuba  où  se 
trouvaient  déjà  Gonzalo  de  Sandoval,  Ghristoval  de  Oli,  Francisco  de 
Saucedo  le  Gentil,  Gonzalo  Dominguez,  Lares,  plusieurs  autres  cava- 
liers et  des  soldats  qui  avaient  passé  avant  que  le  pont  fût  détruit. 
Tandis  que  nous  approchions,  nous  entendîmes  les  voix  de  Ghristoval 
de  Oli,  de  Gonzalo  de  Sandoval  et  de  Francisco  deMorla,  criant,  appe- 
lant Gortès  qui  marchait  en  avant  de  tout  le  monde,  et  lui  disant  : 
«  Attendez,  général,  ces  soldats  nous  accusent  de  fuir  et  de  laisser 
mourir  dans  les  tranchées  et  sur  la  chaussée  tous  ceux  qui  restent 


1.  L'auteur  dit  :  los  llac.anes.  Le  mot  n'est  pas  espagnol.  Ë.  Diaz  l'a  sans  doute 
emprunté  à  la  langue  nahuatl.  En  aztèque,  en  effet,  îiacauh  veut  dire  courageux, 
infatigable. 


DE   LA  NOUVELLE -ESPAGNE.  369 

derrière  nous  ;  revenons  sur  nos  pas  pour  rallier  et  secourir  quelques 
hommes  qui  s'avancent  couverts  de  blessures,  disant  que  tous  les  au- 
tres sont  morts  et  qu'il  ne  vient  plus  personne  après  eux.  »  A  quoi 
Gortès  répondit  que  c'était  par  miracle  que  nous  étions  sortis  des 
chaussées,  que  si  l'on  rétrogradait  jusqu'au  pont,  presque  tous  y  per- 
draient la  vie  avec  leurs  montures. 

Cependant  Gortès  lui-même,  Christoval  de  Oli,  Alonso  de  Avila 
Gonzalo  de  Sandoval,  Francisco  de  Morla  et  Gonzalo  Domingucz 
suivis  de  six  ou  sept  autres  cavaliers  et  de  quelques  soldats  valides  se 
hasardèrent  à  revenir  sur  leurs  pas;  mais  ils  n'allèrent  pas  bien  loin. 
Ils  rencontrèrent  Pedro  de  Alvarado,  grièvement  blessé,  une  lance  à 
la  main,  à  pied,  car  on  avait  tué  sa  jument  alezane.  Il  amenait  avec 
lui  sept  soldats,  trois  des  nôtres  et  quatre  de  Narvaez,  sérieusement 
blessés  également,  avec  huit  Tlascaltèques,  perdant  beaucoup  de  sang 
par  leurs  nombreuses  blessures. 

Cependant  Gortès  revint  par  la  chaussée  avec  les  capitaines  et  soldats 
que  je  viens  de  dire.  Nous  nous  arrêtâmes  pour  reprendre  haleine  dans 
les  grandes  places  qui  précèdent  Tacuba;  mais  déjà  on  était  venu  de 
Mexico,  qui  n'est  pas  éloigné,  criant  et  donnant  avis  aux  Tacubains 
aux  gens  d'Escapuzalco  et  aux  habitants  de  Tenayuca,  pour  qu'on 
nous  coupât  la  retraite.  Il  en  résulta  que  de  nouveau  on  fit  pleu- 
voir sur  nous  des  pieux,  des  pierres  et  l'on  vint  nous  menacer  avec 
les  longues  lances  auxquelles  on  avait  ajusté  les  épées  prises  sur 
nos  hommes  dans  la  déroute.  De  notre  côté,  nous  faisions  bonne  con- 
tenance en  nous  défendant  et  parfois  nous  marchions  sur  eux  à  l'of- 
fensive. 

Revenons  à  Pedro  de  Alvarado.  Lorsque  Gortès,  les  autres  capitaines 
et  les  soldats  le  virent  en  cet  état  et  apprirent  de  sa  bouche  qu'il  ne 
venait  plus  personne  après  lui,  ils  pleurèrent  amèrement.  Pedro  de 
Alvarado  et  Juan  Velasquez  de  Léon,  avec  vingt  autres  cavaliers  et 
plus  de  cent  soldats,  avaient  été,  en  effet,  placés  à  l'arrière-garde. 
Gortès  demanda  où  étaient  les  autres  et  la  réponse  fut  que  tous  avaient 
péri,  y  compris  Juan  Velasquez  de  Léon,  la  plupart  des  cavaliers  qui 
étaient  avec  lui,  tant  des  gens  de  Narvaez  que  des  nôtres,  et  plus  de 
cent  cinquante  soldats  qui  les  suivaient.  Pedro  de  Alvarado  raconta 
que,  les  chevaux  étant  morts,  ils  se  réunirent  au  nombre  de  quatre- 
vingts   hommes  pour  se  venir  en  aide  et  ils  réussirent  à  traverser  la 
première  tranchée  sur  les  cadavres,  les  bagages  et  les  chevaux  noyés. 
Je  ne  me  rappelle  pas  bien  ce  détail  du  passage  sur  les  cadavres  et 
nous  ne  prîmes  pas  garde  à  ce  qu'il  disait  à  Gortès  sur  ce  sujet;  mais 
ce  que  je  sais  bien,  c'est  que  sur  cette  première  tranchée  on  tua  Juan 
Velasquez  et  plus  de  deux  cents  hommes  qui  le  suivaient,  sans  qu'on 
pût  rien  pour  les  sauver.  Quant  à  la  seconde  tranchée,  on  peut  dire 
que  Dieu  leur  lit  une  bien  grande  grâce  en  permettant  qu'ils  y  con- 

24 


370  CONQUÊTE 

servassent  leurs  vies;  car,  chaussées  et  ponts,  tout  était  couvert  de 
guerriers  ennemis. 

Il  faut  bien  que  je  dise  quelque  chose  relativement  à  ce  malheu- 
reux pont  où  l'on  a  placé  ce  que  l'on  appelle  «  le  Saut  d'Alvarado  ». 
Je  dois  avouer  qu'au  moment  de  l'événement  personne  ne  s'arrêta  à 
vérifier  le  fait  de  savoir  si  ce  capitaine  sauta  peu  ou  beaucoup.  Nous 
avions  bien  assez  à  faire  pour  disputer  nos  vies  au  grand  nombre  de 
Mexicains  qui  tombaient  sur  nous;  en  ce  moment  donc  nous  ne  pou- 
vions nullement  voir  pareille  chose  ni  tourner  notre  attention  sur  les 
distances  franchies.  La  vérité  est  qu'en  arrivant  sur  ce  point,  Alva- 
rado  passa,  comme  il  le  dit  lui-même  à  Gortès,  en  s'aidant  des  baga- 
ges, des  chevaux  et  des  cadavres  de  nos  soldats.  Il  est  facile  de  voir 
en  effet  que,  s'il  avait  voulu  sauter  en  prenant  sa  lance  pour  appui, 
la  tranchée  était  bien  profonde,  et  on  ne  comprend  pas  qu'il  eût  pu 
faire  porter  un  bout  sur  le  fond  et  s'appuyer  de  l'autre.  Il  est  d'ail- 
leurs certain  que  l'ouverture  était  trop  large  pour  qu'il  pût  la  fran- 
chir, de  quelque  légèreté  qu'il  fût  doué.  J'ai  encore  une  autre  raison 
pour  dire  que  ce  saut  n'était  possible  ni  sur  la  lance  ni  d'autre  fa- 
çon. Un  an  plus  tard,  en  effet,  lorsque  nous  revînmes  faire  le  siège 
de  Mexico  et  prendre  la  ville,  je  me  trouvai  souvent  sur  ce  même 
pont,  combattant  contre  les  bataillons  mexicains.  Ils  avaient  élevé 
des  palissades  et  des  obstacles  sur  le  point  même  qu'on  appelle  au- 
jourd'hui :  le  Saut  d'Alvarado.  J'y  ai  souvent  parlé  de  ce  fait  avec  les 
camarades,  et  jamais  nous  ne  pûmes  nous  arrêter  à  la  pensée  qu'il 
y  eût  un  homme  capable  d'un  saut  pareil. 

Mais  suspendons  notre  jugement  sur  ce  détail,  pour  dire  que  nos 
capitaines  s'assurèrent  qu'aucun  soldat  ne  venait  plus;  et  d'ailleurs, 
Pedro  de  Alvarado  affirma  que  tout  était  plein  de  guerriers  ennemis 
et   que   si    quelques-uns    des   nôtres    étaient   restés  vivants  derrière 
nous,  on  ne  manquerait  pas  de  les  massacrer  au  passage  des  ponts. 
Si  maintenant  encore,  quelques  personnes,  qui  ne  le  savent  nulle- 
ment et  ne  purent  le  voir,  s'obstinaient  à  prétendre  que  ce  saut  de 
Pedro  de  Alvarado  fut  une  réalité  dans  la  nuit  de  notre  fuite  et  sur 
cette  tranchée  de  la  lagune,  je  répète  qu'il  est  impossible  qu'il  l'ail 
jamais  franchie  de  cette  manière.  Pour  qu'on  en  soit  bien  sûr,  j'af- 
firme que  la  base  du  pont  et  la  hauteur  de  l'eau  sont  aujourd'hui 
dans  le  même  état  qu'alors;  or  l'on  voit  que  l'élévation  du  bord  et  la 
profondeur  de  la  tranchée  sont  telles  qu'Alvarado  n'aurait  pas  pu  at- 
teindre le  fond  avec  le  bout  de  sa  lance.  J'insiste  sur  ce  détail  parce 
que  je  veux  aussi  que  mes  lecteurs  sachent  qu'il  y  eut  à  Mexico  un 
soldat,  nommé  Ocampo,  qui  vint  avec  ceux  de  Garay.  C'était  un  char- 
latan, grand  fabricant  de  libelles  diffamatoires  et  autres  pasquinades. 
Il  fit  figurer  méchamment  dans  ses  écrite  beaucoup  de  nos  capitai- 
nes, avec  de  vilaines  accusations  qui  ne  doivent   pas  être   répétées, 


DE  LA  NOUVELLE-ESPAGNE.  371 

parce  qu'elles  sont  fausses.  G'esl  là  qu'entre  autres  choses  sur  Pedro 
de  Alvarado,  il  l'accuse  d'avoir  laissé  périr  son  compagnon  Juan  Ve- 
lasqucz  de  Léon,  avec  plus  de  deux  cents  soldats  et  tous  les  cavaliers 
formant  l'arrière-gardc,  pour  s'échapper,  lui,  en  franchissant  cette 
grande  distance  et  réalisant  le  mot  du  dicton  :  «  Il  sauta  et  la  vie  fut 
sauve!  » 

Mais  reprenons  le  fil  de  notre  récit.  Il  fallait  se  hâter  de  décider 
quelque  chose  pour  éviter  qu'après  avoir  réussi  à  nous  sauver  jus- 
qu'à Tacuba,  nous  finissions  par  périr  tous  jusqu'au  dernier;  car  un 
grand  nombre  d'habitants  de  Tacuba,  d'Escapuzalco,  de  Tcnayuca  et 
d'autres  villages  environnants  nous  harcelaient  sans  cesse,  obéissant 
à  l'ordre  qu'ils  avaient  reçu  de  Mexico,  de  courir  à  notre  rencontre 
au  passage  des  ponts  et  sur  les  chaussées.  Ils  s'abritaient  dans  les 
plantations  de  maïs,  d'où  ils  parvenaient  à  nous  faire  le  plus  grand 
mal.  Ils  achevèrent  même  trois  de  nos  soldats  blessés.  Nous  convîn- 
mes donc  de  sortir  du  village  et  des  champs  voisins  le  plus  tôt  possi- 
ble. Six  ou  sept  Tlascaltèques,  qui  connaissaient,  ou  plutôt  devinaient 
la  direction  de  Tlascala,  sans  aller  en  droite  ligne,  nous  servirent  de 
guides  et  nous  permirent  d'arriver  à  un  groupe  de  maisons  qui  se 
trouvaient  au  pied  d'un  cerro.  Là  s'élevait  un  temple,  espèce  d'ora- 
toire fortifié,  où  nous  nous  reposâmes.  Qu'on  me  permette  de  répéter 
que  nous  étions  toujours  poursuivis  par  les  Mexicains  qui  nous  cri- 
blaient de  flèches,  de  pieux  et  de  pierres,  et  nous  entouraient,  à  ren- 
dre la  situation  épouvantable.  Peut-être  les  lecteurs  m'accuseront-ils 
d'abuser  de  ce  récit;  je  suis  moi-même  aussi  fatigué  de  dire  cette 
poursuite  qu'ils  peuvent  l'être  de  l'entendre;  mais  enfin  je  décris,  et 
puisqu'à  tout  instant  nos  ennemis  revenaient  sur  nous,  nous  harce- 
laient et  nous  entouraient,  il  faut  bien  que  moi-même  je  le  redise,  en 
ajoutant  que  chaque  fois  ils  nous  tuaient  du  monde. 

Disons  au  surplus  comme  quoi  nous  eûmes  à  nous  défendre  dans 
le  temple  érigé  en  fortifications.  Nous  nous  y  logeâmes  d'abord  et  y 
pansâmes  nos  blessés,  après  l'avoir  éclairé  avec  des  feux.  Nous  n'a- 
vions du  reste  rien  à  manger.  Mais,  avant  d'aller  plus  loin,  rappelons 
que  plus  tard,  après  la  prise  de  la  ville  de  Mexico,  à  la  place  même 
de  ce  temple,  nous   bâtîmes  une  église  qu'on  appela  :  Notre-Dame- 
des-Remèdes  ;  elle  est  actuellement  l'objet  d'une  grande  dévotion  de 
la  part  des  habitants  et  des  grandes  dames  de  Mexico  qui  y  font  des 
pèlerinages.  Nous  nous  étions  donc  réfugiés  dans  ce  temple;  c'était 
vraiment  pitié  de  nous  voir  panser  et   couvrir  nos   blessures  avec 
quelques  mauvais  morceaux  de  nos  vêtements  de  coton.  Elles  s'étaient 
refroidies,  enflées,  et  nous  causaient  les  plus  vives  douleurs.  Alors 
commencèrent  nos  pleurs,  en  remarquant  les  soldats  et  les  chevaux 
(|ui  étaient  absents.  Qu'étaient  devenus  et  Juan  Yclasquez  de  Léon, 
et  Francisco  de  Salccdo,  et  Francisco  de  Moila,  et  Lares  le  bon  ca- 


372  CONQUETE 

valier,  et  tant  d'autres  de  l'armée  de  Gortès?  Pourquoi  en  nommer 
si  peu?  C'est  que  vraiment,  s'il  fallait  dire  tous  ceux  qui  man- 
quaient, nous  n'en  finirions  pas  de  longtemps.  Les  soldats  de  Nar- 
vaez  restèrent  presque  tous  dans  les  tranchées,  chargés  de  leur  or. 
Que  devinrent  encore  tant  de  Tlascaltèques  qui  avaient  la  mission  de 
porter  les  lingots  ou  de  nous  aider  de  leur  secours?  Le  pauvre  astro- 
logue Botcllo,  à  quoi  lui  servit  son  astrologie,  puisqu'il  trouva  là  sa 
fin  comme  les  autres?  Disons  encore  que  là  moururent  aussi  les  fils 
de  Montezuma  et  les  prisonniers  que  nous  emmenions  avec  nous,  et 
Gacamatzin,  et  quelques  autres  roitelets. 

Ce  n'était  pas  tout  que  de  penser  à  tant  de  malheurs  :  il  nous  fal- 
lait bien  encore  songer  au  sort  qui  allait  s'ouvrir  devant  nous.  Car 
enfin  nous  étions  tous  blessés;  nous  n'avions  sauvé  que  vingt-trois 
chevaux.  L'artillerie  et  les  poudres,  nous  n'en  rapportâmes  absolu- 
ment rien;  les  arbalètes,  nous  n'en  sauvâmes  que  fort  peu;  nous  les 
mîmes  du  reste  en  état  et  nous  préparâmes  des  flèches.  Le  malheur 
de  notre  position  encore,  c'est  que  nous  ignorions  absolument  quels 
sentiments  nous  trouverions  chez  nos  amis  de  Tlascala.  Au  milieu  de 
toutes  ces  angoisses  et  perplexités,  la  nuit  ne  nous  empêcha  pas  d'ê- 
tre entourés  de  Mexicains  qui  criaient  et  faisaient  pleuvoir  sur  nous 
une  grêle  de  projectiles.  C'est  dans  cette  situation  que  nous  résolûmes 
de  nous  mettre  en  marche,  vers  minuit.  Les  Tlascaltèques  passèrent 
devant  pour  nous  guider  ;  nous  plaçâmes  les  blessés  au  centre,  les 
boiteux  s'appuyant  sur  des  bâtons,  les  plus  grièvement  atteints  mon- 
tant en  croupe  sur  les  chevaux  impropres  au  combat,  tandis  que  la 
cavalerie  saine  nous  protégeait  en  avant  et  sur  les  flancs.  Ainsi  ran- 
gés, nous  nous  mîmes  en  route  ;  les  Tlascaltèques  blessés  se  réfugiè- 
rent au  centre  de  notre  bataillon,  tandis  que  ceux  d'entre  eux  qui 
étaient  valides  et  ceux  d'entre  nous  qui  conservions  encore  des  forces 
faisions  face  à  nos  ennemis  acharnés,  car  les  Mexicains  ne  cessaient 
de  nous  harceler,  criant,  vociférant,  sifflant  et  disant  :  «  Vous  allez 
en  un  lieu  où  pas  un  de  vous  ne  conservera  la  vie.  »  Nous  ne  pou- 
vions comprendre  encore  ce  qu'ils  voulaient  dire,  mais  on  ne  va  pas 
tarder  à  le  voir.  J'ai  oublié  de  conter  la  joie  que  nous  ressentîmes  en 
revoyant  notre  dona  Marina  et  dona  Luisa,  fille  de  Xicotenga;  elles 
avaient  été  sauvées,  au  passage  des  ponts,  par  quelques  Tlascaltè- 
ques, frères  de  cette  dernière,  qui  étaient  partis  au  premier  rang. 
Presque  tous  les  travailleurs  naborias1  qu'on  nous  avait  donnés  à 
Tlascala  et  à  Mexico  périrent  dans  les  tranchées  avec  les  autres. 

Nous  arrivâmes  ce  même  jour  à  un  grand  village,  appelé  Cualqui- 
tan,  qui  plus  tard  appartint  à  Alonso  de  Avila.  Il  est  vrai  que  nous 

1.  Le  mot  naboria  n'est  pas  espagnol.  Il  est  formé  de  la  langue  nahuall  et  signifie: 
serviteur  libre,  non  entaché  d'esclavage. 


DE  LA   NOUVELLE-ESPAGNE.  373 

entendions  encore  des  cris  et  des  vociférations  ;  on  nous  lançait  tou- 
jours mille  projectiles,  mais  cela  devenait  plus  supportable.  De  là  nous 
prîmes  la  direction  de  petits  villages,  et  bientôt  les  Mexicains  nous 
suivirent  en  plus  grand  nombre;  ils  se  réunissaient  en  masse,  fai- 
sant tous  leurs  efforts  pour  nous  achever.  Ce  fut  là  qu'en  cherchant 
à  nous  entourer  et  en  nous  criblant  de  pieux  et  de  flèches,  ils  nous 
tuèrent  deux  soldats,  déjà  estropiés,  et  un  cheval,  tandis  qu'un  grand 
nombre  parmi  nous  reçurent  de  nouvelles  blessures.  Nous  en  tuâmes 
quelques-uns  de  nos  estocades  et  nos  cavaliers  leur  firent  aussi 
éprouver  des  pertes.  Nous  passâmes  la  nuit  dans  ces  petits  villages, 
et  nous  y  mangeâmes  le  cheval  qu'on  nous  avait  tué. 

Le  lendemain,  de  fort  bonne  heure,  nous  nous  mîmes  en  route 
dans  l'ordre  accoutumé  et  mieux  que  jamais  sur  nos  gardes  avec  la 
moitié  de  nos  cavaliers  en  avant.  Après  avoir  cheminé  un  peu  plus 
d'une  lieue  en  plaine,  alors  que  nous  croyions  être  définitivement  en 
sûreté,  nous  vîmes  venir  trois  de  nos  cavaliers,  nous  criant  que  les 
champs  étaient  couverts  de  guerriers  mexicains  nous  attendant. 
A  cette  nouvelle,  nous  prîmes  peur  certainement,  beaucoup  même 
mais  non  au  point  d'en  perdre  tout  courage  et  de  ne  tenter  aucun 
effort  pour  leur  échapper.  Nous  résolûmes  au  contraire  de  tenir  bon 
jusqu'à  la  mort.  Nous  nous  donnâmes  un  instant  de  repos,  nous 
convînmes  de  la  conduite  de  nos  cavaliers,  qui  devaient  charger  et  re- 
culer au  petit  galop,  sans  s'arrêter  devant  l'ennemi,  en  balafrant  les 
figures,  essayant  de  rompre  les  rangs  des  Indiens.  Quant  à  nos  sol- 
dats, ils  devaient  faire  en  sorte  que  toutes  les  estocades  traversassent 
l'ennemi  par  les  entrailles,  s'efforçant  de  bien  venger  nos  morts  et 
nos  blessés  et  d'échapper,  Dieu  aidant,  avec  la  vie  sauve. 

Après  nous  être  recommandés  du  fond  du  cœur  à  Dieu  et  à  sainte 
Marie,  nous  invoquâmes  le  nom  du  seigneur  saint  Jacques,  En  ce  mo- 
ment, l'ennemi  commençait  à  nous  entourer.   Nos  cavaliers    mar- 
chant cinq  de  front,  entamèrent  la  charge,  et  nous  les  suivîmes  tous 
ensemble.  Quel  spectacle  que  cette  terrible  bataille  !  Comme  nos  corps 
s'entrelaçaient  avec  ceux  de  nos  adversaires  et  avec  quelle  furie  ces 
chiens  se  livraient  au  combat  !  Que  de  blessures  et  de  morts  ils  nous 
infligeaient  avec  leurs  lances,  leurs   casse-tête  et  leurs   espadons! 
Quant  à  nos  cavaliers,  comme  le  champ  de  bataille  était  en  plaine, 
il  fallait  voir  avec  quelle  dextérité  ils  jouaient  de  leurs  lances,  char- 
geant et  reculant  tour  à  tour  au  petit  galop.  Leurs  blessures  et  celles 
de  leurs  montures  ne  les  empêchaient  pas  de  se  battre  en  gens  de 
cœur.  En  cet  instant  on  eût  dit,  chez  nous  tous  qui  avions  des  che- 
vaux, que  nos  forces  surexcitées  s'élevaient  au  double.  Quoique  nous 
fussions  tous  blessés  et  que  nous  vinssions  de  recevoir  de  nouvelles 
atteintes,  nous  étions  loin  de  songer  à  des  soins  présents  :  nous  n'eu 
avions  pas  le  temps;  une  seule  pensée  nous  guidait,   celle  de  nous 


374  CONQUETE 

approcher  assez  pour  mettre  à  profit  de  bonnes  estocades.  Et  Cortès, 
et  Ghristoval  de  OH,  et  Gonzalo  de  Sandoval,  et  Pedro  de  Alvarado, 
qui  après  la  mort  de  sa  jument  avait  pris  un  cheval  de  ceux  provenant 
de  Narvaez,  il  fallait  les  voir  courant  de  tous  côtés,  portant  le  dés- 
ordre dans  les  rangs  indiens,  quoiqu'ils  fussent  eux-mêmes  très- 
grièvement  blessés.  A  tous  ceux  d'entre  nous  qu'on  voyait  aux  prises 
avec  l'ennemi,  Gortès  criait  de  réserver  les  coups  d'estocade  et  les 
bonnes  entailles  pour  les  gens  de  qualité,  reconnaissables  à  leurs 
grands  panaches  dorés  et  à  leurs  riches  armures  ornées  de  devises. 
Et  comme  le  valeureux  et  intrépide  Sandoval  s'efforçait  à  nous  donner 
du  cœur  en  s'écriant  :  «  Attention!  c'est  aujourd'hui  le  grand  jour 
de  victoire.  Espérez  en  Dieu  que  nous  sortirons  d'ici  vivants  pour 
les  grandes  fins  auxquelles  la  Providence  nous  réserve  !  »  En  atten- 
dant, beaucoup  d'entre  nous  étaient  blessés  ou  tués. 

Revenons  à  Gortès,  à  Ghristoval  deOli,  à  Sandoval,  à  Pedro  de  Alva- 
rado, à  Gonzalo  Dominguez  et  à  beaucoup  d'autres  que  je  ne  nomme 
pas  ici.  Disons  aussi  que  nous  autres  soldats  nous  nous  battions  avec 
grande  ardeur;  et  certes  à  qui  la  devions-nous,  cette  ardeur?  c'était 
bien  à  Notre  Seigneur  Jésus-Christ,  et  à  Notre  Dame  la  Vierge  sainte 
Marie,  et  au  seigneur  saint  Jacques,  qui  assurément  nous  donnaient 
leur  aide,  ainsi  que  le  certifiait  plus  tard  un  des  capitaines  deGuatemuz 
qui  assista  à  la  bataille.  Or  Dieu  voulut  que  Gortès,  avec  les  capi- 
taines que  je  viens  de  dire,  arrivât  au  lieu  où  se  tenait  le  général 
mexicain,  à  côté  de  son  drapeau  déployé,  affichant  ses  riches  armes 
d'or  et  se  pavanant  sous  ses  panaches  argentés.  Gortès,  ayant  vu 
l'homme  au  drapeau  entouré  d'un  grand  nombre  de  Mexicains  cou- 
verts de  riches  panaches,  s'écria  en  s'adressant  à  Pedro  de  Alvarado, 
à  Gonzalo  de  Sandoval,  à  Ghristoval  de  Oli  et  aux  autres  capitaines  : 
«  Attention,  senores;  chargeons  ces  personnages!  »  Et  aussitôt,  s'étant 
recommandés  à  Dieu,  Gortès,  Ghristoval  de  Oli,  Sandoval,  Alonso  de 
Avila  et  d'autres  caballeros  se  précipitèrent  ensemble.  Gortès  vint 
donner  du  poitrail  de  son  cheval  sur  le  général  mexicain  et  abattit 
son  drapeau.  En  même  temps  ses  officiers  enfoncèrent  les  rangs  de 
l'énorme  bataillon  ennemi.  Un  nommé  Juan  Salamanca,  natif  de  Onti- 
veros,  qui  montait  une  excellente  jument  grise,  suivit  notre  général 
et  finit  d'abattre  le  commandant  ennemi,  qui  n'était  pas  encore  tombé 
sous  l'effort  de  Gortès.  Il  acheva  de  le  tuer,  enleva  son  riche  panache 
et  le  présenta  à  Gortès  en  disant  qu'à  lui  revenait  de  droit  le  plumet, 
puisqu'il  avait  le  premier  abattu  le  drapeau  et  fait  chanceler  celui  qui 
le  portait.  Mais  plus  tard  ce  fut  ce  panache  que  Sa  Majesté  donna 
pour  écusson  à  Salamanca  et  c'est  de  lui  que  se  servent  ses  des- 
cendants. 

Revenons  à  la  bataille.  Dieu  nous  fit  la  grâce  qu'après  la  mort  du 
commandant  porte-drapeau  et  le  massacre  de  quelques  autres  qui  l'en- 


DE  LA   NOUVELLE-ESPAGNE.  375 

touraient,  l'ardeur  de  nos  ennemis  se  refroidît  considérablement.  Ils 
commencèrent  donc  à  plier  et  à  reculer,  tandis  que  nos  cavaliers 
tombaient  dessus  et  les  abîmaient  de  leurs  lances.  Quant  à  nous,  nous 
ne  souffrions  plus  de  nos  blessures,  nous  ne  sentions  ni  faim  ni  soif; 
on  eût  dit  que  nous  n'avions  éprouvé  jusque-là  ni  malheurs  ni  fatigues  ; 
nous  mettions  à  profit  la  victoire,  tuant  et  blessant  nos  ennemis  à 
souhait.  Quant  à  nos  amis  de  Tlascala,  ils  étaient  devenus  des  lions; 
ils  se  conduisaient  en  gens  de  valeur  avec  leurs  épées,  leurs  espadons 
et  d'autres  armes  dont  ils  s'emparèrent  sur  le  champ  de  bataille. 

Nos  cavaliers  ayant  cessé  leur  poursuite,  nous  nous  rassemblâmes 
pour  rendre  grâces  à  Dieu  qui  nous  avait  permis  d'échapper  à  cette 
énorme  multitude;  car  on  n'avait  jamais  vu  et  on  ne  vit  jamais  dans 
les  Indes,  en  bataille  rangée,  un  si  grand  nombre  de  guerriers  réunis. 
Là  se  trouvait  la  fine  fleur  de  Mexico,  de  Tezcuco  et  de  Saltocan,  tous 
bien  convaincus  qu'aucun  de  nous  sans  exception  ne  sortirait  vivant 
de  la  mêlée.  Gomme  ils  étaient  pour  la  plupart  officiers  et  personnages 
de  qualité,  on  les  voyait  couverts  d'or,  de  panaches  et  de  devises.  Un 
village  appelé  Otumba  se  trouvait  près  du  lieu  où  se  livra  cette  mé- 
morable et  terrible  bataille  ;  —  on  peut  bien  l'appeler  ainsi  et  dire  que 
Dieu  seul  nous  permit  d'en  sortir  vivants.  Les  Mexicains  et  les  Tlas- 
caltèques  en  ont   fait  de  nombreuses   peintures   et   représentations 
sculptées,  de  même  que  pour  d'autres  mémorables  combats  que  nous 
eûmes  à  soutenir  contre  les  Guluans  jusqu'à  la  prise  de  leur  capitale. 
J'appellerai  maintenant  l'attention  des  curieux  lecteurs  sur  ce  fait, 
que,  lorsque  nous   revînmes  à  Mexico  au  secours  d'Alvarado,  nous 
formions  un   total   de  treize  cents  hommes,  y  compris  les  cavaliers, 
au  nombre  de  quatre-vingt-dix-sept,  quatre-vingts  arbalétriers,  au- 
tant d'hommes  d'escopette  et  plus  de  deux  mille  Tlascaltèques,  avec 
beaucoup  d'artillerie.  Notre  seconde  entrée  à  Mexico  avait  eu  lieu  le 
jour  de  la  Saint-Jean  de  juin  1520,  et  notre  fuite  le  10  du  mois  de 
juillet  suivant.  Nous  livrâmes  la  mémorable  bataille  d'Otumba  le  14 
de  ce  même  mois  de  juillet.  Et  maintenant  que  nous  avons  échappé 
à  tous  les  périls  dont  je  viens  de  parler,  je  veux  porter  l'attention  sur 
le  nombre   d'hommes    qu'on  nous  tua,  tant   à  Mexico,  au  passage 
des  chaussées  et  des  ponts,  que  dans  les  autres  rencontres,  dans  la 
bataille  d'Otumba  et   sur  les  routes.  J'affirme  que  dans  l'espace  de 
cinq  jours  on  nous  massacra  et  sacrifia  huit  cent  soixante  hommes, 
en  y  comprenant  soixante-dix  soldats  que  l'on  tua  dans  le  village  de 
Tustcpeque,  avec  cinq  femmes  de  Castille.  Ces  derniers  appartenaient 
à  la  troupe  de  Narvaez.  Nous  perdîmes  en  même  temps  douze  cents 
Tlascaltèques.  Il  faut  dire  aussi  qu'alors  périrent  Juan  de  Alcantara, 
le  vieux,  avec  les  trois  habitants  de  la  Villa  Rica  qui  étaient  allés  à 
la  recherche  de  la  part  d'or  qui  leur  revenait,  comme  je  1  ai  dit  au 
chapitre  qui  en  a  traité  ;  d'où  il  résulta  que  non-seuiement  ils  perdi- 


376  CONQUÊTE 

rent  leur  or,  mais  aussi  la  vie  ;  et  si  l'on  veut  bien  le  remarquer,  on 
verra  que  nous  tous  ne  profitâmes  guère  des  trésors  qui  nous  étaient 
échus  en  partage.  Il  est  encore  à  noter  que,  s'il  mourut  plus 
d'hommes  de  la  troupe  de  Narvaez  que  de  celle  de  Gortès  au  passage 
des  ponts,  ce  fut  parce  qu'ils  se  mirent  en  route  chargés  d'une  quan- 
tité d'or  dont  le  poids  les  empêcha  de  nager  et  de  se  tirer  des  tranchées. 

Oublions  un  instant  tant  de  malheurs  pour  dire  que  nous  avancions 
enfin  sur  notre  route  en  faisant  éclater  notre  joie,  mangeant  des  ca- 
lebasses que  dans  le  pays  on  appelle  allotes.  Or,  remarquez  qu'en 
mangeant  nous  ne  ralentissions  nullement  notre  marche  en  avant 
vers  Tlascala,  car  nous  voulions  avant  tout  sortir  du  pays  où  les 
Mexicains  pouvaient  former  des  masses  compactes  contre  nous.  Ils 
ne  cessaient  pas  encore,  en  effet,  de  crier  et  de  nous  mettre  dans 
l'impossibilité  de  venir  à  bout  de  leurs  forces  ;  ils  continuèrent  de 
nous  lancer  des  projectiles  jusqu'à  notre  arrivée  à  un  petit  village, 
toujours  en  pays  ennemi,  où  nous  trouvâmes  un  temple  fortifié  dans 
lequel  nous  pûmes  nous  reposer  une  nuit  et  panser  nos  blessures. 
Il  est  vrai  que  les  bataillons  mexicains  étaient  toujours  à  notre  pour- 
suite, mais  ils  n'osaient  plus  guère  arriver  jusqu'à  nous  ;  le  petit 
nombre  de  ceux  qui  s'en  approchait  semblait  dire  :  «  Voilà  que  vous 
allez  sortir  de  nos  terres.  »  Du  village  où  nous  passâmes  la  nuit  on 
voyait  des  monticules  semblables  à  ceux  qui  s'élèvent  près  de  Tlas- 
cala; cette  vue  nous  rendait  joyeux  en  nous  donnant  les  illusions  de 
notre  propre  domicile.  Et  cependant,  étions-nous  bien  sûrs  que  les 
Tlascaltèques  nous  conservaient  leur  fidélité  et  leur  bon  vouloir?  Sa- 
vions-nous davantage  si  nos  compatriotes  de  la  Villa  Rica  étaient  ac- 
tuellement morts  ou  vivants  ? 

Gortès  nous  pria  d'observer  que  nous  étions  peu  nombreux,  puis- 
que nous  ne  dépassions  pas  quatre  cent  quarante  hommes,  avec  vingt 
chevaux,  douze  arbalétriers  et  sept  hommes  d'escopette,  sans  la 
moindre  poudre,  tous  blessés,  boiteux  ou  estropiés  de  nos  bras  ;  que 
Notre  Seigneur  Jésus-Christ  nous  avait  fait  la  grâce  d'échapper  vivants, 
faveur  insigne  pour  laquelle  nous  ne  devions  cesser  de  chanter  ses 
louanges  ;  que  notre  nombre  venait  de  s'abaisser  au  chiffre  de  notre 
départ  de  Cuba,  puisque  nous  étions  quatre  cent  cinquante  lors  de 
notre  entrée  à  Mexico.  Gortès  ajouta  que  maintenant  il  nous  priait 
de  ne  causer  aucun  dommage,  aucun  ennui  aux  gens  de  Tlas- 
cala et  d'avoir  soin  de  ne  leur  prendre  quoi  que  ce  fût.  Cette  dernière 
observation  s'adressait  aux  hommes  de  Narvaez,  parce  qu'ils  ne  s'é- 
taient pas  encore  habitués  comme  nous  à  témoigner,  en  campagne, 
d'une  entière  soumission  à  leur  chef.  Gortès  dit  encore  qu'il  avait  l'es- 
poir de  trouver  les  Tlascaltèques  bons  et  loyaux  pour  nous  ;  mais 
que  si  le  contraire  arrivait  (ce  qu'il  plairait  à  Dieu  de  ne  pas  per- 
mettre), il   espérait  qu'en  gens  de  cœur  nous  retrouverions  la  vi- 


DE  LA   NOUVELLE-ESPAGNE.  377 

gueur  de  nos  bras  et  de  nos  poignets,  et  qu'en  tout  cas  il  s'agissait 
d'avancer  en  nous  tenant  bien  sur  nos  gardes.  Nos  éclaireurs  prirent 
donc  les  devants  et  c'est  ainsi  que  nous  arrivâmes  à  une  fontaine  si- 
tuée sur  le  penchant  d'une  colline.  On  voyait  tout  près  comme  un 
reste  de  palissade  et  de  parapet  déjà  vieux.  Nos  amis  de  Tlascala 
nous  avertirent  que  c'étaient  là  les  limites  qui  séparaient  le  territoire 
tlascaltèque  de  celui  des  Mexicains. 

Nous  nous  donnâmes  un  bon  temps  de  repos  pour  nous  laver  et 
manger  les  quelques  misérables  vivres  que  nous  avions  pu  nous  pro- 
curer. Nous  reprîmes  bientôt  notre  route  et  arrivâmes  à  un  village 
tlascaltèque  appelé  Grualiopar.  On  nous  y  fournit  à  manger,  mais  pas 
avec  prodigalité  ;  et  d'ailleurs  ce  n'était  qu'au  moyen  des  pièces  d'or 
ou  des  chalchihuis  dont  plusieurs  d'entre  nous  étaient  porteurs  et 
sans  lesquels  on  ne  donnait  rien.  Nous  y  prîmes  un  jour  de  repos  et 
nous  y  pansâmes  nos  blessures  et  celles  de  nos  chevaux.  Aussitôt 
qu'on  sut,  dans  la  capitale  de  Tlascala,  la  nouvelle  de  notre  appro- 
che, Maceescaci  et  les  principaux  personnages,  avec  la  plupart  des 
habitants,  et  Xicotenga  le  vieux  et  Chichimecatecle,  et  les  gens  de 
Griiaxocingo,  s'empressèrent  de  partir  pour  nous  rendre  visite.  Quand 
ils  arrivèrent  au  village  où  nous  étions,  ils  furent  embrasser  Cortès, 
ainsi  que  tous  nos  capitaines  et  soldats.  La  plupart  avaient  les  lar- 
mes aux  yeux,  surtout  Maceescaci,  Xicotenga,  Chichimecatecle  et  Te- 
capaneca,  qui  dirent  à  Cortès  :  «  0  Malinche,  Malinche,  combien 
nous  avons  de  regret  pour  votre  malheur  et  celui  de  vos  frères,  ainsi 
que  du  grand  nombre  des  nôtres  qui  sont  morts  avec  vous!  Nous 
vous  avions  recommandé  bien  souvent  de  ne  pas  vous  fier  aux  Mexi- 
cains, qui  devaient  un  jour  où  l'autre  vous  faire  la  guerre.  Vous  n'a- 
vez pas  voulu  nous  croire.  Maintenant  que  le  mal  est  fait,  il  n'y  a  pas 
d'autre  remède  possible  que  de  panser  vos  blessures  et  vous  donner 
à  manger.  Vous  êtes  chez  vous;  prenez  du  repos;  nous  irons  ensuite 
à  notre  capitale;  nous  vous  y  logerons.  Et  ne  va  pas  croire,  Malinche, 
que  ce  soit  peu  pour  vous  d'être  sortis  vivants  de  cette  forte  et  puis- 
sante ville  et  de  ses  ponts.  Nous  vous  assurons  au  contraire  que  si 
auparavant  nous  vous  tenions  pour  gens  de  valeur,  maintenant  nous 
vous  estimons  plus  encore.  Nous  n'ignorons  pas  que  plusieurs  hom- 
mes et  femmes  de  nos  villages  pleurent  la  mort  de  leurs  fils,  de  leurs 
maris,  de  leurs  frères  et  de  leurs  parents;  ne  vous  en  affligez  pas  et 
pensez  que  vous  devez  rendre  grâce  à  vos  dieux  qui  vous  ont  conduits 
jusqu'ici  après  vous  avoir  arrachés  des  mains  d'une  si  grande  multi- 
tude de  guerriers  qui  vous  attendaient  à  Otumba  où,  nous  le  sûmes 
il  y  a  quatre  jours,  on  devait  tous  vous  massacrer.  Nous  voulions  al- 
ler à  votre  secours  avec  trente  mille  de  nos  guerriers  ;  si  nous  ne  pû- 
mes partir,  c'est  que  nos  hommes  étaient  dispersés,  et  nous  nous  oc- 
cupions à  les  réunir.  » 


378  CONQUÊTE 

Nous  tous,  Cortès,  capitaines  et  soldats,  nous  les  embrassâmes,  les 
assurant  de  notre  reconnaissance.  Notre  général  leur  donna  à  tous  des 
joyaux  d'or  et  quelques  pierreries  de  celles  qui  avaient  pu  être  sau- 
vées; nous  imitâmes  à  l'envi  cette  conduite,  faisant  quelque  cadeau  à 
nos  vieilles  connaissances.  Quelle  joie  ils  témoignèrent  en  voyant 
dona  Luisa  et  doïia  Marina  sauvées  du  péril  !  que  de  pleurs,  que  de 
tristesse,  en  apprenant  que  tant  d'Indiens  n'étaient  pas  revenus  et 
avaient  perdu  la  vie!  Maceescaci  surtout  était  désolé  de  la  mort  de  sa 
fille  dona  Elvira,  et  il  pleura  la  perte  de  Juan  Yelasquez  de  Léon,  à 
qui  il  l'avait  donnée.  C'est  dans  ces  sentiments  que  nous  nous  ren- 
dîmes à  la  capitale  de  Tlascala  avec  tous  les  caciques.  Gortès  fut  loger 
chez  Maceescaci.  Xicotenga  offrit  sa  maison  à  Pedro  de  Alvarado. 
Nous  soignâmes  nos  blessures  et  préparâmes  notre  convalescence. 
Quelques  soldats  moururent  et  quelques-uns  tardèrent  à  guérir.  Je 
m'arrêterai  là  pour  dire  ce  qui  nous  arriva  ensuite. 


CHAPITRE  CXXIX 

Comme  quoi  nous  fûmes  au  chef-lieu  de  Tlascala  et  ce  qui  nous  y  arriva. 

Il  y  avait  une  journée  entière  que  nous  étions  dans  le  petit  viltage 
de  Gualiopar  lorsque  les  caciques  de  Tlascala,  ainsi  que  je  l'ai  dit, 
vinrent  nous  faire  leurs  offres  généreuses,  bien  dignes  d'être  rappe- 
lées et  honorées  de  notre  reconnaissance,  si  l'on  remarque  surtout 
la  position  critique  où  nous  nous  trouvions.  Quand  nous  arrivâmes  à 
la  capitale  tlascaltèque,  on  nous  y  logea  comme  j'ai  dit.  Il  paraît  que 
Cortès  s'empressa  de  s'informer  de  l'or,  valant  environ  quarante  mille 
piastres,  qui  formait  la  part  réservée  aux  habitants  de  la  Villa  Rica 
et  qui  avait  été  apporté  à  Tlascala.  Maceescaci  et  Xicotenga  le 
vieux,  appuyés  du  dire  d'un  de  nos  soldats,  qui  était  resté  là  blessé 
et  n'avait  point  assisté  à  notre  déroute  de  Mexico,  répondirent  qu'un 
certain  Juan  de  Alcantara  et  deux  autres  habitants  étaient  venus  de 
la  Villa  Rica  et  avaient  tout  emporté,  sur  une  lettre  de  Gortès  que 
notre  soldat  montrait  et  que  les  messagers  avaient  laissée  aux  mains 
de  Maceescaci,  contre  la  remise  de  l'or.  En  s'informant  de  la  manière 
et  du  moment  de  leur  départ,  on  arriva  à  comprendre  qu'il  avait  eu 
lieu  dans  les  jours  mêmes  où  Mexico  nous  faisait  la  guerre,  et  que 
par  conséquent  ils  avaient  été  tués  en  route  et  l'or  leur  avait  été 
enlevé. 

Nous  avions  encore  le  chagrin  de  ne  rien  savoir  de  la  Villa  Rica 
et  de  craindre  qu'il  ne  fut  arrivé  quelque  malheur  à  nos  camarades. 
Cortès  se  décida  à  écrire,  au  moyen  de  trois  Tlascaltèques,  pour  faire 


DE  LA  NOUVELLE-ESPAGNE.  379 

connaître  à  la  Villa  les  grands  dangers  que  nous  venions  de  courir  à 
Mexico  et  comment  nous  avions  réussi  à  sauver  nos  vies,  mais  sans 
mentionner  le  nombre  des  hommes  qui  avaient  succombé.  Il  recom- 
mandait aux  gens  du  port  d'être  bien  sur  le  qui-vive,  de  redoubler 
de  surveillance  et  de  lui  envoyer  quelques  soldats  valides  s'ils  en 
avaient;  il  ajoutait  qu'on  gardât  bien  Narvaez  et  Salvatierra,  et  que, 
s'il  y  avait  de  la  poudre  ou  des  arbalètes,  on  lui  en  expédiât,  parce 
qu'il  prétendait  retourner  aux  environs  de  Mexico.  Il  suppliait  en 
même  temps  Caballero,  qui  était  resté  en  qualité  de  commandant  et 
de  capitaine  de  la  mer,  d'empêcher  qu'aucun  navire  allât  à  Cuba  et 
que  Narvaez  recouvrât  sa  liberté;  que  si  deux  des  navires  de  Narvaez 
qui  étaient  restés  au  port  lui  paraissaient  peu  propres  à  supporter  la 
mer,  il  les  fît  échouer  et  lui  en  envoyât  les  matelots  avec  toutes  leurs 
armes. 

Les  messagers  partirent  train  de  poste  et  revinrent  de  même,  avec 
des  lettres  où  l'on  disait  qu'on  n'avait  pas  été  attaqué  ;  que  quant  à 
Juan  de  Alcantara  et  aux  deux  autres  habitants  qu'on  avait  envoyés 
chercher  l'or,  ils  avaient  dû  être  massacrés  en  route;  les  gens  de  la 
Villa  savaient,  par  le  cacique  gros  de  Gempoal,  la  guerre  qu'on  nous 
avait  faite  à  Mexico.  Le  capitaine  de  la  mer  écrivait  aussi  qu'il  exécu- 
terait tout  ce  que  Gortès  lui  commandait;  qu'il  enverrait  les  soldats; 
qu'un  des  navires  était  bon;  que  l'autre,  on  le  ferait  échouer;  qu'il 
expédierait  ses  matelots  dont  le  nombre  était  insignifiant,  attendu  que 
beaucoup  d'entre  eux  étaient  tombés  malades  et  avaient  succombé. 
Ce  secours  promis  de  la  Villa  Rica  ne  tarda  pas  en  effet  à  arriver  :  il 
consistait  en  quatre  soldats  et  trois  marins,  en  tout  sept  hommes, 
commandés  par  un  certain  Lencero,  qui  fut  plus  tard  le  propriétaire 
de  l'auberge  qui  porte  son  nom.  Lorsqu'ils  arrivèrent  à  Tlascala, 
comme  ils  étaient  maigres  et  malades,  nous  en  faisions  l'objet  de  nos 
railleries,  nous  moquant  d'eux  et  les  appelant  :  «  le  grand  renfort  de 
Lencero.  »  Sur  sept  soldats,  cinq  étaient  atteints  de  bubas  et  les 
deux  autres  enflés  du  ventre. 

Mais  ne  plaisantons  pas  et  disons  plutôt  ce  qui  nous  arriva  à  Tlas- 
cala avec  Xicotenga  le  jeune  et  sa  grande  malveillance  pour  nous.  On 
n'a  pas  oublié  qu'il  avait  commandé  toutes  les  forces  de  Tlascala 
lorsqu'on  nous  y  fit  la  guerre  dont  j'ai  parlé  dans  le  chapitre  qui  s'y 
rapporte.  Le  fait  est  que  lorsqu'on  sut  dans  cette  ville  que  nous  étions 
sortis  de  Mexico  en  fuyards,  qu'on  nous  avait  tué  beaucoup  de  monde, 
tant  des  nôtres  que  de  ceux  de  Tlascala  qui  nous  accompagnaient,  et 
que  nous  venions  chercher  secours  et  protection  dans  cette  province, 
Xicotenga  le  jeune  se  mit  à  convoquer  ses  parents,  ses  amis  et  tous 
ceux  qu'il  croyait  devoir  partager  ses  sentiments,  leur  disant  que,  de 
jour  ou  de  nuit,  au  moment  qui  paraîtrait  le  plus  opportun,  il  fallait 
tomber  sur  nous,  nous  massacrer  et  faire  alliance  avec  h1  soigneur 


380  CONQUÊTE 

de  Mexico,  Coadlavaca,  qu'on  venait  d'élever  àla  dignité  royale  ;  qu'au 
surplus,  avec  les  étoffes  que  nous  avions  laissées  en  garde  à  Tlascala 
et  l'or  que  nous  n'aurions  pas  manqué  d'emporter  en  sortant  de 
Mexico,  on  trouverait  des  éléments  de  butin  et  le  moyen  de  s'enri- 
chir. Lorsque  le  vieux  Xicotenga,  son  père,  apprit  cela,  il  l'en  que- 
rella vivement  et  lui  dit  d'abandonner  ses  projets;  que  c'était  mal  et 
que  si  Maceescaci  et  Chichimecatecle  venaient  à  tout  savoir,  ils  l'en 
puniraient  peut-être  de  mort  ainsi  que  ceux  qu'il  aurait  entraînés 
dans  son  plan.  Mais  le  père  avait  beau  dire;  le  jeune  homme  n'en 
prenait  aucun  souci  et  continuait  à  chercher  les  moyens  de  réaliser 
son  dessein.  Tant  il  fit  que  Chichimecatecle,  qui  était  son  ennemi 
mortel,  en  eut  connaissance.  Il  le  dit  à  Maceescaci  et  ensemble  ils 
firent  un  accord  et  même  convoquèrent  un  conseil  auquel  on  fit  assis- 
ter Xicotenga  le  vieux  et  les  caciques  de  Guaxocingo.  On  arrêta  et 
amena  prisonnier  Xicotenga  le  jeune  devant  la  réunion. 

Alors  Maceescaci  prit  la  parole  et  dit  que  sans  doute  on  n'avait  pas 
oublié  que,  pendant  au  moins  cent  ans  avant  l'époque  présente,  ja- 
mais on  n'avait  vu  à  Tlascala  la  prospérité  dont  on  jouissait  depuis 
que  les  teules  y  étaient  passés;  qu'en  aucun  temps  leur  province 
n'avait  été  aussi  respectée  ;  qu'on  y  avait  des  étoffes  de  coton,  de  l'or 
et  du  sel,  dont  on  ne  mangeait  plus  depuis  longtemps,  que  partout 
où  les  Tlascaltèques  allaient  en  compagnie  des  teules,  on  les  honorait 
pour  eux-mêmes  et  on  n'avait  pas  dédaigné  de  les  combattre  et  d'en 
tuer  un  grand  nombre  récemment  à  Mexico  ;  il  ne  fallait  pas  oublier 
d'ailleurs  que  leurs  aïeux  avaient  depuis  longtemps  prophétisé  qu'il 
viendrait  des  hommes  des  pays  où  le  soleil  se  lève  pour  les  gouver- 
ner. Pour  quel  motif  maintenant  Xicotenga  méditerait-il  ses  trahi- 
sons et  ses  plans  de  guerre  avec  le  but  de  nous  massacrer?  C'était 
là  une  vilaine  action,  et  il  était  impossible  d'excuser  une  telle  mé- 
chanceté et  de  pareilles  folies,  rêvées  par  un  homme  de  mauvais  cœur; 
tandis  qu'il  était  bien  plus  naturel,  en  nous  voyant  victimes  de  cette 
déroute,  de  venir  à  notre  aide,  pour  que,  une  fois  remis  de  nos  bles- 
sures, on  tombât  de  nouveau  sur  les  villages  amis  de  Mexico. 

A  ces  observations  de  Maceescaci  et  de  Xicotenga  l'aveugle,  le 
jeune  guerrier  répondit  que  son  dessein  était  très-sensé,  puisqu'il 
avait  pour  objet  de  faire  la  paix  avec  les  Mexicains.  Il  ajouta  d'autres 
impertinences  que  ses  auditeurs  ne  purent  souffrir;  Maceescaci,  Chi- 
chimecatecle et  même  le  vieux  père  aveugle  se  levèrent  irrités,  saisi- 
rent le  jeune  Xicotenga  par  ses  vêtements,  les  lui  déchirèrent  et,  le 
poussant  outrageusement,  l'envoyèrent  rouler  au  bas  des  degrés  sur  les- 
quels ils  se  trouvaient,  après  l'avoir  mis  en  très-mauvais  état.  Ils  l'au- 
raient tué  s'ils  n'en  avaient  été  empêchés  par  les  égards  qu'ils  devaient  à 
son  père;  mais  ils  s'emparèrent  de  tous  ses  partisans  et  les  retinrent 
en  prison.  Comme   d'ailleurs  nous  n'étions   en  ce  moment  que  des 


DE  LA  NOUVELLE-ESPAGNE.  381 

réfugiés  nous  ne  jugeâmes  pas  qu'il  y  eût  opportunité  à  réclamer  un 
châtiment,  et  Gortès  ne  se  hasarda  pas  à  parler  à  ce  sujet.  Je  fais 
mémoire  ici  de  cet  événement  pour  qu'on  voie  à  quel  point  les  Tlas- 
callèqucs  furent  bons  et  loyaux  à  notre  égard  et  combien  nous  leur 
étions  redevables,  surtout  au  vieux  Xicotenga  qui  avait,  dit-on,  con- 
damné son  fils  à  mort  après  avoir  pris  connaissance  de  sa  trahison 
et  de  ses  projets. 

Mais  revenons  à  notre  récit.  Il  y  avait  déjà  vingt-deux  jours  que 
nous  étions  dans  cette  ville,  occupés  à  préparer  notre  convalescence 
en  pansant  nos  blessures,  lorsque  Gortès  résolut  d'aller  à  la  province 
de  Tepeaca,  située  près  de  là,  et  à  quelques  autres  villages  du  district 
voisin,  appelé  Gachula,  afin  d'y  venger  la  mort  de  plusieurs  soldats, 
tant  de  notre  expédition  que  de  celle  de  Narvaez,  qui  y  avaient  été 
massacrés  en  passant  pour  se  rendre  à  Mexico.  Notre  général  en 
avertit  ses  capitaines;  mais  lorsqu'on  en  donna  avis  aux  soldats  de 
Narvaez,  leur  annonçant  qu'ils  allaient  de  nouveau  partir  en  guerre; 
comme  ils  n'en  avaient  guère  l'habitude  et  qu'ils  venaient  d'échapper 
au  désastre  de  Mexico,  au  passage  des  ponts  et  à  la  bataille  d'Otumba; 
comme  ils  aspiraient  d'ailleurs  à  revenir  à  l'île  de  Cuba,  à  leurs  In- 
diens et  à  leurs  mines  d'or,  ils  maudirent  et  Gortès  et  sa  manie  de 
conquête. 

Andrès  de  Duero  était  le  plus  mécontent  de  tous,  je  veux  dire 
celui-là  même  qui  avait  été  l'associé  du  général,  ainsi  que  je  l'ai  suf- 
fisamment expliqué  dans  les  deux  chapitres  qui  traitent  de  ce  sujet. 
Ils  ne  trouvaient  pas  assez  de  malédictions  pour  les  lancer  contre  l'or 
que  Gortès  leur  avait  donné,  à  lui  et  aux  autres  capitaines,  puisque 
tout  se  perdit  au  passage  des  ponts.  Satisfaits,  au  surplus,  d'avoir  pu 
échapper  vivants  aux  affreuses  attaques  que  les  Mexicains  leur  avaient 
livrées,  ils  résolurent  de  dire  à  Gortès  qu'ils  ne  voulaient  nullement 
aller  à  Tepeaca  ni  faire  aucune  campagne,  mais  bien  retourner  à  leurs 
établissements,  ajoutant  qu'ils  avaient  assez  perdu  en  abandonnant 
Cuba.  Gortès  leur  répondit  d'une  manière  affable  et  affectueuse,  dans 
l'espoir  de  les  gagner  à  son  dessein  d'aller  à  Tepeaca;  mais  les 
pourparlers  furent  inutiles.  Ils  ne  se  rendirent  pas  à  ses  raisonne- 
ments. 

Voyant  d'ailleurs  que  leur  refus  n'avait  aucune  influence  sur  la  dé- 
termination de  Gortès,  ils  prirent  le  parti  de  lui  faire  des  sommations 
légales  par-devant  notaire,  pour  qu'il  se  décidât  à  revenir  à  la  Villa 
Rica.  Ils  lui  objectaient  que  nous  n'avions  ni  chevaux,  ni  escopettes, 
ni  arbalètes,  ni  poudre,  ni  fil  pour  fabriquer  des  cordes  d'arc,  ni  pro- 
visions d'aucune  espèce;  que  nous  étions  tous  blessés;  que,  des  deux 
troupes  réunies  de  Gortès  et  de  Narvaez,  il  ne  restait  plus  que  quatre 
cent  quarante  soldats;  que  les  Mexicains  nous  prendraient  tous  nos 
ports,  nos  passages,  et  que  nos  navires  seraient  bientôt  rongés  par 


382  CONQUÊTE 

les  tarets.  A  ces  raisons  ils  en  ajoutèrent  une  infinité  d'autres  pour 
en  faire  la  base  de  leur  sommation.  Après  l'avoir  lue  et  remise  à 
Cortès,  on  reçut  de  lui  pour  réponse  l'exposé  de  plus  de  motifs  favo- 
rables qu'on  n'en  avait  allégué  de  contraires.  Au  surplus,  la  plupart 
de  ceux  qui  étaient  venus  avec  Cortès  le  prièrent  de  ne  donner  l'auto- 
risation de  partir  ni  aux  gens  de  Narvaez  ni  à  aucune  autre  personne, 
attendu  que  nous  devions  tous  nous  mettre  en  mesure  de  servir  Dieu 
et  le  Roi,  ce  qui  était  plus  louable  que  de  retourner  à  Cuba. 

Après  la  réponse  de  Cortès,  lorsque  les  gens  qui  lui  avaient  fait  la 
sommation  s'aperçurent  que  nous  nous  efforcions  de  seconder  ses  pro- 
jets et  de  mettre  obstacle  à  la  réalisation  de  leur  plan;  quand  d'ailleurs 
ils  nous  entendirent  prétendre  qu'il  serait  contraire  au  service  de  Dieu 
et  de  Sa  Majesté  d'abandonner  un  général  en  campagne,  il  s'ensuivit 
l'échange  de  beaucoup  de  pourparlers  dont  le  résultat  définitif  fut 
que  les  mutins  se  résolurent  à  accompagner  notre  chef  dans  toutes 
ses  entreprises.  Mais  Cortès  leur  promit  que,  l'occasion  s'en  présen- 
tant, il  leur  permettrait  de  retourner  à  l'île  de  Cuba.  Ils  n'eu  conti- 
nuèrent pas  moins  leurs  plaintes  contre  cette  conquête  qui  leur  avait 
coûté  si  cher,  puisqu'elle  avait  eu  pour  conséquence  l'abandon  de 
leurs  maisons,  la  perte  de  leur  repos  et  leur  arrivée  dans  un  pays  où 
leur  vie  était  sans  cesse  menacée.  Ils  prétendaient  que  si  nous  entrions 
encore  en  guerre  avec  le  pouvoir  de  Mexico,  —  chose  qui  ne  pouvait 
manquer  d'arriver  tôt  ou  tard,  —  il  nous  serait  certainement  impos- 
sible de  soutenir  les  attaques  de  nos  ennemis,  à  en  juger  par  ce  qu'on 
avait  vu  à  Mexico,  au  passage  des  ponts  et  dans  la  mémorable  bataille 
d'Otumba.  Ils  ajoutaient  que  Cortès,  d'une  part,  ne  voulant  pas  cesser 
de  commander,  tenait  à  continuer  d'être  le  maître,  tandis  que  nous, 
d'un  autre  côté,  n'ayant  absolument  rien  à  perdre  que  nos  personnes, 
nous  ne  refusions  nullement  de  le  suivre.  Ils  disaient  encore  bien 
d'autres  choses  que  les  circonstances  obligeaient  à  ne  pas  réprimer. 
Mais  il  ne  se  passa  pas  longtemps  sans  que  notre  chef  leur  donnât 
enfin  l'autorisation  du  départ,  ainsi  que  j'aurai  soin  de  le  dire  en  son 
lieu. 

Pour  à  présent,  quoique  je  sois  las  de  relever  les  erreurs  du  chro- 
niqueur Gromara,  il  faut  bien  que  je  parle  des  informations  que,  dit-il, 
on  lui  donna,  et  qui  certainement  ne  lui  ont  pas  fait  écrire  la  vérité. 
Je  ne  me  suis  pas  arrêté  dans  tous  les  chapitres  à  relever  ses  erreurs; 
mais  maintenant,  au  sujet  des  sommations  dont  je  viens  de  parler,  je 
ne  saurais  omettre  de  faire  remarquer  que  le  chroniqueur  ne  dit  nul- 
lement si  ce  furent  les  gens  de  Narvaez  ou  les  nôtres  qui  les  adres- 
sèrent à  Cortès.  En  écrivant  ce  qu'il  écrit,  il  n'a  pas  d'autre  but  que 
d'élever  Cortès  jusqu'aux  nues  et  d'humilier  tous  ceux  qui  partirent 
avec  lui.  Nous  avons  donc  cru,  nous  les  véritables  conquistadores,  qui 
voyons  qu'on  écrit  ainsi  notre  histoire,  que  sans  nul  doute  G-omara 


DE  LA   NOUVELLE-ESPAGNE.  383 

reçut  sa  récompense  pour  dénaturer  les  faits,  car  il  est  certain  que 
c'était  nous  qui  soutenions  Cortès  dans  toutes  ses  batailles  et  ren- 
contres, et  je  ne  vois  pas  pourquoi  le  chroniqueur  vient  maintenant 
nous  enlever  notre  mérite  en  donnant  à  entendre  que  nous  sommions 
le  général  de  se  retirer. 

Gomara  prétend  encore  qu'en  répondant  à  ces  sommations,  Gortès 
nous  disait,  pour  relever  notre  courage,  qu'il  enverrait  chercher  Juan 
Velasquez  de  Léon  et  Diego  de  Ordas,  l'un  au  Panuco  avec  ses  trois 
cents  soldats,  et  l'autre  au  Guazacualco  avec  ses  hommes.  Or,  comment 
cela  aurait-il  pu  être  ainsi,  puisque,  lorsque  nous  revînmes  à  Mexico 
au  secours  de  Pedro  de  Alvarado,  on  abandonna  le  projet  d'envoyer 
Juan  Velasquez  de  Léon  au  Panuco  et  Diego  de  Ordas  au  Guazacualco, 
ainsi  que  je  l'ai  longuement  écrit  dans  le  chapitre  qui  en  a  traité? 
Ces  capitaines,  au  contraire,  revinrent  à  Mexico  avec  nous  au  secours 
de  Pedro  de  Alvarado;  il  est  même  certain  que,  dans  la  déroute, 
Juan  Velasquez  de  Léon  mourut  au  passage  des  ponts,  et  que  Diego 
de  Ordas  n'en  sortit  qu'au  prix  de  trois  blessures  des  plus  graves, 
comme  je  l'ai  raconté  avec  les  détails  de  l'événement.  D'où  l'on  peut 
conclure  qu'il  ne  manque  au  chroniqueur  Gomara,  pour  compléter  sa 
belle  rhétorique,  que  de  dire  les  faits  tels  qu'ils  se  sont  passés. 

Je  n'ai  pu  m'empêcher  de  remarquer  encore  qu'à  propos  de  la  ba- 
taille d'Otumba  il  prétend  que,  sans  le  secours  personnel  de  Gortès 
nous  aurions  tous  été  perdus,  et  qu'il  fut  le  seul  auteur  de  la  victoire 
en  donnant  du  poitrail  de  son  cheval  sur  le  chef  qui  portait  l'étendard 
de  Mexico.  J'ai  déjà  dit  et  je  répète  que  Gortès  est  digne  de  toutes 
les  louanges  pour  avoir  été  un  bon  et  valeureux  capitaine,  mais  que 
nous  devons  surtout  rendre  grâces  à  Dieu,  qui  intervint  de  sa  divine 
miséricorde  pour  nous  aider  et  nous  soutenir.  J'ajoute  qu'il  faut  féli- 
citer Gortès  d'avoir  eu  à  ses  côtés  tant  de  braves  officiers  et  de  coura- 
geux soldats  qui,  après  Dieu,  furent  sa  force  et  son  soutien.  C'est 
nous  qui  chargions  les  bataillons  ennemis;  c'est  avec  notre  aide  qu'il 
put  faire  et  soutenir  de  si  brillantes  campagnes,  comme  je  l'ai  expli- 
qué dans  les  chapitres  qui  précèdent;  car  Gortès  ne  se  séparait  jamais 
des  capitaines  que  j'ai  déjà  nommés  et  que  je  nommerai  encore    : 
Pedro  de  Alvarado,  Ghristoval  de  Oli,  Gonzalo  de  Sandoval,  Francisco 
de  Morla,  Luis  Marin,  Francisco  de  Lugo,  Gonzalo  Dominguez,  ainsi 
que  d'autres  bons  et  valeureux  soldats  qui  marchaient  à  pied,  car  en 
ce  temps-là  nous  ne  pûmes  partir  de  Cuba  qu'avec  seize  chevaux,  et, 
les  eût-on  payés  mille  piastres,  on  n  on  aurait  pas  trouvé  davantage. 
Gomara  assure  donc  que  Cortès  seul  fut  le  vainqueur  d'Otumba. 
Pourquoi  ne  parle-t-il  point  de  l'héroïque  conduite  des  capitaines 
que  je  viens  de  nommer  et  de  leurs  courageux  soldats,  dans  cette 
mémorable  bataille?  Ce  silence  donne  à  croire  qu'il  n'écrit  que  pour 
la  glorification  de  Gortès,  puisqu'il  ne  fait  mention  d'aucun  de  nous. 


384  CONQUÊTE 

Qu'on  demande  cependant  à  cet  intrépide  soldat,  qui  s'appelait  Chris- 
toval  de  Olea,  combien  de  fois  il  se  trouva  mêlé  personnellement  aux 
efforts  que  l'on  faisait  pour  sauver  la  vie  de  notre  commandant  !  C'est 
même  dans  cet  honorable  emploi  qu'il  perdit  sa  propre  existence,  avec 
beaucoup  d'autres  camarades,  pour  protéger  celle  de  son  chef,  dans 
les  tranchées  et  les  ponts,  au  siège  de  Mexico.  J'oubliais  de  dire 
qu'une  autre  fois,  dans  l'affaire  de  Suchimilco,  Olea  fut  grièvement 
blessé  en  sauvant  Cortès,  et  je  rappellerai  une  fois  pour  toutes,  afin 
d'éviter  toute  erreur,  qu'il  ne  faut  pas  confondre  Christoval  de  Olea 
avec  Christoval  de  Oli. 

Quant  à  ce  que  dit  le  chroniqueur  de  la  charge  personnelle  de 
Cortès  sur  le  chef  mexicain,  qui  eut  pour  effet  d'abattre  sa  bannière, 
le  fait  est  irrécusable;  mais  j'ai  déjà  rapporté  qu'un  certain  Juan  de 
Salamanca,  natif  d'Ontiveros,  et  qui  devint,  après  la  prise  de  Mexico, 
alcalde  mayor  de  Guazacualco,  fut  celui  qui  tua  ce  chef  d'un  coup  de 
lance,  enleva  son  riche  panache  et  l'offrit  à  Cortès.  C'est  même  ce 
panache  que  Sa  Majesté  donna  pour  écusson  à  Salamanca.  Si  je  fais 
mémoire  de  tout  cela,  ce  n'est  pas  pour  empêcher  qu'on  glorifie  notre 
capitaine  Cortès,  ni  pour  diminuer  son  mérite  :  on  lui  doit  tous  les 
honneurs,  toutes  les  louanges,  toute  la  gloire  des  batailles  et  vic- 
toires jusqu'à  la  conquête  définitive  de  la  Nouvelle-Espagne,  autant 
qu'on  puisse  en  prodiguer  en  Gastille  aux  capitaines  les  plus  renom- 
més, à  l'égal  des  triomphes  dont  les  Romains  honoraient  Pompée, 
Jules  César  et  les  Scipions;  et  encore  dirai-je  que  Cortès  est  plus 
digne  d'éloge  que  les  grands  hommes  de  l'ancienne  Rome. 

Gomara  dit  aussi  que  Cortès  fit  tuer  secrètement  Xicotenga  le  jeune, 
à  Tlascala,  à  cause  des  trahisons  qu'il  méditait  pour  nous  faire  périr. 
Ce  n'est  pas  ainsi  que  cela  se  passa  :  où  notre  général  donna  l'ordre 
de  le  pendre,  ce  fut  dans  un  village  près  de  Tezcuco,  ainsi  que  je 
l'expliquerai  bientôt  en  en  donnant  les  motifs. 

Le  chroniqueur  dit  aussi  que  tant  de  milliers  d'Indiens  faisaient 
campagne  avec  nous,  qu'il  embrouille  ses  comptes  à  force  de  les 
exagérer.  Il  prétend  encore,  à  propos  des  villes,  des  bourgs  et  des  vil- 
lages, que  les  maisons  se  comptaient  par  milliers,  tandis  qu'il  n'y  en 
avait  pas  la  cinquième  partie  de  ce  qu'il  avance.  Si  Ton  effectuait  le 
total  de  tout  ce  qu'il  énumère  dans  son  livre,  on  trouverait  dans  ce 
pays  plus  de  millions  d'hommes  que  dans  toute  la  Castille;  car  il  ne 
l'ait  pas  plus  de  cas  de  dire  mille  que  quatre-vingt  mille,  et  c'est  en 
cela  qu'il  met  son  mérite,  cherchant  toujours  à  conter  dans  son  his- 
toire ce  qu'il  croit  agréable  à  ses  lecteurs,  sans  s'inquiéter  de  la  réa- 
lité de  ce  qu'il  écrit.  Que  les  curieux  lecteurs  veuillent  bien  remar- 
quer la  différence  qu'il  y  a  entre  son  histoire  et  mon  récit,  lequel 
est  littéralement  la  fidèle  reproduction  de  ce  qui  est  arrivé.  Qu'on  ne 
se  laisse  ,pas  éblouir  par  la  rhétorique  et  le  style  fleuri  de  Gomara; 


DE  LA  NOUVELLE-ESPAGNE.  385 

il  est  bien  entendu  que  son  élégance  dépasse  même  ma  grossièreté. 
Mais,  dans  mon  livre,  la  vérité  tient  lieu  d'art  et  de  savoir-faire. 
Cessons  donc  de  nous  occuper  de  tant  d'erreurs  pour  dire  que,  quant 
à  moi,  je  me  dois  à  la  réalité  des  faits  et  nullement  à  la  flatterie  en- 
vers les  personnes.  Déplorons,  en  finissant,  non-seulement  le  tort 
que  le  chroniqueur  a  causé  en  se  basant  sur  des  informations  erro- 
nées, mais  celui  dont  il  a  été  l'occasion  pour  le  docteur  Illescas  et 
pour  Pablo  Jovio,  qui  ont  emprunté  son  récit. 

Reprenons  le  fil  de  notre  histoire,  et  disons  comme  quoi  nous  con- 
vînmes de  marcher  sur  Tepeaca.  Ce  qui  arriva  dans  cette  campagne, 
je  le  vais  dire  à  la  suite  l. 


CHAPITRE  CXXX 


Comme  quoi  nous  fûmes  à  la  province  de  Tepeaca.  Ce  que  nous  y  fîmes, 
et  autres  choses  qui  advinrent. 

Cortès  demanda  aux  caciques  de  Tlascala  cinq  mille  hommes  de 
guerre,  afin  de  se  mettre  en  campagne  dans  le  but  de  châtier  les  vil- 
lages où  l'on  avait  tué  quelques  Espagnols.  C'étaient  surtout  Tepeaca, 
Cachula  et  Tecamachalco,  qui  se  trouvaient  à  six  ou  sept  lieues  de 
Tlascala.  C'est  avec  une  véritable  satisfaction  que  les  caciques  avaient 
armé  à  cet  effet  quatre  mille  Indiens,  car  Maceescaci  et  Xicotenga  le 
vieux  désiraient  marcher  contre  ces  villages,  plus  encore  que  nous- 
mêmes,  attendu  qu'on  était  venu  piller  plusieurs  établissements  dé- 
pendant de  Tlascala,  outrage  qui  les  disposait  à  merveille  à  porter  la 
guerre  chez  ces  voisins.  D'autre  part,  après  que  les  Mexicains  nous 
eurent  chassés  de  leur  capitale,  sachant  que  nous  avions  cherché  un 
refuge  chez  les  Tlascaltèques,  ils  ne  doutèrent  pas  un  moment  qu'une 
fois  rétablis  nous  ne  tombassions,  avec  le  secours  des  troupes  de 
Tlascala,  sur  les  pays  les  plus  rapprochés  de  nos  alliés.  Aussi  s'em- 
pressèrent-ils d'envoyer,  dans  toutes  les  provinces  où  ils  supposaient 
que  nous  irions,  plusieurs  bataillons  d'hommes  de  guerre  pour  y 
tenir  garnison.  C'était  à  Tepeaca  que  se  trouvait  réuni  le  plus  grand 
nombre  de  ces  guerriers.  Maceescaci  et  Xicotenga  ne  l'ignoraient  pas 

1.  Les  conditions  de  la  campagne  de  Cortès  vont  changer  de  la  manière  la  plus 
radicale.  Ce  grand  homme  de  guerre  vient  de  perdre,  à  la  sortie  de  Mexico,  son  artil- 
lerie, la  plus  grande  partie  de  ses  chevaux,  son  armement  le  plus  ordinaire  même, 
pour  tomber  dans  une  situation  qui  le  rend  sous  ce  rapport  inférieur  aux  ennemis 
avec  lesquels  il  va  se  trouver  aux  prises.  C'est  ici  que  son  génie,  absolument  isolé 
des  moyens  matériels  qui  d'abord  lui  avaient  assuré  une  supériorité  marquée  sur  ses 
adversaires,  devient  l'unique  guide  et  le  soutien  de  la  campagne  entièrement  nou- 
velle qui  va  s'ouvrir. 

25 


386  CONQUETE 

et  on  peut  même  dire  qu'ils  vivaient  à  ce  sujet  dans  une  crainte  con- 
tinuelle. 

Quand  nous  fûmes  tous  bien  préparés,  nous  nous  mîmes  en  marche 
sans  artillerie  et  sans  escopettes,  puisque  nous  avions  tout  perdu  au 
passage  des  ponts.  Il  est  vrai  néanmoins  que  quelques  escopettes 
avaient  été  sauvées;  mais  nous  n'avions  pas  de  poudre.  Nous  partîmes 
au  nombre  de  seize  cavaliers,  six  arbalétriers  et  quatre  cent  vingt 
soldats,  la  plupart  armés  d'épées  et  de  rondaches,  avec  quatre  mille 
alliés  de  Tlascala.  Nous  n'emportions  de  provisions  que  pour  un  jour, 
parce  que  le  pays  où  nous  allions  est  bien  peuplé,  bien  pourvu  de 
maïs,  de  poules  et  de  petits  chiens  de  la  contrée  ;  nos  éclaireurs  mar- 
chaient en  avant,  selon  l'habitude.  Ce  fut  dans  le  plus  grand  ordre  que 
nous  arrivâmes  en  un  point  distant  de  trois  lieues  de  Tepeaca,  où  nous 
nous  reposâmes  une  nuit.  A  notre  passage  dans  les  maisons  et  les 
établissements  qui  étaient  sur  la  route,  nous  trouvions  tout  dégarni 
d'ustensiles  et  de  provisions,  car  on  avait  su  que  nous  nous  dispo- 
sions à  attaquer  ces  villages.  Afin  de  ne  rien  faire,  du  reste,  qui  ne 
fût  absolument  justifiable  et  strictement  dans  les  règles,  Gortès  fit 
annoncer  que  nous  allions  à  Tepeaca,  au  moyen  de  six  Indiens  et 
quatre  femmes,  pris  dans  la  localité  où  nous  avions  fait  halte.  Ils 
avaient  mission  de  dire  que  nous  nous  rendions  dans  ce  bourg  pour 
y  découvrir  les  auteurs  de  la  mort  de  dix-huit  Espagnols  qui  avaient 
été  massacrés,  sans  motif  aucun,  tandis  qu'ils  gagnaient  Mexico.  Nous 
voulions  aussi  savoir  pourquoi,  tout  récemment,  quelques  bataillons 
mexicains,  aidés  des  habitants  de  Tepeaca,  étaient  venus  dévaliser 
plusieurs  établissements  appartenant  à  nos  alliés  les  Tlascaltèques. 
Gortès  faisait  dire  encore  aux  habitants  de  Tepeaca  de  venir  paisible- 
ment au-devant  de  lui  à  l'endroit  où  nous  nous  trouvions,  afin  de 
contracter  alliance  avec  nous  et  de  s'engager  à  renvoyer  les  Mexicains 
de  leurs  villages,  sans  quoi  nous  marcherions  contre  eux,  et,  les  tenant 
pour  rebelles  et  pour  assassins  de  grande  route,  nous  mettrions  tout 
à  feu  et  à  sang  dans  leur  pays  et  les  réduirions  en  esclavage. 

Quelle  que  fût  la  fierté  des  paroles  que  nous  leur  fîmes  adresser 
par  les  six  Indiens  et  les  quatre  femmes  de  leur  propre  village,  ils 
trouvèrent  des  termes  plus  fiers  encore  pour  la  réponse  qu'ils  nous 
envoyèrent  par  ces  six  mêmes  Indiens  accompagnés  de  deux  Mexi- 
cains; ceux-ci  n'hésitèrent  pas  à  venir,  parce  qu'ils  savaient  très-bien 
que  nous  ne  faisions  jamais  aucun  outrage,  et  que  nous  donnions 
plutôt  quelque  petit  présent  aux  messagers  qu'on  nous  adressait.  Ceux 
qui  vinrent  de  Tepeaca  en  cette  occasion  s'exprimaient,  au  nom  des 
capitaines  mexicains,  en  paroles  altières  qui  leur  étaient  inspirées 
par  les  victoires  récemment  remportées  sur  nous  aux  ponts  de  Mexico. 
Gortès  fit  donner  une  pièce  d'étoffe  à  chacun  des  messagers,  en  les 
chargeant  encore  de  sommer  les  habitants  de  Tepeaca  de  venir  lui 


DE  LA  NOUVELLE-ESPAGNE.  387 

parler  sans  aucune  crainte,  ajoutant  que,  puisque  les  Espagnols  qu'on 
avait  lues  ne  sauraient  être  rappelés  à  la  vie,  il  ne  pouvait  plus  être 
question  que  de  traiter  de  la  paix,  avec  la  résolution  de  pardonner  les 
assassinats  par  eux  commis.  On  leur  écrivit  une  lettre  à  ce  sujet.  Ce 
n'est  pas  qu'on  eût  l'espoir  qu'ils  la  comprissent,  mais  on  voulait  que, 
par  la  vue  du  papier  de  Castille,  ils  ne  pussent  douter  que  c'était  un 
message  de  nous.  Gortès  pria  les  deux  Mexicains  venus  avec  les  six 
Indiens  de  Tepeaca,  de  nous  rapporter  la  réponse.  Ils  revinrent  en 
effet,  disant  que  nous  ne  devions  point  passer  outre,  mais  retourner 
par  où  nous  étions  venus,  sans  quoi  les  Mexicains  espéraient  bien 
faire  bombance  avec  nos  corps,  plus  encore  qu'à  Mexico  lors  du  pas- 
sage des  ponts,  et  après  la  bataille  d'Otumba. 

En  présence  de  cette  situation,  Gortès  se  concerta  avec  ses  capitaines 
et  soldats,  et  il  fut  convenu  qu'un  notaire  dresserait  un  acte  de  tout 
ce  qui  s'était  passé,  par  lequel  on  tiendrait  désormais  pour  esclave 
tout  allié  de  Mexico  qui  aurait  causé  mort  d'homme  parmi  les  Espa- 
gnols, ainsi  que  l'avaient  déjà  fait  ceux  qui,  après  avoir  juré  obéis- 
sance à  Sa  Majesté,  s'étaient  révoltés,  nous  tuant  environ  huit  cent 
soixante  hommes  et  soixante  chevaux.  Devaient  au  surplus  être  inscrites 
dans  la  même  catégorie  les  différentes  peuplades  qui  avaient  agi  en 
brigands  et  assassins  de  grande  route.  Après  avoir  dressé  ce  docu- 
ment, on  le  porta  à  la  connaissance  des  Tepeacans,  en  les  invitant 
encore  à  entrer  dans  notre  alliance.  Mais  ils  persistèrent  à  répondre 
que,  si  nous  ne  nous  hâtions  de  nous  en  retourner,  ils  tomberaient 
sur  nous  ;  et  ils  se  préparèrent  en  conséquence,  tandis  que  nous  en 
faisions  autant  de  notre  côté. 

Le  lendemain,  nous  eûmes  en  effet  une  grande  bataille  avec  les 
Mexicains  et  les  Tepeacans,  dans  une  plaine  couverte  de  plantations 
de  maïs  et  de  magueyes.  Quoique  nos  adversaires  se  battissent  avec 
courage,  ils  furent  promptement  défaits  par  nos  cavaliers.  Il  est  vrai 
que  nous  autres,  fantassins,  ne  perdîmes  pas  non  plus  notre  temps, 
et  il  est  surtout  juste  de  dire  que  nos  alliés  de  Tlascala  combattirent 
et  se  lancèrent  à  la  poursuite  de  l'ennemi  avec  la  plus  grande  ardeur. 
Il  y  eut  là  beaucoup  de  morts  parmi  les  Mexicains  et  les  habitants  de 
Tepeaca.  Nous  perdîmes  seulement  trois  Tlascaltèques;  on  nous 
blessa  deux  chevaux  dont  l'un  mourut.  Des  blessures  que  reçurent 
douze  de  nos  soldats,  aucune  ne  fut  dangereuse.  Après  la  victoire 
nous  réunîmes  plusieurs  Indiennes  et  des  enfants  qu'on  ramassa  dans 
la  campagne  et  dans  les  maisons.  Quant  aux  hommes,  nous  crûmes 
devoir  les  abandonner  aux  amis  de  Tlascala,  qui  en  faisaient  leurs 
esclaves. 

Lorsque  ceux  de  Tepeaca  virent  que  les  Mexicains,  malgré  leurs 
fanfaronnades,  ne  les  empêchaient  pas  d'être  battus  les  uns  et  les 
autres,  on  convint  que,  sans  en  rien  dire  aux  gens  de  la  garnison,  on 


388  CONQUÊTE 

viendrait  nous  trouver  dans  notre  quartier.  Nous  accueillîmes  leur 
démarche  et  reçûmes  leur  serment  d'obéissance  à  Sa  Majesté.  On 
chassa  les  Mexicains  des  maisons  de  Tepeaca,  où  nous  entrâmes 
nous-mêmes  à  leur  place.  C'est  là  que  nous  fondâmes  une  ville  qui 
reçut  le  nom  de  Segura  de  la  Frontera,  parce  que  la  localité  se  trou- 
vait sur  la  route  de  la  Villa  Rica,  au  centre  d'un  grand  nombre  de 
villages  assujettis  à  Mexico  et  d'une  campagne  couverte  de  plantations 
de  maïs,  et  que,  d'autre  part,  ce  point  était  situé  aux  confins  des 
terres  de  Tlascala.  On  nomma  les  alcaldes  et  les  regidores,  et  l'ordre 
fut  donné  de  faire  des  expéditions  aux  alentours,  surtout  contre  les 
peuplades  où  des  Espagnols  auraient  été  tués.  C'est  alors  qu'on  fit 
fabriquer  le  fer  qui  devait  servir  à  marquer  les  esclaves  ;  la  marque 
figurait  la  lettre  G,  qui  voulait  dire  :  Guerre.  Nous  partîmes  de 
Segura  de  la  Frontera  pour  parcourir  tous  les  environs.  Nous  fûmes 
à  Cachula,  à  Tecamachalco,  au  village  des  Guayavas  et  en  d'autres 
villages  dont  je  ne  me  rappelle  pas  les  noms.  C'est  à  Cachula  qu'on 
avait  tué  quinze  Espagnols;  nous  y  fîmes  un  grand  nombre  d'esclaves. 
Nous  n'employâmes  d'ailleurs  pas  plus  de  quarante  jours  pour  châtier 
et  pacifier  définitivement  tout  le  district. 

Ce  fut  en  ce  même  temps  que  l'on  éleva,  à  Mexico,  un  autre  grand 
seigneur  à  la  dignité  royale,  parce  que  celui  qui  nous  chassa  de  la 
capitale  venait  de  mourir  de  la  petite  vérole.l  Le  nouveau  monarque 
était  neveu  ou  proche  parent  de  Montezuma;  on  l'appelait  Guatemuz1. 
C'était  un  jeune  homme  de  vingt- cinq  ans,  de  bel  aspect  pour  un  In- 
dien et  d'un  courage  à  toute  épreuve.  Il  imposait  de  telle  manière  à 
ses  sujets  que  tous  en  avaient  peur.  Il  était  marié  avec  une  fille  de 
Montezuma,  qui,  eu  égard  à  la  race,  pouvait  être  regardée  comme  une 
belle  femme.  Lorsque  Guatemuz,  roi  de  Mexico,  apprit  la  déroute  de 
sa  garnison  de  Tepeaca  et  sut  que  les  habitants  de  cette  localité, 
ayant  juré  obéissance  à  Sa  Majesté  l'Empereur  Charles-Quint,  nous 
servaient  et  nous  donnaient  des  vivres,  et  que  d'ailleurs  nous  nous 
étions  établis  sur  leur  territoire,  il  en  vint  à  craindre  de  voir  notre 
influence  s'étendre  vers  Guaxaca2  et  autres  provinces  qui  viendraient 
augmenter  nos  alliances.  Il  envoya  donc  des  messagers  dans  toutes  ces 
localités,  pour  engager  les  Indiens  à  être  sur  le  qui-vive  et  à  se  tenir 
constamment  sous  les  armes.  Il  faisait  remettre  des  joyaux  d'or  aux 
caciques;  il  dispensait  plusieurs  peuplades  de  payer  tribut  et  surtout 
il  prenait  soin  d'envoyer  de  vaillants  capitaines  avec  de  bonnes  garni- 
sons, afin  d'empêcher  que  nous  envahissions  ces  contrées.  Il  y  faisait 

1.  Bernai  Diaz  a  commis  la  faute  de  transformer  beaucoup  trop  la  plupart  des  noms 
propres.  11  abuse  actuellement  de  cette  babitude  à  propos  du  personnage  le  plus 
intéressant  de  cette  histoire.  Guatemuz,  c'est  Guatimozin,  le  malheureux  monarque 
que  nous  verrons  bientôt  se  couvrir  de  gloire  à  la  défense  de  sa  capitale. 

2.  Cette  province  et  sa  capitale  portent  actuellement  le  nom  de  Oajaca. 


DE  LA   NOUVELLE-ESPAGNE.  389 

proclamer  qu'on  eût  à  se  défendre  avec  fermeté  contre  nous,  afin  d'é- 
viter qu'il  ne  leur  arrivât  la  même  chose  qu'à  Tepeaca,  siège  de 
notre  villa,  dont  on  n'était  pas  éloigné  de  plus  de  douze  lieues.  Pour 
qu'il  n'y  ait  pas  confusion,  je  dirai  qu'un  de  ces  villages  dont  je  viens 
de  parler  s'appelle  Gachula,  et  l'autre  Guacachula.  Je  réserve  pour 
une  opportunité  meilleure  le  soin  de  raconter  ce  qui  se  passa  à 
Guacachula,  afin  de  dire  qu'à  cette  époque  des  messagers  arrivèrent 
de  la  Villa  Rica,  annonçant  qu'un  navire  de  Cuba  venait  d'y  abor- 
Mer  avec  des  soldats. 


CHAPITRE  CXXXI 

Comme  quoi  un  navire  vint  de  Cuba,  envoyé  par  Diego  Velasquez,  ayant  pour  capi- 
taine Pedro  Barba.  Le  moyen  dont  se  servit,  pour  s'emparer  de  sa  personne,  l'ami- 
ral que  Cortès  avait  chargé  de  garder  la  mer. 

Tandis  que  nous  étions  occupés  dans  cette  province  de  Tepeaca  à 
châtier  ceux  qui  avaient  causé  la  mort  de  nos  dix-huit  compatriotes, 
et  que,  invités  par  nous  à  vivre  en  paix,  les  habitants  prêtaient  le  ser- 
ment d'obéissance  à  Sa  Majesté,  des  lettres  nous  furent  envoyées  de 
la  Villa  Rica  pour  annoncer  l'arrivée  d'un  navire  commandé  par  un 
hidalgo,  nommé  Pedro  Rarba,  grand  ami  de  Gortès.  Il  avait  été  lieu- 
tenant de  Diego  Velasquez  à  la  Havane.  Il  n'amenait  avec  lui  que 
treize  soldats,  un  cheval  et  une  jument,  parce  que  son  navire  était  de 
fort  petites  dimensions.  Il  apportait  des  lettres  à  ce  même  Pamphilo 
de  Narvaez  que  Diego  Velasquez  avait  envoyé  contre  nous.  On  croyait 
fermement  que  la  Nouvelle-Espagne  s'était  rangée  sous  son  drapeau; 
c'est  même  pour  cela  que  Diego  Velasquez  lui  faisait  dire  que,  dans 
le  cas  où  il  n'aurait  pas  déjà  tué  Gortès,  il  se  hâtât  de  le  lui  envoyer 
prisonnier  à  Cuba,  pour  qu'il  pût  lui-même  l'expédier  en  Gastille, 
conformément  aux  ordres  de  don  Juan  Rodriguez  de  Fonseca,  évêque 
de  Rurgos  et  archevêque  de  Rosano,  président  du  Conseil  des  Indes, 
qui  en  demandait  l'envoi  avec  plusieurs  de  nos  capitaines.  Diego  Ve 
lasquez  ne  doutait  pas  que  nous  n'eussions  été  complètement  défaits; 
il  croyait  du  moins  que  Narvaez  était  devenu  le  véritable  commandant 
de  la  Nouvelle-Espagne. 

Or,  aussitôt  que  Pedro  Rarba  fut  entré  dans  le  port  et  qu'il  y  eut 
jeté  l'ancre,  l'amiral  de  la  mer,  nommé  Pedro  ou  Juan  Caballero, 
s'empressa  d'aller  lui  rendre  visite  dans  une  embarcation  montée  par 
de  bons  matelots  et  bien  munie  d'armes  soigneusement  dissimulées. 
Il  se  rendit  ainsi  au  navire  de  Pedro  Rarba.  Après  l'échange  des  poli- 
tesses habituelles  :  «  Gomment  se  porte  Votre  Grâce  ?  »  après  s'être 
mutuellement   salués  et  embrassés,  selon  l'usage,  Pedro  Caballero 


390  CONQUETE 

s'informa  du  senor  Diego  Velasquez,  gouverneur  de  Cuba  :  comment 
allait  sa  santé  ?  A  quoi  Pedro  Barba  répondit  qu'il  était  très-bien.  Vint 
ensuite  le  tour  du  senor  Pamphilo  de  Narvaez,  à  propos  duquel  le 
Pedro  Barba  et  les  personnes  qui  venaient  avec  lui  demandèrent  com- 
ment allaient  ses  affaires  avec  Gortès.  On  répondit  que  tout  marchait 
fort  bien;  que  Gortès  était  en  fuite,  toujours  révolté,  avec  une  ving- 
taine de  ses  compagnons;  que  Narvaez  était  riche  et  prospère,  et  le 
pays  excellent.  En  continuant  la  conversation,  les  visiteurs  dirent  à 
Pedro  Barba  qu'il  y  avait  un  village  tout  près  sur  la  côte  ;  qu'il  voulu* 
bien  débarquer  pour  s'y  reposer  et  y  fixer  son  séjour  ;  qu'on  lui  four- 
nirait des  vivres  et  tout  ce  dont  lui  et  ses  Hommes  auraient  besoin, 
attendu  que  ce  village  en  avait  l'obligation. 

Bref,  les  paroles  des  visiteurs  furent  si  engageantes  que  les  nou- 
veaux venus  se  laissèrent  conduire  à  terre  dans  l'embarcation  de  Pedro 
Gaballero  et  dans  quelques  autres  canots  provenant  des  navires  mouillés 
dans  le  port.  Lorsque  l'amiral,  entouré  d'un  bon  nombre  de  matelots, 
les  vit  définitivement  débarqués,  il  dit  à  Pedro  Barba  :  «Vous  êtes  mes 
prisonniers,  au  nom  de  mon  seigneur  et  capitaine  Gortès.  »  C'est  ainsi 
qu'on  s'emparad'eux  ;  ils  en  furent  tout  ébahis.  Les  voiles, le  gouvernail  et 
la  boussole  furent  retirés  du  navire  et  les  hommes  envoyés  à  Gortès, 
à  Tepeaca.  Nous  eûmes  grand  plaisir  à  apprendre  le  secours  qui  nous 
venait  au  meilleur  moment,  car,  durant  la  petite  campagne  dont  je 
viens  de  parler,  nous  n'étions  pas  tellement  à  l'abri  des  accidents  que 
plusieurs  d'entre  nous  n'y  reçussent  des  blessures,  tandis  que  d'au- 
tres tombèrent  malades  de  fatigue.  Gomme  nous  étions  toujours 
chargés  de  nos  armes  et  que  nous  ne  nous  reposions  ni  jour  ni  nuit, 
le  sang  et  la  poussière  se  figeaient  dans  nos  entrailles  et  nous  les 
rendions  ensuite  par  le  corps  et  par  la  bouche  ;  c'est  au  point  qu'en 
quinze  jours  nous  perdîmes  cinq  de  nos  camarades,  de  douleur  au 
côté1. 

Je  dois  dire  aussi  qu'avec  Pedro  Barba  arrivait  un  certain  Francisco 
Lopez,  qui  plus  tard  fut  habitant  et  devint  regidor  de  Guatemala.  Gor- 
tès fit  à  Barba  un  très-honorable  accueil  ;  il  le  nomma  capitaine  d'ar- 
balétriers et  il  en  reçut  la  nouvelle  que  Diego  Velasquez  se  préparait 
à  envoyer  de  Cuba  un  autre  petit  navire  chargé  de  provisions.  Ce  bâ- 
timent vint  en  effet  huit  jours  après.  Son  capitaine  .était  un  hidalgo 
natif  de  Médina  del  Gampo,  nommé  Rodrigo  Morcjon  de  Lobera;  il 
amenait  avec  lui  huit  soldats,  une  jument,  six  arbalètes  et  beaucoup 
de  fil  à  fabriquer  des  cordes  d'arcs.  On  s'empara  d'eux  par  le  même 

1.  Ce  fait  est  des  plus  dignes  de  remarque.  Cinq  morts  par  la  pleuro-pncumonie! 
Il  n'est  pas  nécessaire  de  dire  que  l'auteur  se  fait  illusion  sur  la  cause  de  ces  atteintes. 
Le  froid  des  nuits  après  les  ardeurs  solaires  du  jour,  voilà  l'ennemi  réel  du  soldat  en 
campagne  sur  ce  plateau.  La  fluxion  de  poitrine  est,  aujourd'hui  comme  alors,  l'en- 
nemi le  plus  redoutable  du  plateau. 


DE  LA  NOUVELLE-ESPAGNE.  391 

procode  employé  pour  Pedro  Barba  et  on  les  envoya  à  Segura  de  la 
Frontera.  Nous  nous  réjouîmes  beaucoup  de  ces  renforts  ;  Cortès  leur 
faisait  très-bon  accueil  et  donnait  des  emplois  aux  nouveaux  venus. 
Grâce  à  Dieu,  nous  augmentions  ainsi  nos  forces,  de  soldats,  d'arba- 
lètes et  de  deux  ou  trois  chevaux. 

Je  m'arrêterai  là  pour  dire  ce  que  faisaient  à  Guacachula  les  garni- 
sons de  Mexico  préposées  à  la  garde  de  la  frontière,  et  comme  quoi 
les  caciques  de  ce  bourg  vinrent  demander  secrètement  l'appui  de 
Gortès  pour  chasser  du  pays  les  Mexicains. 


CHAPITRE  GXXXI1 

Comme  quoi  les  habitants  de  Guacachula  vinrent  demander  l'appui  de  Cortès  à  cause 
des  mauvais  traitements  et  des  vols  dont  ils  étaient  victimes  de  la  part  des  Mexi- 
cains. Ce  que  l'on  fit  à  ce  sujet. 

J'ai  déjà  dit  que  le  roi  nouvellement  élu  de  Mexico  envoyait  de 
puissantes  garnisons  à  ses  frontières.  Il  en  forma  une  surtout,  très- 
vigoureuse  et  composée  de  nombreux  guerriers,  à  Guacachula,  et 
une  autre  encore  à  Ozucar1,  bourg  qui  n'était  pas  éloigné  du  premier 
de  pKis  de  deux  ou  trois  lieues.  Il  redoutait  en  effet  que  nous  n'en- 
vahissions ,de  ce  côtelés  peuplades  assujetties  à  Mexico.  Ces  troupes, 
qui  se  montaient  à  un  nombre  considérable  et  qui  d'ailleurs  étaient 
sous  l'impression  d'un  changement  de  règne,  se  rendaient  coupables 
d'un  grand  nombre  de  vols  et  de  vexations  envers  les  habitants  des 
villages  où  elles  séjournaient.  Ge  fut  au  point  que  cela  devenait 
insupportable,  car,  disait-on,  ces  guerriers  volaient  les  étoffes,  le 
maïs,  les  poules,  les  joailleries  en  or,  s'emparant  de  préférence  des 
filles  et  des  femmes  quand  elles  étaient  jolies,  et  portant  l'audace 
jusqu'à  leur  faire  subir  les  derniers  outrages  sous  les  yeux  de  leurs 
maris,  de  leurs  pères  et  de  leurs  parents.  Les  gens  de  Guacachula 
savaient  d'ailleurs  que  les  habitants  de  Gholula  vivaient  tranquille- 
ment en  [paix  depuis  que  les  Mexicains  n'étaient  plus  chez  eux,  et 
que  la  même  chose  arrivait  actuellement  à  Tepeaca,  à  Tecamachalco 
et  à  Gachula.  Ge  fut  pour  ces  raisons  que  quatre  des  principaux 
personnages  du  lieu  vinrent  secrètement  trouver  Gortès  pour  le 
prier  d'envoyer  des  teules  et  des  chevaux  afin  de  mettre  fin  aux  ou- 
trages et  aux  vols  des  Mexicains,  assurant  que  tous  les  habitants  du 
village  et  d'autres  lieux  environnants  nous  aideraient  à  détruire  les 
troupes  mexicaines. 

Aussitôt  que  Gortès  en  eut  connaissance,  il  résolut  d'expédier  Ghris- 

1.  Aujourd'hui  Yzucar. 


392  CONQUETE 

toval  de  Oii  avec  presque  tous  nos  cavaliers  et  arbalétriers,  et  un  bon 
nombre  de  Tlascaltèques,  attendu  qu'après  le  bénéfice  qu'ils  avaient 
retiré  de  l'expédition  de  Tepeaca,  le  nombre  de  nos  auxiliaires  de  Tlas- 
cala  augmentait  chaque  jour  dans  notre  quartier.  Le  général  désigna 
pour  marcher  sous  les  ordres  de  Christoval  de  Oli  quelques  capitaines 
venus  avec  Narvaez,  de  sorte  que  l'expédition  se  composa  d'environ 
trois  cents  soldats  et  de  nos  meilleurs  chevaux.  On  prit  donc  le  che- 
min de  cette  province.  Mais  il  paraît  qu'en  route  des  Indiens  dirent 
aux  hommes  de  Narvaez  que  les  campagnes  et  les  maisons  étaient 
pleines  de  guerriers  mexicains,  en  plus  grand  nombre  que  dans  l'af- 
faire d'Otumba;  que  Gruatemuz  lui-même,  seigneur  de  Mexico,  com- 
mandait les  troupes,  et  tant  d'autres  choses  que  les  gens  de  Narvaez 
en  furent  intimidés.  Gomme  d'ailleurs  ils  n'avaient  nulle  envie  de 
faire  campagne  et  de  se  trouver  dans  des  combats ,  mais  plutôt  de 
retourner  à  Cuba,  et  que  le  souvenir  de  leurs  périls  à  Mexico,  aux 
chaussées,  aux  ponts  et  à  Otumba  leur  inspirait  la  crainte  de  se  voir 
bientôt  dans  des  difficultés  analogues,  ils  s'adressèrent  à  Christoval  de 
Oli  pour  le  prier  de  ne  point  aller  plus  loin  et  de  revenir  sur  ses  pas 
sans  s'exposer  à  des  batailles  pires  que  les  antérieures,  où  tous  per- 
draient la  vie.  Ils  firent  ressortir  les  difficultés  de  la  situation,  lui 
donnant  à  entendre  que  si,  quant  à  lui,  il  voulait  marcher  en  avant, 
il  s'y  hasardât,  à  la  bonne  heure,  mais  que  la  plupart  d'entre  eux 
refuseraient  de  faire  un  pas  de  plus. 

Christoval  de  Oli  était  certainement  un  vaillant  capitaine  ;  aussi 
leur  répondit-il  qu'il  ne  s'agissait  pas  de  retourner,  mais  d'avancer; 
qu'ils  avaient  beaucoup  de  bons  chevaux  et  de  combattants  ;  que, 
s'ils  faisaient  un  pas  en  arrière,  les  Indiens  les  mépriseraient;  qu'on 
était  en  rase  campagne  ;  qu'il  ne  battrait  pas  en  retraite;  mais  qu'il 
marcherait  en  avant.  Les  soldats  de  Cortès  l'appuyaient  dans  sa 
résolution  de  ne  point  reculer,  alléguant  qu'ils  s'étaient  vus  dans 
d'autres  guerres  plus  dangereuses,  et  que,  malgré  tout,  grâce  à  Dieu, 
ils  avaient  obtenu  la  victoire.  Mais  rien  n'y  fit,  on  perdit  son  temps 
à  tout  ce  qu'on  put  dire.  Bien  au  contraire,  ceux  de  Narvaez  suppliè- 
rent tant  Christoval  de  Oli  de  revenir  sur  ses  pas  et  d'écrire  de  Cho- 
lula1  à  Cortès  sur  ce  sujet,  qu'ils  lui  tournèrent  la  tête  et  le  firent 
se  résoudre  à  reculer.  Lorsque  Cortès  l'apprit,  il  se  fâcha  fort;  il 
envoya  à  Oli  deux  arbalétriers  de  plus,  en  lui  écrivant  qu'il  était 
émerveillé  de  son  grand  courage,  mais  qu'il  lui  enjoignait  de  ne  fai- 
blir devant  aucune  résistance  et  de  ne  point  abandonner  une  si  belle 
entreprise.  En  voyant  cette  lettre  Christoval  de  Oli  poussa  des  cris 

t.  Les  différentes  éditions  de  Bernai  Diaz  qui  ont  été  à  ma  disposition  disent 
«  Gholula  »  ;  mais  c'est  certainement  une  erreur.  L'auteur  aura  voulu  dire  «  Ca- 
chula  ». 


DE  LA   NOUVELLE-ESPAGNE.  393 

de  mécontentement,  accusant  ses  conseillers  de  lui  avoir  fait  com- 
mettre une  faute  grave.  Aussitôt,  sans  plus  tergiverser,  il  donna 
l'ordre  général  de  marcher  avec  lui,  ajoutant  néanmoins  que  quicon- 
que ne  voudrait  pas  le  suivre  pourrait  retourner  au  quartier  comme 
un  lâche,  sûr  que  Gortès  lui  infligerait  un  châtiment  mérité. 

On  se  mit  en  route.  Ghristoval  de  Oli  suivait,  furieux  comme  un 
lion,  le  chemin  de  Guacachula  avec  tout  son  monde,  lorsque,  avant 
d'avoir  fait  une  lieue,  il  reçut  la  visite  de  deux  caciques  de  ce  bourg; 
ils  venaient  lui  dire  tout  ce  qui  concernait  la  situation  des  Guluans 
et  lui  expliquer  comment  il  devait  les  attaquer  et  de  quelle  manière 
il  pouvait  s'attendre  à  être  secouru.  Gela  étant  entendu,  il  donna  ses 
ordres  aux  cavaliers,  aux  arbalétriers  et  aux  soldats,  et,  conformé- 
ment aux  instructions  convenues,  il  tomba  sur  les  Mexicains.  Geux-ci 
se  battirent  d'abord  à  merveille;  ils  nous  blessèrent  quelques  soldats, 
tuèrent  deux  chevaux  et  en  blessèrent  huit,  en  se  couvrant  de  palis- 
sades et  autres  défenses  préparées  dans  le  village.  Malgré  tout,  une 
heure  de  combat  suffit  pour  mettre  les  Mexicains  en  fuite.  On  assure 
que  nos  Tlascaltèques  se  conduisirent  très-vigoureusement,  tuant  et 
faisant  prisonniers  beaucoup  d'Indiens.  Gomme  d'ailleurs  ils  étaient 
appuyés  par  les  habitants  de  toute  la  province,  ils  infligèrent  de 
grandes  pertes  aux  Mexicains  qui  battirent  précipitamment  en 
retraite  et  furent  demander  de  nouveaux  éléments  de  résistance  à  un 
bourg  appelé  Ozucar,  lieu  bien  et  dûment  fortifié,  où  se  trouvait 
une  autre  forte  garnison  de  Mexicains.  Dans  leur  retraite  ils  détrui- 
sirent un  pont  pour  s'opposer  au  passage  des  chevaux. 

Mais  Ghristoval  de  Oli,  devenu  furieux,  ne  resta  pas  longtemps  à 
Guacachula.  Il  partit  pour  Ozucar  avec  tous  les  soldats  qui  purent  le 
suivre  et  avec  nos  nouveaux  alliés  de  Guacachula;  il  passa  la  rivière, 
tomba  sur  les  Mexicains  et  les  enfonça  du  premier  choc.  On  lui  tua 
deux  chevaux;  lui-même  reçut  deux  blessures,  dont  l'une  à  la  cuisse; 
son  cheval  fut  aussi  grièvement  atteint.  Il  ne  resta  que  deux  jours  à 
Ozucar;  mais  comme  les  Mexicains  avaient  été  complètement  défaits, 
ce  court  délai  suffit  pour  que  les  caciques  et  seigneurs  de  ce  bourg  et 
d'autres  environnants  vinssent  demander  la  paix  et  se  donner  pour 
vassaux  de  notre  Roi  et  seigneur.  Tous  ces  districts  étant  donc  paci- 
fiés, Ghristoval  de  Oli  s'en  revint  avec  ses  soldats  à  notre  Villa  de  la 
Frontera.  Je  n'assistai  pas  à  cette  campagne,  et  je  dis  dans  mon  récit 
absolument  ce  que  l'on  m'a  raconté.  Gortès,  accompagné  de  nous  tous, 
alla  au-devant  des  gens  de  l'expédition  et  nous  nous  revîmes  avec  la 
plus  grande  joie.  Nous  rîmes  fort  du  premier  conseil  qu'on  donnait  à 
Oli  de  revenir  sur  ses  pas;  il  en  rit  comme  nous,  disant  que  quel- 
ques-uns de  ses  soldats  s'occupaient  plus  du  souvenir  de  leurs  mines 
de  Cuba  que  de  leurs  armes;  il  jurait  du  reste  ses  grands  dieux  que, 
s'il  devait  encore  faire  campagne,  il  ne  voudrait  voir  autour  de  lui  que 


394  CONQUÊTE 

les  soldats  pauvres  de  Cortès,  et  nullement  les  hommes  riches  de 
Narvaez,  qui  avaient  la  prétention  de  commander  plus  que  lui. 

Nous  interromprons  le  fil  de  notre  récit  pour  dire  que  le  chro- 
niqueur Gomara  prétend  que  Ghristoval  de  Oli  rebroussa  chemin, 
quand  il  allait  à  Guacachula,  uniquement  parce  qu'il  comprit  mal 
ses  interprètes  i  et  crut  à  quelque  trahison  ourdie  contre  nous.  Or, 
il  n'en  fut  pas  ainsi  :  la  vérité  est  que  les  principaux  capitaines  de 
Narvaez,  entendant  certains  Indiens  assurer  que  nous  étions  attendus 
par  un  nombre  de  Mexicains  supérieur  à  celui  que  nous  avions  eu  à 
combattre  à  Mexico  et  à  Otumba,  et  que  nos  ennemis  étaient  com- 
mandés par  Guatemuz  lui-même,  furent  pris  de  frayeur  à  la  pensée 
de  se  hasarder  dans  ces  nouveaux  combats,  après  s'être  échappés  à 
grand'peine  de  la  déroute  de  Mexico,  et  telle  fut  la  raison  qui  les 
poussa  à  conseiller  la  retraite  à  Ghristoval  de  Oli,  tandis  que  celui-ci 
s'obstinait  à  marcher  en  avant.  Le  chroniqueur  dit  encore  que  Gortès 
se  résolut  à  faire  lui-même  cette  campagne,  en  voyant  Ghristoval  de 
Oli  y  renoncer.  Cela  n'est  pas  exact,  puisque  ce  fut  ce  capitaine,  le 
mestre  de  camp  lui-même,  qui  la  termina,  ainsi  que  je  l'ai  dit.  Il 
prétend  aussi,  par  deux  fois,  que  les  gens  de  Narvaez  apprirent  à 
Guaxocingo,  quand  ils  passaient  dans  ce  bourg,-  qu'ils  étaient  atten- 
dus par  un  grand  nombre  de  milliers  d'Indiens.  J'assure  que  c'est 
encore  là  une  erreur,  parce  qu'il  est  clair  que,  pour  aller  dé  Tepeaca 
à  Gachula,  il  aurait  fallu  faire  un  détour  en  arrière  s'il  s'était  agi  de 
passer  par  Guaxocingo.  C'est  absolument  comme  si,  pour  aller  de 
Médina  del  Gampo  à  Salamanca,  nous  prétendions  passer  par  Valla- 
dolid  ;  il  n'y  a  pas  de  différence. 

Mais  c'est  assez  parler  sur  ce  point  ;  disons  plutôt  qu'à  cette  épo- 
que mouilla  au  port  connu  sous  le  vilain  nom  de  Bernai,  près  de  la 
Villa  Rica,  un  navire  arrivant  du  Panuco.  C'était  un  de  ceux  qu'avait 
envoyés  Garay,  aux  ordres  d'un  capitaine  nommé  Gamargo.  Je  vais 
dire  à  la  suite  ce  qui  en  advint. 


CHAPITRE  GXXXIII 


Comme  quoi  arriva  au  port  de  la  Villa  Rica  un  des  navires  que  Francisco  Gara) 
avait  envoyés  au  Panuco.  Ce  qui  s'ensuivit. 

Nous  étions  à  Segura  de  la  Frontera,  ainsi  que  je  viens  de  l'expli- 
quer, lorsque  des  lettres  vinrent  annoncer  à  Gortès  qu'un  des  navires 
que  Francisco  Garay  avait  envoyés  au  Panuco,  ayant  pour  capitaine 

1.  Bernai  Diaz  écrit  :  naguatatos  <•  interprètes.  Le  mot  vaguatalos  est  imité  du 
mot  aztèque  nahuatlato,  qui  veut  dire  «  interprète  ». 


DE  LA  NOUVELLE-ESPAGNE.  395 

un  nommé  Camargo,  venait  d'arriver  au  port.  Il  amenait  soixante 
soldats,  tous  malades,  le  ventre  enflé  et  atteints  de  jaunisse1.  Ce 
capitaine  disait  qu'un  autre  officier,  envoyé  au  Panuco  également  par 
Garay  et  qui  s'appelait  Alvarez  Pinedo,  avait  été  victime  d'une  atta- 
que des  Indiens  du  pays  qui  l'avaient  massacré,  lui,  tous  ses  soldats, 
ses  chevaux,  et  brûlé  ses  navires.  Témoin  de  ce  malheur,  Camargo 
s'était  embarqué  avec  les  soldats  que  j'ai  dits,  et  il  venait  demander 
secours  au  port  où  il  nous  savait  établis.  La  nécessité  où  il  s'était  vu 
de  se  défendre  contre  les  Indiens  avait  épuisé  ses  ressources  ;  tous 
étaient  du  reste,  je  le  répète,  maigres,  jaunes  et  enflés.  On  disait  que 
le  capitaine  Camargo  avait  été  Frère  dominicain,  bien  réellement 
membre  de  cet  ordre.  Tout  ce  monde,  avec  son  commandant,  s'en  fut 
à  la  Frontera  à  petites  journées,  car  leur  état  de  faiblesse  leur  ren- 
dait la  marche  pénible.  Cortès,  les  voyant  si  enflés  et  si  jaunes, 
comprit  bien  que  ce  n'étaient  pas  là  gens  à  se  battre  ;  nous  n'y  ga- 
gnions que  la  peine  de  leur  donner  des  soins.  Il  fit  du  reste  un 
accueil  très-favorable  au  chef  et  à  ses  hommes.  Je  ne  me  rappelle  pas 
bien  ce  que  devint  le  capitaine  Camargo,  mais  il  me  semble  qu'il  ne 
tarda  pas  à  mourir;  quelques  soldats  moururent  aussi.  Nous  leur 
faisions  la  mauvaise  plaisanterie  de  les  appeler  «  les  verts-pansus  », 
à  cause  de  leur  couleur  de  moribonds  et  des  dimensions  de  leur 
ventre. 

Je  ne  m'arrêterai  pas  à  dire  exactement  l'époque  des  arrivées  à  la 
Villa  Rica  :  c'étaient  toujours  des  navires  de  Garay;  ils  venaient  à  la 
distance  d'environ  un  mois  les  uns  des  autres.  Bornons-nous  à  dire 
qu'ils  y  arrivèrent  tous  et  admettons  que  ce  soit  en  effet  à  peu  près 
trente  jours  les  uns  après  les  autres.  Je  m'exprime  ainsi  parce  qu'ap- 
parut bientôt  un  certain  Miguel  Diaz  de  Auz,  capitaine  de  Francisco  de 
Garay  qui  l'avait  envoyé  pour  renforcer  Alvarez  Pinedo,  établi,  pensait- 
il,  au  Panuco.  Mais,  arrivé  à  sa  destination,  il  ne  trouva  pas  vestige 
de  la  flottille  de  Garay  ;  il  n'eut  pas  de  peine,  du  reste,  à  se  persua- 
der que  ses  compatriotes  avaient  été  massacrés,  vu  que  les  Indiens 
l'attaquèrent  lui-même  aussitôt  qu'il  se  présenta  avec  son  navire.  Ce 
fut  ce  motif  qui  le  décida  à  gagner  notre  port  ;  il  y  débarqua  ses  sol- 
dats, qui  dépassaient  le  chiffre  de  cinquante,  avec  sept  chevaux.  Ils 
vinrent  immédiatement  se  joindre  à  Cortès;  ce  secours  fut  des  meil- 
leurs et  des  plus  opportuns,  car  le  besoin  s'en  faisait  sentir.  Je  vois, 
du  reste,  de  l'intérêt  à  dire  quel  homme  était  ce  Miguel  Diaz  de 
Auz.  Ce  fut  un  bon  serviteur  de  Sa  Majesté  dans  tous  les  événements 
des  guerres  et  conquêtes  de  la  Nouvelle-Espagne.  Après  la  pacifica- 
tion de  ces  pays,  il  eut  un  procès  avec  un  beau-frère  de  Cortès,  nommé 


1.  Tous  ces  ventres  enflés  des  soldats  de  Garay  paraissent  indiquer  des  malades 
atteints  d'hypertrophie  du  foie  par  suite  d'impaludisme. 


396  CONQUÊTE 

Andrès  de  Barrios,  natif  de  Séville,  qu'on  surnommait  le  Danseur. 
Il  s'agissait  de  la  propriété  d'une  moilié  de  Mestitan.  Le  jugement 
porta  qu'on  lui  paierait  sur  les  rendements  de  ce  bourg  un  intérêt  de 
plus  de  deux  mille  cinq  cents  piastres,  à  la  condition  qu'il  n'y  entre- 
rait point  pendant  deux  ans,  attendu  qu'il  était  accusé  d'y  avoir  fait 
mourir  indûment  un  certain  nombre  d'Indiens. 

Quoi  qu'il  en  soit,  nous  dirons  que,  peu  de  jours  après  l'arrivée  de 
Miguel  Diaz  de  Auz,  on  vit  paraître  au  port  un  autre  navire  envoyé 
également  par  Graray  comme  renfort  pour  sa  flottille,  dans  la  croyance 
que  tout  le  monde  se  portait  bien  sur  le  fleuve  Panuco.  Le  capitaine 
était  un  certain  Ramirez,  homme  âgé,  que  pour  ce  motif  on  surnomma 
«  le  Vieux  »,  dans  le  but  de  le  distinguer  des  deux  autres  Ramirez 
qui  se  trouvaient  déjà  parmi  nous.  Ils  amenaient  quarante  soldats, 
dix  chevaux  ou  juments,  quelques  arbalétriers  et  diverses  armes. 
Francisco  de  Graray  passait  donc  son  temps  à  aventurer  ainsi  un 
navire  après  l'autre,  n'ayant  pas  d'autre  chance  que  de  travailler  à 
ravitailler  Gortès  ;  et  je  n'ai  pas  besoin  de  dire  à  quel  point  ces  se- 
cours étaient  opportuns  pour  nous.  Tous  ces  nouveaux  soldats  s'en 
vinrent  à  Tepeaca  où  nous  nous  trouvions.  Gomme  d'ailleurs  les  hom- 
mes de  Miguel  de  Auz  arrivèrent  gros  et  bien  portants,  nous  les 
surnommâmes  «  les  râblés  ».  Quant  aux  soldats  du  vieux  Ramirez, 
comme  ils  venaient  couverts  d'une  grosse  armure  de  coton  très- 
lourde,  pour  se  garantir  des  flèches,  nous  les  appelâmes  «  les  bâ- 
tés ».  Gortès,  au  surplus,  fit  le  meilleur  accueil  à  ces  capitaines 
quand  ils  arrivèrent  en  sa  présence. 

Mais  nous  cesserons  de  nous  entretenir  des  bons  auxiliaires  qui 
nous  vinrent  de  Garay,  pour  dire  comme  quoi  notre  général  envoya 
Sandoval  en  expédition  contre  deux  villages  appelés  Xalacingo  et 
Gacatami, 


CHAPITRE  GXXXIV 

Comme  quoi  Cortès  envoya  Gonzalo  de  Sandoval  pour  pacifier  les  bourgs  de  Xala- 
cingo et  Cacatami,  avec  deux  cents  soldats,  vingt  cavaliers  et  douze  arbalétriers, 
lui  donnant  pour  mission  de  découvrir  quels  étaient  les  Espagnols  qu'on  y  avait 
tués  ainsi  que  les  armes  qu'on  leur  avait  prises,  voir  le  pays  que  c'était  et  exiger 
l'or  qu'on  y  avait  enlevé;  ce  qui  advint  encore. 

Gortès  possédait  donc  déjà  un  bon  nombre  de  soldats.  Il  avait  reçu 
un  premier  renfort  au  moyen  des  deux  petits  navires  de  Diego  Yelas- 
quez,  avec  lesquels  étaient  venus  les  capitaines  Pedro  Barba  et  Rodrigo 
Morejon  de  Lobera,  à  la  tête  de  vingt-cinq  soldats  avec  deux  chevaux 
et  une  jument.  Ensuite  étaient  arrivés  les  trois  bâtiments  de  Graray  : 
le  premier,  avec  le  capitaine  Camargo,  le  second  monté  par  Miguel 


DE  LA  NOUVELLE-ESPAGNE.  397 

Diaz  de  Auz  et  le  troisième  avec  le  vieux  Ramirez,  amenant  ensemble 
environ  cent  vingt  soldats,  seize  chevaux  ou  juments,  ces  dernières 
toutes  de  brio  et  bonnes  coureuses.  Gorlès  avait  eu  la  nouvelle  que 
dans  deux  bourgs,  appelés  Gacatami  et  Xalacingo,  on  avait  donné  la 
mort  à  plusieurs  soldats  de  Narvaez  qui  se  rendaient  à  Mexico.  C'est 
aussi  dans  ces  villages  qu'on  avait  volé  à  Juan  de  Alcantara  et  à  deux 
autres  Espagnols  de  la  Villa  Rica,  après  les  avoir  tués,  la  part  d'or 
échue  à  tous  les  habitants  du  port,  ainsi  que  je  l'ai  dit  déjà  dans  le 
chapitre  qui  en  a  traité.  Notre  général  choisit,  pour  commander  une 
nouvelle  expédition  contre  les  coupables,  le  capitaine  Gonzalo  de  San- 
doval,  qui  était  alguazil  mayor,  homme  valeureux  et  de  bon  conseil. 
Il  emmenait  avec  lui  deux  cents  soldats,  la  plupart  appartenant  aux 
vieilles  troupes  de  Gortès,  vingt  cavaliers,  douze  arbalétriers  et  bon 
nombre  de  Tlascaltèques. 

Avant  d'arriver  à  ces  villages,  il  sut  qu'on  y  était  bien  préparé,  que 
les  habitants  avaient  reçu  le  secours  de  garnisons  mexicaines  et  se 
tenaient  bien  pourvus  de  bonnes  palissades  et  munitions  de  guerre, 
persuadés  qu'ils  étaient  qu'à  cause  des  attentats  commis  contre  les 
Espagnols,  nous  ne  tarderions  pas  à  marcher  contre  eux  pour  les 
châtier,  comme  nous  avions  fait  à  Tepeaca,  à  Gachula  et  à  Tecama- 
chalco.  Sandoval  mit  sa  troupe  et  ses  arbalétriers  en  bon  ordre;  il 
convint  avec  ses  cavaliers  comment  ils  devaient  marcher  et  charger 
l'ennemi.  Avant  de  franchir  les  limites  des  territoires  hostiles,  il  en- 
voya aux  Indiens  un  messager,  les  engageant  à  se  présenter  pacifi- 
quement et  à  rendre  l'or  et  les  armes  qu'ils  avaient  volés,  avec  l'as- 
surance que  la  mort  des  Espagnols  leur  serait  pardonnée.  Ces  messages 
lurent  renouvelés  trois  ou  quatre  fois,  et  la  réponse  fut  toujours  que 
si  nous  allions  chez  eux,  de  même  qu'ils  avaient  tué  et  mangé  les 
teules  que  nous  leur  réclamions,  ils  tueraient  et  mangeraient  notre 
capitaine,  ainsi  que  tous  ceux  qu'il  amenait  avec  lui. 

Les  messages  étant  restés  sans  résultat,  Sandoval  envoya  dire  une 
dernière  fois  aux  Indiens  qu'il  les  réduirait  en  esclavage,  pour  avoir 
été  des  traîtres  et  des  assassins  de  grande  route  ;  qu'ils  eussent  à  se 
préparer  à  bien  se  défendre.  Sur  ce,  Sandoval  se  mit  en  marche  avec 
ses  compagnons  et  il  attaqua  l'ennemi  par  deux  côtés  à  la  fois.  Les 
Mexicains  et  les  naturels  de  ce  village  se  battirent  très-bien;  néan- 
moins, sans  que  je  veuille  donner  ici  des  détails  sur  l'action,  Sandoval 
les  défit  complètement.  Les  Mexicains  et  les  caciques  des  villages 
prirent  la  fuite  ;  on  les  poursuivit  et  l'on  captura  beaucoup  de  femmes 
et  d'enfants,  négligeant  d'en  faire  autant  des  Indiens,  pour  ne  pas  se 
donner  le  souci  de  les  garder.  Nous  trouvâmes  dans  quelques  temples 
du  village  beaucoup  de  vêtements,  des  armes,  des  freins  de  chevaux, 
deux  selles  et  bien  d'autres  objets  à  l'usage  de  la  cavalerie,  que  l'on 
avait  offerts  aux  idoles.  Sandoval  résolut  de  rester  là  trois  jours.  Les 


398  CONQUÊTE 

caciques  des  deux  villages  vinrent  demander  pardon  et  jurer  obéis- 
sance à  Sa  Majesté.  Le  capitaine  exigea  qu'ils  rendissent  l'or  enlevé 
aux  Espagnols  assassinés,  avant  qu'il  leur  pardonnât.  Ils  répondirent 
que  les  Mexicains  avaient  pris  l'or  et  l'avaient  aussitôt  envoyé  à 
Mexico  au  nouveau  seigneur  qu'ils  s'étaient  donné  pour  roi;  de  sorte 
qu'il  n'en  restait  plus.  Sandoval  leur  répliqua  que,  pour  obtenir  l'oubli 
de  leurs  crimes,  ils  devaient  aller  où  se  trouvait  Malinche,  qui  leur 
pardonnerait  après  leur  avoir  parlé.  Gela  dit,  il  se  mit  en  route  et 
s'en  retourna,  avec  une  grande  quantité  de  femmes  et  d'enfants  que 
l'on  marqua  au  fer  comme  esclaves.  Cortès  se  réjouit  beaucoup  de  le 
voir  revenir  dans  un  état  satisfaisant,  quoiqu'il  y  eût  dans  ses  rangs 
huit  soldats  grièvement  blessés,  que  trois  chevaux  fussent  morts  et 
que  lui-même  portât  les  traces  d'un  coup  de  flèche.  Je  ne  fis  pas  cette 
campagne  :  j'étais  très-malade  de  fièvres  et  je  rendais  du  sang  par  la 
bouche.  Grâce  à  Dieu,  je  revins  à  la  santé  parce  qu'on  me  saigna  plu- 
sieurs fois1. 

On  sait  donc  que  Gonzalo  de  Sandoval  avait  dit  aux  caciques  de 
Xalacingo  et  de  Cacatami  de  se  rendre  auprès  de  Gortès  pour  lui  de- 
mander la  paix.  Ce  ne  furent  pas  seulement  ces  villages  qui  firent 
cette  démarche,  mais  bien  d'autres  eacore  des  environs.  Ils  apportè- 
rent des  provisions  à  la  ville  où  nous  étions  et  jurèrent  tous  obéissance 
à  Sa  Majesté.  Cette  expédition  eut  les  plus  importants  résultats  :  la 
paix  fut  établie  dans  tous  ces  districts,  et  il  s'ensuivit  que  Gortès  acquit 
dans  la  Nouvelle-Espagne  entière  une  si  grande  réputation  non-seu- 
lement d'homme  pratiquant  la  justice,  mais  encore  de  guerrier  valeu- 
reux, qu'il  inspirait  de  la  crainte  à  tout  le  monde  et  surtout  à  Guatemuz, 
le  roi  nouvellement  élu  à  Mexico.  Il  y  gagna  une  telle  autorité  et  une 
si  grande  influence  qu'on  venait  lui  soumettre,  de  pays  lointains,  des 
procès  d'indigènes,  surtout  en  affaires  se  rapportant  aux  distinctions 
de  seigneurs  et  de  caciques.  Gomme  la  petite  vérole  se  répandit  dans 
toute  la  Nouvelle-Espagne,  beaucoup  de  hauts  personnages  en  furent 
victimes.  Il  y  eut  donc  lieu  de  rechercher  souvent  à  qui  devait  appar- 
tenir la  succession  des  caciques  et  seigneuries,  et  comment  se  parta- 
geraient les  terres  et  vassaux  ;  c'était  à  ce  propos  qu'on  venait  fré- 
quemment trouver  Gortès,  comme  s'il  eût  été  le  maître  absolu  de  tout 
le  pays,  afin  que  sa  seule  autorité  élevât  les  nouveaux  seigneurs  au 
rang  qui  leur  appartenait. 

Ge  fut  à  cette  époque  qu'on  vint  d'Ozucar  et  de  Gruacachula,  au 
sujet  d'une  proche  parente  de  Montczuma  qui  était  mariée  avec  le 
seigneur  d'Ozucar.  Ils  eurent  un  fils  qui  paraissait  justement  à  quel- 
ques-uns devoir  être  l'héritier  de  cette  seigneurie,  en  sa  qualité  de 
neveu  de  Montezuma.  Néanmoins  il  ne  manqua  pas  de  gens  pour 

L  Selon  toute  probabilité,  notre  auteur  lui-même  fut  atteint  de  pneumonie. 


DE  LA   NOUVELLE-ESPAGNE.  399 

prétendre  que  les  droits  à  la  succession  étaient  en  faveur  d'un  autre 
seigneur.  Il  en  résulta  de  graves  discussions  à  propos  desquelles  on 
fut  consulter  Gortès,  qui  déclara  que  l'héritage  devait  tomber  aux 
mains  du  parent  de  Montezuma;  et  sa  décision  fut  immédiatement 
exécutée.  On  se  présenta  de  même  de  plusieurs  autres  peuplades  des 
environs,  au  sujet  de  procès;  notre  général  décidait  la  remise  des 
terres  en  litige  aux  mains  de  ceux  qui  lui  paraissaient  être  les  ayants- 
droit. 

En  ce  même  temps,  il  eut  connaissance  que  neuf  Espagnols  avaient 
été  tués  dans  le  bourg  de  Gocotlan,  situé  six  lieues  plus  loin,  et  que 
nous  avions  déjà  surnommé  Gastilblanco,  ainsi  que  je  l'ai  dit  plus 
haut  en  en  donnant  le  motif.  Notre  chef  envoya  encore  Gonzalo  de 
Sandoval  pour  y  infliger  un  châtiment  et  en  obtenir  la  pacification. 
Gelui-ci  partit  avec  trente  cavaliers,  cent  soldats,  huit  arbalétriers, 
cinq  hommes  d'escopette  et  un  certain  nombre  de  Tlascaltèques.  Ces 
alliés,  qui  furent  des  meilleurs  soldats,  se  montrèrent  toujours  très- 
fidèles.  Sandoval  dépêcha  cinq  dignitaires  de  Tepeaca  pour  présenter 
nos  sommations  aux  habitants  du  bourg,  avec  mille  protestations 
obligeantes,  en  ajoutant  toutefois  que,  s'ils  ne  se  présentaient  pas  à 
lui,  il  irait  les  combattre  et  les  emmènerait  en  esclavage.  Mais  il  pa- 
raît qu'il  y  avait  une  garnison  de  Mexicains  destinée  à  protéger  cette 
peuplade.  Ils  s'empressèrent  de  répondre  que  Gruatemuz  était  leur 
roi;  qu'ils  n'avaient  pas  à  se  rendre  à  l'appel  d'un  autre  seigneur 
quelconque  ;  que  si  du  reste  on  avançait  vers  eux,  on  les  trouverait 
en  rase  campagne;  que  leur  décision  n'était  pas  moindre  que  celle 
dont  ils  avaient  fait  preuve  à  Mexico,  sur  les  chaussées  et  au  passage 
des  ponts  ;  qu'au  surplus  ils  savaient  fort  bien  à  quel  degré  s'élevait 
notre  grande  valeur.  Sandoval,  ayant  entendu  ces  propos,  forma  les 
rangs  dans  l'ordre  que  devaient  garder  au  combat  les  cavaliers,  les 
fusiliers  et  les  arbalétriers;  il  ordonna  aux  Tlascaltèques  de  ne  pas 
se  jeter  sur  l'ennemi  tout  d'abord,  afin  de  ne  point  mettre  obstacle 
aux  charges  des  cavaliers  et  de  ne  pas  courir  eux-mêmes  le  risque 
d'être  blessés  par  les  arbalètes,  les  escopettes  ou  les  pieds  des  che- 
vaux. Ils  ne  devaient  donc  pas  bouger  avant  que  les  forces  de  San- 
doval eussent  chargé  l'ennemi  ;  mais,  à  peine  la  déroute  commencée, 
ils  avaient  l'ordre  de  s'acharner  à  la  poursuite  des  Mexicains  pour 
s'emparer  d'eux. 

Tout  cela  étant  convenu,  Sandoval  se  mit  en  marche  vers  le  bourg. 
L'ennemi  en  sortit  pour  venir  à  sa  rencontre  avec  deux  bataillons  de 
guerriers,  en  un  point  où  se  trouvaient  des  défenses  artificielles  et 
des  terrains  coupés  de  ravins.  Ils  y  tinrent  bon  quelques  instants, 
tandis  que  les  arbalètes  et  les  escopettes  leur  causaient  le  plus  grand 
mal;  mais  enfin  Sandoval  put  arriver  à  franchir  les  palissades  avec 
ses  cavaliers,  A  la  vérité  on  lui  blessa  là  neuf  chevaux,  et  l'un  d'eux 


400  CONQUETE 

mortellement;  quatre  soldats  y  reçurent  aussi  des  blessures.  Tou- 
jours est-il  qu'il  franchit  le  mauvais  pas  et  que  ses  cavaliers  purent 
se  déployer.  Quoique  le  sol  fût  très-inégal  et  couvert  de  pierres,  il 
put  se  précipiter  sur  les  bataillons  ennemis  et  les  ramener  jusqu'au 
bourg.  Là,  ils  s'arrêtèrent  sur  une  grande  place  et  s'abritèrent  encore 
derrière  des  défenses  et  sur  des  temples  où  ils  prirent  un  solide 
appui.  Ils  se  battaient  avec  beaucoup  de  valeur;  mais  enfin  on  eut 
raison  d'eux  et  on  tua  sept  Indiens.  Il  n'était  pas  nécessaire  de  recom- 
mander la  poursuite  aux  Tlascaltèques  :  outre  qu'ils  étaient  fort  bons 
soldats,  ils  y  trouvaient  leur  bénéfice,  surtout  à  cause  du  voisinage  de 
leur  pays  avec  l'endroit  où  l'on  se  battait.  On  prit  beaucoup  de  femmes 
et  d'enfants. 

Sandoval  resta  là  deux  jours  et  fit  appeler  les  caciques  du  bourg 
par  des  dignitaires  de  Tepeaca  qui  étaient  avec  lui.  Ils  obéirent  à  son 
appel  et  demandèrent  pardon  pour  les  assassinats  commis  sur  les 
Espagnols.  Sandoval  répondit  que  s'ils  rendaient  les  vêtements  et 
tout  ce  qu'ils  avaient  volé,  on  leur  pardonnerait.  Mais  ils  répliquè- 
rent que  tout  avait  été  brûlé,  qu'on  n'avait  rien  gardé  et  qu'ils  avaient 
déjà  fini  de  manger  la  plupart  de  ceux  qui  furent  tués  ;  que  cinq 
teules  avaient  été  envoyés  vivants  à  leur  seigneur  Gruatemuz;  que  du 
reste  leurs  méfaits  étaient  assez  châtiés  par  la  mort  de  leurs  compa- 
triotes qui  venaient  d'être  tués  sur  le  champ  de  bataille  et  dans  le 
village;  qu'on  leur  pardonnât;  qu'ils  auraient  soin  de  fournir  des 
vivres  dans  le  bourg  où  Malinche  se  trouvait.  Sandoval,  convaincu 
qu'on  ne  pouvait  mieux  faire,  leur  pardonna,  tandis  que  de  leur  côté 
ils  promettaient  de  servir  fidèlement  en  tout  ce  qui  leur  serait  com- 
mandé. Après  quoi,  il  revint  à  la  ville  où  il  fut  bien  reçu  par  Gortès 
et  par  nous  tous.  Mais  j'en  resterai  là  pour  dîre  comment  on  marqua 
au  fer  les  esclaves  que  l'on  prit  dans  ces  provinces. 


CHAPITRE  GXXXV 


Comme  quoi  on  rassembla  les  femmes  et  les  esclaves  provenant  des  affaires  de 
Tepeaca,  de  Cachula,  de  Tecamachalco,  de  Caslilblanco  et  de  tous  les  pays  en  dé- 
pendant, pour  qu'on  les  marquât  au  fer,  au  nom  de  Sa  Majesté;  ce  qui  advint  à  ce 
sujet. 

Lorsque  Gonzalo  de  Sandoval  fut  revenu  à  la  ville  de  Segura  de 
la  Frontera,  comme  tout  était  pacifié  dans  cette  province  et  que  par 
conséquent  nous  n'avions  plus  à  faire  de~  nouvelles  expéditions,  les 
peuplades  des  environs  ayant  juré  obéissance  à  Sa  Majesté,  Gortès, 
d'accord  avec  les  commissaires  du  Roi,  résolut  de  marquer  au  fer 
les  esclaves,  afin  d'y  prélever  son  cinquième  après  avoir  mis  à  part  le 


DE  LA  NOUVELLE-ESPAGNE.  401 

quint  de  Sa  Majesté.  A  cet  effet,  il  fit  mettre  à  l'ordre  du  jour  et 
proclamer  dans  le  quartier  et  par  la  ville  que  tous  les  soldats  eussent 
à  présenter  les  pièces  qu'ils  auraient  acquises,  sous  le  délai  de  deux 
jours,  dans  une  maison  désignée  à  cet  effet,  pour  qu'on  les  mar- 
quât au  fer.  Nous  nous  empressâmes  d'y  aller  avec  toutes  les  Indiennes 
et  enfants  que  nous  avions  pris.  Quant  aux  hommes,  nous  n'en 
désirions  pas,  à  cause  du  souci  qu'on  aurait  eu  de  les  garder;  nous 
n'avions  d'ailleurs  pas  besoin  de  leurs  services,  puisque  nos  amis  les 
Tlascaltèques  étaient  là  pour  nous  les  rendre.  Toutes  les  pièces  étant 
réunies  et  le  fer  prêt,  avec  la  marque  G  qui  veut  dire  Guerre  en 
deux  tours  de  main,  sans  que  nous  y  prissions  garde,  on  mit  de 
côté  le  quint  royal,  ainsi  que  le  cinquième  de  Gortès.  Au  surplus,  la 
nuit  aidant,  après  que  nous  eûmes  remis  nos  esclaves  dans  la  mai- 
son, on  s'était  empressé  de  choisir  et  de  cacher  les  meilleures  In- 
diennes, de  sorte  que,  quand  nous  revînmes,  on  n'en  vit  pas  une  seule 
passable,  et,  au  moment  de  les  répartir,  on  n'avait  plus  à  nous  donner 
que  des  vieilles  qui  ne  valaient  rien. 

Ce  fut  là  une  occasion  de  murmures  contre  Gortès  et  contre  ceux 
qui  l'aidaient  à  détourner  et  à  cacher  les  bonnes  Indiennes.  Il  y  eut 
même  des  soldats  de  Narvaez   qui  osèrent  le  dire  à  notre  o-énéral 
jurant  leurs  grands  dieux  qu'ils  n'avaient  jamais  su  qu'il  y  eût  deux 
rois  dans  les  pays  de  Sa  Majesté,  de  manière  qu'on  y  dût  prélever 
deux  cinquièmes  royaux.  Un  de  ces  soldats  était  Juan  Bono  de  Quexo 
qui  ajouta  d'ailleurs  qu'on  ne  resterait  pas  en  un  pareil  pays  et  qu'il 
ferait   tout  savoir    en   Castille,  à  Sa   Majesté    et   aux  membres   du 
Conseil  royal  des  Indes.  Un  autre  soldat  s'exprima  encore  plus  claire- 
ment, disant  au  général  qu'il  ne  lui  avait  pas  suffi  de  répartir  l'or  de 
Mexico  de  la  manière  qu'on  savait,  c'est-à-dire  qu'en  faisant  les  parts 
Gortès    prétendit  qu'on  n'avait  trouvé  que  trois  cent  mille  piastres 
tandis  que,  au  moment  d'entreprendre  notre  fuite  de  la  capitale   on 
dut  constater  légalement  qu'on  en  abandonnait  plus  de  sept  cent  mille  • 
que  maintenant,  après  que  le  pauvre  soldat  avait  essoufflé  ses  pou- 
mons et  s'était  fait  cribler  de  blessures  pour  posséder  une  bonne 
Indienne,  on  n'en  avait  que  les  jupons  et  les  chemises,  les  pièces  de 
choix  ayant  été  déjà  prises  et  cachées.  Il  ajoutait  que,  lorsqu'avait 
paru  l'ordre  du  jour  demandant  qu'on  les   présentât  à  la  marque, 
chaque  soldat  avait  cru  qu'on  lui  rendrait  ses  propres  pièces,  après 
en  avoir  estimé  la  valeur  pour   en  retirer  exactement   le   quint   de 
Sa  Majesté;  que  du  reste  il  ne  serait  nullement  question  d'un  cin- 
quième à  donner  à  Gortès...  Il  murmurait  bien  d'autres  choses  pires 
encore. 

Notre  général,  l'ayant  entendu,  répondit  doucereusement  et  avec 
calme  qu'il  jurait  sur  sa  conscience  (c'est  ainsi  qu'il  faisait  ses  ser- 
ments) qu'on  n'en  agirait  plus  ainsi  à  l'avenir;  que  les  Indiennes, 

26 


402  CONQUÊTE 

bonnes  ou  mauvaises,  seraient  mises  à  l'enchère,  les  bonnes  adjugées 
pour  telles  et  les  mauvaises  à  leur  juste  prix,  de  sorte  qu'on  n'aurait 
plus  à  lui  chercher  dispute.  Du  reste,  on  ne  fit  plus  d'esclaves  à 
Tepeaca;  mais  bientôt  j'aurai  l'occasion  de  dire  qu'on  en  reprit  la 
coutume  à  Tezcuco.  Pour  à  présent  je  n'ajouterai  pas  un  mot  à  ce 
sujet  et  je  porterai  l'attention  sur  des  événements  pires  encore  que 
la  question  des  esclaves. 

J'ai  dit,  on  s'en  souvient,  que  pendant  la  triste  nuit  où  nous  sor- 
tîmes de  Mexico  en  fuyards,  il  resta  dans  l'appartement  de  Gortès 
plusieurs  lingots  d'or  qu'on  abandonna,  après  avoir  chargé  tout  ce 
qu'on  put  sur  les  chevaux  et  la  jument  et  à  l'aide  des  Tlascaltèques, 
sans  compter  ce  que  les  amis  préférés  et  quelques  soldats  purent  en 
détourner.  Considérant  alors  que  ce  qui  restait  serait  perdu  et  tom- 
berait au  pouvoir  des  Mexicains,  Gortès  assura  par  écriture  de  notaire 
que  quiconque  voudrait  prendre  de  cet  or  abandonné  pourrait  le 
faire,  puisque,  de  toute  façon,  il  fallait  le  regarder  comme  perdu. 
Plusieurs  soldats  de  Narvaez  et  quelques-uns  des  nôtres  en  prirent 
leur  bonne  charge.  Il  y  en  eut  qui,  pour  le  conserver,  perdirent  la 
vie.  Quant  à  ceux  qui  eurent  la  chance  de  sauver  leur  butin,  ils  n'y 
purent  parvenir  qu'en  courant  les  plus  grands  dangers  et  en  s'expo- 
sant  aux  blessures  les  plus  sérieuses. 

Or,  Gortès,  à  Segura  de  la  Frontera,  vint  à  savoir  que  plusieurs 
lingots  d'or  circulaient  dans  le  campement  sur  les  tables  de  jeu;  au 
surplus,  comme  dit  le  proverbe,  l'or  et  l'amour  sont  difficiles  à  cacher. 
Notre  chef  fit  donc  proclamer  que,  sous  peine  de  graves  châtiments, 
on  eût  à  produire  tout  l'or  qui  avait  été  sauvé;  les  porteurs  en  garde- 
raient le  tiers,  tandis  que  la  totalité  serait  prise  à  tout  individu  qui 
ne  l'aurait  pas  présentée.  Plusieurs  des  soldats  qui  possédaient  cet 
or  ne  voulurent  point  le  rendre.  A  quelques-uns  Gortès  le  prit  en 
entier  à  titre  d'emprunt,  ayant  plutôt  recours  à  la  force  qu'à  la  bonne 
volonté.  Mais  bientôt ,  comme  on  s'aperçut  que  presque  tous  les 
capitaines  et  même  les  commissaires  du  Roi  en  possédaient  des  sacs 
bien  remplis,  on  jugea  prudent  de  ne  pas  donner  suite  à  l'ordre  du 
jour,  et  il  n'en  fut  plus  question.  Il  n'en  résulta  pas  moins  que  cette 
mesure  méditée  par  Gortès  fut  très-mal  jugée. 

Abandonnons  ces  propos  pour  raconter  comme  quoi  la  plupart  des 
capitaines  et  principaux  personnages  venus  avec  Narvaez  demandèrent 
l'autorisation  de  retourner  à  Cuba  ;  nous  allons  dire  comment  Gortès 
la  leur  donna,  et  ce  qui  advint  encore; 


DE  LA  NOUVELLE-ESPAGNE.  403 


CHAPITRE  GXXXVI 


Comment  les  capitaines  et  principales  personnes  que  Narvaez  avaient  amenés  avec 
lui  demandèrent  l'autorisation  de  retourner  à  l'île  de  Cuba;  comme  quoi,  l'ayant 
obtenue,  ils  se  mirent  en  route.  Comment  Cortès  envoya  des  ambassadeurs  en  Cas- 
tille,  à  Santo-Domingo  et  à  Jamaïque,  et  ce  qui  advint  en  toutes  ces  choses. 

Les  capitaines  de  Narvaez  virent  bien  qu'en  comptant  les  arrivées 
de  Cuba  et  celles  qui  provenaient  des  envois  que  Francisco  de  Graray 
faisait  à  son  expédition,  ainsi  que  je  l'ai  dit  en  son  lieu,  les  renforts 
ne  manqueraient  décidément  pas  à  notre  armée.  S'étant  assurés 
d'ailleurs  que  les  peuplades  de  la  province  de  Tepeaca  étaient  défini- 
vement  pacifiées,  ils  ajoutèrent  les  promesses  à  la  prière  pour  obtenir, 
après  bien  des  explications,  que  Gortès  leur  permît  de  retourner  à 
l'île  de  Cuba,  attendu  qu'il  s'y  était  engagé  déjà  depuis  longtemps. 
Notre  chef  s'empressa  de  leur  en  donner  l'autorisation,  assurant  que 
s'il  reconquérait  la  Nouvelle -Espagne  avec  la  ville  de  Mexico,  il 
donnerait  à  Andrès  de  Duero,  son  associé,  plus  d'or  qu'il  ne  lui  en 
avait  donné  jusque-là.  Il  fit  encore  des  promesses  dans  le  même  sens 
aux  autres  capitaines,  surtout  à  Agustin  Bermudez.  Il  ordonna  qu'on 
les  pourvût  des  provisions  qu'on  avait  en  ce  moment  :  maïs,  petits 
chiens  salés,  ainsi  que  quelques  poules,  et  il  leur  fit  donner  un  de 
ses  meilleurs  navires.  Il  écrivit  à  sa  femme,  Gatalina  Juarès  la  Mer- 
caïda,  et  à  Juan  Juarès,  son  beau-frère,  qui  vivaient  alors  dans 
l'île  de  Cuba.  Il  leur  envoyait  quelques  lingots  et  des  joyaux  d'or, 
leur  faisant  savoir  en  même  temps  tous  les  malheurs  qui  nous  étaient 
arrivés  lorsque  nous  fûmes  chassés  de  Mexico. 

Quoi  qu'il  en  soit,  nous  nommerons  ici  les  personnes  qui  deman- 
dèrent l'autorisation  de  retourner  à  Cuba,  non  sans  emporter  quelques 
richesses.  Ce  furent  :  Andrès  de  Duero ,  Agustin  Bermudez,  Juan 
Bono  deQuexo,Bernardino  de  Quesada,  Francisco  Velasquez  le  Bossu, 
parent  de  Diego  Velasquez,  gouverneur  de  Cuba;  Gonzalo  Garrasco, 
celui-là  même  qui  vit  maintenant  à  Puebla,  après  être  retourné  à  la 
Nouvelle-Espagne  ;  un  certain  Melchor  de  Velasco,  qui  devint  habi- 
tant de  Guatemala  ;  un  certain  Ximenez,  qui  revint  plus  tard  vivre  à 
Quaxaca,  après  avoir  été  chercher  ses  fils  ;  le  commandeur  Léon  de 
Cervantes,  qui  ramena  ses  filles  et  les  maria  très-honorablement  à 
son  retour  à  Mexico.  Partit  encore  un  nommé  Maldonado,  natif  de 
Medellin,  qui  se  trouvait  malade;  ne  le  confondons  pas  avec  Maldo- 
nado qui  se  maria  avecdona  Maria  delRincon,  ni  avec  Maldonado  le 
gros,  ni  avec  cet  autre  qu'on  appelait  Alvaro  Maldonado  le  Rageur, 
qui  se  maria  avec  une  dame  appelée  Maria  Arias.  Partit  aussi  un 


404  CONQUÊTE 

certain  Vargas ,  habitant  de  la  Trinité ,  qu'on  appelait  à  Cuba  le 
Galant.  Remarquez  que  je  ne  veux  pas  dire  le  Vargas  qui  fut  beau- 
père  de  Christoval  Lobo  et  devint  plus  tart  habitant  de  Guatemala. 
Partit  encore  un  marin,  soldat  de  Cortès,  nommé  Gardenas  ;  c'était 
celui-là  même  qui  disait  un  jour  à  un  de  ses  camarades  qu'on  ne 
pouvait  plus  dormir  en  paix,  puisqu'on  avait  deux  rois  dans  la  Nou- 
velle-Espagne. Ge  fut  à  lui  que  Gortès  donna  trois  cents  piastres 
pour  qu'il  allât  rejoindre  sa  femme  et  ses  enfants.  Pour  éviter  du 
reste  de  prolonger  cette  liste  en  faisant  mémoire  de  tous  les  partants, 
je  me  contentera^  de  dire  que  beaucoup  d'autres,  dont  les  noms  ne 
me  reviennent  pas,  entreprirent  ce  voyage  de  retour. 

Toujours  est-il  que  nous  nous  hasardâmes  à  demander  à  Gortès 
pourquoi  il  autorisait  tant  de  départs ,  en  considérant  combien  peu 
nous  restions  avec  lui.  Il  nous  répondit  qu'il  agissait  ainsi  pour  évi- 
ter des  scandales  et  mettre  fin  à  des  démarches  importunes;  que  du 
reste  nous  voyions  bien  que  quelques-uns  de  ceux  qui  retournaient  à 
Cuba  ne  servaient  pas  à  grand'chose  en  fait  de  guerre  et  de  campagne, 
et  qu'il  valait  mieux  rester  seuls  que  continuer  à  être  en  mauvaise 
compagnie.  Il  envoya  Pedro  de  Alvarado  pour  présider  à  leur  embar- 
quement, lui  donnant  l'ordre  de  revenir,  immédiatement  après,  à  la 
ville  de  la  Frontera. 

Disons  aussi  que  Gortès  envoya  en  Castille  Diego  de  Ordas  et 
Alonso  de  Mendoza,  natif  de  Medellin  ou  de  Gaceres,  pour  y  traiter 
d'affaires  qui  lui  étaient  personnelles.  Je  n'eus  pas  la  moindre  con- 
naissance de  ce  dont  ils  furent  chargés  concernant  l'expédition,  car 
notre  chef  ne  nous  dit  absolument  rien  de  ce  qu'il  envoyait  traiter 
avec  Sa  Majesté.  Je  ne  sus  pas  non  plus  ce  qui  arriva  à  ces  envoyés  en 
Castille,  si  ce  n'est  que  l'évêque  de  Burgos  criait  sur  les  toits  et  de- 
vant Ordas  que  nous  tous,  aussi  bien  Gortès  que  les  soldats  partis 
avec  lui,  n'étions  que  de  mauvais  traîtres,  accusation  qu'Ordas  rele- 
vait dans  les  meilleurs  termes.  Ge  fut  alors  que  cet  envoyé  fut 
nommé  commandeur  de  Santiago  et  reçut  pour  écusson  le  volcan  qui 
se  trouve  près  de  Guaxocingo  et  de  Cholula.  Quant  aux  affaires  qu'il 
traita,  je  dirai  bientôt  ce  que  nous  en  sûmes  par  correspondance. 

Abandonnons  ce  point  de  notre  histoire,  pour  dire  que  Gortès  com- 
missionna  Alonso  de  Avila,  qui  était  capitaine  et  intendant  de  la 
Nouvelle-Espagne,  en  lui  adjoignant  un  autre  hidalgo  nommé  Fran- 
cisco Alvarez  Ghico,  homme  très-rompu  aux  affaires.  Il  les  envoyait 
avec  un  autre  navire  à  l'île  de  Santo-Domingo,  dans  le  but  de  faire 
au  Tribunal  suprême  qui  s'y  trouvait  installé  et  aux  Frères  hiérony- 
mitos  qui  en  étaient  les  gouverneurs,  le  récit  de  tout  ce  qui  nous 
était  arrivé,  les  priant  d'approuver  tout  ce  que  nous  fîmes  en  con- 
quérant le  pays  et  en  battant  les  forces  de  Narvaez.  Nos  envoyés  de- 
vaient expliquer  comment  nous  avions  fait  des  esclaves  parmi  les 


DE  LA  NOUVELLE-ESPAGNE.  405 

peuplades  où  des  Espagnols  avaient  été  assassinés  et  où  l'on  s'était 
soustrait  à  l'obéissance  jurée  à  notre  Roi  et  seigneur;  ils  devaient 
dire  aussi  que  nous  étions  dans  l'intention  de  traiter  de  même  tous 
les  villages  qui  s'étaient  ligués  contre  nous  en  faveur  des  Mexi- 
cains. Gortès  suppliait  en  même  temps  qu'on  fît  tout  savoir,  en  Cas- 
tille,  à  notre  grand  Empereur;  qu'on  voulût  bien  se  souvenir  des 
grands  services  que  nous  ne  cessions  de  rendre  et  qu'ainsi,  par  l'in- 
tercession du  Tribunal  royal,  nous  fussions  traités  avec  justice  et 
protégés  contre  la  malveillance  et  les  actes  dont  nous  poursuivait 
sans  cesse  l'évêque  de  Burgos,  archevêque  de  Rosano. 

Gortès  envoya  en  même  temps  un  autre  navire  à  l'île  de  Jamaïque, 
à  la  recherche  de  chevaux  et  juments.  La  commission  en  fut  donnée  à 
un  capitaine  nommé  Solis,  que  nous  appelâmes  Solis  de  la  Huerta 
après  la  prise  de  Mexico;  il  était  le  gendre  de  celui  que  nous  nom- 
mions le  bachelier  Ortega.  Je  n'ignore  pas  que  quelques  curieux  lec- 
teurs me  demanderont  comment  il  se  faisait  que,  sans  argent,  Gortès 
envoyât  ainsi  Diego  de  Ordas  traiter  des  affaires  enCastille  ;  car  enfin, 
pour  aller  en  Gastille,  comme  en  d'autres  lieux,  il  faut  des  espèces  ; 
d'autant  plus  qu'il  envoya  en  commission,  à  Santo-Domingo,  Alonso 
de  Avila  et  Francisco  Alvarez  Ghico,  et  que  même  il  fit  acheter  des 
juments  et  des  chevaux  à  l'île  de  Jamaïque.  A  tout  cela  je  réponds 
que  sans  doute  nous  sortîmes  de  Mexico  en  fuyards  dans  cette  nuit 
dont  j'ai  si  souvent  parlé  ;  mais,  comme  il  restait  beaucoup  de  lin- 
gots abandonnés  et  entassés  dans  la  grande  salle,  presque  tous  les 
soldats  en  prirent  leur  part,  en  particulier  les  cavaliers  et  mieux  en- 
core les  gens  de  Narvaez.  Quant  aux  commissaires  de  Sa  Majesté,  ils 
emportèrent  des  valises  préparées  à  l'avance.  Au  surplus,  on  avait 
chargé  d'or  plus  de  quatre-vingts  Indiens  Tlascaltèques,  par  ordre 
de  Gortès  ;  ils  étaient  à  la  tête  de  tout  le  monde  lorsqu'on  gagna  les 
ponts,  et  il  est  naturel  de  penser  qu'ils  réussirent  à  sauver  plusieurs 
charges  de  métal  et  que  tout  ne  se  perdit  pas  dans  le  passage  de  la 
chaussée.  Quant  à  nous,  pauvres  soldats,  qui  n'avions  point  de  com- 
mandements et  qui  n'étions  que  commandés,  nous  ne  songeâmes 
guère  qu'à  sauver  nos  vies  d'abord  et  à  panser  nos  blessures  ensuite. 
Aussi  ne  fîmes-nous  pas  grand  cas  de  l'or  et  ne  nous  mîmes-nous 
point  en  peine  de  savoir  s'il  en  sortit  beaucoup  de  charges  ou  non  par 
les  ponts.  Gortès  et  quelques-uns  de  nos  capitaines  purent  donc  faire 
main  basse  sur  l'or  que  certains  Tlascaltèques  avaient  sauvé.  Nous 
eûmes  même  le  soupçon  qu'on  s'empara  des  quarante  mille  piastres 
destinées  à  la  Villa  Rica,  en  faisant  répandre  le  bruit  qu'elles  avaient 
été  volées.  C'est  avec  ces  ressources  que  Gortès  put  envoyer  des  émis- 
saires en  Gastille  pour  ses  affaires  personnelles,  aussi  bien  qu'à  Santo- 
Domingo  pour  le  Tribunal  suprême,  en  même  temps  que,  d'autre 
part,  il  faisait  acheter  des  chevaux.  Pour  ce  qui  est  de  l'or  que  chacun 


406  CONQUÊTE 

des  soldats  avait  pu   prendre,  on  le  gardait  en  secret,  malgré  l'ordre 
qui  avait  été  donné  de  le  présenter. 

Laissons  ce  sujet  pour  dire  que  Cortès,  après  avoir  pacifié  toutes 
les  peuplades  du  district  de  Tepeaca,  décida  qu'un  certain  Francisco 
de  Orozco  resterait  à  la  ville  de  Segura  de  la  Frontera  en  qualité  de 
commandant,  avec  environ  vingt  soldats  blessés  ou  malades.  Gela 
fait,  nous  nous  rendîmes  avec  presque  toutes  nos  forces  à  Tlascala, 
où  l'ordre  fut  donné  de  couper  du  bois  dans  le  but  de  construire 
treize  brigantins  qui  devaient  nous  servir  à  attaquer  Mexico,  car  il 
nous  paraissait  impossible,  sans  ce  secours,  de  nous  rendre  maîtres 
des  eaux  de  la  lagune,  ni  de  pousser  nos  attaques,  ni  d'entrer  par 
les  chaussées  dans  la  capitale,  à  moins  de  faire  courir  à  nos  exis- 
tences les  risques  les  plus  sérieux.  Ce  fut  Martin  Lopez  qui  dirigea 
cette  coupe  et  fut  chargé  de  dessiner  les  carènes  et  de  prendre  toutes 
les  mesures  pour  que  ces  embarcations  fussent  légères  et  bonnes  voi- 
lières,  comme  cela  était  nécessaire  pour  le  but  auquel  on  les  desti- 
nait. Ce  constructeur  fut  en  outre  un  excellent  soldat  et  servit  très- 
bien  Sa  Majesté  en  toute  cette  campagne.  A  propos  de  ces  brigantins 
il  se  conduisit  en  homme  résolu,  et  l'on  peut  dire  que,  si  nous  n'a- 
vions pas  eu  la  chance  qu'il  vînt  des  premiers  en  notre  compagnie,  il 
eût  fallu  demander  un  maître  de  son  métier  en  Gastille,  l'on  eût 
perdu  beaucoup  de  temps  dans  l'attente,  et  peut-être  même  ne  fût-il 
venu  personne. 

Quoi  qu'il  en  soit,  pour  revenir  à  notre  sujet,  le  fait  est  que  quand 
nous  arrivâmes  à  Tlascala,  notre  grand  ami  et  sujet  loyal  de  Sa  Ma- 
jesté, Maceescaci,  était  mort  de  la  petite  vérole.  Nous  en  fûmes  tous 
affligés  et  Gortès,  comme  il  disait  lui-même,  en  éprouva  autant  de 
regret  que  si  c'eût  été  son  propre  père.  Il  s'habilla  de  deuil  et  plu- 
sieurs de  nos  capitaines  l'imitèrent  ;  quant  à  nous,  nous  aidions  notre 
chef  à  honorer  le  plus  possible  les  fils  du  défunt.  Gomme  d'ailleurs 
les  avis  étaient  partagés,  à  Tlascala,  au  sujet  de  la  charge  du  cacique, 
Gortès  désigna  un  fils  légitime  de  Maceescaci  pour  lui  succéder,  en 
considération  de  l'ordre  qu'avait  formulé  le  vieillard  avant  de  mou- 
rir. Maceescaci,  entre  autres  conseils,  avait  même  pris  soin  de  dire  à 
ses  fils  et  à  ses  parents  qu'ils  ne  devaient  point  se  soustraire  au  com- 
mandement de  Malinche  et  de  ses  frères,  parce  que  c'était  nous  cer- 
tainement qui  étions  appelés  à  régner  sur  le  pays.  Nous  ne  parlerons 
donc  plus  du  vieux  cacique,  puisqu'il  a  cessé  de  vivre  ;  mais  disons 
que  Xicotenga,  Ghichimecatecle  et  tous  les  autres  caciques  de  Tlas- 
cala vinrent  faire  à  Gortès  leurs  offres  de  services,  soit  pour  couper  le 
bois  qui  devait  être  employé  à  construire  les  brigantins,  soit  pour 
toute  autre  chose  qu'il  lui  plairait  de  commander  dans  le  but  de  faire 
la  guerre  aux  Mexicains.  Notre  chef  les  serra  affectueusement  dans 
ses  bras,  rendant  grâces  à  tout  le  monde,  surtout  au  vieux  Xicotenga 


DE  LA.  NOUVELLE-ESPAGNE.  407 

et  à  Ghichimccatecle.  Il  fit  ensuite  tous  ses  efforts  pour  obtenir  que 
Xicotenga  se  fît  chrétien.  Le  bon  cacique  y  consentit  volontiers  et  ce 
fut  au  milieu  de  la  fête  la  plus  solennelle  que  le  Père  de  la  Merced 
le  baptisa  en  lui  donnant  le  nom  de  don  Lorenzo  de  Vargas. 

Revenons  à  nos  brigantins.  Martin  Lopez  donna  une  telle  impul- 
sion à  la  coupe,  avec  le  secours  des  Indiens,  qu'en  peu  de  jours  on 
eut  tout  le  bois  nécessaire.  Chaque  madrier  reçut  son  numéro  d'or- 
dre indiquant  la  place  qu'il  devait  occuper,  ainsi  qu'ont  l'habitude  de 
le  faire  les  maîtres  et  calfats.  Lopez  fut  aidé  dans  son  travail  par 
Andrôs  Nunez  et  par  un  vieux  charpentier,  appelé  Ramirez,  qu'une 
blessure  avait  rendu  boiteux.  Gortès  envoya  chercher  à  la  Villa  Rica 
beaucoup  de  fer  et  la  clouterie  des  navires  que  nous  avions  mis  à  la 
côte,  les  ancres,  les  voiles,  les  cordages,  l'étoupe  et  enfin  l'outillage 
propre  à  ce  genre  de  construction.  Il  fit  venir  tous  les  forgerons  qu'on 
avait,  ainsi  qu'un  certain  Hernando  de  Aguilar,  qui  aidait  à  battre  le 
fer  ;  et  comme  il  y  avait  en  ce  temps  trois  de  nos  hommes  qui  por- 
taient le  même  nom,  nous  avions  pris  l'habitude  de  l'appeler  «  le 
Mâchefer  Aguilar  ».  L'officier  choisi  pour  aller  chercher  ces  objets 
fut  un  nommé  Santa  Gruz,  de  Rurgos,  très-bon  soldat,  fort  actif,  qui 
devint  plus  tard  regidor  de  Mexico.  Il  apporta  tout  ce  qui  avait  été 
retiré  des  navires,  même  les  chaudières  pour  préparer  le  goudron, 
employant  pour  cela  plus  de  mille  Indiens  de  charge  que  toutes  les 
peuplades  ennemies  de  Mexico  s'empressèrent  de  mettre  à  sa  disposi- 
tion. Gomme  nous  n'avions  point  de  poix  pour  fabriquer  notre  gou- 
dron et  que  les  Indiens  ne  la  savaient  point  faire,  Gortès  envoya 
quatre  matelots,  entendus  en  ce  genre  de  travail,  pour  qu'ils  fussent 
la  préparer  sur  une  plantation  de  pins  qui  se  trouvait  près  de  Gruaxo- 
cingo. 

Je  m'occuperai  maintenant  d'un  sujet  qui  n'est  guère  en  rapport 
avec  ce  que  nous  sommes  en  train  de  raconter.  C'est  que  quelques 
curieux,  qui  connaissaient  très-bien  Alonso  de  Avila  et  le  savaient 
bon  capitaine,  très-courageux,  trésorier  de  la  Nouvelle-Espagne,  bon 
guerrier  et  plus  enclin  à  batailler  qu'à  traiter  des  affaires  avec  les 
Frères  hiéronymites,  gouverneurs  des  îles,  demandaient  pourquoi 
Gortès  l'avait  choisi  pour  émissaire,  tandis  qu'il  avait  à  ses  côtés  des 
hommes  plus  habitués  à  ce  genre  d'occupations,  comme  par  exemple 
Alonso  de  Grado,  Juan  de  Gaceres  le  Riche  et  bien  d'autres  dont  on 
faisait  l'énumération.  Eh  bien  !  je  réponds  que  Gortès  choisit  Alonso 
de  Avila  parce  qu'il  le  savait  un  homme  solide,  bien  capable  de  ré- 
pondre pour  nous  comme  il  le  trouverait  juste;  il  l'envoya  encore 
parce  qu'il  avait  eu  des  querelles  avec  d'autres  capitaines  et  qu'il  ne 
se  gênait  guère  pour  faire  au  général  n'importe  quelle  observation  lui 
paraissant  opportune.  Cortès  voulait  ainsi  éviter  des  esclandres, 
donner  à  Andrès  de  Tapia  la  capitainerie  devenue  vacante,  et  la  tré- 


408  CONQUÊTE 

sorerie  à  Alonso  de  Grado  :  tels  furent  les  motifs  qui  firent  choisir 
Avila  pour  envoyé. 

Reprenons  maintenant  le  fil  de  notre  narration.  Gortès,  voyant 
qu'on  avait  achevé  de  couper  le  bois  pour  les  brigantins  et  que  d'ail- 
leurs les  hommes  dont  j'ai  fait  mention  étaient  partis  pour  Cuba,  en 
nous  débarrassant  de  ces  dangereux  parasites  amenés  par  Narvaez, 
qui  s'obstinaient  sans  cesse  à  réveiller  en  nous  de  nouvelles  craintes 
et  nous  détournaient  de  l'idée  d'aller  faire  le  siège  de  Mexico  en 
nous  disant  que  nous  n'étions  point  assez  nombreux  pour  soutenir  le 
choc  de  cette  capitale;  Cortès,dis -je,  se  voyant  délivré  de  cette  source 
de  découragements,  prit  la  résolution  de  marcher  sur  Tezcuco  avec 
tout  son  monde.  Ce  ne  fut  pas  sans  donner  lieu  à  un  grand  nombre 
de  conférences  et  de  contestations,  parce  que  quelques-uns  d'entre 
nous  prétendaient  qu'Ayocingo,  par  sa  situation,  par  ses  canaux,  par 
ses  tranchées,  par  sa  proximité  de  Ghalco,  serait  préférable  au  canal 
et  à  l'estuaire  de  Tezcuco,  pour  construire  nos  brigantins.  D'autres, 
au  contraire,  s'obstinaient  à  dire  que  Tezcuco  méritait. mieux  notre 
choix,  vu  que  c'était  un  point  central  entouré  d'un  grand  nombre  de 
villages,  et  qu'en  ayant  pour  nous  cette  ville  il  nous  serait  plus  facile 
de  faire  des  sorties  utiles  contre  tous  les  petits  pays  formant  le  dis- 
trict de  Mexico.  Au  surplus,  une  fois  fixés  dans  cette  place,  nous  se- 
rions en  mesure  de  prendre  les  plus  sages  partis  en  rapport  avec  la 
marche  des  événements. 

On  était  déjà  convenu  de  suivre  ce  dernier  avis,  lorsque  trois  sol- 
dats porteurs  d'un  message  de  la  Villa  Rica  vinrent  donner  la  nou- 
velle qu'un  navire  de  fort  tonnage  était  arrivé  de  Castille  et  des  îles 
Canaries  avec  un  chargement  de  bonnes  arbalètes,  trois  chevaux, 
beaucoup  d'effets  mercantiles,  des  escopettes,  poudre,  fil  d'arbalètes, 
et  autres  objets  d'armement.  Le  propriétaire  des  marchandises  et  du 
navire  était  un  certain  Juan  de  Burgos  ;  le  maître  commandant  se 
nommait  Francisco  Medel.  Il  nous  venait  un  renfort  de  treize  sol- 
dats. Cette  nouvelle  nous  causa  une  grande  joie.  L'entrain  que  nous 
mettions  déjà  à  préparer  notre  départ  pour  Tezcuco  s'augmenta  par 
le  bon  effet  de  ce  nouvel  arrivage;  car  Gortès  s'empressa  de  faire 
acheter  les  armes,  la  poudre  et  presque  tous  les  objets  du  charge- 
ment. Bien  plus,  Juan  de  Burgos  lui-même,  Medcl  et  tous  les  passa- 
gers s'en  vinrent  où  nous  étions  et  nous  causèrent  en  arrivant  une 
satisfaction  très-grande,  par  le  secours  qu'ils  nous  apportaient  en  une 
occasion  si  opportune.  Je  me  rappelle  que  là  se  trouvait  un  certain 
Juan  del  Espinar,  qui  devint  plus  tard  un  riche  habitant  de  Guate- 
mala. Là  venait  aussi  un  nommé  Sagredo,  oncle  d'une  dame  du 
même  nom  qui  vivait  à  Cuba  ;  ils  étaient  natifs  de  Medellin.  Venait 
encore  un  Basque,  appelé  Monjaraz,  lequel  se  disait  l'oncle  d'Andrès 
et  de  Gregorio  de  Monjaraz  qui  se  trouvaient  avec  nous,  et  au  sur- 


DE  LA  NOUVELLE-ESPAGNE.  409 

plus  père  d'une  très-belle  femme  qui  vint  bientôt  à  Mexico.  Voici 
pourquoi  je  fais  mémoire  de  ce  personnage.  Il  ne  nous  suivit  pas 
tout  d'abord  dans  nos  combats  et  dans  nos  attaques,  parce  qu'il  se 
trouvait  souffrant  et  malade.  Lorsqu'il  fut  rétabli  et  que  nous  com- 
mencions à  assiéger  Mexico,  il  se  vanta  d'être  un  audacieux  soldat 
et  manifesta  le  désir  de  voir  comment  nous  en  venions  aux  mains 
avec  les  Mexicains,  témoignant  du  peu  de  cas  qu'il  faisait  du  cou- 
rage des  Indiens.  Il  s'aventura,  en  conséquence,  à  monter  sur  un 
temple  élevé  construit  en  tourelle,  et  nous  ne  pûmes  jamais  savoir 
comment  nos  ennemis  s'emparèrent  de  lui  et  lui  donnèrent  la  mort 
ce  jour-là  même.  Mais  plusieurs  de  nos  camarades,  qui  l'avaient 
connu  à  l'île  de  Santo  -  Domingo ,  prétendirent  que  ce  fut  par  per- 
mission divine  qu'il  périt  de  cette  mort,  parce  qu'il  avait  tué  sa 
femme,  excellente,  honorable  et  fort  belle  personne,  sans  qu'elle  eût 
fourni  aucun  prétexte  qui  pût  lui  servir  d'excuse.  Gela  n'empêcha 
pas  qu'il  trouvât  des  faux  témoins  qui  accusèrent  la  défunte  de  ma- 
léfices. 

Laissons  ces   événements  arrivés  en  d'autres  temps,   et  contons 
comme  quoi  nous  fûmes  à  Tezcuco  et  ce  qui  nous  advint  encore. 


CHAPITRE  GXXXVII 

Comment  nous  prîmes  avec  toute  notre  armée  le  chemin  de  Tezcuco.  Ce  qui  nous 
arriva  en  route,  et  autres  choses  qui  advinrent. 

Lorsque  Cortès  se  vit  si  bien  approvisionné  d'escopettes,  de  poudre, 
d'arbalètes  et  de  chevaux  ;  connaissant  d'ailleurs  le  grand  désir  que 
nous  avions  tous,  capitaines  et  soldats,  de  tomber  sur  la  capitale  de 
Mexico,  il  résolut  de  s'adresser  aux  caciques  de  Tlascala  pour  en 
obtenir  dix  mille  Indiens  guerriers  qui  feraient  avec  nous  l'expédi- 
tion de  Tezcuco,  ville  considérable  qui,  après  Mexico,  est  une  des 
plus  grandes  de  la  Nouvelle-Espagne.  A  peine  leur  eut-il  adressé  sa 
demande,  accompagnée  d'un  éloquent  discours  ,  que  le  vieux  Xico- 
tenga,  dont  le  nom  était  Lorenzo  de  Vargas  depuis  qu'il  était  devenu 
chrétien,  s'empressa  de  répondre  qu'il  le  ferait  bien  volontiers  et 
qu'il  donnerait  non-seulement  dix  mille  hommes,  mais  bien  davan- 
tage encore  si  l'on  en  avait  le  désir,  proposant  pour  capitaines  un 
de  leurs  plus  valeureux  caciques,  accompagné  de  notre  grand  ami 
Ghichimecatecle.  Gortès  lui  en  adressa  les  plus  vifs  remerciements. 
On  fit  une  grande  revue;  mais  je  ne  pourrais  dire  quel  nombre  nous 
formions  en  soldats  et  autres  auxiliaires.  Toujours  est-il  qu'un  cer- 
tain jour  après  Pâques  de  Nativité  de  l'an  1520,  nous  nous  mîmes 


410  CONQUÊTE 

en    route  et    cheminâmes   en  bon   ordre,    ainsi   que  c'était    notre 
coutume. 

Nous  fûmes  passer  la  nuit  dans  un  village  dépendant  de  Tezcuco  ; 
les  habitants  nous  y  fournirent  ce  qui  nous  était  nécessaire.  Au  delà 
de  ce  point,  nous  entrions  dans  les  dépendances  de  Mexico;  aussi 
marchâmes-nous  mieux  sur  nos  gardes,  l'artillerie,  les  arbalétriers  et 
les  escopettiers  dans  le  meilleur  ordre.  Quatre  cavaliers  nous  précé- 
daient en  éclaireurs ,  s'aidant  de  quatre  soldats  très-agiles,  armés 
d'épées  et  de  rondaches,  qui  avaient  pour  mission  de  bien  examiner 
les  chemins  pour  s'assurer  que  les  chevaux  y  pourraient  passer  ;  car 
l'avis  nous  était  parvenu,  quand  nous  étions  déjà  en  route,  qu'on 
avait  accumulé  des  obstacles  dans  un  mauvais  passage  et  obstrué 
les  sentiers  de  la  montagne  avec  des  abatis  d'arbres.  On  avait  en 
effet  reçu  la  nouvelle,  tant  à  Mexico  qu'à  Tezcuco,  que  nous  nous 
dirigions  sur  cette  dernière  ville.  Nous  ne  rencontrâmes  cependant, 
ce  jour-là,  aucun  embarras.  Nous  allâmes  passer  la  nuit  à  trois  lieues 
de  distance,  au  pied  de  la  sierra.  Nous  y  éprouvâmes  un  froid  ex- 
cessif et  nous  attendîmes  le  jour,  protégés  par  nos  éclaireurs,  nos 
sentinelles  et  nos  espions. 

Le  jour  étant  venu,  nous  commençâmes  à  monter  pour  franchir  un 
petit  passage,  à  travers  de  fort  mauvais  ravins  et  des  tranchées  qu'on 
avait  pratiquées  sur  la  route,  qui  se  trouvait  au  surplus  partout  ob- 
struée par  des  pins  et  d'autres  arbres  abattus.  Mais  comme  nous 
avions  avec  nous  un  grand  nombre  d'alliés  tlascaltèques,  on  réussit 
promptement   à  enlever    les    obstacles.   Nous   cheminâmes  en   bon 
ordre,  nous  faisant  précéder  par  une  capitainerie  d'escopettiers   et 
d'arbalétriers.  Nos  alliés  continuant  du  reste  à  couper  et  à  enlever 
les  troncs  d'arbres,  nos  chevaux  purent  passer,  et  nous  arrivâmes  au 
haut  de  la  sierra.  Nous  commençâmes  même  la  descente,  jusqu'à  ce 
que  nous  parvînmes  à  un  point   d'où  l'on  découvrait  la  lagune  de 
Mexico  et  les  grandes  villes  qui  s'élevaient  au  milieu  de  ses  eaux.  A 
cet  aspect,  nous  rendîmes   grâces  à  Dieu  qui  permettait  que  nous 
pussions  la  revoir.  Nous  nous  rappelâmes  alors  notre  récente  défaite, 
notre  fuite  de  Mexico,  et  nous  nous  promîmes  bien,  si  Dieu  avait  la 
bonté  de  nous  accorder  meilleure  chance ,    de  nous   montrer   plus 
avisés  dans  la  manière  de  faire  le  siège  de  la  ville.  Nous  descen- 
dîmes décidément  la  sierra  où  nous  apercevions  la  fumée  de  différents 
foyers  entretenus  comme  signaux  par  des  émissaires  de  Tezcuco  et 
des  autres  peuplades  qui  en  dépendaient.  A  quelques  pas  plus  loin, 
nous  donnâmes  sur  un  bataillon   de  gens  de   guerre   mexicains  et 
tezcucans  qui  nous  attendaient  en  un  passage  difficile  où  se  trouvait 
un  pont  jeté  sur  un  ravin  profond,  occupé  par  un  fort  courant  d'eau. 
Nous  n'eûmes  pas  de  peine  à  mettre  ces  gens-là  en  déroute  et  nous 
effectuâmes  le  passage  sains  et  saufs.  Il  fallait  entendre   alors  les 


DE  LA  NOUVELLE-ESPAGNE.  411 

vociférations  et  les  cris  que  nos  adversaires  lançaient  du  lieu  où  ils 
étaient  établis  et  du  fond  des  ravins ,  mais  sans  rien  entreprendre 
contre  nous.  C'était  d'ailleurs  un  terrain  où  nos  chevaux  ne  pou- 
vaient les  poursuivre  ;  mais  nos  amis  les  Tlascaltèques  leur  pre- 
naient des  poules  et  ne  ménageaient  rien  de  tout  ce  qu'ils  pouvaient 
enlever,  quoique  Gortès  eût  bien  recommandé  de  ne  traiter  en  en- 
nemis que  ceux  qui  nous  feraient  la  guerre  ;  à  quoi  nos  alliés  répon- 
daient que  si  ces  gens  étaient  animés  envers  nous  de  bons  sentiments 
et  d'intentions  pacifiques,  ils  ne  viendraient  point  nous  attendre  sur 
la  route  comme  ils  l'avaient  fait ,  en  essayant  d'empêcher  notre 
passage  sur  le  pont  du  ravin. 

Rentrons  mieux  dans  notre  sujet,  pour  dire  que  nous  fûmes  passer 
la  nuit  dans  un  village  abandonné  ,  dépendant  de  Tezcuco.  Nous 
prîmes  soin  d'organiser  nos  rondes,  nos  veilleurs  et  nos  éclaireurs, 
craignant  que  plusieurs  bataillons  mexicains,  postés  pour  nous  at- 
tendre dans  des  passages  dangereux,  ne  se  décidassent  à  tomber  sur 
nous  cette  nuit  même.  Leur  présence  en  ces  lieux  nous  fut  révélée 
par  cinq  guerriers  de  Mexico  dont  nous  nous  emparâmes  au  passage 
du  premier  pont  et  qui  nous  dirent  ce  qu'il  en  était  de  ces  forces 
placées  en  embuscade.  Mais  nous  sûmes  bientôt  qu'ils  n'osèrent  ni 
nous  attendre  ni  nous  attaquer.  Ce  résultat  fut  dû  aussi  à  ce  qu'il  n'y 
avait  pas  la  meilleure  entente  entre  les  Mexicains  et  les  Tezcucans. 
Peut-être  en  furent-ils  empêchés  encore  par  le  mauvais  état  où  ils 
se  trouvaient,  attendu  qu'ils  n'étaient  point  encore  tout  à  fait  ré- 
tablis des  atteintes  de  la  petite  vérole  qui  s'étendit  et  fit  des  ravages 
dans  tout  le  pays1.  En  outre,  ils  savaient  comment  toutes  les  garni- 
sons de  Mexicains  avaient  été  défaites  par  nous  à  Guacachula,  à 
Ozucar,  à  Xalacingo  et  à  Gastilblanco;  ce  qui  leur  faisait  croire  que 
toutes  les  forces  de  Tlascala  et  de  (juaxocingo  marchaient  avec  nous. 
Il  trouvèrent  donc  bon  de  ne  pas  nous  attendre,  et  certes  c'était  bien 
Notre  Seigneur  Jésus-Christ  qui  conduisait  ainsi  toutes  nos  affaires. 

Aussitôt  qu'il  fit  jour,  nous  formâmes  nos  rangs  en  bon  ordre, 
mettant  l'artillerie,  les  escopettes  et  les  arbalètes  à  leur  place, 
tandis  que  nos  éclaireurs  exploraient  le  pays  au  devant  de  nous.  Nous 
entreprîmes  ainsi  notre  marche  sur  Tezcuco ,  qui  était  à  deux  lieues 
du  point  où  nous  venions  de  passer  la  nuit.  Nous  n'avions  pas  en- 
core fait  une  demi-lieue,  lorsque  nous  vîmes  accourir  vers  nous  nos 
éclaireurs,  tout  joyeux  ;  ils  dirent  à  Cortès  qu'une  dizaine  d'Indiens 
étaient  en  route,  sans  armes  et  portant  des  enseignes  d'or  en  forme 
de  girouettes.  Partout  où  nos  hommes  passaient,  du  reste,  ils  n'é- 


1.  Du  temps  de  Cortès,  comme  de  nos  jours,  la  tendance  de  certaines  maladies  à 
constituer  des  états  épidémiques  existait  sur  tout  le  plateau.  La  variole  s'y  étendit 
alors  avec  une  telle  rapidité  qu'elle  l'avait  envahi  tout  entier  en  moins  de  trois  mois. 


412  CONQUÊTE 

taient  plus  accueillis,  comme  les  jours  précédents,  par  des  cris  et 
des  vociférations  ;  les  habitants  paraissaient  au  contraire  fort  pacifi- 
ques. Nous  nous  réjouîmes  tous  de  cette  bonne  nouvelle,  et  Gortès 
donna  l'ordre  de  faire  halte,  jusqu'à  ce  qu'arrivèrent  sept  Indiens  de 
distinction,  natifs  de  Tezcuco,  précédés  d'un  drapeau  d'or  au  bout 
d'une  longue  lance.  En  s'approchant  de  nous,  ils  abaissèrent  ce  dra- 
peau et  se  courbèrent  eux-mêmes  en  signe  de  paix.  Quand  ils  furent 
tout  à  fait  en  présence  de  notre  chef,  qui  avait  à  ses  côtés  dona  Ma- 
rina et  Greronimo  de  Aguilar,  ils  lui  dirent  :  «  Malinche,  Gocovaizin, 
notre  seigneur,  roi  de  Tezcuco,  t'envoie  offrir  son  amitié,  et  il  t'at- 
tend pacifiquement  dans  sa  capitale;  en  témoignagne  de  quoi  il  te 
prie  d'accepter  ce  drapeau  d'or.  Il  te  supplie  en  grâce  d'ordonner  à 
tous  les  Tlascaltèques  et  à  tes  frères  qu'ils  ne  fassent  aucun  mal 
dans  ce  pays  et  que  tu  veuilles  bien  transporter  tes  quartiers  dans  la 
ville,  où  il  te  sera  donné  tout  ce  dont  tu  auras  besoin.  »  Ils  ajoute- 
rent  au  surplus  que  les  bataillons  qui  se  trouvaient  postés  dans  les 
ravins  obstruant  les  mauvais  passages  n'étaient  nullement  composés 
de  Tezcucans ,  mais  de  Mexicains  envoyés  par  Guatemuz. 

Gortès,  en  apprenant  ces  bonnes  dispositions,  s'en  réjouit  avec  nous 
tous.  Il  embrassa  les  messagers,  surtout  trois  d'entre  eux  qui  étaient 
parents  du  bon  Montezuma,  et  que  pour  la  plupart  nous  avions  con- 
nus lorsqu'ils  étaient  capitaines  de  ce  monarque.  Après  avoir  ainsi 
fait  bon  accueil  aux  ambassadeurs,  Gortès  manda  les  capitaines  tlas- 
caltèques et,  s'adressant  à  eux  très-affectueusement,  il  leur  ordonna 
de  ne  faire  aucun  mal  et  de  ne  rien  prendre  aux  habitants  du  pays, 
puisqu'ils  se  conduisaient  pacifiquement.  Ils  respectèrent  cet  ordre, 
qui  n'allait  pas,  du  reste,  jusqu'à  défendre  qu'on  s'emparât  de  ce  qui 
était  nécessaire  à  la  subsistance,  c'est-à-dire  du  maïs,  des  haricots  et 
même  des  poules  et  des  petits  chiens  dont  les  maisons  étaient  rem- 
plies. Ensuite,  Gortès  tint  conseil  avec  ses  officiers,  et  tous  sans  ex- 
ception pensèrent  que  cette  manière  de  demander  la  paix  indiquait 
quelque  feinte,  attendu  que,  si  la  démarche  eût  été  sincère,  on  se  se- 
rait présenté  en  apportant  des  vivres  et  avec  un  peu  moins  de  préci- 
pitation. Néanmoins,  Gortès  reçut  le  drapeau,  qui  était  d'une  valeur 
d'environ  quatre-vingts  piastres;  il  rendit  grâces  aux  messagers, 
ajoutant  que  nous  n'avions  point  l'habitude  de  maltraiter  les  sujets  de 
Sa  Majesté;  que,  bien  au  contraire,  nous  prenions  soin  de  favoriser 
tous  leurs  intérêts,  et  que,  s'ils  étaient  fidèles  à  leurs  promesses, 
nous  les  protégerions  contre  les  Mexicains.  Notre  chef  ajoutait  qu'il 
avait  déjà  donné  des  ordres  pour  que  les  Tlascaltèques  ne  fissent  au- 
cun tort  aux  habitants  du  pays,  qu'on  avait  pu  voir  leur  complète 
soumission  à  cet  égard,  et  qu'à  l'avenir  ils  se  conduiraient  toujours 
ainsi;  du  reste,  Gortès  n'ignorait  pas  que  dans  cette  ville  on  avait 
tué   environ  quarante  Espagnols,  nos  frères,  ainsi  que  deux  cents 


DE  LA  NOUVELLE-ESPAGNE.  413 

Tlascaltèques,  lorsque  nous  sortîmes  de  Mexico;  on  avait  ajouté  à  ce 
crime  Je  vol  de  plusieurs  charges  d'or  et  d'autres  dépouilles  des  mal- 
heureux assassinés;  il  priait  donc  leur  seigneur  Gocovaizin  et  tous  les 
capitaines  et  caciques  de  Tezcuco  de  rendre  l'or  et  les  vêtements, 
promettant  d'oublier  la  mort  de  ses  compatriotes,  puisque  le  mal 
était  sans  remède. 

Les  messagers  répondirent  qu'ils  diraient  tout  cela  à  leur  seigneur, 
ainsi  que  Gortès  leur  en  donnait  l'ordre;  mais  que  celui  qui  fit  tuer 
les  Espagnols  et  prit  leurs  dépouilles,  ce  fut  Goadlavaca,  que  l'on 
éleva  au  pouvoir,  à  Mexico,  après  la  mort  deMontezuma;  que  la  plu- 
part des  teules  furent  emmenés  dans  cette  capitale,  où  on  les  sacrifia 
à  Huichilobos.  Gortès,  ayant  reçu  cette  réponse,  mais  ne  voulant  ni 
les  contrarier  ni  leur  inspirer  la  moindre  crainte,  crut  convenable  de 
se  taire  et  de  les  renvoyer  simplement  avec  des  souhaits,  en  gardant 
l'un  d'eux  près  de  nous. 

Nous  nous  mîmes  en  route  immédiatement  et  nous  rendîmes  à  un 
faubourg  de  Tezcuco  nommé  G-uautinchan  ou  Huaxutlan,  je  ne  me 
rappelle  pas  bien.  On  nous  y  donna  bien  à  manger  et  tout  ce  qui 
nous  était  nécessaire;  je  dois  même  dire  que  nous  détruisîmes  cer- 
taines idoles  qui  se  trouvaient  dans  les  appartements  où  nous  logeâ- 
mes. Le  lendemain  de  bonne  heure,  nous  entrâmes  dans  la  ville  de 
Tezcuco.  Dans  les  rues,  dans  les  maisons,  nous  n'apercevions  ni 
femmes,  ni  enfants,  mais  uniquement  des  Indiens  ombrageux  et  hos- 
tiles. Nous  nous  établîmes  dans  des  logements  en  forme  de  grandes 
salles,  où  Gortès  réunit  tous  nos  capitaines  et  la  plupart  de  nos  sol- 
dats, pour  nous  recommander  de  ne  point  sortir  des  vastes  cours  qui 
se  trouvaient  là  et  de  nous  bien  tenir  sur  nos  gardes  jusqu'à  ce  qu'on 
sût  quels  sentiments  animaient  la  ville,  qui  pour  à  présent  ne  lui 
paraissait  pas  bien  pacifique.  Il  ordonna  à  Pedro  de  Alvarado,  à 
Ghristoval  de  Oli  et  à  des  soldats,  dont  je  faisais  partie,  de  monter 
au  grand  temple,  qui  était  très-élevé,  en  nous  protégeant  par  l'es- 
corte de  vingt  escopettiers.  Nous  devions,  de  là,  porter  nos  regards 
sur  la  lagune  et  sur  la  ville,  qui  en  effet  nous  apparaissait  tout  en- 
tière. Nous  pûmes  alors  nous  assurer  que  les  habitants  des  villages 
prenaient  la  fuite  avec  leurs  biens  transportables,  leurs  enfants  et 
leurs  femmes,  les  uns  vers  la  montagne,  les  autres  vers  les  glaïeuls 
qui  encombraient  une  partie  de  la  lagune.  Du  reste  les  eaux  étaient 
partout  convertes  d'embarcations  grandes  et  petites. 

Gortès,  ayantappris  tout  cela,  voulut  faire  arrêter  le  seigneur  de  Tez- 
cuco qui  lui  avait  fait  offrir  le  drapeau  d'or;  mais,  lorsque  les  papes 
que  Gortès  envoya  pour  messagers  furent  l'appeler,  on  s'aperçut  qu'il 
s'était  déjà  mis  en  sûreté,  ayant  été  le  premier  à  se  réfugiera  Mexico, 
accompagné  d'un  grand  nombre  de  dignitaires.  Nous  passâmes  donc 
la  nuit  suivante  en  prenant  le  plus  grand  soin  de  nous  protéger  par 


414  CONQUÊTE 

des  rondes  et  des  éclaireurs.  Le  jour  venu,  de  bonne  heure,  Cortès 
fit  appeler  les  Indiens  principaux  de  Tezcuco,  parce  que,  en  sa  qua- 
lité de  grande  capitale,  la  ville  renfermait  plusieurs  caciques  et  sei- 
gneurs  contraires  au  prince  qui  avait  pris  la  fuite,  avec  lequel  ils 
avaient  eu  des  démêlés  et  des  désaccords  en  ce  qui  touchait  le   gou- 
vernement de  la  ville.  Quand  ils  furent  en  présence  de  Gortès  qui 
leur  demandait  quand  et  comment  Gocovaizin  avait  commencé  à  gou- 
verner, ils  répondirent  que  l'envie  du  commandement  l'avait  poussé  à 
faire  périr  son  frère  aîné,  nommé  Cuxcuxca,  et  qu'il  avait  été  aidé 
dans  la  perpétration  de  cette  action  criminelle  par  Coadlavaca,  grand 
seigneur  de  Mexico,  celui-là  même  qui  nous  fit  la  guerre  et  nous 
chassa  de  sa  capitale  après  la  mort  de  Montezuma;  que  du  reste  il  y 
avait  d'autres  princes  ayant  plus  de  droits  au  trône  de  Tezcuco,  et, 
entre  autres,  un  jeune  homme  qui  en  ce  temps-là  se  fit  solennelle- 
ment chrétien,  reçut  le  baptême  des  mains  du  Père  de  la  Merced  ,et 
s'appela  Fernand  Gortès  parce  que  notre  chef  fut  son  parrain.   On 
nous   rapporta   que  ce  jeune  prince  était  le  fils  légitime  du  roi  et 
seigneur  de  Tezcuco  appelé  Nezabal  Pintzintli. 

Quoi  qu'il  en  soit,  sans  perdre  de  temps,  on  organisa  de  grandes 
fêtes  dans  la  ville  entière,  et  on  le  proclama  roi  et  seigneur  légitime, 
en  y  procédant  par  les  cérémonies  qui  étaient  pratiquées  chez  les  Tez- 
cucans  en  pareilles  circonstances.  Gela  se  fit  très-pacifiquement  et 
au  milieu  des  témoignages  les  plus  affectueux  de  la  part  de  ses  sujets 
de  la  ville  et  des  peuplades  voisines.  Il  gouvernait  d'une  ma,nière 
absolue  et  il  était  partout  obéi.  Au  surplus,  pour  le  mieux  éclairer 
touchant  notre  sainte  foi,  polir  ses  manières  et  lui  enseigner  notre 
langue,  Gortès  ordonna  qu'il  eût  pour  mentors  Antonio  de  Villareal, 
qui  fut  le  mari  d'une  belle  personne  nommée  Isabel  de  Ojeda,  et  un 
certain  bachelier  appelé  Escobar.  Pour  empêcher  qu'aucun  Mexicain 
entrât  en  arrangement  avec  le  nouveau  roi, il  nomma  commandant  de 
Tezcuco  un  bon  soldat  du  nom  de  Pedro  Sanchez  Farfan,  époux  de 
la  bonne  et  honorable  dame  Maria  de  Estrada. 

Cessons  de  nous  entretenir  de  la  manière  dont  fut  organisé  le  ser- 
vice de  ce  cacique,  et  disons  combien  il  fut  aimé  et  obéi  par  ses  su- 
jets. Ajoutons  que  Gortès  le  pria  de  lui  fournir  un  certain  nombre  de 
travailleurs  indiens  pour  creuser  et  élargir  les  canaux  par  où  les  bri- 
gantins  devaient  arriver  à  la  lagune  aussitôt  qu'ils  seraient  achevés 
et  capables  de  mettre  à  la  voile.  On  fit  comprendre  au  roi  et  à  ses 
principaux  dignitaires  quel  était  le  but  qu'on  se  proposait  d'atteindre 
avec  ces  navires  et  de  quelle  manière  nous  devions  investir  Mexico. 
Le  prince  ne  se  mit  pas  seulement  à  notre  disposition  avec  ses  vas- 
saux de  la  ville,  mais  encore  il  promit  d'envoyer  des  messagers  aux 
peuplades  environnantes  pour  les  décider  à  se  déclarer  sujettes  de  Sa 
Majesté  et  à  contracter  alliance  avec  nous  contre  les  Mexicains.  Gela 


DE  LA  NOUVELLE-ESPAGNE.  415 

étant  ainsi  convenu,  on  mit  le  plus  grand  soin  à  nous  bien  loger. 
Chaque  capitainerie  reçut  ses  quartiers  et  prit  les  instructions  pour 
le  lieu  où  l'on  devait  accourir  si  les  Mexicains  se  présentaient.  Nous 
faisions  en  effet  bonne  garde  au  bord  de  la  lagune,  parce  que  Guatc- 
muz  envoyait  de  temps  en  temps  de  grandes  pirogues  et  d'autres  em- 
barcations montées  par  de  nombreux  guerriers  qui  venaient  essayer 
de  nous  surprendre. 

En  ce  même  temps,  certains  villages  dépendant  de  Tezcuco  envoyè- 
rent demander  paix  et  pardon  pour  les  erreurs  commises  dans  les 
guerres  précédentes  et  pour  la  part  qu'ils  avaient  prise  à  la  mort  de 
plusieurs  Espagnols.  C'étaient  les  habitants  du  district  de  G-uautin- 
chan.  Cortès  leur  parla  très-affectueusement  et  s'empressa  de  leur 
pardonner.  Disons  aussi  que  pas  un  jour  ne  se  passait  sans  que  sept 
ou  huit  mille  Indiens  travaillassent  au  canal.  Ils  le  creusaient  et 
l'élargissaient  au  point  qu'on  aurait  pu  y  naviguer  avec  des  navires 
de  grand  tonnage.  D'autre  part,  voyant  qu'en  notre  compagnie  se 
trouvaient  sept  mille  Tlascaltèques  désireux  de  gagner  de  l'honneur 
en  guerroyant  contre  les  Mexicains,  Cortès  voulut  mettre  à  profit 
cette  fidélité  et  marcher  contre  une  ville  appelée  Iztapalapa,  par  où 
nous  avions  passé  la  première  fois  que  nous  fûmes  à  Mexico.  C'était 
précisément  le  grand  cacique  de  cette  ville  qu'on  avait  élu  roi  après 
la  mort  de  Montezuma,  sous  le  nom  de  Coadlavaca.  Nous  subissions 
les  plus  grands  dommages  de  la  part  de  ses  habitants  qui  s'obsti- 
naient à  contrarier  les  desseins  de  Chalco,  Talmanalco,  Mecameca  et 
Ghimaloacan,  tous  fort  désireux  de  s'allier  avec  nous.  Comme  au  sur- 
plus nous  étions  depuis  douze  jours  à  Tezcuco  sans  rien  entreprendre 
qui  mérite  d'être  conté,  nous  exécutâmes  notre  entreprise  contre  Izta- 
palapa. 


CHAPITRE  GXXXVIII 


Comme  quoi  nous  fûmes  à  Iztapalapa  avec  Cortès,  qui  emmenait  avec  lui  Christoval 
de  OH  et  Pedro  de  Alvarado,  laissant  Gonzalo  de  Sandoval  pour  garder  Tezcuco.  De 
ce  qui  nous  advint  dans  l'attaque  de  ce  village. 

J'ai  donc  dit  que  nous  étions  à  Tezcuco  depuis  douze  jours  et  que 
nous  avions  les  Tlascaltèques  avec  nous.  Or  il  fallait  se  procurer  des 
vivres,  et  notre  nombre  était  si  considérable  que  les  habitants  de 
Tezcuco  n'y  pouvaient  suffire.  Il  importait  cependant  qu'ils  n'eussent 
pas  à  en  souffrir.  Comme  d'ailleurs  les  Tlascaltèques  étaient  désireux 
de  se  mesurer  avec  les  Mexicains  et  de  venger  le  grand  nombre  des 
leurs  qui  avaient  été  tués  et  sacrifiés  dans  les  dernières  déroutes, 
Cortès  décida  que,  gardant  lui-même  le  commandement,  il  prendrait 


416  CONQUÊTE 

avec  lui  Pedro  de  Alvarado,  Christoval  de  Oli,  treize  cavaliers,  vingt 
arbalétriers,  six  escopettiers,  deux  cent  vingt  soldats,  tous  les  Tlas- 
caltèques  et  vingt  dignitaires  de  Tezcuco,  que  nous  donna  le  roi  don 
Fernando  ;  ils  étaient  parents  de  celui-ci  et  en  même  temps  ennemis 
de  (juatemuz.  Il  fut  donc  arrêté  que  nous  prendrions  ainsi  la  route 
d'Iztapalapa  et  marcherions  sur  cette  ville,  située  à  quatre  lieues  de 
Tezcuco.  J'ai  déjà  dit,  dans  le  chapitre  qui  en  a  traité,  que  ses  mai- 
sons étaient  édifiées  moitié  dans  l'eau  et  moitié  en  terre  ferme. 

Nous  avançâmes  en  bon  ordre,  ainsi  que  nous  en  avions  l'habi- 
tude. Mais  de  leur  côté,  les  Mexicains,  sachant  notre  coutume 
d'attaquer  différentes  peuplades  pour  leur  faire  ensuite  accepter  nos 
secours,  prenaient  soin  de  se  ménager  contre  nous  de  bonnes  trou- 
pes, des  éclaireurs  et  des  noyaux  de  garnisons.  Aussi  s'empressè- 
rent-ils de  faire  savoir  aux  habitants  d'Iztapalapa  ce  qui  les  menaçait, 
afin  qu'ils  prissent  leurs  mesures,  et  ils  leur  envoyèrent  un  secours 
d'environ  huit  mille  hommes.  Il  en  résulta  que,  en  bons  guerriers, 
les  auxiliaires  mexicains  et  les  soldats  du  district  d'Iztapalapa  nous 
attendirent  en  terre  ferme  et  soutinrent  un  bon  moment,  avec  grande 
valeur,  le  combat  contre  nous.  Mais  lorsque  nos  cavaliers  les  chargè- 
rent et  qu'ils  reçurent  le  choc  de  nos  arbalétriers  et  de  nos  escopet- 
tiers,  tandis  que  nos  amis  les  Tlascaltèques  pénétraient  dans  leurs 
rangs  comme  des  chiens  enragés,  nos  adversaires  abandonnèrent 
tout  à  coup  leurs  positions  et  rentrèrent  dans  la  ville.  Cette  retraite 
était  préméditée.  Ce  ne  fut  qu'une  ruse  combinée  par  nos  ennemis  et 
dont  les  suites  auraient  pu  nous  coûter  cher  si  nous  ne  nous  fussions 
empressés  de  sortir  de  la  ville  où  nous  étions  entrés. 

Voici  en  effet  ce  qui  arriva.  Ils  simulèrent  une  fuite;  mais  ils  ga- 
gnèrent en  canots  la  lagune,  les  maisons  bâties  dans  l'eau  et  les 
massifs  de  plantes  aquatiques.  Gomme  d'ailleurs  il  était  nuit,  ils 
nous  laissèrent  prendre  nos  logements  en  terre  ferme  sans  faire  au- 
cun bruit  et  sans  opposer  de  résistance.  De  notre  côté,  satisfaits  du 
butin  que  nous  avions  pris,  de  la  victoire  que  nous  venions  de  ga- 
gner, nous  nous  livrions  tranquillement  à  la  joie.  Gela  ne  nous  em- 
pêchait pas  d'avoir  nos  veilleurs,  nos  rondes,  et  même  nos  coureurs 
en  terre  ferme  ;  mais  ce  à  quoi  nous  ne  nous  attendions  nullement, 
c'est  qu'une  telle  quantité  d'eau  se  précipita  tout  à  coup  sur  la  vil- 
le, que  si  les  dignitaires  de  Tezcuco  dont  nous  étions  accompagnés 
n'avaient  poussé  des  cris  pour  nous  avertir  de  prendre  la  fuite  au 
plus  tôt,  nous  aurions  certainement  tous  été  noyés.  Gela  provenait  de 
ce  que  nos  ennemis  pratiquèrent  des  tranchées  à  travers  la  chaussée 
et  dirigèrent  ainsi  sur  nous  les  eaux  de  deux  grandes  acequias.  Nos 
pauvres  amis  les  Tlascaltèques  n'avaient  pas  l'habitude  des  grandes 
rivières  et  ne  savaient  point  nager;  aussi  deux  d'entre  eux  périrent-ils 
en  cette  circonstance.  Quant  à  nous,  nous  courûmes  les  plus  grands 


DE  LA  NOUVELLE-ESPAGNE.  417 

dangers  pour  nos  vies;  bien  trempés  du  reste  et  perdant  toutes  nos 
poudres,  nous  sortîmes  de  là  sans  nul  bagage  et  passâmes  une  fort 
mauvaise  nuit,  transis  de  froid  et  sans  souper.  Le  pire  de  tout  fut 
que  nos  ennemis,  les  gens  d'Iztapalapa  et  les  Mexicains,  en  sûreté 
dans  leurs  maisons  et  sur  leurs  embarcations,  remplissaient  l'air  de 
leurs  cris  de  joie  et  de  moquerie. 

Mais  l'affaire  allait  devenir  pour  nous  bien  plus  triste  encore;  on 
savait  en  effet  à  Mexico  le  dessein  qu'on  avait  formé  de  nous  noyer 
en  jetant  sur  nous  l'eau  des  acequias  à  travers  la  chaussée.  Aussi 
envoya-t-on  plusieurs  bataillons  pour  nous  attendre  à  terre  et  sur  la 
lagune.  Ces  gens-là,  lorsque  le  jour  parut,  nous  attaquèrent  avec 
tant  de  furie  que  nous  eûmes  fort  à  faire  pour  résister  et  nous  épar- 
gner une  déroute.  Ils  nous  tuèrent  deux  soldats  et  un  cheval,  et  nous 
blessèrent  plusieurs  Espagnols  et  un  certain  nombre  de  Tlascaltè- 
ques.  Mais  bientôt  et  peu  à  peu  ils  lâchèrent  pied,  ce  qui  nous  per- 
mit de  revenir  à  Tezcuco,  à  moitié  couverts  de  honte  pour  la  moquerie 
dont  ils  nous  avaient  rendus  victimes  avec  leur  noyade.  Il  faut  dire 
aussi  que  nous  n'avions  pas  ajouté  grand'chose  à  notre  réputation 
dans  le  dernier  combat  qu'ils  nous  livrèrent,  car  il  ne  nous  restait 
plus  de  poudre.  Nos  ennemis  n'en  gardèrent  pas  moins  la  crainte 
que  nous  leur  inspirions;  ils  eurent  d'ailleurs  assez  à  faire  pour  en- 
terrer ou  brûler  leurs  morts,  panser  les  blessés  et  réparer  leurs  mai- 
sons. J'interromprai  là  ce  récit  pour  dire  comme  quoi  d'autres  peu- 
plades envoyèrent  à  Tezcuco  traiter  de  la  paix,  et  ce  que  nous  tîmes 
encore. 


CHAPITRE  CXXXIX 


Comme  quoi  trois  villages  des  confins  de  Tezcuco  envoyèrent  des  propositions  de 
paix,  demandant  pardon  pour  les  guerres  passées  et  pour  la  mort  des  Espagnols; 
des  excuses  qu'ils  présentèrent  à  cet  égard  ;  comme  quoi  Gonzalo  de  Sandoval  fut 
porter  secours  à  Chalco  et  à  Talmanalco  contre  les  Mexicains;  et  ce  qui  advint 
encore. 

Il  y  avait  deux  jours  que  nous  étions  revenus  à  Tezcuco,  après 
notre  attaque  d'Izlapalapa,  lorsque  des  envoyés  de  trois  villages  se 
présentèrent  à  Gortès,  demandant  pardon  pour  des  faits  de  guerre  et 
pour  leur  participation  à  la  mort  des  Espagnols.  Ils  s'en  excusaient 
du  reste  en  disant  que  leur  conduite  avait  été  motivée  par  l'ordre  de 
Goadlavaca,  l'élu  des  Mexicains  après  la  mort  de  Montezuma,  avec 
les  sujets  duquel  ils  s'étaient  vus  forcés  de  faire  campagne;  que  s'ils 
avaient  tué,  fait  prisonniers  ou  dépouillé  quelques  teules,  ce  n'avait 
été  que  pour  obéir  à  leur  roi;  que  du  reste  les  Mexicains  avaient 
emmené  tous  les  Espagnols  pour  les  sacrifier  dans  leur  capitale,  em- 

27 


418  CONQUÊTE 

portant  aussi  l'or,  les  dépouilles  et  les  chevaux;  que,  ne  se  considé- 
rant pas  comme  coupables,  puisqu'ils  avaient  dû  obéir  contraints  par 
la  force,  ils  espéraient  obtenir  le  pardon  du  passé.  Les  villages  qui 
envoyaient  ces  émissaires  étaient  Tepetszcuco  et  Otumba.  Je  ne  me 
rappelle  pas   le  nom  du  troisième  ;  mais  ce  que  je  n'ai  pas  oublié, 
c'est  que  ce  fut  à  Otumba  qu'eut  lieu  la  fameuse  bataille  qu'on  nous 
livra  lorsque  nous  sortîmes  de  Mexico  en  fuyards.  Là  se  réunirent  le 
plus  grand  nombre  de  bataillons  de  guerriers  qu'on  ait  vus  s'armer  contre 
nous  dans  la  Nouvelle-Espagne  ;  c'est  là  que  nos  ennemis  avaient  cru 
qu'aucun  de  nous  n'échapperait  vivant,  ainsi  que  je  l'ai  dit  plus  lon- 
guement dans  les  chapitres  qui  en  ont  traité.  Gomme  ces  villages  se 
sentaient  coupables  et  venaient  de  voir  que  les  habitants  d'Iztapalapa 
avaient  été  fort  maltraités  dans  notre  attaque,  malgré  leurs  tentatives 
pour  nous  noyer  et  leurs  deux  batailles  à  l'aide  des  Mexicains  auxi- 
liaires, ne  voulant  pas  d'ailleurs   se  trouver  dans  de  nouvelles  ren- 
contres semblables  aux  antérieures,  ils  firent  demander  la  paix  avant 
que  l'idée  nous  vînt  de  marcher  contre  eux  dans  le  but  de  les  châtier . 
Gortès,  voyant  bien  qu'il  n'était  pas  temps  de  faire  autre  chose,  s'em- 
pressa de  leur  pardonner  ;  mais  ce  ne  fut  pas  sans  leur  adresser  de 
vifs  reproches  au  sujet  de  leur  conduite.  Ils  s'engagèrent  du  reste  à 
demeurer  toujours  ennemis  des  Mexicains,  jurant  vasselage  à  Sa  Ma- 
jesté et  promettant  de  nous  servir,  comme  d'ailleurs  ils  le  firent  fort 
bien. 

Outre  ces  trois  peuplades,  dont  nous  ne  parlerons  plus,  j'ai  à 
dire  qu'un  autre  village,  qui  se  trouve  dans  la  lagune  et  porte  le  nom 
de  Mezquique,  —  nous  l'appelions  aussi  Venenzuela,  —  envoya  des 
émissaires  pour  faire  la  paix  et  demander  notre  alliance.  C'étaient  des 
gens  qui  ne  s'entendaient  jamais  avec  les  Mexicains,  contre  lesquels 
ils  professèrent  toujours  des  sentiments  d'animosité.  Gortès  et  nous 
tous  attachâmes  beaucoup  d'importance  à  la  démarche  faite  par  ce 
village,  en  considérant  qu'ainsi  nous  aurions  un  allié  dans  l'intérieur 
même  de  la  lagune  et  qu'il  nous  servirait  à  attirer  les  autres  peuplades 
qui  l'entouraient.  Gortès  leur  en  témoigna  de  la  gratitude,  leur  fit 
des  offres  de  service  et  leur  donna  congé  dans  les  termes  les  plus 
llatteurs.  Nous  en  étions  là,  lorsqu'on  vint  dire  au  général  que  de 
nombreux  bataillons  de  Mexicains  étaient  en  marche  contre  les  quatre 
villages  qui  avaient  été  les  premiers  à  accepter  notre  amitié.  C'étaient 
Guautinchan,  Huaxutlan  et  deux  autres  dont  je  ne  me  rappelle  pas 
les  noms.  Les  habitants  faisaient  savoir  qu'ils  n'osaient  point  attendre 
l'attaque  dans  leurs  maisons  et  qu'ils  étaient  disposés  à  s'enfuir  dans 
les  bois  ou  à  se  réfugier  à  Tezcuco  où  nous  étions.  Tant  ils  dirent  à 
Gortès  pour  l'engager  à  les  secourir,  qu'il  se  résolut  à  préparer  vingt 
cavaliers,  deux  cents  soldats,  treize  arbalétriers  et  dix  escopettiers.  Il 
s'adjoignit  Pedro  de  Alvarado  et  Christoval   de  Oli,  qui  était  mestre 


DE  LA  NOUVELLE-ESPAGNE.  419 

de  camp,  et  nous  partîmes  vers   les  villages   en  détresse,   situés   à 
environ  deux  lieues  de  Tezcuco. 

Il  était  en  effet   certain   que  les  Mexicains  en  avaient    menacé  les 
habitants  de  porter  chez  eux  la  guerre  et  de  détruire  leurs  demeures, 
parce  qu'ils  s'étaient  offerts  à  être  nos  alliés,  et  aussi  parce  qu'ils 
étaient  en  désaccord  avec  Mexico,  à  propos  de  terrains  semés  de  maïs, 
qui  était  prêt  à  être  récolté  et  dont  les  Tezcucans  et  les  habitants  de 
ces  villages  approvisionnaient  nos  quartiers.  Les  Mexicains,  de   leur 
côté,  prétendaient  s'emparer  du  maïs,  affirmant  qu'il  leur  appartenait 
et  que  ces  mêmes  villages  avaient  toujours  eu  la  coutume  d'ensemen- 
cer ces  terrains  et  d'en  réserver  la  récolte  pour  les  papes  des  idoles  de 
Mexico.  Ces  prétentions  opposées  avaient  déjà  causé  entre  eux  beau- 
coup de  morts  d'hommes.  Gortès,  s'étant  fait  tout   expliquer,  profita 
de  notre  expédition  pour  exhorter  nos  alliés  à  bannir  toute  crainte  et 
à  rester  dans  leurs  maisons,  promettant  que,   lorsqu'ils  auraient   à 
faire  la  récolte  de  leur  maïs,  tant  pour  leur'usage  que  pour  les  besoins 
de  nos  quartiers,  il  enverrait  un  de  nos  capitaines  avec  des  cavaliers 
et    des  soldats  pour  protéger  les  travailleurs.  Ces  paroles  de  notre 
chef  suffirent  à  les  tranquilliser,  et  nous  revînmes  à  Tezcuco.  Depuis 
lors,  quand  nous  avions  besoin  de  maïs,  nous  avertissions  les  por- 
teurs de  tous  ces  villages,  et  nous  allions  faire  notre  provision  à  l'aide 
de  nos  alliés   de  Tlascala,  de  dix  cavaliers,  cent  soldats  et  quelques 
arbalétriers  ou  gens  d'escopette.  Je  puis  d'autant  mieux  raconter  tout 
cela,  que  j'y  fus  moi-même  deux  fois,  et,  Tune  d'elles,  nous  eûmes 
une  rencontre  avec  de  gros  bataillons  mexicains  qui  étaient  arrivés 
dans  plus  de  mille  canots  et  nous  attendaient,   embusqués  dans  les 
plantations  de  maïs.  Gomme  nous  avions  de  bons  auxiliaires,  quoique 
nos  ennemis  se  battissent  très-bien,  nous  réussîmes  à  les  faire  rem- 
barquer. Ils  tuèrent  un  de  nos.  soldats  ;  nous  eûmes  douze  des  nôtres 
blessés  et  un  beaucoup  plus  grand  nombre  parmi  les  Tlascaltèques. 
Les  Mexicains  ne  s'en  retournèrent  pas  triomphants  :  quinze  ou  vingt 
d'entre  eux  restèrent  en  effet  morts  sur  le  carreau  et  nous  emmenâmes 
cinq  prisonniers. 

Pour  changer,  je  dirai  que  bientôt  nous  eûmes  la  nouvelle  que  les 
habitants  de  Ghalco,  de  Talmanalco  et  d'autres  villages  qui  en  dé- 
pendaient, désiraient  s'allier  avec  nous  et  qu'ils  en  étaient  empêchés 
pa1*  les  Mexicains  qui  tenaient  garnison  chez  eux  et  leur  causaient  les 
plus  grands  dommages,  s'emparant  même  de  leurs  femmes,  surtout 
quand  elles  étaient  belles,  et  leur  faisant  subir  les  derniers  outrages 
sous  les  yeux  de  leurs  pères,  de  leurs  mères  et  de  leurs  maris.  Au 
surplus,  le  bois  était  déjà  coupé  à  Tlascala  et  préparé  pour  la  con- 
struction des  brigantins;  mais  le  temps  se  passait  sans  qu'il  fût 
possible  de  l'amener  à  Tezcuco,  ce  qui  nous  causait  à  tous  le  plus 
grand  regret.  En  outre,  on  vint  du  village  de  Venenzuela ,  appelé 


420  CONQUÊTE 

aussi  Mezquique,  ainsi  que  d'autres  peuplades  alliées,  dire  à  Cortès 
que  les  Mexicains  les  harcelaient  sans  cesse  pour  les  punir  d'avoir 
l'ait  alliance  avec  nous.  De  leur  côté  les  Tlascaitèques,  du  moins  quel- 
ques-uns d'entre  eux  qui  s'étaient  fait  un  butin  en  vêtements,  sel, 
or  et  autres  dépouilles,  auraient  bien  voulu  retourner  dans  leur  pays; 
mais  ils  n'osaient  l'entreprendre  à  cause  de  l'insécurité  des  chemins. 
Cortès  vit  bien  qu'il  lui  serait  impossible  d'envoyer  à  la  fois  des  se- 
cours aux  villages  qui  les  demandaient,  et  un  appui  à  Chalco  pour 
que  cette  ville  pût  se  déclarer  ouvertement  en  notre  faveur;  car  en 
même  temps,  à  Tezcuco  ,  nous  étions  dans  la  nécessité  d'avoir  sans 
cesse  l'oreille  au  guet  et  de  nous  tenir  sur  le  qui-vive.  Il  se  résolut 
donc  à  tout  abandonner  pour  le  moment,  afin  de  ne  penser  qu'à 
Chalco  et  à  Talmanalco,  où  il  envoya  Gonzalo  de  Sandoval  et  Fran- 
cisco de  Lugo  avec  quinze  cavaliers,  deux  cents  fantassins,  des  arba- 
létriers et  des  gens  d'escopette,  accompagnés  de  nos  alliés  de  Tlas- 
cala.  Ils  devaient  d'abord,  à  Chalco,  faire  en  sorte  de  mettre  en 
déroute  la  garnison  mexicaine,  n'importe  par  quels  moyens,  et  se 
rendre  de  là  à  Talmanalco,  afin  que  la  route  de  Tlascala  fût  définiti- 
vement ouverte  et  qu'on  pût  aller  à  la  Villa  Rica  et  en  revenir  sans 
être  inquiété  en  route  par  les  troupes  mexicaines. 

Dès  que  cela  fut  résolu,  Cortès  en  fit  donner  secrètement  connais- 
sance aux  habitants  de  Chalco  par   des  messagers  tezeucans ,  afin 
qu'ils  se  tinssent  prêts  à  tomber,  soit  de  jour,  soit  de  nuit,  sur  la 
garnison  mexicaine.  Comme  les  gens  de  Chalco  ne  désiraient  pas 
autre  chose,  ils  prirent  soin  de  se  préparer  le  mieux  possible.  Conzalo 
de  Sandoval  crut  opportun  de  placer  à  l'arrière-garde,  en  avançant, 
cinq  cavaliers  et  autant  d'arbalétriers,  avec  la  plupart  des  Tlascaitè- 
ques porteurs  du  butin  qu'ils  avaient  acquis  dans  les  guerres.  Mais 
les  Mexicains,  qui  avaient  des  espions- partout ,  eurent  avis  de  notre 
ordre  de  marche   sur   Chalco;    aussi   prirent-ils   soin  de  s'assurer, 
outre  la  garnison  de  la  ville,  le  concours  d'autres  bataillons  qui  tom- 
bèrent sur  l'arrière-garde  où    se  trouvaient  les  Tlascaitèques  avec 
leur  butin  et  les  traitèrent  fort  mal,  sans  que  nos  arbalétriers  et  nos 
cavaliers  leur    pussent  être  d'aucun   secours,    car  deux   de  ceux-ci 
furent  tués  et  les  autres  blessés.  Sandoval  eut  beau  revenir  rapide- 
ment sur  l'ennemi  et  le  mettre  en  déroute  en  tuant  sept   Mexicains; 
il  n'en  résulta  pas  moins  que,  comme  la  lagune  était  près  de  là,  ils 
purent  remonter  dans  les  embarcations  qui  les  avaient  amenés  ;  car 
les  adhérents  mexicains  abondaient  dans  ce  district.  Après  les  avoir 
mis  en  fuite,  il  put  porter  son  attention  sur  ses  cavaliers,  ses  arbalé- 
triers et  ses  gens   d'escopette  placés  à   l'arrière-garde.  Il  vit  alors 
([lie  deux  arbalétriers  étaient  morts  et  que  tous  les  autres,  ainsi  que 
les  chevaux,  étaient   blessés.   Mais  il  ne  s'apitoya  pas  au  point  de 
manquer  de  dire  à  ceux  qui  restaient  qu'ils  avaient  fait  preuve  de 


DE  LA   NOUVELLE-ESPAGNE.  421 

faiblesse  en  résistant  si  mal  à  l'ennemi  et  en  défendant  si  peu  leurs 
propres  personnes  et  celles  de  nos  alliés.  Il  se  montra  très-courroucé 
contre  eux  ,  et  comme  ils  étaient  nouvellement  arrivés  de  Castille,  il 
sut  leur  dire  qu'on  voyait  bien  qu'ils  n'entendaient  rien  à  la  guerre. 

Après  cela  il  mit  en  sûreté  tous  les  Indiens  de  Tlascala  avec  leurs 
bagages  et  il  se  disposa  à  dépêcher  les  lettres  que  Cortès  envoyait  à 
la  Villa  Rica,  pour  informer  le  commandant  de  cette  place  de  tout  ce 
qui  concernait  nos  nouvelles  conquêtes  et  du  dessein  qu'on  avait 
formé  de  faire  le  siège  de  Mexico.  Cortès  lui  recommandait  de  se 
tenir  bien  soigneusement  sur  ses  gardes  et  de  lui  envoyer  quelques 
soldats,  s'il  en  avait  qui  fussent  assez  dispos  pour  porter  les  armes; 
ils  devraient  s'arrêter  à  Tlascala  et  ne  pas  passer  outre,  parce  qu'ils 
s'exposeraient  à  des  dangers  jusqu'à  ce  qu'on  eût  pu  mieux  assurer 
la  sécurité  des  routes.  Ces  messagers  étant  partis  et  les  Tlascaltèques 
retournés  dans  leur  pays,  Sandoval  revint  à  Chalco ,  qui  n'était  pas 
loin  de  là,  ayant  soin  de  se  protéger  par  ses  éclaireurs,  parce  qu'il 
n'ignorait  pas  que  les  villages  et  les  établissements  qu'il  était  obligé 
de  traverser  l'exposaient  à  des  rencontres  avec  l'ennemi. 

Il  était  déjà  arrivé  près  de  Chalco ,  lorsqu'il  vit  venir  à  lui  une 
troupe  nombreuse  de  Mexicains  qui,  l'abordant  en  rase  campagne 
sur  des  plantations  de  maïs  et  de  magueyes,  firent  pleuvoir  sur  lui 
une  grêle  de  pieux,  de  flèches  et  de  pierres  à  fronde,  et  se  jetèrent 
la  lance  au  poing  sur  les  cavaliers,  dans  le  but  de  tuer  leurs  che- 
vaux. Sandoval,  se  voyant  aux  prises  avec  une  si  grande  multitude 
de  guerriers,  anima  ses  hommes,  chargea  deux  fois  les  Mexicains  et, 
à  l'aide  du  peu  d'alliés  qui  lui  étaient  restés,  faisant  d'ailleurs  bon 
usage  de  ses  escopettes  et  de  ses  arbalètes,  il  les  mit  enfin  en  pleine 
déroute;  mais  il  eut  cinq  hommes,  six  chevaux  et  plusieurs  alliés 
blessés.  Quoi  qu'il  en  soit,  il  battit  l'ennemi  et  il  le  poursuivit  avec 
un  tel  entrain  qu'il  lui  fit  bien  payer  le  mal  que  tout  d'abord  il  en 
avait  reçu.  Les  habitants  de  Chalco,  qui  n'étaient  pas  loin,  ayant 
connu  la  nouvelle  de  sa  victoire,  vinrent  lui  faire  accueil  à  son  re- 
tour, sur  la  route,  le  fêtant  et  lui  prodiguant  les  plus  grands  hon- 
neurs. On  prit  dans  cette  bataille  huit  Mexicains,  dont  trois  étaient 
des  personnages  de  haute  distinction. 

Le  lendemain  de  cet  événement,  Sandoval  annonça  qu'il  voulait 
retournera  Tezcuco.  Les  gens  de  Chalco  prétendirent  l'accompagner, 
dans  le  but  de  parler  à  Malinche  et  d'amener  avec  eux  deux  fils  du 
cacique  de  cette  province,  qui  était  mort  peu  de  jours  auparavant  de 
la  petite  vérole  et  qui,  avant  de  mourir,  avait  recommandé  à  tous 
ses  dignitaires  et  aux  vieillards  d'aller  présenter  ses  enfants  à  notre 
capitaine  pour  qu'ils  fussent  reconnus  seigneurs  de  Chalco  par  son 
intervention.  Il  avait  ajouté  que  tous  ses  subordonnés  devaient  avoir 
soin  de  devenir  les  sujets  du  grand  Roi  des  teules,  attendu  que  leurs 


422  CONQUÊTE 

aïeux  avaient  prédit  que  leur  pays  serait  un  jour  commandé  par  des 
hommes  barbus  venus  d'où  le  soleil  se  lève,  et  que  tout  ce  qu'on 
avait  pu  voir  jusqu'alors  prouvait  que  nous  étions  ces  hommes-là. 
Sandoval  partit  donc  pour  Tezcuco  avec  toute  son  armée,  emmenant 
les  fils  du  défunt  cacique,  quelques  autres  dignitaires  et  les  huit 
prisonniers  mexicains. 

Lorsque  Gortès  apprit  son  retour,  il  en  éprouva  une  grande  joie. 
Sandoval  se  retira  à  son  logement  après  avoir  fait  à  son  chef  le  rap- 
port de  son  voyage  et  lui  avoir  expliqué  les  motifs  qui  faisaient  venir 
de  Ghalco  les  personnages  qui  le  suivaient.  Geux-ci  se  rendirent  du 
reste  auprès  de  Gortès.  Après  lui  avoir  présenté  leurs  humbles  res- 
pects, ils  lui  exprimèrent  le  désir  d'être  les  vassaux  de  Sa  Majesté, 
et  le  prièrent  de  confirmer  les  dignités  héréditaires  dans  les  per- 
sonnes de  ces  jeunes  hommes,  ainsi  que  leur  père  mourant  en  avait 
manifesté  la  volonté.  En  terminant  leur  allocution,  ils  lui  offrirent 
des  joyaux  d'or  pour  une  valeur  d'environ  deux  cents  piastres.  Gortès, 
ayant  tout  compris  par  l'entremise  de  dona  Marina  et  d'Aguilar,  té- 
moigna beaucoup  d'affection  aux  envoyés  et  les  embrassa.  Il  assigna 
la  seigneurie  de  Ghalco  au  frère  aîné,  avec  un  peu  plus  de  la  moitié 
des  peuplades  qui  en  dépendaient.  Talmanalco  et  Ghimaloacan,  avec 
Ayocingo  et  les  autres  villages  du  district,  devinrent  le  partage  du 
frère  cadet. 

Des  pourparlers  s'établirent  et  se  prolongèrent  entre  Gortès,  d'une 
part,  et  les  envoyés  ainsi  que  les  jeunes  caciques  nouvellement  élus, 
d'autre  part;    après  quoi  ceux-ci    témoignèrent  le   désir  de  repartir 
pour  leur  pays.   Ils  promirent  qu'ils  serviraient  Sa  Majesté  et  nous 
tous  en  son  royal  nom,  contre  les  Mexicains,  ajoutant  du  reste  qu'ils 
n'avaient  jamais  varié  dans  ces  sentiments  et  que  s'ils  n'étaient  pas 
venus  plus  tôt  jurer  obéissance,  c'est  qu'ils  en  avaient  été  empêchés 
par  les  garnisons  mexicaines  qui  occupaient  leurs  provinces.  Ils  rap- 
pelèrent aussi   à  Gortès  que,  deux  Espagnols  étant   allés  chez  eux 
chercher  du  maïs  avant  que  nous  eussions  été  chassés  de  Mexico,  ils 
avaient  pris  soin  de  leur  donner  un  sûr  asile  à  Guaxocingo,  où  ils 
eurent  la  chance  d'arracher  leurs  vies  aux  Mexicains  qui  les  vou- 
laient faire  périr.  Cette  action  nous  était  du  reste  connue  depuis  quel- 
ques jours,  l'un  de  ces  Espagnols  s'étant   rendu  antérieurement   à 
Tlascala.  Gortès  témoigna  à  ces  Indiens  beaucoup  de  reconnaissance 
et  il  les  pria  d'attendre  encore  deux  jours  parce  qu'il  devait  envoyer 
à  la  recherche  du  bois  et  des  planches  un  de  ses  capitaines  qui  les 
emmènerait  avec   lui  et  les  laisserait  en  passant  dans  leur  pays, 
évitant  ainsi  que  les  Mexicains  leur  causassent  du  dommage  en  route. 
Gela  les  rendit   fort   contents    et  ils  en    témoignèrent  leur    recon- 
naissance. 

Laissant  maintenance  sujet,  je  dirai  que  Gortès  envoya  à  Mexico 


DE  LA  NOUVELLE-ESPAGNE.  423 

les  huit  prisonniers  dont  Sandoval  s'était  emparé  dans  le  combat  de 
Ghalco.   Ils  devaient  aller  dire  à   Guatemuz,   nouvellement  élu  roi, 
cfue  notre  général  avait  le  plus  vif  désir  que  lui  et  ses  Mexicains  ne 
devinssent  pas  la  cause  de  leur  propre  ruine  et  de  celle  de  leur  capi- 
tale; qu'il  le  priait,  en  conséquence,  de  se  soumettre  à  la  paix  en 
recevant  la  promesse  qu'on  leur  pardonnerait  les  morts  et  les  dom- 
mages qu'ils  nous  avaient  fait  souffrir  et  pour  lesquels  on  n'exigerait 
d'eux  aucune  réparation  ;   que  si  la  guerre  leur  avait  valu  quelques 
succès  dans  le  principe,  ils  ne  pouvaient  manquer  d'y  trouver  à  la 
fin  leur  perte  assurée  ;   que  nous   n'ignorions  pas  leurs   immenses 
préparatifs  en  palissades,  munitions,   magasins  de  pieux  et  de  flè- 
ches, lances ,  casse-tête,  pierres  à  frondes  et  toutes  sortes  de  provi- 
sions de  guerre  dont  ils  ne  cessaient  de  s'occuper.  Pourquoi  perdre  la 
temps  dans  ces  préparatifs  ?  Gruatemuz   veut-il  donc  que   tous   les 
siens  périssent  et  que  la  ville  soit  détruite?  Qu'il  veuille  bien  songer 
au  grand  pouvoir  de  Notre  Seigneur  Dieu,  en  qui  nous  croyons,  que 
nous  adorons  et  qui  vient  sans  cesse  à  notre  aide  ;   qu'il   considère 
que  toutes  les  peuplades  qui  l'entourent  embrassent  notre  cause,  et 
que  les  Tlascaltèques ,  entre  autres,   ne  désirent  que  guerre,   pour 
avoir  l'occasion  de  se  venger  des  massacres  et  trahisons  doni  ils  ont 
été  victimes  de  la  part  des  Guluans;  que  les  Mexicains  mettent  bas 
les  armes ,  par  conséquent,   et  qu'ils  acceptent  la  paix ,   bien  sûrs 
qu'ils   recevront    de   nous   beaucoup    d'honneurs.    Dona  Marina   et 
Aguilar  ajoutèrent  à  ces  raisonnements  bien  d'autres  conseils. 

Les  huit  Indiens  nos  messagers  se  rendirent  auprès  de  Gruatemuz, 
qui  ne  voulut  ni  les  écouter  ni  envoyer  aucune  réponse.  Il  n'en  fut 
que  plus  ardent  à  construire  des  palissades,  à  réunir  des  provisions 
de  guerre  et  à  faire  savoir  à  toutes  les  provinces  que  si  l'on  pouvait 
s'emparer  de  quelqu'un  de  nous  par  surprise,  on  devait  l'amener  à 
Mexico  pour  le  sacrifier,  et  qu'on  eût  à  se  tenir  armé  et  prêt  à  venir 
aussitôt  qu'il  en  donnerait  l'ordre.  Il  répandait  partout  de  grandes 
promesses  et  dispensait  des  tributs  habituels.   Mais  cessons  un  mo- 
ment de  parler  des  préparatifs  de  guerre  qui  se  faisaient  à  Mexico, 
pour  dire  que  plusieurs  Indiens  des  villages  de  Guautinchan  et  de 
Huaxutlan  se  présentèrent  grièvement  blessés ,  en  annonçant  qu'ils 
avaient  été  battus  par  les  Mexicains,  pour  avoir  accepté  notre  amitié 
et  à  la  suite  de  disputes  à  propos  des  semailles  de  maïs  qui  se  fai- 
saient ,  au   temps   de   leur  servitude ,   pour   les  papes  de   Mexico. 
Gomme  du  reste  ces  gens  habitaient  près  de  la  lagune,  il  ne  se  passait 
pas  de  semaine  qu'on  ne  vînt  les  attaquer,  et  on  leur  prenait  même 
quelques  Indiens  qui  étaient  emmenés  à  la  capitale.  En  apprenant 
cela,  Gortès  résolut  de  partir  lui-même  avec  cent  soldats,  vingt  cava- 
liers et  douze  escopettiers  ou  arbalétriers.  Il  lança  des  coureurs  pour 
qu'on  l'avertît  aussitôt  que  s'avanceraient  des  bataillons  mexicains. 


424  CONQUETE 

Il  n'était  pas  encore  à  deux  lieues  de  Tezcuco  lorsqu'un  mercredi 
matin  ,  de  bonne  heure,  il  se  trouva  en  présence  de  l'ennemi.  Il  ne 
tarda  pas  à  disperser  les  Mexicains  et  il  les  obligea  à  gagner  la  la- 
gune où  ils  reprirent  leurs  bateaux.  On  en  tua  quatre,  on  en  prit 
trois  et  Gortès  revint  aussitôt  à  Tezcuco.  Après  cette  leçon,  les  Gu- 
luans  cessèrent  de  tomber  sur  ces  peuplades. 

Abandonnons  ce  sujet  et  disons  comment  Gortès  envoya  Gonzalo  de 
Sandoval  àTlascala  pour  chercher  le  bois  des  brigantins,  et  ce  que  ce 
capitaine  fit  en  route. 


CHAPITRE  CXL 

Comme  quoi  Gonzalo  de  Sandoval  fut  à  Tlascala  chercher  le  hois  des  brigantins, 
et  ce  qu'il  fit  dans  un  village  que  nous  appelâmes  «  le  village  moresque  ». 

Gomme  nous  avions  grand  désir  de  voir  nos  brigantins  construits 
et  d'être  enfin  occupés  au  siège  de  Mexico,  au  lieu  de  perdre  notre 
temps  à  ne  rien  faire,  notre  capitaine  Gortès  jugea  convenable  d'en- 
voyer Gonzalo  de  Sandoval  pour  aller  chercher  le  bois  de  construc- 
tion. Il  devait  emmener  deux  cents  soldats,  vingt  arbalétriers  ou  gens 
d'escopette,  quinze  hommes  à  cheval  et  un  bon  nombre  de  Tlascaltè- 
ques  avec  vingt  dignitaires  de  Tezcuco;  les  messagers  de  Ghalco  et 
les  deux  jeunes  princes  en  profiteraient  pour  se  faire  reconduire  sains 
et  saufs  à  leurs  résidences.  Avant  le  départ,   on  obligea  les  Tlascal- 
tèques  et  les  habitants  de  Ghalco  à  contracter  alliance;  car  ceux-ci 
avaient  appartenu  à  la   ligue  mexicaine  dont  ils  étaient  les   confé- 
dérés, de  sorte  que,  quand  les  Mexicains   marchaient  sur  Tlascala, 
ils  s'adjoignaient  un  certain  nombre  de  leurs  alliés  de  Ghalco  qui  se 
trouvaient   sur  leur   route.    Aussi   ceux-ci    étaient-ils  mal   vus   des 
Tlascaltèques,  avec  lesquels  ils  vivaient  en  ennemis.   Mais   Gortès, 
comme  je  viens  de  le  dire,  leur  fit  contracter  amitié,  et  à  partir  de 
ce  jour  ils  vécurent  en  alliés  et  s'aidèrent  toujours  les  uns  les  autres. 
Gortès  recommanda  également  à  Sandoval  qu'après  avoir  reconduit 
les  personnages  de  Ghalco  dans  leur  pays,  il  se  rendît  à  un  village  si- 
tué non  loin  de  là  sur  la  route,  qui  dépendait  de  Tezcuco,  et  auquel 
nous  donnâmes  le  nom  de  «  village  moresque  ».  On  y  avait  tué  une 
quarantaine  de  soldats,  tant  de  Narvaez  que  des  nôtres,  ainsi  qu'un 
grand  nombre  de  Tlascaltèques,  et  volé  trois  charges  d'or  lorsqu'on 
nous  chassa  de  la  capitale.  Les  victimes  de  cet  attentat  furent  des 
Espagnols  qui  venaient  de  Vera  Gruz  à  Mexico,  à  l'époque  où  nous 
marchâmes  au  secours  de  Pedro  de  Alvarado.   Gortès  recommanda 
bien  à  Sandoval  d'infliger  à  ce  village  un  châtiment  sévère,  tout  en 


DE  LA   NOUVELLE-ESPAGNE.  425 

reconnaissant  que  les  Tezcucans  l'auraient  mérité  davantage  puis- 
qu'ils avaient  été  les  initiateurs  et  les  fauteurs  de  cette  mauvaise  ac- 
tion, à  cause  de  la  confraternité  d'armes  dans  laquelle  ils  vivaient 
alors  avec  la  grande  ville  de  Mexico.  Or,  vu  la  difficulté  des  circon- 
stances, on  n'avait  pas  jugé  à  propos  de  châtier  Tezcuco  pour  ce  mé- 
fait. 

Quoi  qu'il  en  soit,  Gonzalo  de  Sandoval  fit  tout  ce  que  son  chef  lui 
commandait.  Il  se  rendit  à  la  province  de  Ghalco,  pour  laquelle  du 
reste  il  n'était  pas  nécessaire  de  se  détourner  beaucoup  de  sa  route  ; 
il  y  laissa  les  deux  jeunes  gens  qui  en  étaient  les  caciques,  et  il  se 
rendit  au  village  moresque.  Mais,  avant  l'arrivée  de  nos  troupes,  les 
habitants  surent  par  leurs  espions  notre  marche  contre  eux;  ils  aban- 
donnèrent leurs  demeures  et  s'enfuirent  vers  les  bois.  Sandoval  les 
poursuivit  et,  comme  ils  lui  inspirèrent  quelque  pitié,  il  n'en  tua 
que  trois  ou  quatre;  mais  il  prit  plusieurs  femmes  et  jeunes  filles  et 
s'empara  de  quatre  personnages  du  bourg  auxquels  il  parla  avec 
bonté  et  demanda  pourquoi  ils  avaient  tué  tant  d'Espagnols.  Ils  ré- 
pondirent que  les  Tezcucans  et  les  Mexicains  surprirent  ces  teules 
dans  une  embuscade  :  ce  fut  à  une  montée  où  ils  ne  pouvaient  mar- 
cher que  l'un  après  l'autre,  à  cause  de  l'étroitesse  du  défilé.  Là,  on 
tomba  sur  eux  et  on  s'en  empara.  Les  Tezcucans  les  amenèrent  dans 
leur  ville  et  se  les  partagèrent  avec  les  Mexicains.  Les  gens  du  vil- 
lage moresque  n'avaient  fait  qu'obéir  à  ce  qu'on  leur  commandait  ; 
au  surplus,  ce  ne  fut  qu'une  vengeance  en  souvenir  du  seigneur  de 
Tezcuco,  Gacamatzin,  que  Gortès  avait  retenu  prisonnier  et  qui  périt 
au  passage  des  ponts. 

On  remarqua  dans  ce  village  beaucoup  de  sang  espagnol  dont  on 
avait  teint  les  murs  du  temple,  en  l'offrant  aux  idoles,  après  avoir  tué 
les  victimes.  On  trouva  ausssi  les  peaux  de  deux  visages  qu'on  avait 
écorchés  ;  on  les  avait  tannées  comme  on  fait  pour  les  peaux  de  gants 
•et,  ainsi  préparées  et  garnies  de  leur  barbe,  on  les  entretenait  en  of- 
frande devant  les  idoles.  On  découvrit  encore  quatre  cuirs  de  che- 
vaux tannés  avec  leur  poil,  attachés  à  leurs  ferrures  et  suspendus 
dans  l'intérieur  du  grand  temple  devant  l'image  des  divinités.  Diffé- 
rents costumes  d'Espagnols  assassinés  étaient  là  également  en  of- 
frande devant  les  mêmes  dieux.  Nous  découvrîmes,  sur  une  pierre 
appartenant  au  mur  de  la  maison  où  ils  furent  emprisonnés,  une  in- 
scription tracée  au  charbon  et  disant  :  «  Ici  fut  enfermé  le  malheu- 
reux Juan  Yuste,  avec  plusieurs  autres  qui  étaient  en  sa  compagnie.  » 
Ce  Juan  Yuste  fut  un  des  cavaliers  massacrés;  c'était  un  hidalgo  ap- 
partenant à  la  catégorie  d'hommes  distingués  que  Narvaez  avait 
amenés  avec  lui.  Ce  spectacle  excita  la  pitié  et  les  regrets  de  San- 
doval et  de  tous  ses  soldats;  mais  que  faire,  si  ce  n'est  user  d'indul- 
gence avec  ce  village,  puisque  les  habitants  en  avaient  fui,   emme- 


426  CONQUÊTE 

nant  enfants  et  femmes?  Quelques-unes  de  celles-ci,  que  l'on  put 
prendre,  pleuraient  leurs  pères  et  leurs  maris.  Ce  que  voyant,  San- 
doval  mit  en  liberté  les  dignitaires  dont  il  s'était  emparé,  ainsi  que 
toutes  les  femmes,  leur  enjoignant  d'aller  appeler  les  habitants  du 
village.  Ceux-ci  vinrent  en  effet,  demandèrent  pardon,  jurèrent  obéis- 
sance à  Sa  Majesté  et  promirent  de  toujours  nous  servir  contre  les 
Mexicains.  Quand  on  leur  réclama  l'or  volé  aux  Tlascaltèques,  à  leur 
passage  en  ce  lieu,  ils  répondirent  que  le  vol  fut  commis  par  d'au- 
tres, et  que  les  Mexicains  et  les  seigneurs  de  Tezcuco  l'emportèrent, 
prétendant  que  cet  or  venait  de  Montezuma,  qui  l'avait  enlevé  de  ses 
temples   et    donné   à  Malmche  pendant  qu'on  le  retenait  prisonnier. 

Changeons  de  sujet  pour  dire  que  Sandoval  prit  la  route  de  Tias- 
cala  et  qu'étant  arrivé  près  de  la  capitale  où  résidaient  les  caciques, 
il  rencontra  le  convoi  organisé  pour  le  transport  du  bois  des  brigan- 
tins,  que  plus  de  huit  mille  Indiens  portaient  sur  leurs  épaules.  Un 
égal  nombre  d'hommes,  armés  et  empanachés,  marchait  à  l'arrière- 
garde,  et  deux  mille  de  plus  suivaient  à  titre  d'auxiliaires  pour  re- 
layer ceux  qui  portaient  les  provisions.  Chichimecatecle,  que,  d'après 
mes  dires  antérieurs,  on  connaît  pour  un  Indien  qualifié  et  valeu- 
reux, marchait  à  la  tête  de  tous  les  Tlascaltèques  et  était  très-bien 
secondé  par  deux  hommes  distingués ,  ses  compatriotes ,  appelés 
Teulepile  et  Teutical ,  avec  quelques  autres  caciques  d'importance. 
Martin  Lopez,  celui-là  même  qui  organisa  la  coupe  du  bois  et  fit  les 
calculs  pour  le  sciage  des  planches,  avait  le  commandement  général 
de  l'expédition  et  marchait  en  compagnie  d'autres  Espagnols  dont  je 
ne  me  rappelle  pas  les  noms.  Sandoval  éprouva  une  grande  joie  en 
les  rencontrant,  parce  qu'il  se  vit  ainsi  débarrassé  du  souci  d'attendre 
à  Tlascala  qu'il  lui  fût  possible  de  se  mettre  en  marche  avec  tous  ces 
matériaux  de  construction.  Ils  cheminèrent  pendant  deux  jours  dans 
l'ordre  que  j'ai  dit;  ils  entrèrent  alors  en  pays  mexicain  et  à  partir 
de  ce  moment  ils  entendaient  pousser  contre  eux  des  vociférations 
qui  venaient  d'établissements  et  de  ravins  disposés  de  telle  sorte  qu'il 
était  impossible  d'y  faire  aucun  mal  aux  insulteurs,  au  moyen  de  nos 
chevaux  et  de  nos  escopcttes. 

Martin  Lopez,  qui  avait  la  responsabilité  de  toutes  choses,  dit 
alors  qu'il  serait  bon  d'avancer  avec  plus  de  précautions.  Les  Tlas- 
caltèques l'avaient  en  effet  prévenu  qu'il  était  à  craindre  que  les 
Mexicains  ne  tombassent  sur  lui  avec  de  grandes  forces  et  ne  le  mis- 
sent en  déroute,  au  milieu  de  l'embarras  que  lui  causait  le  transport 
du  bois  et  des  provisions.  Sandoval ,  en  conséquence ,  ordonna  que 
les  cavaliers,  les  arbalétriers  et  les  escopettiers  marchassent  les  uns 
à  l'avant-garde,  les  autres  en  protégeant  les  flancs  du  convoi.  Il 
donna  l'ordre  en  même  temps  à  Chichimecatecle,  qui  commandait 
aux  Tlascaltèques ,  de  rester  à  l'arrière-gardc  avec  Gonzalo  de  San- 


DE  LA  NOUVELLE-ESPAGNE.  427 

doval  lui-même.  Le  cacique  crut  devoir  s'en  offenser,  s'imaginant 
qu'on  ne  comptait  pas  sur  sa  valeur  ;  mais  les  explications  qu'on  lui 
donna  lui  firent  juger  autrement  cette  mesure,  qu'il  approuva  dès 
lors,  surtout  en  voyant  que  le  chef  espagnol  restait  avec  lui.  On  lui 
fit  en  effet  remarquer  que  les  Mexicains  avaient  l'habitude  de  sejeler 
sur  les  bagages  et  l'arrière-garde  ;  après  l'avoir  ainsi  compris,  il 
pressa  Sandoval  dans  ses  bras  en  le  remerciant  de  l'honneur  qu'on 
lui  faisait. 

Avec   deux  jours  de  marche  de  plus,  on  arriva  en  vue  de  Tez- 
cuco.    Mais,  avant  d'entrer  dans  la  ville,  les  Tlascaltiques  se  cou- 
vrirent  de   leurs  panaches    et  de  leurs    plus   beaux   habits.    Ainsi 
préparés,  se  mettant  en  bon  ordre,  battant  du  tambour  et  sonnant  de 
la  trompette ,  ils  défilèrent  pendant  une  demi-journée  ,  sans  rompre 
les  rangs,  criant,  sifflant  et  disant  :  «  Vive,  vive  l'Empereur  notre 
seigneur  !  »  et  «  Castille  !  Gastille!  »  et  «  Tfascala  !  Tlascala!  »  C'est 
ainsi  qu'ils  entrèrent  à  Tezcuco.  Gortès  et  quelques-uns  de  nos  capi- 
taines furent  au-devant  du  convoi.  Notre  général  fit  les  meilleures 
promesses  et  les  plus  belles  offres  à  Ghichimecatecle  et  aux  chefs  qui 
le  suivaient.  Les  madriers  et  les  planches,  ainsi  que  tout  le  reste  des 
matériaux  de  construction  des  brigantins,  furent  rangés  sur  les  bords 
des  canaux  et  des  estuaires  où  ils  devaient  être  mis  en  chantier.  A 
partir  de  ce  moment,  Martin  Lopez  entreprit  sa  besogne  avec  la  plus 
grande  ardeur.  Les  principaux  Espagnols  qui  l'aidaient  dans  ce  tra- 
vail étaient  :  Andrès  Nunez  ;  le  vieux  Ramirez,  quoique  boiteux  d'une 
blessure;  un  certain  Hernandez,  scieur  de  son  métier;  quelques  char- 
pentiers ;  deux  forgerons  avec  leurs  forges,  et  un  certain  Hernando 
de  Aguilar ,  qui  aidait  à  battre  le  fer.  Tout  ce  monde   mit  le  plus 
grand  empressement  à  l'ouvrage  jusqu'à  ce  que  les  brigantins  fus- 
sent entièrement  montés.  Il  ne  leur  manquait  plus  que   d'être  cal- 
fatés et  munis  de  leur  mâture,  avec  les  cordages  et  les  voiles.  Je  ne 
dois    pas  omettre  de  parler  du  grand   soin  que  nous  prenions  de 
nous  garder  dans  nos  quartiers  au  moyen  de  veilleurs  et  de  senti- 
nelles, avec  un  piquet  permanent  préposé  à  la  surveillance  des  bri- 
gantins. Gomme   ils  étaient  tout  près  de  la  lagune,  les  Mexicains 
tentèrent  trois  fois  d'y  mettre  le  feu  ;  nous  prîmes  même  quinze  In- 
diens parmi  les  auteurs  de  ces  tentatives.  Nous  sûmes ,  du  reste , 
par  ces  prisonniers ,  tout  ce  qu'on  faisait  à  Mexico  et  ce  que  Gua- 
temuz  projetait  contre  nous;  c'est-à-dire  que  pour  aucun  motif  il  ne 
devait  y   être  question  de  faire  la  paix,  mais  de  mourir  tous,  s'il  le 
fallait,  les  armes  à  la  main,  pour  ne  laisser  aucun  de  nous  vivant. 
Je  dois  dire  encore  qu'il  envoyait  des  messagers  à  tous  les  villages 
dépendant  de  Mexico,  pour  les  rappeler  à  leurs  devoirs  et  leur  faire 
remise  des  tributs  qui  lui  étaient  dus.  Dans  la  capitale ,  d'ailleurs, 
les  préparatifs  ne  cessaient  ni  jour  ni  nuit.  Les  habitants  consoli- 


428  CONQUÊTE 

daient  leurs  maisons,  approfondissaient  les  tranchées  des  ponts, 
élevaient  des  palissades  très-résistantes,  mettaient  à  point  les  pieux  et 
les  machines  qui  les  lançaient.  Ils  fabriquaient  de  longues  lances  pour 
tuer  nos  chevaux,  y  attachant  les  lames  des  épées  qu'ils  nous  avaient 
prises  la  nuit  de  notre  déroute;  ils  mettaient  leurs  frondes  en  état, 
faisant  provision  de  pierres  roulées  ;  ils  préparaient  leurs  espadons  à 
deux  mains  et  une  autre  arme  plus  grande  imitant  le  casse-tête,  ainsi 
que  toute  espèce  d'autres  engins  de  guerre. 

Revenons  aux  canaux  d'où  devaient  sortir  nos  brigantins.  Nous  les 
avions  faits  assez  profonds  et  assez  larges  pour  que  des  navires  d'un 
tonnage  raisonnable  y  pussent  naviguer;  car,  je  le  répète,  plus  de 
huit  mille  travailleurs  Indiens  y  étaient  constamment  occupés.  Mais 
abandonnons  un  instant  ce  sujet,  pour  dire  comme  quoi  Gortès  décida 
une  attaque  sur  Saltocan. 


CHAPITRE  GXLI 

Comme  quoi  notre  capitaine  Cortès  partit  pour  une  expédition  au  village  de  Saltocan. 
qui  est  situé  dans  la  lagune,  à  environ  six  lieues  de  Mexico.  Comment  il  alla  de  ce 
point  à  d'autres  villages  ;  ce  qui  lui  arriva  dans  cette  entreprise. 

Environ  quinze  mille  Tlascaltèques  étaient  venus  à  Tezcuco  avec  le 
convoi  amenant  le  bois  de  construction  de  nos  brigantins.  Il  y  avait 
déjà  cinq  jours  qu'ils  étaient  dans  cette  ville,  sans  rien  y  faire  qui 
mérite  d'être  conté.  Les  provisions  commençaient  à  leur  manquer,  et 
comme  d'ailleurs  leur  commandant  Ghichimecatecle  était  un  homme 
valeureux  et  fier,  il  dit  à  Gortès  qu'il  avait  le  désir  de  se  distinguer 
au  service  de  notre  grand  Empereur  en  bataillant  contre  les  Mexi- 
cains, non-seulement  pour  faire  preuve  de  bons  sentiments  à  notre 
égard,  mais  encore  pour  se  venger  des  meurtres  et  des  pillages  dont 
les  Tlascaltèques  avaient  eu  à  souffrir,  soit  à  Mexico,  soit  dans  leur 
propre  pays.  Il  priait  donc  en  grâce  qu'on  lui  dît  où  il  pourrait  ren- 
contrer nos  ennemis.  Gortès  répondit  qu'il  lui  était  reconnaissant 
pour  ces  bonnes  dispositions  et  qu'il  avait  l'intention  d'aller,  le  len- 
demain même,  à  un  village  appelé  Saltocan,  situé  à  cinq  lieues  de 
Tezcuco  dans  les  eaux  de  la  lagune  avec  une  entrée  praticable  par 
terre.  Bien  qu'on  eut  sommé  ses  habitants  de  se  présenter  en  signe 
de  paix,  ils  s'y  s'étaient  refusés.  On  leur  avait  même  envoyé  tout  ré- 
cemment un  message  au  moyen  de  gens  de  Tepetezcuco  et  d'Otumba, 
leurs  voisins.  Mais,  au  lieu  de  se  soumettre,  ils  maltraitèrent  nos 
messagers,  en  blessèrent  même  quelques-uns,  leur  donnant  pour 
réponse  qu'ils  ne  se  croyaient  ni  moins  forts  ni  moins  valeureux  que 
nous;  que  nous  n'avions  qu'à  nous  rendre  chez  eux,  où  nous  les  trou- 


DE   LA  NOUVELLE-ESPAGNE.  42'J 

verions  prêts  à  "combattre;  que  leurs  idoles  dictaient  ce  langage  en 
leur  donnant  l'assurance  qu'ils  pourraient  tous  nous  détruire. 

C'est  pour  cela  que  Gortès  se  prépara  à  marcher  en  personne  contre 
ce  village  et  il  donna  Tordre  que  deux   cent  cinquante  soldats,  trente 
cavaliers,  plusieurs  arbalétriers  et  gens  d'escopette,   avec  Pedro  de 
Alvarado  et   Christoval  de  Oli,  se  préparassent  à  venir  avec  lui.  Il 
emmenait  aussi  tous  les  Tlascaltèques,  une  capitainerie  d'hommes  de 
guerre  de  Tezcuco,  et  beaucoup  de  personnages  principaux  de  cette 
ville,  y  laissant,  pour  la  garder,  Gonzalo  de  Sandoval,  avec  la  recom- 
mandation   de  bien  surveiller  les  brigantins   et  notre   quartier,  de 
crainte    que  les  Mexicains   n'y  fissent  quelque  surprise  de  nuil.  J'ai 
dit,  en  effet,  que  nous  étions  obligés  d'avoir  constamment  l'oreille  au 
guet,   d'abord  parce  que  nous  étions  presque  aux  portes   de  Mexico, 
et  ensuite  parce  que  nous  habitions  la  grande  ville  de  Tezcuco,  dont 
tous  les  habitants  comptaient   des   parents    et   des    amis   parmi  les 
Mexicains.   Il  donna  l'ordre  à  Sandoval  et   au  constructeur  Martin 
Lopez  d'avoir  terminé  dans  quinze  jours  les  brigantins,  de  manière 
qu'on  pût  les  lancer  et  naviguer  sur  la  lagune.  Gela  fait,  il  se  disposa 
à  entreprendre  son  expédition.  Après  avoir  entendu  la  messe,  il  partit 
avec  son  armée. 

Il  était  en  marche  et  parvenu  en  un  point  rapproché  de  Saltocan, 
lorsqu'il  donna  sur  de  gros  bataillons  mexicains  qui  l'attendaient  dans 
une  embuscade  où  ils  se  croyaient  assurés  d'avoir  raison  de  nos 
hommes  et  de  tuer  nos  chevaux.  Mais  Gortès  se  mit  à  la  tête  de  ses 
cavaliers  et,  après  une  décharge  d'escopettes  et  d'arbalètes,  on  leur 
courut  sus,  et  l'on  en  tua  un  certain  nombre.  Les  ennemis  reculèrent 
alors  vers  les  bois  et  vers  des  terrains  où  nos  chevaux  ne  pouvaient  les 
suivre;  mais  nos  amis  de  Tlascala  en  prirent  ou  tuèrent  une  trentaine. 
Gortès  fut  passer  la  nuit  dans  un  groupe  de  maisons,  se  tenant  bien 
sur  ses  gardes  à  l'aide  de  ses  coureurs,  de  ses  espions  et  de  ses  pa- 
trouilles, n'oubliant  pas  qu'il  était  entouré  d'un  grand  nombre  de 
villages  très-peuplés.  Il  savait  d'ailleurs  que  Guatemuz  avait  envoyé  au 
secours  de  Saltocan  plusieurs  bataillons  embarqués  et  naviguant  dans 
des  estuaires  qui  s'avançaient  profondément  au  milieu  des  terres. 

Quand  le  jour  parut,  les  Mexicains  et  les  gens  de  Saltocan  enga- 
gèrent le  combat,  nous  lançant  une  grande  quantité  de  pieux,  de 
floches  et  de  pierres  à  fronde,  sans  quitter  leurs  canots.  Ils  blessèrent 
dix-neuf  soldats  et  beaucoup  de  nos  alliés  tlascaltèques.  De  notre 
côté,  les  cavaliers  ne  leur  faisaient  aucun  mal,  parce  qu'ils  ne  pou- 
vaient ni  courir,  ni  traverser  les  estuaires  qui  étaient  pleins  d'eau  ; 
et  d'ailleurs  la  chaussée  qui  donnait  accès  au  village  avait  été  détruite 
peu  de  jours  auparavant  et  remplacée  par  des  excavations  profondes 
qui  la  transformaient  en  canal.  Aussi  nous  était-il  impossible  de 
pénétrer  dans  le  village  et  de  causer  le  moindre  mal  à  nos  ennemis. 


430  CONQUETE 

Il  est  vrai  que  nos  arbalétriers  et  nos  gens  d'escopette  tiraient  sur  les 
hommes  qui  passaient  en  canots  ;  mais  ceux-ci  avaient  pris  soin  d'é- 
lever des  défenses  en  bois  sur  les  bordages,  et  ils  savaient  très-bien 
en  profiter  pour  se  mettre  à  l'abri.  Voyant  qu'ils  ne  parvenaient  à 
rien  faire  et  ne  réussissaient  point  à  découvrir  la  chaussée  qui  aupa- 
ravant conduisait  au  village,  puisque  tout  était  couvert  d'eau,  nos 
soldats  pestaient  contre  ce  bourg  et  contre  notre  expédition  infruc- 
tueuse. Ils  étaient  en  même  temps  tout  honteux  d'entendre  les  voci- 
férations des  Mexicains  et  des  habitants  du  village  qui  les  traitaient, 
eux  et  Malinche  lui-même,  de  femmes  sans  vigueur,  criant  que  notre 
chef  n'avait  d'autre  mérite  que  celui  de  les  tromper  par  ses  fausses 
paroles  et  ses  mensonges. 

En  ce  moment,  deux  Indiens  de  Tepetezcuco,  qui  venaient  avec  les 
nôtres  et  vivaient  au  plus  mal  avec  ceux  de  Saltocan,  dirent  à  un  de 
nos  soldats  qu'étant  venus  trois  jours  auparavant  en  ce  même  lieu, 
ils  avaient  vu  les  habitants  couper  la  chaussée,  la  noyer  et  la  couvrir 
avec  l'eau  d'un  canal  voisin;  mais  que,  un  peu  plus  loin,  le  chemin 
n'était  pas  encore  détruit  et  qu'il  allait  jusqu'au  village.  Éclairés  par 
cette  révélation,  nos  arbalétriers  et  nos  gens  d'escopette  prennent  le 
chemin  que  les  Indiens  leur  ont  signalé;  ils  marchent  en  bon  ordre, 
séparés  et  à  pas  lents,  les  uns   s'occupant  de  la  charge  et  les  autres 
exécutant  le  tir.  Après  eux,  les  pieds  dans  l'eau  et  quelquefois  enfon- 
çant plus  haut  que  la  ceinture,  tous  nos  soldats  effectuent  le  passage, 
suivis  de  quelques-uns  de  nos  alliés.  Pendant  ce  temps,  Gortès,  avec  ses 
hommes  à  cheval,  les  attendait  en  terre  ferme,  assurant  leurs  derrières, 
de  crainte  que  les  Mexicains  ne  leurtombassent  dessus.  Tandis  que  nos 
hommes  traversaient  les  endroits  inondés,  dans  l'ordre  que  j'ai  dit, 
les  ennemis  tirant  sur  eux  en  toute  sûreté  en  blessèrent  un   grand 
nombre.  Mais  les  nôtres,  toujours  désireux  d'arriver  à  la  chaussée 
qui  était  à  sec,  continuaient  leur  chemin  malgré  tout,  jusqu'à  ce  que, 
atteignant  leur  but,  ils  purent  suivre  la  route  de  terre  ferme  et  arri- 
ver au  village.  Là,  ils  mirent  tant  d'ardeur  au  combat  qu'ils  firent  un 
grand   nombre   de   victimes  parmi  les  Mexicains.  Ceux-ci  payèrent 
donc  bien  les  railleries  qu'ils  nous  avaient  d'abord  adressées. 

On  fit  là  un  bon  butin  en  étoffes  de  coton,  en  or  et  en  dépouilles 
de  toutes  sortes.  Gomme  d'ailleurs  le  village  était  bâti  dans  Peau  de 
la  lagune,  les  habitants  et  les  Mexicains  auxiliaires  s'étaient  jetés 
dans  leurs  bateaux  avec  tout  ce  qu'ils  pouvaient  emporter,  en  prenant 
la  direction  de  Mexico.  Nos  soldats,  voyant  le  village  désert,  en  brû- 
lèrent quelques  maisons  ;  mais  ils  n'osèrent  pas  y  passer  la  nuit, 
parce  qu'il  était  entouré  d'eau,  et  ils  se  résolurent  à  revenir  à  l'en- 
droit où  Gortès  les  attendait.  On  prit  là  de  fort  bonnes  Indiennes; 
nos  Tlascaltèqucs  firent  une  riche  provision  d'étoffes,  de  sel,  d'or  et 
d'autres  dépouilles,  et  l'on  fut  passer  la  nuit  dans  un  groupe  de  mai- 


DE  LA  NOUVELLE-ESPAGNE.  431 

sons  à  une  lieue  de  Saltocan.  On  pansa  les  blessures  ;  un  seul  soldat  mou- 
rut, peu  de  jours  après,  d'une  flèche  qui  lui  avait  traversé  la  gorge.  On 
plaça  des  veilleurs,  on  envoya  des  éclaireurs  battre  la  campagne  et  l'on 
lit  partout  bonne  garde,  parce  que  ce  pays  est  très-peuplé  de  Guluans. 
Le  lendemain,  notre  armée  prit  la  route  d'un  grand  village  appelé 
Colvatitlan,  et   tandis   qu'on  marchait,    les  habitants   des  localités 
qu'on   traversait,   stimulés   par  d'autres  Mexicains  qui  venaient  se 
joindre  à  eux,  lançaient  à  nos  troupes  des  cris  et  des  insultes,  parce 
que  c'étaient  des  terrains  où  nos  cavaliers  ne  pouvaient  se  déployer 
et  qu'il  était  impossible  de  faire  aucun  mal  à  l'ennemi  à  cause  des 
canaux  dont  il  était  entouré.  On  arriva  ainsi  au  village  que  l'on  vou- 
lait atteindre,    mais  on   le  trouva  abandonné  et  dépouillé   de  tout  ce 
qui  avait  pu  être  enlevé;   on  y  passa  la  nuit  en  faisant  bonne  garde. 
Le  jour  suivant,  nos  troupes  prirent  la  direction  d'un  grand  village 
nommé  Tenayuca  ;  c'était  celui-là  même  que  nous  avions  l'habitude 
d'appeler   «  le   bourg   des   Serpents  » ,   la  première    fois    que   nous 
vînmes  à  Mexico,  parce  que  nous  remarquâmes  dans  le  temple  prin- 
cipal deux  grandes  sculptures   de  mauvais  aspect,  représentant  des 
serpents,  qui  étaient  l'objet  des  adorations  de  ces  Indiens.  On  trouva 
le  village  désert;  ses  habitants  avaient  fui  et  s'étaient  réfugiés  en  un 
bourg  situé  plus   loin.  De  là  on  se  rendit  à  un  autre  village  appelé 
Escapuzalco,  distant  d'environ  une  lieue  du  précédent.  Les  habitants 
l'avaient  déserté.  C'est  là,  du  reste,  qu'on  travaillait  l'or  et  l'argent 
du  grand  Montezuma,  et  c'est  pour  cela  que  nous  avions  l'habitude 
de  l'appeler  «  le  village  des  Orfèvres». 

Notre  chef  partit   ensuite  pour  Tacuba,  qui  est  située  une   demi- 
lieue  plus  loin.  C'était  l'endroit  même  où  nous  prîmes  du  repos  dans 
la  triste  nuit  où  nous  sortîmes  en  détresse  de  Mexico;  on  nous  y  tua 
alors  quelques   soldats,  ainsi  que  je  l'ai  dit  au  chapitre  qui   en  a 
parlé.  Revenons  à  l'actualité  pour  dire  qu'avant  que  notre  petite  ar- 
mée fût  arrivée  à  Tacuba,  plusieurs  bataillons  provenant  des  points 
par  où  elle  avait  passé,  venant  aussi  de  ce  village  et  de  Mexico,  qui 
est  très-près  de  là,  s'étaient  réunis  pour  attendre  Cortès  en  rase  cam- 
pagne. Ils  se  jetèrent   tous  ensemble  sur  les  nôtres,  de  telle  sorte 
que  notre  général  eut  de  la  peine  à  rompre  leurs  rangs  en  les  char- 
geant avec  ses  cavaliers.  On  se  rapprocha  tellement  de  l'ennemi  qu'on 
dut  faire  usage  de  l'épée  pour  l'obliger  à  reculer.  La  nuit  étant  ve- 
nue, nous  nous  reposâmes   en  ayant  soin  de  nous  bien  garder.  Le 
lendemain  de  bonne  heure,  les   Mexicains,  massés    en  plus   grand 
nombre  que  la  veille,  avancèrent  sur  nous  en  bon  ordre  et  réussirent 
à  blesser  quelques-uns  des  nôtres;  mais  nos  troupes  les  repoussèrent 
et,  après  les  avoir  obligés  à  rentrer  dans   leurs  habitations  et  dans 
leurs  retranchements,  elles  purent  se  précipiter  sur  Tacuba,  brûler 
quelques  maisons  et  saccager  les  autres. 


432  CONQUÊTE 

Quand  on  apprit  cela  à  Mexico,  on  y  résolut  d'envoyer  contre  Cor- 
tès  des  forces  plus  considérables.  L'ordre  leur  fut  d'ailleurs  donné  de 
combattre  et  de  simuler  une  retraite  désordonnée,  afin  d'attirer  peu 
à  peu  notre  armée  sur  la  chaussée,  en  prenant  soin,  aussitôt  qu'on 
verrait  venir  les  nôtres,  de  se  montrer  toujours  plus  effrayés  en  se 
retirant.  Les  troupes  mexicaines  exécutèrent  parfaitement  le  strata- 
gème; de  sorte  que  Gortès,  se  croyant  victorieux,  les  fit  poursuivre 
jusqu'au  premier  pont.  Lorsque  les  Mexicains  s'aperçurent  que  notre 
chef  l'avait  passé,  le  voyant  décidément  tombé  dans  le  piège,  ils  l'at- 
taquèrent en  nombre  très-considérable,  les  uns  par  terre,  les  autres 
en  canots  et  quelques-uns  du  haut  des  terrasses  ;  ils  le  mirent  ainsi 
dans  une  position  si  critique  qu'il  se  crut  définitivement  perdu.  La 
multitude  des  ennemis  était  en  effet  très-considérable  autour  de  lui, 
sur  le  pont  même  où  il  était  arrivé,  de  sorte  qu'il  lui  devenait  déjà 
impossible  de  s'y  défendre.  Un  alferez  porteur  de  son  drapeau  voulut 
soutenir  le  choc  de  l'ennemi,  mais  il  fut  blessé  très -grièvement  et 
tomba  dans  l'eau  où  il  fut  sur  le  point  d'être  noyé.  Les  Mexicains 
réussirent  même  à  le  prendre  et  ils  allaient  le  placer  sur  leurs  em- 
barcations, lorsqu'il  eut  le  courage  et  la  force  de  leur  échapper  avec 
son  drapeau.  Cinq  de  nos  soldats  périrent  dans  cette  affaire  et  plu- 
sieurs y  furent  blessés.  Reconnaissant  alors  à  quel  point  sa  conduite 
avait  été  inconsidérée  lorsqu'il  s'était  hasardé  à  entrer  ainsi  sur  cette 
chaussée,  et  voyant  combien  les  Mexicains  le  lui  avaient  fait  payer 
cher,  Gortès  donna  l'ordre  de  la  retraite.  Nos  hommes  commencèrent 
donc  à  reculer,  sans  cesser  de  faire  face  à  l'ennemi,  les  fantassins  pied 
à  pied,  rompant  comme  dans  une  passe  d'armes,  tandis  que  nos  ar- 
balétriers et  nos  gens  d'escopette  se  conduisaient  de  leur  mieux,  les 
uns  chargeant  l'arme,  les  autres  faisant  le  tir,  et  de  leur  côté  les  ca- 
valiers s'efforçant  de  pousser  quelques  petits  retours  offensifs,  bien 
qu'avec  précaution,  parce  qu'on  se  jetait  sur  leurs  chevaux.  Bref,  ce 
fut  ainsi  que  Gortès  échappa  encore  une  fois  aux  mains  des  Mexi- 
cains, et  il  ne  manqua  pas  de  rendre  grâces  à  Dieu  quand  il  se  vit  en 
terre  ferme. 

C'est  là  qu'un  certain  Pedro  de  Ircio,  dont  j'ai  déjà  parlé,  voulant 
tirer  vengeance  de  l'alferez  Juan  Volante  qui  était  tombé  dans  la  la- 
gune, avec  lequel  il  vivait  en  mauvais  termes  par  suite  de  rivalités 
d'amourettes,  lui  adressa  quelques  paroles  blessantes.  Certes,  on  peut 
assurer  qu'une  semblable  conduite  fut  très-blâmable,  attendu  que 
l'alferez  était  un  valeureux  soldat,  ainsi  qu'il  en  donna  des  preuves 
en  cette  circonstance  même,  comme  dans  plusieurs  autres.  Du  reste, 
avec  le  temps,  Ircio  eut  à  se  repentir  des  mauvais  sentiments  qu'il 
nourrissait  contre  Juan  Volante.  Mais  laissons  là  Pedro  de  Ircio  et 
disons  que  pendant  les  cinq  jours  que  Gortès  passa  à  Tacuba,  il  ne 
cessa  pas  un  moment  d'être  aux  prises  avec  les  Mexicains  et  leurs 


DE  LA  NOUVELLE-ESPAGNE.  433 

alliés.  Au  surplus,  dans  sa  retraite,  exécutée  par  le  chemin  même  où  il 
avait  passé  en  venant,  les  Mexicains  poussaient  des  cris  contre  lui,  con- 
vaincus qu'il  était  en  fuite.  Ils  n'eurent  pas  tort  du  reste  de  le  croire 
en  proie  à  de  légitimes  appréhensions.  Ils  formèrent  des  embuscades 
sur  sa  route,  l'attendant  dans  des  positions  où  ils  espéraient  tuer  nos 
chevaux  et  se  distinguer  à  nos  dépens.  Gortès,  comprenant  leur  des- 
sein, leur  dressa  un  piège  dans  lequel  il  blessa  et  tua  à  l'ennemi  un 
très-grand  nombre  d'hommes,  tout  en  perdant  de  son  côté  un  soldai 
et  deux  chevaux;  mais  il  obtint  ainsi  que  les  Mexicains  abandonnas- 
sent la  poursuite.  En  doublant  ses  marches  il  arriva  enfin  à  un  vil- 
lage appelé  Aculman,  dépendant  de  Tezcuco,  qui  s'en  trouve  à  deux- 
lieues  de  distance. 

Ayant  appris  son  arrivée  en  ce  lieu,  nous  fûmes  au-devant  de  lui 
avec  Gonzalo  de  Sandoval,  accompagnés  des  caciques,  ainsi  que  d'un 
grand  nombre  de  personnages  distingués,  et  honorés  de  la  présence 
de  don  Fernando,  le  roi  de  Tezcuco.  L'entrevue  nous  causa  à  tous  une 
grande  joie,  car  plus  de  quinze  jours  s'étaient  passés  sans  que  nous 
eussions  rien  su  de  Gortès,  ni  de  ce  qui  lui  était  arrivé.  Après  lui 
avoir  souhaité  la  bienvenue  et  débattu  avec  lui  certaines  questions 
militaires,  nous  retournâmes  à  la  ville  cette  même  après-midi,  parce 
que  nous  n'osions  point  laisser  nos  quartiers  sans  y  taire  bonne 
garde.  Mais  Gortès  resta  dans  ce  village,  et,  le  jour  suivant,  il  rentra 
à  Tezcuco.  Les  Tlascaltèques,  qui  revenaient  chargés  de  riches  dé- 
pouilles, demandèrent  l'autorisation  de  regagner  leur  pays.  Notre 
chef  la  leur  ayant  donnée,  ils  s'en  retournèrent  en  passant  par  des 
chemins  sur  lesquels  les  Mexicains  n'entretenaient  pas  d'espions,  et 
ils  sauvèrent  ainsi  tout  leur  butin. 

Il  y  avait  quatre  jours  que  notre  capitaine  prenait  du  repos  en  pres- 
sant les  travaux  des  brigantins,  lorsque  se  présentèrent  des  envoyés  de 
certains  villages  de  la  côte  du  nord  pour  faire  leur  paix  avec  nous 
et  se  déclarer  les  vassaux  de  Sa  Majesté.  C'étaient  les  bourgs  de 
Tucapan,  de  Mascalcingo  et  de  Naullran,  avec  quelques  autres  peu- 
plades du  même  district.  Leurs  émissaires  étaient  porteurs  d'un 
présent  en  or  et  en  étoffes  de  coton.  Quand  ils  arrivèrent  devant  Gor- 
tès, ils  témoignèrent  de  leur  respect,  et  après  avoir  présenté  leur 
offrande,  ils  dirent  qu'ils  lui  demandaient  en  grâce  de  les  admettre 
dans  son  amitié,  attendu  qu'ils  voulaient  être  les  vassaux  du  Roi  de 
Gastille.  Ils  ajoutèrent  que  lorsque  les  Mexicains  avaient  tué  les  teules 
dans  l'affaire  d'Aimeria,  en  combattant  sous  les  ordres  de  Quctzalpo- 
poca,—  celui-là  même  que  nous  avions  fait  brûler  par  sentence, —  tous 
les  villages  dont  ils  étaient  actuellement  les  messagers  s'étaient  en- 
gagés à  venir  en  aide  aux  teules.  Or,  en  entendant  ce  discours,  Gortès 
n'avait  pas  oublié  que  ces  villages  aidèrent,  au  contraire,  les  Mexi- 
cains lors  de  la  mort  de  Juan  de  Escalante  et  des  six  soldats  qui  pé- 

28 


434  CONQUÊTE 

rirent  avec  lui.  Il  montra  cependant  aux  messagers  la  plus  grande 
bienveillance.  Il  reçut  leurs  présents,  les  admit  comme  vassaux  de 
l'Empereur  notre  seigneur  et  ne  leur  demanda  aucun  compte  des 
événements  passés  ;  il  n'en  fit  même  pas  mention,  parce  que  les  cir- 
constances ne  permettaient  pas  d'agir  autrement.  Il  usa  des  plus 
douces  paroles  en  congédiant  ces  envoyés. 

En  ce  même  moment  arrivèrent  devant  Gortès  des  émissaires  d'autres 
villages  déjà  nos  alliés,  pour  demander  secours  contre  les  Mexicains, 
dont  ies  forces  considérables  étaient  entrées  sur  leur  territoire  où  elles 
avaient  enlevé  plusieurs  Indiens  après  en   avoir  maltraité  beaucoup 
d'autres.  Alors  aussi  vinrent  des  gens  de  Chalco  et  de  Talmanalco, 
assurant  que  si  on  ne  les   secourait  sur  l'heure,  ils  étaient  perdus  ; 
car  une  grande  multitude  d'ennemis   tombait  sur  eux.   En  faisant 
leurs  doléances,  ils  montraient  une  toile  de  nequen  sur  laquelle  ils 
avaient  peint  au  naturel  les  bataillons  qui  marchaient  contre  eux. 
Mais  Gortès  ne  savait  que  dire,  que  répondre,  que  faire  pour  porter 
remède  de  tant  de  côtés  à  la  fois.  Il  voyait  en  effet  que  plusieurs  de 
nos  soldats  étaient   blessés  et  souffrants,  que  huit  étaient  morts  de 
douleur  au  côté,  après   avoir   rendu   un  sang   mêlé   de  boue  par  la 
bouche  et  même  par  le  nez '  ;  ce  malheur  était  la  conséquence  de  la 
fatigue  causée  par  le  poids  des  armes,  par  les  marches  que  nous  fai- 
sions à  tout  instant  et  par  la  poussière  qu'il  nous  y  fallait  avaler.  Au 
surplus,  en  pensant  qu'il  lui  était  mort  trois  ou  quatre  hommes  de 
blessures  dans  les  mouvements  continuels  de  sorties  et  de  rentrées 
auxquels  nous  nous  livrions,  Gortès  se  résolut  à  répondre  aux  villa- 
ges nos  premiers  alliés,  en  employant  les  paroles  les  plus  flatteuses, 
qu'il  ne  tarderait  pas  à  marcher  à  leur  secours,  mais  que  jusque-là  il 
les  engageait  à  se  faire  appuyer  par  les  peuplades  voisines  et  à  atten- 
dre les  Mexicains  en   rase  campagne  pour  leur  livrer  bataille  ;  ils 
pouvaient  être  certains  qu'en  les  voyant  ainsi  disposés  à  la  résistance, 
l'ennemi  en  éprouverait  quelque  crainte,  attendu  que  ses  forces  di- 
minuaient progressivement  en  s'éparpillant  contre  des  révoltés  cha- 
que jour  plus  nombreux.  Tant  il  leur  dit  enfin,  au  moyen  de  nos 
interprètes,  que  leur  courage  s'en  trouva  relevé;  mais  ce  ne  fut  pas 
au  point  de  mépriser  les  secours  de  leurs  voisins,  pour  lesquels  ils 
demandèrent  des  lettres  à  Gortès.  J'entends  bien  qu'ils  ne   devaient 
point  en  comprendre  le  contenu  ;  mais  on  savait  partout  que  ce  signe 
passait  parmi  nous  pour  chose  sérieuse,  et  que  quand  on  le  faisait 
circuler   c'était  en  manière  d'ordre  ou  d'affaire  de  haute  importance. 
Nos  alliés  s'en  trouvèrent  donc  très-satisfaits.  Ils  montrèrent  ces  let- 
tres à  leurs  voisins  et  les  appelèrent  à  leur  aide.  Puis,  suivant  les 
conseils  de  Gortès,  ils  attendirent  les  Mexicains  en  rase  campagne  et 

1.  Il  est  question  là  de  nouveaux  eus  mortels  de  pneumonie. 


DE  LA  NOUVELLE-ESPAGNE.  435 

curent  avec  eux  une  rencontre  dans  laquelle  l'avantage  leur  resta, 
grâce  au  secours  de  leurs  alliés. 

Revenons  à  nos  rapports  avec  Ghalco.  Il  était  très-important  pour 
nous  que  cette  province  fût  débarrassée  des  Guluans.  C'est  par  là,  en 
effet,  qu'il  nous  fallait  passer  pour  aller  à  la  Villa  Rica  de  la  Vera 
Gruz,  ainsi  qu'à  Tlascala,  et  en  revenir;  c'est  encore  ce  pays  qui  de- 
vait approvisionner  nos  quartiers,  car  les  terres  y  sont  très-riches  en 
maïs.  Notre  général  donna  donc  l'ordre  à  G-onzalo  de  Sandoval,  al- 
guazil  mayor,  de  s'apprêter  à  se  rendre  à  Ghalco  le  lendemain  de 
bonne  heure.  Il  mit  à  sa  disposition  vingt  cavaliers,  deux  cents  sol- 
dats, douze  arbalétriers,  dix  hommes  d'escopette  et  les  Tlascaltèques 
qui  nous  restaient,  en  nombre  fort  restreint,  puisque,  ainsi  que  je 
viens  de  le  dire,  la  plupart  étaient  retournés  chez  eux  chargés  de 
butin.  Sandoval  emmena  aussi  un  bataillon  de  gens  de  Tezcuco  et  se 
fit  accompagner  du  capitaine  Luis  Marin  qui  était  son  intime  ami. 
Nous  restâmes,  Gortès,  Pedro  de  Alvarado,  Ghristoval  de  Oli  et  les 
autres  soldats,  à  la  garde  de  la  ville  et  des  brigantins. 

Je  ne  laisserai  pas  partir  Gonzalo  de  Sandoval  pour  Ghalco,  sans 
dire  que  lorsque  j'étais  occupé  à  écrire  dans  cette  histoire  tout  ce  qui 
arriva  à  Gortès  dans  son  expédition  de  Saltocan,  je  me  trouvai  par 
hasard  en  présence  de  deux  hidalgos  fort  curieux  qui  avaient  lu  le 
récit  de  Gomara.  Ils  me  dirent  que  j'avais  oublié  trois  choses  dont  le 
chroniqueur  faisait  mention  au  sujet  de  cette  expédition  de  Gortès. 
La  première,  c'est  que  Gortès  s'approcha  de  Mexico  avec  treize  bri- 
gantins et  qu'il  se  battit  contre  les  forces  de  Guatemuz  postées  sur 
la  lagune  dans  de  grandes  embarcations  et  des  pirogues.  Un  autre 
oubli,  c'est  que  Gortès,  lorsqu'il  entra  par  la  chaussée  de  Mexico,  eut 
des  pourparlers  avec  les  seigneurs  et  les  caciques  de  la  capitale  et 
les  menaça  de  les  faire  mourir  de  faim  en  interceptant  leurs  provi- 
sions. Une  dernière  omission  enfin,  c'était  que  Gortès  n'avait  pas 
voulu  dire  aux  habitants  de  Tezcuco  qu'il  allait  à  Saltocan,  de  crainte 
qu'on  en  avertit  les  Mexicains.  Je  répondis  à  ces  hidalgos  que  les 
brigantins  n'étaient  point  construits  en  ce  moment-là.  Et  d'ailleurs 
comment  Gortès  aurait-il  pu  les  amener  par  la  route  de  terre  qu'il 
avait  suivie?  Gomment  aurait-il  pu  faire  passer  ses  chevaux  par  la 
lagune,  ou  se  faire  suivre  par  tant  de  monde?  On  ne  peut  vraiment 
s'empêcher  de  sourire  au  récit  de  tout  ce  que  le  chroniqueur  a  écrit. 
La  vérité  est  que  lorsque  Gortès  s'engagea  sur  la  chaussée  de  Ta- 
cuba,  ainsi  que  je  l'ai  dit,  il  eut  fort  à  faire  pour  en  échapper,  lui  et 
son  armée,  à  moitié  en  déroute.  Et  puis,  en  ce  temps-là,  nous  n'avions 
point  encore  investi  Mexico  de  manière  à  lui  couper  les  vivres.  Les 
Mexicains  ne  s'en  trouvaient  nullement  privés,  car  ils  n'étaient  en- 
core entoures  que  de  leurs  vassaux.  Gomara  a  donc  tort  de  placer  ici 
ce  qui  se  passa  plus  tard  lorsque  nous  les  serrions  de  plus  près.  Il 


436  CONQUÊTE 

se  trompe  encore  lorsqu'il  prétend  que  Cortès  prit  un  détour  pour 
aller  à  Saltocan,  afin  que  les  gens  de  Tezcuco  l'ignorassent.  Je  ré- 
ponds qu'il  lui  fallut  bien  passer  par  le  pays  et  par  les  villages  de 
Tezcuco,  puisqu'il  n'y  avait  pas  d'autre  chemin.  Le  chroniqueur  n'est 
donc  pas  dans  le  vrai  en  ce  qu'il  écrit;  mais  je  comprends  que  ce 
n'est  pas  lui  qui  en  a  la  faute  :  elle  est  au  personnage  qui  l'informa  et 
qui,  pour  élever  aux  nues  celui  qu'il  avait  en  vue,  se  plaît  à  grandir 
son  importance,  cachant  sous  des  récits  controuvés  les  faits  héroï- 
ques dont  nous  étions  les  auteurs.  La  voilà,  la  vérité.  Les  hidalgos 
qui  m'interrompaient  en  furent  Lien  convaincus  et  ils  virent  clair 
dans  les  événements  aussitôt  que  je  les  leur  eus  expliqués  tels  qu'ils 
s'étaient  passés. 

A  présent,  laissons  ce  propos  et  revenons  au  capitaine  Gonzalo  de 
Sandoval.  Il  partit  de  Tezcuco  après  avoir  entendu  la  messe  et  arriva 
à  Ghalco  au  jour  naissant.  Je  vais  dire  ce  qui  en  advint. 


CHAPITRE  GXL1I 

Comme  quoi  le  capitaine  Gonzalo  de  Sandoval  fut  à  Chalco  et  à  Talmanalco 
avec  toute  son  armée,  et  ce  qui  arriva  dans  cette  expédition. 

J'ai  dit  dans  le  chapitre  précédent  comme  quoi  les  villages  de 
Ghalco  et  de  Talmanalco  envoyèrent  demander  du  secours  à  Cortès 
parce  que  de  gros  bataillons  s'étaient  réunis  pour  leur  faire  la  guerre. 
Tant  ils  prièrent,  que  notre  chef  se  décida  à  envoyer  Gonzalo  de  San- 
doval avec  deux  cents  soldats,  vingt  cavaliers,  dix  ou  douze  arbalé- 
triers, autant  d'hommes  d'escopette,  nos  amis  de  Tlascala  et  un  ba- 
taillon de  Tezcucans.  Il  emmenait  avec  lui  le  capitaine  Luis  Marin, 
qui  était  son  intime  ami.  Après  avoir  entendu  la  messe,  le  12  du 
mois  de  mars  1521,  il  fut  passer  la  nuit  dans  des  établissements  dé- 
pendant de  Chalco  et  il  arriva  le  lendemain  à  Talmanalco  au  lever  du 
j  our.  Les  caciques  et  les  capitaines  du  lieu  lui  firent  le  meilleur  ac- 
cueil. Après  lui  avoir  donné  à  manger,  on  lui  conseilla  de  se  diriger 
sur  un  grand  village,  appelé  Guaztepeque,  où  il  trouverait  toutes  les 
forces  réunies  des  Mexicains,  si  l'on  ne  les  rencontrait  pas  en  route 
avant  d'y  arriver.  Tous  les  gens  armés  de  la  province  de  Ghalco  s'of- 
fraient à  marcher  avec  lui.  Sandoval  trouva  bon  le  conseil  de  partir 
sur-le-champ.  Formant  soigneusement  ses  rangs,  il  se  mit  en  route 
et  alla  passer  la  nuit  à  Ghimaloacan,  bourg  qui  dépendait  de  Chalco. 
Des  espions  qui  avaient  été  placés  sur  le  chemin  pour  surveiller  les 
Guluans  vinrent  avertir  que  l'ennemi  se  trouvait  à  peu  de  distance  de 
là  attendant  caché  dans  des  ravins  et  prêt  à  combattre.  Gomme  Sando- 


DE  LA   NOUVELLE-ESPAGNE.  437 

val  était  un  homme  fort  avisé,  il  plaça  les  escopettiers  et  les  arbalé- 
triers à  l'avant-garde;  il  donna  l'ordre  aux  cavaliers  de  marcher  par 
groupes  de  trois,  leur  recommandant,  lorsqu'ils  verraient  le  tir  des 
arbalétriers  et  des  escopettiers  décidément  engagé,  de  ne  jamais  se 
séparer  et  de  charger  au  petit  galop,  avec  la  lance  en  travers,  pre- 
nant soin  de  ne  pas  donner  de  la  pointe,  mais  de  balafrer  simple- 
ment l'ennemi  à  la  lace  jusqu'à  réussir  à  le  mettre  en  fuite.  Il  pres- 
crivit aux  fantassins  de  se  former  en  masse  compacte  et  de  ne  se  jeter 
sur  l'ennemi  que  lorsqu'ils  en  auraient  reçu  l'ordre.  On  lui  avait  dit 
en  effet  que  les  Mexicains  étaient  fort  nombreux  (ce  qui  était  exact) 
et  qu'ils  se  trouvaient  postés  en  des  passages  difficiles.  Il  ignorait 
si  l'on  avait  pratiqué  des  tranchées  ou  élevé  des  palissades  et  il 
jugeait  prudent  d'avoir  tout  son  monde  sous  la  main,  de  crainte 
qu'il  ne   lui  arrivât  quelque  échec. 

On  poursuivait  la  marche  en  avant,  lorsqu'on  vit  tout  à  coup  appa- 
raître dans  trois  directions  les  bataillons  mexicains,  criant,  sonnant 
de  la  trompette,  battant  leurs  atabales,  pourvus  de  toutes  armes, 
ainsi  qu'ils  en  ont  l'habitude.  Ils  se  précipitèrent  sur  les  nôtres 
comme  des  lions  furieux.  Sandoval,  voyant  l'ennemi  si  résolu,  se  dé- 
partit de  l'ordre  qu'il  avait  déjà  donné  et  commanda  aux  cavaliers  de 
charger  les  Mexicains  avant  qu'ils  fussent  arrivés  jusqu'à  lui.  Se 
mettant  lui-même  à  leur  tête  et  animant  leur  courage,  il  s'écria  : 
«  Santiago  !  et  sus  en  avant!  »  Ce  choc  mit  le  désordre  dans  quel- 
ques bataillons  mexicains  ;  mais  ils  n'en  furent  pas  à  ce  point  dérou- 
tés qu'ils  ne  pussent  se  rallier  et  faire  face  de  nouveau.  Ils  mettaient 
à  profit  les  inégalités  du  sol  sur  lequel  nos  cavaliers  n'avaient  pas  li- 
bre carrière.  Ceux-ci  donc  ne  purent  point  se  livrer  à  la  poursuite. 
Il  en  résulta  que  Sandoval  renouvela  ses  premiers  ordres,  enjoignant 
à  ses  arbalétriers  et  gens  d'escopette  d'attaquer  en  tête  et  de  front  ; 
les  hommes  armés  de  rondaches  devaient  se  jeter  sur  les  flancs  de 
l'ennemi..  Lorsque  l'action  serait  ainsi  engagée  et  que  les  Mexicains 
commenceraient  à  en  souffrir,  si  l'on  entendait  un  coup  de  feu  partir 
de  l'autre  côté  du  ravin,  ce  serait  le  signal  pour  que  tous  les  cava- 
liers ensemble  chargeassent  afin  de  déloger  l'ennemi  de  son  poste  et 
faire  en  sorte  de  le  ramener  en  plaine  tout  près  de  là.  Sandoval  re- 
commanda en  même  temps  à  nos  alliés  de  suivre  le  mouvement  des 
Espagnols. 

Cet  ordre  reçut  son  exécution.  Il  résulta  du  choc  un  grand  nombre 
de  blessés  parmi  nos  hommes,  parce  que  la  multitude  d'ennemis  qui 
tomba  sur  eux  était  considérable.  Quoi  qu'il  en  soit,  on  les  obligea  à 
reculer;  mais. ils  gagnèrent  d'autres  passages,  pour  nous  difficiles. 
Sandoval  avec  ses  cavaliers  se  hasarda  néanmoins  à  les  poursuivre, 
sans  réussir  à  en  prendre  plus  de  trois  ou  quatre.  Le  chemin  était 
du   reste  si  mauvais  que  le  cheval  d'un  certain  Gonzalo  Dominguez 


438  CONQUÊTE 

roula  sur  le  sol  et  tomba  sur  son  cavalier,  qui  mourut,  peu  de  jours 
après,  de  cette  mauvaise  chute.  Je  fais  ici  mémoire  de  ce  malheur, 
parce  que  ce  Gonzalo  Dominguez  était  un  de  nos  meilleurs  cavaliers 
et  un  des  plus  valeureux  soldats  que  Gortès  eût  amenés  avec  lui. 
Nous  l'estimions  à  l'égal  de  Ghristoval  de  Oli  et  de  Sandoval.  Cette 
mort  nous  causa  à  tous  les  plus  vifs  regrets. 

Revenons  à  Sandoval  et  à  sa  troupe.  Il  poursuivit  l'ennemi  jusqu'aux 
approches  du  village  de  Guaztepeque.  Mais,  avant  qu'il  y  arrivât, 
plus  de  quinze  mille  Mexicains  en  sortirent  à  sa  rencontre.  Ils  com- 
mencèrent à  l'entourer,  lui  Messant  plusieurs  soldats  et  cinq  chevaux. 
Mais  ici  le  terrain  était  plat  et  l'on  put  faire  une  charge  en  règle 
sur  deux  bataillons  ennemis,  ce  qui  décida  les  autres  à  tourner  le  dos 
et  à  fuir  jusqu'au  village.  Là  ils  s'abritèrent  derrière  des  palissades. 
Du  reste  nos  soldats  et  nos  alliés  coururent  à  leur  poursuite;  nos  ca- 
valiers les  suivirent  dans  d'autres  directions,  de  manière  que  sans 
s'arrêter  nulle  part  nos  ennemis  s'enfermèrent  tous  dans  le  bourg, 
en  des  points  où  il  ne  fut  pas  possible  de  les  atteindre. 

Sandoval,  croyant  qu'ils  ne  penseraient  plus  à  combattre  ce  jour-là, 
donna  l'ordre  à  ses  hommes  de  se  reposer.  On  pansa  les  blessés  et 
on  commença  à  manger  du  butin  considérable  qu'on  avait  fait.  Mais 
à  peine  le  repas  était-il  entamé  que  deux  cavaliers  et  deux  soldats 
qui  avaient  mission  les  uns  de  courir  la  campagne,  les  autres  de 
surveiller  sur  place,  accoururent  en  criant  aux  armes  et  avertissant 
qu'un  grand  nombre  de  bataillons  mexicains  allaient  fondre  sur 
nous.  Gomme  nous  étions  toujours  équipés,  on  sauta  en  selle  à  l'ins- 
tant et  l'on  arriva  à  une  vaste  place  au  moment  où  l'ennemi  y  dé- 
bouchait aussi.  Une  autre  sérieuse  bataille  s'engagea.  Les  Mexicains 
firent  bonne  contenance  pendant  quelque  temps  en  s'abritant  derrière 
des  parapets  d'où  ils  réussirent  à  blesser  quelques-uns  des  nôtres. 
Mais  Sandoval  les  pressa  si  bien  avec  nos  cavaliers,  escopettiers  et 
gens  d'arbalète,  nos  fantassins  jouèrent  si  bien  de  leurs  épées  qu'on 
les  délogea  du  village  et  qu'on  les  fit  fuir  vers  les  ravins,  d'où  ils  ne 
sortirent  plus  ce  jour-là. 

Le  capitaine  Sandoval,  après  ce  combat,  rendit  grâces  à  Dieu  et  fut 
se  reposer  et  passer  la  nuit  en  un  parc  ou  grand  jardin  très-beau, 
qu'il  y  avait  dans  le  village.  On  y  remarquait  de  superbes  édifices  et 
les  plus  belles  choses  qu'on  eût  vues  jusque-là  dans  la  Nouvelle-Es- 
pagne. Tout  y  était  à  ce  point  admirable  que  cette  résidence  parais- 
sait assurément  fort  digne  d'être  occupée  par  un  grand  prince.  On 
ne  put  pas  dans  le  moment  parcourir  tous  ces  vastes  jardins  qui 
avaient  plus  d'un  quart  de  lieue  de  longueur.  Cessons  du  reste  pour  le 
moment  de  nous  en  entretenir.  Je  dois  dire  au  surplus  que  je  n'assistai 
pas  à  cette  attaque  ;  je  ne  parcourus  pas,  par  conséquent,  des  pre- 
miers, ce  beau  site;  ce  ne  fut  qu'environ  vingt  jours  plus  tard,  lors- 


DE  LA  NOUVELLE-ESPAGNE.  439 

que  je  vins  avec  Cortcs,  dans  Ja  manœuvre  entreprise  pour  faire  le 
tour  de  la  lagune  en  passant  par  ces  grands  villages,  ainsi  que  je  le 
dirai  bientôt.  La  raison  qui  me  fit  manquer  la  première  campagne,  ce 
fut  une  blessure  causée  par  un  coup  de  lance  que  je  reçus  à  la  gorge, 
qui  me  mit  en  danger  de  mort  et  dont  je  garde  une  cicatrice  visible. 
Je  la  reçus  à  Iztapalapa,    lorsqu'on  nous  y  serra  de   si   près.  C'est 
donc  parce  que  je  ne  fis  pas  cette  dernière  campagne  de  Sandoval, 
que  je  m'exprime  dans  mon  récit  en  disant  :  Ils  allèrent,  ils  firent 
ceci,  il  leur  arriva  cela;  et  nullement  :  Nous  fimés,  je  fi*,  je  vins, 
ou  :  Je  me  trouvai  dans  cette  affaire.  Il  n'en  est  pas  moins  vrai  que 
tout  se  passa  au  pied  de  la  lettre  ainsi  que  je  le  raconte  ;  car  on  sait 
toujours  au  grand  quartier  exactement  ce  qui  se  «passe  dans  les  expé- 
ditions :  aussi   n'y   peut-on  dire   ni   plus  ni  moins  que  ce   qui  est 
arrivé. 

J'abandonnerai  cette  explication  pour  retourner  au  capitaine  Gon- 
zalo  de  Sandoval,  qui,  le  lendemain  du  combat,  n'entendant  plus  le 
bruit  des  guerriers  mexicains,  fit  appeler  les  caciques  du  village  au 
moyen  de  cinq  Indiens  choisis  parmi  ceux  que  nous  avions  pris  dans 
les  batailles  précédentes.  Deux  d'entre  eux  étaient  des  personnages 
distingués.  Il  envoya  dire  qu'on  bannît  toute  crainte  et  qu'on  vînt 
pacifiquement  près  de  lui,  leur  assurant  entre  autres  choses  que  le 
passé  serait  pardonné.  Les  Indiens  s'acquittèrent  de  ce  message   de 
paix;  mais  les  caciques  n'osèrent  pas  venir,  à  cause  de  la  crainte  que 
les  Mexicains  leur  inspiraient.  Ce  môme  jour,  Sandoval  envoya  des 
émissaires  à  un  autre  grand  village  situé  deux  lieues  plus  loin  et  ap- 
pelé Acapistla,  priant  les  habitants  d'observer  que  la  paix  est  chose 
désirable  et  qu'ils  ne  devaient  point  faire  la  guerre;  en  les  invitant  à 
bien  se  souvenir  de  ce  qui  était  arrivé  aux  bataillons  culuans   qui 
tous  avaient  été  mis  en  déroute  au  bourg  de  Guaztepeque,  il  les  ad- 
jurait de  vivre  en  paix  avec  nous  et  de  chasser  les  garnisons  mexicai- 
nes de  leur  district,  ajoutant  que,  s'ils  n'agissaient  pas  ainsi,  il  por- 
terait la  guerre  chez  eux  et  les  châtierait.  La  réponse  fut  que  Sando- 
val pouvait  les  attaquer  quand  il  voudrait,  qu'ils  espéraient  bien  faire 
bombance  avec  les  chairs  espagnoles  et  prodiguer  de  bons  sacrifices 
à  leurs  idoles. 

En  entendant  cette  réponse,  les  caciques  de  Ghalco,  qui  étaient 
avec  Sandoval,  sachant  qu'il  y  avait  dans  ce  village  d'Acapistla  une 
garnison  beaucoup  plus  nombreuse  destinée  à  porter  la  guerre  à  Ghaleo 
aussitôt  que  Sandoval  y  serait  revenu,  prièrent  ce  capitaine  de  mar- 
cher contre  ce  bourg  pour  en  chasser  les  Culuans.  La  pensée  de 
Sandoval  était  de  n'y  pas  aller,  d'abord  parce  qu'il  souffrait  d'une 
blessure  et  qu'il  avait  plusieurs  soldats  et  des  chevaux  blessés,  et  en- 
suite parce  qu'ayant  déjà  soutenu  trois  batailles,  il  ne  lui  paraissait 
pas  opportun  d'outrepasser  ce  que  Cortès  lui  avait  commandé.  Ajou- 


440  CONQUETE 

tons  que  quelques  caballeros  de  l'expédition  de  Narvaez,  qui  étaient 
en  sa  compagnie,  lui  conseillaient  de  retourner  à  Tezcuco  sans  aller 
à  Acapistla,  assurant  que  ce  bourg  était  bien  fortifié  et  qu'on  y  pou- 
vait craindre  quelque  événement  fâcheux.  Mais  le  capitaine  Luis 
Marin  le  poussait  à  entreprendre  cette  attaque  et  à  faire  ce  qui  serait 
en  son  pouvoir;  les  caciques  de  Chalco  prétendaient  en  effet  que  si 
les  Espagnols  s'en  retournaient  sans  avoir  défait  les  troupes  du  vil- 
lage ennemi,  celles-ci  se  précipiteraient  sur  Chalco  aussitôt  qu'elles 
sauraient  le  retour  de  Sandoval  à  Tezcuco.  Gela  décida  Sandoval  à 
tenter  l'attaque.  Il  prépara  ses  soldats  et  il  partit. 

Gomme  la  distance  n'est  que  de  deux  lieues,  il  ne  tarda  pas  à  se 
trouver  en  vue  du  village  ;  mais,  avant  qu'il  y  fût  arrivé,  une  grande 
multitude  de  guerriers  se  porta  à  sa  rencontre;  on  lui  lança  une  telle 
quantité  de  pieux,  de  flèches,  de  pierres  à  fronde,  que  cela  tombait 
sur  les  Espagnols  dru  comme  grêle  et  qu'on  blessa  trois  chevaux  et 
plusieurs  soldats  sans  que  les  nôtres  pussent  causer  aucun  dommage 
à  l'ennemi.  Gela  fait,  les  Indiens  gagnent  les   escarpements  des  ro- 
chers et  leurs  j)oints  fortifiés,  et  de  là  ils  font  entendre  leurs  cris  de 
guerre,  les  sons  de  leurs  conques  marines  et  les  battements  de  leurs 
atabales.  Sandoval,  comprenant  la  situation,  fait  mettre  pied  à  terre 
à  quelques-uns.  de  ses  cavaliers,  ordonne  aux  autres  de  se  tenir  en 
plaine  et  de  s'assurer  s'il  ne  vient  pas  des  renforts  mexicains  pendant 
qu'on  ira  combattre  dans  le  village.  Quand  il  vit  au  surplus  que  les 
caciques  de  Chalco,  leurs  capitaines  et  la  plupart  de  leurs  Indiens 
s'occupaient  à  tournoyer  sans  oser  en  venir  aux  mains  avec  l'ennemi, 
voulant  les   éprouver,  il  leur  dit  :  «  Que  faites-vous  là?  que  n'enta- 
mez-vous le  combat!  pourquoi  ne  pénétrez-vous  pas  dans  le  village? 
Nous  sommes  là,  nous  vous  protégerons.  »  Ils  répondirent  qu'ils  n'o- 
saient pas  parce  que  c'était  un  point  trop  fortifié,  et  que  du  reste  Sandoval 
et  ses  frères  les  teules  étaient  venus  précisément  pour  servir  de  bou- 
clier et  d'appui  à  ceux  de  Chalco  dans   cette  attaque.  Le  capitaine 
alors  forma  ses  rangs  de  telle  sorte  que,  lui  à  la  tête,  les  gens  d'es- 
copette  et  les  arbalétriers  commencèrent  l'attaque  en  gravissant  les 
rochers.  Dans  cette  montée  ils  reçurent  un  grand  nombre  de  blessu- 
res; Sandoval  y  fut  de  nouveau  personnellement  très-maltraité;  il  y 
eut  plusieurs  blessés  parmi   nos  alliés.  Mais,  malgré  tout,  il  entra 
dans  la  place  en  faisant  le  plus  grand  mal  à  l'ennemi,  qui  fut  surtout 
fort  malmené  par  nos  alliés  de  Chalco  et  nos  amis  les  Tlascaltèques. 
Pour  ce  qui  est  de  nos  soldats,  si  l'on  en  excepte  le  premier  moment 
où  il  fallut  forcément  s'escrimer  pour  mettre  l'ennemi  en  fuite,  ils  ne 
s'acharnaient   nullement  contre  les  Indiens,   toute  blessure  inutile 
leur  paraissant  une  cruauté;  ils  ne  s'occupèrent  réellement  qu'à  se 
munir  de  quelques  bonnes  Indiennes  et  à  se  faire  un  peu  de  butin. 
Au  surplus,  ils  reprochaient  à  nos  alliés  leur  cruauté  et  mettaient  le 


DE  LA  NOUVELLE-ESPAGNE.  441 

plus  grand  zèle  à  leur  arracher  des  mains  les  Indiens,  hommes  et 
femmes,  pour  en  empêcher  le  massacre1.  Quoi  qu'il  en  soit,  nous  di- 
rons que  les  guerriers  mexicains  chargés  de  la  défense  descendaient 
précipitamment  du  haut  des  rochers  vers  un  ravin  au  fond  duquel 
coulait  un  ruisseau.  Plusieurs  y  arrivaient  blessés  et  teignaient  de 
leur  sang  l'eau  courante;  mais  cette  eau  n'en  fut  en  réalité  troublée 
que  le  temps  qu'il  faudrait  pour  dire  un  Ave.  C'est  là  cependant  que 
Je  chroniqueur  Gomara  dit  dans  son  histoire  que  le  ruisseau  était  à 
ce  point  ensanglanté  que  nos  hommes  aimaient  mieux  souffrir  de  la 
soif  que  d'y  boire.  A  cela  je  réponds  qu'il  y  avait  en  bas  du  village 
des  fontaines  d'eau  claire  et  que  nos  soldats  n'avaient  pas  besoin  d'en 
chercher  ailleurs. 

Gela  étant  terminé,  Sandoval  s'en  retourna  à  Tezcuco  avec  tout  son 
monde,  emportant  un  grand  butin  dans  lequel  figuraient  de  très-bon- 
nes Indiennes.  D'autre  part,  lorsque  Guatemuz,  seigneur  de  Mexico, 
connut  ces  événements  et  la  défaite  de  ses  armées,  il  en  éprouva,  dit- 
on,  le  plus  vif  chagrin,  en  voyant  surtout  que  les  habitants  de  Ghalco, 
qui  étaient  ses  sujets  et  ses  vassaux,  avaient  osé  prendre  trois  fois 
les  armes  contre  ses  forces.  Dans  son  dépit  il  résolut  que,  profitant 
du  retour  de  Sandoval  à  Tezcuco,  on  mettrait  en  campagne  une  mul- 
titude de  guerriers  qu'il  leva  à  l'instant  dans  la  ville  de  Mexico  et 
dont  il  grossit  les  rangs  par  d'autres  qui  se  trouvaient  aux  bords  de 
la  lagune.  Environ  vingt  mille  Mexicains,  bien  munis  de  toutes  ar- 
mes, partirent  dans  plus  de  deux  mille  grandes  embarcations  et  se 
précipitèrent  tout  à  coup  sur  le  pays  de  Ghalco,  décidés  à  lui  causer 
le  plus  de  mal  possible.  Gela  se  fit,  du  reste,  avec  une  telle  prompti- 
tude qu'à  peine  Sandoval  arrivant  à  Tezcuco  s'abouchait-il  avec  notre 
général,  qu'apparurent  d'autres  messagers  de  Ghalco,  venus  en  canots 
par  la  lagune,  demandant  de  nouveau  l'appui  de  Gortès.  Ils  disaient 
que  vingt  mille  Mexicains,  montés  sur  deux  mille  embarcations,  s'é- 
taient montrés  tout  à  coup  et  qu'on  eût  à  y  porter  remède  le  plus  tôt 
possible.  Or  Sandoval  arrivait  en  ce  même  moment  devant  Gortès  et 
lui  faisait  le  rapport  de  ce  qu'il  avait  accompli  dans  son  expédition. 
Mais,  irrité  de  ce  nouveau  message,  notre  chef  refusa  d'entendre  le 
capitaine,  croyant  que  c'était  sa  faute  si  nos  alliés  de  Ghalco  étaient 
de  nouveau  maltraités.  Incontinent,  sans  plus  de  délai  et  sans  l'écou- 
ter davantage,  il  lui  donna  Tordre  de  repartir  après  avoir  laissé  ses 
blessés  au  quartier  de  Tezcuco.  Sandoval  s'en  fut  donc  avec  tous  ses 
hommes  valides;  mais  il  ressentit  un  vif  chagrin  des  dures  paroles  de 
son  chef  .et  en  voyant  qu'il  s'obstinait  à  ne  pas  écouter  ses  explica- 


1.  Le  soin  que  l'auteur  prend  de  défendre  les  Espagnols  du  reproche  de  cruauté 
provient  surtout  de  l'accusation  que  Las  Casas  a  fait  peser  sur  eux  à  propos  de  ce  fait 
d'armes. 


442  CONQUÊTE 

tions.  Il  arriva  au  but  avec  son  armée  très-fatiguée  de  la  marche  et  du 
poids  des  armes. 

Mais,  d'autre  part,  il  paraît  que  les  habitants  de  Chalco,  ayant  eu 
connaissance,  au  moyen  de  leurs  espions,  de  l'arrivée  subite  des  Mexi- 
cains chez  eux  et  du  dessein  que  Cruatemuz  avait  formé  de  cette  atta- 
que, ne  voulurent  point  attendre  notre  secours  et  firent  prévenir  leurs 
voisins  des  provinces  de  Guaxocingo  et  de  Tlascala,  lesquels  s'empres- 
sèrent d'accourir,  fort  bien  armés,  cette  nuit-là  même.  En  se  joignant 
aux  guerriers  de  Chalco,  ils  formèrent  un  ensemble  de  plus  de  vingt 
mille  hommes  ;  et  comme  d'ailleurs  ils  avaient  déjà  perdu  la  crainte 
que  les  Mexicains   leur  inspiraient  jusque-là,  ils  les  attendirent  de 
pied  ferme,  se  battirent  avec  un  grand  courage  et  tuèrent  ou  prirent 
quinze   chefs  et  dignitaires  ennemis,  faisant  en  outre  un  très- grand 
nombre  de  prisonniers  parmi  les  simples  guerriers.  Cette  bataille 
fut  considérée  comme  déshonorante  pour  les  Mexicains,  puisqu'ils 
furent  vaincus  par  les  habitants  de  Chalco,  chose  plus  humiliante  que 
s'ils  avaient  succombé  sous  nos  propres  coups.  En  arrivant  à  Chalco, 
Sandoval  vit  donc  qu'il  n'y  avait  plus  rien  à  faire  ni  rien  à  redouter, 
attendu  que  très-probablement  les  Mexicains  ne  reviendraient  point 
sur  cette  ville.  Il  s'en  retourna  à  Tezcuco,  emmenant  avec  lui  les  pri- 
sonniers culuans.  Gortès  se  réjouit  grandement   de  ce  retour;  mais 
Sandoval  se  montra  très-irrité  de  ce  qui  s'était  passé  ;  il  ne  lui  rendit 
pas  visite  et  il  ne  voulut  point  parler  à  notre  chef,  quoique  celui-ci 
lui  fît  dire  qu'il  avait  mal  compris  les  événements  et  cru  que  les  cho- 
ses s'étaient  mal  arrangées  par  la  faute  de  Sandoval  qui,  malgré  sa 
belle  armée  d'hommes  à  pied  et  à  cheval,  serait  revenu  sans  avoir 
vaincu  les  Mexicains.  Malgré  tout,  ces  deux  capitaines  ne  tardèrent 
pas  à  redevenir  bons  amis,  car  Cortès  ne  perdait  aucune  occasion  de 
faire  tout  ce  qu'il  pouvait  pour  satisfaire  Sandoval. 

Je  laisserai  là  ce  récit  pour  dire  que  nous  convînmes  de  marquer 
au  fer  toutes  les  pièces  d'esclaves,  hommes  et  femmes,  dont  on  s'était 
emparé  en  très-grand  nombre.  Je  dirai  aussi  qu'il  arriva  alors  un 
navire  de  Castille  et  ce  qui  advint  encore. 


CHAPITRE  CXLIII 


Comment  on  marqua  au  fer  rouge  les  esclaves  à  Tezcuco,  et  comme  quoi  nous  eûmes 
la  nouvelle  qu'un  navire  était  arrivé  à  la  Villa  Rica.  Je  dirai  les  passagers  qui  le 
montaient  et  autres  choses  qui  advinrent. 

Comme  Sandoval  venait  d'arriver  avec  un  grand  nombre  d'escla- 
ves, et  que  d'ailleurs  il  y  en  avait  déjà  beaucoup  qui  provenaient 
des  précédentes  campagnes,  il  fut  convenu  qu'on  les  marquerait  au 


DE  LA   NOUVELLE-ESPAGXK.  443 

fer1.  On  fit  donc  circuler  l'ordre  do  les  réunir  en  une  maison  qui  fut 
désignée  dans  ce  but.  La  plupart  d'entre  nous  présentèrent  les  pièces 
qu'on  avait  prises,  pour  qu'on  leur  appliquât  la  marque  de  Sa 
Majesté,  ainsi  que  cela  avait  été  précédemment  convenu  avec  Gortès  ; 
je  l'ai  dit  dans  le  chapitre  qui  en  a  traité.  Nous  pensions  qu'on  nous 
les  rendrait  après  que  nous  aurions  payé  le  quint  royal  sur  le  prix 
qui  serait  assigné  comme  valeur  à  chaque  pièce.  Mais  il  n'en  fut  pas 
ainsi,  et  je  puis  bien  dire  que  si  les  choses  se  passèrent  fort  mal 
pour  nous  à  Tepeaca,  ainsi  que  je  l'ai  conté  déjà,  ce  fut  bien  pire 
encore  à  Tezcuco,  où,  après  le  cinquième  du  Roi,  il  en  fallut  payer 
un  autre  pour  Gortès  et  plusieurs  avantages  encore  pour  les  capitai- 
nes. Au  surplus,  dans  la  nuit  qui  précéda  le  partage,  lorsque  toutes 
les  pièces  étaient  rassemblées,  les  meilleures  Indiennes  disparurent. 
Cependant  Gortès  nous  avait  bien  promis  que  les  bonnes  pièces  se- 

1.  Cette  barbare  coutume  ne  se  perpétua  pas,  heureusement,  dans  la  nouvelle 
colonie  :  l'horreur  qu'elle  excita  la  fit  détruire  bientôt  par  disposition  royale.  Cortès, 
qui  en  fut  le  promoteur,  en  éprouva  quelques  remords  dès  le  début  même,  car  il  s'en 
excuse  dans  sa  deuxième  Lettre  à  Charles-Quint.  Voici  la  traduction  du  passage  qui 
s'y  rapporte  : 

«  Dans  une  certaine  partie  de  cette  province  (Tepeaca)  où  l'on  tua  les  dix  Espa- 
gnols dont  j'ai  parlé,  par  suite  de  l'humeur  guerrière  et  révolutionnaire  des  habitants, 
je  fis  quelques  esclaves  dont  le  cinquième  fut  réservé  aux  commissaires  de  Votre 
Majesté.  J'ai  suivi  cette  conduite  parce  qu'en  sus  d'avoir  tué  nos  Espagnols  et  de 
s'être  rebellés  contre  le  service  de  Votre  Altesse,  ces  hommes  mangent  tous  de  la  chair 
humaine  ;  le  fait  est  si  vulgairement  connu  que  je  n'en  envoie  nulle  preuve  à  Votre 
Majesté.  Je  fus  également  conduit  à  la  nécessité  de  faire  ces  esclaves  pour  inspirer 
quelque  crainte  aux  Culuans  et  aussi  par  suite  de  la  croyance  où  je  suis,  en  voyant 
autour  de  moi  des  populations  si  nombreuses,  que,  si  je  n'exerçais  pas  contre  elles 
quelque  châtiment  empreint  jusqu'à  un  certain  point  de  cruauté,  on  ne  les  verrait 
jamais  s'amender.  »  (Cortès,  2e  Lettre.) 

Le  remords  que  Cortès  éprouvait  à  propos  de  sa  conduite  dans  le  fait  de  l'esclavage 
des  Indiens,  devint  plus  manifeste  à  la  lin  de  ses  jours  :  on  le  vit  en  effet,  au  dire  des 
historiens,  s'ingénier  à  obtenir  des  consultations  théologiques  lui  prouvant  qu'il  n'y 
avait  nulle  immoralité  à  réduire,  en  certaines  circonstances,  ses  semblables  en  escla- 
vage. Mais,  eût-il  trouvé  des  raisons  pour  calmer  ses  scrupules  au  point  de  vue  de 
l'esclavage  considéré  en  lui-même,  on  ne  voit  pas  comment  sa  conscience  aurait  pu 
lui  montrer  comme  légitime  la  coutume  barbare  de  se  servir  du  fer  rouge  pour  mar- 
quer les  esclaves. 

J'ai  voulu,  du  reste,  à  ce  sujet,  m'éclairer  relativement  au  point  du  corps  sur  lequel 
cette  marque  était  appliquée.  Bernai  Diaz  n'en  parle  nullement.  Cependant  il  y  a  un 
passage  de  son  livre  qui  est  explicite  à  ce  sujet;  c'est  le  discours  des  personnages  de 
qualité  à  Guatimozin,  aux  derniers  jours  du  siège  de  Mexico,  pour  l'engager  à  ne  pas 
se  rendre.  Ils  lui  disent  :  «  ....  Tous  tes  sujets,  tes  vassaux  de  Tepeaca,  de  Chalco,  de 
Tezcuco  même,  ainsi  que  de  tant  d'autres  villes  et  villages....  tu  vois  qu'il  en  a  fait 
des  esclaves  et  qu'il  les  a  marqués  au  visage  ».  Il  est  inutile  de  chercher  ailleurs  des 
preuves  nouvelles  ;  ce  passage  est  suffisamment  clair  :  c'est  bien  au  visage  que  la 
marque  était  appliquée  le  plus  souvent.  11  ne  devait  sans  doute  pas  en  être  toujours 
ainsi,  car  les  conquérants  s'entouraient  quelquefois  de  femmes  esclaves  que  leur 
beauté  faisait  préférer.  Il  n'est  pas  naturel  de  croire  qu'ils  les  vissent  de  sang-froid 
défigurées  par  le  fer  rouge.  On  peut  voir  du  reste  un  peu  plus  loin  (page  444)  un  pas- 
sage dans  lequel  Bernai  Diaz  nous  raconte  qu'on  prenait  soin  de  les  soustraire  à  ce 
traitement  inique  en  les  faisant  passer  pour  naborias,  c'est-à-dire  servantes  libres. 


kk'i  CONQUÊTE 

raient  vendues  publiquement  pour  leur  valeur  véritable,  tandis  que 
les  inférieures  seraient  cotées  plus  bas.  Mais  les  choses  ne  se  passè- 
rent pas  avec  cette  justice,  parce  que  les  commissaires  royaux  qui 
étaient  chargés  des  esclaves  faisaient  absolument  à  leur  volonté  :  de 
sorte  que,  comme  je  l'ai  dit,"  ce  fut  encore  pis  qu'autrefois.  Il  en  ré- 
sulta qu'à  l'avenir,  lorsque  nous  autres  soldats  arrivions  à  nous  em- 
parer de  quelques  bonnes  Indiennes,  de  crainte  qu'on  ne  nous  les 
prît  comme  les  précédentes,  nous  ne  les  présentions  plus  à  la  marque 
et  nous  les  cachions,  prétendant  qu'elles  s'étaient  enfuies;  et  alors, 
pour  peu  que  l'on  fût  en  bons  termes  avec  Cortès,  on  les  amenait  nui- 
tamment pour  être  marquées;  un  prix  convenable  leur  était  assigné, 
sur  lequel  se  prélevait  le  quint  royal.  Un  grand  nombre  de  ces  Indien- 
nes, du  reste,  demeuraient  dans  nos  logements,  à  titre  de  naborias, 
car  nous  disions  qu'elles  s'étaient  présentées  volontairement  à  nous, 
venant  de  Tlascala  ou  des  villages  voisins. 

Je  veux  dire  aussi  qu'au  bout  de  trois  mois  de  possession,  des 
femmes  esclaves  qui  vivaient  en  notre  compagnie  et  se  trouvaient  dans 
le  quartier  royal,  étaient  parvenues  à  distinguer  quels  étaient  ceux 
d'entre  nous  qui  traitaient  bien  ou  mal  les  Indiennes  ouvrières,  et 
quels  aussi  avaient  la  réputation  d'être  des  caballeros.  Il  en  résultait 
qu'après  qu'elles  avaient  été  vendues  publiquement  au  plus  offrant, 
s'il  arrivait  qu'elles  tombassent  aux  mains  de  qui  leur  déplaisait  ou 
les  avait  maltraitées,  elles  disparaissaient  sur-le-champ  et  on  ne  les 
revoyait  plus.  Il  était,  du  reste,  fort  inutile  de  faire  des  réclamations 
à  leur  propos.  En  outre,  tout  était  prétexte  pour  nous  inscrire  comme 
débiteurs  dans  les  livres  royaux,  soit  à  propos  des  adjudications,  soit 
pour  solde  des  quints  du  Roi.  Il  en  résultait  que,  quand  il  s'était  agi 
de  partager  le  butin  en  or,  presque  aucun  soldat  ne  reçut  sa  part, 
qui  était  absorbée  par  le  dû  marqué  dans  les  livres,  lequel  était  tou- 
jours supérieur,  au  point  que  plus  tard  il  fut  encore  réclamé  plusieurs 
piastres  d'or  que  recouvrèrent  fort  bien  les  commissaires  royaux. 

Finissons  sur  ce  sujet,  pour  dire  comme  quoi  en  ce  même  temps 
arriva  un  navire  de  Gastille,  et,  avec  lui,  pour  trésorier  de  Sa  Majesté, 
un  certain  Julian  de  Alderete,  natif  de  Tordecillas.  Venait  encore  un 
Orduna,  le  vieux,  qui  devint  habitant  dePuebla  et  qui,  après  la  prise 
de  Mexico,  fut  chercher  quatre  ou  cinq  de  ses  filles  qu'il  maria  très- 
honorablement;  il  était  natif  aussi  de  Tordecillas.  Là  venait,  en  ou- 
tre, un  Frère  franciscain,  appelé  fray  Pedro  Melgarejo  de  Urrea,  na- 
tif de  Séville.  Il  apportait  certaines  bulles  du  seigneur  saint  Pierre, 
qui  servaient  à  laver  nos  consciences  lorsqu'elles  en  arrivaient  à  s'ê- 
tre par  trop  surchargées  dans  les  guerres  que  nous  faisions.  En  peu 
de  mois  le  religieux  put  s'en  retourner  riche  et  tranquille  en  Gastille. 
Il  avait,  du  reste,  amené  comme  commissaire  chargé  des  bulles  un 
certain  Geronimo  Lopez,  qui  devint  plus  tard  secrétaire  à  Mexico. 


DE  LA  NOUVELLE-ESPAGNE.  kkb 

Parce  navire  vinrent  encore  Antonio  Carvajal,  actuellement  habitant 
de  Mexico,  très-avancé  en  âge,  qui  commanda  un  brigantin,  et  Ge- 
ronimo  Ruiz  de  la  Mota,  natif  de  Burgos,  qui  commanda  aussi   un 
brigantin  et,  après  la  prise  de  Mexico,  devint  gendre  d'Orduiïa.  Ar- 
riva en  même  temps  un  certain  Brionès,  natif  de  Salamanca,  qui  fut 
pendu  dans  cette  province  de  Guatemala1  pour  avoir  essayé  de  soule- 
ver les  troupes,  quatre  ans  après  sa  désertion  lors  de  la  campagne  de 
Honduras.  Dans  cet  arrivage,  parmi  beaucoup  d'autres  dont  je  ne  me 
souviens  pas,  vint  encore  un  certain  Alonzo  Diaz  de  la  Reguera,  qui 
devint  habitant  de  Guatemala  et  qui  demeure  actuellement  à  Val- 
ladolid.  Ce  navire,  venant   de  Gastille,  était   naturellement  porteur 
de  beaucoup  d'armes  et  d'une  grande  quantité  de  poudre;  il  avait 
enfin  un  plein  chargement  de  toute  sorte  de  choses  dont  nous  nous 
réjouîmes  fort.  Quant  aux  nouvelles  de  Gastille  qu'il  apportait,  je  ne 
me  les  rappelle  pas  bien  ;  mais  il  me  semble  qu'on  disait  que  l'évêque 
de  Burgos  n'avait  plus  la  haute  main  dans  les  affaires  du  gouverne- 
ment, Sa  Majesté  ayant  cessé  d'être  bien  avec  lui  dès  qu'Elle  arriva 
à  connaître  nos  bons  et  loyaux  services,  tandis  que  l'évêque  Lui  écri- 
vait en  Flandre  le  contraire  de  ce  qui  se  passait,  pour  favoriser  Diego 
Yelasquez.  Sa  Majesté  reconnut  clairement  que  tout  ce  que.  nos  pro- 
cureurs Lui  disaient  en  notre  nom  était  la  vérité,  et  ce  fut  pour  cette 
raison  que  l'évêque  n'était  plus  cru  en  ce  qu'il  rapportait. 

Changeons  de  matière  pour  dire  que  Gortès  vit  enfin  que  les  bri- 
gantins  étaient  achevés,  tandis  que  de  notre  côté  nous  avions  tous  le 
vif  désir  de  concourir  à  l'investissement  de  Mexico.  En  ce  même  temps 
au  surplus,  les  habitants  de  Ghalco  firent  dire  encore  une  fois  que  les 
Mexicains  marchaient  contre  eux,  et  ils  demandaient  du  secours. 
Gortès  leur  répondit  qu'il  voulait  aller  en  personne  dans  leur  pays 
et  n'en  pas  revenir  avant  d'avoir  chassé  l'ennemi  de  tous  ces  districts 
réunis.  Il  fit  préparer  trois  cents  soldats,  trente  cavaliers,  la  plupart 
des  arbalétriers  et  gens  d'escopette  que  l'on  avait  et  des  hommes  le- 
vés à  Tezcuco  même.  Marchèrent  en  sa  compagnie  :  Pedro  de  Alva- 
rado,  Andrès  de  Tapia,  Ghristoval  de  Oli,  le  trésorier  Julian  de  Aldc- 
rete  cl  fray  Pedro  Melgarejo,  qui  venait  d'arriver  à  notre  quartier.  J'y 
fus  aussi,  parce  que  Gortès  me  donna  l'ordre  de  marcher  avec  lui.  Je 
vais  dire  ce  qui  nous  arriva  dans  cette  campagne. 

1.  11  ne  faut  pas  oublier,  en  voyant  cette  manière  de  ^'exprimer  de  l'auteur,  qn  il 
a  composé  son  manuscrit  pendant  son  long  séjour  à  Guatemala. 


446  CONQUÊTE 


CHAPITRE  GXLIV 

Comme  quoi  notre  capitaine  Cortès  entreprit  une  expédition  dans  laquelle  on  lit  le 
tour  de  la  lagune;  visitant  toutes  les  villes  et  grands  villages  qu'on  trouva  sur  ses 
bords.  Ce  qui  nous  advint  dans  cette  entreprise. 

Cortès  avait  donc  envoyé  dire  aux  habitants  de  Ghalco  qu'il  leur 
porterait  un  secours  assez  efficace  pour  que  les  Mexicains  cessassent 
à  l'avenir  de  leur  faire  la  guerre.  Nous  étions,  en  effet,  fatigués  des 
allées  et  venues  qui  se  renouvelaient  chaque  semaine  pour  leur  venir 
en  aide.  Il  réunit  et  prépara  un  corps  expéditionnaire  consistant  en 
trois  cents  soldats,  trente  cavaliers,  vingt  arbalétriers,  quinze  hom- 
mes d'escopette,  le  trésorier  Julian  de  Alderete,  Pedro  de  Alvarado, 
Andrès  de  Tapia  et  Christoval  de  Oli.  Le  moine  fray  Pedro  Melgarejo 
partit  avec  la  troupe.  Notre  chef  me  donna  l'ordre  aussi  de  marcher 
avec  lui,  et  un  grand  nombre  de  Tlascaltèques  et  d'alliés  tezeucans  le 
suivirent  également.  Cortès  laissa  pour  garder  la  ville  et  les  brigantins 
Gronzalo  de  Sandoval  avec  une  force  respectable  de  fantassins  et  de 
cavaliers.  Cela  fait,  un  matin  (ce  fut  le  vendredi  5  avril  1521),  nous 
entendîmes  la  messe  et  nous  fûmes  passer  la  nuit  à  Talmanalco,  où 
l'on  nous  reçut  fort  bien. 

Le  lendemain,  nous  arrivâmes  à  Chalco  qui  n'en  est  pas  éloigné. 
Cortès  manda  tous  les  caciques  de  la  province,  et,  quand  ils  furent 
arrivés,  il  leur  adressa  la  parole  par  l'intermédiaire  de  dona  Marina 
et  de  Geronimo  de  Aguilar,  pour  leur  expliquer  que  le  but  de  la 
campagne  était  devoir  s'il  ne  serait  pas  possible  de  faire  alliance  avec 
quelques-uns  des  villages  les  plus  rapprochés  de  la  lagune,  et  d'étu- 
dier les  points  qui  devaient  nous  servir  à  compléter  l'investissement 
de  la  grande  ville  de  Mexico.  Cortès  les  informait,  en  outre,  que  nos 
brigantins,  au  nombre  de  treize,  seraient  employés  à  naviguer  partout 
sur  le  lac,  et  il  exprimait  le  désir  que  leurs  guerriers  fussent  prêts  à 
partir  avec  nous  le  lendemain.  Après  avoir  bien  compris  ce  discours, 
tous,  d'une  voix,  répondirent  qu'ils  le  feraient  ainsi.  Le  lendemain 
nous  fûmes  passer  la  nuit  au  village  de  Chimaloacan,  où  vinrent  se 
joindre  à  nous  plus  de  vingt  mille  alliés  de  Chalco,  de  Tczcuco,  de 
Guaxocingo,  de  Tlascala  et  autres  villages.  Le  nombre  en  fut  si  con- 
sidérable que,  dans  aucune  autre  expédition,  depuis  mon  arrivée  à  la 
Nouvelle-Espagne,  jamais  je  ne  vis  une  multitude  d'auxiliaires  pa- 
reille à  celle  qui  se  joignit  à  nous  en  ce  moment.  Je  me  hâte  d'ajouter 
que  ce  grand  nombre  d'hommes  n'était  attiré  que  par  l'espoir  du  bu- 
tin et  surtout  par  le  désir  de  se  rassasier  de  chair  humaine  après  la 
bataille,  car  on   ne  doutait  pas  qu'on  n'eût  bientôt  à  en  venir  aux 


DE  LA  NOUVELLE-ESPAGNE.  447 

mains  avec  l'ennemi.  C'est  comme  si  l'on  disait  qu'en  Italie,  lors- 
qu'une armée  changeait  de  lieu,  elle  était  suivie  par  des  corbeaux, 
des  milans  et  autres  oiseaux  de  proie  qui  aiment  à  se  repaître  des 
corps  morts  après  un  sanglant  combat.  J'ai  toujours  cru  que  nous 
étions  suivis  de  même  par  tant  de  milliers  d'Indiens1. 

Quoi  qu'il  en  soit,  reprenons  notre  récit  pour  dire  que  dans  une 
plaine  près  de  là,  nous  assura-t-on,  nous  attendaient  des  bataillons 
de  Mexicains,  suivis  de  tous  leurs  alliés  des  environs,  prêts  à  nous 
livrer  bataille.  Gortès  nous  recommanda  de  bien  nous  tenir  sur  le 
qui-vive,  en  sortant  de  ce  village  de  Chimaloacan.  Nous  entendîmes 
la  messe  de  grand  matin  et  nous  nous  mîmes  en  marche  en  bon  or- 
dre, avançant  entre  deux  rangées  de  rochers  où  se  trouvaient  cons- 
truites des  palissades  derrière  lesquelles  s'abritaient  en  sûreté  une 
foule  d'Indiens  et  d'Indiennes,  qui,  du  haut  de  leurs  points  fortifiés, 
poussaient  contre  nous  des  cris  et  des  vociférations.  Mais,  sans  nous 
arrêter  au  désir  de  les  combattre,  nous  avançâmes  en  silence  jusqu'au 
grand  village  de  Yautepeque,  que  ses  habitants  avaient  déserté  et 
dans  lequel  nous  ne  fîmes  aucune  halte.  Nous  arrivâmes  dans  une 
plaine  où  se  trouvaient  quelques  fontaines  peu  abondantes.  Là  s'éle- 
vait aussi  un  grand  monticule  rocheux,  transformé  en  forteresse  très- 
difficile  à  prendre,  ainsi  que  l'événement  va  nous  le  démontrer.  Lors- 
que nous  en  approchâmes,  nous  pûmes  nous  assurer  qu'il  était  cou- 
vert d'hommes  de  guerre.  Du  haut  de  leurs  positions  ils  nous  lançaient, 
en  poussant  des  cris,  beaucoup  de  pieux,  de  pierres  et  de  flèches, 
dont  ils  blessèrent  trois  de  nos  hommes. 

Gortès  donna  l'ordre  d'arrêter,  disant  que  tous  ces  Mexicains  pre- 
naient soin  de  se  mettre  en  lieu  sûr  pour  nous  railler  de  ce  que 
nous  n'osions  pas  les  attaquer.  Il  s'exprimait  ainsi  en  faisant  allusion 
à  ceux  de  nos  ennemis  au  milieu  desquels  nous  venions  de  passer. 
Incontinent,  il  donna  l'ordre  à  quelques  cavaliers  et  arbalétriers  de 
faire  en  partie  le  tour  du  penol1  afin  de  s'assurer  s'il  n'y  aurait  pas 
une  montée  plus  facile  pour  arriver  au  sommet  et  combattre  l'ennemi. 
Ils  obéirent  et  dirent  au  retour  que  le  meilleur  endroit  était  celui  où 
nous  étions;  que  partout  ailleurs  il  n'y  avait  aucun  point  accessible 
et  que  i'on  ne  voyait  que  des  rochers  abrupts.  Gortès  nous  ordonna 
aussitôt  d'entreprendre  la  montée,  l'alfcrez  Ghristoval  dcl  Corral  en 
avant  avec  d'autres  porteurs  de  guidons  que  nous  tous  devions  suivre, 

1.  L'anthropophagie,  chez  les  Mexicains,  se  mêlait  d'une  manière  si  intime  aux  pra- 
tiques du  culte  que,  généralement,  on  ne  mangeait  que  les  chairs  des  victimes  des 
sacrifices'.' Ce  passage  et  quelques  autres  encore  de  l'écrit  de  U.  Diaz  indiqueraient  qu'il 
était  fait  à  cette  règle  de  hideuses  exceptions. 

2.  Le  mol  j>càol  s'emploie  pour  désigner  un  monticule  isolé  de  plus  eu  moins 
giande  étendue,  le  plus  souvent  habitable  sur  ses  lianes,  et  bien  plutôt  sur  son  som- 
me! élargi  en  l'orme  de  plateau.  De  toute  façon,  ces  situations  entraînent  l'idée  de 
défense  facile  pour  ceux  qui  s'y  trouvent. 


448  CONQUETE 

tandis  que  notre  chef,  avec  ses  cavaliers,  attendrait  au  bas  dans  la 
plaine  pour  empêcher  que  d'autres  bataillons  mexicains  tombassent 
sur  nos  bagages  ou  sur  nous-mêmes  au  moment  où  nous  serions  oc- 
cupés à  l'attaque. 

A  peine  avions-nous  commencé  notre  montée  sur  lepenol,  que  les 
guerriers  qui  s'y  trouvaient  se  prirent  à  lancer  sur  nous  des  pierres 
et  des  rochers  d'un  énorme  volume;  c'était  épouvantable  à  voir  comme 
ils  roulaient  et  sautaient  en  tombant  !  Ce  fut  vraiment  un  miracle  que 
nous  n'en  fussions  pas  écrasés  tous.  Ce  n'était  certainement  pas  le 
fait  d'un  capitaine  sensé,  mais  une  mesure  bien  inconsidérée,  que  de 
nous  lancer  dans  une  pareille  entreprise.  A  mes  pieds  mourut  un 
soldat  du  nom  de  Martinez  Valenciano,  qui  avait  été  maître  échan- 
son  en  Gastille;  il  était  coiffé  d'un  casque,  ce  qui  n'empêcha  pas 
qu'il  tombât  sans  proférer  une  parole.  Et  nous  montions  toujours.... 
Les  meules1  (c'est  ainsi  que  nous  appelions  les  grosses  pierres)  con- 
tinuaient à  rouler  en  sautant  les  rochers  ;  elles  nous  tuèrent  deux  au- 
tres soldats  qui  s'appelaient  Gaspar  Sanchez,  neveu  du  trésorier  de 
Cuba,  et  un  certain  Bravo.  Et  nous  montions  encore....  Bientôt  fut 
frappé  à  mort  un  autre  de  nos  braves,  appelé  Alonzo  Rodriguez  ; 
deux  encore  furent  précipités  avec  des  blessures  à  la  tête.  La  plupart 
d'entre  nous  avaient  déjà  reçu  des  contusions  aux  jambes ;  et  cepen- 
dant ou  s'obstinait  à  nous  pousser  en  avant. 

Quant  à  moi,  comme  j'étais  en  ce  temps-là  fort  agile,  je  ne  m'éloi- 
gnai pas  de  l'alferez  Gorral.  Nous  avancions  ensemble  en  suivant  les 
enfoncements  naturels  creusés  dans  les  rochers  de  distance  en  dis- 
tance, courant  le  risque  d'être  enlevés  par  quelque  avalanche  de  pier- 
res, au  moment  où  nous  passions  d'une  excavation  à  l'autre.  Ce  fut 
un  bien  grand  bonheur  d'y  pouvoir  échapper.  L'alferez  était  parvenu 
à  se  garantir  derrière  de  gros  troncs  d'arbres  épineux  qui  naissent 
dans  ces  mêmes  excavations.  Il  était  blessé  à  la  tête,  le  sang  ruisselait 
sur  sa  figure  et  son  drapeau  était  en  morceaux.  Il  me  cria  :  «  Bernai 
Diaz  del  Gastillo,  ce  n'est  pas  la  peine  d'aller  plus  loin:  prenez  bien 
garde  de  vous  faire  atteindre  par  quelqu'une  de  ces  pierres  ou  de  ces 
grosses  meules!  Restez  dans  l'enfoncement  où  vous  êtes!  »  Il  était 
d'ailleurs  presque  impossible  de  se  tenir  en  place,  même  en  s'aidant 
do  ses  mains;  à  plus  forte  raison  n'était-il  pas  aisé  de  continuer  à 
monter.  Je  vis  en  ce  moment  Pedro  Barba,  le  capitaine  d'arbalétriers, 
avec  deux  autres  soldats,  s'escrimer  à  marcher  comme  nous  en  met- 
tant à  profit  les  enfoncements  des  rochers.  Je  lui  criai,  du  haut  de 
ma  position  :  «  Seigneur  capitaine,  n'allez  pas  plus  loin  ;  vous  serez 
impuissant  à  vous  tenir,  même  en  vous  aidant  de  vos  mains;  prenez 

1.  Le  texte  espagnol  dit  galgas,  que  je  traduis  par  «  meules  »  ;  mais  l'auteur  a  peut- 
être  voulu  dire  que  les  soldais  axaient  eu  la  joyeuseté  de  les  appeler  «  levrettes  »  en 
les  \o\ant  sauter  si  fort.  Gtdya  peut  en  effet  se  traduire  ainsi. 


DE  LA  NOtfVELLE-ESPAGNE.  449 

garde  de  rouler  jusqu'en  bas!  »  A  peine  avais-je  dit  ces  paroles  que, 
n'écoutant  que  son  courage,  ou  cédant  peut-être  au  désir  de  s'expri- 
mer en  grand  seigneur,  il  s'empressa  de  me  répondre  que  je  ne  de- 
vrais point  parler  ainsi,  mais  bien  monter  encore.  Ces  mots  agacèrent 
ma  petite  personne  et  me  firent  lui  répliquer  :  «  Eh  bien!  voyons 
comment  vous  monterez  jusqu'à  moi  !  »  Et  aussitôt  je  gravis  le  rocher 
beaucoup  plus  haut.  En  ce  même  instant,  du  sommet  de  l'escarpement 
s'élancèrent  tant  de  grosses  pierres,  entassées  là  dans  ce  but,  que 
Pedro  Barba  fut  blessé  et  qu'un  de  ses  soldats  tomba  mort  ;-  ce  qui 
fit  qu'ils  n'avancèrent  pas  d'un  pas  de  plus. 

En  ce  moment  l'alferez  Gorral  poussa  des  cris  pour  dire  qu'on  trans- 
mît de  rang  en  rang  jusqu'à  Gortès  l'assurance  qu'il  était  impossible 
de  monter  davantage  et  que  malheureusement  la  retraite  ne  s'effec- 
tuerait pas  sans  nous  faire  courir  de  graves  dangers.  Gortès  n'eut  pas 
de  peine  à  comprendre  la  position;  car,  même  en  bas  sur  la  plaine, 
où  il  se  trouvait,  trois  soldats  avaient  été  tués  et  sept  grièvement  bles- 
sés par  les  grosses  meules  qui  étaient  lancées  de  ces  escarpements.  Il 
eut  même  le  pressentiment  que  la  plupart  d'entre  ceux  qui  étaient 
montés  seraient  déjà  morts  ou  couverts  de  blessures  graves.  Lu  point 
où  il  était,  il  ne  pouvait  pas  bien  distinguer  tous  les  contours  de  la 
roche.  Bientôt,  du  reste,  des  signaux,  des  cris  et  des  coups  d'escopette 
nous  avertirent  de  battre  en  retraite.  Alors,  en  bon  ordre,  passant 
d'un  enfoncement  de  rocher  à  l'autre,  nous  descendîmes,  très-mal- 
traités,  couverts  de  sang,  nos  drapeaux  en  pièces  et  laissant  huit  sol- 
dats morts.  Gortès  crut,  malgré  tout,  devoir  rendre  grâces  à  Dieu 
quand  il  nous  vit  près  de  lui.  Pedro  Barba  lui  conta  ce  qui  nous  était 
arrivé  à  tous  deux  ;  l'alferez  Gorral  le  lui  dit  aussi  dans  le  courant  de 
son  rapport  sur  la  force  de  cette  position;  il  ajoutait  que  c'était  mira- 
cle que  nous  n'eussions  pas  été  écrasés  par  l'avalanche  de  ces  grandes 
meules,  tant  le  nombre  en  avait  été  considérable;  et  notre  aventure 
se  sut  dans  tout  le  campement. 

Quoi  qu'il  en  soit,  il  s'agit  maintenant  de  dire  qu'un  grand  nombre 
de  bataillons  mexicains  campaient  en  des  points  où  nous  n'avions  pu 
ni  les  voir,  ni  deviner  leur  présence.  Ils  attendaient  là  le  moment  fa- 
vorable pour  porter  secours  aux  guerriers  du  penol.  Ils  avaient  juste- 
ment deviné,  du  reste,  que  nous  ne  réussirions  pas  à  arriver  jusqu'aux 
hauteurs,  et  ils  étaient  convenus  que,  pendant  que  nous  combattrions 
dans  ce  dessein,  les  hommes  du  pefiol  d'un  côté  et  eux-mêmes  d'au- 
tre part  tomberaient  à  la  fois  sur  nous.  Il  fut  fait  comme  c'était  con- 
venu :  ils  s'avancèrent  pour  porter  secours  aux  assiégés.  Gortès,  averti 
de  leur  approche,  donna  l'ordre  aux  cavaliers  et  à  nous  tous  de  mar- 
cher à  leur  rencontre.  La  manœuvre  s'exécuta  aussitôt.  Nous  mar- 
chions en  plaine,  traversant  quelquefois  des  champs  fertiles  entrecou- 
pés de  monticules.  Nous  y  donnâmes  la  chasse  à  nos  ennemis  jusqu'à 

•2\) 


450  CONQUETE 

ce  que  l'on  arrivât  à  d'autres  rochers  fortement  défendus.  On  tua 
bien  peu  d'Indiens  dans  cette  poursuite,  parce  qu'ils  avaient  l'adresse 
de  se  réfugier  en  des  points  où  il  était  impossible  de  les  atteindre. 
Nous  revînmes  ensuite  au  penol  dont  nous  avions  tenté  l'assaut; 
mais  nous  ne  tardâmes  pas  à  décider  que  nous  établirions  notre 
campement  plus  loin,  car  ici  il  n'y  avait  point  d'eau.  Nous  n'avions 
pas  bu  de  tout  le  jour,  ni  les  chevaux  non  plus,  parce  que  les  fontai- 
nes dont  j'ai  parlé  ne  fournissaient  que  delà  boue.  Nos  ennemis,  éta- 
blis là  en  si  grand  nombre,  les  arrêtaient  à  leurs  points  d'émergence. 

Nous  descendîmes  donc,  à  travers  des  champs  cultivés,  jusqu'à  un 
autre  penol,  situé  à  environ  une  lieue  et  demie.  Nous  espérions  y 
trouver  de  l'eau;  malheureusement,  il  n'y  en  avait  que  fort  peu. 
Quelques  mûriers  du  pays  et  douze  ou  treize  maisons  s'élevaient  au 
pied  de  la  sierra  fortifiée.  Nous  y  fîmes  halte;  mais,  aussitôt  que 
nous  y  arrivâmes,  du  haut  des  fortifications  les  guerriers  commen- 
cèrent à  crier  et  à  nous  lancer  de  grosses  pierres,  des  pieux  et  des 
flèches.  Il  y  avait  là  plus  de  monde  qu'au  premier  penol  et  les  dé- 
fenses y  étaient  plus  considérables,  comme  nous  pûmes  nous  en  as- 
surer bientôt.  Nos  arbalétriers  et  nos  gens  d'escopette  essayèrent  de 
tirer  sur  eux  ;  mais  ils  étaient  postés  si  haut,  et  couverts  par  tant  de 
palissades  qu'on  ne  leur  pouvait  faire  aucun  mal.  Quant  à  monter 
jusqu'à  eux,  il  n'y  fallait  pas  penser.  A  la  vérité,  nous  l'essayâmes 
deux  fois,  parce  que  nous  avions  remarqué  que  par  les  maisons  il  y 
avait  des  passages;  mais  nous  ne  pûmes  faire  que  deux  petits  détours, 
ce  qui  suffit  du  reste  à  nous  convaincre  que,  plus  haut,  ce  penol  était 
mieux  défendu  encore  que  le  premier.  De  sorte  que  l'on  peut  dire 
qu'à  propos  d'aucun  des  deux  nous  ne  gagnâmes  grand'gloire.  La  vé- 
rité est  que  la  victoire  y  appartint  aux  Mexicains  et  à  leurs  confé- 
dérés. 

Nous  passâmes  la  nuit  au  pied  des  mûriers;  nous  mourions  de 
soif.  Nous  convînmes  que  le  lendemain  tous  les  arbalétriers  et  gens 
d'escopette  iraient  se  poster  au  haut  d'un  penol  voisin,  qui  était  ac- 
cessible, bien  qu'avec  quelque  difficulté.  De  là  les  arbalètes  et  les 
escopettes  pourraient  porter  jusqu'au  fort  défendu  et  le  réduire.  Cor- 
tès  ordonna  à  Francisco  Verdugo  et  au  trésorier  Julian  de  Alderete 
de  s'entourer  d'arbalétriers  solides.  Il  donna  l'ordre  aussi  au  capi- 
taine Pedro  Barba  de  se  former  une  troupe,  et  il  décida  que  presque 
nous  tous  nous  tenterions  une  attaque  en  profitant  des  passages  des 
maisons  dont  j'ai  parlé.  Nous  commençâmes  en  effet  notre  mouve- 
ment. Mais  on  nous  lançait  tant  de  pierres,  grandes  et  petites,  que 
plusieurs  sodats  en  furent  blessés.  Quant  à  monter,  nous  n'y  réus- 
sissions nullement  et  il  n'y  fallait  pas  penser,  car  nous  avions  do  la 
peine  à  nous  tenir  en  place  en  nous  aidant  des  pieds  et  des  mains. 
Nous  en  étions  là  de  notre  côté  lorsque  les  arbalétriers  et  les  esco- 


DE  LA   NOUVELLE-ESPAGNE.  451 

pcttiers  parvinrent  à  organiser  leur  tir  au  haut  du  penol  dont  j'ai 
parlé;  leurs  armes  portaient  jusqu'à  l'ennemi;  pas  très-bien,  à  la 
vérité;  cependant  on  en  tuait  et  l'on  en  blessait  quelques-uns. 

Ce  combat  durait  depuis  environ  une  demi-heure,  lorsque,  grâce 
à  Notre  Seigneur  Dieu,  nos  adversaires  se  décidèrent  à  demander  la 
paix.  Ils  y  furent  obligés  parce  qu'ils  n'avaient  point  d'eau  et  que 
sur  le  plateau  formé  par  le  sommet  du  penol  s'étaient  réfugiés  les 
habitants  de  tous  les  environs,  hommes,  femmes  et  enfants.  Pour 
que  nous  comprissions  bien  leurs  intentions  pacifiques,  les  femmes 
agitaient  leurs  mantes  et  battaient  leurs  mains  l'une  contre  l'autre, 
voulant  ainsi  donner  à  entendre  qu'elles  nous  feraient  du  pain  et  des 
tortillas.  En  même  temps  les  guerriers  cessèrent  de  lancer  des  pieux, 
des  pierres  et  des  flèches.  Gortès,  ayant  compris,  donna  l'ordre  qu'on 
ne  leur  fit  plus  aucun  mal,  et  on  les  avertit  par  signes  qu'ils  eussent 
à  envoyer  cinq  d'entre  eux  pour  traiter  de  la  paix.  Ils  descendirent  en 
effet,  et,  s'adressant  respectueusement  au  général,  ils  le  prièrent  de 
leur  pardonner,  faisant  observer  qu'ils  n'étaient  montés  sur  ces  hau- 
teurs fortifiées  que  dans  un  but  de  protection  et  de  défense.  Gortès 
leur  dit  d'un  ton  un  peu  irrité,  au  moyen  de  nos  interprètes  doiia 
Marina  et  Aguilar,  qu'ils  avaient  mérité  la  mort  pour  avoir  commencé 
les  hostilités,  mais  que,  puisqu'ils  se  rendaient,  pourvu  qu'ils  allas- 
sent à  l'autre  penol  appeler  les  caciques  et  les  notables  qui  s'y  trou- 
vaient, et  qu'ils  prissent  soin  d'apporter  nos  morts,  on  leur  pardon- 
nerait le  passé  ;  qu'ils  eussent  à  se  soumettre,  sans  quoi  l'on  marche- 
rait contre  eux  et  on  les  cernerait  jusqu'à  ce  qu'ils  mourussent  de 
soif.  Nous  savions  en  effet  qu'ils  n'avaient  point  d'eau  et  qu'il  y  en  a 
fort  peu  dans  ce  district.  On  fut  donc  leur  porter  cette  sommation 
ainsi  que  Gortès  le  commandait. 

Nous  ne  parlerons  plus  de  cette  démarche  jusqu'à  l'arrivée  de  la 
réponse;  mais  nous  dirons  que  notre  général  eut  une  conversation 
avec  le  Frère  Melgarejo  et  le  trésorier  Alderete  sur  les  guerres  qui 
avaient  eu  lieu  avant  leur  arrivée  à  la  Nouvelle-Espagne.  On  parla 
du  peTwl,  de  la  grande  puissance  des  Mexicains,  des  superbes  villes 
qu'ils  avaient  vues  depuis  leur  arrivée.  Ces  deux  personnages  ajou- 
taient que,  si  Févêque  de  Burgos  informait  de  la  vérité  l'Empe- 
reur notre  maître,  au  lieu  de  Lui  écrire  le  contraire,  le  souverain 
nous  comblerait  d'honneurs;  car  ils  ne  pouvaient  comprendre  qu'on 
eût  jamais  rendu,  à  aucun  roi  dans  le  monde,  de  plus  grands  servi- 
ces que  ceux  que  nous  avions  rendus  nous-mêmes  en  nous  empa- 
rant de  tant  de  villes,  sans  que  Sa  Majesté  en  eût  la  moindre  con- 
naissance. 

Nous  laisserons  de  côté  beaucoup  d'autres  propos  de  cette  nature, 
pour  raconter  comme  quoi  Gortès  commanda  à  l'alferez  Gorral,  à  deux 
autres  capitaines,  Juan  Xaramillo  et  Pedro  de  Ircio,  et  à  moi  qui  me 


452  CONQUÊTE 

trouvais  alors  avec  eux,  de  monter  en  haut  du  penol,  d'examiner  l'état 
des  défenses,  de  voir  s'il  y  avait  beaucoup  d'Indiens  tués  ou  blessés 
par  nos  coups  et  quel  était  le  nombre  des  personnes  qui  s'y  étaient 
réfugiées.  En  nous  donnant  cet  ordre,  il  ajouta  :  «  Faites  bien  atten- 
tion, senores,  à  ne  pas  leur  prendre  un  seul  grain  de  mais.  »  Je 
crus  comprendre,  quant  à  moi,  qu'il  nous  donnait  ainsi  l'avertisse- 
ment de  mettre  notre  expédition  à  profit.  Nous  montâmes  au  pefiol 
par  d'assez  mauvais  passages  et  je  pus  m'assurer  que  c'était  une 
meilleure  défense  que  la  première,  parce  qu'on  n'y  voyait  que  de  la 
roche  taillée.  Arrivés  près  du  sommet,  nous  vîmes  qu'il  n'y  avait  accès 
à  la  forteresse  que  par  une  ouverture  qui  ne  dépassait  pas  deux  fois 
la  dimension  de  l'entrée  d'un  silo  ou  de  la  bouche  d'un  four.  En  par- 
venant tout  à  fait  en  haut,  on  voyait  un  plateau  avec  des  pelouses 
très-étendues  entièrement  couvertes  de  gens  de  guerre,  de  femmes 
et  d'enfants.  Nous  y  trouvâmes  vingt  morts  et  un  grand  nombre  de 
blessés.  Les  Indiens  n'avaient  plus  une  goutte  d'eau  à  boire.  Tout 
leur  avoir  et  leurs  ménages  étaient  empaquetés  à  côté  d'un  grand 
nombre  de  ballots  d'étoffes  faisant  partie  des  tributs  qu'ils  payaient 
à  Gruatemuz.  Lorsque  je  vis  tant  de  charges  d'étoffes  destinées  au  fisc, 
la  pensée  me  vint  d'en  mettre  sur  les  épaules  de  quatre  naborias 
tlascaltèques  que  j'avais  amenés  avec  moi.  J'employai  au  même  usage 
quatre  des  Indiens  préposés  à  la  garde  de  ces  objets  :  j'en  plaçai  une 
charge  sur  chacun  d'eux.  Pedro  de  Ircio,  s'en  étant  aperçu,  me  dé- 
fendit de  rien  emporter.  Je  m'obstinai  à  prétendre  le  contraire  ;  mais, 
comme  il  était  capitaine,  il  fallut  bien  faire  ce  qu'il  ordonnait.  Il  me 
menaça  de  tout  dire  à  Gortès,  me  rappelant  que  notre  général  avait 
commandé  de  ne  pas  prendre  aux  Indiens  un  seul  grain  de  maïs.  Je 
répondis  que  c'était  vrai,  mais  que  c'était  justement  ce  mot-là  qui 
m'avait  donné  l'idée  de  m'cmparer  des  étoffes.  Quoi  qu'il  en  soit,  on 
ne  me  laissa  rien  emporter. 

Nous  descendîmes  rendre  compte  à  Gortès  de  ce  que  nous  avions 
vu,  conformément  à  ses  ordres.  Après  avoir  fait  le  rapport  de  tout, 
Pedro  de  Ircio,  pensant  être  agréable  au  général,  et  dans  l'intention 
de  me  brouiller  avec  lui,  s'empressa  de  dire  :  «  On  n'a  rien  pris  à 
l'ennemi  ;  il  est  vrai  que  Bernai  Diaz  del  Castillo  avait  déjà  chargé 
de  pièces  d'étoffes  les  épaules  de  huit  Indiens,  et  il  les  aurait  rappor- 
tées si  je  n'y  avais  mis  empêchement.  »  Gortès,  à  moitié  en  colère, 
répondit  :  «  Pourquoi  n'a-t-il  pas  emporté  son  butin?  Que  n'êtes-vous 
resté  vous-même  là-haut  avec  les  Indiens  et  leurs  étoffes!  Voyez  donc 
comme  ils  ont  bien  compris  que  je  leur  donnais  cette  mission  pour 
qu'ils  en  fissent  leur  profit!...  Et  à  ce  pauvre  Bernai  Diaz,  le  seul 
qui  avait  su  me  bien  entendre,  on  lui  enlève  le  butin  pris  sur  ces 
chiens  d'Indiens,  qui  ne  manqueront  pas  de  rire  des  morts  et  des 
blessés  qu'ils  nous  ont  faits!  »  En  entendant  cela,  Pedro  de  Ircio 


DE  LA  NOUVELLE-ESPAGNE.  453 

prétendit  remonter  à  la  citadelle;  mais  Certes  lui  répondit  qu'il  n'é- 
tait plus  temps  et  qu'il  eût  à  n'y  point  retourner. 

N'insistons  pas  sur  ce  souvenir  et  disons  comme  quoi  les  guerriers 
du  premier  penol  se  résolurent  à  traiter  avec  nous.  Après  bien  des 
pourparlers  tendant  à  obtenir  notre  pardon,  ils  jurèrent  obéissance 
à  Sa  Majesté.  Mais,  comme  il   n'y  avait  pas  d'eau  dans  ce  district, 
nous  prîmes  la  route  du  village  de  Guaztepeque,  dont  il  a  été  ques- 
tion dans  un  chapitre  précédent  et  qui  possède  ce  parc  déjà  vanté  par 
moi  comme  étant  le  plus  beau  que  j'eusse  vu  dans  ma  vie.  Gortès  et 
le  trésorier  Alderete,  l'ayant  examiné  et  parcouru  en  partie,  le  trou- 
vèrent admirable  et  assurèrent  qu'ils  n'avaient  rien  connu  de  mieux 
en  ce  genre  dans  toute  la  Gastille.  Nous  nous  y  établîmes  pour  la  nuit. 
Les  caciques  du  village  vinrent  offrir  leurs  services  à  Gortès,  attendu 
que  Gonzalo  de  Sandoval  avait  déjà  fait  la  paix  avec  eux  lors  de  sa 
campagne  en  ce  district,  ainsi  que  je  l'ai  longuement  conté  dans  la 
partie  de  mon  récit  qui  s'y  rapporte.  Nous  passâmes  donc  la  nuit  en 
ce  lieu,  et,  le  lendemain  de  très-bonne  heure,  nous  partîmes  pour 
Gornabaca.  Nous  donnâmes  sur  quelques  bataillons  de  guerriers  mexi- 
cains provenant  de  cette  ville.  Nos  cavaliers  les  suivirent  plus  d'une 
lieue  et  demie,  jusqu'à  un  autre  grand  village  appelé  Tepuztlan,  dont 
les  habitants  s'étaient  si  peu  tenus  sur  leurs  gardes,  que  nous  tombâ- 
mes chez  eux  avant  qu'ils  eussent  pu  être  avertis  par   les  espions 
chargés  de  nous  surveiller.  Nous  trouvâmes  là  de  très-bonnes  Indien- 
nes et  un  excellent  butin.  Quant  aux  Mexicains   et  aux  hommes  du 
village,  ils  avaient  jugé  prudent  de  ne  pas  se  trouver  en  notre  pré- 
sence. Gortès  manda  par  trois  ou  quatre  fois  les  caciques,  leur  enjoi- 
gnant de  se  soumettre  et  les  menaçant,  en  cas  de  refus,  de  brûler  le 
village  et  de  marcher  sur  eux.  La  réponse  fut  qu'ils  ne  viendraient 
point  présenter  leur  soumission.  Alors,  dans  le  but  de  faire  un  exem- 
ple qui  imposât  aux  autres  peuplades,  notre  chef  donna  l'ordre  de 
mettre  le  feu  à  la  moitié  des  maisons  les  plus  rapprochées  de  nous. 
En  cet  instant  même  se  présentèrent  les  caciques  du  village  que  nous 
avions  traversé  ce  jour-là  même  et  que  j'ai  appelé  Yautepeque;  ils 
jurèrent  obéissance  à  Sa  Majesté. 

Le  lendemain,  nous  nous  mîmes  en  marche  vers  une  ville  plus  con- 
sidérable nommée  Goadalbaca,  que  par  corruption  nous  appelons 
maintenant  Guernavaca.  Là  se  trouvaient  un  grand  nombre  de  guer- 
riers tant  mexicains  que  natifs.  Cette  ville  était  très-bien  défendue 
par  un  ruisseau  peu  abondant,  coulant  au  fond  d'un  ravin  qui  compte 
plus  de  huit  estados*  de  profondeur.  Les  habitants  s'en  servent 
comme  d'un  rempart.  Il  n'y  avait  pas  d'autre  passage  pour  les  che- 

1.  Estado  est  une  mesure  de  longueur  déterminée  par  la  taille  la  plus  habituelle 
<U-  l'homme,  soit  environ  1  mètre  65  centimètres. 


454  CONQUÊTE 

vaux  que  deux  ponts  qu'on  avait  eu  soin  de  détruire  ;  il  en  résultait 
pour  la  ville  une  défense  si  parfaite  qu'il  nous  était  impossible  de 
joindre  nos  ennemis  et  qu'il  fallut  nous  contenter  de  les  inquiéter 
d'un  côté  à  l'autre  du  ravin,  tandis  qu'ils  lançaient  eux-mêmes  sur 
nous  une  grande  quantité  de  pieux,  de  flèches  et  de  pierres  à  fronde. 
Nous  en  étions  là  lorsqu'on  vint  avertir  Certes  qu'à  environ  une  demi- 
lieue  plus  loin  existait  un  passage  pour  les  chevaux.  Il  s'y  rendit  avec 
ses  cavaliers,  tandis  que  nous  nous  occupions  nous-mêmes  de  cher- 
cher par  où  nous  pourrions  traverser.  Nous  découvrîmes  alors  que 
des  arbres  inclinés   sur  le  ravin  pouvaient  nous  servir  à  passer  de 
l'autre  côté.  A  la  vérité,  trois  des  soldats  qui  l'essayèrent  glissèrent 
sur  la  branche,  roulèrent  dans  l'eau  et  l'un  d'eux  se  brisa  la  jambe  ; 
cependant  nous  effectuâmes  ainsi  ce  passage  au  prix  des  plus  grands 
périls.  Quant  à  moi,  lorsque  j'en  fus  là,  je  me  vis  en  sérieux  danger; 
la  tête  me  tourna;  mais  malgré  tout  je  passai.  Vingt  ou  trente  soldats 
et  plusieurs  Tlascaltèques  en  firent  autant  et  nous  tombâmes  tout  à 
coup  sur  le  dos   des  Mexicains,  tandis   qu'ils  lançaient  des   flèches 
contre  nos  hommes.  En  voyant  cette  attaque  qu'ils  avaient  crue  im- 
possible, ils  supposèrent  tout  d'abord  que  nous  étions  plus  nombreux, 
d'autant  mieux  qu'en  ce  moment  arrivèrent  Ghristoval  de  Oli,  Pedro 
de  Alvarado  et  Andrès  de  Tapia,  avec  d'autres  cavaliers,  après,  avoir 
effectué  leur  dangereux  passage  sur  un  pont  ruiné,  en   exposant  sé- 
rieusement leurs  vies.  Nous  nous  précipitâmes  ensemble  sur  nos  en- 
nemis qui  prirent  la  fuite  vers  la  montagne  et  différents  endroits  du 
ravin  où  il  fut  impossible  de  les  atteindre.  Peu  d'instants  après,  Cor- 
tès  lui-même  arriva  avec  tous  les  autres  cavaliers. 

On  fit,  dans  cette  ville,  un  grand  butin  en  étoffes  très-riches  et  en 
bonnes  Indiennes.  Gortès  trouva  opportun  de  nous  y  faire  passer  la 
journée.  Nous  nous  y  établîmes  dans  les  très-beaux  jardins  du  grand 
cacique.  Il  est  inutile  de    redire  ici  les  précautions  dont  nous  nous 
entourions   en  espions,  en  sentinelles  et  en  éclaireurs.  Or,  ceux-ci 
vinrent  dire  à  Gortès  qu'une  vingtaine  d'Indiens  approchaient,  avec 
toutes  les  apparences  d'être  des  caciques  et  des  notables  chargés  de 
quelque  message  ou  venant  traiter  de  la  paix.  C'étaient  en  effet  les 
caciques  de  la  ville.  Quand  ils  arrivèrent  en  présence  de  Gortès,  ils 
se  livrèrent  à  de  grands  témoignages  de  respect  et  lui  offrirent  des 
joailleries  en  or,  en  le  priant  de  leur  pardonner  pour  ne  s'être  pas 
soumis  tout  de  suite;  c'est  que  le  roi  de  Mexico  leur  avait  fait  ordon- 
ner la  résistance,  attendu  qu'ils  étaient  en  un  lieu  fortifié,  leur  en- 
voyant au  surplus  un  bon  bataillon  mexicain  pour  leur  venir  en  aide  ; 
mais   maintenant  ils  voyaient  bien  qu'il  ne  saurait  exister  de  pays 
assez  défendu  pour  arrêter  nos  attaques  et  empêcher  nos  victoires;  ils 
priaient  en  conséquence  notre  chef  d'accepter  leur  soumission.  Gortès 
les  reçut  avec  bon  visage  et  leur  dit  que  nous  étions  les  sujets  d'un 


DE  LA   NOUVELLE-ESPAGNE.  455 

grand  seigneur  appelé  l'Empereur  don  Carlos,  qui  honore  de  ses  fa- 
veurs tous  ceux  qui  le  servent.  Il  ajouta  qu'il  acceptait  leur  soumis- 
sion au  nom  de  l'Empereur;  puis  ils  jurèrent  obéissance  à  Sa  Majesté. 
Je  me  rappelle  que  ces  caciques  prétendirent  que,  pour  avoir  retardé 
leur  soumission,  les  dieux  des  Espagnols  avaient  permis  qu'ils  en 
fussent  châtiés  d'avance  dans  leurs  biens  et  dans  leurs  personnes1. 

J'abandonnerai  ce  sujet  pour  dire  que  le  lendemain  de  bonne 
heure  nous  nous  mîmes  en  route  pour  une  autre  ville,  appelée  Suchi- 
milco.  Je  vais  conter  ce  qui  nous  advint  en  chemin;  dans  cette  ville 
et  dans  nos  rencontres  avec  l'ennemi,  jusqu'à  notre  retour  à  Tez- 
cuco. 


CHAPITRE  CXLV 


De  la  grande  soif  dont  nous  eûmes  à  souffrir  en  route,  et  de  l'extrême  péril  dans 
lequel  nous  nous  vîmes  à  Suchimilco,  à  propos  des  batailles  et  des  combats  que 
nous  eûmes  à  soutenir  contre  les  Mexicains  et  les  habitants  de  cette  ville  ;  des  nom- 
breuses autres  rencontres  que  nous  eûmes  jusqu'à  notre  arrivée  à  Tezcuco. 

Nous  nous  mîmes  en  route  pour  Suchimilco,  grande  ville  dont 
presque  toutes  les  maisons  sont  bâties  dans  la  lagune  d'eau  douce;  elle 
est  située  à  environ  deux  lieues  de  Mexico.  Nous  traversâmes  une 
vaste  foret  de  pins,  en  conservant  le  meilleur  ordre  dans  nos  rangs, 
ainsi  que  nous  en  avions  l'habitude;  mais  nous  ne  rencontrâmes 
point  d'eau  en  route.  Gomme  nous  étions  chargés  de  nos  armes,  que 
la  journée  était  avancée  et  le  soleil  très-ardent,  la  soif  nous  tourmen- 
tait beaucoup,  et  nous  étions  malheureusement  dans  le  doute  si  nous 
pourrions  l'étancher  à  peu  de  distance2.  Nous  ne  savions  même  pas, 
après  avoir  marché  quelque  temps,  à  combien  de  lieues  nous  nous 
trouvions  encore  d'un  puits  que,  disait-on,  nous  devions   rencontrer 

1.  Certes,  au  sujet  de  ce  singulier  propos  des  caciques,  a  dit  dans  une  de  ses 
lettres  :  «  Après  que  nous  leur  eûmes  brûlé  leurs  maisons  et  leurs  biens,  ces  Indiens, 
accompagnés  de  plusieurs  autres  qui  venaient  se  déclarer  vassaux  de  Votre  Majesté, 
nous  dirent  que.  s'ils  avaient  tardé  quelque  temps  à  nous  demander  notre  amitié, 
c'était  dans  la  pensée  de  recevoir  d'avance  le  châtiment  de  leur  faute  par  le  dommage 
que  nous  leur  causions,  bien  convaincus  que  nous  serions  ensuite  moins  courroucés 
contre  eux.  »  (Correspondance  de  Cortès.  Lettre  3.) 

2.  Il  n'est  pas  inutile  de  dire  ici  que  cette  expédition  est  annoncée  à  tort  par  l'au- 
teur comme  une  exploration  autour  de  la  lagune.  Cortès  en  effet  me  parait  être  sort 
de  la  vallée  en  suivant  la  route  qui  va  aujourd'hui  de  Chalco  au  district  d'Amilpas, 
lequel  se  trouve  au  versant  opposé  des  montagnes.  C'est  sur  ce  versant  opposé,  et  en 
dehors  par  conséquent  de  la  vallée  de  Mexico,  que  l'expédition  se  poursuit  par  Yaute- 
pcque  jusqu'à  Cuernavaca.  Le  retour  ne  s'est  pas  effectué  par  le  môme  chemin,  niais 
bien  dans  la  direction  que  suivent  aujourd'hui  même  les  diligences  de  Cuernavaca  à 
Mexico  par  Huichilaque,  passant  ainsi  par  un  point  qui  se  trouve  à  un  peu  plus  de 
3000  mètres  d'altitude. 


456  CONQUÊTE 

en  chemin.  Cortès  voyait  bien  à  quel  point  ses  hommes  étaient  fati- 
gués; nos  alliés  les  Tlascaltèques  n'en  pouvaient  plus;  l'un  d'eux 
mourut  même  de  soif,  et  il  me  semble  qu'un  de  nos  soldats,  qui 
était  vieux  et  malade,  mourut  aussi  par  la  même  cause.  Notre  chef 
crut  donc  devoir  s'arrêter  à  l'ombre  des  pins,  en  donnant  l'ordre  à 
six  cavaliers  d'aller  en  avant,  sur  la  route  de  Suchimilco,  pour  s'assu- 
rer de  la  distance  qu'il  y  avait  de  là  à  quelques  habitations  ou  au 
puits  dont  on  nous  avait  parlé,  afin  que  nous  y  fussions  passer  la 
nuit.  Ghristoval  de  Oli,  un  certain  Valdenebro,  Pedro  Gronzalès  de 
Truxillo  et  quelques  autres  hommes  très-valeureux  allaient  partir 
pour  cette  commission,  lorsque  moi-même  je  fis  en  sorte  de  m'écarter 
en  un  lieu  où  Cortès  et  les  cavaliers  ne  pussent  pas  me  voir;  je  me 
munis  de  trois  de  mes  pionniers  tlascaltèques  fort  courageux  et  très- 
agiles,  et  je  courus  après  nos  cavaliers  jusqu'à  ce  qu'ils  m'aperçurent. 
Ils  m'attendirent,  dans  le  but  de  m'obliger  à  retourner,  de  crainte 
que  je  ne  fusse  victime  de  quelque  attaque  des  Mexicains  contre 
laquelle  ma  défense  fût  inutile.  Je  m'obstinai  à  vouloir  les  suivre,  et 
comme  j'étais  l'ami  de  Ghristoval  de  Oli,  il  me  permit  de  continuer 
ma  route,  en  me  recommandant  d'avoir  mes  deux  poignets  préparés 
au  combat  et  mes  jambes  bien  alertes  pour  m'échapper  au  besoin. 
J'avais  donc  tellement  soif  que  j'aventurai  ma  vie  pour  chercher 
l'occasion  de  la  satisfaire. 

Une  demi-lieue  plus  loin,  plusieurs  établissements  et  des  maisons 
dépendant  de  Suchimilco  s'élevaient  sur  le  versant  de  la  montagne. 
Nos  cavaliers  s'écartèrent  de  la  route  pour  chercher  de  l'eau  dans  les 
maisons.  Ils  en  trouvèrent  et  ne  manquèrent  pas  de  s'en  rassasier. 
L'un  de  mes  Tlascaltèques  découvrit  et  m'apporta  un  grand  cruchon 
comme  il  y  en  a  dans  le  pays,  complètement  rempli;  mes  domesti- 
ques et  moi  en  bûmes  à  souhaits.  Je  résolus  du  reste  de  m'en  retour- 
ner où  Cortès  avait  fait  halte  ;  car  les  Indiens  du  lieu  commençaient 
à  s'appeler  et  à  crier  contre  nous.  J'emportai  mon  cruchon  plein 
d'eau,  au  moyen  de  mes  Tlascaltèques.  Je  rencontrai  Cortès  qui 
s'était  mis  en  route  avec  sa  troupe  ;  je  lui  dis  qu'il  y  avait  de  l'eau  et 
que  j'en  avais  bu  dans  des  établissements  qui  n'étaient  pas  loin. 
J'ajoutai  que  j'en  apportais  une  provision  que  j'avais  eu  bien  soin  de 
cacher,  de  crainte  qu'on  ne  me  la  prît,  attendu  que,  là  où  la  soif 
règne,  la  loi  disparaît.  Cortès  et  quelques  autres  caballeros  en  burent 
et  se  réjouirent  fort.  On  doubla  le  pas,  de  façon  que  nous  arrivâmes 
aux  maisons  avant  le  coucher  du  soleil.  On  y  trouva  de  l'eau,  bien 
que  peu  abondante.  La  soif,  du  reste,  continuait  à  être  si  grande, 
que  quelques-uns  de  nos  soldats  se  prirent  à  sucer  une  plante  qui 
ressemble  à  des  cardons  et  s'en  abîmèrent  la  bouche,  la  langue  et 
les  lèvres.  Les  cavaliers  revinrent  en  ce  moment  et  dirent  que  le 
puits  était  encore  bien  loin,  que  les  Indiens  de  tout  ce  district  jetaient 


DE  LA  NOUVELLE-ESPAGNE.  457 

le  cri  de  guerre  et  qu'il  serait  bon  de  passer  la  nuit  en  ce  lieu.  On 
plaça  des  sentinelles,  on  expédia  des  espions  et  des  coureurs.  Je  fus 
l'un  des  hommes  désignés  pour  la  veillée;  je  crois  me  rappeler  qu'il 
plut  cette  nuit-là  et  qu'il  fit  grand  vent. 

Le  lendemain  de  grand  matin,  nous  nous  mîmes  en  route  et  nous 
arrivâmes  à  Suchimilco  à  huit  heures.  Je  voudrais  savoir  dire  main- 
tenant la  multitude  de  guerriers  qui  nous  attendaient,  les  uns  en 
terre  ferme,  les  autres  au  passage  d'un  pont  qu'ils  avaient  détruit  ; 
dire  aussi  les  palissades  et  les  parapets  qu'ils  y  élevèrent,  et  les 
lances  qu'ils  avaient  faites  au  moyen  des  armes  dont  ils  s'étaient 
emparés  lors  de  notre  déroute  de  Mexico,  et  le  nombre  considérable 
de  chefs  indiens  armés  de  nos  brillantes  épées,  les  flèches  et  les  pieux 
à  deux  dards,  et  l'énorme  amas  de  pierres  à   fronde,  et  les  grands 

espadons  à  deux  mains,  tranchants  de  chaque  côté J'assure  qu'on 

voyait  partout  la  terre  ferme  couverte  d'ennemis.  Lorsque  nous  arri- 
vâmes au  pont,  les  Indiens  se  battirent  avec  nous  près  d'une  demi- 
heure,  pendant  laquelle  il  nous  fut  impossible  de  rompre  leurs 
rangs,  quoi  que  nous  fissions  avec  nos  arbalètes,  nos  escopettes  et 
nos  charges  répétées.  Le  pire  de  tout  c'est  que  «d'autres  bataillons 
mexicains  venaient  derrière  nous.  Quand  nous  nous  en  aperçûmes, 
nous  nous  précipitâmes  par  le  pont  et  par  la  lagune,  les  uns  nageant, 
les  autres  passant  à  gué  et  quelques-uns  buvant  tant  d'eau  malgré 
eux  qu'ils  en  sortirent  le  ventre  enflé.  Au  passage  de  ce  pont ,  on 
nous  blessa  un  grand  nombre  d'hommes  et  deux  de  nos  soldats 
furent  tués.  Mais  bientôt,  rendus  en  terre  ferme,  nous  donnâmes  la 
chasse  à  nos  ennemis  à  bons  coups  d'épée,  à  travers  les  rues,  tandis 
que  de  son  côté  Cortès,  à  la  tête  des  cavaliers,  se  déployait  sur  le  sol 
sec  et  allait  tomber  sur  une  force  de  plus  de  dix  mille  Indiens,  tous 
Mexicains,  qui  venaient  d'arriver  au  secours  des  habitants  de  la  ville. 
Ils  se  battaient  avec  un  tel  courage  qu'ils  attendaient  la  charge  des 
nôtres  sans  broncher,  la  lance  en  avant.  Ils  nous  blessèrent  quatre 
cavaliers. 

Gortès  se  trouva  engagé  dans  cette  dangereuse  mêlée.  Son  cheval 
bai  brun,  excellent  animal  qu'on  avait  surnommé  le  Muletier,  s'arrêta 
épuisé  parce  qu'il  était  très-gras  et  qu'ayant  eu  quelque  temps  de 
repos  il  se  fatiguait  plus  facilement.  Les  Mexicains,  qui  étaient  très- 
nombreux,  portèrent  la  main  sur  Gortès  et  lui  firent  mettre  pied  à 
terre  ;  d'aucuns  disent  même  qu'ils  le  précipitèrent  violemment  sur 
le  sol.  Quoi  qu'il  en  soit,  en  ce  moment  arrivèrent  beaucoup  d'autres 
guerriers  mexicains,  dans  le  but  d'enlever  vivant  notre  chef.  Heureu- 
sement leur  dessein  fut  deviné  par  quelques  Tlascaltôques  et  par  un 
soldat  très-courageux,  nommé  Christoval  de  Olea,  natif  de  la  Vieille- 
Gastille,  pays  de  Médina  del  Gampo.  Ils  arrivèrent  à  temps,  s'ouvri- 
rent un  chemin  à  coups  d'estoc  et  de  taille,  permettant  ainsi  à  Gortès 


458  CONQUÊTE 

de  se  remettre  en  selle,  grièvement  blessé  à  la  tête,  tandis  qu'Olea 
recevait  trois  dangereux  coups  de  sabre.  En  cet  instant ,  nous,  les 
soldats  espagnols  qui  étions  les  moins  éloignés,  nous  accourûmes  en 
toute  hâte.  Gomme  dans  chaque  rue  de  la  ville  se  trouvaient  des 
bataillons  ennemis,  et  que  du  reste  chacun  de  nous  était  obligé  de 
suivre  son  drapeau,  il  était  naturel  que  nous  ne  pussions  pas  être 
tous  ensemble,  mais  que  nous  fissions  notre  devoir  en  des  directions 
différentes,  ainsi  que  d'ailleurs  notre  chef  l'avait  ordonné.  Cependant 
nous  comprîmes  qu'il  y  avait  beaucoup  à  faire  du  côté  où  se  trouvait 
Gortès,  à  cause  des  grands  cris  et  des  vociférations  que  nous  y  enten- 
dions; aussi,  au  grand  péril  de  nos  vies,  au  milieu  de  la  multitude 
d'Indiens  qui  se  trouvait  là,  nous  dirigeâmes-nous  vers  notre  géné- 
ral. Déjà  quinze  cavaliers  s'y  étaient  réunis,  faisant  face,  sur  le  bord 
d'une  acequia,  à  l'ennemi  qui  de  son  côté  se  garantissait  derrière  des 
parapets  et  des  palissades.  Lorsque  nous  arrivâmes,  nous  mîmes  nos 
adversaires  en  fuite,  sans  que  cependant  ils  tournassent  complète- 
ment le  dos.  Quant  au  soldat  Olea,  qui  couvrit  Gortès,  il  avait  reçu 
trois  dangereuses  blessures  et  perdait  beaucoup  de  sang.  Voyant 
d'ailleurs  que  toutes  les  rues  se  remplissaient  d'ennemis,  nous  priâ- 
mes Gortès  d'aller  s'abriter  derrière  des  parapets  pour  qu'on  pût 
panser  ses  blessures  en  même  temps  que  celles  d'Olea.  Nous  revîn- 
mes donc  sur  nos  pas  en  recevant  une  pluie  de  pierres,  de  pieux  et 
de  flèches  qu'on  nous  lançait  de  derrière  les  palissades,  tandis  que 
d'autre  part  les  Mexicains,  nous  croyant  décidément  en  retraite,  nous 
faisaient  une  poursuite  sérieuse. 

En  ce  moment  arrivèrent  Pedro  de  Alvarado,  Andrès  de  Tapia,  Ghris- 
toval  de  Oli  et  la  plupart  des  cavaliers  qui  avaient  été  avec  eux  dans 
une  autre  direction.  Oli  avait  la  figure  ensanglantée;  Pedro  de  Alvarado 
était  blessé,  et  son  cheval  également;  tous  les  autres,  du  reste, 
avaient  chacun  sa  blessure.  Ils  s'accordaient  à  dire  qu'ils  avaient  eu 
tant  de  Mexicains  à  combattre  qu'ils  pouvaient  à  peine  s'en  défendre. 
Il  paraît  que,  lorsque  nous  étions  arrivés  sur  le  pont  dont  j'ai  parlé, 
Gortès  leur  avait  donné  l'ordre  de  se  partager,  la  moitié  des  cava- 
liers devant  aller  d'un  côté,  et  l'autre  moitié  par  ailleurs,  ce  qui  fit 
qu'ils  eurent  à  combattre  des  bataillons  différents.  Mais,  tandis  que 
nous  étions  occupés  à  panser  nos  hommes  et  à  bander  les  blessures 
avec  des  étoffes  de  coton,  après  les  avoir  enduites  d'huile  chaude,  on 
entendit  tout  à  coup  des  cris  tumultueux  mêlés  aux  sons  des  trompet- 
tes et  des  conques  marines,  provenant  de  plusieurs  rues,  d'où  débou- 
chèrent en  même  temps  des  bataillons  innombrables  de  Mexicains  qui 
se  précipitèrent  dans  les  cours  où  nous  étions  en  train  de  faire  nos 
pansements.  Ils  nous  lancèrent  tant  de  pieux  et  de  pierres  qu'ils  nous 
blessèrent  plusieurs  hommes.  Mais  ils  ne  furent  pas  heureux  dans 
leur  attaque  ;  nous  les  chargeâmes  à  l'instant  et  bon  nombre  d'entre 


DE  LA  NOUVELLE-ESPAGNE.  459 

eux  restèrent  étendus  sans  vie  sous  nos  coups  d'estoc  et  de  taille. 
Nos  cavaliers,  de  leur  côté,  ne  tardèrent  pas  à  les  atteindre  ;  ils  en 
tuèrent  beaucoup  et  eurent  à  déplorer  la  perte  d'un  homme,  en  même 
temps  que  deux  de  leurs  chevaux  furent  blessés.  Pour  cette  fois  du 
moins  nous  les  chassâmes  tous  de  l'enclos  où  nous  nous  trouvions. 

Gortès,  voyant  qu'il  n'y  avait  plus  d'ennemisdevant  nous,  ordonnaque 
nous  fussions  nous  reposer  dans  les  préaux  au  milieu  desquels  s'éle- 
vaientles  oratoires  de  la  ville. Plusieurs  de  nos  soldats  montèrent]  usqu'au 
sommet  du  plus  haut  des  temples,  où  les  habitants  entretenaient  leurs 
idoles.  Ils  virent  de  là  la  grande  ville  de  Mexico  et  toute  la  lagune, 
car  le  monument  dominait  les  alentours.  Ils  aperçurent  venant  vers 
nous  environ  deux  mille  embarcations  sorties  de  la  capitale,  pleines 
de  guerriers.  Nous  sûmes  en  effet  le  lendemain  que  Guatemuz,  roi  de 
Mexico,  les  avait  envoyées  afin  qu'on  tombât  sur  nous  ce  jour-là  même 
et  la  nuit  suivante.  Il  expédiait  en  même  temps  par  terre  environ  dix 
mille  hommes,  pensant  qu'au  moyen  d'une  double  attaque  on  empê- 
cherait qu'aucun  de  nous  sortît  vivant  de  cette  ville.  Il  avait  aussi 
apprêté  dix  mille  hommes  de  renfort  afin  de  se  ménager  des  troupes 
fraîches  pour  l'heure  où  le  combat  serait  déjà  engagé.  Nous  apprîmes 
tout  cela  le  jour  suivant,  de  la  bouche  de  cinq  capitaines  mexicains 
que  nous  fîmes  prisonniers.  Mais  Notre  Seigneur  Jésus-Christ  eut  la 
bonté  de  disposer  les  événements  d'autre  sorte.  Lorsque  nous  vîmes 
venir  ce  nombre  considérable  d'embarcations,  nous  ne  doutâmes  pas 
qu'elles  ne  fussent  dirigées  contre  nous.  On  prit  soin  d'exercer  la  plus 
grande  surveillance  dans  notre  campement.  On  plaça  des  piquets  de 
soldats  sur  les  débarcadères  et  au  bord  des  canaux  par  où  l'on  sup- 
posait que  l'ennemi  pourrait  venir  aborder.  Les  cavaliers  se  tinrent 
prêts  toute  la  nuit,  les  chevaux  sellés  et  bridés,  attendant  sur  la  chaus- 
sée et  sur  la  terre  ferme.  Les  capitaines,  et  Gortès  à  leur  tête,  veillè- 
rent et  firent  des  rondes  toute  la  nuit.  Quant  à  moi,  on  me  mit  avec  dix 
autres  soldats  en  surveillance  sur  des  murailles  bâties  à  chaux  et  à 
sable.  On  nous  pourvut  très-bien  de  pierres,  d'arbalètes,  d'escopettes 
et  de  longues  lances,  afin  que,  si  l'ennemi  abordait  en  canots  sur  ce 
point,  qui  était  un  embarcadère,  nous  fissions  assez  de  résistance  pour 
l'obliger  à  rebrousser  chemin.  D'autres  soldats  reçurent  mission  de 
garder  différents  canaux. 

Or,  tandis  que  moi  et  mes  camarades  nous  faisions  bonne  garde, 
nous  entendîmes  le  bruit  de  plusieurs  embarcations  qui  s'appro- 
chaient en  maniant  sourdement  les  rames,  dans  le  but  de  prendre 
terre  en  ce  débarcadère  où  nous  nous  trouvions.  Nous  lançâmes  des 
pierres  aux  Indiens  et,  les  menaçant  de  nos  lances,  nous  leur  résistâmes 
au  point  qu'ils  n'osèrent  pas  débarquer.  Nous  envoyâmes  un  de  nos 
soldats  pour  en  avertir  Gortès;  mais  aussitôt  d'autres  embarcations 
chargées  de  combattants  firent  sur  nous  une  seconde  attaque,  nous 


460  CONQUÊTE 

lançant  grand  nombre  de  pieux,  de  pierres  et  de  flèches.  Notre  résis- 
tance ne  fut  pas  moindre  que  la  première  fois,  et  malheureusement 
nous  eûmes  deux  des  nôtres  blessés  à  la  tête.  La  nuit  étant  très- 
obscure,  du  reste,  ces  embarcations,  rétrogradant,  furent  se  joindre 
à  celles  des  capitaines  de  la  flottille,  el  toutes  ensemble  elles  réussi- 
rent à  accoster  dans  un  autre  endroit ,  après  avoir  suivi  des  canaux 
profonds.  Les  Indiens  n'étant  pas  habitués  à  combattre  la  nuit,  ceux- 
ci  firent  leur  jonction  avec  les  bataillons  que  Guatemuz  avait  envoyés 
par  terre,  et  ils  formèrent  ainsi  un  ensemble  de  plus  de  quinze  mille 
hommes.  Je  veux  dire  aussi,  sans  me  vanter,  que  lorsque  notre  cama- 
rade fut  donner  avis  à  Gortès  de  l'arrivée  d'un  grand  nombre  d'em- 
barcations de  guerre  sur  le  point  qui  nous  était  confié,  notre  chef 
s'empressa  de  venir  nous  parler  en  s'accompagnant  de  dix  cavaliers. 
Mais,  comme  il  s'approchait  sans  proférer  aucune  parole,  nous 
criâmes,  moi  et  un  Portugais  des  Algarves  nommé  Gonzalo  Sanchez, 
en  demandant  :  «  Qui  va  là?  Vous  ne  pouvez  donc  pas  parler?  »  Et 
nous  lançâmes  trois  ou  quatre  pierres.  Or,  comme  Gortès  reconnut 
nos  voix,  il  dit  au  trésorier  Julian  de  Alderete,  au  Frère  Pedro  Mel- 
garejo  et  à  Ghristoval  de  Oli,  qui  l'accompagnaient  dans  sa  ronde  : 
«  Il  est  inutile  qu'on  ajoute  personne  ici  ;  il  y  a  déjà  parmi  ceux  qui 
s'y  trouvent  deux  de  ces  hommes  qui  vinrent  des  premiers  avec  moi  ; 
ils  méritent  toute  notre  confiance  pour  la  garde  de  ce  poste  et  pour 
n'importe  quelle  autre  mission  où  le  courage  est  le  plus  nécessaire.  » 
Après  cela ,  Gortès  nous  recommanda  d'avoir  présent  à  l'esprit  le 
danger  où  nous  étions  tous,  et  il  s'achemina  vers  d'autres  postes. 
Le  silence  suivit,  et  puis,  tout  à  coup,  nous  entendîmes  passer  un 
soldat  auquel  on  donnait  le  fouet  à  propos  de  la  veillée;  il  apparte- 
nait aux  hommes  de  Narvaez. 

Je  veux  aussi  faire  mémoire  que  nos  gens  d'escopette  n'avaient 
plus  de  poudre  et  que  les  arbalétriers  étaient  sans  flèches,  ces  muni- 
tions ayant  été  épuisées  la  veille  dans  l'ardeur  du  combat.  Gortès  dut 
donc  ordonner  cette  nuit  même  aux  arbalétriers  de  mettre  en  état 
toutes  les  flèches  qu'on  pourrait  réunir;  on  les  garnirait  de  plumes 
et  de  fers  ;  car  nous  emportions  toujours  avec  nous,  dans  les  expédi- 
tions, un  approvisionnement  de  plusieurs  charges  de  bois  de  flèches, 
ainsi  que  cinq  charges  de  pointes  en  cuivre  et  tout  le  nécessaire  afin 
que  cette  arme  ne  nous  manquât  jamais,  en  quelque  point  que  nous 
fussions.  Les  arbalétriers  passèrent  la  nuit  à  empenner  les  flèches  et 
à  les  garnir  de  pointes.  Pedro  Barba,  qui  était  leur  capitaine,  ne 
cessa  de  surveiller  le  travail ,  et  Gortès  lui-même  y  apportait  son 
coup  d'œil  de  temps  en  temps. 

Quoi  qu'il  en  soit,  aussitôt  que  le  jour  parut,  les  bataillons  mexi- 
cains vinrent  entourer  le  préau  où  nous  nous  trouvions;  mais 
comme  on  ne  nous  prenait  jamais  au  dépourvu ,  les  cavaliers  d'un 


DE  LA  NOUVELLE-ESPAGNE.  461 

côté  marchant  en  terre  ferme  et  nous  les  fantassins  d'autre  part, 
aidés  de  nos  amis  les  Tlascaltèques,  nous  tombâmes  sur  les  Mexicains 
et  nous  leur  tuâmes  ou  blessâmes  trois  de  leurs  principaux  chefs, 
sans  compter  que  plusieurs  autres  moururent  le  lendemain.  Nos  alliés 
ramassèrent  un  bon  butin  et  nous  fîmes  prisonniers  cinq  notables 
qui  nous  informèrent  relativement  aux  bataillons  que  Guatemuz  avait 
envoyés  contre  nous.  Plusieurs  de  nos  soldats  furent  blessés  dans 
cette  rencontre;  l'un  d'eux  même  ne  tarda  pas  à  mouri'r.  Tout  n'était 
pas  fini,  du  reste,  avec  ce  combat.  Nos  cavaliers,  en  faisant  la  pour- 
suite, furent  donner  dans  les  dix  mille  hommes  de  troupes  fraîches 
que  Guatemuz  envoyait  comme  renfort  à  ceux  qui  étaient  déjà  arrivés. 
Les  chefs  mexicains  qui  commandaient  étaient  armés  de  nos  épées  , 
avec  lesquelles  ils  se  livraient  à  des  bravades,  assurant  qu'ils  allaient 
tous  nous  tuer  avec  nos  propres  armes. 

Lorsque  nos  hommes  se  virent  si  peu  nombreux  en  présence  de 
bataillons  si  considérables,  ils  se  méfièrent  et  cherchèrent  un  refuge, 
afin  de  ne  pas  en  venir  aux  mains  avant  que  Gortès  et  nous  arrivas- 
sions à  leur  aide.  A  peine  le  sûmes-nous,  que  tous  les  cavaliers  qui 
étaient  au  quartier  se  mirent  en  route,  et  cela  malgré  leurs  blessures 
et  celles  de  leurs  chevaux;  nous  partîmes  aussi,  tous  les  soldats  et 
arbalétriers,  avec  nos  alliés  tlascaltèques.  Nous  attaquâmes  avec  une 
telle  ardeur  qu'une  mêlée  s'ensuivit  à  l'instant,  et,  au  moyen  de  nos 
estocades,  nous  obligeâmes  l'ennemi  à  reculer  avec  sa  malechance  et 
à  nous  laisser  le  champ  libre.  Toujours  est-il  que  nous  prîmes  là 
quelques  autres  notables  et  nous  sûmes  par  eux  que  Guatemuz  avait 
donné  des  ordres  pour  qu'on  envoyât  une  nouvelle  flottille  et  plus  de 
guerriers  encore  par  terre.  Il  disait  à  ses  hommes  d'armes  que  plu- 
sieurs d'entre  nous  étaient  déjà  morts,  d'autres  blessés  et  tous  fatigués 
des  derniers  combats  ;  que  sans  doute  nous  cesserions  d'être  sur  nos 
gardes,  persuadés  qu'on  n'enverrait  plus  personne  contre  nous;  que 
par  conséquent ,  en  expédiant  un  grand  nombre  d'hommes,  il  assu- 
rerait notre  défaite.  Or,  si  auparavant  nous  étions  en  alerte,  nous  y 
fûmes  bien  plus  encore  après  avoir  appris  ces  nouvelles.  Il  fut  du 
reste  convenu  que  nous  n'attendrions  point  de  nouveaux  combats  et 
que  le  lendemain  nous  sortirions  de  cette  ville.  Nous  passâmes  la 
journée  à  panser  les  blessés,  mettre  nos  armes  en  état  et  apprêter 
des  flèches. 

Nous  en  étions  là  lorsque  nos  Tlascaltèques  et  quelques  soldats 
vinrent  à  savoir  que  cette  ville  était  riche  et  qu'il  y  avait  des  établis- 
sements très-grands  pleins  d'étoffes  d'habillement  et  de  chemises  de 
femmes,  en  coton;  on  y  avait  aussi  réuni  de  l'or  et  différents  objets, 
ainsi  que  des  tissus  travaillés  avec  des  plumes.  Nos  hommes  surent 
où  se  trouvaient  ces  maisons,  que  quelques  prisonniers  de  Suchi- 
milco   leur  indiquèrent.  Elles   étaient   situées  dans  la  lagune  d'eau 


462  CONQUÊTE 

douce  ;  on  y  pouvait  arriver  par  une  chaussée  coupée  par  trois  ponts 
dont  les  tranchées  permettaient  de  passer  d'un  canal  à  l'autre.  Nos 
soldats  s'y  rendirent,  et  comme  ces  établissements  étaient  en  effet 
remplis  d'étoffes  et  sans  aucune  garde,  ils  prirent,  eux  et  plusieurs 
Tlascaltèques,  leur  bonne  charge  de  tissus  et  d'objets  en  or.  Ainsi 
pourvus,  ils  s'en  revinrent  au  quartier  d'où  d'autres  soldats ,  en  les 
voyant,  partirent  en  toute  hâte  vers  les  mêmes  établissements. 

Il  y  étaient  entrés  et  s'occupaient  à  retirer  leur  butin  d'énormes 
caisses  en  bois,  lorsqu'arriva  une  grande  flottille  d'embarcations  de 
guerre  de  Mexico.  Les  guerriers  tombent  sur  nos  hommes  à  l'impro- 
viste,  blessent  plusieurs  soldats  et  en  prennent  quatre  vivants 
qu'on  emmène  à  Mexico.  Les  autres  échappèrent  à  ce  grand  danger. 
Ceux  qui  furent  emportés  s'appelaient  Juan  de  Lara  et  Alonso  Her- 
nandez;  je  ne  me  rappelle  pas  le  nom  des  deux  autres;  je  sais  seule- 
ment qu'ils  appartenaient  à  la  compagnie  d'Andrès  de  Monjaraz.  Par 
ces  quatre  prisonniers  qu'on  lui  amena,  Chiatemuz  apprit  que  nous 
tous,  gens  de  cette  expédition  de  Gortès,  nous  étions  fort  peu  nom- 
breux et  que  plusieurs  étaient  blessés.  Du  reste,  il  sut  tout  ce  qu'il 
désirait  au  sujet  de  notre  voyage.  Après  avoir  retiré  de  nos  pauvres 
camarades  tous  les  renseignements  qui  l'intéressaient,  il  leur  fit  cou- 
per les  bras  et  les  jambes,  qu'il  envoya  à  plusieurs  villages  devenus 
nos  alliés,  leur  faisant  savoir  qu'aucun  de  nous  ne  retournerait  vivant 
à  Tezcuco.  Avec  les  cœurs  et  le  sang  de  ces  quatre  malheureuses  vic- 
times, il  fit  des  offrandes  à  ses  idoles.  Après  quoi  il  s'empressa  d'en- 
voyer d'autres  flottilles  d'embarcations  guerrières,  et  des  bataillons 
par  la  voie  de  terre,  avec  ordre  de  faire  tous  leurs  efforts  pour  empêcher 
qu'aucun  de  nous  sortît  vivant  de  Suchimilco. 

Quoique  je  sois  fatigué  d'écrire  tant  de  rencontres  que  nous  eûmes 
avec  les  Mexicains  dans  ces  quatre  journées,  je  ne  puis  m'cmpêcher 
d'en  parler  encore.  Au  point  du  jour,  en  effet,  tant  de  Guluans  arri- 
vèrent de  Mexico  par  les  estuaires  et  par  la  terre  ferme ,  que  nous 
eûmes  bien  de  la  peine  à  nous  frayer  un  chemin  à  travers  leurs  rangs. 
Nous  pûmes  cependant  sortir  de  la  ville  et  arriver  à  une  grande  place 
qui  en  était  peu  distante  et  servait  de  marché  aux  habitants.  Quand 
nous  y  fûmes  réunis  et  prêts  à  partir  avec  tout  notre  bagage,  Gortès 
nous  adressa  la  parole  pour  nous  parler  du  grand  danger  où  nous 
nous  trouvions.  Nous  savions  en  effet,  à  n'en  pouvoir  douter,  que  sur 
notre  route  toutes  les  forces  que  Ton  avait  pu  envoyer  de  Mexico 
nous  attendaient  dans  les  passages  difficiles,  tandis  que  d'autres 
guerriers  se  tenaient  embarqués  sur  les  canots  dans  les  estuaires.  Il 
nous  conseillait  en  conséquence,  et  même  il  nous  en  donnait  l'ordre, 
de  nous  délivrer  de  tout  embarras,  abandonnant  notre  bagage  et  notre 
petit  avoir,  afin  que  nous  n'en  fussions  pas  gênés  au  moment  du 
coiribat.  Mais  nous  lui  répondîmes  tout  d'une  voix  qu'avec  le  secours 


DE  LA  NOUVELLE-ESPAGNE.  463 

du  bon  Dieu  nous  étions  certainement  hommes  à  défendre  nos  biens 
nos  vies  et  sa  propre  personne,  considérant  que  ce  serait  nous  amoin- 
drir que  de  faire  ce  qu'il  conseillait.  Sur  ce,  voyant  notre  résolution 
Gortès  s'écria   qu'il  s'en  remettait  pour  tout  à  la  grâce   de  Dieu.  Et 
aussitôt  il  régla  l'ordre  de  marche  :  le  bagage  et  les  blessés  au  centre 
les  cavaliers  répartis  moitié  en  avant,  moitié  à  l'arrière-garde.  C'est  à 
ce  dernier  poste   que  prirent  place   également  les  arbalétriers   avec 
tous  nos  alliés,  car  c'est  là  que  nous  portions  toujours*  notre  plus  sé- 
rieuse attention,  eu  égard  à  la  coutume  que  les  Mexicains  avaient  de 
tomber   sur  les  bagages.   Quant   aux  gens  d'escopette,    il   ne  nous 
étaient  plus  d'aucune  utilité,  attendu  que  la  poudre  était  épuisée.  Ce 
fut  ainsi  que  nous  entreprîmes  notre  marche. 

Lorsque  les  bataillons  mexicains  arrivés  ce  jour-là  virent  que  nous 
nous  éloignions  de  Suchimilco,  ils  se  figurèrent,  non  sans  raison 
que  la  crainte  qu'ils  nous  inspiraient  nous  empêchait  de  les  attendre. 
Ils  tombèrent  sur  nous  tout  à  coup,  en  si  grand  nombre,  que  deux 
soldats  en  furent  blessés  et  deux  autres  en  moururent  huit  jours 
après.  Ils  essayèrent  de  rompre  nos  rangs  et  de  pénétrer  jusqu'aux 
bagages  ;  mais  comme  nous  avions  pris  les  mesures  que  j'ai  dites,  ils 
ne  purent  réussir  dans  leur  dessein.  D'ailleurs,  pendant  notre  marche 
et  jusqu'à  notre  arrivée  à  une  ville  appelée  Guyoacan,  qui  se  trouve  à 
environ  deux  lieues  de  Suchimilco,  les  attaques  furent  incessantes  de 
la  part  de  guerriers  embusqués  en  des  endroits  où  nous  ne  pou- 
vions rien  entreprendre  contre  eux,  tandis  qu'ils  étaient  parfaitement 
postés  pour  lancer  sur  nous  une  pluie  de  pierres,  de  pieux  et  de 
flèches.  Gomme  du  reste  les  estuaires  et  les  canaux  n'étaient  pas  loin, 
ils  y  trouvaient  un  refuge  facile.  Nous  arrivâmes,  vers  dix  heures,  à 
Guyoacan,  que  nous  trouvâmes  déserte.  Il  est  utile  de  dire  qu'à  envi- 
ron deux  lieues  de  Mexico  se  trouvent  une  foule  de  villes  rapprochées 
les  unes  des  autres:  Suchimilco,  Guyoacan,  Ghohuilobusco,  Iztapalapa, 
Goadlavaca,  Mezquique  et  trois  ou  quatre  villages,  la  plupart  construits 
dans  les  eaux  de  la  lagune,  ne  sont  en  effet  séparés  que  par  des  dis- 
tances d'une  lieue  et  demie  à  deux  lieues.  Tous  ces  centres  de  popu- 
lation avaient  contribué  à  former  contre  nous,  à  Suchimilco,  un 
ensemble  considérable  de  guerriers  indiens.  Nous  trouvâmes  donc, 
comme  j'ai  dit,  Guyoacan  dégarnie  d'habitants.  Cette  ville  est  bâtie 
en  terre  ferme.  Nous  résolûmes  d'y  passer  cette  journée  et  la  sui- 
vante pour  y  panser  nos  blessés  et  faire  des  flèches,  car  nous  ne  pou- 
vions méconnaître  que  nous  aurions  encore  des  combats  à  soutenir 
avant  d'arriver  à  nos  quartiers  de  Tezcuco. 

Le  surlendemain,  de  bonne  heure,  nous  nous  mîmes  en  marche, 
dans  le  même  ordre,  pour  Tacuba,  qui  se  trouve  à  deux  lieues  de  là. 
En  trois  endroits  différents,  nons  eûmes  à  repousser  les  attaques  d'un 
grand  nombre  de  bataillons  ennemis.  Nous  les   fîmes  reculer  et  nos 


464  CONQUETE 

cavaliers  les  poursuivirent  autant  que  ]e  sol  le  permit,  jusqu'à  ce  truc 
nos  adversaires  atteignissent  le  refuge  des  estuaires  et  des  canaux. 
Nous  suivions  notre  route  dans  l'ordre  déjà  indiqué,  lorsque  l'idée 
vint  à  Gortès  de  s'écarter  avec  dix  cavaliers  et  de  guetter  les  guerriers 
mexicains  qui  sortaient  des  embarcations  pour  renouveler  leurs 
attaques  contre  nous.  Il  avait  avec  lui  quatre  hommes  de  son  service 
d'écurie.  Les  Mexicains  firent  semblant  de  fuir;  Gortès  se  mit  à  leur 
poursuite  avec  les  cavaliers  et  ses  quatre  serviteurs.  Au  moment  où 
la  prudence  allait  arrêter  sa  marche,  un  bataillon  ennemi  placé  en 
embuscade  tomba  sur  lui  et  sur  ses  cavaliers,  blessant  les  chevaux, 
et  si  nos  hommes  n'avaient  tourné  bride  avec  la  plus  grande  rapidité, 
ils  eussent  certainement  été  tués  ou  faits  prisonniers.  Les  Mexicains 
prirent  deux  des  quatre  serviteurs  de  Gortès  et  les  amenèrent  vivants 
à  Cruatemuz  qui  les  fit  sacrifier.  N'insistons  pas  sur  cet  échec  dû  à 
l'imprudence  de  Cortès,  mais  disons  que  nous  étions  parvenus  à  Ta- 
cuba  enseignes  déployées,  avec  toute  notre  armée  et  notre  bagage  au 
complet.  Pedro  de  Alvarado,  Ghristoval  de  Oli  et  la  plupart  des  cava- 
liers étaient  arrivés  aussi,  tandis  que  Gortès,  avec  ses  dix  hommes  à 
cheval,  ne  paraissait  pas  encore.  Nous  soupçonnâmes  qu  il  leur  était 
arrivé  quelque  malheur  et  nous  prîmes  le  parti  d'aller  à  sa  recherche, 
avec  Pedro  de  Alvarado ,  Ghristoval  de  Oli,  Andrès  de  Tapia  et 
quelques  autres  cavaliers,  vers  les  estuaires  où  nous  les  avions  vus 
s'écarter.  En  ce  moment  apparurent  deux  des  serviteurs  d'écurie  qui 
avaient  suivi  leur  maître  et  qui  eurent  la  chance  d'échapper  ;  ils  s'ap- 
pelaient Monroy  et  Tomas  de  Rijoles.  Ils  annoncèrent  que,  grâce  à 
leur  agilité,  ils  avaient  pu  se  sauver  et  que  Gortès  arrivait  lentement 
avec  ses  hommes,  parce  que  leurs  chevaux  étaient  blessés.  Ils  ne  tar- 
dèrent pas  à  paraître,  en  effet,  et  nous  nous  livrâmes  à  la  joie  en  les 
voyant,  tandis  que  Gortès  était  fort  triste  et  avait  presque  les  larmes 
aux  yeux.  Les  malheureux  qui  furent  enlevés  et  sacrifiés  s'appelaient, 
l'un  Francisco  Martin  Vendobal  (ce  surnom  lui  avait  été  donné  parce 
qu'il  était  à  moitié  fou),  et  l'autre  Pedro  Gallego.  Au  moment  où 
Gortès  arriva  à  Tacuba,  il  tombait  une  forte  pluie;  nous  fîmes  halte 
environ  deux  heures  sur  des  places  très-spacieuses. 

Notre  chef,  accompagné  d'autres  capitaines,  du  trésorier  Alderete, 
qui  était  malade,  ainsi  que  du  moine  Melgarcjo  et  de  plusieurs  sol- 
dats, monta  au  haut  du  grand  temple  de  la  ville.  De  là  l'on  dominait 
la  capitale  de  Mexico  ,  qui  n'est  pas  éloignée,  toute  la  lagune  et  les 
autres  villes  dont  les  édifices  sont  construits  dans  ses  eaux.  En 
voyant  tant  de  cités,  dont  plusieurs  d'une  étendue  si  considérable, 
s'élevant  des  flots  mêmes  de  la  lagune,  le  moine  et  le  trésorier  Aldc- 
retc  furent  remplis  d'admiration  ;  leur  étonnement  redoubla  lorsqu'ils 
portèrent  leurs  regards  sur  la  grande  ville  de  Mexico ,  sur  les  eaux 
qui  l'entourent,  sur  ce  nombre  prodigieux  d'embarcations,  les  unes 


DE  LA   NOUVELLE-ESPAGNE.  465 

vides,  les  autres  pleines  de  provisions,  et  quelques-unes  occupées  à 
la  pêche.  Ils  confessèrent  alors  que  nos  exploits  dans  la  Nouvelle-Es- 
pagne ne  pouvaient  plus  se  considérer  comme  des  événements 
humains  et  qu'il  y  fallait  voir  la  grande  miséricorde  de  Dieu  qui  en 
était  l'auteur.  Ils  répétèrent  souvent,  au  surplus,  qu'ils  ne  se  rappe- 
laient pas  avoir  lu  dans  n'importe  quelle  histoire  que  les  sujets  d'un 
roi  eussent  jamais  rendu  de  tels  services  à  leur  souverain.  En  se 
livrant  chaque  jour  à  de  pareils  aveux,  ils  promettaient  d'en  faire  le 
récit  fidèle  à  Sa  Majesté.  Nous  ne  rapporterons  pas  d'autres  propos  qui 
eurent  lieu  en  ce  même  endroit.  Nous  ne  dirons  pas  davantage  les 
consolations  que  le  moine  prodiguait  àCortès,  fort  attristé  de  la  perte 
de  ses  deux  serviteurs  d'écurie.  En  compagnie  de  notre  chef  du 
reste,  nous  portâmes  tous  notre  vue  depuis  Tacuba  sur  le  Tatelulco, 
le  grand  temple  de  Huichilobos  et  le  palais  dans  lequel  nous  avions 
résidé  ;  nous  contemplions  toute  la  ville,  les  ponts  et  la  chaussée 
par  où  nous  sortîmes  en  fuyards.  En  présence  de  ce  spectacle,  Gortès 
se  prit  à  soupirer  et  tomba  dans  une  tristesse  plus  grande  encore  que 
celle  qu'il  ressentait,  avant  de  monter  au  sommet  du  temple,  en  pen- 
sant aux  hommes  qu'on  venait  de  lui  tuer.  C'est  à  propos  de  ce  fait 
que  l'on  composa  la  ballade  : 

En  Tacuba  était  Gortès, 

Avec  son  bataillon  fameux, 

Rempli  de  douleur  et  de  peine, 

Bien  triste,  hélas!  et  bien  soucieux, 

D'une  main  appuyant  sa  tête 

Et  tenant  l'autre  sur  sa  hanche.  .  .  . 


Je  me  rappelle  qu'un  soldat,  appelé  le  bachelier  Àlonso  Perez, 
lequel,  après  la  conquête  de  la  Nouvelle-Espagne,  devint  habitant  et 
fiscal  1  de  Mexico,  adressa  la  parole  à  notre  chef,  et  lui  dit:  «  Géné- 
ral, ayez  moins  de  tristesse;  de  pareils  malheurs  arrivent  souvent 
dans  les  guerres  ;  on  ne  dira  pas,  du  reste,  que  vous  êtes  comme  Né- 
ron, contemplant  du  haut  de  la  roche  Tarpéienne  l'incendie  de  Rome.  » 
Gortès  lui  répondit  qu'on  voulût  bien  considérer  combien  de  fois  il 
avait  vainement  fait  offrir  la  paix  aux  guerriers  de  Mexico;  que  du 
reste,  s'il  était  triste,  c'était  en  pensant  aux  grandes  difficultés  que 
nous  aurions  à  surmonter  pour  rentrer  dans  cette  ville  en  vainqueurs; 
mais  qu'il  espérait,  avec  l'aide  de  Dieu,  l'entreprendre  bientôt. 

Laissons  ces  propos  et  ces  complaintes  qui  n'étaient  pas  de  saison, 
et  disons  comme  quoi  il  fut  mis  en  question  parmi  tous  nos  chefs  et 
soldats  si  nous  nous  dirigerions  sur  la  chaussée  qui  était  tout  près 
de  Tacuba  où  nous  étions  alors;  mais  comme  nous  n'avions  point  de 

1.  Magistrat  accusateui'. 


466  CONQUÊTE 

poudre,  que  notre  provision  de  ilèches  était  bien  amoindrie,  et  que 
d'ailleurs  la  plupart  des  soldats  étaient  blessés  ;  nous  rappelant  aussi 
qu'environ  un  mois  auparavant  Gortès  avait  essayé  de  pénétrer  sur 
cette  chaussée  avec  beaucoup  d'hommes  et  qu'il  s'y  était  vu  en  grand 
péril  d'essuyer  une  déroute  complète,  ainsi  que  je  l'ai  dit  précédem- 
ment, il  fut  résolu  que  nous  continuerions  à  marcher  en  avant,  de 
crainte  que  nous  n'eussions  à  supporter  quelque  autre  attaque  des 
Mexicains  ce  jour-là  môme  ou  la  nuit  suivante.  Tacuba  est  en  effet, 
pour  ainsi  dire,  aux  portes  de  Mexico,  et  il  était  naturel  de  soup- 
çonner que  G-uatemuz,  excité  par  la  vue  de  nos  soldats  qu'on  lui  avait 
amenés  vivants,  enverrait  de  nouvelles  forces  contre  nous.  Nous  nous 
mîmes  donc  en  marche  et  nous  traversâmes  Escapuzaîco,  que  nous 
trouvâmes  désert.  Nous  nous  rendîmes  ensuite  à  Tenayuca,  grand 
centre  que  nous  appelions  «  la  ville  des  Serpents  »;  j'ai  déjà  dit  en 
effet,  en  son  lieu,  que  ses  habitants  adoraient  comme  idoles  trois 
serpents  sculptés  dans  le  plus  grand  de  leurs  temples.  Nous  trou- 
vâmes la  ville  inhabitée. 

De  là  nous  nous  rendîmes  à  Gruatitlan.  Il  plut  très-fort  toute  cette 
journée  ;  comme  du  reste  nous  avions  sur  nos  épaules  le  poids  de  nos 
armes  que  nous  n'abandonnions  ni  jour,  ni  nuit,  cet  embarras  et  la 
pluie  qui  tombait  nous  causaient  une  fatigue  extrême.  Nous  arri- 
vâmes au  village  à  l'entrée  de  la  nuit  :  les  maisons  en  étaient  aban- 
données. La  pluie  dura 'jusqu'au  jour;  le  sol  était  couvert  d'une 
boue  épaisse.  Les  habitants,  réunis  à  des  bataillons  mexicains,  rem- 
plissaient l'air  de  cris  désordonnés  en  se  tenant  dans  des  endroits  où 
nous  ne  pouvions  les  atteindre.  Gomme  la  nuit  était  très-obscure  et 
la  pluie  toujours  abondante,  on  ne  pouvait  établir  des  rondes  et  pla- 
cer des  gardes  de  nuit.  Il  y  eut  un  peu  de  désordre,  car  il  n'était 
guère  possible  de  se  tenir  dans  ses  postes.  Je  dis  cela  parce  qu'ayant 
été  chargé  de  faire  le  premier  quart,  je  sais  bien  que  je  ne  vis  venir 
à  moi  aucune  ronde,  ni  aucune  quadrilla,  et  il  en  fut  de  même  dans 
tout  le  campement.  Ne  parlons  plus  de  ce  manque  de  soin  et  disons 
que  le  lendemain  nous  nous  mîmes  en  marche  vers  un  autre  village 
considérable  dont  je  ne  me  rappelle  pas  le  nom;  nous  y  enfoncions 
dans  la  boue,  et  les  habitants  l'avaient  abandonné. 

Le  jour  suivant,  nous  traversâmes  encore  des  villages  déserts,  et 
enfin  le  lendemain  nous  atteignîmes  le  bourg  d'Aculman  qui  dépen- 
dait de  Tezcuco.  On  sut  dans  cette  dernière  ville  que  nous  approchions 
et  l'on  en  sortit  pour  venir  au-devant  de  Cortès.  Plusieurs  Espagnols 
récemment  arrivés  de  Gastille  furent  au  nombre  des  visiteurs.  Là  ve- 
nait surtout  le  capitaine  Gonzalo  de  Sandoval,  accompagné  de  plu- 
sieurs soldats  et  honoré  de  la  compagnie  de  don  Fernando,  roi  de 
Tezcuco.  Les  plus  grands  honneurs  furent  rendus  à  Gortès  par  nos 
anciens  camarades,  par  les  nouveaux  venus  de  Gastille  et  surtout  par 


DE  LA  NOUVELLE-ESPAGNE.  467 

les  habitants  des  villages  du  district.  On  apportait  beaucoup  de  pro- 
visions de  bouche.  Sandoval  rentra  du  reste  le  soir  même  à  Tezcuco 
avec  tout  son  monde,  pour  surveiller  ses  quartiers.  Le  lendemain  ma- 
tin, Gortès  prit  avec  nous  le  chemin  de  la  ville.  Sans  égard  pour  nos 
fatigues,  pour  nos  blessures,  pour  les  camarades  que  nous  avions 
laissés  morts  derrière  nous,  pour  les  malheureux  qui  avaient  été  sa- 
crifiés par  les  Mexicains;  au  lieu  de  protéger  notre  repos  et  les  soins 
à  donner  à  nos  blessures,  quelques  notables  parmi  les  hommes  de 
Narvaez  avaient  organisé  une  conspiration  dans  le  but  de  donner  la 
mort  à  Gortès,  à  Gonzalo  de  Sandoval,  à  Pedro  de  Alvarado  et  à  An- 
drès  de  Tapia.  Ce  qui  advint  à  ce  sujet,  je  vais  le  dire  à  la  suite. 


CHAPITRE  GXLVI 

Gomme  quoi  nous  arrivâmes  à  Tezcuco  en  compagnie  de  Certes  avec  toute  notre 
armée,  de  retour  de  notre  visite  aux  villages  qui  entourent  la  lagune  ;  de  la  conju- 
ration ourdie  par  quelques  hommes  des  troupes  de  Narvaez  pour  tuer  Certes  et  ceux 
qui  voudraient  le  défendre  ;  comme  quoi  l'auteur  principal  de  cette  bagarre  fut  un 
ancien  ami  de  Diego  Velasquez,  gouverneur  de  Cuba,  que  Cortès  lit  pendre  confor- 
mément à  une  sentence  ;  comme  quoi  aussi  on  marqua  au  fer  les  esclaves  et  l'on 
se  mit  en  garde  dans  nos  quartiers  et  dans  tous  les  villages  nos  alliés  :  on  passa 
des  revues,  on  lança  des  ordres  du  jour,  et  autres  choses  qui  advinrent  encore. 

Je  viens  de  raconter  à  quel  point  nous  revenions  maltraités  et  cou- 
verts de  blessures,  de  cette  dernière  expédition.  Gela  n'empêcha  pas 
qu'un  grand  ami  du  gouverneur  de  Cuba,  appelé  Antonio  de  Villa- 
fana,  natif  de  Zamora  ou  de  Toro,  s'entendît  avec  quelques  autres 
soldats  de  Narvaez,  que  pour  leur  honneur  je  ne  veux  pas  nommer, 
afin  de  mettre  à  mort  Gortès  aussitôt  qu'il  reviendrait  de  sa  grande 
tournée.  On  devait  agir  comme  suit  :  un  navire  étant  arrivé  de  Cas- 
tille,  quelques-uns  des  hommes  qui  étaient  du  complot  devaient  ap- 
porter une  lettre  scellée,  sous  prétexte  qu'elle  venait  d'Espagne,  du 
père  de  notre  général,  et  la  présenter  à  Gortès  pendant  qu'il  serait 
assis  à  table  à  côté  de  ses  capitaines  et  soldats.  Tandis  qu'il  s'occu- 
perait à  la  lire,  les  conspirateurs  étaient  convenus  de  se  jeter  à  coups 
de  poignards  sur  lui  ainsi  que  sur  les  officiers  et  soldats  qui  pren- 
draient sa  défense.  Tout  étant  bien  combiné  de  la  sorte,  le  bon  Dieu 
voulut  ([ue  les  conjurés  s'en  ouvrissent  à  deux  des  principaux  per- 
sonnages qui  revenaient  d'expédition  avec  nous  et  que  je  ne  nommerai 
pas.  On  avait  déjà  choisi  l'un  d'eux  pour  être  un  des  capitaines  géné- 
raux après  la  mort  de  Gortès,  et  en  même  temps  d'autres  soldats  de 
Narvaez  étaient  désignés  pour  les  places  d'alguazil  mayor,  d'alfcrez, 
d'alcaldes,  de  regidores,  de  commissaire,  de  trésorier,  de  contrôleur  et 
autres  principaux  emplois.  On  avait  même  pris  la  précaution  de  par- 


468  CONQUETE 

tagcr  entre  les  conjurés  notre  avoir  et  nos  chevaux.  Cette  conspiration 
resta  secrète  pendant  deux  jours  après  notre  retour  de Tezcuco.  Mais, 
grâce  à  Dieu,  les  choses  ne  se  passèrent  pas  au  gré  de  ces  forcenés. 
La  nouvelle-Espagne  en  eût  été  perdue  et  nous  eussions  tous  péri; 
car,  infailliblement,  des  partis  divers  et  des  désordres  n'auraient  pas 
manqué  de  s'en  suivre. 

Fort  heureusement  un  soldat  dévoila  le  complot  à  Cortès,  l'exhor- 
tant à  y  porter  remède  sans  retard,  avant  qu'on  prît  plus  d'ardeur  à 
la  chose,  et  cet  honnête  soldat  lui  certifia  que  plusieurs  personnes  de 
qualité  se  trouvaient  mêlées  à  l'affaire.  Notre  chef  fit  beaucoup  de 
promesses  et  donna  de  grandes  récompenses  à  l'auteur  de  cette  dé- 
couverte et  il  s'empressa  d'en  faire  secrètement  confidence  à  nos  ca- 
pitaines, Pedro  de  Alvarado,  Francisco  de  Lugo,  Ghristoval  de  Oli, 
(jonzalo  de  Sandoval,  Andrès  de  Tapia,  à  moi-même,  ainsi  qu'aux  al- 
caldes  ordinaires  Luis  Marin  et  Pedro  de  Ircio,  et  à  tous  ceux  d'entre 
nous  qu'on  savait  être  attachés  à  la  personne  du  général.  Aussitôt 
instruits,  nous  prîmes  nos  armes  et  sans  perdre  de  temps  nous  nous 
transportâmes  avec  Cortès  à  la  demeure  d'Antonio  de  Villafana,  avec 
qui  se  trouvaient  en  ce  moment  un  grand  nombre  de  conspirateurs. 
Quatre  alguazils  que  Cortès  avait  amenés  mirent  la  main  sur  Villa- 
fana; les  capitaines  et  soldats  qui  étaient  là  en  sa  compagnie  voulu- 
rent fuir,  mais  notre  général  les  en  empêcha  et  en  fit  arrêter  quel- 
ques-uns. S'étant  donc  emparé  de  la  personne  de  Villafana,  Cortès 
lui  arracha  de  dessus  la  poitrine  les  papiers  où  se  trouvaient  les  si- 
gnatures des  conjurés;  il  en  prit  connaissance  et,  s'étant  assuré  que 
plusieurs  personnages  qualifiés  y  figuraient,  il  ne  voulut  pas  que 
leurs  noms  restassent  entachés  de  cette  infamie  et  il  fit  en  consé- 
quence répandre  le  bruit  que  Villafana  avait  avalé  ses  papiers  et  qu'on 
n'avait  pu  ni  les  lire  ni  les  voir. 

On  lui  fit  son  procès  ;  à  l'interrogatoire,  il  avoua  la  vérité  ;  on  pré- 
senta beaucoup  de  témoignages  dignes  de  foi,  et  la  sentence  fut  pro- 
noncée par  les  alcaldes  ordinaires  assistés  de  Cortès  et  du  mestre  de 
camp  Christoval  de  Oli.  Villafana  s'étant  confessé  au  Père  Juan  Diaz, 
on  le  pendit  à  une  fenêtre  de  la  maison  qu'il  avait  habitée.  Cortès  ne 
voulut  pas  que  cette  infamie  pesât  sur  aucun  autre  soldat,  quoique 
l'on  eût  pris  la  mesure  d'en  mettre  plusieurs  en  prison  afin  d'ins- 
pirer la  crainte  d'une  justice  plus  complète.  Mais  les  circonstances 
ne  se  prêtaient  pas  à  ces  vengeances  :  on  prit  donc  le  parti  de  dissi- 
muler et  Cortès  organisa  une  garde  destinée  à  veiller  sur  sa  per- 
sonne. Un  hidalgo  nommé  Antonio  de  Quiilones,  natif  de  Zamora, 
en  fut  le  capitaine,  avec  douze  soldats  ,  braves  gens  d'un  courage 
éprouvé  qui  veillaient  sur  le  général  nuit  et  jour.  En  outre,  Cortès 
nous  recommanda,  à  tous  ceux  qu'il  savait  lui  être  attachés,  de  ne 
pas  perdre  de  vue  sa  personne.  A  partir  de  ce  jour,  du  reste,  malgré 


DE  LA   NOUVELLE-ESPAGNE.  4R9 

Je  bon  vouloir  qu'on  s'efforça  d'afficher  pour  les  hommes  qui  avaien-l 
trempé  dans  la  conspiration,  on  ne  cessa  jamais  de  se  méfier  d'eux. 
Nous  ne  parlerons  plus  de  cet  événement,  afin  de  dire  qu'il  fut  or- 
donné que  tous  les  Indiens  et  Indiennes  dont  nous  nous  étions  em- 
parés dans  les  dernières  expéditions  seraient  présentés  à  la  marque, 
sous  deux  jours,  dans  une  maison  désignée  pour  cet  usage.  Je  ne  veux 
pas  dire  ici  plus  que  je  n'ai  dit  autrefois  à  propos  des* autres  occa- 
sions où  cette  même  opération  fut  pratiquée.  J'ajouterai  seulement 
que,  si  la  conduite  qu'on  tint  alors  avait  été  blâmable,  ce  fut  bien  pis 
encore  dans  cette  circonstance  ;  car,  après  avoir  prélevé  le  quint 
royal,  Gortès  prit  le  sien,  et  une  trentaine  de  parts  furent  en  sus  at- 
tribuées aux  capitaines.  Lorsque  les  Indiennes  que  nous  présentions 
se  distinguaient  par  leur  beauté  ou  par  d'autres  qualités,  on  les  fai- 
sait disparaître  pendant  la  nuit,  et  on  ne  les  revoyait  plus  qu'au  bout 
de  quelques  jours.  Il  en  résultait  que  plusieurs  pièces  échappaient  à 
la  marque  et  on  les  gardait  ensuite  en  qualité  d'ouvrières.  Laissons 
ce  sujet  pour  dire  ce  qui  fut  ordonné  dans  nos  quartiers. 


CHAPITRE  CXLVII 

Comme  quoi  Cortès  ordonna  à  tous  les  villages  alliés  situés  près  de  Tezcuco  de  faire 
provision  de  flèches  et  de  pointes  de  cuivre;  et  ce  qui  advint  encore  en  nos  quar- 
tiers royaux. 

Après  l'exécution  d'Antonio  de  Villafana,  l'apaisement  ne  tarda 
point  à  se  faire  parmi  les  conjurés  qui  s'étaient  proposé  d'assassiner 
Gortès,  Pedro  de  Alvarado,  Sandoval  et  tous  ceux  qui  auraient  pris 
leur  défense,  ainsi  que  je  l'ai  dit  dans  le  chapitre  précédent.  Gortès 
voyait  d'ailleurs  que  les  brigantins  complètement  achevés  étaient 
munis  de  leurs  cordages,  de  leurs  voiles  et  d'un  nombre  de  rames  dé- 
passant le  nécessaire,  tandis  que  d'un  autre  côté  le  canal  par  lequel 
ils  devaient  arriver  à  la  lagune  était  assez  large  et  suffisamment  pro- 
fond. Il  fit  donc  dire  à  tous  les  villages  alliés  des  environs  de  Tezcuco 
que  chacun  eût  à  préparer  huit  mille  pointes  de  flèches  en  cuivre, 
conformément  aux  modèles  qu'on  leur  faisait  remettre  et  qui  venaient 
de  Gastille.  Il  ordonna  aussi  que  dans  chaque  village  on  mît  en  œuvre 
et  qu'on  polît  huit  mille  flèches  d'un  bois  excellent  dont  on  leur  re- 
mit l'échantillon.  Il  leur  donna  un  délai  de  huit  jours  pour  présenter 
le  tout  à  nos  quartiers.  Gela  fut  exécuté  dans  le  temps  prescrit.  On 
apporta  plus  de  cinquante  mille  flèches  avec  un  égal  nombre  de 
pointes,  préférables  à  celles  de  Gastille.  Gortès  donna  l'ordre  à  Pedro 
Barba,  qui  était  alors  capitaine  des  arbalétriers,  de  répartir  les  pro- 
visions de  pointes  et  de  flèches  entre  tous  les  hommes  de  cette  arme, 


470 


CONQUÊTE 


leur  enjoignant  au  surplus  d'en  reviser  les  dépôts  afin  de  les  empen- 
ner  au  moyen  d'une  colle,  meilleure  que  celle  de  Castille,  que  l'on 
préparait  avec  des  racines  et  que  l'on  appelle  cactle.  Il  voulut  encore 
que  Pedro  Barba  obligeât  chaque  arbalétrier  à  avoir  deux  cordes  en 
bon  état,  et  autant  de  noix,  afin  que  si  une  corde  se  rompait  ou  que  la 
noix  s'égarât,  on  pût  à  l'instant  les  remplacer  ;  on  devait  encore 
s'exercer  au  tir  et  s'assurer  de  la  portée  de  chaque  arme.  On  donna 
en  conséquence  aux  hommes  beaucoup  de  fil  de  Valence  pour  leurs 
cordes  ;  car  le  navire  de  Juan  de  Burgos,  que  j'ai  dit  être  arrivé  de- 
puis peu  de  Castille,  en  avait  apporté  une  grande  provision  ainsi  que 
beaucoup  de  poudre,  bon  nombre  d'arbalètes  et  autres  armes,  y  com- 
pris les  espingoles,  et  beaucoup  de  ferrures.  Cortès  ordonna  égale- 
ment aux  cavaliers  de  ferrer  les  chevaux,  de  tenir  les  lances  prêtes  et 
de  faire  chaque  jour  des  exercices  de  manège  pour  enseigner  aux  che- 
vaux tout  genre  d'évolution  et  d'attaque. 

Ces  dispositions  prises,  il  envoya  des  messagers  avec  des  lettres  à 
notre  ami  Xicotenga  le  vieux,  que  j'ai  dit  s'être  fait  chrétien  sous  le 
nom  de  don  Lorenzo  de  Vargas,  à  son  fils  Xicotenga  le  jeune  ainsi 
qu'à  ses  frères  et  à  Ghichimecatecle,  leur  faisant  savoir  qu'après   la 
fête  de  Corpus  Christi  nous  partirions  de  Tezcuco  pour  commencer 
l'investissement  de  Mexico.  Gortès  demandait  l'envoi  de  vingt  mille 
guerriers  tlascaltèques  auxquels  on  ajouterait  ceux  de  Guaxocingo  et 
de  Gholula,  devenus  leurs  frères  d'armes.  On  savait  du  reste  déjà  à 
Tlascala  l'époque  et  l'ordre  convenus  pour  nos  mouvements,  au  moyen 
de  leurs  compatriotes  mêmes,  qui  partaient  journellement  de  nos  quar- 
tiers, chargés  du  butin  fait  dans  les  expéditions.  Le  général  manda 
aussi  aux  habitants  de  Ghalco,  de  Talmanalco  et  aux  peuplades  qui 
en  dépendaient,  de  se  tenir  prêts  pour  le  moment  où  nous  les  appel- 
lerions. On  leur  faisait  savoir  qu'il  s'agissait  d'investir  Mexico  et  on 
leur  désignait  l'époque  de  notre  marche.  On   donna  le  même  avis  à 
don  Fernando,  roi  de  Tezcuco,  à  ses  notables  et   à  ses  sujets,  ainsi 
qu'aux  villages  alliés.  Ils  répondirent  tous  en  môme  temps  qu'ils  exé- 
cuteraient fidèlement  les  ordres  de  Gortès  en  se  trouvant  au  rendez- 
vous.  Les  Tlascaltèques  vinrent  en  effet  aussitôt  après  la  Pentecôte. 
On  convint  qu'il  serait  passé  une  revue  dans  un  des  jours  de  cette  so- 
lennité. Je  vais  dire  à  la  suite  ce  qui  fut  décidé. 


DE   LA  NOUVELLE-ESPAGNE.  471 


CHAPITRE  CXLVIII 


Comment  on  passa  une  revue  sur  les  grandes  places  de  Tezcuco.  Des  cavaliers,  des 
arbalétriers,, des  escopettiers  et  des  soldats  qui  en  firent  partie.  Désordres  du  jour 
qui  furent  publiés,  et  bien  d'autres  choses  que  Ton  lit. 

Quand  on  eut  publié  les  ordres  du  jour  dont  j'ai  parlé  et  qu'on  eut 
envoyé  les  messagers  aux  alliés  de  Tlascala  et  de  Chalco,  ainsi  que 
des  avis  opportuns  à  tous  les  villages,  Gortès  convint  avec  nos  capi- 
taines et  soldats  qu'on  passerait  une  revue  le  lundi  de  la  Pentecôte 
de  l'an  1521.  Cette  revue  eut  lieu  en  effet  sur  les  grandes  places  de 
Tezcuco.  Se  trouvaient  présents  :  quatre-vingt-quatre  cavaliers;  six 
cent  cinquante  soldats  armés  d'épées,  de  rondaches  et  quelques-uns 
de  lances;  cent  quatre-vingt-quatorze  arbalétriers  et  gens  d'espingoJe. 
Sur  ces  derniers  on  prit  pour  les  brigantins  ce  que  je  vais  dire  :  pour 
chaque  navire  douze  arbalétriers  et  gens  d'escopette,  qui  ne  devaient 
pas  être  employés  à  manier  les  rames;  on  prit  aussi  sur  nos  hommes 
douze  rameurs  pour  chaque  brigantin,  six  de  chaque  bord;  on  nomma 
en  outre  un  capitaine  par  brick.  Il  en  résulta  qu'il  fallut,  pour  chaque 
bâtiment  vingt  -  cinq  hommes,  y  compris  le  capitaine,  et  comme  le 
nombre  des  brigantins  était  de  treize,  cela  formait  un  ensemble  de 
deux  cent  quatre-vingt-huit  hommes;  en  y  ajoutant  les  artilleurs  qui 
furent  désignés  en  sus  des  vingt-cinq  soldats,  la  flottille  employa  en 
tout  trois  cents  hommes,  d'après  le  compte  que  j'en  ai  fait.  Gortès  ré- 
partit entre  les  navires  les  canons  de  bronze1  et  les  fauconneaux  que 
nous  avions,  avec  toute  la  poudre  qui  lui  parut  nécessaire.  Gela  fait 
il  ordonna  de  publier  les  règlements  auxquels  nous  aurions  tous  à 
nous  soumettre  : 

Premièrement,  que  personne  n'eût  l'audace  de  blasphémer  les  noms 
de  Notre  Seigneur  Jésus-Christ,  de  Notre  Dame  sa  Mère  bénie,  des 
saints  apôtres  ou  d'autres  saints  quelconques,  sous  peine  des  plus  sé- 
vères châtiments; 

Secondement,  qu'aucun  soldat  n'exerçât  de  mauvais  traitements 
contre  les  alliés  qui  venaient  à  notre  aide;  qu'on  se  gardât  de  rien 
leur  prendre,  fût-ce  même  des  choses  qu'ils  auraient  acquises  comme 
butin,  pas  plus  que  des  Indiens  ou  des  Indiennes,  de  l'or,  de  l'argent 
ou  des  chalchihuis  ; 

Troisièmement,  qu'aucun  soldat  n'eût  l'audace  de  sortir  du  campe- 

1.  Le  texte  espagnol  dit  :  tiros  de  fraiera.  11  m'a  semblé  que  le  mot  frulera  n'exis- 
tait pas  dans  la  langue  et  que  c'est  fruslera  qu'on  a  voulu  dire.  En  ce  cas.  ce  sciaient 
des  canons  fondus,  en  bronze  ou  laiton,  et  tournés,  parce  que  le  mot  fruslera  entraîne 
l'idée  de  raclure  métallique. 


472  CONQUETE 

ment,  soit  de  jour,  soit  de  nuit,  pour  aller  chez  les  peuplades  alliées 
ou  n'importe  en  quel  autre  lieu,  dans  le  but  de  s'approvisionner  de 
vivres  ou  pour  quelque  autre  motif  que  ce  fût,  sous  les  peines  les 
plus  sévères; 

Quatrièmement,  que  tous  les  soldats  se  munissent  de  bonnes  ar- 
mures bien  matelassées,  avec  gorgerets,  oreillons,  visières,  et  de  bon- 
nes rondaches,  et  qu'ils  n'oubliassent  pas  que,  l'ennemi  faisant  usage 
d'une  multitude  de  pieux,  de  pierres,  de  flèches  et  de  lances,  il  était 
nécessaire  de  se  munir  des  armures  prévues  par  l'ordre  du  jour; 

Cinquièmement,  que  personne  ne  jouât  ni  son  cheval,  ni  ses  ar- 
mes sous  n'importe  quelle  forme,  à  peine  des  châtiments  les  plus 
sévères; 

Sixièmement  enfin,  qu'aucun  soldat1,  cavalier,  arbalétrier  ou  esco- 
pettier  ne  se  couchât  ou  ne  s'endormît  sans  avoir  sur  lui  toutes  ses 
armes  et  sans  être  chaussé  de  ses  sandales,  excepté  les  cas  de  blessu- 
res ou  de  maladie,  afin  que  nous  fussions  toujours  prêts,  à  quelque 
moment  que  les  Mexicains  vinssent  nous  attaquer. 

On  fit  aussi  publier  les  lois  ordinaires  de  l'ordonnance  militaire, 
comme,  par  exemple,  la  peine  de  mort  pour  tout  homme  qui  s'endort 
pendant  son  quart  de  veillée  ou  qui  abandonne  le  poste  à  lui  confié. 
On  publia  en  outre  qu'un  soldat  ne  pourrait  aller  d'un  quartier  à  un 
autre  sous  peine  de  mort,  sans  la  permission  de  son  capitaine.  On 
mit  encore  à  l'ordre  du  jour  que  serait  puni  de  mort  tout  homme  qui 
abandonnerait  son  chef  en  campagne  ou  en  bataille,  ou  qui  prendrait  la 
fuite.  Tout  cela  étant  dûment  rendu  public,  je  vais  dire  les  dispo- 
sitions qu'on  prit  ensuite. 


-  CHAPITRE  CXLIX 


Comme  quoi  Cortès  fit  choix  des  matelots  qui  devaient  ramer  sur  les  brigantins  et 
leur  désigna  les  capitaines  qui  les  y  commanderaient:  d'autres  choses  qu'on  fit 
encore. 

Quand  on  eut  passé  la  revue  dont  j'ai  parlé,  Cortès  s'aperçut  qu'on 
n'avait  pas  tous  les  hommes  qu'il  faudrait  pour  ramer.  On  savait  quels 

1.  Très-souvent,  dans  le  cours  de  son  récit,  on  voit  Bernai  Diaz  employer  cette 
expression  :  «  nous,  les  soldats  »,  en  appliquant  ce  mot  non  pas  d'une  manière  géné- 
rale, mais  avec  la  signification  de  fantassins  ne  faisant  usage  ni  d'arbalète,  ni  d'armes 
à  feu.  J'en  prends  occasion  de  dire  que  l'armée  de  Cortès  se  divisait,  au  point  de  vue 
de  l'armement,  en  cinq  catégories  :  les  canonniers,  les  cavaliers  armés  de  lances,  les 
escopettiers,  les  arbalétriers  et  ce  que  Bernai  Diaz  appelle  «  les  soldats  d'épée  et  ron- 
dache  »,  qui  ajoutaient  quelquefois  la  pique  à  leurs  moyens  de  défense  et  d'attaque. 

Sans  vouloir  décrire  l'armement  des  Indiens,  je  dois  porter  l'attention  du  lecteur 
sur  une  arme  d'attaque  dont  ils  faisaient  usage  comme  projectile  et  qui  rappelle,  ce 


DE  LA  NOUVELLE-ESPAGNE.  473 

étaient  ceux  qui  avaient  manœuvré  sur  nos  navires,  échoués  au  port, 
lorsque  nous  vînmes  avec  Gortès;  on  connaissait  aussi  les  matelots  de 
Narvaez  et  ceux  qui  étaient  arrivés  de  Jamaïque.  Tous  étaient  inscrits 
en  cette  qualité  ;  et  l'on  avait  eu  soin  de  les  prévenir  qu'ils  auraient 
à  ramer.  Mais  tous  ensemble  ne  formaient  pas  le  nombre  nécessaire 
pour  les  treize  brigantins;  d'ailleurs  beaucoup  d'enlre  eux -refusaient, 
disant  qu'ils  ne  rameraient  pas.  Gortès  fit  alors  faire  des  recherches 
pour  connaître  ceux  qui  avaient  été  matelots  ou  s'étaient  occupés  de 
pèche,  et  savoir  si  quelques  soldats  provenaient  de  Palos,  de  Moguer, 
de  Triana,  del  Puerto  ou  de  n'importe  quel  autre  port  ou  lieu  ha- 
bité par  des  matelots;  à  tous  ces  gens -là  il  ordonna  sous  les  peines 
les  plus  sévères  de  se  rendre  aux  brigantins.  Ils  eurent  beau  s'en  ex- 
cuser en  prétendant  qu'ils  étaient  hidalgos,  Gortès  ne  les  força  pas 
moins  à  ramer.  C'est  ainsi  qu'il  arriva  à  réunir  cent  cinquante  hom- 
mes dans  ce  but,  et  certes  ils  furent  bien  mieux  partagés  que  nous 
autres,  obligés  d'aller  batailler  sur  les  chaussées;  ils  eurent  même  la 
chance  de  s'enrichir  à  force  de  butin,  comme  j'aurai  occasion  de  le 
dire  par  la  suite.  Gortès  leur  donna  donc  l'ordre  de  se  rendre  aux  bri- 
gantins; les  arbalétriers  et  les  escopettiers,  la  poudre,  les  canons, 
les  flèches,  tout  ce  qui  était  nécessaire  enfin  y  fut  réparti  comme  il 
convenait. 

Le  pavillon  royal  fut  arboré  sur  tous  les  navires,  et  chacun  eut  un 
guidon  distinctif.  Voici  quels  furent  les  chefs  désignés  pour  les  com- 
mander :  Grarcia  Holguin,  Pedro  Barba,  Juan  de  Limpias  Garvajal, 
le  Sourd,  Juan  Xaramillo,  Geronimo  Ruiz  de  la  Mota,  Garvajal,  sup- 
pléant du  précédent,  qui  est  maintenant  d'un  âge  très-avancé  et  de- 
meure dans  la  rue  de  San  Francisco;  un  certain  Portillo,  récemment 
venu  de  Castille,  très-bon  soldat,  mari  d'une  fort  belle  femme;  un 
Zamora,  qui  fut  maître  constructeur  et  a  vécu  à  Gruaxaca;  un  certain 
Gormenero,  matelot  et  bon  soldat  ;  un  nommé  Lerma,  Ginès  Nortès, 
Brionès,  natif  de  Salamanca,  Miguel  Diaz  de  Auz  et  un  autre  capi- 
taine dont  je  ne  me  rappelle  pas  le  nom.  Après  avoir  fait  ces  nomi- 
nations, Gortès  recommanda  à  tous  les  arbalétriers,  escopettiers,  sol- 
dats, rameurs,  d'obéir  aux  commandants  qu'il  leur  donnait  et  de 
ne  pas  s'exposer  à  des  châtiments  sévères  en  s'écartant  de  leurs  de- 
voirs. Il  donna  à  chaque  capitaine  les  instructions  qui  lui  convenaient 
en  propre,  lui  désignant  les  postes  des  chaussées  qu'il  devait  secon- 
der, ainsi  que  les  capitaines  de  terre  avec  lesquels  il  devait  s'entendre. 

me  semble.,  les  javelots  des  anciens.  Bernai  Diaz  l'appelle  «  vara  »  en  langue 
espagnole.  J'ai  cm  devoir  traduire  cette  expression  par  le  mot»  pieu  »  qui  me  parait 
Im  correspondre  dans  l'espèce.  En  outre,  comme  il  dit  souvent  que  ce  projectile  avait 
été  passé  au  feu,  j'ai  compris  que  c'étaient  des  pieux  dont  on  grillait  ou  carbonisai! 
légèrement  la  pointe  pour  la  durcir.  C'est  dans  ce  sens  que  j'ai  dit  quelquefois:  ■  des 
pieux  durcis  au  feu  »,  et  môme,  en  nf  exprimant  moins  justement,  «  des  pieux  grillés  ». 


474  CONQUÊTE 

Gortès  venait  de  terminer  ces  diverses  dispositions,  lorsqu'on  vint 
lui  dire  que  les  chefs  tlascaltèques  approchaient  avec  une  grande 
quantité  de  guerriers.  Ils  étaient  commandés,  à  titre  de  capitaine 
général,  par  Xicotenga  le  jeune,  celui-là  même  qui  était  un  des  chefs 
principaux  lors  de  nos  guerres  avec  Tlascala;  c'est  encore  lui  qui 
voulut  nous  trahir,  à  Tlascala,  lorsque  nous  revînmes  en  déroute  de 
Mexico,  ainsi  que  je  l'ai  dit  déjà  plusieurs  fois.  Il  avait  à  ses  côtés 
deux  de  ses  frères,  fils  du  bon  vieillard  don  Lorenzo  Vargas.  Il  ame- 
nait un  grand  nombre  de  Tlascaltèques  et  d'habitants  de  Guaxocingo, 
ainsi  qu'un  capitaine  de  Gholula;  ce  dernier  venait  avec  peu  de 
monde,  car  je  pus  m'assurer  en  général  qu'après  le  châtiment  qu'on 
leur  infligea,  les  Gholultèques  ne  se  joignirent  jamais  aux  Mexicains, 
et  qu'ils  nous  suivirent  difficilement  nous-mêmes,  préférant  rester 
en  observation,  au  point  que,  lorsque  nous  fûmes  chassés  de  Mexico, 
ils  ne  se  prononcèrent  même  pas  contre  nous.  Quoi  qu'il  en  soit, 
pour  en  revenir  à  notre  récit,  en  apprenant  l'approche  de  Xicotenga, 
de  ses  frères  et  d'autres  chefs  qui  venaient  au  rendez-vous  vingt- 
quatre  heures  avant  le  jour  convenu,  Gortès  sortit  à  leur  rencontre 
jusqu'à  un  quart  de  lieue  de  Tezcuco,  avec  Pedro  de  Alvarado  et 
quelques  autres  capitaines.  En  abordant  Xicotenga  et  ses  frères,  no- 
tre général  les  traita  avec  beaucoup  d'égards  et  les  embrassa  ainsi 
que  tous  les  autres  chefs.  Ils  marchaient  en  bon  ordre,  leur  extérieur 
très-brillant,  avec  de  grandes  enseignes,  chaque  capitainerie  distincte, 
drapeaux  flottants  avec  le  gros  oiseau  blanc  aux  ailes  déployées  qui 
est  leur  emblème  national;  leurs  alferez  faisaient  flotter  les  enseignes 
et  les  étendards;  chaque  homme  avait  son  arc  et  ses  flèches,  ou  son 
espadon  à  deux  mains,  ou  bien  encore  des  pieux  avec  la  machine 
pour  les  lancer;  d'autres  étaient  armés  de  casse-tête  et  de  grandes 
ou  petites  lances;  leurs  têtes  étaient  couvertes  de  panaches;  ils  mar- 
chaient en  gardant  les  rangs,  criant,  sifflant  et  disant  :  «  Vive  l'Em- 
pereur notre  seigneur!  »  et  «  Gastille,  Gastille!  Tlascala!  Tlascala!  » 
Ils  firent  leur  entrée  à  Tezcuco  en  défilant  pendant  plus  de  trois 
heures.  Gortès  leur  ménagea  de  très-bons  logements  et  leur  fit  don- 
ner à  manger  de  tout  ce  qu'il  y  avait  dans  nos  quartiers.  Après  les 
avoir  encore  embrassés  et  leur  avoir  promis  de  les  rendre  riches,  il 
prit  congé  d'eux  en  renvoyant  au  lendemain  le  soin  de  leur  dire  ce 
qu'ils  auraient  à  faire  et  les  engageant  à  se  reposer,  attendu  qu'ils 
arrivaient  très-fatigués. 

En  ce  même  moment,  du  reste,  on  recevait  dans  nos  quartiers  des 
lettres  adressées  du  village  de  Ghinanta,  situé  à  quatre-vingt-dix 
lieues  de  Mexico,  par  un  soldat  appelé  Hernando  de  Barrientos.  Il 
nous  disait  qu'à  l'époque  où  nous  fûmes  chassés  de  la  capitale,  les 
Mexicains  avaient  donne  la  mort  à  trois  de  ses  camarades  dans  les 
lieux  mêmes  d'exploitation  de  mines  où  le  capitaine  Pizarro  les  avait 


DE  LA   NOUVELLE-ESPAGNE.  &75 

laissés  avec  la  recommandation  de  parcourir  tout  le  district  afin  de 
s'assurer  s'il  y  avait  de  riches  gisements  d'or,  ainsi  que  je  l'ai  dit 
dans  un  chapitre  précédent.  Barrientos  ajoutait  que,  quant  à  lui,  il 
avait  réussi  à  se  réfugier  dans  ce  village  de  Ghinanta  où  il  se  trou- 
vait et  dont  les  habitants  étaient  ennemis  des  Mexicains.  C'est  de  là 
même  que  l'on  nous  apporta  les  piques  lorsque  nous  marchâmes  con- 
tre Narvaez.  Je  ne  parlerai  pas  de  plusieurs  autres  particularités 
dont  il  était  question  dans  cette  lettre,  parce  qu'elles  s'écarteraient  de 
notre  récit.  Gortès  lui  répondit  en  l'informant  de  nos  mesures  pour 
investir  la  capitale;  il  lui  enjoignait  de  donner  des  énoomiendas'1  à 
tous  les  caciques  de  ces  provinces  et  de  ne  pas  sortir  de  ce  pays  avant 
d'en  avoir  reçu  l'ordre,  de  crainte  que  les  Mexicains  ne  lui  donnas- 
sent la  mort  en  route.  Quoi  qu'il  en  soit,  laissons  ce  sujet  pour  dire 
comme  quoi  Gortès  prit  ses  dispositions  pour  commencer  l'investisse- 
ment de  Mexico,  quels  furent  les  commandants  et  ce  qui  arriva  dans 
cette  entreprise. 


CHAPITRE  CL 


Comme  quoi  Gortès  forma  trois  divisions  de  soldats,  de  cavaliers,  d'arbalétriers  et  de 
gens  d'escopette  pour  aller  par  terre  effectuer  l'investissement  de  la  grande  ville  de 
Mexico.  Des  capitaines  qu'il  mit  à  la  tête  de  chaque  division,  et  des  soldats,  cava- 
liers, arbalétriers,  escopetlicrs  qu'il  répartit  entre  eux  ;  ainsi  que  les  postes  et  les 
villes  où  nos  quartiers  devaient  être  établis. 

Gortès  désigna  Pedro  de  Alvarado  pour  commander  à  cent  cin- 
quante soldats  d'épée  et  de  rondache,    dont   quelques-uns   seraient 

1.  Rëpartimiento  et  encomienda.  Ces  deux  mots  sont  d'une  traduction  difficile,  pré- 
cisément parce  qu'ils  désignent  des  choses  qui  ne  se  sont  point  passées  dans  les  pays 
de  notre  langue.  On  les  mit  surtout  en  usage  après  la  découverte  de  l'Amérique,  pour 
désigner  l'état  de  servitude  dans  lequel  les  Indiens  furent  relégués.  Après  la  conquête, 
on  ne  se  demanda  point  si  l'Indien  devait  continuer  à  s'appartenir  à  lui-même  ou 
s'il  tomberait  dans  l'esclavage  au  bénéfice  du  vainqueur.  Il  fut  dès  le  premier  mo- 
ment considéré  comme  mineur,  inapte  à  se  gouverner  lui-même  et  ne  pouvant  agir 
que  sous  l'influence  d'un  tuteur,  c'est-à-dire  d'un  maître.  On  voulut  cependant  sauver 
les  apparences  et  on  crut  y  être  parvenu  parle  mot  encomienda  qui  signifiait  que  les 
Indiens  étaient  simplement  recommandés  à  celui  dont  ils  devaient  recevoirdes  ordres. 
Il  fut  alors  mis  en  question  si  cette  propriété  serait,  pour  le  possesseur,  temporaire 
ou  définitive  ;  le  point  en  fut  longtemps  débattu,  et  Bernai  Diaz  fera  entrevoir  plus 
tard  (chap.  ccxi)  l'ardeur  avec  laquelle  chacun  donna  son  avis.  Le  fait  est,  pour  res- 
ter dans  les  termes  mêmes  du  mot  encomienda,  que  la  situation  de  l'Indien  auquel 
il  était  applicable  n'entraînait  pas  l'idée  de  perpétuité.  11  pouvait  changer  de  maître 
par  la  volonté  du  donateur  ou  par  disposition  administrative  et  par  suite  d'autres 
circonstances  qui  le  rendaient  vacant.  Il  m'a  été  très-difficile  de  remplacer  le  mot 
encomienda  par  son  équivalent  en  français;  j'ai  tourné  la  difficulté  en  voyant  uni- 
quement dans  la  situation  les  droits  du  possesseur  et  j'ai  donné  à  leur  ensemble  la 
désignation  de   «  commanderie  ».  c'est-à-dire  le  droit  de    commander  et  de  faire 


470  CONQUÊTE 

munis  de  lances.  Il  leur  adjoignit  trente  cavaliers  et  dix-huit  hom- 
mes d'espingole  et  d'arbalète.  Il  lui  donna  pour  lieutenants  Jorge  de 
Alvarado  son  frère,  Gutierrez  de  Badajoz  et  Andrès  de  Monjaraz. 
Chacun  d'eux  aurait  sous  ses  ordres  cinquante  soldats;  les  gens  d'es- 
copette  et  d'arbalète  devaient  se  répartir  par  parts  égales.  Pedro  de 
Alvarado,  qui  gardait  pour  lui  les  hommes  à  cheval,  devait  avoir  le 
commandement  général  de  la  division,  laquelle  se  complétait  par 
huit  mille  Tlascaltèques,  y  compris  leurs  chefs.  Je  fus  désigné  pour 
marcher  sous  Pedro  de  Alvarado,  et  le  poste  assigné  à  notre  division 
fut  la  ville  de  Tacuba.  Gortès  voulut  que  les  armes  dont  nous  serions 
pourvus  fussent  excellentes,  que  nous  eussions  des  oreillons,  des  gor- 
gerets  et  des  visières,  parce  que  les  pieux  et  les  pierres  devaient 
tomber  sur  nous  comme  grêle  et  que  nous  nous  trouverions  aux  pri- 
ses avec  des  guerriers  munis  d'épées,  de  lances,  de  casse-tête,  d'es- 
padons à  deux  mains,  dont  nous  ne  pourrions  nous  défendre  qu'à  la 
condition  d'être  protégés  par  de  bonnes  armures.  Cette  précaution 
n'empêcha  pas  que  chaque  jour  de  combat  ne  nous  coûtât  quelques 
hommes  tués  et  blessés,  ainsi  que  je  vais  bientôt  le  dire. 

Passons  à  une  autre  division.  Cortès  donna  à  Christoval  de  Oli, 
qui  était  mestre  de  camp,  trente  cavaliers,  cent  soixante-quinze  sol- 
dats et  vingt  hommes  d'escopette  ou  d'arbalète,  avec  le  même  arme- 
ment que  les  gens  de  Pedro  de  Alvarado.  Ses  trois  lieutenants  fu- 
rent Andrès  de  Tapia,  Francisco  Verdugo  et  Francisco  de  Lugo,  en- 
tre lesquels  on  répartit  les  soldats,  les  arbalétriers  et  les  escopettiers. 
Christoval  de  Oli,  qui  devait  avoir  le  commandement  général  de  la 
division,  conservait  les  cavaliers  sous  sa  main.  Il  recevait  également 
huit  mille  Tlascaltèques,  avec  ordre  d'établir  ses  quartiers  dans  la 
ville  de  Guyoacan,  qui  se  trouve  à  deux  lieues  de  Tacuba. 

Gonzalo  de  Sandoval,  qui  était  alguazil  mayor,  eut  le  commandement 
de  la  troisième  division.  Cortès  lui  donna  vingt-quatre  cavaliers, 
quatorze  arbalétriers  ou  gens  d'escopette,  cent  cinquante  soldats  ar- 
més d'épées,  de  rondaches  et  de  lances,  et  plus  de  huit  mille  In- 
diens de  Ghalco,  de  Cuaxocingo  et  d'autres  villages  alliés  qu'il  de- 
vait traverser.  On  lui  assigna  pour  lieutenants  ses  amis  Luis  Marin 
et  Pedro  de  Ircio,  entre  lesquels  seraient  répartis  les  soldats,  les 
arbalétriers  et  les  escopettiers,  tandis  que  Sandoval  garderait  pour 
lui  les  cavaliers  ainsi  que  le  commandement  supérieur  de  la  division. 
Il  devait  établir  son  campement  près  d'Iztapalapa,  avec  ordre  de 
faire  le  plus  de  mal  possible  à  cette  ville,  jusqu'à  ce  qu'il  reçût  d'au- 
tres instructions.  Ce  capitaine  ne  s'éloigna  d'ailleurs  de  Tezcuzo  que 
lorsque  Cortès,  qui  devait  commander  les  brigantins,  fut  sur  le  point 

usage,  d'où  je  fais  dériver  le  mot  «  commandeur  »  appliqué  à  celui  qui  était  mis 
en  possession  de  ce  droit.  «  Commanderie  »  et  «  commandeur  »  dans  ma  traduction 
désignent  encomienda  et  encomendador  du  texte  espagnol. 


DE  LA   NOUVELLE-ESPAGNE.  477 

de  mettre  à  la  voile  sur  la  lagune.  La  flottille  était  montée  par  trois 
cents  soldats,  y  compris  les  arbalétriers  et  gens  d'escopette,  confor- 
mément aux  dispositions  antérieures.  Il  résulte  de  ce  qui  précède 
qu'avec  Pedro  de  Alvarado  et  Christoval  de  Oli  nous  allions  d'un  côté, 
tandis  que  Sandoval  allait  dans  l'autre  direction.  J'ajouterai,  pour 
que  ceux  qui  ne  connaissent  ni  ces  villes  ni  la  lagune  me  puissent 
comprendre,  qu'en  partant  de  Tezcuco  les  uns  allaient  à  droite  et  les 
autres  par  le  chemin  opposé,  pour  en  arriver  presque  à  se  rejoindre 
en  contournant  la  lagune1. 

Quoi  qu'il  en  soit,  nous  dirons  que  chaque  chef  reçut  les  instruc- 
tions convenables ,  avec  l'ordre  de  partir  le  lendemain  matin.  Pour 
diminuer  les  embarras  de  la  marche,  nous  fîmes  prendre  les  devants 
aux  bataillons  tlascaltèques  jusqu'aux  confins  des  terres  mexicaines. 
Or,  comme  les  Tlascaltèques  avançaient  sans  nul  souci,  ayant  à  leur 
tête  Ghichimecatecle  et  d'autres  capitaines  avec  leurs  troupes,  ils  s'a- 
perçurent tout  à  coup  que  Xicotenga  le  jeune,  qui  était  leur  général 
en  chef,  ne  se  trouvait  plus  avec  eux.  Ghichimecatecle  s'informa  de 
ce  qu'il  était  devenu  et  arriva  à  savoir  qu'il  avait  repris  cette  nuit-là 
même  le  chemin  de  Tlascala,  dans  le  but  de  s'emparer  par  force  de 
la  charge  de  cacique,  avec  les  vassaux  et  territoires  appartenant  à 
Ghichimecatecle  lui-même.  La  raison  de  cette  conduite,  au  dire  des 
Tlascaltèques,  c'est  qu'ayant  vu  tous  les  capitaines  de  Tlascala,  et 
surtout  Ghichimecatecle,  partis  en  campagne,  Xicotenga  le  jeune  au- 

1.  Force  des  armées  de  Cortès  eu  égard  aux  alliés  qui  vinrent  à  son  secours. 
Lorsque  Cortès  eut  effacé  les  impressions  de  la  Nuit  triste  par  ses  nouvelles  victoires 
et  que  décidément  il  se  mettait  en  route  de  Tlascala  pour  marcher  sur  Mexico,  il 
pouvait  compter  sur  une  armée  considérable  et  solide  d'alliés.  S'il  ne  s'en  entoura  pas 
dès  les  premiers  jours  de  sa  marche,  ce  fut  par  la  considération  dont  parle  Bernai 
Diaz,  de  ne  pas  éveiller  la  susceptibilité  des  ennemis  des  Tlascaltèques,  que  l'on 
allait  trouver  sur  la  route.  Il  ne  prit  donc  tout  d'abord  qu'un  petit  nombre  des  hommes 
qui  lui  étaient  offerts;  mais  il  put  compter  dès  lors,  pour  le  moment  qui  lui  paraî- 
trait opportun,  sur  la  quantité  de  guerriers  dont,  d'après  quelques  historiens,  on 
passa  la  revue  à  Tlascala  avant  le  départ  de  Cortès.  Je  ne  parlerai  pas  des  opinions 
diverses  des  auteurs  sur  l'importance  numérique  de  ces  alliés;  je  citerai  seulement  le 
dire  d'Ojedaqui  était  présent  et  qui  fut  commandant  des  troupes  auxiliaires  :  il  affirme 
qu'on  tint  prêts  à  marcher  cent  cinquante  mille  hommes  lorsque  Cortès  se  disposait 
à  partir  pour  la  capitale.  Cette  immense  troupe  resta  donc  en  réserve  jusqu'au  jour 
où  Cortès  se  décida  définitivement  à  investir  Mexico.  Elle  ne  se  composait  pas  seule- 
ment de  Tlascaltèques  :  elle  comprenait  aussi  un  grand  nombre  de  guerriers  de  Guaxo- 
cingo,  de  Cholula  et  Tepeaca. 

Quoi  qu'il  en  soit  des  détails  qui  précèdent,  nous  avons  vu  dans  Bernai  Diaï  que 
Corlôs,  s'étant  décidé  à  investir  Mexico,  partagea  ses  troupes  en  quatre  sections,  eu  n 
comprenant  la  flotte  des  brigantins  qui  forma  la  quatrième.  Les  trois  autres  furent 
confiées  au  commandement  de  Sandoval,  d'Oli  et  d'Alvarado.  Chacun  de  ces  chefs 
emmenait  avec  lui  environ  vingt-cinq  mille  alliés.  D'après  Coites  lui-même  les  troupes 
auxiliaires  dépassaient  le  chiffre  de  soixante-quinze  mille  hommes.  Elles  augmentè- 
ivni  plus  tard  pendant  le  siège,  de  manière  à  dépasser  le  chiffre  énorme  de  deux  cent 
mille  guerriers.  (Vo\cz  Clavijero  —  traduction  mexicaine  —  JUstoria  anligua  de 
Mejieo,  pages  272  et  283.) 


478  CONQUETE 

gura  qu'il  n'aurait  plus  d'opposants  ,  attendu  que  son  père  aveugle 
lui  paraissait,  en  sa  qualité  de  père,  devoir  lui  être  un  auxiliaire, 
que  d'ailleurs  notre  ami  Maceescaci  était  mort  et  que  Chichimeca- 
teclc  aurait  été  le  seul  à  craindre.  Au  surplus,  ajoutait-on,  on  avait 
toujours  été  persuadé  que  ce  jeune  chef  n'était  animé  d'aucun  désir 
d'aller  faire  la  guerre  aux  Mexicains,  car  on  l'avait  souvent  entendu 
dire  que  ses  compatriotes  et  nous-mêmes  devions  tous  y  trouver  la 
mort. 

Lorsque  Chichimecatecle ,  dont  les  possessions  étaient  ainsi  me- 
nacées, reçut  cette  nouvelle ,  il  revint  sur  ses  pas  en  toute  hâte  et 
retourna  à  Tezcuco  pour  en  donner  connaissance  à  Gortès.  Notre 
chef,  ayant  tout  appris,  ordonna  que  sur-le-champ  trois  notables  de 
Tezcuco,  et  deux  de  Tlascala,  amis  du  fugitif,  partissent  pour  l'en- 
gager à  revenir,  en  lui  disant  que  Gortès  l'en  priait,  dans  l'unique 
but  de  combattre  les  Mexicains,  ennemis  de  son  pays,  lui  faisant 
observer  que  si  son  père,  don  Lorenzo  de  Vargas,  n'était  pas  vieux  et 
aveugle  comme  il  l'était,  il  s'empresserait  certainement  de  marcher 
contre  Mexico.  Les  messagers  devaient  ajouter  qu'en  voyant  à  quel 
point  tous  les  habitants  de  Tlascala  servaient  fidèlement  Sa  Ma- 
jesté ,  il  avait  le  devoir  de  leur  épargner  la  honte  de  sa  con- 
duite. Gortès  lui  fit  faire  ,  en  outre,  les  plus  grandes  promesses , 
assurant  qu'il  récompenserait  son  retour  par  de  l'or  et  par  des 
étoffes.  Mais  Xicotenga  répondit  que,  si  son  père  et  Maceescaci 
avaient  voulu  le  croire,  les  Espagnols  n'en  seraient  pas  arrivés  à 
commander  ainsi  dans  son  pays  et  à  faire  faire  à  ces  caciques  tout  ce 
que  désirait  Gortès;  qu'au  surplus,  pour  ne  pas  perdre  le  temps  en 
vains  discours,  il  se  refusait  à  venir. 

Ayant  reçu  cette  réponse,  Gortès  donna  aussitôt  l'ordre  à  un  al- 
guazil,  suivi  de  quatre  cavaliers  et  accompagné  de  cinq  Indiens  nota- 
bles de  Tezcuco,  de  partir  en  toute  hâte  et  de  pendre  le  chef  rebelle 
n'importe  où  l'on  pourrait  se  saisir  de  sa  personne.  Notre  capitaine 
ajoutait  :  «  Il  n'y  a  pas  à  espérer  que  ce  jeune  homme  se  corrige  ; 
nous  devons  nous  attendre  à  ce  qu'il  soit  toujours  pour  nous  traître, 
méchant  et  mauvais  conseiller  ;  les  circonstances  d'ailleurs  ne 
nous  permettent  pas  de  le  supporter  davantage;  le  passé  et  le  pré- 
sent ont  comblé  la  mesure.  »  Pedro  de  Aîvarado,  ayant  connu  toutes 
ces  particularités,  intercéda  beaucoup  pour  le  coupable.  Je  ne  sais  si 
Gortès  lui  donna  bon  espoir,  mais  il  recommanda  certainement  en 
secret  à  l'alguazil  et  aux  cavaliers  de  ne  pas  épargner  la  vie  du  fugitif. 
Ge  désir  fut  du  reste  accompli,  car  on  le  pendit  dans  un  village  dé- 
pendant de  Tezcuco.  Tel  fut  le  résultat  de  ses  trahisons.  Quelques 
Tlascaltèques  prétendirent  que  son  père  don  Lorenzo  de  Vargas  avait 
envoyé  dire  à  Gortès  que  son  fils  était  un  pervers,  qu'on  ne  devait 
pas  se  fier  à  lui  et  qu'il  serait  opportun  de  le  faire  périr. 


DE  LA  NOUVELLE-ESPAGNE.  479 

Toujours  est-il   que ,  pour  ce  motif,   nous   retardâmes   d'un  jour 
notre  marche.  Mais  le  lendemain,  13  mai  1521,  nous  partîmes  deux 
divisions  ensemble  ,  attendu  qu'avec  Christoval  de  Oli  et  Pedro  de 
Alvarado  nous  avions  à  suivre  la  même  route.  Nous  devions  passer 
la  nuit  dans  un  village  dépendant  de  Tezcuco,  appelé  Aculman.  Or 
Christoval   de   Oli  fit    prendre  les    devants  à  quelques-uns   de  ses 
hommes  pour  s'assurer  des  logements  en  ayant  soin  de  les  marquer 
par  des  branches  vertes  placées  sur  les  terrasses  des  maisons.  Il  en 
résulta  que  lorsque  nous  arrivâmes  avec  Pedro  de  Alvarado,  nous  ne 
trouvâmes  plus  où  nous  loger.  Sur  ce,  nous  avions  déjà  mis  la  main 
à  nos  épées,  menaçant  les  hommes  de   Christoval  de  Oli;  nos  chefs 
eux-mêmes  s'étaient  lancé  des  défis,  lorsque,  fort  heureusement,  des 
deux  parts,  il  y  eut  quelques  hommes  raisonnables  qui  s'interposè- 
rent, et  le  bruit  s'apaisa,  non  pas  cependant  d'une  manière  absolue, 
puisque  tous  gardaient  leur  rancune.  On  fit  savoir  l'affaire  à  Cortès, 
qui  envoya  en  toute  hâte  fray  Pedro  Melgarejo  et  le  capitaine  Luis 
Marin,  en  écrivant  d'ailleurs  à  nos  chefs  et  à  nous  tous  pour  nous 
adresser  des  reproches  à  propos   de  la  querelle   et  nous  engager  à 
faire  la  paix.  Les  messagers  réussirent  en  effet  à  rétablir  l'union; 
mais  nos  commandants,  Pedro  de  Alvarado  et  Christoval  de  Oli,  ces- 
sèrent pour  toujours  d'être  bien  ensemble. 

Le  lendemain  les  deux  divisions   se  mirent  en  route  et  allèrent 
passer  la  nuit  dans  un  grand  village  abandonné  de  ses  habitants,  vu 
qu'il  était  eu  territoire  mexicain.  Le  jour  suivant,  nous  fûmes  cou- 
cher dans  la  grande  ville  de  Gruautitlan,   dont  j'ai   déjà  parlé;   ses 
habitants  l'avaient  aussi  quittée.  Le  lendemain  nous  atteignîmes  les 
deux  villages  de  Tenayuca  et  d'Escapuzalco,  également  déserts.  Nos 
alliés  les  Tlascaltèques  y  établirent  leurs  logements  et  ils  mirent 
même  à  profit  l'après-midi  pour  visiter  les  établissements  du  lieu, 
d'où  ils  rapportèrent  des  vivres.   Ayant  pris  la  précaution  de  nous 
entourer  de  bons  veilleurs  et  d'hommes  qui  battaient  la  campagne, 
ainsi  que  nous  avions  l'habitude  de  le  faire  pour  éviter  d'être  surpris, 
nous  passâmes  la  nuit  en  cet  endroit.  J'ai  déjà  dit  plusieurs  fois  que 
la  ville  de  Mexico  est  tout  près  de  Tacuba.  La  nuit  venue,  nous  en- 
tendîmes les  grands  cris  qui ,  de  la  lagune ,   étaient  lancés  contre 
nous.  Les  Mexicains  nous  criaient  des  injures,   disant  que  nous  n'a- 
vions pas  le  courage  d'en  venir  aux  mains  avec  eux.  Leur  intention 
était  de  nous  indigner  par  ces  insultes,  espérant  ainsi  nous  engager 
au  combat  cette  nuit  même,  et  pouvoir  sans  aucun  risque  pour  eux 
nous  causer  du  dommage.   Mais  nous  voyions  tant  d'embarcations 
pleines  de  gens  de  guerre  et  les  chaussées  tellement  couvertes  d'en- 
nemis; nous  avions  eu  d'ailleurs  tant  à  souffrir  d'autres  fois  en  ces 
lieux,  que  nous  résolûmes  de  ne  pas  nous  montrer  avant  le  jour  sui- 
vant. C'était  un  dimanche.  Après  que  le  Père  Juan  Diaz  nous  eut  dit 


480  CONQUETE 

la  messe,  nous  nous  recommandâmes  à  Dieu  et  nous  convînmes  que 
les  deux  divisions  ensemble  iraient  couper  l'eau  de  Ghapultepeque, 
dont  la  capitale  est  approvisionnée  et  qui  passait  à  moins  d'une 
demi-lieue  de  Tacuba. 

Nous  étions  en  marche  pour  aller  détruire  les  conduites ,  lorsque 
nous  donnâmes  dans  une  foule  de  guerriers  qui  nous  attendaient  en 
chemin,  parce  qu'ils  avaient  bien  compris  que  ce  serait  là  le  premier 
tort  que  nous  chercherions  à  leur  faire.  Ils  nous  rencontrèrent  près 
d'un  fort  mauvais  passage  et  commencèrent  à  lancer  sur  nous  des 
pieux  et  des  pierres  à  fronde  qui  nous  blessèrent  trois  soldats  ;  mais 
nous  leur  fîmes  bien  vite  tourner  le  dos.  Nos  amis  de  Tlascala  les 
poursuivirent,  tuèrent  vingt  d'entre  eux  et  firent  sept  ou  huit  prison- 
niers. Après  les  avoir  ainsi  mis  en  fuite,  nous  brisâmes  les  conduites 
qui  menaient  les  eaux  à  la  ville  et,  à  partir  de  ce  moment,  on  en 
fut  privé  pendant  toute  la  durée  du  siège.  Gela  fait,  nos  chefs 
convinrent  que  nous  irions  à  l'instant  même  en  reconnaissance  sur 
la  chaussée  de  Tacuba,  où  l'on  tenterait  tous  les  efforts  possibles 
pour  s'emparer  d'un  des  ponts. 

Quand  nous  entrâmes  sur  la  chaussée ,  il  y  avait  dans  la  lagune 
tant  d'embarcations  pleines  de  guerriers  et  tant  d'ennemis  sur  la 
chaussée  elle-même,  que  cette  vue  nous  remplit  d'étonnement.  Ils 
firent  pleuvoir  sur  nous  une  telle  quantité  de  pieux,  de  flèches  et  de 
pierres  à  fronde,  que  du  premier  jet  ils  blessèrent  trente  des  nôtres, 
dont  trois  mortellement.  Malgré  le  dommage  qu'ils  nous  causaient, 
nous  poursuivîmes  notre  route  sur  la  chaussée  jusqu'au  premier 
pont.  Il  me  sembla,  du  reste,  que  l'ennemi  facilitait  notre  marche 
pour  nous  amener  près  de  la  tranchée.  Quand  les  Mexicains  nous  y 
virent ,  une  si  grande  multitude  de  guerriers  tomba  sur  nous  que 
nous  n'étions  plus  maîtres  de  nos  mouvements  ;  car  enfin,  qu'aurions- 
nous  pu  faire  sur  cette  chaussée,  qui  n'a  pas  plus  de  huit  pas  de  lar- 
geur, contre  des  forces  si  considérables,  composées  d'hommes  qui, 
déployés  des  deux  côtés  de  la  route,  tiraient  sur  nous  comme  à 
l'affût? 

A  la  vérité,  nos  arbalétriers  et  nos  gens  d'escopette  ne  cessaient 
pas  un  moment  de  décharger  leurs  armes  sur  les  embarcations  ;  mais 
nous  ne  causions  guère  de  dommage  aux  gens  qui  les  montaient, 
parce  qu'ils  avaient  garni  leurs  canots  de  panneaux  en  bois.  Quant 
aux  bataillons  qui  se  hasardaient  sur  la  chaussée,  ils  se  jetaient  à 
l'eau  aussitôt  que  nous  les  chargions.  Leur  nombre  était  si  considé- 
rable qu'il  nous  était  impossible  de  nous  soutenir .  Nos  cavaliers 
d'ailleurs  n'étaient  d'aucun  secours,  car  ceux  de  nos  ennemis  qui 
étaient  déjà  dans  la  lagune  blessaient  les  chevaux  des  deux  côtés  de 
la  chaussée,  tandis  que  si  l'on  voulait  charger  les  bataillons  qui 
étaient   devant  nous,  ils   s'empressaient  d'échapper  en  se  jetant  à 


DE  LA   NOUVELLE-ESPAGNE.  481 

l'eau.  D'autres  groupes  de  Mexicains  ,  à  l'abri  derrière  des  parapets 
nous  attendaient,  armés  de  longues  lances,  fabriquées  au  moyen  des 
armes  qu'ils  nous  avaient  prises  lors  de  notre  déroute  de  Mexico. 

Nous  combattîmes  ainsi  environ  une  heure  ;  l'ennemi  nous  harce 
lait   avec  tant   de  vigueur   que    nous  ne  pouvions  plus  résister,  e 
notre  position  s'aggravait  par  l'approche  d'une  nouvelle  flottille  qui 
venait  d'un  autre  côté  pour  nous  couper  la  retraite.  Ce  que  voyant, 
nous  ordonnâmes  aux  Tlascaltèques  qui  venaient  avec  nous  et  qui 
encombraient  la  chaussée  de  l'évacuer  à  l'instant ,  attendu  d'ailleurs 
qu'il  ne  leur  était  pas  possible  de  combattre  contre  des  gens  qui   se 
tenaient  dans   la  lagune.   Nous  résolûmes  donc  de  ne  pas  pousser 
plus  avant  notre  entreprise  et   de  revenir  sur  nos  pas  en  bon  ordre. 
Lorsque  les  Mexicains  nous  virent  reculer  et  donner  aux  Tlascaltè- 
ques l'ordre  de  quitter  la  chaussée,  il  fallait  entendre  les  cris  et  les 
vociférations  qu'ils  lançaient  contre  nous  !  il  fallait  voir  comme  ils 
s'enhardissaient  à  se  jeter  sur  nous  et  à  nous  attaquer  de  pied  ferme  ! 
Quant  à  moi,  je  ne  saurais   le  raconter  dignement,   ni  faire  com- 
prendre à  quel  point  l'ennemi   encombra  la  chaussée  des  pieux,  des 
flèches  et  des  pierres  qu'il  fit  pleuvoir  sur  nous ,   sans  compter  que 
ces  projectiles  tombaient  dans  l'eau  encore   en  plus  grand  nombre. 
Quand  nous    nous  vîmes  en   terre  ferme,   nous  rendîmes    grâces  à 
Dieu  pour  nous  avoir  délivrés  de  cette  terrible  attaque.  Huit  de  nos 
soldats  périrent  dans  l'action,   et  plus  de  cinquante  furent   blessés. 
Au  surplus,  les  ennemis  ne  cessaient  pas  de  nous  insulter  en  criant 
de  leurs  embarcations  ;  nos  alliés  tlascaltèques  leur  répondaient  en 
les  défiant  de  prendre  terre,  offrant  d'en  venir  aux  mains  avec  eux, 
arrivassent-ils  en  nombre  double  du  leur.   Tel  fut  notre  premier  ex- 
ploit :  couper  leur  eau  et  faire  une  reconnaissance  sur  la  lagune,  et 
cela,  comme  on  voit,  sans  nous  y  couvrir  de  gloire. 

Nous  passâmes  la  première  nuit  dans  nos   quartiers;  un   cheval 
mourut;  on  pansa  les  blessés  et  l'on   plaça  soigneusement  des  veil- 
leurs et  des  sentinelles.  Le  lendemain  de  bonne  heure,  Christoval  de 
Oli  annonça  qu'il  prétendait  aller  occuper  le  poste  de  Guyoacan  qui 
lui  avait  été  assigné  et  qui  se  trouvait  à  la  distance   d'une  lieue  et 
demie.  Pedro  de  Alvarado  et  d'autres  avec  lui  eurent  beau  le  prier  de 
ne  point  séparer  les  deux  divisions  et  de  les  laisser  ensemble,  il  ne 
voulut  jamais  y  consentir.  C'était  un  chef  intrépide,  et  comme  d'ail- 
leurs dans  la  reconnaissance  que  nous  fîmes  la  veille  le  résultat  ne 
fut  pas  heureux,  il  prétendit  que  c'était  la  faute  de  Pedro  de  Alvarado 
si  notre  attaque  avait  eu  lieu  d'une  façon  tout  à  fait  inconsidérée.  Il 
ne  voulut  donc  point  rester   et  partit  pour  le  poste  que  Gortès  lui 
avait  assigné,  tandis  que  nous  fixâmes  là  notre  quartier.  Or,  ce  ne  fut 
pas  une  bonne  mesure  de  séparer  en  un   tel  moment  ces  deux  divi- 
sions. Si   les  Mexicains  eussent  été  informés  du  peu  d'hommes  que 

31 


482  CONQUETE 

nous  eûmes  pendant  les  cinq  jours  que  nous  passâmes  séparés  de  la 
sorte  avant  que  les  brigantins  arrivassent,  et  si  l'ennemi  fût  tombé 
successivement  sur  nous  et  sur  Ghristoval  de  Oli,  il  nous  aurait  mis 
en  grave  danger  et  nous  aurait  causé  les  plus  grands  dommages.  De 
sorte  que  nous  restâmes  à  Tacuba  et  Ghristoval  de  Oli  gagna  ses 
quartiers  de  Cuyoacan,  sans  tenter  aucune  reconnaissance  et  sans 
nous  hasarder  sur  les  chaussées.  Chaque  jour  nous  avions  à  subir  en 
terre  ferme  les  attaques  des  Mexicains  qui  venaient  nous  provoquer 
dans  l'espoir  de  nous  attirer  en  des  lieux  où  ils  pussent  être  maîtres 
de  nous  sans  exposer  leurs  personnes. 

J'en  resterai  là  pour  dire  que  Gonzalo  de  Sandoval  partit  de  Tezcuco 
quatre  jours  après  la  fête  de  Corpus  Christi,  en  passant  par  des 
routes  où  il  ne  rencontrait  guère  que  des  alliés  ou  des  sujets  de  Tez- 
cuco. A  peine  arrivé  à  la  ville  d'Iztapalapa,  il  commença  ses  attaques, 
brûlant  grand  nombre  de  maisons  parmi  celles  qui  étaient  bâties  en 
terre  ferme,  caria  plupart  sont  construites  dans  la  lagune.  Mais  il  ne  se 
passa  pas  longtemps  sans  que  plusieurs  bataillons  mexicains  vinssent  au 
secours  de  la  place.  Sandoval  dut  engager  une  vraie  bataille  avec  eux 
et  soutenir  de  sérieuses  rencontres  sur  terre,  tandis  que  les  hommes 
montés  sur  les  embarcations  lançaient  une  pluie  de  projectiles,  lui 
blessant  toujours  quelques  soldats.  Pendant  qu'ils  se  battaient  de  la 
sorte,  Sandoval  et  ses  troupes  s'aperçurent  que,  sur  une  éminence 
près  d'Iztapalapa,  l'ennemi  faisait  de  grands  signaux  de  fumée 
auxquels  répondaient  d'autres  peuplades  appartenant  à  la  lagune. 
C'était  un  appel  fait  à  toutes  les  embarcations  de  Mexico  et  des  vil- 
lages d'alentour,  parce  qu'on  venait  de  voir  Gortès  sortir  de 
Tezcuco  avec  les  treize  brigantins.  Notre  général  en  effet  ne  resta  pas 
un  moment  de  plus  à  Tezcuco  après  le  départ  de  Sandoval. 

La  première  action  qu'il  livra  en  entrant  dans  la  lagune  consista  en 
une  attaque  contre  lepenoî  situé  dans  un  îlot  près  de  Mexico. C'était 
le  refuge  non-seulement  des  habitants  de  la  ville,  mais  encore  d'autres 
Mexicains  du  dehors  qui  étaient  venus  s'y  retrancher.  Du  reste, 
toutes  les  embarcations  de  la  capitale,  ainsi  que  celles  des  autres 
villes  et  villages  édifiés  dans  l'eau  ou  près  de  la  lagune,  comme 
Suchimilco,  Cuyoacan,  Iztapalapa,  Huichilobusco,  Mexicalcingo  et 
bien  d'autres  dont  je  neveux  pas  embarrasser  mon  récit,  gagnèrent  la 
lagune  et  s'assemblèrent  pour  se  porter  contre  Cortès.  Cette  mesure 
eut  pour  conséquence  de  diminuer  les  attaques  d'Iztapalapa  contre 
Sandoval.  Comme  d'ailleurs  la  plupart  des  habitations  de  cette  ville 
étaient  dans  l'eau,  ce  capitaine  ne  put  continuer  à  leur  causer  aucun 
dommage.  Mais,  au  début  des  engagements,  il  tua  un  grand  nombre 
d'ennemis,  et  d'ailleurs  la  quantité  considérable  d'alliés  qu'il  avait  lui 
servit  à  faire  beaucoup  de  prisonniers.  Sandoval  demeura  tout  à  fait 
isolé  dans  son  poste  d'Iztapalapa.  Il  ne  pouvait  en  effet  se  porter  sur 


DE   LA   NOUVELLE-ESPAGNE.  483 

Guyoacan  qu'au  moyen  d'une  chaussée  qui  traversait  la  lagune.  Or, 
s'il  s'y  était  hasardé,  à  peine  y  serait-il  entré  que  l'ennemi  l'aurait 
mis  en  déroute  en  l'attaquant  de  deux  côtés  par  eau,  sans  qu'il  pût  se 
défendre.  Il  se  résolut  donc  à  rester  tranquille. 

Cortès,  voyant  que  les  embarcations  se  réunissaient  en  si  grand 
nombre  contre  ses  brigantins,  en  éprouva,  non  sans  raison,  quelque 
crainte:  il  y  en  avait  en  effet  plus  de  quatre  mille,  et  cela  lui  parut 
être  une  raison  d'abandonner  l'attaque  qu'il  avait  entreprise  contre 
le  peîïol  et  de  se  porter  dans  une  partie  de  la  lagune  d'où  il  pût  aisé- 
ment prendre  le  large  et  se  diriger  où  il  voudrait,  s'il  se  voyait 
menacé  de  trop  près.  Il  ordonna  donc  à  ses  capitaines  de  la  flottille 
de  ne  rien  entreprendre  contre  les  embarcations  ennemies  jusqu'à  ce 
qu'on  vît  fraîchir  davantage  le  vent  de  terre,  qui  se  levait  du  reste  en 
ce  moment.  Les  ennemis,  voyant  reculer  nos  brigantins,  jugèrent 
cette  manœuvre  motivée  par  la  crainte  qu'ils  inspiraient,  —  et  le 
soupçon  était  véritablement  fondé;  —  les  chefs  mexicains  ordonnèrent 
en  conséquence  à  tout  leur  monde  de  tomber  sur  nos  navires.  Mais 
en  cet  instant  le  vent  se  prit  à  souffler  fortement  et  en  bonne  direction. 
Le  temps  favorisant  alors  le  zèle  de  nos  rameurs,  Cortès  donna  l'ordre 
de  fondre  sur  les  embarcations  ennemies.  On  mit  tout  de  suite  le  dé- 
sordre parmi  elles  ;  on  prit  et  l'on  tua  beaucoup  d'Indiens.  Les  canots 
qui  échappèrent  coururent  se  réfugier  au  milieu  des  maisons  bâties 
dans  l'eau,  en  des  endroits  où  nos  brigantins  ne  les  pouvaient  poursuivre. 
Ce  fat  là  le  premier  combat  qui  eut  lieu  sur  la  lagune;  Cortès  en 
sortit  victorieux;  grâces  soient  rendues  au  bon  Dieu  pour  toutes 
choses.  Amen  ! 

Après  cet  heureux  événement,  Cortès  se  rendit  avec  ses  brigantins 
à  Guyoacan  où  étaient  établis  les  quartiers  de  Christoval  de  Oli.  Il  se 
trouva  aux  prises  avec  un  grand  nombre  de  Mexicains  qui  l'atten- 
daient à  des  passages  dangereux,  dans  l'espoir  de  lui  prendre  ses 
navires.  Comme  les  attaques  provenaient  d'une  part  des  embarcations 
de  la  lagune  et  d'autre  part  des  tours  du  temple  de  la  ville,  notre  gé- 
néral fit  débarquer  quatre  canons  dont  le  tir  tuait  ou  blessait  une 
multitude  d'Indiens.  Les  artilleurs  agissaient  avec  tant  de  précipita- 
tion qu'ils  mirent  le  feu  à  leur  provision  de  poudre,  et  quelques-uns 
d'entre  eux  eurent  les  mains  et  le  visage  légèrement  brûlés.  Cortès 
envoya  aussitôt  son  brigantin  le  plus  léger  à  Iztapalapa,  au  quartier 
de  Sandoval,  pour  y  prendre  toute  sa  poudre,  faisant  dire  à  ce  chef 
de  ne  pas  bouger  de  son  poste.  Cortès  ne  cessa  pas  d'ailleurs  d'être 
aux  prises  avec  les  Mexicains  jusqu'à  ce  qu'il  fît  sa  jonction  avec 
Oli;  et,  même  dans  les  deux  premiers  jours  qu'il  resta  en  sa  compa- 
gnie ,  un  grand  nombre  d'ennemis  continuèrent  contre  lui  leurs 
attaques. 

Comme  j'étais  alors   à   Tacuba  sous  Pedro  de  Alvarado.  il   m'est 


484  CONQUÊTE 

facile  de  dire  exactement  ce  que  nous  faisions  de  notre  côté.  Or, 
ayant  su  que  Gortès  voguait  par  la  lagune,  nous  nous  hasardâmes  à 
avancer  sur  la  chaussée,  non  comme  la  première  fois,  mais  avec  les 
plus  grandes  précautions.  Nous  arrivâmes  jusqu'au  pont.  Les  arba- 
létriers et  les  escopettiers  agissaient  dans  le  meilleur  ordre,  les  uns 
tirant  tandis  que  les  autres  chargeaient  les  armes.  Alvarado  avait  du 
reste  donné  l'ordre  aux  cavaliers  de  ne  pas  nous  suivre.  Ce  fut  ainsi 
que  tantôt  nous  attaquions,  tantôt  nous  gardions  la  défensive  pour 
empêcher  le  débarquement  des  Mexicains  ;  de  toute  façon,  chaque 
jour  nous  en  venions  aux  mains  et  nous  prenions  soin  de  réparer  les 
mauvais  passages.  Au  milieu  de  ces  manœuvres  on  nous  tua  trois 
soldats. 

Nous  dirons  maintenant  comme  quoi  Gonzalo  de  Sandoval,  qui 
était  à  Iztapalapa,  voyant  qu'il  lui  était  impossible  de  faire  aucun  mal 
aux  habitants  de  cette  ville  parce  qu'ils  étaient  dans  l'eau,  tandis  que 
ses  soldats  en  recevaient  du  dommage,  résolut  de  se  porter  sur  les 
maisons  bâties  dans  la  lagune  même.  Il  commença  de  nouvelles 
attaques  dans  ce  but.  Guatemuz,  ayant  eu  connaissance  de  cette  ma- 
nœuvre, envoya  aux  assiégés  un  grand  nombre  d'auxiliaires,  avec 
ordre  de  couper  la  chaussée  par  laquelle  les  gens  de  Sandoval  s'étaient 
introduits,  afin  de  leur  fermer  toute  issue  et  de  les  tenir  enveloppés.  Il 
expédia  plus  de  monde  encore  sur  ce  point  par  une  autre  direction. 
Gortès  se  trouvait  alors  avec  Ghristoval  de  Oli;  lorsqu'il  vit  une  flot- 
tille considérable  se  diriger  sur  Iztapalapa,  il  résolut  de  se  porter  lui- 
même  vers  cet  endroit  avec  ses  brigantins  et  toutes  les  forces  de 
Ghristoval  de  Oli,  pour  secourir  Sandoval.  Notre  chef  s'avançait  donc 
par  la  lagune  et  Ghristoval  de  Oli  par  la  chaussée,  lorsqu'ils  s'aper- 
çurent qu'un  grand  nombre  de  Mexicains  s'occupaient  à  détruire 
cette  dernière  voie,  ce  qui  leur  fit  comprendre  que  Sandoval  se  trou- 
vait certainement  dans  les  maisons  qu'on  isolait  ainsi.  On  fit  alors 
avancer  les  brigantins  vers  ce  point  et  on  ne  tarda  pas  à  apercevoir 
Sandoval  se  défendant  contre  les  guerriers  de  Guatemuz.  L'approche 
de  Gortès  fit  cesser  le  combat.  Notre  chef  donna  l'ordre  alors  à  San- 
doval d'abandonner  Iztapalapa  et  d'aller  par  terre  s'occuper  de  l'inves- 
tissement sur  une  autre  chaussée  qui  va  de  Mexico  au  village  de 
Tepeaquilla,  appelé  actuellement  Notre-Dame  de  Guadalupe,  où  se 
sont  opérés  et  s'opèrent  encore  des  miracles  dignes-  d'admiration. 
Disons  maintenant  comment  Gortès  distribua  ses  brigantins,  et  ce 
qui  advint  ensuite. 


DE   LA   NOUVELLE-ESPAGNE.  /é85 


CHAPITRE  CLI 

flomme  quoi  Cortès  fit  la  répartition  do  douze  brigantins  et  mit  à  terre  les  hommes 
du  treizième,  qu'on  appelait  le  Tapageur;  et  ce  qui  advint  encore. 

Lorsque  Cortès  eut  compris,  comme  nos  capitaines  et  nous  tous, 
que  sans  les  brigantins  il  nous  serait  impossible  de  porter  nos 
attaques  contre  Mexico  en  passant  par  les  chaussées,  il  en  envoya 
quatre  à  Pedro  de  Alvarado,  il  en  prit  six  pour  lui-même  au  quartier 
de  Ghristoval  de  Oli  et  il  en  fit  remettre  deux  à  Gonzalo  de  Sandoval 
pour  sa  chaussée  de  Tepeaquilla.  Quant  au  plus  petit  des  brigantins, 
il  ne  voulut  plus  qu'il  naviguât,  de  crainte  que  les  embarcations 
ennemies  ne  le  fissent  chavirer,  vu  son  peu  de  résistance.  Ceux  qui  le 
montaient  furent  répartis  entre  les  douze  autres  navires,  qui  en  avaient 
besoin,  vu  que  \ingt  de  leurs  hommes  avaient  été  atteints  de  bles- 
sures graves.  Quand  dans  notre  quartier  de  Tacuba  nous  reçûmes 
l'auxiliaire  des  brigantins,  Pedro  de  Alvarado  leur  ordonna  d'avancer 
deux  de  chaque  côté  de  la  chaussée,  et  nous  engageâmes  sérieusement 
le  combat,  nos  navires  portant  le  désordre  parmi  les  canots  ennemis 
qui  nous  attaquaient  de  la  lagune  Cette  manœuvre  nous  permit  de 
prendre  aux  Mexicains  quelques  ponts  et  quelques  palissades.  Quand 
nous  étions  aux  prises  avec  eux,  du  reste,  ils  nous  lançaient  tant  de 
pierres,  de  pieux  et  de  flèches  que,  malgré  nos  bonnes  armures,  ils 
nous  blessaient  presque  tous,  ce  qui  ne  nous  empêchait  pas  de  com- 
battre incessamment  jusqu'à  ce  que  la  nuit  vînt  nous  arrêter.  Du 
côté  des  Mexicains,  les  combattants  avaient  la  facilité  de  se  relever 
de  temps  en  temps,  leurs  bataillons  se  remplaçant  les  uns  les  autres 
et  nous  montrant  atout  instant  des  armes  et  des  enseignes  différentes. 
Il  fallait  voir  comment  les  défenseurs  postés  sur  les  terrasses  des 
maisons  faisaient  tomber  sur  nos  brigantins  une  grêle  de  projectiles! 
Je  ne  saurais  quant  à  moi  le  décrire  exactement,  et  nul  ne  le  pourra 
comprendre  si  ce  n'est  nous  autres  qui  nous  trouvâmes  là  et  qui 
recevions  cette  pluie  de  flèches  et  de  pieux  qui  venait  couvrir  la 
chaussée. 

Lorsqu'avec  la  plus  grande  peine  nous  étions  parvenus  à  enlever 
à  l'ennemi  quelque  pont  ou  quelque  palissade  et  que  nous  les  laissions 
ensuite  sans  défense,  nos  adversaires  s'en  emparaient  la  nuit  suivante, 
creusaient  de  nouveau  les  tranchées,  les  fortifiaient  mieux  qu'aupa- 
ravant et  pratiquaient  des  trous  profonds  couverts  par  les  eaux,  de 
manière  que,  lors  de  nos  prochaines  attaques,  nous  tombassions  dans 
ces  excavations  et  qu'ainsi  les  hommes  qui  montaient  les  canots  pus- 
sent plus  facilement  nous  mettre  en  déroute.  Ils  cachaient  dans  ce  but 


486  CONQUÊTE 

des  embarcations  en  des  points  où  nos  brigantins  ne  les  pouvaient 
découvrir,  afin  que,  au  moment  où  Ton  nous  verrait  embarrassés  dans 
ces  trous  cachés  sous  l'eau,  on  pût,  à  la  fois  par  terre  et  par  la  la- 
gune, se  jeter  aisément  sur  nous.  Pour  qu'il  fût  impossible  aux  bri- 
gantins d'accourir  à  notre  aide,  l'ennemi  enfonçait  des  pieux  sur  les- 
quels nos  navires  venaient  s'échouer.  C'est  ainsi  que  chaque  jour  nous 
avions  des  engagements. 

J'ai  déjà  dit,  au  surplus,  que  nos  chevaux  ne  nous  servaient  pas  à 
grand'chose  sur  les  chaussées,  parce  que  si  nos  cavaliers  chargeaient 
et  arrivaient  sur  nos  adversaires,  ceux-ci  se  laissaient  glisser  dans 
l'eau  ou  s'abritaient  de  palissades  derrière  lesquelles  d'autres  guer- 
riers nous  attendaient  avec  des  lances  et  des  faux  plus  longues  que 
celles  dont  nous  faisons  usage  habituellement.  Ces  armes  étaient  de 
celles  qu'on  nous  prit  lorsque  nous  sortîmes  de  Mexico.  C'est  avec 
ces  lances  et  avec  les  flèches  tirées  de  la  lagune  qu'on  blessait  et 
tuait  nos  chevaux  sans  que  les  Mexicains  reçussent  le  moindre  dom- 
mage. Voyant  du  reste  combien  peu  d'ennemis  l'on  parvenait  à  at- 
teindre sur  les  chaussées,  les  cavaliers  n'aimaient  pas  à  faire  courir 
ces  risques  à  leurs  montures,  car  un   cheval  valait   alors  huit   cents 
piastres;  quelques-uns  étaient  même  payés  plus  de  mille,  et  souvent 
on  n'en  trouvait  à  aucun  prix.  Je  dirai  maintenant  que  lorsque  la  nuit 
séparait  les  combattants,  nous  pansions  nos  blessures  avec  de  l'huile. 
Un  de  nos  camarades,  appelé  Juan  Catalan,  nous  les  traitait  avec  des 
signes  de   croix   et  des  enchantements  ;  elles  guérissaient  du   reste 
promptement*,  ce  qui  m'est  une  occasion  de  redire  que  Notre  Sei- 
gneur Jésus-Christ  non-seulement  nous  faisait  la  grâce  de  soutenir 
notre  courage,  mais  nous  prodiguait  chaque  jour  mille  faveurs.  C'est 
ainsi  que,  blessés  et  couverts  de  bandages,  il  nous  fallait  combattre 
du  matin  au  soir;  car  si  les  blessés  fussent  restés  en  repos  au  quar- 
tier, il  n'y  aurait  pas  eu  vingt  hommes  sains  dans  chaque  attaque 
pour  aller  à  l'ennemi.  Nos  alliés  les  Tlascaltèques,  ayant  vu  comment 
notre   homme  nous  traitait  avec  des  signes  de   croix,  s'en  venaient 
aussi  vers  lui  quand  ils  étaient  atteints,  et  cela  en  si  grand  nombre, 
que  notre  rebouteur  avait  bien  du  mal  à  panser  tout  le  monde. 

Quant  à  nos  capitaines,  nos  alferez  et  leurs  aides,  ils  recevaient 
journellement  comme  nous  des  blessures  et  revenaient  avec  leurs 
drapeaux  brisés  ;  et  j'ajoute  que  tous  les  jours  il  nous  fallait  un  nou- 
veau porte-enseigne,  car  nous  sortions  des  combats  en  tel  état  qu'on 
n'avait  plus  ensuite  assez  de  force  pour  se  battre  et  soutenir  en  même 
temps  le  drapeau.  Et  au  surplus,  pense-t-on  par  hasard  que  nous 

1.  Il  ne  faut  rire  de  la  naïveté  de  ce  passage  qu'après  en  avoir  retiré  notre  protit. 
Il  nous  prouve  en  effet  que  sous  le  climat  de  Mexico  les  blessures  ont  une  naturelle 
tendance  à  guérir  rapidement  toutes  seules.  Cela  était  vrai  au  temps  de  Cortès  de  même 
qu'aujourd'hui. 


DE  LA    NOUVELLE-ESPAGNE.  487 

avions  suffisamment  à  manger? J 13  ne  parle  pas  des  tortillas  de  mais, 
que  nous  possédions  en  abondance,  mais  des  provisions  plus  natu- 
rellement rafraîchissantes  pour  nos  blessés.  Maudit  sort!  nous  n'a- 
vions rien  de  tout  cela.  Ce  qui  nous  ravivait  c'étaient  les  quelîtes1, 
sorte  d'herbage  dont  les  Indiens  font  usage,  ainsi  qu'une  espèce  de 
prune  2  du  pays,  quand  il  y  en  avait,  et  des  figues  de  Barbarie,  dont 
c'était  alors  la  saison.  On  menait  aux  quartiers  de  Cortès  et  de 
Sandoval  la  même  existence  que  chez  nous.  Il  ne  se  passait  pas  un 
seul  jour  sans  que  des  bataillons  mexicains  renouvelassent  leurs  at- 
taques, et  cela,  ainsi  que  je  l'ai  dit,  depuis  le  matin,  jusqu'au  soir. 
G-uatemuz  prenait  soin  dans  ce  but  de  désigner  les  bataillons  destinés 
à  chaque  chaussée.  Le  Tatelulco  et  les  villes  de  la  lagune  étaient 
au  surplus  convenus  de  signaux,  de  telle  sorte  qu'en  se  guidant  sur 
les  avis  de  la  tour  du  grand  temple,  les  uns  partaient  par  terre,  les 
autres  dans  des  embarcations,  et  les  choses  se  trouvaient  réglées  de 
manière  que  les  chefs  étaient  désignés  d'avance,  ainsi  que  le  moment 
du  départ  et  les  lieux  de  destination. 

Quant  à  nous,  nous  changeâmes  notre  manière  de  combattre,  de  la 
façon  suivante.  Ayant  vu  que  toutes  les  tranchées  de  la  lagune  dont 
nous  nous  emparions  pendant  le  jour  étaient  reprises  et  réparées 
pendant  la  nuit,  et  qu'ainsi  nous  n'y  gagnions  que  le  désagrément  dé- 
faire tuer  quelques-uns  de  nos  camarades  et  de  recevoir  tous  des 
blessures,  nous  résolûmes  de  venir  nous  établir  ensemble  sur  la 
chaussée,  en  une  petite  place  où  se  trouvaient  élevées  des  tours  d'i- 
doles dont  nous  nous  étions  rendus  maîtres.  Il  y  avait  là  l'espace  né- 
cessaire pour  un  campement.  A  la  vérité  l'emplacement  n'était  pas 
commode  :  nous  nous  mouillions  quand  il  pleuvait  ;  rien  ne  nous  y 
garantissait  du  soleil  ni  des  nuits  sereines.  Nous  laissâmes  à  Tacuba 
les  Indiennes  qui  faisaient  notre  pain,  sous  la  protection  de  nos  ca- 
valiers et  de  nos  amis  de  Tlascala,  qui  avaient  d'ailleurs  la  mission 
de  garder  nos  derrières,  de  peur  que  les  habitants  des  villages  d'à 
lentour  ne  tombassent  sur  nous  pendant  que  nous  combattrions  sur 
les  chaussées.  Après  avoir  établi  là  notre  camp,  toutes  les  fois  que  nous 
prenions  des  maisons  à  l'ennemi,  nous  nous  empressions  de  les  dé- 
truire, et  si  nous  nous  emparions  d'une  tranchée,  nous  la  comblions  à 

1.  Le  mot  quilitl,  en  langue  nahuatï,  est  employé  actuellement  pour  désigner  une 
plante  dont  on  mange  la  feuille  comme  nos  épinards,  auxquels  elle  ressemble  par  la 
forme  et  presque  par  le  goût.  Je  ne  sais  pas  son  nom  botanique  ;  mais  il  est  certain 
qu'à  l'époque  du  siège  de  Mexico  par  Cortès  le  mot  quilill  avait  une  signification  géné- 
rique et  voulait  dire  légumes  frais.  Cela  est  si  vrai  que  même  encore  aujourd'hui  ce 
mot  entre  dans  la  composition  de  plusieurs  expressions  destinées  à  spécifier  diffé- 
rentes sortes  de  légumes,  comme  par  exemple  ytzmiquilitl  (Verdolaga  —  Portulaca 
rubra),  etc. 

2.  L'auteur  veut  parler  ici  du  fruit  que  l'on  appelle  au  Mexique  capulin  {Prunus 
capulin). 


488  CONQUÊTE 

l'instant.  Nous  détruisions  les  maisons,  ai-jedit,  parce  que  le  feu  n'y 
prenait  que  difficilement,  et  d'ailleurs  l'incendie  ne  se  propageait  pas 
de  l'une  à  l'autre,  vu  qu'elles  étaient  bâties  dans  l'eau  et  ne  commu- 
niquaient entre  elles  que  par  des  ponts  ou  au  moyen  d'embarcations. 
Quand  nous  entreprenions  d'ailleurs  d'y  aborder  à  la  nage,  on  nous 
faisait  beaucoup  de  mal  du  haut  des  terrasses  ;  de  sorte  que  notre  sé- 
curité commandait  impérieusement  cette  destruction. 

Lorsque  nous  avions  pris  quelque  palissade,  quelque  pont  ou  quel- 
que mauvais  passage  où  la  résistance  était  facile,  on  organisait  le  ser- 
vice de  manière  à  les  garder  aussi  bien  la  nuit  que  le  jour.  Pour  cekj 
toute  la  division  faisait  chaque  nuit  la  veillée,  de  façon  que  la  pre- 
mière compagnie,  composée  d'environ  quarante  soldats,  prenait  la  garde 
depuis  la  fin  du  crépuscule  jusqu'à  minuit  ;  une  autre  compagnie, 
également  de  quarante  hommes,  remplaçait  la  première  jusqu'à  deux 
heures  avant  le  lever  du  jour;  mais  les  premiers  ne  sortaient  pas  du 
lieu  de  la  veillée  :  ils  se  couchaient  sur  le  sol  pendant  ce  second  quart 
que  Ton  appelait  la  modorra*.  Ensuite  arrivaient  quarante  et  quel- 
ques soldats  qui  faisaient  la  veillée  de  l'aube,  c'est-à-dire  pendant  en- 
viron deux  heures,  jusqu'à  la  venue  du  jour  plein.  Les  soldats  qui 
avaient  précédé  ces  derniers  aux  heures  de  la  rnodorra  ne  s'en  al- 
laient pas  non  plus;  il  fallait  qu'ils  restassent  là;  de  sorte  que  nous 
nous  trouvions  en  ligne  environ  cent  vingt  soldats  lorsque  le  jour  ve- 
nait à  paraître.  Il  y  avait  même  des  nuits  où  le  péril  nous  paraissait 
si  menaçant  que,  de  la  chute  du  jour  à  l'aurore,  tous  les  hommes  de 
notre  quartier  restaient  réunis  pour  recevoir  le  choc  des  Mexicains  et 
empêcher  qu'ils  fissent  une  trouée  parmi  nous.  Nous  avions  su  en  ef- 
fet, par  les  révélations  de  quelques  chefs  capturés  précédemment,  que 
Cruatemuz  avait  imaginé  et  convenu  avec  ses  capitaines  que  de  jour 
ou  nuitamment  on  s'efforcerait  de  nous  couper  sur  notre  chaussée, 
avec  l'espoir  qu'après  nous  avoir  vaincus,  nous  les  gens  d'Alvarado, 
il  leur  serait  facile  de  venir  à  bout  de  Gortès  et  de  Gronzalo  de  Sando- 
val  sur  leurs  chaussées  respectives.  On  avait  combiné  aussi  que  les 
neuf  villes  ou  villages  de  la  lagune,  y  compris  Tacuba,  Escapuzalco 
et  Tenayuca,  réuniraient  leurs  forces  et  tomberaient  sur  nos  derrières 
le  jour  où  les  guerriers  de  Mexico  nous  attaqueraient  eux-mêmes. 
On  résolut  en  outre  de  nous  enlever  une  nuit  nos  provisions  et  toutes 
les  Indiennes  qui  étaient  occupées  à  Tacuba  à  nous  faire  du  pain. 

Quand  nous  connûmes  ces  projets,  nous  engageâmes  nos  cavaliers, 
qui  étaient  tous  à  Tacuba,  ainsi  que  nos  alliés  tlascaltèques,  à  veiller 
et  à  être  en  alerte  la  nuit  entière.  Gualemuz,  du  reste,  exécuta  ce 
qu'il  avait  résolu.  Un  grand  nombre  de  bataillons  furent  mis  en  mou- 
vement; quelquefois  c'était  vers  minuit  qu'ils  tombaient  sur  nous; 

1.  Modorra  est  un  mot  espagnol  qui  veut  dire  sommeil  lourd  [coma). 


DE  LA  NOUVELLE-ESPAGNE.  489 

d'autres  nuits  c'était  à  l'heure  de  \&modorra;  souvent  aussi  vers  le 
jour  naissant;  aujourd'hui  ils  procédaient  dans  le  plus  grand  silence; 
une  autre  fois  avec  des  cris  épouvantables,  ne  nous  laissant  au  sur- 
plus aucun   instant  de  tranquillité.  En  arrivant  près  de  l'endroit  où 
nous  veillions,  ils  nous  criblaient  de  projectiles;  quelques-uns   nous 
attaquaient  môme  à  la  lance.  De  toutes  façons  ils  nous  blessaient  du 
monde,  mais  comme  nous  leur  résistions  vigoureusement,  ils  se  reti- 
raient eux-mêmes  avec  beaucoup  de  blessés.  Un  grand  nombre  d'en- 
nemis, d'autre  part,  tombaient  sur  nos  bagages;  mais  nos  cavaliers, 
aidés  par  les  Tlascaltèques,  les  repoussèrent  souvent  avec  avantage 
parce  que,  dans  ces  expéditions  de  nuit,  ils  ne  s'obstinaient  guère  à 
l'attaque.  Voilà  donc  comment  se  passaient  nos  veillées  :  il  avait  beau 
pleuvoir,  venter,  geler;  il  fallait  toujours  se  tenir  là,  blessés  et  bai- 
gnant dans  la  boue  ;  et  encore,  pour  surcroît  de  charge,  ainsi  que 
diraient  les  hommes  de  peine ,  nous  étions  obligés  de  nous  soutenir 
en  ne  mangeant  que  des  tortillas,  des  légumes  et  des  figues  de  Bar- 
barie. A  quoi  nous  servaient  d'ailleurs  toutes  ces  manœuvres  exécu- 
tées avec  tant  de  fatigues,  au  prix  d'un  grand  nombre  de  blessures  et 
de  la  mort  de  quelques  camarades?  Quand,  après  avoir  pris  un  pont, 
nous  en  comblions  la  tranchée,  l'ennemi  la  déblayait  de  nouveau  quand 
le  jour  était  fini,  parce  qu'il   nous  était  impossible  de  la  défendre 
pendant  la  nuit.   Nous  la  reprenions  et  nous  la  comblions  encore  le 
jour  suivant,  et  eux  de  leur  côté  s'en  rendaient  maîtres  de  nouveau, 
et  la  creusaient   comme  auparavant,   en  la  fortifiant   davantage  au 
moyen  de  palissades. 

Ce  manège  dura  jusqu'à  ce  que  les  Mexicains  changèrent  de  tac- 
tique, comme  j'aurai  occasion  de  le  dire  bientôt.  Pour  à  présent,  ces- 
sons déparier  des  batailles  que  nous  avions  à  soutenir  tant  chez  nous 
qu'aux  quartiers  royaux  de  Gorlès  et  de  Sandoval.  Mais  nous  deman- 
derons  quel  avantage  nous  avions  gagné  en  coupant   à  la   capitale 
l'eau  de  Ghapultepeque  et  en  surveillant  l'entrée  des  approvisionne- 
ments par  les  trois  chaussées.   Nos  brigantins  ne  servaient  à  rien 
pour  atteindre    ce  but,  puisqu'ils  s'employaient  dans  nos  quartiers 
à  garder  nos  derrières  contre  les  gens  des  canots  pendant  nos  com- 
bats avec  l'ennemi  et  à  nous  soutenir  contre  les  attaques  venant  des 
terrasses  des  maisons.  La  vérité  est  que  les  Mexicains  introduisaient 
beaucoup  d'eau  et  de  provisions  provenant  des  neuf  villes  ou  villages 
de   la  lagune  et   d'autres   bourgs    alliés,  qui  au    moyen  de   canots 
faisaient  porter  pendant  la  nuit  du  maïs,  des  poules  et  tout  ce  qu'on 
désirait  dans  la  capitale.  Pour  éviter  ce  ravitaillement,  les  chefs  de 
nos  trois  camps  convinrent  que  deux  brigantins  feraient   la  ronde 
pendant   la  nuit  par  toute  la  lagune,  afin  de  donner  la  chasse   aux 
embarcations  chargées  de  provisions  et  d'eau  potable,  avec  ordre  de 
détruire  ou  d'amener  à  l'un  des  quartiers  tous  les  canots  dont  on 


490  CONQUÊTE 

pourrait  s'emparer.  Ce  projet  était  évidemment  louable.  Il  est  vrai 
que,  pour  combattre  et  nous  garder  pendant  la  nuit,  ces  deux 
brigantins  nous  faisaient  faute  ;  mais  ils  nous  rendaient  un 
grand  service  en  empêchant  l'eau  et  les  vivres  d'entrer  dans  la 
place.  Malgré  tout ,  les  embarcations  ne  cessaient  pas  leur  trafic 
habituel.  Gomme  d'ailleurs  les  Mexicains  ne  se  cachaient  guère  sur 
la  destination  de  leurs  chargements,  il  ne  se  passait  pas  un  jour  sans 
que  nos  brigantins,  qui  les  poursuivaient,  capturassent  quelques 
canots  et  revinssent  avec  des  Indiens  pendus  aux  vergues. 

Quoi  qu'il  en  soit,  nous  devons  dire  maintenant  la  ruse  à  laquelle 
les  assiégés  eurent  recours  pour  tenter  de  s'emparer  de  nos  brigan- 
tins et  tuer  ceux  qui  les  montaient.  J'ai  dit  que  chaque  soir  et  chaque 
matin  nos  bricks  allaient  à  la  recherche  des  embarcations  ennemies, 
et  en  coulaient  ou  en  capturaient  un  grand  nombre.  Or,  les  Mexi- 
cains se  résolurent  à  armer  trente  pirogues,  espèce  de  chaloupes 
d'un  port  considérable,  et  à  les  garnir  de  rameurs  et  de  guerriers 
d'élite.  On  les  cacha  pendant  la  nuit  parmi  des  massifs  de  roseaux, 
en  des  endroits  où  les  brigantins  ne  pouvaient  les  apercevoir.  Tan- 
dis que  ces  grandes  embarcations  restaient  couvertes  de  branchages, 
on  lançait  aux  approches  de  la  nuit  deux  ou  trois  canots  qui  se  don- 
naient les  airs  de  vouloir  introduire  de  l'eau  ou  des  provisions  au 
moyen  d'excellents  rameurs.  Les  Mexicains  avaient  d'ailleurs  planté 
au  fond  de  l'eau  un  grand  nombre  de  gros  madriers,  dans  des  points 
où  il  leur  semblait  que  les  brigantins  devraient  accourir  pour  leur 
livrer  combat;  ils  avaient  l'espoir  de  les  y  faire  échouer.  Au  moment 
donc  où  ces  canots  commençaient  à  voguer  sur  la  lagune,  témoignant 
d'une  certaine  hésitation  et  s'adossant  aux  massifs  de  roseaux,  deux 
de  nos  brigantins  se  dirigent  vers  eux.  L'ennemi  simule  alors  une 
retraite  vers  les  massifs  où  les  trente  pirogues  sont  embusquées.  Les 
brigantins  le  suivent  et  ils  arrivent  à  l'endroit  même  où  se  trouvent 
les  pirogues,  quand  tout  à  coup  celles-ci,  se  démasquant,  sortent  en- 
semble et  se  précipitent  sur  nos  bricks.  Du  premier  choc  tous  nos 
soldats,  rameurs  et  capitaines  sont  blessés,  sans  pouvoir  se  livrer  à 
aucune  évolution  à  cause  des  pieux  dont  le  fond  est  encombré.  C'est 
là  que  les  Mexicains  tuèrent  un  de  nos  chefs,  appelé  Portillo,  bon 
soldat  qui  avait  fait  la  campagne  d'Italie  ;  Pedro  Barba,  un  autre  bon 
capitaine,  reçut  également  des  blessures  dont  il  mourut  trois  jours 
plus  tard.  Un  brigantin  fut  pris.  Ces  navires  provenaient  du  quartier 
de  Gortès  :  celui-ci  éprouva  une  vive  peine  de  cet  événement,  dont  il 
tira  du  reste  vengeance  quelques  jours  plus  tard  à  l'occasion  d'autres 
embuscades,  ainsi  que  je  le  dirai  en  son  lieu. 

Pour  le  moment,  changeant  de  sujet,  nous  dirons  comme  quoi 
aux  camps  de  Gortès  et  de  Gonzalo  de  Sandoval  on  se  battait  tou- 
jours fort  vivement,  surtout  chez  Gortès  qui  à  tout  instant  faisait  in- 


DE  LA  NOUVELLE-ESPAGNE.  491 

cendier  ou  abattre  des  maisons  et  combler  'des  tranchées.  Il  prenait 
soin  de  niveler  chaque  jour  tout  ce  dont  il  pouvait  s'emparer;  il  fai- 
sait dire  sans  cesse  à  Pedro  de  Alvarado  de  ne  jamais  franchir  aucun 
pont  ni  tranchée  sans  avoir  eu  le  soin  de  tout  combler  auparavant, 
abattant  de  même  ou  incendiant  toute  maison  prise.  C'était  avec  les 
briques  et  les  boiseries  des  édifices  détruits  que  nous  comblions  les 
tranchées  sur  lesquelles  les  ponts  étaient  jetés.  Nous  devons  ajouter 
que  nos  amis  de  Tlascala  se  conduisaient  en  guerriers  pleins  de 
courage,  nous  appuyant  de  leurs  secours  pendant  toute  cette  guerre. 
Mais  disons  aussi  comme  quoi  les  Mexicains,  voyant  qu'on  rasait 
toutes  les  maisons  et  que  l'on  comblait  les  coupures  des  chaussées, 
résolurent  de  changer  encore  leur  tactique.  Leur  nouveau  plan  con- 
sistait à  creuser  un  fossé  très-large  avec  pont-levis,  et  tellement  pro- 
fond qu'en  maint  endroit  on  perdait  pied  quand  nous  le  traver- 
sâmes ;  l'ennemi  y  avait  d'ailleurs  pratiqué  un  grand  nombre  de 
trous  qu'on  ne  pouvait  voir  au  fond  de  l'eau.  Les  bords  de  ce  fossé 
étaient  défendus  par  des  parapets  et  des  palissades  ;  il  y  avait  aussi 
des  pieux  enfoncés  sous  l'eau  dans  le  sol,  en  des  endroits  où  nos 
brigantins  viendraient  échouer  s'ils  nous  portaient  secours  lorsque 
nous  engagerions  l'attaque  pour  nous  emparer  de  ces  travaux  ;  car  les 
Mexicains  pensaient  bien  que  la  première  chose  que  nous  entrepren- 
drions serait  de  détruire  ces  obstacles  et  traverser  le  fossé  pour  en- 
trer dans  la  ville.  Ils  avaient  pris  soin  de  tenir  prêtes  et  cachées  un 
grand  nombre  d'embarcations  bien  défendues  par  des*  guerriers  de 
choix. 

Un  dimanche  matin,  beaucoup  de  bataillons  vinrent  nous  assaillir 
de  trois  côtés  à  la  fois,  avec  une  telle  ardeur  que  nous  eûmes  fort  à 
faire  pour  nous  maintenir  et  échapper  à  une  déroute.  Or,  Pedro  de 
Alvarado  avait  déjà  ordonné  en  ce  temps-là  à  la  moitié  des  cavaliers 
qui  étaient  à  Tacuba  de  passer  la  nuit  sur  la  chaussée,  où  ils  ne  cou- 
raient plus  les  mêmes  risques  qu'au  début,  parce  que,  les  maisons 
étant  détruites,  il  n'y  avait  plus  de  terrasses,  de  sorte  que  nos  cava- 
liers pouvaient  courir  en  certains  lieux  de  la  chaussée  sans  que  leurs 
chevaux  fussent  exposés  à  être  blessés  par  les  gens  apostés  sur  les 
maisons  ou  dans  les  canots.  Revenons  donc  à  la  situation  qui  nous 
était  faite  par  les  trois  bataillons  qui  tombaient  sur  nous  avec  tant 
de  furie,  l'un  par  le  grand  fossé,  l'autre  par  les  ruines  des  maisons 
détruites,  tandis  que  le  troisième  se  jetait  sur  nos  derrières  par  le 
chemin  de  Tacuba;  d'où  il  résultait  que  nous  étions,  peut-on  dire, 
enveloppés.  Nos  cavaliers,  appuyés  par  nos  alliés  de  Tlascala,  char- 
gèrent l'ennemi  qui  nous  attaquait  par  derrière,  et  nous-mêmes  nous 
combattîmes  avec  grand  courage  les  deux  autres  bataillons  jusqu'à 
ce  que  nous  les  forçâmes  à  reculer.  Mais  leur  premier  mouvement 
en  arrière  n'était  qu'une  feinte.  Nous  nous  emparâmes  de  la  première 


492  CONQUÊTE 

# 

palissade,  et  ils  ne  tardèrent  pas  à  abandonner  la  seconde,  derrière 
laquelle  ils  s'étaient  d'abord  repliés  en  y  faisant  résistance.  Nous 
croyant  victorieux,  nous  traversâmes  le  fossé  à  gué,  car  il  n'y  avait 
aucun  trou  dans  la  direction  de  notre  passage,  et  nous  continuâmes 
notre  poursuite  à  travers  de  grandes  maisons  et  des  tours  apparte- 
nant à  des  oratoires;  l'ennemi  avait  toujours  l'air  de  fuir  et  de  se  re- 
plier, sans  cesser  de  nous  lancer  des  pieux,  des  pierres  à  fronde  et 
une  pluie  de  flèches. 

Or,  en  un  point  où  nous  ne  pouvions  les  apercevoir,  une  multitude 
de  guerriers  se  tenaient  cachés.  Ils  en  sortent  et  tombent  sur  nous, 
tandis  que  d'autres  nous  attaquent  du  haut  des  terrasses  et  par  les  ou- 
vertuies  des  maisons.  Alors  ceux  qui  avaient  simulé  la  retraite  se 
jettent  sur  nous  avec  ensemble  et  la  mêlée  devient  si  vive  que  nous 
n'y  tenons  plus  et  qu'il  nous  faut  nous  résoudre  à  lâcher  pied,  mais 
dans  le  plus  grand  ordre.  Cependant,  les  Mexicains  avaient  déjà  eu 
le  temps  de  rassembler  une  flottille  de  canots  dans  le  fossé  que  nous 
leur  avions  pris  ;  on  lui  avait  fait  occuper  le  point  par  où  nous  avions 
traversé  sans  y  rencontrer  aucune  excavation,  ce  qui  nous  obligea  à 
nous  diriger  vers  une  autre  partie  de  la  tranchée  où  l'eau  était  très- 
profonde  et  les  excavations  nombreuses.  Gomme  d'ailleurs  nous  recu- 
lions, vivement  pressés  par  une  multitude  de  guerriers,  il  fallut  en- 
trer dans  l'eau  et  tenter  le  passage,  les  uns  à  la  nage,  les  autres 
comptant  sur  le  fond;  mais  la  plupart  de  ceux-ci  s'enfonçaient  dans 
les  trous.  Ce  fut  alors  que  les  canots  se  précipitèrent  sur  nous;  ils 
nous  prirent  cinq  hommes,  qu'ils  menèrent  à  Gruatemuz,  et  blessèrent 
presque  tous  les  autres.  Quant  aux  brigantins,  dont  nous  attendions 
Je  secours,  ils  ne  pouvaient  approcher,  embarrassés  qu'ils  étaient  par 
les  pieux  enfoncés  dans  la  lagune.  Les  embarcations  et  les  guerriers 
postés  sur  les  terrasses  des  maisons  leur  faisaient  d'ailleurs  beaucoup 
de  mal  avec  leurs  projectiles;  deux  soldats  y  furent  tués  et  nous  eû- 
mes là  un  grand  nombre  de  blessés. 

Pendant  ce  temps,  nous  étions  dans  les  excavations  du  grand  fossé 
et  ce  fut  vraiment  un  miracle  que  nous  n'y  perdissions  pas  la  vie 
jusqu'au  dernier.  Pour  moi,  déjà  plusieurs  Indiens  s'étaient  emparés 
de  ma  personne,  lorsque  j'eus  l'adresse  de  me  dégager,  et  Notre  Sei- 
gneur Jésus-Christ  me  donna  assez  de  courage  pour  qu'à  force  d'es- 
tocades je  pusse  me  sauver  avec  un  bras  grièvement  blessé.  Lorsque, 
sorti  de  l'eau,  j'arrivai  en  lieu  sûr,  je  n'eus  pas  le  temps  de  me  ré- 
jouir, car  je  ne  pus  me  tenir  debout  et  je  tombai  privé  de  sentiment. 
Cette  défaillance  provint  sans  doute  du  violent  effort  que  j'avais  fait 
pour  me  dégager  et  aussi  de  la  grande  quantité  de  sang  que  je  per- 
dais. Je  puis  dire  que,  tandis  que  l'ennemi  me  tenait  en  ses  mains, 
ma  pensée  se  recommandait  à  Notre  Seigneur  Dieu  et  à  Notre  Dame 
sa  Mère  bénie;  ajoutons  à  cela  le  grand  effort  dont  je  viens  de  parler; 


DE  LA  NOUVELLE-ESPAGNE.  493 

bref,  ce  fut  ainsi  que  je  pus  me  tirer  de  là.  Grâces  soient  rendues  au 
bon  Dieu  pour  toutes  les  faveurs  qu'il  m'a  faites  ! 

Je  dirai  aussi  que  Pedro  de  Alvarado  et  ses  cavaliers  eurent  assez 
à  faire  à  enfoncer  les  bataillons  qui  étaient  venus  nous  prendre  par 
derrière  sur  la  route  de  Tacuba,  de  sorte  qu'ils  ne  purent  pas  s'avan- 
cer au  delà  du  fossé  et  des  palissades.  Il  faut  excepter  un  seul  d'en- 
tre eux,  arrivé  depuis  peu  de  Castille.  Il  y  perdit  la  vie  et  l'on  tua 
son  cheval.  Pedro  de  Alvarado,  ayant  vu  de  loin  que  nous  reculions, 
allait  partir  à  notre  secours  avec  quelques  autres  cavaliers.  S'il  eut 
traversé  le  fossé,  nous  fussions  nécessairement  revenus  sur  les  In- 
diens. Or,  si  cela  fût  ainsi  arrivé,  pas  un  cavalier,  pas  un  cheval,  pas 
un  soldat  n'eût  eu  la  vie  sauve,  car  les  dispositions  de  l'ennemi 
étaient  bien  prises  pour  que  nos  hommes  fussent  tombés  dans  les 
trous  au  milieu  de  tant  de  guerriers,  que  tous  les  chevaux  auraient  péri 
sous  les  coups  de  longues  lances  fabriquées  dans  ce  but.  Et  d'ailleurs 
nos  adversaires  attendaient  apostés  sur  les  terrasses  des  maisons,  car 
l'événement  se  passait  en  un  point  déjà  fort  avancé  dans  la  ville. 

Animés  par  cette  victoire,  les  Mexicains  ne  cessèrent  pas  durant 
toute  cette  journée,  qui  était  un  dimanche,  de  harceler  nos  quartiers 
avec  des  forces  tout  aussi  considérables.  Ils  entravaient  à  ce  point 
nos  mouvements,  qu'ils  purent  se  livrer  à  l'espoir  de  notre  complète 
déroute.  De  notre  côté  nous  eûmes  la  chance  de  nous  soutenir,  d'a- 
bord à  l'aide  de  nos  canons  de  bronze,  grâce  ensuite  à  notre  vigueur 
au  combat,  et  à  la  condition  que  toutes  nos  forces  se  réunissent  pour 
veiller  ensemble  pendant  la  nuit  entière.  Quoi  qu'il  en  soit,  nous  de- 
vons dire  qu'en  apprenant  ces  événements,  Gortès  en  fut  très-vive- 
ment contrarié.  Il  écrivit  sur-le-champ  à  Pedro  de  Alvarado,  au 
moyen  d'un  brigantin,  qu'il  eût  à  bien  prendre  garde,  en  tout  état 
de  chose,  de  ne  pas  dépasser  une  seule  tranchée  sans  la  combler; 
que  tous  les  cavaliers  couchassent  sur  les  chaussées  à  côté  de  leurs 
chevaux  sellés  et  bridés,  et  que  décidément  nous  ne  songeassions  plus 
à  gagner  du  terrain  vers  la  ville  avant  d'avoir  rempli  le  grand  fossé 
avec  de  la  terre  et  des  pièces  de  bois.  Il  ajoutait  qu'on  devait  prendre 
dans  le  camp  toute  espèce  de  précautions  pour  se  garder.  Ayant  donc 
reconnu  que  nous  avions  la  faute  de  cette  mauvaise  aventure,  désor- 
mais nous  ne  pensâmes  plus  qu'à  faire  tous  nos  efforts  pour  combler 
ce  grand  fossé.  Nous  parvînmes  en  quatre  jours  à  ce  résultat,  grâce 
à  un  travail  excessif,  au  prix  d'un  grand  nombre  de  blessures  et  de  la 
mort  de  six  de  nos  camarades,  et  en  prenant  soin  que  nos  trois  com- 
pagnies veillassent  pendant  la  nuit  dans  l'ordre  dont  j'ai  parlé  précé- 
demment. 

Gomme  les  Mexicains  de  leur  côté  veillaient  en  se  relevant  par 
quart,  on  peut  dire  que  nous  étions  bien  près  les  uns  des  autres  à  ces 
heures  de  service.  Les  choses  se  passaient  du  reste  ainsi  :  ils  entrete- 


494  CONQUÊTE 

liaient  toute  la  nuit  de  grands  foyers  allumés  ;  les  gens  qui  étaient 
de  garde  s'écartaient  du  feu  et,  à  la  distance  où  nous  nous  trouvions, 
nous  ne  pouvions  les  apercevoir,  la  grande  clarté  produite  par  le 
foyer  nous  aveuglant  de  manière  à  nous  empêcher  de  voir  nos  adver- 
saires. Mais  nous  les  entendions  distinctement  lorsqu'ils  se  rele- 
vaient et  qu'ils  venaient  entretenir  leurs  feux.  Il  y  eut  des  nuits  pen- 
dant lesquelles  la  pluie,  qui  tombait  alors  en  abondance,  éteignait 
leurs  foyers;  mais  ils  s'empressaient  de  les  rallumer  sans  bruit,  sans 
parler  entre  eux,  faisant  en  sorte  de  se  comprendre  au  moyen  de  sif- 
flets. Il  faut  dire  que  lorsque  nos  escopettiers  et  nos  arbalétriers 
s'apercevaient  qu'on  venait  relever  les  gardes,  ils  lançaient  sur  eux, 
au  juger,  des  pierres  et  des  flèches  perdues.  Nous  ne  leur  faisions  pas 
grand  mal  par  cette  manœuvre  ;  ils  étaient  d'ailleurs  placés  en  des 
endroits  où  nous  ne  pouvions  les  joindre,  lors  même  que  nous  l'eus- 
sions voulu,  à  cause  d'un  autre  fossé  très-profond  qu'ils  avaient 
creusé  à  la  hâte,  et  aussi  parce  qu'ils  se  dérobaient  derrière  des  palis- 
sades et  des  parapets.  Du  reste,  ils  lançaient  également  sur  nous,  en  ti- 
rant au  juger,  des  pierres,  des  pieux  durcis  au  feu  et  des  flèches. 

Outre  ces  dures  veillées,  nous  devons  dire  que  nous  passions  tou- 
tes nos  journées  à  avancer  sur  la  chaussée  en  nous  battant  avec  l'en- 
nemi dans  le  plus  grand  ordre.  Ce  fut  ainsi  que  nous  parvînmes  à 
lui  prendre  le  fossé  dont  j'ai  parlé,  derrière  lequel  il  faisait  ses  gardes 
de  nuit.  Le  nombre  de  Mexicains  qui  chaque  jour  tombaient  sur 
nous  était  si  considérable  et  ils  nous  lançaient  tant  de  projectiles 
qu'ils  nous  blessaient  tous,  malgré  le  bon  ordre  avec  lequel  nous 
procédions  et  quoique  nous  eussions  de  bonnes  armures.  Lorsque  la 
journée  s'était  passée  en  un  combat  continuel,  que  la  nuit  approchait 
et  que  d'ailleurs  on  ne  voyait  pas  d'opportunité  à  aller  plus  avant,  il 
fallait  songer  à  nous  mettre  prudemment  en  retraite.  Les  Mexicains 
avaient  toujours  de  gros  bataillons  prêts  à  être  employés  pour  ces 
heures-là,  dans  l'espoir  qu'une  bonne  attaque  faite  au  moment  où 
nous  reculions  assurerait  notre  déroute.  Ils  se  précipitaient  alors  sur 
nous  comme  des  tigres  en  fureur  et  s'avançaient  jusque  dans  nos 
rangs.  Quand  nous  fûmes  bien  au  courant  de  cette  habitude,  nous 
prîmes  soin  d'organiser  notre  retraite  comme  je  vais  dire.  Nous  fai- 
sions d'abord  évacuer  la  chaussée  par  nos  alliés  tlascaltèques  qui 
nous  demandaient  en  grand  nombre  la  faveur  d'en  venir  aux  mains 
avec  l'ennemi.  Gomme  d'ailleurs  les  Mexicains  étaient  fort  rusés,  ils 
n'avaient  pas  d'autre  désir  que  de  convertir  en  embarras  la  présence 
de  nos  alliés  ;  ils  nous  attaquaient  donc  alors  dans  trois  directions  à 
la  fois,  avec  l'espoir  de  resserrer  tous  nos  hommes  dans  un  cercle 
étroit  ou  de  prendre  quelqu'un  de  nous  dans  la  retraite.  Nous  recon- 
nûmes bien  vite  que  l'encombrement  résultant  du  grand  nombre  de 
Tlascaltèques  nous  empêchait  de  nous  battre  librement  dans  toutes 


DE  LA  NOUVELLE-ESPAGNE.  495 

les  directions.  Gela  nous  décida  à  les  faire  sortir  à  temps  de  la  chaus- 
sée, prenant  soin  de  les  envoyer  en  lieu  sûr.  Délivrés  de  cet  embar- 
ras, nous  commencions  à  reculer  vers  notre  campement  sans  tourner 
le  dos,  faisant  face  à  l'ennemi,  les  escopettiers  et  les  arbalétriers  étant 
organisés  de  manière  que  les  uns  chargeaient  pendant  que  les  autres 
faisaient  le  tir,  nous  appuyant  du  reste  sur  nos  quatre  brigantins  qui, 
placés  deux  de  chaque  côté  de  la  chaussée,  nous  protégeaient  contre 
les  embarcations  et  contre  les  pierres  venant  des  terrasses  des  mai- 
sons non  encore  détruites.  Malgré  cette  bonne  entente,  il  nous  fal- 
lait courir  les  risques  les  plus  sérieux  jusqu'à  notre  rentrée  au  camp. 
A  notre  retour,  nous  pansions  nos  blessures  avec  de  l'huile  chaude  et 
nous  les  serrions  avec  des  bandes  d'étoffes  du  pays.  Notre  souper 
consistait  en  tortillas  qu'on  nous  apportait  de  Tacuba,  en  légumes  et 
même  en  figues  de  Barbarie  pour  ceux  qui  avaient  la  chance  d'en 
avoir.  Gela  fait,  nous  marchions  encore  pour  aller  monter  notre  garde 
au  bord  du  fossé  dont  j'ai  parlé;  et  de  nouveau,  lorsque  l'aube  ve- 
nait, il  fallait  recommencer  à  se  battre  sans  qu'il  y  eût  moyen  de 
faire  autrement,  puisqu'aux  premières  lueurs  du  jour  les  bataillons 
ennemis  étaient  déjà  sur  nous,  arrivant  jusqu'à  notre  camp,  nous 
criant  des  injures.... Et  c'est  au  milieu  de  ces  fatigues  que  nous  pas- 
sions notre  temps. 

Mais  cessons  pour  un  moment  de  parler  du  camp  de  Pedro  de  Al- 
varado,  et  occupons-nous  de  celui  de  Gortès  qui  de  nuit  et  de  jour 
avait  à  soutenir  des  combats  incessants  dans  lesquels  on  lui  tuait  ou 
blessait  un  grand  nombre  d'hommes,  de  la  même  manière  du  reste 
que  ce  qui  avait  lieu  dans  notre  campement  de  Tacuba.  On  sait  que 
notre  général  employait  deux  brigantins  à  donner  la  chasse  pendant 
la  nuit  aux  embarcations  qui  tentaient  d'entrer  à  Mexico  chargées 
d'eau  et  de  provisions.  Il  paraît  qu'un  des  brigantins  s'empara  de 
deux  notables  qui  se  trouvaient  dans  l'un  de  ces  nombreux  canots. 
Gortès  sut  par  eux  que  les  Mexicains  tenaient  cachés  en  embuscade 
dans  des  massifs  de  plantes  aquatiques  quarante  pirogues  et  un  égal 
nombre  de  canots,  pour  s'emparer  de  quelqu'un  de  nos  brigantins, 
comme  ils  avaient  déjà  réussi  à  le  faire  précédemment.  Gortès  flatta 
beaucoup  ces  deux  prisonniers;  il  leur  donna  des  étoffes  et  leur  pro- 
mit de  les  enrichir  avec  des  terres  après  qu'il  aurait  pris  Mexico.  Il 
leur  fit  demander  par  dona  Marina  et  Aguilar  à  quel  endroit  se  trou- 
vait l'embuscade,  car  ce  n'était  plus  le  même  que  la  première  J'ois. 
Les  notables  dévoilèrent  le  lieu  et  l'emplacement  où  se  cachaient  les 
pirogues;  ils  donnèrent  même  avis  que  nos  ennemis  avaient  planté 
au  fond  de  l'eau  beaucoup  de  gros  madriers,  sur  lesquels  nos  bri- 
gantins iraient  s'échouer  en  voulant  éviter  les  embarcations,  rendant 
ainsi  possibles  leur  capture  et  le  massacre  de  tous  les  hommes  qui 
seraient  à  bord. 


496  CONQUETE 

Sur  cet  avis,  Cortès  ordonna  à  six  brigantins  d'aller  s'embusquer 
cette  nuit  même  dans  un  massif  de  roseaux  distant  d'un  quart  de 
lieue  de  l'endroit  où  se  trouvaient  les  pirogues  ;  ils  devaient  s'y  tenir 
dissimulés  en  se  couvrant  de  branchages.  Ils  partirent  en  maniant 
silencieusement  la  rame  et  ils  restèrent  toute  la  nuit  dans  l'attente. 
Le  lendemain,  de  bonne  heure,  Gortès  fit  avancer  un  autre  brigantin 
qui  feignit  de  vouloir  donner  la  chasse  aux  canots  chargés  de  provi- 
sions. Il  ordonna  d'y  embarquer  les  deux  notables  faits  prisonniers, 
pour  qu'ils  indiquassent  le  lieu  où  se  tenaient  les  pirogues,  afin  que 
le  brigantin  pût  prendre  cette  direction.  De  leur  côté,  les  Mexicains 
envoyèrent  comme  précédemment  deux  embarcations,  qui  semblaient 
chargées  de  vivres,  en  appât  dans  les  environs  de  leur  embuscade, 
avec  l'espoir  que  le  brigantin  se  laisserait  amorcer  et  les  suivrait. 
On  peut  donc  dire  que  l'ennemi  et  nous  étions  guidés  en  ce  mo- 
ment par  la  même  pensée.  Le  brigantin  expédié  par  Gortès,  voyant 
les  embarcations  destinées  par  les  Indiens  à  l'amorcer,  se  mit  à  les 
poursuivre  tandis  qu'elles  simulaient  la  fuite  vers  l'endroit  où  les 
pirogues  étaient  embusquées.  Bientôt  notre  brick  fait  semblant  de 
ne  point  oser  s'aventurer  jusqu'à  terre  et  il  commence  à  se  mettre  en 
retraite.  En  le  voyant  rétrograder,  les  pirogues  et  un  grand  nombre 
d'autres  embarcations  se  dirigent  sur  lui  avec  la  plus  grande  furie. 
Elles  font  force  de  rames  et  le  suivent  tandis  qu'il  vogue  comme  en 
fuyant  vers  l'endroit  où  nos  autres  brigantins  sont  embusqués.  L'en- 
nemi le  poursuit  toujours.  Mais  en  cet  instant  des  coups  d'escopette 
se  font  entendre  :  c'est  le  signal  qui  doit  indiquer  aux  six  brigantins 
le  moment  du  départ.  Quand  ils  l'entendent  ils  s'élancent  en  grande 
hâte  et  tombent  sur  les  pirogues  et  sur  les  embarcations,  les  faisant 
chavirer,  tuant  un  grand  nombre  de  guerriers  et  ramassant  beaucoup 
de  prisonniers.  De  son  côté,  le  brick  lancé  par  Gortès,  qui  avait  déjà 
gagné  le  large,  vira  de  bord,  et  vint  au  secours  de  ses  camarades.  Il 
résulta  de  cette  manœuvre  un  grand  butin  d'embarcations,  et  de  nom- 
breux prisonniers.  Les  Mexicains  à  l'avenir  n'osaient  plus  nous  ten- 
dre des  pièges  ni  travailler  si  ostensiblement  au  ravitaillement  de  la 
place.  Et  c'est  ainsi  que  se  succédaient  les  événements  de  la  guerre 
pour  les  brigantins  dans  la  lagune  et  pour  nous  autres  sur  les 
chaussées. 

C'est  ici  le  moment  de  dire  que  les  villes  et  villages  qui  étaient  bâ- 
tis dans  la  lagune  même  et  dont  j'ai  si  souvent  parlé  déjà,  ne  pou- 
vaient manquer  de  voir  que  nous  remportions  des  victoires  chaque 
jour,  sur  la  terre  ferme  aussi  bien  que  sur  les  eaux  du  lac;  et  d'ail- 
leurs les  habitants  de  Ghalco,  de  Tezcuco,  de  Tlascala,  qu'on  avait 
vus  se  joindre  à  nous,  causaient  les  plus  grands  dommages  sur 
plusieurs  territoires,  y  faisant  prisonniers  nombre  d'Indiens  et  d'In- 
diennes. Les  alliés  des  Mexicains  jugèrent  donc  opportun  d'entrer  en 


DE  LA  NOUVELLE-ESPAGNE.  497 

pourparlers,  et,  après  avoir  résolu  tous  ensemble  de  se  présenter  à 
Gortès,  ils  vinrent  lui  demander  humblement  pardon  en  faisant  ob- 
server que  s'ils  avaient  causé  quelque  ennui  aux  Espagnols,  c'était  par 
suite  de  l'ordre  qu'ils  en  recevaient  et  de  l'impossibilité  où  ils  se 
voyaient  de  faire  autrement.  Gortès  se  réjouit  beaucoup  de  leurs  in- 
tentions pacifiques,  et  nous  ne  nous  réjouîmes  pas  moins  dans  les 
campements  de  Pedro  de  Alvarado  et  de  Gronzalo  de  Sandoval  lors- 
que nous  en  fûmes  instruits.  Du  reste,  Gortès  leur  accorda  son  par- 
don de  l'air  le  plus  aimable  et  en  leur  adressant  beaucoup  de  flatte- 
ries, leur  rappelant  néanmoins  qu'ils  avaient  mérité  les  plus  grands 
châtiments  pour  s'être  mis  au  service  des  Mexicains.  Ges  nouvelles 
recrues  étaient  les  habitants  d'Iztapalapa,  Huichilobusco,  Guyoacan 
Mezquique,  tous  ceux  enfin  de  la  lagune  et  de  l'eau  douce.  Gortès  leur 
assura  que  nous  ne  lèverions  nullement  le  siège  avant  que  les  Mexi- 
cains se  rendissent  ou  que  nous  les  eussions  achevés  à  force  d'atta- 
ques. Il  leur  enjoignit  de  nous  prêter  le  secours  de  toutes  les  em- 
barcations en  leur  pouvoir,  pour  harceler  la  capitale,  ajoutant  qu'ils 
eussent  à  venir  s'installer  eux-mêmes  dans  nos  campements  et  à  les 
ravitailler  de  vivres,  ce  qu'à  l'instant  ils  promirent  de  faire.  Ils  vin- 
rent travailler  en  effet  au  camp  de  Gortès,  mais  les  vivres  apportés 
étaient  insuffisants  et  la  mauvaise  volonté  évidente.  Quant  à  l'instal- 
lation de  Pedro  de  Alvarado,  elle  n'eut  réellement  jamais  lieu;  il  s'en- 
suivait que  nous  étions  toujours  dans  l'eau,  car  ceux  qui  connaissent 
le  pays  n'ignorent  pas  qu'en  juin,  juillet  et  août  les  pluies  y  sont  in- 
cessantes. 

Revenons-en  du  reste  à  nos  chaussées  et  aux  combats  que  nous  li- 
vrions chaque  jour  aux  Mexicains.  Nous  leur  prenions  plusieurs  édi- 
fices d'idoles,  des  maisons,  des  tranchées  et  des  ponts  établis  entre 
leurs  habitations;  nous  rasions  tout  et  nous  comblions  les  fossés  avec 
les  briques  et  les  boiseries  des  maisons  détruites.  Nous  montions  la 
garde  sur  ces  ruines;  mais,  malgré  nos  efforts,  l'ennemi  creusait  de 
nouveaux  fossés  et  élevait  d'autres  palissades.  Or,  il  arriva  que  parmi 
nous  on  considérait  comme  déshonorant  que  quelques-uns  ne  s'occu- 
passent qu'à  détruire  des  ponts  et  à  combler  des  fossés,  tandis  que 
d'autres  faisaient  front  à  l'ennemi  et  bataillaient  avec  lui.  Pour  effa- 
cer ces  différences  entre  travailleurs  et  combattants,  Pedro  de  Alva- 
rado ordonna  qu'une  compagnie  entière  s'occuperait  un  jour  aux  tran- 
chées, tandis  que  les  deux  autres  en  viendraient  aux  mains  avec  les 
Mexicains.  Le  jour  suivant,  une  autre  compagnie  ferait  ce  travail  pen- 
dant vingt-quatre  heures,  jusqu'à  ce  que  les  trois  y  eussent  passé  à 
la  ronde.  C'est  en  continuant  cet  ordre  d'occupations  que  nous  ne 
laissions  plus  sur  pied  aucune  des  constructions  dont  nous  avions 
réussi  à  nous  emparer,  et  de  la  sorte,  aidés  par  nos  alliés  les  Tlas- 
caltèques,  nous  avancions  peu  à  peu  dans  la  ville.  Mais,  lorsque  nous 

32 


498  CONQUÊTE 

revenions  sur  nos  pas,  les  trois  compagnies  réunissaient  leurs  forces 
pour  combattre,  car  c'était  le  moment  du  grand  danger.  J'ai  déjà  dit 
que,  pour  le  diminuer,  nous  commencions  par  faire  évacuer  la  chaus- 
sée aux  Tlascaltèques,  ayant  reconnu  qu'ils  nous  étaient  un  véritable 
embarras  au  moment  du  combat. 

Mais  revenons  maintenant  aux  camps  de  Cortès  et  de  Gonzalo  de 
Sandoval.  On  y  était  constamment  harcelé,  de  nuit  comme  de  jour, 
par  l'ennemi,  qui  y  employait  un  grand  nombre  de  bataillons  du  côté 
de  terre  et  toute  une  flottille  d'embarcations  sur  la  lagune.  Il  était 
absolument  impossible  de  s'en  délivrer  et  de  les  faire  reculer.  Devant 
Gortès  se  trouvait  une  tranchée  très-profonde,  fort  difficile  à  prendre. 
Les  Mexicains  y  avaient  élevé  de  nombreuses  défenses;  il  était  d'ail- 
leurs impossible  de  la  traverser  autrement  qu'à  la  nage;  mais  si  l'on 
essayait  de  la  franchir  ainsi,  on  était  assailli  par  des  guerriers  armés 
de  flèches,  de  pierres,  de  pieux,  de  casse-tête,  d'espadons  à  deux 
mains,  de  lances  en  forme  de  faux  et  des  épées  que  l'ennemi  nous 
avait  prises  et  qu'il  avait  montées  sur  de  longs  manches.  Les  ba- 
taillons ainsi  armés  accouraient  en  foule,  tandis  que  la  lagune  se  cou- 
vrait d'embarcations.  Auprès  de  ces  défenses,  du  reste,  s'élevaient 
les  terrasses  des  maisons  d'où  l'ennemi  lançait  une  pluie  de  pierres 
dont  on  ne  pouvait  que  difficilement  se  garantir;  on  blessait  ainsi 
beaucoup  des  hommes  de  Gortès,  quelques-uns  mortellement.  D'autre 
part,  Jes  brigantins  ne  pouvaient  venir  à  leur  aide,  arrêtés  qu'ils 
étaient  par  les  obstacles  sur  lesquels  ils  venaient  donner.  La  division 
de  Gortès  eut  donc  beaucoup  à  souffrir  pour  prendre  cette  position; 
elle  fut  plusieurs  fois  sur  le  point  d'y  éprouver  une  déroute;  quatre 
soldats  furent  tués  dans  les  combats  et  une  trentaine  environ  en  sor- 
tirent blessés.  Comme  il  était  déjà  tard  le  jour  où  l'on  parvint  à  s'en 
rendre  maîtres,  il  fallut  renoncer  à  combler  le  fossé  avant  de  se  met- 
tre en  retraite.  On  recula  donc  au  milieu  des  plus  grands  dangers,  en 
continuant  de  combattre  vigoureusement,  avec  plus  de  trente  de  nos 
soldats  blessés  et  un  grand  nombre  de  Tlascaltèques  en  mauvais  état. 

Je  dois  dire  maintenant  comme  quoi  Guatemuz  fit  modifier  sa  tac- 
tique par  ses  capitaines,  ordonnant  à  toutes  ses  forces  de  continuer 
les  attaques  contre  nous  d'une  manière  incessante.  C'était  le  lende- 
main la  Saint-Jean  de  juin,  jour  anniversaire  de  notre  entrée  à  Mexico, 
lorsque  nous  y  revînmes  pour  secourir  Alvarado  et  qu'on  nous  y  mit 
en  pleine  déroute,  ainsi  que  je  l'ai  dit  au  chapitre  qui  en  a  traité.  Il 
paraît  que  Guatemuz  en  gardait  bonne  note  :  il  voulut  donc  qu'on 
poussât  à  fond  l'attaque  contre  nos  trois  campements,  avec  le  plus  de 
forces  possible,  par  terre  aussi  bien  que  par  eau  au  moyen  des  em- 
barcations, pour  en  finir  une  bonne  fois  avec  nous,  ainsi  que  Huichi- 
lobos  l'avait,  dit-on,  ordonné.  L'attaque  devait  avoir  lieu  de  nuit,  au 
quart  de  la  modorra.  Afin  d'empêcher  les  brigantins  de  nous  secou- 


DE  LA  NOUVELLE-ESPAGNE.  499 

rir>  les  Mexicains  avaient  enfoncé  des  poteaux  au  fond  de  la  lagune 
dans  presque  toutes  les  directions,  pour  que  nos  bricks  vinssent  s'y 
échouer.  L'ennemi  procéda  si  subitement  et  avec  une  telle  furie  qu'il 
aurait  pénétré  dans  notre  camp,  nous  faisant  courir  ainsi  les  plus 
grands  risques,  n'eût  été  la  présence  des  cent  vingt  soldats,  tous  fort 
habitués  à  combattre,  qui  nous  trouvions  de  garde  en  ce  moment. 
Nous  opposâmes  une  rude  résistance;  quinze  des  nôtres  furent  bles- 
sés, dont  deux  moururent  huit  jours  plus  tard.  L'embarras  fut  grand 
également  dans  le  eamp  de  Gortès  qui  eut  plusieurs  morts  et  blessés 
et  il  en  fut  de  même  dans  le  quartier  de  Sandoval.  L'ennemi  renou- 
vela cette  même  attaque  deux  nuits  de  suite,  non  sans  avoir,  de  son 
côté,  beaucoup  de  blessés  et  de  morts. 

Guatemuz,  ses  capitaines  et  ses  papes,  voyant  que  ces  deux  der- 
niers assauts  n'avaient  rien  produit,  convinrent  de  tomber  sur  notre 
quartier  de  Tacuba,  avec  toutes  leurs  forces,  au  quart  de  l'aurore.  Les 
Mexicains  se  précipitèrent  sur  nous  avec  une  telle  bravoure   qu'ils 
nous  enveloppèrent  de  toutes  parts,  nous  mirent  un  peu  en  désordre 
et  se  rendirent   presque  maîtres  de  nous.  Mais  le  bon  Dieu  voulut 
nous  inspirer  du  courage;  nous  pûmes  nous  rallier,  et,  nous  appuyant 
en  partie  sur  nos  brigantins,  combattant  corps  à  corps,  lançant  de 
bonnes  estocades,  jouant  habilement  de  l'épée,  nous  réussîmes  à  les 
faire  un  peu   reculer.  Pendant  ce  temps,  nos  cavaliers  ne  restaient 
pas  oisifs;  les  arbalétriers  et  les  hommes  d'escopette  faisaient  aussi  de 
leur  mieux,  ayant  beaucoup  de  peine  à  contenir  d'autres  bataillons 
qui  s'étaient  déjà  emparés  de  nos  derrières.  Huit  de  nos  soldats  fu- 
rent tués  dans  cette  mêlée,  et  Pedro  de  Alvarado  lui-même  fut  griè- 
vement atteint  à  la  tête.  Si  nos  alliés  de  Tlascala  se  fussent  entassés 
cette  nuit-là  sur  la  chaussée,  nous  eussions   couru  les  plus  sérieux 
dangers,  par  suite  de  l'embarras  que  leur  grand  nombre  aurait  jeté 
dans  nos  mouvements;   mais  l'expérience  du  passé  faisait  que  nous 
les  renvoyions  à  temps  à  Tacuba,  et  de  cette  manière  nous  nous  déli- 
vrions de  ce  souci.  Quant  à  cette  bataille,  elle  nous  permit  de  tuer  bon 
nombre  de  Mexicains  et  de  prendre  quatre  de  leurs  principaux  per- 
sonnages. 

Je  comprends  bien  que  les  curieux  lecteurs  seront  fatigués  de  voir 
chaque  jour  des  combats;  mais  il  ne  m'est  pas  possible  de  conter  au- 
trement, car,  pendant  les  quatre-vingt-treize  jours  que  nous  assié- 
geâmes cette  puissante  capitale,  nous  avions  continuellement  des  ba- 
tailles à  livrer.  C'est  pour  cela  que  je  suis  forcé  d'en  renouveler  les 
récits  et  de  dire  comment  et  quand  et  de  quelle  manière  les  choses 
se  sont  passées.  Si  je  n'inscris  pas  ici  en  chapitres  distincts  ce  qu 
appartenait  à  chaque  jour  en  particulier,  c'est  pour  éviter  une  prolixité 
qui  n'aurait  pas  de  fin,  à  la  manière  des  livres  d'Amadis  et  autres  cé- 
lébrités de  la  chevalerie*  A  l'avenir,  du  reste,  je  me  propose  de  moins 


500  CONQUÊTE 

m'arrêtcr  au  détail  des  combats  et  des  rencontres  que  nous  avions 
jour  et  nuit,  les  racontant  Je  plus  brièvement  possible,  jusqu'à  ce  que 
nous  arrivions  à  la  Saint-Hippolyte,  jour  où,  grâces  à  Notre  Seigneur 
Jésus-Christ,  nous  prendrons  possession  de  cette  grande  capitale, 
nous  emparant  en  même  temps  de  son  roi  Gruatemuz  et  de  ses  capi- 
taines. Avant  d'arriver  à  ce  résultat,  nous  eûmes  à  essuyer  de  grands 
malheurs  et  l'on  verra  même  que  nous  fûmes  sur  le  point  d'être  tous 
perdus,  surtout  du  côté  de  Gortès,  par  la  faute  de  ses  capitaines,  ainsi 
qu'on  va  le  voir  à  la  suite. 


CHAPITRE  CLII 

Comme  quoi  les  Indiens  mexicains  firent  éprouver  à  Cortès  une  déroute,  lui  prirent 
soixante-deux  soldats  espagnols,  enlevés  vivants  pour  être  sacrifiés,  et  le  blessèrent 
lui  même  à  la  jambe  ;  du  grand  danger  que  nous  courûmes  par  sa  faute. 

Cortès  finit  par  voir  qu'on  ne  gagnait  rien  à  vouloir  combler  toutes 
les  tranchées  et  les  fossés  pleins  d'eau   dont  nous  nous  emparions 
chaque  jour,  parce  que  les  Mexicains  les  creusaient  de  nouveau  les 
nuits  suivantes,  les  couvrant  de  défenses  de  plus  en   plus  redouta- 
bles.   Il  devenait  d'ailleurs   bien  fatigant   de  s'occuper  toujours   et 
tous  ensemble,  blessés  comme  nous  l'étions,  à  ces  travaux  de  tran- 
chées à  combler  et  de  ponts  à  détruire.   Notre  général  résolut   donc 
d'ouvrir  un  conseil   avec  les  capitaines  et   soldats   de    son  quartier, 
Ghiïstoval  de  Oli,  Francisco  Verdugo,  Andrès  de  Tapia,  l'alferez  Cor- 
ral,  Francisco  de  Lugo;  il  en  écrivit  même  à  Pedro  de  Alvarado  et  à 
Gonzalo  de  Sandoval,  dans  Je   but  de  mettre  en  question  avec  tous 
ses  chefs  et  soldats  s'il  paraîtrait  convenable  d'entrer  par  un  seul  as- 
saut au  cœur  de  la  ville  jusqu'au  Tatelulco,   cette  grande  place  de 
Mexico,  plus  vaste  que  celle  de  Salamanca,   et  d'y  établir  nos  trois 
camps  une  fois  que  nous  y  serions  parvenus,  afin  de  faire  rayonner 
de  ce  point  les  attaques  sur  toutes  les  rues  de  la  ville,  évitant  ainsi 
les  fatigues,  les  travaux  ainsi  que  la  garde  des  tranchées  et  des  ponts, 
non  moins  que  les  périls  de  nos  retraites  journalières.  Comme  il  ar- 
rive d'ordinaire  en  de  pareilles  réunions,  plusieurs  opinions  furent 
émises.  Quelques-uns  prétendaient  que  ce  n'était   point  un   dessein 
prudent  que   de  vouloir  s'introduire  absolument  dans  le  cœur  de  la 
capitale  ;  qu'il  paraissait  plus  raisonnable  de  rester  tels  qu'on  était, 
bataillant,  détruisant,  incendiant  des  maisons.  Les  raisons  que  nous 
donnâmes,  nous  qui  émettions  cet  avis,  c'est  que,  si  nous  pénétrions 
jusqu'au  Tatelulco  après  avoir   abandonné   toutes  les  chaussées  et 
tous  les  ponts  sans  y  laisser  aucune  garde,  les  Mexicains,  forts  de  leur 
nombre»,  appuyés  de  leur  multitude  d'embarcations,  creuseraient  de 


DE  LA   NOUVKLLK-ESPAGNK.  501 

nouveau  les  fossés,  rétabliraient  les  ponts  dont  nous  ne  serions  plus 
maîtres,  et  emploieraient  toutes  leurs  forces  à  de  nouvelles  attaques, 
de  nuit  comme  de  jour.  Nous  ajoutions  qu'en  ce  cas,  vu  les  nom- 
breux obstacles  des  madriers  enfoncés  sous  l'eau,  nos  brigantins  se- 
raient dans  l'impossibilité  devenir  à  notre  aide;  ce  qui  se  réduisait 
à  prouver  qu'en  suivant  le  projet  de  Gortès,  ce  serait  nous  qui  de- 
viendrions les  assiégés,  tandis  que  l'ennemi  aurait  pour  lui  la  terre 
ferme  et  la  lagune,  c'est-à-dire  le  champ  libre.  Nous  lui  écrivîmes 
à  ce  sujet,  afin  d'éviter  d'être  victimes  du  même  désastre  qu'autrefois 
lorsque  nous  sortîmes  de  Mexico  en  fuyards. 

Gortès,  ayant  entendu  les  avis  de  tout  le  monde  et  pesé  les  raisons 
sur  lesquelles  ils  étaient  appuyés,  leur  donna  pour  conclusion  que  le 
lendemain  nous  partirions  des  trois  camps  avec  la  plus  grande  vi- 
gueur, tant  les  cavaliers  que  les  arbalétriers,  escopettiers  et  soldats, 
et  que  nous  enlèverions  tous  les  ponts  à  l'ennemi  jusqu'à  la  place  du 
Tatelulco,  enjoignant  aux  trois  divisions,  aux  Tlascaltèques,  aux 
Tezcucans  et  aux  villages  et  villes  de  la  lagune  qui  avaient  récem- 
ment juré  obéissance  à  Sa  Majesté,  de  venir  appuyer  nos  brigantins 
avec  toutes  leurs  embarcations.  Le  matin  donc,  après  avoir  entendu 
la  messe  et  nous  être  recommandés  à  Dieu,  nous  sortîmes  de  notre 
campement  sous  les  ordres  de  notre  capitaine  Pedro  de  Alvarado; 
Gortès  partit  de  son  côté  et  Gonzalo  de  Sandoval  également,  avec  tous 
les  capitaines.  Les  ponts  et  les  palissades  étaient  enlevés  avec  beau- 
coup d'entrain;  nos  ennemis  résistaient  en  guerriers  valeureux; 
Gortès  s'avançait  victorieux  et  Gonzalo  de  Sandoval  n'était  pas  moins 
heureux  de  son  côté.  Quant  à  nous,  notre  division  avait  déjà  enlevé 
une  palissade  et  un  pont,  à  la  vérité,  au  prix  de  grandes  fatigues, 
parce  que  Gmatemuz  avait  fait  garder  ce  point  par  une  force  considé- 
rable. Nous  eûmes  beaucoup  de  soldats  atteints  de  graves  blessures 
dans  cette  attaque  :  l'un  d'eux  mourut  même  sur  le  coup:  plus  de 
mille  de  nos  alliés  tlascaltèques  sortirent  de  là  fort  maltraités,  la  tête 
couverte  de  blessures.  Malgré  tout,  nous  avancions  toujours,  très-fiers 
de  notre  triomphe. 

Revenons  à  Gortès  et  à  son  monde.  Us  venaient  de  s'emparer  d'un 
fossé  très-profond,  après  lequel  les  Mexicains  avaient  adroitement 
ménagé  une  petite  chaussée  très-étroite,  avec  l'espoir  d'obtenir  ce  qui 
en  effet  arriva  bientôt  à  notre  général.  Gortès  avançait  entouré  de  ses 
capitaines  et  de  ses  soldats  victorieux;  la  chaussée  était  remplie  de 
nos  alliés  à  la  poursuite  des  Mexicains  qui,  en  simulant  une  retraite 
précipitée,  ne  laissaient  pas  pour  cela  de  lancer  sur  nous  leurs  pro- 
jectiles. Ils  faisaient  au  surplus  halte  de  temps  en  temps,  comme  s'ils 
avaient  résisté  à  Gortès  et  dans  le  but  réel  de  l'amorcer  à  leur  pour- 
suite, en  prenant  soin  de  fuir  aussitôt  que  nos  hommes  se  précipi- 
taient victorieux  sur  leurs  pas.  Mais,  on  le  sait,  la  roue  delà  Fortune 


502  CONQUÊTE 

tourne  parfois  à  l'adversité  et  les  plus  grandes  prospérités  font  place 
aux  plus  déplorables  tristesses.  Gomme  Gortès,  donc,  s'avançait 
triomphant  sur  l'ennemi,  il  advint  que,  par  manque  de  précaution  et 
parce  qu'il  plut  à  Notre  Seigneur  Jésus-Christ  de  le  permettre,  lui- 
même  ainsi  que  ses  capitaines  et  soldats  oublièrent  de  combler  der- 
rière eux  la  dernière  tranchée  dont  ils  s'étaient  emparés.  La  petite 
chaussée  sur  laquelle  ils  avançaient  avait  été  d'ailleurs  adroitement 
rétrécie  par  l'ennemi,  l'eau  la  recouvrait  en  certains  points  et  partout 
elle  était  souillée  par  une  vase  épaisse.  Les  Mexicains  les  virent  avec 
joie  s'aventurer  dans  ce  passage  sans  combler  le  fossé  ;  c'était  préci- 
sément ce  qu'ils  avaient  désiré.  Dans  cette  attente  ils  avaient  tenu  en 
réserve  un  grand  nombre  de  bataillons  aux  ordres  de  valeureux  capi- 
taines, et  plusieurs  embarcations  étaient  préparées  sur  la  lagune,  se 
tenant  en  des  points  où  nos  brigantins  ne  leur  pouvaient  faire  aucun 
mal,  à  cause  des  obstacles  qu'on  y  avait  préparés,  et  sur  lesquels  ils 
seraient  venus  s'échouer. 

En  ce  moment  donc,  l'ennemi  revint  sur  Gortès  et  sur  ses  soldats 
avec  la  plus  grande  furie,  en  poussant  des  cris  et  des  hurlements.  Le 
choc  fut  si  vigoureux  et  si  soudain  que  nos  hommes  n'y  purent  ré- 
sister, et  tous  furent  d'avis  de  faire  reculer  leurs  compagnies  dans 
le  meilleur  ordre.  Mais  lorsque,  toujours  en  butte  à  la  rage  de  l'en- 
nemi, ils  furent  arrivés  au  point  difficile  de  la  chaussée,  le  désordre 
se  mit  dans  leurs  rangs  et  ils  se  prirent  à  fuir  sans  plus  songer  à  la 
résistance.  Notre  Gortès,  les  voyant  débandés,  essayait  de  les  encou- 
rager en  criant  :  «  Tenez,  tenez,  camarades,  tenez  ferme!  Qu'est-ce 
donc?  Est-ce  ainsi  que  vous  tournez  le  dos  !  »  Mais  il  ne  put  ni  les 
retenir  ni  s'opposer  à  leur  fuite.  Alors,  sur  cette  chaussée  étroite  et 
glissante,  au  passage  de  cette  tranchée  qu'on  n'avait  point  comblée, 
les  ennemis,  s'appuyant  sur  leurs  embarcations,  mirent  Gortès  en  dé- 
route, le  blessèrent  à  une  jambe,  lui  enlevèrent  vivants  soixante  et 
quelques  soldats  et  lui  tuèrent  six  chevaux. 

Notre  général  lui-même  avait  déjà  été  saisi  par  six  ou  sept  capi- 
taines mexicains;  mais  le  bon  Dieu  voulut  bien  lui  donner  la  vigueur 
nécessaire  pour  se  défendre  et  se  délivrer  de  leurs  étreintes,  malgré 
la  blessure  qu'il  avait  à  la  jambe.  D'ailleurs  en  ce  moment  arriva  à 
son  aide  un  très-valeureux  soldat,  nommé  Ghristoval  de  Olea,  natif 
de  la  Vieille-Castille  (il  ne  faut  pas  le  confondre  avec  Ghristoval  de 
Oli).  Voyant  notre  chef  au  milieu  de  tant  d'Indiens,  il  s'escrima  avec 
une  telle  bravoure  qu'il  tua  quatre  des  capitaines  qui  avaient  mis  la 
main  sur  Cortès.  Un  autre  vaillant  soldat,  appelé  Lerma,  vint  à  son 
secours  ;  joignant  leurs  efforts,  ils  parvinrent  à  faire  lâcher  prise  à 
l'ennemi;  mais  le  malheureux  Olea  y  perdit  la  vie  et  Lerma  lui-même 
fut  sur  le  point  de  mourir  de  ses  blessures.  D'autres  soldats,  qui 
étaient  déjà  fort  maltraités,  accoururent,  s'emparèrent  de  Gortès  et 


DE  LA  NOUVELLE-ESPAGNE.  503 

l'aidèrent  à  se  soustraire  à  ce  pressant  danger.  En  cet  instant  d'ail- 
leurs, arriva  Quinones,  le  capitaine  de  sa  garde.  Gortès,  saisi  par  les 
bras,  fut  retiré  de  l'eau  ;  on  lui  fournit  un  cheval  sur  lequel  il  put 
échapper  à  la  mort.  En  ce  moment  accourut  encore  son  camarero  ou 
majordome,  Ghristoval  de  Guzman,  qui  lui  amenait  un  autre  cheval. 
Les  Mexicains,  qui  se  tenaient  sur  les  terrasses  des  maisons,  très- 
fiers  de  leur  victoire,  s'emparèrent  du  malheureux  Guzman  et  l'enle- 
vèrent vivant  pour  le  mener  à  Guatemuz.  L'ennemi  continua  la  pour- 
suite contre  Gortès  et  sa  division  jusqu'à  ce  qu'ils  fussent  rentrés  dans 
leur  campement;  et  même,  lorsqu'après  le  désastre  les  Espagnols  se 
furent  réfugiés  en  lieu  sûr,  les  bataillons  victorieux  ne  cessaient  pas 
de  se  porter  sur  eux,  criant,  vociférant  des  injures,  les  accusant  de 
lâcheté. 

Cessons  un  moment  de  parler  de  Gortès  et  de  sa  défaite  pour  en 
revenir  à  nous,  c'est-à-dire  à  la  division  de  Pedro  de  Alvarado.  Nous 
avancions  fiers  de  nos  triomphes,  lorsque,  au  moment  où  nous  nous 
y  attendions  le  moins,  nous  voyons  venir  à  nous  un  grand  nombre 
de  bataillons  mexicains,  poussant  des  cris  furieux,  ornés  de  superbes 
banderoles  et  la  tête  couverte  de  beaux  panaches.  Ils  jettent  à  nos 
pieds  cinq  têtes,  dégouttant  de  sang,  qu'ils  venaient  de  couper  à  nos 
camarades  enlevés  à  Gortès;  en  même  temps  ils  nous  crient  :  «  C'est 
ainsi  que  nous  allons  vous  tuer,  comme  nous  avons  massacré  déjà 
Malinche  et  Sandoval,  ainsi  que  tous  ceux  qui  étaient  avec  eux.  Voilà 
leurs  têtes,  reconnaissez-les  bien!  »  Sur  ce,  ils  nous  serraient  de 
près  et  en  arrivaient  même  à  porter  la  main  sur  nos  personnes,  sans 
que  nous  pussions  retirer  aucun  profit  de  nos  épées,  de  nos  esto- 
cades, des  décharges  de  nos  arbalétriers  et  de  nos  escopettiers  ;  ils 
continuaient  aussi  à  nous  cribler  de  projectiles  avec  toute  la  sécurité 
du  tir  à  la  cible.  Malgré  tout,  nous  ne  laissions  pas  entamer  nos 
rangs  dans  notre  retraite.  Nous  avions  d'ailleurs  fait  parvenir  à  nos  al- 
liés tlascaltèques  l'ordre  de  débarrasser  au  plus  tôt  la  chaussée  et  les 
mauvais  passages.  Ils  ne  se  le  firent  pas  dire  deux  fois.  Ayant  vu  les 
cinq  têtes  ensanglantées  et  entendu  dire  que  Malinche,  Sandoval  et 
les  teules  qui  étaient  avec  eux  avaient  été  massacrés,  avec  la  menace 
du  même  sort  pour  nous  tous,  nos  alliés  furent  saisis  de  frayeur  et 
crurent  à  la  réalité  de  cette  nouvelle;  c'en  fut  assez  pour  qu'ils  s'em- 
pressassent d'évacuer  la  chaussée  sans  retard.  Quant  à  nous,  tout  en 
revenant  sur  nos  pas,  nous  entendions  des  sons  lugubres  s'élever  du 
grand  temple  des  divinités  Huichilobos  et  Tezcatepuca,  dont  la  hau- 
teur dominait  toute  la  ville  :  c'étaient  les  tristes  roulements  d'un 
grand  tambour,  comparable  aux  instruments  infernaux;  ses  vibra- 
tions étaient  telles  qu'on  l'entendait  à  deux  ou  trois  lieues  à  la  ronde. 
A  côté  de  lui  résonnaient  en  même  temps  un  grand  nombre  d'ata- 
bales.  C'est  qu'en  ce  moment,  ainsi  que  plus  tard  nous  le  sûmes,  on 


504  CONQUÊTE 

offrait  aux  idoles  dix  cœurs  et  une  grande  quantité  de  sang  de  nos 
malheureux  camarades. 

Détournons  nos  regards  de  ces  sacrifices  pour  dire  que  nous  con- 
tinuions à  revenir  sur  nos  pas  et  que  les  attaques  dirigées  contré 
nous  étaient  incessantes  tant  du  côté  de  la  chaussée  que  des  terras- 
ses des  maisons  et  des  embarcations  de  la  lagune.  En  cet  instant,  de 
nouveaux  bataillons  se  précipitent  sur  nos  rangs,  envoyés  par  Gua- 
temuz.  Us  étaient  excités  par  le  son  de  la  trompe  de  guerre  qu'on 
destinait  adonner  le  signal  des  combats  à  mort;  elle  annonçait  aux 
capitaines  qu'ils  devaient  s'emparer  de  l'ennemi  ou  mourir  à  ses  cô- 
tés. Ses  éclats  étaient  si  aigus  qu'on  en  avait  les  oreilles  assourdies. 
Aussitôt  que  les  bataillons  et  leurs  chefs  les  eurent  entendus,  il  fal- 
lait voir  avec  quelle  rage  ils  cherchaient  à  enfoncer  nos  rangs  pour 
mettre  la  main  sur  nous  !  C'était  épouvantable  !  Et  maintenant  que 
j'y  reporte  ma  pensée,  il  me  semble  voir  encore  ce  spectacle;  mais  il 
me  serait  impossible  de  le  décrire.  La  vérité  que  je  dois  confesser  ici, 
c'est  que  Dieu  seul  pouvait  nous  soutenir,  après  les  blessures  que 
nous  avions  reçues  ;  ce  fut  bien  lui  qui  nous  sauva,  car  autrement 
nous  n'aurions  jamais  pu  revenir  à  notre  camp.  Je  lui  rends  mille 
grâces  et  je  chante  ses  louanges  pour  m'avoir  délivré  des  mains  des 
Mexicains,  cette  fois  comme  en  tant  d'autres  circonstances. 

Quoi  qu'il  en  soit,  reprenant  mon  récit,  je  dois  dire  que  nos  cava- 
liers faisaient  des  charges  continuelles,  et  deux  canons  placés  près 
du  camp,  —  l'un  faisant  feu  pendant  qu'on  chargeait  le  second,  — 
nous  furent  d'un  bon  secours  pour  nous  soutenir.  La  chaussée,  en 
effet,  était  absolument  couverte  de  guerriers  ennemis  qui  venaient 
jusqu'aux  maisons,  nous  lançant  des  projectiles  et  nous  traitant  déjà 
comme  des  vaincus.  C'est  là  que  nos  canons  en  tuaient  réellement 
un  grand  nombre.  Celui  qui  nous  rendit  ce  jour-là,  dans  cette  arme, 
le  plus  grand  service,  fut  un  hidalgo,  nommé  Pedro  Moreno  de  Me- 
drano,  qui  demeure  actuellement  à  Puebla.  Il  était  chargé  en  ce  mo-  ♦ 
ment  de  l'artillerie  ;  la  plupart  de  nos  anciens  artilleurs  avaient  péri 
et  ceux  qui  restaient  étaient  grièvement  blessés.  Ce  Pedro  Moreno  de 
Medrano,  outre  qu'il  fut  toujours  un  courageux  soldat,  nous  fournit 
en  cette  journée  notre  meilleur  appui.  Du  reste,  pendant  que  nous 
étions  ainsi  dans  les  angoisses  et  couverts  de  blessures,  nous  ne  sa- 
vions rien  ni  de  Gortès,  ni  de  Sandoval,  ni  de  leurs  hommes  ;  nous 
ignorions  s'il  était  vrai  qu'on  les  eût  mis  en  déroute  et  massacrés, 
ainsi  que  les  Mexicains  l'avaient  prétendu  lorsqu'ils  jetèrent  à  nos 
pieds  les  cinq  têtes  qu'ils  portaient  à  la  main  en  les  tenant  par  les 
cheveux  et  la  barbe,  assurant  qu'ils  avaient  mis  à  mort  Malinche,  San- 
doval et  tous  les  teulesy  tandis  qu'ils  nous  menaçaient  de  pareil  sort 
pour  ce  jour-là  même.  Il  nous  était  impossible  de  savoir  la  vérité, 
parce  que  nos  divisions  combattaient  à  une  demi-lieue  de  distance 


DE  LA  NOUVELLE-ESPAGNE.  505 

l'une  de  l'autre;  le  point  où  Gortès  avait  été  vaincu  se  trouvait  plus 
éloigné  encore.  Nous  étions  donc  fort  affligés. 

Réunissant  les  blessés  à  ceux  qui  étaient  encore  sains  et  saufs  et 
formant  ainsi  une  masse  compacte,  nous  résistâmes  de  nouveau  au 
choc  terrible  des  Mexicains  qui  se  jetaient  sur  nous  avec  la  confiance 
que  leurs  attaques  ne  laisseraient  pas  en  ce  jour  un  seul  de  nous  vi- 
vant, Pour  ce  qui  est  de  nos  brigantins,  l'ennemi  s'était  déjà  emparé 
de  l'un  d'eux;  trois  soldats  y  avaient  été  tués,  le  commandant  était 
blessé,  ainsi  que  la  plupart  des  hommes  qui  le  montaient.  Un  second 
brigantin,  commandé  par  Juan  Xaramillo,  accourut  à  son  aide.  Les 
Mexicains  avaient  fait  échouer  encore  sur  un  autre  point,  d'où  il  ne 
pouvait  se  dégager,  un  de  nos  bricks,  commandé  par  Juan  de  Lim- 
pias  Caravajal,  qui  devint  sourd  par  suite  de  la  rage  qu'il  éprouva  en 
cette  circonstance  (il  demeure  actuellement  à  Puebla).  Il  combattit 
personnellement  avec  tant  de  courage  et  il  sut  si  bien  animer  ses 
rameurs  qu'ils  parvinrent  à  arracher  les  pieux  du  fond  de  l'eau.  Ils 
sortirent  de  là  tous  grièvement  blessés,  mais  on  sauva  ce  brigantin, 
qui  donna  le  premier  exemple  de  l'enlèvement  des  obstacles  de  la 
lagune. 

Quant  à  Gortès,  la  plus  grande  partie  de  son  monde  avait  péri;  le 
reste  était  blessé  ainsi  que  lui-même.  En  cet  état,  ils  voyaient  les 
Mexicains  continuer  à  les  attaquer  jusqu'en  leurs  propres  quartiers 
et  jeter  aux  pieds  des  soldats,  qui  résistaient  encore,  quatre  autres 
têtes  ensanglantées  des  malheureux  camarades  qu'on  avait  enlevés 
vivants.  L'ennemi  criait  que  c'étaient  les  restes  duTonatio  (ou  Pedro 
de  Alvarado),  de  Gonzalo  de  Sandoval  et  de  deux  autres  teules;  il 
ajoutait  que  nous  avions  tous  été  massacrés.  On  assure  qu'à  cette  nou- 
velle Gortès  et  ceux  qui  l'entouraient  sentirent  redoubler  leur  abatte- 
ment; mais  ce  ne  fut  pas  au  point  que  notre  général  s'en  montrât 
grandement  découragé.  Il  recommanda  en  ce  moment  au  mestre  de 
camp  Ghristoval  de  Oli  et  aux  autres  chefs  de  prendre  bien  garde  de 
se  laisser  entamer  par  les  Mexicains  qui  les  pressaient  et  ordonna 
que  blessés  et  bien  portants  prissent  soin  de  se  tenir  en  masse  com- 
pacte. Il  détacha  Andrès  de  Tapia  avec  trois  cavaliers  pour  aller  par 
terre  à  Tacuba,  où  se  trouvait  notre  campement,  afin  de  savoir  ce 
que  nous  étions  devenus,  et,  dans  le  cas  où  il  aurait  la  chance  de  ne 
pas  nous  trouver  en  déroute  complète,  nous  conter  ce  qui  lui  était  ar- 
rivé et  nous  encourager  à  faire  bonne  garde  dans  nos  quartiers  de 
jour  comme  de  nuit,  en  nous  tenant  en  masse  compacte.  Il  nous  en- 
voyait là  une  recommandation  inutile,  car  nous  avions  la  coutume 
d'en  agir  ainsi.  Andrès  de  Tapia  et  les  trois  cavaliers  qui  l'accompa- 
gnaient eurent  soin  de  presser  le  pas.  Malgré  leur  diligence,  ils  ne 
purent  éviter  une  pluie  de  pieux  et  de  flèches  que  les  Mexicains  firent 
tomber  sur  eux  en  un  mauvais  passage  de  la  route,  car  Guatemuz 


506  CONQUÊTE 

avait  fait  établir  un  cordon  d'Indiens  coupant  tous  les  chemins,  pour 
empêcher  que  nous  pussions  recevoir  des  nouvelles  les  uns  des  au- 
tres. Andrès  de  Tapia  fut  blessé.  En  sa  compagnie  venaient  les  va- 
leureux (juillen  de  la  Loa,  Valdenebro  et  Juan  de  Guellar.  Arrivés 
à  notre  campement,  ils  se  réjouirent  beaucoup  en  nous  voyant  com- 
battre contre  les  forces  mexicaines  qui  s'étaient  toutes  réunies  pour 
tomber  sur  nous.  Ils  nous  racontèrent  ce  qui  était  arrivé  à  Gortès 
dans  sa  déroute  et  ce  que  notre  chef  les  avait  chargés  de  nous  dire. 
Ils  ne  nous  avouèrent  pas  le  nombre  de  leurs  morts;  ils  parlaient 
seulement  de  vingt-cinq  hommes,  ajoutant  que  les  autres  étaient 
sains  et  saufs. 

Nous  parlerons  maintenant  de  Cronzalo  de  Sandoval,  de  ses  capi- 
taines et  de  ses  soldats.  Il  s'était  avancé  triomphant  de  son  côté  par 
les  rues  qu'il  était  chargé  d'attaquer.  Mais  lorsque  les  Mexicains  en 
eurent  fini  avec  Gortès,  ils  tombèrent  sur  lui  et  sur  son  monde  de 
telle  façon  qu'on  ne  put  plus  se  soutenir.  L'ennemi  lui  tua  deux  sol- 
dats et  lui  blessa  tout  le  reste  de  sa  troupe;  lui-même  reçut  trois 
blessures,  à  la  cuisse,  au  bras  et  à  la  tête.  Au  plus  fort  du  combat, 
on  présenta  à  leurs  regards  six  têtes  des  hommes  de  Gortès,  en  disant 
que  c'étaient  celles  de  Malinche,  du  Tonatio  et  d'autres  chefs,  avec 
la  menace  du  même  sort  pour  Gonzalo  de  Sandoval  et  ceux  qui  étaient 
avec  lui;  et  là-dessus  ils  lui  firent  éprouver  les  plus  rudes  attaques. 
Ge  voyant,  l'excellent  capitaine  Sandoval  recommanda  à  ses  officiers 
et  soldats  de  s'armer  plus  que  jamais  de  courage,  de  ne  point  perdre 
confiance,  de  ne  commettre  aucune  faute,   aucun  désordre  dans  les 
rangs   pendant   qu'ils   reculeraient   sur    la  chaussée,   qui    était  fort 
étroite.  Son  premier  soin  fut  de  faire  évacuer  celle-ci  par  les  Tlascal- 
tèques,   dont  le  nombre  était  considérable,  afin   qu'ils    ne   missent 
point  obstacle  à  sa  retraite.  Appuyé  de  ses  brigantins  et  à  l'aide  de 
ses  arbalétriers  et  escopettiers,  il  put  enfin  arriver  à  son  camp,  après 
avoir  perdu  deux  hommes  et  ramenant  le  reste  de  sa  troupe  blessé 
et  découragé.  Se  voyant  hors  de  la  chaussée,  mais  toujours  entouré 
de  Mexicains,  il  s'efforça  de  relever  le  courage  des  siens,  les  exhor- 
tant à  se  tenir  en  masse  compacte  de  jour  comme  de  nuit,   faisant 
bonne  garde  dans  le  camp  pour  éviter  une  déroute  complète.  Sandova) 
crut  du  reste  pouvoir  se  reposer  de  ces  soins  sur  le  capitaine  Luis 
Marin,  dont  la  conduite  était  irréprochable;  il  prit  avec  lui  quelques 
cavaliers  et,  tout  blessé  qu'il  était,  couvert  de  bandages,  il  partit  en 
toute  hâte  vers  le  camp  de  Gortès.  Il  reçut  en  route  sa  bonne  part  de 
projectiles,  car,  ainsi  que  je  l'ai  déjà  dit,  Guatemuz  avait  placé  des 
Indiens  guerriers  sur  tous  les  chemins,  afin  d'intercepter  les  courriers 
d'un  camp  à  l'autre,  espérant  parvenir  ainsi  plus  facilement  à  nous 
vaincre. 

Sandoval,  arrivé  en  présence  de  Gortès,  lui  dit  ;  «  0  capitaine, 


DE  LA  iNOUVELLE-ESPAGNE.  507 

qu'est-ce  donc!  Sont-ce  bien  là  les  conseils  de  prudence  à  la  guerre 
que  vous  me  donniez  toujours?  Gomment  est  arrivé  ce  malheur?  » 
Gortès  lui  répondit  en  versant  des  larmes  :  «  Sandoval  mon  fils,  ce 
sont  mes  péchés  qui  me  l'ont  mérité;  quant  à  l'affaire,  je  n'y  suis  pas 
aussi  répréhensihle  qu'on  le  dit.  Le  vrai  coupable  c'est  le  trésorier 
Juan  de  Alderete,  à  qui  j'avais  ordonné  de  faire  combler  le  mauvais 
pas  où  l'on  nous  a  défaits;  comme  il  n'est  pas  habitué  à  recevoir  des 
ordres  à  la  guerre,  il  n'a  pas  obéi.  »  Mais  en  ce  moment  se  présen- 
tait le  trésorier  lui-même,  pour  avoir  des  nouvelles  de  Sandoval  et 
apprendre  si  sa  troupe  était  aussi  en  déroute  ou  détruite.  Il  répondit 
au  général  que  c'était  bien  lui,  Gortès,  qui  avait  toute  la  faute  de  ce 
malheur;  car,  s'étant  vu  un  moment  victorieux  et  voulant  suivre  la 
bonne  chance,  il  s'était  écrié  :  «  En  avant,  caballeros!  »  sans  songer 
à  faire  combler  les  tranchées  et  les  mauvais  passages.  Le  trésorier 
ajoutait  que,  s'il  en  avait  reçu  l'ordre,  il  l'eût  exécuté  avec  sa  compa- 
gnie et  à  l'aide  de  ses  amis.  On  reprochait  encore  beaucoup  à  Gortès 
de  n'avoir  pas  donné  assez  tôt,  aux  nombreux  Tlascaltèques  qu'il  avait 
amenés,  l'ordre  d'évacuer  la  chaussée. 

«Te  ne  mentionnerai  pas  quelques  autres  explications  échangées  avec 
aigreur  entre  Gortès  et  le  trésorier,  et  j'en  arriverai  à  dire  qu'en  ce  mo- 
ment abordèrent  deux  brigantins  qui  s'étaient  trouvés  avec  Gortès  au 
combat  de  la  chaussée;  on  n'avait  plus  de  leurs  nouvelles  depuis  la 
déroute.  Il  parait  qu'ils  furent  retenus  par  les  obstacles  du  fond  de 
l'eau,  sur  lesquels  ils  avaient  échoué.  Leurs  commandants  rappor- 
taient qu'un  grand  nombre  d'embarcations  les  entourèrent  en  les  at- 
taquant vigoureusement.  Tout  le  monde,  du  reste,  était  blessé  à  bord. 
Ils  disaient  que,  grâce  premièrement  au  secours  du  bon  Dieu,  favo- 
risés ensuite  par  un  bon  vent  et  faisant  de  prodigieux  efforts  sur  leurs 
rames,  ils  avaient  eu  la  chance  de  rompre  les  pieux  qui  les  retenaient 
et  de  pouvoir  ainsi  se  sauver.  Gortès  en  éprouva  une  grande  joie,  car 
jusque-là,  bien  qu'il  n'eût-  pas  voulu  le  dire  afin  de  ne  point  décou- 
rager son  monde,  il  avait  cru  ces  deux  brigantins  perdus. 

Quoi  qu'il  en  soit,  notre  général,  revenant  à  Sandoval,  lui  donna 
commission  d'aller  en  toute  hâte  à  notre  quartier  de  Tacuba  pour 
s'assurer  si  l'on  nous  avait  défaits  ou  savoir  dans  quel  état  nous  nous 
trouvions,  lui  recommandant,  dans  le  cas  où  il  nous  rencontrerait 
encore  vivants,  de  nous  aider  à  faire  résistance  et  à  éviter  de  laisser 
rompre  nos  rangs.  Gortès  ordonna  à  Francisco  de  Lugo  d'accompagner 
Sandoval,  pensant  bien  qu'il  y  aurait  des  bataillons  ennemis  sur  la 
route;  il  rappela  qu'il  avait  déjà  envoyé  Andrès  de  Tapia  avec  trois 
cavaliers  pour  prendre  de  nos  nouvelles,  et  il  témoigna  quelque  crainte 
qu'on  ne  les  eût  tués  en  route.  Là-dessus  il  embrassa  Gonzalo  de  San- 
doval et  prit  congé  de  lui  en  disant  :  «  Vous  voyez  que  je  ne  puis 
pas  être  partout;  c'est  à  vous  que  je  recommande  tous  ces  soins,  car, 


£08  CONQUÊTE 

regardez,  je  suis  blessé  et  boiteux.  Je  vous  prie  de  porter  votre  sur- 
veillance sur  nos  trois  camps.  Je  pense  bien  que  Pedro  de  Alvarado, 
ses  officiers  et  ses  soldats  se  seront  conduits  en  gentilshommes  au 
combat;  mais  j'ai  bien  peur  que  ces  chiens  d'ennemis,  avec  leurs 
puissants  moyens,  ne  leur  aient  infligé  une  déroute;  car  vous  voyez 
ce  qu'ils  ont  fait  de  moi  et  de  ma  division.  »  Sandoval  et  Francisco 
de  Lugo  arrivèrent  en  toute  hâte  à  l'endroit  où  nous  étions.  C'est  à 
l'heure  de  vêpres  qu'ils  se  présentèrent  à  notre  camp,  tandis  que  nous 
avions  déjà  eu  connaissance  de  la  déroute  de  Gortès  avant  la  grand'- 
messe. 

Sandoval  nous  trouva  en  train  de  nous  battre  avec  des  Mexicains 
qui  voulaient  forcer  l'entrée  de  notre  camp,  les  uns  par  les  ruines 
d'une  maison  détruite,  d'autres  par  la  chaussée  et  quelques-uns  en- 
core au  moyen  d'embarcations  par  la  lagune.  Ils  avaient  fait  échouer 
un  brigantin  sur  les  obstacles  du  fond,  tuant  deux  soldats  et  blessant 
tout  le  monde  à  bord.  Sandoval  nous  aperçut,  moi  et  quelques  autres 
hommes,  plongés  dans  l'eau  plus  haut  que  la  ceinture  pour  aider  le 
brigantin  à  revenir  en  eau  plus  profonde.  Plusieurs  Indiens  étaient 
sur  nous,  les  uns  avec  les  épées  qu'ils  avaient  prises  à  Gortès  dans 
sa  déroute,  les  autres  avec  des  espadons  affilés,  cherchant  à  nous  cri- 
bler d'entailles;  je  reçus  là  un  coup  de  flèche.  Ils  avaient  fait  appro- 
cher un  grand  nombre  de  canots  pour  réunir  de  puissants  efforts  sur 
ce  point,  et  déjà  ils  tenaient  amarré  le  brigantin  avec  des  cordes  pour 
l'enlever  et  l'emmener  à  l'intérieur  de  la  ville.  Sandoval,  nous  voyant 
en  cet  état,  nous  cria  :  «Courage,  camarades,  tâchez  d'empêcher  qu'on 
l'emmène!  »  Or,  nous  fîmes  si  bien  que  nous  pûmes  le  pousser  en 
lieu  sûr,  mais  avec  tous  ses  matelots  blessés,  ainsi  que  je  l'ai  dit,  et 
deux  soldats  morts. 

En  ce  moment  un  grand  nombre  de  bataillons  mexicains  se  préci- 
pitèrent sur  la  chaussée,  nous  blessant  tous,  aussi  bien  les  cavaliers 
que  les  soldats.  Sandoval  reçut  un  grand  coup  de  pierre  sur  le  visage. 
Pedro  de  Alvarado  vola  à  son  secours  avec  un  autre  cavalier,  tandis 
que  la  masse  d'ennemis  augmentait  et  que  nous  lui  faisions  front. 
Sandoval  nous  donna  l'ordre  de  reculer  lentement  en  protégeant  leurs 
chevaux,  et  comme  nous  n'exécutions  pas  ce  mouvement  aussi  vite 
qu'il  l'aurait  désiré,  il  s'écria  :  «  Vous  voulez  donc  qu'à  cause  de  vous 
l'ennemi  nous  tue,  moi  et  tous  ces  gentilshommes!  Pour  l'amour  de 
Dieu,  camarades,  repliez-vous  donc  !  »  En  ce  moment  il  reçut  une  nou- 
velle blessure  et  son  cheval  fut  atteint  également.  Alors,  nous  fîmes 
évacuer  la  chaussée  par  nos  alliés  et  nous  nous  mîmes  à  reculer  peu 
à  peu,  tenant  tête  à  l'ennemi,  sans  jamais  tourner  le  dos,  comme  si 
nous  avions  fait  des  passes  d'armes  :  les  arbalétriers  et  les  fusiliers 
combinaient  leurs  manœuvres  de  manière  que  les  uns  s'occupaient  du 
tir  tandis  que  les  autres  armaient  ou  chargeaient  les  escopettes,  pre- 


DE  LA  NOUVELLE-ESPAGNE.  509 

liant  soin,  du  reste,  de  ne  pas  tirer  tous  ensemble.  Les  cavaliers  opé- 
raient quelques  charges;  Pedro  Moreno  Medrano  employait  son  temps 
à  charger  ses  pièces  et  à  faire  feu;  mais  il  avait  beau  abattre  des 
Mexicains  avec  ses  boulets,  on  ne  parvenait  pas  à  les  repousser,  ils 
étaient  toujours  sur  nous,  bien  convaincus  qu'ils  nous  emmèneraient 
tous  pour  être  sacrifiés  cette  nuit  même. 

Nous  parvînmes  enfin  à  nous  retirer  en  sûreté  près  de  notre  cam- 
pement, laissant  entre  l'ennemi  et  nous  un  grand  fossé  très-profond 
et  rempli  d'eau  qui  nous  mettait  hors  de  portée  des  pierres ,  des 
pieux  et  des  flèches.  Sandoval,  Francisco  de  Lugo  et  Andrès  de 
Tapia  se  trouvaient  avec  Pedro  de  Alvarado.  Chacun  d'eux  contait  ce 
qui  lui  était  arrivé.et  Ton  s'entretenait  des  ordres  donnés  par  Gortès, 
lorsque  tout  à  coup  se  firent  entendre  les  sons  funèbres  du  grand 
tambour  de  Huichilobos,  ainsi  que  d'un  nombre  effrayant  d'atabales, 
de  conques  marines,  de  cornets  et  de  trompes. 

Le  bruit  en  était  épouvantable  et  lugubre.  Nos  regards  se  portè- 
rent à  l'instant  sur  les  hauteurs  du  grand  temple  d'où  s'élevait  ce 
triste  fracas,  et  nous  aperçûmes  nos  pauvres  camarades  qui  avaient 
été  enlevés  à  Gortès  pour  être  conduits  au  sacrifice.  Nous  voyions 
ces  malheureuses  victimes  poussées,  bousculées,  frappées,  souffletées 
par  leurs  bourreaux.  Quand  ils  furent  arrivés  au  petit  plateau  qui 
termine  le  temple  et  qui  sert  d'asile  aux  maudites  idoles,  quelques- 
uns  d'entre  eux  furent  forcés  de  recevoir  des  couronnes  de  plumes 
sur  leur  tête,  et,  tenant  des  éventails  à  la  main  ,  ils  étaient  obligés 
de  se  livrer  à  la  danse  devant  Huichilobos.  Après  cet  exercice  déri- 
soire, ils  étaient  enlevés  et  étendus  sur  la  pierre  des  sacrifices;  là, 
avec  un  grand  coulelas  d'obsidienne,  on  leur  ouvrait  la  poitrine,  et 
leur  cœur  était  arraché  pour  être  offert  tout  palpitant  aux  idoles  en 
présence  desquelles  se  faisait  le  sacrifice.  On  prenait  ensuite  le  corps 
par  les  pieds  et  on  l'envoyait  rouler  sur  les  marches  du  grand  esca- 
lier jusqu'en  bas  où  il  était  attendu  par  des  bouchers  qui  coupaient 
les  bras  et  les  jambes  et  écorchaient  la  face  pour  en  tanner  la  peau  à 
la  manière  des  peaux  de  gants.  Ils  conservaient  ces  visages  sans  en 
détacher  la  barbe,  afin  de  les  faire  présider  aux  folies  de  leurs  festins 
bachiques.  Les  chairs  étaient  accommodées  au  chilmole*  et  servaient 
à  leurs  repas.  Tous  nos  malheureux  camarades  furent  sacrifiés  de  la 
sorte.  On  en  mangeait  les  bras  et  les  jambes,  tandis  que  les  cœurs 
et  le  sang  étaient  offerts  aux  idoles,  et  qu'on  jetait  le  tronc  et  les  en- 
trailles aux  lions ,  aux  tigres  et  aux  serpents  entretenus  dans  la 
ménagerie,  ainsi  que  cela  se  trouve  expliqué  dans  le  chapitre  qui  en 
a  parié. 

Nous  eûmes  donc  le  spectacle  de  cette  grande  cruauté,  nous  tous 

1.  Sauce  claire  à  base  de  piment. 


510  CONQUÊTE 

qui  étions  réunis  dans  notre  quartier  avec  Pedro  de  Alvarado,  Gonzalo 
de   Sandoval  et  les  autres  chefs.  Le  lecteur  se  fera  sans  doute  une 
juste  idée  des  sentiments  d'angoisse  que  cela  nous  inspirait  et  qui 
faisaient  dire  à  chacun  de  nous  :   «  Grâces  à  Dieu  qui  a  permis  que 
ce  ne  fût  pas  mon  tour  aujourd'hui  d'être  enlevé  pour  le  sacrifice  !  » 
Quoique  nous  trouvant  près  des  victimes  Comme  nous  l'étions,  il 
nous  était  impossible  d'aller  à  leur  aide;   nous  ne  pouvions  faire 
autre  chose  que  prier  le  bon  Dieu  de  nous  préserver  d'une  aussi 
cruelle   mort.   Au  surplus,   à   l'heure  même  du  sacrifice  un  grand 
nombre  de  bataillons  ennemis  se  précipitèrent  sur  nous  de  tous  côtés, 
sans  que  nous  pussions  rien  faire  pour  les  en  empêcher  et  pour  nous 
défendre  de  leur  approche.  Ils  nous  criaient  :  «  Attention  à  ce  spec- 
tacle !  C'est  ainsi  que  vous  mourrez  tous;  nos  dieux  nous  l'ont  promis 
bien   souvent.  »   D'autre  part  ,   les   menaces   qu'ils  faisaient  à  nos 
alliés  de  Tlascala  étaient  formulées   en  termes   si  révoltants  qu'ils 
en  perdaient  tout  courage,  d'autant  plus  que  l'ennemi  lançait  sur  eux 
des  jambes  d'Indiens  grillées  et  des  bras  de   nos  soldats  en  disant  : 
«  Mangez   de    la  chair   des   teules  et  de  vos  frères;   nous  nous  en 
sommes  rassasiés,  et  à  votre  tour  vous  pourrez  vous  régaler  de  nos 
restes.  Et  remarquez  bien  que  toutes  ces  maisons  que  vous  avez  dé- 
truites, nous  vous   obligerons  à  les  reconstruire  avec  de  meilleurs 
matériaux  qu'auparavant,  pierres,    chaux,   marbre,   et  au    surplus 
très-bien  peintes.  Allez  donc  prêter  votre  secours  à  ces  teules  :  vous 
les  verrez  tous  marcher  au  sacrifice  !  » 

Guatemuz  fit  encore  plus.  Après  avoir  remporté  cette  victoire  sur 
Gortès,  il  envoya  aux  villes  et  villages  qui  étaient  entrés  dans  notre 
alliance,  ainsi  qu'à  tous  ses  parents,  des  pieds  et  des  mains  de  nos 
soldats,  des  visages  encore  ornés  de  leur  barbe,  et  les  têtes  des  che- 
vaux qu'on  nous  avait  tués.  Il  leur  faisait  dire  que  plus  de  la  moitié 
de  nos  hommes  avait  péri,  que  nous  ne  tarderions  pas  à  être  achevés, 
qu'ils  devaient  abandonner  notre  alliance  et  revenir  aux  Mexicains, 
faute  de  quoi  il  les  ferait   tous  détruire.   Il  ajoutait  bien  d'autres 
choses  pour  qu'ils  désertassent  nos  quartiers  et  nous  abandonnassent, 
attendu  que  sous  peu  nous  devions  tous  mourir  de  leurs  mains.  En 
effet,   leurs  attaques  étaient  continuelles,  de  nuit  comme  de  jour; 
mais  comme  nous  étions  sans  cesse  sur  pied,  veillant  tous  ensemble, 
en  compagnie  de  Gonzalo  de  Sandoval,  de  Pedro  de  Alvarado  et  des 
autres  chefs,  qui  partageaient  nos  veilles,  l'ennemi  avait  beau  venir 
en   grand  nombre  pendant  la  nuit,  nous   lui   résistions  toujours  à 
merveille.  Nos  cavaliers,  de  leur  côté,  se  divisaient,  une  moitié  sur- 
veillant Tacuba  et  l'autre  sur  la  chaussée.  Voici  encore  une  mésaven- 
ture déplorable  :  c'est  que  toutes  les  tranchées,  tous  les  fossés  que 
nous  avions  comblés,  les  Mexicains  les  avaient  déjà  rétablis  et  pro- 
tégés par  des  défenses  bien  plus  considérables  qu'auparavant.  Quant 


DE  LA  NOUVELLE-ESPAGNE.  511 

aux  habitants  des  villes  de  la  lagune  qui  étaient  entrés  récemment 
dans  notre  alliance  et  nous  avaient  fourni  le  secours  de  leurs  embar- 
cations, on  peut  dire  comme  le  proverbe,  qu'ils  étaient  venus  chercher 
de  la  laine,  mais  qu'il  revinrent  tondus,  car  beaucoup  y  avnient 
perdu  la  vie,  plus  de  la  moitié  des  embarcations  avaient  été  détruites 
et  un  grand  nombre  de  combattants  s'en  retournèrent  couverts  de 
blessures.  Malgré  cela,  ils  refusèrent  de  se  porter  au  secours  des 
Mexicains,  car  ils  étaient  réellement  mal  avec  eux.  Ils  se  contentè- 
rent de  rester  dans  l'expectative. 

Mais  cessons  pour  un  moment  de  raconter  tant  de  misères,  et 
revenons-en  à  nous  louer  de  la  prudence  avec  laquelle  nous  nous 
conduisions  dans  notre  camp.  Disons  aussi  comme  quoi  Sandoval, 
Francisco  de  Lugo,  Andrès  de  Tapia  et  les  autres  caballeros  qui 
étaient  venus  dans  notre  quartier,  crurent  le  moment  arrivé  de  re- 
tourner dans  leur  campement  et  d'instruire  Gortès  de  l'état  dans  lequel 
nous  nous  trouvions.  Ayant  fait  diligence,  ils  arrivèrent  et  dirent  à 
notre  général  à  quel  point  Pedro  de  Alvarado  et  ses  soldats  étaient 
dignes  d'éloges,  tant  pour  leur  manière  de  se  battre  que  pour  le 
soin  qu'ils  prenaient  de  faire  bonne  garde.  Bien  plus,  Sandoval,  qui 
m'honorait  de  son  amitié ,  raconta  à  Gortès  comment  il  m'avait  ren- 
contré avec  quelques  amis,  m'escrimant,  dans  l'eau  jusqu'à  la  cein- 
ture, à  la  défense  d'un  brigantin  échoué  sur  des  obstacles;  il  ajoutait 
que  sans  notre  secours  l'ennemi  eût  massacré  les  matelots  et  le  com- 
mandant du  navire.  Je  ne  rapporterai  pas  ici  toutes  les  louanges  qui 
furent  faites  de  ma  personne ,  car  d'autres  les  ont  assez  répétées,  et 
le  camp  entier  en  eut  connaissance. 

Lorsque  Gortès  reçut  ces  nouvelles  et  connut  la  prudence  qui  ré- 
gnait dans  notre  quartier,  son  cœur  en  ressentit  du  soulagement. 
Cependant  il  ordonna  que  pour  le  moment  les  trois  divisions  eussent 
à  s'abstenir  d'en  venir  aux  mains  avec  les  Mexicains  :  c'est-à-dire 
que  nous  ne  devions  plus  chercher  à  nous  emparer  ni  des  ponts  ni 
des  travaux  de  l'ennemi,  mais  nous  borner  uniquement  à  défendre 
nos  positions,  en  y  évitant  toute  atteinte  grave.  Quant  à  nous  battre, 
l'occasion  ne  nous  en  eût  pas  manqué,  car  depuis  la  veille  au  point 
du  jour  nos  adversaires  étaient  réunis  aux  abords  de  notre  camp  , 
nous  lançant  des  pierres,  des  flèches  et  des  pieux  et  nous  insultant 
par  les  propos  les  plus  insolents.  Malgré  tout,  nous  restâmes  quatre 
jours  sans  passer  le  grand  fossé  très-profond  et  très-large  qui  défen- 
dait nos  positions;  Gortès  et  Sandoval  en  firent  autant  de  leur  coté. 
Or  si  nous  nous  obstinions  à  nous  tenir  tranquilles  sans  nous  efforcer 
de  combattre  et  de  regagner  les  défenses  ennemies  ainsi  que  les 
tranchées  refaites,  c'était  parce  que  nous  étions  tous  sérieusement 
blessés  et  fatigués  des  gardes  et  du  poids  de  nos  armes ,  sans  que 
nous  eussions  pu  nous  réconforter  au  moyen  d'une  bonne  nourriture. 


512  CONQUÊTE 

Noire  armée  était  d'ailleurs  affaiblie  ,  depuis  la  veille,  par  la  perte 
de  soixante  et  tant  de  soldats  appartenant  aux  trois  divisions ,  ainsi 
que  de  sept  chevaux.  Gortès  nous  donna  donc  l'ordre  que  j'ai  dit  de 
rester  tranquilles ,  pour  nous  assurer  un  peu  de  repos  et  pour  nous 
ménager  le  loisir  de  méditer  sur  ce  que  nous  devions  faire  désor- 
mais. J'en  resterai  là  pour  à  présent  et  je  dirai  bientôt  notre  nouvelle 
manière  de  combattre  et  ce  qui  advint  dans  notre  quartier. 


CHAPITRE  GL111 

De  la  manière  dont  nous  combattions,  et  comme  quoi  nos  alliés  s'en  retournèrent 

chez  eux. 

Voici  la  conduite  que  nous  avions  adoptée  dans  les  trois  camps. 
Nous  montions  la  garde  tous  ensemble  pendant  la  nuit  sur  les 
chaussées  ;  les  brigantins  se  tenaient  à  côté  de  nous  ;  la  moitié  des 
cavaliers  faisait  la  ronde  vers  Tacuba,  où  l'on  fabriquait  notre  pain 
et  où  se  trouvaient  nos  bagages  ;  l'autre  moitié  se  tenait  vers  les 
ponts  et  la  chaussée.  Au  point  du  jour  nous  réconfortions  nos  cœurs 
en  nous  préparant  à  résister  à  l'ennemi  qui  s'évertuait  à  forcer  nos 
positions  pour  nous  infliger  une  dernière  déroute.  On  se  conduisait 
de  même  aux  camps  de  Gortès  et  de  Sandoval.  Gela  ne  dura  d'ailleurs 
que  cinq  jours ,  parce  qu'ensuite  nous  adoptâmes  des  dispositions 
différentes,  ainsi  que  je  vais  le  dire.  Mais  auparavant  rappelons  que 
les  Mexicains  faisaient  chaque  jour  des  sacrifices  et  de  grandes  fêtes 
dans  le  temple  principal  du  Tatelulco.  Ils  y  battaient  sans  cesse  le 
maudit  tambour,  l'accompagnant  du  bruit  de  leurs  trompes,  de  leurs 
atabales  et  de  leurs  conques  marines,  ainsi  que  de  cris  et  d'horribles 
hurlements.  Toutes  les  nuits  ils  entretenaient  d'énormes  feux  au 
moyen  de  grands  bûchers,  et,  à  la  lueur  de  ces  sinistres  embrase- 
ments, ils  sacrifiaient  quelques-uns  de  nos  malheureux  compagnons 
à  leurs  maudites  idoles,  Huichilobos  et  Tezcalepuca,  auxquelles  ils 
demandaient  avis.  A  les  croire ,  ils  devaient  nous  massacrer  tous 
cette  nuit  même  ou  dans  la  matinée  du  jour  suivant.  Il  paraît  en 
effet  que  ces  divinités  perverses,  afin  de  mieux  les  tromper  et  de  les 
éloigner  de  toute  idée  pacifique,  leur  inspiraient  la  confiance  qu'ils 
nous  achèveraient  tous,  de  même  que  les  Tlascaltèques  et  quiconque 
s'unissait  à  nous.  Nos  alliés,  qui  entendaient  ces  funestes  prédic- 
tions, les  tenaient  d'autant  mieux  pour  certaines  qu'ils  nous  voyaient 
déjà  en  déroute. 

Détournant  maintenant  l'attention  de  ces  propos  des  idoles,  disons 
comme  quoi   tous  les  matins  plusieurs  bataillons  mexicains  se  réu- 


DE  LA   NOUVELLE-ESPAGNE.  513 

nissaient  pour  nous   attaquer  et  nous  entourer.  Ils   se  relevaient  de 
temps  en  temps,  faisant  alterner  à  nos  yeux  des  insignes  et  des  cos- 
tumes de  différents  aspects.  Lorsque  du  reste  nous  étions  aux  prises 
avec  eux,  ils  nous  adressaient  des  paroles  méprisantes,  nous  traitant 
de  gens  de  peu  de  cœur,  de  vauriens,  incapables  de  rien  construire 
ou  de  rien  faire  :  ni  maisons,  ni  cultures  de  maïs  ;  ajoutant  que  nous 
n'étions  bons  qu'à  voler  leur  capitale  comme  de  mauvaises  gens,  sor- 
tis de  noire  pays   en  fuyards  et  en  déserteurs  de  notre  Roi  et  sei- 
gneur. Ils  proféraient  cette  dernière  insolence  parce  qu'autrefois  Nar- 
vaez  leur  avait  fait  dire  que  nous  étions  venus  sans   l'autorisation  de 
notre  Roi,  ainsi  que  je  l'ai  rapporté  déjà.  Nos  ennemis  nous  disaient 
encore  que  dans  huit  jours  il  ne  resterait  pas  un  seul  de  nous  vivant, 
attendu  que  leurs  divinités  le  leur  avaient  bien  promis  la  nuit  précé- 
dente. Ils  nous  débitaient  beaucoup  de  méchancetés  sur  le  même  ton 
et  ils  ajoutaient  pour  y  mettre  le  comble  :  «  Remarquez  à  quel  point 
vous  êtes  méprisables  :   vos  chairs  sont  d'un  goût  si  mauvais,  leur 
amertume  de  fiel  est  si  prononcée  qu'il  nous  est  impossible  de  les 
avaler!  »  Il  paraît  en  effet  que  dans  ces  derniers  jours  où  ils  s'étaient 
rassasiés  de  nos  malheureux  camarades,  le  bon  Dieu  voulut  que  les 
chairs  leur  en  parussent  amères.  Mais  s'ils  se  permettaient  ces  inso- 
lences avec  nous,  c'était  bien  pis    avec    les  Tlascaltèques  ;  ils  leur 
criaient  qu'ils  les  auraient  pour  esclaves  afin  de  les  faire  servir  les 
uns  aux  sacrifices,  les  autres  aux  travaux  des  champs,  et  la  plupart 
à  la  réédification  des  maisons  que  nous  avions  détruites,  Huichilobos 
leur  ayant  promis  qu'elles   seraient  refaites  de  leurs  mains  à  chaux 
et  à  sable.  A  la  suite  de  ces  menaces  venaient  de  vigoureuses  atta- 
ques :  ils  avançaient  à  travers  les  ruines  des  maisons  renversées  ;  à 
l'aide  de  leurs  nombreuses  embarcations  ils  se  portaient  sur  nos  der- 
rières et  souvent  ils  nous  parquaient  dans  les  chaussées.  Mais  Notre 
Seigneur  Jésus-Christ  nous  réconfortait  chaque  jour  au  moment  où 
nos  forces  n'y  auraient  pas  suffi,  ce  qui  faisait  que  nous  repoussions 
nos  ennemis  en  en  renvoyant  un  grand  nombre  blessés,  tandis  que 
plusieurs  tombaient  morts  devant  nous. 

Nous  cesserons  pour  un  moment  de  parler  de  ces  vigoureuses  atta- 
ques, pour  dire  comme  quoi  nos  alliés  de  Tlascala,  de  Gholula,  de 
Guaxocingo  et  même  ceux  de  Tezcuco,  prirent  la  résolution  de  s'en 
retourner  en  leur  pays  et  l'exécutèrent  sans  que  Gortès,  ni  Pedro  de 
Alvarado,  ni  Sandoval  s'en  pussent  douter.  La  plupart  s'en  allèrent; 
,  il  ne  resta  au  quartier  de  Gortès  que  le  brave  Suchel,  qui  s'appela 
don  Carlos  après  son  baptême.  Frère  de  don  Fernando,  roi  de  Tez- 
cuco, il  passait  pour  un  homme  d'un  grand  courage.  Une  quarantaine 
de  parents  et  d'amis  demeurèrent  avec  lui.  Au  quartier  de  Sandoval, 
environ  cinquante  hommes  seulement  ne  partirent  pas.  Quant  à 
notre  camp,  il  n'y  resta  que  don  Lorenzo  Vargas  et  le  valeureux  Chi- 

33 


514  CONQUÊTE 

chimecatecle  avec  environ  quatre-vingts  Tlascaltèques,  leurs  parents 
ou  vassaux.  Nous  voyant  ainsi  délaissés  et  ne  comptant  plus  qu'un 
si  petit  nombre  d'alliés,  nous  tombâmes  dans  une  grande  affliction, 
Cortès,  Sandoval  et  chacun  de  nous,  dans  ses  quartiers  respectifs, 
demandaient  à  ceux  qui  étaient  restés  les  raisons  du  départ  de  leurs 
camarades.  Ils  répondaient  que  les  Mexicains  s'entretenant  de  nuit 
avec  leurs  idoles  en  recevaient  la  promesse  qu'ils  viendraient  à  bout 
de  nous  massacrer  tous  ;  nos  alliés  ajoutaient  foi  à  la  réalisation  de 
ces  menaces,  et  la  peur  les  mettait  en  fuite.  Ils  croyaient  d'autant 
mieux  ce  que  l'ennemi  leur  disait,  qu'ils  nous  voyaient  tous  blessés, 
tandis  que  beaucoup  d'entre  nous  avaient  péri  et  que  plus  de  douze 
cents  de  leurs  compatriotes  manquaient  à  l'appel,  ce  qui  leur  faisait 
craindre  pour  eux  tous  le  même  sort.  Ils  se  souvenaient  aussi  que 
Xicotenga  le  jeune,  pendu  par  ordre  de  Gortès,  avait  su  par  révéla- 
tion de  ses  devins  que  nous  devions  périr  jusqu'au  dernier.  C'étaient 
là  les  raisons  qui  avaient  fait  fuir  presque  tous  nos  alliés. 

On  juge  si  Cortès  en  ressentit  un  vif  regret  ;  mais  il  refoula  ce 
sentiment  dans  son  cœur  pour  dire  d'un  ton  joyeux  qu'il  n'y  avait 
rien  à  craindre,  ce  que  les  Mexicains  nous  criaient  n'étant  que  men- 
songes inventés  pour  décourager  nos  auxiliaires.  Il  ajouta  tant  de 
promesses,  en  termes  si  affectueux,  qu'il  inspira  à  ceux  qui  restaient 
la  pensée  de  ne  nous  point  quitter.  Nous  tînmes  d'ailleurs  les  mêmes 
discours  à  Gbichimecatecle  et  aux  deux  Xicotenga.  Ge  fut  dans  ces 
conférences  de  Gortès  avec  Suchel  que  celui-ci,  grand  seigneur  en 
toutes  choses  et  homme  très -courageux,  lui  dit  un  jour  :  «  Seigneur 
Malinche,  tu  ne  devrais  pas  prendre  souci  du  repos  que  tu  te  donnes 
en  ce  moment  dans  ton  quartier,  mais  au  contraire  faire  ordonner  au 
Tonatio  (c'est-à-dire  à  Pedro  de  Alvarado)  de  rester  tranquille  dans 
le  sien,  et  à  Sandoval  à  Tepeaquilla;  que  les  brigantins  veillent 
chaque  jour  à  ce  qu'il  ne  puisse  entrer  dans  la  capitale  ni  de  l'eau, 
ni  des  vivres.  Forcément,  puisqu'il  y  a  dans  la  ville  tant  de  milliers 
de  xiquipiles  de  guerriers,  avec  un  pareil  nombre  d'hommes  les  pro- 
visions doivent  bientôt  s'achever  ;  l'eau  qu'ils  boivent  est  à  moitié 
saumâtre,  car  ils  la  prennent  dans  des  trous  creusés  en  terre;  ils  en 
recueillent  aussi  de  celle  qui  tombe  nuit  et  jour  en  pluie  constante. 
C'est  cela  qui  sert  à  soutenir  leurs  existences;  mais  que  deviendront- 
ils  si  tu  leur  coupes  les  vivres  et  l'eau  qui  vient  du  dehors?  La  faim 
et  la  soif  leur  seront  plus  funestes  que  tes  attaques.  »  En  entendant 
ce  discours,  Gortès  serra  Suchel  dans  ses  bras,  le  remercia  et  lui 
promit  de  riches  concessions  de  villages  pour  l'avenir.  Certes  plu- 
sieurs d'entre  nous  avaient  déjà  donné  ce  même  conseil  à  notre  géné- 
ral; mais  nous  sommes  d'une  telle  trempe  qu'attendre  si  longtemps 
ne  pouvait  être  de  notre  goût  et  que  nous  étions  entraînés  à  l'assaut 
immédiat. 


DE  LA  NOUVELLE-ESPAGNE.  515 

Après  avoir  réiléchi  à  ce  conseil  que  nous  tous  capitaines  et  soldats 
lui  avions  à  l'envi  répété,  Cortès  envoya  deux  brigantins  à  notre 
quartier  et  à  celui  de  Sandoval  pour  nous  dire  de  rester  encore  trois 
jours  en  repos  sans  faire  aucune  attaque  sur  la  ville.  C'est  en  consi- 
dérant l'audace  des  Mexicains  depuis  leur  victoire  qu'il  n'osa  pas  en- 
voyer un  brigantin  seul  et  qu'il  en  expédia  deux  à  la  fois.  Une  chose 
nous  fut  d'un  grand  secours,  c'est  que  nos  brigantins  s'étaient  en- 
hardis à  détruire  les  estacades  que  les  Mexicains  avaient  prodiguées 
dans  la  lagune  pour  les  faire  échouer.  Nos  matelots  y  parvenaient  en 
ramant  avec  vigueur  sur  l'obstacle  et,  pour  se  ménager  une  impul- 
sion plus  forte,  ils  prenaient  leur  élan  de  plus  loin,  ouvrant  du  reste 
toutes  les  voiles  quand  le  vent  était  favorable,  mais  comptant  princi- 
palement sur  l'effort  des  rames.  Ils  parvinrent  ainsi  à  rester  vraiment 
maîtres  de  la  lagune  et  même  d'un  grand  nombre  de  maisons  qui 
s'écartaient  un  peu  de  la  ville,  ce  qui  diminua  d'autant  la  jactance 
des  Mexicains.  Revenons  maintenant  à  nos  attaques.  Quoique  nous 
n'eussions  plus  d'alliés,  nous  recommençâmes  nos  travaux  pour  com- 
bler le  grand  fossé  que  j'ai  déjà  dit  se  trouver  devant  notre  campe- 
ment. Chaque  compagnie  à  son  tour  s'occupait  péniblement  à  appor- 
ter du  bois  et  des  décombres  pendant  que  les  deux  autres  soutenaient 
des  combats.  J'ai  déjà  expliqué  qu'il  était  convenu  que  nous  alterne- 
rions ainsi  dans  les  travaux.  Quatre  jours  suffirent  pour  qu'à  force 
de  fatigues  nous  eussions  tout  à  fait  comblé  la  tranchée.  Cortès  en 
faisait  autant,  et  dans  le  même  ordre,  en  son  quartier.  Il  mettait 
même  personnellement  la  main  à  l'œuvre,  charriant  des  briques  et 
des  madriers  jusqu'à  ce  que  les  excavations  fussent  nivelées  et 
qu'ainsi  l'on  obtînt  la  sécurité  pour  la  retraite  sur  les  chaussées  et 
les  ponts.  Sandoval  s'occupait  de  même  dans  son  camp.  D'autre  part, 
les  brigantins  se  tenaient  désormais  près  de  nous  sans  crainte  des 
obstacles  ;  de  sorte  que  de  nouveau  nous  gagnions  peu  à  peu  du  ter- 
rain vers  la  ville. 

De  leur  côté,  les  bataillons  ennemis  ne  cessaient  pas  un  moment 
leurs  attaques;  fiers  de  leur  récente  victoire,  ils  s'avançaient  jusqu'à 
nous,  se  mêlant,  pour  ainsi  dire,  à  nos  rangs,  et  de  temps  en  temps 
ils  se  relayaient  entre  eux  pour  mettre  aux  prises  avec  nous  de  nou- 
velles troupes  plus  fraîches.  Leurs  cris  et  leurs  hurlements  étaient 
affreux  ;  tout  à  coup  l'on  entendait  le  cor  de  Guatemuz,  et  alors  ils 
se  jetaient  sur  nous  avec  une  telle  ardeur  qu'ils  portaient  la  main  sur 
nos  personnes,  sans  que  nos  épées  et  nos  estocades,  dont  nous  fai- 
sions bon  usage,  pussent  nous  être  d'aucune  utilité.  Comme  au  sur- 
plus, après  Dieu,  nous  n'attendions  le  salut  que  de  notre  courage  au 
combat,  nous  faisions  bonne  contenance  jusqu'à  ce  que  les  volées  de 
nos  escopettiers  et  de  nos  arbalétriers,  ainsi  que  les  charges  de  nos 
cavaliers,  dont  la  moitié  était  toujours  avec  nous,  forçassent  l'ennemi 


516  CONQUÊTE 

à  ne  pas  dépasser  ses  limites;  et  de  la  sorte,  grâce  à  la  protection  des 
brigantins,  qui  ne  redoutaient  plus  les  estacades,  nous  avancions  peu 
à  peu  dans  la  ville.  Nous  combattions  ainsi  jusqu'au  moment  où  les 
approches  de  la  nuit  nous  indiquaient  qu'il  était  l'heure  de  songer 
à  revenir  sur  nos  pas.  J'ai  déjà  dit  plusieurs  fois  que  ce  mouvement 
devait  être  opéré  dans  le  plus  grand  ordre,  parce  qu'alors  les  Mexi- 
cains appliquaient  tous  leurs  soins  à  couper  notre  retraite  sur  la 
chaussée  et  dans  les  passages  difficiles.  Ils  en  avaient  toujours  agi 
ainsi,  mais  ils  recouraient  d'autant  plus  volontiers  à  ces  tentatives 
depuis  qu'elles  leur  avaient  valu  une  grande  victoire  sur  nous.  Or, 
le  jour  dont  je  parle  actuellement,  ils  étaient  parvenus  à  forcer  nos 
rangs  et  à  nous  rompre  en  trois  endroits;  mais,  grâce  à  Notre  Sei- 
gneur Dieu  et  au  prix  d'un  grand  nombre  de  nos  soldats  blessés, 
nous  réussîmes  à  nous  rallier  en  tuant  beaucoup  de  monde  et  en  fai- 
sant de  nombreux  prisonniers.  Nous  n'avions  d'ailleurs  plus  d'alliés 
à  qui  donner  l'ordre  de  débarrasser  la  chaussée.  Nos  cavaliers  nous 
furent  là  d'un  grand  secours;  ils  eurent  deux  chevaux  blessés  pen- 
dant le  combat.  Nous  revînmes  nous-mêmes  couverts  de  blessures  à 
nos  quartiers.  Nous  pansâmes  nos  plaies  avec  de  l'huile  et  les  entou- 
râmes de  bandages  en  toile  de  coton.  Notre  repas  se  composa  de  tor- 
tillas au  piment,  de  quelques  herbages  et  de  figues  de  Barbarie.  Gela 
fait,  nous  recommençâmes  tous  ensemble  la  veillée. 

Ne  manquons  pas  de  raconter  maintenant  ce  que  les  Mexicains 
continuaient  de  faire  toutes  les  nuits  sur  les  hauteurs  de  leurs  tem- 
ples. Ils  battaient  ce  maudit  tambour  dont  les  sons  tristes  et  lugu- 
bres portaient  au  loin  et  dépassaient  en  horreur  tout  ce  qu'on  aurait 
pu  imaginer.  D'autres  instruments,  pires  encore,  faisaient  entendre 
en  même  temps  leur  musique  infernale.  Les  Mexicains  allumaient  de 
grands  feux  et  poussaient  des  cris  aigus  ;  car  c'était  le  moment  où 
l'on  sacrifiait  nos  malheureux  camarades  pris  à  Gortès.  Ces  sanglan- 
tes cérémonies  se  prolongèrent  pendant  dix  jours  et  nous  sûmes  par 
trois  capitaines  mexicains  faits  prisonniers  que  le  dernier  sacrifice 
fut  celui  de  Ghristoval  de  Oruzman,  qui  avait  été  conservé  dix-huit 
jours  vivant.  C'est  pendant  ces  supplices  que  Huichilobos  parlant  à 
nos  ennemis  leur  promettait  la  victoire,  avec  l'assurance  que  nous 
péririons  tous  de  leur  main  avant  huit  jours,  à  la  condition  de  nous 
livrer  d'incessants  combats,  quelques  pertes  qu'il  leur  en  coûtât. 
C'est  ainsi  que  ces  divinités  les  abusaient. 

Quoi  qu'il  en  soit,  à  peine  le  jour  commençait-il  à  poindre  que  les 
forces  dont  Guatcmuz  pouvait  disposer  tombaient  sur  nous  de  tous 
côtés.  Comme  d'ailleurs  nous  avions  comblé  le  Fossé,  détruit  les  ponts 
et  aplani  la  chaussée,  l'ennemi,  mettant  notre  ouvrage  à  profit,  avait, 
ma  foi!  l'audace  d'avancer  jusqu'à  notre  camp  et  de  lancer  sur  nous 
des  pierres,  des  pieux  et  des  flèches;  mais  heureusement  nos  canons 


DE  LA  NOUVELLE-ESPAGNE.  517 

les  renvoyaient  à  distance,  et  Pedro  Moreno  Medrano,qui  était  chargé 
de  l'artillerie,  leur  faisait  le  plus  grand  mal.  Us  nous  lançaient  par- 
fois de  nos  propres  traits  avec  des  balistes:  car,  durant  les  journées 
qu'ils  curent  auprès  d'eux  cinq  arbalétriers  vivants  en  compagnie  de 
Ghristoval  de  (juzman,  les  Mexicains  les  obligeaient  à  leur  montrer 
comment  on  dressait  les  balistes  et  de  quelle  façon  on  s'en  servait 
pour  lancer  les  traits;  mais  ceux  qu'ils  nous  envoyèrent  ne  nous  firent 
jamais  aucun  mal. 

Gortès  et  Sandoval  combattaient  vigoureusement  de  leur  côté.  L'en- 
nemi faisait  jouer  aussi  les  balistes  contre  eux.  Nous  avions  toutes 
ces  nouvelles  par  Sandoval  et  à  l'aide  des  brigantins  qui  allaient  de 
notre  quartier  à  celui  de  Gortès,  ainsi  qu'à  l'autre  camp.  Notre  géné- 
ral nous  écrivait  sans  cesse  pour  nous  prescrire  notre  manière  de 
combattre  et  tout  ce  que  nous  avions  à  faire,  nous  recommandant 
surtout  de  nous  bien  garder,  de  laisser  toujours  la  moitié  de  nos  ca- 
valiers à  Tacuba  pour  protéger  le  bagage  et  les  Indiennes  qui  nous 
fabriquaient  du  pain,  et  d'avoir  continuellement  l'esprit  attentif  à  ce 
que  l'ennemi  ne  parvînt  pas  à  rompre  nos  rangs  pendant  la  nuit  : 
car  des  prisonniers  qui  se  trouvaient  au  quartier  de  Gortès  rappor- 
taient que  Gruatemuz  recommandait  souvent  de  tomber  la  nuit  sur 
notre  camp,  attendu  qu'il  n'y  avait  plus  de  Tlascaltèques  pour  venir 
à  notre  aide.  Il  n'ignorait  pas,  en  effet,  que  tous  nos  alliés  nous  avaient 
abandonnés.  Mais  j'ai  dit  déjà  bien  des  fois  que  nous  n'omettions  ja- 
mais de  faire  bonne  garde. 

Je  dois  maintenant  répéter  que  nous  avions  chaque  jour  de  rudes 
combats  à  soutenir  et  que  chaque  jour  aussi  nous  continuions  à  ga- 
gner quelques  ponts  et  quelques  barricades,  ainsi  que  des  coupures 
sur  les  chaussées,  et  comme  les  brigantins  se  hasardaient  maintenant 
à  voguer  par  tous  les  endroits  de  la  lagune  sans  crainte  des  estaca- 
des,  ils  avaient  fini  par  nous  être  d'un  grand  secours.  Ceux  que  Gor- 
tès avait  au  service  de  son  camp  donnaient  la  chasse  aux  embarca- 
tions chargées  d'eau  et  de  vivres  pour  la  ville;  ils  récoltaient  d'ail- 
leurs sur  la  lagune  une  sorte  de  limon  qui,  desséché,  avait  comme 
un  goût  de  fromage1.  Du  reste,  ils  ramenaient  toujours  un  grand 
nombre  de  prisonniers. 

Nous  reviendrons  maintenant  aux  quartiers  de  Gortès  et  de  Gon- 
zalo  de  Sandoval  pour  dire  que  chaque  jour  ils  enlevaient  des  ponts 
et  des  palissades.  Il  s'était  déjà  passé  treize  jours  depuis  la  grande 

1.  Les  Indiens  recueillent  encore  aujourd'hui  sur  les  bords  de  la  lagune,  et  vien- 
nent vendre  à  la  ville  une  masse  que  Tondit  être  des  œufs  de  moucheron  môles  d'une 
substance  gélatineuse  provenant  de  nuées  de  ces  petits  animaux.  Je  ne  puis  que  repré- 
senter à  peu  près  par  des  lettres  le  mot  par  lequel  je  l'ai  entendu  désigner:  agoua- 
oulle.  Cela  possède,  en  effet,  un  goût  fort  de  mauvais  fromage.  On  le  vend  particuliè- 
rement les  vendredis  de  carême. 


518  CONQUÊTE 

déroute  de  Gortès;  Suchel,  frère  de  don  Fernando,  roi  de  Tezcuco, 
s'apercevait  que  nous  redevenions  nous-mêmes  et  que  la  promesse, 
faite  par  Huichilobos,  de  notre  mort  certaine  dans  dix  jours,  était  ab- 
solument mensongère.  Il  envoya  donc  prier  le  roi  son  frère  d'expédier 
à  Gortès  le  plus  grand  nombre  de  guerriers  qu'il  pourrait  réunir  dans 
Tezcuco.  Conformément  à  sa  demande,  plus  de  deux  mille  hommes 
arrivèrent  au  bout  de  deux  jours;  je  me  rappelle  qu'ils  étaient  accom- 
pagnés par  Pedro  Sanchez  Farfan  et  Antonio  de  Yillaroel,  mari  de  la 
dame  Ojeda.  Ces  deux  militaires  étaient  restés  à  Tezcuco,  Farfan  à 
titre  de  capitaine,  et  Yillaroel  comme  précepteur  de  don  Fernando. 
Gortès  se  réjouit  fort  de  l'arrivée  de  ce  secours,  et  il  adressa  aux  nou- 
veaux venus  les  paroles  les  plus  flatteuses.  En  ce  même  temps  revin- 
rent aussi  beaucoup  de  Tlascaltèques,  avec  leurs  chefs,  commandés 
par  un  de  leurs  capitaines  qui  était  un  cacique  de  Topeyanco,  nommé 
Tecapaneca.  Il  vint  encore  beaucoup  d'Indiens  de  Guaxocingo  et  un 
très-petit  nombre  de  Gholula. 

Ayant  appris  leur  arrivée,  Gortès  leur  fit  donner  l'ordre  de  venir  à 
son  camp  pour  qu'il  pût  leur  parler,  et  il  prit  soin  de  faire  garder  les 
chemins  afin  de  les  défendre  si  les  Mexicains  songeaient  à  les  atta- 
quer. Notre  général,  quand  ils  parurent  devant  lui,  leur  adressa  la 
parole  par  l'entremise  de  dona  Marina  et  de  Geronimo  de  Aguilar.  Il 
leur  dit  qu'ils  n'avaient  jamais  pu  douter  du  bon  vouloir  qui  l'avait 
toujours  animé  et  l'animait  encore  pour  eux,  tant  à  cause  des  servi- 
ces rendus  par  eux  à  Sa  Majesté  que  pour  les  bons  offices  dont  nous 
leur  étions  redevables;  que  si  en  marchant  sur  la  capitale  il  les  fit 
venir  avec  nous  pour  abattre  les  Mexicains,  son  intention  était  qu'ils 
pussent  retourner  riches  dans  leur  pays  après  s'être  vengés  de  leurs 
ennemis,  et  nullement  de  mettre  à  profit  leurs   efforts  pour  la  con- 
quête de  cette  grande  ville.  Gortès  ne  méconnaissait,  disait-il,  ni  leur 
bonté  éprouvée  ni  les  secours  qu'ils  nous  avaient  prêtés;  cependant 
il  les  avait  toujours  ménagés,  leur  enjoignant  sans  cesse  d'évacuer  les 
chaussées,  afin  que,  livrés  à  nous-mêmes  et  débarrassés  de  leur  mul- 
titude, nous  pussions  combattre  à  notre  aise;  bien  souvent  déjà  nous 
leur  avions  dit  que  l'auteur  de  nos  victoires  et  notre  souverain  appui 
est  Notre  Seigneur  Jésus-Christ,  en  qui  nous  croyons  et  que  nous  ado- 
rons. Pour  être  partis,  continuait  le  général,  au  moment  le  plus  cri- 
tique de  la  guerre  et  pour  avoir  abandonné  leur  chef  désemparé  au 
milieu  du  combat,  ils  avaient  mérité  la  mort;  mais,  par  considération 
pour  leur  ignorance  des  lois  de  la  guerre,  le  pardon  devait  leur  être 
accordé;  il  les  priait  de  considérer  que,  sans  nul  besoin  de  leur  aide, 
nous  n'avions  point  cessé  de  détruire  des  maisons  et  de  prendre  des 
barricades.  Notre  chef  finit  son  discours  en  leur  enjoignant  de  ne  plus 
tuer  aucun  Mexicain,  parce  que  son  intention  était  de  les  engager  à 
faire  la  paix. 


DE  LA   NOUVELLE-ESPAGNE.  519 

Gela  dit,  il  serra  Chichimecatecle  dans  ses  bras,  ainsi  que  les  deux 
jeunes  Xicotenga  et  Suchel,  le  frère  de  don  Fernando,  promettant  de 
leur  donner  des  terres  et  des  vassaux  plus  qu'ils  n'en  avaient  déjà,  en 
témoignage  de  sa  haute  estime  pour  leur  constance  à  rester  dans  nos 
campements.  Il  adressa  également  des  paroles  amicales  àTecapaneca, 
seigneur  de  Topeyanco,  et  aux  caciques  de  Guaxocingo  et  de  Gholula, 
qui  se  tenaient  dans  le  quartier  de  Sandoval.  Après  ces  entretiens, 
chacun  retourna  à  son  poste. 

Laissons  maintenant  ces  propos  pour  reparler  encore  des  attaques 
que  nous  livrions  et  de  celles  dont  nous  avions  à  nous  défendre.  En 
réalité,  nous  ne  faisions  pas  autre  chose  que  batailler  jour  et  nuit,  et 
le  soir,  dans  nos  retraites,  beaucoup  de  nos  soldats  étaient  toujours 
blessés.  Il  me  paraît  inutile  de  donner  le  détail  de  toutes  ces  actions. 
Il  me  semble  plus  important  de  dire  qu'il  pleuvait  alors  toutes  les 
après-midi  et  que  nous  nous  réjouissions  quand  l'eau  tombait  de  bonne 
heure;  car  nos  ennemis  trempés  par  la  pluie  combattaient  avec  moins 
d'ardeur,  et  comme  ils  nous  laissaient  reculer  plus  librement,  c'était 
pour  nous  l'occasion  d'un  peu  de  repos.  Quelque  fatigué  que  je  sois  de 
raconter  tant  de  batailles,  je  l'étais  plus  encore  d'avoir  à  les  soutenir, 
d'autant  que  j'y  étais  blessé.  Le  lecteur  taxera  peut-être  de  prolixité 
mes  redites  à  ce  sujet,  mais  je  l'ai  prévenu  qu'il  ne  m'est  pas  possi- 
ble d'abréger  davantage,  puisque  pendant  quatre-vingt-treize  jours 
nous  ne  cessâmes  jamais  de  combattre.  Cependant  j'omettrai  désormais 
dans  mon  récit  tout  ce  qui  pourra  en  être  retranché. 

Disons  donc  que  comme  nos  trois  divisions  avançaient  dans  la  ville, 
Gortès,  Sandoval  et  Alvarado  chacun  de  son  côté,  nous  parvînmes  au 
point  où  se  trouvait  la  fontaine  à  laquelle  les  assiégés,  ainsi  que  je  l'ai 
dit,  puisaient  leur  eau  saumâtre.  Nous  la  détruisîmes,  de  manière  que 
l'ennemi  ne  pût  plus  en  retirer  aucun  profit.  Gomme  d'ailleurs  en  ce 
point  beaucoup  de  Mexicains  faisaient  bonne  garde,  nous  eûmes  à  es- 
suyer une  volée  de  projectiles  et  nos  cavaliers  eurent  à  se  défendre  des 
longues  lances  avec  lesquelles  on  les  attendait,  car  nos  chevaux  pou- 
vaient enfin  courir  partout  sur  un  sol  ferme,  aplani  et  sec,  dans  les 
rues  dont  nous  nous  étions  rendus  maîtres.  Nous  abandonnerons  ces 
récits  pour  raconter  comme  quoi  Gortès  envoya  des  messagers  à  Grua- 
temuz,  l'invitant  à  la  paix.  Gela  se  passa  comme  je  vais  dire. 


520 


CONQUÊTE 


CHAPITRE  CUV 


Comme  quoi  Cortès  envoya  prier  Guatemuz  d'accepter  des  conditions  de  paix. 

Voyant  que  décidément  nous  avancions  dans  la  ville  en  nous  ren- 
dant maîtres  d'un  grand  nombre  de  ponts,  de  chaussées  et  de  barri- 
cades, et  que  d'ailleurs  nous  avions  détruit  beaucoup  de  maisons, 
Cortès  se  résolut  à  mettre  à  profit  la  présence  dans  le  camp  de  trois 
notables,  capitaines  de  Mexico,  que  nous  avions  faits  prisonniers,  pour 
les  envoyer  à  Guatemuz,  dans  le  but  de  l'engager  à  faire  la  paix  avec 
nous.  Ces  notables  répondirent  qu'ils  n'oseraient  point  se  charger 
d'un  tel  message,  craignant  que  Guatemuz  ne  les  fît  mettre  à  mort. 
Mais  enfin,  à  force  de  pourparlers,  de  prières  et  de  promesses  que 
Cortès  leur  prodigua,  grâce  sans  doute  aussi  aux  étoffes  dont  il  leur 
fit  présent,  les  messagers  se  décidèrent  à  partir.  Ce  qu'ils  étaient 
chargés  de  dire  à  Guatemuz,  c'est  que  notre  général  le  priait  de  se 
résoudre  à  la  paix,  promettant  qu'au  nom  de  Sa  Majesté  il  pardonne- 
rait les  morts  et  les  dommages  que  les  Mexicains  nous  avaient  causés 
et  qu'il  les  comblerait  de  bénéfices  en  considération  de  l'affection  qu'ils 
lui  inspiraient  et  en  pensant  que  Guatemuz,  proche  parent  du  grand 
Montezuma  son  ami,  était  marié  avec  la  fille  du  prince  défunt.  Il  n'é- 
tait pas  moins  guidé  d'ailleurs  par  le  regret  que  lui  inspirait  la  né- 
cessité d'achever  la  destruction  de  cette  grande  ville  et  par  le  désir 
de  mettre  fin  au  massacre  journalier  des  habitants  et  des  malheureux 
réfugiés. 

Notre  chef  faisait  dire  à  Guatemuz  de  vouloir  bien  considérer  que 
déjà  il  lui  avait  témoigné  trois  ou  quatre  fois  le  même  désir,  tandis 
que  lui,  cédant  aux  inspirations  de  sa  jeunesse  et  aux  conseils  de  son 
entourage,  obéissant  surtout  à  ses  maudites  idoles  et  aux  papes  qui 
le  poussaient  au  mal,  il  s'était  refusé  à  venir  à  nous  et  avait  préféré 
continuer  la  guerre.  Déjà  il  avait  pu  voir  le  nombre  considérable  de 
morts  que  les  batailles  avaient  causées  parmi  ses  guerriers;  nous 
avions  pour  nous  toutes  les  villes  et  les  villages  des  environs,  et  ré- 
cemment d'autres  encore  s'étaient  prononcés  contre  la  capitale.  Notre 
général  priait  en  grâce  les  Mexicains  de  prendre  enfin  en  pitié  la 
perte  de  leur  grande  ville  et  de  tant  de  vassaux.  Les  messagers  de- 
vaient ajouter  que  les  provisions  des  assiégés  étaient  déjà  finies, 
qu'ils  n'avaient  point  d'eau  et  que  Cortès  ne  l'ignorait  nullement. 
Notre  chef  dit  encore  bien  d'autres  choses  parfaitement  senties.  Nos 
interprètes  les  firent  très-bien  comprendre  aux  trois  notables,  qui  de- 
mandèrent à  être  porteurs  d'une  lettre  de  Cortès,  Ce  n'est  pas  qu'on 


DE  LA  NOUVELLE-ESPAGNE.  521 

la  pût  comprendre,  mais  il  était  Lien  enlendu  que  lorsque  nous  en- 
voyions quelque  message,  un  papier  semblable  à  ceux  que  les  Mexi- 
cains appellent  amatles  était  pour  eux  un  signe  de  valeur  authen- 
tique. 

En  se  présentant  devant  leur  seigneur  Guatemuz,  les  trois  messa- 
gers se  prirent  à  pousser  des  soupirs  et  à  verser  des  larmes  en  lui 
expliquant  ce  que  Gortès  lui  faisait  dire.  Le  prince  et  les  capitaines 
qui  étaient  avec  lui  en  parurent  d'abord  irrités  et  traitèrent  d'imper- 
tinente hardiesse  la  conduite  des  ambassadeurs.  C'est  le  moment  de 
dire  que  Guatemuz  était  un  vrai  gentilhomme.  Il  était  jeune  et  son 
corps  gardait  les  proportions  les  plus  élégantes  ;  son  visage  avait  une 
expression  agréable  ;  son  teint  était  plutôt  blanc  que  de  la  couleur  de 
sa  race;  il  avait  environ  vingt-trois  ans  et  était  marié  avec  une  très- 
belle  jeune  femme,  fille  du  grand  Montezuma  son  oncle.  Nous  avons 
su  plus  tard  que  ce  prince  eut  d'abord  la  pensée  de  faire  la  paix  et 
qu'il  ouvrit  un  conseil  à  ce  sujet  avec  tous  ses  capitaines  et  les  princi- 
paux papes  des  idoles.  Il  leur  dit  que  son  désir  était  de  ne  plus  être 
en  guerre  avec  Malinche  et  nous  tous.  Les  raisons  qu'il  leur  en  don- 
nait étaient  qu'ils  avaient  déjà  mis  en  pratique  tout  ce  que  l'art  delà 
guerre  peut  inspirer,  ayant  recours  à  un  nombre  infini  de  moyens 
d'attaque,  mais  que  nous  sommes  d'une  telle  nature  qu'au  moment 
où  ils  nous  croyaient  définitivement  vaincus,  nous  retombions  sur  eux 
avec  plus  de  vigueur  ;  qu'ils  savaient  actuellement  de  combien  d'élé- 
ments de  force  nous  nous  étions  accrus  par  l'arrivée  de  nouveaux  al- 
liés ;  que  toutes  les  villes  leur  étaient  contraires;  que  les  brigantins 
avaient  appris  à  briser  les  estacades  et  qu'enfin  nos  chevaux  pou- 
vaient courir  à  bride  abattue  dans  les  rues  de  la  ville.  Il  fit  au  surplus 
la  peinture  de  la  pénurie  où  ils  étaient  en  fait  d'eau  et  de  vivres,  et  il 
pria,  il  ordonna  même  que  chacun  donnât  son  avis,  que  les  papes 
eux-mêmes  se  prononçassent  et  n'hésitassent  pas  à  révéler  ce 
qu'ils  avaient  entendu  dire  à  leurs  dieux  Huichilobos  et  Tezcale- 
puca.  Il  finit  en  disant  que  nulle  crainte  ne  devait  empêcher  qu'aucun 
d'eux  expliquât  ses  sentiments  avec  la  plus  grande  sincérité. 

Il  paraît  qu'il  lui  fut  répondu  :  «  Seigneur  et  grand  seigneur,  tu  es 
notre  seigneur  et  roi,  et  la  royauté  te  sied  à  merveille,  puisque  tu  t'es 
montré  homme  de  caractère  en  toutes  choses,  et  que  d'ailleurs  cette 
royauté  t'appartient  par  droit  de  naissance.  La  paix  dont  tu  parles 
est  sans  doute  chose  désirable;  mais  penses-y  bien  :  depuis  que  ces 
leules  sont  entrés  dans  notre  pays  et  dans  cette  ville,  tout  a  marché 
pour  nous  de  mal  en  pis.  Veuille  bien  considérer  le  résultat  des  dons 
et  services  dont  notre  seigneur,  ton  oncle,  le  grand  Montezuma,  fut 
prodigue  envers  eux.  Considère  également  ce  qui  advint  à  ton  cousin 
Cacamatzin,  roi  de  Tezcuco,  non  moins  qu'à  tes  autres  parents  les 
seigneurs  d'Izlapalapa,  de  Cuyoacan,  deTacuba  et  de  Talatzingo.  Que 


522  CONQUÊTE 

sont-ils  devenus?  Quant  aux  fils  de  notre  grand  seigneur  Monte- 
zuma,  ils  sont  tous  morts.  En  fait  d'or  et  de  richesses  de  cette  ville, 
rien  ne  nous  est  resté.  Tous  tes  sujets,  tes  vassaux  de  Tepeaca,  de 
Chalco,  de  Tezcuco  même,  ainsi  que  de  tant  d'autres  villes  et  vil- 
lages.... tu  vois  qu'il  en  a  fait  des  esclaves  et  qu'il  les  a  marqués  au 
visage.  Mais,  avant  toute  chose,  considère  ce  que  nos  dieux  t'ont 
promis;  c'est  là-dessus  que  tu  dois  te  guider,  au  lieu  de  mettre  ta 
confiance  en  Malinche  et  en  ses  paroles.  Certainement,  mieux  vaut 
pour  nous  mourir  tous  en  combattant  dans  notre  capitale  que  de 
nous  voir  tomber  aux  mains  de  qui  nous  rendra  esclaves  et  nous  fera 
souffrir  mille  tortures.  »  Les  papes  à  leur  tour  lui  assurèrent  que  les 
dieux  leur  avaient  promis  la  victoire,  trois  nuits  auparavant,  à  l'heure 
du  sacrifice.  A  toutes  ces  raisons,  G-uatemuz  répondit  d'un  ton  un 
peu  courroucé  :  «  Vous  voulez  donc  qu'il  en  soit  ainsi?  C'est  bien, 
ménagez  le  maïs  et  toutes  les  autres  provisions  qui  nous  restent,  et 
mourons  tous  en  combattant.  Mais  que  désormais  personne  n'ait  l'au- 
dace de  me  parler  de  paix;  si  quelqu'un  l'osait,  je  le  ferais  mettre  à 
mort.  »  Là-dessus,  tous  promirent  de  combattre  de  jour  comme  de 
nuit  et  de  mourir  pour  la  défense  de  la  ville.  A  la  suite  de  ce  conseil, 
ils  firent  un  accord  avec  les  habitants  de  Suchimilco  et  de  quelques 
villages  qui  s'engagèrent  à  introduire  de  l'eau  au  moyen  d'embarca- 
tions pendant  la  nuit.  On  creusa  d'ailleurs  de  nouveaux  puits  en  des 
points  où  il  était  possible  d'obtenir  de  l'eau;  mais  elle  avait  toujours 
un  goût  saumâtre. 

Nous  cesserons  de  parler  des  conseils  tenus  par  les  assiégés,  pour 
dire  que  Cortès  et  nous  tous  fîmes  trêve  pendant  deux  jours  à  nos 
attaques  sur  la  ville,  en  attendant  la  réponse  à  notre  message.  Or,  au 
moment  où  nous  y  pensions  le  moins,  de  nombreux  bataillons  mexi- 
cains tombèrent  sur  nos  trois  quartiers,  nous  attaquant  avec  une 
telle  vigueur  qu'on  aurait  dit  des  lions  furieux  acharnés  sur  nos  per- 
sonnes. Certainement  aucun  d'eux  ne  doutait  que  nous  ne  fussions 
vaincus.  Je  parle  ici  de  nous  qui  nous  trouvions  former  le  quartier 
de  Pedro  de  Alvarado.  Quant  à  Cortès  et  à  Sandoval,  nous  sûmes 
qu'on  les  avait  harcelés  également  et  qu'ils  eurent  beaucoup  de  mal 
à  se  défendre,  bien  qu'ils  fissent  à  l'ennemi  plus  de  morts  et  de  bles- 
sés qu'ils  n'en  avaient  eux-mêmes.  Tout  à  coup,  au  milieu  des  com- 
bats, se  fit  entendre  le  cor  de  Guatemuz  et  il  fallut  mettre  tous  nos 
soins  à  éviter  d'être  rompus.  J'ai  déjà  dit  en  effet  que  les  Mexicains 
donnaient  alors  tête  baissée  sur  nos  épées  et  nos  lances,  cherchant  à 
s'emparer  de  nos  personnes  ;  mais,  comme  nous  étions  habitués  à 
toutes  sortes  de  rencontres  et  à  recevoir  des  blessures  et  même  la 
mort  de  la  main  de  nos  ennemis,  nous  osions  décidément  les  attendre 
de  pied  ferme. 

Ils  nous  livrèrent  pendant  six  ou  sept  jours  ces  mêmes  combats 


DE  LA  NOUVELLE-ESPAGNE.  523 

dans  lesquels  nous  en  blessions  et  tuïons  un  grand  nombre  ;  mais 
ils  ne  reculaient  pas  pour  cela,  car  ils  ne  faisaient  aucun  cas  de  la 
mort.  Je  me  rappelle  qu'ils  disaient  :  «  A  quoi  pense  donc  Malinche, 
quand  il  nous  propose  chaque  jour  la  paix?  Ne  sait-il  pas  que  nos 
idoles  nous  ont  promis  la  victoire,  que  nous  avons  des  provisions 
plus  qu'il  n'en  faut  et  qu'aucun  de  vous  ne  conservera  la  vie?  Donc, 
qu'on  ne  parle  plus  de  paix;  les  paroles  sont  bonnes  pour  les  fem- 
mes; aux  hommes  il  ne  faut  que  des  armes!  »  Ce  disant,  ils  tom- 
baient sur  nous  de  nouveau  comme  des  chiens  enragés,  frappant  et 
parlant  tout  à  la  fois;  le  jour  se  passait  ainsi  en  combats  incessants 
jusqu'à  ce  que  la  nuit  vînt  nous  séparer.  Alors,  ainsi  que  je  l'ai  dit, 
nous  revenions  sur  nos  pas  dans  le  plus  grand  ordre,  parce  que  de 
gros  bataillons  se  précipitaient  sur  nous  en  nous  suivant.  Il  nous 
fallait  faire  évacuer  la  chaussée  par  nos  alliés  qui  étaient  revenus  plus 
nombreux  qu'auparavant.  Nous  regagnions  nos  pauvres  abris  où  tous 
ensemble  nous  recommencions  la  garde  de  nuit,  mangeant,  en  fai- 
sant la  veille,  notre  misérable  et  maigre  souper  que  j'ai  déjà  décrit 
plusieurs  fois,  pour  recommencer  les  combats  au  lever  du  jour,  sans 
qu'on  nous  donnât  davantage  le  temps  de  respirer.  C'est  ainsi  que 
nous  passâmes  encore  plusieurs  journées. 

Nous  en  étions  là  lorsqu'il  nous  survint  une  autre  affaire.  Il  fut 
fait  une  alliance  entre  les  trois  provinces  de  Mataltzingo,  Malinalco 
et  d'autres  peuplades  dont  je  ne  sais  plus  les  noms,  qui  se  trouvaient 
à  environ  huit  lieues  de  Mexico,  dans  le  but  de  tomber  sur  nos  der- 
rières, tandis  que  nous  serions  occupés  à  combattre  avec  les  Mexi- 
cains. Il  était  convenu  qu'alors  ils  nous  étreindraient  de  part  et  d'au- 
tre et  nous  mettraient  en  désordre.  Des  pourparlers  s'engagèrent  à 
ce  sujet  dans  nos  campements,  et  ce  qui  fut  résolu,  je  le  vais  dire  à 
la  suite. 


CHAPITRE  CLV 


Comme  quoi  Gonzalo  de  Sandoval  marcha  contre  les  provinces  qui  voulaient  porter 

secours  à  Guatemuz. 

Pour  que  l'on  comprenne  bien  ce  que  je  vais  conter,  il  est  indis- 
pensable de  revenir  un  peu  sur  les  événements  qui  suivirent  la  dé- 
route de  Gortès,  lorsqu'on  lui  prit  pour  les  sacrifier  soixante  et  tant 
de  soldats.  Je  puis  bien  dire  aujourd'hui  soixante-deux,  puisque, 
tout  compte  fait,  ce  chiffre  a  été  reconnu  le  véritable.  J'ai  dit  que 
Guatemuz  envoya  à  Mataltzingo,  à  Malinalco  et  à  beaucoup  d'autres 
villages  les  têtes  de  nos  chevaux,  ainsi  que  les  peaux  des  figures 
écorchées,  les  pieds  et  les  mains  de. nos  soldats  qui  avaient  péri  dans 


524  CONQUÊTE 

les  sacrifices.  Il  leur  fit  dire  que  la  moitié  de  nos  hommes  étaient 
morts,  et  pour  en  finir  avec  nous  il  les  priait  de  venir  à  son  aide, 
dans  le  but  de  nous  occuper  jour  et  nuit  à  des  combats  qui  nous  obli- 
geraient à  leur  faire  face  pour  nous  défendre.  Or,  tandis  que  nous 
combattrions  ainsi,  les  forces  mexicaines  sortiraient  de  la  capitale 
pour  nous  attaquer  d'un  autre  côté.  La  victoire  ne  pouvait  être  dou- 
teuse et  Gruatemuz  promettait  à  ses  nouveaux  alliés  qu'ils  s'empare- 
raient de  plusieurs  de  nous  pour  les  sacrifier  à  leurs  idoles  et  se  ras- 
sasier de  nos  corps.  La  chose  fut  présentée  de  telle  manière  que  l'on 
y  ajouta  une  foi  entière.  D'ailleurs  Gruatemuz  avait  à  Mataltzingo 
beaucoup  de  parents  du  côté  de  sa  mère.  Aussitôt  qu'ils  eurent  vu 
les  têtes  et  les  peaux  de  visages  dont  j'ai  parlé,  et  qu'ils  se  furent  pé- 
nétrés de  ce  qu'on  leur  envoyait  dire,  ils  se  mirent  en  mesure  de 
réunir  toutes  leurs  forces  et  de  voler  au  secours  de  Mexico  et  de  son 
roi.  Ils  étaient  déjà  en  marche  contre  nous  lorsqu'en  route  ils  tom- 
bèrent sur  trois  villages,  pillèrent  les  établissements  et  enlevèrent 
plusieurs  enfants  pour  les  sacrifier.  Ces  peuplades  le  firent  savoir  à 
Cortès,  lui  demandant  secours  et  protection.  En  apprenant  cette  nou- 
velle, notre  général  fit  partir  Andrès  de  Tapia  avec  vingt  cavaliers, 
cent  soldats  et  un  grand  nombre  d'alliés.  Ce  secours  fut  efficace,  car 
Tapia  fit  reculer  l'ennemi  jusqu'au  pays  de  son  origine,  après  lui  avoir 
causé  de  sérieux  dommages,  et  il  revint  au  camp,  où  Cortès  en  éprouva 
la  plus  grande  joie. 

En  ce  même  temps  des  messagers  vinrent  de  Cuernavaca,  deman- 
dant secours  contre  les  guerriers  de  Mataltzingo,  de  Malinalco  et 
d'autres  provinces,  qui  venaient  contre  leur  ville.  Cortès,  pour  ce 
cas,  choisit  Gronzalo  de  Sandoval  et  l'envoya  avec  vingt  cavaliers, 
quatre-vingts  soldats  des  plus  valides,  choisis  dans  les  trois  quar- 
tiers, et  un  grand  nombre  d'alliés.  Dieu  sait  en  quel  état  nous  res- 
tions alors,  courant  les  plus  grands  risques  pour  nos  vies,  car  nous 
étions  la  plupart  grièvement  blessés  et  nous  n'avions  aucune  bonne 
provision  pour  nous  soutenir.  Il  y  aurait  certainement  beaucoup  à 
dire  au  sujet  de  la  conduite  de  Sandoval  dans  cette  campagne  termi- 
née par  la  déroute  de  l'ennemi;  je  n'en  parlerai  pas,  pour  ne  point 
en  allonger  mon  récit.  Ce  capitaine,  du  reste,  se  hâta  de  revenir  pour 
appuyer  sa  division.  Il  ramena  avec  lui  deux  notables  de  Matal- 
tzingo, après  avoir  laissé  cette  province  plus  désireuse  de  paix  que  de 
guerre.  Cette  campagne  fut  très-utile  parce  que  d'un  côté  elle  eut 
pour  conséquence  qu'il  ne  fut  plus  fait  de  dommage  aux  villages  de 
nos  alliés,  et  d'autre  part,  en  empêchant  que  ce  nouvel  ennemi  con- 
tinuât sa  marche  sur  nous,  elle  eut  pour  effet  de  faire  voir  à  Gua- 
temuz  et  à  ses  capitaines  qu'ils  n'avaient  à  attendre  aucun  secours 
de  ces  provinces.  On  mettait  ainsi  fin  à  cette  menace  que  les  Mexi- 
cains nous  faisaient  toujours  en  combattant  ;   qu'ils  nous  massacre- 


DE  LA  NOUVELLE-ESPAGNE.  525 

raient  certainement,  à  l'aide  des  guerriers  de  Mataltzingo  et  d'autres 
provinces   conformément  à  la  promesse  de  leurs  dieux. 

Terminons-en  avec  l'expédition  de  Sandoval,  pour  dire  comme 
quoi  Cortès  fit  de  nouveau  proposer  la  paix  à  Guatemuz,  promettant 
de  lui  pardonner  le  passé.  Il  lui  faisait  dire  qu'il  avait  reçu  nouvelle- 
ment, du  Roi  notre  seigneur,  l'ordre  de  ne  point  continuer  à  détruire 
là  capitale  et  de  ne  plus  ravager  le  pays  ;  aussi  avait-il  suspendu  les 
hostilités  et  ne  s'était-il  livré  à  aucune  attaque  dans  les  cinq  jours 
qui  venaient  de  finir.  Notre  chef  faisait  observera  Guatemuz  que  la 
ville  n'avait  plus  ni  eau  ni  vivres  d'aucune  sorte  ;  que  plus  de  la  moitié 
en  était  rasée;  que,  quant  au  secours  qu'il  attendait  de  Mataltzingo, 
les  deux  notables  venus  de  cette  province  pourraient  raconter  ce  qui 
était  arrivé  en  route  aux  troupes  envoyées.  Cortès  faisait  faire  en 
outre  les  plus  grandes  promesses  à  Guatemuz  par  ces  mêmes  messa- 
gers indiens  venus  de  Mataltzingo  qui  devaient  en  même  temps  lui 
donner  la  nouvelle  de  ce  qui  s'était  passé.  Guatemuz  se  refusa  à 
répondre,  se  bornant  à  leur  ordonner  de  retourner  dans  leur  pays,  et 
il  les  fit  partir  immédiatement. 

Après  leur  départ,  les  guerriers  mexicains  sortirent  de  la  ville  par 
trois  points  différents,  avec  plus  de  furie  que  jamais,  et  se  précipitè- 
rent en  même  temps  sur  nos  trois  divisions  en  nous  portant  les  plus 
rudes  coups.  Nos  armes  en  blessaient  et  en  tuaient  un  grand  nombre, 
mais  on  eût  dit  qu'ils  n'avaient  pas  d'autre  désir  que  de  mourir  en 
combattant.  C'est  alors  qu'au  plus  fort  de  la  mêlée  ils  nous  disaient  : 
Tenitoz  Rey  Castilla  ?  lenitoz  axaca  ?  ce  qui  veut  dire  en  leur  lan  - 
gue  :  «  Que  dira  le  Roi  de  Castille?  que  dira-t-il  maintenant?  »  Et 
là-dessus  une  pluie  de  pieux,  de  pierres  et  de  flèches  qui  couvraient  le 
sol  et  la  chaussée. 

Tout  cela  ne  nous  empêchait  pas  de  nous  emparer  peu  à  peu  de  la 
plus  grande  partie  de  la  ville.  Nous  remarquions  d'ailleurs  que,  sans 
cesser  de  combattre  avec  vigueur,  nos  adversaires  ne  relevaient  plus 
leurs  bataillons  aussi  fréquemment  que  d'habitude  et  qu'en  outre  ils 
ne  creusaient  plus  de  tranchées  ni  ne  consolidaient  aucune  de  leurs 
chaussées.  La  seule  chose  qui  ne  témoignât  en  eux  aucune  défaillance, 
c'était  leur  poursuite  quand  nous  revenions  sur  nos  pas;  ils  y  met- 
taient une  telle  ardeur  qu'ils  en  arrivaient  toujours  à  porter  la  main 
sur  nos  personnes.  Malheureusement  nos  poudres  s'étaient  épuisées 
dans  les  trois  campements;  mais  un  navire  venait  d'arriver  à  la  "\  il  la 
Rica.  Il  avait  appartenu  à  une  flottille  du  licencié  Lucas  Vasqucz  de 
Aillonqui  se  perdit  et  fut  déroutée  dans  les  îles  de  la  Floride.  Ce  sur- 
vivant du  désastre  arriva  donc  à  notre  port,  apportant  quelques  soldats, 
de  la  poudre,  des  arbalètes  et  différents  autres  objets.  Le  lieutenant 
Rodrigo  Rangel,  qui  était  resté  à  la  Villa  Rica  pour  garder  Narvaez, 
se  hâta  d'envoyer  à  Cortès  les  soldats,  la  poudre  et  les  arbalètes. 


526  CONQUÊTE 

Revenons  aux  travaux  du  siège.  Notre  général,  d'accord  avec  ses 
capitaines  et  soldats,  donna  l'ordre  de  pousser  l'assaut  jusqu'au 
Tatelulco,  c'est-à-dire  la  vaste  place  où  s'élevaient  le  grand  temple 
et  les  oratoires.  En  conséquence  Cortès,  Sandoval  et  nous-mêmes, 
chacun  de  son  côté,  nous  continuions  à  nous  emparer  de  ponts  et  de 
barricades.  Notre  chef  s'avança  jusqu'à  une  petite  place  où  se  trou- 
vaient d'autres  oratoires;  on  y  voyait  une  série  de  poutres  d'où  pen- 
daient les  têtes  de  plusieurs  de  nos  soldats  tués  dans  les  déroutes 
précédentes.  Nous  remarquâmes  que  leurs  cheveux  et  leurs  barbes 
étaient  plus  longs  que  pendant  leur  vie;  je  ne  l'aurais  pas  cru  si  je 
ne  l'avais  vu  moi-même  trois  jours  après;  car,  comme  notre  division 
s'empara  de  deux  tranchées,  nous  avançâmes  jusque-là,  je  les  vis  et 
je  reconnus  moi-même  trois  soldats  qui  avaient  été  mes  camarades. 
A  ce  spectacle  nos  yeux  se  mouillèrent  de  larmes.  Pour  le  moment 
nous  laissâmes  là  ces  tristes  restes;  mais,  douze  jours  plus  tard,  les 
têtes  furent  enlevées  et  nous  les  enterrâmes  avec  d'autres ,  qu'on 
avait  offertes  aux  idoles,  dans  une  église  que  nous  construisîmes  et 
qu'on  appelle  actuellement  l'église  des  Martyrs.  Quoi  qu'il  en  soit, 
la  division  de  Pedro  de  Alvarado,  combattant  sans  cesse,  arriva  au 
Tatelulco.  Il  y  avait  tant  de  Mexicains  réunis  là  pour  la  garde  de 
leurs  idoles  et  de  leurs  temples;  ils  y  avaient  accumulé  tant  de  tra- 
vaux de  défense,  qu'il  nous  fallut  au  moins  deux  heures  pour  les 
enlever.  Nos  chevaux  pouvaient  d'ailleurs  courir  en  tous  sens;  ils 
furent  presque  tous  atteints  de  blessures,  mais  ils  nous  rendirent  de 
grands  services  et  leurs  cavaliers  blessèrent  de  leurs  lances  beaucoup 
d'ennemis. 

Comme  les  Indiens  formaient  trois  groupes  principaux,  nos  trois 
compagnies  se  séparèrent  pour  les  aller  combattre.  L'une  d'elles, 
commandée  par  Gutierrez  de  Badajoz,  reçut  de  Pedro  de  Alvarado 
l'ordre  de  monter  au  temple  de  Huichilobos;  elle  y  combattit  vail- 
lamment contre  les  guerriers  et  les  nombreux  papes  qui  se  trouvaient 
dans  les  oratoires.  Mais  la  résistance  fut  si  acharnée  que  le  capitaine 
Gutierrez  fut  obligé  de  reculer,  et  il  descendait  déjà  les  escaliers  du 
temple,  lorsque  Pedro  de  Alvarado  nous  donna  l'ordre  d'abandonner 
notre  propre  champ  de  bataille  pour  voler  à  son  secours.  Or  les 
bataillons  avec  lesquels  nous  étions  aux  prises  se  mirent  à  nous 
poursuivre  pendant  que  nous  franchissions  les  degrés  du  temple.  Il 
y  aurait  beaucoup  à  dire  ici  au  sujet  des  difficultés  que  nous  rencon- 
trâmes les  uns  et  les  autres  pour  enlever  à  l'ennemi  ces  fortes  posi- 
tions dont  j'ai  déjà  mentionné  l'élévation  considérable.  Nous  eûmes  à 
soutenir  là  des  combats  où  nous  fûmes  tous  grièvement  blessés.  Gela 
ne  nous  empêcha  pas  de  mettre  le  feu  à  leurs  idoles  et  d'arborer  nos 
drapeaux  sur  ces  hauteurs,  en  continuant  à  nous  battre  sur  la  terrasse 
où  régnait  l'incendie,  toujours  entourés  d'un  si  grand  nombre  d'en- 


DE  LA  NOUVELLE-ESPAGNE.  527 

nemis  qu'il  nous  paraissait  impossible  de  nous  maintenir.  La  nuit 
nous  surprit  au  milieu  de  ces  dangers. 

Tendant  ce  temps,  Gortès  et  ses  capitaines  poursuivaient  leurs  opé- 
rations dans  d'autres  faubourgs  et  dans  des   rues  très-éloignées  du 
grand  temple.  En  voyant  les  flammes  qui  le  consumaient  et  nos  dra- 
peaux arborés  sur  ces  hauteurs,  notre  général  ressentit  une  grande 
joie;  ses  hommes  et  lui-même  auraient  bien  voulu  se  trouver  avec 
nous,  mais  cela  ne  leur  était  pas  possible  :  nous  étions  séparés  par 
un  quart  de  lieue  de  distance,  par  des  ponts  et  des  tranchées    dont 
on  n'était  point  encore  maître.  D'ailleurs  l'ennemi   combattait  vail- 
lamment  dans  l'endroit    où  Gortès   se  trouvait,  ce  qui   l'empêchait 
d'arriver  au  cœur  de  la  ville  aussi  vite  qu'il  l'eût  désiré.  Mais,  quatre 
jours  plus  tard,  Gortès  et  Sandoval  lui-même  parvinrent  à  faire  leur 
jonction  avec  nous.  Ils  établirent  leurs  logements  de  manière  que 
nous  pouvions  communiquer  ensemble  et  aller  d'un  quartier  à  l'autre 
à  travers  les  ruines  des  maisons  détruites,  tandis  que  les  ponts  et 
les  barricades  avaient  été  rasés  et  les  fossés  remplis  de  toutes  parts. 
Il  fallut  alors  que  Guatemuz  et  ses  guerriers  se  repliassent  dans  la 
partie  de  la  ville  dont  les  maisons  étaient  construites  dans  l'eau,  car 
les  palais  qui  formaient  sa  résidence  étaient  déjà  démolis.   Malgré 
tout,  les  Mexicains  continuaient  leurs  sorties  contre  nous,  et  lorsqu'a- 
près  les  avoir  poursuivis  nous  revenions  sur  nos  pas  selon  notre  habi- 
tude, ils  nous  harcelaient  plus  encore  qu'auparavant. 

Cependant,  les  jours  s'écoulaient  et  l'ennemi  ne  parlait  nullement 
de  se  rendre.  Gortès  résolut  alors  de  lui  tendre  des  pièges;  voici  com- 
ment il  s'y  prit.  Il  choisit  dans  les  trois  divisions  de  quoi  réunir  trente 
cavaliers   et  cent  soldats  des  plus  agiles  et  des  plus  résolus;  il  leur 
adjoignit  mille  Tlascaltèques  pris  aussi  dans  les  trois  quartiers.  Nous 
nous  cachâmes  un  matin  de  fort  bonne  heure  dans  de  vastes  bâtiments 
qui  avaient  appartenu  à  un  grand  seigneur  mexicain.  Gela  fait,  Gortès 
s'avança  selon  son  habitude  dans  les  rues  et  sur  les  chaussées  avec  le 
restant  des  cavaliers  et  des  soldats,  ainsi  que  les  arbalétriers  et  les 
gens  d'escopette.  Quand  il  fut  arrivé  à  une  tranchée  recouverte  d'un 
pont  et  que  le  combat  s'engagea  avec  les  bataillons  ennemis  rassem- 
blés là  pour  la  défense  et  secourus  par  d'autres  forces  que  Guatemuz 
envoyait  pour  garder  le  pont,  Gortès,  s'étant  assuré  que  le  nombre 
des  ennemis  était  considérable,  fit  semblant  de  commencer  la  retraite 
et  de  faire,  dans  ce  but,  évacuer  la  chaussée  encombrée  d'alliés,  afin 
de  mieux  persuader  aux  Mexicains  qu'il  revenait  en  effet  sur  ses  pas. 
Tout  d'abord  on  ne  le  poursuivait  guère,  mais  enfin  l'ennemi,  voyant 
Gortès  en  fuite,  se  précipite  sur  lui  en   combattant  avec   toutes  les 
forces  qu'on  avait  réunies  en  ce  lieu.  Lorsque  notre  général  s'aperçoit 
que  les  Mexicains  ont  dépassé  les  maisons  où  le  piège  est  tendu,  il 
fait   tirer  deux  coups  d'arquebuse;  c'était  le  signal  convenu   pour 


528  CONQUÊTE 

sortir  de  l'embuscade.  Les  cavaliers  se  précipitent  les  premiers,  les 
soldats  ensuite  et  tous  ensemble  nous  tombons  sur  eux  et  nous  nous 
en  donnons  à  cœur  joie.  Cortès,  d'autre  part,  revient  sur  ses  pas  ;  les 
Tlascaltèques  opèrent  de  leur  côté  et  alors  commence  une  vraie'  bou- 
cherie. On  en  tua  et  blessa  tellement  que  désormais  ils  n'osèrent  plus 
nous  suivre  dans  nos  retraites.  Pedro  de  Alvarado  leur  dressa  également 
une  embuscade;  je  ne  m'y  trouvai  pas,  parce  que  Gortès  m'avait  re- 
tenu pour  prendre  part  à  la  sienne. 

Nous  dirons  maintenant  comme  quoi  notre  général  ordonna  à  nos 
trois  compagnies  de  rester  dans  le  Tatelulco  en  s'y  tenant  bien  sur 
leurs  gardes,  donnant  pour  raison  que  nous  avions  plus  d'une  demi- 
lieue  à  faire  pour  arriver  à  l'endroit  où  l'on  pouvait  maintenant  ren- 
contrer l'ennemi.  Trois  jours  se  passèrent  sans  rien  faire  qui  mérite 
d'être  conté,  car  notre  général  avait  fait  cesser  les  attaques  sur  la  ville 
et  la  destruction  des  maisons,  dans  le  but  d'inviter  de  nouveau  les 
Mexicains  à  se  rendre.  Ce  fut  donc  pendant  notre  séjour  au  Tatelulco 
que  Gortès  envoya  encore  proposer  la  paix  à  Gruatemuz,  l'engageant  à 
ne  pas  se  méfier  de  nous  et  lui  promettant  d'honorer  sa  personne  et 
de  l'entourer  de  respect,  ajoutant  qu'il  continuerait  à  régner  sur 
Mexico,  sur  ses  territoires  et  sur  ses  villes  comme  par  le  passé.  Il 
envoyait  en  présent  des  vivres  et  des  friandises,  des  tortillas,  des 
poules,  des  cerises1,  des  figues  de  Barbarie  et  du  gibier,  tout  ce  qu'on 
avait  enfin.  G-uatemuz  réunit  ses  capitaines  en  conseil.  On  résolut  de 
répondre  qu'on  se  décidait  à  la  paix,  qu'on  attendrait  trois  jours, 
après  lesquels  Gortès  et  le  roi  auraient  une  entrevue  pour  établir  les 
préliminaires  d'un  accord.  Mais  la  vérité  fut  que  les  Mexicains 
devaient  employer  ces  trois  jours  à  relever  les  ponts,  à  creuser  des 
fossés,  à  faire  provision  de  pierres,  de  pieux  et  de  flèches  et  à  élever 
des  barricades.  Guatemuz  envoya  quatre  notables  pour  porter  sa 
réponse.  Nous  Crûmes  tous  que  ses  résolutions  étaient  sincères.  Gortès 
fit  servir  abondamment  à  boire  et  à  manger  aux  messagers  et  les  ren- 
voya porteurs  des  mêmes  provisions  qu'il  avait  déjà  données  en  pré- 
sent. Guatemuz  de  son  côté  fit  repartir  des  émissaires  pour  offrir  à 
notre  général  deux  pièces  de  riches  étoffes,  avec  ordre  de  donner  l'as- 
surance que  le  monarque  viendrait  après  le  délai  convenu. 

Or,  pour  en  finir  à  ce  propos,  nous  dirons  qu'il  ne  pensa  jamais  à 
venir  au  rendez-vous,  parce  qu'on  lui  donnait  le  conseil  de  ne  point 
ajouter  foi  aux  paroles  de  notre  général,  lui  mettant  devant  les  yeux 
la  triste  fin  du  grand  Montczuma  et  de  ses  parents,  ainsi  que  le  mas- 
sacre de  tout  ce  qu'il  y  avait  de  plus  noble  parmi  les  Mexicains.  On 

1.  L'auteur  dit  bien  cerezas  (cerises);  il  n'y  en  avait  cependant  point  dans  ce  pays. 
Je  ne  saurais  dire  quel  est  le  fruit  qu'il  prétend  désigner,  à  moins  que  ce  ne  soit 
celui-là  même  qu'il  a  déjà  appelé  prunes  [ciruelas),  et  que  nous  avons  dit  être  le  fruit 
du  Prunus  capulin. 


DE  LA  NOUVELLE-ESPAGNE.  529 

l'engageait  à  faire  dire  qu'il  était  malade  et  à  lancer  sur  nous  tous 
ses  guerriers,  avec  l'espoir  qu'il  plairait  enfin  aux  dieux  de  leur  don- 
ner la  victoire,  après  l'avoir  tant  de  fois  promise.  Gomme  d'ailleurs 
nous  attendions  (juatemuz  et  qu'il  ne  venait  pas,  il  fallut  bien  se  con- 
vaincre qu'il  nous  avait  joués,  d'autant  plus  qu'au  même  moment  les 
bataillons  mexicains  tombèrent  sur  Cortès,  enseignes  déployées,  avec 
tant  d'entrain  qu'il  avait  peine  à  se  soutenir  contre  eux.  La  même 
chose  se  passa  dans  le  camp  de  Sandoval  et  dans  le  nôtre,  et  ce  fut 
avec  une  telle  ardeur  de  la  part  de  l'ennemi,  qu'on  eût  dit  que  la 
guerre  venait  de  recommencer.  Gomme  au  surplus  notre  confiance  en 
la  paix  avait  amené  chez  nous  quelque  négligence,  plusieurs  de  nos 
soldats  furent  atteints  et  trois  si  grièvement  blessés  que  l'un  d'eux  en 
mourut.  L'ennemi  nous  tua  deux  chevaux  et  en  blessa  plusieurs  autres. 
Les  Mexicains  n'eurent  guère  le  temps  de  se  réjouir  de  leur  succès 
et  il  le  payèrent  bien  cher,  car  Gortès  donna  l'ordre  de  recommencer 
nos  attaques  et  d'entreprendre  l'assaut  de  la  partie  de  la  ville  où  ils 
s'étaient  réfugiés.  Mais,  voyant  que  décidément  nous  nou?  emparions 
peu  à  peu  de  la  ville  entière,  Gruatemuz  fit  dire  à  Gortès  qu'il  voulait 
parler  avec  lui  sur  une  de  leurs  tranchées,  notre  général  se  tenant  sur 
un  bord,  tandis  que  lui,  Gruatemuz,  se  tiendrait  de  l'autre  côté.  On 
fixa  pour  cette  entrevue  la  matinée  du  lendemain.  Gortès  s'y  rendit 
pour  s'entretenir  avec  le  roi;  mais  celui-ci  refusa  de  venir.  Il  se 
borna  à  envoyer  plusieurs  notables  pour  dire  qu'il  ne  se  hasardait  pas 
à  se  présenter,  craignant  que  pendant  les  pourparlers  on  ne  le  tuât  à 
coups  d'arbalètes  et  d'espingoles.  Gortès  eut  beau  faire  serment  qu'il 
ne  leur  causerait  aucun  ennui,  il  ne  réussit  pas  à  s'en  faire  croire.  Ge 
fut  dans  cette  entrevue  que  deux  des  notables  tirèrent  d'une  besace 
dont  ils  étaient  porteurs  des  tortillas,  une  cuisse  de  volaille  et  des 
cerises;  ils  s'assirent  fort  tranquillement  et  mangèrent  tout  à  l'aise 
afin  que  Gortès  le  vît  et  comprît  bien  qu'ils  n'en  étaient  pas  réduits  à 
la  disette.  Donc,  notre  général  dut  se  résoudre  à  faire  dire  à  G-uate- 
muz  que,  puisqu'il  ne  voulait  point  venir,  bien  loin  d'en  prendre 
souci,  il  se  décidait  à  pénétrer  dans  tous  leurs  édifices,  et  alors  il 
verrait  bien  s'il  était  vrai  qu'ils  eussent  encore  des  provisions  de  maïs 
et  de  poules.  Néanmoins  il  se  passa  encore  quatre  ou  cinq  jours  sans 
qu'il  y  eût  aucune  attaque. 

Ge  fut  alors  qu'un  grand  nombre  de  pauvres  Indiens  sortaient  de 
nuit,  poussés  par  la  faim,  pour  se  rendre  au  camp  de  Gortès  et  au 
nôtre.  En  présence  de  ce  spectacle,  notre  général  résolut  de  faire 
cesser,  quoi  qu'il  advînt,  les  hostilités,  dans  l'espoir  que  les  assiégés 
changeraient  enfin  de  résolution  et  se  décideraient  à  capituler.  Mais 
ils  ne  se  rendaient  pas.  Or,  il  y  avait  dans  le  camp  de  Gortès  un 
soldat,  se  disant  revenu  des  guerres  d'Italie  où  il  aurait  été  le  com- 
pagnon du  Grand  Capitaine.  Il  s'était,  disait-il,  trouvé  dans  l'échauf- 

34 


530  CONQUÊTE 

fourée  de  Garayana1  et  dans  d'autres  grandes  batailles;  il  parlait 
beaucoup  d'engins  de  guerre,  assurant  qu'il  se  ferait  fort  de  dresser 
une  catapulte  sur  le  Tatelulco  et  qu'en  tirant  avec  elle  pendant  deux 
jours  sur  la  partie  de  la  ville  où  Gruatemuz  était  réfugié,  il  l'obligerait 
certainement  à  se  rendre.  Tant  il  dit  enfin  à  ce  sujet  qu'on  lui  permit 
de  mettre  la  main  à  l'œuvre.  On  apporta  de  la  pierre,  de  la  chaux,  du 
bois,  ainsi  qu'il  le  demandait;  des  charpentiers  furent  mis  à  ses 
ordres;  on  se  procura  de  la  clouterie  et  enfin  tout  Ce  qui  était  indis- 
pensable pour  la  fabrication  de  la  catapulte.  On  fit  en  conséquence 
deux  frondes  avec  des  cordes  bien  solides;  on  apporta  des  pierres  plus 
grandes  que  des  jarres  du  poids  d'une  arroba.  Or,  la  catapulte  étant 
montée  et  armée  comme  le  soldat  l'avait  ordonné,  il  dit  qu'elle  était 
prête  et  qu'on  pouvait  s'en  servir.  On  la  chargea  d'une  pierre  arron- 
die ;  mais  ce  qui  advint  c'est  que,  le  coup  parti,  la  pierre  ne  fit  aucun 
chemin  en  avant;  elle  s'éleva  perpendiculairement  et  retomba  sur  la 
machine.  Gortès,  à  cette  vue,  fut  très-irrité  contre  le  soldat  qui  avait 
dirigé  cette  manœuvre;  il  n'était  pas  moins  fâché  contre  lui-même, 
attendu  qu'il  avait  toujours  pensé  que  cet  homme  n'entendait  rien  aux 
choses  de  la  guerre  et  aux  manœuvres  d'une  attaque,  et  qu'au  surplus 
cette  prétention  de  dire  qu'il  s'était  trouvé  dans  les  campagnes  qu'il 
mentionnait,  n'était  que  fanfaronnade  et  envie  de  parler.  Il  disait 
s'appeler  Sotelo  et  être  natif  de  Séville.  Notre  général  fit  démolir 
immédiatement  son  engin. 

Mais  laissons  ce  sujet  pour  dire  que  Gortès,  voyant  que  ce  n'était  là 
qu'une  catapulte  pour  rire,  ordonna  à  Gonzalo  de  Sandoval  de  pren- 
dre avec  lui  les  douze  brigantins  et  de  s'introduire  dans  le  quartier 
de  la  ville  où  Guateniuz  s'était  réfugié;  car,  en  cet  endroit,  il  était 
impossible  d'entrer  dans  les  maisons  ou  dans  les  palais  autrement  que 
par  eau.  Aussitôt  Sandoval  avertit  tous  les  capitaines  de  brigantins, 
et  ce  qu'il  fit,  et  la  manière  dont  tout  se  passa,  je  vais  le  dire  à  ]a  suite. 


CHAPITRE  GLVI 


Comment  on  prit  Guatemuz  2. 

Ayant  vu  que  la  catapulte  ne  servait  décidément  à  rien  qu'à  l'irriter 
contre  le  soldat   qui  en  eut   la  pensée,  comprenant  d'autre  part  que 

1.  Le  texte  espagnol  dit  :  Chirinolà  de  Garayana.  On  peut  supposer  queGarayana 
mal  écrit  est  pour  Garillano  et  que  l'auteur  veut  parler  de  la  déroute  des  Français 
battus  par  Gonzalve  de  Cordoue  sur  le  Garigliano,  le  27  décembre  K>03. 

2.  Puisqu'on  va  voir  disparaître  dans  ce  chapitre  une  des  personnalités  les  plus 
ntéressantes  de  l'histoire,  il  serait  important  de  faire  observer  que  les  dernières 


DE  LA  NOUVELLE-ESPAGNE.  531 

Gruatcmuz  et  ses  capitaines  ne  songeaient  nullement  à  se  rendre, 
Gortès  donna  à  Sandoval  l'ordre  d'entrer  avec  les  brigantins  dans  le 
quartier  de  la  ville  où  s'était  réfugié  Guatemuz  avec  la  fleur  de  ses 
capitaines,  accompagne  des  personnages  les  plus  notables  apparte- 
nant à  la  haute  noblesse  de  Mexico.  Il  lui  donna  pour  instructions 
de  ne  tuer  ni  blesser  qui  que  ce  fût,  à  moins  d'être  lui-même  attaqué, 
et,  même  en  ce  cas,  de  se  borner  à  la  défensive,  sans  faire  aucun  mal 
aux  personnages,  tout  en  continuant  à  détruire  les  maisons  et  les 
ouvrages  élevés  dans  la  lagune.  Notre  général  monta  au  haut  du  grand 
temple  pour  voir  comment  Sandoval  opérerait  son  entrée.  Il  était 
accompagné  de  Pedro  de  Alvarado,  Luis  Marin,  Francisco  de  Lugoet 
autres  soldats. 

Or,  lorsque  Sandoval  entra  avec  ses  brigantins  dans  l'endroit  où  se 
trouvait  Guatemuz,  ce  monarque,  se  voyant  investi,  craignit  décidé- 
ment d'être  pris  ou  mis  à  mort.  Il  avait  préparé  d'avance  cinquante 
grandes  pirogues  pour  le  cas  où  il  se  verrait  serré  de  trop  près,  afin 
de  fuir  avec  elles,  gagner  des  massifs  de  roseaux  et  de  là,  se  rendant 
à  terre,  se  cacher  dans  des  villages  amis;  il  avait  en  même  temps 
ordonné  à  ses  notables,  aux  personnages  qui  étaient  avec  lui  en  cette 
partie  de  la  ville  et  à  ses  capitaines  de  faire  comme  lui  dans  un  cas 
analogue.  Voyant  donc  que  nous  entrions  dans  leurs  habitations,  ils 
s'embarquent  dans  des  canoas  où  ils  avaient  déjà  d'avance  réuni  leur 
or  et  leurs  joyaux  ainsi  que  leurs  familles,  et  le  roi  prend  le  large  vers 
la  lagune,  accompagné  d'un  grand  nombre  de  capitaines  et  de  nota- 
bles. La  lagune  apparut  à  l'instant  couverte  d'embarcations  et  San- 
doval ne  tarda  pas  à  recevoir  la  nouvelle  que  Guatemuz  était  en  fuite 
avec  sa  noblesse.  Il  donna  aussitôt  aux  brigantins  l'ordre  de  cesser  la 
destruction  des  maisons  et  de  se  mettre  à  la  poursuite  des  canoas  en 
portant  toute  leur  attention  et  leur  adresse  à  connaître  par  où  Guate- 
muz faisait  route.  Il  ajouta  qu'on  ne  devait  lui  faire  absolument  aucun 
mal  ni  aucune  offense,  mais  tâcher  seulement  de  s'emparer  de  sa  per- 
sonne. Gomme  du  reste  un  certain  Garcia  Holguin,  ami  de  Sandoval, 
commandait  un  brigantin  très-fin  voilier  et  muni  de  bons  rameurs, 
Sandoval  lui  donna  l'ordre  de  se  porter  vers  le  point  par  lequel  on  lui 
avait  assuré  que  Gruatemuz  et  sa  suite  devaient  passer  avec  leurs 
grandes  pirogues.  Il  lui  recommanda,  pour  le  cas  où  il  le  pourrait 
joindre,  de  le  faire  prisonnier,  sans  offenser  aucunement  sa  personne. 

Gela  dit,  le  capitaine  Sandoval  prit  lui-même  une  autre  direction 

scènes  de  la  résistance  héroïque  de  ce  grand  homme  ont  été  imparfaitement  décrites 
par  Bernai  Diaz.  IVeseolt  en  donne  une  idée  très-juste  et  très-saisissante  dans  une 
exposition  des  plus  dramatiques.  C'est  mon  devoir  d'y  renvoyer  les  lecteurs  de  ce 
livre.  Quant  à  moi,  je  ne  saurais  ici  faire  autre  chose  que  rendre  hommage  au  cou- 
rage intrépide  et  au  caractère  vraiment  héroïque  de  Guatimozin,  dont  notre  auteur  a 
trop  singulièrement  estropié  le  nom  en  l'appelant  «  Gualemnz  ». 


532  CONQUÊTE 

avec  le  reste  des  brigantins.  Mais,  grâce  à  Dieu  Notre  Seigneur, 
Garcia  Holguin  put  atteindre  les  embarcations  où  se  trouvait  Guate- 
muz.  A  la  façon  d'une  des  pirogues,  au  luxe  des  voilures  et  des 
tentes  et  surtout  à  l'apparence  de  l'un  des  personnages,  Holguin 
reconnut  que  c'était  le  grand  roi  de  Mexico.  Il  fit  signe  d'arrêter  et, 
comme  on  s'y  refusait,  il  simula  l'intention  de  tirer  sur  les  fuyards 
avec  les  espingoles  et  les  arbalètes.  A  cette  vue,  Guatemuz,  impres- 
sionné, s'écria  :  «  Ne  tirez  pas,  je  suis  le  roi  de  Mexico  et  de  tout  ce 
pays!  Ce  que  je  te  demande,  c'est  que  tu  ne  mettes  la  main  ni  sur  ma 
femme,  ni  sur  mes  enfants,  ni  sur  aucune  autre  dame  ou  chose 
quelconque  que  je  mène  avec  moi;  je  te  prie  de  ne  prendre  que  moi 
seul  et  de  me  conduire  à  Malinche.  »  En  entendant  ces  paroles,  Hol- 
guin éprouva  une  grande  joie;  il  s'approcha,  embrassa  le  monarque 
et  le  fit  monter  dans  son  brigantin  avec  sa  femme  et  vingt  notables 
qui  l'accompagnaient.  Les  traitant  avec  le  plus  grand  respect,  il  les 
pria  de  s'asseoir  à  l'arrière  du  brick  sur  des  nattes  et  des  étoffes.  Il 
leur  fit  servir  ce  qu'il  avait  apporté  à  manger.  Quant  aux  embarcations 
où  se  trouvaient  leurs  richesses,  il  n'y  toucha  aucunement,  se  limi- 
tant à  les  mener  à  la  remorque  avec  son  brigantin. 

En  cet  instant  Gonzalo  de  Sandoval  se  posta  en  un  point  d'où  il 
pouvait  voir  tous  ses  brigantins  et  il  leur  fit  le  signal  de  se  rallier  à 
lui.  Il  sut  alors  que  Garcia  Holguin  avait  fait  Guatemuz  prisonnier 
et  qu'il  l'amenait  à  Gortès.  En  recevant  cette  nouvelle,  il  donna  l'ordre 
à  ses  hommes  de  faire  force  de  rames,  et  lorsqu'il  fut  près  de  Holguin,  il 
lui  dit  de  remettre  le  prisonnier  entre  ses  mains.  Mais  Holguin  s'y 
refusa,  en  répondant  que  c'était  lui  qui  l'avait  pris  et  que  Sandoval 
n'y  était  pour  rien;  à  quoi  celui-ci  repartit  que  cela  lui  paraissait 
vrai  sans  doute,  mais  qu'il  était,  lui,  le  commandant  de  toute  la  flot- 
tille et  que  par  conséquent  Holguin  se  trouvait  sous  ses  ordres;  qu'en 
considération  de  son  amitié  pour  lui  et  sachant  que  son  brick  était  le 
meilleur  voilier,  il  l'avait  choisi  pour  lui  faire  exécuter  la  manœuvre 
qui  consistait  à  suivre  et  prendre  Guatemuz;  c'était  donc  à  titre  de 
commandant  en  chef  que  le  prisonnier  devait  lui  être  maintenant 
remis.  Malgré  tout,  Holguin  s'obstinait  à  refuser,  lorsqu'un  autre 
brigantin  se  prit  à  faire  force  de  rames  pour  gagner  ses  étrennes  en 
portant  le  premier  la  bonne  nouvelle  à  Gortès  qui,  comme  je  l'ai  dit, 
était  près  de  là,  suivant  les  mouvements  de  Sandoval  du  haut  du 
grand  temple.  On  lui  raconta  le  différend  qui  s'était  élevé  entre  San- 
doval et  Holguin  touchant  la  possession  du  prisonnier.  Aussitôt  qu'il 
l'eut  appris,  Gortès  dépêcha  les  capitaines  Luis  Marin  et  Francisco  de 
Lugo  pour  aller  mettre  fin  à  la  question  en  lui  amenant  Gonzalo  de 
Sandoval  et  Holguin,  accompagnés  de  Guatemuz  et  de  sa  famille  qu'on 
devait  continuer  à  traiter  avec  le  plus  grand  respect.  Il  se  chargeait 
de  décider  à  qui  appartenaient  le  prisonnier  et  l'honneur  de  sa  capture- 


DE  LA  NOUVELLE-ESPAGNE.  533 

Pendant  qu'on  remplissait  ce  message,  Cortès  fit   dresser  une  es- 
trade,  la  recouvrit  le  mieux  possible  de  tapis  et  d'étoffes  et  y  fit 
placer   des  sièges.  Il    commanda    en    outre  et  fit   apporter  tous    les 
genres   de   vivres  qu'il  avait  pour  son  usage.  Sandoval  et  Holguin 
arrivèrent  avec  Gruatemuz  et  l'amenèrent  devant  Gortès.  Le  monarque 
se  présenta  d'un  air  respectueux  et  Gortès  l'embrassa  avec  joie,  lui 
témoignant  les  sentiments  les   plus  affectueux,  ainsi  qu'à   tous   ses 
capitaines.  Guatemuz,  s'adressant  alors  à  Gortès,  lui  dit  :   cr  Seigneur 
Malinche,  j'ai  fait  ce  que  je  devais  pour  la  défense  de  ma  ville  et  de 
mes  sujets;  faire  davantage  m'est  impossible,  et  puisqu'enfin  la  force 
m'amène  prisonnier  devant  toi  et  me   met  en  ton  pouvoir,  prends  ce 
poignard  que  tu  portes  à  ta  ceinture  et  frappe-moi  mortellement.  » 
Ces  paroles  furent  dites  au  milieu  des  larmes  et  des  sanglots,  tandis 
que  les  autres  seigneurs  qui  l'entouraient  versaient  aussi  des  pleurs 
abondants.  Cortès,  prenant  le  ton  le  plus  affectueux,  lui  répondit,  au 
moyen  de  doïïa  Marina  et  d'Aguilar,  nos  interprètes,  qu'il  estimait 
sa  conduite  et  honorait  sa  personne  en  proportion   des  efforts  qu'il 
avait  faits  pour  défendre  sa  capitale;  que  cela  n'était  nullement  une 
faute  dont  on  pût  lui  faire   un   crime,   mais   bien  une  action  digne 
d'être  louée.  Il  ajouta  que  ce  qu'il  aurait  désiré,  c'est  qu'en  se  voyant 
vaincu  Guatemuz  eût  songé  volontairement  à  se  rendre  pour  arrêter 
à  temps  la  destruction  de  la  ville  et  le  massacre  de  ses  sujets  ;  mais 
que,  tout  étant  déjà  fini  sans  qu'on  pût  remédier  au  passé,  il  les  priait, 
lui  et  tous  ses  capitaines,  de  calmer  les  sentiments  de  leurs  cœurs, 
bien  convaincus  qu'à  l'avenir  Mexico  et  les  provinces  qui  en  dépen- 
dent seraient  gouvernées  sans  nulle  atteinte  à  ce  qui  existait  aupara- 
vant. Guatemuz  et  ses  capitaines   répondirent  qu'ils  lui  en  sauraient 
gré. 

Notre  général  s'informa  de  l'épouse  du  monarque  et  des  femmes 
des  autres  capitaines  qu'on  lui  avait  dites  venir  avec  Guatemuz. 
Celui-ci  répondit  lui-même  qu'il  avait  prié  Gonzalo  de  Sandoval  et 
Garcia  Holguin  de  les  laisser  dans  les  embarcations  jusqu'à  ce  qu'on 
connût  la  volonté  de  Malinche.  Gortès  les  envoya  chercher  à  l'instant 
et  leur  fit  servir  à  manger  de  tout  ce  qu'il  avait  et  le  mieux  possible  pour 
les  circonstances.  Bientôt,  comme  il  était  tard  et  que  le  temps  était 
à  l'orage,  notre  général  ordonna  à  Gonzalo  de  Sandoval  de  partir  pour 
Guyoacan,  emmenant  avec  lui  Guatemuz,  sa  femme,  sa  famille  et  tous 
les  notables  qui  l'accompagnaient.  Pedro  de  AlvaradoetGhristoval  de 
Oli  reçurent  l'ordre  aussi  de  se  rendre  chacun  dans  ses  quartiers. 
Quant  à  nous,  nous  fûmes  à  Tacuba.  Sandoval,  après  avoir  remis 
Gruatemuz  aux  mains  de  Gortès  dans  la  ville  de  Guyoacan,  s'en  revint 
à  Tepeaquilla  où  se  trouvaient  ses  quartiers. 

La  prise  de  Guatemuz  et  de   ses  capitaines  cul  lieu  à    L'heure   de 
vêpres,   le    13  août,  jour  de  la  Sainl-Hippolyte  de  Tan  1521.  Grâces 


534  CONQUÊTE 

soient  rendues  à  Notre  Seigneur  Jésus-Christ  et  à  Notre  Dame  sa 
Mère  bénie;  amen!  Cette  nuit-là,  jusqu'à  minuit,  la  pluie,  le  ton- 
nerre et  les  éclairs  furent  plus  forts  que  jamais.  Quand  on  eut  pris 
Gruatemuz,  nous  tous,  les  soldats  de  cette  campagne,  restâmes 
assourdis  comme  des  gens  qui  auraient  été  longtemps  enfermés  dans 
un  clocher  au  milieu  d'un  continuel  carillon,  et  autour  desquels  se 
ferait  tout  à  coup  le  silence  par  la  cessation  du  bruit  des  cloches.  Je 
m'exprime  ainsi  non  sans  raison,  car  durant  les  quatre-vingt-treize 
jours  du  siège  de  la  capitale,  nous  entendions  sans  cesse  les  Mexi- 
cains s'interpellant  à  l'envi,  les  uns  s'animant  à  l'attaque  des  chaus- 
sées, les  autres  criant  aux  embarcations  de  tomber  sur  les  brigantins 
et  sur  nous  autres  dans  les  tranchées,  quelques-uns  adressant  leurs 
commandements  à  ceux  qui  élevaient  des  barricades  ou  creusaient 
des  fossés,  plusieurs  apportant  et  distribuant  les  pierres,  les  pieux 
et  les  flèches;  les  femmes  arrondissant  les  pierres  destinées  à  être 
lancées  par  la  fronde;  et,  d'autre  part,  les  oratoires  et  toutes  les  mai- 
sons de  ces  maudites  idoles  avec  leurs  tambours,  leurs  cors,  la  grande 
timbale  et  tant  d'autres  instruments  lugubres  qui  ne  cessaient  jamais 
leur  vacarme.  Il  en  résultait  que  de  jour  comme  de  nuit  nous  n'en 
finissions  jamais  avec  ce  grand  tapage,  de  telle  sorte  que  nous  ne 
pouvions  nous  entendre  les  uns  les  autres.  Or,  aussitôt  que  Gruatemuz 
fut  pris,  les  cris  et  tous  les  bruits  cessèrent:  c'est  pour  cela  que  j'ai 
dit  que  nous  nous  trouvâmes  dans  le  même  état  que  si  nous  eussions 
été  auparavant  au  milieu  des  cloches. 

Quoi  qu'il  en  soit,  nous  dirons  maintenant  que  les  traits  et  toute  la 
personne  de  Gruatemuz  respiraient  l'élégance;  sa  figure  était  allongée 
et  d'un  aspect  agréable;  quand  il  regardait,  ses  yeux,  dont  les  lignes 
étaient  irréprochables,  s'animaient  d'un  éclat  doux  et  caressant,  avec 
un  fond  de  gravité.  Il  avait  alors  vingt-trois  ou  vingt-quatre  ans;  son 
teint  était  plus  blanc  qu'il  ne  l'est  chez  les  autres  Indiens,  naturel- 
lement bronzés.  On  disait  que  sa  femme,  personne  fort  jeune  et  d'une 
grande  beauté,  était  fille  de  Montezuma,  oncle  du  prince. 

Avant  d'aller  plus  loin,  nous  devons  dire  où  aboutit  le  différend 
entre  Sandoval  et  Garcia  Holguin  au  sujet  de  la  prise  de  Gruatemuz. 
Cortès  leur  dit  que  les  Romains  avaient  vu  une  dispute  analogue  en- 
tre Marius  et  Lucius  Cornélius  Sylla.  Ce  fut  à  l'occasion  de  la  prise 
de  Jugurtha  opérée  par  Sylla  chez  le  roi  Bocchus.  Il  paraît  que  lors- 
que Sylla  entra  en  triomphe  dans  Rome  après  ses  nombreux  et  hé- 
roïques hauts  faits,  il  fit  placer  à  ses  côtés  Jugurtha  avec  une  chaîne 
de  fer  au  cou.  Marius,  témoin  de  ce  spectacle,  prétendit  que  c'était 
lui,  et  non  son  adversaire,  qui  devait  triompher  de  Jugurtha,  et  que 
si  le  triomphe  restait  à  Sylla,  ce  ne  pourrait  être  qu'à  la  condition 
d'avouer  qu'il  le  devait  à  Marius,  parce  qu'en  effet  celui-ci,  agissant 
au  titre  de  capitaine  général,  lui  avait  donné  l'ordre  de  recevoir  le 


DE  LA  NOUVELLE-ESPAGNE.  535 

prisonnier  des  mains  du  roi  Bocchus,  tous  étant  ses   subordonnés. 
Mais  Sylla.  qui  était  patricien  romain,  jouissait  d'une  grande  faveur 
au  lieu  que  Marius,  natif  de  la  petite  ville  d'Arpino  et  par  conséquent 
étranger  à  Rome,  quoiqu'il  eût  été  sept  fois  consul,  ne  fut  point  aussi 
favorisé  que  son  compétiteur.  De  là  les  guerres  civiles  entre  les  deux 
et  jamais  il  ne  fut  décidé  à  qui  devait  appartenir  la  prise  de  Jugur 
llia.  Revenant  au  fait,  Gortès  dit  qu'il  en  ferait  Je  /apport  à  Sa  Ma- 
jesté et  que  l'événement  servirait  à  former  un  écus^on  pour  celui  des 
deux  qu'il  plairait  à  Sa  Majesté  de  favoriser;  mais  qu'il  fallait  atten- 
dre de  Castille  la  détermination  royale.  Deux  ans  plus  tard  vint  une 
ordonnance  de  Sa  Majesté,  qui  donnait  pour  entourage  aux  armes  de 
Gortès  les  rois  Montezuma,  grand  seigneur  de  Mexico,  Gacamatzin, 
seigneur  de  Tezcuco,  les  seigneurs  d'Iztapalapa,  de  Guyoacan  et  de 
Tacuba,  le  seigneur  de  Mataltzingo  et.  d'autres  provinces,  qu'on  di- 
sait proche   parent    du   grand  Montezuma  et    héritier  légitime   du 
royaume  de  Mexico,  et  enfin  ce  même  Gruatemuz  qui  avait  été  l'objet 
du  différend. 

Nous  laisserons  tout  autre  sujet  pour  parler  maintenant  des  têtes  et 
des  corps  morts  qui  se  trouvaient  dans  les  maisons  où  Guatemuz  s'é- 
tait réfugié.  Or  il  est  vrai  (Amen!  je  le  jure)  que  l'eau,  les  édifices 
et  les  travaux  de  défense  étaient  si  remplis  de  cadavres  et  de  têtes 
que  je  ne  saurais  en  décrire  exactement  l'horreur.  Dans  les  rues  mê- 
mes et  dans'  les  places  du  Tatelulco,  on  ne  voyait  pas  autre  chose  et 
nous  ne  pouvions  circuler  qu'au  milieu  des  têtes  et  des  corps  morts. 
J'ai  lu  le  récit  de  la  destruction  de  Jérusalem,  mais  je  doute  qu'il  y 
ait  eu  là  un  massacre  comparable  à  ceux  de  cette  capitale.  Le  nombre 
d'Indiens  guerriers  qui  disparurent  est  incalculable;   la  plupart  de 
ceux  qui  étaient   venus  des  provinces   et  des   villes   dépendant    de 
Mexico,  dans  l'espoir  de  trouver  un  refuge  au  milieu  de  la  capitale,  y 
moururent  victimes  de  la  guerre.  Je  le  répète,  le  sol,  la  lagune,  les 
travaux  de  défense,  tout  était  plein  de  cadavres,  et  il  s'en  exhalait 
une  telle  puanteur  qu'il  n'y  avait  pas  d'homme  qui  la  pût  supporter. 
C'est  pour  cette  raison  qu'après  la  prise  de  Guatemuz,  chaque  capi- 
taine regagna  ses  quartiers,  ainsi  que  je  l'ai  dit,  et  Gortès  tomba  ma- 
lade à  cause  des  odeurs  qu'il  fut  obligé  de  respirer  dans  les  jours 
qu'il  séjourna  au  Tatelulco. 

Quoi  qu'il  en  soit,  il  convient  de  dire  que  nos  camarades  des  bri- 
gantins  furent  les  mieux  partagés.  Us  firent  un  excellent  butin,  parce 
qu'ils  avaient  la  facilité  d'aller  dans  certaines  maisons  bâties  dans 
l'eau  où  ils  présumaient  qu'il  y  aurait  de  l'or,  des  étoffes  et  autres 
richesses.  Us  en  trouvaient  encore  au  milieu  des  massifs  de  roseaux 
où  les  Indiens  allaient  faire  des  cachettes  lorsqu'on  leur  avait  enlevé 
des  maisons  ou  des  quartiers  entiers.  Il  faut  dire  aussi  que,  sous  le 
prétexte  de  donner  la  chasse  aux  embarcations  qui  approvisionnaient 


536  CONQUÊTE 

la  ville,  si  nos  camarades  rencontraient  des  canots  montés  par  de 
hauts  personnages  qui  fuyaient  vers  la  terre  ferme  pour  se  réfugier 
chez  leurs  voisins  les  Otomis,  ils  les  dépouillaient  de  tout  ce  qu'ils 
emportaient  avec  eux.  Quant  à  nous,  les  soldats  qui  combattions  sur 
les  chaussées  et  en  terre  ferme,  nous  n'avions  pas  d'autre  bonne  for- 
tune que  celle  de  recevoir  beaucoup  de  flèches,  des  coups  de  lance  et 
toute  sorte  de  blessures  de  pieux  et  de  pierres.  Au  surplus,  lorsque 
nous  parvenions  à  nous  emparer  d'une  ou  de  plusieurs  maisons,  les 
habitants  en  étaient  déjà  partis  en  emportant  tout  ce  qu'ils  possé- 
daient. On  sait  bien  que  nous  n'y  pouvions  parvenir  par  eau  et  qu'il 
nous  fallait  avant  tout  combler  les  tranchées  par  où  nous  passions. 
C'est  pour  ces  raisons  que  j'ai  déjà  dit,  au  chapitre  qui  traite  de  ce 
sujet,  que  lorsque  Gortès  fit  choix  des  matelots  dont  on  devait  compo- 
ser le  service  des  brigantins,  ces  camarades  furent  mieux  partagés  que 
ceux  destinés  à  combattre  sur  terre.  Ce  qui  contribua  le  mieux  à  don- 
ner de  l'évidence  à  ce  que  je  dis,  c'est  que  les  capitaines  mexicains 
et  Guatemuz  lui-même,  lorsque  Cortès  leur  demanda  compte  du  tré- 
sor de  Montezuma,  répondirent  que  les  hommes  des  brigantins  en 
avaient  pris  une  bonne  partie. 

Abandonnons  ce  sujet  pour  un  moment  et  disons  qu'en  considérant 
la  grande  puanteur  qui  s'exhalait  de  la  ville,  Gruatemuz  pria  Cortès 
de  permettre  que  tout  ce  qui  restait  encore  de  Mexicains  dans  la  ca- 
pitale sortît  et  se  réfugiât  dans  les  villages  d'alentour.  Notre  général 
donna  l'ordre  qu'il  en  fût  ainsi.  Pendant  trois  jours  et  trois  nuits,  les 
trois  chaussées  furent  absolument  couvertes  d'Indiens,  de  femmes  et 
d'enfants  sortant  à  1a  file  sans  discontinuer,  si  maigres,  si  sales,  si 
jaunes,  si  infects,  que  c'était  vraiment  pitié  de  les  voir.  Cortès  fut  vi- 
siter la  ville  aussitôt  après  qu'elle  fut  évacuée.  Il  trouva,  ainsi  que 
je  l'ai  dit,  toutes  les  maisons  pleines  d'Indiens  morts  et,  au  milieu 
des  cadavres,  quelques  pauvres  Mexicains  qui  n'avaient  pas  la  force 
de  sortir;  leurs  déjections  étaient  comme  une  espèce  de  saleté  com- 
parable, à  ce  que  rejettent  les  porcs  amaigris  qui  ne  mangent  que  des 
herbages.  Le  sol  de  la  ville  était  partout  remué  pour  mettre  à  nu  les 
racines  des  plantes  que  les  assiégés  faisaient  bouillir  pour  leur  nour- 
riture. Ils  avaient  même  mangé  l'écorce  des  arbres.  Nous  ne  trou- 
vâmes pas  la  moindre  eau  douce  dans  la  ville;  toute  l'eau  était  salée. 
Il  est  important  aussi  de  faire  remarquer  que  les  habitants  ne  man- 
gèrent point  la  chair  des  vrais  Mexicains,  mais  seulement  celles  de 
leurs  ennemis  de  Tlascala  et  les  nôtres,  quand  ils  en  purent  prendre1. 
Il  n'y  eut  certainement  jamais  dans  le  monde  un  peuple  qui  ait  eu 
tant  à  souffrir  de  la  faim,  de  la  soif  et  des  combats  sans  trêve. 

1.  Je  prie  le  lecteur  de  porter  son  attention  sur  ce  fait,  certainement  très-curieux, 
qui  nous  montre  des  cannibales  affamés  préférant  la  mort  à  l'usage  des  chairs  de  leurs 
concitoyens  non  sacrifiés  préalablement  ix  leurs  dieux. 


DE   LA  NOUVELLE-ESPAGNE.  537 

Mettons  fin  au  récit  de  ces  horreurs  et  disons  que  Cortès  donna 
l'ordre  de  réunir  tous  les  brigantins  sous  des  hangars  qui  ne  tardè- 
rent pas  à  être  construits.  Reprenons  du  reste  un  peu  nos  petits  ba- 
vardages. Quand  on  eut  pris  cette  grande  ville  si  renommée  dans  le 
monde,  on  commença  par  rendre  grâces  à  Dieu  Notre  Seigneur  et  à 
sa  Mère  bénie,  en  leur  faisant  un  certain  nombre  de  vœux.  Mais  en- 
suite Cortès  voulut  qu'il  fût  donné  un  grand  banquet  à    Cuyoacan 
pour  témoigner  de  la  joie  que  causait  cet  événement.  On  avait  pour 
cela  une  bonne  provision  de  vin  venue  par  un  navire  qui  était  arrivé 
récemment  à  notre  Villa  Rica;  on  avait  aussi  des  porcs  amenés  de 
Cuba.  Notre  chef  fit  convier  à  la  fête  tous  les  capitaines  et  il  ajouta 
quelques  soldats  des  trois  divisions,  car  il  convenait  de  ne  pas  les  ou- 
blier. Quand  nous  arrivâmes,  les  tables  n'étaient  pas  encore  mises  et 
il  n'y  avait  pas  de  sièges  pour  plus  du  tiers  des  capitaines  et  soldats 
qui  se  trouvaient  réunis.Tl  y  eut  beaucoup  de  désordre.  Mieux  eût  valu 
certainement  ne  pas  faire  ce  banquet,  à  cause  de  certaines  vilaines 
choses  qui  s'y  passèrent.  Ajoutons  que  la  plante  de  Noé  fut  cause  que 
plusieurs  firent  des  sottises.  Il  y  eut  des  camarades  qui,  après  le  re- 
pas, ne  surent  pas  retrouver  la  porte  et  firent  sur  les  tables  ce  qui 
était  destiné  aux  basses-cours1.  Les  uns  disaient  qu'ils  achèteraient 
un  jour  des  chevaux  avec  des  selles  d'or;  il  y  eut  des  arbalétriers  se 
vantant  qu'ils  n'auraient  plus  dans  leurs  carquois  que  des  flèches 
faites  avec  l'or  recueilli  sur  les  terres  dont  on  devait  leur  donner  la 
possession;  d'autres  s'en  allèrent  roulant  parles  marches  des  esca- 
liers. On  enleva  enfin  les  tables,  et  les  dames   qui  se  trouvaient  là 
commencèrent  à  danser  avec  des  galants  chargés  de  leurs  armes;  c'é- 
tait à  pouffer  de  rire.  Elles  étaient  en  petit  nombre;   il  n'y  en  avait 
du  reste  pas  d'autres  ni  dans  tout  le  camp  ni  dans  toute  la  Nouvelle- 
Espagne.  Je  ne  dirai  pas  leurs  noms  et  je  ne  parlerai  point  des  criti- 
ques qui  s'en  firent  le  lendemain. 

Ce  qu'il  importe  de  raconter,  c'est  qu'à  la  suite  des  désordres  qu'il 
y  eut  dans  ce  banquet  et  au  bal,  le  Père  Rartolomé  de  Olmcdo  fit  en- 
tendre des  plaintes,  disant  à  Sandoval  à  quel  point  cela  lui  paraissait 
répréhensible  et  ajoutant  que  c'était  là  une  triste  façon  de  rendre 
grâces  à  Dieu  et  de  mériter  qu'il  nous  protégeât  à  l'avenir.  Sandoval 
s'empressa  de  faire  connaître  à  Cortès  les  plaintes  du  moine;  notre 
général  le  fît  donc  appeler  et  lui  dit  .  «Mon  père, je  n'ai  pu  refuser 
aux  soldats  cette  occasion  d'amusement  et  de  gaîté  que  Votre  Révé- 
rence connaît;  mais  je  ne  l'ai  point  fait  sans  répugnance.  C'est  à  Vo- 

1.  Je  demande  bien  pardon  à  mon  lecteur  si  je  donne  cette  interprétation  aux 
paroles  de  Bernai  Diaz.  La  traduction  est  un  peu  libre,  mais  je  crois  qu'elle  rond 
exactement  la  pensée  de  l'auteur.  Voici  ce  que  dit  le  texte  :  y  hombres  hubo  en  él} 
que  despues  dehaber  comido  anduvi&pon  sobre  las  mesas,  que  no  acertaban  dsalir 
ni  patio. 


538  CONQUETE 

tre  Révérence  qu'il  appartient  maintenant  d'ordonner  une  procession, 
de  dire  une  messe  et  de  faire  un  prêche  pour  en  prendre  occasion  de 
recommander  aux  soldats  de  ne  point  enlever  les  filles  des  Indiens, 
de  ne  pas  voler,  de  ne  point  chercher  querelle  et  de  se  conduire  en 
bons  chrétiens  catholiques,  afin  de  mériter  que  Dieu  nous  favorise.  » 
Le  Père  Bartolomé  sut  gré  au  général  de  cette  pensée,  car  il  ignorait 
qu'Alvarado  y  fût  pour  quelque  chose  et  croyait  que  l'idée  venait  seu- 
lement de  son  ami  Gortès.  Le  moine  fit  donc  une  procession  à  laquelle 
nous  assistâmes  avec  nos  drapeaux  déployés  et  quelques  croix  de  dis- 
tance en  distance,  en  chantant  les  litanies  et  faisant  suivre  le  défilé 
d'une  image  de  Notre  Dame.  Le  lendemain,  le  Père  Bartolomé  prê- 
cha; à  la  messe  plusieurs  communièrent  à  la  suite  de  Gortès  et  d'Al- 
varado,  et  nous  rendîmes  tous  grâces  à  Dieu  pour  notre  victoire. 

Je  mettrai  fin  à  ce  sujet  pour  raconter  quelques  autres  particulari- 
tés que  j'avais  oubliées  et  qui  paraîtront  peut-être  maintenant  trop 
vieilles  et  hors  de  propos.  Nos  amis  Ghichimecatecle  et  les  deux  jeu- 
nes Xicotenga,  fils  de  don  Lorenzo  de  Vargas,  appelé  de  son  vrai  nom 
Xicotenga  le  vieux  et  l'aveugle,  combattirent  valeureusement  contre 
les  forces  mexicaines  et  nous  aidèrent  avec  une  extrême  vigueur.  Un 
frère  du  roi  de  Tezcuco,  nommé  Suchel  et  qui  s'appela  plus  tard  don 
Carlos,  se  conduisit  toujours  en  homme  de  courage  et  fit  des  actions 
d'éclat.  Un  capitaine,  natif  d'une  ville  de  la  lagune  et  dont  je  ne  me 
rappelle  pas  le  nom,  fit  aussi  des  merveilles.  Plusieurs  autres  capi- 
taines enfin,  appartenant  aux  peuplades  qui  vinrent  à  notre  secours, 
combattirent  très-vigoureusement  à  nos  côtés.  Gortès  les  fit  tous  ve- 
nir en  sa  présence,  leur  parla,  les  glorifia  et  leur  rendit  grâces  pour 
l'aide  qu'ils  nous  avaient  donnée,  accompagnant  le  tout  de  bonnes 
promesses,  assurant  qu'un  jour  il  leur  donnerait  des  terres  et  des 
vassaux  et  les  rendrait  grands  seigneurs;  après  quoi  il  les  congédia. 
Gomme  d'ailleurs  ils  s'étaient  bien  munis  en  étoffes  de  coton,  en  or, 
en  luxueuses  dépouilles,  ils  s'en  revinrent  riches  et  contents  dans  leur 
pays,  non  sans  emporter  plusieurs  charges  de  bandes  de  chairs  d'In- 
diens mexicains  qu'ils  répartirent  ensuite  entre  leurs  parents  et  amis 
et  dont  on  mangea  en  grandes  fêtes  comme  étant  les  restes  de  leurs 
ennemis. 

Maintenant  que  sont  finis  tous  ces  terribles  combats  et  ces  batail- 
les que  nuit  et  jour  nous  avions  à  soutenir  avec  les  Mexicains,  je 
rends  grâces  à  Dieu  qui  m'y  préserva  de  tout  mal  et  je  veux  racon- 
ter une  chose  bien  étrange  qui  m'arriva  lorsque  je  vis  ouvrir  les  poitri- 
nes et  arracher  les  cœurs  aux  soixante-deux  soldats  de  Gortès  qu'on 
emmena  vivants  et  qu'on  offrit  aux  idoles.  Ce  que  je  vais  dire  fera 
peut-être  penser  à  quelques  personnes  que  je  n'avais  pas  grand  cou- 
race;  mais  si  elles  réfléchissent  mieux,  elles  comprendront  que  ce 
qui  m'advint  provenait  au  contraire  de  l'excès  d'ardeur  avec  lequel  je 


DE  LA  NOUVELLE-ESPAGNE.  53  9 

m'exposais  chaque  jour  au  plus  fort  du  combat;  car,  en  ce  temps-là, 
je  me  piquais  d'être  un  bon  soldat  et  je  passais  en  effet  pour  tel,  pré- 
cisément parce  que  je  faisais  sans  cesse,  sous  les  yeux  de  mes  chefs, 
tout  ce  qui  est  le  propre  d'un  militaire  courageux  et  intrépide.  Mais 
j'eus  le  malheur  de  voir  comment  on  menait  chaque  jour  nos  cama- 
rades au  sacrifice.  Je  voyais  même  ouvrir  leurs  poitrines  et  en  arra- 
cher le  cœur  encore  frémissant.  Je  vis  couper  les  pieds  et  les  jambes 
de  nos  soixante-deux  soldats  pour  en  faire  d'horribles  repas.  La  peur 
me  vint  alors  qu'on  ne  fit  un  jour  la  même  chose  de  moi-même,  car 
par  deux  feis  on  m'avait  déjà  pris  et  enlevé,  et  je  ne  sais  comment 
Dieu  me  permit  d'échapper  de  leurs  mains.  Je  me  souvins  en  ce  mo- 
ment du  martyre  de  mes  camarades,  et  désormais  je  fus  poursuivi 
par  la  peur  d'une  si  cruelle  mort.  Et  je  le  dis  ainsi  parce  qu'en  effet, 
au  moment  d'aller  combattre,  il  m'entrait  dans  le  cœur  une  sorte  de 
tristesse  et  d'effroi.  Je  me  jetais  alors  tête  baissée  clans  la  bataille  en 
me  recommandant  à  Dieu  et  à  Notre  Dame  sa  sainte  Mère  bénie,  et 
bientôt  la  frayeur  s'en  allait. 

C'était  certes  chose  bien  étrange  pour  moi  d'être  pris  de  cette  peur 
inaccoutumée,  car,  après  m'être  trouvé  dans  tant  de  rencontres  pé- 
rilleuses, j'aurais  dû  avoir  maintenant  le  cœur  plus  endurci  que  ja- 
mais et  le  courage  comme  incarné  en  ma  personne;  puisqu'enfm,  si 
je  n'ai  rien  oublié,  je  puis  dire  que  j'étais  venu  à  la  découverte  avec 
Francisco  Hernandez  de  Gordova,  et  avec  Grijalva,  et  que  je  revins 
avec  Cortès  ;  je  me  trouvais  aux  affaires  du  cap  Cotoche,  de  Saint- 
Lazare,  autrement  dit  Gampêche,  de  Potonchan  et  de  la  Floride,  ainsi 
que  je  l'ai  écrit  longuement  à  propos  du  voyage  de  découvertes  de 
Francisco  Hernandez  de  Gordova.  Avec  Grijalva,  je  me  retrouvai  en- 
core à  Potonchan;  et  avec  Cortès,  j'étais  à  Tabasco,  à  Gingapacinga, 
dans  toutes  les  batailles  et  rencontres  de  Tlascala;  dans  l'affaire  de 
Gholula;  et  lorsque  nous  défîmes  Narvaez,  je  fus  de  ceux  qui  prirent 
l'artillerie,  au  nombre  de  dix-huit  pièces  toutes  prêtes,  toutes  char- 
gées avec  leurs  boulets  de  pierre,  et  dont  nous  nous  emparâmes  au 
prix  des  plus  grands  dangers.  Je  me  trouvais  dans  la  grande  déroute, 
lorsque  les  Mexicains  nous  chassèrent  de  Mexico,  ou  pour  mieux  dire 
lorsque  nous  en  sortîmes  en  fuyards,  et  qu'on  nous  tua  dans  l'espace 
de  huit  jours  huit  cent  cinquante  soldats.  Je  fis  les  expéditions  de  Te- 
peaca,  de  Gachula  et  de  leurs  environs;  j'étais  dans  les  rencontres 
qu'on  eut  avec  les  Mexicains  à  propos  des  plantations  de  maïs,  lors- 
que nous  séjournions  à  Tezcuco;  j'étais  aussi  à  Iztapalapa  quand  on 
nous  voulut  noyer.  Je  me  trouvais  à  l'assaut  des  penole*  qu'on  ap- 
pelle actuellement  les  forteresses  de  Cortès.  J'assistais  à  l'entrée  de 
Suchimilco  et  à  un  grand  nombre  d'autres  rencontres.  Je  fus  des  pre- 
miers à  commencer  l'investissement  de  Mexico,  avec  Pedro  de  Alva- 
rado,  lorsque  nous  coupâmes  l'eau  de  Chapultepeque  et  lorsque  nous 


540  CONQUÊTE 

livrâmes  le  premier  assaut  sur  la  chaussée  avec  ce  même  capitaine; 
et  lorsqu'on  mit  notre  division  en  déroute  et  qu'on  nous  prit  six  sol- 
dats vivants,  j'étais  là,  puisqu'on  me  saisit  et  qu'on  m'emportait  aussi, 
au  point  qu'en  me  comptant  on  parlait  de  sept  prisonniers,  tant  il  est 
vrai  qu'ils  me  tenaient  et  qu'ils  m'emmenaient  déjà  pour  me  sacrifier 
avec  les  autres.  Je  m'étais  trouvé  enfin  dans  toutes  les  batailles  que 
j'ai  racontées  et  que  nous  eûmes  à  soutenir  jour  et  nuit,  jusqu'au  mo- 
ment où  je  fus  témoin  des  sacrifices  cruels  qu'on  fit,  devant  mes  yeux, 
de  nos  soixante -deux  camarades.  Or  j'ai  dit  qu'après  avoir  assisté  à 
tant  de  batailles  et  traversé  tant  de  périls,  il  n'était  pas  naturel  d'a- 
voir peur  comme  j'avais  eu  en  dernier  lieu.  Et  maintenant,  que  les 
caballeros  qui  s'entendent  aux  choses  de  la  guerre  et  qui  se  sont  vus 
en  péril  de  mort,  me  disent  comment  ils  qualifient  ma  peur  actuelle  : 
provenait-elle  d'une  défaillance  ou  bien  au  contraire  d'un  grand  élan 
personnel?  Le  fait  est  que  d'une  part  je  voyais  bien  qu'il  fallait  dé- 
fendre sa  personne  et  je  la  défendais  avec  résolution  ;  mais,  d'autre 
part,  il  s'agissait  de  combattre  en  des  endroits  où  la  mort  était  plus 
que  jamais  à  craindre;  le  cœur  tremblait  pour  ce  dernier  motif  et  je 
n'avais  par  conséquent  que  la  peur  du  supplice. 

En  lisant  l'énumération  des  batailles  où  je  me  suis  trouvé,  le  lec- 
teur aura  remarqué  que,  d'après  mes  autres  récits,  Gortès  et  plu- 
sieurs de  nos  capitaines  eurent  à  soutenir  bien  d'autres  combats  qui 
ne  sont  pas  mentionnés  en  ce  passage  et  auxquels  je  n'assistai  point, 
parce  qu'il  y  en  eut  tant,  qu'eussé-je  été  de  fer,  il  m'eût  été  impossi- 
ble de  résister  à  tout  ;  et  d'autant  moins  que  j'avais  la  mauvaise  chance 
d'être  toujours  blessé,  d'être  souvent  souffrant  et  que  par  conséquent, 
je  ne  pouvais  me  trouver  dans  toutes  les  rencontres.  Et  encore  est-il 
vrai  de  dire  que  les  fatigues,  les  dangers,  les  combats  à  mort  par  où 
j'ai  dit  que  j'ai  passé  ne  sont  rien  en  comparaison  de  ce  que  j'eus  à 
souffrir  postérieurement  à  la  prise  de  Mexico,  comme  on  le  verra  lors- 
qu'il en  sera  temps. 

Il  importe  maintenant  que  j'explique  pourquoi,  à  propos  des  cama- 
rades qui  périrent  dans  toute  cette  campagne  mexicaine,  j'ai  pris  l'ha- 
bitude de  dire  :  on  les  emporta,  on  les  enleva,  et  jamais  :  on  les  tua. 
C'est  que  les  guerriers  qui  se  battaient  contre  nous,  ne  tuaient  pas  tout 
de  suite  les  soldats  qu'ils  enlevaient  vivants,  bien  qu'il  leur  eût  été 
facile  de  les  massacrer  immédiatement.  Ils  se  contentaient  de  leur 
porter  des  blessures  assez  graves  pour  qu'ils  ne  pussent  pas  se  dé- 
fendre, et  après  cela  ils  les  emmenaient  vivants  afin  de  les  sacrifiera 
leurs  idoles;  avant  de  les  tuer  alors,  ils  les  obligeaient  souvent  à  dan- 
ser devant  Huichilobos,  qui  était  leur  dieu  de  la  guerre.  Voilà  pour- 
quoi j'ai  pris  l'habitude  de  dire  qu'on  les  enlevait. 

Abandonnons  maintenant  ce  sujet,  pour  dire  ce  que  fit  Gortès  après 
la  prise  de  Mexico, 


DE  LA  NOUVELLE-ESPAGNE.  541 


CHAPITRE  CL VII 

Comme  quoi  Cortès  donna  Tordre  do  réparer  les  conduites  d'eau  de  Chalputepeque, 
et  mille  autres  choses  qui  arrivèrent. 

Le  premier  ordre  que  Cortès  fit  parvenir  à  Guatemuz,  ce  fut  d'a- 
voir à  réparer  les  conduites  d'eau  de  Chalputepeque,  de  manière  à  les 
mettre  en  l'état  où  elles  se  trouvaient  avant  la  guerre,  et  qu'ainsi 
l'eau  pût  suivre  sa  voie  ordinaire  pour  arriver  à  Mexico.  Il  voulut 
aussi  qu'on  enlevât  des  rues  de  la  capitale  les  têtes  et  les  corps  morts 
pour  les  enterrer,  afin  que  la  propreté  régnât  partout  et  que  la  ville 
fût  débarrassée  de  ces  émanations  fétides.  L'ordre  tendait  encore  à 
obtenir  que  les  chaussées  et  les  ponts  fussent  remis  en  leur  état  ha- 
bituel. Cortès  voulut,  au  surplus,  que  les  palais  et  les  maisons  fus- 
sent reconstruits  à  nouveau  et  habités  dans  un  délai  de  deux  mois.  Il 
indiqua  les  quartiers  où  la  population  mexicaine  devait  s'établir  et  la 
partie  de  la  ville  qu'on  aurait  à  laisser  libre  pour  servir  à  l'établisse- 
ment des  Espagnols. 

Nous  mettrons  de  côté,  pour  un  instant,  ces  ordres  et  d'autres  com- 
mandements dont  je  ne  garde  pas  le  souvenir,  pour  dire  que  Guate- 
muz et  tous  ses  capitaines  se  plaignirent  à  Cortès  que  quelques-uns 
de  nos  chefs  qui  se  trouvaient  dans  les  brigantins,  de  même  que  plu- 
sieurs de  ceux  qui  avaient  combattu  sur  les  chaussées,  nous  avions 
enlevé  des  filles  et  des  femmes  d'un  grand  nombre  de  personnages 
marquants.  Ils  lui  demandaient  en  grâce  de  vouloir  les  leur  faire 
rendre.  Cortès  répondit  qu'on  aurait  bien  du  mal  à  les  reprendre  aux 
camarades  qui  les  tenaient  déjà;  qu'on  les  cherchât,  du  reste,  et 
qu'on  les  conduisît  devant  lui  ;  qu'il  verrait  si  elles  étaient  devenues 
chrétiennes,  assurant  au  surplus  que  si  elles  voulaient  retourner 
avec  leurs  pères  et  leurs  maris,  il  s'empresserait  de  les  faire  rendre. 
Il  donna  l'ordre  de  les  chercher  dans  tous  les  quartiers,  enjoignant 
aux  soldats  qui  les  posséderaient  de  restituer  toutes  celles  qui  vou- 
draient s'en  aller  librement  avec  les  leurs.  Plusieurs  personnages  de 
rang  élevé  allaient  ainsi  à  leur  recherche  de  maison  en  maison,  et  si 
bien,  qu'ils  les  trouvèrent.  Or,  la  plupart  d'entre  elles  ne  voulurent 
suivre  ni  père,  ni  mère,  ni  mari,  mais  bien  rester  avec  les  soldais 
dont  elles  étaient  devenues  les  compagnes.  D'autres  se  cachèrent; 
quelques-unes,  d'ailleurs,  déclarèrent  qu'elles  ne  voulaient  plus  être 
idolâtres.  Il  y  en  eut  même  qui  étaient  déjà  enceintes;  de  sorte  que 
trois  seulement  s'en  allèrent,  Cortès  ayant  donné  l'ordre  exprès  de  les 
laisser  partir. 

Nous  abandonnerons  ce  sujet  pour  dire  que  le  général  fit  construire 


542  CONQUÊTE 

des  arsenaux  protégés  par  des  retranchements  en  manière  de  forte- 
resses, afin  d'y  loger  les  brigantins.  Il  en  nomma  Pedro  de  Alvarado 
gouverneur,  en  attendant  que  vînt  de  Gastille  un  certain  Salazar,  sur- 
nommé de  la  Pedrada.  Nous  dirons  aussi  que  l'on  recueillit  l;or,  l'ar- 
gent et  les  joailleries  qui  se  trouvèrent  à  Mexico.  Ce  fut  en  réalité 
bien  peu  de  chose;  car  la  plus  grande  partie,  ainsi  que  le  bruit  s'en 
répandit,  avait  été  jetée  dans  les  eaux  de  la  lagune  par  ordre  de  Gua- 
temuz,  quatre  jours  avant  qu'on  s'emparât  du  prince.  On  assurait 
aussi  que  les  Tlascatèques,  ainsi  que  les  gens  de  Tezcuco,  de  Guaxo- 
cingo,  de  Cholula,  et  tous  nos  autres  alliés  qui  faisaient  campagne, 
en  avaient  augmenté  leur  butin.  On  disait  encore  que  les  hommes  de 
nos  brigantins  en  prirent  également  leur  bonne  part.  Mais  les  com- 
missaires de  Sa  Majesté  prétendaient  que  Gruatemuz  avait  caché  les 
trésors  royaux.  Gortès  se  réjouissait,  du  reste,  qu'on  ne  les  eût  pas 
découverts,  espérant  ainsi  garder  tout  pour  lui.  Toujours  est-il  que, 
pour  ces  motifs,  il  fut  convenu  que  Guatemuz  et  le  seigneur  de  Ta- 
cuba,  son  cousin  et  son  favori,  seraient  mis  à  la  question. 

Certes,  Gortès  eut  lieu  de  se  repentir  d'avoir  torturé  de  la  sorte  un 
grand  personnage  comme  Guatemuz,  roi  d'un  pays  trois  fois  plus 
grand  que  la  Gastille,  et  cela  à  propos  de  richesses  vainement  cher- 
chées jusque-là,  tandis  que  tous  les  majordomes  delà  cour  de  Mexico 
affirmaient  qu'il  n'existait  pas  d'autres  trésors  que  ce  que  les  com- 
missaires du  Roi  avaient  déjà  en  leur  pouvoir.  Or,  cela  ne  montait 
qu'à  trois  cent  quatre-vingt  mille  piastres  d'or,  que  l'on  avait  déjà 
fondues  et  réduites  en  lingots.  Un  cinquième  en  fut  prélevé  pour  la 
couronne  et  une  autre  part  semblable  pour  Gortès.  Lorsque  ceux  des 
conquistadores  qui  n'aimaient  pas  le  général  virent  qu'il  y  avait  si 
peu  d'or,  ils  disaient  au  trésorier  Julian  de  Alderete  que,  dans  l'es- 
poir de  pouvoir  tout  garder  pour  lui,  Gortès  n'aurait  eu  nulle  envie 
qu'on  prît  Guatemuz  ni  qu'on  le  mît  actuellement  à  la  question.  La 
réalité  est  que  notre  chef,  craignant  d'être  en  butte  à  des  accusations, 
voyant  d'ailleurs  qu'il  ne  pourrait  s'opposer  à  cette  mesure,  consentit 
au  supplice  de  ce  souverain  et  du  seigneur  de  Tacuba;  on  leur  brûla 
les  pieds  avec  de  l'huile  bouillante.  Ge  que  l'on  réussit  à  leur  faire 
confesser  alors,  c'est  que,  quatre  jours  avant  qu'on  s'emparât  d'eux, 
ordre  avait  été  donné  de  jeter  l'or  à  la  lagune,  en  même  temps  que 
les  canons,  les  escopettes  et  les  arbalètes  pris  aux  Espagnols  lors  de 
notre  fuite  de  Mexico  et  lorsqu'en  dernier  lieu  Gortès  subit  une  dé- 
route. On  se  transporta  à  l'endroit  que  Guatemuz  avait  indiqué  ;  on 
fit  plonger  de  bons  nageurs,  mais  on  ne  trouva  absolument  rien.  Gc 
que  je  puis  certifier  pour  en  avoir  été  témoin,  c'est  que  nous  fûmes 
avec  Guatemuz  dans  les  palais  qui  formaient  sa  résidence  habituelle. 
Il  y  avait  un  grand  bassin  très-profond,  d'où  nous  retirâmes  un  soleil 
en  or,  pareil  à  celui  dont  Montczuma  nous  avait   fait  présent,  ainsi 


DE  LA  NOUVELLE-ESPAGNE.  543 

qu'un  grand  nombre  de  joailleries  et  quelques  pièces  de  peu  de  va- 
leur, appartenant  à  Guatemuz  lui-môme.  Quant  au  seigneur  de  Ta- 
cuba,  il  prétendit  avoir  caché  dans  ses  habitations,  situées  à  quatre 
lieues  de  cette  ville,  plusieurs  objets  en  or,  ajoutant  que  si  on  le  con- 
duisait sur  les  lieux,  il  indiquerait  où  ils  étaient  enterrés  et  s'em- 
presserait de  les  livrer.  Pedro  de  Alvarado  y  alla  avec  six  soldats  dont 
je  faisais  partie.  Mais,  quand  nous  fûmes  arrivés,  le  malheureux 
prince  assura  n'avoir  fait  cet  aveu  que  dans  l'espoir  de  mourir  en 
route  ;  il  dit  ensuite  qu'on  le  pouvait  tuer,  car  il  n'avait  ni  or,  ni 
joyaux  d'aucune  espèce.  Il  fallut  s'en  retourner  sans  butin,  et  ce  fut 
fini  :  nos  n'eûmes  plus  de  lingots  à  fondre. 

Il  est  vrai  de  dire  que  la  garde-robe  privée  de  Montezuma,  qui 
appartint  ensuite  à  Guatemuz,  ne  fournit  pas  grand'chose  en  bijoux 
et  en  pièces  d'or.  Ce  qu'il  y  eut,  on  le  mit  de  côté  pour  en  gratifier 
Sa  Majesté.  Il  y  avait  là,  du  reste,  une  certaine  quantité  de  joyaux  de 
différentes  formes,  admirablement  travaillés.  Je  craindrais  de  m'é- 
tendre  outre  mesure  si  j'en  donnais  ici  le  détail  et  la  description;  je 
n'en  embarrasserai  donc  pas  ma  relation;  mais  je  dois  dire  en  toute 
vérité,  en  me  faisant  l'écho  de  ce  que  bien  d'autres  prétendirent,  que 
la  part  que  l'on  fit  à  Sa  Majesté  valait  bien  deux  fois  plus  que  ce  que 
l'on  réunit  pour  le  partage.  Le  tout  fut  envoyé  à  l'Empereur,  notre 
seigneur,  au  moyen  d'Antonio  de  Quinones  et  d'Alonso  de  Avila,  qui 
revint  en  ce  temps-là  de  l'île  de  Saint-Domingue.  Je  dirai  plus  loin 
quand  et  comment  ils  entreprirent  ce  voyage. 

Mais  changeons  de  sujet,  pour  dire  que  moi-même  et  quelques  au- 
tres camarades  nous  plongeâmes  dans  l'endroit  où  Guatemuz  préten- 
dait avoir  jeté  son  or.  Chaque  fois  nous  en  retirions  quelques  pièces 
de  peu  de  valeur.  Mais  Gortès  et  le  trésorier  Julian  de  Alderete 
s'empressèrent  de  nous  les  réclamer.  Ils  se  rendirent  eux-mêmes 
avec  nous  au  point  où  nous  avions  fait  ce  butin.  Ils  s'étaient  munis 
de  bons  nageurs,  au  moyen  desquels  ils  recueillirent  pour  une  va- 
leur d'environ  quatre-vingt-dix  à  cent  piastres  en  perles  enfilées,  en 
canards,  en  petits  chiens,  en  breloques  et  en  autres  misères  de  rien 
qui  vaille,  peut-on  dire,  si  on  les  compare  au  bruit  que  l'on  avait 
répandu  de  la  grande  quantité  d'or  qui  avait  été  submergée.  Quoi  qu'il 
en  soit,  nous  tous,  capitaines  et  soldats,  nous  faisions  des  réflexions 
sur  le  peu  d'or  que  l'on  trouvait  et  sur  les  minces  parts  qui  nous  en 
étaient  données.  Le  Père  fray  Bartolomé  de  Olmedo,  Alonso  de  Avila, 
de  retour  de  l'île  de  Saint-Domingue,  où  il  avait  été  envoyé  en  qua- 
lité de  procureur,  Pedro  de  Alvarado  et  d'autres  caballeros  et  capi- 
taines, dirent  à  Gortès  que,  puisqu'il  y  avait  si  peu  d'or,  on  ferait 
bien  de  distribuer  la  part  générale  de  tous  entre  les  manchots,  les 
boiteux,  les  borgnes,  les  aveugles,  les  sourds,  les  victimes  de  brûlu- 
res par  suite  d'explosions  et  quelques  autres  qui  se  trouvaient  ac- 


544  CONQUÊTE 

tuellement  malades  de  douleur  de  côté1.  Ils  prétendaient  que  ce 
serait  une  action  louable  de  tout  céder  dans  ce  but  et  que  certaine- 
ment nous  autres,  qui  étions  bien  portants,  nous  approuverions  cette 
mesure.  Mais  il  s'agit  de  comprendre  que,  s'ils  s'exprimaient  ainsi 
avec  Gortès,  c'était  après  mûre  réflexion  et  dans  l'espoir  qu'il  ajoute- 
rait un  appoint  aux  misérables  parts  qui  paraissaient  nous  revenir; 
car  ils  ne  perdaient  pas  le  soupçon  que  l'on  tenait  tout  caché. 

Le  général  répondit  qu'il  calculerait  les  parts  qui  revenaient  à  cha- 
cun et  qu'après  mûr  examen  il  apporterait  remède  à  toutes  choses. 
Or  comme  nous  tous,  capitaines  et  soldats,  voulions  savoir  ce  qui 
nous  revenait,  nous  insistions  pour  qu'on  fît  les  comptes  et  qu'on 
déclarât  à  combien  de  piastres  chacun  avait  droit.  Il  fallut  donc  se 
résoudre  à  bien  examiner  les  choses,  et  l'on  finit  par  dire  qu'il  reve- 
nait cent  piastres  à  chaque  cavalier  ;  pour  ce  qui  est  des  arbalétriers, 
des  escopettierset  des  gens  d'épée  et  de  rondache,  je  ne  me  souviens 
pas  du  montant  de  leurs  parts.  Le  fait  est  que  lorsqu'on  eut  connais- 
sance de  la  valeur  des  lots,  aucun  soldat  ne  voulut  accepter  le  sien. 
Des  murmures  s'élevèrent  contre  Gortès  et  contre  le  trésorier  Aide- 
rete.  Mais  celui-ci  disait,  pour  sa  décharge,  qu'il  était  impossible  de 
répartir  davantage,  parce  que  Gortès  prélevait  sur  la  masse  un  cin- 
quième égal  à  celui  de  Sa  Majesté  et  que  d'ailleurs  il  se  rembour- 
sait de  la  perte  des  chevaux  qui  avaient  été  tués.  Le  trésorier  ajoutait 
qu'on  n'avait  pas  compris  dans  la  masse  générale  plusieurs  autres 
pièces  qui  devaient  être  adressées  à  Sa  Majesté,  et  qu'au  surplus 
c'était  à  Gortès  et  non  à  lui  que  nous  devions  nous  en  prendre. 

Or  il  y  avait,  dans  chacune  des  trois  divisions  de  l'armée,  des  sol- 
dats qui  avaient  été  amis  et  commensaux  de  Diego  Velasquez,  gou- 
verneur de  Guba,  qui  étaient  venus  avec  Narvaez  et  qui  n'aimaient  pas 
notre  général.  Quand  ils  virent  qu'on  ne  leur  donnait  pas  la  part  d'or 
qu'ils  auraient  désirée,  ils  ne  voulurent  pas  recevoir  ce  qu'on  leur 
offrait.  En  ce  moment,  Gortès  résidait  àCuyoacan;  il  avait  ses  logements 
dans  des  palais  dont  les  murs,  récemment  blanchis  à  la  chaux,  se 
prêtaient  à  merveille  à  ce  qu'on  y  pût  écrire  avec  du  charbon  ou  au- 
tres substances  colorantes.  Or,  chaque  matin  on  y  voyait  figurer  des 
inscriptions,  en  vers  et  en  prose,  pleines  de  malice  et  de  pensées  sa- 
tiriques. Un  jour  on  y  lisait  que  le  soleil,  la  lune,  le  ciel,  les  étoiles, 
la  mer  et  la  terre  ont  tous  leur  course  réglée  et  que  si  quelqu'un 
d'eux  s'incline  au  delà  des  limites  pour  lesquelles  il  a  été  créé,  il  ne 
tarde  pas  à  y  rentrer;  et  c'est  ainsi,  ajoutait  l'inscription,  qu'il  en 
arriverait  à  propos  de  l'ambition  immodérée  dont  Gortès  faisait  preuve 

1.  Lé  lecteur  aura  l'occasion  de  remarquer  la  fréquence  avec  laquelle  l'auteur  parle 
des  soldats  atteints  de  «  douleur  de  côté  »  (dolor  de  coslado).  On  appelle  ainsi  vul- 
gairement la  pleurésie  ou  pleuro-pneumonie.  C'est  encore  aujourd'hui  un  genre  de 
maladie  fort  redouté  sur  le  plateau. 


DE  LA  NOUVELLE-ESPAGNE.  545 

en  son  commandement.  D'autres  disaient  qu'il  nous  traitait,  nous, 
comme  chose  plus  conquise  que  le  pays  même  objet  de  notre  con- 
quête; que  nous  ne  devions  plus  nous  appeler  les  conquérants  de  la 
Nouvelle-Espagne,  mais  les  conquis  de  FernandCortès.  D'autres  écri- 
vaient que  ce  n'était  pas  assez  de  prendre  sa  part  du  butin  en  qualité 
de  général,  qu'il  lui  fallait  encore  son  cinquième  comme  s'il  était  le 
Roi,  sans  compter  d'autres  bénéfices  dont  il  était  avantagé.  Quel- 
qu'un écrivit  cette  exclamation  :  «  0  que  mon  âme  est  triste  jusqu'à 
ce  que  ma  part  soit  venue  !  »  Quelques  autres  y  prétendaient  que 
Diego  Velasquez  avait  dépensé  son  avoir  afin  de  découvrir  toute  la 
côte  jusqu'au  Panuco,  pour  que  Gortès  en  eût  la  jouissance.  Bien 
d'autres  choses  étaient  inscrites  dans  un  sens  analogue;  on  lisait 
même  sur  ces  murs  des  paroles  qui  ne  seraient  pas  bonnes  à  répéter 
dans  ce  récit. 

Gortès  lisait  toutes  ces   choses   en   sortant  chaque  matin.  Or,  ces 
pasquinades  étaient  les  unes  en  prose,  les  autres  en  vers,  quelques- 
unes  d'un  style  agréable,  dans  une  forme  qui  convenait  aux  fins  que 
l'on  s'était  proposées,  et   nullement  comme  ici  je  l'expose.  Comme 
d'ailleurs  Gortès  "était  un  peu  poète,  il  se  piquait   d'adresser  des  ré- 
ponses toutes  à  la  louange  de  ses  actions  héroïques,  au  détriment  de 
celles  de  Diego  Velasquez,  de  Grijalva  et  de  Narvaez.  Il  le  faisait  en 
bons  termes,  appropriant  la  forme  à  son  dire.  Mais  chaque  jour  les 
inscriptions  devenaient  plus  éhontées,  jusqu'à  ce  qu'enfin  Gortès  se 
résolut  à  écrire  ce  qui  suit  :  «  Muraille  blanchie  est  papier  d'imbéci- 
les....»  Mais  la  nuit  suivante  on  écrivit  à  la   suite   de   ces  mots: 
«  ....  Et  de  gens  judicieux  aussi  bien  que  de  bonnes  vérités.  »  Gor- 
tès n'ignorait  pas  qui  écrivait  toutes  ces  choses.  C'était  un  certain 
Pirado,  ami  de  Diego  Velasquez   et   gendre  du  vieux  Ramircz  qui 
vécut  à  Puebla;  c'était  Villalobos,  celui  qui  s'en  revint  en  Gastille; 
c'étaient  aussi  un  nommé  Mancilla  et  d'autres  qui  aidaient  volontiers 
à  lancer  des  traits  contre  le  général.  Les  choses  en  vinrent  à  ce  point 
que  fray  Bartolomé  de  Olmedo  crut  devoir  dire  à  Cortès  de  ne  pas 
permettre  que  cela  allât  plus  loin,  et  d'employer  des  moyens  de  pru- 
dence pour  qu'il  ne  fût  plus  rien  écrit  sur  la  muraille.  Le  conseil 
était  bon.  Gortès  ordonna  que  personne  n'eût  plus  l'indiscrétion  d'é- 
crire ces  pasquinades  malicieuses,  assurant  qu'il  châtierait  sévère- 
ment les  effrontés  qui  oseraient  se  le  permettre.  Gela  produisit,  ma 
foi,  son  effet. 

Nous  en  finirons  sur  ce  sujet  pour  dire  que  plusieurs  de  nous 
étaient  endettés,  car  les  arbalètes  coûtaient  cinquante  ou  soixante 
piastres,  une  escopette  cent,  un  cheval  huit  cents  ou  mille  piastres  et 

!  quelquefois  davantage;  une  épée  valait  cinquante  piastres,  ainsi  de 
suite  en  ce  qui  regarde  la  cherté  de  toutes  les  choses  que  nous  de- 
vions acheter.  Au  surplus,  un  chirurgien  qui  s'appelait  maître  Jean 

35 


546  CONQUÊTE 

et  qui  savait  soigner  certaines  mauvaises  blessures,  faisait  monter  le 
traitement  à  des  prix  excessifs.  Un  médecin  nommé  Murcia,  qui  était 
apothicaire  et  barbier,  se  mêlait  aussi  de  nous  soigner.  Toutes  ces 
dettes  et  autres  misères  que  nous  devions,  on  demandait  à  en  être 
payé  sur  les  parts  de  butin  qui  nous  revenaient.  Gortès,  dans  le  but 
de  porter  remède  à  cet  état  de  choses,  désigna  deux  personnes  con- 
sciencieuses, expertes  dans  les  prix  des  objets,  pour  qu'elles  appré- 
ciassent ce  que  pouvaient  valoir  les  effets  et  les  armes  dont  nous 
avions  profité  à  crédit.  L'un  de  ces  commissaires-priseurs  s'appelait 
Santa  Clara,  homme  très-honoral>le,  et  l'autre  était  un  certain  Lle- 
rena.  Il  fut  ordonné  que  les  évaluations  ainsi  faites  de  chacune  des 
choses  qui  nous  avaient  été  vendues  et  des  traitements  des  médecins 
seraient  mutuellement  acceptées  par  les  intéressés,  et  que  si  l'ar- 
gent nous  manquait  pour  les  acquitter,  on  attendrait  deux  ans  encore. 

On  prit,  en  outre,  la  mesure  d'ajouter  trois  carats  d'alliage  à  tout 
or  que  l'on  fondait,  afin  que  les  paiements  fussent  plus  faciles.  Or, 
en  ce  même  temps  il  arriva  des  marchands  avec  des  navires  à  la  Villa 
Rica.  Ce  fut  à  ce  propos  qu'après  avoir  cru  que  cet  alliage  serait  un 
soulagement  pour  le  pays  et  pour  les  conquistadores,  nous  pûmes 
nous  convaincre  que  non-seulement  il  n'en  serait  pas  ainsi,  mais  qu'il 
en  résultait  un  véritable  préjudice.  Dans  le  but  d'arriver  aux  bénéfi- 
ces qu'ils  s'étaient  proposés,  en  effet,  les  trafiquants  ajoutaient  cinq 
carats  aux  prix  de  leurs  marchandises.  C'est  à  cela  que  nous  servit 
notre  monnaie  aux  trois  carats  de  tepuzque1  (ce  mot  veut  dire  cuivre 
en  langue  indienne).  Nous  puisâmes  dans  cette  mésaventure  l'habi- 
tude d'une  manière  de  parler  qui  subsiste  encore  entre  nous.  Pour 
désigner  des  personnages  de  rang  élevé  et  vraiment  méritants,  nous 
nous  contentons  habituellement  de  dire  :  Monsieur  un  tel  (Juan, 
Martin,  ou  Alonso),  et  nous  appelons  de  même,  seulement  par  leurs 
noms,  les  gens  d'un  égal  mérite.  Mais  lorsque  des  différences  indivi- 
duelles se  remarquent  entre  eux,  nous  faisons  ressortir  ces  différen- 
ces en  disant  :  Monsieur  Tejtuzque  un  tel. 

Revenons  à  notre  récit  pour  dire  qu'après  avoir  reconnu  l'injustice 
de  faire  circuler  l'or  sous  cette  forme,  on  le  lit  savoir  à  Sa  Majesté 
pour  qu'elle  mît  fin  à  cet  abus  et  qu'il  ne  se  propageât  pas  dans  la 
Nouvelle-Espagne.  L'Empereur  eut  la  bonté  d'ordonner  que  la  cir- 
culation en  fût  prohibée  ;  qu'à  l'avenir  on  payât  avec  cet  or  de  mau- 
vais aloi  tous  les  droits  fiscaux  et  toutes  amendes  jusqu'à  ce  qu'il  fût 
épuisé,  et  qu'on  n'en  pariât  plus.  C'est  ainsi  que  tout  cet  or  se  ren- 
dit en  Castillc.  Je  veux  aussi  faire  mémoire  qu'à  cette  même  époque 
on  pendit  deux  orfèvres  qui  falsifiaient  les  timbres  en  les  appliquant 
sur  du  cuivre  pur. 

1.  L'auteur  <lit  ailleurs  plus  justement  lepuztle.  En  langue  nahuatl,  eu  effel 
lejjuzlli  veut  dire  euivre  ou  1er. 


DE  LA  NOUVELLE-ESPAGNE.  547 

J'avoue  que  je  me  suis  trop  arrêté  à  conter  de  vieilles  histoires  en 
m'écartant  de  mon  récit.  Il  est  temps  d'y  revenir  pour  dire  que, 
voyant  l'effronterie  de  plusieurs  de  ses  hommes  à  lui  réclamer  des 
parts  de  butin  plus  élevées,  à  prétendre  qu'il  gardait  tout  pour  lui  et 
à  lui  demander  des  avances  à  titre  de  prêt,  Gortès  prit  la  résolution 
de  se  délivrer  de  cet  embarras  en  faisant  occuper  toutes  les  provin- 
ces qui  lui  paraissaient  bonnes  à  coloniser.  Il  envoya  Sandoval  àTus- 
tepeque,  lui  enjoignant  d'y  châtier  des  garnisons  mexicaines  qui,  lors 
de  notre  fuite  de  Mexico,  avaient  tué  soixante  personnes  appartenant 
à  l'expédition  de  Narvaez,  et  parmi  elles  six  femmes  de  Gastille,  qui 
s'étaient  arrêtées  en  cette  localité.  Ce  capitaine  avait  aussi  mission  de 
coloniser  Medellin  et  de  passer  à  Gruazacualco  dans  le  même  dessein. 
Ordre  fut  donné  aussi  d'aller  conquérir  la  province  de  Panuco.  Ro- 
drigo Rangel  devait  rester  dans  la  Villa  Rica  avec  Pedro  de  Ircio. 
Gortès  envoya  Juan  Velasquez  Ghico  à  Golima,  et  un  certain  Villafuerte 
à  Zacatula.  Ghristoval  de  Oli  fut  destiné  à  aller  à  Mechoacan.  Ce 
capitaine  s'était  déjà  marié  avec  une  dame  portugaise  nommée 
dona  Filipa  de  Araujo.  Francisco  de  Orozco  fut  destiné  à  coloniser 
Guaxaca. 

Du  reste,  à  l'époque  même  où  nous  prîmes  Mexico,  lorsque  dans 
toutes  ces  provinces  que  je  viens  de  dire  on  apprit  la  destruction  de 
la  capitale,  leurs  caciques  et  personnes  de  qualité  n'y  pouvaient 
ajouter  foi.  Gomme  d'ailleurs  ils  étaient  fort  éloignés,  ils  envoyaient 
des  personnages  de  distinction  pour  féliciter  Gortès  de  sa  victoire  et 
s'offrir  à  lui  en  qualité  de  vassaux  de  Sa  Majesté.  Gcs  émissaires 
étaient  au  surplus  chargés  de  s'assurer  s'il  était  vrai  que  cette  cé- 
lèbre Mexico,  tant  redoutée  par  eux,  fût  actuellement  en  ruines.  Ils 
apportaient  de  grands  présents  en  or  pour  notre  générai,  et  ils  se  fai- 
saient suivre  de  leurs  enfants  en  bas  âge  pour  leur  montrer  la 
grande  capitale  et  leur  répéter  le  mot  si  connu  parmi  nous  :  «  Ici 
fut  Troie.  » 

Il  importe  maintenant  que  je  dise  les  conversations  que  j'ai  eues 
avec  quelques  curieux  lecteurs  qui  me  demandent  pour  quelle  raison, 
nous,  les  vrais  conquistadores  de  la  Nouvelle-Espagne  et  de  la  puis- 
sante ville  de  Mexico,  nous  marchions  sur  d'autres  provinces,  au 
lieu  de  rester  dans  la  capitale  pour  la  coloniser.  Je  trouve  la  question 
raisonnable  et  voici  comment  j'y  réponds.  Nous  découvrîmes  dans  les 
livres  des  revenus  de  Montezuma  quels  étaient  les  lieux  d'où  l'or  lui 
venait,  et  dans  quelles  parties  du  pays  il  y  avait  des  mines,  du  cacao  et 
des  étoffes.  Or  nous  avions  précisément  l'ambition  d'aller  dans  tous 
les  endroits  signalés  sur  ces  registres  comme  ayant  été  le  point  de 
départ  des  tributs  en  or  pour  le  grand  Montezuma.  Nous  y  étions 
poussés  surtout  en  voyant  partir,  de  Mexico,  un  de  nos  principaux 
chefs,  ami  de  Gortès,  le  capitaine  Sandoval;   et  d'autant  plus  qu'il 


548  CONQUETE 

était  à  notre  connaissance  que  les  environs  de  Mexico  n'avaient  ni 
mines  d'or,  ni  coton,  ni  cacao,  mais  simplement  du  maïs  et  des  ma- 
gueyes  qui  servent  à  fabriquer  le  vin  du  pays,  circonstances  qui  nous 
faisaient  regarder  comme  pauvre  le  lieu  où  nous  étions  et  nous  pous- 
saient à  partir  vers  des  provinces  éloignées,  dans  le  Lut  de  les  colo- 
niser. Nous  commîmes  en  cela  une  grave  erreur.  Je  me  rappelle,  à  ce 
propos,  que  je  fus  parler  à  Cortès  pour  lui  demander  l'autorisation  de 
partir  avec  Sandoval;  il  me  répondit  :  «  Sur  ma  conscience,  Bernai 
Diaz  del  Gastillo,  mon  frère,  je  crois  que  vous  avez  tort;  je  voudrais 
vous  voir  rester  ici  avec  moi  ;  mais  si  vous  avez  décidé  d'aller  avec 
votre  ami  (jonzalo  de  Sandoval,  partez,  et  bonne  chance;  je  prendrai 
toujours  soin  qu'il  ne  vous  manque  rien,  mais  je  suis  sûr  que  vous 
vous  repentirez  de  vous  être  séparé  de  moi.  » 

Reparlons  encore  une  fois  de  la  part  qui  nous  revenait  du  butin  en 
or,  afin  de  dire  que  tout  resta  entre  les  mains  des  commissaires  du 
Roi,  en  payement  des  femmes  esclaves  que  nous  nous  étions  adjugées 
dans  les  encans  publics. 

Je  ne  ferai  pas  mémoire  ici  du  nombre  exact  des  cavaliers,  arbalé- 
triers et  escopettiers  qui  s'adjoignirent  aux  divers  capitaines  à  desti- 
nation des  provinces  à  coloniser.  Je  ne  dirai  pas  non  plus  quels  jours 
de  quels  mois  furent  fixés  pour  leur  départ.  Ce  serait  là  allonger 
inutilement  mon  récit.  Il  suffira  de  dire  que  ce  fut  peu  de  temps 
après  la  prise  de  Mexico  et  de  Guatemuz,  et  que  deux  mois  plus  tard 
notre  général  envoya  encore  deux  capitaines  en  d'autres  provinces. 

Nous  avons  maintenant  à  raconter  qu'en  ce  même  temps  arrivait  à 
la  Villa  Rica,  avec  deux  navires,  un  certain  Christobal  de  Tapia,  ins- 
pecteur1 des  établissements  qui  se  fondaient  à  Saint-Domingue  ; 
quelques-uns  disaient  même  qu'il  était  le  gouverneur  de  la  forteresse 
principale  de  cette  île.  Il  venait  muni  de  provisions  avec  des  lettres 
missives  de  Don  Juan  Rodriguez  de  Fonseca,  pour  que  le  gouverne- 
ment de  la  Nouvelle-Espagne  lui  fût  livré  par  nous.  Je  vais  dire  à  la 
suite  ce  qui  arriva  à  ce  sujet. 

].  Le  texte  espagnol  dit  veedor.  J'ai  eu  la  tentation  de  laisser  le  mot  non  traduit. 
Il  est  en  effet  difficile  pour  moi  de  dire  son  véritable  équivalent  en  français.  Factor, 
vecdur,  lesorero,  contador  sont  en  effet  quatre  termes  qui  servent  à  désigner  quatre 
situations  différentes  dans  les  emplois  des  tinances  royales.  Il  a  été  malaisé  pour  moi 
de  me  faire  une  idée  exacte  des  attributions  afférentes  à  chacun  des  employés  dont 
les  titres  se  représentent  par  les  quatre  mots  qui  précèdent.  Je  crois  cependant  que 
le  factor  exerçait  les  droits  d'intendance  générale  ;  le  vecdor  était  chargé  des  inspec- 
tions- le  lesorero  et  le  contador  se  partageaient  à  différents  titres  les  attributions 
de  caissier  et  de  comptable. 


DE  LA  NOUVELLE-ESPAGNE.  549 


CHAPITRE  CL VIII 

Comme  quoi  débarqua  à  la  Villa  Rica  un  certain  Christobal  de  Tapia  qui  venait 

pour  être  gouverneur. 

Aussitôt  que  Gortès  eut  donné  ses  ordres  de  départ  aux  capitaines 
et  soldats  par  moi  nommés,  pour  pacifier  et  coloniser  les  provinces, 
il  apprit  l'arrivée  d'un  certain  Christobal  de  Tapia,  inspecteur  de 
l'île  de  Saint-Domingue,  qui  venait  avec  des  provisions  de  Sa  Majesté, 
visées  par  don  Juan  Rodriguez  de  Fonseca,  pour  qu'il  fut  reconnu 
comme  gouverneur  de  la  Nouvelle-Espagne.  Outre  ces  provisions,  il 
apportait  plusieurs  lettres  missives  de  l'évêque  pour  Gortès,  ainsi 
que  pour  quelques-uns  des  conquistadores  et  des  capitaines  venus 
avec  Narvaez.  Ces  lettres  avaient  pour  but  d'obtenir  leur  bon  vouloir 
en  faveur  de  Christobal  de  Tapia.  En  sus  de  ces  lettres  pliées  et 
scellées  au  sceau  de  l'évêque,  il  y  en  avait  d'autres  signées  en  blanc 
afin  que  Tapia,  en  arrivant  à  la  Nouvelle-Espagne,"  y  pût  inscrire 
tout  ce  qui  serait  conforme  à  ses  désirs.  Toutes  les  lettres,  du  reste, 
contenaient  de  grandes  promesses  de  la  part  de  l'évêque,  qui  nous 
faisait  entrevoir  des  bénéfices  considérables  pour  le  cas  où  nous  ins- 
tallerions Tapia  dans  son  gouvernement.  Mais  il  y  était  dit  que, 
dans  le  cas  contraire,  Sa  Majesté  ne  manquerait  pas  de  nous  faire 
châtier. 

Tapia  exhiba  donc  ses  pouvoirs,  à  la  Villa  Rica,  à  Gonzalo  de  Al- 
varado, frère  de  Pedro  de  Alvarado,  qui  était  alors  le  lieutenant  de 
Cortès  dans  cette  ville,  parce  que  Rodrigo  Rangel,  qui  en  était  aupa- 
ravant l'alcalde  mayor,  y  avait  commis  je  ne  sais  quelles  folies  qui  lui 
firent  enlever  cet  emploi.  Mis  en  présence  de  ces  pouvoirs,  Gonzalo 
de  Alvarado  témoigna  son  respect  en  les  élevant  au-dessus  de  sa  tête 
comme  provenant  de  son  Roi  et  seigneur;  mais  pour  ce  qui  était  d'en 
exécuter  le  contenu,  il  demandait  à  réunir  les  alcaldes  et  les  regi- 
dores  de  cette  ville  pour  en  traiter  en  conseil,  dans  le  but  de  voir  de 
quelle  manière  lesdits  pouvoirs  avaient  été  obtenus  et  comment  tous 
ensemble  ils  y  donneraient  obéissance.  Alvarado  ajoutait  que,  quant. 
à  lui,  il  ne  pouvait  parler  qu'en  son  propre  nom,  et  que  d'ailleurs  il 
importait  d'examiner  si  Sa  Majesté  savait  réellement  que  ces  pou- 
voirs eussent  été  destinés  à  leur  but  actuel.  Cette  réponse  ne  fui.  pas 
du  goût  de  Tapia.  On  lui  conseilla,  du  reste,  de  se  rendre  sans  re- 
tard à  Mexico  où  se  trouvait  Coriès  avec  ses  capitaines  et  soldais, 
dans  l'espoir  qu'ils  s'empresseraient  tous  d'obéir  aux  lettres  en  ques- 
tion. Quoi  qu'il  en  soit,  avant  de  les  présenter,  Tapia  crut  devoir 
écrire  à  Cortès  pour  lui   expliquer  comment  il  venait  en  qualité  de 


550  CONQUÊTE 

gouverneur.  Or,  comme  notre  général  était  doué  d'une  grande 
finesse,  en  voyant  la  missive  courtoise  du  nouveau  venu  ainsi  que  les 
offres,  promesses  et  menaces  de  i'évêque  de  Burgos,  il  s'empressa  de 
répondre  aux  compliments  de  Tapia  par  des  paroles  mieux  choisies 
et  plus  flatteuses  encore,  très-mielleuses,  très-amicales,  et  toutes 
pleines  de  politesses.  En  même  temps  il  ordonna  à  certains  de  nos 
capitaines  de  se  présenter  à  Tapia;  ce  lurent  Pedro  de  Alvarado, 
G-onzalo  de  Sandoval,  Diego  de  Soto,  un  certain  Valdenebro  et  le  ca- 
pitaine Andrès  de  Tapia.  Il  leur  fit  dire,  par  des  courriers,  qu'ils 
différassent  pour  le  moment  les  soins  à  donner  à  la  colonisation  des 
provinces  où  ils  se  trouvaient  et  qu'ils  se  rendissent  à  la  Villa  Rica 
où  devait  être  encore  Ghristobal  de  Tapia.  Par  son  ordre,  au  sur- 
plus, devait  y  aller,  avec  eux,  le  moine  fray  Pedro  Melgarojo  de 
Urrea. 

Mais  Tapia  était  déjà  en  route  vers  Mexico,  pour  se  rendre  auprès 
de  Gortès.  Il  rencontra  en  chemin  les  susdits  capitaines,  ainsi  que  le 
moine.  Tous  ensemble,  employant  les  meilleures  paroles  et  pro- 
messes, obtinrent  que  le  voyageur  revînt  sur  ses  pas  jusqu'à  Gem- 
poal.  Là,  ils  le  prièrent  de  montrer  encore  une  fois  ses  pouvoirs  pour 
qu'ils  jugeassent  la  nature  des  ordres  de  Sa  Majesté,  la  connaissance 
où  Elle  était  de  leur  destination  et  l'authenticité  de  sa  signature 
royale,  promettant,  du  reste,  de  leur  donner  obéissance  au  nom  de 
Fernand  Gortès  et  de  toute  la  Nouvelle-Espagne,  attendu  qu'ils 
avaient  la  mission  d'agir  ainsi.  Tapia  s'empressa  de  leur  présenter 
de  nouveau  et  de  leur  signifier  ses  pouvoirs.  Alors,  tous  nos  capi- 
taines témoignèrent  de  leur  respect  en  les  voyant  et  les  portèrent 
humblement  au-dessus  de  leurs  têtes  comme  émanant  de  notre  Roi 
et  seigneur.  Pour  ce  qui  était  d'exécuter  les  ordres  qui  y  étaient  con- 
tenus au  nom  de  notre  seigneur  l'Empereur,  ils  demandèrent  à  en 
référer  à  Sa  Majesté,  prétendant  qu'Elle  en  ignorait  la  portée  et  ne 
savait  absolument  rien  des  faits  qui  s'y  rattachaient.  Ils  ajoutèrent 
que  Ghristobal  de  Tapia  n'était  nullement  dans  les  conditions  dési- 
rables pour  être  leur  gouverneur  et  que  I'évêque  de  Burgos,  l'ennemi 
de  tous  les  conquistadores  de  la  Nouvelle-Espagne,  se  permettait  d'in- 
tervenir dans  leurs  affaires  sans  en  instruire  dûment  Sa  Majesté, 
cherchant  à  favoriser  Diego  Velasquez  et  Tapia,  dans  le  but  de  ma- 
rier avec  l'un  d'eux  une  demoiselle  Fonseca,  sa  propre  nièce. 

Tapia  tomba  malade  de  dépit  en  voyant  qu'il  ne  tirait  aucun  parti 
ni  de  ses  discours,  ni  de  sa  commission,  ni  de  toutes  ses  promesses, 
pas  plus  que  des  compliments  contenus  dans  ses  lettres.  Nos  capi- 
taines, du  reste,  écrivaient  à  Gortès  tout  ce  qui  se  passait,  le  priant 
d'envoyer  des  disques  d'or  et  des  lingots  avec  lesquels  ils  comptaient 
calmer  les  transports  de  Tapia.  L'or  vint  par  des  courriers  rapides, 
ce  (fui  permit  d'acheter  audit  Tapia  ses  nègres,  trois  chevaux  et  un 


DE  LA  NOUVELLE-ESPAGNE.  551 

de  ses  navires.  L'autre  navire  lui  servit  à  s'embarquer,  et  il  revint  à 
Saint-Domingue  d'où  il  était  parti.  Lorsqu'il  y  arriva,  les  juges  du 
Haut  Tribunal,  dont  c'était  la  résidence,  et  les  Frères  hiéronymites, 
qui  en  étaient  gouverneurs,  témoins  de  ce  singulier  retour,  se  mon- 
trèrent très-courroucés  contre  lui,  parce  qu'avant  son  départ  de  l'île 
pour  la  Nouvelle-Espagne  ils  lui  avaient  intimé  l'ordre  exprès  de  ne 
pas  y  aller  en  des  circonstances  qui  pussent  nuire  au  développement 
de  nos  conquêtes  dans  le  Mexique.  Mais,  comptant  sur  l'appui  de  l'é- 
vêque  de  Burgos  don  Juan  Rodriguez  de  Fonseca,  il  s'était  refusé  à 
obéir,  parce  qu'il  n'ignorait  pas  que  les  auditeurs  n'oseraient  jamais 
contrecarrer  les  volontés  de  l'évêquc  qui  était  président  du  Conseil 
des  Indes,  Sa  Majesté  se  trouvant  encore  en  Flandre  et  n'étant  point 
de  retour  en  Gastille. 

Nous  en  finirons  là  avec  Tapia ,  pour  dire  que  Gortès  envoya 
Pedro  de  Alvarado  coloniser  Tutepeque,  qui  était  un  pays  très-riche 
en  mines  d'or.  Mais,  pour  que  ceux  qui  ne  connaissent  pas  ces  loca- 
lités n'en  ignorent, je  ferai  observer  que  le  Tustepeque  où  fut  envoyé 
(jonzalo  de  Sandoval  n'est  pas  le  même  que  le  Tutepeque  où  va 
actuellement  Pedro  de  Alvarado,  et  je  prends  soin  de  m'expliquer 
ainsi  pour  qu'on  ne  m'accuse  pas  d'avoir  fait  partir  deux  capitaines 
pour  coloniser  une  seule  province  d'un  nom  unique ,  tandis  que  ce 
sont  deux  pays  distincts. 

Gortès  résolut  aussitôt  d'occuper  le  fleuve  Panuco,  parce  qu'il  avait 
reçu  la  nouvelle  des  grands  préparatifs  de  Francisco  de  Graray  pour 
venir  fonder  cette  même  colonie,  attendu  que,  paraît-il,  Sa  Majesté 
lui  avait  attribué  le  gouvernement  et  la  conquête  de  ce  pays,  ainsi 
que  je  l'ai  longuement  raconté  dans  les  chapitres  précédents  à  propos 
des  navires  dont  G-aray  s'était  fait  précéder  et  qui  furent  vaincus  et 
repoussés  par  les  Indiens  de  cette  province  de  Panuco.  Notre  général 
s'empressa  donc  de  procéder,  afin  que,  si  Garay  venait,  il  trouvât  la 
colonisation  installée  au  nom  de  Gortès. 

Changeons  de  sujet  et  disons  comme  quoi  Gortès  expédia  encore 
une  fois  Rodrigo  Rangel  à  la  Villa  Rica  en  qualité  de  lieutenant,  à 
la  place  de  Gronzalo  de  Alvarado,  avec  ordre  de  lui  envoyer  sans  retard 
Pamphilo  de  Narvaez  à  Cuyoacan  où  il  résidait  encore ,  attendant 
pour  s'établir  à  Mexico  qu'on  eût  fini  les  maisons  et  les  palais  qu'il 
devait  habiter.  S'il  demanda  l'envoi  de  Pamphilo  de  Narvaez,  c'est 
qu'il  avait  appris  que  celui-ci  avait  dit  à  Tapia,  qui  arrivait  à  la 
Villa  Rica  avec  ses  provisions  :  «  Senor  Tapia,  il  me  paraît  que  vous 
venez  aussi  bien  pourvu  que  je  l'étais  moi-même,  pour  en  arriver 
sans  doute  à  un  pareil  résultat  ;  or  voyez  où  j'en  suis,  après  avoir 
possédé  une  si  bonne  armée;  croyez-m'en,  veillez  sur  votre  personne, 
de  crainte  qu'il  ne  vous  en  coûte  la  vie.  Ne  perdez  pas  inutilement 
votre  temps,  car  la  bonne  chance  de  Gortès  et  de  ses  soldats  n'est  pas 


552  CONQUÊTE 

encore  finie.  Faites  en  sorte  qu'on  vous  donne  un  peu  d'or  en 
échange  de  toutes  ces  choses  que  vous  apportez  et  allez-vous-en  en 
Gastille  vous  présenter  à  Sa  Majesté.  Vous  ne  manquerez  pas  là  de 
quelqu'un  qui  vous  aide.  Vous  pourrez  dire  alors  tout  ce  qui  se  passe, 
ayant,  comme  vous  l'avez,  l'appui  de  l'évêque  de  Burgos.  En  agissant 
ainsi,  vous  serez  Lien  avisé.  » 

Quoi  qu'il  en  soit ,  disons  que  Narvaez  se  mit  en  route  pour 
Mexico;  il  vit  les  grandes  villes  et  les  peuplades  du  parcours;  il 
tomba  en  admiration  en  apercevant  Tezcuco  et  plus  encore  en  voyant 
Guyoacan.  Son  étonnement  redoubla  à  l'aspect  de  la  grande  lagune 
avec  les  villes  qui  s'y  trouvent  édifiées,  et  Mexico  îa  plus  vaste  de 
toutes.  Gortès,  ayant  su  son  approche,  ordonna  qu'on  lui  rendît  les 
plus  grands  honneurs.  Arrivé  devant  lui,  Narvaez  tomba  à  genoux 
et  voulut  lui  baiser  les  mains,  mais  Gortès  s'en  défendit,  le  fit  lever, 
l'embrassa  en  lui  témoignant  la  plus  vive  amitié  et  le  fit  asseoir  à 
son  côté.  Narvaez  prenant  alors  la  parole  lui  dit  :  «  Seigneur  capi- 
taine, je  dis  maintenant  en  vérité  que  la  moindre  action  de  Votre 
Grâce  et  de  ses  valeureux  soldats  dans  la  Nouvelle-Espagne,  ce  fut 
de  me  battre  et  de  me  faire  prisonnier  malgré  les  forces  qui  m'accom- 
pagnaient; et  il  en  eût  été  de  même  si  celles-ci  eussent  été  plus  con- 
sidérables; car  j'ai  vu  le  grand  nombre  de  villes  et  de  pays  que 
Votre  Grâce  a  domptés  et  assujettis  au  service  de  Dieu  Notre  Sei- 
gneur et  de  l'Empereur  Gharles-Quint.  Votre  Grâce  peut  chanter  ses 
louanges  et  se  tenir  en  aussi  haute  estime  que  je  le  dis  ici  et  que  le 
diront  sans  doute  les  capitaines  les  plus  renommés  de  ce  temps, 
étant  bien  assuré  que  Votre  Grâce  peut  se  placer  à  la  tête  des 
hommes  illustres  et  pleins  de  gloire  qui  ont  vécu  jusqu'à  nos  jours  ; 
car  il  n'existe  pas  une  autre  ville  aussi  fortement  défendue  que 
Mexico  ;  aussi  Votre  Grâce  et  ses  valeureux  soldats  sont-ils  dignes 
des  plus  grandes  et  des  plus  nombreuses  faveurs  de  Sa  Majesté.  »  A 
ces  louanges  et  à  d'autres  encore  Gortès  se  contenta  de  répondre  que 
nos  personnes  n'auraient  pas  eu  assez  de  valeur  pour  accomplir  tout 
ce  qui  avait  été  fait  et  qu'il  y  fallait  reconnaître  la  haute  miséricorde 
de  Dieu  Notre  Seigneur,  qui  toujours  nous  aidait,  ainsi  que  la  bonne 
fortune  de  notre  grand  Empereur. 

Nous  abandonnerons  ce  colloque  et  nous  ne  parlerons  pas  des  pro- 
messes, que  Narvaez  fit  à  Gortès,  d'être  son  humble  serviteur,  pour 
dire  comme  quoi,  dans  ce  même  temps,  notre  général  transporta  sa 
résidence  à  l'illustre  et  grande  ville  de  Mexico.  Il  y  choisit  les  em- 
placements destinés  à  la  construction  des  églises ,  monastères  et 
maisons  royales,  ainsi  que  des  espaces  pour  les  places  publiques. 
Il  y  donna  aussi  des  terrains  (solares)  à  tous  les  habitants.  Je  ne 
perdrai  pas  mon  temps  à  raconter  la  manière  dont  cette  capitale  est 
aujourd'hui  édifiée  ;  mais,  au  dire  d'un  grand  nombre  de  personnes 


DE  LA  NOUVELLE-ESPAGNE.  553 

qui  ont  visité  bien  des  parties  de  la  chrétienté,  on  n'a  jamais  vu  une 
ville  plus  populeuse,  plus  étendue,  et  possédant  do  plus  beaux 
édifices,  bien  pourvus  d'habitants.  Gortès  s'occupait  des  dispositions 
que  je  viens  de  dire  et  il  en  était  arrivé  à  son  meilleur  temps  de 
repos,  lorsqu'il  lui  vint  des  lettres  du  Panuco  lui  annonçant  que 
toute  la  province,  habitée  par  une  race  très-belliqueuse  et  nombreuse 
en  gens  de  guerre,  venait  de  se  soulever  et  de  prendre  les  armes.  On 
y  avait  déjà  tué  plusieurs  des  soldats  envoyés  par  Gortès  pour  la 
coloniser.  Notre  général  était  prié  d'expédier  sans  retard  les  plus 
grands  renforts  dont  il  pourrait  disposer.  Gortès  résolut  à  l'instant 
d'y  aller  en  personne  ,  parce  que  tous  ses  capitaines  étaient  partis 
pour  conquérir  ailleurs.  Il  emmena  autant  de  combattants  qu'il  en 
put  réunir  ,  des  cavaliers,  des  arbalétriers  et  des  gens  d'escopette. 
Heureusement ,  plusieurs  des  hommes  que  Tapia  avait  amenés  ve- 
naient d'arriver  à  Mexico.  D'autres  s'y  trouvaient  déjà,  provenant  du 
malheureux  voyage  de  Lucas  Vasquez  de  Aillon  à  la  Floride.  On  en 
avait,  aussi  quelques-uns  qui  étaient  venus  des  îles  à  cette  même 
époque.  Après  avoir  laissé  à  Mexico  un  bon  noyau  de  défense  avec 
Diego  de  Soto,  natif  de  Toro ,  pour  commandant,  Gortès  se  mit  en 
campagne.  Il  avait  bien  peu  de  ferrures  pour  ses  nombreux  chevaux, 
car  ceux-ci  dépassaient  le  nombre  de  cent  trente.  Du  reste,  il  emme- 
nait deux  cent  cinquante  hommes,  tant  arbalétriers  et  escopettiers 
que  gens  à  cheval  ;  il  s'adjoignit  aussi  dix  mille  Mexicains. 

Déjà  alors  Ghristobal  de  Oli  était  revenu  de  Mechoacan,  après  avoir 
pacifié  la  province.  Il  avait  amené  plusieurs  caciques  et  avec  eux  le 
fils  du  cacique  Gonci  qui  était  le  plus  grand  seigneur  de  toutes  ces 
provinces.  Ce  capitaine  avait  rapporté  en  même  temps  beaucoup 
d'or  mélangé  d'argent  et  de  cuivre.  Gortès  dépensa  dans  cette  expé- 
dition du  Panuco  une  grosse  somme  que  plus  tard  il  réclama  à  Sa 
Majesté  en  remboursement  de  ses  avances.  Mais  les  commissaires 
du  trésor  royal  ne  voulurent  pas  en  tenir  compte  et  se  refusèrent  à 
en  rien  payer,  prétendant  que  si  Gortès  avait  fait  cette  dépense  pour 
conquérir  la  province,  c'était  afin  d'empêcher,  en  s'en  emparant,  que 
Francisco  de  Garay,  qui  venait  pour  en  être  le  gouverneur,  pût  la 
faire  tomber  en  son  pouvoir,  attendu  que  Gortès  avait  eu  connais- 
sance que  ledit  Garay  allait  arriver  de  l'île  de  la  Jamaïque  avec  une 
grande  flotte  et  une  puissante  armée. 

Reprenons  plus  spécialement  notre  récit  et  disons  comme  quoi 
Gortès  arriva  avec  toutes  ses  forces  à  la  province  du  Panuco.  Ayant 
trouvé  les  habitants  disposés  à  se  battre,  il  leur  fit,  à  plusieurs  re- 
prises, proposer  la  paix;  mais  ils  refusèrent  de  se  soumettre.  En 
quelques  jours  eurent  lieu  plusieurs  rencontres.  On  lui  tua  trois 
soldats  ;  on  en  blessa  trente,  et  quatre  chevaux  furent  tués  dans  deux 
batailles  où  les  Indiens  l'avaient  attendu  de  pied  ferme. 


554  CONQUÊTE 

Parmi  les  Mexicains  nos  auxiliaires,  il  y  eut  deux  cents  blessés  et 
environ  cent  morts;  car  les  guerriers  guastèques —  c'est  ainsi  qu'on 
les  nomme  dans  ces  provinces  —  s'étaient  réunis  au  nombre  de 
soixante  mille  hommes  pour  venir  attendre  notre  général.  Notre  Sei- 
gneur permit  heureusement  qu'ils  fussent  mis  en  déroute.  Tout  le 
champ  de  bataille  où  ces  combats  eurent  lieu  fut  couvert  de  morts  et 
de  blessés  naguatèques,  naturels  de  ces  provinces.  Il  en  résulta  qu'ils 
renoncèrent  dès  lors  à  s'entendre  pour  nous  faire  la  guerre. 

Gortès  resta  huit  jours  dans  un  village  situé  non  loin  du  lieu  où 
s'étaient  livrés  ces  rudes  combats,  afin  de  soigner  les  blessés  et  d'en- 
terrer les  morts.  Les  provisions  y  étaient  abondantes.  Notre  général, 
pour  engager  l'ennemi  à  faire  la  paix,  envoya  le  moine  fray  Barto- 
lomé  de  Olmedo,  accompagné  de  dix  caciques  ,  personnages  choisis 
parmi  les  prisonniers  que  l'on  avait  faits  dans  ces  batailles.  On  leur 
adjoignit  dona  Marina  et  Geronimo  de  Àguilar,  que  Gortès  emmenait 
toujours  avec  lui.  Fray  Bartolomé  de  Olmedo  adressa  à  nos  adver- 
saires les  plus  judicieuses  paroles,  en  leur  demandant  comment  les 
habitants  de  ces  provinces  pourraient  s'empêcher  de  devenir  vassaux 
de  Sa  Majesté  ,  quand  ils  avaient  vu  ou  su  que,  malgré  sa  grande 
puissance  et  ses  guerriers  valeureux,  Mexico  était  aujourd'hui  dé- 
solée et  en  ruines  ;  mais  ils  pouvaient  se  présenter  sans  crainte  s'ils 
étaient  disposés  à  accepter  des  conditions  de  paix  ;  Gortès  ,  au  nom 
de  Sa  Majesté,  leur  pardonnerait  les  assassinats  commis  sur  les  Espa- 
gnols, En  somme,  le  discours  de  fray  Bartolomé  de  Olmedo  respirait 
d'une  part  tant  de  sentiments  d'amitié  et  laissait  percer  d'un  autre 
côté  de  si  terribles  menaces,  <|ue,  se  sentant  sans  cesse  harcelés, 
ayant  va  périr  beaucoup  des  leurs  tandis  que  tous  leurs  villages 
étaient  incendiés  et  ruinés,  ces  Indiens  se  résolurent  enfin  à  se  sou- 
mettre et  vinrent  trouver  Gortès,  lui  offrant  en  présent  des  bijoux  en 
or,  qui  à  la  vérité  n'étaient  pas  d'une  grande  valeur.  Notre  général 
reçut  leur  soumission  d'un  air  caressant  et  avec  les  démonstrations 
les  plus  affectueuses. 

Aussitôt  après,  il  se  rendit,  suivi  de  la  moitié  dé  son  monde,  au 
bord  d'un  fleuve  appelé  Ghila,  à  cinq  lieues  de  distance  de  la  mer.  Il 
envoya  des  messagers  à  toutes  les  peuplades  de  l'autre  rive  du  fleuve 
pour  les  inviter  à  se  soumettre;  mais  elles  s'y  refusèrent,  acharnées 
qu'elles  étaient  encore  contre  nous  à  la  suite  des'  massacres,  faits 
pendant  deux  ans,  des  hommes  envoyés  par  Garay  pour  coloniser  les 
pays  arrosés  par  ce  fleuve,  ainsi  que  je  l'ai  dit  dans  le  chapitre  qui 
en  a  traité.  Ces  Indiens  croyaient  qu'ils  auraient  aussi  facilement 
raison  de  Gortès  et  le  traiteraient  de  la  même  manière.  Gomme  d'ail- 
leurs ils  habitaient  des  lieux  entourés  de  lagunes,  de  rivières  et  de 
marécages  qui  leur  formaient  de  puissantes  défenses  naturelles ,  ils 
avaient  déjà  assassiné  des  messagers  de  paix  que  Gortès  leur  avait 


DE  LA  NOUVELLE-ESPAGNE.  ^">55 

envoyés  en  d'autres  circonstances  et,  quant  à  présent,  ils  se  conten- 
tèrent pour  toute  réponse  de  retenir  durant  quelques  jours  en  capti- 
vité les  nouveaux  émissaires.  Dans  l'espoir  d'en  arriver  enfin  à  un 
arrangement  avec  eux  et  de  voir  finir  leurs  mauvais  desseins,  Gortès 
attendit  quelque  temps  avec  patience.  Mais  comme  ils  ne  se  décidè- 
rent cà  aucune  démonstration  pacifique,  notre  général  fit  recueillir 
sur  la  rivière  toutes  les  embarcations  qu'il  fut  possible  de  trouver; 
on  leur  en  adjoignit  quelques  autres  qu'on  fabriqua  avec  les  restes 
de  vieux  navires  de  Graray,  et  l'on  transporta,  de  nuit,  de  l'autre  côté 
du  fleuve  cent  cinquante  soldats ,  la  plupart  arbalétriers  et  escopet- 
tiers,  ainsi  que  cinquante  hommes  à  cheval. 

Mais  les  principaux  personnages  de  ces  provinces  avaient  l'œil  ou- 
vert sur  les  démarches  de  nos  troupes.  En  les  voyant  en  mouvement, 
nos  ennemis  résolurent  de  les  laisser  passer  et  ils  les  attendirent  de 
pied  ferme  sur  l'autre  rive-  S'il  est  vrai  de  dire  qu'un  grand  nombre 
de  Guastèques  s'étaient  réunis  contre  Gortès  dans  les  premières  ren- 
contres ,  il  n'est  pas  moins  exact  d'affirmer  qu'ils  furent  plus  nom- 
breux cette  fois,  et  qu'ils  se  précipitèrent  sur  les  nôtres  comme  des 
lions  en  furie.  Dès  le  premier  choc,  ils  tuèrent  deux  soldats,  en  bles- 
sèrent une  trentaine,  causèrent  la  mort  de  trois  chevaux  et  en  bles- 
sèrent une  quinzaine,  ainsi  qu'un  très-grand  nombre  de  nos  alliés 
mexicains.  Mais  nos  troupes  les  serrèrent  de  si  près  qu'ils  ne  tinrent 
pas  longtemps  et  qu'ils  prirent  la  fuite,  laissant  sur  le  champ  de 
bataille  un  grand  nombre  de  morts  el  de  blessés.  La  lutte  finie,  les 
nôtres  furent  passer  la  nuit  dans  un  village  que  ses  habitants  avaient 
abandonné;  on  plaça  des  sentinelles  et  on  lança  des  éclaireurs.  Les 
vivres  du  reste  ne  manquèrent  pas  pour  le  souper.  Le  jour  venu, 
nos  hommes  se  mirent  à  parcourir  le  village  et  ils  découvrirent  dans 
un  temple  d'idoles  plusieurs  vêtements  de  soldats  suspendus  aux 
murailles,  ainsi  que  des  peaux  de  visages,  tannées  comme  des  peaux 
de  gants,  portant  encore  la  barbe  et  les  cheveux.  C'étaient  les  malheu- 
reux restes  de  nos  compatriotes  qu'on  avait  tués  après  les  avoir  en- 
levés aux  capitaines  envoyés  par  Graray  pour  coloniser  le  fleuve  Pa- 
nuco.  Quelques-uns  de  nos  soldats  reconnurent  plusieurs  de  ces 
visages  comme  ayant  été  ceux  de  leurs  amis.  Ils  sentirent  leurs 
cœurs  se  briser  à  la  vue  de  ces  déplorables  restes;  on  les  retira  du 
lieu  où  ils  se  trouvaient  pour  les  inhumer  ailleurs. 

Nos  hommes  abandonnèrent  ce  village  pour  se  porter  sur  un  autre 
lieu;  mais,  comme  ils  reconnaissaient  que  les  naturels  du  pays  étaient 
très-belliqueux,  ils  avaient  soin  de  marcher  en  se  tenant  bien  sur 
leurs  gardes,  avançant  en  ordre  de  bataille,  afin  de  ne  pas  être  surpris. 
Nos  éclaireurs  donnèrent  dans  des  bataillons  indiens  qui  se  tenaient 
embusqués,  prêts  à  tomber  sur  nos  chevaux  et  sur  nos  hommes  aussi- 
tôt qu'on  aurait  mis  pied  à  terre,  après  être  entrés  dans  les  maisons. 


556  CONQUÊTE 

Se  voyant  découverts,  nos  ennemis  n'eurent  plus  le  loisir  d'exécuter 
leur  dessein;  mais  cela  ne  les  empêcha  pas  de  se  mettre  en  mouve- 
ment avec  la  plus  grande  ardeur  et  d'attaquer  bravement  les  nôtres. 
Pendant  plus  d'une  demi-heure  nos  cavaliers  et  nos  gens  d'escopette 
se  virent  dans  l'impossibilité  de  les  faire  reculer  et  de  les  tenir  éloi- 
gnés. On  nous  tua  deux  chevaux  et  on  nous  en  blessa  sept.  Quinze  de 
nos  soldats  reçurent  des  blessures  qui  furent  mortelles  pour  trois 
d'entre  eux.  Nous  remarquâmes  chez  ces  Indiens  une  particularité  que 
nous  avions  bien  rarement  eu  l'occasion  de  voir  parmi  les  gens  de  leur 
race  :  c'est  qu'après  avoir  été  débandés  une  fois,  ils  avaient  le  courage 
de  se  reformer,  et  de  cette  manière  ils  revinrent  jusqu'à  trois  fois  de 
suite  au  combat.  Mais  enfin,  voyant  combien  de  monde  nos  hommes 
leur  tuaient  ou  leur  blessaient,  ils  reculèrent  et  s'en  furent  chercher 
un  refuge  derrière  un  fleuve  considérable  et  à  couvant  rapide.  Nos 
cavaliers  et  nos  tirailleurs  leur  firent  la  poursuite  et  en  blessèrent  un 
grand  nombre. 

Le  lendemain,  les  nôtres  furent  d'avis  de  battre  la  campagne  et  de 
se  rendre  à  d'autres  villages  qui  étaient  déserts.  Ils  y  trouvèrent  un 
grand  nombre  de  jarres  remplies  de  vin  du  pays,  rangées   dans  des 
souterrains  qui  formaient  des  celliers.  On  s'arrêta  cinq  jours  dans  ces 
villages;  mais,  comme  ils  étaient  abandonnés  de  leurs  habitants,  on 
résolut  de  retourner  au  fleuve  de  Ghila.  De  là,  Gortès  renouvela   ses 
tentatives  pour  décider  à  la  soumission  tous  les  villages  situés  de  ce 
côté  du  fleuve,  qui  jusque-là  s'étaient  montrés  hostiles.  Gomme   on 
leur  avait  tué  beaucoup  de  monde,  la  crainte  leur  vint  qu'on  ne  tom- 
bât encore  sur  eux;  aussi  s'empressèrent-ils  de   faire  dire  qu'ils  se 
présenteraient  dans  un  délai  de  quatre  jours,  pendant  lesquels  ils 
chercheraient  des  bijoux  en  or  pour  les  offrir  en  présent.  Gortès  atten- 
dit les  quatre  jours  qu'ils  avaient  demandés;  mais  ils  ne  vinrent  pas 
pour  le  moment.  Notre  général  se  décida  en  conséquence  à  tomber  sur 
un  très-grand  village  situé   sur  le  bord  d'une  lagune   et  très-bien 
défendu  par  les  rivières  et  les  marécages  qui  l'entouraient.  Il  disposa 
qu'on  profiterait  d'une  nuit  obscure  et  pluvieuse,  pour  traverser  cette 
lagune  dans  des  embarcations  qu'il  avait  réunies   rapidement   à  cet 
effet    les  attachant,  deux  à  deux,  tandis  que  quelques-unes  restaient 
isolées.  On  devait   s'aider  aussi  dans  ce  but  de  barques  très-bien 
construites,  et  se  porter  sur  une  certaine  partie  du  village,  en  fai- 
sant route  de  manière  à  n'être  ni  vus  ni  soupçonnés  par  les  habi- 
tants. Beaucoup  de  Mexicains  auxiliaires  étaient  avec  les  nôtres.  Tous 
ensemble   ils  tombèrent,    sans  être  aperçus,   sur  le  village,  qui  fut 
détruit  de  fond  en  comble;  on  y  fit  un  grand  carnage  et  un  fructueux 
butin    dont  nos  alliés  prirent  une  bonne  part.  En  apprenant  cet  évé- 
nement   la  plus  grande  partie  des  peuplades  de  ce  district  convin- 
rent, dans  l'espace  de  cinq  jours,  qu'on  se  soumettrait  au  vainqueur. 


DE  LA  NOUVELLE-ESPAGNE.  557 

Quelques  villages  s'y  refusèrent,  profitant  de  leur  éloignement.  Il 
était  pour  le  moment  impossible  à  nos  troupes  de  pénétrer  jusqu'à 
eux. 

Je  passerai  sous  silence  une  foule  d'autres  événements,  afin  de  ne 
pas  en  embarrasser  inutilement  mon  récit.  Je  me  bornerai  à  dire  que 
Gortès  fonda  une  villa  avec  un  noyau  de  cent  trente  habitants,  com- 
prenant vingt-sept  cavaliers  et  trente-six  arbalétriers  ou  gens  d'esco- 
pette,  qui  complétèrent  le  nombre  total  de  cent  trente  que  je  viens  de 
dire.  Cette  villa,  à  laquelle  on  donna  le  nom  de  Santisteban  del  Puerto, 
est  située  à  environ  une  lieue  du  fleuve  Chila.  Gortès  attribua  en  pro- 
priété aux  colons  de  cette  villa  tous  les  villages  qui  s'étaient  soumis 
et  il  choisit  pour  leur  capitaine  et  son  lieutenant  un  certain  Pedro 
Vallcjo.  Étant  sur  le  point  de  partir  de  cette  ville  pour  Mexico,  notre 
général  apprit,  à  n'en  pouvoir  douter,  que  trois  villages  qui  avaient 
déjà  été  des  premiers  à  nous  faire  la  guerre  dans  cette  province  et  se 
trouvaient  des  plus  compromis  dans  le  meurtre  d'un  grand  nombre 
d'Espagnols,  s'occupaient  de  nouveau  à  soulever  et  à  attirer  dans  leur 
parti  les  autres  villages  d'alentour,  en  dépit  de  leur  soumission  et  de 
l'obéissance  qu'ils  avaient  jurée  à  Sa  Majesté.  Les  habitants  de  ces 
villages  insoumis  disaient  qu'à  peine  Gortès  parti  pour  Mexico  avec 
ses  soldats  et  ses  cavaliers,  ils  tomberaient,  soit  de  jour,  soit  de  nuit, 
sur  les  hommes  qui  restaient  comme  colons  et  qu'on  ferait  d'excel- 
lents festins  de  leurs  chairs.  A  cette  nouvelle,  et  ne  pouvant  douter 
de  la  vérité,  Gortès  se  résolut  à  faire  brûler  leurs  maisons.  Mais  ils 
ne  tardèrent  pas  à  les  relever  et  à  revenir  occuper  leurs  villages. 

Nous  dirons  maintenant  que  Gortès,  avant  de  partir  de  Mexico  pour 
cette  expédition,  avait  fait  dire  à  la  Vera  Gruz  qu'on  lui  envoyât  un 
navire  chargé  de  vin,  de  vivres,  de  biscuits  et  de  ferrures,  attendu 
qu'en  ce  temps-là  il  n'y  avait  pas  de  blé  au  Mexique  pour  faire  du 
pain.  Or,  il  paraît  qu'étant  en  route  pour  le  Panuco  avec  le  charge- 
ment demandé,  le  navire  fut  assailli  par  de  forts  vents  du  nord  qui  le 
poussèrent  en  un  endroit  où  il  se  perdit.  Trois  hommes  seulement 
purent  se  sauver  sur  des  planches  et  atterrir  en  une  petite  île  couverte 
de  grands  amas  de  sable,  à  trois  ou  quatre  lieues  de  la  terre  ferme. 
Il  y  avait  là  beaucoup  de  loups  marins  qui  venaient  passer  la  nuit  sur 
le  sable  ;  les  naufragés  en  tuèrent  quelques-uns  et  ils  eurent  l'adresse 
de  cuire  leur  chair,  après  s'être  procuré  du  feu  au  moyen  du  frotte- 
ment de  deux  morceaux  de  bois,  ainsi  que  le  font  les  Indiens,  qui  en 
ont  l'expérience.  Us  se  mirent  à  creuser  vers  le  milieu  de  l'île  des 
excavations  en  forme  de  puits,  qui  leur  fournirent  de  l'eau  quelque 
peu  saumâtre.  Ils  trouvèrent  encore  un  fruit  ressemblant  à  nos  figues; 
et  de  la  sorte,  au  moyen  de  ces  fruits,  des  loups  marins  et  de  l'eau 
saumâtre,  ils  réussirent  à  se  soutenir  pendant  plus  de  deux  mois. 
Pendant  ce  temps,  on  attendait  à  la  villa  de  Santisteban  le  vin,  les 


558  CONQUETE 

vivres  et  les  ferrures.  Gortès  dut  écrire  à  Mexico  à  ses  majordomes,  en 
se  plaignant  qu'on  ne  lui  eût  pas  expédié  les  objets  demandés.  Au 
reçu  de  cette  lettre,  on  tint  pour  certain  que  le  navire  s'était  perdu. 
Alors  les  employés  de  Gortès  firent  partir  un  petit  bâtiment  à  la 
recherche  de  celui  dont  on  soupçonnait  la  perte.  Dieu  permit  qu'on 
tombât  sur  l'île  même  où  se  trouvaient  les  trois  Espagnols,  restes  de 
l'équipage  naufragé;  on  y  fut  attiré  par  les  signaux  de  fumée  que  ces 
pauvres  gens  y  entretenaient  nuit  et  jour.  Qu'on  juge  de  leur  joie  en 
apercevant  le  navire  !  Ils  s'y  embarquèrent  et  regagnèrent  la  villa. 
L'un  d'eux,  qui  devint  habitant  de  Mexico,  s'appelait  Geliano. 

Nous  dirons  maintenant  qu'au  moment  où  notre  capitaine  Cortès  se 
mettait  décidément  en  route  pour  Mexico,  il  reçut  la  nouvelle  qu'on 
s'était  révolté  dans  des  villages  situés  sur  des  sierras  d'un  accès  diffi- 
cile, et  que  les  rebelles  menaçaient  sérieusement  d'autres  peuplades 
pacifiques  et  soumises.  Il  dut  se  résoudre  à  aller  de  ce  côté  avant  de 
revenir  à  Mexico.  Tandis  qu'il  suivait  son  chemin,  les  habitants  révoltés 
de  la  province,  instruits  de  sa  marche,  l'attendirent  embusqués  en  un 
mauvais  passage.  Ils  tombèrent  à  l'arrière-garde  sur  le  bagage, 
tuèrent  quelques  Indiens  parmi  les  porteurs  et  enlevèrent  leurs  char- 
ges. Gomme  le  chemin  était  mauvais,  les  cavaliers  qui  accoururent  à 
la  défense  crevèrent,  dans  leur  empressement,  deux  de  leurs  chevaux. 
Mais  en  arrivant  aux  villages  insoumis,  les  nôtres  firent  payer  cher 
ces  méfaits  aux  habitants.  Les  Espagnols  avaient  avec  eux  un  grand 
nombre  d'alliés  mexicains  :  ceux-ci,  pour  venger  la  perte  de  ce  qu'on 
leur  avait  enlevé  au  mauvais  passage  de  la  route  dont  j'ai  parlé,  tuè- 
rent et  réduisirent  en  captivité  beaucoup  d'Indiens.  Le  cacique  et  le 
principal  chef  furent  pendus  après  restitution  de  ce  qu'ils  avaient  volé. 
Gela  fait,  Gortès  donna  l'ordre  aux  Mexicains  ses  alliés  de  ne  plus 
faire  de  mal  à  personne,  et  sans  plus  tarder  il  envoya  aux  principaux 
personnages  et  aux  papes  de  la  localité  l'ordre  de  se  soumettre.  Ils  se 
présentèrent,  en  effet,  et  jurèrent  obéissance  à  Sa  Majesté.  Notre 
général  fit  passer  la  charge  de  cacique  au  frère  de  celui  qu'on  avait 
pendu  et  il  s'en  revint  à  Mexico,  laissant  dans  les  maisons  du  village 
les  habitants  bien  châtiés  et  définitivement  pacifiés. 

Je  n'irai  pas  plus  avant  sans  dire  qu'entre  toutes  les  contrées  de  la 
Nouvelle-Espagne  il  n'y  a  pas  de  gens  plus  sales,  plus  méchants  et 
de  plus  mauvaises  habitudes  que  ceux  de  cette  province  du  Panuco. 
Ils  sont  avides  de  sacrifices,  extrêmement  cruels,  ivrognes,  malpro- 
pres et  entachés  de  mille  vices  honteux.  Du  reste,  à  bien  juger  les 
choses,  ils  en  furent  justement  châtiés,  par  le  fer  et  le  feu,  à  deux  ou 
trois  reprises.  Il  leur  arriva  pire  encore,  puisqu'ils  eurent  plus  tard 
pour  gouverneur  Nuno  de  Guzman  qui,  usant  des  pouvoirs  de  sa  charge, 
les  rendit  presque  tous  esclaves  et  les  envoya  aux  îles  pour  y  être 
vendus,  comme  je  le  dirai  plus  longuement  en  son  lieu. 


DE  LA  NOUVELLE-ESPAGNE.  559 

Reprenons  maintenant  notre  récit  pour  dire  à  quoi  Cortès  s'occupa 
et  ce  qu'il  fit  une  fois  de  retour  à  Mexico. 


CHAPITRE  GLIX 

Comme  quoi  Cortès  et  les  commissaires  du  Roi  convinrent  d'envoyer  à  Sa  Majesté 
tout  l'or  qui  lui  revenait  pour  son  quint  royal  sur  les  dépouilles  de  Mexico,  et 
comme  quoi  on  Lui  adressa,  comme  Lui  appartenant  en  propre,  la  garde-robe  en 
or  et  joyaux  qui  avait  appartenu  à  Montezuma  et  à  Guatemuz.  De  ce  qui  advint  à 
ce  sujet. 

A  son  arrivée  à  Mexico,  de  retour  du  Panuco,  Gortès  s'occupa  du 
soin  de  faire  réédifier  et  repeupler  la  ville.  Alonso  de  Avila,  dont  j'ai 
déjà  parlé  dans  les  chapitres  précédents,  était  d'ailleurs  revenu  de  l'île 
de  Saint-Domingue,  apportant  la  réponse  sur  ce  que  Gortès  avait 
envoyé  négocier  avec  le  Haut  Tribunal  et  les  Frères  hiéronymites, 
gouverneurs  des  îles.  Il  en  résultait  que  pouvoir  nous  était  donné  de 
conquérir  toute  la  Nouvelle-Espagne,  marquer  au  fer  les  esclaves  dans 
les  conditions  que  nous  avions  décrites  et  faire  le  partage  des  Indiens 
selon  la  coutume  établie  dans  les  îles  Espanola,  Cuba  et  Jamaïque. 
Gcs  pouvoirs  devaient  durer  jusqu'à  ce  que  Sa  Majesté  en  eût  été 
instruite  ou  qu'elle  jugeât  opportun  de  donner  d'autres  ordres.  A  cet 
effet,  les  Frères  hiéronymites  envoyèrent  rapidement  un  navire  en 
Gastille,  pour  Lui  faire  le  rapport  de  ces  événements.  L'Empereur, 
qui  était  fort  jeune  encore  et  se  trouvait  alors  en  Flandre,  y  reçut  les 
informations  des  Frères  hiéronymites.  Il  est  vrai  que  l'évêque  de 
Burgos  était  président  du  Gonseil  des  Indes;  mais,  comme  on  savait 
qu'il  nous  était  contraire,  on  ne  lui  donna  pas  connaissance  de  cette 
communication,  de  même  qu'on  omettait  de  traiter  avec  lui  un  grand 
nombre  d'autres  affaires  importantes,  parce  qu'on  l'y  savait  mal  dis- 
posé. Quoi  qu'il  en  soit,  comme  Gortès  tenait  Alonso  de  Avila  pour  un 
homme  entreprenant  et  que  d'ailleurs  il  n'était  guère  bien  avec  lui, 
il  désirait  l'éloigner  de  sa  personne»  Sa  croyance  était  que,  s'il  avait 
été  à  Mexico,  au  lieu  d'être  à  Saint-Domingue,  lorsque  Christobal  de 
Tapia  arriva  avec  ses  pouvoirs,  il  eût  été  certainement  contraire  à  ses 
intérêts  à  lui  Gortès,  car  il  était  fort  dévoué  à  l'évêque  de  Burgos, 
dont  il  avait  été  le  serviteur  et  qui  lui  adressa  des  lettres  en  cette 
circonstance. 

Notre  général  faisait  donc  en  sorte  de  l'éloigner  de  sa  personne  le 
plus  possible;  aussi,  lorsqu'il  revint  de  ce  voyage,  crut-il  convenable 
de  suivre  le  conseil  de  fray  Bartolomé  de  Olmedo  en  mettant  sous 
son  commandement  la  ville  de  Guatitlan  pour  le  liât  ter  et  le  tenir 
satisfait.  Il   lui  donna  en  outre  quelques  pièces  d  or,  et,  à  force  de 


560  CONQUÊTE 

bonnes  paroles  et  de  grandes  promesses,  le  commandement  de  cette 
ville  étant  d'ailleurs  fort  bon  et  très-productif,  Cortès  s'en  fit  un  tel 
ami  et  si  dévoué  serviteur  qu'il  n'hésita  pas,  plus  tard,  à  l'envoyer 
en  Castille  avec  l'assistance  de  Antonio  de  Quiïiones,  capitaine  de  sa 
garde,  en  qualité  tous  deux  de  procureurs  de  la  Nouvelle-Espagne  et 
de  Cortès.  Ils  emmenaient  deux  navires  chargés  de  quatre-vingt-huit 
mille  castillans  en  lingots  d'or.  Ils  emportaient  aussi  les  trésors  de 
la  garde-robe  de  Montezuma,  qui  étaient  passés  au  pouvoir  de  Gua- 
temuz.  Ce  fut  un  présent  considérable,  bien  digne  de  notre  puissant 
Empereur.  Il  y  avait,  en  effet,  un  grand  nombre  de  bijoux  très-riches, 
de  grosses  perles,  dont  quelques-unes  arrivaient  aux  dimensions  d'une 
noisette,  et  beaucoup  de  chalchihuis  ou  pierres  fines  ressemblant  à 
nos  cmeraudes;  elles  étaient  du  reste  si  nombreuses  que,  pour  ne 
pas  en  entraver  mon  récit,  je  ne  chercherai  pas  à  en  rappeler  le  détail 
à  mes  souvenirs.  Nous  envoyâmes  en  même  temps  des  fragments  d'os 
de  géants,  que  nous  trouvâmes  dans  un  oratoire  de  Guyoacan  et  qui 
ressemblaient  à  d'autres  grands  fémurs  qu'on  nous  donna  à  Tlascala 
et  dont  nous  avions  fait  la  remise  en  un  premier  envoi.  Leurs  dimen- 
sions étaient  considérables.  On  emmena  aussi  trois  tigres  et  bien 
d'autres  choses  dont  je  ne  me  souviens  plus  actuellement. 

Le  conseil  municipal  de  Mexico  écrivit  à  Sa  Majesté  par  le  départ 
de  ces  procureurs.  Quant  à  nous,  la  plupart  des  conquistadores,  nous 
écrivîmes  aussi  en  même  temps  que  la  municipalité.  Fray  Bartolomé 
de  Olmedo  et  le  trésorier  Julian  de  Alderete  en  firent  autant.  Il  n'y 
eut  qu'une  voix  pour  faire  l'éloge  des  nombreux,  bons  et  loyaux  ser- 
vices que  Cortès  et  tous  les  conquistadores  avions  rendus  et  rendions 
encore  constamment  à  la  couronne.  Nous  racontions  tout  ce  qui  était 
arrivé  depuis  que  nous  commençâmes  le  siège  de  Mexico  et  comme 
quoi  la  mer  du  Sud  avait  été  découverte,  assurant  au  surplus  que 
tous  ces  pays  étaient  fort  riches.  Nous  suppliâmes  Sa  Majesté  de 
nous  envoyer  un  évêque  et  des  religieux  de  tout  ordre,  renommés 
pour  leur  savoir  et  leur  vie  exemplaire,  afin  qu'ils  nous  aidassent  à 
implanter  plus  solidement  notre  sainte  foi  catholique  dans  ces  con- 
trées. Nous  priâmes  tout  d'une  voix  Sa  Majesté  de  faire  à  Cortès  la 
faveur  du  gouvernement  de  la  Nouvelle-Espagne,  puisqu'il  était  si 
bon  et  si  loyal  serviteur  de  la  couronne;  et  quant  à  nous  tous,  les 
conquistadores,  nous  demandions  que  l'Empereur  daignât  nous  faire 
la  grâce,  pour  nous  et  pour  nos  enfants,  de  ne  pas  donner  à  d'autres 
personnes,  mais  de  nous  réserver  les  emplois  royaux  de  trésoriers,  de 
contrôleurs,  d'intendants,  de  notaires  publics,  d'inspecteurs,  nous 
assurant  en  même  temps  les  places  de  gouverneurs  de  forteresses. 
Nous  suppliâmes  Sa  Majesté  de  ne  pas  envoyer  d'avocats,  bien  cer- 
tains qu'à  peine  ils  auraient  foulé  le  sol  du  pays,  nous  verrions  com- 
mencer les  disputes  et  les  dissensions,  attendu  qu'ils  sèmeraient  par- 


DE  LA  NOUVELLE-ESPAGNE.  561 

toul  le  désordre  avec  leurs  livres.  On  porta  à  sa  connaissance  ce  qui 
concernait  Christobaldc  Tapia  :  comment  il  était  venu  par  disposition 
de  don  Juan  Rodriguez  de  Fonseca,  évêque  de  Burgos,  quoiqu'il  ne 
convînt  nullement  pour  gouverneur,  certains  que  nous  étions  que  la 
Nouvelle-Espagne  serait  perdue  s'il  y  restait  à  ce  titre. 

Nous  priâmes  également  l'Empereur  de  daigner  rechercher  et  sa- 
voir, au  juste,  ce  qu'étaient  devenus  les  lettres  et  rapports  que  nous 
Lui  avions  adressés,  rendant  compte  de  tout  ce  qui  était  advenu  dans 
cette  Nouvelle-Espagne,  attendu  que  nous  tenions  pour  certain  que 
l'évêque  ne  les  Lui  avait  pas  envoyés  et  Lui  avait  écrit  au  contraire 
l'opposé  de  ce  qui  arrivait,  afin  de  favoriser  son  ami  Diego  Velasquez 
et  Ghristobal  de  Tapia  dans  le  but  de  le  marier  avec  une  de  ses  pa- 
rentes nommée  doïia  Petronila  de  Fonseca.  Nous  informâmes  égale- 
ment Sa  Majesté  qu'on  nous  avait  présenté  des  pouvoirs  contresignés 
et  expédiés  par  ledit  évêque  de  Burgos  et  que  nous  avions  tous  incliné 
nos  poitrines  vers  la  terre  en  signe  d'obéissance  et  désireux,  en  effet 
d'obéir;  mais,  voyant  que  Tapia  n'était  pas  un  homme  propre  à  la 
guerre,  qu'il  n'y  avait  pas  été  élevé  et  qu'il  ne  possédait  point  la  sa- 
gesse nécessaire  pour  gouverner,  il  fut  convenu  qu'on  en  appellerait 
de   ses  pouvoirs  en  suspendant  leur  exécution  jusqu'à  ce  qu'on  eût 
informé  la  personne  royale  de  tout  ce  qui  était  arrivé,  ainsi  que  nous 
le  faisions  actuellement  en   sujets  loyaux,  comme   nous  y  sommes 
naturellement  obligés  envers  notre  Roi  et  seigneur,  pouvant  assurer 
que,  les  poitrines  inclinées  vers  la  terre,  nous  nous  tenions  prêts  à 
exécuter  ses  royaux  commandements  en  tout  ce  que  Sa  Majesté  juge- 
rait convenable  d'ordonner.  Nous  suppliâmes  encore  l'Empereur  de 
faire  parvenir  à  l'évêque  de  Burgos  l'ordre  de  ne  plus  s'ingérer  dans 
aucune  affaire  de  Gortès  et  de  nous  tous,  parce  qu'il  s'exposait  à  inter- 
rompre la  marche  des  événements  et  des  conquêtes  de  la  Nouvelle- 
Espagne  dont  les  intérêts  nous  étaient  confiés  en  même  temps  que  le 
soin  de  pacifier  les  provinces  conquises.  L'évêque  de  Burgos  avait 
ordonné,  en  effet,  aux  employés  de  la  Contratacion  de  Séville  nom- 
més Pedro  de  Ysasaga  et  Juan  Lopez  de  Recalte,  de  ne  laisser  adres- 
ser à  Gortès  ou  aux  hommes  qui  se  trouvaient  avec  lui  ni  armes  ni 
soldats,  ni  quoi  que  ce  fût  qui  pût  leur  être  favorable. 

On  fit  encore  à  Sa  Majesté  le  rapport  relatif  à  l'expédition  de  Gortès 
pour  pacifier  la  province  duPanuco,  comme,  en  effet,  il  la  pacifia;  on 
racontait,  à  ce  sujet,  les  dures  batailles  qu'il  eut  à  soutenir  contre  les 
naturels  du  lieu  ;  on  expliquait  à  quel  point  les  habitants  étaient  de 
vaillants  guerriers,  et  comment  ils  avaient  mis  à  mort  dans  leur  pro- 
vince les  capitaines  et  tous  les  soldats  que  Francisco  de  Garay  y  avait 
envoyés,  parce  que  ces  infortunés  n'avaient  aucun  savoir-faire  dans 
les  pratiques  de  la  guerre.  On  ajoutait  que  Gortès  avait  dépensé  envi- 
ron soixante  mille  piastres  dans  cette  campagne,  qu'il  les  réclamait 

36 


56  2  CONQUÊTE 

au  commissaire  du  trésor  royal  et  en  obtenait  un  refus  de  paiement. 
Nous  informions  aussi  Sa  Majesté  que  présentement  Garay  avait  une 
flotte  dans  l'île  de  la  Jamaïque  pour  venir  coloniser  le  fleuve  Panuco. 
Afin  qu'il  ne  lui  arrivât  pas  ce  qui  était  advenu  à  ses  capitaines  qui 
tous  avaient  été  tués,  nous  suppliions  Sa  Majesté  d'ordonner  qu'il  ne 
sortît  point  de  son  île  jusqu'à  ce  que  cette  province  fût  complètement 
pacifiée,  comptant  sur  nous  pour  la  conquérir  et  Ja  mettre  plus  tard 
en  son  pouvoir,  attendu  que,  s'il  venait  en  ce  moment,  les  naturels 
de  ce  pays,  les  Mexicains  surtout,  en  voyant  deux  commandants,  ne 
manqueraient  pas  de  se  soulever.  On  écrivit  encore  à  l'Empereur  bien 
d'autres  choses.  Gortès  surtout  n'oublia  rien  dans  son  encrier,  s'éten- 
dant  longuement  dans  sa  lettre  sur  ce  qui  était  arrivé,  au  point  d'en 
remplir  vingt  et  une  grandes  pages.  Gomme  je  la  lus  en  entier  et  la 
compris  à  merveille,  j'en  puis  dire  ici  le  contenu  comme  je  viens  de 
le  faire.  Au  surplus  notre  général  priait  Sa  Majesté  de  l'autoriser  à 
aller  à  l'île  de  Cuba  pour  en  arrêter  le  gouverneur  Diego  Velasquez 
et  l'envoyer  en  Castille,  afin  que  Sa  Majesté  pût  le  faire  châtier  et 
qu'ainsi  il  ne  vînt  plus  porter  le  désordre  dans  la  Nouvelle-Espagne 
et  ne  continuât  pas  à  envoyer  des  émissaires  chargés  de  donner  la 
mort  à  Gortès. 

Finissons-en  avec  ces  lettres  pour  raconter  le  voyage  de  nos  procu- 
reurs depuis  leur  sortie  du  port  de  la  Vera  Gruz.  Partis  le  20  du  mois 
de  décembre  1522,  ils  firent  bon  voyage  et  débouchèrent  du  canal  de 
Bahama.  En  route,  deux  tigres,  sur  les  trois  qu'ils  emmenaient,  s'é- 
chappèrent de  leur  cage  et  blessèrent  deux  matelots  ;  de  sorte  qu'on 
dut  se  résoudre  à  tuer  le  troisième  qui  restait,  parce  qu'il  était  très- 
sauvage  et  qu'on  avait  de  la  peine  à  s'en  défendre.  Ils  continuèrent 
leur  voyage  jusqu'à  l'île  Tercera.  Antonio  de  Quinoncs,  l'un  des  com- 
mandants, qui  se  vantait  volontiers  de  sa  vaillance  et  qui  était,  du 
reste,  fort  enclin  à  la  galanterie,  se  lia  intimement  dans  cette  île  avec 
une  femme,  à  propos  de  laquelle  il  eut  une  querelle.  Il  y  reçut  une 
estafilade  à  la  tête  et  en  mourut  quelques  jours  après.  De  sorte  que 
Alonso  de  Avila  resta  seul  commandant.  Il  n'était  pas  arrivé  bien 
loin  de  l'île,  faisant  route  vers  l'Espagne,  lorsque  le  corsaire  français 
Jean  Florin  tomba  sur  lui  et  captura  les  deux  navires  avec  tout  l'or 
qu'ils  contenaient.  Il  s'empara  de  Alonso  de  Avila  et  l'emmena  pri- 
sonnier en  France.  En  ce  même  voyage  Jean  Florin  captura  encore 
un  autre  navire  qui  venait  de  Saint-Domingue.  Il  y  prit  vingt  mille 
piastres,  un  grand  nombre  de  perles,  du  sucre,  des  cuirs  de  bœufs  et 
revint  ainsi  très-riche  dans  son  pays.  Il  lit  de  grands  présents  au  roi 
et  au  grand  amiral  de  France  avec  les  produits  en  or  de  la  Nouvelle- 
Espagne  dont  il  s'était  emparé.  La  France  entière  était  émerveillée 
en  voyant  les  richesses  que  nous  envoyions  à  notre  grand  Empereur. 
Le  roi  de  France  lui-même  en  fut  pris  de  l'envie  d'avoir  sa  part  de  la 


DE  LA  NOUVELLE-ESPAGNE.  563 

Nouvelle-Espagne;  car  il  pensait  el  disait  que  l'or  qui  venait  de  ce 
pays  suffirait  à  notre  Empereur  pour  qu'il  pût  faire  la  guerre  à  la 
France;  et  cependant  il  n'était  pas  encore  question  du  Pérou,  dont 
la  découverte  n'était  point  faite.  Il  n'y  avait  de  connu,  je  l'ai  déjà 
dit,  que  la  Nouvelle-Espagne,  les  îles  de  Saint-Domingue,  de  San 
Juan,  de  Cuba  et  de  Jamaïque. 

On  rapporte  que  le  roi  de  France  dit  ou  plutôt  envoya  demander 
à  notre  grand  Empereur  comment  il  se  faisait  que  le  monde  eût  été 
partagé  entre  lui  et  le  roi  de  Portugal  sans  qu'il  en  eût  sa  part;  qu'ils 
eussent  à  montrer  le  testament  de  notre  père  Adam,  afin  qu'on  vît 
s'il  les  avait  constitués  ses  uniques  héritiers  et  seigneurs  de  tous  ces 
pays  qu'ils  avaient  pris  pour  eux  seuls,  sans  lui  en  attribuer  aucun.  Il 
en  résultait  en  sa  faveur  la  légitimité  de  toute  prise  qu'il  pourrait 
faire  sur  la  mer;  aussi  donna-t-il  l'ordre  à  Jean  Florin  de  repartir 
sans  retard  avec  une  autre  flotte,  pour  chercher  à  gagner  sa  vie  sur 
l'Océan.  Le  corsaire  revenait  de  ce  nouveau  voyage  et  se  trouvait  en- 
tre l'Espagne  et  les  îles  Canaries  avec  un  grand  butin  d'étoffes  variées, 
lorsqu'il  donna  dans  trois  ou  quatre  gros  et  forts  bâtiments  de  la 
flotte  de  Biscaye  qui  l'attaquèrent  de  deux  côtés  à  la  fois,  assaillirent 
ses  navires,  les  mirent  en  déroute  et  s'emparèrent  de  lui  ainsi  que 
d'un  grand  nombre  de  Français.  On  captura  la  flotte  de  Jean  Florin 
et  on  l'amena  prisonnier  à  Séville,  en  l'établissement  de  la  Gontrata- 
cion1,  avec  plusieurs  autres  capitaines.  Bientôt  on  les  mit  en  route 
pour  les  présenter  à  Sa  Majesté  qui,  en  en  recevant  la  nouvelle,  or- 
donna qu'il  fût  fait  justice  de  leurs  personnes  sur  le  grand  chemin, 
et  ils  furent  pendus  au  passage  du  Pico.  Et  voilà  où  vinrent  aboutir, 
et  notre  or,  et  les  capitaines  qui  l'emportèrent,  et  Jean  Florin  qui  le 
captura. 

Reprenons  notre  récit  en  disant  qu'on  emmena  Alonso  de  Avila 
prisonnier  en  France  où  on  l'enferma  dans  une  forteresse,  avec  l'es- 
poir d'obtenir  une  grosse  rançon  pour  sa  personne;  et  il  était  bien 
gardé,  à  cause  de  la  'grande  quantité  d'or  dont  il  avait  été  porteur. 
Le  prisonnier,  grâce  à  son  adresse,  sut  si  bien  s'entendre  avec  l'offi- 
cier français  chargé  de  le  surveiller  dans  sa  prison  que,  dans  le  but 
de  faire  savoir  en  Gastille  comment  il  était  retenu  en  captivité  et 
qu'ainsi  on  pût  offrir  une  rançon  pour  le  délivrer,  il  obtint  qu'on  en- 
voyât, en  poste,  toutes  les  lettres  et  tous  les  pouvoirs  dont  il  était 
porteur,  avec  ordre  de  les  remettre,  à  la  cour  de  Sa  Majesté,  au  li- 
cencié Nufiez,  cousin  de  Gortès,  qui  était  rapporteur  du  Conseil  royal, 
ou  à  Martin  Cortès,  père  de  notre  général,  qui  vivait  à  Mcdellin,  ou 
encore  à  Diego  de  Ordas,  qui  se  trouvait  à  la  cour.  Les  pièces  furent 
entourées  de  tels  soins  qu'elles  parvinrent  à  leurs  destinataires,  qui 

1 .  Établissement  public  de  l'administration  générale  des  Inde- 


564  CONQUÊTE 

les  adressèrent  aussitôt  en  Flandre  à  Sa  Majesté,  sans  en  rendre  nul 
compte  ni  en  donner  aucune  connaissance  à  l'évêque  de  Burgos.  Ce- 
lui-ci réussit  cependant  à  savoir  la  chose  et  dit  se  réjouir  que  tout 
l'or  eût  été  perdu  et  capturé. 

Laissons  là  l'évêque  pour  en  revenir  à  Sa  Majesté  qui,  en  apprenant 
ces  nouvelles,  regretta  vivement  la  perte  de  son  or;  mais  Elle  vit  un 
motif  de  se  réjouir  dans  la  pensée  que  tant  de  richesses  eussent  pu 
Lui  être  adressées  et  que  le  roi  de  France  eût  eu  l'occasion  de  se 
convaincre  qu'il  suffirait  de  ces  présents  pour  qu'on  pût  faire  la 
guerre  à  son  royaume.  En  outre,  l'Empereur  fit  ordonner  à  l'évêque 
de  Burgos  qu'il  eût  à  favoriser  et  appuyer  de  son  aide  toutes  les  af- 
faires qui  concerneraient  Gortès  et  la  Nouvelle-Espagne,  ajoutant  qu'il 
ne  tarderait  pas  à  revenir  en  Gastille  et  qu'alors  II  s'occuperait  de 
faire  la  lumière  sur  les  discordes  et  procès  entre  Diego  Velasquez  et 
Cortès. 

Abandonnant  ce  sujet,  nous  dirons  que  nous  apprîmes,  à  la  Nou- 
velle-Espagne, la  perte  de  l'or  et  des  richesses  de  la  garde-robe  de 
Montezuma,  la  captivité  d'Alonso  de  Avila  et  tout  ce  qu'au  surplus 
j'ai  déjà  rapporté.  Nous  en  éprouvâmes  le  plus  vif  regret.  Inconti- 
nent, Gortès  se  mit  à  chercher  et  à  réunir  tout  l'or  qu'il  lui  fut  possible 
de  rencontrer,  et  il  en  fit  fabriquer  un  canon  en  or  mélangé  et*  en 
argent  apporté  de  Mechoacan,  afin  de  l'envoyer  à  Sa  Majesté.  On 
donna  à  ce  canon  le  nom  de  Phénix.  Il  est  bon  de  dire  aussi  que  la 
ville  de  Guatitlan,  que  Gortès  avait  donnée  à  Alonso  de  Avila,  resta 
toujours  sa  propriété;  son  frère  Gil  Gonzalez  de  Benavides  ne  l'eut 
en  son  pouvoir  que  trois  ans  plus  tard,  lorsqu'il  vint  de  l'île  de  Cuba 
et  que  déjà  don  Alonso  de  Avila,  sorti  des  prisons  de  France,  était 
arrivé  à  Yucatan  en  qualité  de  trésorier.  Ce  fut  alors  que  celui-ci 
transmit  ses  pouvoirs  à  son  frère,  pour  qu'il  eût  la  jouissance  de  ses 
possessions;  mais  il  ne  voulut  jamais  lui  en  faire  le  transfert  défi- 
nitif. 

Nous  abandonnerons  ces  vieilles  histoires  qui  n'importent  nulle- 
ment à  notre  récit,  et  pendant  que  Gortès  achève  de  faire  fondre  son 
canon  et  de  réunir  l'or  qui  devait  être  envoyé  à  Sa  Majesté,  nous  di- 
rons ce  qui  advint  à  Sandoval  et  aux  autres  capitaines  que  notre 
général  avait  envoyés  coloniser  les  provinces  dont  j'ai  parlé.  Je  sais 
bien  que  quelques  curieux  lecteurs  demanderont  pourquoi,  lorsque 
Gortès  envoya  Pedro  de  Alvarado ,  Gonzalo  de  Sandoval  et  d'autres 
capitaines  pour  conquérir  et  pacifier  divers  pays,  je  n'ai  pas  terminé 
mon  récit  relatif  à  ce  qu'ils  firent  dans  ces  provinces  et  à  ce  qui 
advint  à  chacun  d'eux  dans  son  expédition.  Ils  seront  surpris  que  je 
revienne  actuellement  à  ce  sujet  en  obligeant  mon  récit  à  faire  plu- 
sieurs pas  en  arrière.  Le  motif  que  j'en  donne,  c'est  que,  tandis 
qu'ils  étaient  en  route  vers  les  provinces  à  conquérir,  arrivait  aux 


DE  LA   NOUVELLE-ESPAGNE.  565 

portes  de  la  Villa  Rica  Ghristobal  de  Tapia,  déjà  mentionné  par  moi 
bien  souvent  dans  ce  récit,  venant  en  qualité  de  gouverneur  du  la 
Nouvelle-Espagne.  Gortès  fut  pris  du  désir  de  mettre  en  question  ce 
qu'il  conviendrait  de  faire  en  cette  conjoncture,  et  comme  il  tenait 
Pedro  de  Alvarado  et  Gonzalo  de  Sandoval  pour  des  chefs  expéri- 
mentés et  de  bon  conseil,  voulant  s'assurer  leur  avis  et  leur  bon  vou- 
loir, il  envoya  des  courriers  rapides  les  appeler.  Il  en  résulta  qu'ils 
laissèrent  en  suspens  leurs  opérations  et  leurs  conquêtes.  Ainsi  que 
je  l'ai  dit,  ils  se  rendirent  où  il  convenait  d'aller  pour  l'affaire  de 
Ghristobal  de  Tapia,  qui  était  plus  importante  pour  le  service  de 
Sa  Majesté,  attendu  qu'il  fut  tenu  pour  certain  que,  si  Tapia  était 
resté  en  qualité  de  gouverneur,  la  Nouvelle -Espagne  et  Mexico  n'au- 
raient pas  tardé  à  se  soulever  comme  autrefois.  Sur  ces  entrefaites, 
Ghristobal  de  Oli  revint  aussi  de  Mechoacan ,  pays  peu  éloigné  de 
Mexico  et  que  ce  chef  trouva  fort  pacifique.  On  lui  donna  là  beau- 
coup d'or  et  d'argent.  Gomme  d'ailleurs  il  était  nouvellement  marié 
à  une  femme  jeune  et  belle,  il  mit  de  la  hâte  à  son  retour.  Au 
surplus,  après  l'affaire,  de  Tapia,  survint  le  soulèvement  du  Pa- 
nuco,  et  Gortès  lui-même  fut  obligé  de  s'occuper  de  sa  pacification, 
ainsi  que  je  l'ai  dit  dans  le  chapitre  qui  s'y  réfère.  On  perdit  aussi 
du  temps  pour  écrire  à  Sa  Majesté,  envoyer  l'or  et  régler  les  pou- 
voirs que  nous  donnâmes  à  nos  procureurs  que  j'ai  déjà  nommés. 
C'est  à  cause  de  ces  embarras,  arrivés  les  uns  après  les  autres,  que 
je  suis  obligé  de  rappeler  maintenant  à  mes  souvenirs  les  événements 
dont  il  s'agit  et  qui  se  passèrent  comme  je  vais  dire. 


CHAPITRE  GLX 


Gomme  quoi  Gonzalo  de  Sandoval  arriva  avec  son  armée  à  un  village  appelé  Tustc- 
peque;  ce  qu'il  y  fit.  Comme  quoi  aussi  il  avança  jusqu'à  Guazacualco  et  tout  ce 
qui  lui  advint  encore. 

Gonzalo  de  Sandoval  étant  arrivé  à  un  village  appelé  Tustepeque, 
toute  la  province  envoya  faire  sa  soumission,  à  l'exception  de  certains 
capitaines  mexicains  qui  avaient  trempé  dans  l'assassinat  de  soixante 
Espagnols,  y  compris  quelques  femmes  de  Gastille,  qui  s'étaient 
arrêtés  malades  dans  ce  village,  à  l'époque  de  Narvaez.  Cette  déplo- 
rable tuerie  coïncida  aussi  avec  notre  déroute  de  Mexico.  Deux  mois 
après  l'assassinat  de  ces  malheureux,  je  fus  avec  Sandoval  à  ce  village 
et  je  logeai  dans  une  sorte  de  petite  tour  qui  était  un  oratoire  d'idoles, 
où  nos  compatriotes  s'étaient  fortifiés  quand  on  se  souleva  contre  eux. 
On  les  y  investit  et,  par  la  faim,  par  la  soif  et  à  forer  de  blessures, 
ils  y  perdirent  tous  la  vie.  Je  dis  queje  m'établis  sur  celte  petite  tour, 


566  CONQUÊTE 

parce  qu'il  y  avait  beaucoup  de  moustiques  pendant  le  jour  dans  ce 
village  de  Tustepeque.  Là,  grâce  à  la  hauteur  du  monument  et  au 
courant  d'air,  on  avait  moins  d'insectes  qu'en  bas.  J'avais  aussi  choisi 
cet  endroit  parce  qu'il  était  voisin  du  logement  occupé  par  Sandoval. 
Pour  revenir  à  notre  récit,  je  dois  dire  que  notre  chef  fit  en  sorte  de 
s'emparer  des  capitaines  mexicains  qui  avaient  attaqué  et  mis  à  mort 
nos  soixante  pauvres  soldats.  Il  eut  la  chance  de  prendre  le  principal 
d'entre  eux;  il  le  fit  juger  et  on  le  brûla  vif  en  exécution  de  la  sen- 
tence. Il  y  en  avait  d'autres  avec  lui  qui  méritaient  la  même  peine; 
mais  on  fit  semblant  d'ignorer  leurs  méfaits  ;  le  supplicié  paya  pour 
tout  le  monde. 

Gela   fait,  Sandoval  invita  à  la  soumission  certains  villages  zapo- 
tèques,  autre  province  qui  se  trouve  à  environ  dix  lieues  de  Tuste- 
peque; les  habitants  s'y  étant  refusés,  notre  chef  envoya,  pour  les  y 
contraindre,  un  capitaine  appelé  Briones  (je  l'ai  déjà  nommé  plusieurs 
fois)   qui  commanda  l'un   des  brigantins  et  avait  été  soi-disant  bon 
soldat  en  Italie.  Il  lui  donna  cent  hommes  environ  en  y  comprenant 
trente  arbalétriers  et  gens  d'escopette,  et  avec  eux  cent  alliés  fournis 
par  les  villages  qui  venaient  de  se  soumettre.  Tandis  que  le  Briones 
marchait  en  bon  ordre  avec  sa  troupe,  les  Zapotèques,  paraît-il,  appri- 
rent qu'il  avançait  contre  leurs  villages.  Ils  lui  dressèrent  une  embus- 
cade sur  son  chemin  et  le  forcèrent  à  reculer  en  toute  hâte,   roulant 
en  désordre  sur  les  pentes  de  la  montagne  jusqu'en  bas.  On  lui  blessa 
plus  du  tiers   des  soldats  qu'il   avait  emmenés  ;    l'un  d'eux  mourut 
môme  de  ses  blessures.  Les  sierras  sur  lesquelles  ces  villages  se  trou- 
vent bâtis  sont  si  rudes  et  si  escarpées  que  des  chevaux  n'y  peuvent 
point  monter  et  que  les  soldats  s'y  voyaient  obligés  de  marcher  à  pied, 
un  à  un,  par  des  sentiers  très-étroits,  comme  des  moutons  dont  on 
fait  le  compte.  Il   y  a  des  brouillards  et  de  la  rosée  qui  rendent   les 
chemins  très -glissants.  Les  habitants  étaient  armés  de  lances  plus 
longues  que  les  nôtres,  faites  d'un  couteau   d'obsidienne  long  d'une 
brasse  et  qui  coupait  mieux  que  nos  épées.  Ils  se  servaient  aussi  d'un 
bouclier  long  avec  lequel  ils  pouvaient  couvrir  tout  leur  corps  ;  avec 
cela  beaucoup  de  flèches,  de  pieux  et  de  pierres.  Ces  Indiens  sont  fort 
alertes  et  merveilleusement  rusés;  ils  ont  l'habitude  de  communiquer 
entre  eux  au   moyen   de   sifflements  et  de  cris  qui  forment  écho  et 
résonnent  longuement  dans  la  montagne.  Toujours  est-il  que  le  capi- 
taine Briones  s'en  revint  avec  sa  troupe  fort  maltraitée  et  atteint  lui- 
même  d'une  flèche.  Le  village  où  il  fut  défait  s'appelle  Tiltepeque. 
Plus  tard,  quand  ce  village  fut  soumis,  on  le  donna,  en  commanderie, 
à  un  soldat  appelé  Ojeda,  le  Borgne,  qui  vit  actuellement  dans  le  bourg 
de  San-Ildefonso. 

Lorsque  Briones  se  présenta  à  Sandoval  pour  lui  faire  le  rapport 
de  ce  qui  était  arrivé  et  raconter  son  aventure  avec  ces  valeureux  In- 


DE  LA  NOUVELLE -ESPAGNE.  567 

dicns,  comme  Sandoval  était  d'un  naturel  bienveillant,  et  qu'au  sur- 
plus Briones  se  targuait  d'une  grande  bravoure,  prétendant  qu'en 
Italie  il  avait  tué,  blessé,  pourfendu  des  têtes  et  des  corps  d'hommes, 
notre  chef  se  permit  de  lui  dire  :  «  Vous  paraît-il,  capitaine,  que  ces 
pays-ci  soient  différents  de  ceux  où  vous  fîtes  autrefois  la  guerre?  » 
Briones  répondit  un  peu  fâché  qu'il  jurait  ses  grands  dieux  qu'il  ai- 
merait mieux  guerroyer  contre  canons  et  grandes  armées,  voire  môme 
contre  Turcs  et  Maures,  que  d'en  venir  aux  mains  avec  ces  Zapotè- 
ques,  et  il  en  donnait  des  raisons  qui  paraissaient  fondées.  Gela  n'em- 
pêcha pas  que  Sandoval  répliquât  qu'il  voudrait  bien  ne  l'avoir  point 
envoyé,  puisqu'il  s'était  ainsi  fait  battre.  Il  ajouta  qu'il  aurait  cru 
qu'après  s'être  tant  vanté  de  ses  hauts  faits  en  Italie,  il  ferait  ici  de 
plus  courageux  efforts.  Gomme  d'ailleurs  Briones  était  venu  depuis 
peu  de  Castille,  Sandoval  lui  dit  :  «  Que  penseront  donc  à  présent  les 
Zapotèques?  Ils  prétendront  sans  doute  que  nous  ne  sommes  pas  des 
hommes  autant  qu'ils  nous  croyaient  l'être.  » 

Abandonnons  le  sujet  de  cette  expédition,  puisqu'elle  fit  du  tort  au 
lieu  d'être  utile,  et  disons  comment  Sandoval  envoya  demander  la 
soumission  d'une  autre  province  appelée  Xaltepeque,  appartenant  en- 
core aux  Zapotèques  et  confinant  à  une  autre  province  habitée  parles 
Minxes,  hommes  très-agiles  et  très-belliqueux,  qui  étaient  en  querelle 
avec  les  habitants  de  Xaltepeque,  ceux-là  mêmes  que  Sandoval  venait 
d'inviter  à  vivre  en  paix  avec  nous.  Vingt  caciques  et  personnages 
marquants,  choisis  parmi  eux,  vinrent  se  présenter  en  apportant  un 
présent  d'or  en  grains  récemment  recueilli  dans  les  mines  et  placé 
dans  dix  petits  tubes.  Ils  présentaient  en  même  temps  des  joyaux  de 
différentes  formes.  Ils  étaient  vêtus  de  longues  robes  de  coton,  des- 
cendant jusqu'aux  pieds,  et  ornées  de  dessins  variés,  comme  qui  di- 
rait des  burnous  à  la  mode  mauresque.  Arrivés  près  de  Sandoval,  ils 
firent  leur  offre  d'un  air  respectueux  et  le  capitaine  la  reçut  avec  un 
visage  joyeux.  Il  leur  lit  donner  des  verroteries  de  Castille,  leur  pro- 
diguant, du  reste,  les  égards  et  les  flatteries.  Ils  demandèrent  à  notre 
chef  le  secours  de  quelques  tentes  (on  sait  que  c'est  ainsi  qu'ils  ap- 
pelaient les  Espagnols),  pour  marcher  ensemble  contre  les  villages 
des  Minxes,  leurs  ennemis,  qui  portaient  la  guerre  chez  eux.  Mais 
Sandoval  ne  pouvait  en  ce  moment  disposer  d'aucun  homme  pour 
leur  prêter  le  secours  demandé,  attendu  que  ceux  dont  Briones  s'était 
servi  avaient  tous  des  blessures;  d'autres  se  trouvaient  malades  et 
quatre  étaient  morts,  car  le  pays  est  très-chaud  et  malsain.  Il  employa 
donc  les  meilleures  paroles  pour  leur  dire  qu'il  enverrait  à  Mexico 
prier  Malinche  de  leur  expédier  beaucoup  de  teules;  qu'ils  eussent  à 
se  maintenir  jusqu'à  leur  arrivée;  qu'en  attendant,  du  reste,  dix  des 
nôtres  iraient  avec  eux  pour  étudier  les  passages  et  le  pays,  afin  de 
mieux  faire  plus  tard  la  guerre  à  leurs  ennemis.  La  vérité  est  que 


568  CONQUÊTE 

Sandoval  n'eut  cette  idée  que  pour  saisir  l'occasion  d'observer  les  vil- 
lages et  les  mines  d'où  ils  avaient  retiré  l'or  qu'ils  apportaient. 

Ce  fut  ainsi  qu'il  leur  donna  congé,  gardant  seulement  trois  d'entre 
eux,  auxquels  il  ordonna  de  rester  pour  marcher  en  notre  compagnie. 
Sans  retard  du  reste,  il  dépêcha  pour  aller  visiter  les  villages  et  les 
gisements  aurifères,  un  soldat  appelé  Alonso  del  Gastillo,  le  Réfléchi. 
Sandoval  m'ordonna  d'y  aller  avec  lui,  en  compagnie  de  six  autres 
soldats,  avec  la  recommandation  de  Lien  examiner  les  mines  et  la  na- 
ture de  ces  villages.  Mais  je  veux  dire  pourquoi  ce  capitaine,  qui  al- 
lait avec  nous  en  qualité  de  chef,  était  appelé  Gastillo  le  Réfléchi.  La 
raison  est  celle-ci.  Il  y  avait  dans  la  compagnie  de  Sandoval  trois  sol- 
dats du  nom  de  Gastillo;  l'un  d'eux  était  un  vrai  galant  et  il  s'en 
vantait  en  ces  temps-là  ;  c'était  moi  :  aussi  m'appelait-on  Gastillo  le 
Galant.  Quant  aux  deux  autres  Gastillo,  l'un  d'eux  était  ainsi  fait, 
qu'il  s'absordait  toujours  dans  ses  pensées.  Lorsqu'on  était  en  conver- 
sation avec  lui,  il  réfléchissait  longtemps  à  ce  qu'il  devait  dire,  et 
quand  il  se  décidait  à  répondre  et  à  parler,  il  avait  une  distraction  et 
proférait  des  choses  à  nous  faire  rire.  C'es,t  ce  qui  nous  le  fit  appeler 
Gastillo  le  Distrait.  L'autre,  c'était  Alonso  del  Gastillo,  celui-là  même 
qui  allait  nous  commander.  Il  était  très-prompt  à  parler  tout  à  coup  de 
n'importe  quoi;  il  répondait  toujours  nettement  à  ce  qui  lui  était  de- 
mandé :  nous  l'appelions  Gastillo  le  Réfléchi. 

Nous  laisserons  ces  plaisanteries  pour  revenir  à  dire  que  nous  fûmes 
dans  cetle  province  voir  les  mines.  Nous  emmenâmes  un  grand  nom- 
bre d'Indiens  des  villages.  Ils  s'occupèrent  à  laver  des  dépôts  dans 
des  sortes  de  baquets,  sur  trois  rivières  différentes.  En  chaque  en- 
droit, ils  obtinrent  de  l'or  dont  ils  remplirent  quatre  petits  tubes 
longs  comme  le  doigt  médius  et  un  peu  moins  épais  que  les  tuyaux 
des  plumes  de  nos  canards  de  Castille.  Nous  retournâmes  avec  cet 
échantillon  d'or  auprès  de  Sandoval  qui  s'en  réjouit  et  fut  convaincu 
que  le  pays  était  riche.  Il  s'occupa  incontinent  à  faire  le  partage  de 
toutes  ces  peuplades  et  de  la  province  entière  entre  les  Espagnols 
qui  devaient  les  habiter  en  qualité  de  colons.  Il  prit  pour  lui  certains 
villages  dont  l'ensemble  formait  le  Gruazpaltepeque,  pays  avoisinant 
les  mines  et  passant  dans  ce  temps-là  pour  être  ce  qu'il  y  avait  de 
mieux  dans  la  province.  Il  en  retira  même  tout  de  suite  quinze  mille 
piastres  d'or,  et  il  était  convaincu  qu'il  venait  de  s'adjuger  un  lot 
excellent.  Il  attribua  Xaltepeque,  qui  nous  avait  fourni  l'or  que  nous 
rapportâmes,  au  capitaine  Luis  Marin  qui  se  crut  gratifié  d'un  opu- 
lent comté.  Or,  tout  cela  se  trouva  être  fort  mauvais,  aussi  bien  ce 
que  Sandoval  prit  pour  lui  que  ce  qu'il  donna  à  Luis  Marin.  Notre 
chef  voulait  que  moi  aussi  je  restasse  en  cette  province  où  il  me  don- 
nait d'excellents  Indiens  d'un  fort  gros  produit;  et  plût  à  Dieu  que  je 
les  eusse  acceptés!  On  appelait  ces  lieux  Maltlatan  et  Orizaba.  C'est 


DE  LA  NOUVELLE-ESPAGNE.  569 

là  que  se  trouvent  aujourd'hui  les  plantations  du  Vice-Roi.  Dans  ce 
lot  se  voyait  encore  le  village  qu'on  appelle  Ozotequipa.  Je  ne  les  vou- 
lus point  accepter.  Il  me  sembla  qu'en  n'accompagnant  point  Sando- 
val  dont  j'étais  l'ami,  j'aurais  fait  une  chose  indigne  des  sentiments 
dont  j'étais  personnellement  animé.  Mon  chef  comprit  bien  ma  pen- 
sée, et  il  est  très-vrai  que  je  me  conduisis  ainsi  pour  me  trouver  à 
côté  de  lui  dans  les  batailles,  si  nous  avions  à  en  livrer  encore.  N'en 
parlons  plus  et  disons  que  Sandoval  appela  Medellin  le  bourg  qu'il 
fonda,  pour  se  conformer  à  l'ordre  de  Gortès  qui  était  natif  de  Me- 
dellin enEstramadure.  Ge  fut  alors  un  port  situé  sur  le  fleuve  appelé 
Ghalchocueca,  que  nous  avions  nommé  autrefois  Rio  de  Banderas. 
C'est  le  lieu  même  où  nous  avions  acquis  seize  mille  piastres,  au  moyen 
d'échanges.  Les  embarcations  remontaient  par  ce  fleuve,  avec  les  mar- 
chandises venues  de  Castille,  jusqu'à  ce  que  le  port  fût  transféré  à 
Yera  Gruz. 

Nous  prendrons  maintenant  le  chemin  de  Guazacualco  qui  se  trouve 
à  environ  soixante  lieues  de  la  Villa  de  la  Vera  Gruz,  laquelle  était 
déjà  colonisée.  Nous  entrâmes  dans  une  province  appelée  Gitla,  la 
plus  fraîche,  la  mieux  approvisionnée  et  la  plus  peuplée  que  nous 
eussions  vue  jusque  là.  Elle  se  soumit  à  nous  à  l'instant.  C'est  de  ce 
district  que  j'ai  déjà  parlé  comme  ayant  douze  lieues  de  long,  autant 
de  largeur  et  comme  étant  partout  couvert  d'habitants.  Nous  arri- 
vâmes au  grand  fleuve  de  Guazacualco.  De  là  nous  fîmes  appeler  les 
caciques  des  autres  villages,  celui  où  nous  étions  étant  le  chef-lieu 
de  la  province.  Mais  trois  jours  se  passèrent  sans  qu'ils  vinssent  ou 
fissent  parvenir  une  réponse.  Gela  nous  convainquit  qu'ils  se  propo- 
saient d'être  hostiles.  Il  est,  en  effet,  certain  que  leur  avis  avaiï.  été 
d'abord  de  ne  pas  nous  laisser  passer  le  fleuve.  Mais,  après  réflexion, 
ils  résolurent  de  se  présenter  à  nous  au  bout  de  cinq  jours.  Ils  ap- 
portèrent des  vivres  et  quelques  bijoux  d'un  or  très-fin,  en  disant 
que,  lorsque  nous  voudrions  passer  l'eau,  ils  amèneraient  beaucoup 
de  grandes  embarcations.  Sandoval  leur  en  témoigna  de  la  reconnais- 
sance et  il  prit  conseil  de  quelques-uns  d'entre  nous  pour  savoir  si 
nous  devions  nous  hasarder  à  passer  tous  ensemble  et  d'une  seule  fois 
sur  les  embarcations.  Nous  conseillâmes  de  faire  d'abord  traverser  le 
fleuve  par  quatre  soldats  qui  seraient  chargés  de  sonder  les  disposi- 
tions d'un  petit  village  situé  sur  la  rive,  et  de  s'assurer  si  les  habi- 
tants nous  étaient  hostiles,  tandis  qu'avant  de  nous  embarquer  tous 
ensemble,  nous  garderions  avec  nous  le  cacique  principal  appelé  To- 
chel.  Les  quatre  soldats  partirent  donc;  ils  examinèrent  ce  qui  fai- 
sait l'objet  de  leur  commission  et  ils  revinrent  en  faire  le  rapport  à 
Sandoval,  assurant  que  tout  était  pacifique.  Le  fils  du  cacique  Tochel 
vint  même  en  leur  compagnie,  apportant  un  autre  présent  en  or,  de 
peu  de  prix,  il  est  vrai.  Sandoval  lui  fit  mille  flatteries;  il  lui  donna 


£70  CONQUÊTE 

l'ordre  d'amener  cent  canots,  amarrés  deux  à  deux,  et  nous  transpor- 
tâmes sur  l'autre  rive  tous  les  chevaux,  un  des  jours  de  la  Pâque  du 
Saint-Esprit. 

Pour  ne  pas  perdre  le  temps  en  vaines  paroles,  nous  nous  occupe- 
rons tout  de  suite  du  village  qui  se  trouvait  sur  la  rivière.  Nous  lui 
donnâmes  le  nom  de  bourg  du  Saint-Esprit,  et  nous  l'appelâmes  de 
ce  nom  insigne  d'abord  parce  que  nous  vainquîmes  Narvaez  le  jour 
de  la  fête  du  Saint-Esprit;  ensuite  parce  que  nous  l'avions  pris 
pour  notre  mot  d'ordre  lors  de  la  rencontre  dans  laquelle  nous  bat- 
tîmes ce  général  et  le  fîmes  prisonnier  ;  en  outre,  parce  que  nous  ve- 
nions de  traverser  ce  fleuve  en  un  jour  de  cette  même  fête  ;  et,  enfin, 
parce  que  tous  ces  districts  se  soumirent  sans  nous  avoir  fait  d'abord 
la  guerre.  Cette  province  fut  alors  colonisée  par  la  fleur  des  cavaliers 
et  soldats  partis  de  Mexico  avec  Sandoval.  Ce  furent  :  Sandoval  lui- 
même,  Luis  Marin,  un  certain  Diego  de  Grodoy,  le  capitaine  Fran- 
cisco de  Médina,  Francisco  Marmolejo,  Francisco  de  Lugo,  Juan 
Lopez  de  Aguirre,  Hernando  de  Montes  de  Oca,  Juan  de  Saiamanca, 
Diego  de  Azamar,  un  certain  Mantilla,  un  soldat  appelé  Mexia 
Rapapelo,  Alonso  de  Grado,  le  licencié  Ledesma,  Luis  de  Busta- 
mante,  Pedro  Gastellar,  le  capitaine  Briones  et  moi,  avec  plusieurs 
autres  caballeros  et  personnes  de  qualité;  je  n'en  finirais  pas  si  je 
devais  tous  les  nommer  ici,  mais  tenez  pour  certain  que,  quand  il 
s'agissait  d'une  réjouissance  publique  ou  d'une  revue,  nous  nous 
présentions  sur  la  place  environ  quatre-vingts  cavaliers,  avec  cette 
particularité  que  quatre-vingts  cavaliers,  alors,  c'était  plus  que  ne 
seraient  cinq  cents  aujourd'hui.  La  raison  en  est  qu'il  n'y  avait  dans 
la  Nouvelle-Espagne  que  très-peu  de  chevaux  et  qu'ils  étaient  fort 
chers.  Il  en  résultait  qu'un  petit  nombre  d'entre  nous  seulement 
pouvaient  arriver  à  en  acheter. 

Quoi  qu'il  en  soit,  je  vais  dire  comment  Sandoval  partagea  entre 
nous  cette  province  et  ces  villages,  après  les  avoir  fait  visiter,  distin- 
guer les  terrains  et  apprécier  les  mérites  de  toutes  les  localités.  Les 
districts  qui  entrèrent  dans  le  partage  furent  les  suivants  :  d'abord 
(juazacualco,  Gruazpaltepeque,  Tepeca,  Chinanta  et  le  pays  des  Zapo- 
tèques  ;  de  l'autre  côté  du  fleuve,  le  district  de  Gopilco,  Ciinatan, 
Tabasco,  les  sierras  de  Gachula,  tous  les  Zoqueschas,  Tacheapa, 
Ginacatan,  tous  les  Quilenes  et  Papanachasta.  Nous  tous  qui  nous 
trouvions  dans  le  chef-lieu  en  ce  moment,  nous  eûmes  notre  part  des 
peuplades  que  je  viens  de  nommer;  et  certes  il  eût  mieux  valu  que  je 
ne  fusse  pas  resté  en  ce  lieu,  comme  le  prouvera  ce  qui  advint  ensuite; 
car  le  sol  est  pauvre  et  nous  eûmes  à  supporter  des  procès  avec  trois 
bourgs  qui  se  colonisèrent  plus  tard  ;  ce  furent  la  Villa  Rica  de  Vera 
Gruz  à  propos  de  Guazpaltepeque,  Chinanta  et  Tepeca;  le  bourg  de 
Tabasco  pour  Cimatan  et  Topeco;  Chiapa  relativement  aux  Quilenes 


DE   LA  NOUVELLE-ESPAGNE.  071 

et  auxZoques,  et  enfin  San  Ildefonso  à  propos  des  Zapolèques.  Tons 
ces  différends  provinrent  de  ce  que  ces  bourgs  furent  colonisés  alors 
que  nous  avions  déjà  colonisé  nous-mêmes  Guazacualo.  Nous  serions 
riches,  aujourd'hui,  si  Ton  nous  eût  laissé  nos  premières  limites.  La 
raison  qui  attira  des  colons  postérieurement  sur  les  centres  en  ques- 
tion, c'est  que  Sa  Majesté  daigna  ordonner  qu'on  enclaverait  dans 
leurs  dépendances  tous  les  villages  d'Indiens  les  plus  rapprochés  de 
chaque  bourg  nouveau.  Il  en  résulta  que  de  toutes  parts  on  nous  rogna 
les  basques  et  nous  restâmes  frustrés.  Tels  furent  les  motifs  qui  fi- 
rent avec  le  temps  dépeupler  Guazacualco,  de  sorte  qu'après  avoir 
possédé  la  population  la  plus  fleurie,  composée  des  plus  généreux  con- 
quistadores qu'il  y  eût  dans  la  Nouvelle-Espagne,  c'est  aujourd'hui 
un  petit  bourg  qui  ne  compte  que  fort  peu  d'habitants. 

Reprenons  notre  récit  et  disons  qu'au  moment  où  Sandoval  s'occu- 
pait du  soin  de  peupler  Guazacualco  et   travaillait  à  la  soumission 
d'autres  provinces,  il  vint  des   lettres  annonçant  qu'un  navire- était 
entré  dans  le  fleuve  d'Aguayalco  ;  là  se  trouvait  un  mauvais  port  à 
quinze  lieues  de  distance  du  point   où  nous  étions.   Dans  ce  navire 
venait  de  Cuba  la  senora  dona  Catalina  Juarez  Mercayda,  femme  de 
Cortès  ;  elle  arrivait  en  compagnie  de  Juan   Juarez,  son  frère,   qui 
devint  habitant  de  Mexico,  et  d'une  dame  Zambrano  avec  ses  enfants, 
fils  et  filles,  issus  de  son  union  avec  Yillegas,  de  Mexico.  La  grand'- 
mère  venait  avec  eux,  ainsi  que  plusieurs  autres  dames  mariées  ' .  Il 
me  semble  que  là  vint  aussi  Elvira  Lopez,  la  Longue,  alors  épouse  de 
Juan  de  Palma,  qui  était  venu  avec  nous,  et  qui  plus  tard  fut  pendu, 
ce  qui  fît  que  la  susdite  Elvira  devint  la  femme  d'un  certain  Argueta. 
Là  venait  aussi  Antonio  Diosdado,  qui  plus  tard  se   fit  habitant  de 
Guatemala.  Arrivèrent  encore  bien  d'autres  individus  dont  je  ne  me 
rappelle  pas  les  noms.  Gonzalo  de  Sandoval,  ayant   reçu  cette  nou- 
velle, s'entoura  de  la  plus  grande  partie  de  ses  capitaines  et  soldats, 
et  nous  fûmes  ensemble  recevoir  la  dame  de  notre  général,  ainsi  que 
la   plupart  de  celles  qui   venaient  en  sa  compagnie.  Je  me  rappelle 
qu'il  avait  tellement   plu,  qu'il  nous   était  impossible  de  mettre   à 
profit  les  chemins  frayés  et  de  traverser  les  rivières  et  ruisseaux,  tant 
ils  avaient  grossi  en  sortant  de  leurs  lits.  Les  vents  du  nord  avaient 
été   très-forts  et  c'était  précisément   à   cause    de  ce  mauvais  temps 
que  le  navire  en  question,  craignant  d'être  jeté  à  la  côte,  entra  au 
port  d'Aguayalco.  La  senora  dona  Catalina  Juarez  Mercayda  et  toutes 
ses  compagnes  se  réjouirent  beaucoup  de  nous  voir.  Nous  les  condui- 
sîmes, sans  retard,   au  bourg   de  Guazacualco,  Sandoval  s'empressa 
d'en  donner  la  nouvelle  à  Cortès  par  des  courriers  rapides,  et  il  se 

1.  Cet  arrivage  de  dames  espagnoles  mérite  d'attirer  notre  attention,  car,  jusque- 
là,  l'expédition  ne  comptait  pas  au  delà  de  dix  ou  douze  femmes  de  Caslille.  que  nous 
aurons  du  reste  l'occasion  de  nommer  plus  tard. 


572  CONQUÊTE 

mit  en  route  pour  Mexico  avec  Briones,  Francisco  de  Lugo  et  d'autres 
caballeros  pour  accompagner  ces  dames.  On  a  dit  qu'en  recevant  la 
nouvelle,  Gortès  éprouva  du  regret  de  cette  arrivée;  mais  la  vérité 
est  qu'il  ne  le  fit  nullement  paraître  et  qu'il  ordonna  qu'on  allât  à  la 
rencontre  des  dames  et  qu'il  leur  fût  rendu  les  plus  grands  honneurs 
dans  tous  les  villages  qu'elles  traverseraient  pour  arriver  à  Mexico. 
Il  y  eut  dans  cette  ville  des  réjouissances  publiques  et  des  carrousels. 
Nous  apprîmes  que  l'épouse  de  Gortès  mourut  d'un  accès  d'asthme 
trois  mois  après  son  arrivée. 

Nous  devons  dire  maintenant  ce  qui  advint  à  Villafuerte  qui  avait 
été  coloniser  Zacatula,  ainsi  qu'à  Juan  Alvarez  Ghico  qui  alla  à  Co- 
lima.  Le  premier  de  ces  chefs  fut  très-vivement  attaqué;  on  lui  tua 
quelques  hommes.  Tout  le  pays  s'était  soulevé;  personne  ne  voulait 
ni  obéir  ni  payer  tribut.  La  même  chose  arriva  à  Juan  Alvarez  Ghico. 
Gortès.  en  recevant  ces  nouvelles,  éprouva  le  plus  vif  regret.  Ayant 
sous  la  main  Chris toval  de  Oli  qui  venait  d'arriver  riche  de  l'affaire 
de  Mechoacan,  après  avoir  pacifié  cette  province,  notre  général  crut 
devoir  profiter  de  sa  bonne  chance  en  l'envoyant  pacifier  les  deux 
provinces  de  Zacatula  et  de  Golima.  Il  résolut  donc  de  l'expédier  et 
lui  donna  quinze  cavaliers  avec  trente  arbalétriers  et  gens  d'escopette 
pour  l'accompagner.  Tandis  qu'il  était  en  route  et  s'approchait  de 
Zacatula,  les  naturels  du  lieu  l'attendirent  de  pied  ferme  en  un  mau- 
vais passage,  lui  tuèrent  deux  soldats  et  lui  en  blessèrent  quinze,  ce 
qui  ne  l'empêcha  pas  de  les  mettre  en  déroute.  Il  arriva  au  bourg  où 
se  trouvait  Villafuerte  avec  les  colons  qui  n'osaient  se  rendre  aux 
villages  dont  ils  avaient  la  commanderie,  de  crainte  qu'il  ne  leur  ar- 
rivât malheur,  sachant  qu'on  avait  tué  quatre  Espagnols  dans  ces 
localités.  Il  arrivait,  en  effet,  dans  les  provinces  et  dans  les  villes 
colonisées,  que  les  Indiens  sur  lequels  s'exerçait  la  commanderie  se 
soulevaient  quand  on  leur  demandait  le  payement  des  tributs  et  met- 
taient à  mort  tout  ce  qu'ils  pouvaient  d'Espagnols.  Lorsque  Ghnsto- 
val  de  Oli  fut  assuré  de  la  tranquillité  de  cette  province  qui  s'était 
décidément  soumise,  il  se  rendit  de  Zacatula  à  Golima.  Il  trouva 
celle-ci  en  état  de  guerre  ouverte  et  il  eut  quelques  rencontres  avec 
les  naturels  du  lieu  qui  lui  blessèrent  un  grand  nombre  d'hommes  ; 
mais  il  finit  par  les  battre  complètement  et  par  les  soumettre.  Je  ne 
sais  pas  bien  ce  qu'il  advint  de  Juan  Alvarez  Ghico  qui  était  allé  là 
comme  commandant  de  l'expédition  ;  mais  il  me  semble  qu'il  mourut 
dans  cette  campagne.  Ayant  achevé  la  pacification  de  Golima  et  la 
croyant  définitive,  Christoval  de  Oli,  qui  était  marié  avec  une  belle 
Portugaise  que  j'ai  dite  s'appeler  doua  Felipa  de  Araujo,  reprit,  le 
chemin  de  Mexico.  Mais  à  peine  y  était-il  de  retour  qu'on  se  souleva 
de  nouveau  à  Golima  et  à  Zacatula.  En  ce  même  moment  arrivait  à 
Mexico  Gronzalo  de   Sandoval  avec   doua  Gatalina  Juarez  Mercayda, 


DE  LA  NOUVELLE-ESPAGNE.  573 

Juan  Juarcz  et  toutes  les  compagnes  de  voyage  dont  j'ai  parlé  plus 
haut.  Cortès  fui  d'avis  de  charger  ce  capitaine  de  la  pacification  de 
ces  provinces.  Il  partit  donc  avec  un  petit  nombre  de  cavaliers  qu'on 
lui  donna,  et  environ  quinze  arbalétriers  et  gens  d'escopette  choisis 
parmi  les  vieux  conquistadores;  il  arriva  à  Colima,  y  châtia  deux  ca- 
ciques et  y  fit  si  adroitement  les  choses  qu'il  établit  la  paix  dans 
toute  la  province,  laquelle  ne  se  souleva  jamais  plus.  Il  passa  par  Za- 
catula,  y  obtint  le  même  résultat  et  se  rendit  aussitôt  à  Mexico. 

Revenons  maintanant  à  Guazacualco  pour  dire  qu'aussitôt  après  le 
départ  de  Sandoval  pour  la  capitale,  avec  dona  Gatalina  Juarez,  la 
plupart  des  provinces  qui  formaient  les  commanderies  entrèrent  en 
état  de  rébellion  et  nous  eûmes  la  plus  grande  peine  à  les  pacifier 
de  nouveau.  Le  premier  soulèvement  eut  lieu  dans  le  pays  de  Xalte- 
peque  et  des  Zapotèques,  dont  les  villages  se  trouvaient  situés  sur 
de  mauvaises  sierras  très-élevées.  A  leur  exemple,  on  se  souleva 
aussi  dans  les  districts  de  Gimatan  et  de  Copilco,  parsemés  de  riviè- 
res et  de  marécages.  D'autres  provinces  en  firent  autant,  et  même  à 
douze  lieues  de  notre  bourg  il  y  eut  des  villages  qui  assassinèrent 
leurs  commandeurs.  Tout  cela  nous  donna  beaucoup  à  faire  pour  ar- 
river à  la  pacification.  Nous  étions  en  expédition  avec  le  capitaine 
Luis  Marin,  unalcalde  ordinaire  et  tous  les  regidores  de  notre  bourg, 
lorsqu'on  nous  apporta  des  lettres  annonçant  qu'un  navire  venait 
d'arriver  au  port  avec  Juan  Bono  de  Quexo,  natif  de  Biscaye,  et  que 
le  bâtiment,  qui  était  petit,  avait  remonté  le  fleuve  jusqu'au  chef- 
lieu.  Il  était  dU-  qu'il  apportait  des  lettres  et  des  provisions  de  Sa 
Majesté,  dont  on  devait  nous  faire  la  notification.  On  nous  priait  de 
revenir  au  bourg  le  plus  tôt  possible  en  suspendant  la  pacification 
de  la  province. 

Ayant  reçu  cette  nouvelle,  nous  fûmes  tous  avec  le  lieutenant  Luis 
Marin,  les  alcaldes  et  les  regidores,  voir  ce  qu'on  voulait  de  nous. 
Après  nous  être  embrassés  et  nous  être  donné  la  bienvenue  les  uns 
aux  autres,  Juan  Bono,  qui  était  bien  connu  de  nous  depuis  son  ar- 
rivée avec  Narvaez,  nous  dit  qu'il  nous  demandait  en  grâce  de  bien 
vouloir  nous  réunir  en  conseil  pour  qu'il  pût  nous  notifier  certaines 
provisions  de  Sa  Majesté  et  mettre  en  notre  pouvoir  des  lettres  de 
don  Juan  Rodriguez  de  Fonscca,  qu'il  apportait  pour  nous  tous.  Il 
paraît,  du  reste,  qu'il  apportait  aussi  des  blancs-seings  à  la  signa- 
ture de  l'évêque.  Or,  en  attendant  qu'on  fût  nous  requérir  où  nous 
nous  trouvions,  Juan  Bono  prit  soin  de  s'informer  des  noms  des  re- 
gidores. Il  put  alors  inscrire  dans  les  lettres  signées  en  blanc  les 
offres  que  l'évêque  nous  faisait,  pour  le  cas  où  nous  livrerions  le 
pays  à  Ghristobal  de  Tapia,  car  Juan  Bono  ignorait  qu'il  s'en  fût  re- 
tourné à  Saint-Domingue.  L'évêque  s'était  persuadé,  en  effet,  que 
nous  ne  voudrions  pas  le  recevoir,  et  dans  cette  conviction   il  envoya 


5  74  CONQUÊTE 

Juan  Bono  on  commission.  Il  y  avait  pour  moi,  en  ma  qualité  de  regi- 
dor,  une  lettre  de  l'évêque  lui-même,  écrite  par  Juan  Bono.  Lorsque 
nous  fûmes  entrés  en  conseil  et  que  nous  eûmes  vu  les  dépêches  et 
les  provisions,  sans  qu'auparavant  nous  eussions  pu  pressentir  ce 
que  c'était,  nous  terminâmes  prestement  cette  affaire  en  disant  que 
Tapia  était  déjà  retourné  en  Gastille  et  que  lui,  Juan  Bono,  n'avait 
qu'à  aller  à  Mexico,  où  se  trouvait  Gortès,  qui  lui  dirait  ce  qui  serait 
à  sa  convenance.  Lorsque  le  voyageur  apprit  que  Tapia  n'était  plus 
dans  le  pays,  il  devint  fort  triste  et  il  s'embarqua  dès  le  lendemain. 
Il  se  rendit  à  la  Villa  Rica  et  de  là  à  Mexico.  Ge  qui  arriva  alors,  je 
l'ignore;  seulement  j'entendis  dire  que  Gortès  lui  donna  un  secours 
pour  retourner  à  la  côte,  et  que  de  là  il  s'en  revint  en  Gastille. 

Nous  interromprons  notre  récit,  quoiqu'il  y  eût,  à  ce  sujet,  bien 
des  choses  à  dire  encore;  car,  pendant  tout  le  temps  que  nous  rési- 
dâmes dans  ce  bourg,  nous  nous  vîmes  dans  la  nécessité  de  faire 
d'incessantes  expéditions,  au  prix  de  grandes  fatigues,  contre  les  pro- 
vinces révoltées.  Mais  revenons  à  Pedro  de  Alvarado  pour  dire  ce  qui 
lui  advint  dans  sa  colonisation  de  Tutepeque. 


CHAPITRE  GLXI 

Comment  Pedro  de  Alvarado  fut  à  Tutepeque  pour  fonder  une  villa  ;  ce  qui  lui  advint 
dans  la  pacification  de  cette  province  et  dans  l'établissement  de  la  villa. 

Il  nous  faut  revenir  quelque  peu  en  arrière,  pour  entamer  le  récit 
de  l'expédition   que  Pedro  de  Alvarado   entreprit    sur    Tutepeque. 
Après  la  prise  de  Mexico,  la  nouvelle  de  la  ruine  de  cette  capitale 
s'étant  répandue  dans  les  districts  et  provinces,  on  venait  de  toutes 
parts  pour  féliciter  Gortès  et  s'offrir  pour  sujets  de  Sa  Majesté.  Au 
nombre  des  villages  qui  firent  cette  démarche,  il  en  faut  compter  un 
nommé  Teguantepeque  des  Zapotèques.   Ses  envoyés  apportèrent  à 
Gortès  un  présent  en  or,  en  disant  que  d'autres  villages  un  peu  plus 
éloignés,  appartenant  au  district  de  Tutepeque,  étaient  leurs  mortels 
ennemis,  qu'ils  les  attaquaient  sans  cesse  parce  que  Teguantepeque 
avait  envoyé  faire  le  serment  d'obéissance  à  Sa  Majesté  ;  que  ces  en- 
nemis habitaient  la  côte  de  la  mer  du  Sud,  et  qu'ils  étaient  fort  riches 
tant  en  joyaux  d'or  qu'en  gisements  miniers.  Ces  émissaires  deman- 
daient à  Gortès   avec   beaucoup  d'instances  qu'il   voulût  bien  leur 
donner  le  secours  de  cavaliers,  d'arbalétriers  et  de  gens  d'escopette 
pour  marcher  contre  leurs  ennemis.  Gortès  répondit  très-affectueuse- 
ment qu'il  enverrait  avec  eux  le  Tonatio  (on  sait  qu'on  appelait  ainsi 
Pedro  de  Alvarado).  11  pria  fray  Bartolomé   d'aller  avec  Alvarado  à 


DE  LA  NOUVELLE-ESPAGNE.  575 

qui  il  donna  environ  cent  quatre-vingts  soldats,  en  y  comprenant 
trenle-cinq  cavaliers,  lui  prescrivant  de  demander  vingt  hommes  de 
plus,  la  plupart  arbalétriers,  à  la  province  de  Guaxaca  où  comman- 
dait un  certain  Francisco  de  Orozco,  attendu  que  cette  province  était 
déjà  pacifiée.  Ce  chef  régla  son  départ  sur  Tordre  qui  lui  était  donné 
et  partit  de  Mexico  en  l'année  1522.  Il  avait  reçu  de  Gortès  la  com- 
mission de  voir  en  route  certains  peûoles  que  Ton  disait  révoltés; 
mais  il  rencontra  partout  des  gens  pacifiques  et  pleins  de  bon  vou- 
loir, dans  les  quarante  jours  qu'il  lui  fallut  pour  arriver  à  Tutepe- 
que.Le  seigneur  du  lieu,  ainsi  que  toutes  les  personnes  de  qualité,  en 
apprenant  qu'il  approchait  de  la  ville,  en  sortirent  pour  aller  au-de- 
vant de  lui  de  l'air  le  plus  pacifique.  Ils  l'emmenèrent  loger  dans  la 
partie  la  mieux  peuplée  de  l'endroit,  là  même  où  le  cacique  avait  ses 
oratoires  et  ses  vastes  demeures.  Les  maisons  étaient  très- rappro- 
chées les  unes  des  autres  et  couvertes  en  chaume;  la  province  ne 
faisait  pas  usage  de  terrasses  dans  les  constructions,  parce  que  la 
chaleur  y  est  considérable. 

Fray  Bartolomé  dit  à  Alvarado,  ainsi  qu'à  ses  capitaines  et  soldats, 
qu'il  n'était  pas  prudent  de  s'installer  dans  des   maisons  si  rappro- 
chées les  unes  des  autres,  parce  que,  si  on  y  mettait  le  feu,  il  serait 
impossible  d'échapper  aux  flammes.  Le  conseil  parut  bon  et  la  réso- 
lution fut  prise  de  se  transporter  aux  dernières  maisons  de  la  ville. 
A  peine  y  fut-on  installé  que  le  cacique  s'empressa  d'apporter  au  ca- 
pitaine de  grands  présents  en  or  et  des  vivres.  Chaque  jour  que  l'on 
passa  dans  cette  localité,  ces  mêmes  présents  en  or  furent  sans  cesse 
renouvelés.  Alvarado,  voyant  qu'il  y  avait  tant  de  ce  métal  précieux, 
commanda  au  cacique  des  étriers  en  or  sur  le  modèle  de  ceux  qu'il 
lui  donna  pour  être  imités.  On  ne  tarda  pas  à  les  apporter  ainsi  faits. 
Mais,  à  peu  de  jours  de  là,  il  fit  mettre  ce  même  cacique  en  prison, 
parce  que  des  gens  de  Teguantepeque  lui  dirent  que  cette  province 
allait  se  soulever,  et  que  lorsqu'on  avait  logé    ses   soldats  dans  les 
maisons  des  idoles  ce  n'avait  été  que  dans  l'intention  d'y  mettre  le 
feu  et  de  les  faire  tous  mourir.  Ce  fut  à  cause  de  cela  qu'il  fit  arrêter 
le  cacique.  Quelques  Espagnols   de  bonne  foi  et  très-dignes  d'être 
crus   assurèrent  que  cette   mesure  fut  prise  pour  lui  arracher  plus 
d'or  encore,  et  que  sans  aucune  raison  ni  justice  on  le  laissa  mourir 
en  prison.  Quoi  qu'il  en   soit,  il  est  certain  que  ce  cacique   donna  à 
Pedro  de  Alvarado  plus  de  trente  mille  piastres,  et  qu'il  mourut  d'en- 
nui et  des  effets  de  la  prison.  Les  consolations  et  les  encouragements 
de  fray  Bartolomé  de  Olmedo    ne    suffirent  pas  pour  l'empêcher  de 
succomber  à  la  colère  et  à  l'affliction.  Un  de  ses  fils  lui  succéda  dans 
la  charge  de  cacique.  Alvarado  lui  arracha  encore  plus  d'or  qu'à  son 
père. 

Il  envoya  ensuite  visiter  les  villages  du  district  et  il   les  répartit 


576  CONQUETE 

entre  les  nouveaux  colons.  Il  fonda  un  bourg  auquel  il  donna  le  nom 
de  Segura,  parce  que  la  plupart  de  ceux  qui  en  devinrent  les  habi- 
tants avaient  déjà  habité  Segura  de  la  Frontera,  qui  était  Tepeaca. 
Gela  étant  fait,  comme  d'ailleurs  il  avait  ramassé  une  bonne  somme 
de  piastres  d'or,  il  se  proposa  de  la  présenter  à  Cortès  à  Mexico.  Il 
lui  fut,  au  surplus,  mandé  d'apporter  à  la  capitale,  quand  il  viendrait, 
tout  l'or  qu'il  pourrait  recueillir,  afin  qu'on  l'envoyât  à  Sa  Majesté, 
attendu  que  les  Français  s'étaient  emparés  de  ce  qu'on  avait  fait  re- 
mettre par  Alonso  de  Avila  et  Quinones.  Il  lui  était  recommandé  de 
n'en  rien  donner  à  aucun  des  soldats  qui  l'accompagnaient.  Alvarado 
se  préparait  à  partir  pour  Mexico  lorsque  quelques  hommes,  la  plu- 
part arbalétriers  et  gens  d'escopette,  formèrent  une  conjuration  dans 
le  but  de  donner  la  mort  à  Pedro  de  Alvarado  et  à  ses  frères,  parce 
qu'ils  emportaient  tout  l'or  sans  en  faire  le  partage,  et  qu'ayant  de- 
mandé plusieurs  fois  leurs  parts,  ces  soldats  n'avaient  obtenu  que 
des  refus.  Ils  se  plaignaient  aussi  qu'on  ne  leur  eût  pas  donné  de 
bons  Indiens  en  partage.  Si  un  nommé  Trebejo,  qui  faisait  partie  de 
la  conjuration,  ne  l'eût  découverte  à  fray  Bartolomé  de  Olmedo,  les 
conjurés  fussent  tombés  cette  nuit-là  même  sur  leurs  victimes.  Alva- 
rado apprit  le  complot  par  le  moine,  qui  le  lui  révéla  à  l'heure  des 
vêpres,  tandis  qu'ils  allaient  à  cheval  à  la  chasse  sur  des  plaines  cou- 
vertes de  pâturages  4  et  que  marchaient  en  leur  compagnie,  à  cheval 
aussi,  quelques-uns  de  ceux  qui  faisaient  partie  de  la  conjuration. 
Voulant  dissimuler  avec  eux,  il  leur  dit  :  «  Senores,  je  viens  d'être 
pris  de  douieur  au  côté;  regagnons  nos  logements  et  qu'on  appelle 
un  barbier  pour  me  saigner.  »  A  peine  arrivé,  il  manda  ses  frères 
Jorge  et  Gonzalo  Gromez,  ainsi  que  les  alcaldes  et  alguazils.  On  ar- 
rêta les  membres  de  la  conjuration,  et  on  fit  justice  de  deux  d'entre 
eux,  en  les  pendant.  C'étaient  un  certain  Salamanca,  natif  du  Gon- 
dado,  qui  avait  été  pilote,  et  un  Levantin  nommé  Bernardo.  Ils  mou- 
rurent en  bons  chrétiens,  car  fray  Bartolomé  s'occupa  d'eux  avec 
zèle. 


1.  Le  texte  espagnol  dit  :  Yendo  a  caballo  â  casa  por  unas  cabanas.  J'ai  déjà 
fait  remarquer  dans  ma  première  édition  combien  il  me  paraissait  difficile  de  tra- 
duire le  mot  cabanas.  J'y  trouvais  même  alors  une  difficulté  telle  que  je  me  résolus 
à  croire  que  ce  mot  était  le  résultat  d'une  faute  d'impression.  Je  me  demande  aujour- 
d'hui; non  sans  raison,  si  le  mot  cabana  n'aurait  pas  été  employé,  au  temps  de 
Bernai  Diaz,  dans  une  acception  différente  de  celle  qu'il  a  aujourd'hui.  En  parlant  de 
sa  signification  première  qui  lui  fait  désigner  une  de  ces  cabanes  roulantes  servant 
aux  bergers  à  garder  leurs  troupeaux  parqués  [tendant  la  nuit,  on  en  était  arrivé  à 
appeler  cabana  l'ensemble  du  troupeau  lui-même.  Par  extension  n'aurait-on  pas  dé- 
signé par  le  même  mot  le  pâturage  limité  sur  lequel  il  devait  prendre  sa  nourriture  ? 
S'il  en  était  ainsi,  et  je  le  crois,  on  aurait  pu  appeler  cabana  un  lieu  de  pâturage  où 
les  chevreuils  nombreux  du  Mexique  se  seraient  réunis  en  troupeaux.  En  ce  cas  très- 
probable,  on  devrait  dire,  comme  je  traduis  aujourd'hui,  qu'Alvarado  allait  à  la 
chasse  «  sur  des  plaines  couvertes  de  pâturages.  » 


DE  LA  NOUVELLE-ESPAGNE.  577 

Cet  exemple  suffit  pour  apaiser  les  autres  mutins.  Alvarado  partit, 
aussitôt  après,  pour  Mexico,  avec  tout  l'or,  le  bourg  étant  définitive- 
ment fondé.  Mais  ceux  qui  restèrent  en  qualité  de  colons  ne  tardè- 
rent pas  à  s'apercevoir  que  ce  qui  leur  était  échu  en  partage  dans  le 
pays  n'avait  pas  grande  valeur  ;  la  contrée  était  très-chaude  et  mal- 
saine1. Plusieurs  d'entre  eux  tombèrent  malades;  les  naborias  et  les 
esclaves  qu'ils  avaient  amenés  étaient  morts.  Le  pays  était  d'ailleurs 
infesté  de  vampires,  de  moustiques  et  même  de  punaises.  Ajoutez  à 
cela,  surtout,  qu'Alvarado  avait  emporté  tout  l'or  sans  leur  en  laisser 
la  moindre  parcelle.  Ils  convinrent  donc  de  sortir  de  peine  en  aban- 
donnant le  bourg.  Plusieurs  d'entre  eux  s'en  revinrent  à  Mexico, 
quelques-uns  à  Gruaxaca  et  à  Guatemala;  d'autres  se  dispersèrent  en 
différentes  directions.  Gortès,  l'ayant  su,  envoya  faire  une  enquête  et 
il  découvrit  que  c'étaient  les  alcaldes  et  les  regidores  qui  avaient  fait 
décider  en  conseil  de  déserter  les  lieux.  Les  coupables  furent  con- 
damnés à  mort.  Mais  fray  Bartolomé  pria  instamment  Gortès  de  ne 
pas  les  faire  pendre,  de  sorte  que  la  peine  fut  changée  en  exil.  C'est 
ainsi  que  se  passèrent  les  affaires  de  Tutepeque.  Jamais  à  l'avenir 
on  ne  put  coloniser  cette  province,  quoique  le  pays  fût  riche,  parce 
qu'il  était  très-malsain.  Lorsque  les  naturels  de  la  contrée  virent  que 
les  colons  avaient  déserté,  se  souvenant  de  la  cruauté  dont  Pedro  de 
Alvarado  avait  fait  preuve  sans  aucune  raison  qui  la  justifiât,  ils  se 
soulevèrent  de  nouveau.  Alvarado  dut  refaire  la  campagne  ;  il  les  en- 
gagea à  la  soumission,  et  ils  s'y  résolurent  sans  combattre. 

Disons,  en  outre,  que  Gortès  avait  réuni  environ  quatre-vingt  mille 
piastres  d'or  pour  les  envoyer  à  Sa  Majesté  et  que  le  canon  était  ter- 
miné, lorsque  vint  la  nouvelle  que  Francisco  de  Garay  était  arrivé  au 
Panuco  avec  une  grande  flotte.  Ce  qui  advint  à  ce  sujet,  je  vais  le  dire 
à  la  suite. 


CHAPITRE  GLXII 

Comme  quoi  Francisco  de  Garay  vint  de  la  Jamaïque  au  Panuco  avec  une 
grande  flotte.  Ce  qui  lui  advint  et  plusieurs  choses  qui  arrivèrent. 

J'ai  déjà  dit  dans  un  autre  chapitre,  qui  parle  de  Francisco  de 
Garay,  qu'il  était  gouverneur  de  l'île  de  la  Jamaïque  et  possesseur 
d'une  grande  fortune.  Il  apprit  que  nous  avions  découvert  de 
riches  pays  lorsque  nous  vînmes  avec  Fernando  Hernandez  de  Gor- 

1.  Cette  contrée,  basse  et  humide,  appartenant  actuellement  à  l'État  d'Oajaca,  vers 
Tehuantepeque,  est  aujourd'hui  moins  malsaine  qu'alors,  mais  sujette  encore  à  l'im- 
paludisme  comme  tous  les  points  du  pays  se  rapprochant  du  niveau  de  la  mer. 

37 


578  CONQUÊTE 

doba  et  Juan  de  Grijalva.  Il  savait  que  nous  avions  rapporté  à  l'île 
de  Cuba  vingt  mille  piastres  d'or  qui  furent  remises  à  Diego  Velasquez, 
gouverneur  de  cette  île.  Il  avait  eu  connaissance  également  que 
Gortès  partait  pour  la  Nouvelle-Espagne  avec  une  autre  flotte.  Tout 
cela  avait  donné  à  Graray  l'envie  de  conquérir  quelques  pays,  ayant 
à  cette  fin  de  meilleurs  moyens  que  tout  autre.  Il  en  causa  avec  Anton 
de  Alaminos,  qui  fut  notre  pilote  en  chef  lorsque  nous  fîmes  la  dé- 
couverte. Celui-ci  lui  révéla  que  ce  pays  était  très-riche  et  très- 
peuplé,  surtout  à  partir  du  fleuve  Panuco,  et  il  l'engageait  à  en 
demander  la  concession  à  Sa  Majesté.  Bien  informé  par  ce  pilote  et 
par  quelques  autres  qui  s'étaient  trouvés  avec  lui  lors  de  cette  décou- 
verte, Garay  résolut  d'envoyer  à  la  cour  son  majordome,  appelé  Juan 
de  Torralva,  avec  des  lettres  et  de  l'argent,  pour  prier  les  person- 
nages qui  étaient  actuellement  président  et  auditeurs  de  Sa  Majesté 
de  vouloir  bien  lui  octroyer  le  gouvernement  du  fleuve  Panuco,  avec 
tous  les  autres  pays  qu'il  découvrirait  et  qui  ne  seraient  pas  déjà 
colonisés.  Gomme  Sa  Majesté  était  alors  en  Flandre  ,  que  Juan  Ro- 
driguez  de  Fonseca  se  trouvait  être  le  président  du  Conseil  des  Indes 
et  avait  la  haute  main  en  toutes  choses,  il  en  résulta  que  les  licenciés 
Zapata  et  Vargas,  ainsi  que  le  secrétaire  Lope  de  Conchillos,  appor- 
tèrent à  Garay  des  lettres  le  nommant  adelantado  et  gouverneur  du 
fleuve  de  San  Pedro  et  San  Pablo,  avec  tout  ce  qu'il  parviendrait  à 
découvrir. 

Ce  fut  sur  ces  lettres  qu'il  envoya  incontinent  trois  navires  avec 
deux  cent  quarante  soldats,  plusieurs  chevaux,  des  hommes  d'esco- 
pette  et  d'arbalète  et  des  provisions,  sous  le  capitaine  Alonso  Alvarez 
Pineda  ou  Pinedo,  dont  j'ai  déjà  parlé.  J'ai  dit  aussi  que,  cette  flotte 
ayant  été  envoyée,  les  Indiens  du  Panuco  la  détruisirent  et  tuèrent 
le  capitaine  Pineda,  ainsi  que  tous  les  soldats  et  chevaux  qui  étaient 
avec  lui,  à  l'exception  d'environ  soixante  hommes  qui  s'en  vinrent 
avec  un  des  navires  à  la  Villa  Rica,  réclamant  notre  protection,  sous 
le  commandement  du  capitaine  Camargo.  A  la  suite  de  ces  trois  vais- 
seaux dont  il  n'avait  aucune  nouvelle,  Garay  en  envoya  deux  autres 
avec  des  provisions,  des  chevaux  et  un  grand  nombre  d'hommes,  com- 
mandés par  le  capitaine  Miguel  Diaz  de  Auz  et  un  certain  Ramirez. 
Tout  cela  s'en  vint  également  à  notre  port,  après  avoir  reconnu  qu'il 
n'y  avait  sur  le  fleuve  Panuco  aucun  autre  vestige  de  l'expédition  de 
Garay  que  les  carcasses  de  ses  navires.  A  la  vérité,  j'ai  déjà  dit  tout 
cela  dans  une  autre  partie  de  mon  récit  ;  mais  il  était  nécessaire  de 
nous  reporter  au  début  de  cette  affaire  pour  qu'elle  fût  bien  com- 
prise. Nous  arrivons  maintenant  à  lui  donner  plus  d'à-propos,  car, 
lorsque  Francisco  de  Garay  en  vint  à  reconnaître  qu'il  avait  dépensé 
beaucoup  d'or  et  entendit  parler  de  la  bonne  chance  de  Cortès  ainsi 
que  des    importantes  villes  qu'il  avait  découvertes,   et  des    grandes 


DE  LA  NOUVELLE-ESPAGNE.  579 

richesses  que  l'on  trouvait  dans  le  pays,  il  en  eut  plus  d'envie  que 
jamais  et  il  se  sentit  pris  du  désir  d'y  aller  en  personne  en  armant 
dans  ce  but  la  plus  grande  flotte  qu'il  lui  serait  possible  de  réunir. 
Il  rassembla  onze  vaisseaux  et  deux  bricks,  en  tout  treize  voiles.  Il 
arma  cent  trente-six  cavaliers  et  huit  cent  quarante  soldats ,  la  plu- 
part gens  d'arbalète  et  d'espingole.  Il  les  approvisionna  fort  bien  de 
tout  le  nécessaire,  c'est-à-dire  de  pain  de  cassave,  de  porc  salé  et  de 
viande  de  bœuf  séchée  ;  car  il  y  avait  déjà  beaucoup  de  ce  bétail  dans 
l'île,  et  comme  Garay  était  riche  et  qu'il  avait  de  tout  dans  sa  pro- 
priété, il  ne  regardait  pas  à  la  dépense.  Si  l'on  considère  vraiment 
que  cette  expédition  fut  armée  à  la  Jamaïque,  on  est  forcé  d'avouer 
que  ce  fut  là  beaucoup  de  chevaux. 

Il  sortit  de  cette  île  avec  toute  sa  flotte,  vers  la  fête  de  la  Saint- 
Jean  de  juin  de  l'année  1523.  Il  aborda  à  l'île  de  Cuba  au  port 
appelé  Xagua.  Là  il  apprit  que  Gortès  avait  déjà  pacifié  la  province 
de  Panuco,  fondé  une  ville  et  dépensé  dans  cette  expédition  plus  de 
soixante  mille  piastres  d'or,  et  que  ce  général  avait  fait  supplier  Sa 
Majesté  de  lui  en  donner  le  commandement  conjointement  avec  celui 
de  la  Nouvelle-Espagne.  Il  eut  ainsi  occasion  de  connaître  les  faits 
héroïques  de  Gortès  et  de  ses  compagnons  d'armes  ;  il  sut  qu'avec 
deux  cent  soixante-six  soldats  nous  avions  mis  en  déroute  Pamphilo 
de  Narvaez  accompagné  de  ses  treize  cents  hommes,  cent  cavaliers, 
autant  de  gens  d'arbalète  et  d'espingole,  et  dix-huit  canons.  Tout 
cela  fit  que  la  fortune  de  Gortès  lui  inspira  des  craintes.  Pendant  que 
G-aray  séjournait  au  port  de  Xagua,  il  reçut  la  visite  de  plusieurs 
habitants  de  Cuba;  huit  ou  dix  personnes  de  qualité  de  cette  île  s'en 
vinrent  en  sa  compagnie.  Vint  aussi  le  voir  le  licencié  Zuazo,  envoyé 
par  le  Haut  Tribunal  de  Saint-Domingue  pour  contrôler  l'adminis- 
tration de  Diego  Velasquez.  Ils  étaient  à  causer  ensemble  sur  la  for- 
tune de  Gortès  et  sur  les  motifs  qu'il  y  avait  pour  Garay  de  craindre 
des  désaccords  avec  lui  au  sujet  de  la  province  de  Panuco,  lorsqu'il 
pria  le  licencié  de  l'accompagner  pour  servir  de  médiateur  entre  les 
deux.  Zuazo  répondit  qu'il  ne  pouvait  pas  partir  immédiatement  sans 
avoir  rendu  compte  de  sa  mission,  mais  qu'il  ne  tarderait  pas  à  se 
rendre  au  Panuco.  L'ordre  fut  donné  de  faire  voile  et  l'on  se  dirigea 
vers  le  fleuve.  On  essuya  un  fort  mauvais  temps  pendant  la  tra- 
versée; cela  fit  remonter  les  pilotes  jusqu'à  la  hauteur  du  fleuve  de 
Palmas,  où  l'on  mouilla  le  jour  de  la  fête  de  Santiago.  Garay  fit  re- 
connaître le  pays,  qui  ne  parut  pas  bon  aux  soldats  envoyés  dans 
ce  but. 

L'envie  ne  leur  vint  pas  de  rester  en  ce  lieu,  mais  bien  de  se  rendre 
au  fleuve  même  du  Panuco  et  à  la  ville  que  Gortès  y  avait  fondée, 
afin  de  se  rapprocher  ainsi  davantage  de  Mexico.  En  recevant,  ce  con- 
seil, Garay  trouva  bon  d'exiger  de  tous  -ses  soldats  le  serment  de  ne 


580  CONQUETE 

pas  abandonner  son  drapeau  et  de  lui  obéir  au  titre  de  capitaine 
général.  Il  nomma  au  surplus  des  alcaldes  et  des  regidores  et  tout 
ce  qui  concernait  l'administration  d'une  ville.  Il  voulut  que  ce  bourg 
portât  le  nom  de  Garayana.  Il  fit  débarquer  tous  les  chevaux  et  tous 
les  hommes  et  ordonna  aux  navires  de  suivre  la  côte  sous  les  ordres 
du  capitaine  Griïjalva.  Quant  à  lui,  restant  à  terre  avec  toute  son 
armée,  il  longea  le  littoral  sans  s'éloigner  de  la  mer.  Ayant  marché 
deux  jours  par  des  pays  déserts  et  marécageux,  il  arriva  à  un  grand 
fleuve  qui  descendait  des  montagnes  qu'on  apercevait  à  environ  cinq 
lieues  de  distance  ;  on  le  traversa  au  moyen  de  mauvaises  embarca- 
tions qui  se  trouvèrent  en  ce  lieu.  Après  cette  traversée  ,  on  ren- 
contra un  village  qui  avait  été  abandonné  ce  jour-là;  il  y  avait  là 
des  vivres  en  abondance  ,  consistant  en  maïs,  poules,  et  en  excel- 
lentes goyaves.  Garay  y  prit  quelques  Indiens  qui  comprenaient  la 
langue  de  Mexico.  Il  les  flatta,  leur  donna  des  chemises  et  les  en- 
voya comme  messagers  à  d'autres  habitations  qu'on  lui  disait  être 
près  de  là,  afin  qu'on  le  reçût  sans  faire  résistance.  Il  contourna  un 
marais,  arriva  aux  villages  et  y  fut  accueilli  pacifiquement.  On  lui 
donna  très-bien  à  manger  des  poules  du  pays  et  un  autre  volatile 
ressemblant  assez  à  nos  oies  en  bas  âge  et  qu'on  prenait  dans  les 
lagunes.  Mais  comme  beaucoup  des  soldats  de  Garay  étaient  fatigués 
et  que  d'ailleurs  on  ne  leur  donnait  rien  des  vivres  que  les  Indiens 
apportaient,  ils  se  soulevèrent  et  s'en  furent  dépouiller  les  Indiens 
des  peuplades  qu'on  visitait.  On  séjourna  là ,  du  reste,  pendant  trois 
jours,  après  lesquels  on  recommença  à  marcher  avec  des  guides. 

L'expédition  arriva  au  bord  d'un  grand  fleuve  qu'on  ne  put  tra- 
verser qu'au  moyen  de  canots  qui  furent  fournis  par  les  habitants 
pacifiques  des  villages  qu'on  venait  de  voir.  On  fit  passer  les  che- 
vaux à  la  nage;  chaque  canot  poussé  à  la  rame  remorquait  un  cheval 
tiré  par  le  licou.  Or,  comme  ces  animaux  étaient  nombreux  et  peu 
faits  à  cet  exercice,  cinq  se  noyèrent.  On  sortit  de  la  rivière  pour 
entrer  dans  un  mauvais  marécage,  et  c'est  ainsi  qu'on  arriva  au  pays 
du  Panuco,  au  prix  des  plus  grandes  fatigues.  On  eut  alors  l'espoir 
de  trouver  des  vivres  en  abondance,  mais  tous  les  villages  en  étaient 
dépourvus  ;  il  n'y  avait  ni  maïs,  ni  provisions  d'aucune  sorte  ;  les 
habitants  étaient  très-irrités  ,  à  cause  des  combats  qu'ils  avaient  eu 
à  soutenir  contre  Gortès,  peu  de  temps  auparavant.  C'est  pour  cela 
que,  dans  les  endroits  où  il  restait  encore  quelque  chose,  on  avait 
tout  enlevé  et  mis  en  sûreté.  En  voyant  venir  tant  d'Espagnols,  eu 
effet,  suivis  de  tant  de  chevaux,  on  prit  peur,  et  on  laissa  les  villages 
sans  habitants,  de  sorte  que  là  où  Garay  pensait  avoir  du  repos,  il  ne 
trouvait  que  l'occasion  de  plus  de  fatigues.  D'autre  part,  comme  les 
maisons  où  il  arrivait  étaient  abandonnées ,  il  y  avait  beaucoup  de 
vampires,    de  punaises   et  de  moustiques,  et  c'était  une  nouvelle 


DE  LA   NOUVELLE-ESPAGNE.  581 

guerre  à  soutenir.  Il  eut  à  souffrir  d'une  autre  mésaventure  :  c'est 
que  les  navires  qui  avançaient  le  long  de  la  côte  n'étaient  pas  arrivés 
au  port  et  l'on  n'en  avait  aucune  nouvelle;  or,  c'est  précisément  là 
qu'on  avait  gardé  beaucoup  de  provisions.  On  s'éclaira,  à  ce  sujet, 
au  moyen  d'un  Espagnol  qui  vint  au-devant  des  gens  de  l'expédition  ; 
on  le  trouva  dans  un  village  qui  dépendait  des  colons  de  Santisteban 
du  Port.  Cet  Espagnol  avait  fui  les  menaces  de  la  justice,  à  cause 
d'un  délit  qu'il  avait  commis.  Il  leur  dit  que  les  colons  avaient  leur 
résidence  dans  un  bourg  près  de  là,  que  Mexico  était  un  excellent 
pays  et  que  tous  ses  résidents  étaient  fort  riches. 

Lorsqu'ils  apprirent  ces  nouvelles,  un  grand  nombre  de  soldats  de 
Garay  questionnèrent  davantage  le  fuyard  et  surent  par  lui  que  le 
district  de  Mexico  était  excellent,  tandis  que  celui  du  Panuco  valait 
beaucoup  moins.  Ces  soldats  se  débandèrent  alors  et  s'en  allèrent 
pillant  à  travers  le  pays,  en  se  dirigeant  vers  Mexico.  Garay,  voyant 
que  ses  hommes  se  mutinaient  et  qu'il  ne  pouvait  les  contenir,  en- 
voya un  de  ses  capitaines,  appelé  Diego  de  Ocampo,  à  la  villa  de 
Santisteban  ,  pour  s'enquérir  des  sentiments  de  Pedro  de  Vallejo, 
lieutenant  de  Gortès  dans  cette  résidence.  Il  écrivit  même  à  cet  offi- 
cier qu'il  était  porteur  de  pouvoirs  de  Sa  Majesté  pour  gouverner 
ces  provinces  en  qualité  de  commandant  militaire;  il  lui  disait  encore 
qu'il  avait  abordé  avec  ses  navires  au  fleuve  de  Palmas,  et  il  racon- 
tait les  grandes  fatigues  qu'il  avait  eu  à  endurer  en  route.  Vallejo 
rendit  les  plus  grands  honneurs  à  Diego  de  Ocampo  ainsi  qu'à  ceux 
qui  venaient  avec  lui;  il  leur  fit  une  réponse  satisfaisante  et  leur  dit 
que  Gortès  se  réjouirait  d'avoir  pour  commandant  un  nouveau  colon 
aussi  distingué,  mais  qu'il  avait  payé  fort  cher  la  conquête  de  cette 
province  et  que  Sa  Majesté  lui  avait  fait  la  grâce  de  l'en  nommer 
gouverneur;  que  Garay  pouvait  venir,  quand  il  le  voudrait,  avec  son 
armée,  bien  certain  que  lui,  Vallejo,  serait  son  serviteur;  qu'il  le 
priait  néanmoins  de  vouloir  bien  ordonner  à  ses  soldats  de  ne  plus 
commettre  de  vexations  envers  les  Indiens,  et  de  ne  pas  les  voler, 
attendu  que  déjà  deux  villages  s'étaient  plaints.  Aussitôt  après,  Val- 
lejo écrivit  à  Gortès,  par  des  courriers  rapides;  il  lui  envoya  même  la 
lettre  de  Graray,  et  obtint  que  Diego  de  Ocampo  en  écrivît  une  autre. 
Il  priait  le  général  d'aviser,  l'invitant  à  envoyer  sur-le-champ  de  nou- 
veaux soldats  ou  à  venir  en  personne. 

Ayant  reçu  ces  dépêches,  Gortès  manda  fray  Bartolomé,  Pedro  de 
Alvarado,  Gonzalo  de  Sandoval,  ainsi  que  Gonzalo  de  Ocampo,  frère 
du  Diego  de  Ocampo  qui  était  venu  avec  Garay.  Il  leur  confia  des  ti- 
tres qu'il  tenait  de  Sa  Majesté  et  qui  le  mettaient  en  possession  de 
tout  ce  qu'il  aurait  conquis,  jusqu'à  ce  que  l'on  eût  éclairci  le  litige 
à  débattre  entre  lui  et  Velasquez.  Ces  personnages  furent  chargés 
d'aller  notifier  ces  titres  à   Garay.  Quoi  qu'il   en  soit,  Gonzalo  de 


582  CONQUETE 

Ocampo  étant  revenu  avec  la  réponse  de  Vallejo  à  Garay,  celui-ci  la 
trouva  satisfaisante  et  il  crut  devoir  se  rapprocher  de  la  villa  de  San- 
tisteban  du  Port  avec  toute  son  armée.  Cependant  Pedro  de  Vallejo 
formait  ses  plans,  d'accord  avec  tous  les  habitants  du  bourg,  en  se 
fondant  sur  l'avis  qu'il  avait  reçu  de  cinq  soldats  déserteurs  de  Ga- 
ray,  arrivés  en  ce  lieu,  qui  prétendaient  que  les  forces  de  leur  chef 
campaient  habituellement  sans  précaution  et  sans  surveillance.  Elles 
étaient  pour  le   moment  dans  un  bon  et  grand  village  appelé  Nacha- 
plan.  Gomme  les  gens  de  Vallejo  connaissaient  bien  le  pays,  ils  tom- 
bèrent tout  à  coup  sur  cette  troupe,  lui  prirent  environ  quarante  sol- 
dats  et  les  emmenèrent   à  la  villa  de   Santisteban  du  Port   où  les 
prisonniers  s'estimèrent  eux-mêmes   de  bonne  prise.  Vallejo  donna 
pour  raison  de  sa  conduite  que  ces  hommes,  sans  avoir  notifié  leurs 
pouvoirs  et  leurs  titres,  s'en  allaient  rançonnant  le  pays.  Garay  en 
éprouva  un  grand  souci;  il  fit  réclamer  ses  soldats  à  Vallejo,  le  me- 
naçant de  la  justice  de  notre  Roi  et  seigneur.  Vallejo  répondit  que, 
quand  il  aurait  vu  les  lettres  royales,  il  s'inclinerait  devant  elles  et 
obéirait  ;  que  mieux  eût  valu  qu'Ocampo  les  apportât  quand  il  vint, 
pour  qu'on  eût  pu  s'y  soumettre;  qu'en  attendant,  il  priait  Garay  d'or- 
donner à  ses  soldats  de  ne  point  voler  ni  saccager  les  villages  de  Sa 
Majesté. 

En  ce  moment  arrivèrent  fray  Bartolomé,  Alvarado  et  les  capitaines 
que  Gortès  avait  envoyés  avec  ses  titres.  Gomme  Diego  de  Ocampo 
était  alors  alcalde  mayor  à  Mexico  au  nom  de  Gortès,  il  commença 
par  faire  des  sommations  à  Garay,  lui  enjoignant  de  ne  point  entrer 
ainsi  dans  ce  pays,  attendu  que  Sa  Majesté  avait  ordonné  que  Gortès 
en  fût  le  possesseur.  En  demandes  et  réponses,  pour  lesquelles  fray 
Bartolomé  servit  d'intermédiaire,  quelques  journées  se  passèrent,  et 
en  attendant,  plusieurs  soldats  de  Garay  désertaient  à  l'envi;  ils 
étaient  au  quartier  à  la  nuit  tombante  et  l'aurore  ne  les  y  retrouvait 
plus.  Garay  s'apercevait  que  les  capitaines  de  Gortès  avaient  beau- 
coup de  cavaliers  et  de  gens  d'escopette  et  qu'à  tout  instant  il  leur 
venait  encore  du  monde.  D'autre  part,  il  apprenait  que,  parmi  ses 
navires  auxquels  il  avait  ordonné  de  suivre  le  rivage,  deux  s'étaient 
perdus  par  suite  d'un  coup  de  vent  du  nord;  les  autres  bâtiments  se 
trouvaient  à  l'embouchure  du  fleuve,  mais  le  lieutenant  Vallejo  leur 
avait  intimé  l'ordre  d'entrer  dans  la  rivière,  de  crainte  qu'il  ne  leur 
arrivât  quelque  malheur,  comme  dans  la  dernière  tempête;  s'ils  ne 
s'empressaient  d'obéir,  il  les  tiendrait  pour  des  corsaires  vivant  de 
pillage.  Les  capitaines  répondirent  que  Vallejo  cessât  de  s'occuper 
d'eux  et  de  leur  signifier  ses  ordres,  qu'ils  resteraient  où  ils  vou- 
draient. Cependant  Francisco  de  Garay  en  arrivait  à  redouter  la  bonne 
fortune  de  Gortès. 

Au  milieu  de  touc  cela,   l'alcalde  mayor  Diego   de  Ocampo,  Pedro 


DE  LA  NOUVELLE-ESPAGNE.  583 

de  Alvarado  et  Gonzalo  de  Sandoval  avaient  des  entrevues  secrètes 
avec  les  soldats  de  Garay  et  les  capitaines  des  navires  qu'ils  s'effor- 
çaient de  décider  à  mouiller  au  port  et  à  livrer  leur  bâtiments  à  Cor- 
tès.  Martin  de  San  Juan  Lepuzcuano  et  un  certain  Castromocho,  com- 
mandants de  bord,  se  livrèrent  avec  leurs  navires  au  lieutenant  Val- 
lejo, représentant  de  Gortès.  Aussitôt  qu'il  en  eut  pris  possession, 
Vallejo  s'en  fut  intimer  au  capitaine  Grijalva,  qui  était  à  l'embou- 
chure du  fleuve,  l'ordre  d'y  entrer  et  d'y  jeter  l'ancre  ou  de  s'en  aller 
au  large  où  il  voudrait.  Mais  Grijalva  lui  répondit  par  des  coups  de 
canon.  On  se  résolut  alors  à  envoyer  en  canot  un  notaire  royal,  ap- 
pelé Vicente  Lopez,  pour  sommer  Grijalva  de  faire  son  entrée  et  lui 
porter  des  lettres  de  Pedro  de  Alvarado  et  de  fray  Bartolomé,  renfer- 
mant la  promesse  des  faveurs  de  Gortès.  Après  les  avoir  lues,  voyant 
du  reste  que  tous  les  autres  bâtiments  étaient  entrés  dans  le  fleuve, 
Grijalva  se  décida  à  faire  de  même  avec  son  vaisseau  amiral.  Le  lieu- 
tenant Vallejo  s'empressa  de  lui  notifier  alors  qu'il  le  faisait  prison- 
nier au  nom  de  Fernand  Gortès.  Mais  il  ne  tarda  pas  à  le  mettre  en 
liberté,  lui  et  tous  les  autres,  par  égard  aux  paroles  de  fray  Bartolomé 
qui  lui  dit  :  «  Menons  nos  affaires  sans  verser  de  sang,  puisque  cela 
se  peut  ainsi;  nous  n'en  ferons  que  plus  de  plaisir  à  Dieu  et  à  notre 
Empereur.  » 

Lorsque  Garay  comprit  sa  mauvaise  situation,  quand  il  vit  ses  sol- 
dats mutinés  et  dispersés,  quelques  navires  perdus  et  les  autres  pris 
par  Gortès,  s'il  était  triste  avant  ces  événements,  bien  plus  triste  en- 
core il  devint  en  se  sentant  en  pleine  déroute.  Il  protesta,  en  som- 
mant les  capitaines  de  Gortès  de  lui  rendre  ses  navires  ainsi  que  tous 
ses  soldats,  assurant  qu'il  voulait  se  rendre  au  plus  tôt  au  fleuve  de 
Palmas.  11  exhiba  les  pouvoirs  et  les  titres  qu'il  avait  en  sa  posses- 
sion; mais  il  assura  que,  pour  ne  pas  entrer  dans  des  débats  avec 
Gortès,  il  voulait  se  retirer.  Ges  caballeros  lui  répondirent  qu'à  la 
bonne  heure,  il  pouvait  partir,  et  que,  quant  à  eux,  ils  ordonneraient 
à  ses  soldats  mutinés,  qui  s'étaient  éparpillés  dans  la  province  et  dans 
les  villages,  de  venir  rejoindre  leur  chef  et  de  se  rendre  à  bord  des 
navires.  Ils  prirent  leurs  mesures  pour  approvisionner  Garay  de  tout 
le  nécessaire,  en  vivres,  armes,  canons  et  poudre.  Ils  promirent  d'é- 
crire à  Gortès  de  vouloir  bien  faire  pour  lui  tout  ce  dont  il  serait  be- 
soin. Garay  se  montra  satisfait  de  ces  promesses.  On  publia  immé- 
diatement dans  la  ville  les  ordres  de  ralliement  et  l'on  envoya  dans 
les  villages  des  alguazils  chargés  de  s'emparer  des  soldats  mutinés 
pour  les  ramener  à  Garay;  mais  on  eut  beau  les  menacer  de  peines 
sévères,  ce  fut  en  vain,  on  ne  put  rien  obtenir  d'eux.  Quelques-uns, 
qu'on  réussit  à  prendre,  disaient  qu'ils  étaient  arrivés  à  la  province  de 
Panuco  et  que  dès  lors  ils  n'étaient  point  obligés  de  suivre  leur  chef 
plus  loin,  ni  de  respecter  davantage  le  serment  qu'ils  avaient  fait.  Ils 


584  CONQUÊTE 

ajoutaient  d'autres  raisons  qu'ils  supposaient  péremptoires,  préten- 
dant que  Garay  ne  savait  ni  commander,  ni  faire  la  guerre.  Lorsque 
celui-ci  reconnut  qu'on  n'obtenait  rien  ni  des  rappels,  ni  des  démar- 
ches sincèrement  pratiquées  par  les  capitaines  de  Gortès  pour  rassem- 
bler ses  soldats,  il  fut  vraiment  désespéré.  Dans  cet  état  d'abandon 
général,  les  capitaines  lui  conseillèrent  d'écrire  à  Gortès  et  lui  promi- 
rent d'intercéder  pour  lui  obtenir  l'autorisation  d'aller  au  fleuve  de 
Palmas;  ils  ajoutèrent  qu'ils  connaissaient  assez  le  bon  naturel  de 
Gortès  pour  être  convaincus  que  celui-ci  l'aiderait  en  tout  ce  qui  se- 
rait possible,  et  que,  du  reste,  Pedro  de  Alvarado  et  le  moine  s'offri- 
raient à  être  sa  caution. 

Garay  se  résolut,  en  conséquence,  à  écrire  immédiatement  à  Gortès. 
Il  lui  fit  le  rapport  de  son  voyage  et  de  ses  malheurs.  Il  lui  disait 
que.,  si  cela  lui  paraissait  convenable,  il  irait  le  voir  et  lui  communi- 
querait des  choses  utiles  au  service  de  Dieu  et  de  Sa  Majesté,  lui 
recommandant  au  surplus  le  soin  de  sa  dignité  et  de  son  rang,  et  le 
suppliant  d'aviser  à  son  sujet  de  telle  sorte  que  son  honneur  n'en 
reçût  aucune  atteinte.  Fray  Bartolomé,  Pedro  de  Alvarado,  Diego  de 
Ocampo  et  Gkmzalo  de  Sandoval  écrivirent  en  même  temps  à  Gortès 
en  faveur  de  Garay,  afin  qu'il  fût  aidé  en  toute  chose ,  en  considéra- 
tion de  la  grande  amitié  qui  les  avait  unis  autrefois.  Au  reçu  de  ces 
lettres,  Gortès  se  sentit  pris  de  commisération  pour  Garay  ;  il  lui  ré- 
pondit avec  beaucoup  de  douceur  qu'il  regrettait  grandement  toutes 
ses  peines  ;  qu'il  le  priait  de  s'en  venir  à  Mexico  ;  qu'il  promettait  de 
''aider  en  tout  ce  qu'il  lui  serait  possible,  avec  la  meilleure  volonté 
du  monde,  et  qu'il  s'en  remettait  à  ses  œuvres  pour  le  prouver.  Il 
envoya  des  ordres  pour  qu'on  lui  rendît  les  plus  grands  honneurs 
partout  où  il  passerait,  lui  donnant  tout  le  nécessaire  ;  il  eut  même 
soin  de  lui  faire  parvenir  des  douceurs  pour  la  route.  En  arrivant  à 
Tezcuco,  Garay  y  trouva  un  banquet  préparé  pour  le  recevoir;  quand 
il  s'approcha  de  la  capitale,  Gortès  et  plusieurs  caballeros  en  sortirent 
pour  aller  au-devant  de  lui.  Garay  était  dans  l'admiration  à  l'aspect 
de  tant  de  villes  et  surtout  en  voyant  Mexico.  Gortès  l'emmena  dans 
ses  palais,  qu'il  s'occupait  à  relever  en  ce  moment.  Quand  ils  se 
furent  fait  leurs  politesses  mutuelles,  Garay  raconta  au  général  ses 
malheurs  et  ses  peines,  le  priant  de  vouloir  bien  y  porter  remède, 
ce  qui  lui  fut  promis  avec  la  plus  grande  sincérité.  La  médiation  de 
fray  Bartolomé,  de  Pedro  de  Alvarado  et  de  Gonzalo  de  Sandoval  ne 
fut  pas  indifférente  à  ce  résultat.  Trois  ou  quatre  jours  après  son 
arrivée,  pour  rendre  l'amitié  plus  durable  et  plus  sûre,  fray  Bartolomé 
mit  en  avant  le  mariage  d'une  fille  de  Gortès,  appelée  dona  Gatalina 
Gortès  y  Pizarro,  qui  était  fort  jeune,  avec  un  fils  de  Garay  posses- 
seur du  majorât  de  la  famille,  qui  était  venu  sur  la  flotte  avec  son 
père,  à  titre  de  commandant.  Gortès  approuva  cette  pensée    et  s'em 


DE   LA   NOUVELLE-ESPAGNE.  585 

pressa  de  constituer  en  dot  à  doua  Catalina  une  grande  somme  en 
piastres  d'or.  Il  fut,  en  outre,  convenu  que  Garay  irait  coloniser  le 
fleuve  de  Palmas  et  que  Gortès  lui  fournirait  le  nécessaire  pour  la 
pacification  de  cette  province,  y  compris  des  capitaines  et  des  soldats 
de  son  armée,  afin  qu'il  pût  s'en  reposer  sur  eux  des  soins  de  la 
guerre.  Toutes  ces  promesses  et  le  sincère  bon  vouloir  qu'il  reconnut 
en  Gortès  rendirent  Garay  très-joyeux,  et  je  ne  doute  pas,  quanta 
moi,  que  notre  général  n'eût  tout  fait  ainsi  qu'il  l'avait  réglé  et 
promis. 

Toujours  est-il  que  Garay  fut  prendre  ses  logements  chez  un 
nommé  Alonso  de  Yillanueva,  parce  que  Gortès  construisait ,  en  ce 
moment,  ses  grands  palais  avec  des  cours  si  spacieuses  que  c'était 
admirable.  Alonso  de  Villanueva  était  allé  à  l'île  de  la  Jamaïque 
lorsque  Gortès  lui  donna  la  commission  d'acheter  des  chevaux.  Je  ne 
saurais  affirmer  s'il  fit  plus  tard  ou  alors  cette  visite;  mais  ce  que  je 
'  sais  c'est  qu'il  était  grand  ami  de  Garay  et  que  c'est  à  cause  de  cette 
amitié  ancienne  que  celui-ci  pria  Gortès  de  le  laisser  habiter  la  mai- 
son de  Villanueva.  De  toute  façon,  on  lui  rendait  tous  les  honneurs 
possibles  ;  les  habitants  de  Mexico  lui  formaient  entourage.  Rappe- 
lons qu'en  ce  même  temps  se  trouvait  à  Mexico  Pamphilo  de  Narvaez, 
celui-là  même  que  nous  avions  mis  en  déroute,  ainsi  que  je  l'ai  ra- 
conté ailleurs.  Il  fut  rendre  visité  à  Garay;  ils  s'embrassèrent  et  ils 
se  confièrent  mutuellement  leurs  chagrins  et  leurs  malheurs.  De 
propos  en  propos,  Narvaez,  parlant  de  sa  grosse  voix,  en  arriva  à  dire 
à  Garay  en  souriant  :  «  Senor  adelantado  don  Francisco  de  Garay , 
quelques  soldats  déserteurs  m'ont  affirmé  que  vous  aviez  l'habitude 
de  dire  aux  hommes  de  votre  expédition  :  «  Attention,  conduisons- 
«  nous  en  hommes,  et  battons-nous  honorablement  contre  ces  soldats 
«  de  Gortès;  ne  nous  laissons  pas  prendre  au  dépourvu  comme  on 
«  prit  Narvaez.  »  Eh  bien!  moi,  je  vous  dis,  senor  don  Francisco  de 
Garay,  qu'on  me  creva  cet  œil  dans  le  combat,  qu'on  me  vola,  me 
brûla  tout  ce  je  possédais;  on  me  tua  même  mon  alferez  et  grand 
nombre  de  soldats;  on  arrêta  tous  mes  capitaines;  de  sorte  qu'on 
peut  bien  assurer  qu'on  ne  me  prit  pas  tant  au  dépourvu  qu'on  l'a 
fait  avec  vous-même.  Sachez  qu'il  n'y  a  jamais  eu  dans  le  monde  un 
être  plus  fortuné  que  Gortès.  Il  a  de  tels  capitaines  et  soldats  que 
chacun  d'eux,  en  particulier,  a  pu  se  dire  heureux  comme  Octavien 
en  toutes  les  entreprises,  comme  Jules  César  lorsqu'il  s'est  agi  de 
vaincre  et  plus  qu'Annibal  dans  l'action  et  dans  les  batailles.  »  Garay 
répondait  qu'il  n'était  pas  nécessaire  de  le  lui  dire;  qu'on  voyait  dans 
les  faits  la  vérité  de  tout  cela;  et  d'ailleurs,  quel  homme  au  monde, 
avec  si  peu  de  soldats,  se  fût  hasardé  à  faire  échouer  ses  navires  et  à 
pénétrer  au  milieu  de  si  valeureuses  peuplades  et  de  si  grandes 
villes  en  y  portant  la  guerre?  Et   Narvaez  renchérissait  en  racontant 


586  CONQUETE 

d'autres  hauts  faits  de  Cortès.  Ils  continuèrent  ainsi   longtemps  leur 
entretien  sur  les  conquêtes  de  la  Nouvelle-Espagne. 

Nous  mettrons  de  côté  tous  les  éloges  qu'entre  eux  ils  nous  adres- 
sèrent, pour  dire  que  Garay  sollicita  de  Gortès  en  faveur  de  Narvaez 
l'autorisation  de  retourner  à  l'île  de  Cuba  rejoindre  sa  femme  dona 
Maria  de  Valenzuela,  personne  fort  riche  en  propriétés  minières, 
sans  compter  les  nombreux  Indiens  que  possédait  Narvaez.  Outre  ces 
sollicitations  de  Garay,  appuyées  de  prières  réitérées,  la  femme  de 
Narvaez  avait  elle-même,  par  lettres,  supplié  Gortès  de  vouloir  bien 
laisser  partir  son  mari;  car  elle  connaissait  notre  général  depuis 
son  séjour  à  Cuba,  où  ils  avaient  été  compères.  Cortès  finit  par 
accorder  cette  autorisation  et  fournit  même  un  secours  de  deux  mille 
piastres  d'or.  Cette  faveur  ainsi  obtenue,  Narvaez  remercia  très- 
humblement  Gortès;  il  lui  fit  les  plus  grandes  promesses  d'être  son 
serviteur  en  toutes  choses,  et  il  partit  pour  Cuba. 

Nous  devons  dire  maintenant  ce  que  devinrent  Garay  et  sa  flotte. 
La  nuit  de  Noël  de  l'année  1523,  Garay  alla  avec  Gortès  à  matines.  Elles 
furent  célébrées  par  de  très-beaux  chants  et  fray  Bartolomé  officia  à 
la  messe  de  minuit.  Au  retour  de  l'église,  on  lit  un  déjeuner  très- 
gai,  et  une  heure  après,  avec  l'air  vif  du  matin,  étant  déjà  d'ailleurs 
mal  disposé,"  Garay  fut  pris  d'une  douleur  de  côté  accompagnée  de 
forte  fièvre.  Les  médecins  lui  ordonnèrent  une  saignée  et  le  pur- 
gèrent ;  mais,  voyant  que  le  mal  empirait,  ils  prièrent  fray  Bartolomé 
de  dire  au  malade  qu'il  allait  mourir,  qu'il  se  confessât  et  qu'il  fît 
son  testament.  Fray  Bartolomé  remplit  sa  mission,  annonçant  au 
malade  que  sa  fin  approchait,  qu'il  eût  à  s'y  préparer  en  bon  chré- 
tien et  honorable  gentilhomme,  et  qu'il  ne  perdît  point  son  âme 
après  avoir  perdu  son  avoir.  Garay  lui  répondit  :  «  Père,  vous  avez 
raison,  je  veux  que  vous  me  confessiez  cette  nuit  même  ;  je  désire, 
recevoir  le  saint  corps  de  Jésus-Christ  et  faire  mon  testament.  »  Il 
fit,  en  effet,  très-honorablement  tout  cela  :  après  avoir  communié,  il 
signa  ses  dernières  volontés,  nommant  pour  exécuteurs  testamen- 
taires Gortès  et  fray  Bartolomé  de  Olmedo,  et  ensuite,  le  quatrième 
jour  de  sa  maladie,  il  rendit  son  âme  à  Notre  Seigneur  Jésus-Christ 
qui  l'avait  créée.  C'est  là  un  effet  du  pays  de  Mexico;  on  y  meurt  en 
trois  ou  quatre  jours  de  cette  douleur  de  côté;  je  l'ai  déjà  dit  une 
autre  fois  ;  nous  le  savions  fort  bien,  par  expérience,  depuis  notre 
séjour  à  Tezcuco  et  à  Guyoacan  où  succombèrent  plusieurs  de  nos 
soldats  1.  Garay  étant  mort  —  que  Dieu  lui  pardonne!  Amen!  —  on 
lui  rendit  les  plus  grands  honneurs  à  ses  funérailles,  et  Gortès  ainsi 

1.  Ce  passade  est  on  ne  peut  plus  intéressant.  Il  démontre  en  effet  que,  dés  celle 
première  campagne  el  après  un  court  séjour,  le  climat  du  plateau  développe  parmi 
les  Espagnols  les  caractères  pathologiques  destinés  à  constituer  leurs  périls  constants 
dans  l'avenir. 


DE  LA   NOUVELLE-ESPAGNE.  587 

que  plusieurs  autres  gentilshommes  portèrent  son  deuil.  C'est  ainsi 
que  le  malheureux  Garay  mourut  hors  de  son  pays,  dans  une  maison 
étrangère,  loin  de  sa  femme  et  de  ses  enfants. 

Laissons  ce  sujet  pour  en  revenir  à  la  province  du  Panuco.  Lors- 
que Graray  s'en  vint  à  Mexico,  comme  ses  capitaines  et  ses  soldats 
restèrent  sans  chef  et  sans  personne  qui  les  commandât,  chacun  des 
hommes  que  je  vais  nommer  et  qui  étaient  venus  en  compagnie  de 
Graray,  voulait  devenir  capitaine  général.  C'étaient  Juan  de  Grijalva, 
Gonzalo  de  Figueroa,  Alonso  de  Mendoza,  Lorenzo  de  Uloa,  Juan  de 
Médina  le  Borgne,  Juan  de  Villa,  Antonio  de  la  Cerda,  et  un  certain 
Tahorda.  Ce  dernier  fut  le  plus  turbulent  de  tout  le  quartier  de  Ga- 
ray.  Mais,  de  préférence  à  eux  tous,  un  fils  de  Garay,  celui-là  même 
que  Cortès  voulait  marier  avec  sa  fille,  fut  désigné  pour  les  comman- 
der. Malheureusement,  ni  ceux  que  je  viens  de  nommer,  ni  aucun  de 
ses  subordonnés  ne  voulaient  lui  obéir;  on  ne  lenait  nul  compte  de 
ses  ordres.  Bien  plus,  ils  se  réunissaient  par  quinze  ou  vingt  hommes, 
et  ils  s'en  allaient  pillant  les  villages,  abusant  des  femmes,  enlevant 
étoffes,  poules  et  tout  ce  qu'ils  trouvaient,  comme  s'ils  eussent  été  en 
pays  de  Maures.  Quand  les  Indiens  de  la  province  eurent  vu  cette  con- 
duite, ils  furent  d'avis  tout  d'une  voix  de  se  réunir  pour  les  mettre  à 
mort.  En  fort  peu  de  jours,  ils  sacrifièrent  plus  de  cinq  cents  Espa- 
gnols et  en  firent  leurs  repas.  Ces  malheureux  appartenaient  tous  à 
l'expédition  de  Garay.  Il  y  eut  des  villages  où  l'on  sacrifia  plus  de 
cent  Espagnols  à  la  fois.  Dans  les  autres  peuplades,  on  s'emparait  seu- 
lement de  ceux  qui  étaient  débandés,  pour  les  sacrifier  et  les  manger. 
Us  n'étaient  point  organisés  pour  la  résistance  et  refusaient  d'obéir 
aux  habitants  de  Santisteban,  laissés  là  par  Cortès  comme  colons. 
D'ailleurs  les  Indiens  qui  les  attaquaient  se  réunissaient  en  si  grand 
nombre  que  les  Espagnols  ne  pouvaient  se  défendre.  Ces  guerriers 
en  arrivèrent  à  un  tel  degré  d'audace  que  plusieurs  d'entre  eux  se  je- 
tèrent même  sur  la  ville,  renouvelant  leurs  attaques  nuit  et  jour,  au 
point  qu'elle  courut  vraiment  le  risque  d'être  enlevée.  N'eussent  été 
sept  ou  huit  vieux  conquistadores  de  la  troupe  de  Cortès  et  le  capi- 
taine Vallejo,  qui  avaient  soin  de  placer  des  sentinelles,  de  faire  des 
rontles  et  d'inspirer  du  courage  à  tous  les  autres,  certainement  l'en- 
nemi fût  entré  dans  la  ville.  Ces  conquistadores  recommandaient  aux 
autres  soldats  de  Garay  de  se  tenir  constamment  avec  eux,  leur  tai- 
sant observer  qu'on  était  mieux  en  rase  campagne,  que  c'était  là  qu'il 
fallait  attendre  l'ennemi  et  qu'on  ne  devait  point  revenir  à  la  ville. 
Ces  recommandations  furent  suivies;  on  eut  à  soutenir  trois  rencontres, 
et  quoique  le  capitaine  Vallejo  y  fût  tué,  en  même  temps  que  plusieurs 
autres  y  recevaient  des  blessures,  on  mit  les  Indiens  en  déroute  et  on 
en  tua  un  grand  nombre.  Ces  indigènes  étaient  tous  si  furieux,  qu'en 
une  seule  nuit  ils  brûlèrent  et  grillèrent  plus  de  quarante  Espagnols; 


588  CONQUÊTE 

ils  tuèrent  aussi  quinze  chevaux.  Plusieurs  des  victimes,  prises  en  un 
seul  village,  étaient  des  soldats  de  Gortès;  les  autres  provenaient  de 
l'expédition  de  Garay. 

Lorsque  Gortès  apprit  le  carnage  de  cette  province,  il  en  éprouva 
une  telle  irritation  qu'il  voulut  marcher  lui-même  contre  les  habitants  ; 
mais,  comme  il  s'était  fracturé  un  bras,  il  ne  put  faire  campagne.  Il 
donna  immédiatement  à  Sandoval  l'ordre  de  partir  avec  cent  soldats, 
cinquante  cavaliers,  deux  canons,  quinze  arquebusiers  ou  arbalétriers 
et  huit  mille  alliés  tlascaltèques  et  mexicains.  Il  lui  prescrivit  de  ne 
revenir  qu'après  avoir  châtié  les  rebelles  de  manière  qu'ils  n'eussent 
plus  la  tentation  de  recommencer.  Gomme  Sandoval  était  homme  d'une 
grande  valeur  et  qu'il  ne  s'endormait  pas  quand  il  avait  à  accomplir 
quelque  chose  d'importance,  il  ne  perdit  pas  de  temps  en  route.  Il 
eut  la  prudence  de  bien  expliquer  aux  cavaliers  comment  ils  devaient 
attaquer  et  reprendre  haleine.  Bientôt,  il  apprit  que  tous  les  guerriers 
de  ces  provinces  l'attendaient  dans  deux  défilés  difficiles.  Il  résolut  alors 
d'envoyer  la  moitié  de  son  monde  vers  l'un  des  passages,  tandis  qu'il 
se  porterait  lui-même  sur  l'autre,  avec  le  reste  de  sa  troupe.  Il  or- 
donna aux  gens  d'arbalète  et  d'espingole  de  s'organiser  de  manière 
que  les  uns  fissent  la  charge  et  les  autres  le  tir,  attaquant  ferme,  jus- 
qu'à voir  si  l'on  pourrait  mettre  l'ennemi  en  fuite.  De  leur  côté,  les 
Indiens  lançaient  tant  de  pieux,  de  flèches  et  de  pierres  qu'ils  bles- 
sèrent plusieurs  de  nos  soldats  et  un  grand  nombre  de  nos  alliés. 
Sandoval  s'obstina  devant  ce  défilé  jusqu'à  la  nuit  et  il  envoya  dire 
qu'on  en  fît  autant  pour  l'autre  mauvais  passage;  mais  il  ne  put  par- 
venir ni  à  y  pénétrer,  ni  à  déloger  l'ennemi  de  ses  positions. 

Le  lendemain  de  bonne  heure,  ce  capitaine,  voyant  qu'il  n'arrivait 
à  rien  en  s'obstinant  sur  ce  point,  se  décida  à  envoyer  un  avis  au 
bataillon  qui  se  trouvait  à  l'autre  défilé,  et  il  fit  semblant  de  lever  le 
camp  et  de  reprendre,  comme  s'il  était  découragé,  la  route  de  Mexico. 
Les  naturels  de  ces  provinces  qui  se  trouvaient  réunis  là  crurent  réel- 
lement que  c'était  la  crainte  qui  le  faisait  reculer.  Ils  se  portèrent  sur 
la  route,  le  suivant  avec  de  grands  cris  et  vociférant  des  injures.  Mais 
ils  eurent  beau  s'acharner  contre  sa  troupe,  Sandoval  n'opérait  sur  eux 
aucun  retour  offensif.  Ge  stratagène  avait  pour  but  de  leur  faire  ou- 
blier toute  prudence,  afin  qu'après  avoir  perdu  trois  jours,  on  profi- 
tât de  la  nuit  pour  tomber  sur  les  défilés  et  y  passer  avec  toute  l'ar- 
mée. Gela  se  fit  ainsi  en  effet.  A  minuit,  Sandoval  revint  sur  ses  pas, 
prit  l'ennemi  au  dépourvu  et  passa  avec  ses  cavaliers.  Mais  ce  ne  fut 
pas  sans  courir  les  plus  grands  dangers;  trois  chevaux  furent  tués  et 
beaucoup  de  soldats  blessés.  Quand  le  général  se  vit  sur  un  meilleur 
terrain  et  délivré  de  ces  mauvais  passages  avec  tout  son  monde,  il 
prit  une  direction,  en  désigna  une  autre  au  reste  de  sa  troupe  et  tous 
ensemble  tombèrent  sur  de  gros  bataillons  ennemis  qui  s'étaient  re- 


DE  LA  NOUVELLE-ESPAGNE.  589 

formés  pendant  la  nuit  après  avoir  eu  connaissance  de  Ja  volte-face 
des  Espagnols.  Leur  nombre  était  si  considérable  que  Sandoval  crai- 
gnit réellement  d'être  rompu  et  mis  en  déroute.  Il  donna  donc  à  tous 
ses  soldats  l'ordre  de  le  rejoindre  et  de  combattre  en  une  seule  masse. 
Voyant  du  reste  et  entendant  dire  que  les  Indiens,  qui  s'avançaient 
jusqu'à  la  pointe  des  épées  comme  des  tigres  enragés,  avaient  enlevé 
six  lances  à  ceux  de  ses  cavaliers  qui  n'étaient  pas  accoutumés  à  la 
guerre,  Sandoval  en  fut  si  irrité  qu'il-  s'écria  qu'il  eût  mieux  valu  n'a- 
mener que  peu  de  soldats  connus  de  lui  et  non  pas  ceux  qu'il  avait 
dans  ses  rangs.  Il  expliqua  alors  à  ces  recrues  de  quelle  manière  on 
devait  combattre  :  avancer  avec  la  lance  un  peu  en  travers,  ne  pas 
s'arrêter  à  donner  de  la  pointe,  mais  balafrer  les  visages,  courir  en 
avant  et  continuer  ainsi  jusqu'à  ce  que  l'ennemi  fût  en  fuite.  Il  ajou- 
tait que  c'est  chose  bien  connue  que,  si  l'on  s'arrête  au  coup  de  lance, 
l'Indien  s'empresse  de  porter  la  main  sur  l'arme;  que  si  l'ennemi 
tourne  le  dos,  il  faut  le  suivre  au  petit  galop,  toujours  la  lance  un 
peu  en  travers;  et  si,  malgré  tout,  il  réussit  à  se  saisir  de  l'arme, 
—  car  quelquefois,  quoi  qu'on  fasse,  cela  arrive,  —  alors  il  s'agit  de, 
la  lui  arracher  sans  retard,  et  pour  cela  il  faut  serrer  son  cheval  en- 
tre les  jambes,  assurer  solidement  la  lance  dans  la  main,  porter  le 
bout  du  manche  sous  l'aisselle  pour  mieux  l'appuyer,  faire  alors  un 
effort  pour  l'enlever  à  l'ennemi  et,  s'il  ne  veut  pas  la  lâcher,  le  traî- 
ner en  poussant  son  cheval. 

Après  avoir  donné  cette  leçon  sur  la  manière  de  combattre,  voyant 
tous  ses  fantassins  et  cavaliers  bien  réunis,  il  s'en  fut  passer  la  nuit 
sur  le  bord  d'une  rivière.  Il  eut  soin  de  choisir  les  vedettes,  de  placer 
les  sentinelles  avancées,  de  mettre  des  éclaireurs  en  campagne  et  il 
ordonna  que  les  chevaux  restassent  sellés  toute  la  nuit.  Il  recom- 
manda aussi  que  les  arbalétriers,  les  arquebusiers,  les  gens  d'esco- 
pette  et  les  soldats  fussent  toujours  bien  sur  leurs  gardes.  Il  donna 
l'ordre  aux  Tlascaltèques  et  Mexicains  auxiliaires  de  tenir  leurs  ba- 
taillons un  peu  éloignés  de  nous,  vu  l'expérience  acquise  au  siège  de 
Mexico,  ne  voulant  pas  que,  si  l'ennemi  tombait  la  nuit  sur  notre 
camp,  la  foule  de  nos  alliés  y  produisît  de  l'embarras.  Sandoval  prit 
cette  précaution  parce  qu'il  craignait  une  attaque,  ayant  su  que  plu- 
sieurs bataillons  indiens  se  réunissaient  près  de  son  campement. 
Cela  lui  fit  penser  qu'ils  viendraient  certainement  l'assaillir  cette 
nuit  même  ;  il  se  confirmait  dans  cette  opinion  en  entendant  des  cris, 
le  son  des  cornets  et  le  bruit  des  tambours  à  peu  de  distance  de  là. 
En  outre  nos  alliés  avaient  dit  à  Sandoval  que  l'ennemi  se  vantait 
qu'on  le  tuerait  ce  jour-là  même,  avec  tout  son  monde,  aussitôt  que 
l'aube  aurait  paru.  En  même  temps  nos  éclaireurs  vinrent,  par  deux 
fois,  avertir  qu'on  entendait  les  Indiens  s'appeler  et  s'assembler  de 
toutes  parts. 


590  CONQUETE 

Le  jour  venu,  Sandoval  fit  mettre  toutes  ses  compagnies  en  bon 
ordre,  il  répéta  aux  cavaliers  ce  qu'il  leur  avait  déjà  recommandé,  et, 
cela  fait,  il  se  mit  en  route,  marchant  à  travers  des  groupes  de  mai- 
sons vers  le  lieu  où  l'on  entendait  le  son  des  cornets  et  le  bruit  des 
tambours.  Il  avait  à  peine  marché  un  demi-quart  de  lieue,  lorsque 
trois  bataillons  de  guerriers  s'avancèrent  à  sa  rencontre.  Ils  commen- 
çaient déjà  à  l'entourer,  lorsque,  s'en  apercevant,  il  commanda  à  ses 
cavaliers  de  charger,  la  moitié  d'un  côté,  la  moitié  de  l'autre.  On  lui 
tua  deux  des  soldats  récemment  venus  de  Castille  et  trois  chevaux; 
mais  il  mit  les  Indiens  en  un  tel  désordre  qu'il  put  désormais  les 
poursuivre  en  en  tuant  et  blessant  à  sa  guise,  de  manière  à  leur  ôter 
l'envie  de  se  réunir  contre  nous  comme  autrefois.  De  leur  côté,  nos 
alliés  mexicains  et  tlascaltèques  faisaient  le  plus  grand  mal  aux  vil- 
lages ;  ils  prirent  beaucoup  de  monde  et  ils  brûlèrent  toutes  les  habi- 
tations qui  se  trouvaient  sur  la  route,  jusqu'à  ce  que  Sandoval  fût  ar- 
rivé au  bourg  de  Santisteban  du  Port.  Il  y  trouva  les  colons  dans  un 
grand  abattement,  les  uns  blessés  grièvement,  les  autres  fort  ma- 
lades; le  pire  de  tout,  c'est  qu'ils  n'avaient  de  maïs  ni  pour  eux,  ni 
pour  leur  vingt  chevaux;  car  nuit  et  jour  l'ennemi  renouvelait  ses  at- 
taques, de  manière  à  leur  enlever  toute  possibilité  de  s'approvisionner 
de  maïs  ni  de  n'importe  quelle  autre  chose;  les  combats  n'avaient  pas 
faibli  un  seul  jour  jusqu'à  l'arrivée  de  Sandoval.  Mais,  dès  ce  mo- 
ment même,  les  attaques  cessèrent. 

Tous  les  habitants  du  bourg  furent  rendre  visite  au  nouveau  capi- 
taine, lui  parler  et  le  remercier  en  chantant  ses  louanges  pour  être 
venu  les  secourir  dans  un  moment  si  opportun.  Les  hommes  de  Ga- 
ray  lui  dirent  que,  n'eût  été  le  secours  considérable  de  sept  ou  huit 
vieux  conquistadores  de  Cortès,  ils  auraient  couru  les  plus  grands 
dangers  pour  leur  vie  ;  que  ces  huit  hommes  faisaient  chaque  jour 
des  sorties,  obligeant  les  autres  soldats  à  les  suivre,  et  ils  résistaient 
de  manière  à  ne  pas  laisser  entrer  l'ennemi  dans  la  ville.  Gomme  ils 
étaient  devenus  les  chefs  et  que  tout  se  faisait  par  leur  ordre,  ils 
avaient  pris  la  mesure  d'installer  les  malades  et  les  blessés  dans  l'in- 
térieur du  bourg  et  de  faire  camper  tous  les  valides  au  dehors.  C'est 
ainsi  qu'ils  avaient  réussi  à  contenir  l'ennemi.  Sandoval  les  em- 
brassa tous  ;  ces  vieux  conquistadores  étaient  de  sa  connaissance  et 
même  de  ses  amis,  surtout  un  certain  Navarrete  Garrazcoza  et  Ala- 
milla,  avec  cinq  autres,  tous  soldats  de  Cortès,  Il  fit  donner  à  chacun 
d'eux  des  cavaliers,  des  arbalétriers  et  des  gens  d'escopette,  pris 
parmi  ceux  qu'il  avait  amenés,  et  il  les  détacha  dans  deux  directions, 
pour  qu'ils  pussent  se  procurer  du  maïs  et  des  provisions,  battre  le 
pays  et  prendre  autant  d'ennemis  qu'il  serait  possible,  surtout  des 
caciques.  Sandoval  en  disposa  ainsi  parce  qu'il  avait  une  blessure 
grave  à  la  cuisse  et  le  visage  meurtri  d'un  coup  de  pierre»  Gomme 


DE  LA  NOUVELLE-ESPAGNE.  591 

d'ailleurs  un  grand  nombre  de  ses  hommes  étaient  blessés,  il  passa 
trois  jours  dans  la  ville  sans  sortir  pour  combattre.  S'il  se  permit 
ces  trois  jours  de  repos,  c'est  qu'il  avait  pu  envoyer  les  capitaines 
que  je  viens  de  dire  et  qu'il  comptait  sur  leur  conduite,  non  sans  rai- 
son, puisqu'ils  expédièrent  tout  de  suite  du  maïs  et  d'autres  provi- 
sions pour  la  ville,  ainsi  qu'un  grand  nombre  d'Indiennes  et  d'en- 
fants, avec  cinq  personnages  de  qualité,  chefs  de  guerriers,  dont  ils 
avaient  réussi  à  s'emparer. 

Sandoval  fit  mettre  en  liberté  tout  le  petit  monde,  garda  les  per- 
sonnages et  envoya  dire  à  ses  soldats  de  ne  prendre,  à  l'avenir,  que 
des  hommes  qui  auraient  trempé  dans  la  mort  des  Espagnols,  lais- 
sant libres  les  femmes  et  les  enfants  et  se  contentant  d'inviter  les  vil- 
lages à  la  paix.  Ils  le  firent  ainsi.  Il  y  avait  dans  le  bourg  quelques- 
uns  des  principaux  personnages  de  l'expédition  de  Garay;  c'étaient 
eux  qui  avaient  été  cause  du  soulèvement  de  cette  province  ;  j'en  ai 
nommé  la  plupart  dans  le  chapitre  précédent.  Voyant  que  Sandoval 
ne  leur  donnait  aucune  mission  en  leur  confiant  des  troupes,  ainsi 
qu'il  l'avait  fait- pour  les  sept  vieux  conquistadores  de  Gortès,  ils  com- 
mencèrent à  murmurer  contre  ce  chef;  ils  excitaient  même  d'autres 
soldats  à  médire  de  lui  et  de  ses  actes;  ils  formaient  le  dessein  de  se 
révolter,  en  gardant  la  possession  du  pays,  sous  prétexte  qu'ils  étaient 
avec  le  fils  de  Francisco  de  Garay  qui  s'en  pouvait  dire  le  véritable 
commandant.  Sandoval,  l'ayant  appris,  leur  parla  dans  les  meilleurs 
termes,  en  disant  :  «  Senores,  on  m'assure  qu'au  lieu  de  m'être  re- 
connaissants pour  le  secours  que,  grâce  à  Dieu,  je  vous  ai  porté, 
vous  lancez  des  paroles  que  des  caballeros  comme  vous  ne  devraient 
jamais  proférer.  Je  n'enlève  rien  à  votre  honneur  et  à  votre  rang  en 
choisissant,  p*our  aller  guerroyer,  ceux  que  vous  aviez  déjà  ici  pour 
commandants  et  capitaines.  Si  je  vous  avais  trouvés  chargés  du  com- 
mandement de  cette  place,  je  serais  répréhensible  en  vous  enlevant 
cet  emploi;  mais  je  voudrais  bien  savoir  pourquoi  vous  ne  briguiez 
pas  ces  postes  honorables  lorsque  vous  étiez  investis.  Ce  que  vous  me 
disiez  tout  d'une  voix  il  n'y  a  pas  longtemps,  c'est  que,  n'eussent  été 
ces  sept  vieux  soldats,  vous  vous  seriez  vus  en  de  plus  grands  em- 
barras. Pour  ces  raisons,  et  aussi  parce  qu'ils  connaissent  le  pays 
mieux  que  vous,  j'ai  dû  les  préférer  pour  marcher.  Sachez,  senores, 
que  pendant  nos  campagnes  dans  le  Mexique  nous  ne  portions  pas 
l'attention  sur  ces  vétilles;  nous  ne  pensions  qu'à  servir  loyalement 
Sa  Majesté.  Je  vous  prie  en  grâce  de  faire  de  même  dorénavant.  Je 
ne  serai  pas  longtemps  dans  cette  province;  si  je  n'y  perds  la  vie,  je 
partirai  pour  Mexico.  Celui  qui  restera  après  moi  comme  lieutenant 
de  Gortès  vous  donnera  sans  doute  de  grands  emplois  ;  quant  à  moi, 
je  vous  prie  seulement  de  m'excuscr.  »  Voilà  comment  il  en  finit  avec 
eux;  mais  ils  ne  lui  en  continuèrent  pas  moins  leur  mauvais  vouloir. 


592  CONQUÊTE 

Le  lendemain,  Sandoval  partit  avec  tous  ceux  qui  étaient  venus 
avec  lui  de  Mexico  et  il  s'adjoignit  les  sept  conquistadores  qu'il  avait 
déjà  envoyés  en  expédition.  Il  s'y  prit  de  telle  façon  qu'il  arrêta  vingt 
caciques  qui  tous  avaient  trempé  dans  la  mort  de  plus  de  six  cents 
Espagnols,  tant  des  troupes  de  Garay  que  des  colons  laissés  dans  la 
ville  par  Gortès.  Il  fit  convier  à  la  paix  la  plus  grande  partie  des  peu- 
plades de  la  province.  Plusieurs  se  soumirent  ;  il  sut  dissimuler  avec 
d'autres  qui  ne  se  hâtaient  pas  de  venir.  Après  cela,  il  envoya  des 
courriers  rapides  à  Gortès  pour  rendre  compte  de  tout  ce  qui  était  ar- 
rivé, lui  demander  ce  qu'il  fallait  faire  des  prisonniers  et  —  Pedro 
de  Vallejo,  lieutenant  de  Gortès,  étant  mort  d'un  coup   de  flèche  — 
savoir  qui  commanderait  à  sa  place.  Il  écrivait  aussi  que  les  soldats 
que  j'ai  déjà  nommés  s'étaient  conduits  en  hommes  résolus.  En  li- 
sant la  lettre,  Gortès  se  réjouit  beaucoup  de  voir  que  cette  province 
fût  déjà  pacifiée.  Le  général,  au  moment  où  il  reçut  ce  message,  se 
trouvait  entouré  de  plusieurs  des  premiers  conquistadores  et  de  quel- 
ques autres  soldats  venus  récemment  de  Gastille.  Il  dit  devant  eux  : 
«  0  Gonzalo  de  Sandoval,  à  quel  point  je  suis  votre  obligé  et  de  quels 
embarras  vous  venez  de  me  sortir!  »  A  la  suite  de  ces  paroles,  tous  à 
l'envi  se  prirent  à  répéter  que  c'était  un  prodigieux  capitaine  et  qu'on 
pouvait  placer  son  nom  entre  les  plus  renommés.  Quoi  qu'il  en  soit, 
Gortès  lui   répondit  à  l'instant   qu'afm  de   rendre  plus   solennel  le 
châtiment  de  ceux  qui  s'étaient  rendus  coupables  de  tant  d'assassi- 
nats d'Espagnols,  de  vols  de  propriétés  et  de  massacres  de  chevaux, 
il  allait  envoyer  l'alcalde  mayor  Diego  de  Ocampo  pour  ouvrir  contre 
eux  une  instruction,  afin  qu'on  exécutât  l'arrêt  prononcé  par  la  jus- 
tice. Il  ordonnait  de  condescendre  à  tout  ce  qui  serait  possible  vis-à- 
vis  des  indigènes  de  cette  province  et  de  ne  point  permettre  que  les 
gens  de  Garay  ou  n'importe  quelles  autres  personnes  les  volassent  ou 
leur  infligeassent  de  mauvais  traitements.  Après  avoir  pris  connais- 
sance de  cette  lettre  et  su  l'arrivée  d'Ocampo,  Sandoval  s'en  réjouit 
grandement.  Deux  jours  après,  on  procéda  contre  les  capitaines  et  les 
caciques  qui  avaient  contribué  à  la  mort  des  Espagnols.  La  sentence 
fut  prononcée  conformément  à  leurs  aveux.  Quelques-uns  furent  pen- 
dus ou  brûlés  vifs;  on  pardonna  à  certains  autres,  et  la  dignité   do 
cacique  fut  transférée  aux  fils  et  frères  des  suppliciés,  ainsi  que  cela 
leur  revenait  de  droit. 

Il  paraît  que  Diego  de  Ocampo  apportait  des  instructions  et  des  or- 
dres de  Gortès  pour  rechercher  ceux  qui  s'étaient  livrés  au  pillage, 
avaient  fomenté  des  complots,  attisé  les  rancunes  et  excité  les  autres 
soldats  à  se  mutiner.  Il  devait  les  embarquer  sur  un  navire  qui  les 
ramènerait  à  l'île  de  Cuba.  Cortès  envoya  même  deux  mille  piastres 
pour  que  Juan  de  Grijalva  pût  y  retourner  aussi,  et  l'ordre  de  lui 
fournir  toute  espèce  de  secours  pour  aller  à  Mexico  dans  le  cas  où  il 


DE  LA  NOUVELLE-ESPAGNE.  5'j3 

voudrait  y  venir.  Le  fait  certain,  c'est  que  tous  se  prêtèrent  bien  vo- 
lontiers à  retourner  à  l'île  de  Cuba  où  ils  possédaient  des  Indiens.  On 
leur  lit  donner  beaucoup  de  provisions  en  maïs,  poules  et  tous  autres 
produits  du  pays,  et  ils  regagnèrent  ainsi  leurs  domiciles  habituels. 
Ces  dispositions  étant  prises,  un  certain  Vallecillo  fut  nommé  com- 
mandant de  la  province,  tandis  que  Sandoval  et  Diego  de  Ocampo 
s'en  retournèrent  à  Mexico.  Ils  furent  bien  reçus  par  Gortès  et  par  la 
capitale  entière  où  l'on  avait  craint  pour  eux  une  déroute.  On  s'y  ré- 
jouit donc  beaucoup  et  on  fit  de  grandes  fêtes  à  l'occasion  du  retour 
de  Sandoval  victorieux.  Fray  Bartolomé  de  Olmedo  demanda  à  Gortès 
qu'il  fût  rendu  grâces  à  Dieu  publiquement,  et  on  célébra  une  grande 
fête  en  l'honneur  de  Notre  Dame.  Fray  Bartolomé  de  Olmedo  y  fit  un 
sermon  bien  dévot  et  digne  de  sa  haute  instruction.  Désormais  on 
n'eut  plus  à  réprimer  aucun  soulèvement  dans  cette  province. 

Nous  abandonnerons  ce  sujet  pour  dire  ce  qui  arriva  au   licencié 
Zuazo  dans  son  voyage,  en  venant  de  Cuba  à  la  Nouvelle-Espagne. 


CHAPITRE   CLX1II 

Comme  quoi,  le  licencié  Alonso  de  Zuazo  venant  sur  une  caravelle  à  la  Nouvellc- 
Espagne  avec,  deux  moines  de  la  Merced,  amis  de  fray  Bartolomé  de  Olmedo,  le  bâ- 
timent fut  s'échouer  sur  de  petites  îles  appelées  les  Vivoras.  De  la  mort  de  l'un  des 
moines,  et  de  ce  qui  arriva  encore. 

J'ai  déjà  parlé,  dans  un  précédent  chapitre,  de  la  visite  que  le  li- 
cencié Zuazo  fit  à  Francisco  de  Garay,  au  village  de  Xagua,  près  du 
bourg  de  la  Trinidad,  dans  l'île  de  Cuba.  On  sait  que  celui-ci  insista 
pour  que  le  licencié  vînt  avec  la  flotte,  afin  de  servir  de  médiateur 
entre  Gortès  et  lui  ;  car  il  pensait  bien  qu'ils  se  trouveraient  en  désac- 
cord au  sujet  du  gouvernement  du  Panuco. 

Alonso  de  Zuazo  lui  promit  qu'il  réaliserait  ce  projet,  aussitôt 
qu'il  aurait  rendu  compte  au  Tribunal,  qui  l'en  avait  chargé,  de  son 
inspection  dans  l'île  de  Cuba  où  il  se  trouvait  alors.  Sa  mission  ter- 
minée, il  s'empressa  de  faire  son  rapport,  afin  de  pouvoir  s'embar- 
quer sans  retard  pour  la  Nouvelle-Espagne,  ainsi  qu'il  l'avait  pro- 
mis. Il  devait  emmener  avec  lui  deux  moines  de  la  Merced,  fray  Gon- 
zalo  de  Pontevedra  et  fray  Juan  Varillas,  natif  de  Salamanca.  Celui-ci, 
grand  ami  du  Père  Bartolomé  de  Olmedo,  avait  demandé  à  ses  supé- 
rieurs l'autorisation  d'aller  le  rejoindre  et  le  seconder  dans  son  minis- 
tère. Il  vivait  à  Cuba  avec  fray  Gonzalo  en  attendant  l'occasion  de  se 
rendre  auprès  de  fray  Bartolomé.  Zuazo,  qui  se  disait  parent  de  fray 
Juan,  l'invita  à  partir  avec  lui.  Ils  s'embarquèrent  sur  un  petit  na- 
vire. Ils  avaient  déjà  doublé  le  cap  Saint-Antoine,  qu'on  appelle  aussi 

38 


594  CONQUÊTE 

des  Gamatabeis,  race  sauvage  qui  ne  s'est  pas  soumise  aux  Espagnols. 
Tandis  qu'ils  naviguaient,  soit  que  le  pilote  fît  fausse  route,  soit  que 
leur  petit  bâtiment  eût  été  entraîné  par  les  courants,  il  fut  s'échouer 
sur  des  îles  qui  s'élèvent  au  milieu  de  récifs  appelés  les  Vivoras,  non 
loin  d'autres  brisants  nommés  les  Alacrans,  sur  lesquels  viennent  se 
perdre  grand  nombre  de  navires.  Ce  qui  sauva  Zuazo,  ce  fut  la  pe- 
titesse de  son  bâtiment.  Afin  de  l'alléger  et  de  pouvoir  arriver  sans 
toucher  fond  à  une  petite  île  que  l'on  voyait  près  de  là,  on  se  résolut 
à  jeter  à  la  mer  le  porc  salé  et  d'autres  objets  qui  formaient  la  pro- 
vision de  vivres.  Les  requins  s'acharnèrent  aussitôt  contre  la  salai- 
son. Ils  se  saisirent  même  de  l'un  des  matelots  qui  se  trouvait  dans 
l'eau  jusqu'à  la  ceinture;  ils  le  mirent  en  pièces  et  l'avalèrent.  A  en 
juger  par  l'acharnement  avec  lequel  ces  animaux  s'obstinaient  sur  le 
sang  de  ce  malheureux,  on  peut  croire  que  tous  les  autres  matelots 
auraient  péri  également,  s'ils  n'eussent  réussi  à  gagner  la  caravelle 
en  grande  hâte. 

Quoi  qu'il  en  soit,  ils  s'ingénièrent  le  mieux  possible,  et  ils  arri- 
vèrent à  l'île  avec  leur  bâtiment;  mais  comme  ils  avaient  jeté  à  l'eau 
leur  cassave  et  les  autres  provisions,  ils  n'avaient  rien  à  manger,  ni 
rien  à  boire,  ni  feu,  ni  quoi  que  ce  soit  qui  pût  leur  servir  à  s'ali- 
menter, excepté  des  lanières  de  bœuf  desséché  qui  n'avaient  pas  été 
lancées  à  la  mer.  Ils  eurent  la  chance  d'avoir  à  bord  deux  Indiens  de 
Cuba  qui  étaient  experts  à  faire  du  feu  avec  de  petits  morceaux  de 
bois  qu'on  trouvait  dans  cet  îlot.  Ils  réussirent  ainsi  à  allumer  un 
foyer.  Ensuite  ils  creusèrent  un  puits  dans  le  sable  et  ils  en  retirè- 
rent une  eau  saumâtre.  Gomme  l'île  était  petite  et  que  le  sable  la  re- 
couvrait, un  grand  nombre  de  tortues  y  venaient  déposer  leurs  œufs. 
Aussitôt  qu'ils  les  voyaient  venir,  les  Indiens  de  Cuba  couraient  les 
retourner  les  pattes  en  l'air.  Chacun  de  ces  animaux  arrive  à  pondre 
jusqu'à  cent  œufs  de  la  grosseur  de  ceux  de  nos  canards.  Les  treize 
naufragés  eurent  de  quoi  se  bien  nourrir  avec  la  chair  et  Jes  œufs  de 
ces  tortues.  Au  surplus  les  matelots  tuaient  des  loups  marins  qui  ve- 
naient la  nuit  sur  les  sables  de  l'île  ;  ce  fut  encore  une  fort  bonne 
nourriture.  On  en  était  là,  lorsque  deux  charpentiers  qui  étaient  abord 
de  la  caravelle  et  qui  avaient  eu  la  chance  de  conserver  leurs  outils, 
résolurent  de  construire  une  embarcation  avec  laquelle  on  pût  navi- 
guer à  la  voile.  Avec  des  planches,  des  clous,  des  étoupes,  des  cor- 
dages et  des  toiles  qu'ils  retirèrent  du  navire  perdu,  ils  confection- 
nèrent un  bon  bateau  dans  lequel  s'embarquèrent  trois  matelots  et 
un  Indien  de  Cuba.  Ils  emportaient  pour  provisions  des  tortues,  des 
loups  marins  grillés  et  de  l'eau  saumâtre;  ils  se  munirent  d'une  carte 
et  d'une  boussole,  et,  après  s'être  recommandés  à  Dieu,  ils  entrepri- 
rent leur  voyage  vers  la  Nouvelle-Espagne. 

Naviguant  tantôt  avec  beau  temps,  tantôt  par  des  vents  contraires, 


DE  LA   NOUVELLE-ESPAGNE.  595 

ils  curent  la  chance  d'arriver  au  port  de  Calchocuca,  situé  sur  le 
lleuve  des  Banderas,  où  venaient  alors  se  décharger  les  marchandises 
provenant  de  Gastille.  Ils  remontèrent  jusqu'à  Medellin  où  un  cer- 
tain Simon  de  Guenca  commandait  en  qualité  de  lieutenant  de  Gortès. 
Les  matelots  arrivés  dans  le  bateau  lui  contèrent  les  embarras  où  se 
trouvait  le  licencié  Alonso  Zuazo.  Aussitôt  Guenca  se  procura  un 
équipage  et  un  petit  navire  qu'il  expédia  en  toute  hâte,  avec  beaucoup 
de  provisions,  à  l'île  ou  se  trouvait  Zuazo,  auquel  il  écrivit  que  Gor- 
tès se  réjouirait  beaucoup  de  son  arrivée.  Il  fit  savoir  en  même  temps 
cet  événement  à  notre  général  en  lui  apprenant  l'envoi  du  navire 
chargé  de  provisions.  Gortès  se  réjouit  beaucoup  de  cette  bonne  dis- 
position prise  par  son  lieutenant,  à  qui  il  fit  parvenir  l'ordre  de  don- 
ner à  Zuazo,  aussitôt  qu'il  arriverait  au  port,  tout  ce  dont  il  aurait 
besoin,  des  vêtements,  des  chevaux,  et  de  l'envoyer  sans  retard  à 
Mexico.  Le  petit  navire  arriva  à  l'île  avec  beau  temps,  causant  une 
joie  extrême  à  Zuazo  et  à  son  monde.  Mais,  malheureusement,  nous 
avons  à  dire  qu'avant  son  arrivée  fray  Gonzalo  était  mort  en  peu  de 
jours  par  suite  de  l'impossibilité  où  il  se  trouvait  de  digérer  les  ali- 
ments de  l'île.  Cet  événement  avait  causé  le  plus  grand  regret  à  fray 
Juan  et  à  Zuazo.  On  recommanda  son  âme  à  Dieu  et  on  s'embarqua. 
Le  temps  ayant  été  favorable,  on  arriva  à  Medellin.  Les  voyageurs 
furent  reçus  avec  les  plus  grands  honneurs  et  dirigés  immédiatement 
sur  Mexico.  Gortès  envoya  à  leur  rencontre  ;  il  les  reçut  dans  ses  pa- 
lais et  il  se  livra,  en  leur  compagnie,  aux  plus  grandes  réjouissances. 
Le  général  nomma  le  licencié  Alonzo  de  Zuazo  son  alcalde  mayor,  et 
tel  fut  le  résultat  de  son  voyage. 

En  abandonnant  ce  récit,  je  dois  dire  que  ce  que  je  viens  de  ra- 
conter je  l'appris  par  une  lettre  que  Gortès  écrivit  à  la  municipalité 
de  Guazacualco;  il  y  disait  tout  ce  que  je  viens  de  détailler.  Au  sur- 
plus, deux  mois  après,  les  matelots  qui  étaient  venus  apporter  la 
nouvelle  de  la  perte  de  Zuazo  arrivèrent  avec  la  même  embarcation 
dans  notre  bourg.  Pendant  qu'ils  s'occupaient  de  la  construction 
d'une  barque  avec  le  produit  du  chargement  de  l'ancienne,  ils  nous 
racontaient  leurs  aventures  de  la  manière  que  je  viens  de  dire. 

Et  maintenant,  je  conterai  comme  quoi  Gortès  envoya  Pedro  de 
Alvarado  pacifier  les  provinces  de  Guatemala. 


596  CONQUÊTE 


CHAPITRE   CLXIV 

Comme  quoi  Cortès  envoya  Pedro  de  Alvarado  à  la  province  de  Guatemala  pour 
qu  il  en  soumît  les  habitants  et  y  fondât  une  ville.  De  ce  qui  se  lit  à  cet  égard. 

Cortès  eut  toujours  des  aspirations  élevées  et  un  grand  désir  de  do- 
mination. Il  voulut  en  tout  singer  Alexandre  de  Macédoine,  et  il  y 
fut  grandement  aidé  par  les  bons  capitaines  et  les  merveilleux  soldats 
qu'il  eut  toujours  à  son  service.  Après  avoir  pris  et  colonisé  Mexico, 
Guaxaca,  Zacatula,  Colima,  Vera  Cruz,  Panuco  et  Guazacualco,  ayant 
entendu  dire  que  la  province  de  Guatemala  possédait  un  grand  nom- 
bre de  villages  bien  peuplés  et  qu'elle  était  riche  en  mines,  il  résolut 
de  l'envoyer  conquérir  et  coloniser  par  Pedro  de  Alvarado.  Il  y  avait 
même  expédié  déjà  des  émissaires  pour  engager  les  habitants  à  venir 
faire  leur  soumission  ;  mais  ils  n'avaient  point  voulu  se  rendre  à  son 
invitation.  Il  donna  à  Alvarado,  pour  cette  expédition,  environ  trois 
cents  soldats,  dont  cent  vingt  fusiliers  et  arbalétriers,  cent  trente-cinq 
cavaliers,  quatre  canons  avec  beaucoup  de  poudre,  un  artilleur  appelé 
Usagre,  environ  deux  cents  Tlascaltèques  ou  Gholultèques  et  cent 
Mexicains  de  la  plus  haute  valeur.  Fray  Bartolomé  de  Olmedo  de- 
manda à  Cortès  l'autorisation  de  partir  avec  Alvarado,  dont  il  était 
grand  ami,  pour  aller  prêcher  la  foi  de  Jésus-Christ  aux  habitants  de 
Guatemala;  mais  Cortès,  qui  était  très-lié  avec  le  moine,  s'y  refusait 
en  promettant  d'envoyer  avec  Alvarado  un  bon  prêtre  venu  d'Espagne 
en  compagnie  de  Garay,  et  engageant  fray  Bartolomé  à  vouloir  bien 
rester  afin  de  prêcher  la  fête  de  Noël.  Cependant  le  moine  le  fatigua 
tellement  de  ses  prières  qu'il  obtint  de  partir  avec  Alvarado.  A  la  vé- 
rité, Cortès  ne  s'y  prêta  pas  de  bien  bonne  grâce,  car  il  avait  pris 
l'habitude  de  parler  de  toutes  ses  affaires  avec  fray  Bartolomé.  Le  gé- 
néral donna  ses  instructions  à  Alvarado,  l'invitant  à  faire  en  sorte 
que  les  Guatémaltèques  acceptassent  la  paix  sans  qu'il  fût  nécessaire 
de  les  combattre;  il  recommanda  aussi  qu'au  moyen  des  interprètes 
qui  l'accompagnaient,  fray  Bartolomé  de  Olmedo  leur  prêchât  les  cho- 
ses relatives  à  notre  sainte  foi  :  qu'il  ne  leur  permît  ni  sacrifices,  ni 
vols,  ni  vices  contre  nature  ;  qu'il  détruisît  partout  les  grandes  cages 
où  l'on  a  l'habitude  de  renfermer  les  Indiens  esclaves  pour  les  engrais- 
ser et  les  manger;  qu'on  enlevât  ces  malheureux  de  leur  prison;  qu'on 
tâchât  de  décider,  par  les  voies  de  douceur,  les  Guatémaltèques  à  ve- 
nir bénévolement  jurer  obéissance  à  Sa  Majesté,  et  qu'on  n'oubliât 
jamais  de  faire  usage  avec  eux  des  meilleurs  traitements. 

Fray  Bartolomé  de  Olmedo  demanda  qu'on  lui  adjoignît,  en  qualité 
d'aide,  le  prêtre  dont  j'ai  déjà  parlé,  venu  avec  Garay  et  très-recom- 


DE  LA   NOUVELLE-ESPAGNE.  597 

mandable,  disait-on.  Cortès  le  céda,  en  lui  souhaitant  bonne  chance. 
Pedro  de  Alvarado  prit  congé  du  général  et  de  tous  les  caballeros  ses 
amis  qui  se  trouvaient  à  Mexico.  Ils  se  firent  mutuellement  leurs 
adieux  et  il  partit  de  cette  ville  le  treizième  jour  du  mois  de  décem- 
bre 1523.  Cortès  lui  prescrivit  de  passer  par  des  peîioles  qui  s'étaient 
soulevés  dans  la  province  de  Gruantepeque,  non  loin  de  la  route  qu'il 
devait  suivre.  Il  les  soumit.  On  les  appelle  peîioles  de  G-uelamo,  parce 
qu'ils  appartenaient  alors  à  la  commanderie  d'un  soldat  de  ce  nom. 
Il  se  rendit  de  là  à  Teguantepeque,  grande  ville  appartenant  aux  Za- 
potèques,  où  on  l'accueillit  fort  bien  ,  attendu  que  les  habitants  en 
étaient  déjà  pacifiés  et  qu'ils  avaient  même  envoyé  une  mission  à 
Mexico  pour  jurer  obéissance  à  Sa  Majesté,  visiter  Cortès  et  lui  ap- 
porter un  présent  en  or. 

De  Teguantepeque,  Alvarado  passa  à  la  province  de  Soconusco, 
dont  la  population  ne  s'élevait  pas  alors  à  moins  de  quinze  mille  In- 
diens. Il  y  fut  reçu  pacifiquement;  les  habitants  offrirent  un  présent 
en  or  et  se  déclarèrent  vassaux  de  Sa  Majesté.  Parti  de  Soconusco,  il 
allait  arriver  à  des  peuplades  connues  sous  le  nom  de  Zapotitlan, 
lorsque  se  présenta  un  mauvais  passage  avec  un  pont  sur  une  rivière. 
Il  y  trouva  beaucoup  de  bataillons  de  guerriers  qui  l'attendaient  pour 
lui  en  fermer  l'entrée.  Il  fallut  engager  une  bataille  avec  eux.  On  lui 
tua  un  cheval  ;  plusieurs  soldats  furent  blessés  et  l'un  d'eux  mourut 
de  ses  blessures.  Les  Indiens  qui  s'étaient  réunis  contre  Alvarado 
provenaient  non-seulement  de  Zapotitlan,  mais  des  autres  villages  du 
district.  On  avait  beau  leur  blesser  beaucoup  de  monde,  on  ne  réus- 
sissait pas  à  les  faire  reculer.  Il  fallut  en  venir  aux  mains  avec  eux 
trois  fois  de  suite  :  mais  enfin  Notre  Seigneur  Dieu  daigna  permettre 
qu'ils  fussent  vaincus  et  qu'ils  se  soumissent  à  Alvarado. 

En  s'éloignant  de  Zapotitlan,  ce  capitaine  prit  le  chemin  d'un  bourg 
considérable  appelé  Quetzaltenango.  Avant  d'y  arriver,  il  lui  fallut 
soutenir  d'autres  combats  avec  ses  habitants,  non  moins  que  contre 
des  voisins  de  Utatlan,  chef-lieu  de  certains  villages  qui  entourent 
Quetzaltenango.  Dans  ces  rencontres  quelques  soldats  reçurent  des 
blessures,  mais,  en  revanche,  Pedro  de  Alvarado  et  son  monde  tuè- 
rent et  blessèrent  un  grand  nombre  d'Indiens.  Bientôt  se  présenta  la 
montée  d'un  passage  d'une  lieue  et  demie  de  long;  on  commença  à 
l'entreprendre  en  faisant  régner  le  plus  grand  ordre  entre  les  arbalé- 
triers, les  gens  d'escopette  et  tous  les  soldats.  Au  point  le  plus  élevé 
de  ce  passage,  il  se  trouva  qu'on  venait  de  faire  le  sacrifice  d'une 
grosse  Indienne  qui  était  sorcière  et  d'un  de  ces  petits  chiens  que  les 
Indiens  élèvent,  qui  ne  savent  pas  aboyer1  et  qui  sont  bons  à  man- 

1,  On  a  voulu  tirer  de  ce  signe  la  preuve  que  ce  chien  comestible  notait  pas  un 
chien.  Mais  cependant  les  lévriers  de  fine  race  n'aboient  pas;  qui  s'avise  «Je  dire  néan- 
moins que  ce  ne  sont  pas  des  chiens? 


598  CONQUETE 

ger.  Ce  sacrifice  est  signe  de  guerre.  Un  peu  plus  loin,  on  rencontra 
un  grand  nombre  de  guerriers  qui  attendaient  et  qui  commencèrent  à 
entourer  les  forces  d'Alvarado.  Gomme  le  passage  était  mauvais  et  le 
sol  raboteux,  les  chevaux  ne  pouvaient  ni  courir,  ni  charger,  ni  ser- 
vir à  quoi  que  ce  fût;  mais  les  arbalétriers,  les  fusiliers  et  les  soldats 
d'épée  et  de  rondache  en  vinrent  aux  mains  avec  l'ennemi,  déployant 
la  plus  grande  vigueur,  se  battant  dans  les  montées  et  les  descentes 
du  passage,  jusqu'à  ce  qu'ils  arrivassent  à  un  ensemble  de  ravins  où 
il  fallut  recommencer  la  mêlée,  dans  un  combat  très-sérieusement 
disputé,  avec  d'autres  bataillons  ennemis  qui  attendaient  en  cet  en- 
droit. Ils  eurent  recours,  du  reste,  pour  y  amener  nos  troupes,  à  un 
stratagème  dont  ils  étaient  convenus  d'avance  et  qui  consistait  à  si- 
muler une  retraite  pendant  que  Pedro  de  Alvarado  se  battrait  avec 
eux,  afin  de  s'en  faire  suivre  jusqu'à  un  point  où  six  mille  guerriers 
indiens  étaient  postés  pour  l'attendre.  Ces  guerriers,  qui  étaient  d'Uta- 
tlan  et  des  peuplades  qui  en  dépendent,  espéraient  bien  les  achever 
tous  dans  ces  ravins.  Pedro  de  Alvarado  et  ses  soldats  se  battirent 
contre  eux  avec  la  plus  grande  résolution  ;  ils  eurent  trois  hommes  et 
deux  chevaux  blessés;  mais,  malgré  tout,  nos  troupes  vainquirent  les 
Indiens  et  les  mirent  en  fuite.  A  la  vérité,  ils  ne  s'en  allèrent  pas  bien 
loin,  car  ils  ne  tardèrent  pas  à  se  rallier  et  à  se  renforcer  par  l'arrivée 
d'autres  bataillons.  Ainsi  refaits,  ils  revinrent  à  la  charge  comme  de 
vaillants  soldats,  avec  la  croyance  qu'ils  allaient  cette  fois  mettre  Pe- 
dro de  Alvarado  en  pleine  déroute. Le  combat  eut  lieu  près  d'une  fon- 
taine où  ils  tinrent  si  solidement  qu'ils  se  mêlaient  à  nos  soldats;  il  y 
eut  même  des  Indiens  qui  se  réunirent  à  trois  pour  attendre  le  pas- 
sage d'un  cheval  et  faire  des  efforts  communs  pour  le  jeter  à  terre; 
d'autres  prenaient  ces  animaux  par  la  queue.  Pedro  de  Alvarado  se 
vit  réellement  en  sérieux  embarras,  car  les  ennemis  étaient  en  si 
grand  nombre  qu'il  ne  pouvait  se  défendre  de  tant  de  côtés  à  la  fois 
contre  les  bataillons  qui  tombaient  sur  lui  et  les  siens.  Nos  troupes 
en  arrivèrent  à  un  grand  degré  d'excitation  sous  l'influence  des  en- 
couragements de  fray  Bartolomé  de  Olmedo  qui  les  exhortait  à  tenir 
ferme  dans  le  but  de  servir  Dieu  et  d'étendre  sa  sainte  foi,  leur  pro- 
mettant les  secours  de  son  saint  ministère  et  leur  criant  de  vaincre 
ou  de  mourir  dans  le  combat.  Et  malgré  tout,  les  Espagnols  craigni- 
rent un  moment  d'être  mis  en  déroute,  tant  ils  se  virent  serrés  de 
près.  Mais  enfin,  ils  firent  si  bien  qu'avec  leurs  espingoles,  leurs  ar- 
balètes et  le  secours  de  bonnes  entailles,  ils  réussirent  à  éloigner  un 
peu  l'ennemi.  De  leur  côté,  les  cavaliers  ne  perdaient  pas  leur  temps: 
jouer  de  la  lance,  charger  et  poursuivre,  ce  fut  leur  lot;  jusqu'à  ce 
qu'enfin  l'ennemi  fut  mis  en  telle  déroute  que  pendant  trois  jours  il 
ne  put  rallier  ses  forces. 

Alvarado,  ne  voyant  plus  d'Indiens  à  combattre,  s'installa  en  rase 


DE  LA   NOUVELLE-ESPAGNE.  599 

campagne  sans  s'approcher  des  lieux  habités,  campant  et  maraudant 
pour  ses  provisions  de  bouche.  Bientôt  il  se  transporta  avec  toute  son 
armée  au  village  de  Quetzaltenango  où  il  apprit  que  dans  les  derniè- 
res batailles  il  avait  tué  deux  chefs,  grands  seigneurs  de  Utatlan.  Il 
en  était  à  se  reposer  et  à  soigner  ses  blessés,  lorsqu'il  reçut  avis  que 
toutes  les  forces  des  villages  des  environs  allaient  de  nouveau  l'assail- 
lir, attendu  que  plus  de  deux  xiquipiles  —  c'est-à-dire  seize  mille 
Indiens,  puisqu'un  xiquipil  comprend  huit  mille  guerriers  —  s'étaient 
déjà  réunis  et  mis  en  route  avec  la  résolution  de  vaincre  ou  mourir. 
En  l'apprenant,  Pedro  de  Alvarado  fut  s'établir  au  milieu  d'une  plaine 
où  les  troupes  ennemies,  avec  une  grande  impétuosité,  commencè- 
rent à  l'entourer  en  lançant  des  pieux,  des  flèches  et  des  pierres  et 
en  en  venant  aux  mains  avec  leurs  lances.  Mais  comme  le  sol  était  en 
plaine  et  que  les  chevaux  pouvaient  y  courir  en   toutes   directions, 
on  tomba  sur  l'ennemi   avec  une   telle  vigueur,  qu'on  lui  fit  à  l'in- 
stant tourner  le  dos;   ce  qui  n'empêcha  pas,   du  reste,  que  nous 
n'eussions  de  notre  côté  plusieurs  soldats  et  un  cheval  blessés.  Quant 
aux  Indiens,  ils  perdirent  plusieurs  personnages  élevés,  tant  de   ce 
village  que  de  la  contrée  entière,  de  telle  sorte  qu'à  partir  de  cette 
victoire  on  y  craignait  beaucoup  Pedro  de  Alvarado.  Les  habitants  de 
tout  le  district  convinrent  de  lui  faire  demander  la  paix  et  de  lui  en- 
voyer un  présent  en  or  de  peu  de  valeur  pour  la  lui  faire  accepter. 
Cette  mesure  fut  prise  à  la  suite  d'un  accord  entre  les  caciques  de  la 
province.  Mais  il  faut  savoir  qu'ils  étaient  parvenus  à  réunir  un  plus 
grand  nombre  de  combattants  qu'au  début  de  la  guerre  et  qu'ils  leur 
avaient  donné  l'ordre  secret  de  se  tenir  dans  les  ravins  du  village 
d'Utatlan.  S'ils  faisaient  demander  la  paix,  c'était  donc  pour  modérer 
les  manœuvres  de  Pedro  de  Alvarado  et  de  son  armée  qui,  de  Quet- 
zaltenango où  ils  étaient  établis,  faisaient  des  excursions  d'où  ils  ra- 
menaient des  Indiens  et  des  Indiennes  prisonniers.  Leur  but  était 
aussi  d'attirer  notre  général  à  Utatlan,  village  entouré  de  ravins,  dans 
l'espoir  qu'en  l'y  tenant  dans  des  endroits  où  il  serait  facile  d'avoir 
raison  de  nos  hommes,  on  tomberait  sur  eux  avec  les  nombreux  guer- 
riers qui  étaient  préparés  et  apostés  secrètement  dans  ce  but. 

Disons  donc  que  plusieurs  personnages  arrivèrent  devant  Alvarado 
avec  leurs  présents.  Après  lui  avoir  rendu  hommage  à  leur  manière, 
ils  lui  demandèrent  le  pardon  de  leurs  manœuvres  passées  et  s'offri- 
rent pour  vassaux  de  Sa  Majesté,  le  priant  de  vouloir  bien  venir  avec 
eux  dans  leur  grand  village,  situé  au  centre  d'autres  peuplades,  et 
placé  en  un  lieu  paisible  où  ils  pourraient  lui  offrir  leurs  services.  Pe- 
dro de  Alvarado  les  reçut  très-affectueusement  sans  se  douter  le  moins 
du  monde  de  leurs  ruses.  Après  leur  avoir  reproché  qu'ils  nous  eus- 
sent reçus  en  ennemis,  il  accepta  leurs  propositions  de  paix,  et  le 
lendemain  il  les  suivit  à  Utatlan  avec  toute  son  armée.  Ce  fut  en  s'y 


600  CONQUETE 

introduisant  qu'il  reconnut, la  force  de  cette  place.  Elle  avait  en  effet 
deux  portes,  dont  l'une  donnait  accès  à  la  ville  après  avoir  monté  un 
escalier  de  vingt-cinq  marches.  L'autre  porte  terminait  une  chaussée 
très-mauvaise  et  détériorée  en  maint  endroit.  Les  maisons  étaient  join- 
tes l'une  à  l'autre  et  les  rues  fort  étroites.  Il  n'y  avait,  dans  la  place, 
ni  femme  ni  enfant  ;  des  ravins  l'entouraient.  Du  reste,  on  ne  pour- 
voyait nos  troupes  de  vivres  que  tard  et  fort  mal  ;  les  caciques  parais- 
saient fort  changés  dans  leur  langage  à  notre  égard. 

Des  Indiens  de  Quetzaltenango  avertirent  Pedro  de  Alvarado  qu'on 
devait  tuer  les  Espagnols  dans  le  bourg  cette  nuit  même  s'ils  y  res- 
taient, que  dans  ce  but  on  avait  posté  dans  les  ravins  un  grand 
nombre  de  guerriers,  avec  le  dessein,  aussitôt  qu'on  aurait  mis  le 
feu  aux  maisons,  de  se  joindre  aux  habitants  d'Utatlan  et  de 
tomber  sur  nos  hommes  de  deux  côtés  à  la  fois,  dans  l'espoir 
que,  le  feu  et  la  fumée  les  aveuglant,  on  les  brûlerait  vifs  tous  en- 
semble. Pedro  de  Alvarado,  comprenant  le  danger  où  il  était,  fit  avertir 
ses  capitaines  et  toute  l'armée  qu'il  fallait  à  l'instant  gagner  la  cam- 
pagne ;  il  leur  expliqua  bien  les  risques  qu'ils  couraient  et  qu'ils 
comprirent  à  merveille.  Ils  s'empressèrent  donc  de  se  rendre  à  une 
plate-forme  avoisinant  les  ravins,  car,  au  milieu  de  si  mauvais  pas- 
sages, ils  n'avaient  pas  la  facilité  d'arriver  vite  à  la  plaine.  En  atten- 
dant, Pedro  de  Alvarado  ne  cessa  pas  un  instant  de  se  montrer  plein 
de  bienveillance  avec  les  caciques  et  les  principaux  personnages  du 
lieu  et  de  tout  le  district.  Il  leur  disait  qu'à  cause  de  la  coutume  des  che- 
vaux de  paître  en  liberté  à  certaine  heure  du  jour,  il  se  voyait  obligé  de 
sortir  du  village,  où  les  maisons  rapprochées  laissaient  peu  de  place 
dans  les  rues.  Les  caciques,  du  reste,  firent  paraître  leur  dépit  en  les 
voyant  sortir.  Mais  le  moment  arriva  où  Pedro  de  Alvarado  ne  put 
se  contenir  sur  la  trahison  qu'ils  méditaient  et  les  bataillons  qu'on 
avait  réunis  dans  les  ravins.  Il  fit  arrêter  le  cacique  du  village  et  il 
avait  déjà  ordonné  d'en  faire  justice  en  le  brûlant  vif,  lorsque  fray 
Bartolomé  de  Olmedo,  dans  le  dessein  de  lui  révéler  et  proclamer  la 
foi  de  Jésus-Christ  pour  lui  administrer  le  baptême,  demanda  un 
jour  de  sursis.  A  la  vérité,  il  n'y  parvint  même  pas  en  deux  jours; 
mais  enfin  Jésus  permit  que  le  cacique  se  fît  chrétien  :  le  moine  le 
baptisa,  et  il  demanda  et  obtint  d'Alvarado  qu'on  ne  le  brûlât  pas, 
mais  qu'on  le  pendît.  Le  général  confirma  dans  son  fils  la  dignité  de 
cacique,  et,  cela  fait,  s'éloignant  des  ravins,  il  gagna  la  plaine  où  il 
fallut  en  venir  aux  mains  avec  les  bataillons  qui  avaient  été  apostés 
dans  ce  but.  Après  avoir  exercé  contre  nos  troupes  ses  forces  et  son 
mauvais  vouloir,  l'ennemi  fut  mis  en  pleine  déroute. 

Nous  dirons  maintenant  qu'en  ce  même  temps  on  sut  dans  une 
grande  ville  appelée  Guatemala  les  batailles  que  Pedro  de  Alvarado 
avait  eu  à  soutenir  après  être  entré  dans  cette  province;  qu'il  avait 


DE  LA  NOUVELLE-ESPAGNE.  601 

été  vainqueur  dans  toutes  les  rencontres  ;  qu'en  ce  moment  il  se 
trouvait  dans  les  dépendances  d'Utatlan  et  que  de  là  il  faisait  des 
incursions  et  dirigeait  ses  attaques  contre  les  villages  environnants. 
Gomme  les  habitants  d'Utatlan  et  leurs  vassaux  étaient  ennemis  des 
Guatémaltèques,  ceux-ci  résolurent  d'envoyer  des  émissaires  à  Pedro 
de  Alvarado  avec  des  présents  en  or  et  de  se  déclarer  les  vassaux  de 
Sa  Majesté,  faisant  dire,  du  reste,  que  si  Ton  avait  besoin  d'utiliser 
leurs  personnes  pour  cette  guerre,  ils  s'empresseraient  de  venir. 
Pedro  de  Alvarado  les  reçut  volontiers  et  leur  fit  rendre  grâces  pour 
leurs  offres.  Le  général,  afin  de  s'assurer  de  leur  franchise,  et  aussi 
pour  avoir  des  guides  dans  un  pays  qu'il  ne  connaissait  pas,  leur  fit 
demander  deux  mille  hommes  armés,  afin  qu'en  arrivant  dans  les 
ravins  et  dans  les  mauvais  pas  où  les  routes  étaient  coupées  et  le 
passage  impossible  à  nos  hommes,  ces  auxiliaires  les  pussent  aplanir 
si  cela  devenait  nécessaire,  et  qu'en  tout  cas  ils  servissent  à  porter  le 
bagage.  Immédiatement  les  Guatémaltèques  les  envoyèrent  avec  leurs 
capitaines. 

Pedro  de  Alvarado  resta  sept  ou  huit  jours  dans  la  province  d'Utat- 
lan, faisant  des  expéditions  contre  des  villages  rebelles  qui  s'étaient 
soulevés  après  avoir  juré  obéissance  à  Sa  Majesté.  On  marqua  au  fer 
des  hommes  esclaves  et  beaucoup  d'Indiennes,  et,  après  avoir  prélevé 
le  quint  royal,  on  en  répartit  le  reste  entre  les  soldats.  Pedro  de 
Alvarado  s'en  fut  ensuite  à  la  ville  de  Guatemala  où  il  fut  bien 
accueilli  et  bien  logé.  Après  leur  arrivée,  comme  Alvarado  contait  à 
fray  Bartolomé  de  Olmedo  et  à  ses  capitaines  que  jamais  il  ne  s'était 
vu  dans  un  embarras  aussi  grand  que  lors  des  batailles  avec  les  gens 
d'Utatlan  qui  étaient  intraitables,  bons  guerriers,  ajoutant  qu'on  avait 
fait  un  bon  butin,  fray  Bartolomé  répondit  que  c'était  Dieu  qui  avait 
fait  toute  chose  et  que,  pour  qu'il  leur  fît  la  grâce  de  les  appuyer 
désormais,  il  ne  serait  pas  mal  de  le  remercier  et  de  célébrer  une 
grande  fête  en  l'honneur  du  bon  Dieu  et  de  sa  Mère;  tout  le  monde 
entendrait  la  messe  et  il  ferait  un  sermon  aux  Indiens.  Alvarado  et 
ses  capitaines  répondirent  au  Père  que  c'était  juste  et  qu'il  fallait 
faire  une  fête  à  la  Vierge.  On  bâtit  un  autel.  En  un  jour  et  demi 
tous  se  confessèrent,  le  moine  leur  donna  la  communion  et  après  la 
messe  il  prononça  un  sermon.  Il  y  avait  là  un  très-grand  nombre 
d'Indiens  auxquels  le  moine  fit  une  longue  instruction  sur  notre 
foi,  disant  maintes  choses  conformes  à  la  théologie,  que  le  Frère 
connaissait,  dit-on,  à  merveille.  Il  plut  à  Dieu  que  plus  de  trente 
Indiens  voulussent  être  baptisés.  Le  moine  les  baptisa,  en  effet,  deux 
jours  après.  Plusieurs  autres  désirèrent  en  faire  autant,  après  avoir 
vu  que  nos  hommes  entraient  en  communication  plus  facile  avec  les 
baptisés,  qui  se  montraient  généralement  très-satisfaits  d'Avarado. 

Les  caciques  de  cette  ville  apprirent  au  général  que  près  de  là,  au 


602  CONQUÊTE 

bord  d'une  lagune,  il  y  avait  des  villages  en  possession  d'un  penol 
très- Lien  fortifié.  Les  habitants,  qui  étaient  leurs  ennemis,  leur  fai- 
saient souvent  la  guerre.  Étant  peu  éloignés,  du  reste,  ils  savaient 
fort  bien  que  Pedro  de  Alvarado  était  là;  s'ils  ne  venaient  pas  jurer 
obéissance  comme  les  autres  villages,  c'est  qu'ils  étaient  méchants  et 
gens  de  fort  mauvaises  qualités.  Ce  village  s'appelle  Atitlan.  Pedro 
de  Alvarado  les  fit  prier  de  venir  faire  leur  soumission,  leur  assurant 
qu'ils  seraient  par  lui  bien  traités  et  ajoutant  beaucoup  d'autres  pro- 
pos doucereux.  Ils  maltraitèrent  les  messagers  pour  toute  réponse. 
Voyant  le  mauvais  succès  de  cette  première  démarche,  Alvarado  en- 
voya d'autres  émissaires  pour  leur  parler  de  soumission.  11  renou- 
vela trois  fois  la  tentative  et  trois  fois  il  en  reçut  des  paroles  inso- 
lentes. 

Alors  Pedro  de  Alvarado  résolut  de  marcher  contre  eux;  il  emmena 
environ  cent  quarante  soldats,  dont  vingt  arbalétriers  ou  fusiliers,  et 
quarante  hommes  à  cheval,  auxquels  il  adjoignit  deux  mille  Guaté- 
maltèques. En  arrivant  près  du  village,  il  lui  fit  encore  proposer  la 
paix,  mais  on  lui  répondit  par  l'arc  et  la  flèche.  A  peu  de  distance 
de  là,  tandis  qu'il  marchait  en  enfonçant  dans  l'eau,  deux  gros  batail- 
lons indiens  se  portèrent  à  sa  rencontre  avec  de  longues  lances,  d'ex- 
cellents arcs  et  flèches  et  d'autres  armes  en  grand  nombre,  couverts 
d'ailleurs  de  cuirasses,  battant  leurs  atabales  et  portant  des  panaches 
ainsi  que  des  devises.  Le  combat  dura  quelques  instants  ;  plusieurs 
de  nos  soldats  furent  blessés;  mais  l'ennemi  ne  résista  pas  long- 
temps ;  il  prit  la  fuite,  cherchant  un  refuge  sur  le  penol.  Pedro  de 
Alvarado  poursuivit  les  vaincus  et  leur  prit  ie  penol  sans  retard,  leur 
tuant  beaucoup  de  monde  et  leur  faisant  un  grand  nombre  de  blessés; 
il  y  en  eût  même  eu  davantage  s'ils  ne  s'étaient  jetés  tous  à  l'eau  et 
n'avaient  passé  dans  une  petite  île  non  loin  de  là.  On  mit  à  sac  les 
maisons  qui  s'élevaient  près  de  la  lagune,  et,  cela  fait,  les  Espagnols 
furent  s'installer  au  milieu  d'une  plaine  plantée  de  maïs  où  ils  passè- 
rent la  nuit.  Le  lendemain  de  bonne  heure,  ils  se  rendirent  au  village 
d'Atitlan  qu'ils  trouvèrent  abandonné.  Alvarado  ordonna  de  courir  la 
campagne  et  de  pénétrer  dans  Jes  nombreux  enclos  de  cacaoyers.  On  ]ui 
amena  deux  personnages  du  bourg,  qu'on  venait  d'arrêter;  il  les  joi- 
gnit à  ceux  qu'on  avait  pris  la  veille  et  les  envoya  pour  qu'ils  eussent 
à  conseiller  aux  autres  caciques  de  se  soumettre,  promettant  qu'ils 
seraient  par  lui  honorés  et  considérés  et  s'engageant  à  rendre  tous 
les  prisonniers.  Il  ajoutait  que  dans  le  cas  où  ils  refuseraient  de  se 
présenter,  il  leur  ferait  la  guerre  comme  aux  habitants  de  Quetzalte- 
nango  et  d'Utatlan,  qu'il  leur  couperait  les  plants  de  cacaos  et  leur 
causerait  tous  les  dommages  possibles.  Toujours  est-il  que  par  ces 
paroles  et  ces  menaces  il  obtint  qu'ils  se  soumissent  sans  retard, 
qu'ils  offrissent  un  présent  en  or  et  se  donnassent  pour  vassaux  de  Sa 


DE  LA  NOUVELLE-ESPAGNE.  603 

Majesté.  Gela  fait,  Pedro  de  Alvarado  s'en  revint  à  Guatemala  avec 
son  armée. 

Fray  Bartolomé  de  Olmedo  s'occupait  de  prêcher  aux  Indiens  la 
sainte  foi;  il  disait  la  messe  sur  un  autel  qu'on  venait  d'élever,  sur- 
monté d'une  croix  que  les  naturels  adoraient  en  imitant  nos  propres 
adorations.  Le  moine  plaça  là  également  une  sainte  Vierge  apportée 
par  Garay  et  que  celui-ci  lui  avait  donnée  à  l'heure  de  sa  mort.  Elle 
était  petite,  mais  très-belle.  Les  Indiens  s'en  étaient  épris.  Frav 
Bartolomé  leur  expliquait  ce  qui  la  concerne,  et  ils  l'adoraient.  Alva- 
rado passa  quelques  jours  sans  faire  rien  autre  chose  que  ce  que  j'ai 
conté.  Pendant  ce  temps,  tous  les  villages  du  district  et  quelques 
autres  de  la  côte  du  sud,  habités  par  les  Pipiles,  vinrent  présenter 
leur  soumission.  Ils  se  plaignaient  que  sur  la  route  par  où  ils  devaient 
passer  se  trouvait  un  village  du  nom  d'Izquintepeque,  appartenant  à 
de  fort  mauvaises  gens  qui  ne  leur  permettaient  pas  de  traverser 
leurs  terres  et  allaient  mettre  à  sac  leurs  demeures,  avec  bien  d'autres 
choses  sur  lesquelles  on  formula  des  griefs.  Pedro  de  Alvarado  fit 
appeler  ces  insoumis,  mais  ils  se  refusèrent  à  venir;  bien  plus,  ils 
adressèrent  des  paroles  arrogantes  au  général,  qui  se  décida  à  mar- 
cher contre  eux  avec  la  plupart  de  ses  soldats,  des  cavaliers,  des  esco- 
pettiers  ou  arbalétriers  et  un  grand  nombre  d'alliés  de  Guatemala.  Il 
leur  tomba  dessus  un  matin  à  l'improviste,  leur  causant  les  plus 
grands  dommages  et  faisant  un  butin  considérable.  Gela  fut  très- 
répréhensible.  Il  eût  mieux  valu  ne  pas  le  faire  et  suivre  bien  plutôt 
les  règles  de  la  justice  en  se  conformant  aux  ordres  de  Sa  Majesté. 

Et  puisque  j'ai  cru  devoir  raconter  la  conquête  et  la  pacification  de 
Guatemala  ainsi  que  de  ses  provinces,  je  dirai  qu'un  habitant  de  ces 
pays,  parent  d'Alvarado,  appelé  lui-même  Gonzalo  de  Alvarado,  expli- 
que tous  ces  faits  d'une  manière  complète  dans  des  mémoires  où  mes 
lecteurs  verront  ces  événements  plus  au  long  avec  tout  ce  qui  manque 
à  mon  récit.  Je  crois  devoir  m'exprimer  ainsi,  parce  que  je  ne  fus  pas 
à  cette  expédition  et  que  je  n'ai  visité  ces  provinces  qu'en  1524,  épo- 
que où  elles  furent  entièrement  soulevées.  Ce  fut  lorsque  nous  reve- 
nions des  Higueras  et  de  Honduras  avec  le  capitaine  Luis  Marin,  en 
route  pour  retournera  Mexico.  Nous  eûmes  alors  quelques  rencontres 
avec  des  habitants  de  Guatemala.  Ils  avaient  pratiqué  beaucoup  de 
tranchées,  coupant  le  rocher  pour  nous  empêcher  de  passer  à  travers 
des  ravins  profonds;  et  même,  entre  les  villages  de  Juanagazapa  et 
Petapa,  en  des  failles  profondes,  nous  fûmes  retenus  deux  jours  par 
des  combats  que  nous  livrèrent  les  naturels.  J'y  fus  blessé  d'une 
flèche,  mais  légèrement.  Nous  le  traversâmes  enfin,  quoiqu'à  grand'- 
peine,  malgré  la  présence  dans  ce  mauvais  pas  d'un  grand  nombre  de 
guerriers  de  Guatemala  et  autres  villages. 

Je  laisserai  ce  sujet  pour  le  présent,  parce  qu'il  y  a  beaucoup  à  en 


604.  CONQUÊTE 

dire  et  qu'il  faudra,  quand  il  en  sera  temps,  que  je  fasse  mémoire  de 
quelques  autres  faits  qui  s'y  rapportent  et  qui  se  passèrent  à  l'époque 
où  l'on  disait  que  Cortès  et  nous  tous  qui  avions  été  avec  lui  aux 
Higueras  avions  péri  dans  l'expédition.  Nous  en  resterons  donc  là, 
pour  le  moment,  afin  de  parler  de  la  flotte  que  Cortès  envoya  aux 
Higueras  et  à  Honduras.  Mais  auparavant,  je  veux  faire  observer  que 
les  Indiens  de  Guatemala  n'étaient  point  de  vrais  guerriers.  Ils  ne 
tenaient  bon  que  dans  les  ravins,  leurs  flèches  ne  faisaient  aucun 
mal  et  ils  n'attendaient  jamais  le  choc   en  rase   campagne. 


CHAPITRE  GLXV 

i 

Comme  quoi  Cortès  envoya  une  flotte  pour  conquérir  et  pacifier  les  provinces  de 
Higueras  et  de  Honduras,  choisissant  Christoval  de  Oli  pour  capitaine  général  de 
l'expédition.  Ce  qui  advint  je  vais  le  dire  à  la  suite. 

Cortès  reçut  donc  la  nouvelle  qu'il  y  avait  des  districts  très-riches 
et  de  bons  gisements  miniers  à  Higueras  et  Honduras.  Des  pilotes 
qui  avaient  été  dans  le  pays,  ou  non  loin  de  là,  lui  avaient  même  fait 
croire  qu'ils  avaient  rencontré  des  Indiens  péchant  dans  l'eau  de  mer 
et  que,  retournant  leurs  filets,  ils  avaient  remarqué  qu'au  lieu  de 
plomb  les  poids  nécessaires  à  la  pêche  étaient  en  or  mêlé  de  cuivre. 
Ils  dirent  aussi  qu'en  ce  lieu  se  trouvait  un  détroit  au  moyen  duquel 
on  passait  de  la  côte  du  nord  à  celle  du  sud.  Nous  sûmes  aussi  que 
Sa  Majesté  avait  écrit  à  Cortès  pour  le  charger,  lui  ordonner  même 
de  s'enquérir,  avec  zèle  et  sollicitude,  et  de  tâcher  de  découvrir  par 
tous  les  moyens  s'il  y  aurait  un  détroit,  un  port,  un  endroit  quel- 
conque pour  les  épices.  Soit  donc  qu'il  voulût  se  mettre  à  la  recherche 
de  ce  détroit,  soit  qu'il  fût  mû  par  l'idée  de  l'or,  Cortès  résolut  d'en- 
voyer, comme  commandant  d'une  expédition  dans  ce  pays,  Christoval 
de  Oli  qui  était  mestre  de  camp  à  la  prise  de  Mexico  et  marié  avec 
une  Portugaise  appelée  doîîa  Felipa  de  Araujo,  dont  j'ai  déjà  parlé. 
Il  faisait  choix  de  ce  chef  parce  que  c'était  une  de  ses  créatures, 
tenant  tout  de  sa  main.  Il  avait  eu  d'ailleurs  de  très-bons  Indiens  en 
partage  près  de  Mexico  :  toutes  raisons  qui  faisaient  croire  à  Cortès 
qu'il  lui  serait  fidèle.  Comme  au  surplus  un  si  long  voyage  par  terre 
n'était  pas  sans  inconvénient  au  point  de  vue  des  fatigues  et  des  frais, 
notre  général  fut  d'avis  de  faire  l'expédition  par  mer,  les  embarras  et 
le  coût  devenant  ainsi  moins  considérables.  Il  donna  donc  à  Oli  cinq 
navires  et  unbrigantin  bien  armés,  bien  pourvus  de  poudre  et  soigneu- 
sement approvisionnés.  Il  lui  confia  trois  cent  soixante-dix  soldats 
dont  cent  hommes  d'arbalète  etd'cspingole,  ainsi  que  vingt  chevaux. 
Dans  le  nombre  il  y  avait  cinq  de  nos  conquistadores  venus  dès  le 


DE   LA    NOUVELLE-ESPAGNE.  605 

début  avec  Cortès,  qui  avaient  très-bien  servi  Sa  Majesté  dans  toutes 
les  conquêtes  et  possédaient  déjà  leurs  maisons  et  un  avoir  de  tout 
repos;  et  j'en  fais  mention  parce  qu'il  ne  servait  à  rien  de  dire  à 
Gortès:  «Seilor,  permettez  que  je  me  repose;  je  suis  fatigué  de 
servir;  »  il  fallait  marcher  par  force  où  il  commandait  d'aller.  Oli 
emmena  avec  lui  un  certain  Briones,  natif  deSalamanca,  qui  fut  capi- 
taine de  brigantin  et  soldat  en  Italie.  C'était  un  homme  remuant,  fort 
ennemi  de  Gortès.  Ghristoval  de  Oli  emmena  encore  d'autres  hommes 
qui  n'étaient  pas  non  plus  au  mieux  avec  le  chef  de  la  conquête,  parce 
qu'ils  disaient  n'avoir  pas  à  s'en  louer  au  sujet  de  la  distribution  des 
Indiens  et  du  partage  du  butin  en  or;  aussi  n'aimaient-ils  point  le 
général. 

Quoi  qu'il  en  soit,  Gortès  leur  donna  pour  instructions  qu'on  irait 
de  la  Villa  Rica  à  la  Havane  où  l'on  trouverait  Alonso  de  Contreras, 
vieux  soldat  de  Gortès,  natif  de  Orgaz,  qui  avait  emporté  six  mille 
piastres  pour  acheter  des  chevaux,  de  la  cassave,  des  porcs  et  des 
salaisons,  ainsi  que  plusieurs  autres  choses  utiles  à  une  expédition. 
Gortès  l'avait  envoyé  avant  Ghristoval  de  Oli,  parce  qu'il  avait  eu  la 
la  crainte  que  les  Havanais,  en  voyant  la  flotte,  ne  voulussent  vendre 
plus  cher  les  chevaux  et  tous  les  autres  approvisionnements.  Il  or- 
donna à  Ghristoval  àa  Oli  de  prendre,  en  passant  à  la  Havane,  les 
chevaux  dont  Contreras  aurait  fait  l'acquisition,  puis  de  se  diriger 
vers  les  Higueras  qui  en  étaient  rapprochées,  et  pour  lesquelles  la 
traversée  était  généralement  facile.  L'ordre  de  Cortès  était  qu'après 
avoir  débarqué,  Oli  cherchât  à  obtenir  la  soumission  des  naturels  de 
ces  provinces,  par  la  douceur  et  sans  verser  le  sang,  en  même  temps 
qu'il  s'efforcerait  de  fonder  une  ville  sur  un  bon  port.  Il  devait  aussi 
rechercher  les  gisements  d'or  et  d'argent,  s'enquérir  s'il  existait  un 
détroit  et  quel  port  il  y  avait  sur  la  côte  sud,  si  décidément  il  y  allait. 
Il  lui  adjoignit  deux  prêtres,  dont  l'un  savait  la  langue  mexicaine,  et 
lui  recommanda  que,  sans  perdre  de  temps,  on  prêchât  aux  Indiens 
les  vérités  relatives  à  notre  sainte  foi,  qu'on  ne  leur  permît  point  les 
vices  contre  nature  et  les  sacrifices,  dont  on  chercherait  avec  douceur  les 
moyens  d'arracher  la  coutume  ;  qu'on  détruisît  toutes  les  cages  en  bois 
où  les  Indiens  engraissaient  des  hommes  et  des  femmes  destinés  à 
être  mangés;  qu'on  les  mît  en  pièces  en  rendant  la  liberté  à  ces  pauvres 
prisonniers.  Oli  reçut  enfin  l'ordre  de  planter  des  croix  partout.  Gor- 
tès lui  donna  un  grand  nombre  d'images  de  Notre  Dame  pour  qu'el- 
les fussent  placées  dans  les  villages,  et  il  lui  adressa  ces  parole's  : 
«  Ghristoval  de  Oli,  mon  fils,  attention  à  tout  faire  comme  je  vous 
l'ai  dit.  » 

Après  que  tous  deux  se  furent  donné  le  baiser  d'adieu  de  la  ma- 
nière la  plus  cordiale,  Ghristoval  de  Oli  prit  congé  de  Cortès  et  de 
toute  sa  maison.  Il  se  rendit  à  la  Villa  Rica  où   la   ilotte  était  très- 


603  CONQUÊTE 

bien  préparée  pour  le  départ,  et,  à  une  certaine  date  dont  je  ne  me 
souviens  plus1,  il  s'embarqua  avec  tout  son  monde.  Le  beau  temps 
favorisa  son  arrivée  à  la  Havane  où  il  trouva  que  Ton  avait  acheté  les 
chevaux  et  tout  l'approvisionnement.  Il  y  rencontra  cinq  soldats  que 
Diego  de  Ocampo  avait  chassés  du  Panuco  parce  que  c'étaient  de 
vrais  bandits  très-turbulents.  J'ai  déjà  dit  quelques-uns  de  leurs 
noms  dans  le  chapitre  qui  traite  de  la  pacification  du  Panuco,  et  je 
crois  inutile  de  les  nommer  ici  de  nouveau.  Le  fait  est  qu'ils  donnè- 
rent à  Christoval  de  Oli  le  conseil  de  se  soulever  contre  le  général, 
et  cela  sans  retard,  puisqu'il  allait  en  un  pays  qui  avait  la  répu- 
tation d'être  riche,  avec  une  bonne  flotte  bien  approvisionnée,  à  la 
tête  de  cavaliers  et  de  bons  soldats  ;  ils  l'engageaient  à  cesser  dès 
lors  de  regarder  Gortès  comme  son  chef  et  d'avoir  recours  à  lui  pour 
n'importe  quelle  affaire.  Briones,  dont  j'ai  parlé  antérieurement,  avait 
déjà  fait  en  secret  les  mêmes  insinuations  à  Christoval  de  Oli,  ainsi 
qu'au  gouverneur  de  cette  île,  ennemi  mortel  de  Gortès  et  qui,  je  l'ai 
dit  bien  des  fois,  s'appelait  Diego  Velasquez.  Celui-ci  vint  au  port 
où  se  trouvait  la  flotte.  Il  fut  alors  convenu  que  tous  deux  s'empa- 
reraient du  pays  des  Higueras  et  de  Honduras  pour  Sa  Majesté  et 
au  nom  du  Roi  pour  Christoval  de  Oli,  à  condition  que  Diego  Ve- 
lasquez pourvoirait  l'expédition  du  nécessaire  et  ferait  agir  en  Cas- 
tille,  pour  qu'on  lui  attribuât  le  commandement  du  pays.  Telle  fut 
l'association  formée  au  sujet  de  la  flotte. 

Je  veux  dire  ici  maintenant  quelles  étaient  les  qualités  d'Oli  et 
l'aspect  de  sa  personne.  Il  était  intrépide  à  pied  et  à  cheval,  extrême- 
ment résolu,  mais  bien  plus  fait  pour  recevoir  des  ordres  que  pour 
commander  aux  autres.  Il  avait  trente-six  ans  et  il  était  natif  des 
environs  de  Baeza  ou  de  Linares.  Il  était  de  haute  taille,  fortement 
membre,  large  d'épaules,  de  bonne  tournure,  un  peu  blond,  d'un 
bel  aspect  de  visage,  bien  qu'ayant  la  lèvre  inférieure  fendue  et 
comme  partagée  par  une  fissure.  Il  avait  la  voix  forte  et  parlait  d'un 
ton  imposant  ;  sa  conversation  était  agréable,  et,  entre  autres  quali- 
tés, il  était  généreux.  Au  commencement  de  l'expédition  il  se  montra 
des  meilleurs  serviteurs  de  Cortès,  mais  l'ambition  de  commander  et 
de  ne  plus  recevoir  d'ordres  l'aveugla.  Ajoutez  à  cela  les  mauvais 
conseils  et  aussi  cette  circonstance  qu'il  avait  été  employé  dans  la 
maison  de  Diego  Velasquez,  lorsqu'il  était  plus  jeune  et  qu'il  exerçait 
l'emploi  d'interprète  dans  l'île  de  Cuba.  Il  se  souvint  donc  du  pain 
dont  il  s'était  nourri  dans  cette  famille,  quoiqu'on  réalité  il  eût  dû  se 
reconnaître  l'obligé  de  Gortès  plus  que  de  Diego  Velasquez. 

Cet  accord  étant  fait,  plusieurs  habitants  de  l'île  de  Cuba,  ceux 
surtout  qui   lui  conseillèrent   cette   défection ,  s'embarquèrent  avec 

1.  Ce  fut  en  1523. 


DE  LA  NOUVELLE-ESPAGNE.  607 

Christoval  de  Oli.  Gomme  il  n'avait  plus  rien  à  faire  dans  l'île  au 
sujet  de  ses  bâtiments,  son  approvisionnement  étant  terminé,  il  or- 
donna à  toute  sa  flotte  de  faire  voile  et  il  fut  débarquer  avec  beau 
temps  dans  une  anse  située  à  quinze  lieues  du  port  de  Gaballos.  Il  y 
arriva  le  troisième  jour  de  mai  et  pour  cette  raison  il  donna  à  la  ville 
qu'il  y  fonda  le  nom  de  Triomphe  de  la  Croix.  Il  nomma  pour  ses 
alcaldcs  et  regidores  les  soldats  que  Gortès  lui  avait  désignés  à  Mexico 
comme  devant  être  par  lui  honorés  et  pourvus  d'emplois.  Il  prit  pos- 
session du  pays  pour  Sa  Majesté,  et  pour  Fernand  Gortès  au  nom  du 
Roi. 

Ces  mesures  étaient  prises  de  la  sorte  pour  que  les  amis  de  Gortès 
ne  pussent  pas  croire  qu'il  se  conduisait  en  rebelle,  et  afin  de  tâcher 
de  s'en  faire  des  alliés  pour  le  jour  où  ils  seraient  mis  au  courant  des 
choses.  Il  faut  dire  encore  qu'il  ignorait  si  le  pays  serait  aussi  riche 
en  mines  qu'on  l'avait  dit.  Il  visait  donc  à  deux  buts  à  la  fois,  c'est-à- 
dire  que  si  l'on  trouvait  de  bonnes  mines  et  que  le  pays  fût  riche  et 
bien  peuplé,  on  se  soulèverait  avec  la  contrée;  tandis  que  si  les 
choses  prenaient  une  moins  bonne  tournure,  il  s'en  retournerait  à 
Mexico  rejoindre  sa  femme,  reprendre  ses  possessions  et  se  disculper 
vis-à-vis  de  Gortès  en  prétendant  que,  s'il  s'était  ainsi  conduit  avec 
Diego  Yelasquez,  ce  n'était  que  pour  en  obtenir  des  provisions  et  des 
hommes,  sans  songer  aucunement  à  s'entendre  avec  lui  en  quoi  que 
ce  fût;  qu'on  avait,  du  reste,  bien  pu  le  voir,  puisqu'il  avait  pris  pos- 
session du  pays  au  nom  de  Gortès.  Telles  furent  donc  ses  arrière- 
pensées,  ainsi  que  l'attestaient  beaucoup  de  ses  amis  avec  lesquels 
il  s'en  était  expliqué.  Laissons  pour  un  moment  Triomphe  de  la 
Croix  dûment  colonisée  sans  que  Gortès  en  sache  absolument  rien 
pendant  huit  mois;  j'aurai  forcément  à  y  revenir,  et  si  j'abandonne 
ici  cette  affaire,  c'est  pour  dire  ce  qui  nous  arriva  à  Gruazacualco  et 
comme  quoi  Gortès  m'envoya  avec  le  capitaine  Luis  Marin  pacifier  la 
province  de  Ghiapa. 


CHAPITRE  CLXVI 


Comme  quoi  nous  tous  qui  restâmes  pour  colons  du  Guazaeualco  nous  étions  con- 
stamment occupés  à  pacifier  les  provinces  qui  se  soulevaient;  comme  quoi  encore 
Gortès  donna  l'ordre  au  capitaine  Luis  Marin  d'aller  conquérir  et  pacifier  la 
province  de  Chiapa,  et  à  moi  de  marcher  avec  lui  et  avec  fray  Juan  de  las  Va- 
rillas,  moine  de  la  Merced  et  parent  de  Zuazo.  De  ce  qui  arriva  dans  celte  expé- 
dition. 

Nous  étions  donc  en  qualité  de  colons,  dans  le  bourg  de  Guaza- 
eualco, un  grand  nombre  de  vieux  conquistadores  et  de  personnes  de 
qualité;  des  étendues  considérables  de  territoire  se  trouvaient  répar- 


608  CONQUÊTE 

ties  entre  nous  :  c'étaient  la  province  de  Guazacualco  elle-même, 
Gitla,  Tabasco,  Gimatan  et  Chontalpa;  sur  les  hauteurs  des  sierras, 
c'étaient  encore  Cachula,  Zoqué,  Quilenes  jusqu'à  Ginacatan,  Cha- 
mula,  la  ville  de  Ghiapa  des  Indiens,  Papanaustla  et  Pinula;  dans  la 
direction  de  Mexico  c'était  aussi  la  province  de  Xaltepeque,  Guaz- 
paltepeque,  Ghinanta,  Tepeca  et  d'autres  villages.  Il  nous  arriva 
comme  à  la  plupart  des  provinces  de  la  Nouvelle-Espagne,  qui,  au 
début  de  la  conquête,  se  soulevaient  lorsqu'on  allait  demander  les 
tributs;  on  y  tuait  même  les  chefs  des  commanderies  et  on  s'empa- 
rait des  Espagnols  qu'on  pouvait  prendre  sans  danger.  Aucun  de  nos 
districts  ne  fit  défaut  à  la  révolte;  aussi  ne  cessions-nous  jamais 
d'être  organisés  en  bataillon,  allant  de  village  en  village,  occupés  à 
les  pacifier.  Gomme  les  habitants  de  Gimatan  refusaient  de  faire  acte 
de  soumission  en  venant  au  chef-lieu  et  qu'ils  ne  tenaient  nul 
compte  des  ordres  qu'on  leur  adressait,  le  capitaine  Luis  Marin,  ne 
voulant  point  envoyer  contre  eux  un  nombreux  bataillon,  fut  d'avis 
que  quatre  colons  seulement  fussent  traiter  de  la  paix.  On  me  choisit 
pour  l'un  d'eux.  Les  autres  étaient  Rodrigo  de  Enao,  natif  de  Avila, 
un  semi-Basque  appelé  Francisco  Martin  et  un  nommé  Francisco 
Ximenès,  natif  d'Inguixuela  en  Estramadure.  Les  ordres  de  notre 
capitaine  étaient  d'engager  les  Indiens  à  la  paix  en  employant  pour 
cela  des  termes  affectueux  et  bienveillants,  sans  proférer  une  seule 
parole  qui  pût  les  irriter. 

Nous  étions  en  route  vers  cette  province,  dont  les  habitations  se 
trouvent  entourées  de  marais  et  de  grandes  rivières,  lorsque,  arrivés 
à  deux  lieues  du  principal  village,  nous  envoyâmes  des  messagers 
qui  devaient  y  annoncer  notre  arrivée.  Pour  toute  réponse,  trois 
bataillons  d'Indiens  armés  de  lances  et  d'arcs  se  portèrent  contre 
nous.  Du  premier  choc  ils  tuèrent  deux  de  nos  camarades  et  me 
firent  une  blessure  à  la  gorge.  Gomme,  en  ce  moment,  il  m'était 
impossible  de  la  bander  et  d'étancher  le  sang  qui  s'en  écoulait,  ma 
vie  se  trouva  en  un  sérieux  danger.  Quant  à  mon  camarade,  Francisco 
Martin,  qui  n'était  pas  encore  blessé,  voyant  que  nous  n'étions  que 
deux  pour  faire  front  à  nos  ennemis,  bien  que  nous  réussissions  à 
en  blesser  quelques-uns,  il  trouva  bon  de  prendre  la  fuite  et  de  se 
réfugier  dans  des  embarcations  qui  stationnaient  sur  la  rivière  de 
Macapa.  Je  restai  donc  seul  et  grièvement  blessé.  Cherchant  alors  à 
éviter  qu'on  m'achevât,  je  m'enfonçai  entre  des  massifs,  hors  de  moi 
et  à  peu  près  sans  sentiment.  Lorsque  je  repris  mes  sens,  je  m'écriai 
avec  une  ferme  résolution:  «  Que  Notre  Dame  me  protège,  s'il  est 
vrai  que  je  doive  mourir  aujourd'hui,  ici,  au  pouvoir  de  ces  chiens!  » 
Gela  dit,  je  me  ranimai  de  telle  façon  que,  sortant  des  massifs,  je 
tentai  une  trouée  à  travers  les  Indiens  qui,  grâce  à  mes  entailles  et  cà 
mes   coups   d'estoc,  me  laissèrent  glisser  entre  leurs   mains.  A   la 


DP:  LA  NOUVELLE-ESPAGNE.  600 

vérité,  ils  me  blessèrent  encore,  mais  je  pus  réussir  à  gagner  les 
embarcations  où  se  trouvait  déjà  mon  camarade  Francisco  Martin 
avec  quatre  Indiens  alliés,  les  mêmes  que  nous  avions  amenés  pour 
porter  notre  bagage,  et  qui,  nous  voyant  aux  prises  avec  les  Cima- 
tèques,  avaient  abandonné  leur  charge  pour  se  réfugier  sur  la  rivière. 
Ce  qui  précisément  nous  sauva  la  vie,  à  moi  et  à  Francisco  Martin, 
c'est  que  l'ennemi  perdit  du  temps  à  piller  nos  hardes  et  nos  valises. 
Pour  en  finir,  nous  devons  dire  que  Dieu  nous  fit  la  grâce  de  ne  pas 
perdre  la  vie  en  ce  lieu. 

Nous  traversâmes  dans  les  embarcations  cette  rivière,  qui  est 
large,  profonde  et  pleine  de  caïmans.  De  crainte  que  les  Cimatèques 
ne  nous  suivissent,  nous  errâmes  huit  jours  par  les  bois.  La  nouvelle 
de  l'événement  ne  tarda  pas  à  être  connue  à  Gruazacualco.  Les  In- 
diens qui  nous  avaient  accompagnés,  de  même  que  les  quatre  qui 
étaient  restés  dans  les  embarcations,  annoncèrent  que  nous  étions 
morts.  En  voyant  que  deux  de  nous  étaient  blessés  et  deux  autres 
sans  vie,  ils  s'étaient  enfuis,  nous  laissant  dans  la  mêlée,  et  ils  arri- 
vèrent en  peu  de  jours  à  Guazacualco.  Gomme  nous  ne  paraissions 
pas  et  qu'on  n'y  avait  plus  de  nouvelles  de  nous,  on  crut  réellement 
que  nous  étions  morts,  ainsi  que  les  Indiens  l'avaient  annoncé.  Con- 
formément à  la  coutume  qui  existait  alors  dans  les  Indes,  le  capitaine 
Luis  Marin  s'empressa  de  répartir  entre  d'autres  conquistadores  les 
villages  que  nous  possédions;  il  avait  déjà  envoyé  des  messagers 
à  Gortès  pour  lui  demander  les  nouveaux  titres  de  possession; 
notre  avoir  était  vendu,  lorsqu'après  vingt-trois  jours  d'absence 
nous  arrivâmes  à  notre  chef-lieu.  Nos  amis  s'en  réjouirent,  tan- 
dis que  ceux  qui  avaient  déjà  reçu  nos  Indiens  en  conçurent  un  vif 
regret. 

Le  capitaine  Luis  Marin,  voyant  que  nous  ne  réussissions  pas  à 
pacifier  ces  provinces  et  qu'on  tuait  beaucoup  de  nos  soldats,  résolut 
d'aller  à  Mexico  pour  demander  à  Gortès  plus  d'hommes,  d'autres  se- 
cours et  des  munitions  de  guerre.  En  attendant  son  retour,  l'ordre 
nous  était  donné  de  ne  point  sortir  du  bourg  pour  aller  à  d'autres  vil- 
lages éloignés,  et  de  nous  limiter  à  ceux  qui  ne  dépassaient  pas  quatre 
ou  cinq  lieues,  pour  nous  approvisionner  de  vivres.  En  arrivant  à 
Mexico,  il  rendit  compte  à  Gortès  de  tous  les  événements,  et  il  en  re- 
çut l'ordre  de  revenir  à  G-uazacualco  avec  un  secours  de  trente  soldats 
parmi  lesquels  se  trouvaient  Alonso  de  Grrado,  dont  j'ai  déjà  parlé,  et 
fray  Juan  de  las  Varillas,  qui  était  venu  avec  Zuazo.  Celui-ci  disait 
bien  haut  qu'il  avait  fait  ses  grandes  études  dans  son  collège  de 
Santa-Gruz  de  Salamanca,  où  il  naquit;  on  assurait  même  qu'il  était 
de  bonne  et  noble  race.  Gortès  avait  ordonné  à  Marin  de  se  porter, 
avec  tous  les  colons  de  Guazacualco  et  les  nouveaux  soldats  qu'il 
amenait,  sur  la  province  soulevée  de  Ghiapa,  afin  de  la  pacifier  et  d'y 


610  CONQUÊTE 

fonder  une  ville.  Le  capitaine  étant  de  retour  avec  ces  ordres,  nous 
nous  préparâmes  tous  à  faire  campagne,  les  colons  aussi  bien  que  les 
nouveaux  venus.  Nous  commençâmes  par  frayer  des  chemins  à  tra- 
vers des  bois  et  de  mauvais  marécages.  Nous  étendions  sur  ceux-ci 
des  troncs  d'arbres  et  des  branchages,  pour  que  les  chevaux  y  pus- 
sent passer.  Ce  ne  fut  qu'en  surmontant  de  grandes  difficultés  que 
nous  pûmes  arriver  à  un  village  nommé  Tezpuntlan  que  jusqu'alors 
nous  n'avions  pu  atteindre  qu'en  remontant  la  rivière  en  canots, 
parce  qu'il  n'y  avait  pas  de  communication  par  terre. 

De  là  nous  nous  rendîmes  sur  la  sierra  à  un  autre  village  ap- 
pelé Gachula.  Pour  qu'on  ne  puisse  confondre,  je  ferai  observer  que 
ce  Gachula  se  trouve  dans  la  province  de  Ghiapa,  et  je  m'exprime 
ainsi  parce  qu'il  y  a  près  de  Puebla  de  los  Angeles  un  autre  village 
du  même  nom.  Nous  gagnâmes  ensuite  de  petits  hameaux  qui  dépen- 
dent de  Gachula.  Nous  nous  occupâmes  de  nous  frayer  une  route  en 
remontant  le  bord  de  la  rivière  qui  servait  de  communication  avec 
Ghiapa,  parce  qu'il  n'existait  aucun  chemin  par  terre.  Tous  les  habi- 
tants d'alentour  avaient  grande  peur  des  Ghiapanèques,  car  ils 
étaient  en  ce  temps-là  les  meilleurs  guerriers  que  j'eusse  vus 
dans  la  Nouvelle-Espagne,  en  comprenant  même  dans  la  compa- 
raison les  Tlascaltèques,  les  Mexicains,  les  Zapotèques  et  les  Min- 
xes.  Je  puis  bien  en  parler  ainsi  puisque  jamais  Mexico  n'avait 
pu  les  soumettre.  Cette  province  était  alors  très-peuplée;  les  naturels 
en  étaient  extrêmement  belliqueux.  Ils  portaient  sans  cesse  la  guerre 
sur  les  pays  limitrophes,  à  Ginacatan,  à  toutes  les  peuplades  quile- 
nayas  de  la  lagune  et  aux  villages  des  Zoques.  Ils  pillaient  constam- 
ment et  réduisaient  en  captivité  d'autres  peuplades  où  le  butin  était 
facile.  Ils  faisaient,  avec  les  habitants  qu'ils  tuaient,  des  sacrifices  et 
des  bombances.  Sur  les  chemins  qui  conduisent  à  Teguantepeque  ils 
tenaient  embusqués,  en  des  passages  difficiles,  des  guerriers  char- 
gés d'arrêter  les  marchands  indiens  qui  trafiquaient  d'une  province  à 
l'autre.  Aussi  les  communications  s'arrêtaient-elles  quelquefois  entre 
des  pays  voisins.  Ils  avaient  même  obligé  certaines  peuplades  à 
transporter  leur  domicile  près  de  Ghiapa  ;  là,  ils  les  traitaient  en  es- 
claves et  s'en  servaient  pour  faire  leurs  semailles. 

Revenons-en  à  notre  expédition.  C'était  le  temps  du  carême  de 
l'an  1524,  quoique  je  ne  me  rappelle  pas  bien  la  date.  Avant  d'arri- 
ver à  Ghiapa  il  y  eut  une  revue  de  tous  les  cavaliers,  arbalétriers  et 
gens  d'espingole  faisant  partie  de  l'expédition.  Elle  n'avait  pu  se  faire 
plus  tôt,  parce  que  quelques-uns  de  notre  ville  et  d'autres  du  dehors 
ne  s'étaient  pas  encore  réunis  à  nous;  ils  parcouraient  les  villages  de 
la  sierra  de  Gachula,  demandant  les  tributs  que  l'on  était  obligé  de 
leur  payer.  Voyant  qu'un  grand  capitaine  était  là  avec  de  vrais  guer- 
riers pour  Jes  protéger,  ils  osaient  aller  de  toutes  parts  chez  des  In- 


DE  LA  NOUVELLE-ESPAGNE.  611 

diens  qui,  auparavant,    se   refusaient  à  tout  tribut,  parce  qu'ils  ne 
faisaient  pas  le  moindre  cas  de  nous. 

Revenons  à  la  revue.  On  constata  la  présence  de  vingt-sept  cava- 
liers propres  à  la  guerre  et  cinq  autres  inutiles  au  service,  quinze 
arbalétriers,  huit  hommes  d'espingole,  un  canon,  de  la  poudre  et  un 
soldat  artilleur.  Celui-ci  disait  qu'il  avait  été  en  Italie,  et  je  men- 
tionne cette  vanterie  parce  qu'il  ne  valait  pas  grand'chose  et  qu'il  était 
fort  lâche.  Nous  avions,  en  outre,  soixante  soldats  d'épée  et  rondache 
environ  quatre-vingts  Mexicains  et  le  cacique  de  Cachula  avec  quel- 
ques autres  personnages  pris  parmi  les  siens.  Les  Indiens  de  Cachula 
dont  j'ai  parlé  marchaient  en  tremblant  de  peur.  Nous  les  fîmes 
avancer  à  force  de  flatteries,  afin  qu'ils  nous  aidassent  à  ouvrir  la 
route  et  à  porter  le  bagage.  En  avançant  toujours  en  bon  ordre 
voyant  que  nous  approchions  des  villages  ennemis,  quatre  soldats 
dont  je  faisais  partie,  hommes  très-agiles,  marchaient  en  avant  pour 
surveiller  et  découvrir  la  campagne.  J'abandonnai  mon  cheval  et  mis 
pied  à  terre  ;  car  des  cavaliers  ne  pouvaient  nullement  courir  sur  ce 
terrain.  Nous  marchions  avec  une  demi-lieue  d'avance  sur  notre  ar- 
mée. Les  Chiapanèques,  qui  sont  grands  chasseurs,  faisaient  alors  la 
chasse  au  chevreuil.  Ils  nous  virent  approcher  et  aussitôt  ils  s'aver- 
tirent au  moyen  de  grands  signaux  de  fumée.  Quand  nous  arrivâmes 
plus  près  de  leurs  habitations,  nous  vîmes  qu'ils  avaient  de  belles 
routes  et  de  beaux  plants  de  maïs  et  autres  végétaux.  Le  premier  vil- 
lage que  nous  rencontrâmes  s'appelle  Estapa,  à  quatre  lieues  environ 
de  la  capitale.  Les  habitants  l'avaient  abandonné.  Nous  y  trouvâmes 
beaucoup  de  maïs,  des  poules  et  d'autres  provisions  qui  nous  fourni- 
rent l'occasion  d'un  bon  dîner  et  d'un  aussi  bon  souper. 

Tandis  que  nous  reposions  dans  ce  village,  comptant  sur  les  veil- 
leurs, les  sentinelles  et  les  éclaireurs  dont  nous  nous  étions  entourés 
deux  de  nos  cavaliers  qui  couraient  la  campagne  vinrent  nous  donner 
avis  et  jeter  l'alarme,  disant  qu'un  grand  nombre  de  guerriers  chia- 
panèques approchaient.  Toujours  bien  sur  nos  gardes  nous  nous 
portâmes  au-devant  d'eux,  avant  qu'ils  arrivassent  au  village.  Nous 
eûmes  à  soutenir  une  grande  bataille,  car  ils  avaient  beaucoup  de 
pieux  durcis  au  feu,  avec  des  machines  pour  les  lancer  des  arcs  des 
ilèches,  des  lances  plus  longues  que  les  nôtres  et  de  bonnes  armures 
de  coton.  Il  étaient  ornés  de  panaches  et  quelques-uns  portaient  des 
massues  semblables  aux  casse-tête.  Le  sol  du  lieu  où  se  livra  la  ba- 
taille leur  fournissait  des  pierres  en  abondance,  de  sorte  que  les 
frondes  nous  faisaient  le  plus  grand  mal.  Us  nous  environnèrent  de 
telle  sorte  qu'au  premier  choc  ils  tuèrent  deux  de  nos  soldats  et 
quatre  chevaux.  Fray  Juan,  treize  soldats  et  plusieurs  de  nos  alliés 
furent  atteints;  le  capitaine  Luis  Marin  reçut  deux  blessures.  La  ba- 
taille dura  toute  l'après-midi  jusqu'à  ce  qu'il  fît  nuit.  Comme  l'ob- 


612  CONQUÊTE 

scurité  était  grande  et  que  d'ailleurs  l'ennemi  avait  éprouvé  le  fil  de 
nos  épécs,  les  coups  de  nos  escopettes,  de  nos  arbalètes  et  de  nos 
lances,  il  se  replia,  à  notre  plus  grande  joie.  Nous  trouvâmes  quinze 
morts  sur  le  champ  de  bataille  et  plusieurs  blessés  qui  n'avaient  pu 
fuir;  deux  de  ceux-ci,  qui  étaient  des  personnages,  nous  donnèrent 
avis  que  tout  le  pays  était  en  armes,  prêt  à  nous  attaquer  le  lende- 
main. Nous  passâmes  la  nuit  à  enterrer  les  morts  et  à  soigner  les 
blessés,  surtout  notre  capitaine  qui  se  trouvait  fort  mal  de  ses  bles- 
sures et  avait  perdu  beaucoup  de  sang.  Elles  s'étaient  d'ailleurs  re- 
froidies parce  qu'il  n'avait  pas  voulu  se  retirer  de  la  bataille  pour  les 
faire  panser  à  temps. 

Après  avoir  pris  ces  soins,  nous  plaçâmes  des  veilleurs  et  des  sen- 
tinelles et  lançâmes  des  éclaireurs  dans  la  campagne.  Nos  chevaux 
étaient  sellés  et  bridés  et  tous  les  soldats  se  tenaient  prêts,  car  il 
était  certain  que  l'ennemi  tomberait  sur  nous  cette  nuit  même. 
Gomme  d'ailleurs  nous  avions  déjà  pu  voir  son  intrépidité  dans  la 
dernière  bataille,  où  ni  arbalètes,  ni  lances,  ni  espingoles,  ni  estoca- 
des ne  les  pouvaient  faire  reculer,  nous  les  jugions  fort  bons  guer- 
riers et  très-hardis  au  combat.  Un  ordre  du  jour  publié  à  l'instant 
même  réglait  comment,  le  lendemain,  les  cavaliers  devraient  attaquer 
en  se  groupant  de  cinq  en  cinq,  la  lance  un  peu  croisée,  sans  donner 
de  la  pointe  avant  de  meitre  l'ennemi  en  fuite,  mais  bien  l'arme 
haute,  balafrer  les  figures,  bousculer  et  continuer  la  course  en  avant. 
Déjà  Luis  Marin  leur  avait  parlé  bien  d'autres  fois  de  cet  ordre  de 
combat,  et  nous-mêmes  les  vieux  conquistadores  nous  avions  donné 
cet  avis  aux  nouveaux  venus  de  Gastille.  Mais  quelques-uns  de  ceux- 
ci  négligèrent  d'en  profiter;  ils  pensaient  qu'en  donnant  un  bon  coup 
de  pointe  à  leur  adversaire,  ils  faisaient  une  grande  chose.  Malheu- 
reusement quatre  d'entre  eux  arrivèrent  à  un  résultat  contraire,  parce 
que  l'ennemi  porta  la  main  sur  leurs  lances,  s'en  empara  et  s'en  ser- 
vit pour  blesser  leurs  chevaux.  Je  dois  dire  au  surplus  qu'ils  se  réu- 
nissaient six  ou  sept  Indiens  et  entouraient  les  chevaux  de  leurs  bras, 
pensant  les  enlever  à  la  force  du  poignet.  Ils  firent  même  rouler  à 
terre  un  des  cavaliers;  ils  l'auraient  certainement  enlevé  pour  le  sa- 
crifier si  nous  ne  lui  eussions  porté  secours.  Malgré  tout,  il  mourut 
deux  jours  après. 

Quoi  qu'il  en  soit,  le  lendemain  de  bonne  heure,  nous  résolûmes  de 
continuer  notre  route  vers  la  ville  de  Ghiapa;  et  certes  on  pouvait 
bien  la  qualifier  de  ville,  et  de  ville  bien  peuplée  encore,  avec  les 
maisons  et  les  rues  parfaitement  ordonnées.  Elle  possédait  d'ailleurs 
plus  de  quatre  mille  habitants,  sans  compter  plusieurs  autres  peu- 
plades d'alentour  qui  lui  étaient  assujetties.  Nous  marchions  en  bon 
ordre,  le  canon  prêt  à  tirer  cl  l'artilleur  bien  averti  de  ce  qu'il  avait 
à  faire.  A  peine  avions-nous  avancé   d'un  quart  de  lieue  que  nous 


DE  LA  NOUVELLE-ESPAGNE.  613 

nous  trouvâmes  en  présence  de  toutes  les  forces  de  Chiapa;  la  plaine 
ef  les  coteaux  s'en  voyaient  couverts.  Les  guerriers  étaient  munis  de 
panaches  et  de  bonnes  armures;  ils  avaient  de  grandes   lances,  des 
flèches,  des  pieux  avec   leurs   machines  à  les  lancer,  ainsi  que  des 
pierres  et  des  frondes.  Ils  poussaient  des  cris,  des  vociférations,  des 
sifflets  en  se  jetant  sur  nous  avec  une  épouvantable  ardeur,  courant 
combattre  corps  à  corps  comme  des  lions  enragés.  Alors  notre  damné 
artilleur  (et  c'est  bien  damné  qu'on  peut  dire),  pris  de  peur,  trem- 
blant, ne  sut  ni  viser  ni  mettre  le  feu  à  son  canon,  et  lorsque,  à  force 
de  cris  de  notre  part,  il  réussit  à  tirer,  il  blessa  trois  de  nos  soldats 
et  ne  fit  aucun  mal  à  l'ennemi.  Le  capitaine,  voyant  la  situation,  fit 
charger  tous  les  cavaliers  marchant  en  pelotons  ainsi  que  c'était  con- 
venu, tandis  que  les  gens  d'escopette,  les  arbalétriers  et  les  hommes 
d'épée  et  rondache,  se  serrant  en  corps  pour  ne  pas  être  coupés,  nous 
portèrent  un  puissant  secours.  Mais  les  ennemis  qui  se  précipitèrent 
sur  nos  rangs  étaient  si  nombreux  que  tous  autres   que   nous,   qui 
avions  l'expérience  des  grandes  batailles,  en  eussent  été  grandement 
effrayés;  et  nous-mêmes  nous  ne  pouvions  nous  empêcher  d'admirer 
la  fermeté  de  nos  adversaires.  Fray  Juan  nous  encourageait  en  assu- 
rant que  Dieu  et   l'Empereur  récompenseraient  nos  fatigues,  tandis 
que  notre  capitaine  Luis  Marin  nous  disait  :  «  Holà  !  senores,  saint 
Jacques  et  en  avant!  Enfonçons  encore  une  fois  l'ennemi  avec  réso- 
lution. »  Et  aussitôt,  redoublant  nos  efforts,  nous  les  attaquâmes  do 
telle  manière  qu'en  un  instant  nous  leur  fîmes  tourner  le  dos. 

Gomme  le  sol  était  pierreux,  il  ne  se  prêtait  guère  au  mouvement 
de  nos  chevaux;   aussi  la  poursuite  était-elle  difficile.  En  essayant 
d'atteindre  les  fuyards,  cependant,  nous  nous  étions  éloignés  un  peu 
du  champ  de  bataille  en  nous  tenant  fort  peu  sur  nos  gardes,  ren- 
dant grâces  à  Dieu  pour  notre  grand  succès  et  croyant  que  bien  cer- 
tainement l'ennemi  ne   se  rallierait  plus,  au  moins  ce  jour-là.  Et 
pourtant,  derrière  un  groupe  de  rochers  se  cachaient  des  bataillons 
en  plus  grand  nombre  que   les  précédents.   Us   étaient  pourvus  de 
toutes  armes;  plusieurs  d'entre  eux  portaient  des  cordes,  dans  le  but 
de  lacer  nos  chevaux  et  de  les  faire  tomber  ensuite  en  tirant  sur  les 
lacs.  Ils  avaient  préparé  également  et  tendu  en  différents  endroits 
plusieurs  filets  pareils  à  ceux  qui  leur   servent  à  prendre  des  che- 
vreuils, afin  d'en  embarrasser  nos  montures.  Ils   tenaient,  enfin,  en 
réserve  une  bonne  provision  de  cordes  pour  nous  garrotter.  Tous  ces 
bataillons  que  je  viens  de  dire  s'élancent  à  notre  rencontre  et,  nous 
attaquant  comme  de  solides  guerriers,  ils  nous  criblent  de  pieux,  de 
flèches  et  de  pierres,  au  point  de  blesser  encore  une  fois  presque  tous 
nos  hommes.  Ils  prirent  quatre  lances  à  nos  cavaliers  et  tuèrent  deux 
soldats  et  cinq  chevaux.  Ils  emmenaient  au  milieu  d'eux  une  vieille 
Indienne  très-grosse.  Ils  la  tenaient,  disait-on,  pour  une  déesse.  En 


614  CONQUETE 

sa  qualité  de  devineresse,  elle  avait  assuré  qu'aussitôt  qu'elle  arri- 
verait en  personne  à  l'endroit  où  nous  combattrions,  la  victoire  se 
déclarerait  contre  nous.  Elle  portait  de  l'encens  et  des  idoles  de 
pierre  sur  un  de  ses  bras;  son  corps  était  peint  en  entier  et  du  coton 
était  partout  collé  sur  cet  enduit.  Elle  s'élança  sans  la  moindre 
crainte  au  milieu  des  Indiens  nos  alliés  qui  s'avançaient  en  corps 
avec  leurs  commandants.  En  un  moment  la  maudite  déesse  fut  mise 
en  pièces. 

Cependant,  en  voyant  une  si  grande  multitude  de  guerriers  en- 
nemis combattre  avec  une  telle  audace,  le  capitaine  Luis  Marin  et 
nous  tous  en  éprouvâmes  une  grande  surprise.  Après  avoir  prié  le 
moine  de  nous  recommander  à  Dieu,  nous  attaquâmes  dans  l'ordre 
habituel  et,  rompant  peu  à  peu  les  rangs  des  Indiens,  nous  réussîmes 
à  les  faire  fuir.  Les  uns  cherchèrent  un  refuge  dans  des  amas  de  ro- 
chers les  autres  s'élancèrent  dans  la  rivière  voisine  et  s'échappèrent 
à  la  nage,  car  ce  sont  d'excellents  nageurs.  Après  cette  nouvelle  dé- 
route nous  nous  reposâmes  un  moment,  le  moine  chanta  un  Salve 
que  quelques  soldats,  bons  chanteurs,  accompagnèrent  dans  un  très- 
juste  accord,  et  nous  les  imitâmes  tous  en  rendant  grâces  à  Dieu. 
Nous  trouvâmes  le  lieu  où  se  donna  la  bataille  couvert  de  morts  et  de 
blessés  ennemis. 

Nous  convînmes  de  nous  rendre  à  un  village  situé  sur  le  bord  de 
la  rivière  à  peu  de  distance  de  la  capitale.  Il  y  avait  là  d'excellentes 
prunes;  nous  étions,  en  effet,  en  carême,  et  c'est  l'époque  de  la  ma- 
turité de  ce  fruit  qui  réussit  très-bien  en  cet  endroit.  Nous  y  res- 
tâmes la  plus  grande  partie  du  jour  occupés  à  enterrer  les  morts  en 
un  lieu  où  les  naturels  du  pays  ne  pussent  ni  les  voir  ni  les  décou- 
vrir. Nous  pansâmes  les  soldats  blessés  et  dix  chevaux,  et  nous  réso- 
lûmes de  passer  là  la  nuit  en  prenant  la  précaution  de  nous  protéger 
par  des  veilleurs  et  des   espions.    Un  moment    après  minuit,    nous 
vîmes  venir  à  notre  campement  dix  Indiens  de  qualité  provenant  des 
peuplades  qui  avoisinent  la  capitale  de  Chiapa  ;  ils  traversaient  la  ri- 
vière, qui  est  très-profonde  en  cet  endroit,  dans  cinq  embarcations 
dont  ils  maniaient  les  rames  sans  bruit.  C'étaient,  comme  j'ai  dit, 
dix   personnages  indiens   des   villages  placés   sur  la  rive.  Aussitôt 
qu'ils  débarquèrent  de  notre  côté,  ils  furent  arrêtés  par  nos  veilleurs 
et  ils  parurent  s'en  réjouir.  Arrivés  devant  notre  capitaine,  ils  lui  di- 
rent :  «  Senor,  nous  ne  sommes  pas  Chiapanèques  ;  nous   sommes 
natifs  des  provinces  de  Xaltepeque.  Ces  maudits  habitants  de  Chiapa 
nous  ont  tué  beaucoup  de  monde  dans  les  guerres  qu'ils  nous  ont 
faites,  et  ils  ont  emmené  en  captivité  dans  ce  pays  la  plupart  des  sur- 
vivants de  nos  villages  avec  femmes  et  enfants.  Ils  nous  ont  pris  tout 
notre  avoir  et  depuis  douze  ans  ils  nous  tiennent  en  esclavage;  nous 
labourons  leurs  terres  pour  leurs  semailles  et  leurs  plants  de  maïs  ; 


DE  LA  NOUVELLE-ESPAGNE.  615 

ils  nous  forcent  à  aller  à  la  pêche  et  nous  obligent  à  faire  tous  les  mé- 
tiers, tandis  qu'ils  nous  prennent  nos  filles  et  nos  femmes.  Nous  ve- 
nons vous  donner  avis  que  nous  vous  amènerons  cette  nuit  même  un 
grand  nombre  d'embarcations  pour  que  vous  passiez  la  rivière,  chose 
que  vous  ne  pourriez  faire  autrement  sans  grande  difficulté;  nous 
vous  indiquerons  aussi  un  gué  qui,  à  la  vérité,  est  un  peu  profond. 
Mais  ce  que  nous  vous  demandons  en  grâce,  capitaine,  c'est  qu'a- 
près vous  avoir  rendu  ce  service,  lorsque  vous  aurez  décidément 
vaincu  et  défait  ces  Ghiapanèques,  vous  nous  donniez  le  pouvoir  de 
sortir  d'entre  leurs  mains  et  de  retourner  dans  nos  pays.  Pour  que 
vous  ne  doutiez  pas  de  la  vérité  de  nos  paroles,  nous  vous  offrirons 
en  présent  trois  joyaux  d'or  qui  furent  des  diadèmes;  nous  les  tenons 
cachés  dans  les  embarcations  avec  lesquelles  nous  avons  passé  l'eau 
et  qui  sont  actuellement  sur  la  rivière  avec  nos  frères  et  camarades. 
Nous  vous  apportons  aussi  des  poules  et  des  prunes.  » 

Ils  demandèrent  la  permission  d'aller  chercher  ces  objets  bien  en 
silence,  de  peur  d'être  aperçus  par  les  Ghiapanèques  qui  veillaient  et 
gardaient  les  passages  de  la  rivière.  En  entendant  ce  discours  et 
voyant  l'aide  inespérée  qui  lui  arrivait  pour  traverser  ce  puissant  et 
rapide  cours  d'eau,  notre  capitaine  rendit  grâces  à  Dieu,  se  montra 
plein  de  bienveillance  pour  ces  messagers  et  promit  non-seulement  de 
faire  ce  qu'ils  demandaient,  mais  encore  de  leur  donner  des  étoffes  et 
leur  part  des  dépouilles  de  la  capitale.  Il  sut  par  eux  que  dans  les 
dernières  batailles  nous  avions  tué  ou  blessé  plus  de  cent  vingt  Ghia- 
panèques et  que  l'ennemi  avait  préparé  pour  le  lendemain  d'autres 
guerriers  en  grand  nombre.  Ges  émissaires  disaient  encore  qu'on 
obligeait  les  habitants  de  leurs  villages  à  combattre  contre  nous, 
mais  que  nous  n'avions  rien  à  craindre  d'eux,  attendu  qu'ils  étaient 
disposés  à  nous  secourir.  Ils  ajoutaient  que  les  Ghiapanèques  se  dis- 
posaient à  nous  attendre  au  passage  de  la  rivière,  quoiqu'ils  regar- 
dassent comme  impossible  que  nous  eussions  la  pensée  de  l'effec- 
tuer; mais  que  si  nous  en  arrivions  là,  c'était  sur  ce  passage  qu'ils 
comptaient  pour  nous  mettre  en  déroute.  Après  nous  avoir  donné  cet 
avis,  deux  des  Indiens  restèrent  avec  nous  et  les  autres  regagnèrent 
leurs  villages  pour  y  donner  l'ordre  de  nous  amener  de  très-bonne 
heure  vingt  embarcations;  ils  remplirent  ainsi  parfaitement  leurs 
promesses. 

Après  leur  départ,  nous  prîmes  quelque  repos  le  restant  de  la  nuit, 
non  sans  avoir  recours  à  nos  précautions  en  veilleurs,  espions  et 
bonnes  rondes,  parce  que  nous  entendions  déjà  la  rumeur  des  guer- 
riers ennemis  qui  se  rassemblaient  sur  la  rive  au  son  des  trompettes 
et  cornets  et  aux  battements  des  tambours.  Le  jour  se  lit  et  nous 
vîmes  qu'on  nous  amenait  ouvertement  les  embarcations,  à  la  vue  des 
habitants  de  Ghiapa.  Ceux-ci,  paraît-il,  avaient  découvert  que  les  ré- 


616  CONQUÊTE 

sidents  des  villages,  se  révoltant  contre  eux,  s'étaient  fortifiés  et  se 
déclaraient  pour  nous.  On  en  avait  pris  quelques-uns  ;  les  autres  s'é- 
taient barricadés  dans  un  grand  temple,  et  il  en  était  résulté  que  la 
guerre  s'allumait  entre  les  Chiapanèques  et  les  peuplades  que  je  viens 
de  dire.  Nos  nouveaux  amis  s'empressèrent  de  nous  montrer  le  gué, 
nous  engageant  à  passer  la  rivière  en  toute  hâte,  de  peur  qu'on  n'eût 
le  temps  de  sacrifier  les  camarades  qu'on  leur  avait  pris  cette  nuit 
même.  Nous  arrivâmes  au  gué  qu'on  nous  indiqua;  malheureusement 
il  était  très-profond.  Nous  nous  mîmes  alors  dans  le  meilleur  ordre, 
arbalétriers,  gens  d'escopette,  cavaliers,  nos  nouveaux  alliés  des  vil- 
lages dans  leurs  embarcations,  tous  en  corps  pour  mieux  supporter 
la  force  du  courant,  ayant  de  l'eau  jusqu'à  la  poitrine.  Nous  réussis- 
sions grâce  à  Dieu  à  traverser  et  à  approcher  de  la  rive  opposée  ;  mais, 
avant  de  l'atteindre,  nous  vîmes  venir  à  nous  un  grand  nombre  de 
guerriers  ennemis  qui  firent  pleuvoir  sur  nos  hommes  des  pieux 
lancés  avec  leurs  machines,  ainsi  qu'une  grêle  de  flèches,  de  pierres 
et  de  grandes  piques,  qui  blessèrent  la  plupart  d'entre  nous  ;  quel- 
ques-uns furent  atteints  deux  ou  trois  fois.  Deux  chevaux  furent  tués; 
un  cavalier,  appelé  Guerra  ou  Guerrero,  natif  de  Tolède,  étant  entré 
dans  le  fort  du  courant,  se  noya  pendant  le  passage,  et  son  cheval  ar- 
riva seul  à  terre.  Toujours  est-il  qu'on  nous  retint  un  bon  moment 
dans  l'eau;  car,  ne  pouvant  faire  reculer  l'ennemi,  il  nous  était  im- 
possible de  gagner  la  rive.  Mais,  en  ce  moment,  les  gens  des  vil- 
lages qui  s'étaient  enhardis  contre  les  Ghiapanèques  vinrent  les  pren- 
dre par  derrière,  blessant  et  tuant  un  grand  nombre  de  ceux  qui  nous 
retenaient  dans  la  rivière  en  combattant.  Ils  firent  ainsi  éclater  la 
grande  animosité  qu'ils  ressentaient  pour  avoir  été  maintenus  un  si 
grand  nombre  d'années  en  captivité.  Grâce  à  ce  secours,  nous  finîmes 
de  prendre  terre,  nous  tous  les  cavaliers  d'abord,  et  ensuite  les  arba- 
létriers, les  gens  d'escopette,  les  soldats  d'épée  et  de  rondache  et  nos 
alliés  mexicains.  Nous  donnâmes  à  nos  ennemis  une  si  rude  leçon  que 
pas  un  ne  put  tenir.  Immédiatement,  sans  perdre  de  temps,  formant 
nos  rangs  en  bon  ordre,  enseignes  déployées,  un  grand  nombre  d'In- 
diens des  petits  villages  nous  accompagnant,  nous  fîmes  notre  entrée 
dans  la  capitale. 

Nous  arrivâmes  ainsi  à  la  partie  la  plus  peuplée  du  centre  de  la 
ville  où  s'élevaient  les  oratoires  et  le  grand  temple;  mais  les  maisons 
étaient  là  si  rapprochées  les  unes  des  autres,  que  nous  ne  voulûmes 
pas  nous  hasarder  à  y  établir  nos  quartiers.  Nous  préférâmes  la  cam- 
pagne et  les  parties  habitées  où  nous  ne  courions  aucun  péril,  allât- 
on  jusqu'à  y  mettre  le  feu.  Notre  capitaine  envoya  inviter  à  la  paix  les 
caciques  et  les  chefs  de  la  capitale,  employant  pour  messagers  trois 
Indiens  des  villages  qui  s'étaient  joints  à  nous  et  dont  l'un  s'appelait 
Xaltepcquc.  Il  leur  adjoignit  six  chefs  chiapanèques  que  nous  avions 


DE  LA  NOUVELLE-ESPAGNE.  017 

faits  prisonniers  dans  les  dernières  batailles.  On  devait  dire  aux  In- 
diens qu'ils  eussent  à  venir  faire  leur  soumission,  que  le  passé  leur 
serait  pardonné;  que,  s'ils  ne  se  présentaient  pas,  nous  les  irions 
chercher,  portant  chez  eux  une  guerre  pire  que  celle  qu'ils  venaient 
de  subir  et  dans  laquelle  nous  brûlerions  leur  capitale.  Ces  fières  pa- 
roles les  décidèrent  à  venir  sur  l'heure.  Us  apportèrent  même  un  pré- 
sent en  or,  en  se  disculpant  de  leurs  attaques  contre  nous.  Ils  jurè- 
rent, du  reste,  obéissance  à  Sa  Majesté  et  prièrent  Luis  Marin  de  ne 
pas  permettre  que  nos  alliés  incendiassent  aucune  maison;  car  ceux- 
ci,  avant  d'entrer  dans  la  ville,  avaient  brûlé  plusieurs  édifices  dans 
un  petit  village  que  nous  rencontrâmes  en  deçà  de  la  rivière.  Notre 
capitaine  promit  d'agir  ainsi  qu'ils  le  demandaient  et  il  donna  l'or- 
dre, en  effet,  aux  Mexicains  qui  marchaient  avec  nous  et  à  nos 
alliés  de  Gachula  de  ne  causer  aucun  dégât  ni  dommage.  Je  crois  de- 
voir dire  encore  que  ce  Gachula,  dont  je  parle,  n'est  pas  celui  qui 
est  situé  près  de  Mexico,  mais  bien  un  village  appelé  de  même  et 
qui  s'élève  sur  la  route  de  Ghiapa  en  des  sierras  par  où  nous  pas- 
sâmes. 

Quoi  qu'il  en  soit,  nous  dirons  que  nous  trouvâmes,  dans  cette 
ville,  trois  cages  construites  avec  des  barreaux  en  bois  et  pleines  de 
captifs  attachés  avec  des  colliers  au  cou.  C'étaient  des  prisonniers 
faits  sur  les  grandes  routes.  Les  uns  étaient  de  Guantepeque,  les  au- 
tres Zapotèqucs.  Il  y  avait  des  Quilènes  et  même  quelques  naturels 
de  Soconusco.  Nous  les  délivrâmes  de  leurs  prisons  et  chacun  s'en 
fut  dans  son  pays.  Nous  vîmes  dans  les  temples  de  bien  laides 
ligures  d'idoles  qu'on  adorait  ;  fray  Juan  brisa  tout  cela.  Nous  trou- 
vâmes devant  ces  images  grand  nombre  d'hommes  et  d'enfants  sa- 
crifiés, ainsi  que  beaucoup  de  choses  qui  nous  révélèrent  les  vices 
contre  nature  auxquels  se  livraient  ces  Indiens.  Luis  Marin  ordonna 
de  faire  savoir  à  tous  les  villages  des  environs  qu'ils  eussent  à  se 
soumettre  et  à  venir  jurer  obéissance  à  Sa  Majesté.  Les  premiers 
qui  se  présentèrent  furent  les  habitants  de  Ginacatan,  Copanaustla, 
Pinola,  Guequiztlan,  Chamula  et  d'autres  villages  quilènes  dont  je  ne 
me  rappelle  pas  les  noms,  ainsi  que  quelques  peuplades  de  la  langue 
zoque,  Tous  jurèrent  obéissance  à  Sa  Majesté.  Il  étaient  stupéfaits 
qu'étant  si  peu  nombreux  nous  eussions  pu  vaincre  les  Ghiapanè- 
ques  ;  ils  en  témoignèrent  du  reste  une  grande  satisfaction,  parce 
qu'ils  étaient  au  plus  mal  avec  eux. 

Nous  restâmes  cinq  jours  dans  cette  ville.  Fray  Juan  y  dit  la 
messe;  quelques  soldats  se  confessèrent,  le  moine  fit  un  sermon  aux 
Indiens  en  parlant  leur  langue  qu'il  savait  très-bien  et  que  les  natu- 
rels se  réjouirent  d'entendre.  Us  adorèrent  la  sainte  croix;  ils  disaient 
qu'ils  se  feraient  baptiser  ;  que  nous  paraissions  être  de  braves  gens, 
et  ils  s'éprirent  d'affection  pour  fray  Juan.  En  ce  même  temps,    un 


618  CONQUETE 

soldat  de  notre  armée  s'écarta  de  notre  camp  et  s'en  fut,  sans  licence 
du  capitaine,  au  village  de  Chamula  qui  avait  fait  sa  soumission.  Il 
emmenait  avec  lui  un  Indien  mexicain  de  nos  alliés.  Il  demanda  de 
l'or  aux  habitants  en  disant  que  c'était  par  ordre  du  capitaine.  On  lui 
donna  quelques  joyaux,  et,  comme  on  se  refusait  à  lui  en  donner  da- 
vantage, il  fit  prisonnier  le  cacique.  Témoins  de  cet  excès,  les  gens 
du  village,  voulurent  mettre  à  mort  ce  militaire  imprudent  et 
étourdi;  non-seulement  ils  se  révoltèrent,  mais  ils  entraînèrent  dans 
la  révolte  les  habitants  d'un  autre  village  voisin  appelé  Gueyhuistlan. 

Aussitôt  que  le  capitaine  Luis  Marin  connut  cette  aventure,  il  fit 
arrêter  ce  soldat  et  ordonna  qu'on  le  transportât  par  des  moyens  ra- 
pides jusqu'à  Mexico  où  Gortès  prendrait  soin  de  le  châtier.  Luis 
Marin  fut  obligé  d'agir  ainsi  parce  que  ce  militaire  comptait  parmi  les 
principaux  de  l'armée.  Pour  son  honneur,  je  ne  dirai  pas  ici  son  nom, 
jusqu'à  ce  que  s'en  présente  une  occasion  nouvelle,  lorsqu'il  se  ren- 
dra coupable  d'un  pire  méfait  ;  car  il  était  méchant  et  cruel  avec  les 
Indiens,  ainsi  que  je  le  dirai  plus  loin.  Gela  étant  fait,  Luis  Marin  fit 
prier  les  habitants  du  village  de  Chamula  de  venir  traiter  de  leur 
soumission,  en  faisant  savoir  qu'il  avait  châtié  par  son  envoi  à  Mexico 
l'Espagnol  qui  fut  leur  demander  de  l'or  et  commit  des  excès  chez 
eux.  Ils  nous  firent  une  mauvaise  réponse,  et  elle  dut  nous  paraître 
d'autant  plus  mauvaise  que  nous  craignîmes  le  soulèvement  des  au- 
tres villages  d'alentour.  Il  fut  donc  convenu  que  nous  marcherions 
contre  les  révoltés  et  que  nous  n'abandonnerions  pas  la  partie  avant 
qu'ils  se  soumissent.  Cette  résolution  étant  prise,  fray  Juan  adressa 
do  doucereuses  paroles  aux  caciques  chiapanèques  et,  s'exprimant  en 
leur  langage  qu'il  connaissait  déjà,  leur  enseigna  les  vérités  relatives 
à  notre  sainte  foi,  les  exhorta  à  abandonner  leurs  idoles,  leurs  sacri- 
fices, leurs  vices  contre  nature  et  leurs  vols  ;  il  planta  des  croix  et 
plaça  l'image  de  Notre  Dame  sur  un  autel  que  nous  leur  fîmes  élever. 
Notre  capitaine  leur  exposa  que  nous  étions  les  vassaux  de  Sa  Ma- 
jesté impériale,  ainsi  que  beaucoup  d'autres  choses  qu'il  convenait 
de  leur  dire.  Après  cela  nous  fîmes  occuper  plus  de  la  moitié  de  la 
capitale  par  nos  colons.  Quant  aux  habitants  des  deux  villages  qui  de- 
vinrent nos  alliés,  nous  fournirent  des  embarcations  pour  passer  la 
rivière  et  nous  aidèrent  de  leurs  secours  dans  la  guerre,  ils  sortirent 
de  la  domination  des  Chiapanèques  avec  tous  leurs  biens,  leurs  fem- 
mes et  leurs  enfants.  Ceux  qui  formaient  le  village  de  Xaltepeque 
furent  s'établir  à  dix  lieues  de  Ghiapa  en  descendant  la  rivière  ;  tan- 
dis que  les  habitants  d'Istatlan  s'en  revinrent  dans  leur  pays  de 
Guantepeque. 

Revenons-en  à  notre  départ  pour  Chamula.  Nous  envoyâmes  prier 
les  habitants  de  Ginacatan,  qui  étaient  des  gens  cultivés,  la  plupart 
trafiquants,  de  vouloir  bien  nous  amener  deux   cents  Indiens  pour 


DE  LA  NOUVELLE-ESPAGNE.  619 

porter  nos  bagages.  Nous  les  avertissions  en  outre  que  nous  passe- 
rions par  leur  village  qui  se  trouve  sur  la  route  de  Chamula.  Notre 
capitaine  demanda  à  la  ville   de  Ghiapa    deux  cents  autres   Indiens 
guerriers,  munis  de  leurs  armes,  pour  marcher  avec  nous.  Tout  cela 
fut  accordé  sans  retard.  Nous  sortîmes  un  matin  de  la  capitale  et  lû- 
mes passer  la  nuit  sur  des  salines  où   les  habitants    de  Cinacatan 
avaient  pourvu  à  tous  nos  besoins  et,  le  lendemain,  vers  midi,  nous 
arrivâmes  à  leur  village  où  nous  séjournâmes  durant  la  fête  de  Pâ- 
ques de  Résurrection.  De  là  nous  fîmes  encore  offrir  la  paix  aux  Gha- 
multèques,  mais  ils  ne  l'acceptèrent  pas.  Il  nous  fallut  donc  marcher 
contre  eux.  Leurs  demeures  se  trouvaient  à  environ  trois  lieues  de 
distance  de  Cinacatan,  dans  une  situation  qui  transformait  le  village 
en  véritable  forteresse  très-difficile  à  prendre.  Il  était  d'ailleurs  dé- 
fendu par  un  fossé  profond,  du  côté  où  nous  devions  attaquer.  La  po- 
sition était  plus  difficile  encore  et  plus  forte  dans  d'autres  directions. 
Aussitôt  que  nous  approchâmes  avec  notre  armée,  ils  lancèrent  sur 
nous,  des  hauteurs,  tant  de  pieux,  de  pierres  et  de  flèches  que  le  sol 
en  était  couvert.  Ils  étaient  armés  de  lances  d'une  grande  dimension, 
terminées  par  des  lames  d'obsidienne  de  deux  varas  de  long  et  plus 
tranchantes  que  nos  épées.   Ils  étaient  munis  aussi   d'une  sorte  de 
rondache  en  forme  de  bouclier  oblong,  qui  leur  sert  à  couvrir  tout 
leur  corps  au  moment  du  combat.  Ils  le  plient,  quand  ils  n'en   ont 
pas  besoin,  de  manière  à  n'en  être  plus  gênés.  Gomme  j'ai  dit,  du 
reste,  ils  mettaient  tant  d'ardeur  à  lancer  leurs  flèches  et  leurs  pierres 
qu'ils  blessèrent  cinq  de  nos  soldats  et  deux  chevaux.  Avec  cela  des 
cris,  des  hurlements,  des  sifflets,  le  bruit  des  tambours,  le  son  de 

leurs  conques  marines c'était  à  remplir  de  frayeur  quiconque  ne 

les  eût  pas  connus.  Voyant  tout  cela,  Luis  Marin  comprit  bien  que 
les  chevaux  ne  pourraient  rendre  aucun  service  sur  ce  sol  rocailleux  : 
il  les  fit  descendre  en  plaine  et  abandonner  la  côte  escarpée  en  forme 
de  fortin  où  nous  nous  trouvions.  Il  donnait  cet  ordre  aussi  à  cause 
de  la  crainte  que  l'on  avait  de  voir  tomber  sur  nos  derrières  les  guer- 
riers de  Quyathuitlan1  qui  s'étaient  soulevés,  et  dans,  le  but  de  nous 
en  garantir  par  la  résistance  de  nos  cavaliers. 

Gela  fait,  nous  commençâmes  à  envoyer  des  flèches  à  l'ennemi  et  à 
l'attaquer  à  coups  d'escopette.  Mais  nous  ne  pouvions  lui  faire  aucun 
mal  derrière  les  palissades  dont  il  s'était  couvert,  tandis  que  lui,  au 
contraire,  réussissait  à  blesser  un  grand  nombre  des  nôtres.  C'est 
ainsi  que  nous  passâmes  ce  premier  jour  à  reconnaître  que  nos  adver- 
saires ne  faisaient  aucun  cas  de  nous.  Si  nous  tentions  un  semblant 
d'assaut  dans  les  points  où  ils  avaient  élevé  des  palissades  crénelées, 

1.  L'auteur  écrit  ainsi,  mais  c'est  évidemment  le  même  village  qu'il  a  déjà  appelé 
Gueyhuistlan  deux  pages  plus  haut. 


620  CONQUÊTE 

nous  trouvions  en  face  de  nous,  placés  là  pour  la  défense  des  points 
que  nous  attaquions,  plus  de  deux  mille  hommes  armés  de  lances. 
Nous  aventurer  d'ailleurs  à  entrer  de  force  dans  l'intérieur  de  leurs 
défenses,  c'était  nous  exposer  à  être  précipités  de  si  haut  que  nous 
serions  tombés  en  morceaux  jusqu'au  fond,  et  ce  n'était  pas  la  peine 
d'aller  courir  ce  grand  risque.  Après  avoir  délibéré  sur  le  genre  d'at- 
taque que  nous  devions  adopter,  nous  tombâmes  d'accord  que  nous 
ferions  venir  du  bois  et  des  planches  d'un  village  voisin  abandonné. 
Nous  en  construisîmes  des  machines  à  abri,  sous  chacune  desquelles 
vingt  hommes  pouvaient  tenir.  Ainsi  protégés,  nous  aidant  de  pio- 
ches, de  pics  en  fer  que  nous  avions,  ainsi  que  d'une  sorte  de  houe 
en  bois  que  nous  trouvions  dans  le  pays,  nous  creusions  au-dessous 
de  leurs  travaux  de  défense  et  nous  les  faisions  écrouler.  Nous  réus- 
sîmes ainsi  à  ouvrir  une  brèche;  d'autre  façon  nous  ne  serions  parve- 
nus à  rien.  Nous  avions  tout  étudié,  en  effet,  et  reconnu  qu'à  plus 
d'une  lieue  de  là,  en  suivant  le  contour  de  la  place,  se  trouvait  une 
mauvaise  porte  encore  plus  difficile  à  forcer  que  celle  où  nous  nous 
obstinions,  parce  qu'au-dessous  d'elle  il  y  avait  une  descente  presque 
à  pic,  de  telle  façon  que  vouloir  entrer  par  là,  c'était  à  vrai  dire  ten- 
ter les  abîmes.  Revenons  donc   à  nos  palissades-abris.  Grâce  à  leur 
secours,  nous  réussissions  à  ruiner  les  ouvrages  de  l'ennemi.  Il  est 
^rai  qu'on  nous  lançait,  des  hauteurs,  de  la  poix  et  de  la  résine  en 
feu,  de  l'eau  bouillante  mêlée  de  sang  et  quelquefois  de  la  braise  et 
des  cendres  incandescentes.  On  nous  causait  donc  de  grands  domma- 
ges; et  d'autant  plus  qu'en  nous  lançant  beaucoup  de  grosses  pierres, 
nos  adversaires  réussirent   à  démolir  nos  engins.   Il   fallut   reculer 
pour  les    réparer.    Gela   fait,  nous   revînmes  sur  les  Indiens.  Mais 
quand  ils  virent  que  nous  agrandissions  les  brèches,  quatre  de  leurs 
papes,  accompagnés  de  quelques  personnages  de  qualité,  montèrent 
sur  leurs  travaux  de  défense  en  se  couvrant  de  leurs  boucliers  et  se 
protégeant  par  des  panneaux  de  bois,  et  ils  nous  dirent  :  «  Vous  vou- 
lez donc  de  l'or?  Entrez  dans  notre  place,  nous  en  avons  beaucoup.  » 
Et  ils  accompagnèrent  ces  paroles  d'une  avalanche  d'or  fin,  de  grains 
vides   et  autres  joyaux  contournés  en  spirale  ou  simulant  le  canard  ; 
tout  cela  était  suivi  d'une  nuée  de  flèches,  de  pieux  et  de  pierres. 
Nous  avions  déjà  ouvert  deux  brèches,  mais  la  nuit  tombait  et,  comme 
d'ailleurs  il  se  mit   à  pleuvoir,  il  nous  fallut  renvoyer  le  combat  au 
jour  suivant.  Nous  passâmes  là  la  nuit  en  nous  entourant  des  meil- 
leures précautions.  Notre  capitaine  fit  ordonner  en  même  temps  à  nos 
cavaliers  qui  se  trouvaient  en  plaine  de  ne  pas   s'éloigner  de  leurs 
positions  et  d'avoir  leurs  chevaux  sellés  et  bridés. 

Quant  aux  Ghamultèques,  ils  passèrent  la  nuit  à  battre  leurs  atabale  s, 
à  sonner  de  leurs  trompettes,  criant,  vociférant  et  disant  qu'ils  nous 
tueraient  tous  le  lendemain,  attendu  que  leur  idole  le  leur  avait  as- 


DE  LA  NOUVELLE-ESPAGNE.  621 

sure.  Quand  le  jour  parut,  nous  recommençâmes  à  travailler  à  agran- 
dir les  brèches  en  nous  protégeant  de  nos  abris.  De  leur  côté,  nos 
ennemis  s'ingéniaient  à  la  défense  avec  grand  courage.  Ils  blessèrent 
môme  ce  jour-là  cinq  des  nôtres;  je  reçus,  pour  ma  part,  un  bon 
coup  de  lance  qui  traversa  ma  cuirasse,  et  certainement  j'en  fusse 
mort  si  mes  défenses  n'eussent  été  bien  matelassées  de  coton;  car, 
malgré  leur  parfaite  facture,  elles  furent  traversées,  beaucoup  de 
coton  en  sortit  et  je  fus  blessé,  mais  légèrement.  Il  était  plus  de 
midi;  il  tomba  une  pluie  fort  abondante,  à  laquelle  succéda  un  épais 
brouillard.  Gomme  ces  sierras  sont  élevées,  il  y  a  souvent  des  nuages 
et  l'eau  y  tombe  en  grande  quantité.  Notre  capitaine,  sous  cette 
grosse  averse,  s'éloigna  du  combat;  mais  comme  j'avais  plus  que  lui 
l'habitude  des  vieilles  guerres  du  Mexique,  je  remarquai  qu'au  mo- 
ment où  le  brouillard  s'épaississait,  nos  ennemis  lançaient  moins  de 
cris  qu'auparavant;  je  les  vis  s'adosser  à  leurs  huttes  et  à  leurs  dé- 
fenses, tandis  que,  de  leurs  nombreuses  lances  qui  dépassaient  les 
barbacanes,  environ  deux  cents  seulement  continuaient  à  remuer. 
Je  soupçonnai  qu'ils  voulaient  s'éloigner  ou  que  déjà  ils  faisaient  ce 
mouvement.  Je  me  hasardai  donc  à  entrer  par  une  brèche,  suivi  d'un 
de  mes  camarades.  Nous  nous  trouvâmes  en  face  de  deux  cents  guer- 
riers qui  se  jetèrent  sur  nous  à  grands  coups  de  lances,  et,  si  des  In- 
diens de  Ginacatan  ne  fussent  venus  à  notre  secours,  en  appelant 
nos  soldats,  qui  s'empressèrent  de  nous  suivre  sur  la  brèche,  c'en 
était  l'ait  de  nos  existences.  Les  Ghamultèqucs  qui  nous  résistaient 
avec  leurs  lances,  voyant  approcher  ce  renfort,  pr-irent  le  parti  de 
fuir,  attendu  que  leurs  camarades  s'étaient  déjà  retirés  dès  le  début 
du  brouillard.  Notre  capitaine  avec  tous  ses  soldats  et  ses  alliés 
entra  dans  la  place.  Tout  ce  qui  était  transportable  en  avait  été  en- 
levé; les  enfants  et  les  femmes  avaient  fui  en  passant  par  la  porte 
difficile  située  sur  un  ravin  très-profond  et  accessible  seulement  par 
une  mauvaise  montée,  moins  praticable  encore  à  la  descente.  Nous 
leur  fîmes  une  poursuite  dans  laquelle  on  prit  beaucoup  de  femmes 
et  d'enfants,  ainsi  que  trente  hommes.  On  ne  trouva  pas  de  dépouilles 
de  valeur  dans  le  village,  mais  seulement  quelques  provisions. 

Après  avoir  fait  notre  butin,  nous  nous  retirâmes  dans  la  direction 
de  Ginacatan  et  nous  fûmes  d'avis  de  camper  sur  le  bord  d'une  rivière 
à  l'endroit  même  où  se  trouve  aujourd'hui  bâtie  la  ville  de  Giudad 
Real,  qu'on  appelle  aussi  Ghiapa  de  los  Espanoles.  Ge  fut  là  que 
Luis  Marin  choisit  parmi  les  prisonniers  six  Indiens  avec  leurs  fem- 
mes, pour  les  charger  d'inviter  les  gens  de  Ghamula  à  se  présenter 
sans  crainte,  sur  la  promesse  qu'on  leur  rendrait  tous  les  prisonniers. 
Les  envoyés  remplirent  leur  mission  et, dès  le  lendemain,  les  vaincus 
vinrent  faire  soumission  et  emmenèrent  tout  leur  monde  sans  qu'il 
restât  un  seul  homme  avec  nous.  Après  que  ce  village  eut  juré  obéis- 


622  CONQUÊTE 

sance  à  Sa  Majesté,  Luis  Marin  le  mit  en  mon  pouvoir,  parce  que 
Gortès  lui  avait  écrit  de  Mexico  qu'il  eût  à  me  donner  une  des  meil- 
leures localités  conquises.  Luis  Marin  agit  ainsi  parce  que  j'étais  de 
ses  bons  amis  et  que  je  fus  le  premier  soldat  qui  entra  dans  la  place. 
Gortès  m'envoya  expressément  les  titres  de  ma  commanderie.  Je  reçus 
les  tributs  de  huit  années.  Giudad  Real  n'était  pas  encore  fondée  ; 
elle  se  fonda  plus  tard  au  détriment  de  ma  colonie  qui  servit  à  cette 
fin. 

Quoi  qu'il  en  soit,  nous  dirons  que  je  priai  frère  Juan  de  prêcher 
à  mes  Indiens.  Il  le  fit  volontiers.  Il  éleva  un  autel,  planta  une  croix 
et  exposa  une  image  de  la  Vierge.  Quinze  personnes  furent  baptisées 
tout  d'abord.  Le  moine  avait  l'espoir  qu'ils  seraient  bons  catholiques, 
et  je  m'en  réjouissais,  parce  que  j'avais  pour  eux  l'affection  que  l'on 
a  pour  son  bien.  Mais  nous  devons  dire  que,  malgré  la  pacification 
de  Ghamula,  les  gens  de  Guegustitlan  '  qui  s'étaient  soulevés  refu- 
saient de  se  soumettre,  en  dépit  des  appels  que  nous  leur  faisions. 
Notre  capitaine  fut  donc  d'avis  d'aller  à  eux  dans  leurs  villages,  et  je 
dis  villages  parce  qu'il  y  en  avait  trois,  tous  situés  sur  des  hauteurs 
fortifiées.  Nous  laissâmes  nos  blessés  et  nos  bagages  à  l'endroit  où 
nous  avions  placé  notre  campement,  et  nous  tous,  les  plus  sains  et  les 
plus  agiles,  nous  accompagnâmes  notre  capitaine,  avec  trois  cents 
Indiens  guerriers,  que  les  habitants  de  Ginacatan  nous  donnèrent.  Il 
y  avait  environ  quatre  lieues  du  point  où  nous  étions  aux  villages  de 
Guegustitlan.  Nous  suivions  notre  route,  lorsque  nous  trouvâmes 
tous  les  chemins  embarrassés  de  madriers  et  d'arbres  abattus,  de 
façon  que  des  chevaux  n'y  pouvaient  passer.  Nous  déblayâmes  tout 
cela  en  enlevant  les  madriers  et  les  arbres.  Nous  fûmes  à  l'un  des 
trois  villages,  qui  était  situé  en  un  lieu  fortifié.  Nous  le  trouvâmes 
rempli  de  combattants  qui  commencèrent  à  crier,  à  vociférer  et  à 
lancer  sur  nous  des  pieux  et  des  flèches.  Ils  avaient  des  lances,  des 
boucliers  oblongs  et  des  espadons  à  deux  mains  faits  avec  de  l'obsi- 
dienne, qui  coupent  comme  un  rasoir,  et  semblables  à  ceux  de  Gha- 
mula. Obéissant  aux  ordres  de  notre  capitaine,  nous  montions  vers 
la  forteresse  qui  était  d'un  accès  encore  plus  difficile  que  celle  de 
Ghamula,  lorsque  ses  habitants  furent  d'avis  de  prendre  la  fuite  et 
d'abandonner  le  village  sans  y  laisser  aucune  provision.  Les  Cinaca- 
tèques  prirent,  deux  Indiens  qu'ils  amenèrent  au  capitaine.  Il  les  lit 
mettre  en  liberté  pour  qu'ils  fussent  inviter  à  la  paix  tous  leurs  com- 
patriotes. Nous  attendîmes  un  jour  la  réponse.  Au  bout  de  ce  temps, 
ils  se  soumirent  tous  et  apportèrent  quelques  présents  en  or  de  peu 
de  valeur,  avec  des  plumes  de  quetzales,  ornement  très-estimé  parmi 
eux.  Ensuite  nous  nous  en  revînmes  à  notre  camp. 

1.  C'est  une  autre  orthographe  du  même  village  déjà  présenté  sous  deux  aspects 


DE   LA   NOUVELLE-ESPAGNE.  623 

Nous  ne  parlerons  pas  d'une  foule  d'autres  choses  qui  se  passèrent 
et  qui  intéressent  peu  notre  récit,  mais  nous  dirons  qu'après  avoir 
regagné  nos    quartiers,  nous   débattîmes  en   conseil  la  question  de 
savoir  s'il  ne  serait  pas  bon  de   fonder  une  ville  dans  le  lieu  même 
où  nous  étions,  ainsi  que  Gortès  nous  l'avait  ordonné.  Quelques-uns 
de  nous  disaient  que  ce  serait  convenable,  tandis  que  d'autres  parmi 
ceux  qui  possédaient  de  bons   Indiens  à  G-uazacualco  étaient  d'avis 
contraire.  Ils  donnaient  pour  raisons  que  nous  n'avions  pas  de  fers 
pour  les  chevaux,  que  nous  étions  peu  nombreux,  presque  tous  blessés, 
en  présence  d'un  pays  très-garni  d'habitants ,   de  villages  pour  la 
plupart  fortement  défendus  et  situés  sur   des  sierras  élevées  ;    que 
nous  ne  pourrions  point  nous  soutenir,  ni  faire  usage  de  nos  che- 
vaux.... Ils  disaient  encore  une  infinité  d'autres  choses.  Le  pire  fut 
que  le  capitaine  Luis  Marin  et  le  notaire  royal  Diego  de  Godoy,  qui 
se  mêlait  de  toutes  choses,  n'avaient  pas  un  grand  désir  de  coloniser, 
mais -aspiraient  plutôt  à  retourner  à  nos  installations  de  Guazacualco. 
D'autre  part,  Alonso  de  Grado,  dont  j'ai  déjà  parlé  précédemment, 
personnage  plus  brouillon  qu'homme  de  guerre,  était  porteur,  paraît-il, 
d'un  titre  secret  de  commanderie  signé  de  Gortès,  lui  donnant,  après 
pacification,  la  moitié  de  la  ville  de  Ghiapa.  S'appuyant  sur  ce  titre, 
il  réclamait  au  capitaine  Luis  Marin  l'or  que  donnèrent  les  Indiens 
et  celui  que  l'on  prit  dans  les  temples  de  cette  capitale.  Gela  formait 
environ  la  somme  de  quinze  cents  piastres.  Mais  Luis  Marin  préten- 
dait que  ce  butin  devait  servir  à  payer  les  chevaux  tués  dans  cette 
expédition.  Pour  cela,  et  à  l'occasion  d'autres  désaccords,  ils  étaient 
fort  mal  ensemble.  Il  y  eut  entre  eux  un  tel  échange  de  paroles  qu'A- 
lonso   de  Grado,  qui  avait  un   mauvais  naturel,  s'oublia  dans   son 
langage.  Celui  qui  s'entremettait  pour  aigrir  les  choses,    c'était    le 
notaire  Godoy  lui-même.  Il  en  résulta  que  Luis  Marin  les  fit  arrêter 
tous  les  deux  et  les  maintint  les  fers  aux  pieds  et  aux  mains  pendant 
six  ou  sept  jours.  Il   résolut  d'envoyer  Alonso  de  Grado  prisonnier  à 
Mexico,  tandis  qu'à  force  d'offres,  de  promesses  et  grâce  à  certaines 
interventions,  il  remit  Godoy  en  liberté.  C'était  le  pire  qu'il  pouvait 
faire  ;  car  Grado  et  Godoy  s'entendirent  aussitôt  pour  écrire  à  Gortès 
par  voie  rapide  et  lui  dire  le  plus  grand  mal  de  Luis  Marin.  Alonso 
de   Grado  s'adressa  même  à  moi,  me  priant  d'écrire   pour  le   dis- 
culper auprès  de  notre  général  en  lui  disant  du  mal  de  Marin,  parce 
que  Godoy  prétendait  que  Gortès  donnerait  tout  crédit  au  contenu  de 
ma  lettre.  J'écrivis,  en  effet,  mais  pour  rapporter  ce  qui  me  paraissait 
être  la  vérité,  n'accusant  nullement  le  capitaine  Marin.  Toujours  est-il 
que  celui-ci  envoya  Grado  prisonnier  à  Mexico,  après  lui  avoir  fait 
jurer  qu'il  se  présenterait  à  Gortès  dans  le  délai  de  quatre-vingts 
jours,  attendu  que,  parla  voie  que  nous  avions  suivie,  il  y  avait  cent 
quatre-vingt-dix  lieues  de  Cinatan  à  la  capitale. 


624  CONQUÊTE 

Quoi  qu'il  en  soit  de  toutes  ces  discordes  et  de  ces  embarras,  aussi- 
tôt Grado  parti,  nous  résolûmes  d'aller  châtier  les  habitants  de  Gi- 
natan  qui  avaient  tué  les  deux  Espagnols,  lorsque  nous  eûmes  la 
chance,  le  Basque  Francisco  Martin  et  moi,  d'échapper  de  leurs 
mains.  Quand  nous  étions  en  route  pour  arriver  chez  des  peuplades 
dites  de  Tapelola,  et  bien  avant  d'y  parvenir,  nous  eûmes  à  traverser 
des  passages  si  mauvais  dans  la  sierra,  soit  pour  la  montée,  soit  pour 
Ja  descente,  qu'il  parut  très-difficile  de  pouvoir  franchir  ces  obsta- 
cles. Luis  Marin  fit  prier  les  caciques  de  ces  villages  de  vouloir  bien 
arranger  les  chemins  de  manière  à  rendre  le  passage  possible.  Ils 
s'empressèrent  d'obéir.  Les- chevaux  passèrent,  au  prix  de  mille  fati- 
gues. Nous  gagnâmes  de  là  d'autres  villages  appelés  Silo,  Suchiapa 
et  Coyumelapa,  et  enfin  Panguaxaya.  Après  cela,  nous  arrivâmes  à  un 
ensemble  de  peuplades  appelées  Tecomayacatal  et  Teapan  qui  en  ce 
temps-là  ne  formaient  qu'un  seul  village  des  plus  considérables  de 
cette  province,  ayant  ses  maisons  très-rapprochées  les  unes  des  au- 
tres. Il  dépendait,  du  reste,  de  la  commanderie  qui  m'était  attribuée 
par  Cortès.  La  population  qui  y  était  très-nombreuse  se  réunit  aux 
habitants  d'autres  peuplades  et  tous  ensemble  vinrent  nous  attaquer 
au  passage  d'une  rivière  très-profonde  qui  traverse  leur  grand  vil- 
lage. Ils  blessèrent  six  soldats,  tuèrent  trois  chevaux  et  nous  obligè- 
rent à  combattre  un  bon  moment  avec  eux.  Nous  pûmes  néanmoins 
traverser  le  cours  d'eau  et  les  mettre  en  fuite.  Ils  gagnèrent  la  mon- 
tagne après  avoir  incendié  eux-mêmes  leurs  maisons.  Nous  passâmes 
cinq  jours  à  soigner  les  blessés  et  à  faire  de  petites  expéditions  où 
l'on  prit  de  fort  bonnes  Indiennes. 

Nous  envoyâmes  alors  proposer  la  paix  à  nos  ennemis,  en  promet- 
tant de  leur  rendre  les  prisonniers  que  nous  avions  faits  et  de  leur 
pardonner  les  méfaits  de  la  dernière  guerre.  La  plupart  des  Indiens 
se  présentèrent  et  peuplèrent  de  nouveau  leurs  villages  en  réclamant 
leurs  femmes  et  leurs  enfants  conformément  à  notre  promesse.  Le 
notaire  Diego  de  Godoy  conseillait  au  capitaine  Luis  Marin  de  ne 
pas  les  rendre  et  de  les  marquer  au  fer  du  Roi,  attendu  qu'on  était 
dans  l'habitude  d'en  agir  ainsi  envers  tous  ceux  qui  se  rebellaient 
sans  motif  après  avoir  juré  obéissance.  Godoy  ajoutait  que,  puisque 
ces  villages  nous  avaient  attaqués,  nous  criblant  de  flèches  et  nous 
tuant  trois  chevaux,  on'  devait  se  rembourser  de  la  valeur  de  ces 
montures  au  moyen  des  Indiens  captifs.  Quant  à  moi,  je  répliquai 
qu'il  ne  fallait  point  les  marquer,  que  ce  ne  serait  point  juste,  puis- 
qu'ils venaient  pacifiquement  se  soumettre.  Nous  eûmes  à  ce  sujet, 
Godoy  et  moi,  un  sérieux  débat;  nous  nous  lançâmes  de  gros  mots 
et  même  quelques  estocades  dont  nous  nous  blessâmes  tous  deux, 
jusqu'à  ce  qu'on  nous  séparât  et  qu'on  nous  apaisât.  Le  capitaine 
Luis  Marin  était  excellent;  il  n'avait  pas  de  méchanceté;  aussi  dit-il 


DE  LA   NOUVELLE-ESPAGNE.  625 

qu'il  n'était  point  juste  de  faire  le  contraire  de  ce  qu'en  grâce  je  de- 
mandais. Il  donna  l'ordre  qu'on  rendît  aux  caciques  toutes  les  femmes 
et  la  plupart  des  autres  prisonniers,  et,  cela  fait,  nous  les  laissâmes 
dans  leurs  demeures,  complètement  pacifiés. 

De  là  nous  marchâmes  sur  le  bourg  de  Cinatan  et  les  peuplades  de 
Talatupan.  Avant  d'y  arriver,  nous  nous  aperçûmes  que  les  habitants 
avaient  élevé  des  ouvrages  en  bois  percés  de  meurtrières,  à  côté  d'une 
forêt  et  non  loin  de  grands  marécages.  Aussitôt  que  nous  approchâ- 
mes, ils  firent  pleuvoir  tout  à  coup  sur  nous  une  grêle  de  flèches 
avec  non  moins  d'entente  que  de  courage.  Ils  blessèrent  vingt  sol- 
dats, tuèrent  deux  chevaux,  et  si  nous  n'avions  point  réussi  à  prendre 
immédiatement  le  dessus  en  détruisant  leurs  ouvrages  et  leurs  meur- 
trières, ils  nous  en  eussent  tué  et  blessé  bien  davantage.  Ils  couru- 
rent se  réfugier  sur  les  marécages.  Les  Indiens  de  ces  provinces  sont 
de  très-bons  archers  ;  ils  traversent  avec  leurs  flèches  deux  armures 
bien  matelassées  de  coton  superposées  l'une  à  l'autre,  ce  qui  n'est 
pas  une  mince  affaire.  Nous  restâmes  deux  jours  dans  ce  village,  les 
engageant  à  venir  faire  leur  soumission;  mais  ils  s'y  refusèrent.  Nous 
étions,  quant  à  nous,  très-fatigués.  Il  y  avait  là  un  grand  nombre  de 
marécages  recouverts  d'une  couche  mobile  sur  laquelle  ni  chevaux 
ni  aucune  personne  ne  peuvent  s'aventurer  sans  s'embourber;  on 
n'en  sort  qu'en  se  traînant  sur  les  pieds  et  les  mains,  et  encore  est-ce 
merveille  qu'on  y  réussisse,  tant  ces  marais  sont  dangereux. 

Pour  ne  pas  m'étendre  plus  longuement  à  ce  sujet,  j'en  viendrai  à 
dire  que  nous  fûmes  tous  d'avis  de  retourner  à  notre  bourg  de  (jua- 
zacualco.  Nous  passâmes  par  de  certains  villages  de  la  Ghontalpa 
appelés  Gruimango,  Nacatxu,  Xuica,  Teotitan  Copilco,  d'autres  en- 
droits encore,  et  Ulapa  et  les  rivières  de  Ayagualulco  et  de  Tonala. 
Nous  arrivâmes  enfin  au  bourg  de  Guazacualco.  Sur  l'or  pris  à  Chiapa 
et  à  Ghamula,  on  préleva  le  sou  par  livre  pour  payer  les  chevaux  qui 
avaient  été  tués  dans  l'expédition. 

Pour  changer  de  sujet,  nous  dirons  qu'Alonso  de  Grado  arriva  à 
Mexico  devant  Gortès,  qui,  sachant  les  motifs  de  son  voyage,  lui  dit 
d'un  ton  irrité  :  «  Gomment  donc,  senor  Alonso  de  Grado,  vous  ne 
pouvez  décidément  tenir  en  place  nulle  part?  Ce  dont  je  vous  prie 
c'est  que  vous  changiez  cette  mauvaise  habitude;  sinon,  je  vous  en- 
verrai à  l'île  de  Cuba,  dussé-je  pour  cela  vous  donner  trois  mille 
piastres,  pour  que  vous  en  puissiez  vivre;  car  je  ne  puis  plus  vous 
souffrir.  »  Mais  Alonso  de  Grado  s'humilia  de  telle  sorte  qu'il  par- 
vint encore  une  fois  à  être  bien  avec  Gortès  à  qui  Luis  Marin  et  fray 
Juan  avaient  cependant  écrit  tout  ce  qui  était  arrivé. 

,1c  m'arrêterai  là  pour  dire  ce  qui  advint  dans  la  capitale  d'Espa- 
*gne  relativement  à  l'évêque  de  Burgos,  archevêque  de  Rosano. 

40 


626  CONQUÊTE 


CHAPITRE  CLXVII 

Comme  quoi  nos  procureurs  qui  étaient  en  Castille  récusèrent  l'évêque  de  Burgos, 

et  de  ce  qui  advint  encore. 

J'ai  dit  dans  des  chapitres  précédents  que  don  Juan  Rodriguez  de 
Fonseca,  évêque  de  Burgos  et  archevêque  de  Rosano,  intriguait  beau- 
coup en  faveur  des  affaires  de  Diego  Velasquez,  tandis  qu'il  se  montrait 
contraire  aux  intérêts  de  Gortès  et  de  nous  tous.  Mais,  grâce  à  Notre 
Seigneur  Jésus-Christ,  l'an  1521,  fut  élu  à  Rome  comme  Souverain  Pon- 
tife Notre  Saint  Père  le  Pape  Adrien  de  Lobayna,  qui  en  ce  moment 
était  en  Castille  en  qualité  de  son  gouverneur  et  résidait  dans  la  ville 
de  Vitoria.  Nos  procureurs  s'empressèrent  d'aller  baiser  ses  pieds  sa- 
crés, et  un  grand  seigneur  allemand,  de  la  chambre  de  Sa  Majesté, 
nommé  de  Lasoa,  vint  présenter  à  Sa  Sainteté  les  félicitations  de 
l'Empereur.  Or,  ce  de  Lasoa  avait  eu  connaissance  des  hauts  faits, 
des  grandes  actions  de  Gortès  et  de  nous  tous  dans  la  conquête  de  la 
Nouvelle-Espagne,  non  moins  que  des  puissants,  nombreux,  bons  et 
notables  services  que  nous  rendions  constamment  à  Sa  Majesté, 
aussi  bien  que  de  la  conversion  de  tant  de  milliers  d'Indiens  qui  em- 
brassaient notre  sainte  foi.  Il  paraît  donc  que  ce  caballero  allemand 
supplia  le  Saint  Père  Adrien  de  vouloir  bien  s'occuper  personnelle- 
ment des  différends  qui  existaient  entre  Cortès  et  l'évêque  de  Burgos. 
Il  en  résulta  que  Sa  Sainteté  prit  très-sérieusement  l'affaire  à  cœur, 
parce  que,  outre  les  plaintes  que  nos  procureurs  exprimèrent  devant 
le  Saint  Père,  d'autres  personnes  de  qualité  avaient  été  se  plaindre 
du  même  évêque  à  propos  de  dommages  et  d'injustices  dont  il  était 
accusé  de  s'être  rendu  coupable.  Sa  Majesté  étant  alors  en  Flandre, 
en  effet,  l'évêque  de  Burgos,  qui  était  président  des  Indes,  y  gouver- 
nait toutes  choses  et  il  était  fort  mal  vu.  Nous  sûmes  que  nos  procu- 
reurs ne  manquèrent  pas  d'énergie  pour  le  récuser.  On  vit  d'ailleurs 
se  réunir  dans  la  capitale  Francisco  de  Montejo,  Diego  de  Ordas,  le 
licencié  Francisco  Nunez,  cousin  de  Cortès,  et  Martin  Cortès,  son 
père.  Appuyés  de  la  faveur  de  plusieurs  autres  grands  seigneurs  dont 
le  plus  ardent  fut  le  duc  de  Bejar,  ils  récusèrent  l'évêque  avec  une 
grande  fermeté,  donnant  pour  raisons  des  allégations  excellemment 
prouvées. 

Ils  disaient  d'abord  que  Diego  Velasquez  avait  donné  à  l'évêque 
un  grand  village  de  l'île  de  Cuba  dont  les  Indiens  retiraient  des  mi- 
nes l'or  qui  lui  était  ensuite  envoyé  en  Castille;  tandis  qu'il  n'attri- 
bua aucune  peuplade  à  Sa  Majesté,  quoiqu'il  lui  en  eût  dû  plus  qu'à 
l'évêque.  Us  disaient  encore  qu'en  Tan  1517,  lorsque  nous  nous  réu- 


DE  LA  NOUVELLE-ESPAGNE.  627 

nîmes  cent  dix  soldats  aux  ordres  du  capitaine  Francisco  Hernandez 
de  Gordova,  et  qu'après  avoir  acheté  à  nos  frais  des  navires,  des  pro- 
visions et  tout  Je  reste,  nous  partîmes  pour  découvrir  la  Nouvelle- 
Espagne,  l'évêque  de  Burgos  rapporta  à  Sa  Majesté  que  Velasquez 
avait  fait  cette  découverte,  ce  qui  évidemment  n'était  pas  vrai.  Ils 
rappelaient  au  surplus  que  Diego  Velasquez  lui-même  envoya  en  ex- 
pédition au  pays  que  nous  avions  découvert  un  de  ses  neveux  appelé 
Juan  de  Grijalva  qui  poussa  ses  découvertes  plus  loin,  acquérant  en 
même  temps  plus  de  vingt  mille  piastres  d'or;  que  la  plus  grande 
partie  de  cette  valeur  fut  envoyée  par  Velasquez  à  l'évêque  sans  y 
prélever  aucune  part  pour  Sa  Majesté;  tandis  que  lorsque  Gortès  vint 
conquérir  la  Nouvelle-Espagne,  ce  capitaine  envoya  un  présent  à 
l'Empereur,  consistant  en  un  soleil  d'or  et  une  lune  d'argent,  beau- 
coup d'or  en  grains  tel  qu'il  vient  des  mines,  une  grande  quantité  de 
joailleries  et  des  palets  en  or  de  différentes  grosseurs  ;  que  Gortès  et 
nous  tous  nous  écrivîmes  à  Sa  Majesté,  rendant  compte  de  tout  ce 
qui  arrivait;  que  notre  général  envoya,  à  titre  de  porteurs  de  nos 
messages  et  présents,  Francisco  de  Montejo  et  Alonso  Hernandez 
Puertocarrero,  cousin  du  comte  de  Medellin  ;  que  l'évêque  ne  vou- 
lut pas  les  écouter;  qu'il  leur  prit  tout  l'or  destiné  à  Sa  Majesté, 
leur  adressa  des  paroles  malsonnantes,  les  appela  traîtres  faisant  les 
affaires  d'un  autre  plus  traître  encore;  qu'il  fit  main  basse  sur  les 
lettres  adressées  à  l'Empereur,  en  écrivit  à  leur  place  d'autres  qui 
disaient  le  contraire,  prétendant  que  son  ami  Diego  Velasquez  offrait 
ce  présent;  mais  que  l'évêque  n'envoya  nullement  la  totalité  à  l'Em- 
pereur, attendu  qu'il  en  garda  la  moitié  ou  la  meilleure  part; 
qu'Alonso  Hernandez  Puertocarrero,  un  des  procureurs  envoyés  par 
Cortès,  ayant  sollicité  de  l'évêque  l'autorisation  d'aller  en  Flandre  où 
Sa  Majesté  se  trouvait,  fut  arrêté  par  son  ordre  et  mourut  en  prison  ; 
que  ledit  évêque  envoya,  à  la  maison  de  la  Contratacion  de  Séville, 
au  trésorier  Pedro  Ysasaga  et  à  Juan  Lopez  de  Rccalte,  qui  y  ré- 
sidaient à  titre  de  commissaires  de  Sa  Majesté,  l'ordre  de  ne  donner 
aucun  secours  à  l'expédition  de  Gortès,  ni  en  soldats,  ni  en  armes,  ni 
en  quoi  que  ce  fût;  que  le  même  évêque  pourvoyait  aux  grades  et 
aux  emplois  sans  consulter  Sa  Majesté,  y  nommant  des  hommes  qui 
ne  le  méritaient  nullement,  qui  n'avaient  ni  aptitudes,  ni  savoir  pour 
commander,  ainsi  que  cela  arriva  à  propos  de  Christobal  de  Tapia,  à 
qui  il  promit  le  gouvernement  de  la  Nouvelle-Espagne,  dans  le  but 
de  marier  avec  lui  ou  avec  Diego  Velasquez  sa  propre  nièce  doua  Pe- 
tronila  de  Fonseca  ;  que  le  même  évêque  approuvait  et  donnait  pour 
véritables  les  faux  rapports  et  les  accusations  émanant  des  procureurs 
de  Diego  Velasquez,  qui  étaient  Andrès  de  Duero,  Manuel  de  Roxas 
et  le  prêtre  Benito  Martin,  lesquels  rapports  il  envoyait  à  Sa  Majesté 
comme  étant  exacts,  tandis  qu'il  détournait  comme  mensongers  les 


628  CONQUÊTE 

rapports,  cependant   très-véri cliques,  que  nous  adressions,  Gortès  et 
nous  tous,  les  bons  serviteurs  de  Sa  Majesté. 

Les  mêmes  personnages  accumulèrent  bien  d'autres  charges,  ac- 
compagnées de  bonnes  preuves,  sans  qu'on  pût  en  rien  effacer,  mal- 
gré les  allégations  de  la  partie  contraire.  Tout  cela  étant  écrit  et  mis 
au  net  fut  envoyé  à  Zaragoza  où  se  trouvait  Sa  Sainteté  à  cette  épo- 
que. Le  Saint  Père  vit  ces  rapports  et  lut  les  motifs  sur  lesquels  s'ap- 
puyait notre  récusation  ;  il  vit  aussi  dans  les  dossiers  de  Diego  Ve- 
lasquez qu'on  avait  beau  alléguer  les  avances  qu'il  avait  faites  poul- 
ies navires  et  pour  les  frais  ;  ses  prétentions  tombaient  devant  la  pen- 
sée qu'il  ne  s'était  mis  nullement  en  rapport  avec  notre  Roi  et  sei- 
gneur, mais  seulement  avec  son  ami  l'évêque  de  Burgos,  tandis  que 
Gortès  avait  rempli  toutes  ses  obligations  comme  loya]  serviteur. 
Voyant  tout  cela,  Sa  Sainteté,  usant  de  son  pouvoir  de  gouverneur 
de  Gastille,  outre  qu'Elle  était  le  Pape,  ordonna  à  l'évêque  de  Burgos 
de  se  démettre  de  ses  droits  d'intervenir  dans  les  affaires  et  procès  de 
Gortès  et  de  ne  plus  s'occuper  de  quoi  que  ce  fût  concernant  les  In- 
des. Sa  Sainteté  proclama  au  surplus  Fernand  Gortès  gouverneur  de 
la  Nouvelle-Espagne,  ajoutant  que  si  Diego  Velasquez  avait  fait  quel- 
ques avances,  nous  les  lui  devions  rembourser.  Elle  envoya  à  la  Nou- 
velle-Espagne des  bulles  avec  un  grand  nombre  d'indulgences  pour 
les  hôpitaux  et  les  églises;  Elle  écrivit  une  lettre  recommandant  à 
Gortès  et  à  nous  tous  qui  étions  en  sa  compagnie  de  montrer  toujours 
le  plus  grand  zèle  pour  les  conversions  d'Indiens,  à  la  condition  de 
ne  les  obtenir  ni  par  des  supplices,  ni  par  le  pillage,  mais  bien  paci- 
fiquement et  par  les  meilleurs  moyens  possible,  en  interdisant  d'ail- 
leurs et  en  empêchant  les  sacrifices,  les  vices  contre  nature  et  autres 
turpitudes.  Le  Saint  Père  disait  encore,  dans  sa  lettre,  qu'en  sus  des 
grands  services  que  nous  rendions  à  Dieu  Notre  Seigneur  et  à  l'Em- 
pereur, le  Pape,  en  sa  qualité  de  notre  père  et  pasteur,  avait  le  devoir 
de  prier  Dieu  pour  nos  âmes  en  raison  des  grands  biens  que  nos  bras 
avaient  procurés  à  toute  la  chrétienté.  Sa  Sainteté  nous  envoyait  en- 
core dans  ses  lettres  d'autres  saintes  bulles  pour  nos  absolutions  per- 
sonnelles. Lorsque  nos  procureurs  virent  les  ordres  du  Saint  Père 
agissant  au  double  titre  de  Souverain  Pontife  et  de  gouverneur  de  la 
Gastille,  ils  envoyèrent  sans  retard,  par  des  voies  rapides,  des  cour- 
riers à  Sa  Majesté,  qui  était  revenue  de  Flandre  et  se  trouvait  déjà 
en  Espagne.  Us  emportaient  même  des  lettres  de  Sa  Sainteté  pour 
notre  monarque.  S'étant  bien  informé  sur  tout  ce  que  je  viens  de  dire, 
l'Empereur  confirma  les  ordres  du  Souverain  Pontife  et  déclara  Gor- 
tès gouverneur  de  la  Nouvelle-Espagne,  recommandant  de  payer  à 
Diego  Velasquez  ce  qu'il  aurait  dépensé  de  son  bien  propre  pour  l'ar- 
mement de  la  flotte,  ordonnant  en  même  temps  que  le  gouvernement 
de  l'île  de  Cuba  lui  fût  enlevé  pour  avoir  envoyé  une  expédition  aux 


DR  LA  NOUVELLE-ESPAGNE.  629 

ordres  dePamphilo  deNarvaez  sans  autorisation  de  Sa  Majesté,  malgré 
la  défense  que  lui  en  faisaient  la  Haute  Cour  royale  de  justice  ainsi 
que  les  Frères  hiéronymites  qui  résidaient  à  Saint-Domingue  à  titre 
de  gouverneurs  de  l'île,  lesquels,  dans  le  but  d'empêcher  le  départ  de 
cette  flotte,  lui  adressèrent  un  auditeur  de  la  même  Haute  Cour,  ap- 
pelé Lucas  Vasquez  de  Aillon,  que  l'on  arrêta  et  envoya  comme  pri- 
sonnier à  bord  d'un  navire,  au  lieu  de  lui  obéir. 

Quoi  qu'il  en  soit,  lorsque  l'évêque  de  Burgos  apprit  ce  que  je  viens 
de  dire,  qu'il  connut  les  ordres  de  Sa  Sainteté  et  de  Sa  Majesté  et 
qu'il  en  eut  reçu  la  notification  légale,  il  en  ressentit  un  tel  chagrin 
qu'il  en  tomba  malade.  Il  quitta  la  capitale  et  se  rendit  à  Toro  où 
était  le  palais  de  sa  résidence.  Son  frère  don  Antonio  de  Fonseca 
seigneur  de  Coca  et  d'Alaexos,  eut  beau  se  remuer  en  sa  faveur  il 
lui  fut  impossible  de  le  réintégrer  dans  son  gouvernement  an- 
térieur. 

Laissons  donc  ce  sujet  pour  dire  qu'à  cette  grande  abondance  de  fa- 
veurs succédèrent  pour  Gortès  de  nouvelles  contrariétés;  car  il  fut 
poursuivi  de  rudes  accusations  à  propos  de  Pamphilo  de  Narvaez,  de 
Christobal  de  Tapia  et  du  pilote  Gardenas,  duquel  j'ai  dit,  dans  le 
chapitre  qui  en  a  traité,  qu'il  était  tombé  malade  de  tristesse  parce 
qu'on  ne  lui  avait  pas  donné  sa  part  du  premier  or  que  l'on  envoya 
en  Gastille.  Gortès  fut  encore  accusé  par  Gonzalo  de  Umbria,  pilote 
auquel  il  avait  fait  mutiler  les  pieds  pour  sa  défection  avec  un  navire 
en  compagnie  de  Cermeno  et  de  Pedro  Escudero,  qui  furent  pendus. 


CHAPITRE  CLXVIIÏ 


Comme  quoi  Pamphilo  de  Narvaez,  Christobal  de  Tapia,  un  pilote  appelé  Conzalo  de 
Umbria  et  un  autre  soldat  du  nom  de  Cardenas  comparurent  devant  Sa  Majesté, 
sous  la  protection  de  l'évêque  de  Burgos,  quoique  celui-ci  n'eût  plus  pouvoir  d'in- 
tervenir dans  les  affaires  des  Indes,  puisqu'on  lui  avait  retiré  cet  emploi,  et  qu'il 
vécût  à  Toro.  Tous  ces  gens  que  je  viens  de  nommer  formulèrent  des  plaintes  contre 
Cortès  par-devant  Sa  Majesté.  De  ce  qui  se  fit  à  oe  sujet. 

Je  viens  de  dire  dans  le  chapitre  qui  précède  que  Sa  Sainteté  avait 
parfaitement  compris  les  services  considérables  que  Cortès  et  nous 
tous  qui  étions  en  sa  compagnie,  en  qualité  de  conquistadores,  avions 
rendus  à  Dieu  Notre  Seigneur,  à  Sa  Majesté  et  à  toute  la  chrétienté. 
J'ai  dit  encore  que  Cortès  fut  favorisé  du  titre  de  gouverneur  de  la 
Nouvelle-Espagne;  j'ai  mentionné  les  bulles  et  les  indulgences  que  le 
Saint  Père  envoya  pour  nous  tous.  J'ai  raconté  aussi  que,  Sa  Majesté 
ayant  connu  les  ordres  du  Saint  Père,  après  s'être  dûment  informée 
de  la  vérité,  y  donna  son  approbation  en  y  ajoutant  d'autres  disposi- 


630  CONQUÊTE 

tions  royales.  J'ai  dit,  au  surplus,  que  l'emploi  de  président  des  Indes 
fut  enlevé  à  l'évêque  de  Burgos  qui  s'en  alla  habiter  la  ville  de  Toro. 
Maintenant  j'ajoute  qu'en  ce  même  temps  arriva  enGastillePamphilo 
de  Narvaez,  celui-là  même  qui  avait  été  capitaine  de  l'expédition  que 
Diego  Velasquez  envoya  contre  nous.  Alors  aussi  survint  Christobal 
de  Tapia,  lequel  avait  été  envoyé  par  l'évêque  pour  se  mettre  à  la 
tète  du  gouvernement  de  la  Nouvelle-Espagne.  En  leur   compagnie 
venaient  le  pilote  Gonzalo  de  Umbria  et  un  autre  soldat  appelé  Car- 
denas.  Tous  ensemble  s'en  furent  à  Toro  demander  la  protection  de 
l'évêque  de  Burgos  pour  élever  contre  Cortès  des  plaintes  devant  Sa 
Majesté  qui  était  revenue  de  Flandre.  L'évêque  ne  désirait  rien  tant 
que  de  voir  des  griefs  surgir  contre  Gortès  et  nous  tous;  aussi  les 
accueillit-il  et  leur  fit-il  de  telles  promesses  que  les  procureurs  de 
Diego  Velasquez,  qui  se  trouvaient  à  la  capitale,  se  réunirent  sans 
perdre  de  temps.  C'étaient  Bernardino  Velasquez,  que  le  gouverneur 
avait  envoyé  de  Cuba  pour  travailler  en  sa  faveur,  Benito  Martin  et 
Manuel  de  Boxas.  Ils  se  présentèrent   ensemble  à  l'Empereur  notre 
seigneur,    et  se   plaignirent  fortement  de  Gortès.  Les  points  qu'ils 
débattirent  contre  lui  furent  que  Diego  Velasquez  avait  envoyé  colo- 
niser trois  fois  la  Nouvelle-Espagne,  dépensant  une  grande  quantité 
de  piastres  en  navires,  armes,  provisions  et  objets  donnés  aux  soldats; 
qu'il    expédia   Fernand   Gortès   comme   capitaine    d'une    flotte    avec 
laquelle  celui-ci  se  souleva  sans  jamais  plus  avoir  recours  à  Velasquez 
pour  n'importe  quelle  chose.  On  prétendit  également,  outre  ce  qu'on 
vient  de  dire,  que  Diego  Velasquez  envoya  Pamphilo  de  Narvaez  à  la 
tête  de  plus  de  treize  cents  soldats,  avec  dix-huit  navires,  beaucoup 
de  chevaux,  des  gens  d'espingole  et  des  arbalétriers,  muni  d'ailleurs 
de   lettres  patentes  et  provisions  de  Sa  Majesté   contresignées  par 
l'évêque  de  Burgos,  président  des  Indes,  pour  que  le  gouvernement 
de  la  Nouvelle-Espagne  lui  fût  livré,  toutes  choses  auxquelles  Gortès 
refusa  obéissance,  préférant  le  combattre,  le  vaincre,  lui  tuer  son  alfe- 
rez  et  ses  capitaines,  lui  crever  un  œil,  lui  brûler  tout  son  avoir  et  le 
faire  prisonnier,  lui  Narvaez,  avec  tous  les  autres  chefs  qui  étaient  en 
sa  compagnie.   Les  plaignants  ajoutaient  que,  malgré  ce  désastre, 
l'évêque  de  Burgos  prit  soin  d'envoyer  Christobal  de  Tapia,  ici  pré- 
sent, lequel  partit,  en  effet,  pour  aller  prendre  le  gouvernement  de 
ces  pays  au  nom  de  Sa  Majesté;  mais  que  Gortès  ne  voulut  pas  lui 
obéir  et  qu'il  l'obligea  à  se  rembarquer.   On  l'accusait  encore  d'avoir 
exigé,  au  nom  du  Roi,  des  Indiens  de  toutes  les  villes  de  la  Nouvelle- 
Espagne,  beaucoup  d'or  qu'il  prenait,  cachait  et  conservait  en  son 
pouvoir.  On  disait  que,  contre  la  volonté  de  ses  soldats,  il  s'attribua, 
comme  s'il   eût  été  roi,  le  cinquième  du  butin  trouvé  à  Mexico.  On 
l'accusait  d'avoir  fait  brûler  les  pieds  à  Guatemuz  et  à  d'autres  caci- 
ques  pour  en  obtenir  de   l'or;  de  n'avoir  point  donné  aux  soldats 


DE  LA  NOUVELLE-ESPAGNE.  631 

leurs  parts  de  prises,  gardant  tout  pour  lui-même  ;  d'avoir  construit 
des  palais  et  maisons  quasi-fortifiés  ayant  les  dimensions  d'un  grand 
village,  à  l'édification  desquels  il  faisait  contribuer  toutes  les  villes 
des  alentours  de  Mexico,  dont  les  habitants  étaient  contraints  à 
apporter,  de  fort  loin,  du  bois  de  cyprès  et  de  la  pierre.  On  préten- 
dait aussi  qu'il  avait  empoisonné  Franscisco  de  Graray  pour  lui 
prendre  ses  soldats  et  sa  flotte. 

On  formula  bien  d'autres  accusations,  en  si  grand  nombre  même 
que  Sa  Majesté  se  montrait  réellement  fâchée  de  tant  d'injustices 
accumulées  contre  Gortès,  tout  en  croyant  que  c'étaient  des  vérités. 
En  sus  de  tout  cela,  comme  Narvaez  avait  le  verbe  haut,  voici  —  écou- 
tez-le bien  —  ce  qu'il  se  permit  de  dire  :  «Et  pour  que  Votre  Majesté 
sache  bien  à  quel  point  arrivèrent  les  choses,  la  nuit  qu'on  me  fit  pri- 
sonnier après  ma  déroute,  je  Lui  ferai  remarquer  qu'ayant  cru 
mettre  mes  provisions  royales  en  sûreté  en  les  cachant  sur  ma  poi- 
trine, tandis  que  mon  œil  était  déjà  crevé  et  que  je  pouvais  craindre 
que  tout  brûlât,  parce  que  déjà  le  feu  avait  pris  partout  dans  le  loge- 
ment où  j'étais,  un  des  capitaines  de  Gortès,  appelé  Alonso  de  Avila, 
celui-là  même  qui  est  actuellement  prisonnier  en  France,  me  retira 
violemment  du  sein  ces  titres,  qu'il  ne  voulut  point  me  rendre,  et  il 
proclama  que  ce  n'étaient  point  des  provisions  royales,  mais  des 
obligations  dont  je  venais  faire  le  recouvrement.  »  On  assure  qu'en 
ce  moment  l'Empereur  ne  put  s'empêcher  de  rire,  et  sa  réponse  fut 
qu'il  ferait  rendre  justice  en  toutes  choses. 

L'ordre  fut  donné  par  l'Empereur  de  réunir  un  certain  nombre  de 
caballeros  de  son  conseil  et  de  sa  chambre  royale,  personnages  dont 
Sa  Majesté  attendait  toute  justice.  Ce  furent  Mercurio  Gatilinario, 
grand  chancelier  italien,  de  Lasoa,  le  docteur  de  laRocha  Flamencos, 
Hernando  de  Vega,  seigneur  de  Grrajoles  et  grand  commandeur  de 
Gastille,  le  docteur  Lorenzo  Gralindez  de  Garavajal  et  le  licencié  Var- 
gas,  trésorier  général  de  Gastille.  Sa  Majesté,  ayant  appris  qu'ils 
s'étaient  constitués,  leur  fit  parvenir  l'ordre  de  bien  considérer,  en 
toute  justice,  les  débats  et  contradictions  entre  Gortès  et  Diego  Ve- 
lasquez,  ainsi  que  les  dires  des  plaignants,  et  de  juger  en  tout  selon 
le  droit,  sans  s'attacher  aux  personnes,  ni  favoriser  aucune  d'elles, 
n'ayant  en  vue  que  la  justice.  En  présence  de  cet  ordre  royal,  les 
juges  convinrent  de  tenir  leurs  audiences  dans  le  palais  même  du 
grand  chancelier,  et  ils  firent  parvenir  l'ordre  de  comparaître  à  Nar- 
vaez, à  Ghristobal  de  Tapia,  au  pilote  Umbria,  à  Gardenas,  à  Manuel 
de  Roxas,  à  Benito  Martin  et  à  un  Velasquez,  ces  trois  derniers  étant 
procureurs  de  Diego  Velasquez.  Comparurent  aussi,  pour  Gortès, 
son  père  Martin  Gortès,  le  licencié  Francisco  Nunez,  Francisco  de 
Montejo  et  Diego  de  Ordas.  Ordre  fut  donné  aux  commissaires  de 
Diego  Velasquez  de  formuler  toutes  les  plaintes,  demandes  et  griefs 


632  CONQUÊTE 

contre  Cortès.  Ils  répétèrent  ce  qui  avait  déjà  été  dit  devant  Sa  Ma- 
jesté. 

A  cela,  les  commissaires  de  Gortès  répondaient  qu'en  ce  qui  regarde 
l'allégation  de  Diego  Velasquez  d'avoir  été  le  premier  à  envoyer  découvrir 
la  Nouvelle-Espagne,  en  dépensant  une  grande  quantité  de  piastres 
d'or,  cela  ne  se  passa  point  ainsi,  attendu  que  le  véritable  auteur  de 
la  découverte  fut  don  Francisco  Hernandez  de  Cordova  avec  cent  dix 
soldats  qui  découvrirent  ces  pays  à  leurs  dépens  ;  que  Diego  Velas- 
quez était  digne  de  châtiment  pour  avoir  donné  l'ordre  à  ceux  qui 
firent  cette  découverte  d'aller  à  l'île  des  (juanajes  dans  le  but  d'y 
prendre  des  Indiens  par  la  force,  afin  de  les  faire  servir  comme 
esclaves.  Cette  réponse  fut  accompagnée  de  preuves  qui  ne  furent 
suivies  d'aucune  contradiction.  On  répondit  aussi  que,  s'il  était  vrai 
que  Diego  Velasquez  avait  envoyé  son  parent  Grijalva  avec  une  autre 
flotte,  il  n'était  pas  moins  exact  qu'il  ne  lui  avait  pas  donné  pour 
instructions  de  coloniser,  mais  d'acquérir  de  l'or  par  échanges  et  que 
les  capitaines  qui  commandaient  les  navires  firent  à  peu  près  tous  les 
frais  de  l'expédition,  et  nullement  Diego  Velasquez;  que  l'un  des 
capitaines  fut  Francisco  de  Montejo,  actuellement  présent,  et  les 
autres,  Pedro  de  Alvarado  et  Alonso  de  Avila;  qu'on  acquit  vingt 
mille  piastres  que  s'appropria  Diego  Velasquez  pour  les  envoyer  à 
l'évêque  de  Burgos,  dans  le  but  d'en  obtenir  des  faveurs,  sans  y  pré- 
lever pour  Sa  Majesté  d'autre  part  que  celle  que  lui  dicta  son  caprice, 
tandis  qu'il  donnait  par  surcroît  de  bénéfice,  à  l'évêque,  dans  l'île  de 
Cuba,  des  Indiens  qui  lui  recueillaient  de  l'or;  qu'au  contraire,  il 
n'assigna  aucun  village  à  Sa  Majesté,  quoiqu'il  eût  dû  se  considérer 
comme  son  obligé  bien  plus  que  celui  de  l'évêque.  Tout  cela  fut  très- 
bien  prouvé  et  nullement  contredit.    . 

On  assura  encore  que  si  Velasquez  envoya  Fernand  Gortès  avec  une 
troisième  flotte,  il  est  certain  que  ce  fut  par  la  grâce  de  Dieu  et  au 
profit  de  l'Empereur  notre  maître  et  seigneur,  attendu  que  si  un 
autre  capitaine  y  fût  allé  à  sa  place,  il  aurait  été  certainement  défait, 
tant  fut  grande  la  multitude  des  guerriers  qui  se  réunirent  contre 
nous  ;  que  d'ailleurs,  quand  Diego  Velasquez  l'envoya,  ce  ne  fut  pas 
avec  l'ordre  de  coloniser,  mais  d'acquérir  par  échanges,  fait  qui  fut 
dûment  prouvé,  attendu  que  si  Gortès  se  décida  à  s'établir,  c'est 
qu'il  en  fut  requis  par  ses  compagnons  d'armes  et  qu'il  s'y  résolut 
parce  qu'il  vit  que  c'était  utile  au  service  de  Dieu  et  de  Sa  Majesté: 
mesure  très-judicieuse  dont  le  rapport  fut  fait  à  Sa  Majesté  en  même 
temps  qu'on  Lui  envoya  tout  l'or  que  Ton  put  recueillir  et  qu'on  Lui 
écrivit  à  ce  sujet  deux  lettres  qui  devaient  La  mettre  au  courant  de 
tout  ce  que  je  viens  de  dire  ;  qu'enfin,  quant  aux  ordres  royaux,  Gortès 
et  tous  ses  compagnons  d'armes  se  disaient  toujours  prêts  à  y  obéir 
avec  le  plus  grand  respect. 


DE  LA  NOUVELLE-ESPAGNE.  633 

On  détailla  tout  ce  que  i'évêque  de  Burgos  faisait  en  faveur  de 
Diego  Velasquez  :  que  nous  expédiâmes  nos  commissaires  avec  de 
l'or  et  des  lettres;  que  I'évêque  tenait  nos  nobles  services  cachés; 
qu'il  n'envoyait  nullement  nos  lettres  à  Sa  Majesté,  mais  d'autres 
lettres  arrangées  à  sa  façon;  qu'il  gardait  pour  lui  la  plus  grande 
partie  de  l'or  que  nous  envoyions;  qu'il  détournait  tout  ce  que  nous 
jugions  convenable  de  faire  savoir  à  Sa  Majesté,  sans  Lui  rien  dire 
de  ce  qu'il  eût  été  obligé  de  découvrir  à  notre  Roi  et  seigneur;  que, 
nos  commissaires  ayant  voulu  aller  en  Flandre  se  présenter  à  la  per- 
sonne royale,  il  arrêta  l'un  d'eux,  Alonzo  Hernandez  Puertocarrcro, 
cousin  du  comte  de  Medellin,  qui  mourut  en  prison  ;  que  I'évêque 
lui-même  avait  donné  l'ordre  aux  commissaires  de  la  maison  de  la 
Contratacion  de  Séville  de  ne  fournir  à  Gortès  aucun  secours,  ni  en 
armes,  ni  en  hommes,  et  de  le  contrecarrer  en  toute  chose;  qu'on 
avait  toujours  la  bouche  pleine  du  mot  de  traîtres  qui  nous  était 
appliqué;  qu'en  tout  cela,  I'évêque  était  guidé  par  son  projet  de  marier 
une  de  ses  nièces,  appelée  dona  Petronila  de  Fonseca,avec  Yelasquez 
ou  avec  Tapia,  à  la  condition  de  le  faire  gouverneur  de  Mexico.  Nos 
commissaires  appuyèrent  tous  ces  dires  par  la  présentation  de  la 
copie  des  lettres  que  nous  écrivîmes  à  Sa  Majesté  et  sur  grand  nombre 
d'autres  preuves.  La  partie  adverse  ne  put  contredire  en  rien  nos 
allégations,  parce  qu'il  n'y  avait  vraiment  pas  de  raisons  pour  le 
faire. 

Pour  ce  qui  regarde  ce  qu'on  disait  de  Narvaez  :  que  Diego  Velas- 
quez l'avait  envoyé  avec  dix-huit  navires,  treize  cents  soldats,  cent 
chevaux,  quatre-vingts  hommes  d'escopette  et  autant  d'arbalétriers, 
en  faisant  pour  ce  des  dépenses  considérables;  atout  cela  il  fut  ré- 
pondu que  Diego  Velasquez  avait  encouru  la  peine  capitale  pour  avoir 
organisé  cette  expédition  sans  l'autorisation  de  Sa  Majesté;  que 
quand  il  envoyait  ses  commissaires  en  Castille,  il  ne  s'adressait  nul- 
lement à  notre  Roi  et  seigneur  ainsi  qu'il  en  avait  l'obligation,  mais 
simplement  à  I'évêque  de  Burgos;  que  le  Haut  Tribunal  de  Saint- 
Domingue  et  les  Frères  hiéronymites,  qui  étaient  gouverneurs  de 
l'île,  firent  parvenir  à  Diego  Velasquez,  à  Cuba,  sous  des  peines  sé- 
vères, la  défense  d'envoyer  cette  flotte  avant  que  Sa  Majesté  en  fût 
informée  et  qu'il  pût  agir  par  autorisation  royale,  attendu  que  faire 
autrement,  c'était  desservir  Dieu  et  Sa  Majesté  et  apporter  le  trouble 
dans  la  Nouvelle-Espagne  au  moment  où  Gortès  et  ses  compagnons 
d'armes  s'occupaient  de  la  conquête  et  de  la  conversion  de  tant  d'In- 
diens qui  embrassaient  notre  sainte  foi  catholique  ;  que  pour  empê- 
cher le  départ  de  la  flotte  on  lui  envoya  un  auditeur  de  l'Audience 
royale  elle-même,  le  licencié  Lucas  Vasquez  de  Aillon,  et  qu'au  lieu 
de  lui  obéir  ainsi  qu'aux  royaux  commandements  qu'il  apportait,  on 
l'arrêta  et,  sans  considération  aucune,  on  l'envoya  prisonnier  à  bord 


634  CONQUÊTE 

d'un  navire.  Nos  commissaires  ajoutèrent  qu'attendu  que  Narvaez 
était  là  présent,  lui  qui  s'était  rendu  coupable  de  ce  délit  insensé, 
-voisin  du  crime  de  lèse-majesté  et  méritant  la  mort,  supplique  était 
faite  aux  caballeros  par  moi  nommés,  actuellement  constitués  en 
juges,  d'ordonner  qu'il  lui  fût  appliqué  un  juste  châtiment.  On  ré- 
pondit qu'à  cet  égard  il  serait  fait  justice. 

Revenons  encore  une  fois  à  ce  que  disaient  nos  commissaires  pour 
notre  décharge.  Eu  égard  à  ce  qu'on  prétendait,  que  Gortès  ne  voulut 
point  obéir  aux  pouvoirs  dont  Narvaez  était  porteur,  qu'il  lui  fit  la 
guerre,  le  vainquit,   lui  creva  un  œil,  le  prit  avec  tous  ses  compa- 
gnons et  capitaines  et  mit  le  feu  à  leurs  logements,  il  fut  répondu 
qu'aussitôt  que  Narvaez  arriva  à  la  Nouvelle-Espagne  et  y  débarqua, 
la  première  chose   dont  il  s'occupa  fut  d'envoyer  dire  au  grand  roi 
Montezuma,  alors  en  prison  par  ordre  de  notre  général,  qu'il  était 
venu  pour  le  délivrer  et  pour  faire  périr  les  compagnons  de  Gortès  ; 
que  par  suite  il  agita  tout  le  pays  de  façon  à  soulever  les  provinces 
déjà  pacifiées;  qu'en  apprenant  qu'il  était  arrivé  au  port  de   Yera 
Gruz,  Gortès  lui  écrivit  très-affectueusement,  lui  donnant  l'assurance 
que  s'il  apportait  une  commission  émanée  de  Sa  Majesté,  une  fois 
ses  pouvoirs  vus,  on  y  prêterait  obéissance  avec  le  respect  qu'on  doit 
à  son  Roi  et  seigneur  ;  que  Narvaez  ne  voulut  pas  répondre  aux  let- 
tres de  Gortès  et,  continuant  dans  son  camp  à  l'appeler  traître,  quoi- 
qu'il fût  un  loyal  serviteur  de  Sa  Majesté,  il  fit  proclamer  une  guerre 
sans  quartier  contre  lui  et  ses  compagnons  ;  que  Gortès  l'envoya  sup- 
plier plusieurs  fois  d'accepter  la  paix,  le  priant  en  même  temps  de 
ne  pas  troubler  la  Nouvelle-Espagne  et  de  ne  pas  causer  la  perte  de 
tout  le  monde,  et  assurant  qu'il  était  prêt  à  porter  ses  conquêtes  là 
où  Narvaez  voudrait,  tandis  que  celui-ci  ferait  choix,  pour  les  siennes, 
des  lieux  qui  lui  plairaient  le  plus,   et  qu'ainsi  tous  deux  travaille- 
raient au  service  de  Dieu  et  de  Sa  Majesté  en  pacifiant  le  pays  en- 
tier; mais  que  Narvaez  ne  voulut  pas  répondre  à  ses  propositions. 
Lors  donc  que  Gortès  vit  que  toutes  ces  considérations  ne  servaient  à 
rien,  qu'on  ne  lui  faisait  pas  voir  les  provisions  royales  et  que  Nar- 
vaez avait  commis  la  grande  folie  d'arrêter  l'auditeur  de  Sa  Majesté, 
résolu  à  le  châtier  pour  ce  délit,  il  fut  d'avis  d'aller  à  lui  pour  voir 
personnellement  ses  provisions  royales  et  apprécier  les   motifs  qui 
avaient  amené  l'arrestation  de  l'auditeur.  Nos  commissaires  assure 
rent  que  Narvaez  avait  conçu  le  projet  de  faire  Gorlès  prisonnier;  on 
en  donna  d'irrécusables  preuves,  surtout  par  le  témoignage  d'Andrès 
de  Duero  lui-même,  qui  faisait  partie  de  la  troupe  de  Narvaez  quand 
il  débarqua,  et  qui  avertit  Gortès  de  cette  détermination.  Les  parti- 
sans de  Diego  Velasquez  ne  trouvèrent  rien  à  reprendre  aux  faits  al- 
légués. 

Quant  à  ce  grief  que,  Francisco  de  Garay  étant  venu  au  Panuco 


DE  LA  N0UVELLE-E3PAGNE.  635 

avec  un  grand  matériel  de  guerre  et  des  provisions  de  Sa  Majesté 
qui  le  constituaient  gouverneur  de  cette  province,  Gortès  aurait  eu 
recours  à  la  ruse  et  déployé  beaucoup  d'activité  pour  amener  la  dé- 
fection de  ses  troupes,  pour  faire  que  les  Indiens  de  la  province  tuas- 
sent un  grand  nombre  de  ses  hommes,  pour  lui  prendre  quelques 
navires  et  commettre  enfin  d'autres  excès  qui  laissèrent  Garay  con- 
vaincu de  sa  perte  et  de  l'abandon  de  ses  capitaines  et  de  ses  sol- 
dats, de  telle  sorte  qu'il  n'eut  d'autre  ressource  que  de  venir  frapper 
à  la  porte  de  Gortès,  lequel  le  logea  dans  ses  palais  et  au  bout  de 
huit  jours  lui  fit  servir  un  déjeuner  dont  Garay  mourut  empoisonné..., 
on  répondit  à  cette  accusation  en  alléguant  que  cela  ne  s'était  point 
passé  ainsi,  car  Gortès  n'avait  nul  besoin  des  soldats  de  Garay  ni  de 
leur  défection  ;  mais  Garay,  n'étant  pas  homme  de  guerre,  ne  savait 
nullement  se  conduire  avec  ses  hommes  ;  il  ne  sut  pas  d'ailleurs,  en 
débarquant,  débuter  par  un  sol  sec  et  ferme,  mais  s'étant  fourvoyé 
dans  de  grands  cours  d'eau  et  de  mauvais  marécages  infestés  de  mous- 
tiques et  de  vampires,  tandis  que  ses  soldats  recevaient  la  nouvelle 
de  la  grande  prospérité  de  Mexico,  de  ses  richesses  et  de  la  réputa- 
tion de  grande  libéralité  de  Gortès,  il  fournit  lui-même  les  véritables 
causes  de  la  désertion  de  ses  hommes  ;  au  surplus,  les  soldats  de  l'ex- 
pédition s'occupaient  à  piller  les  Indiens  des  villages  de  ces  pro- 
vinces et  à  leur  prendre  leurs  filles  et  leurs  femmes,  ce  qui  fut  cause 
qu'on  se  souleva  contre  eux  et  qu'on  tua  les  Espagnols  dont  il  était 
parlé.  Quant  aux  navires,  Gortès  ne  s'en  était  point  emparé,  puisque 
d'eux-mêmes  ils  s'étaient  échoués  sur  la  plage. 

Nos  commissaires  continuant   leur  réponse  dirent  encore  que   si 
Gortès  envoya  ses  capitaines,  ce  fut  pour  qu'ils  parlassent  à  Garay  et 
lui  offrissent  leurs  services  de  la  part  de  leur  général;  ce  fut  aussi 
pour  qu'ils  vissent  les  provisions  royales  et  s'assurassent  si  elles  con- 
tredisaient celles   dont  Gortès  était  auparavant  possesseur.  Ils  ajou- 
taient que  Garay,  se  voyant  sans  soldats,  avec  ses  navires  échoués 
sur  la  côte,  résolut  de  se  réfugier  à  Mexico  ;  que  Gortès  donna  l'ordre 
exprès  de  lui  rendre  sur  la  route  les  plus  grands  honneurs,  lui  fit  of- 
frir un  banquet  à  Tezcuco,  sortit  au-devant  de  lui  quand  il  s'appro- 
chait de  la  capitale  et  le  logea  ensuite  dans  son  propre  palais;  que 
là,  un  mariage  fut  convenu  entre  leurs  enfants;  que  Cortès  lui  offrit 
ses  secours  et  sa  protection  pour  aller  coloniser  le  fleuve  de  Palmas; 
s'il  tomba  malade,  c'est  qu'il  plut  à  Dieu  de  l'enlever  de  ce  monde  ; 
quelle  faute  Gortès  pouvait-il  en  avoir?  Nos  commissaires  ajoutèrent 
qu'on  avait  fait  à  Garay  des  obsèques  magnifiques,  qu'on  avait  porté 
son  deuil  et  que  les  médecins  qui  le  soignèrent  déclaraient  sous  ser- 
ment qu'il  était  mort  de  douleur  de  côté;  que  telle  était  la  vérité.  Et 
personne  ne  se  leva  pour  y  contredire. 

En  ce  qui  regarde  le  cinquième  qu'on  accusait  Gortès  de  prélever 


636  CONQUÊTE 

sur  le  butin,  comme  s'il  eût  été  roi,  il  fut  répondu  que  quand  on  le 
proclama  capitaine  général  et  grand  justicier  jusqu'à  ce  qu'il  plût  à 
Sa  Majesté  d'en  disposer  autrement,  les  soldats  offrirent  de  lui  donner 
le  cinquième  des  lots  après  le  prélèvement  du  quint  royal  ;  que  s'il 
l'accepta,  c'est  parce  qu'il  avait  l'habitude  de  dépenser  au  service  de 
Sa  Majesté  tout  ce  qu'il  possédait,  ainsi  que  cela  arriva  pour  la  pro- 
vince du  Panuco  à  l'occasion  de  laquelle  il  dépensa  environ  soixante 
mille  piastres  d'or  de  son  bien  ;  qu'il  envoya  en  présent  à  Sa  Majesté 
beaucoup  d'or  pris  sur  ce  qui  lui  était  revenu  de  son  cinquième;  et  de 
ce  fait,  comme  de  toutes  les  autres  allégations,  on  fournit  des  preuves 
auxquelles  il  ne  fut  nullement  contredit  par  les  commissaires  de 
Diego  Yelasquez. 

En  ce  qui  regarde  ce  qu'on,  disait  :  que  Gortès  avait  pris  aux  sol- 
dats les  parts  qui  leur  revenaient,  il  fut  répondu  qu'on  leur  assigna 
des  lots  conformément  au  compte  de  l'or  que  l'on  trouva  à  Mexico,  ce 
qui  fut  en  réalité  fort  peu  de  chose,  parce  que  les  trésors  avaient  été 
pillés  par  les  Indiens  de  Tlascala  et  de  Tezcuco,  ainsi  que  par  les 
autres  guerriers  qui  assistèrent  aux  attaques.  Il  ne  s'éleva  là-dessus 
aucune  contradiction. 

Pour  ce  qui  est  du  fait  que  Gortès  aurait  donné  l'ordre  de  brûler 
les  pieds,  avec  de  l'huile  bouillante,  à  Gruatemuz  et  à.  d'autres  caci- 
ques, pour  en  obtenir  de  l'or,  on  répondit  que  cet  acte  fut  accompli 
par  les  commissaires  de  Sa  Majesté,  contrairement  à  la  volonté  de 
Gortès,  dans  le  but  d'arriver  à  découvrir  les  trésors  de  Montezuma; 
ce  qui  fut  surabondamment  démontré. 

Sur  l'accusation  d'avoir  construit  de  somptueux  édifices,  dont  l'é- 
tendue arrivait  aux  proportions  d'un  bourg,  et  pour  lesquels  Gortès 
faisait  apporter  arbres  et  pierres  de  lointains  pays,  il  fut  répondu  que 
les  palais  sont,  en  effet,  magnifiques,  comme  méritaient  de  l'être 
des  choses  faites  pour  le  service  de  Sa  Majesté,  et  qu'en  ce  cas  se 
trouve  tout  ce  que  Gortès  possède,  car  tout  a  été  bâti  au  nom  du  Roi  ; 
que  les  arbres  et  cyprès  croissent  près  de  la  ville  et  y  sont  amenés 
par  eau  ;  quant  aux  pierres,  il  y  en  avait  tant  dans  les  ruines  des 
temples  d'idoles  qu'on  avait  détruits,  qu'il  n'était  nullement  besoin 
de  les  faire  venir  du  dehors  ;  pour  ce  qui  est  de  les  tailler,  il  ne  fut 
pas  nécessaire  de  faire  autre  chose  que  prier  le  grand  roi  Guatemuz 
d'en  charger  ses  ouvriers  constructeurs  et  ses  charpentiers,  qui  étaient 
extrêmement  nombreux  et  qui  furent  appelés  de  tous  les  villages, 
selon  l'habitude  où  l'on  était  dans  le  pays  de  faire  édifier  par  les  In- 
diens les  palais  et  les  maisons  des  grands  seigneurs. 

En  ce  qui  regarde  les  plaintes  de  Narvaez,  qu'Alonso  de  Avila  lui 
aurait  pris  par  force  ses  provisions  royales  et  refusé  de  les  lui  resti- 
tuer en  répandant  le  bruit  que  ce  n'était  autre  chose  que  des  obliga- 
tions souscrites  par  des  débiteurs  de  Narvaez  pour  des  chevaux  qu'il 


DE  LA  NOUVELLE-ESPAGNE.  637 

leur  avait  vendus  et  dont  il  venait  l'aire  le  recouvrement,  et  que  tout 
cela  se  serait  passé  par  ordre  de  Gortès...,  il  fut  répondu  qu'on  n'a- 
perçut aucunes  provisions,  mais  réellement  trois  obligations  rela- 
tives à  des  chevaux  et  juments  que  Narvaez  avait  vendus  à  crédit  ;  que 
Gortès  ne  vit  jamais  les  titres  royaux  susdits  et  qu'en  aucune  façon  il 
ne  donna  l'ordre  de  les  lui  prendre. 

A  la  plainte  du  soldat  Umbria^  à  qui  Gortès  aurait  fait  couper  et 
déboîter  les  pieds  *  sans  aucun  motif,  il  fut  répondu  qu'on  les  lui 
coupa  par  suite  d'un  arrêt  de  justice,  parce  qu'il  avait  voulu  se  sou- 
lever avec  un  navire,  abandonner  son  capitaine  en  temps  de  guerre  et 
s'en  revenir  à  Cuba  avec  d'autres  hommes,  que  Gortès  fit  pendre  en 
exécution  d'une  sentence. 

Pour  ce  qui  est  de  la  prétention  de  Gardenas,  alléguant  qu'on  ne 
lui  aurait  point  donné  sa  part  du  premier  or  qu'on  envoya  à  Sa  Ma- 
jesté, la  réponse  fut  que  ce  soldat  avait  signé  avec  beaucoup  d'autres 
qu'il  renonçait  à  sa  part,  parce  que  tout  devait  être  envoyé  à  Sa  Ma- 
jesté ;  que,  nonobstant,  Gortès  lui  avait  donné  trois  cents  piastres 
pour  qu'il  les  apportât  à  sa  femme  et  à  ses  enfants;  qu'au  surplus 
Gardenas  n'était  nullement  un  homme  de  guerre,  mais  un  sot  de  mince 
valeur,  fort  bien  payé  par  les  trois  cents  piastres.  Nos  commissaires 
dirent  encore,  à  la  suite  de  tout  cela,  que,  si  Gortès  marcha  contre 
Narvaez,  le  vainquit,  lui  creva  un  œil,  le  fit  prisonnier  avec  ses  au- 
tres chefs  et  brûla  leurs  logements,  ce  fut  bien  Narvaez  qui  en  eut 
toute  la  faute  pour  les  motifs  précédemment  allégués;  qu'il  s'agis- 
sait, au  surplus,  de  châtier  la  grande  folie  qu'il  avait  commise  en  ar- 
rêtant un  auditeur  de  Sa  Majesté;  que  Dieu  Notre  Seigneur,  ayant 
daigné  reconnaître  que  la  justice  était  du  côté  de  Gortès  et  de  ses  com- 
pagnons d'armes,  fit  la  grâce  à  ce  général  de  lui  donner  la  victoire  et 
de  permettre  qu'avec  deux  cent  soixante-six  soldats,  sans  aucun  che- 
val, sans  arquebuses  ni  arbalètes,  mais  avec  son  seul  savoir-faire  et 
ses  présents  en  or,  il  défît  Narvaez,  lui  crevât  un  œil  et  le  prît  lui  et 
ses  capitaines,  tandis  que  ceux-ci  possédaient  contre  Gortès  treize 
cents  soldats,  dont  cent  cavaliers  et  autant  d'arbalétriers  ou  de  gens 
d'escopette.  On  ajouta  que  si  Narvaez  fût  resté  en  qualité  de  capitaine 
général,  la  Nouvelle-Espagne  eût  été  perdue. 

Quant  à  Ghristobal  de  Tapia,  qui  serait  venu  prendre  le  gouver- 
nement de  la  Nouvelle-Espagne  en  s'appuyant  sur  des  provisions  de 
Sa  Majesté,  auxquelles  on  aurait  refusé  obéissance,  à  cela  on  ré- 
pondit que  Ghristobal  de  T^pia,  là  présent,  s'était  tenu  pour  fort  heu- 
reux d'avoir  pu  vendre  ses  chevaux  et  ses  nègres  ;  que  s'il  eût  été  à 

1.  L'auteur  dit  ici  :  Coi-lês  le  mandé  cortar  y  deszocar  lus  />i>:s  sîn  choisit  nin- 
guna,  ce  qui  est  justement  traduit  par  mon  texte.  Mais  il  est  raisonnable  de  croire 
que  ces  expressions  de  13.  Diaz  sont  exagérées.  11  s'agit  ici  simplement  d'une  mutila- 
tion portant  sur  les  orteils,  ainsi  que  je  l'aï  fait  observer  antérieurement. 


638  CONQUÊTE 

Mexico  montrer  ses  papiers,  Gortès  lui  aurait  donné  obéissance; 
mais  que,  les  caballeros  et  les  municipalités  des  villes  et  bourgs  ayant 
reconnu  qu'il  convenait  que  Gortès  fût  pour  lors  à  la  tête  du  gouver- 
nement, Tapia  n'en  ayant  nullement  les  aptitudes,  ils  en  appelèrent 
de  ses  provisions  à  Sa  Royale  Majesté,  ainsi  qu'il  apparaîtra  par  la 
vue  des  actes  qui  furent  dressés  à  ce  sujet. 

Lorsque  l'exposition  des  griefs  fut  terminée  de  part  et  d'autre  et 
que  les  juges  eurent  bien  pesé  les  réponses  et  les  allégations  de  Fer- 
nand  Gortès  avec  les  preuves  y  attenantes  ;  ayant  apprécié  pendant 
cinq  jours  les   difficultés  et  les  doutes  qui  provenaient  des  dires  des 
uns  et  des  autres,   ils  résolurent  d'en  référer  à  l'avis  de  Sa  Majesté. 
Ge  fut  alors  que,  dans  un  accord  commun,  on  s'arrêta  au  jugement 
qui  suit.  On  proclama  d'abord  que  Gortès  et  nous  tous,  les  vrais  con- 
quistadores qui  partîmes  avec  lui,  nous  étions  de  bons  et  loyaux  ser- 
viteurs de  Sa  Majesté  ;  les  juges  glorifièrent  notre  heureuse  fortune; 
ils  louèrent  et  honorèrent  beaucoup  les  grandes  batailles  que  nous 
livrâmes  aux  Indiens,  non  moins  que  notre  intrépidité  dans  les  com- 
bats. On   n'oublia  pas   de  remarquer  qu'étant  nous-mêmes  si  peu 
nombreux,    nous    avions    su   mettre   Narvaez    en   déroute;  ils   im- 
posèrent silence  à  la  prétention   de  Diego  Velasquez  de  disputer  à 
Gortès  le  gouvernement  de  la  Nouvelle-Espagne,  ajoutant  que  s'il  avait 
fait  quelques  dépenses  relativement  à  ces  expéditions,  il  avait  la  liberté 
de  les  réclamer  à  Gortès  par-devant  la  justice  ;  ils  proclamèrent  en- 
suite que  Gortès  serait  gouverneur  de  la  Nouvelle -Espagne  confor- 
mément  à  ce  que  le  Souverain  Pontife   avait   ordonné;  on  approu- 
vait comme  bons  ,   au  nom  de  Sa  Majesté ,  les  reparlimientos  que 
Gortès  avait  faits,  et  on  lui  donnait  le  pouvoir  de  distribuer  le  pays 
dorénavant  comme  il  l'entendrait,  en  même  temps   qu'on  admettait 
ce  qui  s'était  fait  jusque-là,   considérant  que   tout  avait    été  juste- 
ment exécuté  pour  le  service  de  Dieu  et  de  Sa  Majesté.  Relativement 
aux  affaires  de  Garay  et  aux  accusations  dont  elles  étaient  la  base, 
attendu    que   l'information  n'était   pas  complète  à  ce  sujet,  il  fut 
résolu  qu'on  en  différerait  l'examen  et  qu'on  enverrait  contrôler  les 
faits  sur  place. 

Quant  au  grief  de  Narvaez  prétendant  qu'on  lui  avait  arraché  du 
sein  ses  pouvoirs  et  que  l'auteur  du  fait  était  Alonso  de  Avila  ,  ac- 
tuellement prisonnier  en  France  à  la  suite  de  sa  capture  par  le 
fameux  corsaire  Jean  Florin  lorsque  celui-ci  s'empara  de  la  garde- 
robe  de  Montezuma,  les  juges  résolurent  qu'il  en  serait  informé  en 
France  même  et  qu'Avila  serait  cité  à  comparaître  en  cour  de  Sa 
Majesté,  pour  qu'on  sût  quelle  était  sa  réponse.  Pour  ce  qui  était  des 
deux  pilotes  Umbria  et  Gardenas,  il  leur  fut  donné  des  titres  royaux 
pour  qu'on  leur  assignât  dans  la  Nouvelle-Espagne  un  nombre  d'In- 
diens qui  assurât  une  rente  de  mille  piastres  à  chacun  d'eux.  Ordre 


DE  LA  NOUVELLE-ESPAGNE.  639 

fut  donné  que  nous  tous,  Jes  conquistadores,  fussions  les  préférés, 
qu'on  nous  donnât  de  bonnes  commanderies  d'Indiens,  et  que  les 
premiers  sièges  d'honneur  nous  fussent  réservés  dans  les  lieux  pu- 
blics, dans  les  saintes  églises,  comme  partout  ailleurs. 

La  sentence  étant  ainsi  prononcée  par  les  caballeros  que  Sa  Ma- 
jesté avait  choisis  pour  juges ,  on  la  porta  à  signer  à  Valladolid  où 
résidait  Sa  Majesté  qui  venait  d'arriver  de  Flandre  et  avait  donné 
l'ordre  d'y  établir  sa  cour  royale  et  son  conseil.  Sa  Majesté  apposa 
sa  signature  et  rendit  en  même  temps  quelques  décrets  royaux  ten- 
dant à  chasser  toute  sorte  de  renégats  de  la  Nouvelle-Espagne,  afin 
qu'aucune  contradiction  n'y  existât  dans  la  conversion  des  naturels 
du  pays.  Ordre  fut  donné  également  pour  qu'il  n'y  eût  point  d'avo- 
cats pendant  quelques  années,  parce  que  partout  où  ils  apparais- 
saient ils  apportaient  le  désordre,  des  procès,  des  débats  et  des  que- 
relles. Toutes  ces  dispositions  furent  signées  de  Sa  Majesté,  para- 
phées par  les  caballeros  qui  avaient  été  les  juges,  ainsi  que  par  don 
Garcia  de  Padilla,  dans  sa  ville  de  Valladolid,  le  17  du  mois  de  mai 
de  l'an  quinze  cent  et  tant.  Le  tout  était  contresigné  du  secrétaire 
don  Francisco  de  Los  Gobos,  qui  devint  plus  tard  grand  commandeur 
de  Léon. 

Ce  fut  alors  que  Sa  Majesté  impériale  écrivit  à  Gortès  et  à  tous 
ceux  qui  étaient  partis  avec  lui,  pour  nous  remercier  des  bons  et 
remarquables  services  que  nous  Lui  rendions.  En  ce  même  temps,  le 
roi  don  Fernand  de  Hongrie,  roi  des  Romains,  comme  on  l'appelait, 
frère  de  celui  qui  est  actuellement  Empereur,  écrivit  une  autre  lettre 
en  réponse  à  celle  que  Gortès  lui  avait  adressée  en  lui  offrant  plu- 
sieurs joyaux  d'or.  Il  lui  disait  connaître  les  nombreux  et  grands 
services  qu'il  avait  rendus  à  Dieu  d'abord  et  ensuite  à  son  seigneur 
et  frère  l'Empereur  et  à  toute  la  chrétienté  ;  il  l'invitait  à  lui  faire 
savoir  tout  ce  qui  pourrait  l'intéresser,  afin  qu'il  intercédât  pour  lui 
auprès  de  l'Empereur  son  seigneur  et  frère,  considérant  que  le  cœur 
généreux  de  Gortès  était  digne  de  toute  faveur.  Il  lui  recommandait 
aussi  dans  cette  lettre  de  donner  ses  commanderies  aux  valeureux 
soldats  qui  l'avaient  aidé  et  il  terminait  par  des  offres  et  promesses. 
Je  me  rappelle  que  la  signature  était  ainsi  formulée  :  «  Moi  le  Roi 
et  Infant  de  Gastille,  »  et  le  tout  contresigné  du  secrétaire  «  de 
Gastillejo  ».  Cette  lettre  ,  je  la  lus  deux  ou  trois  fois  à  Mexico,  car 
Gortès  me  la  faisait  voir  pour  que  je  susse  en  quelle  estime  nous 
étions  tenus,  nous,  les  vrais  conquistadores  de  Sa  Majesté. 

Aussitôt  que  nos  commissaires  eurent  en  main  ces  dépêches ,  ils 
résolurent  d'envoyer  rapidement,  comme  porteurs,  un  certain  Ro- 
drigo de  Paz,  cousin  de  Gortès  et  parent  du  licencié  Francisco  Nunez, 
ainsi  qu'un  hidalgo  d'Estramadure ,  parent  de  Gortès  également, 
appelé  Francisco  de  Las  Gasas.  S'étant  embarqués  sur  un  navire  bon 


6k0  CONQUETE 

voilier,  ils  prirent  la  route  de  l'île  de  Cuba.  A  Santiago,  où  Diego 
Velasquez  se  trouvait  en  qualité  de  gouverneur,  on  lui  notifia  les 
sentences  et  provisions  royales  pour  qu'il  se  désistât  de  ses  procès 
avec  Gortès  et  lui  demandât  le  montant  des  frais  qu'il  avait  faits. 
Cette  notification  se  fit  au  son  des  trompettes.  Diego  Velasquez  en 
tomba  malade  de  chagrin  et,  peu  de  mois  après,  il  mourut  dans  le 
mécontentement  et  la  pauvreté. 

Pour  que  je  n'aie  pas  à  revenir  sur  ce  que  Francisco  de  Montejo  et 
Diego  de  Ordas  négocièrent  en  Gastille  pour  leur  propre  compte,  je 
le  dirai  maintenant  ici.  Francisco  de  Montejo,  par  faveur  de  Sa  Ma- 
jesté, fut  nommé  gouverneur  civil  et  militaire  de  Yucatan  et  Gozumel; 
il  reçut,  en  outre  ,  des  titres  de  Don  et  de  Seigneurie.  Sa  Majesté 
confirma  à  Diego  de  Ordas  la  possession  des  Indiens  qui  lui  avaient 
été  donnés  dans  la  Nouvelle-Espagne;  il  fut  nommé  commandeur 
de  Santiago  et  reçut  pour  armoiries  le  volcan  qui  se  trouve  près  de 
G-uaxocingo.  Ce  fut  avec  ce  résultat  qu'ils  s'en  revinrent  à  la  Nou- 
velle-Espagne. Ordas  retourna,  deux  ou  trois  ans  après,  en  Castille, 
et  y  obtint  le  droit  de  conquérir  le  Maranon  où  il  alla  perdre  la  vie 
et  ses  biens. 

Nous  dirons  maintenant  que  l'évêque  de  Burgos  apprit  les  faveurs 
dont  Sa  Majesté  avait  comblé  Gortès,  ainsi  que  nous  tous,  les  con- 
quistadores, et  comme  quoi  les  juges  étaient  parvenus  à  connaître  les 
conventions  qui  avaient  existé  entre  lui  et  Diego  Velasquez,  comment 
il  s'emparait  de  l'or  envoyé  à  Sa  Majesté,  cachait  ou  interprétait  mal 
nos  nombreux  services,  tandis  qu'il  exaltait  ceux  de  son  ami  Diego 
Velasquez.  Ne  pouvant  résister  à  ces  coups,  de  triste  et  pensif  qu'il 
avait  été  jusque-là ,  il  tomba  sérieusement  malade.  Une  cause  qui 
contribua  à  ce  résultat  fut  le  chagrin  que  lui  causa  un  sien  neveu, 
don  Alonso  de  Fonseca,  devenu  archevêque  de  Santiago,  tandis  qu'il 
avait  rêvé  cet  archevêché  pour  lui-même. 

Abandonnant  ce  sujet,  nous  dirons  que  Francisco  de  Las  Casas  et 
Rodrigo  de  Paz  arrivèrent  à  la  Nouvelle-Espagne  ;  ils  entrèrent  à 
Mexico  avec  les  provisions  royales  données  par  Sa  Majesté,  qui 
établissaient  Gortès  gouverneur.  Quelle  allégresse!  Que  de  réjouis- 
sances on  organisa  !  Combien  d'hommes  se  transformèrent  en  cour- 
riers rapides  pour  aller  gagner  leurs  étrennes  en  donnant  les  pre- 
miers la  bonne  nouvelle  dans  les  villes  !  De  combien  d'honneurs  on 
combla  Las  Casas,  Rodrigo  de  Paz  et  quelques  autres  qui  venaient 
avec  eux,  procédant  de  Medellin,  pays  natal  de  Gortès  !  Notre  gé- 
néral fit  Francisco  de  Las  Casas  capitaine  et  lui  assigna  un  bon 
village  appelé  Anguitlan.  Il  donna  à  Rodrigo  de  Paz  d'autres  bons 
et  riches  villages,  il  le  nomma  son  premier  majordome  et  son  sécré- 
tai re  emplois  dans  lesquels  celui-ci  prit  un  tel  ascendant  qu'il  com- 
mandait à  Gortès  lui-même.  Le  général  n'oublia  pas  ceux  qui  venaient 


DE   LA   NOUVELLE-ESPAGNE.  641 

de  Medcllin  son  pays;  à  tous  il  donna  des  Indiens.  Quant  au  pro- 
priétaire du  navire  porteur  de  la  bonne  nouvelle,  Gortès  lui  donna 
assez  d'or  pour  qu'il  s'en  revînt  riche  en  Gastille. 

Laissons  ce  sujet  des  réjouissances  et  des  récompenses  pour  ré- 
pondre à  ce  que  certains  curieux  lecteurs  m'ont  demandé,  non  sans 
raison  :  comment  j'ai  pu  savoir  ce  qui  se  passa  en  Espagne,  au  sujet 
des  ordres  donnés  par  Sa  Sainteté  et  relativement  aux  griefs  formulés 
contre  Gortès,  avec  les  réponses  qu'y  firent  nos  commissaires,  la 
sentence  qui  suivit  et  autres  particularités  dont  je  viens  de  parler; 
comment,  dis-je,  j'ai  pu  savoir  ces  choses,  tandis  que  j'étais  alors 
occupé  de  la  conquête  de  la  Nouvelle-Espagne  et  de  ses  provinces, 
et  ne  pouvais,  par  conséquent,  ni  rien  voir,  ni  rien  entendre  par  moi- 
même  de  ce  dont  il  s'agit.  Je  réponds  que  non-seulement  je  pus  savoir 
ces  faits,  mais  qu'ils  vinrent  à  la  connaissance  de  tous  ceux  des  con- 
quistadores qui  les  voulurent  apprendre  en  les  lisant  dans  quatre  ou 
cinq  lettres  qui  en  faisaient  le  récit  circonstancié  et  disaient  où, 
comment  et  à  quel  moment  arrivèrent  toutes  les  choses  par  moi 
racontées.  Ces  lettres  et  ces  mémoires  étaient  écrits  de  Gastille  par 
nos  commissaires,  afin  de  nous  faire  savoir  qu'ils  s'occupaient  cha- 
leureusement de  nos  affaires.  Quant  à  moi,  je  dis  bien  souvent  alors 
qu'ils  me  paraissaient  porter  tout  leur  zèle  sur  les  intérêts  de 
Gortès  et  les  leurs  propres,  tandis  que  nous  autres,  qui  avions  tout 
conquis  par  nos  armes  et  porté  Gortès  à  ce  rang  élevé,  ce  que  nous 
obtenions  uniquement ,  c'était  une  succession  non  interrompue  de 
fatigues  accumulées.  Prions  Dieu,  Notre  Seigneur,  qu'il  lui  plaise 
nous  donner  du  courage  et  graver  dans  le  cœur  de  notre  grand  Em- 
pereur le  désir  de  faire  accomplir  les  décrets  de  sa  droite  justice, 
puisqu'en  tout  il  est  très-catholique. 

Mais  passons  outre  et  disons  de  quoi  Gortès  s'occupa  après  sa  no- 
mination de  gouverneur. 


CHAPITRE  CLXIX 


De  quoi  Gortès  s'occupa  après  sa  nomination  de  gouverneur  de  la  Nouvelle-Espagne  ; 
comment  et  de  quelle  manière  il  répartit  des  villages  d'Indiens,  et  autres  choses 
qui  se  passèrent.  Conférences  qu'eurent  entre  elles,  à  ce  sujet,  quelques  personnes 
reconnues  sages. 

Ge  qu'il  nous  a  paru,  à  moi  et  à  quelques  autres  vieux  conquista- 
dores, hommes  d'expérience  et  de  bon  conseil,  c'est  qu'en  recevant 
sa  nomination  de  gouverneur  de  la  Nouvelle-Espagne,  Gortès  aurait 
dû  se  rappeler  les  événements  qui  s'étaient  succédé  depuis  son  dé- 
part de  l'île  de  Guba.  Il  aurait  dû  voir  tous  les  embarras  dans  les- 

ii 


642  CONQUETE 

quels  il  s'était  trouvé  et  distinguer  dans  ses  souvenirs  les  hommes 
qui  lui  furent  favorables  lorsque,  en  débarquant  sur  la  plage,  nous 
le  nommâmes  capitaine  général  et  grand  justicier  de  la  Nouvelle-Es- 
pagne. Il  aurait  dû  se  demander  quels  furent  ceux  qui  se  trouvèrent 
à  ses  côtés  dans  toutes  les  campagnes,  à  Tabasco  comme  à  Cingapa- 
cinga,  dans  les  trois  batailles  de  Tlascala  et  dans  l'affaire  de  Cholula, 
lorsqu'on  avait  déjà  préparé  avec  du  piment  les  grandes  jarres  dans 
lesquelles  on  devait  nous  faire  bouillir  pour  nous  manger  ensuite. 
Qui  se  mit  d'ailleurs  de  son  parti,  lorsque  six  ou  sept  soldats,  qui 
ne  l'aimaient  pas,  le  requéraient  de  retourner  à  la  Villa  Rica,  sans 
aller  à  Mexico,  en  lui  faisant  la  peinture  de  la  grande  valeur  des 
guerriers  ennemis  et  des  fortes  défenses  de  la  capitale?  Quels  furent 
ceux  qui  entrèrent  avec  lui  à  Mexico  et  l'aidèrent  à  mettre  le  grand 
Montezuma  en  prison?  Lors  de  l'arrivée  de  Narvaez  avec  sa  flotte, 
quels  soldats  Gortès  emmena-t-il  en  sa  compagnie?  Qui  l'aida  à  met- 
tre cet  ennemi  en  déroute  et  à  le  faire  prisonnier  ?  Quels  furent  ceux 
qui  retournèrent  avec  lui  à  Mexico  pour  secourir  Pedro  de  Alvarado, 
et  se  trouvèrent  mêlés  aux  grandes  batailles  qu'on  nous  livra,  jusqu'à 
ce  que  nous  sortîmes  de  la  capitale  en  fuyards,  perdant  huit  cent 
cinquante  hommes  sur  les  treize  cents  soldats  que  nous  étions,  y 
compris  ceux  qui  furent  tués  à  Tustepeque  et  sur  les  grandes  routes, 
alors  qu'au  nombre  de  quatre  cent  quarante  seulement,  couverts  de 
blessures,  nous  eûmes  la  chance  d'échapper  par  la  grande  miséri- 
corde du  bon  Dieu? 

Gortès  n'aurait  pas  dû  oublier  non  plus  qui   l'avait  aidé,    après 
deux  jours  de  fuite,  à  sortir  du  grand  danger  encouru  dans  la  terri- 
ble et  mémorable  bataille  d'Otumba.  Qui  lui  prêta  son  secours,  au 
surplus,  pour  conquérir  Tepeaca,  Gachula  et  son  district  dans  lequel 
se  trouvaient  Ozucar,  G-uacachula  et  autres  villages,  ainsi  que  pour 
le  retour  vers  Tezcuco  en  marche  sur  la  capitale?  Il  n'aurait  pas  dû 
oublier  les  nombreuses  expéditions  que  nous  fîmes  en  prenant  Tez- 
cuco pour  point  de  départ,  celle  d'Iztapalapa  où  Ton  prétendit  se  dé- 
faire de  nous  en  nous  noyant  sous  les  eaux  de  la  lagune,  et  les 
batailles   que  nous   eûmes  à  soutenir  contre  les   habitants  de  cette 
ville  aidés  des  Mexicains  qui  vinrent  à  leur  secours.  Pourquoi  ne  pas 
se  souvenir  encore  de  l'attaque  sur  Saltocan,  sur  les  pénales  qu'on 
appelle  aujourd'hui  del  Marqués,  et  autres  expéditions  semblables? 
Qui  le  suivait  dans  le  circuit  que  nous  fîmes  par  les  grandes  villes 
du  bord  de  la  lagune,  dans  les  nombreuses  rencontres  et  les  batailles 
que  nous  soutînmes  pendant  ce  voyage,   surtout  à  Suchimilco  et  à 
Tacuba?  Et,  de  retour  à  Tezcuco,  qui  aida  Gortès   à  se  défendre  de 
la  conjuration  qui  avait  pour  but  de  lui  donner  la  mort,  lorsqu'il  se 
vit  obligé  de  faire  pendre  Villafana?  Et  cela  fait,  qui  l'aida  à  s'empa- 
rer  de  Mexico?  Qui  l'accompagna  pendant    ces  quatre-vingt-treize 


DE  LA  NOUVELLE-ESPAGNE.  643 

mémorables  journées,  bataillant  jour  et  nuit,  supportant  fatigues  et 
blessures  jusqu'à  ce  qu'on  fit  prisonnier  Guatemuz,  le  roi  qui  avait 
alors  le  commandement  de  cette  place?  Qui  le  secourut  et  le  favorisa 
lorsque  vint  à  la  Nouvelle-Espagne  un  certain  Ghristobal  de  Tapia 
pour  en  être  reconnu  le  gouverneur? 

Gortès  aurait  dû  se  rappeler  quels  furent  les  soldats  qui  écrivirent 
trois  fois  à  Sa  Majesté  pour  louer  les  bons,  nombreux  et  grands  ser- 
vices qu'il  Lui  avait  rendus,  disant  qu'il  était  digne  des  plus  grandes 
faveurs  et  surtout  d'être  fait  gouverneur  de  la  Nouvelle-Espagne.  Je 
ne  veux  pas  mettre  en  mémoire  ici  bien  d'autres  services  que  nous 
rendîmes  à  Gortès.  Mais  enfin,  puisqu'il  est  aujourd'hui  gouverneur 
et  qu'après  Dieu  c'est  à  nous  qu'il  l'a  dû,  il  serait  bien  juste  qu'il  se 
souvînt  de  nous,  valeureux  et  bons  soldats,  qui  nous  trouvâmes  mê- 
lés à  toutes  ses  grandes  actions,  et  qu'il  inscrivît  dans  ses  mémoires 
Pierre,  Paul  et  Martin  qui  s'en  sont   rendus   dignes.  Il  serait  bon 
qu'il  se  rappelât  ces  soldats  et  camarades  que  leur  sort  amenait  à  Go- 
lima,  à  Zacatula,  au  Panuco  ou  à  Guazacualco,  et   même  ceux  qui 
furent  obligés  de  fuir  lorsqu'on  abandonna  Tutepeque.  Tous  étaient 
pauvres;  aucun  n'eut  la  chance  de  recevoir  quelques  bons  Indiens.  Il 
y  avait  cependant  de  quoi  les  satisfaire  et  les  tirer  d'embarras;  Gor- 
tès n'aurait  pas  dû  manquer  de  le  faire,  puisque   Sa  Majesté  le  lui 
avait  recommandé  bien  des  fois  dans  ses  royales  missives.  Mais  il  ne 
donnait  rien  de  son  bien.  N'aurait-il  pas  dû  cependant  les  soulager 
dans  leurs  misères  et  les  préférer  à  tous  autres  ?  En  écrivant  à  nos 
commissaires  qui   étaient  en  Gastille,  ne  devait-il  pas  obtenir  que 
nous  fussions  tous  favorisés?  Notre  général  eût  dû  se  croire  obligé  de 
demander  par  lettres  à  Sa  Majesté,  pour  nous  et  nos  enfants,  tous 
emplois  et  charges  royales  qu'il  y  aurait  à  donner  dans  la  Nouvelle- 
Espagne.  Malheureusement,  on  peut  dire  que  le  mal  des  autres  on 
le  porte  au  bout  de  son  poil;  Gortès  ne  pensait  qu'à  lui  :  aussi  sut-il 
être  gouverneur  avant  d'être  marquis,  et  marquis  quand  il  revint  de 
Gastille. 

Quoi  qu'il  en  soit,  nous  parlerons  de  la  justice  qu'il  y  aurait  eu  à 
répartir  tous  les  pays  de  la  Nouvelle-Espagne  de  la  manière  suivante, 
conformément  à  l'avis  de  plusieurs  de  ses  conquistadores  connus 
pour  la  prudence  et  la  maturité  de  leur  esprit.  Ge  qu'il  aurait  fallu, 
c'eût  été  partager  la  Nouvelle-Espagne  en  cinq  lots  ;  donner  à  Sa  Ma- 
jesté, pour  son  quint  royal,  la  cinquième  partie  des  meilleures  villes 
et  chefs-lieux  ;  laisser  le  second  lot  sans  destination  fixe,  afin  que  ses 
rentes  servissent  aux  églises,  hôpitaux,  monastères,  et  que  Sa  Majesté 
pût  y  puiser  pour  honorer  de  ses  faveurs  quelques  hommes  qui  l'au- 
raient bien  servie  en  Italie,  car  il  y  en  avait  pour  tout  le  monde. 
Quant  aux  trois  lots  restant,  on  aurait  dû  les  répartir  entre  Gortès  et 
tous  les  vrais  conquistadores,  selon  le  mérite  reconnu  à  chacun,  et 


644  CONQUÊTE 

stipuler  que  ce  serait  en  cession  perpétuelle,  chose  que  Sa  Majesté  eût 
alors  considérée  comme  juste,  parce  qu'Elle  n'avait  rien  dépensé  dans 
cette  conquête,  ne  connaissant  absolument  pas  l'existence  de  ce  pays 
qui  fut  découvert  quand  Elle  était  en  Flandre.  Considérant  qu'en  su- 
jets loyaux  nous  mettions  entre  ses  mains  une  des  plus  belles  parties 
du  monde,  Elle  aurait  trouvé  raisonnable  de  nous  y  favoriser  par  des 
parts  personnelles;  nous  les  posséderions  maintenant  et  l'on  ne  nous 
verrait  pas  abattus  et  marchant  de  mal  en  pire,  car  plusieurs  d'entre 
nous  n'ont  pas  même  de  quoi  manger.  Que  deviendront  les  fils  que 
nous  laisserons  après  nous? 

Je  veux  dire  maintenant  à  qui  furent  assignés  les  villages  par  Gor- 
tès.  Il  en  donna  en  première  ligne  à  Francisco  de  Las  Casas,  à  Ro- 
drigo de  Paz,  à  l'intendant  des  finances  (factor),  à  l'inspecteur  [vee- 
dor):  au  trésorier,  qui  étaient  venus  récemment  de  Castille,  à  un 
certain  Avalos  et  à  Saavedra,  ses  parents,  à  un  certain  Barrios  avec 
lequel  il  maria  une  sœur  de  sa  femme  dona  Gatalina  Juarez,  à  Alonso 
Lucas,  à  Juan  et  à  Luis  de  La  Torre,  à  Villegas,  à  Alonso  Valiente 
et  à  un  certain  Ribera  le  Borgne.  Et  pourquoi  en  nommé-je  si  peu? 
En  réalité  il  donna  ce  qu'il  y  avait  de  mieux  dans  la  Nouvelle-Espa- 
gne à  toutes  gens  originaires  de  Medellin  et  à  des  serviteurs  de 
grands  seigneurs  qui  venaient  lui  faire  des  contes  de  son  goût.  Je  ne 
dis  pas  qu'il  fit  mal  de  donner  à  tout  le  monde,  puisqu'il  y  avait  où 
prendre;  mais  je  prétends  que  Gortès  eût  dû  préférer  à  tout  les  or- 
dres de  Sa  Majesté,  en  couvrant  de  sa  protection  les  soldats  qui  l'ai- 
dèrent à  s'élever  à  son  mérite  actuel  et  au  rang  qu'il  occupait.  Main- 
tenant que  c'est  fait,  il  serait  inutile  d'en  vouloir  parler  encore;  mais 
toujours  est-il  que,  quand  il  s'agissait  d'entrer  en  expédition,  d'en- 
treprendre des  attaques  et  toutes  choses  qui  étaient  à  sa  convenance, 
Gortès  se  rappelait  bien  où  nous  étions  et  il  nous  faisait  requérir  pour 
les  guerres  et  les  batailles,  comme  je  le  dirai  plus  loin. 

Il  sera  bon  que  je  cesse  de  raconter  tant  de  misères  et  de  dire  à 
quel  point  Gortès  nous  tenait  assujettis,  puisque  le  passé  n'a  plus 
de  remède;  mais  je  ne  puis  m'empêcher  de  faire  mémoire  de  quel- 
ques paroles  du  général  dites  à  l'époque  où  la  place  de  gouverneur 
lui  fut  enlevée  pour  la  donner  à  Luis  Ponce  de  Léon  qui,  en  mou- 
rant, désigna  pour  le  remplacer  Marcos  de  Aguilar,  ainsi  que  j'aurai 
bientôt  à  le  dire.  Donc,  à  cette  époque,  moi  et  quelques  caballeros 
ou  capitaines  de  ses  anciens  qui  l'aidâmes  dans  les  conquêtes,  nous 
fûmes  le  prier  de  nous  donner  quelques  Indiens  pris  dans  la  grande 
quantité  qu'il  possédait,  attendu  que  Sa  Majesté  avait  ordonné  qu'il 
lui  en  fût  enlevé  un  certain  nombre  et  qu'on  devait  bientôt  les  lui 
prendre,  comme,  du  reste,  peu  de  temps  après,  il  lui  fut  fait.  Il  ré- 
pondit que  nous  devions  tout  souffrir  en  patience  ainsi  qu'il  le  souf- 
frait lui-même  ;  que  si  Sa  Majesté  lui  faisait  la  grâce  de  le  réintégrer 


DE   LA  NOUVELLE-ESPAGNE.  645 

dans  le  gouvernement,  il  promettait  sur  sa  conscience  (c'est  ainsi 
qu'il  jurait)  de  ne  plus  retomber  dans  les  fautes  passées,  d'assigner 
de  bons  repartimientos  à  ceux  qui  lui  étaient  désignés  par  Sa  Majesté 
et  de  redresser  les  torts  qu'il  avait  eus  autrefois.  Il  était  dans  la  con- 
viction que  ses  conquistadores  satisfaits  se  contentaient  de  ses  pro- 
messes et  de  ses  douces  paroles. 

Quoi  qu'il  en  soit,  nous  dirons  qu'en  ce  même  temps,  ou  quelques 
jours  plus  tôt,  vinrent  de  Castille  les  commissaires  des  finances  roya- 
les de  Sa  Majesté,  Alonso  de  Estrada,  trésorier,  natif  de  Giudad  Real, 
l'inspecteur  Gonzalo  de  Salazar  et  le  contador  Rodrigo  de  Albornoz, 
natif  de  Paladinas,  car  Julian  de  Alderete  était  mort;  vinrent  encore 
un  certain  de  la  Garna,  l'inspecteur  Pedro  Almindes  Chirino,  natif  do 
Ubeda  ou  de  Baeza,  ainsi  que   beaucoup  d'autres  personnes  préala- 
blement pourvues  d'emplois.  Je  veux  dire  maintenant  qu'à  cette  épo- 
que aussi  un  certain  Rodrigo  Rangel,  dont  j'ai   souvent  parlé,  s'en 
vint  voir  Gortès  pour  le  prier  (puisqu'il  ne  s'était  pas  trouvé  à  la  prise 
de  Mexico,  ni  dans  aucune  des  batailles  de  la  Nouvelle-Espagne,  de 
vouloir  bien  le  nommer  capitaine  et  le  charger  d'aller  conquérir  les 
villages  zapotèques  avec  lesquels   on  était  en  guerre,   pour  qu'il  y 
trouvât  l'occasion  de  faire  parler  de  lui  ;  il  emmènerait  avec  lui  Pe- 
dro de  Ircio  qui  serait  son  conseiller  en  tout  ce  qu'il  y  aurait  à  faire. 
Or  Gortès  connaissait  bien  ce  Rodrigo  Rangel  ;  il  savait  qu'il  n'était 
apte  à  aucun  emploi,  parce  qu'il  était    toujours   malade,  affligé  de 
grandes  douleurs  de  bubas,  très-défait,  avec  de  longues  jambes  amai- 
gries, couvert  d'ulcères,  le  corps  et  la  tête  criblés  de  plaies.  Notre 
général  lui  refusait  ce   commandement   en  faisant  observer  que  les 
Indiens  Zapotèques  étaient  difficiles  à  dompter  à  cause  des  grandes 
et  hautes  sierras  où  ils  ont  établi  leurs  demeures  et  qui  sont  diffici- 
lement accessibles  à  la  cavalerie;  il  y  a  là  continuellement  des  nua- 
ges et  des  brouillards,  les  chemins  y  sont  étroits,  glissants,  et  l'on 
n'y  peut  marcher  qu'à  la  condition  de  voir  ses  pieds  se  confondre  avec 
la  tête  de  celui  qui  vient  derrière.  Or,  remarquez  bien  ce  que  je  dis 
là,  parce  que   c'est  littéralement  exact,  car  celui  qui  est  devant   et 
celui  qui  le  suit  marchent  les  pieds  de  l'un  touchant  à  la  tête  de  l'au- 
tre. Gortès  lui  disait  donc  que  ce  n'était  pas  la  peine  d'aller  dans  ces 
pays,  et  que  s'il  y  allait  enfin,  il  devait  s'entourer  de  soldats  agiles  et 
robustes  ayant  l'expérience  de  la  guerre.  Mais  comme  Rangel  était 
très-entêté  ot  d'ailleurs  compatriote  de  Gortès,  il  finit  par  obtenir  ce 
qu'il  demandait.  La  vérité  est,  ainsi   que  nous  le  sûmes  plus  tard, 
que  Gortès  trouva  bon  de  l'envoyer  mourir  ailleurs,  parce  que  c'était 
une  fort  mauvaise  langue. 

Il  écrivit,  en  conséquence,  à  Gruazacualco,  à  dix  ou  douze  compa- 
gnons d'armes  pour  nous  prier  de  partir  au  secours  de  Rangel.  Je  fus 
du  nombre  de  ceux  qu'il  désigna  pour  marcher;  du  reste,  tous  ceux 


646  CONQUÊTE 

auxquels  Cortès  écrivit  se  mirent  en  route.  J'ai  déjà  dit  qu'il  y  a  de 
très-grandes  montagnes  dans  la  partie  peuplée  du  pays  des  Zapotè- 
ques,  que  ses  habitants  sont  très-lestes  et  très-agiles  et  que  par  leurs 
cris  et  leurs  sifflements  ils  remplissent  les  échos  de   leurs  vallées. 
Nous   comprîmes   qu'avec  Rangel  pour   nous    commander  nous   ne 
pourrions  ni  aller  en  avant,  ni  rien  faire  de  bon.  Quand  nous  arri- 
vions à  un  village,  nous  le  trouvions  abandonné;  les  maisons  d'ail- 
leurs  n'y   étaient  pas    rapprochées,  celles-ci    étant  perchées  sur  la 
montagne  et  celles-là  enfoncées  dans  la  vallée  ;  au  surplus,  il  pleu- 
vait fort  et  le  pauvre  Rangel  poussait  des  cris  de  douleur  à  cause  de 
ses  bubas;  d'autre  part  nous  avions  tous  fort  peu  d'envie  de  marcher 
en  sa  compagnie.  Nous  comprenions  par  conséquent  que  nous  per- 
dions notre  temps,  avec  la  perspective  de  quelques  désastres  dans  le 
cas  où  par  hasard  les  Zapotèques,  hommes  agiles,  armés  de  grandes 
lances  plus  longues  que  les  nôtres,  excellents  archers,  nous  dresse- 
raient quelque  embûche  et  se  présenteraient  tout  à  coup  en  nous  fai- 
sant front  ;  car  nous  ne  pouvions  avancer  qu'un  à  un  dans  ces  étroits 
chemins.  Rangel  était  d'ailleurs  plus  malade  qu'au  départ.  Il  fut  donc 
d'avis  d'abandonner  cette  funeste  campagne   (bien  funeste,  pouvons- 
nous  dire)  et  que  chacun  s'en  revînt  chez  soi.  Pedro  de  Ircio,  qui  l'ac- 
compagnait à  titre  de  conseiller,  fut  le  premier  à  lui  donner  cette  idée, 
et  il  s'empressa  de  le  laisser  seul  et  de  s'en  retourner  à  la  Villa  Rica 
où  il  résidait.  Quant  à  Rangel,  il  dit  qu'il  s'en  voulait  aller  avec  nous 
à  Guazacualco,  parce  qu'il  y  faisait  chaud  et  que  le  climat  y  serait 
favorable  à  la  guérison  de  son  mal.  Pour  ce  qui  est  de  nous  qui  ha- 
bitions ce  bourg,  nous  considérâmes  comme  une  plus  mauvaise  af- 
faire de  l'emmener  maintenant  avec  nous  que  d'être  partis  avec  lui  à 
la  guerre. 

En  arrivant  à  Guazacualco  il  prétendit  aller  pacifier  les  provinces 
de  Gimatan  et  de  Tulapan  qui,  je  l'ai  dit  dans  le  chapitre  qui   en  a 
traité,  s'étaient  refusées  à  se  soumettre,  profitant  des  grandes  rivières 
et  des  marécages  mouvants  au  milieu   desquels  leurs  habitants  vi- 
vaient. Outre  l'importance  de  ces  marais  pour  la  défense,  ils  sont  na- 
turellement bons  archers,  faisant  usage  d'arcs  excellents  qu'ils  ma- 
nient avec  la  plus  grande  adresse.  Rangel,  à  cet  effet,  nous  montra 
des  provisions  signées  de  Fernand  Gortès  et  disant  qu'il  était  envoyé 
à  titre  de  capitaine  pour  conquérir  les  provinces  insoumises,  en  par- 
ticulier celles  de  Gimatan  et  Tulapan.  Il  somma  la  plupart  des  habi- 
tants du  bourg  d'aller  avec  lui.  Gortès  était  si  redouté  qu'en  voyant 
ces  provisions,  quels  que  fussent  nos  regrets  d'ailleurs,  nous  n'osâ- 
mes pas  résister.  Nous  partîmes  avec  Rangel  au  nombre  de  cent  sol- 
dats, les  uns  à  pied,  les  autres  à  cheval,  avec  vingt-six  arbalétriers  ou 
fusiliers.  Nous  marchâmes  par  Tonala,  Ayagualulco,  Copilco  et  Za- 
cualco.  Nous  passâmes  en  canots  et  en  radeaux  plusieurs  rivières; 


DE  LA  NOUVELLE-ESPAGNE.  647 

nous  traversâmes  Teutitan,  Gopilco  et  tous  les  villages  de  la  Ghontalpa 
qui  étaient   soumis.  Nous  arrivâmes   ainsi  à  cinq  lieues  environ  de 
Gimatan.  La  plupart  des  guerriers  de  la  province  nous   attendaient 
dans  des  mauvais  pas  au  milieu  de  marécages.  Ils  s'étaient  fait  des 
enceintes  avec  des  palissades  en  gros  madriers  et  se  tenaient  dedans, 
derrière  des  parapets  percés  de  meurtrières  par  lesquelles  ils  pou- 
vaient lancer  leurs  projectiles.   Ils  nous  firent  tout  d'abord  essuyer 
une  si  dure  volée  de  flèches  et  de  pieux  durcis  au  feu  tirés  avec  des 
machines  ,  qu'ils   tuèrent   sept  chevaux  et  blessèrent    huit  soldats. 
Rangel  qui  était  à  cheval  reçut  au  bras  une  flèche  qui  pénétra  peu  pro- 
fondément. Quant  à  nous,  les  anciens  conquistadores,  nous  avions  en- 
gagé Rangel  à  se  faire  précéder  par  des  hommes  agiles,  marchant  à 
pied,  pour  reconnaître  les  chemins  et  les  pièges  de  l'ennemi.  Nous 
lui  avions  dit,  nous  souvenant  du  passé,  que  ces  Indiens  se  battaient 
bien  et  recouraient  souvent  à  des  ruses.  Gomme  il  avait  l'habitude  de 
parler  beaucoup,  il  s'écria  «  qu'à   ce  compte,  par  Dieu  !  s'il   nous 
croyait,  les  choses  iraient  autrement  ;  que  nous  fussions  donc  à  l'a- 
venir les  capitaines  et   que  nous  prissions  la  conduite  de  Ja  cam- 
pagne. » 

Quoi  qu'il  en  soit,  nous  pansâmes  les  soldats  et  quelques  chevaux 
qu'on  nous  avait  blessés,  en  sus  des  sept  qui  furent  tués.  Rangel 
m'ordonna  d'aller  devant  en  reconnaissance  avec  son  lévrier,  animal 
d'humeur  sauvage,  deux  soldats  très-agiles  et  quelques  arbalétriers. 
Quant  à  lui,  on  lui  conseillait  de  rester  en  arrière  avec  les  cavaliers, 
tandis  que  les  soldats  et  les   arbalétriers  se   tiendraient  prêts   à  me 
suivre  en  avant.  Nous  poursuivions  donc  ainsi  notre  route  vers  le 
village  de  Gimatan,  qui  dans  ce  temps-là  avait  une  population  nom- 
breuse. Nous  donnâmes  dans  des  palissades  et  des  défenses  pareilles 
aux  précédentes.  L'ennemi  lança  sur  ceux  de   nous  qui   allaient  en 
avant  une  telle  volée  de  flèches  et  de  pieux  que  le  lévrier  fut   tué 
raide  et  que  j'eusse  péri  moi-même  si  je  n'avais  été  couvert  d'une 
bonne  armure  ;  car  je  reçus  sept  flèches  qui  s'arrêtèrent  sur  l'épaisse 
couche  de  coton  dont  j'étais  cuirassé.  Gela  ne  m'empêcha  pas  d'être 
atteint  à  une  jambe,  tandis  que  tous  mes  camarades  furent  blessés. 
J'élevai  la  voix  alors  pour  crier  à  des  Indiens  alliés  qui  venaient  peu 
après  nous  de  faire  avancer  tout  de  suite  les  arbalétriers,  les  fantas- 
sins et  les  gens  d'escopette,  mais  que  les  cavaliers  restassent  en  ar- 
rière, attendu  qu'il  leur  serait  impossible  de  charger  et  d'être  d'au- 
cune utilité,  tout  en  s'exposant  à  recevoir  des  coups  de  flèches.  Les 
camarades  s'avancèrent  à  l'instant  comme  je  l'avais   fait  dire,  parce 
que,  lorsque  j'entrepris  ma  marche,  il  avait  été  convenu  que  les  cava- 
liers resteraient  loin  en  arrière,  tandis  que  les  autres  se  tiendraient 
prêts  à  avancer  sur  le  signal  ou  l'ordre  qui  leur  en  serait  donné.  Les 
arbalétriers  et  les  gens  d'escopette  étant  accourus,  nous  réussîmes  à 


648  CONQUETE 

déloger  l'ennemi  de  ses  palissades.  Mais  il  se  réfugia  sur  des  terrains 
marécageux  et  mouvants  où  personne  ne  pouvait  s'aventurer  et  d'où 
l'on  ne  pouvait  sortir  autrement  que  sur  les  pieds  et  les  mains  en  y 
recevant  de  bons  secours.  En  ce  moment  Rangel  arriva  avec  ses  ca- 
valiers. Gomme  il  y  avait  là  tout  près  plusieurs  maisons  qui  avaient 
été  abandonnées  par  leurs  habitants,  nous  nous  y  reposâmes  ce  jour- 
là  en  y  prenant  soin  de  panser  nos  blessés. 

Le  lendemain,  nous  nous  mîmes  en  route  vers  le  village  de  Gima- 
tan.  Nous  avions  à  traverser  de  grandes  savanes  au  milieu  desquelles 
se  trouvaient  de  fort  mauvais  marécages.  Nos  ennemis  nous  atten- 
daient sur  l'un  d'eux.  Ce  fut  de  leur  part  une  ruse  préméditée  de 
nous  attendre  ainsi  en  rase  campagne,  dans  l'espoir  que  les  cavaliers, 
désireux  de  les  atteindre   et  de  les  frapper  de  leurs  lances,  se  jette- 
raient sur  eux  à  bride  abattue  et  s'embourberaient  dans  les  marais. 
Ce  qu'ils  avaient  combiné  arriva  en  effet.  Nous  avions  eu  beau  dire  à 
Rangel  de  bien  faire  attention  aux  marécages  qu'il  y  avait  en  grand 
nombre  et  de  ne  point  courir  à  bride  abattue   sur   ces    savanes,  de 
crainte  de  voir  les  chevaux  s'embourber,  attendu  que  les  Indiens 
avaient  l'habitude  de  ces  ruses  et  qu'ils  élevaient  des  travaux  de  dé- 
fense et  des  meurtrières  sur  le  bord  des  marais  ;  Rangel  n'en  voulut 
rien  croire  et  il  fut  le  premier  à  s'embourber.  On  lui  tua  son  cheval 
et  déjà  plusieurs  Indiens  s'étaient  jetés  dans  le  marais  pour  s'emparer 
de  sa  personne.  Ils  l'auraient  enlevé  vivant  pour  le  sacrifier,  si  l'on 
ne  se  fût  empressé  de  lui  porter  secours  ;  ce  qui  n'empêcha  pas  qu'il 
en  sortît  la  tête  blessée  par-dessus  les  plaies  dont  elle  était  déjà  cou- 
verte. Gomme  toute  cette  province  est  très  peuplée,  il  y  avait  près  de 
là  un  autre  petit  village  sur  lequel  nous  nous  portâmes  ;  ses  habitants 
prirent  la  fuite.  Rangel  put  y  soigner  ses  blessures,  ainsi  que  trois 
soldats  qui  avaient  été  atteints.  De  là  nous  gagnâmes  d'autres  mai- 
sons,  également  abandonnées,   leurs  habitants  s'étant  enfuis  en  ce 
moment  même.  Il  y  avait  là  de  grandes  défenses  de  madriers  formant 
enceinte  avec  meurtrières. 

Nous  nous  y  reposions  depuis  moins  d'un  quart  d'heure  lorsque  tant 
de  guerriers  cimatèques  se  jetèrent  sur  nous  en  nous  entourant,  qu'ils 
tuèrent  un  soldat  et  deux  chevaux  et  nous  donnèrent  fort  à  faire  pour 
les  décider  à  s'éloigner.  Rangel  souffrait  beaucoup  de  sa  tête  en  ce 
moment;  outre  cela,  beaucoup  de  moustiques  et  de  grands  vampires 
le  piquaient  et  lui  suçaient  le  sang;  il  ne  dormait  ni  jour  ni  nuit. 
Pendant  ce  temps  il  pleuvait  sans  cesse.  Dans  ces  circonstances, 
quelques  soldats  nouvellement  venus  de  Castille,  et  que  Rangel  avait 
amenés  avec  lui,  voyant  que  les  Indiens  de  cette  province  nous  ayant 
fait  front  en  trois  endroits  différents  avaient  tué  onze  chevaux  et  deux 
soldats,  sans  compter  le  grand  nombre  de  ceux  qui  étaient  blessés, 
conseillèrent  à  Rangel  de  retourner  sur  ses  pas  sans  dépasser  cet 


DE   LA  NOUVELLE-ESPAGNE.  649 

endroit,  attendu  que  le  pays  était  impraticable  à  cause  de  ses  marais 
et  que  lui-même  se  trouvait  très-malade.  Le  capitaine  avait  certaine- 
ment ce  désir;  mais,  voulant  faire  croire  que  ce  n'était  pas  unique- 
ment sa  pensée  et  sa  volonté  personnelles,  mais  Lien  l'avis  d'un  grand 
nombre  des  siens,  il  résolut  d'ouvrir  un  conseil  à  ce  sujet  en  y 
appelant  les  personnes  qu'il  savait  partager  sa  manière  de  voir,  afin 
que  le  retour  fût  résolu.  En  ce  même  moment  nous  nous  étions 
réunis  vingt  soldats  pour  voir  si  nous  pourrions  faire  quelques  pri- 
sonniers dans  des  enclos  de  cacaoyers  qui  étaient  près  de  là.  Nous 
ramenânes  deux  Indiens  et  trois  Indiennes. 

Ce  fut  alors  que  Rangel  me  prit  à  part  et  me  demanda  conseil.  Il 
me  parla  des  souffrances  de  sa  tête,  me  dit  que  les  autres  soldats  le 
poussaient  à  revenir  auprès  de  Gortès,  et  il  me  fit  part  de  tout  ce  qui 
était  arrivé.  Je  lui  reprochai  cette  retraite,  et  comme  nous  étions  de 
vieilles  connaissances  de  Cuba  depuis  plus  de  quatre  ans,  je  lui  dis  : 
«  Gomment,  senor!  que  voulez-vous  que  l'on  dise  de  vous  en  voyant 
qu'étant  arrivé  presque  aux  portes  de  Gimatan,  vous  veuillez  vous  en 
retourner?  Gortès  ne  l'approuvera  nullement,  et  des  malicieux  qui  ne 
vous  aiment  pas  vous  lanceront  à  la  face  qu'ici,  de  même  qu'à  l'attaque 
contre  les  Zapotèques,  vous  n'avez  rien  fait  de  bon,  quoique  vous 
eussiez  à  votre  disposition  tant  de  vieux  conquistadores  pris  parmi 
les  habitants  mêmes  de  Guazacualco  !  Pour  notre  honneur  donc  et 
pour  le  vôtre,  moi  et  quelques  autres  soldats  nous  sommes  d'avis 
d'aller  en  avant.  J'irai  moi-même  en  éclaireur  avec  mes  camarades, 
reconnaissant  les  marais  et  les  bois  et,  avec  l'aide  des  arbalétriers  et 
des  gens  d'escopette,  nous  arriverons  au  chef-lieu  de  Gimatan.  Voici 
mon  cheval  ;  confiez-le  à  quelqu'un  qui  sache  faire  bon  usage  de  la 
lance  et  ait  le  courage  de  le  bien  conduire;  je  ne  pourrais  m'en  servir 
moi-même  dans  ce  que  je  vais  entreprendre,  attendu  que  d'autres 
armes  que  la  lance  y  seront  en  jeu.  Quant  à  vous,  restez  un  peu  en 
arrière  avec  tous  les  cavaliers.  »  Après  avoir  entendu  mon  avis,  Ro- 
drigo Rangel,  qui  avait  l'habitude  de  brailler  fort  et  de  parler  beaucoup, 
sortit  de  la  maisonnette  où  il  prenait  conseil,  et  à  grands  cris  il  appela 
tout  le  monde  en  disant  :  «  Le  sort  en  est  jeté,  nous  allons  en  avant; 
par  Dieu!  (c'était  son  ton  et  son  jurement  habituels)  Bernai  Diaz 
del  Gastillo  m'a  dit  la  vérité  et  fait  voir  ce  qui  convient  à  tous  !  » 

Quelques  soldats  en  eurent  du  regret,  d'autres  s'en  réjouirent. 
Nous  commençâmes  à  marcher  en  bon  ordre,  les  arbalétriers  et  gens 
d'escopette  à  mes  côtés,  les  cavaliers  en  arrière  à  cause  des  bois  et 
marais  où  leurs  chevaux  ne  pouvaient  courir.  Nous  arrivâmes  à  un 
autre  village  qu'on  venait  d'abandonner,  et  de  là  nous  gagnâmes  le 
chef-lieu  même  de  Gimatan.  Nous  y  reçûmes  une  bonne  volée  de 
flèches  et  de  pieux,  mais  nous  ne  tardâmes  pas  à  mettre  en  fuite 
l'ennemi  qui  incendia  lui-même,  en  partant,  ses  propres  maisons. 


650  CONQUÊTE 

Nous  prîmes  quinze  Indiens,  hommes  et  femmes.  Nous  les  em- 
ployâmes à  faire  appeler  les  Gimatèques  pour  les  inviter  à  la  paix 
avec  la  promesse  de  pardonner  leurs  hostilités.  Les  maris  des  femmes 
que  nous  avions  prises  et  les  parents  des  enfants  dont  nous  nous 
étions  emparés  se  présentèrent  à  nous.  Nous  leur  rendîmes  les  pri- 
sonniers, et  de  leur  côté  ils  s'engagèrent  à  faire  accepter  la  paix  par 
tout  le  village;  mais  ils  ne  revinrent  nullement  avec  la  réponse. 
Rangel  me  dit  alors  :  «  Par  Dieu  !  vous  m'avez  trompé  !  Vous  allez 
repartir  avec  quelques  camarades  et  vous  aurez  à  me  trouver  autant 
d'Indiens  et  d'Indiennes  que  vous  m'avez  donné  le  conseil  d'en  lâcher  !  » 
Cinquante  soldats  partirent  donc  sous  mes  ordres  vers  de  petites 
fermes  établies  sur  le  sol  mouvant  des  marais,  mais  nous  n'osâmes 
point  y  entrer,  quoique  les  habitants  se  fussent  enfuis  en  gagnant  des 
terrains  couverts  de  broussailles  et  d'arbrisseaux  épineux  appelés 
œiguaquetlan,  dont  les  maudites  épines  traversent  les  pieds.  Nous 
prîmes  six  hommes  et  femmes,  avec  leurs  enfants,  dans  des  enclos 
de  cacaoyers  et  nous  revînmes  à  l'endroit  où  s'était  arrêté  notre  capi- 
taine. Notre  prise  l'apaisa;  il  relâcha  aussitôt  nos  prisonniers  pour 
qu'ils  allassent  inviter  les  Gimatèques  à  la  paix:  mais  ceux-ci  se 
refusèrent  à  se  présenter  à  nous.  Nous  résolûmes  alors  de  retourner 
à  notre  bourg  de  Guazacualco.  Et  voilà  où  aboutit  l'expédition  des 
Zapotèques  et  de  Gimatan,  et  voilà  aussi  le  résultat  de  la  grande 
renommée  que  Rangel  recherchait  lorsqu'il  fut  demander  à  Gortès 
d'aller  à  cette  conquête. 

Deux  ans  plus  tard,  ou  un  peu  plus,  nous  retournâmes  aux  pro- 
vinces des  Zapotèques  et  autres  ;  nous  les  conquîmes  et  nous  les  pa- 
cifiâmes. Le  bon  fray  Bartolomé  de  Olmedo,  qui  était  un  saint  moine, 
s'employa  beaucoup  auprès  des  habitants;  il  leur  prêchait  et  ensei- 
gnait les  articles  de  notre  foi.  Il  y  baptisa  plus  de  cinq  cents  Indiens. 
Mais,  en  vérité,  il  était  vieux  et  fatigué;  il  ne  pouvait  guère  aller  par 
voies  et  par  chemins,  car  il  avait  une  dangereuse  maladie. 

Nous  changerons  de  sujet  pour  dire  que  Gortès  envoya  à  Sa  Majesté, 
en  Gastille,  environ  quatre-vingt  mille  piastres  d'or,  aux  soins  de 
Diego  de  Soto,  natif  de  Toro,  accompagné,  je  crois,  d'un  certain  Ribera 
le  Borgne,  qui  avait  été  secrétaire  de  notre  général.  Il  envoya,  en 
même  temps,  le  riche  canon  en  or  et  en  argent  qu'on  appela  Y  oiseau 
Phénix.  Il  adressait  aussi  à  son  père,  Martin  Gortès,  plusieurs  mil- 
liers de  piastres  d'or.  Je  dirai  à  la  suite  ce  qui  advint  à  ce  sujet. 


DE  LA   NOUVELLE-ESPAGNE.  651 


CHAPITRE  CLXX 


Comme  quoi  le  capitaine  Fernand  Cortès  envoya  en  Castille,  à  Sa  Majesté,  quatre- 
vingt  mille  piastres  en  or,  ainsi  qu'un  canon  ;  c'était  une  couleuvrine  très-riche- 
ment sculptée  de  différents  dessins  ;  elle  était  en  entier,  ou  en  grande  partie,  en  or 
bas  mêlé  d'argent  de  Mechoacan  et  s'appelait  PMnix.  Il  envoya  aussi  à  son  père 
Martin  Cortès  environ  cinq  mille  piastres  d'or,  et  je  vais  dire  ce  qui  advint  à  ce 
sujet. 

Cortès  avait  réuni  environ  quatre-vingt  mille  piastres  d'or  ;  la  cou- 
leuvrine  appelée    Phénix    était  complètement   achevée;  c'était   une 
pièce  très-belle,  fort  digne  d'être  offerte  à  un  grand  monarque  comme 
Tétait  notre  Empereur.  On  lisait  dans  une  inscription  qui  y    était 
sculptée  :  Cet  oiseau  naquit  sans  égal;  personne  ne  me  vaut  pour 
vous  servir  et  vous  n'avez  pas  votre  pareil  dans  V univers.  Tout  cela 
fut  adressé  à  Sa  Majesté  par  l'entremise  d'un  hidalgo  natif  de  Toro, 
appelé  Diego  de  Soto,  et  je  ne  me  rappelle  pas  bien  s'il  fut  accompa- 
gné d'un  certain  Juan  de  Ribera,  qui  avait  été  secrétaire  de  Cortès  et 
portait  sur  l'œil  une  taie  qui  le  rendait  borgne.  Mon  opinion  est  que 
Ribera  était  homme  de  mauvais  cœur.  Lorsqu'il  jouait  aux  cartes  et 
aux  dés,  il  me  parut  toujours  qu'il  y  trichait.  Il  avait  d'ailleurs  ses 
vilains  côtés;  je  n'hésite  pas  à  m'exprimer  ainsi,  parce  qu'en  arrivant 
en  Castille  il  garda  pour  lui  les  piastres  d'or  que  Cortès  lui  avait  con- 
fiées pour  son  père.  Et  comme  celui-ci  les  lui  réclama,  Ribera  étant 
par  lui-même  mal  inspiré  et  ne  gardant  aucun  souvenir  des  bienfaits 
de  Cortès,  lui  qui  n'avait  été  qu'un  pauvre  homme,  au  lieu  de  procla- 
mer la  vérité  en  faveur  de  son  maître,  se  prit  à  en  dire  du  mal  et  à 
raisonner  son  dire  d'une  telle  façon  qu'on  y  ajoutait  tout  crédit,  sur- 
tout l'évêque  de  Burgos  ;  car  Ribera  s'exprimait  avec  éloquence  et  il 
avait  été  d'ailleurs  secrétaire  de  Cortès.  Narvaez,  Christobal  de  Tapia, 
les  commissaires  de  Diego  Velasquez  et  plusieurs  autres  l'aidèrent  à 
mal  parler.  Comme  au  surplus  on  venait  d'apprendre  la  mort  de  Fran- 
cisco de  Garay,  ils  se  réunirent  tous  pour  recommencer  leurs  plain- 
tes contre  Cortès  par-devant  l'Empereur.  Us  disaient  que  les  juges 
nommés  par  Sa  Majesté  avaient  agi  avec  partialité  sous  l'influence 
des  présents  que  Cortès  leur  avait  fait  tenir  dans  ce  but;  ils  parlèrent 
tant  et  de  si  perfide  façon  qu'ils  réussirent  à  jeter  du  trouble  dans  les 
affaires  de  Cortès  et  à  faire  peser  sur  lui  une  telle  défaveur,  que  tout 
aurait  fort  mal  tourné  pour  le  général,  n'eût  été  l'intervention  en  sa 
faveur  du  duc  de  Bejar,  qui  se  porta  sa  caution  jusqu'à  ce  que  Sa 
Majesté  eût  envoyé  contrôler  ses  actes,  assurant  d'avance  qu'on  ne  le 
trouverait  nullement  en  faute.  Le  duc  se  conduisit  ainsi  parce  qu'il 
avait  déjà  été  question  de  marier  Cortès  avec  une  de  ses  nièces,  appe- 


652  CONQUÊTE 

lée  dona  Juana  de  Zuniga,  fille  du  comte  de  Aguilar  don  Carlos  de 
Arellano  et  sœur  de  certains  caballeros  favoris  de  l'Empereur. 

Ce  fut  d'ailleurs  en  ce  moment  qu'arrivèrent  les  quatre-vingt  mille 
piastres  d'or  avec  les  lettres  de  Cortès,  dans  lesquelles  il  rendait  grâ- 
ces à  Sa  Majesté  et  Lui  offrait  ses  services,  à  l'occasion  de  la  grande 
faveur  qui  lui  avait  été  faite  en  l'élevant  à  la  dignité  de  gouverneur  du 
Mexique,  et  à  propos  de  la  justice  exercée  en  son  honneur  par  sen- 
tence de  la  Junte  composée  de  caballeros  de  son  conseil  royal  et  de 
sa  chambre  privée.  Toujours  est -il  que  tout  ce  qui  avait  été  dit  con- 
tre Cortès  se  calma,  de  nouveau,  sous  le  prétexte  qu'on  enverrait  con- 
trôler ses  actes;  mais  pour  le  moment  on  n'en  parla  plus. 

Cessons  de  nous  entretenir  de  ces  nuages  prêts  à  crever  sur  la  tête 
de  Cortès  et  parlons  de  son  canon  et  de  l'inscription  dans  laquelle  il 
exaltait  lui-même  ses  propres  services  jusqu'au  sublime.  Cela  se  sut  à 
la  cour  où  certains  ducs,  marquis,  comtes  et  personnages  de  grande 
valeur  se  tenaient  pour  d'aussi  grands  serviteurs  de  Sa  Majesté;  ils 
pensaient  même  qu'il  n'y  avait  point  de  chevaliers  qui  l'eussent  ser- 
vie aussi  bien  qu'eux-mêmes.  Ils  virent  dans  ce  canon  une  occasion  de 
murmures  et  contre  Cortès  et  au  sujet  de  l'inscription  qu'il  y  avait 
fait  graver.  D'autres  grands  seigneurs,  comme  par  exemple  l'amiral 
de  Castille,  le  duc  de  Bejar  et  le  comte  de  Aguilar,  dirent  à  ces  mê- 
mes gentilshommes,  qui  avaient  murmuré  en  traitant  l'inscription  de 
la  couleuvrine  de  prétentieusement  fanfaronne  :  «  Il  ne  faudrait  pour- 
tant pas  trop  s'étonner  que  Cortès  ait  inscrit  ces  paroles  sur  ce  canon; 
car  enfin,  voyons  un  peu,  y  a-t-il  eu  de  notre  temps  aucun  capitaine 
qui  puisse  se  vanter  d'aussi  hauts  faits  que  les  siens,  qui  ait  conquis 
tant  de  pays  sans  que  Sa  Majesté  y  dépensât  quoi  que  ce  fût,  et  dans 
lesquels  tant  de  gens  se  soient  convertis  à  notre  sainte  foi?  Au  sur- 
plus, ce  n'est  pas  seulement  Cortès,  mais  les  soldats  et  les  compa- 
gnons d'armes  qu'il  eut  à  ses  côtés,  qui  l'aidèrent  à  s'emparer  d'une 
si  puissante  capitale  si  fortement  peuplée  et  à  conquérir  une  si  grande 
étendue  de  pays;  ceux-là  sont  bien  dignes  que  Sa  Majesté  les  honore 
de  ses  nombreuses  faveurs.  Si  nous  voulons  bien  considérer  les  cho- 
ses, nous  qui  parlons,  nous  avons  hérité  nos  blasons,  nos  titres,  nos 
rentes,  de  ceux  de  nos  ancêtres  qui  firent  des  actions  héroïques  au 
service  de  la  couronne  royale  et  des  monarques  qui  régnaient  alors, 
de  la  même  manière  que  Cortès  et  ses  compagnons  d'armes  l'ont  fait 
de  nos  jours.  »  Ces  paroles  mirent  fin  à  l'incident  de  l'inscription. 

Pour  que  la  couleuvrine  ne  dépassât  point  Séville ,  Sa  Majesté  la 
donna  à  don  Francisco  de  Los  Cobos ,  grand  commandeur  de  Léon. 
Elle  fut  fondue  à  Séville  et  l'on  en  sépara  l'or  fin  dont  la  valeur,  dit- 
on,  s'élevait  à  vingt  mille  ducats.  Quoi  qu'il  en  soit,  on  ne  put  man- 
quer de  voir  que  Cortès  venait  d'envoyer  ce  canon  et  cet  or,  ni  oublier 
les  richesses  adressées  autrefois  sous  forme  de  lune  en  argent  et  de 


DE  LA   NOUVELLE-ESPAGNE.  G53 

soleil  en  or,  avec  d'autres  joyaux  également  de  ce  métal,  par  l'entre- 
mise de  Francisco  de  Montejo  et  de  Hernandez  Puertocarrero,  pas  plus 
que  le  second  envoi  fait  au  moyen  d'Alonso  de  Avila  et  de  Quinoncs 
et  qu'on  peut  considérer  comme  la  chose  la  plus  riche  qui  eût  existé 
dans  la  Nouvelle-Espagne,  —  je  veux  dire  la  garde-robe  de  Monte- 
zuma,  de  lluatemuz  et  des  autres  grands  rois  de  Mexico,  dont  Jean 
Florin,  le  corsaire  français,  parvint  à  s'emparer — .  Gomme  tout  cela  se 
sut  en  Castille,  Gortès  acquit  une  grande  renommée  en  Espagne,  ainsi 
qu'en  beaucoup  d'autres  parties  de  la  chrétienté,  et  partout  on  chanta 
ses  louanges. 

Nous  laisserons  ce  sujet,  pour  dire  où  vint  aboutir  le  procès  de 
Martin  Gortès  contre  Ribera,  relativement  aux  quelques  milliers  de 
piastres  que  le  conquistador  envoyait  à  son  père.  Ribera,  venant  à 
passer  par  la  ville  de  Gadahalso  pendant  que  le  procès  suivait  son 
cours,  y  mangea  des  tranches  de  jambon  et  mourut  subitement,  sans 
confession,  immédiatement  après  le  repas.  Que  Dieu  lui  pardonne! 
Amen! 

Sortons  des  événements  de  Castille  pour  en  revenir  à  parler  de  la 
Nouvelle-Espagne.  Gortès  s'occupait  toujours  à  faire  que  la  ville  de 
Mexico  se  repeuplât  entièrement  de  naturels  mexicains  comme  elle 
était  auparavant.  Il  leur  donna  des  franchises  et  des  libertés,  et  décida 
qu'ils  ne  payeraient  aucun  tribut  à  Sa  Majesté  avant  d'avoir  recon- 
struit leurs  maisons,  réparé  les  chaussées,  les  ponts,  rebâti  tous  les 
édifices,  refait  les  conduites  par  lesquelles  circulait  l'eau  qui  venait 
de  Ghapultepeque  à  la  ville,  et  élevé  les  églises  aussi  bien  que  les 
hôpitaux  dans  la  partie  occupée  par  les  Espagnols.  Le  bon  Père  fray 
Rartolomé  de  Olmedo  veillait  à  ces  derniers  soins  en  qualité  de  supé- 
rieur et  grand  vicaire.  Il  avait,  du  reste,  recueilli  dans  un  hôpital 
tous  les  Indiens  malades,  il  les  soignait  très-charitablement  et  faisait 
encore  bien  d'autres  choses  intéressantes.  En  ce  moment  arrivèrent 
de  Castille  au  port  delà  Vera  Gruz  douze  moines  franciscains  dont  le 
vicaire  général  était  un  excellent  Frère  appelé  fray  Martin  de  Valen- 
cia,  natif  d'un  bourg  de  Tierra  de  Campo  nommé  Valencia  de  don 
Juan1.  Ce  très-révérend  moine  avait  reçu  sa  nomination  du  Saint 
Père,  comme  supérieur  et  vicaire.  Je  vais  dire  ce  qui  se  fit,  à  son  arri- 
vée, pour  le  recevoir. 

1.  Valencia  de  don  Juan  est  située  à  trente  ou  quarante  kilomètres  sud  de  la  ville 
de  Léon,  dans  l'un  des  districts  de  cette  partie  de  l'Espagne  qui  portent  le  nom  de 
Tierra  de  Campo. 


654  CONQUÊTE 


CHAPITRE  GLXXI 

Comme  quoi  arrivèrent  au  port  de  la  Vera  Cruz  douze  moines  franciscains  d'une 
très-sainte  vie,  ayant  pour  vicaire  et  gardien  fray  Martin  de  Valencia,  religieux  si 
bon  qu'il  eut  la  réputation  de  faire  des  miracles;  il  était  natif  d'un  bourg  de  Tiena 
de  Campo  appelé  Valencia  de  don  Juan.  De  ce  que  Cortès  fit  à  son  arrivée. 

Ainsi  que  je  l'ai  dit  dans  les  chapitres  qui  en  ont  traité,  nous  avions 
écrit  à  Sa  Majesté  pour  La  supplier  de  nous  envoyer  des  moines  fran- 
ciscains de  bonne  et  sainte  vie,  afin  qu'ils  nous  aidassent  à  convertir 
et  à  instruire  les  naturels  de  ce  pays,  dans  l'intention  d'en  faire  des 
chrétiens,  leur  prêchant  notre  très-sainte  foi  ainsi  que  fray  Bartolomé 
de  Olmedo  avait  commencé  de  le  faire  dès  le  moment  que  nous  entrâ- 
mes dans  la  Nouvelle-Espagne.  Cortès  avait  écrit  à  ce  sujet,  avec  nous 
tous  les  conquistadores,  à  fray  Francisco  de  Los  Angeles,  qui  était  gé- 
néral des  franciscains  et  devint  plus  tard  cardinal,  pour  lui  demander 
en  grâce  que  les  franciscains  qu'il  enverrait  fussent  des  hommes  de 
vie  exemplaire,  afin  que  notre  sainte  foi  fût  toujours  exaltée  et  qu'ainsi 
les  naturels  de  ces  pays  reconnussent  la  vérité  de  ce  que  nous  leur 
disions  en  guerroyant  contre  eux  :  que  Sa  Majesté  enverrait  des  reli- 
gieux de  meilleure  vie  que  la  nôtre,  pour  leur  expliquer  et  leur  prê- 
cher notre  sainte  foi.  Ils  nous  demandaient  s'ils  seraient  comme  fray 
Bartolomé  de  Olmedo,  et  nous  répondions  affirmativement.  Nous 
avons  donc  à  dire  maintenant  que  le  général  fray  Francisco  de  Los 
Angeles  nous  fit,  en  effet,  la  grâce  d'envoyer  les  moines  que  nous 
avions  demandés.  Ce  fut  alors  que  vint  avec  eux  fray  Torrihio 
Motalma,  auquel  les  caciques  et  seigneurs  de  Mexico  donnèrent  le 
nom  de  Motolinea,  mot  qui  veut  dire  «  Frère  pauvre,  »  parce  que  tout 
ce  qui  lui  était  donné  pour  l'amour  de  Dieu,  il  le  redonnait  aux 
Indiens,  allant  quelquefois  jusqu'à  se  priver  de  manger  pour  eux;  i\ 
avait  des  habits  déchirés  et  marchait  pieds  nus.  Il  prêchait  sans  cesse 
aux  Indiens,  qui  l'aimaient  grandement  en  reconnaissant  que  c'était 
un  saint  homme. 

Mais  reprenons  notre  récit.  Cortès,  ayant  appris  que  les  religieux 
étaient  arrivés  au  port  de  la  Vera  Cruz,  fit  dire  dans  tous  les  villages 
d'Indiens,  comme  dans  tous  les  points  occupés  par  les  Espagnols,  que 
quand  les  moines  approcheraient,  on  eût  à  balayer  les  chemins  et  à 
prendre  soin  de  leur  dresser  un  campement  partout  où  ils  s'arrête- 
raient hors  des  lieux  habités  ;  tandis  que,  lorsqu'ils  arriveraient  à  des 
villes  ou  villages  d'Indiens,  on  devrait  aller  au-devant  d'eux  pour  les 
recevoir  au  son  des  cloches,  prenant  soin  que  tout  le  monde,  après  la 
réception  faite,  les  traitât  avec  le  plus  grand  respect.  Les  naturels  du 


DE  LA   NOUVELLE-ESPAGNE.  655 

pays  auraient  à  se  munir  de  cierges  allumés  et  de  croix  autant  que  l'on 
en  pourrait  trouver.  Au  surplus, pour  témoigner  déplus  d'humilité  et 
pour  en  donner  l'exemple  aux  Indiens,  Cortès  ordonna  que  les  Espa- 
gnols fléchiraient  le  genou  devant  les  moines  et  leur  baiseraient  la 
main  ainsi  que  la  robe.  Il  leur  fit  parvenir  beaucoup  de  friandises 
pour  la  route  en  leur  écrivant  très-affectueusement.  Lorsqu'ils  appro- 
chèrent de  Mexico,  Gortès  lui-même,  accompagné  de  fray  Bartolomé 
de  Olmedo,  de  nos  valeureux  capitaines  et  courageux  soldats,  sortit 
de  la  ville  pour  aller  au-devant  d'eux,  emmenant  à  sa  suite  Guate- 
muz,  roi  de  Mexico,  les  principaux  personnages  mexicains  et  un  grand 
nombre  de  caciques  d'autres  villes.  Quand  on  arriva  à  peu  de  dis- 
tance des  moines,  Gortès  mit  pied  à  terre  et  nous  l'imitâmes  tous.  En 
arrivant  près  des  Révérends,  le  premier  qui  fléchit  le  genou  devant 
fray  Martin  de  Yalencia,  pour  lui  baiser  les  mains,  ce  fut  Gortès  lui- 
même;  mais  le  moine  ne  voulut  pas  y  consentir,  ce  qui  fit  que  le 
conquistador  se  contenta  de  lui  baiser  la  robe.  Le  Père  fray  Barto- 
lomé les  salua  et  les  embrassa  très-tendrement,  tandis  que  nous 
tous,  capitaines  et  soldats  présents,  ainsi  que  Guatemuz  et  les 
seigneurs  de  Mexico,  nous  baisions  leurs  robes  en  fléchissant  le 
genou.  Lorsque  G-uatemuz  et  les  autres  caciques  virent  Gortès  se 
prosterner  pour  le  baise-main,  ils  en  furent  d'autant  plus  émer- 
veillés que  les  moines  s'avançaient  pieds  nus,  jaunes  et  maigres, 
couverts  de  haillons  et  sans  monture.  En  voyant  Gortès,  qu'ils 
s'étaient  habitués  à  regarder  comme  une  idole  ou  comme  un  dieu,  se 
mettre  ainsi  à  genoux  devant  eux,  tous  les  Indiens  imitèrent  cet 
exemple,  de  sorte  qu'aujourd'hui  encore,  lorsque  des  religieux  se  pré- 
sentent, on  les  accueille  toujours  avec  ce  même  respect  que  je  viens 
de  dire.  Je  dois,  ajouter  que,  toutes  les  fois  que  Gortès  parlait  avec 
ces  moines,  il  avait  l'habitude  de  tenir  sa  toque  à  la  main,  en  témoi- 
gnant d'une  respectueuse  soumission.  J'allais  oublier  dédire  que  fray 
Barlolomé,  par  ordre  de  notre  chef,  donna  aux  moines  l'hospitalité 
dans  une  magnifique  maison  où  il  alla  vivre  avec  eux  et  les  traita 
somptueusement. 

Laissons-les  y  goûter  leur  heureuse  chance,  pour  dire  que  trois 
mois  et  demi  plus  tard  arrivèrent  douze  moines  dominicains  dont  Je 
provincial  ou  prieur  était  un  certain  moine  appelé  fray  Tomas  Ortiz, 
d'origine  basque.  On  disait  qu'il  avait  été  déjà  provincial  dans  un 
pays  appelé  Pointe-du-Dragon.  Dieu  permit  qu'ils  fussent  atteints, 
en  arrivant,  du  mal  de  modorra,  dont  la  plupart  moururent.  J'aurai 
à  le  redire  plus  tard,  en  expliquant  quand,  comment  et  avec  qui  ils 
arrivèrent,  ainsi  que  des  circonstances  concernant  le  prieur,  et  d'au- 
tres choses  qui  se  passèrent.  Il  est  du  reste  arrivé,  depuis,  beaucoup 
de  bons  moines  de  sainte  vie  appartenant  au  même  ordre  de  saint 
Dominique.  Ils  furent  d'une  sainteté  exemplaire,  très-zélés  dans  l'in- 


656  CONQUÊTE 

struction  à  donner  à  ces  provinces  de  Guatemala  en  ce  qui  regarde 
notre  foi,  et  très-utiles  au  Lien  de  tout  le  monde. 

Je  cesserai  d'écrire  sur  ce  sujet  des  moines  pour  dire  que  Gortès 
craignait  toujours  qu'en  Gastille  les  commissaires  de  Diego  Velas- 
quez,  gouverneur  de  Cuba,  ne  s'alliassent  avec  l'évêque  de  Burgos 
pour  le  desservir  auprès  de  l'Empereur  notre  seigneur.  D'autre  part, 
il  sut,  par  des  lettres  de  son  père,  ou  de  Diego  de  Ordas,  qu'on  for- 
mait le  projet  de  le  marier  avec  dona  Juana  de  Zuniga,  nièce  du  duc 
de  Bejar  don  Alvaro  de  Zuniga.  Aussi  s'eiforça-t-il  d'envoyer  tout 
l'argent  qu'il  put  réunir  en  tributs  et  en  dons  provenant  des  caciques 
de  tout  le  pays,  d'abord  pour  que  le  duc  de  Bejar  pût  avoir  une  idée 
de  ses  grandes  richesses  en  même  temps  que  de  ses  actes  héroïques, 
mais  surtout  pour  obtenir  les  faveurs  et  les  bonnes  grâces  de  Sa 
Majesté.  Il  envoya  donc  trente  mille  piastres  en  écrivant  à  l'Empe- 
reur, et  c'est  cela  que  je  vais  expliquer  à  la  suite. 


CHAPITRE  GLXXII 


Comment  Cortès  écrivit  à  Sa  Majesté  en  lui  envoyant  trente  mille  piastres  d'or.  Com- 
ment il  s'occupait  de  la  conversion  des  Indiens  et  de  la  réédification  de  Mexico. 
Comme  quoi  il  avait  envoyé  Christoval  de  Oli  pacifier  les  provinces  de  Honduras 
accompagné  d'une  bonne  armée,  avec  laquelle  il  se  rebella.  Comment  Cortès  fit  le 
récit  d'autres  choses  qui  s'étaient  passées  au  Mexique  ;  et  par  le  navire  qui  portait 
ces  lettres  le  trésorier  de  Sa  Majesté  Rodrigo  de  Albornoz  en  envoya  d'autres  en 
secret,  dans  lesquelles  il  parlait  en  mauvais  termes  de  Cortès  et  de  nous  tous  qui 
avions  commencé  l'expédition  avec  lui  ;  quelles  mesures  Sa  Majesté  ordonna  de 
prendre  à  cet  égard. 

Lorsque  Gortès  reçut  de  Sa  Majesté  le  titre  de  gouverneur  de  la 
Nouvelle-Espagne,  il  lui  parut  convenable  de  faire  savoir  au  Roi  de 
quelle  manière  il  s'occupait  de  la  conversion  des  Indiens  et  de  la 
réédification  de  la  grande  ville  de  Tenustitlan-Mexico.  Il  Lui  raconta 
également  comment  il  avait  envoyé  un  capitaine  appelé  Christoval  de 
Oli  coloniser  des  provinces  du  nom  de  Honduras  avec  cinq  navires 
bien  approvisionnés,  un  grand  nombre  de  soldats,  beaucoup  de  che- 
vaux, des  canons,  des  escopettes,  des  arbalètes  et  toute  espèce  d'ar- 
mes, dépensant  plusieurs  milliers  de  piastres  dans  la  formation  de 
cette  armée  avec  laquelle  Christoval  de  Oli  s'était  soulevé  contre  lui 
sur  les  conseils  de  Diego  Velasquez,  gouverneur  de  l'île  de  Cuba, 
tous  deux  s'étant  entendus  pour  cela  à  bord  de  la  flotte.  Gortès  ajou- 
tait que  si  Sa  Majesté  daignait  le  permettre,  il  enverrait  sans  retard 
un  autre  capitaine  pour  s'emparer  de  cette  même  flotte  et  faire  pri- 
sonnier le  rebelle;  ou  que,  même,  il  marcherait  en  personne  contre 
lui,  attendu  que  si  on  le  laissait  sans  châtiment,  d'autres  capitaines 


DE  LA  NOUVELLE-ESPAGNE.  657 

s'enhardiraient  à  se  révolter  avec  leurs  troupes,  puisqu'il  était  inévi- 
table qu'on  en   expédiât  pour  conquérir  et  coloniser  d'autres  pays 
qui  restaient  en  état  d'hostilité.  Aussi  suppliait-il  Sa  Majesté  de  lui 
donner  tout  pouvoir  pour  ce  faire.  Il  se  plaignit  aussi  de  Diego  Vc- 
lasquez,  non-seulement  à  propos  de  ce  qu'il  avait  fait  avec  Ghristoval 
de  Oli,  mais  encore  pour  ses  machinations  continuelles,  pour   ses 
scandales  et  pour  les  lettres  qu'il  écrivait  de  l'île  de  Cuba,  demandant 
(ju'on  mît  à  mort  Gortès  ;  d'où  résultait  qu'à  peine  sortis  de  Mexico 
pour  aller  conquérir  quelques  villages  belliqueux  qui  se  soulevaient, 
les  hommes  du  parti  de  Diego  Velasquez  tramaient  des  conspirations 
pour  se  défaire  de  sa  personne  et  s'emparer  du  gouvernement,  con- 
duite qu'il  s'était  déjà  vu  forcé  de  punir  une  fois  par  la  mort  de  l'un 
des  principaux  coupables.   Ces  plans,   du   reste,  avaient  l'appui   de 
l'évêque  de  Burgos,  président  des  Indes  et  grand  ami  de  Diego  Ve- 
lasquez. 

Gortès  écrivait  à  l'Empereur  qu'il  lui  envoyait  trente  mille  piastres 
d'or,  ajoutant  que  si  les  tracasseries  et  les  conjurations  antérieures 
ne  l'en  eussent  empêché,  il  aurait  recueilli  beaucoup  plus,  et  qu'avec 
l'aide  de  Dieu,  non  moins  que  par  suite  de  la   bonne  fortune  de  Sa 
Majesté  royale,  il  enverrait  tout  ce  qui  serait  possible  parles  navires 
qui  partiraient  du  Mexique.  Il  écrivit  en  même  temps  à  son  père, 
Martin  Gortès,  et  à  son  parent,  Francisco  Nunez,  qui  était  rapporteur 
au  conseil  royal  de  Sa  Majesté.  Il  écrivit  encore  à  Diego  de  Ordas, 
en  faisant  savoir  tout  ce  que  je  viens  de  mentionner.  Il  dénonçait  la 
conduite  de  Rodrigo  de  Albornoz,  trésorier  à  Mexico,  qui  murmurait 
secrètement  contre  Gortès,  parce  qu'il  n'avait  pas  eu  d'aussi  bons  In- 
diens qu'il  aurait  voulu,  et  aussi  parce  qu'il  avait  demandé  en  ma- 
riage une  dame,  fille  du  cacique  de  Tezcuco,  qui  lui  fut   refusée  et 
qu'on  maria  en  ce  même  temps  avec  une  personne  de   qualité.  Dans 
ses  lettres,  Gortès  avertissait  que  ce  personnage  avait  été  secrétaire 
en  Flandre,  qu'il  était  l'un  des  serviteurs  de  don  Juan  Rodriguez  de 
Fonseca,  évêque  de  Burgos,  et  que,  du  reste,  il  avait  pour  habitude 
de  beaucoup  écrire,    quelquefois  même    en  chiffres,  et,  selon  toute 
probabilité,  il  écrivait  des  faussetés  à  l'évêque  lui-même  en  sa  qua- 
lité de  président  des  Indes,  car  à  cette  époque  nous  ne  savions  point 
encore  qu'on  lui  avait  enlevé  cet  emploi.   Gortès  avertissait  ses  cor- 
respondants qu'il  leur  donnait  ainsi  avis  sur  toute  chose.  Il  envoya 
ses  lettres  en  double  pour  qu'on  en  pût  faire  le  rapport  à  Sa  Majesté 
qui  était  revenue  de  Flandre,  parce  qu'il  craignait  que  l'évêque  de 
Burgos,  —  qui,  en  sa  qualité  de  président,  avait  ordonné  à  Pedro  de 
Ysasaga  et  à  Juan  Lopez  de  Recalte,  commissaires  de  la  maison  de 
Contratacion  de  Séville,  de  lui  envoyer  en  poste  toutes  les  lettres  et 
dépêches  de  Gortès  afin  de  savoir  ce  qui  y  était  écrit,  —  ne  fût  en  me- 
sure de  prendre  les  devants  et  de  prévenir  la  remise  des  lettres  par 


658  CONQUÊTE 

nos  commissaires.  Nous  ignorions,  en  effet,  alors  dans  la  Nouvelle- 
Espagne  que  la  charge  de  président  des  Indes  eût  été  enlevée  à  don 
Juan  Rodriguez  de  Fonseca,  évêque  de  Burgos. 

Quoi  qu'il  en  soit  de  ces  lettres  de  Gortès,  je  dois  dire  que  par  ce 
même  navire  qui  les  emportait  le  trésorier  Albornoz  en  envoyait  d'au- 
tres à  Sa  Majesté,  à  l'évêque  de  Burgos  et  au  Conseil  royal  des  Indes. 
11  y  rappelait  par  chapitres  distincts  et  répétait  toutes  les  causes  et 
motifs  qui  avaient  fait  auparavant  accuser  Gortès  lorsque  Sa  Royale 
Majesté  le  fit  juger  par  des  membres  de  son  conseil  ;  ce  qui  avait 
donné  pour  résultat  de  proclamer  que  nous  étions  de  loyaux  servi- 
teurs de  Sa  Majesté.  Outre  ces  accusations  qui  avaient  eu  lieu  déjà, 
Albornoz  ajoutait  aujourd'hui  que  Gortès  avait  l'habitude  de  deman- 
der à  tous  les  caciques  de  la  Nouvelle-Espagne  un  grand  nombre  de 
disques  d'or  et  de  leur  faire  recueillir  beaucoup  de  produits  des  mi- 
nes en  disant  que  c'était  pour  envoyer  à  l'Empereur,  tandis  qu'il  gar- 
dait le  tout  pour  lui-même  sans  rien  envoyer  à  Sa  Majesté.  Il  disait 
aussi  que  le  conquistador  avait  fait  élever  des  édifices  en  forme  de 
forteresses  et  recueillir  plusieurs  filles  de  grands  seigneurs  pour  les 
marier  avec  des  soldats  espagnols  ;  que  des  personnes  honorables  les 
lui  demandaient  pour  femmes  légitimes,  et  qu'il  les  refusait  afin  de 
les  garder  en  qualité  de  concubines.  Albornoz  disait  encore  que  tous 
les  caciques  et  principaux  personnages  avaient  pour  lui  les  égards 
que  l'on  a  pour  un  roi,  et  que  dans  le  pays  on  ne  connaissait  d'autre 
souverain  ni  seigneur  que  Gortès  qui,  comme  un  roi,  prélevait  le  quint 
sur  toute  chose  ;  qu'il  possédait  un  trésor  consistant  en  une  grande 
quantité  de  lingots  d'or.  Albornoz  finissait  en  disant  qu'il  ne  savait 
pas  bien  si  le  général  était  déjà  un  rebelle  ou  s'il  resterait  fidèle  à 
l'avenir  ;  mais  qu'il  croyait  nécessaire  que  Sa  Majesté,  sans  perdre 
de  temps,  envoyât  dans  le  pays  un  gentilhomme  accompagné  de 
bons  soldats  bien  armés,  pour  enlever  à  Gortès  son  commandement 
et  sa  seigneurie.  Ses  lettres  s'étendaient  encore  longuement  sur  le 
même  sujet.  Mais  je  cesserai  de  parler  de  leur  contenu  pour  dire 
qu'elles  tombèrent  aux  mains  de  l'évêque  de  Burgos  qui  résidait  à 
Toro. 

Gomme  alors  se  trouvaient  à  la  cour  et  Pamphilo  de  Narvaez,  et 
Ghristobal  de  Tapia  et  tous  les  commissaires  de  Diego  Yelasqucz, 
l'évêque  prit  occasion  de  la  lettre  d' Albornoz  pour  obtenir  qu'ils 
adressassent  de  nouvelles  plaintes  à  Sa  Majesté  contre  Gortès,  au 
sujet  de  tout  ce  qui  avait  été  antérieurement  débattu,  en  assurant 
que  les  juges  saisis  de  leurs  griefs  avaient  témoigné  d'une  grande 
partialité  en  faveur  du  conquistador,  et  qu'ils  priassent  Sa  Majesté  de 
porter  l'attention  sur  ce  que  son  commissaire  et  trésorier  venait  d'é- 
crire récemment.  En  témoignage  des  faits,  ils  présentèrent  les  lettres 
dont  j'ai  parlé.  En  les  voyant,  en  entendant  les  paroles  que  Narvaez 


DE  LA  NOUVELLE-ESPAGNE.  659 

proférait  d'un  ton  élevé,  selon  son  habitude,  pour  demander  justice, 
Sa  Majesté  crut  à  la  vérité  de  ses  allégations.  Gomme  d'ailleurs  l'é- 
vêque  de  Burgos,  Juan  Rodriguez  de  Fonseca,  leur  avait  procuré 
l'appui  de  plusieurs  lettres  favorables,  l'Empereur  leur  répondit  : 
«  Je  veux  décidément  envoyer  châtier  Gortès,  puisqu'on  l'accuse  à  ce 
point  de  mal  faire,  n'importe  les  sommes  d'or  qu'il  enverra;  car  la 
justice  est  une  richesse  bien  supérieure  à  tous  les  trésors  qu'il  pour- 
rait adresser.  »  Il  ordonna  que  des  mesures  fussent  prises  pour  dé- 
pêcher, sans  délai,  l'amiral  de  Saint-Domingue,  qui  partirait  aux  frais 
du  conquistador  avec  six  cents  soldats  et  l'ordre  de  trancher  la  tête  à 
Gortès,  s'il  était  trouvé  coupable,  en  même  temps  qu'on  châtierait 
tous  ceux  qui  s'employèrent  à  la  déroute  de  Pamphilo  de  Narvaez.  Pour 
que  l'amiral  n'hésitât  pas  à  partir,  Sa  Majesté  lui  promit  l'amirauté 
de  la  Nouvelle-Espagne  pour  l'obtention  de  laquelle  il  intriguait 
beaucoup  à  la  cour. 

Quoique  toutes  les  dépêches  et  provisions  fussent  signées,  l'amiral 
retarda  quelques  jours  son  voyage.  Peut-être  n'osait-il  pas  partir; 
peut-être  aussi  n'avait-il  pas  des  ressources  suffisantes;  peut-être 
encore  hésitait-il  devant  le  conseil  qu'on  lui  donnait  de  bien  méditer 
sur  la  bonne  chance  de  Gortès,  de  se  souvenir  que  Narvaez  en  avait 
essuyé  une  déroute  complète,  malgré  les  forces  qui  l'accompagnaient, 
et  de  penser  qu'il  allait  aventurer  son  existence  et  sa  position  sans 
être  sûr  d'arriver  à  ses  fins  ;  car  il  se  pourrait  que  ni  Gortès  ni  au- 
cun de  ses  compagnons  d'armes  ne  fussent  trouvés  coupables  et  qu'au 
contraire  leur  loyauté  fût  clairement  prouvée.  Il  paraît  d'ailleurs 
qu'on  fit  voir  à  Sa  Majesté  que  c'était  une  bien  grande  largesse  de 
donner  ainsi  l'amirauté  de  la  Nouvelle-Espagne  pour  le  peu  de  ser- 
vices qui  pourraient  être  rendus  dans  cette  expédition.  D'autre  part, 
pendant  que  l'amiral  se  préparait  au  départ  pour  la  Nouvelle-Espa- 
gne, la  nouvelle  en  arriva  aux  commissaires  de  Gortès,  à  son  père 
don  Martin,  et  à  fray  Pedro  Melgarejo  de  Urrea.  Ils  possédaient  la 
copie  des  lettres  que  Gortès  avait  adressées;  ils  y  apprirent  que  le 
trésorier  Albornoz  et  quelques  autres  personnes,  qui  n'étaient  pas 
bien  avec  le  conquistador,  jouaient  double  jeu.  Se  réunissant,  en  con- 
séquence, ils  furent  trouver  le  duc  de  Bejar  pour  lui  relater  tout  ce 
que  je  viens  de  dire  et  lui  faire  voir  les  lettres  de  Gortès. 

En  apprenant  qu'on  envoyait  si  légèrement  l'amiral  avec  un  grand 
nombre  de  soldats,  le  duc  éprouva  un  très-vif  regret,  car  il  nourris- 
sait toujours  son  projet  de  marier  Gortès  avec  sa  nièce  doua  Juana 
de  Zuniga.  11  alla,  sans  plus  attendre,  trouver  Sa  Majesté  en  prenant 
soin  de  se  faire  suivre  par  quelques  comtes  ses  parents  et  amis.  Le 
vieux  Martin  Gortès  et  fray  Pedro  Melgarejo  étaient  avec  eux.  Après 
avoir  (ait  à  l'Empereur  toutes  les  démonstrations  respectueuses 
et  humbles  salutations  qui  sont  dues  à  notre  seigneur  et  Roi,  le  duc 


660  CONQUÊTE 

supplia  Sa  Majesté  de  ne  point  écouter  la  voix  d'un  homme  comme 
le  trésorier  Albornoz,  qui  était  un  ennemi  de  Cortès,  et  de  vouloir 
bien  attendre  d'autres  rapports  plus  dignes  de  foi  et  de  crédit,  avant 
d'envoyer  une  expédition.  Le  duc  osa  même  demander  à  Sa  Majesté 
comment  Elle,  qui  était  si  chrétienne  et  d'une   droiture   si  grande 
pour  faire  justice,  se  déterminait  si  vite  à  donner  l'ordre   d'arrêter 
Gortès  et   tous  ses   soldats,  qui  Lui   avaient  rendu  tant  de  bons   et 
loyaux  services  qu'on  n'avait  rien  vu  d'égal  dans  le  monde  ni  lu  dans 
aucune  histoire  comme  ayant  été  fait  par  des  sujets  pour  le  service 
des  rois  ses  prédécesseurs.  Le  duc  ajouta  qu'il  avait  déjà  offert  sa 
tête  pour  caution  de  Gortès  et  de  ses  compagnons  d'armes,  sûr  qu'ils 
étaient  fidèles  et  loyaux  et  qu'ils  continueraient  de  l'être  à  l'avenir; 
que  maintenant,  il  engageait  sa  tête  encore  et  sa  situation   élevée, 
avec  le  plus   grand  plaisir,  affirmant  pour   toujours   notre   loyauté, 
dont  Sa  Majesté  recevrait  plus  tard  le  témoignage.  En  outre,  on  fit 
voir  à  l'Empereur  les  lettres  que  Gortès  écrivait  à  son  père  et  dans 
lesquelles  il  expliquait  pourquoi  le  trésorier  Albornoz  médisait   de 
son  chef,  alléguant  que  c'était  parce  qu'il  n'en  avait  pas  reçu  d'aussi 
bons  Indiens  qu'il  les  demandait,  et  que  la  fille  d'un  grand  cacique 
lui  avait  été  refusée.  Le  duc  pria  encore  Sa  Majesté  de  vouloir  bien 
considérer  combien  de  fois  Gortès  Lui  avait  adressé  de  grandes  som- 
mes d'or;  et  à  tout  cela  il  ajouta  beaucoup  d'autres  raisons  en  faveur 
du  conquistador.  Il  fit  tant  enfin  que  SaMajesté  vit  clairement  que  la 
justice  était  du  côté  de  Gortès  et  de  nous  tous  les  premiers  conquis- 
tadores. Elle  ordonna,  en  conséquence,  que  des  mesures  fussent  prises 
pour  confier  l'information  à  une  personne    de  qualité  et   de  savoir, 
animée  de  la  crainte  de  Dieu. 

En  ce  temps-là  la  cour  était  à  Tolède.  Le  corregidor,  comte  de 
Alcaudete,  avait  pour  lieutenant  un  licencié  nommé  Luis  Ponce  de 
Léon,  cousin  du  comte  don  Martin  de  Gordova.  Sa  Majesté  fit  appeler 
ce  licencié  et  lui  donna  l'ordre  de  partir  sans  retard  pour  la  Nou- 
velle-Espagne pour  y  contrôler  les  actes  de  Gortès  et  l'y  châtier  ri- 
goureusement par  sentence  judiciaire  dans  le  cas  où  il  serait  trouvé 
coupable  des  faits  dont  il  était  accusé.  Luis  Ponce  de  Léon  répondit 
qu'il  accomplirait  les  ordres  royaux.  Il  commença  ses  apprêts  de 
voyage,  mais  il  ne  mit  pas  un  bien  grand  empressement  à  partir, 
puisqu'il  tarda  deux  ans  et  demi  pour  arriver  à  la  Nouvelle-Es- 
pagne. 

Je  mettrai  de  côté,  pour  le  moment,  et  les  partisans  du  gouverneur 
de  Cuba,  Diego  Velasquez,  accusateurs  du  conquistador,  et  le  licencié 
Luis  Ponce  de  Léon,  qui,  comme  je  l'ai  dit,  s'occupait  des  apprêts  de 
son  voyage.  Quoique  je  doive  m'écarter  un  peu  du  fil  de  mon  récit, 
je  me  transporterai  au-devant  des  événements  pour  dire  qu'au  bout 
de  deux  ans  seulement  nous  apprîmes  tout  ce  que  je  viens  de  racon- 


DE  LA  NOUVELLE-ESPAGNE.  661 

ter  des  lettres  de  Gortès  et  d'Albornoz,  parce  que  Martin  Gortès  l'é- 
crivit de  la  capitale.  Je  veux  que  les  curieux  lecteurs  sachent  aussi 
que  c'était  une  coutume  d'Albornoz  d'écrire  à  Sa  Majesté  le  contraire 
des  événements.  Je  pense  bien  que  les  personnes  qui  ont  été  dans  la 
Nouvelle-Espagne  et  dans  la  ville  de  Mexico  n'ignorent  pas  que  le 
Vice-Roi  don  Antonio  de  Mendoza  fut  un  homme  des  plus  illustres 
et  grandement  digne  de  mémoire.  (Que  Dieu  l'ait  en  sa  sainte  gloire  !) 
Gomme  il  gouvernait  très-justement,  Rodrigo  de  Albornoz  n'était 
guère  bien  avec  lui.  Il  écrivit  donc  à  Sa  Majesté  pour  médire  de  son 
gouvernement.  Mais  les  lettres  qu'il  envoya  à  la  cour  furent  ren- 
voyées à  la  Nouvelle-Espagne  et  mises  aux  mains  du  Vice-Roi. 
Celui-ci,  les  ayant  lues  et  s'étant  mis  au  courant  des  médisances,  fit 
appeler  Rodrigo  de  Albornoz  à  qui,  en  paroles  très-calmes,  pronon- 
cées lentement,  —  car  il  avait  l'habitude  de  parler  bas  et  sans  se 
presser,  —  il  présenta  ses  propres  lettres  en  lui  disant  :  «  Puisque 
vous  êtes  dans  l'habitude  d'écrire  à  Sa  Majesté,  écrivez-lui  du  moins 
la  vérité.  Tenez-vous,  en  attendant,  pour  un  vil  misérable  et  sortez 
d'ici.  »  Ce  fut  ainsi  que  le  trésorier  fut  chassé  et  couvert  de  honte. 

Cessons  de  parler  de  tout  cela.  Aussi  bien  Cortès  ignorait  à  cette 
époque  ce  qui  se  tramait  contre  lui  à  la  cour  et  il  envoyait  une  expé- 
dition à  Honduras  contre  Ghristoval  de  Oli.  Je  vais  dire  ce  qui  advint 
à  ce  sujet. 


CHAPITRE  CLXXIII 

Comme  quoi  Cortès,  ayant  su  que  Christoval  de  Oli  s'était  soulevé  avec  sa  flotte  en 
s'alliant  à  Diego  Velasquez,  gouverneur  de  Cuba,  envoya  contre  lui  le  capitaine 
Francisco  de  Las  Casas.  Je  vais  dire,  à  la  suite,  ce  qui  arriva. 

J'ai  besoin  de  reprendre  mon  récit  de  plus  haut  afin  de  pouvoir  être 
bien  compris.  J'ai  dit,  dans  le  chapitre  qui  s'y  rapporte,  que  Cortès 
avait  envoyé  Christoval  de  Oli  aux  Higueras  et  à  Honduras  et  que 
ce  chef  s'était  soulevé  avec  sa  flotte.  En  apprenant  cette  révolte  faite 
avec  l'appui  de  Diego  Velasquez,  gouverneur  de  Cuba,  Cortès  devint 
fort  soucieux;  mais  comme  il  avait  du  cœur  et  ne  se  laissait  pas  faci- 
lement duper  en  pareil  cas,  il  avait  aussitôt  écrit  à  Sa  Majesté,  dans 
une  lettre  dont  j'ai  déjà  parlé,  son  projet  de  marcher  lui-même  ou 
d'envoyer  d'autres  chefs  contre  Christoval  de  Oli.  Or,  en  ce  même 
temps  était  arrivé  de  Castille  un  gentilhomme  appelé  Francisco  de 
Las  Casas,  homme  de  toute  confiance  et  parent  de  Gortès.  Celui-ci 
résolut  de  l'envoyer  contre  Oli  avec  cinq  navires  bien  armés,  bien 
approvisionnés,  et  cent  soldats,  parmi  lesquels  quelques  conquista- 
dores du  Mexique  venus  de  l'île  de  Cuba  avec  Cortès,  C'étaient  Pedro 


662    .  CONQUÊTE 

Moreno  Medrano,  Juan  Nunez  de  Mcrcado,  Juan  Vello,  et  d'autres 
que  je  ne  nomme  pas  et  qui  moururent  en  route. 

Francisco  de  Las  Casas,  pourvu  de  pouvoirs  suffisants  et  porteur 
de  l'ordre  d'arrêter  Christoval  de  0!i,  partit  du  port  de  Vera  Gruz 
avec  ses  bons  navires  bien  ravitaillés,  en  déployant  le  pavillon  aux 
armes  royales.  Le  temps  ayant  été  favorable,  il  arriva  à  la  baie  déjà 
appelée  Triomphe  de  la  Croix,  où  Christoval  de  Oli  tenait  sa  flotte 
réunie  et  aux  bords  de  laquelle  se  trouvait  la  ville  du  même  nom 
nouvellement  fondée,  ainsi  que  je  l'ai  dit  dans  le  chapitre  qui  en  a 
parlé.  Lorsque  Christoval  de  Oli  vit  ces  nouveaux  bâtiments  mouillés 
dans  son  port,  quoique  Francisco  de  Las  Casas  eût  fait  arborer  des 
signaux  de  paix,  il  ne  crut  nullement  à  la  sincérité  de  cette  démons- 
tration pacifique ,  et  il  donna  l'ordre  d'armer  fortement  deux  cara- 
velles et  d'y  réunir  un  grand  nombre  de  soldats.  Cela  fait,  il  adressa 
aux  nouveaux  venus  la  défense  de  descendre  à  terre.  Ce  voyant,  Las 
Casas,  qui  était  un  homme  résolu,  fit  mettre  ses  canots  à  la  mer,  les 
monta  d'hommes  bien  armés,  avec  des  fauconneaux,  des  espingoles  et 
des  arbalètes,  et  se  mit  à  leur  tête  dans  le  dessein  de  prendre  terre 
n'importe  comment.  De  son  côté  Christoval  de  Oli  se  prépara  à  s'op- 
poser à  la  descente.  Il  en  résulta  un  combat  dans  lequel  Las  Casas 
coula  l'une  des  caravelles  ennemies,  tua  quatre  soldats  et  en  blessa 
quelques  autres. 

Christoval  de  Oli  n'avait  pas  là  tout  son  monde,  parce  que  deux 
jours  auparavant  il  avait  envoyé  deux  compagnies  pour  remonter  une 
rivière  appelée  Pichin  et  y  arrêter  un  autre  capitaine,  du  nom  de 
Gil  Gonzalez  de  Avila,  qui  prétendait  faire  la  conquête  de  cette  pro- 
vince, attendu  que  la  rivière  de  Pichin  appartenait  au  gouvernement 
du  Golfo  Dulce.  Comme  il  attendait  à  tout  instant  le  retour  de  ses 
troupes,  Christoval  de  Oli  fut  d'avis  de  faire  des  ouvertures  de  paix  à 
Francisco  de  Las  Casas,  pensant  bien  que  si  celui-ci  prenait  terre,  il 
faudrait  en  venir  aux  mains.  Il  demandait  donc  la  cessation  des  hos- 
tilités, parce  qu'il  n'avait  point  ses  soldats  près  de  lui.  De  son  côté, 
Las  Casas  résolut  de  passer  la  nuit  suivante  à  bord  de  ses  navires  en 
s'éloignant  de  terre  et  en  restant  sur  le  qui-vive,  peut-être  aussi  dans 
l'espoir  de  gagner  une  autre  baie  pour  y  débarquer.  A  ces  raisons, 
il  faut  ajouter  qu'on  lui  avait  remis  secrètement  pendant  le  combat 
une  lettre  où  on  l'avertissait  que  quelques  soldats  partisans  de  Cor- 
tès,  qui  se  trouvaient  avec  Oli,  se  prononceraient  en  sa  faveur,  et  que 
par  conséquent  il  ne  devait  pas  manquer  de  gagner  la  terre  pour  ar- 
rêter Christoval  de  Oli. 

Les  choses  en  étaient  là,  quand  la  bonne  fortune  de  celui-ci  et  le 
mauvais  sort  de  l'autre  firent  que  cette  nuit  même  s'élevât  un  fort  vent 
du  nord,  qui  jeta  à  la  côte  les  navires  de  Francisco  de  Las  Gasas, 
Tout  ce  qu'il  apportait  se  perdit,  trente  soldats  se  noyèrent  et  tous 


DE  LA   NOUVELLE-ESPAGNE.  663 

les  autres  furent  faits  prisonniers.  Ceux-ci,  mouillés  par  l'eau  de 
la  mer  et  par  la  pluie  qui  tombait  en  abondance,  moulus  de  fatigue, 
transis  de  froid,  restèrent  deux  jours  sans  manger.  Ghristoval  de  Oli, 
joyeux  et  triomphant  du  malheur  de  Francisco  de  Las  Casas,  fit  faire 
aux  autres  soldats  dont  il  s'empara  le  serment  d'être  toujours  pour 
lui  contre  Cortès,  si  celui-ci  venait  en  personne  dans  ce  pays.  Quand 
ils  eurent  juré,  il  les  mit  en  liberté,  se  contentant  de  garder  en 
prison  Francisco  de  Las  Casas.  Les  capitaines  qu'il  avait  envoyés 
pour  arrêter  Gril  Gonzalez  de  Avila  revinrent  en  ce  même  temps.  Ce 
Cil  Gonzalez  était  venu  en  qualité  de  gouverneur  et  commandant  du 
Golfo  Dulce.  Il  y  avait  fondé  une  ville  qu'on  appela  San  Gil  de  Buena 
Yista,  à  une  lieue  environ  du  port  qui  actuellement  s'appelle  Golfo 
Dulcp.  Le  fleuve  Pichin,  en  ce  temps-là,  coulait  sur  un  sol  peuplé 
de  grands  villages.  Gil  Gonzalez  ne  conservait  près  de  lui  qu'un  pe- 
tit nombre  d'hommes,  parce  que  la  plupart  étaient  tombés  malades 
et  quelques-uns  avaient  été  employés  à  coloniser  la  ville  de  San  Gil 
de  Buena  Yista.  Ce  fut  en  apprenant  cette  nouvelle  que  Christoval  de 
Oli  envoya  pour  qu'on  s'emparât  de  leurs  personnes,  et,  comme  ils 
firent  résistance,  on  tua  huit  Espagnols  de  la  troupe  de  Gil  Gonzalez 
ainsi  qu'un  neveu  de  celui-ci,  nommé  Gil  de  Avila.  Christoval  de  Oli 
se  sentait  très-joyeux  et  très-content  en  voyant  deux  capitaines  pri- 
sonniers en  son  pouvoir.  Comme  il  jouissait  d'ailleurs  de  la  réputa- 
tion d'un  vaillant  guerrier  et  que  bien  certainement  il  l'était,  désireux 
que  le  fait  fût  connu  dans  toutes  les  îles,  il  en  écrivit  à  Cuba  à  son 
ami  Diego  Velasquez,  et  tout  aussitôt  il  s'enfonça  dans  le  pays  en 
partant  de  Triomphe  de  la  Croix  pour  se  rendre  au  village  de  Naco, 
qui,  dans  ce  temps-là,  comme  bien  d'autres  localités  du  district,  était 
très-fortement  garni  d'habitants,  tandis  qu'aujourd'hui  il  est  en  rui- 
nes aussi  bien  que  tous  ceux  qui  l'entouraient.  Si  j'en  parle  ici,  c'est 
que  je  les  ai  vus  et  les  ai  visités  :  San  Gil  de  Buena  Vista,  Rio  de  Pi- 
chin et  Rio  de  Balama.  J'ai  parcouru  tous  ces  lieux  à  l'époque  où  j'y 
fus,  plus  tard,  avec  Cortès,  ainsi  que  je  le  raconterai  longuement 
quand  il  en  sera  temps.  Je  reprends  mon  récit  pour  dire  que  Ghristo- 
val de  Oli,  s'étant  établi  à  Naco  avec  ses  prisonniers  et  une  force 
respectable,  entreprenait  des  sorties  vers  d'autres  localités.  Dans 
l'une  d'elles,  il  envoya  Briones  en  qualité  de  commandant.  Ce  Brio- 
nes  avait  été  des  premiers  à  lui  conseiller  sa  rébellion.  Il  était  très- 
turbulent  ;  il  avait  même  perdu  les  lobules  des  deux  oreilles,  et  il 
racontait  qu'étant  dans  une  forteresse,  on  les  lui  avait  coupés  parce 
que,  avec  quelques  autres  capitaines,  il  avait  refusé  de  se  rendre.  Il 
fut  plus  tard  pendu  à  Guatemala  pour  avoir  provoqué  des  troupes  à  la 
rébellion. 

Revenons  à  notre  récit.  Comme  il  avait  été  envoyé  en  expédition  à 
la  tête  d'un  certain  nombre  d'hommes,  le  bruit  se  répandit  au  quar- 


664  CONQUÊTE 

tier  de  Ghristoval  de  Oli  qu'il  s'était  révolté  avec  tous  les  soldats  qui 
se  trouvaient  en  sa  compagnie  et  qu'il  avait  pris  la  route  de  la  Nou- 
velle-Espagne. Le  fait  était  vrai.  Lorsque  Francisco  de  Las  Casas  et 
Gril  Gonzalez  de  Avila,  qui  étaient  prisonniers,  en  eurent  connais- 
sance, ils  trouvèrent  le  moment  opportun  pour  donner  la  mort  à 
Ghristoval  de  Oli.  Gomme  d'ailleurs  ils  vaguaient  en  liberté,  hors  de 
prison,  parce  qu'Oli  comptant  sur  sa  propre  valeur  ne  faisait  aucun 
cas  d'eux ,  les  prisonniers  s'entendirent  secrètement  avec  les  soldats 
amis  de  Gortès  et  convinrent  qu'au  cri  :  «  Ici  pour  le  Roi,  et  pour 
Gortès  au  nom  du  Roi,  contre  ce  tyran  !  »  on  se  précipiterait  à  coups 
de  couteau  sur  le  capitaine.  Le  plan  étant  fait,  Francisco  de  Las 
Casas  disait  à  Oli ,  en  riant,  comme  par  une  sorte  de  plaisanterie  : 
«  Senor  capitaine,  lâchez-moi;  j'irai  à  la  Nouvelle-Espagne  parler  à 
Gortès  et  lui  expliquer  ma  déroute;  je  serai  votre  avocat  pour  qu'il 
vous  laisse  le  gouvernement  de  ce  pays  en  qualité  de  son  lieutenant. 
Considérez  que  vous  êtes  une  créature  de  Gortès,  que  ma  captivité  ne 
vous  sert  à  rien  et  que  je  vous  suis  plutôt  un  embarras  dans  vos 
conquêtes.  »  Ghristoval  de  Oli  répondit  qu'il  se  trouvait  très-bien 
ainsi  et  qu'il  se  réjouissait  d'avoir  un  homme  tel  que  lui  en  sa  com- 
pagnie. Francisco  de  Las  Casas  lui  dit  alors  :  «  En  ce  cas,  veillez 
bien  sur  votre  personne,  parce  qu'un  jour  ou  l'autre  je  ferai  en  sorte 
de  vous  tuer.  »  Il  est  vrai  qu'il  disait  cela  moitié  raillant,  moitié 
riant;  aussi  Christoval  de  Oli  n'en  fit-il  aucun  cas,  et  tout  le  monde 
prit-il  la  chose  gaîment. 

Cependant  la  trame  était  bien  ourdie  avec  les  amis  de  Cortès.  Un 
soir,  le  souper  était  fini,  le  couvert  enlevé,  les  maîtres  d'hôtel  et  les 
pages  partis  ;  Juan  Nunez  de  Mercado  et  d'autres  soldats  du  parti 
de  Gortès,  bien  instruits  du  projet,  étaient  là  présents;  Francisco  de 
Las  Casas  et  Cil  Gronzalez  de  Avila  tenaient  chacun  un  couteau  de 
bureau  affilé  comme  un  rasoir,  bien  caché  aux  regards,  attendu 
qu'on  ne  leur  laissait  porter  aucune  arme.  On  parlait  des  conquêtes 
du  Mexique  et  de  la  bonne  étoile  de  Cortès  ;  Christoval  de  Oli  était 
bien  éloigné  de  penser  à  ce  qui  allait  arriver,  lorsque  tout  à  coup 
Francisco  de  Las  Casas  le  prit  par  la  barbe  et  lui  enfonça  son  couteau 
dans  la  gorge.  Gil  Gonzalez  de  Avila  et  les  soldats  de  Cortès  se  pré- 
cipitèrent aussitôt  et  le  criblèrent  de  tant  de  blessures  qu'il  lui  fut  im- 
possible de  se  défendre.  Cependant,  comme  il  était  fortement  membre 
et  très-vigoureux,  il  parvint  à  glisser  de  leurs  mains  en  s'écriant:  «  A 
moi,  mes  hommes!  »  Mais  comme  tous  ses  gens  étaient  à  souper, 
sa  mauvaise  étoile  voulut  qu'ils  n'accourussent  pas  assez  vite  ;  Chris- 
toval de  Oli  prit  donc  le  parti  de  fuir  et  fut  se  cacher  dans  des  massifs 
d'herbe,  en  attendant  le  secours  des  siens.  Ils  vinrent,  en  effet,  en 
grand  nombre  à  son  aide  ;  mais  Francisco  de  Las  Casas  lança  le  cri  : 
«  A  moi  pour  le  Roi  et  pour  Cortès  contre  ce  tyran  qu'on  ne  peut 


DE  LA  NOUVELLE-ESPAGNE.  665 

plus  souffrir  !  »  En  entendant  le  nom  de  Sa  Majesté  et  celui  de 
Cortès,  ceux  qui  accouraient  au  secours  de  Ghristoval  de  Oli  n'osè- 
rent plus  le  défendre,  et  se  laissèrent  arrêter  au  nom  et  par  l'ordre 
de  Las  Casas.  Après  cela,  on  fit  publier  à  son  de  trompe  que  qui- 
conque connaîtrait  la  cachette  de  Ghristoval  de  Oli  et  ne  la  découvri- 
rait pas  serait  puni  de  mort.  On  ne  tarda  pas  à  savoir  où  il  était;  on 
l'arrêta,  on  instruisit  son  procès  et,  en  exécution  de  la  sentence  pro- 
noncée par  les  deux  capitaines,  on  l'égorgea  sur  la  place  publique  de 
Naco.  Ainsi  mourut  Ghristoval  de  Oli,  pour  avoir  écouté  de  méchants 
conseillers  et  s'être  mis  en  état  de  révolte,  lui,  homme  de  grand  cou- 
rage, sans  considérer  que  Gortès  l'avait  fait  son  mestre  de  camp  et 
récompensé  par  de  très-bons  Indiens.  Il  était  marié,  on  le  sait,  avec 
une  Portugaise  appelée  doîla  Felipa  de  Araujo  et  il  en  avait  une  fille. 
Gomme  j'ai  dit ,  dans  un  chapitre  précédent,  ce  qui  concernait  sa 
taille,  ses  traits,  son  caractère  et  le  pays  de  sa  naissance,  je  n'ai  pas 
à  le  répéter  maintenant. 

Francisco  de  Las  Casas  et  Gril  Gonzalez  de  Avila,  se  voyant  libres 
par  la  mort  de  leur  ennemi,  réunirent  leurs  soldats  et  se  partagèrent 
le  commandement  en  très-bon  accord.  Las  Casas  fonda  la  ville  de 
Truxillo.  Il  lui  donna  ce  nom  parce  qu'il  était  natif  de  Truxillo  en 
Estramadure.  Gil  Gonzalez  envoya  des  courriers  à  San  Gil  de  Buena 
Vista,  qu'il  avait  colonisée,  pour  y  annoncer  ce  qui  était  arrivé  et  y 
faire  parvenir  à  son  lieutenant,  nommé  Armenta,  l'ordre  de  rester  en 
l'état  où  il  se  trouvait,  sans  se  permettre  aucun  changement,  pendant 
que  lui-même  irait  à  la  Nouvelle-Espagne  demander  à  Cortès  le 
secours  de  quelques  soldats,  assurant  du  reste  qu'il  ne  tarderait  pas 
à  être  de  retour.  Tout  cela  étant  ainsi  combiné,  les  deux  capitaines 
convinrent  d'aller  à  Mexico  afin  d'avertir  Gortès  de  ce  qui  était  arrivé. 
J'en  resterai  là  pour  reprendre  ce  récit  quand  il  sera  temps,  et  pour 
dire  actuellement  ce  que  Cortès  résolut,  sans  savoir  absolument  rien 
de  ce  qui  s'était  passé  à  Naco. 


CHAPITRE  CLXXIV 

Comme  quoi  Fernand  Cortès  partit  de  Mexico  en  route  pour  les  {figureras  à  la  recherche 
de  Ghristoval  de  Oli,  de  Francisco  de  Las  Casas,  et  d'autres  capitaines  et  soldats. 
lies  gentilshommes  et  capitaines  que  Cortès  choisit  à  Mexico  pour  aller  en  sa  com- 
pagnie ;  du  train  et  du  service  dont  il  s'entoura  jusqu'à  son  arrivée  à  Guazacualoo, 
et  d'autres  choses  qui  advinrent. 

Peu  de  mois  après  avoir  envoyé  Francisco  de  Las  Casas  contre 
Christoval  de  Oli,  Fernand  Gortès  en  arriva  à  craindre  que  son  armée 
expéditionnaire  n'eût  pas  réussi  dans   son  entreprise.  On  lui  disait 


666  CONQUÊTE 

d'ailleurs  que  le  pays  était  très-riche  en  or.  Il  devint  donc  à  la  fois 
ambitieux  d'acquérir  ce  métal  et  inquiet  à  propos  des  contre-temps 
qui  pouvaient  être  arrivés  à  l'armée.  Son  esprit  était  obsédé  par  la 
pensée  des  malheurs  que  la  mauvaise  étoile  peut  entraîner  dans  ces 
sortes  d'expédition.  Gomme  par  nature  il  était  homme  de  cœur,  il 
conservait  le  regret  d'y  avoir  envoyé  Francisco  de  Las  Casas,  au  lieu 
de  marcher  en  personne ,  bien  que  sachant  parfaitement  que  celui 
qu'il  avait  choisi  à  sa  place  était  de  taille  à  faire  face  à  tout  événe- 
ment. Ces  pensées  l'amenèrent  à  résoudre  qu'il  partirait  lui-même. 
Il  laissa  Mexico  bien  pourvue  d'artillerie  dans  ses  forts  et  dans  ses 
chantiers.  Il  nomma  pour  gouverner  à  sa  place,  en  qualité  de  ses 
lieutenants,  le  trésorier  Alonso  de  Estrada  et  le  contador  Albornoz. 
Certes,  s'il  eût  connu  les  lettres  que  celui-ci  écrivait  en  Castille  à  Sa 
Majesté  pour  le  desservir,  il  se  fût  bien  gardé  de  lui  laisser  ses  pou- 
voirs, et  je  ne  sais  pas  trop  ce  qui  serait  advenu  au  médisant  lui- 
même. 

Quoi  qu'il  en  soit,  Gortès  donna  la  place  de  premier  alcalde  au 
licencié  Zuazo  et  il  nomma  son  parent,  Pvodrigo  de  Paz,  lieutenant 
d'alguazil  mayor  et  majordome  de  tous  ses  biens.  Il  laissa  Mexico 
approvisionnée  le  mieux  possible  ;  il  recommanda  aux  hauts  em- 
ployés de  finances  de  Sa  Majesté,  auxquels  il  laissait  la  direction 
du  gouvernement,  de  mettre  le  plus  grand  zèle  dans  la  conversion 
des  indigènes  ;  il  fit  la  même  recommandation  à  fray  Torribio  Moto- 
linea,  de  l'ordre  de  Saint-François,  et  au  père  fray  Bartolomé  de  01- 
medo,  moine  de  l'ordre  de  Notre-Dame  de  la  Merced,  qui  jouissait 
à  Mexico  d'une  très-grande  autorité  et  d'une  très-haute  estime.  Il  en 
était  digne,  du  reste,  car  c'était  un  moine  excellent  et  un  religieux 
plein  de  mérite.  Il  pria  tout  le  monde  de  bien  veiller  à  ce  que 
Mexico  et  d'autres  provinces  ne  tombassent  pas  en  état  de  rébellion, 
et,  dans  le  but  d'y  assurer  davantage  la  paix,  il  résolut  d'en  éloigner 
les  personnes  qui  représentaient  le  mieux  le  prestige  des  caciques. 
Il  emmena  avec  lui,  par  conséquent,  le  plus  élevé  de  tous,  Gua- 
temuz,  celui-là  même  qui  était  à  la  tête  de  la  résistance  lorsque  nous 
prîmes  la  capitale.  Il  emmena  aussi  le  seigneur  de  Tacuba,  ainsi 
qu'un  certain  Juan  Velasquez,  capitaine  de  Guatemuz,  et  beaucoup 
d'autres  personnages  entre  lesquels  Tapiezuela  était  le  principal.  Il 
se  fit  suivre  encore  par  quelques  caciques  de  la  province  de  Me- 
choacan  et  par  l'interprète  doua  Marina,  car  Geronimo  de  Agui- 
lar1  était  mort.  Il  emmenait  plusieurs  caballeros  et  capitaines  de- 
venus habitants  de  Mexico.  Ce  furent  Gonzalo  de  Sandoval,  qui  était 
alguazil  mayor,  Luis  Marin,  Francisco  Marmolejo,  Gonzalo  Rodrigucz 

1.  Nous  aurons  à  porter  1  attention  sur  la  mort  précoce  de  cet  utile  interprète  de 
l'expédition,  surtout  à  cause  de  la  singulière  maladie  qui  termina  ses  jours. 


DE  LA  NOUVELLE-ESPAGNE.  667 

de  Ocampo,  Pedro  de  Ircio,  Avalos  et  Saave&rà,  qui  étaient  frères, 
Palacios  Rubios,  Pedro  de  Saucedo  le  Camus,  Geronimo  Ruiz  do  la 
Mota,  Alonso  de  Grado,  Santa  Cruz  deBurgos,  Pedro  de  Solis,  que 
nous  appelions  Gasquete,  Juan  Xaramillo,  Alonso  Valiente,  un  cer- 
tain Navarrete,  un  Serna,  Diego  de  Mazariegos,  cousin  du  trésorier, 
Gil  Gonzalez  de  Benavides,  Hernan  Lopez  de  Avila,  Gaspar  de  Gar- 
nica  et  plusieurs  autres  dont  je  ne  me  rappelle  pas  les  noms.  Gortès 
emmena  encore  fray  Juan  de  Las  Varillas,  de  Salamanquc,  Frère  de 
la  Merced,  un  prêtre  séculier,  deux  moines  franciscains  flamands  qui 
prêchaient  et  étaient  bons  théologiens.  Il  avait  pour  majordome  un 
certain  Garranza,  et  Juan  de  Yazo  pour  maître  d'hôtel,  ainsi  que  Ro- 
drigo Manusco;  pour  sommelier,  Gervan  Bejarano  ;  pour  maître  du 
service,  un  certain  San  Miguel  qui  vécut  à  Guaxaca.  Il  emporta  un 
grand  service  de  vaisselle  en  argent  et  en  or,  qui  était  à  la  charge  et 
sous  la  surveillance  d'un  certain  Tello  de  Médina.  Il  eut  pour  camarero 
un  nommé  Salazar,  natif  de  Madrid;  pour  médecin,  le  licencié  Pedro 
Lopez,  qui  devint  habitant  de  Mexico  ;  pour  chirurgien,  maître  Diego 
de  Pedraza.  Il  avait  aussi  plusieurs  pages  dont  l'un  était  Francisco 
de  Montejo,  qui  devint  ,  avec  le  temps,  capitaine  dans  le  Yucatan 
(remarquez  que  je  ne  parle  pas  ici  de  son  père  qui  fut  gouverneur 
civil  et  militaire).  Gortès  emmena  aussi  deux  pages  porteurs  de 
lances  dont  l'un  s'appelait  Puebla,  huit  garçons  d'écurie  et  deux 
chasseurs  fauconniers  appelés  Perales,  ainsi  que  Garci  Garo  et  Al- 
varoMontafïes.  Gonzalo  Rodriguez  de  Ocampo  était  son  grand  écuyer. 
Il  emmenait  encore  cinq  joueurs  de  hautbois  et  autres  instruments  à 
vent,  un  danseur  de  corde  et  un  escamoteur  montreur  de  marion- 
nettes. Il  avait  des  mulets  conduits  par  trois  muletiers  espagnols, 
ainsi  qu'un  grand  troupeau  de  porcs  qui  prenaient  leur  nourriture 
en  chemin.  Avec  les  grands  caciques  dont  j'ai  parlé,  marchaient  trois 
mille  Mexicains  armés  en  guerre,  sans  compter  un  grand  nombre 
d'Indiens  destinés  à  leur  service. 

Gortès  était  sur  le  point  de  se  mettre  en  voyage  lorsque  l'intendant 
[factor)  Salazar  et  l'inspecteur  des  rentes  (veedor)  Ghirinos,  qui  res- 
taient à  Mexico  sans  emploi  et  sans  qu'on  eût  fait  autant  de  cas  d'eux 
qu'ils  l'auraient  désiré,  se  lièrent  étroitement  avec  le  licencié  Zuazo, 
Rodrigo  de  Paz  et  tous  les  anciens  conquistadores  et  amis  de  Cortès 
qu'on  laissait  dans  la  capitale  ;  ils  se  réunirent  tous  pour  sommer 
Gortès  de  ne  pas  sortir  de  Mexico  et  d'y  rester  pour  gouverner  le  pays, 
lui  faisant  observer  que  son  départ  produirait  le  soulèvement  de  toute 
la  Nouvelle-Espagne.  Il  s'ensuivit  de  longues  conférences  et  des  ex- 
plications de  Gortès,  données  aux  auteurs  de  la  sommation.  N'ayant 
point  réussi  à  le  convaincre  de  rester,  l'intendant  et  l'inspecteur  pré- 
tendirent l'accompagner  et  le  servir  jusqu'à  Guazacualco,  ville  qui  se 
trouve  sur  la  route  qu'il  devait  suivre.  On  partit  de  Mexico  dans  la 


668  CONQUÊTE 

disposition  que  je  viens  de  décrire.  Ce  serait  conter  des  merveilles 
que  de  dire  les  grandes  fêtes  et  les  belles  réceptions  qu'on  leur  mé- 
nageait dans  tous  les  villages  du  parcours.  Plus  de  cinquante  person- 
nes, tant  soldats  que  gens  sans  domicile  fixe,  nouvellement  arrivées 
de  Gastille,  se  joignirent  à  l'expédition  pendant  le  voyage.  Le  général 
partagea  sa  troupe  en  deux  divisions  et  les  fit  marcher  dans  deux  di- 
rections différentes,  de  crainte  qu'il  n'y  eût  nulle  part  assez  de  vivres 
pour  tout  ce  monde.  Pendant  qu'on  faisait  route,  l'intendant,  Gonzalo 
de  Sandoval  et  l'inspecteur  des  rentes  se  montraient  très-empressés 
auprès  de  Cortès,  le  premier  surtout,  car  il  ne  parlait  jamais  à  son 
chef  qu'après  avoir  baissé  sa  toque  jusqu'à  terre,  prenant  soin  du  reste 
de  faire  toujours  mille  révérences  et  d'employer  des  paroles  choisies, 
très-affectueuses  et  d'une  rhétorique  calculée,  pour  lui  dire  de  retour- 
ner à  Mexico  et  de  ne  pas  affronter  un  si  long  et  si  pénible  voyage, 
dont  il  faisait  ressortir  les  graves  inconvénients.  De  temps  en  temps 
même,  pour  l'égayer,  il  se  prenait  à  chanter  et  à  lui  dire  en  musique  .Re- 
tournons-nous-en, père  Cortès,  retournons-nous-en  ;  et  Cortès  lui 
répondait  du  même  ton  :  En  avant,  mon  fils,  en  avant;  ne  croyez 
nullement  aux  augures;  il  arrivera  ce  que  Dieu  voudra.  En  avant, 
mon  fils,  etc. 

Abandonnons  ici  l'intendant  et  ses  douces  paroles,  pour  dire  que 
pendant  la  route  Xaramillo  se  maria  par-devant  témoins  avec  dona 
Marina,  dans  un  petit  village  appartenant  à  Ojeda,  le  Borgne,  près 
d'un  bourg  appelé  Orizaba1.  Marchons-  encore,  et  disons  qu'en  sui- 
vant le  chemin  de  Guazacualco  l'expédition  arriva  à  un  grand  bourg 
nommé  Guazpaltepeque,  appartenant  à  la  commanderie  de  Gonzalo  de 
Sandoval.  Alors,  comme  nous  sûmes  à  Gruazacualco  que  Cortès  venait 
avec  tant  de  gentilshommes,  nous  nous  réunîmes,  le  premier  alcalde, 
le  capitaine,  tout  le  conseil  municipal  et  les  regidores,  et  nous  fîmes 
trente-trois  lieues  pour  aller  le  recevoir  en  route  et  lui  souhaiter  la 
bienvenue,  comme  s'il  eût  dû  nous  en  résulter  quelque  bien.  Je  m'ex- 
prime ainsi  pour  que  les  curieux  lecteurs  et  toutes  autres  personnes 
comprennent  quel  cas  on  faisait  de  Cortès  et  à  quel  point  il  était  craint. 
Fût-ce  bon,  fût-ce  mauvais,  on  ne  faisait,  en  réalité,  que  ce  qu'il  vou- 
lait. De  Guazpaltepeque  il  se  dirigea  vers  notre  ville.  Ses  contrariétés 
commencèrent  au  passage  d'une  grande  rivière  qu'il  rencontra  en 
route.  Trois  embarcations  chavirèrent  dans  la  traversée.  Il  y  perdit  de 
l'argent  et  des  vêtements;  Juan  Xaramillo  en  fut  pour  la  moitié  de 
son  bagage.  On  ne  put  tenter  aucun  sauvetage,  parce  que  le  fleuve 
était  rempli  de  gros  caïmans.  De  là,  nous  fûmes  à  un  village  appelé 
Uluta,  et  dès  lors  nous  accompagnâmes  Cortès  sans  jamais  sortir  des 


1.  Gomara  a  prétendu  que  l'on  enivra  Xaramillo  pour  lui  faire  épouser  Marina. 
B.  Diaz  a  déjà  protesté  contre  cette  accusation.  (Vo\ez  ch.  xxxvn.) 


DE  LA   NOUVELLE-ESPAGNE.  669 

lieux  habités  jusqu'à  Gruazacualco.  Nous  avions  pris  soin  de  réunir  un 
grand  nombre  d'embarcations  qui  devaient  être  attachées  deux  à  deux 
sur  notre  grand  fleuve,  non  loin  du  chef-lieu;  il  y  en  avait,  plus  de 
trois  cents.  Que  dirai-je  de  la  grande  réception  que  nous  fîmes  à  Cor- 
tès  avec  des  arcs  de  triomphe,  des  fêtes  où  l'on  simulait  des  surprises 
entre  Maures  et  chrétiens,  et  d'autres  réjouissances  avec  feux  d'artifi- 
ces? Nous  logeâmes  aussi  bien  que  possible  notre  chef  et  tous  ceux 
qui  venaient  en  sa  compagnie. 

Il  resta  parmi  nous  six  jours  pendant  lesquels  l'intendant  (factor) 
ne  cessait  de  lui  dire  qu'il  eût  à  retourner  sur  ses  pas;  qu'il  portât 
l'attention  sur  ceux  qui  étaient  les  dépositaires  de  ses  pouvoirs;  que 
le  contador  Albornoz  n'était  qu'un  agitateur,  un  homme  à  double 
face,  ami  du  nouveau,  et  que  le  trésorier  son  collègue  se  vantait  d'ê- 
tre le  fils  du  Roi  catholique  ;  que  tous  deux,  après  avoir  reçu  leurs 
pouvoirs,  et  même  avant,  avaient  paru  se  rechercher  pour  parler  en 
secret,  et  qu'on  ne  pouvait  s'empêcher  d'en  garder  une  mauvaise  im- 
pression. 

Avant  d'en  arriver  à  ces  conversations,  Gortès  avait  déjà  lu  des  let- 
tres qu'on  adressait  de  Mexico,  dans  lesquelles  on  critiquait  le  gou- 
vernement des  hommes  qu'il  avait  laissés  à  sa  place.  Les  amis  de  l'in- 
tendant Salazar  prenaient  soin  de  l'en  avertir,  et  là-dessus  celui-ci 
disait  à  Cortès  que  lui  aussi  saurait  gouverner,  et  l'inspecteur  égale- 
ment, puisque  c'était  ainsi  que  gouvernaient  à  Mexico  les  gens  qui  en 
étaient  chargés  par  Gortès....  et  sur  ces  mots  tous  deux  offraient  leurs 
services  en  termes  si  mielleux,  en  paroles  si  affectueuses,  que  le  gé- 
néral se  laissa  convaincre  au  point  de  donner  tous  les  pouvoirs  du 
gouvernement  au  factor  Salazar  et  au  veedor  Ghirinos,  pour  le  cas  où 
ils  reconnaîtraient  que  Estrada  et  Albornoz  cessaient  de  faire  leur  de- 
voir au  service  de  Dieu  et  de  Sa  Majesté.  Ges  pouvoirs  devinrent 
l'occasion  de  malheurs  et  de  graves  discordes  pour  Mexico,  ainsi  que 
je  le  dirai  après  avoir  employé  quatre  chapitres  à  décrire  le  long  et 
pénible  voyage  qui  se  termina  par  notre  arrivée  à  une  ville  appelée 
Truxillo.  Jusque-là,  je  ne  conterai  rien  des  événements  de  la  capi- 
tale. Mais  je  dirai  que  le  Père  fray  Bartolomé  de  Olmedo  et  les  Frères 
franciscains  murmuraient  contre  Gortès  pour  avoir  commis  la  légèreté 
de  signer  ces  pouvoirs  :  «Plaise  à  Dieu,  disaient-ils,  que  Gortès  n'ait 
pas  lieu  de  s'en  repentir!  »Et  ils  ne  se  trompaient  pas,  ainsi  que  nous 
le  verrons  bientôt.  Mais  les  prédictions  des  Frères  importaient  peu  à 
Gortès,  qui  ne  faisait  pas  grand  cas  de  ces  moines,  bien  que  ce  fus- 
sent de  fort  bons  religieux.  Il  avait  pour  eux  bien  moins  d'inclination 
que  pour  Je  Père  Bartolomé  de  Olmedo,  lequel  était  toujours  son  con- 
seiller. 

Quoi  qu'il  en  soit,  je  dois  dire  que  lorsque  le  factor  Salazar  et  l'in- 
specteur prirent  congé  de  Gortès  pour  aller  à  Mexico,  ce   fut  avec 


670  .         CONQUETE 

force  compliments  et  embrassades.  Le  factor  paraissait  étouffé  par  les 
sanglots;  on  eût  dit  qu'il  allait  pleurer  au  moment  de  partir,  tandis 
qu'il  serrait  étroitement  sur  son  sein  les  pouvoirs  de  Cortès  tels  qu'il 
les  avait  désirés  et  tels  aussi  que  son  secrétaire  et  son  ami  intime, 
Alonso  Valiente,  avait  pris  soin  de  les  rédiger.  Ils  partirent  donc  pour 
Mexico,  emmenant  avec  eux  Hernan  Lopez  de  Avila,  affligé  de  fortes 
douleurs  et  tout  perclus  de  bubas.  Laissons-les  en  route.  Je  ne  dirai 
pas  un  mot,  jusqu'à  ce  qu'il  en  soit  temps,  des  grandes  querelles  et 
disputes  qu'il  y  eut  à  Mexico.  J'attendrai  pour  cela  que  Cortès  et  tous 
les  caballeros  que  j'ai  nommés,  ainsi  que  bien  d'autres  qui  partirent 
avec  eux  de  Guazacualco,  soient  arrivés  au  terme  de  leur  voyage,  après 
avoir  traversé  tant  de  difficultés  que  nous  fûmes  sur  le  point  de  nous 
perdre  tous  ensemble,  ainsi  que  bientôt  je  le  dirai.  Gomme  il  arriva 
en  même  temps  deux  ou  trois  événements  importants,  et  que  je  ne 
veux  pas  interrompre  le  fil  du  récit  de  l'un  d'eux  pour  passer  à  l'au- 
tre, j'ai  résolu  de  continuer  par  ceux  qui  ont  rapport  à  notre  très- 
laborieux  et  pénible  voyage. 


CHAPITRE  GLXXV 

De  ce  que  fit  Cortès  après  le  départ  du  Factor  et  du  Veedor  pour  Mexico.  Des  fatigues 
que  nous  eûmes  à  supporter  dans  noire  long  voyage  ;  des  ponts  que  nous  jetâmes 
et  de  la  faim  que  nous  eûmes  à  supporter  dans  les  deux  ans  et  trois  mois  que  nous 
restâmes  en  route. 

Lorsque  l'intendant  et  l'inspecteur  des  rentes  eurent  pris  congé, 
le  premier  soin  de  Cortès  fut  d'écrire  à  la  Villa  Rica,  à  un  de  ses 
majordomes,  appelé  ÎSimon  de  Cuenca,  pour  lui  ordonner  de  charger 
deux  petits  navires  de  biscuits  de  maïs  ;  car  dans  ce  temps-là  on  ne 
faisait  point  encore  au  Mexique  de  pain  de  froment.  Le  chargement 
se  compléterait  au  moyen  de  six  barriques  de  vin,  huile  et  vinaigre, 
porc  salé,  ferrures  et  quelques  autres  provisions.  Le  voyage  devait  se 
faire  en  suivant  la  côte  du  nord1,  Cortès  se  réservant  de  désigner  à 
Simon  de  Cuenca,  commandant  de  cette  petite  expédition,  le  point 
où  il  devrait  aborder.  En  même  temps,  notre  chef  ordonna  que  tous 
ics  habitants  de  Guazacualco  marchassent  avec  lui,  en  ne  laissant  au 

li  Déjà  plusieurs  fois  Bernai  Diaz  a  donné  cette  dénomination  de  côte  du  nord  a 
toute  la  partie  des  terres  auxquelles  on  aborde  en  venant  de  l'Atlantique  et  du  golfe 
du  Mexique.  Néanmoins  la  réalité  est  qu'à  partir  de  Guazacualro,  par  exemple,  jus- 
qu'au Rio  Bravo  del  Norte,  cette  dénomination  de  côte  du  nord  est  absolument  immé- 
ritée, puisqu'elle  borne  là  partie  orientale  des  terres  du  Mexique.  Ce  nom  de  côte  du 
nord  doit  donc  être  considéré  comme  provenant  de  l'idée  d'opposition  que  fait  naître 
l'habitude  d'appeler  la  côte  opposée  du  pays  sur  l'Océan  Pacifique  ou  mer  du  Sud  :  la 
côte  sud. 


DE   LA   NOUVELLE-ESPAGNE.  671 

bourg  que  les  malades.  J'ai  déjà  dit  que  ce  chef-lieu  avait  été  colo- 
nisé par  les  conquistadores  les  plus  anciens  du  Mexique,  la  plupart 
hidalgos,  qui  figurèrent  dans  les  premières  campagnes.  Lorsqu'il 
était  déjà  Lien  temps  de  nous  reposer  de  nos  grandes  fatigues  et  de 
nous  occuper  d'acquérir  des  biens  et  quelques  propriétés,  Gortès  nous 
donnait  l'ordre  d'entreprendre  une  marche  de  plus  de  cinq  cents 
lieues  à  travers  des  pays  pour  la  plupart  en  état  de  guerre  ouverte. 
Il  nous  fallut  donc  laisser  perdre  tout  ce  que  nous  possédions,  at- 
tendu que  nous  restâmes  plus  de  deux  ans  et  trois  mois  dans  cette 
campagne. 

Nous  apportâmes  nos  armes  et  emmenâmes  nos  chevaux,  car  per- 
sonne n'osait  opposer  un  refus,  et  si  quelqu'un  s'y  hasardait,  Gortès 
employait  la  force  pour  l'obliger  à  marcher.  En  réunissant  les  gens 
de  Gruazacualco  à  ceux  de  Mexico,  nous  formions  une  troupe  de  deux 
cent  cinquante  hommes,  dont  cent  trente  cavaliers,  et  le  reste  en  gens 
d'escopette  et  d'arbalète,  sans  compter  quelques  recrues  de  nouveaux 
venus  de  Castille.  Gortès  me  donna,  à  titre  de  capitaine,  le  comman- 
dement de  trente  Espagnols  et  de  trois  mille  Indiens  mexicains,  avec 
ordre  de  marcher  contre  les  villages  soulevés  du  district  de  Gimatan 
et  d'y  retenir  avec  moi  les  trois  mille  Indiens  auxiliaires.  Si  je  trou- 
vais cette  province  à  l'état  de  paix,  ou  si  ses  habitants  venaient  se 
soumettre  volontairement  à  Sa  Majesté,  j'avais  ordre  de  ne  leur  cau- 
ser aucun  ennui  et  de  ne  leur  imposer  d'autre  obligation  que  celle  de 
fournir  les  vivres  à  ma  troupe.  Mais  s'ils  refusaient  de  se  soumettre, 
je  devais  leur  en  faire  trois  fois  la  sommation,  en  termes  bien  com- 
préhensibles, par-devant  le  notaire  qui  m'accompagnait  et  avec  l'as- 
sistance de  témoins.  S'ils  résistaient  encore,  l'ordre  était  de  les 
attaquer,  et  pour  ce  cas  Gortès  me  donna  ses  pouvoirs  et  ses  instruc- 
tions, que  je  conserve  encore  aujourd'hui,  signés  de  son  nom  et  du 
secrétaire  Alonso  Valiente.  Je  fis  la  campagne  ainsi  qu'il  l'avait  or- 
donné, et  tous  ces  villages  furent  pacifiés.  Mais,  peu  de  mois  après, 
comme  ils  virent  qu'il  restait  peu  d'Espagnols  à  Gruazacualco,  et  que 
les  vieux  conquistadores  étaient  partis  avec  Gortès,  ils  se  soulevèrent 
de  nouveau.  Quoi  qu'il  en  soit,  je  me  rendis  avec  mes  soldats  espa- 
gnols et  les  Indiens  mexicains  au  village  appelé  Iquinuapa,  où  notre 
général  m'avait  donné  rendez-vous.  Quant  à  Gortès,  il  partit  de  Grua- 
zacualco,  fut  à  Tonala,  à  huit  lieues  de  distance,  continua  sa  route, 
traversa  une  rivière  en  canots,  arriva  à  un  autre  village  appelé  Aya- 
gualulco,  et  passa  encore  une  rivière  à  l'aide  d'embarcations.  A  sept 
lieues  d'Ayagualulco,  il  eut  à  traverser  un  estuaire  qui  se  prolonge 
jusqu'à  la  mer;  il  fallut  pour  cela  qu'on  lui  fabriquât  un  pont  d'un 
demi-quart  de  lieue  de  long.  Ge  fut  véritablement  chose  admirable 
de  voir  comment  ce  travail  fut  exécuté.  Gortès  prenait  du  reste  soin 
d'envoyer  on  avant  deux  capitaines   habitants  de  Guazacualco,  dont 


672  CONQUETE 

l'un,  homme  très-actif,  s'appelait  Francisco  de  Médina  ;  il  savait  fort 
bien  commander  aux  indigènes. 

Après  la  traversée  de  ce  pont,  on  passa  par  d'autres  villages  j  usqu'à  la. 
rencontre  de  la  rivière  de  Mazapa qui  descend  de  Chiapa  et  que  les  marins 
appellent  «  le  fleuve  à  deux  embouchures  ».  On  y  fit  usage  d'un  grand 
nombre  d'embarcations  attachées  deux  à  deux.  Après  ce  passage,  on 
arriva  aux  peuplades  d'Iquinuapa  où  j'étais  allé  moi-même  avec  ma 
troupe.  Il  fallut  encore  traverser  un  cours  d'eau  sur  des  ponts  que 
nous  fabriquâmes  avec  des  madriers;  bientôt  on  en  fit  autant  sur  un 
estuaire,  et  l'on  arriva  au  bourg  de  Copilco.  C'est  là  que  commence 
la  province  de  la  Ghontalpa.  Elle  était  alors  très-peuplée,  couverte 
partout  de  plants  de  cacaoyers,  et  fort  pacifique.  Après  en  être  sortis, 
nous  traversâmes  Nacaxuxuica  et  arrivâmes  à  Zagutan  en  franchis- 
sant une  autre  rivière  à  l'aide  de  canots.  Ce  fut  là  que  Gortès  perdit  de 
la  ferrure.  Les  habitants  de  ce  village  nous  parurent  très-pacifiques 
lors  de  notre  arrivée;  mais  la  nuit  suivante  ils  prirent  la  fuite  et  se 
réfugièrent  sur  des  marais  de  l'autre  côté  de  la  rivière.  Cortès  fut 
d'avis  que  nous  fussions  à  leur  poursuite  dans  la  forêt,  mesure  bien 
peu  réfléchie  et  de  mince  profit.  Les  soldats  qui  l'exécutèrent  ne  pu- 
rent traverser  le  cours  d'eau  qu'au  prix  de  grandes  fatigues  ;  nous 
réussîmes,  néanmoins,  à  ramener  sept  personnages  de  qualité  et 
quelques  jeunes  hommes  ;  mais  nous  n'en  retirâmes  aucun  avantage, 
attendu  qu'ils  prirent  la  fuite,  nous  laissant  seuls  et  sans  guides. 

En  ce  moment,  se  présentèrent  à  nous  les  caciques  de  Tabasco  avec 
cinquante  embarcations  chargées  de  maïs  et  de  provisions.  Nous 
vîmes  venir  à  nous  également  des  Indiens  appartenant  aux  villages 
de  la  commanderie  dont  j'étais  alors  propriétaire.  Ils  avaient  aussi 
des  canots  chargés  de  vivres.  Les  villages  d'où  ils  venaient  appartien- 
nent au  district  de  Teapan.  Nous  prîmes  ensuite  la  direction  de  Te- 
petitan  et  Iztapa.  Il  y  avait  une  rivière  considérable  appelée  Ghilapa, 
pour  le  passage  de  laquelle  nous  perdîmes  quatre  jours  à  construire 
des  barques.  Je  dis  à  Gortès  que  je  savais,  par  ouï-dire,  qu'en  mon- 
tant la  rivière  on  trouvait  un  village  portant  le  même  nom,  et  qu'il 
serait  bon  d'y  envoyer  cinq  des  Indiens  que  nous  emmenions  pour 
guides,  employant  à  cela  un  canot  en  mauvais  état  que  nous  décou- 
vrîmes en  cet  endroit,  pour  faire  prier  ce  village  de  vouloir  bien 
nous  fournir  quelques  embarcations.  Gortès  ordonna  qu'il  fût  fait 
ainsi. 

Un  de  nos  soldats  partit  avec  les  cinq  Indiens  ;  ils  remontèrent  le 
fleuve  et  rencontrèrent  en  route  deux  caciques  avec  six  embarcations 
et  des  vivres.  Ge  fut  avec  ce  secours  que  nous  fîmes  tous  notre  tra- 
versée en  employant  quatre  jours  à  ce  passage.  De  là  nous  fûmes  à 
Tcpetitan;  nous  trouvâmes  le  village  désert  et  ses  maisons  brûlées. 
Nous  apprîmes  que  peu  de  jours  auparavant  des  peuplades  voisines 


DE  LA  NOUVELLE-ESPAGNE.  673 

lavaient  attaqué  et  incendié,  emmenant  en  captivité  beaucoup  de  ses 
habitants.  Pendant  les  trois  jours  qui  suivirent  notre  passage  de  la 
rivière  Chilapa,  nous  marchâmes  sur  un  sol  marécageux  dans  lequel 
les  chevaux  enfonçaient  jusqu'au  ventre.  La  campagne  du  reste  était 
cultivée  dans  une  grande  étendue.  Nous  arrivâmes  au  village  d'Iztapa 
d'où  la  peur  avait  fait  fuir  les  Indiens  au-delà  d'un  autre  cours  d'eau 
très-considérable.  Nous  leur  fîmes  la  poursuite  et  pûmes  ramener  les 
caciques  ainsi  qu'un  grand  nombre  d'Indiens  avec  leurs  femmes  et 
leurs  enfants.  Gortès  leur  adressa  des  paroles  bienveillantes  et  donna 
l'ordre  qu'on  remît  en  leur  pouvoir  les  quatre  Indiennes  et  les  trois 
Indiens  que  nous  avions  faits  prisonniers  dans  les  bois.  En  retour  de 
ce  bon  procédé,  ils  apportèrent  en  présent  à  Gortès  quelques  pièces 
d'or  de  peu  de  valeur. 

Nous  restâmes  là  trois  jours  parce  qu'il  y  avait  de  l'herbe  bonne 
pour  les  chevaux  et  beaucoup  de  maïs.  Notre  chef  fut  d'avis  que  ce 
serait  un  endroit  favorable  à  la  fondation  d'une  ville,  car  on  lui  don- 
nait l'assurance  qu'il  y  avait,  dans  les  alentours,  des  lieux  habités  pro- 
pres à  assurer  sa  prospérité  future.  Il  s'informa,  auprès  des  caciques 
et  des  marchands  d'Iztapa,  du  chemin  que  nous  devions  suivre,  en 
leur  montrant  une  étoffe  de  nequen  qu'il  avait  apportée  de  Guaza- 
cualco,  et  sur  laquelle  étaient  dessinés  tous  les  villages   de   notre 
route  jusqu'à  Hueyacala   (grande  Acala  en  langue  du  pays,  parce 
qu'il  y  en  a  une  autre  qu'on  appelle  Acala  la  petite).  On  nous  assura 
alors  qu'il  y  avait  sur  la  plus  grande  partie  de  notre  chemin  beau- 
coup de  rivières  et  d'estuaires,  et  que,  pour  arriver  au  village  de  Ta- 
maztepeque,   nous   aurions   à    traverser  un  grand    estuaire   et   trois 
cours  d'eau,  en  passant  trois  jours  en  route.  En  apprenant  cette  nou- 
velle, Gortès  pria  tous   les  caciques  de   nous   suivre  pour  faire    des 
ponts,  et  de  vouloir  bien  amener  des  canots;  mais  ils  ne  voulurent 
pas  y  consentir.  Nous  fîmes  notre  provision  de  maïs  grillé  et  de  légu- 
mes pour  les  trois  jours,  dans  la  confiance  que  ce  qu'on  nous  avait 
dit  était  exact;  mais  les  Indiens  ne  nous  parlaient  de  trois  journées 
à  faire  que  pour  se  délivrer  plus  facilement  de  nous.  En  réalité,  il  y 
avait  sept  jours  de  route.  Nous  trouvâmes  les   rivières  sans  aucun 
pont  et  sans  embarcations.  Il  nous  fallut  fabriquer,  avec  de  gros  ma- 
driers, un  pont  où  passèrent  nos  chevaux  et  pour  la  confection  du- 
quel tous  nos  soldats  et  capitaines  durent   s'employer  à  couper  et  à 
transporter  le  bois,  avec  le  secours  des  Mexicains  qui  faisaient  tout 
leur  possible  aussi.  Nous  mîmes  à  ce  travail  trois  jours  pendant  les- 
quels nous  n'avions  à  manger  que  des  herbes  et  une  racine  sauvage 
qu'on  appelle  dans  le  pays  quecuexque,  qui  nous  mit  le  feu  sur  la 
langue  et  dans  la  bouche. 

Après  avoir  traversé  l'estuaire,  nous  ne  rencontrâmes  aucun  che- 
min. Il  fallut,  nous  en  ouvrir  un  avec  nos  épées  et  avancer  ainsi,  pen- 


674  CONQUÊTE 

dant  deux  jours,  avec  la  croyance  que  nous  allions  droit  au  village. 
Or,  un  matin,  nous  aboutîmes  à  notre  point  de  départ.  Lorsque  Cor- 
tès   s'en  aperçut,  il  faillit  éclater  de   dépit  ;    il    entendait  d'ailleurs 
murmurer  autour  de  lui,  médire  de  sa  personne,  critiquer  l'expédi- 
tion, se  plaindre  de  la  disette  où  l'on  était,  dire  qu'il  n'écoutait  que 
son  caprice  sans  réfléchir  à  ce  qu'il  entreprenait,  et  qu'il  serait  pré- 
férable de  retourner  à  Mexico  au  lieu  de  s'obstiner  à  mourir  tous  de 
faim.  La  forêt,  au  surplus,  était  très-épaisse,  et  les  arbres  très-éle- 
vés,  au  point  que  rarement  on  y  pouvait  apercevoir  le  ciel.  Lorsque 
l'on  montait  sur  quelques-uns  des  plus  hauts  arbres  pour  reconnaî- 
tre  le  pays,  on   ne  réussissait  à  rien  voir,  tant  le  bois   était  épais 
partout.  Deux  des  guides  que  nous  emmenions  prirent  la  fuite,  tan- 
dis que  le  troisième  qui  nous  resta,  étant  très-malade,  ne  savait  nous 
rien  dire  du  chemin  ou  de  n'importe  quelle  autre  chose.  Heureuse- 
ment, comme  Gortès  était  en  tout  très-soigneux  et  ne  manquait  jamais 
de  précautions,  nous    étions  pourvus  d'une  boussole  et  d'un  pilote 
appelé  Pedro  Lopez.  Se  guidant  alors  par  le  dessin  de  l'étoffe  prise 
à  Griiazacualco,  qui  marquait  tous  les  villages,  Gortès  ordonna  qu'on  y 
suivît  l'indication  de  la  boussole  à  travers  les  bois.  Nous  nous  mîmes 
donc  à  ouvrir  la  route  dans  la  direction  de  l'est,  coupant  les  brous- 
sailles avec  nos  épées  :  c'était,  en  effet,  cette   direction  que  l'étoffe 
assignait  au  village.  Gortès  avouait  du  reste  que  si  dès  le  lendemain 
nous  ne  rencontrions  pas  quelque  lieu  habité,  il  ne  savait  guère  ce 
que  nous  allions  devenir.  Quant  à  nous,  soldats,  je  dirai  que  tous  ou 
à  peu  près  nous  désirions  retourner  à  la  Nouvelle-Espagne.  Cepen- 
dant nous   suivions  notre  route  à  travers  les  bois,  lorsqu'il  plut  à 
Dieu  que  nous  aperçussions  des  arbres,  dont  on  faisait  la  coupe  de- 
puis longtemps,  et  bientôt  un  petit  sentier,  ce  qui  fit  que  Pedro  Lo- 
pez et  moi,  qui,  avec  d'autres  soldats,  tenions  la  tète  en  ouvrant  le 
chemin,  nous  courûmes  dire  à  Gortès  de  se  réjouir,  puisque  non  loin 
de  là  il  y  avait  des  habitations.  La  nouvelle  produisit  un  grand  con- 
tentement dans  toute  l'armée.  Avant  d'arriver  aux  établissements,  se 
présentèrent  une  rivière  et  des  marais  que  nous  traversâmes  sans  re- 
tard, quoique  avec  beaucoup  de  difficultés. 

Nous  arrivâmes  au  village,  qui  avait  été  abandonné  le  jour  même. 
Nous  y  trouvâmes  de  quoi  manger  abondamment  :  du  maïs,  des  ha- 
ricots et  d'autres  légumes,  et,  comme  nous  mourions  de  faim,  nous 
nous  repûmes  sans  mesure;  les  chevaux  eux-mêmes  se  remirent,  et 
nous  rendîmes  grâces  à  Dieu  pour  tout  ce  qui  venait  d'arriver.  Le 
danseur  de  corde  ou  voltigeur,  comme  nous  avions  l'habitude  de  l'ap- 
peler, et  trois  Espagnols,  nouvellement  venus  de  Gastille,  étaient 
morts  en  route.  Quant  aux  Indiens  de  Mechoacan  et  aux  Mexicains, 
il  en  mourait  un  grand  nombre  ;  beaucoup  d'autres  tombaient  mala- 
des et  rcstaieDt  désespérés  sur  les  chemins,  Gomme  du  reste  le  vil- 


DE  LA  NOUVELLE-ESPAGNE.  675 

lagc  était  désert  et  que  nous  n'avions  ni  guides  ni  connaissance  des 
lieux,  Gortès  donna  l'ordre  à  deux  capitaines  d'aller  par  les  planta- 
tions et  par  les  Lois  à  la  recherche  des  habitants.  Quelques  autres 
soldats  partirent  dans  des  canots  qui  se  trouvaient  sur  la  rivière  près 
du  village  et  rencontrèrent  un  grand  nombre  de  fuyards  dont  une 
trentaine,  cédant  à  nos  paroles  engageantes,  nous  suivirent,  en 
compagnie  de  la  plupart  des  caciques  et  des  papes.  Cortès  leur  parla 
affectueusement  au  moyen  de  dofla  Marina.  Ils  apportèrent  beaucoup 
de  maïs  et  de  poules,  et  ils  indiquèrent  le  chemin  que  nous  devions 
suivre  pour  arriver  au  village  d'Izguatepeque  qui  se  trouvait  situé  à 
trois  journées  de  là,  c'est-à-dire  à  environ  seize  lieues,  et  avant  le- 
quel nous  devions  voir  un  autre  centre  habité  dépendant  de  Tamaz- 
tepeque  d'où  nous  allions  partir. 

Avant  d'aller  plus  loin,  je  veux  dire  qu'au  milieu  de  la  disette 
dont  nous  eûmes  tant  à  souffrir,  aussi  bien  les  Espagnols  que  les 
Mexicains,  il  paraît  que  certains  caciques  de  Mexico  s'étaient  empa- 
rés de  deux  ou  trois  Indiens  des  villages  que  nous  laissions  derrière 
nous,  et  les  tenaient  cachés  parmi  leurs  porteurs  de  bagages  dont 
on  leur  avait  fait  revêtir  le  costume.  En  route,  ils  les  tuèrent  et  les 
mangèrent  après  les  avoir  fait  rôtir  dans  des  fours  qu'ils  creusèrent 
en  terre  et  garnirent  de  pierres,  comme  ils  avaient  l'habitude  de  le 
faire  à  Mexico.  Ils  s'étaient  saisis  encore  des  deux  guides  que  nous 
avions  eus  avec  nous  et  qui  avaient  pris  la  fuite;  ils  les  mangèrent 
également.  Gortès,  étant  parvenu  à  le  savoir,  fit  appeler  les  caciques 
mexicains,  les  tança  fortement  et  menaça  de  les  châtier  s'ils  se  por- 
taient encore  à  de  pareils  excès.  Un  moine  franciscain,  de  ceux  qui 
étaient  avec  nous,  prêcha  des  choses  saintes  et  utiles  et,  aussitôt  après 
le  sermon,  Gortès  ayant  rendu  une  sentence  de  mort  contre  un  Indien 
mexicain,  le  fit  brûler  vif  pour  l'assassinat  des  hommes  qui  avaient 
été  mangés.  Il  savait  bien  que  tous  avaient  trempé  dans  le  même 
crime,  mais  il  voulut  paraître  juste  en  faisant  semblant  de  croire 
qu'il  ne  connaissait  pas  d'autres  coupables  que  celui  qu'il  faisait 
brûler. 

Je  ne  conterai  pas  en  détail  et  tout  au  long  beaucoup  d'autres 
fatigues  que  nous  eûmes  à  supporter.  Quant  aux  joueurs  de  hautbois 
et  autres  musiciens  que  Gortès  amenait,  comme  ils  avaient  été  habi- 
tués aux  douceurs  en  Castille  et  qu'ils  ne  connaissaient  point  les 
dures  fatigues,  la  faim  les  avait  rendus  malades  et  ils  ne  faisaient 
plus  de  musique  au  général,  excepté  l'un  d'eux,  cependant,  qui  fai- 
sait pester  nos  soldats  toutes  les  fois  qu'ils  l'entendaient.  Us  compa- 
raient ses  chants  au  glapissement  du  renard  et  du  chacal  et  ils  di- 
saient que  mieux  eût  valu  avoir  du  maïs  à  manger  que  de  se  nourrir 
de  musique. 

Pour  en  revenir  à  notre  sujet,  je  dirai  que  quelques   personnes 


676  CONQUÊTE 

m'ont  demandé  comment  il  se  faisait  qu'ayant  souffert   de  tant  de 
disette  que  je  l'ai  dit,  nous  n'eussions  pas   mangé  le  troupeau  de 
porcs  qu'on  avait  amené  pour  Cortès,  attendu  que  le  droit  disparaît 
devant  la  faim,  et  que  d'ailleurs,  en  présence  de  la  souffrance  géné- 
rale, Gortès  aurait  dû  partager  ses  provisions  entre  tout  le  monde. 
A  cela  je  réponds  qu'un  chef  d'office  et  majordome  de  Gortès,  Guinea, 
homme  rusé  et  faux,  prétendit  faire  croire  qu'au  passage  des  rivières 
les  requins   et  les  caïmans  avaient  mangé  les  porcs,   et,  pour  que 
nous  ne  pussions  les  voir,  on  les  faisait  marcher  en  retard  de  quatre 
journées  après  nous.  D'ailleurs,  vu  le  nombre  d'hommes  que    nous 
étions,   tout  le  troupeau  n'aurait  pas  suffi  pour  un  jour  de  vivres. 
Toutes  ces  raisons  firent  qu'on  ne  les  mangea  pas  :  on  se  conduisit 
ainsi  au  surplus  pour  ne  pas  fâcher  Gortès. 

Quoi  qu'il  en  soit,  nous  dirons  encore  que  dans  tous  les  villages 
et  chemins  par  où  nous  passions,  nous  tracions  des  croix  partout  où 
il  y  avait  des  arbres,  surtout  des  ceibas,  sur  lesquels  on  pût  les 
graver.  Les  croix  restaient  empreintes;  et  l'on  peut  dire  qu'elles 
sont  ainsi  plus  durables  que  faites  de  madriers,  parce  que  l'écorce  en 
croissant  les  rend  parfaitement  apparentes.  On  mettait  aussi  des 
inscriptions  en  des  points  accessibles  à  la  vue.  On  y  disait  :  «  Gortès 
est  passé  par  ici  à  telle  époque.  «Gela  se  faisait  ainsi  afin  que  si  d'au- 
tres personnes  allaient  à  notre  recherche,  elles  pussent  savoir  que 
nous  étions  plus  loin  dans  cette  même  direction. 

Revenons  à  notre  route  vers  Ciguatepecad.  Environ  vingt  Indiens 
du  village  de  Tamaztepeque  vinrent  avec  nous.  Ils  nous  aidèrent  à 
traverser  deux  rivières  en  bateau  et  sur  des  radeaux.  Ils  s'employè- 
rent même  à  aller  comme  messagers  dire  aux  caciques  du  village  où 
nous  allions  de  n'avoir  aucune  crainte,  que  nous  ne  leur  causerions 
nul  ennui.  Gela  fit  que  plusieurs  d'entre  eux  restèrent  dans  leurs 
maisons  en  nous  attendant.  Ge  qui  arriva  là,  je  le  vais  dire  à  la 
suite1. 

1.  Une  des  plus  tristes  choses  des  campagnes  de  Cortès,  c'est  assurément  son  entre- 
prise sur  Honduras  à  la  recherche  de  Christoval  de  Oli,  après  la  rébellion  de  ce  capi- 
taine. Le  récit  de  Bernai  Diaz  est  si  confus  qu'on  a  de  la  peine  à  se  faire  une  juste 
idée  de  l'itinéraire  qui  fut  suivi  dans  cette  déplorable  expédition  et  des  difficultés 
qu'il  y  fallut  vaincre.  Celles-ci  provenaient  en  partie  des  conditions  du  sol,  en  partie 
aussi  de  la  température  élevée  qui  est  constamment  ressentie  dans  cette  contrée. 
Quel  est  en  effet  le  pays  parcouru  par  Cortès?  Parti  de  Guazacualco,  il  ne  s'éloigne 
que  timidement  de;  la  côte,  à  cause  du  besoin  où  il  se  trouve  de  communiquer  avec 
les  deux  navires  auxquels  il  a  donné  rendez-vous.  Donc,  après  s'être  légèrement 
détourné  vers  le  sud,  il  oblique  à  gauche  et  prend  une  dire<  tion  à  peu  près  rectiligne 
vers  Test,  traversant  ainsi,  dans  son  ignorance  du  pays,  les  points  les  plus  abaissés 
du  sol  de  ces  parages,  entrecoupés  partout  d'innombrables  cours  d'eau  qui  grossis- 
sent à  tout  instant,  sortent  de  leur  lit,  y  rentrent  el  laissent  à  découvert  d'immondes 
marécages.  Si  l'on  considère  «pu;  la  température  était  très-éjevée3  (pie  les  nuits  se 
[tassaient  sans  abri,  que  les  hommes  marchaient  la  plupart  dans  un  état  d'esprit  qui 
produisait  un  abattement  moral  incessant;  si  d'ailleurs  on  rapproche  de  ces  circons- 


DE  LA   NOUVELLE -ESPAGNE.  677 


CHAPITRE  GLXXVI 

Comme  quoi,  après  être  arrivé  au  village  de  Ciguatepecad,  Cortès  envoya  Francisco 
de  Médina  comme  capitaine  à  la  recherche  de  Simon  de  Cuenca,  pour  qu'ils  vins- 
sent, avec  les  deux  navires  dont  j'ai  déjà  parlé,  à  Triomphe  de  la  Croix,  au  Golfo 
Dulce.  De  ce  qui  advint  encore. 

Étant  arrivé  au  village  que  je  viens  de  dire  ,  Gortès  adressa  des 
flatteries  aux  caciques  et  aux  personnages  de  qualité,  en  leur  offrant 
des  pierres  précieuses  de  Mexico.  Il  s'informa  d'eux  où  allait  aboutir 
la  grande  et  forte  rivière  qui  passait  près  des  habitations  ;  on  lui 
répondit  qu'elle  débouchait  dans  les  estuaires  où  se  trouve  un  centre 
habité  appelé  Hueyatasta,  non  loin  d'un  autre  village  du  nom  de 
Xicalango.  Gortès  crut  qu'il  serait  bon  d'envoyer  deux  Espagnols  en 
canots  pour  qu'ils  visitassent  la  côte  nord  et  pussent  avoir  des  nou- 
velles du  capitaine  Simon  de  Guenca  ainsi  que  des  deux  navires  qu'il 
avait  fait  charger  de  vivres  pour  sa  campagne.  Il  écrivit  à  ce  capi- 
taine ,  lui  faisant  part  de  nos  difficultés  et  lui  donnant  l'ordre  de 
continuer  sa  route  en  suivant  le  littoral.  Après  s'être  bien  enquis 
des  moyens  d'aller  par  ce  fleuve  jusqu'au  village  dont  je  viens  de 
parler,  Gortès  envoya  donc  deux  Espagnols,  dont  le  principal  était  ce 
même  Francisco  de  Médina  déjà  nommé  par  moi  d'autres  fois.  Il  lui 
signa  des  pouvoirs  pour  partager  le  commandement  avec  Simon  de 
Guenca.  Médina  était  un  homme  fort  actif  et  il  connaissait  bien  cotte 
contrée.  Ce  fut  lui,  du  reste,  qui  causa  la  rébellion  du  village  de 
Ghamula  lors  de  notre  expédition  avec  Luis  Marin  pour  la  conquête 
de  Ghiapa,  ainsi  que  je  l'ai  dit  dans  le  chapitre  qui  en  a  traité.  Certes, 
il  eût  actuellement  mieux  valu  que  Gortès  ne  le  chargeât  pas  de  ses 
pouvoirs,  à  cause  du  résultat  qui  en  fut  bientôt  la  conséquence.  Il 
descendit,  en  effet,  la  rivière  et  arriva  à  l'endroit  où  Simon  de  Guenca 
était  avec  ses  deux  navires,  près  de  Xicalango,  attendant  des  nou- 
velles de  Gortès.  Après  lui  avoir  donné  les  lettres  de  notre  chef,  Me- 

tances  le  manque  de  nourriture  ou  du  moins  l'usage  d'aliments  peu  salubres  et  insuf- 
fisants, on  se  demande  comment  Cortès  put  conserver  quelques  hommes  pour  arriver 
au  terme  de  son  voyage.  Il  se  décida  néanmoins  à  prendre  la  direction  du  su. les!  qui 
devait  le  conduire  au  lieu  de  sa  destination,  c'est-à-dire  au  fond  du  golfe  de  Honduras, 
vers  la  pointe  que  la  mer  vient  former  au  sud  du  Yucatan  anglais  d'aujourd'hui. 

La  distance  à  parcourir  était  alors  comme  aujourd'hui  hérissée  des  mille  obstacles 
inséparables  d'un  pays  très-chaud,  fortement  boisé,  bas  et  partout  coupé  par  «les  bras 
de  rivières  qui  débordent.  Les  difficultés  qui  en  résultent  pour  la  vie  de  l'homme  ont 
été  si  grandes  de  tout  temps,  qu'aujourd'hui  encore  la  partie  moyenne  du  terrain  par 
lequel  le  Yucatan  se  lie  au  continentest  restée  presque  complètement  inhabitée^  mal- 
gré les  ressources  que  d'ailleurs  on  y  pourrait  trouver  comme  éléments  de  production 
et  de  trafic, 


678  CONQUÊTE 

dina  lui  présenta  ses  titres  de  capitaine  commandant,  et  sur-le-champ 
ils  en  arrivèrent  à  échanger  quelques  aigreurs  à  propos  du  comman- 
dement. Il  s'ensuivit  qu'on  en  vint  aux  mains;  on  se  battit  et,  des 
deux  parts,  moururent  tous  les  Espagnols  qui  étaient  à  bord  des 
navires,  à  l'exception  de  six  ou  sept.  Lorsque  les  Indiens  de  Xica- 
lango  ot  de  Hueyatasta  virent  cette  querelle,  ils  tombèrent  sur  eux, 
achevèrent  de  les  tuer  tous  et  brûlèrent  les  navires,  de  sorte  qu'il  se 
passa  deux  ans  et  demi  avant  que  nous  en  eussions  des  nouvelles. 
Laissons  donc  ce  sujet  et  revenons  au  village  de  Giguatepecad  où 
nous  étions.  Les  principaux  parmi  les  Indiens  dirent  à  Gortès  qu'il 
y  avait  trois  journées  de  route  jusqu'à  Hueyacala  et  qu'il  aurait  à  tra- 
verser deux  rivières  dont  l'une  était  très-large  et  très-profonde, 
après  lesquelles  se  trouvaient  de  grands  marais  mouvants.  Ils  dirent 
également  que,  sans  embarcations,  il  ne  pourrait  faire  effectuer  le 
passage,  ni  par  les  chevaux,  ni  par  les  hommes.  On  envoya  en  con- 
séquence deux  soldats  accompagnés  de  trois  personnages  indiens  qui 
devaient  les  guider  dans  l'exploration  des  lieux,  pour  qu'ils  vissent 
bien  la  rivière  et  les  marécages  et  s'assurassent  de  la  manière  dont 
nous  pourrions  les  traverser.  Recommandation  leur  était  faite  de  pré- 
parer un  bon  rapport  à  ce  sujet.  Ces  deux  soldats  s'appelaient  l'un 
Martin  Garcia,  de  Valence,  alguazil  de  l'armée,  l'autre  Pedro  de 
Ribera.  Martin  Garcia,  à  qui  la  recommandation  avait  particulière- 
ment été  faite,  examina  les  cours  d'eau,  les  parcourut  entièrement  au 
moyen  de  petits  canots  qu'il  trouva  sur  la  rivière  et  conclut  qu'on 
pourrait  jeter  des  ponts  et  passer.  Mais  il  ne  prit  pas  soin  d'exa- 
miner les  mauvais  marécages  qui  se  trouvaient  une  lieue  plus  loin. 
Il  revint  dire  à  Gortès  qu'en  faisant  des  ponts  on  passerait,  et  l'on 
resta  convaincu  que  les  marais  n'offriraient  pas  les  difficultés  qu'on 
y  trouva  plus  tard. 

Gortès  me  fit  appeler,  ainsi  que  Gonzalo  Mexia.  Il  m'ordonna 
d'aller  avec  quelques  personnages  de  Giguatepecad  au  district  d'A- 
cala,  avec  la  recommandation  de  flatter  les  caciques  et  de  les  décider 
par  de  bonnes  paroles  à  ne  pas  s'enfuir.  Ce  district  d'Acala  se  com- 
posait d'environ  vingt  villages,  situés  les  uns  en  terre  ferme,  les 
autres  sur  des  îlots,  et  dont  les  habitants  pouvaient  se  visiter  en 
canots  par  les  rivières  et  les  estuaires.  Les  trois  Indiens  que  nous  em- 
menions pour  guides  s'enfuirent  la  première  nuit  que  nous  passâmes 
sur  la  route.  Ils  n'osèrent  pas  aller  plus  avant,  parce  que,  nous  dit- 
on  plus  tard,  nous  allions  chez  leurs  ennemis,  les  deux  districts 
étant  en  guerre.  Il  nous  fallut  donc  marcher  sans  guides;  nous  tra- 
versâmes les  marais  avec  les  plus  grandes  difficultés.  Quand  nous 
arrivâmes  au  premier  village  d'Acala,  les  habitants  nous  en  parurent 
agités  et  hostiles;  mais,  avec  des  paroles  affectueuses  et  quelques 
verroteries^  ils  furent  séduits  et  ils  se  laissèrent  prier  d'aller  à  Ci- 


DE  LA  NOUVELLE-ESPAGNE.  679 

guatepecad  voir  Malinche  et  lui  porter  des  vivres.  Il  paraît  que, 
lorsque  nous  arrivâmes  chez  eux,  ils  n'avaient  pas  la  moindre  con- 
naissance du  voyage  de  Gortès  et  du  nombre  considérable  de  cavaliers 
el  de  Mexicains  qui  venaient  avec  lui.  Mais,  le  lendemain,  des  trafi- 
quants indiens  leur  annoncèrent  que  notre  général  s'avançait  avec 
de  grandes  forces.  Les  caciques  se  montrèrent  dès  lors  plus  accessi- 
bles qu'à  notre  arrivée,  à  la  pensée  d'envoyer  des  vivres;  ils  se  con- 
tentèrent néanmoins  de  dire  que  lorsque  notre  armée  serait  arrivée 
chez  eux,  ils  se  mettraient  à  son  service  en  faisant  ce  qui  leur  serait 
possible  pour  l'alimenter.  Mais,  pour  ce  qui  était  d'aller  où  nous 
étions,  ils  s'y  refusaient,  parce  que  c'était  le  pays  de  leurs  ennemis. 
On  en  était  là  de  ces  pourparlers,  lorsque  se  présentèrent  deux  Espa- 
gnols avec  des  lettres  de  Gortès  qui  m'ordonnaient  de  partir  sous 
trois  jours,  apportant  les  provisions  que  je  pourrais  me  procurer, 
parce  que  les  habitants  du  village  où  je  l'avais  laissé  venaient  de 
s'enfuir.  Il  m'annonçait  qu'il  se  mettait  en  route  vers  Acala  sans  em- 
porter de  maïs  parce  qu'il  n'en  trouvait  nulle  part.  Il  me  pressait 
d'obtenir  des  caciques  qu'ils  n'abandonnassent  pas  leurs  habitations. 
Les  messagers  me  dirent,  en  outre,  que  Gortès  avait  envoyé,  pour 
remonter  la  rivière  à  partir  de  Ciguatepecad,  quatre  Espagnols,  dont 
trois  récemment  arrivés  de  Gastille,  qui  devaient  aller  dans  d'autres 
villages  qu'on  disait  peu  éloignés,  afin  d'y  réclamer  des  vivres  ;  ces 
envoyés  n'étaient  point  revenus  et  l'on  craignait  qu'ils  n'eussent  été 
tués.  Malheureusement,  telle  fut  la  vérité. 

Revenons  à  Gortès  pour  dire  qu'il  se  mit  en  route.  Il  arriva  en 
deux  jours  à  la  grande  rivière  dont  j'ai  parlé.  Il  déploya  la  plus 
grande  activité  pour  la  construction  d'un  pont.  Les  difficultés  furent 
telles,  et  la  grosseur  des  madriers  si  considérable,  que  les  Indiens 
d'Acala  restèrent  dans  l'admiration  en  voyant  l'entrelacement  des 
bois  se  faire  de  cette  manière.  Il  fallut  passer  quatre  jours  à  ce  tra- 
vail. Gomme  Gortès  était  sorti  du  village  avec  tout  son  monde, 
sans  aucunes  provisions,  la  faim  et  les  fatigues  furent  extrêmes  pen- 
dant les  quatre  jours  qui  suivirent;  et  encore  faut- il  dire  qu'ils 
ignoraient  s'ils  trouveraient  du  maïs  plus  loin  et  s'ils  allaient  entrer 
dans  une  province  pacifique.  Quelques-uns  des  vieux  soldats  se  sou- 
lageaient en  abattant  certains  arbres  élevés  en  forme  de  palmiers, 
dont  le  fruit  rappelle  des  noix  à  très-fortes  coquilles;  ils  les  torré- 
fiaient et  les  mangeaient  après  les  avoir  cassées.  Heureusement,  j'ai 
à  dire  que  la  nuit  même  qu'ils  achevèrent  l'installation  de  leur  pont, 
j'arrivai  avec  mes  trois  compagnons  de  route,  apportant  cent  trente 
charges  de  maïs,  quatre-vingts  poules,  du  miel,  des  haricots,  du  sel 
et  des  fruits.  Tous  les  soldats  étaient  dans  l'attente  de  ces  provi- 
sions, parce  qu'ils  savaient  que  c'était  moi  qui  étais  chargé  de  les 
procurer,  et  Gortès  disait  à  tout  le  monde  qu'on  ne  tarderait  pas  à 


680 


CONQUETE 


avoir  de  quoi  manger,  puisque  c'était  moi  qui  étais  allé  chercher  les 
vivres  à  Acala,  à  moins  que  les  Indiens  ne  m'eussent  tué,  comme  les 
quatre  Espagnols  qu'il  avait  envoyés  aux  provisions.  Pour  en  revenir 
à  mon  affaire,  aussitôt  que  j'arrivai  au  pont  avec  le  maïs  et  tout  le 
reste,  comme  il  faisait  nuit,  chaque  soldat  en  enleva  ce  qu'il  put  et 
ils  s'emparèrent  de  tout,  sans  rien  laisser,  ni  pour  Gortès,  ni  pour  San- 
doval  ni  pour  aucun  capitaine,  malgré  les  cris  qu'on  leur  adressait  en 
disant  :  «  N'y  touchez  pas,  c'est  pour  le  capitaine  Gortès!  »  Son  ma- 
jordome Garranza  et  le  chef  d'office  Gruinea  crièrent  aussi  en  entou- 
rant le  maïs  de  leurs  bras  et  priant  qu'on  leur  en  laissât  au  moins 
une  charge  ;  mais,  au  milieu  de  l'obscurité  de  la  nuit ,  les  soldats 
répondaient  :  «  Vous  et  Gortès,  vous  mangiez  vos  excellents  porcs 
en  nous  regardant  mourir  de  faim,  et  vous  preniez  tout  pour  vous 
sans  faire  aucun  cas  de  nos  plaintes.  » 

Lorsque  Gortès  sut  qu'on  avait  tout  enlevé  et  qu'on  n'avait  rien  laissé 
pour  lui,  perdant  toute  patience,  il  se  prit  à  jurer  et  à  piétiner  dans 
un  tel  état  de  colère  qu'il  menaçait  de  faire  des  perquisitions  et  de 
châtier  les  pillards  aussi  bien  que  tous  ceux  qui  parlaient  des  porcs 
qu'il  avait  mangés.  Mais  bientôt  il  s'aperçut  que  la  colère  n'était  pas 
de  saison  et  qu'il  criait  dans  le  désert.  Il  me  fit  appeler   et  me  de- 
manda d'un  ton  fâché  si  c'était  ainsi  que  je  surveillais  les  provisions. 
Je  lui  répondis  qu'il  eût  dû  envoyer  des  gardes  pour  remplir  cet  of- 
fice, mais  que,  se  fût-il  lui-même  mis  à  leur  tête,  on  lui  eût  tout  pris, 
parce  que  la  faim  —  que  Dieu  nous  en  préserve!  —  ne  connaît  pas 
de  loi.  S'apercevant   enfin  que   le  mal  était  sans  remède  et  comme 
il  éprouvait  un  grand  besoin,  il  se  mit  à  me  flatter  en  employant  des 
paroles  mielleuses,  devant  le  capitaine  Gonzalo  de  Sandoval,  et  me 
dit  :  «  0  senor  Bernai  Diaz  del  Gastillo,  mon  frère,  pour  l'amour  de 
moi,  si  vous  avez  laissé  quoi  que  ce  soit  caché  sur  la  route,  venez-y 
donc  avec  moi;  je  pense  bien  que  vous  n'aurez  point  négligé  d'appor- 
ter quelque  chose  pour  vous  et  votre  ami  Sandoval.  »  En  entendant 
ces  paroles,  et  en  voyant  la  manière  dont  elles   étaient  prononcées, 
j'eus  vraiment  pitié  de  lui.  Au  surplus,  Sandoval  me  dit  :  «  Je  n'ai, 
pardieu  !  pas  moi-même  la  moindre  parcelle  de   maïs  à  griller  et  à 
faire  du  cacalote* .  »  Je  leur  fis  donc  savoir  que  la  nuit  suivante,  au 
quart  de  la  modorra,  lorsqu'on    reposerait  dans  le  quartier,  nous 
irions  à  la  recherche  de  douze  charges  de   maïs,  vingt  poules,  trois 
pots  de  miel,  haricots,  sel  et  deux  Indiennes  pour  fabriquer  le  pain, 
que  l'on  m'avait  donnés  pour  moi-même  dans  ce  village.  J'ajoutai  : 
«  Il  y  faut  aller  pendant  la  nuit,  sans  quoi  les  soldats  nous  enlève- 


1.  Cacalotl,  en  langue  nahuatl,  veut  dire  «  corbeau  ».  Il  est  donc  probable  que 
ce  nom  a  été  donné  à  cette  préparation  de  maïs  à  cause  de  la  couleur  foncée  que 
prend  cette  graine  quand  on  la  grille. 


DE   LA  NOUVELLE-ESPAGNE.  681 

raient  tout  en  route.  Nous  partagerons,  dis -je  à  Cortès,  entre  Votre 
Grâce,  Sandoval,  moi  et  mon  monde.  »  Il  se  réjouit  grandement  et 
m'embrassa.  Sandoval,  de  son  côté,  me  dit  qu'il  irait  lui-môme  avec 
moi  à  la  recherche  des  provisions.  Nous  eûmes  la  chance  de  tout  ra- 
mener, et  ils  purent  satisfaire  leur  grande  faim.  Je  donnai  aussi  l'une 
des  Indiennes  à  Sandoval.  Gortès  me  demanda  alors  si  les  moines 
avaient  de  quoi  manger;  à  quoi  je  répondis  que  Dieu  en  prenait  soin 
plus  que  lui-même,  attendu  que  tous  les  soldats  leur  donnaient  de  ce 
qu'ils  avaient  enlevé  pendant  la  nuit,  de  sorte  qu'il  n'y  avait  pas  à 
craindre  qu'ils  mourussent  de  faim.  J'ai  voulu  faire  mémoire  de  tou- 
tes ces  particularités  pour  qu'on  comprenne  à  quelles  difficultés  peu- 
vent arriver  les  capitaines  dans  des  pays  inconnus,  puisque  Gortès 
lui-même,  qui  était  habituellement  si  redouté,  fut  laissé  sans  un 
grain  de  maïs  à  manger,  et  que  le  capitaine  Sandoval,  ne  voulant  pas 
confier  à  un  autre  la  part  qui  lui  revenait,  fut  la  chercher  en  per- 
sonne, tandis  qu'il  aurait  eu  tant  de  soldats  pour  envoyer  à  sa 
place. 

Nous  abandonnerons  ce  récit  de  la  faim  que  nous  endurâmes  et 
des  difficultés  des  ponts  à  construire,  pour  dire  qu'une  lieue  plus 
loin  nous  rencontrâmes  de  si  mauvais  marécages,  qu'il  ne  servait  à 
rien  d'y  mettre  des  troncs  d'arbres,  des  branches,  ou  n'importe  quels 
autres  supports  pour  y  faire  passer  nos  chevaux.  Tout  leur  corps  s'y 
enfonçait;  nous  crûmes  un  moment  qu'aucun  d'eux  n'en  pourrait  sor- 
tir et  que  tous  y  perdraient  la  vie.  Nous  nous  obstinâmes  cependant 
à  aller  en  avant,  parce  qu'on  voyait  la  terre  ferme  et  un  bon  chemin  à 
demi-portée  d'arbalète.  Heureusement,  au  milieu  des  fatigues  de  ces 
pauvres  animaux,  il  se  fit  dans  le  marais  comme  une  espèce  de  ruelle 
d'eau  et  de  boue  où  ils  purent  enfin  s'escrimer  sans  courir  le  risque 
d'y  perdre  la  vie,  car  ils  réussissaient  à  nager  à  moitié  au  milieu  de 
ce  mélange  boueux.  Ils  arrivèrent  ainsi  sur  la  terre  solide  et  nous  en 
rendîmes  grâces  à  Dieu.  Gortès  m'ordonna  de  retourner  sans  délai  à 
Acala,  de  bien  surveiller  les  caciques  pour  qu'ils  se  tinssent  tran- 
quilles, et  de  me  hâter  d'envoyer  des  provisions  sur  la  route.  Je  le  fis 
ainsi,  et,  le  jour  même  de  mon  arrivée  à  Acala,  ayant  attendu  qu'il 
fît  nuit,  j'envoyai  trois  Espagnols,  qui  m'avaient  suivi,  avec  plus  de 
cent  Indiens  chargés  de  maïs  et  autres  provisions.  J'avais  eu  la  pré- 
caution de  dire  à  Gortès,  quand  je  le  quittai,  d'aller  en  personne  at- 
tendre le  convoi  sur  la  route,  de  crainte  qu'on  s'en  emparât  comme 
l'autre  fois.  Il  m'écouta  et  prit  en  effet  les  devants  avec  Sandoval  et 
Luis  Marin,  de  sorte  que  tout  resta  en  leur  pouvoir.  Ils  en  firent  le 
partage,  et,  le  lendemain,  vers  le  milieu  du  jour,  ils  arrivèrent  à  Acala. 
Les  caciques  allèrent  lui  souhaiter  la  bienvenue  en  lui  apportant 
des  vivres.  J'en  resterai  là  et  je  dirai  bientôt  ce  qui  se  passa  encore. 


682  CONQUÊTE 


CHAPITRE  CLXXVII 


A  quoi  s'occupa  Cortès  après  être  arrivé  à  Acala  et  connsne  quoi,  en  un  village  plus 
loin  dépendant  d'Acala,  il  fit  pendre  Guatemuz,  grand  seigneur  de  Mexico,  et  un 
autre  cacique,  seigneur  de  Tacuba  ;  et  la  raison  pourquoi,  et  autres  choses  qui  arri- 
vèrent. 

Lorsque  Cortès  fut  arrivé  à  Hueyacala  (c'est  bien  ainsi  qu'on  l'ap- 
pelle), les  caciques  du  bourg  se  présentèrent  pacifiquement  à  lui.  Il 
leur  adressa  la  parole,  au  moyen  de  doïia  Marina,  en  ternies  qui  pa- 
rurent leur  plaire,  et  il  leur  distribua  différents  objets  de  Castille.  On 
apporta  du  maïs  et  autres  provisions.  Bientôt  Cortès  fit  appeler  tous 
les  caciques  pour  s'informer  auprès  d'eux  du  chemin  que  nous  de- 
vions suivre.  Il  leur  demanda   aussi  s'ils   avaient  eu    connaissance 
d'autres   hommes  comme  nous,  à  barbe  longue  et  faisant  usage  de 
chevaux  ;  il  voulut  savoir  encore  s'ils  avaient  vu  des  navires  voguant 
par  la  mer.  Ils  répondirent  qu'à  huit  journées  de  là  il  y  avait  beau- 
coup d'hommes  à  barbe  longue,  des  femmes  de  Castille,  des  chevaux 
et  trois  acales   (ils  donnent  ce  nom  aux  navires).    Cortès  se  réjouit 
beaucoup  de  cette  nouvelle,  et  comme  il  demandait  quels  étaient  les 
chemins  par  lesquels  nous  devions  passer,  on  lui  apporta  des  étoffes 
sur  lesquelles  en  voyait  tout  dessiné,  même  les  rivières,  les  maré- 
cages et  les  bourbiers.  Notre  général  les  pria  alors  d'aller  jeter  des 
ponts   sur   les    cours    d'eau    et  d'amener  beaucoup  d'embarcations, 
chose  qui  se  pouvait  bien  faire,  puisqu'ils  avaient  tant  de  monde  et 
que  leurs  villages  étaient  considérables.  La  réponse  fut  que  les  vil- 
lages montaient,   en  effet,  au  nombre  de  vingt,  mais  que  la  plupart 
refusaient  de  leur  obéir,  surtout  quelques-uns  qui  se  trouvaient  situés 
entre  des  rivières  ;   qu'il    était  par  conséquent   indispensable  d'en- 
voyer des  leules  (c'est  ainsi  qu'on  appelait  nos  soldats),  pour  obliger 
ces  villages  récalcitrants  à  apporter  du  maïs,  ainsi  que  d'autres  objets, 
et  à  ne  pas  s'écarter  de  l'obéissance  en  leur  qualité  de  sujets  d'Acala. 
Sur   cet   avis ,   Cortès  manda   un   certain   Diego    de    Mazariegos, 
cousin    du  trésorier  Alonso    de  Estrada,   le    lieutenant-gouverneur 
actuel  de  Mexico.  Il  le  pria  d'observer  à  quel  point  il   estimait  sa 
personne,  puisqu'il  allait  lui  faire  l'honneur  de  l'envoyer  en  qualité 
de  capitaine  vers  ces  villages  et  d'autres  des  environs.  En  lui  don- 
nant cette  commission ,  il  lui  dit  en  secret  que,  ne  comprenant  pas 
encore  très-bien  les  choses  de  ce  pays,  attendu  qu'il  était  nouvelle- 
ment  arrivé  de   Castille  et  manquait  d'expérience  relativement  aux 
Indiens  il  devait  m'emmencr  en  sa  compagnie  et  ne  pas  faire  autre 
chose  que  ce  que  je  lui  conseillerais.  Mazariegos  se  conforma  à  ces 


DE  LA   NOUVELLE-ESPAGNE.  683 

instructions.  Je  n'aurais  pas  voulu  inscrire  ce  fait  dans  mon  récit,  de 
crainte  qu'on  ne  puisse  croire  que  je  me  vante.  Je  ne  le  mentionne- 
rais pas  certainement  s'il  n'avait  été  public  dans  tout  le  campement 
et  si  je  ne  l'eusse  vu  figurer  en  pompeux  caractères  dans  des  lettres 
et  des  rapports  que  Gortès  écrivit  à  Sa  Majesté  pour  lui  faire  savoir 
tout  ce  qui  se  passait  et  ce  qui  était  advenu  dans  le  voyage  de  Hondu- 
ras. Voilà  la  raison  qui  me  détermine  à  en  parler  ici. 

Mais  revenons  à  notre  affaire.  Nous  partîmes  environ  quatre-vingts 
soldats,  avec  Mazariegos,  dans  des  embarcations  que  les  caciques  nous 
fournirent.  Quand  nous  arrivâmes  aux  habitations,  tout  le  monde 
nous  donna  volontiers  de  ce  qu'il  y  avait;  de  sorte  que  nous  ramenâ- 
mes environ  cent  embarcations  chargées  de  maïs,  poules,  miel,  sel  et 
dix  Indiennes  qui  étaient  déjà  esclaves.  Les  caciques  vinrent  visiter 
Gortès.  Il  résulta  de  cette  petite  campagne  que  notre  armée  eut  abon- 
damment de  quoi  manger.  Mais,  au  bout  de  quatre  jours,  la  plupart 
des  caciques  désertèrent  ;  il  ne  resta  que  trois  guides  avec  lesquels 
nous  entreprîmes  notre  route.  Nous  traversâmes  deux  rivières,  l'une 
d'elles  sur  unpont  qui  se  rompit  quand  nous  passions,  et  l'autre  à  l'aide 
de  plusieurs  barques.  Nous  arrivâmes  ainsi  à  un  autre  village  dépendant 
d'Acala.  Il  avait  été  abandonné;  nous  y  trouvâmes  néanmoins  quel- 
ques vivres,  et  du  maïs  que  les  habitants  avaient  caché  dans  les  bois. 

Nous  mettrons  de  côté,  un  moment,  les  difficultés  de  notre  route, 
pour  dire  que  Gruatemuz,  grand  cacique  de  Mexico,  et  d'autres  per- 
sonnages mexicains,  qui  marchaient  avec  nous,  avaient  mis  en  ques- 
tion et  peut-être  même  décidé  de  nous  massacrer  tous,  pour  rentrer 
ensuite  à  Mexico,  réunir  toutes  leurs  forces  en  y  arrivant,  attaquer 
ceux  de  nos  hommes  qui  étaient  restés  dans  la  capitale  et  se  mettre 
enfin  en  rébellion  ouverte.  Ceux  qui  découvrirent  le  projet  à  Gortès  fu- 
rent deux  grands  caciques  mexicains  nommés  Tapia  et  Juan  Velas- 
quez.  Ge  dernier  avait  été  capitaine  général  de  Gruatemuz  lors  des 
guerres  de  Mexico.  Dès  que  Gortès  eut  appris  l'affaire,  il  se  proposa 
de  l'instruire,  non-seulement  au  moyen  de  ceux  qui  l'avaient  dévoilée, 
mais  encore  auprès  de  plusieurs  autres  caciques  qui  s'y  trouvaient 
compromis.  Ils  confessèrent  que,  comme  ils  nous  voyaient  marcher 
sans  précaution,  dans  un  grand  état  de  mécontentement,  que  plu- 
sieurs soldats  avaient  été  malades,  que  les  vivres  nous  manquaient, 
que  quatre  chanteurs  ainsi  que  le  voltigeur  et  cinq  soldats  étaient 
morts  de  faim,  que  trois  Espagnols  avaient  déserté  vers  Mexico,  s'en 
retournant  au  hasard  à  travers  les  pays  par  lesquels  ils  étaient  venus, 
et  préférant  la  mort  à  la  marche  en  avant,  les  conspirateurs  avaient 
pensé  qu'il  serait  opportun  de  tomber  sur  nous  au  passage  de  marais 
ou  de  quelque  rivière,  attendu  que  les  Mexicains  étaient  au  nombre 
de  trois  mille,  bien  armés  de  lances  et  même  d'épées.  Gruatemuz  avoua 
que  c'était  bien  cela  que  d'autres  avaient  proposé ,  mais  qu'il  n'en 


684  CONQUÊTE 

avait  nullement,  eu  lui-même  la  première  pensée;  qu'il  ignorait  du 
reste  si  tout  le  monde  avait  pris  part  au  projet  et  s'il  devait  réelle- 
ment s'exécuter.  Il  disait  même  que,  quant  à  lui,  il  n'avait  jamais 
songé  à  sa  réalisation  et  croyait  qu'il  n'y  avait  eu  autre  chose  que  des 
conversations  à  ce  sujet.  Quant  au  cacique  de  Tacuba,  il  avoua  que 
Guatemuz  et  lui  s'étaient  dit  entre  eux  qu'il  valait  mieux  mourir  d'une 
bonne  fois  que  périr  un  à  un  chaque  jour  en  chemin,  en  ayant  le  spec- 
tacle de  la  faim  qu'enduraient  leurs  femmes  et  leurs  parents.  Sans 
autres  preuves,  Gortès  donna  l'ordre  de  pendre  Guatemuz  et  le  sei- 
gneur de  Tacuba,  cousin  du  prince. 

Avant  le  supplice,  les  Frères  franciscains  et  le  moine  de  la  Merced 
s'efforcèrent  de  relever  le  courage  des  condamnés,  par  l'entremise  de 
l'interprète  dona  Marina,  et  les  recommandèrent  à  Dieu.  En  mar- 
chant à  la  mort  Gruatemuz  dit  :  «  0  capitaine  Malinche,  depuis  long- 
temps je  te  comprenais  et  je  connaissais  fort  bien  la  fausseté  de  tes 
paroles;  je  savais  que  tu  me  réservais  cette  mort,  puisque  j'avais 
commis  la  faute  de  ne  pas  m'arracher  moi-même  la  vie  lorsque  tu 
entras  dans  ma  ville  de  Mexico.  Pourquoi  me  fais-tu  mourir  injuste- 
ment? Que  Dieu  t'en  demande  compte  !  »  Le  seigneur  de  Tacuba  dit 
qu'il  bénissait  sa  mort  puisqu'il  lui  était  donné  de  périr  en  même 
temps  que  son  seigneur  Guatemuz.  Avant  d'être  pendus,  ils  furent 
confessés  par  fray  Juan,  de  la  Merced,  qui  connaissait  un  peu  leur 
langue.  Quant  aux  caciques,  qui  pour  des  Indiens  pouvaient  être  re- 
gardés comme  de  bons  chrétiens  véritablement  croyants,  ils  priaient 
les  Frères  de  recommander  à  Dieu  les  condamnés.  Et  moi,  je  pris 
vraiment  en  pitié  Guatemuz  et  son  cousin,  pour  les  avoir  connus  dans 
leurs  grandeurs.  Je  ne  pouvais  d'ailleurs  oublier  qu'ils  m'honoraient 
de  leurs  prévenances,  pendant  la  route,  en  toutes  choses  dont  je  pou- 
vais avoir  besoin,  et  surtout  en  me  fournissant  des  Indiens  pour  aller 
chercher  la  nourriture  de  mon  cheval.  Ces  supplices  furent  très-in- 
justes et  ils  passèrent  pour  tels  aux  yeux  de  nous  tous  qui  fîmes  cette 
exp< 


(édition  ', 


1.  La  mort  de  ce  héros  eut  lieu  dans  des  circonstances  qui  impriment  à  la  vie  de 
Cortès  une  tache  ineffaçable.  Le  supplice  du  prince  est  inexcusable  à  tous  les  points 
de  vue  possibles;  il  est  donc  très-intéressant  de  savoir  comment  l'historien  aux  gages 
de  Cortès,  Gomara,  a  raconté  ce  crime  impardonnable.  Voici  son  récit  : 

«  Cortès  emmenait  avec  lui  Quahulimoc  (Guatimozin)  et  beaucoup  d'autres  grands 
seigneurs  mexicains,  alin  qu'ils  ne  troublassent  point  la  capitale  et  le  pays  ;  il  avait 
en  même  temps  trois  mille  Indiens  pour  servir  aux  transports.  Quahutimoc  souffrait 
avec  peine  qu'une  garde  le  surveillât  sans  cosse  :  il  conservait  d'ailleurs  toutes  les 
aspirations  d'un  roi  ;  il  voyait  les  Espagnols  privés  de  tout  appui  du  dehors,  affaiblis 
par  leurs  marches  et  perdus  dans  un  pays  inconnu.  La  pensée  lui  vint  alors  de  les 
massacrer,  Cortès  surtout,  pour  se  venger  d'eux,  rentrer  à  Mexico  aux  cris  de  liberté 
et  se  proclamer  roi  comme  il  l'était  auparavant.  11  s'en  ouvrit  aux  seigneurs  qui  étaient 
en  sa  compagnie  et  il  en  donna  avis  aux  Indiens  mexicains,  alin  qu'en  un  même  jour 
ls  massacrassent  tous  les  Lspagnols  qui  se  trouvaient  dans  la  campagne,  en  faisant 


DE  LA.  NOUVELLE-ESPAGNE. 

Nous  poursuivîmes  notre  route  dans  le  meilleur  ordre  possible, 
de  crainte  que  les  Mexicains  ne  se  soulevassent  en  voyant  pendre  leur 
roi.  Mais  ils  étaient  tellement  abattus  par  la  faim  et  les  maladies 
qu'ils  n'y  songeaient  aucunement.  Après  l'exécution  donc,  nous  mar- 
châmes dans  la  direction  d'un  autre  petit  village.  Avant  d'y  entrer 
nous  traversâmes  en  bateaux  une  rivière  très-profonde.  Nous  trou- 
vâmes les  maisons  abandonnées  ;  les  habitants  avaient  fui  ce  jour-là 
même.  En  cherchant  à  nous  procurer  des  vivres  dans  des  fermes  iso- 
lées, nous  trouvâmes  huit  Indiens  qui  étaient  des  ministres  d'idoles. 
Ils  consentirent  volontiers  à  venir  avec  nous  au  village.  Gortès  leur 
adressa  la  parole  au  moyen  de  dona  Marina  pour  obtenir  qu'ils  appe- 
lassent leurs  compatriotes,  qu'ils  bannissent  toute  crainte  et  nous  ap- 
portassent des  vivres.  A  leur  tour,  ils  prièrent  Gortès  d'ordonner  qu'il 
ne  fût  point  touché  à  des  idoles  qui  se  trouvaient  à  côté  de  la  maison 
même  où  le  général  s'était  logé;  à  ces  conditions  ils  apporteraient  à 
manger  et  feraient  pour  nous  tout  ce  qui  serait  possible.  Gortès  ré- 
pondit qu'il  agirait  ainsi,  qu'on  ne  toucherait  à  rien;  mais  à  quoi  bon 
garder  ces  idoles  qui  ne  sont  que  du  vieux  bois,  de  la  terre  cuite  et 
de  mauvaises  choses  qui  les  trompent?  Et  il  leur  prêcha  de  telles  vé- 
rités au  moyen  des  moines  et  de  dona  Marina,  qu'ils  promirent  d'a- 
bandonner leurs  dieux,  et  ils  apportèrent  vingt  charges  de  maïs  avec 
quelques  poules.  Gortès  leur  demanda  s'ils  savaient  à  combien  de 
soleils  de  là  se  trouvaient  des  hommes  barbus  comme  nous, 
ainsi  que  des  chevaux.  Ils  répondirent  qu'il  y  avait  sept  soleils  et 

remarquer  qu'ils  n'étaient  que  deux  cents,  ne  possédant  que  cinquante  chevaux  et 
vivant  en  état  de  querelle,  divisés  en  plusieurs  partis.  Si  l'exécution  eût  été  aussi 
adroite  que  la  pensée  était  juste,  le  plan  aurait  été  sérieux,  car  Gortès  avait  très-peu  de 
monde,  et  les  Espagnols  s'entendaient  fort  mal  entre  eux.  Us  étaient  si  peu  nombreux 
alors,  parce  qu'une  partie  des  forces  espagnoles  se  trouvait  à  Quahutemallam  avec 
Alvarado,  à  Higueras  avec  Casas,  et  aux  mines  de  Micliuacan.  Les  Mexicains  tirent  leur 
plan  pour  le  jour  où  ils  verraient  les  Espagnols  mal  gardés  ou  faciles  à  prendre  au 
piège.  Obéissant  en  attendant  aux  ordres  préparatoires  de  Quahutimoe,  ils  faisaient 
grand  bruit  toutes  les  nuits  avec  leurs  atabales,  leurs  porte-voix  et  leurs  conques 
marines.  Comme  ce  tapage  était  hors  de  leurs  habitudes,  les  Espagnols  s'en  préoccu- 
pèrent et  en  recherchèrent  les  causes  ;  ils  se  méfièrent  des  Indiens  ;  je  ne  sais  si 
c'était  déjà  parce  qu'ils  possédaient  quelque  indice  ou  même  la  certitude  sur  leurs 
projets.  Le  fait  est  qu'ils  ne  s'éloignaient  plus  qu'armés,  et  môme  dans  les  processions 
qu'ils  faisaient  pour  la  réussite  de  Certes,  ils  menaient  à  côté  d'eux  leurs  chevaux 
sellés  et  bridés.  Mexicalcmco,  qui  porta  plus  tard  le  nom  de  Chrislobal,  découvrit  à 
(ni  ii  s  la  conjuration  et  le  plan  de  Quahutimoe,  lui  montrant  un  papier  où  figuraient 
les  noms  des  grands  seigneurs  qui  tramaient  ce  projet  de  massacre.  Cortès  loua  beau- 
coup la  conduite  de  Mexicalcinco,  lui  promit  ses  plus  grandes  faveurs,  et  lit  arrêter 
dix  personnages,  dont  les  noms  se  lisaient  dans  la  liste,  sans  qu'aucun  d'eux  put  savoir 
ce  qui  arrivait  aux  autres.  Il  leur  demanda  combien  ils  étaient  de  conspirateurs,  fai- 
sant croire  successivement  à  celui  qu'il  interrogeait  qu'il  le  savait  déjà  par  d'autres. 
A  son  dire,  c'était  si  certain  qu'aucun  d'eux  ne  le  pouvait  nier.  C'est  ainsi  que  tous 
arrivèrent  à  avouer  que  Quahutimoc,  Covanccochein  et  Tetepanquezatl  avaient  été  les 
promoteurs  du  projet.  »  (Comara,  Croniea  de  la  Nueva  Espana,  cap.  clxx.) 


686  CONQUÊTE 

que  le  bourg  où  vivaient  les  gens  à  cheval  s'appelait  Nito.  Us 
s'offrirent  à  nous  servir  de  guides  jusqu'à  un  autre  village,  en 
nous  disant  que  nous  aurions  à  camper  une  nuit  à  la  belle  étoile 
avant  d'y  arriver.  Gortès  leur  donna  l'ordre  de  faire  une  croix  sur  un 
arbre  très-grand  appelé  ceiba,  qui  se  trouvait  auprès  des  maisons  de 
leurs  idoles. 

Je  veux  dire  aussi  que  notre  général  était  mal  portant,  et,  de  plus, 
pensif  et  soucieux  à  propos  du  pénible  voyage  que  nous  faisions. 
Gomme  d'ailleurs  il  avait  fait  pendre  injustement  Ghiatemuz  et  son 
cousin  le  seigneur  de  Tacuba,  que  la  faim  était  une  calamité  quoti- 
dienne, que  des  Espagnols  tombaient  malades  et  qu'un  grand  nom- 
bre de  Mexicains  mouraient,  il  en  arriva,  paraît-il,  à  passer  des  nuits 
sans  dormir,  obsédé  qu'il  était  par  ses  pensées.  Il  se  leva  dans  un  de 
ces  moments  et  alla  se  promener  en  un  édifice  occupé  par  des  idoles. 
C'était  l'établissement  principal  de  ce  petit  village.  Il  manqua  d'at- 
tention en  marchant,  tomba  d'une  hauteur  de  deux  estados  et  se 
blessa  sérieusement  à  la  tête.  Il  ne  dit  pas  un  mot  de  cela  et  se  con- 
tenta de  faire  panser  ses  blessures,  laissant  passer  son  mal  et  le 
souffrant  en  patience.  Le  lendemain,  de  bonne  heure,  nous  poursui- 
vîmes notre  route  avec  nos  guides  et,  sans  qu'il  nous  arrivât  rien  qui 
mérite  d'être  conté,  nous  fûmes  passer  la  nuit  sur  le  bord  d'un  es- 
tuaire aux  pieds  de  montagnes  très-élevées. 

Le  jour  suivant,  nous  marchâmes  encore  et  nous  arrivâmes,  vers 
l'heure  de  la  grand'messe,  à  un  village  nouvellement  construit  dont 
les  habitants  avaient  fui  ce  jour-là  même  et  s'étaient  réfugiés  sur  des 
marécages.  Les  maisons  étaient  neuves  et  paraissaient  achevées  de- 
puis peu  de  jours.  On  voyait  dans  le  village  des  retranchements  faits 
de  forts  madriers  entourés  d'une  enceinte  de  gros  troncs  d'arbres  so- 
lidement liés.  Au-devant  du  village  étaient  creusés  des  fossés  pro- 
fonds, en  arrière  desquels  s'élevaient  deux  enceintes,  dont  l'une 
présentait  des  parapets  avec  tours  et  meurtrières.  D'un  autre  côté  l'en- 
ceinte se  continuait  par  des  rochers  très-élevés  dont  le  sommet  était 
approvisionné  de  pierres  propres  à  être  lancées  à  la  main.  Sur  une 
autre  face  enfin,  la  défense  de  la  place  se  complétait  au  moyen  d'un 
grand  marais  qui  en  faisait  la  force.  En  entrant  dans  les  maisons, 
nous  aperçûmes  un  grand  nombre  de  coqs  d'Inde  et  de  poules  cuits 
et  assaisonnés  au  piment,  ainsi  que  les  Indiens  ont  l'habitude  de  les 
manger.  Nous  y  trouvâmes  aussi  cette  forme  de  pain  de  maïs  qu'ils 
appellent  tamales.  Nous  ne  pûmes,  d'une  part,  nous  empêcher  d'être 
surpris  d'une  pareille  chose  et,  d'un  autre  côté,  nous  nous  réjouîmes 
de  trouver  tant  à  manger,  non  sans  y  voir  un  sujet  de  réflexion,  le 
cas  nous  paraissant  nouveau  Nous  trouvâmes  aussi  une  grande  ha- 
bitation remplie  de  petites  lances,  d'arcs  et  de  ilèchcs.  Nous  cher- 
châmes dans  les  environs  pour  savoir  s'il  y  avait  des  champs  cultivés 


DE  LA   NOUVELLE-ESPAGNE.  687 

et  des  habitants  ;  mais  nous  ne  découvrîmes  rien  de  pareil,  pas 
môme  un  grain  de  maïs. 

Nous  en  étions  là,  lorsque  nous  vîmes  venir  à  nous  une  quinzaine 
d'Indiens  qui  sortaient  des  marais.  C'étaient  des  personnages  de  ce 
village.  Ils  appuyèrent  les  mains  sur  le  sol  et  baisèrent  la  terre; 
après  quoi,  ils  dirent  à  Cortès,  presque  en  pleurant,  qu'ils  sup- 
pliaient en  grâce  qu'on  ne  brûlât  ni  maison  ni  quoi  que  ce  fût  dans 
le  village;  qu'ils  étaient  venus  récemment  s'établir  en  ce  lieu  et  s'y 
fortifier  parce  que  leurs  ennemis  (il  me  semble  qu'ils  les  appelaient 
Lacandones)  leur  avaient  détruit  déjà  deux  villages  qu'ils  habitaient 
plus  loin,  les  pillant  et  leur  tuant  beaucoup  de  monde;  que  nous  ne 
tarderions  pas  à  voir  les  ruines  de  leurs  anciennes  habitations  incen- 
diées, sur  la  route  que  nous  devions  suivre,  au  milieu  d'une  plaine. 
Ils  donnèrent  ensuite  des  détails  sur  la  manière  employée  par  leurs 
ennemis  pour  leur  faire  la  guerre  et  sur  les  causes  qui  avaient  pro- 
duit leurs  grandes  inimitiés.  Gortès  leur  demanda  comment  il  se 
faisait  qu'ils  eussent  tant  de  coqs  et  de  poules  cuits.  Ils  répondirent 
qu'ils  attendaient  d'un  moment  à  l'autre  l'arrivée  de  leurs  ennemis 
qui  devaient  venir  les  attaquer.  Gomme,  dans  le  cas  où  ceux-ci  se- 
raient victorieux,  ils  prendraient  nécessairement  leurs  biens,  leurs 
poules  et  leurs  propres  personnes  pour  les  emmener  en  captivité, 
voulant  éviter  que  ces  pillards  en  eussent  ainsi  la  jouissance,  ils 
avaient  convenu  de  tout  manger  à  l'avance,  se  promettant  de  se  rat- 
traper en  allant  aux  villages  de  l'ennemi  et  en  pillant  tous  ses  biens 
s'ils  avaient  la  chance  de  le  vaincre.  Gortès  repartit  qu'il  regrettait 
beaucoup  leur  état  de  guerre,  mais  qu'étant  en  roule  il  n'y  pouvait 
porter  aucun  remède.  Ge  village  et  les  autres  que  nous  traversâmes 
le  lendemain  forment  un  district  appartenant  aux  Mazotèques,  ce 
qui  signifie  en  leur  langue  :  «  pays  de  chevreuils  ».  Certainement  il 
se  trouve  ainsi  très-bien  nommé,  comme  on  le  verra  bientôt.  Deux 
de  ces  Indiens  vinrent  avec  nous  ;  ils  nous  montrèrent  leurs  habita- 
tions brûlées  et  ils  expliquèrent  à  Gortès  comment  des  Espagnols  vi- 
vaient dans  un  pays  qui  était  au-devant  de  nous. 

Je  m'arrêterai  là  et  je  dirai  comme  quoi  nous  sortîmes  du  village 
le  lendemain  et  ce  qui  nous  advint  encore  en  route. 


CHAPITRE  CLXXVIII 


Comme  quoi  nous  continuâmes  notre  voyage,  et  ce  qui  dous  advint 

Après  être  sortis  du  village  muré  (c'est  ainsi  que  nous  l'appelions 
désormais),  nous  arrivâmes  à  un  chemin  qui  se  continuait  en  plaine, 


688  CONQUÊTE 

sur  des  pâturages  sans  arbres,  sous  un  soleil  si  fort  et  si  ardent  que 
jamais  nous  n'avions  encore  éprouvé  de  pareilles  chaleurs.  Sur  ces 
rases  campagnes,  il  y  avait  tant  de  chevreuils  et  ils  fuyaient  si  len- 
tement que  nous  réussissions  à  les  atteindre  à  cheval  pour  peu  que 
nous  voulussions  les  poursuivre.  On  en  tua  une  vingtaine;  nous  de- 
mandâmes aux  guides  pourquoi  ces  animaux  couraient  si  peu  et  ne 
s'épouvantaient  nullement  à  la  vue  de  nos  chevaux  ou  de  n'importe 
quelle  autre  chose.  Ils  répondirent  que  dans  les  villages  des  Mazotè- 
qucs  on  les  tenait  pour  divinités,  parce  qu'on  leur  en  trouvait  la 
figure,  et  que  d'ailleurs  les  idoles  avaient  ordonné  d'épargner  leurs 
vies  et  de  ne  point  les  effrayer.  Cet  ordre  ayant  été  respecté,  les  che- 
vreuils avaient  pris  l'habitude  de  ne  pas  fuir.  Un  cheval  appartenant 
à  un  parent  de  Gortès,  appelé  Palacios  Rubios,  mourut  de  s'être 
livré  à  cette  chasse,  sa  graisse  ayant  fondu  dans  son  corps  sous  l'in- 
fluence de  la  grande  chaleur  et  d'une  course  précipitée.  Bientôt  nous 
arrivâmes  aux  maisons  incendiées.  C'était  pitoyable  de  voir  ainsi 
tout  détruit  et  brûlé. 

En  route,  comme  Gortès  avait  l'habitude  de  se  faire  précéder  par 
des  éclaireurs  à  cheval  et  par  d'agiles  piétons,  ceux-ci  rencontrèrent 
deux  Indiens  natifs  d'un  autre  village  situé  plus  loin  et  par  lequel 
nous  devions  passer.  Ils  revenaient  de  la  chasse,  portant  un  grand 
lion1  et  beaucoup  d'iguanes2,  sorte  de  reptiles  de  petite  taille,  qui 
sont  très-bons  à  manger.  On  demanda  si  leurs  villages  étaient  près 
de  là;  ils  répondirent  affirmativement  et  promirent  de  servir  de  gui- 
des. Ces  villages  étaient  situés  sur  un  îlot  près  d'un  lac  d'eau  douce, 
dans  la  direction  de  notre  route.  Nous  ne  pouvions  y  arriver  par  là 
qu'à  la  condition  d'une  petite  traversée  en  canots.  Nous  fîmes  donc 
un  détour  de  plus  d'une  demi-lieue  et  nous  découvrîmes  un  gué  où 
l'eau  nous  montait  à  la  ceinture.  Nous  trouvâmes  dans  ce  village  Ja 
moitié  seulement  de  ses  habitants  ;  les  autres  s'étaient  empressés  de 
prendre  la  fuite  et  de  se  cacher,  avec  ce  qu'ils  possédaient,  dans  des 
massifs  de  roseaux,  non  loin  de  leurs  plantations.  Beaucoup  de  nos 
soldats  passèrent  la  nuit  au  milieu  des  plants  de  maïs.  Ils  y  trouvè- 
rent de  quoi  souper  largement  et  s'approvisionner  pour  les  jours 
suivants.  Un  grand  lac  d'eau  douce  s'étendait  auprès  des  habitations; 
il  était  plein  de  grands  poissons  de  la  forme  de  nos  aloses,  mais  de 
bien  peu  de  goût  et  remplis  d'arêtes.  Nous  en  primes  beaucoup  avec 
de  vieilles  toiles  et  des  filets  en  mauvais  état  que  nous  trouvâmes 
dans  le  village.  Il  y  en  avait  certainement  plus  de  mille. 

1.  C'est  sans  cloute  do  l'ocelot  que  l'auteur  veut  parler  ici,  de  même  que  dans  les 
autres  passages  où  il  a  employé  le  mot  de  «  lion  >>. 

2.  L'auteur  écrit  :  muchas  iguanas,  (jue  son  de  hechura  de  sierpes  chiens.  Cette 
définition  de  l'iguane  est  inexacte,  puisque  C'est  un  énorme  lézard  dont  la  tadle  est 
réellement  surprenante  pour  un  Européen. 


DE  LA  NOUVELLE-ESPAGNE.  689 

Nous  nous  munîmes  là  de  guides  que  nous  surprîmes  au  milieu  de 
champs  labourés.  Lorsque  Gortès  leur  eut  parlé,  au  moyen  de  dona 
Marina,  les  priant  de  nous  conduire  aux  villages  où  se  trouvaient  les 
hommes  barbus  et  les  chevaux,  ils  se  réjouirent  en  voyant  qu'on  ne 
leur  faisait  aucun  mal.  Ils  répondirent  qu'ils  nous  enseigneraient 
bien  volontiers  le  chemin,  mais  qu'ils  avaient  cru  jusque-là  que  nous 
cherchions  à  les  faire  périr.  Cinq  d'entre  eux  nous  accompagnèrent 
par  une  route  d'abord  très-large,  mais  qui  en  avançant  davantage 
devenait  peu  à  peu  plus  étroite,  à  cause  d'une  grande  rivière  débou- 
chant dans  un  estuaire  qui  se  trouvait  à  peu  de  distance.  C'est  sur 
ses  eaux  que  les  Indiens  s'embarquaient  en  canots  pour  aller  au  vil- 
lage vers  lequel  nous  marchions,  qui  s'appelle  Tayasal  et  se  trouve 
situé  dans  un  îlot.  On  n'y  peut  arriver  que  par  eau  et  nullement  par 
terre.  Ses  maisons  et  ses  temples  brillaient  par  leur  blancheur  à  plus 
de  deux  lieues  de  distance.  C'était  le  chef-lieu  d'autres  villages  plus 
petits  et  peu  éloignés. 

Revenons  à  notre  récit.  Comme  nous  vîmes  que  le  chemin  large 
que  nous  suivions  auparavant  était  devenu  un  sentier  très-étroit,  nous 
comprîmes  que  les  habitants  du  pays  communiquaient  entre  eux  par 
l'estuaire,  et  ils  nous  dirent  qu'il  en  était  ainsi,  en  effet.  Nous  con- 
vînmes de  passer  la  nuit  au  pied  d'un  groupe  de  montagnes  élevées. 
Quatre  escouades  de  nos  soldats  s'avancèrent  par  les  sentiers  qui 
conduisaient  à  l'estuaire,  dans  le  but  d'y  prendre  des  guides.  Dieu 
permit  qu'on  capturât  deux  embarcations  et  dix  Indiens  avec  deux 
femmes.  Ces  embarcations  étaient  chargées  de  maïs  et  de  sel.  Les 
prisonniers  furent  amenés  à  Cortès  qui  les  flatta  et  leur  parla  très- 
affectueusement  au  moyen  de  l'interprète  dona  Marina.  Ils  dirent  être 
natifs  du  village  situé  dans  l'îlot,  lequel  se  trouvait  à  environ  quatre 
lieues  de  là.  Cortès  voulut  que  la  plus  grande  des  embarcations  nous 
restât  avec  quatre  Indiens  et  les  deux  femmes.  L'autre  canot  fut  en- 
voyé au  village  avec  six  Indiens  et  deux  Espagnols,  afin  de  prier  le 
cacique  d'expédier  des  embarcations  pour  nous  aider  à  passer  la  ri- 
vière, l'assurant  qu'on  ne  lui  causerait  aucun  ennui.  On  lui  adressait 
en  même  temps,  quelques  verroteries  de  Gastille. 

Gela  fait,  nous  continuâmes  notre  route  par  terre  jusqu'à  la  rivière. 
L'une  des  embarcations  se  mit  en  mouvement  par  l'estuaire  pour 
atteindre  le  même  point.  Le  cacique  et  d'autres  personnages  atten- 
daient au  passage  avec  cinq  pirogues1.  Ils  apportaient  cinq  poules 
et  du  maïs.  Gortès  leur  témoigna  une  grande  bienveillance  et,  après 
beaucoup  d'explications,  il  se  décida  à  aller  avec  eux  au  village  dans 

1.  Cette  partie  de  l'itinéraire  est  fort  obscure.  Il  ne  m'a  pas  été  possible  de  rendre 
Ife  passage  plus  clair  au  moyen  de  ma  traduction.  Je  me  suis  limité  à  le  traduire  lit- 
téralement et  avec  la  plus  grande  fidélité. 

44 


690  CONQUÊTE 

ces  mêmes  embarcations.  Il  emmenait  avec  lui  trente  arbalétriers. 
Quand  il  fut  arrivé  aux  maisons,  on  lui  donna  à  manger  et  il  lui  fut 
offert  un  peu  d'or  mélangé  ainsi  que  quelques  étoffes.  On  dit  à  Cor- 
tès  qu'il  y  avait  des  Espagnols  comme  nous  dans  des  villages  dont 
l'un  s'appelait  Nito.  C'était  le  San  Gril  de  Buena  Yista  du  Golfo 
Duke.  On  ajouta  que  beaucoup  d'autres  se  trouvaient  à  Naco,  et 
qu'il  y  a  d'un  village  à  l'autre  environ  dix  journées  de  marche,  Nito 
étant  sur  la  côte  nord  et  Naco  loin  dans  les  terres.  Gortès  nous  dit 
alors  que  sans  doute  Christoval  de  Oli  avait  réparti  son  monde  entre 
deux  bourgs,  car  nous  ne  savions  rien  encore  des  hommes  de  Gil 
Gonzalez  de  Avila  par  qui  fut  fondée  San  Gril  de  Buena  Vista. 

Revenons  à  notre  voyage.  Nous  traversâmes  tous  cette  grande  ri- 
vière en  canots  et  nous  passâmes  la  nuit   à  deux  lieues   de  là,  ne 
voulant  pas  aller  plus  loin  avant  que  Gortès  revînt  du  village.  Il  arriva 
bientôt.  Il  nous  fit  abandonner  le  cheval  noir  qui  était  resté  malade 
par  suite  de  lâchasse  au  chevreuil;  sa  graisse  s'était"  fondue  dans 
son  corps  et  il  ne  pouvait  plus  tenir  debout.  Nous  perdîmes  dans  ce 
village  un  nègre  et  deux  Indiennes  ouvrières,  qui  désertèrent.   La 
même  chose  nous  arriva  avec  trois  Espagnols   dont  l'absence  ne  fut 
remarquée  que  trois  jours  plus  tard.  Ils  avaient  mieux  aimé   rester 
avec  les  ennemis  que   de  continuer  à  nous  suivre  au  prix  de  tant  de 
fatigues.  Ge  jour-là  je  fus  très-malade  de  la  fièvre,  à  la  suite  d'une 
forte  insolation  qui   avait  agi   sur  ma  tête,  car  j'ai  dit  que   le  soleil 
était  extrêmement  brûlant.  On  put  le  reconnaître  du  reste  bientôt, 
aux  fortes  pluies  qui  commencèrent  à  tomber  et  qui  ne  cessèrent  pas 
un  seul  instant  pendant  trois  jours  et  trois  nuits.  Nous  ne  nous  ar- 
rêtâmes pas  en  route,  néanmoins;  car,  eussions-nous  voulu  attendre 
le  beau    temps,   nous  n'avions  point  de  provisions  de   maïs,    et  la 
crainte  de  le  voir  manquer  nous  eût  obligés  à  continuer  notre  mar- 
che. Deux  jours  plus  tard  nous  arrivâmes  à  des  monticules  recouverts 
de  pierres  qui  coupent  comme  des  rasoirs.  Nos  soldats  furent  à  la 
recherche  d'autres  chemins  pour  que  nous  pussions  abandonner  cette 
sierra  des  Pedernales1]  mais,  à  plus  d'une  lieue  de  distance  de  part 
et  d'autre,  ils  ne  trouvèrent  aucune  autre  foute  que   celle  où  nous 
passions.  Nos  chevaux  y  éprouvèrent  de  grandes  souffrances,  car,  la 
pluie  aidant,  ils  glissaient,  tombaient,  se  blessaient  aux  quatre  jam- 
bes et  quelquefois  au  corps  lui-même.  Quand  nous  arrivâmes  à  la 
descente,  c'était    pire  encore,    et,    plus  nous   descendions,  plus   la 
difficulté  était  grande.  Huit  chevaux  y  moururent  et  la  plupart  des 
autres  n'en  sortirent  que   très-affaiblis.   Un  soldat    nommé   Palacios 
Rubios,  parent  de  Gortès,  s'y  cassa  la  jambe.  Nous  rendîmes  grâces 
à  Dieu  et  chantâmes  ses  louanges,  quand  nous  nous  vîmes  délivrés 

1.  Ce  mot  s'emploie  pour  désigner  l'obsidienne. 


DE  LA.   NOUVELLE-ESPAGNE.  691 

de  la  sierra  des  Pedernales  —  c'est  ainsi  que  nous  l'appelions  dé- 
sormais. 

Nous  approchions  d'un  village  appelé  Taica,  marchant  joyeuse- 
ment dans  l'espoir  d'y  trouver  des  vivres.  Mais,  avant  d'y  arriver, 
nous  rencontrâmes  un  cours  d'eau  qui  descendait  de  la  montagne  à 
travers  de  gros  obstacles  et  des  précipices.  Gomme  il  avait  plu  pen- 
dant trois  jours  et  trois  nuits,  le  torrent  coulait  avec  furie,  faisant 
tant  de  fracas  sur  d'énormes  blocs  de  rochers,  que  le  bruit  s'en  en- 
tendait à  plus  de  deux  lieues  de  distance.  L'eau  était  au  surplus 
très-profonde,  et  il  était  inutile  de  songer  à  la  passer  à  gué.  Nous 
résolûmes  donc  de  jeter  un  pont  d'un  rocher  à  l'autre.  Nous  nous 
hâtâmes  tellement  à  le  faire,  au  moyen  de  gros  troncs  d'arbres,  qu'en 
trois  jours  nous  pûmes  commencer  notre  passage.  Mais  ce  délai  suffit 
aux  Indiens  du  village  pour  cacher  leur  maïs,  ainsi  que  toutes  au- 
tres provisions,  et  se  mettre  eux-mêmes  en  sûreté,  de  telle  sorte  que 
nous  ne  pouvions  nulle  part  les  rencontrer  dans  les  alentours.  En 
attendant,  la  faim  qui  nous  tourmentait  nous  plongeait  dans  la  stu- 
peur en  nous  concentrant  dans  la  pensée  de  nos  fatigues  et  de  nos 
besoins.  Quant  à  moi,  j'avoue  que  je  ne  sentis  jamais  mon  cœur  aussi 
brisé  qu'en  ce  moment  à  la  vue  de  ce  dénûment  qui  me  privait  moi- 
môme  du  nécessaire  et  me  mettait  dans  l'impossibilité  de  rien  donner 
à  mes  gens,  quoique  nous  cherchassions  nos  moyens  d'existence  à 
plus  de  deux  lieues  à  la  ronde.  Ajoutez  à  tout  cela  que  j'avais  la 
fièvre.  Nous  étions  à  la  veille  de  Pâques  de  la  Résurrection  de  Notre 
Seigneur  Jésus-Christ.  Que  le  lecteur  veuille  bien  considérer  quelles 
Pâques  nous  allions  passer  sans  rien  avoir  à  manger  ;  quelle  joie,  si 
nous  eussions  pu  nous  procurer  seulement  un  peu  de  maïs  ! 

Dans  cette  situation,  Cortès  envoya  les  gens  de  son  service,  ses  gar- 
çons d'écurie,  accompagnés  des  guides,  chercher  du  maïs  à  travers 
bois  et  précipices.  Le  premier  jour  de  Pâques,  ils  en  apportèrent  en- 
viron une  fanega1.  En  présence  du  besoin  toujours  plus  pressant, 
Gortès  fit  appeler  quelques  soldats,  la  plupart  habitants  de  Guaza- 
cualco  ;  j'étais  de  ce  nombre.  Il  nous  pria  instamment  de  fouiller  tout 
le  pays  à  la  recherche  de  vivres,  en  nous  pénétrant  bien  de  l'état  où 
nous  étions.  Pedro  de  Ircio  était  présent  lorsque  nous  reçûmes  cet  or- 
dre. Gomme  il  avait  l'habitude  de  parier  beaucoup,  il  demanda  à  no- 
tre capitaine  de  le  désigner  pour  commander  cette  expédition.  Gortès 
répondit  que  c'était  bien,  qu'il  le  ferait.  Mais,  en  entendant  ces  paro- 
les, sachant  bien  que  Pedro  de  Ircio  ne  pouvait  guère  marcher  à  pied  et 
qu'il  serait  pour  nous  un  embarras  au  lieu  d'un  secours,  je  dis  en  secret 
à  Gortès  et  au  capitaine  Sandoval  que  Pedro  de  Ircio  ne  devrait  pas  être 
désigné  pour  cela,  attendu  qu'il  ne  pourrait  nullement  traverser  avec 

1.  Ce  mol  désigne  une  mesure  contenant  douze  celemines  (picotins). 


692  CONQUETE 

nous  les  boues  et  les  marécages.  Il  avait,  en  effet,  les  jambes  courtes, 
et  il  n'était  nullement  propre  à  remplir  cette  mission.  Il  ne  servait, 
en  réalité,  qu'à  parler  beaucoup,  en  même  temps  qu'il  était  incapable 
de  toute  expédition.  J'ajoutai  que,  s'il  venait  avec  nous,  il  ne  ferait 
que  s'arrêter  et  s'asseoir  en  route  à  tout  instant.  En  conséquence,  Cor- 
tès lai  ordonna  de  rester. 

Nous  partîmes  au  nombre  de  cinq,  avec  deux  guides,  vers  un  en- 
droit traversé  par  des  rivières  profondes.  Après  les  avoir  passées,  nous 
arrivâmes  sur  des  marais  et,  bientôt,  à  des  fermes  isolées  où  se  trou- 
vaient réunis  la  plupart  des  habitants  du  village.  Nous  découvrîmes 
quatre  maisons  remplies  de  maïs  et  de  haricots,  environ  trente  pou- 
les et  des  melons  du  pays  que  l'on  appelle  ayotes.  Nous  nous  empa- 
râmes de  quatre  Indiens  et  de  trois  femmes  ;  de  sorte  que  nos  Pâques 
devinrent  meilleures,  d'autant  plus  que,  cette  nuit  même,  arrivèrent 
environ  mille  Mexicains  auxquels  Cortès  avait  donné  l'ordre  de  nous 
suivre  pour  qu'ils  eussent  à  manger.  Remplis  de  joie,  nous  mî- 
mes sur  les  épaules  des  Mexicains  toute  la  quantité  de  maïs  qu'ils 
purent  porter  et  nous  les  envoyâmes  à  notre  chef  pour  qu'il  fît  le 
partage  de  ces  vivres.  Nous  lui  adressâmes  en  même  temps,  pour  lui- 
même  et  pour  Sandoval,  vingt  poules  ainsi  que  les  Indiens  et  les  In- 
diennes, et  quant  à  nous,  nous  restâmes  en  place  pour  garder  les  deux 
maisons  remplies  de  maïs,  de  crainte  que  les  habitants  du  village  ne 
le  brûlassent  ou  ne  le  fissent  disparaître  pendant  la  nuit.  Le  len- 
demain nous  allâmes  plus  avant  avec  nos  guides  et  nous  découvrîmes 
d'autres  établissements.  Il  y  avait  là  du  maïs,  des  poules  et  une  grande 
variété  de  légumes.  Je  fis  un  peu  d'encre  et  j'écrivis  à  Cortès,  sur  une 
peau  de  tambour,  d'envoyer  beaucoup  d'Indiens,  parce  que  j'avais  dé- 
couvert d'autres  fermes  pleines  de  maïs.  Gomme  d'ailleurs  je  lui  avais 
déjà  adressé  les  Indiens,  les  Indiennes  et  le  reste,  tout  le  monde  le 
sut  dans  le  campement,  de  sorte  que  le  lendemain  nous  vîmes  venir 
trente  soldats  et  plus  de  cinq  cents  Indiens  qui  repartirent  tous 
avec  leurs  charges.  Ce  fut  de  cette  manière  que,  grâce  à  Dieu,  notre 
camp  fut  approvisionné.  Nous  restâmes  cinq  jours  dans  ce  village  de 
Taica. 

Je  voudrais  dire  maintenant,  à  propos  du  dernier  pont  et  de  tous 
les  autres  que  nous  avions  faits  en  route,  que  lorsque  ces  provinces 
furent  définitivement  pacifiées  et  que  les  Espagnols,  passant  par  ces 
chemins,  rencontraient  quelques-uns  des  ponts  qui  n'étaient  pas  en- 
core ruinés  après  un  grand  nombre  d'années,  ainsi  que  les  gros  ar- 
bres dont  nous  nous  étions  servis  pour  les  construire,  ils  tombaient 
en  admiration  devant  ce  spectacle,  de  telle  façon  qu'ils  gardent  en- 
core l'habitude  de  dire  :  «  Ce  sont  les  ponts  de  Cortès,  »  comme  on 
dirait  :  «  Voilà  les  colonnes  d'Hercule!  »  Laissons  ces  souvenirs,  puis  - 
qu'ils  intéressent  peu  notre  récit,  et  disons  comme  quoi  nous  conti- 


DE  LA   NOUVELLE-ESPAGNE.  693 

nuâmes  notre  route  vers  un  autre  village  appelé  Tania  ;  nous  mimes 
deux  jours  pour  y  arriver.  Nous  le  trouvâmes  abandonné.  En  y  cher- 
chant des  vivres,  nous  découvrîmes  du  maïs  et  quelques  légumes,  mais 
en  petite  quantité.  Nous  parcourûmes  les  environs  à  la  recherche  d'un 
chemin  ;  mais  nous  ne  trouvions  partout  que  des  rivières  et  des  ruis- 
seaux. Les  guides  que  nous  avions  amenés,  du  dernier  village  laissé 
derrière  nous,  échappèrent  une  nuit  à  la  surveillance  des  soldats  char- 
gés de  les  garder;  c'étaient  des  recrues  récemment  venues  deCastille, 
qui  sans  doute  s'endormirent.  Lorque  Gortès  l'apprit,  il  voulut  leur  in- 
fliger un  châtiment;  mais,  cédant  à  des  prières,  il  leur  pardonna.  Il 
s'occupa  de  faire  chercher  des  guides  et  des  routes,  mais  il  était  inu- 
tile de  s'enquérir  d'une  voie  de  terre,  attendu  que  le  village  était  par- 
tout entouré  de  rivières  et  de  petits  cours  d'eau.  Il  fut  impossible 
d'ailleurs  de  se  saisir  d'aucun  Indien.  Pour  comble  de  malheur,  il 
pleuvait  sans  cesse,  et  nous  ne  pouvions  rien  faire  sous  tant  d'a- 
verses. 

Dans  cette  situation,  l'ignorance  du  chemin  que  nous  devions  sui- 
vre mettait  Gortès  et  nous  tous  dans  la  plus  grande  angoisse.  Ce  fut 
alors  que  notre  chef,  s'adressant  à  Pedro  de  Ircio  et  à  quelques  autres 
capitaines  de  Mexico,  leur  dit  d'un  ton  irrité  :  «Je  voudrais  bien  qu'il 
y  eût  quelqu'un  parmi  vous  qui  nous  trouvât  maintenant  un  chemin 
et  des  guides,  au  lieu  de  laisser  tout  faire  par  les  habitants  de  Gruaza- 
cualco.  »  A  ces  mots,  Pedro  de  Ircio  se  munit  de  cinq  soldats  de  sa 
connaissance  et  de  ses  amis,  et  s'en  fut  d'un  côté.  Un  certain  Fran- 
cisco Marmolejo,  personne  de  qualité,  prit  une  autre  direction  avec 
six  hommes.  Santa  Gruz,  de  Burgos,  qui  fut  regidor  à  Mexico,  partit 
également  de  son  côté  avec  d'autres  camarades.  Ils  passèrent  trois 
jours  en  recherches  ;  mais  ils  eurent  beau  faire,  ils  ne  purent  trouver 
ni  chemins  ni  guide,  mais  partout  de  l'eau,  des  ruisseaux  et  des  ri- 
vières. Lorsque  Gortès  les  vit  revenir  sans  aucun  résultat,  il  faillit 
éclater  de  colère  et  il  chargea  Sandoval  de  me  faire  connaître  les  gran- 
des difficultés  où  nous  étions,  et  de  me  prier,  en  son  nom,  d'aller 
chercher  des  guides  et  m'informer  de  notre  route.  Il  ne  prit  cette  me- 
sure, du  reste,  qu'en  lui  donnant  des  formes  affectueuses,  en  manière 
de  prière,  attendu  qu'il  savait  que  j'étais  malade  et  que  j'avais  encore 
les  fièvres,  à  ce  point  même  que  Gortès  m'ayant  fait  des  insinuations, 
avant  d'employer  Sandoval,  pour  que  je  partisse  avec  Francisco  Mar- 
molejo qui  était  mon  ami,  j'avais  été  obligé  de  répondre  qu'il  m'était 
impossible  de  marcher,  parce  que  j'étais  malade  et  fatigué;  que  du 
reste  c'était  toujours  mon  tour  de  travailler  et  qu'il  serait  juste  d'en 
envoyer  d'autres. 

Maintenant  donc  ce  fut  Sandoval  qui  vint  à  moi  pour  me  supplier 
de  partir  avec  deux  camarades  de  mon  choix,  Gortès  assurant  qu'après 
Dieu  c'était  de  moi  qu'il  attendait  le  secours  de  nouvelles  provisions, 


694  CONQUÊTE 

Puisque  donc  il  n'avait  ni  regret  ni  honte  de  m'envoyer  tandis  que 
j'étais  souffrant,  je  demandai  qu'on  fît  partir  avec  moi  Hernando  de 
Aguilar  et  un  certain  Hinojosa,  deux  hommes  que  je  savais  capables 
de  supporter  la  fatigue.  Nous  partîmes  en  suivant  le  cours  de  cer- 
tains ruisseaux.  On  voyait  en  dehors  de  leurs  lits,  dans  la  forêt,  des 
traces  perceptibles  aux  branches  coupées.  Nous  suivîmes  ces  indices 
pendant  plus  d'une  lieue.  Nous  nous  éloignâmes  bientôt  du  ruisseau, 
et  nous  découvrîmes  deux  petites  habitations  qui  avaient  été  aban- 
données ce  jour-là  même.  Après  les  avoir  dépassées,  nous  continuâ- 
mes à  suivre  les  traces  de  la  forêt,  et  nous  ne  tardâmes  pas  à  voir, 
sur  le  penchant  d'un  coteau,  des  plants  de  maïs  et  une  maison  qui 
nous  parut  habitée.  Comme  c'était  l'heure  du  coucher  du  soleil,  nous 
nous  cachâmes  dans  le  bois,  jusqu'à  une  heure  plus  avancée  de  la 
nuit.  Pensant  alors  que  les  habitants  de  ces  demeures  seraient  livrés 
au  sommeil,  nous  avançâmes  en  silence,  nous  tombâmes  précipitam- 
ment sur  les  habitations,  et  prîmes  trois  Indiens,  une  vieille  femme 
et  deux  jeunes  qui,  dans  cette  race,  pouvaient  passer  pour  belles.  Ils 
possédaient  deux  poules  et  un  peu  de  maïs.  Nous  nous  emparâmes  du 
tout  et  des  Indiens  eux-mêmes,  et  nous  revînmes  très-contents  au 
campement. 

Lorsque  Sandoval,  qui  s'était  avancé  des  premiers  pour  nous  at- 
tendre le  soir  sur  la  route,  apprit  la  nouvelle,  il  ne  se  tenait  pas  de 
joie.  Nous  nous  présentâmes  à  Gortès  qui  estima  notre  prise  au  delà 
de  tout  ce  qu'on  eût  pu  lui  donner  en  ce  moment.  Sandoval  dit  alors 
à  Pedro  de  Ircio  :  «  Bernai  Diaz  del  Gastillo  eut  bien  raison  de  dire 
l'autre  jour,  lorsqu'il  fut  chercher  du  maïs,  qu'il  ne  voulait  y  aller 
qu'avec  des  hommes  agiles,  et  non  avec  des  gens  qui  s'en  vont  tout 
le  temps  lentement,  en  racontant  ce  qui  advint  au  comte  de  Urena  et 
à  don  Pedro  Giron,  son  fils  (c'est  que  Pedro  de  Ircio  répétait  souvent 
ces  contes-là)  ;  mais  vous  n'avez  pas  raison,  vous,  de  dire  que  Bernai 
Diaz  ne  faisait  que  s'obstiner  à  vous  mettre  mal  avec  moi  et  avec  notre 
général.  »  Tout  le  monde  rit  de  cette  observation,  et  Sandoval  la  fit 
parce  que  Pedro  de  Ircio  était  en  mauvais  termes  avec  moi.  Quant  à 
Gortès,  il  me  rendit  grâce  pour  ma  petite  campagne  en  disant  :  «J'ai 
toujours  eu  la  confiance  qu'il  reviendrait  avec  du  butin.  » 

Cessons  ces  vanteries,  qui  n'apportent  aucun  profit,  d'autant  plus 
que  d'autres  prirent  soin  de  raconter  ces  faits  à  Mexico  quand  ils 
firent  le  rapport  sur  ce  pénible  voyage.  Revenons- en  à  dire  que  Cortès 
prit  ses  informations  auprès  des  guides  et  des  deux  femmes.  Ils 
étaient  d'accord  pour  assurer  qu'en  suivant  le  cours  d'une  certaine 
rivière,  nous  devions  arriver  à  un  village  situé  à  deux  journées  de  là; 
on  l'appelait  Oculizti.  Il  possédait  plus  de  deux  cents  maisons,  et 
était  abandonné  depuis  peu  de  jours.  Nous  descendîmes  donc  la  ri- 
vière, et  nous  gagnâmes  quelques  grands  établissements  appartenant 


DE  LA   NOUVELLE-ESPAGNE.  695 

à  des  Indiens  marchands  qui  s'en   servaient  comme  d'une  station  ; 
nous  y  passâmes  la  nuit.  Le  lendemain  nous  reprîmes  notre  descente 
par  la  rivière,  et  au  bout  d'une  demi-lieue  nous  trouvâmes  un  bon 
chemin  qui  nous  fit  arriver  ce  même,  jour-là  au  village  d'Oculizti.  I] 
y  avait  beaucoup  de  maïs  et  de  légumes.  Dans  un  temple  d'idoles, 
nous  trouvâmes  une  vieille  toque  rouge  et  une  sandale  qu'on  avait 
offertes  à  ces  divinités.  Quelques  soldats  qui  s'étaient  écartés  par  les 
ravins  ramenèrent  à  Gortès  deux  vieillards  indiens  et  quatre  femmes 
qu'ils  avaient  pris  dans  des  champs  de  maïs  dépendant  de  ce  village. 
Gortès  leur  demanda,  au  moyen  de  doïïa  Marina,  quel  était  notre  che- 
min, et  à  quelle  distance  se  trouvaient  les  Espagnols.  On  répondit 
qu'il  faudrait  deux  jours  pour  y  arriver,  qu'il  n'y  avait  jusque-là  au- 
cune habitation*  et  que  nos  compatriotes  vivaient  sur  le  bord  de  la 
mer.  Immédiatement  Gortès  donna  l'ordre  à  Sandoval  de  partir  avec 
six  autres  soldats,  et  de  marcher  jusqu'à  la  mer,  faisant  en  sorte  de 
savoir  d'une  façon  ou  d'une  autre  si  Jes  Espagnols  qui  résidaient  là 
avec  Ghristoval  de  Oli  étaient  nombreux,  car  en  ce  moment  nous  ne 
pensions  pas  qu'il  y  eût  aucun  autre  capitaine  dans  le  pays.  Gortès 
voulait  se  renseigner  à  cet  égard  dans  le  but  de  tomber,  pendant  la 
nuit,  sur  Ghristoval  de  Oli  s'il  était  là,  de  s'emparer  de  sa  personne 
et  se  rendre  maître  de  ses  hommes. 

Gonzalo  de  Sandoval  partit  donc  avec  ses  six  soldats  et  trois  In- 
diens qu'il  emmenait  du  village  d'Oculizti  pour  servir  de  guides.  Ar- 
rivé sur  la  côte  du  nord,  il  vit  venir  par  la  mer  une  embarcation  con- 
duite à  la  rame  et  à  la  voile.  Il  se  cacha  pendant  le  jour  dans  un  bois, 
parce  qu'il  voyait  que  ce  bateau,  monté  par  des  Indiens  marchands, 
voguait  en  longeant  la  côte,  et  allait  entrer  dans  le  fleuve  de  Golfo 
Duke  avec  son  chargement  de  sel  et  de  maïs.  La  nuit  venue,  il  les 
surprit  dans  une  anse  qui  servait  de  port  à  ces  sortes  d'embarcations. 
Sandoval  monta  à  bord  avec  deux  de  ses  hommes,  et,  à  l'aide  des 
Indiens  rameurs,  il  se  mit  à  côtoyer  le  rivage,  tandis  que  les  autres 
soldats  suivaient  par  terre,  le  grand  "fleuve  n'étant  pas  éloigné,  d'a- 
près ce  qu'on  venait  de  lui  faire  savoir.  Gomme  ils  en  approchaient, 
le  hasard  voulut  que  quatre  des  colons  de  la  ville  vinssent  ce  matin 
même  avec  un  canot,  en  compagnie  d'un  Indien  de  Cuba,  du  service 
de  Gil  Gonzalez  de  Avila;  ils  traversèrent  la  rivière  à  la  recherche 
d'un  fruit  appelé  zapoie,  pour  le  manger  cuit  au  four,  parce  qu'ils 
étaient  en  grande  disette  et  presque  tous  malades,  sans  oser  s'éloi- 
gner pour  faire  des  provisions,  par  suite  de  la  guerre  que  leur  fai- 
saient les  Indiens  des  environs,  qui  leur  avaient  tué  dix  soldats 
depuis  le  départ  de  Gil  Gonzalez  de  Avila.  Les  colons  s'occupaient 
à  secouer  les  zapotes  pour  les  faire  tomber,  et  deux  des  hommes 
étaient  sur  l'arbre  même  quand  ils  virent  venir  du  côté  de  la  mer 
l'embarcation  où  se  trouvaient  Gonzalo  de  Sandoval  et  ses  compa- 


696  CONQUETE 

gnons.  Ils  furent  saisis  d'étonnement  à  la  vue  d'une  chose  si  nouvelle, 
et  ils  ne  savaient  s'ils  devaient  fuir  ou  attendre.  Sandoval,  en  appro- 
chant, leur  cria  de  ne  pas  avoir  peur,  ce  qui  fit  qu'ils  restèrent  en 
place,  remplis  de  surprise. 

Le  capitaine  s'informa,  et  il  apprit  par  eux  comment  et  de  quelle 
façon  se  trouvaient  établis  là  les  gens  de  Gil  Gonzalez  de  Avila,  la 
déroute  de  l'armée  de  Las  Casas,  comment  Christoval  de  Oli  garda 
prisonniers  Las  Casas  et  Gil  Gonzalez  de  Avila,  comme  quoi  l'on  avait 
égorgé  le  rebelle  à  Naco,  par  suite  de  la  sentence  qui  fut  prononcée 
contre  lui;  comme  quoi  encore  ces  deux  chefs  étaient  partis  pour 
Mexico.  Sandoval  apprit  également  combien  il  y  avait  d'Espagnols 
dans  la  ville,  la  faim  qu'ils  y  enduraient,  le  supplice  de  la  pendaison 
subi,  peu  de  jours  auparavant,  par  le  capitaine  Armenta,  lieutenant 
de  Gil  Gonzalez,  pour  n'avoir  pas  voulu  laisser  partir  les  colons  pour 
Cuba.  Sandoval  résolut  d'amener  ces  hommes  à  Cortès,  sans  rien  en- 
treprendre et  sans  aller  à  la  ville  en  son  absence,  voulant  que  notre 
capitaine  fût  avant  tout  renseigné  par  eux-mêmes.  Alors  un  soldat 
appelé  Alonso  Ortiz,  qui  devint  plus  tard  habitant  du  bourg  de  San 
Pedro,  pria  en  grâce  Sandoval  de  permettre  qu'il  prît  une  heure  d'a- 
vance pour  tout  apprendre  à  Cortès,  afin  de  gagner  ses  étrennes.  Gela 
fut  ainsi  fait.  Cortès  se  réjouit  beaucoup  de  ces  nouvelles,  et  le  camp 
entier  se  félicita  avec  lui,  dans  la  croyance  que  là  finiraient  toutes 
les  fatigues  que  nous  supportions.  Malheureusement,  elles  furent 
plus  que  doublées  dans  la  suite,  ainsi  que  j'aurai  occasion  de  le  dire. 
Cortès  donna  à  Ortiz,  pour  la  bonne  nouvelle,  un  cheval  gris,  fort 
bon,  qu'on  appelait  Tête  de  Maure;  chacun  de  nous  lui  donna  aussi 
quelques  petiies  choses  de  ce  qu'on  avait.  Bientôt  arriva  Sandoval 
avec  les  soldats  et  l'Indien  de  Cuba.  Ils  dirent  à  Cortès  tout  ce  que 
j'ai  déjà  rapporté,  et  davantage  encore,  en  réponse  à  ce  qui  leur  était 
demandé.  On  lui  apprit,  entre  autres  nouvelles,  qu'il  y  avait  dans  un 
port,  à  une  demi-lieue  de  là,  un  navire  qu'on  s'occupait  à  calfater, 
dans  le  but  d'y  embarquer  tous  les  colons  de  ce  bourg  qui  devaient 
s'en  retourner  à  Cuba  ;  c'était  précisément  pour  avoir  voulu  mettre 
empêchement  à  ce  départ  que  le  capitaine  Armenta  avait  été  pendu. 
La  raison  de  ce  supplice  était  encore  que  le  défunt  voulait  faire  périr 
par  le  garrote  un  prêtre  qui  soulevait  les  habitants  :   ceux-ci,   du 
reste,  élurent  pour  lieutenant  un  nommé  Antonio   Nieto,  à  la  place 
d'Armenta  qu'ils  avaient  pendu. 

Nous  cesserons  de  porter  l'attention  sur  ces  récits  pour  nous  occu- 
per des  larmes  qu'on  versait  dans  la  ville  à  propos  des  absents  qu'on 
ne  voyait  pas  revenir,  et  qui  s'étaient  éloignés  pour  aller  chercher  du 
fruit.  On  crut  que  les  Indiens,  les  tigres  ou  les  lions  leur  avaient 
donné  la  mort.  L'un  d'eux  était  marié,  et  sa  femme  le  pleurait.  Tous 
les  habitants,  y  compris  le  prêtre,  qui  s'appelait  le  bachelier  Vêlas- 


DE  LA   NOUVELLE-ESPAGNE.  697 

quez,  pleuraient  comme  elle.  Ils  se  réunirent  dans  l'église  pour  sup- 
plier le  bon  Dieu  de  venir  à  leur  aide  et  de  ne  pas  permettre  que  plus 
de  malheurs  fondissent  sur  la  colonie.  Quant  à  la  femme,  elle  ne  ces- 
sait de  prier  pour  l'âme  de  son  mari. 

En  attendant,  Gortès  donnait  l'ordre  à  toute  l'armée  de  se  diri- 
ger vers  la  mer,  distante  de  six  lieues;  il  y  avait  à  traverser,  en  route, 
un  estuaire  très-profond  qui  avait  ses  hautes  et  ses  basses  marées.  Il 
nous  fallut  attendre  une  demi-journée,  que  les  eaux  fussent  au  plus 
bas.  Nous  y  passâmes,  tantôt  d'un  pied  mal  assuré,  tantôt  à  la  nage, 
et  nous  arrivâmes  ainsi  au  grand  fleuve  du  Golfo  Dulce.  Celui  qui 
voulut  entrer  le  premier  dans  la  ville,  qui  se  trouvait  à  deux  lieues  de 
distance,  ce  fut  Gortès  lui-même,  avec  six  soldats,  ses  garçons  d'écu- 
rie. Il  fit  usage  pour  cela  de  deux  embarcations  liées  ensemble;  l'une 
d'elles  était  celle  dont  s'étaient  servis  les  colons  de  Gril  Gonzalez  pour 
aller  chercher  des  zapotes;  l'autre  provenait  des  Indiens  auxquels 
Sandoval  l'avait  prise  sur  la  côte.  En  prévision  de  ce  besoin,  on  les 
avait  tirées  à  terre  et  cachées  dans  la  forêt  afin  de  s'en  servir  pour  la 
traversée.  On  les  remit  à  l'eau,  on  les  lia  l'une  à  l'autre  bien  solide- 
ment, et  Cortès  effectua  le  passage  avec  ses  domestiques;  après  quoi 
il  donna  l'ordre  de  s'en  servir  pour  faire  passer  deux  chevaux.  On  s'y 
prit  de  la  manière  suivante  :  on  manœuvrait  à  la  rame  ;  les  chevaux 
tenus  par  le  licou  suivaient  de  très-près  à  la  nage.  On  procédait  avec 
le  plus  grand  soin,  en  évitant  d'allonger  la  corde,  afin  de  ne  pas  s'ex- 
poser à  faire  chavirer  le  bateau.  Gortès  ordonna  que  personne  ne  pas- 
sât à  l'aide  de  ces  mêmes  moyens  avant  de  recevoir  une  lettre  de  lui, 
car  cette  traversée  ne  s'effectuait  pas  sans  péril.  Gortès  eut  même,  un 
moment,  du  regret  de  s'être  embarqué,  parce  que  le  courant  du  fleuve 
avait  une  grande  violence.  Je  m'arrêterai  là,  et  bientôt  je  dirai  ce  qui 
nous  advint  encore. 


CHAPITRE  CLXXIX 

Comme  quoi  Cortès  entra  dans  la  ville  habitée  par  les  hommes  de  Gil  Gonzalez  de 
Avila.  De  la  grande  joie  que  ressentirent  tous  les  colons  et  ce  que  Cortès  ordonna. 

Après  que  Cortès  eut  traversé  le  grand  fleuve  du  Golfo  Dulce  de  la 
manière  que  j'ai  dite,  il  se  rendit  à  la  ville  colonisée  par  les  Espa- 
gnols de  Gil  Gonzalez  de  Avila.  Ils  habitaient  à  deux  lieues  de  là,  sur 
la  côte,  et  nullement  au  point  même  où  ils  s'étaient  établis  d'abord  et 
qui  avait  reçu  le  nom  de  San  Gil  de  Bucna  Vista.  A  la  vue  d'hommes 
à  cheval  et  de  six  piétons  s'avançant  au  milieu  de  leurs  habitations,  ils 
éprouvèrent  une  surprise  extrême;  mais  quand  ils  surent  que  c'était 
ce  même  Cortès,  si  renommé  dans  tous  les  pays  des  Indes  et  même 


698  CONQUÊTE 

en  Castille,  ils  ne  se  tenaient  plus  de  joie.  Lorsqu'ils  furent  tous  ve- 
nus lui  baiser  les  mains  et  lui  souhaiter  la  bienvenue,  Gortès  leur 
parla  très-affectueusement  et  il  donna  l'ordre  au  lieutenant  Nieto  de 
se  rendre  à  l'endroit  où  l'on  carénait  le  navire  et  d'en  ramener  les 
deux  canots  qu'ils  possédaient,  ainsi  que  des  canoas,  s'il  y  en  avait, 
en  prenant  soin  de  les  lier  deux  à  deux.  Il  ordonna  également  qu'on 
réunît  toute  la  cassave  qu'on  aurait  et  qu'on  la  portât  au  capitaine 
Sandoval  pour  qu'elle  fût  répartie  entre  les  hommes  de  son  armée, 
attendu  qu'on  n'avait  point  à  leur  donner  à  manger  le  moindre  pain 
de  maïs.  Le  lieutenant  s'occupa  de  faire  les  recherches  prescrites  ; 
mais  on  ne  trouva  pas  plus  de  cinquante  livres  de  cassave,  parce 
qu'on  ne  mangeait  plus  dans  la  localité  d'autre  chose  que  des  zapotes 
cuits  au  four,  des  légumes  et  quelques  poissons  qu'on  prenait  à  la 
pêche.  Quant  à  la  cassave,  on  la  gardait  en  prévision  du  retour  à  Cuba 
après  que  le  navire  serait  calfaté. 

Au  moyen  des  deux  bateaux  et  de  huit  matelots,  Gortès  écrivit  à 
Sandoval  pour  lui  recommander  de  rester  le  dernier  avec  le  capitaine 
Luis  Marin  afin  de  surveiller  le  passage  delà  rivière  et  de  bien  prendre 
garde  qu'il  ne  s'embarquât  chaque  fois  que  le  nombre  d'hommes  dé- 
signé. On  effectua  donc  la  traversée  en  prenant  soin,  à  chaque  voyage, 
de  peu  charger  les  embarcations,  parce  que  le  courant  était  très-fort 
et  la  hauteur  de  l'eau  considérable.  Chaque  bateau  remorquait  deux 
chevaux  ;  mais  aucun  de  ces  animaux  ne  devait  entrer  à  bord,  de  crainte 
de  chavirer  et  de  se  perdre  au  milieu  de  cette  rapidité  du  fleuve.  Il 
s'éleva  une  difficulté  au  sujet  des  premiers  à  passer.  Un  certain  Saa- 
vedra  et  son  frère  Avalos,  parents  de  Gortès,  voulaient  traverser  avant 
tout  le  monde  ;  Sandoval  leur  promettait  qu'ils  passeraient  au  voyage 
suivant,  les  trois  moines  devant  traverser  d'abord,  parce  qu'il  était 
juste  de  réserver  cette  première  politesse  pour  eux.  Gomme  Saavedra 
se  savait  parent  de  Gortès,  il  prétendait  que  Sandoval  se  tût  et  ne  lui 
fit  aucune  opposition  ;  aussi  lui  répondit-il  sans  lui  garder  le  respect 
qu'il  convenait.  D'autre  part  Sandoval  ne  permettait  point  ces  écarts; 
les  paroles  s'aigrirent  et  Saavedra  saisit  son  poignard.  Sandoval  était 
en  ce  moment  dans  le  fleuve  avec  de  l'eau  jusqu'aux  genoux,  veillant 
à  ce  qu'on  ne  surchargeât  point  les  bateaux.  En  cet  état,  il  se  jeta  sur 
Saavedra,  lui  saisit  la  main  qui  tenait  le  poignard,  le  renversa  dans 
l'eau  et,  si  nous  ne  nous  étions  pas  empressés  de  les  séparer,  Saavedra 
aurait  certainement  passé  un  mauvais  moment;  nous  tous,  du  reste, 
nous  prîmes  le  parti  de  Sandoval. 

Nous  mettrons  de  côté  ce  petit  débat  pour  dire  que  nous  employâmes 
quatre  jours  au  passage  du  fleuve.  Pour  ce  qui  était  de  manger,  il  ne 
fallait  pas  même  y  penser;  nous  n'avions  que  quelques  pacayas  l,  qui 

1.  Fruit  d'un  inga  auquel  la  douceur  de  sa  pulpe  a  l'ait  donner,  par  les  créoles  de 
nos  colonies,  le  nom  de  pois  surr<:. 


DE   LA   NOUVELLE-ESPAGNE.  699 

viennent  sur  un  petit  palmier,  et  des  sortes  de  noix  que  nous  grillions  ; 
après  quoi  on  les  cassait  pour  en  manger  le  contenu.  Un  soldat  ap- 
pelé Tarifa  disparut  avec  son  cheval  en  passant  dans  une  canna,  el 
l'on  n'en  entendit  plus  parler. Deux  chevaux  se  noyèrent  encore;  l'un 
d'eux  appartenait  à  un  certain  Solis  Casquete,  qui  poussait  des  hurle- 
ments à  propos  de  sa  perte,  maudissant  Cortès  et  son  voyage.  Men- 
tionnons ici  l'horrible  faim  dont  on  souffrait  pendant  ce  pénible  pas- 
sage et  les  murmures  qui  s'élevèrent  contre  Cortès,  contre  son  arrivée 
et  même  contre  nous  tous  qui  le  suivions.  Quand  nous  fûmes  parvenus 
aux  habitations  du  port,  nous  vîmes  qu'il  n'y  avait  plus  rien  à  manger, 
pas  même  une  bouchée  de  cassave  ;  les  habitants  n'en  avaient  pas  pour 
eux-mêmes.  Ils  ne  connaissaient  du  reste  aucun  chemin,  si  ce  n'est 
pour  aller  jusqu'à  deux  villages  qui  étaient  près  de  là  et  que  l'on 
venait  d'abandonner.  Dans  cette  extrémité,  Cortès  donna  l'ordre  au 
capitaine  Luis  Marin  de  partir  avec  les  hommes  de  Guazacualco  à  la 
recherche  de  maïs,  ainsi  que  je  vais  le  raconter  à  la  suite. 


CHAPITRE  CLXXX 

Comme  quoi,  le  lendemain  de  notre  arrivée  au  port  auquel  je  ne  connais  point  d'autre 
nom  que  celui  de  San  Gil  de  Buena  Vista,  nous  fûmes,  au  nombre  de  quatre-vingts 
soldais  tous  à  pied,  avec  le  capitaine  Luis  Marin,  chercher  du  maïs  el  explorer  le 
pays.  Ce  qui  advint  encore  je  le  vais  dire  à  la  suite. 

Quand  nous  arrivâmes  au  port  que  Gil  Gonzalez  de  Avila  avait 
colonisé,  les  habitants  n'avaient  plus  de  vivres,  ils  étaient  au  nombre 
de  quarante  hommes  et  quatre  femmes  de  Castille,  dont  deux  mulâ- 
tresses; tous  étaient  malades,  avec  des  figures  d'un  jaune  très-prononcé. 
Comme  nous  n'avions  rien  à  manger  ni  pour  eux,  ni  pour  nous-mêmes, 
il  nous  tardait  fort  d'aller  aux  provisions.  Cortès  ordonna  alors  que  le 
capitaine  Luis  Marin  partît  avec  ceux  de  Guazacualco  à  la  recherche  de 
maïs.  Nous  fûmes  avec  lui  au  nombre  de  quatre-vingts  soldats,  tous  à 
pied  jusqu'à  ce  qu'on  se  fût  assuré  si  les  chemins  étaient  praticables 
pour  les  chevaux.  Nous  emmenâmes  avec  nous  un  Indien  de  Cuba  qui 
devait  nous  conduire  à  des  fermes  et  à  des  villages,  à  huit  lieues  de  là. 
Nous  y  découvrîmes  beaucoup  de  maïs,  une  infinité  de  plants  de  ca- 
caoyers, des  haricots  et  des  légumes.  Il  en  résulta  que  nous  eûmes 
bien  à  manger  et  que  nous  pûmes  faire  dire  à  Cortès  d'envoyer  tous 
nos  Indiens  mexicains  pour  emporter  du  maïs.  En  attendant,  avec  le 
secours  d'autres  Indiens,  il  fut  possible  de  lui  en  adresser  tout  de 
suite  dix  fanegas,  et  nous  envoyâmes  en  même  temps  chercher  nos 
chevaux. 

Cortès,  voyant  ainsi  que  nous  étions  dans  un  bon  pays,  apprenant 


700  CONQUÊTE 

d'ailleurs,  par  des  marchands  indiens  dont  on  s'était  emparé  dans  la 
rivière  du  Golfo  Dulce,  que  le  lieu  où  nous  étions  se  trouvait  sur  la 
route  qui  conduit  à  Naco,  où  l'on  avait  supplicié  Ghristoval  de  Oli, 
Cortès,  dis-je,  ordonna  àGonzalo  de  Sandoval  de  suivre  nos  traces  avec 
la  plus  grande  partie  de  l'armée  et  de  séjourner  au  milieu  de  ces  éta- 
blissements jusqu'à  nouvel  avis.  Sandoval  arriva  où  nous  étions  et  se 
convainquit  qu'il  y  avait  suffisamment  de  ressources.  Il  s'en  réjouit 
beaucoup  et  il  ne  tarda  pas  à  faire  parvenir  à  Gortès  trente  fanegas 
de  maïs  au  moyen  d'Indiens  mexicains.  On  en  fit  le  partage  entre  tous 
les  habitants  du  port.  Gomme  ils  mouraient  de  faim  et  qu'ils  avaient 
pris  l'habitude  de  ne  manger  que  des  zapotes  cuits  et  de  la  cassave, 
ils  consommèrent  avec  excès  des  tortillas  faites  du  maïs  que  nous 
avions  envoyé;  leurs  ventres  s'en  enflèrent  et,  comme  ils  étaient  déjà 
malades  auparavant,  seize  d'entre  eux  en  moururent. 

On  en  était  là  de  cette  grande  disette,  lorsque,  grâce  à  Dieu,  arriva 
au  port  un  navire  qui  venait  de  l'île  de  Guba  avec  sept  chevaux, 
quarante  porcs,  huit  pipes  de  viande  en  tasajo  *,  du  pain  de  cassave, 
quinze  passagers  et  huit  matelots.  Le  chargement  de  ce  navire  appar- 
tenait à  un  certain  Anton  de  Gamargo  à  qui  Gortès  l'acheta  tout  entier 
à  crédit.  Il  le  répartit  entre  les  habitants.  Gomme  ils  se  remplirent 
outre  mesure  de  viande  salée,  et  que  d'ailleurs  ils  avaient  été  long- 
temps privés  de  nourriture  et  grandement  affaiblis,  ils  en  prirent  un 
dérangement  de  ventre  auquel  quatorze  succombèrent. 

Voulant,  du  reste,  profiter  de  i'arrivée  de  ce  navire  et  de  la  pré- 
sence de  ses  matelots,  Gortès  jugea  opportun  d'aller  examiner  ce 
grand  fleuve,  le  sonder,  le  mesurer,  s'assurer  si  l'on  trouverait  des 
pays  peuplés  en  le  remontant,  et  quelle  serait  la  valeur  de  leur  terri- 
toire. Dans  cette  pensée,  il  donna  des  ordres  pour  qu'on  calfatât  un 
brick  ayant  appartenu  à  Gil  Gonzalez  de  Avila,  et  qui  était  échoué  sur 
la  côte  ;  il  fit  mettre  en  état  un  bateau  qu'on  transforma  en  un  bâti- 
ment de  décharge  ;  on  attacha  quatre  canots  deux  à  deux.  Gela  fait, 
Gortès  s'empara  des  trente  soldats  et  des  huit  matelots  récemment 
arrivés,  et  s'adjoignant  vingt  Indiens  mexicains,  il  prit  le  comman- 
dement du  tout  et  il  entra  dans  le  fleuve.  Après  l'avoir  remonté  pen- 
dant dix  lieues,  il  découvrit  une  grande  lagune  qui  paraissait  avoir 
six  lieues  de  largeur.  Les  bords  n'en  étaient  point  habités,  parce  que 
le  pays  était  susceptible  d'être  inondé.  Ayant  remonté  encore  le 
fleuve,  il  arriva  en  un  point  où  le  courant  était  plus  rapide  qu'aupa- 
ravant. Il  y  avait  d'ailleurs  des  chutes  que  le  brick  et  les  autres  em- 
barcations ne  pouvaient  dépasser.  Il  résolut  donc  de  les  laisser  là 
dans  une  crique,  à  la  garde  de  six  Espagnols,  et  de  suivre  lui-même 


1.  Tasajo,  viande  salée  ou  non,  quelquefois  fumée,  et  le  plus  généralement  séchée 
au  soleil  et  taillée  en  lanières. 


DE  LA  NOUVELLE-ESPAGNE.  701 

par  terre  un  chemin  étroit  qui  le  conduisit  à  des  villages  abandonnés. 
Il  arriva  ensuite  dans  des  champs  de  maïs  où  il  s'empara  de  trois  In- 
diens qui  le  menèrent  dans  de  petits  villages  très-riches  en  maïs  et  en 
poules,  et  qui  même  avaient  des  faisans  que  dans  le  pays  on  appelle 
sacachueles.  Il  y  avait  aussi  des  perdrix  et  des  palombes.  Du  reste, 
cette  manière  d'élever  des  perdrix,  je  la  vis  moi-même  pratiquée 
dans  beaucoup  de  villages  du  district  du  Golfo  Dulce  lorsque  je  fus 
à  la  recherche  de  Cortès,  ainsi  que  je  le  dirai  bientôt. 

Quoi  qu'il  en  soit,  Cortès  prit  là  des  guides,  continua  sa  route  et 
arriva  dans  d'autres  peuplades  de  Ginacatan  Tencintle,  qui  possé- 
daient de  grandes  cacaoyères,  des  plants  de  maïs  et  des  champs  de 
coton.  Avant  d'y  entrer,  nos  voyageurs  entendirent  des  sons  d'ataba- 
les  el  de  trompettes  accompagnant  des  jeux  et  des  bacchanales.  Pour 
ne  pas  être  vus,  Cortès  se  cacha  dans  le  bois  avec  ses  soldats,  et 
quand  il  pensa  qu'il  était  temps  de  faire  son  attaque,  ils  tombèrent 
tous  ensemble  sur  le  village  et  se  saisirent  de  dix  hommes  et  de 
quinze  femmes,  ce  qui  fit  que  la  plupart  des  Indiens  du  village  cou- 
rurent immédiatement  chercher  leurs  armes,  revinrent  avec  arcs,  flè- 
ches et  lances,  et  commencèrent  à  combattre  les  nôtres.  Cortès  se 
précipita  sur  eux  avec  tout  son  monde,  et  ils  criblèrent  de  blessures 
huit  des  principaux  Indiens  du  lieu. 

Voyant  que  la  partie  devenait  mauvaise  pour  eux  et  que  leurs  fem- 
mes  étaient  prisonnières,  les  ennemis  envoyèrent  quatre  vieillards, 
dont  deux  prêtres  d'idoles,  qui  vinrent  humblement  prier  Cortès  de 
leur  rendre  les  captifs,  apportant  du  reste  quelques  joyaux  d'or  de 
peu  de  valeur.  Cortès  leur  adressa  la  parole  au  moyen  de  dorïa  Ma- 
rina qui  était  là  avec  son  mari,  Juan  Xaramillo,  car  Cortès  ne  pou- 
vait traiter  sans  elle  aucune  affaire  avec  les  Indiens.  Il  leur  dit  qu'ils 
eussent  à  transporter  le  maïs,  les  poules,  le  sel  et  tout  l'approvision- 
nement qu'il  leur  signala,  à  l'endroit  où  étaient  restés  nos  brigan- 
tins  et  les  autres  embarcations,  promettant  qu'aussitôt  après  il  ren- 
drait les  prisonniers.  On  leur  fit  comprendre  en  quel  endroit  de  la 
rivière  stationnaient  nos  marins.  Ils   répondirent  qu'ils   le  feraient 
ainsi  en  passant  par  un  estuaire  qui  était   près  de  là  et  qui  débou- 
chait au  fleuve.  Ils  fabriquèrent  des  barques  qu'ils  firent  glisser  le 
mieux  qu'ils  purent  à  moitié  dans  l'eau,  jusqu'à  les  conduire  en  un 
point  où  elles  voguaient   avec  facilité.  Il   est  vrai  que  Cortès    avait 
promis  de  rendre  tous  les  prisonniers;  mais  ensuite  il  lui  parut  con- 
venable de  garder  trois  femmes  avec  leurs  maris,  pour  que  les  unes 
fissent  du  pain  et  les  autres  le  service  d'Indiens.  On  ne  les   rendit 
donc  pas.  Ce  voyant,  les  Indiens  du  village  s'appellent,  s'assemblent, 
et,  des  hauteurs  mêmes  des  berges  du  fleuve,  ils  font  pleuvoir  sur 
les  nôtres  une  grêle  de  flèches  et  de  pierres,  de  telle  sorte  que  Cor- 
tès reçut  une  blessure  à  la  figure,  et  que  douze  soldats  furent  blessés 


702  CONQUÊTE 

en  même  temps.  Une  barque  se  brisa;  la  moitié  de  son  chargement 
se  perdit,  et  un  Mexicain  se  noya. 

Il  y  a  tant  d'insectes  sur  ce  fleuve  que  les  voyageurs  ne  pouvaient 
s'en  garantir;  mais  Cor  tes  souffrait  tout  en  patience.  Il  effectua  son 
retour  vers  la  station  dont  j'ignore  le  nom,  et  il  l'approvisionna  bien 
mieux  qu'elle  ne  l'était  auparavant.  J'ai  dit  que  le  village  jusqu'où 
Gortès  remonta  s'appelait  Ginacatan.  Je  sais  maintenant  qu'il  est 
situé  à  soixante  lieues  de  Guatemala.  Gortès  mit  vingt-six  jours  à  ce 
voyage,  aller  et  retour.  Gomme  il  reconnut  qu'il  ne  serait  pas  oppor- 
tun de  s'établir  en  ce  lieu  parce  qu'il  n'y  a  point  de  villages  d'indi- 
gènes, et  que  d'ailleurs  il  se  voyait  bien  approvisionné  en  ajoutant 
à  ce  qu'il  avait  déjà  ce  qu'il  apportait  maintenant,  il  résolut  d'écrire 
à  Gonzalo  de  Sandoval  qu'il  eût  à  partir  sans  retard  pour  Naco.  Il 
lui  faisait  savoir  en  même  temps  tout  ce  que  je  viens  de  dire  de 
son  voyage  du  Grolfo  Dulce,et  lui  annonçait  qu'il  se  proposait  de  co- 
loniser le  port  de  Gaballos.  Il  le  priait,  au  surplus,  de  lui  envoyer 
dix  soldats  de  G-uazacualco,  prétendant  que  sans  eux  il  n'était  pas  à 
l'aise  dans  ses  expéditions. 


CHAPITRE   CLXXXI 

Connue  quoi  Cortès  s'embarqua  avec  tous  les  soldats  qu'il  avait  amenés  en  sa  com- 
pagnie et  ceux  qui  se  trouvaient  à  San  Gil  de  Buena  Vista,  et  fut  fonder  une  colonie 
au  point  que  Ton  appelle  aujourd'hui  Port  de  Gaballos,  auquel  on  donna  le  nom  de 
ISatîvité,  et  de  ce  que  l'on  y  fit. 

Ayant  compris  que  le  site  choisi  par  les  hommes  de  Gril  Gonzalez 
de  Avila  pour  coloniser  n'était  pas  favorable,  Gortès  résolut  de  s'em- 
barquer sur  les  deux  navires  et  le  brigantin  avec  toutes  les  personnes 
qui  se  trouvaient  dans  ce  port,  sans  en  laisser  une  seule.  Après  huit 
jours  de  navigation,  il  fut  débarquer  au  point  de  la  côte  qui  s'appelle 
aujourd'hui  Puerto  de  Gaballos.  Il  reconnut  que  cette  baie  serait 
bonne  pour  y  créer  un  port.  Gomme  d'ailleurs  il  apprenait  par  les 
Indiens  que,  non  loin  de  là,  le  pays  était  habité,  il  fut  d'avis  de  fon- 
der une  ville  qu'il  appela  Natlvidad.  Il  y  nomma  Diego  de  Godoy 
pour  son  lieutenant,  et  il  fit  deux  reconnaissances  vers  des  villages 
qui  n'étaient  pas  éloignés  et  qui  sont  abandonnés  actuellement;  il  y 
apprit  qu'à  peu  de  distance  existaient  d'autres  endroits  habités.  Il 
approvisionna  la  colonie  de  maïs.  Ayant  su  au  surplus  que  le  village 
de  Naco,  où  Ghristoval  de  Oli  fut  égorgé,  n'était  pas  éloigné,  il  écri- 
vit à  Gonzalo  de  Sandoval,  dans  la  croyance  qu'il  y  était  [déjà  arrivé 
et  s'y  trouvait  établi.  Il  le  priait  de  lui  envoyer  dix  soldats  de  Gua- 
zacualco,  sans  lesquels,  disait  sa  lettre,  il  se  sentait  mal  à  l'aise  dans 


DE  LA  NOUVELLE-ESPAGNE.  703 

ses  expéditions.  Il  lui  disait  qu'il  voulait  aller  au  port  de  Honduras 
où  se  trouvait  la  colonie  de  Truxillo,  tandis  que  Sandoval,  avec  ses 
soldats,  devait  s'occuper  à  pacifier  le  pays  où  il  était,  en  y  fondant 
une  ville  La  lettre  arriva  aux  mains  de  Sandoval  lorsque  nous  étions 
encore  aux  établissements  dont  j'ai  parlé,  n'ayant  nullement  avancé 
vers  Naco. 

Nous  cesserons  un  instant  de  parler  de  Gortès  et  de  ses  petites  expé- 
ditions qui  avaient  pour  base  le  port  deCaballos  où  il  se  trouvait.  Nous 
ne  dirons  rien  non  plus  de  la  grande  quantité  de  moustiques  dont  il  était 
piqué  nuit  et  jour,  et  grâce  auxquels,  ainsi  que  je  le  lui  entendis  dire 
plus  tard,  il  passait  de  si  mauvaises  nuits  qu'il  en  avait  la  tête  sans 
sentiment,  par  suite  du  manque  de  sommeil.  Gronzalo  de  Sandoval, 
ayant  donc  reçu  les  lettres  de  Gortès,  se  transporta  sans  retard  aux 
villages  de  Guyoacan,  à  sept  lieues  de  là.  Il  ne  lui  fut  pas  possible  de 
se  rendre  immédiatement  à  Naco  comme  Gortès  l'ordonnait,  parce 
qu'il  importait  de  ne  pas  abandonner  en  route  beaucoup  de  soldats 
qui  s'étaient  écartés  vers  d'autres  établissements  pour  assurer  leur 
nourriture  et  celle  de  leurs  chevaux.  La  raison  de  son  retard  était 
aussi  qu'il  lui  fallait  traverser  une  rivière  très-profonde  et  non  guéa- 
ble.  Force  fut  d'y  laisser  une  embarcation  pour  le  passage  des  Espa- 
gnols qui  restaient  en  arrière  et  d'un  grand  nombre  d'alliés  mexi- 
cains malades  qui  nous  suivaient.  Il  y  avait  encore  la  considération 
que  de  quelques  villages  voisins,  qui  confinaient  à  la  rivière  et  au 
Grolfo  Dulce,  venaient  chaque  jour  des  Indiens  guerriers  qui  atta- 
quaient nos  hommes.  Afin  d'éviter  quelques  dommages  de  leur  part, 
ainsi  que  des  morts  d'Espagnols  ou  de  Mexicains,  Sandoval  ordonna 
que  huit  soldats  s'occupassent  à  garder  ce  poste.  Ce  fut  moi  qu'il  dé- 
signa pour  les  commander.  Nous  devions  avoir  continuellement  la 
cauoa  du  passage  ramenée  à  terre,  et  rester  toujours  en  alerte,  afin 
que,  si  les  passagers  nous  appelaient,  nous  fussions  prêts  à  les  con- 
duire sur  l'autre  rive. 

Une  nuit,  un  grand  nombre  d'Indiens  guerriers  des  villages  et  des 
établissements  voisins  vinrent  sur  nous,  croyant  que  nous  n'étions 
point  sur  nos  gardes  et  pensant  qu'ils  pourraient  nous  prendre  notre 
embarcation;  ils  tombèrent  donc  à  l'improviste  sur  les  abris  où  nous 
nous  trouvions,  et  y  mirent  le  feu.  Mais  ils  n'avaient  pas  réussi  à 
s'approcher  si  inopinément  que  nous  n'eussions  pu  nous  en  douter. 
Nous  nous  étions  massés  ensemble,  les  huit  soldats  et  les  quatre  seuls 
Mexicains  qui  fussent  valides  ;  nous  chargeâmes  l'ennemi,  et,  à  bon- 
nes entailles,  nous  le  reconduisîmes  par  où  il  était  venu.  Deux  de 
nos  soldats  et  un  Indien  reçurent  des  coups  de  flèche,  mais  leurs  bles- 
sures furent  peu  de  chose. 

Après  cette  leçon,  je  me  proposai  d'aller  avec  trois  camarades  aux 
fermes  où  je  présumais  qu'il  était  resté  des  Indiens  et  des  Espagnols 


704  CONQUÊTE 

malades,  à  la  distance  d'environ  une  lieue.  Nous  ramenâmes  de  là 
Diego  de  Mazariegos,  que  j'ai  déjà  nommé  d'autres  fois,  quelques 
Espagnols  qui  étaient  en  sa  compagnie,  et  des  Indiens  mexicains  ma- 
lades. Nous  leur  fîmes  passer  la  rivière,  et  nous  partîmes  tous  pour 
nous  réunir  à  Sandoval.  En  route,  nous  nous  aperçûmes  qu'un  Espa- 
gnol, de  ceux  que  nous  avions  recueillis  dans  les  fermes,  se  trouvait 
fort  malade  :  c'était  un  des  nouveaux  venus  de  Castille,  fils  de  Gé- 
nois et  natif  des  Canaries.  Gomme  il  était  au  plus  mal,  et  que  d'ail- 
leurs nous  n'avions  à  lui  donner  que  des  tortillas  et  du  jwio/e1,  il 
mourut  en  chemin  lorsque  nous  n'avions  plus  qu'une  demi-lieue  à 
faire  pour  arriver  au  camp  de  Sandoval.  Malheureusement,  je  n'avais 
personne  pour  emporter  ses  restes.  Quand  nous  arrivâmes  auprès  de 
notre  chef,  je  lui  racontai  notre  voyage  et  la  mort  du  compatriote.  Il 
se  fâcha  contre  moi  de  ce  que,  entre  nous  tous  ou  à  l'aide  d'un  che- 
val, nous  n'eussions  pas  trouvé  le  moyen  de  rapporter  le  cadavre. 
Nous  lui  fîmes  observer  que  chacun  de  nos  chevaux  avait  déjà  deux 
malades,  que  leurs  cavaliers  étaient  revenus  à  pied,  et  que,  par  consé- 
quent, nous  n'avions  pas  pu  le  ramener.  Un  de  mes  camarades  d'ex- 
pédition, appelé  Bartolomé  de  Villa-Nueva,  répliqua  à  Sandoval,  d'un 
ton  arrogant,  que  c'était  bien  assez  d'avoir  à  transporter  sa  personne, 
sans  qu'il  fût  nécessaire  de  charger  les  morts  sur  son  dos;  qu'il  mau- 
dissait d'ailleurs  les  fatigues  et  les  pertes  que  Cortès  nous  avait  fait 
éprouver.  Pour  toute  réponse,  et  sans  aucun  retard  ,  Sandoval  nous 
ordonna,  à  moi  et  à  Villa-Nueva,  d'aller  à  l'instant  enterrer  le  dé- 
funt. Nous  emmenâmes  deux  Indiens  mexicains,  et,  munis  d'une  pio- 
che, nous  partîmes  pour  creuser  sa  tombe,  l'enterrer  et  placer  une 
croix  sur  ses  restes.  Nous  trouvâmes  dans  ses  poches  une  petite  bourse 
avec  des  dés  et  un  écrit  qui  disait  où  il  était  né,  de  qui  il  était  fils  et 
de  quoi  il  avait  été  possesseur  à  Ténériffe.  Avec  le  temps,  on  put 
envoyer  ce  petit  document  aux  Canaries.  Que  Dieu  lui  pardonne! 
Amen! 

Je  dirai  maintenant  que  Sandoval  résolut  d'aller  à  d'autres  villa- 
ges près  du  lieu  où  existent  des  mines  qu'on  découvrit  trois  ans  plus 
tard.  De  là  nous  fûmes  à  Quinistan,  et  le  lendemain,  à  l'heure  de  la 
messe,  nous  arrivâmes  àNaco.  C'était  un  bourg  très-bon  en  ce  temps- 
là.  Il  avait  été  abandonné  ce  même  jour  par  ses  habitants.  Après  avoir 
pris  nos  logements  autour  d'une  grande  place,  —  celle  au  milieu  de 
laquelle  Ghristoval  de  Oli  fut  égorgé,  —  nous  nous  assurâmes  que  les 
habitations  étaient  bien  pourvues  de  maïs,  de  haricots  et  de  piments. 
On  y  trouva  aussi   un  peu  de  sel,  et  c'était  bien  la  chose  que  nous 

1.  Aujourd'hui  on  appelle  pinole  dans  l'État  de  Tabasco  et  peut-être  dans  le  paya 
dont  il  s'agit  ici.  une  bouillie  faite  avec  un  mélange  de  maïs  et  de  cacao.  Dans  d  autres 
parties  du  Mexique,  ce  mot  est  appliqué  à  la  bouillie  de  maïs  grillé. 


DE   LA  NOUVELLE-ESPAGNE.  705 

désirions  le  plus.  Nous  installâmes,  du  reste,  là  nos  bagages  comme 
si"  nous  eussions  dû  y  passer  la  vie.  Il  y  a  dans  ce  bourg  la  meilleure 
eau  que  nous  ayons  bue  dans  toute  la  Nouvelle-Espagne,  et  un  bel 
arbre  qui,  à  l'heure  de  la  siesta,  quelles  que  fussent  les  ardeurs  du 
soleil,  paraissait  rafraîchir  le  cœur  avec  son  ombre;  il  tombait  de  ses 
feuilles  comme  une  mince  rosée  qui  réconfortait  nos  têtes.  Ce  bourg 
était  très -peuplé  à  cette  époque  et  placé  dans  un  site  excellent;  il  était 
entoure  de  beaucoup  d'autres  peuplades  moins  grandes.  Il  y  avait 
beaucoup  de  sapotes  rouges,  et  aussi  de  la  petite  espèce. 
J'en  resterai  là  pour  dire  bientôt  ce  qui  nous  y  arriva. 


CHAPITRE  GLXXXII 

Comme  quoi  le  capitaine  Gonzalo  de  Sandoval  commença  à  pacifier  celte  province  de 
Naco.  Des  grandes  rencontres  qu'il  eut  avec  les  habitants,  et  ce  que  l'on  lit  encore. 

Après  que  nous  fûmes  arrivés  au  bourg  de  Naco,  et  que  nous  eû- 
mes fait  provision  de  maïs,  de  haricots  et  de  piments,  Gonzalo  de  San- 
doval adressa  mille  flatteries  à  trois  personnages  de  l'endroit,  dont  nous 
nous  étions  emparés  dans  un  champ  de  maïs.  Il  leur  donna  des  ver- 
roteries de  Castille,  et  il  les  pria  d'aller  appeler  les  autres  caciques, 
promettant  qu'il  ne  leur  serait  fait  aucun  mal.  Ils  y  furent,  en  effet, 
et  obtinrent  que  deux  caciques  se  présentassent;  mais  il  ne  fut  pas 
possible  de  faire  repeupler  le  village.  On  en  obtenait  seulement  de 
temps  en  temps  quelques  vivres.  Ils  ne  nous  faisaient  du  reste  ni  bien 
ni  mal,  et  nous  nous  conduisions  de  même  avec  eux.  C'est  ainsi  que 
nous  passâmes  les  premiers  jours. 

J'ai  déjà  dit  que  Gortès  avait  écrit  à  Gonzalo  de  Sandoval  de  lui 
envoyer  à  Puerto  de  Caballos  dix  soldats  de  Guazacualco  qu'il  lui 
nommait,  et  dont  je  faisais  partie.  Mais  je  me  trouvais  alors  un  peu 
malade.  Je  priai  donc  Sandoval  de  transmettre  mes  excuses,  parce 
que  je  me  sentais  mal  disposé.  Gomme  d'ailleurs  il  ne  demandait  pas 
mieux  lui-même,  je  réussis  à  rester  avec  lui.  Il  se  contenta  d'envoyer 
huit  soldats  très-solides  et  propres  à  tout  événement.  Ils  partirent  de 
fort  mauvaise  humeur  en  maudissant  Gortès  et  son  voyage;  et  ils 
avaient  bien  raison,  car  il  n'était  pas  certain  que  le  pays  qu'ils 
avaient  à  traverser  fût  bien  pacifique.  Sandoval  résolut,  du  reste, 
d'exiger  des  caciques  de  Naco  que  cinq  Indiens  des  principaux  de 
l'endroit  les  accompagnassent  jusqu'au  port  de  Caballos,  les  mena- 
çant, pour  le  cas  où  il  serait  fait  le  moindre  mal  à  l'un  quelconque 
de  nos  soldats,  de  brûler  leur  bourg  et  de  porter  la  guerre  parmi  eux. 
Il  prescrivit  aussi  qu'il  leur  fût  donné  abondamment  à  manger  dans 

i5 


706  CONQUETE 

tous  les  villages  où  ils  passeraient.  Ils  poursuivirent  leur  voyage  jus- 
qu'au port  de  Caballos  où  ils  trouvèrent  Cortès  prêt  à  s'embarquer 
pour  Truxillo.  Il  se  réjouit  de  Jeur  arrivée,  apprit  que  nous  étions 
en  bon  état,  emmena  les  nouveaux  venus  à  bord  des  navires  et  s'em- 
barqua, laissant  au  port  de  Gaballos  Diego  de  Grodoy  pour  capitaine, 
avec  quarante  colons  qui  provenaient  presque  tous  de  la  troupe  de 
Gil  Gonzalez  de  Avila  et  des  derniers  arrivages  des  îles. 

Après  le  départ  de  Cortès,  son  lieutenant  Godoy,  qui  était  resté  au 
port,  commença  à  faire  des  sorties  avec  ses  soldats  les  plus  valides 
sur  les  villages  environnants,  dont  deux  furent  pacifiés.  Mais,  en 
voyant  que  les  hommes  restés  au  bourg  étaient  la  plupart  malades,  et 
qu'il  en  mourait  chaque  jour,  les  Indiens  ne  faisaient  aucun  cas 
d'eux  et  ne  leur  apportaient  plus  de  vivres.  Gomme  les  colons  eux- 
mêmes  n'étaient  pas  hommes  à  en  aller  chercher,  ils  vivaient  en 
grande  disette,  et,  en  peu  de  jours,  la  moitié  mourut.  Trois  des  sur- 
vivants même  s'en  allèrent;  ils  s'en  vinrent  où  nous  étions  avec  San- 
doval. 

Je  les  laisserai  dans  ce  piteux  état,  et  j'en  reviendrai  à  Naco  pour 
dire  que  Sandoval  avait  beau  envoyer  chercher  les  Indiens  du  bourg 
et  des  villages  voisins,  ils  se  refusaient  à  venir  reprendre  leur  rési- 
dence et  ne  tenaient  nul  compte  de  nos  appels.  Notre  chef  résolut 
alors  d'aller  les  trouver  en  personne  et  de  les  obligera  revenir.  Nous 
fûmes  donc  aux  villages  de  Girimonga,  d'Aculaco  et  trois  autres  en- 
core qui  n'étaient  pas  éloignés  de  Naco.  Tous  les  habitants  se  pré- 
sentèrent pour  jurer  obéissance  à  Sa  Majesté.  Nous  nous  rendîmes 
ensuite  à  Quizmitan  et  à  d'autres  peuplades  de  la  sierra  où  nous  ob- 
tînmes le  même  résultat.  Tous  les  Indiens  de  ce  district  se  soumirent, 
et  comme  on  ne  leur  demandait  rien  autre  chose  que  ce  qu'ils  vou- 
laient donner  volontairement,  ils  n'hésitaient  pas  à  venir  à  nous.  Il 
en  résulta  que  tout  le  pays  fut  pacifié  jusqu'à  l'endroit  où  Cortès  fonda 
la  ville  de  Puerto  de  Gaballos.  Et,  au  fait,  il  faut  bien  que  j'en  re- 
vienne à  Cortès,  qui  fut  débarquer  au  port  de  Truxillo  ;  et  comme 
deux  ou  trois  choses  arrivaient  en  même  temps,  ainsi  que  je  l'ai  déjà 
dit  dans  d'autres  chapitres,  et  que  je  dois  faire  passer  ma  plume  à 
pas  comptés  par  les  lieux  conquis  et  dire  les  moyens  que  nous  em- 
ployions pour  les  conquérir  et  les  coloniser,  ainsi  que  l'ont  vu  clai- 
rement les  curieux  lecteurs,  force  m'est  de  cesser,  pour  à  présent,  de 
parler  de  Sandoval  et  de  tout  ce  qui  lui  advint  dans  la  province  de 
Naco,  pour  dire  ce  que  Cortès  lit  à  Truxillo. 


DE  LA  NOUVELLE-ESPAGNE.  707 


CHAPITRE  CLXXXIII 

(Homme  quoi  Cortès  débarqua  au  port  appelé  Truxillo.  Comment  tous  les  habitants  do 
la  ville  furent  au-devant  de  lui  pour  le  recevoir  et  se  réjouirent  beaucoup  avec  lui. 
De  tout  ce  qu'il  lit  en  ce  lieu. 

Cortèi:  s'étant  donc  embarqué  au  port  de  Caballos  en  emmenant  en 
sa  compagnie  plusieurs  des  soldats  venus  avec  lui  de  Mexico  et 
ceux  que  Gonzalo  de  Sandoval  lui  avait  envoyés,  il  navigua  avec 
beau  temps,  et  arriva  en  six  jours  au  port  de  Truxillo.  Lorsque  les 
colons  qui  y  vivaient  et  que  Francisco  de  Las  Casas  y  avait  laissés  su- 
rent que  c'était  Cortès  qui  arrivait,  ils  coururent  tous  au  rivage,  qui 
n'était  pas  éloigné,  et  s'empressèrent  de  lui  baiser  les  mains.  Plu- 
sieurs d'entre  eux  faisaient  partie  de  ces  bandits  qui  avaient  été 
chassés  du  Panuco,  et  qui  donnèrent  à  Christoval  de  Oli  le  conseil 
de  se  soulever.  Se  sentant  coupables,  ils  vinrent  supplier  Cortès  de 
leur  pardonner.  Le  capitaine  leur  fit  un  accueil  aimable,  leur  promit 
beaucoup,  les  embrassa  et  leur  accorda  son  pardon.  Il  se  rendit  en- 
suite à  l'église,  et,  quand  il  eut  fait  ses  prières,  on  le  logea  le  mieux 
possible  et  on  lui  rendit  compte  de  tout  ce  qui  était  arrivé  à  Fran- 
cisco de  Las  Casas  et  à  Gil  Gonzalez  de  Avila,  expliquant  en  même 
temps  pourquoi  ces  capitaines  firent  égorger  Christoval  de  Oli,  com- 
ment ils  avaient  pacifié  quelques  villages  de  la  province  et  étaient 
partis  pour  Mexico.  Cortès,  les  ayant  entendus,  honora  tout  le  monde 
de  ses  bonnes  paroles,  et  laissa  à  chacun  son  emploi,  si  ce  n'est  qu'il 
nomma  capitaine  général  de  ces  provinces  son  cousin  Saavedra,  — 
mesure  que  tous  approuvèrent,  du  reste  ;  —  et  ensuite  il  fit  appeler  à 
lui  les  habitants  du  district.  Gomme  on  y  avait  su  qu'il  était  le  capi- 
taine Malinche,  le  conquérant  de  Mexico,  ils  accoururent  à  son  appel, 
lui  apportant  en  présent  une  grande  quantité  de  provisions. 

Quand  il  vit  réunis  tous  les  caciques  des  quatre  plus  gros  villages, 
Gortès  leur  adressa  la  parole  par  l'entremise  de  dona  Marina,  leur 
expliquant  les  vérités  relatives  à  notre  sainte  foi,  et  disant  que  nous 
étions  les  vassaux  du  grand  Empereur  don  Carlos  d'Autriche  ;  que  ce 
monarque  comptait  de  puissants  seigneurs  parmi  ses  vassaux,  et 
qu'il  nous  avait  envoyés  dans  ce  pays  pour  abolir  les  vices  honteux, 
les  idolâtries  et  les  vols,  nous  recommandant  de  ne  pas  permettre 
qu'on  mange  de  la  chair  humaine,  qu'on  continue  les  sacrifices,  qu'on 
se  pille,  qu'on  se  fasse  la  guerre  les  uns  aux  autres,  mais  voulant 
qu'ils  soient  tous  frères  et  qu'ils  se  traitent  en  conséquence.  Il  leur 
dit  être  venu  aussi  pour  qu'ils  jurassent  obéissance  à  un  si  grand  Roi 
et  seigneur  que  l'est  le  nôtre,  ajoutant  qu'ils  devaient  concourir  à  son 


708  CONQUÊTE 

service  au  moyen  de  ce  qu'ils  possèdent,  comme  nous  le  faisions 
tous,  nous  ses  sujets.  Dona  Marina,  qui  s'y  entendait  à  merveille, 
leur  dit  beaucoup  d'autres  choses  encore,  et  surtout  que  s'ils  n'accou- 
raient pas  se  soumettre  à  Sa  Majesté,  ils  en  seraient  châtiés.  Fray 
Juan  de  Las  Varillas  et  les  deux  moines  franciscains  que  Gortès  avait 
amenés  leur  prêchèrent  des  choses  saintes  et  utiles,  et  deux  Indiens 
mexicains,  qui  savaient  déjà  la  langue  espagnole,  aidés  des  autres 
interprètes,  traduisirent  les  paroles  des  Frères  de  Saint-François. 
Cortès  ajouta,  du  reste,  qu'il  leur  ferait  justice  en  toute  chose,  selon 
la  volonté  de  notre  Roi  et  seigneur.  Ii  y  eut  encore  beaucoup  d'autres 
conférences  après  lesquelles  les  caciques,  qui  avaient  tout  compris, 
se  déclarèrent  les  vassaux  de  Sa  Majesté,  assurant  qu'ils  feraient  tout 
ce  qu'il  plairait  à  Gortès  de  leur  commander. 

Il  leur  dit,  en  conséquence,  de  vouloir  bien  apporter  des  vivres  à 
la  ville,  et  il  leur  ordonna  d'envoyer  un  grand  nombre  d'Indiens  avec 
leurs  haches  pour  abattre  des  arbres  qui  y  formaient  comme  une 
épaisse  forêt,  afin  qu'on  pût  dorénavant  apercevoir  la  mer  et  le  port. 
Il  leur  donna  l'ordre  aussi  d'aller  en  canot  faire  appel  à  trois  ou  quatre 
villages  situés  dans  les  îlots  et  dont  les  habitants  sont  connus  sous  le 
nom  de  Guanages,  afin  qu'ils  apportassent  du  poisson,  lequel  est  chez 
eux  très-abondant.  Cela  fut  fait  ainsi,  et,  dans  un  délai  de  cinq  jours, 
on  vint  de  la  part  de  ces  villages  offrir  en  présent  du  poisson  et  des 
poules.  Gortès  leur  fit  donner  quelques  truies,  prises  au  troupeau 
qu'il  amenait  de  Mexico,  et  un  verrat  qu'on  trouva  à  Truxillo,  pour 
qu'on  les  multipliât,  car  un  Espagnol  lui  avait  dit  que  le  pays  était 
propre  à  cet  élevage,  à  la  condition  de  laisser  les  animaux  en  liberté 
dans  les  îles.  Les  choses  se  passèrent,  en  effet,  comme  il  l'avait  dit, 
car,  au  bout  de  deux  ans,  le  nombre  en  avait  tellement  augmenté 
qu'on  allait  leur  faire  la  chasse.  Je  laisserai  tout  cela,  en  priant  le 
lecteur  de  ne  pas  m'accuser  de  prolixité  à  propos  de  mes  vieilles 
histoires,  et  je  dirai  qu'il  vint  tant  d'Indiens  pour  le  déboisement  de 
la  ville  que  dans  deux  jours  on  put  voir  distinctement  la  mer.  On 
bâtit  d'ailleurs  quinze  maisons  dont  une  très-bonne  pour  Gortès.  Gela 
fait,  notre  chef  voulut  savoir  quels  étaient  les  villages  et  districts 
rebelles  qui  refusaient  de  se  soumettre.  Ceux  qui  l'informèrent  furent 
des  caciques  de  Papayeca  qui  était  le  chef- lieu  d'autres  peuplades;  ce 
fut  alors  un  centre  important,  tandis  qu'aujourd'hui  il  ne  compte 
qu'un  petit  nombre  d'habitants.  Ils  donnèrent  à  Gortès  la  liste  de 
beaucoup  de  villages  insoumis  qui  étaient  situés  sur  de  grandes 
sierras  où  ils  avaient  élevé  des  défenses.  Notre  chef  se  proposa  d'y 
envoyer  Saavedra  avec  les  soldats  qu'il  lui  parut  convenable  de  confier 
à  ce  capitaine.  S'étant  adjoint  les  huit  hommes  de  Guazacualco,  Saa- 
vedra poursuivit  sa  route  jusqu'au  district  révolté.  Tout  se  soumit, 
à  l'exception  de  trois  villages  qui  s'y  refusèrent.  Gortès  était  redouté 


DE  LA  NOUVELLE-ESPAGNE.  709 

des  indigènes,  et,  d'ailleurs,  si  renommé,  que  tout  Je  monde  le  res- 
pectait, même  les  peuplades  d'Olancho,  région  qui  devint  célèbre 
plus  tard  par  les  riches  mines  qu'on  y  découvrit.  Partout  dans  ces 
provinces  on  l'appelait  le  capitaine  Hue,  Hue  de  Marina,  ce  qui  si- 
gnifie «  vieux  capitaine  qui  emmène  dona  Marina1  ». 

Laissons  un  instant  Saavedra  marchant  sur  les  villages  appelés,  je 
crois,  des  Acaltecas  et  qui  ne  voulaient  pas  se  soumettre,  pour  revenir 
à  Gortès,  qui  était  à  Truxillo.  Déjà  plusieurs  de  ses  hommes  se  trou- 
vaient malades;  c'étaient  les  Frères  franciscains,  un  des  cousins  de 
Gortès  appelé  Avalos,  le  licencié  Pedro  Lopez,  le  majordome  Garranza, 
le  chef  d'office  Guinea,  Juan  Flamenco,  et  beaucoup  d'autres  soldats, 
aussi  bien  de  ceux  qui  venaient  avec  lui  que  de  la  troupe  qui  était 
déjà  à  Truxillo,  voire  même  Anton  de  Garmona,  qui  avait  amené  le 
navire  avec  son  chargement  de  provisions.  Gortès  résolut  de  les  envoyer 
tous  à  l'île  de  Cuba,  à  la  Havane,  ou  à  Saint-Domingue,  si  le  temps 
paraissait  favorable  en  mer.  Il  leur  fournit,  dans  ce  but,  un  bâtiment 
bien  conditionné,  calfaté  et  pourvu  du  meilleur  approvisionnement 
qu'il  fut  possible  de  réunir.  Il  écrivit  à  l'Audience  royale  de  Saint- 
Domingue,  aux  Frères  hiéronymites,  et  à  la  Havane,  rendant  compte 
de  la  manière  dont  il  était  parti  de  Mexico  à  la  recherche  deGhristoval 
de  Oli,  racontant  au  surplus  comme  quoi  il  avait  confié  ses  pouvoirs 
aux  commissaires  de  Sa  Majesté,  son  pénible  voyage,  comment  Ghris- 
toval  de  Oli  avait  fait  arrêter  le  capitaine  Francisco  de  Las  Casas, 
envoyé  par  son  chef  pour  s'emparer  de  la  flotte  et  l'enlever  au  re- 
belle; comment  celui-ci  avait  fait  prisonnier  Gil  Gonzalez  de  Avila, 
qui  était  le  gouverneur  du  Golfo  Dulce;  comme  quoi  enfin,  pendant 
qu'ils  étaient  captifs,  les  deux  capitaines  s'entendirent  entre  eux, 
poignardèrent  Oli  et,  ayant  prononcé  une  sentence  contre  lui,  s'em- 
parèrent de  sa  personne  et  le  firent  égorger.  Gortès  disait  enfin  que, 
présentement,  il  s'occupait  de  coloniser  ce  pays  et  les  peuplades  dé- 
pendant de  la  ville  de  Truxillo  ;  que  le  sol  y  était  riche  en  mines,  et 
qu'on  eût  à  lui  envoyer  des  soldats,  attendu  qu'ils  avaient  de  la  peine 
à  gagner  leur  vie  à  Saint-Domingue.  En  preuve  que  ce  pays  était  riche 
en  or,  il  envoya  plusieurs  joyaux  et  des  pièces  de  sa  propre  garde- 
robe,  ainsi  que  de  la  vaisselle  qu'il  avait  apportée  de  Mexico,  et  même 
des  objets  de  ses  propres  dressoirs.  Il  désigna  comme  capitaine  de  ce 
navire  son  cousin  Avalos.  Il  lui  donna  l'ordre  de  prendre,  en  route, 
vingt-cinq  soldats  qu'avait  laissés  dans  les  îlots,  près  de  Gozumcl, 
un  chef  de  bande,  venu  pour  assaillir  les  Indiens. 

Avalos  partit  du  port  de  Honduras  et,  voguant  tantôt  avec  beau 
temps,  tantôt  avec  vent  contraire,  il  était  déjà  parvenu  à  dépasser  la 

1.  A  partir  de  ce  moment,  ce  génie  tutélaire  de  la  conquête  disparaît  dans  l'oubli 
et  l'ingratitude  des  conquistadores.  L'histoire  n'en  fait  plus  mention, 


710  CONQUETE 

pointe  de  Saint-Antoine,  qui  se  trouve  près  des  sierras  de  Gruani- 
guanico,  à  soixante  ou  soixante-dix  lieues  de  la  Havane,  lorsqu'un 
gros  temps  poussa  le  navire  et  le  fit  échouer  sur  la  côte.  Les  moines, 
le  capitaine  Avalos  et  plusieurs  soldats  se  noyèrent;  quelques-uns 
réussirent  à  se  sauver,  soit  dans  le  canot,  soit  sur  des  planches,  et, 
après  mille  fatigues,  ils  arrivèrent  au  port  de  la  Havane.  De  là,  la 
nouvelle  se  répandit  dans  toute  l'île  de  Cuba  que  Gortès  et  nous  tous 
vivions  encore.  On  le  sut  aussi  en  peu  de  jours  à  Saint-Domingue, 
parce  que  le  licencié  Pedro  Lopez,  l'un  des  médecins  de  l'expédition, 
qui  se  sauva  sur  une  planche,  écrivit  à  l'Audience  royale  de  Saint- 
Domingue,  au  nom  de  Gortès,  tout  ce  qui  était  arrivé.  Il  rapportait 
comme  quoi  ce  général  s'occupait  en  ce  moment  de  l'établissement  de 
Truxillo,  où  il  avait  besoin  de  vivres,  de  vin  et  de  chevaux  ;  qu'on 
apportait  beaucoup  d'or  pour  faire  l'acquisition  de  ces  objets,  mais 
que  tout  s'était  perdu  dans  le  naufrage,  comme  je  viens  de  dire.  Ces 
nouvelles  réjouirent  fout  le  monde,  parce  que  le  bruit  s'était  répandu 
—  et  on  le  croyait  —  que  Gortès  et  nous  tous  avions  cessé  de  vivre  ; 
cette  conviction  avait  eu  pour  origine  l'arrivée  à  la  Espanola  d'un 
navire  parti  de  la  Nouveile-Espagne.  Aussitôt  qu'on  sut  à  Saint-Do- 
mingue que  Gortès  s'occupait  de  la  colonisation  des  provinces  dont 
j'ai  parlé,  les  auditeurs  et  les  marchands  s'empressèrent  de  charger 
deux  vieux  navires  de  chevaux,  de  poulains,  de  chemises,  de  toques 
et  de  colifichets,  sans  vivres  ni  fruits  d'aucune  sorte,  à  l'exception 
d'une  pipe  de  vin.  Sauf  les  chevaux,  tout  le  chargement  n'était  que 
bagatelles.  On  s'occupait  de  le  préparer  en  attendant  que  les  navires 
arrivassent,  car  ils  n'étaient  pas  encore  au  port. 

Je  reviens  à  Gortès  pour  dire  que,  tandis  qu'il  était  à  Truxillo,  des 
Indiens  des  îles  Glanages,  situées  à  huit  lieues  de  distance,  vinrent 
lui  adresser  des  plaintes.  Ils  disaient  qu'un  navire  était  venu  mouiller 
près  de  leur  village;  le  canot  du  bord  avait  débarqué  des  Espagnols 
armés  d'escopettes  et  d'arbalètes,  qui  prétendaient  s'emparer  par  la 
force  des  sujets  de  l'île.  A  en  croire  ces  messagers,  ce  n'étaient  que 
des  bandits  comme  ceux  qui,  les  années  précédentes,  leur  avaient 
enlevé  beaucoup  d'Indiens  qu'ils  emmenèrent  prisonniers  dans  un 
autre  navire  pareil  à  celui  qui  était  mouillé  au  port.  Ils  demandaient 
à  Cortès  de  mettre  ordre  à  cette  affaire.  A  cette  nouvelle,  notre  chef 
fit  armer  un  brick  avec  la  meilleure  artillerie  qu'on  eût,  et  y  embarqua 
vingt  soldats  commandés  par  un  bon  capitaine.  Ils  avaient  ordre  de 
s'emparer,  atout  prix,  du  navire  dont  les  Indiens  parlaient  et  de  le  lui 
amener  avec  tous  les  Espagnols  qui  le  montaient,  attendu  qu'ils  ne 
faisaient  que  piller  les  sujets  de  Sa  Majesté.  Il  ordonna  aussi  aux 
Indiens  d'armer  leurs  embarcations,  de  se  bien  munir  eux-mêmes  de 
pieux  et  de  flèches,  d'entourer  ainsi  le  brick  et  de  l'aider  à  s'emparer 
de  ceux  dont  ils  avaient  à  se  plaindre.  Il  donna  pour  tout  cela  des 


DE  LA  NOUVELLE-ESPAGNE.  711 

pouvoirs  au  capitaine.  Celui-ci  s'avança,  en  conséquence,  avec  son 
înick  armé,  entouré  d'un  grand  nombre  de  canots  d'indigènes  de  ces 
îlots.  Mais  les  hommes  du  navire  qui  était  à  l'ancre,  les  voyant  venir, 
ne  jugèrent  pas  prudent  d'attendre;  ils  s'empressèrent  d'appareiller 
et  de  prendre  la  fuite,  comprenant  Lien  que  c'était  à  eux  que  l'on  en 
voulait,  et  il  ne  fut  pas  possible  à  notre  brick  de  les  atteindre.  On 
sut  plus  tard  que  ce  navire  flibustier  était  commandé  par  un  certain 
bachelier  Moreno,  qui  avait  été  envoyé  pour  une  affaire  à  Nombre 
de  Dios  par  l'Audience  royale  de  Saint-Domingue.  Soit  que  les  cou- 
rants l'eussent  entraîné,  soit  que  ce  fût  un  projet  médité  d'avance,  le 
fait  est  qu'il  allait  capturer  des  Indiens  aux  îles  Cruanages. 

Quant  à  Gortès,  il  continua  à  s'occuper  delà  pacification  de  la  pro- 
vince. Mais  voyons  ce  qui  arriva  àSandoval,  à  Naco. 


CHAPITRE  GLXXXIV 

Comme  quoi  le  capitaine  Gonzalo  de  Sandoval,  qui  était  à  Naco.  s'empara  de  quarante 
soldats  espagnols  et  tic  leur  capitaine,  tous  venus  de  Nicaragua,  qui  cousaient  des 
dommages  et  pillaient  les  Indiens  des  villages  par  où  ils  passaient. 

Pendant  que  Sandoval  était  à  Naco,  s'occupant  de  la  pacification  de 
la  plupart  des  villages  de  cette  province,  se  présentèrent  à  lui  quatre 
caciques  de  deux  villages  appelés  Quecuspa  et  Tanchinalchapa.  Ils 
disaient  que  chez  eux  se  trouvaient  des  Espagnols  nous  ressemblant, 
avec  des  armes  et  des  chevaux,  qui  leur  prenaient  leurs  biens,  leurs 
filles  et  leurs  femmes,  et  les  attachaient  avec  des  chaînes  de  fer.  Cette 
nouvelle  mit  Sandoval  en  grande  colère;  il  demanda  à  quelle  distance 
étaient  leurs  habitations,  et  apprit  qu'il  faudrait  une  journée  pour  y 
arriver.  Il  fit  apprêter  le  mieux  possible  ceux  qu'il  destinait  à  l'y 
suivre,  avec  leurs  armes,  les  chevaux,  les  arbalètes  et  les  espingoles. 
Nous  partîmes  soixante  hommes  en  sa  compagnie.  En  arrivant  aux 
villages  où  se  trouvaient  ces  soldats,  nous  les  surprîmes  au  repos, 
sans  qu'ils  soupçonnassent  le  moins  du  monde  que  nous  allions  les 
capturer.  En  nous  voyant  approcher,  ils  voulurent  courir  aux  armes  ; 
mais  ce  fut  en  vain;  nous  nous  emparâmes  du  capitaine  et  d'un  grand 
nombre  d'entre  eux,  sans  qu'une  goutte  de  sang  eût  été  versée  départ 
ni  d'autre.  Sandoval,  leur  adressant  la  parole,  non  sans  mauvaise  hu- 
meur, leur  demanda  s'il  leur  paraissait  juste  de  piller  de  la  sorte  les 
sujets  de  Sa  Majesté,  et  si  c'était  ainsi  qu'ils  comprenaient  la  bonne 
manière  de  conquérir  et  de  pacifier.  Il  fit  enlever  les  fers  qui  enchaî- 
naient quelques  Indiens  et  Indiennes,  et  les  rendit  immédiatement 
aux  caciques  du  village.  Il  renvoya  tous  les  autres  captifs  à  leurs 
habitations,  peu  éloignées  de  là.  Puis  il  ordonna  au  capitaine,  un 


712  CONQUÊTE 

nommé  Pedro  de  (iarro,  de  se  tenir  pour  prisonnier  avec  tout  son 
monde,  et  de  se  préparer  à  nous  suivre  au  bourg  de  Naco.  Nous  nous 
mîmes  en  route  avec  eux.  Ils  emmenaient  dans  leurs  rangs  beaucoup 
d'Indiennes  de  Nicaragua,  quelques-unes  fort  belles,  ainsi  que  des 
ouvrières  pour  le  service.  La  plupart  d'entre  eux  avaient  des  chevaux. 
Gomme  nous  étions  maltraités  et  défaits  par  nos  longs  voyages,  et 
que  d'ailleurs  nous  n'avions  pas  même  d'Indiennes  pour  faire  notre 
pain,  ils  étaient  de  grands  seigneurs  en  comparaison  de  nos  misères. 
Quand  nous  arrivâmes  à  Naco,  Sandoval  les  logea  convenablement, 
parce  qu'il  y  avait  parmi  eux  des  hidalgos  et  quelques  personnes  de 
qualité.  Après  un  jour  de  repos,  le  capitaine  Grarro,  voyant  que  nous 
étions  des  gens  de  Gortès,  devint  vraiment  l'ami  de  Sandoval  et  le 
nôtre,  se  montrant  très-joyeux  d'être  en  notre  compagnie. 

Il  convient  de  dire  tout  de  suite  comment  et  pourquoi  ce  capitaine 
se  trouvait  là  avec  ses  soldats.  Il  paraît  que  Pedro  Arias   de  Avila, 
gouverneur  de  Terre-Ferme,  avait  envoyé  un  de  ses  capitaines,  du 
nom  de  Francisco  Hernandez,  personne  de  qualité,  pour  conquérir  et 
pacifier  le  pays  de  Nicaragua,  avec  tout  ce  qu'il  pourrait  découvrir. 
Il  lui  donna  un  certain  nombre  de  soldats,  tant  cavaliers  qu'arbalétriers. 
Hernandez  arriva  aux  provinces   de  Nicaragua  et  de  Léon,  les  pacifia 
et  y  fonda  des  colonies.  Il  se  voyait  ainsi  à  la  tête  d'un  grand  nombre 
de  soldats,  heureux  dans  son  entreprise,  et  éloigné  de  Pedro  Arias  de 
Avila;  les  mauvais  conseillers  ne  lui  manquaient  pas  d'ailleurs.  Pla- 
çons à  leur  tête  un  certain  bachelier  Moreno,  dont  j'ai  parlé.  L'Au- 
dience royale  d e  Saint-Domingue  et  les  Frères  hiéronymites,  gouverneurs 
des  îles,  l'avaient  envoyé  à  Terre-Ferme  à  propos  d'un  procès  relatif, 
je  pense,  à  la  mort  de  Balboa,  gendre  de  Pedro  Arias  qui  l'avait  fait 
égorger  injustement  après  l'avoir  marié  avec  sa  fille  dona  Isabel  Arias 
de  Penalosa.  Or,  ce  bachelier  Moreno  avait  dit  au  capitaine  Francisco 
Hernandez    qu'après  avoir  conquis  n'importe  quel  pays,   il  devrait 
s'adresser  directement  à  notre  Roi  et  seigneur  pour  en  être  gouver- 
neur, et  qu'en  agissant  ainsi,  il  ne  serait  nullement  un  traître.  Le 
bachelier   ajoutait  qu'en   faisant   égorger  Balboa,  quoiqu'il    fût    son 
gendre,  Pedro  Arias  avait  foulé  aux  pieds  toute  justice,  parce   que 
Balboa  avait  pris  la  précaution  d'envoyer  ses  fondés  de  pouvoirs  à  Sa 
Majesté  pour  être  nommé  gouverneur  civil  et  militaire  de  ce  qu'il 
pourrait  découvrir.  Sous  l'influence  de  ces  discours,  Francisco  Her- 
nandez s'était  décidé  à  envoyer   son    capitaine  Pedro  de  Grarro  à  la 
recherche  d'un  port  sur  la  côte  nord,  afin  de  notifier  à  Sa  Majesté  la 
conquête,  la  pacification  et  la  colonisation  faites  par  lui  de  ces  pro- 
vinces, et  obtenir  d'en  être  nommé  gouverneur,  en  se  fondant  aussi 
sur  la  considération  qu'elles  étaient  trop  éloignées  du  siège  de  gouver- 
nement de  Pedro  Arias.  Ce  fut  lorsqu'il  était  en  route  pour  l'exécution 
de  ces  ordres  que  nous  fîmes  Pedro  de  Grarro  prisonnier, 


DE  LA   NOUVELLE-ESPAGNE.  713 

Après  s'être  mis   au  courant  du  but  de  son  voyage,  Sandoval  en 

causa  secrètement  avec   lui.  Il  fut  convenu    qu'on  le  ferait   savoir  à 

Cortès,  qui  était  à  Truxillo,   Sandoval   étant   bien  convaincu    que  le 

général   donnerait  son   concours  pour  que  Francisco  Hernandez  fut 

réellement  gouverneur  de  Nicaragua.  Cet  accord  étant  fait,  les  deux 

chefs  choisirent  dix  homrr.es,  cinq  des   nôtres  et  un  nombre  égal  de 

ceux  de  Garro,  pour  aller  à  Truxillo  porter  les  lettres,  en  suivant  la 

côte;  car  c'est  là  que   résidait  alors  Cortès,  ainsi  que  je  l'ai  dit  dans 

un   des  chapitres  précédents.  Ils  emmenèrent  environ   vingt  Indiens 

de  Nicaragua  pour  qu'ils  aidassent  au  passage  des  rivières.  En  route, 

il  leur  fut  impossible  de  traverser  la  rivière  de  Pichin;  il  en  fut  de 

même  pour  celle  de  Balama  à  cause  de  crues  considérables;  de  sorte 

qu'ils  revinrent  à  Naco  au  bout  de  quinze  jours,  sans  avoir  rien  fait 

de  ce  qui  leur  était  ordonné.  Sandoval  en  fut  si  irrité  qu'il  maltraita 

verbalement    celui  qui   avait  commandé   l'expédition,  et,   sans   plus 

attendre,  il  ordonna  au  capitaine  Luis  Marin  de  se  mettre  en  route  à 

travers  le  pays,  avec  dix  soldats  dont  cinq  de  Grarro  et  un  égal  nombre 

des  nôtres.  Je  fus  désigné  pour  prendre  part  à  l'expédition. 

Nous  partîmes  tous  à  pied  et  traversâmes  en  route  plusieurs  vil- 
lages soulevés  contre  nous.  Je  n'en  finirais  pas  si  je  devais  rapporter 
en  détail  les  grandes  difficultés  qu'il  nous  fallut  surmonter,  les  ren- 
contres que  nous  eûmes  avec  les  Indiens,  les  rivières  que  nous  pas- 
sâmes en  bateau  ou  à  la  nage,  la  faim  qui  nous  tourmenta  souvent, 
et  bien  d'autres  calamités  dignes  de  mémoire.  Il  y  eut  des  jours  où 
il  nous  fallut  traverser  jusqu'à  trois  rivières  considérables  en  canots 
ou  à  la  nage.  Quand  nous  arrivâmes  à  la  côte,  nous  rencontrâmes  un 
grand  nombre  d'estuaires    remplis    de    caïmans.    A    dix   lieues    de 
Triomphe  de  la  Croix,  deux  journées  nous  furent  nécessaires  pour 
traverser  le  fleuve  de  Xagua,  tant  la  crue  l'avait  rendu  rapide.  Ce  fut 
là  que  nous  trouvâmes  les  ossements  de  sept  chevaux  ayant  appartenu 
à  la  troupe  de  Christoval  de  Oli,  et  qui  avaient  succombé  à  la  mau- 
vaise nourriture  dont  ils  firent  usage.  Nous  continuâmes  notre  route 
vers  Triomphe    de   la  Croix;    nous  y  vîmes  des  débris  de    navires 
échoués  à  la  côte;   de  là  nous  arrivâmes  en  quatre  jours  à  un  village 
appelé  Quemara,  où  les  Indiens  guerriers  nous  attaquèrent  en  grand 
nombre.  Ils  avaient  de  grandes  lances  très-massives  qu'ils  poussaient 
de  la  main  droite  en  les  faisant  glisser  sur  le  bras  gauche  muni  d'une 
rondache,  comme  nous  faisons  avec  nos  piques.  Ils  s'approchaient  à 
nous  toucher;  mais  heureusement, avec  les  arbalètes  que  nous  avions 
emportées,  et  à  bonnes  entailles,  nous  les  obligeâmes  à  nous  laisser 
le  passage,  et  nous  continuâmes  notre  route  avec  deux  de  nos  soldats 
blessés.  Ces  Indiens,  du  reste,  ne  croyaient  pas  que  nous  fussions  des 
hommes  de  Cortès;  ils  nous  prirent  pour  des  soldats  d'un  autre  chef; 
qui  allaient  chez  eux  dans  le  dessein  de  faire  des  prisonniers. 


714  CONQUÊTE 

Là  s'arrête  du  reste  le  récit  de  nos  fatigues,  car  deux  jours  après 
nous  arrivâmes  à  Truxillo.  Avant  d'y  entrer,  vers  l'heure  de  vêpres, 
nous  aperçûmes  cinq  cavaliers  ;  c'était  Cortès  qui  faisait  sa  prome- 
nade sur  la  côte  avec  quelques  autres  caballeros.  En  nous  apercevant, 
de  loin,  ils  ne  surent  guère  que  penser  de  cette  apparition;  mais 
lorsque  Cortès  nous  eut  reconnus,  il  mit  pied  à  terre  et  vint  nous  em- 
brasser, les  larmes  aux  yeux,  en  disant  :  «  0  mes  frères  et  camarades, 
combien  j'avais  le  désir  de  vous  voir  et  d'apprendre  comment  vous 
étiez  !  »  Il  était  si  maigre  qu'il  nous  fit  pitié  ;  nous  sûmes  en  effet 
qu'il  avait  failli  mourir  de  fortes  fièvres  et  du  chagrin  dont  il  était 
accablé.  Il  ne  savait  absolument  rien  encore  des  affaires  de  Mexico. 
Quelques  autres  personnes  nous  dirent  que  sa  mort  avait  paru  si  im- 
minente, qu'on  avait  déjà  préparé  une  robe  de  franciscain  pour  l'en 
envelopper  dans  sa  tombe.  Il  revint  à  pied,  à  la  ville,  avec  nous.  Il 
nous  reçut  chez  lui  et  nous  soupâmes  en  sa  compagnie.  Il  était  si  dé- 
nué de  tout,  qu'il  ne  put  même  nous  donner  assez  de  cassave  pour 
apaiser  notre  faim.  Quand  nous  lui  eûmes  fait  le  rapport  de  ce  qui 
nous  amenait  et  lu  les  lettres  concernant  le  concours  qu'on  lui  deman- 
dait pour  Francisco  Hernandez,  il  répondit  qu'il  ferait  pour  celui-ci 
tout  ce  qu'il  pourrait.  Trois  jours  avant  notre  arrivée  à  Truxillo,  on  y 
avait  reçu  les  deux  petits  navires  porteurs  des  chargements  qu'on 
envoyait  de  Saint-Domingue,  consistant  en  chevaux,  poulains,,  vieilles 
armes,  quelques  chemises,  des  toques  rouges  et  autres  objets  de  peu 
de  valeur  ;  sauf  une  pipe  de  vin,  ils  n'apportaient  absolument  rien 
dont  on  pût  tirer  profit  pour  vivre.  Il  aurait  certainement  mieux  valu 
ne  les  point  envoyer,  car  l'achat  de  ces  misères  ne  servit  qu'à  nous 
endetter. 

Nous  étions  en  compagnie  de  Cortès,  occupés  à  lui  raconter  notre 
pénible  voyage,  lorsqu'on  vit  venir  par  la  mer.  un  navire  sous  voile. 
Quand  il  fut  arrivé  au  port,  nous  apprîmes  qu'il  venait  de  la  Havane, 
envoyé  par  le  licencié  Zuazo,  que  Cortès  avait  laissé  à  Mexico  en  qua- 
lité d'alcalde  mayor.  Il  apportait  quelques  friandises  pour  Cortès 
avec  une  lettre  qui  contenait  ce  qui  suit.  Si  je  n'en  rapporte  pas 
exactement  les  termes,  je  suis  certain  d'en  donner  au  moins  le  sens. 


CHAPITRE  CLXXXY 


Comme  quoi  le  licencié  Zuazo  envoya  de  la  Havane  une  lettre  à  Cortès  dont  le  contenu 

est  comme  je  vais  dire. 

Le  navire  ayant  mouillé  au  port,  un  hidalgo  qui  en  était  capitaine 
descendit  à  terre  et  s'empressa  d'aller  baiser  les  mains  à  Cortès  en  lui 


DE  LA   NOUVELLE-ESPAGNE.  715 

remettant  une  lettre  du  licencié  Zuazo.  Notre  capitaine,  l'ayant  par- 
courue, fut  pris  d'une  telle  tristesse  qu'il  se  retira  dans  son  logement 
comme  étouffé  par  les  sanglots  et  n'en  sortit  que  le  lendemain  matin. 
C'était  un  samedi.  Il  se  confessa,  le  soir  même,  àfray  Juan  et  lui  !<■- 
commanda  de  dire  le  lendemain,  de  très-bonne  heure,  une  messe  de 
Notre  Dame.  Il  y  communia  et,  en  sortant,  il  nous  pria  de  l'écouter 
pour  savoir  ce  qui  s'était  passé  dans  la  Nouvelle-Espagne,  et  apprendre 
qu'on  avait  répandu  le  bruit  de  notre  mort,  qu'on  avait  disposé  de  nos 
biens,  vendu  notre  avoir  à  l'encan,  et  pris  nos  Indiens  qu'on  distri- 
buait  entre  d'autres  Espagnols   sans  mérite .  Enfin,  nous   allions 

voir,  car  il  commença  à  lire  la  lettre  dont  je  vais  dire  le  contenu.  Et 
d'abord,  nous  prîmes  connaissance  de  celles  que  le  père  de  Certes  et 
Ordas  avaient  écrites  de  Castille,  annonçant  que  le  contador  Albornoz 
avait  été  hostile  dans  tout  ce  qu'il  écrivit  à  Sa  Majesté  et  à  l'évêque 
de  Burgos.  Ils  disaient  les  dispositions  prises  par  Sa  Majesté  à  ce 
propos,  qui  consistaient  à  envoyer  l'amiral  de  Saint-Domingue  avec 
six  cents  hommes,  ainsi  que  je  l'ai  dit  dans  le  chapitre  qui  en  a  traité. 
On  nous  expliquait  que  le  duc  de  Bejar  s'était  porté  caution  pour 
Cortès  et  pour  nous  tous,  engageant  ses  dignités  et  sa  tête,  affirmant 
que  nous  étions  de  loyaux  serviteurs  de  Sa  Majesté,  et  autres  particu- 
larités dont  j'ai  fait  mention  ailleurs.  On  nous  révélait  encore  que  le 
droit  de  conquérir  le  fleuve  de  Palmas  avait  été  assigné  à  Narvaez, 
qu'un  certain  Nuno  de  Guzman  recevait  le  gouvernement  du  Panuco, 
et,  enfin,  que  l'évêque  de  Burgos  avait  cessé  de  vivre. 

En  ce  qui  regardait  les  affaires  de  la  Nouvelle-Espagne,  les  lettres 
nous  mettaient  au  courant  de  ce  qui  va  suivre.  On  se  rappelle  que  Cortès 
avait  donné,  lorsqu'il  était  à  Guazacualco,  des  pouvoirs  et  des  provi- 
sions au  Factor  Gonzalo  de  Salazaret  à  Pedro  AlmindezChirinos  pour 
devenir  gouverneurs  de  Mexico,  dans  le  cas  où  ils  verraient  que  le 
trésorier  Alonso  de  Estrada  et  le  contador  Albornoz  ne  gouvernaient 
pas' d'une  manière  satisfaisante.  Or,  aussitôt  que  le  Factor  et  le 
Veedor  arrivèrent  à  Mexico  avec  leurs  pouvoirs,  ils  réussirent  à  se 
faire  fort  bons  amis  du  licencié  Zuazo  qui  était  l'alcalde  mayor  de 
Cortès,  de  Rodrigo  de  Paz,  alguazil  mayor  de  notre  général,  d'An- 
drès  de  Tapia,  de  Jorge  de  Alvarado  et  de  la  plupart  des  conquista- 
dores de  Mexico.  Se  voyant  secondés  par  tant  de  bonnes  amitiés,  ils 
affichèrent  la  prétention  de  gouverner  à  la  place  du  trésorier  et  du 
contador.  Beaucoup  de  bruit  se  fit  à  ce  sujet;  il  y  eut  un  grand 
nombre  de  morts  d'hommes,  les  uns  prétendant  favoriser  le  Factor  et 
le  \eedor,  et  les  autres  voulant  témoigner  leur  amitié  au  trésorier  et 
au  contador.  Mais,  à  la  fin,  ce  furent  Gonzalo  de  Salazar  et  Pedro 
Almindez  Ghirinos  qui  furent  les  gouverneurs,  tandis  que  leurs  adver- 
saires et  ceux  qui  les  favorisaient  furent  emprisonnés.  Chaque  jour  on 
entendait   parler  de  coups  d'épée  et  de  désordres.  Tous  les  Indiens 


71 fi  CONQUÊTE 

dont  on  déclarait  la  vacance  étaient  donnés  par  les  gouvernants  àleurs 
amis,  Jors  même  qu'ils  n'avaient  aucun  mérite  pour  cela.  Quant  au 
licencié  Zuazo,  on  ne  lui  laissait  nullement  rendre  la  justice.  Rodrigo 
de  Paz  fut  mis  en  prison  parce  qu'il  avait  prétendu  modérer  le  gouver- 
nement. Ce  fut  alors  que  le  licencié  Zuazo  intervint  pour  rétablir  une 
certaine  harmonie  entre  le  Factor,  le  trésorier,  le  contador  et  Rodrigo 
de  Paz  ;  mais  cet  accord  ne  dura  que  huit  jours.  En  même  temps,  on 
voyait  se  soulever  les  provinces  des  Zapotèques  et  des  Minxes,  et  un 
village  construit  en  forteresse  sur  un  grand  penol,  connu  sous  le  nom 
de  Goatlan.  On  envoya  contre  eux  beaucoup  de  soldats  nouvellement 
arrivés  de  Gastille,  et  beaucoup  d'autres  qui  ne  faisaient  pas  partie 
des  vieux  conquistadores.  LeVeedor  Ghirinos  se  mit  à  leur  tête. 

La  lettre  de  Zuazo  donnait  encore  d'autres  nouvelles  :  d'après 
elle,  les  nouveaux  gouvernants  se  livraient  à  de  grandes  dépenses, 
sur  les  finances  de  Sa  Majesté  et  les  fonds  contenus  dans  la  caisse 
royale.  Les  vivres  abondaient  tellement  dans  les  palais  où  ils  rési- 
daient qu'on  n'y  voyait  que  l'orgie  et  le  jeu.  Quant  aux  Indiens,  on 
avait  pris  l'habitude  de  ne  faire  aucun  cas  d'eux;  aussi  ceux  du 
penol  faisaient-ils  de  fréquentes  sorties  sur  le  quartier  du  Veedor  à 
qui  ils  tuèrent  plusieurs  soldats  en  en  blessant  un  grand  nombre 
d'autres.  Ce  voyant,  le  Factor  prit  le  parti  d'envoyer  à  côté  de  Ghi- 
rinos un  des  capitaines  de  Gortès,  Andrès  de  Monjaraz,  qui  était  de- 
venu son  ami.  Malheureusement  ce  Monjaraz  se  trouvait  en  ce  mo- 
ment perclus  de  bubas  et  tout  à  fait  incapable  de  rien  entreprendre 
d'utile,  tandis  que  d'autre  part  les  Indiens  se  montraient  enhardis  de 
leurs  triomphes  et  que  la  rébellion  était  chaque  jour  plus  à  craindre 
dans  Mexico.  En  attendant,  le  Factor  employait  tous  les  moyens  pour 
arriver  à  la  possibilité  d'envoyer  de  l'or  en  Gastille  à  Sa  Majesté  et 
au  grand  commandeur  de  Léon  don  Francisco  de  Los  Gobos.  Ce  fut 
alors  aussi  qu'il  fit  courir  le  bruit  que  Gortès  et  nous  tous  avions  été 
massacrés  par  les  Indiens  dans  un  village  appelé  Xicalango. 

A  cette  même  époque  encore  revenait  de  Gastille  Diego  de  Ordas 
que  Gortès  avait  envoyé  en  qualité  de  procureur  de  la  Nouvelle- 
Espagne.  Or  il  ne  fit  autre  chose  que  se  procurer  à  lui-même  une 
commanderie  de  Santiago,  le  titre  de  propriété  de  ses  Indiens  et  le 
volcan  de  Guaxocingo  pour  armoiries.  Dès  qu'il  arriva  à  Mexico,  il 
manifesta  l'intention  d'aller  à  la  recherche  de  Gortès,  après  avoir  vu 
les  discordes  et  disputes  qui  régnaient  dans  la  capitale.  A  cet  effet,  il 
crut  devoir  se  faire  le  grand  ami  du  Factor.  Quoi  qu'il  en  soit,  il  fit 
voile  avec  un  navire  et  un  brigantin  dans  le  but  d'aller  voir  si  Gortès 
était  mort,  et  il  suivit  la  côte  jusqu'au  village  de  Xicalango  où  avaient 
péri  Simon  de  Guenca,  le  capitaine  Francisco  de  Mcdina  et  les  Espa- 
gnols qui  étaient  avec  eux,  ainsi  que  je  l'ai  dit  dans  le  chapitre  qui  en 
a  traité.  Ordas  se   contenta   d'apprendre   cette   nouvelle  et  reprit  la 


DE  LA  NOUVELLE-ESPAGNE.  717 

roule  de  la  Nouvelle-Espagne.  Jugeant  inutile  d'y  débarquer,  il 
écrivit  simplement  au  Factor,  par  l'entremise  de  quelques  passagers, 
qu'il  tenait  pour  certaine  la  mort  de  Cortès.  Après  avoir  lancé  ce 
bruit,  il  mit  à  profit  le  même  navire  pour  aller  à  l'île  de  Cuba 
acheter  des  juments  et  des  génisses. 

Le  Factor,  ayant  reçu  la  lettre  d'Ordas,  s'en  allait  la  montrant  à 
tout  le  monde  à  Mexico  et  répandait  partout  la  nouvelle  de  la  mort 
de  Cortès  et  de  nous  tous  qui  étions  partis  avec  lui.  Il  prit  le  deuil, 
il  lit  dresser  un  catafalque  à  l'église  principale  de  Mexico  et  célébrer 
une  cérémonie  funèbre  en  l'honneur  de  Cortès.  Cela  fait,  il  se  pro- 
clama gouverneur  et   capitaine  général  de   la  Nouvelle-Espagne,  au 
son  des  trompettes  et  des   atabales.  Il  ordonna  que  les  femmes  qui 
avaient  perdu  leurs  maris  dans  l'expédition  de  Cortès  eussent  à  prier 
pour  leurs  âmes  et  à  se   remarier.  Il  fit  même  parvenir  cet  ordre  à 
Craazacualco  et  dans  d'autres  villes.  La  femme  d'un    certain  Alonso 
Valiente,  appelée  Juana  de  Mancilla,  refusa  de  se  remarier,  préten- 
dant que  Cortès  ni  aucun  de  nous  n'étaient  morts  et  que  les  anciens 
conquistadores  n'étaient  pas  des  gens  sans  cœur  comme  ceux  qui  se 
trouvaient  devant  le  peiïol  de  Coatlan  aux  ordres  du  Veedor  Ghirinos 
et  qui  se  laissaient  attaquer  par  les  Indiens  au  lieu  de  les  attaquer 
eux-mêmes.  Elle  ajoutait  que  Dieu  lui  inspirait  l'espoir  de  voir  bien- 
tôt de  retour  à  Mexico  et  son  mari  et  Cortès  et  les  vieux   conquista- 
dores; qu'en  somme  elle  ne  voulait  point  se  remarier.  Ce  fut  à  cause 
de  ce  discours  que  le  Factor  la  fit  fouetter  publiquement  dans  les  rues 
de  Mexico,  en  l'accusant  de  maléfices.  Au  surplus,  comme  les  flat- 
teurs et  les  traîtres  ne  manquent  pas  dans  ce  monde,  on  en  vit  surgir 
un  que  nous  avions  pris  jusque  là  pour  un   honnête  homme,  et  que, 
pour  son  honneur,  je  ne  veux  pas  nommer  ici.  Il  déclara  au  Factor, 
devant  un  grand  nombre  de  personnes,  qu'il  était  tombé  malade  de 
frayeur,  parce  qu'en  passant  près  du  Tatelulco,  où  se  trouve  l'église 
de  Santiago,  là  même  où  s'élevait  autrefois  l'idole  de  Huichilobos,  il 
avait  clairement  vu  dans  le  préau  les  âmes  de  Cortès,  de  dona  Marina 
et  du  capitaine  Sandoval  brûlant  au  milieu  des  flammes  et  qu'il  avait 
été  saisi  du  mal  d'épouvante.  Un  autre  individu,  que  j'avais  toujours 
cru  digne  de  bonne  réputation  et  que  pour  cela  je  ne  veux  pas  nom- 
mer non  plus,  dit  au  Factor  qu'il  se  passait  sur  les  places  de  Tezcuco 
de  vilaines  choses  qu'on  attribuait   aux   âmes  de    Cortès  et  de  dona 
Marina.  Tout  cela  n'était  que  mensonges  et  trahisons.  La  vérité,  c'est 
que  ces  personnages  parlaient    ainsi   pour   s'attirer   les   faveurs  du 
Factor,  ou  parce  que  celui-ci  leur  en  avait  fait  un  ordre. 

En  même  temps  arrivèrent  aussi  à  Mexico  Francisco  de  Las  Casas 
et  Gil  Gonzalez  de  Avila,  ceux-là  mêmes  qui  avaient  fait  égorger 
Ghristoval  de  Oli.  Témoins  de  ces  troubles,  et  voyant  que  le  Factor 
s'était  fait  proclamer  gouverneur,  Las  Casas  qualifia  publiquement 


718  CONQUÊTE 

ces  faits  de  mauvaises  actions,  ajoutant  qu'on  ne  devrait  point  per- 
mettre pareilles  choses,  parce  que  Gortès  était  vivant  —  il  le  croyait 
du  moins  ainsi  —  et  qu'en  supposant  que  sa  mort  fût  réelle,  ce  qu'à 
Dieu  ne  plût,  Pedro  de  Alvarado  conviendrait  mieux  pour  gouverner 
que  le  Factor,  attendu  qu'il  était  plus  qualifié,  plus  gentilhomme  et 
pourvu  de  plus  de  mérite;  que,  par  conséquent,  on  devrait  l'appeler 
à  la  capitale.  Son  frère  Jorge  de  Alvarado,  le  trésorier  lui-même  et 
d'autres  habitants  de  Mexico  lui  écrivirent  pour  qu'il  revînt  en  tout 
cas  avec  sa  troupe,  dans  la  conviction  qu'on  s'efforcerait  de  le  faire 
gouverneur  jusqu'à  ce  que  l'on  sût  si  Gortès  était  vivant  et  pendant 
qu'on  avertirait  Sa  Majesté  pour  savoir  si  Elle  daignait  ordonner 
autre  chose.  Ces  lettres  firent  que  Pedro  de  Alvarado  prit  la  route  de 
Mexico  ;  mais  il  reçut  du  Factor  de  telles  menaces  de  mort  qu'il  en 
fut  réellemeut  impressionné.  Il  n'ignorait  pas,  d'ailleurs,  qu'on  avait 
pendu  Rodrigo  de  Paz  et  mis  en  prison  le  licencié  Zuazo,  et  pour  ces 
raisons  il  s'en  revint  au  pays  qu'il  avait  mission  de  conquérir. 

Entre  temps,  le  Factor  avait  recueilli  autant  d'or  qu'il  lui  avait  été 
possible,  à  Mexico  et  dans  la  Nouvelle-Espagne,  afin  d'en  prendre 
occasion  d'envoyer  pour  messager  à  Sa  Majesté  un  de  ses  amis,  appelé 
Pena,  avec  des  lettres  secrètes.  Francisco  de  Las  Casas,  le  licencié 
Zuazo  et  Rodrigo  de  Paz  osèrent  y  faire  opposition  ;  le  trésorier  et  le 
contador  eux-mêmes  se  joignirent  à  eux  pour  prétendre  qu'il  ne  de- 
vait point  annoncer  que  Gortès  était  mort,  attendu  que  cela  n'était 
pas  certain,  et  qu'au  surplus,  s'il  voulait  absolument  envoyer  de  l'or 
à  Sa  Majesté,  ce  serait  fort  bien,  pourvu  que  ce  fût  celui  du  quint 
royal;  mais  que,  même  en  ce  cas,  cela  devrait  se  faire  d'accord  avec 
le  trésorier  et  le  contador  et  nullement  au  nom  seul  du  Factor. 
Malgré  tout,  l'or  était  déjà  transporté  à  bord  des  navires  qui  se  te- 
naient prêts  à  faire  voile.  Mais  Las  Casas  se  mit  en  route,  porteur 
d'ordres  de  Zuazo  et  de  recommandations  de  Rodrigo  de  Paz,  des 
hauts  employés  des  finances  de  Sa  Majesté  et  de  quelques  conquis- 
tadores, pour  aller  empêcher  ce  départ  du  navire  jusqu'à  ce  qu'on  pût 
écrire  à  notre  Roi  les  conditions  dans  lesquelles  se  trouvait  la  Nou- 
velle-Espagne; car  en  ce  moment  le  Factor  s'opposait  à  ce  que  d'au- 
tres personnes  écrivissent  et  il  avait  prétendu  ne  laisser  embarquer 
que  ses  propres  nouvelles.  Lorsqu'il  vit  d'ailleurs  que  Las  Casas  et 
le  licencié  n'étaient  pas  précisément  de  ses  amis  et  lui  faisaient  op- 
position, il  donna  l'ordre  de  les  arrêter  et  d'instruire  le  procès  de 
Francisco  de  Las  Casas  et  de  Gril  Gonzalez  de  Avila,  pour  le  sup- 
plice qu'ils  avaient  fait  subir  à  Oli.  On  prononça  une  sentence  qui  les 
condamnait  à  être  égorgés.  Le  Factor  allait  les  faire  exécuter,  quoi- 
qu'ils eussent  interjeté  appel  par-devant  Sa  Majesté,  lorsqu'enfin,  à 
force  de  démarches,  on  obtint  que  le  recours  fût  admis.  Les  con- 
damnés furent  envoyés  enCastilleavec  les  pièces  relatives  à  leur  procès. 


DE  LA   NOUVELLE-ESPAGNE.  719 

Après  cela,  il  (it  retomber  tout  son  ressentiment  sur  Zuazo  lui- 
même  et,  bon  gré  mal  gré,  on  le  mit  sur  une  mule,  on  le  transporta 
à  Vera  Cruz  et  on  l'envoya  à  l'île  de  Cuba  sous  le  prétexte  qu'il  aurait 
à  y  rendre  compte  de  sa  conduite  de  magistrat.  Quant  à  Rodrigo  de 
Paz,  ({ai  avait  été  mis  en  prison,  on  exigeait  de  lui  qu'il  produisît  l'or 
et  l'argent  appartenant  àCortès,  attendu  qu'en  qualité  de  majordome 
il  devait  connaître  l'existence  de  ces  richesses  et  qu'il  n'ignorait  pas 
sans  doute  où  elles  étaient  cachées.  Elles  seraient  envoyées  à  Sa 
Majesté,  comme  chose  usurpée  par  Gortès  sur  le  trésor  royal.  Gomme 
il  ne  livrait  pas  cet  or,  qui  évidemment  devait  être  en  son  pouvoir,  le 
Factor  lui  fit  appliquer  la  question  :  on  lui  brûla  les  pieds  et  le  bas 
des  jambes  avec  de  l'huile  bouillante.  Le  malheureux,  faible  et  malade 
par  suite  de  sa  captivité,  fut  sur  le  point  d'en  mourir.  Voyant  au  sur- 
plus que,  s'il  en  revenait,  il  ne  tarderait  pas  de  porter  plainte  à  Sa 
Majesté,  le  Factor  donna  l'ordre  qu'on  le  pendît  comme  bandit  et 
perturbateur.  En  même  temps,  il  ordonnait  aussi  qu'on  arrêtât  la 
plupart  des  soldats  et  des  habitants  de  Mexico  connus  pour  être  des 
partisans  de  Gortès.  Jorge  de  Alvarado  et  Andrès  de  Tapia  cherchèrent 
un  refuge  dans  la  maison  des  Frères  franciscains.  Du  reste,  presque 
tout  le  monde  était  du  parti  de  Gortès,  quoique  plusieurs  des  anciens 
conquistadores  se  fussent  alliés  au  Factor  parce  qu'ils  en  recevaient 
de  bons  Indiens  et  qu'ils  commençaient  à  crier  :  Vice  le  vainqueur! 
Le  nouveau  gouverneur,  au  surplus,  avait  fait  enlever  du  dépôt  royal 
toutes  les  armes,  avec  ordre  de  les  apporter  dans  son  palais.  On  retira 
l'artillerie  de  la  forteresse  et  de  l'arsenal  pour  la  pointer  devant  l'ha- 
bitation du  gouverneur  qui  en  nomma  commandant  don  Luis  de  Gruz- 
man,  parent  du  duc  de  Mcdina-Sidonia.  Un  certain  Artiaga  reçut  le 
grade  de  capitaine  de  sa  garde,  dont  devaient  faire  partie,  pour  veiller 
sur  sa  personne,  Ginès  Nortez,  Cronzalez  Sabiote  et  quelques  autres 
soldats  qui  avaient  appartenu  à  Gortès. 

La  lettre  de  Zuazo  conseillait  encore  à  Gortès  d'aller  le  plus  tôt  pos- 
sible mettre  ordre  aux  affaires  de  Mexico,  parce  qu'en  sus  des  calamités 
et  des  scandales  qu'on  vient  de  lire,  il  existait  de  bien  pires  choses  : 
Je  Factor  avait,  en  effet,  écrit  à  Sa  Majesté  qu'on  venait  de  trouver 
dans  la  garde-robe  de  Gortès  un  poinçon  avec  lequel  il  marquait  l'or 
qui  lui  était  apporté  secrètement  par  les  Indiens,  afin  de  n'en  pas 
payer  le  quint  royal.  Pour  qu'on  jugeât,  du  reste,  à  quel  point  en 
étaient  arrivées  les  choses  à  Mexico,  la  lettre  de  Zuazo  faisait  savoir 
qu'un  habitant  de  Guazacualco  était  venu  dans  cette  ville  afin  de 
revendiquer  pour  lui  un  certain  nombre  d'Indiens  restés  vacants  par 
suite  de  la  mort  d'un  autre  résident  du  bourg.  Il  eut  beau  s'exprimer 
à  voix  basse  et  appuyer  son  dire  des  meilleures  raisons  en  assurant 
à  une  femme,  chez  laquelle  il  recevait  l'hospitalité,  qu'elle  avait  eu 
tort  de  se  remarier,  parce  que  son  mari,  ainsi  que  tous  ceux  qui  par- 


720  CONQUÊTE 

tirent  avec  Cortès,  était  certainement  vivant;  le  propos  fut  bien  vite 
rapporté  au  Factor  qui,  en  l'apprenant,  envoya  chercher  par  quatre 
alguazils  le  voyageur  qu'on  amena  garrotté  à  la  prison  publique. 
Il  voulait  le  faire  pendre  comme  perturbateur;  mais  le  pauvre  mal- 
heureux, nommé  Gronzalo  Hernandez,  se  ravisa,  et  dit  qu'ayant  vu 
pleurer  la  femme  il  s'était  permis  de  lui  dire  que  son  mari  était  vivant, 
uniquement  pour  la  consoler,  mais  que  sa  conviction  était  que  nous 
étions  tous  morts.  Il  s'ensuivit  que  le  gouverneur  lui  fit  donner  les  In- 
diens qu'il  réclamait,  avec  l'ordre  de  ne  pas  rester  davantage  à  Mexico, 
l'avertissant  que,  s'il  s'avisait  de  parler  encore,  on  le  ferait  pendre. 

La  lettre  de  Zuazo  se  terminait  par  la  triste  nouvelle  que,  peu  de 
temps  après  le  départ  de  Cortès  de  Mexico,  le  bon  Père  fray  Barto- 
lomé  était  mort1.  Ce  fut  un  saint  moine;  tout  Mexico  le  pleura.  On 
l'inhuma  en  grande  pompe  dans  l'église  de  Santiago.  Les  Indiens 
restèrent  sans  manger  depuis  le  moment  de  sa  mort  jusqu'à  ce  qu'il 
fut  enterré.  Les  Pères  franciscains  qui  prêchèrent  à  ses  obsèques 
dirent  que  c'était  un  saint  homme,  et  que  si  l'Empereur  lui  devait 
beaucoup,  les  Indiens  lui  devaient  encore  davantage,  puisqu'à  l'Empe- 
reur il  n'avait  donné  que  de  nouveaux  sujets,  et  qu'aux  Indiens  il 
avait  révélé  la  connaissance  de  Dieu  en  gagnant  ainsi  leurs  âmes 
pour  le  paradis.  Il  avait  converti  et  baptisé  plus  de  deux  mille  cinq 
cents  Indiens  dans  la  Nouvelle-Espagne,  selon  l'aveu  que  le  défunt 
en  avait  fait  au  prédicateur  lui-même.  Sa  mort  fut  une  grande  perte, 
parce  que  son  ascendant  et  la  sainteté  de  son  caractère  apaisaient  bien 
des  discussions  et  des  querelles;  en  outre,  il  faisait  le  plus  grand  bien 
aux  pauvres.  Zuazo  ajoutait  encore  dans  sa  lettre  que  Mexico  était 
perdue,  et  il  finissait  par  ces  paroles  :  «  Ce  que  je  viens  de  dire  à 
Votre  Grâce  s'est  passé  absolument  comme  je  l'ai  dit;  c'est  de  la  sorte 
que  vont  les  hommes  que  j'ai  laissés  là-bas;  ils  m'envoyèrent  pri- 
sonnier sur  une  mule  pour  m'embarquer  dans  ce  navire  où  je  suis 
encore  chargé  de  fers.  » 

Lorsque  Cortès  acheva  de  lire,  nous  tombâmes  tous  dans  une  tris- 
tesse et  une  irritation  des  plus  grandes,  aussi  bien  contre  Cortès,  qui 
venait  de  nous  amener  où  nous  étions  à  travers  tant  de  fatigues,  que 
contre  le  Factor,  de  qui  nous  recevions  tant  de  préjudices.  Nous  n'a- 
vions que  des  pensées  de  malédiction  pour  l'un  comme  pour  l'autre, 
et  nos  cœurs  bondissaient  de  colère.  Quant  à  Cortès,  il  ne  put  retenir 

1.  Ce  saint  homme,  dont  la  judicieuse  tolérance  contrastait  bien  souvent  avec  les 
mesures  fanatiques  commandées  par  Cortès,  fut  la  ligure  la  plus  intéressante  de  cette 
aventureuse  campagne.  11  en  est  certainement  une  victime.  11  commença  en  effet  par 
gagner  des  fièvres  intermittentes,  en  même  temps  que  Cortès,  dès  leur  arrivée  à  la 
côte.  Le  voyage  qu'il  lit  à  Tutepèque  avec  Àlvarado  dut  agir  dans  le  même  sens,  et, 
selon  toute  probabilité,  il  fut  victime  des  conséquences  viscérales  de  son  impalu- 
disme, 


DE  LA  NODVELLE-ESPAGNE.  721 

ses  larmes;    emportant  sa  lettre,   il    eourut  se  renfermer   dans  son 
logement  et  refusa  de  nous  voir  jusqu'après  le  milieu  du  jour.  Alors, 
tous  ensemble,  nous  le  priâmes  de  s'embarquer  sans  retard  dans  les 
trois  navires  qui   étaient  là,  avec  nous,  pour  la  Nouvelle-Espagne. 
Mais  il  nous  répondit  d'un  ton  doux  et  affectueux  :  «  0  mes  fils  et  mes 
camarades,  je  ne  puis  m'empêcher  de  reconnaître  que  le  Factor,  ce 
mauvais  homme,  est  devenu  très-puissant,  et  je  craindrais  qu'en  nous 
sachant  débarqués  au  port,  il  ne  se  livrât  à  quelque  acte  plus  audacieux 
et  plus  éhonté  encore  que  tous  ceux  dont  il  s'est  rendu  coupable,  en 
me  tuant,  me  noyant  ou  me  jetant  en  prison,  et  non-seulement  moi, 
mais  vous-mêmes  et  vos  personnes  avec  la  mienne.  Avec  le  secours  de 
Dieu,  je  m'embarquerai  bientôt,  mais  cela   ne  peut  se  faire  qu'avec 
quatre  ou  cinq  de  vous  ;  ma  marche  doit  rester  secrète  ;  mon  débarque- 
ment doit  être    ignoré  à  Mexico,  jusqu'à  ce  que  nous  entrions   sans 
avoir  été  reconnus  dans  la  capitale.  En  outre,  Sandoval  est  à  Nacoavec 
peu  de  soldats,  il  doit  continuer  à  combattre   dans  le  pays,  surtout 
vers  Guatemala  qui  n'est  pas  encore  pacifié.  Il   importe  que  vous, 
senor  Luis  Marin,  vous  repartiez  accompagné  de  tous  les  camarades 
avec  lesquels  vous  êtes  venu  à  ma  recherche;   vous  devez  rejoindre 
Sandoval  pour  prendre  la  direction  de  Mexico.  » 

Il  me  faut  dire  maintenant  que  Gortès  écrivit  au  capitaine  Francisco 
Hernandez  qui  était  à  Nicaragua,  celui-là  même  qui  avait  chargé  Pedro 
de  Garro  de  lui  chercher  un  port.  Notre  général  lui  offrait  ses  services 
promettant  de  faire  pour  lui  tout  ce  qui  serait  possible  et  lui  adressant 
deux  mules  chargées  de  ferrures,  parce  qu'on  savait  qu'il  en  manquait. 
Il  lui  envoya  également  des  outils  pour  les  mines,  des  vêtements  riches 
pour  sa  garde-robe,  quatre  tasses  et  pots  d'argent  de  sa  propre  vais- 
selle, et  quelques  joyaux  d'or.  Il  confia  le  tout  à  un  hidalgo  nommé 
Cabrera,  l'un  des  cinq  soldats  qui  vinrent  avec  nous  à  la  recherche 
de  Gortès.  Ce  Cabrera  devint  plus  tard  capitaine  de  Yenalcazar.  Ce  fut 
un  vigoureux  soldat  et  un  véritable  homme  de  caractère.  Il  était  natif 
de  la  Vieille-Castille.  Devenu  mestre  de  camp  de  Blasco  Nunez  Vêla, 
il  mourut  dans  la  même  bataille  que  le  Vice-Roi.  Je  veux  dire  main- 
tenant qu'ayant  appris  que  Gortès  devait  revenir  à  la  Nouvelle-Espagne 
par  la  voie  de  mer,  j'allai  lui  demander  en  grâce  de  m'emmener  avec 
lui,  en  considération  de  ce  que  je  m'étais  toujours  trouvé  à  ses  côtés 
au  milieu  de  ses  guerres  et  de  ses  fatigues,  l'aidant  sans  cesse  de 
mon  appui.  J'ajoutais  que  le  moment  était  venu  de  me  prouver  qu'il 
appréciait  les  services  que  je  lui  avais  rendus,  aussi  bien  que  mon 
amitié,  et  qu'il  ne  méprisait  pas  ma  présente  prière.  Il  m'embrassa  et 
me  dit  :   «  Si  je  vous  emmène  avec   moi,  qui  donc  accompagnera 
Sandoval?  Je  vous  prie,  mon  fils,  d'aller  avec  votre  ami;  je  vous 
promets,  —  et  par  ma  barbe  je  le  jure!  —  que  je  vous  comblerai  de 
mes  fuveurs  en  reconnaissant  que  je  vous  le  dois  depuis  longtemps.» 

46 


722  CONQUÊTE 

C'est-à-dire  que  mes  paroles  ne  servirent  à  rien;  il  ne  permit  pas  que 
je  partisse  avec  lui. 

Je  veux  raconter  un  autre  fait.  Pendant  que  nous  étions  dans  cette 
ville  de  Truxillo,  un  Espagnol  du  nom  de  Rodrigo  Maïiueco,  maître 
d'hôtel  de  Gortès  et  courtisan  d'habitude,  voulant  égayer  son  patron, 
un  jour  qu'avec  une  grande  raison  il  était  fort  triste,  paria  avec 
d'autres  caballeros  qu'il  monterait  armé  de  toutes  pièces  jusqu'à  la 
maison  que  les  Indiens  venaient  de  bâtir  pour  Gortès  dans  la  province. 
Or  cette  maison  était  située  sur  un  rocher  assez  élevé.  En  montant 
cette  côte  escarpée,  sous  le  poids  de  ses  armes,  il  prit  un  effort  et  il 
en  mourut. 

Quoi  qu'il  en  soit,  les  habitants  de  cette  ville,  ayant  reconnu  que 
Gortès  ne  leur  donnait  pas  les  emplois  qu'ils  auraient  désirés,  com- 
mençaient à  se  mutiner,  lorsque  Gortès  les  apaisa  en  promettant 
qu'il  les  emmènerait  à  Mexico  en  sa  compagnie  et  qu'alors  il  leur 
donnerait  des  emplois  honorables.  J'ajouterai  que  notre  chef  envoya 
à  Naco  Diego  de  Godoy  qu'il  avait  d'abord  placé  comme  capitaine  au 
port  de  Gaballos.  Il  devait  emmener  avec  lui  quelques  habitants  ma- 
lades qui  ne  trouvaient  pas  sur  place  de  quoi  s'alimenter  et  avaient 
à  souffrir  le  tourment  causé  par  les  puces  et  les  moustiques.  Il  pa- 
raissait utile  que  pour  fuir  toutes  ces  misères  ils  s'en  fussent  à  Naco, 
qui  est  un  pays  bien  meilleur.  Quant  à  nous,  nous  devions  prendre 
avec  le  capitaine  Luis  Marin  la  route  de  Mexico  et,  si  l'occasion  était 
favorable,  nous  avions  l'ordre  de  visiter  la  province  de  Nicaragua  pour 
que  Gortès  en  pût  demander  le  gouvernement  à  Sa  Majesté,  s'il  re- 
venait à  Mexico.  Après  que  Gortès  nous  eut  embrassés,  nous  l'embar- 
quâmes; il  fit  voile  vers  Mexico,  et  nous  partîmes  dans  la  direction 
de  Naco,  nous  sentant  bien  heureux  à  la  pensée  que  nous  allions 
faire  route  vers  la  capitale.  Ge  fut  avec  beaucoup  de  fatigues  et  une 
grande  disette  de  vivres  que  nous  arrivâmes  à  Naco.  Sandoval  s'en 
réjouit  grandement.  A  notre  arrivée,  nous  apprîmes  que  Pedro  de 
Garro  avait  pris  congé  de  Sandoval  avec  sa  troupe,  et  s'était  mis  en 
route,  tout  joyeux,  vers  Nicaragua  pour  rendre  compte  au  capitaine 
Francisco  Hernandez  de  ce  qu'il  avait  convenu  avec  Sandoval.  Le 
lendemain  de  notre  entrée  à  Naco,  nous  partîmes  dans  la  direction  de 
Mexico,  tandis  que  les  soldats  de  la  compagnie  de  Grarro  qui  étaient 
allés  avec  nous  à  Truxillo  prenaient  le  chemin  de  Nicaragua  avec  le 
présent  et  la  lettre  que  Gortès  envoyait  à  Francisco  Hernandez.  Je  ne 
parlerai  pas  de  notre  route  afin  de  pouvoir  dire  ce  qui  arriva  à  Fran- 
cisco Hernandez  avec  le  gouverneur  Pedro  Arias  de  Avila  à  propos  de 
ce  présent. 


de  la  nouvelle-Espagne.  723 


CHAPITRE  GLXXXVI 


Comme  quoi  certains  amis  «le  Pedro  Arias  de  Avila  partirent  en  poste  de  Nicaragua 
pour  lui  faire  savoir  que  Francisco  Hernandez.  qu'il  \  avait  envoyé  en  qualité  de 
capitaine,  s'était  mis  en  correspondance  avec  Cortès  en  se  soulevant  contre  lui  avec 
leto  provinces  de  Nicaragua.  Ce  que  Pedro  Arias  fit  à  ce  propos. 

Un  soldat  appelé  Garavito  et  un  de  ses  camarades,  du  nom  de 
Zamorano,  qui  étaient  des  intimes  de  Pedro  Arias  de  Avila,  gouver- 
neur de  Terre-Ferme,  surent  que  Cortès  avait  envoyé  des  présents  à 
Francisco  Hernandez,  avec  lequel  aussi  Pedro  de  Garro  et  quelques 
autres  soldats  entretenaient  des  rapports  secrets.  Le  soupçon  leur 
était  venu  qu'on  voulait  livrer  ces  provinces  à  Cortès.  Au  surplus,  le 
Garavito  était  ennemi  personnel  de  notre  général,  parce  qu'au  temps 
de  leur  jeunesse,  dans  l'île  de  Saint-Domingue,  Cortès  l'avait  gratifié 
de  quelques  bonnes  entailles,  à  propos  d'amourettes.  Pedro  Arias, 
ayant  donc  reçu,  des  lettres  qui  le  mettaient  au  courant  de  ce  qui  se 
passait,  partit  en  toute  hâte  avec  un  grand  nombre  de  soldats  à  pied 
et  à  cheval,  et  il  alla  s'emparer  de  la  personne  de  Francisco  Hernan- 
dez. Quant  à  Pedro  de  Garro,  ayant  eu  vent  de  l'arrivée  de  Pedro  Arias 
et  de  son  ressentiment  contre  lui,  il  prit  la  fuite  et  s'en  vint  avec 
nous.  Francisco  Hernandez  aurait  certainement  eu  le  temps  de  faire 
de  même;  mais  il  ne  le  voulut  pas,  dans  l'espoir  que  Pedro  Arias  se 
conduirait  avec  lui  bien  autrement  qu'il  ne  le  fit,  parce  qu'ils  avaient 
été  grands  amis.  On  fit  le  procès  à  Hernandez.  La  cause  étant  instruite, 
il  fut  déclaré  coupable  de  rébellion;  sentence  fut  prononcée  contre  lui, 
et  Pedro  Arias  le  lit  égorger  dans  la  ville  même  où  il  commandait.  Et 
voilà  où  vinrent  aboutir  le  voyage  de  Garro  et  les  présents  de  Cortès. 
Je  m'arrêterai  là  pour  dire  ensuite  comme  quoi  Cortès  fut  ramené  par 
la  tempête  au  port  de  Truxillo  et  ce  qui  arriva  encore. 


CHAPITRE  CLXXXVU 


Comme  quoi  Cortès,  allant  par  mer   à    Mexico,   essuya  une   tempête  et   fut  obligé  de 
revenir  deux  fois  au  port  de  Truxillo,  et  ce  qui  lui  advint  en  ce  lieu. 

J'ai  dit  dans  le  chapitre  qui  précède  que  Cortès  s'embarqua  pour 
se  rendre  à  Mexico.  Il  éprouva,  paraît-il,  des  contrariétés  en  mer  par 
le  mauvais  temps,  de  sorte  qu'un  jour  il  perdit  son  mât  de  misaine. 
Il  lui  fallut  donner  l'ordre  de  revenir  faire  relâche  à  Truxillo.  Gomme 


72'i  CONQUÊTE 

il  était  faible,  mal  dispos,  brisé  par  le  mal  de  mer  et  fort  soucieux  au 
sujet  de  son  retour  à  la  Nouvelle-Espagne,  car  il  craignait  d'être  pris 
par  le  Factor,  il  fut  d'avis  qu'il  n'était  point  opportun  de  retourner 
en  ce  moment  à  Mexico.  Ayant  débarqué  à  Truxillo,  il  donna  à  fray 
Juan,  qui  était  parti  avec  lui,,  l'ordre  de  célébrer  des  messes  d'invo- 
cation au  Saint-Esprit,  de  faire  des  processions  et  des  prières  à  Dieu 
Notre  Seigneur  et  à  sainte  Marie  Notre  Dame  la  Vierge,  pour  de- 
mander l'inspiration  de  faire  ce  qui  conviendrait  le  mieux  à  leur  saint 
service.  Il  paraît  que  le  Saint-Esprit  l'éclaira  dans  le  sens  de  ne  pas 
faire  en  ce  moment  le  voyage,  mais  de  conquérir  et  de  coloniser  ce 
pays  où  il  était.  En  conséquence,  sans  aucun  retard,  il  envoya  trois 
messagers  à  bride  abattue  pour  arrêter  notre  marche  sur  Mexico.  Il 
nous  adressait  des  lettres  pour  nous  prier  de  ne  pas  aller  plus  avant, 
mais  de  nous  occuper  à  conquérir  et  à  coloniser  le  pays,  attendu  que, 
son  saint  ange  gardien  l'éclairant  et  lui  inspirant  cette  pensée,  il  avait 
résolu  d'y  conformer  sa  conduite.  Quand  nous  vîmes  cette  lettre  et 
l'autorité  avec  laquelle  il  nous  donnait  cet  ordre,  nous  ne  pûmes 
réellement  pas  y  tenir;  nous  lui  lançâmes  mille  malédictions,  souhai- 
tant que  le  malheur  le  poursuivît  en  toutes  ses  entreprises,  puisque 
nous  lui  devions  tant  de  calamités.  Nous  dîmes  donc  au  capitaine 
Sandoval  que,  s'il  voulait  coloniser,  il  gardât  près  de  lui  ceux  qui 
consentiraient  à  rester;  d'ailleurs  Gortès  nous  avait  assez  traités  en 
gens  conquis;  nous  jurions  de  ne  pas  l'attendre  un  instant  de  plus, 
et  nous  allions  poursuivre  notre  route  vers  le  pays  de  Mexico  dont 
nous  nous  étions  rendus  maîtres.  Sandoval  était  de  notre  avis.  La 
seule  chose  qu'il  put  obtenir  de  nous,  ce  fut  que  nous  écrivissions  à 
Gortès  par  les  mêmes  messagers  qu'il  venait  de  nous  envoyer  avec 
ses  ordres,  pour  lui  donner  connaissance  de  notre  résolution.  Il  reçut 
en  peu  de  jours  nos  lettres  signées  de  nous  tous.  Dans  sa  réponse,  il 
fit  les  plus  belles  promesses  à  ceux  qui  voudraient  rester,  et  il  ajoutait 
en  post-scriptum  que  si  l'on  ne  voulait  pas  obéir  à  ses  ordres,  peu  lui 
importait,  attendu  qu'il  y  avait  des  soldats  en  Castille  et  partout 
ailleurs. 

A  la  lecture  de  cette  lettre,  nous  eûmes  la  tentation  de  poursuivre 
notre  route  vers  Mexico  et  de  perdre  tout  ménagement  envers  lui. 
Mais  Sandoval,  qui  s'en  aperçut,  nous  parla  très-affectueusement,  en 
nous  suppliant  d'attendre  quelques  jours,  tandis  qu'il  irait  en  per- 
sonne engager  Gortès  à  s'embarquer.  Nous  lui  écrivîmes  donc,  en 
réponse  à  sa  lettre,  qu'il  devrait  nous  prendre  en  pitié  et  avoir  pour 
nous  plus  de  considération  qu'il  ne  paraissait  en  avoir;  il  ne  pouvait 
oublier  que  c'était  lui  qui  nous  avait  conduits  où  nous  étions;  qu'à 
cause  de  lui  on  nous  avait  dépouillés  en  vendant  notre  avoir  et  nos 
Indiens;  que  la  plupart  de  nous  étaient  mariés  et  n'avaient  absolu- 
ment aucune  nouvelle  de  leurs  femmes  et  de  leurs  enfants.  Nous 


DE  LA  NOUVELLE-ESPAGNE.  725 

finissions  en  le  priant  de  s'embarquer  sans  retard  et  de  prendre  la 
route  de  Mexico,  attendu  que  si,  comme  il  le  disait,  il  y  a  des  soldats 
en  Gastille  et  partout  ailleurs,  lui-même  n'ignorait  pas  qu'il  y  avait  à 
Mexico  des  gouverneurs  et  des  capitaines  qui  nous  rendraient  nos 
Indiens  dès  notre  retour,  quelque  regret  qu'ils  en  eussent,  sans  qu'il 
fût  nécessaire  d'attendre  Gortès  pour  les  recevoir  de  sa  main. 

Sandoval  partit  donc,  emmenant  avec  lui  le  camus  Saucedo  et  un 
maréchal  ferrant  du  nom  de  Francisco  Donaire.  Il  montait  son  bon 
cheval  qu'on  appelait  Motilla,  Il  jurait  en  partant  qu'il  ferait  embar- 
quer Gortès  et  l'obligerait  à  partir  pour  Mexico.  Et  puisque  j'ai  porté 
le  souvenir  sur  le  cheval  Motilla,  je  dois  dire  qu'il  était  supérieur  à 
la  course,  beau  et  bien  fait,  châtain  foncé  et  le  meilleur  qu'il  y  eût 
dans  la  Nouvelle-Espagne.  Il  était  si  bon  que  Sa  Majesté  en  eut 
connaissance  et  que  Sandoval  avait  un  moment  pensé  à  lui  en  faire 
présent.  Sandoval,  du  reste,  m'avait  prié  de  lui  céder  mon  cheval,  qui 
était  excellent  aussi,  soit  pour  la  course,  soit  pour  la  fatigue.  Il  m'a- 
vait coûté  six  cents  piastres  lorsque  je  l'achetai  à  son  propriétaire 
Avalos,  frère  de  Saavedra,  attendu  qu'un  autre,  dont  j'étais  posses- 
seur, fut  tué  dans  une  rencontre  en  entrant  dans  le  village  connu 
sous  le  nom  de  Zulaco.  Sandoval  en  échange  du  mien  m'en  donna  un 
autre  qui  ne  vécut  que  deux  mois  en  ma  possession,  vu  qu'on  me  le 
tua  dans  une  autre  bataille.  Je  restai  avec  un  mauvais  poulain  que 
j'acquis  des  marchands  qui  vinrent  à  Truxillo,  ainsi  que  je  l'ai,  dit 
dans  le  chapitre  qui  en  a  traité.  Mais  c'est  assez  parler  des  avaries 
de  nos  chevaux  et  de  mes  misères.  Revenons-en  à  dire  qu'avant  de 
partir  Sandoval  nous  traita  tous  de  la  manière  la  plus  affectueuse. 
Il  désigna  Luis  Marin  pour  nous  commander.  Nous  nous  portâmes 
sur  des  villages  appelés  Marayani  et  de  là  au  bourg  d'Acalteca  qui 
avait  alors  un  grand  nombre  de  maisons.  Nous  devions  y  attendre  la 
réponse  de  Gortès. 

Sandoval  arriva  en  peu  de  jours  à  Truxillo.  Gortès  se  réjouit  beau- 
coup de  le  voir;  mais,  en  prenant  connaissance  de  ce  que  nous  lui 
écrivions,  il  ne  sut  d'abord  à  quoi  se  résoudre,  car  il  avait  déjà  en- 
voyé avec  tous  les  soldats  son  cousin  Saavedra,  qui  était  capitaine, 
pour  pacifier  les  villages  insoumis.  En  somme,  Sandoval  eut  beau 
importuner  Gortès  de  ses  prières,  et  se  faire  appuyer  par  Pedro  Sau- 
cedo et  fray  Juan  de  Las  Yarillas,  qui  désirait  aussi  retourner  à 
Mexico  pour  savoir  quelles  avaient  été  les  dispositions  de  fray  Bar- 
tolomé  et  s'il  était  venu  d'autres  Frères  de  son  ordre  ;  Gortès  s'ob- 
stina à  ne  pas  s'embarquer.  Ce  qui  arriva  alors,  je  vais  le  dire  à  la 
suite. 


726  CONQUÊTE 


CHAPITRE  CLXXXV1II 

Comme  quoi  Cortès  envoya  un  navire  à  la  Nouvelle-Espagne  avec  un  de  ses  serviteurs 
nommé  Martin  de  Crantes  pour  capitaine,  porteur  de  lettres  et  pouvoirs  pour  que 
Francisco  de  Las  Casas  et  Pedro  de  Alvarado  fussent  chargés  du  gouvernement,  s'ils 
étaient  là,  et,  à  leur  défaut,  Alonso  de  Estrada  et  Albornoz. 

Gronzalo  de  Sandoval  ne  put  donc  pas  obtenir  que  Gortès  s'embar- 
quât. Celui-ci  s'obstina  à  vouloir  conquérir  et  coloniser  ce  pays  qui 
dans  ce  temps-là  était  très-peuplé.  On  lui  faisait  même  la  réputation 
d'avoir  beaucoup  de  mines  d'or.  Il  fut  donc  convenu  entre  eux  qu'on 
enverrait  immédiatement  un  navire  à  Mexico,  avec  un  serviteur  de 
Gortès,  appelé  Orantes,  homme  actif,  bien  propre  à  inspirer  confiance 
pour  n'importe  quelle  affaire  importante.  Il  devait  partir  comme  ca- 
pitaine du  bâtiment,  emportant  des  pouvoirs  pour  Pedro  de  Alvarado 
et  Francisco  de  Las  Casas  s'ils  se  trouvaient  être  à  Mexico,  afin  qu'ils 
exerçassent  toutes  les  prérogatives  du  gouvernement  de  la  Nouvelle- 
Espagne  jusqu'au  retour  de  Cortès.  Si  ces  personnages  n'étaient 
point  à  Mexico,  le  trésorier  Alonso  de  Estrada  et  le  contador  Albor- 
noz devraient  gouverner,  conformément  aux  pouvoirs  qu'ils  avaient 
primitivement  reçus,  tandis  que  ceux  du  Factor  et  du  Veedor  se- 
raient considérés  comme  révoqués.  Cortès  écrivit  très-affectueusement 
au  trésorier  et  même  à  Albornoz,  quoiqu'il  eût  connaissance  des  let- 
tres que  celui-ci  avait  adressées  contre  lui  à  Sa  Majesté.  Il  écrivit  en 
même  temps  à  tous  ses  amis  les  conquistadores,  prenant  soin  au  sur- 
plus de  recommander  à  Martin  de  Orantes  de  débarquer  dans  une 
baie  située  entre  Yera  Cruz  et  le  Panuco.  Il  en  fit  du  reste  un  ordre 
au  pilote  et  aux  matelots  en  y  ajoutant  une  bonne  récompense  en  ar- 
gent. Ceux-ci  ne  devaient  débarquer  aucune  autre  personne  que 
Orantes,  et  il  leur  était  prescrit  de  lever  l'ancre  et  de  faire  voile  tout 
aussitôt  pour  le  Panuco.  Le  navire  choisi  fut  le  meilleur  des  trois 
que  l'on  avait.  On  le  pourvut  de  provisions;  on  entendit  la  messe; 
on  fit  voile  immédiatement  après,  et  Notre  Seigneur  fit  à  ceux  qui  le 
montaient  la  grâce  d'un  si  beau  temps  qu'ils  arrivèrent  fort  vite  à  la 
Nouvelle-Espagne.  Ils  s'en  furent  droit  à  la  baie  désignée,  près  du 
Panuco;  Martin  de  Orantes  la  connaissait  très-bien.  Il  descendit  à 
terre  en  rendant  grâces  à  Dieu. 

Pour  qu'on  ne  pût  le  reconnaître,  Orantes  abandonna  ses  habits 
et,  conformément  aux  ordres  de  Gortès,  il  se  déguisa  en  paysan  au 
moyen  de  vêlements  qu'il  avait  emportés  tout  faits  de  Truxillo.  Ses 
lettres  et  les  pouvoirs  avaient  été  très  soigneusement  attachés  et  dis- 
tribués sur  son  corps  de  manière  à  ne  rien  laisser  d'apparent.  Il  on- 


DE  LA  NOUVELLE-ESPAGNE.  727 

treprit  la  route  à  pied  vers  Mexico,  car  c'était  un  excellent  marcheur. 
Lorsqu'il  arrivait  dans  des  villages  où  il  y  avait  des  Espagnols,  il  se 
mêlait  aux  Indiens,  afin  d'éviter  toute  conversation  qui  pût  le  faire 
reconnaître  de  ses  compatriotes.  Dans  les  cas  où  il  ne  pouvait  faire 
autrement,  il  n'avait  guère  à  craindre  d'être  découvert,  parce  que 
nous  étions  sortis  de  Mexico  depuis  deux  ans  et  trois  mois,  et  que, 
pendant  ce  temps,  sa  barbe  avait  beaucoup  crû.  Lorsque  quelqu'un 
lui  demandait  son  nom,  où  il  allait,  d'où  il  venait,  et  qu'il  ne  pouvait 
s'empêcher  de  répondre,  il  disait  s'appeler  Juan  de  Flechilla  et  être 
laboureur.  De  sorte  que,  trois  jours  après  avoir  débarqué,  il  entrait 
nuitamment  à  Mexico  et  gagnait  la  maison  des  Frères  de  Saint-Fran- 
çois. Il  y  rencontra  beaucoup  de  réfugiés,  parmi  lesquels  Jorge  de 
Alvarado,  Andrès  de  Tapia,  Juan  Nunez  de  Mercado,  Pedro  Moreno 
Medrano  et  d'autres  conquistadores  amis  de  Cortès.  Lorsqu'ils  virent 
Orantes,  qu'ils  apprirent  que  Gortès  était  vivant  et  qu'ils  reçurent 
ses  lettres,  ils  ne  se  tenaient  pas  de  joie  les  uns  et  les  autres;  ils  en 
sautaient  et  dansaient  de  plaisir.  Les  Frères  franciscains,  fray  Torri- 
bio  Motolinea  surtout,  ainsi  que  fray  Domingo  Altamirano,  se  li- 
vraient à  de  grands  transports  de  joie,  en  rendant  grâces  à  Dieu  pour 
ce  qu'ils  venaient  d'apprendre.  Aussitôt,  sans  plus  attendre,  ils  fer- 
mèrent toutes  les  portes  du  monastère,  afin  qu'aucun  des  nombreux 
traîtres  qu'il  y  avait  partout  ne  pût  donner  avis  et  fournir  l'occasion 
de  conciliabules  à  ce  sujet. 

A  minuit  on  porta  les  choses  à  la  connaissance  du  Trésorier,  du 
Gontador  Albornoz  et  d'autres  amis  de  Gortès.  Aussitôt  instruits,  ils 
se  rendirent  sans  bruit  au  couvent  de  Saint-François,  virent  les  pou- 
voirs que  Gortès  leur  envoyait  et  convinrent,  avant  tout,  d'aller  s'em- 
parer du  Factor.  La  nuit  se  passa  à  faire  parvenir  l'avis  aux  vrais 
amis  et  à  préparer  des  armes  pour  aller  le  lendemain  de  bonne  heure 
s'assurer  de  la  personne  du  gouverneur.  Quant  au  Veedor,  il  se 
trouvait  en  ce  moment  à  l'attaque  du  perwl  de  Goatlan.  Quand  le  jour 
parut,  le  Trésorier  sortit  avec  tous  les  partisans  de  Gortès  ;  Martin 
de  Orantes  marchait  en  évidence,  afin  que,  l'ayant  reconnu,  tout  le 
monde  pût  se  réjouir.  Ils  tombèrent  sur  les  logements  du  Factor  en 
criant  :  «  Vive,  vive  le  Roi  notre  seigneur!  et  au  nom  du  Roi,  Fer- 
nand  Gortès  qui  est  vivant  et  qui  revient  à  la  capitale  !  Voilà  son  ser- 
viteur Orantes  î  »  Lorsque  les  habitants  entendirent  un  tel  vacarme 
de  si  bonne  heure,- mêlé  de  cris  de  Vive  le  Roi!  ils  accoururent  tous 
aux  armes,  ainsi  qu'ils  y  étaient  obligés,  leur  intention  étant  de  sou- 
tenir les  intérêts  de  Sa  Majesté,  dans  la  croyance  que  c'était  tout 
autre  chose.  Mais  quand  ils  entendirent  que  Gortès  était  vivant  et 
qu'ils  virent  Orantes,  ils  en  éprouvèrent  une  très-vive  joie.  Un  grand 
nombre  de  personnes  se  réunirent  et  entourèrent  le  Trésorier  pour 
lui  donner  leur  concours,  tandis  que  le  Gontador  paraissait  prendre 


728  CONQUÊTE 

la  chose  froidement;  je  crois  même  qu'il  en  avait  du  regret  et  qu'il 
jouait  double  jeu,  au  point  qu'Alonso  de  Estrada  lui  en  fit  le  repro- 
che, et  il  y  eut  entre  eux  un  échange  de  vilaines  paroles,  prononcées 
avec  aigreur,  qui  ne  satisfirent  pas  beaucoup  le  Gontador. 

Cependant  le  Factor  fut  averti  de  ce  qui  se  passait,  de  sorte  que 
lorsqu'on  s'approcha  de  ses  habitations  on  le  trouva  parfaitement  sur 
ses  gardes;  car  le  Gontador  lui-même  lui  avait  fait  parvenir  l'avis 
qu'on  allait  s'emparer  de  sa  personne.  Il  s'était  empressé  de  faire 
pointer  devant  la  maison  qu'il  habitait  les  pièces  aux  ordres  du  ca- 
pitaine don  Luis  Guzman,  cousin  du  duc  de  Medina-Sidonia.  Ses 
officiers  avaient  fait  appel  à  un  grand  nombre  de  soldats.  Ces  chefs 
étaient  Artiaga,  GinesNortes  et  Pedro  Gonzalez.  Aussitôt  qu'arrivèrent 
le  Trésorier,  Jorge  de  Alvarado,  Andrès  de  Tapia,  Pedro  Moreno,  avec 
tous  les  autres  conquistadores,  y  compris  le  Gontador  qui  s'avançait 
mollement  et  de  mauvaise  humeur  avec  les  gens  de  sa  maison,  ils  se 
mirent  tous  à  crier  :  «  Ici  pour  le  Roi  et  Fernand  Cortès  au  nom  du 
Roi  !  »  et  ils  se  précipitèrent  les  uns  par  les  portes,  les  autres  par 
les  terrasses,  un  grand  nombre  par  deux  autres  voies  différentes. 
Les  partisans  du  Factor  perdirent  tout  de  suite  courage.  Le  capitaine 
de  l'artillerie  prit  la  fuite  d'un  côté,  les  artilleurs  s'en  allèrent  d'un 
autre  en  abandonnant  leurs  pièces;  Artiaga  mit  un  grand  empresse- 
ment à  se  cacher;  Gines  Nortes  passa  par  les  fenêtres  d'un  corridor 
et  se  laissa  glisser  jusqu'en  bas;  personne  ne  resta  avec  le  Factor,  à 
l'exception  de  Pedro  Gonzalez  Sabiote  et  quatre  autres  de  ses  servi- 
teurs. Se  voyant  abandonné,  le  Factor  prit  lui-même  une  mèche  et 
voulut  mettre  le  feu  à  ses  canons,  mais  ses  ennemis  arrivèrent  avec 
tant  de  précipitation  qu'on  ne  lui  laissa  le  temps  de  rien  faire,  et 
que,  là  même,  on  s'empara  de  sa  personne.  Il  fut  gardé  à  vue  pen- 
dant qu'on  fabriquait  une  cage  de  gros  madriers.  Il  y  fut  enfermé,  et 
on  lui  donnait  à  manger  à  travers  les  barreaux.  Et  voilà  où  vint 
aboutir  son  gouvernement.  On  en  donna  avis  par  des  messagers  à 
toutes  les  villes  de  la  Nouvelle-Espagne  en  y  faisant  parvenir  la  nou- 
velle de  ce  qui  était  arrivé. 

Les  choses  ayant  pris  cette  tournure,  quelques  personnes  s'en  ré- 
jouirent, mais,  naturellement,  ceux  à  qui  le  Factor  avait  donné  des 
Indiens  et  des  places  en  eurent  du  regret.  L'événement  fut  connu  au 
pefwl  de  Goatlan  et  à  Guaxaca  où  le  Veedor  se  trouvait.  En  l'appre- 
nant, celui-ci  en  éprouva  une  si  grande  tristesse  que  le  chagrin  le 
rendit  malade;  il  abandonna  l'emploi  de  commandant  à  Andrès  de 
Monjaraz  qui  était  affligé  de  bubas,  et  il  s'en  vint  rapidement  à  Tez- 
cuco  se  réfugier  au  monastère  de  Saint-François.  Le  Trésorier  et  le 
Gontador,  installés  déjà  comme  gouverneurs,  furent  instruits  de  sa 
fuite  et  donnèrent  l'ordre  de  l'arrêter  même  dans  l'intérieur  du  mo- 
nastère, attendu  qu'avant  qu'il  y  fût  entré  des  alguazils  avec  des  sol- 


DE  LA   NOUVELLE-ESPAGNE.  729 

dais  avaient  été  expédiés  pour  s'emparer  de  sa  personne  n'importe  où 
on  le  trouverait,  après  l'avoir  dégradé  de  son  rang  de  capitaine. 
Ayant  su  qu'il  était  à  Tezcuco,  ils  furent  l'enlever  du  couvent,  le 
conduisirent  à  Mexico  et  l'enfermèrent  dans  une  autre  cage  sembla- 
ble à  celle  du  Factor. 

Des  courriers  rapides  furent  envoyés,  à  Guatemala,  à  Pedro  de 
Alvarado,  pour  lui  faire  connaître  l'emprisonnement  du  Factor  et  du 
Vcedor.  On  lui  recommandait,  —  le  point  où  il  se  trouvait  n'étant 
pas  éloigné  de  Truxillo,  —  d'aller  à  la  recherche  de  Gortès  pour  l'a- 
mener à  Mexico.  Dans  ce  but,  on  lui  remettait  des  lettres  avec  le 
rapport  des  événements  que  je  viens  de  raconter,  détaillant  toutes 
les  circonstances  qui  s'y  rattachaient.  Au  surplus,  la  première  chose 
dont  s'occupa  le  Trésorier,  ce  fut  d'honorer  la  personne  de  Juana  de 
Mancilla  qui  avait  été  fouettée  par  ordre  du  Factor  comme  coupable 
de  maléfices.  Pour  ce  faire,  il  ordonna  une  cavalcade  de  tous  les  ca- 
balleros  de  Mexico  et,  au  milieu  d'eux,  le  Trésorier  lui-même  la 
plaça  en  croupe  sur  son  cheval,  lui  faisant  parcourir  les  rues  de  la 
capitale  et  disant  qu'il  la  proclamait  ainsi  véritablement  matrone 
romaine.  Ce  fut  de  la  sorte  que  le  Trésorier  la  releva,  avec  honneur, 
de  l'affront  qu'elle  avait  reçu  du  Factor,  et  l'on  fit  de  grandes  réjouis- 
sances pour  déclarer  qu'à  l'avenir  on  la  nommerait  dona  Juana  de 
Mancilla.  On  disait  au  surplus  partout  qu'elle  était  digne  de  tous 
éloges,  attendu  que  le  Factor  ne  put  jamais  obtenir  qu'elle  se  rema- 
riât ni  qu'elle  avouât  autre  chose  que  ce  qu'elle  avait  d'abord  pré- 
tendu, c'est-à-dire  que  son  mari,  Gortès  et  nous  tous  vivions  encore. 


CHAPITRE  CLXXXIX 

Comme  quoi  le  Trésorier,  avec  un  grand  nombre  d'autres  caballeros,  pria  les  Frères 
franciscains  d'envoyer  fray  Diego  de  Altamirano,  parent  de  Cortès,  avec  un  navire, 
à  Truxillo,  pour  ramener  le  général,  et  ce  qui  arriva. 

Le  Trésorier  et  un  grand  nombre  de  partisans  de  Gortès  ne  tar- 
dèrent pas  à  s'apercevoir  qu'il  convenait  que  son  retour  à  la  Nouvelle- 
Espagne  ne  se  fît  pas  attendre,  car  les  conciliabules  commençaient; 
le  Gontador  ne  voyait  pas  de  bon  œil  que  le  Factor  et  le  Veedor  res- 
tassent en  captivité  et,  sur  toutes  choses,  Gortès  lui  inspirait  de  la 
crainte  pour  le  moment  où  il  serait  instruit  de  ce  que  lui-même  avait 
écrit  à  Sa  Majesté.  On  convint  donc  qu'on  irait  prier  les  Frères  fran- 
ciscains d'autoriser  fray  Diego  Altamirano  à  aller  à  Truxillo,  bien 
accompagné,  dans  un  navire  qu'on  lui  avait  préparé  avec  tout  le  né- 
cessaire, afin  d'en  ramener  Gortès.  Ce  moine  était  son  parent,  et, 
avant  d'entrer  dans  la  vie  monastique,  il  avait  été  soldat  et  homme 


730  CONQUÊTE 

de  guerre  ;  il  s'entendait  d'ailleurs  très-bien  en  affaires.  Les  moines 
approuvèrent  la  demande;  quant  à  fray  Altamirano,  il  en  avait  ferme- 
ment le  désir. 

Nous  le  laisserons  donc  préparer  son  voyage,  pour  dire  que  le  Con- 
tador,  malveillant  et  dissimulé,  ne  voyait  pas  de  sang-froid  le  Factor 
et  le  Yeedor  emprisonnés.  Il  s'apercevait  d'ailleurs  que  les  événe- 
ments tournaient  à  l'avantage  de  Gortès.  Gomme  il  avait  au  surplus 
pour  amis  un  grand  nombre  de  bandits  qui  ne  rêvaient  que  troubles 
et  disputes  et  qui,  naturellement,  préféraient  le  Factor  et  Chirinos 
parce  qu'ils  en  recevaient  de  l'or  et  des  Indiens,  ils  firent  l'accord  de 
se  réunir  en  grand  nombre,  et  ils  ne  manquèrent  pas  d'entraîner  avec 
eux  quelques  personnes  de  qualité  et  de  tous  rangs.  Leur  projet  était 
de  mettre  en  liberté  le  Factor  et  le  Veedor  et  de  massacrer  le  Tréso- 
rier avec  tous  les  employés  de  la  prison.  On  assure  que  le  Gontador 
était  au  courant  de  ce  qu'on  méditait  et  en  éprouvait  une  grande  joie. 
Dans  le  but  de  réaliser  leur  plan,  ils  parlèrent  secrètement  à  un  ser- 
rurier nommé  Guzman  qui  fabriquait  aussi  des  arbalètes,  homme  vil 
qui  était  dans  l'habitude  de  dire  des  farces  et  des  pasquinades.  On  le 
chargea,  dans  le  plus  grand  secret,  de  fabriquer  les  clefs  qui  ouvri- 
raient les  portes  de  la  prison,  ainsi  que  les  cages  où  se  trouvaient  le 
Factor  et  le  Veedor.  Promesse  lui  fut  faite  de  le  bien  payer,  et  on  lui 
donna  un  morceau  d'or  en  gage  du  prix  de  sa  façon.  On  mit  beau- 
coup d'insistance  pour  lui  recommander  la  discrétion.  Le  serrurier 
affirma  en  paroles  joyeuses  et  enjouées  que  la  chose  lui  plaisait,  mais 
qu'il  leur  recommandait  d'être  eux-mêmes  plus  discrets  qu'ils  ne  ve- 
naient de  l'être  en  n'hésitant  pas  à  lui  découvrir  —  sachant  l'homme 
qu'il  était —  un  événement  dans  lequel  ils  jouaient  si  gros  jeu  ;  qu'ils 
prissent  bien  garde,  par  conséquent,  de  ne  pas  le  révéler  à  d'autres, 
et  que,  quant  à  lui,  il  se  réjouissait  fort  que  le  Factor  et  le  Veedor 
sortissent  de  prison.  Il  eut  soin  ensuite  de  demander  quels  individus, 
et  combien,  étaient  dans  le  complot,  dans  quel  lieu  ils  devaient  se 
réunir  pour  accomplir  cette  bonne  œuvre,  et  quel  jour,  et  à  quelle 
heure.  On  s'empressa  de  lui  expliquer  très-clairement  tout  ce  qui  était 
convenu. 

Il  commença  donc  son  travail,  conformément  au  modèle  qu'on  lui 
présentait;  mais  il  se  gardait  bien  d'y  rechercher  la  perfection;  il 
voulait  au  contraire  qu'on  ne  pût  pas  ouvrir  avec  ses  clefs.  S'il  avait 
l'air  d'y  apporter  de  la  correction,  c'était  pour  qu'on  vînt  à  son  établi 
et  qu'il  pût  savoir  plus  à  fond  le  plan  tel  qu'il  était  formé.  Plus  il 
retardait  donc  la  fabrication  des  clefs,  mieux  il  pénétrait  tous  les  se- 
crets. Lorsqu'cnfin  le  jour  vint  d'en  faire  usage  et  qu'elles  furent  li- 
vrées décidément  pour  bonnes,  tout  le  monde  étant  prêt  et  armé,  le 
serrurier  s'en  fut  à  la  maison  du  Trésorier  Alonso  de  Estrada  et  le 
mit  au  courant  de  tout  ce  qui  se  passait.  Aussitôt,  et  sans  aucun  dé- 


DE  LA   NOUVELLE-ESPAGNE.  731 

lai,  le  Trésorier  envoya  secrètement  prévenir  les  partisans  de  Gortès 
pour  qu'ils  eussent  à  se  tenir  prêts,  sans  en  souffler  mot  au  Gontador. 
On  se  précipita  sur  la  maison  où  se  trouvaient  réunis  les  libérateurs 
duFactor.  Vingt  hommes  armés  y  furent  pris,  les  autres  s'enfuirent 
sans  qu'on  pût  les  atteindre.  Les  recherches  faites  pour  constater  le 
mobile  de  la  réunion  prouvèrent  qu'elle  avait  pour  but  de  mettre  en 
liberté  ceux  que  j'ai  nommés  et  de  tuer  le  Trésorier;  on  découvrit 
aussi  que  le  Gontador  approuvait  le  complot.  Parmi  les  conspirateurs, 
on  trouva  trois  ou  quatre  individus  très-turbulents,  bandits  qui 
avaient  figuré  dans  les  troubles  et  querelles  qu'on  venait  de  voir  dans 
ces  derniers  temps;  l'un  d'eux  avait  même  fait  subir  les  derniers  ou- 
trages à  une  dame  de  Gastille.  On  procéda  contre  eux  au  moyen  du 
bachelier  Ortega,  compatriote  de  Gortès,  qui  était  alors  alcalde  mayor. 
Trois  furent  condamnés  à  être  pendus,  et  quelques  autres  au  fouet. 
Les  pendus  étaient  Pastrana,  Yalverde  et  Escobar.  Je  ne  me  rap- 
pelle pas  les  noms  de  ceux  qui  furent  fouettés.  On  craignit  pendant 
quelques  jours  que  les  partisans  du  Factor  ne  tuassent  le  serrurier 
pour  avoir  découvert  ce  qu'on  lui  avait  tant  recommandé  de  tenir  se- 
cret. 

Nous  cesserons  de  parler  de  cette  aventure,  puisqu'après  tout  les 
coupables  sont  morts,  et,  quoique  ce  que  je  vais  dire  maintenant  ait 
l'air  de  beaucoup  s'écarter  du  cours  naturel  de  mon  récit,  on  verra 
cependant  que  j'en  parle  bien  à  propos. 

On  se  souvient  que  le  Factor  envoya  un  navire  à  Sa  Majesté  avec 
tout  l'or  qu'il  put  réunir,  ainsi  que  je  l'ai  dit  dans  les  chapitres  pré- 
cédents. Il  écrivit  à  l'Empereur  que  Gortès  était  mort,  qu'on  lui  avait 
fait  ses  funérailles  et  mille  autres  choses  qui  étaient  à  sa  convenance, 
en  suppliant  Sa  Majesté  de  l'honorer  du  gouvernement  de  la  Nou- 
velle-Espagne. Mais  en  même  temps,  paraît-il,  dans  le  navire  por- 
teur de  ces  dépêches  partirent  aussi  quelques  lettres  fort  secrètes 
dont  le  Factor  n'eut  aucune  connaissance,  et  qui  étaient  destinées  à 
l'Empereur,  dans  le  but  de  lui  faire  savoir  tout  ce  qui  se  passait 
réellement  dans  la  Nouvelle-Espagne,  y  compris  les  injustices  et  les 
atrocités  dont  le  Factor  et  le  Veedor  s'étaient  rendus  coupables. 
D'autre  part,  Sa  Majesté  avait  déjà  su,  par  l'entremise  de  l'Audience 
royale  de  Saint-Domingue  et  des  Frères  hiéronymites,  que  Gortès 
était  vivant  et  s'occupait  de  servir  la  couronne  royale  en  conquérant 
et  en  colonisant  la  province  de  Honduras.  Aussitôt  que  le  Conseil 
royal  des  Indes  et  le  grand  commandeur  de  Léon  l'avaient  su,  ils 
s'étaient  empressés  de  le  faire  connaître  à  Sa  Majesté.  Il  paraît  que 
l'Empereur  notre  seigneur  dit  alors  :  «  C'est  une  faute  qu'on  a  com- 
mise dans  la  Nouvelle-Espagne  en  se  soulevant  contre  Gortès  ;  en 
cela,  on  m'a  rendu  un  bien  mauvais  service,  puisque  décidément  il 
est  en  vie.  Je  me  forme  de  lui  une   telle  idée  que  je  ne  doute  pas 


732  CONQUÊTE 

qu'il  ne  fasse  châtier  les  malfaiteurs  par  la  justice  aussitôt  qu'il  arri- 
vera à  Mexico.  » 

Revenons  à  notre  récit  pour  dire  que  le  moine  Altamirano  s'em- 
barqua à  Yera  Gruz  ainsi  que  c'était  convenu,  et,  le  temps  le  favori- 
sant, il  arriva  en  peu  de  jours  au  port  de  Truxillo  où  Gortès  se  trou- 
vait. Lorsque  les  habitants  de  la  ville  et  Gortès  virent  approcher  un 
grand  navire  sous  voile,  ils  n'hésitèrent  pas  à  penser  qu'il  venait  de 
la  Nouvelle-Espagne  pour  prendre  le  général  et  l'amener  à  Mexico. 
Il  mouilla  dans  le  port.  Aussitôt  le  moine  sauta  à  terre,  entouré  de 
ceux  qu'il  amenait  avec  lui.  Gortès  en  reconnut  quelques-uns  qu'il 
avait  déjà  vus  à  Mexico  ;  tous  accoururent  lui  baiser  les  mains,  et  le 
moine  l'embrassa.  Après  l'échange  de  quelques  paroles  bonnes  et 
saintes,  ils  s'en  furent  à  l'église  faire  leur  prière  et  de  là  aux  loge- 
ments, où  fray  Diego  Altamirano  dit  à  Gortès  qu'il  était  son  cousin, 
et  lui  raconta  les  événements  de  Mexico  comme  je  viens  de  les  dé- 
crire. Il  rapporta  ce  que  Francisco  de  Las  Gasas  avait  fait  pour  Gortès, 
ainsi  que  son  départ  pour  la  Gastille  ;  mais  le  général  savait  déjà 
tout  cela  par  la  lettre  du  licencié  Zuazo,  ainsi  que  je  l'ai  expliqué 
dans  le  chapitre  qui  en  a  traité. 

Gortès  se  montra  très-peiné  de  tous  les  événements,  et  il  dit  que, 
puisque  Notre  Seigneur  Dieu  avait  permis  que  cela  arrivât,  il  y 
avait  lieu  de  l'en  remercier,  en  considérant  surtout  que  la  tranquillité 
était  rétablieà  Mexico.  Il  ajouta  qu'il  voulait  s'en  retourner  par  la  voie 
de  terre,  n'osant  plus  se  confier  à  la  mer,  attendu  que,  s'étant  em- 
barqué deux  fois  de  suite,  il  lui  avait  été  impossible  de  faire  route,  à 
cause  des  fortes  vagues  et  des  courants  contraires;  que  sans  doute  il 
en  serait  de  nouveau  très-fatigué,  parce  que  sa  faiblesse  était  fort 
grande.  Cependant  les  pilotes  lui  firent  observer  que  l'on  était  ac- 
tuellement au  mois  d'avril,  que  les  courants  n'existaient  plus  et  que 
les  vents  étaient  favorables.  Il  eu  résulta  qu'il  résolut  de  s'embar- 
quer; mais  il  n'était  pas  possible  de  faire  voile  immédiatement;  il 
fallait  attendre  l'arrivée  du  capitaine  Gonzalo  de  Sandoval  qui  avait 
été  envoyé  peu  de  jours  auparavant  aux  villages  d'Olancho,  à  cin- 
quante-cinq lieues  de  distance.  Il  était  chargé  de  chasser  du  pays  un 
capitaine  de  Pedro  Arias  de  Avila,  nommé  Roxas,  que  son  chef  avait 
envoyé  de  Nicaragua  pour  découvrir  le  pays  et  rechercher  des  mines, 
après  que  Francisco  Hernandez  eut  été  égorgé  ainsi  que  je  l'ai  dit. 
Les  Indiens  de  cette  province  d'Olancho,  en  effet,  s'étaient  plaints  à 
Gortès  que  des  soldats,  venus  de  Nicaragua,  leur  prenaient  femmes 
et  filles  et  volaient  leurs  poules  et  tout  ce  qu'ils  possédaient.  Sandoval 
était  parti  sans  retard,  emmenant  soixante  hommes.  Il  voulut  faire 
Roxas  prisonnier;  mais  quelques  caballeros  intervinrent  de  part  et 
d'autre,  et  on  les  fit  amis  tous  les  deux.  Roxas  donna  même  à  San- 
doval, à  ce  propos,  un  jeune  Indien  pour  qu'il  lui  servît  de  page.  Ce 


DE  LA  NOUVELLE-ESPAGNE.  733 

fut  alors  qu'on  remit  à  Sandoval  la  lettre  de  Cortès  lui  enjoignant  de 
revenir  le  plus  tôt  possible  avec  tout  son  monde,  et  lui  faisant  con- 
naître l'arrivée  du  moine  ainsi  que  tous  les  événements  de  Mexico. 
Dans  la  grande  joie  qu'il  en  éprouvait,  il  lui  tardait  fort  de  se  mettre 
en  route.  Il  s'empressa  d'exiger  de  Roxas  qu'il  évacuât  les  lieux,  et 
il  entreprit  sa  marche  de  retour  au  pas  accéléré.  Cortès  eut  le  plus 
grand  plaisir  à  revoir  Sandoval.  Il  donna  ses  instructions  sur  tout  ce 
qu'il  aurait  à  faire  au  capitaine  Saavedra  qui  allait  rester  en  qualité 
de  son  lieutenant  dans  cette  province.  Il  écrivit  au  capitaine  Luis 
Marin  et  à  nous  tous  que  nous  eussions  à  prendre  la  direction  de 
Guatemala.  Il  nous  disait  tout  ce  qui  s'était  passé  à  Mexico,  l'arrivée 
du  moine  et  l'emprisonnement  du  Factor  et  du  Veedor,  tel  qu'on  l'a  lu 
précédemment.  Il  ordonna  également  que  le  capitaine  (jodoy,  qui 
était  à  Puerto  de  Gaballos,  s'en  fût  à  Naco  avec  son  monde.  Il  donna 
toutes  ses  lettres  à  Saavedra  avec  ordre  de  les  envoyer  sans  retard  ; 
mais  celui-ci  ne  voulut  point  les  remettre,  et  ce  fut  évidemment  par 
méchanceté,  car  il  commit  l'indiscrétion  de  faire  comprendre  qu'il 
n'avait  pas  voulu  les  laisser  parvenir  à  leur  adresse.  Nous  ne  les  vîmes 
jamais. 

Quoi  qu'il  en  soit,  Cortès  se  confessa  à  frère  Juan.  Il  reçut  le  corps 
de  Notre  Seigneur  Jésus-Christ  un  matin  de  bonne  heure,  parce  que, 
malade  comme  il  l'était,  il  craignait  vraiment  de  mourir.  Il  s'em- 
barqua avec  tous  ses  amis.  Le  temps  ayant  été  favorable,  beaucoup 
plus  que  quand  il  avait  voulu  partir  pour  la  Nouvelle-Espagne,  il  arriva 
à  la  Havane,  descendit  à  terre,  et  tous  les  habitants  de  la  ville  qui  le 
connaissaient  se  réjouirent  de  le  voir.  On  l'invita  à  une  collation  et, 
là,  il  apprit  par  un  navire,  arrivé  peu  de  jours  auparavant  de  la  Nou- 
velle-Espagne, que  Mexico  était  paisible  et  tranquille,  et  que  les  In- 
diens qui  s'étaient  fortifiés  sur  le  pefiol  de  Goatlan  et  vivaient  en  guerre 
avec  les  Espagnols,  avaient  eu  hâte  de  se  soumettre  au  Trésorier,  sous 
certaines  conditions,  aussitôt  qu'ils  surent  que  Cortès  et  ses  com- 
pagnons les  conquistadores  vivaient  encore.  Bientôt  je  reprendrai 
la  suite. 


CHAPITRE   CXC 


Comme  quoi  Cortès  s'embarqua  à  la  Havane  pour  aller  à  la  Nouvelle-Espagne  cl  arriva 
à  la  Vera  Cruz  avec  beau  temps.  Des  réjouissances  qui  accompagnèrent  son  arrivée. 

Cortès  se  reposa  cinq  jours  à  la  Havane;  comme  il  lui  tardait  fort 
d'arriver  à  Mexico,  il  donna  à  tout  son  monde  l'ordre  d'embarquer, 
mit  à  la  voile  et,  en  douze  jours,  grâce  à  un  temps  favorable,  il  arriva 
près  du  port  de  Medellin,  en  face  de  l'île  de  Sacrificios.  Il  fit  mouiller 


734  CONQUÊTE 

en  cet  endroit  pour  y  passer  la  nuit  et  ordonna  que  vingt  soldats  qui 
lui  étaient  attachés  descendissent  à  terre,  non  loin  de  San  Juan  d'Uloa. 
Le  hasard  voulut  qu'après  avoir  marché  à  pied  environ  une  demi- 
lieue,  ils  rencontrassent  un  convoi  de  chevaux  venant  au  port  d'Uloa 
avec  des  passagers  qui  devaient  s'embarquer  pour  la  Castille.  Cortès, 
averti  du  fait,  put  alors  se  rendre  à  Vera  Gruz  au  moyen  des  chevaux 
et  des  mules  du  convoi,  parcourant  ainsi  la  distance  d'environ  cinq 
lieues.  Il  défendit  que  personne  donnât  avis  de,  son  arrivée.  Étant 
entré  dans  la  ville  deux  heures  avant  le  jour,  il  alla  droit  à  l'église 
dont  la  porte  était  ouverte,  et  y  pénétra  avec  les  personnes  qui  l'ac- 
compagnaient. Le  jour  se  faisant,  le  sacristain  ne  tarda  pas  à  venir. 
Cet  homme  était  un  des  nouveaux  venus  de  Castille;  il  ne  connaissait 
ni  Gortès  ni  ceux  qui  étaient  avec  lui.  Voyant  l'église  pleine  d'étran- 
gers, il  gagna  la  rue  en  criant,  appelant  l'autorité  et  demandant  qu'on 
fît  sortir  du  temple  les  étrangers  qui  l'encombraient.  Réveillés  par 
ces  cris,  l'alcalde  mayor  et  les  alcaldes  ordinaires  vinrent  avec  trois 
alguazils,  accompagnés  d'un  grand  nombre  d'habitants  armés,  dans 
la  pensée  que  c'était  bien  autre  chose.  Tous  entrèrent  subitement  en 
réclamant,  d'un  ton  fort  arrogant,  que  les  intrus  sortissent  de  l'église. 
Gortès  était  si  défait  par  les  fatigues  du  voyage  qu'ils  ne  le  reconnu- 
rent que  lorsqu'ils  l'entendirent  parler.  Quant  à  fray  Juan  de  Las 
Varillas,  il  était  reconnaissable  à  sa  robe  blanche,  bien  que  le  voyage 
de  mer  l'eût  un  peu  dégradée.  S'étant  assurés  que  c'était  bien  Gortès, 
ils  s'empressèrent  d'aller  lui  baiser  les  mains  et  lui  donner  la  bien- 
venue. De  son  côté,  le  général  embrassa  les  conquistadores^  qui  vi- 
vaient dans  la  ville,  les  appelant  par  leurs  noms,  s 'informant  de  leur 
santé  et  leur  adressant  les  paroles  les  plus  amicales.  Incontinent  on 
dit  la  messe,  et  ensuite  on  conduisit  Gortès  aux  établissements  de  Pedro 
Moreno  Medrano  où  il  résida  huit  jours,  pendant  lesquels  on  célébra 
des  fêtes  et  des  réjouissances.  On  ne  tarda  pas,  du  reste,  à  envoyer 
des  messagers  à  Mexico  pour  y  annoncer  son  arrivée.  Gortès  écrivit  en 
même  temps  au  Trésorier,  au  Gontador  —  quoiqu'il  sût  que  celui-ci 
n'était  pas  de  ses  partisans,  —  à  ses  amis  et  au  monastère  de  Sainî- 
François.  Tout  le  monde  se  réjouit  de  ces  nouvelles,  et  comme  les 
Indiens  des  environs  en  eurent  connaissance,  ils  s'empressèrent  d'ap- 
porter au  conquistador  de  l'or,  des  étoffes,  des  poules  et  des  fruits. 

Gortès  partit  de  Medellin.  Le  chemin  qu'il  devait  parcourir  avait 
été  partout  réparé  et  nettoyé  ;  les  logements  où  il  devait  s'arrêter 
étaient  ornés  de  branchages  et  pourvus  de  toutes  les  provisions  néces- 
saires pour  lui  et  sa  nombreuse  suite.  Je  ne  saurais  dire  tout  ce  que 
les  Mexicains  firent  pour  témoigner  leur  allégresse.  Tous  les  villages 
qui  entourent  la  lagune  se  réunirent  pour  lui  envoyer  sur  la  route  un 
grand  présent  en  joyaux  d'or,  étoffes,  poules,  et  une  collection  des 
fruits  de  la  saison,  s'excusant  de  ne  pouvoir  faire  davantage  à  cause  de 


DE  LA  NOUVELLE-ESPAGNE.  735 

l'imprévu  de  son  retour,  et  ajoutant  que  lorsqu'il  serait  dans  la  capi- 
tale, ils  feraient  mieux  leur  devoir  et  le  serviraient  comme  leur  maître 
(fui  les  a  conquis  et  les  traite  avec  justice.  Bien  d'autres  villages  se 
conduisirent  de  la  même  manière.  Tlascala  surtout  n'oublia  rien  de 
ses  antécédents  :  les  personnages  principaux  furent  au-devant  de  lui 
pour  le  réjouir  de  leurs  danses  et  de  leurs  jeux,  en  y  ajoutant  l'hom- 
mage d'objets  de  consommation.  Quand  il  fut  arrivé  à  trois  lieues  de 
Tezcuco,  qui  est  une  ville  presque  aussi  grande  et  aussi  peuplée  que 
la  capitale  elle-même,  on  en  vit  sortir  le  Contador  Albornoz,  venu  là 
pour  recevoir  Gortès  et  faire  en  sorte  de  se  l'attirer,  car  il  en  avait 
grandement  peur.  Il  se  fit  un  entourage  des  Espagnols  de  tous  les 
villages  des  environs,  en  sus  de  ceux  qu'il  avait  amenés  en  sa  compa- 
gnie. Les  caciques  de  cette  ville  se  portèrent  au-devant  de  Gortès,  à 
deux  lieues  de  distance,  en  lui  donnant  le  spectacle  de  leurs  jeux  et 
de  leurs  danses  qu'ils  s'ingénièrent  à  varier.  Tout  cela  rendit  Gortès 
très-satisfait. 

A  son  entrée  à  Tezcuco,  une  autre  réception  solennelle  lui  fut  faite. 
Après  y  avoir  passé  la  nuit,  il  partit  le  lendemain  de  bonne  heure  pour 
Mexico.  En  route,  il  reçut  des  lettres  du  Trésorier,  de  la  municipalité 
et  de  tous  les  caballeros  et  conquistadores  ses  amis.  On  le  priait  de 
s'arrêter  dans  des  villages  à  deux  lieues  de  la  capitale,  et  de  ne  pas 
y  entrer  ce  jour-là,  quoiqu'il  l'eût  pu  facilement,  parce  qu'on  désirait 
qu'il  ne  le  fît  que  le  lendemain  matin,  afin  que  tout  le  monde  pût 
jouir  du  spectacle  de  la  grande  réception  qu'on  lui  préparait.  A  l'heure 
dite,  donc,  on  vit  sortir  de  Mexico  pour  aller  à  sa  rencontre  le  Tré- 
sorier suivi  des  conquistadores,  des  caballeros,  de  la  municipalité  et 
de  tous  les  employés.  Ils  avaient  tous  revêtu  leurs  plus  riches  habits, 
avec  chausses  et  pourpoints.  Une  musique  composée  de  toute  sorte 
d'instruments  les  accompagnait.  Les  caciques  mexicains  venaient  à 
part,  s'ingéniant  à  varier  leurs  devises  et  leurs  costumes  du  mieux 
qu'ils  avaient  pu.  La  lagune  était  couverte  d'embarcations  montées 
par  des  guerriers  indiens  armés  de  la  même  manière  qu'au  temps  de 
(juatemuz,  lorsqu'ils  nous  combattaient  sur  les  chaussées.  Les  jeux 
et  les  réjouissances  furent  tels  que  je  ne  pourrais  réussir  à  les  décrire 
en  détail,  car,  pendant  tout  le  jour,  dans  les  rues  de  Mexico,  on  ne 
vit  que  danses  et  amusements  de  toute  sorte,  et,  la  nuit  venue,  les 
fenêtres  des  maisons  s'illuminèrent.  J'allais  oublier  le  meilleur  :  c'est 
que  les  Frères  franciscains,  le  lendemain  de  l'entrée  de  Gortès,  firent 
de  grandes  processions  en  chantant  les  louanges  de  Dieu  et  le  remer- 
ciant de  la  grâce  qu'il  leur  avait  faite  par  le  retour  du  conquistador. 

Pour  en  revenir  à  l'entrée  de  Cortès  dans  la  capitale,  je  dois  dire 
qu'il  s'en  fut  bien  vite  au  monastère  de  Saint-François,  où  il  fit  dire 
des  messes,  chanter  des  actions  de  grâces  et  remercier  Dieu  d'avoir 
permis  qu'il  sortît  vivant  des  difficultés  de  la  campagne  de  Honduras, 


736  CONQUÊTE 

et  qu'il  pût  revenir  à  cette  capitale.  Il  se  rendit  ensuite  à  ses  établis- 
sements, dont  la  belle  ordonnance  représentait  des  palais  somptueux, 
et  là  il  était  servi,  respecté  et  regardé  par  tous  comme  un  véritable 
prince.  Les  Indiens  de  toutes  les  provinces  le  venaient  visiter  et  lui 
apportaient  des  présents  en  or.  Les  caciques  rebelles  du  penol  de 
Goatlan  vinrent  eux-mêmes  lui  souhaiter  la  bienvenue  et  lui  présenter 
leurs  offrandes.  Le  retour  de  Gortès  à  Mexico  eut  lieu  au  mois  de  juin 
de  l'année  1524  ou  1525  ^  Après  avoir  pris  du  repos,  il  donna  des 
ordres  pour  qu'on  arrêtât  les  bandits  et  qu'on  se  livrât  à  une  instruc- 
tion sur  les  détestables  manœuvres  du  Factor  et  du  Veedor.  Il  fit 
arrêter  Gonzalo  ou  Diego  de  Ocampo  —  je  ne  me  rappelle  pas  bien  le 
nom  de  baptême  —  sur  lequel  on  avait  trouvé  les  manuscrits  de  pam- 
phlets diffamatoires.  On  s'empara  également  d'un  certain  Ocana,  le 
notaire  public,  qui  était  fort  avancé  en  âge,  et  qu'on  appelait  le  corps 
et  l'âme  du  Factor.  Ces  arrestations  laites,  Gortès,  considérant  com- 
bien sa  conduite  serait  fondée  en  justice,  eut  la  pensée  de  procéder 
contre  le  Factor  et  le  Veedor.  S'il  l'eût  fait,  pas  une  personne  en  Gas- 
tille  n'aurait  donné  tort-  à  Gortès,  et  Sa  Majesté  l'eût  certainement 
approuvé.  Je  l'entendis  dire  moi-même  aux  membres  du  Conseil 
royal  des  Indes,  en  présence  de  Mgr  l'cvêque  fray  Bartolomé  de  Las 
Casas,  en  l'an  1540,  lorsque  je  fis  un  voyage  rendu  nécessaire  par  mes 
procès.  Gortès,  en  cette  circonstance,  manqua  de  tact,  et  on  l'accusa 
de  faiblesse  à  ce  propos. 


CHAPITRE  GXCI 


Comme  quoi,  en  ce  temps-là,  arriva  au  port  de  Saint-Jean  d'Uloa,  avec  trois  navires, 
le  licencié  Luis  Ponce  de  Léon,  qui  vint  ouvrir  une  enquête  au  sujet  de  Cortès;  et 
ce  qui  arriva  à  ce  sujet  ;  et  il  faut  revenir  un  peu  sur  ses  pas  pour  qu'on  comprenne 
bien  ce  que  je  vais  dire. 

J'ai  dit  dans  les  chapitres  qui  ont  précédé  à  quel  point  on  se  plai- 
gnit de  Cortès  auprès  de  Sa  Majesté,  lorsque  la  cour  était  à  Tolède. 
Les  auteurs  de  ces  plaintes  étaient  les  partisans  de  Diego  Velasquez, 
assistés  de  ceux  que  j'ai  déjà  nommés,  avec  le  renfort  des  lettres  d'Al- 
bornoz.  Gomme  Sa  Majesté  y  avait  ajouté  foi,  croyant  que  c'était  la 
vérité,  Elle  avait  dépêché  l'amiral  de  Saint-Domingue  avec  un  grand 
nombre  de  soldats,  pour  aller  arrêter  Gortès  et  tous  ceux  qui  l'aidè- 

1.  Ces  dates  de  Bernai  Diaz  sont  erronées.  Cortès  partit  de  Mexico  pour  Honduras 
le  12  octobre  1524,  et  il  débarqua  à  Medcllin,  de  retour  de  celte  expédition,  à  la  lin 
de  mai  1Ô26.  Nous  lisons  en  efl'et  dans  sa  lettre  écrite  à  Charles  Quint,  de  Mexico,  le 
3  septembre  1  T>26  :  «  Je  partis  (de  la  Havane)  le  16  mai  1526.  et  en  huit  jours  j'arrivai 
au  port  de  Chalchioueea  (Medellin.     >> 


DE   LA   NOUVELLE-ESPAGNE.  737 

rcnt  à  mettre  Narvaez  en  déroute.  J'ai  dit  aussi  que  le  duc  de  Bejar, 
don  Alvaro  de  Zuniga,  aussitôt  qu'il  l'eut  su,  avait  été  prier  Sa  Ma- 
jesté de  ne  pas  ajouter  foi  à  des  lettres  écrites  par  des  ennemis  de 
Cortès,  avant  de  s'être  informée  de  la  vérité  à  d'autres  sources.  L'a- 
miral ne  partit  pas,  et  j'en  ai  dit  les  raisons;  j'ai  dit  aussi  que  Sa  Ma- 
jesté prit  des  mesures  pour  envoyer  un  hidalgo  qui  se  trouvait  alors 
à  Tolède,  le  licencié  Luis  Ponce  de  Léon,  cousin  du  comte  d'Alcau- 
dete,  avec  ordre  d'ouvrir  une  enquête,  et,  s'il  trouvait  Cortès  cou- 
pable, de  le  châtier  de  manière  à  faire  une  éclatante  justice.  Pour 
qu'il  ne  méconnût  aucune  des  accusations  portées  contre  Gortès,  cet 
envoyé  emportait  avec  lui  des  mémoires  contenant  l'exposé  de  tous 
les  griefs  et  de  toutes  les  informations  qui  devaient  servir  de  hase  à 
l'enquête.  Il  partit  donc  avec  trois  navires  — je  ne  me  rappelle  pas 
bien  si  c'était  trois  ou  quatre  —  et,  favorisé  par  le  beau  temps,  il 
arriva  au  port  de  Saint-Jean  d'Uloa.  Il  débarqua  et  s'en  vint  à  la  ville 
de  Medellin.  Gomme  on  apprit  qui  il  était,  et  sa  qualité  de  juge 
chargé  d'ouvrir  une  enquête  contre  le  conquistador,  un  majordome  de 
celui-ci,  qui  résidait  au  port,  Gregorio  de  Villalobos,  se  hâta  d'en 
instruire  Gortès,  qui  le  sut  à  Mexico  au  bout  de  quatre  jours.  Il  fut 
surpris  par  cette  arrivée  si  subite.  Il  eût  voulu  la  connaître  à  l'avance, 
pour  aller  rendre  tous  les  honneurs  au  licencié,  et  lui  faire  la  meil- 
leure réception  possible. 

Au  moment  où  les  lettres  lui  arrivèrent,  il  était  au  couvent  de  Saint- 
François,  pour  y  recevoir  la  communion  et  prier  avec  humilité  afin 
que  Dieu  lui  vînt  en  aide  en  toutes  choses.  Comme  il  ne  put  douter 
de  la  nouvelle,  il  dépêcha  à  l'instant  des  messagers  pour  savoir  quels 
étaient  ceux  qui  venaient,  et  s'ils  apportaient  des  lettres  de  Sa  Ma- 
jesté. Mais,  deux  jours  après  que  la  première  nouvelle  en  avait  été 
reçue,  arrivèrent  trois  émissaires  envoyés  par  le  licencié  Luis  Ponce 
de  Léon,  avec  des  lettres  pour  Gortès.  L'une  d'elles  était  de  Sa  Ma- 
jesté. Il  y  vit  la  confirmation  du  fait  que  l'Empereur  avait  ordonné  de 
contrôler  sa  conduite.  En  voyant  les  missives  royales,  il  les  baisa  et 
les  porta  à  son  front  humblement  et  avec  le  plus  grand  respect,  en 
disant  qu'il  se  trouvait  honoré  de  ce  que  Sa  Majesté  daignât  envoyer 
quelqu'un  pour  l'écouter  en  toute  justice.  Incontinent,  il  dépêcha  des 
messagers  porteurs  de  sa  réponse  à  Luis  Ponce  lui-même,  avec  de 
douces  paroles  et  des  promesses  beaucoup  mieux  exprimées  que  je  ne 
saurais  moi-même  le  dire,  le  priant  de  lui  faire  savoir  par  lequel  des 
deux  chemins  il  désirait  venir,  attendu  qu'il  y  avait  à  la  fois  une 
grande  route  et  un  chemin  de  traverse  pour  arriver  à  la  capitale.  Il 
désirait  le  savoir,  afin  de  préparer  ce  qui  convenait  pour  le  délégué 
d'un  si  puissant  Roi  et  seigneur. 

Aussitôt  qu'il  eut  pris  connaissance  des  lettres,  le  licencié  répondit 
qu'il  était  arrivé  très-fatigué  de  la  mer,  qu'il  voulait  se  reposer  quel- 

47 


738  CONQUÊTE 

ques  jours,  et  qu'il  lui  rendait  grâces  pour  les  bons  sentiments  dont 
il  faisait  preuve.  Quelques  habitants  de  Medellin  étaient  ennemis  de 
Cortès  ;  quelques  autres,  pris  parmi  les  exilés  du  Panuco,  avaient 
fait  la  campagne  de  Honduras  et  n'étaient  pas  bien  avec  lui.  Ils  se 
mirent  d'accord  avec  des  lettres  qu'écrivirent  de  Mexico  à  Luis  Ponce 
plusieurs  autres  ennemis  du  conquistador,  et  ils  dirent  au  juge  que 
Gortès  voulait  faire  justice  du  Factor  et  du  Veedor  avant  que  le  licen- 
cié arrivât  à  Mexico.  Ils  l'avertissaient  qu'il  eût  à  bien  veiller  sur  sa 
personne,  attendu  que  Cortès  ne  lui  avait  fait  offrir  ses  services  avec 
tant  d'insistance  qu'afm  de  savoir  par  lequel  des  deux  chemins  il  vou- 
lait faire  son  voyage,  et  qu'ainsi  il  pût  mieux  se  défaire  de  sa  per- 
sonne; que,  du  reste,  il  ne  fallait  nullement  croire  ni  à  ses  paroles, 
ni  à  ses  promesses.  Ils  lui  dirent  encore  bien  d'autres  méchancetés 
dont  Gortès  se  serait  rendu  coupable,  soit  au  sujet  de  Narvaez  et  do 
Garay,  soit  à  propos  des  soldats  qu'il  avait  abandonnés  dans  le  Hon- 
duras, et  des  trois  mille  Mexicains  qui  moururent  dans  ce  voyage. 
Ils  ajoutaient,  sur  ce  chapitre,  que  sans  doute  le  capitaine  Diego  de 
Godoy,  qui  était  resté  sur  les  lieux,  avec  environ  trente  soldats  ma- 
lades, était  déjà  mort  ainsi  que  tous  ses  hommes.  (Ce  qu'ils  dirent  de 
Godoy  et  de  ses  soldats  se  trouva  être  la  vérité.)  Les  auteurs  de  ces 
rapports  suppliaient  le  juge  de  partir  sans  retard  et  rapidement  pour 
Mexico,  sans  souci  d'autres  affaires;  qu'il  prît  exemple  sur  ce  qui 
était  arrivé  à  Narvaez,  à  Yadelantado  Garay  et  à  Ghristobal  de  Tapia, 
auquel  Gortès  ne  voulut  point  obéir,  et  qu'il  renvoya  par  où  il  était 
venu.  Ils  accumulèrent  encore  contre  Gortès  beaucoup  d'autres  accu- 
sations de  torts  et  de  folies  dont  il  se  serait  rendu  coupable,  afin  de 
prévenir  le  juge  contre  lui,  et  finirent  en  lui  donnant  l'assurance  que 
Gortès  ne  lui  obéirait  nullement. 

Le  licencié  Luis  Ponce  avait  amené  avec  lui  plusieurs  hidalgos. 
C'étaient  l'alguazil  mayor  Proano,  natif  de  Gordova,  avec  un  de  ses 
frères;  Salazar  de  la  Pedraza,  qui  venait  pour  commander  la  forte- 
resse et  qui  mourut  aux  premiers  jours  de  douleur  de  côté1;  un  cer- 
tain licencié  ou  bachelier  Marcos  de  Aguilar;  un  soldat  du  nom  de 
Bocanegra,  de  Gordova,  et  quelques  moines  de  l'ordre  de  Saint- 
Dominique,  dont  le  provincial  était  fray  Tomas  Ortiz,  que  l'on  disait 
avoir  été  quelque  temps  prieur  dans  un  pays  dont  je  ne  me  rappelle 
plus  le  nom.  Du  reste,  tous  ceux  qui  vinrent  en  sa  compagnie  di- 
saient qu'il  était  plus  apte  à  négocier  des  affaires  qu'à  exercer  son 
ministère  sacré.  Je  voulais  donc  dire  que  Luis  Ponce  prit  conseil  de 
ces  hidalgos  qui  venaient  en  sa  compagnie,  pour  décider  s'il  irait 
immédiatement  à  Mexico.  Tous  furent  d'avis  qu'il  devait  partir  et  ne 

I.  Qu'on  veuille  bien  remarquer  lu  fréquence  des  malheurs  causés  par  la  pneu- 
monie* 


DE  LA  NOUVELLE-ESPAGNE.  739 

s'arrêter  ni  jour  ni  nuit  en  route,  car  ils  ajoutaient  foi  à  toutes  les 
méchancetés  qu'on  venait  de  dire  de  Gortès.  Il  en  résulta  que,  lors- 
que les  messagers  de  celui-ci  arrivèrent  à  Medellin  avec  ses  lettres, 
en  réponse  à  celle  que  le  licencié  avait  écrite,  et  avec  de  bonnes  pro- 
visions qu'ils  avaient  apportées  pour  la  route,  le  licencié  se  trouvait 
déjà  près  d'Iztapalapa. 

Une  grande  réception  l'attendait  dans^cette  ville,  où  il  eut  le  spec- 
tacle d'une  vive  allégresse  et  du  contentement  que  Cortès  ressentait  à 
propos  de  son  arrivée,  et  qu'il  témoigna  en  lui  faisant  offrir  un  grand 
banquet.  Lorsqu'on  y  eut  mangé  d'excellentes  choses,  Andrès  de  Ta- 
pia,  qui  avait  rempli  l'office  de  maître  d'hôtel,  demanda  au  licencié 
s'il  voulait  qu'on  lui  servît  de  la  crème  de  lait  et  du  fromage  frais, 
choses  rares  et  considérées  comme  des  primeurs  en  ce  temps-là.  Tous 
les  caballeros  qui  dînaient  avec  lui  se  réjouirent  de  la  proposition  et 
acceptèrent  l'offre.  Or,  la  crème  et  les  fromages  étaient  délicieux. 
Quelques-uns  des  convives  en  mangèrent  tellement,  que  l'un  d'eux 
en  eut  l'estomac  dérangé,  et  il  rendit  l'excédant,  parce  qu'il  avait  réel- 
lement consommé  outre  mesure.  Les  .autres  personnes  n'eurent  nulle 
conscience  que  cela  leur  eût  fait  aucun  mal.  Ge  fut  alors  que  ce  moine 
qui  venait  en  qualité  de  prieur  ou  de  provincial,  fray  Tomas  Ortiz, 
prétendit  que  la  crème  et  les  fromages  étaient  mêlés  de  réalgar,  et 
que  cette  crainte  l'avait  empêché  d'en  manger.  Mais  quelques-uns  des 
convives  affirmèrent  qu'ils  avaient  vu  le  moine  s'en  rassasier  en  di- 
sant que  c'était  excellent.  Gomme  Tapia  avait  eu  l'office  de  maître 
d'hôtel  ce  jour-là,  il  fut  soupçonné  d'une  action  dont  il  n'eut  jamais 
la  pensée.  D'ailleurs  Gortès  n'assistait  pas  à  cette  réception  d'Iztapa- 
lapa, ayant  dû  rester  à  Mexico;  on  répandit  secrètement  le  bruit  qu'il 
avait  envoyé  à  Luis  Ponce  un  bon  présent  en  disques  et  lingots  d'or. 
Quant  à  moi,  je  l'ignore  et  je  ne  l'affirme  nullement,  d'autant  moins 
que  bien  des  gens  disaient  que  rien  de  pareil  ne  s'était  passé. 

Iztapalapa  étant  située  à  deux  lieues  de  Mexico,  Gortès  avait  pré- 
paré des  courriers  pour  qu'on  l'avertît  du  moment  où  le  juge  parti- 
rait pour  la  capitale,  afin  qu'il  pût  aller  au-devant  de  lui.  Il  y  fut,  en 
effet,  à  la  tête  de  toute  la  cavalerie  qu'il  y  avait  dans  la  ville,  et  dont 
firent  partie  Gonzalo  de  Sandoval,  le  Trésorier  Alonso  de  Estrada,  le 
Gontador,  tous  les  membres  du  corps  municipal,  les  conquistadores, 
Jorge  et  Gromez  de  Alvarado.  Quant  à  Pedro  de  Alvarado,  il  n'était 
pas  à  Mexico  dans  ce  moment-là,  mais  à  Guatemala,  à  la  recherche 
de  Cortès  et  de  nous  tous.  Beaucoup  d'autres  caballeros,  nouvellement 
arrivés  de  Gastille,  sortirent  également  pour  assister  à  la  réception. 
Lorsque  la  rencontre  eut  lieu  sur  la  chaussée,  Gortès  et  Luis  Ponce 
se  firent  les  plus  grandes  politesses.  Le  licencié  se  conduisit,  pour 
toutes  choses,  en  homme  bien  élevé;  il  refusait  d'abord  de  marcher  à 
la  main  droite,  ainsi  que  Gortès  prétendait  lui  en  faire  les  honneurs  ; 


740  CONQUÊTE 

il  se  fit  prier  longtemps,  et  il  n'accepta  enfin  qu'après  un  grand  échange 
de  courtoisies.  A  leur  entrée  dans  la  ville,  Luis  Ponce  ne  put  s'empê- 
cher d'admirer  ses  puissants  éléments  de  résistance,  comme  il  avait 
admiré  déjà  le  grand  nombre  de  villes  qui  frappèrent  ses  regards  au- 
tour de  la  lagune.  Il  regardait  comme  incontestable  que  jamais  il  n'y 
eut  un  capitaine  au  monde  qui  conquît  tant  de  pays  et  réussît  à  pren- 
dre une  si  forte  place  avec  aussi  peu  de  soldats.  Ge  fut  avec  ces  con- 
versations qu'ils  arrivèrent  au  monastère  de  Saint-François,  où  on 
leur  dit  une  messe  après  laquelle  Gortès  pria  le  licencié  Luis  Ponce 
de  vouloir  bien  présenter  les  provisions  royales  et  faire  tout  ce  que 
Sa  Majesté  lui  avait  ordonné,  parce  que  lui,  Gortès,  à  son  tour,  au- 
rait à  réclamer  justice  contre  le  Factor  et  le  Veedor.  Le  licencié  ré- 
pondit qu'on  réserverait  ce  soin  pour  un  autre  jour.  De  là,  Gortès,  ac- 
compagné de  toute  la  cavalerie  qui  était  allée  le  recevoir,  le  conduisit 
dans  ses  palais  pour  qu'il  y  prît  sa  résidence  dans  des  appartements 
ornés  de  tapisseries.  Il  lui  fut  servi  un  dîner  d'apparat  avec  tant  de  vais- 
selle d'or  et  d'argent,  et  dans  un  ordre  si  parfait,  que  Luis  Ponce  dit 
lui-même  à  voix  basse  à  l'alguazil  mayor  Proaoo  et  à  un  certain  Bo- 
canegra  qu'à  juger  Gortès  dans  ses  manières,  dans  ses  paroles  et 
dans  ses  façons  d'agir,  on  aurait  cru  qu'il  était  depuis  bien  long- 
temps un  grand  seigneur. 

J'abandonnerai  ces  louanges,  puisqu'elles  n'intéressent  nullement 
notre  récit,  pour  dire  que  le  lendemain  ils  se  rendirent  tous  à  l'église 
principale.  La  messe  étant  dite,  ordre  fut  donné  de  réunir  le  corps 
municipal  de  la  capitale,  les  employés  des  finances  royales,  les  capi- 
taines et  les  conquistadores  de  Mexico,  pour  qu'ils  eussent  à  se  pré- 
senter au  licencié.  Lorsque  celui-ci  s'en  vit  entouré,  deux  notaires  ou 
greffiers  étant  là,  l'un  représentant  la  municipalité,  l'autre  venu  avec 
lui  de  Gastille,  il  présenta  ses  provisions  royales,  que  Gortès  s'em- 
pressa de  baiser  avec  respect  et  de  porter  sur  sa  tête  en  disant  qu'il  y 
donnait  obéissance,  comme  étant  les  ordres  de  son  Roi  et  seigneur, 
et  il  ajouta  que,  la  poitrine  inclinée  vers  la  terre,  il  accomplirait  tou- 
tes les  volontés  royales.  Môme  chose  fut  faite  par  tous  les  conquis- 
tadores, le  corps  municipal  et  les  employés  des  finances  de  Sa  Ma- 
jesté. Après  cela,  le  licencié  prit  les  bâtons  de  justice  des  mains  de 
l'alcalde  mayor,  des  alcaldes  ordinaires,  de  la  hermandad  et  des  algua- 
zils.  Après  les  avoir  eus  quelques  instants  en  son  pouvoir,  il  les  leur 
rendit,  et  dit  à  Gortès  :  «  Seigneur  capitaine,  Sa  Majesté  m'ordonne 
de  prendre  en  mains  les  pouvoirs  de  gouvernement  que  vous  avez 
exercés;  ce  n'est  pas  que  vous  ne  soyez  digne  de  beaucoup  d'autres  et 
plus  hauts  emplois,  mais  nous  devons  faire  ce  que  notre  Roi  et  sei- 
gneur commande.  »  Gortès  lui  rendit  grâce  du  ton  le  plus  respectueux 
en  disant  qu'il  serait  toujours  prêt  à  faire  ce  qui  serait  ordonné  poul- 
ie service  de  Sa  Majesté,  ce  que  Luis  Ponce  verrait  bientôt;  de  même 


DE  LA   NOUVELLE-ESPAGNE.  741 

qu'on  reconnaîtrait,  au  moyen  des  informations  et  enquêtes,  combien 
il  avait  servi  loyalement  notre  Roi  et  seigneur,  et  à  quel  point  avaient 
été  empreints  de  méchanceté  les  conseils  qu'on  avait  donnés  au  licen- 
cié et  les  lettres  à  lui  écrites.  Luis  Ponce  répondit  que  partout  où  il 
y  a  des  hommes  bons,  il  y  en  a  aussi  qui  ne  le  sont  pas;  qu'ainsi  va 
Je  monde;  qu'en  fin  de  compte,  on  dit  toujours  du  bien  de  ceux  qui 
ont  fait  de  bonnes  œuvres,  et  le  contraire  arrive  à  ceux  qui  en  ont  fait 
de  mauvaises.  C'est  à  cela  que  cette  journée  fut  employée. 

Le  lendemain,  après  qu'il  eut  entendu  la  messe  dans  le  palais  même 
où  il  logeait,  le  licencié,  employant  les  plus  grands  égards,  fit  appe- 
ler Gortès  par  un  caballero.  Alors,  en  présence  du  prieur  fray  Tomas 
Ortiz,  et  en  l'absence  de  tous  les  autres,  la  réunion  étant  entre  eux 
trois,  le  licencié  Luis  Ponce  dit  à  Gortès  d'un  ton  respectueux  : 
«  Seigneur  capitaine,  vous  n'ignorez  pas  que  Sa  Majesté  m'a  ordonné 
d'attribuer  de  bons  Indiens  en  encomienda  à  tous  les  conquistadores 
qui  vinrent  de  l'île  de  Cuba  et  s'employèrent  à  conquérir  ce  pays  et 
cette  capitale,  ainsi  qu'à  tous  les  autres  conquistadores  qui  arrivèrent 
ensuite,  avec  la  recommandation  de  donner  la  préférence  et  d'attri- 
buer des  faveurs  spéciales  à  ceux  qui  vinrent  les  premiers.  Je  m'ex- 
prime ainsi,  parce  que  j'ai  su  que  plusieurs  des  conquistadores  qui 
partirent  avec  vous  n'ont  reçu  que  des  repartimientos  misérables, 
tandis  que  vous  en  avez  donné  de  meilleurs  à  des  personnes  sans 
mérite  qui  sont  arrivées  récemment  de  Castille.  S'il  en  est  ainsi,  vous 
devez  savoir  que  ce  n'est  pas  pour  cela  que  Sa  Majesté  vous  a  nom- 
mé gouverneur,  mais  pour  accomplir  ses  royaux  commandements.  » 
Gortès  répondit  qu'il  avait  donné  des  Indiens  à  tout  le  monde,  et  que 
le  hasard  avait  voulu  que  les  uns  en  reçussent  de  bons,  et  les  autres 
de  pires;  que  tout  cela  pouvait  être  corrigé,  puisque  c'était  à  cette  in- 
tention que  le  juge  était  venu  de  Castille,  et  très-certainement  les 
conquistadores  l'avaient  bien  mérité. 

Il  fut  également  demandé  à  Gortès  ce  qu'il  en  était  des  conquista- 
dores qu'il  avait  emmenés  au  Honduras  en  sa  compagnie,  comment  il 
se  faisait  qu'il  les  y  eût  abandonnés  mourants  de  faim,  un  certain 
Godoy  surtout  qu'il  laissa  à  la  tête  de  quarante  ou  cinquante  hommes 
à  Puerto  de  Gaballos,  et  que  les  Indiens  assassinèrent  parce  que  tous 
ceux  qui  l'entouraient  étaient  malades.  (Tout  cela  devint  vérité,  ainsi 
que  j'aurai  l'occasion  de  le  dire.)  Le  licencié  ajouta  qu'il  eût  été  juste 
que,  puisqu'ils  avaient  contribué  à  gagner  cette  capitale  et  la  Nouvelle- 
Espagne,  ils  se  reposassent  en  jouissant  des  résultats,  tandis  qu'on 
emploierait  les  nouveaux  venus  de  Castille  à  conquérir  d'autres  pays 
et  à  les  coloniser. 

Il  s'informa  de  Luis  Marin  et  de  Bernai  Diaz  dcl  Gastillo,  nomina- 
lement de  quelques  autres  encore,  et  en  général  de  tous  ceux  que 
Cortès  avait  emmenés.  Celui-ci  répondit  que  pour  attaquer  et  faire 


742  CONQUETE 

la  guerre,  il  n'oserait  point  aller  dans  de  lointains  pays  sans  avoir  à 
ses  côtés  des  soldats  bien  éprouvés  ;  que,  du  reste,  ces  conquistadores 
ne  tarderaient  pas  à  être  dans  la  capitale,  puisqu'ils  étaient  en  chemin 
pour  y  retourner,  et  que  le  licencié  pourrait  s'occuper  de  leur  venir 
en  aide  et  de  leur  donner  de  bonnes  commanderies  d'Indiens. 

Luis  Ponce  lui  demanda  encore,  et  cette  fois  avec  un  certain  ton 
de  dureté,  pourquoi  il  avait  marché  contre  Christoval  de  Oli  à  une  si 
grande  distance  sans  l'ordre  de  Sa  Majesté,  en  abandonnant  Mexico 
et  l'exposant  à  se  perdre.  Cortès  répondit  que,  comme  capitaine  gé- 
néral de  Sa  Majesté,  il  avait  cru  que  cela  convenait  à  son  royal  ser- 
vice, afin  d'éviter  pour  l'avenir  que  d'autres  capitaines  se  soulevas- 
sent, et  que  du  reste  il  en  avait  donné  connaissance  d'abord  à  Sa 
Majesté. 

En  outre,  le  licencié  interrogea  Gortès  au  sujet  de  la  déroute  et  de 
la  captivité  de  Narvaez;  il  voulut  savoir  pourquoi  Francisco  de  Garay 
avait  perdu  sa  flotte  et  ses  soldats  et  était  mort  si  rapidement;  com- 
ment et  pourquoi  Gortès  avait  fait  rembarquer  Ghristobal  de  Tapia. 
Il  demanda  encore  bien  d'autres  choses  dont  je  ne  fais  pas  ici  mention. 
Gortès  répondit  à  tout  en  donnant  de  si  bonnes  raisons  que  Luis 
Ponce  en  parut  satisfait  sur  bien  des  points.  Du  reste,  toutes  ces 
demandes  étaient  consignées  dans  les  mémoires  que  le  licencié  avait 
apportés  de  Castille  et  dans  ses  notes  à  propos  des  nombreux  rapports 
qu'on  lui  avait  faits  en  route  et  sur  d'autres  choses  qui  résultaient  des 
informations  prises  à  Mexico. 

Après  cela  Gortès  se  rendit  à  sa  demeure.  Quant  à  fray  Tomas 
Ortiz,  qui  avait  assisté  à  la  conférence,  il  alla  prendre  à  part  trois 
conquistadores,  amis  de  Gortès,  pour  leur  dire  que  Luis  Ponce  voulait 
lui  trancher  la  tête,  parce  que  tel  était  l'ordre  de  Sa  Majesté,  et  que 
pour  en  arriver  à  ce  résultat  il  lui  avait  fait  subir  l'interrogatoire  que 
nous  venons  de  détailler.  Le  moine  ne  s'arrêta  pas  là,  car,  le  lende- 
main de  bonne  heure,  il  le  répéta  à  Gortès  dans  les  termes  suivants  : 
«  Seigneur  capitaine,  comme  je  vous  aime  fort,  et  que  c'est  un  devoir 
de  mon  ministère  d'avertir  en  pareil  cas,  je  crois  devoir  vous  dire  que 
Luis  Ponce  est  porteur  de  pouvoirs  de  Sa  Majesté  pour  vous  faire 
égorger.  »  Lorsque  Gortès  reçut  cette  confidence,  après  l'interroga- 
toire que  j'ai  dit,  il  devint  chagrin  et  pensif,  quoique,  d'autre  part, 
on  lui  eût  assuré  que  ce  moine  était  un  homme  turbulent  et  de  mau- 
vais cœur,  et  qu'il  ne  fallait  pas  croire  grand'chose  de  ce  qu'il  disait. 
Il  paraît,  en  effet,  qu'il  n'avait  adressé  ces  paroles  à  Gortès  qu'atin  de 
lui  inspirer  l'idée  de  le  prendre  pour  intermédiaire  et  son  interces- 
seur, dans  le  but  d'éviter  l'exécution  d'un  pareil  ordre,  et  aussi  afin 
que  Gortès  le  récompensât  avec  quelques  lingots  d'or.  D'autres  per- 
sonnes prétendirent  que  Luis  Ponce  avait  été  lui-même  l'auteur  de  ce 
bruit,  pour  inspirer  de  la  crainte  à  Gortès  et  se  faire  adresser  des 


DE  LA   NOUVELLE-ESPAGXK.  743 

prières  tendant  à  empêcher  ce  suppliée:  Cortès,  ayant  compris  la 
situation,  répondit  au  moine,  avec  grande  politesse  et  en  lui  faisant 
mille  promesses,  que  jusque-là  il  avait  eu  la  confiance  que  Sa  Majesté, 
en  sa  qualité  de  Roi  très-chrétien,  enverrait  répandre  sur  lui  ses  la- 
veurs pour  les  bons,  nombreux  et  loyaux  services  qu'il  lui  avait  tou- 
jours rendus  ;  qu'on  ne  le  trouverait  coupable  d'aucune  félonie,  il  en 
avait  la  pleine  confiance,  et  qu'il  tenait  le  senor  Luis  Ponce  pour  un 
homme  incapable  de  s'écarter  des  ordres  donnés  par  Sa  Majesté.  En- 
tendant cela  et  voyant  que  Cortès  ne  le  priait  nullement  d'intercéder 
pour  lui  auprès  de  Luis  Ponce,  le  moine  en  resta  tout  confus.  Je  dirai 
ce  qui  advint  encore;  mais  jamais  Cortès  ne  lui  donna  aucune  des 
sommes  qu'il  lui  avait  promises. 


CHAPITRE  CXCII 

Comme  quoi  ie  licencié  Luis  Ponce,  après  avoir  présenté  les  provisions  royales  et  reçu 
hommage,  fit  annoncer  publiquement  qu'une  enquête  était  ouverte  contre  Cortès  et 
tous  ceux  qui  avaient  rempli  des  fonctions  judiciaires;  comme  quoi  encore  il  fut 
atteint  du  mal  de  modorra  et  en  mourut,  et  ce  qui  arriva  encore. 

Lorsque  Luis  Ponce  eut  présenté  les  royales  provisions  et  qu'avec 
tous  les  signes  du  respect  il  eut  reçu  obéissance  de  Cortès,  du  corps 
municipal  et  des  conquistadores,  il  fit  publier  qu'une  enquête  générale 
était  ouverte  au  sujet  de  Cortès,  des  magistrats  et  de  tous  ceux  qui 
avaient  été  capitaines.  Il  fallut  voir  alors  avec  quelle  précipitation 
présentèrent  leurs  plaintes  contre  Cortès  beaucoup  de  gens  qui  n'étaient 
pas  bien  avec  lui  et  d'autres  qui  réclamaient  en  toute  justice.  Les 
témoins  accouraient  en  foule  et  la  ville  se  remplit  de  débats  judi- 
ciaires. Les  uns  prétendaient  qu'il  ne  leur  avait  pas  donné  leur  part 
d'or  ainsi  qu'il  y  était  obligé;  les  autres  se  plaignaient  de  n'en  avoir 
point  reçu  d'Indiens,  conformément  aux  ordres  de  Sa  Majesté,  tandis 
qu'il  les  donnait  à  des  créatures  de  son  père  Martin  Cortès  et  à  d'au- 
tres individus  qui  n'avaient  que  le  mérite  d'être  les  serviteurs  de 
personnages  de  Castille.  Quelques-uns  lui  réclamaient  des  chevaux 
qu'on  leur  avait  tués  dans  les  guerres,  en  alléguant  que,  quoiqu'il  y 
eût  eu  un  grand  butin  en  or  où  l'on  aurait  pu  puiser  pour  payer,  on 
ne  les  avait  nullement  indemnisés,  afin  de  garder  tout  ce  que  l'on 
avait  acquis.  Quelques  autres  se  plaignaient  d'atteintes  portées  à  leurs 
personnes  par  ordre  de  Cortès. 

Revenons-en  à  notre  enquête  pour  dire  qu'à  peine  était-elle  ou- 
verte, Notre  Seigneur  Jésus-Christ,  pour  nos  péchés  et  notre  mal- 
heur, permit  que  le  licencié  Luis  Ponce  tombât  malade  de  modorra. 
Il  fut  pris  d'une  forte  fièvre  en  venant  d'entendre  la  messo  au  monas- 


744  CONQUÊTE 

tère  de  Saint-François.  S'étant  mis  au  lit,  il  fut  pendant  quatre  jours 
somnolent,  sans  avoir  les  idées  bien  nettes  ;  la  plus  grande  partie  du 
jour  et  de  la  nuit  se  passait  à  dormir1.  Les  médecins  qui  le  soignaient, 
le  licencié  Pedro  Lopez,  le  docteur  Ojeda  et  un  autre  praticien  que  le 
malade  avait  amené  de  Castille,  comprirent  bien  clairement  cet  état 
et  furent  tous  d'avis  qu'il  se  confessât  et  reçût  les  saints  sacrements. 
Le  licencié  lui-même  s'y  soumit  volontiers  et,  lorsqu'il  eut  accompli 
ce  devoir  avec  la  plus  grande  humilité  et  contrition,  il  fit  son  testa- 
ment, par  lequel  il  désignait  pour  le  remplacer  dans  le  gouvernement 
le  licencié  Marcos  de  Aguilar  qu'il  avait  amené  de  l'île  Espanola. 
Quelques  personnes  assuraient  qu'il  était  bachelier  et  nullement 
licencié  et  qu'il  n'avait  point  les  aptitudes  propres  au  commande- 
ment. Les  conditions  de  cette  transmission  de  pouvoirs  furent  que 
tous  les  procès  et  débats,  enquêtes  et  emprisonnement  du  Factor  et 
du  Veedor  resteraient  en  l'état  où  cela  se  trouverait  à  sa  mort,  jusqu'à 
ce  que  Sa  Majesté  fût  instruite  de  ce  qui  se  passait.  Ordre  devait  être 
donné  à  ce  sujet  pour  que  des  messagers  partissent  avec  un  navire  afin 
d'informer  Sa  Majesté.  Le  testament  fait,  et  les  affaires  spirituelles 
étant  en  règle,  le  licencié  rendit  son  âme  à  Notre  Seigneur  Jésus- 
Christ  le  neuvième  jour  de  sa  maladie. 

Après  sa  mort,  le  deuil  et  la  tristesse  furent  grands  et  ressentis 
vivement  par  tous  les  conquistadores,  qui  le  pleurèrent  comme  s'il 
eût  été  leur  père,  car  ils  comprenaient  que  le  défunt  était  réellement 
venu  dans  ce  pays  pour  faire  justice  et  récompenser  tous  ceux  qui  au- 
raient servi  convenablement  Sa  Majesté,  comme  il  le  recommandait 
avant  de  mourir.  On  trouva,  consigné  dans  les  instructions  qu'il 
apportait  de  Sa  Majesté,  l'ordre  de  donner  aux  conquistadores  les 
meilleurs  repartimientos  d'Indiens,  de  manière  qu'ils  se  reconnussent 
préférés  en  toutes  choses.  Gortès  et  la  plus  grande  partie  des  cabal- 
leros  delà  capitale  se  revêtirent  d'habits  de  deuil.  On  inhuma  Ponce 
de  Léon  en  grande  pompe  au  couvent  de  Saint- François,  et  l'on  brûla 
à  ses  funérailles  autant  de  cire  qu'on  en  put  alors  recueillir.  Cette 
cérémonie  se  fit  réellement  avec  toute  la  solennité  possible  en  ce 
temps-là.  J'entendis  dire  par  quelques  caballeros,  qui  assistèrent  à  sa 
maladie,  que  Luis  Ponce  était  musicien  et  d'humeur  joyeuse;  on 
avait  pris  l'habitude  d'aller  chez  lui  pincer  de  la  guitare  pour  le  dis- 
traire, et  lui-même,  dans  sa  maladie,  étant  étendu  sur  son  lit,  de- 
manda qu'on  lui  jouât  un  air  de  danse,  pendant  lequel  il  fredonna, 
battant  du  pied  la  mesure,  jusqu'à  ce  que  l'air  fût  fini;  il  perdit  la 
parole  aussitôt  que  la  musique  cessa.  Quand  il  fut  mort  et  enterré, 
comme  je  viens   de  le  dire,  il  fallait  entendre  dans  tout  Mexico  les 

1.  Ce  sommeil  obstine  et  cette  intelligence  abolie  caractérisent  assez  la  stupeur 
typhoïde,  pour  qu'il  soit  permis  de  croire  qu'il  s'agit  ici  du  typhus  et  que  Luis  Ponce 
mourut  victime  de  cette  maladie. 


DE  LA   NOUVELLE-ESPAGNE.  745 

médisances  des  gens  qui  étaient  mal  avec  Cortès  et  avec  Sandoval 
disant  et  affirmant  qu'ils  lui  avaient  administré  le  poison  dont  il  était 
mort,  de  même  que  Cortès  l'avait  fait  pour  Francisco  de  G-aray.  Celui 
qui  l'affirmait  avec  le  plus  d'insistance  c'était  fray  Tomas  Ortiz  le 
prieur  de  quelques  moines  qui  étaient  venus  avec  lui.  Or,  il  mourut 
lui-même  de  rnodorra  deux  mois  après,  ainsi  que  d'autres  frères  de 
son  ordre.  Je  veux  dire  aussi  qu'une  épidémie  pestilentielle  s'était 
déclarée  dans  le  navire  avec  lequel  Luis  Ponce  était  venu  ;  plus  de 
cent  personnes  qui  y  étaient  embarquées  furent  atteintes  demodorra 
et  de  souffrances  dont  quelques-unes  moururent  pendant  la  traversée; 
plusieurs  autres  succombèrent  à  Medellin  après  être  débarquées. 
Peu  de  moines  furent  épargnés,  et  le  bruit  se  répandit  que  cette  ma- 
ladie s'était  propagée  au  Mexique1. 


CHAPITRE  CXCIII 


Comme  quoi,  après  la  mort  du  licencié  Ponce  de  Léon,  le  licencié  Marcos  de  Aguilar 
commença  à  gouverner.  Des  disputes  qu'il  y  eut  à  ce  sujet.  Comment  il  se  lit  que 
ie  capitaine  Luis  Marin  et  nous  tous  qui  marchions  en  sa  compagnie  rencontrâmes 
Pedro  de  Alvarado  qui  allait  chercher  Cortès.  Nous  nous  réjouîmes  les  uns  et  les 
autres,  parce  que,  le  pays  étant  en  guerre,  nous  allions  pouvoir  le  traverser  avec 
moins  de  danger. 

Sans  prétendre  s'écarter  des  prescriptions  du  testament  de  Luis 
Ponce,  la  plus  grande  partie  des  conquistadores  qui  étaient  mal  avec 
Cortès  voulaient  que  l'enquête  se  poursuivît  telle  qu'elle  s'était  com- 
mencée. Mais  Cortès  objecta  que  si  l'on  devait  respecter  ce  testament, 
on  ne  pouvait  plus  s'occuper  de  sa  personne  ;  néanmoins,  si  Marcos 
de  Aguilar  jugeait  à  propos  de  continuer  l'enquête,  il  ferait  volontiers 
des  vœux  pour  elle.  Il  y  avait  un  autre  genre  d'opposition  de  la  part 
du  corps  municipal,  qui  prétendait  que  Luis  Ponce  n'avait  pu  ordon- 
ner dans  son  testament  que  le  licencié  Aguilar  s'emparât  seul  du 
gouvernement,  d'abord  parce  qu'il  était  vieux,  caduc,  perclus  de  bubas 
et  de  peu  d'autorité  :  tout  en  sa  personne  en  était  la  preuve;  il  ne 
savait  rien  des  choses  du  pays,  et  n'en  avait  jamais  eu  aucune  espèce 
de  notion,  de  même  qu'il  ne  possédait  nulle  connaissance  sur  le 
mérite  des  personnes;  au  surplus,  il  n'inspirait  aucun  respect;  on  lui 
obéirait  difficilement,  et,   par  conséquent,  pour  que  tout  le  monde 

1.  Quelle  que  soit  l'affection  dont  il  est  ici  question,  elle  ne  saurait  être  considérée 
comme  un  mal  mexicain,  puisqu'elle  prit  naissance  à  bord  du  navire  pendant  la  tra- 
versée. Si  ce  fut  un  typhus,  comme  c'est  probable,  on  ne  saurait  admettre  (pie  le 
typhus  moderne  du  pays  ait  pris  là  son  origine,  puisque  celui-ci  ne  sévit  que  sur  les 
plateaux  et  épargne  généralement  cette  même  partie  des  côtes  sur  lesquelles  débar- 
quèrent et  moururent  les  malades  du  navire  infecté. 


746  CONQUÊTE 

ressentît  une  crainte  salutaire  et  que  la  justice  de  Sa  Majesté  fût 
acceptée  avec  soumission,  il  devait  choisir  Gortès  pour  son  collègue 
au  gouvernement,  jusqu'à  ce  que  Sa  Majesté  en  disposât  autrement. 
Mais  Marcosde  Aguilar  répondit  qu'il  ne  s'écarterait  en  rien  de  ce  que 
Luis  Ponce  avait  fixé  dans  son  testament,  qu'il  gouvernerait  seul,  et  que 
si  on  voulait  lui  imposer  un  autre  gouverneur  par  la  force,  on  ne 
ferait  nullement  ce  que  Sa  Majesté  avait  ordonné.  Sans  parler  des 
remontrances  de  Marcos  de  Aguilar,  Gortès  redoutait  réellement  les 
conséquences  de  toute  autre  détermination.  Les  fondés  de  pouvoirs 
des  villes  et  des  bourgs  de  la  Nouvelle-Espagne  eurent  beau  le  solli- 
citer pour  qu'il  s'efforçât  d'entrer  au  gouvernement,  promettant 
d'amener  peu  à  peu  par  de  bonnes  paroles  Marcos  de  Aguilar  à  cette 
résolution,  en  lui  faisant  voir  qu'il  était  très-souffrant  et  que  c'était  un 
service  à  rendre  à  Dieu  et  à  Sa  Majesté;  je  le  répète,  on  eut  beau 
faire  et  beau  dire,  Gortès  ne  voulut  pas  qu'on  insistât  sur  ce  point,  et 
prétendit  que  le  vieux  Aguilar  devait  gouverner  seul.  Et  cependant, 
il  était  tellement  impotent,  tellement  étique,  qu'une  femme  de  Gastille 
lui  donnait  à  teter,  et  qu'il  avait  chez  lui  des  chèvres  dont  il  buvait  le 
lait.  En  ce  même  temps,  au  surplus,  un  fils  qu'il  avait  amené  avec 
lui  mourut  de  modorra,  de  la  même  manière  que  Luis  Ponce1. 

J'abandonnerai  ce  sujet  pour  le  reprendre  en  son  lieu.  Je  veux 
maintenant  porter  mes  pas  en  arrière  pour  dire  ce  que  fit  le  capitaine 
Luis  Marin,  qui  était  resté  à  Naco  avec  tout  son  monde,  en  attendant 
la  réponse  de  Sandoval,  qui  devait  lui  dire  si  Gortès  s'était  oui  ou  non 
embarqué.  Nous  ne  reçûmes  jamais  ces  lettres.  On  se  rappelle  que  j'ai 
dit  comme  quoi  Sandoval  se  sépara  de  nous  pour  aller  faire  embarquer 
Gortès  vers  la  Nouvelle-Espagne,  avec  promesse  de  nous  écrire  ce  qui 
arriverait,  afin  que  nous  fissions  route  vers  Mexico  sous  les  ordres 
de  Luis  Marin.  Quoique  Sandoval  et  Gortès  eussent  écrit  par  deux 
voies  différentes,  nous  ne  reçûmes  jamais  leurs  lettres,  parce  que 
Saavedra  eut  la  méchanceté  de  ne  pas  vouloir  nous  les  envoyer.  Il  fut 
alors  convenu  entre  Luis  Marin  et  nous  tous  que,  sans  retard,  quel- 
ques-uns de  nos  cavaliers  iraient  à  Truxillo  prendre  des  nouvelles  de 
Gortès.  Francisco  Marmolejo  fut  désigné  pour  commander  cette  petite 
expédition,  et  je  fus  un  des  dix  qui  en  firent  partie.  Nous  traversâmes 
un  pays  hostile  jusqu'à  Olancho,  qui  s'appelle  actuellement  Guayape; 
c'est  le  district  où  l'on  exploita  plus  tard  de  riches  mines  d'or.  Là, 
deux  Espagnols  malades  et  un  nègre  nous  donnèrent  la  nouvelle  que 
Gortès  s'était  embarqué  peu  de  jours  auparavant  avec  tous  les  caballeros 

1.  On  voit  à  quel  point  le  typhus  paraît  s'implanter,  dès  les  premiers  temps,  parmi 
les  Espagnols,  de  manière  à  constituer,  avec  la  pneumonie,  les  deux  causes  princi- 
pales de  mortalité.  L'avenir  ne  vint  nullement  démentir  l'originalité  de  celte  inÛuence. 
Encore  aujourd'hui,  c'est  ainsi  que  les  races  européennes  sont  le  plus  fréquemment 
victimes  du  climat. 


DE  LA  NOUVELLE-ESPAGNE.  747 

et  conquistadores  qui  étaient  avec  lui;  que  la  ville  de  Mexico  l'avait 
envoyé  chercher,  tous  ses  habitants  étant  désireux  d'être  à  son  service; 
qu'un  moine  franciscain  était  venu  à  sa  recherche,  et  qu'un  cousin 
de  Gortès,  nommé  Saavedra,  restait  en  qualité  de  capitaine,  près  de 
là,  au  milieu  de  villages  hostiles.  Nous  nous  réjouîmes  de  ces  nou- 
velles, et  nous  écrivîmes  au  capitaine  Saavedra  au  moyen  d'Indiens 
de  ce  village  d'Olancho,  qui  était  pacifié.  Nous  reçûmes  en  quatre 
jours  sa  réponse,  dans  laquelle  il  nous  faisait  plusieurs  rapports. 
Nous  rendîmes  grâces  à  Dieu  et,  à  grandes  journées,  nous  arrivâmes 
à  l'endroit  où  Luis  Marin  se  trouvait.  Je  n'ai  pas  oublié  que  nous 
lançâmes  des  pierres  contre  le  pays  que  nous  venions  de  quitter, 
espérant  bien  qu'avec  l'aide  de  Dieu  nous  serions  bientôt  à  Mexico. 

En  marchant  toujours,  nous  rencontrâmes  Luis  Marin  dans  un  vil- 
lage appelé  Acalteca.  Il  se  réjouit  beaucoup  des  nouvelles  que  nous 
apportions.  Étant  ensuite  partis  vers  le  village  de  Madiani,  nous  y 
trouvâmes  six  soldats  de  la  compagnie  de  Pedro  de  Alvarado,  qui 
allaient  nous  chercher.  L'un  deux  était  Diego  de  Villanueva,  con- 
quistador et  bon  soldat,  un  des  fondateurs  de  cette  ville  de  Guatemala, 
et  natif  de  Villanueva  de  la  Serena,  dans  le  Maestrazgo  de  Alcantara. 
En  nous  reconnaissant,  nous  nous  embrassâmes  les  uns  les  autres,  et 
comme  nous  nous  informions  du  capitaine  Pedro  de  Alvarado,  ils 
répondirent  qu'il  était  non  loin  de  là  avec  plusieurs  caballeros,  mar- 
chant à  la  recherche  de  Gortès  et  de  nous  tous.  Ils  nous  racontèrent 
ce  qui  était  arrivé  à  Mexico,  comment  on  avait  fait  appeler  Pedro  de 
Alvarado  pour  qu'il  se  chargeât  du  gouvernement,  et  la  raison  qui 
l'empêcha  d'y  aller,  c'est-à-dire  la  crainte  du  Factor,  ainsi  que  je  l'ai 
dit  dans  le  chapitre  qui  en  a  traité.  Ayant  continué  notre  route,  nous 
rencontrâmes  au  bout  de  deux  jours  Pedro  de  Alvarado  et  ses  soldats 
près  du  village  de  la  Choluteca  Malalaca.  Je  ne  saurais  dire  à  quel 
point  il  se  réjouit  d'apprendre  que  Gortès  était  retourné  à  Mexico,  car 
il  évitait  ainsi  la  nécessité  d'un  pénible  voyage  à  sa  recherche.  Ce  fut 
un  grand  souci  de  moins  pour  tout  le  monde. 

Pendant  que  nous  étions  à  Choluteca,  vinrent  plusieurs  capitaines 
de  Pedro  Arias  de  Avila  :  c'étaient  Garavito,  Campanon  et  d'autres 
dont  je  ne  me  rappelle  pas  les  noms.  Ils  nous  dirent  qu'ils  venaient 
à  la  découverte  du  pays  et  pour  fixer  des  limites  avec  Pedro  de  Alvarado. 
Étant  arrivés  nous-mêmes  avec  Luis  Marin,  nous  nous  trouvâmes 
pendant  trois  jours  dans  ce  village  réunis  ensemble,  les  gens  de 
Pedro  Arias,  ceux  de  Pedro  de  Alvarado  et  les  nôtres.  Ce  fut  là  que 
Pedro  de  Alvarado  chargea  Gaspar  Arias  de  Avila,  qui  lui  était  dévoué 
et  qui  devint  plus  tard  habitant  de  Guatemala,  de  traiter  certaines 
affaires  avec  Pedro  Arias  de  Avila.  J'entendis  dire  que  c'était  à  propos 
de  mariages.  Quoi  qu'il  en  soit,  la  troupe  de  Pedro  Arias  resta  dans 
ce  village,  tandis  que  nous  prîmes  la  route  de  Guatemala.  Il  pleuvait 


7  48  CONQUÊTE 

très-fort  en  ce  temps-là  ;  aussi  rencontrâmes-nous,  avant  d'arriver  à 
la  province  de  Guzcatlan,  une  rivière  appelée  Lempa,  grossie  au  point 
qu'il  ne  nous  fut  pas  possible  de  la  traverser.  Nous  fûmes  d'avis  de 
couper  un  énorme  ceiba  dont  le  tronc  était  si  gros  que  nous  pûmes  y 
creuser  la  plus  grande  canoa  que  j'eusse  vue  jusque-là.  Ce  fut  ainsi 
qu'au  prix  de  difficultés  inouïes  nous  pûmes  passer  cette  rivière.  Mais 
nous  n'avions  pas  un  grain  de  maïs.  Nous  arrivâmes  ensuite  à  des 
villages  du  nom  de  Ghapanastiques  où  les  Indiens  tuèrent  un  de  nos 
soldats  appelé  Nicuesa,  et  en  blessèrent  trois  autres  qui  étaient  allés 
à  la  recherche  de  vivres  et  qui  fuyaient  en  déroute  lorsque  nous  pûmes 
accourir  à  leur  aide.  Le  fait  resta  impuni  parce  que  nous  ne  vou- 
lûmes pas  nous  arrêter.  C'est  dans  cette  province  que  se  trouve  aujour- 
d'hui établi  le  bourg  de  San  Miguel. 

De  là  nous  arrivâmes  à  la  province  de  Guzcatlan  qui  était  en  guerre  ; 
nous  y  trouvâmes  des  vivres  abondants.  Nous  étant  mis  ensuite  en 
route  vers  certains  villages  situés  près  de  Petapa,  nous  donnâmes 
dans  des  sierras  où  les  Guatémaltèques  avaient  fait  des  coupures  dans 
le  roc,  et,  mettant  à  profit  des  ravins  profonds,  ils  nous  y  attendirent 
de  pied  ferme.  Il  nous  fallut  trois  jours  pour  prendre  ces  positions 
et  passer  outre.  Je  reçus  là  un  coup  de  flèche  qui  ne  me  fit  qu'une 
blessure  légère.  Gela  nous  conduisit  à  Petapa,  et  le  lendemain  nous 
entrâmes  dans  cette  vallée  que  nous  surnommâmes  ciel  Tuerto,  où  se 
trouve  actuellement  édifiée  la  capitale  de  Guatemala.  À  cette  époque, 
tout  le  pays  était  soulevé  et  opposé  à  notre  passage.  Je  me  rappelle 
qu'en  descendant  un  coteau  nous  sentîmes  tout  à  coup  le  sol  trembler 
d'une  telle  façon  que  plusieurs  soldats  tombèrent  à  terre,  car  la  se- 
cousse dura  assez  longtemps.  Nous  nous  dirigeâmes  ensuite  vers  le 
site  où  se  trouvait  la  ville  ■  de  Guatemala  la  vieille,  résidence  des 
caciques  Ginacan  et  Sacachul.  Il  y  avait,  à  peu  de  distance  avant  d'en- 
trer à  la  ville,  un  ravin  très-profond  dans  lequel  nous  attendaient  tous 
les  bataillons  guatémaltèques  dans  le  but  d'empêcher  notre  passage  ; 
mais  nous  les  fîmes  reculer  avec  leur  malechance,  et  nous  fûmes  passer 
la  nuit  dans  la  ville.  Les  logements  et  les  maisons  étaient  somp- 
tueusement édifiés  et  richement  entretenus,  comme  appartenant  à  des 
caciques  et  grands  seigneurs  qui  dominaient  toutes  les  provinces  des 
environs. 

Nous  en  sortîmes  pour  aller  camper  en  rase  campagne.  Nous  fîmes 
des  baraquements  où  nous  passâmes  dix  jours  pleins,  pendant  lesquels 
Pedro  de  Alvarado  envoya  deux  fois  faire  des  offres  de  paix  aux  habi- 
tants de  Guatemala  et  à  d'autres  villages  qui  se  trouvaient  dans  ce 
district.  Ce  fut  pour  attendre  leurs  réponses  que  nous  prolongeâmes 
notre  séjour  en  cet  endroit.  Aucun  d'eux  ne  voulut  se  soumettre. 
Nous  nous  résolûmes  donc  à  continuer  notre  route  en  faisant  de  fortes 
journées;  mais  nous  ne  jugeâmes  pas  à  propos  de  passer  par  l'endroit 


DE  LA  NOUVELLE-ESPAGNE.  7  i9 

où  Pedro  de  Alvarado  avait  laissé  sa  troupe  aux  ordres  de  son  frère 
Gonzalo  qui  en  devint  capitaine,  parce  que  tout  ce  pays  nous  était 
hostile.  Ce  fut  au  village  d'Olintepequc  que  nous  les  rencontrâmes. 
Nous  nous  y  reposâmes  quelques  jours,  après  quoi  nous  nous  rendîmes 
à  Soconusco  et  de  là  à  Teguantcpeque.  Ce  fut  dans  ce  dernier  trajet 
que  moururent  deux  Espagnols  habitants  de  Mexico  qui  venaient  de 
faire  avec  nous  cette  pénible  expédition,  ainsi  qu'un  cacique  mexicain, 
appelé  Juan  Yelasquez,  qui  avait  été  capitaine  de  Guatemuz.  Nous 
accélérâmes  notre  marche  pour  arriver  ensuite  à  Guaxaca,  parce  que 
nous  venions  d'apprendre  la  mort  de  Luis  Ponce  et  bien  d'autres 
choses  que  j'ai  décrites.  On  faisait  beaucoup  d'éloges  du  défunt  en 
même  temps  qu'on  nous  disait  qu'il  était  venu  pour  faire  exécuter  les 
volontés  de  Sa  Majesté.  Il  nous  tardait  fort  d'arriver  à  Mexico.  Notre 
troupe  se  composait  de  quatre-vingts  soldats  aux  ordres  de  Pedro  de 
Alvarado. 

Arrivés  à  Ghalco,  nous  fîmes  savoir  à  Gortès  que  nous  entrerions  à 
la  capitale  le  lendemain  ;  nous  le  priions  de  tenir  nos  logements  prêts, 
et  nous  lui  faisions  savoir  que  nous  revenions  couverts  de  haillons, 
attendu  qu'il  y  avait  deux  ans  et  trois  mois  que  nous  étions  partis  de 
cette  ville.  Quand  on  sut  à  Mexico  que  nous  avions  déjà  atteint  Izta- 
palapa,  Gortès,  plusieurs  caballeros  et  le  corps  municipal  prirent  la 
chaussée  pour  se  porter  au-devant  de  nous  et  nous  recevoir.  Avant 
d'aller  nulle  autre  part,  mal  vêtus  comme  nous  étions,  nous  nous 
rendîmes  à  l'église  principale  pour  remercier  Notre  Seigneur  Jésus- 
Christ  de  nous  avoir  ramenés  dans  cette  capitale.  Au  sortir  de  l'é- 
glise, Gortès  nous  conduisit  dans  ses  palais  où  l'on  nous  avait  pré- 
paré un  magnifique  repas  qui  fut  très-bien  servi.  Le  logement  de 
Pedro  de  Alvarado  se  trouvait  dans  la  forteresse,  où  était  sa  demeure 
parce  qu'il  en  avait  été  nommé  le  gouverneur  en  même  temps  que  de 
l'arsenal.  Sandoval  emmena  Luis  Marin  dans  sa  maison  et  Andrès 
de  Tapia  installa  dans  la  sienne  le  capitaine  Luis  Sanchez  et  moi. 
Nous  y  reçûmes  mille  politesses.  Sandoval  m'y  envoya  des  habits 
pour  me  vêtir,  de  l'or  et  du  cacao  pour  mes  besoins.  Gortès  et  plu- 
sieurs habitants  de  la  ville  se  conduisirent  de  même  envers  d'autres 
soldats  et  amis  bien  connus  qui  venaient  avec  nous. 

Le  jour  suivant,  après  nous  être  recommandés  à  Dieu,  nous  sor- 
tîmes par  la  ville,  mon  camarade  le  capitaine  Luis  Sanchez  et  moi, 
sous  le  patronage  du  capitaine  Sandoval  et  d'Andrès  de  Tapia  avec 
lesquels  nous  fûmes  rendre  visite  au  licencié  Marcos  de  Aguilar,  qui 
était  gouverneur,  ainsi  que  je  l'ai  dit,  par  suite  des  dispositions  tes- 
tamentaires du  licencié  Luis  Ponce  qui  lui  avait  transmis  ses  pou- 
voirs. Nos  protecteurs  qui  nous  accompagnaient  expliquèrent  à  Marcos 
de  Aguilar  qui  nous  étions  et  les  services  que  nous  avions  rendus, 
aiin  de  le  prier  de  nous  donner  des  Indiens  à  Mexico,  parce  que  ceux 


7^0  CONQUETE 

de  Guazacualco  n'étaient  d'aucun  produit.  Après  nous  avoir  fait  les 
plus  grandes  promesses,  il  nous  dit  qu'il  n'avait  nul  pouvoir  pour 
donner  ou  ôter  des  Indiens,  attendu  que  le  testament  de  Luis  Ponce 
de  Léon,  fait  au  moment  de  mourir,  avait  déterminé  que  toutes  les 
affaires  concernant  procès  et  vacations  d'Indiens  de  la  Nouvelle-Es- 
pagne resteraient  en  l'état  où  elles  se  trouveraient,  jusqu'à  ce  que 
Sa  Majesté  en  décidât  autrement;  que  s'il  lui  était  envoyé  pouvoir 
pour  distribuer  des  Indiens,  il  nous  donnerait  certainement  ce  qu'il 
y  avait  de  mieux  dans  le  pays.  Sur  ce  nous  prîmes  congé  de  lui. 

En  ce  même  temps,  Diego  de  Ordas  revint  de  l'île  de  Cuba.  On 
sait  que  ce  fat  lui  qui  écrivit  au  Factor  les  lettres  dans  lesquelles  il 
était  dit  que  nous  tous  qui  étions  partis  avec  Gortès  avions  péri  dans 
la  campagne.  Sandoval  et  d'autres  cabaileros  lui  demandèrent  avec 
quelque  aigreur  pourquoi  il  avait  écrit  ce  qu'il  ignorait,  n'en  ayant 
pas  la  nouvelle  sûre,  et  à  quoi  bon  ces  mauvaises  lettres  qui  auraient 
pu  être  la  cause  de  la  perte  de  la  Nouvelle -Espagne.  A  cela  Diego 
de  Ordas  répondit  en  jurant  ses  grands  dieux  que  jamais  il  n'avait 
écrit  pareille  chose,  et  qu'il  s'était  borné  à  dire  que  dans  un  village 
appelé  Xicalango  étaient  venus  deux  pilotes  avec  deux  bâtiments 
montés  de  leurs  capitaines  et  matelots;  que  dans  un  combat  l'un  et 
l'autre  parti  s'étaient  massacrés,  et  que  les  Indiens  avaient  achevé 
quelques  matelots  qui  restaient  encore  vivants  dans  les  navires;  que 
l'on  eût  à  produire  ses  propres  lettres  pour  vérifier  s'il  en  était  ainsi; 
si  le  Factor  avait  ajouté  ses  commentaires  ou  changé  les  lettres  d'Or- 
das  pour  d'autres,  il  n'en  avait  nullement  la  faute.  Pour  éclairer  le 
débat,  le  Factor  et  le  Veedor  étaient  là  enfermés  dans  leurs  cages  ; 
mais  Gortès  n'osait  exercer  sa  justice  contre  eux  par  égard  pour  les 
dispositions  de  Luis  Ponce  de  Léon.  Gomme  les  difficultés  ne  lui 
manquaient  pas  d'autres  parts,  il  résolut  de  se  taire  au  sujet  du  Factor 
jusqu'à  ce  que  vinssent  d'autres  ordres  de  Sa  Majesté,  de  crainte'  qu'il 
ne  lui  arrivât  malheur  sur  ce  point.  D'ailleurs,  ce  fut  alors  que  Gortès 
leur  intenta  un  procès  pour  qu'ils  eussent  à  lui  rembourser  un  grand 
nombre  de  ses  propres  valeurs  qu'ils  ordonnèrent  de  vendre  ou  que 
l'on  consacra  à  dire  des  messes  pour  le  repos  de  son  âme,  toutes 
choses  qui  ne  furent  que  des  manœuvres  criminelles  dans  le  but  de 
faire  croire  à  la  ville  que  nous  étions  réellement  morts,  en  rendant 
tout  le  monde  témoin  des  bonnes  œuvres  et  des  cérémonies  que  l'on 
faisait  au  nom  de  Gortès.  Ce  fut  au  milieu  de  ce  désordre  qu'un  habi- 
tant de  Mexico,  appelé  Juan  Gaceres,  le  riche,  se  rendit  acquéreur  des 
biens  du  conquistador,  à  la  condition  que  toutes  les  messes  qui  se- 
raient dites  pour  l'âme  de  Gortès  servissent  à  la  sienne  propre. 

Maintenant  je  cesserai  de  raconter  mes  vieilles  histoires  pour  dire 
comme  quoi  Diego  de  Ordas  s'aperçut  qu'on  n'avait  plus  aucun  res- 
pect pour  Gortès,  qu'on  ne  faisait  pas  le  moindre  cas  de  lui  depuis 


DE  LA  NOUVELLE-ESPAGNE.  751 

l'arrivée  de  Luis  Ponce  par  lequel  le  gouvernement  lui  fut  enlevé, 
que  beaucoup  de  gens  perdaient  à  son  propos  toute  réserve  et  le  te- 
naient pour  peu  de  chose.  Ce  voyant,  du  reste,  comme  il  était  réel- 
lement homme  de  bon  conseil,  il  le  poussa  à  organiser  son  service 
en  grand  seigneur,  à  exiger  qu'on  lui  donnât  le  titre  de  Seigneurie, 
à  siéger  sous  un  dais  et  à  ne  plus  se  faire  appeler  seulement  Gortès, 
mais  «  don  Hernando  Gortès  ».  Ordas  lui  dit  encore  de  bien  se  rap- 
peler que  le  Factor  avait  appartenu  à  la  maison  du  grand  comman- 
deur don  Francisco  de  Los  Gobos  qui  commandait  actuellement  toute 
la  Castille,  qu'il  aurait  peut-être  besoin  un  jour  de  ce  personnage; 
que  lui  Gortès  n'avait  pas  grand  crédit  auprès  de  Sa  Majesté  et  du 
Gonseil  royal  des  Indes  ;  qu'il  se  gardât  bien  par  conséquent  de  don- 
ner la  mort  au  Factor  avant  qu'il  fût  condamné  par  la  justice,  car  on 
soupçonnait  à  Mexico  que  son  intention  était  de  le  faire  périr  dans 
sa  cage. 

Et  puisque  l'occasion  en  paraît  opportune,  je  veux  dire  ici,  avant 
de  passer  outre,  pourquoi,  sans  aucune  explication,  quand  il  s'est 
agi  dans  cet  écrit  de  parler  de  Gortès,  je  ne  l'ai  jamais  appelé  don 
Hernando,  ni  gratifié  des  titres  de  marquis  ou  capitaine,  mais  sim- 
plement Gortès  tout  court;  la  cause  en  est  que  lui-même  se  glo- 
rifiait qu'on  l'appelât  Gortès  seulement,  et  quanta  marquis,  il  ne  l'était 
pas  encore  en  ce  temps-là.  Ge  nom  de  Gortès  était,  en  effet,  aussi 
estimé  en  Castille  que  Jules  Gésar  ou  Pompée  chez  les  Romains,  et  de 
notre  temps  chez  nous  Gonzalo  Hernandez,  surnommé  le  Grand  Ca- 
pitaine, ainsi  qu'Annibal  chez  les  Carthaginois,  ou  encore  l'invincible 
caballero  Diego  Garcia  de  Paredes. 

Cessons  de  blasonner  pour  dire  que  le  Trésorier  Alonsode  Estrada 
maria  deux  de  ses  filles,  à  celte  même  époque,  l'uneavec  Jorge  de  Alva- 
rado,  frère  de  don  Pedro  de  Alvarado,  et  l'autre  avec  un  caballero  du 
nom  de  don  Luis  de  Guzman,  fils  de  don  Juan  de  Saavedra,  comte  de 
Castellar.  Il  fut  alors  convenu  que  Pedro  de  Alvarado  irait  en  Castille 
supplier  Sa  Majesté  de  l'honorer  du  gouvernement  de  Guatemala  el, 
en  attendant,  il  envoya  Jorge  de  Alvarado  terminer  la  pacification  de 
ce  pays  en  qualité  de  capitaine.  En  allant  à  cette  expédition,  Jorge  de 
Alvarado  prit  en  route  environ  deux  cents  Indiens  de  Tlascala,  de 
Gholula,  de  Mexico,  de  Guacachula  et  d'autres  provinces,  qui  lui  fu- 
rent d'un  grand  secours  dans  cette  guerre.  Ge  fut  en  ce  même  temps 
que  Marcos  de  Aguilar  envoya  coloniser  la  province  de  Ghiapa, 
faisant  choix  pour  cela  d'un  caballero  nommé  don  Juan  Enriquez  de 
Guzman,  proche  parent  du  duc  de  Medina-Sidonia.  Il  envoya  colo- 
niser également  la  province  de  Tabasco  où  se  trouve  le  lleuvc 
Grijalva,  par  le  capitaine  hidalgo  Baltasar  Osorio,  natif  de  Sé- 
villc.  Le  capitaine  Alonso  de  Hcrrera,  natif  deXérez,  l'un  des  anciens 
soldais  de  Gortès,  fut  envoyé   pour  pacifier   les  villages  des  Zapotè- 


752  CONQUETE 

ques,  qui  se  trouvent  sur  des  sierras  très-élevées.  Je  ne  raconterai  pas 
actuellement  ce  que  chacun  de  ces  capitaines  fit  dans  sa  conquête  ; 
je  me  tairai  ace  sujet,  jusqu'à  ce  que  le  temps  vienne  d'en  reparler. 
Quant  à  présent,  je  veux  raconter  comment  mourut  en  ce  temps-là 
Marcos  de  Aguilar,  et  ce  qui  arriva  relativement  à  son  testament,  dans 
la  clause  qui  remettait  le  gouvernement  aux  mains  du  Trésorier. 


CHAPITRE  GXGIV 

Comme  quoi  Marcos  de  Aguilar  mourut,  ordonnant  par  testament  que  le  trésorier 
Alonso  de  Estrada  se  chargeât  du  gouvernement,  à  la  condition  de  ne  rien  résoudre 
au  sujet  du  procès  du  Factor  et  du  Veedor,  ni  sur  le  fait  de  donner  ou  de  retirer  des 
Indiens,  jusqu'à  ce  que  Sa  Majesté  ordonnât  ce  qui  serait  le  mieux  à  sa  convenance, 
lestant  ainsi  dans  les  limites  du  testament  de  Luis  Ponce  de  Léon. 

Tandis  que  Marcos  de  Aguilar  avait  en  mains  les  rênes  du  gouver- 
nement, il  était  souffrant,  étique  et  malade  de  bubas.  Les  médecins 
avaient  ordonné  qu'il  se  nourrît  du  sein  d'une  femme  de  Castille  et 
ne  prît  que  du  lait  de  chèvre  avec  lequel  il  se  soutint  près  de  huit 
mois.  Il  finit  par  succomber  à  son  affection  habituelle,  compliquée  de 
fièvre.  Il  ordonna,   par    disposition  testamentaire,  que  le    trésorier 
Alonso  de  Estrada  gouvernerait  après  lui,  sans  dépasser  ni  amoindrir 
les  pouvoirs  déterminés  par  Luis  Ponce  de  Léon.  Mais  le  corps  muni- 
cipal de  Mexico  et  les  fondés  de  pouvoirs  des  villes,  qui  se  trouvaient 
alors  dans  la  capitale,  furent  d'avis  qu'Alonso  de  Estrada  serait  inca- 
pable de  gouverner  seul  aussi  bien  qu'il  conviendrait,  parce  que  Nuno 
de  (juzman,  qui  était  venu  deux  ans  auparavant  de  Castille  en  qualité 
de  gouverneur  de  la  province  du  Panuco,  dépassait  ses  limites  et  en- 
trait dans  les  domaines  de  Mexico  en  disant  que  c'étaient  des  dépen- 
dances de  sa  province.  Gomme  d'ailleurs,  dès  son  arrivée,  il  se  con- 
duisait avec  peu  de  mesure,  il  faisait  peu  de  cas  des  ordres  contenus 
dans  ses  provisions.  Ainsi  il  arriva  qu'un  habitant  de  Mexico,  appelé 
Pedro  Gonzalez  Truxillo,  personnage  de   haute  origine,  ayant  dit  ne 
pas  vouloir  vivre  sous  son  autorité,  mais  sous  celle  deMexico,  attendu 
que  les  Indiens  de  sa  commanderie  n'appartenaient  pas  au  Panuco, 
les  pourparlers  s'étant  d'ailleurs  poursuivis    sur  ce  ton,    Nuno    de 
Gruzman,  sans  plus  d'explications,  ordonna  qu'on  le  pendît.  Il  com- 
mit, en  outre,  d'autres  folies,  et  fit  pendre  encore  quelques  Espagnols, 
sous  prétexte  d'inspirer  du  respect  pour  son  gouvernemenl.  Il  man- 
quait d'égards  pour  Alonso  de  Estrada,  le  Trésorier,  dont  il  ne  fai- 
sait aucun  cas,  quoiqu'il  fût  gouverneur.  C'est  précisément  à  la  vue 
de  ces  folies  de  Nuno  de  Gruzman  que  le  corps  municipal  de  Mexico 
et  d'autres  caballeros  habitants  de  la  capitale,  dans  le  but  de  l'obli- 


DE  LA   NOUVELLE-ESPAGNE.  753 

ger  à  plus  de  retenue  et  à  mieux  suivre  les  ordres  de  Sa  Majesté,  sup- 
plièrent le  Trésorier  d'associer  Gortès  à  son  gouvernement,  dans  la 
conviction  que  cela  convenait  au  service  de  Dieu  et  de  Sa  Majesté. 
Mais  le  Trésorier  refusa.  Quelques  personnes  prétendent  que  ce  fut 
Gortès  qui  ne  voulut  point  accepter,  afin  d'éviter  que  de  méchantes 
langues  dissent  qu'il  voulait  forcément  dominer.  On  murmurait  d'ail- 
leurs le  soupçon  qu'il  avait  hâté  la  mort  d'Aguilar,  en  fournissant  ce 
qui  en  fut  la  cause. 

Quoi  qu'il  en  soit,  on  s'arrêta  à  la  mesure  d'associer  au  gouverne- 
ment du  Trésorier,  qui  l'accepta,  Gonzalo  de  Sandoval,  alors  alguazil 
mayor,  et  personnellement  tenu  en  haute  estime.  Mais  quelques  per- 
sonnes prétendirent  que,  si  le  Trésorier  n'opposa  pas  un  refus,  c'est 
qu'il  espérait  marier  une  de  ses  filles  avec  Sandoval.  Plût  au  ciel  que 
cela  eût  eu  lieu,  parce  que  Sandoval  en  aurait  peut-être  acquis  plus 
de  prestige,  et  il  serait  parvenu  à  devenir  gouverneur  en  titre,  attendu 
que  la  Nouvelle-Espagne  n'était  pas  encore  arrivée  alors  au  degré  de 
considération  qu'elle  possède  aujourd'hui.  Je  dois  donc  dire  que,  sous 
le  double  gouvernement  du  Trésorier  et  de  Gronzalo  de  Sandoval, 
comme  en  ce  pauvre  monde  il  y  a  partout  des  hommes  qui  commet- 
tent des  folies,  il  y  en  eut  un,  nommé  Proarïo,  qui  se  vit  dans  la  né- 
cessité de  fuir  la  justice  en  s'en  allant  dans  le  pays  de  Xalizco  (plus 
tard  il  devint  très-riche).  En  sa  qualité  de  gouverneur,  Sandoval  était 
tenu  de  faire  justice  à  son  sujet;  mais  il  ne  le  put  aucunement,  quel- 
que diligence  qu'il  y  mît,  parce  que  le  coupable  s'était  enfui  où  il 
n'était  plus  possible  de  le  prendre.  Faute  de  ne  pouvoir  agir,  force 
fut  de  dissimuler. 

Nous  laisserons  cette  affaire  pour  dire  que  pendant  que  l'on  faisait, 
en  faveur  de  l'association  de  Gortès  avec  le  Trésorier,  des  démarches 
qui  amenèrent  Sandoval  au  gouvernement,  ainsi  que  je  l'ai  conté,  on 
conseilla  à  Alonso  de  Estrada  d'aller  en  Gastille  pour  faire  un  rap- 
port, à  ce  sujet,  à  Sa  Majesté.  On  le  poussait  même  à  dire  que  San- 
doval était  devenu  l'associé  du  Trésorier,  uniquement  parce  que  celui- 
ci  y  fut  contraint,  afin  de  ne  point  se  voir  obligé  de  consentir  à  ce 
que  Gortès  gouvernât  avec  lui.  Au  surplus,  quelques  personnes  qui 
n'étaient  pas  bien  avec  Gortès  écrivirent  pour  leur  propre  compte  des 
lettres  dans  lesquelles  on  disait  qu'il  avait  fait  donner  du  poison  à 
Luis  Ponce  de  Léon,  à  Marcos  de  Aguilar  et  à  Padelantado  Garay  ; 
ils  prétendaient  qu'on  avait  mis  du  réalgar  dans  des  fromages  frais 
qui  furent  servis  à  Iztapalapa,  et  que,  pour  cette  raison,  un  moine  de 
l'ordre  de  Saint-Dominique  n'en  avait  pas  voulu  manger.  Or,  tout  ce 
que  l'on  écrivait  ainsi  sur  Gortès  n'était  que  méchancetés  et  calom- 
nies inventées  pour  lui  nuire.  On  y  ajoutait  l'affirmation  qu'il  voulait 
faire  mourir  le  Factor  et  le  Vcedor. 

Le  contador  Albornoz,  qui  n'avait  jamais  été  bien  avec  Gortès,  re- 

48 


754  CONQUÊTE 

vint  aussi  en  Castille  à  cette  même  époque.  Sa  Majesté  et  les  mem- 
bres du  Conseil  royal  des  Indes  lurent  les  lettres  dont  je  viens  de  par- 
ler, et  entendirent  les  rapports  du  contador  Albornoz,  qui  venaient  à 
l'appui  de  tout  ce  qui  était  contraire  à  Gortès  ;  ils  se  souvinrent  d'ail- 
leurs des  déroutes  de  Narvaez  et  de  Garay,  du  retour  de  Tapia,  de  ce 
qu'on  racontait  sur  Gatalina  Juarez  la  Mercayda,  première  femme  du 
conquistador  ;  ils  étaient  d'ailleurs  mal  informés  sur  bien  d'autres 
sujets,  et  ils  ajoutèrent  une  foi  complète  à  ce  qu'actuellement  on  ve- 
nait de  leur  écrire.  De  tout  cela  il  résulta  que  Sa  Majesté  ordonna 
qu'Alonso  de  Estrada  gouvernerait  seul,  qu'on  rendrait  définitif  tout 
ce  qu'il  avait  fait  jusque-là,  y  compris  les  répartitions  d'Indiens,  et 
qu'on  eût  à  retirer  de  prison  et  de  leurs  cages  le  Factor  et  le  Veedor, 
en  leur  rendant  leurs  biens. 

Les  provisions  royales  furent  expédiées  immédiatement  par  un 
navire  bon  voilier.  Il  fut  décidé  au  surplus  que,  pour  châtier  Gortès 
de  tout  ce  dont  il  était  accusé,  on  ferait  partir  un  caballero  du  nom 
de  don  Pedro  de  la  Gueva,  grand  commandeur  d'Alcantara,  accom- 
pagné de  trois  cents  soldats,  aux  frais  de  Gortès,  avec  ordre  de  lui 
trancher  la  tête  s'il  était  trouvé  coupable,  et  d'exercer  la  même  jus- 
tice sur  tous  ceux  qui  ,  conjointement  avec  lui,  auraient  desservi  Sa 
Majesté;  il  devait  en  même  temps  distribuer  entre  les  divers  con- 
quistadores partie  des  villages  qui  seraient  enlevés  à  Gortès.  Ordre 
fut  donné  aussi  d'envoyer  des  juges  pour  installer  un  Haut  Tribunal 
à  Mexico,  dans  la  confiance  qu'ainsi  régnerait  la  bonne  justice.  Le 
commandeur  don  Pedro  de  la  Gueva  faisait  donc  ses  préparatifs  de 
départ  pour  la  Nouvelle-Espagne;  mais,  soit  à  l'occasion  de  certains 
propos  qu'il  y  eut  à  la  cour,  soit  qu'on  ne  lui  eût  point  donné  autant 
de  milliers  de  ducats  qu'il  en  demandait  pour  le  voyage,  soit  encore 
la  crainte  de  se  trouver  en  conflit  avec  la  justice  du  Haut  Tribunal, 
l'expédition  traîna  en  longueur,  et  enfin  il  ne  partit  point.  Peut-être 
la  cause  principale  fut-elle  que  le  duc  de  Bejar  s'offrit  encore  une  fois 
pour  notre  caution. 

Pour  en  revenir  au  Trésorier,  je  dois  dire  que,  se  voyant  à  ce 
point  honoré  des  faveurs  de  Sa  Majesté,  tant  de  fois  gouverneur,  à 
présent  encore  chargé  par  l'Empereur  de  gouverner  seul,  comme  on 
lui  faisait  d'ailleurs  croire  qu'on  avait  informé  Sa  Majesté  qu'il  était 
fils  du  Roi  catholique,  il  devint  très-glorieux,  et  j'avoue  qu'il  avait 
raison.  Sa  première  mesure  fut  d'envoyer  à  Ghiapa  comme  capitaine 
un  de  ses  cousins  nommé  Diego  de  Mazariegos  ;  il  était  chargé  d'ou- 
vrir une  enquête  sur  la  conduite  de  don  Juan  Enriquez  de  Gruzman, 
qui  avait  été  envoyé  au  même  titre  par  Marcos  de  Aguilar.  Gruzman 
fut  convaincu  d'avoir  commis  plus  de  vols  dans  cette  province  qu'il 
n'y  avait  fait  de  bonnes  actions.  Le  Trésorier  envoya  aussi  conquérir 
et  pacifier  les  villages  des  Zapotèques  et  Minxes.  On  devait  les  atta- 


DE  LA  NOUVELLE-ESPAGNE.  755 

quer  par  deux  points  à  la  fois,  afin  de  les  mieux  obliger  à  se  sou- 
mettre. Le  commandant  choisi  pour  entamer  l'expédition  par  le  nord 
fut  un  certain  Barrios,  nouvellement  arrivé  de  Gastillc  à  Mexico,  qui 
avait  été,  disait-on,  un  très-vaillant  capitaine  en  Italie.  —  Il  ne  faut 
pas  le  confondre  avec  Barrios  de  Séville,  qui  fut  le  beau-frère  de 
Gortès.  —  Il  emmena  cent  soldats  dont  plusieurs  arbalétriers  ou 
gens  d'escopette.  Il  était  déjà  arrivé,  avec  tout  son  monde,  dans  une 
partie  des  villages  zapotèques  connus  sous  le  nom  de  Tiltepeque, 
lorsqu'une  nuit  les  naturels  du  lieu  tombèrent  sur  lui  et  sa  troupe 
d'une  manière  si  subite,  que  Barrios  et  sept  soldats  furent  tués,  et 
la  plupart  des  autres  reçurent  des  blessures.  Il  est  même  certain 
que  tous  eussent  péri,  s'ils  ne  se  fussent  résolus  à  prendre  la  fuite  et 
à  aller  se  réfugier  dans  des  villages  déjà  pacifiés.  Par  ce  fait,  on 
verra  la  différence  qu'il  y  a  entre  les  anciens  conquistadores  et  les  nou- 
veaux venus  de  Castille  qui  ne  connaissent  rien  des  ruses  et  de  la  ma- 
nière de  guerroyer  des  Indiens.  Et  voilà  à  quoi  aboutit  cette  campagne. 
Parlons  maintenant  de  l'autre  capitaine  nommé  Figuero ,  natif  de 
Caceres,  qui  entreprit  son  attaque  par  Guaxaca  ;  on  disait  qu'il  avait 
déjà  commandé  en  Espagne;  il  était,  du  reste,  un  des  amis  du 
trésorier  Alonso  de  Estrada.  Il  emmenait  cent  soldats  de  ceux  nou- 
vellement arrivés  de  Castille  à  Mexico;  plusieurs  d'entre  eux  étaient 
arbalétriers  ou  gens  d'escopette  ;  il  y  avait  même  dix  hommes  à 
cheval.  En  arrivant  aux  provinces  des  Zapotèques,  Figuero  fît  appeler 
un  certain  Alonso  de  Herrera,  qui  commandait  déjà  trente  hommes 
dans  ces  villages,  par  suite  de  l'ordre  qu'il  en  avait  reçu  de  Marcos 
de  Aguilar,  ainsi  que  je  l'ai  dit  au  chapitre  qui  en  a  traité.  Alonso 
de  Herrera  se  rendit  à  l'appel  de  Figuero  qui  avait  pour  instructions 
de  le  maintenir  sous  son  commandement.  Soit  que  leurs  propos 
eussent  été  trop  vifs ,  soit  que  Herrera  refusât  de  rester  en  compa- 
gnie de  Figuero,  tous  deux  mirent  l'épée  à  la  main  et  Herrera  blessa 
grièvement  Figuero,  ainsi  que  trois  de  ses  soldats  qui  lui  portaient 
secours.  Se  voyant  ainsi  blessé,  avec  un  bras  hors  d'usage,  n'osant 
d'ailleurs  pas  pénétrer  au  milieu  des  sierras  des  Minxes  qui  étaient 
très-hautes  et  très-difficiles  à  pacifier,  remarquant  en  outre  que  les 
soldats  qu'il  avait  amenés  étaient  impropres  à  cette  conquête,  Figuero 
prit  le  parti  d'employer  son  temps  à  violer  les  sépultures  des  caci- 
ques de  cette  province.  Il  y  trouva  une  très-grande  quantité  de 
joyaux  d'or,  avec  lesquels  on  avait  coutume,  autrefois,  d'inhumer 
les  principaux  personnages  de  la  contrée.  Il  mit  à  cette  opération  un 
tel  zèle  qu'il  en  retira  environ  cent  mille  piastres  d'or.  Après  y  avoir 
ajouté  d'autres  objets  de  prix  qu'il  enleva  de  deux  de  ces  villages,  il 
résolut  d'abandonner  la  campagne  et  de  s'éloigner  de  ces  peuphulrs 
qu'il  laissa  dans  un  état  de  guerre  pire  que  celui  où  elles  étaient 
quand  il  y  arriva. 


756  CONQUÊTE 

Il  revint  à  Mexico,  et,  de  là,  il  partit  pour  la  Gastille  avec  son  or. 
S'étant  embarqué  à  Vera  Cruz,  il  eut  si  mauvaise  chance  que  le 
navire  sur  lequel  il  était  essuya  une  grosse  tempête  et  fut  jeté  à  la 
côte  non  loin  du  port,  de  sorte  que  Figuero  y  périt  avec  son  or; 
quinze  passagers  se  noyèrent  et  tout  fut  perdu.  Et  voilà  où  abouti- 
rent les  capitaines  que  le  Trésorier  envoya  pour  conquérir  des  vil- 
lages qui  ne  furent  réellement  pacifiés  que  lorsque  nous,  les  habi- 
tants de  G-uazacualco,  nous  nous  occupâmes  de  les  soumettre.  Gomme 
ils  sont  situés  sur  des  sierras  très-élevées  où  les  chevaux  ne  peuvent 
point  parvenir,  j'eus  pour  ma  part  le  corps  brisé  des  trois  campagnes 
que  je  fis  pour  les  combattre,  parce  que,  vaincus  par  nos  armes 
dans  la  belle  saison5  ils  se  soulevaient  de  nouveau  quand  les  pluies 
revenaient,  et  tuaient  les  Espagnols  isolés.  Mais  enfin,  se  voyant 
obstinément  poursuivis  par  nous,  ils  finirent  par  se  soumettre  défi- 
nitivement. Parmi  eux  se  trouve  actuellement  un  bourg  que  nous 
fondâmes  sous  le  nom  de  San  Alfonso. 

Abandonnant  maintenant  le  souvenir  de  capitaines  qui  ne  savent 
nullement  l'art  de  faire  campagne,  je  reprendrai  mon  récit  pour  dire 
qu'en  apprenant  que  l'on  avait  criblé  de  blessures  son  ami  le  capi- 
taine Figuero,  le  Trésorier  donna  l'ordre  qu'on  allât  s'emparer  d'A- 
lonso  de  Herrera.  Mais  il  fut  impossible  de  l'atteindre,  parce  qu'il 
se  réfugia  au  milieu  des  sierras,  de  sorte  que  les  alguazils  qui  avaient 
été  envoyés  se  contentèrent  d'amener  un  des  soldats  qui  le  suivaient. 
Lorsque  ce  malheureux  arriva  à  Mexico  »  le  Trésorier ,  sans  l'en- 
tendre, ordonna  qu'on  lui  coupât  la  main  droite.  Ge  soldat,  qui  était 
hidalgo,  s'appelait  Gornejo.  En  outre ,  en  ce  même  temps,  un  garçon 
d'écurie  de  G-onzalo  de  Sandoval,  s'étant  pris  de  querelle  avec  un 
serviteur  du  Trésorier,  lui  appliqua  quelques  bonnes  entailles;  le 
fait  irrita  si  fort  le  gouverneur  qu'il  condamna  le  coupable  à  avoir  la 
main  coupée.  Gela  se  passait  au  moment  où  Gortès  et  Sandoval  ne 
se  trouvaient  pas  à  Mexico.  Ils  en  étaient  sortis  pour  aller  résider  à 
Gornabaca,  dans  le  double  but  de  fuir  les  troubles  et  les  bavardages, 
et  d'aller  apaiser  certains  désaccords  qui  existaient  entre  les  caciques 
de  cette  ville.  Quand  ils  apprirent  par  leurs  correspondances  que 
Gornejo  et  le  garçon  d'écurie  étaient  en  prison  et  qu'on  allait  leur 
couper  les  mains,  ils  s'empressèrent  de  revenir  à  Mexico.  Mais,  en 
voyant  que  c'était  chose  faite  et  qu'il  n'y  avait  plus  de  remède,  ils 
éprouvèrent  un  grand  ressentiment  pour  l'affront  qui  leur  était  fait 
par  le  Trésorier,  et  l'on  assure  que  Cortès  lui  adressa  des  paroles 
qu'il  aurait  mieux  aimé  ne  pas  entendre.  La  crainte  lui  vint  même 
qu'on  ne  voulût  attenter  à  sa  vie,  et,  dans  cette  pensée,  le  Trésorier 
réunit  soldats  et  amis  pour  s'en  faire  une  garde;  il  fit  même  sortir 
de  leurs  cages  leFactor  et  le  Vccdor,  afin  qu'en  leur  qualité  d'officiers 
civils  de  Sa  Majesté  ils  se  prêtassent  mutuellement  appui  contre  Gortès. 


DE  LA  NOUVELLE-ESPAGNE.  757 

Huit  jours  après   leur   délivrance,  Je  Faclor    et   quelques    autres 
ennemis  de  Gortès  conseillèrent  au  Trésorier  de  l'exiler  de  la  capi- 
tale, prétextant  qu'on  n'y  pourrait  jamais  gouverner  convenablement, 
ni  posséder  la  tranquillité,   ni  se  voir   libres   de  troubles,  tant  que 
Gortès  résiderait  dans  la  ville.  Lorque  l'ordre  d'exil   fut  signé,  on 
alla  le  notifier  au  général  qui  promit  de  s'y  soumettre,  ajoutant  qu'il 
rendait  grâces  à  Dieu  que  des  personnes  sans  mérite  d'aucune  sorte, 
indignes  de  remplir  n'importe  quel  emploi,  l'eussent  exilé  d'un  pays 
et  d'une  capitale  découverts  par  lui  et  par  ses  compagnons  d'armes 
et  conquis  au  prix  de  son  sang  nuit  et  jour  répandu,  ainsi  que  par  le 
sacrifice  de  nombreuses  existences  de  valeureux  soldats.  Il  dit  encore 
qu'il  irait  en  Gastille  faire  son  rapport  à  Sa  Majesté  en  demandant 
justice  contre  eux,  et  il  finit  en  affirmant  que  c'était  là  une  grande 
félonie  du  Trésorier  qui  méconnaissait  ainsi  les  services  qu'il  avait 
reçus  de  Gortès.  Il  sortit  de  Mexico,  alla  à  son  bourg  de  Guyoacan, 
de  là  à  Tezcuco  et  peu  de  jours  après  à  Tlascala.  Ge  fut  alors  que  la 
femme  du  Trésorier,  appelée  dona  Marina  Gutierrez  de  la  Gaballcria, 
honorable   dame    digne  de    souvenir  pour    ses   nombreuses  vertus, 
voyant  la  folie  que  son  mari  avait  commise  en  mettant  en  liberté  le 
Factor  et  le  Veedor  et  en  prononçant  l'exil  contre  Gortès,  témoigna 
du  chagrin  qu'elle  éprouvait  en  disant  au  Trésorier  :  «  Plaise  à  Dieu 
qu'il  ne  vous   arrive    aucun   malheur   pour  ce   que   vous   venez   de 
faire  !  »  Elle  lui  rappela  alors  les  nombreuses  faveurs  et  les  bienfaits 
dont  il  était  redevable  à  Gortès,  ainsi  que  les  villages  d'Indiens  qu'il 
en  avait  reçus  ;  elle  l'engagea  à  faire  sa  paix  avec  lui  pour  que  Gortès 
revînt  à  la  capitale;  elle  l'avertit  encore  qu'il  eût  à  veiller  sur  lui  de 
crainte  qu'on  n'attentât   à  sa  personne.  Elle   lui   dit   enfin  tant  de 
choses  qu'au  rapport  de  bien  des  gens  le  Trésorier  se  repentit  d'a- 
voir exilé  Gortès  et  mis   en  liberté  le  Factor  et  le  Veedor,   attendu 
que  ceux-ci  trouvaient  à  redire    à  tout  et   étaient   sans   cesse    con- 
traires à  Gortès. 

En  ce  même  temps  arriva  de  Gastille  don  fray  Julian  Garces,  pre- 
mier évêque  de  Tlascala.  Il  était  natif  de  l 'Aragon  et,  en  l'honneur 
du  très-chrétien  Empereur  notre  seigneur,  il  s'intitula  Carolin.  Ge 
fut  d'ailleurs  un  grand  prédicateur.  Etant  venu  occuper  son  diocèse 
de  Tlascala,  il  apprit  ce  que  le  Trésorier  avait  fait  au  sujet  de  l'exil 
de  Gortès  et  le  désapprouva  fort.  Dans  le  but  de  ramener  la  con- 
corde entre  eux,  il  se  rendit  à  la  ville  de  Tezcuco  et  de  là,  comme  on 
était  sur  le  bord  de  la  lagune,  il  prit  place  dans  deux  grandes  embar- 
cations et  il  s'en  vint  à  la  ville  de  Mexico  avec  deux  prêtres,  un 
moine  et  tout  son  bagage.  Son  voyage  fut  connu  dans  la  capitale 
avant  qu'il  y  parvînt.  On  en  sortit  pour  aller  le  recevoir  en  grande 
pompe  avec  croix,  clergé,  moines,  municipalité,  conquistadores,  ca- 
balleros  et  tous  les  soldats  qui  se  trouvaient  à  Mexico.  Lorsque  l'é- 


758  CONQUÊTE 

vêque  se  fut  reposé  deux  jours,  le  Trésorier  en  fit  son  intermédiaire 
pour  qu'il  se  rendît  là  où  Gortès  se  trouvait  en  ce  moment,  afin  de 
l'attirer  à  lui  et  le  convaincre  de  revenir  à  Mexico  en  lui  annonçant 
que  l'ordre  d'exil  était  levé.  Le  prélat,  se  conformant  à  ce  désir,  en- 
gagea en  effet  des  pourparlers  pour  cette  réconciliation  ;  mais  il  ne 
put  rien  obtenir  de  Gortès  qui  se  rendit  de  Tezcuco  à  Tlascala,  ainsi 
que  je  l'ai  dit,  très-bien  accompagné  par  un  nombreux  cortège  de 
caballeros  et  de  toute  espèce  de  personnes.  Il  ne  s'occupait  que  du 
soin  de  réunir  tout  l'or  et  l'argent  qu'il  lui  serait  possible,  pour 
aller  en  Gastille.  En  sus  de  ce  qu'on  lui  payait  des  tributs  de 
ses  villages,  il  mettait  en  gage  des  rentes  et  des  Indiens  prêtés 
par  ses  amis.  Le  capitaine  G-onzalo  de  Sandoval  et  Andrès  de  Tapia 
faisaient  également  leurs  préparatifs.  Ils  recueillaient  dans  leurs 
possessions  tout  l'or  et  tout  l'argent  qu'ils  pouvaient,  car  ils  devaient 
partir  avec  leur  chef. 

Pendant  que  Gortès  était  à  Tlascala,  un  grand  nombre  d'habitants 
d'autres  villes,  ainsi  que  des  soldats  qui  n'avaient  point  de  comman- 
deries  d'Indiens,  allèrent  lui  rendre  visite.  Les  caciques  de  Mexico 
couraient  se  mettre  à  son  service.  Gomme  les  hommes  amis  de  trou- 
bles, de  scandales  et  de  changements  ne  manquent  jamais,  des  gens 
de  cette  sorte  allaient  lui  dire  que,  s'il  voulait  se  proclamer  roi  de  la 
Nouvelle-Espagne,  le  moment  serait  opportun  et  qu'ils  étaient  là  pour 
le  soutenir.  Gortès  fit  arrêter  deux  individus  qui  venaient  lui  faire  ces 
propositions;  il  leur  adressa  de  violentes  réprimandes,  les  appelant 
traîtres,  et  il  fut  sur  le  point  de  les  faire  pendre.  Il  reçut  encore  une 
lettre  de  Mexico  que  d'autres  bandits  lui  adressèrent  en  lui  parlant 
de   la  même  manière.   C'était,  disait-on,  dans  le  but   de  le   tenter 
et  d'en  obtenir  quelque  parole  compromettante  au  sujet  de  cette  vi- 
laine affaire.  Mais  comme  Gortès  était  avant  tout  un  loyal  serviteur 
de  Sa  Majesté,  il  répondit  à  ceux  qui  venaient  avec  de  tels  desseins 
qu'ils  ne  se  présentassent  plus  devant  lui  pour  parler  de  pareilles  tra- 
hisons, et  il  les  menaça  de  les  faire  pendre.  Sans  plus  tarder,  il  écri- 
vit à  l'évêque  pour  l'avertir  de  ce  qui  se  passait  et  l'engager  à  dire  au 
Trésorier  qu'en  sa  qualité  de  gouverneur  il  eût  à  faire  châtier  les  traî- 
tres qui  venaient  lui  donner  de  tels  conseils,  sans  quoi  il  les  enverrait 
lui-même  au  supplice. 

Laissons  Gortès  préparer,  à  Tlascala,  son  voyage  en  Gastille,  et  re- 
venons au  Trésorier,  au  Factor  et  au  Veedor.  Ainsi  qu'il  y  avait  des 
bandits  partisans  de  bruits  et  de  querelles,  qui  allaient  s'adresser  à 
Gortès,  il  y  en  avait  aussi  qui  disaient  au  Trésorier  et  au  Factor  que 
Gortès  préparait  du  monde  pour  venir  les  massacrer,  sous  le  prétexte 
que  c'était  pour  aller  en  Gastille;  que  les  caciques  de  Mexico,  de  Tez- 
cuco, de  Tlascala,  et  de  la  plus  grande  partie  des  villages  situés  autour 
de  la  lagune,  se  trouvaient  actuellement  en  sa  compagnie,  attendant 


DE  LA   NQUVEI^LE-ESPAGNE.  759 

l'ordre  d'entrer  en  campagne.  Le  Faclor,  le  Veedor  et  Je  Trésorier  en 
arrivèrent  alors  à  croire  qu'il  voulait  les  faire  périr;  aussi,  afin  de 
savoir  la  vérité  à  cet  égard,  envoyèrent-ils  importuner  l'évêque  pour 
qu'il  daignât  s'informer  de  ce  qu'il  en  était.  Ils  écrivirent  môme  à 
Gortès  en  lui  faisant  mille  promesses  et  en  lui  demandant  leur  par- 
don. L'évoque  trouva  la  proposition  raisonnable  et  regarda  sa  mission 
de  conciliateur  comme  une  bonne  occasion  de  visiter  Tlascala.  Quand 
il  eut  vu  Gortès,  la  réception  que  lui  fit  toute  cette  province,  la  grande 
loyauté  du  conquistador,  et  su  ce  qu'il  avait  fait  en  arrêtant  les  bandits, 
ce  qu'il  avait  écrit  au  gouvernement  à  ce  propos,  il  s'empressa  d'envoyer 
des  messagers  au  Trésorier  pour  lui  assurer  que  Gortès  était  un  très- 
loyal  caballero  aussi  bien  qu'un  grand  serviteur  de  Sa  Majesté;  qu'il 
pourrait  figurer  en  notre  temps  parmi  les  plus  fameux  soutiens  de  la 
couronne  royale;  que  l'unique  chose  à  laquelle  il  pensait  était  de  se 
préparer  à  visiter  Sa  Majesté,  et  que  l'on  pouvait  abandonner  tout  soup- 
çon de  ce  qu'on  avait  craint.  Il  ajoutait  encore  dans  sa  lettre  que  le 
Trésorier  avait  pris  une  mesure  peu  judicieuse  en  condamnant  Cortès 
à  l'exil  ;  il  employait  à  ce  propos  les  paroles  suivantes  :  «  0  seigneur 
Trésorier  Alonso  de  Estrada,  comme  vous  avez  indignement  gâté  cette 
affaire!  » 

En  cessant  de  parler  de  cette  lettre,  je  ne  me  souviens  pas  bien  si 
Gortès  revint  à  Mexico  pour  dicter  sa  volonté  aux  personnes  qui  de- 
vaient être  chargées  de  sa  maison  et  du  recouvrement  de  ses  tributs; 
mais  je  me  rappelle  qu'il  donna  son  principal  pouvoir  au  licencié  Juan 
Altamirano,  à  Diego  de  Ocampo,  à  Alonso  Valiente  et  à  Santa  Gruz, 
deBurgos,  mais  surtout  à  Altamirano.  Il  avait  réuni  un  grand  nombre 
d'oiseaux  différents  de  ceux  de  Gastille,  —  chose  bien  digne  d'être  vue 
—  deux  tigres,  plusieurs  barriques  de  liquidambar,  du  baume  durci, 
un  autre  baume  liquide  comme  de  l'huile,  quatre  Indiens  passés  maî- 
tres dans  l'art  de  faire  voltiger  des  baguettes  avec  les  pieds,  jeu  re- 
marquable pour  la  Gastille  et  pour  n'importe  quel  pays  ;  d'autres  In- 
diens encore,  adroits  danseurs,  faisant  des  poses  qui  laisseraient  croire 
qu'ils  volent  dans  les  airs;  il  emmenait  trois  Indiens  bossus  et  nains 
dont  le  corps  était  monstrueusement  replié.  Il  devait  montrer  enfin 
des  Indiens  et  des  Indiennes  dont  la  peau  était  toute  blanche  et  que 
leur  grande  blancheur  empêchait  de  voir  clair.  Les  caciques  de  Tlas- 
cala le  supplièrent  d'admettre  en  sa  compagnie  trois  enfants  des  prin- 
cipaux personnages  de  la  province;  l'un  d'eux  était  fils  de  Xicotenga, 
l'aveugle,  qui  s'appela  aussi  don  Lorenzo  de  Vargas  ;  il  s'adjoignit 
encore  quelques  caciques  mexicains.  Pendant  qu'il  préparait  ainsi  son 
départ,  il  reçut  de  Vera  Gruz  la  nouvelle  que  deux  navires  bons  voi- 
liers venaient  d'y  arriver,  apportant  des  lettres  de  Gastille.  Ce  qu'elles 
disaient,  je  le  vais  conter  à  la  suite. 


760 


CONQUÊTE 


CHAPITRE  CXCV 


Comme  quoi  vinrent  d'Espagne  des  lettres  pour  Cortès  du  cardinal  de  Siguenza  don 
Garcia  de  Loyosa  qui  était  président  des  Indes  et  fut  ensuite  archevêque  de  Séville, 
et  de  plusieurs  autres  caballeros,  afin  qu'en  tout  état  de  choses  il  partît  sans  retard 
pour  la  Castille  ;  et  on  lui  apporta  la  nouvelle  que  son  père  Martin  Cortès  était 
mort  ;  et  ce  qu'il  fit  à  ce  sujet. 

J'ai  dit  dans  le  chapitre  qui  précède  ce  qui  était  arrivé  entre  Cortès, 
le  Trésorier,  le  Factor  et  le  Veedor,  ainsi  que  le  motif  qui  avait  fait 
exiler  de  Mexico  le  conquistador.  J'ai  dit  aussi  que  l'évêque  de  Tlas- 
cala  tenta  deux  fois  de  jouer  le  rôle  de  conciliateur,  mais  que  jamais 
Cortès  ne  voulut  répondre  ni  à  des  lettres,  ni  à  n'importe  quelle  con- 
versation, et  qu'il  se  prépara  pour  aller  en  Castille.  Ce  fut  alors  que 
lui  vinrent  des  lettres  de  don  Garcia  de  Loyosa,  du  duc  de  Bejar  et 
de  quelques  autres  caballeros,  lui  disant  que,  comme  il  était  absent, 
des  plaintes  étaient  faites  à  Sa  Majesté  pour  prétendre  qu'il  avait 
commis  de  méchantes  actions  et  fait  donner  la  mort  à  des  gouverneurs 
envoyés  par  Sa  Majesté.  On  lui  faisait  par  conséquent  comprendre  la 
nécessité  de  son  retour  pour  laver  son  honneur.  On  lui  donnait  en 
même  temps  la  nouvelle  de  la  mort  de  son  père,  Martin  Cortès.  En 
lisant  ces  lettres,  il  éprouva  le  double  grand  regret  d'apprendre  qu'il 
avait  perdu  son  père  et  de  se  voir  accuser  de  choses  d'une  fausseté 
évidente.  Il  redoubla  son  deuil,  car  il  le  portait  encore,  en  ce  temps- 
là,  pour  la  mort  de  sa  femme  dona  Catalina  Juarez  la  Mercayda.  La 
perte  de  son  père  lui  causa  un  grand  chagrin.  Il  fit  célébrer,  à  son 
intention,  le  mieux  qu'il  put,  une  cérémonie  funèbre. 

Si  jusque-là  Cortès  avait  eu  un  grand  désir  d'aller  en  Castille,  ce 
fut  bien  plus  encore  à  partir  de  ce  moment,  et  il  pressa  davantage 
son  départ.  Il  donna  l'ordre  de  partir  pour  Vera  Cruz  à  un  de  ses 
majordomes  nommé  Pedro  Ruis  de  Esquivel,  natif  de  Séville,  afin  de 
lui  acheter  deux  navires  qui  venaient  d'y  arriver  et  qu'on  lui  disait 
être  neufs  et  bons  voiliers.  Esquivel  s'approvisionna  de  biscuits,  de 
porcs,  de  viande  salée  et  de  tout  ce  qui  concernait  les  vivres  du  bord, 
largement,  ainsi  qu'il  convenait  à  un  grand  seigneur  aussi  riche  que 
Cortès  l'était.  Il  acheta  dans  ce  but  toutes  choses  qu'on  pouvait  se 
procurer  dans  la  Nouvelle-Espagne,  bonnes  pour  les  traversées  de 
mer  et  pouvant  s'y  conserver.  Il  en  prit  tant  qu'il  en  restait  encore 
à  bord  quand  il  arriva  en  Castille,  à  ce  point  même  et  d'un  si  grand 
nombre  d'espèces  ,  qu'il  y  eût  eu  pour  l'entretien  de  deux  navires 
pendant  deux  années,  quand  même  ils  auraient  porté  plus  de  monde. 
Le  majordome  s'en  fut  donc  par  la  lagune  de  Mexico  avec  une 
grande  canoa,  pour  se  rendre  au  village  d'Ayotzingo  où  se  trouve  le 


DE  LA  NOUVELLE-ESPAGNE.  7ôl 

débarcadère.  Il  prit  ce  chemin  pour  aller  plus  vite  exécuter  ce  que 
Cortès  lui  commandait.  Il  emmenait  six  Indiens  mexicains  et  un 
nègre  avec  un  certain  nombre  de  lingots  d'or  qui  devaient  servir  à 
l'achat  des  navires.  Quelqu'un  l'attendit  en  embuscade  sur  le  lac 
même  et  lui  donna  la  mort.  On  ne  put  jamais  connaître  l'auteur  du 
crime.  La  canoa,  les  six  Indiens  et  le  nègre  rameurs  ne  reparurent 
plus.  Quatre  jours  plus  tard  Esquivel  seul  fut  retrouve  sur  un  petit 
îlot,  à  moitié  dévoré  déjà  par  les  oiseaux  de  proie.  Beaucoup  de 
soupçons  se  firent  jour  au  sujet  de  la  mort  de  ce  majordome,  parce 
que,  disait-on,  il  était  homme  à  se  vanter  des  aventures  qui  lui  ar- 
rivaient avec  les  petites  et  les  grandes  dames.  On  ajoutait  différentes 
autres  méchantes  choses  qu'on  l'accusait  de  faire  et  que  je  crois  ne  pas 
devoir  spécifier  dans  ce  récit.  Il  en  résultait  qu'il  n'était  pas  aimé; 
aussi  ne  fit-on  pas  de  grandes  recherches  sur  les  causes  et  les  auteurs 
de  sa  mort,  de  sorte  que  le  mystère  ne  fut  jamais  éclairci.  Que  Dieu 
lui  pardonne  ! 

Cortès  s'empressa  d'envoyer  d'autres  majordomes  pour  régler  l'af- 
faire de  ces  navires,  y  charger  les  vivres  et  embarquer  les  barriques 
de  vin.  Il  fit  publier  partout  qu'il  offrait  le  passage  gratuit,  y  compris 
les  vivres,  à  quiconque  voudrait  aller  en  Gastille  avec  l'autorisation 
du  gouverneur.  Gela  fait,  Cortès,  accompagné  de  Gonzalo  de  Sandoval, 
de  Tapia  et  d'autres  caballeros,  partit  pour  la  Vera  Cruz  où  il  s'em- 
barqua après  s'être  confessé  et  avoir  reçu  la  communion.  Notre  Sei- 
gneur Dieu  lui  fit  la  grâce  d'un  si  bon  voyage  qu'il  arriva  en  Gastille 
en  quarante  et  un  jours  sans  s'être  arrêté  à  la  Havane  ni  dans  aucune 
autre  île.  Il  fut  débarquer  non  loin  de  la  ville  de  Palos,  près  de  Notre- 
Dame  de  la  Ravida.  Quand  les  voyageurs  se  virent  à  terre,  ils  tom- 
bèrent à  genoux,  levèrent  les  mains  au  ciel  et  rendirent  grâces  à 
Dieu  pour  les  faveurs  qu'ils  en  recevaient  sans  cesse.  Leur  arrivée 
en  Castille  eut  lieu  au  mois  de  décembre  de  l'an  1527.  Gonzalo  de 
Sandoval  débarquait,  paraît-il,  très-souffrant,  de  sorte  qu'aux  grandes 
joies  succédèrent  les  tristesses,  car,  bien  peu  de  jours  après,  Dieu 
permit  qu'il  fût  enlevé  de  ce  monde  dans  la  ville  de  Palos  et  dans 
l'hôtellerie  d'un  cordier,  fabricant  de  voiles,  câbles  et  cordages.  Cet 
hôtelier  vola  treize  lingots  d'or  à  Sandoval  avant  qu'il  mourût,  et  sous 
ses  yeux.  Le  voleur  eut  soin  de  choisir  le  moment  où  il  n'y  avait 
personne  en  compagnie  du  malade,  car,  agissant  de  ruse,  il  avait 
envoyé  ses  serviteurs  chercher  Cortès  en  toute  hâte  à  la  Ravida.  San- 
doval vit  retirer  les  lingots  de  la  caisse  où  ils  étaient  enfermés,  mais 
il  n'osa  pousser  aucun  cri,  parce  que,  faible,  maigre  et  souffrant 
comme  il  était,  il  craignit  que  ce  méchant  homme  ne  lui  appliquât 
l'oreiller  ou  le  matelas  sur  la  bouche  pour  l'étouffer.  Le  cordier  ayant 
pris  la  fuite  se  réfugia  en  Portugal  avec  son  or,  et  on  ne  put  jamais 
en  rien  obtenir. 


762  CONQUÊTE 

Lorsque  Cortès  apprit  que  Sandoval  était  au  plus  mal,  il  se  trans- 
porta en  toute  hâte  dans  l'endroit  où  se  trouvait  son  ami.  Le  malade 
lui  rapporta  la  mauvaise  action  de  l'hôtelier  qui  lui  avait  enlevé  ses 
lingots  d'or  et  s'était  enfui.  On  eut  beau  mettre  beaucoup  de  zèle  à  le 
ravoir,  comme  le  voleur  se  trouvait  en  Portugal,  on  ne  put  empêcher 
qu'il  gardât  tout.  Mais  l'état  de  Sandoval  ne  cessant  d'empirer  chaque 
jour,  les  médecins  qui  le  soignaient  lui  conseillèrent  de  se  confesser, 
de  recevoir  les  saints  sacrements  et  de  faire  son  testament.  Il  accom- 
plit ces  devoirs  avec  la  plus  grande  dévotion.  Il  institua  plusieurs 
legs  en  faveur  des  pauvres  et  des  monastères;  il  nomma  Cortès  pour 
son  exécuteur  testamentaire.  Ses  légataires  furent  ses  sœurs,  dont 
l'une  se  maria,  plus  tard,  avec  un  fils  bâtard  du  comte  de  Medellin. 
Ses  devoirs  spirituels  étant  remplis  et  son  testament  fait,  il  rendit 
son  âme  à  Notre  Seigneur  Dieu  qui  l'avait  créée.  Sa  mort  causa  un 
regret  général;  on  inhuma  ses  restes  avec  la  plus  grande  pompe  pos- 
sible dans  le  monastère  de  la  Ravida.  Cortès  et  tous  les  caballeros 
qui  étaient  avec  lui  se  vêtirent  de  deuil.  Que  Dieu  lui  pardonne! 
Amen! 

Cortès  envoya  immédiatement  des  courriers  à  Sa  Majesté,  au  car- 
dinal de  Siguenza,  au  duc  de  Bejar,  au  comte  d'Aguilar  et  à  d'autres 
caballeros,  pour  leur  faire  savoir  qu'il  avait  débarqué  dans  ce  port,  et 
que  Gronzalo  de  Sandoval  venait  de  mourir.  Il  ht  ressortir  ses  qualités 
personnelles  et  les  grands  services  qu'il  avait  rendus  à  Sa  Majesté, 
assurant  que  ce  fut  un  capitaine  grandement  renommé,  soit  pour 
commander  aux  autres,  soit  pour  sa  propre  valeur  au  combat.  En 
recevant  les  lettres,  Sa  Majesté  se  réjouit  de  l'arrivée  de  Cortès,  en 
même  temps  qu'Elle  éprouva  le  plus  grand  regret  pour  la  mort  de 
Sandoval,  dont  la  personnalité  généreuse  Lui  était  connue.  Cette  fin 
malheureuse  fut  vivement  sentie  par  le  cardinal  don  Garcia  de  Loyosa 
et  par  le  Conseil  royal  des  Indes.  Le  duc  de  Bejar,  le  comte  d'Aguilar 
et  d'autres  caballeros  firent  également  éclater  leur  joie,  mais  ne  man- 
quèrent pas  de  témoigner  de  leur  tristesse  à  propos  de  la  perte  de 
Sandoval.  Bientôt  le  duc  de  Bejar  et  le  comte  d'Aguilar  allèrent 
ensemble  faire  des  rapports  plus  étendus  à  Sa  Majesté,  qui  avait 
.  déjà  la  lettre  de  Cortès.  Le  duc  de  Bejar  dit  en  l'abordant  qu'il  n'avait 
jamais  douté  de  la  grande  loyauté  de  celui  dont  il  s'était  porté  caution, 
qui  avait  rendu  de  si  remarquables  services  à  Sa  Majesté,  et  qui  était 
prêt  à  témoigner  de  ses  loyales  intentions  en  toutes  choses,  ainsi  que 
ses  devoirs  envers  son  Roi  et  seigneur  l'y  obligeaient,  et  comme  il 
l'avait  prouvé  par  ses  œuvres.  Le  duc  dit  ces  paroles  parce  qu'au 
temps  des  accusations  contre  Cortès  devant  Sa  Majesté  il  avait  offert 
trois  fois  sa  tête  et  ses  dignités  comme  caution  en  faveur  de  ce  gé- 
néral et  de  nous  tous  qui  marchions  avec  lui,  pour  garantir  que  nous 
étions  de  loyaux  et  excellents  serviteurs  de  Sa  Majesté,  et  dignes  des 


DE  LA  NOUVELLE-ESPAGNE.  763 

plus  grandes  faveurs  (car  en  ce  temps-là  le  Pérou  n'était  point  encore 
découvert,  et  il  n'existait  rien  jusqu'alors  de  sa  renommée,  qui  vint 
plus  tard). 

Sa  Majesté  s'empressa  de  donner  l'ordre  qu'on  rendît  les  plus  grands 
honneurs  à  Gortès  dans  toutes  les  villes  et  bourgs  où  il  passerait.  Le 
duc  de  Medina-Sidonia  lui  fit  à  Séville  une  réception  magnifique  et 
lui  offrit  en  présent  d'excellents  chevaux.  Après  s'être  reposé  deux 
jours  dans  cette  ville,  il  hâta  le  pas  pour  aller  à  Notre-Dame  de  Gua- 
dalupe  faire  sa  neuvaine.  Il  eut  l'heureuse  chance  qu'en  ce  moment 
s'y  était  rendue  aussi  la  senora  dona  Maria  de  Mendoza,  femme  du 
grand  commandeur  de  Léon,  don  Francisco  de  LosGobos,  accompagnée 
de  plusieurs  dames  de  haut  rang,  entre  autres  une  jeune  demoiselle, 
sa  sœur,  qui  se  maria  deux  ans  plus  tard  avec  l'adelantado  des  Ca- 
naries. Lorsque  Gortès  le  sut,  il  en  éprouva  une  grande  joie.  Il  s'em- 
pressa d'aller  faire  ses  dévotions  à  Notre-Dame,  de  distribuer  des 
aumônes  aux  pauvres,  et  de  donner  ses  ordres  pour  la  célébration  de 
messes.  Gela  fait,  revêtu  des  habits  de  deuil  qu'il  portait  pour  son 
père,  pour  sa  femme  et  pour  G-onzalo  de  Sandoval,  il  se  fit  entourer 
des  caballeros  qu'il  avait  amenés  de  la  Nouvelle-Espagne  et  d'autres 
qui  étaient  accourus  lui  offrir  leurs  services,  et  il  fut  présenter  ses 
respectueux  hommages  à  la  senora  dona  Maria  de  Mendoza,  à  la 
demoiselle  sa  sœur,  qui  était  fort  belle,  et  aux  autres  dames  venues 
avec  elles. 

Cortès  était  en  tout  un  caballero  accompli  et  de  belle  humeur;  la 
renommée  de  ses  hauts  faits  remplissait  la  Gastille;  il  ne  manquait 
ni  de  grâce  ni  d'expression  dans  sa  causerie;  il  se  montrait  surtout 
très-généreux,  et,  comme  il  en  avait  les  moyens,  il  commença  à  offrir 
de  magnifiques  dons  en  joyaux  d'or  de  différents  modèles  à  toutes  les 
dames  qui  étaient  présentes.  Après  les  bijoux,  il  offrit  des  panaches 
en  plumes  vertes  parsemées  de  paillettes  d'argent  et  d'or  mêlées  de 
perles.  En  tout  ce  qu'il  distribua,  il  eut  soin  d'accentuer  ses  préfé- 
rences pour  la  senora  dona  Maria  de  Mendoza  et  sa  sœur.  Après  avoir 
fait  ces  riches  distributions,  il  donna  à  la  jeune  demoiselle,  pour  elle 
seule,  quelques  palets  en  or  très-fin  pour  qu'ils  servissent  à  faire  des 
bijoux.  Ensuite  il  fit  distribuer  beaucoup  de  liquidambar  et  du  baume 
pour  des  parfums.  Il  ordonna  aux  Indiens  jongleurs  de  donner  une 
représenlation  devant  ces  dames  en  jouant  des  bâtons  avec  leurs  pieds, 
ce  qui  causa  à  celles-ci  beaucoup  de  plaisir  ot  même  de  l'admiration. 
Outre  cela,  Gortès  ayant  su  que  sur  la  route  où  avait  passé  la  jeune 
demoiselle,  une  de  ses  mules  s'était  cassé  une  jambe  de  devant,  il  fit 
acheter  secrètement  une  excellente  paire  de  ces  animaux,  et  ordonna 
qu'on  les  remît  au  majordome  qui  était  au  service  de  la  senora.  Il 
resta  dans  le  bourg  de  Guadalupe  jusqu'à  ce  que  les  dames  partissent 
pour  la  cour,  qui  en  ce  temps-là  résidait  à  Tolède.  Il  les  accompagna, 


76<a  CONQUÊTE 

les  servit,  les  fêta  par  des  banquets,  et  sut  enfin,  selon  son  habitude, 
se  montrer  si  plein  d'égards,  que  la  senora  dona  Maria  de  Mendoza 
offrit  de  le  marier  avec  sa  sœur.  Si  Gortès  n'eût  pas  été  déjà  fiancé 
avec  la  senora  dona  Juana  de  Guzman,  nièce  du  duc  de  Bejar,  cer- 
tainement il  eût  pu,  par  cette  union,  obtenir  les  plus  grandes  faveurs 
du  grand  commandeur  de  Léon,  ainsi  que  de  la  senora  dona  Maria 
de  Mendoza,  sa  femme,  et  Sa  Majesté  lui  eût  donné,  en  ce  cas,  le 
gouvernement  de  la  Nouvelle-Espagne. 

Ne  parlons  donc  plus  de  ce  mariage,  puisque  toutes  les  choses  sont 
conduites  et  guidées  par  la  main  de  Dieu.  Je  dirai  seulement  que  la 
senora  dona  Maria  de  Mendoza  écrivit  au  grand  commandeur  de  Léon, 
son  mari,  pour  exalter  grandement  les  mérites  de  Gortès,  assurant  que 
la  renommée  de  ses  héroïques  hauts  faits  n'était  rien  en  comparaison 
de  ce  qu'elle  avait  pu  connaître  de  ses  qualités  personnelles,  de  sa 
conversation  et  de  sa  générosité.  Elle  fit  ressortir  d'autres  mérites 
qu'elle  avait  reconnus  en  lui,  ainsi  que  les  bons  offices  qu'elle  lui 
devait.  Elle  priait,  en  conséquence,  son  mari  de  le  tenir  pour  son  bon 
serviteur,  et  de  le  faire  connaître  à  Sa  Majesté,  en  La  suppliant  de 
répandre  sur  lui  ses  faveurs.  Le  commandeur,  en  lisant  la  lettre  de 
sa  femme,  en  éprouva  de  la  joie  et,  comme  il  était  le  familier  de 
l'Empereur  le  plus  en  faveur  dans  ces  temps-là,  il  montra  cette  lettre 
à  Sa  Majesté,  en  La  priant  d'honorer  Gortès  en  toute  chose,  ce  qu'EUe 
fit  assurément,  ainsi  que  je  vais  bientôt  l'expliquer.  De  leur  côté,  le 
duc  de  Bejar  et  l'amiral  dirent  à  Gortès  qu'en  apprenant  son  arrivée 
en  Gastille,  Sa  Majesté  avait  témoigné  son  désir  de  le  voir  et  de  le 
connaître  après  en  avoir  reçu  tant  de  services,  et  entendu  contre  lui 
tant  de  plaintes  au  sujet  des  méchancetés  et  des  perfidies  dont  on  le 
prétendait  coupable.  Lorsque  Gortès  arriva  à  la  cour,  Sa  Majesté  lui 
fit  réserver  un  logement.  Le  duc  de  Bejar,  le  comte  d'Aguilar  et 
d'autres  grands  seigneurs  leurs  parents  allèrent  au-devant  de  lui  en 
l'entourant  des  plus  grands  égards. 

Le  lendemain,  l'autorisation  lui  en  étant  accordée,  il  fut  se  mettre 
aux  pieds  de  Sa  Majesté,  en  se  faisant  accompagner  et  honorer  du 
duc  de  Bejar,  de  l'amiral,  et  du  grand  commandeur  de  Léon.  Après 
avoir  demandé  la  parole,  il  tomba  à  genoux  sur  le  sol  ;  mais  Sa  Ma- 
jesté s'empressa  de  lui  donner  l'ordre  de  se  relever.  Alors  il  com- 
mença à  détailler  les  grands  et  remarquables  services  qu'il  avait 
rendus,  les  événements  de  ses  conquêtes,  son  voyage  à  Honduras, 
les  trames  ourdies  à  Mexico  par  le  Factor  et  le  Veedor,  et  tout  ce  qui 
se  présenta  à  ses  souvenirs.  Mais  comme  le  récit  en  eût  pu  devenir 
trop  prolongé,  ne  voulant  point  ennuyer  l'Empereur,  il  lui  dit  :  «Votre 
Majesté  sera  sans  doute  fatiguée  de  m'entendre,  et  il  n'est  pas  juste 
qu'un  sujet  de  ma  sorte  ait  la  hardiesse  d'abuser  des  bontés  d'un  aussi 
grand  Empereur  et  Roi  du  monde  que  l'est  Votre  Majesté.  Gomme 


DE   LA  NOUVELLE-ESPAGNE.  765 

ma  langue  n'est  point  habituée  à  parler  à  Votre  Royale  Personne, 
et  qu'il  pourrait  arriver  que  mes  paroles  n'exprimassent  pas  les  évé- 
nements, avec  tout  le  respect  que  je  Lui  dois,  j'ai  apporté  ce  mé- 
moire dans  lequel  Votre  Majesté  pourra  voir  —  si  Elle  a  la  honte  de 
]G  lire  —  tous  les  faits  en  détail  et  tels  qu'ils  se  sont  passés.  »  Gela 
dit,  Gortès  tomha  encore  à  genoux  pour  haiser  les  pieds  de  Sa  Ma- 
jesté à  l'occasion  de  la  grande  faveur  dont  Elle  venait  de  l'honorer  en 
daignant  l'écouter.  Mais  l'Empereur  notre  seigneur  le  fit  lever,  tan- 
dis que  l'amiral  et  le  duc  de  Bejar  déclaraient  à  Sa  Majesté  qu'il  était 
digne  des  plus  grands  honneurs.  Incontinent  Gortès  fut  nommé 
marquis  del  Valle.  L'Empereur  lui  fit  attribuer  à  ce  propos  un  cer- 
tain nombre  de  villages  ;  il  allait  même  lui  faire  donner  le  manteau 
de  Saint-Jacques,  mais  comme  on  n'avait  pas  pris  soin  d'y  assigner 
un  revenu,  il  n'en  fut  pas  question  pour  le  moment.  A  la  vérité,  je  ne 
saurais  dire  comment  cela  se  passa.  Gortès  fut  nommé  en  outre  capi- 
taine général  de  la  Nouvelle-Espagne  et  de  la  mer  du  Sud.  A  l'an- 
nonce de  cette  nouvelle  faveur,  il  fléchit  le  genou  encore  une  fois 
pour  se  mettre  aux  pieds  du  Roi,  mais  Sa  Majesté  lui  ordonna  de  se 
relever. 

Après  ces  grandes  libéralités  royales,  quelques  jours  s'étaient  à 
peine  écoulés  depuis  son  arrivée  à  Tolède,  lorsque  Gortès  tomba 
malade  et  arriva  à  telle  extrémité,  qu'on  crut  qu'il  allait  mourir.  Le 
duc  de  Bejar  et  le  grand  commandeur  don  Francisco  de  Los  Gobos 
supplièrent  Sa  Majesté,  en  considération  de  ses  grands  services,  de 
vouloir  bien  le  visiter  dans  sa  demeure  avant  qu'il  mourût.  L'Empe- 
reur, accompagné  des  ducs,  marquis  et  comtes,  et  de  don  Francisco 
de  Los  Gobos,  lui  rendit  visite,  en  effet.  Ge  fut  là  une  insigne  faveur, 
et  toute  la  cour  en  était  convaincue.  Lorsque  Gortès  fut  rétabli,  comme 
il  était  devenu  un  grand  familier  de  Sa  Majesté,  et  que  le  comte  de 
Nasao,  le  duc  de  Bejar  et  l'amiral  de  Gastille  l'honoraient  de  leurs 
faveurs,  un  dimanche  qu'il  fut  à  la  messe,  Sa  Majesté  étant  déjà 
rendue  à  l'église  avec  les  ducs,  marquis  et  comtes,  tous  sur  leurs 
sièges  conformément  au  cérémonial  et  à  la  qualité  de  chacun,  Gortès 
se  présenta  un  peu  fêtard,  avec  intention,  passa  devant  ces  illustres 
seigneurs  en  relevant  ses  basques  de  deuil,  et  il  fut  s'asseoir  près 
du  comte  de  Nasao  qui  occupait  le  siège  le  plus  rapproché  de  l'Em- 
pereur. L'ayant  vu  passer  ainsi  devant  tant  de  grands  seigneurs,  on 
en  murmura,  voyant  en  cela  la  conduite  d'un  présomptueux,  d'un 
audacieux  même;  on  la  traita  d'irrévérence  indigne  de  l'homme  dont 
on  vantait  la  bonne  tenue.  Or,  parmi  ces  ducs  et  marquis  se  trou- 
vaient le  duc  de  Bejar,  l'amiral  de  Gastille  et  le  comte  d'Aguilar.  Us 
dirent  que  ce  fait  de  Gortès  ne  devait  pas  être  attribué  à  un  manque 
d'égards,  puisque  Sa  Majesté,  voulant  l'honorer,  lui  avait  ordonné  de 
s'asseoir  auprès  du  comte   de  Nasao.  Au   surplus,  Sa  Majesté  avait 


766  CONQUÊTE 

fait  observer  que  Gortès  et  ses  compagnons  d'armes  avaient  conquis 
tant  de  pays,  que  toute  la  chrétienté  avait  des  devoirs  envers  lui, 
tandis  qu'eux  tous  avaient  hérité  leurs  titres  et  dignités  de  leurs  an- 
cêtres à  qui  revenait  le  mérite  des  services  rendus.  Le  duc  de  Bejar 
ajoutait  que  c'était  parce  que  Gortès  était  fiancé  avec  sa  nièce  que  Sa 
Majesté  désirait  qu'il  fût  honoré. 

Du  reste,  jetlois  dire  que,  se  voyant  à  ce  point  le  favori  de  l'Em- 
pereur, du  comte  de  Nasao,  du  duc  de  Bejar  et  même  de  l'amiral, 
possesseur,  au  surplus,  du  titre  de  marquis,  Gortès  s'accoutuma  à 
attacher  un  tel  prix  à  sa  personne  qu'il  en  arriva  à  ne  plus  faire  le  cas 
qu'il  devait  des  gens  qui  avaient  contribué  à  son  élévation  en  l'hono- 
rant de  leur  aide  pour  que  Sa  Majesté  le  fît  marquis.  Dans  ce  cas 
étaient  le  cardinal  fray  Crarcia  de  Loyosa,  Gobos,  la  senora  dona  Maria 
de  Mendoza,  et  les  membres  du  Conseil  royal  des  Indes.  Gortès  n'en 
tenait  plus  aucun  compte  et  réservait  tous  ses  égards  pour  le  duc  de 
Bejar,  le  comte  de  Nasao  et  l'amiral.  Bien  convaincu  d'ailleurs  que  sa 
réussite  était  assurée  par  le  seul  fait  d'être  le  familier  de  seigneurs 
si  considérables,  il  se  mit  à  supplier  Sa  Majesté,  avec  la  plus  grande 
insistance,  de  lui  faire  la  grâce  du  gouvernement  de  la  Nouvelle-Espa- 
gne. Il  étalait  à  nouveau  ses  services  à  ce  sujet  et  promettait  qu'étant 
gouverneur  il  s'en  irait  par  la  mer  du  Sud  découvrant  des  îles  et  des 
pays  très-riches.  Il  offrait  à  cette  occasion  sa  personne  avec  des  protes- 
tations nouvelles,  mettant  en  avant  encore  une  fois,  comme  interces- 
seurs, le  comte  de  Nasao,  le  duc  de  Bejar  et  l'amiral.  Mais  Sa  Ma- 
jesté lui  répondit  qu'il  eût  à  rester  satisfait  du  marquisat  bien  rente 
dont  Elle  lui  avait  fait  présent,  en  considérant  qu'Elle  devait  donner 
aussi  à  ceux  qui  l'avaient  aidé  à  conquérir  le  pays  et  qui  le  méritaient 
certainement,  attendu  que,  l'ayant  conquis,  il  était  bien  naturel  qu'ils 
en  eussent  la  jouissance. 

À  partir  de  ce  moment  commença  la  décadence  du  grand  prestige  de 
Gortès,  parce  que,  au  dire  de  beaucoup  de  personnes,  le  cardinal  pré- 
sident et  les  autres  membres  du  Conseil  royal  des  Indes  avaient  eu 
une  réunion  avec  l'assistance  de  Sa  Majesté  au  sujet  des  affaires  et  des 
récompenses  du  conquistador,  et  la  conclusion  en  avait  été  qu'on  ne 
devait  pas  le  nommer  gouverneur.  D'autres  prétendaient  que  le  grand 
commandeur  et  la  senora  dona  Maria,  de  Mendoza  lui  furent  con- 
traires, parce  qu'il  ne  faisait  plus  aucun  cas  de  leurs  personnes.  Que 
ce  soit  pour  l'une  ou  pour  l'autre  raison,  le  fait  est  que  l'Empereur  ne 
voulut  plus  l'entendre,  quoi  que  l'on  fît  auprès  de  Lui  au  sujet  de  ce 
gouvernement.  Sa  Majesté  partit,  en  ce  temps-là,  pour  aller  s'embar- 
quer à  Barcelone  et  se  rendre  en  Flandre.  Plusieurs  ducs  et  marquis 
l'accompagnèrent,  et  Gortès  ne  cessait  de  les  employer  pour  supplier 
l'Empereur  de  le  nommer  à  cette  dignité,  jusqu'à  ce  que  Sa  Majesté 
répondît  au  comte  de  Nasao  qu'il  eût  à  ne  plus  Lui  parler  à  ce  sujet, 


DE  LA   NOUVELLE-ESPAGNE.  767 

attendu  que  Gortès  avait  déjà  reçu  un  marquisat  dont  la  rente  dépas- 
sait celle  que  le  comte  de  Nasao  lui-même  retirait  de  toute  sa  si- 
tuation. 

Nous  laisserons  Sa  Majesté  s'embarquer  en  Lui  souhaitant  un  bon 
voyage,  pour  en  revenir  à  Gortès  et  parler  des  grandes  fêles  que  l'on 
fit  à  propos  de  son  mariage,  non  moins  que  des  riches  bijoux  qu'il 
donna  à  la  senora  dofia  Juana  de  Zuniga.  La  richesse  en  fut  telle, 
qu'au  dire  de  qui  les  avait  vus  il  n'en  fut  jamais  donné  de  plus  estimés 
en  Gastille.  C'est  à  tel  point  que  la  Sérénissime  Impératrice  dona 
Isabel  avait  eu  le  désir  de  les  posséder,  après  avoir  entendu  ce  que 
lui  en  disaient  les  lapidaires.  On  assurait  même  qu'en  lui  faisant  pré- 
sent de  quelques-uns  de  ces  bijoux,  Gortès  s'était  trompé  dans  le  choix, 
ou  bien  qu'intentionnellement  il  n'avait  pas  voulu  lui  en  donner  d'aussi 
beaux  qu'à  la  marquise  sa  femme. 

Je  veux  encore  rappeler  le  souvenir  d'autres  choses  qui  arrivèrent 
à  Gortès,  du  temps  qu'il  était  à  la  cour.  Il  triomphait  très-joyeuse- 
ment. Quelques  personnes  qui  venaient  d'Espagne  et  qui  s'étaient 
trouvées  en  sa  compagnie  nous  dirent  que  la  Sérénissime  Impératrice 
dona  Isabel  ne  s'intéressait  plus  aux  affaires  de  Gortès,  comme  Elle  le 
faisait  au  début  de  son  séjour  à  la  cour,  parce  qu'Elle  était  parvenue  à 
connaître  son  ingratitude  envers  le  cardinal,  le  Conseil  royal  des  Indes 
et  même  le  grand  commandeur  de  Léon,  ainsi  qu'à  l'égard  de  la  se- 
nora dona  Maria  de  Mendoza.  Elle  avait  su,  en  outre,  qu'il  possédait 
des  pierres  précieuses  supérieures  à  celles  dont  il  Lui  fit  présent.  Mal- 
gré cela,  cependant,  Elle  ordonna  au  Conseil  royal  des  Indes  de  l'aider 
en  toutes  choses.  Ce  fut  alors  que  Gortès  prit  l'engagement  d'envoyer 
par  la  mer  du  Sud  deux  grands  navires  de  guerre  bien  pourvus,  avec 
soixante-dix  soldats  et  leurs  capitaines,  bien  armés  de  toutes  armes, 
le  tout  à  ses  frais,  pour  aller  découvrir  des  îles  et  d'autres  pays,  à  la 
condition  que  certaines  faveurs  lui  seraient  assurées  à  propos  de 
chaque  découverte.  Je  m'en  remets  aux  conventions  qui  furent  écrites 
alors,  parce  que  je  ne  m'en  souviens  plus. 

En  ce  même  temps  se  trouvait  à  la  cour  également  don  Pedro  de 
la  Gueba,  grand  commandeur  d'Alcantara,  frère  du  duc  d'Albuquer* 
que.  G'était  ce  même  caballero  que  Sa  Majesté  avait  désigné  pour 
aller  à  la  Nouvelle-Espagne  avec  un  grand  nombre  de  soldats  et  l'ordre 
de  trancher  la  tête  à  Gortès  s'il  le  trouvait  coupable,  ainsi  qu'à  toute 
autre  personne  convaincue  de  quelque  acte  contraire  au  service  de  Sa 
Majesté.  En  voyant  Gortès  déjà  fait  marquis  par  Sa  Majesté  et  marié 
avec  la  senora  dona  Juana  de  Zuniga,  il  en  éprouva  une  grande  joie. 
Des  relations  journalières  s'établirent  entre  le  commandeur  don  Pedro 
de  la  Gueba  et  le  marquis  don  Fernando  Gortès.  Or,  le  commandeur 
fit  joyeusement  observer  à  son  nouvel  ami  que  s'il  avait  été  à  la 
Nouvelle-Espagne  avec  le  nombre  de  soldats  qui  fut  décrété^  l'eût-il 


768  CONQUÊTE 

trouvé  innocent,  on  n'aurait  pu  éviter  de  faire  tomber  sur  Cortès  les 
frais  de  l'expédition  qui  se  seraient  montés  à  plus  de  trois  cent  mille 
piastres  ;  d'où  il  résultait  que  Gortès  avait  bien  mieux  fait  de  venir  en 
personne  s'entendre  avec  Sa  Majesté.  D'autres  conversations  nom- 
breuses eurent  encore  lieu,  je  ne  les  rapporterai  pas  ici.  Des  personnes 
qui  y  assistaient  nous  les  écrivaient  de  Gastille,  avec  toutes  les  circons- 
tances que  j'ai  déjà  consignées  dans  mon  récit.  Nos  procureurs  aussi 
avaient  soin  de  nous  tenir  au  courant  de  toutes  choses,  et  Gortès  lui- 
même  ne  manquait  pas  d'écrire  au  sujet  des  grandes  faveurs  qu'il 
obtenait  de  Sa  Majesté;  mais  il  se  garda  bien  de  parler  des  causes 
qui  l'avaient  empêché  d'être  gouverneur. 

Je  dirai  maintenant  que,  peu  de  jours  après  qu'il  fut  fait  marquis, 
Gortès  envoya  un  messager  à  Rome  pour  baiser  en  son  nom  les  pieds 
sacrés  de  Notre  Saint  Père  le  Pape  Clément,  parce  qu'Adrien,  qui 
s'était  tant  occupé  de  nous,  était  mort  depuis  trois  ou  quatre  ans.  Ce 
fut  un  hidalgo  nommé  Juan  de  Herrada  qui  partit  en  qualité  de  son 
envoyé.  Il  adressa,  par  son  entremise,  à  Sa  Sainteté,  des  pierres  pré- 
cieuses, des  bijoux  en  or,  et  deux  Indiens  jonglant  avec  les  pieds.  Il 
fit  longuement  le  rapport  de  son  arrivée  en  Gastille,  des  pays  qu'il 
avait  conquis  et  des  services  qu'il  avait  rendus  à  Dieu  d'abord  et  à 
notre  grand  Empereur  ensuite.  Gela  se  trouvait  accompagné  d'un  long 
mémoire  détaillant  l'étendue  des  pays,  la  nature  de  leurs  produits, 
les  Indiens  idolâtres  devenus  chrétiens  et  beaucoup  d'autres  choses 
qu'il  convenait  de  dire  à  Notre  Très-Saint  Père.  Gomme  je  n'ai  jamais 
connu  bien  en  détail  ce  qu'on  nous  rapportait  à  cet  égard,  je  cesserai 
d'en  parler.  Je  dois  dire  cependant  que  j'appris  tout  ce  que  je  viens  de 
raconter  par  Juan  de  Herrada  lui-même,  lorsqu'il  vint  de  Rome  à  la 
Nouvelle-Espagne.  Nous  sûmes  alors  que  Gortès  avait  supplié  Sa 
Sainteté  de  vouloir  bien  diminuer  le  montant  des  dîmes.  Et  pour  que 
les  curieux  lecteurs  sachent  bien  ce  que  c'était  que  ce  Juan  de  Herrada, 
je  dirai  que  ce  fut  un  bon  soldat  et  qu'il  était  avec  nous  à  Honduras, 
lorsque  nous  y  fûmes  avec  Gortès.  A  son  retour  de  Rome,  il  alla  au 
Pérou,  et  là,  don  Diego  de  Almagro  le  choisit  comme  gouverneur  de 
son  fils  don  Diego  le  jeune  ;  car  il  avait  été  le  familier  d'Almagro, 
c'est-à-dire  de  celui-là  même  qui  commandait  en  qualité  de  capitaine 
les  hommes  dont  Francisco  Pizarre  le  vieux  fut  victime.  Herrada  de- 
vint plus  tard  mestre  de  camp  d'Almagro  le  jeune. 

Revenons-en  à  dire  ce  qui  arriva  à  Juan  de  Herrada  à  Rome.  Lors- 
qu'il eut  baisé  les  pieds  de  Sa  Sainteté,  offert  les  présents  que  Gortès 
Lui  envoyait  et  présenté  les  Indiens  jongleurs,  Sa  Sainteté  estima  fort 
cette  conduite  à  son  égard  et  dit  qu'Elle  rendait  grâces  à  Dieu  pour 
la  découverte  de  tant  de  pays  et  pour  la  conversion  d'un  si  grand 
nombre  d'hommes  qui  avaient  embrassé  notre  sainte  foi.  Elle  ordonna 
qu'on  fît  des  processions  et  que  tout  le  monde  offrît  à  Dieu  des  actions 


DE  LA  NOUVELLE -ESPAGNE.  769 

de  grâces  pour  cet  événement.  Elle  assura  que  Gortès  et  ses  soldats 
avaient  rendu  de  grands  services  à  Dieu,  à  l'Empereur  don  Garlos 
notre  seigneur  et  à  toute  la  chrétienté,  ajoutant  que  nous  étions  dignes 
de  toutes  les  faveurs.  Bientôt  le  Saint  Père  nous  envoya  des  bulles 
absolvant  nos  fautes  et  tous  nos  péchés,  avec  des  indulgences  pour  les 
hôpitaux  et  les  églises.  A  l'exemple  de  son  prédécesseur  Adrien,  Sa 
Sainteté  proclama  bons  et  bien  faits  tous  les  actes  de  Gortès  dans  la 
Nouvelle-Espagne  ;  mais  j'ignore  si  Elle  fit  quelques  concessions  dans 
la  question  des  dîmes.  Le  Saint  Père  écrivit  à  Gortès  en  réponse  à  sa 
lettre.  Je  n'ai  point  su  le  contenu  de  sa  missive.  Je  ne  puis  transcrire  ici 
que  ce  que  je  parvins  à  savoir  par  Juan  deHerrada  et  par  un  soldat  nom- 
mé Gampo,  qui  venaient  de  Rome.  Après  avoir  séjourné  à  Rome  dix 
jours,  et  fait  travailler  les  Indiens  jongleurs  devant  Sa  Sainteté  et  les 
cardinaux,  à  leur  grand  contentement,  Juan  de  Herrada  eut  l'honneur 
d'être  nommé  comte  palatin  par  le  Saint  Père  qui,  en  outre,  lui  fit 
donner  une  certaine  quantité  de  ducats  pour  son  retour,  avec  une  lettre 
de  recommandation  pour  l'Empereur  notre  seigneur,  afin  d'en  obtenir 
qu'il  fût  nommé  capitaine  et  qu'on  lui  donnât  de  bons  Indiens  en  cn- 
comienda.  Gomme  Gortès  n'était  plus  rien  dans  le  gouvernement  de  la 
Nouvelle-Espagne  et  que,  du  reste,  il  ne  faisait  pour  lui  aucune  des 
choses  demandées  par  le  Saint  Père,  Herrada  s'en  alla  au  Pérou,  où 
il  fut  capitaine. 


CHAPITRE  GXGVI 

Comme  quoi,  Cortès  étant  en  Castille,  avec  le  titre  de  marquis,  l'Audience  royale  vint 

à  Mexico  ;  de  quoi  elle  s'occupa. 

Gortès  étant  en  Gastille  avec  le  titre  de  marquis,  l'Audience  royale 
arriva  à  Mexico,  conformément  aux  ordres  de  Sa  Majesté.  Son  prési- 
dent était  ce  même  Nuno  de  Gruzman  qui  avait  gouverné  le  Panuco. 
Quatre  licenciés  venaient  pour  auditeurs  :  on  les  nommait  Matienzo 
né  en  Biscaye  ou  près  de  la  Navarre  ;  Delgadillo,  de  Grenade,  et  un 
certain  Maldonado,  de  Salamanque.  Je  ne  veux  pas  dire  le  licencié 
Alonso  Maldonado,  le  bon,  qui  fut  le  gouverneur  de  Guatemala. 
Vint  aussi  un  licencié  nommé  Parada,  habitant  de  l'île  de  Cuba.  Ces 
auditeurs  étant  arrivés  à  Mexico,  il  leur  fut  fait  une  grande  réception 
aux  portes  mêmes  de  la  ville.  Quinze  jours  après  leur  arrivée,  ils  se 
mirent  à  l'œuvre  et  se  montrèrent  très-zélés,  et  fort  intègres  dans 
l'administration  de  la  justice.  Ils  avaient  des  pouvoirs  aussi  étendus 
que  jamais  Vice-Roi  ou  président  les  put  avoir,  pour  faire  leurs  re- 
partimientos  perpétuels,  avec  ordre  de  préférer  les  conquistadores  à 

49 


770  CONQUÊTE 

tous  autres  et  de  leur  faire  beaucoup  de  concessions,  conformément 
aux  désirs  de  Sa  Majesté.  En  même  temps  ils  envoyèrent  annoncer 
leur  installation  à  toutes  les  villes  et  bourgs  occupés  par  les  Es- 
pagnols dans  la  Nouvelle-Espagne,  pour  qu'on  y  nommât  des  procu- 
reurs, chargés  de  présenter  les  mémoires  et  les  recensements  des  In* 
diens  de  chaque  province,  afin  d'en  faire  la  répartition  perpétuelle. 
En  peu  de  jours,  on  vit  se  réunir  à  Mexico  tous  les  fondés  de  pouvoirs 
des  villes  et  des  bourgs  et  tous  les  conquistadores.  J'étais  en  ce 
temps-là  dans  la  capitale,  en  qualité  de  procureur-syndic  de  la  ville 
de  (ruazacualco,  où  j'avais  ma  résidence.  En  voyant  les  avis  donnés 
par  le  président  et  les  auditeurs,  je  retournai  précipitamment  à  (jua- 
zacualco  pour  contribuer  à  élire  ceux  qui  devaient  aller  à  Mexico  en 
qualité  de  procureurs  de  la  répartition  perpétuelle.  Dès  mon  arrivée 
il  y  eut  des  contrariétés  nombreuses  au  sujet  de  cette  élection,  parce 
que  quelques-uns  voulaient  qu'on  élût  leurs  amis,  tandis  que  d'autres 
s'y  refusaient.  Enfin  il  résulta  des  votes  que  le  capitaine  Luis  Marin 
et  moi  fûmes  les  élus. 

Lorsque  les  procureurs  de  la  plus  grande  partie  des  villes  et  des 
bourgs  furent  réunis  à  Mexico,  nous  demandâmes  qu'on  procédât  aux 
7'epartimientos  perpétuels,  ainsi  que  Sa  Majesté  l'avait  ordonné.  Mais 
en  ce  moment-là  Nuno  de  (xuz.man,  Matienzo  et  Delgadillo  étaient 
sens  dessus  dessous,  parce  que  les  deux  autres  auditeurs,  Maldonado 
et  Parada,  étaient  morts  de  douleur  de  côté  aussitôt  leur  arrivée  à  la 
capitale1.  Si  Gortès  avait  été  là,  la  méchanceté  de  quelques  gens  l'eût 
accusé  de  les  avoir  fait  périr.  Quoi  qu'il  en  soit,  ce  malheur  fut  cause 
que  la  répartition  ne  se  fit  point  de  la  manière  que  Sa  Majesté  l'avait 
ordonnée.  Quelques  personnes  qui  étaient  en  mesure  de  bien  savoir 
les  choses  prétendirent  que  ce  fut  l'œuvre  du  Factor  Salazar,  qui  était 
devenu  l'ami  de  Nuno  de  (juzman  et  de  Delgadillo,  au  point  qu'on 
ne  faisait  plus  que  sa  volonté,  de  sorte  que  tout  aboutit  au  résultat 
qu'il  avait  conseillé,  c'est-à-dire  que  pour  rien  au  monde  il  ne  serait 
fait  de  répartition  perpétuelle,  de  crainte  que,  si  on  l'effectuait,  les 
gouvernants  ne  fussent  plus  aussi  maîtres  de  la  situation.  11  était 
naturel  de  croire,  en  effet,  que  les  conquistadores  et  les  colons  n'au- 
raient plus  pour  eux  le  même  respect  dès  lois  qu'on  ne  pourrait  ni 
leur  enlever  des  Indiens,  ni  leur  en  donner  plus  que  ceux  attribués  par 
le  partage;  tandis  que,  dans  le  cas  contraire,  les  gouvernants  conser- 
veraient toujours  la  haute  main  sur  eux,  avec  la  prérogative  de  donner 
et  d'ôter  autant  qu'ils  le  voudraient,  s'assurant  ainsi  les  moyens  les 
plus  sûrs  d'être  riches  et  puissants.  Il  fut  en  même  temps  convenu 
entre  le  Factor,  Nuno  de  Gruzman  et  Delgadillo  que  le  premier  irait 
en  Castille  demander  pour  Nuno  de  (iiizman  la  place  de  gouverneur 

1.  Encore  la  pneumonie. 


DE   LA   NOUVELLE-ESPAGNE.  77  1 

de  la  Nouvelle-Espagne,  parce  qu'ils  avaient  su  que  Cortès  n'était 
plus  en  faveur  auprès  de  Sa  Majesté  autant  que  lors  de  son  arrivée 
en  Gastille,  et  que  cet  emploi  lui  avait  été  refusé  malgré  les  puis- 
santes intercessions  que  l'on  fit  agir  auprès  de  l'Empereur.  Le  Factor, 
donc,  s'embarqua  à  bord  d'un  navire  appelé  la  Sornosa;  mais  il  fut  jeté 
par  une  tempête  sur  la  côte  du  (juazacualco  où  il  réussit  à  se  sauver  au 
moyen  d'un  canot.  De  là  il  revint  à  Mexico.  Il  n'alla  donc  pas  en  Gastille. 

Je  dirai  maintenant  à  quoi  s'occupèrent  Nuïïo  de  Guzman,  Ma- 
tienzo  et  Delgadillo,  aussitôt  qu'ils  furent  arrivés  à  Mexico.  Leur 
première  mesure  fut  d'ouvrir,  au  sujet  du  Trésorier  Alonso  de  Es- 
trada,  une  enquête  dont  les  résultats  lui  furent  favorables.  S'il  eût 
été  aussi  ferme  que  nous  avions  cru  qu'il  le  serait,  il  fût  resté  gou- 
verneur, attendu  que  Sa  Majesté  ne  lui  avait  nullement  fait  enlever 
cet  emploi;  bien  au  contraire,  ainsi  que  je  l'ai  dit  dans  un  autre  cha- 
pitre, un  ordre  de  Sa  Majesté  était  venu  peu  de  mois  auparavant  pour 
que  le  Trésorier  gouvernât  seul,  sans  association  avec  Gronzalo  de 
Sandoval.  Par  la  même  occasion,  Sa  Majesté  avait  approuvé  toutes  ses 
eneomiendaSj  tandis  que  Nuno  de  Gruzman  était  seulement  nommé 
président  et  répartiteur  conjointement  avec  les  auditeurs.  Au  sur- 
plus, si  le  Trésorier  eût  eu  la  fermeté  d'assumer  de  nouveau  les  pou- 
voirs de  gouverneur,  il  eût  reçu  l'appui  de  tous  les  habitants  de 
Mexico  et  de  nous  tous  les  conquistadores  qui  nous  trouvions  en  ce 
moment  dans  la  capitale,  car  il  était  pour  nous  évident  que  Sa  Ma- 
jesté ne  lui  avait  nullement  enlevé  cet  emploi.  Nous  avions  d'ailleurs 
pu  constater,  lors  de  son  gouvernement,  qu'il  faisait  justice,  agissait 
avec  fermeté  et  montrait  le  plus  grand  zèle  dans  l'accomplissement 
des  ordres  de  Sa  Majesté.  A  peu  de  jours  de  là  il  mourut  du  chagrin 
que  lui  causaient  les  événements. 

Il  faut  dire  maintenant  que  parmi  les  choses  dont  eurent  à  s'occu- 
per les  membres  de  l'Audience  royale,  ils  se  montrèrent  fort  hostiles 
aux  intérêts  du  Marquis.  Ils  envoyèrent  à  Guatemala  ouvrir  une  en- 
quête au  sujet  de  Jorge  de  Alvarado.  Celui  qui  fut  chargé  de  cette 
mission  était  un  nommé  Orduna  le  vieux,  natif  de  Tordecillas. 
J'ignore  absolument  quel  en  fut  le  résultat.  Alors  s'élevèrent  à  Mexico 
lir.mcoup  de  réclamations  contre  Cortès  par  l'entremise  du  fiscal.  Le 
FactorSalazar  présenta  aussi  ses  dénonciations  contre  le  conquistador. 
Les  écrits  qu'il  lut  au  tribunal  dans  ce  but  n'avaient  aucune  retenue; 
il  disait  des  paroles  peu  mesurées  par  lesquelles  il  prétendait  que 
Cortès  avait  desservi  bien  souvent  les  intérêts  de  Sa  Majesté  Impé- 
riale, avec  d'autres  imputations  si  dégradantes  et  si  pleines  de  mé- 
chancetés, que  le  licencié  Juan  Allamirano,  à  qui  avaient  été  confiés 
les  pouvoirs  de  l'accusé  quand  il  partit  pour  la  Gastille,  se  leva,  et 
s'avaneant  la  tète  découverte  à  la  barre  du  tribunal,  dit  au  président 
et  aux  auditeurs,  d'un  ton  respectueux,  qu'il  suppliait  Leurs  Hau- 


772  CONQUÊTE 

tcsses  qu'ordre  fût  donné  au  Factor  d'être  plus  réserve  dans  ses  écrits, 
qu'on  ne  permît  pas  de  telles  attaques  contre  le  Marquis,  un  digne 
caballero  'et  un  très-grand  serviteur  de  Leurs  Hautesses,  et  que  le 
plaignant  restât  dans  les  convenances  en  demandant  justice.  Cette 
réclamation  du  licencié  ne  servit  à  rien,  puisque  le  lendemain  le 
Factor  se  présenta  avec  des  écrits  pires  encore.  La  vérité  est,  d'après 
ce  que  nous  sûmes  plus  tard,  que  Nuno  de  Guzman  et  Delgadillo  lui 
laissaient  la  liberté  de  tout  dire.  Il  en  résulta  que  le  licencié  Alta- 
mirano,  le  Factor,  le  président  et  les  auditeurs  en  arrivèrent  à  se 
lancer  des  mots  et  des  provocations  repréhensibles.  Les  choses  en 
vinrent  au  point  qu'Altamirano  porta  la  main  à  son  poignard,  en 
menaça  le  Factor,  et  il  allait  l'en  frapper,  si  celui-ci  ne  se  fût  em- 
pressé de  se  faire  un  rempart  de  Nuno  de  Guzman,  de  Matienzo  et  de 
Delgadillo.  Toute  la  ville  en  fut  troublée.  On  conduisit  le  licencié 
Altamirano  à  la  prison  de  l'arsenal,  et  le  Factor  fut  consigné  dans  sa 
demeure.  Nous  nous  réunîmes,  tous  les  conquistadores,  pour  adresser 
nos  prières  au  président  en  faveur  d'Altamirano,  ce  qui  le  fit  retirer 
de  la  prison  après  trois  jours.  Nous  obtînmes  même  que  les  deux  ad- 
versaires se  réconciliassent. 

Nous  eûmes  à  traverser  bientôt  une  plus  grosse  tourmente.  En  ce 
même  temps,  en  effet,  arrivait  à  Mexico  un  parent  du  capitaine 
Pamphilo  de  Narvaez,  du  nom  deZavallos.  Il  était  envoyé  de  Cuba  par 
Maria  de  Yalenzuela,  femme  de  Narvaez,  à  la  recherche  de  son  mari, 
qui  avait  été  au  fleuve  de  Palmas  en  qualité  de  gouverneur,  et  que 
l'on  disait  avoir  perdu  la  vie.  Il  était,  muni  des  pouvoirs  nécessaires 
pour  recouvrer  son  avoir  et  ses  biens  partout  où  il  en  trouverait, 
étant  dans  la  conviction  d'ailleurs  que  Narvaez  était  venu  à  la  Nou- 
velle-Espagne. Quand  Zavallos  fut  arrivé  à  Mexico,  —  d'après  ce  que 
plus  tard  il  dit  lui-même,  et  comme  on  le  crut  généralement,  — 
Nuno  de  Guzman,  Matienzo  et  Delgadillo  furent  le  trouver  secrète- 
ment pour  lui  conseiller  de  nous  intenter  un  procès,  à  nous  tous  les 
conquistadores  qui  avions  aidé  Gortès  lorsqu'on  défit  Narvaez,  qu'on 
lui  creva  un  œil  et  brûla  son  avoir.  Il  devait  demander  aussi  l'ap- 
plication de  la  peine  capitale  contre  tous  ceux  qui  seraient  con- 
vaincus d'avoir  causé  mort  d'homme  dans  celte  affaire.  Lorsque  Za- 
vallos eut  présenté  sa  plainte  dans  les  termes  qui  lui  avaient  été 
dictés,  et  que  l'enquête  fut  terminée  à  ce  sujet,  on  arrêta  tous  les 
conquistadores  qui  se  trouvaient  dans  la  capitale  et  qui  furent  con- 
vaincus d'avoir  assisté  à  cette  campagne.  Le  nombre  s'en  éleva  à  plus 
de  deux  cent  cinquante.  J'en  faisais  moi-même  partie.  Nous  fûmes 
condamnés  à  payer  une  certaine  somme  en  or  de  tepuzque,  et  l'on 
nous  exila  à  cinq  lieues  de  Mexico;  mais  on  ne  tarda  pas  à  lever  l'or- 
dre d'exil,  et  l'on  ne  réclama  même  pas  l'amende  à  plusieurs  d'entre 
nous,  vu  que  c'était  fort  peu  de  chose. 


DE   LA   NOUVELLE-ESPAGNE.  773 

Après  cet  orage,  des  personnes  (fui  n'aimaient  pas  Gortès  portèrent 
contre  lui  une  autre  plainte  :  c'était  d'avoir  prélevé  à  son  bénéfice 
une  grande  quantité  d'or,  de  bijoux  et  d'argent  sur  le  butin  fait  à 
Mexico,  y  compris  la  garde-robe  de  Guatemuz,  sans  donner  aux  con- 
quistadores au  delà  d'une  somme  de  quatre-vingts  piastres.  On  l'ac- 
cusait de  dire  qu'il  avait  envoyé  le  tout  en  Gastille  en  présent  à  Sa 
Majesté,  tandis  qu'il  en  avait  gardé  la  plus  grande  partie  pour  lui- 
môme  et  que  la  part  adressée  à  l'Empereur  fut  pillée  en  pleine  mer 
par  le  corsaire  français  Jean  Florin,  qui  plus  tard  fut  pendu  au  pas- 
sage du  Pico,  ainsi  que  je  l'ai  dit  dans  le  chapitre  qui  en  a  parlé. 
Demande  était  faite  au  tribunal  pour  que  Gortès  fût  condamné  à 
payer  à  la  fois  ce  que  Jean  Florin  a\ait  volé  et  ce  que  lui-même  avait 
tenu  caché.  On  formula  encore  d'autres  plaintes.  Sur  toutes,  Gortès 
fut  condamné  au  remboursement  et  l'on  vendit  ses  biens  dans  ce  but. 
On  s'arrangea  encore  de  manière  à  obtenir  que  Juan  Juarez,  beau- 
frère  de  Gortès,  élevât  une  plainte  au  tribunal,  à  propos  de  la  mort 
de  sa  sœur  dona  Gatalina  Juarez  la  Mercayda,  ce  qui  fut  fait  ainsi 
qu'on  le  lui  avait  conseillé,  et  des  témoins  furent  présentés  pour  dire 
comment  et  par  quel  moyen  elle  était  morte1. 

Après  ces  débats  vint  une  opposition.  Gomme  on  formulait  contre 
Gortès  la  plainte  que  je  viens  de  dire  au  sujet  de  la  garde-robe  de 
Gruatemuz  et  des  richesses  provenant  du  butin  de  Mexico,  nous  nous 
réunîmes  plusieurs  amis  de  Gortès  dans  la  maison  de  Garcia  Holguin, 
avec  l'autorisation  d'un  alcalde  ordinaire.  Nous  signâmes  un  écrit  affir- 
mant que  nous  ne  voulions  absolument  aucune  part  ni  de  l'or  ni  de 
la  garde-robe  que  l'on  réclamait;  nous  disions  ne  pas  demander  que 
Gortès  fût  obligé  à  payer  n'importe  quoi  à  ce  sujet,  attendu  qu'il  était 
à  notre  connaissance  claire  et  certaine  qu'il  envoyait  le  tout  à  Sa  Ma- 
jesté, tandis  que  nous-mêmes  regardions  comme  très-juste  de  rendre 
ce  service  à  notre  Roi  et  seigneur.  Le  président  et  les  auditeurs, 
ayant  vu  notre  pétition  à  cet  égard,  nous  firent  tous  arrêter,  sous  pré- 
texte que,  sans  leur  autorisation,  nous  ne  pouvions  ni  nous  réunir, 
ni  signer  quoi  que  ce  fût.  Nous  fûmes  condamnés  à  sortir  de  la  capi- 
tale à  cinq  lieues  de  distance;  mais  comme  on  présenta  au  juge  l'au- 
torisation que  nous  avions  reçue  de  Palcalde,  l'ordre  d'exil  fut  levé,  ce 
qui  n'empêcha  pas  que  l'événement  nous  causât  des  dérangements  et 
des  préjudices. 

Après  cela,  on  fit  publier  l'ordre  à  tous  les  descendants,  jusqu'au 
quatrième  degré,  d'Indiens  et  de  Maures  brûlés  vifs  ou  condamnés 
par  la  sainte  Inquisition  à  revêtir  l'habit  de  San-Benito,  qu'ils  eus- 
sent à  sortir  de  la  Nouvelle-Espagne,  dans  le  délai  de  six  mois,  sons 

1.  L'auteur  fait  ici  allusion  à  l'accusation  do  meurtre,  portée  contre  Cortôs.  sur  la 
personne  de  sa  femme. 


774  CONQUÊTE 

peine  de  la  confiscation  de  la  moitié  de  leurs  biens.  Il  fallut  voir,  à 
ce  propos,  comme  on  s'accusait  et  l'on  se  jetait  l'infamie  les  uns  aux 
autres.  Néanmoins  deux  personnes  seulement  sortirent  de  la  Nouvelle- 
Espagne  à  la  suite  de  ce  décret.  Quant  aux  conquistadores,  comme  ils 
étaient  réellement  si  bons  et  si  soumis  aux  ordres  de  Sa  Majesté,  on 
ne  manquait  jamais  de  donner  des  Indiens,  aussitôt  qu'on  en  avait,  à 
tous  ceux  qui  méritaient  réellement  ce  titre.  Ce  qui  perdit  la  situation, 
ce  fut  la  trop  grande  liberté  qu'on  avait  de  marquer  des  esclaves  ; 
car,  dans  la  province  du  Panuco,  le  fer  fut  appliqué  à  un  si  grand 
nombre  que  le  pays  fut  presque  dépeuplé.  Nuno  de  Guzman,  qui  était 
généreux  et  de  noble  caractère,  envoya  en  étrennes  le  titre  de  pro- 
priété du  village  de  Guazpaltepeque  au  contador  Albornoz  qui  était 
revenu  depuis  peu  de  Gastille,  marié  avec  la  seîiora  dona  Gatalina  de 
Loaisa.  Il  venait,  avec  l'autorisation  de  Sa  Majesté,  pour  créer  un 
établissement  de  cannes  à  sucre  près  du  bourg  de  Gempoal  qu'il  dé- 
truisit en  peu  d'années. 

Revenons  à  dire  que  Nuno  de  Guzman  renouvelait  souvent  ces  sortes 
de  libéralités,  marquait  au  fer  un  grand  nombre  d'esclaves  et  s'ingé- 
niait à  causer  à  Gortès  beaucoup  de  préjudices.  On  prétendait  aussi 
que  le  licencié  Delgadillo  entrait  dans  des  associations  et  faisait  attri- 
buer des  Indiens  aux  personnes  qui  lui  offraient  quelques  rentes.  Il 
nomma  d'ailleurs  son  frère,  appelé  Berrio,  alcalde  mayor  de  la  ville  de 
Guaxaca.  Ce  fonctionnaire  vendait  ses  faveurs  et  tourmentait  les  habi- 
tants. Il  plaça  aussi  dans  le  bourg  des  Zapotèques  un  autre  employé 
appelé  Delgadillo  comme  lui,  qui  se  laissait  suborner  et  commettait 
des  injustices.  Le  licencié  Matienzo  était  au  surplus  trop  vieux.  Enfin, 
on  éleva  contre  le  tribunal  tant  de  plaintes  appuyées  de  preuves  et 
confirmées  par  les  lettres  des  prélats  et  des  moines,  que  Sa  Majesté 
et  le  Conseil  royal  des  Indes,  au  vu  de  ces  rapports  et  de  ces  lettres, 
donnèrent  l'ordre  de  destituer  sans  retard  les  membres  de  l'Audience 
royale,  en  promettant  leur  châtiment  et  mettant  à  leur  place  un  autre 
président  et  des  auditeurs  vraiment  lettrés,  consciencieux  et  équita- 
bles. Ordre  fut  donné  également  qu'on  fût  à  la  province  du  Panuco 
s'assurer  du  nombre  d'esclaves  qui  avaient  été  marqués  au  fer.  Ce  fut 
au  vieux  Matienzo  que  Sa  Majesté  confia  cette  enquête,  parce  qu'il  fut 
reconnu  moins  coupable  et  meilleur  juge  que  les  autres.  On  annula 
les  autorisations  de  marquer  des  esclaves;  ordre  fut  envoyé  de  briser 
tous  les  fers  qui  servaient  dans  ce  but,  et  à  l'avenir  de  ne  plus  réduire 
personne  en  captivité.  On  prit  même  la  mesure  de  faire  le  recense- 
ment de  ceux  qui  étaient  en  esclavage  dans  toute  la  Nouvelle-Espagne 
pour  abolir  le  droit  de  les  vendre  et  de  les  faire  passer  d'une  province 
à  l'autre.  On  annula  aussi  toutes  les  encomiendas  et  tous  les  repar- 
timientos  d'Indiens  faits  par  Nuno  de  Guzman  et   les  auditeurs  en 
faveur  de  parents,  d'amis  et  d'autres  personnes  sans  mérite,  et  on  les 


DE  LA  NOUVELLE-ESPAGNE.  775 

inscrivit  au  nom  des  personnes  que  Sa  Majesté  avait  désignées  pour 
les  posséder. 

Je  dois  mentionner  ici  le  nombre  considérable  de  procès  et  débats 
qui  curent  lieu  sur  le  fait  d'enlever  actuellement  les  Indiens  possédés 
en  vertu  des  attributions  faites  par  Nuno  de  Guzman  et  les  auditeurs. 
Les  uns  alléguaient  qu'ils  étaient  conquistadores  sans  l'être,  d'autres 
colons  de  tant  d'années,  ajoutant  que,  s'ils  avaient  paru  être  favorisés 
parce  qu'on  les  voyait  se  livrer  à  des  allées  et  venues  dans  la  demeure 
du  président  et  des  auditeurs,  on  devait  savoir  qu'ils  n'agissaient  ainsi 
que  pour  les  servir,  les  honorer,  les  accompagner  et  leur  prêter  appui 
en  tout  ce  qui  regardait  le  service  de  Sa  Majesté,  et  nullement  à  titre 
de  serviteurs  personnels  ou  de  partisans  dévoués.  Chacun  apportait 
ainsi  à  sa  défense  les  raisons  qui  lui  paraissaient  les  plus  avantageuses. 
Les  choses  enfin  marchèrent  de  telle  manière  que  bien  peu  de  gens 
qui  avaient  reçu  des  Indiens  se  les  virent  enlever.  Il  n'y  eut  guère 
que  ceux  que  je  vais  dire.  Le  village  de  Guazpaltepeque  fut  enlevé 
au'  condator  Albornoz  qui  l'avait  reçu  de  Nuno  de  G-uzman  en  qualité 
d'étrennes.  Un  certain  Villaroel,  mari  d'Isabel  de  Ojeda,  perdit  aussi 
un  village  du  district  de  Gornabaca.  On  ôta  également  des  Indiens  à 
un  majordome  de  Nuno  de  Guzman  appelé  Villegas,  ainsi  qu'à 
d'autres  parents  et  serviteurs  des  auditeurs.  Différentes  personnes  les 
eurent  à  leur  place.  Aussitôt  qu'on  sut  à  Mexico  qu'on  venait  de  des- 
tituer, en  Gastille,  les  membres  de  l'Audience  royale,  Nuno  de  Gruzman, 
Delgadillo  et  Matienzo  s'occupèrent  de  nommer  des  procureurs  pour 
aller  en  Castille  avec  mission  de  rétablir  leurs  affaires  au  moyen  de 
preuves  diverses  ;  et,  à  cet  effet,  ils  réunirent  des  témoins  de  leur 
choix,  commissionnés  pour  dire  qu'ils  étaient  des  juges  intègres  et 
qu'ils  suivaient  exactement  les  ordres  de  Sa  Majesté,  avec  d'autres 
assertions  à  leur  convenance  qui  seraient  jugées  propres  à  les  faire 
passer  en  Castille  pour  des  magistrats  estimables. 

Afin  d'élire  convenablement  ces  fondés  de  pouvoirs  qui  devaient 
être  chargés  de  veiller  à  leurs  intérêts  aussi  bien  qu'à  ceux  de  la  capitale 
de  la  Nouvelle-Espagne  et  de  son  gouvernement,  ordre  fut  donné  de 
réunir  dans  l'église  principale  tous  les  procureurs  des  villes  et  bourgs, 
qui  se  trouvaient  en  ce  temps -là  à  Mexico,  en  leur  adjoignant  quelques 
conquistadores  qui  étaient  devenus  des  personnages  marquants.  Comme 
j'en  étais,  je  dirai  qu'on  prétendit  que  nos  votes  se  portassent  sur  le 
Faetor  Salazar.  Or,  quoique  Nuno  de  Guzman,  Matienzo  et  Delgadillo 
eussent  commis  quelques  inconséquences  dans  des  actes  dont  j'ai  fait 
mention,  au  demeurant  ils  étaient  si  bons  pour  tous  les  conquistadores 
et  les  colons,  qu'ils  nous  donnaient  toujours  partie  des  Indiens  qui 
vaquaient.  Aussi  crurent-ils  que  nous  voterions  pour  le  Faetor,  qui 
était  celui  qu'ils  désiraient  envoyer  en  leur  nom.  Mais  quand  nous 
fûmes  réunis  dans  l'église  principale,  ainsi  que  l'ordre  en  était  donné, 


776  CONQUETE 

ce  ne  fut  que  cris,  vociférations  et  vacarme  de  la  part  des  personnes 
qui  n'avaient  pas  été  invitées  à  la  réunion.  Elles  entrèrent  par  force 
dans  l'église  et  refusèrent  de  se  taire  ou  de  sortir  quand  nous  leur  en 
fîmes  donner  Tordre.  En  un  mot,  c'étaient  des  clameurs  comme  si  Ton 
se  fût  trouvé  à  une  réunion  libre  en  place  publique.  Ce  voyant,  nous 
nous  résolûmes  à  aller  dire  au  président  et  aux  auditeurs  que  nous 
renvoyions  l'élection  au  jour  suivant  et  que  nous  élirions  celui  qui 
nous  paraîtrait  convenir  le  mieux,  dans  l'édifice  même  où  le  tribunal 
avait  l'habitude  de  tenir  séance.  Mais,  nous  étant  aperçus  qu'on  ne  vou- 
lait voir  sortir  du  vote  que  des  amis  de  Nuno  de  G-uzman,  Delgadillo 
et  Matienzo,  nous  convînmes  que  l'on  nommerait  une  personne  du 
parti  des  auditeurs  et  une  autre  de  celui  de  Gortès.  Ce  fut  ainsi  que 
les  votes  désignèrent  Bernardino  Vasquez  de  Tapia  pour  le  conquis- 
tador et  Antonio  de  Carvajal,  qui  avait  été  capitaine  d'un  brigantin, 
pour  les  membres  du  tribunal.  Ce  qui  me  parut  dès  lors  bien  clair, 
c'est  que  l'un  et  l'autre  inclinaient  à  prendre  les  intérêts  de  Nuno  de 
Guzman  bien  mieux  que  ceux  de  Gortès;  et  certainement  ils  avaient 
raison,  parce  que  les  membres  du  tribunal  nous  étaient  plus  favo- 
rables que  Gortès  et  accomplissaient  mieux  que  lui  les  volontés  de  Sa 
Majesté  dans  la  répartition  des  Indiens,  tandis  que  notre  général 
aurait  pu  nous  les  donner  mieux  que  personne  tout  le  temps  qu'il  eut  le 
pouvoir  entre  les  mains.  Mais  nous  sommes,  nous  autres  Espagnols, 
à  ce  point  pétris  de  loyauté  que,  par  cela  seul  qu'il  avait  été  notre 
capitaine,  nous  avions  de  l'attachement  pour  Gortès  beaucoup  plus 
qu'il  ne  mettait  de  bonne  volonté  à  nous  favoriser,  quoique  Sa 
Majesté  le  lui  eût  ordonné  et  qu'il  le  pût  faire  si  facilement  alors  qu'il 
était  gouverneur. 

L'élection  faite,  il  s'éleva  d'autres  contestations  relativement  aux 
points  que  nos  fondés  de  pouvoirs  auraient  à  soutenir.  Le  président  et 
les  auditeurs,  en  effet,  prétendaient  que,  sauf  l'avis  de  tous  les  élec- 
teurs, il  conviendrait  au  service  de  Dieu  et  de  Sa  Majesté  que  Gortès 
ne  revînt  pas  à  la  Nouvelle-Espagne,  attendu  que  sa  présence  entraî- 
nerait toujours  des  divisions  et  des  troubles,  et  empêcherait  par  con- 
séquent l'établissement  d'un  bon  gouvernement  ;  peut-être  même 
voudrait-il  se  rendre  indépendant  en  soulevant  le  pays.  Mais  nous 
tous,  les  procureurs  des  villes  et  bourgs,  nous  repoussions  ce  soupçon, 
en  assurant  que  Gortès  était  un  très-grand  et  très-loyal  serviteur  de 
Sa  Majesté.  Ge  fut  au  milieu  de  ces  débats  qu'arriva  à  Mexico  don 
Pedro  de  Alvarado,  qui  revenait  de  Gastille  avec  les  titres  de  gouver- 
neur de  Guatemala,  à'adelantado  et  de  commandeur  de  Santiago.  Il 
s'était  marié  avec  une  dame  du  nom  de  dofïa  Francisca  de  la  Cueva, 
qui  mourut  en  abordant  à  la  Vera  Cruz.  Il  arriva  donc  à  Mexico  avec 
toute  sa  maison,  en  grand  deuil.  S'étant  mis  au  courant  des  différents 
articles   des  instructions  émanées  du  président  et  des   auditeurs,  il 


DE  LA  NOUVELLE-ESPAGNE.  777 

contribua  à  faire  convenir  que  lui-même  et  les  procureurs  des  villes 
et  bourgs  écriraient,  à  Sa  Majesté  tout  ce  que  l'Audience  royale  pré- 
méditait. Les  fondés  de  pouvoirs  que  j'ai  dits  s'en  furent  donc  en  Cas- 
tiileavec  leurs  instructions  au  sujet  de  ce  qu'ils  devaient  demander. 
Mais  les  membres  du  Conseil  royal  des  Indes  reconnurent  bien  vite 
que  tout  était  inspiré  par  la  passion  et  par  la  haine  contre  Cortès,  et 
ne  voulurent  rien  faire  qui  secondât  les  vues  de  Nuiïo  de  Guzman  et 
des  autres  auditeurs,  et  d'autant  moins  que  déjà  il  était  ordonné  par 
Sa  Majesté  que  leur  emploi  leur  fût  enlevé.  D'autre  part,  Gortès  se 
trouvait  alors  en  Caslille;  il  leur  fut  naturellement  contraire  en  tra- 
vaillant pour  son  honneur  et  sa  dignité.  Du  reste,  il  commença  à  se 
préparer  à  revenir  à  la  Nouvelle-Espagne,  accompagné  de  la  marquise 
sa  femme  et  de  toute  sa  maison.  En  attendant  ce  voyage,  je  raconte- 
rai comment  Nuno  de  Guzman  fut  coloniser  une  province  appelée 
Xalizco,  et  qu'il  y  réussit  beaucoup  mieux  que  Gortès  n'eut  la  chance 
de  le  faire  en  tout  ce  qu'il  voulut  découvrir  par  la  suite,  ainsi  qu'on  le 
verra  bientôt. 


CHAPITRE  GXGVII 

Comme  quoi  Nuno  de  Guzman  apprit,  comme  chose  certaine,  par  lettres  de  Castille, 
qu'on  lui  enlevait  son  emploi,  attendu  que  Sa  Majesté  avait  ordonné  qu'on  destituât 
et  lui  et  les  auditeurs  et  que  d'autres  vinssent  à  leur  place.  11  résolut  d'aller  con- 
quérir et  pacilier  la  province  de  Xali/xo  qui  s'appelle  actuellement  la  Nouvelle- 
Galice. 

Nuno  de  Guzman  apprit  par  des  lettres  authentiques  qu'on  le  des- 
tituait de  sa  présidence,  ainsi  que  ses  collègues  les  auditeurs,  et  qu'il 
en  venait  d'autres  à  leur  place.  Mais  comme  il  était  encore  président, 
il  en  profita  pour  réunir  tous  les  soldats  qu'il  put,  soit  cavaliers,  soit 
arbalétriers  et  gens  d'escopette,  pour  qu'ils  marchassent  avec  lui 
contre  une  province  appelé  Xalizco.  S'il  y  avait  des  gens  qui  ne  vou- 
lussent pas  y  aller  volontairement,  il  les  y  obligeait  par  la  force  ou  il 
les  contraignait  à  payer  un  remplaçant  qui  partît  pour  eux.  A  ceux 
qui  avaient  des  chevaux  on  les  prenait,  leur  en  payant  tout  au  plus  la 
moitié  de  la  valeur.  Les  habitants  riches  de  Mexico  contribuèrent  pour 
leur  part.  Il  emmena  un  grand  nombre  d'Indiens  mexicains  porteurs, 
ainsi  que  d'autres  qui  devaient  lui  prêter  leursecours  pour  la  guerre. 
Il  fit  beaucoup  de  tort  aux  villages  par  où  il  passait,  avec  tout  l'em- 
barras de  son  bagage.  Il  arriva  ainsi  à  la  province  de  Mechoacan.  Les 
naturels  du  lieu  avaient  beaucoup  d'or  provenant  des  temps  passés, 
un  peu  bas,  parce  qu'il  était  allié  d'argent.  On  lui  en  donna  une  cer- 
taine quantité  ;  mais  comme  Gazonci,  qui  était  le  plus  grand  cacique 


773  CONQUÊTE 

de  la  province,  ne  fournissait  j)as  tout  ce  qu'on  lui  avait  demandé, 
Nuiïo  de  Guzman  le  mit  à  la  question  en  lui  brûlant  les  pieds.  Au  sur- 
plus il  exigeait  de  lui  des  Indiens  et  des  Indiennes  pour  son  service; 
et  à  la  suite  d'autres  déloyautés  dont  on  se  rendit  coupable  envers  le 
pauvre  homme,  Guzman  ordonna  qu'on  le  pendît.  Ce  fut  une  des  plus 
mauvaises  actions  qu'un  président  ou  autre  personne  quelconque  ait 
jamais  faites.  Il  en  fut  blâmé  par  tous  ceux  qui  l'accompagnaient  et 
qui  taxèrent  le  fait  de  cruaulé.  Il  emmena  beaucoup  d'Indiens  de  cette 
province,  les  obligeant  à  porter  des  fardeaux  jusqu'à  l'endroit  où  il 
fonda  la  ville  de  Gompostelle,  aux  frais  excessifs  du  trésor  de  Sa  Ma- 
jesté et  aux  dépens  des  habitants  de  Mexico  qu'il  avait  entraînés  par 
force  avec  lui.  Gomme  je  ne  fis  point  cette  expédition,  je  n'en  parle- 
rai pas  davantage.  Ce  que  je  sais  bien,  c'est  que  Gortès  et  Nuno  de 
Gruzman  ne  furent  jamais  bien  ensemble.  Ge  crue  je  sais  encore, 
c'est  que  Nuno  de  Guzman  resta  dans  cette  province  jusqu'à  ce  que 
Sa  Majesté  ordonna  qu'on  irait  à  ses  frais  à  Xalizco  pour  l'arrêter  et 
l'amener  prisonnier  à  Mexico,  afin  qu'il  eût  à  répondre  aux  plaintes 
et  se  soumettre  aux  sentences  de  l'Audience  royale  nouvellement 
arrivée  à  la  capitale.  On  devait  aussi  le  mettre  en  prison  à  la  demande 
de  Matienzo  et  de  Delgadillo.  J'en  resterai  là  pour  dire  que  l'Au- 
dience royale  de  Mexico  arriva,  et  ce  qu'elle  fit. 


CHAPITRE  GXGVIII 

Comme  quoi  l'Audience  royale  arriva  à  Mexico  et  ce  qu'on  fit. 

J'ai  dit  dans  le  chapitre  précédent  que  Sa  Majesté  avait  destitué 
l'Audience  royale  de  Mexico,  et  donné  pour  nulles  les  eneomiendas 
d'Indiens  concédées  par  le  président  et  les  auditeurs  qui  résidaient 
dans  la  capitale,  attendu  que  ces  concessions  s'étaient  faites  en  faveur 
de  leurs  parents  ou  partisans  dévoués,  et  d'autres  personnes  qui 
n'avaient  aucun  mérite.  Sa  Majesté  ordonnait  en  même  temps  qu'on 
donnât  ces  eneomiendas  aux  conquistadores  qui  n'avaient  eu  que  de 
pauvres  reparti mientos.  Cette  résolution  fut  prise  parce  qu'il  fut  re- 
connu que  les  membres  du  tribunal  ne  faisaient  nulle  justice  et  n'ac- 
complissaient point  les  ordres  royaux.  On  ordonna,  en  conséquence, 
de  faire  partir  d'autres  auditeurs  de  savoir  et  de  conscience,  leur  re- 
commandant bien  qu'en  toutes  choses  ils  fissent  bonne  justice.  Don 
Sébastian  Ramirez  de  Yillacscusa,  qui  était  alors  évêque  de  Saint- 
Domingue,  fut  nommé  leur  président.  On  choisit  quatre  licenciés 
pour  auditeurs;  ce  furent  le  licencié  AlonsoMaldonado,  de  Salaman- 
que,  le  licencié  de  Gainos,  de  Toro  ou  de  Zamora,  le  licencié  Vasco 


DE  LA  NOUVELLE- ESPAGNE.  779 

de  Quiroga,  de  Madrigal,  qui  fut  ensuite  évêque  de  Mechoacan,  et  le 
licencie!  Salmcron,  de  Madrid.  Les  auditeurs  arrivèrent  à  Mexico 
avant  l'évêque  de  Saint-Domingue.  Il  fut  fait  deux  solennelles  récep- 
tions, d'abord  aux  auditeurs,  qui  vinrent  les  premiers,  et  ensuite  au 
président,  quand  il  arriva  peu  de  jours  après. 

Immédiatement  fut  ouverte  une  enquête  générale.  De  toutes  les  vil- 
les et  bourgs  se  présentèrent  plusieurs  habitants  et  fondés  de  pouvoirs, 
et  même  des  caciques  et  des  dignitaires,  élevant  tant  de  plaintes  au 
sujet  du  président  et  des  auditeurs  précédents,  pour  préjudices,  cor- 
ruption, injustices  dont  ils  avaient  été  victimes,  que  les  nouveaux 
président  et  auditeurs  qui  ouvrirent  l'enquête  en  étaient  comme  stu- 
péfaits. Les  procureurs  de  Gortès,àleur  tour,  détaillèrent  leurs  griefs 
pour  biens  et  propriétés  qui  avaient  été  aliénés  en  ventes  publiques, 
ainsi  que  je  l'ai  dit  précédemment.  Il  en  résultait  que  s'ils  eussent 
dû  payer  le  montant  de  leurs  condamnations,  cela  se  serait  élevé  à 
environ  deux  cent  mille  piastres  d'or.  Gomme  Nuno  de  Guzman  se 
trouvait  à  Xalizco  et  refusait  d'aller  à  la  Nouvelle -Espagne  au  sujet 
de  l'enquête,  Dclgadillo  et  Matienzo  répondaient  aux  demandes  qui 
leur  étaient  faites  qu'elles  étaient  à  la  charge  de  Nuno  de  Guzman 
qui,  en  sa  qualité  de  président,  ordonnait  toutes  choses;  qu'on  eût 
par  conséquent  à  l'envoyer  quérir  et  qu'il  vînt  à  Mexico  se  défendre 
des  charges  qui  pesaient  sur  lui.  Mais  l'Audience  royale  avait  eu 
beau  lui  adresser  ses  sommations  à  Xalizco  pour  qu'il  vînt  person- 
nellement à  la  capitale,  il  avait  opposé  un  refus.  De  leur  côté,  le  pré- 
sident et  les  auditeurs,  désirant  éviter  de  troubler  la  Nouvelle-Espa- 
gne, dissimulèrent  l'événement  et  le  portèrent  à  la  connaissance  de 
Sa  Majesté.  Ce  fut  alors  que  le  Conseil  royal  des  Indes  se  décida  à 
envoyer  à  ce  sujet  un  licencié  nommé  de  la  Torre,  que  l'on  disait  na- 
tif de  Badajoz,  afin  qu'il  poursuivît  une  instruction  à  ce  propos  dans 
la  province  même  de  Xalizco,  et  qu'il  fît  conduire  le  délinquant  en 
prison  dans  la  maison  d'arrêt  de  la  capitale.  Il  avait  mission  de  faire 
payer  par  Nuno  de  G-uzman  Je  montant  des  condamnations  de  nous 
tous,  les  conquistadores,  à  propos  des  affaires  de  Narvacz  et  des  si- 
gnatures, lorsqu'on  nous  mit  en  prison,  ainsi  que  je  l'ai  conté  dans 
un  autre  chapitre. 

Je  laisserai  le  licencié  de  la  Torre  préparer  son  départ  pour  la 
Nouvelle-Espagne  et  je  dirai  où  aboutit  la  première  enquête.  Dclga- 
dillo et  Matienzo  virent  vendre  leurs  biens  en  payement  du  montant 
des  sentences  rendues  contre  eux,  et  comme  cela  ne  suffisait  point  à 
couvrir  la  totalité,  on  les  mit  en  prison  pour  l'excédant.  Pour  ce  qui 
est  d'un  frère  de  Dclgadillo,  Berrio,  qui  était  alcalde  mayor  àGuaxaca, 
on  découvrit  sur  son  compte  tant  de  griefs  et  défaits  de  subornation, 
qu'on  vendit  tous  ses  biens  pour  payer  ce  qu'il  avait  prélevé  injuste- 
ment; on  l'arrêta  pour  la  somme  qui  ne  put  être  payée  et  il  mourut 


780  CONQUÊTE 

en  prison.  On  découvrit  les  mêmes  délits  à  propos  d'un  autre  parent 
de  Delgadillo,  qui  portait  ce  même  nom  et  qui  était  alcalde  mayor 
chez  les  Zapotèques.  Comme  le  précédent,  il  mourut  en  prison.  Les 
nouveaux  juges  étaient  donc  si  équitables  et  si  intègres  dans  leurs  ar- 
rêts qu'ils  ne  songeaient  qu'à  obéir  à  Dieu  et  à  Sa  Majesté,  s'effor- 
çant  de  faire  comprendre  aux  Indiens  qu'ils  désiraient  les  favoriser 
et  les  instruire  dans  la  sainte  doctrine.  En  outre,  ils  abolirent  la  cou- 
tume de  marquer  les  esclaves  et  prirent  bien  d'autres  mesures  loua- 
bles. 

Gomme  les  licenciés  Salmeron  et  Gainos  étaient  âgés,  ils  résolurent 
d'envoyer  demander  à  Sa  Majesté  l'autorisation  de  rentrer  en  Gastille. 
Étant  restés  quatre  ans  à  Mexico,  ils  étaient  déjà  riches.  Les  services 
qu'ils  avaient  rendus  dans  leur  emploi  étaient  d'ailleurs  incontesta- 
bles. Sa  Majesté  ordonna  que  la  licence  de  retour  leur  fût  accordée, 
sous  réserve  d'une  enquête  qui  fut  faite  et  trouvée  satisfaisante. 
Le  président  don  Sébastian  Ramirez,  alors  évêque  de  Saint-Domingue, 
fut  aussi  en  Gastille,  parce  que  Sa  Majesté  l'avait  fait  appeler  pour 
s'éclairer  auprès  de  lui  sur  les  choses  de  la  Nouvelle-Espagne  et  afin 
de  le  nommer  président  de  la  chancellerie  royale  de  Grenade.  En  peu 
de  temps,  on  le  fit  passer  à  celle  de  Valladolid  et  on  lui  donna  l'évê- 
ché  de  Tui.  Peu  de  jours  après,  l'évêché  de  Léon  étant  venu  à  vaquer, 
on  le  lui  confia.  Pendant  ce  temps  il  était  toujours  président  de  la 
chancellerie  de  Valladolid,  et  il  devint  dans  ces  jours  mêmes  évêque 
de  Guenca.  De  sorte  que  les  bulles  de  nomination  tombèrent  sur  lui 
sans  désemparer,  et  toutes  ces  faveurs  étaient  dues  à  ce  qu'il  avait  été 
excellent  juge  à  Mexico.  Malheureusement,  la  mort  ne  tarda  pas  à  le 
frapper,  et  je  crois,  quant  à  moi,  qu'il  alla  jouir  de  la  gloire  céleste 
avec  les  bienheureux,  parce  qu'autant  que  je  pus  en  juger  lorsque  je 
le  connus  et  le  fréquentai  à  l'époque  où  il  était  président  à  Mexico, 
il  fut  en  tout  équitable  et  bon.  A  ces  différents  titres  même,  avant 
d'être  évêque  de  Saint-Domingue,  il  avait  été  inquisiteur  à  Séville. 

Revenons  à  notre  récit  pour  dire  que  le  licencié  Maldonado  reçut 
l'ordre  de  Sa  Majesté  d'aller  à  la  province  de  Guatemala,  Honduras  et 
Nicaragua,  en  qualité  de  président  et  gouverneur.  Il  fut  en  tout  bon 
et  équitable,  et  un  grand  serviteur  de  Sa  Majesté.  11  obtint  même 
le  titre  d'adelantado  de  Yucatan  à  la  suite  de  stipulations  qu'il  avait 
faites,  par  contrat  de  mariage,  avec  son  beau-père  don  Francisco  de 
Montejo.  Quant  au  licencié  Quiroga,  il  fut  si  bon  qu'on  lui  donna  l*é- 
vêché  de  Mechoacan. 

Nous  cesserons  de  parler  de  ces  hommes  que  leurs  vertus  firent 
prospérer,  et  nous  dirons  que  Delgadillo  et  Matienzo  s'en  retournè- 
rent en  Gastille  et  sur  leurs  terres,  fort  pauvres,  très-mal  famés,  et 
qu'ils  moururent,  dit-on,  deux  ou  trois  ans  après. 

Ge  fut  à  cette  même  époque  que  Sa  Majesté  ordonna  que  l'illustris- 


DE  LA  NOUVELLE-*ESPAGNE.  1b  1 

simo  et  bon  caballero,  digne  de  louable  mémoire,  don  Antonio  de 
Mendoza,  frère  du  marquis  de  Mondejar,  vînt  à  la  Nouvelle-Espagne 
en  qualité  de  Vice-Roi.  En  même  temps  partirent  aussi,  comme  audi- 
teurs, le  docteur  Quesada,  natif  de  Ledesma;  le  licencié  Tejada,  de 
Logrono;  le  licencié  Maldonado,  qui  n'était  pas  encore  président  du 
Guatemala,  gardait  son  emploi  d'auditeur,  et  il  en  venait  enfin  un 
autre,  le  licencié  Loaisa,  natif  de  Giudad  Real.  Gomme  celui-ci  était 
déjà  vieux,  il  resta  trois  ou  quatre  ans  seulement  à  Mexico,  où  il  re- 
cueillit quelques  piastres  pour  retourner  en  Castille,  et  il  revint  dans 
sa  maison.  Peu  de  temps  après,  on  envoya  un  licencié  de  Séville  ap- 
pelé Santillana,  qui  fut  plus  tard  docteur.  Tous  ces  hommes-là  furent 
d'excellents  juges.  Après  qu'on  leur  eut  fait  une  réception  solennelle 
à  leur  entrée  dans  la  capitale,  on  publia  l'ouverture  d'une  enquête 
générale  contre  le  président  et  les  derniers  auditeurs,  qui  tous  furent 
reconnus  équitables  et  bons,  ayant  fait  usage  de  leurs  emplois  con- 
formément à  la  justice. 

Nous  reprendrons  maintenant  notre  récit  sur  Nuno  de  Guzman  (fui 
continuait  à  rester  en  Xalizco.  Le  Vice-Roi  don  Antonio  de  Mendoza 
sut  que  Sa  Majesté  envoyait  le  licencié  de  la  Torre  pour  instruire 
contre  lui  à  Xalizco  même,  l'enfermer  dans  la  prison  publique  et 
l'obliger  à  payer  ce  qui  serait  reconnu  juste  au  Marquis  Del  Valle, 
ainsi  qu'aux  conquistadores  pour  leur  condamnation  au  sujet  de 
Narvaez.  Voulant  le  favoriser,  lui  éviter  des  tracas  et  écarter  de  lui 
tout  affront,  le  Vice-Roi  l'envoya  appeler,  l'engageant  à  venir  sans 
retard  à  Mexico  sur  sa  parole  et  lui  désignant  ses  propres  palais  pour 
demeure.  Nuno  de  Guzman  accepta  et  s'y  rendit  incontinent.  Le 
Vice-Roi  lui  rendait  tous  les  honneurs,  le  favorisait  en  tout  et  le  fai- 
sait manger  à  sa  table,  lorsque  le  licencié  de  la  Torre  arriva  à 
Mexico.  Gomme  il  était  porteur  de  l'ordre  de  Sa  Majesté  pour  mettre 
immédiatement  en  prison  Nuno  de  Guzman  et  exercer  contre  lui  toute 
justice,  il  crut  devoir  d'abord  en  donner  connaissance  au  Vice-Roi. 
Mais  il  paraît  qu'il  ne  reconnut  pas  en  lui  tout  le  bon  vouloir  qu'il 
en  attendait  et  alors  il  résolut  défaire  enlever  l'accusé  du  palais  même 
du  Vice -Roi  où  il  se  trouvait.  Il  élevait  la  voix  à  ce  propos  pour  dire 
bien  haut:  «  Voilà  ce  que  Sa  Majesté  commande;  voilà  ce  que  l'on 
doit  faire  et  nullement  autre  chose.  »  Et  là-dessus  il  Je  fit  conduire 
à  la  prison  publique  de  la  ville.  Guzman  y  resta  enfermé  quelques 
jours  jusqu'à  ce  que  le  Vice-Roi  obtînt  qu'il  en  sortît.  On  reconnut 
alors  que  le  licencié  de  la  Torre  avait  assez  de  fermeté  pour  ne  pas 
permettre  que  la  justice  perdît  son  cours  et  pour  faire  marcher  droit 
l'enquête  contre  Nuno  de  Guzman. 

Gomme  du  reste  la  méchanceté  humaine  n'oublie  jamais  de  médire 
de  ce  (fui  prête  le  flanc  à  la  médisance,  elle  s'aperçut  que  le  licencie 
de  la  Torre  aimait  un  peu  le  jeu,  surtout  celui  des  caries.  Il  ne  jouait 


782  CONQUÊTE 

cependant  que  le  triomphe  ou  la  primera,  et  seulement  comme  passe- 
temps.  Or,  à  cette  époque,  on  faisait  usage  d'un  vêtement  à  manches 
larges  et  longues,  —  les  juristes  surtout  — .  Un  je  ne  sais  qui,  agis- 
sant sans  doute  par  inspiration  de  Nuno  de  Guzmun,  introduisit  dans 
Tune  des  manches  du  licencié  de  la  Torre  un  jeu  de  petites  cartes,  et 
il  prit  soin  de  l'y  attacher  de  telle  sorte  qu'il  ne  pût  s'en  échapper 
immédiatement.  Lors  donc  que  le  licencié,  accompagné  de  personnes 
de  qualité,  traversait  un  jour  la  place  de  Mexico,  l'individu,  quel  qu'il 
fût,  qui  avait  placé  le  jeu  de  cartes,  eut  l'adresse  de  le  détacher  de 
telle  sorte,  que  les  cartes  tombaient  une  à  une  en  marquant  sur  la 
place  les  traces  du  passage  du  licencié.  Les  personnes  qui  l'accompa- 
gnaient ayant  aperçu  cette  chute  des  cartes  l'en  avertirent,  le  priant 
de  regarder  ce  qu'il  emportait  dans  sa  manche.  En  voyant  cette  mysti- 
fication, le  licencié  dit  avec  colère  :  «  Il  paraît  qu'on  ne  voudrait  pas 
ici  me  voir  exercer  équitablement  la  justice;  mais  si  je  vis,  je  la  ferai 
de  manière  que  Sa  Majesté  ne  pourra  ignorer  l'irrévérence  qu'on  a 
commise  envers  moi.  »  Peu  de  jours  après  il  tomba  malade,  et,  soit 
par  le  chagrin  que  cela  lui  occasionna,  soit  à  cause  des  fièvres  qui  sur- 
vinrent, il  mourut1. 


CHAPITRE  CXCIX 


Comme  quoi  don  Hernando  Cortès,  Marquis  Del  Valle,  revint  d'Espagne  marié  avec 
la  senora  doua  Juanade  Zuniga,  avec  le  titre  de  Marquis  Del  Valle  et  capitaine  gé- 
néral de  la  Nouvelle-Espagne  et  de  la  mer  du  Sud;  comment  il  amena  avec  lui  le 
Père  fray  Juan  Lcguizamo  et  onze  autres  Frères  de  la  Merced,  et  de  la  grande  ré- 
ception qui  lui  fut  faite. 

Gomme  il  y  avait  longtemps  que  Cortès  était  en  Gastille,  se  voyant 
enfin  marié,  marquis,  capitaine  général  de  la  Nouvelle-Espagne  et  de 
la  mer  du  Sud,  il  fut  pris  du  désir  de  retourner  à  Mexico  pour  y 
occuper  sa  maison  et  son  rang  et  prendre  possession  de  son  marqui- 
sat. Il  sut  d'ailleurs  que  les  choses,  dans  la  Nouvelle-Espagne,  se 
trouvaient  en  l'état  que  j'ai  dit;  aussi  s'empressa-t-il  de  faire  ses 
préparatifs  et  il  s'embarqua  avec  toute  sa  maison,  emmenant  en  sa 
compagnie  douze  moines  de  la  Merced  destinés  à  continuer  l'œuvre 
commencée  par  fray  Bartolomé  et  les  religieux  qui  vinrent  après  lui. 
Ceux  qui  partaient  actuellement  n'étaient  pas  moins  bons  ni  moins 
vertueux  que  les  précédents;  pour  tels  d'ailleurs  ils  furent  donnés  à 
Cortès  par  le   général  de   la  Merced  obéissant  aux  ordres  du  Conseil 

1.  Encore  une  mort  regrettable.  Qu'on  veuille  bien  remarquer  la  quantité  relative- 
ment considérable  de  décès  eu  égard  au  petit  nombre  d'Européens  et  au  rang  occupé 
par  les  victimes. 


DE  LA  NOUVELLE-ESPAGNE.  783 

des  Indes.  Le  prieur  de  ces  religieux  était  fray  Juan  de  Leguizamo, 
Basque  lettré  et  saint  homme,  disait-on,  qui  était  au  surplus  le  con- 
fesseur du.  Marquis  et  de  la  Marquise.  Ils  s'embarquèrent  tous,  et,  le 
beau  temps  aidant,  Cortès  arriva  à  bon  port  avec  tous  les  siens,  à 
l'exception  d'un  des  douze  moines  qui  mourut  au  port  de  la  YeraCruz. 
Il  y  eut  réception,  mais  pas  avec  la  solennité  d'autrefois.  Cortès  con- 
tinua son  voyage  en  passant  par  certaines  villes  de  son  marquisat  et, 
à  son  arrivée  à  Mexico,  une  autre  réception  lui  fut  faite.  Il  s'occupa 
immédiatement  de  produire -ses  titres  de  Marquis  et  de  se  faire  pro- 
clamer capitaine  général  de  la  Nouvelle-Espagne  et  de  la  mer  du 
Sud;  il  demanda  au  Vice-Roi  et  à  l'Audience  royale  que  l'on  fît  le  re- 
censement de  ses  vassaux  de  la  manière  qu'il  s'était  imaginé  ;  mais 
je  pensé  qu'en  le  faisant  on  obéit  bien  plutôt  à  l'ordre  qu'en  avait 
donné  Sa  Majesté. 

D'après  ce  que  je  compris,  lorsque  le  marquisat  lui  fut  donné, 
Cortès  avait  supplié  Sa  Majesté  qu'il  lui  fût  fait  l'attribution  de  cer- 
taines villes  et  villages  contenant  un  nombre  stipulé  d'habitants  tri- 
butaires. Comme  je  ne  suis  pas  bien  sûr  de  cela,  je  m'en  remets  aux 
caballeros  et  aux  personnes  qui  le  savent  mieux  que  moi,  ainsi  qu'aux 
différents  procès  qu'il  y  eut  à  ce  sujet.  Le  Marquis,  lorsqu'il  demanda 
à  Sa  Majesté  la  concession  des  vassaux  dont  je  parle,  se  forma  l'idée 
que  chaque  maison  d'habitants,  de  caciques  ou  de  dignitaires  de  ses 
villes  devrait  compter  seulement  pour  un  tributaire,  comme  si  nous 
disions  que  ni  garçons  déjà  mariés,  ni  gendres,  ni  autres  Indiens  qui 
se  trouvaient  dans  la  maison  à  titre  de  serviteurs  ne  devraient  compter 
pour  absolument  rien  et  que  chaque  habitant,  chef  de  famille,  serait 
inscrit  pour  tributaire  unique,  eût-il  ou  n'eût-il  pas  plusieurs  fils, 
gendres  ou  serviteurs.  L'Audience  royale  de  Mexico  détermina  que  la 
supputation  serait  faite  par  un  de  ses  auditeurs  appelé  le  docteur 
Quesada.  Celui-ci  commença  le  recensement  de  cette  manière  :  le  pro- 
priétaire de  chaque  maison  était  un  tributaire,  et,  s'il  avait  des  fils 
d'un  âge  suffisant,  chaque  fils  était  également  tributaire  ;  s'il  avait  des 
gendres,  chacun  d'eux  comptait  de  la  même  manière;  les  Indiens  qui 
étaient  à  son  service,  fussent-ils  esclaves,  s'inscrivaient  aussi  chacun 
pour  un  tributaire.  Il  en  résultait  que  beaucoup  de  maisons  avaient 
dix,  douze  et  même  quinze  personnes  de  cette  catégorie. 

Gela  n'empêcha  pas  que  Cortès  persistât  dans  son  idée.  Il  la  pro- 
posa et  il  en  fit  la  formelle  demande  à  l'Audience  royale  pour  que 
chaque  maison  fût  considérée  comme  un  habitant  et  comptât  pour 
un  tributaire  seulement.  Si,  lorsque  le  Marquis  pria  Sa  Majesté  de 
lui  faire  la  grâce  de  son  marquisat,  il  lui  eût  déclaré  qu'il  désirait 
telle  ville,  tel  bourg  avec  ses  habitants  et  résidents  actuels,  Sa  Ma- 
jesté n'eût  pas  manqué  de  les  lui  concéder.  Mais  le  Marquis  crut  et 
tint  pour  certain  qu'en  spécifiant  le  nombre  de  vassaux  au  lieu  des 


784  CONQUETE 

villes,  il  retirerait  plus  d'avantages;  or  il  arriva  au  résultat  contraire, 
et  de  là  la  nécessité  de  procès  qui  ne  lui  manquèrent  jamais.  Une 
autre  conséquence,  c'est  qu'il  eut  des  froissements  désagréables  avec 
le  docteur  Quesada,  auteur  du  recensement,  et  même  avec  le  Vice- 
Roi  et  l'Audience  royale.  Rapport  en  fut  fait  à  Sa  Majesté  par  le 
tribunal,  pour  qu'on  sût  à  quoi  s'en  tenir  sur  la  manière  de  compter 
les  vassaux,  ce  qui  fit  que  l'opération  resta  en  suspens  un  certain 
nombre  d'années,  pendant  lesquelles  le  Marquis  préleva  ses  tributs 
sans  faire  la  supputation  dont  il  s'agit.  . 

Revenons  à  notre  récit  pour  dire  que,  peu  de  jours  après  ces  dé- 
bats, Gortès  partit  de  Mexico  avec  la  Marquise  pour  une  ville  de  son 
marquisat  appelée  Cornabaca.  Il  y  fixa  sa  résidence  de  telle  façon 
qu'il  ne  ramena  plus  sa  famille  à  Mexico.  Au  surplus,  comme  il 
avait  stipulé,  avec  la  Sérénissime  Impératrice  Isabel,  de  glorieuse 
mémoire,  et  le  Conseil  royal  des  Indes,  qu'il  enverrait,  à  ses  frais, 
une  flotte  sur  la  mer  du  Sud  pour  découvrir  des  îles  et  des  pays, 
il  se  mit  à  construire  des  navires  dans  un  port  appartenant  alors  à 
son  marquisat,  qui  s'appelait  Teguantepeque,  et  dans  les  ports  de 
Zacatula  et  d'Acapulco.  Je  vais  dire,  à  la  suite,  les  expéditions  qu'il 
fit  et  comme  quoi  il  ne  futplus  jamais  heureux  dans  les  entreprises  où 
il  mit  la  main,  tous  ses  projets  se  convertissant,  pour  lui,  en  épines 
et  en  mauvais  résultats.  Nufïo  de  Guzman  eut  plus  de  succès,  ainsi 
que  je  le  dirai  bientôt. 


CHAPITRE  GG 


Des  fiais  que  le  Marquis  don  Hernando  Cortès  fit  dans  l'organisation  des  Hottes  qu'il 
envoya  à  la  déeouverte  et  comment  en  tout  le  reste  il  ne  fut  pas  heureux  ;  et  j'ai 
besoin  de  revenir  beaucoup  sur  mes  pas  dans  mon  récit  pour  que  Ton  comprenne 
bien  ce  que  je  vais  dire. 

Lorsque  Marcos  de  Aguilar  gouvernait  la  Nouvelle-Espagne  en 
vertu  des  pouvoirs  que  lui  transmit  le  licencié  Luis  Ponce  de  Léon 
en  mourant,  ainsi  que  je  l'ai  dit  avant  que  Gortès  fût  en  Gastillc,  ce- 
lui-ci mit  à  la  mer  quatre  navires  qu'il  avait  fabriqués  dans  la  pro- 
vince de  Zacatula,  bien  pourvus  de  vivres  et  d'artillerie,  avec  de 
bons  matelots,  deux  cent  cinquante  soldats,  beaucoup  d'objets  de 
mercerie  de  Gastillc  et  tout  le  nécessaire  en  comestibles  et  biscuits 
pour  plus  d'une  année.  Le  capitaine  commandant  de  l'expédition  était 
un  bidalgo  du  nom  de  Saavedra.  Il  fit  voile  avec  destination  aux  Mo- 
luques  aux  îles  des  Épices,  ou  la  Chine.  C'était  en  exécution  d'un 
ordre  de  Sa  Majesté  qui  l'écrivit  à  Cortès  de  la  ville  de  Grenade,  le 
22  juin  1526.  Gomme  Gortès   nous  fit  voir  cette   lettre,  à  moi  et  à 


DE  LA  NOUVELLE-ESPAGNE.  785 

d'autres  conquistadores  qui   lui  tenions  compagnie,  je  puis  bien  le 
dire  et  l'affirmer  ici.   Sa  Majesté  ordonnait  même  à  Gortès  de  faire 
en  sorte  que  les  capitaines  qu'il  enverrait  se  missent  à  la  recherche 
d'une  flotte  qui  était  partie  de  Gastille  pour  la  Chine,  ayant  pour  ca- 
pitaine un  certain  fray  don  Garcia  de  Loaisa,  commandeur  de  Saint- 
Jean  de  Rhodes.  Pendant  que  Saavedra  préparait  son  voyage,  venait 
aborder  à  la  côte  de  Gruantepeque  une  patache  qui   était  partie  de 
Gastille  avec  la  flotte  du  commandeur  en  question.  Un  certain  Ortuno 
de  Lango,  natif  de  Portugaletc,  en  était  le  capitaine.  Alvaro  de  Saa- 
vedra  Ceron   s'informa  auprès  de  lui  et  eut   recours  également  aux 
pilotes  qui  venaient  dans  la  patache  pour  savoir  tout  ce  qu'il  désirait 
connaître.  Il  s'adjoignit  même  un  pilote  et  deux  matelots,  au  moyen 
d'une  bonne  rétribution,  et  en   obtint  qu'ils  partissent   avec  lui.  Il 
leur  fit  raconter  leur  voyage  et  prit  leur  avis  sur  la  route  qu'il  devait 
suivre  maintenant  et,  après  cela,  il  donna  ses  instructions  et  ses  or- 
dres de   la  manière  que  les   capitaines  et   les   pilotes  qui  vont  à  la 
découverte  ont  l'habitude  de  le  faire  ;   cela  fait,  on  entendit  la  messe 
et,  se  recommandant  à  Dieu,  ils  firent  voile  du  port  de  Esguatanejo, 
dans  la  province  de  Golima  ou  de  Zacatula,  je  ne  sais  pas  bien.  Ge 
fut  au  mois  de  décembre  de  Tan  1527  ou  1528. 

Notre  Seigneur  Jésus-Christ  leur  fit  la  grâce  d'assurer  leur  route 
de  manière  qu'ils  fussent  aux  Moluques  et  dans  d'autres  îles.  Je  ne 
connais  ni  les  peines,  ni  la  faim,  ni  les  souffrances  qu'ils  eurent  à 
endurer,  pas  plus  que  les  maladies  dont  ils  souffrirent  dans  le 
voyage;  mais  je  vis  trois  ans  après  à  Mexico  un  matelot  de  ceux  qui 
s'étaient  trouvés  avec  Saavedra.  Il  contait,  au  sujet  de  ces  îles  et  des 
villes  qui  y  sont  édifiées  et  qu'ils  visitèrent,  des  choses  dont  j'étais 
émerveillé.  C'est  à  ces  mêmes  îles  et  à  ces  mêmes  pays  que  l'on  en- 
voie maintenant  de  Mexico  des  flottes  destinées  à  trafiquer  et  à  pour- 
suivre les  découvertes.  J'entendis  dire  que  les  Portugais  qui  s'y 
trouvaient  comme  commandants  d'expéditions  arrêtèrent  Saavedra  ou 
quelques-uns  de  ses  hommes,  et  les  emmenèrent  en  Gastille,  ou  que, 
du  moins,  Sa  Majesté  en  eut  connaissance1.  Gomme  il  y  a  tant  d'an- 
nées que  cela  s'est  passé,  et  que  je  ne  m'y  trouvais  nullement,  je  n'en 
parlerai  pas  davantage.  En  fait  de  choses  vues  personnellement  par 
moi,  je  ne  puis  mentionner  que  la  lettre  écrite  à  Gortès  par  Sa  Ma- 
jesté. 

J'ai  à  dire  maintenant  qu'au  mois  de  mai  1532,  Cortès,  de  retour 
de  Gastille,  envoya  du  port  d'Acapulco  une  autre  expédition  compo- 
sée de  deux  navires  bien  pourvus  du  nécessaire  en  tous  genres,  avec 

1.  Le  texte  espagnol  est  ici  fort  obscur.  Voici  comment  il  est  conçu  :  V  aun  ai 
decir,  que  los  Portugueses  que  cslaban  por  capitanes  enellas,  que  prcndiêvon 
al  Saavedra,  à  à  génie  suya,  y  que  los  llevâron  d  Caslilla,  6  que  luvo  dello  noft- 
cia  Su  Magestad. 

50 


786  CONQUÊTE 

des  matelots  en  nombre  suffisant,  de  l'artillerie,  des  vivres  et  quatre- 
vingts  soldats  d'escopette  et  d'arbalète.  Il  en  nomma  commandant  un 
certain  Diego  Hurtado  de  Mendoza.  Ces  deux  navires  étaient  desti- 
nés à  découvrir  la  côte  du  sud;  ils  devaient  se  mettre  à  la  recherche 
d'îles  et  de  terres  nouvelles.  La  raison  de  ce  départ,  ainsi  que  je  l'ai 
dit  dans  le  chapitre  qui  en  a  traité,  c'est  que  Gortès  l'avait  ainsi 
convenu  avec  le  Conseil  royal  des  Indes  lorsque  Sa  Majesté  fut  partie 
en  Flandre.  Pour  en  revenir  au  voyage  des  deux  navires,  j'ai  à  dire 
que,  tandis  que  Hurtado  avançait  sans  trop  remonter  en  pleine  mer, 
sans  chercher  des  îles  ni  faire  quoi  que  ce  soit  qui  mérite  d'être 
conté,  plus  de  la  moitié  des  soldats  de  l'un  des  navires  se  mutinè- 
rent et  se  séparèrent  de  sa  compagnie.  On  a  prétendu  que  les  mutins 
avaient  fait  un  accord  avec  le  capitaine  pour  que,  au  moyen  du  na- 
vire avec  lequel  ils  naviguaient,  ils  s'en  retournassent  à  la  Nouvelle- 
Espagne.  Mais  il  n'est  pas  croyable  que  le  capitaine  leur  donnât  ja- 
mais cette  licence  ;  il  est  plus  naturel  de  penser  qu'ils  la  prirent 
eux-mêmes  sans  la  demander.  Quoi  qu'il  en  soit,  ils  avaient  déjà  viré 
de  bord  et  s'en  retournaient,  lorsqu'ils  furent  assaillis  par  un  temps 
contraire  qui  les  poussa  vers  la  terre  ;  ils  y  firent  de  l'eau  et  arrivè- 
rent ensuite  avec  de  grandes  difficultés  à  Xalizco,  où  ils  donnèrent  la 
nouvelle  de  leur  aventure,  qui  de  là  se  répandit  jusqu'à  Mexico.  Gela 
causa  un  grand  déplaisir  à  Gortès.  Quant  à  Diego  Hurtado,  il  suivit 
encore  la  côte;  mais  on  n'entendit  plus  rien  dire  ni  de  lui,  ni  du 
navire,  qui  ne  reparut  jamais. 

Nous  ne  parlerons  plus  de  ces  bâtiments,  puisqu'ils  se  perdirent, 
et  je  dirai  que  Gortès  s'empressa  d'envoyer  deux  autres  navires  qui 
étaient  déjà  prêts  dans  le  port  de  Gruantepeque.  Il  les  approvisionna 
convenablement  en  pain,  viande  et  tout  le  nécessaire  le  mieux  qu'il 
était  possible  dans  ce  temps-là.  Il  y  mit  beaucoup  d'artillerie,  de 
bons  matelots  et  soixante  soldats  commandés  par  un  hidalgo  du 
nom  de  Diego  Bezerra  de  Mendoza  —  de  la  famille  des  Bczcrra  de 
Badajoz  ou  de  Merida.  —  L'un  des  navires  avait  aussi  pour  capitaine 
un  certain  Hernando  de  Grijalva,  qui  se  trouvait  être  sous  les  ordres 
de  Bezerra.  Le  pilote  en  premier  était  un  Basque  appelé  Ortuïio  Xi- 
menès,  qu'on  disait  grand  cosmographe.  Gortès  ordonna  à  Bezerra  de 
se  mettre  à  la  recherche  de  Diego  de  Hurtado,  et,  s'il  ne  le  trouvait 
point,  de  gagner  la  haute  mer  à  la  découverte  d'îles  et  terres  nou- 
velles, parce  qu'on  parlait  beaucoup  de  l'existence  d'îles  riches  en 
perles.  Le  pilote  Ortuno  Ximcnès,  en  s'entretenant,  avant  son  dé- 
part, des  choses  de  la  mer  avec  d'autres  pilotes,  promettait  de  les 
conduire  à  des  pays  fortunés  —  c'est  bien  ainsi  qu'on  les  nomme  — 
abondant  en  toutes  sortes  de  richesses,  et  il  répétait  tellement  que 
tout  le  monde  y  deviendrait  riche,  que  plusieurs  finissaient  par  le 
croire»  La  première  nuit  après  leur  départ  de  GriiaiUepcque,  il  s'éleva 


DE  LA  NOUVELLE-ESPAGNE.  787 

un  gros  temps  avec  vent  contraire  qui  sépara  les  deux  navires,  et  ils 
ne  se  rejoignirent  jamais  plus.  Ils  l'auraient  pu  cependant,  parce  que 
le  beau  temps  ne  tarda  pas  à  revenir;  mais  Hernando  de  Grijalva, 
désirant  ne  plus  se  trouver  sous  la  main  de  Bezerra,  gagna  la  pleine 
mer  en  se  séparant  volontairement  de  celui-ci,  parce  (pie  Bezerra 
était  orgueilleux  et  homme  de  mauvais  cœur;  je  dirai  bientôt  où  cela 
le  mena.  Hernando  de  Grijalva,  en  se  séparant  de  son  supérieur, 
obéissait  aussi  au  désir  d'arriver  à  la  gloire  pour  lui-même,  s'il  avait 
la  chance  de  découvrir  quelques  pays.  Il  s'éloigna  donc  à  plus  de 
deux  cents  lieues  en  mer,  et  y  découvrit  une  île  déserte  qu'il  appela 
Santo-Tomc. 

Laissons  là  Grijalva  et  son  voyage,  et  venons- en  à  dire  ce  qui  ad- 
vint à  Bezerra  avec  le  pilote  Ortuno  Ximenès.  Il  s'éleva  entre  eux  un 
désaccord  pendant  le  voyage,  et  comme  Bezerra  était  mal  vu  de  la 
plupart  des  gens  qui  montaient  le  navire,  Ortuno  convint  avec  quel- 
ques matelots  basques  et  des  soldats  qui  avaient  eu  des  mots  avec 
Bezerra,  de  tomber  sur  lui  une  nuit  et  de  le  tuer.  Ils  le  firent,  en 
effet;  ils  lui  donnèrent  la  mort  pendant  son  sommeil,  en  même  temps 
qu'à  quelques  autres  soldats,  et,  n'eussent  été  les  Frères  francis- 
cains qui  faisaient  partie  de  l'expédition,  et  qui  s'empressèrent  de 
les  séparer,  il  y  aurait  eu  beaucoup  plus  de  mal.  Le  pilote  Ximenès, 
aidé  de  ses  compagnons,  s'en  alla  avec  le  navire;  mais,  à  la  prière 
des  moines,  ils  relâchèrent  un  moment  sur  un  point  de  la  province 
de  Xalizco,  pour  déposer  à  terre  les  blessés  et  les  Frères.  Ortuno 
Ximenès  poursuivit  ensuite  sa  route,  et  rencontra  une  île  qu'il  ap- 
pela Santa  Gruz,  où  l'on  prétendit  qu'il  y  avait  des  perles,  et  qui 
était  peuplée  d'Indiens  semi-sauvages.  Ils  descendirent  à  terre  pour 
faire  de  l'eau  ;  mais  les  naturels  les  reçurent  en  gens  de  guerre  et 
les  tuèrent.  De  sorte  qu'il  ne  resta  que  les  matelots  qui  étaient  à 
bord,  lesquels,  voyant  leurs  camarades  morts,  revinrent  au  port  de 
Xalizco  avec  leur  bâtiment,  en  racontant  ce  qui  était  arrivé,  avec  l'as- 
surance que  le  pays  découvert  était  bon,  bien  peuplé  et  riche  en 
perles.  On  ne  tarda  pas  à  savoir  ces  nouvelles  à  Mexico,  et  Cortès, 
en  les  apprenant,  éprouva  un  très-vif  regret.  Mais  comme  il  était 
homme  de  cœur  et  que  son  esprit  ne  restait  jamais  en  repos,  il  ré- 
solut, à  la  vue  de  tous  ces  insuccès,  de  ne  plus  envoyer  de  capitaines, 
et  de  partir  en  personne. 

En  ce  moment-là,  il  venait  de  sortir  du  chantier  trois  navires  d'un 
bon  tonnage  dans  le  port  de  Guantepcque.  Ayant  reçu  la  nouvelle 
qu'il  y  avait  des  perles  dans  l'endroit  où  l'on  tua  Ortuno  Ximenès, 
comme  d'ailleurs  il  avait  toujours  eu  la  pensée  d'aller  découvrir  des 
pays  habités  dans  la  mer  du  Sud,  le  désir  lui  vint  d'essayer  de  colo- 
niser de  ce  côté.  Il  est  vrai  aussi  qu'il  en  était  convenu  avec  la  Séré- 
nissime  Impératrice  doua  Isabel,  de  glorieuse  mémoire,  et  avec   le 


788  CONQUETE 

Conseil  royal  des  Indes,  lorsque  Sa  Majesté  s'en  fut  en  Flandre. 
Quand  on  sut  à  la  Nouvelle-Espagne  que  le  Marquis  en  personne 
allait  partir,  on  crut  que  l'entreprise  serait  d'un  résultat  avantageux 
et  certain.  On  vit  alors  accourir  grand  nonïbre  de  soldats,  cavaliers, 
arquebusiers,  arbalétriers,  et,  entre  autres,  trente  ou  quarante  hom- 
mes mariés.  Ils  formèrent  à  eux  tous  un  ensemble  d'environ  trois 
cent  vingt  personnes,  y  compris  les  femmes  légitimes.  Les  navires 
furent  très-bien  approvisionnés  de  biscuits,  viande,  huile,  vin  et  vi- 
naigre, ainsi  que  d'autres  objets  utiles  en  pareil  cas.  On  prit  beau- 
coup de  produits  d'échange,  trois  forgerons  avec  leur  forge,  deux 
charpentiers  munis  de  leurs  outils,  ainsi  que  bien  d'autres  choses 
que  je  ne  détaille  pas  ici  pour  ne  point  entraver  mon  récit.  Ayant 
fait  choix  de  pilotes  expérimentés  et  de  bons  matelots,  il  fit  savoir 
que  ceux  qui  voudraient  aller  s'embarquer  au  port  de  Guantepeque, 
où  se  trouvaient  les  navires,  eussent  à  s'y  rendre,  afin  que  sa  marche 
fût  moins  embarrassée  par  terre.  Quant  à  lui,  il  partit  de  Mexico 
avec  le  capitaine  Andrès  de  Tapia  et  avec  d'autres  chefs  et  soldats, 
emmenant  en  môme  temps  des  prêtres  et  des  moines  qui  lui  disaient 
la  messe,  ainsi  que  des  médecins  ou  chirurgiens  pourvus  d'une 
pharmacie. 

Quand  ils  arrivèrent  au  port  où  ils  devaient  s'embarquer,  les  trois 
bâtiments  venus  de  Guantepeque  s'y  trouvaient  déjà.  Gomme  d'ail- 
leurs tous  les  soldats  arrivaient  les  uns  avec  leurs  chevaux,  les  autres 
à  pied,  Cortès  s'adjoignit  les  personnes  qu'il  lui  parut  convenable 
d'emmener  et  il  fit  un  premier  transport  à  l'île  qu'on  avait  appelée 
Santa  Cruz,  où  l'on  disait  qu'il  y  avait  des  perles.  Il  y  arriva  avec 
beau  temps;  c'était  au  mois  de  mai  1536  ou  1537,  je  ne  me  rappelle  pas 
bien.  Immédiatement  il  fit  repartir  les  navires  pour  aller  chercher  le 
reste  des  soldats,  les  femmes  mariées  et  les  chevaux,  qui  attendaient 
avec  le  capitaine  Andrès  de  Tapia.  Ils  s'embarquèrent  sans  retard  ; 
mais,  bientôt,  ils  furent  assaillis  par  une  tourmente  qui  les  poussa 
vers  l'embouchure  d'une  grande  rivière  qu'ils  appelèrent  Saint- 
Pierre-et-Saint-Paul.  Profitant  d'un  retour  de  beau  temps,  ils  se  re- 
mirent en  route  et  ne  tardèrent  pas  à  essuyer  une  nouvelle  tempête 
qui  sépara  les  trois  navires.  L'un  d'eux  put  arriver  au  port  de  Santa 
Gruz  où  Cortès  se  trouvait;  un  autre  toucha  fond  et  s'échoua  sur  la 
côte  de  Xalizco.  Les  soldats  qui  le  montaient,  mécontents  du  voyage 
et  des  fatigues  qu'ils  avaient  endurées,  restèrent  à  Xalizco  ou  s'en 
retournèrent  en  partie  à  la  Nouvelle -Espagne.  Le  troisième  navire 
fut  poussé  vers  une  baie  qu'on  appela  Guayabal  parce  qu'il  y  avait 
tout  autour  grande  abondance  du  fruit  qu'on  appelle  goyave.  Gomme 
il  s'était  échoué  en  arrivant,  il  fut  obligé  de  retarder  son  départ  vers 
le  lieu  où  Cortès  attendait  avec  impatience  à  cause  de  l'épuisement 
de  ses  provisions.  La  viande  et  le  biscuit  étaient  embarqués  à  bord 


DE  LA  NOUVELLE-ESPAGNE.    ,  789 

du  navire  qui  se  perdit  sur  la  côte  de  Xalizco;  c'est  de  cette  circon- 
stance que  venaient  les  angoisses  de  Gortès  et  de  tous  les  soldats,  qui 
n'avaient  plus  rien  à  manger,  attendu  que  les  naturels  de  l'île,  vi- 
vant à  l'état  sauvage  et  sans  nulle  prévision,  ne  cultivaient  pas  le 
maïs.  Ils  subsistaient  des  fruits  que  la  nature  envoie  et  du  produit 
de  leur  pêche.  Vingt-trois  hommes  de  la  troupe  de  Gortès  moururent 
de  faim  et  de  souffrances  ;  un  grand  nombre  étaient  malades  et  le 
maudissaient,  lui,  son  port  et  sa  découverte. 

Ce  voyant,  il  résolut  d'aller  en  personne,  sur  le  navire  qui  l'avait 
rejoint,  avec  cinquante  soldats,  des  charpentiers,  deux  forgerons  et 
trois  calfats,  à  la  recherche  des  deux  autres  navires,  pensant  bien  que 
le  mauvais  temps  qui  s'était  déchaîné  les  avait  fait  échouer  quelque 
part.  Il  découvrit  l'un  d'eux  perdu  sur  la  côte  de  Xalizco  sans  aucun 
soldat.  L'autre  était  non  loin  de  là  sur  des  récifs.  A  force  de  peines  et  de 
fatigues,  il  réussit  à  les  remettre  à  flot  et,  après  y  avoir  fait  un  tra 
vail  de  carénage,  il  put  revenir  à  l'île  de  Santa  Gruz  avec  ses  trois 
bâtiments.  Les  soldats  qui  l'y  attendaient,  extrêmement  affaiblis  pour 
n'avoir  point  pris  de  nourriture  substantielle  depuis  plusieurs  jours, 
mangèrent  de  la  viande  en  tel  excès  qu'ils  y  gagnèrent  un  grand  dé- 
rangement d'entrailles  et  des  souffrances  dont  moururent  la  moitié 
d'entre  eux.  Ce  fut  pour  s'arracher  à  la  vue  de  tant  de  misères  que 
Gortès  partit  à  la  découverte  d'autres  pays  et  tomba  sur  la  Californie 
et  son  golfe.  Gomme,  du  reste,  il  se  trouvait  faible  et  fatigué,  il  avait 
un  vif  désir  de  s'en  revenir  à  la  Nouvelle-Espagne;  mais,  par  honte 
de  s'entendre  dire  qu'il  avait  dépensé  d'énormes  sommes  sans  décou- 
vrir aucun  pays  utile,  que  la  chance  l'abandonnait  dans  toutes  ses  en- 
treprises et  qu'il  succombait  aux  malédictions  des  soldats  et  vrais 
conquistadores  de  la  Nouvelle-Espagne,  il  s'obstinait  à  ne  pas  s'en  re- 
tourner. 

Cependant,  comme  la  Marquise  doua  Juana  de  Zurïiga,  sa  femme, 
n'avait  aucune  nouvelle,  si  ce  n'est  qu'un  navire  avait  échoué  sur  la 
côte  de  Xalizco,  elle  était  très-chagrine  et  livrée  à  la  crainte  que 
Gortès  ne  fût  mort  ou  perdu  quelque  part.  Elle  envoya  donc  deux  na- 
vires à  sa  recherche;  l'un  de  ces  bâtiments  était  celui-là  même  avec 
lequel  Grijalva  était  revenu  à  la  Nouvelle-Espagne  après  être  parti 
avec  Bezerra.  L'autre,  tout  à  fait  neuf,  sortait  des  chantiers  de  Guan- 
tepeque.  Les  deux  navires  furent  chargés  des  provisions  qu'il  était 
possible  de  se  procurer  dans  ce  temps-là.  Un  capitaine  appelé  Ulloa 
devait  les  commander.  La  Marquise  écrivit  très-affectueusement  à 
son  mari,  employant  prières  et  douces  paroles  pour  l'engager  à  re- 
venir à  Mexico  reprendre  son  rang  et  son  marquisat.  Elle  le  sup- 
pliait de  porter  ses  regards  sur  ses  fils  et  ses  filles  pour  se  résoudre  à 
cesser  sa  lutte  contre  la  fortune,  en  se  contentant,  du  souvenir  de  ses 
actions  héroïques  et  de  la  renommée  qui  accompagnait  en  tous  lieux 


790  CONQUÊTE 

sa  personne.  Le  Vice-Roi  don  Antonio  de  Mendoza  lui  écrivit  égale- 
ment dans  les  termes  les  plus  affectueux,  lui  demandant  en  grâce  de 
revenir  à  la  Nouvelle-Espagne.  Les  deux  bâtiments  arrivèrent  avec 
beau  temps  au  lieu  où  Gortès  se  trouvait.  Quand  il  vit  les  lettres  du 
Vice-Roi  et  les  prières  de  la  Marquise  et  de  ses  enfants,  il  résolut  de 
laisser  1b  commandement,  les  hommes  et  toutes  les  provisions  au  ca- 
pitaine Ulloa,  et,  s'étant  embarqué,  il  s'en  vint  au  port  d'Acapulco. 
Il  entreprit  immédiatement  son  voyage  de  terre  et,  à  grandes  jour- 
nées, il  arriva  à  Gornabaca  où  se  trouvait  la  Marquise  dont  la  vue  lui 
causa  la  plus  grande  joie.  Tous  les  habitants  de  Mexico,  y  compris  le 
Vice-Roi  et  l'Audience  royale,  se  réjouirent  de  son  retour,  attendu 
que  le  bruit  s'était  répandu  à  Mexico  que  tous  les  caciques  de  la  Nou- 
velle-Espagne voulaient  se  soulever  en  voyant  que  Gortès  n'était  plus 
dans  le  pays.  Au  surplus,  les  soldats  et  capitaines  qu'il  avait  laissés 
dans  l'île  ou  dans  le  golfe  de  Californie  effectuèrent  leur  retour;  mais 
je  ne  saurais  dire  s'ils  revinrent  par  leur  propre  inspiration  ou  si  le 
Vice-Roi  et  l'Audience  royale  intervinrent  pour  leur  en  donner  l'auto- 
risation. 

Peu  de  mois  après,  Gortès,  s'étant  un  peu  remis  par  le  repos,  en- 
voya quelques  autres  bâtiments  bien  pourvus  de  pain,  de  viande  et 
de  bons  matelots,  avec  soixante  soldats  et  d'excellents  pilotes.  Le  ca- 
pitaine Francisco  de  Ulloa  fut  leur  commandant.  S'il  envoya  cette 
fois  ces  nouveaux  bâtiments,  ce  fut  sur  Tordre  exprès  de  l'Audience 
royale  de  Mexico,  en  accomplissement  de  la  promesse  que  Gortès 
avait  faite  à  Sa  Majesté,  ainsi  que  je  l'ai  dit  dans  les  chapitres  pré- 
cédents. Quoi  qu'il  en  soit,  ils  partirent  du  port  de  Natividad  au  mois 
de  juin  de  l'an  quinze  cent  trente  et  tant,  — je  ne  me  rappelle  pas 
exactement  l'année.  —  Gortès  ordonna  au  capitaine  de  suivre  la  côte 
et  d'achever  de  descendre  toute  l'étendue  de  la  Californie,  s'occupant 
de  chercher  le  capitaine  Diego  Hurtado  qui  n'avait  point  reparu.  Il 
employa,  aller  et  retour,  sept  mois  dans  ce  voyage  sans  rien  faire,  à 
ma  connaissance,  qui  mérite  d'être  conté,  et  il  s'en  revint  au  port  de 
Xalizco.  Il  y  avait  peu  de  jours  qu'Ulloa  était  descendu  à  terre  et 
prenait  du  repos,  lorsqu'un  soldat  qui  l'avait  accompagné  dans 
l'expédition  l'attendit  en  un  endroit  où  il  le  tua  à  force  d'estocades; 
et  voiià  à  quoi  aboutirent  les  voyages  et  découvertes  que  le  Marquis 
entreprit.  J'entendis  dire,  bien  des  fois,  qu'il  avait  dépensé  dans  ces 
expéditions  trois  cent  mille  piastres  d'or.  Ce  fut  pour  que  Sa  Majesté 
lui  en  remboursât  une  partie  et  pour  régler  l'affaire  de  la  supputa- 
tion des  vassaux,  qu'il  résolut  d'aller  en  Castillc.  Il  y  était  conduit 
aussi  par  la  pensée  d'exiger  en  justice,  de  Nuflo  de  Guzman,  une 
certaine  somme  que  l'Audience  royale  l'avait  condamné  à  payer  à 
Gortès  comme  compensation  des  biens  qu'il  lui  fit  vendre.  Nuno  de 
Gruzman  avait  été  transporté,  en  effet,  en  Castillc  comme  prisonnier. 


DE  LA   NOUVELLE-ESPAGNE.  791 

En  résumé,  si  nous  considérons  bien  les  choses,  il  est  aisé  de  voir 
que  Cortès  ne  fut  heureux  en  rien  depuis  qu'il  conquit  la  Nouvelle- 
Espagne.  On  disait  que  c'était  par  suite  des  malédictions  qui  tom- 
baient sur  lui. 


CHAPITRE  CGI 

Comme  quoi  on  fit  de  grandes  fêtes  et  des  banquets  à  Mexico  en  réjouissance  de  la 
paix  célébrée  entre  l'Empereur  Très-Chrétien  notre  seigneur,  de  glorieuse  mémoire, 
et  le  roi  François  de  France  lors  de  l'entrevue  d'Aigues-Mortes. 

En  1538,  on  reçut  à  Mexico  la  nouvelle  que  l'Empereur  Très-Chré- 
tien notre  seigneur,  de  glorieuse  mémoire,   s'était  rendu  en  France 
et  que  le  roi  François  lui  avait  fait  une  réception  magnifique  dans 
un  port  qu'on  appelle  Aiguës-Mortes,  où  fut  célébrée  la  paix.  Les 
rois  s'embrassèrent  très-amicalement  en  présence  de  Mme  Éléonore, 
reine  de  France,  femme  du  roi  François  Ier,  et  sœur  de  l'Empereur 
notre   seigneur,  d'heureuse  souvenance.  De  grandes  et   solennelles 
fêtes  eurent  lieu  à  cette  occasion.  Ce  fut  en  l'honneur  de  la  célébra- 
tion de  cette  paix  que  le  Vice-Roi  don  Antonio  de  Mendoza,  le  Mar- 
quis Del  Valle,  l'Audience  royale  et  un  certain  nombre  de  caballeros 
conquistadores  firent  de  grandes  réjouissances.  En  ce  même  temps, 
le  Marquis  Del  Valle  et  le  Vice-Roi  don  Antonio  de  Mendoza  s'é- 
taient réconciliés,  oubliant  les  rancunes  qui  avaient  pris  leur  origine 
dans  la  manière  de  compter  les  vassaux  du  Marquis  et  aussi  dans  les 
préférences  que  le  Vice-Roi  parut  avoir  pour  Nuno  de  Gruzman,  afin 
que  celui-ci  ne  payât  point  à  Cortès  les  sommes  qu'il  lui  devait  du 
temps  où  il  fut  président.  On  résolut  donc  de  célébrer  de  grandes 
fêtes  et  réjouissances.  Elles  furent  si  belles   en  effet,  que  je  n'en  vis 
jamais  de  pareilles  dans  la  Castille,  en  joutes,  tournois,  courses  de 
taureaux,  rencontres  entre  caballeros  et  autres  simulacres  d'actions  de 
guerre.  Et  ce  n'est  rien  encore  que  tout  cela,  en  comparaison  d'autres 
jeux  qu'on  inventa,  à   l'imitation  des  Romains,  les    entrées  triom- 
phales des  consuls  et  illustres  capitaines  vainqueurs,  et  les  grands 
placards,  et  les  superbes  annonces  dont  chaque  chose  était  précédée. 
L'invention  de  tout  cela  appartint  à  un  chevalier  romain  appelé  Luis 
de  Léon,  personnage  distingué,  natif  de  Rome,  que  l'on  disait  des- 
cendre de  famille  patricienne. 

Toutes  ces  fêtes  étant  terminées,  le  Marquis  prit  ses  mesures 
pour  équiper  d'autres  bâtiments  avec  les  provisions  nécessaires, 
pour  aller  en  Castille  supplier  Sa  Majesté  de  vouloir  bien  lui  rem- 
bourser une  partie  de  ce  qu'il  avait  dépensé  dans  l'armement  des  na- 
vires par  lui  envoyés  à  la  découverte.  Il  avait  d'ailleurs  toujours  son 


792  CONQUÊTE 

procès  avec  Nufio  de  Guzman,  qui  se  trouvait  actuellement  prison- 
nier en  Espagne  par  ordre  de  l'Audience  royale.  Il  plaidait  aussi  à 
propos  du  mode  de  supputation  de  ses  vassaux.  Cortès  me  pria  d'aller 
avec  lui  en  Espagne,  dans  la  pensée  que  j'aurais  là-bas  des  chances 
de  réussir  dans  mes  demandes  de  villages  auprès  des  membres  du 
Conseil  royal  des  Indes,  beaucoup  mieux  que  par  l'Audience  royale 
de  Mexico.  Je  m'embarquai  donc  et  je  fus  en  Castille,  tandis  que  le 
Marquis  ne  partit  que  deux  mois  plus  tard,  par  la  raison,  disait-il, 
qu'il  n'avait  point  encore  réuni  tout  l'or  qu'il  voulait  emporter,  et 
aussi  parce  qu'il  était  malade  du  cou-de-pied  à  cause  d'une  blessure 
qu'il  y  avait  reçue.  Gela  se  passait  en  l'an  1540.  La  Sérénissime  Im- 
pératrice dona  Isabel,  de  glorieuse  mémoire,  était  morte  à  Tolède  le 
1er  mai  de  l'année  précédente.  Ses  restes  furent  ensevelis  dans  la 
ville  de  Grenade.  Sa  mort  avait  été  accompagnée  de  grands  et  una- 
nimes regrets.  La  plupart  des  conquistadores  portèrent  le  deuil. 
Quant  à  moi,  en  mes  qualités  de  regidor  de  la  ville  de  Guazacualco 
et  de  conquistador  des  plus  anciens,  je  me  mis  en  grand  deuil  et  je 
partis  ainsi  pour  la  Castille.  A  mon  arrivée  à  la  capitale,  je  me  vêtis 
plus  rigoureusement  encore,  ainsi  que  j'y  étais  obligé  par  la  mort  de 
la  Reine  notre  souveraine. 

En  ce  même  temps  arrivait  aussi  à  la  capitale  Hernando  Pizarro, 
qui  venait  du  Pérou,  également  habillé  en  grand  deuil,  avec  plus  de 
quarante  personnes  qui  l'accompagnaient.  Alors  encore  se  présentait 
à  Madrid,  où  la  cour  résidait,  Gortès  avec  toute  sa  maison  en  deuil 
rigoureux.  Lorsque  les  membres  du  Conseil  royal  des  Indes  apprirent 
que  Cortès  approchait  de  Madrid,  ils  envoyèrent  au-devant  de  lui 
pour  le  recevoir,  et  mirent  à  sa  disposition,  pour  y  loger,  le  palais 
du  commandeur  don  Juan  de  Castille.  Plus  tard,  dans  les  occasions 
où  Cortès  se  rendait  au  Conseil  royal  des  Indes,  un  auditeur  s'avan- 
çait jusqu'à  la  porte  de  la  salle  des  audiences  pour  le  recevoir  et  le 
conduire  avec  les  signes  du  respect  jusqu'à  l'estrade  où  le  président 
don  fray  Garcia  de  Loyosa,  cardinal  de  Siguenza,  qui  devint  arche- 
vêque de  Séville,  se  tenait  avec  les  auditeurs,  le  licencié  Gutierrez 
Yelasquez,  l'évêque  de  Lugo,  le  docteur  don  Juan  Bernai  Diaz  de 
Luco  et  le  docteur  Beltram.  On  plaçait  pour  Cortès  un  siège  à  côté 
de  ceux  qui  étaient  occupés  par  ces  personnages,  et  on  l'écoutait. 

Le  conquistador  ne  revint  jamais  plus  à  la  Nouvelle-Espagne, 
parce  que,  dès  ce  moment,  s'ouvrit  une  enquête  sur  son  compte,  et 
Sa  Majesté  ne  voulut  en  aucune  façon  lui  accorder  l'autorisation  d'y 
retourner,  quoiqu'il  eût  pour  intercéder  en  sa  faveur  l'amiral  de  Cas- 
tille, le  duc  de  Bejar  et  le  grand  commandeur  de  Léon.  La  senora 
dona  Maria  de  Mendoza  fut  elle-même  sa  protectrice  ;  mais  Sa  Ma- 
jesté ne  voulut  pas  céder;  au  contraire,  Elle  confirma  l'ordre  de  le 
retenir  jusqu'à  ce  qu'il  eût  purgé  son  enquête,  qui  du  reste  ne  finit 


DE  LA  NOUVELLE-ESPAGNE.  793 

jamais.  Les  membros  du  Conseil  royal  des  Indes  alléguaient  pour 
excuse  que  la  licence  de  retour  ne  pouvait  lui  être  donnée  tant  (pie 
Sa  Majesté  ne  serait  pas  revenue  de  Flandre,  où  elle  était  allée  à 
l'occasion  du  châtiment  de  Grand.  A  cette  même  époque,  Nufio  de 
Guzman  reçut  l'ordre  de  s'exiler  de  ses  terres  pour  ne  résider  qu'à 
la  capitale,  et  on  le  condamnait  en  même  temps  à  payer  un  certain 
nombre  de  piastres  d'or.  Malgré  cela,  on  ne  le  dépouilla  point  des 
Indiens  de  sa  commanderie  de  Xalizco.  Il  se  présenta,  du  reste,  lui 
et  ses  gens  en  deuil.  Et  comme  nous  nous  montrions  dans  la  capitale, 
le  Marquis  Gortès,  Pizarro,  Nuno  de  Guzman,  et  nous  qui  venions  de 
la  Nouvelle-Espagne  pour  affaires,  ainsi  que  ceux  qui  étaient  arrivés 
du  Pérou,  tout  le  monde  enfin  en  grand  deuil,  les  gens  qui  nous 
voyaient  ainsi  nous  firent  la  plaisanterie  de  nous  appeler  les  Indiens 
Péruliens  i  en  funèbres. 

Revenons  à  notre  récit  pour  dire  qu'en  ce  même  temps  on  empri- 
sonna Hernando  Pizarro  à  la  Mota  de  Médina.  Ce  fut  alors  aussi  que 
je  m'en  retournai  à  la  Nouvelle-Espagne.  J'y  appris  que  peu  de 
mois  auparavant  s'étaient  soulevés  les  habitants  de  Gochitlan  sur 
les  penoles  de  la  province  de  Xalizco,  et  que  le  Vice-Roi  don  An- 
tonio de  Mendoza  avait  envoyé,  pour  en  obtenir  la  pacification,  quel- 
ques capitaines  dont  faisait  partie  un  certain  Ghristoval  de  Onate. 
Les  Indiens  mutinés  donnaient  grandement  à  faire  aux  Espagnols  et 
aux  soldats  qui  avaient  été  envoyés  de  Mexico.  Il  en  résulta  qu'ils 
firent  demander  du  secours  à  don  Pedro  de  Alvarado,  qui  dans  ce 
moment  se  trouvait  retourné  à  ses  navires  construits  à  Guatemala 
pour  aller  en  Chine.  Il  vola  au  secours  des  Espagnols  qui  combat- 
taient sur  les  penoles,  amenant  avec  lui  un  grand  nombre  de  soldats. 
Il  mourut  peu  de  jours  après,  à  la  suite  d'une  chute  dans  laquelle 
un  cheval  lui  écrasa  le  corps,  comme  je  vais  le  dire  bientôt.  Je  lais- 
serai un  instant  ce  sujet  pour  rappeler  le  souvenir  de  deux  autres 
flottes  qui  sortirent  de  la  Nouvelle-Espagne,  l'une  organisée  par  le 
Vice-Roi  don  Antonio  de  Mendoza,  et  l'autre,  celle  dont  je  viens  de 
parler,  qui  fut  construite  par  Pedro  de  Alvarado. 

1.  Je  dis  Péruliens,  et  non  pas  Péruviens,  parce  que  le  texte  espagnol  écrit  Peru- 
lero  au  lieu  de  Peruano. 


794  CONQUÊTE 


CHAPITRE  GGI1 

Comme  quoi  le  Vice-Roi  don  Antonio  de  Mendoza  envoya  trois  navires  à  la  découverte 
par  la  mer  du  Sud,  et  à  la  recherche  de  Francisco  Vasquez  Coronado,  qui  était  à  la 
conquête  de  la  Cibola,  avec  des  provisions  et  un  secours  de  soldats. 

J'ai  déjà  dit  dans  le  précédent  chapitre  que  le  Vice-Roi  don  An- 
tonio de  Mendoza  et  l'Audience  royale  de  Mexico  avaient  envoyé  à  1a 
découverte  des  sept  villes  autrement  dites  «  de  la  Gibola  »  une  expé- 
dition commandée  par  le  capitaine  don  Francisco  Vasquez  Coronado, 
natif  de  Salamanque,  qui  s'était  marié  avec  une  senora  fille  du  tré- 
sorier Alonso  de  Estrada.  Outre  ses  nombreuses  vertus,  elle  était 
réputée  pour  sa  grande  beauté.  Francisco  Vasquez  était  resté  gouver- 
neur du  pays,  quoique  l'emploi  lui  en  eût  été  retiré.  Quand  il  partit 
pour  ce  long  voyage  de  terre  avec  un  grand  nombre  de  soldats  à 
cheval  et  des  gens  d'escopette  ou  d'arbalète,  il  avait  laissé  en  pas- 
sant pour  son  lieutenant  à  Xalizco  un  hidalgo  nommé  Orïate.  Il  pa- 
raît du  reste  qu'un  moine  franciscain,  fray  Marcos  de  Nica,  l'avait 
déjà  précédé  dans  le  pays  des  sept  villes  ou  l'accompagnait  dans  le 
voyage  pour  y  aller  avec  lui,  —  je  ne  connais  pas  bien  au  juste  cette 
particularité.  —  Quand  ils  y  arrivèrent  et  qu'ils  virent  les  campagnes 
couvertes  de  troupeaux  de  vaches  et  de  taureaux  énormes  de  notre 
race  de  CastiJle  ,  les  villages  et  les  habitants  nageant  dans  l'abon- 
dance, les  maisons  pourvues  d'escaliers  et  d'étages,  le  moine  crut 
qu'il  conviendrait  de  revenir  à  la  Nouvelle-Espagne,  ainsi  qu'il  le  fit 
du  reste,  pour  en  faire  le  rapport  au  Vice-Roi  don  Antonio  de  Men- 
doza, en  le  priant  d'envoyer  par  la  côte  du  sud  un  navire  avec  des 
ferrures,  des  canons,  delà  poudre,  des  arbalètes,  des  armes  de  toute 
espèce,  du  vin,  de  l'huile  et  du  biscuit,  attendu  que  le  pays  se  trou- 
vait former  la  côte  de  la  mer  du  Sud,  et  qu'avec  cet  arrivage  Fran- 
cisco Vasquez  et  ses  compagnons  recevraient  un  secours  efficace 
pour  rester  définitivement  dans  le  pays.  C'est  pour  cette  raison  que 
les  trois  navires  dont  je  parle  furent  envoyés  aux  ordres  du  capitaine 
général  Hernando  de  Alarcon,  qui  avait  été  maître  d'hôtel  du  Vice- 
Roi.  Un  autre  navire  était  commandé  par  l'hidalgo  Marcos  Ruiz  de 
Pvoxas,  natif  de  Madrid.  On  disait  que  le  troisième  bâtiment  était 
confié  à  un  nommé  Maldonado.  Je  n'étais  point  de  cette  expédition  et 
je  ne  la  connais  que  par  ouï-dire.  Les  pilotes  et  les  capitaines  reçu- 
rent leurs  instructions  relativement  à  la  conduite  qu'ils  devaient 
suivre. 


DE  LA  NOUVELLE-ESPAGNE.  795 


CHAPITRE  GCIII 

D'une  grande  (lotte  qui  fut  organisée  par  l'Adelantado  don  Pedro  de 
Alvarado  en  l'an  l.">37. 

Il  est  juste  qu'on  fasse  mémoire  d'une  excellente  flotte  que  l'Ade- 
lantado  don  Pedro  de  Alvarado  organisa,  en  1537,  dans  la  province 
de  Guatemala  dont  il  était  gouverneur,  sur  un  port  de  la  mer  du 
Sud  qu'on  appelle  Acaxatla.  Ce  fut  pour  accomplir  certaines  clauses 
d'une  convention  qu'il  fit  avec  Sa  Majesté  la  seconde  fois  qu'il  alla 
en  Gastille  lorsqu'il  en  revint  marié  avec  une  senora  du  nom  de  doiïa 
Beatrix  de  la  Gueva1.  Il  résultait  de  cet  accord  que  l'Adelantado  de- 
vait armer  à  ses  frais  certains  navires  et  les  fournir  de  pilotes,  mate- 
lots, soldats,  provisions  et  tout  le  nécessaire,  pour  les  envoyer  à  la 
découverte  vers  la  Chine,  les  Moluques  ou  n'importe  quelles  autres 
îles  des  Épices.  Sa  Majesté  s'engageait  à  lui  garantir  dans  ces  pays 
certains  avantages  et  des  rentes.  Gomme  je  ne  connais  point  les  dé- 
tails de  ce  qui  fut  convenu,  je  m'en  remets  aux  différents  articles  de 
la  convention  et  je  n'en  embarrasserai  pas  mon  récit,  mais  je  dois 
dire  que  l'Adelantado  fut  toujours  un  bon  serviteur  de  Sa  Majesté, 
ainsi  qu'il  apparut  dans  la  conquête  de  la  Nouvelle-Espagne  aussi 
bien  que  dans  son  expédition  au  Pérou.  Partout  il  engagea  valeureu- 
sement sa  personne,  avec  ses  quatre  frères  qui  servirent  également 
Sa  Majesté  autant  qu'il  leur  fut  possible.  Actuellement,  en  ce  qui 
regardait  son  entreprise  vers  le  couchant,  il  voulut  dépasser  dans 
ses  préparatifs  toutes  les  flottes  qui  avaient  été  formées  par  le  Mar- 
quis Del  Valle  et  dont  j'ai  fait  une  longue  mention  dans  les  chapitres 
qui  en  ont  parlé.  C'est  pour  cela  qu'il  lança  dans  la  mer  du  Sud 
treize  bâtiments  d'un  bon  tonnage ,  dont  une  galère  et  une  patache, 
tous  très-bien  approvisionnés  de  pain  ,  de  viande,  de  bonnes  pipes 
d'eau  et  de  toutes  espèces  de  vivres  que  l'on  pouvait  alors  se  pro- 
curer. On  y  mit  une  bonne  artillerie  et  on  les  confia  aux  soins  d'ex- 
cellents pilotes  et  d'autant  de  matelots  qu'il  était  nécessaire.  Il  im- 
porte de  remarquer  que  pour  la  construction  d'une  si  puissante 
flotte  on  était  fort  éloigné  du  port  de  Vcra  Gruz  qui  se  trouve  à  deux 
cents  lieues  de  distance  du  point  où  les  navires  furent  armés.   Or, 

1.  Il  importe  de  faire  observer  que  don  Pedro  de  Alvarado,  dans  deux  voyages  qu'il 
lit  en  Espagne,  se  maria  deux  fois  et  que  ses  deux  femmes  portent  le  même  nom  de 
famille.  La  première,  qui  se  nommait  doua  Francisca  de  la  Gueva,  mourut  en  arrivant 
à  Vera  Cruz  lors  du  premier  retour  d'Alvarado.  Celle  dont  il  est  question  maintenant, 
dona  Beatrix  de  la  Cueva,  est  celle-là  même  que  nous  verrons  bientôt  être  victime, 
à  Guatemala,  d'une  effroyable  catastrophe  se  liant  à  un  tremblement  de  terre . 


796  CONQUÊTE 

c'est  de  la  Vora  Gruz  qu'il  fallut  apporter  le  fer,  la  clouterie  et  les 
ancres,  les  barriques  et  tant  d'autres  choses  indispensables  à  cette 
organisation. 

Alvarado  dépensa,  en  cette  affaire,  plus  de  milliers  de  piastres  d'or 
qu'on  n'en  eût  dépensé  en  Castille  pour  construire  quatre-vingts  na- 
vires à  Séville.  Les  frais  furent  tels  enfin  qu'Alvarado  n'y  put  suffire 
ni  avec  les  richesses  qu'il  avait  apportées  du  Pérou1,  ni  avec  l'or 
qu'on  tirait  pour  lui  des  mines  de  Guatemala,  ni  avec  les  avances  que 
lui  offrirent  ses  parents  et  ses  amis,  augmentées  de  ce  que  des  négo- 
ciants lui  prêtèrent.  S'il  eût  voulu  rendre  plus  facile  le  transport  de  ses 
ancres,  de  ses  ferrures  et  de  bien  d'autres  objets,  en  ayant  recours  au 
port  de  Caballos,  il  eût  rencontré  l'inconvénient  qu'il  ne  venait  alors 
aucun  navire  ni  aucun  trafiquant  dans  ce  port  qui  n'était  point  déve- 
loppé comme  aujourd'hui.  Et  ce  ne  fut  rien  encore  que  la  dépense  faite 
pour  les  bâtiments,  en  comparaison  de  ce  qu'il  fut  obligé  de  donner 
à  des  capitaines,  à  l'alferez,  à  des  mestres  de  camp,  à  six  cent  cin- 
quante soldats,  pour  l'achat  d'un  grand  nombre  de  chevaux,  qui  va- 
laient alors  trois  cents  piastres  les  bons,  et  les  ordinaires  cent  cin- 
quante et  deux  cents  piastres  ;  et  les  arquebuses,  et  la  poudre,  et 
les  arbalètes,  et  toutes  sortes  d'armes  enfin...  tout  cela  fit  monter  la 
dépense  à  des  proportions  qu'on  imaginera  sans  peine.  Alvarado  eut 
réellement  le  plus  véhément  désir  de  rendre  un  grand  service  à  Sa 
Majesté  en  arrivant  par  le  couchant  à  la  Chine,  aux  Moluques  et  aux 
Épices,  et  en  y  conquérant  quelques  îles  nouvelles,  sans  omettre  de 
faire  que  le  trafic  s'en  établît  ensuite  par  l'intervention  de  son  gou- 
vernement personnel,  puisqu'il  aventurait  dans  l'entreprise  sa  fortune 
et  lui-même. 

Les  navires  étaient  définitivement  prêts  à  faire  voile,  chacun  avait 
son  étendard  royal,  ses  pilotes,  ses  capitaines,  ses  instructions  sur  ce 
qu'il  avait  à  faire  et  la  route  qu'il  devait  suivre,  ses  avis  pour  les  si- 
gnaux de  nuit  et  sa  part  de  tous  les  soldats,  qui  montaient  comme 
je  l'ai  dit  à  six  cent  cinquante  avec  plus  de  deux  cents  chevaux.  Après 
avoir  entendu  la  messe  du  Saint-Esprit,  l'Adelantado  prit  lui-même 
le  commandement  de  la  flotte  et  fit  voile,  je  ne  sais  quel  jour  de 
l'année  1538  2,  dans  la  direction  du  port  de  la  Purification  qui  se 
trouve  non  loin  de  Xalizco,  où  il  devait  faire  de  l'eau  et  prendre  d'au- 
tres soldats  et  plus  de  vivres.  Le  Vice-Roi  don  Antonio  de  Mendoza 
entendit  parler  de  cette  puissante  flotte  qui  pour  le  pays  était  bien 

1.  Pedro  de  Alvarado  avait  entrepris  et  exécuté  avant  cette  époque,  en  1534,  une 
expédition  restée  célèbre,  à  propos  de  laquelle  se  fit  la  fameuse  traversée  de  la  Cor- 
dillère, pour  aller  de  la  côte  à  Quito,  traversée  dans  laquelle  une  infinité  d'hommes 
périrent  de  froid  et  d'accidents  de  soroche.  Alvarado  arriva  à  Quito  et  en  sortit 
chargé  d'immenses  richesses. 

2.  Hcrrera  place  ce  départ  en  1541. 


DE  LA  NOUVELLE-ESPAGNE.  797 

considérable,  du  grand  nombre  de  soldats,  de  chevaux  et  de  la  forte 
artillerie  qu'elle  emportait.  Il  considéra  que  c'était  chose  admirable 
qu'Alvarado  eût  pu  réunir  et  armer  treize  navires  sur  la  côte  du  sud 
cl  s'adjoindre  tant  de  soldats  en  un  point  si  éloigné  du  port  de  Yera 
Cruz  et  de  Mexico.  C'est,  en  effet,  bien  extraordinaire  pour  toute 
personne  qui  connaît  le  pays  et  qui  n'ignore  pas  les  dépenses  que  ces 
choses  y  comportent.  Le  Vice-Roi  don  Antonio  de  Mendoza  ayant  donc 
su  que  ces  préparatifs  étaient  faits  pour  aller  jusqu'à  la  Chine,  que 
les  pilotes  et  les  cosmographes  lui  disaient  être  accessible  par  le  cou- 
chant, ainsi  que  cela  lui  fut  affirmé  du  reste  par  un  de  ses  parents 
appelé  Yillalobos  qui  était  versé  dans  l'art  de  la  navigation,  il  résolut 
d'écrire  de  Mexico  à  l'Adelantado  afin  de  lui  faire  des  offres  pour 
qu'il  consentît  à  s'associer  avec  lui,  en  lui  cédant  une  partie  de  la 
Hotte.  Dans  le  but  de  réaliser  ce  projet,  il  envoya  don  Luis  de  Cas- 
tilla  et  un  majordome  appelé  Agustin  Guerrero. 

L'Adelantado  ayant  pris  connaissance  des  instructions  dont  ils 
étaient  porteurs  pour  entrer  en  accord,  et  l'affaire  étant  bien  débattue, 
il  fut  convenu  qu'Alvarado  et  le  Vice-Roi  auraient  une  entrevue  dans 
un  village  appelé  Chiribitio,  dans  la  province  de  Mechoacan  et  dans  la 
commanderie  de  Juan  de  Alvarado,  parent  de  l'Adelantado  lui-même. 
Lorsque  le  Vice-Roi  sut  où  ils  devaient  se  rencontrer,  il  s'empressa 
de  partir  en  poste  de  Mexico,  pour  se  rendre  au  village  en  question, 
où  l'Adelantado  l'attendait  déjà  pour  causer  de  l'affaire.  L'entrevue 
eut  lieu  et  il  fut  convenu  qu'ils  iraient  ensemble  visiter  la  flotte.  Ils 
y  furent,  en  effet,  et,  la  visite  étant  faite,  ils  revinrent  tous  deux  à 
Mexico  afin  d'y  choisir  un  capitaine  général  qui  serait  définitivement 
le  commandant  de  l'expédition.  L'Adelantado  voulait  que  le  choix 
tombât  sur  Juan  de  Alvarado  son  parent,  — je  ne  veux  pas  dire  celui 
de  Chiribitio,  mais  bien  un  neveu  qui  possédait  des  Indiens  à  Gua- 
temala. —  Mais  le  Vice-Roi  prétendait  que  Villalobos  partageât  avec 
lui  le  commandement.  Sur  ces  entrefaites,  l'Adelantado  se  vit  dans  la 
nécessité  de  revenir  à  son  gouvernement  de  Guatemala  pour  des 
affaires  de  haute  importance;  il  mit  cependant  tout  de  côté,  pour  pou- 
voir rejoindre  sa  flotte.  Il  s'en  fut  par  terre  au  port  de  la  Natividad 
où  se  trouvaient  ses  navires  et  ses  soldats,  afin  de  présider  lui-même 
à  leur  départ.  On  était  sur  le  point  de  faire  voile  quand  il  reçut  une 
lettre  de  Onate,  qui  remplissait  les  fonctions  de  lieutenant-gouverneur 
de  la  province  de  Xalizco,  en  l'absence  de  Francisco  Vazqucz  Goro- 
nado,  lequel  était  allé  aux  sept  villes  de  la  Cibola  en  qualité  de  capi- 
taine, ainsi  que  je  l'ai  dit  au  chapitre  qui  en  parle.  La  lettre  disait  à 
Alvarado  que,  puisqu'il  était  un  si  grand  serviteur  de  Sa  Majesté,  une 
occasion  se  présentait  de  faire  prévaloir  ses  services.  Il  le  priait  en 
grâce  de  vouloir  bien  aller  lui  porter  secours  en  personne  avec  des 
soldats,  des  chevaux  et  des  arquebusiers,  attendu  qu'il  était  entouré 


798  CONQUETE 

de  telle  sorte  que,  si  l'on  n'accourait  à  son  aide,  il  lui  serait  impos- 
sible de  se  défendre  contre  un  nombre  considérable  de  bataillons 
d'Indiens  guerriers  qui  se  trouvaient  aux  penoles  de  Cochitlan,  où  ils 
avaient  tué  déjà  un  grand  nombre  d'Espagnols,  ce  qui  lui  inspirait  la 
crainte  d'une  déroute  complète.  La  lettre  faisait  la  peinture  de  beau- 
coup d'autres  dommages  et  finissait  en  disant  que  si  les  Indiens  sor- 
taient victorieux  de  ces  affaires  des  penoleé,  il  en  pourrait  résulter  un 
grand  danger  pour  la  Nouvelle-Espagne. 

Lorsque  l'Adelantado  eut  lu  la  lettre  et  bien  pesé  son  contenu,  et 
que  d'ailleurs  d'autres  Espagnols  lui  eurent  fait  comprendre  le  péril 
dans  lequel  ils  se  trouvaient,  il  s'empressa  de  réunir  ses  soldats,  ca- 
valiers, arquebusiers,  arbalétriers,  et  il  partit  à  marches  forcées  pour 
rendre  le  service  demandé.  Lorsqu'il  arriva  au  campement,  les  assié- 
gés étaient  tout  à  fait  consternés,  et  l'on  peut  croire  que  sans  l'aide 
d'Alvarado  les  Indiens  les  eussent  tous  massacrés.  Mais  son  arrivée 
diminua  quelque  peu  leur  ardeur,  sans  faire  cesser  néanmoins  leurs 
valeureuses  attaques.  Au  plus  fort  d'un  combat  à  travers  des  rochers 
escarpés,  le  cheval  d'un  des  cavaliers  perdit  pied  et  roula  jusqu'en 
bas,  en  faisant  des  sauts  furieux,  sur  le  point  même  où  se  trouvait 
Alvarado,  qui  n'eut  pas  le  temps  de  se  garer.  L'animal  le  prit  au 
passage,  l'entraîna  violemment  et,  tombant  sur  lui  de  tout  son  poids, 
le  mit  en  piteux  état.  Il  se  sentait  très-malade,  mais  comme  on  ne 
croyait  pas  que  le  mal  fut  si  grand  et  qu'on  désirait  lui  assurer  de 
meilleurs  soins,  on  l'emporta  sur  une  litière  jusqu'au  bourg  le  plus 
rapproché,  qu'on  appelait  la  Purification.  Il  commença  à  être  pris  de 
spasme  avant  de  terminer  le  voyage,  de  sorte  que,  peu  de  jours  après 
son  arrivée  au  bourg,  s'étant  confessé  et  ayant  reçu  la  communion,  il 
rendit  son  âme  à  Dieu  Notre  Seigneur  qui  l'avait  créée.  Quelques 
personnes  prétendirent  qu'il  avait  fait  son  testament,  mais  il  n'a  ja- 
mais paru.  Le  malheureux  périt  pour  avoir  été  emporté  du  camp;  si 
on  l'y  eût  laissé  en  lui  donnant  des  soins  raisonnables,  il  n'eût  point 
été  pris  du  spasme1.  Nous  devons  des  actions  de  grâces  à  Notre  Sei- 
gneur pour  tout  ce  qu'il  daigne  faire  et  ordonner  :  Alvarado  est  mort; 
que  Dieu  lui  pardonne  !  On  l'inhuma  dans  ce  bourg  avec  toute  la 
pompe  possible.  J'ai  ouï  dire  que  Juan  de  Alvarado,  de  la  comman- 
derie  de  Ghiribitio,  transporta  ses  restes  au  chef-lieu  de  ses  posses- 
sions, en  prenant  soin  de  faire  célébrer  des  messes,  de  grandes  cé- 
rémonies funèbres  et  de  distribuer  des  aumônes  pour  le  repos  de 
son  âme. 

Lorsqu'on  apprit  sa  mort   au  campement  de  Gochitlan  et  dans  la 

1.  Il  est  probable  qu'il  est  ici  question  de  tétanos;  car,  encore   aujourd'hui,  dans 
les  points  de  l'Amérique  où  j'ai  résidé  et  observe  des  cas  fréquents  de  cette  maladie 
la  plupart  des  habitants,  je  pourrais  dire  tout  le  monde,  appelle  le  tétanos  pasmo  et 
dit  d'un  malade  :  ne  jjaamô,  pour  signifier  qu'il  a  élé  atteint  du  tétanos 


DE  LA   NOUVELLE-ESPAGNE.  799 

flotte,  comme  il  n'y  avait  plus  ni  capitaine  général  ni  chef  à  qui  l'on 
dût  obéissance,  nombre  de  soldats  s'en  furent  chacun  de  son  côté 
après  avoir  reçu  la  paye  qu'on  leur  donna.  Lorsque  la  nouvelle  fut 
connue  à  Mexico,  le  Vice-Roi  et  la  plupart  des  caballcros  de  la  ville 
en  éprouvèrent  un  vif  regret.  La  troupe  en  détresse,  voyant  que  l'Ade- 
lantado n'était  plus,  envoya  par  courriers  rapides  prier  le  Vice-Roi 
de  voler  à  son  secours.  Celui-ci  étant  empêche  mit  à  sa  place  le 
licencié  Maldonado  et  fit  tout  son  possible.  Bientôt  il  partit  lui-même, 
emmenant  autant  de  soldats  qu'il  en  put  réunir,  et  Dieu  permit  que 
les  Indiens  des  pénales  fussent  vaincus.  Le  Vice-Roi  s'en  revint  à 
Mexico  après  cette  victoire,  ayant  eu  à  supporter  pendant  plusieurs 
jours  les  plus  extrêmes  fatigues. 

En  cessant  de  parler  du  grand  service  que  l'Adelantado  rendit  et  de 
la  mort  qu'il  trouva  en  secourant  les  assiégés,  je  dois  dire  que, 
lorsque  sa  déplorable  fin  fut  connue  à  Guatemala,  la  tristesse  fut 
profonde  et  les  pleurs  intarissables  dans  sa  famille.  Sa  chère  femme 
dona  Beatrix  de  la  Gueva  se  meurtrissait  le  visage,  s'arrachait  les 
cheveux,  et  les  dames  et  les  demoiselles  à  marier  qui  lui  formaient 
compagnie  l'imitaient  dans  les  démonstrations  de  sa  douleur  ;  sa  tendre 
et  aimée  fille  et  ses  fils,  don  Francisco  de  la  Gueva,  son  gendre, 
second  cousin  du  duc  d'Albuquerque,  qui  lui  succédait  dans  le  gouver- 
nement de  la  province,  tous  furent  plongés  dans  une  douleur  extrême 
Les  conquistadores  habitants  du  pays  éprouvèrent  les  regrets  les  plus 
vifs,  et  l'on  célébra  des  cérémonies  funèbres  très-solennelles.  L'évêque 
don  Francisco  Marroquin,  de  bonne  mémoire,  s'associait  à  toutes  ces 
douleurs  et,  s'entourant  de  tout  son  clergé,  il  priait  Dieu  chaque  jour 
pour  l'âme  du  défunt  en  brûlant  des  cierges  et  en  accompagnant  les 
prières  de  tout  l'apparat  possible;  car  le  digne  évêque  mit  le  plus 
grand  zèle  à  l'accomplissement  de  ces  devoirs  funèbres.  Je  dois  men- 
tionner un  majordome  de  l'Adelantado  qui,  pour  témoigner  davantage 
de  la  douleur  que  lui  causait  la  mort  de  son  maître,  ordonna  que 
tous  les  murs  des  maisons  fussent  peints  en  noir  au  moyen  d'une 
substance  ineffaçable. 

J'ai  entendu  dire  qu'un  grand  nombre  de  caballeros  portaient  leurs 
consolations  à  la  senora  Beatrix  de  la  Gueva,  veuve  de  l'Adelantado, 
la  priant  de  ne  point  se  faire  tant  de  peine  pour  la  mort  de  son  mari 
et  l'engageant  à  rendre  grâces  à  Dieu  qui  en  avait  ainsi  disposé.  Elle 
répondait,  en  bonne  chrétienne,  qu'elle  le  faisait  réellement  ainsi; 
mais  comme  les  femmes  sont  pleines  de  pitié  pour  ce  qu'elles  aiment 
réellement,  elle  ajoutait  qu'elle  désirait  mourir  plutôt  que  d'avoir  à 
supporter  tant  de  peines  dans  ce  triste  monde*  Je  rappelle  ici  ce  sou- 
venir parce  que  le  chroniqueur  Francisco  Lopcz  de  Gomara  a  fait  dire 
à  cette  dame  que  Notre  Seigneur  Jésus-Christ  ne  pouvait  lui  réserver 
un  plus  grand  malheur  que  celui-là,  et  il  prétend  qu'à  cause  de  ce 


800  CONQUÊTE 

blasphème  Dieu  permit  que  cette  ville  fût  assaillie  par  une  tempête 
d'eau,  de  cendres,  de  pierres  et  de  gros  troncs  d'arbres  qui  s'échap- 
pèrent d'un  volcan  situé  à  une  demi-lieue  de  Guatemala,  détruisant  la 
plus  grande  partie  des  édifices  occupés  par  la  senora  veuve  de  l'Ade- 
lantado,  tandis  qu'elle  se  trouvait  en  prière  dans  l'une  d'elles  avec  ses 
dames  et  demoiselles.  Toutes  furent  ensevelies  sous  les  débris  et  la 
plupart  y  périrent  étouffées.  Or,  les  paroles  que  Gomara  prête  à  cette 
dame  ne  furent  pas  celles  qu'il  dit,  mais  telles  que  je  les  ai  moi-même 
rapportées,  et  si  Notre  Seigneur  Jésus-Christ  eut  une  raison  pour 
l'enlever  de  ce  monde,  c'est  encore  le  secret  du  bon  Dieu.  J'aurai  à 
parler  plus  tard,  quand  il  en  sera  temps,  de  cette  inondation  et  de  ce 
tremblement  de  terre;  pour  le  moment  je  veux  m'occuper  de  plusieurs 
autres  choses  dignes  de  remarque. 

Après  que  l'Adelantado  eut  si  bien  servi  Sa  Majesté  avec  ses  quatre 
frères  Jorge,  Gonzalo,  Gomez  et  Juan,  il  mourut  sans  laisser  à  ses 
enfants  aucun  des  villages  qui  formaient  sa  commanderie,  quoiqu'il 
les  eût  gagnés  et  conquis  en  venant  découvrir  cette  Nouvelle-Espagne, 
avec  Grrijalva  d'abord,  et  ensuite  avec  Gortès.  Et  voyez  comme  tous 
moururent,  lui,  ses  fils,  sa  femme,  ses  frères  ;  et  voyez  combien  ces 
malheurs  méritent  attention  !  J'ai  dit  comment  l'Adelantado  finit  ses 
jours  dans  l'affaire  de  Gochitlan;  son  frère  Jorge  mourut  dans  la  ville 
de  Madrid  où  il  allait  demander  à  Sa  Majesté  la  récompense  de  ses 
services;  ce  fut  en  l'an  1540.  Gomez  de  Alvarado  termina  ses  jours  au 
Pérou.  Je  ne  me  rappelle  passiGonzalo  mourut  àGuaxacaou  à  Mexico. 
Juan  de  Alvarado,  lui,  succomba  tandis  qu'il  était  en  route  pour  l'île 
de  Cuba,  afin  de  veiller  à  mettre  en  sûreté  les  biens  qu'il  avait  laissés 
dans  ce  pays.  Quant  aux  fils  de  l'Adelantado,  l'ainé,  appelé  don  Pedro, 
partit  pour  la  Castille  en  compagnie  d'un  de  ses  oncles  qui  portait 
aussi  le  nom  de  Juan  et  fut  habitant  de  Guatemala.  Le  jeune  homme 
allait  baiser  les  pieds  de  l'Empereur  notre  seigneur,  pour  Lui  rap- 
peler les  services  de  son  père.  On  n'eut  jamais  aucune  nouvelle  d'eux, 
ce  qui  fit  croire  ou  qu'ils  s'étaient  perdus  en  mer,  ou  qu'ils  avaient  été 
emmenés   en  captivité  par  les  Maures.  Don  Diego,  le  fils  cadet,  se 
voyant  sans  ressource,  s'en  fut  au  Pérou  et  mourut  dans  une  bataille. 
Pour  ce  qui  est  de  dona  Beatrix,    sa  veuve,  j'ai  déjà  dit  comment  la 
tempête  l'enleva   de  ce  monde  avec    d'autres  dames  qui  étaient   en 
sa  compagnie.  Que  les   curieux  lecteurs  veuillent  bien   maintenant 
porter  leur  attention  sur  ce  que  je  viens  de  raconter;  ils  y  verront 
l'Adelantado   mourir  seul,  loin  de  sa  tendre  épouse,  séparé  de  ses 
filles  chéries,  tandis  que  sa  femme  périt  éloignée  de  son  époux  adoré; 
ils  verront  encore  ses  fils  succomber  l'un  en  allant  en  Castille,  le  se- 
cond au  Pérou  dans  une  bataille,  et  d'autre  part  ses  frères  mourir 
comme  je  l'ai  dit.  Que  Notre  Seigneur  Jésus-Christ  les  emmène  dans 
sa  sainte  gloire!  Antenl 


DE  LA   NOUVELLE-ESPAGNE.  801 

On  a  fait  dernièrement  dans  cette  ville  de  Guatemala  deux  sépulcres 
près  de  l'autel  de  la  sainte  église  principale,  pour  inhumer  dans 
l'un  d'eux  les  restes  de  l'Adelantado  don  Pedro  de  Alvarado,  qui  sont 
enterrés  provisoirement  dans  le  village  de  Ghiribitio.  L'autre  tombeau 
est  destiné  à  don  Francisco  de  la  Gueva  et  à  dona  Leonor  de  Alvarado 
sa  femme,  et  fille  de  l'Adelantado,  lorsqu'il  plaira  à  Dieu  de  les  en- 
lever de  cette  vie;  car  c'est  à  leurs  frais  que  doivent  être  rapportés 
les  restes  de  leur  père,  et  ce  sont  eux  qui  ont  fait  préparer  les  sé- 
pulcres dans  la  sainte  église. 

Nous  abandonnerons  ce  triste  sujet  pour  en  revenir  à  la  flotte.  Une 
année  environ  après  qu'Alvarado  fut  mort,  le  Vice-Roi  don  Antonio 
de  Mendoza  donna  l'ordre  qu'on  prît  quelques-uns  des  meilleurs  na- 
vires parmi  les  treize  que  l'Adelantado  destinait  à  naviguer  vers  l'occi- 
dent jusqu'en  Chine.  Il  choisit  pour  les  commander  son  parent,  le 
capitaine  Villalobos,  et  il  lui  prescrivit  de  suivre  la  direction  qu'Alva- 
rado s'était  proposée.  Je  ne  connais  pas  bien  le  résultat  de  ce  voyage, 
et  c'est  pour  cette  raison  que  je  n'en  allongerai  pas  mon  récit.  Mais 
j'ai  ouï  dire  que  les  héritiers  de  l'Adelantado  ne  reçurent  jamais  rien, 
ni  du  produit  des  navires,  ni  de  la  valeur  de  leur  armement;  ils  per- 
dirent tout.  Nous  n'en  parlerons  plus,  et  je  dirai  ce  que  fit  Gortès. 


CHAPITRE  GGIV 

De  ce  que  lit  le  Marquis  Del  Valle,  tandis  qu'il  était  en  Castille. 

Sa  Majesté  revint  en  Castille  après  avoir  châtié  la  ville  de  Gand. 
Elle  s'occupa  immédiatement  d'organiser  la  flotte  qui  devait  aller 
attaquer  Alger.  Le  Marquis  Del  Valle  lui  fit  accepter  ses  services  et 
emmena  en  sa  compagnie  son  fils  aîné,  ainsi  qu'un  autre  fils  qu'il 
avait  eu  de  dona  Marina,  plusieurs  écuyers  et  hommes  de  service, 
des  chevaux  et  un  grand  équipage.  Il  s'embarqua  dans  une  bonne 
galère,  en  compagnie  de  donEnrique  Henriquez.  Gomme  Dieu  permit 
qu'une  grosse  tempête  se  déchaînât  sur  la  flotte  royale,  elle  se  perdit 
presque  en  entier.  La  galère  que  montait  Gortès  échoua  également. 
Lui,  ses  fils  et  tous  les  caballeros  qui  l'accompagnaient  eurent  la 
chance  d'échapper  après  avoir  couru  les  plus  grands  dangers  pour 
leur  vie.  En  de  pareils  moments,  quand  on  a  la  mort  sous  les  yeux, 
on  n'a  pas  toujours  toute  la  présence  d'esprit  qui  serait  nécessaire; 
aussi  plusieurs  des  serviteurs  de  Cortès  dirent-ils  qu'on  l'avait  vu 
attacher  à  son  bras  des  linges  contenant  des  bijoux  et  des  pierreries 
d'un  haut  prix  que  comme  un  grand  seigneur  il  avait  emportés  sans 
besoin.  Dans  le  désordre  et  l'empressement  de  sortir  sain  et  sauf  tic 


802  CONQUÊTE 

la  galère,  au  milieu  de  la  multitude  de  gens  qui  l'entouraient,  les 
bijoux  et  les  pierreries  qu'il  emportait  se  perdirent.  Leur  valeur, 
disait-on,  était  considérable  et  montait  à  un  chiffre  élevé  de  piastres 
d'or. 

Revenons-en  à  la  grande  tempête  et  à  la  perte  des  caballeros  et 
soldats  qui  périrent.  Les  capitaines  et  les  mestres  de  camp  qui  for- 
maient le  conseil  royal   de  guerre  poussèrent  Sa  Majesté  à  lever  le 
blocus  d'Alger  et  à  faire  voile  vers  Bougie,  attendu  qu'avec  cette  tem- 
pête   qu'il   plaisait  à  Notre  Seigneur  Dieu   de  leur  envoyer,  on    ne 
pouvait   rien   de   plus  que  ce  qui  avait  été  fait.  Gortès  ne  fut  point 
appelé  à  figurer  dans  la  réunion  et  à  donner  son  avis.  Quand  il  en  fut 
instruit,  il  dit  que,  sauf  le  bon  plaisir  de  Sa  Majesté,  avec  l'aide  de 
Dieu  et  la  bonne  fortune  de  notre  Empereur,  on  devrait  essayer  de 
prendre  Alger  par  la  seule  force  des  soldats  qui  formaient  le  campe- 
ment. Après  quoi,  il  saisit  l'occasion  de  faire  l'éloge  de  ses  capitaines 
et  de  ses  compagnons  d'armes  de  la  conquête  de  Mexico,  en  disant 
que  nous  avions  su  souffrir  la  faim,  les  fatigues,  et  qu'en  n'importe 
quelle  circonstance    où    il   avait  recours   à  nous,  nous  faisions  des 
actions  héroïques;   car,   ajoutait-il,   blessés,   couverts  de  bandages, 
nous  ne  refusions  jamais  de  combattre,  de  prendre  des  villes  et  des 
forteresses,  dussions-nous  mille  fois  aventurer  nos  existences.  Plu- 
sieurs caballeros  qui  l'avaient  entendu  dirent  à  Sa  Majesté  qu'il  eût 
été  bon  de  l'appeler  au  conseil  de  guerre,  et  que  ne  pas  le  faire  avait 
été  une  faute.  Quelques  autres  personnes  prétendirent  que,  si  l'on  ne 
l'y  fit  pas  figurer,  ce  fut  parce  qu'on  s'attendait  à  l'entendre  émettre 
un  avis  contraire,  tandis  qu'au  milieu  de  la  tourmente  il  n'y  avait  pas 
lieu  de  penser  à  autre  chose  qu'à  mettre  en  sûreté  Sa  Majesté  et  la 
plus  grande  partie  des  caballeros  de  la  flotte  royale,  parce  que  le 
péril  était  imminent.  On  ajoutait  qu'avec  l'aide  de  Dieu  l'occasion 
ne    manquerait    pas ,   plus   tard ,    de   venir    recommencer    le    siège 
d'Alger.  Il  en  résulta  qu'on  s'en  fut  à  Bougie,  et  de  là  on  revint  en 
Gastille. 

Gomme  le  Marquis  était  très-fatigué  et  de  son  voyage  par  Bougie 
et  de  son  séjour  à  la  cour;  comme  au  surplus  il  était  déjà  vieux  et 
brisé  par  ses  peines,  il  désirait  vivement  aller  se  reposer  dans  la 
Nouvelle-Espagne  s'il  en  obtenait  la  licence.  Il  avait  envoyé  chercher 
à  Mexico  sa  fille  aînée,  dona  Maria  Gortès,  qu'il  devait  marier  avec 
don  Alvaro  Pcrcz  Osorio,  fils  du  marquis  d'Astorga  et  futur  héritier 
du  marquisat,  auquel  il  avait  promis  cent  mille  ducats  d'or  en 
mariage  avec  un  grand  trousseau  de  linge  et  de  bijoux.  Il  fut  à 
Sévillc  pour  recevoir  sa  fille.  Malheureusement,  le  mariage  fut  rompu, 
par  la  faute,  disait-on,  de  don  Alvaro  Perez  Osorio.  Le  Marquis  en 
conçut  un  tel  dépit  que  la  fièvre  et  la  dysenterie  qui  en  furent  la  con- 
séquence le  mirent  bien  vite  à  toute  extrémité.  Le  mal  empirant  sans 


DE   LA  NOUVELLE-ESPAGNE.  803 

cesse,  il  résolut  de  sortir  de  Séville,  afin  de  s'isoler  d'un  grand 
nombre  de  gens  qui  l'importunaient  de  leurs  affaires,  et  il  se  rendit  à 
Caslilleja  de  la  Cuesta,  pour  s'y  occuper  de  son  âme  et  régler  son  tes- 
tament. Après  qu'il  eut  mis  bon  ordre  à  ses  affaires,  ainsi  qu'il  con- 
venait, et  reçu  les  saints  sacrements,  il  plut  à  Notre  Seigneur  Jésus- 
Christ  de  l'enlever  de  ce  pénible  monde;  il  mourut  le  2  du  mois  de 
décembre  1547.  Ses  restes  furent  inhumés  dans  la  chapelle  du  duc  de 
Medina-Sidonia,  en  deuil  sévère,  avec  un  nombreux  clergé  accompagné 
d'une  foule  considérable  de  caballeros.  Ses  ossements  furent  trans- 
portés ensuite  à  la  Nouvelle-Espagne  et  déposés  dans  un  sépulcre  à 
Cuyoacan  ou  àTezcuco,  —  je  ne  sais  pas  bien, — parce  qu'il  en  avait 
disposé  ainsi  dans  son  testament.  Je  dirai,  d'après  mes  souvenirs, 
l'âge  qu'il  avait  à  sa  mort.  Nous  partîmes  de  Cuba  pour  la  Nouvelle- 
Espagne  avec  Cortès  l'an  1519;  il  disait  alors  dans  ses  conversations 
avec  nous  qu'il  avait  trente-quatre  ans  ;  avec  les  vingt-huit  qui  se 
passèrent  ensuite  jusqu'à  son  dernier  moment,  cela  fait  soixante-deux. 
Ses  fils  et  filles  légitimes  furent  :  don  Martin  Cortès,  qui  est  actuelle- 
ment marquis  ;  dona  Maria  Cortès,  qui  fut  fiancée  à  don  Alvaro  Perez 
Osorio,  héritier  du  marquisat  d'Astorga,  et  qui  se  maria,  depuis,  avec 
le  comte  de  Luna  de  Léon;  dona  Juana,  qui  se  maria  avec  don  Her- 
nando  Enriquez,  futur  héritier  du  marquisat  de  Tarifa,  et  dona  Cata- 
lina  de  Arellano,  décédée  à  Séville.  La  senora  dona  Juana  de  Zufiiga, 
leur  mère,  ramena  ces  dernières  en  Castille,  lorsqu'un  moine  de 
Saint-Dominique,  du  nom  d'Antonio  de  Zufiiga,  frère  de  la  Marquise, 
fut  les  chercher  à  la  Nouvelle-Espagne.  Une  autre  fille  du  Marquis, 
nommée  dona  Leonor  Cortès,  se  maria  à  Mexico  avec  un  certain 
Juanes,  de  Tolosa,  en  Biscaye,  homme  riche  d'environ  cent  mille 
piastres  et  propriétaire  d'excellentes  mines  d'argent.  Le  jeune  mar- 
quis, qui  vint  à  la  Nouvelle-Espagne,  se  montra  très-irrité  de  cette 
union. 

Cortès  eut  encore  deux  fils  illégitimes.  L'un  d'eux,  don  Mari  in 
Cortès,  qui  devint  commandeur  de  Santiago,  était  fils  de  l'interprète 
dona  Marina;  l'autre,  don  Luis  Cortès,  qui  devint  aussi  commandeur 
de  Santiago,  était  issu  d'une  dame  Hermosilla.  Il  eut  aussi  trois  filles 
hors  mariage  :  l'une  d'elles  d'une  Indienne  de  Cuba,  du  nom  dePizarro; 
une  autre,  d'une  Indienne  mexicaine.  Les  deux  furent  richement 
dotées,  parce  que,  dès  leur  enfance,  il  leur  avait  assigné  de  bons 
Indiens  dans  des  villages  du  district  de  Chinanta.  D'ailleurs,  dans  son 
testament,  les  legs  furent  nombreux.  Je  ne  le  sais  pas  exactement, 
mais  j'ai  la  confiance  qu'en  homme  sage  il  en  ordonna  justement.  Il 
avait  eu  le  temps  d'y  penser  et  son  âge  d'ailleurs  lui  permettait  d'agir 
avec  maturité.  Il  en  aura  profité  pour  décharger  sa  conscience.  Je 
sais  qu'il  fit  bâtir  un  hôpital  à  Mexico;  il  ordonna  qu'en  sa  ville  de 
Cuyoacan,  à  deux  lieues  de  la  capitale,   il  fût  fondé  un  monastère  de 


804  CONQUÊTE 

religieuses  et  qu'on  transportât  ses  restes  à  la  Nouvelle-Espagne.  Il 
laissa  de  bonnes  rentes  pour  que  ses  volontés  testamentaires  pussent 
s'accomplir.  Ses  legs  furent  louables,  nombreux  et  dignes  d'un  bon 
chrétien.  Je  ne  les  énumère  point  ici,  pour  éviter  des  longueurs  et 
parce  que  je  ne  me  les  rappelle  pas  tous  exactement. 

Les  devises  que  Gortès  inscrivit  dans  l'écusson  qui  figurait  sur  ses 
armes  et  sur  son  service  étaient  celles  d'un  soldat  valeureux  rappelant 
ses  faits  héroïques;  elles  étaient  en  latin,  et,  comme  je  ne  connais 
point  cette  langue,  je  ne  saurais  les  inscrire  ici1.  Dans  son  blason 
figuraient  sept  têtes  de  rois  rattachées  entre  elles  par  une  chaîne.  Selon 
ce  que  je  crois,  ce  furent  les  rois  que  je  vais  dire  :  Montezuma,  grand 
seigneur  de  Mexico;  Gacamatzin,  son  neveu,  qui  fut  aussi  grand  sei- 
gneur de  Tezcuco  ;  Goadlavaca,  seigneur  d'Iztapalapa  et  d'autres  lieux  ; 
le  seigneur  de  Tacuba;  le  seigneur  de  Guyoacan;  un  autre  grand  ca- 
cique des  provinces  de  Tulapa,  près  de  Matalcingo,  qu'on  disait  être 
le  fils  d'une  sœur  de  Montezuma  et  très-proche  héritier  de  la  couronne 
de  Mexico;  le  dernier  roi  enfin  fut  Gruatemuz,  celui-là  même  qui  nous 
fit  la  guerre  et  qui  défendait  la  capitale  quand  nous  nous  emparâmes 
et  d'elle  et  de  ses  provinces.  Voilà  les  sept  grands  caciques  qui  figu- 
raient dans  les  blasons  et  armoiries  du  Marquis.  Je  ne  me  rappelle 
pas  qu'il  y  eût  d'autres  grands  personnages  qui  portassent  le  titre  de 
roi,  parmi  les  prisonniers  que  nous  fîmes,  ainsi  que  je  l'ai  dit  dans 
les  chapitres  qui  en  ont  parlé. 

Je  poursuivrai  ma  tâche  en  peignant  de  Gortès  le  physique  et  le 
caractère.  Il  avait  belle  taille  avec  un  corps  membru  harmonieuse- 
ment développé.  Son  visage,  d'un  aspect  peu  réjoui  et  d'une  couleur 
presque  cendrée,  aurait  eu  plus  d'élégance  s'il  eût  été  plus  allongé. 
Son  regard  était  à  la  fois  doux  et  grave;  sa  barbe  foncée  et  rare  cou- 
vrait peu  sa  figure;  ses  cheveux,  de  la  même  teinte,  avaient  la  coupe 
de  l'époque.  Il  avait  la  poitrine  large  et  les  épaules  bien  taillées.  Son 
corps  était  mince,  son  ventre  effacé  ;  la  jambe  et  la  cuisse  bien  faites, 
quoique  les  genoux  fussent  un  peu  tournés  en  dedans.  Il  était  bon 
cavalier  et  très-adroit  à  toutes  sortes  d'armes  à  pied  comme  à  cheval; 
il  savait  d'ailleurs  très-bien  s'en  servir  et  il  était  surtout  homme  de 
cœur  et  de  résolution,  ainsi  qu'il  convient  à  un  bon  soldat. 

J'entendis  dire  que  dans  l'île  Espanola,  lorsqu'il  était  jeune,  il  com- 
mit quelques  espiègleries  avec  les  femmes;  il  ferraillait  même  quel- 
quefois à  leur  propos  avec  des  gens  de  courage  et  d'adresse,  et  la 
victoire  était  toujours  de  son  côté.  Aussi  avait-il  près  de  la  lèvre  infé- 
rieure les  traces  d'une  blessure,  reçue  dans  ces  combats,  que  l'on 
pouvait  distinguer  en  y  portant  l'attention,  quoique  la  barbe  la  dis- 
simulât. 

1.  Voici  quelle  était  sa  devise  favorite,  d'après  Goinara  :  Judicium  Domini  appfd' 
hendUeus}  et  fvrlitudo  Ejus  corrobui'avil  bracliiuin  meurn. 


DE  LA  NOUVELLE-ESPAGNE.  805 

Dans  ses  mouvements,  dans  ses  façons  de  parler,  à  table,  dans  sa 
toilette,  en  tout  enfin,  il  avait  l'aspect  et  les  manières  d'un  grand 
seigneur.  Il  s'habillait  à  la  mode  du  temps,  mais  il  faisait  peu  de  cas 
des  soieries  damassées  ou  satinées,  préférant  à  tout  une  élégante 
simplicité.  Il  ne  portait  pas  non  plus  de  grandes  chaînes  d'or,  mais 
une  chaînette  de  ce  métal  d'un  travail  délicat  d'où  pendait  un  mé- 
daillon figurant  l'image  de  Notre  Dame  la  Vierge  Marie  tenant  son 
précieux  Fils  dans  les  bras,  avec  une  inscription  latine;  tandis  que 
l'effigie  de  saint  Jean-Baptiste  se  voyait  sur  la  face  opposée  avec  une 
autre  devise. 

Il  avait  au  doigt  une  bague  surmontée  d'un  diamant  de  grande  va- 
leur. On  voyait  sur  sa  toque,  en  velours  selon  l'usage  de  l'épcque, 
une  médaille  dont  je  ne  me  rappelle  pas  la  gravure,  sinon  que  l'une 
des  faces  portait  son  chiffre.  Plus  tard  il  s'habitua  à  ne  plus  faire- 
usage  que  de  toques  en  drap  sans  aucun  médaillon.  Il  se  faisait  servir 
richement,  comme  il  convenait  à  un  grand  seigneur,  employant  tou- 
jours deux  maîtres  d'hôtel,  des  majordomes,  plusieurs  pages,  avec 
tout  le  train  de  maison  qui  convenait  à  son  rang;  une  nombreuse 
vaisselle  d'argent  et  d'or  complétait  son  service.  Il  dînait  à  midi  et 
buvait  une  tasse  de  vin  mêlé  d'eau,  d'environ  une  pinte.  Il  soupait 
aussi  ;  mais  il  n'était  pas  friand  dans  son  manger  ;  il  se  souciait  peu 
des  mets  délicats  et  chers,  excepté  dans  les  circonstances  où  ils  étaient 
nécessaires  et  quand  il  importait  d'en  faire  la  dépense.  Il  était  très- 
affable  avec  ses  capitaines  et  compagnons  d'armes,  surtout  envers  nous 
qui  étions  partis  en  même  temps  que  lui  de  Cuba.  Il  possédait  la  lan- 
gue latine  et  j'entendis  dire  qu'il  était  bachelier  en  droit.  Quand  il 
causait  avec  des  lettrés,  il  pouvait  répondre  en  latin  à  ce  qu'on  lui 
disait.  Il  était  un  peu  poëte  et  il  composait  volontiers  en  prose  et  en 
vers.  Il  parlait  avec  mesure  et  très-correctement  ;  il  disait  tous  les 
matins  ses  prières  dans  un  livre  d'heures  et  il  entendait  la  messe  avec 
dévotion.  La  Vierge  Marie  était  sa  patronne  de  prédilection,  ainsi  que 
tout  bon  chrétien  la  devrait  avoir,  la  tenant  toujours  pour  sa  meilleure 
avocate.  Il  était  dévot  aussi  aux  seigneurs  saint  Pierre,  saint  Jacques 
et  saint  Jean-Baptiste,  et  il  faisait  souvent  l'aumône.  Quand  il  jurait, 
c'était  ainsi  :  «  Sur  ma  conscience,  »  et  lorsque  quelques  soldats  de 
nos  amis  le  mettaient  en  colère,  il  avait  coutume  de  dire  :  «Oh!  que 
le  malheur  vous  accable!  »  S'il  était  fortement  irrité,  les  veines  de 
son  front  et  de  son  cou  se  gonflaient.  Quelquefois,  dans  un  accès  de 
colère,  il  jetait  son  manteau  à  terre,  sans  jamais  proférer  de  paroles 
inconsidérées  ou  injurieuses  à  l'adresse  d'aucun  capitaine  ou  soldat. 
Il  était  très-patient  ;  car  nous  ne  manquions  pas  de  camarades  qui 
montraient  peu  de  retenue  dans  leurs  paroles,  et  il  ne  dépassait  jamais 
les  convenances  dans  la  réponse  qu'il  leur  faisait,  ne  leur  adressant 
jamais  une  méchanceté,  lors  même  qu'il  eût  eu  raison  de  le  faire,  Il 


806  CONQUÊTE 

leur  disait  tout  au  plus  :  «  Taisez-vous  !  »  ou  bien  :  «  Allez-vous-en,  et 
que  Dieu  vous  suive  !  A  l'avenir,  prenez  garde  à  ce  que  vous  dites  : 
cela  pourrait  vous  coûter  cher;  je  vous  ferais  châtier.  » 

Il  était  très-entêté,  surtout  dans   les  questions  de  guerre.  Nous 
avions  beau  lui  donner  nos  conseils  et  lui  adresser  nos  observations 
sur  ses  résolutions  inconsidérées  en  fait  de  combats  ;  il  ne  faisait  nul 
cas  de  nous,  ainsi  que  cela  nous  arriva  lorsque  nous  fîmes  notre  cam- 
pagne autour  de  la  lagune  et  contre  les]3e?lo/esque  l'on  appelle  main- 
tenant «  les  penoles  du  Marquis.  »  Dans  cette  dernière  affaire,  nous 
lui  disions  qu'il  ne  fallait  pas  nous  ordonner  de  prendre  les  redoutes 
du  sommet,  mais  bien  entourer  les  penoles  et  en  faire  le  siège  ?  à 
cause  des  rochers  qu'on  nous  lançait  du  haut  des  forts  et  vu  l'impos- 
sibilité où  nous  étions  de  nous  défendre  contre  l'impétuosité  de  leur 
chute  ;  que  c'était  donc  s'aventurer  et  courir  à  la  mort  sans  que  notre 
courage  et  notre  prudence  nous  fussent  d'aucun  secours.  Gela  ne  l'em- 
pêcha pas  de  s'obstiner  contre  nos  avis.  Il  fallut  commencer  à  monter; 
nous  courûmes  de  grands  dangers;  dix  ou  douze  soldats  moururent; 
le  reste  de  nos  hommes  se  retira  blessé,  la  tête  en  sang,  sans  réussir  à 
rien,  jusqu'à  ce  qu'on  se  décida  à  adopter  une  autre  conduite.  De 
même  dans  la  campagne  que  nous  fîmes  à  Honduras,  à  propos  de 
l'affaire  de  Ghristoval  de  Oli,  qui  s'était  soulevé  avec  sa  flotte  :  je  lui 
conseillai  plusieurs  fois  de  passer  par  le  haut  des  sierras  ;   mais  il 
s'obstina  à  prétendre  qu'il  valait  mieux  longer  la  côte.  Ce  ne  fut  pas 
non   plus  une  bonne  mesure,   attendu  que,  si  l'on  avait  suivi  mon 
conseil,  nous  aurions  partout  trouvé  des  pays  habités.  Pour  que  les 
gens  qui  y  ont  passé  me  donnent  raison,  je  ferai  observer  qu'il  s'agis- 
sait d'aller  de  Guazacualco  en  droite  ligne  sur  Ghiapa,  de  Chiapa  à 
Gruatemala,  et  de  ce  dernier  point  à  Naco,  où  se  trouvait  alors  Ghris- 
toval de  Oli. 

Quoi  qu'il  en  soit,  lorsque  nous   arrivâmes    avec  notre  flotte  à  la 
Villa  Rica,  et  que  l'on  commença  les  travaux  de  la  forteresse,  le  pre- 
mier qui   prit   la  pioche  et  transporta  sur  son   dos  la  terre  retirée 
pour  les  fondations,  ce  fut  Gortès.  Au  moment  d'un  combat  quelcon- 
que, je  le  vis  toujours  s'exposer  à  nos  côtés.  A  la  bataille  de  Tabasco, 
où  il  commanda  les  cavaliers,  il  se  battit  vaillamment.  Pour  en  revenir 
à  la  Villa  Rica,  j'ai  déjà  dit  ce  qu'il  faisait  pour  la  forteresse  ;  rappe- 
lons maintenant  sa  conduite  relativement  aux  treize  navires  qu'il  se 
résolut  à  faire   échouer  conformément  à  l'avis  de  nos  valeureux  capi- 
taines et  soldats,  et  non  comme  le  raconte  Gomara.  Dans  les  combats 
de  Tlascala,  trois  fois  il  nous  commanda  avec  la  plus  grande  intrépidité. 
Pour  ce  qui  est  de  notre  entrée  à  Mexico  avec  quatre  cents  soldats,  ce 
fut  une  chose  bien  surprenante,  surtout  si  l'on  considère  qu'il  eut  la 
hardiesse  de  prendre  le  grand  Montezuma  dans  son  propre  palais,  au 
milieu  de  ses  innombrables   guerriers  !  Il  n'est  pas  inutile  d'ajouter 


DE  LA  NOUVELLE-ESPAGNE.  807 

que  cette  action  fut  combinée;  d'après  les  conseils  de  nos  capitaines  et 
de  la  plupart  de  nos  soldats.  Une  autre  chose  bien  digne  de  mémoire 
c'est  la  détermination  de  brûler  vifs,  devant  le  palais  de  Montezuma, 
les  capitaines  mexicains  qui  avaient  contribué  à  la  mort  de  Juan  de 
Escalante,  un  de  nos  chefs,  et  de  sept  de  ses  hommes;  je  ne  me  rap- 
pelle pas  bien  les  noms  des  capitaines  indiens  suppliciés,  mais  ce  n'est 
point  d'une  grande  importance  pour  notre  récit.  Cortès  ne  fit-il  pas 
preuve  aussi  d'une  audace  surprenante  lorsque,  à  l'aide  de  présents  de 
lingots  d'or,  de  démarches  adroites,  de  ruses  de  guerre,  il  vainquit 
Pamphilo  de  Narvaez,  capitaine  de  Diego  Velasquez,  qui  avait  treize 
cents  soldats  dont  quelques-uns  hommes  de  mer,  quatre-vingt-dix 
cavaliers,  un  égal  nombre  d'arbalétriers  et  quatre-vingts  escopettiers  ; 
tandis  que  nous  n'étions  que  deux  cent  soixante-six  hommes,  sans 
chevaux,  sans  escopettes  ni  arbalètes,  armés  seulement  de  piques, 
d'épées,  de  poignards  et  de  rondaches;  ce  qui  n'empêcha  pas  que  nous 
vainquîmes  Narvaez  et  le  fîmes  prisonnier! 

Continuons  encore.  Lorsque  nous  fûmes  entrés  une  seconde  fois  à 
Mexico,  marchant  au  secours  d'Alvarado,  et  avant  que  nous  en  fussions 
sortis  en  fuyards,  quand  nous  montâmes  au  haut  du  grand  temple  de 
Huichilobos,  je  vis  Cortès  se  conduire  en  courageux  homme  de  guerre, 
bien  que  sa  valeur  et  la  nôtre  ne  nous  fussent  d'aucun  profit,  je  suis 
bien  forcé  de  l'avouer.  Et  dans  la  bataille  si  renommée  d'Otumba, 
lorsque  nous  fûmes  attendus  de  pied  ferme. par  l'élite  des  vaillants 
guerriers  mexicains  et  leurs  alliés,  qui  pensaient  nous  tuer  tous  jus- 
qu'au dernier,  que  fit  Cortès?  Ne  se  montra-t-il  pas  d'un  courage 
héroïque,  quand  il  donna  du  poitrail  de  son  cheval  sur  le  capitaine 
porte-drapeau  de  Cuatemuz,  abattit  son  étendard,  et  ralentit  l'ardeur 
de  ces  courageux  bataillons  qui  combattaient  avec  tant  de  vaillance? 
Alors,  après  Dieu,  ii  dut  la  victoire  au  secours  que  lui  donnèrent  nos 
intrépides  capitaines  Pedro  de  Alvarado,  Gonzalo  de  Sandoval, 
Ghristoval  de  Oli ,  Diego  de  Ordas,  Gonzalo  Dominguez,  Lares, 
Andrès  de  Tapia,  et  d'autres  généreux  soldats  que  je  ne  nomme  point 
ici,  nous  tous  qui  n'avions  pas  de  chevaux;  et  il  faut  ajouter  que  les 
hommes  de  Narvaez  contribuèrent  également  au  succès.  Celui  qui 
dans  cette  affaire  tua  le  capitaine  porte-étendard,  ce  fut  un  certain 
Juan  de  Salamanca,  natif  d'Ontiveros,  qui  lui  arracha  son  riche  pa- 
nache et  le  donna  à  Cortès. 

Continuons  encore  pour  dire  que  notre  chef  était  également  avec 
nous  dans  la  dangereuse  bataille  d'Iztapalapa  et  qu'il  s'y  conduisit 
en  brave  capitaine.  Il  fut  valeureux  aussi  dans  l'affaire  de  Suchimilco, 
lorsque  les  Mexicains  se  saisirent  de  sa  personne,  le  renversèrent  sur 
le  sol,  et  que  certains  Tlascaltèques  nos  alliés  se  présentèrent  pour 
le  secourir,  appuyés  surtout  par  un  courageux  soldat  appelé  Christobal 
de  Olea,  natif  de  la  Yieille-Castille  (attention  à  ce  que  je  vais  dire)  : 


808  CONQUÊTE 

Lien  autre  était  Christoval  de  Oli,  qui  fut  mestre  de  camp  et  différent 
du  Christobal  de  Olea  dont  je  parie  actuellement.  Je  le  répète  ici  pour 
qu'on  ne  raisonne  pas  à  ce  sujet,  et  qu'on  n'aille  pas  dire  que  je  me 
trompe.  Gortès  fit  également  montre  de  sa  vaillance  lorsqu'un  jour 
que  nous  étions  occupés  au  siège  de  Mexico,  et  qu'il  se  tenait  sur 
une  petite  chaussée  étroite,  il  fut  mis  en  déroute  par  les  Mexicains, 
qui  lui  enlevèrent  soixante-deux  soldats  et  avaient  déjà  porté  la  main 
sur  notre  chef  lui-même,  qu'ils  blessèrent  à  une  jambe  et  qu'ils  em- 
menaient pour  le  sacrifier  ;  mais  il  réussit  à  s'en  délivrer  grâce  à  Dieu, 
grâce  à  son  grand  courage,  grâce  surtout  au  secours  de  ce  même 
Christobal  de  Olea,  qui  l'avait  déjà  secouru  à  Suchimilco  et  qui,  dans 
cette  circonstance,  l'aida  à  remonter  en  selle  et  lui  sauva  encore  la 
vie  en  perdant  lui-même  la  sienne  au  milieu  de  tant  d'autres  victimes 
dont  j'ai  parlé.  Maintenant  que  j'écris  sa  triste  fin,  je  crois  le  voir,  ce 
pauvre  Christobal  de  Olea,  avec  sa  taille,  son  aspect,  son  grand  cou 
rage,  et  je  suis  pris  de  tristesse,  car  il  était  de  mou  pays  et  parent  de 
quelques-uns  de  mes  proches.  Je  ne  continuerai  pas,  du  reste,  à  faire 
ici  le  récit  des  prouesses  et  vaillances  de  notre  Marquis  Del  Valle; 
car  il  y  en  a  tant  et  de  si  considérables,  que  je  ne  finirais  pas  de 
les  raconter.  J'en  reviendrai  donc  à  son  portrait,  que  j'ai  déjà  com- 
mencé. 

Il  aimait  beaucoup  les  cartes  et  les  dés.  Quand  il  jouait  il  se  mon- 
trait très-affable  et  disait  mille  de  ces  facéties  habituelles  au  jeu  de 
dés.  Quand  nous  étions  en  campagne,  il  se  livrait  à  des  soins  minu- 
tieux; il  faisait  des  rondes  la  nuit  et  surveillait  lui-même  les  veillées; 
il  entrait  dans  les  logements  des  soldats,  et  s'il  trouvait  ceux-ci  sans 
armes  et  déchaussés,  il  les  tançait  et  les  reprenait  sévèrement  en  di- 
sant qu'il  n'y  a  que  les  mauvais  moutons  qui  trouvent   la  laine  trop 
lourde.  Lorsque  nous  fîmes  la  campagne  de  Honduras,  je  lui  connus 
une  habitude  que  je  n'avais  pas  remarquée  en  lui  dans  les  expédi- 
tions précédentes  :  s'il  ne  dormait  pas  un  instant  après  son  repas,  il 
sentait  une  révolution  d'estomac,  rendait  ses  aliments  et  en  éprouvait 
du  malaise.  Lorsque  nous  étions  en  chemin  on  étendait,  sous  un  ar- 
bre ou  tout  autre  abri,  un  manteau  ou  un  tapis  qu'on  avait  toujours 
sous  la  main  dans  ce  but,   et  là,  quelque  chaleur  qu'il   fît,  la  pluie 
fût-elle  forte,  il  ne  manquait  jamais  de  faire  un  court  sommeil  avant 
de  se  remettre  en  route.  Je  remarquai  également  que  pendant  la  guerre 
de  la  Nouvelle-Espagne  il  était  mince  et  son  ventre  effacé,  tandis  qu'a- 
près la  campagne  de  Honduras  il  devint  gros  et  ventru.  Je  vis  encore 
qu'il  teignait  en  noir  sa  barbe  que  j'avais  connue  grise  auparavant. 
Il  est  important  que  je  dise  que  pendant  son  premier  séjour  à  la  Nou- 
velle-Espagne et  son  premier  voyage  en  Castillc,  il  avait  l'habitude 
d'être  très-généreux  ;  tandis  que   quand  il  revint,  en   1540,  il  passait 
pour  avare  au  point  qu'un  de  ses  serviteurs,  du  nom  d'Ulloa,  frère  de 


DE  LA   NOUVELLE-ESPAGNE.  809 

celui  qui  fut  tué,  lui  intenta  un  procès  à  propos  de  gages  non  payés; 
mais  il  est  juste  de  ne  pas  perdre  de  vue  qu'à  partir  du  moment  où 
nous  fûmes  maîtres  de  la  Nouvelle-Espagne,  il  resta  toujours  en  hutte 
à  de  grandes  difficultés  et  il  dépensa  des  sommes  considérables  dans 
l'organisation  de  ses  flottes.  Il  ne  fut  heureux  ni  en  Californie,  ni  dans 
son  expédition  de  Honduras,  ni  dans  d'autres  entreprises  postérieures 
à  la  conquête.  Peut-être  que  le  bonheur  qui  le  fuyait  alors  lui  était 
réservé  pour  le  ciel.  Je  crois  fermement  qu'il  en  a  été  ainsi,  parce 
qu'il  fut  excellent  gentilhomme,  très-dévot  à  la  Sainte  Vierge,  à  l'a- 
pôtre saint  Pierre  et  à  d'autres  saints.  Que  le  bon  Dieu  lui  pardonne 
ses  péchés!  qu'il  me  les  pardonne  aussi  et  qu'il  me  donne  une  bonne 
fin;  c'est  chose  plus  importante  que  les  conquêtes  que  nous  fîmes, 
plus  importante  aussi  que  les  victoires  que  nous  remportâmes  sur  les 
Indiens. 


CHAPITRE  CCV 

Des  valeureux  capitaines  et  courageux  soldats  qui  partirent  de  l'île  de  Cuba  avec  le 
fortuné  et  très-vail!ant  capitaine  don  Hernando  Cortès,  qui,  après  la  conquête  de 
Mexico,  fut  Marquis  Del  Valle  et  acquit  d'autres  dignités. 

D'abord,  le  Marquis  lui-même,  don  Hernando  Cortès;  il  mourut 
près  de  Séville,  dans  un  village  appelé  Castilleja  de  la  Guesta. 

Don  Pedro  de  Alvarado,  qui,  après  la  prise  de  Mexico,  fut  com- 
mandeur de  Santiago,  Adelantado  et  gouverneur  de  Guatemala,  Hon- 
duras et  Chiapa;  il  mourut  dans  l'affaire  deXalizco,  lorsqu'il  fut  por- 
ter secours  à  une  troupe  d'Espagnols  de  Cochitlan,  ainsi  que  je  l'ai 
expliqué  dans  le  chapitre  qui  en  a  parlé. 

Gronzalo  de  Sandoval,  qui  fut  un  capitaine  des  plus  éminents,  al- 
guazil  mayor  et  gouverneur  de  la  Nouvelle -Espagne  avec  Alonso  de 
Estrada.  Sa  Majesté  eut  connaissance  de  ses  héroïques  hauts  faits.  Il 
mourut  dans  le  bourg  de  Palos,  lorsqu'il  allait  baiser  les  pieds  de  Sa 
Majesté,  en  compagnie  de  Cortès. 

Ghristoval  de  Oli,  capitaine  valeureux  qui  fut  mestre  de  camp  dans 
les  guerres  de  Mexico  et  mourut  à  Naco  par  sentence  de  justice,  pour 
s'être  révolté  avec  une  flotte  que  Cortès  lui  confia. 

Ces  trois  capitaines  que  je  viens  de  nommer  furent  loués  et  vantés 
devant  Sa  Majesté  par  Cortès,  lorsqu'il  fut  à  la  cour.  Il  dit  en  effet  à 
l'Empereur  notre  seigneur  qu'il  avait  eu  dans  son  armée,  quand  il 
conquit  Mexico  et  la  Nouvelle -Espagne,  trois  capitaines  qui  méri- 
taient autant  d'estime  que  les  plus  renommés  qu'il  y  eût  eu  dans  le 
monde.  Le  premier  dont  il  parla  lut  don  Pedro  de  Alvarado  qui,  outre 
son  courage,  avait  le  don  personnel  de  s'attirer  les  autres  et   de  les 


810  CONQUÊTE 

former  à  la  guerre.  Il  ajouta  que  Ghristoval  de  Oli  était  un  Hector 
aussi  bien  dans  la  mêlée  qu'en  combat  corps  à  corps,  et  que  s'il  eût 
eu  autant  de  jugement  que  de  courage,  il  aurait  été  supérieur  au  hé- 
ros troyen;  malheureusement,  il  avait  besoin  d'être  commandé.  Quant 
à  Sandoval,  il  le  jugeait  homme  de  bon  conseil  autant  qu'il  était  un 
vaillant  capitaine;  il  le  regardait  comme  un  des  meilleurs  chefs 
qu'ii  y  eût  jamais  eu  en  Espagne,  aussi  complet  en  toutes  choses  que 
l'on  puisse  se  l'imaginer.  Gortès  dit  encore  à  Sa  Majesté  qu'il  eut  en 
nous  de  bons  et  valeureux  soldats  qui  combattaient  avec  la  plus  grande 
intrépidité  ;  et  sur  cela  Bernai  Diaz  del  Gastillo  se  permettra  de  faire 
observer  que  si  ce  que  Gortès  dit  là  il  l'eût  écrit  dans  le  premier  rap- 
port qu'il  fit  à  Sa  Majesté  sur  les  affaires  de  la  Nouvelle-Espagne, 
c'eût  été  bien  mieux  qu'aujourd'hui.  Malheureusement,  alors,  dans 
ce  qu'il  disait  à  Sa  Majesté,  il  s'attribuait  tout  l'honneur  de  nos  vic- 
toires et  de  nos  conquêtes,  ne  prenant  aucun  soin  de  nommer  les  ca- 
pitaines et  les  valeureux  soldats  qui  l'aidaient,  ne  faisant  aucune  men- 
tion de  notre  concours  héroïque,  et  se  bornant  à  écrire  à  Sa  Majesté  : 
«Je  fis  ceci,  j'ordonnai  à  un  de  mes  capitaines  de  faire  cette  autre 
chose.  »  Et  nous  restâmes  en  blanc  jusqu'à  ce  qu'enfin,  un  jour,  il 
ne  put  s'empêcher  de  faire  mention  de  nous.  Mais  revenons  à  notre 
récit. 

Partirent  aussi  avec  Gortès  : 

Un  autre  bon  et  bien  valeureux  capitaine,  Juan  Velasquez  de  Léon, 
qui  mourut  à  Mexico  au  passage  des  ponts. 

Don  Francisco  de  Montejo,  qui,  après  la  conquête  de  Mexico,  fut 
Adelantado  du  Yucatan  ;  il  mourut  en  Gastille. 

Luis  Marin,  qui  fut  capitaine  au  siège  de  Mexico,  chef  éminent  et 
intrépide;  il  mourut  de  sa  belle  mort. 

Pedro  de  Ircio,  cœur  présomptueux,  homme  de  moyenne  taille,  à 
jambes  courtes,  parlant  beaucoup,  se  vantant  d'avoir  fait  et  refait  en 
Gastille;  mais  ce  que  nous  voyions  et  pouvions  connaître  de  lui,  c'est 
qu'il  n'était  propre  à  rien,  et  nous  avions  l'habitude  de  dire  que 
c'était  encore  un  héros  sans  œuvres  ;  il  fut  pendant  quelque  temps 
capitaine  sous  Sandoval,  sur  la  chaussée  de  Tepeaquilla. 

Andrès  de  Tapia,  autre  bon  capitaine  et  très-vaillant  soldat  ;  il  mou- 
rut à  Mexico  de  mort  naturelle. 

Juan  de  Escalante,  qui  fut  capitaine  à  la  Villa  Rica  et  y  resta  quand 
nous  partîmes  pour  Mexico  ;  il  mourut  par  le  fer  des  Indiens  dans  la 
bataille  d'Almcria,  ville  située  entre  Tucapan  et  Gcmpoal.  En  sa 
compagnie  furent  tués  sept  soldats  dont  je  ne  me  rappelle  pas  les 
noms.  On  lui  tua  aussi  son  cheval.  Ge  fut  notre  première  déroute 
dans  la  Nouvelle-Espagne. 

Alonso  de  Avila;  il  fut  capitaine  et  le  premier  trésorier-payeur 
nommé  dans  la  Nouvelle-Espagne.  Il  était  courageux  et  quelque  peu 


DE  LA   NOUVELLE-ESPAGNE.  811 

querelleur.  Don  Hernando  Cortès,  qui  connaissait  son  naturel,  vou- 
lant éviter  des  discordes,  résolut  de  l'envoyer  en  qualité  de  procureur 
à  l'île  Espanola  où  résidaient  l'Audience  rpyale  et  les  Frères  hié- 
ronymites  qui  étaient  gouverneurs.  Il  emporta  de  bons  lingots  et  des 
bijoux  d'or  que  notre  chef  lui  donna  pour  le  tenir  satisfait.  Passons. 

Francisco  de  Lugo,  qui  commanda  dans  quelques  campagnes  ; 
homme  très-valeureux,  fils  bâtard  d'un  caballero  de  Médina  del 
Gampo,  appelé  Alvaro  de  Lugo,  le  vieux,  et  seigneur  de  quelques  vil- 
lages situés  près  de  Médina  del  Gampo.  Il  est  mort  de  mort  natu- 
relle. 

Andrès  de  Monjaraz,  qui  fut  quelque  temps  capitaine  au  siège  de 
Mexico.  Il  était  très-malade  de  bubas  et  affligé  de  fortes  douleurs  qui 
le  rendaient  très-souvent  inutile  à  la  guerre.  Il  mourut  de  mort  natu- 
relle. 

Gregorio  de  Monjaraz,  frère  du  précédent,  bon  soldat;  il  devint 
sourd  pendant  le  siège  de  Mexico.  Il  mourut  de  mort  naturelle. 

Diego  de  Ordas,  qui  était  capitaine  lors  de  notre  première  entrée  à 
Mexico.  Il  fut  commandeur  de  Santiago  après  la  conquête  de  la  Nou- 
velle-Espagne. Il  mourut  étant  gouverneur  dans  la  province  du  Rio 
de  Maraiion. 

Quatre  frères  de  Pedro  de  Alvarado  :  Jorge  de  Alvarado,  qui  fut 
capitaine  un  certain  temps  dans  l'affaire  de  Mexico  et  ensuite  dans 
la  province  de  Guatemala;  il  mourut  à  Madrid  en  l'an  1540;  Gomez 
Alvarado,  qui  mourut  au  Pérou;  un  autre  qui  s'appelait  Gonzalo  de 
Alvarado  ;  Juan  de  Alvarado,  qui  était  bâtard,  mourut  en  mer  en  allant 
à  l'île  de  Cuba  acheter  des  chevaux. 

Juan  Xaramillo  fut  capitaine  d'un  brigantinau  siège  de  Mexico  ;  ce 
fut  lui  qui  se  maria  avec  l'interprète  dona  Marina.  C'était  un  homme 
prééminent.  Il  mourut  de  mort  naturelle. 

Ghristobal  Flores,  homme  de  valeur  qui  mourut  dans  les  affaires 
de  Xalizco  où  il  alla  avec  Nuïlo  de  Gruzman. 

Martin  de  Gramboa,  employé  aux  écuries  de  Gortès;  mourut  de 
mort  naturelle. 

Un  certain  Gaicedo,  homme  riche;  mourut  de  mort  naturelle. 

Francisco  de  Saucedo,  natif  de  Médina  de  Rioseco,  surnommé  par 
nous  le  Galant,  parce  qu'il  soignait  beaucoup  sa  personne;  il  avait 
été,  disait-on,  maître  d'hôtel  chez  l'amiral  de  Gastille.  Il  mourut  au 
passage  des  ponts. 

Gonzalo  Dominguez,  homme  intrépide,  excellent  cavalier;  mourut 
aux  mains  des  Indiens. 

Francisco  de  Morla,  soldat  intrépide,  bon  cavalier,  natif  de  Xerez  ; 
mourut  au  passage  des  ponts. 

Un  autre  bon  soldat  nommé  de  Mora,  natif  de  Giudad  Rodrigo  ; 
mort  aux  peùoles  de  la  province  de  Guatemala. 


812  CONQUÊTE 

Francisco  de  Bonal,  homme  de  valeur,  natif  de  Salamanque  ;  mou- 
rut de  mort  naturelle. 

Un  certain  Lares,  très-intrépide,  bon  cavalier;  mort  au  passage  des 
ponts. 

Un  autre  Lares,  arbalétrier;  mort  également  au  passage  des  ponts. 

Simon  de  Cuenca,  majordome  de  Cortès  ;  tué  par  les  Indiens  dans 
l'affaire  de  Xicalango.  Dix  autres  soldats,  dont  je  ne  me  rappelle  pas 
Jes  noms,  moururent  en  sa  compagnie. 

Francisco  de  Médina,  natif  de  Aracena,  commanda  dans  une  expé- 
dition; il  mourut  aux  mains  des  Indiens  dans  l'affaire  de  Xicalango, 
en  compagnie  de  quinze  autres  soldats,  dont  je  ne  me  rappelle  pas  les 
noms. 

Un  certain  Maldonado,  que  nous  surnommions  le  Large,  natif  de 
Salamanque  ;  personnage  prééminent  qui  avait  commandé  différentes 
expéditions.  Il  est  mort  de  mort  naturelle. 

Deux  frères,  Francisco  et  Juan  Alvarez  Ghico,  natifs  de  Fregenal. 
Francisco  Alvarez  était  homme  d'affaires,  très-maladif;  mort  à  l'île 
de  Saint-Domingue.  Juan  Alvarez  mourut  dans  l'expédition  de  Golima, 
au  pouvoir  des  Indiens. 

Francisco  de  Terrazas,  majordome  de  Gortès  et  personnage  préémi- 
nent. Il  mourut  de  mort  naturelle. 

Ghristobal  del  Gorral,  notre  premier  alferez  au  siège  de  Mexico, 
homme  très-intrépide  ;  il  retourna  en  Gastille  où  il  est  mort. 

Antonio  de  Villareal,  mari  d'Isabel  de  Ogeda.  Il  changea  plus  tard 
son  nom  pour  se  faire  appeler  Antonio  Serrano  de  Gardona.  Mourut 
de  mort  naturelle. 

Francisco  Rodriguez  Magarino,  personnage  prééminent  ;  mourut 
de  mort  naturelle. 

Francisco  Flores,  qui  devint  habitant  de  Guaxaca  ;  personnage 
d'un  très-noble  caractère  ;  il  mourut  de  mort  naturelle. 

Alonso  de  G*rado,  homme  plus  entendu  en  affaires  que  dans  les 
choses  de  la  guerre;  à  force  d'importuner  Gortès,  il  en  obtint  de  se 
marier  avec  dona  Isabel,  fille  de  Montezuma.  Il  mourut  de  mort  na- 
turelle. 

Quatre  soldats  surnommés  les  Solis.  L'un  d'eux,  qui  était  vieux, 
mourut  au  passage  des  ponts.  Un  autre  Solis  était  appelé  par  nous 
Gasquete,  à  cause  de  ses  gamineries;  il  mourut  à  Guatemala  de  mort 
naturelle.  Un  troisième  avait  été  surnommé  par  nous  Pedro  Solis 
Tras  de  la  Puerta,  parce  qu'il  avait  l'habitude  de  se  tenir  derrière  la 
porte  en  regardant  ceux  qui  passaient  dans  la  rue  sans  être  vu  lui- 
même.  Il  fut  le  gendre  d'Ordufia  le  vieux,  qui  habitait  Puebla.  Il 
mourut  de  mort  naturelle.  Le  quatrième  Solis  était  désigné  entre 
nous  par  «  celui  de  la  guerre  »  ;  nous  l'appelions  aussi  «  Sarrau  de 
soie  »,  parce  qu'il  aimait  se  vêtir  de  soierie.  Il  mourut  de  mort  naturelle. 


DE   LA   NOUVELLE-ESPAGNE.  813 

Lïnlrépide  soldat  du  nom  de  Bénites,  qui  mourut  au  passage  des 
ponts. 

Un  autre  soldat  intrépide,  Juan  Ruano,  qui  mourut  également  au 
passage  des  ponts. 

Bernardino  Vasquez  de  Tapia,  homme  prééminent  et  riche,  qui  est 
mort  de  mort  naturelle. 

Un  très-intrépide  soldat  du  nom  de  Christobal  de  Olea,  natif  de 
Mcdina  del  Gampo.  On  peut  bien  assurer  qu'après  Dieu,  c'est  à  lui 
que  Cortès  a  dû  la  vie  :  une  fois  d'abord  à  Suchimilco,  quand  il  se 
vit  en  si  grand  danger  au  moment  où  les  Indiens  mexicains  l'avaient 
fait  tomber  de  son  cheval  appelé  le  Muletier;  Olea  arriva  des  pre- 
miers à  son  secours,  et  se  conduisit  de  telle  sorte  que  Cortès  put  se 
remettre  en  selle,  pendant  que  nous  arrivions  quelques  autres  sol- 
dats à  son  aide.  Olea  fut  grièvement  blessé.  La  dernière  fois  que  ce 
vaillant  homme  porta  secours  à  Cortès,  ce  fut  lorsque  les  Indiens 
mexicains  le  mirent  en  déroute  sur  la  petite  chaussée,  lui  prirent 
soixante-deux  soldats,  et  le  tenaient  lui-même  entre  leurs  mains  pour 
l'emmener  sacrifier,  après  lui  avoir  fait  une  entaille  à  la  jambe.  Le 
bon  Olea,  avec  son  intrépidité  accoutumée,  combattit  si  bravement, 
qu'il  l'arracha  de  leur  pouvoir  en  y  laissant  sa  propre  vie.  Mainte- 
nant que  j'écris  cet  événement,  mon  cœur  s'attendrit;  je  crois  le  voir 
avec  son  bon  aspect  et  son  grand  courage,  ainsi  qu'il  apparaissait 
souvent  à  mon  regard  quand  il  nous  aidait  dans  nos  attaques.  C'est 
à  propos  de  cette  déroute  que  Cortès  écrivait  à  Sa  Majesté  qu'il  était 
mort  vingt-huit  hommes;  mais  j'ai  bien  dit  qu'il  en  périt  soixante- 
deux.  Et  pour  qu'il  n'y  ait  pas  de  confusion  dans  ce  que  j'écris  ici 
d'Olea,  et  que  quelques  personnes  n'aillent  pas  croire  que  je  m'écarte 
de  la  vérité,  qu'on  sache  bien  que  l'un  est  Christobal  de  Olea,  natif 
de  la  Yieille-Castille  :  c'est  celui  dont  je  viens  de  parler  ;  landis  que 
l'autre,  Ghristoval  de  Oii,  qui  fut  mestre  de  camp,  était  natif  d'Ubeda 
ou  de  Linares  ;  et  je  le  dis  parce  que  ces  deux  capiiaines  portaient 
presque  le  même  nom.  Revenons  à  notre  énumération. 

Était  aussi  parti  avec  nous  de  Cuba  un  bon  soldat,  manchot,  à  qui 
l'on  avait  coupé  une  main  en  Castille  par  sentence  de  justice.  Il  mou- 
rut au  pouvoir  des  Indiens. 

Un  autre  soldat  appelé  Tuvilla,  boiteux  d'une  jambe,  qui  préten- 
dait s'être  trouvé  avec  le  Grand  Capitaine  dans  l'affaire  de  Garellano1  ; 
il  mourut  au  pouvoir  des  Indiens. 

Deux  frères  nommés  Gonzalo  et  Juan  Lopez  de  Ximena:  Conzalo 
Lopez  mourut  au  pouvoir  des  Indiens;  Juan  Lôpez  fut  alcalde  mayor 
à  la  Vera  Cruz.  Il  est  mort  de  mort  naturelle. 


1.  Il  veut  dire  sans  doute  la  déroute  des  1-Vancais  battus  par  Gou/.alve  de  Cordoue 
le  27  décembre  1503,  sur  le  Garigliano. 


814  CONQUÊTE 

Juan  de  Guellar,  bon  cavalier,  qui  se  maria  d'abord  avec  une  pe- 
tite-fille du  seigneur  de  Tezcuco,  nommée  dona  Ana,  qui  était  une 
très-belle  personne.  Il  est  mort  de  mort  naturelle. 

Un  autre  Guellar,  parent  de  Francisco  Verdugo,  habitant  de  Mexico. 
Il  est  mort  de  mort  naturelle. 

Santos  Hernandez,  homme  âgé,  natif  de  Soria,  que  nous  surnom- 
mions «  le  Bon  vieux  cavalier  traqueur  »  ;  il  mourut  de  mort  na- 
turelle. 

Pedro  Moreno  Medrano,  habitant  de  la  Yera  Gruz,  où  il  fut  sou- 
vent alcalde  ordinaire;  il  était  très-équitable  dans  ses  arrêts  de  jus- 
tice; postérieurement  il  alla  vivre  à  Puebla.  Ge  fut  un  bon  serviteur 
de  Sa  Majesté,  aussi  bien  comme  soldat  que  comme  magistrat.  Il 
mourut  de  mort  naturelle. 

Juan  de  Limpias  Garvajal,  bon  soldat  et  capitaine  de  brigantin.  Il 
devint  sourd  pendant  la  campagne,  et  mourut  de  mort  naturelle. 

Melchor  de  Galvez,  qui  fut  habitant  de  Guaxaca.  Il  est  mort  de 
mort  naturelle. 

Roman  Lopez,  qui  perdit  un  œil  après  la  prise  de  Mexico.  Ge  fut 
un  personnage  prééminent;  il  est  mort  à  Guaxaca. 

Villandrado,  qu'on  disait  parent  du  comte  de  Ribadeo,  homme 
prééminent  ;  il  est  mort  de  mort  naturelle. 

Un  certain  Osorio,  natif  de  la  Vieille-Castille,  bon  soldat  et  homme 
important.  Il  mourut  à  la  Vera  Gruz. 

Rodrigo  de  Gastaneda  ;  il  fut  interprète  et  bon  soldat.  Il  est  mort 
en  Gastille. 

Un  certain  de  Pilar,  bon  interprète,  qui  mourut  dans  l'affaire  de 
Guyoacan  quand  il  fut  avec  Nuno  de  Guzman. 
Un  autre  soldat  appelé  Granado.  Il  vit  à  Mexico. 
Martin  Lopez;  ce  fut  un  excellent  soldat  et  en  même  temps  maître 
constructeur  des  treize  brigantins  qui  furent  d'un  excellent  secours 
pour  la  prise  de  Mexico;  il  servit  très-bien  Sa  Majesté  comme  soldat. 
Il  vit  à  Mexico. 

Juan  de  Naxara,  bon  soldat  et  arbalétrier,  qui  servit  très-bien  dans 
la  campagne. 

Un  certain  Ogeda,  habitant  du  pays  des  Zapotèques.  On  lui  creva 
un  œil  pendant  le  siège  de  Mexico. 

Un  certain  de  Lacerna,  qui  fut  propriétaire  de  mines  d'argent;  il 
avait  une  balafre  sur  la  figure,  reçue  dans  la  campagne;  je  ne  sais  pas 
ce  qu'il  est  devenu. 

Alonso  Hernandez  Pucrtocarrero,  cousin  du  comte  de  Medellin, 
caballero  prééminent,  qui  fut  en  Gastille  la  première  fois  que  nous 
envoyâmes  un  présent  à  Sa  Majesté;  il  emmenait  en  sa  compagnie 
Francisco  de  Montejo,  avant  qu'il  fût  nommé  Adclantado.  Ils  empor- 
tèrent beaucoup  d'or  en  grain    et  des  bijoux  diversement   façonnés. 


DE  LA  NOUVELLE-ESPAGNE.  815 

avec  le  soleil  d'or  et  la  lune  d'argent.  L'évêque  de  Burgos,  don  ,]uan 
Rodriguczde  Fonseca,  archevêque  de  Rosano,  fit  arrêter  Alonso  Hcr- 
nandez  Puertocarrero,  parce  qu'il  prétendait  aller  en  Flandre  avec  le 
présent  pour  parler  à  iSa  Majesté,  et  parce  qu'il  favorisait  les  intérêts 
de  Gortès.  L'évêque  prit  pour  prétexte  de  son  emprisonnement  l'ac- 
cusation portée  contre  Puertocarrero  d'avoir  enlevé  et  emmené  à 
Cuba  une  femme  mariée.  Il  mourut  en  Gastille.  C'était  un  des  princi- 
paux compagnons  d'armes  qui  partirent  avec  nous,  et  si  je  ne  l'ai 
point  inscrit  à  son  rang,  c'est  parce  que  je  l'avais  oublié. 

Un  autre  bon  soldat  appelé  Alonso  Luis  ou  Juan  Luis  ;  il  était  de 
très-haute  taille,  ce  qui  lui  fit  donner  par  nous  pour  sobriquet  :  le 
Petit.  Il  mourut  au  pouvoir  des  Indiens. 

Autre  bon  soldat,  Hernando  Burgueïlo,  natif  d'Aranda  de  Duero. 
Il  est  mort  de  mort  naturelle. 

Un  autre  bon  soldat  appelé  Alonso  de  Monroy.  On  disait  qu'il  était 
fils  d'un  commandeur  de  Santisteban.  Pour  qu'on  en  ignorât,  il  se 
faisait  appeler  Salamanca.  Il  mourut  au  pouvoir  des  Indiens. 

Allons  encore  : 

Un  certain  Yillalobos,  natif  de  Santa  Olalla,  qui  revint  riche  en 
Gastille. 

Un  certain  Tirado,  de  laPuebla;  c'était  un  homme  d'affaires.  Il 
mourut  de  mort  naturelle. 

Juan  del  Rio.  Il  s'en  fut  en  Gastille. 

Juan  Rico  de  Alanis  ;  bon  soldat  qui  mourut  au  pouvoir  des  Indiens. 

Gonzalo  Hernandez  de  Alanis,  soldat  très-intrépide. 

Juan  Rico  de  Alanis,  qui  mourut  de  mort  naturelle. 

Un  certain  Navarrete,  habitant  du  Panuco,  qui  mourut  de  mort 
naturelle. 

Francisco  Martin  de  Vendabal,  que  les  Indiens  enlevèrent  vivant 
pour  le  sacrifier  avec  un  de  ses  camarades  appelé  Pedro  Gallego.  Ces 
deux  morts  eurent  lieu  parlafaute  de  Gortès  qui  prétendit  dresser  une 
embuscade  à  des  bataillons  mexicains,  tandis  qu'il  s'y  fit  prendre  lui- 
même  et  qu'on  lui  enleva  ces  deux  soldats  sous  ses  propres  yeux,  sans 
qu'ils  pussent  s'en  défendre,  pour  les  aller  sacrifier. 

Trois  soldats  du  nom  de  Truxillo.  L'un,  natif  de  Truxillo,  était  très- 
intrépide  ;  il  mourut  aux  mains  des  Indiens;  l'autre,  natif  de  Huelva. 
tvès-courageux  soldat  également,  mourut  au  pouvoir  des  Indiens;  \c 
troisième,  natif  de  Léon,  eut  encore  la  même  mort. 

Un  soldat  du  nom  de  Juan  Flamenco,  qui  mourut  de  mort  na- 
turelle. 

Francisco  de  Barco.  natif  de  Barco  d'Avila,  qui  fut  capitaine  à  la 
Ghoiulleca;  mourut  de  mort  naturelle. 

Juan  Perez,  qui  avait  tué  sa  femme  surnommée  &  la  fille  de  la  Va- 
chère »:  il  mourut  de  mort  naturelle; 


816  CONQUÊTE 

» 

Un  autre  bon  soldat  qu'on  appelait  Naxera  le  Bossu,  homme  extrê- 
mement intrépide,  qui  mourut  à  Coiima  ou  à  Zacatula. 

Encore  un  bon  soldat  nommé  Madrid,  le  Bossu,  qui  mourut  égale- 
ment à  Golima  ou  à  Zacatula. 

Un  autre  soldat  appelé  Juan  de  Inhiesta,  qui  fut  arbalétrier.  Mou- 
rut de  mort  naturelle. 

Un  certain  Alamilla,  qui  fut  habitant  du  Panuco  et  bon  arbalétrier. 
Mourut  de  mort  naturelle. 

Un  certain  Moron,  grand  musicien,  habitant  de  Golima  ou  de  Zaca- 
tula. Mourut  de  mort  naturelle. 

De  Varela,bon  soldat,  habitant  de  Golima  ou  de  Zacatula.  Mort  de 
mort  naturelle. 

Un  certain  deValladolid,  habitant  de  Golima  ou  de  Zacatula.  Mourut 
aux  mains  des  Indiens. 

Un  certain  de  Villafuerte,  homme  de  valeur,  qui  fut  marié  avec  une 
parente  de  la  première  femme  de  Gortès  ;  il  devint  habitant  de  Zaca- 
tula ou  de  Golima;  il  est  mort  de  mort  naturelle. 

Un  certain  Gutierrez,  habitant  de  Golima  ou  de  Zacatula;  mort  de 
mort  naturelle. 

Un  autre  bon  soldat  appelé  Valladolid,  le  Gros,  qui  mourut  aux 
mains  des  Indiens. 

Un  certain  Pacheco,  habitant  de  Mexico,  personnalité  prééminente; 
mort  de  mort  naturelle. 

Hernando  de  Lerma,  ou  de  Lema,  homme  âgé  qui  fut  capitaine; 
mort  de  mort  naturelle. 

Un  certain  Suarez,  le  Vieux,  qui  tua  sa  femme  d'un  coup  de  pierre 
à  moudre  le  maïs  ;  mort  de  mort  naturelle. 

Un  certain  Angulo,  Francisco  Gutierrez  et  un  autre  jeune  homme 
qu'on  appelait  Santa  Clara,  anciens  habitants  delà  Havane,  qui  mou- 
rurent aux  mains  des  Indiens. 

Garci  Garo,  habitant  de  Mexico,  mort  de  mort  naturelle. 

Un  jeune  homme  appelé  Larios,  habitant  de  Mexico,  qui  eut  des 
procès  à  propos  de  ses  Indiens;  mort  de  mort  naturelle. 

Juan  Gomez,  habitant  de  Guatemala;  s'en  retourna  riche  en  Gastille. 

Les  deux  frères  Ximenez,  natifs  de  Linguijuela  d'Estramadure  ; 
l'un  mourut  aux  mains  des  Indiens  et  l'autre  de  mort  naturelle. 

Les  deux  frères  Florin,  qui  moururent  aux  mains  des  Indiens. 

Francisco  Gonzalez  de  Naxera,  avec  un  fils  du  nom  de  Pedro  et  deux 
neveux  portant  le  nom  de  Ramirez.  Francisco  Gonzalez  mourut  sur  les 
penoles  de  la  province  de  Guatemala,  et  ses  neveux  au  passage  des 
ponts. 

Un  soldat  appelé  Amaya,  qui  habita  Guaxaca;  mourut  de  sa  mort 
naturelle. 

Les  deux  frères  Carmona,  natifs  de  Xerez;  morts  de  mort  naturelle. 


DE  LA   NOUVELLE-ESPAGNE.  817 

Les  deux  frères  Vargas,  natifs  de  Séville.  L'un  mourut  aux  mains 
des  Indiens  et  l'autre  de  mort  naturelle. 

Un  autre  bon  soldat  appelé  Polanco,  natif  d'Avila,  habitant  de  Gua- 
temala, mort  de  mort  naturelle. 

Hernan  Lopez  de  Avila,  dépositaire  de  biens  de  défunts;  il  s'en 
retourna  riche  en  Gastille. 

Juan  de  Aragon,  habitant  de  Guatemala;  mort  de  mort  naturelle. 

Un  certain  de  Gieza,  très-adroit  et  très-fort  au  jet  de  la  barre  ;  mou- 
rut aux  mains  des  Indiens. 

Un  certain  Santisteban,  homme  âgé,  arbalétrier,  habitant  de  Ghiapa; 
mort  de  mort  naturelle. 

Bartolomé  Pardo,  mort  aux  mains  des  Indiens. 

Bernardino  de  Coria,  habitant  de  Ghiapa,  père  d'un  individu  qui  se 
faisait  appeler  Centeno;  il  mourut  de  mort  naturelle. 

Pedro  Escudero  et  Juan  Cermeno,  avec  un  frère  de  ce  dernier.  Les 
trois  très-bons  soldats.  Pedro  Escudero  et  Juan  Germeno  furent  pendus 
par  ordre  de  Gortès,  parce  qu'ils  se  préparaient  à  déserter  avec  un 
navire  pour  aller  à  l'île  de  Cuba  avertir  Diego  Velasquez  de  l'envoi 
que  nous  avions  fait  de  messagers  avec  or  et  argent  pour  Sa  Majesté, 
afin  qu'il  les  fît  arrêter  à  la  Havane.  Ils  furent  dénoncés  par  Bernardino 
de  Goria  et  ils  moururent  pendus. 

Gonzalo  de  Umbria,  le  pilote,  très-bon  soldat  à  qui  Gortès  fit  mu- 
tiler les  orteils  parce  qu'il  allait  partir  avec  les  autres  en  qualité  de 
pilote.  Plus  tard  il  alla  en  Gastille  se  plaindre  à  Sa  Majesté  et  il  fut 
très-hostile  à  Gortès.  Sa  Majesté  lui  fit  donner  un  titre  royal  de  mille 
piastres  de  rentes  annuelles  provenant  de  villages  d'Indiens  de  la 
Nouvelle-Espagne;  mais  il  ne  partit  jamais  de  Castille,  parce  qu'il 
avait  peur  de  Gortès. 

Rodrigo  Rangel,  personnage  marquant,  sérieusement  perclus  de 
bubas;  il  ne  fit  jamais  la  guerre  de  manière  à  mériter  qu'on  en  fasse 
mémoire.  Il  mourut  de  ses  douleurs. 

Francisco  de  Orozco,  également  malade  de  bubas  et  très-souffrant. 
Il  avait  été  soldat  en  Italie  et  il  commanda  quelque  temps  à  Tepeaca 
pendant  que  nous  faisions  le  siège  de  Mexico.  J'ignore  ce  qu'il  est 
devenu  et  où  il  est  mort. 

Un  soldat  appelé  Mesa,  ancien  artilleur  en  Italie,  qui  le  fut  aussi  à 
la  Nouvelle-Espagne.  Il  se  noya  dans  une  rivière  après  la  prise  de 
Mexico. 

Un  autre  très-courageux  soldat  appelé  Arbolanche,  natif  de  la  Vieille- 
Gastille.  Mort  aux  mains  des  Indiens. 

Un  autre  soldat,  Luis  Velasquez,  natif  d'Arcvalo  ;  mourut  à  Hon- 
duras, lorsque  nous  y  fûmes  avec  Gortès. 

Martin  Garcia,  de  Valence,  bon  soldat;  mort  à  Honduras. 

Un  autre  bon  soldat  appelé  Alonso  de  Barrientos,  qui  sortit  de  Tuztc- 


818  CONQUÊTE 

peque  pour  se  réfugier  chez  Jes  Indiens  de  Ghinanta  pendant  le  sou- 
lèvement de  Mexico.  Dans  cette  affaire  de  Tuztepeque  moururent 
soixante-six  soldats  et  cinq  femmes  de  Castille,  provenant  des  troupes 
de  Narvaez  et  des  nôtres,  sous  les  coups  de  la  garnison  mexicaine  qui 
était  dans  la  province. 

Un  certain  Almodovar,  le  vieux,  avec  son  fils  Alvaro  et  deux  neveux 
du  même  nom.  L'un  de  ceux-ci  mourut  aux  mains  des  Indiens;  le 
vieillard,  Alvaro  et  l'autre  neveu  moururent  de  mort  naturelle. 

Les  deux  frères  Martinez,  de  Fregenal,  braves  gens  qui  moururent 
aux  mains  des  Indiens. 

Un  bon  soldat  appelé  Juan  del  Puerto,  qui  mourut  perclus  de 
bubas. 

Un  autre  bon  soldat  appelé  Lagos,  qui  mourut  aux  mains  des  In- 
diens. 

Un  moine  de  Notre-Dame  de  la  Merced,  appelé  frère  Bartolomé  de 
Olmedo,  théologien,  bon  chantre,  homme  vertueux;  mort  de  mort 
naturelle. 

Un  autre  soldat  appelé  Sancho  de  Avila,  natif  de  Garrobillas.  On 
disait  qu'il  avait  emporté  de  l'île  de  Saint-Domingue,  pour  la  Gastille, 
six  mille  piastres  d'or,  en  lingots,  qu'il  avait  recueillis  dans  des  mines 
riches.  A  son  arrivée  en  Gastille,  il  les  joua,  les  dépensa  et  s'en  vint 
avec  nous.  Les  Indiens  le  tuèrent. 

Alonso  Hernandez,  de  Palos,  homme  âgé,  avec  deux  neveux,  dont 
l'un,  Alonso  Hernandez,  était  bon  arbalétrier;  je  ne  me  rappelle  pas  le 
nom  de  l'autre.  Alonso  Hernandez  mourut  aux  mains  des  Indiens,  et 
les  neveux,  de  mort  naturelle. 

Un  autre  bon  soldat  appelé  Alonso  de  la  Mesta,  natif  de  Séville  ou 
d'Axarafe;  mort  de  mort  naturelle. 

Un  autre  bon  soldat  du  nom  de  Rabanal  Montanes;  mourut  au 
pouvoir  des  Indiens. 

Un  autre  excellent  homme  appelé  Pedro  de  Guzman;  se  maria  avec 
une  dame  de  Valence  appelée  Francisca  de  Valticrro,  s'en  fut  au  Pérou 
où  ils  moururent  gelés,  dit-on,  lui,  sa  femme,  un  cheval,  des  nègres 
et  d'autres  personnes. 

Un  bon  arbalétrier  appelé  Christoval  Diaz,  natif  du  Golmenar  de 
Arenas  ;  mourut  de  mort  naturelle. 

Un  autre  soldat  nommé  Retamales;  les  Indiens  le  tuèrent  dans  les 
affaires  de  Tabasco. 

Un  autre  intrépide  soldat  appelé  Ginès  Nortès;  mort  aux  mains  des 
Indiens  dans  les  affaires  du  Yucatan. 

Un  autre  soldat  très-adroit,  et  très-intrépide,  appelé  Luis  Alonso, 
qui  jouait  finement  de  son  épée;  il  mourut  au  pouvoir  des   Indiens. 

Alonso  Catalan,  bon  soldat;  mourut  aux  mains  des  Indiens. 

Juan  Siciliano,  habitant  de  Mexico;  mort  de  mort  naturelle. 


DE  LA  NOUVELLE-ESPAGNE.  819 

Un  autre  bon  soldat,  qu'on  appelait  Ganillas,  tambour  en  Italie  et 
dans  la  Nouvelle-Espagne.  Il  mourut  aux  mains  des  Indiens. 

Hernandez,  secrétaire  de  Gortès,  natif  de  Sévillc;  mourut  aux  mains 
des  Indiens. 

Juan  Diaz,   affligé  d'une  grande   taie  sur  l'œil,  natif  de  Burgos 
chargé  de  l'achat  des  provisions  de  Cortès;  mourut  au  pouvoir  des 
Indiens. 

Diego  de  Coria,  habitant  de  Mexico;  mourut  de  mort  naturelle. 

Un  autre  jeune  soldat,  appelé  Juan  Nuncz  Mercado,  natif  de  Guellar 
ou  de  Madrigal,  selon  certaines  personnes;  ce  soldat  devenu  aveugle 
demeure  actuellement  à  Puebla. 

Un  autre  bon  soldat,  le  plus  riche  de  tous  ceux  qui  partirent  avec 
Gortès,  appelé  Juan  Sedeno,  natif  d'Arevalo;  il  eut  à  lui  un  navire 
une  jument,  un  nègre,  des  porcs,  beaucoup  de  pain  et  de  la  cassave; 
il  mourut  de  mort  naturelle,  et  ce  fut  un  personnage  prééminent. 

Un  certain  de  Balnor,  qui  fut  habitant  de  Trinidad;  il  mourut  aux 
mains  des  Indiens. 

Un  certain  Zaragoza,  homme  âgé,  père  de  Zaragoza  le  notaire  de 
Mexico;  il  mourut  de  mort  naturelle.  . 

Un  bon  soldat  appelé  Diego  Martin  d'Ayamonte;  il  mourut  de  mort 
naturelle. 

Un  autre  soldat  appelé  Gardenas,  qui  disait  lui-même  être  le  neveu 
du  commandeur  de  Gardenas;  il  mourut  aux  mains  des  Indiens. 

Il  y  eut  un  autre  Gardenas,  homme  de  mer,  pilote,  natif  de  Triana. 
Ge  fut  celui  qui  disait  n'avoir  jamais  vu  de  pays  où  il  y  eût  deux  rois 
comme  dans  la  Nouvelle-Espagne,  parce  que  Gortès  prélevait  un 
cinquième  du  butin  comme  s'il  eût  été  roi,  après  avoir  prélevé  le 
quint  royal;  il  en  tomba  malade  et  il  s'en  revint  en  Gaslille  où  il  en 
lit  le  rapport  à  Sa  Majesté  avec  d'autres  préjudices  qu'il  disait  avoir 
soufferts.  Il  fut  très-hostile  à  Gortès,  et  Sa  Majesté  lui  fit  donner  un 
titre  royal  le  faisant  propriétaire  d'Indiens  d'un  millier  de  piastres 
de  rente.  Il  s'en  revint  avec  cela  à  Mexico  où  il  mourut  de  mort  na- 
turelle. 

Un  autre  bon  soldat  appelé  Arguelo,  natif  de  Léon,  mort  aux  mains 
des  Indiens. 

Un  autre  soldat,  Diego  Hernandez,  natif  de  Salces  de  Los  Gallegos 
qui  aida  à  scier  le  bois  des  brigantins  ;  devenu  aveugle,  il  mourut  de 
mort  naturelle. 

Un  autre  soldat,  d'une  force  extraordinaire  et  d'un  grand  courage 
appelé  Vasquez;  il  mourut  aux  mains  des  Indiens. 

Un  autre  soldat,  arbalétrier,  nommé  Arroyuelo,  natif,  disait-on, 
d'Olmcdo;  il  mourut  aux  mains  des  Indiens. 

Un  certain  Pizarro,  qui  exerça  le  commandement  dans  quelques 
expéditions.  Gortès  disait  qu'il  était  son  parent  (en  ce  lcmps-Jà  aucun 


820  CONQUETE 

Pizarre  n'était  en  renom,  car  le  Pérou  n'était  pas  encore  découvert); 
il  mourut  aux  mains  des  Indiens. 

Alvaro  Lopcz,  qui  fut  habitant  de  Puebla  ;  il  mourut  de  mort  naturelle. 

.Un  autre  soldat  nommé  Yanez,  natif  de  Gordoue;  il  alla  avec  nous 
à  Honduras.  Pendant  son  voyage,  sa  femme  prit  un  autre  mari;  quand 
il  fut  de  retour,  il  ne  voulut  pas  la  reprendre.  Il  mourut  de  mort 
naturelle. 

Un  bon  soldat,  fantassin  agile,  Portugais,  du  nom  de  Magallanes  ; 
il  mourut  aux  mains  des  Indiens. 

Un  autre  Portugais,  orfèvre;  mourut  aux  mains  des  Indiens. 

Un  autre  Portugais  encore,  homme  âgé,  appelé  Martin  de  Alpe- 
drino;  il  mourut  de  mort  naturelle. 

Un  autre  Portugais  du  nom  de  Juan  AJvarez  Rubazo  ;  mourut  de 
mort  naturelle. 

Un  autre  intrépide  Portugais  appelé  Gonzalo  Sanchez  ;  mort  de 
mort  naturelle. 

Un  autre  Portugais  qui  fut  habitant  de  Puebla,  appelé  Gonzalo 
Rodriguez,  personnage  prééminent;  mort  de  mort  naturelle. 

Deux  autres  Portugais  habitants  de  Puebla,  appelés  Villanueva, 
d'une  taille  élevée;  je  ne  sais  pas  ce  qu'ils  sont  devenus,  ni  s'ils  sont 
morts. 

Trois  soldats  du  nom  d'Avila.  L'un  d'eux  appelé  Gaspar  fut  gendre 
de  Ortigosa  le  notaire;  il  mourut  de  mort  naturelle.  Un  autre  Avila 
était  camarade  assidu  du  capitaine  Andrès  de  Tapia;  il  mourut  aux 
mains  des  Indiens.  Quant  au  troisième,  je  ne  me  rappelle  pas  où  il 
alla  habiter. 

Deux  frères  appelés  Vandada,  natifs,  disait-on,  du  pays  d'Avila.  Ils 
moururent  aux  mains  des  Indiens. 

Trois  soldats  qui  s'appelaient  Espinosa;  l'un  était  Basque  ;  il  mourut 
au  pouvoir  des  Indiens.  Un  autre  était  nommé  par  nous  l'Espinosa  de 
la  Bénédiction,  parce  qu'il  avait  toujours  le  mot  de  «bonne  bénédic- 
tion» dans  la  bouche;  sa  conversation  était  fort  bonne  à  ce  sujet;  il 
mourut  aux  mains  des  Indiens.  Le  troisième  Espinosa  était  natif 
d'Espinosa  de  Los  Monteros;  il  mourut  aux  mains  des  Indiens. 

Pedro  Peron,  de  Tolède;  mort  de  mort  naturelle. 

Un  autre  bon  soldat  appelé  Villasinda,  natif  de  Portillo,  qui  devint 
moine  franciscain;  il  mourut  de  mort  naturelle. 

Deux  bons  soldats  qui  s'appelaient  San  Juan.  Nous  appelions  l'un 
d'eux  San  Juan  l'Altier,  parce  qu'il  était  très-présomptueux;  il  mourut 
aux  mains  des  Indiens.  Nous  appelions  l'autre  San  Juan  de  Vichila; 
il  était  Galicien;  il  mourut  de  mort  naturelle. 

Un  autre  bon  soldat  appelé  Izquierdo,  natif  de  Castromocho,  habi- 
tant du  bourg  de  San  Miguel  dans  le  Guatemala;  il  mourut  de  mort 
naturelle. 


DE  LA  NOUVELLE-ESPAGNE.  821 

Un  certain  Aparicio  Martin,- qui  se  maria  avec  une  nommée  Ja 
Médina;  il  était  natif  de  Médina  de  Rioseco  et  iJ  devint  habitant  de 
San  Miguel.  Il  mourut  de  mort  naturelle. 

Un  bon  soldat  appelé  Caceres,  natif  de  Truxillo,  mourut  aux  mains 
des  Indiens. 

Un  autre  bon  soldat  appelé  Alonso  de  Herrera,  natif  de  Xerez;  il 
fut  capitaine  dans  le  pays  des  Zapotèques,  où  il  sabra  un  autre  capi- 
taine nommé  Figuero,  à  propos  de  disputes  sur  le  commandement. 
Craignant  les  vengeances  du  Trésorier  Alonso  de  Estrada  qui  était 
alors  gouverneur,  et  voulant  éviter  d'être  arrêté,  il  s'en  fut  à  la  cam- 
pagne du  Maranon,  dans  laquelle  il  mourut  aux  mains  des  Indiens, 
tandis  que  Figuero  se  noya  en  allant  en  Gastille. 

Un  jeune  homme  du  nom  de  Maldonado,  natif  de  Medellin,  qui  fut 
malade  de  bubas  ;  j'ignore  s'il  est  mort  de  mort  naturelle;  il  ne  faut 
pas  le  confondre  avec  un  Maldonado  de  la  Yera  Gruz,  qui  fut  le  mari 
de  dona  Maria  del  Rincon. 

Un  autre  soldat  appelé  Morales,  homme  âgé  et  boiteux,  qu'on  di- 
sait avoir  été  soldat  du  commandeur  Solis.  Il  fut  alcalde  ordinaire  à 
la  Villa  Rica,  où  il  rendait  équilablement  la  justice. 

Un  autre  soldat,  Escalona  le  jeune  ;  mourut  aux  mains  des  Indiens. 

Trois  soldats,  habitants  tous  les  trois  de  la  Villa  Rica.  Us  ne  firent 
jamais  campagne  dans  la  Nouvelle-Espagne.  Ils  s'appelaient  Arevalo, 
Juan  Léon  et  Madrigal;  ils  moururent  de  mort  naturelle. 

Un  autre  soldat  qui  s'appelait  Lencero.  C'est  à  lui  qu'appartenait 
la  ferme  dite  aujourd'hui  de  Lencero,  qui  se  trouve  entre  Vera  Gruz 
et  Puebla.  Ce  fut  un  bon  soldat  et  plus  tard  il  devint  moine  rédemp- 
toriste. 

Alonso  Duran,  un  peu  âgé,  voyant  peu  clair,  aide-sacristain;  devint 
aussi  rédemptoriste. 

Un  autre  soldat  appelé  Navarro,  familier  du  capitaine  Sandoval, 
qui  se  maria  plus  tard  à  la  Vera  Cruz;  mourut  de  mort  naturelle. 

Un  autre  bon  soldat  appelé  Alonso  de  Talavera,  familier  aussi  du 
capitaine  Sandoval  ;  il  mourut  aux  mains  des  Indiens. 

Deux  indigènes  nommés  Juan  et  Pedro  Mazanilla;  Pedro  mourut 
aux  mains  des  Indiens,  et  Juan,  qui  devint  habitant  de  Puebla,  mou- 
rut de  mort  naturelle. 

Un  soldat  du  nom  de  Benito  Bejel,  tambour  en  Italie  et  dans  Ja 
Nouvelle-Espagne  ;  mort  de  mort  naturelle. 

Alonso  Romero,  habitant  delà  Vera  Gruz;  homme  riche  et  préémi- 
nent; mort  de  mort  naturelle. 

Un  soldat  appelé  Sindos  de  Portillo,  natif  de  Portillo,  propriétaire 
de  bons  Indiens  ;  il  fut  riche,  vendit  ses  Indiens  et  ses  autres  biens, 
répartit  tout  entre  les  pauvres,  se  fit  frère  rédemptoriste  et  mena  une 
sainte  vie. 


822  CONQUÊTE 

Un  autre  bon  soldat  appelé  Quintero,  natif  de  Moguer,  eut  de  bons 
Indiens,  fut  riche,  donna  tout  au  nom  du  bon  Dieu,  se  fit  franciscain 
et  fut  bon  religieux. 

Un  autre  soldat  appelé  Alonso  de  Aguilar,  propriétaire  de  la  ferme 
dite  actuellement  d'Aguilar,  qui  se  trouve  entre  la  Vera  Gruz  et 
Puebla;  ce  fut  un  homme  riche;  il  eut  de  bons  Indiens:  il  vendit 
tout,  le  donna  au  nom  du  bon  Dieu,  se  lit  frère  dominicain  et  fut 
très-bon  religieux. 

Un  autre  soldat  appelé  Burguillos,  propriétaire  de  bons  Indiens; 
homme  riche,  donna  tout  et  se  fit  frère  franciscain.  Plus  tard  il  aban- 
donna le  couvent. 

Un  autre  bon  soldat  appelé  Escalante,  homme  riche  et  bon  cava- 
lier, se  fit  moine  franciscain.  Il  sortit  du  monastère  et  devint  de  nou- 
veau homme  mondain  ;  mais,  un  mois  après,  il  reprit  la  robe  du  moine 
et  fut  bon  religieux. 

Un  autre  soldat  appelé  Gaspar  Diaz,  natif  de  la  Vieille-Castille,  fut 
un  homme  riche,  tant  par  ses  Indiens  que  du  fruit  de  son  trafic;  il 
donna  tout  au  nom  du  bon  Dieu,  se  réfugia  dans  la  forêt  de  pins  de 
Gruaxocingo,  dans  un  endroit  très-solitaire,  où  il  fit  un  ermitage;  il 
y  vécut  en  ermite  d'une  vie  sainte,  au  milieu  des  jeûnes  et  des  dis- 
ciplines, au  point  de  devenir  maigre  et  faible,  ne  se  couchant  jamais 
autrement  que  sur  le  sol  recouvert  d'un  peu  de  paille.  L'évêque 
don  fray  Juan  de  Zumarraga,  l'ayant  su,  lui  fit  parvenir  l'ordre  de  ne 
pas  mener  une  aussi  rude  vie.  L'ermite  Gaspar  Diaz  acquit  un  tel 
renom  que  d'autres  voulurent  l'imiter  en  allant  vivre  en  sa  com- 
pagnie, et  tous  menèrent  une  sainte  existence.  Au  bout  de  quatre 
ans  d'isolement,  Dieu  lui  fit  la  grâce  de  l'enlever  dans  sa  sainte  gloire. 

Un  autre  soldat  appelé  Ribadeo,  natif  de  la  Galice,  que  nous  avions 
surnommé  Beberreo,  parce  qu'il  buvait  beaucoup  de  vin;  il  mourut 
aux  mains  des  Indiens,  dans  l'affaire  d'Almeria. 

Un  autre  soldat  que  nous  appelions  Galleguillo  (petit  Galicien), 
parce  qu'il  était  bas  de  taille;  il  mourut  aux  mains  des  Indiens. 

Un  intrépide  soldat  appelé  Lerma;  ce  fut  un  de  ceux  qui  contri- 
buèrent à  sauver  la  vie  de  Cortès,  comme  je  l'ai  dit  au  passage  qui  en  a 
traité.  Il  déserta  chez  les  Indiens  par  suite  de  la  crainte  que  lui  ins- 
pirait Cortès,  dont  il  avait  contribué  à  sauver  la  vie,  à  cause  de  cer- 
tains motifs  de  ressentiment  que  ce  chef  eut  contre  lui  et  que,  pour 
son  honneur,  je  ne  veux  pas  expliquer.  On  n'entendit  parler  ni  de  sa 
mort  ni  de  son  existence,  ce  qui  nous  donna  fort  à  penser. 

Un  autre  bon  soldat  appelé  Pinedo,  ancien  serviteur  de  Diego  Ve- 
lasquez,  gouverneur  de  Cuba.  Il  déserta  de  Mexico  pour  se  rendre 
au  camp  de  Narvaez  quand  vint  ce  capitaine;  mais  des  Indiens  le 
tuèrent  en  route.  On  soupçonna  que  ce  fut  par  ordre  de  Cortès. 

Un  autre  soldat,  bon  arbalétrier,  appelé  Pedro  Lopez  ;   il  mourut 


DE  LA  NOUVELLE-ESPAGNE.  823 

do  mort  naturelle.  Il  y  eut  un  autre  Pedro  Lopez,  arbalétrier,  qui 
fui  avec  Alonso  de  AviJa  à  l'île  Espafiola,  où  il  resta. 

Trois  forgerons;  l'un  s'appelait  Juan  Garcia,  un  autre  Hernan 
Martin;  celui-ci  se  maria  avec  la  nommée  Gatalina  Marquez,  la  Ber- 
nmdé  ;  j'ai  oublié  le  nom  du  troisième.  L'un  d'eux  mourut  aux  mains 
des  Indiens,  et  les  deux  autres  de  mort  naturelle. 

Un  autre  soldat  appelé  Alvaro  Gallego,  qui  fut  habitant  de  Mexico 
et  beau-frère  des  nommés  Zamora  ;  il  mourut  de  mort  naturelle. 

Un  autre  soldat  déjà  vieux  nommé  Paredes,  père  d'un  Paredes  qui 
se  trouve  actuellement  dans  le  Yucatan;  il  mourut  aux  mains  des  In- 
diens. 

Un  autre  soldat  appelé  Gonzalo  Mexia  Rapapelo  ;  il  disait  lui-même 
qu'il  était  neveu  d'un  certain  Mexia  dont  la  profession  était  de  voler, 
en  compagnie  d'un  appelé  Centeno,    du  temps  du  roi  don  Juan.  Il 
mourut  aux  mains  des  Indiens. 
Pedro  de  Tapia,  qui  mourut  perclus  après  la  prise  de  Mexico. 
Les  pilotes  :  Anton  de  Alaminos  et  un   de  ses  fils  qui   s'appelait 
comme  lui  :  il  était  natif  de  Palos;  un  certain  Camacho,  de  Triana; 
Juan  Alvarez,  le  manchot,  de  Huelva;   un  certain  Sopuerta,  du  Con- 
dado,  homme  déjà  âgé;  un  nommé  Cardenas  (celui-ci  est  le  pilote  qui 
devint    malade  de  chagrin  en   voyant  qu'on  prélevait  sur  le  butin 
deux  cinquièmes,  dont  l'un  pour  Gortès);  le  nommé  Gonzalo  de  Um- 
bria,  et  un  pilote  nommé  Graldin.  J'ai  oublié  les  noms  de  quelques 
autres.  Celui  que  je  vis  domicilié  à  Mexico,  ce  fut  Sopuerta.  Tous  les 
autres  s'en  furent  à  Cuba,  à  la  Jamaïque,  en  d'autres  îles  et  en  Cas- 
tille  pour  y  chercher  la  vie  dans  leur  métier,  à  cause  de  la  crainte 
que  leur  inspirait   Gortès  avec  lequel  ils   étaient  mal,  parce   qu'ils 
avaient   donné  à  Francisco  de  Garay  l'avis  des  pays  qu'il   devait  de- 
mander à  Sa  Majesté.  Quatre  d'entre  eux  élevèrent  des  plaintes  de- 
vant l'Empereur  contre  Gortès.   Ce  furent  les    deux  Alaminos,   Car- 
denas et  Gronzalo  de  Umbria.  Il  leur  fut  distribué  des  titres  royaux 
pour  qu'on  leur  donnât,   dans   la  Nouvelle-Espagne,   mille  piastres 
de  rentes.   Cardenas  fit  le  voyage,  mais  les  autres  n'y  revinrent  ja- 
mais. 

Un  autre  soldat  appelé  Lucas  Ginovez;  il  était  pilote.  Il  est  mort 
aux  mains  des  Indiens.  Il  y  eut  aussi  un  Lorenzo  Ginovez  qui  fut  ha- 
bitant de  Guaxaca  et  était  marié  avec  une  vieille  Portugaise.  Il  mou- 
rut de  mort  naturelle. 

Un  autre  soldat,  appelé   Enrique,  natif  de  Palencia.  Il  s'asphyxia 
de  fatigue  en  succombant  au  poids  des  armes  et  à  la  grande  chaleur. 
Un  autre  soldat,  Ghristoval  de  Jaen  ;  il  était  charpentier;  il  mou- 
rut aux  mains  des  Indiens. 

Un  certain  Ochoa,  Basque  riche  et  prééminent,  qui  fut  habitant  de 
Guaxaca.  Il  mourut  de  mort  naturelle. 


824  CONQUÊTE 

Un  homme  bien  intrépide  du  nom  de  Zamudio;  il  s'en  fut  en 
Gastille  pour  avoir  porté  des  blessures  à  certaines  personnes  à  Mexi- 
co ;  en  Espagne  il  fut  capitaine  d'une  compagnie  armée.  Il  mourut  à 
Locasiil  avec,  beaucoup  d'autres  caballeros  espagnols. 

Un  soldat  appelé  Cervantes  le  Fou  ;  c'était  un  truand  et  un  hâ- 
bleur. Il  mourut  aux  mains  des  Indiens. 

Un  nommé  Plazuela  ;  les  Indiens  le  tuèrent. 

Un  bon  soldat  appelé  Alonso  Ferez  Maite,  qui  partit  marié  avec 
une  Indienne  très-belle  de  Bayamo  ;  il  mourut  aux  mains  des  In- 
diens. 

Martin  Vasquez,  natif  d'Olmedo,  homme  riche  et  prééminent  qui 
fut  habitant  de  Mexico  ;  il  mourut  de  mort  naturelle. 

Sébastian  Rodriguez,  bon  arbalétrier,  fut  trompette  après  la  prise 
de  Mexico;  mourut  de  mort  naturelle. 

Un  autre  arbalétrier  du  nom  de  Penalosa,  camarade  de  Sébastian 
Rodriguez  ;  il  mourut  de  mort  naturelle. 

Un  soldat  nommé  Alvaro,  homme  de  mer  natif  de  Palos  ;  on  di- 
sait qu'il  avait  eu  avec  des  Indiennes  du  pays  trente  fils  en  trois  ans. 
Les  Indiens  le  tuèrent  à  Honduras. 

Un  autre  soldat  qu'on  appelait  Juan  Perez  Malinche.  Je  lui  enten- 
dis donner  plus  tard  le  nom  d'Artiaga.  Il  habita  Puebla,  fut  riche  et 
mourut  de  mort  naturelle. 

Un  bon  soldat  appelé  Pedro  Gonzalez  Sabiote;  il  mourut  de  mort 
naturelle. 

Un  autre  bon  soldat  appelé  Geronimo  de  Aguilar.  Je  le  mets  dans 
la  liste,  parce  que  nous  le  trouvâmes  à  la  pointe  de  Gotoche  étant 
captif  chez  les  Indiens  ;  il  fut  notre  interprète  et  il  mourut  perclus 
de  bubas. 

Un  autre  soldat,  Pedro  de  Valenciano,  habitant  de  Mexico,  mort 
de  mort  naturelle. 

Il  y  eut  trois  soldats  du  nom  de  Tarifa  :  l'un,  qui  habita  Guaxaca, 
était  marié  à  une  femme  appelée  Gatalina  Munoz  ;  il  mourut  de 
mort  naturelle.  Un  autre  s'appelait  le  Tarifa  des  Grands-Services, 
parce  qu'il  disait  sans  cesse  qu'il  servait  Sa  Majesté,  et  qu'on  ne  lui 
donnait  rien  pour  ça  ;  il  était  natif  de  Séville  et  grand  hâbleur.  Le 
troisième  se  distinguait  par  le  nom  de  Tarifa  des  Mams-Rlanches  ; 
il  était  aussi  de  Séville,  et  nous  le  surnommions  comme  je  viens 
de  dire,  parce  qu'il  n'était  pas  propre  à  la  guerre  ni  à  la  fatigue, 
et  ne  savait  que  parler  des  choses  qui  étaient  arrivées  anciennement 
à  Séville.  Il  mourut  dans  le  fleuve  du  Golfo  Dulce,  au  Honduras, 
où  il  se  noya  avec  son  cheval.  L'un  et  l'autre  ne  reparurent  plus. 

Un  autre  bon  soldat  appelé  Pedro  Sanchez  Farfan,  qui  fut  capi- 
taine à  Tezcuco  pendant  que  nous  faisions  le  siège  de  Mexico  ;  il 
mourut  de  mort  naturelle. 


DE  LA  NOUVELLE-ESPAGNE.  825 

Un  autre  soldat,  Alonso  de  Escobar,  qui  l'ut  page  de  Diego  Velas- 
qucz.  On  en  faisait  beaucoup  de  cas.  Les  Indiens  le  tuèrent.  Il  y  en 
eut  un  autre  qu'on  appelait  le  bachelier  Escobar  ;  il  était  pharmacien 
et  pratiquait  la  médecine  et  la  chirurgie;  il  devint  fou  et  mourut  de 
mort  naturelle.  Il  y  eut  encore  un  autre  Escobar,  fort  courageux, 
mais  tellement  turbulent  qu'il  mourut  pendu  pour  avoir  outragé  une 
femme  mariée  et  s'être  mis  en  révolte. 

Un  autre  soldat  nommé  de  Santiago,  natif  de  Huelva  ;  il  revint 
riche  en  Gastille.  Un  camarade  du  précédent,  appelé  Ponce,  mourut 
aux  mains  des  Indiens. 

Un  certain  Mendez,  déjà  âgé,  mourut  aux  mains  des  Indiens. 
Il  y  eut  trois  soldats  qui  moururent  dans  les  affaires  de  Tabasco. 
L'un  d'eux  s'appelait  Saldana;  je  ne  me  rappelle  pas  les  noms  des 
deux  autres. 

Un  autre  bon  soldat  et  arbalétrier,  homme  âgé,  grand  joueur  de 
cartes  ;  il  mourut  aux  mains  des  Indiens. 

Un  autre  soldat  âgé,  avec  son  fils,  que  nous  appelions  Orteguilla 
qui  fut  page  de  Montezuma.  Le  vieillard  et  le  fils  furent  tués  par  les 
Indiens. 

Un  autre  soldat  appelé  de  Gaona,  natif  do  Médina  de  Rioseco  ;  il 
mourut  aux  mains  des  Indiens. 

Un  autre  soldat  appelé  Juan  de  Gaceres,  qui  devint  très-riche  et 
habita  Mexico  ;  il  mourut  de  mort  naturelle. 

Un  autre  soldat,  Gonzalo  Hurones,  natif  de  Las  Garrobillas  ;  il 
mourut  de  mort  naturelle. 

Un  autre  soldat  déjà  âgé,  qu'on  appelait  Ramirez  le  Vieux;  il  mou- 
rut de  mort  naturelle,  étant  habitant  de  Mexico. 

Un  autre  soldat  fort  intrépide  nommé  Luis  Farfan  ;  il  mourut  aux 
mains  des  Indiens. 
Un  autre  soldat,  Morillas  ;  il  mourut  aux  mains  des  Indiens. 
Un  autre  soldat  nommé  de  Roxas,  qui  s'en  alla  ensuite  au  Pérou. 
Un  certain  Astorga,  homme  âgé  qui  habita  Guaxaca;  mort  de  mort 
naturelle. 

Deux  frères  du  nom  de  Tostado;  l'un  mourut  aux  mains  des  In- 
diens ;  l'autre  de  mort  naturelle. 

Encore  un  bon  soldat  appelé  Raldovinos,  qui  mourut  au  pouvoir 
des  Indiens. 

Je  veux  inscrire  encore  ici  dans  ma  liste  Guillen  de  la  Loa,  An- 
drès  Nunez,  maître  Pierre  de  la  Harpa,  et  trois  autres  soldats  qui 
provenaient  du  navire  envoyé  par  Garay,  ainsi  que  je  l'ai  dit.  Je 
les  inscris  ici  avec  ceux  de  Gortès,  parce  qu'ils  firent  campagne  avec 
lui  dès  le  début.  Guillen  de  la  Loa  mourut  d'un  coup  de  canon  ; 
les  autres  moururent  soit  de  mort  naturelle,  soit  aux  mains  des  In- 
diens. 


826  CONQUÊTE 

Un  certain  Porras,  homme  à  cheveux  roux,  grand  chanteur;  il 
mourut  aux  mains  des  Indiens. 

Un  certain  Ortiz,  grand  joueur  de  mandoline  et  maître  de  danse  ; 
il  venait  avec  un  camarade  appelé  Bartolomé  Grarcia.  Ortiz  était  mi- 
neur dans  l'île  de  Cuba;  lui  et  Garcia  amenèrent  le  meilleur  cheval 
de  l'expédition.  Gortès  le  leur  prit  ou  le  leur  acheta.  Les  deux  mou- 
rurent au  pouvoir  des  Indiens. 

Un  autre  bon  soldat  appelé  Serrano,  bon  arbalétrier  ;  il  est  mort 
au  pouvoir  des  Indiens. 

Un  vieillard  appelé  Pedro  Valencia,  natif  d'une  localité  située  près 
de  Placencia  ;  il  mourut  de  mort  naturelle. 

Un  autre  soldat  du  nom  de  Quintero,  maître  constructeur  de  navi- 
res. Les  Indiens  le  tuèrent. 

Alonso  Rodriguez,  qui  laissa  de  bonnes  mines  dans  l'île  de  Cuba. 
Il  était  riche  et  il  mourut  au  pouvoir  des  Indiens  dans  les  pétioles, 
où  l'on  dit  à  présent  que  Gortès  fut  vainqueur.  Là  mourut  aussi  un 
autre  bon  soldat  appelé  Gaspar  Sanchez,  neveu  du  trésorier  de  Cuba, 
avec  six  autres  soldats  qui  provenaient  de  Narvaez. 

Un  certain  Pedro  de  Palma,  premier  mari  d'Elvira  Lopez,  la  Lon- 
gue ;  il  mourut  pendu  avec  un  autre  soldat  appelé  Trebejo,  natif  de 
Fuente  Guinaldo.  Gil  Gonzalez  de  Avila  ou  Francisco  de  Las  Gasas 
les  fit  pendre,  en  compagnie  d'un  prêtre,  pour  avoir  été  rebelles  et 
embaucheurs  dans  l'armée,  quand  on  s'en  revenait  de  Naco  à  la  Nou- 
velle-Espagne, après  le  supplice  de  Ghristoval  de  Oli.  Ces  soldats  et 
ce  prêtre  appartenaient  à  la  troupe  qui  partit  avec  Ghristoval  de  Oli, 
et  ils  étaient  venus  de  Cuba  avec  Cortès.  On  me  fit  voir  le  gros  arbre 
auquel  ils  furent  pendus,  quand  je  venais  des  Higueras  avec  Luis  Marin. 

Mais  continuons  notre  liste  : 

Fray  Juan  de  Las  Varillas,  moine  de  la  Merced,  bon  théologien, 
homme  vertueux;  mort  de  mort  naturelle. 

Un  certain  Andrès  de  Mola,  était  Levantin;  mort  aux  mains  des 
Indiens. 

Un  bon  soldat  appelé  Alberza,  natif  de  Villanueva  de  la  Serena  ; 
mort  aux  mains  des  Indiens. 

Il  y  eut  un  certain  nombre  de  bons  soldats,  hommes  de  mer,  pilotes, 

maîtres  et  contre-maîtres;  les  plus  jeunes,  sortis  des  navires  que  nous 

.  fîmes  échouer,  furent  la  plupart  fort  courageux  dans  les  campagnes 

et  dans  les  batailles;  je  ne  mets  pas  ici  leurs  noms,  parce  que  je  ne 

me  les  rappelle  pas  tous. 

Nous  eûmes  d'autres  soldats,  hommes  de  mer;  les  uns  s'appelaient 
les  Pénates,  et  les  autres  les  Pinsones  ;  les  premiers  natifs  de  Gi- 
braleon,  et  les  derniers,  de  Palos.  Quelques-uns  d'entre  eux  mouru- 
rent aux  mains  des  Indiens,  et  les  autres  furent  en  Castillc  présenter 
des  plaintes  contre  Gortès. 


DE  LA  NOUVELLE-ESPAGNE.  827 

Je  veux  aussi  m'inscrire  dans  cotte  liste  après  tout  le  monde,  puis- 
que je  vins  à  la  découverte  de  ce  pays  deux  fois  avant  Gortès,  cl  La 
troisième  fois  avec  lui-même,  ainsi  que  je  l'ai  dit  dans  le  chapitre 
qui  en  a  parlé.  Je  rends  grâce  à  Dieu  Notre  Seigneur,  et  à  Notre 
Dame  la  Vierge  Sainte  Marie,  sa  Mère  bénie,  pour  m'avoir  préservé 
d'être  sacrifié  comme  l'on  sacrifia  en  ce  temps-là  la  plupart  de  mes 
camarades  dont  je  viens  de  donner  la  liste;  et  cette  liste,  je  l'ai 
faite,  afin  qu'après  avoir  Vu  clairement  nos  actions  héroïques,  on 
sache  aussi  quels  furent  les  valeureux  capitaines  et  les  courageux 
soldats  qui  conquirent  cette  partie  du  Nouveau-Monde,  et  qu'on  n'at- 
tribue pas  à  un  seul  capitaine  l'honneur,  la  gloire  et  notre  valeur 
commune. 


CHAPITRE  CCVI 

De  la  taille,  de  la  proportion  du  corps,  de  l'âge  de  certains  capitaines  valeureux  et 
courageux  soldats  de  l'expédition  de  Cortès  lorsque  nous  vînmes  conquérir  la  Nou- 
velle-Espagne. 

J'ai  déjà  dit,  dans  le  chapitre  qui  traite  de  la  mort  du  Marquis 
don  Hernando  Gortès  à  Gastilleja  de  la  Cuesta,  son  âge,  l'aspect,  les 
qualités  de  sa  personne,  son  caractère  et  toutes  choses  que  le  lecteur 
trouvera  dans  cette  partie  de  mon  livre  s'il  les  veut  connaître.  J'ai  dit 
également,  dans  le  chapitre  qui  en  a  traité,  relativement  à  Ghristoval 
de  Oli,  lorsqu'il  partit  pour  les  Higueras,  l'âge  qu'il  avait,  son  carac- 
tère et  ses  qualités  physiques  ;  c'est  là  que  mes  lecteurs  pourront  lire 
ce  qui  s'y  rapporte.  Je  veux  maintenant  parler  de  l'âge,  de  l'aspect 
et  des  qualités  de  Pedro  de  Alvarado.  Il  fut  commandeur  de  San- 
tiago, adelantado  et  gouverneur  de  Guatemala,  Honduras  et  Chiapa;il 
avait  environ  trente-quatre  ans  quand  il  partit  pour  notre  campagne. 
D'une  taille  bien  prise,  il  avait  les  formes  élégantes,  le  visage  gai  et 
le  regard  affable.  Sa  grâce  était  telle,  que  les  Indiens  mexicains  lui 
donnèrent  le  surnom  de  Tonatio%  qui  veut  dire  «  le  Soleil  ».  Il  était 
très-agile  et  bon  cavalier,  généreux  et  de  conversation  aimable.  Il 
s'habillait  avec  propreté  et  élégance,  employant  pour  cela  de  riches 
étoffes,  et  il  portait  au  cou  une  chaînette  en  or  avec  un  médaillon 
dont  je  ne  me  rappelle  pas  l'inscription  ;  un  de  ses  doigts  était  orné 
d'une  bague  avec  un  beau  diamant.  Gomme  j'ai  dit  le  lieu  où  il  ter- 
mina ses  jours  et  d'autres  choses  concernant  sa  personne,  je  ne  crois 
pas  devoir  parler  davantage  de  lui  dans  ce  chapitre. 

L'adelantado  Francisco  de  Montejo,  homme  de  moyenne  stature  et 
d'un  aspect  réjoui,  était  ami  des  fêtes  et  bon  cavalier.  11  avait,  à  son 
départ,   environ  trente-cinq  ans,  et  s'était  consacré  jusque-là  beau- 


828  CONQUÊTE 

coup  plus  aux  affaires  qu'aux  choses  de  la  guerre;  naturellement  très- 
généreux,  il  dépensait  au  delà  de  ses  revenus.  Il  fut  adelantado  et 
gouverneur  du  Yucatan.  Il  mourut  en  Gastille. 

Le  capitaine  Gronzalo  de  Sandoval  fut  un  homme  de  grande  vail- 
lance. Il  avait,  quand  il  partit,  environ  vingt-deux  ans.  Il  fut  alguazil 
mayor  de  la  Nouvelle-Espagne,  et  son  gouverneur  pendant  onze  mois, 
conjointement  avec  le  Trésorier  Alonso  de  Estrada.  Il  était  de  belle 
taille,  Lien  membre  et  de  proportions  élégantes.  Sa  poitrine  et  la 
partie  supérieure  de  son  dos  étaient  larges  et  bien  développées;  ses 
genoux  se  tournaient  légèrement  en  dedans.  Son  visage  était  gras- 
souillet; sa  barbe  et  ses  cheveux,  modérément  crépus  et  châtains;  la 
voix  très-claire,  quelquefois  un  peu  haute,  il  zézayait  légèrement  en 
parlant.  Il  n'avait  reçu  qu'une  instruction  rudimentaire  ;  il  n'était 
nullement  ambitieux  de  posséder  de  l'or,  mais  il  avait  un  grand  zèle 
pour  l'accomplissement  de  ses  devoirs  comme  bon  capitaine.  Dans 
toutes  les  campagnes  que  nous  fîmes,  il  mit  toujours  la  plus  grande 
attention  à  faire  retomber  tous  ses  soins  sur  les  soldats  de  bonne  con- 
duite, qu'il  favorisait  et  protégeait  de  son  aide.  Il  n'était  pas  homme 
à  s'habiller  richement,  mais  toujours  avec  simplicité,  comme  un  bon 
soldat.  Il  posséda  le  meilleur  cheval  et  le  plus  vite  de  l'armée,  docile 
à  la  bride,  tournant  aisément  dans  tous  les  sens,  à  ce  point  même 
qu'on  n'en  vit  jamais  de  meilleur  ni  en  Gastille  ni  dans  ce  pays.  Il 
était  bai  brun,  avec  une  étoile  sur  le  front  et  une  balzane  au  pied 
gauche.  On  l'appelait  Motilla.  Quand  il  s'agit  aujourd'hui  de  qualifier 
de  bons  chevaux,  on  a  pris  l'habitude  de  dire  :  «  Pour  ce  qui  est  de 
la  bonté,  il  est  bon  comme  Motilla.  »  Le  valeureux  capitaine  Sandoval 
mourut  dans  le  bourg  de  Palos,  quand  il  alla  en  Gastille  pour  baiser 
les  pieds  de  Sa  Majesté,  en  compagnie  de  don  Hernaodo  Gortès.  C'est 
de  lui  que  Gortès  disait  à  Sa  Majesté  qu'il  y  eut,  parmi  ses  intrépides 
et  valeureux  soldats,  un  si  vaillant  capitaine,  qu'on  pouvait  l'inscrire 
entre  les  plus  valeureux  qui  fussent  connus  dans  le  monde  entier,  et 
qu'il  aurait  pu  commander  à  plusieurs  grandes  armées,  étant  aussi 
remarquable  dans  l'action  que  dans  le  conseil.  Il  était  natif  de  Medel- 
lin,  et  hidalgo.  Son  père  fut  gouverneur  d'une  forteresse. 

Arrivons  à  parler  d'un  autre  capitaine  qu'on  appelait  Juan  Velas- 
quez  de  Léon,  natif  de  la  Vieille-Castille.  A  son  départ,  il  était  âgé 
d'environ  vingt-six  ans.  Il  avait  bonne  taille;  son  corps  était  droit  et 
membru,  ses  épaules  et  sa  poitrine  bien  développées,  ses  proportions 
partout  élégantes,  le  visage  plein,  la  barbe  un  peu  crépue  et  foncée, 
la  voix  grosse  et  forte  avec  un  léger  bégaiement.  Il  fut  d'un  caractère 
très-déterminé;  il  parlait  avec  distinction,  et  s'il  arrivait  à  posséder 
quelque  avoir,  il  le  partageait  avec  ses  camarades.  Dans  l'île  Espa- 
nola,  disait-on,  il  avait  tué  en  combat  singulier  un  caballero  mar- 
quant du  pays,  homme  riche,  qui  s'appelait  Basaltas.  Après  ce  mal- 


DE  LA  NOUVELLE-ESPAGNE.  829 

heur,  il  eut  soin  de  se  cacher,  de  façon  que  ni  la  justice  de  l'île  ni 
l'Audience  royale  ne  purent  jamais  se  saisir  de  sa  personne  pour  en 
faire  justice,  car  lorsqu'il  arrivait  à  être  découvert,  il  se  défendait 
vaillamment  contre  les  alguazils.  Il  put  ainsi  se  rendre  à  l'île  de 
Cuba,  et  de  là  il  passa  à  la  Nouvelle-Espagne.  Il  fut  bon  cavalier, 
et  soldat  des  plus  intrépides,  à  pied  comme  à  cheval.  Il  mourut  au 
passage  des  ponts,  lorsque  nous  sortîmes  de  Mexico  en  fuyards. 

Diego  de  Ordas  était  né  en  Tierra  de  Campos1.  Il  avait  environ 
quarante  ans  quand  nous  partîmes.  Il  commanda  les  soldats  d'épée 
et  de  rondache,  parce  qu'il  n'était  pas  cavalier.  Il  fut  à  la  fois  coura- 
geux et  homme  de  conseil;  il  était  de  bonne  taille,  membru,  très- 
plein  de  visage,  avec  barbe  rare  et  presque  noire.  Son  parler  n'était 
pas  facile  pour  la  prononciation  de  certaines  paroles  qu'il  disait  en 
bégayant.  Il  était  généreux,  et  de  conversation  agréable.  Il  fut  com- 
mandeur de  Santiago.  Sa  mort  eut  lieu  dans  le  Maranon,  tandis  qu'il 
était  capitaine  ou  gouverneur,  je  ne  le  sais  pas  exactement. 

Le  capitaine  Luis  Marin  fut  de  bonne  taille,  membru  et  plein  de 
valeur.  Il  était  cagneux;  sa  barbe  un  peu  rousse,  le  visage  allongé  et 
gai,  avec  quelques  marques  qu'on  aurait  dites  de  petite  vérole.  Il 
avait  environ  trente  ans  quand  nous  partîmes.  Il  était  natif  de  San 
Lucar,  et  il  zézayait  comme  les  gens  de  Séville.  Il  fut  bon  cavalier 
et  homme  de  conversation  agréable.  Il  mourut  dans  les  affaires  de 
Mechoacan. 

Le  capitaine  Pedro  de  Ircio  était  de  moyenne  taille  et  court  de  jam- 
bes; il  avait  le  visage  gai,  parlait  beaucoup  trop,  disant  qu'il  ferait  et 
qu'il  entreprendrait....  et  il  contait  sans  cesse  des  histoires  de  don 
Pedro  Giron  et  du  comte  d'Urena.  C'était  un  brave  sentimental,  et 
c'est  pour  cela  que  nous  l'avions  surnommé  le  «  Héros  sans  œuvres  ». 
11  mourut  à  Mexico  sans  avoir  rien  fait  qui  mérite  d'être  conté. 

Le  premier  contador  de  Sa  Majesté,  choisi  par  Cortès  jusqu'à  ce 
que  le  Roi  notre  seigneur  en  disposât  autrement,  était  de  bonne  taille, 
d'un  visage  réjoui,  d'une  conversation  expressive,  claire  et  bien  rai- 
sonnée,  du  reste  très- courageux.  11  avait  trente-trois  ans  quand  il  vint 
avec  nous.  Autre  qualité  :  il  était  généreux  avec  ses  camarades,  mais 
hautain,  désireux  de  commander  et  de  ne  pas  obéir,  et  en  même  temps 
envieux.  Il  était  si  orgueilleux  et  turbulent,  que  Cortès  ne  pouvait 
pas  le  supporter;  aussi  l'envoya-t-il  en  Castille,  en  qualité  de  procu- 
reur, avec  Antonio  de  Quinoncs,  natif  de  Zamora.  Il  les  fit  porteurs 
de  la  garde-robe  et  des  richesses  de  Montezuma  et  de  Guatcmuz,  que 
les  Français  capturèrent  en  s'emparant  aussi  de  la  personne  de  Alonso 
de  Avila,  Quinoncs  ayant  été  tué  à  la  Tercera.  Alonso  de  Avila  revint 

1.  L'historien  Herrera  dit  :  né  à  Castroverde,  dans  le  royaume  de  Léon.  Il  y  a  <n 
effet,  dans  cette  partie  de  l'Espagne,  des  plaines  remarquables  qui  portent  le  nom 
de  Tierra  de  Campos,  spécialement  dans  la  province  de  Palencia. 


830  CONQUÊTE 

deux  ans  après  à  la  Nouvelle-Espagne.  Il  mourut  dans  le  Yucatan  ou 
à  Mexico.  Cet  Alonso  de  Avila  était  l'oncle  des  fils  de  Gril  Gonzalez  de 
Benavides  qui  furent  égorgés  à  Mexico,  événement  dont  j'ai  déjà 
parlé  dans  mon  récit. 

Andrès  de  Monjaraz  fut  capitaine  au  siège  de  Mexico  ;  il  était  d'une 
bonne  stature  et  d'un  visage  gai,  avec  une  barbe  presque  noire.  Il 
causait  bien;  mais  il  fut  toujours  malade  de  bubas,  et  c'est  pour  cela 
qu'il  ne  fît  pas  grand'chose  qu'on  puisse  raconter.  Si  j'en  fais  ici 
mention,  c'est  pour  qu'on  sache  bien  qu'il  était  capitaine.  Il  avait 
trente  ans  quand  nous  partîmes.  Il  mourut  des  suites  de  ses  bubas. 

Passons  à  un  très-valeureux  soldat  appelé  Ghristobal  de  Olea,  natif 
du  pays  de  Médina  del  Gampo  ;  il  avait  vingt-six  ans  quand  il  partit 
avec  nous;  il  était  membru,  de  formes  bien  prises,  de  taille  moyenne; 
bonne  poitrine,  épaules  bien  faites,  visage  un  peu  plein,  d'un  aspect 
paisible,  barbe  et  cheveux  un  peu  crépus,  et  la  voix  claire.  Ce  soldat 
fut  si  intrépide  en  tout  ce  que  nous  lui  vîmes  faire,  et  toujours  si 
disposé  à  combattre,  que  nous  étions  tous  pleins  de  sympathie  et  de 
respect  pour  lui.  Ce  fut  lui  qui  sauva  don  Hernando  Gortès  dans  l'af- 
faire de  Suchimilco,  quand  les  bataillons  mexicains,  l'ayant  précipité 
de  son  cheval,  le  tenaient  entre  leurs  mains  pour  l'emmener  et  le  sa- 
crifier. Il  le  sauva  encore  une  fois  lorsque,  sur  la  petite  chaussée  de 
Mexico,  ils  s'étaient  emparés  de  lui,  déjà  blessé  à  une  jambe,  pour 
l'emporter  plein  de  vie  au  sacrifice,  soixante-deux  soldats  ayant  déjà 
été  enlevés  vivants.  L'intrépide  Olea  s'escrima  tellement,  que  malgré 
ses  graves  blessures  il  tua  ou  maltraita,  d'estoc  et  de  taille,  tous  les 
Indiens  qui  emportaient  Gortès,  et  les  obligea  à  le  lâcher,  lui  sauvant 
ainsi  la  vie,  tandis  que  lui-même  restait  mort  sur  la  place. 

Je  veux  parler  maintenant  de  deux  soldats,  l'un  Gonzalo  Domin- 
guez,  et  l'autre  Lares;  ils  furent  d'une  telle  vaillance,  que  nous  les 
estimions  à  l'égal  de  Ghristobal  de  Olea.  Ils  étaient  membrus,  de 
belles  formes,  de  visage  gai,  beaux  parleurs  et  de  bon  caractère. 
Pour  tout  dire  en  un  mot,  en  fait  de  louange,  j'affirmerai  qu'on  peut 
les  compter  parmi  les  plus  valeureux  soldats  qu'il  y  ait  eu  en  Cas- 
tille.  Lares  mourut  à  la  bataille  d'Otumba,  et  Dominguez  dans  l'af- 
faire de  Guantepeque,  par  la  chute  d'un  cheval  qui  tomba  sur  lui. 

Passons  à  un  autre  bon  capitaine  et  valeureux  soldat  appelé  Andrès 
deTapia,  Il  avait  environ  vingt-quatre  ans  quand  il  partit  avec  nous; 
son  teint  était  d'une  couleur  légèrement  bistrée,  son  visage  peu  gai, 
son  corps  bien  formé  et  la  barbe  rare.  Il  fut  bon  capitaine,  à  pied 
comme  à  cheval,  et  mourut  de  mort  naturelle. 

Si  je  devais  décrire  les  traits  et  les  formes  de  tous  les  capitaines  et 
valeureux  soldats  qui  partirent  avec  Gortès,  j'en  allongerais  mon  mil 
outre  mesure.  En  considérant  d'ailleurs  à  quel  point  d'intrépidité  et 
de  bravoure  nous  en  étions  généralement  arrivés,  je  me  vois  forcé  de 


DE  LA  NQUVJELLE-ESPAGNE.  831 

reconnaître  que  tous  nos  noms  mériteraient  d'être  écrits  en  lettres 
d'or.  Si  je  ne  mentionne  pas  ici  beaucoup  d'autres  valeureux  capitai- 
nes qui  appartinrent  à  la  troupe  de  Narvaez,  c'est  parce  que  mon  in- 
tention, en  commençant  ce  récit,  a  été  de  ne  m'occuper  que  des  faits 
héroïques  et  des  grandes  actions  qui  nous  appartinrent,  à  nous  qui 
passâmes  avec  Gortès  à  la  Nouvelle-Espagne.  Je  ne  veux  parler  que 
du  capitaine  Pamphilo  de  Narvaez  lui-même,  qui  vint  à  l'île  de  Cuba, 
contre  Gortès,  avec  treize  cents  soldats,  sans  compter  les  marins.  Nous 
les  battîmes  avec  deux  cent  soixante-six  soldats  seulement.  On  aura 
vu  dans  mon  récit  comment,  quand  et  de  quelle  manière  le  fait  se 
passa.  Narvaez  paraissait  avoir  environ  quarante-deux  ans;  il  était  de 
haute  taille,  fortement  membre,  d'un  visage  allongé,  de  barbe  blonde 
et  d'agréable  aspect.  Ses  paroles  et  sa  voix  étaient  creuses  et  profon- 
des, comme  sortant  d'un  souterrain.  Il  montait  bien  à  cheval,  et  on 
le  disait  courageux.  Il  était  natif  de  Valladolid  ou  de  Tudela  deDuero, 
et  marié  à  une  dame  nommée  Maria  du  Yalenzuela.  Il  fut  capitaine 
dans  l'île  de  Cuba,  et  quoique  riche  on  le  disait  très-mesquin.  Il  per- 
dit un  œil  dans  sa  déroute.  Il  avait  l'habitude  de  s'exprimer  d'une 
manière  sensée.  Il  fut  en  Castille  parler  à  Sa  Majesté,  pour  se  plain- 
dre de  Gortès  et  de  nous  tous.  L'Empereur  l'honora  du  gouvernement 
d'un  pays  en  Floride,  où  il  se  perdit  en  dépensant  tout  ce  qu'il  pos- 
sédait. 

Plusieurs  curieux  lecteurs  et  caballeros  ayant  lu  les  mémoires 
qu'on  vient  de  voir,  relatifs  à  nous  tous,  capitaines  et  soldats,  qui 
passâmes  avec  le  fortuné  et  valeureux  don  Hernando  Gortès,  marquis 
Del  Valle,  de  l'île  de  Cuba  à  la  Nouvelle-Espagne;  voyant,  aussi  que 
je  décris  les  formes  de  leurs  corps,  l'aspect  de  leurs  figures,  leur  âge, 
leur  caractère,  les  lieux  de  leur  naissance  et  les  points  où  ils  sont 
morts....  ces  personnes,  dis-je,  sont  restées  émerveillées  de  constater 
qu'après  tant  d'années  je  conserve  encore  leur  souvenir,  sans  en  avoir 
rien  oublié.  Je  réponds  à  cela  qu'il  n'est  nullement  étonnant  que  je 
me  rappelle  maintenant  leurs  noms,  puisque  nous  n'étions  que  cinq 
cent  cinquante  compagnons  d'armes,  et  que  nous  causions  toujours 
ensemble,  pendant  les  marches  comme  pendant  les  veillées,  dans  les 
batailles  comme  dans  les  rencontres  de  guerre,  nous  entretenant  aussi 
de  ceux  d'entre  nous  qui  perdaient  la  vie  dans  ces  combats,  et  du 
malheur  des  victimes  qu'on  nous  enlevait  pour  les  sacrifier.  Nous 
étions  donc  en  continuelle  communication  les  uns  avec  les  autres,  et 
en  revenant  de  nos  batailles  les  plus  sanglantes  et  les  plus  disputées, 
nous  pouvions  voir  et  nous  comptions  ceux  qui  nous  manquaient  ; 
aussi  m'a-t-il  été  facile  de  les  mentionner  dans  ce  récit.  On  n'en  sera, 
du  reste,  pas  surpris,  si  l'on  réfléchit  que,  dans  les  temps  passés,  il 
y  eut  de  vaillants  capitaines  qui,  dans  leurs  campagnes,  apprenaient 
les  noms  de  leurs  soldats,  les  connaissaient,  les  appelaient,  savaient 


832  CONQUÊTE 

même  dans  quelles  provinces  ou  dans  quels  pays  ils  étaient  nés,  quoi- 
que dans  ces  temps-là  chaque  armée  se  composât  communément  de 
trente  mille  hommes.  Les  histoires  qui  les  concernent  disent  que  Mi- 
thridate,  roi  de  Pont,  fut  un  de  ceux  qui  connaissaient  ainsi  leurs 
armées.  Un  autre  encore,  c'était  le  roi  des  Épirotes,  autrement  connu 
sous  le  nom  d'Alexandre.  On  dit  aussi  qu'Annibal,  le  grand  capitaine 
carthaginois,  connaissait  tous  ses  soldats.  De  notre  temps,  le  grand 
et  vaillant  capitaine  Gonzalo  Hernandez  de  Gordova  connaissait  la 
plupart  des  militaires  qui  composaient  ses  bataillons;  et  il  en  a  été 
de  même  pour  beaucoup  d'autres  vaillants  guerriers. 

Je  dis  plus  :  je  les  ai  tous  tellement  gravés  dans  mon  esprit,  dans 
mon  cœur  et  dans  ma  mémoire,  que  si  je  savais  peindre  et  sculpter 
leurs  corps,  leurs  figures,  leurs  tailles,  leurs  mouvements,  leurs  vi- 
sages, leurs  traits,  comme  le  faisaient  et  le  grand  peintre  Apelles,  de 
si  grande  renommée,  et  les  peintres  de  notre  temps  ,  Berruguete, 
Michel-Ange  et  le  fameux  Burgalais,  qui  est,  dit-on,  un  autre 
Apelles...  je  crayonnerais  au  naturel  tous  ceux  dont  je  viens  de 
parler;  je  pourrais  même  dessiner  l'aspect  de  chacun  en  marchant  au 
combat,  et  le  courage  dont  il  y  faisait  preuve.  Grâces  soient  rendues 
à  Dieu  et  à  Notre  Dame  sa  Mère  bénie,  qui  m'ont  préservé  d'être 
sacrifié  aux  idoles,  et  m'arrachèrent  de  tant  d'autres  périls  et  mauvais 
pas,  pour  que  je  puisse  aujourd'hui  faire  revivre  ces  souvenirs! 


CHAPITRE  GGVII 


Des  choses  qui  sont  dites  dans  ce  livre  sur  les  mérites  que  nous  avons,  nous 
les  véritables  conquistadores;  lesquelles  seront  agréables  à  entendre1. 


J'ai  dit  quels  furent  les  soldats  qui  partirent  avec  Gortès  et  où  ils 
sont  morts.  Pour  achever  de  faire  connaître  nos  personnes,  je  dirai 
que  la  plupart  d'entre  nous  étaient  hidalgos  ;  quelques-uns  peut-être 
n'appartenaient  pas  aux  descendances  les  plus  claires  ;  mais  nous 
savons  qu'il  n'est  pas  donné  aux  hommes  d'être  tous  égaux,  de  même 
qu'ils  ne  sauraient  l'être  en  générosité  et  en  vertus.  Nous  pouvons 
bien,  du  reste,  abandonner  ce  récit  relatif  à  nos  antiques  noblesses, 
car  nos  noms  ont  reçu  un  lustre  bien  plus  estimable  des  faits  héroï- 
ques et  des  grandes  actions  dont  nous  avons  été  les  auteurs  en  nous 
battant  nuit  et  jour  et  en  servant  notre  seigneur  et  Roi  par  la  décou- 
verte de  ce  pays,  jusqu'à  conquérir  à  nos  frais  la  Nouvelle-Espagne, 
la  grande  ville  de  Mexico  et  tant  d'autres  provinces,  quoique  étant  si 
éloignés  de  la  Gastille  et  sans  pouvoir  espérer  d'autre  secours  que 
celui  de  Notre   Seigneur  Jésus-Christ,  qui  est  l'aide  véritable.  Si 


DE  LA    NOUVELLE-ESPAGNE.  833 

nous  portons  l'attention  sur  les  écrits  des  anciens,  et  si  les  laits  se 
sont  accomplis  comme  ils  le  disent,  nous  verrons  que  dans  les  temps 
passés  nombre  de  caballeros  lurent  exaltés  et  élevés  à  des  situations 
considérables,  en  Espagne  comme  en  d'autres  lieux,  pour  des  services 
rendus  alors,  dans  les  guerres  et  dans  d'autres  actions,  aux  rois  qui 
régnaient  à  leur  époque.  J'ai  remarqué  que  quelques-uns  de  ces 
caballeros  qui  gagnèrent  des  titres  d'États  et  devinrent  illustres  ne 
faisaient  campagne  et  ne  livraient  des  batailles  qu'en  recevant  des 
traitements  et  des  salaires  ;  outre  qu'ils  étaient  ainsi  rétribués,  on 
leur  donnait  encore  des  villes,  des  châteaux  et  de  grandes  terres  en 
dons  perpétuels,  avec  des  privilèges  et  des  franchises,  toutes  choses 
que  leurs  descendants  ont  héritées  d'eux.  Au  surplus,  lorsque  le  Roi 
don  Jayme  de  Aragon  conquit  et  gagna  sur  les  Maures  une  partie  de 
ses  États,  il  les  répartit  entre  les  caballeros  et  les  soldats  qui  l'aidè- 
rent à  les  gagner.  C'est  depuis  lors  qu'ils  sont  puissants  et  qu'ils 
possèdent  leurs  blasons.  Rappelons  aussi  la  conquête  de  Grenade  et 
le  temps  du  Grand  Capitaine  à  Naples;  rappelons  encore  le  prince 
d'Orange.  A  Naples,  on  donna  des  terres  et  des  seigneuries  à  ceux 
qui  combattirent  dans  les  guerres  et  les  batailles. 

Quant  à  nous,  nous  gagnâmes  à  Sa  Majesté  cette  Nouvelle-Espagne, 
sans  qu'Elle  en  eût  la  moindre  connaissance.  J'ai  fait  mémoire  de 
toutes  ces  choses  pour  qu'on  porte  les  yeux  aussi  sur  les  nombreux, 
bons,  notables  et  loyaux  services  que  nous  rendîmes  à  Dieu,  au  Roi 
et  à  toute  la  chrétienté.  Qu'on  les  mette  en  balance  et  qu'on  en  me- 
sure l'intérêt  ;  on  trouvera  sans  doute  que  nous  sommes  aussi  dignes 
d'être  exaltés  et  récompensés  que  le  furent  en  leur  temps  les  hommes 
dont  je  viens  de  parler.  Qu'on  me  permette  de  dire  qu'entre  les 
valeureux  soldats  dont  j'ai  fait  mémoire  dans  les  pages  qui  précèdent, 
il  y  eut  beaucoup  d'intrépides  compagnons  d'armes  qui  me  faisaient, 
à  moi,  la  réputation  d'un  soldat  assez  méritant.  Que  les  curieux  lec- 
teurs veuillent  bien  considérer  en  effet  mon  récit  avec  attention  ;  ils 
verront  dans  combien  de  batailles  et  rencontres  de  guerre  très-dange- 
reuses je  me  suis  trouvé  depuis  que  je  commençai  mes  découvertes  ; 
deux  fois  je  fus  saisi  et  solidement  étreint  par  un  grand  nombre  de 
Mexicains  contre  lesquels  je  combattais,  et  ils  m'emportaient  pour 
me  sacrifier,  lorsqu'il  plut  à  Dieu  me  donner  assez  de  force  pour 
m'échapper  de  leurs  mains,  tandis  que,  dans  ce  même  moment,  on 
enlevait  un  grand  nombre  de  mes  camarades  pour  les  conduire  au 
supplice;  sans  compter  tant  d'autres  périls,  tant  de  fatigues,  tant 
de  faim  et  de  soif  et  tant  de  difficultés  enfin  qui  augmentent  le 
mérite  de  ceux  qui  vont  découvrir  des  contrées  nouvelles.  Tout  cela 
se  trouve  reproduit  en  détail  dans  mon  récit.  Je  n'en  parlerai  donc 
plus  et  je  dirai  les  avantages  et  les  bénéfices  qui  ont  été  la  consé- 
quence de  nos  illustres  conquêtes. 


834  CONQUÊTE 


CHAPITRE  GGVIII 

Comme  quoi  les  Indiens  de  la  Nouvelle-Espagne  avaient  l'habitude  des  sacrifices 
et  des  vices  honteux  que  nous  les  obligeâmes  à  abandonner,  tandis  que  nous  les 
instruisîmes  dans  les  choses  saintes  de  la  bonne  doctrine. 

Puisque  j'ai  déjà  rendu  compte  de  nos  actes  dans  ce  livre,  il  est 
juste  que  je  fasse  maintenant  ressortir  les  bénéfices  qui  ont  été  la 
conséquence  de  nos  conquêtes  pour  le  service  de  Dieu  et  de  Sa  Ma- 
jesté, mpJgré  le  nombre  considérable  d'existences  qu'elles  coûtèrent  à 
mes  valeureux  compagnons  d'armes.  Un  bien  petit  nombre  d'entre 
nous  est  encore  vivant,  et  ceux  qui  sont  morts  ont  péri  sacrifiés,  leurs 
cœurs  et  leur  sang  ayant  été  offerts  aux  idoles  mexicaines,  Tezcate- 
puca  et  Huichilobos.  C'est  donc  le  cas  de  parler  ici  des  nombreux  éta- 
blissements de  sacrifices  humains  que  nous  trouvâmes  dans  les  villes 
et  les  provinces  conquises,  qui  toutes  étaient  infestées  de  cette  bar- 
bare coutume  et  de  mille  méchantes  choses  encore.  Je  voudrais  dire 
combien  de  victimes  étaient  sacrifiées  chaque  année.  D'après  le  calcul 
que  firent  certains  religieux  franciscains  venus  les  premiers  à  la  Nou- 
velle-Espagne, après  fray  Bartolomé  de  Olmedo,  trois  ans  et  demi 
avant  l'arrivée  des  dominicains  qui  furent  d'excellents  moines,  on 
trouva  qu'à  Mexico,  y  compris  quelques  villages  voisins  édifiés  dans 
la  lagune,  il  était  offert  aux  idoles,  annuellement,  environ  deux  mille 
cinq  cents  personnes  de  tout  âge.  Avec  ce  qui  se  passait  dans  d'autres 
provinces,  le  compte  en  monterait  considérablement  plus  haut. 

Les  pratiques  adoptées  étaient  cruelles  et  variées  en  si  grand 
nombre,  que  je  n'en  donnerai  point  ici  les  descriptions  détaillées; 
je  me  bornerai  à  faire  mémoire  de  ce  que  je  vis  moi-même  ou  dont 
j'entendis  parler.  Les  Indiens  avaient  l'habitude  de  sacrifier  la  peau 
du  front,  les  oreilles,  la  langue,  les  lèvres,  les  bras,  les  jambes,  et  en 
général  les  parties  molles  et  charnues.  Dans  certaines  provinces  on 
écorchail  les  victimes  au  moyen  de  couteaux  d'obsidienne  fabriqués 
dans  ce  but.  Les  temples,  qu'on  appelait  eue*,  étaient  si  nombreux, 
que  je  les  voue  à  la  malédiction1.  Je  pourrais  dire,  ce  me  semble, 
qu'on  les  voyait  dans  ce  pays,  comme  parmi  nous  en  Gastille  se 
voient  nos  saintes  églises,  nos  paroisses,  nos  ermitages  et  nos  em- 
blèmes sur  la  voie  publique.  C'est  bien  ainsi,  en  effet,  qu'on  avait 
édifié  dans  la  Nouvelle-Espagne  les  maisons  d'idoles  pleines  de  dé- 
mons et  de  figures  diaboliques.  Outre  ces  temples,  tous  les  Indiens, 

1.  Ce  passage  demande  une  note  dont  l'importance  est  trop  considérable  pour  que 
la  place  soit  ici  suffisante  Je  la  renvoie  à  la  (in  du  livre. 


DE  LA  NOUVELLE-ESPAGNE.  835 

hommes  ou  femmes,  possédaient  chacun  deux  autels;  l'un  à  côté  de 
leur  lit,  l'autre  à  la  porte  d'entrée  de  leur  maison,  et,  dans  l'intérieur 
du  domicile,  des  coffrets  et  des  armoires  pleins  d'idoles  menues  et 
grandes,  avec  de  petites  pierres,  des  morceaux  d'obsidienne,  des 
livrets  d'un  papier  fait  avec  des  écorces  d'arbre,  qu'ils  appellent  amatl, 
et  sur  lesquels  ils  écrivaient  en  caractère  du  temps  les  événements 
passés. 

Outre  ce  qui  précède,  j'ai  à  dire  que  la  plupart  des  Indiens  étaiont 
honteusement  vicieux,  surtout  ceux  qui  vivaient  vers  les  côtes  et  les 
parties  chaudes  du  pays  :  erdnt  quasi  omnes  sodomiâ  commqculaii, 
et  adolescentes  mulli,  muliebriter  vestiti,  ibant  publiée,  cibum  quœ- 
rentes  ab  isto  diabolico  et  abominabili  labore1.  Pour  ce  qui  est  de 
manger  de  la  chair  humaine,  on  peut  dire  qu'ils  en  faisaient  usage 
absolument  comme  nous  de  la  viande  de  boucherie.  Dans  tous  les 
villages  ils  avaient  l'habitude  de  construire  des  cases  de  gros  ma- 
driers, en  forme  de  cages,  pour  y  enfermer  des  hommes,  des  femmes, 
des  enfants,  les  y  engraisser  et  les  envoyer  au  sacrifice  quand  ils 
étaient  à  point,  afin  de  se  repaître  de  leur  chair.  En  outre,  ils  étaient 
sans  cesse  en  guerre,  provinces  contre  provinces,  villages  contre 
villages,  et  les  prisonniers  qu'ils  réussissaient  à  faire,  ils  les  man- 
geaient après  les  avoir  préalablement  sacrifiés.  Nous  constatâmes  la 
fréquence  de  la  pratique  honteuse  de  l'inceste  entre  le  fils  et  la  mère, 
le  frère  et  la  sœur,  l'oncle  et  les  nièces.  Les  ivrognes  étaient  nom- 
breux, et  je  ne  saurais  dire  les  saletés  dont  ils  se  rendaient  coupables; 
j'en  citerai  une  seule  que  nous  rencontrâmes  dans  la  province  du  Pa- 
nuco  :  in  anum  tubulos  quosdam  introducebant,  et  implebanl  ven- 
trem  vino  in  regionibus  eorum  collecto,  sicut  more  nostro  immit- 
titur  clyster,  — inaudita  turpitudo!2  Ils  prenaient  autant  de  femmes 
qu'ils  en  désiraient,  et  ils  avaient  du  reste  une  grande  quantité  d'au- 
tres vices  et  méchantes  habitudes3. 

Or,  toutes  ces  turpitudes  par  moi  racontées,  ce  fut  nous,  les  véri- 
tables conquistadores,  échappés  à  tant  de  guerres,  de  batailles  et  de 
dangers  de  mort,  ce  fut  nous  qui  y  mîmes  fin,  grâce  à  Notre  Seigneur 
Jésus-Christ  et  au  secours  d'en  haut.  A  la  place  de  ces  pratiques  hon- 
teuses, nous  établîmes  les  bonnes  coutumes,  et  nous  instruisîmes  ces 
peuples  dans  la  sainte  doctrine.  Il  est  vrai  dédire  que  deux  ans  après 
nous,  lorsque  déjà  la  plus  grande  partie  du  pays  était  pacifiée,  et  que 

1.  Les  paroles  de  Bernai  Diaz  sont  empreintes  ici  d'un  loi  réalisme  qu'elles  paraî- 
traient choquantes  au  lecteur  si  elles  étaient  traduites  littéralement  en  français 

2.  Les  mêmes  raisons  que  précédemment  m'obligent  à  employer  de  nouveau  la 
langue  des  Domains. 

3.  Bernai  Diaz  a  eu  le  tort  grave  de  ne  parler  que  des  vices  el  des  habitudes  hon- 
teuses des  Aztèques*.  C'était  un  peuple  à  beaucoup  d'égards  estimable.  D'autres  histo- 
riens plus  justes  nous  ont  dit  sur  leurs  mœurs,  sur  leurs  habitudes  intimes,  sur  leur 
éducation,  etc.,  des  choses  dignes  de  respect. 


836  CONQUÊTE 

les  mœurs  et  manières  de  vivre  imposées  par  nous  existaient  partout, 
vinrent  à  la  Nouvelle-Espagne  d'excellents  moines  franciscains  qui 
donnèrent  l'exemple  et  prêchèrent  les  saintes  vérités.  Trois  ou  quatre 
ans  après  eux  sont  venus  également  de  bons  Frères  dominicains  qui 
ont  achevé  de  déraciner  les  vices  en  recueillant  les  meilleurs  fruits  de 
la  propagation  de  la  sainte  doctrine  et  des  idées  chrétiennes  parmi 
les  naturels.  Mais,  si  l'on  veut  y  réfléchir,  après  Dieu,  c'est  bien  à 
nous  que  sont  dus  le  prix  et  la  récompense  de  ces  bienfaits  avant 
toute  autre  personne,  avant  les  moines  eux-mêmes,  à  nous  les  vérita- 
bles conquistadores,  qui  découvrîmes  ces  pays  et  les  conquîmes,  en 
ayant  l'honneur,  dès  le  principe,  d'enlever  leurs  idoles  aux  habitants, 
et  de  leur  donner  les  premières  leçons  de  doctrine  sacrée;  d'autant 
plus  que  nous  avions  avec  nous  des  moines  de  la  Merced  et  que,  lors- 
que le  commencement  est  bon,  la  suite  et  la  fin  deviennent  facilement 
dignes  de  louanges.  Les  curieux  lecteurs  ont  pu  réellement  se  con- 
vaincre que  nous  instruisîmes  la  Nouvelle-Espagne  dans  les  bonnes 
coutumes  de  chrétienté  et  de  justice. 

Je  m'arrêterai  un  instant,  pour  dire  ensuite  la  plus  grande  partie 
des  bienfaits  dont,  après  Dieu,  nous  avons  été  la  source  pour  les  na- 
turels de  la  Nouvelle-Espagne. 


CHAPITRE  CCLX 


Connue  quoi  nous  inspirâmes  de  bonnes  et  saintes  doctrines  aux  Indiens  de  la  Nou- 
velle-Espagne. De  leur  conversion,  et  comment  ils  furent  baptisés;  ils  acceptèrent 
notre  sainte  foi;  et  nous  leur  enseignâmes  les  métiers  de  Castille  et  l'habitude  de 
pratiquer  la  justice. 

Après  que  nous  eûmes  détruit  dans  le  pays  les  idolâtries  et  les 
vices  qui  y  étaient  répandus,  grâce  à  Notre  Seigneur  Dieu,  grâce 
aussi  à  la  bonne  fortune  et  à  la  sainte  chrétienté  des  très- chrétiens 
Empereurs  don  Carlos  de  glorieuse  mémoire,  et  de  notre  Roi,  très- 
heureux  seigneur  et  Roi  très-invincible  des  Espagncs,  don  Felipe, 
notre  maître,  son  bien-aimé  et  cher  fils ,  —  à  qui  Dieu  donne  un 
grand  nombre  d'années  de  vie  avec  augmentation  de  ses  royaumes, 
dont  puissent  jouir  dans  ces  temps  heureux  lui  et  ses  descendants  !  — 
on  a  baptisé  depuis  notre  conquête  toutes  les  personnes  qui  existaient 
dans  le  pays,  hommes,  femmes,  enfants,  et  celles  qui  sont  nées  après 
nous,  dont  les  âmes  auparavant  allaient  se  perdre  dans  les  enfers. 
Aujourd'hui  il  y  a  un  grand  nombre  de  bons  religieux  du  seigneur 
saint  François,  de  saint  Dominique,  de  Notre  Dame  de  la  Merced  et 
d'autres  ordres  encore,  qui  parcourent  les  villages  en  y  prêchant  et 
en  baptisant  toute  créature  qui  se  trouve  clans  l'âge  prescrit  par  notre 


DE  LA  NOUVELLE-ESPAGNE.  837 

sainte  mère  l'Église  de. Home.  Il  résulte  des  saints  sermons  qui  leur 
sont  faits  que  l'Évangile  s'enracine  dans  leurs  cœurs;  ils  se  confessent 
chaque  année  et  on  donne  la  communion  à  ceux  qui  ont  une  connais- 
sance plus  éclairée  de  notre  sainte  foi. 

En    outre,  ils  ont  des  églises  richement  pourvues   d'autels  et  de 
tout  ce  qui  sert  au  saint  culte  divin  :  des  croix,  des  candélabres,  des 
cierges,  des  calices,  des  patènes  ,  des  plateaux  grands  et  petits,  des 
encensoirs,   le  tout  en   métal  d'argent.   Ils  sont  bien  fournis   aussi 
de  chapes,  chasubles  et  frontaux;  les  villes  et  les  villages  riches  pos- 
sèdent même  des  ornements  en  velours,  damas,  satin,    taffetas  de 
couleurs  et  dessins  variés,  avec  des  fourreaux  pour  les  croix,  très- 
bien  travaillés  en  or  et  soie,  quelquefois  ornés  de  perles.  Les  croix 
mortuaires  sont  recouvertes  de    satin  noir  sur  lequel  sont  brodées 
des  têtes  de   mort  d'une  ressemblance  imposante.  Les  brancards  à 
reliques  et  à  saintes  images  ont  des  couvertures  de  diverses  valeurs. 
On  possède  aussi  le  nombre  de  cloches  voulu  selon  l'importance  des 
localités.  Ne  manquent  pas  non  plus  les  chantres  des  chapelles,  d'ex- 
cellentes voix,  ténors,  sopranos  et  contraltos.  Il  y  a  déjà  des  orgues 
dans  quelques  endroits,  et  partout  on  a  des  flûtes,  des  hautbois,  des 
saquebuttes  et  des  musettes.  Pour  ce  qui  est  des  trompettes  aiguës 
et  graves,  il  n'y  en  a  pas  dans  mon  pays  de  la  Vieille-Castille  autant 
qu'on   en  voit  dans  cette  province  de    Guatemala.    C'est  le    cas    de 
rendre  grâces  à  Dieu  et  d'admirer  comment  les   naturels  servent  la 
sainte  messe,  surtout  lorsque  la  disent  les  franciscains  ou  les  rédemp- 
torisles  dans  les  villages  mêmes  où  sont  établies  leurs  cures. 

Une  autre  bonne  chose  due  à  l'enseignement  des  religieux,  c'est 
que  tous  les  Indiens ,  hommes,  femmes  et  enfants  en  âge  d'ap- 
prendre, savent  dans  leur  propre  langue  toutes  les  prières  qu'ils  sont 
obligés  de  dire.  Ils  ont  acquis  aussi  une  excellente  coutume,  qui  in- 
dique le  respect  des  choses  saintes  du  christianisme  :  c'est,  lorsqu'ils 
passent  devant  l'image  d'un  saint,  un  autel  ou  une  croix,  de  courber 
la  tête  avec  humilité,  tomber  à  genoux  et  réciter  un  Pater  ou  un 
Ave.  Nous,  les  conquistadores,  nous  leur  enseignâmes  à  entretenir 
des  cierges  de  cire  allumés  devant  les  saints  autels  et  les  croix  ;  car, 
avant  nous,  il  n'avaient  pas  appris  à  faire  usage  de  la  cire  dans  ce 
but.  Outre  ce  que  je  viens  de  dire,  nous  les  instruisîmes  dans  la 
coutume  de  se  montrer  respectueux  et  obéissants  envers  les  moines 
et  les  prêtres,  ne  négligeant  point,  lorsque  ces  saints  hommes  appro- 
cheraient de  leurs  villages ,  d'aller  les  recevoir  avec  des  cierges 
allumés,  pendant  que  les  cloches  seraient  mises  en  branle  ;  n'ou- 
bliant pas  non  plus  de  leur  offrir  leur  nourriture,  choses  qu'ils  n'o- 
mettent jamais  de  faire  actuellement,  car  ils  remplissent  avec  exacti- 
tude tous  leurs  devoirs  envers  les  prêtres. 

Outre  les  bonnes  coutumes    dont  je   viens    de  parler,    ils  en    ont 


8S8  CONQUÊTE 

acquis  d'autres,  saintes  et  louables.  Ainsi,  quand  arrive  le  jour  de 
Corpus  Çhristi  ou  de  Notre  Dame,  ou  quelqu'une  des  fêtes  solen- 
nelles qui  nous  ont  inspiré  les  pratiques  des  processions,  tous  les 
habitants  des  villages  situés  aux  environs  de  cette  ville  de  Guatemala 
sortent  avec  leurs  croix,  tenant  en  main  des  cierges  allumés  et  por- 
tant sur  leurs  épaules  des  brancards  richement  ornés,  surmontés  de 
l'image  du  saint  qu'ils  ont  choisi  pour  patron.  Ils  s'avancent  ainsi 
en  chantant  les  litanies  et  d'autres  oraisons  sacrées,  au  son  des  flûtes 
et  des  trompettes.  Ils  se  livrent  aux  mêmes  cérémonies  dans  l'inté- 
rieur de  leurs  propres  villages,  aux  jours  de  ces  mêmes  fêtes  solen- 
nelles. Ils  ont  aussi  la  coutume  des  offrandes  les  dimanches,  aux 
Pâques  et  surtout  le  jour  de  la  Toussaint. 

Continuons  encore  pour  dire  que  la  plupart  des  Indiens  de  ce  pays 
ont  très-bien  appris  tous  les  métiers  qui  sont  en  usage  parmi  nous 
en  Gastille.  Ils  ont,  pour  cela,  leurs  ateliers, leurs  ouvriers,  et  ils  en 
retirent  leurs  moyens  d'existence.  Les  orfèvres  qui  travaillent  l'or  et 
l'argent,  soit   au   marteau,   soit  à  la  fonte,    sont  des  artisans  très- 
adroits.  Les  lapidaires  et  les  peintres  ne  sont  pas  moins  estimables. 
Les  ciseleurs  exécutent  les  travaux  les  plus   délicats  avec  leurs  fins 
instruments   d'acier,  spécialement  sur  l'émeri,  où  très-souvent   ils 
représentent  toutes  les  scènes  de  la  Passion  de  Notre  Rédempteur  et 
Sauveur  Jésus-Christ,  et  cela  avec  une  telle  perfection  que,  si  je  ne 
l'avais  vu  de  mes  propres  yeux,  je  n'aurais  jamais  pu  croire  que  ce 
fût  là  l'ouvrage  de  simples  Indiens.  Je   me  figure   qu'Apelles  ,   ce 
peintre  si  renommé  de  l'antiquité,  et  ceux  de   notre  temps,  Berru- 
guete  et  Michel-Ange,  ainsi  qu'un  autre   plus   moderne,    natif  de 
Burgos,  que  j'ai  cité  récemment  et  dont  la  renommée  est  si  grande, 
ne  réussiraient   pas   à  faire,   avec  leurs  pinceaux   les   plus  délicats, 
quelque  chose  de  comparable  aux   travaux  sur  l'émeri   et   aux  reli- 
quaires qui  sortent  des   mains   de  trois  Indiens  mexicains,    passés 
maîtres  dans  cet  art,   qu'on  appelle  Andrès  de  Aquino,  Juan  de  la 
Cruz  et  le  Crespillo.  En  outre,  la  plupart  des  fils  d'Indiens  de  qua- 
lité savent  la  grammaire,  et  ils  s'y  seraient  instruits  excellemment  si 
cela  ne  leur  avait  été  défendu  par  le  Saint  Synode  qui  fut  tenu  par 
ordre  du  Révérendissime  archevêque  de  Mexico.    Beaucoup  de  ces 
jeunes   gens  savent  lire,  écrire  et  copier  des  livres  de  plain-chant. 
Il  y  a  des  ouvriers  qui  tissent  la  soie,  le  satin,  le  taffetas;  d'autres 
qui  fabriquent  des  draps   de  laine  dont  la  trame   a  jusqu'à  vingt- 
quatre  centaines  de  fil;  ils  font  également  de  la  frise,  de  la  bure,  de 
la  manta  et  des   couvertures;  ils  sont  cardeurs  et  tisserands,  abso- 
lument comme  on  l'est  à  Ségovie  et  à  Cuenca;  ils  savent  aussi  fabri- 
quer des  chapeaux  et  du  savon.  Il  y  a  deux  choses  seulement  qu'ils 
n'ont  pu  apprendre,  malgré  le  soin  qu'ils  y  ont  apporté  :  faire  du 
verre  et  de  la  pharmacie.  Mais  j'ai  une  si  bonne  idée  de  leur  intel- 


DE  LA  NOUVELLE-ESPAGNE.  839 

ligence  que  je  garde  l'espoir  de  les  y  voir  réussir,  car  quelques-uns 
d'entre  eux  sont  déjà  chirurgiens  et  herboristes.  Ils  sont  d'ailleurs 
prestidigitateurs,  joueurs  de  marionnettes  et  fabricants  de  bonnes 
mandolines.  Quant  à  être  laboureurs,  ils  l'étaient  d'instinct  avant 
que  nous  fussions  arrivés  à  la  Nouvelle-Espagne. 

Actuellement  ils  élèvent  du  bétail  de  toute  espèce  ;  ils  domesti- 
quent des  bœufs,  labourent  leurs  champs,  sèment  du  blé,  l'appro- 
prient quand  il  est  mûr  et  le  portent  aux  marchés  ;  ils  en  font  du 
pain  et  du  biscuit.  Ils  ont  planté  sur  leurs  terres  et  leurs  héritages 
tous  les  arbres  fruitiers  que  nous  avons  apportés  d'Espagne,  et  ils 
en  vendent  les  produits.  Ils  en  ont  tant  aujourd'hui  qu'ayant  cru 
reconnaître  que  les  pêches  sont  mauvaises  pour  la  santé  et  que  les 
plants  de  bananiers  portent  trop  d'ombrage,  ils  se  sont  résolus  à 
supprimer  partout  ces  espèces  et  à  les  remplacer  par  des  cognassiers, 
des  pommiers  et  des  poiriers  pour  lesquels  ils  ont  une  plus  grande 
estime. 

Je  raconterai  maintenant  comme  quoi  nous  leur  avons  enseigné  à 
respecter  et  à  faire  observer  la  justice.  Il  en  résulte  qu'ils  élisent 
chaque  année  leurs  alcaldes  ordinaires,  les  regidores ,  les  greffiers, 
les  alguazils,  les  fiscales  et  les  syndics.  Ils  ont  des  maisons  munici- 
pales avec  leurs  concierges,  et  s'y  réunissent  deux  fois  par  semaine  ; 
ils  y  administrent  la  justice,  prenant  soin  de  veiller  au  règlement  de 
ce  qu'ils  se  doivent  entre  eux  et  châtiant  de  la  peine  du  bâton  cer- 
tains faits  criminels;  mais  s'il  y  a  eu  mort  d'homme  ou  faute  grave, 
ils  renvoient  l'affaire  devant  les  gouverneurs,  toutes  les  fois  qu'il 
n'y  a  pas  surplace  un  haut  tribunal  royal.  Si  j'en  crois  les  personnes 
qui  me  paraissent  bien  informées,  à  Tlascala,  à  Tezcuco,  à  Gholula, 
à  Gruaxocingo ,  à  Tepeaca  et  dans  d'autres  grandes  villes,  quand  il 
doit  y  avoir  réunion  en  conseil  municipal ,  les  gouverneurs  et  les 
alcaldes  se  font  précéder  par  des  massiers  avec  leurs  masses  dorées, 
comme  ont  l'habitude  de  le  faire  les  Vice-Rois  de  la  Nouvelle-Espagne. 
Ils  appliquent  du  reste  la  justice  avec  la  même  équité,  la  même  au- 
torité que  cela  se  passe  parmi  nous,  et  ils  témoignent  du  désir  de 
connaître  nos  lois,  afin  d'en  faire  la  base  de  leurs  jugements.  Au 
surplus,  les  caciques  sont  riches  :  ils  possèdent  des  chevaux  bien 
harnachés,  avec  de  belles  selles;  ils  sortent  en  promenades  dans  les 
villes,  dans  les  bourgs,  dans  les  différentes  peuplades,  où  ils  vont  se 
récréer  ;  ils  agissent  de  même  dans  leurs  propres  villages,  ayant 
toujours  soin  d'amener  des  Indiens  pour  les  accompagner  et  leur 
servir  de  pages.  Dans  certains  endroits  ils  font  des  carrousels,  des 
courses  de  taureaux  ;  ils  organisent  des  jeux  de  bagues,  surtout  aux 
fêtes  de  Corpus  Chrisli,  de  saint  Jean,  de  saint  Jacques,  de  Notre 
Dame  d'août  et  du  saint  patron  du  lieu.  Plusieurs  d'entre  eux  atten- 
dent les  taureaux  de  pied  ferme,  fussent-ils  très -sauvages. 


840  CONQUETE 

Ils  sont  bons  cavaliers^  surtout  à  Chiapa  des  Indiens;  les  caciques, 
comme  j'ai  dit,  ont  presque  tous  des  chevaux;  quelques-uns  possèdent 
même  des  troupeaux  de  juments  et  de  mules;  ils  s'en  servent  pour  le 
transport  du  bois  à  brûler,  du  maïs,  de  la  chaux  et  autres  produits 
qu'ils  vont  offrir  en  vente.  Beaucoup  d'Indiens  sont  arrieros  de  pro- 
fession, de  la  même  manière  que  nous  le  voyons  en  Gastille.  Pour 
tout  dire  en  un  mot,  ils  s'adonnent  avec  perfection  à  tous  les  métiers 
jusqu'à  faire  même  de  la  tapisserie.  Je  n'en  dirai  pas  davantage  à  ce 
sujet,  mais  je  ferai  encore  mention  de  quelques  autres  grandes  choses 
dont  nous  avons  été  la  source  dans  cette  Nouvelle-Espagne. 


CHAPITRE  GGX 

De  plusieurs  autres  avantages  qui  ont  été  la  conséquence  de  nos  illustres 
conquêtes  et  de  nos  travaux. 

On  a  lu  dans  les  précédents  chapitres  ce  que  je  raconte  des  bien- 
faits qui  ont  suivi  nos  illustres  hauts  faits  et  nos  conquêtes.  Je  dois 
mentionner  actuellement  l'or,  l'argent,  les  pierres  précieuses,  la 
cochenille,  les  laines,  la  salsepareille  elle-même  et  les  cuirs  d'animaux, 
qui,  de  la  Nouvelle-Espagne,  ont  été  envoyés  en  Gastille  à  notre  Roi 
et  seigneur,  soit  pour  son  quint  royal,  soit  à  l'occasion  des  nombreux 
présents  que  nous  Lui  avons  fait  offrir  depuis  que  nous  nous  sommes 
rendus  maîtres  de  ce  pays;  sans  compter  les  quantités  considérables 
de  produits  qu'emportent  les  passagers  et  les  marchands.  C'est  au 
point  que,  depuis  que  le  sage  roi  Salomon  fit  édifier  le  temple  sacré 
de  Jérusalem  avec  l'or  et  l'argent  qu'on  lui  envoya  de  Tarsis,  d'Ophir 
et  de  Saba,  on  n'a  jamais  entendu  parler,  dans  aucune  histoire  de 
l'antiquité,  de  plus  d'or  et  d'argent  qu'il  n'en  est  allé  de  ce  pays  en 
Gastille.  Je  m'exprime  ainsi,  bien  que  l'on  ait  rapporté  du  Pérou  pour 
beaucoup  de  milliers  de  piastres  de  ces  métaux,  parce  que,  du  temps  que 
nous  conquîmes  la  Nouvelle-Espagne,  il  n'était  nullement  question 
du  Pérou  qui  n'était  pas  encore  découvert,  et  dont  on  ne  fit  même 
la  conquête  que  dix  ans  plus  tard.  Or,  nous,  dès  le  début  même  de  la 
campagne,  ainsi  que  je  l'ai  dit,  nous  commençâmes  d'envoyer  à  Sa 
Majesté  de  richissimes  présents.  G'est  pour  celte  raison  et  pour  bien 
d'autres  dont  je  parlerai,  que  je  place  la  Nouvelle-Espagne  à  la  tête 
de  tous  les  pays  découverts.  Nous  savons  en  effet  que  dans  les 
événements  du  Pérou  les  capitaines,  les  gouverneurs  et  les  soldats 
ont  été  en  proie  à  des  guerres  civiles  constantes;  on  s'y  noyait  dans  le 
sang,  et  l'on  eut  à  déplorerune  quantité  énorme  de  morts  d'hommes. 
Dans   cette  Nouvelle-Espagne,  au  contra  ire,  nous  avons  toujours  eu 


DE  LA  NOUVELLE-ESPAGNE.  841 

tk  nous  aurons  sans  cesse  à  l'avenir  les  poitrines  inclinées  vers  la 
ïerre  au  nom  de  notre  Roi  et  seigneur,  toujours  prêts  à  réserver  nos 
vies  et  nos  biens  pour  les  sacrifier  au  seul  service  de  Sa  Majesté. 

Que  l'on  considère  au  surplus  combien  de  villes,  de  bourgs  et  de 
villages  de  ce  pays  sont  aujourd'hui  peuplés  d'Espagnols.  Leur 
liombre  est  déjà  si  grand  que  je  l'ignore,  et  que,  n'en  pouvant  déter- 
miner toute  l'importance,  j'aime  mieux  n'en  pas  dire  un  mot  de  plus. 
Qu'on  remarque  bien  aussi  les  évêchés  actuellement  établis  :  il  y  en 
a  dix,  sans  compter  l'archevêché  de  l'insigne  ville  de  Mexico.  Il  y  a 
trois  Audiences  royales,  ainsi  que  je  l'expliquerai  plus  longuement,  de 
même  que  je  dirai  les  gouverneurs,  les  archevêques  et  les  évêques 
qui  ont  déjà  existé  dans  le  pays.  Voyez  aussi  les  saintes  églises  cathé- 
drales et  les  monastères  qui  comptent  tant  de  dominicains,  francis- 
cains, rédemptoristes  et  augustins  !  Considérez  encore  les  hôpitaux  el 
les  grandes  indulgences  qui  y  sont  attachées,  l'édifice  sacré  de  Notre- 
Dame  de  (juadalupe  qui  s'élève  sur  les  terrains  de  Tepeaquilla,  où 
était  situé  le  campement  de  Gonzalo  de  Sandoval  alors  que  nous  prîmes 
Mexico;  admirez  les  saints  miracles  qui  s'y  sont  faits  et  s'y  renou- 
vellent encore  chaque  jour,  et  rendons  grâces  à  Dieu  et  à  Notre  Dame 
sa  Mère  bénie  pour  tous  ces  biens,  en  pensant  que  de  là  nous  vinrent 
la  grâce  et  l'appui  qui  nous  firent  conquérir  ces  contrées  où  le  chris- 
tianisme est  déjà  si  florissant. 

Mettez  encore  en  ligne  de  compte  qu'il  existe,  à  Mexico,  un  collège 
universitaire  où  l'on  apprend  la  grammaire,  la  théologie,  la  rhétorique, 
la  logique,  la  philosophie  et  autres  arts  et  sciences.  Il  y  a  déjà  des 
caractères  et  des  maîtres  imprimeurs  pour  le  latin  comme  pour  la 
langue  castillane,  et  l'on  peut  y  acquérir  des  diplômes  de  licencié 
et  de  docteur.  Je  pourrais  encore  parler  de  bien  d'autres  magni- 
ficences; je  pourrais  mentionner,  par  exemple,  les  riches  mines 
d'argent  qu'on  a  découvertes  et  que  Ton  découvre  chaque  jour,  par 
lesquelles  notre  Castille  est  devenue  prospère,  s'atlirant  l'estime  et  le 
respect  de  tous1.  Si  ce  n'est  pas  assez  de  ce  que  je  viens  de  dire 
de  nos  conquêtes,  je  prierai  les  lettrés  et  les  sages  de  bien  examiner 
cependant  tous  les  points  de  mon  récit,  du  commencement  à  la  fin, 
et  j'espère  encore  qu'ils  y  verront  que  dans  nulle  histoire  au  monde 
et  dans  l'ensemble  d'aucuns  événements  humains  il  n'a  pu  être  ques- 
tion d'hommes  qui  aient  acquis  plus  de  royaumes  et  de  seigneuries 
que  nous  n'en  avons  gagné,  nous  les  vrais  conquistadores,  pour  notre 
Roi  et  seigneur.  Je  veux  ajouter  que  parmi  ces  conquistadores,  mes 

1.  Le  lecteur  ne  doit  pas  perdre  de  vue  que  Berna!  Diaz  écrit  ce  passage  en  lôG8. 
quarante  sept  ans  par  conséquent  après  la  prise  de  Mexico.  Quoiqu'un  demi-siècle 
soit  suffisant  pour  opérer  beaucoup  de  réformes  dans  un  pays  conquis,  l'auteur  a  bien 
raison  de  s'enorgueillir  de  la  rapidité  avec  laquelle  tant  de  merveilles  avaient  été 
opérées  par  les  Espagnols,  pour  ainsi  dire  sous  ses  yeu\, 


842  CONQUÊTE 

compagnons  d'armes  —  et  il  y  en  eut  de  bien  renommés  pour  leur  vail- 
lance—  on  m'avait  marqué  ma  place  d'honneur,  et  je  suis,  celui  dont 
les  services  datent  du  plus  loin;  et  je  le  dis  encore,  c'est  moi,  moi, 
moi  qui  suis  le  plus  ancien  d'entre  eux,  et  je  suis  sûr  d'avoir  servi  Sa 
Majesté  en  bon  soldat. 

Je  voudrais  maintenant  faire  une  question,  ou  plutôt  entamer  un 
dialogue.  J'ai  vu  la  bonne  et  grande  Renommée  qui  résonne  dans  le 
monde  au  sujet  des  loyaux,  nombreux  et  notables  services  que  nous 
avons  rendus  à  Dieu,  à  Sa  Majesté  et  à  toute  la  chrétienté;  elle  crie  à 
haute  voix  qu'il  serait  juste  et  raisonnable  que  nous  eussions  de 
bonnes  rentes,  beaucoup  meilleures  même  que  celles  dont  ont  été 
'honorées  d'autres  personnes  qui  n'ont  servi  Sa  Majesté  ni  en  cette 
conquête  ni  en  aucune  autre  entreprise.  Aussi  demande-t-elle  où  sont 
nos  palais  et  nos  demeures  et  quelles  armoiries  les  distinguent  de 
tous  les  autres.  Y  a-t-on  sculpté,  pour  en  conserver  la  mémoire,  nos 
faits  héroïques  et  nos  armes,  ainsi  qu'on  le  pratique  en  Espagne  pour 
les  caballeros  dont  j'ai  parlé  dans  un  chapitre  précédent,  qui  servirent 
dans  les  temps  passés  les  monarques  qui  régnaient  alors?  Car  nos 
actions  héroïques  ne  sont  pas  inférieures  à  celles  de  nos  prédécesseurs; 
elles  sont  au  contraire  dignes  d'un  renom  durable,  et  elles  peuvent 
s'inscrire  entre  les  plus  insignes  qu'il  y  ait  eu  dans  le  monde. 

Au  surplus,  l'illustre  Renommée  s'est  informée  de  nous  tous  les 
conquistadores  qui  avons  échappé  aux  batailles  passées,  et  de  nos 
compagnons  d'armes  qui  sont  morts;  elle  demande  où  sont  leurs  sé- 
pulcres et  quelles  armoiries  les  recouvrent.  A  tout  cela  on  peut  lui  ré- 
pondre en  peu  de  mots  :  «  0  vous,  excellente  et  illustre  Renommée, 
désirée  et  glorifiée  par  les  hommes  bons  et  vertueux,  je  ne  voudrais 
point  entendre  prononcer  votre  nom  insigne  entre  les  méchants  qui 
se  sont  efforcés  de  mettre  un  voile  sur  nos  faits  héroïques,  de  crainte 
que  vous  ne  cessiez  d'élever  nos  personnes  au  rang  qui  leur  convient. 
Noble  dame,  je  vous  fais  savoir  que,  sur  les  cinq  cent  cinquante  sol- 
dats qui  partîmes  avec  Gortès  de  l'île  de  Cuba,  aujourd'hui,  en  l'an- 
née 1568  où  je  transcris  ce  récit,  il  n'existe  plus  dans  toute  la  Nouvelle- 
Espagne  que  cinq  d'entre  nous;  tous  les  autres  sont  morts,  les  uns 
dans  les  batailles  que  j'ai  décrites,  aux  mains  des  Indiens  et  sacrifiés 
à  leurs  idoles  ;  quelques  autres  ont  fini  leur  carrière  par  une  mort 
naturelle.  On  me  demande  où  sont  leurs  sépulcres,  et  je  réponds  qu'ils 
ont  été  ensevelis  dans  les  ventres  des  Indiens  qui  mangèrent  leurs 
jambes,  leurs  bras,  leurs  chairs,  leurs  pieds  et  leurs  mains,  tandis 
que  leurs  entrailles  ont  été  dévorées  par  les  tigres,  les  serpents  et  les 
lions  que  l'on  entretenait  en  ce  temps-là  dans  des  cages  solides  comme 
un  monument  de  la  magnificence  royale.  Voilà  les  sépulcres  de  mes 
compagnons  d'armes;  voilà  leurs  armoiries!  Je  me  figure  donc  aujour- 
d'hui que  leurs  noms  devraient  du  moins  s'inscrire  en  lettres  d'or, 


DE  LA  NOUVELLE-ESPAGNE.  843 

puisqu'ils  ont  fini  par  cette  cruelle  mort  pour  servir  Dieu  et  Sa  Ma- 
jesté, en  répandant  la  lumière  parmi  les  hommes  qui  vivaient  dans 
les  ténèbres,  et  aussi  pour  acquérir  quelques  richesses,  après  lesquel- 
les tous  les  hommes  ont  l'habitude  de  courir.  » 

Non  satisfaite- avec  cette  réponse,  l'illustre  Renommée  me  demande 
ce  que  sont  devenus  les  hommes  de  Narvaez  et  de  Garay.  Je  réplique 
que  ceux  de  Narvaez  s'élevèrent  au  nombre  de  treize  cents,  sans  comp- 
ter les  marins,  et  il  n'en  reste  vivants  aujourd'hui  que  dix  ou  onze 
seulement  ;  la  plupart  sont  morts  dans  les  batailles,  ou  sacrifiés,  et 
leurs  corps  ont  été  mangés  par  les  Indiens  ni  plus  ni  moins  que  les 
nôtres.  Quant  aux  hommes  de  Garay,  partis  de  la  Jamaïque,  en  leur 
ajoutant  les  trois  bataillons  qui  vinrent  à  Saint-Jean  d'Uloa  avant  le 
pass  ge  de  Garay  lui-même  avec  le  reste  de  son  monde,  ils  formaient 
à  mon  compte  un  ensemble  de  douze  cents  soldats  ;  presque  tous  fu- 
rent sacrifiés  dans  la  province  de  Panuco,  et  mangés  par  les  naturels 
du  pays.  En  outre,  la  louable  Renommée  demande  ce  que  sont  deve- 
nus quinze  autres  soldats  qui  abordèrent  à  la  Nouvelle-Espagne,  pro- 
venant de  la  déroute  de  Lucas  Vasquez  de  Aillon,  quand  il  périt 
dans  la  Floride.  Je  réponds  qu'ils  sont  tous  morts.  Et  maintenant  je 
vous  fais  savoir,  excellente  Renommée,  que,  de  tous  ceux  dont  j'ai 
parlé  comme  ayant  appartenu  à  la  troupe  de  Gortès,  cinq  seulement 
vivons  encore  ;  nous  sommes  bien  vieux,  affligés  de  maladies,  très- 
pauvres,  chargés  de  fils,  de  filles  à  marier  et  de  petits-enfants,  avec 
de  fort  mesquins  revenus  ;  et  nous  passons  ainsi  notre  triste  vie  au 
milieu  des  fatigues  et  des  misères. 

Et  puisque  j'ai  rendu  compte  de  tout  ce  qu'on  m'a  demandé,  et  de 
nos  palais,  et  de  nos  armoiries,  et  de  nos  sépulcres,  je  vous  supplie, 
illustrissime  Renommée,  d'élever  encore  plus  à  l'avenir  votre  excel- 
lente et  très-puissante  voix,  pour  que  dans  le  monde  entier  se  puis- 
sent voir  clairement  nos  grandes  prouesses,  afin  de  rendre  vains  les 
efforts  des  méchants  qui  prétendent  les  obscurcir  par  leur  langage  pé- 
tri d'une  infatigable  envie.  A  cette  prière  la  très  -vertueuse  Renom- 
mée répond  qu'elle  fera  volontiers  ce  que  je  lui  demande;  car  elle 
s'étonne  qu'à  l'exemple  du  marquis  Gortès  qui  les  possède,  nous 
n'ayons  point  obtenu  les  meilleurs  repartit  nientox  d'Indiens,  attendu 
que  nous  les  avions  bien  gagnés,  et  que  Sa  Majesté  en  avait  ainsi  dis- 
posé. Ge  n'est  pas  à  dire  qu'on  nous  en  dût  donner  autant  qu'à  notre 
chef,  mais  du  moins  une  part  modérée.  En  outre,  la  louable  Renom- 
mée dit  encore  que  les  actions  du  valeureux  et  intrépide  Gortès  seront 
toujours  estimées  et  reproduites  parmi  les  hauts  faits  des  vaillants 
capitaines,  mais  qu'il  n'y  a  nulle  ombre  de  la  mémoire  d'aucun  de 
nous  dans  les  récits  historiques  du  chroniqueur  Francisco  Lopez  de 
Gomara  ni  dans  ceux  du  docteur  Illescas  qui  a.  écrit  le  Pontifical,  pas 
plus  que  dans  les  pages  de  chroniqueurs  plus  récents.  D'après  leurs 


844  CONQUÊTE 

livres,  seul  Je  Marquis  Gortès  découvrit  et  conquit  toutes  choses;  tan- 
dis que  nous,  capitaines  et  soldats,  qui  soumîmes  réellement  ces  con- 
trées, nous  restons  en  blanc,  sans  qu'il  y  ait  nul  souvenir  de  nos  per- 
sonnes ni  de  nos  conquêtes. 

La  Renommée  se  réjouit  beaucoup  de  pouvoir  reconnaître  claire- 
ment que  tout  est  vrai  dans  le  récit  que  je  viens  de  faire,  lequel  récit 
dit  au  pied  de  la  lettre  ce  qui  s'est  passé,  sans  aucune  flatterie  répré- 
bensible,  sans  efforts  pour  mettre  en  lumière  un  seul  capitaine  au 
préjudice  de  beaucoup  d'autres  chefs  et  valeureux  soldats,  ainsi  que 
l'ont  fait  Francisco  Lopez  de  Gomara  et  les  autres  chroniqueurs  qui 
imitent  son  histoire.  La  bonne  Renommée  m'a  promis  au  surplus 
qu'elle  le  criera  d'une  voix  claire  partout  où  elle  se  trouvera.  Indé- 
pendamment de  sa  voix,  si  ma  chronique  s'imprime,  on  ne  pourra 
manquer,  en  la  voyant,  de  lui  donner  une  foi  complète;  et  ainsi  tom- 
beront dans  l'obscurité  les  flatteries  des  écrits  qui  m'ont  précédé. 

Outre  ce  que  je  viens  de  dire  sous  forme  de,  dialogue,  un  docteur, 
auditeur  de  l'Audience  royale  de  Guatemala,  m'a  demandé  comment 
il  se  faisait  que  Gortès,  quand  il  écrivait  à  Sa  Majesté,  et  lorsqu'il 
fut  la  première  fois  en  Gastille,  n'eût  point  intercédé  pour  nous  tous, 
attendu  qu'après  le  secours  du  bon  Dieu,  ce  fut  à  nous  qu'il  dut  d'ê- 
tre marquis  et  gouverneur.  Je  répondis  alors  et  je  répète  aujourd'hui 
qu'ayant  pris  pour  lui  tout  ce  qu'il  y  avait  de  mieux  dans  la  Nouvelle- 
Espagne,  lorsque  Sa  Majesté  l'en  fit  gouverneur,  il  crut  réellement 
qu'il  en  serait  toujours  le  maître  absolu  et  qu'il  aurait  par  conséquent 
la  liberté  de  nous  donner  ou  de  nous  ôter  les  Indiens  qu'il  voudrait  ; 
c'est  la  raison  qu'on  peut  supposer  et  qui  explique  qu'il  ne  parlât 
point  de  nous  et  qu'il  n'écrivît  pas  à  notre  sujet.  Mais,  au  temps  où 
Sa  Majesté  lui  donna  son  marquisat,  importunée  pour  lui  concéder 
définitivement  le  gouvernement  de  la  Nouvelle-Espagne  ,  ainsi  qu'il 
l'avait  eu  déjà,  Elle  répondit  que  sa  première  faveur  devait  suffire. 
Dans  cette  situation,  Gortès  ne  crut  pas  devoir  s'inquiéter  de  nous, 
qui  en  aurions  tant  besoin  aujourd'hui,  et  il  se  contenta  de  penser  à 
ses  intérêts. 

Au  surplus,  le  Factor,  le  Veedor  et  d'autres  caballeros  de  Mexico 
écrivirent  à  Sa  Majesté  que  Gortès  avait  pris  pour  lui  les  meilleures 
p'rovinces  et  les  villages  de  choix  de  la  Nouvelle-Espagne,  donnant  en 
outre  d'autres  lots  excellents  à  ses  parents  et  amis  qui  étaient  venus 
récemment  de  Gastille,  ne  réservant  ainsi  que  fort  peu  de  chose  poul- 
ie domaine  royal.  Nous  sûmes  plus  tard  que  Sa  Majesté,  au  temps  où 
Elle  s'embarqua  à  Rarcelone  pour  la  Flandre,  avait  ordonné  à  Gortès 
de  distribuer  ce  qu'il  avait  déjà  de  trop  à  nous  tous  qui  partîmes  avec 
lui.  Si  notre  chef,  lorsque  fut  conquise  la  Nouvelle-Espagne,  l'eût  divi- 
sée en  cinq  parties,  il  eût  pu  y  choisir, —  et  c'eût  été  bien  fait, — dans 
les  meilleures  provinces  et  grandes  villes,  de  quoi   former  le  quint 


DE  LA   NOUVELLE-ESPAGNE.  845 

royal  pour  notre  Roi  et  seigneur.  Il  eût  pris  un  cinquième  et  demi 
pour  lui-même,  à  la  condition  d'y  faire  une  part  aux  églises,  monas- 
tères et  dépenses  municipales.  Quant  aux  récompenses  que  Sa  Majesté 
voudrait  attribuer  aux  serviteurs  des  guerres  d'Italie  et  des  campagnes 
contre  Turcs  et  Maures,  les  deux  cinquièmes  et  demi  restants  y  au- 
raient pourvu  si  on  eût,  pris  soin  de  les  partager  entre  eux  et  nous 
tous,  nous  assurant  ainsi  nos  parts  aussi  Lien  qu'à  Cortès.  Il  est  clair 
que  notre  Empereur,  étant  le  Roi  Très-Chrétien,  considérant  que  cette 
conquête  ne  lui  avait  rien  coûté,  se  fût  empressé  de  nous  faire  ces 
faveurs. 

Quant  à  demander  justice,  aux  temps  dont  nous  parlons,  nous  n'au- 
rions su  ce  que  cela  voulait  dire  ni  à  qui  nous  adresser  pour  récom- 
penser nos  services  ou  redresser  les  torts  dont  nous  souffrions  pen- 
dant la  campagne;  nous  n'avions  que  Cortès,  qui  était  notre  chef  et 
qui  possédait  réellement  toute  l'autorité.  Il  fallut  donc  rester  dupés 
avec  le  peu  qu'on  nous  donnait,  jusqu'à  ce  que  nous  vîmes  qu'ayant 
été  en  Castille  se  présenter  à  Sa  Majesté,  Francisco  de  Montejo  en 
reçut  la  faveur  d'être  adelantado  et  gouverneur  de  Yucatan,  avec  la  con- 
firmation du  don  des  Indiens  qu'il  possédait  déjà  à  Mexico,  et  d'autres 
grâces  dont  il  fut  encore  favorisé.  Diego  de  Ordas,  qui  alla  aussi  se 
présenter  à  Sa  Majesté,  fut  fait  commandeur  de  Santiago  et  proprié- 
taire réel  des  Indiens  qu'il  avait  reçus  dans  la  Nouvelle-Espagne. 
Don  Pedro  de  Alvarado,  qui  fut  aussi  baiser  les  pieds  de  Sa  Majesté, 
fut  fait  adelantado  et  gouverneur  de  Guatemala  et  Chiapa,  ainsi  que 
commandeur  de  Santiago  et  possesseur  réel  des  Indiens  qu'il  avait 
déjà.  Après  eux  arriva  Cortès,  qui  fut  fait  marquis  et  capitaine  général 
de  la  mer  du  Sud. 

Lorsque  nous,  les  conquistadores,  nous  aperçûmes  que  ceux  qui  ne 
se  présentaient  pas  à.  Sa  Majesté  ne  trouvaient  personne  qui  demandât 
au  Roi  des  grâces  pour  eux,  nous  nous  décidâmes  à  l'envoyer  supplier 
de  vouloir  bien  nous  faire  la  concession  perpétuelle  des  biens  qui  se- 
raient vacants.  Comme  notre  droit  apparut  clairement,  lorsque  la  pre- 
mière Audience  royale  s'installa  à  Mexico  avec  Nuno  de  Guzman  pour 
président,  et  pour  auditeurs  le  licencié  Delgadillo,  natif  de  Grenade, 
Matienzo,  de  Riscaye,  et  deux  autres  qui  moururent  en  arrivant,  Sa 
Majesté  ordonna  expressément  à  Nuno  de  Guzman  de  faire  le  dénom- 
brement des  Indiens  de  la  Nouvelle-Espagne  et  d'en  voir  l'ensemble, 
afin  que  les  personnes  qui  tenaient  de  Cortès  des  repartimientos  trop 
considérables  ne  les  gardassent  pas  en  entier.  On  devait  en  distraire 
le  nécessaire  pour  que  nous,  les  conquistadores,  pussions  recevoir 
les  villages  du  meileur  produit,  et  que  les  chefs-lieux  et  les  villes  les 
plus  considérables  fussent  attribués  au  patrimoine  royal.  Sa  Majesté 
ordonna  également  de  compter  les  vassaux  de  Cortès,  pour  qu'on  ne 
lui  attribuât  que  le  nombre  stipulé  dans  les  prérogatives  de  son  mai- 


846  CONQUETE 

quisat,  et  je  ne  me  souviens  pas  de  ce  qui  fut  décidé  relativement  au 
restant. 

Si  Nuïïo  de  Guzman  et  les  auditeurs  ne  firent  pas  le  repaHimiento 
perpétuel,  ce  fut  la  faute  de  quelques  conseillers  que  pour  leur  honneur 
je  ne  veux  point  nommer  ici.  Ils  lui  disaient  que  les  attributions  étant 
définitivement  faites,  les  conquistadores  et  les  colons,  se  voyant  pos- 
sesseur perpétuels  de  leurs  Indiens,  n'auraient  plus  autant  de  respect 
pour  les  gouvernants,  qui  verraient  ainsi  diminuer  leur  autorité  par 
le  seul  fait  de  ne  pouvoir  plus  ni  donner  ni  enlever,  circonstance  qui 
détruirait  la  nécessité  de  venir  leur  demander  du  secours.  D'une  autre 
façon,  au  contraire,  disaient  les  conseillers,  les  gouvernants  pourraient 
attribuer  à  qui  ils  voudraient  les  biens  en  vacance,  tout  en  restant 
riches  eux-mêmos  et  en  conservant  leur  puissance.  Telles  furent  les 
raisons  qui  empêchèrent  de  faire  les  repartimientos  perpétuels.  Il  est 
vrai  néanmoins  que  Xuno  de  Guzman  et  les  auditeurs,  aussitôt  que 
des  Indiens  vaquaient,  prenaient  soin  de  les  répartir  entre  les  conquis- 
tadores et  les  colons  ;  ils  n'étaient  pas,  pour  eux  tous,  aussi  méchants 
qu'on  voulait  bien  dire,  car  ils  cherchaient  toujours  à  les  satisfaire 
et  à  subvenir  à  leurs  besoins.  On  peut  donc  assurer  que  si  l'on  enleva 
si  rondement  aux  juges  l'Audience  royale,  ce  fut  à  cause  des  froisse- 
ments qu'ils  eurent  avec  Gortès  et  au  sujet  de  la  marque  des  Indiens 
pour  en  faire  des  esclaves. 

Je  finirai  là  ce  chapitre  pour  passer  à  un  autre,  et  parler  encore  du 
reparHmiento  perpétuel . 


CHAPITRE  OCXI 

nomme  quoi  en  l'an  1550,  la  cour  étant  à  Valladolid,  se  réunirent  aux  séances  du 
Conseil  royal  clos  Indes  certains  prélats  et  caballeros  venus  de  la  Nouvelle-Espagne 
et  du  Pérou  à  titre  de  procureurs,  et  d'autres  hidalgos  là  présents,  pour  faire  eu 
sorti;  d'obtenir  qu'on  procédât  au  reparHmiento  perpétuel.  Ce  qui  fut  discuté  dans 
la  Junte,  je  le  vais  dire  à  la  suite. 

En  l'an  1550  vint  du  Pérou  à  la  cour,  qui  était  alors  à  Valladolid, 
le  licencié  de  la  Gasca,  amenant  en  sa  compagnie  un  moine  domini- 
caiu  appelé  don  fray  Martin  le  Régent,  à  qui  Sa  Majesté  fit  la  faveur, 
à  cette  occasion,  de  l'évêché  de  Gharcas.  On  vit  alors  réunis  dans  la 
capitale  don  fray  Bartolomé  de  Las  Casas,  évêque  de  Ghiapa,  don 
Vasco  de  Quiroga,  évêque  de  Mechoacan,  et  d'autres  caballeros  qui 
venaient  en  qualité  de  procureurs  de  la  Nouvelle-Espagne  et  du  Pérou, 
ainsi  que  plusieurs  hidalgos  attirés  par  des  procès  en  cours  devant 
Sa  Majesté.  Us  se  trouvèrent  donc  tous  ensemble  à  Valladolid,  et  ce 
fut  pour  me  joindre  à  eux  qu'on  me  fit  appeler  comme  étant  le  plus 


DE  LA  NOUVELLE-ESPAGNE.  847 

ancien  conquistador  de  la  Nouvelle-Espagne.  De  la  G-asca  et  tous  les 
autres  Péruliens  avaient  apporté  un  grand  nombre  de  milliers  de 
piastres  d'or,  tant  pour  Sa  Majesté  que  pour  eux-mêmes.  Ce  qu'ils 
destinaient  à  l'Empereur,  ils  l'envoyèrent  à  Augusta  en  Allemagne, 
où  se  trouvait  alors  Sa  Majesté,  ainsi  que  le  très-fortuné  don  Felipe, 
Roi  des  Espagnes,  notre  seigneur,  son  très-aimé  et  très-cher  fils  que 
Dieu  garde.  Certains  caballeros  accompagnèrent  cet  envoi,  à  titre  de 
procureurs  du  Pérou,  afin  de  supplier  l'Empereur  de  nous  l'aire  la  grâce 
d'un  ordre  pour  qu'on  exécutât  les  repartimientos  perpétuels.  Or 
déjà,  paraît-il,  semblable  supplique  Lui  avait  été  faite  plusieurs  fois 
avant  cette  époque  de  la  part  de  la  Nouvelle-Espagne,  spécialement 
lorsque  furent  en  Gastille  un  certain  Gonzalo  Lopez  et  Alonso  de  Yil- 
lanueva  avec  d'autres  caballeros  fondés  de  pouvoirs  de  Mexico.  Actuel- 
lement Sa  Majesté  fit  attribuer  l'évêché  de  Palencia  au  licencié  de  la 
G-asca,  qui  fut  éveque  et  comte  de  Pernia,  parce  qu'il  eut  la  chance 
que  cet  évêché  devînt  vacant  au  moment  où  il  arrivait  en  Gastille.  On 
disait  aussi  à  la  cour  que  cette  faveur  lui  était  accordée  à  l'occasion  de 
la  paix  qui  venait  d'être  rétablie  au  Pérou,  et  à  la  suite  de  laquelle 
apparaissaient  de  nouveau  l'or  et  l'argent,  que  les  Contreras  avaient 
détournés. 

Relativement  à  la  perpétuité  des  repartimientos  d'Indiens,  ce  que 
Sa  Majesté  jugea  prudent  de  faire,  ce  fut  d'avertir  le  marquis  de 
Mondejar,  qui  était  président  du  Conseil  royal  des  Indes,  le  licencié 
Gutierrez  Velasquez,  le  licencié  Tello  de  Sandoval,  le  docteur  Hernan 
Perez  de  la  Fuente,  le  licencié  Gregorio  Lopez,  le  docteur  Riberade- 
neyra  et  le  licencié  Rriviesca,  qui  en  étaient  les  auditeurs,  pour  qu'ils 
eussent  à  se  réunir,  examiner  et  discuter  la  manière  de  faire  lerepar- 
timiento  sans  que  le  service  de  Dieu  et  le  patrimoine  royal  eussent  à 
en  souffrir.  Ces  prélats  et  caballeros  s'étant  assemblés  dans  la  maison 
de  Pedro  Gonzalez  de  Léon  où  siégeait  le  Conseil  royal  des  Indes,  il 
fut  mis  en  question  par  l'illustrissime  Junte  si  l'on  donnerait  les 
Indiens  à  perpétuité  dans  la  Nouvelle-Espagne  et  au  Pérou  ;  je  ne 
me  rappelle  pas  bien  s'il  fut  parlé  aussi  du  nouveau  royaume  de 
Grenade  et  de  Robotan,  mais  je  crois  qu'ils  furent  compris  dans 
l'examen  commun,  à  propos  duquel,  du  reste,  on  s'appuya  sur  des 
considérations  bonnes  et  saintes. 

On  dit  d'abord  que,  si  les  concessions  étaient  perpétuelles ,  les 
Indiens  seraient  mieux  soignés  et  instruits  dans  notre  sainte  foi; 
s'ils  tombaient  malades,  ils  seraient  traités  comme  des  membres  de 
la  famille,  et  du  reste  on  les  dispenserait  d'une  certaine  partie  de 
leurs  tributs.  On  prétendait  encore  que  les  maîtres  de  commander] es 
mettraient  alors  plus  de  zèle  à  perpétuer  leur  situation  en  ménageant 
de  gros  héritages,  en  plantant  des  vignes,  en  ensemençant  leurs 
terres  et  en  élevant  des  troupeaux;  de  cette  façon,  du  reste,  on  verrait 


848  CONQUÊTE 

cesser  les  procès  et  les  discussions  au  sujet  des  Indiens,  sans  qu'il 
fût  plus  besoin,  à  l'avenir,  d'avoir  des  inspecteurs  dans  les  villages; 
la  paix  et  l'union  régneraient  entre  les  soldats  par  le  seul  fait  de 
savoir  que  les  présidents  et  les  gouverneurs  n'auraient  plus  le  pouvoir, 
lorsque  les  Indiens  viendraient  à  vaquer,  de  les  distribuer  pour  des 
motifs  deparenté'ni  pour  d'autres  raisons  sur  lesquelles  on  se  basait 
alors.  Au  surplus,  en  accordant  la  perpétuité  à  ceux  qui  L'auraient 
servie,  Sa  Majesté  déchargerait  justement  sa  conscience  royale. 
D'autres  excellentes  raisons  furent  encore  mises  en  avant.  On  dit 
aussi  qu'il  serait  bon  de  chasser  du  Pérou  tous  les  bandits  qui  auraient 
desservi  Sa  Majesté. 

Après  que  tous  ceux  qui  faisaient  partie  de  l'illustre  Junte  eurent 
bien  discuté  ce  que  je  viens  de  dire,  la  plupart  des  procureurs,  imités 
par  d'autres  caballeros,  furent  d'avis  et  votèrent  que  les  repartimien- 
tos  seraient  perpétuels.  Mais  il  y  eut  en  même  temps  des  voix  con- 
traires. Le  premier  opposant  fut  l'évêque  de  Ghiapa,  secondé  par  son 
collègue  fray  Rodrigo,  de  l'ordre  de  Saint-Dominique,  par  le  licencié 
de  la  (jasca,  évêque  de  Palencia  et  comte  de  Pernia,  par  le  marquis 
de  Mondejar  qui,  ne  voulant  se  rallier  ni  à  l'un  ni  à  l'autre  parti, 
préféra  rester  dans  l'expectative,  écouter  ce  qui  se  disait  et  voir  de 
quel  côté  se  portaient  le  plus  de  voix;  tous  les  caballeros  que  je  viens 
de  nommer  prétendirent  qu'il  ne  s'agissait  point  de  donner  des  In- 
diens à  perpétuité  ni  à  vie,  mais  bien  de  les  enlever  à  ceux  qui  les 
possédaient  actuellement,  attendu  qu'il  y  avait  au  Pérou  des  gens  en 
possession  de  bonnes  rentes  d'Indiens,  qui,  au  lieu  de  cela,  auraient 
mérité  châtiment,  et  qui,  par  là  même,  étaient  indignes  qu'on  leur 
en  fît  aujourd'hui  la  concession  perpétuelle.  On  assurait  d'ailleurs 
que  dans  bien  des  localités  du  Pérou  où  l'on  croyait  à  l'existence  delà 
paix  et  de  la  pacification  réelle,  se  trouveraient  des  soldats  qui,  voyant 
qu'il  n'y  avait  plus  rien  à  leur  donner,  se  mutineraient  et  feraient 
naître  encore  plus  de  discordes  qu'autrefois. 

Ge  fut  alors  que  don  Vasco  de  Quiroga,  évêque  de  Mechoacan,  qui 
était  de  notre  parti,  demanda  au  licencié  de  la  Gasca  pourquoi,  au 
lieu  de  châtier  des  traîtres  et  des  bandits  dont  il  connaissait  fort  bien 
les  mauvaises  actions,  il  leur  a\ait  distribué  des  Indiens.  Là-dessus 
de  la  Gasca  se  prit  à  rire  et  répondit  :  «  Croyez-vous,  senores,  que 
c'ait  été  peu  de  chose  pour  moi  de  sortir  en  paix,  sain  et  sauf  de  leurs 
mains,  après  en  avoir  écartelé  et  puni  quelques-uns  en  bonnejustice?  » 
Il  y  eut  encore  plusieurs  dires  à  ce  sujet.  Nous  répliquâmes  à  notre 
tour,  en  nous  aidant  de  l'appui  de  quelques  autres  senores  avec  les- 
quels nous  étions,  que  l'on  devrait  donner  les  Indiens  à  perpétuité 
aux  véritables  conquistadores  de  la  Nouvelle-Espagne,  partis  avec 
Cortès,  Narvaez  et  Garay,  qui  étaient  en  bien  petit  nombre,  la  plupart 
étant  morts  dans  les  batailles  au  service  de  Sa  Majesté;  nous  ajoutions 


DE  LA  NOUVELLE-ESPAGNE.  849 

qu'en  récompensant  ainsi  notre  conduite  envers  l'Empereur  on  pour- 
rait se  réserver  d'agir  avec  moins  de  générosité  à  l'égard  de  tous 
autres. 

Nous  en  étions  là  pour  notre  part  dans  l'ordre  de  la  discussion, 
lorsque  quelques-uns  des  prélats  et  membres  du  Conseil  de  Sa  Ma- 
jesté proposèrent  de  tout  suspendre  jusqu'au  retour  en  Gastille  de 
l'Empereur  notre  seigneur,  que  l'on  attendait  chaque  jour,  afin 
qu'une  chose  de  tant  de  gravité  et  d'importance  pût  se  décider  en  sa 
présence.  Mais  l'évêque  de  Mechoacan  et  quelques  caballeros  dont  je 
faisais  partie,  qui  appartenions  à  la  Nouvelle-Espagne,  nous  répli- 
quâmes encore  que,  puisqu'à  notre  sujet  l'on  avait  déjà  émis  des 
votes  approhatifs,  on  devrait  déclarer  la  perpétuité  pour  la  Nouvelle- 
Espagne  seulement,  laissant  aux  procureurs  du  Pérou  le  soin  de 
veiller  à  leurs  propres  intérêts,  attendu  que  Sa  Majesté,  en  donnant 
ses  ordres,  s'était  montrée  favorable  à  la  pensée  de  faire  des  conces- 
sions perpétuelles  dans  la  Nouvelle-Espagne.  Il  y  eut  encore  une 
grande  discussion  à  ce  sujet;  des  allégations  furent  émises,  à  la  suite 
desquelles  nous  prétendîmes  que  si  l'on  ne  voulait  point  accorder  la 
perpétuité  au  Pérou,  on  devrait  du  moins  prendre  en  considération 
les  grands  services  que  nous  avions  rendus  à  Sa  Majesté  et  à  toute  la 
chrétienté.  Mais  nos  raisons  ne  servirent  à  rien  auprès  des  membres 
du  Conseil  des  Indes,  ni  pour  l'évêque  fray  Bartolomé  de  Las  Casas, 
pas  plus  que  pour  fray  Rodrigo,  évêque  de  Charcas,  son  collègue  ; 
ils  se  contentèrent  de  dire  qu'au  retour  de  Sa  Majesté  d'Augusta 
d'Allemagne,  on  ferait  en  sorte  que  les  conquistadores  se  trouvassent 
satisfaits;  de  sorte  que  tout  resta  en  suspens. 

Je  dirai  maintenant  qu'on  écrivit,  par  un  navire,  à  la  Nouvelle -Es- 
pagne. Lorsque  l'on  sut  à  Mexico  ce  qui  s'était  passé  à  Valladolid, 
ainsi  que  je  viens  de  le  raconter,  les  conquistadores  tombèrent  d'ac- 
cord pour  envoyer  des  procureurs  qui  s'occuperaient  seulement  de 
leurs  intérêts  devant  Sa  Majesté.  Le  capitaine  Andrès  de  Tapia,  Pe- 
dro Morcno  Medrano  et  Juan  de  Limpias  Carvajal,  le  Sourd,  de 
Puebla,  m'écrivirent  à  la  ville  de  Guatemala,  vu  que  déjà  j'étais  de 
retour  d'Espagne.  Ils  me  rendaient  compte  des  conquistadores  qui 
avaient  pris  la  résolution  d'envoyer  leurs  pouvoirs;  dans  leur  rapport 
ils  me  citaient  comme  étant  un  des  plus  anciens.  Je  fis  voiries  lettres 
à  plusieurs  autres  compagnons  d'armes  de  cette  ville  de  Guatemala, 
afin  d'en  obtenir  quelques  secours  pour  qu'il  fût  possible  d'expédier 
les  procureurs  ;  mais  leur  départ,  paraît-il,  ne  put  avoir  lieu,  faute 
d'argent.  Ce  que  Ton  mit  en  question  alors  à  Mexico,  ce  fut  d'asso- 
cier les  conquistadores  à  tous  les  autres  habitants,  pour  envoyer  des 
fondés  de  pouvoir  en  Gastille  ;  mais  ce  projet  ne  se  réalisa  pas  davan- 
tage. Ce  qu'il  y  eut  de  certain,  c'est  que,  par  la  suite,  notre  Roi  et 
seigneur  don  Felipe,  —  que  Dieu  garde  et  laisse  vivre  longues  an- 


850  CONQUETE 

nées  avec  augmentation  de  ses  royaumes,  —  daigna  consigner,  dans 
ses  ordonnances  et  provisions  données  à  cet  effet,  que  les  conquista- 
dores et  leur  fils  devaient  être  préférés  en  toutes  choses,  et  les  coloni- 
sateurs anciens  après  eux,  ainsi  qu'on  le  peut  voir  dans  les  cédules 
royales. 


CHAPITRE  GGX1I 

De  quelques  autres  conférences  et  rapports  dont  mention  va  être  faite 
et  qui  seront  agréables  à  entendre. 

Je  venais  de  mettre  au  net  mon  récit  lorsque  deux  licenciés  me 
supplièrent  de  le  leur  confier,  afin  qu'ils  pussent  s'instruire  en  détail 
sur  tout  ce  qui  s'était  passé  dans  les  conquêtes  de  Mexico  et  de  la 
Nouvelle-Espagne,  et  aussi  pour  qu'ils  parvinssent  à  savoir  les  diffé- 
rences qui  existaient  entre  mes  assertions  et  les  écrits  des  chroni- 
queurs Francisco  Lopez  de  Gromara  et  le  docteur  Illescas,  relative- 
ment aux  faits  héroïques  du  Marquis  Del  Valle.  Je  leur  confiai  mon 
manuscrit,  dans  la  pensée  que  toujours  les  sages  laissent  quelque 
chose  de  leur  empreinte  sur  les  sots  illettrés  comme  moi;  mais  je  les 
priai  de  ne  rien  corriger  au  sujet  des  conquêtes,  de  ne  point  ajou- 
ter, de  ne  rien  distraire,  attendu  que  tout  ce  que  j'écris  est  très-véri- 
dique.  Lorsque  les  deux  licenciés  l'eurent  lu,  —  l'un  d'eux  possédait 
à  merveille  sa  rhétorique  et  s'en  vantait,  —  ils  m'en  firent  de  grands 
éloges  et  louèrent  beaucoup  l'excellente  mémoire  qui  m'avait  permis 
de  ne  rien  oublier  de  tout  ce  qui  nous  était  arrivé  depuis  les  doux 
fois  que  je  vins  à  la  découverte  avant  Gortès  jusqu'à  la  dernière  ex- 
pédition que  je  fis  avec  lui  :  c'est-à-dire  l'année  1517  avec  Francisco 
Hernandez  de  Gordova,  en  1518  avec  Juan  de  Grijalva,  et  en  1519 
avec  Gortès.  Les  licenciés  me  dirent  au  surplus  que,  quant  au  style, 
mon  histoire  est  écrite  dans  le  genre  familier  du  langage  de  laVieille- 
Gastille,  genre  le  plus  goûté  de  notre  temps,  attendu  que  ma  narra- 
tion, au  lieu  de  procéder  par  des  explications  fleuries  et  pleines 
d'apprêt  comme  en  usent  certains  chroniqueurs  qui  ont  écrit  sur  les 
choses  de  la  guerre,  se  poursuit  avec  une  simplicité  complète,  démon- 
trant ma  conviction  que  la  vérité  est  le  meilleur  ornement  du  récit. 

Ils  me  firent  encore  observer  qu'à  leur  avis  je  me  loue  beaucoup 
trop  moi-même  au  sujet  des  batailles  et  rencontres  dans  lesquelles 
je  me  suis  trouvé.  Il  leur  paraîtrait  plus  naturel  que  d'autres  l'eus- 
sent fait  à  ma  place.  Ils  ajoutaient  que,  pour  donner  plus  de  crédit  à 
ce  que  j'avance,  je  devrais  citer  le  témoignage  et  les  rapports  de  quel- 
ques chroniqueurs  qui  en  auraient  déjà  traité,  comme  ont  coutume 
de  faire  ceux  qui  écrivent  sur  des  événements  passés  en  s'appuyant 


DE  LA  NOUVELLE-ESPAGNE.  851 

de  l'autorité  des  livres  qui  les  ont  précédés  ;  ils  prétendaient  que  cette 
conduite  serait  préférable  à  mon  habitude  de  dire  :  «  Je  fis  telle 
chose,  et  telle  autre  m'arriva  »,  parce  que  l'on  ne  peut  pas  se  porter 
pour  témoin  de  soi-même.  Je  répondis  alors  à  cela,  et  je  répète  au- 
jourd'hui que,  dans  une  lettre  que  le  Marquis  Del  Valle  écrivit  de 
Mexico  à  Sa  Majesté  en  Gastille,  en  1540,  en  parlant  de  ma  personne 
et  de  mes  services,  il  Lui  faisait  savoir  que  j'étais  venu  à  la  Nou- 
velle-Espagne deux  fois  avant  lui-même,  et  que  j'y  revins  pour  la 
troisième  fois  en  sa  compagnie.  Il  y  disait  m'avoir  vu  maintes  fois 
de  ses  propres  yeux  batailler  en  courageux  soldat  dans  les  campagnes 
du  Mexique  et  à  la  prise  de  plusieurs  villes,  m'honorant  par  des 
actes  dignes  d'attention  et  sortant  souvent  de  ces  combats  griève- 
ment blessé.  Il  rappelait  encore  que  je  fus  à  Honduras  en  sa  compa- 
gnie, et  bien  d'autres  choses  marquées  dans  sa  lettre  que  je  ne 
détaille  point  ici,  pour  ne  pas  en  allonger  inutilement  mon  récit. 
L'illustrissime  Vice-Roi  don  Antonio  de  Mcndoza  écrivit  également 
à  Sa  Majesté  et  lui  détailla  ce  qu'il  savait  des  capitaines,  au  nombre 
desquels  je  comptais  alors;  son  récit  était  conforme  à  ce  que  le  Mar- 
quis Del  Valle  avait  dit  de  moi.  Je  dois  mentionner  aussi  les  témoi- 
gnages nombreux  que  je  présentai  en  1549  au  Conseil  royal  des  Indes. 
Veuillez  donc  voir,  messieurs  les  licenciés,  si  les  dires  de  Cortès  et  du 
Vice-Roi  don  Antonio  de  Mendoza,  ainsi  que  mes  preuves  juridi- 
ques, sont  des  témoignages  satisfaisants. 

Si  ce  n'est  pas  assez,  je  vous  présenterai  encore  un  témoin  qui  ne 
saurait  être  surpassé  dans  le  monde  entier  :  c'est  l'Empereur  lui- 
même,  notre  seigneur  don  Carlos  V,  qui,  dans  sa  lettre  royale  scel- 
lée de  son  sceau,  ordonnait  aux  Vice-Rois  et  présidents  qu'eu  égard 
aux  nombreux  et  bons  services  qu'il  savait  avoir  reçus  de  moi,  je 
fusse  préféré  et  favorisé  en  toutes  choses,  de  même  que  mes  enfants. 
De  toutes  ces  lettres,  je  possède  les  originaux,  dont  les  copies  restè- 
rent aux  archives  du  secrétaire  Ochoa  de  Luyando.  Voilà  ce  que  j'a- 
vais à  dire  aux  licenciés  pour  ma  justification.  Malgré  tout,  s'ils 
voulaient  encore  des  témoignages,  je  leur  dirais  de  regarder  la  Nou- 
velle-Espagne qui  est  trois  fois  plus  grande  que  notre  Gastille  et  telle- 
ment peuplée  d'Espagnols  déjà  que,  vu  le  nombre  considérable  de 
villes  et  bourgs,  je  ne  les  énumérerai  point  dans  mon  récit;  qu'ils 
voient  encore  les  grandes  richesses  qui  partent  chaque  jour  de  ce 
pays  pour  la  Gastille.  Quant  à  moi,  ce  que  je  vois,  c'est  que  les  chro- 
niqueurs Cromara  et  docteur  Illescas  se  refusèrent  à  rien  dire  de  nos 
faits  héroïques,  laissant  en  blanc  notre  honneur  et  notre  propre  re- 
nommée,—  réhabilitée  dans  cet  écrit,  —  pour  attribuer  à  Cortès  seul 
toute  la  gloire.  Eussent-ils  eu  raison  dans  les  éloges  qu'ils  font  de 
notre  chef,  ils  n'auraient  pas  dû  oublier  de  mentionner  les  autres 
conquistadores;  car,  en  ce  qui  me  regarde,  je  puis  dire  que  j'eus  ma 


852  CONQUETE 

part  dans  les  grands  faits  d'armes  de  Cortès,  attendu  que  je  me  trou- 
vai toujours  à  ses  côtés  dans  toutes  les  batailles  où  il  était  lui-même, 
et  dans  bien  d'autres  à  propos  de  conquêtes  de  provinces  que  par  ses 
ordres  j'entrepris  avec  des  capitaines  mes  compagnons  d'armes;  le 
lecteur  verra  dans  mon  récit  où,  quand  et  comment  elles  eurent  lieu. 
J'ai  aussi  ma  part  dans  l'inscription  de  la  couleuvrine  appelée  «  l'oi- 
seau Phénix  »  qui  fut  fabriquée  à  Mexico  en  or  et  argent  mêlés  de 
cuivre,  et  envoyée  en  présent  à  Sa  Majesté.  Or  cette  inscription  di- 
sait :  Cet  oiseau  naquit  sans  égal;  personne  ne  me  vaut  pour  vous 
servir'  et  vous  n'avez  pas  votre  pareil  dans  l'univers;  une  part  m'est 
encore  due  dans  cette  glorification  de  notre  chef. 

Au  surplus,  lorsque  Cortès  fut  pour  la  première  fois  en  Castille 
baiser  les  pieds  de  Sa  Majesté,  il  dit  dans  son  rapport  qu'il  avait  eu 
dans  les  campagnes  mexicaines  de  valeureux  compagnons  d'armes; 
il  ajouta  qu'à  son  avis  jamais  les  anciennes  chroniques  de  Rome 
n'avaient  parlé  de  guerriers  plus  remarquables  par  leur  courage.  J'ai 
ma  part  aussi  dans  cet  éloge.  Lorsqu'il  fut  à  Alger  au  service  de  Sa 
Majesté,  au  milieu  des  événements  qui  furent  la  conséquence  de  la 
levée  du  blocus  sous  les  efforts  de  la  tempête,  on  assure  qu'il  saisit 
une  occasion  pour  combler  d'éloges  les  conquistadores  ses  compa- 
gnons ;  j'en  ai  ma  part  sans  nul  doute,  puisque  je  l'eus  dans  ses  faits 
d'armes  lorsque  je  l'accompagnai  toujours  de  mon  aide.  Quant  à  ce 
que  les  licenciés  prétendent,  que  je  me  loue  trop  moi-même  et  qu'il 
faudrait  laisser  ce  soin  à  d'autres,  je  réponds  que  c'est  vrai  et  qu'en 
fait  de  qualités  et  de  bonnes  actions,  il  est  des  choses  à  propos  des- 
quelles les  hommes  se  louent  les  uns  les  autres  sans  laisser  ce  soin 
à  ceux  que  l'éloge  concerne;  mais  si  l'on  ne  s'est  point  trouvé  dans 
nos  batailles,  si  l'on  ne  les  a  pas  vues  ni  comprises,  comment  pour- 
rait-on les  raconter?  Qui  donc  les  dira?  Seront-ce  les  oiseaux  qui 
volaient  dans  les  airs  pendant  que  nous  étions  occupés  à  combattre  ? 
Ou  bien  les  nuages  qui  planaient  sur  nos  têtes?  Ce  soin  ne  devra- 
t-il  pas  plutôt  être  laissé  à  nous,  capitaines  et  soldats,  qui  nous 
trouvions  mêlés  à  l'action? 

Si  vous  aviez  remarqué,  Messieurs  les  licenciés,  que  dans  mon 
récit  j'eusse  ôté  leurs  parts  d'honneur  et  de  gloire  à  quelques-uns 
des  valeureux  capitaines  et  courageux  soldats  qui  furent  mes  compa- 
gnons d'armes  dans  les  conquêtes,  pour  m'attribuer  tout  cet  honneur 
et  toute  cette  gloire  à  moi-même,  il  serait  juste  sans  doute  de  m'en 
faire  restituer  une  partie  ;  mais  il  est  certain  que  je  ne  me  donne 
môme  pas  les  éloges  que  je  devrais,  et  ce  que  j'en  dis  dans  cet  écrit, 
c'est  parce  que  je  désire  qu'il  reste  un  souvenir  de  moi.  Je  veux 
maintenant  me  permettre  une  comparaison,  à  la  vérité  bien  élevée 
d'un  côté  et  trop  modeste  d'un  autre,  en  ce  qui  regarde  un  pauvre 
soldat  comme  moi.  Quoi  qu'il  en  soit,  les  chroniques  des  Co))imen- 


DE  LA  NOUVELLE-ESPAGNE.  853 

taires  disent  que  le  grand  général  et  guerrier  Jules  César  assista  à 
cinquante-trois  batailles  rangées;  eh  Lien  !  moi  je  dis  que  je  me  suis 
trouvé  dans  plus  de  batailles  que  Jules  César,  et  cela  se  voit  claire- 
ment du  reste  dans  mon  histoire  Les  chroniqueurs  disent  aussi 
que  ce  capitaine  fut  très-valeureux,  très-habile  au  maniement  des 
armes,  plein  d'entrain  au  moment  de  la  bataille,  tandis  que  dans  ses 
loisirs  nocturnes  il  écrivait  ses  héroïques  actions.  Quoiqu'il  eût  plu- 
sieurs écrivains  à  son  service,  ne  voulant  pas  s'en  rapporter  à  leurs 
soins,  il  traçait  tout  de  sa  propre  main;  mais  il  y  a  bien  dos  années 
de  cela  et  nous  ne  savons  plus  aujourd'hui  si  tout  en  est  certain: 
tandis  que  ce  que  je  raconte,  c'est  hier,  peut-on  dire,  que  cela  s'est 
passé.  Il  est  donc  naturel  que  dans  ce  récit  je  fasse  mention  des  ba- 
tailles et  des  événements  auxquels  je  me  suis  trouvé  mêlé,  afin  que 
dans  les  temps  futurs  on  puisse  dire  :  «  Voilà  ce  que  fit  Bernai  Diaz 
del  Castillo  »,  et  qu'ainsi  ses  fils  et  descendants  puissent  jouir  de  la 
gloire  de  ses  héroïques  actions,  de  même  que  nous  voyons  aujour- 
d'hui les  renommées  et  les  armoiries  provenant  des  valeureux  capi- 
taines du  temps  passé  honorer  beaucoup  de  nos  chevaliers  modernes 
et  des  seigneurs  à  nombreux  vassaux. 

Je  veux  terminer  là.  ce  sujet,  de  crainte  qu'en  m'y  étendant  davan- 
tage quelques  personnes  malignes  et  de  méchante  langue  ne  viennent 
dire  qu'elles  n'y  prêtent  pas  volontiers  l'oreille  et  que  je  sors  des  li- 
mites où  je  devrais  me  renfermer.  Peut-être,  en  continuant,  mon  récit 
s'attirerait-il  leur  aversion.  Toujours  est-il  que  ce  que  j'ai  dit  s'est 
passé  hier,  peut-on  dire,  et  nullement  dans  des  temps  très-reculés 
comme  les  histoires  romaines.  Il  existe  encore  des  conquistadores 
pour  affirmer  que  ce  que  je  raconte  a  eu  lieu  comme  je  le  dis.  Le 
monde  est  ainsi  fait  que  si  en  quelque  chose  j'étais  obscur  ou  répré- 
hensible,  ils  seraient  là  pour  me  contredire.  Mon  histoire  même  est 
un  témoignage;  elle  a  beau  être  vraie,  des  malins  s'empresseraient 
d'y  faire  opposition  si  cela  était  réellement  possible. 

Je  veux,  pour  que  l'on  comprenne  bien  ce  que  je  viens  de  dire, 
faire  connaître  les  batailles  et  rencontres  dans  lesquelles  je  me  suis 
trouvé  depuis  que  je  vins  découvrir  la  Nouvelle-Espagne  jusqu'à  sa 
pacification  complète.  Outre  celles  que  je  nommerai,  il  y  en  eut  beau- 
coup d'autres  auxquelles  je  n'assistai  pas,  soit  que  je  fusse  griève- 
ment blessé,  soit  que  je  souffrisse  de  quelqu'une  de  ces  maladies  que 
les  fatigues  de  la  guerre  rendent  plus  sérieuses.  Il  faut  savoir  aussi 
que,  les  provinces  à  conquérir  étant  nombreuses,  quelques-uns  d'en- 
tre nous  faisaient  certaines  expéditions  pendant  que  d'autres  marcha  ien  l 
ailleurs.  Mais  voici  les  combats  ou  batailles  auxquelles  j'assistai  : 

D'abord  une  sérieuse  rencontre  à  la  pointe  de  Gotoche,  lorsque  je 
vins  découvrir  la  Nouvelle-Espagne  et.  Yucatan  avec  le  capitaine 
Francisco  Hernandez  de  Cordova. 


854  CONQUÊTE 

Bientôt,  dans  les  affaires  de  Champoton,  une  bataille  en  rase  cam- 
pagne dans  laquelle  on  nous  tua  la  moitié  de  nos  camarades  et  d'où 
je  sortis  grièvement  blessé,  tandis  que  le  capitaine  y  reçut  deux  bles- 
sures dont  il  mourut. 

Peu  après,  dans  ce  même  voyage,  au  cap  de  la  Floride,  lorsque 
nous  fûmes  faire  de  l'eau,  une  sérieuse  rencontre  où  je  fus  blessé, 
tandis  qu'on  enlevait  vivant  un  de  nos  soldats. 

Quand  je  vins  avec  un  autre  capitaine  du  nom  de  Juan  de  Grijalva, 
une  bataille  rangée  avec  les  habitants  de  Champoton,  dans  le  même 
lieu  où  nous  nous  étions  déjà  battus  sous  Francisco  Hernandez.  Cette 
lois-ci  on  nous  tua  dix  soldats,  et  le  capitaine  fut  grièvement  blessé. 
Plus  tard,  —  lorsque  je  vins  pour  la  troisième  fois,  avec  le  capi- 
taine Cortès,  —  aux  affaires  de  Tabasco,  autrement  dites  du  fleuve  de 
Grijalva,  deux  batailles  rangées  sous  le  commandement  de  ce  capi- 
taine. 

A  notre  arrivée  à  la  Nouvelle-Espagne,  l'affaire  de  Cingapacinga, 
encore  avec  Cortès. 

Peu  de  jours  après,  trois  batailles  rangées,  dans  la  province  de 
Tlascala,  avec  Cortès. 

Bientôt,  le  danger  couru  à  Cholula. 

Après  être  entré  à  Mexico,  j'assistai  à  l'arrestation  de  Montezuma. 
Je  n'inscris  pas  l'événement  comme  un  fait  de  guerre,  mais  à  cause 
de  la  hardiesse  dont  nous  fîmes  preuve  en  nous  emparant  d'un  si 
puissant  seigneur. 

Environ  quatre  mois  plus  tard,  lorsqu'arriva  le  capitaine  Narvaez 
contre  nous,  amenant  treize  cents  soldats,  dont  quatre-vingt-dix  cava- 
liers, quatre-vingts  arbalétriers  et  quatre-vingt-dix  espingardiers, 
tandis  que  nous  n'étions  que  deux  cent  soixante-six  pour  marcher 
contre  lui,  le  mettre  en  déroute  et  le  faire  prisonnier;  cela  toujours 
sous  les  ordres  de  Cortès. 

Bientôt  nous  marchâmes  au  secours  d'Alvarado  que  nous  avions 
laissé  à  Mexico  pour  garder  Montezuma,  lorsque  la  capitale  se  sou- 
leva. Les  Mexicains  renouvelèrent  constamment  les  attaques  pendant 
huit  jours  et  huit  nuits  consécutifs  et  nous  tuèrent  huit  cent  soixante 
soldats.  Je  compte  qu'en  six  jours  je  me  trouvai  mêlé  à  six  batailles. 
Bientôt  j'assistai  à  celle  que  nous  livrâmes  sur  les  champs  d'Otumba, 
et,  peu  de  temps  après,  à  une  autre  bataille  rangée  en  marchant  sur 
Tepeaca,  sous  le  commandement  du  capitaine  et  marquis  Cortès. 

Plus  tard,  lorsque  nous  marchions  sur  Tezcuco,  une  rencontre  avec 
les  Mexicains  et  les  Tezcucans,  Cortès  étant  notre  capitaine. 

Deux  batailles  rangées  dans  lesquelles  je  reçus  à  la  gorge  un  dan- 
gereux coup  de  lance,  en  compagnie  de  Cortès. 

Bientôt  deux  rencontres  avec  les  Mexicains  lorsque  nous  marchâ- 
mes au  secours  de  quelques  villages  de  Tezcuco,  à  propos  d'une  ques- 


DE  LA  NOUVELLE-ESPAGNE.  855 

tion   de   plantations  de  maïs  sur  un    terrain  situé  entre  Tezcuco   et 
Mexico. 

Plus  tard,  lorsque  je  fus  avec  le  capitaine  Cortès  autour  de  la  la- 
gune, visitant  les  places  les  mieux  défendues  du  district,  et  surtout 
ce  que  Ton  appelle  aujourd'hui  «  les  pétioles  du  Marquis  »,  où  l'on 
nous  tua  huit  soldats  et  où  nous  courûmes  les  plus  grands  dangers 
pour  nos  vies  en  essayant  un  assaut  fort  inconsidéré,  aux  ordres  de 
Cortès. 

Bientôt,  la  bataille  de  Cornabaca,  sous  le  même  capitaine. 
A  la  suite,  les  trois  batailles  de  Suchimilco  où  nous  courûmes  les 
plus  grands  dangers  et  où  l'on  nous  tua  quatre  soldats  ;  en  compagnie 
de  Cortès. 

Au  siège  de  Mexico,  dans  les  quatre-vingt-treize  jours  qu'il  nous 
fallut  pour  la  prendre,  nous  avions  à  livrer  bataille  presque  tous  les 
jours  et  toutes  les  nuits;  je  fais  le  calcul  que  les  batailles  et  rencon- 
tres auxquelles  j'assistai  à  cette  occasion  dépassèrent  le  nombre  de 
quatre-vingts. 

Après  la  prise  de  Mexico,  le  capitaine  Cortès  m'envoya  pacifier  les 
provinces  de  Grua^acualco,  Chiapa  et  Zapotèques  ;  j'assistai  à  la  prise 
de  la  ville  de  Chiapa,  à  deux  batailles  rangées  et  à  une  rencontre. 

Dans  les  affaires  de  Chamula  et  de  (ruitlan,  deux  combats  en- 
core. 

A  Teapa  et  à  Cimatan,  deux  autres  rencontres,  dans  lesquelles  on 
tua  deux  de  mes  camarades,  et  où  je  fus  moi-même  grièvement  blessé 
à  la  gorge. 

J'oubliais  de  dire  que  lorsque  l'on  nous  chassa  de  Mexico,  et  que 
nous  en  sortîmes  en  fuyards,  pendant  neuf  journées  que  nous  luttâmes 
jour  et  nuit,  j'assistai  à  quatre  autres  batailles. 

Plus  tard,  avec  Cortès,  la  campagne  de  Honduras  et  des  Higueras, 
qui  dura  deux  ans  et  trois  mois  sans  revenir  à  Mexico.  Dans  le  village 
de  Culacotu  nous  eûmes  une  bataille  rangée  dans  laquelle  on  me  tua 
mon  cheval  qui  m'avait  coûté  six  cents  piastres. 

Après  mon  retour  à  la  Nouvelle-Espagne,  j'aidai  à  pacifier  les  sierras 
des  Zapotèques  et  Minxes,  qui  s'étaient  soulevés  pendant  que  nous 
étions  occupés  à  la  précédente  campagne. 

Je  ne  compte  pas  une  infinité  d'autres  .rencontres,  parce  que  ce 
serait  à  n'en  pas  finir.  Je  ne  mentionnerai  pas  davantage  bien  des  cir- 
constances dans  lesquelles  je  me  suis  trouvé  en  grand  péril  de  ma 
personne. 

Je  ne  dirai  pas  non  plus  que  je  fus  des  premiers  à  commencer  l'in- 
vestissement de  Mexico,  quatre  ou  cinq  jours  avant  Cortès.  Je  puis 
d'ailleurs  rappeler  que  je  vins  à  la  découverte  de  la  Nouvelle-Espagne 
deux  fois  avant  ce  capitaine.  En  outre,  ainsi  que  je  l'ai  dit,  j'assistai 
à  la  prise  de  la  grande  ville  de  Mexico;  je  contribuai  à  lui  couper  l'eau 


856 


CONQUÊTE 


de  Chapultepeque,   de  telle  sorte  qu'il  n'y  eut  plus  d'eau  douce  jus- 
qu'après la  prise  de  la  capitale. 

Il  résulte  de  l'énumération  qu'on  vient  de  voir  que  je  me  suis  trouvé 
dans  cent  dix-neuf  batailles  ou  rencontres.  Il  n'est  pas  extraordinaire 
que  je  m'en  vante,  puisque  c'est  l'exacte  vérité.  Ce  ne  sont  d'ailleurs 
pas  là  de  vieux  contes  ni  des  récits  d'histoires  romaines  de  dates 
éloignées;  ce  ne  sont  pas  non  plus  des  fictions  de  poëte;  rien  n'est 
plus  patent,  plusvéridique  que  les  nombreux  et  remarquables  services 
rendus  par  moi  d'abord  à  Dieu,  ensuite  à  Sa  Majesté  et  à  toute  la 
chrétienté.  Merci  mille  fois  à  Notre  Seigneur  Jésus-Christ  qui  a  sauvé 
ma  vie  de  tant  de  dangers,  pour  que  je  puisse  actuellement  tracer 
cette  si  véridique  histoire  !  J'ajouterai  —  et  je  m'en  fais  gloire  —  que 
j'ai  assisté  à  autant  de  batailles  et  rencontres  que  l'Empereur  Henri 
IV,  d'après  l'histoire. 


APPENDICE1 


Des  signes  et  planètes  qu'il  y  eut  dans  le  ciel  de  la  Nouvelle-Espagne  avant  notre  ar- 
rivée. Pronostics  et  déclaration  que  les  Indiens  mexicains  firent  et  dirent  à  ce  sujet; 
et  d'un  signe  encore  qu'il  y  eut  dans  le  ciel,  et  autres  choses  dignes  qu'on  s'en 
souvienne. 


Les  Indiens  mexicains  disaient  que  peu  de  temps  avant  notre  arrivée  à  la 
Nouvelle-Espagne,  on  vit  dans  le  ciel  une  empreinte  rouge  et  verdâtre, 
ronde  comme  une  roue  de  charrette,  à  laquelle  adhérait  une  marque,  comme 
une  raie  indiquant  un  chemin  venant  d'où  le  soleil  se  lève  pour  aboutir  à 
la  nuance  rouge  de  la  figure  ronde.  Montezuma,  grand  cacique  de  Mexico, 
fit  appeler  ses  papes  et  ses  devins,  pour  qu'ils  portassent  leur  attention  sur 
ce  signe  qu'ils  n'avaient  jamais  vu,  et  qu'ils  croyaient  n'avoir  jamais  existé. 
Les  papes,  paraît-il,  consultèrent  à  ce  sujet  l'idole  Huichilobos.  La  réponse 
fut  qu'il  allait  y  avoir  beaucoup  de  pestes  et  de  grandes  guerres,  avec  sa- 
crifice abondant  de  sang  humain.  Or,  nous  vînmes  en  ce  même  temps  avec 
Gortès,  et,  dix  mois  après  nous,  Narvaez  avec  un  nègre  atteint  de  petite  vé- 
role. Le  mal  se  commuiqua  à  tous  les  Indiens  du  village  de  Cempoal,  et  de 
là  s'étendit  à  la  Nouvelle-Espagne  entière,  où  il  y  eut  grand  foyer  de  souf- 
frances. En  outre,  il  y  a  à  considérer  les  combats  qu'on  nous  livra  à  Mexico 
lorsque  nous  marchâmes  au  secours  de  Pedro  de  Alvarado,  et  qu'on  nous 
tua  ou  sacrifia  huit  cent  cinquante  hommes-,  par  où  l'on  voit  que  les  pro- 
nostics portés  à  propos  des  signes  célestes  devinrent  une  vérité.  Quant  à 
nous,  nous  ne  les  vîmes  jamais  \  je  les  mentionne  sur  le  dire  des  Mexicains, 


1.  La  première  édition  des  Mémoires  de  Bernai  Diaz  finit  avec  le  chapitre  ccxir.  C'est 
elle  que  j'ai  suivie  dans  ma  traduction  ;  c'est  donc  ici  que  je  devrais  finir  moi-même 
les  Mémoires  de  mon  auteur  en  me  conformant  à  la  première  pensée  de  son  éditeur, 
le  moine  Alonso  Remon.  Mais  je  ne  puis  perdre  de  vue  que  la  seconde  édition,  publiée 
dans  la  môme  année  que  la  première,  c'est-à-dire  en  1632,  contient  un  chapitre  deux 
cent  treizième.  J'ignore  absolument  quelle  fut  la  raison  qui  le  fit  distraire  une  pre- 
mière fois  et  qui  lui  valut  en  second  lieu  les  honneurs  de  l'impression.  Ce  que  je  sais, 
c'est  qu'il  est  d'un  mérite  inférieur  au  reste  de  l'ouvrage  et  qu'il  n'y  devrait  figurer 
qu'à  titre  d'appendice,  dans  le  but  unique  de  ne  rien  omettre  de  ce  qui  est  sorti  de  la 
plume  de  l'auteur.  C'est  cette  considération  qui  me  le  fait  inscrire  ici  pour  compléter 
moi-même  mon  travail.  {Le  traducteur.) 


858  CONQUÊTE 

qui  en  conservaient  le  souvenir  dans  leurs  écrits,  vus  et  considérés  par  nous 
comme  très-authentiques. 

Ce  que  j'ai  vu,  moi,  et  ce  que  virent  tous  ceux  qui  le  voulurent  voir  en 
l'an  1527,  ce  fut,  pendant  la  nuit,  une  marque  dans  le  ciel  représentant 
comme  une  longue  épée,  entre  la  province  du  Panuco  et  la  ville  de  Tezcuco, 
et  qui  ne  changea  nullement  de  place  pendant  vingt  jours.  Les  papes  et  les 
Indiens  mexicains  prétendirent  que  c'était  l'annonce  d'une  peste  prochaine. 
Or,  peu  de  jours  après,  apparurent  la  rougeole  et  une  autre  maladie  sembla- 
ble à  la  lèpre,  avec  une  très-mauvaise  odeur.  Beaucoup  de  gens  en  furent 
victimes,  quoique  beaucoup  moins  que  de  la  petite  vérole. 

Je  veux  dire  aussi  qu'en  l'an  1528,  dans  la  ville  de  Guazacualco,  il  plut 
une  avalanche  de  gros  grumeaux  qui  ne  ressemblaient  en  rien  à  ce  qui  tombe 
habituellement  du  ciel.  Quand  cela  arrivait  sur  le  sol,  ce  qui  paraissait  d'a- 
bord être  de  l'eau  s'agglomérait  en  petits  crapauds  un  peu  plus  grands  que 
les  plus  grosses  mouches.  La  terre  en  resta  couverte.  Bientôt  ils  commen- 
cèrent à  sautiller  en  prenant  la  direction  de  la  rivière,  qui  n'était  pas  éloi- 
gnée, et,  sans  se  confondre  dans  leur  marche,  sans  dévier  de  la  ligne  droite, 
ils  furent  se  jeter  à  l'eau.  Comme  ils  étaient  nombreux  et  le  terrain  très- 
échauffé  par  suite  des  fortes  chaleurs,  tous  ne  purent  pas  arriver  jusqu'au 
fleuve;  beaucoup  restèrent  en  chemin,  et  des  oiseaux  de  proie  en  mangèrent 
la  plus  grande  partie.  Ceux  qui  persistèrent  sur  le  sol  y  laissèrent  une  très- 
mauvaise  odeur;  de  sorte  qu'il  nous  fallut  donner  des  ordres  pour  les  enle- 
ver, afin  de  nous  délivrer  de  l'infection. 

D'autres  personnes  dignes  de  foi  assurèrent  également  qu'en  un  village 
près  de  Vera  Cruz,  appelé  Cempoal,  il  y  eut  une  grande  pluie  de  petits  cra- 
pauds près  d'une  plantation  de  sucre  existant  alors  non  loin  du  bourg  et 
appartenant  au  contador  Albornoz. 

Et  comme  cet  événement  d'une  pluie  de  crapauds  n'a  pas  été  à  la  portée 
des  regards  de  tout  le  monde,  je  fus  tenté  d'abord  de  n'en  pas  parler,  parce 
que,  de  l'avis  du  sage,  les  merveilles  ne  sont  pas  à  dire.  Mais  un  caballero 
de  cette  ville,  personne  de  qualité,  appelé  Juan  de  Guzman,  ayant  pris  con- 
naissance de  mon  récit,  me  dit  que  c'était  très-vrai,  et  qu'un  jour  qu'il  ve- 
nait de  la  province  du  Yucatan  avec  un  autre  hidalgo,  il  plut  tant  de  petits 
crapauds  que  leurs  manteaux  de  voyage  se  couvrirent  d'un  grand  nombre 
de  ces  animaux  provenant  de  la  coagulation  de  l'eau,  et  qu'il  fallut  se  secouer 
pour  les  faire  tomber.  Un  autre  habitant  de  Guatemala,  du  nom  de  Cosme 
Roman,  dit  aussi  qu'il  avait  plu  de  petits  crapauds  sur  la  vieille  ville  à  une 
époque  qui  coïncide  avec  le  récit  de  Guzman. 

Revenons-en  à  la  grande  tourmente  qu'il  y  eut  à  Guatemala  en  1541,  au 
mois  de  septembre.  Il  plut  tant,  pendant  trois  jours  et  trois  nuits,  que  le 
cratère  d'un  volcan,  situé  à  une  lieue  de  la  ville  de  Guatemala,  se  remplit 
d'eau  ;  l'un  des  côtés  du  dépôt  se  fendit  et  l'eau  en  sortit  avec  une  telle  im- 
pétuosité qu'elle  entraîna  une  avalanche  de  pierres  et  d'arbres,  au  point  que 
si  je  n'avais  vu  moi-même  ces  débris  je  n'aurais  osé  y  ajouter  foi.  Comme 
deux  paires  de  bœufs  furent  impuissantes  à  enlever  les  blocs  qui  étaient 
tombés,  ces  énormes  pierres  sont  encore  là  pour  prouver  le  fait,  et  même 
les  arbres  avec  leurs  grandes  racines  et  un  amas  de  pierres  plus  petites. 
L'eau,  dit-on,  se  précipitait  en  forme  de  limon  fangeux,  et  il  faisait  en  même 
temps  un  vent  si  impétueux  que  ce  liquide  boueux  se  massait  en  vagues 
élevées  tombant  avec  un  bruit  assourdissant  qui  empêchait  les  habitants  de 


DE  LA  NOUVELLE-ESPAGNE.  859 

distinguer  entre  eux  le  son  de  leurs  voix,  et  les  pères  d'entendre  l'appel  de 
leurs  enfants.  La  tourmente  eut  lieu  un  samedi  vers  dix  heures  du  soir,  le 
11  septembre  de  l'année  que  j'ai  dite.  Cette  avalanche  de  pierres,  de  troncs 
d'arbres,  d'eau  et  de  boue  se  précipita  sur  environ  la  moitié  de  l'étendue 
de  la  ville  de  Guatemala,  enlevant  et  détruisant  les  maisons  sur  son  pas- 
sage, quelles  que  fussent  leur  résistance  et  leur  solidité;  un  grand  nombre 
d'hommes,  de  femmes  et  d'enfants  y  périrent.  Là  se  perdirent  les  bijoux  et 
l'ameublement  des  habitants,  tandis  que  d'autres  maisons,  assez  éloignées 
pour  que  la  tourmente  n'eût  pas  la  force  de  les  détruire,  se  remplirent  d'eau, 
de  boue  et  de  pierres,  avec  des  arbres  en  travers  jusqu'à  la  hauteur  des 
fenêtres. 

Ce  fut  au  plus  fort  de  l'ouragan  que  courut  se  mettre  en  prières  dans  son 
oratoire  l'illustre  dame  doua  Beatrix  de  la  Cueva,  femme  de  l'adelantado 
don  Pedro  de  Alvarado;  quelques  dames  et  des  demoiselles  qu'elle  avait 
amenées  de  Castille  pour  les  marier  se  trouvaient  avec  elle.  Tandis  qu'elle 
priait  le  bon  Dieu  de  la  préserver  de  la  tempête,  au  moment  où  elle  ne  s'y 
attendait  pas,  l'eau  et  la  boue  se  précipitèrent  avec  tant  de  bruit  et  d'impé- 
tuosité, que  la  maison  s'effondra  avec  l'oratoire  et  les  engloutit.  Quelques- 
unes  furent  emportées  par  l'eau,  de  telle  sorte  qu'une  seule  dame  en  put 
échapper  ;  elle  s'appelle  doua  Leonor  de  Alvarado,  fille  de  l'adelantado.  On  la 
trouva  perdue  entre  de  grosses  pierres  et  des  troncs  d'arbres,  et  ses  domes- 
tiques l'ayant  reconnue  l'enlevèrent  sans  sentiment  et  morte  à  demi.  Elle 
est  maintenant  mariée  avec  don  Francisco  de  la  Cueva,  que  l'on  dit  cousin 
du  duc  d'Albuquerque.  Ils  ont  des  fils  qui  sont  d'excellents  gentilshommes 
et  des  filles  très-généreuses  en  âge  d'être  mariées.  Je  crois  qu'on  sauva  en- 
core deux  dames  dont  je  ne  me  rappelle  pas  les  noms. 

Je  n'abandonnerai  point  ce  triste  sujet  sans  dire  que,  le  jour  étant  venu, 
plusieurs  personnes  prétendirent  qu'au  plus  fort  de  la  tempête  on  entendit 
des  sifflements,  des  cris  et  des  hurlements  épouvantables;  c'étaient  des  dé- 
mons qui  roulaient  avec  les  pierres,  car,  sans  leur  secours,  il  eût  été  impos- 
sible que  de  si  gros  blocs  de  rocher  et  des  arbres  si  énormes  eussent  pu  se 
mettre  en  mouvement.  On  ajoutait  qu'au  milieu  des  vagues  se  voyaient  une 
vache  avec  une  seule  corne,  et  deux  formes  d'hommes  comme  deux  nègres 
de  méchant  aspect  et  grimaçant,  qui  criaient  à  haute  voix  et  disaient  :  «  Lais- 
sez passer,  laissez  passer!  tout  doit  finir  aujourd'hui!  »  Les  personnes  qui 
venaient  aux  portes  ou  aux  fenêtres  de  leurs  habitations,  cherchant  à  s'ex- 
pliquer ce  que  cela  pouvait  être,  étaient  prises  à  l'instant  d'une  grande 
frayeur;  et  si  l'on  s'obstinait  à  passer  d'une  rue  à  l'autre  pour  se  porter 
secours  entre  pères  et  enfants,  maris  et  femmes,  on  était  entraîné  par  le 
torrent  de  boue  jusqu'à  la  rivière,  qui  était  près  de  là. 

Outre  ces  désastres,  d'autres  considérables  fondirent  sur  les  pauvres  In- 
diens qui  habitaient  plus  haut  dans  la  direction  suivie  par  les  pierres,  l'eau 
et  la  fange;  tous  furent  noyés;  que  Dieu  pardonne  à  tout  le  monde  ! 

On  prétendit  que  cette  grande  dame  dont  j'ai  déjà  parlé  d'autres  fois  et 
qui  perdit  alors  la  vie,  avait  reçu  peu  de  jours  auparavant  la  nouvelle  que 
son  mari  l'adelantado  don  Pedro  de  Alvarado  avait  été  tué  lorsqu'il  portait 
secours  aux  soldats  espagnols  de  Cochitlan,  ainsi  que  je  l'ai  rapporté  et  écrit 
longuement.  En  apprenant  ce  triste  événement,  elle  s'arrachait  les  cheveux, 
se  meurtrissait  le  visage,  se  lamentait  et  faisait  peindre  en  noir  les  murs  de 
sa  maison.  Après  s'être  livrée  aux  soins  des  funérailles,  elle  sentait  chaque 


860  CONQUÊTE 

jour  augmenter  ses  regrets  pour  son  mari  défunt-,  elle  élevait  la  voix  en  se 
lamentant,  refusait  de  manger  et  repoussait  toute  consolation.  Cependant, 
respectant  la  coutume  de  visiter  les  veuves  et  ceux  qui  sont  dans  la  tristesse, 
plusieurs  caballeros  de  cette  ville  se  rendaient  près  d'elle  et  lui  adressaient 
des  paroles  tendant  à  soulager  ses  peines;  ils  lui  disaient  que  puisque  le 
bon  Dieu  avait  jugé  convenable  d'enlever  le  défunt  de  ce  monde,  son  devoir 
était  cîe  prier  pour  l'âme  de  don  Pedro  et  de  rendre  grâces  à  Dieu  pour  l'évé- 
nement; ils  ajoutaient  encore  d'autres  choses  qu'on  a  l'habitude  d'exprimer 
en  pareille  situation. 

On  prétend  que  la  dame  répondit  que  sans  doute  elle  rendait  grâces  à 
Dieu  pour  ce  qui  était  arrivé,  mais  qu'elle  n'avait  ici-bas  aucune  autre  con- 
solation et  que  Dieu  Notre  Seigneur  n'aurait  pu  lui  faire  pire  mal  que  de 
lui  enlever  son  mari.  Or  plusieurs  personnes  assurèrent  que  si  ces  paroles 
sortaient  réellement  du  cœur,  elles  furent  des  plus  répréhensibles  ;  que  Dieu 
Notre  Seigneur,  ne  s'y  trompant  nullement,  considéra  comme  juste  de  châ- 
tier le  blasphème  par  cette  grande  tempête  et  la  mort  de  la  dame  avec  toutes 
ses  demoiselles,  suivie  de  la  perte  des  habitants,  femmes,  enfants,  Indiens, 
Indiennes,  avec  la  ruine  totale  des  maisons  et  de  tous  les  biens.  Les  secrets 
de  Dieu  sont  impénétrables  dans  tout  ce  qu'il  a  trouvé  bon  de  faire;  nous 
devons  lui  rendre  grâces,  chanter  ses  louanges  et  le  supplier  d'un  cœur 
contrit  de  nous  pardonner  nos  fautes.  Après  mon  arrivée  à  Guatemala,  j'en- 
tendis dire  que  cette  dame  n'avait  jamais  proféré  de  telles  paroles  et  s'était 
contentée  de  dire  qu'elle  désirait  mourir  avec  son  mari  ;  tout  le  reste  fut 
inventé.  Pour  en  revenir  aux  pierres  qui  furent  entraînées  dans  cette  ava- 
lanche, je  dirai  qu'elles  sont  si  grandes  que,  lorsque  des  étrangers  viennent 
dans  cette  ville,  ils  les  vont  visiter  et  restent  en  admiration  devant  elles. 

Après  cette  grande  catastrophe,  les  habitants  qui  avaient  eu  la  chance  d'y 
échapper  s'occupèrent  de  la  recherche  des  corps  morts  et  de  leur  inhuma- 
tion. Mais  ils  n'osèrent  point  continuer  à  vivre  dans  la  ville.  La  plupart 
d'entre  eux,  presque  tous  même,  s'en  furent  à  leurs  établissements  cham- 
pêtres ;  d'autres  se  bâtirent  des  domiciles  et  des  cabanes  au  milieu  des  cam- 
pagnes, jusqu'à  ce  qu'il  fut  convenu  entre  tous  les  habitants  qu'on  fonderait 
de  nouveau  la  ville  sur  le  lieu  où  elle  s'élève  actuellement,  et  qui  était  au- 
paravant occupé  par  des  plantations  de  maïs.  Il  est  certain  que  le  choix  du 
site  fut  des  plus  mauvais.  Il  eût  été  mieux  pour  les  habitants  et  plus  con- 
venable pour  ceux  qui  trafiquent  de  l'établir  à  Petapa  ou  sur  la  plaine  de 
Chimaltenango;  car,  si  nous  y  voulons  bien  réfléchir,  depuis  que  la  ville  a 
été  rebâtie  en  cet  endroit,  les  tremblements  de  terre  et  les  désastres  causés 
par  les  crues  de  la  rivière  ne  lui  ont  jamais  manqué. 

Mettant  do  côté  maintenant  ce  sujet  du  mauvais  choix  de  l'emplacement, 
je  veux  rappeler  ce  qui  fut  convenu  dans  cette  ville  entre  le  dernier  évoque, 
digne  de  mémoire,  et  différents  caballeros  :  on  décida  que  tous  les  ans,  le 
11  septembre,  une  procession  sortirait  de  l'église  principale  et  se  dirigerait 
de  très-bonne  heure  vers  l'ancienne  ville,  portant  les  croix,  avec  les  digni- 
taires, le  clergé  séculier,  les  moines,  marchant  d'un  cœur  contrit,  en  chan- 
tant les  litanies  et  d'autres  saintes  oraisons,  la  plupart  priant  et  demandant 
à  Dieu  miséricorde,  pour  qu'il  daigne  pardonner  nos  péchés  et  ceux  des 
personnes  qui  moururent  dans  la  tourmente.  On  avançait  ainsi  jusqu'à 
l'église  de  la  capitale  ruinée,  que  l'on  conservait  toujours  en  bon  état,  ornée 
de  branchages  et  de  bonnes  tapisseries,  avec  des  autels  toujours  prêts  pour 


DE   LA    NOUVELLE-ESPAGNE. 

que  les  prêtres  et  les  moines  y  disent  la  messe.  Après  le  saint  sacrifice,  on 
disait  1rs  prières  des  morts  pour  tous  ceux  qui  sont  inhumés  en  ce  lieu.  On 
bâtissait  de  petits  monuments  funéraires  au-dessus  des  sépultures  des  per- 
sonnes de  distinction,  on  y  plaçait  des  faisceaux  de  cire  allumés,  et  l'on  fai- 
sait l'offrande  de  pain,  de  vin  et  de  viande;  tandis  que  pour  d'autres  tombes 
on  se  conduisait  en  rapport  avec  le  rang  qu'avaient  occupé  les  défunts. 

Dans  la  plupart  de  ces  cérémonies  on  faisait  des  sermons;  révoque  que 
j'ai  mentionné  déjà  assistait  habituellement  à  la  procession.  En  mourant  il 
laissa  par  testament  une  rente  qui  devait  servir  à  payer  les  prêtres  qui  di- 
raient ces  messes.  Le  sermon  entendu  et  la  cérémonie  finie,  un  grand  nom- 
bre de  caballeros  et  de  seîioras  qui  avaient  pris  soin  de  faire  apporter  leur 
ordinaire,  des  goûters  et  des  dîners  fins,  à  la  mode  espagnole,  s'en  allaient 
se  divertir  dans  quelques  parcs,  dans  des  jardins  ou  même  en  pleine  cam- 
pagne, à  Limitation  de  la  coutume  qu'on  a  en  Castille  d'emporter  son  dé- 
jeuner lorsqu'on  va  faire  une  procession,  un  vœu  ou  une  invocation  aux 
saints  hors  la  ville.  Je  ne  nie  suis  jamais  trouvé  mêlé  aux  cérémonies  dont 
je  viens  de  parler.  Si  j'en  fais  mention,  c'est  que  dans  les  papiers  et  mé- 
moires de  feu  l'évêque  don  Francisco  Marroquin  se  trouvaient  décrits  les 
tremblements  de  terre  avec  toutes  les  circonstances  qui  s'y  rattachent,  de 
la  manière  que  j'ai  racontée.  Cela  m'a  été  rapporté  au  surplus  par  des  per- 
sonnes dignes  de  foi  qui  se  trouvaient  là  lors  de  l'inondation  -,  quant  à  moi, 
j'étais  à  Chiapa  à  cette  époque.  D'autres  temps  sont  venus,  et  maintenant 
les  curés  et  dignitaires  de  cette  sainte  église  de  Guatemala  affirment  que 
l'évêque  don  Francisco  Marroquin,  d'heureuse  mémoire,  n'a  laissé  aucune 
rente  pour  perpétuer  la  procession  qui  d'abord  s'était  faite,  de  sorte  qu'après 
tant  d'années  écoulées  tout  se  trouve  oublié  aujourd'hui. 


FIN. 


TABLE    DES    MATIÈRES 


CHAPITRE  I 
A  quelle  époque  je  partis  de  Castille  et  ce  qui  m'advint | 

CHAPITRE   II 

De  la  découverte  de  Yucalan  et  d'une  rencontre  que  nous  eûmes  avec  les  natu- 
rels  


ô 


CHAPITRE  III 

De  la  découverte  de  Campêche 6 

CHAPITRE  IV 

Comme  quoi  nous  débarquâmes  dans  une  baie  entourée  de  plantations  de  maïs, 
non  loin  du  port  de  Potoncban.  Combats  qu'on  nous  y  livra 10 

CHAPITRE  V 

Comme  quoi  nous  convînmes  de  retourner  à  l'île  de  Cuba.  De  la  soif  et  des  diffi- 
cultés qu'il  nous  fallut  surmonter  jusqu'à  notre  arrivée  au  port  de  la  Havane..     12 

CHAPITRE  VI 

Comme  quoi  vingt  soldats  débarquèrent  à  la  baie  de  la  Floride,  et  avec  nous  le 
pilote  Alaminos,  pour  chercher  de  l'eau;  guerre  que  les  naturels  du  pa\s  nous 
firent,  et  ce  qui  advint  encore  avant  notre  arrivée  à  la  Havane 14 

CHAPITRE  VII 

Des  souffrances  que  j'endurai  pour  arriver  à  un  bourg  appelé  Trinidad 18 

CHAPITRE  VIII 

Comme  quoi  Diego  Velasquez,  gouverneur  de  Cuba,  envoya  une  autre  flotte  aux 
pays  que  nous  découvrîmes 19 

CHAPITRE  IX 

Comme  quoi  nous  fûmes  débarquer  à  Champoton 23 

CHAPITRE  X 

Comme  quoi  nous  continuâmes  notre  voyage  et  entrâmes  à  la  bouche  de  Ter- 
minus, nom  que  nous  lui  donnâmes  alors i'i 

CHAPITRE   XI 

Comme  quoi  nous  arrivâmes  au  fleuve  de  Tabasco,  appelé  Grijalva.  et  ce  qui 
nous  y  advint . , 25 

CHAPITRE  XII 

Comme  quoi  nous  vîmes  le  village  d'Aguayaluco,  auquel  nous  donnâmes  le 
nom  de  Rambla 28 


864  TABLE  DES  MATIERES. 

CHAPITRE  XIII 

Comme  quoi  nous  arrivâmes  à  un  fleuve  que  nous  nommâmes  rio  Banderas  et 
nous  acquîmes  quatorze  mille  piastres 29 

CHAPITRE  XIV 

Comme  quoi  nous  arrivâmes  au  port  de  San  Juan  de  Culua 31 

CHAPITRE  XV 
Comme  quoi  Diego  Velasquez  envoya  un  petit  navire  à  notre  recherche 33 

CHAPITRE  XVI 
Ce  qui  nous  arriva  en  côtoyant  les  sierras  de  Tusta  et  de  Tuspa 34 

CHAPITRE  XVII 

Comme  quoi  Diego  Velasquez  envoya  son  procureur  en  Castille 37 

CHAPITRE  XVIII 

De  quelques  réflexions  au  sujet  de  ce  que  Francisco  Lopez  de  Goniara,  mal  in- 
formé, a  écrit  dans  son  histoire 38 

CHAPITRE  XIX 

Comme  quoi  nous  revînmes  encore  avec  une  autre  flotte  aux  pays  récemment 
découverts,  ayant  pour  capitaine  Fernand  Cortès,  qui  fut  plus  tard  marquis  del 
Valle  et  posséda  d'autres  dignités.  Difficultés  qui  s'élevèrent  pour  empêcher 
qu'il  fût  nommé  commandant 41 

CHAPITRE  XX 

Des  choses  que  fit  et  disposa  Fernand  Cortès  après  avoir  été  élu  commandant, 
comme  j'ai  dit 44 

CHAPITRE  XXI 

De  ce  que  fit  Cortès  à  son  arrivée  au  bourg  de  la  Trinidad;  des  civils  et  mili- 
taires qui  s'y  réunirent  pour  partir  en  sa  compagnie,  et  de  ce  qui  nous  advint 
encore 46 

CHAPITRE  XXII 

Comme  quoi  Diego  Velasquez  envoya  en  poste  deux  de  ses  serviteurs  à  la  Trinidad 
avec  des  pouvoirs  et  des  ordres  pour  enlever  à  Cortès  son  commandement  et 
prendre  sa  flotte;  et  ce  qui  se  passa,  je  vais  le  dire  à  la  suite 48 

CHAPITRE  XXIII 

Commequoi  le  capitaine  Fernand  Cortès  s'embarqua  avec  tous  ses  hommes,  civils 
et  militaires,  pour  aller  à  la  Havane,  par  la  route  du  sud,  et  envoya  au  même 
port  un  de  ses  navires  par  la  route  nord;  et  ce  qui  advint  encore 49 

CHAPITRE  XXIV 

Comme  quoi  Diego  Velasquez  envoya  son  employé,  appelé  Gaspar  de  Carnica, 
avec  pouvoirs  et  commandements,  pour  que,  en  tout  état  de  choses,  on  arrêtât 
Cortès  et  qu'on  lui  retirât  la  flotte  ;  et  de  ce  qui  se  fit  à  ce  propos 53 

CHAPITRE  XXV 

Comme  quoi  Cortès  fit  voile  avec  tout  son  monde,  caballeros  et  soldats,  vers  l'île 
de  Cozumel,  et  ce  qui  lui  advint  en  ce  lieu 54 

CHAPITRE  XXVI 

Comme  quoi  Cortès  commanda  une  revue  de  toute  son  armée  et  de  ce  qui  nous 
advint  encore ÔG 

CHAPITRE  XXVII 

Comme  quoi  Cortès  eut  connaissance  que  deux  Espagnols  se  trouvaient  au  pou- 
voir des  Indiens,  vers  le  cap  Cotoche,  et  ce  qu'on  fit  à  ce  propos 57 

CHAPITRE  XXVIII 

Comme  quoi  Cortès  lit  la  répartition  des  navires  et  désignales  capitaines  qui  de- 


TABLE  DES  MATIERES.  865 

vaient  s'embarquer  dans  chacun  d'eux;  on  instruisit  les  pilotes  de  ce  qu'ils  au- 
raient à  faire;  on  convint  des  signaux  de  nuit;  et  autres  choses  qui  nous  ad- 
vinrent 60 

CHAPITRE  XXIX 

Comme  quoi  l'Espagnol  esclave  des  Indiens,  qu'on  appelait  Geronimo  Aguilar, 
sut  que  nous  avions  relâché  à  Cozumel  et  s'en  vint  avec  nous,  et  ce  qui  arriva 
encore g| 

CHAPITRE  XXX 

Comment  nous  nous  rembarquâmes  et  nous  fîmes  voile  vers  le  rio  Grijalva  et  de 
ce  qui  nous  advint  dans  le  voyage 64 

CHAPITRE  XXXI 
Comment  nous  arrivâmes  au  fleuve  Grijalva,  appelé  Tabasco  en  langue  indienne: 
des  combats  qu'on  nous  y  livra,  et  ce  qui  nous  arriva  encore  avec  les  habitants.    66 

CHAPITRE  XXXII 
Comment  Corlès  commanda  à  tous  les  capitaines  d'aller  avec  des  groupes  de 

cent  hommes  voir  l'intérieur  du  pays,  et  de  ce  qui  nous  advint  à  ce  propos 69 

CHAPITRE  XXXIII 
Comment  Cortès  nous  ordonna  de  nous  tenir  prêts  à  aller  le  lendemain  au-devant 
des  bataillons  ennemis  et  fit  sortir  les  chevaux  des  navires;  ce  qui  nous  advint 
encore  dans  la  bataille  que  nous  eûmes  avec  les  habitants 71 

CHAPITRE  XXXIV 

Comme  quoi  tous  les  caciques  de  Tabasco  et  de  ses  provinces  nous  livrèrent  ba- 
taille, et  de  ce  qui  arriva  à  ce  propos 73 

CHAPITRE  XXXV 

Comment  Cortès  fit  appeler  tous  les  caciques  de  ces  provinces  et  de  ce  qui  se  passa 
encore  à  ce  sujet 76 

CHAPITRE  XXXVI 

Comme  quoi  tous  les  caciques  et  calachonis  vinrent  avec  un  présent,  et  ce  qui 
arriva  à  ce  sujet 7y 

CHAPITRE  XXXVII 

Comme  quoi  dona  Marina  était  cacique,  fille  de  grands  seigneurs  et  maîtresse  de 
villages  et  vassaux  ;  et  comment  elle  fut  amenée  à  Tabasco 82 

CHAPITRE  XXXVIII 

Comment  nous  arrivâmes  à  Saint-Jean  d'Uloa  avec  tous  nos  navires,  et  de  ce 

qui  nous  y  advint 84 

CHAPITRE  XXXIX 

Comment  Tendidle  alla  parler  à  son  maître  Montezuma  et  lui  porter  le  présent, 
et  de  ce  que  nous  fîmes  dans  notre  campement. 88 

CHAPITRE  XL 

Comme  quoi  Cortès  envoya  chercher  un  autre  port  et  un  siège  de  colonisation,  et 
de  ce  que  l'on  fit  à  ce  sujet 90 

CHAPITRE  XLI 

Ce  qu?  l'on  fit  au  sujet  du  trafic  de  l'or,  et  autres  choses  qui  arrivèrent  dans 
le  campement 93 

CHAPITRE  XLH 

Comme  quoi  nous  proclamâmes  Fernand  Cortès  capitaine  général  et  grand  justi- 
cier, jusqu'à  ce  que  Sa  Majesté  en  jugeât  comme  bon  lui  semblerait.  De  ce 

qu'on  fit  à  ce  suje  t 96 

CHAPITRE  XLIII 

Comme  quoi  les  partisans  de  Diego  Velasquez   contrariaient  les  pouvoirs  que 

nous  avions  donnés  à  Cortès.  Ce  que  l'on  fit  h  ce  sujet 99 

■").") 


866  TABLE  DES  MATIÈRES. 

CHAPITRE  XLIV 

Comme  quoi  on  prit  la  mesure  d'envoyer  Pedro  de  Alvarado  vers  l'intérieur  du 
pays  pour  chercher  du  maïs  et  des  provisions.  Ce  qui  arriva  encore 101 

CHAPITRE  XLV 

Comment  nous  entrâmes  à  Cempoal  qui  était  alors  un  point  intéressant.  De  ce 
qui  nous  y  arriva 104 

CHAPITRE  XLYI 

Comme  quoi  nous  entrâmes  à  Quiavistlan  qui  était  un  village  fortifié,  et  y  fû- 
mes reçus  pacifiquement 107 

CHAPITRE  XLVII 

Comme  quoi  Cortès  fit  arrêter  ces  cinq  percepteurs  de  Montezuma  et  ordonna 
que  désormais  les  Totonaques  n'obéiraient  ni  ne  payeraient  de  tribut.  De  la 
rébellion  qui  s'effectua  contre  Montezuma 1 10 

CHAPITRE  XLVIU 

Comme  quoi  nous  convînmes  de  peupler  la  Villa  Rica  de  la  Vera  Cruz,  de  con- 
struire une  forteresse  au  milieu  des  savanes  auprès  d'une  saline,  et  non  loin 
du  port  vilainement  dénommé  où  se  trouvaient  mouillés  nos  navires;  et  de  ce 
qui  arriva. 112 

CHAPITRE  XLIX 

Comme  quoi  le  cacique  gros  et  d'autres  personnages  vinrent  se  plaindre  à  Cor- 
tès qu'une  garnison  de  Mexicains  se  trouvait  dans  un  gros  bourg  appelé  Cinga- 
pacinga,  y  causant  beaucoup  de  dommages.  De  ce  qu'on  fit  à  ce  sujet 115 

CHAPITRE  L 

Comme  quoi  quelques  soldats  du  parti  de  Diego  Velasquez,  voyant  que  décidé- 
ment nous  voulions  rester  et  qu'on  commençait  à  pacifier  les  villages,  dirent 
qu'ils  ne  voulaient  assister  à  aucune  attaque^  mais  s'en  retourner  à  l'île  de 

Cuba 117 

CHAPITRE  LI 

De  ce  qui  nous  arriva  à  Cingapacinga  ;  comme  quoi  à  notre  retour  par  Cempoal 
nous  détruisîmes  les  idoles,  et  d'autres  choses  qui  arrivèrent 118 

CHAPITRE  LU 

Comme  quoi  Cortès  fit  construire  un  autel;  on  y  plaça  une  image  de  Notre 
Dame  et  une  croix;  on  dit  la  messe  et  on  baptisa  les  huit  Indiennes 123 

CHAPITRE  LUI 

Comme  quoi  nous  arrivâmes  à  notre  Villa  Rica  de  la  Vera  Cruz  et  ce  qui  nous 
y  advint 125 

CHAPITRE   LIV 

Du  rapport  et  de  la  lettre  que  nous  envoyâmes  à  Sa  Majesté  avec  nos  procureurs 
Alonso  Hernandez  Puertocarrero  et  Francisco  de  Montejo,  et  qui  portaient  la 
signature  de  quelques-uns  de  nos  capitaines  et  soldats 127 

CHAPITRE  LV 

Comment  Diego  Velasquez,  gouverneur  de  Cuba,  eut  avis  certain  par  ces  lettres 
que  nous  envoyions  des  procureurs  avec  un  message  et  des  présents  pour  notre 
Roi,  et  ce  qui  fut  fait  à  ce  sujet 130 

CHAPITRE  LVI 

Comme  quoi  nos  procureurs  débouchèrent  avec  beau  temps  du  canal  de  Bahamaj 
arrivèrent  en  Castille  en  peu  de  jours  et  ce  qui  leur  arriva  en  Cour 132 

CHAPITRE  LVH 
Comme  quoi  nos  envoyés  partirent  vers  Sa  Majesté  avec  tout  l'or,  les  lettres  et 
les  rapports  combinés  dans  notre  campement.  Evénements  de  justice  par  or- 
dre de  Cortès 135 


TABLE   DES  MATIÈRES.  867 

CHAPITRE   LVIH 

Comme  quoi  nous  résolûmes  de  marcher  sur  Mexico  et  <Ie  détruire  notre  (loi If- 
avant  de  partir  ;  et  ce  qui  se  passa  encore.  Comme  quoi  le  fait  de  détruire  nos 
navires  fut  le  résultat  du  conseil  et  de  raccord  entre  les  amis  de  Cortès 137 

CHAPITRE  LIX 

D'un  discours  que  Cortès  nous  adressa  après  avoir  détruit  les  navires,  et  com- 
ment nous  disposâmes  notre  départ  pour  Mexico 139 

CHAPITRE  LX 

Comme  quoi  Cortès  se  rendit  au  point  où  le  navire  était  mouillé  et  prit  six  soldats 
et  matelots  qui  étaient  sortis  du  bord;  de  ce  qui  arriva  à  ce  sujet 141 

CHAPITRE  LXI 

Comme  quoi  nous  résolûmes  d'aller  à  la  ville  de  Mexico  et  fûmes  par  TIascala  d'a- 
près le  conseil  du  cacique;  de  ce  qui  nous  arriva  tant  en  actions  de  guerre 
qu'en  d'autres  choses 143 

CHAPITRE  LXH 

Comment  nous  prîmes  la  résolution  d'aller  par  TIascala  et  y  envoyâmes  des  mes- 
sagers pour  qu'on  trouvât  bon  notre  passage  par  cette  ville.  Comme  quoi  on 
arrêta  nos  messagers  ;  et  ce  qu'on  fit  encore 147 

CHAPITRE  LXIH 

Des  guerres  et  des  batailles  que  nous  eûmes  à  soutenir  contre  les  Tlascaltèques, 
et  de  ce  qui  advint  encore loi 

CHAPITRE  LXIV 

Comme  quoi  nous  nous  installâmes  dans  des  établissements  et  des  villages  ap- 
pelés Teoacingo  ou  Teuacingo,  et  de  ce  que  nous  y  fîmes 154 

CHAPITRE  LXV 

De  la  grande  bataille  que  nous  eûmes  à  soutenir  contre  le  gouvernement  de  TIas- 
cala; comme  quoi  Notre  Seigneur  Dieu  voulut  nous  donner  la  victoire  ;  et  ce 
qui  se  passa  encore 157 

CHAPITRE   LXVI 

Comme  quoi  le  jour  suivant  nous  envoyâmes  des  émissaires  aux  caciques  de  TIas- 
cala, les  engageant  à  la  paix,  et  de  ce  qu'ils  firent  à  ce  sujet 160 

CHAPITRE  LXVH 

Comme  quoi  nous  envoyâmes  encore  des  messagers  aux  caciques  de  TIascala 
pour  qu'ils  voulussent  bien  conclure  la  paix;  de  ce  qu'ils  firent  et  convinrent  à 
ce  sujet 164 

CHAPITRE  LXYIII 

Comme  quoi  nous  convînmes  d'aller  à  un  village  qui  était  près  de  notre  campe- 
ment, et  de  ce  que  l'on  fit  à  ce  sujet 166 

CHAPITRE  LXIX 
Comme  quoi,  lorsque  nous  revînmes  de  Cinpacingo  avec  Cortès,  nous  fûmes  ac- 
cueillis dans  notre  camp  par  certaines  allocutions;  et  de  ce  que  Cortès  répondit.  167 

CHAPITRE  LXX 

Comme  quoi  le  capitaine  Xicotenga  avait  sous  la  main  vingt  mille  guerriers  de 
choix  pour  tomber  sur  notre  camp,  et  de  ce  que  l'on  fit  à  ce  sujet 172 

CHAPITRE  LXXI 

Comme  quoi  les  personnages  qu'on  avait  envoyés  pour  traiter  de  la  paix  ar- 
rivèrent à  notre  camp;  du  discours  qu'ils  nous  adressèrent  et  de  ce  qui  se 
passa  encore 174 

CHAPITRE  LXXH 

Comme  quoi  des  envoyés  de  Montezuma.  grand  seigneur  de  Mexico,  arrivèrent  à 
notre  camp  ;  du  présent  qu'ils  apportèrent 177 


868  TABLE  DES  MATIÈRES. 

CHAPITRE  LXXIII 

Comme  quoi  Xicotenga,  capitaine  général  de  Tlascala,  vint  traiter  de  la  paix 
de  ce  qu'il  nous  dit  et  de  ce  qui  advint 178 

CHAPITRE  LXXIV 

Comme  quoi  les  vieux  caciques  de  Tlascala  vinrent  à  notre  camp  pour  prier  Cor- 
tès  et  nous  tous  de  ne  plus  tarder  d'aller  à  la  ville,  et  ce  qui  arriva  à  ce  sujet.  182 

CHAPITRE  LXXV 

Comment  nous  fûmes  à  la  ville  de  Tlascala  et  de  ce  que  firent  les  vieux  caciques; 
d'un  présent  qu'on  nous  offrit,  et  comme  quoi  ils  nous  présentèrent  leurs  filles 
et  leurs  nièces,  et  de  ce  qui  arriva  encore 184 

CHAPITRE  LXXVI 

Comme  quoi  l'on  dit  la  messe  en  présence  de_plusieurs  chefs,  et  d'un  présent  que 
les  vieux  caciques  apportèrent 1 86 

CHAPITRE  LXXVII 

Comme  quoi  les  caciques  présentèrent  leurs  filles  à  Cortès  et  à  nous  tous  ;  ce  que 
Ton  fit  à  ce  sujet 188 

CHAPITRE  LXXVIII 
Comme  quoi  Cortès  demanda  à  Maceescaci  et  à  Xicotenga  des  renseignements 

sur  Mexico,  et  du  récit  qu'on  lui  fit 190 

CHAPITRE  LXXIX 

Comme  quoi  notre  capitaine  Fernand  Cortès  convint  avec  tous  nos  autres  capi- 
taines et  soldats  que  nous  irions  à  Mexico  ;  de  ce  qui  advint  à  ce  propos 195 

CHAPITRE  LXXX 

Comment  le  grand  Monlezuma  envoya  quatre  personnages  de  grande  distinction 
avec  un  présent  en  or  et  des  étoffes  ;  de  ce  qu'ils  dirent  à  notre  capitaine 197 

CHAPITRE  LXXXI 

Comment  les  gens  de  Cholula  envoyèrent  quatre  Indiens  d'un  rang  peu  distingué 
pour  se  disculper  de  ne  pas  être  venus  à  Tlascala  ;  de  ce  qui  arriva  à  ce  sujet.   199 

CHAPITRE  LXXXH 

Comment  nous  fûmes  à  la  ville  de  Cholula,  et  de  la  réception  que  l'on  nous  y  fit.  200 

CHAPITRE   LXXX1II 

Comme  quoi  dans  la  ville  de  Cholula  on  avait  formé  le  projet  de  nous  massacrer 
par  ordre  de  Monlezuma,  et  de  ce  qui  nous  arriva  à  ce  sujet 202 

CHAPITRE  LXXXIV 

Des  messagers  et  des  propositions  que  nous  envoyâmes  au  grand  Monlezuma...  215 

CHAPITRE  LXXXV 

Comme  quoi  Monlezuma  envoya  un  grand  présent  en  or  ;  de  ce  qu'il  nous  faisait 
dire;  comment  nous  convînmes  d'aller  à  Mexico,  et  de  ce  qui  advint  ensuite.  217 

CHAPITRE  LXXXVI 

Comme  quoi  nous  commençâmes  à  marcher  vers  la  ville  de  Mexico;  de  ce  qui  ar- 
riva en  route,  et  de  ce  que  Montezuma  nous  fit  dire 219 

CHAPITRE  LXXXVII 

Comme  quoi  le  grand  Montezuma  nous  envoya  d'autres  ambassadeurs  avec  un 
présent  en  or  et  des  étoffes;  ce  qu'ils  dirent  à  Cortès  et  ce  qu'il  répondit.. .    .  223 

CHAPITRE  LXXXVIII 

De  la  solennelle  réception  que  le  grand  Montezuma  nous  lit,  à  Corlès  et  à  nous 
tous  lors  de  notre  entrée  dans  sa  capitale  de  Mexico 227  | 

CHAPITRE  LXXXIX 

Comment  le  grand  Montezuma  vint  nous  visiter  dans  nos  logements  avec  plu- 
sieurs caciques  ;  de  la  conversation  qu'il  eut  avec  notre  général 231 


TABLE  DES  MATIÈRES.  869 

CHAPITRE  XC 
Comme  quoi,  dès  le  lendemain,  notre  général  fut  rendre  visite  à  Montezuma,  et 
des  conversations  qu'ils  eurent  ensemble 233 

CHAPITRE  XCI 

Des  manières  et  de  la  personne  de  Montezuma,  et  comme  quoi  c'était  un  grand 
seigneur 236 

CHAPITRE  XCII 

Comme  quoi  notre  capitaine  sortit  pour  voir  la  ville  de  Mexico,  le  Tatelulco  qui 
est  sa  grande  place,  et  le  temple  de  Huichilobos;  et  de  ce  qui  advint  encore..    243 

CHAPITRE   XCHI 

Comme  quoi  nous  bâtîmes  une  église  avec  son  autel  dans  nos  logements  et  érigeâ- 
mes une  croix  au  debors.  Comme  quoi  encore  nous  découvrîmes  la  salle  et  la 
chambre  cachée  où  se  trouvait  le  trésor  du  père  de  Montezuma;  et  comment 
on  convint  de  faire  le  monarque  prisonnier 2.'>3 

CHAPITRE  XCIV 

Comment  eut  lieu  la  bataille  que  les  chefs  mexicains  livrèrent  à  Juan  de  Esca- 
lante.  et  comment  on  le  tua,  lui,  le  cheval,  six  autres  soldats  et  plusieurs  de 
nos  amis  totonaques 


l.M 


CHAPITRE  XCV 
De  l'emprisonnement  de  Montezuma  et  de  ce  qui  fut  fait  à  ce  sujet. 2â9 

CHAPITRE  XCVI 

Comme  quoi  notre  général  envoya  à  la  Villa  Rica  pour  lieutenant  et  commandant 
de  place  un  hidalgo  nommé  Alonso  de  Grado,  en  remplacement  de  l'alguazil 
mayor  Juan  de  Escalante.  tandis  qu'il  fit  retomber  ce  titre  sur  Gonzalo  de  San- 
doval  qui  fut  alguazil  mayor  depuis  ce  moment.  Ce  qui  arriva  à  ce  sujet  je  le 
vais  dire  à  la  suite 266 

CHAPITRE  XCVH 
Comme  quoi,  Montezuma  étant  notre  prisonnier,  Corlès  et  nous  tous  lui  faisions 
fête;  comment  on  l'autorisa  même  à  visiter  ses  temples 260 

CHAPITRE  XCVIII 

Comment  Cortès  donna  l'ordre  de  construire  deux  bricks  solides  et  bons  voiliers 
pour  naviguer  sur  la  lagune;  comme  quoi  aussi  Montezuma  demanda  à 
Cortès  l'autorisation  d'aller  faire  ses  prières  au  temple;  ce  que  Cortès  répondit 
et  comment  il  accorda  cette  permission 273 

CHAPITRE  XCIX 

Comme  quoi  nous  lançâmes  les  bricks  ;  comme  quoi  aussi  le  grand  Montezuma 
dit  qu'il  voulait  aller  à  la  chasse;  il  fut  avec  les  brigantins  jusqu'à  un  penol 
où  il  y  avait  beaucoup  de  chevreuils  et  quantité  d'autre  gibier,  et  où  personne 
n'entrait  sans  s'exposer  à  de  graves  peines 274 

CHAPITRE  C 
Comme  quoi  les  neveux  du  grand  Montezuma  s'efforçaient  de  réunir  autour  d'eux 
plusieurs  autres  .seigneurs,  pour  que  l'on  mît  Montezuma  en  liberté  en  nous 
chassant  de  la  capitale 277 

CHAPITRE  CI 
Comme  quoi  Montezuma,  plusieurs  caciques  et  bon  nombre  de  personnages  des 
districts  jurèrent  obéissance  à  Sa  Majesté,  et  de  plusieurs  autres  choses  qui  se 
passèrent 283 

CHAPITRE  CH 

Comme  quoi  Cortès  fit  en  sorte  d'être  renseigné  sur  les  mines  d'or,  en  quoi  elles 
consistaient,  dans  quelles  rivières  elles  se  trouvaient:  et  aussi  sur  les  bons 
ports,  depuis  le  Panuco  jusqu'à  Tabasco,  surtout  le  fleuve  Guazacualco.  De  ce 
qui  arriva  à  ce  sujet 2K.~» 


870  TABLE  DES  MATIÈRES. 

CHAPITRE  CIII 

Comme  quoi  revinrent  les  capitaines  que  notre  général  avait  envoyés  visites  les 
mines  et  sonder  le  port  et  la  rivière  Guazacualco 287 

CHAPITRE  CIV 
Comme  quoi  Cortès  dit  au  grand  Montezuma  qu'il  ordonnât  à  tous  les  caciques  du 
pays  de  payer  tribut  à  Sa  Majesté,  et  de  ce  qu'on  fit  à  ce  sujet 290 

CHAPITRE  CV 
Comme  quoi  l'on  partagea  l'or  que  l'on  avait  acquis,  tant  celui  que  Montezuma 
avait  donné  que  ce  que  l'on  recueillit  dans  les  villages.  Ce  ce  qui  advint  à  un 
soldat  à  ce  propos 293 

CHAPITRE  CVI 

Comme  quoi  il  y  eut  des  discussions  entre  Juan  Yelasquez  de  Léon  et  le  trésorier 
Gregorio  Mexia  au  sujet  de  l'or  qui  manquait  dans  les  tas  avant  qu'on  le  fondît. 
Ce  que  Cortès  fit  à  cet  égard 296 

CHAPITRE  CVII 

Comme  quoi  le  grand  Montezuma  dit  à  Cortès  qu'il  voulait  lui  donner  une  de 
ses  filles  en  mariage.  Ce  que  Cortès  lui  repondit  :  il  la  prit  cependant.  Comme 
quoi  elle  était  servie  et  honorée  au  titre  de  fille  d'un  si  grand  seigneur 297 

CHAPITRE  CVIH 

Comme  quoi  le  grand  Montezuma  dit  à  Cortès  de  sortir  de  Mexico  avec  tous  ses 
soldats,  parce  que  les  caciques  el  les  papes  voulaient  se  soulever  et  nous  faire 
une  guerre  à  mort,  attendu  que  c'était  ainsi  convenu  à  la  suite  du  conseil  qu'en 
avaient  donné  les  idoles.  Ce  que  Cortès  fit  à  ce  sujet 299 

CHAPITRE  CIX 

Comme  quoi  Diego  Velasquez,  gouverneur  de  Cuba,  se  hâta  d'envoyer  sa  flotte 
contre  nous,  avec  Pamphilo  de  Narvaez  pour  capitaine  général,  et  comment 
vint  avec  lui  le  licencié  Lucas  Vasquez  de  Aillon,  auditeur  du  Haut  Tribunal 
de  Saint-Domingue.  Ce  que  l'on  fit  à  ce  sujet 302 

CHAPITRE  CX 

Comme  quoi  Pamphilo  de  Narvaez  arriva  au  port  de  Saint-Jean  d'Uloa,  qu'on 
appelle  Vera  Cruz,  avec  toute  sa  flotte  ;  et  de  ce  qui  lui  advint 304 

CHAPITRE  CXI 

Comme  quoi  Pamphilo  de  Narvaez  envoya  sommer  de  se  rendre  avec  tous  les 
siens  Gonzalo  de  Sandoval,  qui  commandait  à  la  Villa  Rica.  Ce  qui  arriva  à 
ce  sujet 306 

CHAPITRE  CXH 
Comme  quoi  Cortès  écrivit  à  Narvaez  et  à  quelques-uns  de  ses  amis  personnels, 
en  particulier  à  Andrès  de  Duero,  secrétaire  de  Diego  Velasquez,  après  s'être 
bien  renseigné  sur  le  fait  de  savoir  quel  était  le  commandant  de  l'expédition, 
combien  elle  avait  d'hommes,  quelles  étaient  ses  provisions  de  guerre  et  les 
faits  et  gestes  de  nos  trois  déserteurs  passés  à  Narvaez.  Comme  quoi  notre  gé- 
néral apprit  que  Montezuma  envoyait  de  l'or  et  des  étoffes  à  Narvaez,  ainsi  que 
les  réponses  de  celui-ci;  comme  quoi  encore  le  licencié  Lucas  Vasquez  de  Aillon, 
auditeur  du  Tribunal  de  Saint-Domingue,  venait  avec  l'expédition,  et  de  quels 
ordres  il  était  porteur 309 

CHAPITRE  CXIII 

Comme  quoi  des  paroles  irritantes  furent  échangées  entre  le  capitaine  Pamphilo 
de  Narvaez  et  l'auditeur  Lucas  Vasquez  de  Aillon,  qui  fut  arrêté  et  envoyé 
prisonnier  à  Cuba  ou  en  Castille.  Ce  qui  advint  à  ce  propos 312 

CHAPITRE  CXIV 

Comme  quoi  Narvaez,  avec  toute  son  armée,  s'en  vint  à  la  ville  de  Cempoal;  ce 
qu'il  fit  à  ce  sujet  et  ce  que  nous  faisions  en  même  temps  dans  la  ville  de 
Mexico.  Comme  quoi  nous  résolûmes  de  marcher  contre  Narvaez 314 


TABLE  DES  MATIÈRES.  871 

CHAPITRE  CXV 

Comment  le  grand  Montezuma  demanda  à  Certes  s'il  était  vrai  qu'il  voulût  mar- 
cher contre  Narvaez,  quoique  les  forces  de  celui-ci  fussent  bien  supérieures  au\ 
nôtres,  ajoutant  que,  s'il  nous  arrivait  malheur,  il  en  éprouverait  beaucoup 
de   regret 316 

CHAPITRE  CXV1 

Comme  quoi  Cortès  résolut  avec  tous  nos  capitaines  et  soldats  d'envoyer  encore 
une  fois  au  quartier  de  Narvaez  le  Père  de  la  Merced,  homme  fin  et  à  ressources, 
qui  devait  se  présenter  en  humble  serviteur  de  Narvaez,  dont  il  aurait  l'air 
d'embrasser  la  cause  plutôt  que  celle  de  Cortès.  Il  devait  aussi  s'aboucher  se- 
crètement avec  les  artilleurs  Rodrigo  Martin  et  Usagre,  et  parler  à  Andrès  de 
Duero,  le  priant  de  venir  s'entendre  avec  Cortès.  Il  lui  était  enjoint  de  donner 
en  mains  propres  la  lettre  qu'il  apportait  à  Narvaez  et  de  faire  bien  attention 
à  toutes  choses.  Du  reste  il  était  porteur  de  plusieurs  disques  et  chaînes  d'or 
pour  en  faire  le  partage 320 

CHAPITRE  CXVII 

Comme  quoi  le  Père  Rartolomé  de  Olmedo,  de  l'ordre  de  Notre  Dame  de  la  Merced, 
fut  à  Cempoal  où  se  trouvait  Narvaez  avec  tous  ses  officiers;  ce  qui  se  passa 
à  ce  sujet  et  la  remise  de  la  lettre 322 

CHAPITRE  CXVHI 

Comme  quoi  notre  camp  fut  passé  en  revue.  On  apporta  deux  cent  cinquante 
piques  très-longues,  ayant  des  lames  en  cuivre,  que  Cortès  avait  fait 
fabriquer  dans  le  pays  des  Chichinatèques  ;  nous  nous  exercions  à  les  ma- 
nier dans  le  but  d'attaquer  les  cavaliers  de  Narvaez.  De  beaucoup  d'autres 
choses  qui  advinrent  dans  le  campement 325 

CHAPITRE  CXIX 

Comme  quoi  vinrent  à  notre  campement  Andrès  de  Duero,  le  soldat  Usagre  et  deux 
Indiens  de  Cuba,  domestiques  de  Duero;  quel  était  ce  Duero  et  pourquoi  il 
venait  ;  ce  que  nous  en  sûmes  et  ce  qui  fut  convenu 326 

CHAPITRE  CXX 

Comme  quoi  arrivèrent  au  camp  de  Narvaez  Juan  Velasquez  de  Léon  et  son  écuyer 
appelé  Juan  del  Rio,  et  de  ce  qu'il  advint 329 

CHAPITRE  CXXI 
De  ce  que  l'on  fit  dans  le  quartier  de  Narvaez  après  que  nos  émissaires  en  furent 
partis 334 

CHAPITRE  CXXII 

De  ce  qui  fut  convenu  dans  notre  camp  pour  marcher  contre  Narvaez  ;  le  discours 
que  Cortès  nous  adressa,  et  ce  que  nous  répondîmes 335 

CHAPITRE  CXXIII 

Comme  quoi,  après  la  défaite  de  Narvaez,  que  je  viens  de  conter,  se  présentèrent 
les  Indiens  de  Chinanla  que  Cortès  avait  fait  appeler,  et  de  quelques  autres 
choses  qui  arrivèrent 345 

CHAPITRE  CXXIV 

Comme  quoi  Cortès  envoya  au  port  Francisco  de  Lugo  avec  deux  soldats,  char- 
pentiers de  navires,  pour  amener  à  Cempoal  tous  les  maîtres  et  pilotes  de  la  flotte 
de  Narvaez,  avec  ordre  aussi  d'enlever  des  vaisseaux  les  voiles,  les  gouvernails 
et  les  boussoles,  afin  qu'il  ne  fût  pas  possible  de  donner  avis  à  Cuba,  à  Diego 
Velasquez,  de  ce  qui  était  arrivé.  Comme  quoi  encore  on  nomma  un  amiral. . .   346 

CHAPITRE  CXXV 

Comme  quoi  nous  nous  mîmes  en  route  à  marches  forcées  avec  Cortès  et  ses  ca- 
pitaines, ainsi  que. tous  les  hommes  de  Narvaez,  excepté  ce  général  lui-même 
et  Salvatierra,  qui  restèrent  prisonniers 350 


872  TABLE  DES  MATIÈRES. 

CHAPITRE  CXXYI 

Comme  quoi  on  nous  attaqua  à  Mexico;  les  combats  qu'on  nous  livra,  et  autres 
choses  qui  nous  arrivèrent 353 

CHAPITRE  CXXVII 

Montezuma  étant  mort,  Cortès  résolut  de  le  faire  savoir  aux  capitaines  et  digni- 
taires qui  nous  faisaient  la  guerre  ;  ce  qui  arriva  à  ce  sujet 362 

CHAPITRE  CXXVIII 

Comme  quoi  nous  convînmes  que  nous  sortirions  de  Mexico  et  ce  que  l'on  fit 
à  ce  sujet 364 

CHAPITRE  CXXIX 

Comme  quoi  nous  fûmes  au  chef-lieu  de  Tlascala  et  ce  qui  nous  arriva 378 

CHAPITRE  CXXX 

Comme  quoi  nous  fûmes  à  la  province  de  Tepeaca.  Ce  que  nous  y  fîmes  et 
autres  choses  qui  advinrent 385 

CHAPITRE  CXXXI 

Comme  quoi  un  navire  vint  de  Cuba,  envoyé  par  Diego  Velasquez,  ayant  pour 
capitaine  Pedro  Rarba.  Le  moyen  dont  se  servit,  pour  s'emparer  de  sa  per- 
sonne, l'amiral  que  Cortès  avait  chargé  de  garder  la  mer 89 

CHAPITRE  CXXXII 

Comme  quoi  les  habitants  de  Guacachula  vinrent  demander  l'appui  de  Cortès  à 
cause  des  mauvais  traitements  et  des  vols  dont  ils  étaient  victimes  de  la  part 
des  Mexicains.  Ce  que  l'on  fit  à  ce  sujet 39 1 

CHAPITRE  CXXXIII 

Comme  quoi  arriva  au  port  de  la  Villa  Rica  un  des  navires  que  Francisco  Garay 
avait  envoyés  au  Panuco.  Ce  qui  s'ensuivit 394 

CHAPITRE  CXXXIV 

Comme  quoi  Cortès  envoya  Gonzalo  de  Sandoval  pour  pacifier  les  bourgs  de 
Xalacingo  et  Cacatami,  avec  deux  cents  soldats,  vingt  cavaliers  et  douze  arba- 
létriers, lui  donnant  pour  mission  de  découvrir  quels  étaient  les  Espagnols 
qu'on  y  avait  tués  ainsi  que  les  armes  qu'on  leur  avait  prises,  voir  le  pays  que 
c'était  et  exiger  l'or  qu'on  y  avait  enlevé  ;  ce  qui  advint  encore 396 

CHAPITRE  CXXXY 

Comme  quoi  on  rassembla  les  femmes  et  les  esclaves  provenant  des  affaires  de 
Tepeaca,  de  Cachula,  de  Tecamachalco,  de  Castilblanco  et  de  tous  les  pays  en 
dépendant,  pour  qu'on  les  marquât  au  fer,  au  nom  de  Sa  Majesté;  ce  qui  ad- 
vint à  ce  sujet 400 

CHAPITRE  CXXXVT 

Comment  les  capitaines  et  principales  personnes  que  Narvaez  avaient  amenés 
avec  lui  demandèrent  l'autorisation  de  retourner  à  l'île  de  Cuba;  comme  quoi, 
l'ayant  obtenue,  ils  se  mirent  en  route.  Comment  Cortès  envoya  des  ambassa- 
deurs en  Castille,  à  Santo-Domingo  et  à  Jamaïque,  et  ce  qui  advint  en  toutes 
ces  choses 403 

CHAPITRE  CXXXV1I 

Comment  nous  prîmes  avec  toute  notre  armée  le  chemin  de  Tezcuco.  Ce  qui  nous 
arriva  en  route,  et  autres  choses  qui  advinrent 409 

CHAPITRE  CXXXVIH 

Comme  quoi  nous  fûmes  à  Iztapalapa  avec  Cortès,  qui  emmenait  avec  lui  Chris- 
toval  de  Oli  et  Pedro  de  Alvarado,  laissant  Gonzalo  de  Sandoval  pour  garder 
Tezcuco.  De  ce  qui  nous  advint  dans  l'attaque  de  ce  village 415 


TABLE  DES  MATIÈRES.  873 

CHAPITRE  CXXXIX 

Comme  quoi  trois  villages  des  confins  de  Tezcuco  envoyèrent,  des  propositions  de 
paix,  demandant  pardon  pour  les  guerres  passées  et  pour  la  mort  des  Espa- 
gnols; des  excuses  qu'ils  présentèrent  à  cet  égard;  comme  quoi  Gonzalo  de 
Sandoval  fut  porter  secours  à  Chalco  et  à  Talmanalco  contre  les  Mexicains,  et 
ce  qui  advint  encore 417 

CHAPITRE  CXL 

Comme  quoi  Gonzalo  de  Sandoval  fut  à  Tlascala  chercher  le  bois  des  brigantins, 
et  ce  qu'il  fit  dans  un  village  que  nous  appelâmes  «  le  village  moresque  ».    ...  424 

CHAPITRE  CXLI 

Comme  quoi  notre  capitaine  Corlès  partit  pour  une  expédition  au  village  de 
Saltocan,  qui  est  situé  dans  la  lagune,  à  environ  six  lieues  de  Mexico.  Com- 
ment il  alla  de  ce  point  à  d'autres  villages;  ce  qui  lui  arriva  dans  cette  entre- 
prise    428 

CHAPITRE  CXLII 

Comme  quoi  le  capitaine  Gonzalo  de  Sandoval  fut  à  Chalco  et  à  Talmanalco  avec 
toute  son  armée,  et  ce  qui  arriva  dans  cette  expédition 436 

CHAPITRE  CXLIII 

Comment  on  marqua  au  fer  rouge  les  esclaves  à  Tezcuco,  et  comme  quoi  nous 
eûmes  la  nouvelle  qu'un  navire  était  arrivé  à  la  Villa  Rica.  Je  dirai  les  pas- 
sagers qui  le  montaient  et  autres  choses  qui  advinrent 442 

CHAPITRE  CXLIV 

Comme  quoi  noire  capitaine  Cortès  entreprit  une  expédition  dans  laquelle  on  fit 
le  tour  de  la  lagune,  visitant  toutes  les  villes  et  grands  villages  qu'on  trouva 
sur  ses  bords.  Ce  qui  nous  advint  dans  cette  entreprise 446 

CHAPITRE  CXLV 

De  la  grande  soif  dont  nous  eûmes  à  souffrir  en  roule,  et  de  l'extrême  péril 
dans  lequel  nous  nous  vîmes  à  Suchimilco,  à  propos  des  batailles  et  des  com- 
bats que  nous  eûmes  à  soutenir  contre  les  Mexicains  et  les  habitants  de  cette 
ville;  des  nombreuses  autres  rencontres  que  nous  eûmes  jusqu'à  notre  arrivée 
à  Tezcuco 455 

CHAPITRE  CXI  AI 

Comme  quoi  nous  arrivâmes  à  Tezcuco  en  compagnie  de  Cortès  avec  toute 
notre  armée,  de  retour  de  notre  visite  aux  villages  qui  entourent  la  lagune  ;  de 
la  conjuration  ourdie  par  quelques  hommes  des  troupes  de  Narvaez  pour 
tuer  Cortès  et  ceux  qui  voudraient  le  défendre;  comme  quoi  l'auteur  principal 
de  cette  bagarre  fut  un  ancien  ami  de  Diego  Velasquez,  gouverneur  de  Cuba, 
que  Cortès  fit  pendre  conformément  à  une  sentence  :  comme  quoi  aussi  on 
marqua  au  fer  les  esclaves  et  l'on  se  mit  en  garde  dans  nos  quartiers  et  dans 
tous  les  villages  nos  alliés;  on  passa  des  revues,  on  lança  des  ordres  du 
jour,  et  autres  choses  qui  advinrent  encore 467 

CHAPITRE  CXLVII 

Comme  quoi  Cortès  ordonna  à  tous  les  villages  alliés  situés  près  de  Tezcuco  de 
faire  provision  de  flèches  et  de  pointes  de  cuivre;  et  ce  qui  advint  encore  en 
nos  quartiers  royaux 46i 

CHAPITRE  CXLVIII 

Comment  on  passa  une  revue  sur  les  grandes  places  de  Tezcuco.  Des  cavaliers, 
des  arbalétriers,  des  escopettiers  et  des  soldats  qui  en  firent  partie.  Des 
ordres  du  jour  qui  furent  publiés,  et  bien  d'autres  choses  que  l'on  fit 47 1 

CHAPITRE  CXLIX 

Comme  quoi  Cortès  fit  choix  des  matelots  qui  devaient  ramer  sur  les  brigantins 
et  leur  désigna  les  capitaines  qui  les  y  commanderaient;  d'autres  choses 
qu'on  fit  encore 472 


874  TABLE  DES  MATIÈRES. 

CHAPITRE  CL 

Comme  quoi  Cortès  forma  trois  divisions  de  soldats,  de  cavaliers,  d'arbalétriers  et 
de  gens  d'escopette  pour  aller  par  terre  effectuer  l'investissement  de  la  grande 
ville  de  Mexico.  Des  capitaines  qu'il  mit  à  la  tête  de  chaque  division,  et  des  sol- 
dats, cavaliers,  arbalétriers,  escopcttiers  qu'il  répartit  entre  eux;  ainsi  que  les 
postes  et  les  villes  où  nos  quartiers  devaient  être  établis 475 

CHAPITRE  CLI 

Comme  quoi  Cortès  fit  la  répartition  de  douze  brigantins  et  mit  à  terre  les 
hommes  du  treizième,  qu'on  appelait  le  Tapageur;  et  ce  qui  advint  encore..  485 

CHAPITRE  CLH 

Comme  quoi  les  Indiens  mexicains  firent  éprouver  à  Cortès  une  déroule,  lui  pri- 
rent soixante-deux  soldats  espagnols,  enlevés  vivants  pour  être  sacrifiés,  et  le 
blessèrent  lui-même  à  la  jambe;  du  grand  danger  que  nous  courûmes  par  sa 
faute 500 

CHAPITRE  CLIH 

De  la  manière  dont  nous  combattions,  et  comme  quoi  nos  alliés  s'en  retournèrent 
chez  eux 512 

CHAPITRE  CLIV 

Comme  quoi  Cortès  envoya  prier  Guatemuz  d'accepter  des  conditions  de  paix...  520 

CHAPITRE  CLV 

Comme  quoi  Gonzalo  de  Sandoval  marcha  contre  les  provinces  qui  voulaient  por- 
ter secours  à  Guatemuz 5?3 

CHAPITRE  CLVI 

Comment  on  prit  Guatemuz 530 

CHAPITRE  CLVII 

Comme  quoi  Cortès  donna  l'ordre  de  réparer  les  conduites  d'eau  de  Chapultepe- 
que,  et  mille  autres  choses  qui  arrivèrent 541 

CHAPITRE  CLVIII 

Comme  quoi  débarqua  à  la  Villa  Rica  un  certain  Christobal  de  Tapia  qui  venait 
pour  être  gouverneur 549 

CHAPITRE  CLIX 

Commme  quoi  Cortès  et  les  commissaires  du  Roi  convinrent  d'envoyer  à  Sa  Ma- 
jesté tout  l'or  qui  Lui  revenait  pour  son  quint  royal  sur  les  dépouilles  de  Mexico, 
et  comme  quoi  on  Lui  adressa,  comme  Lui  appartenant  en  propre,  la  garde- 
robe  en  or  et  joyaux  qui  avait  appartenu  à  Montezuma  et  à  Guatemuz.  De  ce 
qui  advint  à  ce  sujet 559 

CHAPITRE  CLX 

Comme  quoi  Gonzalo  de  Sandoval  arriva  avec  son  armée  à  un  village  appelé 
Tustepeque;  ce  qu'il  y  fit.  Comme  quoi  aussi  il  avança  jusqu'à  Guazacualco 
et  tout  ce  qui  lui  advint  encore 565 

CHAPITRE  CLXI 

Comment  Pedro  de  Alvarado  fut  à  Tutepequc  pour  fonder  une  villa;  ce  qui  lui 
advint  dans  la  pacification  de  cette  province  et  dans  l'établissement  de  la  villa.  574 

CHAPITRE  CLXH 

Comme  quoi  Francisco  de  Garay  vint  de  la  Jamaïque  au  Panuco  avec  une 
grande  flotte.  Ce  qui  lui  advint  et  plusieurs  choses  qui  arrivèrent 577 

CHAPITRE  CLXIII 

Comme  quoi,  le  licencié  Alonso  de  Zuazo  venant  sur  une  caravelle  à  la  Nouvelle- 
Espagne  avec  deux  moines  de  la  Merced,  amis  de  fray  Rartolomé  de  Olmedo,  le 
bâtiment  fut  s'échouer  sur  de  petites  îles  appelées  les  Vivoras.  De  la  mort  de 
l'un  des  moines,  et  de  ce  qui  arriva  encore 593 


TABLE  DES  MATIÈRES.  875 

CHAPITRE  CLXIY 

Comme  quoi  Corlès  envoya  Pedro  de  Alvarado  à  la  province  de  Guatemala  pour 
qu'il  en  soumit  les  habitants  et  y  fondât  une  ville.  De  ce  qui  se  Ut  à  cet  égard.  59G 

CHAPITRE  CLXV 

Comme  quoi  Cortès  envoya  une  (lotte  pour  conquérir  et  pacifier  les  provinces  de 
{Ligueras  et  de  Honduras,  choisissant  Christoval  de  Oh  pour  capitaine  général 
de  l'expédition.  Ce  qui  advint  je  vais  le  dire  à  la  suite 604 

CHAPITRE  CLXYI 

Comme  quoi  nous  tous  qui  restâmes  pour  colons  du  Guazacualco  nous  étions  con- 
stamment occupés  à  pacilier  les  provinces  qui  se  soulevaient;  comme  quoi  en- 
core Cortès  donna  l'ordre  au  capitaine  Luis  Marin  d'aller  conquérir  et  pacifier 
la  province  de  Chiapa,  et  à  moi  do  marcher  avec  lui  et  avec  fray  Juan  de  las 
Yarillas,  moine  de  la  Merced  et  parent  de  Zuazo.  De  ce  qui  arriva  dans  cette 
expédition 607 

CHAPITRE  CLXVII 

Comme  quoi  nos  procureurs  qui  étaient  en  Castille  récusèrent  l'éveque  de  Burgos, 
et  de  ce  qui  advint  encore 626 

CHAPITRE  CLXVIII 

Comme  quoi  Pamphilo  de  Narvaez,  Christobal  de  Tapia.  un  pilote  appelé  Gonzalo 
de  Umbria  et  un  autre  soldat  du  nom  de  Cardenas  comparurent  devant  Sa  Ma- 
jesté, sous  la  protection  de  l'éveque  de  Burgos,  quoique  celui-ci  n'eût  plus 
pouvoir  d'intervenir  dans  les  affaires  des  Indes,  puisqu'on  lui  avait  retiré  cet 
emploi,  et  qu'il  vécût  à  Toro.  Tous  ces  gens  que  je  viens  de  nommer  formu- 
lèrent des  plaintes  contre  Cortès  par-devant  Sa  Majesté.  De  ce  qui  se  fit  à  ce 
sujet 629 

CHAPITRE   CLXIX 

De  quoi  Cortès  s'occupa  après  sa  nomination  de  gouverneur  de  la  Nouvelle- 
Espagne;  comment  et  de  quelle  manière  il  répartit  des  villages  d'Indiens,  et 
autres  choses  qui  se  passèrent.  Conférences  qu'eurent  entre  elles,  à  ce  sujet, 
quelques  personnes  reconnues  sages 641 

CHAPITRE  CLXX 

Comme  quoi  le  capitaine  Femand  Cortès  envoya  en  Castille,  à  Sa  Majesté,  quatre- 
vingt  mille  piastres  en  or,  ainsi  qu'un  canon  ;  c'était  une  couleuvrine  très- 
richement  sculptée  de  différents  dessins;  elle  était  en  entier,  ou  en  grande 
partie,  en  or  bas  mêlé  d'argent  de  Mechoacan  et  s'appelait  Phénix.  Il  envoxa 
aussi  à  son  père.  Martin  Cortès,  environ  cinq  mille  piastres  d'or,  et  je  vais 
dire  ce  qui  advint  à  ce  sujet 6 al 

CHAPITRE  CLXXI 

Comme  quoi  arrivèrent  au  port  de  la  Vera  Cruz  douze  moines  franciscains  d'une 
très-sainte  vie,  ayant  pour  vicaire  ei.  gardien  fray  Martin  de  Valencia,  religieux 
si  bon  qu'il  eut  la  réputation  de  faire  des  miracles;  il  était  natif  d'un  bourg 
de  Tierra  de  Campo  appelé  Valencia  de  don  Juan.  De  ce  que  Cortès  fit  à  son 
arrivée , 6ô4 

CHAPITRE  CLXXII 

Comment  Cortès  écrivit  à  Sa  Majesté  en  lui  envoyant  trente  mille  piastres  d'or. 
Comment  il  s'occupait  de  la  conversion  des  Indiens  et  de  la  réédilîcation  de 
Mexico.  Comme  quoi  il  avait  envoyé  Christoval  de  OU  pacifier  les  provinces  de 
Honduras  accompagné  d'une  bonne  armée,  avec  laquelle  il  se  rebella  Com- 
ment Corlès  fil  le  récit  d'autres  choses  qui  s'étaient  passées  au  Mexique  ;  et 
par  le  navire  qui  portait  ces  lettres,  le  trésorier  de  Sa  Majesté,  Rodrigo  de  Al- 
bornoz,  en  envoya  d'autres  en  secret,  dans  lesquelles  il  parlait  en  mauvais 
termes  de  Cortès  et  de  nous  tous  qui  avions  commencé  l'expédition  avec  lui  ; 
quelles  mesures  Sa  Majesté  ordonna  de  prendre  à  cet  égard 656 


876  TABLE  DES  MATIÈRES. 

CHAPITRE  CLXXIII 

Comme  quoi  Cortès,  ayant  su  que  Christoval  de  Oli  s'était  soulevé  avec  sa  flotte 
en  s'alliant  à  Diego  Yelasquez,  gouverneur  de  Cuba,  envoya  contre  lui  le  capi- 
taine Francisco  de  Las  Casas.  Je  vais  dire,  à  la  suite,  ce  qui  arriva 661 

CHAPITRE  CLXXIV 

Comme  quoi  Fernand  Cortès  partit  de  Mexico  en  route  pour  les  Higueras  à  la  re- 
cherche de  Christoval  de  Oli,  de  Francisco  de  Las  Casas,  et  d'autres  capitaines 
et  soldats.  Des  gentilshommes  et  capitaines  que  Cortès  choisit  à  Mexico  pour 
aller  en  sa  compagnie  :  du  train  et  du  service  dont  il  s'entoura  jusqu'à  son 
arrivée  à  Guazacualco,  et  d'autres  choses  qui  advinrent 665 

CHAPITRE  CLXXV 

De  ce  que  fit  Cortès  après  le  départ  du  Factor  et  du  Veedor  pour  Mexico.  Des 
fatigues  que  nous  eûmes  à  supporter  dans  notre  long  voyage;  des  ponts  que 
nous  jetâmes  et  de  la  faim  que  nous  eûmes  à  supporter  dans  les  deux  ans  et 
trois  mois  que  nous  restâmes  en  route 670 

CHAPITRE  CLXXVI 

Comme  quoi,  après  être  arrivé  au  village  de  Ciguatepecad,  Cortès  envoya  Fran- 
cisco de  Médina  comme  capitaine  à  la  recherche  de  Simon  de  Cuenca,  pour 
qu'ils  vinssent,  avec  les  deux  navires  dont  j'ai  déjà  parlé,  à  Triomphe  de  la 
Croix,  au  Golfo  Dulce.  De  ce  qui  advint  encore 67  7 

CHAPITRE  CLXXVII 
A  quoi  s'occupa  Cortès  après  être  arrivé  à  Acala  et  comme  quoi,  en  un  village 
plus  loin  dépendant  d'Acala,  il  fit  pendre  Guatemuz,  grand  seigneur  de  Mexico, 
et  un  autre  cacique,  seigneur  de  Tacuba;   et  la  raison  pourquoi,  et  autres 
choses  qui  arrivèrent 682 

CHAPITRE  CLXXVIII 

Comme  quoi  nous  continuâmes  notre  voyage,  et  ce  qui  nous  advint 687 

CHAPITRE  CLXXIX 

Comme  quoi  Cortès  entra  dans  la  ville  habitée  par  les  hommes  de  Gil  Gonzalez 
de  Avila.  De  la  grande  joie  que  ressentirent  tous  les  colons  et  ce  que  Cortès 
ordonna 697 

CHAPITRE  CLXXX 

Comme  quoi,  le  lendemain  de  notre  arrivée  au  port  auquel  je  ne  connais  point 
d'autre  nom  que  celui  de  San  Gil  de  Ruena  Vista,  nous  fûmes,  au  nombre  de 
quatre-vingts  soldats,  tous  à  pied,  avec  le  capitaine  Louis  Marin,  chercher  du 
maïs  et  explorer  le  pays.  Ce  qui  advint  encore  je  vais  le  dire  à  la  suite 699 

CHAPITRE  CLXXXI 

Comme  quoi  Cortès  s'embarqua  avec  tous  les  soldats  qu'il  avait  amenés  en  sa 
compagnie  et  ceux  qui  se  trouvaient  à  San  Gil  de  Ruena  Vista,  et  fut  fonder  une 
colonie  au  point  que  l'on  appelle  aujourd'hui  Port  de  Caballos,  auquel  on 
donna  le  nom  de  Nativité,  et  de  ce  que  Ton  y  fit 70J 

CHAPITRE  CLXXXII 

Comme  quoi  le  capitaine  Gonzalo  de  Sandoval  commença  à  pacifier  celte  pro- 
vince de  Naco.  Des  grandes  rencontres  qu'il  eut  avec  les  habitants,  et  ce  que 
l'on  fit  encore T05 

CHAPITRE  CLXXXIII 

Comme  quoi  Cortès  débarqua  au  port  appelé  Truxillo.  Comment  tous  les  habi- 
tants de  la  ville  furent  au-devant  de  lui  pour  le  recevoir  et  se  réjouirent  beau- 
coup avec  lui.  De  tout  ce  qu'il  fit  en  ce  lieu 707 

CHAPITRE  CLXXXIV 

Comme  quoi  le  capitaine  Gonzalo  de  Sandoval,  qui  était  à  Naco,  s'empara  de 
quarante   soldats  espagnols  et  de  leur  capitaine,  tous  venus  de  Nicaragua, 


TABLE  DES  MATIERES.  877 

qui  causaient  «les  dommages  et  pillaient  les  Indiens  des  villages  par  où  ils  pas- 
saient    711 

CHAPITRE  CLXXXV 

Comme  quoi  le  licencié  Zuazo  envoya  de  la  Havane  une  lettre  à  Cortès  dont  le 
contenu  est  comme  je  vais  dire 714 

CHAPITRE  CLXXXVI 

Comme  quo  icertains  amis  de  Pedro  Arias  de  Avila  partirent  en  poste  de  Nicara- 
gua pour  lui  faire  savoir  que  Francisco  Hernandez,  qu'il  y  avait  envoyé  en  qua- 
lité de  capitaine,  s'était  mis  en  correspondance  avec  Cortès  en  se  soulevant 
contre  lui  avec  les  provinces  de  Nicaragua.  Ce  que  Pedro  Arias  fit  à  ce  propos.  723 

CHAPITRE  CLXXXVH 

Comme  quoi  Cortès,  allant  par  mer  à  Mexico,  essuya  une  tempête  et  fut  obligé 
de  revenir  deux  fois  au  port  de  Truxillo.  et  ce  qui  lui  advint  en  ce  lieu 723 

CHAPITRE  CLXXXVIH 

Comme  quoi  Cortès  envoya  un  navire  à  la  Nouvelle-Espagne  avec  un  de  ses  ser- 
viteurs nommé  Martin  de  Orantes  pour  capitaine,  porteur  de  lettres  et  pou- 
voirs pour  que  Francisco  de  Las  Casas  et  Pedro  de  Alvarado  fussent  chargés 
du  gouvernement,  s'ils  étaient  là,  et,  à  leur  défaut,  Alonso  de  Estrada  et  Al- 
bornoz 726 

CHAPITRE  CLXXXIX 

Comme  quoi  le  Trésorier,  avec  un  grand  nombre  d'autres  caballeros,  pria  les 
Frères  franciscains  d'envoyer  fray  Diego  de  Altamirano,  parent  de  Cortès,  avec 
un  navire,  à  Truxillo,  pour  ramener  le  général,  et  ce  qui  arriva 729 

CHAPITRE  CXC 
Comme  quoi  Cortès  s'embarqua  à  la  Havane  pour  aller  à  la  Nouvelle-Espagne  et 
arriva  à  la  Vera  Cruz  avec  beau  temps.  Des  réjouissances  qui  accompagnèrent 
son  arrivée 733 

CHAPITRE  CXCI 

Comme  quoi,  en  ce  temps-là,  arriva  au  port  de  Saint-Jean  d'Uloa,  avec  trois  na- 
vires, le  licencié  Luis  Ponce  de  Léon,  qui  vint  ouvrir  une  enquête  au  sujet  de 
Cortès;  et  ce  qui  arriva  à  ce  sujet;  et  il  faut  revenir  sur  ses  pas  pour  qu'on 
comprenne  bien  ce  que  je  vais  dire 736 

CHAPITRE  CXCII 

Comme  quoi  le  licencié  Luis  Ponce,  après  avoir  présenté  les  provisions  royales 
et  reçu  hommage,  fit  annoncer  publiquement  qu'une  enquête  était  ouverte 
contre  Cortès  et  tous  ceux  qui  avaient  rempli  des  fonctions  judiciaires; 
comme  quoi  encore  il  fut  atteint  du  mal  de  modorra  et  en  mourut,  et  de 
ce  qui  arriva  encore 743 

CHAPITRE  CXCIII 

Comme  quoi,  après  la  mort  du  licencié  Ponce  de  Léon,  le  licencié  Marcos  de 
Aguilar  commença  à  gouverner.  Des  disputes  qu'il  y  eut  à  ce  sujet.  Comment 
il  se  lit  que  le  capitaine  Luis  Marin  et  nous  tous  qui  marchions  en  sa  compa- 
gnie rencontrâmes  Pedro  de  Alvarado  qui  allait  chercher  Cortès.  Nous  nous 
rejouîmes  les  uns  et  les  autres,  parce  que,  le  pays  étant  en  guerre,  nous 
allions  pouvoir  le  traverser  avec  moins  de  danger 74."> 

CHAPITRE  CXCIV 

Comme  quoi  Marcos  de  Aguilar  mourut,  ordonnant  par  testament  que  le  trésorier 
Alonso  de  Estrada  se  chargeât  du  gouvernement,  à  la  condition  de  ne  rien  ré- 
soudre au  sujet  du  procès  du  Factor  et  du  Veedor,  ni  sur  le  fait  de  donner  ou 
de  retirer  des  Indiens,  jusqu'à  ce  que  Sa  Majesté  ordonnât  ce  qui  serait  le 
mieux  à  sa  convenance,  restant  ainsi  dans  les  limites  du  testament  de  Luis 
Ponce  de  Léon ' °2 


878  TABLE  DES  MATIERES. 

CHAPITRE  CXCV 
Gomme  quoi  vinrent  d'Espagne  des  lettres  pour  Cortès  du  cardinal  de  Siguenza 
don  Garcia  de  Loyosa  qui  était  président  des  Indes  et  fut  ensuite  archevêque 
de  Séville,  et  de  plusieurs  autres  caballeros,  afin  qu'en  tout  état  de  choses  il 
partît  sans  retard  pour  la  Castille;  et  on  lui  apporta  la  nouvelle  que  son  père 
Martin  Cortès  était  mort:  et  ce  qu'il  fit  à  ce  sujet 760 

CHAPITRE  CXCYI 

Comme  quoi,  Cortès  étant  en  Castille,  avec  le  titre  de  marquis,  1  Audience  royale 
vint  à  Mexico  ;  de  quoi  elle  s'occupa .  •   769 

CHAPITRE   CXCVII 

Comme  quoi  Nuno  de  Guzman  apprit,  comme  chose  certaine,  par  lettres  de  Cas- 
tille, qu'on  lui  enlevait  son  emploi,  attendu  que  Sa  Majesté  avait  ordonné 
qu'on  destituât  et  lui  et  les  auditeurs  et  que  d'autres  vinssent  à  leur  place.  II 
résolut  d'aller  conquérir  et  pacifier  la  province  de  Xalizco  qui  s'appelle  actuel- 
lement la  Nouvelle-Galice 777 

CHAPITRE  CXCVIII 

Comme  quoi  l'Audience  royale  arriva  à  Mexico  et  ce  qu'on  fit 778 

CHAPITRE   CXCIX 

Comme  quoi  don  Hernando  Cortès,  Marquis  Del  Valle,  revint  d'Espagne  marié 
avec  la  senora  dona  Juana  de  Zuniga.  avec  le  titre  de  Marquis  Del  Valle  et  ca- 
pitaine général  de  la  Nouvelle-Espagne  et  de  la  mer  du  Sud;  comment  il 
amena  avec  lui  le  Père  fray  Juan  Leguizamo  et  onze  autres  Frères  de  la  Mer- 
ced, et  de  la  grande  réception  qui  lui  fut  faite 782 

CHAPITRE  CC 

Des  frais  que  le  Marquis  don  Hernando  Cortès  fit  dans  l'organisation  des  flottes 
qu'il  envoya  à  la  découverte,  et  comment  en  tout  le  reste  il  ne  fut  pas  heureux; 
et  j'ai  besoin  de  revenir  beaucoup  sur  mes  pas  dans  mon  récit  pour  que  Ton 
comprenne  bien  ce  que  je  vais  dire. 784 

CHAPITRE  CCI 

Comme  quoi  on  fit  de  grandes  fêtes  et  des  banquets  à  Mexico  en  réjouissance  de 
la  paix  célébrée  entre  l'Empereur  Très-Chrétien  notre  seigneur,  de  glorieuse 
mémoire,  et  le  roi  François  de  France  lors  de  l'entrevue  d'Aigues-Mortes 791 

CHAPITRE  CCII 

Comme  quoi  le  Vice-Roi  don  Antonio  de  Mendoza  envoya  trois  navires  à  la  décou- 
verte par  la  mer  du  Sud,  et  à  la  recherche  de  Francisco  Vasquez  Coronado, 
qui  était  à  la  conquête  de  la  Cibola,  avec  des  provisions  et  un  secours  de 

soldats 794 

CHAPITRE   CCHI 
D'une  grande  flotte  qui  fut  organisée  par  l'Adelantado  don  Pedro  de  Alvarado  en 

l'an  1537 793 

CHAPITRE  CCIV 
De  ce  que  fit  le  Marquis  Del  Valle,  tandis  qu'il  était  en  Castille 801 

CHAPITRE  CCV 

Des  Valeureux  capitaines  et  courageux  soldats  qui  partirent  de  l'île  de  Cuba  avec 
le  fortuné  et  très-vaillant  capitaine  don  Hernando  Cortès,  qui,  après  la  conquête  m 

de  Mexico,  fut  Marquis  Del  Valle  et  acquit  d'autres  dignités 809 

CHAPITRE  CCYI 

De  la  taille,  de  la  proportion  du  corps,  de  l'âge  de  certains  capitaines  valeureux 
et  couragetix  soldats  de  l'expédition  de  Cortès  lorsque  nous  vînmes  conquérir 

la  Nouvelle-Espagne 827 

CHAPITRE  CCVH 

Des  choses  qui  sont  dites  dans  ce  livre  sur  les  mérites  que  nous  avons,  nous,  les 
véritables  conquistadores;  lesquelles  seront  agréables  à  entendre ; 832 


TABLE  DES  MATIÈRES.  879 

CHAPITRE  CCVIII 

Comme  quoi  les  Indiens  de  toute  la  Nouvelle-Espagne  avaient  l'habitude  des  sa- 
crifices et  des  vices  honteux  que  nous  les  obligeâmes  à  abandonner,  tandis 
<iue  nous  les  instruisîmes  dans  les  choses  saintes  de  la  bonne  doctrine 83'i 

CHAPITRE  CCIX 
Comme  quoi  nous  inspirâmes  de  bonnes  et  saintes  doctrines  aux  Indiens  de  la 
Nouvelle-Espagne.  De  leur  conversion,  et  comment  ils  furent  baptisés;  ils  ac- 
ceptèrent notre  sainte  foi  ;  et  nous  leur  enseignâmes  les  métiers  de  Castillc  et 
l'habitude  de  pratiquer  la  justice 836 

CHAPITRE  CCX 

De  plusieurs  autres  avantages  qui  ont  été  la  conséquence  de  nos  illustres  con- 
quêtes et  de  nos  travaux 840 

CHAPITRE  CCXI 

Comme  quoi  en  l'an  1550,  la  cour  étant  à  Valladolid,  se  réunirent  aux  séances  du 
Conseil  royal  des  Indes  certains  prélats  et  caballeros  venus  de  la  Nouvelle-Es- 
pagne et  du  Pérou  à  titre  de  procureurs,  et  d'autres  hidalgos  là  présents,  pour 
faire  en  sorte  d'obtenir  qu'on  procédât  au  reparlimiento  perpétuel.  Ce  qui  fut 
discuté  dans  la  Junte,  je  le  vais  dire  à  la  suite 846 

CHAPITRE  CCXII 

De  quelques  autres  conférences  et  rapports  dont  mention  va  être  faite  et  qui  se- 
ront agréables  à  entendre 850 

APPENDICE 

Des  signes  et  planètes  qu'il  y  eut  dans  le  ciel  de  la  Nouvelle-Espagne  avant  notre 
arrivée.  Pronostics  et  déclaration  que  les  Indiens  mexicains  firent  et  dirent  à  ce 
sujet;  et  d'un  signe  encore  qu'il  y  eut  dans  le  ciel,  et  autres  choses  dignes 
qu'on  s'en  souvienne 857 


FIN   DE  LA  TABLE  DES  MATIERES. 


RÉFLEXIONS  FINALES   DU   TRADUCTEUR 


En  achevant  cette  longue  et  difficile  traduction,  je  ne  puis 
m'empêcher  d'éprouver  un  double  sentiment  d'admiration  et  de 
regrets  :  d'admiration,  d'abord,  pour  ce  vieux  conquistador  qui 
termine  modestement  sa  carrière  en  jetant  un  regard  passionné 
sur  les  faits  d'armes  de  ses  généreux  compagnons,  et  en  retra- 
çant d'une  main  mal  exercée,  mais  sous  l'inspiration  d'un  cœur 
plein  de  vigueur,  la  carrière  glorieuse  et  la  fin  généralement  pré- 
maturée de  tous  ceux  qui  suivirent  le  brillant  capitaine  dans 
cette  romanesque  conquête  de  la  Nouvelle-Espagne.  Quant  à 
mes  regrets,  ils  tiennent  à  deux  causes.  Je  ne  puis,  en  effet,  après 
m'être  livré  à  de  longs  et  durables  efforts  pour  m'assimiler  la 
chronique  de  l'honnête  et  valeureux  soldat,  je  ne  puis,  dis-je, 
m'en  séparer  sans  tristesse,  tant  elle  m'a  paru,  dans  toutes  ses 
parties,  imprégnée  d'un  sain  esprit  de  moralité  et  de  patrio- 
tisme, avec  un  je  ne  sais  quoi  de  vivant  qui  rend  constamment 
la  personnalité  de  l'auteur  présente,  visible,  sympathique.  A 
cela  s'ajoute  l'attrait  d'une  exposition  qui  paraîtrait  le  résultat 
de  l'art  et  du  savoir-faire,  si  la  naïveté  qui  se  trahit  à  chaque 
pas  ne  venait  dire  sans  cesse  que  l'inspiration  naturelle,  absolu- 
ment dénuée  d'artifice  et  de  parti  pris,  a  été  le  seul  guide  du 
narrateur. 

L'autre  cause  qui  motive  mes  regrets,  c'est  de  voir  qu'on  ait 
si  peu  fait  pour  un  écrit  aussi  méritoire,  dans  le  pays  même  sur 
lequel  en  rejaillit  tout  l'honneur.  On  comprendra  sans  peine  que 
des  circonstances  fortuites  aient  prolongé  pendant  soixante  ans 
son  séjour  dans  des  bibliothèques  presque  ignorées;  mais  il  est 
bien  naturel  de  regretter  qu'une  chronique  qui  retrace  des  faits 
si  extraordinaires,  avec  une  fidélité  qu'on  pourrait  dire  photo- 
graphique, qui  reflète  à  un  si  haut  degré  la  vigueur  de  caractère 
et  l'esprit  merveilleux  d'entreprise  des  enfants  de  l'Espagne  à 
une  époque  si  glorieuse  pour  ses  annales,  n'ait  été  jugée  digne, 
pendant  deux  siècles,  que  d'une  édition  confuse,  reproduisant, 
sans  commentaires  honorables  pour  l'auteur,  le  manuscrit  in- 
correct d'un  soldat  absolument  illettré;  car,  malgré  les  négligen- 

50 


882  RÉFLEXIONS  FINALES 

ces  de  style  et  les  imperfections  grammaticales,  nulle  part  il 
n'existe  de  mémoires  qui  lui  soient  supérieurs  par  l'exactitude 
des  détails  et  par  l'intérêt  d'une  exposition  des  plus  attachantes. 
Encore  aujourd'hui,  on  ignore  ce  qu'il  y  a  de  vrai  dans  les  récla- 
mations d'un  descendant  de  Bernai  Diaz,  au  sujet  de  la  fidélité 
de  reproduction  du  véritable  manuscrit  du  soldat  conquistador. 
On  lit,  en  effet,  les  révélations  suivantes  dans  l'introduction  de 
M.  Enrique  de  Vedia  : 

«  Le  hasard  a  mis  entre  nos  mains  un  document  qui  dit  quels 
furent  les  parents  de  Bernai  Diaz,  et  donne  quelques  renseigne- 
ments peu  connus  relativement  à  son  livre,  lequel,  tel  que  nous 
le  possédons,  ne  serait  pas  absolument  conforme  au  manuscrit 
sorti  de  ses  mains.  Vers  l'an  1689,  don  Francisco  de  Fuentes 
y  Guzman  Jimenes  de  Urrea  écrivait,  dans  sa  résidence  de  Gua- 
temala, l'histoire  de  cette  province  dont  nous  avons  en  ce  mo- 
ment sous  les  yeux  la  première  partie  manuscrite  en  deux  vo- 
lumes in-8°.  Quelques  courts  extraits  de  cette  œuvre  font  con- 
naître des  circonstances  relatives  à  l'auteur,  ses  rapports  de  pa- 
renté avec  notre  Bernai  Diaz,  et  plus  d'une  particularité  concer- 
nant le  conquistador  et  son  livre.  On  lit  au  chapitre  premier, 
qui  sert  d'introduction  :  «  M'étant  appliqué,  à  l'âge  de  ma  pre- 
«  mière  jeunesse,  à  lire,  non-seulement  avec  curiosité,  mais  avec 
«  des  sentiments  intimes  de  vénération  et  de  tendresse,  le  brouil- 
«  Ion  Iborrador)  original  du  valeureux  et  héroïque  capitaine  Ber- 
ce nal  Diaz  del  Castillo,  mon  bisaïeul,  dont  nous  tous,  ses  des- 
cc  cendants,  nous  conservons  le  vieux  manuscrit  par  respect  pour 
ce  son  estimable  mémoire,  je  vis  venir  en  cette  ville  de  Guate- 
cc  mala,  en  1675,  le  livre  imprimé  par  le  Révérend  Père  maître 
ce  fray  Alonso  Remon,  de  l'ordre  sacré  de  Notre-Seigneur  de  la 
ce  Merced,  rédemption  des  captifs.  Je  trouvai  que  l'imprimé  n'é- 
ce  tait  pas  d'accord  en  plusieurs  parties  avec  son  vénérable  au- 
ee  teur,  parce  que,  en  certains  points,  il  y  a  des  additions,  et, 
ce  dans  d'autres,  moins  de  détails  que  n'en  donne  mon  bisaïeul. 
ce  Ainsi  je  reconnus  l'altération  du  manuscrit  dans  les  chapi- 
ee  très  CLXIV  et  GLXXI,  de  même  qu'en  d'autres  parties  de  la 
ce  suite  de  cette  histoire,  dans  lesquelles,  non-seulement  on 
ce  amoindrit  le  mérite  et  le  degré  de  fidélité  de  mon  Castillo, 
«  mais  encore  on  a  diminué  l'importance  de  quelques  grands 
ce  héros,  bien  dignes  des  lauriers  et  des  récompenses  d'une  juste 
ce  renommée  pour  leur  gloire  peu  commune,  etc....  » 

Ce  parent  indigné  continue  à  témoigner  par  quelques  lignes 
encore  du  déplaisir  qu'il  éprouve  à  voir  qu'on  n'ait  pas  respecté 
davantage  le  manuscrit  du  vieux  conquistador.  Mais,  si  cette  in- 
dignation était  réellement  légitime,  il  me  semble  qu'il  aurait 
formulé  plus  nettement  les  points  sur  lesquels  l'altération  a 
porté.  On   ne  voit  que  quatre   ou  cinq  passages  dénoncés  en 


DU  TRADUCTEUR.  883 

termes  d'une  désignation  péremptoire.  Or,  on  peut  affirmer  que, 
sans  être  précisément  indifférents,  ces  passages  ne  peuvent  pas 
être  considérés  bien  légitimement  comme  étant  des  parties 
essentielles  de  l'œuvre.  Je  ne  suis  donc  pas  de  l'avis  des  personnes 
estimables  qui  me  paraissent  avoir  donné  à  ces  altérations  pré- 
sumées plus  d'importance  qu'elles  n'en  méritent.  Les  récrimina- 
tions du  parent  de  Bernai  Diaz  me  semblent  démontrer,  au  con- 
traire, que  nous  possédons  l'œuvre  réelle  du  chroniqueur  de  la 
Nouvelle-Espagne.  Il  est  naturel  de  croire,  en  effet,  que  ses 
descendants,  possesseurs  inutiles  d'un  manuscrit  révéré  dans  la 
famille,  auront  été  indignés  en  voyant  qu'il  était  dérobé,  peut- 
on  dire,  à  leur  adoration  égoïste  pour  devenir  le  domaine  de 
tout  le  monde,  sans  nulle  intervention  de  leur  part.  Si  le  livre 
imprimé  eût  été  essentiellement  différent  du  manuscrit  qui  était 
entre  leurs  mains,  ils  auraient  exprimé  leur  rancune  en  faisant 
beaucoup  plus  de  tapage.  C'est  du  moins  mon  avis,  et  ce  sera, 
je  l'espère,  celui  des  personnes  qui  s'attacheront  à  juger  saine- 
ment ce  débat.  Je  me  confirme  déjà  dans  cette  pensée  en  voyant 
qu'on  s'occupe  beaucoup,  dans  les  parties  de  l'Amérique  que 
cela  intéresse  particulièrement,  de  la  chronique  de  Bernai  Diaz. 
Il  en  a  été  fait  une  édition  à  Mexico;  l'ouvrage  y  est  très-goûté, 
et  il  existe  bien  peu  de  personnes,  possédées  de  la  curiosité  de 
la  lecture,  qui  n'en  aient  eu  connaissance. 

Serait-il  possible  que,  si  ce  qui  a  été  publié  de  Bernai  Diaz 
s'écartait  très -sensiblement  d'un  manuscrit  original  connu 
quelque  part,  il  n'eût  pas  été  fait,  de  nos  jours  surtout,  des  efforts 
pour  rendre  le  fait  authentiquement  public?  Ce  que  je  viens  de 
dire,  du  reste,  ne  ressort  pas  uniquement  d'une  préoccupation 
qui  me  soit  personnelle.  Je  n'ignore  pas  que,  tout  récemment 
des  hommes  instruits,  constitués  en  société  littéraire  dans  une 
ville  des  plus  intéressantes  d'Espagne,  se  sont  proposé  de  faire 
toutes  les  démarches  nécessaires  pour  éclairer  ce  mystère  et 
préparer  une  édition  de  Bernai  Diaz  qui  soit  digne  du  mérite 
historique  de  cet  auteur.  Ces  mesures  ne  peuvent  manquer 
d'avoir  toutes  mes  sympathies.  Je  me  promets  d'en  suivre  les 
résultats,  afin  d'en  faire  profiter  mon  livre  si  les  circonstances 
en  indiquent  l'utilité.  En  attendant,  on  peut  présumer  que  l'œu- 
vre que  je  viens  de  traduire  est,  ou  tout  à  fait  celle  de  Bernai 
Diaz  sans  suppressions  ni  changements  d'importance,  ou  bien 
cette  œuvre  même  transcrite  et  corrigée  par  l'auteur  sous  l'in- 
fluence de  conseils  étrangers  ou  de  souvenirs  personnels  devenus 
plus  précis.  Des  œuvres  qui  ont  cette  originalité  de  style  et  d'al- 
lures ne  s'altèrent  pas  sans  que  cela  soit  facilement  perceptible 
pour  un  lecteur  attentif.  Or,  celle  de  Bernai  Diaz  possède  une  telle 
unité  dans  son  exposition  et  dans  sa  forme  littéraire  qu'il  n'est 
pas  possible  d'y  admettre  l'existence  de  lacunes  ou   de  substi- 


884  RÉFLEXIONS  FINALES  DU  TRADUCTEUR. 

tutions  importantes.  Ce  que  la  faute  des  copistes  aurait  pu  nous 
transmettre  en  ce  genre  d'altération  ne  saurait,  à  mon  avis, 
avoir  modifié  le  texte  véritable  d'une  manière  bien  sensible,  et 
surtout  essentielle.  Il  n'est  d'ailleurs  pas  croyable  que  les  auto- 
rités administratives,  appelées  à  en  permettre  l'impression  en 
1632,  eussent  proclamé  légèrement  l'authenticité  et  la  légitimité 
de  sa  provenance  sur  des  données  illusoires. 

Le  chapitre  CCXII,  au  surplus,  dans  le  passage  qui  est  relatif 
à  la  consultation  des  lettrés,  me  paraît  être  la  preuve  évidente 
qu'il  a  existé  deux  manuscrits  tracés  tous  les  deux  par  la  main 
de  Bernai  Diaz,  et  que  celui  qui  a  été  entre  les  mains  du  Frère 
Remon  était  le  dernier  en  date,  puisqu'il  contenait  les  corrections 
de  l'auteur.  Le  manuscrit  qu'il  avait  donné  à  lire  aux  lettrés  ne 
renfermait,  en  effet,  nullement  ce  chapitre  qui  estla  conséquence 
de  leurs  commentaires. 

Dans  différents  autres  passages  de  sa  chronique,  le  narrateur 
s'arrête  de  même  pour  nous  dire  que  des  caballcros  lui  ont  fait 
des  observations  sur  les  points  traités  dans  les  articles  qui  moti- 
vent cette  confidence  faite  au  lecteur.   Cela  suppose  la  lecture 
d'un  brouillon  primitif  par  différentes  personnes,  et  ce  que  l'au- 
teur nous  dit  à  ce  sujet  prouve  jusqu'à  l'évidence  qu'il  a  refait 
ces  chapitres  ou  que  du  moins  il  les  a  allongés  pour  nous  faire 
ses  confidences.  Bernai  Diaz  a  donc  transcrit  lui-même  le  pre- 
mier jet  de  son  histoire  et  en  le  transcrivant  il  a  modifié  certains 
points  qui  lui  ont  paru  répréhensibles.  11  l'avoue  du  reste  dans 
sa  préface;  car  nous  y  lisons  :  «  J'ai  achevé  de  mettre  au  net  mon 
histoire  sur  mes  notes  et  mes  brouillons,  dans  cette  ville  loyale 
de  Guatemala....   le  26  du  mois  de  février  de  l'an  quinze  cent 
soixante-huit  ».  Ce  sont  ces  notes  et  ces  brouillons,  que  les  des- 
cendants de  Bernai  Diaz  conservaient  précieusement  entre  leurs 
mains.   Ce  sont  ces  brouillons  qui  ont  motivé  les  plaintes  que 
M.  Enrique  de  Yedia  nous  a  fait  connaître.  Rien  ne  nous  dit  que 
le  travail  définitif  dont  ils  furent  la  base  en  ait  été  la  reproduc- 
tion absolument  exacte  ;  le  contraire  paraîtrait  plus  naturel,  et 
je  persiste  à  croire  que  le  manuscrit  définitif  qui  en  est  sorti  est 
plus  digne  de  représenter  la  pensée  intime  et  complète  de  l'au- 
teur sur  la  mémorable  campagne  qu'il  a  décrite.  Je  n'hésile  pas 
du  reste  à  exprimer  ma  conviction  que  c'est  bien  cette  dernière 
transcription  qui  est  venue  en  Espagne  et  qui  a  été  livrée  à  l'im- 
pression par  le  Frère  Alonso  Remon.  Ce  fut  l'avis  aussi  du  grand 
historien  Herrera;  car  il  a  copié  plusieurs  passages  du  manus- 
crit de  Bernai  Diaz,  témoignant  ainsi  de  la  confiance  que  lui 
inspirait  cet  estimable  écrit,  dont  sans  doute  l'authenticité  ne 
lui  parut  pas  douteuse. 


NOTES  DU  TRADUCTEUR 


LES   CONQUISTADORES  DE  LA  NOUVELLE-ESPAGNE 


Voici,  d'après  M.  Manuel  Orozoo  y  Berra,  une  liste  des  noms  de  treize  cent 
soixante-dix-sept  conquistadores,  marquant  par  c  ceux  venus  avec  Cortès, 
par  ca  avec  Camargo,  par  s  avec  Salcedo,  par  g  avec  Garay,  par  n  avec 
Narvaez,  par  p  avec  Ponce. 


Abarca  Pedro  de,  c. 
Abarca  Pedro  de,  n. 
Abrego  Gonzalo,  c. 
Acevedo  Bartolomé,  n. 
Acevedo  Francisco  rie. 
Acevedo  Luis,  c. 
Aguilar  Alonso,  c. 
Aguilar  Gerônimo  de,  c. 
Aguilar  Francisco,  c. 
Aguilar  Juan,  p. 
Aguilar  Garcia  de,  c. 
Aguilar  Hernando,  g. 
Aguilar  de  Campo  Juan,  n. 
Agandes  Diego,  n. 
Aguado  Juan  Martin,  n. 
Albaida  Anton  de,  c. 
Alaminos  Anton,  et  son  fil 
Alaminos  Anton,  c. 
Alaminos  Gonzalo  de,  c. 
Alamos  Gerônimo,  c. 
Albuquerque  Domingo. 
Albuquerque     Francisco 

tin,  c. 
Alamilla,  c. 
Alaniz  Alonso,  p. 
Alaniz  Gonzalo,  n. 
Alaniz  Pedro,  c. 
Alcântara  Juan. 
Alcântara  Pedro,  c. 
Albornoz  Rui,  s. 
Aldama  Juan,  c. 
Alderete  Julian,  c. 
Alfaro     Elias    6    Martin 

dado,  n. 
Almonte  Pedro,  c. 
Almodovar. 

Almodovar,  le  vieux,  c. 
Almodovar  Alvaro,  c. 
Alonso  Martin,  de  Sevilla, 
Aloi.so  Martin,  de  Frontcr 
Alonso  Martin,  Portugais, 
Alonso  Andrés,  p. 
Alonso  Alvaro,  de  Jerez,  c 
Alonso  Luis,  le  petit,  c. 
Alonso  Luis,  c. 
Alonso  Rui,  s. 
Alpedrino  Martin  de,  c. 
Altamirano  Diego,  c. 
Altamirano  Francisco,  c. 
Altamirano  Lie.  Juan,  a. 
Alvarado  D.  Pedro,  c. 
Alvarado  Jorge,  c, 


Mar- 


Sol- 


c. 
a,  c. 

G. 


Alvarado  Gomcz,  c. 

Alvarado  Juan,  c. 

Alvarado  Gonzalo,  c. 

Alvarado  Pablo,  c. 

Alvarado  Hernando,  c. 

Alvarez  Juan,  c. 

Alvarez  Alonso,  ca, 

Alvarez  Alonso,  N. 

Alvarez  Melchor,  de  Teruel,  C 

Alvarez  Pedro,  marinero,  c. 

Aïvarcz  Chico  Juan. 

Alvarez  Chico  Rodrigo,  c 

Alvarez  Chico  Francisco,  c. 

Alvarez  Galeote  Juan.  n. 

Alvarez  Reibaso  Juan. 

Alvarez  Santaren  Juan,  n. 

Alvarez  Vivano  Juan,  c. 

Alva  Lorenzo,  n. 

Alvaro,  c. 

Alverza. 

Amaya. 

Amaya  Pedro,  c. 

Angulo  Juan,  s. 

Anguiano  Antonio,  ca. 

Anton  Martin,  c. 

Anton  Martin,  n. 

Aparicio  Martin,  n. 

Aponte  Esléban  de,  n. 

Aîïasco  Rodrigo  de,  a. 

Aragon  Juan. 

Arbolanche,  c. 

Arévalo  Alonso  de,  M. 

Arévalo  Francisco,  c. 

Arévalo  Luis,  c. 

Arévalo  Melchor,  n. 

Arévalo  Pedro,  n, 

Arcos  Gonzalo  de,  ca. 

Arcos  Hernando,  ca. 

Arguela  Hernando  de,  ca. 

Arguello,  c. 

Arias  Antonio  de,  n. 

Arriaga  Antonio  de,  w. 

Arroyuilo,  c. 

Armenta  Pedro,  n. 

Aruega,  n. 

Arteega  Domfngo,  s. 

Asturiano  Francisco,  c. 

Avalos  Melchor,  n. 

Avila  Sàncno,  c. 

A vila  Gaspar  de,  n. 

Avila  Alonso,  ca. 

Avila  Alonso, c. 


Avila  Juan,  n. 

Avila  Luis,  c. 

Aviles,  n. 

Avilica,  n. 

Ayamonte  Diego  Martin  de,  c. 

Aztorga  Bartolomé,  n. 

Aznar  Antonio,  n. 

Azaniir  Diego,  c. 

Bacaraez  Pedro  de,  g. 

Radaies  Diego,  n. 

Badajoz  Gutierre  de,  n. 

Baez  Pedro,  c. 

Baldivia,  c. 

Balnor,  c. 

Ballestero  Juan,  c. 

Ballesteros  Bodrigo,  n. 

Barba  Pedro,  c. 

Barahona  Saftcho  de,  c. 

Barahona  Martin,  n. 

Barco  Francisco  del. 

Barro  Jikui,  premier  mari  de 
Leonor  de  Solis,  c. 

Barrientos  Alonso  de. 

Barrientos  Hernando,  c. 

Barrios  Andres  de,  c. 

Bartolomé  Martin,  a. 

Bartolomé  Martin,  c. 

Banrioy  Juan,  n. 

Rautista,  c. 

Bautista,  n. 

Bautista,  c. 

Bautista  de  la  Purificaeion,   c. 

Becerra  Alvaro,  c. 

Becerra  Andres. 

Becerril  Santiago,  n. 

Bejarano  Sébastian,  A. 

Bejarano  Diego,  s. 

Bejel  Benito,  c. 

Bi'navente  Pedro  de,  n. 

Benavidcz  Alonso,  .\. 

Benavidez  Nicolas,  c. 

Benitez  Alonso,  n. 

Benitez  Sébastian,  c. 

Berlànga  Diego  Garcia  de,  n. 

Berganciano  Juan,  c. 

Berganciano  Pedro,  s. 

Berrio  Francisco,  n. 

Berrio  lViiro,  c. 

Berrio  Pedro,  n. 

D  rra  Pedro  de. 

Bermudez  Battasar,  mari  de  do- 
ua Iseo  Velasqurz  de  Cuellar. 


866 


LISTE  DE  CONQUISTADORES 


Bermudez  Agustin.  n. 
Bermudez  Diego,  n. 
Bernai  Juan,  n. 
Benito,  c. 
Bibriesca  Garcia,  n. 
Blasco  Pedro,  c. 
Bonnl  Francisco  de,  c. 
Bonilla  Alonso  de,  n. 
Bono  Quejo  Juan,  n. 
Bola  Martin,  g. 
Borgona  Estéban  de,  n. 
Borja  Antonio  de,  n. 
Botello  Blas,  c. 
Bravo  Antonio,  c. 
Brica  Juan,  c. 
Briones  Pedro,  n. 
Briones  Francisco,  n. 
Briones  Gonzalo,  c. 
Bueno  Alonzo,  ca. 
Bueno  Tomas,  c. 
Burgos  Juan,  c. 
Burgos  Bodrigo,  c. 
Burgueno  Hernando,  p. 
Burguillos  Gaspar,  c. 
Bustamanle  Luis,  n. 
Caballero  Pedro,  c. 
Cabezon  Cristôbal.  s. 
Cabra  Juan,  N. 
Cabra  Juan,  a. 
Cabrero  Hernando,  c. 
Câceres  Delgado  Juan,  C. 
Câceres  Juan,  c. 
Câceres  Manuel,  c. 
Caicedo  Antonio,  c. 
Calero  Diego,  n. 
Calvo  Pedro,  g. 
Camacho  de  Triana. 
Campo  Blas  de,  p. 
Camargo  Toribio,  c. 
Cancino  Pedro,  c. 
Cano  Alonso,  c. 

Cano  Juan,  marié  avec  une  fille 
deMontezuma.  n. 

Canto  Andres  del,  c. 

Cantillana  Francisco,  N. 

Cantillana  Hernando,  n. 

Canamero  Juan,  n. 

CandosôCindos  del  Portillo,  c. 

Carabaza,  c. 

Cansono  Diego,  le  mataron  los 
Indios  de  Oajaca,  n. 

Càrdenas  Juan,  c, 

Càrdenas  Luis,  c. 

Cardonel  Alonso,  n. 

Caro  Garci,  ballestero,  c. 

Carmona  Juan,  c. 

Carmona  Juan,  c. 

Carrasco  Gonzalo,  c. 

Carrascosa  Juan,  n. 

Carrillo  Jorge,  n. 

Carrillo  Juan,  c. 

Cnrrion  Hipôlito  de,  n. 

Carrion  liodrigo  de,  c. 

Cartagena  Juan  de,  c. 

Carvajal  Antonio  de,  c. 

Carvajal  Turrcm-aos  Antonio,  c. 

Carvajal  Hernando,  ca. 

Canillas,  c. 

Ci  rmeno  Juan,  n. 

Cermeno  Juan,  c. 

Cermeno  Diego,  c. 

Celos  Bartolomé,  c. 

Castaneda  Bodrigo  de,  n. 

Casas  Francisco  de  las,  n. 

Casas  Martin  de  las,  c. 

Casanova  Francisco,  n. 

Castellar  Pedro  del,  c. 

Castollanos  Diego,  c. 

Castellanos  Pedro,  c. 

Castaîïo  Juan,  n. 


Castillo  Antonio  del,  c. 
Castillo  Diego  del,  n. 
Castillo  Francisco,  G. 
Castillo  Pedro,  n. 
Castro  Andrés,  ca. 
Castro  Pedro,  c. 
Catalan  Alonso. 
Catalan  Juan,  c. 
Cazamori  Gutierre,  c. 
Cerezo  Gonzalo,  n. 
Cervantes  Leonel  de,  c. 
Cervantes,  c. 
Cevallos  Alonso  de,  c. 
Clémente,  c. 
Cieza. 

Ci fuentes  Francisco,  c. 
Cisneros  Juan,  n. 
Cimancas  Pedro  de,  c. 
Corbera  Asencio,  n. 
Cordero  Anton,  c. 
Cordero  Gregorio,  n. 
Golmenero,  c. 
Colmenero  Juan  Estéban,  c. 
Conillen  Francisco,  p. 
Contreras  Alonso,  c. 
Collazos  Pedro  de,  n. 
Coronel  Juan,  n. 
Coronado,  c. 
Corral  Cristôbal  del,  c. 
Corral  Juan. 
Correa  Diego,  c. 
Correa  Juan,  c. 
Coria  Bernardino  de. 
Coria  Diego  de,  s. 
Cortés  D.  Hernando. 
Cortés  de  Zûniga  Alonso. 

Cortés  Juan,  nègre,  esclave  de 
F.  Cortés. 

Cortés  Francisco. 

Cortés  Juan,  son  cuisinier. 

Cristôbal  Martin,  c. 

Cristôbal  Martin,  c. 

Cristôbal  Martin,  de  Sevilla,  n. 

Cristôbal  Gil,  c. 

Cubillas  Juan,  c. 

Cuellar  Juan  de,  c. 

Cuellar  Bartolomé,  c. 

Cuellar  Francisco,  c. 

Cuellar  Vêlez  Juan,  n. 

Cuadros  Francisco,  n. 

Cuadros  Pedro  de,  n. 

Cuenca  Simon  de,  c. 

Cuesta  Alonso  de  la,  c. 

Cuevas  Juan,  c. 

Cuvieta  Sébastian  de,  c. 

Chavarrin  Bartolomé,  n. 

Cbacon  Gonzalo,  c. 

Chavelas  Francisco,  n. 

Cbavez  Hernando,  n. 

Chavez,  c. 

Chavez  Martin,  n. 

Chiclana  Anton  de,  c. 

Chico  Pedro,  ca. 

Dâvila  Alonso,  c. 

Dàvila  Bodrigo,  n. 

Daza  Francisco,  c. 

Dazeo  Francisco,  c. 

Delgado  Alonzo,  c. 

Delgado  Juan,  ca. 

Diaz  Bartolomé,  c. 

Diaz  Juan.  c. 

Diaz  de  Auz  ou  Arauz Miguel,  c 

Diaz  do  la  Régnera  Alonso. 

Diaz  Bartolomé,  n. 

Diaz  de  Médina  Bernardino,  n 

Diaz  Peon  Diego,  n. 

Diaz  de  Alcali  Diego,  N. 

Diaz  Juan. 

Diaz  Cristôbal,  n. 

Diaz  Gaspar,  n. 


Diaz  Miguel,  c. 

Diaz  Domingo,  c. 

Diaz  Galafate  Francisco,  n. 

Diaz  de  Azpeitia  Juan,  n. 

Diaz  de  Sotomayor  Pedro,  c 

Diaz  de  Penalosa  Bui,  n. 

Diaz  del  Castillo  Bernai,  ei  Ga- 

lan,  c. 
Diego  Martin,  c. 
Domingo  Martin,  c. 
Domingo,  Génois,  n. 
Dominguez  Arias  Francisco,  n. 
Dominguez  Gonzalo,  c. 
Dorantes  Martin,  c. 
Duero  Andres  de,  n. 
Duero  Sébastian,  n. 
Uuran  Juan,  n. 

Ebora  Sébastian  de,  mulâtre,  n. 
Ecijoles  Tomas,  c. 
Ecija  Andres  de,  c. 
Enamorado  Juan,  c. 
Encina  Juan  de  la,  p. 
Enrique. 

Escalante  Juan,  c. 
Escalante  Pedro,  c. 
Escalona  Francisco,  n. 
Escalona  Juan,c. 
Escalona  Pedro,  n. 
Escalona  Pedro  de,  <,. 

Escobar  Alonso  de. 
Escobar,  médecin,  c. 
Escobar  Juan,  c. 

Eseobar  Pedro,  mari  de  Beatnz 
Palacios,  n. 

Escacena  Antonio,  c. 

Escudero  Pedro. 

Escudero  Juan,  c. 

Escudero  Diego,  c. 

Espinar  Juan,  c. 

Espindola  Garcia,  n. 

Espindola  Juan  de,  c. 

Espinosa,  Basque,  c. 

Espinosa,  c. 

Espinosa  de  los  Monteros,  c. 

Espinosa  Martin,  a. 

Espinosa  Bodrigo  de,  n. 

Esquivel  Alonso,  c. 

Estéban  Martin  de  Guelva,  c. 

Estéban  Miguel,  c. 

Estéban,  n. 

Estrada  Alonso,  c. 

Estrada  Francisco,  n. 

Evia  liodrigo  de,  c. 

Farfan  Luis,  c. 

Fernandez  Pedro,  secrétaire  de 
Cortés  en  1519. 

Fernandez  Juan, 

Fernandez  Juan,  c. 

Fernandez  (Je  Ocampo  Juan,  n. 

Fernandez  Juan,  c. 

Fernandez  Juan,  c. 

Flamenco  Juan,  c. 

Flandes  Juan  de,  n. 

Floriano  Gerônimo,  ^. 

Flores  Cristôbal,  c. 

Flores  Fran<  isco,  n. 

Florines,  c  )  f  - 

Florines.  c,  ^1,lH>- 

Fonseca  Diego,  a. 

PranCO    Alonso,  a. 

Franco  Bartolomé,  n. 
Franco  Pedro,  c. 
Francisco  Martin,  ca. 
Francisco  Martin,  c. 
Fuente  Hernando,  n. 
Fuentes,  alferez  de  Narvaez. 
Fuentes  Diego,  n. 
Fuenterrabja  Juanes  de,  c. 
Frias  Hernando  de,  s. 
Frias  Luis,  c. 


DE   LA  NOUVELLE-ESPAGNE. 


887 


Gamboa  Cristôbal  Martin  d 
Garcia  Martin,  c. 
Garcia  Juan,  n. 
Garcia  Bartolomé. 
Garcia  Bravo  Alonso,  ca. 
Garcîa    Alonso,  de,  Algarrpvil- 

las,  n. 
(  rarcia  Alonso,  n. 
(  rarcia  Andres,  c. 
i  rarcia  I  liego,  c. 
Garcia  Holguin  D.  Juan,  c. 
Garcia  Domingo,  c. 
(  rarcia  Anton,  c. 
Garcia    de    Albuquerque    Do- 
mingo, N. 
Garcia  Estéban,  c. 
Garcia  de  Rivera  Francisco,   s. 
Garcia  Francisco,  n. 
Garcia  Gines,  c. 
Garcia  Juan,  de  Vera  Cru/.,  c. 
Garcia  Juan,  de  Lepas,  c. 
Garcia  Juan,  de  Bejar,  c. 
Garcia  de  Beaz  Juan,  N. 
Garcîa  Gamacho  Juan,  n. 
Garcia  Julian,  c. 
Garcia  Luis,  c. 
Garcîa  Martin. 
Garcia  Casavi  Pedro t  c. 
(  îarcia  Pedro,  n. 
Gallego  Pedro. 
Gallego  Alvaro,  N. 
Gallego  Andres,  n. 
Gallego  Bartolomé,  c. 
Gallego  Benito,  ca. 
Galiego  Diego,  a. 
Gallego  Francisco,  c. 
Gallego  Francisco,  c.v. 
Gallego  Gonzalo,  c. 
Gallego  Pedro,  s. 
Gallego  Cristôbal,  C. 
Gallego  Lope,  a. 
Gallegos  de  Andratfa  Juan,  mari 
de  dona  Isabel  Montézuma,  n. 
Galdin,  c. 
Gaona,  c. 
Gamez  Alonso,  c. 
Gallardo  Antonio,  c. 
Gallardo  Pedro,  c. 
Garro  Pedro,  cap i tan,  n. 
Garrido  Diego,  c. 
Garrido  Juan,  nègre,  c. 
Garrido  Pedro,  c. 
Garrido  Cristôbal,  a. 
Gai  In  Gomez,  n. 
(  ialan  Juan,  n. 
Gabarro  Antonio,  c. 
(  ialvez  Melcbor,  c. 
Gamarra,  n. 
Galeote  Alonso, 'c. 
Galeote  Antonio,  c. 
Galeote  Gonzalo,  n. 
Garzon  Francisco,  n. 
Garnica  Gaspar,  c. 
Galindo  Juan,  c. 
Gomez  Alonso,  N. 
Gomez  Alonso,  c. 
Gomez  Andres,  c. 
Gomez  Pedro,  c. 
Gomez  Cornejo  Diego,  n. 
Gomez  Domingo,  c. 
Gomez  Francisco,  do  Palos,  c. 
Gomez  de  Jerez  Hexnan,  n. 
(louiez  de  Almazan  Juan.  n. 
(  romez  Juan,  barbier,  n. 
Gomez  Juan,  n. 
Gomez  de  Herrera  Juan,  c. 
Gomez  de  Guevara  Juan,  c. 
Gomez  Juan,  c. 
Gomez  Nicolas,  c. 
Gomez  Pedro,  .\\ 


Gomez  de  Miguel  Pedro,  A. 
Gomez  Rodrigo,  n. 

Gonzalez  de  N'âjara  Pedro,  c. 
Gonzalez  de  Nâjara  Francisco, 
Gonzalez  Pedro  Sabiote. 
Gonzalez  de  Portugal  Alonso, n. 
Gonzalez  Alonso,  c. 
i  Gonzalez  Bartolomé,  n. 
Gonzalez  Rui,  n. 
Gonzalez  de  Heredia  Juan. 
Gonzalez  de  Trujillo  Pedro. 
Gonzalez  Diego,  n.. 
(  Gonzalez  Diego,  c. 
Gonzalez  Dâvila  Gil,  C. 
Gonzalez  liernando,  c. 
Gonzalez  de  Nu  j  ara  Hernando, n. 
Gonzalez  de  Léon  Juan,  mari  de 

Francisca  de  Ordaz.  c. 
Gonzalez  Reaies  Juan.  c. 
Gonzalez  Juan,  marie,  c. 
Gonzalez  Nufio,  c. 
Gonzalez  Pedro,  c. 
Gollorin  Francisco,  n. 
Grande  Francisco,  N. 
Guerra  Martin,  n. 
Goleste  Antonio. 
Goleste  Alonso. 
Godoi  Diego,  c. 
Godoi  Bernardino,  s. 
Godoi  Gabriel,  N. 
Geronimo  Martin,  n. 
Gines  Martin,  n. 
Grado  Alonso  de,  C. 
Granado  Alonso  Martin,  c. 
Granado  Francisco,  c. 
Guisado  Alonso,  c. 
Guisado  Francisco,  G. 
Griego  Juan,  c. 
Grijalva  Alonso,  c. 
Grijalva  Francisco,  C. 
Grijalva  Sébastian,  n. 
Guia  Hernando,  c. 
Guia  Juan,  N. 
Guia  Juan,  n. 

Guia  Juan  .  Juan  Guia  était  nègre 
Il  fut  l'introducteur  de  la  petite 
vérole  a  Mexico. 
Guia  deSalcedo  Sancho,  n. 
Guidela,   nègre  truhan  de  Nar- 

vaez. 
Guillen  Juan,  c. 
Gutierrez  Antonio,  c. 
Gutierrez  Francisco,  c. 

Gutierrez  Antonio,  c. 
Gutierrez  Alvaro,  N. 

Gutierrez  de  Salamanca  Hernan. 

Gutierrez  Diego,  n. 

Gutierrez  Diego,  c. 

Gutierrez  Diego,  c. 

Gutierrez  Francisco,  a. 

Gutierrez  Francisco,  n. 

Gutierrez  Gaspar,  n. 

Gutierrez  Gomez,  CA. 

Gutierrez  Duran  Juan,  c. 

Gutierrez  Pedro,  N. 

Gutierrez  Pedro,  c. 

Gutierrez  Pedro,  n. 

Guzman  Pedro,  n. 

Guzman  Juan  ô  Estéban,  c. 

Guzman  Cristôbal.  c. 

Guzman  Gabriel,  c. 

G ii/iiiui  Luis,  n. 

Hernandez  Santos,  c. 

Hernandez  Portocarrero  Alonsoc 

Hernandez  de  Alaniz  Gonzalo,  n. 

Demande/  de  Palo  Alonso,  C 

Hernandez  Alonso  et  son  frère,  c 

Hernandez  Diego,  c. 

Hernandez  Maya  Alonso,  c. 

Hernandez  Puebles  Alonso,  g. 


Hernandez  Bartolomé,  c. 
Hernandez  Pedro,  c. 
Hernandez  Carreler©  Alonso,  c. 
Hernandez  Rlas,  n, 
Hernandez  Nino  Diego,  n, 
Demande/  Morallos Francisco,  g 
Hernandez  Diego,  c. 
Demande/  Perez  Francisco,  c. 
Demandez  Balsa  Francisco,  n. 
Hernandez  Francisco,  c. 
Hernandez  Francisco,  c. 
Hernandez  de  Derrera  Garci,  c. 
Hernandez  Gonzalez  n. 
Demande/  de  Mozquera    Gon- 
zalo, c. 
Demande/  Rendon  Gon/alo,  n. 
Hernandez  de  Zâhori  Gonzalo,  g. 
Demande/  Gon/alo,  N. 
Hernandez  Rejarano  Gonzalo,  c. 
Hernandez  Gonzalo,  c. 
Hernandez  Hermoso  Gonzalo.  n. 
Hernandez     Montemaycr    Gon- 
zalo, c. 
Demandez  Juan,  n. 
Demandez  Tavira  Juan,  c. 
Hernandez  Luis,  p. 
Hernandez  Martin,  n. 
Hernandez  Roldan  Pedro,  n. 
Hernandez  Pedro,  c. 
Hernandez  Pedro,  c. 
Hernandez  Pedro,  c. 
Hernandez  Pedro,  p. 
Demandez     de    Côrdoba     Ro- 
drigo, c. 
Demande/  Santos,  C. 
Hernandez  Cristôbal,  n. 
Hernandez    de    Côrdoba    Cris- 
tôbal, c. 
Hernandez  Cristôbal,  n. 
Hernandez  Cristôbal,  c. 
Hernan  Martin,  n. 
liernando  Martin,  c. 
Hernando  Alonso,  c. 
Herrera  Alonso,  c. 
Herrera  Bartolomé,  n. 
Herrera  del  Lago  Alonso.  c.\. 
Herrera  Pedro,  c. 
Hoyos  Gomez  de,  c. 
Hoyos  Gonzalo  de,  c. 
Heredia,  c. 

Hojeda.  Ce  fut  lui  qui  pansa  les 
brûlures  de  Guatimozin  quand 
on  le  soumit  au  supplice  de 
l'huile  bouillante,  c. 

I  [uemes  Miguel.  G. 
H u rt ado  Hernando.  c. 

llurtado  Alonso,  c. 

lluerlo  Juan  del,  c. 

Hèrmosilla  Juan,  c 

Hidalgo  Alonso,  g. 

Ruelano  Alonso,  <.. 

Hurones  Gonzalo,  c 

lllan  Diego,  c. 

Illan  Luis,  c. 

[llescas  Hernando.  N. 

Ircia  Pedro  de,  c. 

Ircio  Martin,  c. 

Inhiesla  Juan   de,  G. 

Irejo  Alonso  Martin,  c. 

Izquierdo  Martin,  p. 

Jaca  Alonso  Martin,  c. 

Jaen  Cristôbal  de,  ci 

Jaen  Gonzalo,  c. 

Jara  Cristôbal,  N. 

Jaramillo  Juan,  mari   de  Mari- 
na, N. 

Jaramillo  Cristôbal.  c. 

Jerez  Pedro  de,  m. 

Jerez  Cristôbal,  c. 

Jerez   Alonso  de,  «'. 


888 


LISTE  DE  CONQUISTADORES 


Jerez  Juan,  c. 

Jimenez  Alonso,  n. 

Jimenez  de  Herrera  Alonso,  n 

Jimenez  Francisco,  n. 

Jimenez  Gonzalo,  c. 

Jimenez  Hernando,  c. 

Jimenez  Juan,  N. 

Jimenez  Juan,  c. 

Jimenez  Miguel,  c. 

Jùan  Bautista,  c. 

Juan  Martin,  c. 

Juan  Martin,  c. 

Juan,  Basque,  n. 

Juan,  Génois,  c. 

Juan  Aparicio,  c. 

Juan,  meunier,  n. 

Juan, page,  n. 

Juan  Lorenzo,  s. 

Juarez  Juan,  c. 

Julian  Francisco,  G. 

Juliano  Juan,  c. 

Lagos  Gonzalo,  n. 

Lara  Juan,  n. 

Lares,  c. 

Lares,  l'arbalétrier,  c. 

Lariz  Luis,  c. 

Larios  Juan,  n. 

Lâzaro  Martin,  n. 

Lâzaro,  c. 

Ledesma  Francisco,  c. 

Ledesma  Juan,  n. 

Lencero,  c. 

Léon  Juan,  c. 

Léon  Andrés  de. 

Léon  Juan,  n. 

Léon  Alvaro,  c. 

Léon  Diego,  n. 

Léon  Diego,  ca. 

Léon  Gonzalo,  n. 

Lerma  ô  Lema  Hernando  de,  c. 

.Lerma  Lope,  n. 

Lepuzcano  Rodrigo,  c. 

Lezama  Hernando,  c. 

Lezcano. 

Limpias  Carbajal  Juan  de,  n. 

Limon  Juan,  n. 

Lobo  de  Sotomayor  Rui,  n. 

Lopez  de  Jimena  Gonzalo. 

Lopez  de  Jimena  Juan,  c. 

Lopez  Roman. 

Lopez  Martin,  c. 

Lopez  de  Avila  Hernan. 

Lopez  Alvaro,  c. 

Lopez  Alonso,  p. 

Lopez  Alonso,  n. 

Lopez  Andrés,  n. 

Lopez  Bartolomé,  c. 

Lopez  Bartolomé,  c. 

Lopez   Martin,  c. 

Lopez  Gerônimo,  c. 

Lopez  Anton,  c. 

Lopez  Diego,  c. 

Lopez  Francisco,  le  courrier,  c. 

Lopez  Francisco,  de  Marchena.c. 

Lopez  Francisco,  de  Luguerra,N. 

Lopez  Morales  Francisco,  c. 

Lopez  Gard,  n. 

Lopez  de  Avila  Hernando,  n. 

Lopez  Juan,  de  Seville,  c. 

Lopez  Juan,  de  Zàragoza,  c. 

Lopez  Juan,  de  Honda,  n. 

Lopez  Sanchez,  c. 

Lopez  Alcântara  Pedro,  c. 

Lopez  Pedro,  o. 

Lopez  Pedro,  n. 

Lopez  Pedro,  c. 

Lopez  Cano  Rodrigo,  c. 

Lopez  Roman,  c. 

Lopez  Crislôbal,  c. 

Lopez  Inigo,  c. 


Lorenzo. 

Loa  Guillen  de  la,  g. 

Lozano  Pedro 

Lozano  Francisco,  n. 

Lozano  Juan,  n. 

Loza  Juan,  n. 

Lozana  Pedro  de,  .n. 

Lucas,  a. 

Luco  Alonso  de,  c. 

Lugo  Francisco  de,  c. 

Lugo  Alonso  del. 

Lugo  Luis  de,  c. 

Lugon  Pablo  de,  c. 

Luis  Martin,  c. 

Luis,  n. 

Llerena  Garcia  de. 

Macias  Alonso,  g. 

Maldonado  Francisco,  n. 

Maklonado  Francisco  Pedro. 

Maldonado  Alvaro. 

MalJonado  Manuel,  c, 

Maldonado  Pedro,  c. 

Malbenda  Pedro  de,  majordome 

de  Narvaez. 
Marta  Pedro  de,  n. 
Madrid,  c. 

Madrid  Alonso  de,  ca. 
Madrid  Francisco,  in. 
Madrigal  Juan  de,  c. 
Manusco  Rodrigo,  <:. 
Magallanes  Juan,  c. 
Manzanilla  Juan,  y. 
Manzanilla  Pedro,  a. 
Mallorquin  Anton,  c. 
Mallorquin  Gabriel,  c. 
Mallorquin  Juan,  ca. 
Marroquino  Francisco,  g. 
Marin  Luis,  c. 
Marmolejo  Antonio,  n. 
Marmolejo  Luis,  a. 
Martin  Narices,  Juan,  c. 
Martin,  Br.,  c. 

Martin,  n. 

Martinez  Valenciano,  c. 

Martinez  Hernando,  c. 

Martinez  Gallego  Juan,  n. 

Martinez  Villeras  Juan,  c. 

Martinez  Rodrigo,  c. 

Martinez  Zebrian,  n. 

Mansilla  Juan  de,  n. 

Marquez  Juan,  capitaine,  c. 

Marquez  Juan,  le  fondateur,  ca. 

Marquez  Juan,  l'arbalétrier,  n. 

Marquez  Juan,  Gallicien,  c. 

Mata  Alonso  de,  notaire,  n. 

Mata  Alonso,  c. 

Mayorga  Baltasar  de,  n. 

Maya  Antonio. 

Mazas  Cristobal,  n. 

Mazariegos  Diego,  c. 

Mejfa  Gonzalo,  c. 

Mejia  Aparicio,  n. 

Mejia  Diego,  c. 

Mejia  Francisco,    c. 

Medel  Francisco. 

Medel  Hernando,  n. 

Médina  Francisco,  c. 

Médina  Francisco,  capitaine,  N 

Médina  Gonzalo,  c. 

Médina  Juan  Tello  de,  n. 

Médina  Juan,  c. 

Mendez  de  Sotomayor  Hernan- 
do, N. 

Mendez  de  Sotomayor  Juan,  n 

Mendez    de   Alcântara  Juan.    c 

Melgarejo  Juan,  n. 

Melgarejo  Màrcos,  n. 

Melgarejo  de  Frrea,  ca. 

Mesa,  c. 

Mesta  Alonso  de  la.  c. 


Mendoza  Alonso,  c. 

Mérida  Antonio  de,  c. 

Mezquita  Diego  de  la,  c. 

Mezquita  Martin  de  la,  c. 

Meneses  Pedro,  c. 

Mino  Rodrigo,  n. 

Miranda  Francisco,  c. 

Miguel  Estéban. 

Miguel  de  Santiago,  n. 

Miguel  Francisco  de,  n. 

Milla  Francisco,  c. 

Millan  Juan.  c. 

Milles  Juan,  p. 

Moguer  Rodrigo  de,  ca. 

Mola  Andrés  de,  c. 

Morla  Francisco  de,  c, 

Mora  Alonso  de,  p. 

Mora  Jimenez  Juan,  n. 

Morales  Alonso  de,  c. 

Morales  Cristobal,  n. 

Morales  Esteban. 

Morales  Juan,  ca. 

Morales  Juan,  n. 

Morales  Miguel,  n. 

Morales  Cristobal,  c. 

Morillas. 

Moreno  Medrano  Pedro. 

Moreno  Blas,  a. 

Moreno  Diego,  n. 

Moreno  Juan,  p. 

Moreno  Pedro,  de  Aragon,  n. 

Moreno  Isidro,  c. 

Morejon  Lobera  Rodrigo,  c. 

Morante  Cristobal,  c. 

Moron  Alonso,  g. 

Moron  Pedro. 

Morico  Pedro,  p. 

Morcillo  Alonso,  n. 

Morcillo  Andrés. 

Morcillo  Alvaro,  c. 

Morcillo  Francisco,  c. 

Molina  Antonio  de,  s. 

Monjaraz  Andrés,  c. 

Monjaraz  Gregorio,  c. 

Monjaraz  Martin. 

Monjaraz  Pedro,  c. 

Montalvo  Alonso,  n. 

Montejo  Francisco  de,  c. 

Monroy  Alonso  de. 

Montafio  Francisco,  n. 

Monte  Martin,  n. 

Monterroso  Blas,  c. 

Montero  Diego  de,  p. 

Montero  Diego,  cuisinier  de  Cor 

tés. 
Montero  Francisco,  c. 
Montes  Hernando  de,  c. 
Montes  Pedro  de,  c. 
Montanes  Pedro,  c. 
Montesinos  Juan,  c. 
Mosco  Sébastian,  c. 
Motrico  Alonso  de,  c. 
Motrico  Diego,  c. 
Motrico  Francisco,  g. 
Muda  Julian  de  la,  c, 
Mu  nos  Gregorio  Martin,  n. 
Muîios  Juan,  n. 
Maestro  Juan,  Br.,  n. 
Maestre  Juan, chirurgien  de  Nar- 
vaez. 
Nàjara  Juan,  c. 
Najara  Juan  (autre),  c. 
Nàjara  Lèiva  Juan,  n. 
Nàjara  Moreno  Pedro,  n. 
Najara  Rodrigo,  c. 
Nàjara.  <;. 
N.iipe  I  liego,  C. 
Nao  Rodrigo  de  la,  c. 
Napolitano  Luis,  c. 
Narvaez  Gonzalo,  c. 


DE  LA  NOUVELLE-ESPAGNE. 


889 


Navarro  Felipe,  n. 

Navarrete  Alonso,  c. 

Niebla  Hernando,  c. 

Nifio  de  Escobar  Alonso,  n. 

Nifio  Domingo,  c. 

Nino  Juan,  ca. 

Nieto  Pedro,  n. 

Nieto  Gomez,  n. 

Nortes  Gines,  n. 

Nortes  Alonso,  n. 

Noburcas  Francisco,  n. 

Nufiez  Mercado  Juan,  c. 

Nunez  Andres,  capitaine,  c. 

Nufiez  Anton,  p. 

Nunez  Andres,  soldat,  c. 

Nunez  Juan. 

Nunez  Trejo  Diego,  n. 

Nunez  de  Guzman  Diego,  n. 

Nunez  de  San  Miguel  Diego,  m. 

Nunez  Sedefïo  Juan,  c. 

Nufiez  Juan,  n. 

Nunez  de  Cuesta  Juan,  n. 

Oblanco  Gonzalo. 

Ocampo  Andres. 

Ocampo  Bartolomé,  ca. 

Ocampo  Alvaro,  n. 

Ocampo  Diego,  c. 

Ocana  Alonso,  c. 

Ocafia  Francisco,  c. 

Ochoa  Juan,  g. 

Ochoa  Gonzalo,  a. 

Ochoa  de  Asia,  c. 

Ochoa  de  Veraza,  n. 

Ochoa,  c. 

Olea  Cristôbal  de,  c. 

Olea  Hernando,  c. 

Olmedo  Fr.  Bartolomé,  c. 

Olid  Cristôbal  de,  c. 

Olmos  Francisco,  mari  de   Rea- 

triz  Bermudez. 
Oliver  Antonio. 
Olvera  Diego. 
Olvera  Martin,  ca. 
Oliveros  Francisco,  c. 
Ojeda  Alonso  de,  c. 
Ojeda  Luis,  s. 
Ojeda  Cristôbal,  n. 
Ofia  Pedro  de,  c. 
Ordaz  Diego  de,  c. 
Ordafia  Francisco,  n. 
Ordufia  Alonso,  g. 
Ordufia  Francisco,  s. 
Ordufia  Pedro  de,  c. 
Orozco  Francisco,  n. 
Orozco  Melgar  Juan,  n. 
Orteguilla,  père,  c. 
Orteguilla,  (ils,  c. 
Ortega  Juan. 
Ortiz,  c. 

Ortiz  de  Zûniga  Alonso,  n. 
Ortiz  Estéban,  n. 
Ortiz  Cristôbal,  c. 
Osorio  Juan,  n. 
Ovalle  Juan,  n. 
Ovando  Diego. 
Ozma  Hernando,  n. 
Padilla  Hernando,  n. 
Pacheco  Cristôbal.) 
Paez  Francisco  Bernai,  c. 
Paez  Lorenzo,  a. 
Palma  Pedro  de. 
Palma  Miguel  de  la,  n. 
Palomares  Nicolas  de.  c. 
Paniagua  Gomez  de.  c. 
Pardo  Bartolomé,  n. 
Pardo  Rodrigo,  n. 
Paradinas  Sébastian,  s. 
Paredes  Bernardino,  c. 
Pastrana  Alonso  de,  p. 
Pantoja  Juan,  n, 


Payo  Lorenzo,  n. 

Paz  Pedro,  c. 

Paz  Rodrigo  de,  c. 

Papelero  Anton,  n. 

l'.rrz  Juan,  capitan,  c. 

Perez  Maite  Alonso,  c. 

Perez  Alonso,  Br.,  n. 

Perez  Alonso,  c. 

Perez  Pareja  Alonso,  c. 

Perez  Bartolomé,  ca. 

Perez  Hernan. 

Perez  de  Arteaga  Juan,  c. 

Perez  Alonso,  c. 

Perez  Alonso,  de  Beiar,  c. 

Perrz  Cardo  Francisco,  c. 

Perez  Francisco,  le  sourd,  n. 

Perez  Francisco,  tailleur,  n. 

Perez  Garcia,  c, 

Perez  Hernando,  n. 

Perez  de  Gama  Juan,  n. 

Perez  Juan,  n. 

Perez  Juan,  c. 

Perez  Juan,  n. 

Perez  Juan,  interprète,  n. 

Perez  de  la  Higuera  Juan,  c. 

Perez  Juan,  le  jeune,  s. 

Perez  Martin,  c. 

Pedraza  Mese  Diego,  n. 

Pedro,  c. 

Pedro  Martin,  de  Coria,  c. 

Pedro  Martin,  n. 

Pedro  Pablo,  n. 

Pedro  Francisco,  c. 

Pefia  Rodrigo  de,  c. 

Pefia  Pablo,  c. 

Pefia  Vallejo  Juan  de  la,  n. 

Pefia  Francisco  de  la,  n. 

Penaflor  Alonso,  c. 

Pefialosa  Diego,  c. 

Penalosa  Francisco,  c. 

Penaranda  Alonso,  n. 

Pefiate  Alonso  et  son  frère,  c. 

Pefiate,  c. 

Peinado  Antonio,  c. 

Peron  de  Toledo  Pedro,  c. 

Perol  Pedro, n. 

Pilar  Garcia  del,  n. 

Pizarro  Diego,  c. 

Pizarro  Pablo,  c. 

Pinzon  Juan,  c. 

Pinzon  Gines,  c. 

Pinzon  Juan,  n. 

Pinedo  Cristôbal,  c. 

Pineda  Diego. 

Pinto  Nufio,  n. 

Plazuela,  c. 

Plaza  Juan  de  la,  ca. 

Placencia  Juan,  n. 

Ponce  Diego,  c. 

Ponce  de  Léon  Juan. 

Ponce  Pedro,  s. 

Polanco  Gaspar,  n. 

Porras,  cantor,  c. 

Porras  Sébastian  de. 

Porras  Holguin  Diego  de,  c. 

Porras  Diego,  c. 

Porras  Francisco,  n. 

Porras  Pedro  Martin  de,  n. 

Portillo  Alonso,  n. 

Porlillo  Juan,  c. 

Portillo  Carlos,  c. 

Portillo  Francisco,  c. 

Portillo  Salado  Juan,  n. 

Portillo  Pedro  Alonso  de,  n. 

Portillo  Vasco  de,  n. 

Portocarrero  Pedro,  n. 

Proafio  Diego  Hernandez  de,  a. 

Prado  Alonso,  c. 

Prado  Juan  de,  c. 

Prisa  Martin  de  la,  a. 


Prieto  Sébastian,  n. 

Puebla  Alonso  de  la,  n. 

Puente  Alonso  de  la,  c. 

Puerto  Juan  del,  c. 

Puerto  Martin,  n. 

Quemada  Antonio,  c. 

Quemado  Bartolomé,  c. 

Quesada  Bernardino, c. 

Quesada  Itodrigo. 

Quesada  Cristôbal,  c. 

Quevedo  Francisco,  c. 

Quijada  Diego,  n. 

Quintana  Francisco,  c. 

Quintero  Alonso,  c. 

Quintero  Alonso  de  Pâlos,  c. 

Quintero  Juan,  c. 

Quifiones  Antonio,  c. 

Rabanal,  montafiés,  c. 

Ramirez,  el  viejo. 

Ramirez  Francisco,  n. 

Ramirez  Gonzalo,  s. 

Ramirez  Pedro. 

Ramirez  Gregorio,  c. 

Ramos  de  Lares  Martin, 

Ramos  Lopez  Juan,  c. 

Rapalo  Batista,  c. 

Rangel  Rodrigo,  c. 

Rascon  Alonso,  n. 

Retamales  Pablo,  c. 

Rangino,  c. 

Reyes  Diego,  c. 

Redondela  Francisco  de 

Reguera  Alonso  de  la,  c. 

Retes  Gonzalo,  n. 

Remo  Juan,  c. 

Reina,  c. 

Ribadeo,  c. 

Rieros  Alonso,  a. 

Rio  Alonso  del,  n. 

Rio  Antonio,  c. 

Rio  Juan  del,  c. 

Rio  Pedro  del,  c. 

Rico  Valiente  Juan,  c. 

Rico  de  Alaniz  Juan,  c. 

Rico  de  Alaniz  Juan,  c. 

Rivera  Juan  de,  c. 

Rivera  Diego,  c. 

Rivera  Juan  Martin  de,  c. 

Rivas  Gregorio  de,  c. 

Rijoles  Tomas,  c. 

Robles  Hernando,  s. 

Robles  Juan,  n. 

Robles  Pedro,  N. 

Rodas  Antonio  de,  n. 

Rodas  Nicolas  de,  n. 

Rodas  Pedro,  n. 

Rodriguez  Magarino  Francisco 
c. 

Rodriguez  Gonzalo,  c. 

Rodriguez  Sébastian,  c. 

Rodriguez  Alonso,  c. 

Rodriguez  Alonso,  n. 

Rodriguez  Alonso,  marié,  c. 

Rodriguez  Alonso,  c. 

Rodriguez  de  Villafuerte  Juan,c. 

Rodriguez  Rejarano  Juan,  c. 

Rodriguez  Francisco,  n. 

Rodriguez  Francisco,  c. 

Rodriguez  Francisco,  g. 

Rodriguez  Gines,  g. 

Rodriguez  Cano  Gonzalo,  n. 

Rodriguez  delà  Magdalena Gon- 
zalo, c. 

Rodriguez  Gonzalo,  s. 

Rodriguez  Hernando,  c. 

Rodriguez  Juan,  n. 

Rodriguez  Juan,  a. 

Rodriguez  Dpnaire  Juan,  c. 

Rodriguez  Escobar,  c. 

Rodriguez  Cristôbal,  c 


890 


LISTE  DE  CONQUISTADORES 


Rodriguez  Francisco,  p. 
Rodeta  Francisco  Santosde  la.  n. 
Rojas  Antonio,  c. 
Rojas   Diego,   alferez    de    Nar- 

vaez,   n. 
Rojas  Andres,  c. 
Romo  Juan,  n. 
Roman  Rartolomé.  p. 
Roman  Rodrigo,  c. 
Romano  Pedro,  c. 
Romero  Alonso,  c. 
Romero  Rartolomé.  c. 
Romero  Pedro,  c. 
Romero,  N. 
Ronda  Anton  de,  N. 
Rosas  Andres,  c. 
Rosas  Juan,  el  cazador,  n. 
Ruano  Juan,  c. 
Ruiz  Alonso,  de  Radajoz.  c. 
Ruiz  Gil  Alonso.  s. 
Ruiz  de  Guevara  Juan,  prêtre,  n. 
Ruiz  Marcos,  de  Sevilla.c. 
Ruiz  da  la  Mo  ta  Gerônimo,  N. 
Ruiz  de  Alaniz  Juan.  n. 
Ruiz  Juan,  de  Salamanca,  ca. 
Ruiz  Marcos,  de  Moguer.  a. 
Ruiz  tle  Monjaraz  Pedro,  g. 
Ruiz  Requena  Pedro,  c. 
Ruiz  Pedro,  c. 
Ruiz  Cristôbal,  c. 
Rustifian  Juan  de,  p. 
Saavedra  Pedro,  c. 
Saavedra  Ceron  Andres,  c. 
Salamanca  Alonso,  c. 
Salamanca  Juan,  n. 
Salamanca  Diego,  barbier,  n. 
Salamanca  Gaspar,  n. 
Salamanca  Miguel,  de  n. 
Salas  Rartolomé. 
Salazar  Juan,  page  de  Cories. 
Salazar  Hernando,  a. 
Salazar  Rodrigo  de,  c. 
Saldana  Alonso.  n. 
Saldana  Pedro  de  n. 
Salderan  Gomez  de,  N. 
Salcedo  Francisco,  c. 
Salcedo  Diego,  n. 
Salcedo  Juan,  N. 
Salces  Bartolomé,  s. 
Salvatierra  Alonso,  a. 
Salvatierra  Francisco,  c. 
Salvatierra  Pedro,  c. 
Salvatierra  Rodrigo  de.  s. 
Salinas  Gerônimo,  n. 
Salinas  Garcia,  c. 
Sandoval  Gonzalo  de,  c. 
Sandoval  Alvaro,  n. 
Sagredo. 
Sancho,  n. 
Sanchez  Gonzalo. 
Sanchez  Fartan  Pedro,  mari  de 

Maria  Fstrada,  n. 
Sanchez  Antonio,  s. 
Sanchez  Bartolomé,  c. 
Sanchez  Benito,  c. 
Sanchez  Diego,  n. 
Sanchez  dé  Ortega  Diego,  n. 
Sanchez  Fstéban,  c. 
Sanrhe/.  Francisco,  n. 
Sanchez  Ortigosa  Hernan,  n. 
Sanchez  (larcia.de  Fregenal,  c. 
Sanchez  Gaspar,  nr. 
Sanchez  I  raspar,A. 
Sanchez  Colm«nares Gil,  c. 
Sanchez  Gonzalo,  c. 
Sanchez  Gonzalo,  ca. 
Sanchez  Juan, c. 
Sanchez  Luis,  c. 
Sanchez  Agraz  Lorenzo,  ca. 
Sanchez  Martin,  s. 


Sanchez  Léon,  de  Tregenas,  n. 
Sanchez  Garzon  Miguel,  n. 
Sanchez  Cristôbal,  n. 
Santa  Clara  Bernardino  de,  n. 
Santiesteban  Pedro,  c. 
San  Juan,  le  poseur,  c. 
San  Juan,  de  Vichila,  c. 
Santiago  Bernardino  de,  g. 
Santa  Cruz  Burgales,  c. 
Santos  Francisco. 
Santa  Ana  Anton. 
Santiago  Diego,  c. 
San  Pedro  Diego,  c. 
Santa  Cruz  Diego,  <■. 
Santa  Cruz  Francisco,  n. 
San  Lucas  Gaspar  de,  c. 
Santa  Maria  Gerônimo  de,  p. 
Santiago  Gregorio  de,  c. 
San  Sébastian  Juan  de  c. 
Santa  Ana  Juan,  c. 
San  Miguel  Melchor,  c. 
Santo  Domingo  Miguel  de,  n. 
Santiago,  Basque,  n. 
Santaren  Jorge,  n. 
Sancedo  Francisco  de. 
Sébastian,  n. 
Sedefio  Juan,  c. 
Sedeno  Goltero  Juan,  a. 
Sedefio  Juan  de  Segura,  c. 
Segura    Rodrigo.   Il    mourut    à 

Puebla  à  l'âge  de  no  ans,  c. 
Sepûlveda  Pedro,  n. 
Sema  Alonso  de  la,  c. 
Serrano  de  Cardona  Antonio,  c. 
Serrano  Pedro,  c. 
Siciliano  Juan,  c. 
Sifontes  Francisco  de,  c. 
Solis  Diego,  c. 
Solis  Francisco,  c. 
Solis  Francisco,  c. 
Solis  Barraza  Pedro,  c. 
Solis  Pedro  tras  de  la  puerla. 
Solis  de  la  guerre,  c. 
Solis  le  Vieux,  c. 
Solis  Casquete,  c. 
Sobino  Gonzalo,  s. 
Sopuerta  Diego  Sanchez  de.  c. 
Soto  Cristôbal,  n. 
Soto  Sébastian  de,  n. 
Soto  Pedro  de,  c. 
Soto  Diego,  c. 
Sotelo  Antonio,  c. 
Suegra  Juan  de,  c. 
Suarez  Diego,  c. 
Suarez  Lorenzo,  c. 
Suarez  Mendo,  n. 
Taborda  Diego  de,  c. 
Tablada  Hernando,  n. 
Talavera  Alonso  de. 
Talavera  Juan  de,  a. 
Talavera  Pedro,  \. 
Tapia  Andres  de,  c. 
Tapi  a  Pedro  de. 
Tapia,  tambour  de  Navaez. 
Tapia  Hernando,  n. 
Tapia  Luis,  N, 
Tarifa  Hernando,  c. 
Tarifa  Gaspar,  <:, 
Tarifa  Francisco,  n. 
Tavira  Andres  de,  n. 
Tavira  Bartolomé.  c. 
Tejada  Alonso  de.  N. 
Terrazas  Francisco  de.  c. 
Terrazas  de  Mayorga,  N. 
Terraeta  Anton,  n. 
Telle/.  Francisco,  <•.. 
Tirado  Juan,  c. 
Tirado  Juan,  s. 
Tirado  Julian,  n. 
Tobar  Juan.  s. 


Tobar  Martin,  c. 

Tobar  el  comendador,  N. 

Toledo  Alonso  de,  s. 

Torre  Alonso  de  la,  c, 

Torre  Juan,  c. 

Torces  Alonso,  c. 

Terres  de  Côrdoba  Juan- 

Torres  Diego,  c. 

Torres  Hernando.  c. 

Torres  Juan,  c. 

Torres  Juan,  c, 

Torres  Juan, c. 

Thomas,  s. 

Torrecicas,  c. 

Tostado  Juan,  n-. 

Tostado  Miguel,  c. 

Tostado  Pedro,  n. 

Toro  Juan  de,  c. 

Tovilla  Andres  de  la,  n. 

Trejo  Alonso  Martin  de.  c. 

Trejo  Rafaël  de,  c. 

Trevejo,  c, 

Trujillo  Rodrigo  de,  n. 

Trujillo  Pedro,  s. 

Trujillo  Hernando,  N. 

Trujillo  Alonso,  a. 

Trujillo  Andres,  s. 

Trujillo,  de  Léon. 

Umbria  Gonzalo  de.  <:. 

Utrera  Alonso  de,  n. 

Utrera  Pedro  de,  c. 

Ubidez  Pedro  de,  a. 

Urbeta  Pedro  de,  c. 

Usagre  Bartolomé,  < . 

Usagre  Diego,  ca. 

Vazquez  de  Tapia  Bernardino, c. 

Vazquez  Alonso,  c. 

Vazquez  Martin,  c. 

Vasquez  Francisco,  c. 

Vazquez  de  Montercy  Gonzalo, n. 

Vazquez  Juan,  n. 

Vasquez  Martin,  c. 

Varillas  Fr.  Juan,  c. 

Varela  Valladolid  Juan.  c. 

Valladolid,  c. 

Vargas  Alonso,  s. 

Vargas  Francisco,  c. 

Vargas  Hernando.  c. 

Valdes  Luis,  n. 

Valle  Juan  del,  c. 

Vadillo  Rodrigo  de,  n. 

Vanegas  Cristôbal,  n. 

Vallecillo  Capitan,  c. 

Vandadas,  deux  frères,  c. 

Valenciano  Pedro,  n. 

Valencia  Pe:ln,  c. 

Vallejo  Pedro  de.  c. 

Valdinebro  Diego,  c. 

Vaena,  c. 

Valiente    Alonso,  secrétaire    de 
Cortés,  n. 

Valiente  Andres,  c. 

Valverde  Francisco,  n. 

Valdivieso  Juan,  c. 

Valdovinos  Cristôbal.  c. 

Valdovinos  Juan,  n. 

Velazquez  de  Léon  Juan.  c. 

Velazquez  Luis,  a. 

Velazquez  Diego,  n. 

Velazquez  Francisco,  le  bossu,  i  , 

Velazquez  Alonso  Martin,  c. 

Velazquez  de  Lara  Francisco,  n. 

Velazquez  Mudarra,  n. 

Velazquez  de  Valhuerla.   \. 

Vello  Juan,  c, 

Vellido  Juan.  N. 

Verdugo  Francisco,  t. 

Vergara  Alonso  de,  n. 

Vergara  Juan,  p. 

Vergara  Martin,  N. 


DE  LA  NOUVEL-LE-ESPAGNIO. 


89! 


Veger  Benito,  c. 
Velasco  Melchor,  c' 
Velasco  Pedro  de,  ca. 
Veintemilla  Mateo  de,  c. 
Veintemilla  Antonio,  g. 
Veintemilla  Sébastian,  N.  _ 
Vega  Francisco,  apothicaire,  c. 
Vera  Juan  de,  n. 
Vera  Miguel  de,  c. 
Vera  Vasco  de,  c. 
Veadatal  Francisco  Martin  do,  c. 
Veraza  Miguel,  c. 
Vêlez  Juan,  c. 
Villandrando  Rodrigo,  n. 
Villasinda  Rodrigo  de,  p. 
Villalobos  Gregorio,  <:. 
Villalobos  Pedro,  c. 
Villacorta  Juan  de,  g. 
Villacorta  Melchor,  c. 
Villafeliz  Leonardo,  n. 
Villadiego,  c. 
Villagran,  n. 
Villasanta  Miguel  de,  n. 
Villareal  Antonio  de. 
Villanueva  Bartolomé,  c. 


Villanueva  Bernardine,  c. 
Villanueva  Alonso  Hernando,  c 
Villanueva  Alonso,  c. 
Villanueva  Pedro,  s. 
Villaroel  Antonio  de,  c. 
Villafûente  Juan  de,  n. 
Villafana  Antonio,  c. 
Victoria  Alonso  de,  n. 
Victoria  Gristôbal  de,  n. 
Vizcaino  Pedro,  c. 
Volante  Juan,  n. 
Xanuto  Bartolomé,  c. 
Xiuja  Pedro,  c. 
Yafiez  Alonso,  c. 
Yanez  Alonso,  c. 
Yuste  Juan,  n. 
Yerraeta  Antonio,  c. 
Zafra  Oistôbal  Martin,  c. 
Zambrano  Alonso,  p. 
Zamora  Alonso,  c. 
Zamora  Diego,  n. 
Zamora  Alvaro,  interprète,  n. 
Zamora  Francisco,  n. 
Zamora  Nicolas,  c. 
Zamorano  Pedro,  a. 


Zamudio  Juan,  c. 
Zamudio  Juan,  n. 
Zavallos  Francisco,  c. 
Zanabria  Diego,  c. 
Zârate  Bartolomé,  n. 
Zaragoza  Miguel  de,  n. 
Zentino,  c. 
Zuazo  Alonso  de,  c. 


li-'  Marina,  la  Malinche. 
Estrada  Maria  de,  n. 
Bermudez  de  Velasco  Beati 
Hernandez  Beatriz,  c. 
Vera  Maria  de,  c. 
Hernandez  Klvira,  c. 
Rodrigo  Isabel,  c. 
Hernandez  Beatriz,  fille  d' 

ra,  c. 
Marquez  Catalina,  c. 
Ordas  Beatriz,  c. 
Ordaz  Francisca,  c. 
Palacios  Beatriz.  mulâtres 
Juana  Martin. 


17.  *. 


se,  n 


La  liste  qui  précède  a  été  formée  d  après  le  Diccionario  de  hisloria  y  de 
geografia  (article  conquistadores).  Elle  nous  permet  de  faire  quelques  ré- 
flexions au  sujet  des  noms  de  personnes  de  la  chronique  de  B.  Diaz.  Il  est 
souvent  très-difficile  d'y  deviner  si  ces  personnes  possèdent  un  double  nom 
patronymique  ou  si  le  second  ne  fait  que  désigner  le  lieu  de  naissance.  Ainsi 
nous  y  voyons  un  personnage  désigné  par  :  «  Santa-Cruz  Burgales.  »  M.  Ve- 
dia,  éditeur  de  B.  Diaz  dans  la  collection  de  Rivadeneyra,  a  corrigé  les  pre- 
mières éditions  en  écrivant  :  Santa-Cruz,  burgales;  ce  qui  se  traduit  par: 
Santa-Cruz,  de  Burgos.  Je  n'oserais  affirmer  que  la  correction  soit  juste  ; 
M.  Orozco  n'a  pas  cru  devoir  l'adopter  dans  la  liste  qui  précède. 

D'autres  noms  m'ont  mis  dans  des  doutes  analogues,  et  l'on  pourra  voir 
que  je  les  ai  résolus  différemment  dans  mes  deux  éditions.  Je  ne  donne  pas 
à  cette  difficulté  plus  d'importance  qu'elle  n'en  mérite  ;  mais  je  crois  devoir 
la  mentionner,  car  je  tiens  à  prouver  que  j'ai  fait  tous  les  efforts  possibles 
pour  rendre,  sous  tous  les  rapports,  ma  seconde  édition  irréprochable.  Un 
nom,  dans  cette  liste,  me  paraît  mériter  une  attention  spéciale  :  «Aruega»., 
C'est  un  artilleur.  Bernai  Diaz  l'appelle  «  el  Siciliano  Aruega  »  à  la  fin  de 
son  livre,  tandis  qu'il  figure  dans  le  commencement  sous  le  nom  d\ir- 
benga,  levanlisco1.  J'ai  cru  devoir  laisser  subsister  cette  faute,  parce  que  je 
ne  suis  pas  absolument  certain  que  c'en  soit  une,  quoique  je  ne  croie  pas 
qu'il  ait  existé  deux  artilleurs  de  ces  deux  noms  dans  l'armée  de  Cortès. 

On  lira  également  dans  cette  liste  :  «  Fuenterrabia  Juanes  de.  »  B.  Diaz 
a  écrit  :  Juanes  de  Fuenterrabia.  J'ai  traduit  par  Juanes  de  Fontarabie,  con- 
trairement à  l'opinion  de  M.  Orozco  qui  n'a  pas  cru —  peut-être  avec  rai- 
son —  devoir  corriger  l'auteur  de  la  chronique. 


t.  J'avais  d'abord  pensé  que  cette  qualification  de  levanlisco,  «  Levantin,  »  était  employée  par 
B.  Diaz  pour  désigner  des  riverains  de  la  partie  la  plus  orientale  de  la  Méditerranée  espagnole,  au 
sud-'eât  du  pays.  Mais  je  vois  par  le  Levantin  Aruega,  qui  parait  avoir  été  Sicilien,  que  ce  mot 
désigne  des  Orientaux  étrangers  à  ce  pays. 


CONSIDERATIONS  MEDICALES 


SUR  LA  CAMPAGNE  DE  FERNAND  CORTÈS 


Il  n'est  pas  sans  intérêt  de  faire  observer,  à  propos  de  cette  conquête,  que 
les  Européens,  en  arrivant  dans  le  Nouveau  Monde,  y  vont  apporter  des 
aptitudes  particulières  pour  contracter  certaines  maladies  à  un  degré  in- 
connu parmi  les  indigènes,  tandis  que  ceux-ci  se  verront  eux-mêmes  vic- 
times d'affections  non  observées  jusqu'alors  dans  leur  propre  pays.  De  cet 
amalgame  va  résulter  sans  doute  une  série  ignorée  jusque  là  de  nouveaux 
malheurs,  d'autant  plus  digne  du  reste  d'attirer  nos  regards  que  ce  métis- 
sage d'un  autre  genre  se  perpétuera  dans  l'avenir  jusqu'à  nous  rendre  té- 
moins nous-mêmes,  de  nos  jours,  et  peut-être  victimes  de  ces  entités  nou- 
velles résultant  de  l'échange  entre  le  Monde  Ancien  et  l'Amérique.  C'est 
ainsi  que  nous  avons  vu  un  nègre,  amené  par  Narvaez,  communiquer  la 
variole  aux  Indiens,  en  1520-,  et  remarquez  que  les  tempéraments  des  hom- 
mes d'Amérique  s'en  montrent  tellement  avides  qu'ils  s'emparent  du  mal 
d'une  manière  à  peu  près  exclusive;  car,  dès  lors  qu'ils  en  sont  atteints,  ce 
mal  se  répand  parmi  eux  avec  une  rapidité  sans  égale  et  envahit  le  pays  en- 
.tier  en  quelques  jours  en  dédaignant  absolument  pour  longtemps  les  sujets 
espagnols  devenus  indignes  de  ses  prédilections.  Cette  immunité  des  pre- 
miers temps  est  attestée  par  trop  d'historiens  sérieux  pour  qu'il  soit  possible 
d'avoir  des  doutes  à  cet  égard.  Nous  avons  d'abord  en  sa  faveur  le  silence 
de  B.  Diaz  qui  n'eût  certainement  pas  manqué  de  nous  parler  des  effets  du 
mal  parmi  ses  compagnons  d'armes  si,  en  réalité,  il  y  eût  eu  des  victimes, 
llerrera  l'affirme  dans  divers  passages  de  son  histoire  et  Juan  de  Torque- 
mada  émet  la  même  conviction1. 

1.  «  Plusieurs  auteurs,  dit  Herrera,  ont  assuré  que  le  mal  provint  de  Castille  et 
qu'il  se  communiqua  aux  indigènes  au  moyen  de  leur  trafic  et  de  leurs  entretiens  avec 
les  Castillans.  Mais  d'autres,  qui  prirent  à  tâche  de  bien  s'informer  du  passé  de  ce 
pays,  assurèrent  que  la  maladie  ne  vint  pas  d'Espagne,  mais  qu'elle  régnait  naturel- 
lement parmi  ces  Indiens  et  qu'elle  s'y  développait  de  temps  en  temps,  de  même  que 
dans  les  îles  et  d'autres  contrées  de  Terre-Ferme  des  Indes  occidentales.  Il  est  clair, 
en  effet,  que  si  le  mal  fût  venu  de  Castille,  on  l'eût  vu  attaquer  ici  les  Castillans  ;  tan- 
dis que,  ni  alors,  ni  plus  tard,  aucun  d'eux  n'en  a  été  atteint.  Il  y  a  d'ailleurs  dans  les 
Indes  des  maladies  qui  sévissent  sur  les  Castillans  et  nullement  sur  les  Indiens,  tan- 
dis que  d'autres  attaquent  les  Espagnols  nés  dans  ce  pays  en  épargnant  les  gens  ar- 
rivés de  Castille  aussi  bien  que  les  indigènes....  »  (llerrera,  décade  II.  liv.  III,  ch.  xiv, 


CONSIDERATIONS  MÉDICALES.  893 

Ce  n'est  pas  dire  que  cette  préservation  se  soit  continuée  jusqu'à  nos 
jours-,  il  est  au  contraire  très-certain  que  les  Européens  sont  actuellement 
atteints,  en  Amérique,  presque  à  l'égal  des  indigènes  sinon  autant  qu'eux- 
mêmes.  Mais,  dans  les  premières  années  de  l'invasion  du  mal,  le  nombre 
considérable  d'Indiens  qui  peuplaient  alors  le  pays  et  leurs  aptitudes  spé- 
ciales à  contracter  la  maladie  eurent  pour  effet  de  l'accaparer  d'une  ma- 
nière exclusive  pour  leur  race,  et  s'ils  ne  gardèrent  pas  pour  toujours  le 
privilège  d'en  assurer  la  durée,  ce  n'en  est  pas  moins  une  chose  remar- 
quable que  la  contagion  ait  ainsi  manifesté,  pendant  un  certain  temps,  ses 
prédilections  marquées  pour  les  habitants  de  l'Amérique  à  côté  d'un  dédain 
bien  reconnu  pour  les  étrangers  qui  l'avaient  importée. 

L'occasion  nouvelle  de  réflexion  que  nous  puisons  dans  le  début  même 
du  récit  de  Bernai  Diaz,  c'est  que  l'expédition  de  Cortès,  ainsi  que  celle  de 
Grijalva  qui  l'avait  précédée,  ne  fut  nullement  victime,  sur  la  plage  de  sable 
d'Uloa,  des  émanations  qui  n'existaient  pas  alors  et  qui  se  dévoilèrent  un 
siècle  plus  tard  par  les  symptômes  de  la  fièvre  jaune.  A  en  juger  par  ce  qui 
arrive  sujourd'hui,  la  présence  des  Espagnols  n'était  pas  cependant  indis- 
pensable pour  que  ce  désolant  fléau  des  côtes  du  golfe  se  développât.  Il  est 
vrai  que  pour  être  atteint  il  faut  que  l'on  soit  originaire  d'un  pays  étranger 
à  ces  localités  ;  mais  l'expérience  nous  a  appris  que  les  naturels  eux-mêmes 
n'en  sont  pas  exempts  pourvu  qu'ils  soient  nés  sur  les  hauteurs  de  l'inté- 
rieur du  pays.  Ils  auraient  donc  pu,  à  l'époque  de  la  conquête  comme  au- 
jourd'hui, être  victimes  de  cette  maladie  en  voyageant  sur  les  côtes.  Le  mal 
est  d'ailleurs  si  bien  et  si  sensiblement  caractérisé  par  les  deux  signes  aux- 
quels il  a  dû  ses  noms  modernes,  qu'il  n'aurait  pu  échapper  à  l'attention 
des  observateurs,  fussent-ils  des  plus  vulgaires.  Le  silence  des  consquista- 
dores  et  le  défaut  de  tout  renseignement  des  indigènes  à  ce  sujet  mettent 
donc  hors  de  doute  la  non-existence  de  cette  maladie  jusqu'à  l'époque  bien 
postérieure  où  elle  appela  l'attention  pour  la  première  fois.  C'est  par  con- 
séquent un  mal  de  création  moderne  et  il  est  naturel  de  l'inscrire,  quoi 
qu'on  dise,  dans  la  catégorie  d'affections  que  des  causes  inconnues  ou  une 
réunion  d'hommes  nouveaux  et  dépaysés  font  naître  tout  à  coup,  sans 
qu'aucun  lien  de" filiation  les  rattache  à  quelques  accidents  identiques  ayant 
déjà  existé  en  d'autres  lieux. 

Le  récit  de  Bernai  Diaz  nous  permet  de  juger  que  la  côte  du  golfe  pro- 
duisait alors  sur  ses  habitants,  surtout  s'ils  étaient  étrangers,  ce  que  nous 
voyons  de  nos  jours  être  la  conséquence  de  l'habitation  d'un  pays  chaud  à 
sol  humide,  marécageux  ou  fortement  boisé.  Plusieurs  hommes  de  l'expédi- 
tion, Cortès  lui-même  et  le  Père  Olmedo  y  furent  atteints  de  fièvres  inter- 
mittentes dont  les  suites  se  firent  encore  sentir  pendant  le  séjour  à  Tlas- 
cala.  Mais  les  effets  de  ces  localités  devinrent  plus  notables  chez  les  hommes 
qui  firent  sur  les  bords  du  golfe  un  séjour  plus  prolongé  et  qui  parvinrent 
plus  tard  au  campement  de  Cortès  «  maigres,  jaunes  et  enflés  du  ventre  », 
pour  employer  les  expressions  mêmes  de  notre  auteur.  Selon  toute  probabi- 
lité, ces  malades  atteints  d'impaludisme  étaient  affligés  d'accès  intermit- 

p.  82.)  Voyez  encore  le  même  auteur;  décade  I,  liv.  I,  ch.  V.  et  décade  II,  liv.  X, 
ch.  iv.  Juan  de  Torqucniada  dit  aussi  :  «  Comme  les  Indiens  alliés  virent  avec  admi- 
ration que  le  mal  (variole)  épargnait  les  Castillans,  ils  crurent  qu'ils  étaient  préser- 
vés et  protégés  par  quelque  grande  divinité.  »  {Monarquia  indiana,  lib.  IV,  c.  lxxxi.) 


894  CONSIDÉRATIONS  MÉDICALES 

tents  avec  complication  d'hypertrophie  du  foie  et  de  la  rate,  comme  le  se- 
raient de  nos  jours  ceux  qui  s'aventureraient  sur  ces  localités  dans  des  con- 
ditions analogues. 

Le  passage  des  compagnons  d'armes  de  Cortès  sur  les  parties  basses  du 
pied  de  la  Cordillère  n'exerça  donc  sur  eux  aucune  influence  insolite  à  la- 
quelle ils  n'eussent  été  initiés  par  leur  long  séjour  dans  l'île  de  Cuba.  L'as- 
pect de  la  végétation,  la  température  élevée,  l'humidité  atmosphérique, 
tout,  en  un  mot,  dut  concourir  à  leur  donner  les  illusions  d'une  contrée 
absolument  semblable  à  celle  d'où  s'effectua  leur  départ.  Ce  fut  dans  cette 
croyance  qu'ils    s'aventurèrent  vers  les   hauteurs  du   plateau  en  s'enga- 
geant  dans  le  passage   qui  aboutit  au   pied  de  la  montagne  à  laquelle  on 
donne  de  nos  jours  le  nom  de  Coffre  de  Perote.  Ils  arrivèrent  ainsi  à  l'alti- 
tude de  deux  mille  trois  cents  mètres,  à  propos  de  laquelle  B.  Diaz  nous  a 
dit  :  «  Il  venait  de  la  Sierra  Nevada  un  vent  glacial  qui  nous  faisait  grelot- 
ter.... et  comme  nous  n'avions  que  nos  armes  pour  nous  couvrir,  nous 
sentîmes  un  froid  extrême.  »  Ce  dut  être  en  effet  un  phénomène  étrange 
pour  ces  hommes  que  l'étude  des  choses  naturelles  et  la  connaissance  des 
lieux  n'avaient  nullement  préparés  à  un   changement  si  radical  dans  les 
conditions  atmosphériques.   Mais  ce  que  Bernai  Diaz  n'avoue  que  d'une 
manière  inconsciente,  c'est  l'action  débilitante  que  les  conquistadores  ne 
purent  manquer  de  ressentir  en  débutant  sur  ces  hauteurs.  Quelque  favo- 
risé que  l'on  soit,  en  effet,  d'un  tempérament  exceptionnel,  personne  ne 
saurait  échapper  d'une  manière  absolue  à  cette  action  déprimante  des  at- 
mosphères raréfiées,  du  moins  pour  les  moments  qui  suivent  immédiatement 
l'ascension.  Aussi  devons-nous  être  pleins  d'admiration  pour  cette  poignée 
d'hommes  qui,  mis  aussitôt  en  présence  de  troupes  innombrables,  aguer- 
ries et  déterminées,  n'écoutent  que  leur  courage  et,  s'animant  parle  senti- 
ment du  danger,  puisent  dans  leur  résolution  héroïque  les  forces  que  le  cli- 
mat paraissait  devoir  leur  refuser. 

Mais  voyez  l'aveu  sincère  que  notre  auteur  ne  peut  s'empêcher  de  faire 
au  souvenir  de  ces  terribles  journées  :  «  Nos  chevaux  suivirent   l'ennemi 
peu  de  temps,  tant  la  fatigue  était  grande....  Nous  n'eûmes  pas  la  pensée 
de  les  poursuivre,  car  nous  étions  si  fatigués  que  nous  rie  pouvions  plus 
nous  tenir  debout  »  (cl),  lxiii  et  lxiv).  Quelles  que  soient  h  l'avenir  les  dures 
épreuves  que  les  conquistadores  se  verront  obligés  de  traverser,  jamais 
plus  notre  chroniqueur  ne  nous  parlera  d'un  pareil  abattement  physique. 
C'est  qu'en  réalité  ils  paraissent  ne  l'avoir  ressenti  qu'au  début  de  leur  cam- 
pagne sur  le  plateau.  Plus  tard,  en  effet,  le  sentiment  du  danger,  l'habi- 
tude de  la  fatigue,  l'entraînement  et  l'émulation  produisent  chez  ces  hom- 
mes, déjà  fortement  trempés  par  des  qualités  de  race,  une  vigueur  et  une 
constance  dans  la  lutte,  telles  qu'on  n'en  avait  peut-être  pas  vu  d'exempl<' 
à  aucune  époque  de  l'histoire.  Cela  ne  veut  pas  dire  qu'ils  ne  cédèrent  ja- 
mais aux  influences  climatériqucs  ;  Bernai  Diaz,  au  contraire,  parle  de  quel- 
ques victimes,  et  il  n'est  pas  sans  intérêt  pour  nous  de  nous  arrêter  à  des 
considérations  sur  les  causes  de  leur  mort  -,  car  on  en  peut  retirer  la  con- 
viction que,  dès  les  premiers  temps  de  leur  séjour  sur  le  plateau,  les  Es- 
pagnols virent  se  développer  parmi  eux  les  maladies  dont  ils  sont  encore 
de  nos  jours  le  plus  fréquemment  et  le  plus  dangereusement  atteints.  H 
serait  sans  doute  téméraire  de   dire  si  les  affections  dont  ils  souffrirent 
alors  et  auxquelles  ils  succombent  encore  de  nos  jours  attaquaient  égale- 


SUR  LA  CAMPAGNE  DE  FEHNAND  CORTBS.  895 

ment  les  indigènes  ayant  l'époque  de  la  conquête,  ou  si  les  tempéraments 
européens  s'y  trouvèrent  plus  spécialement  prédisposés  sous  l'influence  du 
climat-,  mais  il  y  a  des  raisons  de  croire  que  les  grandes  épidémies  ont 
changé  de  caractère  et  diminué  de  gravité  sur  le  plateau  depuis  que  la 
race  dominante  ne  représente  plus  en  majorité  l'élément  indien  sans  aucun 
mélange  de  sang  européen.  A  l'époque  de  la  conquête,  on  conservait  le  sou- 
venir d'épidémies  meurtrières  qui  marquaient  par  des  taches  lugubres  cer- 
taines époques  du  passé  de  ces  contrées.  La  campagne  de  Cortës  se  pour- 
suivit au  milieu  des  désastres  causés  par  l'épidémie  de  variole  de  Panhée 
1520.  Vingt-cinq  ans  plus  tard,  en  1545,  et  trente  et  un  ans  après,  eu 
1576,  le  Père  Sahagun  fut  témoin  de  deux  épidémies,  de  nature  probable- 
ment identique,  qui  firent  des  ravages  incalculables  parmi  les  Indiens.  Le 
moine  Juan  de  Torquemada,  qui  assista  également  à  ces  désastres,  a  écrit 
que  la  première  causa  la  mort  de  huit  cent  mille  indigènes  et  que  la  seconde 
fit  deux  millions  de  victimes.  Sahagun,  qui  ne  s'est  pas  aventuré  jusqu'à 
donner  le  chiffre  total  des  décès,  n'en  écrivait  pas  moins  ce  qui  suit  pendant 
que  le  plus  déplorable  de  ces  deux  lléaux  régnait  encore  :  «  ....  En  1545,  se 
présenta  une  autre  épidémie  de  laquelle  les  indigènes  sortirent  fort  dimi- 
nués. Grand  nombre  de  villages  restèrent  déserts  et  ils  ne  se  sont  plus  re- 
peuplés depuis  lors.  Trente  ans  après  arrivait  le  fléau  qui  règne  actuelle- 
ment. Beaucoup  d'endroits  ont  déjà  été  dévastés  ;  le  mal  augmente  chaque 
jour,  etl'on  peut  croire  que,  s'il  dure  trois  ou  quatre  mois  encore,  il  ne  res- 
tera plus  personne...  » 

Ces  cruels  ravages  sévissaient  presque  exclusivement  sur  les  Indiens; 
mais  on  aurait  tort  de  croire  que  les  Espagnols  en  étaient  absolument  pré- 
servés, car  le  Père  Sahagun  nous  a  dit  :  «  Je  me  trouvais  à  Mexico  pendant 
cetle  épidémie  (1545).  J'enterrai  plus  de  dix  mille  morts,  et,  vers  la  fin  du 
fléau,  j'en  fus  moi-même  atteint,  et  je  me  vis  à  toute  extrémité.  »  Il  nous 
parle  de  plusieurs  moines  malades,  et  Juan  de  Torquemada  signale  éga- 
lement quelques  victimes  parmi  ses  coreligionnaires.  Malgré  ces  accidents, 
on  peut  considérer  comme  certain  que  les  indigènes  servirent  presque  ex- 
clusivement d'aliment  à  cette  cruelle  dévastation1. 


1.  Il  me  paraît  intéressant  de  transcrire  in  extenso  le  passage  de  Torquemada 
qui  traite  de  ce  sujet.  Le  voici  : 

«  L'année  1545,  il  y  eut  une  très  grande  peste  qui  sévit  contre  les  Indiens.  Elle  dura 
six  mois  pendant  lesquels  la  mortalité  fut  si  grande  qu'elle  ruina  et  dépeupla  la  plus 
grande  partie  du  pays,  ce  qui  commença  la  décadence  et  la  dépopulation  de  ce 
royaume.  »  (Torquemada,  liv.  V,  eh.  xm.)  «  En  l'année  1576,  il  s'établit  parmi  les  In- 
diens une  peste  qui  dura  plus  d'un  an.  Elle  fut  si  considérable  qu'elle  ruina  et  détruisit 
presque  tout  le  pays;  la  partie  des  Indes  que  nous  appelons  la  Nouvelle-Espagne  en 
lut  presque  complètement  dépeuplée.  C'était  épouvantable  de  voir  la  quantité  de 
inonde  qui  mourait.  11  y  eut  des  maisons  dans  lesquelles  des  malades  s'acheminaient 
à  la  mort  à  côté  des  cadavres  de  ceux  qui  n'étaient  déjà  plus,  tandis  (pic  personne 
ne  conservait  ni  assez  de  santé  ni  assez  de  force  pour  soigner  les  premiers  et  donner  la 
sépulture  aux  autres.  Dans  les  villes  et  dans  les  grands  villages  on  pratiquait  des 
tranchées  profondes  et  du  malin  au  soir  les  religieux  ne  s'occupaient  qu'à  charrier 
des  cadavres  et  à  les  entasser  dans  ces  fosses,  attendant  le  coucher  du  soleil  poul- 
ies couvrir  déterre,  sans  les  entourer  d'aucune  de  ces  cérémonies  dont  <>n  fait  usage 
pour  enterrer  les  défunts;  car  le  nombre  eu  était  si  grand  que  le  temps  aurait  man- 
qué pour  ce  faire.  Pour  tout  dire  en  un  mot,  la  somme  de  morts  lut  si  considérable 
celte  année-là,  que  pour  continuer  à  croire  que  ce  pays  était  bien  le  même  que  celui 
conquis  par  Fernand  Cortès  et  ses  compagnons,  il  fallut  que  ceux  qui  étaient  venus 


896  CONSIDÉRATIONS  MÉDICALES 

Quel  était  ce  mal  meurtrier?  Il  n'est  pas  possible  que  les  détails  exacts 
de  ses  symptômes  n'existent  pas  quelque  part.  On  les  connaîtra  un  jour 
sans  doute,  lorsque  l'on  aura  dépouillé  les  nombreux  manuscrits  et  corres- 
pondances qui  se  rapportent  à  cette  époque.  Jusque-là,  nous  ne  pouvons 
nous  guider  que  sur  des  conjectures.  Et  d'abord,  le  nom  qui  lui  est  resté 
indique  combien  peu  les  Espagnols  s'en  préoccupèrent,  puisque  ce  nom  ap- 
partient à  la  langue  nahuatl  et  ne  correspond  à  aucune  maladie  en  particu- 
lier. L'expression  matlazahuall  qui  désigne,  en  effet,  ces  deux  grandes  épi- 
démies de  154.5  et  1576,  se  compose  du  terme  générique  azahuatl,  qui 
signifie  lèpre,  contagion  ou  maladie  épidémique  en  général,  et  d'un  quali- 
ficatif que  je  ne  me  hasarde  pas  à  traduire,  mais  qui  pourrait  bien  être 
matlactli  (dix)  pour  déterminer  un  mal  qui  décuplait  les  victimes,  ou  peut- 
être  aussi  matlalin  (vert)  pour  désigner  un  aspect  sensible  des  malades  : 
"peste  verte,  comme  on  a  dit  ailleurs  la  peste  noire.  Toujours  est-il  que  ce 
n'est  pas  là  un  nom  de  maladie.  Il  n'a  pas  été  inventé  autrement  que  celui 
de  huezahuatl  (hucy  azahuatl,  grande  peste),  par  lequel  les  Aztèques  dési- 
gnèrent l'épidémie  meurtrière  de  variole  de  1520. 

On  ne  comprend  pas  que  Sahagun,  qui  faillit  lui-même  en  être  victime, 
ne  nous  ait  donné  aucune  description  de  ses  symptômes.  Il  parle,  à  la  vé- 
rité, d'hémorrhagies  nasales  intenses;  il  dit  même  «  qu'il  sortait  par  la  bou- 
che des  hommes  et  des  femmes  indigènes  une  grande  quantité  de  sang, 
comme  si  c'eût  été  de  l'eau...  »  (liv.  VIII,  en.  i,  p.  273).  Si,  du  reste,  on 
parcourt  ses  écrits  à  ce  sujet,  ainsi  que  ceux  des  Pères  Torquemada  et  Gri- 
jalva,  on  voit  que  ces  auteurs,  très-abondants  dans  la  peinture  des  mal- 
heurs de  toute  sorte  résultant  de  ces  épidémies,  ne  parlent  qu'avec  la  plus 
grande  indifférence  des  symptômes  éprouvés  par  les  malades.  On  y  voit  ce- 
pendant désignés  de  la  céphalalgie,  des  vomissements,  des  taches  rouges 
ou  brunissantes  sur  la  peau,  et  surtout  des  hémorrhagies  qui  par  elles- 
mêmes  étaient  un  danger  imminent.  Si  l'on  avait  quelque  tendance  à  voir 
là  les  signes  du  typhus  grave  qui  règne  aujourd'hui  sur  l'Anahuac  (typhus 
exanthématique,  fièvre  pétéchiale),  on  serait  détourné  de  cette  pensée  par 
l'hémorrhagie  abondante,  «  comme  si  c'eût  été  de  l'eau,  »  qui  s'effectuait  par 
la  bouche  des  malades.  On  cesserait  de  le  croire,  surtout,  en  se  souvenant 

peu  de  temps  après  lui  et  qui  survécurent  à  tant  de  malheurs  en  rendissent  témoi- 
gnage après  avoir  vu  le  passé  et  le  présent. 

«De  grands  efforts  furent  faits  tant  par  le  vice-roi  que  par  l'archevêque  de  Mexico 
don  Pedro  Moia  de  Contreras.  Tous  les  ecclésiastiques,  du  reste,  chacun  dans  la 
sphère  de  son  administration,  prodiguaient  leurs  soins  incessants,  aussi  bien  dans 
l'intérêt  spirituel  que  pour  les  besoins  matériels.  Mais  tout  ce  qu'on  put  faire  n'em- 
pêcha pas  que  la  mortalité  s'étendît  à  près  d'une  année  et  demie  de  durée,  en  faisant 
un  nombre  extraordinaire  de  victimes.  Le  fléau  ayant  enfin  cessé,  le  vice-roi  don 
Martin  Enriquez  voulut  savoir  combien  il  avait  péri  de  monde  dans  la  Nouvelle-Es- 
pagne. On  prit  en  conséquence  des  informations  dans  tous  les  villages  et  faubourgs 
et  on  trouva  que  les  morts  s'étaient  élevés  à  plus  de  deux  millions,  chose  qui  paraît 
incroyable  et  par  laquelle  on  vit  que  la  mortalité  présente  avait  dépassé  celle  de  1545 
de  douze  cent  mille  personnes,  puisque  la  peste  de  celte  année-là  ne  lit  (pie  huit  cent 
mille  victimes.  Tout  cela  fait  bien  comprendre  la  quantité  considérable  d'habitants 
qu'il  y  avait  dans  le  pays  avant  que  la  mort  y  eût  fait  tant  de  ravages,  et  à  quel 
point  il  eût  été  impossible,  si  Dieu  ne  l'eût  ainsi  décrété,  que  les  premiers  Espagnols, 
avec  le  marquis  dcl  Valle,  en  eussent  fait  la  conquête,  car  il  eût  suffi  aux  Indiens  de 
les  attaquer  en  lançant  sur  eux  des  poignées  de  terre,  pour  les  ensevelir  et  couvrir 
leurs  restes  de  monticules  élevés.  »  (Torquemada,  liv.  Y.  ch.  xxn.) 


SUK  LA  CAMPAGNE  DE  FEKNAND  COUTES.  897 

que  ces  épidémies  des  temps  passés  envahirent  le  pays  entier,  tandis  que  le 
typhus  Ici  que  nous  le  connaissons  n'a  nulle  tendance  à  gagner  les  côtes  et 
à  descendre  aux  niveaux  qui  sont  le  domaine  de  la  fièvre  jaune  ou  vomito 
prieto.  Nous  savons  d'ailleurs  par  B.  Diaz  que,  de  son  temps,  le  vulgaire 
appelait  le  typhus  mal  de  modorra,  et  les  médecins  fièvre  maligne,  ainsi 
que  le  prouve  le  rapport  fait  par  eux  à  propos  de  la  mort  de  Garay1.  Les 
moines  espagnols  s'en  seraient  tenus  à  ces  dénominations  ou  y  auraient  fait 
allusion  si  le  matlazahuatl  avait  été  cette  maladie-là. 

Pour  tous  ces  motifs,  il  ne  serait  pas  déraisonnable  de  croire  que  les  épi- 
démies de  1545  et  1576  furent  causées  par  une  scarlatine  maligne  compli- 
quée de  purpura  hsemorrhagica,  analogue  au  cas  très-saisissant  que  j'ai  dé- 
crit dans  le  tome  II,  page  91,  de  la  première  édition  de  mon  ouvrage  : 
Influence  de  la  pression  de  Vair  sur  la  vie  de  Vkomme  : 

«  En  1869,  j'eus  occasion  de  voir  à  Mexico  un  jeune  homme  de  vingt-cinq 
ans,  M.  de  La  Torre,  natif  de  Veracruz  et  arrivé  depuis  peu  dans  cette  ca- 
pitale. C'était  un  homme  magnifique,  d'une  stature  élégante,  de  forces  mus- 
culaires peu  communes.  Après  deux  jours  de  forte  fièvre  d'incubation  avec 
céphalalgie  intense  et  vomissements  répétés,  des  taches  scarlatineuses  ap- 
parurent d'abord  à  la  face  et  gagnèrent  promptement  tout  le  corps.  Dès  le 
lendemain,  la  tète,  les  pieds  et  les  mains  se  tuméfièrent  de  façon  très-nota- 
ble, et  les  conjonctives  injectées  firent  saillie  sur  la  cornée.  Au  troisième 
jour  de  l'éruption,  la  peau  prit  partout  une  teinte  foncée  et  une  hémorrha- 
gie  nasale  fréquemment  répétée  arriva  à  des  proportions  réellement  inquié- 
tantes. Dès  le  lendemain,  la  transsudation  d'un  sang  aqueux  et  noirâtre  se 
généralisa  à  toutes  les  muqueuses  :  les  gencives  la  fournissaient  d'une  ma- 
nière continue-,  des  selles  liquides  l'amenaient  au  dehors  avec  fréquence 
l'urine  elle-même  en  était  fortement  colorée.  Au  cinquième  jour,  ces  symp- 
tômes alarmants  continuèrent  sans  interruption,  quoi  que  nous  fissions 
pour  y  porter  remède.  Limonade  sulfurique,  chlorure  de  fer,  boissons  gla- 
cées; rien  ne  put  procurer  le  moindre  soulagement,  et  le  malade  s'éteignit 
par  la  perte  du  sang,  à  la  fin  du  septième  jour,  en  conservant  jusqu'au  der- 
nier moment  toute  son  intelligence. 

«  Malgré  l'analogie  que  cette  affection  présenta  avec  certains  cas  graves 
de  purpura  haemorrhagica  fébrile,  il  n'est  pas  douteux  que  les  symptômes 
d'incubation  et  les  premiers  phénomènes  de  l'éruption  furent  très-caractéris- 
tiques de  la  scarlatine.  Le  diagnostic  put  d'autant  mieux  les  prendre  pour 
base  assurée,  que  nous  avions  en  ce  môme  moment  dans  la  ville  une  forte 
épidémie  de  cette  maladie.  » 

Quoi  qu'il  en  soit,  bien  d'autres  épidémies  ont  désolé  périodiquement  le 
Mexique  depuis  la  conquête.  Les  principales  ont  été  :  celles  de  variole  des 
années  1779  et  1796;  celle  de  fièvre  bilieuse  de  1813;  celle  de  scarlatine  de 
1825;  les  choléras  de  1833,  1850  et  1854.  Ces  terribles  fléaux  n'en  excluent 
pas  un  grand  nombre  d'autres,  dont  la  fréquence  est  venue  démontrer  de 
tout  temps  que  la  tendance  de  la  plupart  des  maladies  à  se  propager  à  l'état 
épidémique  caractérise  d'une  manière  déplorable  les  influences  de  la  cli- 
matologie de  l'Anahuac.  Mais  il  est  très-certain,  —  et  c'est  à  cette  conclu- 
sion que  j'ai  voulu  conduire  les  détails  qui  précèdent,  —  que  plus  la  race 
indienne  pure  disparaît,  pour  faire  place  au  type  métis  qui  s'empare  inseri- 

1.  Herrera,  décade  III,  liv.  IX,  cli.  vin. 


898  CONSIDERATIONS  MÉDICALES 

siblement  du  pays,  moins  considérables  sont  les  ravages  que  ces  épidémies 
produisent.  Je  neveux  pas,  en  m'exprimant  ainsi,  faire  allusion  à  la  variole, 
qui  a  trouvé  dans  l'usage  de  la  vaccine  les  motifs  d'une  diminution  générale 
très-sensible  -,  mais  j'ai  voulu  dire  que  les  autres  grandes  épidémies  que  les 
Indiens  appelèrent  matlazahuatl ,  cocolixtli,  ne  se  renouvellent  plus  de  nos 
jours,  et  que  cette  dernière  expression  ne  s'applique  guère  par  eux  qu'à 
quelques  épidémies  légères  de  typhus  pétéchial  ou  même  à  des  cas  isolés  de 
cette  maladie.  Il  paraît  donc  prouvé  que  les  anciens  indigènes,  soit  par 
suite  d'aptitudes  spéciales,  soit  à  cause  de  leur  manière  de  vivre,  donnaient 
plus  de  prise  à  ces  fléaux  périodiques  que  les  races  mélangées  qui  leur  suc- 
cèdent et  prospèrent  à  leur  place  dans  le  pays. 

Les  conquistadores  apportèrent  donc  sur  les  plateaux  du  Mexique  des  dis- 
positions individuelles  qui,  du  moins  au  point  de  vue  des  épidémies  propres 
de  ces  contrées,  leur  donnaient  des  avantages  marqués  sur  les  indigènes.  Ils 
n'en  cédèrent  pas  moins  aux  influences  du  climat  en  contractant,  plus  qu'ils 
n'eussent  dû  le  faire  dans  leur  pays,  des  pleuro-pneumonies  graves  et  des 
typhus  dont  plusieurs  d'entre  eux  furent  victimes.  C'est  ainsi  que,  au  cha- 
pitre cxxxi,  qui  traite  des  événements  de  la  campagne  que  Cortès  entreprit 
contre  Tepeaca,  Cachula  et  Guacachula,  après  les  désastres  de  la  Nuit 
triste,  Bernai  Diaz  nous  dit  :  «  Nous  eûmes  grand  plaisir  à  apprendre  le 
secours  qui  nous  venait  au  meilleur  moment,  car,  durant  la  petite  campa- 
gne dont  je  viens  de  parler,  nous  n'étions  pas  tellement  à  l'abri  des  acci- 
dents que  plusieurs  d'entre  nous  n'y  reçussent  des  blessures,  tandis  que 
d'autres  tombèrent  malades  de  fatigue.  Comme  nous  étions  toujours  char- 
gés de  nos  armes  et  que  nous  ne  nous  reposions  ni  jour  ni  nuit,  le  sang  et 
la  poussière  se  figeaient  dans  nos  entrailles  et  nous  les  rendions  ensuite  par 
le  corps  et  par  la  bouche;  c'est  au  point  qu'en  quinze  jours  nous  perdîmes 
cinq  de  nos  camarades,  de  douleur  de  côté.  » 

Et  plus  loin,  au  chapitre  cxxxiv,  notre  auteur,  parlant  d'une  expédition 
aite  par  Sandoval  dans  les  pays  de  Xalacingo  et  Catamani,  nous  apprend 
ce  qui  suit  :  «  Je  ne  fis  pas  cette  campagne  :  j'étais  très  malade  de  fièvres 
et  je  rendais  du  sang  par  la  bouche.  Grâce  à  Dieu,  je  revins  à  la  santé,  parce 
qu'on  me  saigna  plusieurs  fois.  » 

Plus  loin  encore,  au  chapitre  clxii,  B.  Diaz,  rendant  compte  de  la  mort 
de  Garay,  nous  dit  les  paroles  significatives  suivantes  : 

«  La  nuit  de  Noël  de  l'année  1523,  Garay  alla  avec  Cortès  ta  matines. 
Elles  furent  célébrées  par  de  très-beaux  chants  et  fray  Bartolomé  officia  à 
la  messe  de  minuit.  Au  retour  de  l'église,  on  fit  un  déjeuner  très-gai,  et 
une  heure  après,  avec  l'air  vif  du  matin,  étant  déjà  d'ailleurs  mal  disposé, 
Garay  fut  pris  d'une  douleur  de  côté  accompagnée  de  forte  fièvre.  Les  mé-' 
decins  lui  ordonnèrent  une  saignée  et  le  purgèrent  ;  mais,  voyant  que  le 
mal  empirait,  ils  prièrent  fray  Bartolomé  de  dire  au  malade  qu'il  allait 
mourir,  qu'il  se  confessât  et  qu'il  fit  son  testament.  Fray  Bartolomé  rem- 
plit sa  mission,  annonçant  au  malade  que  sa  fin  approchait,  qu'il  eût  à  s'y 
préparer  en  bon  chrétien  et  honorable  gentilhomme,  qu'il  ne  perdît  point 
son  âme  après  avoir  perdu  son  avoir.  Garay  lui  répondit  :  «  Père,  vous 
«  avez  raison,  je  veux  que  vous  me  confessiez  cette  nuit  même;  je  désire  re- 
«  cevoir  le  saint  corps  de  Jésus-Christ  et  faire  mon  testament.  »  Il  fit,  en 
effet,  très-honorablement  tout  cela  :  après  avoir  communié,  il  signa  ses 
dernières  volontés,  nommant  pour  exécuteurs  testamentaires  Cortès  et 
fray  Bartolomé  de  Olmedo,  et  ensuite,  le  quatrième  jour  de  sa  maladie,  il 


SUR  LA  CAMPAGNE  DE  FERNAND  CORTES.  899 

rendit  son  âme  à  Notre  Seigneur  Jésus-Christ  qui  Pavait  créée.  C'est  là  un 
effet  du  pays  de  Mexico-,  on  y  meurt  en  trois  ou  quatre  jours  de  cette  dou- 
leur de  côté  ;  je  l'ai  déjà  dit  une  autre  fois  ;  nous  le  savions  fort  bien,  par 
expérience,  depuis  notre  séjour  à  Tezcuco  et  à  Cuyoacan  où  succombèrent 
plusieurs  de  nos  soldats.  » 

Il  n'est  pas  possible  d'être  plus  clair.  Ce  passage  curieux  nous  dispense 
de  chercher  à  donner  une  nouvelle  force  à  notre  exposition  en  citant  d'au- 
tres cas  analogues  que  nous  pourrions  trouver  encore.  Passons  au  typhus. 

Cette  affection  n'est  pas  aussi  clairement  désignée  que  la  pneumonie  dans 
la  chronique  de  B.  Diaz.  Elle  me  paraît  néanmoins  des  mieux  établies  par 
le  passage  suivant  du  chapitre  cxcn,  que  je  cite  ici  tout  entier  pour  que  le 
lecteur  n'ait  pas  l'embarras  d'aller  à  sa  recherche  : 

«  Revenons-en  à  notre  enquête  pour  dire  qu'à  peine  elle  était  ouverte,  que 
Notre  Seigneur  Jésus-Christ,  pour  nos  péchés  et  notre  malheur,  permit  que 
le  licencié  Luis  Ponce  tombât  malade  de  modorra.  Il  fut  pris  d'une  forte 
fièvre  en  venant  d'entendre  la  messe  au  monastère  de  San  Francisco. 
S'étant  mis  au  lit,  il  fut  pendant  quatre  jours  somnolent,  sans  avoir  les 
idées  bien  nettes;  la  plus  grande  partie  du  jour  et  de  la  nuit  se  passait  à 
dormir.'  Les  médecins  qui  le  soignaient,  le  licencié  Pedro  Lopez,  le  docteur 
Ojedaet  un  autre  praticien  que  le  malade  avait  amené  de  Castille,  compri- 
rent bien  clairement  cet  état  et  furent  tous  d'avis  qu'il  se  confessât  et  reçût 
les  saints  sacrements.  Le  licencié  lui-même  s'y  soumit  volontiers  et,  lors- 
qu'il eut  accompli  ce  devoir  avec  la  plus  grande  humilité  et  contrition,  il  fit 
son  testament,  par  lequel  il  désignait  pour  le  remplacer  dans  le  gouverne- 
ment le  licencié  Marcos  de  Aguilar  qu'il  avait  amené  de  l'île  Espaîïola. 
...Le  testament  fait  et  les  affaires  spirituelles  étant  en  règle,  le  licencié 
rendit  son  âme  à  Dieu,  le  neuvième  jour  de  sa  maladie.  » 

Si  le  lecteur  veut  bien  porter  ses  regards  sur  cette  partie  des  récits  de 
B.  Diaz,  il  y  verra  les  indignes  accusations  que  les  ennemis  de  la  gloire  de 
Cortès  articulèrent  contre  son  honneur  et  sa  probité.  Ils  assurèrent  que 
Ponce  de  Léon  était  mort  empoisonné  par  ordre  du  conquistador.  La  calom- 
nie rendit  nécessaire  un  rapport  officiel  dans  lequel  les  médecins  déclarè- 
rent que  le  licencié  était  mort  de  fièvre  maligne  *,  dénomination  qui  corres- 
pond assurément  à  l'une  des  formes  des  affections  typhoïdes,  de  même  que 
l'expression  de  mal  de  modorra  (mal  comateux)  en  rappelle  parfaitement 
le  symptôme  dominant  que  les  nosologistes  ont  désigné  par  le  mot  de 
«  typhus  ». 

«Celui  qui  affirmait  l'empoisonnement  avec  le  plus  d'instance,  dit  B.  Diaz, 
c'était  fray  Tomas  Ortiz,  le  prieur  de  quelques  moines  venus  avec  lui.  Or,  il 
mourut  lui-même  de  modorra  deux  mois  après,  ainsi  que  d'autres  frères  de 
son  ordre.  »  Le  fils  du  successeur  de  Ponce  de  Léon  meurt  également  de 
cette  maladie. 

Il  résulte  du  court  examen  qui  précède  que  la  pneumonie  et  le  typhus, 
qui  sont  encore  aujourd'hui  les  causes  les  plus  fréquentes  de  mort  pour  les 
Européens  établis  sur  le  haut  plateau  du  Mexique,  se  développèrent  parmi 
les  Espagnols  dès  l'époque  de  leur  première  invasion  avec  Fernand  Cortès. 
Et,  quant  au  typhus,  il  est  certain  que  celui  qui  règne  actuellement  sur 
l'Anahuac  d'une  manière  endémique  n'a  trouvé  aucun  motif  de  s'éteindre 

L  Voyez  Ilerrera,  décade  III,  liv.  IX,  eh.  vin. 


900  CONSIDERATIONS  MEDICALES 

ni  dans  le  temps  écoulé  ni  dans  les  modifications  de  races.  S'il  est  vrai  que 
quelques  conditions  locales  d'encombrement  ou  de  malpropreté  ont  pu 
quelquefois  en  aggraver  l'importance,  il  est  incontestable  aussi  qu'il 
lui  a  été  donné  de  se  perpétuer  en  tous  lieux  sur  le  plateau,  indépen- 
damment de  ces  circonstances  aggravantes.  Ce  serait  une  occasion  de 
reconnaître  que  ce  typhus  peut  trouver  en  nous-mêmes  ses  raisons  d'être, 
sous  l'influence  d'une  météorologie  spéciale,  en  dehors  de  toute  action  spé- 
cifique de  nature  infectieuse.  On  pourrait  d'autant  mieux  le  croire  sur 
l'Anahuac,  que  les  atteintes  les  plus  graves  y  sont  le  résultat  de  fatigues 
avec  insolation  au  milieu  des  campagnes  les  plus  pures  et  les  mieux  aérées. 

Il  est  au  surplus  une  chose  dont  on  ne  peut  manquer  d'être  frappé  en 
lisant  les  détails  de  B.  Diaz  sur  les  innombrables  combats  que  les  conquis- 
tadores furent  obligés  de  livrer  :  c'est  qu'ils  y  recevaient  fréquemment  des 
blessures,  et  que  sans  avoir  le  plus  souvent  ni  le  loisir  ni  les  moyens  de  les 
soigner,  il  leur  fallait  affronter  les  hasards  de  nouvelles  rencontres  et  four- 
nir le  contingent  de  veilles  et  sentinelles.  Cependant  les  suites  graves 
paraissent  en, avoir  été  relativement  rares.  Il  est  permis  de  croire  d'ailleurs 
que  l'habileté  des  chirurgiens  de  l'expédition  comptait  pour  peu  de  chose 
dans  les  causes  de  ce  résultat.  Notre  auteur  nous  fait  comprendre,  en  effet, 
que  les  blessés  n'avaient  pas  souvent  recours  à  leur  intervention.  «  Lorsque 
la  nuit  séparait  les  combattants,  dit-il,  nous  pansions  nos  blessures  avec  de 
l'huile.  Un  de  nos  camarades,  appelé  Juan  Catalan,  nous  les  traitait  avec  des 
signes  de  croix  et  des  enchantements;  elles  guérissaient  du  reste  prompte- 
ment,  ce  qui  m'est  une  occasion  de  redire  que  Notre  Seigneur  Jésus-Christ 
non-seulement  nous  faisait  la  grâce  de  soutenir  notre  courage,  mais  nous 
prodiguait  chaque  jour  mille  faveurs.  C'est  ainsi  que,  blessés  et  couverts  de 
bandages,  il  nous  fallait  combattre  du  matin  au  soir-,  car  si  les  blessés 
fussent  restés  en  repos  au  quartier,  il  n'y  aurait  pas  eu  vingt  hommes  sains 
dans  chaque  attaque  pour  aller  à  l'ennemi.  Nos  alliés  les  Tlascaltèques, 
ayant  vu  comment  notre  homme  nous  traitait  avec  des  signes  de  croix,  s'en 
venaient  aussi  vers  lui  quand  ils  étaient  atteints,  et  cela  en  si  grand  nombre, 
que  notre  rebouteur  avait  bien  du  mal  à  panser  tout  le  monde  (ch.  eu).  » 
Quelque  désir  que  l'on  ait  d'imiter  B.  Diaz  dans  sa  foi  robuste  qui  lui  faisait 
reconnaître  une  intervention  surnaturelle  dans  la  guérison  rapide  des  bles- 
sures dont  lui  et  ses  compagnons  d'armes  étaient  couverts,  on  ne  peut  s'em- 
pêcher d'admirer  de  nos  jours  l'heureuse  influence  du  climat  pour  la  marche 
favorable  des  plaies  en  général.  Ce  que  notre  auteur  nous  apprend  nous  re- 
porte donc  assez  loin  vers  le  passé  pour  nous  faire  voir  que  les  actions  natu- 
relles sont  immuables-,  car  ce  qui  agissait  favorablement  sur  leurs  blessures 
il  y  a  trois  cent  cinquante  ans  nous  procure  encore  aujourd'hui  les  mêmes 
résultats  heureux  dans  le  même  pays.  On  ne  saurait  nier  qu'il  n'y  ait  plus 
de  dignité  à  constater  ainsi  la  constance  de  volonté  d'un  être  surhumain 
dans  les  choses  de  la  nature  que  de  subordonner  sa  conduite  capricieuse 
aux  appels  individuels  faits  à  son  intervention  par  tous  les  Juan  Catalan  de 
la  terre. 

Cette  logique  naturelle  des  phénomènes  que  nous  nous  sommes  donné  la 
mission  d'étudier  est  encore  apparue  dans  la  propagation  endémique  con- 
stante sur  l'Anahuac,  depuis  1520  jusqu'à  nos  jours,  du  typhus  et  delà  pleuro- 
pneumonie,  pour  prouver  que  les  mêmes  causes  dans  les  conditions 
ambiantes  ne  sauraient  jamais  manquer  de  produire  leurs  effets  les  plus 


SUR  LA  CAMPAGNE  DE  FERNAND  GORTES.  901 

essentiels  sur  des  êtres  de  môme  espèce.  S'il  n'en  a  pas  été  de  même  des 
grandes  épidémies  qui  non-seulement  ont  varié  de  nature  depuis  des  siè- 
cles reculés  jusqu'à  nos  jours,  mais  encore  ont  diminué  sensiblement  d'in- 
tensité, c'est  que  les  conditions  qui  les  produisent  sont  multiples  et  dépen- 
dent elles-mêmes  de  phénomènes  inconnus  qu'aucun  lien  immuable  n'en- 
chaîne. Ce  qu'il  y  a  d'intéressant  pour  nous  à  noter  dans  ces  inconstances, 
c'est  que  les  sujets  appelés  à  en  être  victimes  ont  eux-mêmes  une  notable 
influence  sur  la  plus  ou  moins  grande  force  avec  laquelle  ils  sont  frappés; 
car  nous  voyons  les  grands  azahuatls  qui  dévoraient  autrefois  les  Aztèques 
avec  tant  de  férocité,  diminuer  ou  s'éteindre  avec  eux,  en  traitant  avec  plus 
de  bénignité  leurs  successeurs  ou  en  les  épargnant  d'une  manière  absolue. 

Mais  il  est  écrit  que,  n'importe  sous  quelle  forme,  l'humanité  ne  cessera 
jamais  de  souffrir.  A  la  place  de  ces  fléaux  disparus  et  qui  épargnèrent  en 
d'autres  temps  les  races  européennes  au  Mexique,  la  fièvre  jaune  y  sévit 
aujourd'hui,  sinon  sur  le  pays  tout  entier,  du  moins  à  ses  portes  et  dans 
tous  les  lieux  qui  sont  les  liens  les  plus  naturels  de  communication  avec 
l'Ancien  Monde.  Il  est  aussi  le  plus  sérieux  obstacle  aux  libres  rapports  entre 
les  habitants.  Or,  dans  cet  écrit,  dont  le  but  ne  peut  être  une  étude  médicale 
purement  professionnelle,  il  nous  convient  de  mettre  en  lumière  tout  ce  qui 
peut  favoriser  ou  combattre  le  progrès  et  le  mouvement  des  hommes.  C'est 
à  ce  point  de  vue  unique  que  les  maladies  ont  mérité  d'attirer  notre  atten- 
tion d'une  manière  générale,  et  il  nous  a  paru  important  surtout  de  faire  voir 
l'originalité  de  leur  influence  dans  les  pays  très-variablement  nivelés.  Au 
Mexique,  en  effet,  quoique  la  nature  ait  favorisé  les  hommes  de  toutes  les 
conditions  climatériques  capables  de  séduire  par  la  variété  et  par  le  con- 
traste, on  ne  s'arrête  guère  à  la  tentation  d'en  profiter  qu'en  se  promettant 
d'agir  avec  la  plus  grande  mesure.  On  n'ignore  pas  que  des  changements 
inconsidérés  de  niveaux  y  exposent  la  santé  aux  plus  sérieux  mécomptes  et, 
de  même  que  l'Européen  choisit  son  temps  pour  aborder  ce  pays,  les  habitants 
de  ses  régions  centrales  ne  traversent  eux-mêmes  qu'en  tremblant  les  ports 
du  golfe  et  n'y  établissent  leur  séjour  que  pour  des  intérêts  de  la  plus 
sérieuse  gravité.  Ces  entraves  au  libre  trafic  sont  un  inconvénient  dont  j'ai 
déjà,  dans  ma  préface,  fait  entrevoir  toute  la  gravité.  Je  lui  reconnais  une 
telle  importance  que  je  n'hésite  pas  à  y  porter  pour  la  seconde  fois  l'atten- 
tion du  lecteur.  Franchir  cent  lieues  en  plaine,  fût-ce  du  sud  au  nord,  c'est 
changer  à  peine  de  conditions  climatériques,  et  c'est  cette  circonstance  qui 
établit  l'unité  hygiénique  des  nations  dont  les  niveaux  ne  sont  pas  profon- 
dément troublés.  Mais,  dans  les  contrées  montagneuses  d'Amérique,  faire 
dix  lieues  en  certaines  directions,  pour  changer  de  résidence,  c'est  se  livrer 
aux  hasards  d'un  acclimatement.  Je  veux  bien  admettre,  si  on  le  désire,  que 
la  tentative  ne  soit  pas  toujours  dangereuse-,  mais  c'est  un  devoir  pour  tout 
hygiéniste  sérieux  de  livrer  au  moins  le  fait  aux  appréciations  du  praticien 
et  de  la  statistique,  en  démontrant  d'avance  que  le  raisonnement  permet 
d'en  prédire  la  plupart  des  conséquences. 

M'étendre  davantage  sur  ce  sujet,  ce  serait  sortir  des  limites  que  cette 
courte  étude  a  dû  s'imposer.  Je  ne  saurais  oublier,  en  effet,  que  je  l'écris  à 
propos  d'un  commentaire  à  faire  sur  la  chronique  de  Bernai  Diaz  et  que  je 
ne  dois  par  conséquent  m'appesantir  que  sur  les  idées  que  sa  lecture  sug- 
gère. Ces  récits  variés  présenteraient  cependant  encore  bien  des  points  di- 


902  CONSIDÉRATIONS  MÉDICALES. 

gnes  d'intéresser  les  personnes  qui  ont  quelque  goût  à  s'occuper  des 
questions  de  médecine  ou  d'hygiène.  Il  en  est  un  surtout  qu'on  me  par- 
donnerait difficilement  d'avoir  passé  sous  silence  ;  il  a  trait  aux  syphilitiques 
de  la  campagne  de  Fernand  Cortès.  Personne  ne  saurait  m'en  vouloir  d'ail- 
leurs d'avoir  traité  ce  point  délicat,  puisque  le  Père  jésuite  Clavijero  n'a 
pas  dédaigné  d'en  faire  le  sujet  d'un  chapitre  intéressant  de  son  livre. 


LES   SYPHILITIQUES 


DE  LA  CAMPAGNE  DE  FERNAND  CORTÈS 


Mes  lecteurs  n'auront  pas  oublié,  sans  doute,  les  discussions  animées  qui 
se  sont  élevées,  à  différentes  époques,  à  propos  de  l'origine  de  la  syphilis 
développée  en  Europe,  et  attirant,  pour  la  première  fois,  l'attention  vers  la 
fin  du  quinzième  siècle.  Quelques  savants,  d'une  compétence  éclairée,  ne 
doutèrent  pas  qu'elle  ne  vînt  d'Amérique  à  la  suite  de  Christophe  Colomb, 
et  ils  prétendirent  en  avoir  donné  les  preuves  irrécusables.  D'autres,  non 
moins  estimables,  ne  se  contentèrent  pas  de  nier  cette  origine  américaine  -, 
ils  entreprirent  de  prouver  que  la  syphilis  n'était  nullement  connue  au  Nou- 
veau Monde  lors  de  sa  découverte  par  les  Espagnols.  Ces  derniers  auteurs 
n'allaient  pas  jusqu'à  prétendre  qu'il  n'existait  en  Amérique  aucune  affection 
de  nature  vénérienne,  mais  que  les  maladies  de  ce  type  n'y  affectaient  que 
des  caractères  simples,  sans  altérer  la  constitution  entière  par  un  empoi- 
sonnement diathésique.  A  ce  compte,  ce  que  les  Européens  y  auraient  trouvé 
ne  serait  que  l'analogue  des  affections  de  ce  genre  qu'on  avait  toujours 
observées  en  Europe,  même  avant  l'invasion  de  la  syphilis  à  la  fin  du  quin- 
zième siècle.  J'avoue  que  la  lecture  attentive  de  la  chronique  de  Bernai  Diaz 
ne  permet  guère  de  conserver  cette  illusion.  On  y  voit  des  conquistadores, 
partis  sains  de  Cuba,  présenter,  trois  ans  après,  des  accidents  tertiaires  de 
nature  syphilitique,  sans  qu'il  paraisse  possible  d'admettre  d'autre  contact 
que  celui  de  femmes  indigènes.  D'autres  auteurs,  le  Père  Bernardino  de  Sa- 
hagun  surtout,  ont  d'ailleurs  écrit  des  passages  qui  ne  semblent  pas  per- 
mettre le  doute  sur  l'existence  de  la  syphilis  constitutionnelle  chez  les 
Aztèques  avant  l'expédition  de  Cortès.  Cet  écrit  a  pour  but  de  mettre  le  lec- 
teur en  mesure  de  se  former  une  opinion  définitive  à  ce  sujet.  Peut-être  en 
retirera-t-il  comme  moi  la  conviction  que,  indépendamment  de  tout  contact 
entre  l'Europe  et  l'Amérique,  la  syphilis  était  connue  dans  le  monde  entier, 
aux  dernières  années  du  quinzième  siècle,  et,  à  plus  forte  raison,  en  1519, 
époque  de  l'expédition  de  Fernand  Cortès. 

Cortès  partit  de  Cuba,  le  10  février  1519,  avec  onze  navires  chargés  d'hom- 
mes et  de  provisions.  Arrivé  à  l'île  de  Cozumel,  il  passa  son  armée  en  revue 
et,  en  ayant  fait  le  dénombrement  exact,  il  se  trouva  à  la  tête  de  cinq  cent 
huit  soldats,  sans  compter  les  pilotes,  les  maîtres  d'équipage  et  les  matelots, 


904  LES  SYPHILITIQUES 

au  nombre  de  cent  neuf.  Bernai  Diaz,  dans  sa  chronique,  ne  fait  aucune 
mention  des  femmes  qui  accompagnaient  l'expédition  -,  de  sorte  qu'il  sera 
nécessaire  de  nous  livrer  plus  loin  à  des  recherches,  pour  être  exactement 
éclairés  à  ce  sujet.  Cortès  poursuit  sa  marche  en  passant  par  Cozumel;  tou- 
chant à  l'île  de  la  lagune  de  Terminos;  séjournant  à  Tabasco,  à  Vera  Cruz, 
à  Cempoal;  combattant  à  Tlascala,  à  Gholula,  pour  arriver  enfin  à  Mexico 
le  8  novembre  1519,  juste  neuf  mois  après  le  départ  de  la  Havane.  Il  im- 
porte a  l'intérêt  du  sujet  que  nous  allons  traiter  de  faire  observer  que,  dans 
ce  long  parcours,  aucun  contact  n'a  pu  s'établir  entre  les  hommes  de  l'ex- 
pédition et  des  individus  de  race  européenne  qui  fussent  étrangers  à  l'armée 
expéditionnaire  ;  car  ces  pays  n'avaient  pas  encore  eu  de  communication 
avec  les  habitants  de  l'Ancien  Monde,  si  l'on  en  excepte  les  deux  campagnes 
de  Cordova  et  de  Grijalva,  qui  touchèrent  à  peine  les  côtes,  dans  le  cours 
des  deux  années  précédentes,  sans  songer  à  y  former  le  moindre  établis- 
sement. 

Quatre  jours  après  l'arrivée  de  Cortès  à  Mexico,  le  célèbre  conquérant 
demande  et  obtient  l'autorisation  de  visiter  le  grand  temple  de  cette  capi- 
tale. C'est  à  propos  de  cette  visite,  restée  célèbre  dans  les  annales  de  la 
campagne,  que  Bernai  Diaz  nous  dit  les  paroles  significatives  suivantes  : 
«  Nous  nous  mîmes  à  descendre  aussitôt  les  degrés  du  temple.  Or,  comme 
il  y  en  avait  cent  quatorze  et  que  quelques-uns  de  nos  soldats  étaient  ma- 
lades de  bubas  ou  de  mauvaises  humeurs,  ils  eurent  mal  aux  cuisses  en 
descendant2.  » 

Il  est  nécessaire  de  faire  observer  ici,  avant  d'aller  plus  loin,  que  cette 
expression  de  bubas  fut  celle  qu'on  adopta  le  plus  généralement  en  Espagne, 
à  la  fin  du  quinzième  siècle,  pour  désigner  l'ensemble  des  accidents  syphi- 
litiques qui  affligèrent  si  étrangement  l'Europe  à  cette  époque.  Dans  la 
croyance  de  B.  Diaz,  donc,  plusieurs  soldats  de  l'expédition  étaient  atteints 
de  cette  affreuse  maladie.  Ceux  dont  il  parle  actuellement,  comme  ayant 
éprouvé  des  douleurs  aux  cuisses  par  suite  de  la  descente  du  temple,  avaient 
probablement  des  bubons  aux  aines;  car,  si  les  douleurs  avaient  été  rhu- 
matoïdes,  elles  auraient  pris  généralement  tout  le  membre  et,  en  ce  cas, 
Bernai  Diaz  aurait  dit  sans  doute  «  jambes  »  au  lieu  de  «  cuisses  »,  parce 
que  ce  dernier  mot  est  moins  dans  les  habitudes  du  langage.  Selon  toute 
probabilité  donc,  les  hommes  dont  parle  l'auteur  de  la  chronique  étaient 
porteurs  de  bubons  qui  ne  gênaient  pas  les  malades  au  point  de  rendre  la 
marche  ordinaire  impossible,  et  qui  ne  devenaient  douloureux  d'une  ma- 
nière bien  notable  que  dans  les  circonstances  d'efforts  exceptionnels,  comme 
sont  ceux  de  la  montée  et  de  la  descente  d'un  escalier  à  marches  trop  nom- 
breuses. 

Nous  ne  trouvons  dans  Bernai  Diaz  aucun  passage  qui  intéresse  cette 
étude,  jusqu'à  une  époque  séparée  de  la  précédente  par  un  laps  de  temps 
considérable.  Cortès  a  séjourné  à  Mexico  neuf  mois.  Chassé  de  cette  capi- 
tale au  milieu  des  scènes  de  la  Nuit  triste,  il  a  trouvé  un  refuge  auprès  de 
ses  fidèles  Tlascaltèques.  Là,  soucieux  de  la  position  qui  lui  est  faite  par  les 
événements  et  méditant  déjà  les  moyens  de  se  venger  de  sa  terrible  défaite, 

1.  Voy.  Bernai  Diaz,  p.  56  de  ma  traduction. 

2.  Page  230. 


DE  LA  CAMPAGNE  DE  FERNAND  CORTÈS.  905 

il  veut,  avant  tout,  savoir  ce  qui  est  advenu  au  port  de  la  Vera  Cruz  pen- 
dant qu'il  était  soumis  lui-même  dans  la  capitale  à  de  si  rudes  épreuves.  Il 
écrit  donc  au  commandant  de  cette  place  pour  le  prier  de  lui  donner  de  ses 
nouvelles  et  de  lui  faire  parvenir,  si  c'est  possible,  un  renfort  de  combat- 
tants. Mais,  malheureusement,  il  n'était  pas  au  pouvoir  de  Pedro  Caballero, 
commandant  de  Vera  Cruz,  de  satisfaire  bien  convenablement  Gortès  en  ce 
dernier  point.  Il  avait  peu  de  monde,  et  d'ailleurs  presque  tous  ses  hommes 
étaient  malades.  Il  se  décida  cependant  à  faire  un  envoi  à  propos  duquel 
nous  lisons  dans  Bernai  Diaz  le  passage  suivant  : 

«  Ce  secours  promis  de  la  Villa  Rica  ne  tarda  pas  en  effet  à  arriver;  il  consistait 
en  quatre  soldats  et  trois  marins,  en  tout  sept  hommes,  commandés  par  un  certain 
Lencero,  qui  fut  plus  tard  le  propriétaire  de  l'auberge  qui  porte  son  nom.  Lorsqu'ils 
arrivèrent  à  Tlascala,  comme  ils  étaient  maigres  et  malades,  nous  en  faisions  l'objet 
de  nos  railleries,  nous  moquant  d'eux  et  les  appelant  «  le  grand  renfort  de  Lencero». 
Sur  sept  soldats,  cinq  étaient  atteints  de  bubas  et  les  deux  autres  enflés  du  ventre  L  » 

Gomme  Bernai  Diaz  ne  donne  aucune  autre  explication  sur  les  hommes 
qui  se  trouvent  désignés  à  notre  attention  dans  ce  passage,  nous  n'en  dirons 
pas,  ici  du  moins,  un  mot  de  plus.  Mais,  en  suivant  l'ordre  des  pages  de 
l'auteur,  nous  arrivons  au  cas  le  plus  curieux  que  sa  chronique  ait  offert  à 
nos  méditations. 

Nous  sommes  au  moment  où  Cortès,  complètement  relevé  de  ses  mal- 
heurs passagers,  est  devenu  maître  de  Mexico  après  un  siège  formidable. 
S'occupant  alors  de  faire  rayonner  au  loin  son  autorité  dans  tout  l'empire 
mexicain  et  même  au  delà  de  ses  limites,  il  expédie  ses  capitaines  pour  con- 
quérir les  pays  qui  résistent  encore.  C'est  à  cette  période  des  événements  de 
la  conquête  que  se  rattachent  les  faits  à  propos  desquels  je  prie  le  lecteur 
de  porter  son  attention  à  la  page  645  de  Bernai  Diaz  et  de  lire  toute  la 
campagne  de  Rodrigo  Rangel,  cet  infortuné  capitaine  «  toujours  malade, 
affligé  de  grandes  douleurs  de  bubas,  très-défait,  avec  de  longues  jambes 
amaigries,  couvert  d'ulcères,  la  tête  et  le  corps  criblés  de  plaies.  »  Qu'on 
le  suive  dans  sa  double  campagne  des  Zapotèques  et  de  Chiapa  pour  l'en- 
tendre a  pousser  des  cris  de  douleur  à  cause  de  ses  bubas,  »  soupirer  à 
chaque  pas  et  aspirer  au  départ  pour  Guazacualco,  «  dans  l'espoir  que  la 
chaleur  de  ce  bourg  serait  favorable  à  la  guérison  de  son  mal  ».  Suivez-le 
encore  dans  ses  mésaventures  sur  le  sol  marécageux  de  Cimatan;  vous  l'en- 
tendrez toujours  se  plaindre  de  sa  tète  et  vous  dire  «  qu'il  ne  dort  ni  jour 
ni  nuit  ».  Le  malheureux  revient  enfin  de  sa  triste  campagne,  après  vous 
avoir  montré  ce  que  peuvent  les  efforts  d'un  guerrier  syphilitique  aux  prises 
avec  les  douloureuses  conséquences  de  son  mal. 

Le  cas  de  Rangel  se  présente  en  effet  avec  les  signes  les  plus  manifestes 
d'une  constitution  profondément  altérée  par  la  syphilis.  Sa  tête  est  couverte 
de  tumeurs  gommeuses  ulcérées;  il  en  existe  aussi  dans  d'autres  parties  du 
corps  et  le  malade  est  en  proie  aux  douleurs  ostéocopes  les  plus  vives. 
Limitons-nous,  pour  le  moment,  à  inscrire  ici  ces  premières  données. 

Nous  arrivons  maintenant  à  la  regrettable  époque  où  Cortès,  en  route 
pour  sa  campagne  de  Honduras,  est  arrivé  à  Guazacualco  d'où  il  expédie  à 
Mexico  Salazar  et  Chirinos  porteurs  de  pouvoirs  éventuels  pour  se  substi- 
tuer à  l'autorité  de  ceux  qu'il  avait  laissés  dans  la  capitale  avec  la  mission 

1.  Page  379. 


906  LES    SYPHILITIQUES 

de  gouverner  à  sa  place  la  Nouvelle-Espagne.  Bernai  Diaz  dit  simplement 
à  ce  propos  les  paroles  suivantes,  qui  sont  pour  nous  des  plus  signifi- 
catives : 

«  Ils  partirent  donc  pour  Mexico,  emmenant  avec  eux  Hernan  Lopez  de  Avila, 
affligé  de  fortes  douleurs  et  tout  perclus  de  bubas  '.  » 

C'est  désigner  de  la  manière  la  plus  manifeste  des  accidents  tertiaires 
de  syphilis  avec  douleurs  ostéocopes  et  souffrances  rhumatoïdes  permanen- 
tes. Ce  sujet  fut  du  reste  plus  heureux  que  bien  d'autres  camarades  d'infor- 
tune ;  car  le  chroniqueur  nous  dit  plus  loin  : 

«  Hernan  Lopez  de  Avila,  dépositaire  de  biens  de  défunts,  s'en  retourna  riche  en 
Castille8.  » 

On  peut  conclure  de  ce  second  passage  qu'il  avait  eu  l'heureuse  chance 
de  se  rétablir  des  souffrances  dont  il  était  question  en  premier  lieu.  Tel  ne 
fut  pas  le  cas  du  malheureux  Rangel,  qui,  d'après  Bernai  Diaz,  mourut  des 
suites  de  ses  bubas,  car  nous  lisons  à  la  fin  de  sa  chronique  : 

«  Rodrigo  Rangel,  personnage  marquant,  sérieusement  perclus  de  bubas,  ne  fit 
jamais  la  guerre  de  manière  à  mériter  qu'on  en  fasse  mention.  Il  mourut  de  ses  dou- 
leurs5. » 

A  l'époque  où  le  Factor  et  le  Veedor,  abusant  de  la  confiance  de  Cortès, 
s'étaient  violemment  emparés  du  gouvernement  de  la  Nouvelle-Espagne 
pendant  que  leur  chef  se  trouvait  à  Honduras,  nous  voyons  un  des  capi- 
taines conquérants  mis  en  évidence  par  Bernai  Diaz  dans  les  termes  qui 
suivent  : 

«  Quant  aux  Indiens,  on  avait  pris  l'habitude  de  ne  plus  faire  aucun  cas  d'eux: 
aussi  ceux  du  pefiol  de  Coatlan  faisaient-ils  de  fréquentes  sorties  sur  le  quartier  de 
Chirinos  à  qui  ils  tuèrent  plusieurs  soldats  en  en  blessant  un  grand  nombre  d'autres. 
Ce  voyant,  le  Factor  prit  le  parti  d'envoyer  à  côté  de  Chirinos  un  des  capitaines  de 
Cortès,  Andrès  de  Monjaraz,  qui  était  devenu  son  ami.  Malheureusement  ce  Monjaraz 
se  trouvait  en  ce  moment  perclus  de  bubas  et  tout  à  fait  incapable  de  rien  entre- 
prendre d'utile4.  » 

A  la  fin  de  sa  chronique,  le  même  auteur,  dans  le  passage  fort  curieux 
où  il  fait  les  portraits  des  principaux  chefs  de  l'expédition,  s'exprime  de  la 
manière  suivante  : 

«  Andrès  de  Monjaraz  fut  capitaine  au  siège  de  Mexico;  il  était  d'une  bonne  sta- 
ture et  d'un  visage  gai,  avec  une  barbe  presque  noire.  Il  causait  bien;  mais  il  fut 
presque  toujours  malade  de  bubas  et  c'est  pour  cela  qu'il  ne  fit  pas  grand  chose  qu'on 
puisse  raconter.  Si  j'en  fais  ici  mention,  c'est  pour  qu'on  sache  qu'il  était  capitaine. 
Il  avait  trente  ans  quand  nous  partîmes.  Il  mourut  des  suites  de  ses  bubas11.  » 

Nous  allons  voir  maintenant  le  cas  le  plus  obscur,  mais  aussi  le  plus 
intéressant  :  il  s'agit  de  don  Geronimo  de  Aguilar,  le  célèbre  interprète  de 
la  campagne.  Il  importe  beaucoup  de  noter  ici  les  circonstances  qui  précé- 
dèrent son  engagement  dans  les  rangs  des  compagnons  d'armes  de  Cortès. 
Parti  d'Espagne  à  une  époque  difficile  à  préciser,  il  était  allé  d'abord  se 
fixer  en  Terre-Ferme.  Les  événements  l'en  firent  sortir  en  compagnie  de 
douze  compatriotes  avec  lesquels  il  fit  voile  pour  se  rendre  à  la  Jamaïque. 
Poussés  par  des  courants  et  par  les  vents  contraires,  ils  furent  jetés  sur 

1.  Page  670.  —  2.  Page  817.  —  3.  Page  817.  —  '*.  Page  716.  —  5.  Page  830, 


DE  LA  CAMPAGNE  DE  FERNAND  CORTÈS.  907 

les  côtes  alors  inconnues  du  Yucatan  où  ils  se  perdirent.  Parvenus  à  terre 
après  avoir  couru  les  plus  grands  dangers  pour  leur  vie,  ils  furent  saisis 
par  les  naturels  qui  les  firent  tous  périr,  à  l'exception  de  deux,  Gonzalo 
Guerrero  et  Geronimo  de  Aguilar,  dont  il  est  actuellement  question.  Il 
allait  être  sacrifié  aux  idoles,  lorsqu'il  parvint  à  s'échapper  et  à  se  réfugier 
chez  un  cacique  qui  se  prit  de  pitié  pour  lui  et  le  couvrit  de  sa  protection 
en  le  faisant  son  esclave.  Il  sut  s'attirer  l'affection  de  son  maître  d-^ns 
l'humble  condition  où  il  se  trouvait  réduit.  C'est  le  moment  de  dire  qu'A- 
guilar  avait  fait  ses  études  de  théologie  en  Espagne  et  était  ordonné  diacre- 
Ses  vœux  de  chasteté  avaient  donc  été  déjà  prononcés.  Outre  le  respect 
dont  il  était  animé  pour  cette  situation  particulière,  le  naufragé,  s'étant  vu 
sur  le  point  d'être  sacrifié  aux  affreuses  divinités  du  pays,  adressa  de  fer- 
ventes prières  à  la  Vierge  Marie,  s'engageant  de  nouveau  à  ne  jamais  s'ap- 
procher d'une  femme  infidèle,  dans  le  but  d'obtenir,  par  la  faveur  de  cette 
céleste  protection,  le  bonheur  de  se  voir  un  jour  en  liberté. 

11  remplissait  scrupuleusement  cette  promesse  avec  toutes  les  consé- 
quences qui  en  découlaient  naturellement.  Sa  continence  et  sa  réserve 
avaient  attiré  l'attention  de  son  maître.  Soit  gaieté  de  caractère,  soit  désir 
de  le  mettre  à  l'épreuve  pour  le  mieux  connaître,  celui-ci  s'ingéniait  à  re- 
nouveler sans  cesse  autour  du  pauvre  Aguilar  les  occasions  qui  auraient 
pu  le  séduire.  Mais  ce  fut  toujours  en  vain.  Agacé  de  cette  résistance,  le 
cacique  prétendit  la  soumettre  à  une  épreuve  plus  scabreuse  que  toutes  les 
précédentes.  C'est  l'historien  Herrera  qui  nous  a  rendu  compte  de  cette 
tentative.  Cet  écrivain,  qui  met  ordinairement  dans  ses  détails  historiques 
une  retenue  exemplaire,  s'est  légèrement  écarté  de  ses  habitudes  en  nous 
racontant  à  ce  propos  l'aventure  égrillarde  qui  va  suivre. 

Nous  traduisons  textuellement  cet  auteur  (décade  II,  livre  IV,  chap.  vin): 

«  Le  cacique,  voyant  qu'il  vivait  si  chastement,  toujours  les  yeux  baissés  devant 
les  femmes,  s'efforça  bien  souvent  de  le  faire  succomber  à  la  tentation.  Il  espérait 
surtout  y  réussir  une  nuit  qu'il  l'envoya  à  la  pêche  accompagné  d'une  très-belle 
Indienne,  âgée  seulement  de  quatorze  ans,  à  laquelle  le  maître  avait  suggéré  les 
moyens  de  provocation  dont  elle  devait  faire  usage  auprès  d'Aguilar.  Il  lui  fournit  un 
hamac  qui  devait  servir  à  les  faire  reposer  ensemble.  Arrivés  à  la  côte,  en  attendant 
les  approches  du  jour,  qui  étaient  l'heure  propice  à  la  pêche,  l'Indienne  suspendit  son 
hamac  aux  branches  de  deux  arbres,  s'y  coucha  et  appela  Aguilar  pour  qu'ils  s'y 
reposassent  de  compagnie.  Mais  il  poussa  la  modestie  jusqu'à  s'étendre  sur  le  sable 
au  bord  de  l'eau,  à  peu  de  distance  d'un  foyer  qu'il  avait  allumé.  L'Indienne  tantôt 
l'agaçait  en  l'appelant,  tantôt  l'accusait  de  n'être  point  un  homme,  puisqu'il  préfé- 
rait le  froid  de  la  nuit  à  la  douceur  de  se  réchauffer  près  d'elle.  Il  faut  avouer  qu'il 
éprouva  plusieurs  moments  d'hésitation,  mais  enfin  il  s'arrêta  à  la  résolution  de  se 
vaincre  et  de  remplir  la  promesse  qu'il  avait  faite  au  bon  Dieu,  c'est-à-dire  qu'il  ne 
s'approcherait  point  d'une  femme  infidèle,  afin  d'obtenir  sa  délivrance  en  récom- 
pense de  sa  vertu.  La  pêche  étant  terminée,  il  revint  auprès  de  son  maître....  » 

Ce  que  ce  souvenir  a  de  vraiment  intéressant  pour  nous,  c'est  que  nous 
nous  trouvons  en  présence  d'un  homme  bien  pur  jusque-là  de  toute  souil- 
lure. Il  n'apporte  pas  en  lui  le  germe  de  cette  cruelle  maladie  qui,  depuis 
un  très-petit  nombre  d'années,  avait  éveillé  l'attention  et  excité  l'horreur 
dans  presque  toute  l'Europe.  Ce  fut  à  Cozumel  qu'Aguilar  s'unit  au  corps 
expéditionnaire  de  Fernand  Cortès  après  une  captivité  de  huit  années, 
passa  avec  lui  à  Tabasco,  à  Sacrificios,  à  Cempoal,  à  Tlascala,  et  ne  se 
sépara  de  son  chef  dans  aucun  des  faits  mémorables  de  cette  extraordinaire 
campagne.  C'est  dans  ce  pays  conquis  qu'il  termina  ses  jours,  en  1524,  sans 


908  LES   SYPHILITIQUES 

être  revenu  dans  sa  patrie.  Singulière  destinée  de  cet  homme  d'abord  si 
vertueux  !  d'après  Bernai  Diaz,  sans  qu'aucun  détail  préalable  eût  pu  faire 
soupçonner  cette  fin,  le  malheureux  Aguilar  mourut  de  la  syphilis  parvenue 
à  ses  accidents  tertiaires  ;  car  le  chroniqueur  nous  dit  ces  simples  paroles  : 
Muriô  tullido  de  bubas;  «  il  mourut  perclus  de  syphilis.  »  Où  prit- il  ce  mal? 
Fut-ce  au  contact  d'une  femme  espagnole  ou  d'une  Indienne  ?  Rien  absolu- 
ment ne  peut  dissiper  le  doute  à  ce  sujet.  Il  ne  se  maria  pas  assurément, 
puisque  son  état  de  diacre  s'opposait  à  une  union  légitime.  La  connaissance 
qu'il  eut  de  la  langue  aztèque,  sinon  au  début,  du  moins  peu  après  son 
arrivée  au  sein  du  pays,  rendait  ses  communications  et  ses  choix  très-faciles 
parmi  les  femmes  indigènes.  Il  est  présumable  que  ce  fut  dans  son  com- 
merce avec  les  personnes  de  cette  race  qu'il  puisa  les  germes  de  la  maladie 
dont  il  fut  victime. 

Un  homonyme  du  précédent,  don  Marcos  de  Aguilar,  fut  désigné  par  le 
licencié  don  Luis  Ponce  de  Léon,  à  son  lit  de  mort,  comme  gouverneur 
général  de  la  Nouvelle-Espagne  et  chargé  de  poursuivre  l'enquête  ouverte 
sur  la  conduite  antérieure  de  Cortès.  La  pensée  de  mettre  Aguilar  à  la  tête 
du  gouvernement  ne  fut  approuvée  d'abord  que  par  un  bien  petit  nombre 
de  personnes.  Le  corps  municipal  de  Mexico  s'y  montra  surtout  notablement 
contraire.  Voici  en  quels  termes  Bernai  Diaz  en  a  parlé  : 

«  Il  y  avait  un  autre  genre  d'opposition  de  la  part  du  corps  municipal,  qui  préten- 
dait que  Luis  Ponce  n'avait  pu  ordonner  dans  son  testament  que  le  licencié  Aguilar 
s'emparât  seul  du  pouvoir,  d'abord  parce  qu'il  était  vieux,  caduc,  perclus  de  bubas, 
et  de  peu  d'autorité  '....  » 

Quelques  pages  plus  loin,  le  chroniqueur  écrit  : 

«  Tandis  que  Marcos  de  Aguilar  avait  en  mains  les  rênes  du  gouvernement,  il  était 
souffrant,  étique  et  malade  de  bubas.  Les  médecins  avaient  ordonné  qu'il  se  nourrît 
du  sein  d'une  femme  de  Castille  et  ne  prît  que  du  lait  de  chèvre  avec  lequel  il  se 
soutint  près  de  huit  mois.  Il  finit  par  succomber  à  son  affection  habituelle,  compli- 
quée de  fièvre2.  » 

Ce  cas  obscur  n'appartient  pas  à  l'armée  de  Cortès.  Marcos  de  Aguilar 
était  en  effet  venu  récemment  de  l'île  de  Saint-Domingue,  en  compagnie 
du  licencié  Ponce  de  Léon,  quelque  temps  après  la  prise  de  Mexico  et 
l'expédition  de  Honduras.  Si  j'en  parle  ici,  c'est  pour  ne  rien  omettre  de  ce 
que  Bernai  Diaz  a  dit  au  sujet  delà  maladie  dont  nous  nous  occupons.  Le 
cas  de  Marcos  de  Aguilar  est  d'ailleurs  à  inscrire  parmi  ceux  qui  ont  pris 
très-ostensiblement  leur  origine  en  des  pays  étrangers  au  Mexique. 

Bernai  Diaz  nous  fait  encore  les  révélations  suivantes  dont  on  peut 
regretter  la  trop  grande  concision  : 

«  Francisco  de  Orozco,  également  malade  de  bubas,  était  très-souffrant.  Il  avait  été 
soldat  en  Italie  et  il  commanda  quelque  temps  à  Tepeaca  pendant  que  nous  faisions 
le  siège  de  Mexico.  J'ignore  ce  qu'il  est  devenu  et  où  il  est  mort3.  » 

«  Un  bon  soldat,  appelé  Juan  del  Puerto  ;  mourut  perclus  de  bubas1.  » 
«  Un  jeune  homme  du  nom  de  Maldonado,  natif  de  Medellin  ;  fut  malade  de  bubas. 
J'ignore  s'il  est  mort  de  mort  naturelle4.  » 

Tels  sont  les  noms  et  les  cas  —  quelques-uns  vaguement  spécifiés  —  qu'il 
est  possible  de  relever  dans  le  livre  de  Bernai  Diaz.  Si  ce  n'est  pas  assez 


1,  Page  745.  —  2.  Page  752.  —  3.  Page  817.  —  4.  Page  818.  —  5.  Page  821. 


DE  LA  CAMPAGNE  DE  FERNAND  COUTES.  909 

pour  satisfaire  absolument  la  science  et  dissiper  tous  les  doutes,  ils  suffi- 
sent du  moins  à  exciter  vivement  la  curiosité  du  lecteur.  Le  desideratum 
certainement  le  plus  regrettable  se  rapporte  à  l'impossibilité  où  l'on  est  do 
déterminer  exactement,  pour  chacun  des  cas,  le  lieu  d'origine  de  l'infection 
d'abord,  et  ensuite  la  nationalité  des  femmes  qui  en  ont  été  le  point  de 
départ.  Au  sujet  du  premier  de  ces  doutes,  je  ferai  les  réflexions  suivantes, 
sans  témoigner  d'aucune  prétention  à  l'exactitude  rigoureuse.  Les  quelques 
soldats  que  Bernai  Diaz  nous  dit  avoir  souffert  des  «  cuisses»  en  descen- 
dant du  grand  temple  de  Huichilobos  étaient  sans  doute  porteurs  de  bubons 
aux  aines.  Or,  ils  étaient  partis  de  Cuba  neuf  mois  auparavant.  Cela  me 
paraîtrait  un  délai  bien  considérable  pour  assigner  à  cette  île  le  point  de 
départ  de  pareils  symptômes.  Quant  à  en  avoir  pris  le  germe  en  route  — 
chose  qui  paraîtrait  plus  admissible  —  le  doute  se  présenterait  encore  sur 
le  fait  de  savoir  si  la  maladie  provenait  du  contact  avec  une  femme  euro- 
péenne ou  avec  une  femme  indigène.  Laissant  l'explication  de  ce  mystère 
pour  tout  à  l'heure,  nous  nous  trouvons  en  présence  d'une  autre  incerti- 
tude: le  mal  n'aurait-il  pu  provenir  en  route,  pour  des  soldats  antérieure- 
ment sains,  de  la  fréquentation  de  femmes  indigènes  successivement  con- 
taminées par  les  nouveaux  venus?  Bernai  Diaz  ne  nous  met  nullement  en 
mesure  d'éclaircir  ce  dernier  point,  et  je  me  vois  forcé  d'y  laisser  planer  le 
doute,  sans  aucune  prétention  à  y  porter  la  lumière. 

Quant  au  fait  de  s'être  infectés  en  route  même,  au  moyen  de  femmes 
espagnoles  malades  avant  le  départ,  je  crois  pouvoir  affirmer  que  cela  ne 
s'est  nullement  produit  dans  les  premiers  temps  de  la  campagne;  car  je  ne 
pense  pas  qu'il  ait  été  embarqué  par  Cortès  d'autres  femmes  qu'un  fort 
petit  nombre  qui  accompagnèrent  leurs  maris,  et  dont  il  devient  facile  de 
donner  les  noms  en  s'éclairant,  en  dehors  de  Bernai  Diaz,  de  l'autorité  de 
quelques  historiens-,  car  notre  chroniqueur,  qui  a  été  si  minutieux  pour  tous 
les  détails  concernant  le  personnel  de  l'expédition,  ne  fait  absolument 
aucune  mention  des  femmes  qui  partirent.  C'est  à  peine  si,  dans  le  courant 
de  son  récit,  il  nomme  trois  ou  quatre  compagnons  d'armes  à  propos  des- 
quels il  ajoute  :  «  Ce  fut  le  mari  d'une  telle  dame.  »  Du  reste,  un  passage 
de  lui  dit  clairement  qu'il  n'y  avait  point  de  femmes  de  Castille  dans  la 
Nouvelle-Espagne,  avant  la  prise  de  Mexico,  en  dehors  de  quelques-unes, 
en  petit  nombre,  qui  avaient  assisté  au  siège  de  cette  capitale.  Que  le  lec- 
teur veuille  bien  porter  les  yeux  sur  ce  qu'il  écrit  à  propos  d'un  banquet 
scandaleux  qui  eut  lieu  pour  fêter  la  prise  définitive  de  cette  ville  : 

«  On  enleva  enfin  les  tables,  et  les  dames  qui  se  trouvaient  là  commencèrent  à 
danser  avec  des  cavaliers  chargés  de  leurs  armes;  c'était  à  pouffer  de  rire.  Kilos 
étaient  en  petit  nombre;  il  n'y  en  avait  du  reste  pas  d'autres  ni  dans  tout  le  camp 
ni  dans  toute  la  Nouvelle- Espagne.  Je  ne  dirai  pas  leurs  noms  et  je  ne  parlerai 
point  des  critiques  qui  s'en  firent  le  lendemain  '.  » 

Cette  réserve  de  Bernai  Diaz  n'a  pas  été  imitée  par  d'autres  historiens 
qui  ont  trouvé  des  raisons  plus  respectables  pour  honorer  ces  dames  d'un 
souvenir  et  faire  oublier  la  peccadille  que  notre  auteur  fait  peser  sur  elles. 
Herrera,  en  effet,  nous  a  dit  à  propos  des  combats  célèbres  du  siège  de 
Mexico  : 

«  Beatriz  de  Palacios,  qui  était  mulâtresse,  fut  d'un  grand  secours  lorsque  Cortès 
fut  chassé  de  Mexico  aussi  bien  que  pendant  le  siège  qui  suivit.  Elle  était  mariée  avec 

1.  l'âge  &37. 


910  LES  SYPHILITIQUES 

un  soldat  nommé  Pedro  de  Escobar.  Elle  mit  une  telle  ardeur  à  servir  son  mari  et  les 
hommes  de  sa  compagnie  que,  le  voyant  fatigué  des  combats  qu'il  soutenait  pendant 
le  jour,  elle  montait  la  garde  pendant  la  nuit  et  faisait  sentinelle  à  sa  place  avec  le 
plus  grand  zèle.  Après  cela  elle  déposait  les  armes  et,  s'en  allant  aux  champs  cueillir 
des  blettes,  elle  revenait  les  faire  cuire  pour  les  servir  à  son  mari  et.  à  ses  camarades. 
Elle  pansait  les  blessés,  sellait  les  chevaux  et  faisait  mille  autres  choses  aussi  bien 
que  le  meilleur  soldat.  Ce  fut  elle  qui.  en  compagnie  de  quelques  autres,  soigna 
Cortès  et  ses  compagnons  d'armes  de  leurs  blessures  lorsqu'ils  arrivèrent  maltraités 
à  Tlascala,  prenant  soin,  en  même  temps,  de  leur  confectionner  des  vêtements  avec 
l'étoffe  du  pays.  Toutes  ensemble,  du  reste,  répondirent  à  Cortès,  qui  les  invitait  à 
rester  à  Tlascala  pour  se  reposer  de  leurs  fatigues  :  que  des  femmes  castillanes  se 
déshonoreraient  en  laissant  leurs  maris  aller  affronter  seuls  les  périls  de  la  campagne  ; 
qu'elles  étaient  résolues  à  mourir  partout  avec  eux.  Celles  qui  parlaient  ainsi  étaient: 
Beatriz  de  Palacios,  Maria  de  Estrada,  Juana  Martin,  Isabel  Rodriguez,  la  femme 
d'Alonso  Valiente,  et  quelques  autres1.  » 

De  son  côté,  Glavijero  rapporte  ce  qui  suit  dans  son  livre  de  la  Conquête 
du  Mexique  : 

«  Ces  assauts  devinrent  fameux  par  la  valeur  qu'y  déployèrent  quelques  femmes 
espagnoles  qui  avaient  accompagné  volontairement  leurs  maris  à  la  guerre  et  qui, 
aguerries  par  les  fatigues  qu'elles  eurent  à  supporter  et  par  les  exemples  de  courage 
dont  elles  étaient  témoins,  s'étaient  converties  en  véritables  soldats.  Elles  montaient 
la  garde,  marchaient  à  côté  de  leurs  maris,  cuirassées  de  coton,  avec  épée  et  ron- 
dache,  et  se  précipitaient  résolument  au  milieu  des  troupes  ennemies,  augmentant 
ainsi,  malgré  leur  sexe,  le  nombre  des  assiégeants.  Ces  femmes  s'appelaient  :  Maria 
de  Estrada,  Beatriz  Bermudez  de  Velasco.  Juana  Martin,  Isabel  Rodriguez  et  Beatriz 
Palacios2.  » 

Voilà  donc  des  dames  certainement  dignes  d'éloges.  A  côté  des  qualités 
incontestables  dont  on  vient  de  lire  la  peinture,  y  aurait-il  des  raisons  pour 
soupçonner  des  taches  qui  seraient  en  rapport  avec  ce  que  pourrait  faire 
supposer  la  scène  scandaleuse  décrite  par  Bernai  Diaz?  Ferons-nous  à  ces 
dames  l'injure  de  les  regarder  comme  un  élément  possible  de  propagation 
infectieuse  parmi  leurs  compatriotes? 

Outre  que  la  réputation  acquise  plus  tard  par  ces  honorables  Espagnoles 
serait  en  contradiction  avec  une  pareille  pensée,  nous  limitant  ici  à  faire  du 
réalisme  pur,  nous  affirmerons  qu'aucun  de  leurs  maris  ne  figure  dans  la 
liste  des  infectés  de  Bernai  Diaz  5. 

Avec  toutes  ces  données,  nous  pouvons  asseoir,  je  crois,  une  première 
affirmation:  c'est  que,  depuis  le  départ  de  Cuba  (10  février  1519)  jusqu'à 
la  prise  de  Mexico  (13  août  1521),  les  soldats  de  Cortès  ne  se  sont  point 
trouvés  en  contact  avec  des  femmes  espagnoles  susceptibles  d'être  regar- 
dées pour  eux  comme  un  élément  d'infection  syphilitique.  Il  est  vrai  qu'il 
était  venu  des  femmes  avec  Narvaez,  mais  la  plupart  ou  peut-être  toutes 
avaient  péri  à  Tustepeque  sous  le  fer  des  Mexicains  4. 

D'ailleurs,  revenons-en  à  l'affirmation  de  Bernai  Diaz,  qui,  dans  le  pas- 
sage précédemment  cité,  prétend  qu'il  n'y  avait  point,  «  ni  dans  le  camp  ni 
dans  tout  le  pays,  »  d'autres  femmes  espagnoles  que  celles  dont  il  vient  de 
parler. 

Les  soldats  de  l'expédition  de  Cortès  ont-ils  donc  été  infectés  au  Mexique 

1.  Herrera,  décade  III,  pages  39  et  40.  —  2.  Clavijero,  édition  mexicaine,  page  '294. 

3.  Don  Manuel  Orozco  y  Berra,  dans  son  article  «  Conquistadores  »,  donne  la  liste  des  femmes 
de  l'expédition  de  Cortès.  Voyez  à  la  fin  de  cette  liste,  page  891. 

4.  Page  5§5. 


DE  LA  CAMPAGNE  DE  FERNAND  CORTÈS.  911 

même,  ou  sont-ils  partis  malades  de  Cuba?  Le  fait  de  l'infection  sur  place 
n'est  pas  douteux  pour  Geronimo  de  Aguilar,  ainsi  que  nous  l'avons  Sait 
ressortir  précédemment.  Quant  à  Rangel,  Lopez  de  Avila  et  Andrès  de  Mon- 
jaraz,  Bernai  Diaz  nous  en  parle  au  moment  du  départ  de  Cuba  sans  faire 
soupçonner  aucunement  qu'ils  fussent  entachés  de  maladie;  ce  qui  me  pa- 
raît signifier  qu'ils  étaient  bien  portants,  du  moim  en  apparence*. 

La  question  se  trouve  réduite  à  rechercher  par  d'autres  moyens  si  la  sy- 
philis existait  au  Mexique  avant  l'arrivée  des  Espagnols,  puisque  par  eux- 
mêmes  ils  ne  peuvent  point  servir  à  dévoiler  ce  mystère.  J'avouerais  qu'en 
dehors  de  leurs  souffrances  et  des  circonstances  qui  s'y  rattachent,  on  ne 
trouverait  nulle  part  les  traces  d'aucun  souvenir  capable  de  dissiper  ce  nou- 
veau doute,  si  l'on  n'avait  à  citer  deux  passages  bien  curieux  du  P.  Saha- 
gun,  qui  feraient  fortement  supposer  l'existence  de  la  syphilis  parmi  les 
Aztèques  avant  l'invasion  de  leur  pays  par  les  Européens.  Je  ne  veux  pas 
dire  qu'il  n'y  ait  pas  un  plus  grand  nombre  de  passages  du  même  auteur  et 
d'autres  écrivains,  contenant  des  assertions  au  sujet  de  ce  mal,  mais  que 
deux  endroits  surtout  du  P.  Sahagun  me  paraissent  propres  à  entraîner  les 
convictions  du  lecteur.  Je  n'ignore  pas  du  reste  que  Gomara,  dans  la  pre- 
mière partie  de  sa  Chronique  générale  des  Indes  et  dans  son  Introduction, 
au  paragraphe  qui  a  pour  titre  :  «  Les  bubas  sont  venues  des  Indes  »,  pré- 
tend que  tous  les  Indiens  de  l'île  Espafiola  sont  atteints  de  bubas.  Il  ressasse 
alors  la  vieille  et  absurde  histoire  des  Espagnols  qui  reviennent  de  cette  île 
avec  Colomb  et  apportent  le  mal  en  Espagne  d'abord  et  en  Italie  ensuite,  où 
les  soldats  français  de  Charles  VIII  auraient  eu  occasion  d'en  être  infectés 
à  la  suite  de  cet  arrivage.  La  chronologie  a  fait  depuis  longtemps  justice 
de  cette  assertion  sans  valeur.  Le  témoignage  de  Gomara  à  ce  sujet  n'a  ab- 
solument aucun  intérêt.  Il  n'est  que  l'écho  de  ce  qui  se  disait  de  son  temps 
en  Espagne,,  à  Séville  surtout,  ainsi  que  le  démontrent  les  écrits  du  méde- 
cin Diaz  de  Islas,  par  la  lecture  desquels  Astruc  se  laissa  abuser.  Il  y  a  ce- 
pendant un  passage  de  Gomara  qui  mérite  attention  à  ce  sujet,  mais  cet  in- 
térêt, comme  l'on  va  voir,  est  absolument  étranger  à  son  propre  dire.  Dans 
la  deuxième  partie  de  sa  Chronique  générale  des  Indes,  en  effet,  cet  au- 
teur, après  avoir  raconté  que  l'expédition  de  Narvaez,  en  1520,  fut  l'oc- 
casion de  la  propagation  de  la  variole  au  Mexique,  s'écrie  dans  un  accès 
d'humanité  douteuse  :  «  Il  me  paraît  donc  que,  de  la  sorte,  les  Indiens  pavè- 
rent bien  cher  les  bubas  qu'ils  avaient  communiquées  aux  Espagnols,  ainsi 
que  je  Vai  dit  dans  un  autre  chapitre  ».  Ces  dernières  paroles  3c  rappor- 
tent à  ce  qui  a  déjà  été  dit  des  Indiens  des  Antilles,  et  ne  regardent  nulle- 
ment les  Indiens  du  Mexique.  Mais  voici  comment  ce  passage  acquiert  une 
réelle  valeur. 

Il  existe  une  très-curieuse  édition  mexicaine  de  Gomara  faite  dans  les 
circonstances  suivantes.  Cet  écrit  de  l'auteur  espagnol  fut  traduit  en  lan- 
gue nahuatl,  aussitôt  après  son  apparition,  par  un  Indien  lettré  nommé 
Chimalpain,  qui  modifia  certains  passages  et  en  démentit  certains  autres, 
de  façon  à  laisser  croire  que  ce  qu'il  écrit  indique  des  faits  qui  sont  tous,  à 
sa  connaissance,  très-dignes  de  crédit.  A  tout  cela  s'ajoutent  les  commen- 
taires de  Péditeur  érudit  Bustamante  qui  présenta  l'édition  de  Gomara  à  la 
fois  comme  œuvre  originale  de  cet  auteur  espagnol  et  comme  traduction  de 
Chimalpain. 

1.  Voir  les  pages  47  et  52.  Rangel  y  appâtait  si  bien  portant  que  Coflès  le  désigne  pour  son 
camarero,  emploi  qui  devait  lo  rapprocher  constamment  de  sa  personne. 


912  LES   SYPHILITIQUES 

Or,  dans  le  point  qui  nous  intéresse,  l'œuvre  de  Gomara  ainsi  modifiée 
et  commentée  dit  :  «  Il  me  paraît  donc  que,  de  la  sorte,  les  Indiens  payèrent 
bien  chéries  bubas  qu'ils  avaient  communiquées  aux  Espagnols.  »  Chimal- 
pain  supprime  :  «  ainsi  que  je  l'ai  dit  dans  un  autre  chapitre  »,  membre  de 
phrase  qui  s'applique  aux  Indiens  des  Antilles.  L'auleur  aztèque  contempo- 
rain delà  conquête  paraît  donc  accepter  aussi  comme  vraie  cette  imputation 
de  Gomara  en  ce  qui  regarde  son  propre  pays.  D'autant  plus  que  l'éditeur 
Bustamante  ajoute,  en  renvoi,  ce  singulier  commentaire  qui  confirme  la 
même  pensée  :  «  L'avantage  a  été  pour  les  Indiens  dans  cet  échange.  Com- 
bien d'Européens  sont  morts,  en  effet,  de  syphilis  depuis  l'année  1492  !  » 
La  conviction  de  l'existence  du  mal  dans  les  îles  comme  sur  le  conti- 
nent américain  avant  l'arrivée  des  Espagnols  existait  par  conséquent  dans 
l'esprit  de  l'auteur  aztèque  qui  avait  pu  en  juger  par  son  observation  per- 
sonnelle. 

Mais  à  cela  on  peut  objecter  que  de  pareilles  convictions  ne  disent  qu'une 
chose  :  c'est  qu'une  affection  de  nature  vénérienne  existait  chez  les  indi- 
gènes américains  avant  la  conquête;  mais  rien  ne  prouve  que  cette  maladie 
fût  réellement  constituée  par  les  symptômes  diathésiques  et  les  phéno- 
mènes, dits  tertiaires  de  nos  jours,  qui  caractérisent  la  syphilis.  Or,  nous 
allons  voir  que  les  témoignages  de  l'existence  d'une  affection  simplement 
vénérienne  chez  les  Américains  sont  réellement  très-nombreux.  Je  ne  par- 
lerai pas  d'Oviedo,  qui  cependant  avait  vu  lui-même,  mais  dont  l'observa- 
tion se  rapporte  aux  Antilles  particulièrement.  Je  ne  veux  m'occuper  que 
de  ce  qui  regarde  le  Mexique,  parce  que  Bernai  Diaz  parle  de  conquista- 
dores malades  de  bubas  et  que  c'est  sur  eux  que  doit  porter  notre  étude. 

C'est  à  leur  propos,  comme  je  l'ai  déjà  dit,  que  la  question  se  trouve  ré- 
duite à  découvrir  si  la  vraie  syphilis  existait  au  Mexique  avant  qu'ils  y  fus- 
sent arrivés.  Le  premier  passage  important  du  P.  Sahagun  à.  ce  sujet  dit 
ce  qui  suit  (livre  Ier,  chapitre  xiv,  de  son  Historia  gênerai  de  las  cosas  de 
Nueva  Espana),  à  propos  de  la  description  des  fêtes  qui  étaient  célébrées 
dans  le  courant  de  l'année  pour  honorer  les  nombreuses  divinités  aztèques  : 

«  On  appelait  ce  dieu  Macuilxoehitl;  c'était  la  divinité  du  feu,  el  le  dieu  de  prédi- 
lection des  gens  qui  habitaient  les  maisons  des  grands  seigneurs  et  les  palais  des 
princes.  On  Taisait  chaque  année  en  son  honneur  une  grande  fête  appelée  Xochi- 
thuitl,  qui  était  inscrite  parmi  les  fêtes  mobiles  dont  je  parle  dans  le  quatrième  livre 
qui  traite  de  l'art  divinatoire.  Pendant  les  quatre  derniers  jours  qui  précédaient  cette 
fête,  tous  ceux  qui  devaient  prendre  part  à  sa  célébration,  les  hommes  aussi  bien  que 
les  femmes,  observaient  un  jeûne  rigoureux  et,  si,  dum  duraret  iempus  jejuniî, 
homo  quidam  cum  muliere  fornicavelur ,  aut  cum  hominc  mulier}  dicebant  jeju- 
nium  contaminatum  esse}  et  ab  islo  Deus  irascens  morbis  pudendorum  talia 
facientes  castigabat,  ut  sunt  hœmorrhoides,  penis  putritudo,  furunculi,  iningui- 
uibus  abcessus,  etc.  '  ;  —  car  on  croyait  que  ces  maladies  étaient  le  châtiment 
infligé  par  ce  dieu  pour  les  raisons  que  je  viens  de  dire.  Aussi  lui  faisait-on  des 
vœux  et  des  promesses  pour  qu'il  apaisât  ces  souffrances  et  cessât  d'en  affliger  les 
hommes.  » 

D'autres  passages  du  même  auteur,  sans  avoir  autant  d'importance,  con- 
firment le  fait  de  la  manière  la  plus  claire. 

Ainsi,  à  l'appendice  du  livre  II,  page  196,  Sahagun,  traitant  des  divers 
amusements  auxquels  les  Aztèques  se  livraient  à  propos  de  la  célébration 
d'une  fête  religieuse  dédiée  au  dieu  de  la  guerre,  dit  qu'on  s'y  déguisait  en 

Cet  ctaetc)  a  paraît  indiquer  qu'il  y  avait  encore  d'autres  soulfrances  de  même  provenance. 


DE  LA  CAMPAGNE  DE  FEHNAND  COUTES.  913 

personnages  variés  et  que,  entre  autres  caprices,  on  avait  celui  de  simuler 
les  souffrances  des  lépreux  et  des  vénériens  (tambien  tomaban  personages 
de  enfermos,  como  son  los  leprosos  y  bubosos). 

Au  livre  III,  chapitre  n,  le  même  auteur,  parlant  des  attributs  du  dieu 
Tczcatlipuca,  nous  apprend  que  cette  divinité  donnait  aux  vivants  pauvreté, 
misère  et  des  maladies  contagieuses  ou  incurables  :  lèpre,  bubas,  goutte, 
gale,  autant  de  maux  que  ce  dieu  envoyait  aux  hommes  lorsqu'il  se  fâchait 
contre  ceux  qui  enfreignaient  les  vœux  et  les  pénitences  dont  ils  s'étaient 
fait  une  obligation,  ou  qu'on  se  livrait  à  des  actes  conjugaux  dans  les  jours 
déjeune. 

Un  des  passages  les  plus  curieux  du  livre  de  Sahagun  sur  le  sujet  qui 
nous  occupe  se  trouve  à  l'appendice  du  livre  III,  chapitre  n.  L'auteur  nous 
parle  des  croyances  des  Aztèques  sur  les  peines  et  les  récompenses  d'une 
autre  vie,  et  il  nous  dit  à  ce  propos  que  le  vrai  ciel  ne  pouvait  être  accessi- 
ble aux  vénériens  après  leur  mort.  Ils  étaient  obligés  de  s'arrêter  à  un  pa- 
radis intermédiaire,  appelé  «  terrestre».  Voici  les  paroles  de  Sahagun  à  ce 
sujet  :  «  Ceux  qui  vont  en  ce  paradis  sont  les  gens  tués  par  la  foudre  ou 
noyés,  les  lépreux,  les  vénériens,  les  galeux,  les  goutteux  et  les  hydropi- 
ques »  (y  los  que  van  alla  son  los  que  matan  los  rayos,  6  se  ahogan  en  el 
agua,  y  los  leprosos,  bubosos,  sarnosos,  gotosos  é  hidropicos) . 

Au  livre  IV,  chapitre  n,  Sahagun,  énumérant  les  signes  adverses  ou  pro- 
pices sous  lesquels  on  venait  au  monde,  nous  dit  que  le  signe  appelé  Chi- 
comcxuchitl  était  un  signe  de  malheur,  que  presque  toutes  les  femmes  qui 
y  naissaient  devenaient  brodeuses,  «  lesquelles  étaient  presque  toujours 
malades  de  leur  corps  par  le  fait  seul  d'être  nées  sous  ce  signe,  d'où  il  leur 
venait  gale,  mal  vénérien  et  autres  maladies  contagieuses  ». 

Pour  couronner  dignement  cette  revue  puisée  dans  l'ouvrage  de  Saha- 
gun, citons  un  passage  du  livre  important  de  Juan  de  Torquemada  sur  l'his- 
toire et  les  mœurs  des  anciens  Mexicains.  Parlant  des  nombreuses  cha- 
pelles qui  étaient  édifiées  dans  le  préau  du  grand  temple  de  Mexico,  il  dit  : 
«  Il  y  avait  un  autre  édifice  appelé  Netlatiloyan,  qui  veut  dire  «  où  l'on  se 
«  cache.  »  C'était  un  refuge  de  lépreux.  Le  dieu  s'appelait  Nanahuatl,  c'est- 
à-dire  Buba.  On  lui  sacrifiait  des  gens  atteints  de  cette  maladie  *.  » 

11  ressort  clairement  de  la  première  de  ces  citations,  corroborée  par  les 
suivantes,  qu'il  y  avait  au  Mexique,  avant  l'arrivée  des  Espagnols,  des  phé- 
nomènes pathologiques  simplement  vénériens  ou  formellement  syphiliti- 
ques, se  caractérisant  par  la  gonorrhée,  peut-être  le  chancre,  peut-être  des 
tumeurs  indurées,  mais  à  coup  sûr  le  bubon  inguinal,  dur  ou  suppuré, 
sans  qu'on  puisse  affirmer  encore  s'il  était  syphilitique  ou  purement  véné- 
rien. Rien  n'indique  dans  ces  passages  le  degré  de  gravité  des  symptômes 
quant  à  l'infection  générale.  Mais  voici,  à  quelques  pages  plus  loin,  dans 
l'ouvrage  du  P.  Sahagun,  un  éclaircissement  nouveau  et  de  la  plus  haute 
importance.  Cet  auteur,  énumérant  les  remèdes  dont  les  Aztèques  faisaient 
usage  contre  les  différentes  maladies  auxquelles  ils  étaient  sujets,  s'exprime 
de   la  manière  suivante  : 

«  La  maladie  des  bubas  se  traite  en  buvant  une  décoction  de  la  plante  appelée 
tlclletnoitl,  en  prenant  en  même  temps  quelques  bains,  et  en  saupoudrant  les  parties 

1.  «  Mabia  otro  edificio,  llamado  Netlatiloyan,  que  quiere  decir:  donde  se  asconden.  Era  lupar  de 
leprosos  y  su  dios  se  llamaba  Nanahuatl  (Buba).  A  estos  los  sacrilicaban  algunos  de  esla  enferme- 
dad.  »  (Livre  VIII,  ebap.  xiv,  p.  152  du  tome  11.) 

38 


914  LES  SYPHILITIQUES 

malades  avec  la  plante  pulvérisée  appelée  llaquequelzal  ou  même  un  peu  de  limaille 
de  cuivre.  Ces  bubas  sont  de  deux  sortes  :  les  unes,  très-sordides,  portent  le  nom  de 
tlacaconanaoall;  les  autres,  qui  sont  moins  repoussantes,  s'appellent  lecpilnanaoatl 
et  quelquefois puchonanaoatl1.  Celles-ci  font  éprouver  de  grandes  douleurs;  elles 
rendent  perclus  des  pieds  et  des  mains  et  s'enracinent  dans  les  os.  Lorsqu'elles  feront 
explosion  au  dehors,  le  malade  prendra  de  la  bouillie  de  maïs  mêlée  d'une  graine 
appelée  michivauhtli,  ou  bien  la  décoction  de  racine  de  quauhtcpatli,  quatre  ou  cinq 
fois  par  jour,  en  ayant  soin  de  prendre  quelques  bains.  Si  le  malade  devient  perclus, 
il  boira  la  décoction  de  racine  de  tlatlapanaltic  et  se  fera  appliquer  une  saignée 
Ces  remèdes  seront  même  mis  en  usage  pour  l'autre  sorte  de  bubas  dont  j'ai  déjà 
parlé2.  » 

Que  pourrait-on  désirer  de  plus  après  la  lecture  de  ce  curieux  passage  ? 
Qu'y  manque-t-il,  en  effet,  pour  désigner  non-seulement  la  syphilis  avec  les 
différents  groupes  de  symptômes  qui  caractérisent  son  évolution  protéi- 
forme,  mais  encore  la  connaissance  parfaite  que  les  Aztèques  paraissaient 
avoir  delà  solidarité  de  ces  divers  accidents?  Il  est  certes  bien  surprenant 
de  voir  régner  parmi  eux  la  conviction  que  les  ulcères  et  autres  signes  ex- 
érieurs  étaient  de  même  nature  que  les  douleurs  et  les  déformations  os- 
seuses. Le  savaient-ils  par  eux-mêmes  ou  Pavaient-ils  appris  par  les  Espa- 
gnols ? 

Sahagun  est  arrivé  au  Mexique  en  1529,  huit  ans  par  conséquent  après 
la  prise  de  Mexico.  C'était  trop  peu  de  temps  pour  que  les  Indiens  se  fus- 
sent déjà  espagnolisés.  Ils  avaient  encore  leur  langage  propre  sans  altéra- 
tion d'aucune  sorte.  S'ils  eussent  porté  l'attention  pour  la  première  fois  sur 
les  symptômes  syphilitiques  comme  résultant  d'une  maladie  récemment 
importée,  ils  eussent  probablement  adopté  les  termes  qui  la  désignaient  en 
espagnol,  du  moins  pour  en  faire  les  radicaux  des  mots  nouveaux  qu'ils 
auraient  employés.  Ils  eussent  aussi,  en  ce  cas,  adopté  les  pratiques  cura- 
tives  des  étrangers,  sans  chercher  les  moyens  de  guôrison  dans  des  plantes 
indigènes  dant  ils  n'auraient  pas  eu  le  temps  encore  de  connaître  les  pro- 
priétés dans  l'espèce. 

On  me  fera  observer  peut-être  que  ce  que  je  viens  de  dire  serait  incon- 
testable si  Sahagun  avait  écrit  sous  l'inspiration  des  premiers  jours  qui 
suivirent  son  arrivée  dans  le  pays.  Mais  il  n'en  a  pas  été  ainsi.  L'estimable 
franciscain  composa  son  livre  en  langue  nahuatl,  ce  qui  suppose  un  séjour 
d'au  moins  vingt  années  et  nous  conduit  à  trente  ans  après  la  conquête.  Ce 
laps  de  temps  aurait  été  bien  suffisant  pour  que  les  Indiens  se  fussent  fa- 
miliarisés avec  les  habitudes  des  conquistadores,  et  pour  qu'ils  envisa- 
geassent comme  inhérentes  à  leur  propre  nature  les  maladies  que  le  vain- 
queur leur  aurait  apportées. 

Je  réponds  que  ces  observations  sont  des  plus  raisonnables  :  mais  ce  qui 
le  serait  beaucoup  moins  ce  serait  d'attribuer  aux  Aztèques  d'alors  le  soin 
particulier   d'inventer    des    appellations    nouvelles    et    d'approprier    aux 

1.  Nous  ne  devons  pas  omettre  de  donner  la  signification  véritable  de  ces  dénominations  en  lan- 
gue nahuatl.  Il  ne  faut  pas  en  effet  que  la  pensée  du  lecteur  puisse  s'égarer  à  ccoire  qu'elles  renfer- 
ment un  intérêt  quelconque  relatif  à  l'origine  ou  à  la  provenance  du  mal.  Ces  trois  mots  sont  com- 
posés d'abord  d'un  terme  générique,  nanaoall,  qui  veut  dire  «  lèpre  »  ou  «  mal  vénérien  »,  et  d'un 
mot  spécifique  différent  pour  chacun  d'eux  {tlacaco,  lecpil  elpucho),  désignant  trois  aspects  diffé- 
rents de  la  maladie  :  «  sale,  propre,  ou  gonflé.  »  Les  deux  premiers  de  ces  mots  composés,  llaca- 
conanaoatl  et  teepilnanaoatl,  se  trouvent  dans  le  dictionnaire  célèbre  de  Molina,  qui  fut  imprimé 
au  Mexique  en  1571:  Ce  moine  distingué  les  a  traduits  par  l°  «  bubas  grandes  et  pestilentielles»; 
2°  «  petites  bubas  ».  On  ne  trouve  pas  dans  son  Dictionnaire  la  double  expression  puclwiianaoatl  ; 
mais  on  peut  croire  que  le  terme  spécifique  pucho  ou  puço  dérive  de  poclialma  (tumesco)  et  donne 
à  l'ensemble  du  mot  la  signification  de  «  bubas  envenimées  avec  enflure  ». 

2.  Sahagun.  Historia  gênerai  de  las  cosas  de  Nueva  Espaùa,  liv  X,  ch.  xxviu,  §  5. 


DE  LA  CAMPAGNE  DE  FERNAND  GORTES.  915 

souffrances  importées  toute  une  longue  série  de  remèdes  en  rapport  avec  les 
diverses  manifestations  du  mal.  Les  pauvres  Indiens,  soumis  dès  le  début 
des  triomphes  espagnols  à  la  plus  abjecte  servitude,  perdirent  bien  vite 
toute  initiative  et  virent  l'apathie  la  plus  inerte  succéder  à  l'activité  et  à 
l'éducation  virile  d'autrefois.  Courbés  sous  le  joug  dont  ils  étaient  accablés, 
ils  n'avaient  aucun  désir  de  lutter  contre  ce  qui  tendait  à  les  détruire,  et 
quand  la  maladie  venait  à  les  atteindre,  ils  ne  savaient  que  courber  la  tète 
et  se  laisser  mourir.  Voyez  ce  que  Sahagun  lui-même  nous  a  dit  '  lorsque, 
parvenu  à  une  grande  vieillesse,  il  traduisait  son  manuscrit  aztèque  en  es- 
pagnol, en  y  ajoutant  quelques  chapitres  d'impressions  nouvelles.  Pendant 
les  terribles  épidémies  de  1545  et  1576,  dont  il  fut  le  témoin,  les  Indiens 
restaient  inertes  en  présence  du  mal,  attendant  tout  soutien  des  Européens 
qui  les  avaient  dominés  et  dont  le  nombre  était  encore  trop  peu  considéra- 
ble, en  même  temps  que  leur  esprit  de  charité  envers  la  race  était  trop  peu 
prononcé  pour  qu'il  en  pût  résulter  un  secours  réellement  efficace.  Ce  fut 
donc  bien  certainement  à  cet  abattement  moral  des  Indiens  et  à  ce  grand 
abandon  d'eux-mêmes  par  eux-mêmes  que  durent  s'attribuer  en  majeure 
partie  les  ravages  effrayants  de  ces  époques  calamiteuses. 

Lorsque  donc  on  nous  parle  d'habitudes  de  prévoyante  initiative  et  de 
soins  mesurés  provenant  d'inspirations  personnelles  des  Indiens,  ce  n'est 
pas  dans  les  années  troublées  qui  suivirent  de  plus  ou  moins  près  la  con- 
quête qu'il  faut  en  aller  constater  l'existence.  Ce  que  Sahagun  nous  dit  des 
remèdes  employés  par  eux  contre  Ies6u6as,en  reconnaissant  à  celles-ci  tous 
les  caractères  symptomatiques  que  nous  avons  reproduits,  c'est  à  l'époque  de 
l'indépendance  du  pays  qu'il  le  faut  rapporter,  et  nullement  au  temps  pos- 
térieur à  la  chute  de  Mexico. 

Quelles  raisons  pourrions-nous  avoir  d'ailleurs  pour  nous  refuser  à  croire 
que  ces  phénomènes  franchement  syphilitiques,  désignés  en  dernier  lieu 
par  Sahagun,  ne  sont  autre  chose  que  les  éléments  de  Vet  caetera  sur  lequel 
nous  avons  précédemment  attiré  l'attention  et  qui  termine  l'énumération 
des  souffrances  à  propos  desquelles,  bien  avant  l'arrivée  des  Espagnols, 
l'on  adressait  des  prières  aux  dieux  pour  être  délivré  de  cette  cruelle 
affection?  Il  est,  en  effet,  difficile  d'admettre  que  les  Aztèques  eussent  pris 
l'habitude  de  pratiques  religieuses  avec  promesses  et  vœux  faits  devant  les 
autels  de  leurs  divinités,  pour  une  maladie  peu  rebelle  et  qui  n'eût  point 
affecté  des  caractères  d'une  gravité  et  d'une  durée  exceptionnelles. 

Nul  obstacle  ne  pourrait  donc  plus  arrêter  nos  convictions,  n'était  le 
doute  au  sujet  du  degré  de  confiance  que  mérite  l'auteur  sur  lequel 
nous  venons  de  nous  appuyer.  Or,  là  encore,  notre  adhésion  sans  limites  se 
trouve  commandée  par  le  soin,  la  circonspection,  la  conscience  qui  ont  pré- 
sidé à  la  composition  de  l'œuvre  du  P.  Sahagun.  Il  nous  dit,  en  effet, 
lui-même2  que  tout  fut  écrit  sous  l'inspiration  de  conférences  variées  avec 
des  lettrés  indiens  instruits  dans  la  langue  espagnole,  avec  des  vieillards 
indigènes  qui  avaient  eux-mêmes  pratiqué  ce  qu'il  s'agissait  de  décrire, 
avec  des  hommes  enfin  qui,  s'étant  déjà  mis  au  courant  de  ce  qui  concer- 
nait la  civilisation  européenne,  n'avaient  rien  oublié  des  coutumes  et  des 
mœurs  mexicaines,  auxquelles  ils  étaient,  pour  la  plupart  peut-être,  al  ta- 
chés encore  par  des  sympathies  secrètes. 

1.  Loc.  cit.,  liv.  XI,  chap.  xn,  §  7.  Cette  œuvre  se  trouve  aussi  dans  la  collection  célèbre  de  lord 
Kingsborough. 

2.  Loc.  cit.,  préface  de  l'auteur. 


916        LES  SYPHILITIQUES  DE  LA  CAMPAGNE  DE  GORTÊS. 

Les  nombreuses  considérations  qui  précèdent  me  paraissent  légitimer 
les  conclusions  suivantes: 

1°  Il  y  avait,  d'après  Bernai  Diaz,  un  certain  nombre  de  syphilitiques 
parmi  les  compagnons  d'armes  de  Fernand  Cortès. 

2°  Bien  que  le  mal  eût  pu  prendre  sa  source  en  Europe  même,  et  surtout 
à  Cuba,  avant  leur  départ  pour  le  Mexique,  il  y  a  des  raisons  de  croire  que 
plusieurs  d'entre  eux  étaient  bien  portants  avant  d'entreprendre  la  cam- 
pagne. 

3°  Pendant  plus  de  deux  ans  et  demi,  ils  ne  furent  point  dans  la  possibi- 
lité de  se  contaminer  par  un  commerce  impur  avec  des  femmes  d'Eu- 
rope. 

k°  Il  paraît  fort  probable  que  quelques-uns  prirent  au  Mexique  même  le 
germe  de  leur  maladie. 

5°  On  le  peut  d'autant  mieux  croire  que  les  écrits  du  Père  franciscain 
Sahagun  parlent,  comme  de  choses  certaines,  de  la  syphilis  des  Aztèques 
et  des  remèdes  dont  ils  faisaient  usage  contre  elle,  avant  l'arrivée  des  Es- 
pagnols. 

6°  11  en  résulterait  que  .cette  maladie   existait  réellement  au   Mexique 
avant  la  découverte  de  ce  pays  par  les  Européens'. 


1.  Celte  feuille  était  déjà  sous  presse  lorsque,  le  5  juillet,  a  été  faile  à  la  Société 
d'anthropologie  de  Paris  une  communication  des  plus  importantes,  qui  a  un  très- 
grand  intérêt  pour  le  sujet  que  nous  venons  de  traiter  ici.  Un  médecin  distingué  de 
notre  marine  militaire  recueillit,  il  y  a  trois  ans;  à  Arica,  ville  située  au  sud  de  la 
côte  du  Pérou,  trois  crânes  d'enfants,  bien  conservés,  que  les  vagues  résultant  d'une 
furieuse  tempête  venaient  de  mettre  à  découvert  dans  un  ancien  cimetière  de  Péru- 
viens d'avant  la  conquête  de  l'Amérique.  M.  le  professeur  Parrot,  dont  la  compétence 
éclairée  est  si  connue,  a  fait  remarquer  à  la  Société  que  ces  crânes  présentaient  les 
traces  non  équivoques  d'ostéite  syphilitique.  D'après  ce  savant  maître,  cette  forme 
d'ostéite  est  surtout  le  fait  de  la  syphilis  héréditaire  et  se  rencontre  tout  particulière- 
ment chez  les  enfants.  IJ  a  fait  voir  des  pièces  recueillies  dans  son  service  actuel, 
dont  les  altérations  sont  tout  à  fait  semblables  à  celles  des  crânes  présentés,  et  il  a 
fait  observer  qu'il  fallait  que  la  syphilis  fût  étrangement  commune  parmi  les  anciens 
Péruviens,  puisque  l'on  en  trouve  des  traces  évidentes  sur  les  trois  seuls  crânes  d'en- 
fants que  le  hasard  a  fournis.  M.  le  professeur  Broca  a  dit  avec  juste  raison  que  la 
déformation  artificielle,  dont  deux  de  ces  crânes  portent  la  trace,  aura  pu  faire  éclater 
plus  facilement  les  manifestations  syphilitiques  chez  des  sujets  imprégnés  de  ce  vice. 
Il  a  ajouté  que  cette  communication  serait  d'un  intérêt  tout  à  fait  hors  ligne,  s'il  était 
réellement  prouvé  que  ces  crânes  ont  été  extraits  d'un  cimetière  ne  contenant  que 
des  sujets  antérieurs  à  la  conquête  de  l'Amérique.  Il  y  aurait  peut-être  là  une  raison 
de  douter,  si  le  donateur  de  ces  restes  anatomiques,  qui  mérite  toute  confiance,  ne 
s'était  assuré  sur  place  que  les  inhumations  en  ce  lieu  se  rapportent  bien  certaine- 
ment aux  époques  anciennes  du  pays.  Ces  crânes  seraient  donc  une  preuve  nouvelle 
ajoutée  à  celles  que  je  viens  d'énumérer  et  bien  plus  péremptoire  que  n'importe  la- 
quelle d'entr'cllcs,  pour  mettr.e  hors  de  doute  l'existence  de  la  syphilis  en  Amérique 
avant  sa  découverte  par  les  Européens. 


LES  SACRIFICES  HUMAINS 


ET  L'ANTHROPOPHAGIE  CHEZ  LES  AZTÈQUES 


Quand  il  est  question  d'anciens  Mexicains,  si  l'on  se  limite  à  des  considé- 
rations superficielles  sur  leur  degré  de  mérite,  on  les  qualifie  sans  hésiter, 
soit  de  peuple  détestablement  barbare,  soit  de  nation  sympathiquement  civi- 
lisée, selon  que  l'on  s'est  attaché  à  les  envisager  exclusivement,  d'une  part, 
dans  l'ensemble  de  leurs  louables  coutumes  législatives  et  sociales,  ou, 
d'autre  part,  dans  leurs  abominables  pratiques  religieuses,  avec  les  sacrifices 
humains etle  cannibalisme  qui  s'y  trouvaient  associés.  Ces  jugements  abso- 
lument opposés  puisent  la  cause  de  leur  différence  dans  la  conviction 
assurément  raisonnable,  qu'aucun  peuple  ne  saurait  s'organiser  en  société 
policée  et  prendre  en  même  temps  le  sang  de  ses  semblables  pour  base  de 
ses  holocaustes  ou  l'anthropophagie  pour  but  de  ses  meilleures  satisfactions 
culinaires.  Cet  assemblage  bizarre  et  en  quelque  sorte  paradoxal  est  cepen- 
dant un  fait  indéniable  de  l'histoire  des  hommes  qui  vécurent  au  Mexique 
pendant  les  deux  derniers  siècles  qui  précédèrent  la  conquête.  Sans  prétendre 
l'expliquer,  je  me  propose  d'en  soumettre  les  détails  les  plus  saillants  à 
l'attention  de  mes  lecteurs.  Je  commencerai  par  les  sacrifices. 

On  a  dit  que  la  religiosité  forme  le  caractère  dominant  et  distinctif  du 
règne  humain.  On  peut  ajouter,  en  toute  vérité,  que  l'habitude  de  l'offrande 
à  un  Dieu  créateur  proclame  que  le  sacrifice  est  la  base  essentielle  des  pra- 
tiques de  toute  religion.  Il  n'est  pas  oiseux  de  faire  remarquer  que  le  chris- 
tianisme, loin  d'échapper  à  cette  loi,  l'a  consacrée  à  tout  jamais  en  prenant 
la  mort  de  l'Homme-Dieu  pour  point  de  départ  de  ses  croyances  et  de  ses 
pratiques.  Il  y  a  plus  :  dans  la  pensée  des  chrétiens,  ce  sacrifice  sublime  fut 
d'un  tel  poids  aux  yeux  du  Dieu  créateur,  qu'il  eut  la  puissance  d'apaiser  sa 
colère,  sans  nuire  à  l'équilibre  de  sa  justice,  en  faveur  de  l'humanité  vouée 
jusqu'alors  à  l'expiation  par  suite  de  la  désobéissance  du  premier  homme. 
Il  ne  faut  donc  pas  se  récrier  contre  les  Aztèques  pour  le  fait  d'avoir  étayé 
leurs  cérémonies  religieuses  sur  la  pratique,  en  elle-même  respectable,  du 
sacrifice.  Notre  répulsion  doit  être  réservée  pour  le  seul  fait  d'avoir  choisi  les 
victimes  parmi  leurs  semblables;  et  encore  faut-il  reconnaître  qu'ils  n'ont 
pas  été  l'unique  peuple  entaché  de  cette  abominable  coutume.  «La  vitalité  du 
sang,  a  dit  le  comte  Joseph  de  Maistre,  ou  plutôt  l'identité  du  sang  et  de 
la  vie  étant  posée  comme  un  fait   dont  l'antiquité  ne  doutait  nullement  et 


918  LES  SACRIFICES  HUMAINS 

qui  a  été  renouvelé  de  nos  jours,  c'était  aussi  une  opinion  aussi  ancienne 
que  le  monde,  que  le  ciel  irrité  contre  la  chair  et  le  sang  ne  pouvait  être 
apaisé  que  par  le  sang;  et  aucune  nation  n'a  douté  qu'il  n'y  eût  dans  l'effu- 
sion du  sang  une  vertu  expiatoire  !  Or,  ni  la  raison  ni  la  folie  n'ont  pu 
inventer  cette  idée,  encore  moins  la  faire  adopter  généralement.  Elle  a  sa 
racine  dans  les  dernières  profondeurs  de  la  nature  humaine,  et  l'histoire, 
sur  ce  point,  ne  présente  pas  une  seule  dissonance  dans  l'univers.  La 
théorie  entière  reposait  sur  le  dogme  de  la  réversibilité.  On  croyait 
(comme  on  a  cru,  comme  on  croira  toujours)  que  l'innocent  pouvait  payer 
pour  le  coupable,  d'où  l'on  concluait  que,  la  vie  étant  coupable,  une  vie 
moins  précieuse  pouvait  être  offerte  et  acceptée  pour  une  autre.   On  offrit 

donc  le  sang  des  animaux1 » 

Peu  à  peu  cette  pensée  de  la  réversibilité  fut  saisie  du  scrupule  que  les 
animaux  s'éloignaient  trop  de  la  nature  humaine  pour  que  leur  sang  inno- 
cent pût  remplacer  le  sang  de  l'homme  dans  le  sacrifice.  La  substitution 
dès  lors  crut  devoir  recruter  des  victimes  parmi  les  créatures  que  l'espèce 
faisait  identiques,  et  l'homme  en  arriva  à  demander  la  protection  et  le 
secours  de  la  divinité  au  moyen  du  sang  humain  lui-même,  qui  devint  la 
base  de  l'offrande.  L'histoire  nous  présente  bien  des  peuples  comme  ayant 
cédé  à  cette  détestable  erreur,  et  si  les  Aztèques  méritent  d'en  être  blâmés 
plus  que  tous  autres,  ce  n'est  que  pour  s'être  livrés  à  ces  horribles  pratiques 
avec  une  ardeur  et  une  prédilection  qui  permettent  de  penser  que  les  dévots 
et  les  prêtres  y  trouvaient  comme  une  sorte  d'infernale  volupté.  On  en 
pourra  juger  par  les  détails  qui  vont  suivre. 

Les  temples  étaient  partout  très-nombreux,  parmi  les  habitants  du 
Mexique  à  l'époque  de  la  conquête.  Leurs  formes  variaient  beaucoup,  mais 
elles  imitaient  bien  souvent  le  somptueux  modèle  qui  s'élevait  à  la  place  du 
Tatelulco  et  dont  Bernai  Diaz  nous  donne  une  description  obscure  à  la 
page  250.  On  en  aura  une  idée  juste  si  l'on  veut  bien  se  représenter 
une  base  quadrangulaire,  d'environ  cinquante  mètres  de  côté,  dépassant  d'à 
peu  près  huit  mètres  le  niveau  du  sol.  Sur  cette  première  assise  élevez  une 
autre  masse  de  forme  identique  dont  les  côtés  surgiront  avec  un  mètre  et 
demi  de  retrait  sur  la  précédente.  Au-dessus  de  cette  seconde  élévation, 
construisez-en  une  troisième,  puis  une  quatrième,  puis  encore  une  cin- 
quième, en  observant  pour  chacune  d'elles  le  mètre  et  demi  de  retrait  sur 
celle  qui  l'a  précédée.  Vous  aurez  ainsi  réduit  successivement  les  masses 
étagées  de  telle  sorte  que  la  dernière  se  terminera  par  une  plate-forme 
carrée  de  trente-huit  mètres  de  côté.  Là  s'élevaient  deux  tourelles  dans  l'in- 
térieur desquelles  trônaient  les  hideuses  idoles.  En  face  d'elles  une  masse 
pierreuse,  oblongue,  généralement  un  monolithe,  s'élevait  à  la  hauteur 
d'environ  quatre-vingts  centimètres.  Sa  face  supérieure,  légèrement  convexe 
dans  le  sens  de  sa  longueur,  était  destinée  à  recevoir  les  victimes  que  l'on  y 
plaçait  couchées  sur  le  dos.  Il  résultait  de  la  forme  même  de  la  pierre  que, 
le  haut  et  le  bas  du  corps  étant  ramenés  à  un  niveau  inférieur,  la  poitrine 
était  fortement  en  saillie  et  s'offrait  aisément  aux  coups  barbares  du  grand 
prêtre  qui  consommait  le  sacrifice.  \Q'est  en  effet  sur  la  poitrine  que  portait 
cette  attaque  inhumaine,  car  tout  l'intérêt  de  cet  acte  religieux  consistait  à 


1.  Joseph  de  Maistre.  Soirées  de  Saint-Pétersbourg,  t.  II,  p.  339. 


ET   L'ANTHROPOPHAGIE  CHEZ  LES  AZTÈQUES.  919 

saisir  vivement  le  cœur  pendant  qu'il  palpitait  encore,  pour  l'offrir  à  la 
cruelle  idole  tout  dégouttant  de  sang.     } 

Il  est  difficile  de  deviner,  ne  possédant  aucun  renseignement  positif  sur 
cette  pratique,  par  quel  procédé  l'ouverture  était  faite  sur  la  paroi  en  saillie 
de  la  poitrine  et  comment  on  introduisait  la  main  pour  en  arracher  violem- 
ment cet  organe.  Si  Ton  en  juge  cependant  par  quelques  représentations 
graphiques  qui  ont  été  faites  de  cette  lugubre  cérémonie,  on  peut  croire  que 
cet  acte  atroce,  présidé  par  lej^rar.d-prêtrequi  en  était  le  principal  exécuteur, 
recevait  le  secours  de  cinq  aides  vigoureux  destinés  à  s'emparer  de  la  vic- 
time et  à  la  contenir  immobile  sur  la  pierre  du  sacrifice.  Chacun  d'eux  sai- 
sissait soit  un  bras,  soit  une  jambe,  soit  la  tête,  tandis  que  le  grand  prêtre, 
muni  d'un  lourd  et  tranchant  couteau  d'obsidienne  qu'il  tenait  des  deux 
mains,  l'élevait  le  plus  haut  possible  au-dessus  de  la  poitrine  et  le  poussait 
violemment  de  manière  à  entamer,  par  un  coup  bien  assuré,  les  parties  car- 
tilagineuses des  côtes  aux  points  de  leur  jonction  avec  l'os  sternum.  Si  l'on 
conçoit  que  cet  instrument  de  supplice  était  dirigé  un  peu  obliquement  de 
haut  en  bas,  on  arrive  à  comprendre  qu'en  s'enfonçant  profondément,  il 
pût  faire  une  grande  entaille  qui  descendait  jusqu'à  l'estomac  en  divisant  le 
diaphragme.  Il  en  résultait  une  énorme  incision  qui  pouvait  facilement 
donner  accès  à  la  main,  en  procédant  surtout  de  bas  en  haut  et  de  droite  à 
gauche.  Le  cœur  était  saisi  par  des  doigts  vigoureux  dressés  à  ce  barbare 
exercice.  Attiré  au  dehors  et  délivré  de  ses  attaches  résistantes  de  nature 
vasculaire  au  moyen  de  l'instrument  tranchant,  il  était  immédiatement 
porté  aux  pieds  de  la  divinité  en  l'honneur  de  laquelle  se  faisait  le  sacrifice 
et,~nïèlé  à  de  l'encens  sur  lequel  on  entretenait  un  brasier,  il  apportait  long- 
temps encore  au  visage  de  l'idole  l'odeur  du  sang  et  de  la  fumée.  Ce  n'est 
pas  tout  en  fait  d'horreur  -,Qe  fanatisme  exaltant  les  passions  du  prêtre, 
celui-ci  plongeait  à  plusieurs  reprises  la  main  dans  la  poitrine  de  la  victime 
et  la  retirait  en  aspergeant  les  murs  du  temple,  et  même  les  assistants,  de 
ses  doigts  ensanglantés.lTel  était,  en  peu  de  mots,  le  dénoûment  de  cette 
cruelle  cérémonie. 

11  paraîtrait  impossible  d'y  rien  ajouter  qui  pût  en  rendre  l'horreur  plus 
saisissante.  Il  est  cependant  certain  qu'on  était  parvenu,  par  des  pratiques 
secondaires  et  par  des  préparatifs  hideux,  à  rendre  ce  genre  de  sacrifice  plus 
dégoûtant  encore.  L'habitude  émoussant  peu  à  peu  la  sensibilité  de  ces 
prêtres  fanatiques,  ils  avaient  recours  à  des  moyens  accessoires  pour  raviver 
en  eux  un  reste  de  volupté.  Les  victimes  souffraient  trop  peu  à  leur  guise. 
Aussi  imaginaient-ils  en  certaines  circonstances  de  faire  allumer  un  bûcher 
pour  y  puiser  un  moyen  d'augmenter  cet  affreux  martyre.  Sahagun  dit  en 
effet  (tome  I,  livre  II,  chap.  X)  :  «  On  leur  liait  les  pieds  et  les  mains;  ainsi 
attachés,  les  assistants  ou  les  prêtres  les  chargeaient  sur  leurs  épaules  et  se 
livraient  sous  ce  poids  à  des  danses  variées  autour  d'un  grand  brasier 
allumé.  Tout  d'un  coup  on  lançait  la  victime  sur  la  partie  la  plus  ardente  du 
foyer,  on  la  laissait  se  griller  un  instant  et,  vivante  encore,  on  la  saisissait 
avec  un  crochet  et,  la  traînant  violemment  sur  le  sol,  on  venait  rapidement 
la  placer  sur  la  pierre  du  sacrifice  où  l'on  s'empressait  de  lui  arracher  le 
cœur.  C'est  ainsi  qu'on  augmentait  les  supplices  de  ces  infortunés.  » 

Ce  n'est  pas  tout  encore.  Il  faut  croire  que  les  spectateurs  habituels  de 
ces  scènes  sanglantes  en  étaient  venus  à  y  prendre  part  d'une  manière  ac- 
tive. Ils  y  trouvaient  une  sorte  de  volupté  qu'ils  cherchaient  à  raviver  par 
des  pratiques  qui  paraissent  incroyables.  Ils  briguaient  l'honneur  de  rem- 


920  LES  SACRIFICES  HUMAINS 

placer  la  pierre  des  sacrifices.  Prenant  ces  malheureux  sur  leur  dos,  ils  ve- 
naient les  offrir  au  couperet  du  prêtre  et  se  donnaient  ainsi  l'immonde  plai- 
sir d'éprouver  la  sensation  produite  par  les  derniers  frémissements  de  la 
chair  des  victimes  mourantes  et  par  le  contact  du  sang  qui  ruisselait  sur 
eux  de  toutes  parts.  Citons,  en  témoignage,  ces  mots  de  Sahagun  :  «  On 
entourait  la  femme  qui  ce  jour-là  devait  être  sacrifiée  et  qu'on  avait  obli- 
gée à  revêtir  les  attributs  de  la  déesse  en  l'honneur  de  laquelle  se  faisait  la 
cérémonie.  C'est  ainsi  que,  chantant  et  dansant,  on  veillait  toute  la  nuit 
qui  précédait  le  jour  du  sacrifice.  L'aurore  étant  venue,  tous  les  nobles  et 
les  gens  de  guerre  venaient  danser  dans  les  cours  intérieures  du  temple  en 
obligeant  la  malheureuse  femme  à  se  livrer  à  la  danse  comme  eux,  accom- 
pagnée de  plusieurs  femmes  vêtues  des  mêmes  ornements  que  la  victime. 
On  arrivait  ainsi  au  temple  en  dansant.  On  l'y  faisait  monter  et,  en  arrivant 
à  la  dernière  plate-forme,  un  des  assistants  la  prenait  sur  lui  dos  à  dos; 
dans  cette  situation,  on  lui  tranchait  la  tête  et  immédiatement  on  lui  arra- 
chait le  cœur  qui  était  offert  au  soleil.  »  Voyez  encore  ce  passage  du  même 
auteur  :  «  Quand  la  victime  était  arrivée  sur  la  plate- forme,  un  assistant 
la  prenait  sur  son  dos;  on  lui  tranchait  la  tête  et  immédiatement  on  s'em- 
pressait de  l'écorcher.  Un  garçon  des  plus  robustes  se  vêtissait  de  cette 
peau  sanglante.  Celui-ci,  ainsi  revêtu,  était  conduit  en  grande  solennité, 
entouré  de  plusieurs  captifs,  au  temple  de  Vitzilopuchtli  et  lui-même,  en 
présence  de  ce  dieu,  arrachait  le  cœur  à  quatre  captifs,  abandonnant  tous 
les  autres  au  couteau  préparé  du  grand  prêtre.  »  (Chap.  xi.) 

Nous  venons  de  mentionner  pour  la  première  fois  cette  dégoûtante  céré- 
monie qui  consistait  à  écorcher  les  victimes  du  sacrifice  et  à  se  revêtir  de 
leur  peau  sanglaute.  Cette  horrible  pratique  était  très-fréquente  et  l'on 
comprend  que  le  fanatisme  de  ceux  qui  s'y  livraient  dût  être  poussé  à  l'ex- 
trême, car  elle  se  mêlait  à  des  particularités  si  révoltantes  que  l'on  comprend 
à  peine  qu'elles  aient  été  possibles,  et  il  ne  faut  rien  moins  que  le  témoignage 
du  franciscain  Sahagun  pour  qu'on  puisse  y  ajouter  une  foi  entière.  Ainsi 
par  exemple,  quelques-uns  de  ceux  qui  se  vêtissaient  de  cette  façon  faisaient 
vœu  de  conserver  les  peaux  des  victimes  sur  leur  corps  jusqu'à  ce  que  la 
putréfaction  les  fît  tomber  en  lambeaux,  et  c'était  mi  milieu  de  cérémonies 
auxquelles  on  attachait  une  haute  importance,  quB,  le  jour  étant  venu  de 
s'en  débarrasser,  on  se  livrait  à  cet  acte  avec  un  soin  religieux  au  milieu 
d'ablutions  sacrées.  Je  ne  veux  point  que  le  lecte  ir  me  suppose,  un  seul 
instant,  mû  par  un  vain  désir  de  critique,  lorsque  jii  parais  me  complaire  à 
des  récits  si  horribles.  Le  peuple  qui  nous  offre  ce  spectacle  me  semble  être 
en  effet  aussi  à  plaindre  qu'à  blâmer,  car  l'horreur  même  de  ces  pratiques 
indique  qu'il  ne  pouvait  y  être  entraîné  que  par  suite  d'une  aberration  d'es- 
prit que  tous  les  fanatismes  permettent  de  comprendre.  Ce  ne  pouvait  être 
certainement  dans  le  but  de  procurer  aux  sens  une  satisfaction  réelle  que 
ces  malheureux,  victimes  de  croyances  erronées  et  sanguinaires,  se  livraient 
ainsi  à  ces  actes  immondes  qui  les  tenaient  pour  plusieurs  jours  entourés 
de  pourriture.  Le  désir  de  se  créer  des  mérites  aux  yeux  des  divinités 
qu'ils  adoraient  pouvait  seul  les  entraîner  à  cette  débauche  de  sentiments  et 
de  sensations. 

Quelque  répugnance  qu'on  éprouve,  en  effet,  à  donner  le  nom  de  prati- 
ques religieuses  à  cet  ensemble  de  cérémonies  entachées  de  la  cruauté  la 
plus  répugnante,  on  ne  peut  douter  que  les  Aztèques  n'y  aient  été  pous- 


ET  L'ANTHROPOPHAGIE  CHEZ  LES  AZTÈQUES.  921 

ses  par  le  sentiment  illusoire  de  devoirs  envers  leurs  idoles.  On  y  décou- 
vre même  quelques  particularités  où  l'horrible  se  mêle  à  la  pureté  philoso- 
phique des  pensées  qui  les  ont  inspirées.  Je  n'en  citerai  qu'un  seul  exem- 
ple où  Ton  verra  le  plus  abominable  des  sacrifices  s'entourer  des  couleurs 
d'une  poésie  sentimentale  qui,  à  certains  points  de  vue,  n'est  pas  dénuée 
de  charme.  Il  s'agissait  de  faire  une  démonstration  sensible  de  la  vanité 
des  grandeurs  et  des  jouissances  humaines  et  de  traduire,  par  une  pratique 
religieuse  aztèque,  ce  mot  d'une  croyance  autrement  pure  :  Vanitas  vanita- 
tum  et  omnia  vanitas.  On  choisissait  tous  les  ans  pour  cela  un  jeune  homme 
bien  constitué,  de  figure  agréable,  d'un  développement  physique  réunissant 
toutes  les  qualités  qui  donnent  de  l'attrait  à  la  personne.  Pendant  douze 
mois,  on  se  complaisait  à  l'entourer  de  tout  ce  qui  peut  procurer  le  bon- 
heur matériel  sur  la  terre.  Laissons  parler  Sahagun.  «  On  prenait  soin, 
dit-il,  de  choisir  pour  ce  recrutement  les  captifs  de  l'aspect  le  plus  sympa- 
thique. On  voulait  qu'ils  fussent  aussi  distingués  par  tous  genres  d'habiletés 
et  de  qualités  physiques  qu'il  serait  possible  d'imaginer.  Ils  ne  devaient 
avoir  aucun  défaut  corporel.  Le  choix  de  ce  jeune  homme  était  fait  pour  un 
an,  on  le  dressait  à  jouer  avec  perfection  de  la  flûte  et  à  porter  galamment 
les  fleurs  et  les  roseaux  fumants  dont  font  usage  les  grands  seigneurs  et 
les  habitués  de  cour.  On  l'habituait  à  fumer  avec  grâce  et  à  humer  élégam- 
ment le  parfum  des  fleurs,  comme  le  font  les  grands  et  les  princes » 

Le  bon  franciscain  continue  à  peindre  longuement  les  voluptés  dont  on 
entourait  ce  jeune  homme  pendant  un  an.  Les  mets  les  plus  délicats  étaient 
servis  sur  sa  table  -,  ses  vêtements  se  distinguaient  par  la  recherche  la  plus 
exquise;  quatre  jeunes  filles  choisies  parmi  les  plus  belles  et  les  plus  élé- 
gantes étaient  chargées  de  lui  témoigner  tous  les  sentiments  de  l'amour  le 
plus  vif,  pendant  le  dernier  mois  de  sa  vie.  Enfin  le  jour  venait  où  tous  les 
charmes  de  cette  existence  devaient  tout  à  coup  s'évanouir.  La  mort  allait 
terminer  par  le  sacrifice  cette  série,  hélas!  trop  courte,  de  plaisirs  et  d'en- 
chantements. Mais  il  ne  doit  rester  à  l'heure  de  la  mort  absolument  rien  qui 
rappelle  les  jours  de  la  félicité  passée.  On  refusera  même  à  la  victime  dé- 
gradée les  honneurs  du  grand  temple.  Embarqué  sur  un  canot,  ce  jeune 
homme  traversera  la  lagune  pour  aller  mourir  dans  un  temple  des  plus 
modestes,  devant  une  idole  généralement  abandonnée.  Ses  femmes  se  sont 
déjà  éloignées  de  lui;  il  arrive  au  temple;  en  en  montant  le  premier  degré 
il  brise  ses  instruments;  à  chaque  pas  de  plus  il  arrache  un  lambeau  de  ses 
riches  vêtements  pour  arriver  presque  nu  au  pied  de  l'idole  subalterne.  Là, 
obscurément,  sans  entourage,  sans  aucune  parole,  aucun  regard  d'adieu,  il 
reçoit  la  mort  sous  le  couperet  d'un  prêtre  vulgaire. 

Vous  me  direz  que  voilà  un  acte  dérisoire  et  barbare,  bien  digne  de  ré- 
probation. Il  se  renouvelait  cependant  tous  les  ans  chez  les  Aztèques.  Le 
jour  même  où  l'on  arrivait  au  sinistre  dénouement  que  je  viens  de  décrire, 
il  était  fait  choix  d'un  autre  jeune  captif  destiné  à  remplacer  dans  ses  joies 
éphémères  et  dans  son  abominable  supplice  celui  qui  venait  d'expirer, 
afin  de  perpétuer  par  une  démonstration  sensible  l'idée  qu'on  devait  conti- 
nuellement se  faire  de  la  vanité  des  plaisirs  et  des  gloires  mondaines. 

L'usage  dont  on  ne  peut  supporter  le  récit  sans  sentir  le  cœur  se  soulever 
d'indignation,  c'est  celui  qui  consistait  à  sacrifier  en  un  même  jour  un 
grand  nombre  d'enfants  en  bas  âge.  Cette  cérémonie  cruelle  et  repoussante 
avait  lieu  toutes  les  fois  qu'il  s'agissait  de  demander  à  l'une  des  idoles  pro- 


922  LES   SACRIFICES  HUMAINS 

tectrices  des  saisons,  des  pluies  abondantes,  lorsqu'une  sécheresse  prolon- 
gée avait  paru  mettre  en  péril  les  fruits  de  l'année.  Les  enfants  qui  devaient 
être  les  victimes  étaient  habillés  avec  propreté  et  couverts  de  fleurs.  On 
en  remplissait  de  magnifiques  litières  et  l'on  se  mettait  en  route  vers  le 
penchant  d'une  montagne,  parce  que  tel  était  l'usage  :  les  pluies  étaient  de- 
mandées au  ciel  par  des  sacrifices  faits  en  plein  air  et  hors  la  ville.  Les 
petits  êtres  entassés  sur  les  lugubres  litières  n'ignoraient  pas  toujours  le 
sort  qui  les  attendait.  Aussi  poussaient-ils  des  cris  aigus,  capables  d'atten- 
drir les  cœurs  les  plus  féroces,  que  le  fanatisme  n'aurait  pas  animés.  Mais 
les  prêtres,  prévoyant  les  effets  d'un  attendrissement  trop  grand  parmi  la 
foule,  témoin  de  ce  spectacle,  avaient  eu  soin  de  répandre  la  conviction  que 
le  sacrifice  était  d'autant  plus  assuré  d'un  résultat  heureux,  que  les  cris  et 
les  clameurs  des  enfants  seraient  plus  considérables.  Il  en  résultait  que  le 
peuple  aveuglé,  bien  loin  de  s'attendrir  à  l'aspect  des  larmes  de  ces  petits 
êtres,  y  voyait  un  pronostic  heureux  et  s'empressait  d'adresser  au  ciel  des 
actions  de  grâces. 

Ce  qui,  d'une  manière  générale,  à  propos  de  sacrifices,  répugne  le  plus  au 
sentiment  humain,  c'est  qu'en  se  fondant  sur  la  pensée  que  cet  acte  sanc- 
tifiait la  victime,  les  prêtres  et  les  dévots  exigeaient  que  la  cérémonie  bar- 
bare fût  entourée  des  signes  de  l'allégresse.  La  victime  elle-même  devait 
témoigner  de  sa  joie  avant  de  mourir,  et  se  livrer  à  la  danse  en  présence  de 
l'idole  pour  laquelle  le  sacrifice  allait  se  faire.  Ces  croyances  et  ces  coutu- 
mes masquaient  tellement  l'horreur  que  l'acte  aurait  dû  inspirer,  qu'il  exis- 
tait des  exemples  de  sacrifices  volontaires,  même  parmi  les  personnages  les 
plus  élevés.  L'honneur  qui  paraissait  à  tous  devoir  résulter  du  sang  versé 
pour  glorifier  les  dieux,  inspirait  au  plus  grand  nombre  le  désir  de  la 
mutilation  ou  de  la  souffrance  volontaire.  Si  quelque  chose  pouvait  faire 
excuser  la  barbarie  des  pratiques  du  temple,  ce  serait  donc  cette  manie  du 
martyre  sur  soi-même,  puisque  l'on  doit  y  voir  la  preuve  d'une  conviction, 
d'une  croyance,  regrettable  tant  qu'on  voudra,  mais  qui  fait  comprendre  et 
pardonner  peut-être  ce  que,  a  priori,  il  est  bien  juste  de  poursuivre  de  sa  ré- 
probation. Ainsi,  il  y  avait  des  prêtres  de  cette  religion  barbare  qui  se  mu- 
tilaient sur  différents  points  du  corps,  et  un  grand  nombre  d'entre  eux 
n'avaient  plus  d'oreilles;  ils  les  avaient  coupées  et  offertes  à  quelque  idole 
de  prédilection.  Des  pratiquants  sincères  de  cette  religion  sanguinaire  s'en- 
fonçaient des  instruments  aigus  dans  les  chairs;  ils  se  piquaient  la  peau 
avec  des  épines  de  maguey,  de  manière  à  répandre  leur  sang  en  abondance. 
Ces  mêmes  épines,  ils  en  traversaient  leur  langue,  et  une  ouverture  y  étant 
ainsi  pratiquée,  ils  l'entretenaient  béante  en  y  passant  de  temps  en  temps 
des  pailles  ou  d'autres  corps  de  même  forme.  Si  leur  sensibilité  morale  était 
émoussée  à  l'aspect  de  la  souffrance  des  autres,  on  voit  aussi  par  ces 
derniers  détails  qu'ils  ne  la  redoutaient  pas  pour  eux-mêmes,  parce  qu'ils  y 
attachaient,  d'une  manière  générale,  l'idée,  pour  eux  respectable,  de  sanc- 
tification *. 

1.  Voici  les  paroles  de  Clavijero  à  ce  sujet  :  «  Les  Mexicains  étant  habitués  au 
sacrifice  sanguinaire  de  leurs  prisonniers  devinrent  aussi  fort  prodigues  de  leur 
propre  sang,  bien  convaincus  que  celui  de  leurs  victimes,  abondamment  répandu,  ne 
suffisait  pas  pour  apaiser  la  soif  diabolique  de  leurs  divinités.  On  ne  peut  pas  lire 
sans  horreur  les  austérités  auxquelles  ils  se  livraient,  soit  pour  se  punir  de  leurs 
fautes,  soit  pour  se  préparer  dignement  à  quelques-unes  de  leurs  fêtes.  Ils  traitaient 


ET  L'ANTHROPOPHAGIE  CHEZ  LES  AZTÈQUES.  923 

Rien  ne  serait  plus  propre,  du  reste,  à  démontrer  à  quel  point  le  fanatisme 
les  avait  aveuglés,  que  de  supputer  le  nombre  des  victimes  sacrifiées  chaque 
année  devantlusautelsde  leurs  divinités.  Les  auteursquis'en  sont  occupés  va- 
rient tellement  dans  le  chiffre  auquel  ils  arrivent  par  leurs  calculs,  qu'il  n'est 
pas  possible  de-les  prendre  indistinctement  pour  guides  de  la  vérité.  Ce  qui 
est  irrécusable,  c'est  que  le  calendrier  mexicain  était  surchargé  de  fêtes 
nombreuses,  à  ce  point  même  que  Prescott  se  demande,  avec  raison,  com- 
ment ce  peuple  pouvait  trouver  le  temps  de  se  livrer  encore  à  quelques 
pratiques  utiles,  après  en  avoir  tant  perdu  dans  les  cérémonies  qui  le  rete- 
naient au  temple.  Or,  sinon  toutes,  du  moins  le  plus  grand  nombre  de  ces 
fêtes  étaient  couronnées  par  le  sacrifice  d'une  ou  de  plusieurs  victimes.  Il  y 
avait  au  surplus  à  Mexico  même  un  nombre  considérable  de  temples.  Il  y 
en  avait  aussi  partout  ailleurs  dans  le  pays,  et  dans  tous  le  sacrifice  était  en 
honneur.  On  demandait  partout  des  victimes,  et  lorsque  la  provision  s'en 
épuisait,  les  prêtres,  qui  n'admettaient  pas  le  chômage,  prêchaient  à  haute 
voix  l'imminence  de  calamités  si  l'on  ne  s'empressait  de  fournir  aux  dieux 
la  proie  dont  ils  étaient  avides.  A  Mexico,  alors,  chaque  nuit,  ils  faisaient 
entendre  les  sons  terribles  et  lugubres  du  grand  tambour  du  dieu  de  la 
guerre,  annonçant  sa  colère  et  demandant  du  sang  pour  ses  autels.  On  s'ar- 
mait à  cet  appel,  et  on  portait  la  guerre  sur  des  pays  habituellement  enne- 
mis, non  pour  tuer,  non  pour  ravager,  mais  dans  l'unique  but  de  faire  des 
captifs  voués  à  la  voracité  des  idoles  auxquelles  chacun  à  son  tour  devait 
être  sacrifié. 

On  arrivait  ainsi  à  un  chiffre  annuel  considérable,  que  la  plupart  des  his- 
toriens n'osent  pas  évaluer  à  moins  de  vingt  mille,  tandis  que  d'autres  le 
feraient  monter  à  plus  du  double,  pour  tout  le  pays  s'entend,  et  en  calcu- 
lant d'après  les  besoins  ordinaires  des  pratiques  religieuses.  Mais  il  y  avait 
des  circonstances  exceptionnelles  qui  réclamaient  un  plus  grand  nombre  de 
victimes,  telles  que  le  couronnement  d'un  roi,  la  fondation  d'un  temple,  etc. 
Les  historiens  rapportent  que  lorsqu'on  fonda  le  dernier  grand  temple  de 
Mexico,  il  fut  immolé,  en  une  semaine,  environ  soixante-dix  mille  captifs. 
Torquemada,  qui  paraît  s'être  livré  à  des  recherches  scrupuleuses  à  ce  su- 
jet, donne  le  chiffre  de  soixante-douze  mille  trois  cent  quarante-quatre. 
Ixtlilxochitl,  qui,  comme  dit  Prescott,  vise  à  la  précision,  adopte  le  chiffre 
de  quatre-vingt  mille  quatre  cents,  et  il  ajoute  que  les  captifs  massacrés 
dans  la  capitale  pendant  le  cours  de  cette  mémorable  année  furent  au  nom- 
bre de  plus  de  cent  mille.  Le  Codex  TeUcriano-rcmensis,  écrit  cinquante 
ans  environ  après  la  conquête,  réduit  le  nombre  en  question  à  vingt  mille, 
en  s'appuyant  surtout  sur  cette  considération  que  le  roi  Ahuitzotl,  qui  ré- 
gnait alors,  était  d'un  caractère  doux  et  modéré1. 

leur  chair  comme  si  elle  eût  été  insensible,  et  ils  répandaient  leur  sang  comme  s'il 
eût  été  un  liquide  superflu  de  leur  corps....  Outre  ces  grandes  austérités,  les  vigiles 
et  jeûnes  étaient  très-fréquents  parmi  les  Mexicains;  il  n'y  avait  presque  pas  de  fête  à 
laquelle  ils  ne  se  préparassent  par  des  jeûnes  de  plus  ou  moins  de  jours,  selon  que 
le  prescrivait  leur  rituel.  Leurs  jeûnes,  autant  qu'on  en  peut  juger  par  leur  his- 
toire, consistaient  à  s'abstenir  de  viande  et  de  vin,  et  à  ne  manger  qu'une  fois  par  jour, 
en  un  seul  repas  que  les  uns  faisaient  au  milieu  du  jour  et  d'autres  plus  tard  en- 
core, tandis  que  quelques-uns  restaient  sans  rien  manger  jusqu'à  l'entrée  de  la  nuit. 
En  général,  le  jeûne  était  accompagné  de  vigile  et  d'effusion  de  sang.  Au  surplus,  il 
ne  leur  était  point  permis,  pendant  qu'il  durait,  de  s'approcher  d'aucune  femme. 
1.  Voy.  Prescott,  tome  I,  Introduction,  p.  63. 


924  LES  SACRIFICES  HUMAINS 

Voici  du  reste  les  paroles  de  Clavijero  au  sujet  de  cette  sanglante  fête  : 
«  Le  temple  étant  fini,  le  roi  invita  à  la  cérémonie  de  sa  dédicace  les  rois 
alliés  et  toute  la  noblesse  des  deux  royaumes.  On  vit  accourir  la  foule  la  plus 
nombreuse  qui  se  fût  jusqu'alors  portée  sur  Mexico.  Quelques  chroniqueurs 
affirment  que  le  nombre  des  assistants  qui  affluèrent  à  cette  fête  s'éleva 
à  six  millions.  Ce  chiffre  peut  bien  avoir  été  exagéré,  mais  il  n'est  pas  abso- 
lument invraisemblable,  attendu  que  le  pays  était  très-peuplé,  que  la  fête 
devait  être  empreinte  de  nouveauté  et  de  grandeur,  et  que  les  habitants  du 
Mexique  étaient  accoutumés  à  voyager  à  pied  sans  nullement  s'embarrasser 
de  bagages.  La  fête  dura  quatre  jours,  pendant  lesquels  on  sacrifia  sur  les 
hauteurs  du  temple  tous  les  prisonniers  que  l'on  avait  pu  faire  dans  les 
quatre  années  précédentes.  Les  historiens  ne  s'accordent  pas  au  sujet  du 
nombre  des  victimes.  Torquemada  prétend  qu'elles  s'élevèrent  au  nombre 
de  soixante-dix  mille  trois  cent  quarante-quatre.  D'autres  affirment  qu'il  y 
en  eut  soixante-quatre  mille.  Pour  donner  un  aspect  plus  imposant  à  cet 
acte  horrible,  on  fit  placer  les  victimes  sur  deux  files,  chacune  d'environ 
un  mille  et  demi  de  long.  Elles  commençaient  dès  le  point  de  départ  des 
chaussées  de  Tacuba  et  Iztapalapa  pour  se  terminer  au  temple  lui-même, 
où  les  malheureux  étaient  sacrifiés  aussitôt  qu'ils  y  parvenaient.  La  fête 
étant  terminée,  le  roi  fit  remettre  des  présents  à  tous  les  invités,  ce  qui  fait 
supposer  une  dépense  énorme.  Cela  se  passa  en  l'année  1486.  » 

Une  pareille  boucherie  ne  se  comprendrait  pas  sans  qu'il  y  eût  un 
nombre  considérable  de  ministres  chargés  de  l'exécuter.  Ce  nombre  était 
en  effet,  d'habitude  singulièrement  élevé.  On  en  peut  avoir  une  idée  appro- 
chée par  les  paroles  suivantes  de  Juan  de  Torquemada  :  a  Les  villages  qui 
étaient  possédés  par  le  grand  temple  de  Mexico  s'unissaient  pour  faire  les 
semailles,  récolter  et  conserver  les  fruits  pour  l'entretien  des  prêtres  et 
ministres  qui  étaient  employés  à  son  seul  service,  et  s'élevaient  ordinai- 
rement au  delà  de  cinq  mille  individus.  Ils  habitaient  tous,  nuit  et  jour, 
dans  le  temple  même.  »  (Torquemada,  Monarquia  indiana,  lib.  VIII, 
cap.  xx.)  «  Leurs  rangs  et  leurs  fonctions,  dit  Prescott,  étaient  détermi- 
nés avec  soin  :  les  plus  instruits  dans  la  musique  dirigeaient  les  chœurs; 
d'autres  surveillaient  la  célébration  des  fêtes  dans  l'ordre  du  calendrier. 
Les  prêtres  étaient  aussi  chargés  de  l'éducation  de  la  jeunesse,  de  la  garde 
des  peintures  hiéroglyphiques  et  des  traditions  orales.  Les  plus  hauts  di- 
gnitaires de  l'ordre  se  réservaient  le  rite  affreux  des  sacrifices.  Le  sommet 
de  la  hiérarchie  était  occupé  par  deux  grands-prêtres....  Ces  deux  pontifes, 
égaux  en  dignités,  ne  cédaient  le  pas  qu'au  roi-,  encore  agissait-il  rare- 
ment sans  prendre  leur  avis  dans  les  affaires  d'importance.  » 

Après  ces  détails  sommaires  sur  les  pratiques  des  sacrifices,  force  est, 
malgré  la  répugnance  que  j'en  éprouve,  de  porter  les  yeux  sur  la  plus 
abominable  des  coutumes  du  peuple  aztèque,  à  tant  d'égards  intéressant  et 
qui  a  perdu  tous  droits  à  l'estime  des  hommes,  par  l'avidité  avec  laquelle 
il  se  précipitait  sur  les  membres  de  ses  victimes  pour  en  faire  les  délices 
de  ses  principaux  repas.  Certes,  l'anthropophagie  a  déshonoré  le  souvenir 
de  bien  des  nations  barbares  ;  mais  leur  barbarie  même,  leur  défaut  absolu 
de  culture,  l'ignorance  sur  tous  les  points  de  morale,  les  désordres  de  con- 
duite en  toutes  choses,  l'absence  de  toute  organisation  sociale,  contribuent 
à  faire  excuser  cette  horrible  coutume  chez  des  peuples  qu'aucun  degré  de 
civilisation  n'est  encore  venu  éclairer.  Ce  n'est  pas  là  assurément  un  moyen 


ET  L'ANTHROPOPHAGIE  CHEZ  LES  AZTÈQUES.  925 

d'excuse  admissible  pour  les  Aztèques;  car  nous  verrons  bientôt  à  quel 
point  ils  auraient  été  dignes  d'estime,  par  l'ensemble  de  leurs  coutumes 
législatives  et  sociales,  si  l'habitude  des  sacrifices  humains,  d'une  part,  et. 
plus  encore,  la  coutume  de  se  repaître  de  la  chair  de  leurs  semblables  ne 
faisaient  oublier  leurs  qualités,  d'ailleurs  respectables,  pour  ne  laisser  pen- 
ser qu'à  leur  anthropophagie,  indice  assuré  de  l'extrême  dégradation 
d'esprit  et  de  cœur  dans  laquelle  ils  étaient  plongés. 

L'auteur  à  propos  duquel  nous  écrivons  ces  commentaires  a  dit  aux  lec- 
teurs, dans  plusieurs  passages  de  son  livre,  le  degré  d'horreur  que  cette 
inhumaine  coutume  inspirait  aux  conquistadores.  On  ne  saurait  en  être 
surpris,  car  les  détails  que  l'on  connaît  à  cet  égard  sont  bien  propres  à 
inspirer  les  répulsions  les  plus  vives  pour  le  peuple  qui  en  a  été  coupable 
Je  sais  bien  que  Ton  a  voulu,  jusqu'à  un  certain  point,  excuser  cette  sur- 
prenante coutume  chez  un  peuple  d'ailleurs  civilisé,  en  disant  que  les  Aztè- 
ques ne  faisaient,  en  général,  usage  de  la  chair  des  victimes  qu'après 
qu'elle  avait  été  en  quelque  sorte  sanctifiée  par  le  sacrifice.  Il  est  très- 
certain,  en  effet,  qu'à  ce  point  de  vue  le  temple  était  comme  une  espèce 
d'abattoir,  d'où  sortait,  chaque  jour,  cet  élément  repoussant  d'alimentation. 
L'histoire  nous  apprend  qu'après  qu'on  avait  offert  le  cœur  des  victimes  aux 
idoles,  les  cadavres  encore  chauds  et  dégouttants  de  sang  étaient  lancés 
par  les  degrés  du  temple,  sur  lesquels  ils  roulaient  jusqu'aux  cours  infé- 
rieures. Là,  des  prêtres  d'un  rang  secondaire  s'en  emparaient  et  s'empres- 
saient de  les  dépecer.  Les  bras,  les  cuisses  et  les  jambes  étaient  livrés  au 
propriétaire  de  la  victime-,  tandis  que  le  tronc  et  les  entrailles  s'expédiaient 
vers  les  ménageries  royales  pour  servir  d'aliment  aux  bêtes  féroces.  Dans 
les  grands  jours  d'abondants  holocaustes,  les  victimes  dépassant  les  appé- 
tits ou  les  besoins  ordinaires  de  consommation,  on  prenait  soin  de  couper 
les  chairs  en  lanières  et  de  les  sécher  au  soleil,  pour  en  assurer  la  conser- 
vation et  les  faire  servir  à  l'usage  dans  les  jours  où  le  couteau  du  prêtre 
aurait  été  moins  prodigue.  Si  l'on  veut  bien  porter  ses  regards  sur  le  pas- 
sage du  livre  de  Bernai  Diaz  où  l'auteur  nous  raconte  le  châtiment  de  Cho- 
lula,  on  verra  que  les  habitants  de  cette  ville  avaient  déjà  préparé  à  l'avance 
les  grandes  jarres  dans  lesquelles  ils  devaient  conserver,  à  l'aide  d'une 
préparation  de  sel  et  de  piment,  les  chairs  des  Espagnols  qu'ils  espéraient 
sacrifier. 

Jusque-là,  nous  ne  voyons  donc  toujours  que  des  victimes  passant  préa- 
lablement par  le  temple  avant  d'être  dévorées,  et  nous  n'avons  aucune 
raison  de  croire  encore  que  la  chair  humaine  fût  consommée  sans  avoir  été 
offerte  à  quelqu'une  des  divinités.  Nous  avons  même  un  grand  nombre  de 
preuves  de  la  répugnance  que  les  Mexicains  éprouvaient  pour  l'usage  ali- 
mentaire des  restes  de  leurs  semblables,  avant  que  le  prêtre  l'eût  autorisé. 
Mais  aucun  fait  historique  ne  saurait  la  faire  mieux  comprendre  que  le  siège 
fameux  et  la  destruction  de  Mexico  par  Fernand  Gortès.  Après  trois  mois 
de  combats  sans  trêve,  en  proie  à  une  disette  absolue,  les  assiégés  déraci- 
naient les  arbres  et  les  plantes  de  toute  espèce  qui  étaient  dans  l'intérieur 
de  la  ville,  pour  chercher  dans  une  alimentation  misérable  le  moyeu  de 
prolonger  leurs  jours  sans  se  rendre.  Ces  précaires  ressources  étant  épui- 
sées, ils  mouraient  de  faim  plutôt  que  de  toucher  aux  corps  morts  de  leurs 
frères  d'armes  qui  succombaient  à  tout  instant  sous  les  coups  de  l'ennemi. 
Lorsque  Gortès  entra  définitivement  dans  les  derniers  retranchements  des 
Mexicains,  il  ne  trouva  que  des  gens  mourant  de  faim  à  côté  des  nombreux 


926  LES  SACRIFICES  HUMAINS 

cadavres  qui  auraient  pu  prolonger  leur  existence,  s'ils  n'avaient  éprouvé 
de  l'horreur  pour  la  pensée  de  se  repaître  des  restes  de  leurs  camarades, 
sans  qu'ils  eussent  au  préalable  passé  par  le  sacrifice. 

Ces  détails  suffisent,  sans  doute,  pour  établir  ce  fait  qui  est  réellement, 
jusqu'à  un  certain  point,  une  excuse  en  faveur  de  ce  peuple  dégradé;  mais 
on  aurait  tort  de  croire  qu'il  en  ait  été,  parmi  eux,  toujours  ainsi.  Le  livre 
de  Bernai  Diaz  renferme  surtout  deux  passages  qui  prouveraient  que  les 
Mexicains  savaient  parfois  se  défaire  de  ce  scrupule.  Nous  lisons,  en  effet, 
au  chapitre  cxliv,  le  passage  suivant  :  «Le  lendemain,  nous  fûmes  passer 
la  nuit  au  village  de  Chimaloacan,  où  vinrent  se  joindre  à  nous  plus  de 
vingt  mille  alliés  de  Chalco,  de  Tezcuco,  de  Guaxocingo,  de  Tlascala  et 
autres  villages.  Le  nombre  en  fut  si  considérable  que,  dans  aucune  autre 
expédition,  depuis  mon  arrivée  à  la  Nouvelle-Espagne,  jamais  je  ne  vis 
une  multitude  d'auxiliaires  pareille  à  celle  qui  se  joignit  à  nous  en  ce 
moment.  Je  me  hâte  d'ajouter  que  ce  grand  nombre  d'hommes  n'était 
attiré  que  par  l'espoir  du  butin  et  surtout  par  le  désir  de  se  rassasier  de 
chair  humaine  après  la  bataille-,  car  on  ne  doutait  pas  qu'on  dût  bientôt 
en  venir  aux  mains  avec  l'ennemi.  C'est  comme  si  l'on  disait  qu'en  Italie, 
lorsqu'une  armée  changeait  de  lieu,  elle  était  suivie  par  des  corbeaux, 
des  milans  et  autres  oiseaux  de  proie  qui  aiment  à  se  repaître  des  corps 
morts,  après  un  combat  sanglant.  J'ai  toujours  cru  que  nous  étions  suivis 
de  même  par  tant  de  milliers  d'Indiens  ».  Et  plus  loin,  au  chapitre  clvi, 
lorsque,  Mexico  ayant  été  prise,  les  troupes  alliées  se  préparaient  à  retourner 
dans  leurs  pays,  Bernai  Diaz  nous  dit  :  «  Comme  d'ailleurs  ils  s'étaient  bien 
munis  en  étoffes  de  coton,  en  or,  en  luxueuses  dépouilles,  ils  s'en  revin- 
rent riches  dans  leurs  pays,  non  sans  emporter  plusieurs  charges  de 
bandes  de  chair  d'Indiens  mexicains,  qu'ils  répartirent  ensuite  entre  leurs 
parents  et  amis  et  dont  on  mangea  en  grandes  fêtes,  comme  étant  les 
restes  de  leurs  ennemis.  » 

D'après  ces  citations,  on  peut  voir  que  les  prémices  de  chair  humaine 
n'étaient  pas  toujours  réservées  au  culte  des  idoles.  Dans  de  certaines  cir- 
constances, et  surtout  lorsqu'il  s'agissait  de  cadavres  d'ennemis,  on  n'hési- 
tait pas  à  les  utiliser  pour  des  provisions  de  vivres,  sans  que  le  temple  eût 
servi  d'intermédiaire. 

Il  n'en  est  pas  moins  vrai  que  c'est  à  l'intervention  des  pratiques  reli- 
gieuses que  le  peuple  aztèque  paraît  avoir  emprunté,  dès  ses  débuts  mêmes, 
tous  les  prétextes  qui  pouvaient  justifier  à  ses  yeux  cette  si  surprenante 
et  inhumaine  coutume.  C'est  bien  le  prêtre  qui,  après  avoir  sacrifié  à  ses 
dieux  sanguinaires  une  innocente  victime,  a  trouvé  d'abord  une  satisfaction 
personnelle  à  se  repaître  de  ses  restes  et  qui,  pour  faire  excuser  cet  acte  en 
lui-même,  l'a  présenté  ensuite  à  ses  fidèles  comme  une  conséquence  natu- 
relle des  rites  d'un  culte  dont  il  était  le  représentant  consacré.  L'usage  de 
la  chair  humaine  était,  en  effet,  si  commun  et  si  constant  dans  l'intérieur 
des  temples,  que  Bernai  Diaz  a  bien  soin  de  nous  faire  remarquer,  dans  sa 
visite  au  grand  temple  de  Mexico  (chap.  xcn),  les  énormes  marmites  tou- 
jours prêtes  à  recevoir  les  membres  des  victimes  destinées  à  la  nourri- 
ture. Quant  à  l'existence  de  ce  goût  en  dehors  du  sanctuaire,  elle  ne  sau- 
rait être  douteuse  ;  il  est  bien  certain  qu'on  trouvait  partout  à  l'usage  de 
cet  aliment  un  plaisir  recherché,  et,  s'il  en  faut  croire  des  pages  nombreu- 
ses de  notre  auteur,  il  n'y  aurait  point  eu  de  banquet  de  quelque  impor- 
tance sans  que  ce  mets  y  eût  figuré  au  rang  le  plus  distingué.  Aussi,  les 


ET  L'ANTHROPOPHAGIE  CHEZ  LES  AZTÈQUES.  927 

Mexicains,  avant  leur  soumission  définitive  et  pendant  qu'ils  se  défendaient 
encore  avec  la  plus  grande  ardeur  contre  les  envahisseurs  de  leur  pays, 
prenaient-ils  soin  de  leur  dire,  sur  un  ton  de  menace  et  à  tout  instant, 
«  qu'ils  auraient  bientôt  la  joie  de  faire  bombance  avec  leur  chair  »,  pensée 
qui  était  chez  eux  toujours  inséparable  de  l'idée  de  victoire. 

Gela  ne  nous  empêchera  pas  de  dire  que  ce  n'était  point  là  un  aliment 
facilement  accessible  en  tout  temps  au  commun  des  hommes.  D'une  manière 
générale  non  plus,  si  l'on  en  juge  par  les  goûts  que  l'on  voit  exister  ac- 
tuellement chez  les  survivants  de' la  race,  les  Mexicains  n'étaient  pas  préci- 
sément très-portés  à  l'usage  d'une  alimentation  purement  animale.  Leurs 
mets  préférés  se  puisaient,  sans  doute  alors  comme  aujourd'hui,  dans  les 
nombreuses  espèces  végétales  dont  quelques-unes  étaient  cultivées  par  eux 
avec  le  plus  grand  soin.  Mais  les  gens  d'un  rang  peu  vulgaire,  à  qui  leur 
fortune  permettait  de  varier  leurs  plaisirs  en  général  et  leur  satisfaction 
culinaire  en  particulier,  paraissent  avoir  eu,  chez  les  Aztèques,  un  goût 
prononcé  pour  la  chair  de  leurs  semblables.  D'une  manière  générale,  les 
lois  permettaient  au  Mexicain  d'agir,  sinon  tout  à  fait  à  son  gré,  du  moins 
le  plus  souvent  en  maître  absolu  de  la  vie  d'une  créature  qui  était  son 
esclave.  L'esclavage  était  donc  admis  par  les  lois?  Oui,  sans  doute;  mais  il 
faut  s'empresser  de  dire,  et  nous  répéterons  bientôt  à  leur  louange  que, 
moins  inhumains  qu'il  ne  nous  a  été  donné  de  le  voir  de  nos  jours  dans  les 
pays  où  l'esclavage  est  légal,  les  Aztèques  n'admettaient  pas  que  la  liberté 
des  hommes  se  perdît  par  héritage.  L'esclavage  était  personnel  et  les  fils 
d'esclaves  naissaient  libres.  Il  est  donc  naturel  de  se  demander  comment 
on  perpétuait  l'existence  de  cette  classe  vouée  au  caprice  de  ses  maîtres. 

C'était  la  guerre  d'abord  qui  servait  à  ce  recrutement  incessant.  Celui 
qui  faisait  un  captif  en  était  peut-être  souvent  le  propriétaire.  Il  en  faisait 
l'usage  qui  était  à  sa  convenance  en  le  destinant,  soit  aux  travaux  qui  lui 
étaient  utiles,  soit  à  l'exercice  de  sa  dévotion  en  le  sacrifiant  aux  dieux, 
indépendamment  de  la  pensée  de  faire  usage  ensuite  des  chairs  de  sa  vic- 
time. Chez  quelques-uns  le  raffinement  culinaire  était  le  but  principal  de 
l'offrande  faite  aux  idoles.  En  ce  cas,  fort  commun,  on  voyait  les  maîtres 
d'esclaves  se  livrer  à  une  pratique  bizarre  et  répugnante  à  laquelle  on  n'ose- 
rait ajouter  foi  si  elle  n'était  attestée  par  tous  les  historiens  et  répétée  h 
satiété  par  Bernai  Diaz.  On  prenait  soin  d'engraisser  les  captifs  et  on  ne 
les  envoyait  sacrifier  au  temple  que  quand  on  les  voyait  arrivés  bien  au 
point  désiré  pour  être  mangés  avec  goût.  On  les  enfermait,  pour  ce  faire, 
dans  de  grandes  cages  en  bois  dont  les  barreaux  solides  permettaient  la 
surveillance  constante  du  maître  et  aussi,  disons-le,  la  distraction  de  ces 
pauvres  malheureux  si  étrangement  prédestinés.  Je  dis  la  distraction,  et  ce 
n'est  pas  sans  motif;  car  pourrait-on  croire  que,  quelque  dégradés  qu'ils 
fussent  dans  leur  intelligence,  ces  infortunés  eussent  pu  conserver  une 
tendance  quelconque  à  l'embonpoint  en  concentrant  continuellement  leur 
pensée  dans  la  prévision  du  sort  qui  les  attendait?  D'autre  part,  est-il  aisé 
de  comprendre  qu'il  pût  exister  n'importe  quelle  circonstance  pour  eux  ca- 
pable de  les  distraire  au  point  d'engraisser  sans  y  prendre  garde  et  de  satis- 
faire étourdiment  les  goûts  du  maître?  Il  faut  bien  croire  qu'il  en  était  ainsi, 
puisque  l'usage  des  cages  existait.  Il  n'est  pas  croyable  qu'il  se  fût  perpétué 
s'il  n'avait  pas  donné  le  résultat  qu'on  en  attendait.  C'est  invraisemblable 
tant  que  l'on  voudra;  mais  il  est  certain  que  ces  malheureux  engraissaient. 
Il  y  en  avait  pourtant,  paraît-il,  qui  se  laissaient  gagner  par  la  tristesse 


928  LES   SACRIFICES  HUMAINS 

au  détriment  du  but  recherché.  Il  n'était  pas  alors  de  moyens  ingénieux 
auxquels  le  propriétaire  n'eût  recours  pour  dissiper  cet  abattement  et  cet 
état  d'esprit.  La  famille  entière  se  réunissait  autour  du  captif;  on  lui  con- 
tait des  histoires,  on  lui  donnait  les  mets  les  plus  appétissants,  et,  quand 
cela  ne  suffisait  pas,  on  avait  recours  à  un  moyen  que  vraiment  je  n'ose- 
rais dire  si  le  R.  P.  franciscain  Bernardino  de  Sahagun  ne  me  mettait  en 
mesure  de  rapporter  ici  ses  propres  paroles  :  «  Lorsqu'on  voyait  appro- 
cher, dit-il,  la  fête  où  l'on  devait  sacrifier  les  esclaves  en  l'honneur  du-dieu 
du  feu,  ceux  qui  par  dévotion  en  avaient  acheté  quelques-uns  dans  ce  but 
et  les  avaient  engraissés  avec  le  même  soin  que  des  porcs  que  l'on  destine 
à  la  table,  prenaient  soin  de  les  mettre  en  évidence  un  ou  deux  jours  avant 
la  cérémonie,  et  chacun  s'ingéniait  à  revêtir  son  captif  avec  des  papiers 
peints  et  tous  les  ornements  qui  étaient  les  attributs  de  cette  divinité.  Ils  se 
livraient  à  cette  démonstration  dans  le  but  de  faire  ostentation  aux  yeux  de 
tous  de  leur  richesse  et  de  leur  dévotion,  pour  que  celle-ci  fût  utile  à  l'aug- 
mentation de  l'autre.  Les  maîtres  qui  tuaient  ces  esclaves  s'appelaient  teal- 
tiani,  ce  qui  veut  dire  baigneurs,  parce  qu'ils  avaient  l'habitude  de  baigner 
chaque  jour,  avec  de  l'eau  chaude,  ceux  qu'ils  destinaient  à  la  mort.  On  les 
entourait  de  ce  soin  et  de  bien  d'autres  pour  qu'ils  ne  cessassent  pas  d'en- 
graisser jusqu'au  dernier  jour  de  leur  vie.  Aussi  leur  donnait-on  des  mets 
de  choix  en  abondance  et  chaque  propriétaire  d'esclave  avait  l'habitude  de 
lui  procurer,  pour  en  être  accompagné,  réjoui  et  distrait,  une  fille  de  joie 
qui  avait  mission  de  ne  pas  le  laisser  tomber  dans  des  pensées  de  tristesse, 
afin  qu'il  pût  engraisser  »  '. 

Quelque  incroyable  que  soit  le  fait  avec  ses  derniers  détails,  le  témoignage 
de  Sahagun  le  rend  irrécusable.  De  tels  soins,  un  souci  si  constant  de  l'en- 
graissement de  la  victime,  un  tel  raffinement  culinaire,  tout  cela  à  propos 
d'un  être  humain  qu'on  destine  à  contribuer  avec  honneur  aux  délices  de 
la  table....  n'est-ce  pas  la  preuve  la  plus  évidente  de  la  dégradante  aberra- 
tion d'esprit  à  laquelle  ce  peuple  était  arrivé  au  sujet  de  la  valeur  réelle  de 
l'homme,  valeur  dont  l'essence  même  ne  saurait  être  détruite  par  l'humi- 
liation à  laquelle  sa  destinée  peut  parfois  le  faire  descendre  dans  la  société 
où  il  lui  a  été  donné  de  vivre! 

Mais  je  n'ai  parlé  que  de  la  guerre  comme  moyen  employé  par  les  Mexi- 
cains pour  recruter  leurs  esclaves.  C'était  en  effet  le  plus  ordinaire  pour  se 
procurer  des  captifs  destinés  à  alimenter  le  goût  des  sacrifices.  Mais  «  la 
loi,  dit  Prescott,  reconnaissait  plusieurs  sortes  d'esclaves....  :  les  crimi- 
nels, les  débiteurs  publics,  les  personnes  qui,  par  suite  d'une  extrême  pau- 
vreté, renonçaient  d'elles-mêmes  à  leur  liberté,  et  les  enfants  vendus  par 
leurs  propres  parents.  Dans  ce  dernier  cas,  qui  d'ordinaire  avait  aussi  la 
pauvreté  pour  cause,  l'usage  des  parents  était  de  substituer,  avec  le  con- 
sentement du  maître,  d'autres  enfants  aux  premiers,  à  mesure  qu'ils  gran- 
dissaient, afin  de  répartir  ainsi  le  plus  également  possible,  sur  tous  les 
membres  de  leurs  familles,  le  fardeau  de  la  servitude.  Ce  renoncement  vo- 
lontaire à  la  liberté  s'explique  par  la  douceur  de  l'esclavage  chez  les  Aztè- 

1.  Para  ello  dabanlos  de  corner  delicada  y  regaladamenlc  y  acompafiaba  cada 
dueiïo  del  esclavo  a  este  con  una  moza  pûblica  para  que  le  alegrase  y  retozasc,  le  re- 
galase,  y  no  le  consintiese  estar  triste,  y  que  de  este  modo  engordasc.  (Livre  H, 

chapitre  xxxvin.) 


ET  L'ANTHROPOPHAGIE  CHEZ  LES  AZTÈQUES.  929 

ques.  Le  contrat  de  vente  devait  s'exécuter  en  présence  d'au  moins  quatre 
témoins.  Les  services  exigibles  étaient  déterminés  avec  la  plus  grande  pré- 
cision. L'esclave  pouvait  avoir  sa  propre  famille,  posséder  des  biens  et  même 
d'autres  esclaves.  Ses  enfants  étaient  libres,  personne  ne  pouvant  naître 
esclave  au  Mexique  —  honorable  restriction,  inconnue,  je  crois,  à  tous  les 
pays  civilisés  où  la  loi  sanctionnait  l'esclavage  — .  Les  maîtres  ne  vendaient 
leurs  esclaves  que  lorsqu'ils  y  étaient  réduits  par  une  extrême  pauvreté. 
Ils  leur  rendaient  souvent  leur  liberté  au  moment  de  leur  mort,  et  quelque- 
fois même,  comme  il  n'y  avait  aucune  répugnance  naturelle  fondée  sur  la 
différence  de  sang  et  de  race,  ils  contractaient  des  mariages  avec  eux.  Ce- 
pendant l'esclave  rebelle  ou  vicieux  pouvait  être  conduit  au  marché,  portant 
autour  du  cou  un  collier,  qui  indiquait  sa  mauvaise  nature,  pour  y  être 
vendu  publiquement.  En  cas  de  seconde  vente,  on  le  réservait  pour  les 
sacrifices.  » 

Je  choisis  ces  paroles  de  Prescott  parce  qu'elles  résument  exactement  et 
fidèlement  ce  que  l'on  peut  lire  plus  détaillé  dans  Torquemada,  Sahagun  et 
Clavijero.  Ce  passage  de  l'auteur  américain  est  d'ailleurs  un  témoignage 
curieux  de  la  douceur  de  mœurs  qui,  chez  les  Aztèques,  s'unissait,  malgré 
le  contraste,  avec  les  horreurs  des  sacrifices.  Il  se  termine  par  des  paroles 
qui  indiquent  au  surplus  que,  quoiqu'il  fût  habituellement  d'usage  de  re- 
cruter des  victimes  parmi  les  captifs  de  la  guerre,  le  maître  avait  le  pou- 
voir de  les  choisir  ailleurs  parmi  ses  esclaves.  Il  est  même  triste  de  dire 
que  les  raffinements  de  la  gourmandise  faisaient  tomber  ces  choix  sur  l'âge 
tendre  que  l'innocence,  le  besoin  naturel  de  défense,  et  tant  d'autres  cir- 
constances qu'il  est  inutile  de  détailler,  devraient  le  plus  justement  proté- 
ger contre  toute  cruauté.  Les  enfants  étaient  souvent  sacrifiés  sous  le  pré- 
texte de  demander  des  pluies  rémunératrices  à  la  divinité  des  saisons;  mais 
la  réalité  était  que  les  chairs  de  ces  pauvres  victimes  excitaient  les  désirs 
de  ces  raffinés  en  voluptés  culinaires.  Les  mains  potelées  et  grassouillettes 
du  bas  âge  souriaient,  dit-on,  aux  appétits  des  rois,  des  princes  et  des 
grands  seigneurs.  On  en  servait  même  sur  la  table  de  ce  bon  Montezuma, 
à  l'époque  de  la  conquête  par  les  Espagnols. 

Je  sais  qu'on  a  voulu  excuser  ces  écarts  des  goûts  naturels,  en  disant  que 
les  Mexicains  s'y  trouvèrent  portés  par  la  nécessité  de  se  procurer  une 
nourriture  animale  substantielle,  que  l'absence  de  grands  mammifères 
refusait,  en  dehors  de  l'homme  lui-même.  Cela  ne  me  paraît  nullement 
admissible.  Il  est  certain  d'abord  que  ce  peuple  n'éprouvait  nullement  le 
besoin  d'une  nourriture  fortement  animalisée.  Comme  je  l'ai  déjà  dit,  les 
Aztèques  qui  vivent  aujourd'hui  et  qui  peuvent  aisément  acquérir,  à  bas  prix, 
des  viandes  d'une  qualité  autrement  appétissante,  s'en  abstiennent  volon- 
tairement et  n'y  ont  recours  que  d'une  manière  fort  exceptionnelle.  Il  est 
certain,  d'ailleurs,  que  les  anciens  Mexicains  n'étaient  pas  privés  des  moyens 
de  se  procurer  des  aliments  animaux.  Ils  avaient  en  tous  lieux  le  dindon, 
les  canards  sauvages,  le  petit  chien  comestible,  les  chevreuils,  les  cerfs  et 
tant  d'autres  choses  dont  la  suffisante  abondance  pouvait  satisfaire,  chez  les 
gens  aisés,  des  goûts  qui  n'auraient  pas  eu  les  végétaux  pour  but  de  pré 
dilection  exclusive.  Nul  doute  donc  que  l'anthropophagie  des  Aztèques  ne 
doive  être  considérée  comme  étant  la  conséquence  d'une  aberration  morale 
qui  se  constate  sans  s'expliquer,  mais  qui  s'excuse  presque  par  la  pensée 
que  le  prêtre  en  donna  l'exemple  et  que  les  enseignements  du  temple  la 
justifièrent  chez  un  peuple  ignorant,  devenu  superstitieux,  tenant  pour  juste, 

39 


930  LES   SACRIFICES  HUMAINS 

louable  et  sensé  tout  ce  que  la  religion,  quelque  barbare  qu'elle  fût  en  elle- 
même,  prêchait  aux  fidèles  par  de  constantes  pratiques.  Les  hommes  les 
plus  sensés,  ceux  que  l'éducation  désignait  à  l'attention  de  tous  comme  les 
moins  capables  de  céder  à  des  impressions  mensongères,  étaient  les  pre- 
miers à  courir  au  temple  pour  se  jeter  aux  pieds  de  ces  idoles  sanguinaires, 
et  nul  ne  croyait  que  la  morale  la  plus  pure  et  la  plus  exigeante  pût  être 
offensée  par  cette  débauche  de  chair  humaine  qui  transformait  les  autels  en 
abattoir  et  en  un  débit  de  boucherie. 

C'est  ce  qui  fait  comprendre  qu'aucun  sentiment  honorable  n'ait  été  exclu 
de  la  civilisation  dont  le  peuple  aztèque  paraît  avoir  hérité  de  ceux  qui 
l'avaient  précédé  sur  l'Anahuac.  Les  Mexicains  ne  trouvaient  rien  de  sur- 
prenant dans  le  bizarre  et,  pour  nous,  choquant  assemblage  de  mœurs 
douces  et  de  meurtres  jugés  méritoires.  Ils  pratiquaient  dans  la  vie  ordinaire 
le  respect  de  leurs  semblables  et  se  distinguaient  par  l'aménité  la  plus 
sympathique  dans  les  rapports  sociaux.  Ecoutons,  pour  nous  en  convaincre, 
le  récit  suivant  du  moine  Sahagun. 

Il  s'agit  d'une  cérémonie  particulière,  à  la  suite  de  laquelle  un  maître 
amenait  son  captif  au  temple  et  en  faisait  faire  le  sacrifice.  Le  corps  lui  en 
ayant  été  livré  tout  entier  par  le  prêtre,  il  l'emportait  dans  la  maison  qui 
lui  avait  servi  la  nuit  précédente  à  préluder  par  des  fêtes  et  des  réjouissances 
au  sanglant  sacrifice.  «  Là,  on  s'occupait  à  écorcher  le  cadavre  du  mal- 
heureux supplicié.  Aussitôt  après,  le  maître  partait  chargé  de  ces  tristes  restes 
pour  se  rendre  à  sa  résidence.  Le  corps  était  alors  divisé  en  morceaux  et 
les  chairs  en  étaient  offertes  en  partage  aux  parents  et  amis  du  possesseur. 
Quant  à  celui-ci,  il  ne  mangeait  nullement  de  cette  chair,  parce  qu'il  était 
dans  la  croyance  que  c'était  sa  propre  chair  à  lui-même,  attendu  que  dès 
l'instant  qu'il  en  avait  fait  son  captif,  il  l'avait  tenu  pour  fils,  et  le  captif 
lui-même  pour  son  père;  aussi  se  refusait-il  à  manger  de  cette  chair,  tandis 
qu'il  se  rassasiait  sans  scrupule  de  celle  des  autres  captifs.  »  Carlos  Maria 
de  Bustamante,  éditeur,  au  Mexique,  du  livre  de  Sahagun,  a  noté  ce  passage 
de  l'auteur  en  s'écriant  avec  juste  raison  :  «  Quelle  fiction  absurde  et  con- 
traire à  la  nature!  tenir  pour  son  père  un  monstre  de  férocité  qui  préparait 
ainsi  froidement  la  mort  de  son  captif!  Tout  est  abominable,  détestable 
dans  le  culte  mexicain.  »  Quelque  juste  que  puisse  paraître  ce  cri  d'indi- 
gnation, le  récit  qui  précède  n'en  met  pas  moins  en  évidence  un  singulier 
mélange,  existant  chez  les  Aztèques,  de  sentiments  délicats  et  de  coutumes 
sanguinaires. 

Nous  allons  encore  en  trouver  d'autres  preuves  en  poursuivant  notre 
examen  des  mœurs  de  ce  peuple  étrange.  Les  temples  où  s'élaboraient  tant 
de  cérémonies  cruelles,  où  vivaient  tant  de  prêtres  sans  cesse  possédés  de  la 
soif  du  sang,  étaient  en  même  temps  le  refuge  de  l'éducation  la  plus  pure 
pour  les  garçons  et  les  filles  séparément.  Celles-ci  étaient  confiées  à  des 
matrones  respectables  qui  étaient  chargées  de  les  instruire  des  règles  de  la 
plus  saine  morale  et  s'acquittaient  de  ce  devoir  de  la  manière  la  plus  digne 
d'estime.  On  enseignait  aux  jeunes  filles  à  pratiquer  tout  ce  qui  peut  faire 
l'honneur  d'une  respectable  famille-,  on  tenait  présents  à  leur  esprit,  à 
mesure  qu'elles  grandissaient,  tous  les  devoirs  les  plus  sacrés  d'une  union 
légitime  -,  car  elles  restaient  dans  la  retraite,  isolées  de  tout  bruit,  de  toute 
secousse  extérieure,  jusqu'à  l'époque  de  leur  mariage.  La  loi,  du  reste,  pro- 
tégeait les  époux  et  préludait  à  la  moralité  de  leur  union  en  en  garantissant 
l'authenticité  par  des  usages  dont  il  ne  nous  importe  pas  de  donner  les 


ET  L'ANTHROPOPHAGIE  CHEZ  LES  AZTÈQUES.  931 

détails.  L'adultère  au  surplus  entraînait  presque  toujours  la  peine  capitale. 

Les  jeunes  hommes  recevaient  aussi,  non  loin  du  sanctuaire,  dans  l'enclos 
du  temple,  les  leçons  qui  devaient  les  préparer  à  être  des  guerriers  robustes. 
Les  pratiques  de  leur  système  d'éducation  rappelaient  absolument  celles 
dont  les  Spartiates  faisaient  usage  à  l'époque  florissante  de  leur  histoire.  Je 
me  propose  de  livrer  à  la  curiosité  de  mes  lecteurs  la  traduction  d'un  cha- 
pitre entier  de  Sahagun,  où  l'on  verra  quelques  réflexions  intéressantes  à 
ce  sujet.  Ce  dessein  me  dispense  de  m'y  étendre  davantage  en  ce  moment. 
Mais  je  veux  dire  ici  même  que  le  septième  livre  de  l'ouvrage  de  Saha- 
gun, dédié  tout  entier  aux  discours  et  conversations  qui  étaient  en  usage 
entre  les  Aztèques  dans  les  circonstances  les  plus  délicates  de  la  vie,  pour- 
rait être  considéré  dans  les  pays  les  plus  avancés  en  civilisation  comme 
l'ensemble  de  préceptes  de  la  morale  philosophique  et  religieuse  la  plus 
pure.  Il  commence  par  une  prière  aux  dieux,  dont  ce  peuple  faisait  usage 
pour  implorer  la  cessation  d'une  épidémie  meurtrière.  A  la  suite,  il  nous 
dit  en  quels  termes  les  Aztèques  demandaient  à  leurs  divinités  protection 
contre  la  pauvreté,  force  contre  leurs  ennemis  en  temps  de  guerre,  bien- 
veillance de  leur  gouvernement,  la  grâce  de  remplacer  un  roi  qui  meurt 
par  un  autre  digne  de  louanges,  et  enfin,  la  faveur  de  les  débarrasser  d'un 
personnage  couronné  qui  abusait  de  sa  puissance.  Toutes  ces  prières,  aux- 
quelles la  tradition  donnait  toujours  la  même  forme,  renferment  l'expres- 
sion de  sentiments  d'une  dignité  que  les  peuples  les  plus  civilisés  n'auraient 
nulle  raison  de  désavouer. 

Au  chapitre  qui  suit  (le  neuvième)  le  roi  élu  se  prosterne  devant  son 
idole  favorite  pour  lui  demander  des  inspirations  qui  le  mettent  en  mesure 
de  bien  gouverner.  On  dirait  que  cette  invocation  est,  d'un  bout  à  l'autre, 
le  langage  d'un  roi  chrétien  plein  de  ferveur  et  de  foi,  s'humiliant  devant 
son  Dieu  au  lieu  de  s'inspirer  d'une  fierté  sauvage.  Les  chapitres  qui  sui- 
vent indiquent  les  colloques,  en  longs  discours,  qui  s'établissaient  entre  le 
roi  élu  et  ceux  qui  prenaient  la  parole  au  nom  de  ses  sujets.  Pas  un  mot  ne 
se  lit,  dans  ces  longs  entretiens,  qui  ne  puisse  être  considéré  comme  digne 
de  la  sagesse  d'une  nation  vieillie  dans  les  pratiques  les  plus  recommanda- 
bles  d'un  gouvernement  policé. 

Bientôt,  arrivant  aux  chapitres  XVII  et  suivants,  Sahagun  nous  dit  les 
raisonnements  pleins  d'une  morale  tendresse  que  les  pères  et  mères  adres- 
saient à  leurs  enfants.  On  y  voit  l'ensemble  de  pensées  et  de  conseils  que 
l'inspiration  la  plus  chrétienne  ne  pourrait  rendre  meilleurs.  Bien  plus,  non 
contents  d'enseigner  la  morale,  les  parents  s'efforçaient  d'instruire  leurs  en- 
fants dans  les  pratiques  de  la  civilité,  en  termes  qui  indiquent  l'habitude  des 
mœurs  les  plus  douces  et  de  l'aménité  la  plus  parfaite  dans  les  rapports 
sociaux. 

Le  reste  de  ce  livre  de  l'ouvrage  de  Sahagun  s'étend  sur  les  cérémonies 
du  mariage  et  les  différentes  particularités  du  ménage,  qui  en  étaient  la 
suite,  de  manière  à  faire  comprendre  l'importance  que  ce  peuple  attachait 
aux  plus  minimes  détails  de  la  vie  de  famille.  Pas  une  expression,  pas  un 
mouvement  désordonné  du  cœur,  pas  un  écart  aux  plus  saines  idées  de 
morale  ne  vient,  en  tout  cela,  porter  l'attention  du  lecteur  sur  les  déplora- 
bles et  cruelles  pratiques  dont  nous  avons  précédemment  donné  le  détail.  Il 
est  bien  certain  qu'il  y  avait  chez  chaque  Aztèque  deux  personnalités  dis- 
tinctes :  l'homme  du  temple  et  l'homme  de  la  famille  ;  celui-là  se  laissant 
emporter  par  le  fanatisme  sacerdotal;  celui-ci,  rendu  à  lui-même,  obéissant 


932  LES  SACRIFICES  HUMAINS 

aux  inspirations  humaines  et  tranquilles  que  la  tradition  perpétuait  dans  le 
foyer  domestique. 

On  trouve  dans  la  religion  si  cruelle  et  si  sanguinaire  des  Aztèques  plus 
d'un  point  de  ressemblance  avec  les  pratiques  sacrées  du  catholicisme.  Les 
Mexicains  avaient  l'habitude  de  baptiser  leurs  enfants.  «  Avant  de  leur  don- 
ner un  nom,  dit  Prescott,  on  aspergeait  d'eau  leurs  lèvres  et  leur  poitrine  ; 
on  priait  le  Seigneur  de  permettre  que  cette  eau  sainte  effaçât  le  péché  con- 
tracté par  ces  enfants  avant  la  fondation  du  monde,  et  leur  donnât  ainsi 
une  nouvelle  naissance.  »  (Voy.  un  passage  de  Sahagun  qui  donne  des 
détails  minutieux  à  cet  égard,  au  livre  VI,  chapitre  xxxvn,  de  son  ouvrage.) 
Ce  qui  surprend  plus  que  toute  autre  chose  dans  cette  comparaison  de  deux 
religions  d'une  morale  si  différente,  c'est  l'usage  de  la  confession  que  l'on 
trouve  incontestablement  établie  chez  les  Aztèques.  Ils  vivaient  dans  la 
croyance  que  leurs  prêtres  avaient  le  pouvoir  de  pardonner  leurs  péchés. 

«  Celui  qui  avait  résolu  de  se  confesser,  dit  Sahagun,  s'approchait  d'un  des 
ministres,  qui  avait  mission  de  l'entendre  ;  il  lui  disait  :  «  Seigneur,  je  vou- 
er drais  m'élever  à  Dieu  tout-puissant  qui  est  le  protecteur  de  tous;  je  vou- 
«  drais  lui  dire  en  secret  mes  péchés.  »  Le  prêtre  lui  répondait  :  «  Soyez  le 
«  bienvenu,  mon  fils  ;  ce  que  vous  prétendez  faire  sera  pour  votre  bien  et 
«  vous  en  retirerez  avantage.  »  Après  quelques  détails  qui  tiennent  au  céré- 
monial, le  pénitent  jetait  un  peu  d'encens  sur  un  petit  brasier  qui  brûlait  à 
côté  de  lui  et  s'adressant  au  feu  :  «  Vous,  Seigneur,  disait-il,  qui  êtes  le 
«  Père  et  la  Mère  des  dieux  et  la  divinité  la  plus  ancienne,  sachez  que  vient 
«  à  vous  votre  sujet,  votre  serf,  pleurant,  plein  de  tristesse,  assailli  d'une 
«  vive  douleur,  parce  qu'il  reconnaît  s'être  trompé,  avoir  glissé  sur  quel- 
ce  ques  ordures  de  péché  et  sur  quelques  délits  graves  qui  ont  mérité  la 
«  mort;  et  de  tout  cela  il  vient  à  vous  peiné  et  contrit.  Seigneur  miséri- 
<c  cordieux,  appui  et  défenseur  de  tous,  recevez-moi  en  pénitence  et  daignez 
«  écouter  les  angoisses  de  votre  serf  et  vassal.  » 

«  Après  avoir  entendu  cette  prière,  le  prêtre  répondait  :  «  Mon  fils,  tu  es 
«  arrivé  à  la  présence  de  Dieu  protecteur  de  tous  ;  tu  es  venu  pour  lui  dé- 
«  clarer  tes  mauvaises  odeurs  et  tes  pourritures  intérieures;  tu  viens  lu, 
«  ouvrir  les  secrets  de  ton  cœur;  attention!  prends  garde  de  tomber  dans 
«  la  faute  de  marcher  à  coté,  en  mentant  dans  la  présence  de  Notre  Sei- 
«  gneur  ;  découvre-toi,  mets  à  nu  toutes  tes  vergognes  en  présence  de 
«  Notre  Dieu  et  Seigneur.  Il  est  certain  que  tu  es  devant  lui,  quoique  tu  ne 
«  sois  pas  digne  de  le  voir  et  qu'il  ne  t'adresse  pas  la  parole,  parce  qu'il  est 
«  invisible  et  impalpable.  Eh  bien!  regarde  comme  tu  arrives;  quel  cœur 
«  rapportes-tu?  Ne  vacille  pas  à  dire  tes  secrets  en  sa  présence;  raconte  ta 
«  vie  ;  présente  tes  œuvres,  tes  excès  et  tes  offenses  tels  que  tu  les  as  faits  ; 
«  fais  couler  tes  méchancetés  en  sa  présence;  détaille  tout  avec  tristesse  à 
«  Notre  Seigneur  Dieu  qui  favorise  toutes  ses  créatures,  tend  ses  bras  et  se 
«  tient  prêt  à  t'embrasser  et  à  t'enlever  sur  ses  épaules.  Attention  !  n'omets 
«  de  rien  dire  par  honte  ou  par  faiblesse.  » 

«  La  confession  étant  terminée,  si  le  pénitent  n'a  pas  à  se  reprocher  des 
péchés  graves,  son  confesseur  lui  dit  :  «  Mon  fils,  tu  jeûneras,  tu  fatigueras 
«  ton  estomac  par  la  faim  et  ta  bouche  par  la  soif,  mangeant  seulement  une 
«  fois  à  midi  pendant  quatre  jours....  »  La  pénitence  étant  reçue,  le  péni- 
tent revenait  à  son  domicile  et  il  faisait  en  sorte  de  ne  plus  commettre  les  pé- 
chés dont  il  s'était  confessé,  parce  qu'on  était  dans  la  croyance  que  si  l'on 


ET  L'ANTHROPOPHAGIE  CHEZ  LES  AZTÈQUES.  933 

retombait  dans  les  mêmes  fautes,  on  ne  pouvait  plus  en  être  pardonné.  En 
général  ce  n'étaient  que  les  vieillards  qui  se  confessaient  ainsi,  surtout  pour 
des  péchés  graves  comme  seraient  l'adultère,  etc.  Les  motifs  qui  les  faisaient 
s'en  confesser  étaient  de  se  délivrer  ainsi  de  la  peine  de  mort  qui  était  édic- 
tée par  les  lois  contre  les  crimes.  Nous  devons  dire  que  les  ministres  qui 
écoutaient  les  péchés  en  gardaient  le  secret;  ils  ne  révélaient  jamais  ce  qu'ils 
avaient  appris  en  confession,  car  ils  pensaient  que  ce  n'étaient  pas  eux  qui 
l'avaient  entendue,  mais  Dieu  lui-même  en  présence   duquel  les   péchés 
avaient  été  dévoilés.  On  ne  pensait  nullement  qu'un  homme  les  eût  enten- 
dus, ni  qu'on  les  eût  dits  à  un  homme,  mais  à  Dieu  seul.  A  ce  sujet,  nous 
savons  qu'après  la  conquête  et  durant  le  règne  du  christianisme,  les  Indiens 
continuent  à  vouloir  se  confesser  et  faire  pénitence  à  propos  de  péchés 
graves  et  publics  comme  sont  l'homicide,  l'adultère,  etc.  Ils  pensent  qu'il 
en  est  encore  de  même  qu'au  temps  passé  où  la  justice  ordinaire  avait  l'ha- 
bitude de  tenir  pour  effacés  des  crimes  pardonnes  dans  la  confession.  C'est 
pour  cela  que  maintenant  l'assassin  et  l'adultère  conservent  l'habitude  de 
se  réfugier  dans  nos  monastères,  sans  se  vanter  de  ce  qu'ils  ont  fait,  disant 
seulement  qu'ils  veulent  faire  pénitence;  ils  s'occupent  dans  nos  jardins; 
ils  balayent  nos  demeures,  obéissant  à  tout  ce  qu'on  leur  commande.  Après 
quelques  jours  passés  ainsi,  ils  se  présentent  à  la  confession  et  là  ils  décla- 
rent secrètement  leurs  péchés  et  les  motifs  qui  les  portent  à  faire  pénitence. 
La  confession  étant  terminée,  ils  en  demandent  une  attestation  signée  du 
confesseur,  dans  l'intention  de  la  présenter  à  ceux  qui  gouvernent,  —  gou- 
verneurs ou  alcaldes,  —  pour  prouver  qu'ils  ont  fait  pénitence,  se  sont  con- 
fessés, et  que  par  conséquent  la  justice  n'a  rien  à  voir  avec  eux.  Presque 
aucun  de  nos  religieux  ne  connaît  cette  supercherie,  parce  qu'ils  ignorent 
la  coutume  ancienne  dont  j'ai  parlé;  ils  croient  que  ce  billet  de  confession 
leur  est  demandé  afin  de  prouver  que  les  pénitents  se  sont  confessés  dans 
l'année. 

a  II  résulte,  du  reste,  de  tout  ce  qui  précède  que,  malgré  de  nombreux 
péchés  commis  dans  leur  jeunesse,  les  Indiens  ne  se  confessaient  que  quand 
ils  étaient  devenus  vieux,  afin  de  ne  pas  se  voir  obligés  d'interrompre  leurs 
fautes  avant  la  vieillesse  ;  car  ils  étaient  dans  la  croyance  que  les  péchés  de 
rechute  ne  pouvaient  plus  être  pardonnes.  Mais  il  y  a  les  meilleures  raisons 
pour  croire  que  les  anciens  habitants  de  la  Nouvelle-Espagne  croyaient  à 
l'obligation  de  se  confesser  une  fois  dans  la  vie,  et  cela,  ils  le  pensaient  par 
pure  inspiration  naturelle,  avant  d'avoir  possédé  aucune  notion  des  choses 
de  notre  foi.  »  (Sahagun,  liv.  I,  chap.  xn.) 

Tous  ces  détails  sont  donnés  par  Sahagun,  l'historien  sincère  par  excellence, 
qui  était  arrivé  au  Mexique  huit  ans  après  la  prise  de  la  capitale,  et  qui  s'était 
par  conséquent  trouvé  en  contact,  par  suite  des  devoirs  de  son  ministère, 
avec  toutes  les  particularités  qu'il  a  si  bien  décrites.  Nous  lui  emprunterons, 
à  ce  même  sujet,  un  souvenir  précieux  qui  se  lie  intimement  avec  la  relation 
qui  précède.  S'il  est  vrai  de  dire  que  les  Aztèques  pratiquaient  un  acte 
religieux  qui  a  la  plus  grande  analogie  avec  la  confession  des  catholiques, 
il  n'est  pas  moins  exact  de  rappeler  qu'ils  avaient  aussi  quelque  chose  qui 
ressemblait  à  notre  communion.  Dans  une  des  fêtes  dédiées  au  dieu  Vitzilo- 
puchtli,  on  prenait  les  graines  de  plusieurs  plantes  comestibles  ;  on  les  faisait 
moudre  très-finement;  on  en  formait  une  pâte  avec  laquelle  on  s'ingéniait  à 
sculpter  une  statue  ressemblant  le  mieux  possible  à  l'image  qu'on  vénérait 


934  LES  SACRIFICES  HUMAINS 

de  cette  divinité.  Le  jour  suivant  un  personnage  qui,  dans  la  cérémonie, 
prenait  le  nom  de  Quetzalcoalt  venait  enfoncer  un  dard  dans  le  cœur  du  dieu 
simulé,  en  présence  du  roi  lui-même  venu  pour  présider  à  la  cérémonie.  On 
supposait  alors  que  le  dieu  était  mort,  et  l'on  s'empressait  de  le  mettre 
religieusement  en  pièces.  Le  cœur  était  adressé  au  monarque  par  les  prêtres 
eux-mêmes,  qui,  au  surplus,  partageaient  avec  le  plus  grand  soin  les  restes 
du  dieu  défunt  entre  les  divers  quartiers  de  la  ville.  Chacun  des  habitants, 
en  prenant  une  parcelle,  l'avalait  dévotement  avec  la  conviction  qu'il  man- 
geait le  dieu  lui-même.  (Voy.  Sahagun,  livre  III,  chap.  i,  §  2.) 

Cette  cérémonie,  singulière  chez  un  peuple  anthropophage,  reporte 
naturellement  notre  pensée  sur  l'habitude  qu'il  avait  prise,  par  respect  pour 
un  précepte  religieux,  de  ne  faire  usage  de  chair  humaine  qu'à  la  condition 
de  l'avoir  au  préalable  sanctifiée  par  le  sacrifice.  La  communion  dont  nous 
venons  de  donner  les  détails  permet  de  supposer  que  les  idées  du  temple 
et  les  enseignements  religieux  faisaient  vivre  ce  peuple  dans  la  croyance 
d'un  rapport  mystérieux  entre  la  communion  divine  et  l'assimilation  à  soi- 
même  des  restes  sanctifiés  de  ses  semblables  devenus  la  propriété  des  dieux 
au  moyen  de  l'offrande.  Il  est  vrai  de  dire  que  la  gourmandise  se  mêlait 
trop  souvent  à  cette  confiance  crédule,  mais  il  paraît  néanmoins  certain  que 
l'aveuglement  qui  se  liait  à  la  croyance  servait  d'excuse  même  aux  gens 
assez  instruits  pour  raisonner  les  pratiques  sanglantes,  parce  qu'ils  étaient 
en  même  temps  assez  dévots  pour  les  justifier. 

Bien  d'autres  circonstances,  dont  les  détails  ne  sont  pas  dans  l'intention 
de  cet  écrit,  se  réuniraient  pour  honorer  de  quelque  intérêt  ce  peuple  aztèque 
que  ses  habitudes  d'anthropophagie  paraîtraient  devoir  vouer  au  mépris,  sans 
mélange  d'aucun  éloge.  Il  est  très-certain  que  les  Mexicains  possédaient  à  un 
haut  degré  le  respect  et  le  culte  des  belles  choses  de  la  nature.  Ils  aimaient 
les  productions  champêtres  et  les  cultivaient  avec  le  plus  grand  zèle  ;  leurs 
jardins  d'agrément  dépassaient  en  soins  minutieux  ce  que  l'on  connaissait 
chez  les  meilleurs  peuples  de  l'Europe  à  l'époque  de  la  conquête.  Les  plantes 
les  plus  rares  y  étaient  l'objet  d'une  sollicitude  constante,  et  l'on  s'efforçait 
d'y  mettre  sous  les  yeux  du  visiteur  la  collection  complète  de  la  flore  du 
pays,  non  pas  avec  désordre,  mais  avec  une  certaine  entente  des  qualités 
distinctives  des  végétaux.  C'est  à  tel  point  que  Prescott  a  cru  pouvoir  dire 
«  qu'il  n'est  pas  impossible  que  les  Mexicains  aient  suggéré  l'idée  des  jar- 
dins  botaniques,  dont  les   premiers  ne  furent  fondés  en  Europe  qu'un 
grand  nombre  d'années  après  la  conquête  »  (Prescott,  Introduction,  p.  111 
de  la  traduction  d'Amédée  Pichot).  Les  plantes  utiles  à  l'alimentation  étaient 
l'objet  de  soins  fort  bien  entendus,  dont  l'ensemble  témoigne  d'un  goût  très- 
prononcé  des  Aztèques  pour  l'agriculture.  Celle-ci  était,  en  effet,  fortement 
en  honneur  parmi  eux.  Peu  de  classes  de  la  société  avaient  la  prétention  de 
s'en  abstraire.  Les  moyens  de  traiter  la  terre  étaient  admirablement  pratiqués. 
Ils  connaissaient  les  assolements,  l'usage  des  engrais,  etc. ,  ety  avaient  recours 
avec  discernement.  Ils  avaient  des  plantes  alimentaires  précieuses  dont  ils 
tiraient  avantage  de  la  façon  la  plus  sensée.  Le  maïs  est  digne  d'être  men- 
tionné en  tête  de  toutes;  ils  n'ignoraient  aucun  moyen  d'en  tirer  avantage, 
et,  avant  que  la  canne  à  sucre  eût  été  importée  parmi  eux,  ils  avaient  deviné 
que  la  saveur  sucrée  de  la  tige  de  cette  plante  était  utilisable,  et  ils  l'utili- 
saient, en  effet,  dans  des  préparations  comme  nous  faisons  aujourd'hui  avec 
le  sucre.  La  banane,  quoiqu'on  ait  contesté  le  fait,  était  déjà  probablement 


ET  L'ANTHROPOPHAGIE  CHEZ  LES  AZTÈQUES.  935 

un  fruit  de  leur  sol,  avant  d'y  prospérer  par  les  soins  des  Européens  en  un 
nombre  considérable  de  variétés.  Le  cacao,  la  vanille  et  le  maguey  étaient 
des  produits  naturels  dont  l'usage  compliqué  se  prêtait  à  mille  formes. 

....  Mais  je  sens  que  je  m'égare;  les  intentions  de  cet  écrit  devaient  se 
limiter  aux  sacrifices  et  à  l'anthropophagie  qui  s'y  trouvait  liée.  J'allais 
oublier  que  je  ne  dois  parler  de  la  civilisation  réelle  des  Mexicains  qu'en  en 
indiquant  les  preuves  les  plus  élémentaires.  Quand  j'aurai  ajouté  qu'ils 
étaient  très-avancés  dans  les  connaissances  astronomiques  et  qu'ils  savaient 
fort  bien,  sauf  le  fer,  utiliser  les  métaux  dont  leur  sol  est  prodigue,  j'aurai 
dit  tout  ce  que  je  m'étais  proposé  de  faire  savoir  au  lecteur,  pour  qu'il  puisse 
juger  du  contraste  qui  existait  chez  les  anciens  Aztèques  entre  leurs  cou- 
tumes réellement  louables,  dues  peut-être  à  une  civilisation  antérieure 
d'une  origine  qui  leur  était  étrangère,  et  les  pratiques  barbares  dont  la 
religion  leur  faisait  une  loi  en  en  perpétuant  l'habitude. 


UN  CHAPITRE 


DU  PÈRE  BERNARDINO  DE  SAHAGUN 


On  sait  que  le  Père  franciscain  Sahagun,  après  avoir  composé  son  livre 
en  langue  nahuatl,  le  traduisit  en  espagnol  dans  les  derniers  jours  de  sa 
vie.  Arrivé  au  chapitre  xxvn,  qui  avait  pour  titre  :  «  Des  membres  inté- 
rieurs et  extérieurs  de  l'homme  et  de  la  femme,  »  il  y  trouva  un  tel  réalisme 
qu'il  n'osa  pas  le  traduire  dans  la  langue  espagnole,  qui  cependant  n'était 
guère  prude  à  cette  époque.  Il  se  décida  à  remplacer  ce  qu'il  effaçait  par  les 
curieuses  révélations  qu'on  va  lire  et  qui  forment  un  excellent  complément 
aux  chapitres  ccviii  et  ccix  de  Bernai  Diaz. 


RELATION    TRÈS-DIGNE    DE    REMARQUE    FAITE    PAR    L'AUTEUR    A    LA    PLACE     DU 
CHAPITRE  XXVII,    LIVRE  X,   NON   TRADUIT   DE    LA   LANGUE   NAHUATL. 

Après  avoir  décrit  l'habileté  que  possédaient  les  Mexicains  dans  la  pratique  des 
différents  métiers  avant  leur  conversion  au  christianisme,  l'auteur  raconte  les  vices 
et  les  vertus  qu'ils  ont  acquis  depuis  lors.  Nous  savons  d'abord  par  expérience  qu'ils 
ont  les  meilleures  aptitudes  pour  apprendre  et  pratiquer  les  arts  mécaniques  ainsi 
que  l'usage  en  est  connu  parmi  les  Espagnols.  Ils  savent  mettre  à  profit,  par  exemple, 
les  leçons  de  géométrie  pour  construire  des  édifices,  et  ils  sont,  autant  que  les  Espa- 
gnols, bons  maçons,  menuisiers  et  tailleurs  de  pierre.  Ils  connaissent  à  merveille  les 
métiers  de  tailleurs,  cordonniers,  ouvriers  en  soie,  imprimeurs,  écrivains,  lecteurs, 
comptables,  musiciens  de  plain-chant,  organistes,  joueurs  de  flûte,  de  sacquebutte  et 
de  trompette.  Ils  savent  la  grammaire,  la  logique,  la  rhétorique,  l'astronomie  et  la 
théologie  ;  car  l'expérience  nous  a  appris  qu'ils  ont  des  aptitudes  pour  s'y  instruire  et 
enseigner  ces  différentes  branches,  et  nous  pouvons  assurer  que  l'habileté  ne  leur 
manque  nullement  pour  apprendre  quoi  que  ce  soit  et  en  faire  usage.  S'il  est  vrai 
qu'ils  témoignèrent  de  plus  d'aptitudes  encore  dans  les  temps  passés,  soit  dans  l'ad- 
ministration de  la  chose  publique,  soit  dans  le  service  de  leurs  dieux,  c'est  qu'ils 
vivaient  sous  un  régime  plus  en  rapport  avec  leurs  aspirations  et  leurs  besoins  ;  aussi 
élevaient-ils  leurs  enfants  avec  la  plus  grande  sévérité  jusqu'à  ce  qu'ils  fussent 
adultes,  non  dans  l'habitation  de  leur  propre  père,  —  puisque  chacun  n'avait  pas 
également  les  moyens  de  les  élever  chez  lui  ainsi  qu'il  était  convenable  de  le  faire, 
—  mais  bien  en  communauté,  dans  des  établissements,  sous  la  direction  de  maîtres 
zélés  et  sévères,  prenant  soin  de  mettre  à  part  et  séparément  les  hommes  et  les  fem- 
mes. Là  on  leur  enseignait  la  meilleure  manière  d'honorer  leurs  dieux  et  le  devoir  de 
respecter  les  pouvoirs  publics  et  d'obéir  à  ceux  qui  les  exercent.  On  avait  recours  à 
de  sévères  châtiments  pour  punir  ceux  qui  se  montraient  désobéissants  et  irrespec- 


UN  CHAPITRE  DU  PÈRE  BERNARDINO  DE  SAHAGUN.   937 

tueux  envers  leurs  maîtres,  et  l'on  prenait  surtout  le  plus  grand  soin  pour  empêcher 
que  les  personnes  qui  avaient  moins  de  cinquante  ans  bussent  des  liqueurs  enivrantes; 
on  les  soumettait  le  jour  et  la  nuit  à  des  exercices  de  force  et  on  les  élevait  ainsi  dans 
la  plus  grande  austérité,  de  façon  que  les  vices  et  les  tentations  de  la  chair  ne  pus- 
sent trouver  occasion  de  s'enraciner  ni  chez  l'homme  ni  chez  la  femme.  Ceux  qui 
vivaient  dans  les  temples  étaient  assujettis  jour  et  nuit  à  tant  d'occupations,  ils  étaient 
d'ailleurs  si  sobres  que  leur  esprit  n'avait  pas  le  temps  de  tourner  aux  pensées  sen- 
suelles. Les  guerres  qu'ils  se  faisaient  entre  eux  étaient  si  fréquentes,  que  les  hom- 
mes qui  appartenaient  au  métier  des  armes  ne  voyaient  presque  jamais  cesser  leurs 
fatigues.  Cette  manière  de  se  conduire  était  bien  en  rapport  avec  les  principes  d'une 
philosophie  naturelle  et  morale,  car  les  douceurs  et  la  fertilité  du  climat  aussi  bien 
que  l'influence  des  astres  y  pousseraient  aisément  la  nature  humaine  à  l'oisiveté  et  à 
la  pratique  vicieuse  des  plaisirs  sensuels.  L'expérience  avait  donc  démontré  aux 
naturels  de  ce  pays  que,  pour  ne  pas  sortir  du  chemin  de  la  morale  et  de  la  vertu,  il 
était  nécessaire  d'être  austères  et  de  s'adonner  rigoureusement,  d'une  manière  inces- 
sante, à  des  occupations  utiles  au  bien  public.  Comme  toutes  ces  pratiques  cessèrent 
à  l'arrivée  des  Espagnols,  qui  prirent  à  tâche  de  fouler  aux  pieds  toutes  les  coutumes 
et  toutes  les  habitudes  administratives  des  naturels,  avec  la  prétention  de  les  réduire 
à  vivre  comme  en  Espagne,  autant  dans  les  pratiques  divines  que  dans  les  choses 
humaines,  par  le  seul  fait  de  les  considérer  comme  idolâtres  et  barbares,  on  en  arriva 
à  détruire  toutes  les  coutumes  intimes  établies  parmi  les  Indiens.  Il  fut  en  effet 
indispensable  de  faire  disparaître  tout  souvenir  d'idolâtrie  avec  les  édifices  qui  s'y 
rattachaient,  non  moins  que  la  plupart  des  coutumes  administratives  qui  se  mêlaient 
aux  rites  de  la  religion  et  se  manifestaient  par  des  cérémonies  superstitieuses  dans 
presque  toutes  les  branches  du  gouvernement.  Tout  dut  donc  être  remanié,  et  il 
devint  nécessaire  de  faire  vivre  les  naturels  sous  un  régime  nouveau  qui  ne  rappelât 
en  rien  les  idolâtries  passées.  Mais  on  est  arrivé  maintenant  à  reconnaître  que  cette 
nouvelle  manière  de  vivre  fait  les  hommes  vicieux,  produit  en  eux  de  fort  mauvais 
penchants  et  de  pires  œuvres  qui  les  rendent  odieux  à  la  divinité  et  aux  hommes,  sans 
compter  les  mauvaises  maladies  et  l'abréviation  de  leur  vie.  On  voit  donc  la  nécessité 
de  chercher  un  remède  à  ces  maux,  et  comme  il  paraît  à  tout  le  monde  que  la  cause 
principale  en  est  dans  l'ivrognerie,  comme  d'ailleurs  on  a  renoncé  à  la  rigueur 
extrême  de  châtier  ce  vice  par  la  peine  de  mort,  on  a  pris  l'habitude  de  punir  les  ivro- 
gnes en  les  fouettant,  en  leur  rasant  la  tête  et  les  vendant  comme  esclaves  pour  un 
certain  nombre  de  mois  ou  même  d'années.  Mais  ce  n'est  pas  là  un  châtiment  suffisant 
pour  qu'aucun  d'eux  cesse  de  s'enivrer.  On  n'y  aboutit  pas  davantage  par  des  prédica- 
tions fréquentes  contre  ce  vice  ;  les  menaces  de  l'enfer  ne  lui  sont  pas  non  plus  un 
frein  suffisant.  Ces  ivresses  sont  d'ailleurs  si  désordonnées  et  si  préjudiciables  à  la 
chose  publique,  à  la  santé  comme  au  salut  de  ceux  qui  s'y  livrent,  que  par  elles  des 
morts  d'hommes  sont  fréquemment  à  déplorer,  car  ils  se  malmènent  les  uns  les 
autres,  en  paroles  et  en  actions,  et  ils  se  tuent  entre  eux  fort  souvent.  De  là  naissent 
aussi  de  grandes  dissensions  publiques,  et  les  hommes  du  gouvernement  se  déshono- 
rent, se  rapetissent  et  manquent  aux  devoirs  de  leurs  charges  en  les  jugeant  indi- 
gnes d'eux.  Ce  vice  en  fait  classer  un  grand  nombre  comme  étant  incapables 
d'exercer  le  ministère  sacerdotal,  d'autant  plus  que  les  Indiens,  et  surtout  ceux  qui 
s'enivrent,  paraissent  inhabiles  à  se  maintenir  dans  les  règles  de  la  continence  et  de 
la  chasteté  nécessaires  aux  vraies  pratiques  du  sacerdoce.  Au  début  de  la  conquête, 
on  fit  pour  eux  l'expérience  de  la  vie  monastique,  parce  qu'il  nous  parut  qu'ils  avaient 
des  aptitudes  pour  les  choses  de  l'Eglise  et  la  vie  religieuse.  On  commença  donc  par 
vêtir  de  la  robe  de  Saint-François  deux  jeunes  Indiens  des  plus  intelligents  et  réser- 
vés qu'il  y  eût,  et  qui  s'étaient  déjà  fait  connaître  de  nous  en  prêchant  avec  beaucoup 
de  ferveur  à  leurs  compatriotes  les  choses  de  notre  sainte  foi  catholique.  Il  nous  sem- 
bla que  si,  sous  l'habit  du  moine  et  en  donnant  l'exemple  des  vertus  de  notre  saint 
ordre  franciscain,  ils  continuaient  à  prêcher  avec  la  même  onction  que  par  le  passé, 
ils  arriveraient  à  produire  les  meilleurs  fruits  sur  les  âmes  en  les  initiant  à  la  pra- 
tique des  vérités  de  notre  sainte  religion.  Mais  l'expérience  démontra  qu'ils  n'avaient 
point  les  qualités  nécessaires  pour  cela,  de  sorte  qu'il  fallut  se  résoudre  à  les  défro- 
quer,  et,  depuis  lors,  nous  n'avons  plus  admis  d'Indiens  dans  notre  ordre,  et  on  les  a 
tenus  pour  inhabiles  à  l'exercice  du  sacerdoce.  Au  début,  lorsque  nos  moines  igno- 
raient encore  la  langue  des  indigènes,  ils  se  contentaient  d'instruire  le  mieux  qu'ils 


938  IX   CHAPITRE 

pouvaient  ceux  qui  leur  paraissaient  avoir  des  aptitudes,  pour  les  faire  prêcher  en 
leur  présence.  Mais,  lorsque  les  nôtres  eurent  appris  les  langues  indigènes  et  purent 
commencer  à  prêcher  seuls,  on  enleva  aux  Indiens  cette  prérogative,  en  reconnaissant 
qu'ils  axaient  la  bassesse  de  se  montrer  honnêtes  et  recueillis  en  apparence,  sans 
l'être  en  realite,  genre  d'hypocrisie  qui  leur  est  fort  naturel.  11  ne  faut  du  reste  pas 
être  surpris  de  trouver  en  eux  ces  défauts,  ordinaires  en  leur  pa\s.  parce  que  les 
Espagnols  qui  j  habitent,  et  plus  encore  ceux  qui  y  sont  nés.  acquièrent  ces  mêmes 
tendances  non  moins  que  les  Indiens  eux-mêmes  :  ils  ont  bien  tout  l'extérieur  euro- 
péen, tandis  que  leurs  qualités  n*ont  rien  de  leur  provenance.  Nos  natifs  de  l'Espagne, 
s'ils  n'v  prennent  garde,  deviennent  tout  autres  peu  d'années  après  leur  arrivée  dans 
le  pays,  et  j'ai  toujours  pense  que  cela  est  le  résultat  du  climat  et  de  la  latitude.  C'est 
une  bonté  de  voir  que  les  Indiens  d'autrefois,  hommes  judicieux  et  >ages.  surent 
remédier  aux  dangers  que  le  séjour  de  celte  contrée  fait  courir,  au  moyen  de  pra- 
tiques qui  en  étaient  la  préservation,  tandis  que  nous  succombons  à  nos  mauvais 
penchants.  Il  en  resuite  que  nous  voyons  croître  une  population,  tant  espagnole 
qu'indienne,  fort  difficile  à  conduire  el  à  sauver.  Les  pères  et  les  mères  n'ont  pas 
l'autorité  suffisante  sur  leurs  enfants,  fils  et  tilles,  pour  les  écarter  des  vices  et  des 
aspirations  sensuelles  dont  ce  pays  est  l'origine.  Les  anciens  habitants  furent  très- 
bien  inspirés  lorsqu'ils  abandonnèrent  l'éducation  de  leurs  tils  aux  pouvoirs  publies 
qui  se  substituaient  aux  droits  paternels.  Si  celte  méthode  n'eût  été  empoisonnée  par 
les  riles  et  les  superstitions  de  l'idolâtrie,  elle  m'eût  paru  excellente.  Je  crois,  par 
conséquent,  que  si  on  la  dépouillait  de  toute  pratique  idolâtre  en  la  faisant  chrétienne 
et  si  on  l'introduisait  à  nouveau  dans  la  nation  indo-espagnole,  il  en  résulterait  un 
grand  bien  et  on  arriverait  â  délivrer  ceux  qui  gouvernent  de  bien  des  difficultés 
provenant  de  l'une  et  de  l'autre  race.  Il  nous  est  déjà  impossible  de  supporter  ceux 
qui  s'élèvent  dans  nos  écoles,  parce  que.  n'étant  plus  retenus  par  la  crainte  et  l'assu- 
jettissement d'autrefois,  ne  se  croyant  plus  conduits  avec  la  rigueur  et  la  sévérité  des 
temps  idolâtres,  ils  n'obéissent  point,  ne  s'instruisent  nullement  et  ne  suivent  aucun 
conseil,  bien  différents  en  cela  de  leurs  devanciers  à  l'époque  des  antiques  rigueurs 
scolaires.  Tout  d'abord,  à  l'imitation  de  leurs  anciennes  habitudes  qui  reunissaient  les 
enfants  dans  les  temples  où  on  les  dressait  â  la  discipline,  au  respect  de  leurs  dieux 
et  â  l'obéissance  nationale,  nous  voulûmes  les  élever  de  même  dans  nos  établisse- 
ments, nous  les  réunîmes  en  un  édifice  qui  s'élevait  près  de  nos  demeures.  Nous  les 
habituions  à  se  lever  au  milieu  de  la  nuit  et  à  chanter  les  matines  de  Notre-Dame  :  au 
petit  jour  nous  leur  faisions  reciter  les  heures  :  nous  exigions  même  d'eux  qu'ils  se 
llaiToliassent  pendant  la  nuit  et  s'occupassent  à  des  oraisons  mentales.  Mais,  comme 
ils" ne  s'adonnaient  pas  aux  travaux  matériels  d'autrefois,  comme  l'eût  demandé  la 
force  de  leurs  aspirations  sensuelles,  comme  d'ailleurs  ils  mangeaient  beaucoup 
mieux  que  dans  les  anciens  temps,  par  suite  de  la  douceur  et  de  la  compassion  dont 
noie;  avons  l'habitude  parmi  nous,  ils  commencèrent  à  ressentir  des  ardeurs  sen- 
suelles et  â  s'instruire  dans  des  pratiques  lascives.  Il  fallut  se  résoudre  â  les  faire 
sortir  de  nos  demeures  pour  qu'ils  allassent  passer  la  nuit  chez  leurs  parents  :  ils  ve- 
naient le  matin  aux  écoles  pour  apprendre  â  lire,  écrire  et  chanter,  et  c'est  ainsi  qu'on 
en  use  actuellement.  Mais  ces  exercices  se  sont  relâchés  insensiblement  avec  le  temps, 
car  on  ne  trouve  point  parmi  les  indigènes  de  gens  qui  aient  assez  d'amour-propre  et 
d'aptitude  pour  se  rendre  capables  d'enseigner  eux-mêmes  comme  nous.  Si  nous  ne 
nous  en  occupons  pas  personnellement,  il  n'y  a  pas  dans  nos  écoles  un  seul  individu 
qui  enseigne  à  lire,  écrire  et  faire  de  la  musique,  de  sorte  que  tout  est  en  décadence. 
Nous  voulûmes  aussi  porter  nos  expériences  sur  les  femmes,  pour  voir  s'il  ne  serait 
pas  possible  de  peupler  des  couvents  comme  au  temps  de  l'idolâtrie  où  elles  servaient 
dans  les  temples  en  observant  les  règles  de  la  chasteté.  Nous  voulûmes  donc  savoir  si 
elles  pourraient  de  même  devenir  nonnes  de  la  religion  chrétienne  avec  l'observation 

-  -.eux  perpétuels  qui  s'y  rapportent.  On  lit  dans  ce  but  des  monastères  et  des  con- 
grégations de  femmes;  on  les  instruisit  dans  les  choses  spirituelles  :  plusieurs  d'entre 
elles  ont  appris  â  lire  et  à  écrire. 

Celles  qui  nous  parurent  être  les  mieux  instruites  dans  la  foi  et  les  pins  judi- 
cieuses matrones  furent  instituées  par  nous  directrices  des  autres,  pour  qu'elles  les 
guidassent  et  les  instruisissent  dans  les  choses  du  christianisme  et  des  bonnes  cou- 
tumes. Tout  d'abord,  ainsi  que  nous  avions  cru  que  les  hommes  pourraient  être  de 
bons  religieux  et  de  bons  prêtres,  nous  crûmes  qu'elles  seraient  aussi  des  religieuses 


DU  PERE  BERNARDIXO  DE  SAHAGUN.         939 

recommandables  :  niais  nous  nous  trompâmes  ;  l'expérience  démontra  qu'ils  n'étaient 
ni  les  uns  ni  les  autres,  pour   l'heure,  capables  de  tant  de  perfection,  et  un  mit  tin 
aux  congrégations  et  aux.  monastères  auxquels  nous  avions  d'abord  sonsré.  A  pi    - 
même,  nous  en  sommes  encore  à  avouer  que  le  temps  n'est  pas  venu  de  recommencer 
l'épreuve. 

On  prit  encore  une  autre  mesure  en  certains  points  de  la  Nouvelle-Espagne  où  les 
moines  ont  établi  leur  demeure,  comme  à  Cholula.  à  Vexotzinco,  etc.  Elle  consistait 
à  faire  résider  les  nouveaux  mariés  tout  près  des  Monastères  pour  qu'ils  vinssent 
chaque  jour  y  entendre  la  messe.  On  leur  expliquait  les  vérités  du  christianisme  et 
les  convenances  des  pratiques  matrimoniales.  C'était  un  bon  moyen  pour  les  sous- 
traire aux  influences  malfaisantes  de  l'idolâtrie  et  de  plusieurs  autres  habitudes  aux- 
quelles ils  auraient  pu  rester  attachés  par  suite  de  leurs  conversations  avec  leurs  pa- 
rents. Mais  cela  dura  peu.  parce  que  ces  adeptes  tirent  comprendre  à  nos  religieux 
que  leur  idolâtrie,  avec  tous  ses  rites  et  cérémonies,  était  déjà  chose  tellement  ou- 
bliée qu'il  n'y  avait  plus  de  motif  pour  prendre  toutes  les  précautions  dont  nous  fai- 
sions usage,  attendu  qu'ils  étaient  tous  baptisés  et  sincères  serviteurs  du  vrai  Dieu. 
Or  tout  cela  était  faux,  ainsi  que  nous  pûmes  nous  en  convaincre  plus  tard:  car.  en- 
eore  aujourd'hui,  ils  n'ont  pas  cessé  de  conserver  parmi  eux  des  restes  honteux  d'ido- 
lâtrie, d'ivrognerie  et  de  plusieurs  autres  mauvaises  habitudes,  autant  de  choses  qui 
auraient  disparu  si  l'on  avait  poursuivi  notre  entreprise  sur  le  pied  où  nous  l'avions 
commencée,  et  si.  au  lieu  de  l'avoir  exécutée  en  un  petit  nombre  de  localités,  on  v 
avait  procédé  partout  avec  persévérance  jusqu'à  ce  jour.  Mais  actuellement  le  remède 
est  déjà  impossible. 

Nous  nous  vîmes  dans  de  bien  grandes  perplexités  lorsqu'il  nous  fallut,  au  début, 
marier  selon  le  christianisme  ceux  qui  l'étaient  déjà  d'après  les  mœurs  du  pays,  et 
surtout,  lorsqu'ils  avaient  plusieurs  femmes,  pour  leur  attribuer  celle  qui  leur  reve- 
nait de  droit  :  car  lorsque  nous  en  vînmes  à  examiner  les  différents  degrés  de  pa- 
renté et  à  rechercher  quelle  avait  été  réellement  la  première  en  date,  pour  la  choisir 
définitivement,  nous  nous  vîmes  dans  un  véritable  labyrinthe  de  difficultés,  attendu 
que  les  intéressés  étaient  dans  l'habitude  de  mentir  au  sujet  de  la  priorité  et  inven- 
taient des  supercheries  afin  d'être  mariés  à  celle  qui  leur  plaisait  le  mieux.  Pour  que 
nous  pussions  donc  arriver  à  savoir  avec  laquelle  ils  avaient  fait  la  cérémonie  en 
usage  quand  on  prenait  une  femme  légitime,  il  nous  fallut  pénétrer  dans  leurs  moeurs 
et  nous  mettre  au  courant  des  cérémonies  et  des  rites  de  l'infidélité  idolâtre.  Or. 
comme  nous  n'avions  qu'une  connaissance  fort  imparfaite  de  la  langue,  nous  com- 
prenons maintenant  que  presque  jamais  nous  ne  fûmes  dans  le  vrai  tout  d'abord. 

Pour  ce  qui  est  des  autres  sacrements,  ceux  de  la  confession  et  de  la  communion, 
par  exemple,  nous  avons  eu  de  telles  difficultés  pour  les  y  dresser  justement,  que 
même  aujourd'hui  il  n'y  en  a  qu'un  fort  petit  nombre  qui  aillent  les  recevoir  par  les 
voies  légitimes,  ainsi  qu'il  serait  dû.  Il  résulte  pour  nous  un  véritable  tourment  d'es- 
prit en  voyant  clairement  combien  peu  ils  ont  profité  dans  la  connaissance  du  chris- 
tianisme. Au  commencement  .  les  jeunes  gens  nous  aidèrent  beaucoup,  tant  ceux 
que  nous  élevions  dans  nos  écoles,  que  ceux  qui  s'élevaient  dans  nos  préaux  ;  car.  à 
l'imitation  des  coutumes  anciennes,  nous  élevions  dans  l'intérieur  des  écoles  les  fils 
de  bonnes  familles,  leur  enseignant  là  à  lire,  à  écrire  et  à  chanter,  tandis  que  nous 
enseignions  dans  nos  préaux  la  doctrine  chrétienne  aux  fils  des  prolétaires.  On  en 
rassemblait  un  grand  nombre:  après  quelques  heures  de  leçons,  un  moine  partait 
avec  eux:  on  montait  au  haut  d'un  temple  et  on  le  faisait  disparaître  en  peu  de  jours. 
Ce  fut  ainsi  qu'on  détruisit  rapidement  tous  les  eues  et  tous  les  autres  édifices  desti- 
nés au  service  des  idoles,  dont  il  ne  resta  plus  vestige.  Ces  jeunes  gens  furent  très- 
utiles  pour  cette  exécution.  Ceux  que  nous  avions  à  demeure  furent  d'un  secours  très- 
efficace  pour  extirper  les  cérémonies  idolâtres  qui  se  pratiquaient  nuitamment,  et 
pour  mettre  fin  aux  ivrogneries  et  aux  danses  auxquelles  ils  s'adonnaient  en  secret 
aussi  pendant  la  nuit,  pour  honorer  leurs  idoles.  Ils  tâchaient  de  savoir  pendant  le 
jour  le  lieu  où  de  pareilles  choses  devaient  se  passer  la  nuit  suivante.  Appuyés 
alors  par  soixante  ou  cent  de  nos  hommes,  ils  partaient  avec  un  ou  deux  de  nos 
Frères  et  ils  tombaient  sur  les  délinquants,  les  arrêtaient  et  les  conduisaient  att 
au  couvent  où  l'on  prenait  soin  de  les  châtier  en  leur  imposant  une  pénitence.  Nous 
leur  enseignions  la  doctrine  chrétienne  et  les  obligions  à  se  rendre  la  nuit  à  matines 
et  à  se  flageller.  Cela  durait  quelques  semaines,  jusqu'à  ce  qu'ils  se  montrassent 


940  UN  CHAPITRE 

repentants  de  leurs  méfaits  et  offrissent  de  ne  plus  s'en  rendre  coupables.  C'est  ainsi 
qu'ils  sortaient  catéchisés  et  punis.  Ils  servaient  d'exemple  aux  autres  qui  décidément 
n'osaient  plus  tomber  en  faute.  S'ils  le  faisaient,  du  reste,  ils  étaient  pris  au  piège  et 
recevaient  le  châtiment  dont  je  viens  de  parler.  Nos  jeunes  gens  parvinrent  à  inspirer 
une  telle  peur  à  ce  pauvre  peuple  que,  bientôt,  il  ne  fut  plus  nécessaire  d'aller  avec 
eux  ni  de  les  envoyer  en  force,  quand  il  y  avait  quelques  divertissements  nocturnes. 
Il  suffisait  qu'ils  se  réunissent  dix  ou  douze  et,  les  délinquants  fussent-ils  cent  ou 
même  deux  cents,  ils  les  arrêtaient  tous  et  les  menaient  attachés  au  couvent  pour  y 
faire  pénitence.  Ce  fut  ainsi  qu'on  mit  fin  à  ces  scènes  idolâtres  ;  car  personne  n'osa 
plus  s'y   livrer   publiquement  ou  d'une    manière  qui    pût  être  découverte.    Lors- 
qu'ils  voulaient  faire   quelque    fête  pour  se  réjouir   sans  penser  au  culte  ou  pour 
en  prendre   occasion  d'inviter  leurs  parents  ou   amis,    ils   le  faisaient   avec  l'ap- 
probation préalable  des  moines,  en  garantissant  à  l'avance  qu'il  ne  devait  y  avoir 
absolument  rien  qui  touchât  à   l'idolâtrie  et  qui  fût  capable  d'offenser  le  vrai  Dieu. 
Bientôt  cessa  cette   immixtion   des  Frères  dans  les  choses  dont  je   viens  de   par- 
ler,  parce  qu'on  ne   vit   plus   rien   qui  méritât   publiquement  d'être  châtié.   Il   en 
résulta  que   les  Indiens  perdirent  la  crainte   qu'ils   avaient  auparavant,  car  ils  vi- 
rent aussi  que  les  jeunes  gens  qui  s'élevaient  dans  les  monastères  cessèrent  d'y  cou- 
cher et  d'y  prendre  leurs  repas,  l'habitude  étant  maintenant  qu'ils  restent  chez  leurs 
parents.  Actuellement,  arrivassent-ils  à  savoir  l'existence  de  pratiques  idolâtres  ou 
de  débauches,  ces  jeunes  adeptes  n'oseraient  plus  les  dénoncer.  Il  est  vrai  aussi  que 
défense  a  été  faite  aux  moines  d'enfermer  ou  de  châtier  qui  que  ce  soit  dans  leurs  éta- 
blissements, pour  n'importe  quel  délit.  Il  en  résulte  qu'ils  chantent,  s'enivrent  et  cé- 
lèbrent leurs  fêtes  quand  ils  veulent  et  comme  ils  l'entendent;  ils  se  livrent  à  leurs 
chants  antiques  absolument  de  la  même  manière  qu'ils  le  faisaient  au  temps  de  leur 
idolâtrie.  Ils  ne  se  conduisent  pas,  il  est  vrai,  tous  ainsi;  mais  les  délinquants  sont 
nombreux,  sans  que  personne  puisse  entendre  ce  qu'ils  disent,  parce  qu'ils  sont  très- 
discrets  dans  leur  manière  de  faire.  Si  dans  leurs  divertissements  ils   font  usage  de 
quelque  scène  inventée  depuis  leur  conversion  et  où  il  soit  question  des  choses  de 
Dieu  et  des  saints,  tout  est  plein  d'erreurs  et  d'hérésies,  et,  même  alors,  dans  leurs 
danses  accompagnées  de  chants,  on  voit  apparaître  bien  des  pratiques  émanant  de 
leurs  anciennes  superstitions  et  de  leurs  rites  idolâtres,  surtout  lorsqu'ils  ne  se  voient 
entourés  de  personne  qui  les  comprenne.  Cela  se  pratique  surtout  parmi  les  mar- 
chands quand  ils  célèbrent  leurs  fêtes  et  leurs  banquets  avec  des  invités.  Ces  désor- 
dres empirent  chaque  jour  sans  que  personne  s'efforce  d'y  porter  un  remède  ;  car  ce 
n'est  compris  que  d'un  petit  nombre  qui  n'ose  rien  dire.  Les  débauches  d'ivrognerie 
deviennent  à  tout  instant  plus  communes.  Les  châtiments  qu'on  leur  oppose,  bien  loin 
d'être  une  barrière  au  désordre,  contribuent  plutôt  à  l'augmenter.  Il  est  certain  que 
quelques-uns  des  jeunes  gens  qui  s'élevaient  d'abord  dans  nos  maisons  nous  révé- 
laient les  choses  idolâtres  que  faisaient  leurs  pères  quoiqu'ils  fussent  baptisés,  ce  qui 
nous  mettait  à  même  de  les  châtier.  Mais  ils  en  étaient  punis  de  mort  ou  châtiés  sé- 
vèrement par  leurs  propres  pères.  Actuellement  même,  ayant  su  bien  des  choses  di- 
gnes de  reproche  et  de  châtiment,  nous  les  signalons  dans  nos  prédications.  Aussitôt 
il  s'établit  une  surveillance  tout  autour  de  ceux  qui  les  font,  pour  arriver  à  connaître 
le  dénonciateur  de  ce  qui  s'est  dit  en  chaire.  Presque  toujours  ils  arrivent  à  le  décou- 
vrir et  ils  le  châtient  indirectement,  d'une  manière  dissimulée,  en  faisant  peser  sur 
lui  de  lourds  services  matériels  et  en  le  rendant  victime  de  plusieurs  autres  vexations 
dont  il  n'ose  nullement  se  plaindre,  et  auxquelles  il  ne  voit  aucun  remède.  Ces  mal 
heureux  viennent  s'en  entretenir  avec  nous  en  secret,  nous  priant  de  n'en  rien  dire, 
de  crainte  qu'ils  n'aient  à  souffrir  encore  davantage,  ce  qui  nous  met  dans  la  néces- 
sité de  nous  taire  et  de  nous  contenter  de  recommander  l'affaire  au  bon  Dieu  pour 
qu'il  daigne  y  porter  remède. 

Nous  recevons  un  grand  secours  pour  la  diffusion  de  la  foi  de  la  part  de  ceux  à  qui 
nous  avons  enseigné  la  langue  latine.  Les  habitants  de  ces  pays  ne  faisaient  usage  ni 
de  lettres  ni  de  caractères  d'aucune  sorte, et,  ne  sachant  ni  lire  ni  écrire,  ils  s'enten- 
daient par  des  images  et  des  peintures.  Tout  leur  passé  et  les  livres  qui  s'y  rappor- 
taient étaient  peints  avec  des  signes  et  des  figures  d'une  telle  précision  qu'ils  con- 
servaient le  souvenir  de  tout  ce  que  leurs  ancêtres  avaient  fait  et  consigné  dans  leurs 
annales,  pour  plus  de  mille  ans  avant  l'arrivée  des  Espagnols  dans  ce  pays.  La  plus 
grande  partie  de  ces  livres  et  de  ces  écritures  fut  brûlée  en  même  temps  qu'on  dé- 


DU  PERE  BERNARDINO  DE  SAHAGUN.         941 

truisit  les  autres  choses  qui  se  rapportaient  à  l'idolâtrie.  Mais  on  en  conserva  un  grand 
nombre  qui  restèrent  cachés  et  que  nous  avons  vus.  On  les  conserve  même  avec  soin 
et  c'est  par  là  que  nous  avons  pu  nous  mettre  au  courant  de  leur  passé.  Aussitôt  que 
nous  fûmes  arrives  dans  le  pays  pour  y  prêcher  la  foi,  nous  rassemblâmes  des  jeunes 
gens  dans  nos  établissements,  ainsi  que  je  l'ai  dit,  et  nous  commençâmes  à  leur 
apprendre  la  lecture,  l'écriture  et  le  chant.  Comme  ils  réussirent  à  s'y  instruire  nous 
prîmes  nos  mesures  pour  leur  enseigner  la  grammaire;  on  fit  à  Mexico  un  collège 
dans  ce  but,  dans  les  dépendances  de  Santiago  Tlallelolco.  On  fit  choix,  dans  les  vil- 
lages des  environs  et  dans  toutes  les  provinces,  des  jeunes  gens  les  mieux  doués  et 
qui  savaient  bien  lire  et  écrire,  et  on  les  logea  dans  le  collège  même,  où  ils  prenaient 
leurs  repas,  leurs  sorties  étant  du  reste  très-rares.  Les  Espagnols  et  les  moines  d'au- 
tres ordres  qui  virent  cette  entreprise  se  fonder  se  prirent  à  rire  bien  fort  et  à  nous 
railler,  considérant  comme  hors  de  doute  que  personne  ne  serait  assez  habile  pour 
enseigner  la  grammaire  à  des  gens  qui  possédaient  si  peu  d'aptitudes.  Mais,  après  que 
nous  eûmes  travaillé  avec  eux  deux  ou  trois  ans,  ils  arrivèrent  à  se  bien  pénétrer  de 
toutes  les  matières  qui  concernent  la  grammaire,  comprirent,  parlèrent  écrivirent  le 
latin  et  même  composèrent  des  vers  héroïques.  Ce  voyant,  les  Espagnols  laïques  ou 
ministres  du  culte  furent  surpris  que  cela  eût  été  possible.  Ce  fut  moi  qui  travaillai 
avec  ces  élèves  les  quatre  premières  années  et  qui  les  initiai  dans  tous  les  points 
relatifs  à  la  langue  latine.  Lorsque  les  laïques  et  les  gens  du  clergé  se  convainquirent 
que  les  Indiens  progressaient  et  étaient  capables  de  plus  encore,  ils  commencèrent  à 
élever  des  objections  et  à  contrecarrer  l'affaire  dans  le  but  d'empêcher  qu'elle  se 
poursuivit.  Comme  je  me  trouvai  mêlé  à  la  discussion,  puisque  c'était  moi  qui  ensei- 
gnais la  grammaire  aux  élèves  du  collège,  il  me  sera  facile  de  dire  avec  vérité  l'op- 
position qui  était  faite  et  les  réponses  qu'on  adressait  aux  opposants.  Ceux-ci  disaient 
que  puisque  ces  gens-là  ne  devaient  pas  entrer  dans  les  ordres,  à  quoi  cela  servait-il 
de  leur  enseigner  la  grammaire  ?  On  les  mettait  ainsi  en  danger  de  devenir  hérétiques, 
et,  en  lisant  les  saintes  Écritures,  ils  s'apercevraient  que  les  anciens  patriarches 
avaient  plusieurs  femmes  à  la  fois,  absolument  comme  ils  en  avaient  eux-mêmes 
l'habitude:  d'où  il  résulterait  qu'ils  se  refuseraient  à  croire  ce  qu'actuellement  nous 
leur  prêchons,  c'est-à-dire  que  personne  ne  peut  avoir  qu'une  femme  comme  épouse 
légitime,  in  facie  Ecclesiae.  On  mettait  en  avant  d'autres  objections  de  même  nature, 
auxquelles  il  était  répondu  que,  même  dans  le  cas  de  ne  pas  être  ordonnés  prêtres, 
nous  voulions  savoir  jusqu'où  allaient  leurs  aptitudes,  afin  que,  après  l'avoir  su  par 
expérience,  nous  pussions  affirmer  ce  dont  ils  étaient  capables  et  qu'ainsi  on  se  con- 
duisît avec  eux  conformément  à  leurs  capacités,  en  saine  justice,  ainsi  que  nous  y 
sommes  obligés  envers  notre  prochain.  Pour  ce  qui  regarde  l'accusation  qu'on  nous 
lançait,  de  les  exposer  à  devenir  hérétiques,  nous  répondions  qu'attendu  que  ce  n'é- 
tait point  à  cela  que  nous  visions,  mais  plutôt  à  les  mettre  en  mesure  de  mieux  com- 
prendre les  choses  de  la  foi;  comme  nous  sommes  les  sujets  d'un  prince  très-chrétien, 
il  serait  toujours  possible  de  réprimer  les  écarts  s'ils  venaient  à  se  présenter.  Pour 
ce  qui  est  des  femmes,  l'Évangile  rapporte  le  châtiment  que  le  Rédempteur  infligea  à 
l'homme  qui  prenait  plusieurs  femmes,  conformément  à  l'usage  d'autrefois.  On  prê- 
chera donc  ce  passage  des  Écritures  aux  Indiens,  qui  seront  obligés  de  le  croire,  et 
s'ils  y  sont  rebelles,  on  les  châtiera  comme  hérétiques,  attendu  que  les  autorités 
ecclésiastiques  et  séculières  en  ont  le  pouvoir.  Il  y  eut  à  ce  sujet  plusieurs  autres 
altercations  qu'il  serait  trop  long  d'énumérer  ici. 

Il  y  a  plus  de  quarante  ans  que  ce  collège  existe,  et  l'on  ne  peut  accuser  ses  élèves 
d'aucun  délit,  ni  contre  Dieu,  ni  contre  l'Église,  ni  contre  le  Roi,  ni  contre  la  chose 
publique.  Mais  ils  ont  donné  leur  concours  à  la  fondation  et  au  maintien  de  notre 
sainte  foi  catholique:  car,  s'il  existe  des  sermons,  des  critiques  et  des  exposés  de 
doctrine  en  langue  indienne  pouvant  paraître  et  étant  en  effet  libres  de  toute  hérésie, 
ce  sont  ceux-là  mêmes  qui  ont  été  faits  par  eux.  Comme  ils  sont  déjà  instruits  dans 
la  langue  latine,  ils  nous  font  comprendre  le  véritable  sens  des  mots  et  les  tournures 
de  leur  langue,  ainsi  que  les  choses  incongrues  que  nous  disons  parfois  dans  nos  ser- 
mons ou  que  nous  mettons  dans  nos  écrits.  Ils  nous  corrigent  tout  cela,  et  rien  de  ce 
qui  doit  être  traduit  en  leur  langue  ne  peut  être  privé  de  fautes  si  cela  n'est  passé 
sous  leurs  yeux.  Il  n'y  a  qu'eux  qui  puissent  écrire  convenablement  les  langues  latine, 
espagnole  et  même  indienne.  Pour  ce  qui  est  de  l'orthographe  et  de  la  bonne  écriture, 
seulement  ceux  qui  s'élèvent  parmi  nous  les  possèdent.  Après  les  avoir  instruits  pen- 


942        UN  CHAPITRE  DU  PÈRE  BERNARDINO  DE  SAHAGUN. 

danl  plus  de  dix  ans  dans  la  discipline  et  les  règles  qui  devaient  être  observées  dans 
le  collège,  lorsque  déjà  il  existait  des  élèves  capables  d'enseigner  et  paraissant  pro- 
pres à  la  direction  de  rétablissement,  nos  moines  en  ordonnèrent  quelques-uns;  on 
élut  parmi  eux  un  recteur  et  un  conseil  pour  diriger  le  collège,  et  on  les  laissa  seuls 
pour  professer  et  se  gouverner  comme  ils  l'entendraient  pendant  vingt  ans.  Ce  temps 
fut  suffisant  pour  que  Tordre  et  les  bonnes  règles  du  collège  tombassent  absolu- 
ment, en  partie  par  la  faute  du  majordome  qui  était  Espagnol,  en  partie  par  suite  de 
la  négligence  et  du  manque  de  soins  du  recteur  et  du  conseil,  par  la  faute  aussi  des 
moines  qui  ne  surveillèrent  pas  la  marche  des  choses.  Quoi  qu'il  en  soit,  l'entreprise 
arriva  à  sa  ruine.  Quarante  ans  après  la  fondation  du  collège,  on  procéda  à  l'examen 
de  sa  situation  et  on  reconnut  que  tout  était  perdu.  Il  fallut  s'arrêter  à  d'autres  me- 
sures, faire  d'autres  ordinations  outre  les  premières,  afin  que  le  collège  pût  de  nou- 
veau marcher.  Je  me  trouvais  à  la  première  fondation  du  collège  et  j'assistai  de 
même  à  la  seconde  qui  donna  plus  de  difficultés  que  la  précédente.  L'épidémie  qui 
éclata  il  y  a  trente  et  un  ans  fit  beaucoup  diminuer  les  élèves,  et  celle  de  l'année  ac- 
tuelle 1376  n'a  pas  été  moins  funeste  à  l'établissement,  car  il  n'y  reste  presque  plus 
personne;  quasi  tous  sont  partis,  morts  ou  malades.  J'ai  grand'peur  que  tout  échoue 
encore  complètement,  d'abord  parce  que  les  Indiens  sont  difficiles  à  conduire  et  très- 
peu  désireux  d'apprendre,  ensuite  parce  que  les  Frères  se  fatiguent  de  la  peine  qu'ils 
causent  pour  les  mettre  en  voie  de  progrès,  et  par-dessus  tout  parce  que  je  vois  que 
ni  laïques  ni  prêtres  ne  favorisent  l'entreprise,  pas  même  par  le  secours  d'un  mara- 
védis.  Si  don  Antonio  de  Mendoza  (Dieu  Tait  en  sa  sainte  gloire!),  qui  fut  vice-roi  de 
cette  Nouvelle-Espagne,  ne  les  eût  aidés  de  son  propre  bien  et  d'une  petite  rente  qui 
n'en  peut  soutenir  fort  médiocrement  qu'un  petit  nombre,  il  ne  serait  déjà  plus  ques- 
tion ni  du  collège  ni  de  ses  élèves.  Cela  eût  servi  cependant  à  produire  le  plus  grand 
bien  dans  ce  peuple  d'indigènes  et  à  conserver  au  Roi  notre  seigneur  plus  de  sujets 
qu'il  n'en  a  et  qu'il  n'en  aura  par  la  suite,  car  ils  diminuent  chaque  jour.  J'ai  vu  de 
mes  propres  yeux  que  dans  l'épidémie  d'il  y  a  trente  ans,  la  plupart  moururent  de 
faim  et  aussi  parce  qu'il  n'y  avait  personne  qui  sût  soigner  les  malades  et  leur  ap- 
pliquer des  médecines.  La  même  chose  arrive  dans  l'épidémie  actuelle  et  il  en  sera 
de  même  dans  celles  qui  viendront  plus  tard,  jusqu'à  ce  que  la  race  s'achève.  Si 
l'on  eût  pris  soin  d'instruire  ces  Indiens  dans  la  grammaire,  la  logique,  la  philoso- 
phie naturelle  et  la  médecine,  ils  auraient  pu  porter  un  secours  efficace  à  beaucoup 
de  ceux  qui  sont  morts;  car,  dans  celte  ville  de  Mexico,  nous  voyons  guérir  ceux  que 
l'on  parvient  à  soigner  comme  il  convient  en  temps  opportun,  tandis  que  tous  les 
autres  meurent.  Comme  d'ailleurs  les  médecins  et  les  barbiers  espagnols  qui  savent 
soigner  sont  peu  nombreux  et  ne  peuvent  donner  leurs  secours  qu'à  peu  de  malades, 
d'autant  moins  qu'ils  sont  fatigués  et  que  plusieurs  succombent,  il  n'y  a  déjà  plus 
personne  qui  veuille  secourir  les  Indiens  pauvres,  de  sorte  qu'ils  meurent  pour  n'a- 
voir pu  obtenir  ni  aide  ni  médecine  d'aucune  sorte. 


TABLE    GENERALE   DE   L'OUVRAGE 


Pages . 


Préface  du  traducteur..  . . 
Avertissement  au  lecteur, 
Préface  de  l'auteur 


XXIX 
XXXI 


table  analytique  des  chapitres  ' 


Bernai  Diaz,  parti  d'Espagne  en  1514,  va 
d'abord  à  Terre-Ferme,  puis  à  Cuba.  L'expédition 
du  Yucatan  est  organisée  par  le  capitaine  Her- 
nandez  de  Cordova.  B.  Diaz  y  prend  part  avec 
cent  dix  camarades 1 

II.  Départ  de  la  Havane  (février  1517).  Combat 
de  la  pointe  de  Cotoche 3 

III.  Découverte  de  Saint-Lazare  (Campèche). 
Attaqués  par  les  indigènes,  les  Espagnols  se 
rembarquent.  Ils  mouillent  à  Potonchanou  Cham- 
poton  pour  faire  de  l'eau 6 

IV.  Bataille  de  Champoton.  Les  Espagnols  per- 
dent cinquante-sept  hommes;  Cordova  est  griè- 
vement blessé  10 

V.  Ils  abandonnent  un  de  leurs  navires  et  retour- 
nent à  Cuba.  Privations  qu'ils  endurent. ...     12 

VI.  En  route  ils  débarquent  à  la  Floride,  poussés 
par  la  soif.  Attaqués,  ils  repoussent  les  Indiens 
et  se  rembarquent.  Retour  à  la  Havane.  Mort  de 
Cordova.  Diego  Velasquez,  gouverneur  de  Cuba, 
se  donne  tout  l'honneur  de  la  campagne. . . .     14 

VIL  B.  Diaz  va  par  mer  à  Trinidad  avec  quel- 
ques amis  ;  ils  font  naufrage  et  regagnent  la 
Havane  à  grand'peine 18 

VIII.  Velasquez  organise  une  flotte  de  quatre  na- 
vires qu'il  confie  à  Grijalva  (1518).  Bernai  Diaz 
est  de  l'expédition.  Grijalva  touche  à  Matanzas, 
puis  à  Cozumel 19 

IX.  Débarquement  à  Champoton,  Combat  meur- 
trier      23 

X.  Découverte  de  la  baie.de  Terminos...     24 

.  XL  Arrivée  au  fleuve  Grijalva  (Tabasco). 
Échanges  avec  les  Indiens.  Les  Espagnols  ap- 
prennent qu'il  y  a  de  l'or  à  Culua  (Mexico).  Ils 
se  rembarquent 25 

XII.  Les  navires  longeant  la  côte  passent  en  vue 
de  Aguayaluco,  du  fleuve  San  Antonio,  du  Gua- 


zacualco,  dn  fleuve  Alvarado.  et  arrivent  au   Rio 
Banderas 28 

XIII.  Là,  les  Espagnols  rencontrent  des  émis- 
saires de  Montezuma  et  acquièrent  par  échanges 
de  l'or  pour  quatorze  mille  piastres.  Ils  prennent 
possession  du  pays  au  nom  de  l'Empereur.  Dé- 
couverte de  l'ile  des  Sacrifices 29 

XIV.  Débarquement  sur  la  plage  de  Saint-Jean 
d'LTIoa.  Sacrifices  humains.  Grijalva,  voulant  co- 
loniser le  pays,  envoie  Pedro  de  Alvarado.  avec 
un  navire,  demander  du  renfort  à  Velasquez, 
gouverneur  de  Cuba 31 

XV.  Alvarado  arrive  avec  le  produit  de  l'expé- 
dition, tandis  que  Velasquez  se  désolait  de  l'échec 
de  Christoval  de  Oli  qu'il  avait  envoyé  à  la  re- 
cherche de  Grijalva  et  qui  était  revenu  sans  nou- 
velles  " 33 

XVI.  —  Pendant  ce  temps  les  Indiens  attaquent 
un  des  navires  de  Grijalva.  Les  soldats  deman- 
dent le  retour,  qui  s'effectue.  Relâche  au  fleuve 
San  Antonio.  Les  haches  d'or  en  cuivre.  Les 
premiers  orangers  du  Mexique.  Retour  de  Gri- 
jalva à  Cuba 34 

XVII.  —  Velasquez  envoie  son  chapelain  en 
Espagne  pour  obtenir  du  Conseil  des  Indes,  par 
l'évêque  de  Burgos,  les  pouvoirs  les  plus  éten- 
dus      37 

XVIII.  —  Chapitre  consacré  par  B.  Diaz  à  cri- 
tiquer la  chronique  de  Lopez  de  Gomara  et  ;i  en 
relever  les  erreurs 38 

XIX.  —  Diego  Velasquez  envoie  une  flotte 
aux  pays  découverts  par  Grijalva.  Intrigues  de 
Fernand  Cortès  pour  s'en  faire  nommer  comman- 
dant. Ce  qu'était  cet  hidalgo,  sa  famille,  etc. 
Il  réussit  et  reçoit  le  commandement  de  la  flotte 
(novembre  1518) 'il 

XX.  —  Ses  rivaux  éconduits  essaient  de  faire 
revenir  le  gouverneur  sur  son  choix:  l'adresse  de 
Cortès  l'emporte.  Il  hâte  ses  préparatifs  et  s'em- 


1.  La  table  des  matières  de  B.  Diaz  m'a  semblé  tellement  insuffisante,  si  confuse  et  si  peu  propre 
à  faciliter  les  recherches,  que  j'ai  cru  devoir  en  composer  une  seconde,  dans  le  but  de  présenter  au 
regard  du  lecteur  la  succession  des  principaux  événements  avec  plus  de  clarté.  On  verra  plus  aisé- 
ment dans  cette  nouvelle  table  le  mouvement  des  troupes  et  l'itinéraire  qu'elles  suivent  dans  leurs 
expéditions,  et  l'on  se  trouvera  ainsi  mieux  en  mesure  de  porter  sa  lecture  sur  les  faits  de  la  cam- 
naene  au  sujet  desquels  on  désire  s'éclairer  d'une  manière  spéciale. 


pagt 


944 


TABLE. 


barque.  Bernai  Diaz  quille  avec   lui  Santiago  de 
Cuba 44 

XXI.  —  Relâche  à  Trinidad.  Cortès  fait  d'im- 
portantes recrues  et  complète  ses  approvisionne- 
ments  <  •  •  •     46 

XXII.  —  Velasquez,  circonvenu  par  son  entou- 
rage, dépêche  des  envoyés  pour  s'opposer  au  dé- 
part de  la  Hotte  et  en  ôter  le  commandement  à 
Cortès.  Celui-ci,  par  ses  largesses  et  ses  protes- 
tations de  dévouement,  séduit  les  envoyés,  per- 
suade ses  compagnons  et  répond  à  Velasquez  par 
des  assurances  de  fidélité.  Puis  il  achève  ses  pré- 
paratifs       48 

XXIII.  —  Départ  pour  la  Havane.  Après  plu- 
sieurs incidents  et  un  retard  de  Cortès,  le  per- 
sonnel de  l'expédition  est  réuni  à  la  Havane. 
Nouvelles  recrues.  Derniers  préparatifs.  Dénom- 
brement des  chevaux 49 

XXIV.  —  Velasquez  envoie  arrêter  Fernand 
Cortès.  Celui-ci  met  l'émissaire  du  gouverneur 
dans  ses  intérêts,  gagne  les  partisans  de  Velas- 
quez et  lui  écrit  qu'il  part  et  qu'il  est  son  meil- 
leur serviteur 53 

XXV.  —  Départ  de  la  Havane  pour  Cozumel 
(10  février  1519).  Alvarado,  arrivé  le  premier, 
enlève  des  vivres  et  de  l'or  aux  Indiens.  Colère 
de  Cortès  qui  leur  fait  tout  rendre  et  harangue 
les  habitants,  montrant  ainsi  sa  future  politique 
dans   a  conquête  qui  va  commencer 54 

XXVI.  —  Revue  de  l'armée,  dénombrement  des 
forces , 56 

XXVII.  Cortès  apprend  qu'il  existe  deux  Espa- 
gnols prisonniers  chez  les  Indiens.  Il  envoie  à 
leur  recherche.  L'un  d'eux  refuse  de  le  suivre. 
L'autre,  Geronimo  de  Aguilar,  sera  l'interprète 
de  l'expédition.  Cortès  détruit  les  idoles  à  Cozu- 
mel        57 

XXVIII.  —  Départ  de  Cozumel  ;  une  voie  d'eau 
à  l'un  des  navires  oblige  la  flotte  à  rentrer  au 
port;  le  départ  est  retardé  de  quatre  jours. .     60 

XXIX.  —  Ce  retard  permet  à  Aguilar  de  re- 
joindre l'expédition.  Histoire  du  captif 61 

XXX.  —  Départ  définitif  de  Cozumel  (4  mars 
1519).  Escobar  est  envoyé  en  reconnaissance  dans 
la  baie  de  Terminos.  On  passe  devant  Champoton 
sans  débarquer,  à  cause  des  vents  contraires.     64 

XXXI.  —  Arrivée  le  12  mars  au  fleuve  Grijalva 
(Tabasco).  Les  habitants  sont  hostiles.  Cortès 
essaie  de  les  engager  à  la  paix,  mais  ils  s'oppo- 
sent en  armes  au  débarquement.  Combat  de  Ta- 
basco. Prise  de  possession  solennelle  au  nom  du 
roi  d'Espagne 66 

XXXII.  —  Deux  troupes  de  cent  hommes  vont 
reconnaître  le  pays  et  reviennent  fort  maltraitées. 
Un  interprète  indien  a  passé  à  l'ennemi  et  le  guide 
de  ses  conseils 69 

XXXIII.  —  Préparatifs  des  Espagnols;  débar- 
quement des  chevaux.  On  marche  vers  la  ville, 
au-devant  des  Indiens 71 

XXXIV.  —Grande  bataille  de  Tabasco.  Pre- 
mier emploi  des  chevaux  contre  les  Indiens  de  la 
Nouvelle-Espagne;  ils  perdent  huit  cents  guer- 
riers. Gomara  et  le  miracle  des  saints  apôtres.  73 

XXXV.  —  Pourparlers  avec  les  Indiens.  Epi- 
sode des  chevaux  et  des  canons 76 

XXXVI.  —  Les  Indiens  de  Tabasco  offrent  des 
femmes  aux  Espagnols,  parmi  lesquelles  celle 
qui  devint  doua  Marina.  Baptême  de  ces  Indiennes. 
Les  caciques  jurent  obéissance  au  roi  d'Espagne. 
Départ  de  l'armée  pour  Saint-Jean  d'Uloa...     78 

XXXVII.  —  Histoire  de  doua  Marina.  Ses  re- 


lations avec  Cortès.  Services  qu'elle  rendit  à  la 
conquête 82 

XXXVIII.  — Deux  envoyés  de  Montezuma,  roi 
de  Mexico,  viennent  visiter  les  Espagnols  avec 
des  présents.  Cortès  fait  demander  une  entrevue 
tu  monarque 84 

XXXIX.  —  Nouvelle  arrivée  de  présents;  mais 
Montezuma  refuse  de  recevoir  les  Espagnols.     88 

XL.  —  Les  messagers  de  Montezuma  rappor- 
tent un  second  refus  plus  catégorique.  On  caté- 
chise les  Indiens 90 

XLI.  —  Les  partisans  de  Diego  Velasquez 
obligent  Cortès  à  réglementer  le  trafic  de  l'or  et  à 
nommer  un  trésorier.  Les  Indiens  et  les  messa- 
gers quittent  furtivement  le  camp  espagnol.  Des 
Indiens  de  Cempoal ,  ennemis  des  Mexicains, 
viennent  visiter  Cortès 93 

XLIl.  —  Les  partisans  de  Diego  Velasquez  ré- 
clament le  retour  à  Cuba  ;  mais  les  amis  de  Cortès 
le  proclament  capitaine  général  de  la  Nouvelle- 
Espagne  au  nom  du  roi.  Fondation  de  la  Villa 
Rica  de  la  Vera  Cruz  ;  nomination  aux  emplois 
civils  et  militaires.... 96 

XLIII.  —  Discordes  au  camp,  apaisées  par 
l'adresse  du  général 99 

XLIV.  —  Cortès  envoie  Alvarado  en  recon- 
naissance. Départ  pour  Quiavistlan.  Les  sacri- 
fices humains loi 

XLV.  —  Arrivée  à  la  ville  de  Cempoal.  Ré- 
ception des  Espagnols  par  les  caciques  ennemis 
des  Mexicains 104 

XL VI.  —  Les  percepteurs  de  Montezuma  vien- 
nent à  Quiavistlan  pour  rançonner  les  villages 
totonaques  qui  ont  accueilli  Cortès 107 

XLVII.  —  Cortès  fuit  emprisonner  les  per- 
cepteurs et  conclut  une  alliance  avec  les  Toto- 
naques contre  Montezuma.  Mais  il  renvoie  se- 
crètement à  celui-ci  deux  des  prisonniers  avec  un 
message 1 10 

XLVIII.  —  Bons  effets  de  la  politique  de 
Cortès.  Montezuma,  enchanté  de  son  procédé, 
lui  envoie  des  présents  par  ses  neveux,  mais 
ses  menaces  aux  Totonaques  révoltés  démon- 
trent sa  rancune  secrète 112 

XLIX.  —  Les  caciques  demandent  secours  à 
Cortès  contre  les  Mexicains  établis  à  Cingapa- 
cinga 115 

L.  —  Au  moment  de  partir  pour  cette  localité, 
les  partisans  de  Velasquez  demandent  à  retourner 
à  Cuba.  Cortès  les  autorise  à  le  faire  ;  mais,  à  son 
instigation,  ses  amis  s'y  opposent 117 

LI.  —  Campagne  de  Cingapacinga.  Destruc- 
tion des  idoles  totonaques.  Réconciliation  des 
habitants  de  Cingapacinga  et  de  Cempoal. .     118 

LU.  —  Baptême  de  huit  Indiennes  et  retour  à 
la  Villa  Rica 123 

LUI.  —  Nouvelles  de  Cuba.  L'armée  envoie 
tout  l'or  acquis  au  roi  d'Espagne,  avec  des  délé- 
gués pour  lui  rendre  compte  de  ce  qui  s'est  passé 
depuis  le  départ  de  Cuba. .    125 

LIV.  —  Départ  des  délégués.  Détail  des  lettres 
dont  ils  étaient  porteurs.  Malgré  la  défense  de 
Cortès,  ils  relâchent  à  Cuba,  et  l'un  d'eux  instruit 
Velasquez  de  ce  qui  se  passe 127 

LV.  —  Velasquez,  furieux,  se  plaint  de  Cortès 
au  tribunal  de  Saint-Domingue,  qui  repousse  ses 
griefs.  Alors  il  équipe  une  flotte  qu'il  confie  à 
Narvaez,  avec  ordre  de  s'emparer  du  rebelle.    130 

LVI.  —  Les  délégués  de  Cortès,  arrivés  en  Es- 
pagne, sont  en  butte  aux  persécutions  de  l'évèque 


TABLE. 


945 


de  Burgos,  président  du  Conseil  des  Indes.  Mais 
l'empereur  finit  par  être  informé  et  par  promettre 
justice  à  Cortès  et  à  ses  soldats 1 32 

LVII.  —  Complot  dans  le  camp  de  Cortès; 
châtiment  des  conjurés.  Préparatifs  de  départ 
pour  Mexico 135 

LVIII.  —  Pour  empêcher  les  désortions  et 
renforcer  sa  troupe,  Cortès  prend  la  résolution 
de  faire  échouer  ses  navires  après  en  avoir  retiré 
les  équipages.  Juan  de  Escalante  reste  à  la  Villa 
Rica  en  qualité  décommandant 137 

LIX.  —  On  va  quitter  Cempoal,  quand  de  la 
Villa  Rica  on  annonce  la  présence  d'un  navire 
suspect  en  vue.  Cortès  part  en  toute  hâte  pour 
le  port 139 

LX.  —  Le  navire  est  envoyé  par  Garay,  gou- 
verneur de  la  Jamaïque.  Cortès  s'empare  par  la 
ruse  de  six  des  hommes  de  l'équipage.  Le  reste 
se  rembarque  et  lui  échappe.  Il  retourne  à  Cem- 
poal      141 

LXI.  —  Départ  de  l'armée  pour  Tlascala,  en 
route  vers  Mexico.  A  Cocotlan  (  Castilblanco  ), 
les  Espagnols  apprennent  pour  la  première  fois 
ce  qu'est  la  grande  capitale  (août  1519).  Cortès 
harangue  les  indigènes  et  veut  ériger  des  croix; 
le  Père  Olmedo  l'en  dissuade 143 

LXII.  —  Départ  de  Castilblanco.  Arrivée  à 
Xalacingo.  Des  messagers  envoyés  à  Tlascala, 
retenus  prisonniers,  s'échappent  et  rapportent  les 
préparatifs  des  Tlascaltèques.  Marche  en  avant, 
et  premier  engagement  avec  ceux-ci 147 

LXIII.  —  Deuxième  combat;  les  Tlascaltèques 
sont  repoussés,  mais  après  avoir  causé  quelques 
pertes  aux  Espagnols  et  leur  avoir  tué  un  cheval 
et  son  cavalier  (2  septembre  1519) 151 

LXIV.  —  Après  un  jour  de  repos,  les  Espa- 
gnols font  quelques  reconnaissances  pour  pren- 
dre des  Indiens  et  les  dépêcher  comme  messagers 
au  général  tlascaltèque  Xicotenga  le  jeune.  Les 
envoyés  reviennent  en  annonçant  que  celui-ci  ne 
veut  pas  entendre  parler  de  paix,  et  qu'il  com- 
mande à  cinquante  mille  hommes.  Cortès  se 
prépare  à  combattre 154 

LXV.  —  Troisième  bataille  (5  septembre).  La 
mésintelligence  des  chefs  ennemis  donne  à  Cortès 
une  victoire  inespérée 157 

LXVI.  —  Cortès  offre  la  paix  à  Tlascala.  Les 
caciques  consultent  les  prêtres  qui  conseillent 
d'attaquer  les  Espagnols  pendant  la  nuit.  Nou- 
velle bataille,  victoire  de  Cortès  qui  de  nouveau 
offre  la  paix  à  Tlascala 160 

LXVII.  —  Les  caciques  acceptent  les  proposi- 
tions de  paix  et  désignent  des  envoyés  pour  trai- 
ter avec  Cortès;  mais  le  général  tlascaltèque 
Xicotenga  refuse  d'obéir  et  prétend  continuer  les 
hostilités,  ce  qui  empêche  le  départ  des  en- 
voyés       164 

LXVIII.  —  Petite  expédition  de  Cinpacingo. 
Attitude  pacifique  des  Indiens 166 

LXIX.  —  Au  retour  de  Cortès,  les  partisans 
de  Diego  Velasquez  lui  conseillent  le  retour  à 
Cuba.  Discours  de  Cortès  en  réponse  aux  mécon- 
tents      167 

LXX.  —  Xicotenga,  toujours  décidé  à  conti- 
nuer la  guerre,  envoie  des  espions  au  campe- 
ment espagnol.  Ceux-ci,  découverts,  sont  ren- 
voyés mutilés  à  leur  chef 172 

LXXI.  —  Arrivée  au  camp  des  envoyés  charges 
de  demander  la  paix.  Ils  annoncent  la  venue  du 
général  tlascaltèque  et  des  caciques;  joie  dos 
soldats  espagnols 174 

LXXII.  —  Des  ambassadeurs  viennen  t  trouve 


Cortès  de  la  part  de  Montezuma,  qui  félicite  le 
général,  et  promet  tribut  et  soumission  au  roi 
d'Espagne,  à  condition  que  Cortès  renoncera  à 
aller  à  Mexico.  Cortès  renvoie  sa  réponse  après 
la  conclusion  de  la  paix  avec  Tlascala 177 

LXXIII.  —  Xicotenga  vient  au  camp  conclure 
la  paix  et  faire  acte  de  soumission  au  roi  d'Es- 
pagne; il  invite  Cortès  à  entrer  à  Tlascala.  Il  en 
est  dissuadé  par  les  ambassadeurs  mexicains  qui 
voient  avec  dépit  la  paix  conclue  entre  Tlascala  et 
les  Espagnols.  Nouveaux  présents  de  Montezuma 
engageant  Cortès  à  se  méfier  des  Tlascaltèques. 
Cortès  diffère  sa  réponse  au  monarque...     178 

LXXIV. —  Insistance  des  caciques  pour  déci- 
der Cortès  à  venir  dans  leur  ville.  Discours  de 
Maceescaci.  Explication  du  nom  de  Malinche 
donné  par  les  Indiens  à  Cortès 182 

LXXV.  —  Entrée  à  Tlascala  (23  septembre 
1519) 184 

LXXVI.  —  Messe  solennelle  en  présence  des 
caciques.  Ceux-ci  offrent  leurs  filles  aux  Espa- 
gnols      186 

LXXVII.  —  Cortès  répond  qu'il  ne  peut  ac- 
cepter les  Indiennes  comme  compagnes  de  ses 
soldats,  que  si  les  Tlascaltèques  abandonnent  leurs 
idoles.  Refus  très-net  de  ceux-ci.  Le  Père  Ol- 
medo dissuade  Cortès  d'insister.  Les  Indiennes 
sont  baptisées  et  réparties  entre  les  capitaines. 
Doua  Luisa,  femme  d'Alvarado 188 

LXXVIII.  —  Cortès  se  fait  donner  par  les  ca- 
ciques des  renseignements  sur  Mexico  et  sur  les 
guerres  des  Tlascaltèques  avec  Montezuma.  La 
prophétie  concernant  les  Espagnols.  Expédition 
de  Ordas  au  Popocatcpetl  ;  ce  capitaine  découvre, 
du  haut  du  volcan,  Mexico  et  sa  vallée.  Les  cages 
où  s'engraissent  les  prisonniers 190 

LXXIX.  —  Cortès,  malgré  les  avis  des  caci- 
ques tlascaltèques,  prend  la  résolution  d'aller  à 
Mexico  en  passant  par  la  ville  de  Cholula..     195 

LXXX.  —  Montezuma,  redoutant  l'entente  des 
Tlascaltèques  et  de  Cortès,  invite  le  général  à 
venir  dans  sa  capitale.  Réponse  de  Cortès..     197 

LXXXI.  —  Les  Cholultèques  répondent  à  un 
message  de  Cortès  qu'ils  n'iront  pas  à  Tlascala, 
mais  qu'ils  veulent  bien  accueillir  les  Espagnols 
dans  leur  ville 199 

LXXXII.  —  Départ  pour  Cholula  avec  deux 
mille  alliés  tlascaltèques.  Les  caciques  de  Cho- 
lula s'excusent  près  de  Cortès  et  l'invitent  à  en- 
trer dans  leur  ville,  mais  en  refusent  l'entrée  à 
leurs  ennemis  les  Tlascaltèques.  Ils  jurent  obéis- 
sance au  roi  d'Espagne 200 

LXXXIII.  —  Entrée  à  Cholula.  Montezuma 
ordonne  aux  caciques  d'armer  les  habitants  et  de 
massacrer  les  Espagnols.  Préparatifs  des  Cho- 
lultèques. Le  complot  est  révélé  par  des  papes, 
et  grâce  à  l'intelligence  de  dofia  Marina.  Ven- 
geance de  Cortès  qui  ordonne  le  massacre  des 
traîtres.  Mais  il  feint  de  ne  pas  croire  à  la  con- 
nivence du  monarque  mexicain.  Celui-ci,  ins- 
truit des  événements  de  Cholula  et  plus  perplexe 
que  jamais,  consulte  ses  idoles  dont  les  prêtres 
lui  conseillent  de  laisser  entrer  les  Espagnols 
dans  la  capitale,  espérant  qu'une  fois  entrés  on 
s'en  défera  plus  facilement.  Justification ,  par 
l'auteur,  du  massacre  des  Cholultèques 202 

LXXXIV.  —  Message  de  Cortès  à  Monte- 
zuma       215 

LXXXV. —  Le  monarque  mexicain  répond  en 
désavouant  le*  Cholultèques.  Les  Tlascaltèques 
fournissent  mille  auxiliaires  pour  aller  à  Mexico. 
Les  guerriers  de  Cempoal  quittent  les  Espagnols, 
n'osant  les  accompagner  à  la  capitale 217 

LXXXVI.  —  Cortès,  évitant  une  embuscade 

60 


946 


TABLE. 


mexicaine  préparée  à  Chalco,  passe  par  Talma- 
nalco.  Les  villages  environnants  le  reçoivent  pa- 
cifiquement et  se  plaignent  à  lui  du  despotisme 
des  Mexicains 219 

LXXXVII.  —  Montezuma,  voyant  approcher 
les  Espagnols,  leur  fait  faire  les  plus  brillantes 
promesses,  à  la  condition  qu'ils  renonceront  à 
entrer  dans  sa  capitale.  Cortès  persiste  dans  sa 
résolution  et  gagne  Iztapalatengo.  Le  monarque 
envoie  son  neveu  Cacamatzin  au-devant  des  Es- 
pagnols. Arrivée  à  Iztapalapa.  Les  grands  ca- 
ciques viennent  recevoir  la  troupe  de  Cortès.     223 

LXXXVIII.  —  Entrée  des  Espagnols  à  Mexico 
(8  novembre  1519).  Réception  solennelle  faite  à 
Cortès  par  le  monarque  mexicain.  Installation  de 
l'armée  dans  un  des  palais  de  Montezuma.     227 

LXXXIX.  —  Le  prince  fait  une  visite  à  Corlès. 
Encore  la  prédiction  des  Aztèques  concernant  les 
Espagnols.  Conversation  du  général  espagnol 
avec  Montezuma 231 

XC.  —  Cortès  rend  au  monarque  sa  visite. 
Il  essaye  en  vain  de  le  décider  à  abandonner  ses 
idoles.  Montezuma  comble  de  présents  les  capi- 
taines espagnols 233 

XCI.  —  Portrait  de  Montezuma;  ses  moeurs; 
ses  habitudes;  sa  table;  sa  maison.  Les  arsenaux 
de  Mexico.  Le  palais  des  oiseaux.  La  ménagerie 
et  les  sacrifices.  Les  arts  et  métiers  chez  les 
Mexicains 236 

XCII.  —  Les  Espagnols  visitent  le  grand 
temple  des  idoles  mexicaines.  Description  du 
Tatelulco,  la  grande  place  de  Mexico,  et  du  mar- 
ché qui  s'y  tenait.  Le  temple;  les  idoles  Huichi- 
lobos  et  Tezcatepuca  ;  les  sacrifices  humains. 
Cortès  revient  à  la  charge  et  demande  à  Monte- 
zuma de  construire  une  église  au  sommet  du 
temple.  Refus  irrité  du  prince.  Description  de 
l'édifice  et  de  ses  dépendances.  Les  temples  chez 
les  Aztèques 243 

XCIII.  —  Construction  d'une  chapelle.  Dé- 
couverte du  trésor  d'Axayaca.  Les  Espagnols 
prennent  la  résolution  de  s'emparer  de  Monte- 
zuma. La  nouvelle  de  la  défaite  et  de  la  mort  de 
Juan  de  Escalante  à  Almena  les  décide  à  hâter 
l'exécution  de  ce  projet 253 

XCIV.  —  Affaire  d'Almeria.  Juan  de  Esca- 
lante, commandant  la  Villa  Rica,  est  blessé  mor- 
tellement en  marchant  au  secours  des  Totona- 
ques  attaqués  par  les  Mexicains.  La  tète  d'un 
Espagnol  est   envoyée    à   Montezuma 257 

XCV.  —  Cortès  s'empare  du  monarque  et  le 
retient  prisonnier  dans  son  quartier.  Genre  de 
vie  du  prince  captif.  Le  général  espagnol  fait 
brûler  vifs  les  capitaines  auteurs  de  l'attaque 
d'Almeria.  Montezuma  mis  aux  fers.  Le  page 
Ûrteguilla.  Réflexions  de  B.  Diaz  sur  l'audacieux 
coup  de  main  des  Espagnols 259 

XCVI.  — Cortès  envoie,  comme  commandant 
de  la  Villa  Rica,  Alonso  de  Grado  en  remplace- 
ment d'Escalante.  Conduite  et  châtiment  de  cet 
officier.  Nomination  deSandoval  à  sa  place.    266 

XCVII.  —  Les  distractions  de  Montezuma  cap- 
tif. Le  totoloque.  Les  incongruités  de  Truxillo. 
Montezuma  donne  une  Indienne  à  B.  Diaz.     269 

XCVI1I.  —  Cortès  fait  construire  deux  bricks 
pour  naviguer  sur  la  lagune.  Montezuma,  avec 
l'autorisation  de  Cortès,  va  faire  ses  dévotions 
au  grand  temple,  escorté  par  les  Espagnols.     273 

XCIX.  —  Les  bricks  lancés,  Corlès  y  fait 
monter  le  monarque  pour  aller  à  une  partie  de 
chasse  dans  un  penol  delà  lagune.  L'épervierde 
Montezuma 274 

C.  —  Cacamatzin,  roi  de  Tezcuco  et  neveu  de 


Montezuma,  essaie  de  soulever  le  pays  contre  les 
Espagnols;  mais  son  oncle,  à  l'instigation  de 
Cortès,  le  fait  arrêter  et  le  remet  au  général 
qui  le  retient  prisonnier  dans  son  quartier  avec 
plusieurs  hauts  personnages.  Un  frère  du  prince 
est  proclamé  roi  de  Tezcuco  à  sa  place 277 

CI.  —  Montezuma  jure  obéissance  au  roi  d'Es- 
pagne et  promet  de  lui  payer  tribut 233 

CIL  —  Cortès  envoie  ses  capitaines  visiter  les 
gisements  d'or  à  Zacatula  et  à  Tuztepeque  et  ex- 
plorer le  Guazacualco 285 

CIII.  —  Relation  des  voyages  d'exploration 
ordonnés  par  Cortès.  Les  gisements  d'or.  Le 
tleuve   Guazacualco. 287 

CIV.  —  Montezuma  ordonne  à  ses  provinces 
de  payer  tribut  à  l'Empereur  don  Carlos;  il  fait 
don  aux  Espagnols  du  trésor  de  son  père.  Un 
cacique  qui  refuse  d'obéir  est  emprisonné..     290 

CV. —  Partage  de  l'or.  Mécontentement  des 
soldats.  Le  pilote  Cardenas.  Insinuations  contre 
Cortès 293 

GVI.  —  Juan  Velasquez  de  Léon  se  prend  de 
querelle  avec  Gonzalo  Mexia  qui  l'accuse  d'avoir 
détourné  de  l'or 296 

CVII.  —  Cortès  arrache  à  Montezuma  l'autori- 
sation d'élever  un  autel  et  une  croix  au  sommet 
du  grand  temple.  Mécontentement  du  prime; 
sourde  irritation  des  Mexicains 297 

CVIII.  —  Les  papes,  exploitant  les  exigences 
des  Espagnols,  essaient  de  soulever  le  peuple. 
Poussé  par  eux,  Montezuma  somme  Cortès  de 
quitter  Mexico  et  de  se  rembarquer.  Le  général 
cnerche  à  gagner  du  temps  en  faisant  construire 
des  navires,  et  prétend  emmener  le  prince  en 
Espagne.  On  s'attend  à  une  attaque  ;  précautions 
des  Espagnols 299 

CIX.  —  Velasquez  envoie  de  Cuba  dix-neuf 
navires  portant  quatorze  cents  hommes,  com- 
mandés par  Narvaez,  avec  ordre  de  s'emparer  de 
Cortès.  Le  tribunal  de  Saint-Domingue  cherche 
vainement  à  s'opposer  au  départ.  Son  manda- 
taire part  avec  Narvaez  pour  tâcher  d'obtenir  un 
arrangement 302 

CX.  —  Montezuma  apprend  avant  Cortès  l'ar- 
rivée de  Narvaez  à  Saint-Jean  d  Uloa.  Il  en  ins- 
truit le  général,  qui  comprend  que  c'est  contre 
lui  que  cette  flotte  est  expédiée  et  commence  par 
s'attacher  ses  soldats  par  des  présents 304 

CXI.  —  Narvaez  envoie  sommer  Sandoval  qui 
s'empare  des  messagers  et  les  expédie  à  Mexico. 
Cortès  les  comble  de  présents  et  les  renvoie  au 
quartier  de  Narvaez 306 

CXII.  —  Lettre  de  Cortès  à  Narvaez.  Le  con- 
quistador noue  des  intelligences  dans  le  camp 
ennemi 309 

CXIII.  —  Narvaez  sévit  contre  les  soldats  de 
son  quartier  gagnés  par  Cortès.  11  embarque 
pour  l'Espagne  l'auditeur  Vasquez  de  Aillon. 
Mais  celui-ci  gagne  Saint-Domingue  et  de  là  l'Es- 
pagne où  il  travaille  en  faveur  de  Cortès.     312 

CXIV.  —  Narvaez  va  camper  à  Cempoal,  en 
route  pour  Mexico.  Cortès  prend  la  résolution 
de  marcher  contre  lui,  en  laissant  Alvarado  avec 
quatre-vingt-trois  hommes  pour  garder  Monte- 
zuma et  sa  capitale 314 

CXV.  —  Conversation  et  adieux  de  Cortès  et 
du  prince  captif.  Départ  de  l'armée.  Les  Tlas- 
caltèques  refusent  leurs  troupes,  ne  voulant  pas 
combattre  des  teules.  Les  sommations  de  Nar- 
vaez. Sandoval  se  joint  à  Cortès  avec  son  monde. 
Le  cheval  de  Salvatierra  le  furibond 316 


CXVI. 


Corlès  écrit  à  Narvaez  afin    de  le 


TABLE. 


947 


décider  à    s'entendre  avec   lui    pour   achever  la 
soumission  de  la  Nouvelle-Espagne 320 

CXVII.  —  Le  Père  Olmcdo,  porteur  de  la 
lettre  de  Cortès  et  de  présents  pour  les  officiers 
de  Narvaez,  arrive  au  quartier  de  celui-ci.  Il  lui 
persuade  que  Cortès  est  disposé  à  se  soumettre, 
et  le  décide  à  envoyer  Andrès  de  Duero  au  camp 
de  Cortès,  mais  dans  le  but  de  l'attirer  dans  une 
embuscade  et  de  s'en  emparer 322 

CXVIII.  — Cortès  se  fait  fournir  par  lesChi- 
chinatèques  deux  cents  piques  et  deux  mille  auxi- 
liaires et  passe  en  revue  ses  deux  cent  soixante- 
six  hommes 323 

CXIX.  —  Duero  vient  visiter  Cortès.  Leur  en- 
tente pour  préparer  la  défaite  de  Narvaez.  Ve- 
lasquez  de  Léon  est  envoyé  par  son  général  au 
camp  de  Narvaez.  L'armée  se  rapproche  de  Cem- 
poal 326 

CXX.  —  Velasquez  est  bien  reçu  par  Narvaez 
qui  veut  le  gagner  à  son  parti.  Refus  du  capi- 
taine. Le  général  veut  le  faire  arrêter,  puis  se 
ravisant  l'invite  à  dîner  et  passe  en  sa  présence 
une  revue  de  ses  troupes.  Querelle  du  capitaine 
avec  son  parent  Velasquez.  Son  retour  au  camp 
de  Cortès  avec  le  Père  Olmedo 329 

CXXI.  —  Narvaez  met  à  prix  les  têtes  de 
Cortès  et  de  Sandoval  et  prend  position  en  avant 
de  Cempoal.  Le  mauvais  temps  le  fait  rentrer  dans 
la  ville,  où  il  attend  Cortès 334 

CXXII.  — Cortès  harangue  sa  troupe  et  donne 
ses  ordres.  Marche  sur  Cempoal.  Fausse  alerte. 
Passage  de  la  rivière.  Prise  de  l'artillerie.  Nar- 
vaez se  retranche  au  sommet  d'un  temple  II  est 
blessé  et  pris.  Victoire  complète  de  Cortès.  L'armée 
ennemie  passe  sous  son  drapeau.  Les  pertes  des 
deux  partis 335 

CXXIII.  —  Arrivée  à  Cempoal  des  deux  mille 
alliés  chinantèques.  Cortès,  n'en  ayant  plus  be- 
soin, les  renvoie  dans  leurs  villages 345 

CXXIV.  —  Cortès  nomme  un  amiral  et  fait  dé- 
semparer la  flotte  de  Narvaez.  On  rend  leurs 
armes  aux  soldats  du  général  vaincu  ;  méconten- 
tement des  hommes  de  Cortès.  La  variole  à  la 
Nouvelle-Espagne.  Cortès  prépare  la  conquête  des 
provinces  non  encore  soumises,  quand  il  reçoit 
la  nouvelle  d'un  soulèvement  de  Mexico.  Alva- 
rado  est  investi  dans  ses  quartiers  et  demande 
du  secours.  Plaintes  des  Mexicains  contre  ce 
capitaine 346 

CXXV.  —  Cortès  part  pour  Mexico  à  marches 
forcées.  Arrivé  dans  la  capitale  (juin  1520),  il 
s'enquiert  des  causes  du  soulèvement  et  blâme 
vivement  Alvarado.  Doutes  qui  planent  sur  cet 
événement.  Réticences  de  Rernal  Diaz 350 

CXXVI.  —  Montezuma  demande  un  entretien 
à  Cortès,  qui  fait  une  réponse  brutale  à  ses  en- 
voyés. Les  hostilités  éclatent  dans  la  ville.  Sortie 
des  Espagnols  qui  rentrent  avec  peine  au  quartier. 
Assauts  répétés  contre  leurs  logements.  Nouvelle 
sortie  plus  meurtrière  que  la  première.  Protégés 
par  des  tours,  les  Espagnols  gagnent  le  grand 
temple  qu'ils  prennent  d'assaut  ;  mais  ils  sont 
forcés  de  rentrer  dans  leurs  logements.  Sur  les 
instances  de  Cortès,  Montezuma  harangue  son 
peuple  du  haut  d'une  terrasse;  mais  le  prince  est 
blessé   mortellement 353 

CXXVI1.  —  Cortès  fait  remettre  aux  caciques 
et  à  Coadlavaca,  le  nouveau  roi  de  Mexico,  le 
corps  de  Montezuma,  en  demandant  une  trêve 
pour  quitter  la  ville.  Refus  insolent  des  Mexicains. 
Les  Espagnols  tentent  de  s'ouvrir  un  passage 
pour  gagner  la  terre  ferme  ;  mais  ils  trouvent 
les  ponts  détruits  et  ils  sont  obligés  de  rentrer 
dans   leurs  logement? 362 


CXXVIII.  —  Les  Espagnols  construisent  des 
ponts  volants  et  sortent  de  leurs  quartiers  pour 
gagner  la  terre  ferme.  Au  passage  de  la  première 
tranchée,  les  Mexicains  prennent  l'alarme  et  les 
attaquent.  Désastre  de  la  Nuit  triste  (io  juil- 
let 1520).  Après  avoir  subi  des  pertes  énormes, 
les  débris  de  l'armée  débandée  gagnent  la  terre 
ferme.  Le  saut  d'Alvarado.  Retraite  sur  Tlascala  ; 
bataille  d'Otumba  (14  juillet).  L'armée,  réduite 
à  quatre  cent  quarante  hommes,  arrive  à  Tlascala  ; 
accueil  loyal  des  caciques 364 

CXXIX.  —  Nouvelles  de  la  Villa  Rica  ;  maigres 
renforts  de  cette  ville.  Intrigues  du  jeune  chef 
Xicotenga  pour  faire  massacrer  les  Espagnols.  Il 
échoue.  Cortès  médite  la  reprise  de  la  campagne. 
Mécontentement  des  soldats  de  Narvaez.  Vigou- 
reuse sortie  de  B.  Diaz  contre  le  chroniqueur 
Gomara 378 

CXXX.  —  Cortès  commence  à  isoler  Mexico  en 
soumettant  les  provinces  qui  l'environnent.  Prise 
de  Tepeaca.  Les  Indiens  réduits  en  esclavage. 
Fondation  de  Segura  delà  Frontera.  Coadlavaca, 
roi  de  Mexico,  meurt  de  la  variole  et  est  remplacé 
par  Guatemuz  (Guatimozin) 385 

CXXXI.  —  Arrivée  à  la  Villa  Rica  d'un  navire 
envoyé  à  Narvaez  par  Diego  Velasquez.  Le  com- 
mandant du  port  s'en  empare  par  ruse  et  expédie 
l'équipage  à  Cortès.  Quelques  jours  après,  nou- 
veau renfort  de  même  provenance 389 

CXXXII.  —  Cortès,  sur  la  demande  des  habi- 
tants, envoie  Oli  contre  les  Mexicains  établis  à 
Guacachula.  Oli,  d'abord  entravé  par  le  mauvais 
vouloir  des  gens  de  Narvaez,  chasse  les  garnisons 
mexicaines,  de  concert  avec  les  habitants  de  la 
province,  et  soumet  le  pays 391 

CXXXIII.  —  Arrivée  successive  de  trois  na- 
vires anvoyés  au  Panuco  par  Garay,  gouverneur 
de  la  Jamaïque,  et  dont  les  équipages  renforcent 
Cortès 394 

CXXXIV.  —  Sandoval  va  châtier  les  popula- 
tions de  Xalacingo  et  Cacatami,  coupables  du 
massacre  de  plusieurs  Espagnols  lors  de  la  déroute 
de  Mexico.  Beaucoup  de  villages  jurent  obéissance. 
L'influence  de  Cortès  grandit;  il  devient  l'ar- 
bitre des  provinces  conquises.  Sandoval  est 
chargé  de  châtier  Cocollan  (Castilblanco),  et 
réussit  dans  sa  mission 396 

CXXXV.  —  La  marque  des  esclaves.  Méconten- 
tement des  soldats  contre  Cortès  qui  leur  fait 
rendre  l'or  pris  à  Mexico 400 

CXXXVI.  —  Cortès,  importuné  par  certains 
capitaines  et  soldats  de  l'armée  de  Narvaez,  les 
autorise  à  partir  pour  Cuba.  Il  envoie  des  délé- 
gués en  Espagne  et  à  Saint-Domingue  pour  s'as- 
surer l'appui  des  Frères  hiéronymites.  Mort  du 
cacique  Maceescaci.  Xicotenga  se  fait  chrétien. 
Cortès  s'occupe  de  la  construction  de  treize  bri- 
gantins  destinés  à  prendre  part,  sur  la  lagune, 
au  siège  de  Mexico.  Arrivée  de  renforts  en  hom- 
mes et  en  matériel 403 

CXXXVII.  —  L'armée,  renforcée  de  dix  mille 
Tlascaltèques,  marche  sur  Tezcuco.  Passage  de 
la  sierra.  Combat  avec  les  Mexicains.  Les  Tez- 
cucans  demandent  la  paix  et  font  leur  soumission. 
Le  roi  de  Tezcuco  se  réfugie  à  Mexico.  Cortès 
fait  élire  à  sa  place  un  de  ses  parents,  chrétien, 
et  dont  le  général  espagnol  était  le  parrain.  Creu- 
sement d'un  canal  pour  la  construction  et  le  lan- 
cement de  la  flottille 409 

CXXXVI II.  —  Attaque  d"Iztapalapa.  Stratagème 
des  Mexicains  qui  simulent  la  fuite  pour  attirer 
les  Espagnols  et  rompent  h  s  digues  pour  tenter 
de  les  noyer.  Retraite  sur  Tezcuco 415 

CXXXIX.  —  Tepetezcuco.  Otumba,  Mezquique 
se  soumettent.   Plusieurs  villages  sur  la  lagune 


9kS 


TABLE. 


en  font  autant  et  assurent  les  approvisionnements 
des  Espagnols.  Sandoval  est  envoyé  pour  protéger 
Chalco  et  rendre  libre  la  route  de  Tlaseala.  Les 
caciques  de  cette  ville  demandent  l'investiture 
de  Cortès.  Le  général  fait  offrir  la  paix  à  Gua- 
timozin,  qui  ne  répond  qu'en  activant  ses  prépa- 
ratifs de  défense 417 

CXL.  —  Cortès  envoie  Sandoval  à  Tlaseala 
pour  escorter  le  convoi  qui  amène  les  matériaux 
des  brigantins.  En  route,  Sandoval  châtie  un  vil- 
lage dont  les  habitants  ont  massacre  des  Espagnols 
lors  de  la  déroute  de  Mexico.  Organisation  du 
convoi  escorté  par  Sandoval.  Son  entrée  à  Tez- 
cuco.  Construction  de  la  flottille.  Tentatives  des 
Mexicains  pour  l'incendier  ;  leurs  préparatifs  de 
défense 424 

CXLI.  —  Expédition  de  Saltocnn.  Combat 
meurtrier.  Prise  et  sac  de  ce  bourg.  Cortès  passe 
à  Colvatitlan,  Tenayuca,  Escapuzalco  et  pousse 
jusqu'à  Tacuba  où  il  passe  cinq  jours.  Attiré 
sur  la  chaussée  par  un  simulacre  de  fuite  des 
Mexicains,  il  est  sur  le  point  d'être  mis  en  dé- 
route. Sorti  de  ce  mauvais  pas,  il  rentre  à  Tez- 
cuco  pour  surveiller  la  construction  des  bri- 
gantins      428 

CXLII.  —  Sandoval  part  de  Tezcuco  pour 
protéger  Chalco  menacé  par  les  Mexicains.  Les 
combats  qu'il  livre.  Retour  à  Tezcuco.  Nouveau 
débarquement  des  Mexicains,  qui  sont  repoussés 
par  les  villages  alliés  des  Espagnols 436 

CXL1II.  —  La  marque  des  esclaves  et  le 
partage  du  butin.  Murmures  dans  le  camp.  Arrivée 
d'un  navire  avec  des  nouvelles  d'Espagne;  dis- 
grâce de  l'évêque  de  Burgos,  protecteur  de  Ve- 
lasquez 442 

CXLIV.  —  Cortès  prélude  à  l'investissement 
de  Mexico  par  une  expédition  sur  les  bords  de 
la  lagune.  L'attaque  des  penols.  Repoussés  d'a- 
bord ,  les  Espagnols  finissent  par  s'en  rendre 
maîtres,  à  cause  du  manque  d'eau  de  leurs  dé- 
fenseurs. Bernai  Diaz  manque  une  bonne  aubaine. 
Marche  sur  Cuernavaca,  par  Guaztepeque.  Atta- 
que et  prise  de  Cuernavaca 446 

CXLV.  —  Marche  sur  Suchimilco;  l'armée 
éprouve  les  souffrances  de  la  soif.  Combats  de 
Suchimilco  ;  Cortès  est  blessé  et  manque  d'être 
pris.  Après  quatre  jours  de  luttes  incessantes,  des 
renforts  innombrables  envoyés  de  Mexico  obligent 
Cortès  à  évacuer  la  ville  avec  des  pertes  sérieuses. 
Retour  à  Tezcuco  par  Cuyoacan,  Tacuba,  Esca- 
puzalco, Tenayuca,  Guatitlan  et  Aculman,  au 
milieu  de  combats  incessants 455 

CXLVI.  —  Découverte  d'une  conspiration 
ourdie  pendant  l'absence  de  Cortès,  par  les  amis 
de  Diego  Velasquez,  gouverneur  de  Cuba,  dans 
le  but  de  se  défaire  du  général  et  de  s'emparer 
du  commandement.  Supplice  du  chef  des  con- 
jurés. Cortès  se  donne  une  garde  du  corps.  En- 
core la  marque  des  esclaves 767 

CXLVII.  —  Cortès  fait  préparer  des  armes 
de  trait  et  convoque  les  contingents  alliés  en  vue 
de  l'investissement  de  Mexico 469 

CXLVIII.  —  Grande  revue  des  troupes  es- 
pagnoles et  des  auxiliaires.  Ordres  du  jour  con- 
cernant la  discipline 4  71 

CXLIX.  —  Composition  des  équipages  de 
la  flottille.  Arrivée  à  Tezcuco  du  contingent  tlas- 
caltèque.  L'entrée  des  guerriers  indiens  dans  la 
ville 472 

CL.  —  Cortès  partage  son  armée  en  trois  divi- 
sions et  les  envoie  :  celle  de  Sandoval  à  Iztapalapa, 
celle  de  OU  à  Cuyoacan  et  celle  d'Alvarado  à  Ta- 
cuba. Le  général  commandera  la  flottille.  Trahison 
du  jeune  chef  Xicotenga  ;    son  supplice.   Marche 


d'Oli  et  d'Alvarado.  Dissensions  entre  ces  deux 
chefs.  Destruction  des  conduites  d'eau  gui  ali- 
mpfltft"t  ivipflifnr  Attaque  malheureuse  de  1 
chaussée  de  Tacuba.  Opérations  de  Sandoval 
contre  Iztapalapa.  Les  brigantins  de  Cortès  met- 
tent en  déroute  la  flotte  des  canots  ennemis.  San- 
doval manque  être  coupé  à  Iztapalapa  ;  dégagé 
par  Cortès  et  Oli,  il  évacue  son  campement  et 
s'en  va  occuper  la  chaussée  de  Tepeaquilla.     475 

CLI.  — Cortès  désarme  un  de  ses  brigantins  et 
distribue  les  douze  autres  entre  ses  trois  divi- 
sions pour  les  appuyer  dans  leurs  attaques  sur 
les  chaussées.  Combats  incessants  et  souffrances 
des  Espagnols.  Leurtactique  et  celle  de  l'ennemi. 
Opérations  de  la  flottille;  un  des  brigantins  est 
pris  dans  une  embuscade.  Échec  d'Alvarado 
attiré  sur  la  chaussée  de  Tacuba  par  un  strata- 
gème de  l'ennemi.  Revanche  des  brigantins;  dé- 
sastre naval  des  Mexicains.  Plusieurs  villes  des 
bords  de  la  lagune  se  détachent  de  l'alliance  mexi- 
caine. Attaque  générale  de  l'ennemi  sur  les  trois 
quartiers  espagnols  ;  elle  est  repoussée 485 

CLII.  —  Malgré  l'avis  de  ses  capitaines,  Cortès 
ordonne  un  assaut  général,  dans  le  but  de  péné- 
trer dans  la  ville  de  vive  force  par  les  trois  chaus- 
sées. Sa  division  est  mise  en  déroule  avec  des 
pertes  énormes;  lui-même  est  blessé  et  sur  le 
point  d'être  fait  prisonnier.  Alvarado  est  égale- 
ment repoussé  avec  perte;  autant  en  arrive  à  San- 
doval. Récriminations  des  capitaines.  Terrible 
nuit  de  la  défaite;  les  Mexicains  égorgent  solen- 
nellement les  prisonniers,  à  la  lueur  des  bûchers, 
et  à  la  vue  des  Espagnols  consternés.  L'armée 
assiégeante,  épuisée  de  fatigue,  reste  sur  la  dé- 
fensive      500 

CLIII.  —  Les  Mexicains  continuent  leurs  ré- 
jouissances et  leurs  sacrifices.  Épouvantés  par 
leurs  menaces,  les  alliés  abandonnent  les  Espa- 
gnols, qui,  réduits  à  leurs  propres  forces,  se 
contentent  d'affamer  la  ville  tout  en  continuant 
les  travaux  d'approche  et  repoussant  les  sorties 
des  assiégés.  Retour  des  contingents  alliés,  ras- 
surés par  l'inanité  des  prédictions  des  dieux 
mexicains.  Les  Espagnols,  avançant  dans  la  ville, 
détruisent  les  puits  qui  l'alimentaient  d'eau  po- 
table       512 

CL1V.  —  Cortès  fait  offrir  la  paix  à  Guati- 
mozin.  Conseillé  par  les  prêtres  de  ses  idoles,  il 
refuse.  Portrait  du  monarque  mexicain.  Les  sor- 
ties des  assiégés  redoublent 520 

CLV.  —  Guatimozin  soulève  les  villes  de  la 
terre  ferme  et  les  décide  à  attaquer  les  derrières 
des  Espagnols.  Ils  sont  battus  par  Oli  et  Sando- 
val, sans  que  cet  échec  décourage  les  assiégés. 
Dans  un  assaut  général  donné  par  les  trois  divi- 
sions, Alvarado  réussit  à  s'emparer  du  grand 
temple.  Cortès  et  Sandoval  le  rejoignent  quatre 
jours  après.  Guatimozin  se  replie  sur  la  partie  de 
la  ville  bâtie  dans  la  lagune  même.  Sommé  de 
rendre  la  ville,  il  cherche  à  gagner  du  temps  et 
tente  une  suprême  attaque  qui  est  repoussée. 
Après  avoir  consenti  à  une  entrevue  avec  Cortès, 
il  ne  s'y  rend  pas,  craignant  quelque  trahison. 
Les  Indiens  mourant  de  faim  quittent  la  ville  en 
masse.  La  catapulte  de  Sotelo 523 

CLVI.  —  Attaque  des  brigantins  sur  le  quar- 
tier où  s'est  réfugié  Guatimozin.  Fuite  du  mo- 
narque, qui  est  fait  prisonnier  avec  'sa  suite 
(13  août  1521).  Contestations  à  propos  de  sa  cap- 
ture. Attitude  du  jeune  prince  devant  Cortès.  Sa 
prise  met  fin, au  siège  qui  a  duré  quatre-vingt- 
treize  jours.  État  épouvantable  de  la  ville  ;  Cortès 
en  fait  sortir  les  habitants.  Réjouissances  des 
vainqueurs  :  orgie,  bal  et  procession.  Coup  d'œil 
rétrospectif  de  l'auteur  sur  ses  exploits  et  ses 
dancers 530 


TABLE. 


949 


CL VII.  —  Cortès  fait  reconstruire  et  repeupler 
la  capitale.  Construction  d'un  arsenal  et  d'une  for- 
teresse. La  recherche  de  l'or.  Guatimozin  et  le  sei- 
gneur de  Tacuba  sont  mis  à  la  question.  Partage 
de  l'or;  mécontentement  de  l'armée,  murmures 
contre  Cortès.  La  monnaie  de  tepuzque.  Pour 
occuper  son  armée,  Cortès  envoie  ses  capitaines 
conquérir  les  provinces  non  encore  soumises  de 
la  Nouvelle-Espagne 541 

CLVIII.  —  Christobal  de  Tapia  débarque  avec 
des  pouvoirs  du  Conseil  des  Indes  pour  prendre 
le  gouvernement  de  la  Nouvelle-Espagne.  Cir- 
convenu par  les  capitaines  envoyés  par  Cortès  à 
sa  rencontre,  il  se  rembarque  après  s'être  vu  re- 
fuser l'obéissance.  Narvaez  est  appelé  à  Mexico 
par  Cortès  qui  lui  rend  la  liberté.  Le  général  fixe 
sa  rés  dence  dans  la  capitale.  Il  prend  le  com- 
mandement d'une  expédition  contre  le  Panuco 
révolté.  Relation  de  cette  campagne.  Fondation 
de  Santisteban  du  Port.  Naufrage  d'un  navire 
chargé  de  ravitailler  cette  colonie.  La  province 
du  Panuco  pacifiée,  Cortès  rentre  à  Mexico.     549 

CLIX.  —  De  retour  dans  la  capitale,  le  général 
réunit  le  plus  d'or  possible  et  l'envoie,  avec  le 
trésor  particulier  de  Montezuma,  au  roi  d'Espa- 
gne, par  deux  de  ses  capitaines,  porteurs  de  let- 
tres pour  l'Empereur.  Le  contenu  de  ces  lettres. 
Les  navires  tombent  aux  mains  d'un  corsaire  fran- 
çais; mais  le  capitaine  Avila,  quoique  fait  pri- 
sonnier, parvient  à  remettre  à  l'Empereur  les 
lettres  où  Cortès  plaide  sa  cause  contre  Velasquez 
(décembre  1522) 559 

CLX.  —  Relation  de  l'expédition  de  Sandoval 
à  Tustepeque  et  dans  les  provinces  voisines.  Dé- 
faite d'un  de  ses  lieutenants.  Il  soumet  les  pro- 
vinces de  Tustepeque  et  de  Xaltepeque  qu'il  dis- 
tribue à  ses  soldats.  Fondation  de  Medellin  sur 
le  rio  de  Banderas.  Soumission  et  colonisation 
du  Guazacualco.  B.  Diaz  y  reste  comme  colon. 
Arrivée  à  la  Nouvelle-Espagne  de  la  femme  de 
Cortès;  sa  mort  trois  mois  plus  tard.  Sandoval 
soumet  Zacatula  et  Colima,  provinces  où  avaient 
échoué  des  capitaines  envoyés  par  Cortès.  Révol- 
tes dans  les  provinces  soumises;  leur  répression. 
Tentative  de  Velasquez  pour  se  faire  livrer  la 
Nouvelle-Espagne  ;  il  échoue  encore 565 

CLXI.  —  Expédition  d'Alvarado  à  Tutepeque 
(1522).  Sa  cupidité  et  sa  cruauté.  Des  mécontents 
conspirent  contre  lui  ;  leur  châtiment.  Après  son 
départ,  les  colons  abandonnent  la  province  qui 
se  révolte  de  nouveau.  Nouvelle  expédition  d'Al- 
varado      574 

CLXII.  —  Garay,  gouverneur  de  la  Jamaïque, 
obtient  l'autorisation  de  coloniser  le  Panuco.  Il 
arme  treize  navires  et  débarque  avec  un  millier 
d'hommes  (juin  1523).  Mal  reçus  par  les  naturels, 
manquant  de  vivres  et  entendant  parler  de  la 
richesse  de  Mexico,  ses  soldats  se  débandent. 
Vallejo,  lieutenant  de  Cortès  à  Santisteban  du 
Port,  refuse  obéissance  à  Garay,  le  surprend  et 
lui  enlève  quarante  hommes.  Garay,  voyant  ses 
soldats  déserter  et  sa  flotte  se  livrer  aux  capitaines 
de  Cortès,  se  décide  à  aller  à  Mexico  s'entendre 
avec  le  général.  Sa  réception  clans  la  capitale. 
Cortès  lui  promet  de  l'aider  pour  une  expédition 
au  fleuve  de  Palmas.  Projets  de  mariage  entre  la 
fille  de  Cortès  et  le  fils  de  Garay.  Cortès  autorise 
Narvaez  à  retournera  Cuba.  Mort  de  Garay  (1523). 
Soulèvement  des  provinces  du  Panuco;  massacre 
de  presque  toute  l'armée  amenée  par  Garay.  San- 
doval, envoyé  par  Cortès,  dégage  Santisteban 
assiégé  et  pacifie  définitivement  le  pays  après  de 
sanglants  combats.  Châtiment  des  caciques  ré- 
voltés      577 

CLXIII.  —  Départ  du  licencié  Zuazo  de  l'île  de 
Cuba  pour  la  Nouvelle-Espagne.  Son  naufrage. 


Son  arrivée  à  Mexico;  il  est  nomme  par  Cortès 
alcalde  mayor 593 

CLXIV.  —  Expédition  d'Alvarado  à  Guate- 
mala. Nombreux  combats  qu'il  a  à  soutenir  à 
Zapotitlan,  Quelzaltenango,  Utatlan.  Supplice 
d'un  cacique.  Soumission  des  Guatémaltèques. 
Pacification  d'Atitlan.  Relation  confuse  et  écourtée 
que  l'auteur  termine  en  renvoyant  le  lecteur  à 
d'autres  historiens 596 

CLXV.  —  Cortès  envoie  Oli  coloniser  Hon- 
duras, avec  ordre  de  relâcher  à  la  Havane,  pour  y 
prendre  des  chevaux.  Oli  s'embarque  (1523)  avec 
six  navires  et  trois  cent  soixante  hommes.  A  la 
Havane,  il  se  laisse  séduire  par  Velasquez  qui 
lui  conseille  de  se  révolter  contre  Cortès  et  de 
conquérir  le  Honduras  à  leur  profit  commun. 
Portrait  de  Oli.  Il  débarque  et  prend  possession 
du  pays  au  nom  de  Cortès  pour  ce  ménager  une 
excuse  en  cas  d'échec 604 

CLXV1.  —  Révoltes  dans  les  provinces  de 
Guazacualco,  où  commande  le  capitaine  Luis 
Marin.  Expéditions  pour  les  réprimer.  Dangers 
que  court  B.  Diaz  envoyé  en  mission.  Campagne 
de  Chiapa.  Combats  soutenus  par  les  Espagnols 
de  Guazacualco  ;  ils  entrent  de  vive  force  dans 
la  capitale.  Soumission  des  habitants.  Rébellion 
de  Chamula  causée  par  les  exactions  d'un  chef 
espagnol.  Siège  en  règle  de  cette  place  forte. 
B.  Diaz  y  entre  le  premier  par  la  brèche.  Il  en 
reçoit  la  commanderie  pour  récompense.  Muti- 
nerie de  quelques  officiers.  Querelle  de  B.  Diaz 
avec  le  notaire  royal.  Pacification  de  villages  in- 
soumis. Retour  à  Guazacualco 607 

CLXVII.  —  Événements  d'Espagne.  Les  pro- 
cureurs de  Cortès  mettent  dans  ses  intérêts  le 
pape  Adrien,  dont  l'appui  les  aide  à  obtenir  jus- 
tice pour  le  conquérant  contre  Velasquez  et  Pé- 
vèque  de  Burgos.  Celui-ci  perd  son  crédit  à  la 
cour  et  Cortès  est  nommé  gouverneur  de  la  Nou- 
velle-Espagne      626 

CLXVIII.  —  Les  ennemis  de  Cortès  portent 
leurs  plaintes  à  l'évèque  de  Burgos  qui  les  sou- 
tient devant  l'Empereur.  Un  conseil  se  réunit 
pour  juger  le  litige.  Griefs  des  adversaires  du 
conquistador;  répliques  de  ses  défenseurs.  Le 
jugement  est  favorable  à  Cortès,  sous  réserve 
d'indemnités  à  Velasquez  et  à  quelques  autres 
plaignants.  Lettres  de  l'Empereur  et  de  son  frère 
à  Cortès.  Dépit  de  Velasquez;  sa  mort.  Réjouis- 
sances à  la  Nouvelle-Espagne  en  apprenant  ces 
nouvelles  et  la  nomination  de  Cortès  comme  gou- 
verneur      629 

CLXIX.  —  Longues  récriminations  de  B.  Diaz 
sur  l'ingratitude,  de  Cortès  envers  ses  compa- 
gnons d'armes.  Éloge  de  ceux-ci,  énumération  de 
leurs  services.  Expédition  chez  les  Zapotèques  et 
les  Cirnatèques,  commandée  par  Rodrigo  Ran- 
gel  ;  les  bubas  de  ce  capitaine.  Son  échec  ;  retour 
à   Guazacualco 641 

CLXX.  —  Cortès  envoie  à  l'Empereur  un  canon 
en  or  et  en  argent,  le  Phénix,  pour  le  remercier 
de  son  titre  de  gouverneur.  Jalousie  des  courti- 
sans ;  faveur  du  conquistador 651 

CLXXI.  —  Arrivée  à  la  Nouvelle-Espagne  de 
douze  moines  franciscains.  Réception  solennelle 
qui  leur  est  faite  par  Cortès 654 

CLXXII.  —  Cortès  envoie  de  l'or  à  l'Empe- 
reur et  lui  écrit  pour  lui  demander  l'autorisation 
de  marcher  contre  Oli  révolté,  et  réclamer  contre 
les  intrigues  de  ses  ennemis.  Le  trésorier  Al- 
bornoz  le  dénonce  en  Espagne  comme  visant  à 
s'emparer  du  pouvoir  suprême  et  coupable  de 
concussions.  Les  ennemis  de  Cortès  triomphent 
et  l'Empereur  décide  d'envoyer  une  flotte  contre 
lui  et   d'ouvrir   une  enquête   sur   sa    conduite 


950 


TABLE. 


Mais  l'intervention  du  duc  de  Bejar  apaise  l'o- 
rage       656 

CLXXIII.  —  Cortès  envoie  Las  Casas  contre 
Christoval  de  Oli  à  Honduras.  La  flotte  de  Las 
Casas,  battue  par  la  tempête,  est  jetée  à  la  côte 
et  lui-même  fait  prisonnier  avec  sa  troupe.  De 
concert  avec  un  autre  capitaine,  également  prison- 
nier de  Oli,  ils  complotent  le  meurtre  de  celui-ci. 
Oli,  blessé,  est  pris  et  mis  à  mort.  Ses  troupes 
rentrent  dans  l'obéissance.  Départ  des  deux  ca- 
pitaines peur  Mexico 661 

CLXXIV.  —  Cortès  quitte  Mexico  pour  aller  à 
ia  recherche  des  capitaines  envoyés  contre  Oli.  Il 
emmène  Guatimozin,  par  crainte  d'une  révolte 
dans  la  capitale.  Faste  qu'il  déploie.  Le  gouver- 
nement est  confié  au  trésorier  Estrada  et  au  con- 
tador  Alhornoz.  En  route  le  factor  Salazar  et  le 
veedor  Chirinos  obtiennent  de  Certes  des  pou- 
voirs pour  prendre  la  place  des  deux  premiers,  et 
retournent  à  la  capitale.  A  Guazacualco  les  colons 
de  cette  ville  se  joignent  à  l'expédition 665 

CLXXV.  —  B.  Diaz,  envoyé  comme  capitaine 
à  Cimatan,  soumet  le  district  et  est  rejoint  à 
Iquinuapa  par  la  troupe  de  Cortès.  Passage  de 
nombreuses  rivières.  Difficultés  de  la  marche. 
L'armée  s'égare.  Murmures  parmi  les  troupes. 
Famine  et  maladies.  Les  auxiliaires  mexicains 
mangent  des  prisonniers 670 

CLXXVI.  —  Cortès  envoie  à  Xicalango  un 
capitaine  pour  rejoindre  deux  navires  chargés  de 
vivres  auxquels  il  a  donné  rendez-vous.  Les  ca- 
pitaines se  disputent  le  commandement,  les  Es- 
pagnols s'entretuent  et  sont  achevés  par  les  In- 
diens qui  pillent  les  navires.  L'armée  de  Cortè- 
arrive  à  Acala.  B.  Diaz  devient  le  meilleur  pour- 
voyeur de  l'expédition  livrée  à  la  famine..     677 

CLXXVII.  —  Découverte  d'un  complot  trame 
par  les  chefs  mexicains  et  Guatimozin  pour  atta- 
quer les  Espagnols,  détruire  l'armée  et  soulever 
la  capitale.  Supplice  du  prince  et  du  seigneur  de 
Tacuba.  L'armée,  continuant  sa  marche  au  milieu 
de  toutes  sortes  de  privations,  arrive  chez  les 
Mazotèques 682 

CLXXVIII.  —  Arrivée  à  Tagasal.  Les  Indiens 
affirment  l'existence  d'Espagnols  à  Naco  et  Nito. 
Toujours  des  passades  de  rivières.  La  sierra  des 
Pedernales.  Les  villages  abandonnés  laissent  les 
Espagnols  sans  vivres.  B.  Diaz  se  multiplie  et, 
grâce  à  lui.  on  trouve  à  manger.  Taïca.  Les 
ponts  de  Cortès.  Arrivée  à  Oculizti.  Sandoval 
prend  les  devants  et  rencontre  quatre  colons  de 
San  Gil  de  Buena  Vista.  Il  apprend  d'eux  les 
événements  relatifs  à  la  mort  d'Oli,  la  disette 
dont  souffrent  les  habitants,  et  leurs  préparatifs 
pour  abandonner  le  pays  et  retourner  à  Cuba. 
Cortès,  laissant  son  armée,  traverse  le  Golfo 
Dulce  et  fait  son  entrée  dans  la  ville  au  milieu  de 
la  joie  des  colons 687 

CLXXIX.  —  L'armée  effectue  le  passage  du 
Golfo  Dulce  et  arrive  au  port  qu'elle  trouve  en 
proie  à  la  famine  et  aux  maladies 697 

CLXXX.  —  Arrivée  d'un  navire  venant  de 
Cuba  avec  des  provisions.  Cortès  en  profite  pour 
explorer  le  fleuve  et  remonter  son  cours  jusqu'à 
Cinacatan 699 

CLXXXI.  —  Cortès  envoie  Sandoval  à  Naco. 
Lui-même  gagne  par  mer  Puerto  de  Caballos  et 
y  fonde  la  colonie  de  Natividad 702 

CLXXXII.  —  Pendant  que  Sandoval  pacifie 
la  province  de  Naco,  Cortès  s'embarque  pour 
Truxillo.  Bernard  Diaz  fait  partie  du  corps  de 
Sandoval 705 

CLXXXIII.  —  Arrivée  de  Cortès  à  Truxillo. 
colonie   fondée  par  Gil  Gonzalez  de  Avila.  Dis- 


cours et  sermons.  Les  caciques  jurent  obéissance 
à  l'Empereur.  Saavedra,  cousin  de  Cortès,  sou- 
met quelques  villages  rebelles.  Départ  pour  Cuba 
des  nombreux  malades  de  l'expédition.  Leur 
naufrage.  Quelques-uns  se  sauvent  et  répandent 
aux  Antilles  la  nouvelle  de  l'existence  de  Cortès 
que  l'on  croyait  mort,  sur  des  bruits  venus  de 
Mexico 707 

CLXXXIV.  —  Sandoval  capture  quarante 
hommes  appartenant  aux  troupes  de  Francesco 
Demandez,  lequel  cherchait  à  se  soustraire  à  l'au- 
torité de  Pedro  Arias  de  Avila,  gouverneur  de 
Terre-Ferme.  Sandoval,  jugeant  que  Cortès  en- 
trerait volontiers  en  pourparlers  avec  Hernandez, 
le  fait  prévenir  à  Truxillo.  B.  Diaz  est  du 
voyage.  A  son  arrivée  à  Triomphe  de  la  Croix 
(Truxillo),  il  trouve  Cortès  relevant  d'une  maladie 
grave  et  la  colonie  en  proie  à  la  disette.. . .     711 

CLXXXV.  —  Une  lettre  du  licencié  Zuazo, 
alcalde  mayor  de  Mexico  pour  Cortès,  chassé  par 
la  révolution  et  réfugié  à  la  Havane,  apporte  des 
nouvelles  de  Castille  et  de  la  Nouvelle-Espagne. 
Le  Factor  et  le  Veedor  (Salazar  et  Chirinos)  se 
sont  emparés  du  pouvoir  à  Mexico,  ont  répandu 
le  bruit  du  massacre  de  Cortès  et  de  son  armée, 
vendu  leurs  biens,  obligé  à  se  remarier  les  fem- 
mes des  conquistadores.  La  terreur  rè?ne  dans 
la  capitale  et  les  provinces  se  révoltent.  Gil  Gon- 
zalez de  Avila  et  Las  Casas  sont  condamnés  à 
mort,  puis  exilés  ainsi  que  Zuazo.  Un  majordome 
de  Cortès  est  misa  la  question,  puis  pendu.     7 i-i 

CLXXXVL  —  Arias  de  Avila  fait  mettre  à 
mort  Francisco  Hernandez,  pour  être  entré  en  re- 
lations avec  Cortès 723 

CLXXXYII.  —  Hésitations  de  Cortès.  Il  en- 
voie à  Sandoval,  en  route  pour  Mexico,  l'ordre 
de  rester  à  Naco.  Mécontentement  des  soldats  de 
Sandoval.  Celui-ci  part  pour  décider  le  général  à 
s'embarquer,  mais  il  ne  peut  rien  obtenir. .  .     723 

CLXXXVIII.  —  Cortès,  resté  à  Truxillo,  en- 
voie à  la  Nouvelle-Espagne  Orantes  avec  ses  pou- 
voirs pour  révoquer  le  Factor  et  le  Veedor,  et 
donner  le  gouvernement  à  Alvarado  et  Las  Ca- 
sas, ou,  à  leur  défaut,  au  trésorier  Estrada  et  au 
contador  Albornoz.  Voyage  de  Orantes.  Déguisé 
en  Indien,  il  pénètre  nuitamment  à  Mexico  et  se 
réunit  aux  amis  de  Cortès.  Le  gouvernement  est 
renversé  ;  emprisonnement  du  Faclor  et  du 
Veedor 726 

CLXXXIX.  —  Vn  moine  franciscain  part  pour 
Truxillo,  afin  d'instruire  Cortès  de  ce  qui  s'est 
passé,  et  de  le  ramener  à  Mexico.  Complot  pour 
délivrer  le  Factor  et  le  Veedor;  châtiment  des 
conjurés.  Cortès,  instruit  du  rétablissement  de 
l'ordre  à  Mexico,  rallie  Sandoval,  laisse  Saave- 
dra comme  lieutenant  à  Truxillo  et  s'embarque 
pour  la  Havane 729 

CXC.  —  Après  un  court  séjour  à  Cuba,  Cor- 
tès se  rembarque  pour  la  Nouvelle-Espagne.  Son 
arrivée  à  Vera  Crus.  Enthousiasme  des  indi- 
gènes; accueil  qu'il  reçoit  en  route.  Sa  rentrée 
solennelle  dans  la  capitale  (juin  1526) 733 

CXCI.  —  Arrivée  du  licencié  Luis  Ponce  de 
Léon,  chargé  par  l'Empereur  d'ouvrir  une  en- 
quête sur  la  conduite  de  Cortès.  Avances  et 
politesses  du  conquistador,  réserve  du  juge.  Son 
départ  pour  Mexico  :  incidents  du  voyage  ;  sa  ré- 
ception. Il  reçoit  de  Cortès  le  gouvernement, 
puis  l'interroge  sur  tous  les  griefs  amassés 
contre  lui  :  réponses  du  conquérant.  Intrigues 
du  moine  fray  Tomas  Ortiz 736 

CXCII.  —  Ouverture  de  l'enquête  sur  la  con- 
duite de  Cortès;  elle  est  interrompue  par  la  mort 
du  licencié  Ponce  de  Léon,  atteint  du  mal  de 
modorra.  Son  testament  ordonne  la  suspension 


TABLE. 


951 


de  l'enquête  et  désigne  pour  lui  succéder  le  li- 
cencié Marcos  de  Aguilar 743 

CXCIII.  —  Les  habitants  veulent  adjoindre 
Cortès  à  Aguilar  ;  Le  conquistador  refuse  de  ren- 
trer au  gouvernement.  Retour  à  Mexico,  après 
deux  ans  et  trois  mois  d'absence,  des  troupes 
laissées  au  Honduras  par  Cortès.  Relation  de  ce 
voyage  auquel  prend  part  B.  Diaz.  Réception 
faite  aux  conquistadores  du  Honduras.  Démar- 
ches de  notre  auteur  pour  obtenir  une  comman- 
derie  d'Indiens  dans  la  province  de  Mexico,  au 
lieu  de  celle  qu'il  possède  à  Guazacualco.  Cortès 
intente  un  procès  au  Factor  et  au  Veedor  pour 
obtenir  la  restitution  de  ses  biens  vendus  par 
eux  pendant  sa  campagne  du  Honduras 745 

CXCIV.  —  Mort  de  Marcos  de  Aguilar  qui 
désigne  pour  son  successeur  le  trésorier  Alonso 
de  Estrada.  Sandoval  lui  est  adjoint  comme  co- 
gouverneur.  Nouvelles  intrigues  contre  Cortès  à 
la  cour  d'Espagne  ;  Estrada  est  désigné  pour 
gouverner  seul,  le  Factor  et  le  Veedor  sont  mis  en 
liberté  et  réintégrés  dans  leurs  biens.  Expédi- 
tions malheureuses  contre  des  provinces  révol- 
tées. Vexations  exercées  contre  Cortès;  exilé  de 
la  capitale,  il  prend  la  résolution  de  partir  pour 
l'Espagne  afin  de  porter  ses  plaintes  à  l'Empe- 
reur et  de  repousser  les  accusations  auxquelles  il 
est  en  butte.  Sollicité  de  s'emparer  du  pouvoir, 
il  s'y  refuse  et  continue  ses  préparatifs  de  dé- 
part        752 

CXCV.  —  Nouvelles  d'Espagne.  Les  amis  de 
Cortès  l'engagent  à  venir  en  personne  se  justifier 
et  confondre  ses  ennemis.  Il  apprend  en  m  me 
temps  la  mort  de  son  père.  Il  hâte  ses  préparatifs  ; 
assassinat  mystérieux  d'un  de  ses  majordomes. 
Il  s'embarque  avec  Sandoval  et  arrive  en  Espa- 
gne (décembre  1527).  Mort  de  Sandoval.  Cortès 
se  rend  à  la  cour,  prodiguant  sur  sa  route  les 
présents  et  se  faisant  des  amitiés  puissantes.  Sa 
présentation  à  l'Empereur  qui  le  nomme  marquis 
del  Valle  et  capitaine  général  de  la  Nouveile- 
Espagne  et  de  la  mer  du  Sud.  Le  duc  de  Bejar, 
son  protecteur  et  son  admirateur,  le  fiance  avec 
sa  nièce.  Cortès  demande  le  gouvernement  de  la 
Nouvelle- Espagne  qui  lui  est  refusé.  Son  ma- 
riage avec  doua  Juana  de  Zufiiga.  Il  envoie  des 
présents  au  pape  Clément 7t>0 

CXCVI.  —  Arrivée  à  Mexico  des  juges  de 
l'Audience  royale.  Le  repart  imiento.  B.  Diaz  est 
nommé  procureur  pour  Guazacualco.  Intrigues 
autour  des  gouvernants.  Le  Factor  part  pour 
l'Espagne;  il  fait  naufrage  et  revient  a  Mexico. 
Enquête  sur  les  actes  du  trésorier  Estrada;  sa 
mort.  Le  Factor  intente  un  procès  à  Cortès  ab- 
sent, devant  l'Audience  royale;  les  biens  du  con- 
quistador sont  vendus.  Condamnation  à  l'amende 
et  à  l'exil  des  soldats  qui  ont  pris  part  à  la  dé- 
faite de  Narvaez.  L'Audience  royale  est  destituée 
pour  ses  exactions.  Ses  réclamations  n'aboutissent 
point.  Une  réunion  électorale  à  Mexico.. . .     769 

CXCVII.  —  Nufio  de  Guzman,  président  des- 
titué de  l'Audience  royale,  prolite  de  son  reste 
de  pouvoir  pour  aller  conquérir  la  province  de 
Xalizco  (Nouvelle-Galice).  Exactions  qu'il  y  com- 
met      777 

CXCVIII.  —  Installation  de  la  nouvelle  Au- 
dience royale,  qui  redresse  les  griefs  des  con- 
quistadores et  de  Cortès,  et  punit  les  précédents 
gouvernants.  D.  Antonio  de  Mendoza,  premier 
vice-roi  de  la  Nouvelle- Espagne.  L'enquête 
contre  Guzman.  Le  licencié  de  la  Torre  et  son 
jeu  de  cartes 778 

CXCIX.  —  Retour  de  Cortès  à  la  Nouvelle- 
Espagne.  Contestations  pour  la  supputation  des 
revenus  de  son  marquisat.  Le  marquis  del  Valle 
et  la  marquise  vont  résider  à  Cuernavaca.. .     782 


CC.  —  Relations  de  diverses  expéditions  en- 
voyées parCortès,  à  ses  frais,  sur  la  mer  du  Sud. 
Toutes  échouent.  En  1537,  Cortès  lui-même  n'est 
pas  plus  heureux  dans  une  expédition  qu'il  com- 
mande en  personne.  Echec  et  mort  d'Ulloa,  en- 
voyé par  lui,  peu  après,  en  Californie.  L'étoile  de 
Cortès  s'est  éclipsée  à  jamais 7 si 

CCI.  —  Réjouissances  à  Mexico,  à  l'annonce 
de  la  paix  entre  l'Empereur  et  le  roi  de  France 
(1538).  Second  voyage  de  Cortès  en  Espagne, 
où  il  va  soutenir  ses  procès  contre  Nufio  de  Guz- 
man et  à  l'occasion  des  revenus  de  son  marqui- 
sat. B.  Diaz  part  aussi  pour  l'Espagne.  Récep- 
tion de  Cortès  à  la  cour.  Pizarre,  de  retour  du 
Pérou,  se  trouve  à  Madrid  en  même  temps  que 
lui.  Interminable  enquête  contre  Cortès,  à  qui 
l'on  refuse  l'autorisation  de  retourner  à  la  Nou- 
velle-Espagne. Emprisonnement  de  Pizarre.  Re- 
tour de  B.  Diaz  au  Mexique 791 

CCII.  —  Expédition  envoyée  par  le  vice-roi 
Antonio  de  Mendoza  sur  la  mer  du  Sud.. .     794 

CCIII.  —  Pedro  de  Alvarado,  gouverneur  de 
Guatemala,  organise  une  grande  Hotte  pour  ex- 
plorer la  mer  du  Sud;  il  dépense  en  préparatifs 
les  richesses  qu'il  a  rapportées  du  Pérou.  Le 
vice-roi  Mendoza  s'offre  a  être  de  moitié  dans 
l'expédition.  Alvarado  accepte.  Il  est  sur  le  point 
de  faire  voile  du  port  de  Natividad  (1538),  quand 
il  reçoit  une  demande  de  secours  du  gouverneur 
de  Xalizco,  serré  de  près  par  les  Indiens  rebelles. 
Alvarado  dégage  les  Espagnols,  mais  il  périt  ac- 
cidentellement aux  pétioles  de  Cochitlan.  Ses 
troupes  se  dispersent,  mais  le  vice-roi  soumet  la 
province  révoltée.  Réflexions  de  i'auteur  sur  la 
lin  tragique  des  membres  de  la  famille  des  Al- 
varado       795 

CCIV.  —  Cortès  prend  part  à  l'expédition 
contre  Alger.  Son  naufrage.  Levée  du  blocus  d'Al- 
ger. Retour  en  Espagne.  Chagrins  du  conquérant  ; 
sa  mort  à  Castilleja  de  la  Cuesta  (2  décem- 
bre 1547).  Sa  descendance  légitime  et  illégitime. 
Testament  du  conquérant,  ses  armoiries.  Son  por- 
trait, ses  habitudes,  son  vêtement,  son  train  de 
maison;  ses  qualités  et  ses  défauts.  Récapitula- 
tion de  ses  services  et  de  ses  victoires 801 

CCV.  — Enumération  des  capitaines  et  soldats 
partis  de  Cuba  avec  Cortès  à  la  découverte  de  la 
Nouvelle-Espagne,  et  pour  lesquels  l'auteur  ré- 
clame une  part  de  gloire  dans  la  conquête.     809 

CCVI.  —  Portraits  des  principaux  capitaines 
de  l'armée  espagnole  :  Alvarado,  Sandoval,  Juan 
Velasquez  de  Léon,  Diego  de  Ordas,  Luis  Marin, 
Pedro  de  Ircio,  Alonso  de  Avila,  Andrcsde  Mon- 
jaraz,  Olea,  etc.  Quelques  naïves  réflexions  de 
l'auteur 827 

CCVII.  —  Où  l'auteur  fait  l'éloge  des  con- 
quistadores de  la  Nouvelle- Espagne  et  exalte 
leurs  services 832 

CCVIII.  —  Mœurs  et  coutumes  des  Indiens 
avant  la  conquête  :  religion,  sacrifices,  etc..       34 

CCIX.  —  Etat  du  même  pays,  une  fois  soumis 
aux  Espagnols  :  religion,  culte,  instruction,  arts 
et  métiers,  justice,  etc 836 

CCX.  —  Richesses  de  la  Nouvelle-Espagne, 
dont  le  royaume  de  Castille  a  profité.  L'auteur, 
dans  une  naïve  prosopopée,  adresse  à  la  Renom- 
mée les  doléances  des  conquérants  du  Mexique, 
dont  les  intérêts  et  la  gloire  ont  soulfert  de  l'in- 
justice des  gouvernants  et  de  l'ingratitude  de 
Cortès 840 

CCXI.  — La  question  des  repartimicnlos  en 
Espagne  (1550).  Discussions,  au  Conseil  royal 
des  Indes,  sur  le  parlago  des  Indiens  entre  les 
conquistadores.  Bernai  Diaz  y  assiste  comme  re- 
présentant de  ses  compagnons  d'armes 846 


952 


TABLE. 


CCXH.  —  L'auteur  défend  son  œuvre  contre 
les  objections  réelles  ou  feintes  qu'on  lui  pour- 
rait faire.  Il  attaque  la  personnalité  absorbante  de 
Cortès  et  revendique  pour  ses  compagnons  une 
part  de  gloire  dans  les  événements  de  la  Nou- 
velle-Espagne. Qui  les  louerait,  s'il  n'était  là 
pour  faire  leur  éloge?  Ënumération  des  cent  dix- 
neuf  batailles  auxquelles  il  a  assisté 850 


CCXIII.  —  Chapitre  parasite ,  évidemment 
ajouté  après  coup,  et  dans  lequel  l'auteur  ra- 
conte les  événements  les  plus  disparates  :  mé- 
téorologie de  fantaisie,  pluie  de  crapauds,  érup- 
tion volcanique,  inondation  de  Guatemala  en 
1541  ;  mort  de  la  veuve  de  Pedro  de  Alvarado. 
Ruine  et  reconstruction  de  la  capitale  de  Gua- 
temala ;  pèlerinages,  etc 857 


Table  des  matières  (sommaires  de  l'auteur) page  863 

réflexions  finales  uu  traducteur —  881 

Notes  du  traducteur —  885 

Liste  de  conquistadores  de  la  Nouvelle-Espagne —  885 

Considérations  médicales  sur  la  campagne  de  Fernand  Cortès —  892 

Les  syphilitiques  de  la  campagne  de  Fernand  Cortès —  903 

Les  sacrifices  humains  et  l'anthropophagie  chez  les  Aztèques —  917 

Un  chapitre  du  Père  Bernardino  de  Sahagun —  936 


FIN   DE   LA    TABLE. 


ERRATA 


Quelques  fautes  typographiques  —  en  fort  petit  nombre,  heureusement 
—  pourraient  être  relevées  dans  ce  gros  volume.  Je  crois  inutile  de  le 
faire-,  c'est  un  travail  que  le  lecteur  effectuera  sans  peine.  Mais  deux  erreurs 
graves  doivent  être  soigneusement  signalées. 

lieu  de  :      Diego,  lisez  :  Diego  Velasquez. 

—      dans  nos  quartiers. 


Page  33 
—    96 


au 


Diego, 

dans  ce  camp, 


Typographie  Lahure,  rue  de  Fleurus,  9,  à  Paris. 


Réseau  rjc:  bibliothèques 
UmvtnHé  d  Ottawa 

Erhéar  r  p 


;  2 


ut  2006 

il  r 


Librar\  Network 

Lniversit\  of  Ottawa 

Date  Due 


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